PURCHASED FOR THE UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY FROM THE CANADA COUNCIL SPECIAL GRANT FOR HISTORY OF SCIENCE, 1968 TABLEAUX DE LA NATURE. A. PIHAN DELAFOREST, IMPRIMEUR DE MONSIEUR LE DAUPHIN ET LE LA COUR DE CASSATION, : s , rue des Noyers, n° 37. TABLEAUX DE LA NATURE OU CONSIDERATIONS SUR LES DÉSERTS, SUR LA PHYSIONOMIE DES VÉGÉTAUX , SUR LES CATARACTES DB L'ORÉNOQUE, SUR LA SIRUCTURE ET L'ACTION DES VOLCANS DANS LES DIFFÉRENTES RÉGIONS DE LA TERRE, ETC. Par A. DE HUMBOLDT. Par J. B. B. EYRIES. TOME" PREMIER. PARIS, GIDE FILS , RUE SAINT -MARC-—FEYDEAU, N° 20, ÉDITEUR des Annales des Voyages. 1828. Digitized by the Internet Archive In 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/tableauxdelanatu00humb PRÉFACE DU TRADUCTEUR. BNC es 4 LES TABLEAUX DE LA NATURE par M. de Humboldt, publiés en 1808, obtinrent en Allemagne le succès le plus flatteur. Le nom de l’auteur et l’art avec lequel il avait uni, dans ce sujet intéressant , une éloquence bril- lante à des connaissances profondes, durent faire espérer que cet ouvrage ne recevrait pas en France un accueil moins favorable ; cette attente fut justifiée. Je m'étais efforcé de ren- dre ma traduction digne de l’original; M. de v] PRÉFACE Humboldt en consentant à revoir mon travail, lui avait donné par là, une sorte de sanction qui était pour moi un gage presque assuré de l’indulgence’ du public : en effet, je fus assez heureux pour la mériter. En 1826, M. de Humboldt a fait paraître une nouvelle édition de son ouvrage; elle offre plusieurs changemens et des additions importantes qu'exigeaient les progrès des scien- ces naturelles et de la géographie dans une pé- riode de dix-huit ans; cette édition contient aussi deux morceaux que l'auteur avait pu- bliés séparément. Il a eu l'extrême bonté de m'inviter à les traduire , et avant son départ pour Berlin, il a examiné mon travail et l’a honoré de son approbation. Quoique ma tra- duction eût été accueillie avec une bienveil- lance dont je ne puis assez hautement témot- DU TRADUCTEUR. vi} gner ma vive gratitude ; toutefois, en la reli- sant, avec attention, jy ai reconnu plusieurs fautes; je me suis attaché à les faire disparai- tre, et j'ose croire que cette production ainsi corrigée , sera jugée avec la même faveur qu’elle le fut lorsqu'elle parut pour la pre- LE mière fois. Il est à propos de prévenir le lecteur que M. de Humboldt, à moins qu'il ne l'indique autrement, fait toujours usage des mesures françaises , et que la lieue qu'il emploie, est la lieue marine de 20 au degré. Paris, 15 décembre 1827, : dE A. Re D ES A ; MMS Sa dis «ANA AE TPS , MDN c: AN ' MT p : 40 , ) i à 1 Ja L _ ‘ » »: \ ? . .“ “{ ip # ie _ E L j : # x | F > i " Li + 1 « P N É v PA , À \} FR LA LU « s é \ * SLT | RUN TRRCON | FE) HAAVNQARTE MO & e ARE RE La ‘ oHpriuri | ou-léun boues V0. msg pneus _— led de [FA in xd 1 PRES e: mesh | A MON FRÈRE GuicLaume De HUMBOLDT, &x Roue». L'AUTEUR. w Le à dr. [4 ox aida AAA AR AA AAA VS AR A AE AS LUS AVE RD L'AR LER VAR IV VIE VV 8 PRÉFACE DE L'AUTEUR. J’orrre en hésitant au public une suite d’opuscules inspirés par les as- pects les plus vastes de la nature, sur l'Océan, dans les forêts de lOréno- XI} PRÉFACE que, dans les savanes de Venezuela , dans la solitude des montagnes du Pérou et du Mexique. Quelques frag- mens isolés ont été écrits sur le site même qui me les dictait, et ensuite fondus ensemble pour former un tout. Je voulais successivement offrir la considération en grand de la nature, la démonstration de l’action simulta- née deses forces, la peinture des jouis- sances toujours nouvelles que la pré- sence de ses imposans tableaux pro- cure à l’homme doué de sentiment. Chaque mémoire doit composer: un DE L'AUTEUR. XII} iout, dans tous on doit aussi sentir unité du but auquel ils tendent con- stamment. Cette manière de traiter l’histoire naturelle présente de gran- des difficultés que n’ont pu toujours vaincre l’énergie et la souplesse de la langue allemande dans laquelle jai écrit mon ouvrage. Les richesses répan- dues sans nombre autour de l’obser- vateur , font éclore une foule d'images partielles, brillantes sans doute, mais qui , par leur entassement même, dé- truisent le repos, et nuisent à lim pression totale du grand tableau de la XIV PRÉFACE nature. Parlant au sentiment et à lPi- magination, le style dégénère aisc- ment en une prose poétique. Ces idées n’ont pas besoin de plus grands déve- loppemens ; les feuilles suivantes n’of- friront que trop d’exemples des éga- remens et des inégalités dont j'indique ici la source. Puissent mes tableaux, malgré ces fautes, qu'il m’est plus facile de bien sentir que de corriger , faire éprouver au lecteur une partie de la jouissance que ressent un esprit ému par la con- DE L'AUTEUR. XV templation de la nature. Gomme cette jouissance s’augmente avec la connais- sance de la liaison intime qui fait agir les divers ressorts de la nature, j'a joint à chaque mémoire des additions et des éclaircissemens relatifs aux ! sciences. Partout j'ai dirigé la pensée vers . , , cette influence éternelle qu’exerce la nature physique sur les dispositions morales et sur les destinées de l’homme. C’est aux ames froissées par le mal- heur que cet ouvrage est principalement XV) PRÉFACE DE L'AUTEUR, consacré. Que celui qui veut échapper aux orages de la vie me suive dans l'épaisseur des forêts, à travers les dé- serts, et sur les sommets élevés des Andes ! CONSIDÉRATIONS LES STEPPES LES DÉSERTS. CONSIDÉRATIONS SUR LES STEPPES ET LES DÉSERTS. Av pied de la chaine de montagnes de granit qui résista à l’action violente des eaux, quand au premier âge de notre planète, leur irruption forma le golfe du Mexique, commence une vaste plaine qui s'étend à perte de vue. Lorsque lon a laissé derrière soi les vallées de Caracas et le lac de Tacarigua ' parsemé d'îles , et À CONSIDÉRATIONS - dont les eaux reflètent l’image des bana- niers dont il est entouré; lorsque l’on a quitié les campagnes ornées par la tendre verdure de la canne à sucre de Taïti, ou les bosquets ombragés par l’épais feuillage des cacaotiers, la vue se porte au sud sur des steppes ou déserts qui s'élèvent insen- siblement , et terniinent horizon dans un lointain sans bornes. En quittant ces lieux où la nature pro- digue la vie organique, le voyageur frap- pé d’étonnement entre dans un désert dé- nué de végétation. Pas une colline, pas un rocher ne s'élève comme une île au milieu de ce vide immense. La terre pré- sente seulement çà et là des couches hori- zontales fracturées , qui souvent couvrent un espace de deux-cents lieues carrées et sont sensiblement plus élevées que tout.ce SUR LES STEPPES. 5 qui les environne, Les naturels du pays les appellent des bancs? et semblent par cette expression deviner l'ancien état des choses, lorsque ces élévations formaient des écueils de la grande mer intérieure dont les séeppes étaient le fond. Encore aujourd’hui une illusion noc- turne nous retrace souvent ces grands traits du monde primitif. Quand à leur lever et à leur coucher les astres brillans éclairent le bord de la plaine, ou quand leur image tremblante paraît doublée * dans la couche la plus basse des vapeurs on- duleuses, on croit y voir l’océan sans bor. nes. Ainsi que l'océan, les s/eppes remplis- sent l'esprit du sentiment de Pinfini. Mais l’aspect de la mer est embelli par le per- pétuel roulement des vagues écumeuses ; tandis que semblable à la pierre nue*, 6 CONSIDÉRATIONS enveloppe d’une planète désolée , le désert dans sa vaste étendue, ne présente que le silence et la mort. Dans toutes les zones, la nature offre de ces plaines immenses ; dans chaque zone elles ont un caractère particulier et une physionomie déterminée par leur éléva- tion au-dessus du niveau de la mer, et par la différence du sol et du climat, Dans le nord de l'Europe on peut con- sidérer comme des steppes ces bruyères qui sont couvertes d’une seule espèce de plantes dont la végétation étouffe celle des autres, et qui étend depuis la pointe de Juiland jusqu’à embouchure de lEscaut. Mais ces steppes peu étendues et parse- mées de collines ne peuvent se comparer aux /lanos et aux pampas de l'Amérique SUR LES STEPPES. 7 méridionale, ni aux savannes du Mis- sour1* et du fleuve Mine de Cuivre, où errent le bison au poil floconneux, et le pe- tit bœuf musqué. Les plaines de l’intérieur de l'Afrique développent un aspect plus grand et plus imposant. Comme la vaste étendue du grand océan, ce n’est qua une époque encore récente qu'on s’est hasardé à les parcourir. Ces plaines font partie d’une mer de sable qui, à l'est, sépare des ré- gions fertiles, ou qui les entoure entière- ment comme des îles ; tel on voit le désert voisin des monts basaltiques d’Haroutchf, où loasis de Siouah, riche en dattiers , re- cèle les ruines du temple d’'Ammon, in- dices vénérables d’une ancienne civilisa- tion. Aucune rosée , aucune pluie ne vient humecter cette surface déserte, ni déve- — 10 CONSIDÉRATIONS marche de Tafilet à Timbouctou ou de Mourzouk à Bornou : entreprises hardies dont la possibilité repose sur l'existence du chameau , le navire du désert ®, comme l'appellent les anciennes chroniques de lorient. Ces plaines d'Afrique occupent un es- pace près de trois fois égal à celui de lamer Méditerranée. Elles sont situées sous le tropique et dans son voisinage, et cette position détermine leur caractère. Au con- traire, dans la partie orientale de l’ancien continent , le même phénomène géolo- sique est particulier à la zone tempérée. C’est sur le dos des montagnes centrales de l'Asie, entre le mont d'Orou Altaï et le Tsoung-ling ‘*, depuis la grande mu- raille de la Chine jusqu’au-delà du Thian- SUR LES STEPPES. 11 Chan ou des Monts-Célestes et vers le lac d’Aral , que s'étendent, dans une longueur de plus de deux mille lieues, les steppes les plus élevées et les plus vastes du monde. Quelques - unes sont des plaines couvertes d'herbes ; d’autres se parent de plantes salines, toujours vertes , grasses et articulées. Un grand nombre brillent au loin d’efflorescences muriatiques qui se cristallisent en forme de Zichens et qui couvrent le sol glaiseux de taches éparses semblables à de la neige nouvellement tombée. Ces steppes tartares et mongoles , in- terrompues par diverses chaînes de mon- tagnes, séparent, des peuples encore gros- siers du nord de l'Asie, la race des hommes anciennement civilisés , qui , depuis un temps immémorial , habitent 12 CONSIDÉRATIONS le Tibet et l'Hindoustan. Elles ont exercé aussi de l’influence sur les diverses desti- nées de lespèce humaine. Elles ont refoulé la population vers le sud, et bien plus que l'Himalaya, bien plus que les cimes glacées de Sirinagor et de Gorka , inter- cepté les rapports des nations dans le nord ; eiles ont opposé des barrières in- surmontables à l'introduction de mœurs plus douces, et au génie créateur des arts. Mais ce n'est pas seulement sous ces rapports que l’histoire doit considérer les plaines de lintérieur de l'Asie. Elles ont plus d’une fois répandu sur toute la terre le malheur et la dévastation. Les peuples pasteurs qui les habitent , tels que les Avars, les-Mongols, les Alains et les Ouzes, ont ébranlé le monde. Si dans les- temps anciens la première culture de l’es- SUR LES STEPPES. 13 prit, comme la lumière vivifiante du so- seil, a dirigé sa marche d’orient en occi- dent ; à une époque plus récente la barbarie et la grossièreté des mœurs , sui- vant la même direction, ont menacé de voiler lEurope d'un nuage épais. Une race de pasteurs basanés ‘", de race Tou- ki-ouiché ou Turque , les Hiongnoux, habitait sous des tentes de peaux la steppe élevée de Gobi. Une partie de la race, long - temps formidable à la puissance chinoise, fut repoussée au sud vers l'Asie intérieure. Ce choc des peuples se pro- pagea sans discontinuer jusqu'a l’Oural dans l’ancien pays des Finois : de là s’é- lancèrent les Huns, les Khasars , les Avars, et résultèrent des mélanges nom- breux de peuples asiatiques : les armées des Huns se montrèrent d’abord sur le Volga, puis en Pannonie , aux bords de 14 CONSIDÉRATIONS la Loire, et enfin sur les rives du PÔ, dévastant ces belles campagnes si riche- ment plantées , où, depuis le temps d’An- ténor , le travail de l’homme entassait monumens sur monumens. Ainsi des dé- serts de la Mongolie s’'échappa avec furie un souffle mortel qui vint étouffer sur le sol cisalpin la fleur délicate des arts, cul- tivée avec tant de soins pendant une lon- gue suite de siècles. Quittons les séeppes salines de l'Asie, les bruyères de l’Europe ornées en été de fleurs rougeâtres abondantes en miel, et les déserts de l'Afrique dénués de plantes. Retournons aux plaines de l'Amérique mé- ridionale, dont j’ai commencé à ébaucher le tableau. L'intérêt que ce tableau peut inspirer SUR LES STEPPES. 15 à l'observateur, est purement celui qu'il tient de la nature. On n’y rencontre point d’oasis qui rappelle le souvenir d'anciens habitans , point de pierres taillées ‘*, point d'arbre fruitier devenu sauvage, qui attestent les travaux de générations étein- tes. Ce coin du monde, comme sil était étranger aux destinées du genre humain, et qu'il n’existat que pour le présent, est le théâtre de la vie libre des animaux et des plantes. La steppe s'étend depuis la chaîne cé- tière des montagnes de Caracas, jusqu'aux forêts de la Guyane; depuis les monts neigeux de Merida , sur la pente desquels le lac de natron d’'Urao est un objet de la superstition religieuse des indigènes, jus- qu'au grand Delta que l’'Orénoque forme à son embouchure. Elle se prolonge au sud- 16 CONSIDÉRATIONS ouest comme un bras de mer :‘°, au - delà des rives du Meta et du Vichada, jus- qu'aux sources non visitées du Guaviare , ou même jusqu'à ce groupe de montagnes isolées, que les guerriers espagnols, par un jeu de leur active imagination , ap- pelèrent le Paramo de la summa Paz, comme s’il était l’heureux séjour d’une paix perpétuelle. Ce désert occupe un espace de plus de 16,000 lieues carrées. Le défaut de con- naissances géographiques l’a quelquefois fait représenter comme s'étendant sansin- terruption et conservant la même largeur jusqu’au détroït de Magellan; on ne fai- sait pas attention à la plaine boisée ‘4 du fleuve des Amazones, qui est bornée au nord et au sud par les séeppes herbeuses de lPApouré et du Rio de la Plata. Les SUR LES STEPPES. 17 Andes de Cochabamba et le groupe des montagnes du Brésil envoient, entre la province de Chiquitos et le détroit ter- restre de Villabella des dos de montagnes isolées qui se rapprochent les unes des autres. Une plaine étroite unit les 2y/æa du fleuve des Amazones aux pampas de Buenos-Ayres. Celles-ci égalent trois fois les //anos de Venezuela en superficie. Leur étendue est si prodigieuse, qu'au nord elles sont bornées par des bosquets de palmiers , et au sud par des neiges éter- nelles. Les touyous, oiseaux de la famille des casoars, sont indigènes de ces pampas, ainsi que des hordes de chiens devenus sauvages ‘” qui vivent ensociété dans des antres souterrains, et qui souvent atta- quent avec acharnement l’homme pour la défense de qui combattaient les auteurs de leur race. I. 2 18 CONSIDÉRATIONS Ainsi que le désert de Sahara, les Ilanos, ou les plaines septentrionales de l'Amérique du sud, sont situées dans la zone torride. Deux fois chaque année, leur aspect change totalement ; tantôt nues comme la mer de sable de Libye , tantôt couvertes d’un tapis de verdure comme les steppes élevées de l'Asie moyenne. C’est un travail satisfaisant , et cepen- dant difficile pour la géographie générale, de comparer la constitution physique des contrées les plus distantes, et de présen- ter en peu de lignes le résultat de cette comparaison. Des causes multipliées , et en partie encore peu développées ‘° con- tribuent à diminuer la chaleur et la séche- resse dans le nouveau monde. Le peu de largeur de ce continent dé- SUR LES STEPPES. 19 coupé de mille manières dans les régions équinoxiales au nord de l’équateur ; son prolongement vers les pôles glacés; l’o- céan dont la surface non interrompue est balayée par les vents alisés ; l’aplatisse- ment de la côte orientale ; des courans d’eau très froide , qui se portent depuis le détroit de Magellan jusqu’au Pérou ; de nombreuses chaînes de montagnes rem- plies de sources, et dont les sommets cou- verts de neige s'élèvent bien au-dessus de la région des nuages ; l'abondance de fleuves immenses qui, après des détours multipliés , vont toujours chercher les côtes les plus lointaines ; des déserts non sablonneux et par conséquent moins sus- ceptibles de s’imprégner de chaleur ; des forêts impénétrables qui couvrent les plai- nes de l’équateur remplies de rivières , et qui, dans ies parties du pays les plus éloi- 20 CONSIDÉRATIONS gnées de l’océan et des montagnes, don- nent naissance à des masses énormes d’eau qu’elles ont aspirées ou qui se forment par l'acte de la végétation ; toutes ces causes produisent , dans les parties basses de l'Amérique, un climat qui contraste sin- gulièrement par sa fraicheur et son humi- dité avec celui de l'Afrique. C’est à elles seules qu'il faut attribuer cette végéta- tion si forte, si abondante, si riche en sucs, et ce feuillage si épais qui forment le caractère particulier du nouveau con- tinent. S'il est vrai que sur l’un des côtés de notre planète Pair est plus humide que sur l'autre, la comparaison de leur état actuel suflit pour résoudre le problème de cette inégalité. Le physicien n’a pas besoin de couvrir du voile de fables géologiques SUR LES STEPPES. 21 l'explication de pareils phénomènes , de supposer que ce n’est qu'à des époques dif- férentes qu'a cessé sur notre planète la lutte des élémens portant avec elle la des- truction, ou enfin d'avancer que, sembla- ble à une ile marécageuse, séjour des ser- pens et des crocodilles , l'Amérique n’est sortie du sein des eaux que long-temps après les autres parties du monde ‘7. L'Amérique méridionale a, sans doute, une ressemblance frappante avec la pé- uinsule sud-ouest de l’ancien continent, par sa forme, ses contours, et la direction de ses côtes. Mais la structure intérieure du sol , et la position relative des régions contiguës occasionent en Afrique cette ari- dité étonnante qui, dans un espace im- mense, s'oppose au développement de la vie organique. Les quatre cinquièmes de 22 CONSIDÉRATIONS l'Amérique méridionale sont situés au-delà de l'équateur , et par conséquent dans un hémisphère qui, à raison de ses grandes masses d’eau , et par une infinité d’autres causes, est plusfrais et plus humide ‘À que notre hémisphère boréal ; et c’est à celle- ci qu'appartient la partie la plus considé- rable de l'Afrique. Les steppes de l'Amérique méridionale ou /l/anos ont, de l’est à l’ouest , trois fois moins détendue que les déserts de PA- frique. Les premières sont rafraîchies par les vents alisés ; les seconds, placés sous le même parallèle que l'Arabie et la Perse méridionale , ne sont visités que par des courans d'air qui ont passé sur de vastes régions d’où se réfléchit une chaleur brû- lante. Déja le respectable père de l’his- toire , Hérodote , dont le mérite a été si SUR LES STEPPES. 23 long-temps méconnu, vraiment pénétré de ce sentiment qui porte à observer la na- ture en grand, a dépeint les déserts du nord de l'Afrique ; ceux de lYémen, du Kerman, du Mekhran (la Gédrosie des anciens ), et même ceux du Moultan dans l’Inde antérieure , comme une seule mer de sable ‘° continue. A l’eflet du souffle embrasé des vents de terre , se joint encore en Afrique, au- tant du moins que nous la connaissons, le manque de grandes rivières, de forêts et de hautes montagnes exhalant des vapeurs aqueuses et produisant du froid. On ne voit des neiges éternelles que sur la partie occi- dentale *° de l'Atlas, dont la chaîne ré- trécie , aperçue de profil par les navi- gateurs anciens, leur parut une masse aérienne et isolée, destinée à soutenir le 22 CONSIDÉRATIONS l'Amérique méridionale sont situés au-delà de l’équateur , et par conséquent dans un hémisphère qui, à raison de ses grandes masses d’eau , et par une infimité d’autres causes, est plusfrais et plus humide ‘# que notre hémisphère boréal ; et c’est à celle- ci qu'appartient la partie la plus considé- rable de l'Afrique. Les steppes de l'Amérique méridionale où /lanos ont, de l’est à l’ouest, trois fois moins d’étendue que jes déserts de PA- frique. Les premières sont rafraichies par les vents alisés ; les seconds, placés sous le même parallèle que l'Arabie et la Perse méridionale , ne sont visités que par des courans d'air qui ont passé sur de vastes régions d’où se réfléchit une chaleur brû- lante. Déja le respectable père de lhis- toire , Hérodote | dont le mérite a été si SUR LES STEPPES. 23 long-temps méconnu, vraiment pénétré de ce sentiment qui porte à observer la na- ture en grand, a dépeint les déserts du nord de l'Afrique; ceux de lYémen, du Kerman, du Mekhran (la Gédrosie des anciens ), et même ceux du Moultan dans l'Inde antérieure, comme une seule mer de sable ‘° continue. A l'effet du souffle embrasé des vents de terre , se joint encore en Afrique, au- tant du moins que nous la connaissons, le manque de grandes rivières , de forêts et de hautes montagnes exhalant des vapeurs aqueuses et produisant du froid. On ne voit des neiges éternelles que sur la partie occi- dentale *° de l'Atlas, dont la chaine ré- trécie , aperçue de profil par les navi- gateurs anciens, leur parut une masse aérienne et isolée, destinée à soutenir le 2% CONSIDÉRATIONS ciel. Prolougée à l’est jusqu’au Dakoul, où fut cette dominatrice des mers , Carthage dont les ruines même ont disparu , et, formant , à peu de distance des côtes , une chaîne, barrière de la Gétulie, cette mon- tagne arrête le vent frais du nord, et les vapeurs qu'il a balayées à la surface de la Méditerranée. C’est probablement aussi au - dessus de la limite inférieure des neiges, que s’élè- vent les monts de la lune*' ou a/ komri, dont on rapporte sans raison que de est à l'ouest ils forment une chaîne entre les plaines élevées de PAbyssinie ( le Quito de l'Afrique) , et les sources du Sé- négal. La cordillère de Lupata même , qui longe la côte orientale d'Afrique à : Mosambique et au Monomotapa, comme les Andes serrent au Pérou la côte occi- SUR LES STEPPES. 25 dentale de l'Amérique . est couverte de glaces éternelles dans le pays de Manica riche en or. Mais ces montagnes abon- dantes en sources, sont très éloignées de limmense désert qui s'étend depuis la pente méridionale de PAtlas jusqu’au Ni- ser, dont les eaux coulent vers l'Orient. Ces causes réunies d’aridité et de cha- leur n'auraient peut-être pas été sufhi- santes pour changer le plateau de lPA- frique en une affreuse mer de sable , si quelque grande révolution de la nature , par exemple , une irruption de POcéan n'avait pas enlevé jadis à cette surface les plantes et la terre végétale qui la cou- vraient. Quelle fut l’époque de cette ca- tastrophe ? Quelle force détermina cette irruption ? c’est ce qui est profondément caché dans la nuit des temps. Peut - être 26 CONSIDÉRATIONS fut-elle un effet du remous ** , de ce cou- rantimpétueux qui pousse leseaux échauf- fées du golfe de Mexique au-delà du banc de Terre-Neuve, jusque sur les côtes de notre continent , et qui charrie les cocos des Antilles sur les rives de l’Irlande et de la Norvège. Encore aujourd’hui, au moins un des bras de ce courant se dirige des Açores au sud-est, et va frapper, avec une violence souvent funeste aux navigateurs, la côte occidentale de Afrique, bordée de monticules sablonneux. Tous les rivages de la mer (et je citerai entre autres ceux de la côte du Pérou , entre Coquimbo et Amotapé) prouvent combien, dans les régions de la: zone torride, où sous un ciel d’airain ni les /écidées n1 aucun autre lichen ** ne peuvent végéter , il s'écoule des siècles, et peut-être des milliers d’an- nées avant que le sable mouvant puisse SUR LES STEPPES, 2] offrir aux racines des plantes un point d'appui assuré. Cesconsidérations expliquent comment, malgré leur ressemblance extérieure de forme , l'Afrique et l'Amérique offrent des différences si tranchées dans leur tempé- rature relative , et dans le caractère de leur végétation. Quoique la séteppe de lA- mérique méridionale soit couverte d’une légère couche de terre végétale, quoi- qu'elle soit arrosée périodiquement par des ondées de pluies , et ornée de grami- nées d’une végétation magnifique, elle n’a cependant pu engager les peuples voisins à abandonner les belles vallées de Cara- cas , les bords de la mer, ni le bassin im- mense de l’Orénoque, pour venir errer dans une solitude privée d’arbres et de sources. Aussi, à l’arrivée des premiers 26 CONSIDÉRATIONS colons européens et africains, la trouva- t-on presque inhabitée. Les llanos sont, à la vérité, propres à la nourriture du bétail ; mais léducation des animaux qui donnent du lait ** était inconnue aux habitans primitifs du nou- veau continent. Aucun des peuples amé- ricains ne cherchait à mettre à profit les avantages que sous ce rapport leur offrait la nature. Dans les savannes du Canada occidental, à Quivira et autour des ruines colossales du château des Aztèques, cette Palmyre de PAmérique, qui s'élève so- litairement dans le désert auprès des rives du Gyla,on voit paître deux races indi- gènes d'animaux à cornes. Le moufllon aux longues cornes, souche primitive de notre mouton, erre sur les rochers cal- caires , arides et pelés de la Californie. Les SUR LES STEPPES. 29 vigognes, les alpacas et les lamas, tous ressemblans au chameau, appartiennent à la péninsule méridionale. Mais ces ani- maux utiles ont , à l'exception du lama, conservé, depuis des siècles, leur anti- que liberté. L'usage du lait et du fromage est, ainsi que la possession et la culture des plantes céréales ** un des traits distinctifs qui caractérisent les peuples de l’ancien monde. Si quelques-uns ont passé par le nord de l'Asie sur la côte occidentale d’'Amé- rique , et, craignant une température moins froide **, ont longé les sommets élevés des Andes pour aller au sud, cette migration a eu lieu par des routes où ces voyageurs ne pouvaient transporter avec eux n1 leurs troupeaux , ni leurs cé- réales. Peut-être lorsque lempire des 30 CONSIDÉRATIONS Hiongnoux long-temps ébranlé s’écroula , la marche de cette tribu puissante occa- siona-t-elle une migration de peuples du nord-est de la Chine et de la Corée, et alors des Asiatiques policés passèrent-ils dans le nouveau continent ? Si ces nouveaux ve- nus avaient été des habitans des steppes, où l’agriculture est inconnue , cette hypo- thèse hardie, et peu favorisée jusqu'à présent par la comparaison des langues, pourrait au moins expliquer ce manque surprenant des plantes céréales propre- ment dites, qui est particulier au nouveau continent ; peut-êtreune coloniede prêtres, battue par la tempête, aborda-t-elle aux côtes de la Californie? évènement qui pro- duisit desidées mystiques relativement à la navigation , et dont l’histoire de la popula- tion duJapon*?, au temps de Djindi-Hoang- ti nous fournit un exemple mémorable. SUR LES STEPPES. 31 La vie pastorale , cet intermédiaire bienfaisant qui attache les hordes no- mades de chasseurs à un sol abondant en herbes , et qui les prépare à l’agriculture, n'était pas moins inconnue aux habitans primitifs de l'Amérique. Cest dans cette ignorance qu'on doit chercher la cause du défaut de population des steppes de l'Amérique méridionale. Aussi est-ce avec plus de liberté que l'énergie de la nature sy est développée dans une si grande variété de formes organiques. Elle n’y a connu de bornes que celles qu'elle s’est données, ainsi que dans la vie qu’elle prodigue aux végétaux au sein des forêts de l’Orénoque , où l’Aymenea et le lau- rier à tige gigantesque ne redoutent pas la main destructrice de Phomme, mais seulement les circonvolutions vigoureuses des plantes grimpantes qui les étouftent. 32 CONSIDÉRATIONS Les agoutis, les petits cerfs mouchetés, les tatous cuirassés qui, semblables aux rats, se glissent dans la retraite souter- raine du lièvre effrayé, des troupeaux de cabiais indolens , des chinches agréable- ment rayés par bandes , mais dont Podeur empeste l’air, le grand lion sans crinière, les jaguars mouchetés , nommés tigres dans ces contrées, et assez robustes pour traîner au haut d’une colline le jeune tau- reau qu'ils ont tué, tous ces animaux et une multitude d’autres * parcourent la plaine dénuée d'arbres. Habitable en quelque scrte pour eux seuls, elle n'aurait pu fixer aucune des hordes nomades qui, de même que les Hindoux, préfèrent la nourriture végé- tale , si des palmiers en éventail , les nau- rilia, n'y étaient pas dispersés çà et la. SUR LES STEPPES. 33 Elles sont justement célèbres les qualités bienfaisantes de cet arbre de vie*®. Seul il nourrit, à l'embouchure de l’Orénoque, la nation indomptée des Guaranis, qui ten- dent avec art d’un tronc à l’autre des nattes tissues avec la nervure des feuilles du mauritia, et, dans la saison des pluies, quandle Delta est inondé, semblables à des singes , vivent au sommet des arbres. Ces habitations suspendues sont en partie couvertes avec dela glaise. Les femmes allument sur cette couche humide le feu nécessaire aux besoins du ménage ; et le voyageur qui, pendant la nuit, na- vigue sur le fleuve, aperçoit de longues files de flammes à une grande hauteur en l'air , et absolument séparées de la terre. Les Guaranis doivent leur indépendance physique , et peut-être aussi leur indépen- ,: 3 34 CONSIDÉRATIONS dance morale, au sol mouvant, tourbeux et à moitié liquide qu’ils foulent d’un pied lé- ger, età leur séjour sur les arbres; républi- que aérienne, où l'enthousiasme religieux ne conduira jamais un s{y lite américain °°. Le mauritia ne procure pas seulement aux guaranis une habitation sûre, 1l leur fournit aussi des mets variés. Avant que la tendre enveloppe des fleurs paraisse sur l'individu male. et seulement à ce période de la végétation, la moelle du tronc recèle une farine analogue au sagou. Comme la farine contenue dans la racine du manioc, elle forme en se séchant des disques min- ces de la nature du pain. De la sève fer- mentée de cet arbre, les Guaranis font un vin de palmier doux et enivrant. Les fruits encore frais, recouverts d’écailles comme les cônes du pin, donnent, ainsi SUR LES STEPPES. 35 quele bananier et la plupart des fruits de la zone torride, une nourriture variée , SUI- vant qu'on en fait usage après l’entier dé- veloppement de leur principe sucré, ou auparavant lorsqu'ils ne contiennent en- core qu'une pulpe abondante. Aïnsi nous trouvons , au degré le plus bas de la civi- lisation humaine , l'existence d'une peu- plade enchaïnée à une seule espèce d’ar- bre, semblable à celle de ces insectes qui ne Subsistent que Par certaines parties d’une fleur. Depuis la découverte du nouveau con- nent , la plaine est devenue moins inha- bitable. Pour faciliter les relations entre la côte et la Guyane, on à bäti quelques villes sur le bord des rivières de la sleppe, et on à commencé à élever des bestiaux dans toutes les parties de cet es- 36 CONSIDÉRATIONS pace immense. On rencontre, à des jour- nées de distance les unes des autres, des huttes isolées construites en claies de ro- seaux attachées avec des courroies et cou- vertes de peaux de bœuf. Entre ces habi- tations grossières, ON voit errer dans la steppe des troupeaux innombrables de bœufs, de chevaux, et de mulets deve- nus sauvages. L’accroissement prodigieux de ces animaux de l'ancien monde, est d'autant plus surprenant que les dangers qu'ils ont à combattre sous cette zone sont plus nombreux. Lorsque, par l'effet vertical des rayons du soleil qu'aucun nuage n'arrête, l'herbe brûlée tombe en poussière, le sol endurci se crevasse, comme sil était ébranlé par de violens tremblemens de terre. Alors , ä des vents opposés viennent à se heurter SUR LES STEPPES. 37 à sa surface, et si leur choc se termine par produire un mouvement circulaire, la plaine offre un spectacle extraordinaire. Pareil à une vapeur, le sable s'élève au milieu du tourbillon raréfié et peut-être chargé d'électricité, tel qu'une nuée en forme d’entonnoir *, qui avec sa pointe glisse sur la terre, et semblable à la trombe bruyante redoutée du navigateur expéri- menté. Le ciel qui paraît abaissé ne jette qu'un demi-jour trouble et livide sur la plaine désolée. L'horizon se rapproche tout à coup. Il resserre le désert et le cœur de l'homme. Suspendu dans l'atmosphère qu'il voile d’un nuage épais , le sable em- brasé et poudreux augmente la chaleur étouffante de l’air‘*. Au lieu de fraicheur, le vent d'est apporte une ardeur nouvelle en chariant les émanations brûlantes d’un jerrain long-temps échauflé. 38 CONSIDÉRATIONS Les flaques d'eau que protégeait le pal- mier dont le soleil a fané la verdure , dis- paraissent peu à peu. De même que dans les glaces du nord les animaux s’engour- dissent, de même ici le crocodile et le boa, profondément enfoncés dans la glaise des- séchée , s’endorment sans mouvement. Partout l’aridité annonce la mort, et par- tout elle poursuit le voyageur altéré, déçu par le jeu des rayons de lumière réfractés, qui lui présentent le fantôme d’une sur- face ondulée ‘*. Enveloppés de nuages de poussière, tourmentés par la faim et par une soif ardente, de toutes parts er- rent les bestiaux et les chevaux. Ceux-là, faisant entendre des mugissemens sourds, ceux-ci, le cou tendu dans une direction contraire à celle du vent, aspirent for- tement lair pour découvrir, par la moi- teur de son courant, le voisinage d’une SUR LES STEPPES. 39 laque d’eau non entièrement évaporée. Les mulets plus circonspects et plus ru- sés cherchent à apaiser leur soif d’une autre manière. Un végétal de forme sphé- rique, et portant de nombreuses canne- lures, le melocactus *, renferme, sous son enveloppe hérissée, une moelle très aqueuse. Le mulet, à l’aide de ses pieds de devant écarte les piquans, approche ses lèvres avec précautions, et se hasarde a boire le suc rafraichissant. Mais ce n’est pas toujours sans danger qu'il peut puiser à cette source végétale vivante. On voit souvent des animaux dont le sabot est es- tropié par les piquans du cactus. À la chaleur brûlante du jour succède la fraicheur d’une nuit qui égale le jour en durée ; mais les bestiaux et les chevaux 4o CONSIDÉRATIONS ne peuvent même alors jouir du repos. Pendant leur sommeil, des chauve-souris monstrueuses se cramponnentsur leur dos comme des vampires, leur sucent le sang et leur occasionent des plaies purulentes, où s’établissent les hippobosques , les mos- quites , et une foule d’autres insectes à aï- guillon. Telle est existence douloureuse de ces animaux, dès que l’ardeur du soleil a fait disparaïtre l’eau de la surface de la terre: Quand, après une longue sécheresse, s'approche enfin la saison bienfaisante des pluies , soudain la scène change ‘* dans le désert. Le bleu foncé du ciel , jusqu'alors sans nuage, prend une teinte plus claire. À peine reconnait-on pendant la nuit l’es- pace obcur de la Croix, constellation du pôle austral. La légère phosphorescence SUR LES STEPPES: A1 des nuées de Magellan perd son éclat. Les étoiles verticales de PAigle et du Serpen- taire brillent d’une lumière tremblante, qui ne ressemble plus à celle des planètes Il s'élève dans le sud des nuages isolés qui paraissent des montagnes éloignées. Les vapeurs s'étendent comme un brouil- lard sur tout l'horizon. Les coups de ton- nerre annoncent dans le lointain la pluie vivifante. À peine la surface de la terre est-elle humectée, que le désert couvert de va- peurs se revêt de Æë/lingia, de paspa- {um aux panicules nombreuses, et d’une infinité de graminées. A la lumière, la sensitive herbacée développe ses feuilles endormies, et salue le soleil levant, comme les plantes aquatiques en ouvrant leurs fleurs délicates , et les oiseaux par leurs 42 CONSIDÉRATIONS chants harmonieux. Les chevaux et les bestiaux bondissent dans la plaine. Le ja- guar agréablement moucheté se cache dans l'herbe haute et touffue; par un saut léger, à la manière des chats, il s’élance comme le tigre d'Asie, pour saisir les ani- Maux au passage. Quelquefois, si l’on en croit les récits des naturels, on voit sur le bord des marais. la glaise humide s'élever en forme de mottes ‘ ; puis on entend un bruit violent comme celui de l'explosion de petits vol- cans vaseux : la terre soulevée est lancée en l’air. Celui à qui ce phénomène est con- nu, fuit dès qu'il s'annonce; car un mons- trueux serpent aquatique, ou un Croco- dile cuirassé sort de son tombeau aux premières ondées de pluie et se réveille de sa mort apparente. SUR LES STEPPES. 43 Les rivières qui bornent la plaine au sud , PAraca, l'Apouré, et le Payara, se sonflent peu à peu. Alors la nature con- traint à mener la vie des amphibies, ces mêmes animaux qui, dans la première moitié de l’année, mouraient de soif sur un sol aride et poudreux. Une partie du désert présente l’image d’une vaste mer intérieure ‘*. Les jumens se retirent avec leurs poulains sur les bancs élevés qui, semblables à des îles, sortent de la surface des eaux. Chaque jour l’espace non inondé se rétrécit. Les animaux pressés les uns contre les autres et privés de paturage , nagent long-temps ça et là, et trouvent une nourriture chétive dans Les panicules fleuries des graminées qui s'élèvent au- dessus d’une eau brunâtre et en fermen- tation. Beaucoup de jeunes chevaux se noient ; beaucoup sont surpris par le cro- 44 CONSIDÉRATIONS codile qui, de sa queue armée d’une crête dentelée, leur fracasse les os, puis les dé- vore. Souvent on voit des chevaux et des bœufs qui échappés à la voracité de ce fé- roce reptile, portent sur leurs cuisses les marques de ses dents pointues. Ce spectacle rappelle involontairement à l'observateur attentif la facilité de se . plier à tout, dont la nature prévoyante a doué certains animaux et certains vVégé- taux. Le bœuf et le cheval, ainsi que les plantes céréales, ont suivi l’homme par toute laterre, depuis le Gange jusqu’au Rio de la Plata, depuis la côte d'Afrique jus- qu'aux plaines de l'Antisana plus élevées que le pic de Ténérifie *®. Ici, c’est le bou- leau habitant du nord, là, le dattier, qui mettent le bœuf fatigué à abri des rayons du soleil. La même espèce d'animaux qui, SUR LES STEPPES. 45 dans l'est de l'Europe, combat les ours et les loups, est sous un autre parallèle expo- sée aux attaques du tigre et du crocodile. Ce ne sont pas seulement les crocodiles et les jaguars qui, dans l'Amérique méri- dionale, dressent des embüches au cheval. Cet animal a aussi parmi les poissons un ennemi dangereux. Les eaux maréca- geuses de Béra et de Rastro* sont rem- plies d’anguilles électriques , dont le corps gluant, parsemé de taches jaunätres, en- voie de toutes parts et spontanément une commotion violente. Ces gymnotes ont cinq à six pieds de long ; ils sont assez forts pour tuer les animaux les plus ro- bustes, lorsqu'ils font agir à la fois et dans une direction convenable leurs organes , armés d’un appareil de nerfs multipliés. A Uritucu on a été obligé de changer le 46 CONSIDÉRATIONS chemin de la steppe, parce que le nombre de ces anguilles s'était tellement accru dans une petite rivière, que tous les ans beaucoup de chevaux frappés d’engour- dissement se noyaient en la passant à gué. Tous les poissons fuient l'approche de cette redoutable anguille. Elle surprend même l’homme qui, placé sur le haut du rivage, pêche à l’hamecçon ; la ligne mouillée lui communique souvent la commotion fatale. lei, le feu électrique se dégage même du fond des eaux. - La pêche des gymnotes procure un spectacle pittoresque. Dans un marais que les Indiens enceignent étroitement , on fait courir des mulets et des chevaux ; jusqu'à ce que le bruit extraordinaire ex- cite à l'attaque ces poissons courageux. On les voit nager comme des serpens sur PE Me SUR LES STEPPES. 47 la superficie des eaux , et se presser adroi- tement sous le ventre des chevaux. Plu- sieurs de ceux-ci succombent à la violence des coups invisibles; d’autres haletans , la crinière hérissée, les yeux hagards, étin- celans et exprimant l’angoisse , cherchent a éviter l'orage qui les menace ; mais les Indiens , armés de longs bambous, les repoussent au milieu de l’eau. Peu à peu limpétuosité de ce combat inégal diminue. Les gymnotes fatigués se dispersent comme des nuées déchargées d'électricité ; 1ls ont besoin d’un long re- pos et d’une nourriture abondante pour réparer ce qu'ils ont dissipé de force gal- vanique. Leurs coups de plus en plus fai- bles donnent des commotions moins sen- sibles. Effrayés par le bruit du piétinement des chevaux , ils s’'approchent craintifs du 48 CONSIDÉRATIONS bord du marais; là on les frappe avec des harpons ; puis on les entraîne dans la steppe au moyen de bàtons secs et non conducteurs du fluide. Tel est le combat surprenant des che- vaux et des poissons. Ce qui forme l’arme vivante et invisible de ces habitans de l’eau; ce qui, développé par le contact de parties humides *’ et hétérogènes , circule dans les organes des animaux et des plan- tes; ce qui dans les orages embrase la voûte du ciel ; ce qui lie le fer au fer, et détermine la marche tranquille et rétro- grade de l'aiguille aimantée, découle d’une même source, comme les couleurs variées du rayon réfracté : tout se réunit dans une force unique et éternelle qui anime la na- ture, et règle les mouvemens des corps célestes. SUR LES STEPPES. 49 Je pourrais terminer ici le tableau phy- sique du désert que j'ai tenté d’esquisser. Mais de même que sur l’océan notre 1ma- gination aime à s'occuper de l’image des côtes éloignées, de même, avant que le désert échappe à notre vue, jetons un coup d'œil rapide sur les régions qui l’en- vironnent. Le désert du nord de l’Afrique sépare deux races d'hommes, qui originairement appartiennent à la même partie du monde, et dont la lutte toujours subsistante paraït être aussi ancienne que la fable d’'Osiris et de Typhon #. Au nord de l’Atlas vivent des hommes à cheveux iongs et non cré- pus, ayant le teint jaunatre et Les traits des habitans du Caucase. Au sud du Sénégal et du côté du Soudan, on trouve des peupla- des de nègres parvenues à différens degrés I. 4 bo CONSIDÉRATIONS de civilisation. Dans l'Asie moyenne , les steppes de la Mongolie sont la ligne de dé- marcation entre la barbarie de la Sibérie, et l'antique civilisation de l’'Hindoustan. Les plaines de l'Amérique sont aussi la borne où s'arrête le domaine de la demi- civilisation européenne “. Au nord, en- tre la chaine des montagnes de Venezuela et la mer des Antilles, on rencontre, pres- sés les uns contre les autres, des villes industrieuses, des villages charmans , et des champs soigneusement cultivés. Le soût des arts, la culture des sciences et l'amour de la liberté civile y sont même développés depuis long-temps. Au sud , la steppe est entourée par une solitude sauvage ét effrayante. Des forêts agées de milliers d'années , et d’une épais- - SUR LES STEPPES. 21 seur impénétable , remplissent la contrée humide située entre l’'Orénoque et le fleuve des Amazones. Des masses immenses de granit, couleur de plomb #*, rétrécissent le lit des rivières écumeuses. Les monta- gnes et les forêts retentissent incessam- ment du fracas des cataractes, du rugis- sement des jaguars , et des hurlemens sourds * du singe barbu qui annonce la pluie. Dans les endroits où les eaux plus basses laissent un banc à découvert, un crocodile est étendu sans mouvement comme un ro- cher et la gueule béante. Son corps écail- leux est souvent couvert d'oiseaux 45. Le boa à peau tigrée, la queue attachée à un tronc d'arbre, et le corps roulé sur ini-même , sûr de sa proie, se tient en em- 592 CONSIDÉRATIONS buscade sur la rive. 11 se déploie avec promptitude pour saisir au passage le jeune taureau ou quelque animal plus fai- ble; après l'avoir enveloppé d’une humeur visqueuse, il le fait entrer avec effort dans son gosier dilaté 47. Au milieu de cette nature grande et sau- vage vivent des peuples de races et de civilisation diverses. Quelques-uns , sépa- rés par des langages dont la dissemblance est étonnante, sont nomades, entièrement étrangers à l’agriculture , se nourrissent de fourmis, de gomme et de terre #, et sont le rebut de l’espèce humaine ; tels sont les Olomaques et les Jarourès. D’au- tres, comme les Maquiritains et les Makos, ont des demeures fixes , vivent des fruits qu'ils ont cultivés, ont de l'intelligence et des mœurs plus douces. De vastes espaces = SUR LES STEPPES. J9 entre le Cassiquiarè et l'Atabapo ne sont habités que par des singes réunis en so- ciété et par des tapirs. Des figures gravées sur des rochers * prouvent que jadis cette solitude a été le séjour d’un peuple par- venu à un certain degré de civilisation ; de même que la forme des langues qui appartiennent aux monumens les plus durables des hommes, elles attestent les vicissitudes qu'éprouve le sort des peuples. Dans la steppe, c’est le tigre et le cro- codile qui combattent le cheval et le tau- reau; sur ses bords garnis dé forêts, et dans les régions sauvages de la Guyane, c’est l’homme qui est perpétuellement ar- mé contre l’homme. La , avec une avidité féroce , des peuplades entières boivent le sang de leurs ennemis ; d’autres les égor- gent non armés en apparence , mais pré- 54 CONSIDÉRATIONS parés au meurtre °° par le poison dont est enduit longle de leur pouce. Aussi les hordes les plus faibles, lorsqu'elles entrent dans la région des sables, effacent soigneu- sement avec leurs mains la trace de leurs pas timides. Ainsi l’homme se prépare à [ui - même une vie inquiète et orageuse, soit que sa grossièreté tienne encore à celle des ani- maux , soit que l'éclat apparent de la c1vi- lisation lui assigne le degré le plus élevé. Le voyageur qui parcourt le globe , lhis- torien qui s'enfonce dans la nuit des âges , rencontrent sans cesse Le tableau uniforme et désolant des dissensions de lespèce hu- maine. C'est pourquoi celui qui, au milieu des discordes des peuples, cherche à reposer SUR LES STEPPES. 55 son esprit, porte volontiers ses regards sur la vie paisible des’ plantes et étudie les ressorts mystérieux qui meuvent l’u- nivers; ou bien, se livrant à cette noble impulsion dont le cœur de l’homme fut toujours animé , par un pressentiment se- cret 1l porte la vue vers les astres qui, obéissant aux lois immuables de l’harmo- nie, poursuivent leur carrière éternelle. » + à biitnogesa eue 159 «é “à | iup eontef el e9x ae. à PURE ; | romeffeseal 3 RTE TUE aol. ’ vs 8 Jo fr éshire Gui Fe, l r LA Fu vf Na) : | Ë E - ne | e-cpegonr Qué Diet ; LE qi Dunseiques FES : FA , cdi synbs cer es 6 1? cé signé se ne" IX 12 : ‘ *. Ai LS ré û dé ionpieng ÉCLAIRCISSEMENS ET ADDITIONS. mm RE DÉC CS > Nm Cu (D ein D Ce ÉCLAIRCISSEMENS ADDITIONS BND ! Le lac de Tacarigua , p. 3. Lonsque lon pénètre dans l'intérieur du continent de l'Amérique méridionale, de- puis la côte de Caracas ou de Venezuela, située sous le dixième parallèle nord, jus- qu'aux frontières septentrionales du Bré- sil, sous la ligne , on traverse d’abord une chaine de montagnes très haute dirigée de l’ouest à l’est ; ensuite la grande steppe déserte et dénuée d'arbres ( ou les plaines appelées Ilanos ), qui s'étendent depuis Go CONSIDÉRATIONS le pied des montagnes côtières jusquesur la rive gauche de lOrénoque; enfin la ligne montagneuse qui occasione les cataractes d’Aturès et de Maypurè. Cette chaîne, que je nomme Sierra de la Parime , file entre les sources du Rio Esquibo et du Rio Branco vers les Guyanes française, nederlan- daise et anglaise. Elle est le siège de la singulière fable de EI Dorado ; et con- fine au sud avec la plaine boisée où le Rio Négro et l’'Amazone ont formé leur lit. Celui qui voudra approfondir davan- age ces rapports géographiques, pourra jeter un coup d'œil sur la grande carte de la Cruz Olmedilla, qui a produit tou- tes celles que l’on a publiées postérieu- rement, et qui cependant, d'après mes observations astronomiques pour détermi- ner la position des lieux, doit subir des changemens essentiels. SUR LES STEPPES. O1 La chaîne côtière de Venezuela , const- dérée sous le rapport géographique, ap- partient à la chaîne des Andes du Pérou. Celle-c1 se partage au nœud des sources du Rio - Magdalena , au sud de Popoyan ( 1° 55/ à 2° 20/ lat. N. ), en trois chaînes, dont la plus orientale file vers les mon- tagnes neigeuses de Merida. Ces dernières s'abaissent vers le Paramo de las Rosas , dans la contrée montueuse de Quibor et de Tocuyÿo, qui unit la chaîne côtière de Venezuela à la cordillère de Cundina- marca. La chaine côtière , semblable à un mur, se prolonge sans interruption de Porto - Cabello au cap Paria; sa hau- teur moyenne est à peine de 750 toises. Cependant quelques sommets isolés, tels que celui que l’on nomme Silla de Caracas ou Cerro de Avila, orné de befaria , s’élè- vent à 13:06 toises au-dessus du niveau 02 CONSIDÉRATIONS de la mer. Le rivage de Caracas porte partout des traces de dévastation. On reconnait partout l’effet de l’action du grand courant qui se dirige d’orient en occident , et qui, après avoir morcelé les iles Caraïbes, a creusé le golfe des An- tilles. Les langues de terre d’Araya et de Chuparipari, et surtout la côte entre Cu- mana et Nueva Barcelona, offrent au géologue un aspect très remarquable. Les iles de Boracha , de Caracas et de Chi- manas sortent de la mer comme des tours, et attestent la redoutable puissance des flots destructeurs sur la chaîne de monta- gnes décharnée. Peut-être la mer des An- tilles fut -elle jadis, comme la Méditer- ranée , un lac qui soudainement se réunit à l'Océan. Les îles de Cuba, de Haïti et de la Jamaïque renferment encore les restes des hautes montagnes de schiste mi- SUR LES STEPPES. 63 cacé qui bornaient cette mer dans le nord. C’est une chose frappante que, dans les points où ces trois iles sont le plus rap- prochées les unes des autres, se trouvent les cimes les plus élevées. On pourrait supposer que le principal noyau de cette chaine de montagnes était situé entre le cap Tiburon et la pointe Morant. Les montagnes de cuivre (montañas de cobre), près de Saint- Yago de Cuba, n'ont pas encore été mesurées ; mais elles sont vrai- semblablement plus élevées que les mon- tagnes bleues de la Jamaïque ( 1138 toi- ses) , dont la hauteur surpasse celle du passage du Saint-Gothard ( 1065 toises ). J’ai développé mes conjectures sur la forme du lit de l'Océan atlantique, et sur lan- cienne jonction des continens, dans un mémoire composé à Cumana, intitulé : Fragment d'un tableau géologique de 64 CONSIDÉRATIONS l’ Amerique méridionale , et inséré dans le Journal de physique de messidor an 9. La partie septentrionale et cultivée de la province de Caracas est un pays de mon- tagnes. La chaîne le long de la côte est partagée , comme les Alpes de la Suisse, en plusieurs rangées ou chainons qui ren- ferment des vallées allongées. La plus célèbre est la vallée d’Aragua, qui pro- duit en abondance de lindigo, du sucre, du coton, et, ce qui est plus surprenant, le froment européen. L’extrémité méri- dionale de cette vallée est bornée par le beau lac de Valencia, dont l’ancien nom indien est Tacarigua. Le constraste qu’of- frent ses deux rives lui donnent une res- semblance étonnante avec le lac de Ge- nève. À la vérité, les montagnes désertes de Guigue et de Guiripa ont un caractère SUR LES STEPPES. 65 moins sévère que les Alpes de la Savoie ; mais le côté opposé, couvert de forêts de bananiers , de mimosa et de triplaris , surpasse en beauté pittoresque les vigno- bles du pays de Vaud. Le lac a à peu près dix lieues de longueur ; il est rem- pli de petites îles qui prennent de l’ac- croissement , parce que la quantité des eaux affluentes n’égale pas celle des eaux qui s’évaporent. Depuis quelques années, des bancs de sable sont presque devenus des îles : on leur donne le nom de /as apa- recidas , qui est très convenable, car il signifie îles nouvellement vues. Dans l’île de Cura , on cultive l'espèce remarquable de solanum dont les fruits sont bons à man- ger, et que M. Wildenow a décrit sous le nom de solanum Humboldti (Hort. Berol. Fasc. 11). L’élévation du lac au-dessus du niveau de la mer est à peu près de 220 toi- À. 66 CONSIDÉRATIONS ses. Il offre les scènes les plus belles et les plus agréables que j'aie vues dans aucun des pays que j'ai parcourus. En nous y bai- gnant, M. Bonpland et moi, nous étions souvent effrayés par l'aspect du bava, es- pèce non décrite de lézard tenant du cro- codile (Dragonne?), long de trois à quatre pieds, d’unefigure horrible, mais qui ne fait pas de mal à l’homme. Nous avons trouvé dans le lac de Valencia un typha entière- ment identique avec l’espèce européenne appelée angustifolia, fait singulier et très important pour la géographie des plantes. Dans les vallées d’Aragua voisines du lae, on cultive les deux variétés de canne à su- cre, la commune appelée caña creolia, et la canne de Taïti ,nouvellement apportée des iles du grand Océan. Celle-ci est d’un vert plus tendre et plus agréable ; de sorte qu’à une grande distance on distingue facile- SUR LES STEPPES. 67 ment un champ planté en cannes de Taïti. Cook et Forster ont les premiers fait con- naître ce végétal; mais on voit dans Île Traité de Forster sur les plantes du grand Océan utiles pour la nourriture, qu'ils n’ont pas assez connu la valeur de cette précieuse production. Bougainville lin- troduisit à l'Isle de France , d’où elle passa à Cayenne, et depuis 1792 à Saint - Do- mingue où Haïti, à la Martinique et aux autres petites Antilles. L’intrépide et in- fortuné capitaine Bligh lapporta de Taïti avec l’arbre à pain à la Jamaïque. De la Trinité, île si proche du continent, la nouvelle canne est arrivée sur la côte de Caracas , puis sur celle du grand Océan ; elle est devenue pour ce pays un objet plus important que l'arbre à pain , qui ne fera pas renoncer à un végétal aussi bienfaisant et aussi abondant en substance nutritive 68 CONSIDÉRATIONS que le bananier. La canne de Taïti contient plus de suc, et, sur une surface égale de terrain , elle donne un tiers de plus de produit que la canne commune, dont la tige est plus mince , dont les articulations sont plus rapprochées , etque l’on suppose venir de lorient de l'Asie. Dans les îles Antilles, où l’on commençait à éprouver une grande disette de combustibles, puis- qu'a Cuba on chauffe les chaudières à su- cre avec du bois d'oranger , la nouvelle canne est d'autant plus intéressante que sa tige exprimée (bagasse) , est très compacte et très ligneuse. Si son introduction dans les Antilles n’était pas arrivée à la même époque où commença la guerre sanglante des nègres à Saint-Dominque, le prix du sucre aurait à cette époque atteint en Eu- rope un taux encore plus élevé que celui où l'avaient porté la destruction des sucre- SUR LES STEPPES. 69 ries et du commerce. Une question impor- tante se présente ; la canne de Taïti, arra- chée à son sol natal, ne dégénérera-t-elle pas insensiblement, et ne deviendra-t-elle pas entièrement semblable à la canne commune ? L'expérience a décidé contre cette dégénération. Dans l'ile de Cuba, une cavalleria ou superficie de 34,969 toises carrées, rend 870 quintaux de sucre lors- qu’elle est plantée en canne de Taïti. Celle- ci produit la moitié des 261,705 caisses de sucre ou des 4,188,720 arobes de sucre qu'exporta l'ile de Cuba en 1822. IL est assez singulier que ce végétal intéressant des îles du grand Océan soit précisément cultivé dans la partie des colonies espa- gnoles les plus éloignées de cette mer. On va en vingt-cinq jours du Pérou à Taïti, et cependant à l’époque de mon voyage, la canne à sucre de cette île était encore 70 CONSIDÉRATIONS inconnue au Pérou et au Chili. Les habi- tans de ile de Paques, qui éprouvent une grande disette d’eau douce, boivent le jus de la canne à sucre, et, ce qui est un phé- nomène très remarquable en physiologie, l'eau de la mer. La canne d’un vert clair et à tige épaisse, est généralement culti- vée dans les îles des Amis, de la Société et de Sandwich. Indépendamment des deux espèces de canne dont nous venonsde parler, on en cul- tive encore en Amériqueune troisième, qui est rougeatre, et qui vientde la côte d’Afri- que : on la nomme caña de Guinea, elle con- tientun peu plus de suc que la commune; on assure que celui qu’elle rend présente plus d'avantages pour la fabrication du rhum. Dans la province de Caracas, le vert SUR LES STEPPES. à : clair de la canne de Taïti contraste agrea- blement avec l'ombre épaisse des cacao- tiers. Peu d'arbres des tropiques ont un feuillage aussi touffu que le théobroma cacao. Cette belle plante aime les vallées chaudes et humides. L’extrême fertilité du sol et l'insalubrité de l’air sont, dans l’'A- mérique et dans l'Asie méridionales, deux circonstances inséparables. On observe que plus la culture d’un pays augmente, que plus les forêts diminuent, et que plus le climat et le sol deviennent secs, moins aussi les plantations de cacao réussissent. Elles deviennent moins nombreuses dans la province de Caracas, tandis qu’elles augmentent rapidement dans les provinces plus orientales de Nueva Barcelona et de Cumana, et surtout dans la contrée boisée et humide située entre Cariaco et le golfe Triste. CONSIDERATIONS [S s] 3 Des bancs, p. 5. Les Ilanos de Caracas sont couvertes de grès de formation ancienne, qui partout s'étend en couches presque horizontales. Lorsqu'en sortant des vallées d’Aragua on descend le chaïnon le plus méridional des montagnes côtières de Guigue et de Villa de Cura, pour aller à Parapara, on rencontre successivement le gneiss et le mica-chiste , une roche de transition de schiste argileux et de calcaire noir, de la serpentine et de la diabase, en morceaux sphériques isolés ; enfin, sur le bord de la grande plaine , de petites collines d’'amyg- daloïde à augite, et de porphyre phonoli- thique. Ces collines entre Parapara et Ortiz me paraissent être produites par des éruptions volcaniques sur l’ancienne côte SUR LES STEPPE. 73 maritime des Ilanos. Plus au nord s'élè- vent les rochers célèbres de formes gro- tesques, caverneux et nommés Morros de San-luan, qui forment une espèce de Mur du diable. Vs sont de texture cristalline comme de la dolomie* , élevée perpendi- culairement. Ainsi on doit moins les con- sidérer comme des îles de l’ancien golfe, que comme une partie de la chaîne côtière. J'appelle les Ilanos un golfe, parce que si lon fait attention à leur peu d'élévation au-dessus du niveau actuel de la mer, à leur forme appropriée au mouvement de rotation du courant, enfin à l’applatisse- ment de la côte orientale vers l’embou- * On peut consulter les Mémoires remarquables de M. Léopold de Buch, sur la dolomie considérée comme espèce de roche ( 1822 et 1823 ), et ma Relation historique, T. WE, p. 140 (4°). / 74 CONSIDÉRATIONS chure de lOrénoque , on ne peut révoquer en doute que jadis la mer n’ait rempli tout le bassin situé entre la chaîne côtière et la Sierra de la Parime, et à l’ouest n'ait battu le pied des montagnes de Merida et de Pamplona. De plus, la pente ou lPabais- sement des Ilanos est dirigée de louest à l'est. Leur élévation à Calabozo, à cent lieues de la mer, est à peine de trente toises. Leur superficie est tellement paral- lèle à l'horizon, que dans les espaces de plus detrente lieues carrées , on ne trouve pas un point qui paraisse élevé d’un pied au-dessus d’un autre point. Si on ajoute le manque total d’arbustes, et même dans la Mesa de Pavones le défaut de palmiers isolés, on peut se faire une idée du singu- lier aspect qu'offre cette surface plane, dé- serte et semblable à celle de la mer. Aussi loin que s'étend la vue, elle ne peut se re- SUR LES STEPPES. 75 poser sur aucun objet élevé de quelques pouces. L'état des couches inférieures de l'air , le jeu de la réfraction de la lumière, et les bornes de l'horizon toujours indéter- minées et mobiles comme les vagues, em- pêchent seules qu'on ne prenne hauteur par un instrument de.réflexion sur le bord de la plaine , comme à l’horizon de la mer. Cette disposition parfaitement horizontale _de l'ancien lit de la mer, rend l'existence de ces bancs plus surprenante. Ce sont des couches horizontales fracturées , qui s'élèvent à deux ou trois pieds au-dessus de la roche qui les entoure, et qui #é- tendent uniformément dans une longueur de 10 à 12 lieues. Ils donnent naissance aux petites rivières de la steppe. En re- venant du Rio-Negro, lorsque nous tra- versions les Ilanos de Barcelona , nous rencontrames de fréquentes traces d’ébou- 76 CONSIDÉRATIONS Jemens de terre. Au lieu des bancsélevés, nous vimes des couches gypseuses isolées , plus profondes de 3 à 4 toises que la roche voisine. Plus loin à l’ouest, près de la jonction du Caura avec lOrénoque, un grand espace couvert de bois, auprès de la mission de san Pedro d’Alcantara , s’en- fonça lors du tremblement de terre de 1700. Il sy forma un lac qui a plus de trois cents toises de diamètre. Les arbres élevés, tels que les desmanthus, les hy- menea et les wvaria, conservèrent long- temps sous l’eau leurs feuilles et leur ver- dure. 3 Leur image tremblante paraît doublée, p- 2. L'aspect lointain des steppes surprend d'autant plus, que dans l’épaisseur des fo- rêts on a été plus habitué à un horizon SUR LES STEPPES. 2 resserré, et à la vue d’une nature riche- ment parée. Ce sera pour moi une 1m- pression ineffaçable que celle que me fi- rent éprouver les Ilanos, lorsque, à notre retour de lOrénoque supérieur, nous les revimes pour la première fois dans un grand éloignement, du haut d’une mon- tagne vis-à-vis l'embouchure du Rio- Apuré, au Hato du Capucino. Le soleil venait de se coucher. La steppe nous pa- rut bombée comme un hémisphère. Les astres qui se levaient se refléchissaient dans la couche la plus basse de l'air. Car, lors- que la plaine a été extraordinairement échauffée par l'effet des rayons perpendi- culaires du soleil, le jeu de la réfraction de la chaleur et du courant d'air qui sé- lève, dure même pendant la nuit. 78 CONSIDÉRATIONS # Semblable à la pierre nue, p. 5. Des espaces immenses dans lesquels des roches dures et plates se montrent seules à la vue, donnent aux déserts de Afrique et de l’Asie un caractère particulier. Dans le Chamo, qui sépare la Mongolie de la Chine, ces bancs de rochers se nomment Tsi. Dans les plaines boisées de l’Oréno- que , ils sont entourés de la végétation la plus riche ( Relation historique, T. IF, p 279: ) 5 Aux savanes du Missouri, P-£: Nos idées sur la géographie physique et la géognosie de l'Amériqueseptentrionale, ont récemment été rectifiées sur plusieurs points par les voyages hardis du major Long et les travaux excellens de son compagnon M. Edwin James. Tous les SUR LES STEPPES,. 79 renselgnemens recueillis ont démontré clairement ce que je pouvais seulement exposer comme une présomption sur les chaînes de montagnes et les plaines du nord dans mon Ouvrage sur la Nouvelle. Espagne. En histoire naturelle » comme dans les recherches historiques, les faits restent long -temps isolés, jusqu’à ce que l’on réussisse, par des travaux pénibles , à les réunir et à les coordonner. La cête orientale des États - Unis de l'Amérique septentrionale se dirige du sud-ouest au nord-est, de même qu’au-delà de l’équa- teur; la côte du Brésil, depuis le Rio de la Plata jusqu'à Olinda. Dans ces deux pays ; à une différence peu considérable de la côte maritime, s'élèvent deux files de montagnes plus parallèles entre elles que la chaîne des Andes, situées plus à l'ouest, que les cordillères du Chili et du 90 CONSIDÉRATIONS Pérou , ou que les monts Rocky du Mexi- que, du système septentrional. Le système de montagnes de l'Amérique méridionale, celui du Brésil, forme un groupe isolé, dont les cimes les plus hautes, l’Itacolumi et Itambè n’ont pas plus de 900 toises de hauteur absolue. Les dos de montagnes les plus proches de la mer sont seuls di- rigés régulièrement du sud-sud-ouest au nord-nord-est ; le groupe s’élargit dans l’ouest en même temps que son élévation diminue considérablement. Les chaînes de collines des Parécis s’'approchent des r1- ves del’Itènés et du Guaporé, de même que les montagnes d’Aguapèhy et de San-Fer- nando, au sud de Villabella , s’'avancent près des hautes chaînes des Andes de Co- chabamba et de Santa-Cruz de la Sierra. Il n'existe pas de liaison entre le système de montagnes de la côte de l'océan atlan- a — PE Éd Re Ce HER ét be De. 2. SUR LES STEPPES. G4 tique et celui de la côte du grand océan ; l'abaissement du terrain dans la province de Chiquitos, langue de terre dirigée du nord au sud, et qui s'ouvre également dans les plaines du fleuve des Amazones et dans celles du Rio de la Plata , sépare le Brésil occidental du Haut-Pérou oriental. Là , comme en Pologne et en Russie, un dos de montagne souvent insensible, et nommé en langue slave Owvalli, forme la li- gne de séparation des eaux entre le Pil- comayo et le Madeira, entre l'Aguapèhy et le Guaporé , entre le Paraguay et le Rio-Tapuyos. Le seuil s'étend de Chayanta et de Pomamamba ( 19°—20° lat. S. ) vers le sud-est, traverse l’'abaissement de la pro- vince de Chiquitos devenue de nouveau inconnue depuis l'expulsion des jésuites, et forme, en se dirigeant au nord - est où des montagnes isolées s'élèvent, la Higne i. 6 62 CONSIDÉRATIONS de partage des eaux aux sources du Bau- rés et à Villabella(15°—17° lat. S.). Cette ligne de partage, si importante pour la communication des peuples et pour les progrès de leur culture intellectuelle, ré- pond, dans l'hémisphère septentrionale de l'Amérique du Sud à une seconde qui sé- pare le bassin de l’Orenoque de celui du Rio- Negro et du fleuve des Amazones. On pourrait considérer ces élévations dans les plaines, ou ces seuils, à des sytèmes de montagnes non développés et destinés à unir ensemble deux groupes qui semblent isolés ; par exemple la Sierra de Parime, et les monts du Brésil à la chaîne des An- des de Timan& et de Cochabamba. Ces rapports, négligés auparavant, servent de base à la division que j'ai faite de V'Amé- rique méridionale -en trois abaissemens ou bassins, ceux du Bas-Orénoque, du fleuve SUR LES STEPPES. 83 des Amazones , et du Rio de la Plata; abaissemens dont, ainsi que nous l’avons observé plus haut, les steppes ou les sava- nes sont les extrémités, et dont la partie moyenne entre la Sierra-Parime et le grou- pe des montagnes du Brésil, doit être re- gardée comme une plaine boisée ou Hylæa. Si l’on veut décrire avec un aussi petit nombre de traits l'aspect physique de PA- mérique septentionale, que l’on jette les regards sur la chaine des Andes d’abord si étroite, puis augmentant en hauteur et en largeur, en se dirigeant du sud - est au nord-ouest, de listhme de Panama , à travers le Veragua et le Guatemala, puis dans la Nouvelle-Espagne. Ce dos de mon- tagnes, siège d’une ancienne civilisation, oppose également une barrière au cou- rant général de la mer entre Îles tropi- 64 CONSIDÉRATIONS ques, eta une prompte communication de l'Europe et de PAfrique occidentale avec la Chine. Depuis le parallèle du 17° de- gré de latitude nord, depuis le célèbre isthme de Guasacualco , il s'éloigne de la côte du grand océan en s’avançant du sud au nord, et devient une cordillère de l’intérieur. Dans le Mexique septentrional et le Canada occidental , la Sierra de las Grullas compose une partie des monts Rocky. De son revers occidental coulent la Columbia et le Rio - Colorado de Cali- fornie ; de l’oriental , le Rio- Roxo de Na- ichitoches, de la Rivière canadienne, de l'Arkansà, et de la Platte ou peu pro- fonde, qu'un géographe ignorant a trans- formée récemment en Rio de la Plata ou rivière d'argent. Entre les sources de ces rivières (37° 20/ à 40° 13/) s'élèvent trois pics énormes de granit pauvre en QE SUR LES STEPPES. 85 mica , et riche en diabase , nommés les pics Spanish (espagnol), James et Long *. Leur hauteur dépasse celle de toutes les cimes de la chaîne des Andes qui, depuis le parallèle du 18° et du 19° de- orés, ou du groupe d'Orizaba (2771 T.), et de Popocatepetl (2771 T.), à Santa- Fé et à Taos dans le Nouveau-Mexique , w'atteint nulle part à la limite des neiges perpétuelles. Le pic James (38°38/latit. N., 107° 52/ longit. O.) a, dit-on, 1978 toises d'élévation absolue ; mais sur cette quan- tité, on n'a mesuré trigonométriquement que 1333 toises ; les 463 autres sont , en l'absence de toute mesure barométrique, déduites d’estimations incertaines de la * Mémoire géographique de Tanner ( 1823 }, p. 16. Melish et James donnent simplement au Pic Long , le nom de Pic le plus élevé ou Big-horn. 86 CONSIDÉRATIONS pente des rivières *. Depuis le 40° degré de latitude , les monts Rocky tournent au nord-ouest, et s’abaissent vers le fleuve Mackenzie qui a son embouchure dans la mer polaire par 68° de latitude nord et 150° 20! de longitude occidentale. Depuis les rochers granitiques de Diégo- Ramirez et le cap de Horn jusqu'à cette EEE * Comme il n’est presque pas possible d’enire- prendre une mesure trigonométrique à la surface de la mer, les déterminations des hauteurs inac- cessibles sont toujours en partie trigonométriques, en partie bar ométriques. 1” estimation de la pente des rivières, de leur vitesse et de la longueur de leur cours sont si trompeusés que la plaine au pied des monts Rocky, près du point nommé dans le texte sommet dela montagne, a été estimée tantôt à 8000, tantôt à 3000 pieds d’élévation (Long’s, Expédition , T. IL, p. 36, 362, 382. Appendix, p. xxxvu). Cest de même par une suite du man- SUR DES STEPPES. 87 mer polaire, les cordillères des Andes ont une longueur de 2800 à 3000 lieues ma- rines ; elles ne sont pas la chaîne de monta- gnes la plus élevée, mais elles sont la plus longue de notre planète ; elles ont peut- être été soulevées à travers une crevasse qui, dirigée du nord au sud , presque d’un pôle à un autre, parcourt la moitié de la terre : sa longueur égale la distance des colonnes d’'Hercule au cap Glacé sur la que de baromètre que la hauteur véritable de PHimalaya est restée silong-temps incertaine : mais aujourd’hui la culture des sciences a fait de si grands progrès dans les Indes orientales, que le major Gérard s'étant élevé sur le Tarbigang près du Setledje au nord de Chipkè, à une hauteur de 19,411 pieds anglais, il lui restait encore quatre baromètres, après en avoir cassé trois ( Critical Researches on Plulology and Geography , 1824, p. 144.) 38 CONSIDÉRATIONS côte des Tchouktchi dans le nord-est de l'Asie. Il ne faut pas confondre avec les mon- lagnes centrales de l'Amérique septentrio- nale, ou les Andes du Mexique et du Canada, les Alÿes maritimes de la Cali- fornie et de la Nouvelle - Albion , qui ne sont unies entre elles que par des chaï- nons transversaux entre le 46° et le 48° de- grés de latitude. Ces Alpes maritimes s’é- tendent du cap San- Lucas à l'extrémité méridionale de la Californie , jusque dans l'Amérique russe où le mont Saint-Élie : dans le cas où le résultat de Malaspina (2792 T.) serait à préférer à celui de La Pérouse {1980 T.), l'emporte en éléva- tion, même sur les montagnes nelgeuses d'Anahuac. Les chaînes de ces monts nei- geux , c'est-à-dire les Andes du Mexique SUR LES STEPPES. 89 et du Canada, n’ont aucun volcan brûlant actuellement, au nord du 20° degré de latitude ; maïs ici, de même que dans VAmérique méridionale, on remarque que , lorsque le feu souterrain devient in- visible dans une chaîne, il se fait jour dans une autre dont la direction est pa- rallèle. Le volcan de Colima, situé, sui- vant le capitaine Basil Hall, par 19° 36! de latitude, est le dernier de la cordil- lère du Mexique. Depuis les côtes de Mé- choacan et de Guadalaxara, les crevasses d’éruption semblent ne s'être maintenues ouvertes que vers le nord-ouest. Dans les Alpes maritimes de la Californie, on a vu la Sierra de las Virgines vomir de la fu- mée ; et du New - Norfolk à la presqu'île d'Alaska , le littoral et le fond de la mer sont sans cesse ébranlés par les forces sou- terraines. En 1784, une île séleva près go CONSIDÉRATIONS d'Ounalachka ; les Russes la nommèrent Gromov-Syn ( fils du tonnerre ). Entre la chaïne des Andes du Mexique, à laquelle appartiennent les monts Stony ou Rocky et les Alleghani, dont la cime la plus élevée n’atteint pas 1100 toises au -dessus du niveau de la mer, une plaine immense se prolonge de la mer des Antilles à la mer d'Hudson. À l'est du Mississipi , des forêts impénétrables couvrent le sol; à ouest s'étendent des savanes où paissent des trou- peaux de bisons (bos americanus }, et de bœufs imusqués (os moschatus). Ces deux animaux , les plus grands du nouveau monde, servent à la nourriture des sau- vages nomades, Æpaches - Llaneros et Apaches- Lipanos. Le bison, appelé ci- bolo par les Mexicains, n’est recherché que pour sa langue, mets très délicat. SUR LES STEPPES. 91 Il n’est nullement une variété de lurus de ancien monde , quoique d’autres espèces d'animaux , telles que le renne, l'élan et les hommes trapus des régions polaires , solent communes aux parties septentrio- nales de tous les continens , comme des preuves de leur ancienne union. Les Mexicains donnent , en dialecte azièque, le nom d’oguichquaquave au bœuf eu- ropéen, Ce qui signifie animal cornu , du mot guaquavitl, corne. Les cornes mon- strueuses qu'on a trouvées dans de vieux édifices mexicains près de Cuernavaca, au sud-ouest de Mexico , me paraissent appartenir au bœuf musqué. On peut ap- privoiser le bison canadien, et le rendre propre à l’agriculture. Il produit avec le bœuf d'Europe ; mais on ne sait pas en- core si cette race mélangée est féconde et peut se propager. La nourriture favo- 92 CONSIDÉRATIONS rite du bison est le #ripsacum dacty loïdes, plante graminée appelée buffalo - gras (herbe au bison )}, dans la Caroline du nord , et une espèce de trèfle voisine du trifolium repens, que M. Barton a distin- guée par le nom de #rifolium bisonicum ( buffalo clover ), trèfle du bison. 6 Voisin des monts basaltiques d'Haroutch, p. 5. Auprès des lacs de Natron d'Egypte, qui du temps de Strabon n'étaient pas en- core divisés en six réservoirs , s'élève au nord de Libbak une chaîne de collines es- carpées ; elles se dirigent d’orient en occi- dent , au-delà du Fezzan, où elles parois- sent se réunir à l'Atlas. Elles séparent dans le nord-est de l'Afrique, comme l’Ailas dans le nord-ouest , la Libye d'Hé- rodote habitée et voisine de la mer, du 224 SUR LES STEPPES. 09 pays des Berbères ou Biledulgerid , fécond en animaux. Sur les confins de l'Egypte moyenne, toute la région , au sud du tren- tième parallèle , est une mer de sable , où l'on trouve éparses des oasis, ou îles riches en sources et en végétaux. Le nombre de ces oasis dont les anciens ne connaissaient que trois et que Strabon compare aux taches de la peau de la panthère, a consi- dérablementaugmenté, graces aux décou- vertes des voyageurs modernes *. La troi- sième oasis des anciens, nommée aujour- d'hui Syouah , était le nome ammonique , Etat gonverné par la caste des prêtres, et Lieu de repos pour les caravanes ; elle ren- fermait le temple de l Ammon cornu ** et * Caillaud. Voyage à l'oasis de Thèbes, p. 54. *# Diodore distingue le temple situé dans le fori, du temple de la forêt, près du puits du Soleil. 04 CONSIDÉRATIONS le puits du soleil, dont l’eau devenait plus fraîche à certaines époques périodiques. Les ruines d'Ümnuibida (Omm-Beydah) appartiennent incontestablement au cara- vanserail fortifié du temple d’Ammon, et par conséquent aux plus anciens monu- mens de la première civilisation humaine qui soient parvenus jusqu'à nous. Le mot oasis est égyptien, et a la même signification qu'Auasis et Hyasis *. Abul- feda appelle l’oasis a/-ouahat. Sous Îles derniers empereurs romains, on envoyail les malfaiteurs dans les oasis. On les ( Diod. édit. Wessel. p. 589. ) Caillaud, Zoyage à Syouah, p. 14. Ideler dans les Fundoruben des Orients , T.1v, p. 369 — &u1. * Strabon, !. XVI, p. 1140.ed. Almelovecu.— Herodote , HF, p. 207. ed. Wessel. she ne SUR LES STEPPES. (eN exilait dans ces îles de la mer de sable , de même que les Anglais et les Espagnols les déportent aujourd'hui à la Nouvelle: Hollande et aux îles Malouines. Il est plus facile de s'échapper par l'océan , que par le désert qui entoure les oasis. Leur fertilité diminue par lempiètement * progressif des sables. Les petites montagnes d'Haroutch sont composées de collines de basalte de forme grotesque. Cette chaîne estle mons ater de Pline. Elle a été examinée récemment par mon malbeureux ami Ritchie, dans son mp mue . * L'ouvrage parfait de M. Ritter sur la Géogra- Phie de l'Afrique ( 1822, T, I. P. 958, 993, en al- lemand }, et l'excellente carte d'Afrique, de Ber- ghaus; sur laquelle cet auteur a représenté d’une manière ingénieuse et qui lui est particulière, les imcgalités du terrain. 96 CONSIDÉRATIONS prolongement occidental où elle s'appelle montagne de Soudah. Cette éruption du basalte , dans un calcaire tertiaire, cette suite de collines qui sont élevées en forme de murs sur des couches , me parait analogue aux éruptions basaltiques du Vicentin. La nature répète le même phé- nomène dans les régions les plus distantes. Hornemann trouva dans les formations cal- caires les plus récentes du Haroutch blanc ( Haroudje al abiad), une quantité pro- digieuse de têtes de poissons pétrifiées. Ritchieet Lyon ont observé que le basalte des monts Soudah était de même que celui du mont Berico , mêlé intimement en plu- sieurs endroïts, de calcaire carbonaté, phénomène qui vraisemblablement a une liaisonavec le passage à travers les couches de calcaire. La carte de Lyon indique même de la dolomie dans le voisinage. SUR LES STEPPES. 07 Les minéralogistes modernes ontrencontré en Égypte de la syenite et dela diabase pri- mitive, mais point de basalte. Les anciens auraient-1ls donc tiré des montagnes de l'ouest de ce pays, le véritable basalte qui leur a servi à faire ces vases que l’on irouve encore aujourd'hui? Y aurait-il aussi dans ces régions de la pierre obsi- dienne , ou bien faut-il chercher le basalte etla pierre obsidienne près de la mer rouge? La ligne d'éruptions basaltiques du Ha- routch, sur le bord du désert d'Afrique, rap: pelle aux géographesles amygdaloïdes bul- leuses à augites, la phonolithe et la diabase porphyroïde que l’on ne découvre que sur les confins septentrionaux et occidentaux des steppes de Venezuela et d'Arkansas*, * Humboldt. Relation historique, T. U, P- 142. Longs. Expedition to the Rocky mountains , TH, p- 91 et 403. L. 98 CONSIDÉRATIONS pour ainsi dire sur l’ancienne chaîne du rivage. 7 Se voyant tout à coup abandonné par le vent alisé de l'est, pag. 5. Un phénomène remarquable , mais gé- néralement connu des navigateurs , c’est que, dans les parages voisins de la côte d'Afrique , entre les îles Canaries et du Cap-Verd, et particulièrement entre le cap Bojador et l'embouchure du Sénégal , le vent d'ouest se fait sentir au lieu du vent d'est ou‘alisé, qui est général entre les tropiques. La vaste étendue du désert de Sahara est la cause de ce vent. L'air se raréfie au-dessus de cette surface de sable échauffé , et s'élève en direction per- pendiculaire. L'air de la mer se précipite vers la terre pour remplir cet espace ra- réfié, et produit ainsi; le long de cette SUR LES STEPPES. 09 partie de la côte occidentale d'Afrique , un vent d'ouest contraire aux navires destinés .pour PAmérique. Les marins. sans voir 2 le continent, éprouvent l'effet du sable qui réfléchit la chaleur rayonnante, La même cause produit le changement des brises de terre et de mer, qui , sur toutes les côtes , soufflent alternativement à des instans déterminés du jour et de la nuit. Près des îles du Cap-Verd, la mer est couverte d’une quantité prodigieuse de varec ( /ucus natans). On voit d'autres amas de cette plante marine dans des parages plus au nord-ouest, presque sous le méridien des îles Acores Cuervo et Flores , entre les 23° et 35° parallèles nord. Les anciens connaissaient ces pa- rages, semblables à des prairies. « Des 100 CONSIDÉRATIONS el « navires phéniciens, dit Aristote *, « poussés par le vent d'est, arrivèrent, « après une navigation de trente jours, « dans un endroit où la mer était couverte « deroseauxet de varec( Sovoy x ouxoc )». Quelques personnes pensaient que cette abondance de varec était un phénomène qui prouvait l’ancienne existence de PAt- lantide engloutie. Il paraît que du temps * Aristot. de Mirabilibus, p. 1157. ed. de Duval. Paris. Dans ce passage important , il est question non des îles du Cap-Verd, mais d’un parage peu profond , situé vers le 34e ou 36e parallèle. « Le varec, dit Aristote, est mis à découvert par le reflux, et le flux le recouvre » Ces bas - fonds ont-ils disparu par quelque révolution volcani- que, ou bien sont-ce les rochers vus au nord de Madère par le capitaine Vobonne? Voyez aussi la Géographie d’Edrisi, p. 157 éd. de Paris. — 1619. SUR LES STEPPES. 101 de Christophe Colomb ces faits étaient oubliés ; car ses compagnons furent saisis d’effroi en voyant si abondante en plantes cette partie de la mer que les Portugais appelaient mar de Sargasso. Les parages couverts de varec aux environs des îles du Cap-Verd sont décrits dans le périple de Scylax *. « La mer, au-delà de Cerne, « n’est plus navigable à cause de son peu « de profondeur , des marécages et des « varecs. Le varec a une coudée d'épais- « seur; son extrémité supérieure est « pointue et piquante. » Si Cerne , comme le suppose le célèbre antiquaire M. Idler, est Arguin, ce passage du périple de Scylax a rapport aux îles du Cap-Verd. * Ed. de Gronovius. p. 126. 102 CONSIDÉRATIONS 8 Les essaimsnomades des Tibbous et des Touariks, p. 9. Ces deux peuples habitent le désert en- tre le Bornou, le Fezzan et la basse Égypte. Cest Hornemann qui, le premier, les a fait connaître. Lyon a ensuite donné de plus amples détails sur ces peuples. Les Tibbos ou Tibbous errent dans Pest, et - les Touariks dans l’ouest de la grande mer de sable. L’agililé des premiers leur a fait donner le surnom d'oiseaux. On distingue deux races de Touariks ; celie d'Aghadès et celle de Tagazi. Ils parlent la même langue que les Berbères, et appartiennent incontestablement aux habitans primitifs de la Libye. Ils offrentun phénomène phy- siologique bien remarquable; car quel- ques-unes de leurs tribus sont, suivant la nature du climat, blanches, jaunâtres, ou SUR LES STEPPES. 103 presque noires ; mais sans avoir les che- veux crépus ni les traits nègres. 9 Le navire du désert, p. 10. Dans les poésies orientales , le chameau est appelé le navire de terre ou du désert. — Voyez le Voyage de Chardin, T. IH, P- 192. 10 entre l’Altaï et le Tsoung-ling , p. 10. L’énorme groupe de montagnes où, sui- vant l'expression commune , le plateau des montagnes de l’Asie qui renferme la petite Boukcharie, le Turkestan, la Dsoun- garie, le Tibet, le Tangout et le pays des Mongols Kalka et OElet, est situé entre le 3o° et le 50° dégré de latitude nord. On se fait une idée fausse de cette partie de l'Asie intérieure qui, pour l'étendue, et 104 CONSIDÉRATIONS même à peu près pour la forme , peut êtré comparée à la Nouvelle-Hollande, en se la représentant comme une seule masse com- pacte de montagnes, comme une éléva- tion convexe sur laquelle se développe sans interruption, ainsi que sur les pla- teaux de Quito et de Mexico , une sur- face d'environ 160,000 lieues carrées , à une hauteur de 7,000 à 9,000 pieds au- dessus du niveau de la mer. Déja, dans mes Aecherches surles montagnes de ? Inde septentrionale , j'ai dit que, dans ce sens, il n'existe pas de plateau compacte de mon- tagnes dans l'Asie intérieure. Sans doute, les contrées immenses qui s'étendent entre l'Himalaya et l'Altaï, quand même on les considérerait comme des plateaux et non comme de simples pentes de montagnes, surpassent en hauteur le fameux plateau de la province de Pastos, situé sur le dos = SUR LES STEPPES, 10) de la chaîne des Andes; mais la géogra- phie des plantes, la vigne et le coton cul- tivés avec succès au nord des chaines de Tsoung-ling et de Kouen-lun , par exem- ple dans le pays de Hami , entre 36 et 42 degrés de latitude , et le degré de chaleur que cette culture exige , démontrent suffi- samment que des abaissemens considéra- bles coupent cette masse des montagnes de l'Asie. M. Jules Klaproth à, par des recher- ches aussi pénibles qu'instructives, com- mencé à répandre du jour sur la situation de ces chaînes de montagnes. Depuis, on voit disparaître des cartes les noms vagues de Moustag et de Moussart (proprement Moussour, mont de glace), qui ne sont réellement que des noms communs, et on voit paraître ces montagnes comme les 106 CONSIDÉRATIONS représentent les écrivains mantchous et chinois, passionnés pour la géographie et la statistique. Les chaînes sont réellement entrelacées comme un réseau dans le sroupe immense des montagnes de PAsie intérieure ; des changemens de direction brusques et presque à angle droit, tels qu'on ne les retrouve que dans la partie occidentale de nos Alpes d'Europe, y sont fréquens ; néanmoins on reconnaît, dans cet entrelacement multiplié des groupes, quatre grandes lignes que l’on peut repré- senter comme dirigées de l'est à l’ouest , et de l’est-nord-est à l’ouest-sud-ouest. Ce sont : 1° Les monts Himalaya , nommés Hin- dou-Kouh dans Vouest; où ils s’abaissent , vers Herat, et dans le Khoraçan ; ensuite ilsse relèvent dansle Demavend, au sud de TR SUR LES STEPPES. 107 la mer Caspienne , et dans lAderbaiïdjan. 2° Les monts Tsoung-ling : le Moustag et le Mousart de plusieurs cartes (36° de lat.), nommés à l’ouest Kowen-lun ; ils s’é- tendent au nord du Tibet et du Katsi, au sud de Khotan, du lac Lop et du Tourfan. 3° Les Thuan chan, ou Monts Célestes (43° lat.), entre le Tourfan , ou Le système intérieur des rivières du lac Lop et le pays des Dsoungars, ou le lac Saïsan. Au nord-est, les Thian chan (Alak, Mou- sart et Bogdo des Cartes), se rattachent aux monts Nomkhoun, au sud-est, aux montagnes du Tangout. Entre ces deux branches, les monts Nomkhoun et les montagnes du Tangout , se trouve le bas- sin de Khamil ou Hami, remarquable par 108 CONSIDÉRATIONS sa chaleur. À cette chaîne des Thian chan appartient le Bogdo oola (montagne Sainte) terminé par trois cimes, couvertes de neiges perpétuelles, et d’après lequel Pallas a donné le nom de Bogdo à toute la chaine. 4° Le grand et le petit Altaï (47 à 52° delat.), qui sembranchent avec le Tang- nou et le Thian chan, et à l’est se pro- longe par l’In-chan, chaîne très haute qui sépare le désert (Chamo ou Gobi) du bas- sin du fleuve Amour. On ne sait pas encore quelle est la plus haute de ces chaînes de montagnes; car même dans l'Himalaya , partie de l’Imaüs sur l’étendue duquel les anciens ont bâti les systèmes les plus singuliers, les plus hautes cimes n’ont: peut-être pas été en- core mesurées. Des ambassadeurs anglais SUR LES STEPPES. 100 se sont fait porter en litière à travers l'Inde septentrionale jusqu’au Tibet ; iisvenaient de Calcutta où l’on peut aisément se procu- rer des baromètres, etcependantils ne nous ont rien appris sur l'élévation des plateaux du Tibet. Nous devons donc recevoir avec d'autant plus de reconnaissance les excel- lentes mesures trigonométriques et baro- métriques faites depuis vingt ans par des voyageurs anglais tels que MM. Cole- brooke , Webb, Hodgson, Herbert, Gé- rard et Blake. Il est maintenant hors de doute que diverses cimes de l'Himalaya ont au moins 4,000 pieds français de hau- teur de plus que le Chimboraco. On a cru d’après une mesure d’angles exécutée à une grande distance, que le pic Chama- lari, près duquel Turner passa en allant à Techou-Loumbou, et le pic Dhevalaghiri, au sud de Moustoung , à la source du Gou- 110 CONSIDÉRATIONS dock , ont 4,300 toises * au-dessus du niveau de la mer. La détermination de la hauteur du Dhevalaghiri, donnée par Webb, a même été confirmée par Blake ; toutefois, dans la table des grandes chaïnes de mon- tagnes, que l’on trouvera plus bas, j'ai accordé, pour l'Himalaya, la préférence au Djavahir, 30° 22/ 19/ lat., mesuré avec une grande exactitude par Herbert et Hodgson. * Journal of the royal institute, 1811. TT. 11, p. 242. SUR LES STEPPES, 114 Pius Hauteur CHAINES DE MONTAGNES. iQ pee toises. | toises. | Himalaya ( entre lat. N. 300 18/ et 310 53, et entre long E. de 4,026 2,450 Paris, 750 23/ et 770 38’ ). Andes ( entre lat. N. 50 et S. 20 ). 3,350 1,850 Alpes de la Suisse *. 2,460 1,190 Pyrénées *#. 1,787 1,190 Les passages de l'Himalaya, qui con- et, à ti | x Ludwig von Welden. Uber den monte Rosa (1824), p. 29. Monte Rosa 2370 toises, mont Cervin 2309; Finster Aahorn 2206. “* La plus haute cime des Pyrénées est, ainsi qu’on la reconnu récemment, le pic d’Anethou ou Malahita, partie orientale de la Maladetta. Il à 40 toises de plus que le Mont-Perdu. (Vidal et Re- boul dans les {nnales de Chimie et de Physique , T. V,p. 234; Charpentier, Essai sur La constitu- tion géognostique des Pyrénées ( 1823), p. 539. LES CONSIDÉRATIONS duisent de l'Hindoustan dans la Tartarie chinoise, ou plutôt dans le Tibet occiden- tal, ont de 2,400 à 2,700 toises d’élévation. Dans la chaine des Andes, j'ai trouvé le passage d’Assuay, entre Quito et Cuenca, à la Ladera de Cadlud, élevé de 2,428 toises. Une grande partie des plaines hautes de l'intérieur de l'Asie serait couverte de neiges et de glaces perpétuelles, si l’action de la chaleur rayonnante , et la forte cha- leur du soleil propre au climat continen - tal de l’est n’élevait d’une manière sur- prenante , peut-être à 2,500 toises au-des- sus du niveau de la mer, les limites des neiges perpétuelles sur la pente septen- trionale de l'Himalaya. On dit qu'on y a trouvé , même à 2,334 toises, des pâtu- rages et des champs cultivés , tandis que sur la pente méridionale de la chaîne , la limite des neiges perpétuelles descend jus- SUR LES STEPPES. 119 qu'à 1,900 toises. Sans cette distribution remarquable de la chaleur dans les cou- ches supérieures de l'air, les hautes plaines du Tibet occidental ne pourraient être ha- bitées par des millions d'hommes *. 11 Une race de pasteurs basanés, les Hiong nou , p- 15. Les Hiong nou, que De Guignes et plu- sieurs autres auteurs croient être les Huns, habitaient l'immense contrée de la Tarta- rie qui confine à l’est à Uo-leang-ho, le territoire actuel des Mantchous, au sud à la muraille de la Chine, à l’ouest à U-siun, et au nord au pays des Eleuths. Les Huns septentrionaux , pasteurs grossiers qui ne * Humboldt, Premier Mémoire sur les Monta- gnes de l'Inde, dans les Annales de Chimie, T. HE, p- 297. Second Mémoire, T. XIX,p. 51. Klaproth, Asia Polyglotta, p. 147, 205, 210. Quarterly re- view, n° 44 (1820), p. 415-430, I. 8 114 CONSIDÉRATIONS connaissaient pas l’agriculture, étaient d’un brun foncé; les Hiong nou ou Haïatelah plus méridionaux, sont les nations des Euthalites ou Nephtalites, dont 1l est sou- vent fait mention dans les écrivains by- zantins ; ils habitaient sur les côtes orien- tales de la mer Caspienne, et avaient le visage assez blanc. Ils exerçaent lagri- culture et demeuraient dans des villes. On les appelle souvent Huns blancs, et d'Her- belot dit que ce sont des Indo-Scythes. Sur Pounou, chef ou tanju des Huns, et sur l'extrême sécheresse et la famine qui eurent lieu Van 46 après J.-C. , et qui occasionèrent la migration d’une partie de la nation, vers le Nord, voyez De Guignes, Hist. des Huns, T. I, ch. 2, p.11. 123, 223, 447. Toutes ces notions sur les Hong nou, SUR LES STEPPES. 119 tirées du même ouvrage, ont été récem- ment soumises par M. Klaproth à un exa- men sévère. Il résulte du travail de ce sa- vant que les Hiong nou appartiennent aux nombreuses tribus turques des monts Al- tai et Tangnou qui se sont répandues si loin. Dans le troisième siècle avant l'ère chrétienne, le nom de Hiong nou était la dé- nomination commune donnée aux Ti ou Turcs , dans le nord et le nord-ouest de la Chine. Les Hiong nou méridionaux se sou- mirent aux Chinois, et , conjointement avec eux, détruisirent le royaume des Hiong nou du nord. Ceux-ci furent forcés de fuir à l’ouest, fuite qui semble avoir donné la première impulsion à la migra- tion des peuples de PAsie centrale *. Les * Klaproth, Asia Polyolotta, p.211.— Tableaux historiques de l’ Asie, p. 109. 116 CONSIDÉRATIONS Huns , que l’on a long-temps confondus avec les Hiong nou, de même que les Oui- gour avec les Ougours et les Oungres , ap- partiennent, suivant M. Klaproth, à la fa- mille Ouralienneconnue sous lenom de F1- nois, famille quise mêla fréquemment avec les Germains, les Turcs et les Samoïèdes. 12 Point de pierres taillées, p. 15. P » P Sur les bords de l’Orénoque, près de Caicara , où la contrée boisée confine à la plaine, nous avons effectivement trouvé des figures du soleil et d'animaux gravées sur les rochers ; maïs dans les Ilanos, on n’a pas découvert de vestige de ces monu- mens grossiers d'anciens habitans. On doit regretter de n'avoir obtenu aucun rensei- * Asia Polyolotta, p. 183-189. SUR LES STEPPES,. 117 gnement satisfaisant sur un monument qu'on avait envoyé en France au comte de Maurepas, et qui, selon le récit de Kalm *, avait été trouvé par M. de Ve- randrier dans les savanes du Canada, à 900 lieues à l’ouest de Montréal, dans une expédition aux côtes du grand Océan. Ce voyageur rencontra au milieu de la plaine des masses prodigieuses de pierre , élevées par la main des hommes ; sur l’une d'elles on vit quelque chose qu’on prit pour une inscription tartare **. Comment un monu- ment aussi intéressant n’a-t-l pas été exa- miné ? Devait-on y voir réellement des * Voyage de Kalm,—T. Hi.—p.#16 de la tra- duction allemande. * Archæologia or miscellaneous tracts published by the society of antiquarians of London, T. VU, p. 304. 118 CONSIDÉRATIONS lettres, ou bien un tableau historique, comme ce qu'on a appelé l'inscription phé- nicienne trouvée sur les rives du Taun- ton-river, dont Court de Gebelin * a donné la gravure et l'explication ? Je pense que très probablement des peuples eivilisés ont jadis parcouru cette plaine ; des tertres tumulaires de forme pyramidale et des remparts d’une longueur extraordinaire , que l’on trouve entre les monts Rocky et les Allechani semblent donner la preuve de la marche de ces peuples **. Verandrier * Court de Gebelin, Monde primitif, T. VIL, p. 57-59, et 561-567. Nota. il appelle constammentla rivière Jaunston. ** J'ai rassemblé récemment beaucoup de faits qui ont rapport à ces traces de civilisation an- cienne des peuples de PAmérique septentrionale ; c’étaient peut-être des Aztèques. Aelation histo- rique, T. NE, p. 159. SUR LES STEPPES. 119 fut expédié par le chevalier de Beauhar- nois, gouverneur-général du Canada, à peu près vers l’an 1746. Plusieurs jésuites de Quebec assurèrent à Kalm qu'ils avaient tenu l'inscription dans leurs mains; elle était gravée sur une petite tablette que l’on avait trouvée fixée dans un pilier sculpté. Jai engagé plusieurs de mes amis en France à faire des recherches pour dé- couvrir ce monument, dans le cas où il aurait existé dans la collection de M. de Maurepas. M. de Verandrier prétendait aussi avoir découvert, dans les savanes du Canada occidental , durant des journées entières, de longues traces de sillons de charrue ; d’autres voyageurs avant lui di- saient avoir remarqué la même chose. Mais la charrue était un instrument en- tièrement inconnu aux habitans primitifs de l'Amérique ; de plus le manque de bes- 120 CONSIDÉRATIONS tiaux et le vaste espace que ces sillons oc- cupent dans la savane , me font conjectu- rer que c’est par le mouvement d'une grande masse d’eau que la surface du sol a ris l'aspect sinoulier d’un champ labouré. Ï P 13 Comme un bras de mer, p- 16 La grande steppe, qui s'étend de l'est à Pouest, depuis embouchure de POrénoque, jusqu'aux montagnes de Mérida couvertes de neige, tourne au sud sous le huitième parallèle, et remplit Pespace situé entre la pente orientale des monts élevés de Nueva-Granada , et les rives de l’Oré- noque qui, dans cet endroit , coule au nord. Cette partie des Ilanos, arrosée par le Meta, le Vichada, le Zama et le Gua- viare , unit le bassin de lAmazone avec celui de lOrénoque. Dans les colonies es- pagnoles, on appelle paramo toutes les SUR LES STEPPES. 121 montagnes qui s'élèvent depuis 1,800 jus- qu'à 2,200 toises au-dessus du niveau de la mer, et dont le climat est dur et inhos- pitalier. Chaque jour voit tomber de la neige et de la grêle, durant des heures entières , sur le haut des paramos. Les ar- bres y sont rabougris et étendus en éven- tail ; mais leurs branches noueuses sont ornées d’un feuillage frais et toujours vert ; la plupart ont un aspect qui rappelle celui du laurier et du myrthe. L’escallonia tu- bar, Vescallonia myrtilloïdes, Îes freziera et notre r2yrtus microphylla *, peuvent donner une idée de cette physionomie de plantes. Au sud de Santa-Fe de Bogota, on trouve le fameux paramo de la summa Paz, groupe isolé de montagnes où, sui- * Humboldt , et Bonpland , Plantes équinoxiales, T. 1, p. 19. 123 CONSIDÉRATIONS vant la tradition des indigènes, il y a de . grands trésors cachés. De ce paramo sort un ruisseau qui, dans le ravin d’Ycononzo, roule en écumant sous un pont naturel très remarquable. 14 On ne faisait pas attention aux chainons , p. 16. L'espace immense qui s'étend de la côte orientale de Amérique du Sud jusqu’à la pente orientale des Andes, est rétréci par deux masses de montagnes qui séparent les unes des autres les trois plaines ou bassins de l’Orénoque inférieur , de l'Amazone et du Rio de la Plata. La plus septentrionale de ces deux masses, le groupe de la Pa- rime est situé vis à vis des Andes de Cundi- namarca, quis’étendent beaucoup à l’est ; et entre 68 et 70 degrés de longitude, atteint une grande hauteur. La chaîne étroite de SUR LES STEPPES. 123 Pacarayma la réunit aux collines grani- tiques de la Guiane française. La carte de la Columbia , que j'ai tracée d’après des observations astronomiques, représente fi- dèlement cette jonction. Les Caraïbes qui, des missions de Carony, se rendent aux plaines du Rio Branco, et jusqu'a celles des frontières du Brésil , franchissent dans ce voyage les dos de Pacarayma et de Quimiropaca. La seconde masse de mon- tagnes qui sépare le bassin de lAmazone de celui du Rio de la Plata est le groupe du Brésil. Dans la province de Chiquitos, à l’ouest de la ligne des collines de Parexis, il se rapproche du contrefort des Andes de Santa-Cruz de la Sierra. Le groupe de . la Parime , qui produit les grandes cata- ractes de l’'Orénoque, ni le groupe des montagnes du Brésil ne se ratiachant im- médiatement à la chaine des Andes, il en 124 CONSIDÉRATIONS résulte que les plaines de Venezuella tien- nent immédiatement à celles de la Pa- tagonie (Esquisse dun tableau géognos- tique de l'Amérique méridionale, dans le T. IIT de ma Relation historique, P. 198-224). 15 Des hordes de chiens devenus sauvages, p. 17. Dans les savannes ou Pampas de Bue- nos-Ayres, les chiens d'Europe sont deve- nus sauvages. Ils vivent en société dans des trous où leurs petits se cachent. Silaso- ciété devient trop nombreuse, quelques familles la quittent et fondent une nou- velle colonie. Le chien d'Europe, devenu sauvage, aboie aussi fort que le chien in- digène de l'Amérique. Garcillasso rap- porte qu'avant l’arrivée des Espagnols, les Péruviens avaient l'espèce de chien SUR LES STEPPES. 125 appelée perros gozques. | donne au chien indigène le nom d’a//co. Pour distinguer ces deux animaux dans la langue des Qqui- chuas, on appelle le dernier run allco, chien indien. Ce run allco paraît n'être qu'une simple variété du chien de ber- ger. Il est plus petit, a le poil long avec des taches blanches et brunes , et les oreilles droites et pointues. Il aboïe beau- coup, mais il ne mord que très rarement. L’inca Pachacutec, dans une de ses guerres religieuses , ayant vaincu les Indiens de Xauxa et de Huanca, et les ayant conver- tis par violence au culte du soleil , trouva établi chez eux le culte des chiens. Les prêtres faisaient une sorte de cor avec le crane du chien. Les fidèles mangeaient en substance la divinité du chien *. Lors des * Commentarios reales, T. 1, p, 104. 126 CONSIDÉRATIONS éclipses de lune, les chiens du Pérou jouaient leur rôle : on les battait jusqu'à ce que Péclipse fût finie. Le seul chien muet, mais entièrement muet, était le te- chichi du Mexique, variété du chien com- mun appelé chich1. Peut-être le mot techi- chi vient-il du mot radical de la langue aztèque éechichializtli, attendre ou guet- ter l'ennemi. Les habitans, aïnsi que les Tatares , se nourrissaient de ce chien muet. Cet aliment était si nécessaire aux Espagnols mêmes, avant l’introduction des bestiaux , que peu à peu toute la race en fut détruite *. Buffon confond le techi- chi avec le coupara de la Guyane**. Ce dernier est identique avec lursus cancri- vorus , où l’aguara-guazu mangeur de * Clavigero. Storia di Messico , T. E, p, 73. ** Buffon, T, XV, p.153. SUR LES STEPPES, 127 moules, de la côte des Patagons *. Linné, au contraire , confond le chien muet avec litzcuinte-potzoli , espèce de chien encore assez imparfaitement décrite, et qui se dis- tngue par une queue courte, une tête très petite et une grosse bosse sur le dos. Ce qui m'a extrêmement surpris en Amé- rique, et surtout à Quito et au Pérou , c’est le grand nombre de chiens noirs sans poil que Buffon appelle chiens turcs **, Cette variété y est très commune ; mails, en gé- néral , très méprisée et très maltraitée.Ces chiens existaient -1ls dans le Nouveau- Monde avant sa découverte par les Euro- péens ? Les Portugais les y ont-ils apportés d'Afrique , ainsi que d’autres productions de cette contrée ? ou bien est-ce l'influence * Azara sur les quadrupèdes du Paraguay ,T. 1, p. 315. ** Canis Ægyptius, Linnæi. 120 CONSIDÉRATIONS du climat qui a créé cette variété dans le nouveau continent ? Cette dernière con- jecture est à peu près invraisemblable : car tous les chiens d'Europe se propagent très bien en Amérique, et si l’on n’y trouve pas d'aussi jolis chiens, cela tient au peu de soin qu’on en prend, et peut-être aussi à ce qu’on n’y a pas introduit les plus belles variétés , telles que les levrettes et les da- nois mouchetés. Dans les colonies espa- gnoles , on regarde le chien sans poil comme venant de la Chine ; on l'appelle perro chinesco ou chino, et on croit que la race en a été apportée de Canton ou de Manille. Un animal indigène du Mexique était le loup appelé xaloifzcuintli, très grand, entièrement dénué de poils, et res- semblant au chien. M. Barton * trouve * Smiths Barton’s Fragments of the natural hrs. tory of Pensylvania, T. 1, p. 54. ST ——Z—— I I EU SUR LES STEPPES. 129 une ressemblance frappante entre tous les noms qui, dans l’ancien et le nouveau continent, désignent le chien. Le mot latin canis a une analogie complète avec le r1e- kannèdes Ouanaumih, nationcanadienne, et avec le Æannang des Samoyèdes asia- tiques. Il y avait aussi des chiens euro- péens devenus sauvages dans les îles de Cuba et de Saint-Domingue, quand elles furent conquises par les Espagnols *. Dans les savanes entre le Méta, l'Arauca et l’'Apurè, on a mangé, jusque dans le seizième siècle, des chiens muets ( perros mudos) ; les indigènes les nommaient 71a- jos ou auries, suivant Alphonse de Her- rera qui, en 1535, fit une expédition à l'Orénoque. M. Giseke , voyageur très * Garcilasso, T. p. 326. L 130 CONSIDÉRATIONS instruit, a trouvé la même variété de chien au Groœnland, Les chiens des Eskimaux vivent constamment en plein air; ils se creusent , pour la nuit, des trous dans la neige, et hurlent comme les loups. Au Mexique, on chätrait les chiens afin qu'ils devinssent plus gras et plus savoureux. Sur les limites de la province de Durango, et plus au nord sur les rives du lac de V’'Es- clave, les indigènes chargent leurs tentes de peau de bison sur de grands chiens, lorsqu’au changement de saison ilsse trans- portent d’un lieu à un autre. Tous ces traits rappellent la vie des peuples de l'Asie orientale. ( Humboldt, Essai po- litique sur la Nouvelle -Espagne >'Boll * pag. 48, Relation historique, T. 11, p. 625}: SE ————————— —_—_—_ SUR LES STEPPES, 131 16 Des causes multipliées et en partie encore peu déve— loppées , p. 18. J'ai essayé de rassembler dans un ta- bleau les nombreuses causes de humidité et du moindre degré de chaleur de l'Amé- rique. On comprend bien qu'il n’est ici question que de la constitution Æygrosco- pique de l'air en général , ainsi que de la température de tout le nouveau continent. Quelques contrées , par exemple Pile de la Marguerite , les côtes de Cumana et de Coro, sont aussi chaudes et aussi arides qu'aucune partie de l'Afrique. Le maxi- mum de la chaleur, lorsque l’on prend un grand nombre d'années se trouve presque égal, sous tous les parallèles du monde, sur les bords de la Neva, du Sénégal , du Gange et de l’Orénoque, c’est-à-dire qu'il est toujours entre le 30° et 122 CONSIDÉRATIONS le 32° degré de Réaumur. Il ne s'élève pas plus haut, si l’on fait les observations à l'ombre, loin de tout corps solide qui ré- fléchit la chaleur , et non dans un air rem- pli d’une poussière échauflée , ou de grains de sable, ni avec un thermomètre à l’es- prit de vin qui absorbe la lumière. La tem- pérature moyenne des régions du tropique ou du climat des palmiers, est entre 21 et 22 degrés 7 de Réaumur, et l’on ne remarque pas de différence entre les ob- servations recueillies au Sénégal , à Pon- dichéri et à Surinam*. La grande fraicheur , l’on pourrait mé- me dire le froid qui règne presque toute l’année le long de la côte du Pérou sous le * Humboldt, Mémoire sur les lisnes isothiermes , o (1817), p. 54. SUR LES STEPPES. 133 tropique, et qui fait baisser le thermo- mètre à 10 degrés, n’est nullement, comme j'espère pouvoir le démontrer , un effet du voisinage des montagnes couvertes de neige; mais est due plutôt à ce brouil- lard (guara) qui voile le disque du soleil , et à ce courant très froid d’eau de mer qui se porte avec impétuosité vers le nord, depuis le détroit de Magellan jusqu’au cap de Pariñna. Sur la côte de Lima, la tem- pérature du grand Océan est à 12°,5 ; tan- dis que, sous le même parallèle, mais hors du courant, elle est à 21°. Il est sin- gulier qu'un fait aussi surprenant n'ait pas encore été remarqué. 17 L'Amérique est sortie plus tard de l'enveloppe aquatique du chaos, p. 21. Un naturaliste très ingénieux, M.Smith 134 CONSIDÉRATIONS Barton *, a déja dit avec beaucoup de jus- tesse : « Je ne puis considérer que comme « puérile et nullement prouvée par lévi- « dence naturelle, la supposition qu'une « grande partie de l'Amérique est sortie « du sein des eaux plus tard que les au- « tres continens. » Qu’on me permette de citer aussi un passage d’un mémoire que j'ai composé sur les peuples primitifs de l’Amérique **. « Des écrivains justement célèbres ont trop souvent répété que l’A- mérique est, dans toute l’étendue du mot, un continent nouveau. Cette richesse de végétation, cette masse de fleuves 1m- menses, ces grands volcans toujours en fermentation , annoncent, disent-ils, que * Fragments of the natural history of Pensylva- nia, T. I, p. 4. : * Berliner Monatschrift, T. XV, p. 190. SUR LES STEPPES. 135 la terre , sans cesse tremblante et non en- tüèrement séchée, y est moins éloignée de Pétat primitif du chaos que dans lan- cien continent. Long-temps avant mon voyage, des idées semblables m'ont paru aussi peu philosophiques qu'opposées aux lois de la physique généralement con- nues. Ces images de jeunesse et de dés- ordre , ainsi que d’une sécheresse et d’un manque progressif de vigueur de la terre viellissante , ne peuvent naître que chez ceux qui s'amusent à saisir des contrastes entre les deux hémisphères , et n’em- brassent pas d’un coup -d’œ1l général la constitution de notre planète. Dira-t-on que la partie sud de litalie est un pays plus nouveau que la Lombardie, parce qu'elle est presque continuellement trou- blée par des tremblemens de terre et des éruptions volcaniques ? D'ailleurs, que nos 336. CONSIDÉRATIONS volcans et nos tremblemens de terre ac- tuels sont de petits phénomènes auprès de ces révolutions de la nature que le géologue doit supposer , avoir eu lieu aux jours de la dissolution et du refroi- dissement des masses qui ont formé les montagnes, quand la terre était encore à l’état de chaos! Des causes différentes doivent, dans des climats éloignés, faire varier les effets de l’énergie de la na- ture. Dans le Nouveau-Monde, les vol- cans, au nombre de cinquante-quatre, ont dû peut-être brûler plus long-temps, parce que la chaîne des montagnes élevées où ils sont situés est plus près de la mer, et parce que ce voisinage et la neige éter- nelle qui les couvre paraissent modifier d'une manière encore peu appréciée l’é- nergie du feu souterrain. Les tremble- mens de terre et les éruptions y agissent SUR LES STEPPES. 137 périodiquement. Présentement le désordre physique et la tranquillité politique rè- gnent dans le nouveau continent, tandis que , dans l’ancien , les discordes des peu- ples forcent à chercher du repos au sein de la nature. Peut-être viendra-t-il un temps où une partie du monde prendra la place de l’autre dans ce singulier contraste entre l’énergiephysique et l'énergie morale*. Les volcans se reposent pendant des siècles, avant de se rallumer de nouveau. L’opi- nion suivant laquelle, dans les régions plus anciennes, 1l doit régner une certaine paix dans la nature, n’est fondée que sur un jeu de notre imagination. Un côté de notre pla- nète ne peut pas être plus vieux ou plus jeune que lautre. Les iles produites par des volcans, telles que les Açores, ou for- * Ecrit dans l’autonine de 1805. 138 CONSIDÉRATIONS mées peu à peu par les mollusques du co- rail, comme plusieurs îles du grand Océan, sont, en général, plus récentes que les masses de granit de la chaîne du centre de l’Europe. Une contrée peu étendue, comme la Bohême et plusieurs vallées de la lune, entourées circulairement par des mon- tagnes, peut rester long-temps couverte d’eau par suite d’inondations partielles, et former un lac. Après qu'il se serait entiè- ment écoulé, on pourrait, par métaphore, donner le nom de terrain de nouvelle ori- gineacelui-cioù les végétaux s'établiraient par degrés. Mais une enveloppe aquati- que, telle que le géologue se la repré- sente à l’époque de la formation des monta- ones secondaires , ne peut, d’après les lois de l’hydrostatique, se supposer que comme existant à la fois dans toutes les parties du monde et dans tous les climats. La mer SUR LES STEPPES. 139 ue peut pas séjourner sur les plaines 1m- mensesde l’'Orénoque et de Amazone, sans ravager en même temps les pays situés autour de la mer Baltique. L’enchaine- ment et l'identité des couches secondaires près de Caracas , dans la Thuringe et la basse Égypte, prouvent, comme je le dé- veloppe dans mon Tableau géologique de l'Amérique méridionale , que cette grande opération de la nature s’est faite à la même époque sur toute la terre. » 18 Est plus frais et plus humide, p. 22 Le Chili, Buenos-Ayres, la partie mé- ridionale du Brésil et le Pérou, tiennent, du peu de l’argeur du continent qui va en se rétrécissant vers le sud , un climat sem- blable à celui d’une île, c’est-à-dire des étés frais, et des hivers doux. Ces avan- 140 CONSIDÉRATIONS tages de l'hémisphère austral se font sentir jusqu’au 40° parallèle sud; maïs au-delà ce n’est plus qu'un désert inhospitalier. Le détroit de Magellan est situé par les 53° et 54° parallèles ; toutefois dans les mois de décembre et de janvier , où le soleil est dix-huit heures sur l’horizon , le thermo- mètre ne s’y élève qu’à quatre degrés. Le soleil éclaire tous les jours la plaine , et la plus grande chaleur que M. Churruca y ait observée en décembre 1788, c'est-à- dire en été, n'allait pas au-delà de neuf degrés. Le cap Pilar, dont les rochers es- carpés n’ont que 218 toises de haut, et qui forme au sud l’extrémité de la chaîne des Andes, a presque le même degré de lati- tude que Berlin *. * Relacion del viage al estrecho de Magellanes , appendice 1793, p. 76. SUR LES STEPPES. 141 19 D'une seule mer de sable continue , p. 23. Si l’on peut considérer ces bruyères tou- jours pressées en groupes, qui se prolon- gent depuis l'embouchure de l’Escaut jus- qu'a l'Elbe , et depuis la pointe de Jutland jusqu'aux montagnes du Harz, comme une phalange continue de plantes, on peut suivre aussi comme une mer ces sables qui s'étendent à travers l'Afrique et l’Asie, depuis le cap Blanc jusqu'au-delàa de l’In- dus, dans une étendue de plus de quatorze cents lieues. Ainsi qu'un bras de mer des- séché , la région sablonneuse d'Hérodote, appelée par les Arabes désert du Sahara, traverse l'Afrique entière , entre le 18° et le 25° parallèle boréal. Sa plus grande lar- geur du nord au sud est entre Maroc et le cours moyen du Niger. Cest au contrairé 142 CONSIDÉRATIONS entre Tripoli et Cachena que le désert est le plus étroit, et qu'il est le plus fréquem- ment coupé par des cantons riches en sources. La vallée du Nil est à l’est la l1- mite du désert de Libye. Au-delà de l’isthme de Suez, au-delà des rochers de porphyre, de syénite et de diabase du mont * Sinaï, commence le pla- teau désert de Nedjed, qui occupe toute la * Les moines de cette montagne montrent en- core aujourd’hui aux étrangers les tables de Ja lo: de Moïse. M. Rosier , qui a fait partie de l’expédi- tion française en Egypte, possède des morceaux de ces tables, qui sont de syénite abondante en amphibole. Cette syénite paraît être posée sur ce qu'on appelle du porphyre ampbibolique. Plus avant dans la plaine, on trouve du schiste argileux de transition de la grauwacke , et un conglomeret tres ancien dans lequel sont enchassees des masses de granit et de porphyre.GCetie brèche éiait très es- SUR LES STEPPES. 143 partie intérieure de l'Arabie, et qui est borné à l’ouest et au sud par les pays fer- tiles et plus heureux de l’'Hedjaas et de l’'Hadramaut, situés le long des côtes. L'Eu- phrate termine à l'est les déserts d'Arabie et de Syrie. Des sables immenses coupent toute la Perse *, depuis la mer Caspienne jusqu'a celle des Indes, et comprennent aussi les déserts du Kerman, du Seïstan, du Beloutchistan et du Mekran, abondans en sel et en kali. L’Indus sépare le dernier timée par les sculpteurs anciens. Notre digne com- patriote Burkhardt a aussi examiné le porphyre trappéen duSinaï; mais sa description géognostique est confuse et vague. * La langue persane a divers mots pour distin- guer la nature des plaines : Dechf signifie plaine en général (//ano), par opposition aux plaines des montagnes; mersran, pelouse; besabun, désert, plaine aride et nue. 144 CONSIDÉRATIONS désert de celui de Moultan , arrosé par l’Indus. La surface occupée par toutes ces mers de sable, depuis la côte occidentale de l'Afrique, jusqu’à Djesselmir et Djôd- pour, dans l’Inde, me paraït être de plus de 112,000 lieues carrées, en faisant abstrac- tion des cantons fertiles ou oasis. 20 La partie occidentale de l'Atlas, p. 23. La question relative à la position de l'Atlas des anciens, a souvent été agitée de nos jours. En faisant cette recherche , on confond les anciennes traditions phé- niciennes, avec ce que les Grecs et les Romains ont débité sur l'Atlas à une époque moins reculée. M. Ideler, qui réunit la connaissance approfondie des langues à celle de l'astronomie et des mathémati- ques, a le premier débrouillé ces notions SUR LES STEPPES. 149 confuses. Jespère qu'on me permettra d'insérer 1c1 ce qu'un savant aussi éclairé m'a communiqué sur ce sujet important. « Dès le premier âge du monde, les Phéniciens se hasardèrent à passer le dé- troit de Gibraltar. Ils fondèrent, sur les côtes de l'Océan Atlantique, en Espagne, Gades et Tartessus ; en Mauritanie Lixus et plusieurs autres villes. De ces établisse- mens ils naviguaient au nord jusqu'aux îles Cassitérides, d’où ils tiraient de l’étain, et jusqu'aux côtes de Prusse où ils trouvaient de l’ambre. Dans le sud ils savancaient au-delà de Madère jusqu'aux îles du Cap- Verd. Ils fréquentaient surtout l’Archipel des Canaries. Là, ils furent surpris à la vue du pic de Ténériffe, dont la hauteur déja très considérable parait encore plus grande, parce qu'il s'élance immédiate- . 10 146 CONSIDÉRATIONS ment de la surface de la mer. Les co- lonies qu'ils envoyèrent en Grèce, et surtout celle qui, conduite par Cadmus , aborda en Béotie, portèrent dans ces con- trées la connaissance de cette montagne élevée au-dessus de la région des nuages. Elles y firent connaitre les îles fortunées que ce pic domine , et qu’embellissent des fruits de toutes sortes , eutr’autres des pommes d’or (oranges). Cette tradition se propagea en Grèce par les chants des poètes, etarriva jusqu’au temps d’'Homère. Son Atlas connaît les profondeurs de la mer ; il porte les grandes colonnes qui sé- parent la terre du ciel *. Les Champs- Elysées ** sont dépeints comme une terre * Odyssée, LE, v. 52. *_ Iliade, X. IV, v. 561. Le mot est dorigine phénicienne , et signifie séjour de joie. SUR LES STEPPES. 147 enchanteresse située dans l’ouest. Hésiode parle de l'Atlas à peu près de la même ma- nière, et dit qu'il est voisin des nymphes Hespérides *. Il nomme île des bienheu- reux les Champs-Elysées, qu'il place aux extrémités de la terre, à l’occident **. Des poètes moins anciens ont embelli et orné les fables d’Atlas, des Hespérides, de leurs pommes d'or , et des îles des bienheureux qui sont le séjour des hommes justes après leur mort. Ils ont aussi réuni les expédi- tions de Mélicertes, dieu du commerce chez les Tyriens, et celles de l’'Hercule grec. Ce ne fut que très tard que les Grecs commencèrent à rivaliser dans la navi- gation avec les Carthaginois et les Phé- * Théogonie, 1. V, v. 517. ** Opera et Dies, v. 167. 148 CONSIDÉRATIONS niciens. Îls visitèrent à la vérité les côtes de la mer atlantique, mais il ne paraît pas qu'ils s'y soient avancés bien loin. Il est douteux qu’ils aient vu le pic de Ténériffe et les îles Canaries; car ils pensaient qu'il fallaitchercher, sur la côte occidentale de l'Afrique , l'Atlas que leurs poètes et leurs traditions leur avoient représenté comme une montagne très élevée, et située à l'extrémité occidentale de la terre. Cest aussi là que le transposèrent Strabon, Pto- lémée et les autres géographes. Mais, comme on ne trouve dans le nord-ouest de l'Afrique aucune montagne d’une hau- teur remarquable, on fut très embarrassé pour connaître la véritable position de PAtlas. On le chercha tantôt sur la côte, tantôt dans l’intérieur du pays, tantôt dans le voisinage de la mer Méditerranée, tan- tôt plus au sud. Au premier siècle de notre SUR LES STEPPFS. 149 ère, époque à laquelle les Romains por- ièrent leurs armes dans l’intérieur de la Mauritanie et de la Numidie , on prit l’ha- bitude de donner le nom d’Atlas à la chaîne de montagnes qui, au nord de l'Afrique , s'étend de l’est à l’ouest dans une direction a peu près parallèle à celle des côtes de la Méditerranée. Cependant, Pline et Solin sentaient bien que les descriptions de l’At- las, faites par les poètes grecs et romains, ne convenaient pas à cette chaine de mon- tagnes. Ils pensèrent donc qu'il fallait pla- cer dans la terre inconnue du milieu de l'Afrique ce pic dont ils faisaient un ta- bleau si agréable d’après les traditions poétiques. Mais l'Atlas d'Homère et d'Hé- siode ne peut être que le pic de Ténériffe ; tandis que c’est dans le nord de l'Afrique qu'il faut chercher l'Atlas des géographes grecs Ou romains. » 150 CONSIDÉRATIONS J’ose ajouter quelques remarques à ces éclaircissemens insiructifs de M. Ideler. Suivant Pline et Solin, l'Atlas s'élève du milieu d’une plaine de sable (e medio are- narum). Des éléphans, que certainement on n’a jamais connus à Ténériffe, passent sur ses flancs. Ce qu'aujourd'hui on désigne par le nom d’Atlasest une longue chaïne de montagnes. Comment se fit-il que les Ro- mainscrurentreconnaitre danscettechaïne le pic isolé dont Hérodote avait parlé? La cause n’en serait-elle pas dans cette illusion d'optique d’après laquelle une chaine de montagnes , vue de profil dans le sens de sa longueur , paraît un pic rétréci1? Étant en mer , j'ai souvent pris des chaînes pro- longées pour des montagnes isolées. Selon Hoest, l'Atlas, près de Maroc, est tou- jours couvert de neiges. Par conséquent, sa hauteur, en cet endroit, doit être SUR LES STEPPES. 151 de plus de 1,800 toises. Une chose qui me semble également remarquable, c’est que, suivant Pline, les Barbares ou les anciens Mauritaniens appelaient l'Atlas, Dyris. Aujourd’hui encore, la chaine de l'Atlas porte, chez les Arabes, le nom de Daran, mot qui a les mêmes consonnes que Dyris. Hornius * croit, au contraire, reconnaitre le mot Dyrisdans Aya-Dyrma, nom guanche du pic de Ténériffe. 1 Les Monts de la Lune , Al-komri, p. 24. Les montagnes de la Lune, de Ptolé- mée, ou l’Al-komri d’Aboulfèda, sont re- présentées sur les cartes de Rennel et d’Arrowsmith comme une chaîne énorme, * Hornius, De Orisinibus Americanorum , p- 265. = kop2 CONSIDÉRATIONS non interrompue et parallèle à l'équateur. Leur existence est certaine, maïs leur étendue et leur direction sont encore trop problématiques pour les tracer d’une ma- nière aussi positive qu'ont hasardé de le faire les deux géographes anglais. L’Abys- synie est un plateau très élevé comme la province de Quito ; et, s'il faut s’en rap- porter aux mesures que Bruce dit avoir prises avec le baromètre, les sources du Nil bleu (vert) sont élevées de 1,654 toi- ses au-dessus du niveau de la mer. Un fait digne d'attention, c’est que Meroe, cet état où les hommes furent civili- sés à une époque si reculée, n’était pas éloigné de ces pays montueux. Aïnsi, en Afrique comme dans le nouveau conti- nent, c’est sur les montagnes ou dans leurs environs qu'habitèrent les premiers peu- ples civilisés. SUR LES STEPPES. 153 2? Un effet de ce remous, p. 20. Dans la partie septentrionale de POcéan Atlantique, . entre l'Europe, l'Afrique du nord et le continent du Nouveau-Monde, les eaux sont poussées par un courant qui, revenant sur lui-même, forme un véri- table remous. Entre les tropiques, le cou- rant général, qu'on pourrait appeler le courant de rotation , suit, comme le vent alisé, la direction d’orient en occident. Il accélère la marche des navires qui vo- ouent des Canaries à l'Amérique méri- dionale. Il rend presque impossible la tra- versée en ligne directe de Carthagèna de Indias à Cumana , traversée dans laquelle il faut vaincre le courant. Le nouveau continent , à partir de listhme de Panama jusqu'a la partie septentrionale du Mexi- 154 CONSIDÉRATIONS que , forme une digue qui arrête le mou- vement de la mer vers l’occident. Depuis Veragua, le courant est donc forcé de changer sa direction pour suivre celle du nord , et de se plier à toutes les sinuosités des côtes de Costa-rica, de Mosquitos, de Campèche et de Tabasco. Les eaux qui entrent dans le golfe du Mexique par l’ou- verture qui se trouve entre le cap Catoche et l'ile de Cuba, après avoir éprouvé un grand remous partiel entre la Vera-Cruz, Tamiagua, l'embouchure du Rio Bravo del norte et la Louisiane, retournent dans l'Océan par le canal de Bahama. Elles y forment ce que les marins appellent le courant du golfe, qui est comme un tor- rent d'eaux chaudes qui courent avec une grande vitesse et qui s’éloignent imsensi- blement de la côte de l'Amérique septen- trionale en suivantunedirection diagonale. SUR LES STEPPES. 159 Lorsque les navires qui viennent d'Europe et sont destinés pour cette côte, ne sont pas sûrs de la longitude où ilsse trouvent ; ils peuvent s'orienter dès qu’ils ont atteint le courant du golfe , dont la position a été exactement déterminée par Franklin, Williams et Pownall. Depuis le 41° pa- rallèle, ce long courant d'eaux chaudes se dirige vers l’est en diminuant peu à peu de vitesse et en augmentant de lar- geur. Avant d'arriver aux plus occiden- tales des Açores, il se partage en deux bras , dont, au moins à certaines époques de l’année, l’un se porte sur l’Islande et la Norvège , et l’autre sur les iles Canaries et les côtes occidentales de PAfrique. Ce re- mous de l'Océan atlantique, dont je traite amplement dans le premier volume de mon voyage aux régions équinoxiales, explique clairement pourquoi, malgré les vents 156 CONSIDÉRATIONS alisés, des troncs de cedrela odorata sont poussés des côtes de l'Amérique méridio- nale et des Antilles sur celles de Ténérifte. Dans le voisinage du banc de Terre- Neuve, j'ai fait plusieurs expériences sur la température du courant du golfe. Il charrie avec une grande rapidité les eaux chaudes des parallèles moins élevés, dans des latitudes plus septentrionales. Aussi la température du courant est-elle de deux à trois degrés R. plus élevée que celle des eaux voisines qui en forment les rives et dont le mouvement est nul. Ces phénome- nes sont analogues à ceux que nous avons observés sur la côte du Pérou, et dont il est fait mention dans la note seizième. 35 Ni les lécidées ni aucun autre lichen, p. 26. Voici les lichens dont la terre, dénuée de SUR LES STEPPES. 197 végétaux commence à se couvrir dans les pays du nord : Bacomices roseus, cenomyce rangiferinus , Lecidea muscorum, L. ic- madophila ; quelques autres cryptogames s'y joignent pour préparer la végétation des herbes et des plantes. Entre les tropi- ques, où les mousses et les lichens ne croissent abondamment que dans les en- droits ombragés, quelques plantes grasses, telles que le sesuvium ou le portulacca , suppléent aux lichens terrestres. #% L'éducation des animaux qui donnent du lait, p. 28. Deux animaux de l'espèce du bœuf, c’est-à-dire le bizon et le bœuf musqué, dont nous avons déja parlé , sont indigènes du nord de l'Amérique ; mais les naturels, Queis neque mos, neque cultus erat ; nec jungere tauros RODSALS 1. 2.,7, 0; nord, Vire. AEn. VIN, 310, 158 CONSIDÉRATIONS. buvaient le sang fumant et non le lait de ces animaux. M. Barton à émis une OPI- nion assez probable * ; c’est que quelques tribus du Canada occidental élevoient le bizon à cause de sa chair et de sa peau. Il est assez singulier que l’usage du laït de vache, de brebis ou de jument, soit pres- que inconnnu aux Chinois entourés, au nord et à l’ouest , de peuples pasteurs. On sait qu'au Pérou le Ilama est un animal domestique : on ne le rencontre nulle part dans son état sauvage primitif ; ceux qu’on trouve sur la pente occidentale du Chim- borazo sont devenus sauvages lorsque Li- can , l’ancienne résidence des domina- teurs de Quito, fut détruite et réduite en cendres. * Fragments , T. 1, p. 4. SUR LES STEPPES. 159 Au sud du Gyla, qui se jette avec le Rio Colorado, dans le golfe de Californie (mar de Cortez), on trouve, dans une steppe solitaire, les ruines du palais des Azièques , que les Espagnols appellent las casas grandes. Lorsque vers lan 1160 , les Aztèques , sortant du pays inconnu d’Azt- lan, parurent dans l’Anahuak *, ils se fixèrent pendant quelque temps sur les rives du Gyla. Garcès et Font, deux moi- nes franciscains , sont les derniers qui, en 1773, aient visité les casas grandes. Ils * Un fait digne d’attention , suivant la remarque du célèbre historien Jean de Müller, c’est que pré- cisément à la même époque, de grandes émigra- grations eurent lieu dans le nord de PAsie, L’ir- ruption des Tartares Niüché forca les empereurs chinois de la dynastie de Süm à transporter leur résidence à Linegan , plus au sud. De Guignes, /n- troduction à l Histoire des Huns, p. 83. 160 CONSIDÉRATIONS racontent que ces ruines occupent une étendue de plus d’une lieue carrée. Toute la plaine est en outre couverte de têts de vases de terre peints avec art. Le palais principal, si une maison bâtie en briques non cuites peut mériter ce nom, a quatre cent vingt pieds de long et deux cent soixante de large *. Le tayé de la Californie, dont le père Venegas donne la description, paraït dif- férer peu du moufflon ** de l’ancien con- tinent. On a aussi vu cet animal dans les Stony-mountains, aux sources de lOund- jiga ou rivière de la Paix. Le petit rumi- * Voyez l'ouvrage rare imprimé à Mexieo , in- ütulé: Cronicaserafica del Collegio de Propagande fede de Queretaro por Fray Domingo Arricivita. ** Capra Ammon. SUR LES STEPPES. 161 nant du genre de la chèvre ou de Pantilope, qui est tacheté de noir et blanc, et qui se trouve sur les bords du Missouri et de la rivière des Arkansàs, parait être un ani- mal entièrement différent du précédent ; 1l est à souhaiter qu’on en fasse une descrip- tion exacte. 25 Des plantes céréales , p.29. Cest certainement un phénomène sur- prenant que, sur un des côtés de notre planète , il existe des peuples à qui le lait et la farine tirée des graines des graminées (à épis étroits ) sont entièrement incon- nus, tandis que l’autre hémisphère offre presque partout des nations qui cultivent les céréales et élèvent des animaux qui leur donnent du lait. Ainsi la culture de graminées différentes caractérise les deux L # LE 162 CONSIDÉRATIONS parties du monde. Dans le nouveau con- tinent, nous voyons que, depuis le 45 parallèle nord jusqu’au 42° parallèle sud, on ne cultive qu’une espèce de graminée, le maïs. Dans l’ancien continent, au con- traire *, nous trouvons partout, et dans les temps les plus reculés dont l’histoire fasse mention, la culture du froment, de l'orge , de l’épeautre et de lavoine, en un mot de toutes les plantes céréales. * Ceux qui dans la tradition de l’Atlantide croient reconnaître desrelations obscures d’un grand pays situé à l'Ouest, ou de l'Amérique, verront avec plaisir un passage tiré du troisième livre de Dio- dore de Sicile, p. 130, édition de Wesseling. Le géographe y dit expressément: «Les Atlantes n’ont pas connu les fruits de Cérès, parce qu’ils se sont separés des autres hommes avant que ces fruits eussent été monirés aux mortels. » Les Guanches des îles Canaries cultivaient l’orge dont ils prépa- raient le gofio. SUR LES STEPPES. 163 Diodore de Sicile * fait mention du fro- ment sauvage qui croit dans les cam- pagnes de Leontium , ainsi qu'en plu- sieurs autres lieux de la Sicile ; Cérès fut trouvée dans les hautes prairies d’Enna, si abondantes en violettes. M. Sprengel a recueilli plusieurs passages intéressans qui rendent assez vraisemblable l'opinion suivant laquelle la plupart des espèces de blé d'Europe sont originaires du nord de la Perse et de l'Inde, où elles croissent spontanément ; le froment d'été vient naturellement dans le pays des Musi- cans, province du nord de l'Inde **; l'orge, appelé par Pline antiquissimum fru- mentum, se trouve , suivant Moïse de Chorène***, sur les bords de l’Araxe ou du * Diod. de Sicile, 1. V, p.199 et 222, ed. Wessel. * Strabon, 1. XV, p. 1017. *# Geogr. Armen, p. 560. 164 CONSIDÉRATIONS Kour en Géorgie, et suivant Marco Polo, dans le Balacham, contrée de l’Inde sep- tentrionale *; Pépeautre près d'Hamadan. Mais M. Link a montré dans un mémoire rempli de saine critique **, que les pas- sages des Anciens laissent encore beaucoup de doutes. J'ai autrefois douté de lexis- tence du blé sauvage en Asie ***, et j'ai cru qu'il n’y était devenu tel qu'après y avoir été cultivé. Un esclave nègre de Fernand Cortez fut le premier qui cultiva le froment dans la Nouvelle-Espagne. Il en trouva trois grains parmi du riz qu’on avait apporté d'Espa- * Ramusio, T. IE, p. 10. «+ Abhandungen der Berlinischen Akademic (1816), p. 123. *##*_ Essai sur la Géographie des Plantes (1807), P: 23. SUR LES STEPPES. 165 gne pour l’approvisionnement de l’armée. Dans le couvent des Franciscains de Quito, on conserve précieusement, comme une relique , le vase de terre qui renfermait le premier froment dont Fray Jodoco Rixi de Gante, moine franciscain , natif de Gand, fit des semis dans la ville. On le cultiva d’abord devant le couvent, sur la place appelée plazuella de San-Francisco , après qu'on eût abattu la forêt qui s’étendait de là jusqu’au pied du volcan du Pichincha. Les moines que je visitais souvent durant mon séjour à Quito, me prièrent de leur expliquer linscription tracée sur ce vase de terre, et dont 1ls supposaient que le sens avait quelque rapport caché avee le froment. Mais je n’y trouvai que cette sen- tence écrite en vieux dialecte allemand : Que celuiqui mevideen buvant n'oublie pas le seigneur! Cet antique vase allemand | | 166 CONSIDÉRATIONS avait pour moi quelque chose de respec- table. Que n’a-t-on conservé partout dans le nouveau continent le nom de ceux qui, au lieu de le ravager, l'ont enrichi les pre- miers des présens de Cérès! 26 Craignant une température moins froide , p. 29. Au Mexique et au Pérou, on trouve partout, dans les hautes plaines des mon- tagnes, des traces d’une grande civilisa- tion. Nous avons vu, à une hauteur de 1,600 à 1,800 toises, des ruines de pa- lais et de bains. Des colons du nord pou- valent seuls se plaire dans un pareil climat. 27 Hypothèse peu favorisée par la comparaison des lan- gues , p. 0. Dans mon ouvrage sur les monumens SUR LES STEPPES. 167 des peuples primitifs de l'Amérique ( fzes des Cordillères et monumens des peuples indigènes de l'Amérique), je crois avoir démontré , par la comparaison du calan- drier Mexicain à ceux des Tibetaihs et des Japonais, des pyramides orientées avec exactitude et des anciens mythes des quatre àges, ou des révolutions du monde avant la dispersion du genre hu- main, après une grande inondation , que les peuples du nouveau continent ont eu, long-temps avant l’arrivée des Espagnols, des relations avec l'Asie orientale. Ce qui, depuis l'impression de mon livre, a été publié en Angleterre sur les sculptures surprenantes de Guatèmala *, qui sont en- * Dr Antonio del Rio. Description of the ruins discovered near Palenque. (London, 1812), p.9, pl. 12 et 13. 168 CONSIDÉRATIONS tièrement dans le style des Hindous, donne un nouveau prix à ces analogies. Je re- garde comme certaine, une communica- tion entre les Américains de l’ouest et les Asiatiques de l’est ; mais on ne peut encore dire par quelle route ni par quelles fa- milles de peuples elle a eu lieu. Un petit nombre de personnes de la classe instruite ou des prêtres, pouvait être suffisant pour produire de grands changemens dans PA- mérique occidentale, Ce que lon s’est jadis imaginé, qu'une expédition partie de la Chine était allée au nouveau continent , se rapporte à une navigation à Fou Sang ou au Japon. Mais des Japonais et des Sian-pi de Corée peuvent avoir été jetés par la tempête sur les côtes d'Amérique. Des bonzes et d’autres aventuriers navi- guaient sur la mer à l’est de la Chine, pour trouver un préservatif contre la mort. SUR LES STEPPES. 169 Ce fut ainsi que sous Thsin chi hoang ti, trois cents couples de jeunes gens des deux sexes furent envoyés au Japon, 209 ans avant notre ère * ; ils s’'établirent dans ces îles , au lieu de retourner en Chine. Le ha- sard ne peut-il avoir conduit aux îles Aléoutiennes, à Alachka, ou à la Nouvelle- Californie, des expéditions semblables ? Les côtes du continent Américain étant di- rigées du nord-ouest au sud-est , l’éloigne- ment parait trop grand pour que les étran- gers aient pu aborder dans la Zone tem- pérée , vers le 45° degré, la plus favo- _rable au développement des facultés intel- lectuelles. IL faut donc supposer que le premier débarquement s’effectua, sous le climat inhospitalier de 52 à 55 degrés de * Klaproth. Tableaux historiques de l’ Asie (1824) , p. 79. 170 CONSIDÉRATIONS latitude nord , et que la civilisation se pro- pagea promptement et graduellement , avec la marche générale des peuples vers le sud *. On a même prétendu au commen- cement du XVI‘ siècle que l'on avait trouvé, sur les côtes de Quivira et de Ci- bora , l'Eldorado du nord, des débris de navires du Catay , c’est-à-dire du Japon et de la Chine **. Nous avons encore une connaissance trop imparfaite des dialectes américains pour pouvoir abandonner l'espérance de reconnaitre , dans leur multitude prodi- gieuse , un langage qui se parle également sur les bords de l'Amazone et dans le cen- tre de l'Asie. Une pareille découverte se- * J'ai examiné en détail ce problème important dans ma /?elation historique, T. IE, p. 155 à 160. ** Gomara. Aistoria general de Indias, p. 117. SUR LES STEPPES. 1771 rait une des plus brillantes que l’on püût faire pour jeter quelque jour sur l’histoire de l'espèce humaine. 28 Une multitude d’autres animaux, p. 32. P Les steppes de Caracas sont remplies de troupeaux de cerfs appelés par Linné cer- vus mexicanus , Qui, étant jeunes, sont mouchetés et ressemblent aux chevreuils. Mais, ce qui est très surprenant sous une zone si chaude, nous en avons trouvé des variétés entièrement blanches. Cet animal , sous l’équateur , ne sélève guère sur les Andes qu'a 700 ou 800 toises de hauteur ; maïs on trouve jusqu’à 2,000 toises un cerf plus grand , qui sou- vent est blanc, et que je ne puis guère distinguer de notre cerf d'Europe par un caractère spécifique. Le cabiai ( cavia 172 CONSIDÉRATIONS capybara ) est appelé chiguirè dans la province de Caracas. Cet animal a une existence très malheureuse ; car, dans l’eau , il est poursuivi par le crocodile, et sur terre par le jaguar. Il court si mal, que souvent nous le prenions avec la main.On fume ses extrémités comme des jambons, mais c’est un mets peu agréable à cause de sa forte odeur de musc. Les animaux puants, si joliment rayés par bandes, sont le chinche, le zorille et le conepate (viverra mapurito, zorilla et vittata). 29 Cet arbre de vie, p. 33. Linné n'a décrit qu'imparfaitement ce beau palmier, mauritia flexuosa, puis- qu'il dit à tort qu'il n’a pas de feuilles. Son tronc à vingt-cinq pieds de haut, mais ïl n'atteint probablement cette taille que lors- qu'il est âgé de cent vingt à cent cinquante SUR LES STEPPES. 173 ans. Le mauritia forme , dans les lieux bu- mides , des groupes magnifiques d’un vert frais et brillant à peu près comme nos aulnes. Son ombre conserve aux autres arbres un sol humide , ce qui fait dire aux Indiens que le mnauritia , par une attrac- tion mystérieuse, réunit l’eau autour de ses racines. Une théorie semblable leur fait penser qu'il ne faut pas tuer les ser- pens, parce que , si on détruisait ces rep- tiles, les flaques d’eau (lagunas) se dessé- cheraïient : c’est ainsi que l’homme grossier de la nature confond ja cause et l'effet. Sur le rives du Rio Atabapo, dans l’intérieur de la Guyane, nous avons trouvé une nouvelle espèce de mauritia à tige garnie de piquans; c’est notre mauritia aculeata*. * Humboldt, Bonpland et Kunih. Nova genera et species. T. }, p. 310. 174 CONSIDÉRATIONS 50 Un stylite américain, p. 34. Siméon le Sisanite, syrien et fondateur de la secte des Stylites, passa trente-sept ans en contemplation religieuse sur cinq colonnes successivement. La dernière qu’il habita avait trente-six coudées de haut. Pendant sept cents ans, des hommes imi- tèrent ce genre de vie : on les appelait sancti columnares. En Allemagne, dans le pays de Trèves, on essaya d'établir de pa- reils cloitres aériens ; mais les évêques s'opposèrent à ces entreprises périlleuses. (Mosheim. Institut. Hist. Eccles., p.192.) 51 Quelques villes sur le bord des rivières de la steppe. p. 35 Des familles qui vivent de l'éducation des bestiaux et non de lagriculture, se mé SUR LES STEPPES. 179 sont réunies dans de petites villes, au mi- lieu des steppes. Dans les parties civilisées de l'Europe , ces villes passeraient à peine pour des villages. Telles sont Calabozo, situé, d'après mes observations astrono- miques, par 8° 56’ 14// de latitude boréale, et 4 heures 40! 20/ de longitude occiden- tale. — Villa del Pao, lat. 8° 38’ 1/, long. 4 h. 27! 47/. — San Sebastian et d’autres. 32 Comme une nuée en forme d’entonnoir, p. 37. En Europe, dans les chemins qui se croisent, nous voyons quelque chose qui approche du phénomène singulier de ces trombes de sable. Mais elles sont particu- lièrement observées dans le désert sa- blonneux du Pérou, entre Coquimbo et Amotapè. Un pareil nuage de poussière peut devenir fatal au voyageur assez 176 CONSIDÉRATIONS imprudent pour ne pas l’éviter. Ce qui est digne de remarque, c’est que ces courans d'air partiels et qui se heurtent , ne se font sentir que lorsque l'atmosphère est entiè- rement calme. Par conséquent, l'océan aérien est semblable à la mer, où des fi- lets de courans qui entrainent l’eau en clapotant ne sont sensibles que par un calme plat. 55 Augmente la chaleur étouffante de Pair, p. 37. J'ai observé à la métairie de Guada- lupe , située dans les Ilanos d’Apuré , que le thermomètre s'élevait de 27 à 29° R. aussitôt que le vent chaud du désert com- mençait à souffler. Au milieu du nuage de poussière, la température était, pen- dant quelques minutes , à 35°. Le sable sec, dans le village de San Fernando de Apuré , avait 42° de chaleur. SUR LES STEPPES. 177 54 L'image décevante d’ane surface ondulée, p. 38. C'est le phénomène si connu du mirage, nommé en sanscrit soif de la Gazelle *. Tous les objets paraissent suspendus en l'air , et sont réfléchis ensuite dans la cou- che inférieure de l'air. Le désert ressem- ble à un lac immense, dont la surface est agitée par les vagues. Durant l'expédition des Français en Égypte, cette illusion d'optique a souvent jeté le désespoir dans lame du soldat altéré. On observe ce phé- nomène dans toutes les parties du monde. Les anciens connaissaient aussi le singu- * Voy. ma Jelation historique, T. I, p. 296- 625; T. IE, p. 164-165. I. 12 178 CONSIDÉRATIONS lier effet de la réfraction du rayon de lumière dans le désert de Libye. Je vois que Diodore de Sicile * a fait mention de ces fantômes surprenans , ou d’une /äta morgana ; en Afrique, et qu'il y a joint des explications encore plus extraordi- naires sur la compression des parties de Pair. 35 Le Melocactus , p. 59. Le cactus melocactus a souvent dix pouces de diamètre et quatorze côtes. Il y a encore plusieurs nouvelles espèces de cactus non décrites qui se rapprochent beaucoup de celle-ci et de celle que Lin- né a appelée robilis dans son Mantissa ; * L. II, p. 219, ed. Wessel-—p. 184, ed. Rhod SUR LES STEPPES. 179 mais il parle de toutes d’une manière bien imparfaite. 35% Soudain la scène change dans le désert, p. 40. J'ai essayé de peindre le commence - ment du temps pluvieux et les symptômes qui l’annoncent. La couleur bleu foncé du ciel entre les tropiques est l’effet d’une parfaite dissolution des vapeurs. Le cya- nomètre indique un bleu plus pâle aussitôt que les vapeurs commencent à se préci- piter : la tache noire de la croix du sud devient d'autant moins visible que la transparence de l’atmosphère diminue. L’éclat brillant des zwbecula major et mi- nor disparaît aussi. Les étoiles fixes, dont la lumière était tranquille comme celle des planètes, deviennent scintillantes au 180 CONSIDÉRATIONS zénith *. Tous ces phénomènes résultent de l'augmentation des vapeurs qui sOrit suspendues dans l’atmosphère. 57 La 'glaise humide s'élève lentement en forme de moiles , p. 42. L’extrême sécheresse produit , dans les animaux et dans les plantes, les mêmes phénomènes que l'absence de la chaleur. Pendant la sécheresse, plusieurs plantes de la zone torride se dépouillent de leurs feuilles : les crocodiles et d’autres amphi- bies se cachent dans la glaise. Ils y res- tent morts en apparence, de même que dans le nord de Afrique , où le froid les engourdit pendant l'hiver. * Voyez l'explication que M. Arago a donnée de la scinullation dans ma Relation historique , T. WE, p. 623. SUR LES STEPPES. , 181 58 Une vaste mer intérieure, p. 43. Ces inondations n’ont nulle part autant d’étendue que dans les bassins formés par VApurè, lArachuna Pajara , l’Aranca et le Cabuliarè. De grandes embarcations traversent le pays et vont à dix à douze lieues dans l’intérieur des steppes. 59 Jusqu’aux plaines de PAntisana , p. 44. La vaste plaine qui entoure le volcan d’Antisana est à 2,700 toises de hauteur au-dessus du niveau de lamer. La pression de Vair y est si faible , que les bœufs sau- vages, quand on les poursuit avec des chiens , perdent le sang par les nazeaux et par la bouche. 182 ù CONSIDÉRATIONS 40 Béra et Rastro, p. 45. J'ai décrit en détail cette pêche des gymnotes dans mes Observations de z00- logie et d’anatomie comparée. T. 1, p. 83, et dans ma Relation historique, T. I], p. 173-191. L'expérience faite à Paris, sans chaîne, sur un gymnote vivant, nous a parfaitement réussi à M. Gay-Lussac et a moi. La décharge électrique dépend en- tièrement de la volonté de l'animal. Nous ne vimes pas de jets de lumière. #1 Développé par le contact des parties humides et hétéro- gènes, p. 48. Dans tous les corps organiques, des substances hétérogènes sont en contact entre elles. Dans tous, les solides et les liquides sont unis. Ainsi , partout où il y a corps organisé et vie, il y a probablement tension électrique ou jeu de la pile de Volta. SUR LES STEPPES. 182 #3 Osyris et Typhon, p. 49. Voyez l'excellent ouvrage de Zoega ( p. 575. ) sur Les obélisques au sujet de la lutte de ces deux races d’hommes, c’est-a- dire des pasteurs arabes de la basse Égypte et des Éthiopiens civilisés et agri- culteurs, du prince Baby ou Typhon au teint blond, fondateur de Peluse, et du Bacchus nègre ou Osyris 45 Où s'arrête la demi-civilisation européenne, p.30 Dans la capitainerie générale de Cara- cas, la civilisation introduite par les Eu- ropéens ne s'étend pasau-dela de la région étroite entre les montagnes et la mer. Dans le Mexique, la Nouvelle-Grenade, et Quito, elle à au contraire pénétré dans = PP ER LE 184 CONSIDÉRATIONS l'intérieur du pays et jusque sur les Cor- dillères. Dans cette région élevée, on a trouvé, dès le quinzième siècle, une civilisation ancienne. Partout où les Es- pagnols ont découvert cette civilisation, ils Pont suivie, et se sontétablis , soit près de la mer, soit à un grand éloignement de ses bords, souvent à mille ou quinze cents toises d’élévation. 44 Des masses immenses de granit couleur de plomb » P+ 44- Dans l'Orénoque , êt surtout aux cata- ractes de Maypurès et d’Aturès, mais point dans le Rio-Negro , les blocs de gra- nit et même des fragmens de quartz blanc, dès qu'ils sont touchés par les eaux de ce fleuve, se revêtent d’une enveloppe d’un gris noiratre, qui ne pénètre pas d’un dixième de ligne dans lintérieur de la SUR LES STEPPES. 183 pierre. On croit voir du basalte ou des fossiles colorés par le graphite. Cette en- veloppe paraît contenir du carbone. Je dis qu'elle paraït, car on n’a pas encore examiné assez attentivement ce phéno- mène. M. Rosier a découvert quelque chose de pareil sur les rochers de syénite du Nil , entre Syene et Phile. Dans lOré- noque , lorsque ces pierres noirätres sont humides, elles répandent des vapeurs pernicieuses : on regarde leur voisinage comme une cause de fièvres *. 45 Les hurlemens sourds du singe barbu qui annoncent la pluie PE: Quelque temps avant que la pluie com- mence , on entend le cri mélancolique de * Relation historique , Y. WE, p. 299-30#. 186 CONSIDÉRATIONS plusieurs singes , tels que le coaïta ( sim1a béelzebub ) et Valouate ( simia seniculus ). On croit entendre au loin le fracas de la tempête. On ne peut rendre raison de l'intensité du bruit produit par d'aussi pe- tits animaux, qu'en se rappelant qu'un seul arbre sert quelquefois de demeure à une troupe de soixante ou de quatre-vingts singes. Consultez mon Mémoire anatomi- que, dans mon Recueil d'observations de zoologie , pour ce qu: concerne le larynx et l'os hyoïde de ces animaux. PI. IV, n°. 9. 46 Souvent couvert d'oiseaux, p- ot. Lescrocodiles sont tellement immobiles, que j'ai vu des flamands ou phénicoptères se reposer tranquillement sur leur tête. Le reste du corps était couvert d'oiseaux comme un tronc d'arbre. SUR LES STEPPES. 137 #7 Dans son gosier dilaté , p. 52, L’humeur visqueuse dont le boa entoure sa victime , accélère la putréfaction. Cette humeur amollit la partie musculaire , et la réduit pour ainsi dire à l’état de gélatine ; de sorte que le serpent fait entrer peu à peu le corps d’un animal dans son gosier dilaté. C’est ce qui a fait donner à ce ser- pent, par les Créoles, le nom de #ragavena- do, ou avaleur de cerfs. Ils racontent qu’on a trouvé, dans la gueule des serpens, des ramures de cerf qu'ils n'avaient pu avaler. J'ai vule boa nager dans l’'Orénoque. Itient la tête hors de l’eau comme un chien. Sa peau est agréablement mouchetée. Il par- vient jusqu’à quarante-cinq pieds de long. Je pense que le boa de l'Amérique mé- ridionale est différent du bo constrictor 158 CONSIDÉRATIONS des Indes-Orientales. oyez ce que ra- conte Diodore sur le boa d’Ethiopie *. 48 Se nourrissent de gomme et de terre, p. 32. Cest sur les côtes de Cumana, de Nue- va-Barcelona et de Caracas, visitées par Les moines franciscains de la Guyane, à leur retour des missions, qu'est répandue la tra- dition que des peuples habitant les bords de l’'Orénoque mangent de la terre. Le 6 juin 1800 , lorsqu'en revenant du Rio-Negro nous descendions l’Orénoque, sur lequel nous sommes restés trente-six jours, nous avons passé une journée dans une maison habitée par les Ottomaques qui mangent de la terre. Le village appelé la Concep- cion di Üruana , est appuyé d’une manière * L. INT, p. 204, ed. de Wesseling. SUR LES STEPPES. 159 Le très pittoresque sur le penchant d'un ro- cher de granit. Je déterminai sa latitude à 7° 8/ 3/! nord , etsa longitude à 4° 38/ 38" à l’ouest de Paris. La terre que les Otto- maques mangent est une glaise grasse et onctueuse, une véritable argile de potier , d’une teinte jaune-grisätre , colorée par un peu d’oxide de fer. Ils la choisissent avec beaucoup de soin, et la recueillent dans des bancs particuliers sur les rives de l'O- rénoque et du Mèta. Ils distinguent au goût une espèce de terre d’une autre, car toutes les espèces de glaise n’ont pas le même agrément pour leur palais. Ils pé- trissent cette terre en boulettes, de quatre à six pouces de diamètre , et la font cuire à un petit feu , jusqu'a ce que la surface antérieure devienne rougeätre. Lorsque lon veut manger cette boulette , on l’hu- mecte de nouveau. Ces Ottomaques sont, a r | | 100 CONSIDÉRATIONS pour la plupart, des hommes très farou- ches, et qui ont la culture en aversion. Les nations de l’Orénoque les moins rap- prochées de ce canton , disent en proverbe lorsqu'elles veulent parler de quelque chose de tres sale : « C'est si dégoûtant qu'un Ottomaque le mangerait. » Tant que les eaux de l’Orénoque et du Mèta sont basses, l’Ottomaque se nourrit de poissons et de tortues. Lorsque les poissons paraissent à la surface de l’eau , il les tue à coups de flèches, avec une adresse que nous avons souvent admirée. Dès que les fleuves éprouvent leur débordement pé- riodique , la pêche cesse, car il est alors aussi difhcile de pêcher dans les rivières devenues plus profondes, que dans la pleine mer. Pendant cette inondation , qui dure deux ou trois mois, les Ottomaques avalent des quantités prodigieuses de terre. SUR LES STEPPES:. 191 Nous en avons trouvé dans leurs huttes de grandes provisions entassées en pyramides. Chaque individu consomme journellement les trois quarts ou les quatre cinquièmes d’une livre de terre; c’est ce que nous a rapporté Fray Ramon Bueno, moine très intelligent, natif de Madrid, et qui a vécu douze ans parmi ces Indiens. Les Ottoma- ques disent eux-mêmes que, dans la sai- son des pluies, cette terre est leur princi- pal aliment. D'ailleurs ils mangent de petits poissons , des lézards, ou de la racine de fougère, lorsqu'ils peuvent s’en pro- curer. Ils sont si friands de cette glaise, qu'ils en mangent tous les jours un peu après le repas pour se régaler , dans la sai- son même de la sécheresse, et lorsqu'ils ont du poisson en abondance. Ces peuples sont d'une couleur cuivrée très foncée. Ils ont les traits du visage laids comme ceux 192 CONSIDÉRATIONS des Tartares; sont gras, mais n’ont pas le ventre gros. Le missionnaire qui réside avec eux, nous assura qu'il n'avait remar- qué aucune différence dans la santé de ces sauvages, pendant tout le temps qu'ils mangeaient de la terre. Voilà le simple narré des faits. Les In- diens mangent de grandes quantités de glaise, sans que leur santé en souffre. Ils regardent cette terre comme un mets nour- rissant, c’est-à-dire, qu'ils trouvent que l'usage qu'ils en font les rassasie pour quel- que temps. Îls attribuent cette sensation de satiété à la glaise, et non aux autres nourritures assez chétives qu'ils peuvent y joindre. Si l’on demande aux Ottomaques quelle est leur provision d'hiver, et l’on appelle hiver, dans la partie chaude de PAmérique du sud, la saison des pluies, ils SUR LES STEPPES. 193 montrent les tas de terre amoncelés dans leurs huttes. Mais ces faits partiels ne dé- cident pas les questions suivantes : la glaise peut-elle réellement être une substance nutritive ? Les terres peuvent-elles s’assi- miler à notre nature ? ou ne sont-elles qu'un lest pour l'estomac? Ne servent-elles qu'a tenir ses parois dilatées, et de cette manière contribuent-elles à apaiser ja faim ? je ne puis décider toutes ces ques- tions *. IL est assez singulier que le Père Gumila , d’ailleurs si crédule , et dont lou- vrage est si dépourvu de saine critique, veuille absolument nier que les Indiens mangent de la terre **. Il prétend que les * J’ai soumis ces questions physiologiques à un nouvel examen. Relation Historique, T. Xf, p. 608 — 620. * Histoire de l’Orénoque , T. 1, p. 283. I. 13 194 CONSIDÉRATIONS boulettes de glaise sont mêlées de farine de maïs et de graisse de crocodile. Mais Île missionnaire Fray Ramon Bueno, et le frère Fray Juan Gonzales, notre ami et notre compagnon de voyage, que la mer a englouti sur la côte d'Afrique avec une partie de nos collections, nous ont assuré tous deux que les Ottomaques n’enduisent pas la glaise de graisse de crocodile. À Uruana , nous n'avons jamais entendu par- ler de ce mélange de farine. La terre que nous avons apportée, et que M. Vauquelim a analysée, est pure, et sans aucun mé- lange. Gumila, en confondant des faits étrangers , waurait-il pas voulu faire allu- sion au pain qu’on prépare avec les gousses allongées d’une espèce d'inga ? Ce fruit est mis en terre , afin qu'il fermente plus tôt. — Ce qui d'ailleurs me surprend davan- tage, cest que Vusage d'une si grande D D EE , SUR LES STEPPES. 199 quantité de terre ne cause aucune maladie aux Ottomaques. Cette peuplade est-elle habituée à ce mets, depuis un grand nom- bre de générations? Dans toutes les con- trées de la zone torride, les hommes ont un désir étonnant et presque irrésistible de manger de la terre, non pas une terre alcaline ou calcaire, pour neutraliser des sucs acides , mais une glaise très grasse, et dont l'odeur est très forte. On est souvent obligé de lier les enfans, pour les empê- cher de sortir et de manger de la terre quand la pluie à cessé de tomber. Au village de Banco, sur le bord du Rio Magdalèna , les femmes indigènes qui font des pots de terre, mettent en travail- lant, ainsi que je l'ai vu avec surprise, de gros morceaux de glaise dans leur bouche*. * Gili a fait la même remarque, Saggio di sto- 190 CONSIDÉRATIONS Les autres peuplades de PAmérique ne tardent pas à devenir malades , lors- qu’ellés cèdent à cette singulière envie de manger de la terre. Dans la mission de San-Borgia, nous vimes un enfant qui, d’après ce que nous dit sa mère, ne vou- lait manger que de la terre, et que cette nourriture avait maigri comme un sque- lette. Pourquoi dans les zones tempérées et froides la manie de manger de la terre est-elle si rare, et n’existe-t-elle que chez les enfans et les femmes grosses? On peut avancer que dans toutes les régions de la zone torride, cet appétit pour la terre a ria dell? America, T. I, p. 311. En hiver, les loups mangent de la terre et surtout de la glaise. En général, il serait intéressant d’analyser les dé- jections de ious les hommes et de tous les ant- maux qui mangent de la terre. SUR LES STEPPES. 197 été observé. En Guinée, les nègres man- gent une terre jaunàtre, qu'ils appellent caouac. Les esclaves qu'on mène en Amé- rique tàchent de s’y procurer une sem- blabie jouissance ; mais c'est toujours au détrnnent de leur santé. « Une autre cause du mnal d'estomac, «très générale encore, dit un voyageur « moderne, c’est que plusieurs de ces nègres « venus de la côte de Guinée mangent de « la terre; ce n’est point par un goût dé- « pravé, c’est-à-dire par une suite seule- « ment de leur maladie; e’est une habi- « tude contractée chez eux, où ils disent « qu'ils mangent habituellement, sans en « être incommodés, une certaine terre « dont le goût leur plait. Ils recherchent « chez nous la terre la plus approchante « de celle-là. Celle qu'ils préfèrent ordi- 196 CONSIDÉRATIONS « nairement est un tuf rouge - jaunâtre « irès commun dans nos îles. On en vend «même secrètement dans nos marchés pu- « blics, sous le nom de caouac. (M. Thi- _&baut était à la Martinique en 1751.)... « Ceux qui sont dans cet usage en sont si « friands, qu'il n’y a point de chatiment « qui puisse les empêcher d'en manger * ». Dans les villages de l’ile de Java, entre Sourabaya et Samarang , M. la Billardière vit de petits gateaux carrés et rougeûtres exposés en vente. Les naturelsles appellent tanaampo. En les examinant de plus près, il reconnut que ces gateaux étaient de glaise rougeatre que l’on mangeait **. Les * Thibaut de Chanvallon , Voyage à la Marti- tinique , P. 89 ** Voyage à la recherche de la Peyrouse, Vol. XI, p. 322. ne pe ne à à à ne SUR LES STEPPES. 199 habitans de la nouvelle Calédonie man- gent, pour apaiser leur faim, des morceaux gros comme le poing d’une pierre ollaire friable. M. Vauquelin, en l’analysant, y a trouvé une quantité de cuivre assez con- sidérable *. A Popayan et dans plusieurs parties du Pérou , les indigènes achètent au marché de la terre calcaire avec d’autres denrées. Pour en faire usage, ils y mêlent le cocca, c’est-à-dire les feuilles de lery- throxilon peruvianum. Ainsi nous trou- vons ce goût de manger de la terre, que la nature semblerait avoir dû réserver aux habitans des régions ingrates du nord, ré- pandu dans toute la zone torride parmi ces races d'hommes indolens qui vivent dans les contrées les plus belles et les plus fé- condes de la terre. * Ibid. p. 205. 200 CONSIDÉRATIONS SUR L'ESPÈCE DE TERRE QU'ON MANGE A JAVA DÉC Extrait d’une lettre de M. LEescHENAULT, Botaniste de l’expédition des décou- vertes aux Terres Australes, à M. DE HumsoLzpt. La terre que mangent quelquefois les habitans de l’île de Java, est une espèce d'argile rougeûtre, un peu ferrugineuse ; on l’étend en lames minces, on la fait torréfier sur une plaque de tôle, après l'avoir roulée en petits cornets dans la forme à peu près de l’écorce de canelle du commerce ; en cet état elle prend le nom d'ampo, et se vend.dans les marchés pu- blics. Re SUR LES STEPPES. 20i L’ampo a un goût de brûlé tres fade que lui a donné la torréfaction : il est très absorbant, happe à la langue, et la des- sèche; il n’y a presque que les femmes qui mangent l'ampo, surtout dans le temps de leurs grossesses, ou lorsqu'elles sont atteintes du mal qu’on nomme en Europe, appétit dérégle. Plusieurs mangent aussi lampo pour se faire maigrir , parce que le défaut d’embonpoint est une sorte de beauté parmi les Javans. Le désir de res- ter plus long-temps belles , leur ferme les yeux sur les suites pernicieuses de cet usage qui, par l'habitude , devient un be- soin dont il leur est très difficile de se se- vrer. Elles perdent l'appétit et ne pren- nent plus, qu'avec dégoût , une très petite quantité denourriture. Je pense que l'ampo wagit que comme absorbant, en s'empa- rant du suc gastrique : il dissimule les 202 CONSIDÉRATIONS besoins de lestomac, sans les satisfaire. Bien loin de nourrir le corps, il le prive de l'appétit, cet avertissement utile que la nature lui a donné pour pourvoir à sa conservation; aussi l'usage habituel de lampo fait dépérir et conduit insensible- ment à l’éthisie et à une mort prématurée. il serait très utile pour apaiser momenta- nément la faim dans une circonstance où l'on serait privé de nourriture, ou bien si l’on n'avait pour la satisfaire que des sub- stances malsaines ou nuisibles. LESCHENAULT. Paris , le 15 mai 1808. 49 Des figures gravées sur des rochers, p. 53. Dans l’intérieur de l'Amérique méri- dionale , entre les 2° et 4° parallèles SUR LES STEPPES. 203 nord, sétend une plaine boisée qui est entourée par quatre rivières , l'Orénoque, lAtapabo, le Rio Negro et le Cassiquiarè, On y trouve des rochers de syénite et de granit qui sont, ainsi que ceux de Caï- cara et d'Uruana , couverts de figures symboliques colossales représentant des crocodiles, des jaguars, des ustensiles de ménage et les images du soleil et de la lune. Aujourd’hui ce coin de la terre est inha- bité dans une étendue de plus de cinq cents lieues carrées. Les peuplades voisines se composent de misérables, ravalés au de- gré le plus bas de la civilisation, menant une vie errante, et bien éloignés de pou- voir graver des Miéroglyphes sur les ro- chers. On peut suivre dans l'Amérique méridionale une zone entière de rochers couverts de figures symboliques, depuis le Rupunury et lEssequibo , jusqu'aux 204 CONSIDÉRATIONS rives de l’Yupura *. Ces vases de granit, ornés d’élégantes arabesques , ainsi que ces masques de terre semblables à ceux des Romains , qu'on a découverts sur la côte de Mosquitos, chez des Indiens tout-a-fait sauvages, sont aussi des débris remar- quables d’une civilisation éteinte **. J'ai faitgraver les premiers dans l’Atlas pitto- resque qui accompagne la partie histori- que de mon voyage. Les antiquaires s’éton- nent de la ressemblance qui existe entre ces bas-reliefs à la grecque et ceux qui ornent le palais de Mitla, près d'Oaxaca dans la Nouvelle-Espagne. Je n'ai pas vu dans les sculptures péruviennes les figures * Voyez ma Relation historique, T. IX, p. 589, et l'excellent ouvrage de M. Martius, intitulé Hé- moire sur la physionomie des végétaux du Brésil (1824), p. 14. | ** Archæologia, T. V, p. 95; T. VI, p. x17. SUR LES STEPPES. 205 d'hommes à grands nez, si fréquentes dans les bas-reliefs de Palenquè, dans le pays de Guatemala, et dans les peintures az- tèques. M. Klaproth se souvient d'avoir observé de ces nez très gros chez les Khalka , horde des Mongols du nord. Les hommes à gros yeux et au teint blanchà- tre, dont Marchand fait mention sous les 54° et 58° degrés de latitude boréale, des- cendent-ils des Ousoun del’Asieintérieure, qui appartiennent à la race Alano-g0- thique. 50 Mais préparés au meurtre , p. 54. Les Ottomaques empoisonnent souvent l'ongle de leur pouce avec le curarè : la simple impression de cet ongle est mor- telle, quand le curarè se mêle avec le sang. Nous possédons le végétal vénéneux dont 206 CONSIDÉRATIONS le suc sert à préparer le curarè, dans la mission de l’'Esmeralda, sur l'Orénoque supérieur. Malheureusement nous ne trou- vèmes pas cette plante en fleur. D’après sa physionomie , elle a de l’affinité avec les strychnos *. * JHelation historique, T. I, p. 547-556. CONSIDÉRATIONS SUR LES CATARACTES DE L'ORÉNOQUE. ON] CONSIDERATIONS SUR LES CATARACTES DE L'ORÉNOQUE. Dans la dernière séance publique de cette académie *, jai peint ces plaines immenses dont le caractère est diversement modifié par le climat ; qui tantôt, sont des déserts privés de toute végétation , tantôt des step- * Ce mémoire a été, ainsi que les précédens, lu dans les séances publiques de l’Académie de Berlin, en 1806 et 1507. k, 14 210 CONSIDÉRATIONS pes ou des savanes couvertes d'herbes. Aux Ilanos de la partie méridionale du nouveau continent, j'ai opposé l’affreuse mer de sa- ble que renferme l’intérieur de l'Afrique , et à celle-ci, la steppe élevée de l'Asie centrale, séjour de peuples pasteurs et conquérans, qui jadis refoulés du fond de l'Orient , ont répandu sur toute la terre, la barbarie et la désolation. J'ai alors hasardé de réunir de grandes masses dans le tableau de la nature, et de présenter à cette assemblée des objets dont le coloris répondit à la disposition de nos ames ; aujourd’hui me renfermant dans un cercle plus circonscrit de phénomènes, je vais esquisser le tableau riant d’une végé- tation abondante et de vallées arrosées par des eaux écumeuses. Je décris deux gran- des scènes que la nature a placées au sein SUR LES CATARACTES. 219 de la Guyane, dans les solitudes d'Aturès et de Maypurès, ces cataractes de l'Oré- noque , si célèbres, mais, avant moi , peu visitées par les Européens. L’inpression que laisse en nous l'aspect de la nature, est moins déterminée par les détails particuliers à un canton, que par le jour sous lequel se montrent les montagnes et les plaines ; tantôt éclairées par un ciel d’un bleu aérien , tantôt ne re- cevant qu'une lumière terne à travers les nuages amoncelés. De même les peintures de cet aspect varié produisent sur nous un eflet plus fort ou plus faible, suivant qu'elles sont en harmonie avec les besoins de notre sensibilité ; car c’est dans l'inté- rieur de notre ame que se peint l’image exacte et vivanie du monde physique. Le contour des montagnes qui, dans un loin- 212 CONSIDÉRATIONS tain vaporeux, bornent horizon , lobs- curité des forêts de sapins, le torrent qui s’en échappe et qui se précipite avec furie au milieu des rochers suspendus ; en un mot, tout ce qui constitue la physionomie d’un paysage, a eu de tout temps des rap- ports mystérieux avec la vie intérieure de l'homme. De ces rapportsdécoule la plusnoble par- tie des jouissances que nous donne la na- ture. Nulle part elle ne nous pénètre plus du sentiment profond de sa grandeur , nulle part elle ne nous parle plus fortement que sous le ciel des Indes. C’est pourquoi si j ose aujourd’hui présenter encore à cette assemblée un nouveau tableau de ces con- trées, il m'est permis d'espérer qu’elle ne sera pas insensible à l'intérêt qu'il inspire. Le souvenir d'une terre lointaine et fé- SUR LES CATARACTES. 213 conde, l'aspect d’une végétation libre et vigoureuse, rajeunissent et fortifient l'ame; et oppressé par le présent , l'esprit aime à s'occuper de la jeunesse du genre humain et de sa sublime simplicité. Les vents alisés et les courans qui por- tent à l'occident, favorisent la navigation sur le tranquille bras de mer ‘ qui remplit la vallée immense située entre le nouveau continent et l'occident de l'Afrique. Avant que la côte d'Amérique sorte de la sur- face arrondie des flots, on remarque le bouillennement des vagues qui se croisent et se choquent en écumant. Les naviga- teurs qui ne connaissent pas ces parages, pourraient supposer le voisinage de bas- fonds, ou la sortie singulière d’une source d’eau douce , au milieu de l'Océan , comme. on en voit une entre les Antilles *. 21/4 CONSIDÉRATIONS Plus près de la côte granitique de la Guyane, on aperçoit la vaste embouchure d'un grand fleuve qui paraît comme un lac sans bords, et de ses eaux douces cou- vre au loin l'Océan. Ses ondes verdatres, ses vagues d’un blanc de lait au-dessus des écueils, contrastent avec le bleu foncé de la mer qui les coupe par une ligne bien tranchée. Le nom d’Orénoque donné à ce fleuve, par ceux qui les premiers l’ont découvert, et qui doit sans doute son origine à une confusion de langage, est entièrement in- connu dans l’intérieur du pays. En effet, les peuples encore simples et grossiers ne distinguent, par dés noms particuliers, que les objets qui peuvent être confondus avec d’autres. lOrénoque, la rivière des Ama- zones et celle de la Madeleine, ne sont SUR LES GATARACTES. 219 appelées que la rivière, quelquefois la grande rivière, la grande eau ; mais les habitans qui vivent sur leurs rives, dési- gnent par des noms propres, les plus pe- tits ruisseaux. Le courant formé par l’Orénoque , entre le continent de l'Amérique du Sud et Pile de la Trinité abondante en asphalte, est si fort que les navires, qui, favorisés par un vent frais de l’ouest, veulent voguer à pleines voiles contre sa direction, peu- vent à peine le refouler. Get endroit soli- taire et redouté, s'appelle le golfe Triste, L'entrée en ést formée par la bouche du Dragon. C’est la que, du milieu des flots furieux , s'élèvent d'énormes rochers iso- lés, reste de la digue antique * renversée par le courant, digue qui joignit jadis l’île de la Trinité à la côte de Paria. 516 CONSIDÉRATIONS Ce fut à l'aspect de ce lieu que Colomb , ce hardi navigateur qui découvrit un monde nouveau, fut convaincu, pour la première fois , de l’existence du continent de l'Amérique. « Une quantité si prodi- « gieuse d’eau douce, » aïnsi raisonnait cet homme qui connaissait parfaitement la nature, « wa pu être rassemblée que par « un fleuve d’un cours très prolongé. La « terre qui donne cette eau, doit être un « continent, et non pas un ile. » Les com- pagnons d'Alexandre, après avoir franchi le Paropamisus couvert de neige *, cru- rent reconnaître un bras du Nil, dans l’Indus abondant en crocodiles * ; Colomb qui ignorait la ressemblance de physiono- mie qu'ont entre elles toutes les produc- tions du climat des palmes, pensait que le * Arrian. Z/ist. Bb. VE, initio. SUR LES CATARACTES. 217 nouveau continent était le prolongement de la côte orientale de PAsie. La douce frai- cheur de l'air du soir , la pureté éthérée du firmament, les émanations balsamiques des fleurs que la brise de terre lui apportait, tout, comme le raconte Herrera * dans ses décades, fit conjecturer à Colomb, qu’il ne devait pas être éloigné du jardin d'E- den, ce séjour sacré des prenniers humains. L’Orénoque lui parut un des quatre fleu- ves , qui, selon les traditions respectables du monde primitif, sortaient du paradis terrestre pour arroser et partager la terre nouvellement décorée de plantes. Ce pas- sage poétique de la relation du voyage de Colomb , a un intérêt particulier et sen- timental. Il nous révèle que l'imagination créatrice du poète parle chez le navigateur qui a découvert un monde commecheztous les hommes doués d’un grand caractère. 218 CONSIDÉRATIONS Lorsque l’on considère l’immense vo- lume d’eau que l’'Orénoque porte à l'océan atlantique , on est tenté de demander le- quel de l'Orénoque, de la rivière des Ama- zones , ou du Rio de la Plata, est le plus considérable. La question est trop vague, de même que toute idée de grandeur phy- sique. L’embouchure du Rio de la Plata, est la plus large ; elle a vingt-trois lieues d’une rive à l’autre. Mais relativement à lOrénoque et à lAmazone, ce fleuve est, comme ceux de l'Angleterre , d’une longueur médiocre.Son peu de profondeur, dès Buenos-Ayres, metobstacle à sa navi- sation , en remontant Ca rivière des Ama- zones est le plus long de tous les fleuves. Son cours, depuis sa source dans le lac de Lauricocha, jusqu'a son embouchure est de 720 lieues. Mais sa largeur dans la province de Jaen de Bracamoros, près de la cata- SUR LES CATARACTES. 21 racte de Rentama où je la mesurai au-des- sous de là montagne pittoresque de Pata- chuma , égale à peine celle du Rhin à Mayence. L'Orénoque , à son embouchure, paraït plus étroit que le Rio de la Plata et la rivière des Amazones. D’après mes ob- servations astronomiques, son Cours n’est qué de 260 lieues. Mais dans la partie la plus reculée de la Guyane, à 140 lieues de son embouchure, je trouvai que, dans le temps des hautes eaux, ce fleuve avait 16,200 pieds de largeur. Le gonflement périodique de ses eaux élève leur niveau de quarante-huit à cin- quante-deux piéds au-dessus du point où élles sont les plus basses. Pour faire une Comparaison exacte des fleuves pro- digieux qui coupent le continent de lA- 220 CONSIDÉRATIONS mérique du sud , nous manquons de ma- tériaux suffisans. 11 faudrait connaître le profil du lit des fleuves, et leur vitesse qui doit différer dans chaque partie de leur Cours. Par le Delta qu’enferment ses bras sub- divisés en une infinité d’autres et non en- core explorés, par la régularité de son gonflement et de son abaissement, par la grosseur et la quantité de ses crocodiles, l’Orénoque offre plusieurs traits de res- semblance avec le Nil que la nature forma sur une échelle plus petite. Il en existe un autre encore enire ces deux fleuves : ils ne sont long-temps que des torrens impétueux qui, au milieu des forêts, se frayent un cours à travers des montagnes de granit et de syénite , jusqu’à l'instant où, bordés de rivages sans ar- SUR LES CATARACTES. 22 bres, ils coulent lentement sur une sur- face presque absolument horizontale. De- puis le fameux lac de Gogam , situé dans les Alpes de l'Abyssinie , jusqu'a Syène et Elephantine , le Nil perce à travers les montagnes de Changalla et de Sennaar. L’Orénoque sort de la pente méridionale de la chaine de montagnes, qui, sous le 4° et le 5° parallèles nord , s'étend de lest à l’ouest, depuis la Guyane fran- çaise , jusqu'aux Andes de la Nouvelle Grenade vers l'Ouest. Les sources de l’'Orénoque n’ont été visitées par aucun Européen, et même par aucun naturel qui ait eu quelque relation avec les Euro- péens. Dans l'été de lan 1800, lorsque nous navigulons sur l’Orénoque supérieur, nous arrivâmes aux embouchures du Sodomoni 299 CONSIDÉRATIONS et du Guapo. Là , s'élève bien au-dessus des nues la cîme sourcilleuse du Duida, montagne dont l'aspect offre une des scènes les plus imposantes que la nature étale sous les tropiques. La pente méridionale est une savane sans arbres. L'air humide du soir est embaumé du parfum qu’exhalent les ananas dont les tiges succulentes crois- sent au milieu des plantes basses de la prairie : au-dessous de la couronne de feuilles, d’un vert bleuatre, leur fruit doré brille au loin. Dans les endroits où les eaux sortent du tapis de verdure, de hauts palmiers en éventail forment des groupes solitaires. Dans cette région brûlante , nul courant d'air rafraïchissant ne vient agiter leur feuillage. À l'ouest du Duida, commence une épaisse forêt de cacaotiers sauvages, qu'en- SUR LES CATARACTES. 293 tourent le Bertholelia excelsa *, cet amandier célèbre , la production végétale la plus vigoureuse des tropiques. C'est là que les naturels viennent recueillir les matériaux pour faire leurs cors; ce sont des chalumeaux de graminées gigantes- ques , qui d’un nœud à l’autre ont des arti- culations longues de dix-sept pieds. Quel- ques moines franciscains ont pénétré jus- qu'à l'embouchure du Chiguiré , où l'Oré- noque est s1 étroit, que près de la cataracte des Guaharibes, les naturels y ont jeté un pont fait de lianes tressées. Les Guaïcas , race d'homme d'une blancheur surpre- nante, mais très petits, empêchent d’a- vancer plus loin vers l'est, le voya- * Juvia ou Bertholetia excelsa. Voyez Plantæ Æquinoctiales. T. 1, p. 122, et Relation histo- rique , T. 11, p. 474—495—558—562. 224 CONSIDÉRATIONS geur qui redoute leurs flèches empoison- nées. Aussi tout ce que lon rapporte sur le lac dont l’'Orénoque tire sa source est-1l fabuleux. Cest en vain qu'on chercherait dans la nature le lac appelé Laguna del Dorado, qui , sur la carte la plus récente d'Arrowsmith, a une longueur de vingt lieues et paraït une mer intérieure. Le petit lac couvert de roseaux, d’où le Pi- rara, affluent du Mao, tire sa source, au- rait-il donné lieu à cette fable ? Mais ce marécage est situé cinq degrés plus à l’ouest que le canton où l’on peut supposer que se trouvent les sources de l’Orénoque. Au milieu est l’île de Pumacena , qui pro- bablement est un rocher de schiste mi- cacé, dont le brillant, depuis le seizième siècle, a joué un rôle remarquable, mais SUR LES CATARACTES. 295 souvent fatal pour la crédule humanité , en donnant naissance à la fable de lEldo- rado. Selon la tradition de plusieurs naturels, les zuées de Magellan du ciel austral , et même les magnifiques 2ébuleuses du vais- seau Argo, ne sont que le reflet de lé- clat métallique que jette la montagne d'argent de Parimé. Au reste, c’est une. vieille habitude des géographes par théo- rie , de faire sortir de lacs ; tous les grands fleuves du monde, L'Orénoqueest du nombre de cesfleuves singuliers qui, après avoir fait beaucoup de détours à l’ouest et à l’est, suivent enfin une direction tellement rétrograde, que leur embouchure se trouve presque dans le même méridien que leur source. Du I. 15 220 CONSIDÉRATIONS Chiguiré et du Gehettè au Guaviarè , lO- rénoque court à l'ouest, comme sil vou- lait porter ses eaux au grand Océan. Dans cet espace, il envoie au sud un bras très remarquable , appelé le Cassiquiarè , peu connu en Europe ; et qui se réunit au Rio- Negro ou, comme le nomment les natu- rels, au Guaïnia, exemple unique de Vembranchement de deux grands fleuves. La nature du sol et la jonction du Gua- viarè et de l'Atabapo avec l'Orénoque, dé- terminent ce dernier à se diriger tout d’un coup vers le Nord. Par ignorance dela géo- graphie, on à long-temps pris le Guaviarè pour la véritable source de lOrénoque. Les doutes qu'un géographe célèbre, M. Buache f, a élevés dès 1797 sur la possi- bilité de l'union de ce fleuve avec celui des Amazones , sont , je l'espère , entièrement SUR LES CATARACTES. 227 dissipés par mon voyage. Une navigation non interrompue de quatre cent soixante - douze lieues sur un singulier réseau de fleuves, m'a conduit du Rio Negro par le Cassiquiarè dans l’Orénoque, ou bien des frontières da Brésil, par l'intérieur du continent , jusqu'aux côtes de Caracas. Dans la partie supérieure du bassin de ces fleuves, entre le 5° et le 4e parallèle nord, la nature à plusieurs fois répété le phénomène singulier de ce qu'on appelle les eaux noires. L’Atabapo dont les rives sont ornées de carolinea et de melastomes arborescens, le Temi, le Tuamini, et le Guaïnia ont des eaux d’une teinte couleur de café. A ombre des massifs de palmiers, leur couleur passe au noir foncé, mais dans des vaisseaux fransparens, Îles eaux sont d’un jaune 220 CONSIDÉRATIONS doré. L'image des constellations australes se reflète avec un éclat singulier dans ces rivières noires. Partout où leurs eaux coulent doucement , elles offrent à l’astro- nome qui observe avec des instrumens de réflexion , un excellent horizon artificiel. Le manque de crocodiles et de poissons, unefraîcheur plasgrande,un moindrenom- bre de moustiques piquantes ef un air sa lubre distinguent la région des rivières noires. Elles doivent probablement leur couleur à une dissolution de carbure d'hy- drogène, à l'abondance de la végétation , et à la multitude de plantes dont est cou- vert le sol qu’elles traversent. En eilet, sur la pente occidentale du Ehimborazo, du côté du grand Océan, jai remarqué que Veau qui sortait du Rio de Guayaquil pre- nait graduellementune teinte jaune dorée , Dee SUR LES CATARACTESe 32 puis une couleur de café quand elle avait séjourné pendant quelque temps sur les prairies. À peu de distance de l'embouchure du Guaviarè et de l'Atabapo, on trouve le palmier de la forme la plus noble, le piri- guao *. Son tronc lisse , haut de soixante pieds, est terminé par un bouquet de feuilles délicates comme celles des ro- seaux, et frisées sur les bords. Je ne con- nais pas de palmier qui porte des fruits aussi gros et aussi agréablement colorés ; ils sont , comme la pêche , jaunes et pour- prés. Réunis au nombre de soixante à quatre-vingts, ils forment des grappes monstrueuses dont, sur chaque tronc, * Kunth dans Nova genera de Humboldt et Bon- pland, TE. I, p. 3:5. 230 CONSIDÉRATIONS irois murissent tous les ans. On pourrait nommer ce superbe végétal, le palmier- pêcher. Ses fruits charnus sont la plupart sans semences à cause de la végétation trop abondante en sucs. Ils fournissent aux naturels un mets nourrissant et fari- neux, qui peut, comme les bananes et les pommes de terre, être apprêté de plu- sieurs manières différentes. Jusqu'à cet endroit, ou jusqu'au con- fluent du Guaviarè, l’Orénoque coule le long de la pente méridionale de la monta- one de Parimé. Depuis sa rive gauche, jusque bien au-delà de léquateur au 15° degré de latitude australe, s'étend le bassin immense et boisé de la rivière des Amazones. Mais à San- Fernando de Atabapo, l’'Orénoque, tournant brus- quement au nord, perce une partie de SUR LES CATARACTES. 231 la chaine de montagnes. C'est là que sont situées les grandes cataractes d’Aturès et de Maypurès. La le lit du fleuve est ré- tréci par des masses de rochers gigantes- ques , et comme partagé en différens ré- servoirs par des digues naturelles. Au milieu d’un gouffre où les eaux tour- billonnent vis à vis lembouchure du Mèta , s’'élance une énorme roche isolée que les naturels ont nommée avec raison la pierre de patience ; car lorsque les eaux sont basses, les voyageurs qui remontent le fleuve, sont quelquefoisobligés de s’y arré- ter pendant deux jours entiers. Lefleuve en pénétrant très avant au nulieu des terres , forme dans les rocs des baies très pitto- resques. Vis à vis la mission de Carichana, le voyageur est surpris par un aspect ex traordinaire. L'œ1l se fixe involontaire- 232 CONSIDÉRATIONS ment sur le Mogoté de Cocuyza , rocher raboteux de granite de forme cubique, qui élève perpendiculairement ses flancs es- carpés à deux cents pieds de hauteur, et porte sur son plateau supérieur une forêt de grands arbres. Semblable à un monu- ment cyclopéen simple dans sa grandeur , cette masse de rocs dépasse le faîte des palmiers qui l'entourent, et par ses con- tours fortement prononcés, tranche le bleu foncé du ciel , et présente une forêt au-dessus d’une forêt. Si l’on descend plus bas vers la mission de Carichana, on arrive à un point où le fleuve s’est ouvert un passage par le défilé irès étroit du Baraguan. On reconnait par- iout les traces d’un chaos de bouleverse- mens. Plus au Nord, près d'Uruana et d'Encaramada, sélèvent des masses de SUR LES CATARACTES. 233 granite, d'un aspect grotesque. Partagées par des hachures extraordinaires, et éblouissantes de blancheur , elles resplen- dissent au loin du milieu d’un massif de verdure. Dans cette contrée, depuis l'embouchure de l’Apure , le fleuve quitte la chaîne de gramte. Se dirigant à l’est, 1l sépare , jus- qu'a l'Océan , les forêts impénétrables de la Guyane, des savanes , où dans un loin- tain sans bornes repose la voûte du ciel. Ainsi, l'Orénoque entoure de trois côtés, au Sud , à l'Ouest, et au Nord, le groupe de hautes montagnes qui remplissent le vaste espace entre les sources du Jao et du Caura. Depuis Carichana, jusqu'à son embouchure, le fleuve est libre de ro- chers et de tourbillons , à l'exception de la bouche de l'enfer ( Boca del infierno ), 234 CONSIDÉRATIONS près de Muitaco , où les rochers occasio- nent un tournoiement, mais ne barrent pas le lit entier du fleuve , comme à Aturès et à Maypurès. A Muitaco, près de la mer, les marins ne connaissent pas d'autre danger que celui des véritables radeaux naturels, contre lesquels les piro- gues viennent souvent échouer pendant la nuit. Ces radeaux se forment de grands arbres, que le fleuve, en se débordant , déracine et entraine. Couverts, comme des prairies, de plantes aquatiques, ils rappellent les jardins flottans des lacs de Mexico. Après avoir jeté ce coup-d’œil rapide sur le cours de l’'Orénoque , et sur ce qu'il offre de remarquable en général, je passe à la description des cataractes deMaypurès et d'Aturès. | SUR LES CATARACTES. 235 Du groupe des hautes montagnes de Cunavami, entre les sources du Sipa- po et du Ventuari, une chaïne granitique se prolonge à l’ouest, et s'avance vers les monts Uniama. De cette chaîne sortent quatre ruisseaux qui embrassent en quel- que sorte les cataractes de Maypurès; sa- voir : sur la rive orientale de l’Orénoque, le Sipapo et le Sanariapo, et sur sa rive oc- cidentale , le Cameji et le Toparo. Dans l'endroit où est le village de Maypurès, les montagnes forment une vaste gorge ouverte au sud-ouest. Aujourd'hui le fleuve roule ses flots écumans , au bas de la pente du chaïnon oriental de la montagne ; mais on recon- nait au loin du côté occidental, l’ancien rivage quil a abandonné. Une vaste sa- vane s'éteud d’un côté à l’autre. Les jésuites 236 CONSIDÉRATIONS y ont construit, avec des troncs de pal- miers, une petite église. Cette plaine est à peine élevée de trente pieds au-dessus du niveau du fleuve. L'aspect géognostique de ces lieux , la forme insulaire des rochers de Kèri et d'Oco, les cavités que les flots ont creusées dans le premier de ces côteaux, et qui sont placées précisément à la même hau- teur que les excavations qu’on aperçoit dans l’île d'Uivitari, située vis à vis; ces apparences réunies , prouvent que toute cette anse aujourd'hui à sec, était jadis couverte par l’'Orénoque. Les eaux for- mèrent probablement un lac immense, aussi long-temps que la digue du Nordleur résista, Lorsqu'elle fut renversée, la sa- vane habitée par les Guarèquès, parut d’abord commeune île. Peut-être le fleuve RE SUR LES CATARACTES. 237 entoura-t-1l encore long-temps les rochers pittoresques de Kèri et d’Oco, qui sortent de son ancien lit, semblables à deux an- tiques forteresses. En diminuant graduel- lement , les eaux se retirèrent tout-a- fait vers le chaïnon oriental des monta- gnes. Cette conjecture est confirmée par un grand nombre de faits. L’Orénoque a ici, comme le Nil près de Philæet de Syène, la propriété remarquable de colorer en noir les masses de granit d’un blanc rougeûtre qu'il lave depuis des milliers d'années. Jus- qu'a la ligne qu'atteignent les eaux, on observe le long du rivage, une enveloppe couleur de plomb, qui contient du car- bone , et pénètre à peine d’un dixième de ligne dans l'intérieur de la roche. Cette eouche noiratre et les cavités dont nous 238 CONSIDÉRATIONS avons parlé plus haut, font connaître l’ancienne hauteur dés eaux de lOréno- que. Dans le rocher de Kèéri, dans les îles des cataractes , dans ia chaîne des monta- ones de Cumadaminari qui passe au-dessus de l’île de Tomo, enfin, à l'embouchure du Jao, on voit de ces cavités noirâtres élevées de cent cinquante à cent quatre- vingts pieds au-dessus du niveau actuel des eaux; ces vestiges nous révèlent ce que le lit de tous les fleuves d'Europe nous a fait remarquer, c’est que ces courans dont la masse excite encore aujourd’hui notre admiration ne sont que de faibles restes des immenses volumes d’eau qui sil- lonnèrent la surface du monde primitif. Des observations aussi simples n’ont pas SUR LES CATARACTES. 23% échappé aux grossiers habitans de la Guyane. Partout ils nous faisaient re- marquer l’ancienne hauteur des eaux. Au milieu d’une savane, près d'Uruana, on voit un rocher isolé de granit ; suivant le récit d'hommes dignes de foi, 1l pré- sente à une élévation de quatre-vingts pieds des images du soleil , de la lune, des figures de plusieurs animaux et en- ir’autres de crocodiles et de boa , creusées sur la surface et disposées à peu près par rangées. Personne maintenant ne pour- rait, sans le secours d’un échafaudage , grimper le long des parois perpendicu- laires de ce rocher qui mérite un examen attentif de la part des voyageurs futurs. Cest dans une position tout aussi remar- quable qu'on trouve les traits hiérogly- phiques gravés sur les montagnes d'U- ruana et d'Encaramada. 740 CONSIDÉRATIONS Si l’on demande aux naturels comment ces traits ont pu être creusés , 1ls répondent que ce fut jadis aux jours des hautes eaux, quand leurs pères naviguaient à cette élé- vation. Üne pareïlle hauteur des eaux a donc subsisté postérieurement à ces mo- numens grossiers de l’industrie des hom- mes. Elle indique un état de la terre qu’il ne faut pas confondre avec celur où la première parure végétale de notre pla- nète, les corps gigantesques d'espèces éteintes de quadrupèdes, et les habitans de l'Océan du monde primitif ont trouvé leur tombeau sous lenveloppe endurcie de la terre. L’issue des cataractes vers le nord, est célèbre par les images du soleil et de la lune que la nature a tracées. Le rocher Kéri dont j'ai parlé plusieurs fois , doit SUR LES GATARACTES. 241 son nom à une tache blanche qui reluit au loin , et à laquelle les naturels préten- dent trouver une ressemblance frappante avec le disque de la pleine-lune. Je n'ai pu gravir sur ce rocescarpé, mais la tache blanche est probablement un très grand nœud de quartz que forme la réunion de plusieurs filons sur le granit d’un noir grisatre. En face du Kéri, les Indiens montrent avec une admiration mystérieuse . sur la montagne jumelle de basalte de l'ile d'Oui- vitari, un disque semblable qu’ils adorent comme l’image du soleil ( Camosi ). Peut- être la position géographique de ces deux rochers a-t-elle aussi contribué à leur faire donner ces noms, car je trouvai que Kéri était tourné au couchant et Camosi au levant. Les hommes qui s'occupent de L. 16 242 CONSIDÉRATIONS étude des langues, trouveront dans le mot américain Camosi beaucoup deressem - blance avec Camoch , nom du soleil dans un des dialectes phéniciens. Les cataractes de Maypurès n’offrent pas, comme le saut du Niagara, haut de cent-quarante pieds, la chute d’un énorme volume d’eau qui se précipite à la fois tout entier ; ce ne sont pas non plus des défilés étroits à travers lesquels le fleuve pénètre en accélérant son cours , comme au Pongo de Manseriché de la rivière des Amazo- nes. Elles se forment d’une quantité in- nombrable de petites cascades, qui se suivent en tombant de degrés en degrés. Le raudal, c'est ainsi que les Espagnols nomment cette espèce de cataracte, est déterminé par un archipel d'ilots et de rochers qui rétrécissent tellement le lit du SUR LES CATARACTES. 243 fleuve , large de huit mile pieds, que sou- vent il ne reste pas vingt pieds de libre pour la navigation. Le côté de l'Orient est aujourd'hui beaucoup moins acces- sible et plus dangereux que celui de lOc- cident. | Au confluent du Cameji et de l'Oréno- que on décharge les marchandises; on confie les canots vides, ou les pirogues, à des naturels qui connaissent bien le rau- dal et en désignent chaque degré, chaque roche par un nom particulier ; ils guident les canois jusqu'a l'embouchure du To- paro, où l’on regarde le danger comme passé. Lorsqu'il n’y a que des rochers isolés ou des degrés qui n’ont pas plus de deux à trois pieds de haut , ils se hasardent à les descendre en canot. Maïs en remon- tant le fleuve, ils nagent en avant, par- 244 CONSIDÉRATIONS viennent, après bien des eforts inutiles , à fixer une corde à une des pointes de ro- cher qui sortent des eaux, et au moyen de cette corde ils tirent à eux la barque, qui durant ce travail pénible, est souvent chavirée ou entièrement remplie d'eau. Quelquefois , et c'est le seul accident que redoutent les naturels, le canot se brise contre les rochers. Alors lespilotes, le corps tout sanglant, cherchent à éviter le tour- billon, et à atteindre la rive à la nage. Lorsque les degrés sont très hauts , et que la digue des rochers barre entièrement le fleuve, lembarcation légère est portée a terre , et avec l'aide de branches d'arbres qu’on place dessous en guise de rouleaux ;, on la tire jusqu’au prochain rivage. Les degrés les plus célèbres et Îles plus SUR LES CATARACTES. 245 difliciles sont ceux de Purimarimi et de Manimi ; leur hauteur est de neuf pieds. Un nivellement géodésique est rendu im- possible par les obstacles insurmontables qu'opposent les localités et l'air infect et remplide myriades demoustiques; mais en me servant du baromètre, j'ai trouvé avec surprise, que la chute entière du raudal, depuis l'embouchure du Cameji, jusqu’à celle du Toparo, était à peine de vingt- huit à trente pieds. Je dis avec surprise , puisque le fracas terrible des vagues écu- meuses est dû non pas, comme on le croi- rait , à la hauteur de la cataracte, mais au rétrécissement du fleuve par un nombre infini de roches et d’ilots, et au contre- courant occasioné par la forme et la si- tuation des masses de rochers. Cest ce que l’on reconnait facilement , lorsque du village de Maypurès, on descend au bord mm ge, cie. - - dtmreme 246 CONSIDÉRATIONS du fleuve, en franchissant le rocher de Manimi. C'est là qu'on jouit d’un aspect tout-à- fait merveilleux. Les yeux mesurent sou- dainement une nappe écumeuse d’un mille détendue. Des masses de rochers d’un noir de fer sortent de son sein comme de hautes tours ; chaque ilot, chaque roche se pare d'arbres vigoureux et pressés en groupe ; au-dessus de l’eau, est sans cesse suspen- due une fumée épaisse ; à travers ce brouil- lard vaporeux où se résout lécume, sé- lancent les cimes des hauts palmiers. Dès que lerayon brûlant dusoleil du soir vient se briser dans le nuage humide, les phéno- mènes de l’optique présentent un véritable enchantement. Les arcs colorés disparais- sent et renaissent tour à tour , et, jouet lé- ger de l'air, leur image se balance sanscesse. SUR LES CATARACTES- 247 Autour des rocs pelés, les eaux mur- murantes ont , dans les longues saisons des pluies , entassé des îles de terre végétale. Parées de drosera , de mimosa au feuillage d’un blanc argenté , et d’une multitude de plantes , elles forment des lits de fleurs , au milieu des roches nues; elles rappellent à l'Européen ces blocs de granit solitaires et couverts de fleurs, que les habitans des Alpes appellent courtils , et qui percent les glaciers de la Savoye. Dans un lointain bleuâtre , l’œ1il se re- pose sur la chaine des montagnes de Cu- navami longuement prolongée et dont les flancs escarpés se terminent par une cime tronquée. Le dernier chaïnon de ces mon- tagnes , auquel les naturels donnent lenom de Calitamini , nous parut au coucher du soleil comme une masse rougeätre ardente. 248 CONSIDÉRATIONS Cette apparence est chaque jour la même. Personne ne s’est jamais approché de cette montagne ; son éclat singulier naît peut- être du jeu des reflets produits par le tale ou le schiste micacé. Pendant les cinq jours que nous passà- mes dans le voisinage de la cataracte, nous remarquâmes avec surprise que le fracas du fleuve était trois fois plus fort pendant la nuit que pendant le jour. En Europe on observe la même singularité à toutes les chutes d’eau. Quelle en peut être la cause, dans un désert ou rien n’interrompt le si- lence de la nature? Il faut probablement la chercher dans le courant d’air chaud ascendant qui, le jour, arrête la propa- gation du son, et qui cesse pendant la nuit lorsque la surface de la terre est re- froidie. | SUR LES CATARACTES. 249 Les naturels nous montrèrent des traces d’ornières de voiture. Ils parlent avec ra- vissement des animaux cornus qui trai- naient sur des voitures les canots le long de la rive gauche de lOrénoque depuis l'embouchure du Cameji, jusqu’à celle du Toparo, dans le temps où les Jésuites poursuivaient par les conversions leurs conquêtes dans cette partie du monde. Alors les embarcations restaient chargées, et n'étaient pas détériorées comme aujour- d’hui par l’échouement et le frottement continuel contre les rochers raboteux. Le plan que j'ai tracé de tout le pays environnant , prouve qu'on peut ouvrir un canal entre le Cameji et le Toparo. La vallée où coulent ces deux rivières très abondantes en eau, est presqu'unie. Le ca- nal dont j'ai proposé l'exécution au gou- 250 CONSIDÉRATIONS. verneur-général de Venezuela dans l'été de 1800, deviendrait un bras navigable de l’Orénoque, et rendrait superîlue la navigation dangereuse de ancien lit du fleuve. Le raudal d’Aturès est entièrement semblable à celui de Maypurès. IL con- siste, comme celui-ci, en une multitude d’ilots entre lesquels le fleuve se fraye un passage dans une longueur de trois à qua- tre mille toises ; un massif de palmiers s'y élève de même du milieu de la surface écumeuse des eaux. Les plus célèbres de- grés de cataractes sont placés entre les iles d'Avaguri et de Javariveni, entre Sur1- pamana et Uirapuri. Lorsque M. Bonpland et mot, nous re- venions des bords du Rio-Negro, nous ht SUR LES CATARACTES. 291 nous hasardämes à franchir dans nos ca- nots chargés cette dernière moitié du rau- dal d’Aturès. Nous grimpämes plusieurs fois sur les rochers qui, semblables à des digues , joignent les îles les unes aux au- tres. Tantôt les eaux se précipitent au-de- là de ces digues, tantôt elles tombent en dedans avec un bruit sourd. Aussi des por- tions considérables du lit du fleuve sont- elles souvent à sec, parce qu’il s’est ouvert une 1ssue par des canaux souterrains. C’est dans cette solitude que niche le coq de ro- che de couleur d’or (pipra rupicola), un des plus beaux oiseaux des tropiques , bel- lqueux comme le coq domestique des Indes , et remarquable par la double crête de plumes mobiles dont sa tête est décorée. Dans le raudal de Canucari, des cubes escarpés de granit forment la digue. Nous 252 CONSIDÉRATIONS entramesen rampant dans l’intérieur d’une caverne dont les parois humides étaient couvertes de conferves et de bissus phos- phorescens. Le fleu ve presse avec un fracas terrible ses flots tumultueux au-dessus de la caverne. Nous eûmes, par hasard , loc- casion de jouir de cette grande scène de la nature plus long-temps que nous n’aurions voulu. Les indiens nous avaient quittés au milieu de la cataracte. Le canot devait longer une île étroite pour nous repren- dre à son extrémitéinférieure , après avoir fait un long détour. Nous restämes une heure et demie exposés à une effroyable pluie d'orage. La nuit s’approchait, nous cherchàmes en vain un abri dans les fentes des masses de granit. Les petits singes, que depuis plusieurs mois nous portions avec nous dans des cages tressées, atti- raient, par leurs cris plaintifs, des croco- SUR LES CATARACTES. 253 diles dont la grosseur et la couleur d’un gris plombé annonçaient le grand age. Je ne ferais pas mention de cette apparition très commune dans l’Orénoque , si les na- turels ne nous avaient pas assuré que jamais on n'avait vu de crocodiles dans les cataractes. Pleins de confiance dans leur assertion, nous avions plus d’une fois osé nous baigner dans cette partie du fleuve. Cependant, avec chaque minute, ac- croissait pour nous la crainte de nous voir contraints, mouillés comme nous étions, et étourdis par le fracas de la cataracte, de passer sans dormir la longue nuit de la zone torride au milieu du raudal. Enfin les Indiens parurent avec notre canot. Le degré par où 1ls avaient voulu descendre était impraticable à cause du peu de pro- 254 CONSIDÉRATIONS fondeur des eaux. Les pilotes avaient été forcés de chercher dans le labyrinthe du canal un passage plus accessible. À l’entrée méridionale du raudal d’A- turès , sur la rive droite du fleuve, est la caverne d'Ataruipè , très célèbre parmi les indigènes. Les environs ont une physio- nomie grande et imposante, telle qu'ils semblent avoir été d'avance destinés par la nature , à servir de sépulture à une nation. On gravit avec peine , et non sans danger , sur un roc de granit, escarpé etentièrement nu. Il serait presque impossible de fixer le pied sur sa surface lisse, si de grands cris- taux de feld-spath, défiant le pouvoir de la décomposition, ne sortaient çà et là hors de la roche. À peine a-t-on atteint le sommet, — SUR LES CATARACTES. 255 qu'on est surpris par le coup-d'œ1l étendu de tout le pays d’alentour. Du lit écumeux des eaux s'élèvent des collines ornées de forêts. De l’autre côté du fleuve, au-delà de sa rive occidentale, le regard se repose sur la savane immense du Mèta. A l’hori- zon , la montagne d’Uniama paraît comme une nuée qui s'élève. Tel est le lointain ; mais autour de l’observateur , tout est dé- sertet resserré. Les engoulevens croassans et les vautours volent solitaires dans la vallée profondément sillonnée , et leur ombre mobile glisse lentement sur les flancs nus du rocher. Cet abime est borné par des montagnes dont les sommets arrondis portent d’énor- mes blocs sphériques de granit dont le dia- mètre est de quarante à cinquante pieds. Ils semblent ne toucher que par un seul = — — 256 CONSIDÉRATIONS point la roche qui les soutient, et être près de rouler au fond du précipice à la moindre secousse de tremblement de terre. La partie la plus reculée de cette vallée est couverte d’une épaisse forêt. C'est dans cet endroit ombragé que s'ouvre la caverne d’Ataruipé ; c’est moins un antre qu’un ro- cher très saillant où les eaux ont creusé un enfoncement lorsqu'elles atteignaient à cette hauteur. Là est le tombeau d’une peuplade éteinte. Nous y comptames en- viron six cents squelettes bien conservés ; chacun repose dans une corbeille faite avec des pétioles des feuilles de palmier. Cette corbeille, que les naturels nomment mapirès, a la forme d’une espèce de sac carré ; elle est d’une srandeur proportion- née à l’âge des morts, même pour les en- fans moissonnés à l’instant de leur nais- SUR LES CATARACTES. 257 sance. Tous ces squelettes sont si entiers qu'il n'y manque ni une côte ni une phalange. Les ossemens sont préparés de trois manières ; ou blanchis, ou peints en rouge avec lonoto, matière colorante tirée, comme le rocou, du Bixa orellana ; ou , comme les momies, enduits de résine odorante et enveloppés de feuilles de ba- nanier. Les naturels racontent que l’on mettait pendant quelques mois le cadavre frais dans la terre humide, afin que les chairs se consumassent peu à peu. Ensuite on l’en retirait , et avec des pierres aiguisées on raclait la chair restée sur les os. Plusieurs hordes de la Guyane pratiquent encore cette coutume. Auprès des mapirès, ou À 37 | 258 CONSIDÉRATIONS corbeilles, on trouve aussi des urnes d’une argile à moitié cuite, qui paraissent con- tenir les os de familles entières. Les plus grandes de ces urnes ont trois pieds de haut et cinq pieds et demi de long; elles sont d’une forme ovale assez agréable, et d’une couleur verdatre; elles ont des anses faites en formes de crocodiles ou de serpens, et le bord d’en haut est dé- coré de méandres et le labyrinthes. Ces ornemens sont entièrement semblables à ceux qui couvrent les murs du palais mexicain près de Mitla. On les retrouve sous toutes les zones et dans les degrés de civilisation les plus différens, chez les Grecs et les Romains, dans le temple du Deus Rediculus, à Rome, et sur les bou- cliers des Taïtiens, partout où une répéti- tion rhythmique de formes régulières SUR LES CATARACTES. 290 flattait les yeux. Ces causes, conume je l'ai développé ailleurs, tiennent trop intime- ment à la nature intérieure des dispositions de notre ame, pour qu’elles puissent prou- ver l’origine commune ou les relations anciennes des peuples. Nos interprètes ne purent pas nous don- ner des notions précises sur l'antiquité de ces vases. La plupart des squelettes ne paraïssaient pas avoir plus de cent ans. Ilcircule une tradition chez les Guareques, c’est que les belliqueux Aturès, poursui- vis par les Caribes anthropophages, se sont sauvés sur les rochers des cataractes , séjour lugubre où cette peuplade resser- rée s’éteignit ainsi que son langage. Dans les parties les plus inaccessibles du Rau- dal, on trouve de semblables catacom- bes’. 1l est très vraisemblable que les 260 GONSIDÉRATIONS dernières families des Aturès ne se sont éteintes que très tard; car dans Maypurès, et c’est un fait singulier, vit encore un vieux perroquet dont les habitans racon- tient qu'on ne le comprend point, parce qu'il parle la langue des Aturès. Nous quittames la caverne au commen- cement de la nuit, après avoir, au grand scandale de notre guide, pris plusieurs cränes et le squelette complet d’un homme agé. Un de ces crànes a été figuré par M. Blumenbach dans son excellent ou- vrage craniologique. Quant au squelette ; il a été perdu sur la côte d'Afrique, ainsi qu'une grande partie de nos collections. dans un naufrage qui priva de la vie noire ami, notre camarade de voyage ; Fray Juan Gonzalez, jeune moine fran- GisCaln; SUR LES CATARACTES. 261 Comme émus du pressentiment d’une perte aussi douloureuse , tristes et rêveurs , nous nous éloignames de ce tombeau d’une peuplade entière. Cétait par une de ces nuits sereines et fraiches, qui sont si or- dinaires sous la zone torride. La lune, entourée d’anneaux colorés, brillait au zénith; elle éclairait la lisière du brouil- lard, qui, comme un nuage à contours fortement prononcés, voilait le fleuve écumeux. Une multitude innombrable d'insectes répandait une lumière phospho- rique rougeatre sur la terre couverte de plantes. Le sol resplendissait d’un feu vivant, comme si les astres du firma- ment étaient venus s'abaitre sur la sa- vane. Des bignonia grimpans, des va- nilles odorantes, et des banisteria aux fleurs d’un jaune doré, décoraient l’en- trée de la caverne. Au-dessus, les cimes 262 CONSIDÉRATIONS des palmiers se balançaient en frémis- sant. Cest ainsi que s'évanouissent les géné- rations des hommes ; que s'éteint peu à peu le nom des peuples les plus célèbres ! mais lorsque chaque fleur de l’esprit se flétrit, lorsque les ouvrages du génie créateur , périssent dans les orages des temps, une vie nouvelle s’élance éternellement du sein de la terre. Prodigue, infatigable, la nature génératrice fait sans cesse éclore les tendres boutons et ne s'inquiète pas, si les hommes , race perverse et implacable, ne détruiront point le fruit dans sa ma- turiié. ÉCLAIRCISSEMENS ET ADDITIONS. DL Cd) en Deer 22 CD C4 ÉCLAIRCISSEMENS ET ADDITIONS 1 Le tranquille bras de mer, p. 213. Enrre le 23: parallèle sud, et le 70° parallèle nord , l'Océan atlantique a la forme d’une longue vallée qui est décou- pée sur ses bords, et dont les angles saillans et rentrans se correspondent exactement. J'ai donné de plus grands dé- veloppemens à cette idée dans mon essai 266 CONSIDÉRATIONS d’un tableau géologique de l'Amérique méridionale. (Imprimé dans le tome LIT du Journal de Physique , pag. 61.) De- puis les îles Canaries, et surtout depuis le 21° degré de latitude boréale, et le 25° de longitude occidentale, jusqu’à la côte du nord-ouest de l'Amérique du sud, la surface de la mer est si tranquille, et les vagues y sont si peu élevées, qu’un canot peut y naviguer avec sécurité. 2 Entre les Antilles, p. 215. - A la côte méridionale de Cuba, au sud- ouest du port de Batabano, dans la baie de Xagua; mais environ à deux ou trois lieues de la terre, des sources d’eau douce sortent du milieu de l’eau salée , pro- bablement par l'effet de la pression hy- SUR LES CATARACTES. 267 drostatique. Leur éruption se fait avec tant de force , que l'approche de ces lieux fameux est dangereuse pour les petites em- barcations, à cause des lames qui sont très hautes et se croisent en clapotant. Les navires côtiers approchent quelquefois de ces sources pour y prendre, au milieu de la mer, une provision d’eau douce. Plus on puise profondément , plus l’eau est douce. On y tue souvent des lamentins (Trichecus manati), animal qui ne se iient pas habituellemeut dans l’eau salée. Ce singulier phénomène dont on n'avait pas encore fait mention, a été examiné avec la plus grande exactitude, par don Fran- cisco Lemaur , qui a relevé trigonométri- quement la baie de Xagua. J'ai été plus ausud, dans le groupe d’iles appelées Jar- dines del re, (Jardins du roi) et non à Xagua même. 268 CONSIDÉRATIONS 5 Reste de la digue antique, p. 215. Du temps de Strabon et de Pline il y avait encore, dans le détroit de Gibraltar entre les colonnes d’'Hercule , un banc ou ressif qui réunissait les deux continens et qu'on appelait, d’un nom bien caractéris- tique , le seuil de la mer Méditerranée. A quelle époque ont disparu ces écueils dangereux pour les navires carthaginois ? Les îles qui, suivant le témoignage de Strabon et de Mela , étaient situées dans le détroit, sont-elles les mêmes que celle que nous trouvons encore aujourd'hui sur la côte d'Afrique ? 4 Le Paropamisus couvert de neige, p. 210. En lisant la description que Diodore SUR LES CATARACTES. 269 Lib. XVII, pag. 553, ed. Rhodom., fait du Paropamisus, on croit reconnaitre un tableau des Andes du Pérou. L'armée ma- cédonienne passa par des lieux habités, où il tombait tous les jours de la neige. 5 Herrera , p. 21;. Historia de las Indias Occidentales , Dec. I, libro IL. Cap, 12, p. 106. Ed. 1601. —Juan Baptista Muños, Histoire du Nou- veau-Monde, t. 1, p. 367. 6 Un géographe célèbre, p. 226. M. Buache. Voyez sa carte de la Guyane, 1789. 270 CONSIDÉRATIONS SUR LES CATARACTES. 7 De semblables catacombes, p. 259. En 1800 , quand je parcourais les forêts de l’Orénoque , on fit , d’après un ordre du roi , quelques recherchèsdans ces cavernes ossuaires. On accusait, mais à tort, le missionnaire des cataractes d’y avoir dé- terré des trésors que les Jésuites y avaient cachés avant d'abandonner le pays. FIN DU PREMIER VOLUME. TABLEAUX DE LA NATURE. A. PIHAN DELAFOREST, IMPRIMEUR DE MONSIEUR LE DAUPHIN ET DE LA COUR DE CASSATION, rue des Noyers, n° 37. TABLEAUX DE LA NATURE LR OU CONSIDÉRATIONS SUR LES DÉSERTS, SUR LA PHYSIONOMIE DES VÉGÉTAUX , SUR LES CATARACTES DE L'ORÉNOQUE, SUR LA STRUCTURE ET L'ACTION DES VOLCANS DANS LES DIFFÉRENTES RÉGIONS DE LA TERRE , ETC, Par A. DE HUMBOLDT. TRADUITS DE L’ALLEMAND PAR J. B. B. EYRIES. TOME SECOND. PARIS, GIDE FILS , RUE SAINT — MARC—FEYDEAU, N0 2e, ÉDITEUR des Annales des Voyages. 1828. Fan / ‘ DE! LI e / \ 4 | A [A À Fa La É2 DE A FC LR - MER PAT SR Ê L & ME | ; IDÉES SUR LA PHYSIONOMIE VÉGÉTAUX. IDEES SUR LA PHYSIONOMIE DES VÉGÉTAUX. Sorr que lactive curiosité de l’homine in- terroge la nature , soit que son imagina- tion hardie mesure les vastes espaces de la création organisée, des impressions multipliées qu’il reçoit , aucune n’est aussi profonde et aussi forte que le sentiment de cette profusion avec laquelle la vie est universellement répandue. Partout - même sur les glaces polaires. l'air retentit 2? : | a PHYSIONOMIE du chant des oiseaux et du bourdonne- ment bruyant des insectes. Non-seulement ses couches inférieures, remplies de va- peurs épaisses , sont animées , mais aussi les régionssupérieuresetéthérées. En effet, toutes les fois qu’on a gravi la chaine des Cordillères ou la cime du Mont-Blanc, on a trouvé des animaux dans ces solitu- des. Sur le Chimborazo *, qui est quatre fois plus élevé que Île Puy-de-Dôme , nous avons vu des papillons et d’autres insectes ailés. Emportés par des courans d'air per- pendiculaires, ils errent étrangers dans cette région où la curiosité inquiète con- duit les pas circonspects de l'homme ; leur présence prouve que l’organisation ani- inale, plus flexible, peut subsister bien au-delà des limites où s’est arrêtée celle des végétaux. Sélevant plus haut que le pic de Téncriffe entassé sur FEtna ; plus: 2 Æ = LA. DES VÉGÉTAUX. d haut que toutes les cimes des Andes, le condor*, ce géant des vautours, planait au-dessus de nous. La rapacité de ce puis- sant volatile lattire dans ces régions à la poursuite des vigognes au lainage soyeux, qui, comme des chamois, errent en trou- peaux dans ces savanes voisines des neiges éternelles. Si l'œil nu nous montre la vie répandue dans toute l'atmosphère , armé du micros- cope, il nous découvrira encore de plus grandes merveiiles. Des rotifères, des brachions et une infinité d’animalcules, sont enlevés par les vents de la surface des eaux qui se dessèchent. Sans mouvement, plongés dans une mort apparente , ils vol- tigent dans lair, peut-être pendant de longues années , jusqu’à ce que la roséeles ramène à la terre, dissolve l'enveloppe G PHYSIONOMIE qui enchaîne leurs corps transparens et se mouvant en tourbiilons $, et, probable- ment par le moyen de l’oxigène que toutes les eaux contiennent , souffle de nouveau lirritabilité dans leurs organes. Indépendamment des êtres développés, l'atmosphère porte aussi des germes in- nombrables d'êtres futurs, des œufs d’in- sectes, et des semences de plantes que des aigrettes velues et plumeuses préparent à de longues pérégrinations automnales. Cette poussière vivifiante que lancent les fleurs males dans les espèces où les sexes sont séparés , est, même au-delà des terres et des mers, portée aux fleurs femelles solitaires par les insectes ailés # et le sout- fle des vents. Si le mobile océan aérien où nous som- DES VÉGÉTAUX. r, mes plongés, et au-dessus de la surface duquel nous ne pouvons nous élever, est indispensable pour l’existence d’un grand nombre d'êtres organisés , 1ls ont encore besoin d’un aliment plus grossier , qu'ils netrouvent qu’au fond de cet océan gazeux. Ce fond est de deux sortes ; la plus petite partie est la terre sèche entourée immé- diatement de l'air ; la plus grande est l’eau qui , 1l y a peut-être des milliers d'années, se forma de substances gazeuses conden- sées par le feu électrique, et qui, au- jourd’hui , est décomposée sans cesse dans latelier des nuées, de même que dans les vaisseaux des animaux et des plantes. On ne sait pas encore où la vie est semée avec le plus de prodigalité. Est-ce sur les continens, ou dans les immenses è *8 PHYSIONOMIE abimes de la mer? Dans ceux-ci parais- sent des vers gélatineux qui, vivans ou morts , brillent comme des étoiles * , et par leur éclat phosphorique changent la surface du vaste Océan en une mer de feu. Ce sera pour moi une impression ineflaçable , que celle des nuits tranquilles de la zone torride sur le grand Océan : du bleu foncé du firmament la constellation de la Croix inclinée à l'horizon , et au zé- nith celle du Vaisseau, faisaient jaillir dans l'air parfumé leur lumière douce et planétaire , tandis que les dauphins tra- çaient des sillons brillans au milieu des vagues écumeuses. Non-seulement l'Océan , mais encore les eaux des marais recélent une multitude innombrable de vers d’une forme surpre- nante. Nos yeux ont peine à reconnaître DES VÉGÉTAUX. 9 les cyclidies, les tricodes frangés, et la foule des naïdes, divisibles en rameaux comme le lemna dont elles cherchent lombrage. Entourés de différens mélanges d'air, et ne connaissant pas la lumière, vivent l’ascaris tacheté sous la peau du ver de terre, la leucophra d'un brillant argenté dans l’intérieur de la naïde des rivages, et l’echynorynchus dans les vastes cellules pulmonaires du serpent à sonnettes® des tropiques. Ainsi la vie remplit les lieux les plus cachés de la na- ture. Arrêtons-nous ici modestement aux végétaux. C'est à leur existence que tient celle des espèces animales. Ils travaillent continuellement à disposer en ordre, pour organiser ensuite, la matière brute de la terre, et, par leur force vitale, prépa- rent ce mélange qui, après mille modifi- cations, sennoblit enfin en formant des 10 PHYSIONOMIE filets nerveux , organes du sentiment et de l'intelligence. Le regard que nous attacherons sur les familles variées des plantes, nous dévoi- Jera aussi quelle foule d'êtres animés elles nourrissent et conservent. Qu'il est diversement tissu, le tapis dont la prodigue déesse des fleurs couvre la nudité de notre planète : plus serré dans les climats où le soleil s'élève à une plus grande hauteur vers un ciel sans nuage; plus lâche vers Les pôles engourdis où le retour de la gelée tue le bouton développé, ou saisit le fruit mürissant ! Partout, cependant , l’homme goûte le plaisir de trouver des végétaux qui le nourrissent. Que du fond de la mer, comme il arriva jadis au milieu des îles de la Grèce, un DES VÉGÉTAUX. 11 volcan soulève lout à coup au-dessus des flotsbouillans un rochercouvert de scories, ou, pour rappeler un phénomène moins terrible , que des néréides réunies? élèvent leurs demeures cellulaires pendant des milliers d'années , jusqu’à ce que, se trou- vant au-dessus du niveau de la mer, elles meurent , après avoir ainsi formé une ile applatie de corail ; la force organique est déja prête pour faire naître la vie sur ce rocher. Qui donc y porte si soudainement des semences? Sont-ce les oiseaux voya- geurs, les vents ou les vagues de la mer ? C'est ce que le grand éloignement des côtes rend difficile à décider. Mais à peine la pierre est-elle en contact avec Pair , que, dans les contrées septentrionales , il se forme àsa surface un réseau de filets velou- tés qui, à l'œil nu, paraissent des taches colorées. Quelques-uns sont bordés par des 12 PHYSIONOMIE lignes saillantes, tantôt simples, tantôt doubles ; d’autressont traversés par dessil- lons qui se croisent. À mesure qu'ils vieil- Bissent, leur couleur claire devient plus foncée. Le jaune qui brillait au loin se change en brun, et le gris bleuâtre des Ze- prarta prend insensiblement une teinte de noir poudreux. Les extrémités des enve- loppes vieillissantes se rapprochent et se confondent; etsur le fondobscur seforment de nouveaux lichens de forme circulaire et d’un blanc éblouissant. Cest ainsi qu'un réseau organique s'établit par couches suc- cessives ; et demmême que la race humaine parcourt, en s’établissant , des degrés dif- férens de civilisation , de même la propa- gation graduelle des plantes est liée à des lois physiques déterminées. Où le chêne majestueux élève aujourd’hüi sa tête aérienne, jadis de minces lichens cou- DES VÉGÉTAUX, 15 vraient la roche dépourvue de terre, Des mousses , des graminées , des plantes her- bacées et des arbrisseaux , remplissent le vide de ce long intervalle, dont la durée ne peut être calculée, L'effet produit dans le nord par les lichens et les mousses, l’est, dans la zone torride, par le pourpier , le gomphrena, et d’autres plantes basses habitantes des rivages. L'histoire de len- veloppe végétale de notre planète et desa propagation graduelle sur la surface pelée de la terre a ses époques, comme l’histoire la plus reculée de l'espèce humaine. La vie est répandue partout ; la force organique travaille continuellement à rat- tacher à de nouvelles formes les élémens séparés par la mort ; mais cette richesse d'êtres organisés et leur renouvellement différent suivant la différence desclinats, 14 PHYSIONOMIE Dans les zones froides , la nature s’engour- dit périodiquement, et comme la fluidité est une condition de la vie, les animaux, ainsi que les plantes, à l'exception des mousses et des autres cryptogames, y restent ensevelis durant les mois d'hiver dans un profond sommeil. Sur une grande partie de la terre, 1l n'a donc pu se dé- velopper que des êtres organiques, capa- bles de supporter une diminution considé- rable de calorique , ou une longue inter- ruption des fonctions vitales. Aussi, plus on approche des tropiques, plus la variété, la grace des formes et le mélange des couleurs augmentent, ainsi que la jeunesse et la vigueur éternelles de la vie orga- nique. Ces faits peuvent être niés par ceux qui n'ont jamais quitté l'Europe, ou qui ont QT DES VÉGÉTAUX. 1 négligé l'étude de la géographie physique. Lorsqu’en sortant de nos forêts de chênes touffus ; on franchit les Alpes ou les Pyré- nées pour aller en Italie ou en Espagne, ou lorsqu'on dirige ses regards sur les côtes d'Afrique qui bornent la mer Méditerra- née, on est aisément induit à tirer la con- séquence erronée, que le caractère des climats chauds est d’être dénués d'arbres. Mais on oublie que l’Europe méridionale avait un autre aspect , lorsque les colonies pélasges ou carthaginoïises commencèrent à y fonder des établissemens : on oublie qu'une civilisation antique de lespèce hu- maine recule les forêts, que l’inquiète acti- vité des nätions prive peu à peu la terre de cette parure qui, dans les contrées sep- tentrionales, nous réjouit, et qui, plus que tous les documens historiques , prouve la jeunesse de notre civilisation. La grande 16 PHYSIONOMIE catastrophe, à laquelle la Méditerranée doit sa formation , paraît avoir dépouillé les contrées voisines d’une grande partie de leur terre végétale, quand cette mer, qui n’était alors qu’un lac immense , gon- fla ses eaux et rompit les digues des Dar- danelles et des colonnes d'Hercule. Ce que les écrivains grecs nous ont transmis des traditions de la Samothrace * ; semble in- diquer que l’époque des ravages opérés par ce grand changement, était moins an- cienne que l'existence du genre humain et sa réunion en société. Dans tous les pays qui confinent à la Méditerranée, et que caractérise le calcaire secondaire du Jura, une partie de la superficie du sol n’est qu’un rocher nu. La beauté pittoresque de lItalie a surtout pour cause le contraste agréable qu'offrent la roche pelée et ina- nimée, et, si l’on peut s'exprimer ainsi, PART. NE etes + CE mu DES VÉGÉTAUX. 17 les iles de végétations vigoureuses dissé- minées sur sa surface. Où cette roche moins crevassée retient l’eau sur la super- ficie couverte de terre, comme sur les bords enchantés du lac d’Albano, l'Italie a ses forêts de chênes aussi touffues et aussi vertes que celles qu'on admire dans le nord de l’Europe. Les déserts au sud de l'Atlas, et les plaines immenses ou steppes de l'Améri- que méridionale , ne doivent être regar- dées que comme des phénomènes locaux. Celles-ci sont, au moins dans la saison des pluies , couvertes d'herbes et de r7imosa très peu élevés et presque herbacés : ceux-là sont des mers de sable dans l’in- térieur de l’ancien continent, de grands espaces dénués de plantes et entourés de rivages boisés toujours verts. Quelques II. 2 18 PHYSIONOMIE palnuers en éventail, épars et isolés, rap- pellent seuls au voyageur que ces solitu- des font partie d’une nature animée. Le jeu fantastique du mirage , occasioné par l'effet de la chaleur rayonnante, tantôt fait voir le pied de ces palmiers flottant dans l'air, tantôt il répète leur image renversée dans les couches de l'air mobiles comme les vagues de la mer ; à l’ouest de la chaîne péruvienne des Andes, sur les côtes du grand Océan, nous avons con- sumé des semaines entières pour traver- ser de semblables déserts dépourvus d’eau. L'existence de ces déserts arides, de ces vastes espaces dénués de végétaux au mi- lieu des contrées enrichies d’une végéta- tion abondante, est un phénomène géo- gnostique auquel on fait peu d'attention, et qui provient incontestablement d’ancien- DES VÉGÉTAUX. 19 nes révolutions de la nature , soit inonda- tions , soit transformations volcaniques de l'enveloppe du globe. Dès qu’une région a perdu les plantes dont elle est couverte , que le sable est devenu mobile et dénué , de sources, que l'air embrasé et s’élevant perpendiculairement empêche la précipi- tation des nuages * ; des milliers d’années s’écouleront avant que, du sein des bords verdoyans du désert, la vie organique pé- nètre dans son intérieur. Celui donc qui sait d’un regard embras- ser la nature , et faire abstraction des phé- nomènes locaux, voit, comme depuis le A . 2: o D 4 A pôle jusqu’à l'équateur , à mesure que la chaleur vivifiante augmente, la force or- ganique et la vie augmentent aussi gra- duellement. Mais dans le cours de cet ac- croissement, des beautés particulières sont 20 PHYSIONOMIE réservées à chaque zone : aux climats du tropique , appartiennent la diversité de forme et la grandeur des végétaux : aux climats du nord, l'aspect des prairies et le réveil périodique de la natureaux premiers souffles de l’air printannier. Outre lesavan- tages qui lui sont propres, chaque zone a aussi son caractère. Si l’on reconnait dans chaque individu organisé une physiono- mie déterminée ; puisque les descriptions de botanique et dezoologie, dans le sens le plusrestreint, ne sont que l'anatomie de la forme des plantes et des animaux; de même on peut distinguer une certaine phy- sionomie naturelle qui convient exclusive- ment à chaque zone. Ce que le peintre désigne par les expres- sions de nature suisse et de ciel d'Italie à son principe dans le sentiment confus de DES VÉGÉTAUX. 21 ce caractère local de la nature. Le bleu du ciel, la lumière , les vapeurs qui se re- posent dans le lointain , la forme des ani- maux, la vigueur des végétaux, l'éclat du feuillage, le contour des montagnes , tous ces élémens partiels déterminent l’im- pression que produit l’ensemble d'un pay” sage. À la vérité, sous toutes les zones, les mêmes espèces de montagnes forment des groupes de rochers d’une physionomie semblable. Les rochers de diabase , de VA. mérique-Méridionale et du Mexique res- semblent à ceux des monts Éuganéens, comme, parmi les animaux, la figure de lalco ou de la race primitive du chien du Nouveau-Continent, répond parfaite- ment à celle de la race européenne. L’en- veloppe inorganique de la terre est à peu près indépendante de l'influence des cli- mats : soit que la roche ait existé avant 22 PHYSIONOMIE que cette différence s'établit, soit que la masse de la terre en se durcissant eten dé- gageant de la chaleur, se soit donnée à elle- même sa température ‘*, au lieu de la re- cevoir du dehors. Ainsi toutes les roches sont propres à toutes les contrées du monde, et affectent partout la même forme. Par- tout le basalte s'élève en montagnes ju- melles , dont la cime est tronquée. Partout le porphyre trappéen paraît en masses bi- zarrement disposées , et le granit en som- mets doucement arrondis. Ainsi des espèces semblables de plantes, telles que les pins et les chênes, couronnent également les montagnes de la Suède et celles de la par- tie la plus méridionale du Mexique ‘' ; ce- pendant malgré cette correspondance de forme et cette similitude des contours par- tiels, l’ensemble de leurs groupes, pré- sente un caractère entièrement différent. DES VÉGÉTAUX. 23 La connaissance des fossiles ne diffère pas plus de la géognosie que la description individuelle des objets naturels ne dif- fère de la description générale ou de la physiognomonie de la nature. Georges Forster , dans ses voyages et dans ses œu- vres diverses, Gœthe, dans les tableaux que présentent plusieurs de ses immortels ouvrages, Herder, Buflon, Bernardin de St.-Pierre et Châteaubriand ont tracé, avec une vérité inimitable, le caractère de quelques zones partielles. Mais de telles peintures ne sont pas seulement propres à procurer à l'esprit une jouissance du genre le plus noble : la connaissance du caractère de la nature dans différentes régions, est liée de la manière la plus intime à l’his- toire du genre humain et à celle de sa CI- vilisation. Car, si le commencement de cette civilisation n’est pas déterminé unti- 24 PHYSIONOMIE quement par des rapports physiques , au moins sa direction , le caractère des peu- ples et les dispositions gaies ou sérieuses des hommes , dépendent presque entière- ment de l'influence du climat. Combien puissamment le ciel de la Grèce n’a-t-il pas agi sur ses habitans ? Comment les peuples établis dans les belles et heureuses régions qu’enferment l’Oxus, le Tigre et la mer Egée, ne se seraient-ils pas élevés les pre- miers à l’aménité des mœurs, et à la déli- catesse des sentimens ? Nos ancêtres ne rap- portèrent-ils pas des mœurs plus douces de ces vallées délicieuses, lorsqu'a l’Eu- rope, retombée dans la barbarie, l’en- thousiasme religieux ouvrit tout à coup l’orient sacré. Les compositions poétiques des Grecs , et les chants rudes des peuples primitifs du nord, doivent presque tout leur caractère à la configuration des ani- LA DES VÉGÉTAUX. 29 maux et des plantes que voyait le poète, aux vallées qui l’entouraient , à l'air qu'il respirait. Et pour rappeler des objets plus rapprochés de nous, qui ne se sent diffé- remment disposé à l’ombre épaisse des hé- tres, sur les collines couronnées de sapins épars, enfin sur la pelouse, où le zéphire murmure dans les feuilles tremblantes du bouleau ! La figure de cesplantes de notre pays rappelle souvent en nous des images gales, sérieuses où mélancoliques. L'in- fluence du monde physique sur le moral, cette action réciproque et mystérieuse du matériel et de l’immatériel , donnent à l’é- tude de la nature, quand on la contemple d’un point de vue élevé, un attrait parti- culier encore trop peu connu. Mais si le caractère des différens pays dépend de toutes les apparences extérieu- 26 PHYSIONOMIE res, si le contour des montagnes, si la physionomie des plantes et des animaux, si le bleu du ciel, la proportion des nua- ges, et la transparence de lair, influent sur limpression que produit l’ensemble; on ne peut nier que la cause principale de cette impression ne soit dans la masse des plantes. Les espèces animales sont trop éparses, et la mobilité des individus les dérobe trop souvent à nos regards. Les végétaux au contraire agissent sur notre imagination, par leur immobilité et leur grandeur. Leur masse indique leur âge, et c’est dans les végétaux seuls que s’unit à l’âge l'expression d’une force qui se re- nouvelle sans cesse. Le dragonnier ‘* g1- gantesque que j'ai vu dans les iles Cana- ries , a seize pieds de diamètre , et jouissant d’une jeunesse perpétuelle , 1l porte encore des fleurs et des fruits. Lorsque les Be- DES VÉGÉTAUX. 27 thencours , aventuriers français , firent au seizième siècle la conquête des îles Fortu- nées , le dragonnier d’Orotava , aussi sacré pour les naturels des îles que lolivier de la citadelle d'Athènes ou que lorme d'E- phèse, était d’une dimension aussi colossale qu'aujourd'hui. Dans la zone torride, une forêt de cœsalpinia et d’hymenea est peut- être un monument d’un millier d'années. Si l’on embrasse d’un regard les diffé- rentes espèces de plantes , qui sont déja ‘* connues, et dont le nombre est évalué par De Candolle à plus de 56,000 , on recon- nait, dans cette quantité prodigieuse, un petit nombre de formes principales, aux- quelles on peut ramener toutes les autres. Pour déterminer ces formes, dont la beauté individuelle, l'isolement ou le ras- semblement en groupes constitue la phy- 20 PHYSIONOMIE sionomie de la végétation d’une contrée, il ne faut pas suivre la marche des systè- mes de botanique où , par d’autres motifs, on ne considère que les plus petites parties des fleurs et des fruits ; il faut au contraire envisager uniquement ce qui, par ses masses, imprime un caractère particulier à la physionomie d’une contrée. Parmi ces formes principales des végétaux, il en est qui peuvent se rattacher aux famulles des systèmes naturels, où par exemple, les banamiers et les palmiers sont aussi placés isolément. Mais le botaniste systè- matique divise un grand nombre de grou- pes que le botaniste physionomiste se voit obligé de réunir. Aux yeux de celui-ci, quand les végétaux se présentent en mas- ses , les contours et la disposition partielle des feuilles, la forme des troncs et des branches se fondent ensemble. Ainsi le DES VÉGÉTAUX. 20 peintre , et c’est surtout ici que la décision appartient au sentiment délicat et naturel de lartiste ; le peintre saura sur le plan moyen et dans le fonds d’un paysage, dis- tinguer des hêtres, les sapins et les pal- miers; mais 1l ne pourra ‘différencier les ormes des autres arbres analogues. Seize différentes formes de végétaux déterminent principalement la physiono- mie de la nature. Je ne fais mention que de celles que j'ai observées dans mes voya- ges dans les deux hémisphères et en exa- minant avec attention pendant bien des années les végétaux des régions comprises entre le cinquante-cinquième parallèle bo- réal , et le douzième parallèle austral. Cer- tainement le nombre de ces formes sac- croîtra considérablement lorsque l’on aura pénétré plus avant dans l’intérieur des 30 PHYSIONOMIE continents, et qu'on y aura découvert de nouveaux genres de plantes. Les végé- taux de la partie sud-est de l'Asie , de l’in- iérieur de l'Afrique, de la Nouvelle-Hol- lande, de l'Amérique du sud, depuis le fleuve des Amazones jusqu'aux montagnes de Chiquitos, nous sont entièrement in- connus. Ne pourrait-on pas découvrir un pays où les champignons ligneux, par exemple les clavaria ou bien les mousses , formeraient les arbres? Le nekera den- droïdes, espèce de mousse européenne , est réellement arborescente ; et les fou- oères de la zone torride, souvent plus élevées que nos tilleuls et nos aulnes, of- frent encore aujourd'hui à PEuropéen un aspect aussi surprenant que le paraîtrait celui d’une forêt de hautes mousses à qui- conque la verrait pour la première fois. La grandeur et le développement des or- DES VÉGÉTAUX. 31 ganes dépendent d’un climat qui les favo- rise. La forme étroite et élancée de nos lézards s'étend dans le sud jusqu'a celle de ces terribles crocodiles dont le corps est colossal et cuirassé. Dans le tigre, le lion, le jaguar et autres grandes espèces du même genre, vivant en Afrique et en Amérique, on trouve répétée la forme du chat , l’un de nos animaux domestiques les plus petits. Si nous pénétrons dans l’in- térieur de la terre, si nous fouillons les tombeaux des plantes et des animaux, les pétrifications ne nous annoncent pas seulement une distribution des formes, qui se trouve en contradiction avec celles des climats actuels; elles nous montrent aussi des configurations gigantesques , qui ne contrastent pas moins avec les petites dimensions dont nous sommes entourés aujourd’hui, que l’héroïsme simple des 32 PHYSIONOMIE Grecs avec le caractère de grandeur des temps modernes. La température de notre planète a-t-elle subi des changemens con- sidérables, et qui reviendront périodique- ment? La proportion entre la mer et la hauteur de l’océan aérien, aussi bien que sa pression , ‘* n’ont-elles pas toujours été les mêmes ? Dans cette hypothèse, la phy- sionomie de la nature, la dimension et la forme des organes ont dû être soumises à de nombreuses modifications. Dans lim- puissance de peindre complètement cette physionomie des états successifs de notre planète vieillissante , d’après ses traits ac- tuels, je ne hasarderai de tracer que les ca- ractères qui conviennent principalement à chaque groupede végétaux. Quelque riche et souple que puisse être une langue, c'est une entreprise difficile de retracer avec des mots ce qui n'appartient qu’à Part imi- DES VÉGÉTAUX. 33 tatif du peintre. Puissé-je aussi éviter la fatigue que doit produire inévitablement sur le lecteur l’énumération répétée de chaque forme partielle. Nous commencerons par les palmiers ‘? : entre tous les végétaux, ils ont la forme la plus élevée et la plus noble ; c’est à elle que les peuples ont adjugé le prix de la beauté; c’est au milieu de la région des palmes de l’Asie , ou dans les contrées les plus voisines , que s’est opérée la première civilisation des hommes. Leurs tiges, hautes, élancées, annelées, quelquefois garnies de piquans , sont terminées par un feuillage luisant , tantôt pinné , tantôt dis- posé en éventail. Les feuilles sont fré- quemment frisées comme celles de quel- ques graminées. Le tronc lisse atteint sou- vent une hauteur de cent quatre-vingts IT. 3 34 PHYSIONOMIE pieds. La grandeur et la beauté des pal- miers diminuent à mesure qu'ils s'éloi- gnent de léquateur pour se rapprocher des zones tempérées. L'Europe, parmi ses végétaux indigènes, n’en a qu’un seul qui représente cette forme; c’est un pal- mier habitant des côtes, de stature naine, le palmite ( chamærops humuilis ), qui croit en Espagne et en Italie, et qu'on trouve jusqu'au quarante-quatrième pa- rallèle boréal. Le véritable climat des palmiers, est celui dont la température moyenne annuelle, se soutient entre 19 et 20 degrés. Mais le dattier qu’on nous a apporté d'Afrique et dont la beauté est moindre que celle de la plupart des genres de ce groupe ' croit encore dans des con- trées de l’Europe méridionale , où la cha- leur moyenne est de 13 à 14 degrés. Des troncs de palmier et des squelettes d’élé- DES VÉGÉTAUX. 35 phans,. sont ensevelis dans les entrailles de la terre, dans le nord de l'Europe ; la position où on les trouve , rend assez vrai- semblable qu'ils n'ont pas été entraînés par les courans , depuis les tropiques jusqu’au septentrion; mais que dans les grandes révolutions de notre planète , les climats, ainsi que la physionomie qu'ils donnent à la nature , ont subi de nombreuses modifi- cations. Dans toutes les parties du monde, la forme des palmiers est accompagnée de celle des bananiers: les scitaminées des botanistes (l’heliconia , Vamomum, le stre- liézia ); leur tige, plus basse , Mais plus succulente, est presque herbacée et cou- ronnée de feuilles d’une contexture mince et lâche, avec des nervures délicates et luisantes comme de la soie, Les bosquets 356 PHYSIONOMIE de bananiers sont la parure des cantons humides. C’est dans leurs fruits que repose la subsistance de tous les habitans de la zone torride; de même que les céréales farineuses du nord , les bananiers ont suivi l’homme dès l'enfance de sa civilisation fc Les fables de l'Asie placent la demeure primitive de ce végétal nourrissant des ré- gions équinoxiales sur les bords de l’Eu- phrate, ou au pied des monts Himalaya dans l'Inde. Les fables grecques nomment les campagnes d'Enna comme la patrie fortunée des céréales. Siles champs vastes et monotones que couvrent les céréales répandues par la culture dans les par- ties septentrionales de la terre, embel- lissent peu laspect de la nature, l’ha- bitant des tropiques, au contraire, en établissant, multiplie, par Îles planta- tions de bananiers,. une des formes de DES VÉGÉTAUX. . 37 végétaux les plus nobles et les plus ma- gruifiques. La forme des malvacées'”7, telles que les sterculia , les hibiscus , les lavatera et les ochroma, présente des troncs assez courts, mais d'une grosseur monstrueuse : des feuilles lanugineuses, grandes, cor- diformes, souvent découpées; des fleurs superbes, et assez généralement d’un rouge pourpré. Cest à ce groupe de vé- gétaux qu'appartient le baobab ou pain de singe ( adansonia digitata ) , dont le tronc a douze pieds de haut et trente pieds de diamètre , et quiest probablement le plus grand et le plus ancien des monumens organiques de notre planète. Dès l'Italie , la forme des grandes malvacées commence a donner à la végétation un caractère propre aux contrées méridionales. 36 PHYSIONOMIE Notre zone tempérée est entièrement privée, dans l’ancien continent, de ces feuilles si délicatement pinnées, aux- quelles on reconnaît la forme des 7ni- mosa** ; tels sont le g/editsia , le porleria , lé tamarin. Cette belle forme ne marque pas aux Etats-Unis d'Amérique, où, à une latitude semblable , la végétation est plus variée et plus vigoureuse qu’en Eu- rope. Le déploiement des rameaux en pa- rasol, pareil à celui du pin pignon d'Italie, est assez général dans les z1mosa. Le bleu foncé du ciel de la zone torride, qu'on aperçoit à travers leur feuillage délicate- ment pinné, est d’un effet extrêmement pittoresque. Un groupe de végétaux qui appartient presque entièrement à l’Afrique , est celui des éricées !° ou bruyères , auquel se lient DES VÉGÉTAUX. 39 les passerina, les andromeda, le gnidium, le diosma, le staavia et les épacridees ; ia quelque ressemblance avec les arbres rési- neux, à feuillesacéreuses, etcontraste avec eux d'autant plus agréablement par labon- dance de ses fleurs en grelot. Les bruyères arborescentes atteignent, ainsi que d’au- tres végétaux africains , les rives du bas- sin de la mer Méditerranée. Elles parent l'Italie et les buissons de cistes de l’Espa- gne méridionale. Cest dans les iles d’A- frique, sur la pente du pic de Teyde que je les ai vues croitre avec le plus de force. Dans les contrées voisines de la mer Bal- tique et plus au nord , cette famille est re- doutée comme annonçant l’aridité et la stérilité. Les éricées de ces pays, la bruyère ordinaire et la bruyère tetralix, sont des plantes vivant en société. Depuis des siècles les peuples agriculteurs com- 40 PHYSIONOMIE battent avec peu de succès contre la mar- che progressive de leurs phalanges. Il est assez singulier que le genre qui a donné son nom à cette forme, ne se trouve que sur un des côtés de notre planète. Parmi les trois cents espèces de bruyère, connues jusqu’à présent, on n’en rencontre pas une seule dans le nouveau continent, depuis la Pennsylvanie et le Labrador jusqu’à N outka et Alachka. La forme des cactus”, au contraire, se montre presque exclusivement en Amé- rique. Elle est tantôt sphérique , tantôt articulée; tantôt elle s'élève comme des tuyaux d'orgues, en longues colonnes cannelées. Ce groupe forme, par son ex- térieur , le contraste le plus frappant avec celui des liliacées et des bananiers. IL fait partie des plantes que M. Bernardin de DES VÉGÉTAUX 41 Saint-Pierre a si heureusement nommées les sources végétales des déserts. Dans les plaines dénuées d’eau de l'Amérique du sud , les animaux tourmentés par la soif, cherchent le melocactus, végétal sphéri- que à moitié caché dans le sable, enve- loppé de piquans redoutables , et dont lin- térieur abonde en sucs rafraïchissans. Les tiges de cactus en colonnes parviennent jusqu’à trente pieds de hauteur et forment des espèces de candélabres ; leur physio- nomie a une ressemblance frappante avec celle de quelques euphorbes d'Afrique. Tandis que les euphorbes forment des oasis dispersées dans le désert privé de vé- gétation , les orchidées, sous la zone tor- ride ** animent les fentes des rochers les plus sauvages , et les troncs des arbres noircis par l'excès de la chaleur. La forme 42 PHYSIONOMIE des vanilles se fait remarquer par des feuilles d’un vert clair, remplies de suc, et par des fleurs de couleurs bariolées et d’une structure singulière. Ces fleurs res- semblent à un insecte ailé, ou à cet oiseau si petit qu'attire le parfum des nectaires. La vie d’un peintre ne sufhrait pas pour retracer toutes ces orchidées magnifiques qui ornent les vallées profondément sil- lonnées des Andes du Pérou. Les casuarinées** qu'on ne trouve que dans les Indes orientales et les îles du grand Océan, sont dénuées de feuilles, comme la plupart des cactus : ce sont des arbres dont les branches sont articulées comme celles des préles. Cependant on trouve dans d’autres parties du monde des traces de ce type, plus singulier qu'il n’est beau. L'equisetum altissimum de Plumier, DES VÉGÉTAUX. 45 lephedra du nord de l'Afrique , le co//etia du Pérou, et le ca/ligonum pallasia de Sibérie , approchent beaucoup de la forme des casuarinées. C'est dans les bananiers que le paren- chyme est le plus prolongé ; c’est au con- iraire dans les casuarinées et les arbres résineux ** quil est le plus rétréci. Les pins, les thuya, les cyprès appartiennent a une forme septentrionale qui est peu commune dans la zone torride. Leur ver- dure continuelle et toujours fraiche, égaie les paysages attristés par l’hiver , et an- nonce en même temps aux peuples voisins des pôles que , lors même que la neige et les frimas couvrent la terre, la vie inté- rieure des plantes, semblable au feu de Prométhée, ne s'éteint jamais sur notre planete. A4 PHYSIONOMIE Les mousses et Les lichens dans nos cli- mats, les aroïdes sous les tropiques *{ sont parasites , aussi bien que les orchidées, et revétissent les troncs des arbres vieillis- sans. Ils ont des tiges charnues et herba- cées, des feuilles sagittées, digitées ou alongées, maïs toujours avec des veines très grosses ; les fleurs sont renfermées dans des spathes. Les principaux genres sont , le pothos, le dracontium, Varum. Ce dernier manque dans le nord; mais en Espagne et en Italie, sa présence, celle des tussilages pleins de suc , des chardons presque arborescens et des acanthes, indi- quent la force de la végétation du midi. A cette forme des arum se joint celle des lianes ** ; toutes deux d’une vigueur remarquable dans les contrées les plus chaudes de l'Amérique méridionale. Telles a —— DES VÉGÉTAUX 45 sont les paullinia , les banisteria et les b1- gnonia. Notre houblon sarmenteux et nos vignes peuvent nous donner une idée de l'élégance des formes de ces groupes. Sur les bords de lOrénoque , les branches sans feuilles des bauhinia, ont souvent qua- rante pieds de long. Quelquefois elles tombent perpendiculairement de la cime élevée des acajous (swietenia); quelquefois elles sont tendues en diagonale d’un arbre à l’autre comme les cordages d’un navire. Les chats-tigres y grimpent et y descen:- dent avec une adresse admirable. La forme roide des aloës ** bleuatres, contraste avec la forme souple des lianes sarmenteuses d'un vert frais et léger. Leurs tiges, quand ils en ont, sont la plu- part sans divisions , à nœuds rapprochés, tordues sur elles-mêmes, comme des ser- 46 PHYSIONOMIE pens, et couronnées à leur sommet de feuilles succulentes, charnues , terminées par une longue pointe, et disposées en rayons serrés. Les aloès à tige haute ne forment pas des groupes comme les végé- taux qui aiment à vivre en société. Ils croissent isolés dans des plaines arides , et donnent par làaux régions équinoxiales un caractère particulier de mélancolie, j'ose- rais presque dire , africain. Une roideur et une immobilité triste, caractérisent la forme des aloës ; une lé- gèreté riante et une souplesse mobile, dis- tinguent les graminées *?7, et en particu- lier la physionomie de celles qui sont arborescentes. Les bosquets de bambous forment, dans les deux Indes, des allées ombragées. La tige lisse, souvent re- courbée et flottante , des graminées des DES VÉGÉTAUX. {7 tropiques , surpasse en hauteur celle de nos aulnes et de nos chênes. Dès l'Italie , cette forme commence dans larwndo donax à s'élever de terre , et à déterminer le caractère naturel du pays, par sa taille ef sa masse. La forme des fougères ** ne s’ennoblit pas moins que celle des graminées, dans les contrées chaudes de la terre; les fou- gères arborescentes, souvent hautes de trente-cinq pieds, ressemblent à des pal- miers , mais leur tronc est moins élancé , plus raccourci et très raboteux. Leur feuillage , plus délicat , d’une contexture plus lâche, est transparent , et légèrement dentelé sur les bords. Ces fougères gigan- tesques sont presque exclusivement indi- gènes de la zone torride ; mais elles y préfèrent à l'extrême chaleur un climat 48 PHYSIONOMIE moins ardent. L’abaissement de la tempé- rature étant une conséquence de léléva- tion du sol , on peut considérer comme le séjour principal de cette forme les mon- tagnes élevées de 2,000 à 3,000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Les fou- gères à hautes tiges accompagnent dans l'Amérique méridionale l'arbre bienfai- sant dont l'écorce guérit la fièvre. La présence de ces deux végétaux indique l’heureuse région où règne continuelle- ment la douceur du printemps. Je ne puis passer sous silence la forme des liliacées °° l'amaryllis, Vixia, le gla- diolus, le paneratium qui ont des feuilles comme celles des roseaux , et de si belles fleurs. Le pays où elle se déploie princi- palement , est le sud de l'Afrique ; je ci- terai la forme des saules * qui se trouve DES VÉGÉTAUX. 49 indigène dans toutes les parties du monde, et quand ces végétaux manquent , on la retrouve dans les mimosa de la Nouvelle- Hollande à feuilles simples, et dans quel- ques protées du Cap. On peut encore nom- mer les myrtées * auxquelles se joignent les metrosideros, les eucalyptus, et les escalonia ; enfin les melastomées ‘* et les laurinées ‘*. Ce serait une entreprise digne d’un grand artiste, d'étudier le caractère de tous ces différens groupes de végétaux, sous la zone torride même, et non dans les serres chaudes, ou dans les descrip- tions des botanistes. Qu'il serait intéressant et instructif pour le peintre de paysages , l'ouvrage qui représenterait les seize formes princi- IT. 4 50 PHYSIONOMIE pales de végétaux, d'abord isolées, puis en contraste les unes avec les autres. Quoi de plus pittoresque que les fougères arbo- rescentes, qui, au Mexique, étendent leurs feuilles d’un tissu léger, au-dessus des chênes à feuille de laurier? Quoi de plus charmant qu'un massif de bananiers ombragé par des bambous? Cest à l'ar- tiste qu'il appartient d’'anatomiser ces groupes eux-mêmes; sous Sa main, le grand tableau de la nature se décomposera en quelques traits simples; comme dans les écrits des hommes tous les mots se ré- solvent en un petit nombre de caractères simples. C'est sous lés rayons ardens du soleil de la zone torride que se déploient Îles formes les plus majestueuses des végétaux. De même que dans les frimas du nord ___—_ 224 DES VÉGÉTAUX. 51 l'écorce des arbres est couverte de lichens et de mousses, de même entre les tropi- ques le cymbidium et la vanille odorante animent le tronc de l’anacardium et du figuier gigantesque. La verdure fraiche des feuilles du pothos contraste avec les fleurs des orchidées, si variées en cou- leurs. Les Dauhimia et les grenadilles grimpantes, les banisteria aux fleurs d’un jaune doré, enlacent le tronc des arbres des forêts. Des fleurs délicates naissent des racines du #heobroma, ainsi que de l'écorce épaisse et rude du calebassier et du gs- tavia ‘4. Au milieu de cette abondance de fleurs et de fruits, au milieu de cette vé- gétation si riche et de cette confusion de plantes grimpantes, le naturaliste a sou- vent de la peine à reconnaître à quelle tige appartiennent les feuilles et les fleurs. Un seul arbre orné de paullinia , de bignonia 52 PHYSIONOMIE et de dendrobium, forme un groupe de végétaux, qui, séparés les uns des au- tres, couvriraient un espace considéra- ble **. Dans la zone torride les plantes sont plus abondantes en sucs, d’une verdure plus fraîche, et parées de feuilles plus grandes et plus brillantes que dans les climats du nord. Les végétaux qui vivent en société et qui rendent si monotone l’'as- pect des campagnes de l'Europe, man- quent presque entièrement dans les ré- gions équatoriales. Des arbres deux fois aussi élevés que nos chênes, s’y parent de fleurs aussi grandes et aussi belles que nos lys. Sur les bords ombragés du Rio Mag- dalèna, dans l'Amérique méridionale , croît une aristoloche grimpante dont les fleurs ont quatre pieds de circonférence. TE ee)" 2 DES VÉGÉTAUX. 53 Les enfans s'amusent à s'en couvrir la tête. Dans le grand archipel de l'Asie mé- ridionale , la fleur du Rafflesia a près de trois pieds de diamètre et pèse quatorze Livres ‘°. La hauteur prodigieuse à laquelle s’élè- vent sous les tropiques , non-seulement des montagnes isolées, mais même des con- trées entières , et la température froide de cette élévation, procurent aux habitans de la zone torride un coup d'œil extraordi- naire. Indépendamment des groupesde pal- miers et de bananiers, ils ont aussi autour d'eux des formes de végétaux qui semblent wappartenir qu'aux régions du nord. Des cyprès, des sapins et des chênes, des épi- nes-vinettes et des aulnes qui se rappro- chent beaucoup des nôtres, couvrent les cantons montueux du sud du Mexique, 54 PHYSIONOMIE ainsi que la chaine des Andes sous léqua- teur. Dans ces régions, la nature per- met à l’homme de voir , sans quitter le sol natal, toutes les formes de végétaux ré- pandues sur la surface de la terre; et la voûte du ciel qui se déploie d’un pôle à l’autre 7, ne lui cache aucun des mondes resplendissans. Ces jouissances naturelles et une infinité d’autres, manquent aux peuples du nord. Plusieurs constellations et plusieurs formes de végétaux, surtout les plus belles , celles des palmiers et des bananiers, les grami- nées arborescentes et les mimosa dont le feuillage est si finement découpé, leur res- tent inconnues pour toujours. Les indivi- dus languissans que renferment nos serres chaudes, ne peuvent donner qu’une faible image de la majesté de la végétation de la DES VÉGÉTAUX. 55 zone torride. Mais le perfectionnement de nos langues, la verve brûlante des poètes , et l'art imitateur des peintres nous ouvrent une source abondante de dédom- magemens. Notre imagination y puise les images vivantes d’une nature exotique. Sous le climat rigoureux du nord ;, au mi- lieu de la bruyère déserte, l’homme soli- taire peut s'approprier ce que l’on a décou- vert dans les régions les plus éloignées , et se créer ainsi dans son intérieur un monde, qui, ouvrage de son génie, est comme lui, libre et impérissable. . anpitago qstsn Mir jai 408% ba ouh Lusuregis sdb! “Mos snodé cs928b ot qo-edf ef obomoit -n098b & aol ou ps0 si rois Auag ani da: eprtoolé eséen es: Faro | «boue (5 RIDE PTE | Lui auuñ08 19.100 OP fn og MAR Fu ECLAIRCISSEMENS ADDITIONS. D # + "1: C2 ‘ . À à n L1 ’ à = 4 ve > », IN ABEIDAI BITES NO D © Fe +de ++ >) DD) Ce ÉCLAIRCISSEMENS ET ADDITIONS DD Eee : Sur le Chimborazo , près de deux fois plus élevé que l'Etna , p.4. Lorsque les tempêtes viennent de la terre, on rencontre sur mer, à de grandes dis- tances des côtes, de petits oiseaux et même des papillons, comme j'ai eu plusieurs fois l’occasion de l'observer sur le grand Océan. C'est de même contre leur gré que les insectes arrivent à 15,000 ou 18,000 6o PHYSIONOMIE pieds au-dessus des plaines , dans la région la plus élevée de l'air. L’enveloppe échauf- fée de la terre occasione un courant per- pendiculaire, par lequel les corps légers sont poussés en haut. M. Boussingault, ex- cellent chimiste , qui en qualité de profes- seur à l’école des mines, récemment fon- dée à Santa Fé de Bogota , a gravi sur les montagnes de gneiïss de Caracas, a été, ainsi que son compagnon don Marieno de Rivero, témoin dans son voyage au som- met de la Silla , d’un phénomène qui con- firme d’une manière remarquable l’exis- tence d’un courant perpendiculaire de l'air; il vit à midi des corps blanchâtres et lui- sans , qui de la vallée de Caracas s’élevè- rent jusqu'au sommet de la Silla , haut de 9,400 pieds, puis s’abaissèrent le long de ses flancs près de la côte maritime. Ce jeu dura sans interruption pendant une heure. É — DES VÉGÉTAUX. 61 Les deux observateurs crurent d'abord que les objets qu'ils apercevaient étaient des troupes de petits oiseaux ; ils se trom- paient, ils reconnurent bientôt que c’é- taient des petites balles de brins de paille qui s'étaient réunis. M. Boussingault m'a envoyé quelques-uns de ces brins de paille, que M. Kunth a jugé appartenir à une espèce de si/sa, genre de graminée qui se rencontre très fréquemment avec l’agrostis dans les provinces de Caracas et Cumana. Saussure trouva des papil- lons sur le Mont-Blanc. Ramond en aperçut dans les solitudes qui entourent la cime du Mont - Perdu. Le 23 juin 1802, jour où avec MM. Bonpland et Montufar , je par vins sur la pente orien- tale du Chimborazo à une hauteur de 3,016 toises, ou 5,879 mètres, hauteur à laquelle le baromètre descendit à treize 62 PHYSIONOMIE pouces onze lignes deux dixièmes de li- gne, nous vimes quelques insectes ailés qui bourdonnaïent autour de nous. Nous reconnümes que c'étaient des diptères ressemblant à des mouches. Mais sur une arrête de rocher (cuchilla) qui avait à peine six pouces de largeur, entre des amas escarpés de neige, il était impos- sible d’attraper ces insectes. L’élévation à laquelle nous les aperçûmes était à peu près celle où des rochers nus de trachyte , perçant des neiges éternelles, offraient à nos yeux la dernière trace de végétation, dans le /ecidea geogra- phica*. Ces insectes voltigeaient à envi- ron 2,850 toises de haut, c’est-à-dire * Le grand lichen des Alpes, ou Zichen geogra- phicus , n’est réellement qu’une variété du Zecidea atro-virens d'Âcharius. DES VÉGÉTAUX 63 à 2,400 pieds au-dessus de la cime du Mont-Blanc. Un peu plus bas, à 2,600 toises, par conséquent bien au-delà de la région des neiges, M. Bonpland avait vu des papillons jaunâtres voltiger terre à terre. D’après mes mesures, la hauteur per- pendiculaire du Chimborazo est de 3,350 toises*. Ce résultat tient le milieu entre ceux qu'ont donnés les académiciens fran- çais et espagnols. Cette diversité n’a point son principe dans la différence des mé- thodes employées pour apprécier l'effet de la réfraction, mais bien dans le mode de réduction des bases mesurées au niveau de la mer. * Recueil d'observations astronomiques, T.F,n- troduction , p. Ixxi. 64 PHYSIONOMIE Dans les Andes , cette réduction ne peut se faire que par le baromètre, par consé- quent chaque mesure trigonométrique en est en même temps une barométrique, dont le résultat est différent, d’après le terme primitif des formules employées. Dans les chaines de montagnes d’une di- mension énorme, on n'obtient que de très petits angles de hauteur , quand on veut déterminer trigonométriquement la plus grande partie de toute la hauteur, et qu'on établit la mesure sur un point bas et éloi- gné, soit dans la plaine ou au niveau de la mer. Dans les montagnes élevées, il nest pas seulement difficile de trouver une base commode, mais la partie de la hauteur à déterminer barométriquement croit à chaque pas que l’on fait en s’'appro- chant de la montagne. C'est de pareils obstacles que doit surmonter le voyageur, DES VÉGÉTAUX. 65 qui, dans les plaines élevées, dont le sommet des Andes est entouré, choisit le point où 1l doit faire ses opérations géodésiques. Je mesurai le Chimborazo dans la plaine de Tapia couverte de pierres ponces. Elle est à l’ouest du Rio-Chambo, et son élévation détermi- née par le baromètre est de 1,482 toi- ses. Les Ilanos de Luisa et surtout la plaine de Sisgun , élevée de 1,900 toises, donneraient de plus grands angles de hauteur. J’avais tout disposé dans cette dernière pour prendre les mesures, lors- que la cime du Chimborazo se voila d’un nuage épais. Le savant qui fait des recherches sur les langues verra peut-être avec plaisir quel- ques conjectures sur l’étymologie du nom de ce Chimborazo si célèbre. Le COrregi- II. 5 66 PHYSIONOMIE mento, ou district où se {rouve le Chimbo- razo, s'appelle Chimbo. La Condamine * dérive Chimbo de Chimpani, traverser une rivière. Suivant lui , Chimbo-Raço signifie la neige de l'autre bord, parce qu'au vil- lage de Chimbo , en vue de l'énorme mon- tagne couverte de neiges, On passe un ruisseau. Plusieurs naturels de la pro- vince de Quito n’ont assuré que Chim- borazo signifiait simplement la neige de Chimbo. On trouve la même terminaison dans Carguai-Razo. Mais fazo parait être un mot de dialecte provincial. Le jé- suite Holguin , dont je possède l'excellent dictionnaire de la /engua Qquichua Ô lengua general del Peru, imprimé à Lima , ne connaît nullement le mot razo. Le véritable nom de la neige est ribli. cos ufr SIL LES LIENS. * TJoyage à l’'Equateur , p: 164. DES VÉGÉTAUX. . 67 Peut-être razo ou rasso, a-t-1l quelque analogie avec casso glace, que l’on re- trouve dans le nom d’un lieu appelé Cas- samarca , limite de la glace * : racou dé- signe un objet très grand et très fort ; dans la langue ynca moderne, o et ow sont per- pétuellement confondus. Au reste, quelle que puisse être l’étymologie de Chimbo- razo , 1l faudrait , dans tous les cas, écrire Chimporazo, car , comme on le sait, les Péruviens ne connaissent pas la lettre 0. Mais le nom de cette montagne gigantes- que n'avait peut-être rien de commun _ avec la langue ynca, et tirait son origine de l'antiquité la plus reculée. En effet, la langue ynca ou quichua n'avait été intro- duite dans le royaume de Quito que peu * Garcilasso Astoria general del Peru, 1722 TE. I, p. 43. 68 PHYSIONOMIE de temps avant l'invasion des Espagnols ; la langue dominante auparavant était le pourouay, aujourd’hui entièrement éteint. D'autres noms de montagne , tels que Pi- chincha, Ilinissa et Cotopaxi, n’ont au- cune signification dans la langue nca, et sont par conséquent plus anciens que le culte du soleil et la langue de cour intro- duits par les dominateurs de Cuzco. Dans tous les pays du monde les noms de montagnes et de rivières appartiennent aux monumens les plus anciens et les plus certains des langues. Mon frère, Guil- lxume de Humboldt, a, dans ses recher- ches sur l’ancienneétendue des peuples Hbé- riques, fait un usage heureux de ces noms. Quand je revins d'Amérique en Europe, les sommets de Himalaya n'avaient été DES VÉGÉTAUX, Gg encore mesurés que très imparfaitement. Depuis cette époque, le Chimborazo a perdu le premier rang qu'il tenait alors parmi les montagnes. Des mesures exactes exécutées par des voyageurs anglais ont fait voir que le Djevahir ou Sourkandra a 4,026 toises de hauteur , et le Dhevalaghiri (Mont-Blanc) 4,390. Le Djevahir ( 30° 22/, 109/ lat. , 79° 57 long. à l’est de Greenwich } a été mesuré par Webb, Hodgson et Her- bert. Le Dhevalaghiri (30° 40/ lat., 82° 40’ long. à l’est de Greenwich }) la été par Webb et Blake, par une méthode moins rigoureuse, mais qui cependant inspire beaucoup de confiance *. Re TL mme, * Asiatick Researches, T. XIV, p. 311. 70 PHYSIONOMIE Si lon compare entre eux les plus bauts sommets des Pyrénées, des Al- pes, des Andes et de l'Himalaya, on trouve que la différence de hauteur est de 563 , 900 et 1040 toises. En plaçant le col du Saint-Gothard , ou le passage du mont Genis, sur la cime du Chimborazo, on obtient l'élévation qu'aujourd'hui on attribue généralement au Dhevalaghiri dans l'Himalaya. Le geognoste , qui s'élève à de hautes considérations sur l'intérieur du globe, regarde les côtes de rochers, que nous ap- pelons des montagnes , comme un phéno- mène si chétif et si petit, qu'il ne sera pas surpris si un jour on découvre entre l'Himalaya et l'Altaï d’autres cimes de montagnes, qui surpasseront, autant en élévation le Dhevalaghiri et le Djeva- DES VÉGÉTAUX. 71 hir, que ceux-ci surpassent le Chimbo-+ razo *. La grande hauteur à laquelle la ré- flexion de la chaleur des plaines, des montagnes de l'Asie intérieure élève en été, les limites des neiges sur la pente septentrionale de l'Himalaya, fait que malgré la latitude de ces contrées, qui est entre 29° et 30° degrés , les montagnes y sont aussi accessibles que les Andes du Pérou dans la région équinoxiale. Récem- ment le capitaine Gérard s’est élevé sur le Tatchigang aussi haut, et peut-être à 118 pieds anglais plus haut que je ne suis allé sur le Chimborazo, ainsi qu'on * Voyez mes 7’ues des cordillères et monumens des peuples indigènes de l Amérique , Tom. I], p. 276. 72 PHYSIONOMIE le prétend dans le livre intitulé Critica/ Besearches , où Philology and Geogra- plua , 1824 (p. 144). Malheureusement, ainsi que je lai exposé ailleurs dans le plus grand détail, ces voyages dans les montagnes au-delà de la limite des neiges perpétuelles, quoiqu’ils aient beaucoup d'attraits pour la curiosité publique, n’ont qu'une bien faible utilité pour les sciences. ? Le condor , ce géant des vautours, P- 5. J'ai donné ailleurs l’histoire naturelle du Condour ou Condor (Futur gryphus). Voyez mon Zecueil d'observations de zoologie et d'anatomie comparée , p. 62. Après le condor, le læmmergeier de la Suisse et le /a/co destructor de Daudin, A pe Le DES VÉGÉTAUX. 73 probablement le même que le /a/co har- pya de Linné, sont les plus gros oiseaux volans. La région que l’on peut regarder comi- me le séjour habituel de cet oiseau , com- mence à une hauteur égale à celle de VEtna, et comprend des couches d'air élevées de 1,600 à 3,000 toises au- dessus du niveau de la mer. Les plus grands individus que lon trouve dans la chaîne des Andes de Quito , ont quatorze pieds d'envergure, et les plus petits huit pieds seulement. D’après ces dimensions, et d’après langle visuel sous lequel cet oiseau paraissait quelquefois perpendicu- laiïrement au-dessus de nos têtes, on peut juger à quelle hauteur prodigieuse il sé- lève quand le ciel est serein. Vu, par exemple , sous un angle visuel de quatre T4 PHYSIONOMIE minutes, il devait être à un éloigne- ment perpendiculaire de 1,146 toises. La caverne (machay ) d’Antisana, située vis à vis la montagne de Chussulongo, et de laquelle nous mesurâmes loiseau planant, est élevée de 2,403 toises au- dessus du niveau du grand Océan. Ainsi la hauteur absolue que le condor attei- gnait , était de 3,639 toises; là, le baromètre se soutient à peine à douze pouces. Cest un phénomène physiolo- gique assez remarquable, que ce même oiseau qui, pendant des heures entiè- res, vole en tournant dans des régions où l'air est si raréfié, sabatte tout d’un coup jusqu'au bord de la mer, comme le long de la pente occiden- tale du volcan de Pichincha, et ainsi en peu d'instans parcourre en quelque sorte tous les climats. À une hauteur DES VÉGÉTAUX. 79 de 3,600 toises, les sacs aériens et mem- braneux du condor qui se sont remplis dans les régions plus basses , doivent s'enfler d’une manière extraordinaire. Il y a soixante ans qu'Ulloa expri- ma son étonnement de ce que le vautour des Andes pouvait voler à une hauteur où la pression de l’air n’était que de 14 pou- ces *. On croyait alors, d’après l’analogie des expériences faites avec la machine pneumatique, qu'aucun animal ne pou- vait vivre dans un milieu si rare. J’ai vu, comme je lai dit, le baromètre descendre sur lé Chünborazo à 13 pouces 11 lignes 2 dixièmes. Mon ami, M. Gay-Lussac, a respiré pendant un quart-d’heure dans un air dont la pression n’était que de 0/,5288, * Observations astronomiques faites par ordre du roi d'Espagne, P. 109. ne me geo se 76 | PHYSIONOMIE A de si grandes hauteurs, l’homme se irouve en général dans un état asthénique très pénible. Au contraire, chez le condor l'acte de la respiration paraït se faire avec une égale aisance , dans des milieux où la pression diffère de 12 à 28 pouces. De tous les êtres vivans , c’est sans doute celui qui peut à son gré s'éloigner le plus de la super- ficie de la terre. Je dis à son gré, parce que de petits insectes sontemportés encore plus haut par des courans ascendans. Probable- ment l’élévation que le condor atteint, est plus considérable que celle que nous avons trouvée par le calcul cité. Je me souviens que sur le Cotopaxi, dans la plaine de Suniguaicu , couverte de pierres ponces et élevée de 2,263 toises au-dessus du ni- veau de la mer, j'ai aperçu ce volatile à une hauteur telle, qu'il ne paraissait que comme un point noir. Quel est le plus DES VÉGÉTAUX. 77 petit angle * sous lequel on distingue des objets éclairés faiblement? L’affaiblisse- ment des rayons de la lumière , par leur passage à travers les couches de Pair , à une grande influence sur le minimum de cet angle. La transparence de l'air des montagnes est si considérable sous l’équa- teur, que dans la province de Quito, comme je l’ai montré ailleurs **, le poncho ou manteau blanc d’une personne à che- * Ilest probablement d’une minute. En 1806, on vit à Berlin, avec Pœil nu, un ballon aérosta- tique qui avait 4 toises de diamètre, s’abattre à une distance de 6,700 toises. Il était alors sous un angle visuel de 2 4”. Mais on laurait encore distingué à une distance plus considérable, malgré la constitution de notre atmosphère septentrio- nale. #* Dans mon Mémoire sur la diminution de La chaleur, et sur la limite inférieure de la neige perpétuelle. 75 PHYSIONOMIE val se distingue à l’œ1l nu à une distance horizontale de 14,022 toises, et par consé- quent sous un angle de 13 secondes. 5 Enchaine leurs corps se mouvant en tourbillons, p. 6. Fontana rapporte dans son excellent ou- vrage sur le venin de la vipère, tome 1°, page 62, qu'il a réussi à animer de nou- veau en deux heures, par le moyen d’une goutte d’eau, un rotifère desséché depuis deux ans, et qui était resté sans mouve- ment. Au sujet des effets de l’eau , voyez mes Essais sur lirritabilite des fibres ner- veuses et musculaires (en allemand), tom. IL, p. 250. # Les insectes ailés, p. 6. Jadis on attribuait presque uniquement au vent la fécondation des fleurs où les DES VÉGÉTAUX. 79 sexes sont séparés. Kohireuter et M. Spren- gel ont prouvé, avec une sagacité éton- nante , que les abeilles, les guêpes et un grand mombre de petits insectes ailés , jouaient le principal rôle dans cette opéra- tion. Je dis le rôle principal; car prétendre que la fécondation du germe ne peut abso- lument avoir lieu sans l'intermédiaire de ces petits animaux, ne me parait pas une assertion conforme au génie de la nature, ainsi que M. Wildenow l’a démontré d’une manière très détaillée *. Mais, d’un autre côté , il faut observer que la dichogamie, les taches colorées des pétales quiindiquent les vaisseaux où le miel est contenu , et la fécondation par le concours des insectes , sont trois circonstances presque insépa- rables. * Elémens de Botanique (en allemand), p. 405. 50 PHYSIONOMIE 5 Brillent comme des étoiles, p- 5. La lueur de l'Océan est un des plus beaux phénomènes naturels, qui excitent létonnement, quoique pendant des mois entiers on la voie renaïtre chaque nuit. La mer est phosphorescente sous toutes les zones; mais celui qui n’a pas été témoin de ce phénomène dans la zone torride, et surtout sur le grand Océan, ne peut se faire qu’une idée imparfaite de la majesté d’un si grand spectacle. Quand un vaisseau de guerre, poussé par un vent frais , fend les flots écumeux, et qu'on se tient près des haubans, on ne peut se rassasier du coup-d'œil que présente le choc des va- gues. Chaque fois que dans le mouvement du roulis le flanc du vaisseau sort hors de l’eau, des flammes rougeatres, sembla- DES VÉGÉTAUX. 81 bles à des éclairs, paraissent sortir de la quille et s’élancer vers la surface de la mer. Le Gentil* et Forster père** expliquaient l'apparition de ces flammes par le frotte- ment électrique de l’eau contre le corps du navire qui avançait. Mais d’après nos connaissances physiques actuelles, cette explication n’est pas admissibie. Il est peu de points d'histoire naturelle sur lesquels on ait autant et aussi long- temps disputé que sur la lueur de l’eau de la mer. Ce que l’on en sait de plus précis, se réduit aux faits suivans : 1l y a plu- sieurs mollusques luisans qui, pendant leur vie, répandent à leur gré une lu- * Voyage aux Indes, T. 1, p. 685-698. * Remarques faites dans un Voyage.autour du monde , 1783 (en allemand), p. 57. IE. 6 oO » PHYSIONOMIE mière phosphorique assez faible , et géné- ralement d’une couleur bleuatre ; c’est ce qu'on observe dans le nereis noctiluca , le medusa pelagica variété B * et le mono- phora noctiluca , découvert dans l’expédi- tion du capitaine Baudin **. De ce noin- bre sont aussi les animaux microscopiques qui, jusqu’à présent, n'ont pas été déter- mines , et que Forster vit nager en multi- tudes innombrables sur la mer, près du cap de Bonne-Espérance. La lueur de Peau de la mer est quelquefois occasionée par ces portes-lumières vivans; je dis quel- quefois, car le plus souvent, malgré tous les verres grossissans , on w’apercoit aucun animal dans l’eau lumineuse ; et cepen- * Forskol , Fauna ægyptiaco-arabica, p. 109. * Bory St.-Vincent, Voyage aux îles d'Afrique , T.i, p.107, pl. 6. DES VÉGÉTAUX. 83 dant, toutes les fois que la lame vient frapper un corps dur et se brise en écu- mant , partout où l’eau est fortement agi- tée, on voit briller une lumière sembla- ble à celle de léclair. Ce phénomène a probablement pour principe les fibrilles décomposées des mollusques morts qui sont en quantité infinie dans la profondeur des eaux : lorsque l’on fait passer cette eau lumineuse à travers un tissu serré, ces fibrilles en sont quelquefois détachées sous la forme de points lumineux. Quand nous nous baignions le soir , dans le golfe de Cariaco, près de Cumana, quelques parties de notre corps restaient lumineu- ses au sortir de l’eau. Les fibrilles lumi- neuses s’attachent à la peau. D’après l’im- mense quantité de mollusques dispersée dans toutes les mers de la zone torride, on ne doit pas s'étonner que l’eau de la 84 PHYSIONOMIE mer soit lumineuse , lors même qu'on n’en peut point détacher de matière organique. La division à l'infini de tous les corps morts des dagyses et des méduses peut faire considérer la mer entière comme un fluide gélatineux , et qui par conséquent est lumineux, à un goût nauséabonde , ne peut être bu par l’homme, mais est nour- rissant pour plusieurs poissons. Si lon a frotté une planche avec une partie du corps de la méduse hysocelle , l'endroit frotté redevient lumineux toutes les fois qu'on passe dessus le doigt bien sec. Du- rant ma traversée pour aller à l'Amérique du sud, je mettais quelquefois une mé- duse sur une assiette d’étain. Si je frap- pais l'assiette avec un autre métal, les moindres vibrations de l’étain suffisaient pour faire luire l’animal. Comment, dans ce cas, le choc et la vibration agissent- DES VÉGÉTAUX. 85 ils ? Elève-t-on instantanément la tempé- rature ? découvre-t-on de nouvelles sur- faces, ou bien le choc fait-il sortir le gaz hydrogène phosphoré, de sorte que se trouvant en contact avec l’oxigène de lat- mosphère ou de l’eau de la mer, 1l vienne à brûler ? Cet effet du choc qui excite la lumière est surtout étonnant dans une mer clapoteuse, lorsque les lames s’entrecho- quent en tous sens. Entre les tropiques, j'ai vu la mer lumineuse à toutes les tem- pératures; mais elle l'était davantage aux approches des tempêtes , ou lorsque le ciel était bas, nuageux et très couvert. Le froid et la chaleur paraissent avoir peu d'influence sur ce phénomène ; car sur le banc de Terre-Neuve , la phosphores- cence est souvent très forte dans le mo- went le plus rigoureux de l'hiver. Quel- quefois toutes les circonstances étant d’ail- 86 PHYSIONOMIE leurs égales, au moins en apparence, la phosphorescence est considérable , pen- dant une nuit, et la nuit suivante elle est presque nulle. L’atmosphère favorise-t-elle ce dégagement de lumière , cette combus- tion de l’hydrogène phosphoré? ou ces différences ne dépendent-elles que du ha- sard qui conduit le navigateur dans une mer plus ou moins remplie de gélatine de mollusques? Peut-être aussi les animal- cules luisans ne viennent-ils à la surface de la mer que lorsque l’atmosphère est dans un certain état ? M. Bory St.-Vincent demande avec raison pourquoi nos eaux douces marécageuses remplies de polypes ne sont pas lumineuses? Il paraïtrait en effet qu'il faut un mélange particulier de particules organiques pour favoriser ce dégagement de lumière ; aussi le bois du saule est-il plus fréquemment phospho- DES VÉGÉTAUX. 67 rescent que celui du chêne. En Angleterre on à réussi à rendre de l'eau salée lumi- neuse en y jetant de la saumure de ha- reng. On peut au reste se convaincre par les expériences galvaniques , que l’état lumineux des animaux vivans dépend d’une irritation des nerfs. Jai vu un e/a- ter noctilucus qui se mourait, répandre une forte lueur lorsque je touchais avec de l’étain et de l'argent ses extrémités an- térieures. Quelquefois aussi les médules répandent une lueur plus forte à l'instant où l’on termine la chaîne galvanique. (Humboldt. Relation historique , t. À, p. 76. 533.) 6 Vit dans les peumons du serpent à sonnelles des tropi- ques , p- 7: L'animal que j'ai nommé autrefois échy- norynchus , ou même porocephalus m'a 88 PHYSIONOMIE paru, après un examen plus exact , et sui- vant l'opinion raisonnée de M. Rudolphi *, appartenir à la division des pentistomes. IL habite les intestins et les vastes cellules pulmonaires du crotalus durissus , qu'on trouve quelquefois à Cumana , même dans l'intérieur des maisons, et qui attrape les souris. L’ascaride du lombric ** vit ordi- nairement sous la peau du ver de terre; c’est la plus petite espèce de ce genre. Le leucophra nodulata, où Yanimal perlé de Gleichen, a été observé par Müller dans l'intérieur du zais littoralis ***. Ilest yrai- semblable que ces êtres microscopiques RE ee RSA Re à * Rudolphi, Entozoorum Synoplis , p. 124-434. ‘* Goez, vers intestinaux (en allemand), par- üe IV, fig. 10. * Mulleri Zoologia Danica , T. XI, pl 80 , fig. a. —'e. DES VÉGÉTAUX. 89 servent à leur tour de demeure à d’autres. Tous sont entourés de couches d'air pres- que dépourvues d'oxigène , mais conte- nant des mélanges d'hydrogène et d'acide carbonique. Il est très douteux qu'un ani- mal vive dans l'azote pur; jadis on Île croyait du cistidicola farionis de Fischer , parce que, d’après les expériences de Four- croy, la vessie natatoire des poissons pa- raissait contenir un air entièrement dé- pouillé d’oxigène. Les expériences d’Er- man et les miennes prouvent que la vessie des poissons d’eau douce ne renferme pas d'azote pur *. Dans les poissons de mer on trouve jus- * Humboldt et Provençal sur la respiration des poissons , dans le Recueil d'observations de zoologie, T. Il, p. 194-216. RES 90 PHYSIONOMIE qu'à 0,80 d’oxigène ; et suivant M. Biot, la pureté de l'air dépend de la profondeur à laquelle les poissons vivent *. 7 Des Néréïdes réunies , p. 1x. Suivant Linné et Ellis, les zoophytes calcaires, tels que les tubipores, les mille- pores et les madrépores sont habités par des animalcules qui ont quelque affinité avec les néréides, les méduses , et les hydres; mais des recherches plus récentes ont fait voir que tous les coraux qui for- ment des rochers, autrement les lithophy- tes saxigènes des zoologistes français, et même le pavonia cariophyllea et le zulli pora de M. Lamarck , servent d'habitation * Mémoires de la Société d’Arcueil, T. X, p. 292— 281. DES VÉGÉTAUX. 91 à des mollusques gélatineux d’une espèce particulière , ou s’en trouvent entourés. Depuis le voyage de Cook, les observations de Forster ont fait naître l’idée aux géo- gnostes que plusieurs iles et des pays en- tiers devaient leur origine au corail pro- duit par ces animalcules. J'ai vu de ces îles de corail couvertes d’une végétation ché- tive, et je ne doute pas qu'une grande partie de celles du grand Océan, n'aient été formées de cette manière. Cependant il me parait qu’on a donné trop d'extension à cette hypothèse sur laquelle M. Adelbert de Chamisso, excellent observateur , a répandu un grand jour. Dans les Antilles, par exemple, des rochers calcaires de for- mation tertiaire , qui contiennent des ma- drépores et des tubipores pétrifiés , ont été pris pour des ouvrages récens des animal- cules du corail, uniquement parce qu'ils 92 PHYSIONOMIE se trouvent dansdes paragesoù l’on observe encore des vers semblables. Mais quand on pénètre dans l’intérieur des grandes Antilles, on rencontre des montagnes de formation primitive qui, à une grande hauteur , sont entourées de ces mêmes ro- ches à madrépores. Par conséquent ces rochers sont sortis du chaos du monde pri- mitif. Entre les tropiques, sur les rivages du golfe du Mexique, le voyageur court le risque de confondre avec d'anciens bancs de corail, des couches de calcaire tertiaire qui sont posées au-dessus de la craie, et remplies de pétrifications de corail. 8 Les traditions de la Samothrace , p. 16. Diodore nous a conservé cette tradi- dition mémorable dont la vraisemblance se change en certitude historique pour le DES VÉGÉTAUX. O9 géognoste. L'ile deSamothraceétait habitée par le reste d’un peuple primitif qui avait sa langue particulière , dont les mots fu- rent encore long -temps après en usage dans les cérémonies des sacrifices. La si- tuation de cette île proche des Dardanelles, fait concevoir aisément comment la tradi- tion plus circontanciée de la grande catas- trophe de lirruption des eaux s’y était pré- cisément conservée. Les Samothraciens racontaient que la mer Noire avait été un lac, qui, gonflé par l’amas des eaux qu'il recevait , s'était fait jour à travers le Bos- phore , puis à travers l’Hellespont, long- temps avant les inondations dont il est question chez les autres peuples *.M. Du- reau de la Malle, dans son ouvrage intitulé: * Diod. de Sicile, lb. V, chap. 47, p. 368, ed. de Wesseling. 94 PHYSIONOMIE Géographie physique de la mer Noire, de l’intérieur de l'Afrique et de la Méditer- ranée *, a réuni avec beaucoup de saga- cité, tout ce que l’on sait sur ces anciennes révolutions de la nature. Depuis il a paru, en allemand, deux ouvrages sur cette matière , lun de M. Hoff ** qui est vrai- ment classique, l'autre de M. Creuzer ***. 9 La précipitation des nuages , p. 19. Le courant d'air ascendant est une des causes principales des phénomènes météo- rologiques les plus importans. Quand une plaine sablonneuse dénuée de plantes est * Paris, 1807. ** Geschiehte der Naturalichen Verænderungen der Erdoberflæche (1822), T.T , p. 105—162. *** Symbolik, 2° édit. , T. I, p. 283, 315, 361. DES VÉGÉTAUX. 99 bornée par une chaïne de montagnes éle- vées, on voit le vent de mer pousser par dessus ce désert, des nuages épais qui ne se dissolvent que lorsqu'ils sont arrivés aux montagnes. Jadis on expliquait ce phénomène d’une manière peu exacte, en disant que les chaines de montagnes atti- raient les nuages. La véritable cause paraît en être dans cette colonne d’air chaud as- cendant qui s'élève de la surface de la plaine sablonneuse, et qui empêche les vapeurs de se dissoudre. Plus une surface est dépourvue de végétation, plus Le sable s'échauffe , plus les nuées s'élèvent, moins par conséquent la dissolution doit s’opérer. Toutes ces causes cessent d'agir sur le pen- chant des montagnes. Le jeu du courant d’air perpendiculaire y est plus faible. Les nuées s’abaissent et se résolvent en pluie dans les couches d’air plus fraiches. Ainsi , 90 PHYSIONOMIE le manque de pluie et le défaut de plantes réagissent réciproquement l’un sur autre. Il ne pleut pas parce que la surface sablon- neuse nue et privée de végétation, s’é- chauffe davantage , et réfléchit plus de chaleur ; et le désert ne devient pas une steppe ou une savane, parce que sans eau il ne peut y avoir de développement orga- nique. 10 La masse de la terre en se durcissant et dégageant de la chaleur, p. 22. Lorsque, suivant l'hypothèse des géog- nostesneptuniens, toutes Les roches primi- tives tenues en dissolution dans un fluide, se précipitèrent ; ce passage de l’enveloppe de la terre, d’un état fluide à un état so- lide, dut dégager une quantité énorme de calorique qui occasiona une nouvelle éva- DES VÉGÉTAUX. 97 poration et de nouveaux précipités. Ceux- ci durent se faire plus promptement , plus confusément et affecter des formes moins crystallines, à mesure qu’ils eurent lieu plus tard. Un pareil dégagement soudain de calorique, provenant de l'enveloppe de la terre, à mesure qu’elle se durcissait, in- dépendamment de la position de son axe et indépendamment de la hauteur du pôle, pour chaque point de la surface, pouvait oc- casioner une élévation de la température de l'atmosphère que plusieurs phénomènes géognostiques mystérieux , dans les roches à couches, semblent indiquer. J'ai déve- loppé en détail mes conjectures sur cet objet dans un petit mémoire sur la poro- sité primitive*. D’après ma nouvelle ma- * Voyez mon ouvrage sur l’atmosphère et le Journal minéralogique de M. Moll (en allemand). IE. 7 98 PHYSIONOMIE nière de voir, la terre dont la surface était oxidée a pu, dans les temps primi- tifs, par la communication de l'atmosphère avec son intérieur fortement ébranlé et en- tr'ouvert sur un grand nombre de points, se donner sa température, indépendam- ment de sa position relativement au soleil. Quelle influence n’exercerait pas sur le climat de la France durant des siècles, une fente ouverte, profonde de 2,000 to1- ses, qui s’étendrait des rives de la Méditer- ranée jusqu'aux côtes du Nord? 11 Celles de la partie la plus méridionale du Mexique , p. 22. La roche conique de diabase à couches concentriques observée dans les mouta- gnes de Guanaxuato, est entièrement sem- blable à celle du Fichtelberg en Franconie. Toutes deux forment des masses d'un as- DES VÉGÉTAUX 09 pect bizarres posées , sur des roches pri- mitives. De même la pierre perlée , le schiste phonolitique, le trachyte et le por- phyre à base de résinite présentent la même forme dans les royaumes de la Nou- velle-Espagne près de Cinapecuaro et de Moran, en Hongrie, en Bohême, et dans le nord de l'Asie. 1* Le dragonier d’Orotawa, p. 26. Cet arbre gigantesque (dracæna draco) est aujourd’hui dans le jardin de M. Fran- ch1, dans la petite ville d'Orotawa, appelée jadis Taoro , l’un des endroits les plus dé- licieux du monde cultivé. En juin 1799, lorsque nous gravimes le pic de Ténériffe, nous trouvâmes que ce végétal énorme avait quarante-cinq pieds de circonférence un peu au-dessus de la racine. Sir G. Staun- 100 PHYSIONOMIE ion prétend qu’à dix pieds de hauteur, 1l a douze pieds de diamètre. La tradition rap- porte que ce dragonier était révéré par les Guanches , comme l’orme d’Ephèse par les Grecs; et qu'en 1402, époque de la pre- mière expédition de Bethencourt, il était aussi gros et aussi creux qu'aujourd'hui. En se rappelant que le dragonier a partout une croissance très lente, on peut conclure que celui d’Orotava est extrêmement âgé. Cest sans contredit, avec le baobab, un des plus anciens habitans de notre planète. Il est singulier que le dragonier ait été cultivé depuis les temps les plus reculés dans les îles Canaries , dans celles de Madère et de Porto-Santo, quoiqu'il vienne originaire- ment des Indes. Ce fait contredit l’asser- tion de ceux qui représentent les Guanches comme une race d'hommes atlantes, en- tièrement isolée et n’ayant aucune relation DES VÉGÉTAUX. 101 avec les autres peuples de l'Asie et de l’A- frique. La forme des dragoniers est répé- tée à la pointe méridionale de l'Afrique , dans l’île Bourbon , en Chine et à la Nou- velle-Zélande. Dans ces contrées si dis- tantes, on trouve des espèces de cette famille , mais on n’en voit aucune dans le nouveau continent, où cette forme est remplacée par l’yucca; car le dracæna borealis d’Aiïton est un véritable conval- laria, et il a entièrement le port de ce der- nier genre. (Humboldt , Relation histo- rique, T. 1, p. 118. 630.) 15 Les différentes espèces de plantes qui sont déja connues, p.27e Il y a trois questions qu’il faut séparer avec soin : 1° Combien d’espèces de plan- tes a-t-on déja décrites dans les ouvrages imprimés? 2° Combien y en a-t-il de dé- 102 PHYSIONOMIE couvertes? 3° Combien peut-on supposer qu'il en existe sur la terre? L'édition du Système des Végétaux de Linné, mise au jour par Murray, n’en contient, avec les cryptogames, que 10,042 espèces. Wil- denow , dans son excellente édition du Species Plantarum , publiée de 1797 à 1807, en a déja décrit 17,457 espèces dans les vingt-trois premières classes , qui com- prennent seulement les phanérogames ou plantes dont les parties de la fructification sont visibles à l’œil nu. Si l’on ajoute à ce nombre celui de 3,000 espèces cryptoga- mes , le total sera de 20,000. De nouvelles recherches ont montré combien ces esti- mations des plantes, décrites et conservées dans les herbiers, étaient restées au -des- sous de la vérité. Robert Brown, dans ses General Remarks on the Botany of Terra australis (p. 4), compta plus de 37,000 Bo: - DES VÉGÉTAUX 103 phanérogames. J'ai rendu très vraisem- blable l'opinion qu'il existe 44,000 plantes, tant phanérogames que cryptogames, dans les diverses contrées déja visitées *. Le ca- talogue des phanérogames décrites, donné par Steudel, comprend 39,684 espèces. Après avoir comparé son Système univer- sel des égétaux, en douze familles, avec l'Enchiridium de Persoon , M. Decandolle pense que l’on trouverait au-delà de 56,000 espèces de plantes**.Quand on fait réflexion que dans tous les jardins botaniques réunis on cultive certainement plus de 16,000 pha- nérogames, on est porté à regarder même le calcul de M. Decandolle comme trop * Humboldt, de Distributione Geographica Plantarum ; p. 23. ** Essai élémentaire de Géographie Botanique, p. 62. 104 PHYSIONOMIE faible. En effet , si l’on considère que nous ne connaissons pas , dans l'Amérique du sud, la province de Montogrosso au Bré- sil, le Paraguay, Buenos-Ayres, le ver- sant oriental des Andes, Santa-Cruz de la Sierra , et toute la contrée comprise entre l’Orénoque , le Rio-Negro , le fleuve des Amazones et Puruz ; dans le centre et dans l’est de l'Asie, le Tibet, la Boukharie , la Chine et Malacca ; que nous savons à peine quelque chose de l'Afrique, de Madagas- car, de Borneo et des îles voisines, enfin de la Nouvelle-Hollande, on est involon- tairement porté à croire que nous ne con- naissons pas encore le tiers, ni même pro- bablement le cinquième des plantes qui existent sur la terre. Qu'on fasse seule- ment attention aux nouveaux genres, qui, la plupart, sont de grands arbres, et qu'on a découverts depuis 300 ans près des gran- DES VÉGÉTAUX. 105 des villes de commerce dans les petites Antilles, fréquentées par les Européens. Ces considérations trouvent en quelque sorte leur confirmation dans l’ancien my- the du Zend-Avesta, « comme si la force « créatrice primitive avait tiré 120,000 « formes de plantes du sang du taureau « sacré. » 14 La hauteur de l'océan aérien et sa pression n'ont-elles pas toujours été les mêmes ? p.22. La pression de l'atmosphère a une in- fluence frappante sur la configuration et la vie des végétaux. Chez eux, la vie, comme chez les lithophytes qui envelop- pent des pierres mortes , se porte au-de- hors. Les végétaux vivent principalement par leur surface ; de là leur grande dépen- dance du milieu qui les entoure. Les ani- 106 PHYSIONOMIE maux obéissent plutôt à des stimulus inté- rieurs, et se donnent la température qui leur convient. La respiration par l’épi- derme est la plus importante fonction vi- tale des plantes , et cette fonction , en tant qu'elle sert à évaporer et à secréter des fluides, dépend de la pression de l’atmos- phère. Cest pourquoi les plantes des Alpes sont très aromatiques, très garnies de poils et couvertes de nombreux vaisseaux se- crétoires ; car, d’après les expériences zoo- nomiques , les organes sont d'autant plus multipliés et plus parfaits, qu'ils peuvent plus aisément remplir leurs fonctions ; c’est ce que j'ai développé dans mes Recherches sur L’Irritation des Muscles, tom. IL. Aussi les plantes des Alpes croissent-elles avec difficulté dans les plaines où leur respi- ration par l’épiderme est dérangée, parce que la pression de l’air y est plus forte. DES VÉGÉTAUX. 107 On ne sait si l'océan aérien qui entoure notre planète a toujours exercé la même pression. Nous ne savons même pas si de- puis cent ans, la hauteur moyenne du ba- romètre a toujous été la même dans le même endroit. Les expériences de Poleni et de Toaldo donneraient sujet de penser que cette pression éprouve des change- mens. On a long-temps révoqué en doute la justesse de ces observations ; mais les recherches récentes de l’astronome Carlini ont démontré que la hauteur moyenne du baromètre décroit à Milan. 15 Les palmiers, p. 35. Je vais insérer ici des remarques que j'écrivais en mars 1801, à bord du navire qui nous transporta de l'embouchure du Rio-Sinu à Carthagena de Yndias. Nous 108 PHYSIONOMIE venions de quitter cette contrée si féconde en palmiers. « Depuis deux ans, nous avons vu dans l'Amérique du sud plus de 27 espèces différentes de palmiers. Quelle quantité Thunberg, Banks, Solander , les deux Forster, Adanson, Sonnerat, Jacquin et Kœnig n’en auront-ils pas observé dans leurs voyages lointains ! Cependant nos systèmes botaniques connaissent à peine quatorze ou dix-huit genres de palmiers , décrits complètement. La difficulté est ici beaucoup plus grande qu’on ne pour- rait l’imaginer. Nous nous en sommes aperçus d'autant plus aisément, que nous avons dirigé principalement notre atten- tion sur les palmiers, les graminées , les scitaminées et les autres familles les plus négligées. Les premiers ne fleurissent DES VÉGÉTAUX. 109 qu'une fois l’an, et près de l'équateur , dans les mois de janvier et de février. Tous les voyageurs ont-ils la possibilité de se trouver précisément à cette époque dans les contrées où les palmiers sont com- muns ? Dans quelques espèces, la durée de la floraison est limitée à un si petit nom- bre de jours, que l’on arrive presque tou- jours trop tard, et que l’on voit les pal- miers avec leur germe gonflé , mais sans fleurs males. Dans des espaces de 2000 lieues carrées , on ne trouve souvent que trois à quatre espèces de palmiers. Qui peut, à l’époque de la floraison , se trou- ver à la fois dans tous les cantons où ils abondent , dans les missions du Rio-Ca- rony , et dans les morichalès* , à l’em- * Dans l’Amérique du Sud, on appelle moricha- lés un lieu humide , garni de groupe de mauritia. RE M NN I RE RE 110 PHYSIONOMIE bouchure de lOrénoque , dans la vallée de Caura et d’'Erevato , sur les bords de l’Atabapo et du Rio-Negro, ou sur les flancs du Duida. Ajoutez la difficulté de pouvoir atteindre aux fleurs de pal- mier , lorsque dans des forêts épaisses ou sur les bords fangeux des rivières, comme sur ceux du Temi et du Tuamini * , on les voit pendre de soixante pieds de hau- teur , et que le tronc de l'arbre est armé d’aiguillons redoutables. L’Européen , qui se prépare à faire un voyage pour étu- dier l’histoire naturelle, se fait des 1llu- sions sur des instrumens tranchans et re- courbés, qui, fixés à lextrémité d’une perche , abaitent tout ce qui fait obstacle; * Deux petites rivières qui se jettent dans lAta- bapo , et par lesquelles on va de l'Orénoque aux missions de Rio-Negro. DES VÉGÉTAUX. 111 ou simagine que des nègres, les deux pieds fixés par une corde, pourront grim- per aux arbres les plus élevés. Malheu- reusement toutes ces espérances sont dé- çues. Dans la Guyane, on se trouve au milieu d'hommes que leur pauvreté rend si riches et si au-dessus de tous les be- soins , que ni argent, ni offre de présens ne peut les engager à s’écarter de trois pas de leur chemin. Cette apathie in- domptable des naturels irrite d'autant plus les Européens , qu'on les voit gravir avec une légèreté incroyable partout où les pousse leur penchant ; par exemple, pour saisir un singe qui, blessé d’une flèche, se soutient encore par lextrémité de sa queue roulée autour d’une branche. Nous vimes au mois de janvier, dans les pro- menades publiques, près de la Havane, et dans les campagnes voisines , toutes 122 PHYSIONOMIE les cimes du palmier, appelé palma-réal, couvertes de fleurs blanches comme la neige. Plusieurs jours de suite nous of- frimes , à tous les petits nègres que nous rencontrions dans les rues de Regla ou de Guanavacoa , deux piastres pour chaque rameau de fleurs males qu'ils nous rap- porteraient ; ce fut en vain. Sous les tro- piques, un hommelibre se soustrait à toute espèce d'ouvrage pénible, à moins qu'il ne soit réduit à l'extrême nécessité. Les botanistes et les peintres de la commission royale d'histoire naturelle du comte de Monpox, MM. Estevez, Boldo, Guio et Echeviria, nous ont avoué que durant plusieurs années il leur avait été impos- sible d'examiner ces fleurs, n'ayant pu y atteindre. Quand on aura bien pésé ces dif- ficultés , on comprendra aisément ce qui m'aurait toujours -paru incompréhensible DES VÉGÉTAUX. 113 en Europe, comment, dans l’espace de deux ans, nous n'avons pu décrire systématique- ment que douze espèces de palmiers. Qu'il serait intéressant l'ouvrage qu'un bota- niste publierait sur ces végétaux, si, pen- dant son séjour dans l'Amérique du sud, il s'occupait exclusivement de leur étude, et représentait le spathe, le spadix, les parties de la fructification et les fruits dans leur grandeur naturelle ! Les feuilles, il est vrai , affectent en général une forme assez constante; elles sont ou pinnées (pinnata) , ou en éventail ( palmato-digi- tata); le pétiole est tantôt sans piquans, tantôt épineux et dentelé en scie. La fi- gure des feuilles du caryota urens est presque unique parmi les palnniers, comme celle des feuilles du gingko biloba l’est par- mi les autres arbres. Le port et la physio- nomie des paliers offrent un grand ca- IL. 8 114 PHYSIONOMIE ractère très difficile à exprimer par le lan- gage. La tige est tantôt diflorme et très épaisse (corozo del sinu) , tantôt elle est faible et n’a que la consistance du ro- seau (piritu) ; ou bien elle est renflée par le bas ( cocos ), ou lisse , ou écailleuse ( palma de Covija o de Sombrero dans les Ulanos ), ou garnie de piquans (corozo de Cumana ). Des différences caractéristiques sont placées dans les racines qui, très saillantes hors de terre comme dans le figuier, élèvent la tige sur une espèce d’é- chafaudage, ou l'entourent en bourrelets multipliés. Quelquefois la tige est renflée dans le milieu, et plus mince en dessus et en dessous, comme dans le palma-réal de l’île de Cuba. Les feuilles sont d’un vert foncé luisant ( Mauritia, Cocos), où d’un blanc argenté en dessous ; par exemple, dans le miraguama ou palmier en éven- DES VÉGÉTAUX. 115 tail si grêle, que nous trouvames, près de Puerto de la Trinidad de Cuba. Quel- quefois, le milieu de la feuille en éventail est orné de raies concentriques jaunes et bleuâtres, disposées comme les yeux de la queue d’un paon. Cest ce qu’on voit dans le mauritia épineux , que M. Bon- pland a découvert sur les bords du Rio- Atabapo. «Un caractère non moins important est la direction des feuilles. Les folioles sont ou placées comme les dents d’un peigne, très serrées les unes contre les autres et couvertes d'un parenchyme très roide ; c'est ainsi qu’elles sont dans le cocotier et le dattier, et c’est ce qui produit ces beaux reflets de lumière sur la surface supérieure des feuilles, qui est d’un vert plus frais dans le cocotier , plus mat et comme cen- 116 PHYSIONOMIE dré dans le dattier; ou bien le feuillage ressemble à celui des roseaux par son tissu composé de fibres minces et souples, et se recourbant sur lui-même. (/agwa ; palma-real del Sinu, palma-real de Cuba. piritu del Orinoco. ) Dans les palmiers, cest non-seulement la tige élancée qui a de la majesté , mais encore la direction des feuilles. Plus elles sont redressées, plus Vangle intérieur qw’elles forment par le bas avec l'extrémité supérieure du tronc est aigu, plus la figure de l'arbre a un ca- ractère imposant. Quelle différence d’as- pect entre les feuilles pendantes du palma de Covija de l'Orénoque, même entre celles du dattier et du cocotier, et entre les branches du jagua et du pirijao qui pointent vers le ciel! La nature a prodi- oué toutes les beautés de formes au pal- mier jagua qui couronne les rochers gra- DES VÉGÉTAUX. 117 nitiques des cataractes d’Aturès et de Ma y- purès. Leurs tiges élancées et lisses at- teignent une hauteur de soixante à soixante -dix pieds , de sorte que, sui- vant l’expression de M. Bernardin de Saint - Pierre , elles s'élèvent en portique au-dessus des forêts. Gette cime aérienne contraste d’une manière surprenante avec le feuillage épais des ceiba, avec les fo- rêts de laurinées , de calophyllum et d’amyris qui l'entourent. Les feuilles peu nombreuses de ces palmiers (quel- ques-uns n’en ont que sept à huit) ont quatorze à seize pieds de longueur, et s’é- lèvent presque verticalement ; leurs ex- trémités sont frisées en panache, couver- tes d’un parenchyme mince et herbacé ; les folioles légères et aériennes voltigent autour des pétioles qui se balancent len- tement. 118 PHYSIONOMIE « Cest au-dessous de la naissance des feuilles que, dans tous Les palmiers , les parties de la fructification naissent de la tige. La manière dont elles paraïssent mo- difie aussi la forme de ces arbres. Dans un petit nombre , le spathe est perpendicu- laire , et les fruits redressés sont disposés en une espèce de thyrse ressemblant au fruit des ananas; tel est Le corozo du Sinu. Dans la plupart, les spathes , tantôt lisses, tantôt très rudes, sont pendans ; dans quel- ques-uns , la fleur mâle est d’un blanc éblouissant (palma-réal de la Havana). Le spadix développé brille au loin; mais la plus grande partie des fleurs mâles sont jaunatres , très serrées les unes contre les autres, et presques flasques , lorsqu'elles se dégagent du spathe. Dans les palmiers à feuilles pinnées, les pétioles sortent de la partie sèche, rude et ligneuse du tronc DES VÉGÉTAUX. 119 (comme dans le cocotier , le dattier et le palma-real del Sinu}, ou bien celui-ci porte une espèce de tige lisse, mince et d'un vert tendre, qui donne naissance aux feuilles ( palma-real de la Ha- vana ). Dans les palmiers à feuilles pal- mées, le feuillage touffu est souvent posé sur une couche de feuilles desséchées , ce qui donne à ces végétaux un caractère mé- lancolique (moriche, palma de Sombrero de la Havana.) Dans quelques palmiers en forme de parasol, le feuillage ne con- siste qu’en quelques feuilles peu nombreu- ses qui s'élèvent à l'extrémité des pétioles grêles ( miraguama ). La conformation et la couleur des fruits offrent plus de di- versité qu'on ne le croit en Europe. Le mauritia porte des fruits oviformes, dont l'enveloppe écailleuse , brune et lisse leur donne de la ressemblance avec les jeunes 120 PHYSIONOMIE pommes de pin. Quelle différence entre l’é- norme coco triangulaire , la datte, et le petit fruit dur du corozo! Maïs aucun fruit de palmier n’égale en beauté celui du pi- rija de San-Fernando de Atabapo et de San-Baltazar. Il est ovale et, comme les pêches , coloré, moitié en jaune doré, moitié enrouge foncé; on voit des grappes de ces fruits pendre du haut de la tige d’un palmier majestueux. » Trois formes d’une beauté remarqua- ble sont propres aux pays de la zone tor- ride , dans toutes les parties du monde : les palmiers , les bananiers et les fougères arborescentes. C'est lorsque la chaleur et l'humidité agissent en même temps, que la végétation est la plus vigoureuse , et que les formes sont les plus variées. C'est. pourquoi l'Amérique du sud est la patrie DES VÉGÉTAUX. 121 des plus beaux palmiers. En Asie, cette forme est plus rare, parce que la partie de ce continent qui était sous l'équateur , paraît avoir péri dans les anciennes révo- lutions de notre planète. Nous ne savons rien des palmiers d'Afrique depuis la baie de Benin jusqu’à la côte d’Ajan. En géné- ral nous ne connaissons qu’un très petit nombre de palmiers de cette partie du monde. Parmi ces végétaux , les daïtiers, les mauritia et le palmite croissent en société ; les cocos de Guinée, le martinezia et l'iriartea vivent solitaires. Les palmiers fournissent les exemples de la plus grande hauteur à laquelle par- viennent les végétaux. Le palmier à cire, que nous avons découvert sur les Andes, dans la montagne de Quindiu entre Ibaguë et Carthago, atteint la hauteur énorme de 122 PHYSIONOMIE 160 à 180 pieds. Les troncs gigantesques d’eucalyptus , que M. la Billardière a me- surés, dans l’île de Van - Diemen , n’ont que 150 pieds de haut. Ordinairement les palmiers cessent, sur la pente des An- des, entre 600 et 700 toises d’élévation. Cependant un petit groupe de palmiers alpins (les Kunthia montana , Oreodoxa frigida et ceroxylon andicola) , monte jus- qu'à 1,500 toises. ( Voyez Plantes équi- noxiales, 1* fascicule, p. 5 ; Humboldt, de Distributione geographica plantarum , p- 216-240 , où je donne la liste de 137 espèces de palmiers). Les quarante - cinq espèces, que M. Bonpland et moi nous avons vues, ont été prodigieusement aug- mentées par deux voyageurs, MM. Mar- tius et Spix. DES VÉGÉTAUX. 123 1 Dès l'enfance de sa civilisation , p. 36. On trouve, dans tous les pays de la zone torride, la culture du bananier éta - blie depuis les temps les plus anciens, dont parlent les traditions et les histoires. Il est certain que les esclaves africains ont porté en Amérique quelques varié- tés de la banane, et il ne l’est pas moins qu'elle était cultivée dans le Nouveau- Monde, avant l’arrivée de Colomb. A Cumana, les Indiens Guaikeri nous ont raconté que sur la côte de Paria, près du golfe Triste , lorsqu'on laissait mürir le fruit du bananier , il portait quelquefois des semences qui germaient. C’est pour- quoi, nous dirent-ils, on trouve dans l’é- paisseur des forêts de Paria, des banamiers sauvages, provenus de semences müres cn ge res 124 PHYSIONOMIE que les oiseaux y ont répandues. Dans la province de Cumana aussi, on a quelquefois trouvé dans les bananes des semences bien formées. — Voyez mon Essai sur la géo- graphie des Plantes, p. 20, et Relation his- torique, T. 1, p. 104; T. IL, p. 355-357. 17 La forme des malvacées , p. 37. Adanson exprime sa surprise de ce qu'aucun des anciens voyageurs n’a fait mention du gigantesque baobab. Cepen- dant Aloysio Cadamosto a parlé, dès 1445, du grand âge de ces arbres, dont la hau- teur, dit-il, n’est pas en proportion avec la grosseur. « Quarum eminentia altitu- dinis non quadrat magnitudini * ». Adan- * Cadamusti navigatio, ch. 43. Bowdich, On Madeira, p. 92. DES VÉGÉTAUX 125 son à trouvé des boabab , dont le tronc était haut de 10 à 12 pieds, et qui avaient 77 pieds de circonférence. Leurs racines étaient longues de 110 pieds. D’autres écrivains parlent encore de dimensions plus grandes. Sir Georges Staunton a vu aussi des baobab aux îles du Cap - Vert; leur circonférence était de 56 pieds. Il faut se rappeler que le baobab , ainsi que la famille du bombax et de l'ockroma, croit beaucoup plus promptement que le dragonier ; la végétation de celui-ci est tres lente. Les platanes que M. Michaux a trouvés près de Marietta sur les rives de l'Ohio , ont à peu près le même diamè- tre que le célèbre dragonier d’Orotava *, A 20 pieds d'élévation , leur tronc a 47 * Voyage à l’ouest des monts Alléghanys. Paris, 1804, p. 93. 126 PHYSIONOMIE pieds de circonférence. Mais probablement ces platanes sont parvenus à cette grosseur en dix fois moins de temps qu'il en aurait fallu au dragonier pour y atteindre *. Les végétaux qui, dans toutes les par- ties du monde, acquièrent la dimension la plus grande, sont l'if, le châtaignier, plu- sieurs espèces de bamboux, les mimosa, les cæsalpinia, les figuiers, les acajous, les courbarils , Le cyprès à feuilles d’acacia et le platane occidental. Voyez le troi- sième chapitre de la deuxième partie de mon Voyage aux pays du Tropique. Dans l’île de Cuba, on a vu de superbes plan- ches d’acajou de 35 pieds de long et de 9 pieds de large.’ | * Kanth, Malvaceæ et Butteriaceæ (1822). DES VÉGÉTAUX. 12 SI 18 La forme des mimosa , p. 38. Les feuilles finement pinnées des 7n1- mosa , des acacia , des desmanthus et des schrankia, sont une forme que les végé- taux affectent particulièrement entre les tropiques. Cependant on trouve ailleurs que dans la zone torride quelques repré- sentans de cette forme. Dans l'hémisphère septentrional de l’ancien continent, ce n’est qu’en Asie que j'en puis indiquer un seul ; c’est un petit arbuste, décrit par M. Marschal de Biberstein, sous le nom d’acacia stephaniana. D'après les recher- ches récentes de M. Kunth, c’est une es- pèce du genre prosopis. Cette plante, qui vit en société, couvre les plaines arides de la province de Chirvan, le long du Kour ( Cyrus), près du nouveau Cha- 128 PHYSIONOMIE makie , jusqu’à l’Arass (/raxes). Olivier l'a rencontré près de Bagdad. Get acacia à feuilles bipinnées , dont Buxbaum a fait mention, croit dans le nord jusque sous le 42° parallèle *. En Afrique , le sommier (acacia gummifera ) remonte jusqu'à Mogador, c’est-à-dire jusqu’au 32° parallèle nord. Au Japon, lacacia nemu couvre les environs de Nangasaki. Dans le Nouveau-Continent, l’acacia glandulosa, de M. Michaux, et l’acacia brachyloba , de Wildenow, ornent les rives du Missis- sipi et du Ténessée , ainsi que les savanes des Illinois. M. Michaux vit le schrankia uncinata , depuis la Floride jusqu’en Vir- ginie, c’est-à-dire jusqu’au 37° degré de * Tableau des Provinces situées sur la côte acci- dentale de la nier Caspienne, entre les fleuves Terek et Kour, 1798, p. 98, 120. DES VÉGÉTAUX. 129 latitude boréale. Suivant Barton, le g/e- ditsia triacanthos se trouve à l’est des monts Alléghanys jusqu’au 38° parallèle, et à l’ouest jusqu’au 41°. Le gleditsia mono- sperma cesse à deux degrés plus au sud. Voilà la limite où s'arrête la forme des mimosa dans la partie septentrionale du globe ; quant à la partie méridionale, nous trouvons au-delà du tropique du capri- corne , des acacia à feuilles simples jusque dans l'ile Van-Diemen ; et même le 7n1- mosa caven de Molina , assez imparfaite- ment décrit, croit au Chili, entre les 24° et 37° parallèles sud *. L'espèce de mimosa qui a les feuilles le plus finement décou- pées , est l’acacia microphylla indigène de la province de Caracas. Jusqu'à présent * Molina, Histoire naturelle du Chili, pag. 148. EL. (CO 130 PHYSIONOMIE aucun mimosa véritable, en prenant ce nom dans le sens déterminé par Wilde- now, ni aucun £2ga , n'ont été découverts dans les zones tempérées. Parmi les acacia, le julibrisin qui est indigène du levant, et que Forscol a confondu avec le r1imosa arborea, supporte le plus grand degré de froid. À Padoue, où le terme moyen de chaleur est au-dessous de 11 dégrés, R, on voit en plein air, dans le jardin botanique, un arbre de cette espèce qui est d’une gros- seur et d’une hauteur considérables. 19 Les éricées, p. 38. Dans la partie orientale du nord de l'Asie , les plantes éricées commencent à n'être plus si communes qu'en Europe. Selon Pallas, on ne trouve en Sibérie que dix espèces d’andromeda , et aucune autre DES VÉGÉTAUX. 131 bruyère que lerica vulgaris, « qui, dit- «il, devient sensiblement plus rare au- « delà des monts Ural, se voit à peine « dans les campagnes d’Isète, et manque « entièrement dans la Sibérie ultérieure. » Que , ultra Uralense jugum sensim defi- cit, vix in Isetensibus campis rarissime apparet, et ulteriori Sibiriæ plane deest*. Maïs des recherches plus approfondies ont fait apercevoir que plusieurs de ces an- dromeda de Pallas étaient de véritables bruyères, par exemple les erica bryantha et stelleriana de Wildenow qui croissent jusqu'au Kamtchatka. La première se trouve même dans l’ile de Bering. Dans les iles du grand océan , on n’a encore dé- couvert aucune bruyère. * Flora Rossica , T. 1, pars II, p. 53. 132 PHYSIONOMIE 20 La forme des cactus, p- 40. Quand on est habitué à n'observer les cactus que dans nos serres chaudes , on est frappé d’étonnement en voyant à quel de- gré de densité peuvent parvenir les Vais- seaux ligneux des vieilles tiges de cactus. Les naturels de l'Amérique savent que le bois de cactus est incorruptible, et qu'il est excellent pour faire des rames et des seuils de porte. Aucune physionomie de plante ne produit sur un étranger une im- pression plus extraordinaire que celle que lui fait éprouver une plaine aride comme celles que lon voit près de Cumana, de Nueva Barcelona, de Coro, et dans la province de Jaen de Bracamoros , cou- vertes de nombreuses tiges de cactus qui ‘’élévent comme des colonnes, et se divi- DES VÉGÉTAUX. 193 sent par le haut comme des candelabres. Dans l’ancien continent, surtout en Afri- que et dans les îles voisines, quelques es- pèces d’euphorbes et de cacalia représen- tent à peu près la forme des cactus qui tous sont américains. 21 Les Orchidées , p. 41. La ressemblance que présentent les fleurs des orchidées avec la forme des in- sectes , est surtout frappante , dans les epi- dendron mosquito et torilo, plantes fa- meuses de l'Amérique méridionale; dans languloa,ou fleur du Saint-Esprit *, dans le bletia , et dans la famille de nos ophrys d'Europe, ©. muscifera, O. apifera, O. ararifera, O. arachnites. Quelle quantité * Floræ Peruvianæ Prodromus, p. 118, tab. 96. 134 PHYSIONOMIE d’orchidées à fleurs superbes , ne doit pas contenir l’intérieur de l'Afrique, sil est abondant en sources ! 22 Les Casuarinées , p. 42: Le casuarina equisetifolia qui repré- sente particulièrement cette forme, est indigène de l’Asie-Méridionale et des'îles du grand Océan. Quatre autres espèces sont propres à la Nouvelle- Hollande. L'espèce nouvellement découverte , appelée ca- suarina quadrivalwis, par Labillardière , croit dans ile: de Van-Diemen jusqu’au quarante-troisième parallèle austral. 23 Les arbres réstneux, p. 43. J'ai ététémoin de l'impression singuhère qu’une forêt de sapins du Mexique produi- DES VÉGÉTAUX. 135 sit sur un jeune homme, qui, né sous l’é- quateur , n'avait jamais vu ce que les bo- tanistes appellent des feuilles acéreuses. Tous ces arbres lui semblèrent être dé- garnis de feuilles, et il croyait, dans cette contraction extrême du parenchyme, re- connaître l'influence du voisinage du pôle. Si dans les régions de la zone torride, le sol ne s'élevait pas quelquefois à 1,000 ou à 1,500 toises au-dessus du niveau de la mer, cette forme d’arbres y serait entièrement inconnue, au moins dans le voisinage de l'équateur. Le pinus longi- folia des Indes -Orientales, et le pinus dammara d’Amboine , sont, à la vérité, des arbres des tropiques, mais ils ne crois- sent que sur de hautes montagnes. Dans toute l'Amérique du sud, située dans la zone torride, je n’ai pu , malgré la hauteur des Andes, découvrir une seule espèce de 136 PHYSIONOMIE pin. Nous trouvames , dans les Andes de Quindiu, un arbre à feuilles acéreuses ; c'était le podocarpus taxifolia de Kuntkh , décrit à tort par Wildenow comme un 1f*. Existe-t-il en général des sapins ou des pins dans l'Amérique du sud, par exem- ple, au Chili, dans les provinces de Bue- nos-Ayres, et dans le voisinage du détroit de Magellan? Au Chili et au Brésil, l’a- raucaria imbricata représente la forme des arbres résineux. Quant aux limites supérieures et inférieures du pin du Mexi- que , qui parait ne pas différer du pinus occidentalis de Swartz, voyez Humboldt, Bonpland et Kunth , Nova genera et Spe- cies Plantarum œguinoctialium, T. I, p.97. Dans l’île de Pinos , au sud de Cuba, à Wildenow, Species Plantarum , T. 1V, part. IL , p. 857. DES VÉGÉTAUX. 137 un arbre voisin du pinus occidentalis croît dans la même plaine avec l’'acajou ( Swie- tenia Mahogony ) : phénomène singulier qu'on pourrait expliquer par le voisinage et la configuration du continent de l'Amé- rique septentrionale , et par la fraicheur que répandent souvent dans l'atmosphère les tempêtes venant du nord , Si on ne le retrouvait pas sur la côte orientale de Gua- temala. #4 Les Aroïdes, p. 44. Ces végétaux appartiennent plutôt au nouveau continent qu'à l’ancien. Le ca- ladium et le pothos n’habitent que la zone torride, mais l’arum appartient plus spé- cialement aux zones tempérées. En Afri- que, on n'a pas encore rencontré de pothos mi de dracontium. Dans les Indes-Orien- 135 PHYSIONOMIE tales, on trouve le pothos scandens et le P.pinnata, dont la physionomie est moins belle, et la végétation moins vigoureuse que celles des pothos d'Amérique. L’A- frique, autant que nous la connaissons , ne produit que deux espèces d’'arum , V_4. colocasia et 4. arisarum. C'est aussi de cette région qu'est indigène le cala- dium , espèce unique ( culcasia scandens) que M. Beauvois à découverte dans le royaume de Benin *. Dans les Aroïdes , le parenchyme prend quelquefois tant d'extension , que la surface des feuilles est percée comme dans le dracontium per- LUSUIT, 25 Les lianes, p. 44- Suivant la nouvelle division des Bau- ee RO EETT * Flore d’Oware, p. &, pl. 5. DES VÉGÉTAUX. 139 Le hiniées de M. Kunth ,le genre bauhinia appartient au Nouveau Monde. Le bau- hinia rubescens de Lamarck , qui croît en Afrique, est un pauletia. Les banniste- riées sont aussi une forme propre à lA- mérique : deux espèces croissent dans les Indes -Orientales ; une autre , décrite par Cavanille souslenom debannistérin leona , est indigène de l’Afrique occidentale. 76 Les aloës, p. 45. C'est à cette famille qu’appartiennent lyucca aloefolia et Yyucca gloriosa, deux espèces qui s’avancent dans le nord jus- qu'en Caroline ; l’'aletris arborea , le dra- gomier (dracæna draco), le D. indivisa et le D. australis, ces deux dernières es- pèces sont de la Nouvelle Zélande ,'et Paloe dichotoma. Ce dernier, le koker- 140 PHYSIONOMIE boem des Hollandais, dont la tige a vingt pieds de haut , quatre de grosseur, et une couronne de feuilles, dont la circon- férence est souvent de quatre cents pieds, est décrit dansle voyage de Paterson dans le pays des Hottentots *. C’est aussi ici que je ferai mention de ce singulier végétal , le doryanthes excelsa du New-South-wales , qui ressemble à lagave , a une tige très haute, et dont M. Correa de Serra a donné la description. Les palmiers , les aloès et les grandes fougères ont une physionomie commune par la nudité des troncs et leur denûment de branches, quoique leur ca- ractère naturel soit différent. Le selinum decipiens, qui vient peut- * Voyage de Patterson chez les Hottentots, en 1790. | DES VÉGÉTAUX. 141 être du nord de l'Asie , a quelquefois douze pieds de haut. Il appartient à un groupe particulier d’ombellifères arborescentes , d'une forme extraordinaire, auquel, avec le temps, viendront se réunir des végé- taux qui restent encore à découvrir dans le nord de l’ancien continent. Ce groupe se rapproche en quelque sorte des fougères arborescentes. +7 Les graminées, p. 46. Les graminées arborescentes sont en ge- néral rares ; nous n’en connaissons qu'un petit nombre, tels que le bambou , les guadua , ludolfia , miegia , Ve panicum arborescens. Des bosquets de bambous sont disséminés dans toutes les régions de la zone torride. Sur les montagnes, 1ls attei- gnent jusqu’à 700 toisesau-dessusde la mer. 142 PHYSIONOMIE ?8 Les fougères, p. 47. Les fougères arborescentes se trouvent dans l’hémisphère boréal, jusque sous le 33° parallèle, et dans l'hémisphère austral jusque sous le 42°. Il est singulier que, dans les deux hémisphères, ce soient les dicksonia qui s’approchent le plus de lé- quateur. L'un, le dicksonia culcita , se trouve à Madère; et l’autre , le dicksonia antactica, dont les tiges ont dix-huit pieds de haut, dans l’île Van-Diemen. 29 Les hliacées, p. 48. C'est surtout l'Afrique qui est la patrie de ces végétaux ; c’est là qu'on en voit la plus grande diversité, qu’elles forment de grandes masses, et déterminent la phy- DES VÉGÉTAUX. 143 sionomie du pays. Le nouveau continent possède les superbes genres des a/stræme- ria, des vellosia, des crinum et des pan- cratium. Nous avons enrichi celui-ci de trois nouvelles espèces, les pancratium undulatum , incarnatum et aurantiacum. Mais ces liliacées d'Amérique sont disper- sées,et vivent moins en société que nos iris d'Europe. 50 La forme des saules, p. 48. On connait déja 242 espèces du genre principal, qui a donné le nom à cette forme. Ils couvrent la surface de la terre, de l'équateur à la Laponie. Leur nombre et la variété de leur extérieur augmentent depuis le 46° jusqu'au 70° degré de lati- tude boréale, surtout dans les contrées du nord de l’Europe , sillonées d’une ma- 144 PHYSIONOMIE nière si surprenante par les antiques ré- volutions du globe. Déja les tropiques offrent au moins huit espèces de saules, le salix tetra-sperma de Roxburg, qui croit à la côte de Coromandel ; deux es- pèces du Pérou, et cinq du Mexique. Peut-être le salix mucronata du cap de Bonne - Espérance s'avance-t-1l jusqu’au tropique du capricorne ? On n’a pas en- core trouvé de saules dans les îles du Grand-Océan. 51 Les myrthes, p. 49. Ces végétaux se distinguent par une forme délicate et par leurs feuilles roïdes, luisantes, très serrées, et ordinairement petites. Les myrthes donnent un carac- tère particulier à trois régions du monde : 1° à l'Europe méridionale , et surtout aux DES VÉGÉTAUX, 145 îles composées de roche calcaire qui sé- lèvent du fond de la mer Méditerranée. 2° Au continent de la Nouvelle-Hollande, qui est orné d’eucalyptus , de metroside- ros et de /eptospermum. 3° A une contrée élevée de 9,000 à 10,000 pieds au-des- sus du niveau de la mer , au milieu de la zone torride : c’est-a-dire à la haute con- trée des Andes. Ce pays montueux nom- mé Paramo , dans la province de Quito, et Puna, au Pérou, est entièrement couvert d'arbres qui ont le port du myrthe. Cest a cette élévation que croissent les escal- lonia myrtlloïides et tubar , le symplocos alstonia, de nouvelles espèces de 2yrica, et le joli #yrtus microphylla que nous avons décrit dans le premier volume de nos Plantes équinoxiales, p. 21, pl. 4. IL. LO 146 PHYSIONOMIE 52 Les Melastomées » P- 49- C'est à cette famille qu'appartiennent les genres melastoma (le fothergilla et le tococa d’Aublet) rexia, meriana , osbec- kia. Voyez notre Monographie des me- lastomes et autres genres du méme ordre. 53 La forme des lauriers, 49. On en voit des exemples dans le laurier, le mammea, le calophyllum ; cette forme appartient à la zone torride et aux zones tempérées jusqu’au 38° et 40° degrés de la- titude boréale. Entre les tropiques, les lau riers sont des plantes alpines , comme on le voit par les laurus alpigena, exaltata , triandra, coriacea, membranacea, patens, floribunda , persea, ferruginea , ocotea , DES VÉGÉTAUX. 147 latifoia , et autres décrits par Swartz, Bonpland ét mor. # Le Gustavia, p: 51. Dans plusieurs espèces de chupo ou gusiavia , de cynometra et de theobroma , les parties délicates de la fructification naissent de 'lécorce à moitié réduite en charbon. L'omphalocarpon procerum, sin- gulier arbre d'Afrique, que M. de Beauvoïis a trouvé dans le Benin, présente le même phénomène. 55 Couvriraient un espace immense , p. 52. Un voyageur français, M. le comte de Clarac, qui alla au Brésil en 1816 , a su rendre avec une exactitude étonnante la sauvage abondance de la nature des 148 PHYSIONOMIE tropiques. Son beau dessin d’une Forêt vierge du Brésil, est un admirable tableau qui me rappelle les plus douces impres- sions de mon voyage à l’Orénoque ; rien n’est comparable au sentiment de vérité avec lequel M. de Clarac a su tracer sur le papier ces formes majestueuses et si va- riées de la zone torride. Daniels, dans les Vues de l'Inde, a quelquefois eu ce sen- timent ; mais 1l reste sur la lisière des fo- rêts, tandis que M. de Clarac y fait pé- nétrer le spectateur , qui s'y arrête avec plaisir. Cette composition magnifique , dont la gravure a parfaitement réussi , montre à tous les yeux ce que je me suis efforcé de décrire. 56 S'en couvrent la tête, etc., p. 55. Les plus grandes fleurs qu'on connnaisse DES VÉGÉTAUX. 149 après celles de l’hélianthus, sont celles de l’aristoloche, des datura, des barringtonia, des carolinea , des nélumbium , des gusta- via , des lecythis, des lisianthus, des ma- gnolia et des liliacées ; mais toutes ces fleurs le cèdent à celles du Raflesia, la seule espèce de ce genre, nommée en hon- neur de feu sir Fhomas Stamford Raffles, à qui l’on doit une Histoire de Java, et d’autres ouvrages utiles sur les Indes, est celle qui a été décrite sous le nom de T1- tan, a cause des dimensions prodigieuses de ses fleurs. Cette plante croit dans les forêts de l’intérieur de Sumatra, où elle fut découverte par sir Th. St. Raffles, du- rant un voyage qu'il fit dans cette ile, en 1818. C’est un végétal parasite qui pousse sur les tiges basses et les racines du cissus angustifolia de Roxburgh. Le bouton de la fleur, avant de s'épanouir, a près d’un 150 PHYSIONOMIE pied de diamètre ; sa couleur est d’un rouge sombre et foncé. Entièrement développée, la fleur est, sous le rapport de la dimen- sion , le miracle du règne végétal; sa lar- geur, du sommet d’un pétale au sommet du pétale opposé, a bien près de trois pieds ; la cavité que forme la corolle in- térieure ou plutôt le calice ; pourrait con- tenir une douzaine de pintes d’eau ; le tout pèse douze à quinze livres. L'intérieur du calice est d’un violet foncé; mais wers son ouverture , 1l est parsemé de nombreuses taches blanches; les pétales. sont de cou- leur de brique: rouge : touté:la substance de la fleur n’a pas moins d’un demi-pouce d'épaisseur, et.est d’une consistance ferme et charnue. Peu de temps après son épa- nouissement, elle répand une odeur ‘de matière animale qui commence à se dé- composer. 4 DES ‘VÉGÉTAUX. 151 Les feuilles de plusieurs palmiers des Indes présentent également des dimen- sions gigantesques : celles du corypha um- braculifera, nommé talipot à Ceylan, sont sous ce rapport les plus remarqua- bles ; elles sont si grandes, qu’une seule peut mettre quinze ou vingt hommes à Vabri du soleilet de la pluie. On en voit une; encore jeune , que l’on conserve dans une des salles du Muséum d'Histoire Natu- relle de Paris. En 1826, on apporta de Ceylan en An- oleterre une feuille de talipot dont les dimensions furent regardées comme ex- traordinaires. Cette feuille, très bien con- servée, a onze pieds de longueur depuis son pétiole jusqu'a l'extrémité opposée, seize pieds dans sa plus grande largeur , et de trente-huit à quarante pieds de cir- 152 PHYSIONOMIE conférence ; elle se déploie comme un dais, et suffit pour mettre à l'abri des rayons du soleil une réunion de six personnes as- sises autour d’une table. À Ceylan et dans tous les pays où croît le talipot , on se sert de ses feuilles comme de parasol ; même étant sèches , elles peu- vent se plier comme un éventail. On en fait des tentes, on en couvre les Maisons ; enfin on les fend et on les coupe en lames alongées, sur lesquelles on écrit avec un stylet de fer. 57 La voûte da ciel, P- 54. La plus belle partie de l'hémisphère céleste austral , qui comprend le Centaure, le vaisseau Argo et la Croix méridionale, est toujours cachée aux habitans de lEu- DES VÉGÉTAUX. 155 rope. Ce n’est que sous l'équateur qu'on jouit du coup-d’œil unique et magnifique de voir en même temps toutes les étoiles des deux hémisphères célestes. Quelques- unes de nos constellations septentrionales, telles que la grande et la petite ourse, y paraissent, à cause de leur abaissement à l'horizon, d’une grosseur étonnante et presque effrayante. L’habitant des tropi- ques voit toutes les étoiles, et la nature l’a aussi entouré de toutes les formes de vé- gétaux connues. ei] D pin do dure Are gerer | à tuoitioeibie ot ci iqost | #1 Sr 1 dtiois ur | EL ob CPGE es! edi06t ve Le: quuites om 4" Lt » Lit vi Pl GE | . 5 n. + # (© LS sd : L- 2 | s ? ‘ 4 , à + Tan R CA é Din vaète dur 25% 4 les = + Her + Le ox E v< é À fe SUR LA STRUCTURE ET L'ACTION DES VOLCANS DANS LES DIFFÉRENTES RÉGIONS DE LA TERRE, à n ‘ un D | MONA anvTounte. es... TES PR". | ARNON À ». 4 € SUR LA STRUCTURE ET L'ACTION DES VOLCANS DANS LES DIFFÉRENTES RÉGIONS DE LA TERRE. Quax» on réfléchit à l'influence que , depuis des siècles, les progrès de la géo- graphie et les voyages scientifiques entre- pris dans des régions lointaines, ont exercé sur l'étude de la nature , on ne tarde pas à reconnaitre combien cette influence a été différente, suivant que les recherches ont été dirigées sur les formes du monde 158 STRUCTURE ET ACTION organique, ou sur la masse inanimée de la terre, sur la connaissance des roches, sur leur âge relatif, et leur origine. Des formes différentes de plantes et d'animaux vivi- fient la surface de laterre danschaque zone; n'importe que la chaleur de l’atmosphère change, soit d’après la latitude géographi- que ou les courbes nombreuses des lignes isothermes, dans les plaines unies comme la surface de la mer, soit presque verticale- ment sur les pentes rapides des chaînes de montagnes. La nature organique donne à chaque région de la terre la physionomie particulière qui la caractérise. 11 n’en est pas de même de la nature inorganique dans les lieux où l’enveloppe solide de la terre est dépouillée de végétaux. Les mé- mes espèces de roche , s’attirant et se re- poussant par groupes, se montrent dans les deux hémisphères , depuis léquateur DES VOLCANS. 159 jusqu'aux pôles. Dans une île éloignée , entourée de plantes étrangères, sous un ciel où ne resplendissent plus les étoiles auxquelles son œil est accoutumé , le na- vigateur reconnait souvent avec joie le schiste argileux de sa patrie et les roches qu'il était habitué à y voir. Cette indépendance de la constitution actuelle des climats, propre à la nature inorganique, ne diminue pas l'influence bienfaisante que des observations nom- breuses faites dans des contrées lointaines, exercent sur les progrès de la géognosie ; seulement elle leur donne une direction particulière. Chaque expédition enrichit l'histoire naturelle d'espèces nouvelles d'animaux et de plantes. Tantôt ce sont des formes organiques qui se rattachent à des types connus depuis long -temps, 160 STRUCTURE ET ACTION et qui nous présentent , dans sa perfec- tion primitive , le réseau régulièrement tissu et souvent interrompu en apparence des formes naturelles animées. Tantôt ce sont des formes qui se présentent isolées comme les restes de races éteintes , tantôt des membres de groupes non encore dé- couverts. L'examen de l’enveloppe solide ne nous développe pas une telle diver- sité. Au contraire elle nous révèle, dans les parties constituantes, dans le gise- ment, et dans le retour périodique des différentes masses, une ressemblance qui excite l’étonnement du géognoste. Dans la chaîne des Andes, de même que dans les montagnes centrales de l’Europe ,une for- mation semble, pour ainsi dire , en appe- ler une autre. Des masses de même nom prennent des formes semblables : le ba- salte et la dolérite composent les monta- DES VOI.CANS. 161 gnes jumelles ; la dolomie, le grès bianc et le porphyre forment des masses es- carpées ; le trachyte vitreux et riche en feldspath , s'élève en cloches et en dômes. Dans les zones les plus éloignées, de gros cristaux se séparent semblable- ment de la texture compacte de la masse primitive , comme par un développement intérieur , sagroupent les uns aux au- tres, se montrent comme des couches sub- ordonnées, et annoncent souvent le voisi- nage de nouvelles formations indépen- dantes. C’est ainsi que tout le monde or- ganique se représente plus ou moins évi- demment dans chaque montagne d’une étendue considérable ; cependant, pour connaître parfaitement les phénomènes les plus importans de la composition, de l'age relatif et de l'origine des formations, 1l faut comparer entre elles les observations JT. 11 162 STRUCTURE ET ACTION faites dans les contrées les plus éloignées les unes des autres. Des problèmes qui ont paru long-temps énigmatiques au géo- gnoste habitant du nord, trouvent leur solution près de l'équateur. Si, comme on Va observé plus haut, les zones lointaines né nous fournissent pas de nouvelles for- mations, c’est-à-dire des groupes incon- nus de substances simples, elles nous ap- prennent , en revanche, à expliquer les lois uniformes de la nature, selon que les diversstrates se supportent mutuellement, se pénètrent sous forme de filet, ou sesou- lèvent en obéissant à des forces élastiques. Si nos connaissances géognostiques ti- rent une grande utilité de recherches qui embrassent de vastes étendues de pays, on ne doit pas être surpris de ce que ja classe de phénomènes , qui est l'objet principal DES VOLCANS. 163 de ce mémoire, n'ait été pendant très long-temps examinée que d’une manière incomplète , parce que les points de com- paraison sont très difficiles, et on pourrait même dire pénibles à trouver. Jusqu'à la fin du dix -huitième siècle, tout ce que Von savait de la forme des volcans , et de action de leurs forces souterraines , était pris de deux montagnes de l'Italie méri- dionale , le Vésuve et l’Etna. Le premier étant le plus accessible , et, comme tous les volcans peu élevés, ayant des érup- tions plus fréquentes , une colline est en quelque sorte devenue le type d’après le- quel on se figurait tout un monde loin- tain , les puissans volcans du Mexique , de PAmérique méridionale et des îles de VAsie , disposés d’après des lignes faciles à reconnaitre. Cette manière de raisonner devait rappeler naturellement le berger 104 STRUCTURE ET ACTION de Virgile, qui, dans son humble cabane, croyait voir l’image de la ville éternelle. Un examen attentif de toute la mer Mé- diterranée, notamment de ses îles et de ses côtes orientales, où le genre humain a com- mencé à s'élever vers la culture intellec- tuelle et les sentimens généreux , pouvait cependant reformer cette mamière 1in- complète d'étudier la nature. Entre les Sporades, des rochers de trachyte se sont élevés du fond de la mer, et ont formé des iles , semblables à cette ile des Açores, qui, dans un espace de trois siècles , s’est montrée périodiquement à des intervalles presque égaux.Entre Fpidaure et Trézène, près de Methrone , dans le Péloponèse, se trouve un Monte-Nuovo, décrit par Strabon , et revu par Dodwel : il est plus haut que le Monte - Nuovo des. champs DES VOLCANS. 165 Phlégréens, près de Baies ; peut-être même plus haut que le nouveau volcan de Jo- rallo , dans les plaines du Mexique, que j'aitrouvé environné de plusieurs milliers de petits cônes basaltiques sortis de terre et encore fumans. Dans le bassin de la Mé- diterranée , le feu volcanique s'échappe non-seulement de cratères permanens, de montagnes isolées qui ont une commu- nication constante avec l’intérieur de la terre, comme Stromboli, le Vésuve et VEtna ; à Ischia, sur le mont Épomée ; et, suivant les récits des anciens, dans la plaine de Lelantis, près de Chalcis, des laves ont coulé de fentes qui se sont ou- vertes tout à coup à la surface de la terre. Indépendamment de ces phénomènes qui appartiennent aux temps historiques, au domaine étroit des traditions certaines, 166 STRUCTURE ET ACTION les côtes de la Méditerranée renferment le nombreux restes de plus anciens effets de l’action du feu. La France méridionale nous montre , en Auvergne , un système particulier et complet de volcans disposés par alignemens , des cloches de trachyte, alternant avec des cônes terminés en cra- ière, desquels des torrens de lave ont coulé par bandes étroites. La plaine de Lombar - die, qui, unie comme la surface des eaux, forme le golfe le plus reculé de la mer Adriatique , entoure le trachyte des col- lines Euganéennes , où s'élèvent des dô- mes de trachyte grenu, d’obsidienne et de perlite; trois masses qui naissent les unes des autres, qui ont fait leur éruption à travers le calaire jurassique rempli de silex pyromaques , mais qui n’ont jamais coulé en torrens étroits. De semblables témoins d'anciennes révolutions de la terre DES VOLCANS. 167 se retrouvent dans plusieurs parties du continent de la Grèce et de l'Asie -Mi- neure, pays qui offriront un jour de riches matériaux aux recherches du géognoste , quand la lumière sera retournée vers ces contrées d’où elle a commencé à luire sur l'occident, quand l’humanité outragée ne gémira plus sous la sauvage barbarie des Ottomans. Je rappelle la proximité géographique de ces nombreux phénomènes, pour faire voir que le bassin de la Méditerranée avec ses îles pouvait offrir à l'observateur at- tentif tout ce qui a été découvert récem- ment sous des formes diverses dans l’A- mérique méridionale, à Ténériffe, ou dans les îles Aléontiennes, près des régions po- laires. Les objets à observer étaient réu- nis; mais des voyages dans des climats 168 STRUCTURE ET ACTION lointains, des comparaisons de vastes ré- gions en Europe et hors d'Europe, étaient nécessaires pour reconnaître clairement la ressemblance des phénomènes volca- niques entre eux , et leur dépendance les uns des autres. Le langage habituel qui souvent donne la consistance et la durée aux idées nées de la manière erronée de voir les cho- ses, mais qui souvent aussi indique par instinct la vérité ; le langage habituel , dis-je, nomme volcaniques toutes les éruptions de feux souterrains et de subs- tances fondues; les colonnes de fumée et de vapeur qui s’élèvent du sein de ro- chers , comme à Colarès, après le grand tremblement de terre de Lisbonne ; les salses ou cônes argileux qui vomissent de la boue humide , de l’asphalte et de lhy- DES VOLCANS, 169 drogène, comme à Girgenti, en Sicile, et à Turbaco, dans l'Amérique méridio- nale ; les sources chaudes du Géiser, qui, comprimées par des vapeurs élastiques, s'élancent à une très grande hauteur ; en un mot enfin tous les effets des forces puis- santes de la nature, qui ont leur siège dans l’intérieur de notre planète. Dans l’Amé- rique moyenne ou dans le pays de Guatè- mala , et dans les îles Philippines, les in- digènes font une différence essentielle en- tre les volcans d’eau et les volcans de feu ( volcanes de agua y de fuego. ) Par le premier nom, ils désignent les montagnes desquelies, dans les violens tremblemens de terre et avec un craquement sourd, sortent de temps en temps des eaux sou- terraines. Sans nier la connexion des phénomènes 170 STRUCTURE ET ACTION dont il vient d’être question , il paraît ce- pendant convenable de donner une langue plus précise à la partie physique et oryc- tognostique de la géognosie, afin de ne pas appliquer le nom de volcan, tantôt à une montagne qui se termine par une four- naise permanente, tantôt à chaque cause souterraine des phénomènes volcaniques. Dans Pétat actuel du globe terrestre , la forme la plus ordinaire des volcans, dans toutes les parties du monde, est celle d’une montagne conique isolée , comme le Vésuve, l’'Etna , le pic de Teyde, le Tun- guragua et le Cotopaxi. Je les ai observés s'élevant depuis la dimension des collines les plus basses, jusqu'a 17,700 pieds au- dessus du niveau de la mer ; mais auprès de ces montagnes coniques , on trouve aussi des ouvertures permanentes , des communications constantes avec linté- DES VOLCANS. 1 7 1 rieur de la terre sur de longues chaines à dos haché , non au milieu de leur sommet en forme de mur, mais à leur extrémité, et près de la pente. Tel est le Pichincha , qui s'élève entre le grand Océan et la ville de Quito, et que les formules barométri- ques de Bouguer ont depuis long - temps rendu célèbre ; tels sont les volcans qui do- minent sur la steppe de los Pastos, haute de 10,000 pieds. Tous ces sommets de for- mes diverses, sont composés de trachyte , nommé autrefois porphyre trappéen , ro- che grenue, fendillée, formée de feld- spath vitreux et d’amphibole, et à laquelle le pyroxène , le mica , le feldspath feuil- leté et le quartz ne sont pas étrangers. Dans les lieux où les témoins de la pre- mière éruption , je pourrais dire de l’an- cien échafaudage volcanique, se sont con- servés en entier , la montagne conique 172 STRUCTURE ET ACTION isolée est entourée, en forme de cirque , d’un grand mur construit de couches ro- cheuses, superposées les unes aux autres. Cesmurs ou circonvallations sont les restes de cratères, de soulèvemens , phénomène digne d'attention , sur lequel le premier géognoste de notre temps , M. Léopold de Buch, aux écrits duquel j’emprunte plu- sieurs idées exposées dans ce Mémoire , a présenté, il y a troïs ans, des vues si intéressantes. Les volcans qui, communiquent avec l'atmosphère par des ouvertures perma- nentes, les cônes basaltiques ou les dômes de trachyte, dépourvus de cratère, tan- tôt bas comme le Sarcouy, tantôt élevés comme le Chimborazo, forment des grou- pes divers. La géographie comparée nous montre, d’un côté , de petits archipels, et DES VOLCANS, d7à des systèmes entiers de montagnes vol- caniques ayant leurs cratères et leurs cou- rans de lave, comme les îles Canaries et les Açores ; de l’autre, des monts sans cratère etsans courans de lave proprement dit, comme les Euganéens et les Sept- Montagnes de Bonn ; ailleurs elle nous montre des volcans disposés par lignes simples ou doubles , et se prolongeant à plusieurs centaines de lieues, tantôt paral- lèlement à l’axe de la chaine, comme dans le Guatèmala, le Pérou, et Java ; tantôt la coupant perpendiculairement, comme dans le pays des Aztèques, où des monts de trachyte, qui vomissent du feu , atteignent seuls à la hauteur des neiges perpétuelles ; et sont vraisembla- blement placés sur une crevasse qui tra- verse tout le continent sur une longueur de 105 lieues géographiques, depuis le 174 STRUCTURE ET ACTION grand Océan , jusqu'a Océan Atlan- tique. Cette réunion des volcans , soit par oroupes isolés et arrondis, soit par bandes longitudinales, démontre de là manière la plus décisive que les effets volcaniques ne dépendent pas de petites causes voisines de la surface de la terre, mais sont des phénomènes dont lorigine se trouve à une grande profondeur dans l'intérieur du globe. Toute la partie orientale du continent américain, pauvre en métaux , est, dans son état actuel, sans montagne ignivome ; sans Masses de trachyte, pro- bablement même sans basalte, avec oli- viné. Tous les volcans d'Amérique sont réunis dans la chaîne des Andes, qui est située dans la partie de cé continent 6p- A posé à l'Asie, et qui s'étend , dans le sens DES VOLCANS. 175 des méridiens, sur une longueur de 1,800 lieues. Tout le plateau de Quito, dont le Pichincha , le Cotopaxi et le Tunguragua forment les cimes, est un seul foyer volcanique. Le feu souterrain s'échappe tantôt par l’une , tantôt par l'autre de ces ouvertures, que lon s’est accoutumé à regarder comme des vol- cans particuliers. La marche progres- sive du feu y est, depuis trois siècles , dirigée du nord au sud. Les tremblemens de terre même , qui causent des ravages si terribles dans cette partie du monde, offrent des preuves remarquables de l'existence de communications souterrai- nes, non - seulement avec des pays dé- pourvus de volcans, fait connu depuis long -temps, mais aussi entre des mon- tagnes ignivomes , qui sont très éloignées les unes des autres. C'est ainsi qu’en 1707 176 STRUCTURE ET ACTION le volcan de Pasto, à l’est du cours du Guaytara, vomit continuellement , pen- dant trois mois, une haute colonne de fumée. Cette colonne disparut à l'instant même où, à une distance de soixante lieues, le grand tremblement de terre de Riobamba , et l’éruption boueuse de la Moya, firent perdre la vie à près de quarante mille Indiens. L'apparition sou- daine de l'ile Sabrina, dans l’est des Açores, le 30 janvier 1811, fut l'annonce de lé- pouvantable tremblement de terre, qui, bien plus loin , à l’ouest , depuis le mois de mai 1811 jusqu’en juin 1812, ébranla, presque sans interruption, d’abord les An- tilles, ensuite les plaines de l'Ohio et du Mississipi ; enfin les côtes de Venezuela , situées du côté opposé. Trente jours après la destruction totale de la ville Caracas j arriva l'explosion du volcan de Saint-Vin- DES VOLCANS. 177 cent, ile des Petites- Antilles, éloignée de 130 lieues de la contrée où s'élevait cette cité. Au même moment où cette éruption avait lieu le 30 avril 1811, un bruit souterrain se fit entendre , et ré- pandit l’effroi dans toute l'étendue d’un pays de 2,200 lieues carrées. Les habitans des rives de l’Apuré , au confluent du Rio-Nula, de même que ceux de la côte maritime , comparèrent ce bruit à celui que produit la décharge de grosses pièces d'artillerie. Or, depuis le confluent du Rio-Nula et de lApuré , par lequel je suis arrivé dans l’Orénoque , jusqu’au volcan de Saint-Vincent, on compte 157 lieues en ligne droite. Ce bruit, qui certaine- ment ne se propageait point par l'air, doit avoir eu sa cause bien avant dans le fond de la terre. Son intensité était à peine plus considérable sur les côtes de IL. 12 178 STRUCTURE ET ACTION la mer des Antilles, près du volcan en éruption , que dans l’intérieur du pays. Il serait inutile d'augmenter le nombre de ces exemples ; mais afin de rappeler un phénomène qui, pour l'Europe, a ac- quis une importance historique, je me bor- nerai à citer le fameux tremblement de terre de Lisbonne. Il arriva le 1° novem- bre 1755 ; non-seulement les eaux des lacs de Suisse et de la mer, sur les côtes de Suède, furent violemment agitées, mais aussi celles de la mer autour des Antilles- Orientales. À la Martinique, à Antigoa ; à la Barbade, où la marée ne s'élève pas ordinairement à plus de dix-huit pouces, elle monta brusquement à vingt pieds. Tous ces phénomènes prouvent que les forces souterraines se manifestent , soit dynamiquement en s'étendant et en ébran- DES VOLCANS:, 179 lant par les tremblemens de terre, soit en produisant et en opérant chimique- ment des changemens, par les éruptions volcaniques : ils démontrent aussi que ces forces agissent , non pas superficiellement dans l'enveloppe supérieure de la terre, mais à des profondeurs immenses dans l’intérieur de notre planète ; par des cre- vasses et des filons non remplis, qui con- duisent aux points de la surface de la terre les plus éloignés. Plus la structure des volcans , c’est-à- dire des élévations qui entourent le canal par lequel les masses fondues de l’inté- rieur du globe parviennent à sa surface, offre de diversités, plus il est important de soumettre cette structure à des mesures exactes. L'intérêt de ces mesures qui, dans une autre partie du monde, ont été 180 STRUCTURE ET ACTION l’objet de mes recherches, s'accroît si l’on considère que la grandeur à mesurer est variable dans plusieurs points. L'étude philosophique de la nature s’est appliquée, dans la vicissitude des phénomènes, à rattacher le présent au passé. Pour éta- blir un retour périodique ou fixer les lois de phénomènes progressifs et variables, on a besoin de quelques points de départ bien fixes, d'observations faites avec soin, et qui, liées à des époques déterminées , puissent fournir des comparaisons numé- riques. Si seulement, de mille en mille ans, on avait pu déterminer la tempé- rature moyenne de l'atmosphère et de la terre sous différentes latitudes, ou la hau- teur moyenne du baromètre sur le bord de la mer, nous saurions dans quel rapport la chaleur des climats a augmenté ou di- minué, et si la hauteur de l'atmosphère a DES VOLCANS. 181 subi des changemens. On a besoin de ces points de comparaison pour la déclinai- son et l’inclinaison de l'aiguille aimantée , ainsi que pour l'intensité des forces élec- itro-magnétiques. Si c’est une occupation louable pour les sociétés savantes de suivre avec persévérance les vicissitudes cosmi- ques de la chaleur , de la pression de l'air , de la direction et de la tension ma- gnétiques ; en revanche , il est du devoir du géognoste, en déterminant les iné- galités de la surface de la terre, de pren- dre en considération le changement de hauteur des volcans. Ce que j'avais essayé dans le temps, dans les montagnes du Mexique , au Toluca , au Nauhampute- petl et au Jorullo ; dans les Andes de Quito au Pichincha , j'ai eu l’occasion, de- puis mon retour en Europe , de le répéter plusieurs fois au Vésuve. ee 182 STRUCTURE ET: ACTION En 1773, Saussure avait mesuré cette montagne à une époque où les deux bords du cratère , celui du nord-ouest et celui du sud-est, lui parurent de hauteur égale. Il trouva leur élévation de 609 toises au- dessus du niveau de la mer. L’éruption de 1794 a occasioné un écroulement dans le sud et une inégalité des bords du cratère que l’œil le moins exercé distingue à une distance considérable. En 1805, M. de Buch, M. Gay-Lussac et moi, nous me- suràmes trois fois le Vésuve. Le résultat de nos opérations nous fit voir que la hau- teur du bord septentrional, la Rocca del Palo, qui est vis à-vis de la Somma , s’ac- cordait avec la mesure de Saussure , mais que le bord méridional était de 75 toises plus bas qu'en 1773. L’élévation totale du volcan, vers la Torre del Grèco, côté vers lequel le feu, depuis trente ans, dirige DES VOLCANS. 183 principalement son action, avait diminué d’un huitième. Le cône de cendres est à la hauteur totale de la montagne, sur le Vé- suve, dans le rapport de un à trois; sur le Pichincha, comme un à dix; sur le pic de Ténériffe, comme un à vingt-deux. Le Vésuve a donc proportionnellement le cône de cendres le plus haut, vraisembla- blement parce que, comme volcan peu élevé , il a agi principalement par son sommet. J’ai réussi récemment non-seu- lement à répéter sur le Vésuve mes pré- cédentes mesures barométriques , mais aussi , dans trois ascensions sur cette mon- tagne , à prendre une détermination com- plète de tous les bords du cratère.Ce tra- vailmérite peut-être quelque intérêt, parce qu'il embrasse l’époque des grandes érup- tions de 1805 à 1822, et parce qu'il est peut-être la seule mesure dun volcan, 184 STRUCTURE ET ACTION comparable dans toutes ses parties , que l’on ait publiée jusqu’à présent ; elle fait voir que les bords du cratère , non- seulement dans les endroïts où , comme au pic de Ténériffe et dans tous les vol- cans de la chaïîne des Andes , ils sont composés visiblement de trachyte, mais aussi partout ailleurs, sont un phénomène beaucoup plus constant qu'on ne l'avait cru précédemment , d’après des observa- tions faites rapidement. De simples angles de hauteur, déterminés du même point , conviennent beaucoup mieux à ces re- cherches que des mesures trigenométri- ques et barométriques d’ailleurs bien com - plètes. D’après mes dernières détermina- tions, le bord nord-ouest du Vésuve ne s'est peut-être pas abaissé depuis Saussure, par conséquent depuis quarante-neuf ans, et le bord du sud-est, du côté de Bosche DES VOLCANS. 185 Tre Case, qui , en 1794 , était de 400 pieds plus bas que le précédent , a éprouvé une diminution de 10 toises. Si les feuilles publiques, en décrivant les grandes éruptions , racontent très fréquémment que la forme du Vésuve a totalement changé, et si ces assertions sont confirmées par les vues pittores- ques de cette montagne que l’on dessine à Naples, la cause de l'erreur vient de ce que l’on confond le contour des bords du cratère avec les contours des mon- ceaux de scories qui se forment acciden- tellement dans le centre du cratère, sur le sol de la bouche ignivome , soulevé par des vapeurs. Un de ces monceaux, composé de rapilli et de scories entassés, était, en 1816 et 1818 , devenu graduelle- ment visible au-dessus du bord sud-est du LE. = 186 STRUCTURE ET ACTION cratère. L’éruption du mois de février 1822 l'avait grandi à un tel point, qu'il dépassait même de 100 à 110 pieds la Rocca del Palo, ou le bord nord-ouest du cratère. Dans la dernière éruption, le cône remarquable que lon était habitué à Na- ples à regarder comme le sommet véri- table du Vésuve, s’est écroulé dans la nuit du 22 octobre, avec un fracas terrible ; de sorte que le sol du cratère qui, depuis 1811, était constamment accessible, est actuellement 750 pieds plus bas que le bord septentrional du volcan, et 200 pieds plus bas que le méridional. La forme va- riable et la position relative des cônes d’é- ruption, dont on ne doit pas, comme il arrive si souvent, confondre les ouver- tures avec le cratère du volcan, donne au Vésuve, à des époques différentes , une physionomie particulière , et lhistorio- DES VOLCANS. 187 graphe de ce volcan pourrait, d’après les contours de la cime et d’après le simple aspect des paysages peints par Hackert, qui sont à Portici, suivant que le côté septentrional ou méridional de la mon- tagne est représenté plus haut ou plus bas, deviner l’année dans laquelle l'artiste a fait le dessin qui lui a servi à composer son tableau. Un jour après que le cône de scories , haut de 400 pieds, se fut écroulé , lorsque déja de petits, mais nombreux torrens de lave, avaient coulé, dans la nuit du 23 au 24 octobre , commença léruption lumineuse des cendres et des rapilli. Elle dura douze jours sans interruption ; mais sa force fut plus grande dans les quatre premiers. Durant ce temps, les détonations dans l’intérieur du volcan furent si vio- 188 STRUCTURE ET ACTION lentes, que le simple ébranlement de Pair (car on ne s’est pas apercu de commotion de la terre ), fit crevasser les plafonds des appartemens du palais de Portici. Les vil- lases de Résina, Torre-del-Greco, Forre- dell-Anunziata, et Bosche-Tre-Case, voi- sins du Vésuve , furent témoins d’un phé- nomène remarquable. L’atmosphère était tellement remplie de cendres, que tout le canton, au milieu du jour, fut, durant plusieurs heures, enveloppé de ténèbres profondes. On allait dans les rues avec des lanternes , comme cela arrive si souvent à Quito, dans les éruptions du Pichin- cha. Jamais les habitans ne s'étaient en- fuis en si grand nombre. On redoute bien moins les torrens de lave qu’une éruption de cendres, phénomène qui n’y était pas encore connu à ce degré , et qui, par la tradition obscure de la manière dont DES VOLCANS. _189 Herculanum , Pompeii et Stabiæ ont été détruites, remplit l'imagination des hom- mes d'images effrayantes. La vapeur aqueuse et chaude, qui, du- rant l’éruption, s’élança du cratère et se répandit dans l’atmosphère, forma, en se refroïdissant , un nuage épais autour de la colonne de cendres et de feu haute de 9,000 pieds. Une condensation si brusque des vapeurs, et, comme M. Gay-Lussac Va montré, la formation même du nuage, augmentèrent la tension électrique. Des éclairs, partis de la colonne de cendres, se dirigeaient de tous les côtés, et l’on entendit très distinctement gronder le tonnerre que l’on distinguait bien du fra- cas intérieur du volcan. Dans aucune au- tre éruption , le jeu des forces électriques n'avait été si étonnant. 190 STRUCTURE ET ACTION Le matin du 26 octobre , un bruit sur- prennant se répandit : c’est qu’un torrent d’eau bouillante jaillissait du cratère et descendait le long de la pente en cône de cendres. Monticelli, le docte et zélé ob- servateur du volcan, reconnut bientôt qu'une illusion d'optique avait occasioné cette rumeur erronée. Le prétendu tor- rent était un grand tas de cendressèches, qui , semblable à du sable mobile, sortait d’une crevasse du bord supérieur du cra- tère. Une sécheresse qui répandit la déso- lation dans les champs, avait précédé l’éruption du Vésuve ; vers la fin de ce phénomène , l'orage volcanique qui vient d'être décrit, occasiona une pluie extré- memeut abondante et de longue durée. Un tel météore caractérise , sous toutes les zones, la cessation d’une éruption. Tant que celle-ci dure, le cône de cendres DES VOLCANS. 191 étant ordinairement enveloppé de nuages, et les flots de pluie étant les plus forts dans son voisinage , on voit couler de tous côtés des torrens de boue. Le cultivateur effrayé croit que ce sont des eaux qui, après être remontées du fond du volcan , sortent par le cratère. Le géognoste déçu croit y reconnaître de l’eau de mer, ou des productions boueuses du volcan , ou , suivant l'expression des anciens auteurs systématiques français, des produits d’une liquéfaction igno-aqueuse. Lorsque la cime du volcan, ainsi qu'on le voit presque toujours dans les Andes, s'élève au - dessus de la région des neiges, ou atteint a une hauteur double de celle de l’Etna , la neige, en fondant et en coulant vers les régions inférieures, y produit des inondations fréquentes et désastreuses. 192 STRUCTURE ET ACTION Ce sont des phénomènes que les météores lent aux éruptions des volcans, et que modifient diversement la hauteur de la montagne , l'étendue de son sommet cou- vert de neiges perpétuelles, et léchaufte- nent des parois du cône de cendres. Il s’en faut de beaucoup qu'on puisse les regarder comme de véritables phénomè- nes volcaniques ; ils n’en sont que les eï- fets. Dans de vastes cavités, tantôt sur la pente, taniôt au pied des volcans, naissent des lacs souterrains qui communiquent de plusieurs manières avec les torrens alpins. Quand les commotions terrestres qui pré- cèdent toutes les éruptions ignées dans la chaîne des Andes, ont ébranlé fortement toute la masse du volcan, alors les gouf- fres souterrains s'ouvrent, et il en sort en méme temps de l’eau, des poissonset du tuf argileux. Tel est le phénomène singulier DES VOLCANS. 193 qui produit au jour le pimelodes cyclo- Pum, poisson que les habitans du plateau de Quito nomment prenadilla , et que j'ai décrit peu de temps après mon retour. Lorsqu’au nord du Chimborazo, dans la nuit du 19 au 20 juin 1608, la cime du Carguaraizo , montagne haute de 18,000 pieds, s’écroula, toutes les campagnes des environs , dans une étendue de près de deux lieues carrées, furent couvertes de boue et de poissons. Sept ans aupara- vant, une fièvre pernicieuse, qui désola la ville d'Iburra , avait été attribuée à une semblable éruption de poissons du volcan d’Imbaburu. Je rappelle ces faits, parce qu'ils ré- pandent quelque jour sur la différence qui existe entre les éruptions de cendres sè- ches, et celles de boue, de bois , de char- IT. 13 194 STRUCTURE ET ACTION bon , de coquilles, servant à expliquer les attérissemens de tuffa et de trass. La quantité de cendres que Île Vésuve a vo- mies le plus récemment , a été, de même que toutes les particularités qui tiennent aux volcans et aux autres grands phéno- mènes de la nature,propre à inspirer later- reur, excessivement grossie dans les feuil- les publiques. Deux chimistes napolitains, Vicenzo Pepe et Giuseppe di Nobihi, ont même écrit, malgré les assertions con- traires de Monticelli et de Covelli, que les cendres contenaient de l'or et de l'argent. D'après mes recherches , ia couche de cendres tombées pendant douze jours du côté de Bosche-Tre Case, sur la pente du cône, dans les endroits où du rapillo S'y mélait, ne s'élevait qu'à trois pieds, et dans la plaine, n'avait tout au plus que quinze à dix-huit pouces d'épaisseur. Les DES VOLCANS. 198 mesures de ce genre ne doivent pas s’exé- cuter dans les lieux où les cendres sont entassées comme de la neige ou du sable , par l'effet du vent, ou accumulées par l’eau, comme du mortier. Ils sont passés ces temps où, à la manière des anciens, on ne cherchait dans les phénomènes vol- caniques que le merveilleux ; ou , comme Ctésias, on faisait voler la cendre-de l’'Etna jusqu'a la presqu’ile de Inde. Sans doute, une partie des filons d’or et d'argent du Mexique se trouve dans un porphyre tra- chytique ; mais la cendre du Vésuve que j'ai rapportée avec moi, et qu'un excel- lent chimiste , M. Henri Rose , à bien voulu analyser, n’offre pas la moindre trace d’or n1 d'argent. Bien que les résultats que j'expose, et qui s'accordent parfaitement avec les ob- 1096 STRUCTURE ET ACTION servations exactes de Monticelli , difièrent beaucoup de ceux que l'on a publiés de- puis quelques mois , l’éruption de cendres du Vésuve, le 24 et le 28 octobre 1822, n'en est pas moins la plus remarquable dont on ait une relation authentique de- puis la mort de Pline l'Ancien, en l'an 70. La quantité de cendres tombées alors a été peut-être trois fois plus considérable que celle de toutes les éruptions du même genre que l’on à vues depuis que les phé- nomènes volcaniques ont été observés avec attention. Une couche de quinze à dix-huit pouces d'épaisseur parait, au pre- mier aperçu, insignifiante en comparaison de la masse qui recouvre Pompéii; mais sans parler des torrens de pluie et des at- térissemens qui, depuis des siècles, peu- vent avoir accru cette masse , Sans rani- mer la vive discussion qui s’est élevée DES VOLCANS. 197 au-dela des Alpes, et qui a été conduite avec un grand septicisme sur les causes de la destruction des villes de la Campanie, il est peut-être à propos de rappeler ici que les éruptions d’un volcan à des épo- ques très éloignées les unes des autres, ne peuvent nullement être comparées en- semble pour leur intensité. Toutes les conséquences fondées sur des analogies sont insuffisantes quand elles ont pour ob- jet des rapports de quantité, par exemple, la masse de la lave et des cendres, la hau- teur des colonnes de fumée et la force des détonations. La description géographique du Vé- suve, par Strabon, et l'opinion de Vitruve, sur l’origine volcanique de la pierre-ponce, nous montrent que jusqu'a l’année de la mort de Vespasien, c’est-à-dire jusqu’à l’é- 108 STRUCTURE ET ACTION ruption qui couvrit Pompén, cette mon- tagne ressemblait plus à un volcan éteint qu'a une solfature. Après un long repos, les forces souterraines s’ouvrirent de nou- velles routes, et pénétrèrent à travers les couches de roches primitives et trachy- tiques. Alors durent se manifester des effets pour lesquels ceux qui suivirent depuis ne peuvent fournir aucune mesure. La célèbre lettre dans laquelle Pline le Jeune raconte à Tacite la mort de son on- cle, fait voir clairement que le renou- vellement des éruptions, et on pourrait même dire le réveil du volcan endormi, commença par une explosion de cendres. La même chose a été observée au Jorullo,, lorsqu’en septembre 1759, le nouveau yolcan perçant les couches de syenite et de trachyte , s’'eleva soudaineinent dans la plaine. Les campagnards s’enfuirent , DES VOLCANS: 199 parce qu'ils trouvèrent sur leurs chapeaux des cendres que la terre avait vomies en sentrouvrant de toutes parts. Au con- iraire , dans les explosions périodiques et ordinaires des volcans, la pluie de cendres termine chaque éruption partielle. D’ail- leurs la lettre de Pline le Jeune renferme un passage qui montre clairement que dès le commencement , sans l'influence d’au- cune cause qui les eût entassées; les cen- dres sèches, tombées d’en haut, avaient atteint une hauteur de quatre à cinq pieds. « La cour, dit Pline le Jeune dans la suite « de son récit, que lon traversait pour « entrer dans la chambre où Pline re- « posait était si remplie de cendre et de _« pierres-ponces, que, sil eût tardé plus « long-temps à sortir, 1l eüt trouvé lis- « sue bouchée. » Dans un espace fermé comme celui d'une cour, l'action du vent 200 STRUCTURE ET ACTION qui rassemble les cendres ne peut guère avoir été très considérable. J'ai osé interrompre mon examen com- paré des volcans par des observations par- ticulières faites sur le Vésuve, tant à cause du grand intérêt que la dernière éruption a excité, qu'a cause du souvenir de la catastrophe de Pompéïi et d’'Herculanum que chaque pluie de cendres considérable rappelle involontairement à l'esprit. J’ai réuni dans un supplément tous les élémens des mesures barométriques et des notices sur les collections géognostiques que j'ai eu occasion de faire, vers la fin de 1822, au Vésuve et dans les champs Phlégreens , près de Pouzzoles. Cette petite collection, ainsi que les roches que j'ai rapportées des monts Euganéens , et celles que M. de Buch à recueillies dans un voyage à la DES VOLCANS. 201 vallée de Flemme, entre Cavalèze et Pre- dazzo , dans le Tyrol méridional , sont déposés au musée royal de Berlin , éta- blissement qui, par son utilité, répond parfaitement aux nobles intentions du monarque, et dont la partie géognostique, renfermant des échantillons des régions les plus éloignées , l'emporte sous ce rapport sur toutes les collections de ce genre. Nous venons de considérer la forme et l’action des volcans qui sont, par un cra- tère, en communication constante avec l’intérieur de la terre. Leurs sommets sont des masses de trachyte et de lave, sou- levées par des forces élastiques, et traver- sées par des filons. La permanence de leur action donne lieu de conclure que leur structure est très compliquée : ils ont pour 202 STRUCTURE ET ACTION ainsi dire un caractère individuel qui reste toujours le même dans de longues périodes. Des montagnes voisines donnent le plus souvent des produits entièrement différens, des laves d’amphigène et de feldspath, de l’obsidienne avec des pierres- ponces, et des masses basaltiques conte- nant de l’olivine. Ils appartiennent aux formations les plus récentes du globe, traversent presque toutes les couches des montagnes secondaires ; leurs éruptions et leurs coulées de lave sont d’une origine plus récente que nos vallées ; leur vie, s’il est permis d'employer cette expression figurée , dépend du mode et de la durée de leur communication avec l’intérieur de la terre. Souvent ils se reposent pen- dant des siècles, se rallument soudaine- ment, et finissent par être des solfatares exhalant des vapeurs aqueuses, des gaz DES VOLCANS. 203 et des acides. Quelquefois , comme au pic de Ténériffe, leur sommet est déja devenu un laboratoire de soufre régénéré. Ce- pendant sortent des flancs de la montagne de gros torrens de laves basaltiques et Hi- thoïdes dans leurs parties inférieures ; vi- trées sous forme d’obsidienne et de pierre- porice dans la partie supérieure où la pres- sion est moindre. Indépendamment de ces volcans pour- vus de cratères permanens, il y a une autre espèce de phénomènes volcaniques, que lon observe plus rarement, mais qui sont surtout instructifs pour la géognosie, parce qu'ils rappellent le monde primitif, c’est-à-dire les plus anciennes révolutions de notre globe. Des montagnes de trà- chyte, s’ouvrant tout à coup, vomissent de la lave et des cendres, ct se relerment peut- 204 STRUCTURE ET ACTION être pour toujours. C’est ce qui est arrivé au gigantesque Antisana , dans la chaîne des Andes et au mont Epomée de l’île d'Is- chia, en 1302. Une éruption de ce genre a lieu quelquefois dans Les plaines, par exem- ple, sur le plateau de Quito, en Islande loin de l’'Hecla , en Eubée dans les champs de Lelantée. Plusieurs îles soulevées soudai- nement appartiennent à ces phénomènes passagers. Dans ces cas, la communication avec l’intérieur de la terre n’est point per- manente ; l’action cesse aussitôt que l’ou- verture du canal de communication se ferme de nouveau. Des filons de basalte, de dolerite et de porphyre, qui, dans les diverses zonesde Îa terre, traversent pres- que toutes les formations , des masses de syénite , de porphyre pyroxénique et d’a- mygdaloïde, qui caractérisent les couches les plusmodernes des roches de transition, DES VOLCANS. 205 et les couches les plusanciennes des roches secondaires, ont vraisemblablement été formées de cette manière. Dans la jeunesse de notre planete , les substances de linté- rieur, encore fluides, pénétraient à travers l'enveloppe de la terre crevassée de toutes parts ; tantôt se condensant comme des masses de filons à texture grenue, tantôt s’'épanchant en nappe et en coulées strati- formes. Ce que le monde primitif nous a transmis de roches volcaniques n’a guère coulé par bandes étroites comme les laves sorties des cônes volcaniques qui existent aujourd'hui. Les mélanges de pyroxène, de fer titané , de feldspath vitreux, et d’amphibole , peuvent bien, à diverses époques, avoir été les mêmes , tantôt plus rapprochées du basalte, tantôt du tra- chyte ; les substances chimiques ont pu, ainsi que nous l'apprennent les travaux 206 STRUCTURE ET ACTION importans de M. Mütscherlich, et Pana- logie des produits des hauts fourneaux , s'être réunies sous une forme cristalline, d’après des proportions définies. Il n’en est pas moins vrai que des substances compo- sées de la même manière sont arrivées par des voies très différentes à la surface de la terre; soit étant soulevées par des forces élastiques, soit en s’insinuant par des cre- vasses dans les strates de roches plus an- ciennes , c’est-a-dire à travers l’enve- loppe déja oxydée de notre planète, soit en sortant sous la forme de lave de mon- tagnes coniques qui ont un cratère per- manent. Si on confond ensemble ces phé- nomènes si différens , on rejette la géo- gnosié des volcans dans l'obscurité , à la- quelle un grand nombre d’expériences comparées a commencé à la soustraire peu a peu. DES VOLCANS. 207 On asouventagitécette question : Qu’est- ce qui brüle dans les volcans? qu'est-ce qui y produit la chaleur par laquelle la terre et les métaux se fondent et se mé- lent ? La nouvelle chimie répond : Ce qui brüle, c’est la terre , les métaux, les alcalis même, c’est-à-dire les métalloïdes de cettesubstance. L’enveloppe solide déja oxydée de la terre sépare latmosphère riche en oxygène des principes inflamma- bles non oxydés qui résident dans l’in- térieur de notre planète. Des observations que l’on a faites sous toutes les zones, dans les mines et dans les cavernes, et que, de concert avec M. Arago, j'ai exposées dans un mémoire particulier, prouvent que, même à une petite profondeur, la chaleur de la terre est de beaucoup supérieure à la température moyenne de l'atmosphère voisine. Un fait aussi remarquable et pres- 208 STRUCTURE ET ACTION que généralement constaté , se lie à ce que les phénomènes volcaniques nous ap- prennent. La Place a même essayé de déterminer la profondeur à laquelle on peut regarder la terre comme une masse fondue. Quelque doute que, malgré le respect dû à un si grand nom, on puisse élever contre la certitude numérique d’un semblable calcul, il n’est pas moins pro- bable que tous les phénomènes volcani- ques proviennent d'une seule cause qui est la communication constante ou passa- gère entre le dedans et le dehors de notre planète. Des vapeurs élastiques élèvent, par leur pression à travers des crevasses profondes , les substances qui sont en fusion et qui s’oxydent. Les volcans sont, pour ainsi dire, des sources intermittentes de substances terreuses ; les mélauges fluides de métaux, d’alcalis et de terres,qui DES VOLCANS. 200 se condensent en courans de lave, coulent doucement et tranquillement, lorsqu'une fois soulevés, ils ont trouvé une issue. Cest de la même manière , d’après le Phædon de Platon , que les anciens se f- guraient tous les torrens de feu comme des émanations du Pyriphlégéton. À ces considérations , qu'il me soit permis d’en ajouter une plus hardie. Cest peut-être dans la chaleur intérieure de la terre, chaleur qu'indiquent les essais ten- tés par le thermomètre , et les observa- tions faites sur les volcans , que réside la cause d’un des phénomènes les plus éton- nansque nous offre la connaissance des pé- trifications. Des formes tropicales d’ani- maux , des fougères arborescentes , des palmiers et des bambusacées sont enterrés dans les régions froides du nord. Partout IT. 14 | | |} 210 STRUCTURE ET ACTION le monde primitif nous montre une dis- tribution des formes organiques qui est en contradiction avec l’état actuel des cli- mats. Pour résoudre un problème si im- portant , on a eu recours à un grand nombre d’hypothèses, telles que l’appro- che d’une comète, le changement de l’o- bliquité de l’écliptique , l'augmentation de l’intensité de la lumière solaire. Aucune n’a pu satisfaire à la fois astronome, le physicien et le géognoste. Quant à moi, je laisse l'axe de la terre dans sa position ; je n’admets point de changement dans le rayonnement du disque solaire ; change- ment par lequel un céièbre astronome a voulu expliquer la fécondité et les mau- vaises récoltes de nos campagnes ; mais je crois reconnaitre que, dans chaque pla- nète , indépendamment de ses rapports avec un corps central , et indépendamment DES VOLCANS. 211 de sa position astronomique , il existe des causes nombreuses de développement de chaleur , soit par les procédés chimiques de l'oxydation, soit par la précipitation et les changemens de capacité des corps, soit par l'augmentation de la tension électro - magnétique, soit par la communication entre les parties intérieures et extérieures du globe. Lorsque, dans le monde primitif, la croute de la terre profondément crevas- sée exhalait de la chaleur par ces ouver- tures, peut-être durant plusieurs siècles, des palmiers, des fougères arborescentes, et les animaux des zones chaudes, ont vécu. dans de vastes étendues de terrain. De- puis cette manière d'envisager les choses, que j'ai déja indiquée dans mon ouvrage intitulé Essai géognostique sur le gise- 212 STRUCTURE ET ACTION ment des roches dans les deux hémisphe- res * ; la température des volcans serait la même que celle de l’intérieur de la terre, et la même cause qui aujourd’hui produit des ravages si épouvantables , aurait pu jadis faire sortir, sous chaque zone de l’en- veloppe de la terre nouvellement oxy- dée, et des couches de rochers profondé- ment crevassées, la végétation la plus riche. Si, pour expliquer la distribution des formes tropicales enfouies dans les régions boréales, on veut supposer que des élé- phans à long poil, aujourd’hui ensevelis sous les glaçons, furent originairement indigènes des climats du nord , et que des formes semblables au même type princi- * Paris, 1823, 1 vol. in-8°. DES VOLCANS. 213 pal , tel que celui des lions et des iynx, ont pu vivre à la fois dans des climats très différens, ce mode d'explication ne pour- rait cependant pas s'appliquer aux pro- ductions végétales. Par des causes que la physiologie végétale développe , les pal- miers, les bananiers, les monocotylédones arborescentes ne peuvent supporter les froids du nord ; et dans le problème géo- gnostique que nous examinons 1C1, 11 me parait difficile de séparer les plantes des animaux ; la même explication doit em- brasser les deux formes. J'ai, à la fin de ce mémoire, ajouté aux faits recueillis dans les contrées les plus éloignées les unes des autres, des supposi- tions purement hypothétiques et peu cer- taines. L'étude philosophique de la nature s'élèveau-dessusdesbesoinsde l'histoire na- 214 STRUCTURE ET ACTION turelle descriptive; elle ne consiste pasdans l'accumulation stérile d'observations 1s0- lées. Qu'il soit quelquefois permis à l'esprit curieux et actif de l’homme de s’élancer du présent dans l’avenir, de deviner ce qui ne peut pas être encore connu claire- rement , et de se plaire aux mythes géo- gnostiques de l'antiquité, qui se repro- duisent, de nos jours, sous des formes diverses. +23) ce-+< ÉCLAIRCISSEMENS ADDITIONS. mate >) Pac -—eer-+-2 > Gé ÉCLAIRCISSEMENS ADDITIONS (1) M. le professeur Oltmanns a calculé de nouveau mes mesures barométriques du Vésuve, prises le 22 et le 25 novem- bre, et le 1” décembre 1822, et en a comparé le résultat avec celui que in’ont donné les mesures qui m'ont été commu- niquées en manuscrit par lord Minto et par MM. Visconti, Monticelli, Brioschi et Poulett Scrope. 218 STRUCTURE ET ACTION A. Rocca del Palo, bord le plus haut du cratère du Vésuve , du côté du nord. toises. SAUSSURE , en 1773. Probablement d’après la formule de Deluc.... 609 Poët.. 12 -.. 1794. Mesure barométrique.. 606 BrgisLaK. ... 1794. — barométrique : mais de même que pour celle Poli ,on ne sait pas avec certitude d’après quel- le formule. 26248 613 Gay-Luss ac... }1805. D’après la formule de DE Bucx.... Laplace ; de même Huusozor. .. : que tous les résultats suivans..... réa 603 Brioscar..... 1810. — trigonométrique. .. 638 VisiNTr. .... 1816. — trigonométrique. .. 622 Lorn Minro.. 1822. — barométrique, sou- vent répétée. : 4.14. 621 Pourerr Scropr. 1822. — un peu incertaine, à | cause du rapport in- connu entre le diamè- tre du tube et de la cuvetié::41%70.1R0IU: 604 DES VOLCANS. 219 MoxnTICELLI. . Covezxi..... | Humevrpr. . .. 1822.:::::.... cms 629 Résultat final le plus vraisemblable, 317 toises au- dessus de l’ermitage, où 625 toises au-dessus de la mer. B. Bord le plus bas du cratère , vers le sud-est, vis-à-vis de Bosco Tre Case. Après léruption de 1794, ce bord devint de 400 pieds plus bas que la Rocca del Palo, par con- séquent si on estime à 625 toises la hauteur de celle-ci, celle de ce bord sera de. .... .... 55g Gavy-Lussac.. ( 1. e uen 554 HumsoLpt. .. A are ve ot e 546 C. Hauteur du cône de Scories , qui s’écroula dans le cratère le 22 octobre 1822. Lorp Mixro.. Mesure barométrique. . ..... 650 220 STRUCTURE ET ACTION Brioscar. ;... — trigonométrique , d’après différentes combinaisons... 636 OM 4 45 ca ME SOS 64a Résultat final le plus vraisemblable pour l’élé- vation du cône de scories, écroulé en 1822. 646 D. Punta Nasone , cime la plus haute du Somma. SHUCKEURGH.. 1794. Vraisemblablement d’a- près sa propre formule. 584 Hvumwsornr... 1822. D’après la formule de Laplace... 20 586. E. Plaine del Atrio del Cavallo. Hvuamoier. .. 1029... ER 403 F. Pied du cône de cendres. Gay-Lussac.. Dr Pocux....\2805:.:: 220006 FETES SRE 370 Huwsozpr. .…. Humsornr... 18922... 2 FLb ir ie dé ESS . 388 DES VOLCANS. 221 G. Ermitage del Salvatore. Gay-Lussac.. DE Bucx.... pol A PT AE 300 Humsozor. .. RS LÉ 2e es ee else 308,9 anahte.).. (28098.%0.002009 03540 Eat 307,7 Une partie de mes mesures a été impri- mée dans l’ouvrage de M. Monticelli, in- titulé : Séoria del Vesuvio, 1821-1823 , p. 115; mais la correction peu exacte de l’é- tat dumercure dans le baromètre à cuvette a un peu modifié les hauteurs. Quand on fera réflexion que les résultats des tables précédentes ont été obtenus avec des ba- romètres de constructions dissemblables à différentes heures du jour, par des vents soufflant de points divers de l’horizon et sur la pente d’un volcan inégalement échauffée, et où la diminution de la tempé- 222 STRUCTURE ET ACTION rature de l'atmosphère s'éloigne beaucoup de celle que nos formules barométriques supposent, on trouvera leur accord sufli- sant. Mes mesures de 1822 sont faites avec plus de soin, et dans des circonstances plus favorables que celles de 1805. Les difié- rences de hauteur sont naturellement pré- férables aux hauteurs absolues. Cette dif- férence démontre de la manière la plus incontestable , que , depuis 1794, le rap- port entre les bords , à la Rocca del Palo, et ceux du côté de Bosco tre Case, est resté à peu près le même. En 1805, j'ai trouvé juste 69 toises ; en 1822 presque , 82. L’excellent géognoste, M. Poulett Scrope, trouva 74 toises , quoique ces hauteurs absolues des deux cratères lui parussent un peu trop faibles. Un changement si peu considérable dans une période de vingt-huit ans, au milieu d'ébranlemens DES VOLCANS. 223 si violens dans l’intérieur du cratère, est certainement un phénomène frappant. La hauteur à laquelle atteignit le cône de scories qui s'était élevé du fond du cra- tère du Vésuve, mérite également uneat- tention particulière. En 1776, Shuckburgh trouva que l'élévation de ce cône était de 615 toises au-dessus du niveau de la mer. D’après les mesures du lord Minto, obser- vateur généralement exact, le cône de sco- ries, qui s’écroula le 22 octobre 1822, était haut de 650 toises. Quand on compare en- semble les mesures de la Rocca del Palo, depuis 1773 jusqu'en 1822, on est invo- lontairement porté à faire la supposition hardie , que le bord septentrional du cra- tère a été graduellement soulevé par les forces souterraines. L'accord des trois me- sures entre 1773 et 1805 est presque aussi surprenant que celui des mesures entre 224 STRUCTURE ET ACTION 1816 et 1822. Dans la dernière période , il n’y a pas de doute à élever sur la hau- teur de 621 à 629 toises. Les mesures qui, trente et quarante ans auparavant , ne donnaient que 606 à 609 toises, seraient- elles moins certaines ? Dans un temps futur, mais éloigné , on pourra être en état de décider ce qui tient aux défectuo- sités des mesures, ou au soulèvement du bord du cratère. L’entassement de masses roulées d'en haut n’a pas lieu dans cet endroit. Si les couches de laves trachy- tiques de la Rocca del Palo s'élèvent réel- lement , on doit penser qu’elles sont ex- haussées par dessous. Mon excellent ami M. Holimanns a présenté au public le détail de toutes les mesures , et l’a accompagné de sa critique dans les Schriften der Kæœnigl. Académie DES VOLCANS. 229 der MWissenschaften zu Berlin (Jahr 1822 und 1823. — S. 30 — 20). Puisse ce travail exciter les géognostes à examiner le plus accessible des volcans, le Vésuve, dans ses périodes de dévelop- pement. (2) Léopold de Buch, Notice sur le pic de Ténérifle, dans la PAysikalische Be- . schreibung der Canarischen Inseln, 1825 (p. 213), et dans les Æbhandlungen der Kæœnigl. Æcademie zu Berlin , 1820 (p. 99.) IL. 15 . = . = ÿ ri à e 4 . PA . . es 7 nr # HE TS ME raie deb: Mers a I EUR RUES œoioseob, six F LP EL. EN péril sb eshaitéd d ‘ ra PEN 2 ‘msn A ; nm... re . > «Hé LUCE 508 S Le JE | L, Us sn + RE de | DAT NOTA NET N LR \ LA 4 J LE sert | 4 ; abus, vaest ci diet ti RS ab , 7 ADR ” 4 Ÿ \ L1 14 st. n ,.] + 4 r : A E # "4 \ 3 à 3 mr À ‘= TE A 6 + | S de oO, d #3 CA LA FORCE VITALE, OÙ LE GÉNIE DE RHODES. FATIV. & er C «j AP NA LPNT Er DUR ES LA FORCE VITALE, LE GÉNIE DE RHODES *. Les Syracusains, comme les Athéniens , avaient leur Pæcile. Des images de dieux et de héros, des ouvrages des arts de la Grèce et de l'Italie, ornaïent les diverses salles du portique. La foule du peuple le remplissait constamment; les jeunes guer- D * Tiré de Zoren, journal littéraire , publié par Schiller, 1795, n° 4. 230 LA FORCE riers , pour y contempier les exploits de leurs ancêtres ; les artistes , pour y étudier les chefs - d'œuvre des grands maîtres. Parmi les tableaux innombrables que le zèle actif des Syracusains avait apportés de la métropole, il y en avait un surtout qui, depuis un siècle , attirait l'attention des passans. Quelquefois le Jupiter Olym- pien, Cécrops, fondateur des villes , le courage héroïque d'Harmodius et d’Aris- togiton , manquaient d’admirateurs , tan- dis que le peuple se pressait en rangs ser- rés autour de ce tableau. D’où venait donc cette préférence ? Ltait-ce un ouvrage d'Apelle échappé à linjure des temps, ou était - il dû à l’école de Callimaque * ? Non : l'agrément et la grace seimontraient, * Cacizetchnos. Pline, Hist. Nat., XXXIV, 19, 12: 99. VITALE. 231 il est vrai, dans ce tableau ; mais pour la fonte des couleurs, le caractère et le style de l’ensemble, il ne pouvait entrer en comparaison avec beaucoup d’autres ta- bleaux du Pécile. Le peuple regarde avec étonnement et admire ce qu'il ne comprend pas; et cette sorte de peuple est très nombreuse. Ce tableau était en place depuis un siècle ; mais , quoique la culture des arts füt plus développée à Syracuse que dans tout le reste de la Sicile, personne n'avait pu de- viner le sens de ce morceau de peinture. On ne savait pas même avec précision dans quel temple il avait été autrefois, car on lavait retiré d’un navire échoue, et les marchandises dont celui-ci était chargé , avaient seules fait connaitre qu'il venait de Rhodes. 232 LA FORCE Sur le premier plan du tableau, on voyait des jeunes gens et des jeunes filles réunis en groupes serrés. Tous ces per- sonnages étaient sans vêtement , et d’une grande perfection de forme, mais n'a- vaient pas la taille élancée que lon ad- nire dans les statues de Praxitèle et d'Al- camène. Leurs membres robustes, qui portaient des traces d’efforts pénibles , l'expression toute humaine de leurs désirs et de leurs chagrins, semblaient les dé- pouiller de tout caractère céleste ou divin, et les enchaïner à leur séjour terrestre. Leur chevelure était simplement ornée de feuillages et de fleurs des champs. Ils se tendaient les bras les uns aux autres, comme pour iémoigner le désir ; mais leur regard était dirigé vers un génie qui, entouré d’une lumière éclatante, pla- nait au milieu de ces groupes. Un pa- VITALE. 233 pillon était placé sur son épaule; de la main droite il tenait un flambeau allumé. Ses formes étaient enfantines, arrondies, son regard était animé d’un feu céleste. Il contemplaiten maitre les jeunes gens et les jeunes filles qui étaient à ses pieds. On ne distinguait d’ailleurs rien de caractéris- tique dans le tableau. Quelques personnes croyaient remarquer en bas les lettres C et w, et lon en prenait occasion , car les an- tiquaires d'alors n'étaient pas moins hardis que ceux d'aujourd'hui, d'en composer d’une manière très peu heureuse le nom d’un Zénodore, peintre qui, par consé- séquent , aurait été l’homonyme de lar- tiste qui plus tard fondit le colosse de Rhodes. Cependant le génie rhodien , c’est ainsi qu'on appelait le tableau mystérieux, ne 234 LA FORCE manquait pas de commentateurs dans Sy- racuse. Les amateurs des arts, notam- ment les plus jeunes, lorsqu'ils revenaient d’un voyage fait rapidement à Corinthe ou à Athènes, auraient cru être obligés de renoncer à toute prétention à la con- naissance des arts, s'ils ne s'étaient pas présentés avec une explication nouvelle. Quelques-uns regardaient le génie comme l'expression de l'amour spirituel, qui in- terdit la jouissance des plaisirs des sens ; d’autres croyaient que c'était l’image de l'empirede la raison sur les désirs. Les plus sages se faisaient, présumaient quelque chose de sublime , et examinaient avec plaisir, dans le Pœæcile, la composition shn- ple du tableau. : Cependant la chose restait toujours in- décise. Le tableau avait été copié avec de VITALE. 235 nombreuses additions, imité en bas-relief, et envoyé en Grèce , sans que l’on eût pu obtenir le moindre éclaircissement sur son origine, lorsqu'un jour, à l’époque du lever des Pléiades, la navigation de la mer Egée, venant de se rouvrir, des na- vires de Rhodes entrèrent dans le port de Syracuse. Ils apportaient un trésor de statues, d’autels, de candélabres et de ta- bleaux, que les Denys, par amour des arts, avaient fait rassembler en Grèce. Parmi les tableaux, il y en avait un qui pa- raissait être le pendant du génie rhodien. Il était de la même dimension , d’un colo- ris semblable, mais les couleurs en étaient mieux conservées. Le génie était égale- ment au milieu de la composition , mais il n'avait pas de papillon sur l'épaule ; sa iête était penchée ; il tenait son flambeau renversé vers la terre ; les jeunes gens et 236 LA FORCE les jeunes filles s’'embrassaient étroite- ment ; leur regard n’était plus ni triste ni soumis ; il annonçait qu’ils avaient recon- quis leur liberté. Déja les antiquaires Syracusains cher- chaient à modifier leurs précédentes ex- plications , afin qu’elles pussent s'adapter à ce nouveau tableau, lorsque le tyran ordonna de le porter dansla maison d'Épi- charme. C'était un philosophe de l’école de Pythagore. Il demeurait dans le quartier éloigné qu'on nommait Tyché. Il allait rarement à la cour de Denys, non que ce Lyran n'appelât autour de lui les hommes detalensde touteslescoloniesde la Grande- Grèce ; mais parce que la fréquentation des princes ôte le plus souvent aux talens une partie de leur charme. Épicharme s’occu- r pait sans reläche de l'étude de la nature, VITALE. 237 de ses forces, de l’origine des plantes et des animaux et des lois harmoniques d’a- près lesquelles tous les corps planétaires , comme les flocons de neige et les grains de grêle , prennent la forme sphérique en se mouvant sur eux-mêmes. Comme il était accablé par l’âge, il se faisait tous les jours conduire au Pécile, et de là à Ortygie, à l’entrée du port où, selon son expression, ses yeux lui donnaient une image de linfini, à laquelle son esprit s'efforçait en vain d'atteindre. IL était res- pecté du peuple et même des tyrans ; il évitait ceux-ci, et serapprochait volontiers de l’autre. Épicharme , épuisé de fatigue, était sur son lit de repos, lorsque le nouveau tableau lui arriva de la part de Denys. On avait eu soin également de lui apporter 238 LA FORCE une copie exacte du gènie rhodien. Le phi- losophe les fit donc placer tous les deux devant lui; après avoir tenu long-temps les yeux fixés sur ces deux peintures, il appela ses disciples, et d’une voix émue leur parla ainsi : « Ouvrez le rideau de la fenêtre, afin « que je jouisse encore une fois du coup- «d’œilde la terreanimée. Pendantsoixante « ans j'ai réfléchisur les mobiles intérieurs «de la nature et sur la différence des « substances ; aujourd’hui pour la pre- « mière fois, le génie rhodien me fait voir « clairement ce que je ne faisais qu’entre- «voir confusément. Si de l'union des « êtres vivans, il résulte un effet salu- «taire et fécond, de même , dans la na- « ture inorganique, la substance brute est «mue par des impulsions semblables. VITALE. 239 « Même dans la nuit du chaos, les prin- « cipes se rapprochaïent ou se fuyaient , « selon que l’amitié ou l’inimitié exerçaient « leur pouvoir. Le feu céleste suit le mé- «tal, l’aimant le fer : le succin frotté «enlève des substances légères : la terre « se mêle avec la terre : le sel se sépare « de l’eau de mer évaporée : l'acide du « suptæria * tend à s'unir à l'argile. Tout, « dans la nature inanimée, s’empresse de «s'unir d’après des lois particulières. 1l en « résulte qu'aucun principe terrestre , et « qui oserait compter la lumière parmi «eux, ne se trouve dans sa simplicité pri- «mitive. Tout , depuis son origine, tend « à former de nouvelles unions, et l’art de «d'homme peut seul séparer et présenter * L’alun, lacide sulfurique, déja connu des anciens, 240 LA FORCE «isolément ce que vous cherchez inuti- « lement dans lintérieur de la terre , et « dans les océans mobiles de leau et de «Pair. Dans la matière morte et inorga- « nique, le repos absolu règne aussi long- « temps que les liens de laffinité ne sont « pas rompus , aussi long-temps qu'une « troisième substance ne pénètre pas pour «se joindre aux autres. Maïs même à « cette lutte succède de nouveau un repos « infécond. « Ce n’est pas ainsi qu’opère le mélange « des principes qui constituent le corps des «animaux et des plantes. Cest là que la « force vitale exerce impérieusement ses « droits ; elle ne s'inquiète nullement de « l'amitié ni de linimitié des atomes ad- « mis par Démocrite ; elle réunit des sub- « stances qui, dans la nature inanimée ; VITALE. 241 « se fuient éternellement, et sépare celles « qui s'y cherchent sans cesse. « Rapprochez-vous de moi, mes chers « disciples ; reconnaissez dans le génie « rhodien, dans l’expression de sa force « unie à la jeunesse, dans le papillon sur « son épaule , dans le regard imposant de « ses yeux , le symbole de la force vi- «tale qui anime chaque germe de la « création organique. À ses pieds, les élé- « mens terrestres tendent simultanément à « suivre leurs penchans propres et à s'unir « les uns aux autres. Le génie, tenant en « Vair son flambeau allumé, leur com- « mande d’un air menaçant , et les con- «traint , sans égard pour leurs antiques « droits , de suivre ses lois, « Maintenant considérez le nouveau ta- IL 16 242 LA FORCE « bleau que le tyran m’a envoyé pour Pex- « pliquer : portez vos yeux de l’image de « la vie sur l’image de la mort. Le papil- « lon s’est envolé, le flambeau renversé « est éteint, la tête du jeune homme est « baissée, l'esprit s’est enfui vers la région « céleste, la force vitale est anéantie. Les « jeunes gens et les jeunes filles se tien- « nent par la main ; les substances ter- « restres exercent leurs droits. Dégagées « de leurs entraves , elles suivent avec « impétuosité , après une longue priva- « tion , l'impulsion qui les porte à s'unir : « le jour de la mort est pour elles un jour « de fête nuptiale. « C'est ainsi que la matière inerte, ani- « mée par la force vitale, a passé, par « une suite innombrable d'espèces; et dans «la même substance qui a peut-être en- VITALE. 243 « veloppé l'esprit divin de Pythagore , un « misérable ver avait joui de l'existence « d’un moment. « Va, Polyklès, dire au tyran ce que « tu viens d'entendre ; et vous, mes chers « Phradman, Scopus et Timokles, rap- « prochez-vous encore plus de moi. Je «sens que la force vitale affaiblie ne « domptera pas long-temps en moi la sub- « stance terrestre ; elle réclame son an- « tique liberté. Conduisez-moi encore une « fois au Pœcile, et de la sur le rivage de « la mer; bientôt vous recueillerez mes « cendres. » FIN DU DEUXIÈME ET DERNIER VOLUME. SL nc série EN À Ÿ: 24 , à: us + Vie LE »,n= = te RACE * rase re y cédrt cs ! LD 9° NYSE NP Der FL € PA at 7% Van ot OfÉS 3b DIRE RE, * ee ‘1e h C4 il > + me» (22 .. * is din | “sisi “a REA Srp00S more per jf aus dl 5" | Ad La, 1H VE 46: à DATE ep “somllioseogr ApOE SCT N if5re Fr ml + SFR 4 | QUE 16 rap 1e SELS le pis À: y Re ARS VAR RE VS VVR /VR/L VE VAR VAR VV R VAL LV 0/8 e/8 TABLE DES MATIÈRES. TOME PREMIER. PRÉFACE du traducteur.......-........ Page v Lama tes. IX EE lanta... NTI EE, JU XI Considérations sur les Steppes et les Déserts. 3 Éclaircissemens et additions sur les Steppes RE A A A A comes 59 Considérations sur les Cataractes de l’Oré- Eclaircissemens et additions sur les Cata- ractes de l'Orénoque:.: ................ 265 246 TABLE DES MATIÈRES. TOME SECOND. Idées sur la Physionomie des végétaux... Éclaircissemens et additions sur la Physio- nomie des vésétanx : ; 22020 RER Sur la Structure et l’Action des Volcans dans les différentes régions de la terre... ....... Éclaircissemens et additions sur la Structure et l’Action des Volcans dans les différentes régions de la terre, 10072200 0700 ‘ FIN DE LA TABLE, OUVRAGES DE M. A. DE HUMBOLDT. Ceux marqués d’une * sout du fonds dela Librairie de G1Dr fils. * TABLEAUX DE LA NATURE, 2 vol. in-8...…. 12 fr. * ESSAI POLITIQUE SUR L'ILE DE CUBA, avec un Supplément contenant des considéra- tions sur la population, la richesse territoriale et le commerce de l’Archipel, des Antilles et de la Colombie, 1826, 2 vol. in-8, avec une grande PR A RE EE asset ns sun o 17 * DE DISTRIBUTIONEGEOGRAPHICA PLAN- TARUM secundum cœli temperiem et altitudi- nem montium, Prolegomena, in-8, avec planche. 6 VOYAGE AUX REGIONS EQUINOXIALES DU NOUVEAU CONTINENT, fait de 1799 à 1804, avec 2 vol. de Monumens des peuples indigènes, LL Ra pre des. ea dire BEA ne 108 ch.” ‘| °|.°Ù 0É 7 PEUT MANOIR RON 42 ( 248 ) GRANDE ÉDITION DU VOYAGE. PREMIÈRE SECTION. — Première Division. Relation historique du Voyage, 4 vol. in-4 et atlas. Il en a paru six livrai- publié, à publier. sons , ou 2 vol. 3/4. Papier fin... 3oaf. 2136f. Papier véhn ns SRE 390 168 Liv. 4, 5, 6, papier fin... sis 142 » Papier vélin: 1.24 7 Re se | 174 » Deuxième Division. Vues des Cordillères ou Atlas pittoresque, 2 vol. in-fo, contenant 350 pag. de texte et 69 gravures, la plupart coloriées. Papier fin... Ji LEL A LARERE 11006 » Papier-YéH- 0 ennssei ft, 7006 » SECONDE SECTION. * Zoologie et Anatomie comparée, 2 vol. in-4, accompagnés d’un grand nombre de planches , la plupart imprimées en couleur, en 14 livraisons ; il en a-paru 13. Papier fins fs sentait RAP ENT à 25 Papier yélins 2.2. neccombesnsé0ft GO 30 TROISIÈME SECTION. Essai sur la nouvelle Espagne, 2 vol. in-4, et Atlas in-fol. de 32 Cartes et Tableaux géographiques , physiques et statis- tiques. Papier fin. ..…. ss oeire ARE er 300 » Papier véRD. 2e RARE 380 » ( 249 ) QUATRIÈME SECTION. Astronomie, ou Recueil d’Observations astronomiques, d'opérations trigonomé- triques et de mesures barométriques, faites pendant le cours du voyage, 2 vol. publié. à publier. in-4 de 700 pages. Papier fin. …...... 192 » Pape vélin. 0. Lab. 2862 » CINQUIÈME SECTION. * Géographie des Plantes, rédigée d’après la comparaison des phénomènes que présente la végétation dans les deux continens, 1 vol. in-fol. avec planches, en 4 livraisons. (Sous presse.) Papier es de icuesrounaunse 3 720 SIXIÈME SECTION. — Première Division. Plantes équinoxiales , 2 vol. in-fol. avec 144 planches.Papier vélin..............…. 520 » Deuxième Division. * 1° Les Melastomes , 1 vol. in-fol. de 150 pag. de texte, et 60 pl. coloriées. Papier vélin.................................. 432 * 20 Les Rhexies, 1 vol. in-fol. avec 60 planches coloriées. Papier vélin...… 432 » » ( 250 ) Troisième Division. * Les Mimoses, et autres plantes légumi- neuses du Nouveau-Continent, 1 vol. in-fol. avec 6o planches coloriées. Pa- publié. pier vélin. 4... LU NmeS era 672 Sur grand-colombier...............….…. 840 Quatrième Division. * Nova Gencra et Species Plantarum quas in peregrinatione ad Plagam æquinoc- tialem orbis novi descript. , ete., 7 vol. in-fol. avec plus de 700 pl. noires..…:.. 3000 * Même ouvrage, pl. color. , papier vélin. 6480 * Il y a de ce dernier ouvrage une édi- tion in-4 , planches noires. .................. 1206 * Et in-fol. , grand colombier, planches coloriées. 5... NT n 7000 Ne à publier, » » » » » D sn bide