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EXPLORATION
DU TERBITOIRE
DE LOREGON,
DES GALIFORNIES ET DE LA MER VERMEILLE,
EXÉCUTÉE PENBANT LES ANNÉES 1840, 1841 ET 1842,
M. DUFLOT DE MOFRAS,
Attacb(ï à la Légation d'- France à Mexico;
OUVRAGE PUBLIÉ PAR ORDRE DU ROI,
SOUS LES AUSPICES DE M. LE MABÉCHAL SOULT , DUC DE DALMATIE , Président du Conseil ,
ET DE M, LE MINISTBE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.
TOME PREMIER.
PARIS, ÂRTHUS BERTRAND, ÉDITEUR,
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE ,
Rue Hautefeuille, n" 23.
1844.
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EXPLORATION
DU TEBRITOIEE
DE L'ORÉGON,
DES CALIFORNIES ET DE LA MER VERMEILLE,
EXÉCUTÉE PENDANT LES ANNÉES 1840, 1841 ET 1842,
M. DUFLOT DE MOFRAS,
Attaché à la Légation de France à Mexico;
OUVRAGE PUBLIÉ PAR ORDRE DU ROI,
SOUS LES AUSPICES DE M. LE MABÉCHAL SOULT, DUC DE DALMATIE, Président du Conseil ,
ET DE M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.
TOME PREMIER.
PARIS, ARTHUS BERTRAND, ÉDITEUR,
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE ,
Rue Hautefeuille , n° 23.
1844.
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A MONSIEUR LE MARÉCHAL SOULÏ, DUC DE DALMATIE,
PHESIDKiNT DU COISSEIL DES MINISTRES.
Monsieur le Maréchal,
Eu vous priant d'accepter la dédicace de la Relation d'un voyage entrepris par vos ordres, je ne fais que remplir un devoir, et j'ose espérer que le public appré- ciera l'esprit et le but dans lesquels cette exploration a été conçue : il ne verra point seulement dans cet ouvrage les faibles efforts que j'ai tentés pour répondre à la con- fiance dont ma mission était le gage , mais encore cette haute pensée dirigeante qui, après vous avoir fait illustrer la France pendant la guerre, vous porte aujourd'hui à étendre, avec ses relations commerciales, les conquêtes pacifiques de son industrie et de son intelligence.
J'ai l'honneur d'être, avec respect, Monsieur le Maréchal,
Votre (rès-humble et très-obéissant serviteur, DUFLOT DE MOFRAS ,
AUaché a la l.ésalion (!<• Friincc h Mexico.
AVANT- PROPOS.
Lesnotious incertaines que l'on possédait sur les côtes occidentales de la Nouvelle Espagne, la Mer Vermeille, les Provinces internes du Mexique, les deux Californies, les Etablissements russes, ainsi que sur le Territoire de TOrégon, dont l'Angleterre et
Mil AVANT-PROPOS.
les Etats-Unis se disputent maintenant la possession; l'avenir immense réservé à toute la cote de l'Amérique, située au nord de l'Equateur et baignée par l'Océan Paci- fique septentrional; l'intérêt qui s'attachait déjà aux différents archipels de la Mer du Sud ; le développement de notre navigation et de la pêche de la baleine dans ces para- ges : toutes ces considérations avaient dès longtemps fixé l'attention du Gouverne- ment français. Aussi, à la fin de iSSg, M. le Maréchal Duc de Dalmatie, Président du Conseil des Ministres, et alors Ministre des Affaires Etrangères, voulant utiliser les notions que nous pouvions avoir ac- quises sur ces questions, soit par des voya- ges antérieurs en Amérique, soit par un séjour de trois années en Espagne, nous appela de l'Ambassade de France à Madrid,
AVANT-PROPOS. IX
à laquelle nous étions Attaché, et nous adjoignit à la Légation du Roi à Mexico , avec la mission spéciale de visiter les pro- vinces de l'ouest du Mexique, la Nouvelle Galice, Colima, Sinaloa, Sonora, le golfe de Cortez , l'Ancienne et la Nouvelle Cali- fornie, les Forts russes qui l'avoisinent, les postes des Américains et des Anglais à Astoria, et sur l'étendue du Rio Colombia et du Territoire de rOrégon; de rechercher enfin, indépendamment du point de vue politique, quels avantages pourraient offrir à notre commerce et à notre navigation des expéditions mercantiles, et la fonda- tion de comptoirs dans ces régions encore peu connues en France.
Les sages prévisions qui avaient ordonné ce voyage se sont réalisées : personne n'i- gnore maintenant l'importance, chaque
X AVANT-PROPOS.
jour croissante, qu'ont acquise les groupes des îles Marquises, d'Otaïti, de Sandwich et le Territoire de l'Orégon, surtout depuis l'ouverture du commerce avec la Chine, qui paraît devoir conduire à des relations plus générales avec le Japon, et depuis que la communication des deux grands Océans semble rendue prochaine par les travaux exécutables au lac de Nicaragua, et par le percement devenu facile de l'isthme de Panama.
Nous offrons aujourd'hui au public les résultats de cette exploration, qui renferme la description géographique, l'historique des découvertes , l'hydrographie des côtes , la statistique du pays, le tableau des mœurs des habitants et des Indiens, un précis sur l'influence qu'exercèrent les Missionnaires espagnols , et sur les établissements qu'ils
AVANT-PROPOS. xi
ont fondés; des détails sur le commerce que peuvent faire dans ces contrées les arma- teurs et les négociants français, sur les ob- jets européens d'échange, l'exportation des métaux précieux, la pèche de la baleine, les points de ravitaillement et de relâche pour les navires baleiniers, les productions du sol, et enfin des aperçus sur la botani- que et la zoologie.
Pour faciliter l'intelligence du texte, nous y avons joint, indépendamment de vues et de dessins, les plans des principaux ports, et une grande carte générale re- levée avec le soin le plus minutieux , et qui comprend tout le pays situé à l'ouest des Montagnes Rocheuses, une partie du Ca- nada, des Territoires de la Compagnie de la baie d'Hudson , des Amériques Russe et Anglaise, des Etats-Unis, du Texas, le plus
Ml AVANT-PROPOS.
grand nombre des provinces du Mexique, et la totalité du Territoire de l'Orégon, si inconnu jusqu'à nos jours. Les limites dé- terminées et les lignes proposées se trouvent tracées sur cette carte, avec l'indication des traités de paix et des conventions qui y ont donné lieu. C'est un travail diplomati- que entièrem^ent neuf.
Ajoutons que ce livre commence où celui de M. de Humboldt s'est arrêté, et ce sera pour l'auteur le meilleur titre à l'indul- gence que d'avoir essayé de suivre les tra- ces et de continuer l'œuvre de cet illustre voyageur.
4VERTISSEMEN']'.
Nous observerons, dans cet ouvrage, un ordre géographique en allant du Sud vers le Nord, et après un rapide exposé des cir- constances qui ont amené la séparation des provinces de la Nouvelle Espagne de la Couronne des Rois Catholiques, nous dé- crirons en détail la partie du Mexique et de la cote Nord-Ouest de l'Amérique qui s'étend depuis l'isthme de Tehuantepec jusqu'au détroit de Behring.
Pour avoir ime idée générale des pays décrits dans cet ouvrage , il sera utile de jeter au préalable un coup d'oeil sur la carte de l'Océan Pacifique, n° 2 de l'Atlas, qui ac- compagne ce volume.
NOTA.
Les gisements sont rapportés au îVord du Monde.
Les longitudes sont comptées du méridien de Paris.
Les lieues terrestres sont de 25 au degré.
Les lieues marines sont de 20 au degré et ont 5,557 mètres.
Le mille marin de 60 au degré équivaut à 1,852 mètres.
Les sondes sont exprimées en mètres ou en brasses de l'",6.
Une brasse vaut 5 pieds de France ou 1"',6.
Une encablure égale 100 toises ou 195 mètres.
Les pieds et toises sont en mesures de France.
Les températures sont exprimées en degrés centigrades.
Les hauteurs barométriques énoncent des millimètres.
Le jaugeage des navires est rendu en tonneaux de 1 ,000 kilog.
La fanega espagnole contient 563 litres.
Le quintal espagnol égale 46 kilogrammes.
L'arroba vaut 11 '',5 ou vingt- cinq livres espagnoles.
La livre sterling vaut en moyenne 25 francs.
Le dollar des États-Unis a une valeur égale à celle de la piastre.
La piastre forte vaut en moyenne 5^ , 35'^ et se divise en huit réaux.
EXPLORATION
DU TERRITOIRE
DE LORÉGON,
DES CALIFORNIES ET DE LA MER VERMEILLE,
KXKCUTÉE PENDANT LES ANNÉES 1840, 1841 ET 1842.
CHAPITRE PREMIER.
INTRODUCTION.
État du Mexique sous la domination espagnole. — Historique de la révolution. — Situation actuelle. — Considérations politiques.
Aucune des anciennes vice-royautés de l'Amé- rique espagnole n'a ressenti plus cruellement que le Mexique les funestes effets de la nouvelle ère politique , décorée du nom à^ Indépendance. Au bien-être et à la tranquillité dont jouissait la Nouvelle-Espagne ont succédé de continuelles
2 DOMINATION ESPAGNOLE,
agitations, une misère générale, les symptômes de dissolution les plus prononcés. Dès 1824 , après le règne éphémère de l'Empereur Itur- bide, aux malheurs nés de la lutte contre la Mère patrie vinrent s'ajouter les désastres de la guerre que se firent entre eux les insurgés, et, comme pourporterle derniercoup à la prospérité du Mexique, le congrès fédéral décréta, en 1827, l'expulsion des Espagnols européens échappés aux assassinats antérieurs. Avec eux disparurent les capitaux de l'industrie, les ressources du com- merce, la fortune du pays. Chassés par une loi parricide , les principaux négociants se réfugiè- rent à l'étranger et s'y fixèrent. D'opulents pro- priétaires, de hauts fonctionnaires, possesseurs de grandes richesses, les envoyèrent en Angle- terre, en France , en Espagne, aux Etats-Unis. Les exploitations importantes furent suspendues ; le sol si fertile du Mexique, ses trésors métalli- ques, son admirable position géographique, ses ports sur les deux Grands Océans devinrent en quelque sorte de stériles avantages ; il ne resta à cette contrée appauvrie, pour compenser ses désastres et ses fautes, qu'un mot vide et sonore, un simulacre de liberté.
La domination espagnole, au contraire, l'avait rendue florissante; elle s'était entourée de toutes
POLITIQUE DE CHARLES ITI. 3
les conditions qui font les grands peuples et les gouvernements respectés. Une marine considéra- ble, de nombreuses places fortes, une armée bien disciplinée, une administration équitable et vigilante, de salutaires lois municipales, la posi- tion financière la plus brillante, tels étaient ses moyens d'action, ses éléments de puissance.
Fernand Cortez et Charles-Quint avaient créé les premiers d'excellents règlements de colonisa- tion. A son tour, Philippe II, dont les vues poli- tiques furent si fermes et si vastes, posa les bases de la législation des Indes. Perfectionnée par Philippe V, l'œuvre se continua et prit un im- mense développement sous le règne glorieux de Charles III. Un grand ministre, le comte d'Aranda, s'effraya, à juste raison, en voyant les Etats-Unis, échappés à la souveraineté de l'Angleterre, pro- clamer leur indépendance. Il comprit qu'à leur exemple, les colonies espagnoles se détacheraient quelque jour de la Métropole, et, au risque même de déplaire, il signala le danger à son souverain. Éclairé par ces sages conseils, par ces lumineuses prévisions, Charles ITI songea alors à ériger en royaumes les vice-royautés américaines, et à éle- ver sur ces trônes les Infants d'Espagne : il se fût réservé, quant à lui, le titre à' Empereur des Indes, plaçant ainsi les rois de sa famille dans
4 POLITIQUE DE CHARLES IH.
des conditions de vassalité, laissant toujours l'Es- pagne régulatrice de leurs intérêts, et faisant de Madrid le grand centre d'où l'impulsion supé- rieure serait partie.
Ce plan qui portait en lui le germe de précieux résultats, puisqu'il pouvait rendre inébranlable à jamais la domination espagnole sur ses colonies d'Amérique, fut abandonné. Le temps et les circonstances manquèrent à Charles llf pour l'ac- complir.
La politique de ce prince n'en poursuivit pas moins avec persévérance le but d'une union plus étroite encore entre l'Amérique espagnole et la Mère patrie. C'est dans cette pensée qu'il créa une compagnie de gardes du corps, exclusivement composée de jeunes Américains, appartenant aux familles les plus distinguées. Cette mesure, indé- pendamment des ressources qu'elle offrait à Char- les III dans le cas d'une révolution au Mexique, en livrant à sa discrétion l'élite de la jeunesse hispano-américaine , avait le grand avantage d'ini- tier cette dernière aux mœurs européennes, et d'identifier plus que jamais les deux peuples. Malheureusement les successeurs de Charles III héritèrent de son pouvoir sans hériter de son ha- bileté , et cette compagnie cessa d'exister sous Ferdinand VII.
MARCHE DE LA RÉVOLUTION. 5
Les orages soulevés dans la Péninsule par la révolution française, l'administration débile de Charles IV, et, avant toutes choses, les intrigues de l'Angleterre et des Etats-Unis en Amérique, détachèrent insensiblement la Nouvelle-Espagne de la Métropole.
Un premier cri d'indépendance, poussé en 1810, fut facilement étouffé : mais le mouvement devint plus prononcé en 1814, et, en 1820, il acquit un caractère véritablement redoutable. Des généraux espagnols, les Xavier Mina, Eclie- varri, Arana et Negrete, désertant les enseignes royales, apportèrent aux insurgés l'appui de leur science militaire et la discipline dont ils manquaient. Ce fut d'ailleurs la faute de Fer- dinand VIL Rentré en Espagne, il avait ouvert les bras à la faction absolutiste , proscrit le parti libéral, destitué ses généraux les plus dévoués, frappé les hommes mêmes qui lui avaient con- servé la couronne.
Les officiers espagnols qui se trouvaient en Amérique pendant ces persécutions, furent indi- gnés contre un système qui condamnait à l'ostra- cisme les plus belles gloires du pays. Ce sentiment les poussa dans les rangs de l'insurrection, et, s'il n'excuse leur trahison, il en atténue du moins l'énormité. En vain les généraux restés fidèles à
6 SÉPARATION DÉFINITIVE,
la cause de la Mère patrie, D. José de la Crùz, Calleja, Novella, Venegas etTrujillo, combattirent vaillamment pour la faire triompher ; le succès favorisa la révolte; et, au commencement de 1822, la séparation définitive eut lieu. Ce fut un jour de folie qu'ont expié des années de désastres.
Tout nouvel état de choses a bespin pour se légitimer de calomnier celui qui succombe. Un acte d'accusation fut dressé contre l'Espagne ; on lui reprocha, entre autres, d'avoir tenu à l'écart les Espagnols d'Amérique pour favoriser à leur détriment les Espagnols européens; mais ce fait est de toute fausseté. L'intérêt, à défaut même de la justice, faisait une loi au gouvernement de Madrid, afin d'amener entre les populations une fusion rapide, d'éloigner toute préférence. Il sen- tit cette vérité et la pratiqua. Ce qui le prouve, c'est qu'il existe encore de nos jours dans l'admi- nistration espagnole des hommes éminents et prenant une part active aux affaires , qui sont nés en Amérique.
Les prétendues cruautés exercées contre les Indiens ne sont pas moins mensongères. Si dès les premiers temps de la conquête quelques violen- ces furent rendues malheureusement inévitables, la domination espagnole s'appliqua surtout à ré- pandre parmi les naturels des semences catholi-
CONDUITE DE L'ESPAGNE. 7
ques, des éléments d'instruction et de tranquil- lité : c'est ainsi qu'elle fonda dans les plus importantes villes du Mexique des collèges royaux pour les Indiens nohles (^reales colegios de Indios nobles)^ où les fils des principales familles de ca- ciques étaient élevés aux frais du roi. Aujourd'hui même, si l'on débarque sur un point quelconque de la Nouvelle-Espagne , on y rencontre des vil- lages indiens bien cultivés, riants, gouvernés pa- ternellement par leurs curés. Quelques pas plus loin se remarquent des villages de blancs créoles à l'aspect misérable et qu'entourent des campa- gnes arides. N'ayant plus le frein de sages lois, les mœurs y sont dans un relâchement extrême, et la misère, alliée à un faux patriotisme, y alimente tous les vices.
Non, l'Espagne ne se montra pas cruelle en- vers ses colonies ; elle fut tolérante et habile. Et tandis que la race anglo-saxonne anéantissait les infortunées peuplades de la Pensylvanie, de la Nouvelle- Angleterre et de la Caroline', les mis- sionnaires espagnols laissaient le sabre du con- quérant pour le bâton de l'apôtre, et soumet- taient les Indiens à l'Espagne par l'autorité de
' L'Amérique anjjlaise , à l'arrivée des Européens, comptait i6 millions d'indigènes : elle en compte aujourd'hui 2 millions!
8 ITURBIDE, EMPEREUR,
l'intelligence, de la religion et de la justice.
On ne se doute pas d'ailleurs en Europe de la magnificence que conservent les villes hispano- américaines, malgré les dévastations de la guerre et le délaissement auquel les livre une situation politique sans stabilité. Elles possèdent même encore quelque apparence d'ordre et d'adminis- tration locale, et ce fait s'explique aisément lorsqu'on se rappelle qu'en Espagne comme dans ses colonies le pouvoir central n'a qu'une action bornée sur les provinces qui administrent elles-mêmes leurs revenus, et dont les intérêts sont protégés par d'admirables lois municipales. Si l'on voulait enfin étudier ce qu'a été l'Espagne comme splendeur, c'est dans ses colonies d'Amé- rique qu'il faudrait en chercher les traces et les preuves. En voyant les derniers vestiges de cette prospérité merveilleuse , il semble que cette na- tion , pliant sous le poids de sa propre grandeur, ait eu besoin de répandre à l'extérieur le superflu de sa force et de sa vitalité.
Tel fut, en quelques mots, l'état de la Nouvelle- Espagne sous la domination de la Métropole; examinons maintenant ce qu'est devenu le Mexi- que sous le régime de Y Indépendance.
Aussitôt après l'entrée d'Iturbide à Mexico , à la tête de l'armée insurgée, le Congrès constituant
LE GÉNÉRAL VICTORIA, PRÉSIDENT. 0
s'établit et proclame, en mai 1822, ce général Empereur. Mais la jalousie de ses com2:>agnons d'armes s'applique bientôt à le dépopulariser, et après avoir exercé l'autorité pendant quelques mois, il est détrôné, exilé , mis hors la loi.
Composé des généraux Bravo, Michelena et Victoria , le pouvoir suprême exécutif gouverne jusqu'au jour où ce dernier est élu le premier. Président.
Sur ces entrefaites , Iturbide , que l'espoir de reconquérir la puissance avait suivi dans l'exij , quitte l'Europe , débarque, en juillet 1824, près de Tampico, et ne craint point de se confier à la loyauté du gouverneur de cette ville , le général Lagarza. Celui-ci l'accueille au mieux, le comble de prévenances, le fait asseoir à sa table, et , une h eure après, lui envoie un prêtre pou r se confesser. Victime de sa crédulité, le malheureux Iturbide meurt fusillé au mépris de tout honneur.
Quant au général Victoria , il continue sa présidence et la termine en 1828, où il est rem- placé parPedraza, légalement élu : mais, environné d'intrigues habiles et de rivalités ardentes, ce dernier ne tarde pas à se voir dépossédé, et il est contraint, pour préserver sa vie, de se sauver de Mexico sous les habits d'un moine. Guerrero lui succède : porté a la présidence par le parti fédé-
10 ASSASSINAT DE GUERRERO.
raliste, il est, en 1829, renversé par le vice-prési- dent Bustamante, qui fait la révolution dite de Jalopa. Guerrero, dont la tête est mise à prix et qui se rappelle Iturbide, s'enfuit précipitamment vers les départements du sud, gagne la côte et se réfugie sur un bâtiment sarde, commandé par le capitaine génois Picaluga. Celui-ci, auquel il s'est imprudemment confié , va le livrer aux autorités d'Acapulco, qui le font immédiatement fusiller, et donnent, pour prix de sa trahison, cinquante mille piastres à Picaluga, que plus tard, dans un noble élan d'indignation, la cité de Gênes déclare infâme.
Pendant ces drames sanglants et ces règnes éphémères , le pays souffre , les lois sont mécon- nues, les mœurs se corrompent, le commerce s'appauvrit. Uniquement occupés du soin de leur conservation , les divers compétiteurs s'arrachent successivement l'autorité, sans avoir le temps ni la volonté de rien fonder. Bustamante cependant se maintient à la présidence jusqu'en 1833 ; alors Santa-Anna, qui s'est montré l'un des acteurs les plus audacieux de la révolution et qui se sent fort de sa popularité, s'arme contre lui, l'abat, le fait exiler et rétablit à sa place Pedraza, que pousse d'ailleurs au pouvoir le parti fédéraliste. Mais las deservir les intérêts des autres, le général
LE GÉNÉRAL SANTA-ANNA. 1 1
Santa-Aima songe à travailler plus efficacement pour lui-même : en 1834 il renversela fédération, s'empare de la présidence et la garde jusqu'en 1836. A cette époque, les hostilités allumées entre le Mexique et le Texas le déterminent à laisser le pouvoir exécutif au général Barragan, vice- président : il prend le commandement de l'armée et tombe durant la guerre entre les mains des Texiens. Tandis que ces faits s'accomplissent, Bustamante est revenu de l'exil ; son parti a re- conquis la majorité, il se voit de nouveau porté à la présidence, et il la conserve pendant près de cinq années.
Cependant, Santa- Anna qui, avec sa dextérité habituelle, avait obtenu sa liberté des Texiens, grâce à la promesse illusoire de les déclarer indé- pendants du Mexique , jugeant opportun de se tenir momentanément à l'écart , va se renfermer dans ses propriétés voisines de Véra-Crnz, où il attend que les événements le rappellent dans une sphère active.
Santa-Anna éloigné, d'autres ambitions se font jour. Le général Urrea se prononce contre Busta- mante, le fait, en 1840, prisonnier dans le palais même, et proclame Gomez Farias à sa place. Le président dépossédé échappe par la fuite aux insurgés et rallie autour de lui quelques troupes
12 LES FRANÇAIS A MEXICO,
fidèles. La lutte s'engage, et pendant deux semai- nes un feu plus bruyant que meurtrier n'aboutit guère qu'à la démolition de plusieurs maisons et d'un pavillon du palais du gouvernement.
Ce simulacre belliqueux, qui eut pour résultat la chu te de GomezFarias, offrit à quelques-uns de nos compatriotes l'occasion de déployer une rare énergie, et causa plusieurs malheurs parmi la co- lonie française : le docteur Plane fut tué en se rendant près d'un malade ; un autre, le docteur de Villette, dut au généreux dévouement dont il fit preuve, en pansant au milieu de la fusillade un général mexicain , l'offre du titre de colonel qu'il refusa ; enfin , le courageux rédacteur du Courrier français , M. Thivol ', atteint par un éclat d'o- bus, eut la cuisse brisée, au moment oii il allait inviter nos détaillants à fermer leurs magasins.
Investi de nouveau de la ^^résidence, Busta- mante décrète l'oubli du passé , annule les lois
' Le Courrier français , journal publié en langue française à Mexico, est d'une très-grande utilité pour nos négociants répan- dus dans l'intérieur du pays. Du reste , la Légation espagnole, re- connaissant les avantages d'une semblable publication, a, depuis son arrivée, fondé le journal laHesperia, dans le double but d'en- tretenir des rapports entre les Espagnols résidant au Mexique et la Mère patrie, et de resserrer les liens des habitants de la Nou- velle-Espagne avec leur ancienne Métropole.
CHUTE DE BUSTAMANTE. 13
promulguées pendant sa captivité, déclarant que, durant cet intervalle, la république a été -acé- phale, mot qui, soit dit en passant, ne fut com- pris de personne , et dont lés Mexicains durent demander l'explication aux étrangers un peu lettrés.
Une année s'écoule, et le 8 août 1841, le géné- ral Paredès, gouverneur de la Nouvelle-Galice, se prononce à Guadalajara contre Bustamante, réu- nit en chemin deux mille hommes et marche sur la ville de Mexico, devant laquelle, par suite d'un mouvement concerté, se présente en même temps Santa-Anna. Après trente-cinq jours d'escarmou- ches, ce dernier est proclamé président provi- soire par l'armée, et fait une entrée solennelle à Mexico le 6 octobre , tandis que Bustamante se dirige par Véra-Cruz vers l'Europe, emportant avec lui le fruit de ses économies et le souvenir de sa grandeur passée. Depuis cette époque, Santa- Anna dispose à son gré des destinées de l'empire de Montézuma : il vient récemment d'être appelé à la présidence pour cinq années, et quelques personnes vont même jusqu'à lui prêter les vues ambitieuses qui amenèrent la chute et la mort d'Iturbide.
Mais Santa-Anna est trop clairvoyant pour se laisser prendre à l'appât d'un vain titre, qui l'en-
1 } PRÉSIDENCE
vironnerait de périls sans accroître son autorité : s'il tient à la puissance, c'est moins pour l'éclat qu'elle jette que pour les avantages effectifs qu'elle donne. Soldat de fortune , il a embrassé successi- vement toutes les causes, selon les nécessités de son intérêt. D'abord officier subalterne dans les troupes espagnoles, il se rangea, en 1820, du côté de l'insurrection, parce qu'il la vit forte et soutenue. Il obtint d'Iturbide le commandement du huitième régiment d'infanterie et fut fait par lui brigadier. Un caractère entreprenant, quelques talents militaires, une souplesse extrême , et sur- tout l'habileté dont il fit preuve lors de la mal- heureuse expédition du général Barradas, appe- lèrent sur lui l'attention et la confiance. Mélange de sang indien et de sang espagnol , Santa-Anna a la ruse de l'un, l'énergie de l'autre. Son œil noir est plein de finesse et de feu , et il conserve à cinquante ans toute la vigueur d'un autre âge. Cruel parfois jusqu'à la férocité, il fit, en 1835, fusiller, au mépris des conventions, les déta- chements texiens qui s'étaient rendus prison- niers.
Amoureux de popularité, il ne recule devant aucun moyen pour la conserver, et on l'a vu bien souvent, dans les combats de coqs, confondu dans la foule, et pariant une piastre en faveur de
DU GÉNÉRAL SANTA-AiNNA. 15
l'un deschampions, comme le dernier des leperos\
On aurait tort de croire d'ailleurs que la dic- tature qu'il exerce doive être durable. Des germes profonds de mécontentement se développent au- tour de lui : les différents chefs qui l'ont aidé à renverser Bustamante sont déjà ses ennemis, ils seront bientôt ses rivaux. Le plus redoutable de tous par ses lumières et son courage, le général Paredès , qui donna naguère le signal de la révo- lution, est tombé en disgrâce, et vit confiné dans une petite ville de l'intérieur : dans le sud , vers Acapulco , le général Bravo a réussi à se placer dans une sorte d'indépendance, et le général Urrea, tout-puissant dans les riches provinces de Jalisco , de Sinaloa et de la Sonora , a moins que jamais renoncé à réaliser leur séparation du gou- vernement central et à les constituer libres, sous la dénomination à' Etats de V Occident. Busta- mante, de son côté, n'a pas perdu toute chance de reconquérir le pouvoir : il se flatte que le vœu national le rappellera d'Italie où il s'est re- tiré , et les généraux Valencia , Gomez Farias , Tornel et Pedraza nourrissent tous en secret l'espoir de leur présidence future.
Santa-Anna lui-même n'a pas foi dans la durée
' On appelle ainsi les métis au Mexique.
16 MEURTRES ET DILAPIDATIONS,
de son gouvernement; il ne s'endort j3as dans une fausse sécurité de l'avenir , et s'occupe in- cessamment d'augmenter sa fortune déjà si consi- dérable : c'est ainsi que, réalisant, soit person- nellement , soit par ses affidés , des bénéfices énormes dans les divers marchés du gouverne- ment , il a reçu deux cent mille piastres dans l'affaire du monopole des tabacs, cent mille dans les règlements pour les licences accordées aux maisons anglaises , et deux cent mille sur le mil- lion employé en partie l'année dernière à faire des achats d'armes en Europe.
Cet exemple , que ne craignent pas de donner les hauts fonctionnaires , trouve de nombreux imitateurs parmi les employés subalternes. Un incroyable désordre règne dans l'administration mexicaine. Les attaques à main armée et les assas- sinats sont d'une fréquence extrême dans toutes les provinces, sur toutes les routes, et pas une semaine ne s'écoule sans que les diligences partant de Mexico et de Puebla ne soient arrêtées à la sortie même de ces villes. Des officiers font exé- cuter des vols par leurs soldats, afin de partager avec eux les dépouilles des voyageurs, et l'on se rappelle que le colonel Yanez, dont la bande tua et vola, en 1835, M. Mairet , consul suisse à Mexico, était l'ami et l'aide de camp du général
ARMÉE MEXICAINE. 17
Santa -Anna, alors comme aujourd'hui Prési- dent.
La composition de l'armée mexicaine explique suffisamment ces faits inouïs. Elle est en partie recrutée à l'aide de paysans et d'Indiens qu'on arrache à leurs villages, en partie parmi les cri- minels renfermés dans les prisons et dans les ba- gnes. Nous avons entendu à Guadalajara un co- lonel mexicain nous dire que, pour remplacer ses déserteurs, il faisait aligner par escouades les huit cents malfaiteurs que contenait la prison pu- blique, afin de choisir entre eux les hommes les plus beaux et les plus robustes. Ce premier soin rempli, il s'informait de la durée de leur peine, et tel forçat condamné à dix ans de galères était libéré du temps qu'il lui restait à faire encore, à la condition de servir pendant cinq années dans un régiment. Qu'attendre de tels soldats .►^ En Eu- rope , l'habit militaire est pour celui qui le porte une honorable distinction. On épure l'armée en déversant les mauvais sujets dans les établisse- ments disciplinaires. Au Mexique, la différence du soldat au galérien est en quelque sorte nulle, puisque c'est, comme on vient de le voir, à l'aide d'ignobles bandits que se complètent les régi- ments.
La désertion ne peut manquer d'être fort con-
18 SA FORCE NUMÉRIQUE,
sidérable dans une armée oii aucune discipline militaire ne s'exerce, où aucune autorité n'est respectée : les paysans s'échappent et regagnent leurs fermes, tandis que les malfaiteurs rejoignent leurs bandes ou demeurent cachés dans les fau- bourgs des villes.
Les officiers qui , sous le gouvernement royal , appartenaient aux familles les plus distinguées, sont tirés maintenant des classes les plus mépri- sables , ou fournis par une race de soldats parve- nus, dont l'ignorance égale seule la perversité.
Dans l'espèce d'école militaire récemment trans- férée à Chapultepec , il n'existe qu'un simulacre d'enseignement.
I^es troupes mexicaines comptent cependant quatre ou cinq jeunes officiers élevés en Europe , et quelques officiers et généraux espagnols ayant des connaissances militaires; mais les premiers sont un constant objet de jalousie pour leurs camara- des, et les autres doivent être flétris pour avoir trahi leur patrie et porté leurs armes contre elle.
Malgré les efforts du nouveau président pour accroître les ressources militaires du Mexique, il n'a réussi jusqu'à présent qu'à former un effectif de vingt mille soldats en guenilles , pieds nus pour la plupart, et armés de mauvais fusils an- glais. Ces troupes sont ainsi distribuées : à Mexico,
SA COMPOSITION. 19
huit mille hommes; à Guadalajara et dans le dé- partement deJalisco, denx mille; à la division du Nord, contre le Texas , quinze cents ; à la divi- sion du Sud , six cents ; au cantonnement expédi- tionnaire de Jalapa , anciennement destiné contre le Yucatan, deux mille quatre cents; à la forte- resse de Perote , deux cents ; à Véra-Cruz et San- Juan de Ulua, mille. Le reste est disséminé dans les provinces.
Les régiments d'infanterie se composent com- munément de deux bataillons, et sont commandés par un colonel. Chaque bataillon, sous les ordres d'un lieutenant-colonel et souvent d'un colonel honoraire, est au plus de trois cents hommes, et beaucoup n'en comptent pas cent cinquante. Les compagnies, de vingt-cinq à trente hommes, ont pour chef un lieutenant-colonel ou un chef de bataillon, auquel sont adjoints un capitaine, deux lieutenants et deux sous-lieutenants , c'est- à-dire, un officier pour quatre soldats. On re- trouve les mêmes disproportions et le même dé- sordre dans la cavalerie, et des escadrons de cin- quante chevaux ont six ou sept officiers.
C'est à peine si l'artillerie pourrait mettre en ligne trente pièces de campagne attelées et du même calibre; quant aux batteries de siège et de montagne , à celles des côtes, aux ouvriers, aux.
20 ÉTATS-MAJORS,
équipages de ponts et au train d'artillerie, ce sont choses absolument inconnues. La presque tota- lité de la poudre même est achetée aux Etats- Unis et en Angleterre.
L'arme du génie , tout à fait au niveau de l'ar- tillerie en ce qui concerne le matériel , est formée d'un bataillon de deux cents hommes, en garni- son à Matamoros, et d'une compagnie occupant la caserne assez ridiculement appelée citadelle de Mexico.
Mentionnons encore une sorte de milice rurale, mal organisée , mal entretenue , et dans laquelle les paysans ne s'incorporent qu'avec une excessive répugnance.
On le voit, à en juger par le nombre et la com- position des états-majors , l'armée mexicaine de- vrait dépasser toutes celles de l'Europe réunie ; car elle a à peine vingt mille soldats et elle compte vingt-quatre mille officiers!
D'ailleurs, si le courage purement individuel ne manque ni aux uns ni aux autres, il n'est point soutenu par cette ardeur du patriotisme qui fait supporter patiemment les souffrances, les priva- tions , les revers , et rend faciles les plus grandes choses.
Dernièrement, lors des différends qui divi- sèrent le Mexique et l'Angleterre , le général
POPULATION. — MARINE. 21
Santa -Anna se rendit à Jalapa pour passer en revue les troupes ; mais, ne connaissant pas le vé- ritable but de cette réunion, les soldats, à sa vue, se mirent à crier d'une voix unanime qu'ils n'i- raient pas au Yucatan, tant ils sont effrayés de la mortalité et des défaites qu'ont éprouvées ceux qui les ont précédés dans ce pays. Santa-Anna leur répondit, sans rien perdre de son sang-froid, q u' ilétait A^enu à Jalapa pour les encourager à défendre vaillamment le sol de la patrie, menacé d'une invasion anglaise. Ces paroles furent con- firmées par une proclamation , et lord Aberdeen accueillit en souriant cette nouvelle forfanterie républicaine.
Composé de six millions d'habitants, le Mexique est soumis aux intrigues de sept à huit mille offi-, ciers; et tandis que, par l'extension immodérée du vote, les États-Unis se voient menacés de tomber sous le joug de la populace [Mob domination) , cette belle contrée, si heureuse et si opulente lorsqu'elle s'appelait la Nouvelle-Espagne, est aujourd'hui courbée sous le despotisme militaire.
La marine de guerre ne compte , à Véra-Cruz, que deux pyroscaphes neufs, un ancien hors d'é- tat de tenir la mer, ainsi qu'une goélette de 150 tonneaux , armée de quatre pièces , et sur la Mer Pacifique, que trois brigs-goëlettes gardes-côtes,
22 SYSTÈME DE DÉtE.XSE
portant quatre petites caronades, le tout com- mandé par des officiers mexicains et manœuvré par des matelots de divers pays, à l'exception toutefois des deux pyroscaphes , dont les équi- pages, officiers et commandants, étaient exclu- sivement anglais : les officiers appartenaient à la marine royale, mais ils ont quitté le service au bout d'un an.
Sur tous les points du territoire , les magnifi- ques ouvrages de fortification élevés à grands frais par les Espagnols tombent en ruine. Les frontières du Nord sont dégarnies , et les pro- vinces septentrionales dévastées par des hordes de sauvages qui s'avancent jusqu'à trente lieues de la capitale.
Sous le régime de la Métropole, une savante combinaison de missions et de presidios arrêtait les déprédations des Indiens et répandait parmi leurs tribus les bienfaits du catholicisme et les lumières de la civilisation : la ligne stratégique, qui comprenait une étendue de plus de douze cents lieues, commençait au port de San-Francisco et à Monte-Rey, dans la Haute Californie, et des- cendait du nord au sud jusqu'à San-Diego. De là elle envoyait un double embranchement pour ceindre les deux côtes de la Basse Californie ; puis, traversant le Rio Colorado , elle longeait le
DES ESPAGNOLS. 23
Rio Gila , passait la Sierra-Madre , et, après avoir protégé le Nouveau r- Mexique et le Texas, elle venait finir à l'extrémité des Florides, coupant ainsi l'Amérique dans toute sa largeur, et mettant en communication les bords de l'Atlantique avec ceux de la mer du Sud.
En dedans de cette ligne , les gouverneurs et les infatigables missionnaires appelaient les co- lons, fondaient des pueblos , villages composés d'Espagnols et d'Indiens convertis , leur ensei- gnant la culture des terres, l'exploitation des mines et les arts mécaniques. Ces divers points , garnis de compagnies présidiales , étaient reliés entre eux et formaient un système complet de colonisation et de défense.
Les Jésuites, les premiers, eurent la gloire de concevoir et d'exécuter en partie ce plan admi- rable si digne des vastes entreprises de cette cor- poration à jamais illustre.
Que reste-t-il de cette organisation si forte et si compacte? Des ruines et de l'anarchie. Aussi, de nos jours, lorsqu'un voyageur, s'arrêtant de- vant quelques débris d'anciens édifices, s'informe de leur destination, on lui répond invariable- ment : « Ceci était un collège , une église , une caserne — du temps du Roi. »
Au point de vue financier, la situation du
24 FINANCES. - DETTES.
Mexique n'est pas moins déplorable. Ses revenus n'atteignent point quinze millions de piastres : ses dépenses excèdent dix-huit millions, et il est remarquable que sur ce budget l'armée seule en absorbe treize. C'est en vain que les créanciers du Mexique nourriraient l'espoir d'un rembourse- ment. Il est devenu impossible dans les circons- tances actuelles. La dette intérieure seule s'élève à plus de quatorze millions de piastres ; celle en- vers l'Angleterre à dix millions sept cent vingt mille livres sterling, c?ewa7 cent soixante-dix millions de francs , et les créances des Etats-Unis et de la France à une somme également considérable. Tqls sont enfin les embarras de ce gouvernement, que ses employés ne touchent généralement pas d'émoluments , et ses Agents diplomatiques en Europe sont , la plupart du temps , obligés de satisfaire, à l'aide de leurs propres ressources, aux exigences de leur position officielle.
Qu'il y a loin de cette perturbation profonde à la situation financière du Mexique sous le gou- vernement espagnol ! Les revenus alors dépas- saient vingt millions de piastres; un subside (e/ situado) de quatre millions était envoyé chaque année à la Havane et aux Philippines, et l'Espagne recevait un excédant liquide de six millions.
Nous venons de montrer ce que le Mexique
RAPPORTS POLITIQUES. 25
avait perdu au nouvel état de choses qui le rendit indépendant de la Mère Patrie ; il ne nous reste plus maintenant qu'à jeter dans ce chapitre un coup d'œil sur l'avenir de ce pays, ainsi que sur ses relations politiques avec les Etats-Unis , la Grande-Bretagne et la France.
La première de ces trois puissances était à peine établie , que son humeur envahissante se mani- festa clairement par les incursions réitérées de ses nationaux sur le territoire espagnol : en 1803 , le colonel Aaron Burr, qui avait succédé a Jefferson comme vice-président des États-Unis, annonça publiquement l'intention d'envahir et de révolu- tionner la Nouvelle-Espagne : ayant été arrêté , sur les réclamations du vice-roi , il passa en juge- ment et fut acquitté en octobre 1805. Une bonne harmonie passagère suivit cette satisfaction déri- soire , et quelques années plus tard , le cabinet de Washington proposa à celui de Madrid de fixer les limites américaines à l'embouchure du Rio Bravo del Norte , de le faire remonter jusqu'au 31® degré de latitude, puis de tirer une ligne droite jusqu'à l'océan Pacifique , ce qui aurait rendu par conséquent l'Union maîtresse despro- vinces du Texas, du Nouveau-Santander, delà Nouvelle-Biscaye, du Nouveau-Mexique, de la Sonora et de la Haute Californie.
26 LE MEXIQUE
Le gouvernement espagnol rejeta de telles ou- vertures avec indignation, et des hostilités isolées mais persévérantes recommencèrent. Désavoués officiellement , et secrètement encouragés , des agents américains s'emparèrent de la ville de la Bahia et de San Antonio de Bejar, et il ne fallut rien moins qu'une victoire signalée du général Elizondo , qui les tailla en pièces et refoula leurs restes dans la Louisiane, pour arrêter ces empié- tements.
Le traité des Florides survint en 1819, et il ne s'éleva aucune collision nouvelle jusqu'à la fin de la domination royale au Mexique. Les citoyens des Etats-Unis réussirent seulement à obtenir de nombreuses concessions de terrains , qui furent continuées par Iturbide et ses successeurs. Mais, loin d'abandonner leur pensée conquérante , les Etats-Unis ont travaillé opiniâtrement à en rendre l'accomplissement facile, et l'on vit avec surprise, en 1842, au milieu de la paix et sans déclaration de guerre préalable , le Commodore américain , commandant la station de la Mer du Sud , s'em- parer du port de Monte Rey, capitale de la ]>fou- velle Californie.
Le gouvernement mexicain s'est , au reste , écarté de la modération que lui commandait sa faiblesse, et un décret de Santa Anna, du 8 août
ET LES ÉTATS-UNIS. 27
1843, a contribué à entretenir entre ces deux puissances des germes d'animosité, puisqu'on fer- mant sans restriction les douanes frontières du nord, il interdit formellement tout commerce par terre aux Américains.
La question d'incorporation du Texas à la grande Confédération américaine a tout récem- ment donné lieu à un démêlé d'où pourraient sortir des événements considérables. En effet , M. de Bocanegra , ministre des Affaires Etran- gères à Mexico, fit savoir au Plénipotentiaire des Etats-Unis, que le cabinet mexicain verrait dans cette incorporation une déclaration de guerre. A ces menaces, le cabinet de Washington répondit sans s'émouvoir, que la France, l'Angleterre et les Etats-Unis avaient reconnu d'un commun ac- cord l'indépendance du Texas ; que cette répu- blique était dès lors entièrement libre de ses vo- lontés ; qu'enfin la réunion , si elle avait lieu, ne pouvant manquer d'être toute pacifique, il n'ad- mettait point les droits de réclamation du Mexique, et laisserait retomber sur lui la respon- sabilité de sa résistance.
Or le congrès du Texas vient de voter son annexation aux Etats-Unis, et l'on conçoit aisé- ment combien cette mesure, si elle s'exécute, doit empirer la j)osition du Mexique, qui se trouvera
28 DÉMEMBREMENT DU MEXIQUE,
ainsi menacé d'être envahi sourdement , au sud , par les Américains du nouvel Etat ; au nord, par ceux qui ont tenté déjà la conquête du Nouveau- Mexique; et , à l'ouest, par ceux qui ont essayé de faire de la Haute Californie un autre Texas.
Il est d'ailleurs intéressant de considérer les démembrements successifs que d'ici à peu d'an- nées aura éprouvés l'ancienne Vice-Royauté es- pagnole, transformée en République mexicaine.
Elle aura perdu , au sud et à l'est , la Capitai- nerie généralede Guatemala, le Yucatan, Chiapas et Tabasco ; au nord et à l'ouest, le Texas, Coha- huila,Chihuahua, le Nouveau Mexique, laSonora et les Californies. On peut dire déjà de la plupart de ces provinces ce que l'illustre marquis de Red- mar disait des possessions de terre ferme de Ve- nise : « que la République n'y conservait son autorité que faute de quelqu'un qui entreprît de l'usurper. »
Une colonne de trois mille hommes d'infante- rie, et quelques corvettes envoyées sur les deux mers, suffiraient pour subjuguer l'empire de Montézuma, dont la conquête serait aujourd'hui plus facile qu'au temps de Fernand Cortez.
Il y aurait cependant encore pour ce pays plusieurs moyens d'éviter le funeste avenir qui l'attend. Le premier serait de combler son défi-
CHANGEMENT DE GOUVERNEMENT. 29
cit financier, cequilui permettrait de se soustraire à la domination des puissances étrangères ; de payer régulièrement ses employés, et d'éviter ainsi les dilapidations qu'ils exercent ; d'entrete- nir des troupes suffisantes pour repousser les incursions des Indiens; garnir ses frontières du Nord et tenir en respect les Etats voisins. Mais pour arriver à ces résultats , il ne s'agit pas seule- ment d'introduire un ordre sévère dans l'admi- nistration et d'y établir un intelligent système économique; il faudrait augmenter dans d'énor- mes proportions le rendement des métaux pré- cieux, ce qui ne peut être obtenu par le Gouver- nement mexicain qu'en appliquant sur une vaste échelle, et en popularisant par tous les moyens en son pouvoir, le savant procédé de M. Becque- rel, qui rend inutile l'emploi si coûteux du mercure , et permettrait de tirer parti , dans toute l'étendue du Mexique, d'immenses amas de minerais jusqu'à présent inexploités.
Toutefois ces améliorations seraient impratica- bles ou superflues , si la forme du gouvernement restait la même. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'établissement d'une monarchie européenne a été indiqué comme pouvant seul mettre fin aux déchirements , et anéantir les factions qui déso- lent ce beau pays. M. Zavala, ministre du Mexique
30 PARTIS POLITIQUES
à Londres, en 1834, avait entamé déjà des négo- ciations à ce sujet, et vers la fin de 1840, un des hommes les plus honorables du Yucatan, M. Gu- tierrez Estrada, bravant les clameurs et peut-être le poignard de quelques énergumènes, osa impri- mer, dans la capitale même , un livre où il pro- posait, comme unique moyen de salut, la recons- titution du trône, en y appelant un prince étranger.
Le parti républicain est, au reste, sans force réelle, partagé qu'il est en deux factions : les cen- tralistes ou francs-maçons du rite écossais, et les fédéralistes ou francs-maçons du rite yor- kin. Les loges de ces derniers furent introduites au Mexique dès les premiers temps de l'Indépen- dance, par M. Poinsett, agent américain, qui, fidèle aux instructions de son cabinet , y favorisa les idées fédérales, sachant bien qu'en divisant ce pays en petits Etats libres , il serait plus facile à l'Union d'en amener le démembrement. Les événements ont justifié ces prévisions.
Il est peu d'honnêtes gens au Mexique qui n'appartiennent au parti religieux royaliste et européen, nommé parti clérico-espagnol. f^es mineurs, les propriétaires, les négociants probes, l'ancienne noblesse, toutes les familles oii se retrouvent les vertus espagnoles, des sentiments
AU MEXIQUE. 31
d'honneur, de loyauté, regrettent le gouverne- ment royal, et font en secret des vœux pour son rétablissement. Et c'est assurément un sérieux sujet de méditation que le retour des républiques américaines vers les idées monarchiques . Elle se sontépuiséesà conquérir une indépendance désas- treuse; mais elles n'ont rien pu édifier sur les ruines qu'elles avaient faites , et se trouvent em- barrassées aujourd'hui de cette liberté achetée si cher. Sans parler des Etats-Unis oii les tendances du parti loyaliste sont bien connues, n'a-t-on pas vu, dès 1828, le Libérateur Bolivar traiter avec l'un de nos Envoyés pour l'établissement d'un prince français sur le trône de la Colombie? A Montevideo les mêmes vœux ont été formulés; depuis dix ans le Mexique les partage , et , tout récemment , une demande semblable a été faite par la république de la Nouvelle-Grenade.
Il va sans dire, en ce qui concerne le Mexique, que la profession de la religion catholique, et des relations par leur famille avec les anciens pos- sesseurs de cette contrée , seraient les premières conditions exigées des princes qui pourraient être appelés à y reconstituer un gouvernement monarchique.
Les infants d'Espagne, les princes français et les archiducs d'Autriche remplissent ces conditions,
32 LE MEXIQUE
et nous pouvons affirmer que de quelque part que se présentât le compétiteur , il serait unani- mement accueilli par les populations mexicaines.
Quels sont maintenant les intérêts de la France dans ces questions?
L'établissement au Mexique d'une monarchie quelconque^ posée sur de solides bases, devrait être le premier vœu de notre politique ; car on sait ce que l'instabilité attachée à la forme ac- tuelle de son gouvernement entraine de désavan- tages pour notre commerce et d'inconvénients pour nos nationaux.
Mais si le Mexique devait conserver le régime républicain , son incorporation à l'Union du Nord nous semble devoir être plus profitable à la France que son état actuel , puisque nos tran- sactions commerciales ne pourraient manquer d'acquérir, sous l'administration fortement assise des Etats-Unis, un développement considérable. Nos compatriotes y jouiraient de toutes les garan- ties de liberté, de sécurité, de justice, qu'ils ont vainement demandées jusqu'à présent au cabinet mexicain , quoique notre gouvernement ait tout fait pour les leur assurer par des réclamations énergiques qui, nous l'espérons, ne sauraient être éludées plus longtemps.
L'Angleterre, en outre, perdrait à cet ordre
ET LES ÉTATS-UNIS. 33
de choses ce qu'y gagnerait la France. Elle ver- rait s'anéantir en même temps , avec l'espèce de souveraineté politique qu'elle impose au Mexique, le monopole commercial qu'elle y exerce. Elle s'affaiblirait en proportion des forces nouvelles que l'absorption de cette puissance et celle du Texas prêterait aux États-Unis. En effet, ce der- nier pays, dont la population atteint déjà dix-huit millions d'habitants, grâce à cette double réunion, rélèverait à près de vingt-cinq , et peut-être un jour parviendrait à réaliser le rêve éternel de ses Présidents, de porter ses frontières jusqu'à l'isthme de Panama.
S'il en était jamais ainsi, l'Union commande- rait la Mer Pacifique par la partie du Territoire de rOrégon qui lui sera dévolue ; par les Ca- lifornies et les côtes occidentales du Mexique , de Guatemala, de l'Amérique centrale et de la Nouvelle-Grenade. A l'est, elle serait maîtresse de l'Atlantique, depuis le Canada jusqu'à l'isthme du Darien , et menacerait par conséquent tous les groupes d'îles situés à l'entrée du golfe du Mexique, et dans la mer des Antilles.
Ces immenses agrandissements, l'Angleterre en a dès longtemps compris la possibilité et le péril : aussi, a-t-on tout lieu de croire, d'après de récen- tes manifestations, qu'elle s'opposera à la réunion
34 RÉUNION DU TEXAS
du Texas aux Etats-Unis. En effet , elle a couvert dès sa naissance cette république de sa protec- tion : par les traités de 1840, elle a obtenu qu'elle accédât au droit de visite, et qu'elle prit à sa charge un million de livres sterling de la dette mexicaine envers la Grande-Bretagne : c'est enfin par Fentremise de ses agents diplomatiques qu'un armistice a été conclu l'année dernière entre le Mexique et le Texas.
Or l'opposition de l'Angleterre touchant l'in- corporation du Texas à l'Union pourrait avoir les résultats les plus nuisibles pour la grande Con- fédération américaine, puisque, avant très-peu d'années, la population des émigrants anglais dé- passerait dans une proportion considérable le chiffre des colons des Etats-Unis établis au Texas, et que quatre ou cinq mille nouveaux votants britanniques, devenus légalement citoyenstexiens, suffiraient pour changer la majorité dans les élec- tions, et influer par conséquent sur le gouverne- ment du pays et sur sa politique extérieure.
Le Texas n'ayant ni marine, ni capitaux, l'An- gleterre l'approvisionnerait dès lors de tous les objets de consommation, et, par une colonisation fortement développée, cette dernière puissance pourrait obtenir du Texas, en échange de ses pro- duits , tout le coton que l'Inde est dans l'impos-
AUX ÉTATS-UNIS. 35
sibilité de lui fournir, et qu'elle est aujourd'hui forcée d'acheter aux Etats-Unis.
La nou-annexation du Texas à l'Union laisse- rait d'ailleurs à découvert la frontière occiden- tale des Etats-Unis, et, sans parler de l'énorme contrebande de marchandises anglaises qui pour- rait s'effectuer par Je Texas, la libre navigation des basses eaux et de l'embouchure du Mississipi se trouverait compromise du jour oii l'Angle- terre serait assise sur la rivière Sabine, l'Arkansas et le Rio Colorado du Levant.
Quant au Mexique, il ne ferait que changer de voisin, et l'exemple de Balize dans le Yucatan est une preuve qu'il ne gagnerait pas grand'chose à ce déplacement.
L'Angleterre, on le voit, aussi ombrageuse dans sa politique que tenace dans son ambition, a élevé de toutes parts des obstacles aux agran- dissements des Etats-Unis.
Elle s'est efforcée même d'exagérer leurs ré- sultats, en prétendant qu'il importait à la France, autant qu'aux autres puissances européennes, d'empêcher en Amérique la trop grande exten- sion de l'élément démocratique, puisqu'il pour- rait tôt ou tard , réagissant du Nouveau Monde sur l'Ancien , venir y mettre en question l'exis- tence de tous les trônes.
3.
30 ROLE DE LA FRANCE.
La France, nous le répétons, dans le cas où la forme monarchique ne pourrait renaître dans les républiques espagnoles , aurait à recueillir de grands avantages de leur incorporation aux Etats- Unis. Mais, quoi qu'il advienne des destinées du Mexique, il est utile pour notre gouvernement d'entretenir avec ce pays des relations suivies, d'y conserver un marché si précieux pour notre commerce , et d'avoir des représentants distin- gués pour y défendre nos intérêts.
Ce dernier point est capital, car les affaires ne se traitent point dans les républiques de l'Amé- rique espagnole de la même façon qu'en Europe. La morgue et la violence doivent être avec soin bannies. Ecrire peu et parler beaucoup, posséder parfaitement la langue du pays, avoir des anté- cédents honorables, un caractère sérieux sans pé- dantisme et ferme sans emportement, savoir, tout en n'abdiquant jamais leur dignité, se plier aisé- ment à la familiarité des mœurs espagnoles, telle est la réunion de qualités indispensables dans les agents européens.
Quelques-uns d'eux, envoyés au Mexique, fa- çonnés à d'autres usages, habitués à effacer com- plètement l'homme privé sous l'homme politique, apportent dans ce pays une extrême rigidité d'étiquette, et toute la roideurgermanique: cette
CONCLUSION. 87
conduite inintelligente, en les isolant au milieu de la société mexicaine, les prive bientôt de tout ascendant. Avec les hommes d'Etat de race espa- gnole, c'est dans la conversation, dans le libre épanchement des relations particulières, que les négociations doivent être exposées et débattues : si elles échouent de cette façon, si l'influence personnelle du diplomate est inefficace, toutes les dépêches officielles seront impuissantes en- suite à les faire réussir. Il ne restera plus réelle- ment alors aux gouvernements étrangers que la ressource de l'intimidation et l'emploi de la force. C'est ce que savent Irès-bien les Etats-Unis et l'Angleterre, et c'est ce qui assure à ces deux na- tions, dans ce pays, une prépondérance incon- testée.
Disons, en terminant ces considérations pré- liminaires et le rapide aperçu que nous avons offert dans ce chapitre de l'état militaire, finan- cier et politique du Mexique, que, pour être sévères , nos appréciations yiqxv sont pas moins justes, car, toutes spéculatives, elles ne touchent ni aux mérites personnels, ni aux vertus privées de ses habitants. Pendant trois années, nous avons parcouru cet immense empire dans toutes ses parties; nous avons étudié avec soin ses ressour- ces matérielles, ses institutions, son gouvernement.
38 CONCLUSION,
connu les hommes les plus éminents dont il se compose; et c'est parce que nous sommes resté convaincu que cette nation , avec les richesses dont est dote' son territoire et les éléments de vi- talité qu'elle possède , peut reconquérir un jour des destinées prospères, que nous avons cru de- voir lui dire la vérité sans déguisement, et lui montrer l'abime pour qu'elle l'évitât.
CHAPITRE IL
Situation commerciale et financière du Mexique. — Production et exportation des métaux précieux. — Budget des recettes et des dépenses. — Dettes étrangères. — Population et intérêts français.
Nous avons dit déjà qu'à la suite de la mesure inique et désastreuse qui expulsa du Mexique les Espagnols européens , les plus riches négociants , se retirant de ce pays, se fixèrent à la Havane, à Cadix, à Bordeaux et à Paris. Les fonds qui par- vinrent en France à cette époque atteignirent un
40 PRODUCTION
chiffre fort élevé : en 1 828 ils se montèrent à près de vingt et un millions de francs ; en 1829 , à plus de treize; et en 1830, au delà de dix et demi. Depuis lors, la moyenne des importations annuelles d'espèces n'est guère que de trois mil- lions cinq cent mille francs. Des sommes de beau- coup supérieures à celles importées en France furent envoyées aux Etats-Unis , en Espagne et en Angleterre.
Cette énorme disparition des métaux précieux, que ne purent compenser les fonds obtenus par le gouvernement mexicain des capitalistes an- glais, occasionna une perturbation qui explique l'état de malaise où se trouve aujourd'hui le com- merce. En effet, l'argent produit de nos jours est exporté ; il sert à peine à payer les marchan- dises étrangères , et il reste dans le pays si peu d'espèces en circulation, qu'à Mexico le taux légal de l'intérêt de l'argent est d'un pour cent par mois, ets'élève même jusqu'à trois sans blesser les usages commerciaux.
De tout temps la production des métaux a été le thermomètre exact de la prospérité du Mexique. De 1801 à 1810, avant la guerre de l'Indépen- dance, l'hôtel des monnaies de Mexico frappait seul, année moyenne, vingt-deux millions de piastres fortes. En 1805, qui fut l'année la plus
DES MÉTAUX PRÉCIEUX. 41
florissante, on frappa à Mexico vingt-sept millions cent soixante-cinq mille huit cent quatre-vingt- huit piastres, tandis qu'en 1837, il n'en sortit de l'hôtel des monnaies que cinq cent soixante et un mille sept cent trente. Il est vrai que sous le gou- vernement espagnol il n'y eut longtemps qu'un seul hôtel des monnaies, celui de Mexico, auquel était joint un atelier d'essai et de départ. Celui de Zacatecas ne fut fondé qu'en 1810 : aujour- d'hui, il en existe plusieurs : à Guadalajara, San-Luiz de Potosi, Guanajuato , Chihuahua , Durango et Hermosillo, dans la Sonora. Ce der- nier, établi en 1838, ne frappa que soixante-dix mille piastres qui contiennent beaucoup d'or; mais les fourneaux et le balancier s'étant brisés , le monnayage fut abandonné pendant plusieurs années : il résulte toutefois d'un décret rendu le 16 février 1842, que cet atelier ne tardera pas à être rétabli , et sera confié à la direction de MM. Duport et Bellangé, ingénieurs et chimistes français. Un second décret du président Santa- Anna (septembre 1842) ordonne, en outre, la création de deux hôtels de monnaie à Culiacan , dans la Sonora, et à Guadalupe y Calvo, dans le département de Chihuahua.
Plusieurs autres villes renferment seulement des ateliers d'essai dont l'Etat est propriétaire.
42 HOTELS DES MO^NISAIËS.
Le 1" janvier 1842, l'abolition des ateliers parti- culiers de départ fut décrétée, et en février 1843, le gouvernement acheta soixante mille piastres le magnifique établissement de MM. Duport et Bellangé , à Mexico. L'état de délabrement des ateliers, l'ignorance des essayeurs, le manque d'instruments de précision, ne permettent pas de déterminer d'une manière positive et uni- forme pour tout le Mexique le titre des lingots et des monnaies d'or et d'argent. Le titre des anciennes piastres espagnoles à colonnes était de 917 millièmes; celui des piastres mexicaines à l'aigle n'est aujourd'hui que de 903. Le titre de l'or est de 0,875.
La plus grande partie des piastres expédiées en Europe vient à Paris pour être affinée, et il n'est point inutile de signaler les fraudes, proté- gées par l'impunité, qui se commettent dans plu- sieurs établissements du Mexique. Ainsi, en 1838, on frappa à Guadalajara soixante mille piastres qui , soumises à l'analyse , furent trouvées infé- rieures de quatre pour cent au titre qu'elles accusaient. Aujourd'hui même, à l'atelier del Rosario, dans le département de Sinaloa, un es- sayeur du gouvernement ybwrr^? les lingots avec du plond^ et les marque d'un titre supérieur. Les plaintes réitérées des commerçants étrangers
AFFINAGE. 4 S
du port de Mazatlan sont demeurées inefficaces, et cet liomme continue tranquillement cette falsification scandaleuse sans qu'on ait encore pu obtenir sa destitution.
Dans les hôtels de monnaie du gouvernement, le monnayage des lingots d'or ou d'argent coûte au propriétaire environ quatre et demi pour cent. A Paris, les piastres varient de prix en raison des ateliers d'où elles proviennent. Celles de Durango et de Mexico valent cinq francs trente-quatre centimes à cinq francs trente-cinq centimes; celles de Zâcatecas, cinq francs trente à trente-cinq centimes; celles de Potosi et Gua- dalajara, cinq francs trente-cinq à trente-sept centimes; les piastres espagnoles à colonnes, cinq francs quarante à quarante-cinq centimes, et en Chine, où elles constituent la monnaie courante , elles ont six pour cent de prime sur les piastres mexicaines. Les monnaies d'or subissent la même dépression dans leur valeur; et tandis que les quadruples espagnols se vendent jusqu'à quatre- vingt-quatre francs soixante centimes, ceux des Etats indépendants ne sont cotés que quatre- vingt-deux francs vingt centimes.
La moyenne delà production des métaux pré- cieux au Mexique pour 1840, 41, 42 et 43, est, à très-peu de chose près, de treize millions
4i EXPORTATION DES ESPÈCES,
(le piastres en espèces monnayées , auxquelles il faut joindre trois millions pour les lingots d'or et d'argent , exportés clandestinement. Cette somme s'élève , en totalité , à seize mil- lions environ , dans lesquels le rapport de l'or à l'argent est de un à soixante. Nous avons fait observer déjà que le pays ne gardait presque rien de ces richesses, et le tableau suivant fera connaître les sommes qui sont destinées directe- ments au commerce français, ainsi que notre commerce général avec le Mexique. Nous ajou- tons encore, comme renseignement utile , l'état des quantités d'or et d'argent frappées à l'hôtel des monnaies de Mexico , depuis 1800 jusqu'à 1840.
COMMERCE AVEC LA FRANCE.
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7,514 8,903 8,706 7,824 6,838 5,702 5,686 5,312 6,524 4,902 4,994 3,994 5,371 6,201 7,2(»6 4,599 |
||||||
.1 |
|||||||
â |
Ci |
||||||
• 1 < |
Z |
1 i |
4,388 7,659 9,396 8.776 7,095 5,398 3,709 7,854 7,269 7,762 4,530 3,955 1,963 6,557 5,142 4,532 |
s C5 |
|||
[ 1 |
o |
||||||
s o |
03 CB 1-1 |
H |
14,925,348 9,992,017 9,734,072 23,226,747 20,353,235 13,399,956 15,026,670 12,040,799 17,300,858 9,499,806 9,637,652 8,106,536 11,342,314 13,994,084 l'i,652,50l 11,407,300 |
n ï3 |
|||
O i |
3 "3 |
/ |
fr. 648 243 880 738 196 070 842 122 234 735 684 790 535 264 458 387 |
(X/ cT 05 Oi |
|||
i |
^ |
||||||
O |
fi-. 6,289,500 20,709,640 13,482,461 10,585,050 5,158,350 3,404,310 5,552,035 4,5'i9,260 3,052,182 3,231,750 4,'247,7I0 2,'297,714 6,232,950 2,749,475 2,929,740 1,469,760 |
||||||
1 1 S |
fr. 5,447,148 6,762,603 8,089,419 5,899,688 3,705,846 7,876,760 5,340,807 6,743,862 7,093,052 8,703,985 7,111,974 4,415,076 4,578,585 7,388,789 5,946,718 5,253,627 |
1 |
|||||
\ |
1 |
aDXOo»ooœooxœœx«xx«cû |
1 |
16
MONNAYAGE.
QUANTITES D'AKGEINT ET D'OR MONNAYES
A l'hôtel des monnaies de MEXICO DE 1800 A 1840,
ANNÉES. |
ARGENT. |
OR. |
TOTAL. |
piailres. |
piailres. |
||
1800 |
17,898,5Io""'" |
787,164 |
18,685,674 |
1801 |
15.958,044 |
610,398 |
16,568,442 |
1802 |
17,959,477 |
839,122 |
18,798,59'J |
1803 |
22,520,856 |
646,050 |
23,166,906 |
1804 |
26,130.971 |
959,030 |
27,090,001 |
1805 |
25,806,074 |
1,369,814 |
27,165,888 |
1806 |
23,383,672 |
1 ,352,348 |
24,736,020 |
1807 |
20,703,984 |
I,5I2,2G6 |
22,216,250 |
1803 |
20,502,433 |
1,182,516 |
21,684,949 |
1809 |
24,708,164 |
1,464,818 |
26,172,982 |
1810 |
17,950,684 |
1 ,095,,504 |
19,046,188 |
1811 |
8,956,432 |
1,085,364 |
10,041,796 |
1812 |
4,027,620 |
381.646 |
4,409,266 |
1813 |
6,133,983 |
000,000 |
6,I3.'Î,983 |
1814 |
6,902,481 |
618,069 |
7,520,550 |
1815 |
6,454,799 |
486,464 |
6941,263 |
1816 |
8.315,616 |
960,393 |
9,276,009 |
1817 |
7,994,951 |
854.942 |
8,849,893 |
1818 |
10,8,52,367 |
633,921 |
11,386,288 |
1819 |
11,491,138 |
539,377 |
12,030,515 |
1820 |
9,897,078 |
.509,076 |
10,456,154 |
1821 |
5,000,022 |
303,504 |
5,9')3,526 |
1822 |
5,329,126 |
2r4,I28 |
5,543,254 |
18-23 |
3,276,47.4 |
291,408 |
3,567,88-2 |
1824 |
3,267,000 |
236,944 |
3,503,944 |
18i:5 |
3,235,045 |
2,385,455 |
5,6-20, .500 |
1826 |
2,998,411 |
218,592 |
3,217,003 |
1827 |
2,868,624 |
590,597 |
3,459,221 |
1828 |
1,385,505 |
111,776 |
1,497,281 |
1829 |
898,350 |
380,996 |
1, 279,3 J 6 |
1830 |
881,339 |
221,776 |
1,103,115 |
1831 |
973,932 |
291,217 |
1,265,149 |
1832 |
1,057,059 |
308,915 |
1,365,974 |
18.33 |
1,152,515 |
76,904 |
1,229,419 |
1834 |
937,054 |
23,938 ^ |
960,992 |
18.35 |
537,900 |
00,000 |
537,900 |
1836 |
734,007 |
20,160 |
754,167 |
1837 |
5IC,3.54 |
45,376 |
501,730 |
1838 |
1,088,520 |
00,000 |
1,088,520 |
1839 |
1,742,915 |
79,314 |
1,822,229 |
l8iU |
1,917,017 |
71, -207 |
1,988,8-24 |
De même que dans le reste de l'Amérique, le retrait des capitaux espagnols, la guerre et l'éta-
COMPAGNIES ÉTRANGÈRES. 47
blissement de riiidépeiidance exercèrent une influence désastreuse sur les exploitations mi- nières , et réduisirent leur produit au lieu de l'ac- croître. Les mines principales se remplirent d'eau ; le mercure, agent indispensable, ou man- qua tout à fait ou ne s'obtint plus qu'à des prix exorbitants. Grâce à l'application des machines à vapeur, les compagnies anglaises crurent d'a- bord pouvoir obtenir promptement l'épuisement des galeries inondées ; mais ces procédés ne pu- rent être mis en usage que dans quelques locali- tés : partout ailleurs, le manque de combustible, joint à la difficulté des transports, présentèrent d'insurmontables obstacles. Aussi ces compagnies y ont-elles successivement renoncé , et de nos jours-, la part que prennent les sociétés anglai- ses à l'exploitation générale des mines n'est plus que de un dixième environ.
L'absence de capitaux rend impossible l'établis- sement de nouvelles exploitations quelque peu considérables, et il n'a fallu rien moins que la découverte de filons d'une richesse inaccoutumée pour déterminer la formation récente de la com- pagnie anglaise de Guadalupe y Calvo. Cette mine, située dans la Sierra-Madre, au sud de la ville de Cliihuahua, n'a commencé à être utilisée que vers 1837, et déjà elle a donné six millions
48 ECOLE DES MINES.
de piastres , dont les deux tiers en argent et un tiers en or. Sa production annuelle dépasse un million, bien que le capital de la compagnie an- glaise n'atteigne lui-même que deux millions de piastres.
Les compagnies allemandes qui existent dans diverses mines , ne possédant que de faibles capi- taux , ne peuvent agir sur une grande échelle : néanmoins l'amélioration des procédés chimiques et mécaniques, et l'introduction de l'amalgame du mercure d'après la méthode économique usitée en Saxe , à Freyberg , leur permettent de réaliser des bénéfices assez importants.
Le gouvernement espagnol , dans son intelli- gente sollicitude, avait établi, indépendamment d'une magnifique école des mines à Mexico, une caisse de secours des mineurs {fonda de avio de la mineria). Les fonds de cette caisse servaient à faire aux propriétaires des mines, dont les filons se perdaient momentanément ou auxquels man- quaient les capitaux , des avances considérables qui, dans quelques cas, se sont élevées jusqu'à cent mille piastres'. En outre, depuis l'année
' Reaies ordenanzas para la direccion, regimen y gobierno dt'l importante cuerpo de la mineria de Niieva Espana y de su real tribunal gênerai. — 22 de mayo 178^, Mexico.
PRIX DU MERCURE. 49
1776, le gouvernement vendait dans les dépôts royaux , situés dans les mines principales du Mexique , le mercure d'Almaden , moyennant quarante- deux piastres le quintal espagnol (46 kilogrammes). Aujourd'hui le mercure vaut dans les ports cent vingt à cent trente piastres ; à Mexico , cent cinquante ; à Zacatecas , cent soixante-cinq, et dans les mines éloignées, le haut prix du transport donne à ce métal, acheté en détail par les petits mineurs , une valeur qui at- teint deux cents piastres. Aussi, pourrait-on citer , à l'époque actuelle, près de trois mille localités minières dont l'exploitation est abandonnée , le prix de revient dépassant de beaucoup la valeur des métaux obtenus.
Le monopole des mines d'Almaden appartient à la maison Rothschild : ces mines produisent , année commune , de vingt à vingt et un mille quintaux de métal. Se trouvant dans une position financière embarrassée, l'Espagne a élevé succes- sivement la valeur du vif-argent : ainsi le contrat de 1839 avec la maison Rothschild en fixait le prix à cinquante et une piastres et un quart : plus tard il monta jusqu'à cinquante-neuf; et enfin, le dernier traité de juin 1843 porte à quatre-vingt- deux piastres et demie le prix de ce métal acheté à Almaden. Cette hausse successive ne peut man-
50 CONSOMMATION DE L'AMERIQUE,
([lier d'avoir des conséquences fâcheuses pour le Mexique : mais elle remplace aujourd'hui pour l'Espagne les bénéfices qu'elle retirait du droit de monnayage dans son ancienne colonie.
Le prix du mercure asubidesvariationstrès-fré- quentes, et s'est élevé depuis quatre ou cinq francs jusqu'à vingt-deux francs le kilogramme. Cepen- dant jusqu'aux premières années de ce sièclel'Espa- gne l'avait tenu fixé à quatre francs quatre-vingt- quatre centimes, parce que son gouvernement, ayant passé des marchés avec les divers centres d'exploitation de l'Europe (ïdria et le Palatinat), s'en était complètement réservé le monopole, et empêchait, pour favoriser ses colonies, que les prix n'en fussent portés au delà. Mais bientôt après la séparation de ces dernières de la Métro- pole, les prix ne tardèrent pas à monter, et au- jourd'hui le mercure se maintient entre dix et onze francs le kilogramme. La production de l'Europe en mercure est annuellement de un million quatre cent mille kilogrammes. Sur cette quantité, onze cent mille proviennent d'Almaden ; le reste est fourni par les mines d'Idria, et aussi par quelques mines peu inqjortantes du Palati- nat. La consommation annuelle de l'Amérique est de huit cent cinquante mille kilogrammes. Le reste est consommé par l'Europe même, et aussi.
MINES D'ALMADEN. M
mais en très- faibles proportions, par l'Inde.
Après Almaden, les mines d'Idria sont les plus importantes; cependant leur production ne s'est jamais élevée, dans les temps les plus pros- pères, au delà de trois cent mille kilogrammes, et l'on observe qu'elles s'appauvrissent de plus en plus chaque jour. Ces mines, quoique dé- couvertes depuis 1497 , ne sont exploitées acti- vement que depuis 1506.
Quant aux minesd'Almaden, elles sont si riches, qu'une exploitation continue , pendant vingt- cinq siècles, n'a pas fait foncer les travaux de plus de trois cents mètres. Ces mines furent exploitées dès la plus haute antiquité : suivant Pline, les Grecs en tiraient du vermillon sept cents ans avant notre ère, et le même auteur nous apprend qu'elles fournissaient annuellement aux Romains dix mille livres de cinabre.
liR consommation annuelle du Mexique est de vingt mille quintaux environ , dont douze mille disparaissent complètement dans les manipula- tions, et représentent, au prix moyen de cent cinquante piastres, une perte de dix-huit cent mille piastres ou neuf millions de francs.
C'est à tort que le gouvernement royal fut accusé d'avoir interdit les exploitations des mines de vif-argent dans la Nouvelle-Espagne. 11 les
4.
; 2 VIF-ARGEINT AU MEXIQUE,
protégea au contraire, tout en inono])oIisant la vente des produits : si les mines furent abandon- nées, c'est que les frais en étaient exorbitants, le rendement peu considérable, et que les produits d'Almaden étaient infiniment moins coûteuxpour les consommateurs. On ne doit pas ignorer que les mines del Durazno , près de Tasco, furent exploitées avant l'Indépendance; mais le mercure cju'elles produisaient revenait à soixantep iastres, tandis que celui importé d'Espagne pouvait se vendre à quarante-deux, rendu dans les dépôts royaux.
Quelques étrangers s'occupent avec soin, de nos jours , à rechercher des mines de mercure : déjà, à San-Luiz de Potosi, on a trouvé quelques filons de cinabre : près de Guadalajara, on exploite une localité qui rapporte annuellement quatre à cinq cents quintaux, et tout récemment, à Zaca- tecas, on a découvert un gisement qui a fait concevoir de si riches espérances, qu'au mois de juillet 1843, une compagnie s'est formée pour Texploitation, et qu'elle a réuni tout aussitôt à la bourse de Mexico une somme de deux cent mille piastres, divisée en vingt actions de dix mille piastres chacune.
Lorsque l'indépendance de la Nouvelle-Espa- gne fut, en 183G , reconnue par la Mère patrie ,
DROITS SUR LES MÉTAUX. 53
le gouvernement mexicain n'aurait-il pas dû ofï'rir au cabinet de Madrid des avantages particuliers, afin de s'assurer directement la ferme des mines d'Almaden, et réaliser ainsi les bénéfices énormes que la maison Rothschild retire de ce monopole? On se demande en effet quel serait le sort du Mexique si les mines d'Almaden cessaient de produire, ou si, par suite de guerre, le mer- cure cessait de lui arriver P Le vif- araent de la Carniole est consommé en Transylvanie et en Saxe. Ses produits sont d'ailleurs si bornés, qu'il serait impossible d'en exporter au Mexique : on conçoit aisément la perturbation qui résulte- rait pour le commerce européen de l'interru])- tion d'un apport annuel de près de quatre-vingts millions de francs en espèces. Quant au Mexique, où l'industrie est presque nulle, l'agriculture très- négligée, l'exportation des produits fort restreinte, comment ferait-il , non pour payer les marchan- dises européennes dont sa population peut à la ri- gueur se passer, mais pour acquitter l'énorme chif- fre de ses dettes envers les puissances étrangères ? L'exportation des métaux monnayés est sou- mise à des droits exorbitants. En exécution d'une simple ordonnance du ministre des finances du 29 aoiït dernier , les convois d'espèces ne de- vront partir pour les ports du golfe du Mexique ,
54 DROITS D'EXPORTATION.
Tampico et Vera-Cruz, que tons les quatre mois , les P"^ janvier, l^'^mai et V^ septembre. Tout le numéraire adressé de l'intérieur au port est censé destiné à être exporté, et est astreint à payer préalablement les droits d'exportation, qu'il doive ou non en réalité sortir du pays : ces droits s'élè- vent à onze pour cent ainsi divisés:
Quatre pour cent, droit de circulation;
Six pour cent, droit d'exportation ;
Un pour cent, droit d'extraction.
Cette ordonnance est en contradiction mani- feste avec un décret rendu par le président, sous la date du 10 mars précédent , et qui établit une distinction exacte et catégorique entre le droit de circulation d'un département à un autre , et celui de l'exportation pour l'étranger.
Prohibée dans lés ports de l'Atlantique sous peine de confiscation et d'amende , l'exportation des barres d'or et d'argent est maintenant per- mise par les trois principaux ports de la Mer Paci- fique ouverts au commerce , San-Blas, Mazatlan et Guaymas. Toutefois , cette exportation , au terme des décrets, devra cesser du jour où les ateliers des hôtels des monnaies d'Hermosillo et Culiacan seront en activité, et l'on n'embarquera plus dans les ports ci-dessus nommés que des es- ])èces monnayées. Mais l'exécution de ces mesures
FRET DES NAVIRES. ôi
est couiplétenient impraticable , car la plupart des mines sont situées à deux ou trois cents lieues des villes de Culiacan et d'Hermosillo , et nul doute (pi'en raison du mauvais état des routes et des bandes de voleurs qui désolent le pays, les propriétaires n'évitent soigneusement d'envoyer leurs métaux précieux à de telles distances , et qu'il ne leur soit toujours plus avantageux de les expédier au port le plus voisin oii ils peuvent être embarqués en fraude.
' Le gouvernement a parfaitement compris qu'il était de son intérêt de permettre l'exportation des lingots d'or et d'argent, moyennant un droit modéré , afin de diminuer la contrebande en la privant d'une partie des avantages qu'elle pou- vait offrir.
Bien que le droit légal sur les barres soit de sept pour cent , on ne perçoit, par suite d'un ar- rangement fait avec la maison espagnole Rubio frères de Mexico , que quatre pour cent de droit d'exportation. Les bâtiments de guerre anglais qui stationnent continuellement devant San-Blas, Mazatlanet Guaymas, et qui partent tous les six mois pour l'Angleterre , perçoivent deux pour cent de fret ainsi répartis:
Un pour cent pour l'officier commandant le navire ;
56 EXTRACTION PAR LES PORTS
Un demi pour cent pour le commodore com- mandant de la station de la mer du Sud ;
Et un demi pour cent pour l'hôpital des Invali- des de la marine à Greenwich.
L'assurance par les bâtiments de guerre anglais des trois ports désignés est , à Paris , d'un et un quart pour cent , et les fonds déposés à la banque de Londres sont transportés jusqu'à Paris, moyen- nant un tiers pour cent ou trois francs pour mille francs.
Le fret des matières ou espèces par les bâti- ments de commerce est fixé à un et demi pour cent , et l'assurance à deux et demi. Ce mode de transport coûte un et un quart pour cent de plus que par les navires de guerre, et n'offre pas, à beaucoup près , les mêmes garanties de sécurité.
Les corvettes anglaises qui stationnent sur les côtes occidentales du Mexique sont des bâtiments d'assez faible échantillon , armés de seize caro- nades de 24 et ayant environ cent hommes d'é- quipage. Elles sont relevées tous les six mois et retournent à Londres avec les espèces. Voici pour ces quatre dernières années, établi d'après les documents les plus exacts , le relevé des sommes moyennement exportées , en monnaie ou en lin- gots, des ports de Guaymas, San-Blas et Ma- zatlan .
DES DEUX MERS. 57
Gnaymas 800,000 piastres.
Par corvettes anglaises . ! San-Blas 1,200,000
( Mazatlan 2,000,000
Par les navires de commerce des trois ports 1 ,000,000
Total général 5,000,000 piastres.
Les ports d'Acapulco et de Monte-Rey, dansJa Haute-Califoriiie, qui , avec les trois précédents, sont les seuls ouverts au commerce extérieur sur la côte occidentale du Mexique, ont un mouve- ment d'affaires peu considérable et n'exportent point de métaux.
Dans le golfe du Mexique, les espèces sont gé- néralement embarquées à bord des paquebots anglais qui partent tous les mois de Véra-Cruz et de Tampico, emportant à chaque voyage de quatre à cinq cent mille piastres : le reste de l'ar- gent qui forme les seize millions de piastres an- nuellement produits, est exporté par les bâtiments américains, français, hambourgeois, espagnols et autres.
Composée d'une corvette de 24 canons et de deux brigs qui n'apparaissent que rarement dans ces parages oii séjournent continuellement desdivisions anglaises et américaines, notre station dans le golfe du Mexique n'est point encore assez considérable pour y protéger suffisamment nos intérêts. Mais l'accroissement de notre station dans la Mer Pacifique, qui possède actuellement huit
58 STATION FRANÇAISE,
navires, y assure à notre commerce la sécurité et l'influence qui lui sont indispensables. Toutefois, la présence seule de nos bâtiments dans les ports mexicains ne remplirait pas toutes les conditions nécessaires : pour qu'ils fussent véritablement utiles à nos nationaux , il faudrait, qu'à l'exemple des corvettes anglaises, ils stationnassent à des époques déterminées, et opérassent d'une manière directe leur retour en France, où ils pourraient non-seulement rapporter les fonds de nos négo- ciants, m^is aussi ceux des commerçants étran- gers. Nous avons en effet acquis la certitude que plus de la moitié des sommes dont nous avons donné le détail est destinée pour la France. La maison Aguirre Vengoa de Paris reçoit chaque année , par la voie de Londres , plus de quinze cent mille piastres de la mer du Sud, et plus d'un million est expédié à d'autres maisons de Bordeaux et du Havre.
Or, si nos bâtiments en obtenaient l'autorisa- sion et qu'ils fussent placés sous la surveillance de nos consuls, ils' auraient à transporter les in- térêts espagnols dont le chiffre est considérable, une partie de ceux des Etats-Unis , des Hambour- geois , des Belges , des Sardes , des Allemands et des Suisses. On conçoit, sans les détailler plus explicitement , les avantages que nous offrirait ce
STATION ANGLAISE. 59
mouvement de capitaux, de change, de commis- sion et de courtage.
Ajoutons qu'aucun bénéfice personnel ne de- vrait être accordé à nos officiers , contrairement à l'usage adopté pour les capitaines de la marine anglaise. Que ces derniers continuent à se rendre chez les négociants des ports , comme de véritables courtiers, afin de leur faire des offres de services pour embarquer, souvent même en fraude, leurs espèces, et empêchons que l'appât du gain n'excite nos officiers à se livrer à ces spéculations que l'es- prit mercantile des Anglais peut seul tolérer.
A la vérité, le profit qui résulte de ce trafic, pour les deux parties , est énorme. Citons un exemple : le droit mexicain pour l'extractioij des barres est, sur la Mer Pacifique, de quatre })Our cent ; le fret du navire anglais de deux pour cent. Les maisons de commerce devraient donc payer légalement six pour cent ; mais les commandants des corvettes anglaises se chargent d'effectuer l'embarquement en contrebande moyennant trois et demi au lieu des deux pour cent qui leur sont réellement dus. Par ce moyen , l'opération pré- sente une économie de deux et demi pour cent, qui se trouve partagée entre les négociants et les capitaines. On conçoit que si les bénéfices sont considérables pour les officiers, ils ne le sont pas
(50 PAQUEBOTS TRANSATLANTIQUES.
moins pour des maisons qui opèrent annuellement
sur des millions de piastres.
Dans le cas oh. le gouvernement français juge- rait convenable de prélever un droit de fret sur les métaux précieux confiés aux bâtiments de l'Etat, il ne saurait, à notre avis, mieux appli- quer ce revenu qu'à la caisse des invalides de la marine.
JNotre commerce au Mexique pourra recevoir encore un essor avantageux de l'établissement des paquebots transatlantiques, à la construction desquels on a consacré vingt-huit millions de francs, et il est très-désirable que ces bâtiments soient appliqués à leur destination primitive ; car se présentant tous les mois dans les ports étran- gers, ils seraient moins dispendieux que les sta- tions permanentes, et contribueraient en outre à former une excellente école pour nos matelots et mécaniciens de la marine à vapeur, qui exige, comme chacun sait, des connaissances tout à fait spéciales. L'un de ces grands pyroscaphes , le Gomei\ vient de rentrer du voyage qu'il avait fait en Amérique et aux Antilles pour étudier les divers points de relâche , et les agents qu'il por- tait ont arrêté des conventions postales et mari- times très-favorables, avec plusieurs gouverne- ments américains.
BUDGET DU MEXIQUE. ni
11 n'est j)as sans intérêt de remarquer que la production de l'or dans les provinces de l'est et du sud de la Nouvelle-Espagne est extrêmement restreinte, bien que l'argent y soit toujours auri- fère, tandis que dans les départements de Chi- huahua, et surtout de la haute Sonora, se ren- contrent des gisements d'or de la plus grande richesse. Au nord des villes d'Hermosillo et d'A- rispe, dans les ruisseaux affluents de la rivière Gila , qui se jette avec le Rio Colorado au fond de la mer Vermeille, on trouve, après la saison des pluies , et presqu'à la surface du sol , des grains d'or vierge pesant plusieurs kilogrammes, et qui ne le cèdent en rien à ceux récemment dé- couverts dans l'Oural. Nous avons vu à Hermosillo une de ces pépites dont le poids représentait une valeur de plus de dix mille piastres (cinquante mille francs.)
Avec des ressources métalliques si abondantes, il semblerait que le Mexique dût jouir d'une im- mense prospérité ; mais les finances , base fonda- mentale de tout gouvernement, sont dans l'état le plus pitoyable, et il suffira, pour s'en con- vaincre , de jeter un coup d'œil, dans le tableau suivant, sur le budget approximatif des recetteset des dépenses :
r,2 BUDGET DU MEXIQUE.
REVENUS DE L'ÉTAT.
Piastres fortes
Douanes maritimes et frontières 9,000,000
Droits de circulation et d'exportation sur les monnaies ,
barres et lingots d'or et d'argent 1 ,200,000
Rentes des départements 2,000,000
Poste aux lettres et courriers 200,000
Loterie 55,000
Salines 25,000
Papier timbré., i 100,000
Escompte du mont-de-piété 90,000
Revenus divers, hôtels des monnaies, charges vénales,
amendes , etc 100,000
Droits de consommation 1 ,500,000
Recettes : Total général 14,270,000
DÉPENSES.
Président et Ministres 360,000
Sénat , chambre des députés et leurs secrétariats 340,000
Cour suprême de justice 90,000
Légations , consulats et commissions des limites 150,000
Employés des finances 260,000
Pensions de retraite 290,000
Pensions du mont-de-piété 200,000
Gouvernement des départements, juntes, secrétariats,
préfectures et sous-préfectures 900,000
Administration de la justice 1,350,000
Évéchés et missions 50,000
Instruction publique 65,000
Travaux hydrauliques de Huehiietoca 50,000
Prisons et bagnes 150,000
Armée , marine et milices actives 10,500,000
Généraux , état-major de l'armée et frais extraordinaires . • 2,500,000
Total général 17,255,000
Délicit annuel 2,985,000 piastres.
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EMPLOI DES RECETTES. 63
EMPLOI DES 100 POUR 100 DU REVENU BRUT.
Destinés à payer l'intérêt de la dette anglaise.
Pour la solde des garnisons de Véra-Cruz et d'Acapulco.
Pour achat en Europe d'aroies et de canons à la Paixhans. Les fusils ont été achetés à Londres, et les canons à Liège, par un ami de Santa- Anna.
Destinés à amortir toutes les autres créances et les récla- mations généralement quelconques.
Qui restent liquides au gouvernement central pour faire face à toutes les dépenses générales.
Depuis le mois de janvier 1842, vingt pour cent du revenu brut des douanes sont appliqués au payement des intérêts de la dette anglaise. Un commissaire du gouvernement britannique, rési- dant à Mexico , est spécialement chargé de la per- ception de ces fonds. Antérieurement, les Anglais ne touchaient que seize et deux tiers pour cent. Les vingt pour cent perçus aujourd'hui produi- sent annuellement six à sept cent mille piastres , et représentent un intérêt d'environ vingt j^our cent. Les fonds mexicains ne sont point cotés sur nos places de commerce ; ils se divisent en deux séries : les fonds actifs ou cinq pour cent (fae) valent à [iOndres trente deux à trente-trois pour
64 DETTE ANGLAISE,
cent les actions de cent livres sterling, et ils sont même tombés jusqu'à vingt-huit. Quant aux bons différés [deferrcd), ils ne touchent point d'intérêt et ne valent que huit à neuf pour cent. Ces cou- pons ne servent point d'intérêts ; on les a donnés aux porteurs de la dette ancienne dans une cer- taine proportion, en compensation des arrérages dont le payement est suspendu, et l'on a réduit en conséquence à zéro, ou à peu près, le capital primitif: manière de banqueroute gouvernemen- tale assez en usage parmi les nouvelles républiques de l'Amérique espagnole , à l'exception toutefois de celle du Chili, qui acquitte parfaitement ses dettes. La seconde espèce de fonds mexicains est censée seulement différée , et du plus ou moins de chances de reprise naît la fluctuation des cours. Quant au cinq pour cent actif, c'est, comme partout ailleurs, Tétat des demandes qui occa- sionne la hausse ou la baisse.
La maison Lizardi frères est chargée en Europe des emprunts mexicains. En 1842, avant sa mort, M. Lizardi père régla les comptes , et les sommes dues furent fixées à dix millions de livres sterling. Il fut convenu que jusqu'à des jours plus pros- pères la moitié de ce chiffre ne jouirait pas d'in- térêt, et qu'il n'en serait servi que pour cinq mil- lions. Au commencement de la présente année,
DETTE DES ÉTATS-UMS. 66
les MM. Lizardi se trouvant à découvert pour des sommes considérables, ont fait à la bourse de Lon- dres une émission, non autorisée alors, de sept cent vingt mille livres sterling, dont les coupons furent admis à participer aux vingt pour cent qui originairement ne devaient être appliqués qu'aux cinq millions de la dette active. Les por- teurs des anciens bons ont bien réclamé ; mais le général Santa-Anna n'a point accueilli leur récla- mation , parce qu'il a pris part dans cette opéra- tion lucrative qui a donné à la maison Lizardi seule , un bénéfice de douze cent mille piastres.
En février 1844, le chiffre des réclamations des Etats-Unis a été réglé à deux millions cent mille piastres , payables par trimestre. Les premiers payements de deux cent soixante mille piastres chacun ont été effectués entre les mains des agents du Gouvernement fédéral, qui s'est chargé d'en faire la répartition aux particuliers. Quant au Gouvernement mexicain , force lui a été, pour se procurer cette somme , de recourir à un emprunt extraordinaire : cette mesure a soulevé les récla- mations des nationaux des autres puissances sans que le Mexique s'en préoccupât, car il a trop à redouter de la part des Etats-Unis pour ne pas céder à leur attitude ferme et menaçante.
Hardi par excès même de faiblesse, le Gouver-
66 LÉGATION ET COiNSULATS DE FRANCE,
nement mexicain ne recule devant aucune mesure arbitraire pour suppléer à son insuffisance finan- cière. C'est ainsi qu'il n'a pas craint de s'emparer des biens des Missions de Californie , dont la va- leur n'est pas moindre de deux millions de pias- tres^ et de les vendre à la maison del Barrio. liCS fonds de la loterie n'ont pas été plus respectés ; l'administration se borne à donner des à-compte aux porteurs des billets gagnants, et souvent même elle ne peut leur offrir ce faible dédomma- gement.
Les intérêts français sont protégés au Mexique par notre Légation à Mexico, par des consuls à Vera-Cruz , Campêclie, Mazatlan et Monte-Rey, par des vice-consuls à Tampico, Zacatecas, Te- huantepec, Guaymas et Tepic pour le port de San-Blas et par des agents consulaires à la La- guna del Carmen et à San-Juan de Tabasco.
Les propriétés industrielles et commerciales possédées par nos nationaux ne s'élèvent pas à moins de huit millions de piastres. Quelques mai- sons ont à elles seules des sommes immenses enga- gées dans le pays. Les diverses usines de MM. Les- tapis frères valent plus de cinq cent mille piastres, sans parler d'autres établissements, tels que fila- tures de laine , de coton , fabriques de draps , de papier , distilleries , plantations de mûriers , si-
POPULATION FRANÇAISE. 67
tuées à Mexico, Puebla, Tlizco, Zacatecas, Ori- zaba, Diirango,Va]lado]id,GuadaIajara et Colima. On peut compter dans l'étendue du Mexique qua- tre à cinq mille Français, possédant la plupart de cinq à dix mille piastres. Tous s'établissent cwec esprit de retour , et dès qu'ils ont amassé une somme suffisante , ils l'expédient ou reviennent en France. IjCS bons ouvriers , notamment ceux qui professent les arts mécaniques , peuvent ga- gner par jour jusqu'à quatre piastres.
Composée de plus de trois mille individus , la population française , à Mexico , réalise des béné- fices annuels de près de deux millions de pias- tres. Dans la période de dix années, de 1830 à 1840, nos ouvriers et petits commerçants de la ville capitale seulement ont envoyé en France plus de vingt millions de francs. Les marchandises reçues , les traites et espèces expédiées forment par an un revirement d'affaires de vingt à vingt- cinq millions de francs environ. Bien que depuis ces dernières années notre commerce avec le Mexique ait subi une diminutiou notable , ce pays n'en reste pas moins notre marché principal dans l'Amérique espagnole. Il se trouve le ving- tième , par rang d'importance, sur la liste géné- rale des quarante-huit pays avec lesquels nous commerçons, et la moyenne de nos exportations
r,8 IMPORTATIONS ET EXPORTATIONS,
annuelles, à partir de 1839 jusqu'à nos jours , atteint presque le chiffre de douze millions de francs. Le Mexique, toutefois, n'occupe que le vingt-neuvième rang parmi les nations qui nous expédient, et sa dernière moyenne quinquennale ne va guère au-dessus de cinq millions de francs. Notre commerce est généralement couvert de la différence en notre faveur de nos exportations sur les importations du Mexique , par des traites ou des espèces envoyées d'Angleterre. Il serait vivement à désirer cependant qu'un traité de commerce avantageux fît atteindre de nouveau à notre commerce d'exportation avec ce pays, le chiffre élevé auquel il était monté en 1830 et 1831. Dans la première de ces deux années, ce commerce dépassa vingt-trois millions de francs, et dans la seconde vingt millions. Plus tard, après diverses variations, nos exportations, en 1838, tombèrent à huit millions : en 1840, elles s'éle- vèrent à près de quatorze ; mais depuis lors , cette progression n'a pas cessé d'être décroissante. Nous sommes encore assez heureux néanmoins pour que nos exportations soient supérieures aux im- portations du Mexique.
Il va sans dire également que la cessation de l'envoi des métaux précieux que ce pays expédie directement en France ne laisserait pas que d'y
MARINE MARCHANDE. 69
exercer une perturbation financière , puisque de- puis 1827 jusqu'aujourd'hui, nous avons reçu de lui directement cent millions de francs en barres ou en espèces d'or et d'argent.
Notre commerce avec ce pays n'a pas moins d'importance au point de vue maritime, toutes nos transactions ayant presque exclusivement lieu sous pavillon français , et employant , année moyenne , trente navires expédiés de France , et un nombre égal qui y revient : ces navires jau- gent ensemble douze mille tonneaux environ, et sont montés par sept ou huit cents matelots. La part que prennent les bâtiments sous pavil- lon mexicain à ces échanges , est infiniment restreinte : quatre d'entre eux seulement y ont coopéré depuis 1827 jusqu'à 1843, tandis que, pendant ce même laps de temps , nous avons consacré à ce commerce neuf cent trente-six na- vires.
Les ports de Bordeaux et du Havre se partagent exclusivement en quelque sorte , et à nombre égal , les navires français expédiés ou reçus : Mar- seille et Nantes ne font que de très-rares expédi- tions. Les quatre cinquièmes de nos bâtiments sont destinés au port de Vera-Cruz ; mais leur retour pour France s'opère souvent par la Ha- vane , ou par la Laguna del Carmen , dans le Yu-
70 GRIEFS DES FRANÇAIS
catan , où ils vont charger du bois de teinture de
Campêche.
Malheureusement, si nos négociants parviennent à réaliser quelques bénéfices au Mexique, ce n'est pas sans être soumis à des charges onéreuses et à de continuelles vexations. L'expédition de Saint- Jean d'Ulloa n'a produit en effet dans la position de nos nationaux qu'une amélioration momenta- née. Le gouvernement mexicain en est revenu vite à leur égard à son système d'arbitraire et d'hos- tilité ; car en songeant aux sacrifices que nous a coiité cette expédition , Santa-Anna a cru , mais à tort sans doute, que la France ne la recommence- rait pas, à moins d'événements graves et d'avanies réitérées.
Les conditions du traité de Vera-Cruz, du 9 mars 1839, n'ont point encore reçu leur exécu- tion; les créances reconnues par ce traité ne sont pas liquidées; les Français ne sont pas traités comme la nation la plus favorisée; et tandis que nos négociants ne peuvent obtenir le payement de sommes légitimement dues depuis plusieurs années par le gouvernement mexicain , on vient de voir la maison anglaise Montgommery Nicod et C'% appuyéepar le cabinet britannique, forcer le Mexique à signer à Londres, le 1" décembre 1843, par l'entremise de son Plénipotentiaire, une
CONTRE LE MEXIQUE. 71
convention en vertu de laquelle cette maison sera remboursée intégralement d'une somme de neuf cent quarante et un mille cinq cents piastres , qu'elle a prêtée au Mexique. Dans le courant de 1844 , MM. Montgommery recevront quarante pour cent en espèces, et le reste de la somme ser- vira par an douze pour cent d'intérêt : pour s'en couvrir, il leur est abandonné deux et demi pour cent sur le revenu de toutes les douanes mexi- caines et une partie du fonds des vingt-cinq pour cent mentionnés au budget général.
Nous allons . au reste , examiner avec tout le soin qu'ils exigent, les décrets attentatoires du gouvernement mexicain, contre lesquels le mi- nistère français a réclamé avec la plus constante énergie.
1** Décret du 7 décembre 1841 , ajoutant un 'droit de deux pour cent à celui d'importation , attribué aux conseils de perfectionnement {juntas defomento) et aux tribunaux de commerce.
2*^ Décret du 31 mai 1842, établissant sur les marchandises importées par le port de Vera-Cruz, un droit de huit pour cent supplémentaire aux droits déjà fixés d'importation, et applicable à la construction d'un chemin de fer de cinq lieues, depuis le port jusqu'à la rivière San-.Tuan, tra- versant la propriété du président Santa-Anna ,
72 GRIEFS DES FRANÇAIS
nommée Manga de Clavo , et n'ayant évidemment
pour but que d'en augmenter la valeur.
3*^ Décret du 25 octobre 1842, établissant aussi un droit supplémentaire sur les marchandises im- portées par Tampico , et soi-disant destiné à la création d'un chemin entre le port de Tampico et la ville de Saint-Louis de Potosi.
4° Décret du 2 décembre 1842, portant aug- mentation de droits sur les tissus de coton, et frappant particulièrement nos indiennes d'Al- sace.
5*^ Décret du 16 mars 1843, concernant l'ex- traction, la circulation et l'exportation du numé- raire, en élevant les droits de cinq et demi à onze pour cent.
6° Décret du 17 avril 1843, ordonnant que pendant la durée de la guerre contre le Texas et le Yucatan{il existe un arpiistice entre ces deux pays, mais la guerre n'est pas terminée), tous les droits d'importation, d'internation, de consomma- tion et autres, seront augmentés devingt pour cent.
7" Décret du 14 août 1843, prohibant une très-grande quantité d'articles qui ne se fabriquent pas au Mexique et qui ne s'y fabriqueront jamais, parce que leur consommation n'y est pas en rap- port avec les capitaux nécessaires à leur fabri- cation.
CONTRE LE MEXIQUE. ' 73
8^ Décret du 23 septembre 1843, qui interdit aux étrangers le commerce de détail en ne leur accordant que six mois pour terminer leurs affai- res, et qui semble particulièrement dirigé contre la France.
9*^ Nouveau tarif des douanes , publié le 5 oc- tobre 1843, et décret ordonnant la réexportation, dans le délai d'une année, des marchandises déjà introduites, ayant acquitté les droits d'importa- tion, et prohibées par le décret auquel Sanla- Anna voudrait donner un effet rétroactif.
C'est en vain que le gouvernement mexicain prétendrait faire application de ce principe qui permet à chaque nation de modifier ses tarifs, et il n'en est pas moins contraire au droit des gens de vouloir interdire aux nationaux d'un pays ami l'exercice de certaines professions indus- trielles.
Ce qui est également opposé aux plus simples notions de la justice, c'est l'obligation imposée aux détenteurs des marchandises dorénavant prohi- bées, de les réexporter dans un délai aussi court, sans faire une distinction entre les marchandises importées avant ou après la publication du dé- cret , et sans accorder aucun remboursement des droits et frais payés par les importeurs, bien que ces droits élèvent parfois le capital primitif à
74 NOUVEAU TARIF DES DOUANES,
cinq et six fois sa va]eur. On doit encore ajouter que , quoique les articles prohibés soient désignés dans ce décret sans stipuler leur nationalité, ils ont été cependant choisis de telle sorte que cette disposition atteint tout particulièrement le com- merce français, surtout les détaillants et la fabri- que de Paris; et que si elle est exécutée, quant à la réexportation, un certain nombre de nos compatriotes se trouveront entièrement ruinés.
Remarquons , en outre , que par l'article 13 du nouveau tarif, plusieurs de nos marchandises , et notamment nos vins et eaux-de-vie , sont spécia- lement maltraitées. Ainsi , nos vins rouges en ba- rils ne sont admis qu'au poids, et payent , y compris la futaille, neuf piastres le quintal ; les vins blancs , dix piastres ; les vins en bouteilles et en caisses, douze et treize piastres : il n'est tenu aucun compte de la tare, casse ou coulage des liquides.
Les articles à dénommer ^ non compris dans le tarif, au lieu de payer vingt-cinq pour cent sur la valeur de la facture , ainsi que cela se prati- quait en vertu du décret du 2 mars 1842, en payeront trente sur l'estimation du vérificateur [aforo del vista), ce qui laisse l'introducteur livré complètement à l'arbitraire et à la vénalité des employés.
CRÉAINCES FRANÇAISES. 75
Les tissus avec mélange de soie , quelque mi- nime que soit la quantité de cette matière, sont assimilés aux tissus de soie pure, et payeront un droit de trois piastres par livre. C^tte mesure a été imaginée afin de doubler et tripler même , pour quelques-uns de ces articles mélangés, le droit auquel ils étaient assujettis auparavant. Les fabriques de Roubaix, de Lille, d'Amiens, de Nîmes, et celles de Lyon avant toutes autres, souf- friront surtout de cette augmentation.
On aurait tort de penser que tous les négo- ciants étrangers aient à subir les mêmes avanies que les nôtres : le gouvernement mexicain s'est ré- servé tacitement de donner des licences pour des marchandises prohibées, et depuis la publication du tarif, le président Santa- Anua a accordé à cinq maisons étrangères, dont quatre anglaises et une espagnole , l'introduction de sept cent mille livres de coton filé, article sévèrement prohibé. Ces maisons peuvent effectuer cette introduction en bobines, écheveaux et pelotes, en fils de toute grosseur, depuis le n° 22 jusqu'au n° 200, moyen- nant un droit de deux réaux la livre, ce qui rap- porte au président cent soixante- quinze mille piastres , soit huit cent vingt-cinq mille francs.
De tous ces décrets , ceux des 23 septembre et du 5 octobre sont ceux dont l'acceptation porte-
76 EXPULSION DES FRANÇAIS,
rait un coup mortel à notre commerce. Le gou- vernement de Mexico a senti qu'il était impossible de mettre le second à exécution : aussi a-t-il sou- mis au congrès , qui Ta votée , une proposition tendant à proroger pour trois ans le délai de la réexportation. Mais les chambres n'ont rien fait pour arrêter l'exécution du décret du S13 septem- bre, qui atteint spécialement les Français et leur interdit l'exercice du commerce de détail. Par une contradiction inexplicable, d'une part on accorde aux étrangers une prolongation pour la réexportation de leurs marchandises, et de l'autre, par la fermeture de leurs boutiques , on leur ôte le seul moyen qu'ils aient de les vendre.
C'est le 23 mars dernier qu'est expiré le terme de six mois fixé par le décret du 23 septembre 1843 pour la cessation du commerce de détail. A dater de ce jour, la plupart de nos nationaux, craignant de voir employer contre eux la force, ont fermé leurs magasins; d'autres, plutôt que de se voir ruinés, ont renoncé sans courage à leur qualité de Français et se sont fait naturali- ser Mexicains, et, malgré les plus équitables représentations, le général Santa-Anna a persisté dans son aveugle prétention.
Si le gouvernement de Mexico restait sourd à nosjustes réclamations, s'il poussait l'imprudence
INCENDIE DE LA DOUANE DE VERA-CRUZ. 77
jusqu'à nous refuser de nouveau le retrait de cet autre-décret d'expulsion — alors, indépendam- ment des indemnités qtie ses nationaux ont déjà le droit d'exiger, après avoir épuisé avec une longanimité sans exemple tous les moyens de conciliation, alors la France se verrait sans doute obligée de faire retomber sur le Mexique toute la responsabilité qu'entraîne sa politique barbare et inintelligente.
Du reste, nous aurons le soin d'indiquer dans le courant de cet ouvrage comment se sera ter- minée une question d'un si haut intérêt pour l'industrie et le commerce français.
Au Mexique, les Français se trouvent créan- ciers du gouvernement à quatre titres distincts :
1° Comme expulsés postérieurement à la prise de San-Juan d'Ulloa.
2° Par suite de l'incendie de la douane de Vera-Cruz.
3° Pour le remboursement des droits de con- sommation illégalement perçus.
4° Par le non-remboursement de la valeur des monnaies de cuivre démonétisées, et dont le ver- sement a été fait par nos nationaux.
Ces créances ne proviennent pas d'opérations ou de contrats aléatoires conclus de gré à gré , mais d'événements de force majeure , de mesures
78 DROITS ILLÉGALEMENT PERÇUS,
illégitimes ou d'engagements formels non exé- cutés.
L'expulsion fut ordonnée à la suite de l'affaire de Vera-Cruz, pendant que nos troupes occu- paient le château de San-Juan d'Ulloa. Il ne fut point accordé à nos compatriotes le délai sti- pulé dans le traité de commerce existant entre l'Angleterre et le Mexique; traité qui, ce- pendant, réglait et règle encore nos droits dans ce dernier pays, puisque nous devons y être traités sur le pied de la nation la plus fa- vorisée.
Par le traité de Vera - Cruz , il fut admis en principe que la France et le Mexique accor- deraient chacune aux nationaux de l'autre puis- sance des indemnités compensées pour les domma- ges causés, soit aux Français par leur expulsion, soit aux Mexicains par le blocus et la capture de leurs navires. Cette question , qui avait d'abord dû être soumise à l'arbitrage du roi de Hollande, fut laissée à la décision de l'Angleterre , mais le gouvernement mexicain a usé d'une telle lenteur, que c'est seulement depuis quelques mois qu'on a reçu à Londres les pièces qu'il a fournies.
Voici maintenant quelle a été l'origine des ré- clamations de nos négociants au sujet de l'incendie de la douane de Vera-Cruz.
DÉMONÉTISATION DU CUlVRE. 79
Au moment où fut signé le traité du 9 mars 1839, tous les navires marchands, retenus par nos croiseurs et qui se trouvaient à proximité de Vera-Cruz , furent admis à effectuer leur déchar- gement, et les marchandises débarquées furent placées dans les magasins de la douane, en atten- dant que celle-ci opérât leur vérification et les délivrât aux consignataires. Cette opération fut si mollement conduite par les employés mexicains, que le 8 avril , jour où éclata l'incendie, la douane de Vera-Cruz contenait encore beaucoup de mar- chandises provenant , soit des navires entrés lors de la levée du blocus , soit de ceux qui avaient eu déjà le temps d'arriver dans ce port, de la Nouvelle-Orléans et de la Havane. L'unique se- cours que l'on put obtenir pour se rendre maître du feu , fut donné par les navires de guerre fran- çais , car la douane n'avait rien disposé pour un semblable événement.
Peu de jours après la catastrophe , les négo- ciants français établis à Vera-Cruz, tant en leur nom personnel que comme représentants de leurs correspondants des villes de l'intérieur , adres- sèrent une lettre au Ministre des finances, à Mexico, lui déclarant que le dépôt en douane des marchandises qui leur avaient été expédiées, étant de leur part un acte, obligé , et qu'aucune
80 DÉMONÉTISATION DU CUIVRE,
précaution n'ayant du reste été prise par la douane de Vera-Cruz pour prévenir ou arrêter l'incendie, ils rendaient , à ces deux titres , le gouvernement mexicain responsable des effets du désastre du 8 avril. Les négociants anglai-s , américains et alle- mands, s' associant à cette démarche , écrivirent à leur tour au Ministre des finances , qui ne répon- dit à aucune réclamation.
Cependant, l'honorable M, Pakenham, Ministre de Sa Majesté Britannique, ne s'accommoda point de ce silence, et réfuta sans peine les arguments insoutenables que M. de Bocanegra, ministre des affaires étrangères du Mexique, avait entassés dans une note adressée à la Légation anglaise, le 21 mars 1843. Le gouvernement mexicain prétendait faire supporter par les négociants étrangers la perte résultant de l'incendie, attendu, selon lui, qu'ils étaient passibles de l'accident , le feu étant censé avoir été communiqué par un flacon d'acide ni- trique contenu dans une caisse. En cette circons- tance, du moins, nos intérêts ne furent point li- vrés à l'arbitrage , et nos réclamations , montant à cinq cent mille francs, marchèrent de front avec celles des Anglais.
Quoi qu'il en soit, il y a plus de trois ans que nos négociants sont en instance pour le rembour- sement de droits perçus illégalement et avec vio-
DÉMONÉTISATION DU CUIVRE. 81
lence : leur valeur dépasse le chiffre de huit cent trente-quatre mille piastres : plus de quatre mil- lions de francs !
Ce n'est pas que le gouvernement mexicain n'ait admis depuis deux années la justice de la réclamation , et reconnu en principe la légiti- mité du remboursement; mais aucune disposition n'a été prise encore à cet égard. Il est bon de faire observer ici que certains droits du tarif mexicain sont perçus d'une manière tout à fait inconnue en Europe. Ainsi le droit de dix pour cent, prélevé illégalement, ne se calcule point d'après son chiffre nominal , mais en le multi- pliant par trois et un tiers, ce qui élève les droits de dix à trente et un.
Le dernier grief, causé par la démonétisation de la monnaie de cuivre, ne mérite pas moins d'attention que les précédents. Tant que dura l'administration espagnole, au Mexique pas plus qu'à la Havane aujourd'hui, il n'existait de mon- naie de cuivre;maispeude temps après sa création par le gouvernement républicain, la contrebande que les Américains firent sur une grande échelle , surtout à partir de 1830, en introduisant d'énor- mes quantitésdepièces falsifiées dans des caisses de fer-blanc dont la vérification était difficile, et un peu plus tard, les ateliers de fabrication de fausse
I. G
82 DÉMONÉTISATION DU CUIVRE,
monnaie établis par des députés du congrès et les plus hauts fonctionnaires, aux portes mêmes de Mexico, àTacubaya et San-Angel, occasionnèrent une grande dépréciation. Cependant, en 1834, la monnaie de cuivre conservait encore une valeur fîctivequatre foisplus élevée que sa valeur intrin- sèque; mais l'on vit, vers 1 837, l'escompte sur cette monnaie se monter jusqu'à quarante pour cent. La loi du 8 mars de cette même année, qui ren- dait sa circulation obligatoire , ne reçut qu'une exécution incomplète; les détaillants, en effet, demandaient deux prix pour leurs marchandises, l'un payable en cuivre , l'autre en argent, et dans les marchés, les provisions se vendaient contre du cuivre au double du prix auquel on les obte- nait contre de l'argent. Dans la crainte d'une nouvelle réduction prononcée par le gouverne- ment, ou d'une admission rigoureusement forcée, les détenteurs des farines et des objets d'ap- provisionnement indispensable n'en apportaient plus dans la capitale. Cet état de choses dura jusqu'à la promulgation du décret du Président (24 novembre 1841), ordonnant la création d'une nouvelle monnaie de cuivre , valant un 96^ de piastre, beaucoup plus lourde que celle déjà en circulation, et par conséquent d'une valeur réelle plus rapprochée de la valeur nominale. Cette loi
NON REMBOURSEMENT DES VALEURS. 83
fixait à trente jours, dans le département de Mexico, et à soixante dans les autres, le délai accordé pour verser dans les caisses du gouver- nement, qui déclarait les retirer de la circula- tion , les monnaies de cuivre existant entre les mains des particuliers, le tout, sous peine de per- dre le bénéfice du remboursement. Celui-ci de- vait s'effectuer dans les six mois, à dater du ver- sement, par ordre d'inscription, au moyen delà nouvelle monnaie. Des décrets successifs, qu'il serait trop longd'énumérer, prorogèrent les épo- ques de versement, et affectèrent divers produits à l'amortissement , entre autres la nouvelle mon- naie , la vente des biens nationaux , du papier timbré, et un droit sur les patentes.
Ces différentes dispositions eussent indiqué réellement, de la part du gouvernement, l'inten- tion d'acquitter les dettes qu'il a contractées, si, au lieu d'exécuter ces décrets, il ne s'était appli- qué le produit des biens nationaux, la plus grande partie de la nouvelle monnaie qu'il a frappée et le produit de la vente en masse des anciennes espèces de cuivre, dont il a vendu trente-cinq mille quintaux , à raison de dix piastres , à la maison française Duport et Bellangé , qui , du reste , les a apportées en France , et en a retiré quatre-vingt-dix à quatre-vingt-quinze francs le
\
84 SOMMES DUES AUX FRANÇAIS
quintal , réalisant de la sorte un bénéfice de qua- rante pour cent environ. Quoi qu'il en soit, nos maisons de commerce n'en ont pas moins versé en espèces , depuis plus de deux ans , entre les mains des agents du trésor mexicain , des valeurs en cuivre excédant dix-sept cent mille francs, sur lesquelles elles n'ont encore reçu que trois pour cent, et dont elles ne touchent aucun intérêt.
La somme totale à rembourser est d'environ trois millions de piastres : or, les rentrées dont dispose la commission d'amortissement dépassent à peine une somme annuelle de cent cinquante mille piastres : il s'ensuit qu'il lui faudra quinze à vingt ans pour opérer le remboursement d'une dette qui, au terme de la loi, aurait dû être liqui- dée pour nos négociants depuis le 15 juillet 1842.
Le tableau suivant fera connaître les sommes dues au commerce français par le gouvernement mexicain, non compris celles soumises à l'arbi- trage de l'Angleterre , dont nous avons parlé en énumérant la nature des réclamations.
PAR LE GOUVERNEMENT MEXICAIN.
85
SOMMES DUES AUX NÉGOCIANTS FRANÇAIS
PAB LE GOUVERNEMENT MEXICAIN.
Sous la présidence du général Btistamanie.
A sept maisons françaises , pour perception forcée et illégale de différentes contributions-
A divers Français, pour marchandises brû- lées à l'incendie de la douane de Vera-Cruz en 1839
Sous la présidence du général Santa-Anna.
A neuf principales maisons et à divers Fran- çais, pour non-remboursement des monnaies de cuivre qu'ils ont versées dans les caisses du gouvernement
PiustrcB fortes.
734,349
100,000
834,349
344,925
834,349
344,925
1,179,274
Un million cent soixante-dix-neuf mille deux cent soixante-quatorze piastres , ou près de six millions de francs en capital , ce qui ferait plus quedoublerce chiffre, si, d'après l'usage légal du pays , on y ajoutait les intérêts composés depuis
86 INTÉRÊTS FRANÇAIS.
trois ou quatre ans, et dont le taux n'est jamais
au-dessous de un pour cent par mois.
Ces sommes n'appartiennent pas toutes person- nellement à nos négociants résidant au Mexique, mais ceux-ci représentent un grand nombre de maisons de Paris, de Bordeaux, du Havre , de Lyon, d'Elbeuf, de Mulhouse, de Rouen et de Saint-Etienne.
Des intérêts si majeurs , des mesures si persévé- ramment injustes, des promesses tant de fois vio- lées ont éveillé au plus haut point la sollicitude du gouvernement français , et nul doute que des dispositions énergiques ne mettent promptement fin à un état de choses qui compromet la fortune et la sécurité de nos commerçants. En effet , si ce système d'hostilité et de spoliation déguisée de- vait être durable , nos nationaux seraient obli- gés de déserter le marché de la Nouvelle-Espa- gne. Et cependant, pas plus que celle de Buénos- Ayres et de Montevideo, notre population du Mexique ne mérite qu'on l'abandonne à elle- même et qu'on l'oublie.
CHAPITRE ni.
Historique des expéditions de découvertes des Espaguols sur \i\ côte occidentale de l'Amérique au nord de TEquateur.
Avant d'aborder la description de la côte sep- tentrionale du Mexique , baignée par la Mer Paci- fique , il nous semble indispensable de présenter ici un exposé des expéditions des Espagnols qui en amenèrent la découverte, et de leurs tenta- tives réitérées pour trouver le passage du Nord- Ouest.
88 CHRISTOPHE COLOMB.
1498-IÔ02. VOYAGE DE CHRISTOPHE COLOMB.
En 1498 , pendant son troisième voyage, Chris- tophe Colomb reconnut le continent américain. Lors de sa quatrième exploration , en 1502, il s'appliqua à chercher le détroit qui devait lui fa- ciliter la navigation dans la mer du Sud et la dé- couverte des terres des Epiceries ^ Peut-être les Indiens de la côte de Veragua et de Nombre de Dios, où il espérait trouver ce passage , lui four- nirent-ils quelques vagues renseignements sur la mer du Sud et sur le peu de largeur de l'isthme de Panama , qui sépare les deux océans. De là , sans doute , sa croyance à l'existence d'un détroit, et ses investigations persévérantes sur la côte orientale d'abord , et plus tard sur les bords opposés.
1513. VOYAGE DE BALBOA.
En 1513, Vazco Nuiîez de Balboa, gouverneur
* Hernando Colon : Historia del AlmirantCjCap.go. Navarrete : Introduccîon al viaje de las goletas Sulil y Mexicana, page 6.
BALBOA. — MAGELLAN. 89
de la colonie espagnole du Darien , après avoir traversé les Cordillères, constata l'existence et fixa la position de la mer du Sud , objet de tant de vœux; enfin, en 1519, Magellan découvrit le passage qui porte son nom.
1519. VOYAGE DE MAGELLAN.
Ainsi fut résolu le grand problème géogra- phique de la circumnavigation du globe. Toute- fois , les Espagnols ne s'en tinrent point à cette route qui offre les plus grands dangers, surtout dans le détroit de Magellan où le vent souffle constamment de l'est, et dont la distance de l'Eu- rope est presque aussi grande que celle des Indes par la route orientale.
1522. VOYAGE DE FERNAND COBTEZ.
Fernand Corlez, déjà maître de l'empire des Aztèques, dirigea sur les côtes du Mexique, dans la mer du Sud , diverses expéditions qui s'en em- parèrent. Dans sa lettre de Valladolid , datée du
90 FERNAND CORTEZ.
() juin 1523, l'empereur Charles-Quint ordouna à Cortez de chercher le passage sur les côtes des deux mers '. Tandis que ce dernier envoyait trois caravelles et deux brigantins parcourir la partie septentrionale de l'Atlantique depuis la Floride jusqu'à Terre-Neuve , où l'on pensait qu'existait le détroit, d'autres explorateurs visitaient les côtes de Panama, et reconnaissaient celles de Soco- nusco , Tehuantepec et la Nouvelle-Galice.
1528. \OYAGE DE MENDOZA ET OLID.
En 1 528 , Cortez ayant été obligé de faire un voyage en Espagne pour se disculper d'imputa- tions calomnieuses répandues contre lui, pendant son absence , son iieveu Don Diego Hurtado de Mendoza et le capitaine Don Cristoval de Olid , avec cinq navires et un brigantin , continuèrent leurs explorations.
1530.
RETOUR DE FERNAND CORTEZ.
Revenu en 1530 avec une suite de quatre cents
' Gomaru : Cronica de Nueva Espana.
HURTADO DE MENDOZA. 91
gentilshommes , aventuriers et artisans de toute espèce , Cortez arma , l'année suivante, plusieurs navires à Tehuantepec et à Acapulco.
1532. SECOND VOYAGE DE MENDOZA.
Le 30 juin 1532, l'expédition mit à la voile sous le commandement de Hurtado de Mendoza, qui avait ordre de reconnaître la côte occidentale de la Nouvelle-Espagne et les îles de la Mer du Sud. Ce navigateur s'avança jusqu'au 27" degré de latitude nord ; mais son équipage s'étant ré- volté, il se sépara du reste de la flotte et périt avec son navire sur des rochers voisins des îles las Très Marias , qu'il avait découvertes et dont il avait pris possession. Les autres vaisseaux fai- sant partie de l'expédition échouèrent sur les côtes de Culiacan, oii le gouverneur Nufio de Guzman , après s'être emparé de la cargaison, fit mettre en jugement les personnes échappées au désastre.
î*
92 BECERRA ET GRIJALVA.
1533.
VOYAGE DE DON DIEGO BECERBA ET DE DON HEBNANDEZ DE GBWALVA.
Fernand Cortez ne se laissa point abattre par ce triste événement , mais, se rendant lui-même à Tehuantepec , il équipa deux bâtiments dont il confia le commandement à son lieutenant le ca- pitaine Don Diego Becerra et à Don Hernandez de Grijalva. Partie le 30 octobre 1533 , l'expédition découvrit et s'empara, deux mois après , des îles del Socorro et de San Benedicto ; mais le com- mandant Becerra, qui montait la capitane, ayant été assassiné par le pilote Ximenez , celui-ci , en naviguant à l'ouest , aborda le premier dans la Basse Californie , où il fut tué par les Indiens , ainsi que vingt-deux personnes de l'équipage. Le navire revint à la côte de Jalisco , mais les perles qu'il apportait tentèrent la cupidité du gouver- neur Guzman , qui s'empara à la fois de la cargai- son et du bâtiment.
/
1535.
VOYAGE DE FEBNAND CORTEZ EN CALIFORNIE.
A cette nouvelle, Fernand Cortez, voyant que
CORTEZ EN CALIFORNIE. 93
les ordres donnés en sa faveur par la Audiencia n'étaient point exécutés, arma à ses frais trois navires dans le port deTehuantepec, et les fit venir à Chametla oii il se rendit lui-même parterre, au mois d'août, suivi d'une troupe de cavaliers et de fantassins , composée de quatre cents Espa- gnols et de trois cents nègres. Il mit à la voile le 1 5 avril 1 535, reconnut, le V^ mai, la côte de Cali- fornie, et, le 3, mouilla dans la baie de la Paz, sur le rivage de laquelle furent retrouvés les bou- cliers, les épées et les ossements de Ximenez et de ses compagnons.
L'expédition était divisée en trois corps : Cor- tez , pour les rassembler, fut contraint de traver- ser plusieurs fois le golfe auquel il a donné son nom; mais ayant appris l'arrivée à Mexico de Don Antonio de Mendoza , premier vice - roi de la Nouvelle -Espagne, il s'empressa de retourner dans la capitale pour y défendre ses intérêts me- nacés.
En débarquant à Acapulco il avait envoyé deux navires au Pérou au secours de Pizarre, et fait commencer la construction de quatre vais- seaux destinés à de nouvelles découvertes. L'an- née suivante, il rappela de Californie le capitaine Don Francisco de Ulloa, et lui confia le comman- dement d'une escadrille qui partit le 8 juin 1539
94 FERNANDO DE ULLOA.
d'Acapulco, afin de pousser des explorations vers
le nord.
1539.
VOYAGE DE FERNANDO DE ULLOA.
Ulloa reconnut toute la côte depuis la Paz jus- qu'à l'embouchure du Rio Colorado , au fond de la Mer Vermeille. Il s'assura que les deux côtes se réunissaient, et que la Californie était une presqu'île. Redescendant ensuite au cap San-Lu- cas , il s'éleva de nouveau vers le nord jusqu'au 30'' degré, visitant la baie de la Magdalena et les îles de Santa Margarita et de Cerros. Parvenu à cette hauteur, les vents contraires, joints au manque de vivres , forcèrent l'expédition à rétrograder. Ulloa rentra à Acapulco à la fin de mai 1540.
Ces diverses reconnaissances furent exécutées avec tant de soin et d'habileté, que la carte de Californie , dressée en 1 54 1 par le pilote Domingo del Castillo , ne diffère presque pas de celles levées de nos jours. Cependant ces travaux eurent si peu de retentissement que Woods Rogers, dans la relation de son voyage , imprimée à Amster- dam en 1716, doute si la Californie est une île ou si elle fait partie du continent.
HERNANDO ALARCON. 95
Les expéditions de Fernand Cortez excitèrent la jalousie du vice-roi , qui , de son côté , en fit diriger deux vers le nord-ouest , l'une par terre, sous les ordres du capitaine Francisco Vasquez Coronado, et l'autre par mer, commandée par Hernando Alarcon.
1540. VOYAGE DE HERNANDO ALARCON.
Ce dernier quitta Acapulco en 1540, pénétra jusqu'au fond de la mer Vermeille, remonta le Rio Colorado avec des bateaux pendant quatre- vingt-cinq lieues , et revint quelques mois après sans avoir rencontré Coronado. L'exploration de Hernando Alarcon dura deux années; il s'éleva environ jusqu'au 40°, et ne trouva nulle trace des cités fabuleuses de Cibola et de Quiriva que le Fr. Marcos de Niza prétendait avoir découvertes dans ses précédents voyages.
En l'année 1540, Fernand Cortez retourna en Espagne, fatigué de ses démêlés avec le vice-roi, et dégoûté de l'injustice avec laquelle la cour de Madrid avait payé tant de services dévoués et d'aventureuses expéditions.
96 CABRILLO ET VILLALOBOS.
1542.
VOYAGE DE JUAN RODRÏGUEZ CABRILLO ET DR RU Y LOPEZ DE VILLALOBOS.
Deux ans plus tard, Don Antonio de Mendoza se rendit dans la province de Jalisco ou Nou- velle Galice , et y prépara de nouvelles expédi- tions. L'une, dirigée parRuy Lopezde Villalobos, alla coloniser les Marianes et les Philippines; l'autre, aux ordres de Juan Rodriguez Cabrillo, sortit du port de Navidad le 27 juillet 1542. Elle examina avec soin la côte de la Basse Californie, les groupes d'îles situés au nord et la baie des Pins, connue depuis sous le nom de port de Monte Rey.
1543. VOYAGE DE BARTOLOMÉ FERRELO.
Don Juan Rodriguez mourut le 5 janvier 1543, dans l'île de San Bernardo , dont la population était à cette époque exclusivement composée d'Indiens. Le pilote major Bartolomé Ferrelo prit le commandement et s'avança jusqu'au
FLIBUSTIERS ANGLAIS. 97
43' degré; mais, assailli par de mauvais temps , il fut forcé de redescendre vers le sud. Au 40* parallèle il découvrit un cap très-élevé , que le général Vizcaino nomma plus tard Mendocino, en l'honneur du vice roi Mendoza.
1564. EXPÉDITION DU VICE-BOI VELASCO.
En 1564, une expédition fut envoyée en Cali- fornie par le vice-roi Don Luizde Velasco, tan- dis qu'une seconde allait prendre possession défi- nitive des Philippines.
1575.
FLIBUSTIERS ANGLAIS.
Tenté par l'exemple et par l'espoir du pillage, un parti de flibustiers anglais, commandé par John Oxenham, traversa en 1575 l'isthme de Panama, construisit un navire sur la Mer Pacifique et ravagea les établissements espagnols. Heureuse- ment on ne tardapasàse saisir de ces malfaiteurs, qui furent mis à mort peu de temps après.
98 FRAINCISCO G ALT.
1.579. SIB FRANCIS DRAKE.
En 1579, apparut sur les bords occidentaux de la Nouvelle-Espagne, sir Francis Drake, qui, après avoir dévasté la côte de Guatemala, courut droit au nord jusqu'au 45^ ou 46*^ degré. Se rapprochant de terre, il mouilla dans une petite baie qu'il ne désigne pas, et où il lui fut impos- sible de se maintenir. Il se vit alors contraint de redescendre jusqu'au 38^ degré, où il jeta l'ancre dans le port de los Reyes, situé entre ceux de San Francisco et de la Bodega.
Drake n'eut pas connaissance de ces deux der- niers ports , et bien qu'il soit arrivé en Californie trente-sept ans ajprès Cabrillo , les Anglais n'ont pas craint de donner à tout le pays le nom de Nouvelle- Albion^ cherchant ainsi à s'attribuer l'honneur de la découverte '.
1.582. VOYAGE DE GALI.
A son tour, le capitaine Francisco Gali quitta
' Lives and voyages of Drake, Cavendish and Dampier. i vol., i83i, London.
JUAN DE FUCA. 99
Manille dans l'été de 1582, remonta au nord du Japon , vint reconnaître la côte d'Amérique au nord du 57^ degré de latitude, et descendit à Acapulco, après avoir visité les caps Mendocino, San Lucas et Corrientes.
1587. PILLAGES DE CAVENDISH.
Le 15 novembre 1587, Thomas Cavendish, qui s'était appliqué à ravager divers points de l'Amé- rique espagnole , attendit au cap San Lucas le vaisseau des Philippines , le Santa Anna , fort de sept cents tonneaux , et valant plus de cinq millions de piastres, et il s'en empara à la suite d'un combat acharné.
1588.
VOYAGES APOCRYPHES DE MALDONADO ET DE JUAN DE FUCA ET DE LAMIBAL FONTE.
Un an ne s'était point écoulé, qu'un aventurier appelé Lorenzo Ferrer Maldonado prétendit avoir traversé un détroit de la mer du Sud par lequel on se rendait d'Espagne en Chine en trois mois.
7.
100 VOYAGES DU GÉNÉRAL
Ce passage imaginaire, dit détroit d'Anian, a longtemps préoccupé les géographes. On suppo- sait qu'il faisait communiquer les deux mers à peu près à la hauteur du banc de Terre-Neuve. Le prétendu voyage de Maldonado et celui de l'amiral Pedro Bartolome Fonte qu'on fait re- monter à 1640, ne méritent aucune attention. Nous reparlerons plus tard du voyage de Juan de Fuca.
1595. VOYAGE DE SEBASTIAN BODBIGUEZ CERMENON.
En 1595, le gouverneur des îles Philippines, Gomez Perezdas Marinas, envoya le vaisseau San Agustiny commandé par Sébastian Rodriguez Cermenon , explorer la côte de Californie et spé- cialement la baie de San Francisco. Malheureuse- ment un coup de vent jeta le navire à la côte, contre laquelle il se brisa, dans la baie même qu'il venait de reconnaître.
1596- 1602.
VOYAGES DU GÉNÉRAL D. SEBASTIAN VIZCAINO.
Les déprédations des forbans anglais dans la
DON SEBASTIAN VIZCAINO. loi
mer du Sud , éveillèrent la sollicitude du roi Philippe JI. Le comte de Monte Rey, vice-roi de la Nouvelle-Espagne, reçut l'ordre d'expédier le général Don Sébastian Vizcaino en Californie, afin d'y explorer les ports et d'en prendre posses- sion, lie général Vizcaino partit en effet d'Aca- pulco au commencement de 1596; il y revint à la fin de la même année. Six ans plus tard, en 1602, le vice-roi le fit partir de nouveau pour la Cali- fornie avec une flottille composée de cinq navires, et unéquipage parmi lequel se trouvaient des reli- gieux carmélites, des pilotes et des cosmographes. Dans cette expédition, le port de losPinos fut appelé pour la première fois Monte Rey. Un des lieutenants de Vizcaino, Martin d' Aguilar, s'avança jusqu'au 43® degré , et reconnut le cap Blanco auquel le capitaine Cooknese fit pas scrupule de substituer plus tard le nom de cap Gregory, de même que Van Couver donna le nom anglais de Oxford au cap Diligencias, découvert bien long- temps avant lui par Vizcaino. Ce dernier retourna à Mexico au commencement de 1603.
1616. VOYAGES DE ITUBBI, OBTEGA ET CAHBONEL.
De 1616 à 1635, sous le i»ouvernement du
102 FONDATION DES MISSIONS
marquis de Guadalcazar, vice-roi de la Nouvelle- Espagne, don Juan de Iturbi, Francisco Ortega et le pilote Carbon el firent des reconnaissances dans la Mer Vermeille , dont ils rapportèrent des perles d'une beauté remarquable et d'une valeur énorme.
1635. VOYAGE DE D. PEDBO PORTER. •
De 1635 à 1640, l'amiral don Pedro Porter dirigea quelques expéditions sur la Californie.
1642.
PREMIER VOYAGE DES JÉSUITES FONDATEURS DES MISSIONS DE CALIFORNIE.
En 1642, le vice-roi duc d'Escalonaenvoyadans cette contrée le gouverneur de Sinaloa, avec des membres de la Compagnie de Jésus, pour y fonder des Missions et civiliser les Indiens.
PAR LES JESUITES. 103
1665 - 1668.
VOYAGES DE l'aMIBÀL D. BERNABDO DE PINADERO ET DU CAPITAINE FRANCISCO LUCENILLA.
Dejîuis 1665 jusqu'à 1668, l'amiral Pifiadero et le capitaine Lucenilla entreprirent diverses expéditions par ordre du gouvernement espagnol, sur les côtes occidentales du Mexique.
1683. NOUVEAU VOYAGE DES JÉSUITES. '
En 1683, l'amiral Atondo se rendit à la Paz avec les deux Pères jésuites Salvatierra et Euse- bio Kino (Kuhn), savant astronome d'Ingolstadt.
C'est à dater de cette époque que les religieux se trouvèrent investis de l'administration ecclé- siastique , civile et militaire des missions. Ils par- vinrent à convertir en peu de temps toute la Basse-Californie, et le plan qu'ils adoptèrent devra toujours servir de modèle'.
' Venegas, Noticia de la California esciita por cl R. P, Andres Buriel. Madi ul , 1754.
104 LE R. P. KINO.
1684.
VOYAGE DE DAMPIEB.
En 1684, Dampier, et les boucaniers anglais qui s'établirent aux îles Galapagos, continuèrent leurs célèbres déprédations sur les côtes des vice- royautés espagnoles.
1701 - 1703. VOYAGE DU P. KINO.
En 1701 et 1703, le Père Kuhn lit ses célèbres explorations au nord de la Californie et au Rio Colorado. Philippe V accorda aux missions des Jésuites en Californie un secours annuel de treize mille piastres fortes.
1709-1711. PIRATES ANGLAIS.
En 1709 et 1711, les pirates anglais Rogers et Dampier s'emparèrent, au cap San Lucas, du
GUILLEN ET UGARTE. 105
galion des Philippines, richement chargé, et qui se rendait à Acapulco.
1719-1721. VOYAGES DU P. GUILLEN ET DD P. UGARTE.
En 1719 le Père Guillen , et en 1721 le Père Ugarte, étendirent les domaines de leurs missions au moyen de plusieurs expéditions par terre en Californie.
1743.
L AMIRAL ANSON.
En 1743, l'amiral Anson enleva aux Espagnols le galion qui se rendait d'AcapuIco aux Philippi- nes et en Chine. Ce navire portait quatre millions de piastres.
Ces spolations réitérées déterminèrent le gou- vernement à ordonner l'établissement de points fortifiés et la fondation de villages espagnols. Des navires de guerre commencèrent à croiser sur les côtes pour les protéger contre les attaques, et le résultat de ces sages mesures fut de donner
106 LE P. CONSAG ET GALVEZ.
aux missions qui s'établissaient, la sécurité néces- saire à leur développement.
1746. VOYAGE DU P. CONSAG.
En 1746, le p. Cônsag explora le Rio Colorado, dans le but d'organiser d'autres missions qui permissent de faire par terre le trajet de Sonora en Californie.
1767 - 1768. VOYAGE DE GALVEZ.
Les Jésuites continuèrent à étendre les domai- nes de la géographie, et à gouverner paternelle- ment leurs missions jusqu'en 1767, où ils en tirent cession aux Franciscainsdu collège royal de San Fernando de Mexico. Le visiteur général Don Joseph de Galvez passa lui-même en Califor- nie en 1768, accompagné de l'ingénieur Don Miguel Constanzo. En novembre 1769, une expédition par terre , après avoir traversé la Sonora, arriva à Monte Hey, tandis que cinq mis- sions nouvelles s'élevaient dans la Haute Cal i for-
PEKEZ ET HECETA. 107
nie, et sur les bords du Rio Colorado, par les soins de trente religieux franciscains arrivés d'Es- pagne sur les corvettes San Carlos ^t la Concep-
1774. VOYAGE DE JUAN PEREZ.
En janvier 1774, la corvette SantYago, com- mandée par Don Juan Ferez, sortit de San Blas, reconnut la côte jusqu'au 55^ degré, et découvrit, à son retour , le port de Nutka , où le capitaine Cook prétendit avoir abordé le premier, bien qu'il soit certain qu'il ne s'y arrêta que quel- ques années plus tard , en 1779.
1775. VOYAGE DE HECETA ET DE D. JUAN DE LA BODEGA Y QUADBA.
Le succès de la première expédition de Ferez engagea le vice- roi Don Antonio de Bucareli à
' Relucion histôrica de la vida del R. P. Junipero Serra y de las Misiones que fundô en la California SeptentrinnaL i vol., Mexico, 1787.
108 DON JUAN DE LA BODEGA Y QUADRA.
faire partir de nouveau la corvette Sant Yago, sous les ordres du capitaine D. Bruno de Heceta, accompagnée de la goélette Felicidad, comman- dée par D. Juan de la Bodega y Quadra.
Ces navires quittèrent San Blas le 16 septem- bre 1775. Au 41® degré de latitude, ils dé- couvrirent le port de la Trinidad. Le mauvais temps força la corvette à revenir à Monte Rey ; mais les officiers delà goélette, jeunes et pleins d'ardeur, n'obéirent point à ses signaux, et conti- nuèrent leurs hardies excursions vers le nord. Le 1 7 août, la corvette aperçut une vaste baie, qu'elle appela Entrée de Heceta, du nom de son capi- taine.
C'est dans cette baie que se jette le Rio de San Roque, désigné sous la triple dénomination d'Orégon, de Rio Colombia ou de la Asuncion, et dont enfin, vingt ans après, l'entrée du nord reçut de Van Couver le nom de cap de Désap- pointement.
Quant à la goélette , elle s'éleva jusqu'au 58* degré, et reconnut en chemin le mont Jacinto, auquel Cook, en 1779, imposa le nom d'Edge- cumbe. Le scorbut s'étant déclaré à bord , Don Juan de la Bodega crut prudent de reprendre la route de Monte Rey ; mais avant de retourner sur ses pas, il découvrit un port qu'il appela port de
LES PP. VELEZ ET ESCALANTE. 109
la Bodega. Les Russes possèdent aujourd'hui dans ces parages un établissement qu'ils désignent quelquefois par le nom de Romanzoff.
1777.
VOYAGES DES PP. VELEZ ET ESCALANTE.
En 1777, les Pères franciscains Vêlez et Esca- lante explorèrent le pays à l'ouest de la Sierra Madré, les hautes eaux du Rio Colorado, le Navajoas et leRioGila'.
1779.
VOYAGE DES CAPITAINES ARTEAGA ET DE LA BODEGA.
Le 1 1 février 1779, les corvettes la Princesa et la Favorita, sous lecommandement de Don Igna- cio Arteaga et Don Juan de la Bodega y Quadra , qui avaient ordre de s'élever jusqu'au 70^ degré, reconnurent la côte avec soin , et laissèrent une relation fort intéressante de leur voyage ^.
' ^ o/> ; Crônica apostôlica del Colcgio de la Santa Cruz de Queré- taro. Mexico, 1799, vol. '•
'^ Relacîon del Viaje de la Fraguta Princesa , tiré des archives de la mission deS.iiita Clara dans la Haute Californie.
110 . LAPEYROUSK.
1786. VOYAGE DE LAPEYBOUSE.
On ne doit pas oublier non plus qu'en 1786 l'illustre T.a Peyrouse visita Monte Rey, après avoir donné le nom de port des Français à une baie située au nord du 56® degré de latitude.
1788. VOYAGE DE MARTINEZ ET DE LOPEZ DE HARO.
Depuis 1779, les Espagnols n'avaient pas en- trepris d'expéditions à la côte nord-ouest ; mais les progrès des Russes, les importants voyages de Cook , ceux de plusieurs autres navigateurs an- glais et américains, firent bientôt sortir le cabinet de Madrid de son inaction.
En effet, le 8 mars 1 788, Don Estevan Martinez et Don Gonsalvo Lopez, avec les deux corvettes la Princesa et le San Carlos , quittèrent San Blas , coururent au nord, explorèrent la côte, et visitè- rent sur les îles Aléoutiennes divers établissements russes, entre autres Unimak , Kodiak et Ona- laska.
MARTINEZ , HARO ET NARVAEZ. 1 1 1
Ayant appris dans ce dernier port, du comman- dant Ismiloff, qu'il attendait trois navires du Kamtschatka, destinés à aller prendre possession l'année suivante du port de Nutka, où deux frégates de Saint-Pétersbourg viendraient les re- joindre, Martinez hâta les préparatifs de son retour à San Blas, et y aborda au commencement de décembre, après avoir touché à Monte Rey.
Le vice-roi de la Nouvelle-Espagne , Don Ma- nuel de Flores, ne fut pas plutôt informé des projets des Russes, qu'il fît partir sur-le-champ Martinez pour Nutka, afin de les empêcher, ainsi que les Anglais, de s'y établir les premiers, les droits des Espagnols à cette prise de possession étant incontestables, puisque le capitaine Ferez y avait mouillé en 1774.
1789.
EXPEDITION DE JOSÉ NARVAEZ.
Martinez jeta l'ancre à Nutka le 5 mai 1789, et ne tarda point à expédier la goélette Gertrudis, commandée par Don José Narvaez, pour s'assurer de l'existence de l'entrée de Juan de Fuca. Nar- vaez se livra avec persévérance à cette exploration qui dura deux mois. Le 6 juillet, arriva le navire
,-fc.
112 DON FRANCISCO ELIS A.
anglais Argonaut , sous les ordres de M. James Colnett, officier anglais, chargé par son gouver- nement de prendre possession de Nutka. Cet of- ficier, qui ne jouissait pas de la plénitude de ses facultés intellectuelles, refusa démontrer ses ins- tructions et se livra à de tels excès, que Martinez crut devoir le constituer prisonnier et l'envoyer à la disposition du vice-roi.
Au mois de septembre , la frégate ISuestra Se- iiora de Aranzazu ayant apporté aux navires espagnols l'ordre de retourner à San Blas, Mar- tinez quitta Nutka, emportant l'artillerie des bat- teries qu'il y avait construites , et après en avoir détruit les boulevards.
1790. EXPÉDITION DE D. FRANCISCO ELISÂ.
Le 3 février 1 790, le vice-roi comte de Revil- lagigedo dirigea vers le nouvel établissement une expédition commandée par Don Francisco Elisa, et composée de la frégate Concepcion et des balandres Princesa et Argonauta , bien armées et pourvues de munitions suffisantes et de troupes. Arrivée à Nutka le 4 mars, elle s'occupa à l'instant de relever les batteries.
FIDALGO ET QUIMPER. 113
1790. VOYAGE DE D. SALVADOR FTOALDO.
Le 4 mai suivant , Don Salvador Fidalgo partit avec le paquebot tS'a/î Carlos, pour reconnaître la côte jusqu'au GO*' degré. Il l'explora en détail, et découvrit près du 61^ degré un volcan en acti- vité auquel il a donné son nom.
1790. VOYAGE DE D. MANUEL QUÎMPER.
Le 31 mai, Don Manuel Quimper, avec la ba- landre Princes a Real y fonda l'établissement du port de Nuiiez Gaona, à l'entrée sud du détroit de Fuca. Les Anglais nomment ce port Neah bay.
1791. NOUVEAU VOYAGE d'eLISA.
Le détroit fut, en 1791, l'objet d'une explora- tion plus complète. Elisa s'y rendit avec le pa- quebot ^S'a/? Carlos etlagoëlettCiS'a/i^a Saturnina.
114 MALESPINA ET ESPINOSA.
1791.
VOYAOE DE MALESPINA ET ESPINOSA.
Les corvettes Descuhierta et Atrevida^ alors occupées d'une expédition scientifique autour du monde, et commandées par les savants hydro- graphes Malespina et Espinosa, se trouvaient à Acapulco. La cour d'Espagne leur enjoignit d'al- ler étudier attentivement la côte nord-ouest. Le but de tant d'expéditions était de s'assurer définitivement de l'existence douteuse du passage du nord-ouest, dont M. Buache, géographe du roi, appuyant les prétentions mensongères de fjorenzo Ferrer Maldonado, avait, en septembre 1 790, entretenu l'Académie des sciences à Paris.
Les corvettes atteignirent en juin 1791 la baie de Behring, examinèrent soigneusement toutes les entrées, tous les havres environnants, et se convainquirent de la fausseté des assertions de Maldonado qui plaçait le passage dans ces latitu- des élevées '.
' Voir à ce sujet les mémoires publiés, en 1798, à Madrid, par le capilaiue Don Ciriaco Ccvallos.
GALIANO ET VALDES. ll;i
1792. VOYAGE d'aLCALA GALIANO ET DE VALDÉS.
Cependant, comme le détroit de Juan de Fuca n'avait pu être qu'imparfaitement reconnu , à cause de la trop grande dimension des navires chargés de l'explorer, le gouvernement espagnol, afin de pénétrer dans le dédale d'îles dont la côte nord-ouest est semée , et qui pouvait cacher l'entrée de quelque mer intérieure ou l'embou- chure de quelque rivière importante , fit armer deux goélettes à Acapulco , avec mission expresse de le visiter en tous sens.
Cette expédition , dirigée par deux savants officiers , Alcala Galiano et D. Cayetano Valdés , quitta Acapulco le 3 mars 1792. Le 12 du même mois elle jeta l'ancre dans le port de Nutka, oii elle trouva deux frégates et un brig aux ordres du capitaine de vaisseau D. Juan de la Bodega , chargé de mettre à exécution le traité de cession de Nutka à l'Angleterre, conclu entre cette puis- sance et l'Espagne, le 28 octobre 1790.
Le 13 mai, la frégate Nuestra Sefiora de Ara n-
zazu arriva à San Blas et en partit quelque temps
8.
116 DERNIERES EXPLORATIONS
après, pour faire des reconnaissances au nord de
Nutka.
Les goélettes commandées par Galiano et Val- dés pénétrèrent le 2 juin dans le détroit et visi- tèrent l'établissement du port de Nunez-Gaona. Elles employèrent trois mois entiers à reconnaître le détroit, et lorsqu'elles en sortirent , il demeura établi que les assertions de Juan de Fuca ne mé- ritaient pas plus de crédit que celles de Maldo- nado.
L'expédition de Van Couver, composée d'une corvette et d'un brig , se trouvait alors dans ces parages , afin d'explorer les côtes et de recevoir des Espagnols le port de Nutka, arraché si injus- tement à l'Espagne par l'Angleterre, par le traité de l'Escurial.
Ce fut à l'occasion de la réunion des deux com- mandants que la grande île qui forme , avec le continent, le détroit de Fuca, prit le nom de l'île de Quadra et Fan Couver.
Galiano et Valdés se dirigèrent vers le sud de Nutka à la fin d'août, explorèrent l'entrée du Rio Colombia, relevèrent la côte de Californie et re- tournèrent à San Blasa la fin de novembre 1792.
Là se termina la série d'expéditions scienti- fiques dirigées par l'Espagne sur la côte du nord- ouest. Dans la suite, elle ne s'occupa plus exclu-
DES ESPAGNOLS. 117
sivement que des établissements de la Haute Cali- fornie, comme offrant des points de relâche pour les navires venant des Philippines.
On a prétendu que le gouvernement espagnol n'avait pas toujours publié le résultat complet de tant d'explorations entreprises sous la direction de savants astronomes et de hardis navigateurs. Il nous semble que les magnifiques travaux publiés par le dépôt hydrographique de Madrid répon- dent suffisamment à cette assertion ; mais lors même qu'il eût tenu secrets une partie de ses documents, serait-on fondé à le lui reprocher.^ N'est-ce pas, en effet, du jour où ses colonies ont été connues, qu'ont commencé les menées des étrangers pour les faire insurger contre la Mère- patrie ?
CHAPITRE V.
Description de l'isthme de Tehuantepec ; projet de communication entre l'Océan Atlantique et la Mer Pacifique. Port d'Acapulco.
lid communication de l'Atlantique avec l'Océan Pacifique, découvert par Nufiez de Balboa, excita la sollicitude des premiers conquérants espagnols. Dès 1520, Angel Saavedra propose à Charles- Quint de couper l'isthme du Darien. Dansses cor- respondances avec l'Empereur, Fernand Cortez désigne ce passage sous le nom de Secret du Dé-
120 ISTHME
tvoït {Secreto del Estrecho). Après la conquête des royaumes de Michoacan et de Oajaca, ce grand capitaine fit explorer, en 1521, par D. Gonzalo de Sandoval, la province et l'isthme de Teliuan- tepec. Depuis cette époque, le peu de largeur de l'isthme éveilla l'attention des vice-rois de la Nouvelle - Espagne , et cette route fut assez fréquentée par les marchands qui se rendaient d'Acapulco au golfe du Mexique. Vers la fin du xvm^ siècle , le sage vice - roi Don Antonio de 'Bucareli ayant voulu savoir comment des canons en bronze , fondus à Manille, avaient été trans- portés au château de San-Juan d'Ulloa , on dé- couvrit dans la Crônica impérial de la ciudad de Tehuantepec que ces pièces avaient fait le trajet de la Mer Pacifique au golfe , en partie par terre, mais surtout par les rivières Chimalapa, Malpaso et Coatzacoalco. Le terrain fut en conséquence relevé par deux officiers du génie. Don Miguel del Corral et Don Augustin Cramer, qui pensèrent qu'un canal d'environ huit lieues, réunissant les rivières Chimalapa et Malpaso , pourrait établir une communication entre les deux océans.
Au moment même où les agitations politiques de 1814 tenaient l'Europe en éveil , les Cortès espagnoles donnèrent ordre au vice-roi de Mexico de faire exécuter la coupure de l'isthme.
DE TEHUAINÏEPEC. 121
La révolution survenue en 1821 n'empéclia pas le général espagnol, Don Juan de Orbegoso , d'étudier attentivement la position et d'en dresser une carte qui , il est vrai , n'a été rendue publicpie qu'eu 1839. Quoique incomplet sous le rapport géodésique , ce travail suffit pour donner une idée exacte de la nature du terrain et des diffi- cultés qu'il présente'.
Par un décret du 1" mars 1842, le président Santa-Anna a accordé le privilège de la commu- nication à établir à un de ses amis , Don José Garay, négociant et capitaliste, qui se trouve mêlé dans tous les emprunts et dans toutes les fourni- tures du gouvernement.
Une nouvelle commission soi-disant scientifi- que est partie , en mai 1842, pour compléter les travaux du général Orbegoso et le nivellement.
Après avoir donné un aperçu de la topographie de l'isthme, nous examinerons le privilège du concessionnaire et les avantages que l'ouverture d'une communication pourrait offrir.
L'isthme de Tehuantepec est situé dans les Etats de Oajaca et de Vera-Cruz ; il a cinquante
' Voir : Resultadndel Reconocimiento hccho en el istiiioile Tehuan- tepec por el gênerai Orbegoso, et Diario del Gobiernn de la Repû- blica Mexiçana, Z de tnurzu i84'i, et la earte n" 3 de l'atlas.
122 LARGEUR DE L'ISTHME,
lieues de large dans son minimum et en ligne droite d'une mer à l'autre. Compris entre les 16" et 18^ degrés de latitude septentrionale et les 96*' degré36 minutes et 97*^ degré 30 minutes de longi- tude ouest de Paris , il est partagé par la Sierra- Madré ou grande Cordillère, qui éprouve dans ces parages une dépression extraordinaire. La chaîne de montagnes se trouve, en partant de la mer du Sud , au tiers de la largeur de l'isthme; les deux autres tiers vers le nord s'abaissent graduellement dans la direction du golfe du Mexique. C'est dans cette partie que coule le Rio Coatzacoalco, auquel appartient le principal rôle dans la jonction des deux mers.
Ce fleuve prend naissance dans la Sierra Madré qui divise les provinces de Tabasco , Chiapas et Oajaca.Seshauteseaux sont formées d'une foule de petites rivières, dont les plus importantes portent les noms de Guelaguesa et Almoloya. Le pays étant rempli de forêts impénétrables, on ne peut fixer exactement la position de la source du Coat- zacoalco. A mesure que ce fleuve se rapproche de la mer, un grand nombre de ruisseaux latéraux viennent s'y réunir, et après un cours sinueux de plus de cinquante lieues, il se jette dans le golfe du Mexique.
Sa barre qui est, dit-on, susceptible d'être creu-
RIO COATZACOALCO. 123
sée, n'a pas plus de quatre ou cinq mètres, mais en dedans le Rio est d'une grande largeur, et sa profondeur suffisante pour y admettre les navires de tout tonnage. Les marées sont peu sensibles sur la barre, et le canal se maintient à la même profondeur. Mais comme il ne se rencontre pas de port voisin sur la côte, un bâtiment surpris par un coup de vent du nord périrait infailli- blement, s'il se dirigeait vers l'entrée du fleuve.
Le premier pueblo considérable de la Sierra près de l'origine du Coatzacoalco est Santa-Maria de Chimalapa , élevé de deux cent quatre-vingt- six mètres au-dessus du niveau de la mer. C'est un peu au-dessus que le malheureux essai de la colonie française de M. Laisné de Villévêque fut tenté. Un des ruisseaux qui coulent de la Sierra est bordé de pins magnifiques. Le gouvernement espagnol en faisait couper dans la forêt de Tarifa pour les chantiers de construction de la Havane. Ces bois, réunis en trains, descendaient le courant du fleuve jusqu'à son embouchure.
A dix lieues au nord de la Hacienda ou métairie de la Chivela, le fleuve reçoit sur la gauche une branche nommée Alamau, formée par la réunion des Rios Malatengo et Guelaguesa. Cette rivière est elle-même grossie par le Rio Almoyola, dési- gné dans le projet comme le point le plus élevé
124 COURS DU FLEUVE,
où les eaux du Coatzacoalco pourraient être re- montées au nord de la Sierra-Madre. Le lit du fleuve est, à quatre lieues au-dessous de l'Alaman, barre par le Malpaso , banc d'ardoise qui obs- true presque entièrement la navigation. A deux lieues plus bas, on rencontre de nouveau à gau- che le Rio Saravia, puis, à des distances à peu près égales les unes des autres, les Rios delà Puerta ou Jurumuapa, Mijes ou Jaltepec, et à droite le Chalchijalpa, le Tecolotepec et le Sugillaga.
C'est au-dessous de ce cours d'eau que la rivière, se divisant en deux bras pendant neuf lieues, donne naissance à l'île de Tacamichapa. Sur la gauche, à l'extrémité derîle,ellerecoitleMansapa qui vient de la Sierra d'Acayucan. A quatre lieiies au-dessons débouchent à droite les Rios Cuachapa et Chalchijalpa, à gauche la lagune de Tlacojal- pam qui sort du pueblo de ce nom , et jusqu'au près duquel les goélettes peuvent remonter.
El paso de la Fâbrica , qui n'est pas sans dan- ger, est situé au-dessous de la lagune couverte d'îlots ; mais à partir de ce point, le fleuve devient large, profond, et à une lieue avant son embou- chure, il absorbe à gauche le Rio navigable de là Calzada, qui forme une île en se réunissant avec le Rio dont l'entrée est appelée la Barrilla.
Les bords du Coatzacoalco sont bas, inondés
. BANCS D'ARDOISE. 12.-,
en partie pendant la saison pluvieuse, remplis d'arbres gigantesques propres à la construction, à l'ébénisterie et à la charpente; mais, faute de débouchés et de bras, ces bois demeurent inex- ploités.
En arrivant au paso de Saravia , le fleuve coule encaissé entre des montagnes d'ardoise. La na- vigation, pour de grands navires, peut avoir lieu depuis l'embouchure jusqu'à sept ou huit lieues en remontant vers la lagune de Tlacojal- pam. A partir de ce point, le fond diminue et n'a guère plus de quinze pieds. C'est au Mistan Grande que commencent les bancs d'argile et d'ardoise. Ces bancs deviennent si nombreux, que depuis la Piedra Blanca jusqu'au paso de Saravia, pendant un trajet de trente lieues, on compte vingt et une chutes ou cascades, qui ont souvent un mètre de hauteur et présentent si peu d'eau dans leurs intervalles qu'au mois de mai le gé- néral Orbegoso était obligé de faire traîner ou porter les canots qui ne tiraient cependant qu'un pied.
Pour abréger les sinuosités multipliées du fleuve, on pourrait établir un canal latéral jus- qu'à la Piedra Blanca. Peut-être plusieurs de ces marches ou échelons d'argile seraient-ils suscep- tibles d'être creusés, mais les bancs d'ardoise
126 POINT CULMINANT.
au-dessous et au-dessus du Saravia exigeraient
des écluses.
Tout le terrain compris entre la mer et le Sara- via est composé d'argile sablonneuse , d'alluvions et de détritus des roches qu'entraînent les eaux du versant septentrional delà Sierra- jMadre. Dans les environs des montagnes, le sol est formé d'ardoises, de terrains calcaires et de granit. On a trouvé au sud de la Cordillère , du porphyre strié d'azur, des cristaux de feldspath et de horn- blende, mais aucune partie de l'isthme n'a pré- senté de produits d'origine A^olcanique.
La Sierra Madré part des Etats de Puebla et Vera Cruz; elle traverse du nord-ouest au sud- est la province de Oajaca, et, arrivée à l'isthme, elle incline vers le levant et se rapproche en même temps de la Mer Pacifique, puis, remontant entre les haciendas de Chivela et la Venta de Chicapa, elle court au nord-est vers Guatemala. La dépres- sion des montagnes est énorme à l'entrée de l'isthme. Au passage du port de Guievichia la hauteur absolue n'est que de cinq cent quatre- vingt-treize mètres, et dans la gorge de la Chivela, de deux cent quarante et un mètres; ce point est celui oii se divisent les deux versants. Au nord de la Cordillère l'élévation est graduée et occupe un espace de près de quinze lieues ; au sud, au
LAGUNES DE L'ISTHME. 127
contraire, l'abaissement subit est de près de deux cents mètres dans un parcours de trois lieues. Il forme l'immense plaine qui conduit à Tehuante- pec et aux grandes lagunes navigables communi- quant avec la mer du Sud.
Le sol decette plaine est formé d'alluvions, de débris de roches, et surtout de montagnes d'ar- doises qui s'étendent jusqu'au bord de la mer et dans les îlots voisins. L'espace compris entre la Sierra et les lagunes est de six lieues. La plus intérieure de ces lagunes a quatre lieues de large jusqu'à son embouchure, dite la Boca de Santa- Teresa; un espace de trois lieues sépare ce point de la barre située à l'embouchure des lagunes sur la mer. La lagune extérieure a près de quarante lieues de long depuis Tilema jusqu'à Tonala; sa profondeur est de cinq mètres au plus dans la ligne de navigation que suivent les barques, et quant à la barre de San-Francisco {hoca harra del mar) , elle est couverte de brisants et n'a pas plus de deux à trois mètres à la pleine mer.
Au nord de la Cordillère les eaux se réunissent presque toutes au Coatzacoalco , mais il n'en est pas ainsi sur le versant méridional oii les petits ruisseaux se divisentà l'infini. A sec pendant l'été, ces ruisseaux se jettent plus tard dans la lagune intérieure.
1 28 OBSTACLES
Les rios de l'est se dirigent versTonala et ceux de l'ouest vont grossir la rivière de Tehuantepec. Outre qu'ils sont sans eau pendant une partie de l'année , ils sont tous deux trop éloignés du Coat- zacoalco et des positions les plus accessibles de la Sierra pour servir à la communication désirée. Le ruisseau qui passe non loin de San-Miguel et de la Venta de Chicapa est celui dont l'origine se trouve la plus rapprochée des hautes eaux du Coatzacoalco, mais il est à sec pendant le tiers de l'année , et le sol d'ardoise est tellement friable et rempli de crevasses qu'il faudrait revêtir complè- tement le canal de maçonnerie. Ces ruisseaux se trouvent aux points culminants de la Sierra; il serait impossible d'y établir des réservoirs.
Si l'on voulait se servir des branches supérieures du Coatzacoalco vers Santa-Maria de Chimalapa, peut-être trouverait-on à l'est quelques gorges d'un passage facile, mais il ne faut point se dissi- muler que la nature même du sol présente d'im- menses obstacles, et qu'il est au moins problé- matique que les avantages compensassent les énormes dépenses qu'occasionnerait ce travail. Cependant, dans le cas où l'on se déciderait à entreprendre la communication, elle devrait avoir lieu par le Rio de San-lMiguel, qui se jette dans la lagune supérieure; mais, dans toutes les hypothè-
A LA CANALISATION. 129
ses, ces ruisseaux auraient besoin d'être profon- dément canalisés et garnis d'écluses.
hes détails qui précèdent et l'examen attentif de la carte suffisent pour démontrer que les diffi- cultés d'établissement d'un canal sont presque insurmontables. Dans la saison des pluies, les bateaux plats peuvent, à la vérité, remonter même le Rio Almoloya, au nord de la Sierra, et les Rios Juclîitan et Chicapa au sud, qui se déchargent dans la lagune supérieure; mais ces communica- tions, qui durent quelques mois à peine, ne sau- raient constituer une viabilité régulière. On pourrait plutôt rendre navigable le Coatzacoalco pendant quarante lieues environ, jusqu'au con- fluentdu Rio Malatengo ; car il ne resterait plus, à partir de ce point, que vingt-deux lieues de chemin à construire pour atteindre le bord de la lagune.
Le terrain ne rendrait que médiocrement difficile le percement d'une route, et la déclivité ne s'opposerait même pas à l'établissement d'un chemin de fer. Mais une fois arrivé à la lagune, deux obstacles fort graves se présentent. La com- munication de la lagune intérieure avec l'autre est obstruée par la barre de Santa Teresa , et le passage de la lagune extérieure à la mer est pres- ([ue oblitéré par la barre de San Francisco; 1- y
130 MANQUE DE PORT,
il faudrait donc, de toute nécessité, canaliser ces deux barres et creuser un port pour les navires calant quinze pieds, près du débarcadère de la route. On ne doit pas oublier non plus que ces travaux exigeraient un entretien coûteux. Dans le cas oii l'on ferait arriver le chemin jusqu'au pueblo de San Dionisio , on aurait encore à sur- monter l'obstacle de l'ensablement continuel de la barre sur la mer. Il ne serait pas possible non plus d'utiliser une petite anse qui ss trouve sur la côte, à l'ouest de la barre de San Francisco et à l'est de l'entrée du Rio de Tebuantepec , car le lit et l'embouchure de cette rivière changent quelquefois. Il y a vingt ans, elle se déchargeait dans la lagune de Timela, au-dessous de Huilo- tepec ; depuis lors, le rio a repris son cours ordi- naire; mais dans la saison des pluies quelques branches vont à Tilema et inondent tous les terrains voisins qui sont bas et marécageux.
C'est dans ce petit port de Tebuantepec , dé- signé dans les anciennes cartes espagnoles sous le nom de Barra de la Ventosa , queFernand Cortez construisit et équipa les premiers navires qui lui servirent dans ses découvertes de la mer du Sud.
Jusqu'au sommet de la Sierra Madré les pins et les chênes croissent en abondance ; le sol, dans toute l'étendue de l'isthme, est très- fertile et pro-
HAUTEURS DE L'ISTHME. 131
pré à la culture du café , de la canne à sucre , du cacaotier, de l'indigo et du coton. Mais les côtes et les terrains inondés ou en friche engendrent des maladies funestes pour les créoles, et mortelles pour les Européens. Les seuls points salubres sont les pueblos et les terres situés sur le pla- teau de la Cordillère et éloignés du rivage des deux océans, bien que leur hauteur au-dessus du niveau de la mer ne soit pas très-considérable, ainsi que l'indique le tableau suivant:
Table des hauteurs barométriques des différents points de l'isthme de Tehuantepec en allant du nord au sud à travers la Sierra Madré. Bien que ces élévations riaient pas été obtenues avec une exactitude rigoureusement mathématique., elles paraissent avoir assez de consistance pour le but qu'on s'est proposé.
Passage du Saravia dans le Rio Coatzacoalco 45 mètres.
Bords du Charavia , chemin de Guichicovi 79
San Juan Guichicovi 265
Santa Maria Petapa 229
Cerro Pelado 615
Place de Santa Maria Chimalapa 286
Point culminant entre Santa Maria et le Coatzacoalco . . . 322
Hauteur près de San Miguel 392
Rio Coatzacoalco à trois lieues à l'est de Chimalapa 160
Métairie ou Hacienda de Tarifa 264
San Miguel Chimalapa 173
Point culminant entre Tarifa et San Miguel 357
' Hacienda de la Chivela 24 1
9-
132 DECRET ET PRIVILEGE
Plaine de Chicapa en venant de San Miguel : J 1 2
Venta de Chicapa 54
Pueblo de Juchitan 30
Ville de Tehuantepec 41
Voici maintenant les principales conditions du décret du général Santa-Anna , par lequel il ac- corde à Don José Garay le privilège exclusif de l'entreprise du percement de l'isthme de Tehuan- tepec :
Art. 2. La communication aura lieu par eau ou au moyen de chemins de fer et voitures à vapeur.
Art. 3. Le trajet de l'isthme sera neutre et ou- vert à toutes les nations en paix avec la répu- blique mexicaine.
Art. 4. M. Garay devra pratiquer à ses frais et dans dix-huit mois, à partir de la présente con- cession , une reconnaissance de l'isthme ; il dési- gnera les ports et la route convenables , et si dans vingt-huit mois les travaux ne sont pas com- mencés, il perdra son privilège. Les voies ter- restres ou celles de navigation devront être ex- ploitées par des machines à vapeur. Les ports désignés , l'entrepreneur fera construire des for-
POUR LE PERCEMENT DE L'ISTHME. 133
tifications et des magasins ; il devra payer aux particuliers le terrain sur lequel passeront les travaux ; mais il ne pourra exiger au delà de la vente d'une demi-lieue de largeur.
Art. 5. Le concessionnaire ou ceux auxquels il cédera son privilège ou ses actions, jouiront des droits suivants. Pendant cinquante ans ils percevront les bénéfices du transport sur les mar- chandises et les voyageurs, et après ce laps de temps le gouvernement de la république aura le droit exclusif d'exploiter la communication par des pyroscaphes ou wagons à vapeur. Durant les cinquante années d'exploitation, la compagnie, après avoir prélevé tous les frais d'entretien et d'administration, donnera au gouvernement le quart liquide de ses bénéfices , et à son tour, pen- dant les soixante-dix années suivantes, le gouver- nement agira de même à l'égard des actionnaires. Le gouvernement cède en toute propriété , à la compagnie, dix lieues de terrains vagues ou ap- partenant à l'Etat , de chaque côté de la route ou du canal dans toute son étendue.
x\rt. 6. Il est permis à tout étranger d'acquérir des terres à cinquante lieues de distance de cha- que côté de la voie de communication, et de s'y
134 CONDITIONS
livrer à toute espèce d'industrie, et même à l'ex- ploitation des mines. Ce territoire sera la patrie de tous ceux qui viendront s'y établir en se sou- mettant aux lois de la république.
Art. 7. Le gouvernement s'engage à donner à la compagnie toute aide et protection pour l'exé- cution des travaux , et à n'imposer aucun droit ni contribution sur les marchandises ou les pas- sagers de transit pendant les cinquante premières années de l'exploitation , et à ne faire peser sur > l'entreprise ni sur ses fonds aucunes impositions ni emprunts forcés.
Art. 8. Le gouvernement aura, sur la ligne et dans les ports, des employés des douanes chargés d'empêcher la contrebande, mais qui n'intervien- dront en rien dans l'administration intérieure de la compagnie. Un règlement particulier sera fait sur cette matière.
Art. 9. Une fois les travaux d'art terminés, ils seront vérifiés par deux ingénieurs qui examine- ront si l'entreprise a tenu ses engagements.
Art. 10. Si la communication des deux mers
ET GARANTIES. 135
était reconnue praticable et que quelque per- sonne ou une compagnie offrissent de la réaliser, ces offres ne pourraient être acceptées pendant la durée du privilège des cinquante années ac- cordé à M. Garay , si ce n'est avec le consentement de ce dernier ou de ses ayants droit et repré- sentants.
Art. 1 1 . En vertu des bases de ce décret , les conditions entre le gouvernement et Don José Garay seront notariées et enregistrées avec toutes les formalités exigées par les lois.
Nous avons cru devoir supprimer l'exposé des motifs du décret, rempli, suivant l'usage du pays, des déclamations les plus ampoulées, et qui pro- met de faire du Mexique le centre du commerce du monde entier, et Y emporium de la puissance et de la richesse!
On doit remarquer que l'article 6 , qui accorde aux étrangers- le droit d'acheter des terres à cin- quante lieues de distance de la voie de commu- nication , sera annulé , ou se trouvera en con- tradiction manifeste avec le décret du même président Santa Anna, du. 11 mars 1842, qui permet aux étrangers de s'établir indifféremment dans toute l'étenduedesdépartementsdu Mexique, et d'y posséder des biens-fonds, à la seule condi-
136 OBSTACLES A LA COUPURE
tion qu'ils seront situés à cinq lieues des frontières
ou de la mer\
Don José Garay espère trouver des actionnaires à Londres ; mais il est douteux que les maisons anglaises veuillent risquer leurs capitaux dans une entreprise qui n'offre que des chances si in- certaines de succès. Les actionnaires des compa- gnies anglaises pour l'exploitation des mines au Mexique ont perdu des sommes considérables , et tout porte à croire que cette leçon les aura rendus plus circonspects.
La canalisation presque entière d'une rivière , le creusement de deux ports sur le golfe du Mexi- que et la Mer Pacifique ; enfin le curage de deux barres s'ensablant sans cesse, sans parler du man- que de ressources et de bras , et de la mortalité qui décimerait les colons européens , sont des obs- tacles en quelque sorte insurmontables à l'établis- sement du passage par l'isthme de Tehuantepec \
' \ oïr Diario del Gobierno de la Repûblica Mexicana , nuiwévo du i5 mars i8/j2, art. i et lo.
' Par un décret du mois d'octobre i843, le président Santa- Anua ordonne la construction d'une prison dans l'isthme de Tehuantepec, destinée à renfermer trois cents malfaiteurs qui seront entretenus aux frais de l'adjudicataire du projet, et pour- ront être appliqués par lui aux travaux de la canalisation , si el'e a lieu, ce qui est encore fort douteux.
DE L'ISTHME DE TEHUANTEPEC. 1 37
L'examen de la carte et de la description topo- graphique démontre lapresqu'impossibilité de la canalisation ; et quant à une route par terre , elle seraitde peu d'utilitépour les marchandises quien- traîneraient des frais de transport considérables. Les habitants des provinces du Yucatan,Tabasco, Chiapas et Oajaca peuvent en effet s'approvi- sionner directement dans leurs petits ports, et il serait plus opportun, pour ces différents Etats , d'établir des routes carrossables depuis leurs prin- cipales villes jusqu'à la mer.
De toutes les communications entre l'océan Atlantique et la mer du Sud, celle de l'isthme de Tehuantepec nous paraît donc être la dernière qu'on puisse adopter. Le passage par Panama, et surtout par le lac de San Juan de Nicaragua, est d'une exécution bien plus facile, car ce dernier pourrait offrir sur l'Atlantique un port assez con- venable, un port excellent sur la Mer Pacifique, celui de Nicoya ou de Realejo. En outre, les lacs de Léon et de Nicaragua permettraient la navi- gation à de grands navires.
Ce projet de communication avait été examiné à diverses époques. En 1780, l'ingénieur français Martin de la Bastide soumit à la cour de Madrid un projet de communication par le Rio Partido, un canal de jonction , le lac de Nicaragua et le
138 LAC DE NICARAGUA.
Rio San Juan, et en 1781, l'ingénieur Don Manuel GaJisteo exécuta un nivellement avec le plus grand soin, par ordre du gouvernement espa- gnol. Bien que la nouvelle vallée récemment dé- couverte dans l'isthme du Darien,et dont le savant M. Arago a entretenu, en 1842, l'Académie des sciences', réunisse, grâce à son horizontalité, les conditions les plus précieuses pour l'établissement d'un chemin de fer, le manque de ports à l'em- bouchure du Rio de Chagres, et la facilité d'ac- complir les travaux hydrauliques de Nicaragua , donneront toujours à cette dernière route un in- contestable avantage sur celle de l'isthme de Panama. On pourrait cependant prendre pour tête d'un chemin de fer la magnifique rade de Puerto Bello, sur l'Atlantique , et la faire aboutir à la baie de Panama , mais un canal à grande poi- tée ou toute autre communication pour les na- vires d'un fort tonnage sont évidemment préfé- rables à un chemin de fer.
Indépendamment de la compagnie franco-gre- nadine , à la tête de laquelle s'est placée la maison Salomon et C'^, de la Guadeloupe , MM. Baring frères , de Londres, ont fait évaluer les frais qu'oe-
■ Comptes rendus des séances de l'Académie des Sciences, décembre lSl^^l.
ISTHME DÉ PANAMA. 139
casionnerait la coiipurede l'isthme de Panama. Il est résulté de cette estimation, que la dépense s'é- lèverait à trois millions quatre centsoixante-quinze mille piastres fortes, et le bénéfice annuel approxi- mativement à sept cent soixante-quatre mille six cent dix piastres , ce qui porte l'intérêt à vingt- deux pour cent environ.
Le gouvernement français , comprenant de son côté toute l'importance de cette question , s'est empressé de faire examiner l'istlime de Panama par M. Garella, du corps royal des mines, et il n'est pas douteux que les travaux de ce savant ingénieur ne répandent un grand jour sur ce sujet, dont on se préoccupe si vivement depuis quelques années.
Dans le tableau suivant , nous indiquerons exactement les distances et les temps de parcours nécessaires par navires à vapeur pour atteindre, du point central de l'isthme (sans parler du Chili ni du Pérou), tous les ports intéressants des pro- vinces hispano-américaines au nord de l'équateur, les principaux archipels de l'Océanie, et quelques points de la côte d'Asie.
140
TABLEAUX DÈS DISTANCES.
TABLEAU DES DISTANCES EN MILLES MABINS ET DU NOMBRE d'heures NÉCESSAIRES POUR ALLEB PAB PYROSCAPHE DE PA- NAMA AUX POINTS SUIVANTS :
POINTS DE DEPART.
MILLES.
HEURES.
De Panama au golfe de Nicoya
» au golfe del Papagayo
» à Realejo
» à Sonsonate
» à Soconusco
» à Tehuantepec
» à Acapulco
» à Manzanillo
» à San Blas
» à Mazatlan
» à Gaymas
» au Rio Colorado
, „ (par Mazatlan
» a San Diego] ,.
(directement
(par Mazatlan
» aMonteReyi ..
.(directement
, „ „ . 1 par Rlazatlan.. » a San Francisco ',.
I directement...
V , T^ j ( par Mazatlan
» alaBodegaJ,.
(directement
^ . ^ . , • ( par Mazatlan » auRioColombia< ,.
(directement. .
» au détroit de Behring par le Rio de Colombia
» à Honolulu (îles Sandwich)
» àPétropaulowski (Kamtschatka) ^-— , par Sandwich
» à Otaïti ,
» aux îles Marquises
» à Jédo (Japon) par Sandwich. . .
» à Canton (Chine) par Sandwich .
435
590 680 847 1,095 1,210 1,495 1,780 1,962 2,091 2,448 2,793 3,016 2,760 3,376 3,120 3,456 3,200 3,514 3.258 4,034 3,570
5,970 4,620
7,380 3,540 3,150 7,950 9,540
48
65
75
94 121
134
166
197
218
232
272
310
335
306
375
346
384
355
390
362
448
385
663 513
820 381 347 883 1,060
TABLEAUX DES DISTANCES.
141
ROUTE DIRECTE D EUROPE EN CHINE PAR L ISTHME DE PANAMA.
POINTS DE DÉPART. |
DISTANCES en MILLES HAKINS. |
NOMBRE de jours par «AVIRES A VOILES. |
NOMBRE de jour* PAE PVSOSCAVHES. |
Du Havre à Chagres DeChagres à Sandwich De Sandwich à Hong-Kong. Totaux |
4,830 4,540 5,160 |
43 41 46 |
26 25 29 |
14,520 |
130 |
80 |
Par le cap de Bonne-Espérance , il n'y a que deux cents milles de moins, et, à cinq milles par heure, un bâtiment à voiles ferait le trajet en cent vingt et un jours; mais cette navigation présente plus de dangers et de plus grandes difficultés.
En partant d' Acapulco , on aurait les distances et les parcours suivants:
POINTS DE DÉPART. |
Milles marins. |
Jours de navigation à vapeur. |
D'Acapulco à Honolulu (ile Sandwich) . De Sandwich à Guam (îles Mariannes). De Guana à Macao ou Canton (Chine) • . Totaux |
3,000 3,100 1,600 |
10 10 5 |
7,700 |
25 |
142 NAVIGATION A VAPEUR
De Guani à Sincapoiir, à l'extrémité de la pres- qu'île de Malaca , il y a deux mille trois cents milles, et de là à Calcutta ou Madras douze cents, ce qui donne un total de trois mille sept cent trente- trois lieues marines pour la distance d'Aca- pulco à Calcutta.
En 1838, il s'est formé à Londres, sous le titre de Compagnie de la navigation a vapeur dans l'Océan Pacifique , une société avec un capital de deux cent cinquante mille livres sterling , qui exploite, par ses pyroscaphes, les ports compris entre le Chili et Panama. Son intention est de faire remonter ses navires vers le Nord , à me- sure que les affaires commerciales prendront plus d'extension , et que les rapports entre le Pérou, l'Equateur, la Nouvelle Grenade et le Mexique, deviendront plus importants et plus suivis.
Il serait superflu d'ajouter que la jonction des deux Grands Océans ne fera qu'imprimer un nou- vel essor à cette utile entreprise , et nous faisons des vœux pour que nos paquebots transatlantiques prennent une part active dans ce développement maritime , qui ne pourrait qu'être extrêmement avantageux à notre commerce et à nos colonies des Antilles et de la Mer Pacifique.
De toute manière , les provinces de la Nouvelle- Kspagne, baignées par la mer du Sud, ne pour-
DANS L'OCÉAN PACIFIQUE. 143
ront que gagner immensément à la coupure du continent américain. Dans cette supposition, c'est surtout le port d'Acapulco qui en recueillerait les plus grands fruits, puisque, sous le rapport de l'étendue et de la sécurité, ce port ne laisse rien à désirer, et qu'il se trouve en outre être le point le plus rapproché de Mexico , dont il n'est séparé que par une distance d'environ cent lieues. On sait à quel degré d'opulence il était parvenu sous le régime royal, alors que les galions des Philippines y apportaient leurs riches cargai- sons.
C'est donc sur ce port que le gouvernement mexicain doit porter principalement son atten- tion ; car la côte à Testd'Acapulco, nommée Costa chica, et celle appelée Costa grande^ qui s'étend jusqu'au port de Manzanillo, jouissent toutes deux d'unefertilitéextraordinaire, etdonnent, entre au- tres produits , du coton d'une qualité supérieure qui pourrait devenir plus tard , ainsi que celui du territoire de Colima, un article essentiel d'expor- tation '.
' Voir dans l'atlas, le plan n° 4-
Latitude Nord : IG*» 50' 28".
^ „, , j Long. Ouest : 102° 12' 41".
Port d Acapulco <
' jEn temps : 6" 4 8"" 50'.
Déclinaison : 8" 17' N.-E.
144 VILLE ET PORT D'ACAPULCO.
La ville d'Acapulco est considérablement dé- chue de son ancienne splendeur; sa population, qui se montait, du temps des Espagnols , à neuf mille habitants, n'arrive pas à deux mille aujour- d'hui, et son commerce extérieur se borne à quelques échanges avec l'Equateur et le Pérou , et à un cabotage très-limité.
Les Espagnols avaient si bien senti l'utilité de faciles relations avec Acapulco, qu'à l'instar delà magnifique route construite par eux entre Vera- Crûz et Mexico , ils avaient déjà préparé le tracé et réuni les matériaux nécessaires à l'exécution de celle qui devait joindre la capitale à Aca- pulco , en passant par Guernavaca et Chilpau- cingo.On voit encore d'immenses amas de pierres sur les bords du chemin actuel.
Mais il est à craindre que l'état de désor- ganisation profonde dans lequel est plongé le Mexique , et les révolutions qui s'y succèdent sans interruption , ne permettent jamais à ce beau pays de mener à fin des projets qu'il appartenait seulement à la bonne et sage administration des vice-rois de la Nouvelle Espagne de concevoir et de réaliser.
CHAPITRE V.
Territoire et ville de Colimu. Volcan. Port del Manzaniilo. Valladolid. Nouvelle Galice. Guadalajara , Tépic, Jalisco, San Blas, IVlazutlnn , Guaymas. Commerce de la côte.
A partir d'Acapulco, la côte court à l'ouest. Basse et formée par ce qu'on appelle les plages de Coyuca , une fois arrivée a la pointe Jequepa, elle se relève un peu vers le nord , et l'on dé- couvre alors , à vingt lieues environ, le Morro de
146 COTE A L'OUEST D'ACAPULCO.
«
Petotlan , haute montagne recoiinaissable aux îlots dont elle est entourée ^
Entre cette pointe et plusieurs îles blanches, e^t placé le petit portdeSiguantanejo.Toute cette côte est bordée de villages et de salines exploitées par les habitants. L'approche du rivage est parfaite- ment saine, bien qu'on y cherchât vainement des mouillages très-sûrs. Il n'y existe non plus aucune rivière importante. Celle de Sacatula, qui, pro- vient du volcan de Jorullo , ainsi que les Rios Camuta et Coalcaman, ne sont point navigables. Les baies de Tejupan et de Santyago , situées au sud et à l'est du promontoire nommé les Mame- lons de Tejupan , ne peuvent être considérées que comme des rades foraines.
De ce point, la direction générale de la côte est presque droit au nord pendant un demi-de- gré. Elle s'incline ensuite à l'ouest, et passant de- vant l'embouchure des Rios Coaguanaja, Apisa et delà Armeria jusqu'à la pointe de San Francisco ou de Ventanas, qui marque l'entrée méridio- nale du port del Manzanillo , signalé au nord par les deux mornes élevés de Juluapan et par une côte bordée de palmiers.
,Lat. Nord: 17" 82'. Morro de Petatlan. { , , ►^ „
Long. Ouest : loi /jo 54 •
PORT DEL MANZANILLO. Ul
Le port del Manzanillo ou Salagua n'a point été décrit et doit cependant acquérir quelque jour une importance majeure. En jetant les yeux sur le plan inédit qui accompagne ce chapitre, on verra qu'il est infiniment supérieur aux rades ouvertes de San Blas et Mazatlan. Il présente qua- tre excellents ancrages, et des navires d'un très- fort tonnage peuvent y mouiller en tout temps '. Pour venir chercher le port del Manzanillo, il faut se placer au large en latitude et gouverner sur la terre, ayant pour guide, tout en laissant arriver un peu à l'ouest , le double pic du volcan de Colima. En arrivant près du port, dont l'en- trée est assez large, on reconnaît qu'il est divisé en deux baies par la pointe de /« y^udiencia, qui descend vers le sud. La baie du levant porte le nom del Manzanillo , celle du couchant celui de Santyago : c'est là qu'est la meilleure aiguade. Quand le vent est du sud , le mouillage préférable se trouve dans l'anse de l'est , où l'on arrive en suivant depuis l'entrée la ligne Nord 52 degrés Est, et l'on mouille par douze et quinze mètres en face de la roche San Pedrito. On peut aller
' Voir le plan n° 5 de l'atlas.
^ , , , _, .,1 ( La t. Nord : I g** 6'.
Port del Manzanillo ^
,, , { Long. Ouest : io6° 48' i5''.
ou Salacua \ °
(Déclinaison: 8"! 5' N. E.
10.
M 8 MOtirLLiVGE DE SALAGUA.
aussi dans la baie de l'ouest en gouvernant au Nord 42 degrés Ouest, rangeant les rochers los Frayles qui bordent la seconde pointe de Julua- pan , et l'on jette l'ancre derrière la montagne , par cinq et six brasses à quelques pas du bord. Pour aller prendre le mouillage de Santyago ou de Salagua avec un vent portant, on court Nord, quelques degrés Est ou Ouest, en évitant la roche Estrada, située à l'extrémité sud de la pointe de la ^iidiencia , qui est , avons-nous dit, droit en face de l'entrée. La marée a lieu toutes les vingt-quatre heures , le flux le matin et le reflux le soir ; elle monte de deux mètres environ , et les courants portent vers le sud.
A Salagua l'eau et le bois sont très-abondants, et les bœufs à bon marché. On pourrait y prendre de la vanille, des tortues à écaille fine, de belles perles, le coquillage qui donne la couleur pour- pre , et divers bois précieux , tels que l'ébène , l'acajou et la grenadille.
Le port del Manzanillo a été ouvert aux navires étrangers , et il a reçu plusieurs riches cargaisons d'Europe; mais en 1836, la jalousie des négo- ciants de Tépicet de San Blas le fit fermer, ainsi que celui de Mazatlan, qui fut rendu plus tard au commerce extérieur.
La situation avantageuse de Salagua lui per-
LAGUNE DE CUYUTLAN. 149
mettait d'approvisionner, plus aisément que les autres ports, les provinces de Colima, Michoa- can et Jalisco , et surtout d'envoyer plus rapide- ment , et à moins de frais, les marchandises à Gua- dalajara et à la célèbre foire de San Juan delRio.
Manzanillo est éloigné d'environ vingt lieues de la viUe de Colima, capitale du territoire de ce nom. Le chemin , depuis la mer, est déjà prati- cable pour les charrettes , et le trajet serait di- minué de sept lieues par terre au moyen d'une courte tranchée qui mettrait le port en commu- nication avec la lagune salée de Cuyutlan , navi- gable pour de grands bateaux, plats.
Les cargaisons expédiées de Mazatlan pour l'in- térieur de la Nouvelle Galice ne passent point par San Blas ; le fret d'un port à l'autre est de une piastre et demie par colis, et le transport par terre de San Blas à la foire de San Juan , par exemple, est de quatorze piastres, ce qui fait quinze piastres et demie par colis ou trente et une par charge de mulet. On éprouve , en outre , beaucoup de peine pour se procurer des bêtes de somm^ , tandis qu'on en obtient très-facilement à Salagua. De Mazatlan à Manzanillo le fret vaut deux piastres environ par colis, et le port jusqu'à San Juan, neuf; la charge coûte donc vingt-deux piastres au lieu de trente et une : économie con-
150 TËRRIÏOIRE
sidérable pour les maisons qui expédient dix ou
douze mille colis par année.
Les habitants de Colima sont encore en instance auprès du gouvernement pour la réouverture de leur port, qui intéresse tout le commerce des pro- vinces occidentales. Il y a au Manzanillo trois petits villages , un poste de quatre soldats et un employé de la douane qui se tiennent aux hameaux de Salagua et de Santyago , près du mouillage le plus fréquenté. Le commerce a lieu seulement entre les ports mexicains tels que Acapulco, San Blas, Mazatlan et Guaymas.
Le territoire de Colima est riche et très-fertile. Bien qu'il ne renferme que cinquante mille habi- tants, la consommation annuelle des marchan- dises d'Europe monte à un million de piastres. Les produits principaux sont : le sel, qui s'ex- porte, dans presque toutes les mines du Mexique, k l'énorme quantité de cinq cent mille quintaux, représentant une valeur d'environ douze cent mille piastres ; il vaut à Zacatecas et à Guanajuato quatre piastres le quintal ; cent quintaux d'indigo, à une piastre et une piastre et demie la livre ; cinq cents quintaux de cacao ; huit mille de riz; cinq mille de sucre, et une grande quantité de savon. Toutes les céréales se récoltent en abondance, et on compte plus de cinquante mille plants de café.
ET VILLE DE COLIMA. 151
Le coton est devenu depuis quelques années un article fort important ; il est de très-belle qua- lité, blanc, à courte soie; c'est un arbuste qui n'acquiert que la hauteur d'un mètre et demi ; on le sème tous les ans en septembre : la première récolte s'effectue en févriei-, et la seconde à la fin de mai. On en recueille annuellement de soixante- ([uinze à quatre-vingt mille quintaux , qui , brut , se vend de quatre à six piastres : à l'égrenage il y a deux tiers de déchet , et le prix net de revient est de douze à dix-huit j)iastres le quintal de qua- rante-six kilogrammes. Letransport d'une charge de trois quintaux jusqu'à Mexico coûte seize, piastres , et deux piastres jusqu'au Manzanillo. Ce prix, élevé d'environ deux francs le kilogramme, ne permet pas, quant à présent, l'exportation du coton en Europe.
11 y a à Colima une bonne maison française , celle de M. François Meillon, et MM. f .estapis et .Corbière ont établi de grandes plantations avec une machine à égrener et à nettoyer le coton ; ils y ont , eji outre , organisé une filature; le tout d'une valeur de plus de deux cent mille piastres.
Si l'on en excepte d'assez fréquents tremble- ments de terre et les goitres dont les habitants sont affectés , la ville ne présente rien de remai- ([uable : la population , d'environ vingt mille
152 VOLCANS DE COLIMA.
âmes, est entièrement adonnée à l'agriculture et
au commerce.
A huit lieues , dans l'est-nord-est , se trouve le volcan de Colima , le plus occidental de ceux du Mexique. Sa hauteur absolue est de 3656 mètres; il est en activité et laisse s'échapper des vapeurs sulfureuses, des cendres et des pierres, mais de- puis longtemps il ne jette plus de lave. Le dia- mètre de son cratère est de 150 mètres, et ses bords sont déchirés à pic ; les flancs de la mon- tagne sont arides et escarpés, le soufre même est de mauvaise qualité. A une lieue au nord du volcan on voit un cratère éteint qui dépasse de 212 mètres l'élévation du précédent, et dont la hauteur au - dessus du niveau du port est de 3868 mètres ; son sommet est couvert de neige ; on l'aperçoit en mer à de très-grandes distances, et il offre , quand le ciel est pur, un excellent point de reconnaissance aux navigateurs qui cher- chent le port del Manzanillo. ^
La vallée dans laquelle est située Colima pa- raît formée de produits volcaniques et de laves décomposées mêlées à des détritus. On n'y ren- contre pas de minerais , mais seulement de très- beaux morceaux de porphyre. La végétation de la plaine consiste en palmiers, aloès, grenadiers et en orangers superbes. Dès qu'on s'élève sur
VALLADOLID. liS
les plateaux supérieurs, les arbres élégants des tropiques sont remplacés par de sombres forêts de pins , recouvrant la partie de la Sierra-Madre qui s'étend presque jusqu'à Valladolid.
Un Français , M. Guinot, est chargé , dans cette ville, d'une entreprise considérable. Grâce à un capital de cent mille piastres , en partie fourni par des actionnaires , il a établi , sur une vaste échelle , la culture du mûrier et l'éducation des vers à soie.
Depuis le port del Manzanillo jusqu'au cap Corrientes , la côte, qui s'élève presqu'au nord , présente les trois mouillages de Guatlan, Navidad et Tamatlan qui sont fort peu fréquentés.
A partir du cap Corrientes, que les navires allant d'Europe à San Blas ont toujours soin de reconnaître, se développent, dans la partie orien- tale , sur une étendue de douze ou quinze lieues, la grande baie de Ameca et le Valle de Banderas^ où les bâtiments étrangers vienneïit charger quelquefois du bois de Brésil dont la côte abonde ^
En face et un peu au sud de la pointe de Mita , qui forme la limité nord de la grande baie , gi-
I Latitude Nord 20" 25' 3o". Longitude Ouest 107 59 ii .
154 NOUVELLE GALICE,
sent, presqiie sur le même parallèle , les trois pe- tites îles Las Marietas , et une quatrième à l'ouest, appelée la Corvetana. Ce groupe étant distant d'un degré seulement de celui de lasTres Marias^ une légère erreur en latitude suffirait pour les faire prendre l'un pour l'autre. Mais il sera diffi- cile de s'y tromper si l'on se souvient que las Très Marias sont beaucoup plus grandes , et qu'elles se trouvent sur une même ligne dont la direction générale est nord-nord-ouest , tandis que las Marietas et la Corvetana sont très-pe- tites et placées sur une ligne qui court est et ouest.
La côte, au delà de la pointe de Mita, rentre un peu au levant pendant un espace de vingt lieues , et on y rencontre , après la pointe de Te- cusitan , les mouillages de Chacala et de Matan- chel^ au sud du petit cap de lus Custvdios , qui indique l'entrée méridionale de la rade de San Blas.
Le port de San Blas est situé dans la Nouvelle Galice, et s'il nous a semblé inutile de décrire les villes de Vera-Cruz, de Puebla et de Mexico , ainsi que celles deGuanajuato , Querétaro , Ce- laya , Léon , Valladolid et Oajaca, que tant d'ou- vrages ont déjà rendues familières au lecteur, il n'en est pas de même de Guadalajara , aujour-
GUADALAJARA. 155
d'hui la seconde ville du Mexique, et qui joue un très-grand rôle dans toutes les révolutions du pays.
Cette ville , capitale de l'ancienne intendance de ce nom et de la Nouvelle Galice , l'est aujour- d'hui du département de Jalisco , qui renferme une population de six cent mille âmes , et a une superficie d'enviroji neuf mille lieues carrées.
Sa position géographique est par 20 degrés 41 minutes de latitude nord et 105 degrés 41 mi- nutes 15 secondes de longitude à l'ouest du méri- dien de Paris. Guadalajara se trouve située à cent cinquante lieues dans l'ouest de IMexico. La route qui sépare ces deux villes , quoique fort mau- vaise, est cependant praticable pour les voitures, mais elle pullule de voleurs et d'assassins. C'est à Guadalajara que résident le gouverneur, le com- mandant général et l'évêque. On y remarque de nombreuses églises , et onze couvents des deux sexes.
Par suite de son défaut de relations avec l'étran- ger et du manque d'institutions littéraires, cette ville est l'une de celles oii la civilisation est le plus arriérée. Elle ne possède qu'une assez pauvre im- primerie en activité , et n'a ni bibhothèques pu- bliques, ni écoles supérieures ; car l'enseignement donné à un très-petit nombre d'élèves dans le
Ii6 INDUSTRIE
séminaire ecclésiastique est extrêmement incom- plet. L'école de dessin et les écoles primaires gratuites seules sont dans un état satisfaisant.
Dans le département , l'agriculture est assez florissante. Les Indiens des campagnes se livrent à la culture , et les récoltes se composent princi- palement de blé , mais , riz , haricots , avoine , cacao, cochenille, coton et de maguey {agave americana), d'où l'on retire, par la distillation, l'eau-de-vie appelée mescal. Les produits agri- coles peuvent être évalués annuellement à trois millions de piastres fortes.
Quant à l'industrie, qui jouit à son tour d'une certaine prospérité , elle consiste surtout dans la fabrication d'étoffes ordinaires en laine, les sa- rapes et cobertones^ et en toiles de coton unies et imprimées, nommées mantas ^ rebozos et za- razas.
On travaille fort bien l'écaillé à Guadalajara , et l'on y trouve plusieurs fabriques de chapeaux, des tanneries et des savonneries , dont l'exploi- tation est d'autant plus facile, que les champs , dans certaines localités, sont couverts de carbo- nate de soude efflorescent que les Indiens appel- lent tequezquite , et qu'ils recueillent avec soin pendant le mois d'octobre. Dans l'état de Ja- lisco, le montant des produits industriels s'élève
DANS L'ETAT DE JÂLISCO 157
à quatre millions de piastres. La valeur du savon entre dans ce chiffre pour un million, et celle des étoffes de coton pour deux ^
La fabrique de cigares occupe huit cents ou- vriers, dont six cents femmes. La culture du tabac étant prohibée , les matières sont apportées du département d'Orizaba. La vente en est affer- mée : elle donne à Guadalajara un produit an- nuel de deux millions de piastres.
On ne cultive ni le lin , ni le chanvre , ni la soie dans ce département.
La presque totalité des pièces d'or et d'argent frappées à Thôtel des monnaies est fournie par la mine célèbre de Bolailoset par celle de Hosto- tipaquillo, bien qu'il y ait encore plus de vingt localités oii fonctionnent de petites exploitations, arrêtées souvent par le haut prix du mercure.
• Le tequezquite est un carbonate de soude naturel efflorescent. Il vaut une demi-piastre la fanègue ou aS livres. L'analyse faite par M. Berthier, professeur à l'École royale des Mines à Paris, donne :
Carbonate de soude anhydre o,5i6
Sulfate de soude anhydre o,i53
Sel marin 0,04 5
Eau 0,246
Matières terreuses 0,0 3o
O5990
l.'iH GUADALAJARA.
Il est aisé de distinguer les pièces frappées à Guadalajara ^ et qui portent à leur revers le signe G^. Les maisons d'affinage en France doi- vent s'attacher à les obtenir : elles contiennent beaucoup d'or, car dans cette ville l'atelier d'es- sai et de départ {casa de ensayo y apartado) est dirigé de la façon la plus défectueuse ; il ne pos- sède ni les instruments , ni les réactifs nécessaires, et ses administrateurs ignorent complètement les savants procédés de MM. Gay-Lussac et d'Arcet.
Les espèces monnayées et les lingots ou barres d'or et d'argent sont dirigés sur Tampico et San Blas, afin d'être embarqués à bord des navires de guerre anglais et des navires du commerce.
Le département de Jalisco a quelques mines de cuivre, mais elles demeurent inexploitées. Près de Tépic on obtient de petites quantités de fer, et près de Guadalajara un peu de mercure ; mais l'extraction de l'or et de l'argent par l'amalga- mation étant plus facile, les mineurs s'y adonnent de préférence.
Guadalajara, située dans une vaste plaine, est dépourvue de tout moyen de défense : elle n'a ni fossés, ni murailles, et toute sa garnison consiste en huit cents hommes de mauvaises troupes de toutes armes.
Cette ville est d'ailleurs un foyer perpétuel
LAC DE MESCALA. 159
crintri^iies et de conspirations politiques. On y prépara la chute d'Iturbide, le renversement de Bustaniante , l'élévation de Santa-Anna , et ce fut enfin le congrès fédéral de Jalisco qui rendit le décret parricide de l'expulsion des Espagnols. La moralité du peuple est presque nulle, son igno- rance , grossière ; les vols et les assassinats sont la chose du monde la plus commune ; ils se commet- tent tranquillement en plein jour, le plus sou- vent avec impunité , et les prisons contiennent plus de mille malfaiteurs. Douze cents criminels sont en outre renfermés dans un bagne (/?rm<i/o) qui a été établi dans la petite île de Mescala , au milieu du lac de Chapala, à quinze lieues dans le sud-est de Guadalajara.
Ce lac , situé à deux mille mètres environ au- dessus du niveau de la mer, a cent vingt lieues de circonférence , et présente un phénomène ana- logue à celui du Rhône dans le lac de Genève. Il est traversé par le Rio Grande de Sant Yago, qui débouche dans la Mer Pacifique, près de San Blas. Dans un cours de deux cents lieues ce fleuve n'est navigable sur aucun point.
A Guadalajara et dans les environs, plus de soixante Français se livrent à des professions in- dustrielles : ils y ont fondé des établissements importants, notamment deux grandes boulange-
IGO ÉTAT DES ROUTES,
ries et minoteries, une brasserie, une distillerie à vapeur, un atelier complet de teinture et d'im- pression d'étoffes. Les ouvriers français qui réus- sissent le plus aisément à réaliser, dans ce dépar- tement, de notables bénéfices , appartiennent aux états de fondeurs , de charpentiers , de mécani- ciens et de serruriers.
La France n'est représentée à Guadalajara par aucune maison de commerce considérable; toutes les grandes affaires, les vastes opérations sont concentrées entre les mains de quatre maisons, dont trois espagnoles et l'autre an- glaise.
La route qui conduit jusqu'à Tépic, à San Blas, au Rosario et à Mazatlan, est, comme celle qui va de Mexico à Guadalajara, infestée de voleurs, qui, réunis en bandes de trente, quarante, et jusqu'à cent cinquante hommes , bien montés , bien ar- més, organisés militairement, pour ainsi dire, attaquent les voyageurs , enlèvent les convois , pillent les métairies, les hameaux ( haciendas y ranchos) et frappent des contributions même sur de gros villages.
La distance de Guadalajara à Tépic est de quatre-vingt-dix lieues, qu'il faut faire à cheval, par la plus détestable route de tout le Mexique , en traversant d'immenses ravins qui se prolon-
TÉPIC. — CONSULATS. 1 0 1
gent jusqu'à la mer, et sont remplis d'arbres propres à la construction des navires.
Tépic , qui n'a guère que huit mille habitants pendant les chaleurs, en compte plus de dix mille durant la saison des pluies.
Les autorités et les employés de la douane de San Blas y résident , et ne se rendent au port que lors de l'arrivée d'un bâtiment marchand.
A une lieue de Tépic se trouve le village de Jalisco, bâti sur les ruines de l'ancienne ville in- dienne de ce nom, riche et puissante lors de la con- quête. Les fouilles qui y ont été faites ont amené la découverte d'ustensiles de toute espèce , d'ar- mes et d'idoles des anciennes divinités mexicaines.
Le séjour de Tépic est sain ; l'élévation de la ville au-dessus du niveau de la mer est de huit cent quatre-vingt-cinq mètres. Tout le commerce se trouve concentré aux mains de cinq maisons espagnoles : MM. Menchaca, d'Anglada , vice- consul d'Espagne; Castanos , vice -consul des Etats-Unis ; Barron , vice-consul d'Angleterre, et M. Yruretagoyena , dont le neveu, M. Joseph Calvo, est vice-consul de France. M. Calvo, jeune homme élevé à Paris, nous est entièrement dé- voué ; il a rendu d'importants services à plusieurs Français et à des capitaines de bâtiments mar- chands de Bordeaux.
1C2 FILATURE DE COTON.
Aux portes de Tépic existe un grand établisse- ment de filature et de tissage de coton. Les ma- chines sont mises en mouvement au moyen d'un courant d'eau pris dans le Rio Grande de Sant- yago. Le propriétaire est un Anglais, M. Forbes, associé de la maison Barron. On ne compte que deux ou trois Français à Tépic, et la filature est la seule entreprise industrielle qui s'y soit formée.
La route actuelle de Tépic au port de San Blas a vingt-deux lieues , tandis que la distance di- recte est de huit lieues seulement. Il y a peu de temps encore, M. Castaûos, riche négociant es- pagnol de Tépic , proposa au gouvernement mexi- cain de faire construire à ses frais un chemin pour les voitures. Les dépenses devaient s'élever à cinquante mille piastres environ, et M. Cas- tanos n'exigeait que le droit de percevoir, pen- dant vingt ans, un modique péage. L'apathie des administrations qui se sont succédé , a empêché de donner suite à une offre si avantageuse. L'an- cienne chaussée espagnole ( el camino real)^ qui s'étendait au milieu des marais , a presque, entiè- rement disparu.
A San Blas , les fortifications, le château qui défendait l'entrée du port ( el castillo de la en- trada des plans espagnols , élevé à 32 mètres au-
VILLE ET PORT DE SAN BLAS. 163
dessus des eaux), la corderie, l'hôpital, les chan- tiers, l'arsenal , les magasins , tout est en ruine; il ne reste que des décombres à la place des ma- gnifiques établissements fondés sous le régime royal. Il n'y a pas un canon en batterie , pas un soldat , pas une pièce de bois , pas un ouvrier dans ce port, où la marine espagnole en occupait plus de trois mille , et dans lequel on construisait des frégates !
La ville- de San Blas , qui n'a guère que huit cents habitants , est située sur un morne , à une lieue de la mer. On remarque, sur le rivage, quel- ques misérables cabanes occuj^ées par des pê- cheurs, des matelots et des muletiers. Cet endroit, nommé la Playa , a un agent consulaire anglais, M. Saunders, capitaine au long cours. Les navires doivent éviter d'y faire de l'eau , car elle est sau- mâtre et malsaine. Les vivres, apportés de Tépic, y sont fort chers : les bœufs valent de huit à douze piastres.
San Blas n'a qu'une rade foraine : le mouillage est sûr dans la saison sèche, et moins dangereux, pendant les pluies, que celui de Mazatlan. L'éten- due et la configuration de la rade reifdent l'appa- reillage plus facile, et assez souvent les courants portent au large. On doit cependant éviter d'y séjourner pendant la saison du cordonazo, oura-
164 ATTÉRAGE
gan périodique dont on donnera plus bas la des- cription.
San Blas présente le grand avantage d'une pe- tite anse , dite elpozo , fermée et abritée du côté de la mer par une jetée naturelle de rochers. Elle est d'une ressource particulière pour y caréner ; il est à regretter toutefois qu'elle ne puisse guère contenir que cinq ou six navires , qui , pour y entrer et se mettre à l'abri du mauvais temps, doivent avoir un tirant d'eau n'excédant pas dix pieds; car un banc obstrue l'entrée de Tanse.
Sous le gouvernement espagnol , on avait soin d'enlever le sable , et la jetée était entretenue de manière à permettre aux frégates de séjourner sans danger dans le pozo. D'ailleurs , un bras du Rio Grande de Santyago débouchait autrefois au fond du port, et dans les grandes eaux , entraî- nait avec lui le sable et la vase du port. Pen- dant la guerre de l'Insurrection, le commandant espagnol de San Blas , afin d'isoler la place et d'empêcher toute agression par la voie du fleuve, fit couler, dans le bras qui se jetait dans le port, un navire chargé de pierres ; mais on pourrait aujourd'hui faire disparaître aisément cet obs- tacle et rendre de la profondeur au bassin inté- rieur.
Il est très-facile de venir chercher la rade de
DE SAN BLAS. 165
San Blas; de nombreuses marques servent de guide. Après avoir doublé les îles las très Marias j qui sont à trente lieues au large, on laisse arriver sur la terre, et l'on aperçoit dans l'Est le mont San Juan , morne élevé de dix-neuf cents mètres, et que par un beau temps on découvre de vingt lieues en mer'. Derrière cette montagne se cache la ville deTépic. En gouvernant sur le San Juan, on ne tarde pas à reconnaître une énorme roche blanche appelée la Piedra blanca del mar ou de afuera , la pierre blanche de la mer ou du large, élevée de quarante-six mètres. En en passant à une petite distance au sud, et continuant la route vers l'est, on voit bientôt une nouvelle roche blanche , celle du dedans , la Piedra de adentro, plus petite que la première, et qui marque exac- tement le mouillage. C'est dans l'est de celle-ci que l'on doit jeter l'ancre par quinze ou seize mètres.
On peut, de nuit comme de jour, venir cher- cher ce mouillage. Les deux roches gisent Est et Ouest l'une de l'autre, et sont distantes de onze milles. Toute la côte de la baie est parfaitement saine d'écueils, et le brassiage régulier. Si l'on
^ , ILat. Nord : 21** a6 i5".
Sommet du mont San Juan : { _ „„
I Long. Ouest : 107 %\ i .
166 COMMERCE DE SAN BLAS.
reste sous voile, il faut se défier des courants qui
portent assez fortement au sud.
San Blas est très-malsain ; il y règne des fièvres pernicieuses pendant la saison des pluies , et il y a des nuées de moustiques et de maringouins , dont les piqûres occasionnent des éruptions cu- tanées , des ophtbalmies et différentes inflamma- tions graves. Les capitaines des navires ne doivent point permettre à leurs matelots de dormir sur le pont ou d'aller coucher à terre.
Les marchandises arrivant par le port de San Blas servent à approvisionner la Nouvelle Galice et le territoire de Colima. Quelques parties sont expédiées à Mazatlan, Durango, San Luiz de Po- tosi et Zacatecas. Année commune , il entre à San Blas de dix- huit à vingt bâtiments marchands étrangers , dont les chargements peuvent être éva- lués à deux millions de piastres fortes. Tous ces navires repartent sur lest, ou vont charger du bois de Brésil à Mazatlan ou au Valle de Banderas.
En arrivant à San Blas en juillet , août ou sep- tembre au plus tard, les bâtiments se défont avec plus de facilité et d'avantage de leurs cargaisons, qu'on transporte à la foire de San Juan de los Lagos, et qui ont le privilège de payer cinquante- trois pour cent de moins sur les droits d'entrée. Il est à craindre que cette circonstance favo-
SAN JUAN DE LOS LAGOS. 167
rable ne soit ignorée des armateurs des ports de France.
La petite ville de San Juan de los Lagos se ren- contre sur la route de Mexico à Guaclalajara, à quarante lieues de cette dernière ville. Il s'y tient tous les ans, le 5 décembre, une foire qui dure huit jours, et où se rendent non-seulement les marchands de tout le territoire mexicain , mais même ceux de Guatemala. Le mouvement d'af- faires s'y élève ordinairement à deux millions de piastres.
La position géographique de San Blas est aux ruines de l'arsenal et au niveau de la mer : lati- tude nord 21 degrés 32 minutes 34 secondes ; longitude à l'ouest du méridien de Paris, 107 de- grés 35 minutes 48 secondes; déclinaison , 9 de- grés 12 minutes nord -est. Température de novembre -h 25 degrés centigrades, â midi. Ba- romètre réduit à zéro et au niveau de la mer : moyenne 761°"", 5 , maximum 765°"",5, minimum 764™",5. Vents régnants : du sud à l'ouest. Etablissement de la marée, 9 heures 45 minutes ; hauteur aux équinoxes, 2 mètres 40 centimètres'.
Sous le parallèle de San Blas, et à trente lieues au large, gisent les îles découvertes par Mendoza
' Voir dans l'atlas le plan de San Blas, n"* 6.
168 ILES LAS TRES MARIAS,
en 1532, et nommées las très Marias^ et l'îlot San Juanico\ Hautes et inhabitées, ces îles ont souvent servi de refuge aux pirates , et elles peu- vent devenir d'une grande importance, dans le cas oii l'on voudrait bloquer la côte nord-ouest du Mexique et capturer les navires venant de Sandwich, de Chine et de la Haute Californie. On y trouve des tortues d'une belle écaille, du gibier, des éponges, du bois et d'excellente eau. On peut aisément passer entre l'île du milieu et celle du nord-ouest, et mouiller à l'ouest de celle-ci, où il y a constamment plus de vingt brasses.
A vingt lieues de San Blas dans le nord-ouest , en face de l'embouchure du Rio San Pedro, ap- paraît la petite île Isabelle, inhabitée ^ Par 22 de- grés 25 minutes de latitude nord, on aperçoit les petites collines de laBayona; on peut jeter l'an- cre par huit brasses près de la pointe nord-ouest, à l'abri des vents du nord-est. L'embouchure du Rio Bayona est désignée sous le nom de boca de
' Extrémité sud de la plus orientale des très Marias : latitude nord 21° i6' ; longitude ouest 108" 35' 5''. Ilot San Juanico à l'extrémité nord -ouest des Très Marias : latitude nord, 21° 4^' 3o"; longitude ouest 108° 69' 18". Déclinaison : 8° N. E.
* Ilot Isabelle : latitude nord, 21° 5o' 3o"; longitude ouest, 108' 14' 48".
HYDROGRAPHIE. 169
Teacapan. A huit lieues plus au nord, on décou- vre les monticules de Cliametla. La pointe ouest du Rio Chametla ou del Rosario est située par 22 degrés 50 minutes latitude nord, et 108 degrés 18 minutes longitude ouest. C'est dans le petit port formé par son prolongement que Fernand Cortez s'embarqua, le 15 avril 1535, pour aller découvrir la Californie. A un mille au large, le fond est de quinze à seize mètres.
Sur la côte , se voient plusieurs grandes fermes qui sont, en partant de San Blas, les haciendas del Mar, San Andres, Santa Cruz, Teacapan et del Palmito. On peut y acheter des bœufs à huit piastres, et quelques légumes. L'eau de toutes les rivières est bonne, et le bois à brûler fort abon- dant.
Comme il n'existe aucune description hydro- graphique des côtes de San Blas, Mazatlan et Guaymas , nous croyons utile de réunir ici , aux renseignements fournis par les officiers les plus pratiques, le résultat de nos propres obser- vations.
Il n'y a sur aucun point de la côte ni phares, ni signaux , ni balises, mais elle est partout par- faitement saine et peut être approchée à petite distance. L'année se divise en saison sèche et en saison des pluies. Il faut remarquer que le chan-
170 OURAGANS PÉRIODIQUES,
gement s'opère graduellement, et que son époque peut varier. Durant la saison sèche, le temps est constamment beau. Les vents soufflent réguliè- rement, pendant le jour, du nord-ouest à l'ouest, ensuivant la direction de la côte, et ils sont rem- placés la nuit par une légère brise de terre ou par des calmes. La saison des pluies, qui commence en juin, est d'abord indiquée par des calmes et de légers grains de pluie ; à mesure qu'elle avance, les grains deviennent plus forts, et au lieu den'ar- river que la nuit , ils commencent dans l'après- midi, et se terminent par des orages très-violents, accompagnés d'éclats de tonnerre fort dangereux et de vents impétueux soufflant de tous les points de l'horizon. Le temps 3e maintient de la sorte jusqu'à la fin de septembre, et il arrive parfois que la saison se termine par un ouragan terrible, qui ordinairement a lieu du P"" au 5 octobre, jour de la fête de Saint François. Ces ouragans, qui soufflent toujours du sud-est au sud-ouest, ont peu de durée; mais ils ont tant de violence et ren- dent la mer si haute, que rien ne peut leur résis- ter. C'est ce que l'on nomme dans le pays le Cordonazo de San Francisco^. Le navire sur- pris sur rade doit sombrer sur ses ancres ou
' Le coup de cordon de Saint François.
INVERSION DE L'ALIZÉ. 171
rompre ses amarres et faire côte. A l'approche du Cordonazo , il importe de courir des bordées au large, ou, si l'on est forcé de rester sur rade, de mouiller à une telle distance de terre, que l'on puisse facilement mettre à la voile aux premiers signes précurseurs du coup de vent. Ces obser- vations ne sont pas applicables aux rades entière- ment ouvertes , et l'on doit éviter d'y séjourner pendant les mois de septembre et d'octobre. Ce- pendant le Cordonazo, trompant les prévisions des navigateurs, arrive quelquefois plus tard qu'à la Saint François : c'est ainsi que le l^'^ no- vembre 1839, douze navires qui le croyaient déjà passé, furent surpris dans le port de Mazatlan et périrent pour la plupart corps et biens. Le l^"" no- vembre 1840, trois bâtiments se^sont perdus dans la rade de SanBlas, et plusieurs personnes se sont noyées , sans qu'il ait été possible de leur porter secours.
On observe sur la côte nord-ouest du Mexique et dans le golfe de Californie le phénomène désigné en météorologie sous le nom à'inversion de l alizé. En effet, ce vent qui, presque constamment, souffle du nord-est sur l'Atlantique et dans les mers au nord de l'Equateur, se trouve remplacé ici par un vent de sud-ouest, et même par les vents directs de l'ouest. Cette inversion , qui ne
172 PORT ET VILLE
règne qu'en dedans de la Mer Vermeille , ne se fait point sentir sur la côte de Californie baignée par rOcëan Pacifique, au delà du 23^ degré de la- titude Nord.
San Blas est distant de Mazatlan de soixante lieues marines ; la navigation très-facile dure au plus de deux à cinq jours. La côte est saine par- tout. Près de terre il y a toujours de douze à quarante mètres, et, à quelques milles au large, le fond est de soixante-dix à cent.
Le port de Mazatlan, ainsi que celui de San Blas , n'est qu'une rade foraine , quoique dans la saison sèche on y soit en sûreté et à l'abri des vents régnants qui viennent toujours alors du nord-ouest et de la mer. Lorsque la saison des pluies est avancée, le port n'est pastenableet est excessivement périlleux. Un navire jeté à la côte est exposé à s'y perdre corps et biens , car elle est hérissée de rochers, contre lesquels la mer se brise avec violence'.
MAZATLAN.
La rade de Mazatlan , dans le département de Sinaloa, est entièrement ouverte aux vents les
' Voir le plan n" 7 de l'atlas.
DE MAZATLAN. 173
plus dangereux dans la saison des pluies. Le port est formé par un enfoncement dans les terres, au centre duquel est placée la ville; mais les petits navires peuvent seuls en approcher. Les grands mouillent dans le sud et sont abrités par le Cres- ton , petite île très-haute formant la côte nord de la rade. Le Creston n'est séparé d'une autre île que par un canal de quelques brasses, et cette dernière n'est elle-même éloignée de la grande terre que d'une encablure. En venant du large, le point de reconnaissance est le Creston qui pa- raît isolé de la côte; dans le nord de cette île se trouvent deux îlots nommés islas de los Pajaros et de los Venados^ qui servent aussi à reconnaître le mouillage, car c'est le seul point de la côte où existe un groupe d'îles. Le mouillage en pratique aujourd'hui est dans le sud du Creston ; mais les îlots forment entre eux et la terre une autre rade que fréquentaient anciennement les Espagnols, et qui est bien préférable dans la saison des pluies : on y est à l'abri du sud et du sud-ouest qui soufflent dans les coups de vent , et on a l'a- vantage de pouvoir appareiller en passant entre les îles ou entre ces îles et la côte; mais comme pendant la saison sèche les vents régnants du nord-ouest y battent en plein, et que la grosse mer rend très-difficile sur la plage le débarquement
17 I COMMERCE DE MAZATLAN.
des marchandises, les navires restent au sud du
Creston, oii ces inconvénients n'existent pas.
Quand on a reconnu le Creston^ on peut gou- verner dessus, et pour prendre le mouillage en passer à une petite distance au sud , en ayant soin de se défier des fausses risées qui font masquer la voilure. On doit choisir, pour jeter l'ancre, comme le point le plus favorable, celui qui se trouve en face de l'ouverture existant entre le Creston et l'îlot qui le suit ; on y trouve un bon fond de seize à vingt mètres. Si l'on veut mouiller de nuit, il faut éviter une roche plate élevée seu* lement de 4 à 5 pieds; on peut la ranger de très-près ; elle gît à un quart de mille dans le sud- est du Creston.
Le port de Mazatlan est ouvert au commerce étranger depuis peu d'années; le nom officiel qui lui fut donné par le gouvernement mexicain est celui de la villa de los Costillas. Sa population monte à environ huit mille habitants pendant la saison des pluies, mais elle s'élève à dix et douze mille durant la saison sèche et à l'époque de l'ar- rivage des navires, car alors les marchands des provinces de Chihuahua, Jalisco, Sonora, Co- lima, Sinaloa et Durango , viennent faire leurs achats. Le commerce est concentré exclusivement entre les mains des étrangers, qui réalisent des
NÉGOCIANTS ÉTRANGERS. ITS
bénéfices assez considérables, f^es maisons prin- cipales sont celles de M. J''" Parrot et compagnie, Nord-Américain, consul des Etats-Unis et associé de M. Valade ; de M. Scarborough et compagnie rie New-York, associé de M. ^Talbot, vice-consul anglais; M. Kayser Hayn et compagnie de Ham- bourg, vice-consul de Prusse; M. Denghausen de Hambourg,vice-consul des Villes Anséatiques; M. Castaiios, vice-consul d'Espagne; M. Gra- nados. Espagnol; MM. Penny et Vega, le premier Anglais, le second Mexicain; MM. Machado et Yeoward, l'un Espagnol et l'autre Anglais. Toutes ces maisons opèrent avec un capital de cent à trois cent mille piastres; quelques-unes même disposent de plus d'un million. Les établissements français sont au nombre de quatre; ils appartien- nent à MM. Patte et Sellier, M. Gaucheron, M. Vial, et à MM. Fort et Serment, qui ont aussi une maison à Mexico et font de grandes affaires en matières d'or et d'argent.
A Mazatlan et dans le département de Sinaloa, plus de deux cents Français se livrent au com- merce et à l'industrie , sans compter cent cin- quante matelots et charpentiers environ employés au cabotage, et la plupart provenant de nos bâtiments de guerre et de commerce. Tous nos nationaux désiraient vivement et ont vu avec
176 COJNSULAT DE FRANCE,
plaisir, après l'installation de M. Valade, négo- ciant estimable, nommé vice-consul sur notre proposition, la création d'un consulat, dont la protection ne saurait manquer d'être efficace.
La ville de Mazatlan, ouverte de tous côtés, n'a sur la côte ni fortifications ni batteries ; la garnison se compose de quinze ou vingtdragons mal montés, et d'une soixantaine de fantassins; deux petits gardes-côtes, ayant quatre pièces et quinze hommes d'équipage , complètent les forces militaires.
Les navires doivent aller faire de l'eau dans la presqu'île qui forme le côté sud de la rade ; par- tout ailleurs elle estsaumâtre. Bien que le séjour de Mazatlan soit moins malsain que celui de San Blas, on y redoute avec raison, durant la saison des pluies, des fièvres pernicieuses; et comme il n'existe pas d'hôpital dans cette ville, les capitai- nes doivent prudemment veiller à ce que leurs équipages ne se livrent pas à la débauche. Ce port est, au reste, le seul sur toute la côte de l'Amérique en allant de Guayaquil vers le nord, oii un grand bâtiment puisse faire des approvisionnements presque complets. Un bœuf s'y vend de huit à douze piastres ; la farine de Guaymas, qui est ex- cellente, de douze à quatorze piastres la charge de douze arrobes (trois cents livres françaises), et le vin de Bordeaux trente-cinq à quarante pias-
POSITION DE MAZATLAN. 177
très la barrique. On peut se procurer dans les magasins des rechanges en toile neuve, du gou- dron, du suif, des cordages, des chaînes, ancres et pièces de bois provenant en partie des navires naufragés.
En 1840, il est^ntré dans ce port vingt-huit bâtiments marchands étrangers, dont quatre fran- çais, qui se sont défaits de leur cargaison à des conditions avantageuses. En 1841 , il n'y a pas eu d'arrivage français ; mais ils ont repris depuis ces deux dernières années. Le mouvement du port de San Blas est un peu inférieur à celui de Mazatlan, qui augmente de ce que l'autre perd annuellement.
La position géographique de Mazatlan est par 23 degrés 12 minutes de latitude nord, et 108 de- grés 42 minutes de longitude à l'ouest du méri- dien de Paris, en temps 7 heures 14 minutes 48 secondes; la ville est au niveau de la mer ; décli- naison, 8 degrés 33 minutes nord-est ; tempéra- ture moyenne de novembre et décembre, à midi, -h 22 degrés centigrades; baromètre 760™™, sauf la variation diurne ; vents régnants, sud-ouest et sud-est ; hauteur de la marée aux équinoxes 2^,3; établissement du port , 9 heures 45 minutes.
A dix lieues à l'ouest de la ville, sur la route par terre qui vient de San Blas et Tépic, et à trois lieues delà mer, est situé l'ancien Presidio
178 NAVACHISTA. — ALTATA.
de Mazatlan. Ce village ne présente plus guère que des ruines depuis que tout le commerce a été transporté au port, et qu'il a perdu son impor- tance militaire. On y chercherait vainement les derniers vestiges d'anciennes fortifications, et la belle caserne que les Espagnols y avaient bâtie, n'abrite plus aujourd'hui que quelques soldats de cavalerie. Le nombre des habitants est de cinq cents environ. Le Rio de Mazatlan , qui coule au- près du Presidio, vers la mer, n'est pas navigable. Une distance de cent cinquante lieues , dans le nord-ouest , sépare le port de Mazatlan de celui de Guaymas, et il n'existe aucune ville sur le littoral. Près de terre, on trouve de sept à huit brasses, et au large, à quinze ou vingt milles, de quatre-vingts à cent mètres. Il n'y a point de bancs ni d'écueils visibles. Les principales rivières sont, en allant vers le nord : le Rio Piastla dont l'em- bouchure forme le petit mouillage de Navachista, le Tavala, le Rio Culiacan avec un petit port nommé Altata (à l'embouchure de cette rivière, il y a peu de fond , et les grands navires doivent passer à cinq ou six milles au large) ; le Rio Tama- suiaet le Macapule, le Rio Sinaloa au nord duquel se trouve la pointe San Ignacio ; on peut mouiller à son abri par sept brasses , et l'on est garanti du nord-est. L'écueil de San Ignacio gît à trois
ATTÉRAGE DE GUAYMAS. 179
milles dans le sud de la pointe. Plus au nord, le Rio Santa-Maria de Aonie. Quant au Rio del Fuerte, il faut jeter l'ancre à un mille au nord ou au sud de son embouchure , afin de trouver dix ou douze mètres. Le Rio Mayo a un ancrage de sept brasses à cinq lieues dans le nord-ouest : tout près de terre se trouve la petite île déserte de Lobos Marinos, et, à quatre lieues au sud de l'entrée du port de Guaymas, le Rio Yaqui, dont les bords sont habités par la tribu indienne du même nom.
Quoiqu'aucune de ces rivières ne soit naviga- ble, leur embouchure suffit pour recevoir les caboteurs. Les marchandises qu'ils déchargent proviennent de Mazatlan, de Guaymas, et quel- quefois même de San Blas. Elles sont transportées à dos de mulet à Culiacan, à la Villa Feliz de Tama- sula, à Sinaloa, à la Villa del Fuerte et à Alamos.
GUAYMAS.
Le port de Guaymas se reconnaît du large par une montagne surmontée de deux pitons qui figurent les tétines d'une chèvre, et qu'on appelle las Tetas de Cabra. Lorsqu'on a aperçu la mon- tagne, on court sur la côte en la laissant un peu sur bâbord, et l'on reconnaît bientôt l'île de
180 VILLE ET PORT
Pajaros qui forme le côté noid.de l'entrée du j)ort. On peut alors gouverner à la laisser un peu sur tribord , afin d'entrer dans le canal qu'elle forme avec la terre, et l'on ne tarde pas à voir poindre le port et la ville '. Il faut ranger de pré- férence le côté bâbord à cause d'un banc qui se trouve dans l'est. L'entrée du port une fois dou- blée , deux îles se présentent dans l'intérieur de la baie, et il faut passer entre elles pour aller prendre le mouillage plus ou moins près déterre, selon le tirant d'eau du navire. Les bâtiments de cent tonneaux s'amarrent au débarcadère, et ceux qui calent de douze à quinze pieds mouillent à un quart de mille par sept et huit mètres. Les grandes corvettes et les frégates doivent jeter l'ancre en dehors des îles par sept et huit brasses. Ce port, dont l'enceinte peut renfermer un nom- bre considérable de navires, est très-sûr en toutes saisons; car son fond est de bonne tenue ; il est abrité de tous les vents^ et forme un vaste bas- sin parsemé d'îles qui empêchent que la mer puisse jamais y être grosse. Le banc situé en face du goulet , est le seul danger qu'il offre aux na- vigateurs; mais on l'évite facilement avec des vents portant et en rangeant le côté de terre.
' Voir le plan n" 9 de l'atlas.
DE GUAYMAS. 181
Néanmoins, si l'on était, en y entrant, forcé de louvoyer, il faudrait se garder de prolonger les bordées pour éviter de toucher l'écueil.
La ville de Guaymas compte à peine cinq niilh^ habitants dans la belle saison, car pendant les pluies plus de deux mille se retirent dans les petites villes de l'intérieur. Le port ne possède ni fortifications, ni garnison; et de même qu'à San Blas et à Mazatlan , le gouvernement mexi- cain n'a aucune espèce d'embarcation armée en guerre; ce qui n'empêche pas le personnel des officiers d'être assez nombreux : en effet, on compte dans ces trois ports plusieurs capitaines de vaisseau et de frégate; mais quant à ces navi- res ils n'existent que sur le papier.
Tout le commerce de gros est monopolisé par la maison Don Manuel Inigo et Compagnie. Cette maison opère avec un capital de plus de deux millions de piastres, et les bâtiments étrangers qui arrivent à Guaymas doivent la prendre pour consignataire , afin de se défaire de leur charge- ment avec plus d'avantages.
Cette maison a reçu, en 1841 , quatre grands navires, dont les cargaisons peuvent être éva- luées à six cent mille piastres. Elle fait établir près de la ville de Hermosillo ou Pitic , à quarante lieues dans le nord-est de Guaymas, une grande
182 CONSULATS DE GUAYMAS.
filature et tissage de coton, dont les frais excé- deront deux cent mille piastres. Le but principal de cette entreprise , comme celles de Guadalajara etTépic, n'est pas, ainsi qu'on pourrait le croire, de s'affranchir de l'introduction des produits étrangers, mais au contraire de favoriser la con- trebande des cotons fdés et des tissus anglais, contre lesquels les manufactures du pays sont dans l'impossibilité de soutenir la concurrence. Il y a encore à Guay mas quatre maisons de second ordre: M. John Robinson , Nord- Américain , gérant le consulat d'Angleterre et vice - consul des Etats- Unis ; M. Mac Alpin , Anglais , et MM. Garcia et Esprio , Espagnols. Plusieurs Français se livrent au commerce de détail , et le nombre de ceux ré- sidant dans le département de Sonora s'élève à deux cents environ , y compris cinquante matelots employés à Guay mas. L'Espagne a un vice-con- sul, M. Lousteauneau, associé de la maison liiigo. Nous avons été assez heureux pour faire insti- tuer comme vice-consul de France M. Cubillas , qui pendant plusieurs années avait rempli ces mêmes fonctions à Tépic. Ce jeune homme , qui nous est fort dévoué , a été élevé en France ; il est intéressé dans la maison Iiligo , et peut mieux que tout autre traiter avec nos bâtiments mar- chands et protéger nos nationaux. Les Français
BATIMENTS FRANÇAIS. 183
des départements de Sinaloa et Sonora ont beau- coup souffert pendant l'expulsion. Plusieurs d'en- tre eux se voyant au moment de perdre le fruit de leur travail, se sont fait naturaliser Mexicains ; d'autres , et notamment des Basques et des Béar- nais , se sont donnés pour Espagnols. Leur nom- bre dans ces deux provinces est de cinq cents au moins, et le capital dont ils disposent de près de deux millions de piastres. Tous désirent vivement la présence sur la côte de navires de guerre fran- çais , auxquels ils puissent remettre leurs fonds pour les envoyer en France.
Le pavillon français se montre fort rarement sur la côte occidentale du Mexique ; le premier navire de guerre qui ait visité ces parages depuis longues années, est la frégate la Vénus, en 1838 , commandée par M. Dupetit-Thouars, alors capi- taine de vaisseau ; un an plus tard vint la corvette la Dandide , aux ordres de M. de Rosamel ; mais ces bâtiments ne retournant pas directement en France, n'ont pu prendre dechargementd'espèces. Cependant, la Dandide embarqua des fonds pour quelques maisons des Philippines, et le commerce de Mazatlan qui les lui confia fut agréablement surpris de trouver dans le commandant un désin- téressement inconnu des capitaines anglais. Or, si les bâtiments de notre station du Pérou ou de
184 POSITION
rOcéanie venaient, avant leur retour en France, chercher les matières d'or et d'argent des trois ports du Mexique , il est hors de doute que les né- gociants de toutes les nations, et les Anglais eux- mêmes, s'empresseraient de leur remettre leurs fonds, pour éviter de payer les deux pour cent exigés par la Marine royale britannique.
Le bas prix et l'excellente qualité des farines au port de Guaymas offrent de précieux avantages aux navires qui veulent faire des vivres. La charge de douze arrobes (cent trente-huit kilogrammes) vaut de huit à dix piastres. La Dandide y fit fa- briquer pour plus de quinze mille francs de bis- cuit. Ces farines sont expédiées à Mazatlan, à San Blas, à Loreto et à la Paz , sur la côte de Californie. Le prix des bœufs est de douze piastres environ. Les légumes sont fort rares et fort chers , et l'eau est si mauvaise dans le port , qu'on doit envoyer les chaloupes la chercher dans le Rio Yaqui et à quatre lieues dans le sud.
Guaymas est entouré de hautes montagnes , et il y fait extrêmement chaud pendant la saison des pluies ; il y règne les mêmes fièvres qu'à San Blas et à Mazatlan.
La position géographique de Guaymas est, au niveau de la mer, dans la petite île nommée J/orro ^Imagre : 27 degrés 53 minutes 50 secondes lati-
ET COMMERCE DE GUAYMAS. 185
tude nord, et 113 degrés 9 minutes 35 secondes longitude à l'ouest du méridien deParis; en temps , 7 heures 32 minutes 38 secondes ; déclinaison , 12 degrés 4 minutes nord-est; hauteur moyenne du baromètre , sauf la variation diurne, 760 mil- limètres; température moyenne de décembre, à midi -t- 25 degrés centigrades; vents régnants (hors du port) du sud à l'ouest ; établissement du port, 9 heures 40 minutes,^ hauteur de la ma- rée aux équinoxes , deux mètres.
Bien que le nombre des navires venant de France ne soit pas très-considérable , la valeur des marchandises françaises consommées sur cette côte est extrêmement importante, puisqu'elle at- teint au moins cinq millions de francs, prix d'a- chat en Europe , qui, tous frais payés, produisent ici près de quinze cent mille piastres fortes. Le huitième de la grande majorité des cargaisons venant d'Angleterre, et le quart de celles des Etats-Unis, de Lima et Valparaiso, et de Ham- bourg surtout, sont formés par des produits fran- çais , et très-certainement leur vente s'accroîtrait encore si nos fabricants , à l'exemple de ceux de Silésie , de Saxe et d'Angleterre, consentaient à faire des articles exprès pour ce pays, dont la con- sommation a une étroite affinité avec celle de l'Espagne.
186 IMPORTATIONS.
Voici maintenant quelques indications sur les marchandises qui trouvent un placement étendu et facile. Il ne faut pas oublier toutefois que la plupart d'entre elles ont été prohibées par le dé- cret de Santa- Anna, du 14 août 1843.
ARTICLES D'IMPORTATION.
COTON.
Les calicots écrus (rrianta) et blancs (impérial) en trois quarts de large ; ceux de Rouen ne sont pas connus ; peut-être pourraient-ils lutter heu- reusement contre ceux des Anglais. Quant aux indiennes , celles d'Alsace jouissent d'une incon- testable supériorité en raison du bon goût des dessins et de la solidité des couleurs; mais leur prix élevé en restreint considérablement l'usage. Les fabriques de Mulhouse , et celles de Rouen surtout , devraient s'appliquer à imiter les in- diennes à bon marché fournies par l'Angleterre et la Suisse. Nos impressions rouges sont fort es- timées, mais nos étoffes sont trop larges ; les in- diennes à bas prix ne doivent avoir qu'une demi- aune. Les châles en indienne de toute grandeur, les mouchoirs imitant les madras, trouvent un écoulement avantageux , et il serait à désirer pour nos fabricants qu'ils parvinssent à contrefaire les
ARTICLES DE COTON. 187
châles nommés rebozos, qui sont ici d'un usage général. Cet article présenterait de grands béné- fices. Les percales , les madapolams et les mous- selines en qualités très-fines sont assez recherchés; toutefois il est à craindre que nous ne puissions soutenir la concurrence des fabriques anglaises. Seules, nos mousselines imprimées obtiendront la préférence , grâce à l'élégance et à la nouveauté des dessins.
Le velours en coton {pana) est d'une bonne consommation ; les seules couleurs usitées sont le bleu et le noir unis et en belle qualité. Les den- telles de coton sont fournies par l'Angleterre : il s'en consomme peu ; les broderies en tulle de Nancy et de Saint-Quentin peuvent se placer , mais en petites quantités. Les bas de coton unis et à jour, et ceux dits en fil d'Ecosse, sont fournis par la Saxe et l'Angleterre. Les étoffes coton et fil, laine et coton, connues sous le nom d'articles de Lille et de Roubaix, sont entièrement incon- nues , et il est permis de croire que des essais prudemment tentés auraient des résultats profi- tables.
ARTICLES DE FIL.
Un des articles les plus importants est sans
188 ARTICLES DE FIL.
contredit la toilerie , et il faut reconnaître avec peine que la négligence des fabricants français a permis aux toiles d'Irlande, de Saxe et de Silésie de leur faire une concurrence redoutable. Nos manufactures s'obstinent à ne pas fabriquer ex- près des largeurs et des qualités qui offrent dans l'Amérique espagnole une vente assurée.
Néanmoins , malgré les imitations étrangères , les toiles de Bretagne [Bretanas légitimas, Pqn- tivif platillas), celles de Pontivy, à fil plat, celles de Lille , Valenciennes ; les batistes et linons de Cambrai {plan, linon, Cambrai, estopilla) se pla- cent très-avantageusement, ainsi que les coutils {driV) blancs et écrus de Laval , pour pantalons, et le coutil double à raies bleues ou rouges pour matelas. Les rubans de fil , le fil à coudre , les cordons ronds et plats sont exclusivement four- nis par la Silésie. La Saxe envoie tout le linge de table, et plusieurs qualités de toiles nommées dans le pays ginga, rusia et cotense. Les bas en fil vien- nent de Chemnitz et d'Angleterre.
ARTICLES DE LAINE.
Les draps anglais , allemands et belges font le plus grand tort à la draperie française ; c'est pour-
ARTICLES DE IJIINE. 189
quoi elle aurait intérêt à n'expédier que des qua- lités très-apparentes dans les prix moyens, et seu- lement en noir, bleu de diverses nuances, vert foncé et brun. Les draps de Sedan et d'Elbeuf sont trop chers ; généralement on ne les apprécie point à leur valeur. Les qualités légères du Midi , celles de Castres et de Carcassonne trouvent plus aisément des acquéreurs. L'emploi des mérinos, des casimirs et des napolitaines étant très-cir- conscrit dans ces contrées, il importe de n'en envoyer que pour assortiment. La même obser- vation s'applique aux flanelles , bayettes , pru- nelles, bombasin et aux alépines. Ce dernier article doit être souple et imiter la soie. Deux couleurs seulement sont en usage, noir noir pour le clergé, et noir bleu lustré pour les femmes. Les bas de laine, et en noir seulement, ne sont portés que par les hommes : leur usage est fort restreint. Le crêpe , le lasting , le voile , les serges et les autres étoffes de Rheims, d'Arras, d'Amiens et de Beau- vais, doivent être apportés en petite quantité. Les tapis de toutes formes, de toute largeur et en pièces, les draps imprimés et gaufrés pour cou- vrir les meubles et les pianos, et les descentes de lit, se vendent bien, surtout s'ils sont de couleurs voyantes.
190 SOIERIES.
SOIEBTES.
Les châles en soie et ceux en cachemire ne sont pas usités. Parmi les articles de grande consom- mation il faut citer la soie à coudre. Malheureu- sement nos fabricants ont à lutter ici contre les produits de Piémont , et particulièrement contre ceux de la Chine. Nos soies ont cependant l'avan- tage de la fixité des couleurs ; mais on devrait imiter avec soin la torsion et le poids des éche- veaux chinois.
Le choix des étoffes unies demande une ex- trême attention par suite des progrès des ma- nufacturiers suisses et allemands. Il importe de donner aux taffetas, aux serges et aux satins une qualité souple et apparente. Les couleurs préfé- rées sont le noir noir, le noir bleu lustré, le blanc mat et blanc d'argent , le bleu de ciel et le bleu de roi , le lilas et le violet. Les satins de Chine , fort estimés ici parce qu'ils ont plus de corps et de sohdité que ceux d'Europe , servent particu- lièrement à faire des souliers de femmes, qui n'en portent jamais d'autres.
Le velours doit être uni, de première qualité , bleu, noir, vert et cramoisi très- fin. Quant aux velours brochés d'or et de soie , aux velours
SOIERIES. 191
épingles, aux draps de soie et aux différentes étoffes de mode pour gilets , fabriqués à Lyon , la vente en est très-facile. Nul doute qu'on ne retirât d'importants avantages de l'imitation des rohozos de soie, que l'on fait à Mexico; déjà quel- ques essais ont été tentés à cet égard avec succès.
Les rubans principalement en satin et ceux de mode doivent être étroits et légers. Les galons, cordons, lacets, brandebourgs et les articles de passementerie se placent aisément. Les cravates, les écharpes, mouchoirs de cou, les articles en gaze et les objets de goût, sont également d'une vente sûre ; mais il faut se garder d'expédier des châles unis ou brodés en crêpe, etc., non plus que des damas et étoffes pour meubles, car les Chinois ont sur nous, pour tous ces articles, une supériorité marquée.
Les bas de soie , dont la consommation est énorme , doivent être pour femmes d'un blanc brillant, unis et brodés à jour; très-peu de noirs, si ce n'est pour hommes; car le clergé seul en fait usage; il est essentiel d'ailleurs qu'ils soient de très- belle qualité .
L'usage de la mantille espagnole disparaît tous les jours, et il faut mettre beaucoup de réserve dans l'envoi des dentelles, des châles et des voiles en blonde.
192 MERCURE. - PAPIER.
Quelques ornements d'église, comme des cha- subles, bannières et garnitures d'autels, peuvent encore se placer avec assez d'avantage.
MERCUBE.
La maison Rothschild de Londres fournit annuellement pour les trois ports de San Blas , Mazatlan et Guaymas, de quatre à cinq mille quintaux de vif-argent. En 1841, à Mazatlan, on en a reçu seize cents quintaux, dont cinq cents étaient destinés à la compagnie anglaise de Gua- dalupe y Calvo dans l'Etat de Chihuahua.
On expédie le mercure dans des flacons fermés à vis; ils contiennent trois arrobes (soixante- quinze livres) de métal, et forment un fort bon lest pour les navires, leur arrimage étant très-facile.
PAPIEB.
La fabrique de cigares à Guadalajara en con- somme annuellement le chargement entier d'un navire; cet article est d'une vente assurée; mais nos fabricants d'Angoulême ne s'adonnent pas avec assez de soin à l'imitation complète des qua- lités espagnoles , telles que leflorete et le medio florete de Catalogne et du royaume de Valence.
ARTICLES DE PARIS. 193
Les Génois ont profité de cette apathie, et ils font des expéditions qui leur rapportent d'im- portants bénéfices. Les papiers à lettres et les papiers en couleurs se placent bien; mais le pa- pier à tenture n'a qu'un écoulement très-borné.
INSTRUMENTS DE MUSIQUE ET PIANOS.
L'usage des pianos devient général ; tous les navires anglais et hambourgeois en apportent, et s'en défont avantageusement. On préfère aux pianos à queue les carrés et les verticaux. Il ne faut envoyer que des qualités moyennes. Un piano qui coûte cinq cents francs à Paris , se vend très- aisément de quatre à cinq cents piastres à Maza- tlan. Tous les autres instruments de musique, à l'exception des harpes, se vendent assez bien, ainsi que la musique gravée.
ARTICLES DE PARIS.
Les pendules, les bronzes, les glaces, les armes ordinaires, les lustres, les éventails, la parfume- rie, la bijouterie vraie, et fausse surtout, les por- celaines dorées, la quincaillerie, les gants, les mouchoirs de batiste brodés , les habits confec- tionnés , les bottes et souliers , les galons en mé- 1. i3
194 VINS ET SPIRITUEUX,
tal , la sellerie, les objets de mode, et tous les milliers d'articles et de marchandises diverses connues sous le nom général d'articles de Paris, sont d'une vente assurée , et offrent des bénéfices d'autant plus considérables que la supériorité nous est acquise.
Plusieurs de ces objets sont prohibés par le tarif des douanes; mais on peut espérer une mo- dification ou un arrangement avec les employés, qui ont des appointements peu élevés, et dont quelques-uns, par leur tolérance, se font un revenu annuel de trente et quarante, et jusqu'à cent mille piastres.
VINS ET SPIRITUEUX.
Citons parmi les vins et liqueurs , dont la con- sommation est abondante, le Bordeaux et le Cham- pagne (qualités moyennes), les eaux-de-vie de Cognac , les liqueurs de Bordeaux et de Marseille, et quelques vins doux, entre autres le Roussillon et le Frontignan. Aux maisons de Hambourg, qui reçoivent quelques parties de vin blanc du Rhin , on pourrait opposer des envois de Sau- terne de qualité ordinaire. Les vins de Bourgo- gne sont trop chauds et ne supportent point la mer.
ARTICLES D'EXPORTATION. 195
L'huile d'olive, les fruits secs et à l'eau-de-vie ,
les boîtes de conserves pour les voyages de long
cours, et toutes les substances alimentaires venant
d'Europe, trouvent un placement avantageux.
Si aux douze millions de nos produits, que nous exportons annuellement et directement au Mexi- que, nous joignons les cinq millions qui arrivent dans les ports de l'Océan Pacifique par navires étrangers, et une somme au moins égale introduite par les ports du golfe, nous obtenons un chiffre de vingt-deux millions d'exportation : ce qui est bien fait pour appeler l'attention du gouverne- ment français, et l'engager à ne rien négliger pour conserver un marché aussi précieux à notre commerce , à notre industrie et à notre naviga- tion.
ARTICLES D'EXPORTATION.
Les ports de San Blas et de Guaymas ne pré- sentent aucun article pour l'exportation. Le petit nombre de perles pêchées dans le golfe de Cali- fornie, est vendu en Sonora et à Sinaloa à des prix exorbitants. Le seul objet de retour se trouve à Mazatlan. C'est le bois de teinture, dit bois de Brésil , qui se vend , rendu au port, une piastre le
quintal, ou vingt piastres le tonneau. Mazatlan
i3.
196 BOIS DE BRÉSIL,
en exporte, année commune, quatre-vingt-dix mille quintaux. Nous avons vu en 1841 deux grands navires anglais de sept cents tonneaux , partis d'Europe , venir sur lest chercher du Brésil à Mazatlan, après avoir laissé leur cargaison à Sidney dans la Nouvelle Hollande. Comme on ne peut réunir à Mazatlan d'aussi grandes quantités de bois, à cause des frais de transport, on forme des dépôts au port du Valle de Banderas , oii les bâtiments vont charger.
On rencontre quelquefois à Mazatlan , mais très-rarement , de petites parties d'écaillé de tor- tue, qui vaut de seize à dix-huit piastres le quintal, il arrive aussi que des navires, allant en Chine, prennent en passant à la Paz , dans la Basse Ca- lifornie , quelques tonneaux de coquilles de na- cre de perles; mais les Chinois trouvent leurs qualités supérieures et d'un plus beau blanc.
Mais ces divers objets ne sauraient constituer des chargements réguliers d'échange; aussi les bâ- timents étrangers vont-ils généralement à Guaya- quil prendre du cacao , ou à Valparaiso charger des cuirs, du suif, et surtout du cuivre, afin d'opé- rer leur retour en Europe ou aux Etats-Unis.
Les métaux précieux restent donc le principal article d'exportation de la côte occidentale du Mexique , et nous croyons utile de rappeler ici
IMPORTANCE DE MAZATLAN. 197
que les droits dont ils sont frappés à leur entrée en France, sont les suivants :
(dor 10 centimes j , ...
Monnaies!,, } le kiloi'ramme.
\ d argent 01 centime )
Îd'or 2 fr. 50 centimes / „ .le kilogramme.
d argent 0 » 05 centimes
par tout pavillon et par tonte provenance.
Malgré l'importance de San Blas et de Guay- mas, Mazatlan doit être considéré comme le point central du commerce du Mexique dans la mer du Sud, et on ne saurait trop attirer l'attention des négociants français sur ce j^ort, dont la prospérité s'accroît chaque jour, et qui peut être justement nommé la Vera-Cruz de l'Océan Pacifique. Maza- tlan reçoit et embarque particulièrement presque tous les métaux précieux des départements de Durango, Sinaloa, Sonora , et une partie de ceux delà Nouvelle Galice et de Chihuahua. Par sa po- sition géographique , il est le marché de la côte nord-ouest de l'Amérique; il entretient des relations commerciales avec l'Europe, les États- Unis, le Chili, le Pérou, l'Equateur, l'Amé- rique centrale, la Mer Vermeille, la Haute Californie, les îles Sandwich, les Philippines et la Chine.
198 IMPORTANCE DES PORTS DU MEXIQUE
En partant de France , les capitaines des navi- res marchands doivent toujours mentionner sur leurs rôles les quatre ports d'Acapulco, San Blas, Mazatlan et Guaymas , et , s'ils veulent éviter le visa de leurs pièces par les consuls mexicains ré- sidant à Bordeaux et au Havre , ils peuvent dési- gner Valparaiso, Lima et Guayaquil, comme but de leur voyage. De cette manière, ils ne débar- quent que dans le port qui leur présente, pour la vente , les plus nombreux avantages. Lorsque les bâtiments ont un consignataire , celui-ci aplanit les difficultés et règle les conditions de déchargement.
On doit noter avec soin que les employés des douanes n'acceptent pas de traites sur Mexico, et qu'ils exigent au contraire le payement des droits et des gratifications au comptant et en es- pèces. Un navire, enfin, a toujours besoin, au moment de son arrivée, d'une somme de qua- rante à soixante mille piastres, selon la valeur de sa cargaison. ^
La présence sur la côte occidentale du Mexique, de nos consuls et des bâtiments de l'Etat, indé- pendamment de l'intérêt politique qu'elle pos- sède , empêchera la désertion à bord des navires marchands, y maintiendra la discipline, offrira à nos nationaux toutes les garanties de protection
SUR LA MER PACIFIQUE. 199
dont ils ont tant besoin , et engagera sans doute nos armateurs à diriger des expéditions vers l'Océan Pacifique, dont les bords et les archipels sont appelés à jouer un si grand rôle.
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CHAPITRE VI.
Mer Vermeille. Sinaloa. Sonora. Rio Colorado. Tribus Indiennea. Basse Californie.
L'entrée du golfe de Californie est déterminée géograplîiquement par le cap Corrientes, dans le département de Jalisco , faisant partie de l'an- cien royaume de la Nouvelle Galice, et par le cap San Lucas, situé à l'extrémité sud de la Vieille Californie. Ce golfe fut désigné , par les premiers navigateurs espagnols, sous le nom de Mer Rouge,
202 MER VERMEILLE.
Mer Vermeille [Mar Rojo , Mar Verraejo)^ en raison de la couleur de ses eaux , et de sa res- semblance avec la Mer Rouge d'Arabie. Les sa- vants missionnaires Jésuites parcoururent en entier cette mer, et l'appelèrent Seno ou Mar Lauretaneo , golfe ou mer de Lorette, en l'hon- neur de la Sainte Vierge , patronne et protectrice des entreprises apostoliques de la Société.
La profondeur du golfe est d'environ trois cents lieues; sa plus grande largeur est de soixante lieues à son entrée ; mais dans toute son étendue la distance d'un côté à l'autre ne varie que de vingt-cinq à quarante lieues. A partir du trente et unième parallèle , la largeur diminue rapide- ment jusqu'au Rio Colorado qui sépare la Vieille Californie du nord de la Sonora. La configura- tion de la mer Adriatique donne une idée assez exacte de la mer de Cortès.
On a souvent l'occasion d'y remarquer un phé- nomène extraordinaire que la science n'explique pas, et dont elle ne possède que peu d'exemples : c'est celui de la pluie tombant par l'atmosphère la plus pure et par un ciel parfaitement serein. Le savant M. Humboldt et le capitaine Beechey ont déjà signalé ce fait ; le premier en a été témoin dans l'intérieur des terres , et le second en pleine mer.
Nous trouvant, pendant l'hiver , sur les bords
MÉTÉOROLOGIE. 208
de la Mer Vermeille, nous espérions voir la pluie d'étoiles qui est remarquée annuellement sur di- vers points de la côte orientale de l'Amérique , dans la nuit du 12 au 13 novembre. Nous exami- nâmes avec soin l'état du ciel depuis le 8 jusqu'au 20 novembre, mais sans voir d'autre phénomène que celui qui se présente pendant toutes les nuits dans ces climats, c'est-à-dire que tous les points du firmament, mais surtout de la constellation du Lion , partent des étoiles filantes dont la di- rection la plus fréquente est opposée au mouve- ment de la translation de la terre. Ces météores ont une vitesse apparente qui s'élève quelquefois à dix ou douze lieues par seconde.
Les marées se font sentir dans tout le golfe de Cortès; leur hauteur varie selon la direction des vents et la configuration des côtes : ainsi elle est de sept pieds à Mazatlan dont la rade est ouverte, et à Guaymas dont le port est parsemé d'îles à l'abri des vents, elle n'excède pas cinq pieds et demi.
En cherchant les raisons qui ont pu faire nommer ce golfe Mer Vermeille , on n'en trouve que deux : la teinte communiquée à l'eau dans la saison des pluies par les rivières qui coulent sur des terrains ferrugineux, le Rio Colorado surtout; ou plutôt encore la magnifique couleur pourprée
204 DESCRIPTION
que prennent les vagues au lever et au coucher du soleil. Pendant le jour, les eaux sont bleues ou vertes , selon que les nuages interceptent ou modifient les rayons solaires conjointement avec la nature et la hauteur du fond. On peut suppo- ser encore que la coloration de l'eau est produite par des bancs à sa surface, formés par des myria- des de petits crustacés rouges armés de tentacu- les et semblables à nos crevettes.
Indépendamment d'un grand nombre de pois- sons d'espèces très-variées, on trouve dans le golfe deux genres de requins énormes {el tiburon et la tlntorera), qui dévorent souvent les plongeurs qui cherchent des perles. On rencontre des ba- leines en assez grande quantité; mais jusqu'à présent aucun navire baleinier ne les a poursui- vies, et les habitants des côtes ignorent entière- ment cette pêche productive. Dans les îles il y a beaucoup de loups de mer et de veaux marins dont la fourrure est grossière ; mais il n'existe pas de castors. Nous donnerons plus loin les détails concernant la pêche des perles, et nous parlerons des îles en décrivant les côtes dont elles sont le plus près.
Les deux côtes de la Mer Vermeille courent parallèlement vers le nord-ouest ; elles sont très- basses et remplies de marais salants peuplés de
DU GOLFE DE CALIFORNIE. 205
cainians , de reptiles et d'insectes. L'aspect géné- ral du pays est horrible; l'imagination ne saurait rien concevoir de plus nu, de plus désolé. Il y a manque complet d'eau et de végétation; on ne voit que des mangliers et quelques arbustes épineux, tels que les cactus, les magueys et quel- ques acacias (le cactus opuntia, V agave ameri- cana et le mimosa gummifer a). Il est très-rare de rencontrer au bord de la mer des orangers et des palmiers. Il faut aller à plusieurs lieues dans l'in- térieur, pour trouver de la terre végétale. Le rivage est formé par du sable et des terrains cal- caires impropres à la culture. A l'entrée du golfe, sur la côte orientale , on aperçoit au loin les sommets de Sierra-Madre, qui sépare les provinces de Jalisco, Sinaloa et Sonora, et celles du Nou- veau Mexique , Chihuahua et Durango. La côte de la Vieille Californie présente sans interruption une suite de pics déchirés , d'origine volcanique et dépouillés de toute végétation. Cette chaîne de montagnes qui vient du nord se dirige, dans toute la longueur de la presqu'île, vers le sud, et s'abaisse graduellement en arrivant au cap San Lucas.
Les départements de Sinaloa et Sonora sont compris du sud au nord entre les 23^ et 34^ degrés de latitude nord , depuis le Rio Bayona qui les
206 VILLES ET MINES
sépare de Jalisco , jusqu'aux Rios Colorado et Gila. Ils sont bornés à l'ouest par la Mer Ver- meille, et à l'est par la Sierra-Madre. Ces deux provinces, limitées entre elles par le Rio del Fuerte, ont chacune un préfet ou gouverneur civil ; mais elles sont réunies sous les ordres d'un même commandant général. Sous le gouverne- ment espagnol , elles formaient une seule inten- dance, et, pendant le régime fédéral, elles com- posaient VÊtat libre de l Occident. Son étendue était de plus de vingt mille lieues carrées, et la population s'y élève à cent vingt mille habitants, y compris soixante mille Indiens. Le climat est tempéré, et les terres de l'intérieur fertiles ; mais leur principale source de richesse consiste dans les mines d'or et d'argent. Il y a plus de deux cents localités exploitées, et l'on peut assurer que ces métaux se rencontrent partout. Dans ces départe- ments on rejette des minerais contenant cepen- dant trois et quatre millièmes d'argent , qui est toujours aurifère. Il est facile de concevoir les immenses bénéfices que réaliseraient ceux qui in- troduiraient les premiers le procédé Becquerel, qui permet d'obtenir jusqu'à un demi-millième de métal, et cela à très-peu de frais. Toutes les mines d'argent de ce pays sont aurifères, et bien qu'il y ait des ateliers d'essai au Rosario, à Cosalâ, à
DE SINALOA ET SOISORA. 207
Alamos, à Hermosillo et à Guadalupe y Calvo, comme ils sont dans un état pitoyable, le titre des lingots qui leur sont présentés , est toujours supérieur à celui reconnu par l'essayeur. Nos maisons d'affinage doivent faire tous leurs efforts pour obtenir à Londres des métaux provenant de cette côte. Il n'y a guère que M. Brasdefer, gé- rant de l'hôtel des monnaies de Durango, qui dirige avec une exactitude chimique les opéra- tions métallurgiques.
Il n'existe pas dans ces deux départements de villes considérables. Les principales sont : dans la province de Sinaloa , Culiacan, résidence du gouverneur , du préfet et de l'évêque ; popula- tion , cinq mille cinq cents habitants. Le Rosario, oii est déposée la caisse départementale , renferme à peine trois mille cinq cents habitants. Il y a en- viron deux cents soldats de mauvaises troupes. Le général de brigade, commandant-général de Sinaloa et Sonora , résidait habituellement au Ro- sario ; maintenant il habite Mazatlan. La mine la plus riche du Rosario est remplie d'eau. Il n'y a d'établissement important que l'atelier d'essai. Un autre est en activité à Cosalâ , qui renferme trois mille habitants. Près de cette ville se trouve la mine d'Iriarte dont on a tant exagéré les produits. Bien que son argent contienne beaucoup d'or,
208 HAUTE SONORA.
elle donne à peine par an quarante mille piastres de bénéfice.
Les petites villes de Sinaloa , San Sébastian , Tamasula , et la Villa del Fuerte , ne présentent rien d'intéressant, et ont chacune une population de deux mille cinq cents habitants.
La Sonora se divise en haute et basse, et prend aussi , à cause des Indiens Pimas, le nom de Pi- meria alta y baja , Pimérie haute et basse. La première s'étend depuis les Rios Colorado etGila jusqu'à la ville deHermosillo et au Rio delos Ures, et la seconde depuis cette limite jusqu'au Rio del Fuerte qui la sépare de Sinaloa. Jusqu'en 1839 la capitale du département était Arispe (latitude nord 30 degrés 36 minutes), qui renfermait il y a quelques années plus de sept mille habitants. Leur nombre est aujourd'hui réduit à quinze cents, par l'émigration et la crainte qu'inspirent les conti- nuelles incursions des Indiens A paches qui pénè- trent quelquefois dans la ville et se livrent au pil- lage et au meurtre. Le siège du gouvernement a été transporté à quarante lieues plus au sud , à l'ancienne mission de San José de los Ures, dont la population est à peine de mille habitants. Le gouverneur y fait sa résidence habituelle. Les vil- les de San Miguel de Horcasitas et de Oposura ont chacune deux mille habitants. Alamos en ren-
HERMOSILLO. 209
ferme trois mille et possède un atelier d'essai.
Le port de Guaymas, dont nous avons déjà parlé, concentre toutes les affaires maritimes de la Sonora; après lui, la ville la plus importante est Hermosillo, ancien presidiode Pitic ; elle ren- ferme huit mille habitants, et est bâtie au milieu d'une immense plaine délicieuse d'une fertilité extraordinaire; on y récolte tous les fruits d'Eu- rope, et du vin qui est consommé dans le pays. Le terrain est arrosé par plusieurs petites rivières qui mettent des moulins en mouvement; c'est de cette partie de la Sonora que l'on exporte les farines qui sont vendues à Guaymas et embarquées pour tous les ports de la côte jusqu'à San Blas , ainsi que pour la Basse Californie.
Hermosillo est le centre du commerce et de toutes les richesses de la Sonora ; d'après un re- levé officiel , nous nous sommes assuré que pen- dant l'année 1839 on a soumis à l'atelier d'essai six cents barres d'argent et soixante eji or, va- lant ensemble plus d'un million de piastres; il faut ajouter qu'une somme à peu près égale n'est pas présentée à la vérification , pour éviter de payer les droits qui sont de cinq pour cent sur l'argent, et de quatre pour cent sur l'or. Il y a quelques mines de cuivre fort riches en exploitation ; mais la population abandonne gé-
210 GISEMENTS AURIFÈRES
néralement les autres métaux pour se livrer à la
recherche de l'or vierge.
Aucun pays du monde ne possède de gisements aurifères aussi riches et aussi étendus ( criaderos ou placeres de oro). Le métal se rencontre sur les terrains d'alluvion, dans les ravins à la suite des pluies , et toujours à la surface du sol ou à quelques pieds seulement de profondeur. Au nord de la ville d'Arispe les gisements de Quitovac et de Sonoitacqui furent découverts en 1836, pro- duisirent pendant trois ans deux cents onces d'or par jour. Les chercheurs d'or se bornent à remuer la terre avec un bâton pointu, et ne ramassent que les grains visibles ; mais si l'on voulait diriger des cours d'eau et faire en grand le lavage des terres, les bénéfices seraient encore plus considérables. Il n'est pas rare de rencontrer des grains d'or qui pèsent souvent plusieurs livres , et dont la valeur comme objet scientifique est inexprimable. M . Za- vala, ancien plénipotentiaire du Mexique à Lon- dres, possédait un grain d'or qui pesait plus de neuf mille piastres. Le cabinet du roi, à ^ladrid, renferme plusieurs magnifiques échantillons de cette espèce. Malheureusement , depuis trois ans les Indiens Papagos se sont soulevés et massacrent ceux qui pénètrent dans le territoire de Sonoitac. Le commerce de Sonora souffre de cette diminu-
DANS LA SONORA. 211
tion dans les revenus métalliques ; mais on doit espérer que sous peu la paix sera faite avec ces tribus. Du reste , ces Indiens ignorent jusqu'à présent la valeur de l'or, et ne le recueillent pas. Indépendamment des villes que nous venons de citer, il y a en Sonora et Sinaloa de gros vil- lages [puehlos) ^ des missions et des présides dont les habitants servent à former la population presque nomade d'ouvriers et de marchands qui viennent se grouper autour d'une mine un peu importante,dès qu'on en commence l'exploitation, et qui rentrent dans leurs foyers lorsque les filons sont épuisés. Le lieu oii se réunissent les travail- leurs prend le nom de Minerai ou Real de Minas, et si la mine promet de donner longtemps des bénéfices, la population se fixe autour d'elle. Zacatecas , San Luiz de Potosi , Durango, Guana- juato et plusieurs autres villes du Mexique n'ont pas eu d'autre origine. La facilité avec laquelle les mineurs gagnent des sommes considérables explique l'énorme consommation des marchan- dises d'Europe qui a lieu dans ces provinces. On voit fréquemment de simples habitants des ha- meaux {ranchos) dépenser en peu de jours quatre et cinq livres d'or, qui souvent ne leur ont coûté qu'une semaine de recherches. La funeste passion du jeu empêche les grands propriétaires de mines
i4.
212 TRIBUS INDIENNES.
(le conserver de forts capitaux, et entrave ainsi
les vastes exploitations.
En Sonora et Sinaloa les assassinats et les vols sont bien plus rares que dans les autres départe- ments du Mexique. Les routes présentent plus de sé-curité , et ce n'est guère que vers le nord de Guaymas et d'Hermosillo que les Indiens se mon- trent redoutables.
Le clergé est très-peu nombreux dans ces pro- vinces ; il n'y existe pas de couvents ; l'instruction publique est tellement négligée , que jusqu'en 1840 il n'y avait pas d'école à Mazatlan, et que l'établissement gratuit qui existe aujourd'hui a été fondé en grande partie avec les donations des né- gociants étrangers.
TRIBUS INDIENNES.
Il y a en Sonora cinq tribus distinctes d'Indiens : les Yaquis, les Mayos , les Opatas, les Gilenos et les Apaches. Les Yaquis et les Mayos occupent le pays situé au sud de Guaymas jusqu'au Rio del Fuerte : ils sont employés comme agriculteurs, maçons, domestiques, mineurs et plongeurs. On en compte environ quarante mille. En 1827 ils se soulevèrent et proclamèrent un de leurs chefs
FORCES MILITAIRES. 213
Empereur; au moyen de concessions, on étouffa l'insurrection , et depuis lors ils sont restés pai- sibles dans leurs villages.
Les Opatas habitent le long des Rios de San Miguel de Horcasitas , d'Arispe , de los Ures et d'Oposura; ils sont très-bons ouvriers et excel- lents soldats. Cette nation , ennemie mortelle des Apaches, a toujours servi avec fidélité le gou- vernement espagnol ou mexicain; c^est à elle seule que, dans plusieurs circonstances, la pro- vince de Sonora a dû d'être préservée d'une dé- vastation complète. On peut évaluer le nombre des Opatas à vingt mille. Les Gileilos qui habi- tent sur les bords des Rios Gila et Colorado, avec les Axuas et les Apaches qui viennent de la Sierra - Madré , sont confondus sous le nom de Pâpagos. Ces Indiens vivent de la chasse et du pillage. Depuis près de quatre ans qu'ils se sont soulevés, on n'a pu parvenir à les réduire. Il est vrai que le gouverneur de Sonora dispose seule- ment de quatre cents hommes de troupes réglées composées d'Opatas et de quelques milices mal organisées.
La force totale des troupes aux ordres du com- mandant général de Sinaloa et de Sonora s'élève à peine à six cents hommes d'infanterie, et au plus à deux cents chevaux, sans artillerie de campagne.
214 ILE DEL TIBURON.
Aux portes de la ville de Herniosillo est établie une Mission qui contient cinq cents Indiens Séris ; mille d'entre eux habitent la côte au nord de Guaymas , et l'île du Requin (w/a del Tihuron).
Les tribus du nord de Chihuahua et de la So- lîora, refoulées au sud et à l'ouest par les progrès des Américains et des Texiens , se jettent sur le territoire mexicain ; elles possèdent en grande quantité des armes à feu qu'elles acquièrent en échange de fourrures et de bestiaux , aux établis- sements de l'Arkansas, du Missouri et du Rio Bravo del Norte.
En suivant la côte de Sonora vers le nord , on trouve à quatre lieues de Guaymas un excellent port nommé Puerto Escondido, les petites îles de San Pedro Nolasco, la Tortuga, San Pedro, et par 29 degrés de latitude, l'île del Tiburon, habitée par les Indiens Séris, qui, avons-nous dit, ont quelques cabanes sur le Continent. Cette île a dix lieues de long ; elle est la seule du golfe qui ait des habitants. Elle forme avec la côte un canal étroit et dangereux [el Canal peligroso) qui est terminé par l'îlot des Canards [de los Pa- tos). Toute cette partie de la province est stérile; on n'y rencontre que quelques misérables Indiens Tépocas, et l'ancienne Mission de Caborca, située à vingt-deux lieues dans l'intérieur, au bord d'une
RIO COLORADO. 215
petite rivière, par 31 degrés de latitude boréale. Au nord du Rio de la Concepcion de Caborca, se trouvent la baie de Santa Sabina et la petite île de Santa Inès , le Rio de Santa Clara et l'ai- guade de los très Ojitos. Jusqu'au Rio Colorado la côte est aride et très-basse ; le vent soulève con- tinuellement des nuages de sable très-fin.
Le fleuve nommé Rio Colorado de l'Occident, pour le distinguer de celui qui se jette au levant dans le golfe du Mexique, prend sa source dans les Montagnes Rocheuses vers le 41® degré de lati- tude. Les Français du Canada et de la Louisiane, qui dès longtemps connaissent son cours, dési- gnent ses hautes eaux sous le nom de Rivière es- pagnole. Le Rio Colorado court du nord au sud et un peu à l'ouest , en s'éloignant du versant oc- cidental de la grande Cordillère. Sa longueur est de trois cents lieues environ , et ses bords sont habités par différentes tribus indiennes. Le lit du fleuve présente peu de profondeur, et il est guéa- ble presque partout pendant la belle saison. A l'époque des pluies et après la fonte des neiges, il déborde et inonde le pays plat au milieu duquel il coule. Son embouchure au fond de la Mer Ver- meille a près de deux lieues de large ; elle est di- visée en trois canaux par deux petites îles, nom- mées islas de los très Reyes. Sa position est par
14*
216 RIO GILA.
32 degrés de latitude nord environ. La marée monte de six à sept mètres, et occasionne des cou- rants terribles, dont la rapidité est quelquefois de douze ou quinze milles à l'heure. Le fond, à l'entrée de la rivière , est extrêmement bas ; il faut ranger de très-près la côte de Californie pour trouver une passe qui n'a souvent que cinq à six pieds, et est fort étroite. Le lit du fleuve est rempli de bancs qui sont à sec à la marée basse.
A huit lieues au-dessusde son embouchure, le Colorado reçoit le RioGila,quiarrivederestaprès s'être grossi de la rivière de la Asuncion , formée elle-même par la jonction des Rios Verde et Sa- lado. Tous ces courants d'eau prennent naissance dans lesramifîcations de la Sierra Madré; ils n'ont pas de profondeur, et pendant la saison des pluies ils inondent les terrains qui les avoisinent. Les bords de ces rivières sont très- fertiles, et on y ren- contre des gisements d'or vierge fort abondants; ils sont habités par quelques hordes d'Indiens Yumas, Axuas, Cocomaricopas et Apaches , ap- partenant tous à la famille des Pâpagos. Le nom- bre de ces tribus réunies doit s'élever à vingt mille âmes.
Il y a quelques années , on forma aux Etats- Unis le projet d'établir une communication in- térieure entre le golfe du Mexique et celui de
BASSE CALIFORME. 217
Californie , en joignant par un canal le Rio Colo- rado et l'Arkansas qui se jette dans le Mississipi. Les auteurs du projet n'ignoraient cependant pas que ces deux rivières prennent leur sourcesur les versants opposés des Montagnes Rocheuses , et que le Rio Colorado n'a que quelques pieds d'eau dans la belle saison.
Depuis que les Missions sont presque toutes dé- truites, il est extrêmement difficile d'aller par terre de Sonora en Californie ; pour exécuter ce voyage sans péril, il faudrait réunir une nombreuse ca- ravane. A vingt lieues environ du Rio Colorado se trouve la Mission de Santa Catalina qui est la plus au nord de toutes celles de la Basse Californie. Elle compte à peine quelques habitants, et est éloignée de six journées de marche du port et de la Mission de San Diego sur l'Océan Pacifique.
La ligne de séparation entre la Vieille et la Nouvelle Californie commence à peu près à l'em- bouchure du Rio Colorado, etse termine au sud de la Mission de San Diego , en suivant le trente- deuxième parallèle sur lequel est située la Mission de San Miguel. La presqu'île formant l'Ancienne ou Basse Californie est bornée au nord par la Haute ou Nouvelle ; au midi et à l'ouest, par l'O- céan Pacifique, et au levant par la Mer Vermeille.
Entre le versant occidental des monts d'Ana-
218 GRAND DÉSERT AMÉRICAIN,
lîuac , le versant oriental de la Sierra-Nevada, la branche nord de cette chaîne , le Rio Gila et la Pimeria Alta , partie la plus septentrionale de la province de Sonora , se trouve compris le grand désert américain, formé d'immenses plaines sa- blonneuses impropres à la culture , et traversé dans toute sa longueur par le Rio Colorado de l'occident. Cette portion du Nouveau Continent n'offre que peu d'intérêt. Elle est habitée par de pauvres tribus indiennes , et ne présente point de ressources aux caravanes qui se rendent du Nou- veau Mexique et des États-Unis , en Californie , ou au Territoire de l'Orégon.
En redescendant la côte orientale du golfe, du nord au midi , on rencontre des marais qui s'é- tendent jusqu'au cap San Buenavantura , les ai- guades de San Felipe de Jésus , San Fermin, Santa Ysabel , la Visitacion , San Estanislao , la baie de San Luiz de Gonzaga , San Juan y San Pablo , los Remedios , la baie de los Angeles , San Rafaël, les caps San Miguel et San Juan- Bâutista , l'îlot de San Barnabe , le cap Trinidad, l'îlot Santa Anna et le cap de las Virgenes , qui est le dernier volcan éteint de la Basse Califor- nie. D'après les relations des Jésuites , il était encore en activité en 1 74G. Il y a beaucoup de soufre aux environs du cratère.
BAIE DE MOLEJÉ. 219
Sur le même parallèle que le volcan , à cinq et huit lieues dans l'intérieur, sont fondées les Mis- sions de Santa Maria Magdalena et de Nuestra Seiiora de Guadalupe.
Par le 29^ degré l'île del Angel de laGuardia, qui est longue et étroite , forme avec la côte le canal de Ballenas, où l'on rencontre un grand nombre de cétacés. En face de l'île, à neuf lieues du rivage, est située la Mission de San Fran- cisco de Borja. Au sud, les îles de Saisi puedes (Sors si tu peux), las Animas et San Lorenzo, présentent un passage fort dangereux. Au midi du cap de las Virgenes, on découvre la baie de Santa Agueda , l'île Galapagos , le cap et l'île San Marcos, qui, avec les îles Tortuguitas et le cap San Miguel , forment la baie de Mo- lejé.
Vis-à-vis l'île San Marcos, à six lieues dans les terres, existe encore la Mission de San Ignacio. Celle de Santa Rosalia est située à une demi-lieue de la mer, au bord du Rio Molejé. Ce point est facile à reconnaître ; en venant du large , on aper- çoit une petite montagne nommée el Sombrerito, et qui a la forme d'un chapeau. La baie est très- peu profonde ; des navires de quinze et vingt tonneaux peuvent seuls y entrer. On y trouve quelques perles , et, sur les bords de la rivière ,
220 CERRO DE LA GIGANTA.
on récolte du mais , du vin , des olives, des figues
et des dattes.
Depuis la baie de Molejé jusqu'à Loreto , il y a constamment , près de terre , de quarante à cin- quante mètres , et la côte présente de bons mouil- lages : les pointes de la Concepcion , de Santa Teresa , la Punta Colorada , celles del Pùlpito , de San Juan , l'anse du même nom , celle de los Mercenarios , la pointe de Manglares et l'anse de San Bruno.
A trois lieues au nord de Loreto , la petite île des Coronades offre un abri contre le nord-est. Près du rivage de la Mission , on trouve quatre brasses , et sous le vent de l'île del Carmen, quinze à dix-huit.
Le mouillage de Loreto est indiqué par l'église et un bouquet de palmiers; on le reconnaît du large à un pic très-élevé , entouré de pitons infé- rieurs. Cette montagne, nommée el Cerro de la Giganta, est la plus haute de la Vieille Californie ; son élévation au-dessus du niveau de la mer est de mille trois cent quatre-vingt-huit mètres me- surés trigonométriquement; sa formation est vol- canique, comme celle du reste de la chaîne qui parcourt toute la presqu'île. Le mouillage de Loreto est ouvert aux vents du nord , du nord- ouest et du sud-ouest. Lorsqu'ils deviennent très-
MISSION DE N. D. DE LORETTE. 221
forts, il faut mettre à la voile pour ne pas fnire côte. Si le navire est petit, il doit se rendre au Puerto Escondido,à quatorze lieues dans le sud. Le Real de Loreto , situé par 25 degrés 59 mi- nutes de latitude nord et 113 degrés 20 minutes 37 secondes longitude à l'ouest de Paris, n'a plus que deux cents habitants. Cette Mission était la capitale de la Basse Californie ; mais elle est telle- ment déchue que les autorités se sont transférées au Real de San Antonio. Le Presidio , la Mission et l'église tombent en ruine. Ces bâtiments, cons- truits très-solidement par les Jésuites, avaient pour but d'offrir, en cas d'attaque , un refuge aux habitants. Ils sont entourés d'une muraille épaisse qui détournait les eaux d'un torrent ve- nant des montagnes, et qui, plusieurs fois, avait renversé les maisons et entraîné la terre végétale. Le Presidio avait une petite esplanade défendue par deux pierriers en bronze, dont la culasse est maintenant ouverte , et qui n'ont pas d'affût. L'église renferme encore un grand nombre de tableaux , des vases d'argent , et les joyaux de la Vierge qui ont une valeur assez considérable. Ces objets restent sur les autels et dans la sacristie ; les portes ne sont jamais fermées , mais personne n'oserait commettre un vol sacrilège. Il n'y a pas de garnison, et le .Missionnaire gouverne pater-
222 COURRIER ESPAGNOL,
neilement les habitants. A quinze lieues dans l'in- térieur, et à l'ouest, sont fondées les missions de San José de Comandii et San Francisco Xavier. A Loreto , il y a quelques jardins; mais l'eau manque généralement , et celle des puits est sau- mâtre et malsaine.
Sous le gouvernement espagnol , un courrier, partant de Guaymas tous les mois, traversait le golfe sur une goélette et débarquait à Loreto. De là , les lettres étaient portées par terre dans les différentes Missions jusqu'à Monte Rey. Cette communication n'a plus lieu depuis longtemps , et l'on reste souvent à Mexico une année entière sans avoir des nouvelles de la Californie.
Au sud de l'île del Carmen, on trouve les îlots de los Danzantes, bancs de perles, las Galerçis, la Catalana, Monserrate, San Marcial, Santa Crùz, la Morena , San Diego , San José , San Francisco , Espiritu Santo et Cerralbo , et sur la côte le mouillage de Tripuy, le port del Agua Verde, l'anse de Santa Marta, les rades de San Carlos , de Tembabiche , de Dolores , de los Burros, les pointes San Abarito , Mechudo , San Lorenzo , l'anse de la Paz ou port de Pichilingue, la pointe de San Gonzalo , l'anse de Cerralvo , la pointe Arenas , l'anse de Muertos, les capsPalma, Porfia, San-José et le cap San Lucas , qui forme l'entrée
PORT DE LA PAZ. 223
occidentale de la Mer Vermeille. Les seuls points visités par les navires sont : le port de la Paz et San José del Cabo.
La Paz, où Fernand Cortez débarqua le 3 mai 1 535, estsituée par 24 degrés 10 minutes de latitude nord, et 1 1 2 degrés 20 minutes de longitude ouest: pour y aborder, on vient mouiller dans la baie de Picbilingue, à l'est de l'île San Juan Nepomuceno, par cinq à dix brasses, et à deux lieues des mai- sons, en passant à une égale distance de l'île del Espiritû Santo et de la pointe San Lorenzo. Il n'y a que les petits navires qui puissent s'approcber des habitations '. La population de la Paz se com- pose de quatre cents habitants , la plupart des- cendants des marins étrangers. Un Français , M. Bellot, de Bordeaux, ancien capitaine au long cours, y est établi avantageusement. Nos navires visitent rarement ce port ; on n'en a pas vu d'au- tres depuis le trois-mâts la Félicie^ qui y mouilla en 1830. Ce port est le plus commerçant de la Basse Californie ; les bâtiments de San Blas, Ma- zatlan et Guaymas vont quelquefois y chercher de récaille au prix de seize à dix-huit piastres le quintal , et des coquilles de nacre de perles à six piastres les cent livres.
' Voir dans l'atlas le plan de la Paz, n° 8.
224 PERLES DE CALIFORNIE.
On arme à la Paz , dans le Rio Yaqui et à Guay- mas, huit ou dix petits navires de quinze à qua- rante tonneaux, montés par deux cents plongeurs, qui sont tous des Indiens Yaquis. La pêche com- mence en mai et finit en octobre. Jusqu'à la fin du siècle dernier elle donna de grands bénéfices; mais il n'en est pas de même aujourd'hui. Le capital qu'on y consacre annuellement est de douze mille piastres environ, et l'on remarque que tous les ans le nombre des perles diminue. Autrefois il y avait jusqu'à huit cents plongeurs occupés à la pêche. Il est maintenant difficile de trouver des Indiens qui veuillent s'y livrer, car dans chaque saison plusieurs d'entre ces malheureux sont dévorés par les requins et les maiitarayas , espèce de raie mons- trueuse qui a près de quatre mètres de long.
Les plongeurs descendent souvent à une pro- fondeur de dix à douze brasses; il faut une grande force pour arracher les huîtres des anfractuosités des roches , et ils remotitent parfois avec les pieds et les mains ensanglantés. L'expression des bancs de perles [placeres de perlas) induit générale- ment en erreur. Les coquilles ne sont jamais su- perposées ou répandues sur une surface horizon- tale; elles sont plutôt cachées dans les fentes des rochers; aussi la cloche à plongeur n'est -elle d'aucun usage. La société formée à Londres sous
BANCS DE PERLES. i'2.S
le titre de General pearl and coralfishery Asso- ciation , envoya en 1 827 un agent à Guaymas. Il examina avec soin les divers bancs du golfe , et demeura convaincu que la cloche dont il était muni ne pouvait être employée. Les deux navires qu'il commandait ne purent réunir qu'une petite quantité de perles d'une qualité inférieure et ne trouvèrent pas de corail. La compagnie fut obli- gée de renoncer à son entreprise. Les bancs les plus riches se rencontrent dans la baie de la Paz et près de Loreto , la pointe sud-ouest de l'ile del Carmen , Puerto Escondido , los Coronados , los Danzantes , San Bruno et l'île San Marcos. On croyait que les bords de l'île del Tiburon étaient peuplés de nombreuses coquilles , mais on n'osait y aborder par crainte des Indiens Séris qui l'ha- bitent et que l'on disait être fort cruels. M. Hardy, officier anglais , débarqua dans l'île, fit plonger tout autour et ne trouva que des perles de peu de valeur. Plus au nord , et dans la baie de Molejé , ses plongeurs Yaquis ne purent rien découvrir.
A Loreto , une partie des perles est destinée à la Vierge ; les plongeurs ont aussi une part, indé- pendamment de l'argent , des vêtements et de la nourriture que leur fournit l'armateur. Quand les navires reviennent , les perles s'achètent en bloc au prix de quinze à dix-huit cents piastres
226 MINES D'ARGENT,
la livre, puis elles sont revendues en détail dans le pays. Les habitants de Sonora et de Sinaloay attachent un si grand prix qu'elles sont plus chè- res à Guaymas et à Mazatlan qu'à Mexico oii l'on apporte celles de l'Inde et de Panama. Tous frais payés , la pêche rapporte aux armateurs de douze à quatorze mille piastres par an de bénéfice. Il est à propos de remarquer que parmi les perles il s'en trouve d'entièrement noires qui sont aussi fort estimées.
San José del Cabo , la Paz , Loreto et Molejé envoient des caboteurs dans les ports de la côte du Mexique , chercher des farines et des marchan- dises d'Européen échange de fromages, de viande sèche , de beurre , d'oranges , de dattes , raisins et autres fruits secs.
Près de Molejé et au Real de San Antonio , à quelques lieues de la Paz, on exploite des mines d'argent dont le produit est peu important. Il est cependant facile de se convaincre, par l'examen comparatif du terrain, que la géologie de la Basse Californie doit être la même que celle de Sonora et de Sinaloa , que cette presqu'île a été violem- ment séparée du Continent a une époque éloi- gnée, et que si les roches prises sur les deux côtes, à des latitudes à peu près égales , sont de même nature , les gisements aurifères doivent sans doute
L'ABBÉ CHAPPE D'AUTEROGHE. 227
être les mêmes. En s'abaissant vers la mer, la chaîne de montagnes forme , près du cap San Lucas , un plateau assez fertile où sont réunis , avec douze ou quinze hameaux , le Real de San Antonio, capitale actuelle du district, l'ancienne Mission de Santyago de los Coras, celles de Todos los Santos et de San José.
C'est dans cette dernière que mourut le savant abbé Chapped'Auteroche, que l'Académie royale des sciences avait envoyé pour observer le pas- sage de Vénus sur le disque du soleil , qui eut lieu le 3 juin 1 769. L'académicien français était accom- pagné de deux officiers distingués de la marine espagnole. Ils déterminèrent avec précision la po- sition du cap San Lucas qui sert de point de re- connaissance et de départ aux navires de Chine et d'Europe.
Les Indiens de la Basse Californie sont com- plètement réduits, et les tribus des Coras, des Edués , Pericués et Cochimies ne peuvent plus être distinguées entre elles. Le gouvernement mexicain n'entretient aucune troupe dans le pays, et l'autorité est confiée au moine dominicain, prési- dent ou préfet apostolique des missions, au préfet civil et au juge de paix. Le commandant général des deux Californies réside à Monte Rey. La popu- lation totale de l'ancienne Californie n'atteint pas
228 POPULATION.
le chiffre de quatre mille habitants, dont le tiers seulement de race blanche;! en voici le tableau.
MISSIONS DU NORn-ODEST. EN ALLANT DU NORD AU SUD. |
H ■< H n ■< X |
INIISSIONS DU NORD-EST. EN ALLANT DU NORD AU SUD. |
H ■< H K |
San Miffuel |
430 48 233 261 159 75 45 » » 260 717 |
Repobt |
2,228 71 53 19 35 240 74 81 200 55 320 390 |
Santa Catalina |
San Francisco de Borja. Santa Gertrudis San Ignacio |
||
Santo Tomas |
|||
San Vicente |
|||
Santo Domingo N* S» del Rosario San Fernando de Velli- cata |
Santa Magdalena N* S" de Guadalupe Santa Rosalia de Molejé. San José de Comandû . . . N* S» de Loreto (ancienne capitale) |
||
La Purisima (détruite). . . San Luiz ( détruit ) Todos los Santos Real de S. Antonio (capi- tale actuelle) |
|||
San Francisco Javier San José del Cabo Le port de la Paz |
|||
2,228 |
3,766 |
||
Ces missions sont dirigées par les Moines Dominicains du courent de Sanlyago de Predicadores de Mexico. Les Moines Franciscains dirigent seu- |
Nous avons déjà donné la description de la côte orientale de la Basse Californie. Celle de l'ouest ne présente rien de plus remarquable.
CAP SAN LUCAS. 229
C'est une côte aride oiiTon rencontre seulement quelques bons mouillages. Celui du cap San Lucas n'est tenable que depuis novembre jusqu'en mai , époque où régnent les vents de nord-ouest et d'ouest'. C'est un point de reconnaissance très- important pour les navires qui se rendent à San Blas, Mazatlan et Guaymas, soit qu'ils proviennent d'Europe, d'Asie, des îles Sandwich ou de la Haute Californie. On a vu dans l'introduction que les corsaires anglais s'y sont souvent postés pour enlever les galions espagnols. Son extrémité sud est formée par plusieurs roches groupées ensemble et nommées los Frayles (les moines). On peut les ranger de très-près pour venir pren- dre le mouillage. Le fond n'est pas de bonne tenue ; les petits navires éprouvent beaucoup de peine à retirer leurs ancres à cause de la profon- deur. On y compte cinq maisons, dont trois appartiennent à des Anglais et Américains. A quel- ques lieues se trouvent de petites fermes (rancJios) où l'on cultive le mais et la canne à sucre. Les na- vires baleiniers viennent au cap San Lucas pren- dre de la viande. Les beaux bœufs coûtent huit
I Latitude Nord : 22" 52' 28". I Le cap San. Lucas : < Longitude Ouest: 112" 10' 38". 'Déclinaison : 7° 53' IN. E.
230 TODOS LOS SAINTOS.
piastres. On peut aussi se procurer des fromages, du bois en abondance et quelques légumes. Il y a au bord du rivage des jardins potagers et des puits creusés dans le sable.
Après avoir doublé le cap, en allant vers la côte, on rencontre à une petite lieue de cette dernière, dans la direction du nord-ouest, la mission de Todos los Santos qui renferme encore quelques Indiens. Il y a un mouillage avec un petit ruisseau où l'on peut faire de l'eau, et pren- dre des vivres'.
Au vingt-quatrième parallèle les montagnes forment un promontoire surmonté de trois pics , dont les sommets déprimés ressemblent à des plateaux , et qu'on appelle pour cette raison les tables ou las Mesas de Narvaez.
De ce point la côte court , presqu'à l'ouest , jusqu'à la grande ile de Santa Margarita, formant l'entrée sud de l'immense baie de la Magdalena. Cette entrée est signalée par un morne élevé, nommé le Morro Redondo. Elle a plus de deux milles de large , et son fond , en conservant le milieu du canal , est constamment de quarante à cinquante mètres, et sur les côtés dequinze à vingt.
... , . , , Lat. Nord : 23" 2G .
Mission de Todos los Santos : { ^ ^ , ,,
iLong. Ouest : 112" 37 3".
BAIE DE LA MAGDALENA. 231
Cette rade est si vaste , qu'elle pourrait abri- ter des escadres entières; mais elle n'offre au- cune ressource ; les missions de San Luiz de Gonzague et de San Francisco Xavier , éloignées de plusieurs lieues, sont aujourd'hui détruites, l^a baie très-poissonneuse ne présente ni eau potable, ni bois. I^orsque les vents soufflent du nord , on doit mouiller à l'abri de la presqu'île formée par la Punta Delgada , à l'extrémité de laquelle se trouvent situés le cap et le mont SanLâzaro, éle- vés à quatre cents mètres '. En venant du large ce cap a l'air d'une île; il y a quelques années un baleinier anglais s'échoua sur la pointe Delgada , qui est tellement basse que dans les gros temps la mer brise dessus et au delà. Quand le vent vient de l'est ou du sud, on est beaucoup mieux mouillé dans la baie de las Almejas , située dans la partie est de l'île Santa Margarita; cette île renferme deux espèces de tortues , l'une dont la chair est excellente, mais dont l'écaillé n'est bonne à rien , l'autre , au contraire , qui ne peut être mangée, mais dont les carapaces sont très- estimées dans le commerce. Les navires baleiniers
i Latitude Nord : 24° 36'. Longitude Ouest : 114° 25'. Déclinaison : 8° 15' N.-E.
232 HAVRE DE SAN BARTOLOMÉ.
et américains fréquentent seuls la baie de la Mag-
dalena, où ils vont faire de l'huile de baleine.
Le mont San Lâzaro gît par 24 degrés 47 minu- tes de latitude; une fois qu'on l'a doublé, la côte revient vers l'est et offre partout un fond régulier de trente à quarante mètres très-près de terre, jusqu'à la petite anse formée à 26 degrés par la pointe de Santo Domingo. La côte court en- suite au nord-ouest pendant près de vingt lieues, puis elle tourne brusquement pendant dix lieues au sud-est où elle atteint la pointe Ahreojos (ou- vre les yeux) , qui est entourée à son extrémité de récifs fort dangereux'.
Lesdeux petites îles de la Asuncion et de San Roque surgissent au nord-ouest. La côte est saine pendant quatre-vingts milles vers le nord.
On peut mouiller en sûreté dans le havre de San Bartolomé, découvert par le général Don Sé- bastian Vizcaino^ Toutefois on doit, en longeant de près la côte , avoir soin d'éviter la pointe de San Eugenio qui semble former un seul promon-
' Pointe de Abreojos : le sommet de l'un des pics les plus à
I Latitude Nord : 26° 59' 30". 1 ouest : { . . . „
( Longitude Ouest : 116° 7' 3 .
j Lat. N. : 27° 40'.
Port San Bartolomé, au nord de la baie : ' Long. O. : 1 1 7° 11' 4Q".
Déclin.: 10° 46' N.-E.
BAIE DE SAN FRANCISCO. 233
toire avec l'île de Natividad , située à son extré- mité ouest. Ici , comme au cap San Lâzaro , des baleiniers ont fait côte, en voulant passer de nuit entre l'île et la terre ferme, et en venant se jeter sur la pointe qui est assez basse. Le passage en- tre l'île et cette pointe a sept ou huit milles de large , et présente un fond de trente à quarante mètres. Si l'on arrive du sud, une montagne assez élevée, nommée le Morro Hermoso , accuse à l'est l'existence de la pointe. Si l'on vient du nord, les îles de Cerros et San Benito donnent les indi- cations suffisantes. A l'est de la pointe San Euge- nio la côte rentre considérablement pendant l'es- pace d'un degré en latitude, et forme la grande baie de Sébastien Vizcaino, où, par 28 degrés 56 minutes, se trouve l'anse del PescadoBlanco, for- mée par une pointe de cinq ou six milles qui redescend vers le sud. A trente milles de cette pointe dans le nord-ouest, on découvre le pro- montoire assez élevé du cap blanc de Santa Ma- ria , et à dix lieues plus au nord , la pointe et anse de las Canoas.
Après ce mouillage, on rencontre la baie de San Francisco de la Basse Californie, qui offre un excellent abri contre tous les vents. Les navires qui veulent entrer dans ce port doivent gouverner sur la pointe sud-ouest de la baie, dont l'on ver-
234 CAP DE LAS VIRGENES.
ture regarde le midi. Lorsqu'on est à deux milles de l'extrémité sud , il faut se diriger au nord- nord-est jusqu'à ce que l'on ait la pointe à l'ouest- nord-ouest d'abord, puis au nord-nord-ouest, ou, si le vent vient du dehors, il faut courir de cour- tes bordées en ayant soin de ne pas approcher du côté de l'est à moins de cinq brasses de sonde, car après cette profondeur le fond s'élève tout à coup. En approchant du rivage, on peut se tenir à une encablure de terre, et dès que l'on a la pointe à l'ouest , jeter l'ancre par six ou quatorze mètres. Le fond vaseux est de bonne tenue. A l'extrémité de la pointe sud-ouest un banc court au sud-sud- ouest. Il n'a guère que trois pieds d'eau à la marée basse. Dans la baie de San Francisco, la marée est ordinairement de trois mètres et de quatre envi- ron à l'époque des conjonctions. Ce port est de bon refuge , mais il est difficile d'y faire de l'eau et du bois; il présente de quinze à vingt-cinq mètres, et tout près de terre jusqu'à six et sept. L'entrée nord est signalée par une pointe assez élevée s' avançant dans l'ouest, et nommée la pointe de las VirgenesK
' Port de San Francisco de la Basse Californie, à la pointe de l'entrée nord : latitude nord : 30° 22'; longitude ouest : 1 1 8° 1 6' 57 '; variation de l'aiguille aimantée : 1 2° 6' N.-E.
CAP SAN QUINÏIN. — SALINES. 235
La mission de Notre-Dame del Rosario est éloignée de trois lieues, dans le nord-est, du mouil- lage : on y arrive par une assez bonne route et l'on peut s'y procurer des bœufs, des moutons et quelques vivres frais.
A dix lieues environ au nord, le port de San Quintin, indiqué par le cap de ce nom, appelé aussi cap Colnett , présente un bon mouillage. La mission de Santo Domingo en est éloignée de quel- ques lieues ; les équipages y trouvent toujours de la viande fraîche. Dans ce port, ainsi que dans celui de San Francisco , il existe des salines très- considérables, mais inexploitées. La Compagnie de la baie d'Hudson a fait reconnaître ces deux points dans l'intention d'en tirer parti. Les bâti- ments américains de Boston les ont aussi visités dans le même but, mais comme les bras manquent, ils préfèrent apporter des États-Unis le sel néces- saire à la salaison des cuirs de bœuf qu'ils recueil- lent sur la côte des deux Californies.
Jusqu'au 32^ degré la côte court presqu'au nord ; arrivé à ce parallèle , on aperçoit un cap terminé par une suite d'îlots dont le dernier est le plus gros, et qui s'avance vers l'ouest; c'est le cap Grajero ou de Todos los Santos qui forme la partie sud de la baie de ce nom , dont l'extrémité nord-ouest est formée par la pointe de San Ra-
230 MISSIONS
fael : ce refuge est bon , excepté contre les vents d'ouest. Il y a aussi des lagunes dont on peut ex- traire^ dans la saison sèche , de grandes quanti- tés de sel cristallisé.
Les missions de Santo Tomas et de San Miguel , distantes de deux ou trois lieues , fournissent aux navires des vivres et des bestiaux. Celle de Nues- tra Seîiora de Guadalupe , récemment fondée par le R. P. Cavallero , président des Missionnaires Dominicains, est éloignée de huit lieues au sud.
Depuis Todos los Santos jusqu'au port de San Diego, la côte n'offre plus de mouillages. A l'in- térieur, la division entre la Basse et la Haute Californie semble marquée par deux montagnes élevées, terminées par des plans horizontaux et nommées les tables ou Mes as de Juan Gomez. A partir de la baie de San Francisco de la Vieille Californie, et à mesure qu'on remonte vers le nord, le terrain devient moins aride; quelques parties sont même assez propres à la culture, sur- tout dans les environs des missions del Rosario , de San Vicente , de Guadalupe , San Miguel et Santo Tomas ; mais la population indienne y est très-minime; les missions de San Miguel et de Guadalupe seules possèdent environ trois cents Indiens, et celle de Santo Tomas, deux cents. La plupart des autres missions sont complètement
DE LA BASSE CALIFORME. 237
abandonnées. San Francisco de Borja renferme six Indiens, et celle de San Ignacio quatre famil- les de race espagnole; celle de Jésus Maria ne compte pas un seul habitant. Çà et là on aperçoit quelques petites fermes de colons blancs , et la mission de San Vicente, autour de laquelle s'est formé une espèce de puehlo , est la seule , parmi celles de la Basse Californie, qui ait conservé quel- ques troupes. On y trouve une compagnie de vingt soldats du pays destinés à tenir en respect les Indiens Yumas de la rive droite du Rio Colo- rado, et à repousser leurs incursions. C'est la douane de Monte Rey qui envoie quelques se- cours en argent et en vêtements à cette garnison. Les soldats , qui sont presque tous des paysans , tirent leur nourriture de la culture du mais et de l'élève des bêtes à cornes.
On ne saurait imaginer les difficultés que pré- sente un voyage parterre dans la Basse Californie depuis la destruction des missions. Pour s'aven- turer dans quelques parties il faut emporter de l'eau pour deux jours. Le petit nombre de per- sonnes qui font ce voyage viennent débarquer de Mazatlan à Guaymas au préside .de Notre-Dame de Lorette. De là , passant par la Mission de San José de Commandù, elles parcourent en douze jours les quatre-vingts lieues qui conduisent à la
238 TRIBUS INDIENNES.
Mission de San Ignacio, puis en huit autres jours les quatre-vingts autres lieues qui mènent à la côte depuis San Francisco de Borja. Les cent soixante lieues restant pour arriver à San Diego se font en dix-sept jours. Ce parcours de trois cent trente- six lieues, qui aujourd'hui est extrêmement péril- leux, se faisait naguère presque sans danger. Les cent soixante-dix lieues au sud , depuis Loreto jusqu'au cap San Lucas, étaient aussi d'un trajet assez facile. La ligne des missions et presidiosde la Basse Californie présentait une étendue de plus de cinq cents lieues.
Ce territoire n'est dépourvu ni de bons ports , ni de richesses minérales dont on pourrait tirer parti , et qui demeurent inexploitées. Les mines d'argent environnant le Real de San Antonio oc- cupent seules quelques travailleurs; mais on ne fait aucun usage des mines d'or et de cristal de roche de la Mission de Sainte Rosalie. Le soufre, l'ocre , le sel gemme , le nitrate de potasse sont fort abondants dans ces contrées ; l'île del Carmen, dans la Mer Vermeille, renferme des salines magnifiques. On trouve aussi , non loin de la Mission de San Ignacio, des mines de sel fort abondantes.
Les Indiens Pericués , Cochimies, les Coras et les Monquis, qui formaient autrefois la popula-
CLIMATOLOCxlE. 239
tion de la Basse Californie, sont maintenant con- fondus et ne forment plus de tribus distinctes ; ils sont du reste en très-petit nombre.
Le pays ne possède aucune rivière ; à peine si l'on y rencontre de petits ruisseaux , aussi l'ari- dité est-elle extrême; dans quelques parties on parvient cependant à élever des bestiaux, à culti- ver de la canne à sucre et à récolter quelques céréales. Le climat de la Basse Californie est ex- trêmement chaud ; l'air y est d'une grande séche- resse et la pureté de l'atmosphère admirable. Le thermomètre s' élève jusqu'à 38 degrés centigrades. L'été est la saison des pluies ; elles sont accompa- gnées de trombes d'eau , d'orages et de coups de vent terribles. Ce n'est guère qu'en arrivant au 30® degré de latitude que le froid commence à se faire sentir dans les montagnes et que les pics les plus élevés se couvrent de neige. Ces montagnes paraissent être le résultat des diverses révolutions du globe; quelques-unes sont formées de coquilles et de produits calcaires; d'autres, au contraire, d'un aspect tout volcanique , ne présentent que des laves , des pierres-ponces , des sels nitreux , des terres minérales , du soufre. Près de la Mission de Sainte Gertrude on recueille de grands mor- ceaux de cristal de roche en prismes hexagones. Le plâtre ou sulfate de chaux existe près de Mo-
240 GÉOLOGIE,
lejé en plaques stratifiées et diaphanes , longues de quatre à cinq pieds, larges de dix- huit pouces et d'une épaisseur de trois à quatre doigts. Les Missionnaires se servaient parfois de ces plaques en guise de vitraux. Il y- a aussi d'excellentes pierres de construction, et l'on prétend même avoir trouvé des marbres ^ Le vitriol bleu (sul- fate de cuivre) en petits cristaux , se rencontre dans quelques fonds humides de la Mission de Guadalupe. On trouve dans la montagne d'argile rougeâtre , près de Molejé , que l'on pense con- tenir de l'or, des filons d'ocre jaune et une sorte de céruse ou blanc de plomb natif (protoxyde de plomb) dont on se sert pour blanchir les maisons. Près de la montagne del Rosario , et en plusieurs autres localités , les sels de nitre (nitrate de po- tasse) et le sel de soude, que les Indiens du Mexique nomment tequezquite (sesqui-carbonate de soude) sont efflorescents à la surface de la terre, comme le soufre pur près du volcan éteint de las Virgenes. Le règne végétal , dans un pays aussi aride que la Basse Californie , ne saurait offrir de grandes ressources. Les arbustes et les plantes épineuses abondent. Quelques-uns, les cactus surtout, four-
' Storia délia California dell' abate Clavigero, pag. 38.
RÈGNE VÉGÉTAL. 241
nissent aux Indiens des fruits excellents. Une sorte de groseillier et d'épine-vinette donne des baies succulentes; le nopal etl'anaba, des figues savou- reuses. Les graines de plusieurs grands arbres de la famille des légumineuses, ressemblant aux aca- cias (/e medezà, le dipud , rasigandà, le guis- rtcAe) , peuvent être mangées comme des haricots; d'autres portent des semences oléagineuses. On extrait du jojoba une huile presque aussi bonne que celle d'olive, et un baume excellent pour les blessures. La saison des pluies fait naître des herbes et des plantes alimentaires. On tire des épis de la teda des graines semblables à l'anis. La tedegua est une espèce d'ortie dont le contact produit le même effet douloureux que celle d'Europe , mais dont les graines peuvent servir d'aliment. Une sorte de chardon, s'élevant comme les cierges cac- tus à une hauteur de quarante pieds, fournit des semences nutritives et un suc balsamique.
Tous les arbres fruitiers d'Europe , ainsi que les plantes potagères et légumineuses , prospè- rent dans les endroits où l'on peut les arroser. 11 en est de même des céréales, quoique le blé vienne beaucoup moins bien que le mais; le blé rend cependant , dans les bons terrains , jusqu'à soixante pour un, et le mais plus de trois cents pour un. La canne à sucre, le manioc , le tabac, I. 16
242 BOTANIQUE,
l'indigo , le ricin , une espèce de roseau contenant un principe saccharin, et des plantes tinctoriales croissent spontanément au bord des ruisseaux. Les plantes vénéneuses, particulièrement la yedra^ dont le contact ou l'atmosphère ambiante occa- sionne une enflure générale du corps, y viennent également en grand nombre : il ne faut pas ou- blier \e palo de la flécha dont le suc empoisonné rend les armes des Indiens si terribles. Les pal- miers fournissent des dattes excellentes. La vigne sauvage est commune ; mais les ceps importés des plants d'Espagne produisent du vin bien supé- rieur. Un arbre pareil au garroubier donne des gousses dont les Indiens font usage pour leur nour- riture et pour celle des animaux. L'ébénier noir et blanc , le vernis copal , l'arbre à goudron, des chênes, des ilex, des lièges, des pins de diffé- rentes espèces , du bois de fer et du Brésil , peu- plent les montagnes. Malheureusement ces arbres, dont la plupart peuvent être employés pour la construction , ne se trouvent guère que dans des endroits presque inaccessibles.
On compte un grand nombre d'animaux indi- gènes dans la Basse Californie. Parmi les insectes , il faut citer les scorpions , les tarentules, les sau- terelles et les fourmis qui dévorent souvent les récoltes ; les scolopendres, les cigales , les guêpes.
ZOOLOGIE. 243
et des nuées de moustiques et de maiingouins. On doit remarquer qu'il n'y a point d'abeilles , bien que les guêpes donnent du miel. Les gre- nouilles et les crapauds apparaissent pendant la saison des pluies; les tortues de terre et d'eau sont abondantes au bord de la mer. Les lézards et les couleuvres ne sont point venimeux , mais la morsure du serpent à sonnettes nommé en espa- gnol cascabel est souvent mortelle.
Les deux rives de la presqu'île sont peuplées par des baleines de toute espèce , des requins , l'espadon, les bonites, les dauphins, les dorades. Les bancs recèlent les coquillages les plus bril- lants , les huîtres à perles , les poulpes , les murex (coquilles qui donnent la couleur pourpre), des madrépores et des zoophytes.
Parmi les oiseaux, on distingue particulière- tnent les aigles , les faucons , les vautours , les éperviers, les corbeaux, les hiboux, les buses, les pélicans blancs , les canards sauvages , les mouettes , les poules d'eau, les calandres , les co- libris , les oiseaux moqueurs.
Le chat sauvage, l'once, le loup des prairies (coyote) , le lion d'Amérique sans crinière , le bouquetin , les cerfs , les daims, le putois, l'écu- reuil de terre, et, dans quelques ruisseaux du nord, les castors et les loutres d'eau douce, sont les
244 ILES LAS TRES MARIAS,
principaux quadrupèdes de la Vieille Californie. Quant aux chevaux, aux bœufs, aux moutons, aux cochons , aux ânes et aux gallinacés intro- duits par les Missionnaires, ils s'y sont prodigieu- sement multipliés.
La côte de la Basse Californie offre plusieurs îles intéressantes pour les marins et les navires baleiniers. Las très Marias, situées au sud du cap San Lucas, avaient déjà appelé l'attention du gouvernement espagnol, et une cédule royale de Ferdinand VI , en date du 1 3 novembre 1 744 , ordonna de peupler ces îles. A la fin de 1747 l'ordre fut réitéré par la cour de Madrid ; mais il paraît qu'il ne fut pas donné suite aux intentions colonisatrices du gouvernement espagnol , car ces îles sont encore désertes '.
Plus au large, le groupe de Kevillagigedo , ainsi nommé en l'honneur du vice-roi de la Nou- velle Espagne qui voulait y faire un établisse- ment , se compose de j^lusieurs îles comprises entre les 18^ et 20^ degrés de latitude. La date de leur découverte remonte au commencement du seizième siècle. Fernando de Grijalva découvrit, en 1523, la plus grande qu'il nomma Santo To- mas , et que l'on appelle aujourd'hui del Socorro.
' Le P. BuricI, tome II, page 520.
GROUPE DE RE\ ILLAGIGEDO. 24:,
Cette île a environ douze lieues de long de l'est à l'ouest. Son sommet le plus élevé peut s'aperce- voir à une distance de vingt lieues. Au sud exis- tent deux bons mouillages'.
Au nord et un peu à l'est del Socorro , appa- raît l'île de San Benedicto , qui est très-petite. En 1542, Ruy Lopez de Villalobos la découvrit et la nomma Nuhlada ; les Anglais l'appellent Clouds (la nuageuse); elle a huit milles de cir- conférence ; le côté nord est à pic , la mer pro- fonde; le côté sud-ouest a une ou deux plages où l'on peut débarquer sur des rochers et fonds de sable. On trouve un petit lac d'eau douce , et au lieu d'arbres, des broussailles. Ces îles sont habitées par des veaux marins et des tortues de l'espèce des becs de faucon {^liawlis hill) , dont récaille est la meilleure pour la fabrication des peignes. On doit noter que dans quelques cartes espagnoles le nom de Nuhlada est quel- quefois donné à une île située à vingt lieues à l'ouest de celle del Socorro. On désigne aussi sous le nom de Santa Rosa l'île de Roca Partida ,
, , , , . i Latitude N. : 18« 18'.
' Ile del Socorro, point culminant : { .> , „
' iLong. O. : 112" 30 37".
., (Lat.N. : 18" 37'. Ile Roca Partida : . , „
• |Long. O. : 11G»2;V 7 .
24G ROCHERS LOS ALIJOS.
qui est la plus occidentale du groupe , et qui , vue du nord-ouest, ressemble à deux navires sous voiles ; lorsqu'on la reconnaît au coucher du so- leil, cette erreur peut causer dans la navigation de la nuit des accidents funestes.
La même observation s'applique à un groupe de rochers nommé los ^lijos ( les allèges ) , qui fut découvert en 1791, par le capitaine Mar- quina , venant des Philippines ; quatre rochers principaux , qui s'étendent sur une ligne nord et sud de trois cinquièmes de mille , composent ce petit groupe. Le plus est n'a que dix-sept mètres de haut ; le plus élevé est situé à l'ouest ; sa hau- teur est de trente mètres au-dessus du niveau de la mer '• Le fond a plusieurs centaines de brasses autour de ces écueils ; ils sont du reste les seuls qui existent dans la navigation de la côte du Mexique en Californie.
Q)uelques cartes anglaises placent au sud et à l'est du cap San Lucas deux ou trois îlots nommés Seaotter, Shovel ou Shelvoes; mais ces points n'ont jamais été vus par personne.
' Le contre -amiral Dupetit-Thouars, Voyage de la Vénus,
tome I, page 149,
l Lat. Nord : 24° 57' 30". Le plus haut des Aliios : ' ^ ^ , , „
' "• fLong. Ouest : 118" 5 50' .
ILE DE CERROS. 247
Sur le parallèle du groupe de Revillagigedo et entre les 116^ et 117^ méridiens occidentaux, sont situées d'autres petites îles dont l'une , ayant à peine deux lieues de large , porte aussi le nom de Nublada.
Près de la côte de Californie surgit la grande île de Santa Margarita , qui forme la partie sud de la baie de la Magdalena. Les îles de Natividad , de San Benito et de Cerros , placées au nord et à l'est de la pointe San Eugenio , présentent quelques bons mouillages. Celle de Cerros ou Cedros, dé- couverte par Ulloa en 1539, a environ dix lieues de circonférence ; elle est très-élevée et composée de rochers volcaniques. Sa distance de la côte est seulement de quatre milles ; le passage est exempt de dangers, si l'on a soin d'éviter une ligne de rochers noyés qui s'étend nord-nord-ouest à une distance d'un demi-mille de la pointe de la grande côte. Les baleiniers anglais , russes et américains vont y chasser les éléphants de mer et les pho- ques. En 1839, un navire américain y séjourna deux mois, et put recueillir trois cents peaux de loutres marines. Aussi , l'espèce de ces animaux est-elle aujourd'hui presque détruite. Les pho- ques seuls sout assez abondants. La petite île de San Geronimo , située un peu au sud du port de San Francisco, l'îlot San Martin, au nord , les
248 IMPORTANCE DE
îlots Solitai'ius et ceux de Todos los Santos , et les Coronados qui gisent à quinze milles au sud de l'entrée du port de San Diego , sont aussi ha- bités par ces amphibies.
A quatre-vingts lieues de la côte, on trouve l'île de Guadalupe , dont la position est très-impor- tante à noter, car elle sert de point de recon- naissance et d'atterrage aux navires qui viennent de Manille à San Blas ou Mazatlan '.
La Guadalupe est très-élevée; son sommet est de mille quarante mètres au-dessus du niveau de la mer. A l'extrémité sud, on aperçoit deux petits îlots éloignés d'environ deux milles. L'île peut être découverte, par un temps clair, à une dis- tance de quinze lieues. A un quart de mille du rivage , la côte est parfaitement saine , et le fond considérable. L'île est inhabitée et d'une origine évidemment volcanique ; elle a environ sept lieues de circonférence. Bien que fort stérile vers le sud , elle offre, dans la partie du nord, des val- lées fertiles et des montagnes couvertes de végé- tation. On peut faire du bois et de l'eau dans une petite crique située sur le côté nord-est de
Ile Guadalupe : le point culminant relevé par M. de Tessan.
jLat. N. : 27" 7' 2.5". JLong. O. : 130" 42' 4. i". (Déclin. : 11" 30' N.-E.
L'ILE GUADALUPE. 249
l'île ; il est aussi facile d'y tuer des chèvres sau- vages qui s'y trouvent en grand nombre. Le seul mouillage sûr est celui où les baleiniers vont chasser les veaux marins à deux poils. Il est situé dans une anse au côté sud de l'île, et formé par quelques petits îlots qui courent dans cette di- rection. Assez près de terre-, on peut jeter l'ancre par quatorze mètres, et l'on se trouve garanti de tous les vents , excepté de ceux qui vont du sud- est au nord-est, et qui soufflent très-rarement dans ces parages.
CHAPITRE VIL
Divisions du Continent américain à l'Ouest des Montagnes Rocheuses. Fondation des Missions, Pueblos et Presidios de ]a Nouvelle ou Haute Californie.
Après avoir terminé , clans le chapitre précé- dent , la description des provinces occidentales du Mexique et celle de la Vieille ou Basse Cali- fornie , nous croyons utile , avant de passer à la description de la Nouvelle et des territoires qui I. 17
252 TOPOGRAPHIE,
l'avoisinent , d'indiquer en quelques mots les grandes divisions du continent américain au cou- chant des Montagnes Rocheuses.
Le vaste pays compris entre les versants occi- dentaux des Montagnes Rocheuses et l'Océan Pa- cifique septentrional offre quatre divisions bien distinctes. Du détroit de Behring au 54® paral- lèle, s'étend l'Amérique russe; de là au détroit de Fuca , la Nouvelle Calédonie appartenant aux Anglais ; du 49® au 42® degré de latitude , le Territoire de l'Orégon , disputé par la Grande- Bretagne et les Etats- Unis ; et enfin au sud , la Haute ou Nouvelle Californie. Ces quatre parties ont des climats , des productions , des caractères différents ; et nous donnerons de chacune d'elles une description détaillée.
En quittant les montagnes arides de la Vieille Californie et en entrant dans la Nouvelle, on est surpris de la fertilité du sol et de l'abondance des pâturages. Trois chaînes de montagnes parallèles, formant deux grandes vallées intermédiaires, sil- lonnent la Nouvelle Californie. La plus Est est comprise du Nord au Sud, entre la Sierra Nevada et la chaîne centrale que nous nommerons Monts Californiens. La hauteur de ces montagnes, cou- vertes de magnifiques forêts , ne dépasse pas mille à douze cents mètres. Dans cette vallée, coule du
OROGRAPHIE. 253
sud au nord , le Rio San Joaquin , qui , avant de se jeter au fond de la baie de San Francisco, vient se réunir au Rio del Sacramento. Ce dernier sort du Lac Masqué, au pied de la Sierra Nevada, et descend vers la mer en courant du nord-est au sud-ouest. On. trouve aussi dans cette vallée plusieurs lacs d'eau douce nommés tos Tulares, à cause d'une sorte de joncs que les Indiens ap- pellent tule , et dont ils couvrent leurs cabanes. Le poisson et les castors abondent dans ces lagu- nes, et les terrains qui les environnent sont d'une fertilité extraordinaire. Les indigènes de diffé- rentes tribus , formant ensemble une population d'environ vingt mille âmes , habitent seuls ces parages ; cependant M. le capitaine Sutter a fondé sur la rive gauche du Rio del Sacramento un éta- blissement du plus haut intérêt, dont il sera parlé plus loin.
La troisième chaîne de montagnes dont l'élé- vation est à peine de six à huit cents mètres, suit le bord de la mer; elle forme, du nord au sud, les sierras de Ross, de Santa Crùz, de Santa Lucia, del Buchon , de Santa Inès , San Fernando et San Gabriel , remplies de beaux bois de construction. C'est dans la vallée formée par ces deux chaînes, et sur quelques parties basses de la côte , que se trouvent tous les points habités par les colons de
254 VOYAGE DE GALVEZ
race blanclre et toutes les Missions. Depuis San Diego jusqu'à Ross , cette zone a près de deux cents lieues de long sur dix de large. La vallée la plus orientale en a de vingt-cinq à trente.
Elle est traversée en tous sens par une multitude de petits ruisseaux qui se jettent presque tous dans la mer. Pendant l'été , la plupart sont à sec, et le seul fleuve navigable de la partie habitée est le Rio del Sacramento , que les bateaux plats et de petits pyroscaphes pourraient remonter pendant cinquante lieues environ. Quant au San Joaquin, à trois ou quatre lieues au-dessus de son embou- chure, il n'a pas la profondeur suffisante, et il est guéable la plus grande partie de l'année. Il sera question plus tard des rivières, telles que le Kla- mat et l'Umqua qui avoisinent le cap Mendocino.
Les nombreuses expéditions maritimes dont nous avons déjà donné l'historique, ayant fait comprendre aux vice-rois de la Nouvelle Espagne tout le parti qu'on pourrait tirer, de Ja Haute Californie et de ses ports magnifiques, ils résolu- rent de diriger vers ce territoire plusieurs explo- rations militaires par terre, tandis que les Mission- naires s'occupaient d'y fonder des établissements.
Par les ordres de Charles III , le marquis de Croix , vice-roi du Mexique , et l'inspecteur général {Fisitador) de ce royaume, Don Joseph
DANS LA BASSE CALIFORINIE. 255
de Galvez , abolirent, le 25 juin 1767, la Compa- gnie de Jésus, et confièrent aux moines Francis- cains du collège de San Fernando de Mexico , l'administration des missions que les Jésuites avaient seuls dirigée jusqu'alors avec tant de sa- gesse et de succès. Les diverses donations et les biens immeubles formant le fonds pieux de Cali- fornie (ybWo yWi«6/oj'o de California) passèrent aux mains des Franciscains. Seize de ces moines, aux ordres de leur préfet apostolique leR. P. Fr. Junipero Serra _, débarquèrent à Loreto , dans la Basse Californie, en avril 1768. Le 16 juillet de la même année, l'inspecteur général de la Nouvelle Espagne arriva en personne , porteur d'un ordre royal , lui enjoignant de fonder \n\ établissement, soit au port de Monte Rey , soit dans celui de San Diego.
Don José de Galvez et le Père Junipero, après avoir visité les Missions de la Basse Californie, convinrent d'établir dans la Haute, aux deux extrémités de la province , les Presidios et Mis- sions de San Carlos de Monte Rey et de San Diego , de manière à protéger tout le pays , en ajoutant comme point intermédiaire , la Mission de San Buenaventura. Deux corvettes, pourvues de tout ce qui est nécessaire à la création des nou- veaux établissements, furent expédiées en Call-
256 VOYAGES DE PORTALA
f'ornie. Indépendamment de son équipage, le San Carlos portait deux missionnaires , l'ingénieur Constanzo et le chirurgien français Prat, ainsi qu'une compagnie de soldats volontaires de la Catalogne , commandés par le capitaine Vila et le lieutenant Fages. Pendant son séjour au Presidio de Loreto , Don José Galvez fonda une école ma- ritime pour les Indiens , afin de les accoutumer à la manœuvre des bâtiments destinés à naviguer dans la Mer Vermeille et sur les côtes de la Nou- velle Galice, Sinaloa et Sonora.
Peu de temps après le départ des navires, l'ex- pédition par terre, formée de deux divisions et com- mandée par Don Gaspar de Portalâ , capitaine de dragons et premier gouverneur de la Californie , se mit en route. Don Fernando Rivera, capitaine d'une compagnie de cavaliers bardés de cuir {com- pafiia de la Cuerd), partit en avant comme explora- teur; il avait ordre de réunir dans les Missions tout le bétail disponible. Ayant trouvé à quarante lieues au nord de la Mission de San Francisco de Borja , qui était à cette époque la plus septentrionale de la Californie, un endroit nommé Vellicatâ par les Indiens, et qui lui parut de nature à remplir le but qu'on se proposait, il en fît part au Père Pré- fet, et le gouverneur Portalâ partit aveclaseconde expédition, composée d'une compagnie de soldats,
ET DE }\IVERA. 257
de muletiers et d'un grand nombre d'Indiens copi- vertis, Le ^. P. Crespi et un pilote hydrographe chargé de faire les observations et de tenir le jour- nal, complétaientréquipage,qui rejoignitheureu- sement la première expédition le 14 mai 1769, au port de San Diego. Dans l'endroit même où cette expédition avait campé, le P. Junipero fonda la Mission de San Fernando de Vellicatâ, qui compta bientôt trois cents Indiens baptisés. Le P. Président, conformément aux ordres royaux, fonda ensuite celle du port de San Diego. Ve^- dant ce temps , le gouverneur de la Californie , Don Gaspar Portalâ , avec une expédition de soixante-dix hommes , se dirigeait vers le nord pour y élever le Presidio de Monte Rey; mais la description inexacte que les marins lui en avaierjt faite , l'empêcha de reconnaître ce port. Il arriva cependant jusqu'à la baie de Francisco, et après six mois de fatigues inouïes , le 24 janvier 1770 , il rentra au port de San Diego.
Le 16 avril de la même année, la corvette San José fît voile pour Monte Rey , en même temps qu'une nouvelle expédition par terre dé- couvrait , après trente-huit jours d'exploration , ce port si longtemps cherché. Le nombre des bêtes de somme introduites en Californie par ces expéditions s'élevait à trois cepts environ , celui
268 FONDATION DE MISSIONS
des bêtes à cornes à deux cents. Ces bestiaux s'y multiplièrent rapidement et devinrent la base de la richesse des missions qui s'y établirent suc- cessivement. Le P. Junipero , de concert avec le gouverneur, ordonna aux ouvriers de l'expédi- tion de construire une chapelle et un presidio, qui d'abord formèrent la Mission de San Carlos de Monte Rey. Un peu plus tard , les fondateurs ayant reconnu que les bords de la baie n'offraient point une quantité suffisante d'eau pour l'irriga- tion des terres labourables , qui étaient d'ailleurs assez rares , firent transporter à une lieue et demie au sud , sur les bords d'une petite anse où se jette un ruisseau , la Mission de San Carlos, à laquelle ils donnèrent le nom de Mission del Carmelo. La nouvelle de l'occupation des ports de San Diego et Monte Rey causa une grande joie à Mexico \ et sur la demande du P. Junipero , le vice-roi, mar- quis de Croix , expédia trente nouveaux mission- naires franciscains qui s'embarquèrent à San Blas le 2 janvier 1771. L'intention du préfet aposto- lique était de fonder cinq Missions sur le terri-
* Extracto de noticias del puerto de Monte Rey, etc. Mexico , te de Agosto 1770. Imprenta del Superior Gobierno, con licencia del Exmo sor Vi-Rey.
Coutinuacion y suplernento del Viage de Don Pedro Fages, etc. Manuscrit appartenant à M. Ternaux Compaos.
PAR ORDRE DU MARQUIS DE CROIX. 259
toire compris entre San Fernando de Vellicatâ et le port de San Diego, et dix autres entre ce port et Monte Rey. Dans les lettres de ce véné- rable prélat, il s'intitule lui-même chef de ï esca- dron séraphique et apostolique chargé de la con- quête des âmes des pauvres Indiens. Rien n'est plus admirable que le courage qu'il déploya pour civiliser les tribus barbares au milieu desquelles sa charité l'avait appelé. Tous ses religieux mar- chèrent dignement sur ses traces. Pendant une de ses absences, les Indiens ayant tué le P. Louis Jayme , qui s'était présenté pour les apaiser, le P. Vicente Fuster se réfugia dans une petite ca- bane avec deux Espagnols , qui de là faisaient feu sur les Indiens. Ceux-ci , voyant que leurs flèches ne pouvaient atteindre les blancs, lan- cèrent des tisons embrasés sur le toit de la cabane formée de branchages. Le P. Vicente s'assit sur la poudre qu'il couvrit de sa robe , sans consi- dérer qu'une seule étincelle pouvait le faire sau- ter. Par cet acte d'intrépidité , il donna aux sol- dats espagnols la facilité de continuer leur feu , et à leurs camarades le temps de venir à leur se- cours.
En 1771, le marquis de Croix ayant accompli le temps de son gouvernement fut remplacé par le bailli de Bucareli. Les Dominicains de Mexico
260 LES DOMINICAINS EN CALIFORNIE,
obtinrent une cédule royale du roi d'Espagne, par laquelle il était ordonné aux Franciscains de leur confier l'administration d'une ou de deux missions. Le Père gardien du collège de San Fernando fît observer , avec raison , que la pro- vince de la Basse Californie ne pouvait être divi- sée , que ses limites naturelles étaient parfaitement tracées, qu'il pourrait y avoir de graves inconvé- nients à ce que deux ordres se trouvassent en concurrence sur le même territoire ; il concluait en offrant aux Dominicains, dans le cas oii ils voudraient se charger de la province entière, depuis le cap San Lucas jusqu'au port de San Diego exclusivement, de leur céder, avec toutes les missions administréesnaguèrepar les Jésuites, celle de San Fernando de Vellicatâ et les cinq autres qui restaient encore à fonder.
Le vice-roi fit assembler le conseil , et le 30 avril 1772, il rendit un décret pour mettre à exécu- tion la convention conclue entre les deux prélats. Ce ne fut cependant que le l^mai de l'année sui- vante , que les Dominicains entrèrent en posses- sion définitive de la Basse Californie , et que les Franciscains se retirèrent dans la Nouvelle, oii, pouvant concentrer tous leurs efforts sur un ter- ritoire moins vaste et plus fertile , ils ne tardèrent pas à obtenir des résultats dignes d'admiration. Au
DESCRIPTION D'UNE MISSION. 261
bout de quatorze ans, le Père Junipero, qui mourut en 1784, avait déjà fondé quinze missions d'Indiens ou pueblos de colons espagnols.
En même temps que les moines établissaient des missions pour civiliser les Indiens, les gouver- neurs fondaient des postes militaires nommés presidios , et des pueblos (villages) composés de soldats mariés et de colons blancs que l'on faisait venir de Sonora , de Sinaloa et de la Basse Cali- fornie. Comme ces trois genres d'établissements, missions, presidios et pueblos, sont tous formés sur le même plan , il suffira d'en décrire un pour donner une idée de tous les autres. Nous pren- drons pour type la mission consacrée à saint Louis Roi de France, qui est la plus belle et celle dont l'architecture est la plus régulière '.
DESCRIPTION D UNE MISSION.
L'édifice est un quadrilatère de cent cinquante mètres de front; l'église occupe une des ailes; la façade est ornée d'une galerie. Le bâtiment, élevé d'un étage, est généralement exhaussé de quel- ques pieds au-dessus du sol. L'intérieur est
' Voir dans l'Atlas la perspective n" 23 et le plan géométrique n" 24 de la mission de Saint-Louis Roi de France.
262 ORGANISATION INTÉRIEURE,
formé par une cour ornée de fontaines et plantée d'arbres. Sur la galerie environnante, s'ouvrent les portes des logements des moines , des major- domes, des voyageurs, celles des ateliers, des écoles, des magasins. IjCS infirmeriespourhommes et pour femmes sont situées dans les parties les plus paisibles de la Mission, oii se trouvent aussi les écoles. Des jeunes filles indiennes habitent des salles nommées le monastère {el monjerio), et elles- mêmes sont appelées les nonnes {las monjas). Les moines sont obligés de les renfermer pour les met- tre à l'abri de la brutalité des indigènes. Placées sous la surveillance de matrones indiennes dignes de confiance , elles apprennent à tisser la laine , le chanvre et le coton , et ne sortent du monas- tère que lorsqu'elles sont en âge d'être mariées. Les enfants indiens sont confondus dans les écoles avec ceux des colons blancs. Un certain nombre , choisisparmi les élèves quidéploientleplusd'intel- ligence, apprennent la musique, le plain-chant, le violon, la flûte, le cor, le violoncelle et autres ins- truments. Ceux qui se distinguent dans les ateliers de charpente, de forge ou dans les travaux del'agri- culture, sont nommés alcaldes ou chefs, et chargés de la direction d'un groupe de travailleurs.
Avant que le pouvoir civil eût été substitué au pouvoir paternel des religieux, le personnel de
, LE R. p. CAYALLERO. 263
chaque mission se composait de deux moines, le plus âgé chargé de l'administration intérieure et de l'instruction religieuse, le plus jeune de la di- rection des travaux agricoles. Les Franciscains avaient le soin d'apprendre quelques dialectes indiens; mais ils n'en étaient pas moins obligés souvent de se servir d'interprètes , tant est grande la variété des idiomes dans la Haute Californie, phénomène inexplicable qui se reproduit du reste dans toute l'Amérique. Les moines, pour mainte- nir l'ordre et les bonnes mœurs dans les missions, n'y employaient jamais que le nombre de blancs strictement nécessaire, car ils savaient bien que l'influence de ces derniers est toute corruptrice, et que leur fréquentation ne faisait que dévelop- per chez les Indiens les habitudes de jeu et d'i- vrognerie auxquelles ils ne sont malheureusement que trop enclins.
Pour encourager les Indiens au travail, les Pères mettaient souvent la main à l'œuvre et donnaient partout l'exemple. Il y a quelques années à peine que le Père Cavallero, président des Dominicains, est mort la charrue à la main, au milieu de ses néophytes de la mission de Notre-Dame de Gua- dalupe. La nécessité les rendait industrieux ; on est frappé d'étonnement en voyant qu'avec si peu de ressources, le plus souvent sans ouvriers euro-
2G4 INDUSTRIE DES MISSIONNAIRES,
péeris, à l'aide de populations sauvages d'une in- telligence presque nulle , et souvent hostiles , ils aient pu exécuter, indépendamment des travaux de grande culture, des ouvrages si considérables d'architecture, de mécanique, tels que moulins, machines et métiers, des ponts, des routes, des canaux d'irrigation. Il a fallu, pour la construc- tion de presque toutes ces missions , amener de huit et dix lieues sur le terrain choisi, des piè- ces de bois coupées souvent sur des montagnes escarpées, apprendre aux Indiens à faire la chaux, à tailler des pierres et à mouler des briques.
Autour de la mission , s'élèvent les bâtiments d'exploitation , les cabanes des néophytes et les maisons de quelques colons blancs. Outre l'éta- blissement central , il existe , sur une étendue de trente à quarante lieues carrées , des fermes ac- cessoires au nombre de quinze à vingt, et quelques chapelles succursales. En face de la mission se trouve un corps de garde oii logeait l'escorte des moines ; cette escorte était composée de quatre soldats de cavalerie et d'un sergent; elle servait aussi à faire le service des dépêches, à transporter des ordres d'une mission à l'autre , et à repousser les incursions des tribus sauvages qui , dans les premiers temps de la conquête, venaient assaillir les établissements.
DISTRIBUTION DU TRAVAIL. 265
Le régime de chaque communauté était le même. Les Indiens étaient divisés par escouades de travailleurs. Au lever du soleil , la cloche sonnait l'angel us, et tout le monde partait pour l'église. x\près la messe venait le déjeuner, puis l'on se rendait au travail. On dînait à onze lieu- ses. Le temps du repos se prolongeait jusqu'à deux heures , où l'on se remettait à l'ouvrage jusqu'à l'angelus du soir, une heure avant le coucher du soleil. Après la prière et le rosaire , les Indiens soupaient , se livraient à la danse et à quelques jeux. Leur nourriture se composait de viandes fraîches de bœuf et de mouton à discré- tion. Ils faisaient avec la farine de blé et le maïs des galettes, et des bouillies nommées atole et pinole. Ils recevaient aussi des pois , des fèves ou haricots, en tout un almud ou douzième de fanega par semaine, c'est-à-dire environ un hec- tolitre par mois. Ils portaient pour vêtements une ■chemise de toile, un pantalon et une couverture de laine ; toutefois les alcades et les meilleurs travailleurs avaient des habits de drap comme les Espagnols. Les femmes recevaient tous les ans deux chemises, une robe et une couverture. Lorsque les cuirs, les suifs , les céréales , le vin , l'huile se vendaient bien aux navires étrangers , les moines faisaient aux Indiens des distributions
266 RÉPARTITION DES PRODUITS,
de mouchoirs, de vêtements, de tabac, de cha- pelets, de verroteries, et employaient le surplus des bénéfices à l'embellissement des églises, à l'achat des instruments de musique , de tableaux, d'ornements sacerdotaux, etc. Toutefois ils avaient soin de garder une partie des récoltes dans les greniers, par crainte des années de disette.
Ce qu'il y a de remarquable dans l'établisse- ment de ces missions , c'est qu'elles ne coûtaient aucun sacrifice au gouvernement. Dans l'origine des fondations de la Basse Californie, les vice-rois fournissaient quelques secours. Philippe V leur accorda dans les premières années de son règne une somme de treize mille piastres ; mais, en 1735, les Jésuites ayant reçu des donations considéra- bles , surent si bien les administrer , que non- seulement ils purent suffire aux besoins de leurs missions, mais encore acheter de nouveaux ter- rains. En 1767, une dame de Guadalajara, Dona Josefa de Miranda , laissa par son testament au collège de la Compagnie de cette ville, un legs de plus de cent mille piastres fortes, que les Jésuites, en butte déjà aux calomnies de toute l'Europe, eurent la délicatesse de refuser'.
Les possessions du fonds pieux de Californie,
' Clavigero, t. II, p- 170. Op. cit.
BIENS DES MISSIONS. 267
avec leurs accroissements successifs, se composent aujourd'hui :
Des domaines {haciendas) de San Pedro , del Torreon, del Rincon , de las Golondrinas ren- fermant plusieurs mines, des bâtiments d'exploi- tation et d'immenses troupeaux, avec des terrains de plus de cinq cents lieues carrées, le tout situé dans le nouveau royaume de Léon ou province de Tamaulipas. Ces biens furent donnés volontai' rement à la Compagnie par le marquis de Villas Puente, grand chancelier de la Nouvelle Espagne, et par sa femme, la marquise de las Torres, le 8 juin 1735'. D'autres legs enrichirent la société de Jésus de propriétés considérables, existant près de San Luiz de Potosi , de Guanajuato et Guadalajara.
Le domaine connu sous le nom hacienda de la Ciénega del Pastor, qui s'élève près de cette dernière ville, malgré son état de délabrement et sa mauvaise administration, est encore affermé annuellement pour plus de vingt-quatre mille piastres. Un autre domaine appartenant à la Compagnie, la hacienda de Chalco, est joint au Fonds pieux qui possède, en outre, un très-grand
' Archives du notaire royal Don Pedro del Valle, à Mexico, aujourd'hui en possession de D. Rainon Villalobos.
I. i8*
208 PRODUITS DU FONDS PIEUX.
nombre de maisons et autres immeubles situés
dans les villes , particulièrement à Mexico.
En 1827, le gouvernement enleva violemment une somme de soixante-dix-huit mille piastres en espèces, déposée à l'hôtel des monnaies de la capitale, et qui provenait de la vente de Arroyo Zarco, propriété de la Compagnie. Le Fonds pieux fut aussi dépouillé d'immenses terrains par le con- grès de Jalisco, et nous avons déjà dit que le président Santa Anna avait vendu en entier le Fonds pieux à la maison del Baraio et à MM. Ru- bio frères.
Sous le gouvernement espagnol , les revenus montaient à près de cinquante mille piastres qui servaient à payer le traitement {sinodo) des Moines , quinze Dominicains à six cents piastres et quarante Franciscains à quatre cents. Ce total de vingt-cinq mille piastres une fois distrait , le reste était employé à l'achat d'étoffes, machines, outils, objets de sacristie et ornements pour le culte. Le gouvernement royal remboursait au procureur des Missions à Mexico, la valeur des fournitures de toute espèce faites par les Missions aux compagnies présidiales. Le procureur con- vertissait cet argent en marchandises qu'il expé- diait par terre à ses frais au port de San Blas , et de là, deux fois par an, des frégates les transpor-
DE CALIFORNIE. 2G9
taient gratuitement dans les divers ports de la Californie.
Durant le règne florissant de Charles III, le port et l'arsenal de San Blas avaient pris une grande importance. Un agent intelligent, envoyé par le gouvernement espagnol , était venu enseigner aux religieux la préparation du chanvre, et comme le terrain de plusieurs Missions réunissait des conditions favorables à la culture de cette plante , les Moines s'y adonnèrent avec assez de succès pour qu'ils pussent tous les ans en expé- dier de grandes quantités à la corderie de San Blas. La valeur de ces produits était exactement payée par le trésor royal au procureur des Mis- sions à Mexico.
Depuis plus de vingt ans, cette branche pré- cieuse d'industrie est demeurée inactive, et, dans tous les ports de la côte occidentale du Mexique, les navires ne peuvent se procurer, à des prix souvent fort élevés, que des cordages, venant d'Europe ou des Etats-Unis.
De 1811 à 1818, et depuis 1823 jusqu'en jan- vier 1831 , les Missionnaires cessèrent de toucher régulièrement leurs appointements , à cause des troubles politiques qui, à ces époques, agitèrent l'Espagne et le Mexique. Ainsi , en ajoutant aux sommes dues aux seuls Franciscains de la Haute
i8.
270 DILAPIDATIONS.
Californie, et s'élevant à cent quatre-vingt-douze mille piastres, les soixante-dix-huit mille violem- ment arrachées aux religieux , les deux cent soixante-douze mille piastres dont les Missions de la Haute Californie étaient à découvert pour four- nitures faites aux troupes des présidios, et les revenus des domaines du Fonds pieux pendant plus de dix ans , on obtiendra un total de plus d'un million de piastres , dont le gouvernement mexicain a dépouillé l'association des Missions , au mépris formel, des intentions des testateurs'.
Le 25 mai 1832, le Congrès de Mexico rendit un décret par lequel le pouvoir exécutif était chargé d'affermer pour sept ans les domaines du Fonds pieux , en en faisant entrer les produits à la tré- sorerie nationale. Un second décret du Congrès , du 19 septembre 1 836, ordonnade mettre le Fonds pieux à la disposition du nouvel évêque de Cali- fornie et de ses successeurs , afin que ces prélats , auxquels l'administration en était confiée, pus- sent l'employer au développement des Missions ou entreprises analogues , en respectant toujours la volonté des fondateurs.
Le 8 février 1842 , le général Santa Anna, pré-
' Memoria presentada al Congreso en Eiiero de 1831 por D. Lucas Alaman , Ministro de Relacionos.
GOUYERNEMEIST ECCLÉSIASTIQUE. 271
sident provisoire , agissant en vertu de son pou- voir discrétionnaire , enleva , malgré ses protes- tations, à l'évêque de Californie, l'administration du Fonds pieux, et, par un décret du 21 du même mois, en chargea le général Valenci a, chef d'état- major de l'armée'. Pour quiconque connaît le pays, le mot administrer avait un sens assez clair. Ce fut , avant la vente définitive, le dernier coup porté à l'organisation créée par les Jésuites. Ajoutons cependant, pour être juste, que jusqu'au- jourd'hui le peu de Franciscains qui restent eu Californie ont reçu un secours annuel de quatre cents piastres en marchandises cotées à des prix exorbitants.
Tant que les Moines conservèrent la direction absolue, temporelle et spirituelle, des Missions, ils dressèrent chaque année un état exact des naissances, mariages et décès des Indiens, de la quantité des semences, des récoltes et de l'accrois- sement des bestiaux; mais ils n'étaient point astreints à détailler minutieusement l'emploi des produits , car on les savait dévoués à l'intérêt de leurs néophytes qui leur tenaient lieu d'enfants et de familles. Ces états, envoyés au préfet aposto-
' Voir : « Diario del Gobierno de la Républica Mexicana , « II" des 8 et 21 février 1842.
272 DÉSINTÉRESSEMENT
lique, étaient communiqués au gouverneur de la province , qui les transmettait au vice-roi du Mexique et au roi d'Espagne, et plus tard au Gouvernement de Mexico. Une copie de ces do- cuments était également adressée au Collège royal de San Fernando, par l'entremise duquel ils parvenaient au commissaire des Indes à Ma- drid , supérieur des Franciscains en Amérique , qui avait soin, à son tour, de les faire passer au Général de l'ordre à Rome.
Pendant que le Gouvernement de Mexico s'em- parait du Fonds pieux et enlevait aux religieux l'administration temporelle des Missions, sesagents travaillaient avec ardeur à piller les établissements et à détruire les bestiaux qui en constituaient la fortune. Déjà en 1822, à l'époque malheureuse de la séparation avec l'Espagne , quelques parti- sans du nouveau gouvernement firent entendre le mot de sécularisation.
Néanmoins les Missionnaires espagnols purent résister jusqu'en 1830, mais en 1831 , le R. P. Président Sanchez, qui s'était courageusement opposé à l'envahissement du pouvoir civil, étant mort de douleur, la plupart des religieux, expo- sés à d'indignes traitements, se décidèrent à quit- ter le pays , et l'on vit ces hommes qui avaient consacré trente et quarante années de leur exis-
DES MISSIONNAIRES ESPAGNOLS. 27 3
tence à éclairer et à civiliser les Indiens; qui étaient parvenus à force de travail à les arracher à leur vie nomade , à élever des immeubles agri- coles et des bestiaux d'une valeur considérable; qui avaient eu en main l'administration de som- mes immenses , s'élevant parfois à plus de cinq cent mille francs , on vit, disons-nous, ces reli- gieux vénérables s'éloigner d'une terre qu'ils avaient arrosée de leurs sueurs et fécondée par la parole apostolique, n'emportant pour toute ri- chesse qu'une robe de laine grossière !
C'était une loi fondamentale de l'établissement des Missions espagnoles, que les produits des travaux et le sol lui-même appartenaient aux Indiens; les religieux en étaient seulement les administrateurs et les directeurs. Le principe sacré : Pater est tutor ad bona Indiorum , rece- vait une exécution sévère, et les prélats veillaient soigneusement à ce que les Missionnaires ne pris- sent sur les revenus que ce qui leur était stric- tement nécessaire pour leur nourriture et leur habillement. Les PVanciscains observent, du reste, le vœu de pauvreté et ne peuvent rien posséder en propre.
Sous le gouvernement espagnol , tous les Mis- sionnaires étaient soumis à l'autorité d'un prési- dent ou préfet apostolique , membre comme eux
274 INSTITUTION DE L'EVÉCHÉ
du Collège royal de San Fernando de Mexico. Dans la Basse Californie, les Dominicains ont aussi leur président particulier.
En 1833, le nombre des Franciscains espagnols se trouvant très-réduit par le départ ou la mort de plusieurs d'entre eux, et le Collège de Mexico ne pouvant les remplacer, le gouvernement s'a- dressa au Collège de Notre-Dame de Guadalupe, de la ville de Zacatecas, qui envoya dix de ses membres dans la Nouvelle Californie. Le clergé mexicain ne tarda pas à se trouver en opposition avec les anciens moines espagnols, qui, par leur conduite exemplaire et leurs mœurs austères, for- maient un contraste frappant avec les habitudes relâchées des créoles. Aussi, pour éviter toute discussion, les deux ordres se séparèrent; le cli- mat du sud convenant mieux à l'âge des Francis- cains espagnols , ils se retirèrent dans les Missions du midi, tandis que les moines mexicains prirent l'administration de celles du nord.
Jusqu'alors les papes avaient accordé par diffé- rentes bulles, au préfet apostolique, des pouvoirs épiscopaux '. Le 27 avril 1840, Grégoire XVI ins- titua l'évêché des Californies et nomma à ce siège
* Bulle de Léon X, 25 avril 1521, d'Adrien VI, 9 mai 1522, de Clément XIV, 16 juin 1774 . Archives de la Mission dcl Carmelo.
DES CALIFORNIES. 275
leR. P. Francisco Garcia Diego, Franciscain mexi- cain, qui avait été quelque temps missionnaire; désignant d'ailleurs San Diego pour sa résidence comme point central entre les deux provinces. L'évêque , toutefois , par diverses raisons , n'est arrivé en Californie qu'en janvier 1842, et comme la Mission de San Diego est très-pauvre, et qu'il ne reçoit du gouvernement que peu de secours, il établira sa résidence dans la Mission qui lui of- frira le plus de ressources. Il s'est fixé provisoire- ment au pueblo de Santa Barbara.
L'influence de l'évêque, dans les circonstances actuelles, ne saurait être bien efficace; son âge avancé et son éducation mexicaine ne lui permet- tront d'entreprendre aucune de ces conquêtes spirituelles , ni de ces fondations imposantes qui ont fait la gloire des Missionnaires espagnols. Il faut , pour ériger de nouveaux établissements ou pour relever ceux tombés en ruine, des hommes jeunes, ardents, de mœurs pures, animés d'un grand zèle , et ne reculant devant aucune fatigue ni aucun danger. On ne doit pas s'y tromper ; ce n'était pas seulement par le prosélytisme religieux que les anciens Missionnaires s'efforçaient d'atti- rer les Indiens ; ceux-ci , en effet , entendaient rarement l'espagnol, et les moines ne savaient pas toujours les idiomes des tribus. Dans l'oeuvre de
276 SYSTÈME DES MISSIONNAIRES,
la conversion , si la religion était le but, le bien- être matériel était le moyen. Les Missionnaires avaient résolu le grand problème de rendre le travail attrayant. Ils avaient fait comprendre aux Indiens qu'étant groupés autour des Missions, ils étaient à l'abri des attaques des tribus hostiles, et qu'ils trouveraient plus aisément et plus abon- damment leurs moyens de subsistance en se livrant aux travaux faciles et variés des Missions , qu'en les cherchant dans les produits incertains et pé- rilleux de la chasse et de la rapine.
Aux époques de l'année où les travaux agri- coles étaient forcément suspendus , un certain nombre de néophytes retournaient dans leurs tribus. Les récits qu'ils ne manquaient pas de faire à leurs parents sur le bien-être dont on jouis- sait dans les Missions , engageaient ceux-ci à se rendre dans les établissements voisins, oii les moines les accueillaient avec bonté et les rete- naient par des présents. Parfois, ces derniers eux- mêmes entreprenaient des voyages d'exploration parmi les tribus sauvages, et parvenaient, parla persuasion non moins que par l'appât des ca- deaux , à se faire suivre des Indiens idolâtres ; mais il est de toute fausseté que pour atteindre ce résultat ils aient jamais employé la force.
Il est vraiment déplorable de voir des écrivains
RÉSULÏAÏ COMPARATIF. 277
étrangers injurier le clergé espagnol après en avoir reçu l'accueil le plus hospitalier. Le capi- taine Beechey et M. Forbes, pleins de la roideur anglaise et imbus de l'esprit d'intolérance du pro- testantisme, se sont efforcés de déverser le ridicule et le blâme sur les travaux des Missionnaires ^ Les faits cependant leur donnent unéclatantdémenti. Que sont devenues, en effet , sous la direction des méthodistes, des anabaptistes et des autres sectaires, les populations des ilesd'Otaiti.^ A peine comptent-elles aujourd'hui six mille habitants. Gomment le groupe de Sandwich , où le capi- taine Cook avait trouvé quatre cent mille indi- gènes , en a-t-il à peine cent mille au moment oii nous écrivons.^ Lorsque les colons anglais arri- vèrent sur les côtes de la Nouvelle Angleterre et de la Pensylvanie, ces pays étaient occupés par des nations nombreuses et puissantes. Mainte- nant, à l'exception des malheureux Séminoles , dont les tentatives d'extermination ont déjà coûté plus de six millions de dollars au gouvernement de Washington , on ne rencontre plus un seul Indien sur toute la côte des Etats-Unis. Dans les possessions espagnoles, au contraire, au Mexique,
' Beechey, Narrative of a Voyage to the Pacific Océan. London 1831.
Forbes, a Hislory oiUpper and Lower California. Lomlon 1831,
278 ÉDUCATION PATERiNELLE.
dans la Nouvelle Grenade , au Chili , à Buenos Ayres même, aux Philippines , partout en un mot où le catholicisme a étendu sa bienfaisante in- fluence , il existe des nations entières d'indigènes ayant conservé leurs mœurs , leurs langues, leurs usages sous l'administration patriarcale des curés. Nous avons dit ailleurs de quelle surprise est frappé le voyageur en voyant à côté de villages indiens dont les terres sont cultivées avec un soin extrême et où le système d'irrigation est parfait, des pueblos de blancs en proie à la plus profonde misère, sous le régime libre delà plupart des soi- disant Républiques.
Bien que l'intelligence inférieure des Indiens ne leur permît pas toujours de comprendre les mystères de la Religion , les moines , à l'aide de notions nettes et claires , parvenaient à leur en faire entrevoir les principales vérités. Ils s'appli- quaient surtout à développer en eux l'instinct moral et des goûts laborieux. Leurs rapports avec les indigènes étaient tout paternels ; ils se tu- toyaient et se traitaient réciproquement de père et de fils. Chaque fois qu'un moine rencontre un Indien il le salue par ces mots « Aimer Dieu, mon fils ! — Aimer Dieu , mon père! répond le néo- phyte » ( Amar à Dios , hijo! Amar à Dios , padre!) Bien qu'il ne soit pas sans exemple que
DESCRIPTION D'UN PRÉSIDE. 279
les Indiens, à l'instigation des sorciers et des de- vins des tribus , jaloux de l'influence des moines , aient massacré ces derniers , ils les considèrent comme des êtres presque surnaturels, et c'est surtout depuis qu'ils ont vu en Californie les Missions élevées de leurs propres mains , et les bestiaux réunis à grande peine par leurs soins , détruits et pillés par les agents mexicains, et qu'ils ont eu à subir eux-mêmes leurs mauvais traite- ments , qu'ils regrettent amèrement l'administra- tion de ces hommes charitables qui savaient allier la bienveillance à la plus stricte équité , et auprès desquels ils trouvaient toujours des secours dans leursbesoins, etdes consolations dans leurs peines.
DESCRIPTION D UN PBESIDIO.
Les Presidios étaient tous établis sur un plan analogue. On choisissait un emplacement favo- rable et on l'entourait d'un fossé de quatre mè- tres de large sur deux de profondeur. La terre du déblai servait d'épaulement extérieur. L'en- ceinte du Presidio était formée par un quadrila- tère de deux cents mètres de front environ. Le rempart ou muraille , construit en briques , avait quatre à cinq mètres de haut sur un d'épaisseur; de petits bastions flanquaient lesangles; le Pre-
280 ARMEMEÎST DE LA COTE,
sidio n'avait que deux portes. Son armement en- tier se composait généralement de huit pièces de canon en bronze , du calibre de huit , douze et seize. Incapables de résister à une attaque sé- rieuse faite par des navires de guerre , ces forti- fications étaient suffisantes pour repousser les in- cursions des Indiens. Non loin des Presidios , et suivant la topographie du terrain, s'élevaient des batteries découvertes, pompeusement décorées du nom de castillo (château). Dans l'enceinte du Préside se trouvaient l'église , les logements des officiers et des soldats, les maisons de quelques colons , des magasins , des ateliers , des écuries , des puits et des citernes. En dehors, se groupaient quelques habitations , et à une petite distance on rencontrait la ferme àuYo'\{el raiicho delrey), destinée à fournir des pâturages aux chevaux et aux bêtes de somme de la garnison.
Quatre batteries de côte et quatre Presidios défendaient la Haute Californie : ceux de San Diego , de Monte Rey, de San Francisco et de Santa Barbara; le premier fondé en 1769, le se- cond l'année suivante, le troisième en 1776, et le dernier en 1780. Dès l'année 1770, l'infanterie fut remplacée dans toutes les garnisons par des soldats de cavalerie nommés compafiias de la cuera (compagnies bardées de cuir). En effet , ces
COMPAGNIES PRÉSIDIALES. i>8i
soldats, qui formaient les garnisons présidiales de toute la Nouvelle Espagne, portaient, indépen- damment de l'uniforme ordinaire en drap, une sorte de robe en peau de daim assez semblable à une cotte de mailles qui ne pouvait être traversée par les flèches, et qui descendait jusqu'aux pieds. Ils n'endossaient cet uniforme qu'en campagne et au moment du combat; leur tête était couverte d'un casque à deux visières ; un bouclier en cuir, passé au bras gauche , leur servait à repousser les flèches et les coups de lance dans les luttes corps à corps, alors que se défendant avec le sabre ou la lance, ils ne pouvaient faire usage de leurs pistolets ni de leurs mousquets. Les chevaux eux- mêmes, comme ceux des anciens chevaliers, étaient couverts d'une armure en cuir.
Dans les premiers temps de la conquête, les troupes et les colons venaient par terre de San BlaSjOu, après avoir débarqué de Sonora à Lo- reto , elles remontaient par terre à travers la Vieille Californie. Dans un voyage que le R. P. Ju- nipero Serra fît à Mexico, en 1773, il représenta vivement au Bailli de Bucareli, alors investi des fonctions de vice-roi , la longueur et les difficul- tés de ce voyage, et au mois d'août celui-ci donna l'ordre à Don Juan de Anza , capitaine du Pré- side de Tubac dans la Haute Sonora, de se ren-
282 EXPÉDITION PAR TERRE,
dre à MonteRey avec des colons et des sol- dats , en traversant les Rios Gila et Colorado , et en suivant la route indiquée en 1770 par le R. P. Garces, Franciscain, qui avait exploré seul ces contrées. L'expédition , partie de Sonora en septembre, arriva heureusement à MonteRey, d'où le capitaine Anza repartit en mai 1774 pour Mexico par la même route, dans le but de ren- dre compte au vice -roi des circonstances du voyage. Celui-ci fut tellement satisfait du succès de cette expédition , qu'il enjoignit au capitaine Anza d'en préparer une seconde entièrement aux frais du trésor royal '.
Cet officier, accompagné de plus de cent per- sonnes et d'un certain nombre de bestiaux , par- tit de la ville de San Miguel de Horcasitas , dans la province de Sonora, le 29 septembre 1775. Il arriva sans accident à la Mission de San Ga- briel, le 4 janvier 1776. Le voyage avait duré trois mois , à cause des haltes qu'il fallut faire pour laisser reposer les chevaux et surtout les bêtes à cornes. Diverses expéditions se succé- dèrent jusqu'en 1777.
A cette époque, le roi d'Espagne créa la Capi- tainerie générale des Provinces internes , indé-
' vida del P. Junipcro Soria, pag. 201, op. cit.
DE SONORA EN CALIFORNIE. 283
pendante de la vice-royauté de Mexico , et com- prenant le Nouveau Mexique , la Sonora et les Galifornies , qu'il confia au chevalier Théodore de Croix. Ce dernier, en se rendant à son poste , s'arrêta le 15 août à Querétaro, et donna ordre aux Franciscains du collège de la Santa Crùz de cette ville d'élever deux Missions sur les bords mêmes du Rio Colorado, pour faciliter le passage de Sonora en Californie, et offrir un lieu de repos et un point d'appui aux caravanes *.
Ces deux Missions furent malheureusement éta- blies d'après un nouveau système. Elles n'eurent point de Presidios pour les soutenir , bien que chacune d'elles dût être défendue par huit sol- dats" commandés par un enseigne. Autour de la Mission, on établit les huit colons chefs de famille qui avaient amené des troupeaux. Les religieux , au nombre de quatre, ne devaient s'occuper que de l'administration spirituelle , les Indiens conti- nuant à vivre dans leurs tribus, hors de la surveil- lance des Pères, au lieu d'être groupés autour des Missions, comme cela avait lieu dans la Haute Californie. On fonda deux Missions sur la rive droite au-dessus de l'embouchure du Rio Colo-
' Cronica Apostolica del Colegio de la Santa Cniz de Querétaro. Mexico 1780, vol. I.
I. 19
284 MISSIONS DU RIO COLORADO
rado. La première fut placée sous l'invocation de San Pedro et San Pablo , et la seconde , située à trois lieues plus au sud , sous celle de la Purisima Concepcion. Elles étaient éloignées de soixante lieues à l'est du port de San Diego, et de quatre- vingts de la Mission de San Gabriel.
Le chevalier de Croix envoya plus tard , en 1781, le capitaine Don Fernando Rivera, à la tête d'une compagnie de soixante-quinze hommes de cavalerie , de près de cent colons et de leurs familles , avec deux mille têtes de bétail , pour fonder le Presidio , le Pueblo et les trois Missions projetées le long du canal de Santa Bar- bara, et le Pueblo de Nuestra Seîiora de los An- geles , sur le petit Rio de Porciûncula. En arri- vant au Rio Colorado, le capitaine Rivera expédia le convoi vers Monte Rey, et lit une halte avec sept soldats sur les bords de ce fleuve pour lais- ser aux bestiaux le temps de se reposer. Les In- diens Yumas qui habitent ces parages, avaient vu avec peine l'établissement des nouveaux colons , parce que ceux-ci s'emparaient du peu de terres labourables situées près du rivage , et empê- chaient les Indiens de faire leurs semences accou- tumées de mais , haricots , melons et calebasses. Leurs bestiaux détruisaient les pâturages , où les indigènes trouvaient naguère du gibier en abon-
DÉTRUITES PAR LES INDIENS. 285
dance, ainsi que diverses espèces d'orge et d'avoine silvestre dont les graines bouillies ou torréfiées offrent un aliment agréable. A ces griefs, les sol- dats espagnols en ajoutèrent d'autres; ils maltrai- tèrent quelques Indiens et leurs femmes; et comme les Missionnaires n'avaient aucune autorité tem- porelle , les tribus commencèrent à prendre les blancs en haine et résolurent de les exterminer. Les religieux ayant eu connaissance de ces pro- jets, engagèrent les soldats à plus de modération et de prudence ; mais ceux-ci ne tinrent aucun compte de ces sages conseils.
La vengeance ne se fit pas attendre. Un di- manche du mois de juillet, après la messe, les Indiens, au nombre de plusieurs mille, assailli- rent à la fois les deux Missions, y mirent le feu, tuèrent le capitaine Rivera avec ses soldats, pres- que tous les colons , et les quatre Pères francis- cains qui , aussitôt que le massacre avait com- inencé, s'étaient mis à exercer leur saint ministère. Les Indiens pillèrent les maisons , s'emparèrent de tous les bestiaux, et emmenèrent avec eux les prisonniers qu'ils purent découvrir. Un seul soldat, placé sur la rive gauche du Rio Colo- rado , s'échappa et porta cette triste nouvelle au premierpresidiodelaSonora. Presqu'en même temps , un enseigne et quelques soldats qui arri-
286 ORGANISATION ESPAGNOLE,
valent de la Basse Californie , où ils l'avaient ap- prise des Indiens de la frontière, la communi- quaient au gouverneur de Californie Don Felipe de Neve, qui se trouvait à la Mission de San Ga- briel. Ce gouverneur expédia aussitôt l'enseigne avec neuf vétérans vers les Missions détruites. En arrivant sur le lieu du massacre , celui-ci trouva les établissements brûlés et les cadavres gisants sans sépulture. Il ne tarda pas à être attaqué par les Yumas qui lui tuèrent deux hommes et le for- cèrent de regagner en toute hâte San Gabriel. Instruit de ce fait , le capitaine général des Pro- vinces internes donna l'ord re au colonel Don Pedro Fages de partir avec un corps de dragons de Catalogne et de soldats de la Cuera^ pour aller venger leurs compatriotes. Ces troupes traversè- rent le Colorado , arrivèrent sur le lieu du dé- sastre, recueillirent les corps des missionnaires, et parvinrent à racheter tous les captifs; maisellesne purent châtier les Indiens, qui eurent soin d'opé- rer cette transaction de loin, par signes, et en se tenant toujours hors de la portée des armes à feu. Cette triste expérience démontra au chevalier de Croix que l'ancien plan adopté pour la créa- tion des Missions, et qui abandonnait aux moines la direction spirituelle et temporelle, était le seul qui pût avoir du succès. Aussi donna-t-il ses
FORCE MILITAIRE. 287
soins à la fondation seule des pueblos et à l'en- tretien des presidios, et l'on vit se développer rapidement ce triple système si admirable de co- lonisation espagnole : religieuse par les missions, civile par les pueblos, et militaire par les présides.
Sous le gouvernement espagnol , la garnison de la Haute Californie était composée de la ma- nière suivante. Le gouverneur avait ordinaire- ment le grade de lieutenant-colonel. Chacun des quatre presidios était commandé par un lieute- nant et un enseigne, et gardé par une compagnie présidiale d'environ soixante-dix cavaliers. Ces compagnies détachaient, dans chaque mission et chaque pueblo , quatre ou cinq hommes avec un sergent, pour la garde des religieux et le transport des dépêches. La présence de ces soldats suffisait généralement pour imposer aux Indiens.
La solde , l'habillement, l'armement et les ra- tions de ces troupes coûtaient par an cinquante- cinq mille piastres. Le gouverneur en recevait quatre mille ; les lieutenants cinq cent cinquante, l'officier de santé quatre cent cinquante, les ensei- gnes quatre cents, les sergents deux cent soixante- cinq, les caporaux deux cent vingt-cinq, les soldats deux cent dix-sept. Il existait, en outre, un fonds commun de gratification annuelle de dix piastres par homme, A chaque presidio étaient attachés un
288 DESCRIPTION D'UN PUEBLO.
charpentier et deux forgerons, avec une solde spéciale de cent quatre-vingts piastres par an. Chaque soldat avait sept chevaux et une mule qui étaient confiés aux soins d'un muletier habi- tant la ferme royale, appartenant aux présides ; un nombre suffisant de soldats d'artillerie étaient en outre fournis par le département de la marine de San Blas. Nous avons déjà dit que les missions vendaient en grande partie les vivres aux presidios, et qu'elles étaient remboursées en argent à Mexico'.
DESCRIPTION D UN PUEBLO.
Les pueblos espagnols ont quelques points de ressemblance avec les bourgs et les villa- ges d'Europe; c'est une agglomération de mai- sons, de jardins, de terres cultivées, dont l'église est le centre. Les lois de colonisation sont dignes d'approbation; voici leurs dispositions principales^. Le gouverneur choisit les terrains ,
■ Voir : Real reglamento de la provincia de Californias, Mexico 1784, et Archives du Gouvernement à Monte Rey.
' Voir, sur les encouragements pour peupler l'Amérique, la cédule de l'Empereur Charles- Quint, du 9 septembre 153J, dans
RÉPARTITION DES TERRES. ^89
en ayant soin qu'ils soient boisés, arrosés et d'un accès facile. Chaque colon {poblador) reçoit quatre portions de terres labourables {sitio ou suerté), équivalant à quatre hectares, et un mor- ceau de terre pour la construction d'une maison, avec la condition qu'elle s'élèvera sur l'aligne- ment d'une rue ou d'une place ^ Ces terres, qu'il était ordonné de planter de dix arbres fruitiers par hectare, étaient inaliénables; elles ne pou- vaient être hypothéquées ni vendues, et étaient seulement transmissibles par succession. Ces con- ditions ont été récemment abolies par un décret qui admet les étrangers à posséder des terres au Mexique ^.
Indépendamment des terrains réservés pour les nouveaux colons , il en existait d'autres destinés au domaine royal et à la pâture commune, ainsi que des bois publics pour chaque municipalité. Les colons recevaient la ration et cent vingt piastres par an, les deux premières années, et
la Coleccion de documentos inéditos para la Historia de Espana, por Navarrete, Salvâ y Baranda. Madrid 1843; et avant tout, les ad- mirables : Leyes de Indias.
' Un carré de deux cents vares de Castille de côté. 1 vare =: 84 centimètres.
' Décret du Président Santa Anna, du 11 mars 1842, publié of- ficiellement dans le Diario del Gobierno.
290 SYSTÈME
soixante piastres les trois années suivantes. Pen- dant ces cinq ans , ils étaient exempts des dîmes et des contributions de toute espèce. On leur four- nissait en outre, à leur arrivée, une paire de bœufs de labour, deux juments, deux vaches et leurs veaux , deux moutons et deux chèvres , des cochons, des poules, une mule de charge , deux chevaux de selle , une lance , un bouclier , une armure en cuir, un fusil et des munitions, des charrues , bêches , socs et autres instruments ara- toires , des haches et des outils de charpentier. Il était défendu aux colons de tuer les animaux^ avant de posséder quinze vaches, un taureau, quinze ju- ments et un cheval entier, douze brebis et un bé- lier, dix chèvres et un bouc. Au bout de ce temps, le colon était tenu de rendre à l'agent du trésor royal tout ce qu'il en avait reçu.
Après que les familles avaient prélevé sur les ré- coltes de grain ce qui était nécessaire à leur subsis- tance et aux semences de l'année, elles devaient vendre le surplus au trésor pour l'approvisionne- ment des presidios, en réservant toutefois un bois- seau {almud) de mais par personne pour former le fonds commun de la municipalité. Un haras et une forge commune étaient établis dans chaque pueblo. L'obligation était imposée à chaque chef de famille de posséder deux chevaux équipés avec
DE COLONISATION CIVILE. 291
l'armement de deux cavaliers, pour être toujours prêts à marchera la première réquisition du gou- verneur.
De cette manière, la population s'aguerrissait, et l'on recrutait parmi elle, des jeunes gens pour remplacer, dans lescompagnies présidiales, les sol- dats qui retournaient en Espagne ou se mariaient et devenaient colons {pobladores). Philippe II, surtout, favorisa par les règlements les plus sages le développement colonial en Amérique. Non con- tent de faire des lois protectrices pour les indigè- nes, il donna, dès 1575, l'ordre au vice-roi Don Martin de Almanza de faire écrire l'histoire de la conquête du Mexique, de réunir les documents à cet effet, et il envoya en outre à cette époque, pour explorer scientifiquement la Nouvelle Espagne , son cosmographe Dominguez et le savant Hernan- dez , son médecin.
Le commissaire du trésor royal tenait note des terrains accordés, et délivrait les titres de conces- sion au nom du roi. Cet agent avait toujours des outils et des bestiaux à distribuer pour le compte du gouvernement, car les Missions de Californie étaient elles-mêmes si pauvres, que les huit premières furent fondées avec chacune dix-huit têtes de bétail. Quant à la police intérieure et à l'administration de la justice, le gouverneur nom-^
292 ORGANISATION MUNICIPALE,
mait , pour les deux premières années , les alcaldes et les membres de la municipalité [ayuntamiento). Ce temps révolu , les habitants choisissaient eux- mêmes les fonctionnaires, en soumettant leur no- mination à l'approbation du gouverneur delà province.
Une escouade de quatre soldats avec un ser- gent était chargée, dans chaque pueblo, de main- tenir l'ordre , de contenir les Indiens et de faire le service de courriers. Un des deux moines de la mission la plus voisine devait remplir les fonc- tions de chapelain du pueblo ou presidio, et enfin, pour la fondation de chaque nouvelle mis- sion, le gouverneur accordait la somme de mille piastres.
Ce plan de presidios , missions et pueblos fut établi et mis à exécution en vertu de diverses cé- dules royales, depuis 1769 jusqu'à l'époque delà séparation de la Nouvelle Espagne avec la Mère patrie. C'est à l'observation de ces sages règlements que les vingt et une missions de la Haute Califor- nie durent leur création et leur richesse.
BEVOLUTIONS DE CÀLIFOBNIE.
En i822, la révolution de Mexico fut annoncée
RÉVOLUTION DE CALIFORNIE. 293
en Californie par le chanoine Don Fernando de San Viiicente. Le gouverneur espagnol, Don Pa- blo de Sola, fidèle à ses serments, refusa de pren- dre du service sous le nouveau gouvernement, et il quitta Monte Rey avec quelques soldats roya- listes. Le capitaine Don Luiz Arguello , Califor- nien de naissance , fut nommé gouverneur par intérim. La Californie fut déclarée Territoire; une députation provinciale y fut établie , et elle en- voya le capitaine du presidio de Santa Barbara , Don José Noriega, comme député au congrès gé- néral de Mexico; mais il ne fut point admis à cause de sa qualité d'Espagnol, bien qu'il jouît d'une réputation méritée, et qu'il connût parfai- tement l'organisation et les besoins du pays.
Le lieutenant-colonel Don José Maria Echandia fut le premier gouverneur et chef politique en- voyé de Mexico; il arriva en 1824, et fut d'abord bien accueilli par les habitants. C'est lui qui nomma des administrateurs et des alcaldes dans les missions, et voulut enlever aux Franciscains la direction temporelle.
En 1830, le commissaire des finances Don Vi- cente Herrera profita du séjour du gouverneur à San Diego pour faire soulever la troupe de Monte Rey, sous prétexte qu'elle n'était pas payée. La présence d'Echandfa suffit pour rétablir l'or-
294 MISSIONNAIRES FRANÇAIS
dre; il renvoya le Père Martinez, franciscain, et maltraita le président des missions, le R. P. San- chez , Espagnol , qui avaient refusé de prêter serment à la constitution.
Les plaintes de pillages qui s'étaient élevées contre Echandia, déterminèrent, à la fin de 1830, le gouvernement à le remplacer parle lieutenant- colonel Don Manuel Victoria. Celui-ci supprima les administrateurs civils, et rendit aux moines la direction absolue des missions. Cet homme intègre ne pouvait plaire aux Californiens qui, depuis 1822, regardaient avec des yeux de convoitise la riche proieque leur offraient les établissements re- ligieux. Aussi, àla suite d'une conspiration ourdie entre les habitants de San Diego et le pueblo de los Angeles, il se vit forcé de quitter le pays, non sans avoir été blessé dans une rencontre avec les insurgés.
C'est en 1831 que les deux missionnaires fran- çais, MM. Bachelot et Short, furent accueillis comme des frères par les religieux espagnols, après avoir été jetés inhumainement et sans aucun secours sur la côte de Californie , par ordre des ministres méthodistes de Sandwich, qui, au mé- pris des traités, les expulsèrent violemment de ces îles. Nos deux missionnaires passèrent plusieurs années en Californie , et la manière dont ils
EN CALîFORi'NiE. 295
remplirent leur saint ministère leur valut les re- grets de tous les habitants.
Les capitaines des presidios exercèrent l'auto- rité supérieure jusqu'en novembre 1831, époque à laquelle le général de brigade Don José Fi- gueroa vint prendre le commandement. Sous son gouvernement, sept religieux espagnols se vi- rent contraints de s'éloigner. Pendant trois ans, les missions furent continuellement menacées ; enfin, au mois d'août 1834, un décret de la junte provinciale, sanctionné par le général Figueroa , enleva aux moines toute participation à l'admi- nistration des biens. Il est vrai qu'on leur promit le payement d'un traitement de mille à quinze cents piastres et d'une somme de cinq cents pour les frais du culte , mais jusqu'à présent ils n'ont rien reçu.
Cette même année, il se forma à Mexico , sous la direction du Président, une compagnie qui prit le nom pompeux de Compania Cosniopoli- tana, et dont le but était de coloniser la Califor- nie. Le président de Mexico, Gomez Farias, y envoya, sous la conduite de Don José Hijar, une expédition de deux cents Mexicains, musiciens, orfèvres, danseurs, intrigants et aventuriers de toute espèce , parmi lesquels on ne comptait pas un seul agriculteur; mais il y avait parmi eux
296 COLONIE MEXICAINE.
quelques ouvriers imprimeurs, qui apportèrent une petite presse, la seule qui ait été encore introduite en Californie. Pour subvenir aux frais de cette expédition , et acheter le trois-mâts In Natalia qui devait les transporter en Californie, on vendit un domaine appartenant au Fonds pieux. L'espoir et l'intention formelle de ceux qui la composaient était de s'approprier les mis- sions. Pendant que le navire était en mer, le gé- néral Santa Anna renversa Gomez Fanas, et expé- dia, parlaSonora, un courrier portant l'ordre au général Figueroa de ne point recevoir Hijar et ses compagnons. A leur arrivée, ceux-ci furent relégués au fond de la baie de San Francisco, à quinze lieues dans l'intérieur des terres, au nord delà mission de San Francisco Solano, à quelques lieues à peine des fermes russes. Ces malheureux, qui avaient cru trouver l'abondance et la richesse, se virent bientôt accablés de misère , et la plu- part furent obligés de retourner au Mexique.
Peu de temps auparavant, on avait essayé de peupler l'île de Santa Crùz , située près de la côte , avec une chaîne de quarante galériens (presidarios), envoyés de San Blas, auxquels on avait donné quelques bestiaux , des instruments aratoires et des céréales pour les semences ; mais ces hommes, abandonnés à eux-mêmes, après avoir
ARRIVÉE DES AMÉRICAINS. 297
consommé les grains et les bœufs, construisirent des radeaux grossiers avec des joncs et des bran- chages , vinrent aborder sur les plages de Santa Barbara et de San Buenaventura, d'où l'autorité les laissa se répandre dans l'intérieur et se mêler à la population.
En sécularisant les Missions, le général Figue- roa avait réservé la plus grande partie des bes- tiaux et des terres pour ce qu'il appelait les besoins du gouvernement. Il fit le simulacre de distribuer aux Indiens des terrains et quelques têtes de bétail ; mais ceux-ci eurent bientôt dis- sipé, joué et vendu le peu qu'on leur avait donné. Ceux à qui les fermiers {rancJieros) n'en- levaient pas leurs bestiaux, les tuaient eux-mêmes, pour se procurer de l'eau-de-vie en vendant leur cuir aux marchands étrangers.
Tandis que ces choses se passaient, un grand nombre de matelots anglais, et surtout de trap- peurs américains, arrivèrent des États-Unis en Californie, à travers les Montagnes Rocheuses. Ces aventuriers, chasseurs de castors, n'avaient pour toute fortune que leurs carabines {rifles). Ils s'établirent en Californie et se mêlèrent à toutes les révolutions dont elle devint le théâtre.
Le général Figueroa mourut à Santa Barbara, le 29 septembre 1835 , et fut remplacé par le «a-
298 RÉVOLUTION DE 1836
pitaine, plus tard lieutenant-colonel Don Nicolas Gutierrez, Espagnol, qui fut lui-même relevé par le lieutenant-colonel Don Mariano Chico ; mais au bout de quelques mois, il eut l'adresse de renverser son compétiteur et de reprendre son poste.
Dès lors les intentions des citoyens des Etats- Unis parurent au grand jour. En octobre 1836, les Californiens, séduits par les promesses des étran- gers, crurent pouvoir se séparer du Mexique. L'ad- ministrateur de la douane, Don Angel Ramirez, et l'assesseur de la commandance , Don Cosme Pena, quoique Mexicains , se chargèrent de diriger l'in- surrection , espérant que dans la séparation ils occuperaient les premières places. Don Juan Baù- tistaAlvarado, Californien, employéde la douane, que Gutierrez avait ordonné d'arrêter, se mit ouvertement à la tête du mouvement; il réunit d'abord à la Mission de Saint Jean Baptiste , à quatorze lieues de Monte Rey, une trentaine de riflemen, chasseurs américains commandés par un nommé Graham. Il adjoignit à cette troupe d'habiles tireurs , soixante rancheros , fermiers à cheval , et dans la nuit du 2 novembre il arriva à Monte Rey, et s'empara de la batterie à barbette qui commande la rade et peut battre la ville et le Presidio. Le gouverneur Gutierrez s'était ren-
A MONTE REY. 299
fermé dans le Presidio avec soixante- dix hommes, pensant qu'Alvarado n'avait pas de munitions; mais trois bâtiments américains, alors mouillés dans le port, le Don Quichotte, capitaine Hinc- kley , l'Europe, capitaine French , et la Caroline, capitaine Stech , lui fournirent de la poudre. Deux Américains nommés Jones, ancien consul des Etats-Unis aux îles Sandwich, et Larkin, né- gociant , firent les avances de fonds nécessaires , et le 4 , Gutierrez se vit abandonné de ses soldats et forcé de capituler. Un coup de canon parti du fort vint démolir une muraille du Presidio, et dé- cida la victoire en faveur d'Alvarado. Malgré les stipulations, les officiers et employés mexicains et une partie des membres de la colonie d'Hijar furent embarqués immédiatement sur le brick la Clémentine , qui les déposa dans la baie du cap San Lucas de la Basse Californie.
La corvette de guerre des Etats-Unis Peacock, capitaine Kennedy, était mouillée quelques se- maines avant que cette révolution éclatât , dans le port de Monte Rey, et l'on prétend que sa pré- sence ne fit qu'en hâter l'accomplissement. Les Américains avaient préparé un drapeau semblable à celui de l'Union , mais avec une seule étoile , et ils voulaient persuader aux Californiens de se dé- clarer indépendants du Mexique, et de demander
300 LA CALIFORNIE
à entrer dans l'Union , et de se mettre sous la protection des Etats-Unis. On disait que la cor- vette Peacock devait revenir sous peu pour pro- téger ce mouvement. Alvarado, avec ses chasseurs, prit possession du Préside et du fort. Les Mexi- cains Peiia et Ramirez et quelques étrangers, en- tre autres M. David Spence, négociant anglais, Amesti et Munraz , Espagnols , et un Français , M. Olivier de Leyssègues , capitaine au long cours , parvinrent à détourner les Californiens de se réunir aux Etats-Unis.
Alvarado, qui avait dirigé le mouvement, fut proclamé gouverneur par la députation provin- ciale; le lieutenant Don Mariano Guadalupe Val- lejo, commandant général militaire , et Don José Castro , officier de milices , préfet de Monte Rey. La Californie fut érigée en Etat libre et souverain [elEstadolihre y soherano de la Alla California)\ toutefois la séparation complète avec le Mexique n'était que conditionnelle, et l'Etat de Californie devait entrer dans la Confédération mexicaine , dans le cas oii le gouvernement central de Mexico viendrait à être renversé, et où la constitution fédérale serait adoptée par tous les Etats '.
ï Voir les proclamations de Alvarado, Castro et Vallejo, im- primées à Monte Rey, le 13 novembre 1836.
SE DÉCLARE INDÉPENDAP^TE. 301
Dès que la révolution fut terminée à Monte Rey, on envoya des commissaires à Santa Barbara et au Pueblo de los Angeles dont les habitants refusèrent de reconnaître Alvarado pour gouver- neur. Il marcha alors sur Sainte Barbe avec ses partisans ; mais il rencontra des forces supé- rieures commandées par un nommé Castillero. Au lieu de combattre , les deux chefs arrêtèrent de concert l'arrangement suivant : Alvarado de- vait reconnaître la constitution centrale de Mexico et être proclamé chef politique par intérim ; Cas- tillero se chargeait de se rendre à Mexico pour arranger l'affaire auprès du gouvernement , en qualité de député au congrès, et avec trois mille piastres d'appointements. Il partit effectivement pour Mexico , et les renseignements qu'il fournit sur les richesses encore existantes dans les Mis- sions, déterminèrent le congrès à voter la loi du 17 août 1837, qui enleva complètement aux reli- gieux l'administration temporelle, et la laissa à la libre disposition du gouverneur.
Le l*"" novembre 1837, pendant que la frégate la Vénus , commandée par M. Dupetit-Thouars, était à Monte Rey , un courrier de Mexico ap- porta la nouvelle de la nomination de Don Carlos Carrillo, ancien député au congrès , en qualité de gouverneur; mais Alvarado s'opposa à son ad-
302 FRÉGATES FRANÇAISES
mission, et, escorté des vingt-cinq ou trente chas- seurs américains qui étaient toujours à sa solde , et d'une trentaine de rancheros , il marcha sur Santa Barbara. La troupe de Carrillo était plus nombreuse que celle d'Alvarado, mais elle re- doutait la justesse du tir et les carabines des trap- peurs. Il n'y eut point entre elles de rencontre sérieuse ; un seul homme fut tué par mégarde, et le pouvoir d'Alvarado se trouva reconnu par tout le département.
On voit que les fréquentes révolutions de Ja Californie sont imitées des nombreux et ridi- cules pronunciamientos du Mexique. Le gouver- nement de Mexico, en apprenant les événements de Californie, eut l'inconcevable lâcheté de con- firmer la nomination de Vallejo comme comman- dant général militaire, et celle d'Alvarado comme gouverneur constitutionnel , sans considérer que ces hommes avaient non-seulement chassé deux gouverneurs légitimes nommés par le gouverne- ment central, et déclaré la Californie indépen- dante, mais encore qu'ils avaient voulu la livrer à une nation étrangère. Ces faits, si avilissants qu'ils soient, ne surprendront pas ceux qui connaissent le déplorable état intérieur du Mexique , qui ne possède sur les côtes de la mer Pacifique ni sol- dats , ni marine , et qui n'a jamais rien fait pour
LA VÉNUS ET L'ARTÉMISE. 308
la Californie, que lui envoyer des employés pour occuper des places que les habitants auraient certainement mieux remplies eux-mêmes.
Les partisans d'Alvarado furent largement ré- compensés. Les chasseurs américains et anglais reçurent de Targent et des bestiaux ; leur capi- taine Graham eut pour sa part une ferme et deux cents mules. Quant à Alvarado , il s'appropria une partie des bestiaux de la Mission del Carmelo, et il vendit à son profit les bestiaux , les vignes et les bâtiments de la Mission de Nuestra Senora de la Soledad , où le vénérable P. Sarria donna l'exemple d'un dévouement admirable en préfé- rant mourir de misère et de faim , plutôt que d'abandonner le petit nombre d'Indiens qui ha- bitaient cette Mission. Le lieutenant Vallejo, com- mandant général, se nomma lui-même capitaine , s'empara de tous les biens et bestiaux des Missions de San Rafaël et de San Francisco Solano , tandis que le lieutenant de milice, Don José Castro, nommé préfet, s'appropriait tous les meubles et immeubles de la Mission de San Juan Baùtista. L'administration des Missions demeura entre les mains des principaux chefs de la révolu- tion.
Au mois d'août 1839, la frégate V Artémise , commandée par M. Laplace, visita Monte Rey,
304 NOUVELLES TENTATIVES
et fut, ainsi que la Vénus y accueillie avec enthou- siasme par Alvarado et tous les habitants. Aucun événement important n'eut lieu pendant le séjour de ces navires.
Des décrets du gouverneur, du 17 janvier 1839 et du V^ mars 1840, destinés à déterminer ce qu'il appelait l'organisation du pays, ne firent que hâter la ruine des Missions. Le gouvernement de Mexico , fatigué des réclamations du clergé , fit donner par Don Joseph Marin , ministre de l'intérieur, un ordre daté du 17 novembre 1840, par lequel il était enjoint au gouverneur de Cali- fornie de rendre aux religieux l'administration absolue des biens temporels des Missions dont ils jouissaient avant la loi du 17 août 1837. Il est inutile d'ajouter que ce décret ne fut point mis à exécution en Californie.
En avril 1840, les chasseurs américains et an- glais trouvant que le gouvernement d'Alvarado n'avait point assez fait pour eux , formèrent le projet de le renverser et de proclamer la Cali- fornie indépendante , afin de la faire admettre plus tard dans l'Union. Ces aventuriers , toujours sous la conduite de l'Américain Isaac Graham , étaient au nombre de quarante-six , dont vingt- cinq Anglais, pour la plupart matelots déserteurs des bâtiments de commerce , et vingt et un Amé-
DE SÉPARATION. 305
ricaiiis, presque tous chasseurs, venus par terre des Etats-Unis. Au moment de l'exécution , un nommé Garner, poussé par l'espoir d'une récom- pense , trahit ses complices et livra le secret à Alvarado. Celui-ci ne perdit pas de temps, il réunit quelques soldats et desrancheros dévoués. Dans la nuit du 7 avril 1840, une bande com- mandée par Joseph Castro cerna, à quelques lieues de Monte Rey, une cabane en branchages où dormaient les principaux chefs de la conspi- ration. Castro , sachant que les étrangers étaient tous armés de longues carabines rayées , n'osa point s'exposer aux chances d'un combat et or- donna de faire feu contre la cabane. Graham et ses compagnons furent blessés dans leurs lits. Un d'eux voulut s'échapper, mais il reçut un coup de sabre qui l'abattit. Pendant que Castro commet- tait cet acte honteux, des envoyés d' Alvarado enga- geaient les autres compagnons de Graham à aller parler au gouverneur , qui , à mesure qu'ils en- traient, les faisait arrêter, puisconduire en prison. Trois ou quatre Français, qui n'avaient point pris part à la conspiration , furent arrêtés par er- reur et relâchés sur-le-champ ; les rancheros, en passant devant les maisons de nos nationaux , se contentaient de s'écrier : « // tir a point d'étran- gers ici) ce sont des Français:», réservant le
30G CORVETTE LA DANAÎDE.
nom d'étrangers pour désigner les Anglais et les
Américains.
Alvarado fit embarquer les prisonniers, sous la conduite de Castro , à bord du trois-mâts la Gui- puzcoana, appartenant à un Espagnol nommé Aguirre. Le navire partit de Monte Rey le 24 avril, toucha à Santa Barbara pour y prendre quelques Américains, et arriva à San Blas le 8 mai. Les pri- sonniers , fort maltraités par les officiers et sol- dats mexicains, furent conduits à pied à Tépic.
La corvette la Dandide , commandée par M. de Rosamel , arriva à Monte Rey à la fin de mai , et fut accueillie par la population et par le gouver- neur avec le même empressement que l'avaient été la Vénus et V Artémise. La corvette des Etats- Unis , la Saint-Louis , aborda à Monte Rey à la même époque. Son commandant, M. Forrest, y laissa un officier, M. Estabrook , en qualité d'a- gent consulaire, et continua sa route pour Ma- zatlan.
Dès l'arrivée des prisonniers envoyés par Alva- rado à Tépic , les consuls des Etats - Unis et d'Angleterre, et un Américain, M. Farnham, leur donnèrent quelques secours ; en même temps, les Légations britannique et américaine de Mexico adressèrent les réclamations les plus énergiquesau presidentBustamante.il fut décidé que tous les pri-
RÉCLAMATIONS ÉTRANGÈRES. 307
sonniers qui voudraient retourner en Californie y seraient transportés aux frais du gouvernement mexicain ; qu'ils recevraient une indemnité de trois piastres par jour pour le temps perdu, sans compter le remboursement de la valeur des objets ou marchandises dont ils auraient été dépouillés. Un bâtiment de guerre anglais devait se rendre à Monte Rey pour régler cette dernière indemnité en faveur dessujets anglais. Les prisonniers étaient arrivés à Tépic sans qu'aucune instruction judi- ciaire eût été formée ; le gouvernement n'avait aucune preuve écrite, ni déclarations de té- moins , aucun commencement d'exécution n'avait eu lieu , et bien qu'il existât une sorte de convic- tion morale, il n'y avait à la charge des déportés que la déposition de Garner, qui avait reçu d'Al- varado, pour prix de sa délation , une ferme et quelques bestiaux.
Le 25 mai 1841 , la corvette des Etats-Unis, la Saint-Louis , de vingt-deux canons , revint à Monte Rey prendre l'officier qu'elle avait laissé, et s'assurer que les Américains établis au port n'étaient point opprimés par Alvarado. Rendus à la liberté , les prisonniers arrivèrent de Tépic à Monte Rey le 27 juillet, sur une goélette frétée par le gouvernement mexicain , fiers de leur succès et pleins d'idées de vengeance contre Alvarado et
308 ESCADRILLE DES ÉTATS-LINIS.
Castro , par qui ils avaient été fort maltraités. Ce sont ceshommes qui feront de la Haute Californie un nouveau Texas , le jour oii ils seront assez nombreux , assurés d'avance de l'appui des États- Unis. Le 1 6 août , la corvette américaine T^in- cennes mouilla à San Francisco, et fut bientôt sui- vie des bricks de guerre de la même nation , le Porpoise et l'Orégon, et de la goélette /^^««^ Fish. La corvette Peacoch qui faisait partie de cette expédition , s'était perdue en juillet à l'en- trée du Rio Colombia. Ces navires stationnèrent jusqu'en octobre. Le 13 novembre, une nouvelle corvette des États-Unis , le Yorktown , de seize canons , jeta l'ancre à Monte Rey. Le commandant déclara qu'il n'avait point d'autre but que de pro- téger ses nationaux, et qu'un autre bâtiment vien- drait plus tard régler les indemnités.
Le 15 du même mois arriva à Monte Rey la corvette anglaise de vingt-huit canons le Curaçao; le capitaine Jones, qui la commandait , avait pour mission de déterminer, d'accord avec le gouver- neur Alvarado et les sujets anglais intéressés , le chiffre des indemnités qui leur étaient dues. L'af- faire fut réglée de la manière suivante :
INDEMNITÉS AUX ANGLAIS. 30<» Indemnité à un Anglais nommé Carmichael, propriétaire d'une petite bou- tique 4,500 piastres.
Indemnité à quinze Anglais pour perte de temps pendant quinze mois , à 78 piastres par mois : chaque homme eut droit
à 1170. Total 17,550
Indemnités pour objets per- dus ou volés 2,000
Total général. . . 24,050 piastres.
Quatre Anglais sont mortsen prison, ou des sui- tes de leur incarcération, et les réclamations aux- quelles ces événements peuvent donner lieu ne sont pas comprises ci -dessus. Cette indemnité n'est du reste admise que comme réparation de la perte du temps; les réclamations pour empri- sonnement arbitraire, mauvais traitements et vio- lation du droit des gens , seront débattues entre les gouvernements anglais et mexicain. Albert Morris , un des Anglais qui a accepté l'indemnité de onze cent soixante-dix piastres, réclamait pri- mitivement quinze mille livres sterling ! Lorsqu'il fut pris , il y avait deux mois à peine qu'il était arrivé en Californie, couvert de haillons et sans aucune ressource.
310 IINDEMNITÉS AUX AMERICAINS.
Les réclamations des Américains n'ont été ré- glées que plus tard. Le chef des chasseurs (rifle' men), Isaac Graham, demandait pour perte de temps , de propriétés et de bestiaux volés pen- dant son emprisonnement et son absence 109,000 piastres.
William Chard, qui avait un petit commerce 5,000
Treize Américains deman- daient trois piastres par jour- néedetravail,pendantquinze mois , ce qui faisait par mois soixante - dix- huit piastres ; pour les quinze mois , onze cent soixante-dix piastres par homme, et pour les treize hommes 15,210
Total. . . . 129,210 piastres.
Deux Américains prisonniers sont morts au Mexique ; les réclamations de leurs familles ne sont pas portées dans la somme ci-dessus.
Ainsi, sur les quarante-six prisonniers , six sont morts, neuf n'ont pas voulu retourner en Cali- fornie , et trente et un y sont revenus , parmi les- quels quinze Américains et seize Anglais.
Dans cette affaire, le cabinet de Washington a
LE GÉNÉRAL MICHELTORENA. 311
a^i avec sa prudence et sa lenteur habituelles à l'égard du malheureux Mexique, il a laissé régler promptement les réclamations des Anglais, et a fait traîner en longueur celles de ses nationaux , afin d'accumuler les griefs nombreux qu'il est bien aise d'avoir contre le gouvernement de Mexico , et pour le redressement desquels il exi- gera quelque jour autre chose que des indemni- tés pécuniaires.
Alvarado resta maître du gouvernement , et rien ne troubla la tranquillité, si ce n'est une émeute qui eut lieu en janvier 1842 , à la Mission de Todos los Santos, dans la Basse Californie '. Le P, Gabriel , Dominicain espagnol , tenta de s'opposer, avec quelques rancheros , au dépouil- lement complet de la Mission, que le chef politique voulait accomplir au profit de l'autorité. Le Moine ayant été fait prisonnier et envoyé à Mexico, tout rentra dans l'ordre.
En octobre 1841, cent Américains environ ar- rivèrent par terre du Nouveau Mexique. Alva- rado , craignant une nouvelle révolution , de- manda quelques troupes au président Santa Anna, qui, par un décret du 21 février 1842 ^ , ordonna
' Voir le Diario del Gobierno de Mexico, n° 2,455. ' Voir le Diario del Gobierno de cette date.
312 MONTE REY PRIS ET RENDU
de faire partir pour la Haute Californie trois cents galériens {presidarios). Ces galériens furent extraits des prisons de Mexico. On' leur promit de leur faire grâce s'ils se conduisaient bien , et de leur donner des terres, des bestiaux et des instru- ments aratoires. Santa Anna nomma en même temps , pour remplacer Alvarado comme gou- verneur et comme commandant général , le gé- néral de brigade Micheltorena , qui mit à la voile de Mazatlan pour San Diego , le 25 juillet 1842 , avec quatre cent cinquante personnes , y compris les trois cents forçats, un nombreux état-major, et une foule d'employés mexicains de toute es- pèce , destinés à remplacer les employés califor- niens. Alvarado a été nommé premier conseiller de la junte départementale, avec quinze cents piastres d'appointements; Vallejo et Castro sont élevés au grade de lieutenant-colonel.
Le général Micheltorena débarqua au port de San Diego vers le 20 août ; après y avoir résidé quelque temps, il continua lentement sa route, et se trouvait au Pueblo de los Angeles dans les pre- miers jours d'octobre, lorsqu'il apprit qu'une escadre américaine venait de s'emparer de Monte Rey. En effet, le commodoreCattesby Jones, com- mandant des forces navales des Etats-Unis dans la Mer Pacifique, sur le bruit qui avait couru que
PAR LES FORCES DES ÉTATS-UNIS. 313
la guerre était déclarée entre les Etats-Unis et le Mexique , avait cru devoir s'emparer de la capi- tale de la Californie. Monte Rey est du reste hors d'état de résister à une attaque quelconque. Le Commodore s'étant assuré depuis, que la paix n'était pas troublée entre les deux gouvernements, restitua l'autorité au gouverneur, qui ne se porta pas sur Monte Rey, mais ordonna , au contraire , aux habitants de se retirer dans l'intérieur des terres, emmenant leurs bestiaux, et nourrissant ainsi le ridicule espoir d'affamer l'escadre amé- ricaine.
L'autorité du général Micheltorena ne paraît guère affermie; il est probable que tôt ou tard il sera traité comme ses prédécesseurs mexicains. Les Californiens i nfl uents répètent souvent que, ne recevant rien du Mexique, ils prétendent n'em- ployer les revenus du pays qu'à solder des Cali- forniens; ils ajoutent que s'ils consentent à entre- tenir une petite troupe de soldats, ils ne veulent pas avoir à craindre les attaques des galériens , qui ont dû être laissés libres, puisque tous les Presidios sont détruits , et qu'il n'existe aucun emplacement pour les garder, et tout porte à croire que le général Micheltorena ne tardera pas à subir le sort des gouverneurs Victoria, Herrera, Chico, Gutierrez et Carrillo.
314 LE COMMODORE AMÉRICAIN.
Le Commodore américain a peut-être été im- prudent en s' emparant de la ville de Monte Rey ; mais une fois cette démarche faite, il aurait dû la garder, et surtout prendre le port de San Fran- cisco. Aucune nation au monde n'aurait songé à en déposséder les Etats-Unis. L'Angleterre seule, jalouse de s'être vu devancer, aurait peut-être réclamé ; mais personne n'ignore que cette puis- sance, altière avec ceux qui la craignent, sait faire des concessions lorsqu'elle rencontre des adversaires qui ne se laissent point intimider.
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CHAPITRE VllL
Haute ou Nouvelle Californie. Son organisation politique, administrative et militaire.. Population blanche. Étrangers. Topographie des Missions, Pueblos et Presidios du sud de la province. District et port de San Diego. Iles de la côte.
Dans le chapitre précédent nous avons donné l'histoire complète de la colonisation et des révo- lutions de la Californie , il nous reste à présenter le tableau actuel de son organisation , et la des- cription détaillée de chaque Mission , Pueblo et Presidio.
:}16 BORiNES DE LA CALIFORNIE.
Géographiquemeiit, cette magnifique j^rovince s étend du 32*^ au 42^ degré de latitude septentrio- nale ; elle est bornée au nord par le Territoire de rOrégon, au sud par la Vieille Californie, à l'est par les Montagnes Rocheuses et à l'ouest par la Mer Pacifique.
Politiquement, les deux Californies forment un seul département de la République mexicaine, sous le nom de Departamento de Califomias. Ce département est représenté au congrès à Mexico par le député Castillero , qui reçoit trois mille piastres par an. Avant l'envoi récent d'un chef supérieur militaire , le gouverneur constitution- nel (^gohernador coristltucional) ^ résidant à Monte Rey, était investi de l'autorité supérieure. Cependant, à cause de l'éloignement et de la diffi- culté des communications , la Basse Californie est administrée par un chef ^oMûçixxe {gefe politico) qui habite à la Paz et correspond directement avec le commandant général de la province de Sonora, établi à Mazatlan. L'autorité du gouver- neur civil ne s'étendait en réalité que sur la Haute Californie. Son traitement annuel s'élevait, comme aujourd'hui celui du général Micheltorena , à quatre mille piasti'es; il avait en outre le titre et le grade de colonel des milices civiques qui, il faut l'ajouter, ne sont pas organisées.
DIVISION POLITIQUE. 317
Le département est divisé en quatre districts. Ceux de Monte Rey et de San Diego ont chacun u;ii préfet aux appointements de deux mille pias- tres. Le préfet de Monte Rey, Don José Estrada, est le beau-frère d'Alvarado. Le préfet du district de San Diego, Don Santyago Arguelles, ancien capitaine de Presidio , réside au Pueblo de los Angeles. Les districts de Santa Barbara et de San Francisco sont administrés par deux sous- préfets qui reçoivent une piastre par jour. Le sous-préfet du district de San Francisco réside au pueblo de San José de Guadalupe, auquel Al- varado a essayé en vain de donner son nom. Ce sous-préfet est un Espagnol, Don Antonio Sunol, qui a servi dans l'armée française et nous est fort dévoué.
318
TABLEAUX
TABLEAU SYNOPTIQUE
DE L\ POPULATIOiN BLAKCHE ET DE L.i DIVISION POLITIQUE ET MILITAIRE DE L\ HAUTE CALIFORNIE PAR DISTRICTS ET PRESIDIOS , EN ALLANT DU SUD VERS LE NORD.
District
et
Presidio
de
San Diego ,
fondé en 1769.
District
et
Presidio
de
Santa Barbara,
fondé en 1780.
District
et
Presidio
de
Monte Rey,
capitale de la Nouvelle
Californie , fondé en 1770.
District
et
Presidio
de
San Francisco,
fondé en 1776.
Port, Pueblo, Presidio et Mission de San Diego
Mission de San Luiz Rey de Francia (saint Louis roi de France )
Mission de San Juan Capistrano
Mission de San Gabriel Arcangel
Mission de San Fernando, Rey de Espana- . .
Port de San Pedro
Pueblo de Nuestra Senoia la Reyna de los An- geles
Port, Pueblo, Presidio et Mission de Santa Barbara
Mission de San Biienaventura
Mission de la Purisima Concepcion
Mission de Santa Inès
Mission de San Luiz, Obispo de Tolosa (saint Louis , évêque de Toulouse )
Port, presidio et ville capitale de San Carlos de Monte Rey
Mission de San Miguel Arcangel
Mission de San Antonio de Pâdua
Mission de ,N. S. de la Soledad (Notre Dame de la Solitude)
Mission de! Carmelo (du mont Carmel)
Pueblo et Mission de San Juan Baiitista
Mission de la Santa Crûz
Pueblo ou Villa de Branciforte
' Port et Presidio de S. Francisco de Assise Mission de los Dolores de San Francisco Pueblo de la YerbaBuena, sur la baie de
San Francisco
Pueblo de San José de Guadalupe
Mission de Santa Clara
Mission de San José ,
Mission de San Rafaël
Mission de San Francisco Solano
Pueblo de Sonoma attenant à la Mission. Colonie de la Nouvelle Helvétie du capitaine
Sutter, sur le Rio del Sacramento
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1,200 800,
800
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150
,1,000
800
Le reste de la population blanclie, répandu dans les Missions ou fer- mes isolées , s'élève à
Ce qui forme un total de 5,000 âmes pour la Haute Californie, y com- pris seulement les babitants de race blanche, répandus sur un ter- rain d'environ deux mille lieues carrées
1,100
DE LA POPULATION.
31!)
DIVISION PAR NATIONS DE LA POPULATION BLANCHE DE LA HAUTE CALIFORNIE.
Californiens descendants des Espagnols
Américains des États-Unis
Anglais , Écossais , Irlandais
Espagnols européens
Français , y compris quelques Canadiens
Allemands, Italiens, Portugais, Sandwichois et autres. Colons mexicains venus du Mexique
Total de la population blanche
Les Américains sont particulièrement concentrés au Pueblo de los Angeles et à la Villa de Branciforte , les Anglais à Monte Rey et à Santa Barbara , les Espagnols à Santa Barbara et Monte Rey , et les Français au Pueblo de los Angeles et à Monte Rey.
Dans toute la Californie les blancs sont appelés « Gens de raison » (gente de razon)^ par opposition aux Indiens, que l'on nomme en général Indios ou Neôfitos (néophytes), s'ils font partie de quel- que Mission.
Les trois cents galériens et les quelques soldats venus avec le général Micheltorena constituent une population étrangère en quel- que sorte au pays , et il est douteux que les habitants la supportent longtemps parmi eux. (Nous donnerons plus loin un travail spécial sur les Indiens.)
320
TABLEAUX
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Dans le relevé des grains , le blé entre pour trois cinquièmes; plusieurs Missions produisaient en outre beaucoup de coton, d'huile, de chanvre et devin. D'après le relevé officiel, communiqué par l'inspecteur général des Missions, le nombre des bêtes à cornes appartenant aux Missions était encore, au commencement de 1840, de 57,000; mais depuis lors le pillage n'a fait qu'augmenter. Malheureusement les habitants ne profitent pas d'une manière sage des dépouilles des Missions. La plupart, au lieu d'élever les bestiaux, les tuent pour vendre le cuir et le suif aux navires étran- gers, et la terre reste sans culture, car il n'y avait guère que les Indiens qui labourassent.
RÉSUMÉ.
NOMS. |
sous L'AnMINIS- TRATION RELIGIEUSE EN 1834. |
sous l'ad- ministration CIVILE EN 1842. |
Indiens |
30,650 424,000 62,500 321,500 70,000 hect. |
4,450 28,220 3,800 31,600 4,000 hect. |
Bêtes à cornes |
||
Bêtes chevalines |
||
Moutons, chèvres et cochons. Récolte en céréales |
||
Ces chiffres, puisés aux sources les plus authentiques, nous sem- blent plus éloquents que toutes les réflexions qu'on pourrait faire. |
322 JUNTE DÉPARTEMENTALE.
Les Pueblos ont un alcalde ou juge de paix (Juez de pâz) dont les fonctions sont gratuites. Les administrateurs remplissent dans les Missions une charge analogue, mais, indépendamment de leurs immenses bénéfices , ils perçoivent une ré- tribution qui varie de trois à six cents piastres. Un inspecteur général {yisitador gênerai), ap- pointé à trois mille piastres, est chargé de la direction de ces établissements. Tous les em- ployés sont nommés par le gouverneur. La loi mexicaine n'accordant pas de municipalité («'/^maz- tamiento) aux villes dont la population n'atteint pas six mille âmes, il n'en existe ni à Monte Rey, qui est la capitale , ni dans les autres Pueblos. Les intérêts de la province sont confiés à la junte départementale (diputacion departamentat), com- posée de six membres avec quinze cents piastres d'émoluments.
La justice doit être administrée par un tribunal supérieur (tribunal superior), formé de cinq membres, touchant trois mille piastres; mais ce tribunal ne s'est point encore réuni et les mem- bres n'en ont pas été nommés, parce qu'il ne s'est encore trouvé personne qui fût pourvu des capacités nécessaires pour remplir ces places. Les employés actuels sont des rancheros ou fer- miers, enrichis par le pillage des Missions, et qui.
TRIBUNAUX. 323
SOUS le gouvernement des Franciscains, remplis- saient l'office de majordomes , de vachers et de domestiques des religieux. Il est aisé de se faire une idée des vexations que font éprouver aux ecclésiastiques ces serviteurs parvenus au rang de maîtres absolus du territoire. La junte ou dé- putation départementale n'existe que de nom ; le caprice du gouverneur fait loi, et pour donner une idée de l'administration de la justice, il suffira d'ajouter que le juge de paix de Monte Rey , en 1841 , était un paysan qui ne sait pas lire.
Les étrangers n'ont guère de protection à at- tendre de semblables autorités. En septembre 1840, près de la Mission de San Francisco Solano, un Indien ayant volé et tué un charpentier fran- çais, nommé Pierre Dubosc, le commandant gé- néral Vallejo ne fit aucune démarche pour s'em- parer du meurtrier, qu'il connaissait pourtant fort bien. Au mois d'août 1841, un jeune Alle- mand, qui se livrait au commerce, fut assassiné dans le Pueblo de los Angeles : voyant que Tau- torité ne donnait aucune suite à cette affaire , les étrangers, réunis par un intérêt commun, firent une collecte, et, dirigés par quelques Français, en- tre autres par M. Charles Baric, ils se mirent à la recherche des coupables dont ils ne tardèrent pas à s'emparer. Le missionnaire espagnol de
32» LE p. ESTÉINEGA.
San Gabriel, le R. P.Toniâs Esténega, sut inspi- rer aux accusés de tels sentiments de repentir qu'ils n'hésitèrent pas à demander publiquement pardon de leur crime, et à avouer que, s'il n'eût pas été découvert, leur intention était d'assassiner et de voler plusieurs étrangers connus par leur richesse. Ces derniers, sentant la nécessité d'un exemple , déclarèrent au gouverneur qu'iS'met- traient eux-mêmes à mort les deux assassins, s'il ne donnait pas l'ordre de les exécuter. Alvarado envoya aussitôt douze soldats et un officier de Santa Barbara , qui fusillèrent les condamnés. Pendant notre séjour au pueblo de San José, en septembre de cette même année, et quelques jours plus tard à Monte Rey , on assassina deux Anglais. Le sous-préfet de San José, privé de soldats et de ressources , ne put diriger aucune poursuite. A Monte Rey, pour paraître faire droit aux réclamations des étrangers, le juge fît em- prisonner un jeune Mexicain contre lequel aucune charge n'existait, et qui fut relâché quelques semaines après.
Le nouveau commandant général du départe- ment, le général de brigade Micheltorena, habite los Angeles; l'ancien. Don Mariano Vallejo, qui était capitaine d'infanterie de la compagnie prési- diale de San Francisco , réside au nord de la baie,
GARNISONS. 325
au Pueblo de Sonoma, attenant à la Mission de San Francisco Solano , dont il a pris tous les biens et fait démolir l'église, pour se construire une mai- son avec les matériaux. Les troupes sont ainsi réparties : la compagnie de San Francisco a vingt hommes à Sonoma avec deux lieutenants et un enseigne ( alferez ) , et dix soldats avec un of- ficier du même grade au Presidio de San Fran- cisco , qui tombe en ruine. Le fort est abandonné ; il s'y trouve quatre pièces en bronze; deux ca- nons de huit ont été transportés à Sonoma.
La garnison de Monte Rey se compose d'un commandant de place, général de brigade hono- raire , de trois capitaines et sous-lieutenants cali- forniens, et de quarante soldats, plus de douze artilleurs commandés par un capitaine d'artille- rie.
Le Presidio est rasé, et le fort, qui n'est qu'une simple batterie, a trois pièces en bronze montées sur affûts et en état de servir. Tous ces canons ont été fondus à Manille ou à Lima au dix-sep- tième siècle ; ils sont des différents calibres de huit, douze et seize généralement.
A Santa Barbara la garnison du Presidio, qui est ruiné, est formée par douze soldats sous le commandement de quatre officiers. Quatre pièces en bronze sont enterrées sous le sable. Le fort et
326 MARINE DOUANES.
le Presidio de San Diego sont inhabités : les murs démolis gisent à côté de quelques pièces en bronze à demi recouvertes de terre. Au pueblo résident quelques soldats avec un officier.
Les Missions ne renferment pas un seul soldat , et les garnisons de toute la Haute Californie for- ment un total de cent soixante hommes au plus sous les armes. La plupart ne sont pas montés; ils sont armés d'un sabre et d'un mousqueton en mauvais état. liCur équipement ne présente guère d'uniformité , les quarante soldats de Monte Rey seuls sont armés et vêtus de la même manière. En Californie comme au Mexique, on compte autant d'officiers que de soldats; le nombre des premiers s'élève à près de cent.
L'ancien gouverneur Alvarado a acheté il y a quatre ans, pou rie compte du département, une goélette de quatre-vingt-six tonneaux {la Califor- nia) qui compose toute la marine du gouverne- ment de Californie. Ce petit navire est commandé par un Anglais, John Cooper, et monté par dix hommes d'équipage ; il n'est point armé et ne sert qu'à faire quelques voyages de spéculations commerciales, dans les ports du Mexique ou aux îles Sandwich , pour le compte du gouverneur ou pour celui des négociants étrangers auxquels on le frète. Il y a cependant à Monte Rey un
RECETTES. — DÉPENSES- 327
lieutenant de vaisseau mexicain qui remplit les fonctions de capitaine du port.
L'unique revenu de la province consiste dans les droits que les navires étrangers acquittent à la douane de Monte Rey, seul port ouvert au com- merce extérieur. Les employés de la douane sont au nombre de huit : un administrateur aux ap- pointements de deux mille piastres, un contrô- leur, un vérificateur, un commandant des doua- niers à quinze cents piastres chacun , et quatre gardes à huit cents piastres. Il est aisé de s'a- percevoir que ce personnel dépasse de beaucoup les besoins de l'administration. Les fonds de -la douane sont perçus par un commissaire des fi- nances (comisario de hacienda) chargé de la répartition.
Les recettes générales du département ne s'élè- vent guère qu'à soixante-dix ou quatre-vingt mille piastres par an ; les dépenses atteignent au moins le chiffre de cent vingt mille piastres. Ce déficit annuel de quarante à cinquante mille piastres explique assez pourquoi les employés de tout grade se sont livrés au pillage des Missions.
Après avoir donné la description des lieux habités, la topographie du pays et des détails sur les productions de toute espèce, nous parlerons de l'importation et de l'exportation , et des chan-
328 DISTRICT DE SAN DIEGO,
ces de bénéfices que pourraient offrir aux négo- ciants français des expéditions commerciales dans cette contrée.
DISTRICT DE SAN DIEGO.
Le point maritime le plus important de ce district est le port de San Diego , qui fut décou- vert, en 1542, par Cabrillo, qui le nomma d'abord San Miguel ; plus tard, en 1602, le général Viz- caino lui donna le nom qu'il porte aujourd'lmi. Ce port est le premier de la Haute Californie, et en tirant une ligne droite à l'est, on arrive à l'embouchure du Rio Colorado; cette ligne forme la division entre la Vieille et la Nouvelle Californie.
POBT DE SAN DIEGO.
Le port de San Diego est situé par 32 degrés 39 minutes 30 secondes de latitude nord , et par 119 degrés 37 minutes 13 secondes de longitude ouest de Paris. Variation : 1 1 degrés Est. Etablis- sement du port : 10 heures. Hauteur de la marée : 1^40^
' Voir dans l'Atlas le plan u" 11.
PORT DE SAN DIEGO. 32!)
En venant du large les signes de reconnaissance sont , à huit lieues au sud du port , et sur la côte , une montagne élevée terminée par un grand pla- teau horizontal , nommée las Mesas de Juan Gomez; à vingt milles au sud, et droit dans le méridien de la colline ou- loma de San Diego, le petit groupe de rochers les Coronados , qui peu- vent être découverts à une distance de dix lieues. Les Coronados sont situés à quatre lieues de la côte; l'intervalle qui les en sépare est très-sain et présente partout de vingt à trente mètres.
Si l'on arrivait du nord, une petite erreur en latitude pourrait devenir funeste, car à huit milles au nord de la pointe qui marque l'entrée du vrai port, se trouve une autre entrée fermée par une barre et des brisants, et qui conduit au faux port [Puerto fais 6). Cette erreur est d'autant plus facile à commettre qu'en passant devant le faux port on aperçoit à terre les bâtiments blanchis à la chaux du Presidio et les maisons du Pueblo , tandis qu'en approchant du vrai port on ne décou- vre aucune bâtisse, et que ce n'est que de près qu'on reconnaît les ruines du fort et les baraques en bois où sont renfermés les cuirs de bœuf. Il existe cependant des différences marquées entre les deux entrées; ainsi le faux port est situé à une distance plus grande des Coronados; la col-
330 MOUILLAGE,
line qui , dans celui-ci , est située au sud de ren- trée, se trouve au nord pour le vrai port; le faux port est parsemé d'îles qui n'existent pas dans l'autre; au sud du premier la côte court un peu à l'ouest, tandis qu'au sud du vrai port elle rentre considérablement vers l'est; enfin l'entrée du faux port est obstruée par une ligne circulaire de brisants qui s'étend à plus d'un mille au large, et l'abord du vrai port est au contraire libre de tous dangers.
On doit cependant, en doublant la Puiita de la Loma de San Diego , qui est taillée à pic , s'en tenir à un quart de mille de distance, de manière à éviter quelques rochers qui s'étendent vers le sud-ouest. La pointe une fois doublée , il faut gouverner au nord quart nord-ouest droit sur le fort et ranger la terre de très-près; c'est là que la baie est le plus profonde; à cent mètres du ri- vage on trouvera de six à quinze mètres. On laisse à l'est et à plus d'un mille le banc de Zuniga qui n'a guère que trois pieds d'eau, et dont les bords sont parfaitement circonscrits par des bri- sants. Près de la Punta Guijarro , petite langue de terre sur laquelle s'élèvent les ruines du fort , on obtient à quelques toises du bord des sondes de seize à vingt mètres. Dès qu'on a doublé cette pointe, on se trouve dans un excellent port abrité
DÉFENSE DU PORT. 331
de tous les vents et se dirigeant un peu à l'ouest , et l'on peut mouiller en face des maisons, par huit à quinze mètres fond de sable et vase, de très- bonne tenue. Dans la baie extérieure , le fond est partout de sable. Le courant de la marée est d'un mille environ, et les courants généraux suivent la direction de la côte du nord au sud. L'entrée du port de San Diego n'est permise qu'à des navires de quatre cents tonneaux , et ne tirant guère que vingt pieds d'eau. Le fond tend à diminuer, et quelques parties seront bientôt ensablées par les terres que le petit Rio de San Diego entraîne des montagnes dans la saison des pluies. Les religieux espagnols avaient obvié à cet inconvénient en dé- tournantleruisseau,etenlefaisantdéboucherdans le faux port; mais depuis quelques années le Rio, par suite de l'incurie des habitants, a repris son cours, et est revenu se jeter au fond du port de San Diego.
Le fort et la maison qui l'avoisine sont inhabités et en ruine ; on trouve encore six à huit pièces de canon en bronze enterrées dans le sable.
L'inspection du plan suffira pour reconnaître combien il facile de défendre l'entrée du mouil- lage ; une batterie située sur la colline balaierait la grande baie; le fort reconstruit, et quelques pièces sur la langue de terre en face, croiseraient
332 PUEBLO, PRESIDIO
leurs feux dans le goulet, qui serait pris en enfi- lade par une batterie établie au sud de la petite pointe où se trouvent les magasins de cuir.
Une douzaine de matelots anglais et améri- cains, appartenant aux navires qui commercent sur la côte et qui s'occupent à saler les cuirs de bœufs, forment la population du port. Il est dif- ficile de faire du bois, et on doit apporter l'eau du pueblo sur des charrettes : chaque barrique coûte une piastre. Peut-être en creusant des puits, pourrait-on obtenir de bonne eau ; mais il n'y a aucune aiguade près du mouillage. Cinq grandes baraques en planches, pouvant contenir chacune de quinze à vingt mille cuirs, qu'on apporte dé- montées de Monte Rey, servent de magasins. Quelques Indiens, et souvent des Canakas de Sandwich, y habitent avec les matelots blancs. La route qui conduit au pueblo est bonne : on la parcourt à cheval en moins d'une heure.
Le pueblo est situé au bord du ruisseau ; il se compose de vingt maisons, dont les plus belles appartiennent à des Anglais et à des Américains qui font tout le commerce. La population blanche s'élève à cent individus au plus, qui possèdent presque tous de petites fermes dans les environs.
Le presidio, fondé en 1769, est bâti sur une petite colline à quelques centaines de mètres du
ET MISSION DE SAN DIEGO. 333
pueblo, et est complètement ruiné; on y trouve deux pièces en bronze ; une troisième est enter- rée au milieu du pueblo.
Le pueblo n'a d'autre autorité qu'un alcalde ou juge de paix , qui remplit aussi les fonctions de capitaine du port et de vérificateur des douanes. On ne trouve pas de Français à San Diego. Les principaux habitants sontles capitaines marchands Snook et Stokes, Anglais, etFitch, Américain. La ferme du Roi [rancho del Rey), qui appartenait au presidio, a été donnée à un particulier. Il y a près de la côte plusieurs salines importantes inex- ploitées. Le grand village des Indiens Choyas, fixés autrefois au bord de la baie, n'existe plus. Le port est très-poissonneux et fréquenté souvent par des baleines.
MISSION DE SAN DIEGO.
La Mission de San Diego est éloignée de deux lieues du pueblo ; elle fut fondée par le R. P. Ju- nipero Serra le 16 juia 1769, et devint avec le presidio le premier établissement des Espagnols dans la Nouvelle Californie , bien que le port de San Diego eût été découvert longtemps aupara- vant. Cette Mission, que les Franciscains nom- maient la Mission Mère , est distante de dix-sept
334 MISSION DE SAN DIEGO,
lieues au nord de celle de San Miguel, la dernière de la Vieille Californie, et à quatorze lieues de celle de San Luiz Rey de Francia qui est la j^lus rap- prochée. Elle est située au bord du ruisseau de San Diego , dans une vallée longue et étroite , formée par deux chaînes de collines parallèles. L'édifice et l'église tombent en ruine : à quelque différence près dans les proportions, l'architec- ture est la même que celle de la Mission , dont nous avons donné les plans.
Il existe devant l'édifice une magnifique plan- tation d'oliviers ; la vigne y vient très-bien et four- nit les vins les plus renommés de la Californie. Le coton est d'une qualité supérieure , mais les bras manquent pour le cultiver. Les terrains cir- convoisins sont tous formés par des prairies ; les arbres y sont fort rares ; les forêts se trouvent à sept ou huit lieues vers le levant. Les montagnes sont remplies de pins, de chênes et autres bois de construction. La température de San Diego per- met à tous les arbres fruitiers d'Eurape, aux pal- miers et aux orangers , d'y atteindre de grandes dimensions. En janvier 1 842, le thermomètre don- nait pour moyenne de la journée 15 et 18 degrés centigrades au-dessus de zéro; cependant, on aperçoit dans le lointain, vers l'orient, les pics blanchis de la Sierra Nevada. Les plantes pota-
MINES D'OR ET DAJIGEINÏ. 335
gères et les céréales, le blé , le mais, le blé sar- rasin, l'orge, l'avoine, les haricots poussent très- bien , surtout dans les années pluvieuses.
A l'époque de son opulence , cette Mission comptait deux mille cinq cents Indiens, quatorze mille bêtes à cornes , quinze cents chevaux et trente-deux mille moutons. Cette population et ces bestiaux étaient répartis dans les ranchos de Santa Monica ou el cajon de Santa Ysabel , San José , San Bernardo , San Djieguito, Saij Pascual , San Alejo et la Soledad. Aujourd'hui, ces fermes appartiennent à des particuliers qui s'en sont em- parés. A la Mission même il n'y a plus de bétail. Ses habitants se composent de quelques Indiens, d'une famille blanche et du R. P. espagnol Vi- cente Oliva, Aragonais déjà fort âgé, et qui n'a pu sauver du pillage que la ferme de Santa Ysabel, située à dix lieues dans la montagne , et où sont réunis cinq cents Indiens , sous la direction de leurs alcaldes et d'un majordome. Ces indigènes possèdent quelques paires de bœufs de labour, et obtiennent des récoltes qui suffisent à leur entre- tien. A San Isidro , à quatorze lieues dans l'est de San Diego , on trouve des mines d'or et d'ar- gent qui furent exploitées il y a quinze ans par un homme de Guanajuato.
Le pays qui s'étend jusqu'aux bords occiden-
336 INCURSIONS DES INDIENS,
taux du Rio Colorado sur une ligne de soixante lieues environ, est très-pittoresque , et abonde en bois et pâturages. Les Indiens Yumasqui l'habi- tent font quelquefois des incursions sur le terri- toire habité par les blancs. En 1839, une bande de ces Indiens envahit à l'improviste la ferme de Jamiel , à huit lieues de San Diego, et appartenant à la famille du sergent Pico. Les sauvages massa- crèrent quatre blancs et emmenèrent deux jeunes filles prisonnières auxquelles ils firent subir les derniers outrages; ces infortunées inspirèrent aux femmes indiennes une jalousie si furieuse, qu'elles choisirent l'instant où les hommes de la tribu étaient à lachjasse, pour pendre les prisonnières à des arbres et les tuer à coups de pierres !
Qui ne croirait qu'en apprenant ces horribles meurtres, les parents et les amis des victimes ne se soient réunis pour en tirer une vengeance écla- tante .-^11 n'en fut rien cependant ; les autorités im- puissantes ne prirent aucune mesure, et le crime demeura impuni. Sous le régime espagnol , à la première nouvelle de l'attentat, la compagnie présidiale de San Diego , suivie des milices des ranchos, aurait poursuivi et atteint sans doute les assassins et leur aurait fait expier cruellement leur abominable crime. Lorsque la communica- tion était fréquente entre la Sonora et la Califor-
ITINÉRAIRE. 337
nie, on passait des Missions détruites de San Pedro et de San Pablo à Santa Ysabel pour arriver à San Diego. Quelquefois, pour traverser plus ai- sément le Rio Colorado , on remontait trente lieues plus au nord , et les caravanes venaient aboutir au Pueblo de los Angeles, en parcourant l'itinéraire suivant :
De la capitale de la Sonora Pitic ou Hermosillo au
Presidio del Altar 60 lieues.
Du Presidio à Quitobaca 40
De Quitobaca à Santo Domingo 16
De Santo Domingo al Agua Salada 4
Del Agua Salada al Tule 25
Del Tule à la Tinaja Alta 7
De la Tinaja Alta au Rio de los Algonodes 18
Du Rio al Pozo del Alamo 18
Del Pozo al Pozo Hondo 7
Del Pozo Hondo al Carricito 13
Del Carricito à los Vallecitos S
De los Vallecitos à San Felipe 3
De San Felipe à San José 7
De San José à Temecula 15
De Temecula al Temascal 10
Del Temascal à Santa Ana 8
De Santa Ana au pueblo de los Angeles il
267
Tous ces divers points sont des villages d'In- diens, dont la plupart ont souvent visité les Mis-
338 IMPORTANCE DU PORT
sions espagnoles. Nous avons vu plusieurs per- sonnes qui ont fait ce dangereux voyage , qu'on ne doit entreprendre qu'avec des guides sur la fidélité desquels on puisse compter. Les Indiens Yumas, et, plus au nord-ouest sur le Rio Colorado, les Amagaguas , possèdent un grand nombre de chevaux et de bœufs ; ils cultivent les terres , et récoltent toutes les céréales et les plantes pota- gères ; ils sèment du coton et savent le filer et en tisser des étoffes solides ; ils chassent le buffle et le castor, et vendent les peaux aux trappeurs américains venant des Etats-Unis, ou aux Cana- diens que la compagnie de la baie d'Hudson en- voie depuis le Rio Colombia jusqu'à l'embou- chure du Rio Colorado.
La Mission de San Diego produisait autrefois six mille fanègues de blé et une quantité égale de mais; aujourd'hui, elle n'en donne pas plus de dix-huit cents en tout. On y récoltait trente barils devin et trente d'eau-de-vie ; maintenant la vigne est presque abandonnée, et l'on n'obtient que quinze ou vingt barils de vin. Les Indiens ajoutent aux récoltes de Santa Ysabel , des graines silves- tres de graminées , des glands doux et la chair de chevreuils et de cerfs qui sont fort abondants. A la Mission , on fabriquait des étoffes ordinaires en laine et en coton ; le chanvre venait fort bien
DE SAN DIEGO. 339
aussi , mais le sol est trop sec pour la canne à sucre. On y exploitait une tannerie, et l'on fabri- quait du savon avec la soude obtenue en brûlant les plantes marines ramassées sur le rivage de la baie. Entre les mains d'une autre puissance , le port de San Diego acquerrait bien vite de l'im- portance ; il relierait les deux Californies et la Sonora, et pourrait devenir le centre d'une popu- lation nombreuse et d'un grand commerce.
En allant à la Mission de Saint Louis Roi de France , on peut suivre la plage , à la marée basse, jusqu'à la Mission de San Juan Capistrano ; ce- pendant la route ordinaire est à une ou deux lieues de la mer. L'aspect du pays est peu varié; on ne voit partout que grandes prairies ver- doyantes , avec quelques rares bouquets d'arbres, au milieu desquels on aperçoit des fermes isolées. Celles de San Dieguito ou Osuna et El Agua he- dionda sont situées près de la route; à quelques pas d'une lagune on rencontre los Ojitos, petit village d'Indiens. C'est dans le bas-fond où il est placé, que l'on cultivait autrefois en grande quan- tité le chanvre que la Mission de San Luiz Rey envoyait pour la marine royale espagnole à l'ar- senal de San Blas.
340 MISSION DE SAINT LOUIS
MISSION DE SAN LUl'z BEY DE FBANCIA.
La Mission de San Luiz Rey de Francia (Saint Louis Roi de France) fut fondée, le 13 juin 1798, par le R. P. Franciscain espagnol Fr. Antonio Peyri, Catalan; elle est située dans une magnifique plaine , au bord du petit Rio de San Luiz et à dix kilomètres environ de la mer. Sa distance de San Diego est de quatorze lieues, et de treize lieues au nord-ouest de la Mission de San Juan Capistrano. L'édifice de Saint Louis Roi de France est le plus beau , le plus régulier et le plus solide de toute la Californie ; les détails de dis- tribution intérieure indiqués par les plans joints à ce travail, donneront au lecteur une juste idée de son importance ^
Trois grands vergers et jardins potagers qui étaient fort bien cultivés par les moines sont con- tigus aux bâtiments. Cette Mission a compté jus- qu'à trois mille cinq cents Indiens répartis dans près de vingt ranchos sur une étendue de plus de cent lieues carrées. Quelques fermes princi- pales, comme celles de San Antonio de Pala et las
' Voir, dans l'Atlas, la perspective n*" 23 et le plan géométrique n° 24 de cette mission.
ROI DE FRANCE. 341
Flores, formaient de véritables villages avec des chapelles, où résidait souvent un des moinesde la grande Mission. La ferme de San Antonio, située à huit lieues à l'orient dans la montagne, renferme de bons pâturages et de très-beaux bois de cons- truction. Dans le rancho del Agua caliente existe une source d'eau sulfureuse.
En 1834, Saint Louis Roi possédait quatre- vingt mille bêtes à cornes, plus de dix mille che- vaux et cent mille moutons ; elle récoltait qua- torze mille fanègues de grains, deux cents barils d'un vin fort estimé, et une quantité pareille d'eau-de-vie. Elle n'a pas aujourd'hui plus de six cents Indiens, de deux mille bœufs , quatre cents chevaux et quatre mille moutons ; une partie des vignes demeurent incultes. La Mission envoyait généralement ses produits au port de San Diego, dont la route est bonne pour les charrettes ; le mouillage le plus rapproché , celui de las Flores, dans la grande baie des Tremblements de terre (bahia de los Temblores\ est fort dangereux. Les grandes fermes renfermaient des forges , des tan- neries , savonneries, distilleries , de vastes ateliers de charpente , des métiers à tisser la laine , le coton et le chanvre. Une immense saline, dont le sel est d'une blancheur éclatante , se rencontre à une lieue de la Mission.
342 VILLAGE DE LAS FLORES.
La topographie , depuis San Diego jusqu'à Saint Louis Roi , San Juan Capistrano , et même jusqu'à Santa Barbara, est toujours la même. La chaîne de montagnes esta huit, dix , douze lieues de la mer, et la côte se trouve accidentée par de petites collines n'ayant que très-peu d'arbres. Les vallons, arrosés par des ruisseaux, sont d'une extrême fertilité.
Le religieux de San Luiz Rey est le R. P. Fran- cisco Gonzalez de Ibarra, Espagnol déjà avancé en âge , qui a pu sauver quelques débris de la Mission et réunir quatre cents Indiens à la ferme de las Flores , où ils habitent avec une famille blanche. Les moines, dans la Mission de Saint Louis , se trouvent réduits à l'état le plus déplo- rable. Nous avons vu le P. Gonzalez forcé de s'asseoir à la table de l'administrateur, et de souf- frir les grossièretés des vachers et des majordomes, qui s'estimaient heureux , peu d'années aupara- vant , d'entrer au service des moines comme do- mestiques.
Les ranchos principaux de la Mission sont : las Flores , San Antonio de Pala , San Jacinto, Santa Margarita , Agua cahente , San Onofrio, San José et Temécula ; ils ont presque tous été dévastés.
A deux lieues au nord de San Luiz, on rencontre le rancho de Santa Margarita, aujourd'hui donné
LE P. ANTONIO PEYRI. 343
à un particulier qui y cultive de très-belles vignes. Deux lieues plus loin, la grandeferme etchapelle de las Flores , sur une petite éminence à quelques cen- taines de mètres de la plage, se présente dans la position la plus pittoresque. Le jour où nous la visitâmes, nous eûmes l'occasion d'apprécier l'as- cendant extraordinaire que les religieux conser- vent encore sur l'esprit des Indiens. Le P. Anto- nio Peyri , fondateur de Saint Louis Roi, à la suite de persécutions exercées contre lui par les auto- rités mexicaines , a quitté, en 1832, la Californie, aussi pauvre qu'il y était venu , en laissant sa Mission dans l'état le plus florissant. Les Indiens, qui avaient toujours eu pour ce saint homme un respect qui tenait de l'adoration, l'ont vu s'éloi- gner avec désespoir, car ils ont bien compris qu'ils perdaient en lui leur père et leur protec- teur.
Quelques heures après notre arrivée à las Flo- res, les Indiens, leurs deux caciques en tête , por- tant leurs bâtons en signe de commandement, s'avancèrent à ma rencontre, accompagnés de leurs familles. Après que tous les hommes furent, suivant l'usage, venus me toucher la main, le dialogue suivant s'établit entre le premier cacique et nous :
344 LES CACIQUES INDIENS
— Capitan, on dit que tu viens d'Espagne; as-tu vu le roi ' ?
— Oui.
— Et le Père Antonio?
— Non ; mais je sais qu'il est à Barcelone.
— On dit qu'il est mort.'^ reprit l'autre al- calde.
Mon premier interlocuteur se tourna vers son collègue d'un air de profonde incrédulité.
— Non, Monsieur, ce Père-là ne meurt pas! répliqua-t-il {no Senor, este Padreno muere!)
A Saint Louis Roi , on voit un tableau repré- sentant le P. Peyri entouré d'enfants indiens. Les indigènes, lorsqu'ils s'arrêtent devant ce portrait, lui adressent les mêmes prières qu'aux images des saints qui décorent l'église. Ils n'ont pas perdu l'espoir de revoir un jour ce bon Père parmi eux.
J'avais été frappé de la première question de l'alcalde qui m'avait demandé des nouvelles du roi d'Espagne, et ce fut dans le cours de mes
' Les Indiens, accoutumés à communiquer avec des capitaines de navire, appellent capitan tous les étrangers qui leur paraissent «ivoir quelque caractère militaire et politique. Je ne crus pas né- cessaire, dans ma réponse, d'apprendre au Cacique que le Roi Ferdinand était mort, et que c'était une Reine qui gouvernait l'Espagne.
A SAINT LOUIS ROT. ;Mr,
conversations avec ce personnage , et avec plu- sieurs Indiens qui parlaient fort bien l'espagnol et étaient très-Castillans, pour me servir d'une ex- pression usitée dans le pays {muy Castellanos), que je pus me convaincre que le P. Antonio avait donné à ses néophytes quelques notions de poli- tique, et les avait toujours accoutumés à regarder le Roi Catholique comme leur souverain légitime. Les indigènes me firent part des mauvais traite- ments dont ils étaient l'objet de la part des blancs ; ceux-ci leur enlevaient le peu de bétail qu'on leur avait donné ; ils faisaient paître leurs troupeaux sur les terres qui leur avaient été as- signées pour la culture.
« Tu vois, capitan, me disaient-ils, à quel point « nous sommes malheureux ; les Pères ne peu- ce vent plus nous protéger, et les autorités elles- « mêmes nousdépouillent. N'est-il pas douloureux « de nous voir arracher violemment ces Missions « que nous avons construites, ces immenses trou- « peaux rassemblés par nos soins, et enfin de « nous trouver sans cesse exposés ainsi que nos <c familles aux plus mauvais traitements et même « à la mort? Serons-nous donc coupables si nous « nous défendons, et si nous ne revenons dans nos ft tribus vers les talares qu'en emmenant tout « le bétail qui pourra nous suivre.*^ »
34G PLAINTES DES INDIENS.
J'engageai les Indiens à la patience; je m'effor- çai de leur donner des espérances que j'étais loin de concevoir ; mais au fond du cœur, je ne pus m'empêcher de reconnaître que les représail- les des indigènes ne seraient qu'une juste répara- tion delaconduite cruelle etarbitraire des blancs à leur égard.
Lorsque la direction absolue des Missions ap- partenait aux moines, les gens dits de raison se seraient bien gardés de maltraiter les Indiens. Ce ne fut que lorsque leur autorité commença à être usurpée par le pouvoir civil , que l'on vit exercer des actes de brutalité envers les indigènes. Les habitants ont conservé le souvenir d'un ser- mon du P. Peyri , oii l'on remarquait le passage suivant : « Il y a dans ce pays-ci deux races bien «distinctes, les barbares et les demi-barbares; (c les demi-barbares sont nos pauvres Indiens, et « les barbares ce sont les gens dits de raison et « qui n'en ont point [gente que se llama de razon « y que no la tiene). En effet , nous trouvons au « moins parmi les indigènes la docilité et l'amour « du travail, tandis qu'on ne voit parmi les blancs (c que propension au jeu , à la paresse et à l'ivro-
« gnerie. »
Du reste , le plan de vengeance des Indiens est excellent; ils commencent par voler les chevaux
MISSION DE SAN JUAN CAPISTRANO. 3 47
des rancheros, sachant bien qu'un Californien à pied est hors d'état de les poursuivre, et qu'il leur sera ensuite facile de s'emparer des bœufs et enfin d'enlever les femmes blanches.
MISSION DE SAN JUAN CAPISTRANO.
La Mission de Saint Jean Capistran [San Juan Capistrano) y fondée le l*"" novembre 1776, par le préfet apostolique le P. Junipero Serra, est située dans une belle plaine à une lieue de la mer, au bord d'une petite rivière qui ne tarit jamais. Elle a un assez bon mouillage contre les vents qui vont de l'est à l'ouest en passant par le nord. Sa distance de San Luîz Rey est de treize lieues, et de dix lieues de la Mission de San Gabriel au nord. La route qui conduit vers ces deux Missions est très-bonne K
San Juan Capistrano est un des établissements les plus ruinés, malgré la résistance qu'opposa à sa dévastation son missionnaire le R. P. espagnol Fr. José Maria de Zalvidea, Biscayen. La Mission comptait naguère près de deux mille Indiens, soixante-dix mille bêtes à cornes, deux mille
, „ , ^ . Lat. Nord: 33-27'.
' Mouillace de San Juan Capistrano: { , , „
^ ^ (Long. Ouest : 120° r 24'
1. a3
348 HAMEAU DE YORBA.
chevaux, plus de dix mille moutons, et récoltait dix mille f'anegas de grain, de l'huile, et cinq cents barils de vin et eau-de-vie. Aujourd'hui, elle n'a que cent Indiens, cinq cents bœufs, cent cin- quante chevaux, pas un seul mouton , et elle ne récolte que trois cents fanegas de grain et cin- quante ou soixante barils de vin. Le rancho del Agua Caliente, à quatre lieues dans l'est-nord-est, possède une source d'eau nitrée ; les belles fermes del Trabuco , de la Ciénega et de San Mateo ont été données à des particuliers. Cette Mission avait comme les autres des tanneries; le savon s'y fa- brique avec le tequezquite (sous-carbonate de potasse) efflorescent à la surface du sol. Un Fran- çais nommé Jansens réside à la Mission et y fait un petit commerce.
Non loin de la Mission s'étendent de beaux pâturages, mais on a remarqué que dans quelques bas-fonds les chevaux meurent si on les y laisse paître pendant la saison des pluies ; cette circons- tance tient à la présence de quelques plantes véné- neuses que la sécheresse détruit sans doute.
A neuf lieues au nord-nord-est vers San Ga- briel, on trouve sur la route une grande ferme formant une espèce de hameau appartenant à un Californien nommé Yorba. Cette ferme est l'an- cien rancho de Santa Ana de la Mission de San
MISSION DE SAN GABRIEL. 349
(Gabriel . Ce point, imjjortant par sa fertilité et l'abondancedeses troupeaux, est situé sur le Rio Santa Ana qui va se jeter dans la mer. Il est à sept lieues du rivage et embarque ses produits au mouillage de San Juan. Il renferme dix mille bœufs, quinze cents chevaux et trois mille mou- tons; sa population s'élève environ à trois cents personnes, blancset Indiens. A quatre lieues avant d'arriver à San Gabriel, sur le Rio de ce nom, on rencontre une grande ferme fort riche, celle del Coyote, appartenant à la famille Nieto.
MISSION DE SAN GABRIEL ARCANGEL.
La Mission de Saint Gabriel Archange {San Ga- briel Arcângel), fondée le 8 septembre 1771, par le R. P. Junipero Serra, est éloignée de dix-huit lieues au nord de San Juan Capistrano , de neuf lieues à l'est-sud-est de San Fernando , de dix lieues de la mer , de douze du port de San Pedro et de quatre lieues du Pueblo deNuestra Seiiora de los Angeles. Cette Mission, la plus vaste et la plus riche des deux Californies, est située au pied d'une sierra accidentée et couverte de bois, au milieu d'une immense et magnifique plaine, sur l'emplacement des villages Indiens des tribus Juy u- bit , Caguillas et Sibapot; les terrains qui l'envi-
23.
350 VIGNES DE LA MISSION,
ronnent sont d'une extrême fertilité. Le nombre des bestiaux était si considérable, que l'on a été quelquefois obligé de tuer les chevaux afin de réserver les pâturages aux bœufs. En 1834, à l'époque de son opulence, San Gabriel réunissait près de trois mille Indiens et possédait cent cinq mille bêtes à cornes , vingt mille chevaux, plus de quarante mille moutons : on y récoltait vingt mille fanegas de céréales , cinq cents barils de vin et autant d'eau-de-vie. Aujourd'hui elle n'a que cinq cents Indiens, sept cents bœufs, cinq cents chevaux et trois mille cinq cents moutons.
C'est an R. P. Zalvidea, dont nous avons déjà parlé, que San Gabriel doit l'introduction de la culture de la vigne. Il fît un premier essai par un plant de soixante-dix mille pieds, ce qui lui valut danslepays lesurnom de : «Père aux soixante-dix (c mille ceps » (el Padre de las setenta mil cepas). Il existe près de la Mission de beaux bouquets de palmiers , trois grandes vignes contiguës qui renferment près de deux cent mille pieds, quatre superbes vergers et potagers, un immense jardin d'oliviers et un autre contenant quatre cents orangers. Les vignes , jardins et vergers étaient entourés de haies ou palissades impénétrables en raquettes ou figuiers de Barbarie. Le R. P. Zal- videa avait traité, avec une maison américaine,
FERMES DE SAN GABRIEL. 351
pour la fourniture des grilles en fer nécessaires à la clôture des vignes, et se voyait sur le point de réunir tous les matériaux nécessaires lorsque la sécularisation eut lieu. Ce moine se distinguait par son esprit entreprenajit ; il envoyait tous les ans à San Blas un navire chargé d'huile, de chan- vre et de lin; souvent il en expédiait un autre à Lima avec une cargaison de savon ou de suif. Le nombre de cuirs fournis par la Mission était de trente à trente-cinq mille par an.
Cette Mission a un ruisseau, le Rio de San Gabriel, qui se jette dans la mer, un lac assez éten- du qui sert pour l'arrosage, deux moulins à grain et une scierie mécanique, de grands ateliers, pressoirs, alambics, filatures, métiers à tisser la laine , le coton , le chanvre et le lin , tajineries et savonneries, etc.
La Mission possédait dix-sept fermes pour le grand bétail, bêtes à cornes etchevalines, et quinze pour le petit, tel que moutons, chèvres et co- chons; elle employait au labourage douze cents paires de bœufs. A la grande ferme de SanBernar- dino, qui est à seize lieues vers l'est dans la monta- gne , il y avait une église, un moine et deux cents Indiens. La sierra est peuplée de cèdres, de chê- nes , de noyers et de très-beaux pins. On y trouve des sources chaudes d'eau sulfureuse et des mine-
352 LE R. p. ESTÉINEGA.
rais de diverses espèces. Le rancho de San Ber- nardino est aujourd'hui une propriété particu- lière renfermant deux mille bœufs et trois cents chevaux. Les fermes principales sont : au sud, la Mission Vieja et la Puente ; au nord, Santa Anita ; au nord-est , Asusa , la Brea , San Antonio ; à l'est , San José, el Chino, Cucamonga, Jurupa, Agua Galiente, Jesapita, San Bernardino, San Gorgono à vingt-six lieues dans l'est.
Avec tant de richesses, on conçoit aisément combien les Indiens étaient heureux , bien nour- ris et bien vêtus. On montre dans le parloir deux énormes bahuts qui, il y a peu d'années, renfer- maient en espèces plus de cent mille piastres. Les Missionnaires avaient souvent deux cent mille francs de marchandises européennes en ma- gasin. Tout a été pillé par les administrateurs civils : à quelques pas de la Mission le terrain a été donné, et déjà quelques Américains et An- glais y ont construit des maisons. On a à peine laissé deux fermes à la Mission, et les Indiens ne doivent aujourd'hui un reste de bien-être qu'à la protection du plus jeune et du plus actif des Franciscains espagnols, le R. P. Tomas Esté- nega, Biscayen.
Un jour, étant allé le voir, je le trouvai dans un champ, devant une grande table, le capuchon
PUËBLO DE LOS ANGELES. 353
renversé, les manches retroussées, pétrissant de l'argile et montrant à faire des briques aux néo- phytes qui l'entouraient. Du plus loin qu'il m'a- perçut il me salua de la main en me criant : « Amigo ! con estafamilia , consilio manuque ! »
PUEBLO DE LOS ANGELES.
Le Pueblo de Nuestra Sefiora la Reyna de los Angeles (bourg de Notre Dame des Anges) fut fondé à la fin de décembre 1781 , par ordre du gouverneur de Californie, Don Felipe de Neve, qui avait reçu des colons espagnols de la Sonora. Le Pueblo est situé au bord du Rio de Porciùn- cula ou de los Angeles, au milieu d'une grande plaine couverte d'arbres, d'oliviers, de vergers et de vignes considérables ; il est éloigné de quatre lieues au sud-ouest de la Mission de San Gabriel , de neuf au sud-est de celle de San Fernando et de dix lieues du port de San Pedro. De toute la Californie, c'est le point où la population blan- che est la plus forte; elle s'élève à douze cents âmes; les Américains sont les plus nombreux; les deux principaux sont MM. John Temple et surtout Abel Stearns qui est fort riche. Plusieurs Français mariés y résident et y cultivent la vigne avec le plus grand succès, MM. Bouchet , Girau-
354 PRÉSENT DES FRANÇAIS DE CALIFORNIE deaii, Saint-Sevain et M. Vignes, vigneron bor- delais. Ce dernier, au nom des Français, nous avait remis un baril de vin de Californie qu'il nous avait chargé d'offrir au Roi, et le R. P. To- mas nous en avait donné un autre pour M. le Maréchal Duc de Dalmatie qui, dans la guerre d'Espagne, avait protégé son couvent. Après avoir voyagé heureusement de Californie à Mazatlan et de là à Hambourg, au moment d'être transbordés sur un navire pour France , ces deux présents ont été détruits par l'incendie de la douane de Ham- bourg où ils étaient en dépôt de transit.
Pendant son exil des îles Sandwich , M. l'abbé Bachelot fut curé du Pueblo et y a laissé les plus touchants souvenirs.
C'est à los Angeles qu'arrivent tous les ans les caravanes qui viennent du Nouveau Mexique. Elles se composent de deux cents hommes à cheval , ayant des mulets chargés d'étoffes et de couvertures grossières en laine, nommées sarapes, jerga et cobertones , valant de trois à cinq piastres la pièce environ; ils échangent ces marchandises pour des chevaux et des mules , et donnent gé- néralement deux couvertures pour un animal. La caravane part de Santa Fé du Nouveau Mexi- que (latitude nord 36 degrés 12 minutes) en octo- bre, avant que la neige commence à tomber, et, se
AU ROI ET AU MARÉCHAL SOULT. 3ô5
dirigeant vers l'ouest, elle coupe la sierra Madré, descend au sud du Rio Navajoas , passe par le territoire des Missions détruites des Indiens Mo- quis, des Apaches et des Yumayas, traverse le Rio Colorado, vers le 34^ degré , croise la sierra Nevada, la vallée de los Tulares, les monts Cali- forniens et arrive enfin aux fermes les plus orien- tales de la Californie, d'où elle vient aboutir au Pueblodelos Angeles. Ce voyage dure deux mois et demi. La caravane repart de Californie en avril, afin de traverser les rivières avant la fonte des neiges et emmène avec elle environ deux mille bêtes chevalines'.
L'expédition arrivée au Pueblo en novembre 1841 comptait, indépendamment de deux cents Nouveaux Mexicains , environ soixante Améri- cains du Nord. A la même époque, quarante de ces aventuriers qui s'étaient détachés de la cara- vane arrivèrent plus au nord, au Pueblo de San José de Guadalupe. En janvier 1842, nous eûmes l'occasion de voir plusieurs de ces coureurs des bois ; ils nous annoncèrent qu'ils seraient suivis sous peu par de nombreux émigrants. Ce nouveau symptôme d'envahissement mérite la plus grande attention.
' Voir dans l'Atlas cet itinéraire tracé sur la grande carte géné- rale n° 1.
356 CARAV AINES DU NOUVEAU MEXIQUE.
Le Pueblo de los Angeles est fort riche; les dépouilles des Missions voisines sont réunies en- tre les mains des habitants; sur une superficie de quinze à vingt lieues en carré, ils possèdent plus de quatre-vingt mille bêtes à cornes , vingt-cinq mille chevaux et dix mille moutons ; la récolte des vignes produit six cents barils de vin et autant d'eau-de-vie; mais celle des céréales arrive à peine à trois mille fanegas. Cette faible production de céréales tient à la paresse des colons qui ne veu- lent pas labourer. Toutes les cultures du Pueblo sont faites par les Indiens d'un petit village, cam- pés au bord d'un ruisseau, à l'extrémité des habi- tations. Ces malheureux sont souvent fort mal- traités, et ne reçoivent pas toujours exactement le prix de leur journée , qui est fixé à un réal en argent et un réal en marchandise, c'est-à-dire, un quart de piastre. 11 existe dans le Pueblo soixante huerlas ou jardins plantés de vignes, représen- tant une superficie d'environ cent hectares. On fabrique un peu de savon , et il existe une tan- nerie. Tout le commerce est entre les mains des étrangers.
\^i\ de nos nationaux , M. Charles Baric , celui qui , par son intelligence et sa connaissance du pays, pourrait rendre le plus de services, tra- fique dans toute la province , mais depuis quel-
MINES PRÈS DE LOS ANGELES. 357
que temps il se livre à l'exploitation d'une mine d'or vierge en grains qu'il a découverte au ran- cho de San Francisquito , à six lieues dans la mon- tagne , au nord de la Mission de San Fernando , et à quinze lieues de los Angeles. Ce filon a une étendue de seize lieues , suivant la direction du ravin oii il est situé. L'or se trouve presque à la surface du sol , et quelques morceaux pèsent de deux à trois gros. On l'achète , dans le pays , à raison de quatorze piastres l'once , payables en espèces, ou seize piastres en marchandises. Au rancho de Cahuenga , à deux lieues au nord-ouest du Pueblo , il existe des minerais d'argent non exploités faute de mercure et de personnes con- naissant l'industrie minière. Les Indiens rappor- tent souvent de la sierra des grains de cuivre natif, des fragments d'opale et des morceaux de galène (sulfure de plomb).
A deux lieues au sud-est, on trouve quatre grandes sources d'asphalte situées à fleur de terre, dans une vaste prairie. Ces bouches s'ouvrent au milieu de petites mares d'eau froide , tandis que le bitume possède une température supérieure. Cette eau a un goût minéral , qui n'empêche pour- tant pas les bestiaux de s'en abreuver. Au lever du soleil , les orifices des sources sont couverts par d'énormes cloches d'asphalte, ayant souvent plus
358 SOURCES D'ASPHALTE,
d'unmètre de haut, et semblables à des bulles desa- von. A mesure que l'air s'échauffe, les gaz contenus dans la cloche se dilatent, et cette dernière éclate en produisant une détonation assez violente. Les habitants recueillent l'asphalte solidifié, et s'en servent pour enduire les toits de leurs maisons, formés de roseaux ou de planchettes (bardeaux). Les navires transportent aussi ce bitume sur di- vers points du département. Cette matière pré- sente cependant l'inconvénient de se fondre au soleil , de couler en bas des toits et de s'infiltrer à travers la toiture. Les maisons qui en sont cou- vertes demandent un entretien attentif, mais peu coûteux , puisque les sources sont exploitées par chacun selon ses besoins.
Voici les noms des fermes principales qui entou- rent los Angeles : losAlamitos, losCerritos,losDo- minguez, SanPedro, los Coyotes, la Boisa Grande, la Boisa Chiquita, Palo Verde, la Javoneria, los Cuervos, la Laguna, Serrano, Verdugo, Feliz, la Bayona , San Vicente , Rodeo de las Aguas, Sau- zal redondo, Arroyo hondo et la Rosa deCastilla, à deux lieues vers San Gabriel , où se trouve un moulin appartenant à des Américains. M. Saint- Sevain a aussi construit un beau moulin et une scierie mécanique sur un petit courant d'eau.
Le Pueblo possède une église desservie par le
MÏSSION DE SAN FERNANDO. 359
moine de San Gabriel et une petite école pri- maire tenue par une femme. Le gouvernement est confié à un préfet et à deux juges de paix ou alcaldes. Une mauvaise pièce de quatre en fer est abandonnée au milieu de la place ; elle sert quel- quefois pour les réjouissances publiques. Le Pue- blo ne renferme d'ailleurs ni milices ni soldats , si ce n'est depuis l'arrivée récente du général Micheltorena qui y avait provisoirement fixé sa résidence.
Les habitants de los Angeles,jaloux delà supré- matie de Monte Rey, ont plusieurs fois voulu faire déclarer le Pueblo ville capitale , et dans toutes les révolutions de la province , ils ont joué un grand rôle. Les étrangers y sont nombreux , les Américains surtout; les Français et leurs familles forment un total de quarante personnes; ils se conduisent bien et sont très-aimés.
MISSION DE SAN FERNANDO BEY DE ESPANA.
La Mission de San Fernando Rey de Es pana (de Saint Ferdinand Roi d'Espagne), fondée le 8 septembre 1797, est située à neuf lieues à l'ouest quart nord-ouest de San Gabriel , à sept du Pueblo et à quatorze lieues du port de San Pedro. File a eu jusqu'à quinze cents Indiens ; en 1838
360 GRANDE PLAIÎSE.
elle possédait encore quatorze mille bêtes à cornes, cinq mille chevaux et sept mille montons ; elle a récolté jusqu'à huit mille fanègues de grain , et deux cents barils de vin et d'eau-de-vie; elle ne compte plus aujourd'hui que quatre cents In- diens, quinze cents bœufs, quatre cents chevaux et deux mille moutons. Cet établissement est assez bien conservé , grâce aux soins de son Mission- naire espagnol , le R. P. Blâs Ordâz, Castillan. La Mission s'élève au pied de la sierra; elle pos- sède de bons pâturages et de beaux bois de cons- truction : ses grandes fermes sont las Virgenes, la Amarga et Cahuenga , et San Francisquito, où se trouvent les mines d'or et d'argent dont nous avons déjà parlé.
Près de San Fernando , une vaste gorge coupe la sierra et donne entrée dans l'immense plaine qui conduit jusqu'aux rivages des Rios San Joa- quin et del Sacramento. Cette plaine, qui ne pré- sente que quelques ondulations de terrain, a près de cent cinquante lieues de long sur une largeur de dix , quinze et vingt lieues courant nord et sud. Elle est habitée par des tribus barbares et quelques Indiens qui ont quitté les Missions. Le sol en est d'une grande fertilité , entrecoupé de ruisseaux et très-boisé. D'après les échantillons rapportés par les Indiens , on doit croire que la
PORT DE SAN PEDRO. 361
sierra est riche en minéraux de toute espèce. Des bandes innombrables de cerfs , de daims , de taureaux et de chevaux sauvages paissent en li- berté dans ces vastes prairies.
POHT DE SAN PEDRO.
Le port de San Pedro est situé à quatre lieues de la Mission de San Fernando, à douze de celle de San Gabriel et à dix du Pueblo de los Angeles. Ce mouillage ne mérite pas le nom déport, c'est une grande baie qui a près de quinze milles d'ou- verture d'une pointe à l'autre; on n'y voit qu'une seule maison ou magasin de cuirs qui appartient à M. Stearns ; la ferme de Lugo est à une demi- lieue de distance. Le mouillage n'est bon que dans l'été; on s'y trouve à l'abri des vents régnants du nord-ouest ; mais si la mer est houleuse , il faut jeter l'ancre à un ou deux milles de terre : à un demi-mille l'on a de quatre à cinq brasses , fond de vase dure et de bonne tenue , gardant la pointe San Pedro à l'ouest demi-nord , l'îlot à l'est, et le milieu de l'île Santa Catalina au sud. Au fond de la baie on aperçoit une grande lagune qui s'a- vance dans l'intérieur des terres, et où pourraient entrer des navires calant huit pieds d'eau ; l'en-
362 ILES DE LA COTE.
trée en est obstruée par un petit banc de sable
facile à creuser ^
Le port de San Pedro est très-important pour le commerce ; c'est par lui qu'arrivent et s'expor- tent les marchandises destinées à los Angeles, aux Missions et aux fermes de San Fernando et San Gabriel, et les produits de ces établissements. On y embarque annuellement trente mille cuirs. Vers 1834, on en exportait de cent à cent vingt mille et deux mille cinq cents quintaux de suif; les navires prenaient aussi quelques chargements de savon. Le vin se vend, au Pueblo, vingt pias- tres , et l'eau-de-vie cinquante le baril de quatre- vingt-dix bouteilles; le savon, deux piastres et demie l'arroba ou dix piastres le quintal.
GROUPE DES ILES SANTA CATALINA ET SAN CLEMENTE.
En face de la côte de San Pedro on aperçoit , au sud et à vingt milles de distance , l'île de Santa Catalina , qui a six lieues de long est et ouest et trois de large ; elle est assez élevée, et présente au milieu une dépression telle qu'on la prendrait de loin pour deux îles séparées. A vingt milles au
' Voir dans l'Atlas le plan n** 12.
(Latitude Nord: 33" 43'. Port San Pedro : { . , ^ « ,
I Longitude Ouest : 1 20** 34 .
CANAL DE SANTA BARBARA. ;)(iS
sud de Santa Catalina se trouve l'île de San Clé- mente , découverte par Cabrillo en 1542 , un peu plus grande et plus haute que la précédente, et dont la direction générale est nord et sud dans sa longueur. A dix lieues à l'ouest, et sur le même parallèle que Santa Catalina , apparaît la petite île de Santa Barbara , et sur la même ligne et à la même distance à l'ouest, celle de San JNicolas, où aborda Vizcaino, en 1602. Toutes deux se trouvent éloignées de seize lieues de la Punta de la Convercion, sur la terre ferme. A quelques milles au nord-ouest de San Nicolas, se dresse un rocher isolé ; on peut passer entre les deux îles.
DISTRICT DE SANTA BABBABA.
Le canal de Santa Barbara est formé par la côte depuis la Pointe de la Concepcion jusqu'à celle de la Convercion et les quatre îles de Santo Tomâs ou Encapa, Santa Crùz, San Miguel ou Santa Rosa et San Bernardo, qui servit de tom- beau à Rodriguez Cabrillo. On sait que c'est cet intrépide navigateur qui, en 1542, découvrit tou- tes ces îles et une grande partie de la côte. A huit milles à l'ouest de San Bernardo s'élève le petit groupe de rochers nommé el Farallon de lohos. IjC passage entre ces diverses îles est libre et sain
I. 24
3(i4 ILE DE SANTA CRUZ.
partout. La plupart possèdent de bons mouillages avec du bois et des aiguades : les principaux sont à Santa Catalina , dans l'ouest , au centre de la coupure, où pendant quelque temps des navires de Boston vinrent saler leurs cuirs : à San Miguel, au nord-ouest : à San Clémente, à l'est. Autrefois les Indiens peuplaient ces îles , mais, depuis quel- ques années , ils se sont établis à terre pour éviter les mauvais traitements des équipages américains et autres qui allaient chasser les loutres et les veaux marins. Cependant , quelques indigènes vont à San Clémente ; ils en rapportent des mor- ceaux de kaolin ou de sulfate de fer.
L'île de Santa Crùz, qui est la plus grande, n'est éloignée du mouillage de Santa Barbara que de dix milles ; sa superficie est de vingt lieues environ; elle a, à l'ouest, un bon port et une petite rivière. Nous avons déjà parlé de l'essai infructueux de colonisation tenté par le gouver- nement de Monte Rey. Cette île vient d'être don- née à un négociant espagnol , résidant à Santa Barbara, Don iVntonio Aguirre, qui se propose d'y élever des bestiaux , car les pâturages y sont fort beaux. Les navires marchands font un grand commerce de contrebande dans ces îles; elles leur servent surtout de lieu de transbordement.
Dans le canal de Santa Barbara le courant vient
MISSION DE SAN BUENA VENTURA. 365
du nord et suit la direction de la côte ; les sources d'asphalte qui se jettent dans la mer répandent à sa surface une couche huileuse et noirâtre qui s'aperçoit de loin et laisse échapper une odeur bitumineuse qui s'étend à plusieurs lieues au large. Il n'y a point d'autres îles sur la côte , excepté les Farallones de los Frayles, situés en face de l'en- trée de la baie de San Francisco, et qui seront décrits lorsqu'il sera parlé de ce port magni- fique.
MISSION DE SAN BUENA VENTURA.
- Tja Mission de San Buenaventiira (de Saint Bo- naventure) fut fondée, le 31 mars 1772, par le R. P. préfet Fr. Junipero Serra; elle est à dix lieues à l'occident de San Fernando , à dix au sud-est de Santa Barbara , et à un mille seule- ment du rivage de la mer. Cet établissement réu- nissait, en 1834, onze cents Indiens ; il possédait quatre mille bœufs , mille chevaux , six mille montons , et récoltait deux mille cinq cents fa- nègues; aujourd'hui il ne compte que trois cents Indiens et tout au plus mille têtes de bétail grand et petit. Il n'y a point de Missionnaire. Le dernier Père espagnol , Fr. Ventura Fortuni , vient de mourir, et l'église est desservie de temps à autre
Sîjo SIERRA DE SAN FERNANDO,
par un des deux moines de Santa Barbara. La situation de San Buenaventnra est très-belle; elle se trouve au bord d'un petit ruisseau qui porte son nom , et ses vastes prairies sont encore arro- sées par le Rio de Santa Clara , qui se jette dans la mer à quelques lieues au sud , près de la Pointe de la Conversion. Par un beau temps , les navires peuvent mouiller dans une petite anse à deux milles de la Mission , ayant de cinq à huit brasses de fond. Les fermes de Simi et del Conejo ont été données. Les jardins et vergers, qui sont très- fertiles, sont remplis de bananiers, d'orangers et de palmiers ; mais l'absence d'un religieux est cause qu'on ne tire presque aucun parti de ces belles plantations. L'édifice de la Mission est en assez mauvais état , et les rancheros se sont même emparés d'une partie des logements.
Pour aller de San Fernando à San Buenaven- tnra , on traverse la sierra de San Fernando , qui offre à chaque instant des rochers et des sites boi- sés des plus pittoresques. Au pied du versant occidental de cette petite chaîne de montagnes que l'on met trois heures à franchir, se développe une verte plaine de quinze lieues d'étendue , au milieu de laquelle on trouve plusieurs ranchos et la riche ferme de Simi. .Les Indiens de San Buenaventnra sont renom-
PORT DE SAINTA BARBARA. 367
mes dans toute la Californie pour leur habileté à tresser des corbeilles; leurs ouvrages de vannerie, formés de joncs et de plumes brillantes , sont d'une finesse extrême, et ne permettent point à l'eau de s'écouler. Il est cependant très-difficile de s'en procurer aujourd'hui, presque tous les Indiens adroits étant retournés dans leurs tribus. La distance de Saint Bonaventure à Sainte Barbe est de dix lieues, que l'on peut parcourir en voi- ture , en suivant la plage. Dans certains endroits la falaise est coupée à pic, et laisse apercevoir de belles stratifications de schistes brillants et d'ocrés de couleurs variées.
PORT DE SANTA BAKBARA.
En venant du large, le mouillage de Santa Bar- bara est facile à reconnaître; la crête de la chaîne des montagnes qui court parallèlement à la mer est horizontale en arrivant du nord; elle tombe brus- quement, et donne naissance à une brèche large de quatre milles ; elle se relève ensuite au sud , en formant plusieurs pitons déchirés. Le centre du mouillage coïncide avec celui de la grande île de Santa Crùz. Lorsqu'on approche de terre , on découvre la façade et les deux clochers de la Mis- sion, située à une lieue du rivage. Le grand ma-
368 MOUILLAGE. — PRESIDIO
gasin de cuirs indique le mouillage. On peut jeter l'ancre à un demi-mille du bord, par sept et huit mètres, fond de sable dur, recouvert d'énor- mes fucus, et d'assez mauvaise tenue '.
La petite pointe sur laquelle était située l'an- cienne batterie espagnole , et dont il ne reste plus aucune trace , garantit les navires du uord-ouest, mais en doublant cette pointe, terminée par quel- ques roches noyées sur lesquelles la mer brise , on doit se tenir à une certaine distance. Il est souvent dangereux de débarquer à Santa Barbara; parfois les canots chavirent , car en tout temps il y a un ressac épouvantable. On peut s'y procurer des vivres , mais l'eau et le bois sont difficiles à faire.
Il n'existe, au bord de la mer, que quelques baraques en planches; le Presidio et le Pueblo qui l'environne sont à un mille du rivage ; la plaine qui y conduit a une déclivité presque insensi- ble; il résulte néanmoins d'observations faites avec soin, que le sol du Presidio est de quelques pieds au-dessous du niveau de la mer, ce qui
' Voir dans l'Atlas le plan n" 13.
/ Latitude Nord : 34*» 24' 40". Port de Santa Barbara : ' Longitnde Ouest : 122" 20' 30". En temps : 8*» 9™ 22».
ET PUEBLO DE SANTA BARBARA. 369
[)oiirrait entraîner de graves inconvénients, dans le cas où la localité éprouverait quelques forts tremblements de terre. En allant vers la Mission, qui est à une lieue de la plage, le terrain se re- lève doucement , et l'église se trouve être de qua- rante mètres au-dessus du niveau de l'Océan.
Le Presidio, fondé en 1780, est en ruine ; à peine si quelques pans de murailles en terre res- tent debout ; les fossés sont comblés, et la chapelle seule est conservée. Le rancho del Rey, ou ferme royale dépendante du Presidio , a été donnée au capitaine Noriega , qui avait mérité cette récon»- pense par ses longs services.
PUEBLO DK SANTA BABBABA.
Le Puebloetquelquesmaisonssont assez bien bâ- tis. La population blanche se compose de huit cents individus; la plupart des habitants sont fermiers, le commerce étant entièrement accaparéparlesétran- gers. Les Anglais sont plus nombreux que les Amé- ricains. Des deux Français qui y résident, l'un s'a- donne à l'agriculture, et l'autre, M. Ardisson, a un commerce assez étendu. Les seules autorités de Sainte Barbe sont le sous-préfet et l'alcalde ou juge de paix. Il existe encore une pièce de quatre et deux de huit en bronze, et une garnison de quinze
370 MISSION DE SANÏA BARBARA,
soldats et cinq officiers, presque tous gens du pays. Ce Pueblo , en partie à cause de sa position géo- graphique , joue un rôle fort important dans les affaires intérieures de la province ; il tient la ba- lance entre Monte Rey et los Angeles, et a toujours décidé les révolutions. Il reste encore, dans le Pueblo de Santa Barbara, quelques traces des bons principes de religion et d'ordre de l'an- cienne administration royale; ce résultat est dû à la présence de trois Espagnols qui exercent dans toute la Californie la plus grande influence , le R. P. Narciso Duran , président et préfet apos- tolique des Missions du Sud , Don José Noriega, l'ancien capitaine du Presidio, et Don Antonio Aguirre, le négociant le plus riche du pays, et avec lequel presque tous les habitants ont des rapports d'intérêt. Ces trois personnages, unis par l'amitié la plus intime, sont les chefs de ce qu'on appelle le parti espagnol, dont nous avons déjà parlé à l'occasion du Mexique.
MISSION DE SANTA BABBABA.
La Mission de Santa Barbara (de Sainte-Barbe), fondée le 4 décembre 1786, est située à une lieue de la mer et à deux kilomètres du Pueblo, au pied d'une chaîne de montagnes arides qui la
LE P. DIJRAN, PRÉFET APOSTOLIQUE. 37 1
protègent contre les vents de l'est et du nord. Sa construction est très-régulière; sa galerie, formée par des arcades, et l'église, qui a deux belles tours, sont bâties en pierre de taille. Les jardins et vergers sont très-vastes et bien arrosés ; il y a sur la place de la Mission une grande fontaine dont les eaux sont amenées de la montagne et font mouvoir un beau moulin. On trouve dans la sierra les dépôts calcaires des coquilles que Ton emploie à la bâtisse. Cette Mission, resserrée entre le rivage et les montagnes, ne possède qu'un petit nombre de terrains propres à la culture ; aussi n'a-t-elle jamais atteint un grand développement. Toutefois, elle comptait en 1834, douze cents In- diens, elle avait cinq mille bêtes à cornes, douze cents chevaux , cinq mille moutons et récoltait trois mille fanègues de grain ; il ne lui reste au- jourd'hui que quatre cents Indiens, dix-huit cents bœufs, cent soixante chevaux et quatre cents moutons; elle est la résidence du préfet apostolique, le P. Narciso Duran, et du P. Anto- nio Ximenez , Mexicain et membre du Collège de San Fernando. Ce Père, qui est jeune, dessert les Missions de San Buenaventura et de la Purisima Concepcion qui n'ont point de religieux.
Il importe de citer ici un fait qui prouve l'in- fluence lointaine de la France catholique.
372 INFLUENCE LOINTAINE
Après avoir reçu comme des frères MM. Ba- chelot et Short, et confié au premier la cure du Pueblo de los Angeles, en vertu des pouvoirs épis- copaux dont il est revêtu , le R. P. Duran n'a cessé d'être en rapport avec nos Missionnaires des îles Sandwich. Les expéditions successives de la Vé- nus, de l'Artémise et de la Danaïde donnèrent aux Franciscains et aux habitants de la Californie la plus haute idée de la France , qui envoyait trois frégates pour protéger un membre de son clergé.
Nous annonçâmes au P. Duran l'arrivée à Sandw^ich de Monseigneur l'Evêque deNilopolis, et lui fîmes part des efforts tentés par l'association de la Propagation de la Foi pour soutenir ces Missions éloignées. Le président prononça au Pueblo de Santa Barbara un sermon qu'il envoya sous forme de lettre pastorale pour être lue dans les églises, engageant les fidèles à établir entre eux l'œuvre de la propagande , au moyen d'une cotisation annuelle d'une piastre. En peu de jours il réunit, à Sainte Barbe seulement, trois cents piastres fortes, et au commencement de l'année dernière, une somme semblable que I). Antonio Aguirre envoya , par un correspondant de Lima, au trésorier de l'association à Lyon. Ainsi , dans l'espace de douze mois, le village de Santa Bar-
DE LA FRAINCE CATHOLIQUE. 373
bara, donton ne sait pas même le nom en Europe, a fait remettre en France pour l'œuvre de la pro- pagande une somme de six mille francs . Ce pe- tit Pueblo ne compte guère que huit cents habi- tants, et combien de villes de France qui en ont plus de huit mille sont loin de se soumettre annuellement à une pareille contribution volon- taire ! N'est-ce pas un spectacle touchant que celui de ces religieux espagnols qui, voyant chaque jour s'écrouler les Missions qu'ils avaient cons- truites, envoient de si loin leur obole à la France pour l'aider à en ériger de nouvelles'?
La lettre pastorale du préfet apostolique, après avoir exposé le plan général de l'Association, se terminait ainsi :
«Oui, mes frères, qui de nous aurait jamais « pu croire que cette même France qui , il y a ce cinquante ans, dans le délire de sa fièvre impie « et révolutionnaire, proscrivit tous les cultes, « devait mériter de la Providence d'être choisie « comme instrument pour étendre la Sainte Eglise « Catholique parmi toutes les nations? Et c'est « de la France du dix-neuvième siècle que , dans « sa sagesse admirable, la miséricorde divine se « sert pour initier à la religion véritable toutes les
' Voir dans re volume la vignette n** 2. Portrait du P. Duran.
374 VOLCAN ET MOUILLAGES.
« populations répandues dans les îles et sur les
« côtes de l'Océan Pacifique !
« Je désire que Dieu bénisse celte œuvre entiè- ft rement sienne, et qu'elle fructifie pour son plus « grand honneur et gloire, et pour la prospérité « spirituelle et temporelle de la France , et de ses « Monarques Très-Chrétiens qui soutiennent avec (c tant d'éclat ce titre , le plus beau de leur cou- « ronne, dans ces régions si éloignées du centre (c de leur empire'.
A une lieue et demie au nord de Santa Barbara, on trouve sur la côte le rancho de la Brea, près duquel s'ouvrent dans la mer plusieurs bouches de goudron minéral. Sur le rivage et sur plusieurs autres points on rencontre des croûtes de bitume. A sept lieues de la mer, à vingt-six de los Angeles et à l'est du Pueblo de Santa Barbara, il existe au rancho de las Pozas un volcan dont le cratère peu élevé laisse de temps en temps échapper de la fumée. Les alentours de ce volcan sont remplis de soufre. A une lieue environ de la Mission , on voit aussi des sources d'eau sulfureuse dont la température est voisine decelledel'eaubouillante. 11 n'y a point de bois propres à la charpente dans les environs de Santa Barbara. Comme il serait
' L'oiiginal de celle leltie pastorale est entre nos mains.
MISSION DE LA PLRISIMÂ CONCEPCION. 37.-.
trop pénible et trop coûteux de les faire arriver de la sierra, qui est à sept ou huit lieues de dis- tance, on préfère en apporter par mer de Monte Rey ou des moulins à scie de la Mission de Santa Crùz.
En suivant la côte , on passe devant la ferme et le mouillage del Réfugia, situé à sept lieues du port de Santa Barbara, et reconnaissable de loin à une maison blanche couverte en tuiles rouges qui s'élève près du rivage. De là jusqu'à la pointe de la Conception la côte court droit à l'ouest. Au sud delà pointe se trouve l'ancrage de el Cojo, nom qui a été donné à cette localité en souvenir du cacique d'une tribu établie sur ce rivage, et qui était boiteux. Ce mouillage et celui del Refugio présentent partout de cinq à dix brasses très-près de terre. On y est à l'abri des vents de l'été. Les fermes de las Pozas , Mescaltitan , el Refugio , los dos Pueblos et San Julian qui appartenaient à la Mission de Sainte Barbe, ont été données à des particuliers.
MISSION DE LA PURISIMA CONCEPCION.
La Mission de la Purisima Concepcion (de la Très-Pure et Immaculée Conception), fondée le 8 décembre 1787, est éloignée de dix-sept lieues
376 MISSION DE SANTA INÈS :
à l'ouest-nord-oiiest de la Mission de Santa Inès. Cet établissement, situé au bord d'un ruisseau, à quatre milles de la mer, entre la pointe de la Concepcion et la Piinta Arguello^ est aujourd'hui presque entièrement ruiné. Il n'y a pas de Mis- sionnaire, et l'on n'y trouve qu'une soixantaine d'Indiens. Quant au bétail , il se compose seule- ment de huit cents bœufs, de trois mille cinq cents moutons et de trois cents chevaux. En 1834, la Mission comptait encore neuf cents néophytes, quinze mille bêtes à cornes, deux mille chevaux, quatorze mille moutons et récoltait six mille fa- nègues de céréales.
La distance de dix-huit lieues qui sépare la Mission de la Concepcion de celle de San Luiz Obispo, est presque entièrement occupée par une plaine d'une vaste étendue appelée la Larga (la longue), arrosée par le Rio San Geraldo, et présentant de beaux pâturages. Vers le milieu, à quatre lieues de la mer , près de la ferme de la Guadalupe, il existe un petit cratère d'où s'exha- lent de temps en temps des vapeurs sulfureuses. Cette plaine est du reste d'une extrême fertilité.
SES RICHESSES ACTUELLES. 377
MISSION DE SAINTA INES.
La Mission de Sainte Inès, fondée le 17 sep- tembre 1804, est éloignée de douze lieues au nord-ouest de celle de Santa Barbara, de huit lieues de la Mission de la Purisima Concepcion, et de quinze lieues au sud de San Luiz Obispo. En allant de Sainte Barbe vers Sainte Inès , il faut traverser une longue côte nommée /« Cuesta de Santa Inès , en suivant pendant quelques heures une route assez difficile. Après avoir gravi la sierra, on découvre, au pied du versant orien- tal , au milieu de vastes prairies , la Mission que deux chaînes parallèles garantissent des vents de la mer et de ceux du nord-est. Les bas-fonds sont arrosés et très-fertiles , les coteaux couronnés de forêts superbes.
C'est à sa position favorable que cette Mission dut d'atteindre un très-haut degré de richesse trente années à peine après sa fondation. En 1834 elle avait treize cents Indiens, quatorze mille bêtes à cornes, douze cents chevaux, douze mille moutons et récoltait trois mille cinq cents fanegas de grain. Aujourd'hui , grâce à la pro- tection du moine espagnol F. Antonio Moreno et de son collègue le 11. P. José Ximenez, elle a pu
37a MISSION DE SAINT LOUIS ÉVÉQUE.
conserver dix mille bœufs, cinq cents chevaux et quatre mille moutons, mais elle n'a plus que deux cent cinquante Indiens environ. De toute la Californie , cette Mission est maintenant la plus riche en bêtes à cornes, mais il est à craindre que le gouvernement et ses agents ne fassent dis- paraître bientôt ce dernier élément de richesse. De Santa Inès à San Luiz Obispo la route con- tinue dans la vallée en inclinant toujours vers l'ouest, et en passant au milieu de terrains très - propres à la culture.
MISSION DE SAN LUIZ OBISPO DE TOLOSA DE FBANCIA.
La Mission de Saint Louis évêque de Toulouse, fondée par le R. P. préfet F. Junipero Serra, le V^ septembre 1771, est éloignée de dix-huit lieues au nord de celle de la Purisima Concep- cion , quinze au nord-ouest de Sainte Inès et treize au sud de San Miguel. Cette Mission a été une des plus florissantes; elle a réuni jusqu'en 1834 près de treize cents néophytes. Elle avait neuf mille bêtes à cornes, quatre mille chevaux, sept mille moutons et récoltait quatre mille fane- gas; elle tirait un grand revenu de l'huile pro- duite par un immense jardin d'oliviers, qui peuvent rivaliser en dimension avec les plus
LE R. P. MARTINEZ. 379
beaux de l'Andalousie. La Mission est à trois lieues delà mer, dans une agréable plaine abritée par une sierra boisée et peu élevée. En face des bâtiments coule le Rio de San Luiz qui fait mouvoir un beau moulin, et servait à arroser des jardins, des vignes et des vergers étendus. Au- jourd'hui les Indiens sont dispersés , il n'en reste tout au plus qu'une centaine. Toutes les fermes et les deux grands ranchos de Santa Margarita et de la Asuncion ont été donnés à des particuliers. La Mission compte à peine trois cents bœufs , deux cents chevaux et huit cents moutons. En sep- tembre 1840, une bande d'Indiens Schaouanos, réunis à des trappeurs américains qui chassaient dans les Tulares, s'approchèrent pendant la nuit de la Mission , et , après avoir brisé un parc en bois , emmenèrent avec eux environ douze cents bêtes chevalines. Ce vol resta impuni, le gouver- neur n'ayant pas les troupes nécessaires pour poursuivre les malfaiteurs.
Sous l'administration intelligente du R. P. Mar- tinez. Franciscain espagnol qui, en 1832, fut brutalement renvoyé du pays par le gouverneur mexicain , les néophytes de Saint Louis Evêque faisaient des prodiges d'industrie. Le Père avait fait venir ou construire des métiers perfectionnés. Il enseigna aux Indiens à tisser et à teindre des
380 LE R. P. ABELLA.
draps ordinaires , des étoffes de coton assez fines, et plusieurs femmes conservent encore les rehozos^ châles en soie fabriqués par des Indiens sous la direction du P. Martinez.
Dans l'édifice , aujourd'hui en ruine , nous trouvâmes, réduit à la plus profonde misère, le plus ancien Franciscain espagnol de toute la Californie, le R. P. Ramon Abella, Aragonais, qui vit l'illustre La Peyrouse en 1787. La Mission a souffert de telles dévastations, que ce pauvre religieux couchait sur un cuir de bœuf, buvait dans une corne, et n'avait pour nourriture que quelques lambeaux de viande séchée au soleil. Ce vénérable Père distribue le peu qu'on lui envoie parmi quelques enfants indiens qui habi- tent encore avec leurs familles les masures qui entourent la Mission. Plusieurs personnes chari- tables et le R. P. Duran ont offert un asile et le repos au P. Abella; mais il refuse toujours, et dit qu'il veut mourir à son poste. Cet homme respec- table, qui a fondé plusieurs Missions du nord de la province , a près de soixante ans d'apostolat ; il parle encore d'aller à la conquête («Va la con- quista) , et, dans un âge aussi avancé , supporte sans se plaindre les humiliations et les privations qu'entraîne Pa pauvreté.
Le mouillage de San Luiz est éloigné de trois
MOUILLAGE DE SAN LUIZ. 3Si
lieues delà Mission; en venant du large, on le re- connaît au mont del Buchon , ainsi nommé parce que le cacique de la tribu, qui habitait auprès de la plage, portait un énorme goitre. Cette montagne est conique et se détache de la chaîne qui suit le rivage. Le mouillage se trouve au fond d'une grande baie de huit milles d'ouverture , formée au sud par la pointe Sal, et au nord par la Piinta de San Luiz oii surgit le mont Buchon : à l'extré- mité de cette pointe , à deux milles de terre , il y a un îlot, à l'est duquel on peutpasser avec un vent portant ; le passage est sain, mais il faut gouverner attentivement, et il vaudra toujours mieux passer à l'ouest.
Le versant de la montagne du côté de la mer est à pic; elle descend graduellement au sud pendant trois milles , et se termine alors par une falaise blanche ayant quarante mètres, et au pied de laquelle coule le petit Rio de San Luiz. L'ancrage est en face à un mille de terre , et par cinq à huit brasses fond de bonne tenue , et abrité des vents du nord-ouest et de l'est seulement. L'aiguadeestexcellenteet assez abondante; il faut, afin que l'eau ne soit pas saumâtre, attendre la basse mer pour la puiser dans des trous pratiqués dans le lit du ruisseau, à deux cents pas de son em- bouchure, et ombragés par des arbustes. On peut
:J82 MfSSION DE SAN MIGUEL,
aussi faire du bois et se procurer de la viande , ainsi que quelques rafraîchissements, aune petite ferme autrefois dépendante de la Mission , et située sur la route à deux kilomètres de la plage. Dans une grande falaise près du bord, il existe une très-belle grotte naturelle, où les navires emmagasinent quelquefois les cuirs qu'ils vont chercher à Saint Louis.
En suivant la côte, on trouve à dix lieues au nord de la pointe de San Lufz Obispo la pointe et la baie de los Esteras (des lagunes), dont le centre est marqué par une petite île près de terre. Ce mouillage n'est pas fréquenté ; le rivage offre de très-belles salines , mais aucune habitation. A huit lieues au-dessus de los Esteros et à sept de la Mission de San Miguel, on rencontre, derrière une pointe assez élevée , le mouillage^ de San Si- meon, où l'on esta l'abri du nord-ouest, avec cinq et six brasses tout près de terre : un rancho est situé à peu de distance du rivage. Delà jusqu'à MonteRey, la côte offre plusieurs pointes ou petits caps au pied de la sierra de Santa Lucia, et der- rière lesquels on est garanti contre les vents d'été. Ces ancrages deviendront très-précieux du jour où l'on exploitera les beaux bois que ren- ferment ces montagnes.
PLAN DE iNOUVELLES M1SS10^S. :J83
MISSIOK DE SAiV HIGLEL ABCANGEL.
La Mission de Saint Michel Archange, fondée le 25 juillet 1797, est distante de treize lieues de San Luiz Obispo au nord , et de treize lieues au sud- est de San Antonio. Les bâtiments de San Miguel sont superbes quoiqu'à demi ruinés. En arrivant dans cette Mission nous n'y trouvâmes qu'un seul homme. Des douze cents Indiens qu'elle avait encore en 1834 , il en reste à peine une trentaine ; de ses quatre mille bœufs, deux mille cinq cents chevaux et dix mille moutons, quatre-vingts têtes de grand bétail tout au plus , et quatre cents moutons. Qet établissement possède d'excellents terrains d'arrosage qui produisaient deux mille cinq cents fanègues. Aujourd'hui ces terrains sont incultes, et toutes les fermes et tous les bes- tiaux de la Mission appartiennent aux rancheros.
Saint Michel est situé dans une magnifique plaine où débouchent plusieurs gorges transver- sales venant de l'est, et donnant un accès facile à la grande vallée des Tulares, dont nous avons parlé en décrivant la Mission de San Fernando. A trois lieues environ à l'orient de San Miguel, dans un endroit appelé Telamé , les missionnaires es- pagnols avaient eu l'intention de fonder un Pre-
384 OFFRES DE TERRAINS,
sidio et plusieurs Missions, qui depuis Saint Louis Roi jusqu'à San José , auraient formé une ligne parallèle à celle des Missions situées près de la mer, et qui, pénétrant au cœur desTulares, aurait servi de barrière contre les incursions des Indiens. En 1817, le R. P. Mariano Payeras, préfet apos- tolique, proposa au roi d'Espagne ce plan, qui malheureusement ne put être mis à exécution. Les terrains des Tulares compris entre la Sierra Nevada à l'orient et les Monts Californiens au couchant , arrosés par les Rios San Joaquin et del Sacramento , semblent être les plus beaux et les plus fertiles de la contrée. Le nombre des indi- gènes a bien diminué depuis quelques années; des maladies encore inconnues ont détruit des tribus entières, et les colons blancs auraient ainsi plus de facilité pour s'y établir. C'est dans cette vallée des Tulares que le gouverneur Alvarado nous proposait, avec une sage prévision, de donner des terrains à cinq cents familles françaises, espé- rant que l'établissement d'une population sympa- thique aux habitants d'origine espagnole, arrête- rait les prétentions envahissantes de la race anglo-a méri cai ne.
CHAPITRE IX,
Description topographitjue des Missions, Pueblos et Presidios du Nord de la Nouvelle Californie. Districts et Ports de Monte Rev et de San Francisco.
DISTBICT DE MONTEBEY.
Les deux districts du nord de la Nouvelle Cali- fornie ont une grande importance. Leurs ports sont les meilleurs et les plus fréquentés de toute la province; les chaînes de montagnes qui lon- gent la mer, telles que la sierra de Santa Lucia
38G SIERRA DE SANTA LUCIA.
et celle de Santa Crùz, sont couvertes de bois d'une exploitation facile , et elles offrent plusieurs chutes et courants d'eau dont on pourrait tirer parti pour les usines et les scieries mécaniques. Par la Mission de San Miguel on a accès dans/o.y Tulares ; les terrains y sont enfin plus propres que ceux du sud à la culture des céréales.
La sierra de Santa I^ucia commence au mont del Buchon , et vient finir à la pointe de Pinos , exti'émité sud de la baie de Monte Rey ; elle ren- ferme des chênes, des pins, des frênes, des cè- dres , des platanes d'une dimension extraordi- naire; mais jusqu'à ce jour, on n'a fait aucun usage de ces arbres. Cette sierra a une étendue d'environ quarante lieues de long sur dix à douze de large. Dans certaines parties elle est impéné- trable ; les habitants redoutent d'en approcher, à cause du grand nombre d'ours auxquels elle sert de repaire.
L'espace compris entre la Mission de San Mi- guel et celle de San Antonio est occupé par une vallée immense nommée el Canon , qui s'étend jusqu'à la partie méridionale de la baie de San Francisco. Cette vallée , formée à l'orient par la chaîne qui la sépare de celle de los Tulares, et à l'ouest par la sierra de Sainte Lucie, est sillonnée de nombreux ruisseaux ; les deux versants sont
MISSION DE SAN ANTONIO. 387
couverts de richespâturages , et le bas-fond, d'une horizontalité parfaite, offre une très-bonne route ombragée d'arbres. Après San Miguel , on ren- contre plusieurs fermes importantes , entre au- tres celles de San Bartolomé et de San Antonio.
MISSION DE SAN ANTONIO DE PADUA.
La Mission de Saint Antoine de Padoue, ou de les Bob les (des chênes), fondée le 14 juillet 1771 par le R. P. Junipero Serra, est située dans l'im- mense plaine que nous venons de décrire , à treize lieues au nord-ouest de San Miguel et à onze lieues au sud de la Mission de la Soledad ; des massifs de chênes gigantesques l'environnent de tous côtés. li'architecture de cette Mission peut être comparée à celle de Saint Louis Roi. Les bâ- timents , très-yastes et très-beaux , sont parfaite- ment conservés. Jusqu'en 1834 , cet établissement réunit quatorze cents Indiens ; il eut douze mille bêtes à cornes, deux mille chevaux _, quatorze mille moutons , et récolta jusqu'à trois mille fa- nègues ; aujourd'hui , il lui reste cent cinquante néophytes à peu près , huit cents bœufs , cinq cents chevaux et deux mille moutons. Un ruis- seau et des fontaines coulent devant l'édifice , et fertilisent ses vergers, ses vignes et ses jardins.
388 VÉGÉTATION TROPICALE.
San Antonio est placé à la limite des deux tem- pératures qui divisent le sud et le nord delà Haute Californie ; les orangers et les palmiers qui ornent le jardin de la Mission sont les derniers que l'on rencontre en avançant vers le nord. Cet établis- sement possédait naguère plusieurs fermes, dont se sont emparés les agents du gouvernement, entre autres le grand rancbo de San Benito, à six lieues dans l'ouest , et qui ne comptait pas moins de quatre mille têtes de bétail. La situation de Saint Antoine, au milieu de trois chaînes de mon- tagnes , occasionne , pendant l'été , des chaleurs excessives, qui permettent d'y cultiver le coton et autres plantes tropicales. Les chevaux de cette Mission appartiennent à une race renommée pour sa vélocité et la dureté de ses sabots. Elevés en toute liberté dans les plaines, et souvent pour- suivis par les ours qui descendent de la sierra , ces animaux ont de bonne heure l'occasion de développer leur agilité.
Le seul religieux qui habile encore San An- tonio , le R. P. Gutierrez , nous y fit l'accueil le plus hospitalier ; et nous ne vîmes pas sans indi- gnation qu'un ancien domestique , devenu admi- nistrateur de la Mission , profitait de l'état de paralysie de cet ecclésiastique pour le mettre à la ration et lui refuser le nécessaire.
MISSION DE iN. S. DE LA SOLEDAD. 38'.)
A cinq lieues au nord de San Antonio, on franchit une petite chaîne de collines transver- sales , et l'on descend ensuite dans la plaine de la Soledad, qui se termine à l'ouest au bord de la baie de Monte Rey, et qui continue à l'est jus- qu'aux M issions de Saint Jean Baptiste et de Saint Joseph.
Mission DE NUESTBA SESOBA DE LA SOLEDAD.
La Mission de Notre-Dame de la Solitude, fon- dée le 9 octobre 1791, à onze lieues au nord de San Antonio et à quinze lieues de la Mission del Carmelo et de la ville de Monte Rey au sud-est , est située dans la grande vallée del Caiion. Elle avait encore, en 1834, sept cents Indiens, six mille bêtes à cornes , douze cents chevaux , sept mille moutons , et récoltait deux mille cinq cents fanegas. Aujourd'hui , on n'y trouve ni un Indien ni une tête de bétail ; tout a été dévasté ; les vignes sont abandonnées , les jardins incultes , et les arbres des vergers devenus sauvages faute d'être taillés.
En 1838, le R. P. Sarria, Espagnol, mourut de misère et de faim à la Mission de la Soledad , n'ayant pas voulu abandonner quelques malheu- reux Indiens qui y restaient encore. Un dimanche
390 LE R. P. SARRIA.
du mois d'août , quoique affaibli par les souf- frances et rinanition, il avait réuni ses néophytes à l'église; mais à peine eut-il commencé la célé- bration de la messe , que les forces lui manquè- rent; il tomba au pied de l'autel, et expira entre les bras de ces Indiens qu'il avait passé trente ans de sa vie à instruire et à protéger.
Au mois de mai 1841, le gouverneur Alvarado, après s'être emparé du peu de bestiaux qui avait échappé aux précédentes spoliations, et fait enle- ver tout le fer, et même les tuiles de la Soledad , pour en couvrir une de ses maisons , finit par donner les bâtiments restants et les terrains de la Mission à un de ses amis nommé Soberanes , en échange d'un rancho situé plus près de Monte
Rey.
En allant de la Soledad à MonteRey, on passe près de plusieurs fermes. Les ranchos de Zanjones et de Buena Vista sont les plus riches. A deux lieues avant d'arriver à MonteRey, à l'endroit même où commence la zone sablonneuse qui en- toure la baie , on peut , en suivant une route située à gauche, aller rejoindre la Mission del Carmelo, aujourd'hui ruinée.
MISSION DE N. S. DEL CARMELO. 3ft(
MISSION DE NUESTRA SESORA DEL CARMELO.
La Mission de Notre Dame du Mont Carmel fut la seconde fondée dans la Nouvelle Californie (celle de San Diego avait été la première) , par le R. P. Préfet F. Junipero Serra ; elle avait été com- mencée, en 1769, au bord de la baie de Monte Rey ; mais le manque d'eau et de terrains d'arro- sage fit sentir aux moines la nécessité de la trans- porter dans un lieu plus favorable. I.e 3 juin 1770, le Père Président jeta les fondements delà nouvelle Mission au bord d'un ruisseau , à peu de distance de la plage , et dans la petite baie del Carmelo, éloignée de quatre milles du Presidio de MonteRey. La Mission du Mont Carmel , située à l'extrémité nord de la sierra de Santa Lucia , et resserrée par les montagnes , n'acquit jamais un grand développement. Elle réunissait cependant, en 1834, cinq cents néophytes ; elle avait trois mille bêtes à cornes, sept cents chevaux , sept mille moutons , et récoltait quinze cents fanegas. Aujourd'hui, tout a disparu ; sous le prétexte de faire un Pueblo dans les environs , on laisse la Mission tomber en ruine , et la population in- dienne se compose au plus de trente individus.
392 VOYAGE DE LA PEYROUSE.
Cet établissement, comme celui de la Soledad,se trouvant le plus près du siège du gouvernement, fut un des premiers dévastés. Le Missionnaire del Carmelo réside aujourd'hui à MonteRey.
VISITE DE LA PEYROUSE.
En septembre 1 787, l'illustre La Peyrouse, avec les frégates V ^4 strolahe et la Boussole , vint mouiller à MonteRey, et visita, avec son état- major, la Mission del Carmelo. Le R. P. Fran- cisco Palou , préfet apostolique, le reçut avec pompe sur le seuil de son église , revêtu d'habits épiscopaux, et assisté de deux moines, et lui ren- dit les honneurs de capitaine général. Un des officiers de l'Astrolabe fit un dessin représentant cette cérémonie , et ce monument, devenu si pré- cieux , fut placé dans le parloir de la Mission. En 1827 , le capitaine anglais Beechey voulut l'acheter, mais le P. Abella refusa de s'en défaire. Plus tard, lorsque la Vénus et VArtémise visi- tèrent MonteRey, leurs commandants exprimè- rent le désir de posséder ce tableau. On le cher- cha inutilement, il avait disparu. Je fis moi-même toutes les perquisitions possibles pour l'obtenir; j'offris jusqu'à mille piastres ; mais ces démarches furent également infructueuses. Les habitants sont
BAIE DEL CARMELO. 393
convaincus que, dans les pillages successifs de la Mission , quelque personne , tentée par la dorure du cadre , aura détruit le dessin et l'aura rem placé par une image de saint.
Je rencontrai , auCarmelo, deux vieux Indiens qui se souvenaient fort bien de La Peyrouse, du moulin à bras et des graines dont il fit présent aux religieux , et des pièces de drap rouge qu'il donna pour les néophytes. Il est juste de dire que pen- dant le séjour des deux frégates, les moines en- voyèrent tous les matins, sans vouloir en accepter le prix, des charrettes chargées de légumes, et le lait et la viande fraîche nécessaires à la nourriture des équipages entiers.
Ija petite baie del Carmelo , oii se trouve la Mission, a environ cinq milles d'ouverture; elle est formée par la Panta de Cipreses , au nord , et la Punta de Lohos ou del Carmelo , au midi : l'in- térieur de cette anse est fort dangereux ; elle est pleine de roches noyées , et dans la nuit, ou par un temps brumeux , un navire y courrait les plus grands périls ; plusieurs bâtiments ont déjà man- qué s'y perdre. 11 suffit en effet d'une erreur en latitude de cinq milles seulement, pour faire con- fondre la pointe des Cyprès avec celle des Pins qui marque l'entrée sud du port de MonteRey. Les signes différentiels sont cependant assez nom-
394 POINTE DES PINS,
breux: l'ouverture de la baie de MonteRey, en- tre les pointes dePinos et de Santa Crùz, a plus de vingt milles; celle de l'anse del Carmelo n'en a que cinq ; la Punta de Pinos est basse et allon- gée , tandis que celle des Cyprès est haute, arron- die, et ressemble à un gros îlot détaché de la côte. La petite île de Lobos , touchant presque à la pointe del Carmelo , n'est qu'un rocher aride et nu , tandis que les îlots au nord de la Punta de Cipreses se présentent couverts d'arbres : en outre, lorqu'on est entre les pointes du Carmel et des Cyprès, on voit, du large, les bâtiments de la Mission , tandis qu'il faut avoir doublé entière- ment la Punta de Pinos et être à une petite dis- tance du mouillage pour découvrir le clocher de l'église du Presidio de MonteRey.
Les îlots et la plage de l'anse del Carmelo sont peuplés de veaux et de loups marins qu'il est facile de tuer à coups de bâton; mais les loutres de mer, autrefois si nombreuses, sont aujourd'hui entièrement détruites. La route de la Mission à MonteRey serpente sur les flancs de belles colli- nes qui se déroulent jusqu'à la mer, et sont cou- vertes de bois de pins magnifiques et abondent en gibier.
^^
PORT DE MONTEREY. 39,
PORT DE MONTEREY.
Lorsqu'on vient chercher la rade de MonteRey , on peut , par un temps clair et à une distance de quinze à vingt lieues, découvrir les hautes monta- gnes qui l'entourent. Le sommet de la sierra, les pointes del Aîio Nuevo et de Santa Crûz marque- ront l'entrée nord éloignée de vingt et un milles de la Punta de Pinos qui gît au sud , et est située par 36 degrés 37 minutes 15 secondes de latitude.
Si le temps était brumeux^ on devrait se placer de préférence dans la latitude de la Pointe des Pins, et gouverner sur elle, et, si l'on avait quel- que crainte , tirer des coups de canon , auxquels le fort ou les navires sur rade répondront. Quel- ques roches s'étendent autour de la Pointe , mais le fond est si considérable, qu'on peut les ranger à un quart de mille si la brise est bonne : quand le vent est léger, il faut , au contraire , se tenir à une certaine distance des brisants , car les cou- rants s'y dirigent , et il y a auprès d'eux trop de fond pour pouvoir y jeter une ancre en sûreté. Une fois qu'on a doublé la Punta de Pinos , il s'en présente une autre dont on s'éloignera, à cause des rochers qui l'entourent, et l'on aper- cevra alors le clocher et les maisons. Après avoii^ 1. 26
39G MOUILLAGE
couru une bordée , ou arrivera au mouillage, qui est à un sixième de mille du rivage, par douze et dix-huit mètres , le fort restant dans l'ouest- sud-ouest. On doit éviter un banc situé à l'angle sud-est de la baie , et qu'on reconnaît à la grande quantité de fucus qui le couvrent. Sa partie la plus élevée a toujours quatre et cinq brasses, et ses accores de sept à huit.
Les vents du nord-ouest envoient une grosse mer dans la baie, mais ils ne présentent cependant aucun danger ; la sierra de Santa Crùz les arrête en partie , et la Punta del Afio Nuevo tempère l'impétuosité de la houle. Les deux bords de la baie sont très-sains et ont beaucoup de fond; les plus forts navires peuvent mouiller partout ; le vaisseau espagnol el Asia de 74 y séjourna quel- que temps en 1827.
Comme l'ouverture de la baie de MonteRey est fort grande , on pourrait supposer qu'elle n'est pas parfaitement sûre ; cependant , en été , avec le nord-ouest, et en hiver, avec le sud-est, toute espèce de bâtiments viennent s'y abriter, et il n'y est jamais arrivé d'accident. La carcasse voisine du mouillage est celle d'un baleinier américain que son capitaine laissa perdre volontairement en novembre 1837. Lorsque la mer est grosse, il est bon d'être affourché sur deux ancres, quoiqu'il
DE LA BAIE. 397
y ait peu de courants au mouillage , mais à cause des rafales qui viennent de terre '.
Les petites rivières de MonteRey et del Pâjaro se jettent dans l'est de la baie; elles ne sont point navigables, et dans l'été elles demeurent presque à sec. A six milles au nord del Pâjaro, derrière une petite pointe marquée sur le plan ci-joint , on trouve le mouillage de Otas, près duquel on pratique des coupes d'excellents bois que les na- vires vont charger. Il existe deux autres ancrages sûrs pendant la belle saison , et oii les bâtiments vont prendre les madriers et les planches des scieries mécaniques. Le premier de ces mouillages est situé devant la villa de Branciforte , à l'est de l'îlot, et l'autre dans la petite anse où se jette le ruisseau de la Mission de Santa Crùz.
Un des graves inconvénients que présente le port de MonteRey, c'est de ne pouvoir fournir aux navires l'eau nécessaire pour une traversée. A une distance de près de deux milles, on ren- contre quelques bons puits; mais comme les fem- mes y vont laver le linge , l'eau est toujours mêlée de savon. Le transport par charrette, depuis les puits jusqu'à l'embarcardère, coûte une piastre
' Voir dans l'Allas le plan de MonteRey, n° 14, et dans ce vo- lume la vue de la Ville, vignette n" 1.
a6.
398 BOIS DE MATURE,
par barrique. Il est très-pénible et très-long d'en- voyer de grandes chaloupes aux Rios de Monte- Rey ou del Pâjaro , éloignés de quinze et vingt milles du mouillage. Santa Crùz est plus loin en- core, et il faut remonter un peu ces petites ri- vières pour que l'eau nesoitpassaumâtre. Userait cependant facile de creuser de grands puits près de MonteRey ; mais ceux que les habitants éta- blissent ont quelques pieds à peine de profon- deur, et sont presque tous à sec pendant l'été. Avec peu de frais on pourrait utiliser et conduire près du port des sources et petits courants d'eau situés derrière la ville , et qui découlent du ver- sant oriental de la chaîne de collines , laquelle finit à la Punta de Pinos. Il est, au contraire, très-facile de faire du bois de chauffage et de mâture ; les pins sont à quelques pas de la plage, et l'on n'a que la peine de les couper, en payant toutefois un léger droit municipal d'un réal pour les petits arbres, et proportionnellement jusqu'à une piastre pour les plus gros.
MonteRey est un point de relâche très-fré- quenté par les navires baleiniers; ils viennent y chercher des vivres frais et de la viande qui s'y vend , ainsi que dans tout le reste de la Californie, à un prix très-modique. Un bœuf, sans le cuir, coûte quatre à cinq piastres, et fournit jusqu'à
PRIX DES VIVRES. 390
deux cent cinquante kilogrammes d'excellente viande. Il est maintenant fort difficile , et souvent impossible , de se procurer du blé ou de la farine ; la culture des céréales est presque partout aban- donnée , et pendant une année entière que nous avons passée dans le pays , nous n'avons trouvé de pain que dans une douzaine de maisons. Les légumes, les œufs , lavolaille, le lait, sont fort rares et hors de prix à MonteRey ; une poule se paye une demi-piastre , et on aurait de la peine à en acheter quelques douzaines. Les colons ne man- gent que de la viande de bœuf et de mouton, des haricots et quelques galettes de mais nommées tortillas. Pour se procurer des végétaux , il faut attendre plusieurs jours avant que les ranchos, qui sont éloignés de plusieurs lieues du rivage , soient prévenus.
Si l'on a à sa disposition une grande chaloupe , on devra l'envoyer à la Mission de Santa Crùz. Possédant des terrains fort arrosés , et quelques jardins potagers, on aura plus de chances d'y trouver des végétaux qu'à MonteRey, où l'ari- dité est extrême. Dans la saison des fruits, la Mis- sion de San Juan Baùtista peut fournir plusieurs charretées de raisins , abricots, pommes , pêches et poires d'un goiît exquis. Quant aux grains, tels que froment, haricots , pois et fèves, c'est
400 PKESIDIO DE MONTEREY.
surtout à San Francisco qu'il faut les aller cher- cher. Le vin du pays se vend, à MonteRey, vingt à trente piastres, et l'eau-de-vie soixante piastres le baril de quatre-vingts bouteilles environ. Monte- Rey est le seul point oii l'on puisse obtenir quel- ques faibles secours en toile à voile , agrès, chaî- nes , câbles , ancres , peinture et cordages ; mais tout cela en très-petite quantité et à un prix fort élevé.
Les navires baleiniers anglais, et américains sur- tout , arrivent en assez grand nombre à MonteRey vers les mois de septembre et d'octobre. Nous en avons vu jusqu'à huit de cette nation mouillés en - semble sur rade. A cette époque de l'année, les baleines sont si abondantes sur la côte et dans les baies , que le Saphir, de Boston , étant à l'ancre en septembre 1841 , fit harponner, par ses cha- loupes et sans sortir de la rade , trois baleines en un seul jour.
PBESIDIO DE MOlNTEBEYj FONDÉ EN 1770.
liC Presidio de MonteRey, autrefois le plus im- portant de la province , est aujourd'hui complè- tement rasé ; on y trouve à peine les traces des fondements. Sa position était bonne sous ce rap-- port qu'il battait en enfilade tous les navires ve-
CASTILLO. - BATTERIE. 40i
liant au mouillage ; mais il était construit en ma- tériaux si peu solides , et si mal armé, qu'il n'au- rait pu résister à aucune attaque sérieuse. En 1819, un pirate, portant le pavillon des insurgés de Buenos-Ayres , canonna le Presidio, et ayant débarqué du monde, s'empara de quelques bœufs dont il avait besoin pour son équipage. Dans les révolutions successives de MonteRey, le Presidio servit aux habitants à se construire des maisons. L'église seule est restée debout ; mais elle n'est pas très -solide, et on a l'intention de la re- construire ; elle ne présente du reste rien de re- marquable.
On décore du nom de Castillo (Château), une petite batterie à barbette, située au couchant du mouillage , à quelques mètres du bord , et qui n'est formée , du côté de la mer, que par un petit épaulement en terre , de quatre pieds de haut , auprès duquel se trouvent une masure où habitent cinq soldats, et une petite maisonnette qui sert de magasin à poudre ; la batterie n'a ni fossé, ni contre-garde ; elle est abordable de toutes parts et de plain-pied avec le reste du sol ; sa position , combinée avec celle du Préside , est assez favo- rable, carie Castillo, construit et armé convena- blement, pourrait battre en flanc les bâtiments arrivant à l'ancrage. Les vieux affûts, les denx
402 ARMEMENT DU PORT.
OU trois cents boulets en cuivre, les roues, les caissons de l'ancien matériel espagnol , tout est à terre et abandonné. L'armement se compose de deux pièces en fonte hors de service, d'un fau- conneau en cuivre, de deux pièces de douze, d'une de seize , sur affûts de siège à moitié pourris , et de deux pièces de huit, montées sur des roues de chariot, et qui, dans les fêtes publiques, sont traînées par des bœufs sur la place, et servent à faire des salves et à rendre le salut aux bâtiments de guerre. Toutefois, ces pièces, ainsi que celles de San Diego et de Santa Barbara , sont en bronze coulé au Pérou et à Manille , et portent les armes d'Espagne avec l'exergue Real Audiencia de Lima ou de Filipinas. Devant la batterie se dresse le mat de pavillon que l'on aperçoit en venant au mouillage. Il est aisé de voir que ce Castillo ou château est incapable d'aucune résistance. Sa seule utilité actuelle est de répondre au canon des navires qui viennent , dans un temps brumeux , en demande de port. C'est à cet effet que les Espagnols avaient sagement établi une petite bat- terie près de la Punta dePinos; mais aujourd'hui il en reste à peine quelques vestiges.
VILLE DE MOINTEREV. 403
VILLE DE MONTEHEY.
L'ancien Presidio de San Carlos de MonteRey, fondé en 1770, a toujours été le siège du gouver- nement de la province, bien qu'il n'eût dans l'origine pour habitants que les officiers et soldats renfermés avec leurs familles dans l'enceinte de la fortification. Ce n'est qu'en 1827 que le Pueblo auquel on donne maintenant le titre pompeux de ville capitale, commença à se former. La première maison fut bâtie par un négociant anglais nommé Hartnell. La ville est composée aujourd'hui de deux rues parallèles et de plusieurs groupes de maisons dispersés dans la plaine. Presque toutes les maisons sontbâtiesen briques séchées au soleil [adobes)^ avec des toitures, planchers et galeries en bois; quelques-unes sont assez jolies. Comme elles ont toutes un jardin et de très-grandes cours, la ville occupe une vaste étendue , et de loin on est trompé sur son importance; mais le nombre des habitants ne s'élève qu'à six cents, la plupart étrangers. Toutes les maisons ont leur façade principale tournée vers le sud-est, afin d'éviter les atteintes du vent de nord-ouest qui souffle pen- dant la moitié de l'année. Vu de la mer, l'emplace- ment de MonteRey est vraiment admirable; il n'y
«04 PLAN D'UNE VILLE,
a pas de position plus pittoresque et plus favora- ble à l'établissement d'une grande ville '.
Au levant, on aperçoit les sommets des Monts Californiens, et, del'est ausud jusqu'au couchant, une suite de mamelons boisés s' élevant en am- phithéâtre, et se terminant par un hémicycle de hautes collines couronnées de pins gigantesques. Depuis la plage jusqu'au pied des monticules, l'espace est rempli par une plaine très-légèrement accidentée et de quatre à cinq milles de profon- deur. Mais le terrain compris entre le mouillage et la Punta de Pinos nous paraît être le lieu le plus favorable au développement de la ville future. La plus grande largeur de cette langue déterre est de cinq milles , et sa longueur de deux lieues; elle va en diminuant jusqu'à la Pointe des Pinos ; le premier plan, d'une horizontalité par- faite, longe la mer et s'élève à peine au-dessus de son niveau. Le rivage présente des pierres pour la bâtisse, le second plan des bois de construction, des forêts majestueuses et de vertes prairies. La côte sur l'Océan est plus escarpée, et garantit des
' Voir dans l'Atlas le plan n° 14 et le dessin n" 1 de ce \ oiinnc Nota. Les rauclios del Rey, A.mesti, Rodriguez, etc., jusqu'il la
ville de Rrancilorle, sont seulement placés en latitude exacte;
mais ils sont situés à six milles plus à l'est.
iNÉGOCIANTS PRINCIPAUX. 40â
vents de la mer le bord oriental de la presqu'île qui est heureusement entrecoupé de petites cri- ques, et d'anfractuosités de rochers propres à établir des quais, des chantiers, et à servir d'abri aux petites embarcations.
Il n'y a à MonteRey aucun édifice digne d'at- tention; le gouvernement ne possède que la douane, et une espèce de caserne où se trouvent réunis les bureaux, les soldats qui forment la garni- son, et une école, établie il y a deux ans seulement par un Français nommé Cambuston. Lorsque ce jeune homme arriva à MonteRey, nous fumes assez heureux pour pouvoir, avec plusieurs résidents étrangers, exciter l'amour-propre du gouverneur Alvarado, qui donna un local, les fournitures et le matériel nécessaire, et cent piastres par mois à M. Cambuston, qui, au bout de quelques semai- nes , réunit près de soixante élèves qui reçoivent gratuitement l'instruction primaire. La petite presse apportée par la Compania Cosmopolitana, a servi à imprimer quelques alphabets. On l'em- ploie encore, mais très- rarement, à l'impression de quelques ordonnances , règlements adminis- tratifs et proclamations.
Les négociants principaux de MonteRey sont : MM. David Spence, Ecossais, fort honnête homme et très-ami de la France: James Watson, Anglais,
406 MIISES D'ARGEiNT ET DE PLOMB.
Larkin, Américain, et de Leyssègues, Français, capitaine au long cours. Comme la douane est établie àMonteRey, il s'ensuit nécessairement que ce port est le centre des affaires commerciales, et celui où il arrive le plus de navires. JNous traite- rons cette matière dans un chapitre spécial.
Les terrains qui avoisinent MonteRey, un peu au sud et au nord-est en suivant la courbe de la baie, sont sablonneux pendant quelques lieues; ils ont peu de pâturages et n'offrent que d'excel- lentes salines. C'est à huit milles environ que l'on retrouve le sol fertile de la grande plaine, qui va de la Mission de la Soledad à San José.
De MonteRey à la Mission de San Juan Râutista, on trouve le rancJio delBejQa ferme du Roi), pro- priété actuelle de Don José Estrada, beau-frère du gouverneur Alvarado ; puis la ferme de los Pilar- citos au bord du Rio de MonteRey ; et un peu plus à droite de la route, dans une ferme qu' Alvarado a payée avec la Mission de la Soledad , il existe une mine d'argent sulfuré et une de galène ; bien que nous n'eussions ni réactifs chimiques, ni ap- pareils, il nous a été facile, par le grillage et le traitement par la potasse , de rendre évidents les caractères physiques du plomb et de l'argent.
MISSION DE SAN JUAN BAUTISTA. 107
MISSION I>E SAN JUAN BALTISTA.
La Mission de Saint Jean Baptiste, fondée le ^4 juin 1799, est éloignée de quatorze lieues de MonteRey, de seize de Santa Crûz et de dix-huit de Santa Clara. Elle est située sur un plateau au pied duquel coule le Rio del Pâjaro , et ses vastes bâtiments servent aujourd'hui à des rancheros. Cette Mission , lorsqu'on la retira des mains du Père Ansar, en 1834, réunissait plus de quatorze cents Indiens ; elle avait sept mille bêtes à cornes, douze cents chevaux et neuf mille moutons; elle récoltait du vin et trois mille cinq cents fanegas. Elle fut livrée entièrement à la famille de Joseph Castro , l'un des soutiens d'Alvarado , qui vou- lut en faire un Pueblo et lui donner son nom ; il y fit construire quelques maisons, et y transporta même le siège de la préfecture, qui depuis a été rétabli à MonteRey. Maintenant tout est dévasté; les néophytes sont dispersés; et le petit nombre qui reste encore, et qui s'élève à cent tout au plus , se trouve réduit a un état de misère extrême. San Juan Baùtista est renommé dans le pays pour l'excellence de ses fruits d'Europe. Sa position est aussi très-favorable à l'établissement d'un Pueblo.
108 COUPES DE BOIS.
Pour aller de MonteRey à la villa de Brancif'orte et à la Mission de Santa Crûz , on ne peut suivre le sable de la plage à cause de plusieurs endroits marécageux et de l'embouchure de quelques ruisseaux. On est obligé de se rendre par la Ferme Royale jusqu'au rancho de la Natividadau bord du Rio de MonteRey, puis , laissant la route aride et fatigante des dunes, de longer le contour de la baie à une distance de cinq à six milles de la mer. La plaine est très-belle ; des pins et des cèdres couvrent les collines , et les vallées offrent de gras pâturages. Les riches fermes de Vallejo, Rodri- guez et Amesti, sont situées dans ces parages. A quelques lieues avant le Rio del Pâjaro , il y a un terrain de quelques centaines de mètres où le sol tremble sous les pieds des chevaux, bien que la terre soit dure etcouvertedegazon ; cet endroit, nommé la Temhladera, est sans doute formé par une croûte solide superposée sur un fond vaseux.
Un peu au nord-ouest de la ferme d'Amesti près de la mer, on trouve plusieurs coupes de bois de pins non loin du mouillage nommé Otas, et après avoir traversé quelques ruisseaux, on débouche sur le plateau où sont situées la villa de Branciforte et la Mission de Santa Crùz.
VILLA DE BRANClïORTK. 409
VILLA DE BBANCIFORTE.
Le village ou pueblo, appelé villa de Braiici- fbrte, fut fondé en l'année 1796, et ainsi nommé en l'honneur de Don Miguel de Lagrua, marquis de Branciforte, alors vice-roi de la Nouvelle Es- pagne. Ce petit village compte aujourd'hui trois cents habitants de race blanche, la plupart Nord-Américains, mariés avec des femmes descen- dant des colons espagnols. Quelques-uns sont occupés au commerce et à l'agriculture; mais le plus grand nombre se livre à la coupe des bois ou travaille aux moulins à scies. Ces Américains pas- sent pour être fort turbulents : ce sont eux qui aidèrent Alvarado à s'emparer du pouvoir, et qui plus tard, faits prisonniers par son ordre, sont revenus triomphants en Californie et prêts atout entreprendre.
On peut aller à cheval de la villa de Branci- forte à MonteRey en huit ou dix heures, et par mer en deux ou trois heures. En un instant et au premier signal , James Graham, le chef de la ré- volution, dont la ferme est située près de la villa, serait en mesure de grouper autour de lui près de cent riflemen , chasseurs américains , armés de longues carabines rayées; et il faut reconnaître
410 MISSION DE SANTA CRIJZ.
que le jour où ils le voudront , ils s'empareront de MonteRey aussi facilement que leurs compa- triotes se rendront maîtres du Pueblo de los Angeles. La villa de Branciforte est éloignée d'un mille à l'est de la Mission de Santa Crùz, Ces deux établissements sont situés dans une position admirable, à un kilomètre de la plage ; ils regar- dent le sud et jouissent de la vue entière de la baie de MonteRey. Les maisons sont éparses sur une immense pelouse ombragée de bouquets de pins, et sept ruisseaux, descendant de la sierra de Santa Crùz, font mouvoir les scieries mécaniques, arro- sent les pâturages et fertilisent les terrains pro- pres à la culture.
MISSION DE LA SANTA CRUZ.
La Mission de la Sainte Croix , fondée le 28 août 1791 , est éloignée d'un mille de la mer, de seize lieues de la Mission de San Juan Baùtista et de onze de celle de Santa Clara. Ses bâtiments sont grands et assez bien conservés; mais tous les biens ont été pillés, les fermes données, et les bestiaux partagés entre les amis du gouverneur. La Mission ne possède plus rien. Au lieu de six cents Indiens qu'elle réunissait autrefois, elle en a à peine une soixantaine. En 1834, on récollait
FORÊTS DE LA SIERRA. 4 11
deux mille cinq cents f'anegas , et l'établissement comptait huit mille bêtes à cornes, huit cents chevaux et dix mille moutons. Les terrains de Santa Crùz sont surtout favorables à la culture des légumineuses, telles que les haricots, pois et fèves; le mais y vient beaucoup mieux que le blé. L'abondance d'eau pour l'arrosage permet de cultiver avec succès les plantes potagères : aussi plusieurs navires baleiniers viennent-ils mouiller de préférence à Santa Crùz pour y prendre des végétaux qu'il est assez difficile de se procurer à MonteRey. Dans l'espace qui sépare la Mission du village de Branciforte, on a construit des maisons nouvelles, et tout porte à croire qu'avec le temps cet emplacement formera une ville importante- La sierra qui s'étend depuis Santa Crùz jusqu'à la punta de los Lobos, extrémité sud du port de San Francisco, est couverte de très-beaux bois qui descendent jusqu'au rivage. La côte est saine partout : on a près de terre jusqu'à vingt- cinq brasses; elle offre deux abris contre le nord- ouest , derrière la punta del Afio Nuevo et celle de San Pedro.
La route de Santa Crùz à Santa Clara ou au
Pueblo de San José traverse la sierra sur une
largeur de huitlieues, au milieu de forêts superbes,
où l'on trouve surtout une espèce particulière de
I. 27
412 DISTRICT DE SAN FRANCISCO,
cliêne au tronc droit et élevé qu'on nomme encina de la sierra, et qui est très-estimée dans le pays. Dans les petites vallées et près des cours d'eau, il existe des fermes à bétail et des moulins à scies ; on rencontre quelques ranchos le long de la côte jusqu'à San Francisco. Comme la sierra de Santa Inès, celle de Santa Crùz abonde en ours, daims et cerfs de plusieurs espèces.
La Mission de Santa Crùz est écartée à l'ouest de la ligne des autres établissements. Aussi de- vons-nous revenir à celle de Saint Jean Baptiste, afin de continuer la description, du midi en re- montant vers le nord. Une immense plaine en- tièrement horizontale, ayant seize lieues de long sur six ou huit de large, sépare San Juan du Pueblo de San José. Cet espace est presque dé- sert; il n'existe sur la route que quatre petits ranchos, ceux de la Brea , à une lieue de la Mis- sion , auprès duquel se trouve un dépôt de bi- tume solidifié ; de los Germanes, à un mille plus loin, et de Castro à gauche, à un kilomètre de ce dernier. A une lieue dans l'est, la ferme consi- dérable de los Ortegas, appartenant à l'Ecossais Mac-Roy , réunit près de cent personnes et une grande quantité de bétail : ce point deviendra un pueblo important; il possède de l'eau, des prai- ries et d'excellentes terresde labourage; plusieurs
PUEBLO DE SAN JOSÉ. 113
Anglais s'y sont déjà établis; un Français nommé Desf'orges y tient une boutique et y fait d'assez bonnes affaires.
DISTRICT DE SAN FRANCISCO.
PUEBLO DE SAN JOSE DE GUADALIIPE.
Le Pueblo ou bourg de Saint Joseph , placé sous l'invocation de JNotre Dame de Guadeloupe, fut fondé dans les premiers jours de novembre 1777, par Don Felipe de Neve, gouverneur de la Californie , en exécution des ordres du sage vice- roi de la Nouvelle Espagne, le bailli Don Anto- nio Bucareli. Ce Pueblo est situé dans une vaste plaine au bord du Rio de Guadalupe qui va se jeteraufonddelabaiede San Francisco, éloignée de trois lieues à peine- La sierra de Santa Crùz renferme plusieurs forêts ; elle garantit le Pueblo des vents de la mer ; aussi la température est-elle fort douce. La plaine comprise entre les deux chaînes parallèles de l'est et de l'ouest, est arrosée et suffisamment boisée; ces terrains sont célèbres par le rendement des céréales, du froment sur- tout; les arbres fruitiers et la vigne viennent
27.
114 DON ANTONIO SUNOL.
fort bien, quoique leur culture soit négligée par
les colons.
La population de San José se compose de cinq cents habitants de race blanche , de quelques centaines d'Indiens employés à l'agriculture. Parmi les blancs , il y a un assez grand nombre d'Anglais et d'Américains.
L'autorité est confiée à un sous-préfet et à un alcalde; il n'y a pas de garnison; le sous-préfet est un Barcelonnais, Don Antonio Suîiol , qui a servi dans la marine française, et qui se trouvait même à bord de l'Epervierii Rochefort en 1815, lorsque l'Empereur quitta ce brig pour monter sur le Bellérophon. M. Sunol parle très-bien no- tre langue, et est très-dévoué à la France; il pos- sède deux fermes et beaucoup de bétail; il dirige un commerce qui lui donne une grande impor- tance dans le pays, et pourra rendre des services aux bâtiments français arrivant à San Francisco OU à MonteRey.
Les habitants du Pueblo, enrichis des dépouil- les des Missions voisines, possèdent entre eux environ cinquante mille bêtes à cornes ; mais ils n'ont presque plus de chevaux, ceux-ci leur étant journellement enlevés par les Indiens qui ont abandonné les Missions, et se sont réfugiés dans la plaine de losTulares. Le gouverneur Alvarado
MISSION DE SANTA CLARA. 415
a voulu imposer son nom au Pueblo , mais l'an- cienne dénomination a prévalu ; on l'appelle aussi dans le pays le Pueblo de Arriha, bourg d'en haut , par opposition au Pueblo de los Angeles que l'on désigne sous le nom de bourg d'en bas, Pueblo de Abajo.
MISSION DE SANTA CLABA-
La Mission de Sainte Claire est située dans la même plaine que le Pueblo de San José, et à une lieue environ de ce bourg ; la route qui les sé- pare parcourt une verte prairie , et est ombragée de beaux arbres qui forment une promenade charmante. Cette Mission est éloignée de dix-neuf* lieues de celle San Juan Baùtista, de onze de Santa Crùz et de six de San José. Fondée le 18 jan- vier 1777 par le premier préfet apostolique, le R. P. Junipero Serra , elle est une des plus an- ciennes de la province. Les bâtiments, d'une bonne construction , sont fort bien conservés. Cette Mission est entourée de grands vergers et de jardins potagers ; son vin est excellent ; elle réunissait encore, en 1834, dix-huit cents In- diens, et récoltait six mille fanegas ; elle avait treize mille bêtes à cornes , douze cents chevaux
4 te AVENIR DE SAINTE CLAIRE,
et quinze mille moutons. Aujourd'hui, il lui reste à peine trois cents néophytes, quinze cents bœufs , deux cent cinquante chevaux et trois mille mou- tons. Les fermes de San Francisquito, las Pulgas, San Mateo , ont été données. A deux lieues vers le nord-est , près du Rio de Santa Clara , il y a , au fond de la baie de San Francisco , un excel- lent embarcadère qui permet aux chaloupes d'y venir chercher les produits. Il n'est pas douteux qu'à mesure que la population du Pueblo s'aug- mentera, l'espace qui le sépare de Santa Clara se remplira de maisons, la position étant extrême- ment favorable à l'établissement d'une grande ville.
Nous avons déjà dit qu'au commencement de l'année 1842 une caravane de quarante Améri- cains, venant des Etats-Unis par terre, était ar- rivée au Pueblo dans le dessein de s'y fixer, tandis que quatre-vingts de leurs compagnons, après avoir traversé la Sierra Nevada, s'étaient rendus au Pueblo de los Angeles avec les mêmes inten- tions de colonisation.
Sainte Claire a toujours été une des Missions les plus importantes; sa position délicieuse et la douceur de son climat y attiraient les Indiens; les Religieux espagnols prenaient grand soin de leur instruction et de leurs progrès dans les arts
LA MARSEILLAISE EN CALIFORINIE. 417
mécaniques ; ils devenaient de très -bons char- pentiers, forgerons, et même orfèvres.
La musique était cultivée avec succès, et l'or- chestre des néophytes jouissait d'une grande ré- jîutation. L'un des Pères avait acheté, à bord d'un baleinier français, une trentaine de nos uni- formes complets, et avait organisé une compagnie de musiciens. Nous avons eu l'occasion d'en voir quelques restes, car, nous trouvant le 14 sep- tembre 1841 à la Mission de Santa Crùz , le jour de la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix , ce ne fut pas sans une vive surprise que nous en- tendîmes dans l'église les musiciens de Santa Clara jouer la Marseillaise, au moment de l'éléva- tion , et escorter la procession avec l'air de J^ive Henri IV. Après la messe , je demandai à l'un des moines comment ces airs étaient venus à la con- naissance des Indiens ; il me répondit qu'un de ses prédécesseurs ayant acheté un petit orgue venant de France , les néophytes , après l'avoir entendu, avaient instinctivement arrangé les airs en parties pour leurs différents instruments.
Nous avons reçu plusieurs fois, à Sauta Clara, la plus cordiale hospitalité du R. P. José del Mercado , et souvent , sans les chevaux qu'il avait l'obligeance de nous prêter, il nous aurait été im- possible de continuer nos explorations.
418 MISSIOIS DE SAN JOSÉ.
A deux lieues de Sainte Claire et à une du Pueblo de San José , la Compagnie anglaise de la baie d'Hudson a placé un agent extrêmement intelligent, nommé Don Diego Forbes, fils d'An- glais , mais né dans l'Amérique espagnole. Ce M. Forbes est un homme jeune, actif, entre^^re- nant, et fait pour seconder les plans ambitieux de la Compagnie : plans que nous exposerons plus tard. Jl est marié à une Californienne, et est pro- priétaire d'une très-belle ferme dans le sud-est de la baie de San Francisco , et d'un excellent débarcadère qui permet aux marchandises de la Compagnie d'arriver par eau depuis son grand magasin de dépôt établi au mouillage delà Yerba Buena , et d'embarquer aisément les grains, cuirs, laines et suifs des nombreuses fermes qui avoi- sinent les Missions de Saint Joseph , Santa Clara et le Pueblo de San José de Guadalupe.
MISSION DE SAN JOSE.
La Mission de Saint Joseph , fondée le 18 juin 1797, par le R. P. président F. Francisco de Lazuen , éloignée de dix lieues du Pueblo et de Santa Clara , et de dix-sept de la Mission de los Dolores , est la dernière au levant et au sud de la baie de San Francisco ; elle est adossée à une
LE R. p. GONSALEZ. 419
chaîne de collines dont le versant oriental est bai- gné par le Rio San Joaquin. La proximité des Tulares permettait à cette Mission de réunir une grande quantité d'indigènes. Le R. P. Narciso Duran , préfet apostolique, maintenant retiré à Santa Barbara , laissa Saint Joseph, en 1834, avec deux mille trois cents néophytes , vingt-quatre mille bêtes à cornes , onze cents chevaux , dix- neuf mille moutons, et récoltant soixante barils de vin et dix mille fanegas de grains , dont elle vendait deux mille aux bâtiments russes qui ve- naient annuellement de la colonie de la Nouvelle Archangel , dans l'île de Sitka.
Le successeur du Père Duran , le R. P. José Gonsalez, président actuel des Missions du nord, remit encore, en 1837, aux administrateurs du gouvernement, dix-sept mille bœufs, après avoir versé six mille piastres en fournitures pour la troupe. Aujourd'hui il reste encore huit mille bêtes à cornes, deux cents chevaux et neuf mille moutons. Le Père Gonsalez a pu conserver auprès de lui plus de quatre cents Indiens qui jouissent des débris de l'ancienne richesse de la Mission, et sont assez bien nourris et vêtus ; nous avons même vu les caciques ou alcaldes habillés tout en drap, manteau , pantalon et veste bleus, gilet et ceinture rouges, chemise en toile blanche.
4-20 ECOLE DE SAJN JOSE,
souliers et bas, grand chapeau en feutre et cra- vate de soie noire.
Cette Mission, et celles de San Gabriel et de Saint Louis Roi de France, sont les établissements oii nous avons pu lemieux étudier l'admirable or- ganisation introduite par les Religieux espagnols, et dont les Jésuites ont la gloire d'être les fonda- teurs. Les bâtiments et l'église sont vastes et bien conservés; il y a , derrière l'édifice, de belles vi- gnes, un plant d'oliviers et un immense verger rempli d'arbres fruitiers d'Europe.
Nous avons examiné avec intérêt une école où étaient réunis soixante enfants indiens, qui nous ont surpris par leur facilité à apprendre l'espa- gnol, la lecture, l'écriture, et surtout l'arithmé- tique. Nous avons remarqué avec peine qu'il n'y avait dans cette école que deux ou trois enfants blancs , bien que plus de cinquante habitassent la Mission; mais la plupart des fermiers , livrés au jeu et à la débauche , s'occupent à peine de leurs familles.
La Mission de San José a été la proie des pa- rents du commandant général Don Mariano Val- lejo ; ils s'y sont tous enrichis , les uns en s'em- parant du bétail , les autres en prenant le terrain ; ils ont même bâti quelques maisons en face de la Mission , à l'aide de ses Indiens et avec le secours
DIVERS EMBARCADERES. 421
de ses matériaux. Toutes les fermes de l'établis- sement ont été données ; il reste à peine une lieue carrée disponible autour de l'édifice , et encore , pour s'en emparer complètement et en éloigner les néophytes , a-t-on l'intention de former avec eux un Pueblo à quelque distance de la Mission, en leur donnant quelques têtes de bétail qu'on leur reprendra ensuite, ou qu'ils dissiperont bientôt eux-mêmes.
A Saint Joseph , nous avons eu de nouveau le spectacle d'un Missionnaire mis à la ration par l'administrateur. Chaque fois que je visitais cet établissement , c'était toujours au Père Gonsalez que je demandais l'hospitalité. Ce pauvre moine était alors obligé de prévenir le majordome, afin d'obtenir deux portions d'aliments , la sienne étant à peine suffisante pour une personne. Pen- dant que l'administrateur faisait bonne chère et mangeait du pain de froment, il envoyait au Pré- sident un simple morceau de bœuf et de détes- tables galettes de mais. Le Père Gonsalez suppor- tait ces humiliations sans se plaindre , et n'élevait la voix que pour défendre les néophytes contre les spoliations et les mauvais traitements des blancs.
On trouve à deux lieues environ de San José , soit à la Punta del Potrero , soit dans les nom- breuses sinuosités de l'embouchure du Rio Cala-
422 SIERRA DE LOS BOLBOiNES.
varos, plusieurs embarcadères où arrivent des chaloupes. En suivant la côte qui forme la partie sud-est de la baie de San Francisco , on remarque plusieurs fermes très- riches en bétail et en excel- lentes terres de labour : ce sont les ranchos de San Leandro , Estudilio , Martinez , San Antonio, Peralta et Castro à l'extrémité de la Punta de San Pablo , qui forme l'entrée sud du détroit et de la baie de ce nom. Une chaîne de collines , éloignée du rivage de deux à trois lieues , court parallèlement à la côte , et vient finir à la pointe de Saint Paul. Quelques-uns de ces sommets ont cinq à six cents mètres d'élévation absolue; ils sont couronnés de magnifiques pins rouges , ou palos colorados. Deux charpentiers français , MM. Sicard et Leroy , exploitent ces bois avec avantage. Les différents ruisseaux qui descendent de la sierra permettent aux chaloupes de venir charger les madriers et les planches : la plus grande partie de ces matériaux est envoyée à la côte opposée , au petit Pueblo de la Yerba Buena , qui manque entièrement de bois de cons- truction.
Sur le versant oriental de la chaîne , il existe encore ([uelques fermes, entre autres celle d'Ama- dor près de la baie de los Carquines , et celle d'un Américain, qui se fait appeler le docteur
PLAINE DE SANTA CLARA. 423
Mardi, sur la rive gauche du Rio San Joaquin, aa pied du Monte del Diablo , pic le plus élevé de la chaîne des monts californiens, et dont la hauteur absolue est de onze cent quarante -neuf mètres. Dans le pays, la terminaison de cette chaîne est désignée sous le nom de Sierra de los Bolhones. La position du Monte del Diablo est très-impor- tante à connaître, car on l'aperçoit à une grande distance au large , et il marque l'entrée du port de S^n Francisco.
En quittant la Mission de Santa Clara pour aller à celle de San Francisco , on traverse une très- longue prairie parsemée de bouquets de chênes , et où paissent de nombreux troupeaux. On passe les deux petits ruisseaux de San Francisco et de San Mateo , près desquels s'élèvent des lauriers royaux d'une dimension et d'une hauteur extra- ordinaire. La route serpente sous ces arbres ma- jestueux, et près des ranchos de San Francisquito, San Mateo, los Juanes, Buri et Sanchez.
A droite, on aperçoit, sur le dernier plan, les montagnes couronnées de pins rouges; au-des- sous, les eaux de la baie, et souvent, au bord du chemin, de grandes mares desséchées et couver- tes de croûtes salines, qui, de loin, brillent au soleil comme de vastes champs de neige. A gauche, s'é- lève la sierra de San Bruno, terminaison de celle
42 4 M[SSION DE SAN FRANCISCO,
de Santa Crùz, de laquelle se détachent quelques pitons de quatre à cinq cents mètres , et le mont de Santa Clara qui les domine tous, et est visible à plus de dix lieues en mer. Parvenu à la pointe de San Bruno, le terrain devient aride; il est entièrement sablonneux près de la Mission ; mais vers la côte , sur le penchant occidental de la sierra de San Bruno, il y a des herbages dans les bas-fonds , et les trois bonnes fermes de Vazquez, Sanchez et Guerrero.
MISSION DE LOS DOLORES DE SAN FRANCISCO DE ASIS.
La MissiondesDouleursde Saint François d'As- sise, fondée le 9 octobre 1776 par leR. P. Serra, premier préfet apostolique , est située à l'extré- mité de la presqu'île qui forme l'entrée sud de la baie de San Francisco ; elle est la dernière au sud-ouest de ce port ; sa distance de la Mission de Santa Clara est de quatorze lieues, de deux lieues du Presidio et du mouillage de la Yerba Buena, et d'un demi-mille de la plage. Quoique cette Mission possède de bons pâturages , ses ter- rains sont généralement impropres au labour, et de peu d'étendue : le vent du nord-ouest en rend le séjour fort désagréable ; aussi n'a-t-elle jamais acquis un grand développement ; elle faisait ses
PUEBLO DE LA YERBA BUENA. 425
semailles de l'antre côté de la baie, à la Puntade San Pablo , occupée aujourd'hui par le rancho de Castro , et récoltait deux mille cinq cents fa- nègues. En 1834, elle avait plus de quatre cents Indiens, cinq mille bêtes à cornes, seize cents chevaux et quatre mille moutons. Les habitants ont tout pillé ; aujourd'hui il lui reste à peine soixante bœufs , cinquante chevaux et deux cents moutons. Une cinquantaine d'Indiens habitent en- core quelques masures autour de la Mission , ou cultivent de petits morceaux de bonne terre abri- tés des vents , entre les pointes Avisadera et San Quintin, dans un lieu nommé las Câmaras del Padre Ramori. Les bâtiments sont vastes mais, délabrés ; il n'y a point de Missionnaire, et l'église est desservie par le R. P. Mercado de Santa Clara.
PUEBLO DE LA YEBBA BUENA.
Le petit Pueblo de la Yerba Buena (village de la menthe) est situé sur le bord du mouillage de ce nom ; sa création remonte à quelques années seulement. Le nombre des maisons est de vingt au plus, appartenant toutes à des étrangers, et ser- vant de magasins pour les marchandises des na- vires. Ce point est fort important : tout le com-
-I2<i NÉGOCIANTS ÉTRANGERS,
merce de Ja baie de San Francisco s'y traite main- tenant, et la Compagnie de la baie d'Hudson l'a si bien senti, qu'elle a acheté, en septembre 1841, la plus belle et la plus grande maison près de la plage, et y a établi un dépôt, sous la direction de M.William Raë, gendre du docteur Mac Loughlin, facteur en chef {cJdeffactor)^ et agent supérieur des établissements du Rio Colombia. Après les Anglais, la maison principale est celle de deux Américains, M. Spears et le capitaine Hinckley; ils ont établi , dans une grande fabrique, un mé- canisme ingénieux , qui , au moyen de quatre mules , fait fonctionner simultanément un mou- lin à blé , un système complet de blutage, et une scierie qui débite le bois dans toutes les dimen- sions voulues. Us confectionnent particulièrement des bardeaux ou planchettes pour couvrir les maisons. Le capitaine suisse, M.Vioget, possède une maison bien bâtie et une boutique. M. Pru- donest propriétaire d'une maison habitée par un autre Français nommé Mathurin , qui peut être fort utile; il connaît tous les replis de la baie, et est un excellent pilote. On ne peut se procurer à la Yerba Buena , en fait de vivres, autre chose que de la viande; il n'y a pas d'eau, et le bois y est éloigné et difficile à faire. Il n'y a d'autre autorité à la Yerba Buena qu'un nommé Guer-
PRESIDIO ET FORT DE SAN FRANCISCO. 427 rero, résidant à la Mission, et remplissant à la fois les fonctions d'alcalde, de préposé de la douane et de capitaine de port pour la partie sud de la baie de San Francisco.
PRESIDIO DE SAN FBANCISCO , FONDÉ EN 1776.
Le Presidio de San Francisco est en ruine et complètement désarmé; il n'est habité que par un sous-lieutenant et cinq soldats fermiers et leurs familles. Il est éloigné de deux lieues au nord de la Mission et de la Yerba Buena, et de deux kilo- mètres du fort; le terrain qui l'entoure est formé par des dunes et couvert d'arbustes.
Le fort de San Francisco est situé à l'extrême nord de la péninsule, qui forme la partie sud- ouest de la baie de San Francisco : c'est lui qui en marque exactement l'entrée ',
' Voir dans l'Atlas le plan n" 16.
f Latitude nord : 37 "4 8' 30".
Longitude ouest : 124** 4 8' 26".
En temps : 8h 19m 14».
Inclinaison : 62** 25... 1 Fort de San Francisco :< , .. „ , } (Janvier 1842).
'Dechn. : 15" 30'. N.E.)
Établiss. du port à Yerba Buena : lo'' 34ra.
Établissement du port au Saûsalito : J 2**»
Hauteur de la marée : 2"^ 5.
'/8
128 BATTERIK.
Ce fort est établi sur une petite pointe de cent mètres environ, qui s'avance dans la mer; il se compose d'une simple batterie en fer à cheval , percée de seize embrasures, construite en bri- ques , et armée de trois pièces en fer hors de service , d'un canon et de deux bonnes coule- vrines en bronze du calibre de seize, fondues à Manille. Ces pièces sont montées sur des affûts en bois qui datent de 1812, et sont à moitié pourris. Au milieu du fer à cheval , une masure, qui servait autrefois de logement aux artilleurs, est aujourd'hui en ruine ; personne ne demeure près de la batterie. Du côté de la terre, il n'existe aucun fossé ni revêtement extérieur, et l'ouvrage entier est dominé par un monticule éloigné seu- lement d'une portée de fusil , et qui, par cojisé- quent, commande le fort, dont les embrasures ne regardent que la mer. Le fort ne répond pas aux coups de canon tirés du large; mais comme il se trouve toujours des bâtiments sur rade , ils peuvent répondre aux signaux, qu'il n'est pas inu- tile de faire, surtout par un temps brumeux.
L'état d'abandon de ce fort est tel , qu'un na- vire pourrait aisément envoyer des chaloupes mouiller sur la plage qui est à ses pieds , et em- porter, sans que les habitants du Presidio s'en doutassent seulement, les canons qu'on ferait rou-
LOS FARALLONES. 429
1er en bas de la falaise facile à gravir. Ce point est d'ailleurs trop élevé pour pouvoir tirer avec justesse sur les bâtiments qui passent au-dessous de lui; il ne peut les atteindre qu'à l'entrée du goulet, et il eût été nécessaire de le faire soutenir par des batteries rasantes situées à une hauteur bien inférieure à la sienne.
FABALLONES DE LOS FBAYLES.
Avant de décrire l'immense baie de San Fran- cisco, il est indispensable de parler du groupe de rochers nommés los Farallones de los Frajles , qui, au large , en indiquent l'entrée. La nuit, ou par un temps de brouillards, ces îlots sont ex- trêmement dangereux, à cause des roches noyées qui les entourent ; ils sont divisés en deux petits groupes : celui du sud , dont l'îlot le plus élevé peut être aperçu à huit ou neuf lieues , gît exac- tement au S. 3° E. , et à dix-huit milles de la Punta de Reyes^ Le groupe du nord s'étend au nord-ouest , et les brisants continuent dans cette direction à quelque distance. Autour des Faral- lones on trouve des sondes de cinquante à soixante
Faralion du sud ;le plus cleve: {
' ) Long. Ouest : 125° 18' 52".
28.
4 30 ATTERRAGE ET PORT
mètres , fond d'argile dure. Le plus grand îlot a environ deux milles de circonférence; sa forme est oblongue , et il gît est-nord-est et ouest-sud- ouest. Chaque extrémité se termine par un mon- ticule d'environ cent pieds de haut, qui, descen- dant graduellement vers le centre de l'île, y forme une petite vallée et lui donne l'apparence d'une selle lorsqu'on la voit, soit du nord , soit du midi. Le groupe entier est d'origine volcanique ; les rochers ont été évidemment en état de fusion, et l'on trouve dans les bas-fonds beaucoup de pierres ponces. Il n'y a ni eau, ni végétation sur ces îlots, où des nuées d'oiseaux de mer vont faire leurs nids. En 1825 , les Russes du port de de la Bodega y établirent un poste composé de quelques soldats moscovites et d'une trentaine d'Indiens Kodiaks , pour chasser les phoques, les léopards et les éléphants de mer qui fourmillaient alors sur les rochers. La rude guerre qu'ils ont faite à ces espèces les a presque détruites.
PORT DE SAN FRANCISCO.
En venant du large,- on reconnaît l'entrée du port de San Francisco , aux Farallones qui sont sur le même parallèle : au nord , à la Punta de Reyes et au Mont de la Table , qui a près de huit
DE SAN FRANCISCO. 431
cents mètres d'élévation; au sud, au Mont de Santa Clara, et à une autre montagne de la sierra de San Bruno , et qui , de loin , ont l'apparence de deux îles.
A environ huit milles et un quart du fort, l'entrée du port présente une barre de sable qui s'étend , dans une direction sud-est, en travers de l'entrée de la baie. Les sondes, en s'en approchant, décroissent graduellement jusqu'à six et quatre brasses et quart à basse mer, marée montante. Le fond augmente régulièrement de l'autre côté de la barre, jusqu'à ce qu'on ne le trouve plus avec la sonde à main'. En traversant la barre, il est bon de courir à une bonne distance au sud de rentrée nord , en gardant la petite île blanche des Alcatraces sur la même ligne que le fort. On sera certain ainsi de douze à quatorze mètres. Mais si le navire suit le rivage nord près de la Punta Bo- neta , en ayant la roche du sud de cette pointe et l'île de la Yerba Buena dans la même ligne, il n'aura qu'une brasse et quart ; ce qui est insuffi- sant même pour les petits navires , à cause de la grosse mer qui roule sur la barre et qui brise d'une manière terrible. Dans la partie nord de la
' Voir dans l'Atlas les détails de l'eutroe du port dans hi seconde partie delà carte n" t fi.
432 ENTRÉE DU GOULET :
barre, l'eau est bien moins profonde qu'au sud.
En approchant de l'entrée, la meilleure direc- tion est de tenir le milieu du canal , où l'on aura de quarante à cinquante brasses , en gardant droit à l'est un bouquet de pins énormes, situé sur la montagne en face du goulet , et qui a six cents mètres de hauteur. Derrière cette montagne on aperçoit encore le Monte del Diablo , point cul- minant de la sierra delosBolbones,etqui s'élève à douze cents mètres. Au sud, les dangers sont tous au-dessus de l'eau. Si c'est nécessaire, on peut passer au sud ou en dedans de la roche qui est en face la Punta de los Lobos , éloignée d'un demi- mille de terre ; mais il est plus sage de l'éviter à cause des courants de la marée. Un brisant dan- gereux s'étend au sud-ouest de la Punta Boneta, et un navire ne doit pas s'en approcher plus près que pour avoir le fort et l'île de Yerba Buena l'un par l'autre. Cette ligne forme la limite la plus nord de l'entrée.
Dans cette entrée , il faut donner une atten- tion particulière à la voilure , à cause des re- mous, de la marée et des rafales du vent de terre. Les embarcations doivent être prêtes pour être mises à l'eau , car l'entrée est très- étroite , et la marée est assez forte pour jeter le navire d'un côté ou de l'autre , et il y a trop de
SYSTÈME DE DÉFEINSE. J3:;
fond pour mouiller une ancre; en outre, le vent peut tomber au moment où on en a le plus be- soin. Une fois la Punta Boneta doublée, la plus grande profondeur et la plus grande force du courant sont sur le rivage nord. Si un navire était poussé par la marée dans la petite baie de sable située à l'ouest du port, et comprise entre le Fort et la Punta de Lobos, il y trouverait un bon mouillage par dix et quinze brasses, oii il pourrait attendre que le reflux fût terminé. Il n'y a aucun danger au pied du fort, et l'on peut en approcher jusqu'à cinquante toises.
Toute la côte nord du goulet est plus escarpée et plus haute' que la côte sud ; deux mamelons dominent le fort, et pourraient l'atteindre avec des pièces à grande portée , la largeur du goulet sur ce point n'étant que de seize cents mètres. Or, personne n'ignore que les canons de gros calibre lancent leurs projectiles à une distance de près de trois kilomètres, et que les mortiers, chargés de dix livres de poudre , font arriver leurs bom- bes au delà de deux mille six cents mètres.
En entrant dans le port, on aperçoit trois îles, celles de la Yerba Buena , de los Alcatraceset de los Angeles; on découvre deux roches blanches hors de l'eau, l'une à l'ouest et l'autre au nord-ouest de l'île de los Alcatraces, toutes deux à une dis-
434 BRAS DE LA BAIE,
tance de trois quarts de mille. Il existe une troi- sième roche fort dangereuse, nommée roche Blossom, du nom du navire du capitaine Beechey qui la reconnut en 1827. Cette roche ne décou- vre jamais, et il n'y a dessus qu'une brasse d'eau à basse mer. Elle est située sur une ligne tirée de l'extrémité sud-ouest de Fîle de Yerba Buena à celle de los Alcatraces ; à un mille et deux tiers de l'extrémité sud-est de l'île de Yerba Buena , à sept huitièmes de mille de la pointe sud de l'île de los Alcatraces, et à un mille vrai nord de la partie la plus rapprochée de la côte. Autour de la roche , on trouve de deux à cinq brasses ; mais à la distance de deux encablures, on a de dix-huit à vingt mètres. Cet écueil est le seul danger caché qui existe dans toute l'étendue de la baie.
La baie de San Francisco se divise en deux bras. Celui de Santa Clara qui s'étend au sud-sud-est a exactement trente milles , et court entre deux chaînes de montagnes presque parallèles; l'une d'elles suit la côte vers MonteRey, c'est la sierra de San Bruno et de Santa Crùz : l'autre, partant de la baie de San Pablo, passe derrière la Mission de San José , et vient aboutir à la Mission de Saint Jean Baptiste. Ce bras de mer se termine par une foule de lagunes et de petits canaux qui condui- sent aux Missions voisines. L'autre bras prend
COURANTS DIVERS. 435
une direction nord , passe entre les pointes de San Pedro et de San Pablo , à l'entrée desquelles on trouve la petite île Molate et quelques îlots, et forme la baie de San Pablo qui est presque cir- culaire et a quinze milles de diamètre. Les Mis- sions de San Rafaël , de San Francisco Solano et le Pueblo de Sonoma sont situes dans la partie nord de cette baie; à l'est et par le détroit des Carquines, la baie de San Pablo communique avec celle de los Carquines. qui a presque la même étendue, et au fond de laquelle débouchent , en se réunissant, le Rio San Joaquin qui vient du sud, et le Rio del Sacramento qui vient du nord- nord-est. Le Rio de Jésus Maria n'est qu'une branche du Sacramento, qui, en se rejoignant avec le bras principal, forme une île de dix milles de long.
Règle générale : dans la baie de San Francisco l'eau est la plus profonde là oii la mer est la plus forte, et hors du courant, il y a toujours quelques difficultés à débarquer à la marée basse. Toutes les petites criques ont très-peu d'eau et sont souvent à sec à la basse mer. La côte nord- est , depuis la pointe de San Pablo jusqu'à San José, est si peu profonde, que des canots très- légers peuvent seuls y aborder, car à un mille et demi de terre on ne trouve souvent qu'une brasse
436 MOUILLAGE DEL SAUSALITO.
d'eau. La côte nord de la baie a le même incon- vénient.
Une fois que le navire a dépassé le fort, il peut aller mouiller au nord à la baie del Saûsalito où l'on trouve Vaiguade , ou bien venir au sud et jeter l'ancre en vue du Pueblo de la Yerba Buena.
L'ancrage de la Yerba Buena est en face des maisons, ou mieux un peu au nord , à un demi- mille de terre ; on trouve de neuf à quinze mètres fond vaseux et de bonne tenue. Ce point est très-sûr, quoique exposé à des coups de vent furieux et à une houle tellement forte, qu'il se passe souvent huit et dix jours sans que les bâtiments puissent envoyer leurs chaloupes à terre. Pendant un quart de mille, l'eau est si peu profonde, qu'à la marée basse les canots ne peu- vent aborder vis-à-vis des habitations. Ils doivent alors accoster au pied de la petite pointe au nord du mouillage; quelques roches plates y forment un bon débarcadère.
Le mouillage fl?e/^a«/,ya/ïVo ou baie des Baleiniers {fVhalers's Harhour) ne présente aucun de ces in- convénients. En face de l'aiguade, à un quart de mil le, on n'a pas moins de quatorze à seize mètres, et on en trouve même douze à une encablure de la pointe del Saûsalito. Près du bord, l'eau est pro-
DIRECTION DES MAREES. 437
fonde, et les embarcations peuvent aborder à toute heure. Le bois est très-facile à faire et en grande quantité. La montagne de la Table garantit cette petite baie des terribles vents du nord-ouest qui rendent le séjour de la Yerba Buenft si désagréable et si froid , même en plein été. Bien que ces deux points ne soient éloignés que de cinq milles envi- ron, et que l'on franchisse cette distance en moins d'une heure, nous avons souvent vu le thermomètre marquer douze et quinze degrés de plus au Saùsalito qu'à la Yerba Buena , et tandis qu'on se baignait dans la mer au Saùsalito, à la Yerba Buena on était forcé de faire du feu.
Derrière la pointe del Saùsalito, à quelques pas de la plage, on aperçoit une petite ferme, appar- tenant à un Anglais, le capitaine Richardson , qui remplit dans cette partie de la baie les fonctions de capitaine de port. La maison n'est qu'une masure en planches. Cet homme, marié avec une femme du pays et père de famille, est excellent pilote, et l'on peut se procurer chez lui des che- vaux , des bœufs et quelques légumes frais.
Pour la navigation intérieure de la baie, on se servira avec avantage de la connaissance exacte des marées. Il faut remarquer que les deux bras de la baie sont presqu'à angle droit ; leurs marées différentes se rencontrent au centre du port, au
438 SORTIE DU PORT.
sommet de l'angle, et forment des tourbillons et
des contre-courants très-dangereux pour les
embarcations.
Le reflux commence d'abord dans le bras de Santa Clara, une heure avant que la mer ait fini de monter vers les îles de la Yerba Buena et de los Angeles, et le flux à son retour commence par le même bras de Santa Clara et le rivage sud, re- poussant ainsi vers l'île de Yerba Buena la marée qui descend du bras nord de la baie. Le flot vient d'abord frapper les roches calcaires , la pointe sud de la Plaza de los C ah allô s , et se divise en arrivant sur l'île de los Alcatraces ; une partie se dirige vers le bras Santa Clara, et l'autre, passant au-dessus de la roche noyée de Blossom , et der- rière l'extrémité est de l'île de los Angeles, s'unit à un courant rapide, provenant de l'étroit canal formé par la grande côte et l'île , lequel se préci- pite vers le nord entre les deux pointes dans la baie de San Pablo. Les deux roches blanches et l'île de los Alcatraces demeurent ainsi dans la partie la plus forte du courant.
Pour sortir de San Francisco , il faut considé- rer la direction du vent. S'il souffle du sud-ouest, on éprouve quelques difficultés. Les vents de l'est ne sont souvent que des brises folles. On ne doit pas trop s'y fier. Ils exposent à avoir du calme
ILE DE LOS ANGELES. 439
au milieu de la barre, où l'on ne peut jeter l'an- cre sans danger, à cause de la houle et du peu de fond. Les vents de la part du nord sont, sans con- tredit, les meilleurs; ils sont presque les vents régnants sur la côte. En sortant , la meilleure di- rection est de prendre le sud-ouest , afin de tra- verser la barre par sept brasses. Cette direction , avec un bon vent , est aussi la meilleure pour en- trer dans le port; et l'on doit éviter à tout prix la petite baie sablonneuse au sud de la Punta de Lobos , et surtout de s'approcher trop près du rivage au nord-ouest de la Punta Boneta.
On trouve dans la baie trois îles principales et plusieurs îlots. L'île de los Angeles est la plus grande et la plus importante; sa forme est à peu près circulaire; elle a un mille et quart de dia- mètre , et présente , dans l'est , une aiguade et un excellent mouillage où l'on peut abattre un na- vire en carène. Cette île a du bois et des pâtu- rages ; elle n'est habitée que par un troupeau de bœufs appartenant à un Californien nommé Don Antonio Ocio. L'île est assez montagneuse; elle présente plusieurs sommets ; le plus élevé est au centre et n'a que deux cent vingt-six mètres au- dessus du niveau des eaux. Comme point mili- taire , l'île de los Angeles est digne d'une atten- tion particulière ; en effet , sa position commande
440 ILOTS DU PORT,
en quelque sorte l'entrée du port; l'ancrage del Saûsalito et ses feux divergents pourraient at- teindre presque tous les mouillages et points im- portants de la baie.
L'île de la Yerba Buena est située en face du mouillage de ce nom , à un mille et demi de terre environ ; elle a une forme presque quadrilatère ; mais le côté de l'est est semi-circulaire, et présente une anse où l'on arrive par quatre ou cinq brasses. La partie sud de l'île est la plus escarpée ; sa hau- teur est de cent treize mètres ; sa circonférence est de trois milles environ; elle contient quelques filets d'eau , un peu de bois , mais pas de trou- peaux.
L'île de los Alcatraces ou des Pélicans , ainsi nommée à cause de l'immense quantité de ces oiseaux qui y vont faire leurs nids dans les anfrac- tuosités des rochers , n'a guère qu'un mille et demi de tour et dix à quinze mètres de haut; elle est d'une blancheur éclatante et dépourvue de végétation. Dans sa partie nord-est , cet îlot a jusqu'à treize brasses d'eau ; à l'ouest , au pied de la roche , il n'y a que trois à quatre brasses , mais à une encablure de distance on retrouve de neuf à douze brasses.
Les deux petites roches blanches , situées à un mille au nord-ouest de los Alcatraces , ont quel-
BAIE DE SAN PABLO. 44 1
ques mètres de long sur deux environ de hauteur : près de la plus sud , à toucher , le fond est de cinq et sept brasses; près de l'autre, de trois et quatre ; vues à peu de distance, elles ressemblent toutes deux à des canots à la voile. On trouve souvent sur ces roches plusieurs espèces de phoques.
L'île Molate, la plus petite du port , n'estqu'un gros rocher d'un peu plus d'un mille de circonfé- rence , élevé de quinze à vingt mètres , et dé- pourvu de végétation. Elle est située dans le nord de la baie , à un mille de terre et à une lieue au sud de la Punta de San Pablo. Les contours de l'île offrent partout de huit à quinze mètres d'eau, et l'on peut en approcher sans danger.
11 existe encore dans la vaste étendue de la baie de San Francisco quelques petits îlots près de terre , mais leurs abords sont sains , et ils ne méritent pas d'être décrits.
L'entrée de la baie de San Pablo, d'une largeur d'un mille et demi , est formée par la pointe de San Pedro au nord, et la Punta de San Pablo, au sud. Le passage du détroit abrège singulièrement le trajet lorsqu'on veut se rendre, par terre, des fermes russes et des Missions de San Rafaël et San Solano au pueblo de San José et à MonteRey, en suivant toute la côte orientale de la baie de
442 DÉTROIT DE LOS CARQUINES.
San Francisco. Le détroit et la baie de San Pablo présentent un fond suffisant pour de grands na- vires marchands. On a toujours huit à neuf mè- tres au moins. Mais en naviguant dans cette baie il faut se tenir près du rivage sud , car au nord il n'y a qu'une brasse, même à une lieue de terre, et souvent beaucoup moins. Une lagune, située au sommet de la baie , conduit à trois kilomètres de la Mission de San Francisco Solano et du pue- blo de Sonoma. La forme de la baie de San Pa- blo est à peu près circulaire ; le plus grand dia- mètre nord et sud est de trois lieues et demie , et celui qui court est et ouest de cinq lieues.
A l'est, la baie de Saint Paul se termine par le détroit de los Carqidnes , qui donne entrée dans la baie du même nom, et dont l'étendue, la forme et la direction sont à peu près semblables à celles de la baie de San Pablo. C'est au fond de cette baie de los Carquines que débouchent, en se réunissant, les deux seuls courants d'eau de toute la Californie, qui aient quelque importance, et dont nous donnerons plus loin une description détaillée, les Rios de San Joaquin, Jésus Maria, et surtout celui del Sacramento. Nous avons déjà parlé des petits ruisseaux de San José, Guada- lupe, Santa Clara, San Mateo et autres, qui ne. sont point navigables. Il nous reste maintenant à
LE COR DANS LES BOIS. 443
mentionner les points habités situés au nord de la baie de San Francisco.
Au fond de la grande anse del Saûsalito, au nord de la langue de terre qui la divise, et à deux lieues à l'est de Ricliardson,on rencontre le ran- cho du défunt Irlandais Read, ancien pilote. Près de la maison , dans un bas-fond , on trouve une très-belle coupe de bois de pins, dont les troncs grossièrement équarris sont transportés à la scierie mécanique de la Yerba Buena. Les alentours sont remarquables par la beauté des pâturages. Si un navire voulait faire un grand approvisionnement de viande salée, il devrait s'adresser à la ferme de Read de préférence à Richardson. Les troupeaux du premier sont en très-bon état, et sa veuve n'a pas moins de quatre mille bêtes à cornes.
La première fois que je visitai le nord de la baie, j'arrivai au coucher du soleil près de la ferme de Read ; en approchant, je fus surpris d'entendre dans ces solitudes les sons lointains d'un cor; je pris le galop et reconnus bientôt l'air national irlandais de Robin Adair. Pres- que en même temps j'aperçus sur un monticule un homme à cheval jouant du bugle. Cet homme, c'était Read , qui avait habitué ses troupeaux à se réunir tous les soirs au son de cet instrument.
1. ag
411 MISSION DE SAIN RAFAËL.
Derrière les fermes de Richardson et de Read, au nord et à l'ouest jusqu'à la mer, sur un espace de huit à douze lieues , s'élèvent les petits ran- chos de las Gallinas , Berry, Garcia et Ocio , près de la Puntade Reyes, et Bohorquez, le plus rap- proché du port de la Bodega; enfin, plus au nord et à l'est, Ortega, Martin, Pitaluma, los Vallejos, Dorson et Mackintosh , l'établissement le plus nord du territoire mexicain, et qui n'est éloigné que d'une lieue de Vasili Klebnikoff , première grande ferme des Russes , située à dix- huit lieues de la baie de San Francisco.
MISSION DE SAN BAFAELt
A cinq milles au nord du rancho de Read , on trouve , non loin du rivage , la Mission de Saint Raphaël , aujourd'hui presque détruite. Elle fut fondée, le 18 décembre 1817, par leR. P. For- tuni , et réunit plus tard jusqu'à douze cents néophytes, trois mille bœufs , cinq cents chevaux, quatre mille cinq cents moutons ; elle récoltait quinze cents fanegas, et servait d'infirmerie et de lieu de convalescence aux néophytes de la Mis- sion de los Dolores , qui ne pouvaient supporter le rude climat de San Francisco. Actuellement ,
MISSION DE SAN FRANCISCO SOLANO. 4 4",
tout est ruiné ; il n'y a que vingt Indiens et un irlandais nommé Murphy. Les terrains delà Mis- sion sont excellents. Nous avons vu dans ses jar- dins des plants superbes de tabac , cultivés par un nommé Ortega. Deux mille pieds de vigne ont été arrachés par ordre du commandant Val- lejo , et replantés dans le rancho de Pitamula , appartenant anciennement à la Mission de San Solano : tous les bestiaux de San Rafaël ont été confisqués par le même personnage.
En quittant San Rafaël , et en tournant de grands marais salants, on passe devant le rancho del Indio, ferme composée de quelques Indiens libres, et l'on arrive à la mission de San Francisco Solano , éloignée de treize lieues de la précé- dente.
MISSION DE SAN FRANCISCO SOLANO.
La Mission de Saint François Solan , ou de San Solano, fut fondée, le 25 août 1823, par le R. P. Amoros , Franciscain espagnol. Elle forme le dernier et le plus nord de ces établissements religieux qu'il eût été si important de conserver. La situation de San Solano est délicieuse , et la vaste plaine qui l'entoure d'une extrême fertilité. La Mission n'est éloignée que de quelques milles
29.
4IG PUEBLO DE SONOMA.
du fond de la baie de San Pablo , et de douze lieues environ des fermes russes. Deux chaînes de collines parallèles la garantissent des vents de la pleine mer et de ceux du nord. Cette Mission avait acquis un développement si rapide , qu'en moins de dix ans elle avait réuni treize cents néophytes; elle possédait huit mille bœufs, sept cents chevaux, quatre mille moutons, et récoltait trois mille fa- nègues. Aujourd'hui, elle n'a absolument rien ; de l'édifice, il reste à peine une chapelle et un petit logement pour le moine; les matériaux de l'ancien bâtiment ont servi à Don Mariano Vallejo pour se construire une belle maison ; il s'est emparé de tout le bétail, des vignes, des jardins , et emploie comme domestiques une cinquantaine d'Indiens qui sont restés à San Francisco Solano.
PUEBLO DE SONOMA.
Autour de la Mission , et sur une grande place carrée , le commandant Vallejo a fondé un Pue- blo auquel il a voulu imposer le nom de Sonoma de Vallejo. Le premier mot est le nom indien que les indigènes donnaient à cette localité. Il n'est pas douteux que ce Pueblo ne prenne de l'ac- croissement avec le temps. Sa population s'élève déjà à cent cinquante individus, parmi lesquels
CHAPELLE DE SANTA ROSA. 447
on compte vingt étrangers. SanSolano est la rési- dence ordinaire d'un Français fort intelligent , M. Victor Prudon , qui y a fondé une école et y surveille une petite ferme. Toutefois, M. Prudon espère s'établir à MonteRey, comme secrétaire du gouverneur, emploi qu'il a déjà occupé.
En 1827, le R. P. Amoros avait déjà jeté les fon- dements d'une nouvelle Mission et construit la chapelle de Sainte Rose, à six lieues au nord-ouest de San Solano , et à une distance égale de la ferme russe de Vasili Klebnikoff.
Les terrains de cette chapelle sont très-fertiles, et spécialement propres à la culture du blé. Les vallées sont arrosées , et les collines couvertes de bois. En peu de temps les moines y réunirent une assez grande quantité d'Indiens , et le nombre des bestiaux atteignit un chiffre élevé.
Ce fut à Santa Rosa que voulurent s'établir les membres de la colonie arrivée de Mexico en 1834; entreprise qui échoua misérablement, comme nous l'avons dit plus haut. Aujourd'hui les ranchos de Sainte Rose ont pris une extension considé- rable, et sont devenus la proie de la famille Val- lejo, qui s'est partagé les dépouilles de plusieurs Missions.
Sur les rivages du port de Francisco, on éprouve des températures différentes, selon que
448 RENDEZ-VOUS DES CHASSEURS.
Ton se trouve au nord , au sud , à l'est ou à l'ouest. La partie sud-ouest est la plus froide , pendant l'été surtout , parce que le vent souffle constam- ment du nord-ouest. Dans l'hiver, le vent régnant est le sud-est, et la température moyenne à midi de la Yerba Buena, en novembre et décembre, est toujours entre 11 et 12 degrés centigrades au- dessus de zéro; le baromètre a des variations presque insensibles , et se maintient en moyenne à sept cent soixante-dix-huit millimètres.
A MonteRey, la température est la même, à un degré près, et dans les deux localités la sur- face de la mer a toujours quelques degrés de plus que l'air ambiant.
Au fond delà baie de los Carquines, on dé- couvre trois bouches de rivières, que les Cana- diens français appellent les Trois Fourches; elles sont formées, à droite et à l'est , par le Rio San Joaquin ; en face et au nord, par le Rio del Sa- cramento, et à gauche et au nord-ouest, parle Rio de Jésus Maria. On a cru longtemps que cette rivière était un cours d'eau ayant une origine dis- tincte; mais des explorations mieux dirigées ont démontré que le Jésus Maria n'était qu'un bras du Sacramento , qui , sept lieues avant son em- bouchure, se bifurque et donne naissance à la grande île qui porte son nom. Cette île étroite et
RIO DE SAN JOAQUIN. 449
basse est couverte de roseaux et de joncs ; elle se trouve presque entièrement inondée pendant la saison des pluies. Les grands arbres y sont fort rares; on en voit cependant un bouquet à l'ex- trémité sud de l'île, dans un endroit nommé le Rendez-vous des Chasseurs. L'île est peuplée de cerfs, de daims et de castors; il y a aussi quelques serpents à sonnettes; les Indiens s'y rendent sou- vent dans leurs ^«/.y «.y , espèces de radeaux en joncs, pour y chasser les loutres d'eau douce. Nous avons campé dans l'île , et après en avoir fait le tour, nous sommes demeurés convaincus que le Rio Jésus Maria n'existait pas.
Dans la description qui va suivre, nous emploie- rons les dénominations espagnoles ou anglaises toutes les fois que les découvreurs auront été Es- pagnols, Anglais ou Américains ; mais nous don- nerons partout les noms français aux lieux recon- nus par les Français canadiens.
Le Rio de San Joaquin, ou rivière de Saint Joachim , a une origine qu'il est impossible de dé- terminer exactement; elle coule du sud-est au nord-ouest dans l'immense plaine de los Tulares, et est formée de mille petits courants d'eau sor-^ tant des lagunes de la grande vallée, ou découlant du versant oriental des Monts Californiens et des pentes occidentales de la Sierra Nevada. Le San
450 RIO DEL SACRAMEINTO
Joaquin ne commence à se former qu'à partir du parallèle de la Mission de San Fernando , et ce n'est qu'en arrivant derrière la Mission de San José , au pied de la sierra de los Bolbones , qu'il commence à avoir quelque largeur; il est cepen- dant guéable en été, à peu de lieues de son em- bouchure. Cette rivière et la vallée de los Tula- res furent explorées avec soin, en octobre 1811, par les Pères Franciscains espagnols Fortuni et Abella , accompagnés d'une expédition militaire ». Leurs chaloupes , quoique ayant un faible tirant d'eau , ne purent remonter au delà du parallèle du pueblo de San José. Les rivières et les lagunes d'eau douce , si nombreuses dans la vallée, abon- dent en poisson, particulièrement en énormes saumons et en castors. Les moines des Missions de San Fernando, San Miguel et San Antonio, ont complété les explorations, et il est hors de doute que le San Joaquin est à peine navigable pour des canots , et que dans les endroits pro- fonds son cours est très-dangereux , à cause des troncs d'arbres qui sont cachés sous l'eau. Dans la saison des pluies , le Rio devient un immense torrent ; il monte de huit à neuf pieds, et endébor-
' Le journal inanuscrit de celte «'xplonilioii intéiessaiile est entre nos mains.
ET SES AFFLUENTS. 45 f
dant , inonde un espace dont la largeur est sou- vent de plusieurs lieues. Ses bords sont générale- ment peu élevés. Des arbres magnifiques, des chê- nes, des pins et des sycomores, couvrent la vallée.
Le Rio del Sacramento, rivière du Saint Sacre- ment, présente deux bras qui se réunissent pres- que en face de l'embouchure du Rio San Joaquin. La branche la plus ouest, improprement nommée Rio de Jésus Maria, court au nord-nord-ouest, puis incline vers l'est , après vingt milles , et se réunit à la branche principale. Le fleuve offre alors mille sinuosités; mais sa direction générale est entre le nord quart nord-est et le nord- ouest. Sa largeur ordinaire est de trois cents mè- tres, et sa profondeur de trois à quatre brasses pendant l'été. La marée remonte assez haut dans ces rivières. A cinquante milles à l'est du Sacra- mento,, on trouve la petite rivière Dubreuil qui va rejoindre le San Joaquin; à huit milles , du même côté, la rivière Sans nom. Au-dessus de la bifurcation qui forme la grande île, se présente, à l'ouest, la rivière Martine; puis, à l'est, quel- ques lieues plus haut, la Fourcheaméricaine, large de trente mètres, et éloignée de trente lieues de l'embouchure.
C'est dans l'angle compris entre le Sacramento et la Fourche qu'est située la Nouvelle Hel-
452 NAVIGATION DU FLEUVE,
vétie , du capitaine Sutter. Les Canadiens don- nent le nom général de Fourche à toute rivière qui vient se jeter dans une autre. La rivière Young se présente à l'ouest, au-dessus de la Fourche américaine ; et sur le côté opposé , à huit milles de distance, la Fourche de la Plume, dont la largeur est de quarante mètres, et qui vient droit de l'est. A six milles , sur l'autre rive, débouche la rivière Beaulieu , et à huit milles à l'est , la rivière des Trois Buttes , qui prend sa source , ainsi que la Fourche américaine , au pied de trois mamelons fort remarquables , détachés du premier plan oriental de la Sierra Nevada, et d'une hauteur d'environ mille mètres. Au-dessus, et pendant un espace de trente milles, le Sacra- mento court presque au nord , et reçoit, à l'ouest, les rivières Avoine et des Liards ; à l'est , les ri- vières Champagne et des Trois Fourches, ainsi que la rivière du Trou. Cette dernière rivière, assez considérable, est formée par la Fourche aux Chevaux et la rivière du Malheur, qui toutes deux viennent des collines qui se détachent de la Sierra Nevada.
Jusqu'à la rivière du Trou , c'est-à-dire , pen- dant un espace de près de cinquante lieues, le Sacramento est parfaitement navigable ; il n'a ni chute , ni portages, expression usitée parmi
ORIGINE DEL SACRAMES TO. 45 S
les Canadiens pour indiquer un lieu oii des obstacles obligent à porter le canot pendant un certain temps pour le remettre ensuite à flot. Jus- qu'à l'embranchement de la rivière du Trou, le Sacramento a neuf à dix mètres sans bas-fond. Le seul danger qu'il offre à la navigation provient des arbres noyés qu'il importe d'éviter avec le plus grand soin, car ils pourraient défoncer les chaloupes et les faire couler rapidement. En at- tendant qu'on ait fait disparaître cet obstacle , il est prudent de ne pas naviguer la nuit. Au-dessus de la jonction de la rivière du Trou, le fond di- minue, et l'on ne trouve que cinq à six pieds ; il se présente en outre une estacade de pieux qui obstruent le cours du fleuve. Les Indiens cons- truisent ces digues pour arrêter le saumon. Il se- rait facile de les enlever, et la navigation pour des bateaux plats pourrait continuer pendant une douzaine de lieues dans l'étendue d'une grande courbe que le Sacramento décrit vers l'ouest , et après laquelle il revient au nord , et enfin à l'est jusqu'au lac Masqué d'où il sort'.
* Point où le Sacramento cesse d'être na-j Lat. N. : 38** 46' 47''. vigable pour les bateaux de moyen tonnage : j Long. G. : 1 24"00' 54".
Distance du mouillage de la Yerba Buena, cent cinquante -six milles ; hirgeui de la rivière, trente mètres.
154 LAC MASQUÉ.
Ce lac , comme l'indique son nom , est caché au milieu de terrains bas et couverts de joncs épais; il est formé par les eaux provenant des Monts Sastés , chaînon occidental de la Sierra Nevada, qui court vers la mer, entre les 41® et 42^ degrés de latitude, et semble former la division natu- relle entre la Californie et le pays arrosé par les affluents du Rio Colombia et du Ouallamet. On a cru longtemps que le Sacramento sortait du lac Salé ou Youta des Indiens. Aucune carte , à notre connaissance, ne présente la position du lac Masqué ; les anciennes donnent au lac Salé lesnomsdelacTimpanogos etTeguayo, et offrent même généralement deux lacs au lieu d'un. Il ne saurait y avoir confusion, puisque le lac Youta est situé presque au pied des Montagnes Ro- cheuses , qu'aucune rivière n'en découle , et que le lac Masqué et le Sacramento sont à plus de cent lieues à l'ouest, et séparés du premier parla Sierra Nevada. A vingt lieues environ , au sud-est du lac Masqué, se trouve le lac des Truites, qui abonde en castors.
Le Rio del Sacramento coule dans la plus ma- gnifique plaine que l'on puisse imaginer. Au nord, la vue est bornée par les montagnes qui vont de l'est à la mer, et la garantissent des vents froids; au levant, elle a la Sierra Nevada et ses neiges
PLAINE DU SACREMENT. 455
éternelles; à l'ouest, les Monts Californiens, cou- ronnés de forêts ; et au sud , le cours du fleuve et celui de San Joaquin et de leurs mille affluents. Les eaux, après la fonte des neiges, s'élèvent jus- qu'à trois mètres, ainsi que le témoigne le limon qui enduit le tronc des arbres, et en se retirant elles donnent une nouvelle vigueur à la végéta- tion. Les chênes, les saules, les lauriers royaux, les pins, les sycomores, des lianes, des vignes vier- ges, des bandes de chevaux sauvages, d'immenses troupeaux de bœufs, de cerfs et d'antilopes ani- ment le paysage. Les Indiens habitent des cabanes creusées dans la terre, et couvertes de branches; bien qu'ils soient tous pêcheurs , ils possèdent des bœufs et des chevaux; quelques-uns, échappés des Missions , cultivent même la terre ; et le seul animal à craindre dans ces vastes prairies, est l'ours gris ( ursus terrïbilis) , que l'on rencontre souvent monté sur les chênes , et jetant des glands doux à ses oursins.
Il n'y a pas de rivière plus propre que le Sacramento à la navigation des bateaux à vapeur; au bord même de l'eau, ils trouveraient des bois inépuisables , et il n'est pas douteux que ce fleuve, traversant un sol vierge et se jetant dans l'un des plus beaux ports du monde, n'acquière une grande importance, du jour (et ce moment n'est pas
^56 COLONIE DE LA NOUVELLE HELVÉTÏE
éloigné) où la Californie aura changé de maîtres. Le pays situé à l'ouest du Sacramento jusqu'à la mer, en passant derrière la Mission de San Solano, la chapelle de Santa Rosa et les Fermes Russes, est d'une égale fertilité. Jusqu'à San José et San Fernando, la plaine, sur une longueur de deux cents lieues et une largeur de vingt à qua- rante, a partout le même caractère. Aussi, les vieux moines et les anciens soldats espagnols ont- ils bien raison de dire aux voyageurs qui admi- rent les Missions situées près de la mer, que la beauté de leurs terrains n'est rien en comparai- son de celle de l'intérieur de la province.
La Compagnie de la baie d'Hudson a obtenu il y a trois ans du gouverneur Alvarado , la con- cession gratuite d'un terrain de onze lieues car- rées, situé le long du Sacramento, au-dessus du San Joaquin , en faveur d'un de ses agents, nommé Desportes Mac Kay, parent du docteur MacLou- ghlin, chef des établissements du RioColombia. Toutefois, jusqu'à présent, le terrain n'a pas été occupé; mais si la Compagnie y envoie des co- lons , ce ne pourra être que des Canadiens fran- çais engagés à son service.
Un Américain, nommé March, possède une ferme sur le bord sud du San Joaquin , au pied du Monte del Diablo , qu'il occupe avec trois ou
DU CAPITAINE SUTTER. 457
quatre matelots, ses compatriotes , et déserteurs des bâtiments des Etats-Unis.
NOUVELLE HELVETIE DU CAPITAINE SUTTER.
Le capitaine Sutter est un Suisse qui a servi douze ans dans notre ancienne garde royale, et qui , après 1830 , se rendit aux Etats-Unis, oii il exploita pendant quelques années une ferme sur les bords du Missouri. En 1836, il se joignit à une caravane d'Américains qui se dirigeaient par terre au Rio Colombia. M. Sutter emmena avec lui trois Allemands; il traversa les Montagnes Rocheuses, et arriva heureusement au fort Van Couver, chef-lieu des établissements de la Com- pagnie de la baie d'Hudson. Après un court sé- jour, il se rendit aux îles Sandwich , fit quelques opérations commerciales à la Nouvelle Archan- gel , capitale des Colonies Russes , et arriva en Californie en 1839.
Le gouverneur Alvarado , alors à MonteRey, lui fit, conformément à la loi espagnole, une concession gratuite de onze sitios , ou parcs de grand bétail , c'est-à-dire , onze lieues carrées , à prendre dans le lieu qui lui paraîtrait le plus
458 FORT DE LA NOUVELLE HELVÉTIE. :
convenable'. M. Sutter, afin de ne pas avoir de voisins , choisit son terrain sur la rive gau- che du Rio del Sacramento, entre la rivière Sans nom et la Fourche de la Plume ; la Fourche américaine coule entre ces deux rivières , et ar- rose les prairies. Tous ces cours d'eau sont bordés de bois , et fourmillent de saumons et de castors. Un Français , M. Octave Custot , rendit les plus grands services à M. Sutter dans la fondation de la Nouvelle Helvétie.
L'établissement est situé à deux milles à l'est du fleuve , et à un mille au sud de la Fourche amé- ricaine. Du débarcadère aux bâtiments , on tra- verse une belle prairie ombragée de chênes énor- mes. On n'a pu construire de maisons sur le bord même du Rio Sacramento , à cause des inonda- tions annuelles. Le fort de la Nouvelle Helvétie est adossé , au nord, à un petit ruisseau dont les bords escarpés concourent à la défense ; l'enceinte est fermée par un mur de cinq pieds d'épaisseur,
• Chaque lieue carrée se nomme caballeriza. Dans les pueblos on donne aux étrangers un solar ou une cuadra , c'est-à-dire un sol ou un carré de soixante à cent varesde côte (cinquante à qua- tre-vingt-cinq mètres), moyennant le faible droit de un quart de piastre par vare, ce qui fait de quinze à vingt-cinq piastres pour cinq à neuf ares. Dans les terrains vagues la concession est gratuite.
SON ABMEMENT. 4;5')
construit en briques cuites au soleil, et soutenu par de grandes pièces de bois : chaque face du quadrilatère présente un développement de cent mètres ; les angles sont flanqués de bastions car- rés , ayant deux étages ; les quatre plans sont per- cés d'embrasures , et une galerie extérieure cou- ronne toute la muraille. L'armement se compose de seize à dix-huit canons courts, et caronades en fer de divers calibres , achetés à bord des navires, et de deux excellentes pièces de campagne en bronze, avec caissons, que les Russes ont cédées à M. Sutter. Ce dernier possède en outre assez de fusils et de longues carabines rayées (rifles) pour équiper soixante à quatre-vingts hommes, sans compter les pistolets et armes blanches. Ses mu- nitions sont bonnes et en assez grande quantité ; une surveillance active, et des gardes et rondes de nuit, sont organisées militairement. Toutes ces précautions sont nécessaires, cardans les premiers temps de l'établissement, les Indiens ont tenté plusieurs fois d'assassiner M. Sutter, qui est sorti vainqueur des engagements qu'il a eus avec eux. Maintenant , M. Sutter est en paix avec les In- diens, dont une centaine environ travaillent chez lui. Ils sont nourris, et reçoivent par jour deu\ réaux en marchandises, telles que grains de verre, colliers, mouchoirs , étoffes et autres articles.
I. 3o
IGO CHASSE DU CASTOR.
Il y a , à la Nouvelle Helvétie, trente hommes
hlancs, Allemands, Suisses, Canadiens, Améri- cains, Anglais et Français. Presque tous sont occupés aux coupes de bois , aux forges et à la charpente ; quelques-uns parcourent, divisés en escouades , la vallée et les rivières pour chasser le castor.
Dans la Nouvelle France et les régions froides de l'Amérique du Nord , où les lacs et les rivières gèlent, les castors sont obligés de se réunir pour construire leurs loges d'hiver et les barrages et palissades des rivières qui les mettent à l'abri de l'inondation, et leur fournissent les moyens de prendre le poisson. Dans les contrées plus chau- des , situées vers le sud et l'ouest des Montagnes Rocheuses, ces amphibies n'ont pas besoin d'exé- cuter les admirables travaux hydrauliques qu'on remarque dans les lacs du Canada. Les rivières ne gèlent pas , et la terre n'est jamais couverte de neige; aussi, vivent-ils isolés, se nourrissant prin- cipalement de racines et décorées ; ils habitent des trous creusés le long des cours d'eau , ou dans les lagunes, et à l'époque des inondations, ils se retirent dans les endroits secs , oii ils se construisent d'autres demeures. Ces habitudes nomades ont pour conséquence de rendre la chasse de ces animaux plus difficile; il est vrai
TRAPPEURS DE L'OUEST. 461
qu'elle demande bien moins de monde, puisqu'un seul homme peut poser un grand nombre de trappes. Ces pièges sont en fer, comme les tra- quenards dont on se sert en France ; l'appât , nommé la médecine, est placé au milieu. Le piège, attaché à une chaîne en fer, est fixé en terre par des petits pieux du même métal; en effet, si l'on employait le chanvre et le bois, les dents puis- santes du castor lui auraient bientôt rendu la liberté. Très-souvent les chasseurs se mettent en embuscade, et, sans dresser de trappes, tuent les animaux à coups de carabine. Les pièges sont assez lourds ; un homme ne saurait en porter plus de dix ou douze ; aussi , chaque trappeur se fait- il accompagner d'un Indien , ou prend-il un cheval pour transporter son bagage. Les castors pris au piège ont généralement le museau ou les pattes brisés; on les achève avec un couteau, et l'on étend ensuite au soleil la peau étirée par de petits bâtons. En chasse , on mange la chair du castor; elle a toujours un goût aquatique : cependant, la queue est aussi estimée parles trap- peurs de l'Ouest, que les bosses de bison parmi les chasseurs du Haut Missouri.
En 1830, Jean-Baptiste Desportes Mackay, l'un des chefs trappeurs de la Compagnie d'Hudson , prit dans l'espace de six mois, aux environs de
162 PKCHE DU SAUMON
la baie des Garquines, plus de quatre mille castors ; ce qui est énorme, si l'on pense que la peau se vend deux piastres la livre en Californie , et une livre sterling à New-York et à Londres.
M. Sutter, qui d'abord a donné tous ses soins à l'achat et à l'élève des bestiaux, possède main- tenant plus de quatre mille bœufs, quinze cents chevaux et mules, et deux mille moutons. Il a douze cents vaches laitières, et il espère exporter une grande quantité de beurre et de fromage. La culture des graines et des légumineuses lui pro- curera de bons résultats, et il compte aussi retirer de grands avantages de quelques plantations de coton. Il lui sera aisé de convertir des bas-fonds en rizières et en champs d'indigo , et de cultiver sur les terrains à l'abri des inondations, la vigne, les oliviers et tous les arbres fruitiers d'Europe qui y viennent parfaitement bien.
Dans le Rio del Sacramento et toutes les ri- vières qui s'y jettent, fourmillent d'énormes sau- mons des meilleures espèces , qui remontent de la mer pour déposer leur frai. Les Indiens établis- sent des barrages dans les petits ruisseaux , et tuent le poisson à coups de pierres ou avec des bâtons pointus. On peut prendre les saumons à l'hameçon , ou au moyen de filets solides tendus en travers des rivières. Ce poisson, salé, est d'une
DAINS LE SAGRAMElMO. 4Gr>
grande consommation aux îles Sandwich, où la Compagnie du Rio Colombia en expédie beau- coup; il est même venu exprès de New- York des navires pour en prendre des chargements. M. Sut- ter a tout lieu d'espérer que cet article d'expor- tation lui offrira plus tard de grands bénéfices. 11 est obligé de ne négliger aucune branche d'industrie , afin de s'acquitter le plus tôt possi- ble de la dette qu'il a contractée envers les Russes en achetant leurs bestiaux et leurs fermes. Les marchandises européennes dont il a besoin , se vendent à un prix fort élevé en Californie ; aussi a-t-il cherché à établir des relations directes avec les grands dépôts des îles Sandwich. Pour y parvenir, il a expédié, le 18 août 1841 , à Hono- lulu, un de ses colons anglais, M. Sainclair, chargé expressément d'obtenir des consignations et une participation directe à son entreprise. A notre départ de Californie, M. Sutter paraissait assuré que la maison de M. French, négociant anglais, et son associé M. Greenway, Américain, lui fourniraient des marchandises et des fonds, et lui enverraient quelques colons blancs ou des canakas de Sandwich.
Au centre de son fort, M. Sutter a construit plusieurs maisons. Il destine la plus grande , qui est fort bien bâtie , à sa famille qu'il a l'intention
4G4 IMPORTANCE
de faire venir de Baie avec quelques nouveaux colons suisses. A deux milles de la Nouvelle Hel- vétie , au bord de la Fourche américaine, il a cédé une partie de son terrain à deux Anglais, MM. Morris et Sainclair, qui y ont construit des habitations et ont commencé à cultiver.
L'intention de M. Sutter est de donner, sans redevance d'abord , quelques parcelles de terre aux colons qui viendront s'établir auprès de son établissement. En attendant , ses ouvriers blancs reçoivent par jour, en sus de la nourriture, deux à trois piastres qui leur sont payées partie en ar- gent et partie en marchandises. Tous ces hommes vivent avec des femmes indiennes ou californien- nes, et la colonie ne s'élève pas à moins de deux cents âmes. M. Sutter a été nommé, par le gouver- neur Alvarado , alcalde et justicier du territoire à l'est du Rio del Sacramento. Le commandant Vallejo,quia la prétention de gouverner sans con- trôle le pays situé sur la rive droite du fleuve, n'a pas vu sans une vive jalousie l'accroissement de la Nouvelle Helvétie; il a même cherché à susciter quelques difficultés à M. Sutter. Celui-ci lui écrivit, en novembre 1841, que, s'il continuait à vouloir l'inquiéter, il arborerait à son fort le pavillon français, et irait au Pueblo de Sonoma le mettre à la raison.
DE LA NOUVELLE HELVÉTIE. k;.,
Dans le courant de septembre 1840, un Borde- lais , nommé Dubosc , fut tué par un bidien dans une ferme voisine de San Solano. Vallejo ferma les yeux et laissa échapper l'assassin qui lui était pourtant bien connu. MM. Sutter et Custot, à la première nouvelle de ce crime , se mirent à la tête de plusieurs escouades, battirent la vallée et s'emparèrent dans une tribu d'un Indien qu'ils soupçonnaient d'être l'auteur du meurtre; mais ayant reconnu son innocence, ils le relâchèrent, sans renoncer toutefois à s'emparer du véritable coupable.
L'importance qu'a acquise la colonie de M. Sutter depuis qu'il a acheté les bestiaux et quelques fermes russes près du port de la Bodega, se comprend parfaitement, lorsqu'on considère qu'on peut aller de la Nouvelle Hel- vétie à la mer en suivant le Rio del Sacramento, ou bien traverser le fleuve, et se diriger à l'ouest en passant derrière la Mission de San Francisco Solano et la chapelle de Santa Rosa. Les mai- sons des fermes russes étant en bois et se dé- montant facilement, M. Sutter a pu en transporter plusieurs à son établissement'. M. Sutter peut faire un commerce indépendant des douanes ou
' Voir dans te volunii; la vignellc n" 4- Isba, maison russe.
466 PUiNTA DE RE Y ES.
autorités mexicaines; il peut recevoir du monde et des marchandises soit par terre du port de la Bodega, soit en envoyant sa goélette les prendre dans ce port.
M. Sutter a servi dans l'armée française; en Californie il se considère comme Français ; il ré- side sur un territoire qui appartient à peine de nom au Mexique; il a auprès de lui, et il s'ef- force d'attirer des Canadiens et des Français. Avant peu d'années la Nouvelle Helvétie devien- dra un établissement considérable, par lequel passeront les caravanes venant par terre du Canada, du Rio Colombia et des États-Unis. Nous pensons qu'il serait fort utile, pour M. Sut- ter, de réaliser le désir qu'il nous a souvent ex- primé d'avoir auprès de lui des Missionnaires français pour civiliser les tribus indiennes qui l'environnent.
PORT KT POINTE DE LOS RK\ES.
En sortant du port de San Francisco et en remontant vers le nord, on aperçoit un grand pro- montoire taillé à pic, nommé la Punta deReyes, éloigné de vingt milles et quart du sommet du
NAUFRAGE FRANÇAIS. 467
uioiit de la Table , dans la direction nord , 79** 36' Ouest du Monde'.
Au sud de la pointe des Rois , se trouve une grande baie ouverte au midi, et nommée port de los Reyes par les Espagnols qui la découvrirent les premiers en 1542, et à laquelle les Anglais prétendent imposer le nom de port de sir Francis Drake, célèbre pirate qui y relâcha seule- ment en juillet 1579.
Ce port n'est tenable qiie pendant l'été et avec les vents du nord-ouest. Non loin de la plage, s'é- lèvent les deux fermes de Ocio et de Garcia. Par un temps brumeux et avec une légère erreur en latitude, la pointe de Reyes peut être prise pour l'entrée du port de San Francisco, et causer des accidents graves. Dans la nuit du 27 septembre 1841, le brick-goélette Ayacucho, capitaine Li- mantour, appartenant à la maison Bizat et Rous- sel de Bordeaux , mais naviguant sous pavillon mexicain, dans le trajet de MonteRey à San Francisco , vint s'échouer au sud de la pointe. Le capitaine et l'équipage purent gagner la terre et aller chercher quelques secours à San Fran- cisco. Ils frétèrent un bâtiment américain avec
, „ Latitude Nord : 37 59 4o.
' Pmila de Reyes : ( . . » , „
I Longitude Ouest : 1 25° 19 54 .
4G8 NAUFRAGE FRANÇAIS.
lequel ils sauvèrent une partie de la cargaison ;
mais la goélette ne put être relevée, et au bout
de quelques jours la mer l'eut complètement
démolie.
C5
■iMiif'ffiMii^-rinr' .
CHAPITRE X.
État de l'agriculture en Californie. — Élève des bestiaux. — ^ Bois de construction. — Commerce. — Importations. — Exportations. Navigation. — Douanes. — Navires baleiniers, — Nouveau champ de pêche de la baleine. — Consulats étrangers.
L'agriculture et l'élève des bestiaux forment la principale richesse de la Californie ; mais ces sources de bien-être diminuent tous les jours, à cause de l'état de révolution du pays , et de la dispersion des Indiens des Missions. La culture des céréales , malgré la forme grossière des ins-
470 AGRICULTURE EN CALIFORINIE.
truments aratoires, produit des résultats extraor- dinaires, surtout vers le nord de la province, dans les plaines qui avoisinent le port de San Fran- cisco.
Nous avons vu près de la Mission de Saint Jo- seph un terrain oii l'on avait semé dix fanègues de blé en 1839 : la récolte de 1840 fut de onze cents fanegas, et l'année suivante le sol laissé en jachère produisit encore spontanément six cents fanègues. Les plus mauvaises terres donnent de trente à quarante pour un; certaines localités, particulièrement les terrains bas et humides, sont plus favorables au mais, comme on le voit aux Missions de Santa Clara et de Santa Crùz. Dans ce dernier établissement, on cite des exemples de rendement aussi surprenants qu'authentiques. Un almud de mais ou douzième de fanega a rendu jusqu'à cent trente-sept fanègues, c'est-à- dire seize cent quarante-quatre pour un. On sème le blé en décembre ou en janvier au plus tard , et on le coupe en juin ou juillet; le mais et les légumes se sèment en mars. La taille de la vigne a lieu en février, et la vendange fin sep- tembre. Toutes les terres et la vigne elle-même sont situées dans des fonds que des ruisseaux fertilisent; aussi arrive-t-il que dans les années de sécheresse les grains et le vin manquent sou-
CÉRÉALES. — VIGNE. 471
vent. Du reste, il ne faut pas croire qu'il soit indispensable d'arroser les terres; au nord de San Francisco, les Russes récoltent d'excellent blé, même sur des collines regardant la mer et sans aucune irrigation. Les Californiens nom- ment la première manière de cultiver siembras deriego (semailles d'arrosage), et la seconde <y/em- bras de ^em/?ora/ (semailles à la merci des pluies). Chacun de ces procédés a son inconvénient, l'un de trop détremper le sol s'il survient, après l'ir- rigation, des pluies abondantes, l'autre de tout livrer, comme en Europe, au hasard des saisons. On doit cependant reconnaître qu'en Californie la première méthode donne les résultats les plus avantageux .
L'usage des prairies artificielles est inconnu dans le pays; on y cultive très-peu l'orge et l'avoine ; les haricots sont de toutes les légumi- neuses la plus répandue parmi les habitants. Le vin et l'eau-de-vie du pays ne suffisent pas à la consommation, et on en importe une assez grande quantité. Autrefois on exportait de l'huile à San Blas; mais les beaux plants d'oliviers des Missions sont presque abandonnés, ainsi que la culture du lin, du chanvre, du coton et du tabac, qui pourrait devenir si productive.
Les bœufs sont de haute taille, très-forts et
472 RACE BOVINE,
agiles, et leur chair est excellente, f^es vaches élevées dans les pâturages qui ne se dessèchent pas, fournissent un lait abondant, d'une bonne qualité et très-propre à la fabrication des froma- ges. Elles sont d'une fécondité inconnue en Eu- rope, et portent dès la seconde année. Le prix courant des bêtes à cornes est de cinq piastres , lorsqu'elles se vendent en masse, et de sept lors- qu'on les achète par tête.
Les chevaux de ce pays méritent une attention particulière; ils n'ont ni la petite taille, ni l'allure ramassée des chevaux des contrées chau- des du Mexique; ils sont communément de la taille des chevaux anglais de course; ils ont le cou long, les formes effilées, les jambes sèches et nerveuses. On les élève dans les champs en pleine liberté. Pour s'en emparer, il faut les poursuivre et leur jeter le lazo , ou les faire entrer dans des parcs à la suite des juments poulinières. Ces che- vaux , presque tous entiers, sont remarquables par leur agilité et les longues traites qu'ils peu- vent fournir. On ne leur apprend aucune des allures dont on se sert dans la Nouvelle Espagne, telles que le trot et l'amble {sobre paso) ; ils ne vont qu'au pas et au galop. Il n'est pas rare, en voyageant, de voir des chevaux galoper douze et quinze heures sans s'arrêter.
CHEVAUX. 47 3
Pour faire quarante à cinquante lieues dans un jour, on prend généralement, par personne, quatre ou cinq chevaux qu'on chasse devant soi et qui mangent de l'herbe en courant. Lors- qu'un cheval est fatigué, on lance le nœud coulant à un autre pour le monter, et ainsi de suite à tour de rôle, toutes les deux ou trois heures. Bien souvent nous avons fait dix-huit et vingt lieues en quatre ou cinq heures avec le même cheval, et, pour ainsi dire, sans reprendre haleine. Il est vrai que dans la belle saison les routes sont fermes et unies.'
Les chevaux californiens ont beaucoup de fond, et leur vitesse est telle, qu'il est bien dif- ficile à un cerf d'échapper au lazo d'un ran- chero qui le poursuit. Les colons ne ferrent point leurs chevaux et les laissent à tous crins; ils leur mettent un mors très-puissant, et au milieu d'une course rapide, ils les habituent à s'asseoir en quelque sorte sur l'arrière-train, au moyen d'une forte pression de la bride et des éperons. Cette manœuvre rend la bouche des chevaux très-dure; mais elle est fort utile, sur- tout lorsque le cavalier prend avec le lazo des taureaux et des ours souvent d'une grosseur prodigieuse. Une fois, en effet, qu'une des jam- bes ou les cornes du taureau ont été saisies parle
474 ART DE JETER LE LAZO.
nœud coulant, il fait des efforts terribles pour se dégager. Si dans ce moment le cavalier et la monture marchaient, la traction opérée sur le lazo, fixé au pommeau de la selle, les renverse- rait tous deux. Dès que le taureau est pris dans le nœud, le cavalier rassemble son cheval et pour faire contre-poids s'incline fortement du côté opposé à celui où la corde est tendue'.
Quelquefois le déroulement du lazo est si rapide que l'homme a les deux phalanges du pouce droit broyées contre l'arçon, et emportées par la corde. Il arrive aussi que l'ours ou le tau- reau, une fois saisis, fondent sur le cavalier; on n'a alors d'autre ressource que de couper vivement le lazo avec un couteau caché dans la botte droite, près du genou, et de prendre la fuite. Les Californiens sont d'une adresse extrême à che- val, et rien n'est plus curieux que de les voir lacer un animal au galop en indiquant d'avance à quelle partie du corps la corde s'arrêtera. Le lazo n'a pas déboules comme celui des Pamperos de Buenos-Ayres; il se compose simplement d'une corde en cuir de la grosseur du doigt, terminée par un nœud coulant, longue de trente pieds en- viron, et formée de lanières de cuir tressées forte-
• Voir dans ce volume la vignette n** 3.
BONTÉ DES CHEVAUX. 475
ment, mais conservant une grande souplesse. 11 est très-difficile de se procurer un bon lazo, ainsi que de s'habituer à lemanier. Pour le lancer, l'homme tient l'extrémité dans la main droite s'il est à pied, ou attachée à la selle, s'il est à cheval. Il forme le nœud, et dispose des tours de cinq à six pieds de long, qu'il réunit entre les doigts et le pouce, puis il décrit plusieurs courbes au-dessus de sa tête , ce qui sur un cheval lancé au galop est loin d'être aisé, et, au moment favorable, il jette le lazo, en ayant soin de le faire ouvrir en l'air, de manière à ce que l'animal se trouve pris comme dans un cercle qui se rétrécit subitement. L'usage du lazo est si commun, que les enfants, les Indiens des Missions et même les femmes le manient également bien.
Les chevaux de Californie sont très-estimés dans toute la Nouvelle Espagne , au Nouveau Mexique et aux Etats-Unis, et on en exporte même un certain nombre. Les mules et les ânes sont aussi d'une race excellente. Tous ces ani- maux fortement constitués ne connaissent aucune maladie. Après des courses d'un galop furieux, où ils ont déployé l'élasticité et la sûreté de jambes propres aux races du désert, on ne craint pas de les lâcher, ruisselants de sueur, au milieu de pluies froides et battantes, ou de les laisser
I. 3i
I7G BÉTES A LAINE,
souvent plusieurs jours dans un parc sans eau et sans nourriture. A l'exemple des Arabes, en par- tie leurs aïeux, les colons espagnols pensent qu'il est nécessaire de faire jeûner un cheval avant de s'en servir pour une course longue et rapide.
Malheureusement la quantité des bêtes cheva- lines diminue tous les jours en Californie; les Indiens y font des razzias terribles ; il ne se passe pas de nuit où ils n'en enlèvent des centaines qu'ils conduisent dans la grande vallée des Tu- lares. Une partie de ces animaux sert à leur nour- riture, et l'autre est vendue aux trappeurs amé- ricains qui les emmènent dans les nouveaux comtés des hautes eaux du Missouri et de l'Arkan- sas. Le prix des bêtes chevalines a été augmenté depuis les déprédations des Indiens. Autrefois on les vendait conune les bœufs; mais aujourd'hui une mule coûte dix et quinze piastres. Cependant en achetant plusieurs centaines de têtes, on les obtient à huit piastres environ l'une dans l'autre.
L'espèce des moutons est fort belle; mais comme on n'en a aucun soin , leur laine est loin de présenter le degré de finesse qu'elle pourrait acquérir. Les troupeaux de chèvres et de cochons, négligés par les habitants, sont peu nombreux. Les moutons se vendent d'une demie à une piastre , et les cochons trois et quatre piastres.
BOIS DE CONSTRUCTION. 477
Les bois de construction abondent en Califor- nie : les plus précieux appartiennent à la famille des conifères; on trouvera leurs noms dans l'ap- pendice de botanique. Les chênes blancs et verts, l'arbousier, le laurier royal, les frênes, les sapins, lesérables, les sycomores, les cèdres rouges, blancs, jaunes, divers genres de pins peuplent les forêts. Ces derniers arbres atteignentdes dimensions pro- digieuses. Avant nous, le capitaine Duhaut Cilly en avait mesuré, en 1828, près de San Francisco, qui avaient, « à deux pieds du sol, vingt pieds (c de diamètre; le tronc dans son plein en avait (c treize ; l'arbre, depuis la souche jusqu'à la nais- « sance de la cime, deux cent trente , et l'extré- « mité, qui avait été coupée, ne saurait avoir eu « moins de vingt-cinq pieds. » En 1831, le savant voyageur anglais M. Douglas a mesuré des pins qui atteignaient cent mètres de haut et vingt pieds de diamètre'.
Ces mesures s'accordent avec celles que nous avons prises nous-mêmes. L'exploitation de ces arbres est facile; les forêts se trouvent presque
' Le capitaine Duhaut Cilly. Voyage autour du Monde, t835 , vol. II , p. 223.
Mémoires de RI. Douglas, dans le"Companion to the botanical Magazine", 18 36, vol. II.
3i.
478 ARBRES DIVERS,
tontes situées sur les collines qui bordent le rivage de la mer, et qui donnent aux plaines de la Cali- fornie un aspect à la fois si majestueux et si pit- toresque. Dans le nord de la province , on trouve quelques lauriers-camphre, qui n'atteignent, il est vrai , que la hauteur des arbustes. Il y a peu de plantes vénéneuses ; mais on rencontre fré- quemment la yedra , arbrisseau semblable à notre sureau , et dont le contact, et même les émana- tions , sont fort dangereux pour quelques indi- vidus. Il suffit, en effet, de passer à peu de distance de la yedra, ou de la toucher, pour éprouver, presque instantanément, une enflure générale du corps , qui , chez les enfants, entraîne souvent les accidents les plus graves.
Les vallées et les bois sont peuplés de cerfs , de daims, de chevreuils, d'ours, d'onces, de cas- tors , d'écureuils , de lapins et d'antilopes. On y remarque aussi des bandes de perdrix huppées, de canards , de hérons , d'outardes , d'oiseaux- mouches ; et aux bords de la mer, des alcyons , des goélands , de superbes vautours et de grands aigles bruns à tête blanche.
Le seul reptile dangereux est le serpent à sonnettes , dont la taille est petite , et qui fuit l'homme au lieu de l'attaquer. Il existe aussi une espèce ressemblant au hoa constrictor, maisl'ani-
ZOOLOGIE. Î71»
mal n'a guère que huit ou dix pieds de long. Les scorpions , les tarentules , les lézards , l'iguane de Californie ( amblyrinchus ater) , sont extrê- mement rares. On doit remarquer que l'abeille d'Europe ( apis mellifica ) n'existe pas dans ce pays.
La mer et les ports sont remplis de poissons de toute espèce, d'amphibies et de grands mam- mifères marins , entre autres de baleines fran- ches , de cachalots , de marsouins , de bonites , d'une espèce de morue, de saumons , de veaux marins, d'éléphants de mer et de bancs de sar- dines. Quant aux coquilles , on distingue les murex (coquilles qui donnent le pourpre), les patelles, les hélix et de magnifiques haliotis (co- quilles de Vénus) très-estimées des Indiens , et qui ne se trouvent qu'à MonteRey et dans la Nouvelle Zélande. Dans l'appendice d'histoire naturelle qui sera joint à ce travail, nous nous étendrons plus particulièrement sur la partie zoologique.
480 COMMERCK.
COMMERCE DE LA CALIFORNIE.
OBJETS D EXPORTATION.
Comme la Californie ne possède aucune espèce d'industrie, l'exportation ne se compose que des produits naturels du pays. Les cuirs de bœuf forment l'article principal ; salés , ils se vendent dans le pays deux piastres en marchandises, ou une piastre et demie en argent. Autrefois , ces cuirs étaient d'une grande dimension et pesaient jusqu'à cinquante et soixante livres , parce qu'on avait le soin de ne tuer que des animaux de qua- tre à cinq ans; jusqu'en 1838 l'exportation s'é- leva, année commune, à deux cent mille; ce nombre est aujourd'hui diminué de moitié. Comme on tue le bétail fort jeune , les cuirs ne pèsent plus que vingt-cinq à trente livres ; on les exporte à Valparaiso et à Sandwich, oii ils sont vendus deux piastres en argent , et à Boston surtout, où leur prix est de trois piastres , c'est-à-dire de onze ou douze sous la livre. La qualité de ces cuirs est excellente , bien qu'ils ne soient pas sers comme ceux de Buenos-Ayres. Les navires
CUIRS DE BOEUF. 481
les ramassent dans les fermes et Missions le long de la côte, et les déposent ensuite au port de San Diego, oii se trouvent les ateliers de salage {sa- lad^ros) et les magasins. Lorsque leur charge- ment est opéré , c'est de ce port qu'ils mettent à la voile.
L'opération du salage est assez longue. Pour ramollir les cuirs , on les laisse tremper pendant quelques jours dans l'eau de mer, puis on les étend par terre, où on les étire au moyen de petits pieux . On enlève ensuite soigneusement, avec un cou- teau , toutes les parties charnues qui pourraient se corrompre, sans pourtant érailler la fleur de la peau. Après cette opération , ils sont placés sur des chevalets pour faire évaporer l'humidité. La partie intérieure une fois bien saupoudrée de sel , on les double dans leur longueur, en laissant le poil en dehors. On les met alors à la presse pour les aplatir, et en chargeant le navire , on se sert de crics pour les comprimer et en prendre un plus grand nombre. Nous avons vu charger un brick de cent soixante tonneaux , avec quatorze mille cuirs , et un trois-mâts américain de trois cent soixante tonneaux en emporter trente niille. Les cuirs de Californie sont très-estimés aux États- Unis et à Valparaiso ; mais comme ils exigent une manipulation plus longue pour le tannage, leur
482 SALAGE DES GUIRS.
prix est un peu inférieur à ceux de Buenos-Ayres. Malgré les riches salines que possède la Californie, les bâtiments préfèrent apporter le sel de Boston ; il est meilleur marché que celui qu'on pourrait recueillir, tant les bras sont rares dans le pays. Le port de San Diego est le seul où l'on sale les cuirs, bien que la Compagnie de la baie d'Hudson ait fait établir à San Francisco un petit atelier pour préparer les siens.
Lés cuirs de cheval ont peu de cours , on les vend une piastre en marchandise , ou trois quarts de piastre en argent; ceux de cerf, une piastre ou une demi-piastre, suivant la grandeur.
Les peaux de castor se vendent à raison de trois piastres la livre. On obtient au plus trois mille peaux par an.
Les peaux de loutre de mer formaient autre- fois un article fort important, qui fut monopolisé par le gouvernement espagnol jusqu'en 17i90; le trésor royal réalisait sur ces pelleteries d'immenses bénéfices ; ses agents achetaient les peaux aux Indiens une ou deux piastres , et quelquefois moins , et les vendaient à Manille quarante et quarante-cinq , et à Canton , soixante-dix à qua- tre-vingts piastres. En 1812, lorsque les Russes se furent établis au port de la Bodega , ils firent ve- nir, des îles Aléoutiennes, des Indiens Kodiaks ,
PEAUX DE CASTOR ET DE LOUTRE. 483
très-habiles pécheurs, qui commencèrent contre les loutres et les phoques cette guerre d'exter- mination qui procura de si beaux bénéfices à la Compagnie impériale russo-américaine établie à Saint-Pétersbourg. Le port de San Francisco était alors très-peu fréquenté, et les lagunes tellement peuplées de loutres, que les chasseurs russes en tuèrent jusqu'à huit cents par mois dans la baie seulement. Ils exploitèrent toute la côte et les îles, qui furent entièrement dépeuplées ; c'est à peine maintenant si on recueille annuellement une cen- taine de peaux , qui se vendent dans le pays trente- cinq à quarante piastres ; à Mazatlan , cinquante à cinquante-cinq, et à Mexico, soixante à soixante- dix. Il faut remarquer toutefois qu'en 1839, un bâtiment américain , venant de Sandwich , tua , en quelques semaines, trois cents loutres sur l'île de Cedros , dans la Basse Californie. On n'en ex- porte plus en Chine, oii leur prix est tombé à quarante ou quarante-cinq piastres, à cause de l'abondance de celles fournies par les îles Aléou- tiennes, et de la supériorité des fourrures du Nord sur celles du Sud. Les peaux de loutre d'eau douce sont peu estimées , et ne valent que deux ou trois piastres.
L'île de San Clémente renferme un nombre considérable de chèvres sauvages d'une haute
484 FOURRURES. — SUIF.
taille , et dont la peau se vend un quart de j3ias-
tre. Les peaux de phoque à un poil {hair seal)
ont cours à six réaux, et celles de veau marin
{fur seal) de trois à quatre dollars. Ces dernières
valent à Londres de vingt- cinq à trente schel-
lings.
Les peaux d'ours, si belles et si noires dans l'Amérique russe, ne présentent pas ces qualités en Californie. On trouve dans le pays quelques autres fourrures qui seront exploitées sans doute lorsqu'une population blanche plus considérable s'établira dans la province. Les peaux de renards, d'onces , de chats sauvages , d'écureuils de terre , semblables au petit-gris, des moutons de mon- tagne , des blaireaux , des lapins, des lièvres, de- viendront des objets d'exportation.
Les suifs sont , après les cuirs , l'article de la plus grande valeur ; le suif de bœuf se vend quatre piastres le quintal en argent , ou six piastres en marchandises , et le suif de cerf, quelques réaux de plus. Les propriétés dures et cassantes de ce dernier ne permettent pas de l'employer seul , mais , en le mélangeant avec du suif de bœuf, on fabrique des chandelles supérieures. Tout le suif est exporté directement à Lima et employé à l'é- clairage et aux machines des mines. Indépendam- ment du cuir, un beau bœuf, qui coûte vivant sept
CERF DK CALIFORNIE. 485
piastres , produit jusqu'à trois quintaux de graisse et de suif, et deux cents à deux cent cinquante kilogrammes de bonne viande. Les cornes de bœuf et les bois de cerf ne sont pas demandés et restent sans valeur.
L'espèce de cerf particulière à la Californie est de la taille d'un grand cheval de course ; sa chair est excellente et fournit près de deux quin- taux de suif. Ses bois ont souvent deux mètres de hauteur et autant d'écartement. On le ren- contre surtout au nord de San Francisco par bandes de sept à huit cents ; et comme ils cou- rent toujours dans la direction du vent , il est très-facile de les tuer dès qu'on la leur a fait per- dre. Les rancheros se réunissent au nombre de huit ou dix avec leurs meilleurs chevaux, et sans autre arme que leur lazo ; ils tâchent de couper les cerfs et de les disperser, afin de les poursuivre isolément , et dès qu'ils sont atteints par le nœud coulant, on forme des tours qui les renversent; un des chasseurs descend de cheval , et s'appro- chant avec précaution de l'animal , lui coupe le jarret avec un couteau , ou le frappe à la gorge. Lorsqu'un certain nombre est abattu , on les charge sur des chevaux et sur des charrettes à bœufs, et on les rapporte dans les fermes. Les femelles n'ayant pas de bois courent plus vite que
486 SAVON. — HUILE.
les mâles, et sont plus difficiles à atteindre. Les Espagnols ne mangent pas ordinairement la chair du cerf, ils la laissent perdre ; mais les étrangers, Anglais, Américains et Français Canadiens, la préparent et font d'excellents jambons et quar- tiers fumés. Leur peau sert à faire des culottes , des selles , des objets de harnachement , des mo- cassins et des bottes, et le suif, une fois fondu, est versé comme celui de bœuf dans de grands sacs en cuir, cousus très-solidement, pour éviter le coulage parla fusion dans les latitudes chaudes.
Anciennement, les Missions envoyaient à San Blas et au Pérou des chargements de savon et d'huile ; cette branche de commerce est aujour- d'hui presque détruite. On n'exporte que quel- ques milliers de savon au prix de deux et deux piastres et demie le quintal.
Lorsque la récolte des céréales est abondante, on peut acheter deux ou trois mille fanegas de blé au prix de deux piastres, et même d'une piastre en argent ; la farine de première qualité vaut alors huit piastres le quintal. Mais depuis le pillage des Missions et l'abandon de l'agriculture, il est devenu bien difficile de se procurer des grains d'aucune espèce.
Les cultures du coton, du chanvre, du lin et du tabac, qui réussissent si bien, doivent faire
ARTICLES DIVERS. 487
espérer que dans l'avenir ces produits donneront lieu à une exportation suivie. Il en sera de même du vin et de l'eau-de-vie dont le prix est mainte- nant fort élevé. Le vin coûte quinze et vingt pias- tres le baril de quatre-vingts bouteilles environ, et l'eau-de-vie trente piastres , prise au Pueblo de los Angeles : à MonteRey elle se vend le dou- ble, à cause du transport, du fret et du bénéfice, et elle paye en outre un droit municipal de dix- huit piastres par baril. Anciennement, plusieurs Missions expédiaient annuellement à l'arsenal de San Blas de grandes quantités de chanvre pour la marine royale de la Nouvelle Espagne. Au- jourd'hui cette culture est entièrement aban- donnée.
L'exportation des bétes chevalines a lieu tous les ans par terre pour le Nouveau Mexique. La caravane de Santa Fé emmène deux mille che- vaux qu'elle paye huit ou dix piastres par tête , en couvertures et étoffes grossières de laine , et qu'elle revend quarante et cinquante piastres. Un très-petit nombre de mules et de chevaux de cîhoix sont embarqués de temps à autre pour les ports du Mexique ou les îles Sandwich. Les agents de la Compagnie anglaise de la baie d'Hudson et les Français Canadiens établis au Rio Colombia et sur le Ouallamet viennent aussi y chercher
488 LAINE. — DUVET.
des bestiaux. La Compagnie a fait prendre par
mer sept à huit mille moutons.
La laine deviendra un objet très-important d'exportation. Elle ne se vend que six piastres le quintal brut en suiri , et dix piastres lavée. En 1840, la Compagnie d'Hudson en expédia à Lon- dres , oii elle se vendit un demi-schelling la livre. 11 n'y a pas de pays au monde plus propre que la Californie à l'élève des bêtes à laine , tant à cause de la douceur de son climat que de la ri- chesse de ses pâturages; il faudrait seulement imiter la conduite des Anglais du Rio Colombia, qui ont déjà fait venir d'Ecosse de superbes bé- liers pour améliorer la race californienne, et qui obtiennent de la laine d'une qualité supérieure , et dont la finesse s'augmente chaque jour.
Le duvet et les plumes des cygnes sauvages , des outardes , des canards de diverses espèces , et de plusieurs oiseaux rares , ainsi que les ai- grettes des hérons , formeront plus tard un objet d'exportation.
Les bois de Californie ne sont envoyés qu'aux îles Sandwich. Les articles consommés sont des planches et des madriers qui se vendent cinquante piastres les mille pieds , et des bardeaux pour couvrir les maisons (tajamanil) , dont le prix est de huit dollars le paquet de mille planchettes. Les
VALEUR DES EXPORTATIONS. 489
mâts , les vergues , les agrès, se vendent plus ou moins cher en raison de leur grosseur. Les bois de Californie, et particulièrement ceux de mâ- ture, seront fort recherchés en Europe, le jour où on parviendra à établir une communication entre les deux Grands Océans , à travers le centre de l'Amérique , soit par l'isthme de Panama, soit par le lac de Nicaragua.
Il n'existe point encore de minéraux qui puis- sent être exportés de Californie. Les mines d'ar- gent et de plomb situées près de MonteRey ne sont connues que par le résultat de simples essais. Les divers gisements de marbre , de cuivre et de fer de San Francisco , les traces de houille qu'on rencontre près de Santa Crùz , les ocres, le sou- fre , l'asphalte , le kaolin , les mines de sel , n'ont point été examinés avec assez de soin ; la seule mine aujourd'hui en activité dans le pays , est dans ce moment-ci le filon d'or vierge voisin de la Mission de San Fernando, qu'exploite un Fran- çais, M. Baric, et qui donne environ une once d'or pur par jour.
Tous les articles d'exportation extraits sous quelque pavillon que ce soit , ne payent aucun droit à la sortie. La valeur totale des exportations annuelles peut être évaluée à deux cent quatre- vingt mille piastres espagnoles.
J90 JMPORTATÎOÎSS.
OBJETS D IMPORTATION.
Il est impossible de spécifier les objets qui se vendent le mieux ; cependant , l'article de prin- cipale consommation est le calicot ordinaire, qui paye un droit d'un réal d'argent, ou un huitième de piastre , la vare castillane (quatre-vingt-cinq centimètres), et qui se vend un quart de piastre. IjC calicot écru est d'un meilleur placement que le blanc. On doit apporter environ cent pièces écrues contre quarante blanches. Tous les articles d'Europe , à l'exception de ceux de luxe , peuvent être importés en Californie; le pciys ne fabrique absolument rien; tous les objets de consomma- tion, jusqu'aux balais ordinaires, viennent de Londres ou de Boston. Le tarif mexicain impose un droit moyen de quatre-vingts pour cent sur les articles permis; mais en Californie, oii aucune prohibition n'existe, les marchandises de cette catégorie sont admises moyennant quarante pour cent ad valorem. Les navires étrangers payent en outre une piastre et demie par tonneau de droit d'ancrage.
Les baleiniers sont reçus avec un droit unique de dix piastres, lorsqu'on suppose qu'ils ne vien- nent que pour faire des vivres; cependant, s'ils
DOUANE DE MOISTEREY. 491
débitent quelques marchandises, ils sont obligés d'en acquitter les droits. Les bâtiments en relâche forcée ne sont soumis à aucune taxe , mais à la condition expresse de ne rien vendre.
Les navires mexicains provenant des ports du Mexique ne payent point de droits; ils ne sont soumis au tarif que s'ils viennent d'un port étran- ger. MonteRey est le seul port ouvert au com- merce extérieur, et tout navire qui, à moins de relâche pour avarie, aborderait dans un autre port, pourrait être soupçonné de vouloir faire la contrebande, et courrait le risque d'être saisi. Une fois que les bâtiments ont déchargé leurs cargai- sons à la douane de MonteRey et acquittéles droits, on leur permet de rembarquer leurs marchandi- ses et de faire le cabotage sur la côte , jusqu'à ce qu'ils aient placé leur chargement tout entier.
Il est aisé de comprendre combien la con- trebande est facile avec une pareille législation. Les bâtiments américains et anglais arrivant des porls étrangers, débarquent quelquefois des mar- chandises sur divers points isolés de la côte ; mais ils préfèrent attendre à la mer ou dans les îles inhabitées, comme celles du canal de Santa Bar- bara , des navires qui ont déjà acquitté les droits et sur lesquels ils transbordent une partie de leur chargement. Il y a des bâtiments qui, de cette 1. • 3a
192 TARIF ET DROITS.
manière, ont vendu deux ou trois fois la valeur
de leur cargaison primitive.
Le numéraire étant fort rare en Californie, les capitaines, subrécargues et négociants ont la facilité de payer une partie des droits en mar- chandises au cours de la place. Cette quotité est débattue à forfait avec l'administration de la douane. Généralement on acquitte les deux tiers des droits en marchandises et le reste en espèces. Le tout est perçu et emmagasiné à MonteRey par Don José Abrego, commissaire des finances ( Comisario de Hacienda). Ce dernier opère ensuite la répartition entre les employés civils et mili- taires de la province, qui sont obligés d'avoir à cet effet un fondé de pouvoirs dans la capitale.
Il n'existe pas en Californie de maison de com- merce assez riche pour pouvoir acheter le char- gement entier d'un navire; aussi les armateurs étrangers ont-ils, avec un grand bâtiment, une petite goélette qui parcourt la côte et peut aborder sur tous les points. La Compagnie d'Hudson a adopté ce système. Son dépôt principal est à San Francisco; elle en possède un autre près du Pueblo de San José , et un troisième à MonteRey. Son intention est d'en établir de nouveaux à Santa Barbara et à los Angeles, avec des bâtiments légers pour trans-
ARTICLES FRANÇAIS. 493
porter les marchandises et recueillir les cuirs et les suifs.
Les articles français se vendent bien en Cali- fornie, mais en petite quantité. Plusieurs d'entre eux sont préférés aux articles anglais, entre au- tres les effets confectionnés , les chaussures , les indiennes de Mulhouse, larges et bon teint, qui se vendent jusqu'à une piastre et demie la vare, tandis que les indiennes anglaises faux teint n'ont cours qu'à quatre et cinq réaux. La caisse de vin de Bordeaux de douze bouteilles paye une piastre de droit et se vend six piastres ; l'eau-de-vie de Cognac se place fortbien, malgré les droitsexorbi- tants de vingt et une piastres d'entrée, plus dix-huit dollars de droit d'octroi par baril. On peut livrer avec avantage quelques soieries, en se souvenant qu'on a à lutter avec celles de Chine, des meubles, des comestibles conservés, des liqueurs , des vins doux, de la faïence, de la verrerie, des outils de toutes sortes, de la poudre, des armes, du papier, des draps moyens , quelques équipements mili- taires, et une petite quantité d'objets de mode et d'articles de Paris. En un mot, la consommation est à peu près la même que celle de toute l'Amé- rique espagnole.
Cependant les rentrées sont si longues, que nous ne conseillerons jamais à un armateur d'em-
32.
494 ABAT AGE DES BESTIAUX,
ployer un chargement entier à cette destination. Pour commercer sur cette côte, il faut de toute nécessité adopter l'usage suivi par les Anglais et les Américains, usage qui consiste à occuper deux ou trois ans le navire à faire des escales, pendant ([ue des commis ou subrécargues parcourent le pays à cheval et pressent les débiteurs. Un éta- blissement à terre présente de grands avantages, mais il exige au moins l'emploi de dix personnes, y compris le capitaine et l'équipage d'une petite goélette. Les crédits sont d'un an; et si la saison est sèche, le bétail , faute de pâturage, ne peut en- graisser, et les fermiers, dans la crainte de ne pas avoir assez de suif, tuent le moins qu'ils peuvent. En général, on peut tuer annuellement le tiers des bêtes à cornes, car les vaches portent tous les ans. Les bœufs, chevaux et moutons sont marqués d'un signe particulier à une oreille et d'un fer sur la hanche. Ce sont les initiales des Missions ou des propriétaires ; et malgré la grande quantité, il ne se commet jamais d'erreurs dans les marques. Tous les ans, aux mois de septembre et d'octobre, chacun rassemble son bétail dans un parc pour lui imprimer le fer chaud et compter les naissances; à l'approche de la saison sèche , on réunit de nouveau les animaux engraissés dans les pâturages de l'hiver et du printemps, et l'on
BATlMEiNTS FRAINÇAIS. 49ô
choisit ceux qui doivent être saciiiiés. La pie- mière opération se nomme el herradero (le fer- rage) et la seconde la matanza (l'abatage). Si l'année a été mauvaise, les rancberos ne livrent point de produits et renvoient les payements à l'année suivante, tout en continuant à prendre des marchandises pour leurs besoins courants. 11 est aisé de voir qu'ainsi les payements s'accunui- lent indéfiniment, et deviennent tous les jours plus difficiles à réaliser, tant à cause de la diminu- tion du bétail que de l'accroissement de la consom- mation des marchandises, et surtout des spiri- tueux, dont les habitants font un déplorable abus. Très-peu de bâtiments du commerce français ont visité la Californie. M. de Roquefeuille s'y rendit le premier en 1816; le Héros du Havre, capitaine Duhaut Cilly, arriva à San Francisco en janvier 1827, fit quelques ventes sur la côte, et laissant un commis à terre pour opérer les recouvrements, alla dans la Basse Californie, à Mazatlan et à Lima, et revint l'année suivante à MonteRey , espérant toucher le montant de ses factures; mais il éprouva une peine infinie à rentrer dans ses fonds. Ce bâtiment était armé parla maison Martin Laffitte du Havre et MM. Ja- val frères de Paris. En août 1827, le navire de Bordeaux la C^oinète arriva ^ MonteRey, et fit
496 BALEINIERS FRANÇAIS,
quelques affaires peu avantageuses; par la raison qu'il est impossible de vendre au comptant dans ce pays, vers lequel on ne peut envoyer une expédition isolée, et qui demande au contraire des relations commerciales suivies.
Plusieurs de nos baleiniers ont relâché dans les ports de la Haute Californie; mais souvent parmi eux , de même que parmi les Anglais et les Américains , il y a des désertions effrayantes ; ainsi, en 1839, le Joseph de Bordeaux perdit quatorze hommes sur vingt-cinq. Comme on ne se procure que difficilement de bons matelots dans ces parages , on conçoit que de semblables désertions compromettent les intérêts des arma- teurs, et jusqu'à l'existence du navire. Les auto- rités locales sentant leur impuissance pour arrêter les déserteurs, ne l'essayent même pas. Il faut espérer que la résidence d'un consul de France et la présence de nos bâtiments de guerre seront un obstacle efficace contre de nouvelles tentati- ves de ce genre. Nous devons ajouter qu'en sep- tembre 1841, nous rencontrâmes au port de San Francisco, l'Elisa, baleinier du Havre, et dont le capitaine Malherbe fut assez heureux pour ne perdre personne, bien qu'il eût trente- cinq hommes d'équipage.
IMPORTATIONS. lO-
VAXEUB DES IMPORTATIONS.
Le chiffre des importations en Californie s'élève à cent cinquante mille piastres. Cent mille sont introduites sous pavillon étranger, et le reste sous pavillon mexicain. Le tableau suivant suffira pour donner une idée exacte des mouvements mariti- mes pendant le cours d'une année. On y verra aussi que les bâtiments mexicains appartiennent tous à des étrangers , et que les navires améri- cains, ceux de Boston surtout, fournissent la moitié du tonnage de tout le commerce. Néan- moins il esta craindre pour ces derniers, qu'avant peu d'années les bâtiments de la Compagnie de la Baie d'Hudson ne leur fassent une concurrence redoutable.
Les capitaines et subrécargues doivent éviter avec soin tous différends administratifs avec la douane de MonteRey, parce qu'ils ne sont point réglés dans la province, mais bien renvoyés de- vant le tribunal de Hacienda (tribunal des Finan- ces) siégeant à Hermosillo dans la Sonora. On comprendra facilement les difficultés et les re- tards sans nombre qu'entraîne cette juridiction éloignée.
Au mois d'août 1837, le commandant Vallejo
498 VENTE DES NAVIRES,
proposa au gouverneur Alvarado de transporter la douane de MonteRey au port de San Fran- cisco , sous prétexte que le mouillage y était meilleur et la contrebande plus facile à empêcher, mais en réalité pour être en position de s'appro- prier les droits payés par les navires. Il est inu- tile d'ajouter qu' Alvarado refusa , et ce refus n'a pas été une des moindres causes de dissension entre ces deux personnages.
En 1840, le gouvernement voulut interdire le cabotage aux navires étrangers ; mais ceux-ci ayant refusé de décharger, Alvarado se vit bien- tôt contraint de lever la prohibition, puisque les seuls revenus de la province consistent dans la douane, et que les sommes insignifiantes prove- nant des amendes, des droits municipaux sur les boutiques, l'entrée des liquides et la coupe des bois, sont affectées par les alcaldes aux dé- penses des Pueblos.
Les bâtiments étrangers peuvent se vendre en Californie; mais, d'après la loi, ils doivent pren- dre un capitaine de pavillon mexicain ou être commandés par un étranger naturalisé. Le navire est en outre forcé de se rendre à San Blas, afin d'obtenir du chef de la marine de cet arrondisse- ment des lettres de nationalisation signées du Président.
VALEUR D'UNE CARGAISON. 499
Quelle que soit la dimension du bâtiment em- ployé à une expédition en Californie, la valeur, prix d'achat du chargement, ne doit être que de six à huit mille piastres, et de dix mille au plus. Ces cargaisons se composent "généralement de fonds de magasins et d'objets passés de mode en Europe.
Très-peu de navires viennent d'Angleterre di- rectement. La plupart ont touché d'abord à Lima ou Valparaiso. Ceux de la Compagnie de la baie d'Hudson viennent d'Honoloulou ou du Rio Colombia. Quant aux Américains, ils arri- vent presque tous de Boston , et quelquefois des îles Sandwich ; cependant quelques-uns de leurs bâtiments ont déjà laissé une partie de leur char- gement au Pérou ou au Chili, avant d'arriver en Californie.
TABLEAU DES IMPORTATIONS EN CALIFORNIE.
Sous pavillon mexicain |
Piastres. 50,000 70,000 20,000 10,000 |
Sous pavillon américain |
|
Sous pavillon anglais |
|
Divers et baleiniers |
|
Total des iinnortatinns |
|
150,000 |
|
âoo
EXPORTATIONS.
TABLEAU DES EXPORTATIONS EN CALIFORNIE.
Cuirs ,
Suifs
Pelleteries , bois et autres articles .
Total des exportations. .....
Piastres.
210,000 55,000 15,000
280,000
TABLEAU DES EXPORTATIONS DIVISEES PAR NATION.
Navires mexicains
de Boston, 110,000.
Américains
Anglais
Divers
de Sandwich, 40,000.
Total des exportations.
Piastres.
65,000
150,000
45,000 20,000
280,000
Il existe une disproportion entre les bénéfices des navires mexicains et ceux des autres nations, parce que les premiers s'en retournent souvent à vide , et que leurs cargaisons sont loin d'avoir la
NAVIRES MEXICAINS. 601
même valeur. Les bâtiments mexicains qui em- portent des cuirs, vont à Valparaiso et reviennent avec des marchandises d'Europe ; ceux qui par- tent chargés de suif, vont toujours le vendre à Lima : ils y prennent un chargement, ou bien ils remontent sur lest à Guayaquil embarquer du cacao qu'ils déposent à Acapulco. Dans ce port et dans ceux de San Blas etMazatlan , ils choisis- sent quelques marchandises européennes peu demandées et des objets manufacturés à Mexico, à Puebla, Querétaro et Guadalajara, tels que cou- vertures ou sarapes en laine, rebozos, écharpes en soie et en coton, chapellerie, passementerie, chaussures de femmes, cuirs ouvragés, des arti- cles de harnachement et de sellerie, cigarettes et cigares , du sucre blanc et terré , et du mescal , eau-de-vie obtenue par la distillation de l'agave américaine.
En 1841 , on avait si peu semé de blé dans la Haute Californie, et la récolte fut si mauvaise, à cause de la sécheresse , qu'on envoya deux goé- lettes chercher de la farine à San Blas et à Guay- mas; dans d'autres années, au contraire, si la saison a été favorable, on expédie des charge- ments de mais de MonteRey à Acapulco.
Généralement les bâtiments anglais ne revien- nent pas en Angleterre ; ils se rendent à Sandwich
502 NAVIRES AMÉRICAINS,
et surtout à Valparaiso; ceux de la Compagnie d'Hudson vont aussi aux îles Sandwich ou au fort de Van Couver dans le Rio Colombia. Quant aux navires américains, une partie se dirige vers les Sandwich, et l'autre directement vers Boston ; mais alors ils n'emportent absolument que des cuirs. Il est à remarquer que plusieurs d'entre eux , soit en venant, soit en s'en retournant, ne doublent pas le cap Horn , mais qu'ils passent par le détroit de Magellan qui renferme d'excellents ports et dont tous les bras sont parfaitement connus, grâce aux magnifiques travaux hydrographiques des Espa- gnols , continués dans ces dernières années par les Anglais, et qui ont acquis une nouvelle impor- tance depuis la prise de possession des îles Ma- louines par l'Angleterre, et les établissements qu'avec une sage prévoyance le gouvernement éclairé du Chili vient d'y fonder tout récemment. En 1839, l'expédition scientifique américaine aux ordres du capitaine Wilkes n'a pas manqué de visiter avec soin le détroit de Magellan, pour s'assurer du parti qu'on pourrait tirer de la fré- quentation de ce passage, dans l'intérêt du com- merce des États-Unis.
TABI.EAUX
DU COMMERCE DE LA CALIFORNIE.
504
NAVIGATION
ÉTAT DES 43 NAVIRES ENTRÉS DANS LES PORTS DE MONTEREY
DE SEPTEMBRE 1840
MEXICAINS (marchands)
NOMS.
Barque Clarita
Goélette Ayacucho ....
Goélette Nirtfa
Barque Guipuzcoana..
Brig Catalina
Brig-goëlette Ayacucho. Goélette California — Goélette Colombina... Brig-Goëletle Leonidas.
Brig Cfiato
Provenance.
Acapulco. Lima.
Mazatlan.
Lima. Mazatlan.
Lima. Sandwich. Mazatlan.
Lima.
San Blas.
10 NAVIRES.
191 97
84
210 160 125 86 55 160
105
1273 118
AMÉRICAINS (marcliands).
NOMS.
Brig Bolivar
Brig Lama
Brig Corsar
Brig Perkins
Brig Maryland
Goélette Juliana
Trois-màts Monson. . . .
Trois-mâts Alei't
Trois-mâfs Tasso
Trois-m. DonQuichotie
Provenance.
Boston.
Sandwich.
Boston et Lima.
Sandwich.
Sandwich.
Boston.
Boston.
Boston.
Boston.
Boston , Sandwich, etlaBodega
10 NAVIRES.
180 208
217
203 128 106 400 360 314
276
2392
153
BALEINIERS.
NÉANT.
BALEINIERS.
8 FORMANT ENSEMBLE
(Un d'eux sous pavillon sandwichois).
3075
240
BATIMENTS DE GUERRE.
BATIMENTS DE GUERRE.
3 Corvettes, j De Sandwich et de la ( côte Nord-Ouest. I (Une autre corvette
1 Goëletle. . ) se perdit ).
2 Brigs.
90
800
10 NAvir.ES MEXICAINS. Total, . 1273 118
24 NAVIRES AMÉRICAINS. Total.. . 5267 1173
IMPORTATIONS.
EXPORTATIONS.
IMPORTATIONS.
EXPORTATIONS.
50,000 piast.
65,000 piastr.
70,000 piastr.
1 compris les baleiniers.
150,000 piastr.
ET COMMERCE.
506
ET SAN FRAINCISCO DANS LA NOUVELLE CALIFORNIE,
A SEPTEMBRE 1841.
ANGLAIS (marchands).
NOMS.
Trois-mâts Index. . ,
et
Angleterre Val- paraiso.
' Londres, Trois-mâts Co-I Sandwicii
lombia .
Trois-mâts Cow- litz
(Ces deux navires sont à la Compa- gnie anglaise de la Baie d'Hudson).
Goélette Fly. . .
et Rio Colombia.
Id.
Lima.
203
350
356
92
15
18
10
DIVERS (marchands).
NOMS.
Brig Cer- 1 vantes, . Lima, péruvien.... 1
Brig Juan i Guayaquil
José , I et éqiiatoiien. ) Lima.
Goëletle
Carolina,
de la
Nouvelle (Grenade.
Puerto
delà
Union.
160
217
72
13
14
12
FRANÇAIS
(marchands).
i r
NÉANT.
( Mais la goBlette Co lom'dna et le brig ^ya- cuclio appartenaient à deux Français, MM. d'ilé- lia cl l.imancourt ; mal- heureusement ces deux navires se sont perdus , et le premier corps et biens).
4 NAVIRES.
1,007
54
3 NAVIRES.
449 39
BALEINIERS.
BALEINIERS.
NÉANT.
BALEINIERS.
Élisa , du Havre.
.\vait 900 barils ,
ipt'cs luMif mois dp
navigation.
500
35
BATIMENTS DE GUERRE.
1 corvette venant de San Blas.
28
220
BATIMENTS DE GUERRE.
BATIMENTS DE GUERRE.
5 NAVIRES ANGLAIS. Total,
1,007
2-4
3 NAVIRES DIVERS. Total.
449
39
IMPORTATIONS.
20,000 piast.
EXPORTATIONS.
IMPORTATIONS. EXPORTATIONS
45,000 piast.
10,000 piast. 20,000 piast.
V compris Ips balpinirrs.
1 NAVIRE FRANÇAIS. Tôt.
500
35
IHPORTATIOVS. KXP0RTATI0H1.
506
RESUME COMPARATIF
TABLEAU DES NAVIRES SOUS PAVILLON MEXICAIN COMMERÇANT DANS LA HAUTE CALIFORNIE AU 1" JANVIER 1842. |
|||
NOMS. |
TOHHAGE. |
ÉQUIPAGE. NOMS DES PROPRIÉTAIRES. |
|
Barque Guipuzcoana. . Goélette Léonidas Brig Chato |
210 160 105 84 97 80 92 90 86 191 160 |
18 12 11 11 9 8 10 10 10 12 12 |
D. Antonio Aguirre, Espagnol, à Santa Barbara. D. José Castanos, Espagnol, à Tépic. Capitaine Fitch, Américain , à San Diego. Capitaine Daze, Américain. Hugo Red , Écossais , à los Angeles. Capitaine Wilson , Anglais, à San Francisco. Capitaine Scott , Anglais , à Santa Barbara. Le Gouvernement de Californie, à MonteRey. M. de Virmond, négociant d'origine française , à Mft\ir/» pt à APiiniiIrn. |
Goélette A^in/a Goélette Âyacucho. .. . Goélette Esmeralda... Goélette Mosca Goélette Juan Diego. . . Goélette Cali/ornia — Trois-mâts Clarita Brig Catalina |
|||
II |
|||
11 NAVIRES. |
1,355 |
123 |
Ainsi il n'y a qu'une petite goélette qui soit véri- tablement propriété mexicaine. |
Comme document comparatif, on pourra consulter le tableau suivant du commerce des îles Sandwich , pendant le même laps de temps que celui compris dans l'état du com- merce de la Nouvelle Californie.
ETAT
DES 88 NAVIRES ENTRÉS DANS LES PORTS DES ILES SANDWICH, DEPUIS SEPTEMBRE 1840 JUSQU'A SEPTEMBRE 1841.
Américains
Anglais
Français.. . Mexicains,
Marchands 14
Id. 13
Id. 00
Id. 1
Baleiniers. Id. Id. Id.
50 3 2 0
69
16
2
1
I Total général : 88 navires
IMPORTATIONS GÉNÉRALES : 455,000 piastr. EXPORTATIONS CÉNKRALF.S : 98,000 piastr.
IMPORTATIONS EN CALIFORNIE : 150,000 piaStr.
EXPORTATIONS DE LA CALffORNlE : 280,000 p.
NAVIRES BALEINIERS. 507
Il ressort de cette comparaison, que l'état com- mercial actuel de la Californie est beaucoup plus satisfaisant que celui des îles Sandwich , bien qu'un nombre double de navires les ait visitées, et que la population soit vingt fois plus nombreuse; en effet , tandis qu'en Californie la valeur des ex- portations est de deux fois celle des importations, aux îles Sandwich , au contraire , les marchan- dises importées ont quatre fois et demie la valeur des marchandises exportées. On comprend aisé- ment le déficit énorme qui ne saurait manquer de résulter un jour de cette immense dispropor- tion entre la consommation et la production. A la vérité, sur les quatre-vingt-huit navires en- trés aux îles, on comptait cinquante-cinq balei- niers , dont cinquante Américains et deux Fran- çais seulement.
Ces derniers vont plutôt au Chih , à Sidney et à la Nouvelle Zélande , et dépassent rarement les îles Galapagos. 11 serait pourtant bien à désirer que nos navires explorassent les parages encore vierges pour eux , situés au nord de l'Equateur , la côte du jMexique , la Mer Vermeille , les deux Californies , la côte Nord-Ouest , ses nombreux archipels et les îles Aléoutiennes, c'est-à-dire, les mers comprises entre la ligne équinoxiale et le 60® degré de latitude nord, et en longitude, I. 33
508 NOUVEAU CHAMP DE PÈCHE.
depuis le 90® jusqu'au 180^ degré à l'ouest de
Paris'.
On se ferait difficilement une idée de l'abon- dance des baleines dans cette partie du globe. Nous avons déjà dit avoir vu à MonteRey un ba- leinier américain à l'ancre, en prendre trois en un seul jour. Le capitaine Malherbe de l'Elis a, du Havre, revenant de la côte Nord-Ouest, nous assura qu'il pensait être le premier baleinier fran- çais qui l'eût visitée jusqu'au 54® degré de lati- tude. Sur ce parallèle , et en très-peu de mois , il avait réuni neuf cents barils d'huile.
Malgré les brumes épaisses , les grosses mers et les vents du nord-ouest presque toujours ré- gnants, il est incontestable que la pêche delà baleine y est extrêmement facile pendant la belle saison, surtout dans les baies nombreuses que présentent les milliers d'îles de la côte. Les In- diens Aléoutes , les Kodiaks , ceux de l'île de Quadra et Van Couver, ne craignent pas d'aller dans de faibles pirogues attaquer la baleine dont ils mangent la chair et l'huile. Ces parages offrent d'ailleurs d'excellents abris dans les ports de Ounalaska,Ounimak , de l'Epiphanie, dans l'île
' Voir dans l'Atlas le nouveau cham]) de pêche indiqué sur la carte de l'Océan Pacifique, n° 2.
POINTS DE RELACHE. 509
Kodiak , le port Mulgrave au pied du mont Saint-Elias , le port des Français , la Nouvelle Arkangel , les ports Bucareli , Cordova , JNutka, la baie de Puget dans le détroit de Juan de Fuca , et le magnifique port de San Francisco. On doit ajouter cependant que c'est seulement dans ce dernier ou à MonteRey que les baleiniers peu- vent se procurer des vivres. Ceux qui pécheraient vers le sud auraient la faculté de se ravitailler ou de se reposer au moins au port de San Diego, et dans la Basse Californie , à la baie de San Fran- cisco, dans celle de la Magdalena, à la Mission de Todos los Santos , à celle de San José au cap San Lucas , à la Paz au fond du port de Pichi- lingue , à Loreto , Guaymas , Mazatlan , San Blas, Manzanillo , Acapulco, aux golfes de Fonseca et de Nicoya, à la baie de Panama , et enfin à Otaiti et aux îles Marquises. Nous pensons toutefois que les parages situés entre le tropique du Cancer et le cinquante- cinquième parallèle septentrional environ , sont les plus importants. Ces lieux de pêche, sans contredit les moins fréquentés du globe , servent de refuge aux cétacés poursuivis sans relâche au sud de l'Equateur.
Quelle que fiit l'époque de leur départ de France, nos baleiniers ne devraient arriver dans les hautes latitudes que dans la belle saison ,
33.
ôio ESPÈCES DE BALEINES,
c'est-à-dire , vers le commencement de mai; ils y pécheraient durant cinq mois, et en octobre, mois auquel les Américains arrivent à MonteRev et à San Francisco , ils iraient se ravitailler dans ces deux ports. Après leur relâche , ils exploite- raient la côte en allant vers le sud , et principa- lement le golfe de Californie qui abonde en ba- leines , et où personne ne va.
On rencontre dans ces mers huit différentes es- pèces de baleines ; la plus grande, du genre cetus^ est celle que nous nommons baleine franche, et les Américains et Anglais rightwhale^ou blackwhale, baleine noire. Cette espèce fournit les barbes ou fanons de baleine dont on se sert pour les corsets, les parapluies, etc.
Ces baleines , d'une dimension gigantesque , se trouvent, pendant l'été, dans les hautes latitudes septentrionales ; elles redescendent au sud pen- dant l'hiver, et fréquentent les côtes et les baies ; on peut en tirer jusqu'à deux cents barils d'huile ; ce qui explique pourquoi elles sontsi recherchées par les baleiniers français.
Les Américains , au contraire , préfèrent chas- ser l'espèce dite cachalot (physeter macrocepha- lus) qui est le sperm whale ou white whale (baleine blanche) des Anglais et des Américains. IjC cacha- lot, reconnaissable à sa tête monstrueuse qui
CACHALOT. ■> 1 1
occupe le tiers de sa longueur totale , se tient tou- jours au large et dans les eaux profondes; bien qu'il aime les mers chaudes, il remonte pourtant jusqu'au quarante-cinquième parallèle, et on peut le pêcher en redescendant , après avoir poursuivi la baleine franche, depuis le 60^ degré environ. Sa dimension est un peu moindre que celle de la baleine franche; il rend toutefois jusqu'à cent barils d'huile, et quinze ou vingt de blanc de baleine.
Le blanc de baleine, ou sperma ceti, est un fluide stéarique contenu dans les sinus frontaux. Il vaut de dix-huit à vingt piastres le baril, prix bien plus élevé que celui de l'huile. Aux Etats- Unis , où la cire est rare et fort chère, on fait un grand usage du blanc de baleine pour l'éclairage, tandis qu'en France on préfère les bougies de cire. Aussi , lorsque les baleiniers français et américains se rencontrent , ils échangent le sperma ceti poui' de l'huile ordinaire. Les Américains prennent aussi le cachalot, mais seulement lorsque l'occa- sion se présente , et pour ne pas rester à vide , d'autant plus que pour les machines, l'huile de palme de la côte d'Afrique commence à lutter avec avantage sur les marchés avec l'huile de ba- leine.
r^es baleines à bosse [humpback) des Anglais
512 AUTRES GENRES
et des Américains se trouvent toujours non loin de terre et sous toute latitude; elles habitent les baies , et dans leurs jeux ou leurs combats, vien- nent souvent s'échouer sur le rivage. Lorsqu'elles sont dans un port j elles remplissent quelquefois l'air de gaz fétides qu'elles exhalent en soufflant bruyamment. Ces baleines , ainsi que leur nom l'indique , jDortent sur le dos, à la place de l'ai- leron , une énorme protubérance. Elles sont assez grandes et fournissent beaucoup d'huile; mais elles présentent le grave inconvénient de couler au fond dès qu'elles sont tuées, et de ne revenir flotter à la surface de l'eau qu'un ou deux jours après leur mort. Dans les havres on marque la place où elles ont disparu, par une pirogue , ou simplement une bouée; mais en pleine mer, où ces soins sont presque impraticables , on néglige de les pêcher.
Ticscinq autres espèces de cétacés nommés {sul- phur hottom) baleine à ventre de soufre ou cou- leur soufrée , la baleine à aileron {fin hack ) , le grampus , le killer (le tueur) et le {blackfish) ou poisson noir, sont moins abondantes et plus pe- tites que les trois premières; leurs mouvements sont plus rapides; elles plongent plus profondé- ment ; et comme leurs produits sont loin de com- penser les diffu^ultés qu'offre leur pèche, les
'#
DE CÉTACÉS. 513
baleiniers les négligent et ne les prennent qu'ac- cidentellement , comme pis-aller et par de belles mers , réservant toute leur habileté et tout leur temps pour la baleine franche , celle à bosse et le cachalot.
Nous espérons que les renseignements que nous venons de donner, et qui sont inconnus anx ar- mateurs de nos ports, les engageront à diriger leurs navires vers la côte Nord-Ouest et la Cali- fornie. Dans ces parages peu fréquentés et abon- dants en cétacés , les navires compléteront aisé- ment, et en peu de temps, leurs chargements, et les armateurs trouveront ce double avantage d'a- bréger la durée de la campagne et de gagner plus promptement les primes affectées aux bâtiments armés en pêche.
Nous croyons utile de rappeler ici les articles les plus importants des lois et ordonnances actuellement en vigueur sur la pêche de la ba- leine '.
' Extrait du Bulletin des. Lois des mois de juillet et août 1841.
.14 LEGISLATION
LOI DU 25 JUIN 1841 .
« Art. l***. Les primes accordées par les lois « des 22 avril 1832 et 9 juillet 1836, pour l'en- « couragement de la pêche de la baleine , seront « fixées comme suit, à partir du l^*" mars 1842, « savoir :
« Prime au départ. Quarante francs par ton- « neau de jauge au départ , pour les armements « entièrement composés de Français, et vingt- ce neuf francs pour les armements composés en « partie d'étrangers , dans les limites détermi- (i nées par l'art. 4 de la loi du 22 avril précitée.
« Primes au retour. Vingt-sept francs par ton- te neau de jauge au retour, pour les armements (c tout français, et quatorze francs cinquante cen- « times pour les armements mixtes , dans les con- te ditions déterminées par l'art. 2 de la loi du a 22 avril 1832, lorsque le navire aura péché, « soit au delà du cap Horn , soit à l'est du cap de « Bonne-Espérance, dans les latitudes fixées par « ledit article 2, et par l'article 3 de la même loi.
« Art. 2. Il sera alloué en outre aux navires « spécialement armés pour la pêche du cachalot, « dans l'Océan Pacifique , et après une navigation « de trente mois au moins, pendant laquelle ils
DE LA PÈCHE. 515
« se seront élevés au delà du vingt-huitième degré « de latitude nord , une prime supplémentaire « sur l'huile de cachalot et la matière de tête qu'ils « rapporteront du produit de leur pêche.
« Cette prime sera fixée comme suit, par cent « kilogrammes, savoir:
« Pour les navires partis du jour delà promul- « gationde la loi, au 31 décembre 1845, 20 francs.
« Pour les navires partis du \^^ janvier 1846 « jusqu'au terme de la loi , 15 francs.
« Art. 3. Une ordonnance royale déterminera « les conditions spéciales à remplir par les arma- « teurs qui expédieront des navires à la pêche du « cachalot.
« Art. 4. Les dispositions de la présente loi , « ainsi que celles des lois des 22 avril 1832 et « 9 juillet 1836, auxquelles il n'est pas dérogé, « resteront en vigueur jusqu'au 31 décembre « 1850. j>
Voici la disposition principale de l'ordonnance du roi, du 10 août 1841, qui détermine les con- ditions spéciales à remplir par les armateurs qui expédieront des navires à la pêche du cachalot :
« Art. \". Tout armateur qui voudra expédier (c un navire à la pêche spéciale du cachalot dans ce V Océan Pacifique, sera tenu, pour avoir droit « à la prime, d'en faire la déclaration préalable
ôt(i PRIMES DE LA PÈCHE.
« devant le commissaire de la marine du port « d'armement , s'engageant à faire suivre à l'ar- « mement sa destination et à ne rapporter que des « produits de sa pêche'. »
Mais il est impossible d'établir une distinction exacte entre les navires caclialotiers et les navires baleiniers. Chacun d'eux pêche ce qu'il trouve , et il échange avec les étrangers les produits qui leur conviennent le mieux réciproquement.
Les navires de cinq cents tonneaux sont ceux qui présentent la meilleure dimension pour con- tenir un chargement suffisant et les vivres néces- saires pour des campagnes qui durent générale- ment trente mois. Un bâtiment de ce tonnage , monté par trente hommes environ, équipage tout français, perçoit la prime suivante, soit qu'il re- vienne à vide ou chargé d'huile de baleine.
Au départ, par tonneau, 40 fr. x 500 ton. Au retour, par tonneau, 27 fr. X 500 ton. =
20,000 fr. 13,500 fr.
Total de la prime pour un navire l)aleinier. . . .
33,500 fr.
' Voir dans les Archives du Commerce, tome XXVIII, pag. 132 et suivantes, les textes entiers et l'exposé des motifs, ainsi que le Rapport présenté aux Chambres par le Ministre du Commerce, le 19 avril 181 1.
IMPORTANCE DES BALEINIERS. 517
Si le navire rapporte de l'huile de cachalot ou du sperma ceti , il jouit de la prime supplémen- taire mentionnée dans la loi précitée. Depuis dix ans , la pêche française a pris assez de déve- loppement ; nous possédons maintenant près de quatre-vingts baleiniers jaugeant au delà de trente mille tonneaux, et montés par deux mille marins. Les primes se sont élevées très-haut dans certaines années; en 1837, elles ont dépassé douze cent soixante mille francs; mais il est à regretter qu'elles ne se soient pas soutenues à ce chiffre. Les rentrées en huile de cachalot ont subi particulièrement un accroissement sensible; en 1841, nos navires en ont rapporté soixante-six mille kilogrammes, et six ou sept ans auparavant ils n'en recueillaient à peine que trois mille. Il y a lieu d'espérer que le régime protecteur des primes augmentera les ex- péditions de nos ports : le gouvernement lui-même est vivement intéressé à les favoriser, la pêche de la baleine étant la meilleure école où puissent se former des matelots pour la marine militaire.
Les Américains ont déjà eu à jMonteRey un offi- cier de leur marine, M. Estabrook, en qualité d'agent consulaire. Nous croyons savoir que le cabinet de Washington devait nommer pour son consul un de ces deux honorables négociants , M. Larkin ou M. Jones, qui a déjà rempli ces
518 CONSULATS EN CALIFORNIE,
fonctions aux îles Sandwich. Quant au consul an- glais , il ne saurait être autre que l'agent habile de la Compagnie de la baie d'Hudson.
Indépendamment du point de vue commercial et politique, de l'intérêt nouveau que donnent à la Californie les affaires du Texas et la rupture imminente des Etats - Unis et du Mexique , la création récente du consulat de France à Monte- Rey, la résidence du titulaire et la présence tant de fois réclamée de bâtiments de l'État dans ces parages , offriront à nos nationaux et à nos capi- taines marchands et baleiniers une protection efficace en cas de trouble ou d'invasion , et des moyens de répression contre l'indiscipline et la désertion des équipages.
FIN DD TOME PREMIER.
TABLE DES CHAPITRES.
CHAPITRE PREMIER.
Pages.
Introduction. — Etat du Mexique sous la domination espa- gnole. — Histoire de la révolution. — État actuel. — Considérations politiques I
CHAPITRE II.
Situation commerciale et financière du Mexique. — Produc- tion et exportation des métaux précieux. — Budget des recettes et des dépenses. — Dettes étrangères. — Popu- lation et intérêts français 39
CHAPITRE III.
Histoire des expéditions de découvertes des Espagnols sur la côte occidentale de l'Amérique, au nord de l'Équaleur. 87
,20 TABLE DES CHAPITRES.
CHAPITRE IV.
Pages.
Description de l'isthme de Tehuantepec. Projet de commu- nication entre l'Océan Atlantique et la Mer Pacifique. Port d'Acapulco 119
CHAPITRE V.
Territoire et ville de Colima. Volcan. Port del Manzanillo. Valladolid. Nouvelle Galice. Guadalajara , Tépic, Jalisco, San Blas, Mazatlan, Guaymas. Commerce de la côte. ... M 6
CHAPITRE VI.
Mer Vermeille. Sinaloa. Sonora. Rio Colorado. Tribus in- diennes. Basse Californie 201
CHAPITRE VII.
Divisions du continent américain à l'ouest des Montagnes Rocheuses. Fondation des Missions , Pueblos et Presidios de la Haute Californie. Révolution de cette province. ... 2.51
CHAPITRE VIII.
Haute ou Nouvelle Californie. Son organisation politique, administrative et militaire. Population blanche. Étran- gers. Topographie des Missions , Pueblos et Presidios du Sud de la province. Districts et ports de San Diego et de Santa Barbara. Iles de la côte 3 1 .5
.,^i-^
TABLE DES CHAPITRES. 521
CHAPITRE IX.
Pages.
Description topographique des Missions, P«ebios et Presidios du Nord de la Nouvelle Californie. Districts et ports de MonteRey et de San Francisco ; 385
CHAPITRE X.
État de l'agriculture en Californie. Élève des bestiaux. Bois de construction. Commerce. Importation. Exportation. Navigation. Douanes. Navires baleiniers. Nouveau champ de pêche de la baleine. Consulats étrangers 469
FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME.
TABLE DES CARTES, PF.ANS ET DESSINS.
DANS CE VOLUME.
Nos 1 . Vue du port et de la ville de MonteRey.
— 2. Portrait du R. P. Durau, Préfet ap9stoli(|ue.
— 3. Californien jetant le lazo.
— 4. Isba, maison des colonies russes de l'Amérique,
DANS L'ATLAS.
Nos 1. Carte générale du voyage.
— 2. Carte de l'Océan Pacifique.
— 3. Carte de l'Isthme de ïehuantepec.
— 4. Plan du port d'Acapulco.
— 5. Plan du port del Manzanillo.
— 0. Plan du port de San Blas.
1. 3/,
i24 TABLE DES CARTES , PLANS ET DESSIJNS.
N" 7. Plan du port de Mazatlan.
— 8. Plan du port de la Paz.
— 9. Plan du port de Guaymas.
— 10. Plan du Rio Colorado.
— 11. Plan du port de San Diego.
— 12. Plan du port de San Pedro.
— 13. Plan du port de Santa Barbara.
— 14. Plan du port de MonteRey.
— 16. Plan du port de San Francisco. ^^
— 23. Vue de la Mission de Saint Louis Roi de France.
— 24. Plan géométrique de cet Édifice.
FIN DE LA TABLE DES CARTES , PLANS ET DESSINS.
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•ris. — Typographie de Flrmin Didol Frères, rue Jacob , «s.
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