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TEXTE PRIMITIF

DES

LETTRES PROVINCIALES

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TEXTE PRIMITIF

DES

LETTRES PROVINCIALES

BLAISE PASCAL

d'après un exemplaire IN-4" 1656-1657, ou se trouvent des corrections en écriture du temps

EDITION CONTENANT OUTRE CES CORRECTIONS TOUTES LES VARIANTES DES ÉDITIONS POSTÉRIEURES

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LIBRAIRIE DE L. HACHETTE & C*

BOULEVARD S A 1 N T-G t R M AI K , 77 .867

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AVERTISSEMENT.

On sait que les Provinciales ont été publiées d'abord séparément dans le format in-4'\ Les seize premières ont paru successivement en 1656 (du 25 janvier au 4 décembre), les deux dernières en 1657 (25 janvier & 24 mars). Il est certain que chacune de ces lettres in-4'' a eu plusieurs édi- tions, les unes avouées par l'auteur, les autres falsifiées ou même contrefaites. De certaines différences, certaines fautes d'impression, qu'il est facile de signaler dans le petit nombre d'exemplaires in-4" ^'■^^ existent encore aujourd'hui.

Nicole a réimi & réimprimé les Provinciales en 1657 dans le format in-4'\ 11 a imité autant que possible le pre- mier tirage, en donnant à chaque lettre une pagination particulière. 11 a placé en tète de cette collection un Aver- tissement; la date du 5 mai 1657 ^^^ ^Y ^l'ouve pas, quoique l'édition in-8" de 1659, dont nous parlerons ci-après, l'indique de la manière la plus formelle. La collection in-4" ^^^ Nicole est devenue très-rare. 11 en existe un exemplaire

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Avertiffement.

à la bibliothèque de l'Institut, qui porte ce titre : Les Prouinciak's ou Lettres écrites par Louis de Montalte à j'ii prouiucial de ses amis & aux RR. PP. Jésuites, sur le suiet de la morale & de la politique de ces peines, à Cologne, che^ P. de la Vallée, i6sj- Cet exemplaire contient TAver- tissement de Nicole sans date, un rondeau contre les Jésuites & une foule de pièces relatives à la querelle des Jésuites & des Jansénistes. La pagination ne se suit pas.

On peut consulter également, dans la même biblio- thèque, un autre exemplaire in-4° des Provinciales qui n'appartient pas à l'édition de Nicole, mais qui fait partie de l'édition originale publiée par Pascal.

On a contesté l'existence de l'édition in-4" de Nicole ; on a prétendu qu'elle n'était que la réunion des premiers exemplaires in-4'' de l'édition originale, avec un Avertisse- ment & un titre de la façon de Nicole. A cette allégation, nous n'avons qu'im mot à répondre. Nous l'emprunterons à l'Avertissement de l'éditeiu- lui-même. « Cest ce qui m'a porté, dit-il, à en faire imprimer ce recueil. » Lorsqu'im homme comme Nicole formule une affirmation aussi positive, nous avouons que nous la tenons pour incontestable.

Le titre & l'Avertissement mis par Nicole en tête de son édition in-4" de 16^7 ont été réimprimés à part avec une grosse faute qui ne se trouve pas dans l'édition prin- ceps [Avertissement sur les i" lettres provinciales; or il y en a dix-huit). On s'en est servi pour des collections isolées in-4\ Le texte est généralement conforme au pre- mier travail de Pascal. Si quelques changements y ont été introduits, ils sont insignifiants.

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Apertijfement . m

Il a paru en 1657 ^^^^^ éditions elzéviriennes in- 12 sous la rubrique de Cologne & sous le nom de Pierre de La Val- lée. Ces deux éditions sont évidemment postérieures au 5 mai 1657, puisqu'elles reproduisent le titre & l'Avertis- sement de celle de Nicole donnée la même année.

La première édition in-12, dont un exemplaire existe à la bibliothèque Sainte-Geneviève, est généralement conforme au texte in-4'' 5 seulement l'Avertissement de Nicole a été reproduit avec la faute d'impression sur les ij Provinciales. La date ne s'y trouve pas non plus. Mais on peut y lire le rondeau composé contre les Jésuites. Le volume se termine par im certain nombre de pièces relatives à la querelle des Jésuites & des Jansénistes, lesquelles ont reçu une pagination nouvelle (de i à m). Par la seule raison sans doute que cette édition in- 12 reproduit fidèlement le texte primitif des Provinciales, elle a une très-grande valeur bibliographique.

La deuxième édition elzévirienne in- 12 de 1657, ^^nt un exemplaire se trouve à la Bibliothèque impériale, diffère de la précédente en ce que les trois premières Provinciales ont subi d'importantes modifications qui figurent dans toutes les éditions suivantes, quoique Nicole, qui est une autorité, n'ait pas jugé à propos d'admettre la plupart de ces modifi- cai:ions dans sa version latine de 1658. Les bibliographes ont l'habitude de reconnaître la deuxième édition in- 12 de 1657 à un signe qui n'est cependant pas le plus frappant, aux mots Religieux mandians qu'on lit au haut de la troisième page de la i''^ Provinciale, tandis que la première édition in-12 de la même année porte Moines mandians.

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IV AvertiJJement.

Il suffit de comparer les deux éditions pour établir un point capital, qu'ont toujours laissé dans l'ombre les biblio- graphies des Provinciales. A partir de la quatrième lettre, les deux éditions in- 12 de 1657 ^^"^^ ^ P^^^ P^^^ identiques; la pag-ination est presque toujours la même. La vérité est que les modifications les plus importantes de la deuxième édi- tion in- 12 n'affectent que les trois premières Provinciales. C'est dans cette édition qu'on les trouve pour la première fois, & cependant elle n'a qu'une très-mince valeur en librairie.

Une nouvelle édition des Provinciales (format in-8"), dont on peut voir un exemplaire à la bibliothèque Sainte-Gene- viève, parut en 1659, datée de Cologne & mise en vente chez Nicolas Schoute. Elle reproduit l'Avertissement de Nicole, en y ajoutant la date du 15 mai 1657, qui manque dans les éditions in-4°. Le titre est celui-ci : Les Proiiinciales ou Lettres escrites par Louis de Montalte à jni prouincial de ses amis & aux RR. PP. lésuites , auec la théologie morale des dits Pères & nouveaux Casuistes, représentée par leur prattique & par leurs Hures. En effet, les Provinciales n'occupent que la plus faible partie de ce gros volume in-8". Les deux tiers au moins sont consacrés à la théologie morale des Jésuites. Cette édition, peu estimée des bibliophiles, & qui paraît avoir été médiocrement surveillée, puisqu'elle fourmille de fautes typographiques, n'est cependant pas à dédaigner. Elle fait pour les quinze dernières Provinciales ce qu'a fait poiu' les trois premières la deuxième édition in- 12 de 1657. Quoique les nombreuses corrections, selon nous presque toujours inopportunes, qu'elle a introduites dans le texte

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Averlijfement. v

primitif des immortels pamphlets, ne soient pas, à beaucoup près, aussi importantes que celles de la seconde des éditions in-12, elles ont néanmoins une certaine autorité. Car Pascal a pu les approuver. Cette édition a précédé de trois ans la mort de Fauteur.

Nous possédons un exemplaire in-4' des dix-huit Pro- vinciales, où se trouvent des corrections manuscrites & chaque lettre a sa pagination séparée. Les quinze dernières Provinciales sont les seules auxquelles la main du correcteur ait touché. Elle a respecté le texte des trois premières, si sensiblement altéré par la deuxième édition in- 12 de 1657.

Notre précieux exemplaire m-^° paraît avoir été la base ou l'une des bases de l'édition in-8" de 1659. Cette édition contient environ 285 leçons qui diffèrent plus ou moins du texte primitif. De ces 285 leçons, il y en a 97 qu'on peut lire dans les notes marginales manuscrites de notre exemplaire in-4^ Si l'auteur inconnu de ces corrections les avait trans- crites purement & simplement d'après un exemplaire imprimé de 1659, ^^^ ^^^^^ ^^ ^^^ tirer de son propre fonds, il est pro- bable qu'elles seraient sans rature. Or il n'en est point ainsi. Dans la j" Provinciale, par exemple, le texte original porte : » Ce n'est par proprement permettre le duel. Au contraire, il éuite de dire que c'en soit vn, pour rendre la chose permise, tant il la croit défendue. » Notre correcteur anonyme, qui n'était sans doute pas satisfait de cette leçon, veut la modifier. 11 écrit d'abord : « Ce n'est pas propre- ment permettre le duel. Au contraire, il croit la chose telle- ment défendue... » puis se ravisant, il efface cette première correction, & y substitue celle-ci : « 11 le croit tellement

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VI Avertijfement.

défendu que, pour le rendre permis, il éuite de dire que c'en soit Vn, » leçon qu'on retrouve textuellement dans l'édition in-8' de i6$9, & dans toutes les éditions suivantes, qui l'ont copiée.

Ce n'est pas tout. Si notre inconnu a jugé à propos de modifier 97 passages sur 285 qui n'ont pas échappé à la critique de l'éditeur de 1659, ^^ ^ ^^^" ^^'^" laisser 188 intacts, c'est-à-dire qu'il a désavoué 181 corrections sur 285. Par compensation, il a modifié 96 passages auxquels ni l'édi- teur de 1659, "^ aucun autre n'ont jamais songé. Ces corrections lui ont coûté quelque peine ; car elles sont sovivent retouchées. Pascal & ses amis n'ont pas cru devoir les admettre. Nous les inscrivons fidèlement au bas de la page à laquelle elles se rapportent. Elles sont complète- ment inédites.

Malgré les plus minutieuses recherches, il nous a été impossible de découvrir le nom de l'auteur de ces correc- tions manuscrites. Bien certainement son orthographe est des premières années de la seconde moitié du xvn" siècle ; son écriture est du temps de Louis XIV. Nous nous sommes assuré au département des manuscrits de la Bibliothèque impé- riale, qu'elle n'est ni de Pascal, ni de Nicole, ni d'Arnauld. Nous ajoutons que les corrections manuscrites ne sont pas toutes de la même main. Nous avons remarqué trois sortes d'écriture au moins. Mais l'auteur des corrections, quel qu'il soit, nous paraît être un des personnages considérables du petit conciliabule janséniste s'organisait la terrible artil- lerie contre les Jésuites. Il a eu, sinon la direction, du moins une part dans la préparation de l'édition in-8" de 1659,

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AvertijDement . vu

laquelle généralement n'adopte pas plus que lui , pas plus que Nicole, les modifications malheureuses introduites dans les trois premières Provinciales par Féditeur de 1657.

Les adoucissements & atténuations, soit de cette deuxième édition in-12, soit de celle de 1659, soit des publi- cations faites par les amis de Pascal ou sous leur influence, forment aujourd'hui le texte des Provinciales , tel qu'on peut le lire dans les éditions les plus vulgaires comme les plus soignées. Ce n'est pas le texte des Petites Lettres in-4*'.

La traduction latine des Provinciales publiée en 1658 par Nicole sous la rubrique de Cologne & sous le nom de Wendrocke, & qui a été réimprimée plusieiu-s fois, nous fournit à cet égard quelques points de comparaison. Le traducteiu' ne suit fidèlement ni la deuxième édition in-12 de i6y7, ni celle de 1659; il choisit les leçons qui lui conviennent.

Un exemplaire de l'édition princeps de cette traduction latine existe à la bibliothèque de l'Arsenal. Voici le titre qu'il porte : Ludovici Montaltii Litterœ provinciales de morali & politica Jesnitariim disciplina à Willelmo Wendrockio Sali- burgensi theolôg'o, e gallica in latinaui ling'uain translata.' , & theoloi^icis notis illustratœ. Ce curieux exemplaire est enrichi d'un mémoire manuscrit l'on s'efforce de démon- trer, non-seulement que l'auteur des Provinciales est héré- tique, mais que celui qui les a traduites en latin partage son hérésie. On sait que la traduction hitine des Provin- ciales de Pascal fut brûlée par la main du bourreau à Paris, en vertu d'un arrêt du Conseil exécuté le 14 octobre 1660.

La version latine des Provinciales est précédée d'une

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VIII Avertijfemeut .

traduction de rAvertissement que Nicole avait mis en tête de son édition in-4° de 1657. Le traducteur y a joint des sommaires dans les éditions latines subséquentes. Ce sont ces sommaires qui figurent traduits en français dans toutes les éditions modernes & qui ne sont pas de Pascal.

Nous avons trouvé dans les dépôts publics & près des conservateurs de ces riches dépôts le concours le plus loyal. Nous serions bien ingrat si nous ne nous empressions pas de leur témoigner notre reconnaissance. Les conseils de nos amis ne nous ont pas non plus fait défaut.

Au point de vue littéraire surtout, les changements qu'a subis le texte primitif des Provinciales ne sont pas heureux. Nous n'en citerons que trois ou quatre exemples.

Dans la première Provinciale, Pascal avait écrit d'abord : d Vous le direz (le mot de pouuoir prochain), ou vous serez hérétique & M. Arnauld aussi ; car nous sommes le plus grand nombre; &, s'il est besoin, nous ferons venir tant de Cordeliers que nous l'emporterons. le les viens de quitter sur cette solide raison... » La deuxième édition in- 12 de 1657 a remplacé cette solide raison par cette dernière raison, leçon que n'adopte pas Nicole dans sa version latine, puisqu'il traduit : Hic illos tam solidâ ratione iitentes reliqui , non plus que l'édition in - 8" de 1659, '^^'^^^ <ï^ii l'a emporté définitivement dans toutes les éditions posté- rieures.

Nous lisons dans la deuxième Provinciale des édi- tions in-4" : « Si l'on ne vous seruoit à disner que deux onces de pain & vn verre d'eau, seriez-vous content de vostre prieur qui vous diroit que cela seroit suffisant pour vous

Apeî^tijfemejit . ix

nourrir, sous prétexte qu'auec autre chose qu'il ne vous donneroit pas, vous auriez tout ce qui vous seroit néces- saire/-o/zr bien disuer? » La deuxième édition in-12 de 1657, copiée par toutes les éditions suivantes, reproduit ce pas- sage en y introduisant plusieurs modifications. Voici sa leçon : « Si l'on ne vous seruoit à table que deux onces de pain & vn verre d'eau par jour, seriez-vous content de vostre prieur qui vous diroit que cela seroit suffisant pour vous noiu-rir, sous prétexte qu'auec autre chose qu'il ne vous donneroit pas, vous auriez tout ce qui vous seroit néces- saire/o/zr vous nourrir? » Nicole, dans sa traduction latine, n'a pas tenu compte de la seconde leçon pour vous nourrir, qui n'est qu'une froide & languissante répétition. C'est la première leçon /o;/r bien disner qu'il traduit : Ad lautissimum prandium.

(Même Provinciale.) Pascal, après cette admirable tirade sur la grâce qui est dans toutes les mémoires, et que terminent ainsi les exemplaires in-4'' : « Prenez garde qtie Dieu ne change ce flambeau de sa place & ne vous laisse dans les ténèbres & sans couronne », s'arrête tout à coup. Il paraît que, lors de la révision de 1657, ^^^ amis ont trouvé cette fin un peu trop brusque, puisque la deuxième édition in-12 de cette année, fidèlement copiée par toutes les éditions postérieures, y compris celle de 1659, a ajouté : Pour punir la froideur que vous aue- pour me cause si impor- tante à son Eglise, addition que Nicole s'est bien gardé de reproduire dans sa version latine.

(3'' Provinciale.) Les exemplaires in-4'^ disent : ^ La vérité est si délicate que, si peu qu'on s'en retire, on tombe

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Avertiffement.

dans l'erreur; mais cette erreur est si déliée que, sans mesme s'en éloigner, on se trouue dans la vérité. Il n'y a qu'un point imperceptible entre cette proposition [la proposition de M. Arnauld) & la foy. » Or, nous avon5 sous les yeux un autre exemplaire in-4'' de la y Provinciale, cette leçon se trouve textuellement, excepté qu'à la place des mots entité cette proposition & l^ fof on a imprimé : entre la vérité & la foy, ce qui est une faute d'impression évidente, mais ce qui prouve en même temps que les Provinciales in-4" ^^^ ^^ plusieurs éditions. La première édition in- 12 de 1657 a eu soin de corriger la faute d'impression. L'édition in -8° de 1659 a effacé la première partie de la discussion de Pascal & commence la phrase à : // n'j a qiù'n point imper- ceptible entre cette proposition & la foy, adoptant pour cette dernière leçon celle qu'on peut lire dans notre exemplaire in-4" ^ dans la première édition in- 12 de 1657. ^^is la deuxième édition in- 12 & toutes les éditions postérieures à i6s9 publient ce passage de la manière suivante : « La vérité est si délicate que pour peu qu'on s'en retire, on tombe dans l'erreur; mais cette erreur est si déliée que, pour peu qu'on s'en éloigne, on se trouue dans la vérité. 11 n'y a qu'vn point imperceptible entre cette proportion & la foy. » Nicole, allant sans doute au-devant des scrupules de l'éditeur de 1659, efface également, dans sa version latine de 1658, la pre- mière partie de la discussion de Pascal, & ne traduit que les mots : // ny a qu'vn point imperceptible entre cette proposition & la fof. Inter Jidem & hanc Arnaldi periodum individuiis quidam limes sic oculis inconspicuus ut merito... Mais qui ne regrettera que cette excellente plaisanterie sans même

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Avei^tijfemeiii . xi

s'en éloîgnej\ on se troiiiie dans la t'erité, ait été remplacée par : pour peu qu'on s'en éloigne, on se trouve dans la vérité?

(i6* Provinciale.) « Voicy vne insigne extraiiagance & vn gros péché mortel contre la raison. » Ces mots & m gros péché mortel contre la raison qui se trouvent dans notre col- lection in-4% dans la plupart des exemplaires du même format, dans les deux éditions elzéviriennes de 1657, ^^^ disparu de l'édition in-S" de 1659 ^ ^^ toutes les éditions suivantes. Nicole ne les a pas traduits dans sa version latine de 1658. Il avait moins de scrupule en 1657, puisque dans l'exemplaire in-4'' qui fait partie de l'édition donnée par lui & qu'on peut voir à la bibliothèque de l'Institut, il n'a pas retranché cette incidente significative. Pascal ou ses amis ont pensé qu'il y avait une sorte de témé- rité à s'exprimer de cette manière & l'on a fait le sacrifice d'un trait que la postérité regrettera sans doute.

Les nombreuses citations empruntées par Pascal aux ouvrages des casuistes de la Compagnie de Jésus, citations dont il n'est pas toujours responsable, parce qu'il ne lisait pas lui-même les livres qu'il citait, & qu'il rapportait avec confiance les passages que ses amis lui communiquaient, ont été quelquefois modifiées par l'édition in-8° de 1659. Mais il est trop certain que, même après ces modifications, quelques-unes des citations de Pascal manquent encore d'exactitude. La qualification que M. de Maistre a infligée aux Provinciales serait -elle donc fondée, sur certains points du moins? Nous ne nous chargeons pas de ré- soudre cette question délicate ; nous préférons nous en référer à Nicole qui, moins passionné sans doute que le

XII Avej'tiJJement.

petit conciliabule janséniste, reproduit, dans sa version latine de 1658, les passages textuels des casuistes mis en cause.

Nous avons entrepris de publier le texte primitif des Provinciales, même avec les passages inexacts, que nous rectiiîons en rapportant au bas des pages les citations latines données par Nicole. Nous rétablissons dans le texte les leçons diverses qui ont disparu de toutes les éditions pos- térieures à 1656-1657, en prenant pour base de cette publi- cation l'exemplaire in-4° que nous possédons, & qui est un héritage de famille.

Afin de laisser à notre publication le caractère du temps les Provinciales ont paru pour la première fois, nous avons suivi l'orthographe alors usitée, en prenant encore notre exemplaire in-4° pour modèle, quoique l'impression en soit assez souvent fautive, ce qu'il faut excuser quand on songe aux difficultés que les Jansénistes rencontraient pour publier les pamphlets de leur plume la plus éloquente. Leurs adversaires étaient tout-puissants \ ils régnaient à Rome, à la cour & même à la ville ; ils tenaient sous le joug les impri- meurs & la police. Pascal en était réduit à faire imprimer clandestinement les Petites Lettres dans les caves du collège d'Harcourt par des ouvriers qui n'étaient pas toujours de premier choix & qui reproduisaient plus ou moins fidèlement le manuscrit qu'ils avaient sous les yeux, dans un temps oii l'orthographe était passablement capri- cieuse. Mais cette orthographe même, avec ses bizarreries, ses incertitudes & ses variations, est en quelque sorte une date. Nous avons nous y conformer, quoique notre

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Avertijfement. xiii

époque, amie de la règle, se fût mieux accommodée d'un système uniforme.

Peut-être nous saura-t-on gré d'avoir reporté les admi- rateurs de Pascal à deux cents ans en arrière par une reproduction textuelle & une sorte de photographie de l'exemplaire in-4" que nous possédons. Le manuscrit des Provinciales n'existe plus. 11 est à peu près certain que la première édition des Petites Lettres a été faite d'après les pages écrites de la main même de Pascal & qu'elle en est la iidèle image. L'orthographe des imprimés, quand il ne s'agit pas d'impressions furtives, est toujours en avance pour la régularité sur l'orthographe des manuscrits ; & aussi trouvons-nous, dans l'édition in -8^ de 1659, ^^^^^^ P^^^^ ^ loisir, vme orthographe déjà bien plus régidière.

La maison qui s'est chargée de cette pubhcation n'a rien épargné pour la rendre digne de Pascal. Sortie des presses du typographe M. Claye, dont tout le monde appré- cie le goût & l'expérience, la nouvelle édition des Provin- ciales, exactement calquée siu* celle de 1656-1657, pourra, nous l'espérons, soutenir auprès des amateurs la compa- raison avec celles des Elzeviers.

Cette nouvelle édition, qui reproduit avec la plus scru- puleuse fidélité les Petites Lettres, telles qu'elles ont été publiées successivement dans le format in-4" en 1656 6»: en 1657, nous aurait paru incomplète, si nous n'avions pas mis en variantes les modifications plus ou moins fâcheuses qu'a subies le texte primitif de Pascal avec ou sans son autorisation. C^ar il ne suffit pas de rendre aux Provinciales leur caractère originaire. Les modifications

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XIV Ai'ertijfement.

qu'on y a introduites, & qu'on s'explique par les nécessités du temps, par des calculs de parti, frapperont bien plus vivement le lecteur, lorsqu'il pourra, au moyen des variantes, apprécier le texte primitif.

Ces variantes se trouvent au bas de chacune des pages auxquelles elles se rapportent, & sont indiquées dans le texte par un chiffre de renvoi. Lorsqu'elles ont été admises dans les éditions modernes, nous les imprimons avec l'ortho- graphe en usage aujourd'hui. Lorsqu'elles n'ont pas été admises dans ces éditions, ou lorsqu'elles sont empruntées à notre exemplaire in-4% sans avoir été jamais publiées, nous les imprimons avec l'orthographe du temps.

Nous avons introduit, dans notre édition, un très-petit nombre de notes (quatre ou cinq). Afin de les distinguer des variantes, nous les plaçons au bas des pages avec un signe alphabétique qui leur servira de chiffre de renvoi.

La querelle qui a été l'occasion des Provinciales n'est plus guère à l'ordre du jour. Qui songe au P. Bauny & aux casuistes? Qui voudrait lire les gros in-folio & les insipides compilations qui se sont entassés autour des noms de M. Arnauld & de Jansénius? Mais aujourd'hui l'on sera généralement charmé de lire les Provinciales, non pas avec les atténuations que Pascal lui-même a consenties quel- quefois, mais dans leur originalité première, lorsque l'auteur n'obéissait qu'aux inspirations de son génie.

Du reste, les sacrifices que Pascal a jugé à propos de faire ne l'ont pas mis à l'abri des censures ecclésiastiques. Il avait affaire à si forte partie que les Jésuites, dont il avait ridiculisé les doctrines en traits ineffaçables, ne man-

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quèrent pas de se venger, & obtinrent de la cour de Rome une sentence de condamnation qui est datée du 7 sep- tembre 1657.

M. Prosper Faugère (t. P" des Pensées, p. 267) a retrouvé cette phrase échappée à l'auteur des Provinciales, & qu'il a publiée pour la première fois : « Si mes lettres sont condam- nées à Rome, ce que j'y condamne est condamné dans le ciel. »

Au moment nous allions entreprendre notre travail, il nous est tombé entre les mains une édition assez récente des Provinciales, publiée en deux volumes in-S", chez Firmin Didot, par M. l'abbé Maynard. Les Provinciales de Pascal n'occupent dans cette édition qu'une place acces- soire. M. l'abbé Maynard s'est proposé surtout de combattre les doctrines théolog-iques du célèbre pamphlétaire, & il joint à chaque lettre des notes très-développées, souvent même de véritables dissertations, qui ne démontrent qu'une chose : c'est que l'auteur est un partisan prononcé des opinions des Jésuites, de celles du moins qu'ils professaient il y a plus de deux cents ans, sous le nom de Casuistique. M. l'abbé Maynard est un adversaire non moins prononcé des opinions des Jansénistes, ce qui est tout à fait dans son droit. Toutefois, on pourrait lui reprocher de vouloir rani- mer ainsi une querelle qui est heureusement éteinte.

Quant au texte des Provinciales donné par M. l'abbé Maynard, il est à peu près conforme à celui qu'on a géné- ralement adopté. Seulement M. l'abbé Maynard, qui a étudié avec soin la bibhographie des Provinciales, qui en connaît parfaitement toutes les éditions, en a extrait de nombreuses variantes.

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XVI AvertiJJement .

Cependant le travail de M. l'abbé Maynard ne nous a pas découragé. Ce qu'il met en variantes, nous le mettons dans le texte, parce que notre but est tout différent. Nous n'adoptons aucun drapeau, pas plus celui de Molina que celui de Jansénius; nous n'entreprenons ni de défendre ni de combattre Pascal : nous nous contentons de l'admirer. C'est par respect pour cet immortel génie & par amour pour un des chefs-d'œuvre de notre langue que nous nous sommes proposé de le restituer dans sa vigueur native. Il nous a semblé que Pascal lui-même s'était quelquefois affaibli en se corrigeant. La plupart des leçons qu'il avait d'abord adoptées ont plus de mérite, d'énergie & de valeur littéraire, suivant nous, que celles qu'on y a substituées.

Et ici nous pouvons alléguer une autorité imposante. M. Sainte-Beuve, dans son Histoire in-8'' de Port-Royal, cite de longs fragments des Provinciales. C'est à l'édition primitive qu'il les emprunte. (Voir notamment t. II, p. 543.) « Je suivrai, dit M. Sainte-Beuve, dans mes cita- tions des Provinciales le texte de l'édition originale ; il a été un peu retouché depuis. » Le célèbre critique nous permet- tra de lui faire observer que le texte primitif a été non pas un peu, mais très-sensiblement altéré par Pascal lui-même ou par ses amis.

Ces modifications que d'honorables scrupules ont sug- gérées, nous nous empressons de le reconnaître , sont de deux sortes : les unes portent sur les idées, les autres sur les mots. Après mûre réflexion, Pascal ou ses amis ont sans doute cru devoir atténuer, corriger, adoucir des opinions trop tranchées. Les contemporains de Pascal ont pu acquies-

Apei^tijfemejit. xvii

cer à ces ménagements, dont la postérité n'a nul souci, parce qu'elle s'occupe beaucoup plus de la forme que du fond.

Nous comprenons moins les changements de mots & nous en appellerons de Pascal à Pascal lui-même. Ne dit-il pas dans une de ses pensées si heureusement restituées par M. Prosper Faugère : « Quand dans un discours se trouvent des mots répétés, & qu'essayant de les corriger, on les trouve si propres qu'on gâterait le discoiu-s, il les faut laisser : c'en est la marque, & c'est la part de l'envie qui est aveugle, & qui ne sait pas que cette répétition n'est pas faute en cet endroit; car il n'y a point de règle générale? »

Eh bien, plusieurs des anciennes leçons des Provin- ciales ont été changées par la seule raison qu'on les trouvait incorrectes, qu'on y rencontrait des mots répétés, des pronoms qui semblaient faire confusion dans l'esprit. Le lecteur jugera désormais si les prétendues incorrections de Pascal ne sont pas préférables aux leçons grammati- calement plus correctes qu'on y a substituées, & si ces ama- teurs par trop zélés de la pureté du langage nont pas gâte le discours d'im homme de génie.

Lorsque de retentissantes révélations nous ont annoncé que les Pensées de Pascal avaient été arrangées ou même supprimées en partie, quelle émotion!

Les Provinciales, sans avoir subi d'aussi cruelles muti- lations, ont été trop souvent énervées. Le public en déci- dera, puisqu'il pom-ra désorinais rapprocher du texte pri- mitif de Pascal, de son premier jet, les changements auxquels il s'est résigné ou que ses amis lui ont imposés.

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XVIII Apet^tiJJemeiit.

Le temps est venu de rendre au génie de Pascal le seul hommage qui soit digne de lin'. Nous ne sommes plus en présence du P. Annat, & la postérité ne s'inquiète pas des disputes de Sorbonne qui passionnaient nos pères. Ce qu'elle veut aujourd'hui, c'est le texte vrai des Provin- ciales, celui que Pascal, livré à lui-même & à ses seules inspirations, a publié d'abord, avec ses aspérités, ses archaïsmes, ses incorrections, si l'on veut, mais aussi avec son incomparable vigueur ; celui qui arrachait à madame de Sévigné des cris d'admiration, a Quelquefois, pour nous divertir, écrit-elle à sa fille, nous lisons les Petites Lettres : bon Dieu, quel charme! & comme mon fils les lit! Je songe toujoiu'S à ma fille, & combien cet excès de justesse de rai- sonnement seroit digne d'elle 5 mais votre frère dit que vous trouvez que c'est toujours la même chose : ah, mon Dieu! tant mieux ; peut-on avoir un style plus parfait, une raillerie plus fine, plus naturelle, plus déhcate, plus digne fille de ces dialogues de Platon, qui sont si beaux? Mais après les dix pre- mières lettres, quel sérieux, quelle solidité, quelle force, quelle éloquence, quel amour pour Dieu & pour la vérité! Quelle manière de la soutenir & de la faire entendre ne trouve-t-on pas dans les huit dernières lettres, qui sont sur un ton bien différent! Je suis assurée que vous ne les avez jamais lues qu'en courant, grappillant les endroits plaisants; mais ce n'est point cela quand on les lit à loisir '. »

Et nous aussi, nous les avons lues à loisir; nous en

I. Lettres de madame de Sévigné, t. IX, p. 367 de l'édition in-8° publiée cliez Hachette, sous la direction de M. Ad. Régnier, de l'Institut.

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Aifertijfement . xix

avons pesé tous les mots pour arriver au terme du travail philologique que nous avions entrepris. Nous n'ambition- nons auprès du public d'autre titre que celui de modeste éditeur, gardant pour nous -même la jouissance intime qu'un commerce assidu avec l'admirable prose de Pascal nous a procurée.

A. LESIEUR.

Paris, 1867.

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TEXTE PRIMITIF DES LETTRES PROJ'INCIALES

LETTRE*

ESCRITE

A VN PROVINCIAL

PAR

VN DE SES AMIS

sur le fiijet des difpiites prefentes de la Sorbouiie-. De Paris, ce 25 lanuier 1656.

Mon

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Nous eftions bien abusez. le ne fuis détrompé que d'hier; jufque-là j'ai penfé que le fujet des dilputes de Sorbonne eftoit bien important, & d'vne extrême confe- quence pour la Religion. Tant d'afTemblées d'vne Compa- gnie auffi célèbre qu'eft la Faculté de Paris ', ^ il s'ell

1. L'édition in-8" de 1659 copiée par toutes les éditions modernes : Première lettre,

2. Le sommaire de cette première lettre, comme celai de toutes les autres, tel qu'on le lit dans les éditions modernes, n'est autre chose que la traduction du résumé placé en tête de la version latine de Nicole. Ce sommaire n'est donc pas de Pascal. Cependant le lecteur, pouvant en avoir besoin, le trouvera transcrit, pour chaque lettre, à la table des matières.

3. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes: la Faculté de théologie de Paris. Nicole ne traduit pas le mot thcolo>yie : Tôt celeberrirno' Facultafis conv'tia.

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Lettre^ prouiucialcs.

pafTé tant de chofes û extraordinaires & fi hors d'exemple, en font conceuoir vne fi haute idée , qu'on ne peut croire qu'il n'y en ait vn fujet bien extraordinaire.

^ Cependant vous fierez bien lurpris, quand vous ap- prendrez par ce récit à quoy fe termine vn fi grand éclat ; & c'eft ce que je vous dirai en peu de mots^ après m'en eftre parfaitement inftruit.

On examine deux queftions^ IVne de fait% l'autre de droit \

Celle de fait confiile à fçauoir fi M. Arnauld eft témé- raire, pour auoir dit dans fa féconde Lettre, Qu'il a leii exaâement le liiire de laiifenius, & qu'il n'j^ a point trouue les Propojitious condamnées par le feu Pape; & néanmoins que comme il condamne ces Propofitions en quelque lieu qu'elles Je rencontrent, il les condamne dans lanfenius, Ji elles y font.

La quertion eft de fçauoir ^ s'il a pu fans témérité té- moigner par qu'il doute que ces Propofitions soient de lanfenius, après que MM. les Euefques ont déclaré qu'elles y font".

On propofe l'affaire en Sorbonne. Soixante & onze Docteurs entreprennent fa défenfe & souftiennent qu'il n'a pu répondre autre chofe à ceux qui par tant d'écrits luy demandoient s'il tenoit que ces Propofitions fuffent dans ce liure, finon qu'il ne les y a pas veuës, & que neantmoins il les y condamne , fi elles y font.

1, L'édicion in-8" de 1659, comme la pluparc des éditions suivantes, a supprimé l'alinéa.

2. La plupart des éditions modernes écrivent : L'une de fait et Vautre de droit. Nicole ne traduit pas la conjonction et : Aguntur duce quœftiones : una faélurn ^ altéra jus attmgit.

-}. L'édition in-8° de 1659 supprime l'alinéa, ce que ne fait aucune des éditions modernes.

4. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : La queflion fur cela ejl defai'Oir.

5. Les éditions postérieures à la mort de Pascal : Qu'elles font de lui.

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Première lettre. ->

Qiielqiies-vns mefme payant plus aiiant, ont déclaré que, quelque recherche qu'ils eu ayent faite, ils ne les y ont jamais trouuées , & que mefme ils y en ont trouué de toutes contraires, en demandant avec inllance ' que s'il y auoit quelque Docteur qui les y eût veuës, il voulut les monllrer, que c'eftoit vne chofe fi facile qu'elle ne pouuoit eftre refu- fée, puis que c'eftoit vn moyen feur de les réduire tous, & M. Arnauld mefme; mais on le leur a toufiours refufé -, Voila ce qui fe paffa de ce cofté-là \

De l'autre part % fe font trouvez quatre-vingts Docteurs fecidiers, & quelques quarante Moines mandians % qui ont condamné la Propofition de M. Arnauld, fans vouloir exa- miner fi ce qu'il auoit dit eftoit vray ou faux, & ayant mefme déclaré qu'il ne s'agiffoit pas de la vérité, mais feu- lement de la témérité de fa Propofition.

Il s'en efl troimé de plus quinze ^ qui n'ont point eilé pour la cenfure, & qu'on appelle indifferens.

Voila comment s'ert terminée la quellion de fait, dont je ne me mets gueres en peine; car que M. Arnauld foit téméraire ou non, ma confcience n'y eft pas interelfée. Et fi la curiofité me prenoit de fçauoir fi ces Propofitions font

1. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : Ils ont demandé enfuite avec injfance.

2. M. Faugère, parmi les fragments des Provmciales que Pascal avait écrits dans un premier travail, cite celui-ci : AL Arnauld a répondu quil ne peut Vaffurer, ne fâchant pas fi cela ejf,- qu'il les y a cherchées et une infinité d- autres fans jamais les y trouver. Ils vous ont prié vous et tous les vôtres de citer en quelles pages elles font .-Jamais perfonne ne Va fait.

3. La deuxième édition in-12 de 1657 et les éditions suivantes : Ce qui s'efl paffé de ce cS té-là.

4. L'édition in-80 de 1659 et quelques éditions modernes suppriment le mot part.

5. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes: Religieux mendiants.

6. Toutes les éditions modernes, à dater de 1659 : // ïcn cjf de plus trouvé quinje.

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Lettres proiiiiiciales.

dans lanfeniiis, fon liure n'eft pas fi rare ny fi gros qvie je ne le peufTe lire ^ tout entier pour m'en éclaircir, fans en con- fulter la Sorbonne.

Mais fi ie ne craignois aufîî d'eftre téméraire, ie croy que ie fuiurois l'auis de la plufpart des gens que ie voy, qui ayant creu iufqu'icy fur la foy publique que ces Proportions font dans lanfenius, commencent à le défier du contraire par le refus bizarre qu'on fait de les monftrer, qui eft tel que ie n'ay encore veu perfonne qui m'ait dit les y auoir veuës. De forte que ie crains que cette cenfure ne faffe plus de mal que de bien, & qu'elle ne donne à ceux qui en fçau- ront l'hiftoire, vne impreffion toute oppofée à la conckifion. Car en vérité le monde deuient méfiant, & ne croit les chofes que quand il les voit. Mais comme i'ay défia dit, ce point eil peu important, puis qu'il ne s'y agit point de la foy.

Pour la queflion de droit, elle femble bien pkis confide- rable en ce qu'elle touche la foy. Auffi i'ay pris vn foin par- ticulier de m'en informer. Mais vous ferez bien fatisfait de voir que c'eft vne chose auffi peu importante que la pre- mière.

11 s'agit d'examiner ce que M. Arnauld a dit dans la mefme Lettre : Que la grâce fans laquelle ou ne peut rien, a manqué à S. Pierre dans fa cliente. Sur quoy nous penfions vous 8c moy qu'il efioit quertion d'examiner les plus grands principes de la Grâce, comme fi elle n'efl: pas donnée à tous les hommes, ou bien fi elle eft efficace; mais nous eftions bien trompez, le fuis devenu grand Théologien en peu de temps, & vous en allez voir des marques.

Pour fçauoir la chofe au vray, je vis M. N., Docteur de Nauarre , qui demeure près de chez moy , qui eft, comme vous le fçaiiez, des plus zelez contre les lanfeniftes; & comme ma curiofité me rendoit prefque auffi ardent que

I. Quelques écjitions modernes : Que je ne le puijfc lire.

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Pi^emiere lettre.

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luy, ie luy demanday ^ s'ils ne décideroient pas formelle- ment Que la grâce ejl donnée à tous les hommes, afin qu'on n'ag-itaft plus ce doute. Mais il me rebuta rudement, & me dit que ce n'efloit pas le poinct; qu'il y en auoit de ceux de fon cofté qui tenoient que la grâce n'eft pas donnée à tous : que les examinateurs mefmes auoient dit en pleine Sorbonne que cette opinion ejt problématique : & qu'il eftoit luy-mefme dans ce fentiment^ ce qu'il me confirma par ce pafTag-e qu'il dit eftre célèbre de faint Auguftin : Nous /canons que la grâce neji pas donnée à tous les hommes - .

le luy fis excufe d'auoir mal pris fon fentiment, & le priay de me dire s'ils ne condamneroient donc pas au moins cette autre opinion des lanfeniftes qui fait tant de bruit : Que la grâce ejî efficace, & qu'elle détermine nojlre volonté à faire le bien. Mais ie ne fus pas plus heureux en cette féconde queftion. Vous n'y entendez rien, me dit-il, ce n'eft pas vne herefie : c'eft vne opinion orthodoxe ; tous les Tho- miftes la tiennent , & moy-mefme l'ay fouftenuë ' dans ma Sorbonique.

le n'ofay plus luy propofer mes doutes, & mefme ^ ie ne fçauois plus eftoit la difficulté; quand pour m'en éclair- cir, ie le fuppliay de me dire en quoy confiftoit ' l'herefie de la propofition de M. Arnauld, C'eft, ce me dit-il", en

I- L'édition in-S" de 1659 ec quelques éditions modernes : Je lui demandai d'abord.

2. L'édition in-8° de 1659 et la plupart des éditions suivantes : Que la grâce n'ejt pas donnée à tous.

3. La deuxième édition in- 12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : Et moi-même Je l'ai foutenue.

4- L'édition in-S" de 1659 et la plupart des éditions modernes sup- priment le mot même.

5. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : En quoi consifioit donc.

^- L'édition in-8" de 1659 et les éditions suivantes : C'cj}. me dit-il.

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Lettres proiiinciales.

ce qu'il ne reconnoift pas que les juftes ayent le pouuoir d'accomplir les Comman démens de Dieu en la manière que nous l'entendons.

le le quittay après cette inftruction, & bien glorieux de fçauoir le nœud de l'affaire, ie fus trouver M. N., qui fe porte de mieux en mieux, & qui eut affez de fanté pour me conduire chez fon beau-frere, qui eft lanfenifte s'il y en euft iamais, & pourtant fort bon homme. Pour en eflre mieux receu, ie feignis d'eftre fort des fiens, & luy dis : Seroit-il bien poffible que la Sorbonne introduisît dans TEglife cette erreur, Que tous les juftes ont toufiours le pouuoi?^ d'accomplir les Commandemens? Comment parlez-vous, me dit mon Doc- teiu-, appeliez- vous erreur vn fentiment fi Catholique, & que les feuls Luthériens & Caluinilles combattent? Et quoy, luy dis-je, n'eft-ce pas voftre opinion? Non, me dit-il, nous l'Ana- thematifons comme hérétique & impie. Surpris de cette ref- ponfe, ie connus bien que i'auois trop fait le lanfenifte, comme i'auois l'autre fois efté trop Mohnifte. Mais ne pouuant m'affeurer de fa réponfe, ie le priay de me dire confidem- ment s'il tenoit Que les juftes eujfent toufiours vn pouuoir véri- table d'ob fer lier les préceptes. Mon homme s'échauffa deffus, mais d'vn zèle deuot, & dit qu'il ne déguiferoit iamais les fentimens pour quoy que ce fufl, que c'efloit fa créance, & que luy & tous les fiens la defendroient iufqu'à la mort comme eftant la pure doctrine de faint Thomas & de faint Auguflin leur Maiftre.

Il m'en parla fi ferieulement que ie n'en pus douter. Et fur cette affeurance ie retournay chez mon premier Doc- teur, & luy dis bien fatisfait que i'ellois feur * que la paix feroit bien tofl en Sorbonne : que les lanfeniftes elîoient d'accord du pouuoir qu'ont les juftes d'accomplir les pré- ceptes : que i'en eflois garand, que ie le leur ferois figner

I. L'édition in-8'' de 1659 et la plupart des éditions modernes: Que j'étois certain.

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Première lettre.

de leurlang*. Tout beau, me dit-il, il faut eflre Théologien pour en voirie fin. La différence qui efl entre nous ell fi fub- tile, qu'à peine pouuons-nous la marquer nous-mefmes : vous auriez trop de difficulté à l'entendre. Contentez-vous donc de fçauoir que les lanfenilles vous diront bien que tous les juftes ont toujours le pouuoir d'accomplir les Commande- mens : ce n'eft pas de quoy nous difputons. Mais ils ne vous diront pas que ce pouuoir Ibit prochain. C'eft le poinct.

Ce mot me fut nouueau & inconnu. lufques-là i'auois entendu les affaires, mais ce terme me jetta dans l'obfcurité, & ie croy qu'il n'a elle inuenté " que pour brouiller. le luy en demanday donc l'explication, mais il m'en fit vn myftere, & me renvoya fans autre fatisfaction pour demander aux lanfeniftes s'ils admettoient ce pouuoir /toc/zj/;;. le chargeay ma mémoire de ce terme; car mon intellig-ence n'y auoit aucune part. Et de peur de l'oublier ^ ie fuspromptement re- trouuer mon lanfeniile, à qui ie dis incontinent, après les premières ciuilitez : Dites-moy, ie vous prie, fi vous admet- tez le pouuoir prochain. 11 le mit à rire, & me dit froidement : Dites-moy vous-mefme en quel fens vous l'entendez; & alors ie vous diray ce que i'en croy. Comme ma connoiffance n'alloit pas iufques là, ie me vis en terme de ne luy pouuoir répondre, & neantmoins pour ne pas rendre ma vifite inu- tile, ie luy dis au hazard : le l'entends au fens des Aloliniftes. A quoy mon homme, fans s'émouuoir : Aufquels des Moli- nifles, me dit-il, me renuoyez-vous ? le les luy offris tous en- femble, comme ne faifans qu'vn mefme corps, & n'agiffans que par vn mefme efprit.

Mais il me dit : Vous eftes bien peu inllruit. Ils font fi

1. Plusieurs exemplaires in-4", notamment un exemplaire de l'édi- tion donnée par Nicole en 1657 sous la rubrique de Cologne, la deuxième édition in-12 de 1657 et quelques éditions modernes : Et que je leur ferais ftgner de leur fan g.

2. Quelques éditions m.odernes : Qu'il n'avait été imenté.

3. L'édition in-8" de 1659 : De peur d'aublier.

8 Lettres prouiiiciales.

peu dans les mefmes fentimens, qu'ils en ont de tout con- traires. Mais ' ellans tous vnis dans le defTein de perdre M. Arnauld, ils fe font auifez de s'accorder de ce terme de prochain , que les vns & les autres diroient enfemble, quoy qu'ils l'entendifTent divierfement , afin de parler vn mefme langage, & que par cette conformité apparente ils pufîent former vn corps confiderable , & compofer le plus grand nombre % pour l'opprimer auec affeurance.

Cette refponfe m'eftonna. Mais fans receuoir ces im- preffions des mefchans deffeins des Moliniftes, que ie ne veux pas croire fur fa parole, & ie n'ay point d'interefl:, ie m'attachay feulement à fçauoir les diuers fens qu'ils don- nent à ce mot myllerieux de prochain. Mais ^ il me dit : le vous en efclaircirois de bon cœur : mais vous y verriez vne répugnance & vne contradiction fi groffiere que vous auriez peine à me croire ; ie vous ferois fufpect. Vous en ferez plus feur en l'apprenant d'eux-mefmes, & ie vous en donneray les adreffes. Vous n'auez qu'à voir feparement M. le Moine * & le P. Nicolaï. le n'en connois pas vn % luy dis-ie. Voyez donc, me dit-il, fi vous ne connoiftrez point quelqu'vn de ceux que ie vous vas nommer; car ils fuiuent les fentimens de M. le Moine. l'en connus en effet quelques-vns. Et en fuite il me dit : Voyez {\ vous ne con- noifîez point des Dominicains, qu'on appelle nouueaux Tho-

1. Les éditions modernes, à l'exemple de celle de 1659, ont sup- primé la conjonction mais.

2. La deuxième édition in- 12 de 1657 : Vn phis grand nombre, leçon que n'ont adoptée ni l'édition in-S" de 1659, ni quelques-unes de celles qui l'ont suivie.

3. La deuxième édition in-12 de 1657 copiée par toutes les édi- tions suivantes a supprimé maïs.

4. La deuxième édition in-12 de 1657 et quelques unes des éditions suivantes : Un nommé AI. le Aloine.

5. La deuxième édition in-12 de 1657 copiée par toutes les éditions suivantes : Je ne connais ni l'un ni Vautre.

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Première lettre.

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miltes; car ils font tous comme le P. Nicolaï. l'en connus auffi entre ceux qu'il me nomma : & refolu de profiter de cet auis & de fortir d'affaire, ie le quittay, & fus d'abord chez vn des difciples de M. le Moine.

le le fuppliay de me dire ce que c'efloit ' qM'auoir le pou- noir prochain défaire quelque chofe. Cela eft aysé, me dit-il, c'efl auoir tout ce qui efl necefTaire pour la faire, de telle forte qu'il ne manque rien pour agir. Et ainfi, luy dis-ie, avoir le pouuoir prochain de paffer une riuiere, c'efl auoir vn bateau, des bateliers, des rames & le refle, en forte que rien ne manque. Fort bien, me dit-il. Et auoir le pouvoir prochain de voir, luy dis-ie, c'eft auoir bonne veuë, & eftre en plein iour. Car qui auroit bonne veuë dans l'o'bfcurité, n'auroitpas le pouuoir prochain de voir, félon vous, puis que la lumière luy manqueroit, fans quoy on ne voit point. Doc- tement, me dit-il. Et par confequent, contimiay-ie, quand vous dites que tous les juftes ont toufiours le pouuoir pro- chain d'obferuer les Commandemens, vous entendez qu'ils ont toufiours toute la grâce neceffaire pour.les accomplir; en forte qu'il ne leur manque rien de la part de Dieu. Atten- dez, me dit-il, ils ont toufiours tout ce qui efl neceffaire pour les obferuer, ou du moins pour prier Dieu-. l'entends bien, luy dis-ie, ils ont tout ce qui efl neceffaire pour prier Dieu de les affilier, fans qu'il foit neceffaire qu'ils ayent au- cune nouuelle grâce de Dieu pour prier. Vous l'entendez, me dit-il. Mais il n'efl donc pas neceffaire qu'ils ayent vne grâce efficace pour prier Dieu. Non, me dit-il, fuiuant M. le Moine.

Pour ne point perdre de temps, l'allay aux Jacobins, & demanday ceux que ie fçavois eflre des nouueaux Tho-

1. - La deuxième éditum in-12 de 1657 et l'édicion in-g» de 1659, copiées par la plupart des éditions suivantes : Ce que ccff.

2. - La deuxième édition in-,2 de 1657, copiée par toutes les éditions suivantes : Pour le demander à Dieu.

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Lettres prouinciales.

miftes. le les priay de me dire ce que c'eft que pouuoîr pro- chain. N'eft-ce pas celuy, leur dis-je, auquel il ne manque rien pour agir. Non, me dirent-ils. Mais quoy, mon Père, s'il manque quelque chofe à ce pouuoir, l'appeliez -vous prochain, & diriez-vous^ par exemple, qu'vn homme ait la nuit & fans aucune lumière le pouuoir prochain de l'oir? Ouy dea, il l'auroit félon nous, s'il n'eft pas aueugle. le le veux bien, leur dis-je; mais M. le Moine l'entend d'vne manière contraire. Il eu vray, me dirent-ils, mais nous l'entendons ainfi. l'y confens, leur dis-ie. Car je ne difpute iamais du nom, pourveu qu'on m'auertiffe du fens qu'on luy donne. Mais ie voy par que quand vous dites que les jufles ont toujours le pouuoir prochain pour prier Dieu, vous entendez qu'ils ont befoin d'vn autre fecours pour prier, fans quoy ils ne prieront iamais. Voila qui va bien, me refpondirent mes Pères, en m'embraffant, voila qui va bien; car il leur faut de plus vne grâce efficace qui n'eft pas donnée à tous, & qui détermine leur volonté à prier. Et c'eft vne herefîe de nier la neceffité de cette grâce efficace pour prier.

Voila qui va bien, leur dis-je à mon tour; mais félon vous les lanfeniftes font Catholiques, & M. le Moine héré- tique. Car les lanfeniftes difent que les jufles ont le pouuoir de prier, mais qu'il faut pourtant vne grâce efficace, & c'eft ce que vous approuuez. Et M. le Moine dit que les juftes prient fans grâce efficace, & c'eft ce que vous condamnez. Ouy, dirent-ils, mais M. le Moine appelle ce pouuoir, pou- uoir prochain ' !

1. Quelques éditions modernes : Direi-vous.

2. L'édicion in-8" de 1659 présente ce passage sous la forme sui- vante : Ouy^ dirent-ils ; mais nous fommes d'accord avec Aï. le Moine, en ce que nous appelons prochain auffi bien que lui le pouuoir que les Jujfes ont de prier, ce que ne font pas les lanfeniftes. Nicole, dans sa version latine, a tra- duit à peu près cette leçon et non pas celle de l'édition in-4°: Reélè, inquiunt ; fed poteflatem orandi quam oinnes etiam lanfeniftœ , juflis concedunt, nos pro- ximam cum Moynio appellamus; lanfeniftœ non item. Malgré cette autorité,

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Première lettj'e. 1 1

Mais ' quoy, mes Pères, leur dis-je, c'eft fe jouer des paroles de dire que vous eftes d'accord à caufe des termes communs dont vous vfez, quand vous eftes contraires dans le fens. Mes Pères ne répondent rien, & fur cela mon difciple de M. le Moine arriua par vn bon-heur que ie croyois extraordinaire ; mais i'ay fceu depuis que leur ren- contre n'eft pas rare , & qu'ils font continuellement mêlez les vns avec les autres.

le dis donc à mon difciple de M. le Moine : le con- nois vn homme qui dit que tous les juftes ont toufiours le pouuoir de prier Dieu, mais que neantmoins ils ne prie- ront iamais lans vne grâce efficace qui les détermine, & la- quelle Dieu ne donne pas toufiours à tous les juftes. Eft-il hérétique ? Attendez, me dit mon Docteur, vous me pourriez furprendre. Allons donc doucement. Dijlinguo, s'il appelle ce pouuoir, pouuoir prochain, il fera Thomifte, & partant Ca- thohque; fmon, il fera lanfenifte, & partant hérétique. Il ne l'appelle, luy dis-je, ny prochain ny non prochain. Il eft donc hérétique, me dit-il : demandez-le à ces bons Pères, le ne les pris pas pour juges, car ils confentoient defia d'vn mou- uement de tefte. Mais ie leur dis : Il refufe d'admettre ce mot de prochain, parce qu'on ne le veut pas expliquer. A cela vn de ces Pères voulut en apporter fa définition; mais il fut interrompu par le difciple de M. le Moine, qui luy dit ; Voulez-vous donc recommencer nos broiiilleries ? Ne fommes-nous pas demeurez d'accord de ne point expliquer e mot de prochain, & de le dire de part & d'autre sans dire ce qu'il fignifte? A quoy le lacobin confenrit,

tous les éditeurs modernes, excepté M. l'abbé Maynard, ont adopté la le^on de l'édition in-4% reproduite d'ailleurs par la deuxième édition in- 12 de 1657.

1. La deuxième édition in-12 de 1657, copiée par toutes les cditii>ns suivantes, supprime le mot mais.

2. Quelques éditions modernes, à l'exemple de la deuxième édition in- 12 de 1657, ont supprimé le mot donc.

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1 2 Lettres prouinciales.

le penetray par dans leur deffein, & leur dis en me leuant pour les quitter : En vérité, mes Pères, i'ay grand- peur que tout cecy ne foit vne pure chicanerie; & quoy qu'il arriiie de vos afTemblées, i'ofe vous prédire, que quand la Cenfure feroit faite, la paix ne feroit pas ellablie. Car quand on auroit décidé qu'il faut prononcer les fyllabes pj^o chai il, qui ne voit que n'ayant point efté expliquées, cha- cun de vous voudra jouir de la victoire. Les lacobins diront que ce mot s'entend en leur fens ; M. le Moine dira que c'eft au fien, & ainfî il y aura bien plus de difputes pour l'expliquer que pour l'introduire. Car après tout, il n'y au- roit pas grand péril à le receuoir fans aucun fens, puis qu'il ne peut nuire que par le fens. Mais ce feroit vne chofe indigne de la Sorbonne & de la Théologie d'vfer de mots equiuoques & captieux fans les expliquer.

Car enfin', mes Pères, dites-moy, ie vous prie pour la dernière fois ce qu'il faut que ie croye pour élire Catho- lique. Il faut, me dirent-ils tous enfemble, dire que tous les juftes ont le poiiuoir prochain, en faifant abftraction de tout fens : abjîrahendo à fenfu Thomijtarum & à fenfu aliorum Theologorum.

C'est à dire, leur dis-je en les quittant, qu'il faut pro- noncer ce mot des leures, de peur d'eftre hérétique de nom. Car enfin - efl-ce que le mot' efl: de l'Ecriture? Non, me dirent-ils. Ell-il donc des Pères ou des Conciles, ou des Papes? Non. Ell-il donc de faint Thomas? Non. Quelle necefîité y a-t-il donc de le dire, puis qu'il n'a ny authorité ny aucun fens de luy mefme ^ ? Vous eftes opiniaflre, me

1. L'édition in-8° de 1659 ^.dopte l'alinéa, mais rejette le mot car. Les éditions postérieures, se conformant en cela à la deuxième édition in-12 de 1657, n'admettent ni l'alinéa ni le mot car.

2. La deuxième édition in-12 de 1657, comme toutes les éditions postérieures, supprime le mot enfin.

3. L'édition in-8" de 1659 et quelques éditions modernes : Ce mot.

4. M. Faugère, dans les notes qu'il a recueillies de Pascal, cite le

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Pre}7iie?'e lettre.

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dirent-ils, vous le direz, ou vous ferez hérétique, & M. Ar- nauld auffi. Car nous fommes le plus grand nombre, & s'il eft befoin, nous ferons venir tant de Cordeliers que nous l'emporterons.

le les viens de quitter fur cette folide raifon % pour vous écrire ce récit, par vous voyez qu'il ne s'agit d'avicun des points fuiuans, & qu'ils ne font condamnez de part ny d'autre, i. Que la grâce n'eji pas donnée à tous les hommes. 2. Que tous les juftes ont le pouiioir d'accomplir les commande- mens de Dieu. 3. Qu'ils ont Jieantmoins befoin pour les accom- plir, & mefme pour prier, d'vne grâce efficace qui détermine leur volonté. 4. Que cette grâce efficace n'eJl pas tou^iours don- née à tous les jujles, & qu'elle dépend de la pure mifericorde de Dieu. De forte qifil n'y a plus que le mot de prochain fans aucun fens qui court risque.

Heureux les peuples qui l'ignorent ! heureux ceux qui ont précédé fa naiffance ! car ie n'y voy plus de re- mède , Meffieurs de l'Académie ne banniffent par vn coup d'authorité ce mot barbare de Sorbonne -, qui caiife tant de diuifions. Sans cela la Cenfure paroill affeurée \ mais je voy qu'elle ne fera point d'autre mal que de rendre la Sorbonne méprifable ^ par ce procédé qui luy

passage suivant qui se rapporte au pouvoir prochain : Combien y a-t-il, mon Père, que c'eft un article de foi ? Ce n'eji tout au plus que depuis le mot de pouvoir prochain; et je crois qu'en naijfant il a fait cette héréfie , et qu'il n'ejl que pour ce feul dejfein.

1. Toutes les éditions^, à l'exception de l'édition in-8° de 1659 et de celle de M. l'abbé Maynard : Cette dernière raifon. Nicole a traduit Solide et non pas Dernière raifon: Hic illos tam folida ratione utentes reliqui.

2. La deuxième édition in-12 de 1657 adopte également cette leçon, que l'édition in-8" de 1659 a rectifiée avec raison de la manière suivante : Par un coup d'autorité ne hanniffcnt de la Sorbonne ce mot barbare qui caufe tant de divifions . rectification qui a passé dans toutes les éditions suivantes.

3. La deuxième édition in-12 de 1657 : Moins conftdcrablc . leçon que l'édition in-S" de 1659 n'admet pas, et que Nicole s'est bien gardé de

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Lettres pt^ouinciales.

oftera Fauthorité qui luy eft necefTaire * en d'autres ren- contres.

le vous laifle cependant dans la liberté de tenir pour le mot de prochain ou non j car i'aime trop mon prochain pour le perfecuter fous ce prétexte ^ Si ce récit ne vous déplaift pas, ie continuëray de vous auertir de tout ce qui fe pafTera. le fuis, &c.

traduire. In contemptum adducetur Sorbona. Mais Moins conjidérable figure dans toutes les éditions postérieures à 1659, excepté dans celle de M. l'abbé Maynard.

1. L'édition in-8° de 1659 copiée par toutes les éditions suivantes: Qui lui ejl Ji néceffaire.

2. La deuxième édition in-12 de 1657 : Car je vous aime trop pour vous perfecuter fous ce prétexte. L'édition in-8° de 1659 a repris la leçon primitive que Nicole a eu soin de traduire : Carior mihi proximus , quàm ut ipft velim tam inani fpecie molejîus ejfe. Mais les éditeurs postérieurs se sont fait scrupule d'adopter le jeu de mots, et c'est la leçon de la deuxième édition in-12 de 1657 qu'ils ont suivie.

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SECONDE LETTRE

ESCRITE A VN PROVINCIAL

PAR VN DE SES AMIS '

De Paris, ce 29 lanuier^ 1656.

MONSIEVR,

Comme ie fermois la lettre que ie vous ay écrite, ie fus vifité par M. N., noftre ancien amy, le plus heureufe- ment du monde pour ma curiofîté; car il eft très informé des queftions du temps, & il fçait parfaitement le fecret des lefuites, chez qui il eft à toute heure, & auec les princi- paux. Apres auoir parlé de ce qui l'amenoit chez moy, ie le priay de me dire en vn mot quels font les poincts de- batus entre les deux partis.

Il me fatisfit fur l'heure, & me dit qu'il y en auoit deux principaux : le i touchant le pouuoir prochain ; le 2 touchant la grâce fiiffifante. le vous ay éclaircy du premier par la pré- cédente : ie vous parleray du fécond dans celle-cy.

1 . Toutes les éditions modernes, à l'exception de la deuxième édition in-i2 de 1657, qui se conforme à l'édition in-4° : Seconde lettre. De la grâce suffifante.

2. Notre collection in-4° : ce 29 Février . ce qui est une faute d'im- pression évidente, puisque la réponse à la seconde provinciale est datée du 2 février, et la troisième provinciale du 9 février. Plusieurs exemplaires in-4° n'ont pas cette faute d'impression, et portent la date réelle du 2^ janvier. Cepen- dant l'édition in-4'' donnée par Nicole, en 1657, a la date fausse du 2^ février.

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i6 Lettres pt^ouincialcs.

le fceus donc en vn mot que leur différend touchant la grâce fuffifaute, ell en ce que les lefuites prétendent qu'il y a vne g-race donnée généralement à tous \ foùmife de telle forte au libre arbitre qu'il la rend efficace ou inefficace à fon choix, fans aucun nouueau fecours de Dieu, & fans qu'il manque rien de fa part pour agir effectiuement. Et c'eft pourquoy ils- l'appellent //(^/3!;z^e, parce qu'elle feule suffit pour agir. Et que ^ les lanfeniftes au contraire veulent qu'il n'y ait aucune grâce actuellement suffifante qui ne foit auffi efficace, c'eft à dire que toutes celles qui ne déterminent point la volonté à agir eftectiuement, font infuffifantes pour agir, parce qu'ils difent qu'on n'agit iamais fans grâce effi- cace. Voila leiu' différend.

Et m'informant après de la doctrine des nouueaux Tho- miftes : Elle eft bizarre, me dit-il, ils font d'accord avec les lefuites d'admettre ime grâce fuffifaute donnée à tous les hommes; mais ils veulent neantmoins que les hommes n'agiffent iamais avec cette feule grâce, & qu'il faille pour les faire agir, que Dieu leur donne uue grâce efficace qui détermine réellement leur volonté à Faction, & laquelle Dieu ne donne pas à tous. De forte que suiuant cette doc- trine, lui dis-je, cette grâce Qi\ fuffifaute fans l'eftre. lufte- ment, me dit-il; car fi elle fuffit, il n'en faut pas dauantage pour agir, & fi elle ne fuffit pas, elle n'eft pas fuffifaute.

Mais, luy dis-je, quelle différence y a-t-il donc entr'eux & les lanfeniftes? Ils différent, me dit-il, en ce qifau moins les Dominicains ont cela de bon qu'ils ne laiffent pas de dire* que tous les hommes ont la grâce fuffifaute. l'entens bien ,

1. La deuxième édition in- 12 de 1657, copiée par toutes les éditions suivantes : A tous les hommes.

2. Les mêmes éditions : Et ce qui fait qu'ils.

5. L'édition in-8" de 1659, et la plupart des éditions suivantes, sup- priment le mot que : Et les janfémftcs au contraire.

4. Les mêmes éditions : Au moins les dominicains ne laijfent pas de dire.

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Deuxième lettre. ij

luy dis-jeS mais ils le difent fans le penfer, puis qu'ils adiouftent qu'il faut neceffairement pour agir auoir inie grâce efficace qui n'ejt pas donnée à tous, &^ ainfi s'ils font conformes aux lefuites par vn terme qui n'a pas de fens, ils leur font contraires, & conformes aux lanfeniftes dans la fubftance de la chofe. Cela eft vray, dit-il. Comment donc, luy dis-je, les lefuites font-ils vnis auec eux, & que ne les combattent- ils auffi bien que les lanfeniftes, puis qu'ils auront toufiours en eux de puiffans aduerfaires, qui ^ fouftenans la neceffité de la g-race efficace qui détermine, les empefcheront d'efta- blir celle que vous dites ' eftre feule fuffifante ?

Il ne le faut pas, me dit-il; il faut ménager dauantage ceux qui font puiffans dans l'Eglife ^ Les lefuites fe con- tentent d'auoir gagné fur eux qu'ils admettent au moins le nom de grâce fuffifante, quoy qu'ils l'entendent comme il leur plaift. Par ils ont cet aduantage qu'ils font, quand ils veulent, paffer leur opinion pour ridicule & infouitenable. Car fuppofé que tous les hommes ayent des grâces fuffi- fantes, il n'y a, rien fi facile que d'en conclure que la grâce efficace n'eft pas neceffaire, puis que cette neceffité exclu- roit la fuffifance qu'on fuppofe. Et il ne feruiroit de rien de dire qu'on l'entend autrement; car l'intelligence publique de ce terme ne donne point de lieu à cette explication. Qui dit fnffifant, dit tout ce qui eft neceffaire; c'en elt le fens propre & naturel. Or fi vous auiez la connoiffance des chofes qui fe font paffées autresfois, vous fçauriez que les lefuites ont eflé

1. La deuxième éduion in- 12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : Képonàis-je.

2. La même édition in-12 supprime le mot et , comme presque toutes les éditions modernes.

3. La même édition in-12 et toutes les éditions modernes : Lefquels.

4. La plupart des éditions modernes : Qu'ils veulent.

5. La plupart des éditions modernes, d'après la deuxième édition in-12 de 1657 : Les dominicains font trop pui fans , me dit-il . et la Joe, c te des Jéfuites ejl trop politique pour les choquer ouvertement.

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i8 Lettres proiiiuciales.

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fi éloignez de voir leur doctrine eftablie, que vous admire- riez de la voir en fi beau train. Si vous Içauiez combien les Dominicains y ont apporté d'obftacles fous les Papes Clément VIII & Paul V, vous ne vous eftonneriez pas de voir qu'ils ne fe brouillent pas auec eux, & qu'ils con- fentent qu'ils gardent leur opinion, pourveu que la leur foit libre, & principalement quand les Dominicains la fa- uorifent par ces paroles dont ils ont conlenty de ' le feruir publiquement.

I, Ce passage de la deuxième provinciale a écé si profondément altéré, que nous prenons le parti de le transcrire tel que le donnent la deuxième édi- tion in- 12 de 1657 et l'édition in-S" de 1659. Cette leçon esc d'ailleurs celle qui a été généralement adoptée par les éditions suivantes, sauf de légères diffé- rences que nous noterons avec soin : La Société (des Jefuites) ejl trop politique pour agir autrement (pour les choquer ouvertement). Elle fe contente d'avoir gagné sur eux qu'ils admettent au moins le nom de grâce luffilante, quoiqu'ils l'entendent en un autre fens. Par elle a cet avantage qu'elle fera paffer leur opinion pour infoutenable . quand elle le Jugera à propos; et cela lui fera aifé. Car, fuppofé que tous les hommes ayent des grâces fuffifantes , il ri^y a rien de plus naturel que d'en conclure que la grâce efficace n'eji donc pas neceffaire pour agir .puif que la fuffifance de ces grâces générales excluroit la neceffité de toutes les autres. Qui dit fuffilant, dit (marque) tout ce qui ejl neceffaire pour agir; et il ferviroit de peu aux dominicains de s'écrier qu'ils donnent un autre fens au mot de Tuffifant, Le peuple, accoutumé à l'intelligence commune de ce terme, né" coûterait pas feulement leur explication. Ainfi la focieté profite ajfei de cette exprejfion que les dominicains reçoivent, fans les preffer davantage ; et fi vous aviei la connoiffance des chofes qui fe font paffées fous les papes Clément VIII et Paul V, et combien la focieté fut traverfée dans l'établiffement de la grâce fuffifante par les dominicains , vous ne vous étonneriej pas de voir qu'elle ne fe brouille pas avec eux , et qu'elle confent qu'ils gardent leur opinion , pourvu que la fienne foit libre, et principalement quand les dominicains la favorifent par le nom de grâce fuffifante, dont ils ont confenti de... Nicole, dans sa version latine publiée pour la première fois à Cologne en 1658, traduit plutôt la leçon adoptée par l'édition in-4'^ que celle qui a prévalu dans la deuxième édition in-12 de 1657 et dans toutes les éditions suivantes : Non efi opus , inquit; nec ita in- fiandum in Ecclefiâ valent ibus... Eviciffe fat habent Jefuitœ, ut gratine fuffi- cientis nomen Dominicani ne répudient... Hœc germana vis iflius vocis (c'en est le sens propre et naturel)... etc.

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Deuxième lettre. 19

Ils font bien fatisfaits de leur complaifance. Ils n'exigent pas ' qu'ils nient la necefîîté de la grâce efficace : ce feroit trop les prefTer : il ne faut pas tyrannifer Tes amis : les lefuites ont afTez gagné. Car le monde le paye de paroles : peu appro- fondirent les chofes ; & ainfi le nom de grâce fuffifante eftant receu des deux collez, quoy qu'auec diuers fens, il n'y a perfonne, hors les plus fins Théologiens, qui ne penfe que la chofe que ce mot fignifie, foit tenue aufîi bien par les Jaco- bins que par les lefuites. Et la fuite fera voir que ces der- niers ne font pas les plus duppes-.

le luy auoûay que c'elloient d'habiles gens ; & pour profiter de fon auis, ie m'en allay droit aux lacobins, ie trouuay à la porte vn de mes bons amis, grand lanfenifte, car i'en ay de tous les partis , qui demandoit quelqu'autre Père que celuy que ie cherchois. Mais ie l'engageay à m'ac- compagner à force de prières, & demanday vn de mes nou- ueaux Thomiftes. Il fut i*aui de me reuoir. Et bien, mon Père, luy dis-je, ce n'eli pas affez que tous les hommes ayent vn poiiiioir prochain , par lequel pourtant ils n'agiffent en effet iamais , il faut qu'ils ayent encore vne grâce fuffifante, auec laquelle ils agiffent auffi peu. N'eft-ce pas l'opinion de voftre Efcole ? Oûy, dit le bon Père ; & ie l'ay bien dit ce matin en Sorbonne ; i'y ay parlé toute ma demy-heure, & fans le fable i'euffe bien fait changer ce mal-heureux pro- uerbe qui court defîa dans Paris : // opine du bonnet comme vn Moine en Sorbonne. Et que voulez-vous dire par voftre demy- heure & par voftre fable, lui répondis-je? Taille-t-on vos

1. L'édlcion in-S" de 1659 : La Société eji bienjatisfaite... elle n'exige pas... Toutes les éditions modernes: Elle eji bien fatisfaite... elle n'exige pas...

2. La deuxième édition in- 12 de 1657 supprime : Et la fuite fera voir que ces derniers ne font pas les plus duppes. L'édition in-8° de 1659 a rétabli ces deux lignes, et toutes les éditions postérieures ont suivi cet exemple. Nicole n'a pas hésité à traduire ce passage, dans sa version latine de 1658 : In quo non fultiffimos ijtos Juijfc. tc/npus probabit.

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20 Lettres proiiinciales.

aiiis à vne certaine mefiire? Oûy, me dit-il, depuis quelques iours. Et vous oblige-t'on de parler demy-heure? Non. On parle auffi peu qu'on veut. Mais non pas tant que l'on veut, luy dis-je? O la bonne règle pour les ig-norans! ô Thonnefte prétexte pour ceux qui n'ont rien de bon à dire! Mais enfin, mon Père, cette grâce donnée à tous les hommes eft fuffi- fante? Oûy, dit-il. Et neantmoins elle n'a nul effet /jz/.ç grâce efficace? Cela eft vray, dit-il. Et tous les hommes ont la fiiffi- fante, continuay-je, & tous n'ont pas l'efficace? 11 eft vray, dit-il. C'eft à dire, luy dis-je, que tous ont aftez de grâce, & que tous n'en ont pas affez; c'eft à dire que cette grâce fuffit, quoy qu'elle ne fuffife pas j c'eft à dire qu'elle eft suf- fîfante de nom & infufîifante en eft'et. En bonne foy, mon Père, cette doctrine eft bien fubtile. Auez-vous oublié en quittant le monde, ce que le mot de fiiffifant y fignifie? Ne vous fouuient-il pas qu'il enferme tout ce qui eft neceffaire pour agir? Mais vous n'en auez pas perdu la mémoire; car pour me feruir d'vne comparaifon qui vous fera plus fenfible, û l'on ne vous feruoit à difner que deux onces de pain & vn verre d'eau % feriez-vous content de voftre Prieur, qui vous diroit que cela feroit fufïïfant pour vous nourrir, fous pré- texte qu'aueç autre chofe qu'il ne vous donneroit pas, vous auriez tout ce qui vous feroit neceffaire pour bien difner-? Comment donc vous laiffez-vous aller à dire que tous les hommes ont la grâce fuffifante pour agir ; puifque vous con- feffez qu'il y en a vne autre abfolument neceffaire pour agir, que tous n'ont pas? Eft-^^ce que cette créance eft peu impor- tante, & que vous abandonnez à la liberté des hommes de croire que la graçe efficace eft neceffaire oii non? Eft-ce vne chofe indifférente de dire, qu'auec la grâce fuffifante on agit

1. ■^- La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes: Si Von ne vous fervait à table que deux onces de pain et un verre d'eau par Jour.

2. Les mêmes éditions : Pour vous nourrir. Nicole traduit la leçon ^r\- mïtiwe: Ad lautij/imum prandium.

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Deuxième lettre. 21

en effet? Comment, dit ce bon homme, indifférente! C'efl 2^)ie herejîe, c'efl vue herejîe formelle; la necefîîté de la grâce efficace pour agir effectiuement efl de foy. 11 y a herejîe à la nier.

en fommes-nous donc, m'efcriay-je 5 quel party dois-je donc prendre^? Si ie nie la grâce fufîifante, ie fuis lanfenijle. Si ie l'admets comme les lefuites, en forte que la grâce efficace ne foit pas neceffaire, ie feray hérétique, dites vous. Et fi ie l'admets comme vous, en forte que la grâce efficace foit neceffaire, ie pèche contre le fens commun, & ie fuis extrauagant, difent les letliites. Que dois-je donc faire dans cette neceffité inéuitable d'eflre, ou extrauagant, ou hérétique, ou lanfenifle? Et en quels termes fommes-nous réduits , s'il n'y a que les lanfenifles qui ne fe brouillent ny auec la foy, ny auec la raifon, & qui fe fauuent tout enfemble de la folie & de l'erreur?

Mon amy lanfenifle prenoit ce difcours à bon prefage, & me croyoit défia gagné. Il ne me dit rien neantmoins, mais en s'adreffant à ce Père. Dites-moy, ie vous prie, mon Père, en quoy vous eftes conformes aux lefuites. C'efl, dit-il, en ce que les lefuites & nous, reconnoiffons les grâces fuffi- fantes données à tous. Mais, luy dit- il, il y a deux chofes dans ce mot de grâce fuffifante .• il y a le fon qui n'efl que du vent, & la chofe qu'il fignifîe, qui eft réelle & effectiue. Et ainfi quand vous efles d'accord auec les lefuites touchant le mot de fuffifante, & contraires dans le fens, il eft vifîble que vous elles contraires pour la lubllance ^ de ce terme, & que vous n'eftes d'accord que du fon. Ell-ce agir fîncere- ment & cordialement? Mais quoy, dit le bon homme, de quoy vous plaignez-vous, puifque nous ne trahiffons perfonne par

1. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes: Et quel parti dois-je ici prendre?

2. Les mêmes éditions : Et que vous leur êtes contraires.

3. Les mêmes éditions : Touchant la fubjtance.

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Lettres pt^oiiinciales.

cette manière de parler? Car dans nos Efcoles nous difons ouuertement que nous l'entendons d'vne manière contraire aux lefuites. le me plains, luy dit mon amy, de ce que vous ne publiez pas de toutes parts, que vous entendez par grâce fuffifante, la g-race qui n'eft pas fuffifante. Vous eftes obligez en confcience, en changeant ainfî le lens des termes ordi- naires de la Religion, de dire que quand vous admettez vne grâce fuffifante dans tous les hommes, vous entendez qu'ils n'ont pas de grâces fuffifantes en effet. Tout ce qu'il y a de perlbnnes au monde entendent le mot de fuffifant en vn mefme fens; les feuls nouueaux Thomiftes l'entendent d'vn autre ^ Toutes les femmes, qui font la moitié du monde, tous les gens de la Cour, tous les gens de guerre, tous les Magiftrats, tous les gens de Palais, les Marchands, les Arti- fans, tout le peuple; enfin toutes fortes d'hommes, excepté les Dominicains, entendent par le mot de fuffifant , ce qui enferme tout le neceffaire. Perfonne ^ n'eft auerti de cette fîngularité. On dit feulement par toute la terre que les Jaco- bins tiennent que tous les hommes ont des gj^aces fuffifantes. Que peut-on conclure % finon qu'ils tiennent que tous les hommes ont toutes les grâces qui font neceffaires pour agir, & principalement en les voyant ioints et d'interefls et d'in- trigue* avec les lefuites qui l'entendent de cette forte! L'vni- formité de vos exprefîions, iointe à cette vnion de party, n'eft-elle pas vne interprétation manifefle & vne confirmation de l'vniformité de vos fentimens?

1. La deuxième édicion in- 12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : En un autre.

2. Les mêmes éditions : Prefque perfonne. Nicole, dans sa version latine de 1658, s'est bien gardé de traduire le mot prefque. Il est aussi affirmatif que Pascal l'avait été d'abord : Omnibus latet fingularis illa notio.

3. Les mêmes éditions : Que peut-on conclure de là...

4. Quelques exemplaires in-4", les deux éditions in-12 de 1657, l'édi- tion in-8" de 1659 et toutes les éditions modernes : En les voyant Joints d'in- térêts et d'intrigues.

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Deuxième lettre. 27.

Tous les fidèles demandent aux Théologiens quel eft le véritable eftat de la nature depuis fa corruption. Sainct Au- guftin & les difciples refpondent qu'elle n'a plus de grâce fuffifante qu'autant qu'il plaift à Dieu de luy en donner. Les lefuites font venus enluitte, & difent* que tous ont des grâces efFectiuement fuffilantes. On confulte les Dominicains fur cette contrariété. Que font-ils deflus? ils s'vnifTent aux lefuites. Ils font par cette ynion le plus grand nombre. Ils fe feparent de ceux qui nient ces grâces fuffifantes. Ils décla- rent que tous les hommes en ont. Que peut-on penfer de là, fmon qu'ils authorifent les lefuites? Et puis ils adiouftent que neantmoins ces grâces fuffifantes font inutiles fans les efficaces qui ne font pas données à tous.

Voulez-vous voir vne peinture de l'Eglife dans ces dif- férens aduis? le la confidere comme vn homme, qui partant de fon pais pour faire vn voyage , eft rencontré par des vo- leurs, qui le bleffent de plufieurs coups & le laiffent à demy mort. Il enuoye quérir trois Médecins dans les villes voifmes. Le premier ayant fondé fes playes, les iuge mortelles, & luy déclare qu'il n'y a que Dieu qui luy puiffe rendre fes forces perdues. Le fécond arriuant en fuitte, voidut le flater, & luy dit qu'il auoit encore des forces fuffifantes pour arriuer en fa maifon, & infulta contre le premier, qui s'oppofoit à fon auis, & forma le deffein de le perdre-. Le malade en cet eftat douteux, aperceuant de loin le troifîefme, luy tend les mains comme à celuy qui le deuoit déterminer. Celuy-cy ayant confideré fes bleffiires, & fceu l'auis des deux pre- miers, embraffe le fécond, s'vnit à luy, 8: tous deux enfemble fe liguent contre le premier & le chaffent honteufement, car ils elloient plus forts en nombre. Le malade iuge à ce

1- L'édicion in-8" de 1659 ec quelques éditions modernes : Qui di J'en r.

2- La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : Et mfultant contre le premier, qui s'oppofoit à fon a^'is . forma le deffein de le perdre.

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Lettres prouineialès.

procédé qu'il eft de l'aiiis du fécond, & le luy demandant en effet, il luy déclare affirmatiuement que fes forces font fuffifantes pour faire fon voyage. Le bleffé neantmoins ref- fentant fa foibleffe, luy demande à quoy il les iugeoit telles. C'eft, luy dit-il, parce que vous auez encore vos iambes ; or les iambes font les organes qui fuffifent naturellement pour marcher. Mais, luy dit le malade, ay-je toute la force necef- faire pour m'en feruir? Car il me femble qu'elles font inu- tiles dans ma langueur. Non certainement, dit le Médecin, & vous ne marcherez iamais effectiuement, û Dieu ne vous enuoye fon fecours du Ciel * pour vous fouflenir & vous con- duire. Et quoy, dit le malade, ie n'ay donc pas en moy les forces fuffifantes, & aufquelles il ne manque rien pour mar- cher effectiuement? Vous en efles bien éloigné, luy dit-il. Vous efles donc, dit le bleffé, d'auis contraire à voflre compagnon touchant mon véritable eflat? le vous l'auouë , luy répondit-il.

Que penfez-vous que dift le malade? 11 fe plaignit du procédé bizare & des termes ambigus de ce troifiéme mé- decin. Il le blafma de s'eflre vny au fécond à qui il efloit contraire de fentiment, & auec lequel il n'auoit qu'vne con- formité apparente, & d'auoir chaffé le premier auquel il elloit conforme en effet. Et après auoir fait effay de fes forces, & reconnu par expérience la vérité de fa foibleffe, il les ren- uoya tous deux; & rappellant le premier, fe mit entre fes mains ; & fuiuant fon confeil il demanda à Dieu les forces qu'il confeffoit n'auoir pas; il en récent mifericorde, & par fon fecours arriua heureufement dans fa maifbn.

Le bon Père, eftonné d'vne telle parabole, ne répon- doit rien. Et ie luy dis doucement pour le raffurer : Mais après tout, mon Père, à quoy auez-vous penfé de donner le nom de fuffifante à vne grâce que vous dites qu'il efl de foy

I. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes Si Dieu ne vous envoie un fecours extraordinaire.

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Deuxième lettre. 2 >

de croire qu'elle efl infiiffifante en effet? Vous en parlez, dit-il, bien à voftre aife. Vous elles libre & particulier. le fuis religieux & en communauté. N'en fçauez-yous pas pefer la différence? Nous dépendons des Supérieurs. Ils defpen- dent d'ailleurs. Ils ont promis nos fuffrag-es : que voidez- vous que ie deuienne ? Nous l'entendifmes à demy mot, & cela nous fît fouuenir de Ton confrère qui a efté relégué à Abbeuille pour vn fuiet femblable.

Mais, luy dis-ie, pourquoy voilre Communauté s'eft-elle engagée à admettre cette grâce? C'efl vn autre difcours, me dit-il. Tout ce que ie vous en puis dire en vn mot \ eft que nollre Ordre a fouftenu autant qu'il a peu la doctrine de S. Thomas touchant la grâce efficace. Combien s'ell-il oppofé ardemment à la naiffance de la doctrine de .Molina? Combien a-t'il trauaillé pour l'établiffement de la necefîîté de la grâce efficace de lellis-Chrifl? Ignorez-vous ce qui fe- fît fous Clément VIII &. Paul V, & que la mort preuenant l'vn, & quelques affaires d'Italie empefchant l'autre de pu- blier fa Bulle, nos armes font demeurées au Vatican? Mais les lefuites, qui dés le commencement de l'herefîe de Luther & de Caluin s'étoient preualus du peu de lumière qu'a le peuple pour en difcerner l'erreur d'auec la vérité de la doc- trine de S. Thomas % auoient en peu de temps refpandu par tout leur doctrine auec vn tel progrez, qu'on les veill bien-toll maillres de la créance des peuples ; & nous en eftat d'eflre décriez comme des Caluinifles , & traitez comme les lanfe- nilles le font auiourd'huy, nous ne tempérions la vérité de la grâce efficace par l'aiieu au moins apparent dVne fuffi- fantc. Dans cette extrémité, que pouuions-nous mieux faire pour lauuer la vérité fans perdre nollre crédit, fînon d'ad-

1. L'édicion in-8" de 1659 a toutes les éditions modernes : Tout ce que je vous puis dire en un met.

2. L'édition in-S" de 1659 et quelques éditions modernes : Peur difcer- ner l'erreur de cette herefie d'avec la vente de la doclrinc de S. Thomas.

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Lettres proiiinciales.

mettre le nom de grâce fuffifante , en niant neantmoins qu'elle foit telle en effet? Voila comment la chofe eft ar-

riiiee.

11 nous dit cela û triftement qu'il me fit pitié ; mais non pas à mon fécond, qui luy dit : Ne vous flattez point d'auoir fauué la vérité ; fi elle n'auoit point eu d'autres protecteurs, elle feroit perie en des mains fi foibles. Vous auez receu dans l'Eg-life le nom de fon ennemy : c'eft y auoir receu l'ennemy mefme. Les noms font infeparables des chofes : fi le mot de grâce fiiffifanie efl vne fois affermy, vous aurez beau dire que vous entendez par vne grâce qui eft infuffi- fante, vous ne ferez point écoutez ^ Voitre explication feroit odieufe dans le monde : on y parle plus fmcerement des choies moins importantes : les lefuites triompheront : ce fera leur grâce fufhfante en effet, & non pas la voflre, qui .ne l'efl que de nom, qui paffera pour eflablie ^ ; & on fera vn article de foy du contraire de voflre créance.

Nous fouffririons tous le martyre, luy dit le Père, pluf- tofl que de confentir à l'ellabliffement de la grâce fuffifante au feus des lefuites, saint Thomas , que nous iurons de fuiure iufques à la mort, y eftant directement contraire. A quoy mon amy plus ferieux que moy ^ , luy dit : Allez , mon Père, voftre Ordre a receu vn honneur qu'il ménage mal. Il abandonne cette grâce qui luy auoit efté confiée, & qui n'a iamais eilé abandonnée depuis la création du monde. Cette grâce victorieufe qui a efté attendue par les Patriar- ches , prédite par les Prophètes , apportée par lefus-Chrift,

1. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : Vous n'y ferei pas reçus.

2. L'édition in-8° de 1659 : Ce fera en cff3t leur grâce fuffifante qui pajfera pour eflablie ^ et non pas la vojhe qui ne l'ejt que de nom. Cette leçon n'a pas été adoptée par les éditions postérieures , qui ont suivi la leçon pri- mitive.

•5. L'édition in-S" de 1659 omet Plus ferieux que moy. omission qui

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Deuxième lettre. 27

prefchée par fainct Paul, expliquée par fainct Auguftin le plus grand des Pères , maintenue par ceux qui l'ont fuiuy, confirmée par fainct Bernard le dernier des Pères, fouftenuë par S. Thomas l'Ange de l'école , tranfmife de luy à voftre Ordre, appuyée' par tant de vos Pères, & fi glorieufe- ment défendue par vos Religieux fous les Papes Clément & Paul : cette grâce efficace qui auoit efté mife comme en dépoil entre vos mains, pour auoir dans un fainct Ordre à iamais durable des Prédicateurs qui la publiaffent au monde iufques à la fin des temps, fe trouue comme delaiffée pour des interefls fi indignes. Il efl temps que d'autres mains s'arment pour fa querelle. Il eil temps que Dieu fufcite des difciples intrépides au Docteur de la grâce % qui ignorans les engagemens du fiecle feruent Dieu pour Dieu. La grâce peut bien n'auoir plus les Dominicains pour defenfeurs, mais elle ne manquera iamais de defenfeurs ; car elle les forme elle- mefme par fa force toute-puiffante. Elle demande des cœurs purs et dégagez, & elle-mefme les purifie & les dégage des interefls du monde, incompatibles auec les veritez de l'Euan- gile. Preuenez ces menaces, mon Pere% & prenez garde que Dieu ne change ce flambeau de fa place , & ne vous laifTe dans les ténèbres & fans coiu-onne \

n'existe dans aucune des édicions postérieures. Nicole, dans sa version latine de 1658, omet aussi les mots Plus ferieux que moy.

1. L'édition in-S» de 1659 et la plupart des éditions suivantes : Em- brajfée. Quelques éditeurs, même du temps de Pascal, ont imprimé : Maintenue.

2. La deuxième édition in-12 de 1657 : Aufaind doclcur de la grâce. leçon qui n'a été adoptée par aucun éditeur.

3. La deuxième édidon in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : Penjei-y bien . mon père.

4. La deuxième édition in-12 de 1657 ajoute: Pour punir la froideur que vous ai'ej pour une cauje Ji importante à fon Eglife. Cette addition se lie dans toutes les éditions pt)stérieures. Nicole, qui trouvait sans doute l'ad- dition languissante, a eu soin de ne pas la traduire dans sa version latine de 1658.

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28

Lettres proiiiiiciales.

Il en euft bien dit dauantage ^ , car il s'échaufîbit de plus en plus. Mais ie l'interrompis^ & dis en me leuant : En vérité, mon Père, i'auois du crédit en France, ie ferois publier à Ton de trompe : On fait a sçavoir, que quand les lacobins difent que la grâce fuffifante ejî donnée à tous, ils entendent que tous n'ont pas la grâce qui fuffit effectiuement. Apres quoy vous le diriez tant qu'il vous plairoit , mais non pas autre- ment. Ainfi finit noftre vifite.

Vous voyez donc par que c'eft icy vne fuffîfance po- litique, pareille axipouuoir prochain. Cependant ie vous diray qu'il me femble qu^on peut fans péril douter du pouuoir pro- chain & de cette grâce fuffifante, pourueu qu'on ne foit pas Jacobin.

En fermant ma lettre, ie viens d'apprendre que la cen- fure efl faite ; mais comme ie ne fçay pas encore en quels termes, & qu'elle ne fera publiée que le 15 Février, ie ne vous en parleray que par le premier ordinaire. le fuis, &c,

I. Quelques éditions modernes : // en eût dit bien davantage.

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RESPONSE DV PROVINCIAL

DEVX PREMIERES LETTRES DE SON AMY^

Du 2 Février 1656 -. MONSIEVR,

Vos deux lettres n'ont pas efté pour moy feul. Tout le monde les voit, tout le monde les entend, tout le monde les croit. Elles ne font pas feulement eftimées par les Théolo- giens : elles font encore agréables aux gens du monde , & intelligibles aux femmes mefmes.

Voicy ce que m'en efcrit vn de Meffieurs de l'Académie, des plus illudres entre ces hommes tous illuftres, qui n'auoit encore veû ^ que la première : le voudrois que la Sorbonne qui doit tant à la mémoire de feu M. le Cardinal , voulujt recon- noijire la jurifdiction de fou Académie françoife. L'auteur de la Letti^e feroit content ; car en qualité d'Académicien, ie con- damnerois d'autorité, ie bannirois, ie profcrirois, peu s'en faut que ie ne die, fexterminerois de tout mon pouuoir, ce pouuoir prochain qui fait tant de bruit pour rien , & fans fçauoir au-

1. Un des exemplaires in-4*' que possède la bibliothèque de l'Institut supprime les mots : De fon amy.

2. Cette date manque dans quelques exemplaires in-4° , notamment dans un de ceux que possède la bibliothèque de l'Institut. L'autre exemplaire in-4" qu'on trouve dans la même bibliothèque donne la date du 2 Février 1656.

3. Un des exemplaires in-4" ^^ ^^ bibliothèque de l'Institut : Q^ui n'auoit encore que la première.

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■^o Lettres proiiiuciales.

trement ce qu'il demande. Le mal eft que nojlre pouuoir Acadé- mique ell vu pouuoir fort éloigné & borné. l'en fuis marrj : & ie le fuis encore beaucoup de ce que tout mon petit pouuoir ne fçauroit m'acquitter enuers vous, &.c. (a).

Et voicy ce quVne peribnne, que ie ne vous marqueray en aucune forte, en écrit à une Dame qui luy auoit fait tenir la première de vos lettres.

le vous fuis plus obligée que vous ne pomie^ vous l'imagi- ner, de la lettre que l'ous m'aue^ enuoj'ée ; elle eft tout à fait ingenieufe , & tout à fait bien efcrite. Elle narre fans narrer; - elle éclaircit les affaires du monde les plus embrouillées ; elle raille finement ; elle infruit mefme ceux qui lie fçauent pas bien les chofes; elle redouble le plaifr de ceux qui les entendent. Elle eft encore vue excellente apologie, & fi l'on veut, vue déli- cate & innocente Cenfure. Et il y a enfin tant d'art , tant d'ef- prit & tant de jugement en cette lettre, que ie voudrois bien fçauoir qui Va faite, &c. (b).

Vous voudriez bien aufli fçauoir qui eft la perfonne qui en efcrit de la forte : mais contentez-vous de l'honorer fans la connoiilre, & quand vous la connoiftrez vous l'honorerez bien dauantag-e.

Continuez donc vos lettres fur ma parole ; & que la Cenfure vienne quand il luy plaira ; nous fommes fort bien difpofez à la receuoir. Ces mots de pouuoir prochain & de grâce fuffïfante dont on nous menace , ne nous feront plus de peur. Nous auons trop appris des lefuites, des lacobins & de M. le Moine en combien de façons on les tourne & quelle eft la folidité de ces mots nouueaux^ pour nous en mettre en peine. Cependant ie feray toufiours, ^c.

(a) M. Sainte-Beuve insinue, dans son Histoire de Port-Royal, que cette lettre pourrait bien être de Chapelain.

(b) Racine attribue cette seconde lettre à M"'' de Scudéry.

I. La deuxième édition in-12 de 1657, copiée par toutes les éditions suivantes : Combien il y a peu de folidité en ces mots nouveaux.

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TROISIESME LETTRE

ESCRITE A VN PROVINCIAL

POVR SERVIR DE RESPONSE A LA PRECEDENTE^

De Paris, ce 9 Février 1656. MONSIEVR,

le viens de receuoir voftre lettre , & en mefme temps l'on m'a apporté vne copie manufcrite de la Cenfure. le me luis trouiié auffi bien traitté dans l'vne, que M. Arnaiild l'eft mal dans l'autre. le crains qu'il n'y ait de l'excez des deux coftez, & que nous ne foyons pas afTez connus de nos juges. le m'afliire que fi nous l'eftions dauantage, M.. Arnauld me- riteroit l'approbation de la Sorbonne, et moy la cenfure de l'Académie. Ainfi nos interefts font tout contraires. Il doit le faire connoiftre pour deffendre fon innocence , au lieu que ie dois demeurer dans l'obfcurité pour ne pas perdre ma réputation. De forte que ne pouuant paroiftre , ie vous remets le foin de m'acquiter enuers mes célèbres approba- teurs ; & ie prends celuy de vous informer des nouuelles de la cenfure.

le vous avoue , Monfieur, qu'elle m'a extrêmement fur- pris, l'y penfois voir condamner les plus horribles herefies du monde ; mais vous admirerez comme moy, que tant d'é- clatantes préparations fe foient anéanties fur le point de produire vn fi grand effet.

I. La plupart des éditions modernes : Troijîèmc lettre pour fer^-ir de réponfe à la précédente.

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3^

Lettres prouinciales.

Pour l'entendre auec plaifir^ refTouiienez-vous , ie vous prie, des eftranges impreffions qu'on nous donne depuis û long-temps des lanfeniftes. Rappeliez dans vollre mémoire les cabales, les factions, les erreurs, les fchifmes, les atten- tats qu'on leur reproche depuis fi long-temps. De quelle forte on les a décriez & noircis dans les chaires & dans les liures ; & combien ce torrent qui a eu tant de violence & de durée, eftoit groffi dans ces dernières années, on les ac- cufoit ouuertement & publiquement d'eftre non feidement hérétiques &fchifmatiques, mais apoftats & infidelles, de nier le myllere de la tranffubftantiation, & de renoncer à lefus- Chrift & à l'Euangile.

Enfuite de tant d'accufations fi atroces*, on a pris le deffein d'examiner leurs liures pour en faire le jugement. On a choifi la féconde Lettre de M. Arnauld qu'on difoit eftre remplie des plus détellables - erreurs. On luy donne pour examinateurs fes plus déclarez ennemis. Ils employent toute leur eflude à rechercher ce qu'ils y pourroient re- prendre ; & ils en raportent vne propofition touchant la doctrine, qu'ils expofent à la Cenfure.

Que pouuoit-on penfer de tout ce procédé , finon que cette propofition choiiîe auec des circonftances fi remar- quables , contenoit l'effence des plus noires hereiîes qui fe puiffent imaginer? Cependant elle eft telle, qu'on n'y voit rien qui ne foit fi clairement & fi formellement exprimé dans les paffages des Pères que M. Arnauld a rapportez en cet endroit, que ie n'ay veu perfonne qui en puft comprendre la différence. On s'imaginoit neantmoins qu'il y en auoit vne terrible % puis que les paffages des Pères eflant fans doute

1. La deuxième édition in-12 de 1657, copiée par toutes les éditions suivantes : Si furprcnantes. Nicole traduit les mots Si atroces : Pojl tôt et tain atroces criininationes.

2. Les mêmes éditions : Des plus grandes erreurs. Nicole traduit Des plus détellables erreurs : Quam nefandis erroribus totam fcatere clamitabant.

3. Les mêmes éditions : Qu'il y en awit beaucoup. Nicole traduit non

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Ti'oijîéme lettre. ^^

catholiques, il falloir que la propofition de M. Arnauld y fuft horriblement ^ contraire pour élire hérétique,

C'eftoit de la Sorbonne qu'on attendoit cet éclaircifîe- ment. Toute la Chreflienté auoit les yeux ouuerts pour voir dans la Ceniiire de ces Docteurs ce point imperceptible au commun des hommes.

- Cependant M. Arnauld fait fes apologies, il donne en plufieurs colomnes fa propofition & les pafTag'es des Pères d'où il l'a prife, pour en faire paroirtre la conformité aux moins clair-voyans.

Il fait voir que S. Augullin dit en vn endroit qu'il cite : Qiie lefus-ChriJt nous mouftre vu jufte en la perfonne de S. Pierre, qui nous injlruit par fa cheute de fuir la prefoinp- tion. Il en rapporte vn autre du mefme Père qui dit : Que Dieu, pour monjîrer que fans la grâce on ne peut rien, a laifje S. Pierre fans grâce. Il en donne vn autre de S. Chryso- ftome qui dit : Que la cheute de S. Pierre n'arriua pas pour auoir e/te' froid enuers lefus-Chrift , mais parce que la grâce luj' manqua; & quelle n'arriua pas tant par fa négligence que par l'abandon de Dieu , pour apprendre à toute VEglife que fans Dieu Von ne peut rien. Enlùite de quoy il raporte fa propofi- tion accufée, qui eft celle-cy : Les Pères nous monftrent m jufte en la perfonne de S. Pierre, à qui la grâce fans laquelle on ne peut rien a manqué.

C'ell fur cela qu'on effaye en \ain de remarquer com- ment il fe peut faire que l'expreffion de M. Arnauld foit autant différente de celle des Pères, que la vérité l'eft de l'erreur, & la foy de l'herefie. Car en pourroit-on troimer la différence? Seroit-ce en ce qu'il dit : Que les Pères nous

pas la seconde leçon, mais la première : hnincnfuin tùincn et horribilc quod- dani dijcriinen interejfc fufpicabainur.

1. La deuxième édition in-12 de 1657, copiée par toutes les éditions suivantes: Y fût extrêmement. Nicole traduit : Incredibiliter.

2. Les mêmes éditions ne placent pas ici d'alinéa.

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34

Lettres prouiiiciales.

moiiftrent vu jiijîe en la perfonne de S. Pierre. Mais^ S. Au- guftin Fa dit en mots propres. Eft-ce en ce qu'il dit : Qiie la grâce lur a manqué? Mais le mefme S. Aiiguftin qui dit que S. Pierre e/loit jufte, dit qu'il u'auoit pas eii la grâce en cette rencontre. Eft-ce en ce qu'il dit : Que fans la grâce on ne peut rien? Mais n'eft-ce pas ce que S. Augullin dit au mefme endroit, & ce que S. Chryfoftome mefme auoit dit auant luy, auec cette feule différence qu'il l'exprime d'vne manière bien plus forte, comme en ce qu'il dit : Que fa cheute n'arriua pas par fa froideur ny par fa négligence, mais par le défaut de la grâce, & par V abandon de Dieu.

Toutes ces confiderations tenoient tout le monde en haleine, pour apprendre en quoy confiftoit- cette diuerfité, lors que cette Cenfure fi célèbre & fi attendue a enfin paru après tant d'affemblées. Mais helas! elle a bien fruftré noftre attente. Soit que ces bons Molinifles ' n'ayent pas daigné s'abaiffer iufques à nous en inftruire, foitpour quelque autre raifon fecrette, ils n'ont fait autre chofe que prononcer ces paroles : Cette propofition efl téméraire, impie, blafphematoire, frappée d'anatheme, & hérétique.

Croiriez vous, Monfieiu*, que la plus part des gens fe voyant trompez dans leur efperance, font entrez en mauuaife humeur, & s'en prennent aux Cenfeurs mefmes. Ils tirent de leur conduite des confequences admirables pour l'inno- cence de M. Arnauld. Et quoy, difent-ils, eft-ce tout ce qu'ont pu faire durant fi long-temps tant de Docteurs fi acharnez fur vn feul, que de ne trouuer dans tous fes ou- urages que trois lignes à reprendre , & qui font tirées des

1. L'édliion in-8" de 1659 ec quelques éditions modernes suppriment le mot Mais.

2. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : En quoi confiftoit donc.

3. Les mêmes éditions : Les dofteurs Molinljlcs. Nicole traduit la pre- mière leçon : Boni illi Moliniflœ.

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Troijiéme lettre. 3 5

propres paroles des plus grands Docteurs de l'Eglife grecque & latine? Y a-t'il vn auteur qu'on veuille perdre, dont les efcrits n'en donnent vn plus Ipecieux prétexte ? Et quelle plus haute marque peut-on produire de la vérité de la foy de cet illuftre accufé ' r

D'où vient, dilent-ils, qu'on pouffe tant d'imprécations qui le trouuent dans cette Cenfure , Ton affemble tous les plus terribles termes " de poifon, de pejle, dliorreiir, de témérité , d'impiété, de blafpheme , d'abomination, d'exécration, d'anatheme, d'herefie, qiù font les plus horribles expreffions qu'on pourroit former contre Arius & contre l'Antechrill mefme, pour combattre vne herefie imperceptible, & encore fans la découurir? Si c'ell contre les paroles des Pères qu'on agit de la forte, ell la foy & la Tradition? Si c'eft contre la propofition de M. Arnauld, qu'on nous monftre en quoy elle en eft différente, puis qu'il ne nous en paroill autre chofe qu'vne parfaite conformité ? Quand nous en recon- noillrons le mal, nous l'aurons en deteflation ; mais tant que nous ne le verrons point, & que nous n'y verrons^ que les fentimens des laints Pères conceus & exprimez en leurs propres termes ;, comment pourrions-nous l'auoir fmon en vne fainte vénération?

Voila de quelle forte ils s'emportent ; mais ce font des gens trop penetrans. Pour nous qui n'aprofondiffons pas tant les chofes, tenons-nous en repos lur le tout. \'oidons- nous eflre plus fçauans que Mefîîeurs ' nos Alaiilres? N'en- treprenons pas plus qu'eux. Nous nous égarerions dans cette

1. L'édition in-8° de 1659 et Li plupart des éditions modernes : Et quelle plus haute marque peut-on produire de la foi de cet illujhe accufé?

2. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : Tous ces termes. Nicole, dans sa version latine de 1658, a encore préféré la première leçon : Tôt hoiribilia vtrba congerunt.

3. Les mêmes éditions : Que nous n'y trouverons.

4. Les mêmes éditions ont retranché : Alejieurs.

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* ^6 Lettres prouinciales.

recherche. Il ne faudroit rien pour rendre cette Cenfure hérétique. La vérité eft fi dehcate, que fi peu^ qu'on s'en retire, on tombe dans l'erreur; mais cette erreur eft fi dé- liée, que sans mefme s'en éloigner- on ie trouue dans la vérité '\ Il n'y a qu'vn point imperceptible entre cette pro- pofition & la foy. La diftance en eft fi inienfible que i'ay eu peur en ne la voyant pas, de me rendre contraire aux Doc- teurs de l'Eg-life, pour me rendre trop conforme aux Docteurs de Sorbonne. Et dans cette crainte i'ay jugé necefTaire de confulter vn de ceux qui furent neutres^ dans la première queltion, pour apprendre de luy la choie véritablement. l'en ay donc veu vn fort habile, que ie priay de me vouloir mar- quer les circonftances de cette différence, parce que ie luy confeffay franchement que ie n'y en voyois aucune.

A quoy il me répondit en riant, comme s'il eulf pris plaifir à ma naïueté ' : Que vous eftes fimple de croire qu'il y en ait! Et pourroit-elle eftre? Vous imaginez- vous que fi l'on en eull trouué quelqu'vne, on ne l'eull: pas marquée hautement, & qu'on n'eull pas efté raui de l'expofer à la veuë de tous les peuples dans l'efprit defquels on veut dé-

1. La deuxième édition in-12 de 1657 ec quelques éditions modernes : Pour peu . leçon qui a été indiquée au crayon à la marge de l'exemplaire de notre collection in-40.

2. Toutes les éditions modernes, d'après la leçon de la deuxième édi- tion in- 12 de 1657 : Pour peu qu'on s'en éloigne.

3. L'édition in-S** de 1659 omet le passage : ALiis cette erreur eft fi déliée, et reprend à : // n'y a qu'vn point imperceptible. Nicole a omis égale- ment ce passage dans sa traduction latine de 1658. Les éditeurs modernes ne l'ont pas imité en cela; ils reproduisent la phrase primitive de Pascal, en y introduisant les variantes que nous avons indiquées.

4. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : Ceux qui par politique furent neutres. Cette leçon a été indiquée au crayon à la marge de l'exemplaire de notre collection in-4'\

<y. Quelques exemplaires in-4'% entre autres les deux exemplaires de la bibliothèque de l'Institut, qui de plus suppriment l'alinéa, omettent : Comme S'il euft pris plaifir à ma naïueté.

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Troijiéme lettre. ^7

crier M. Arnauld'. Mais, liiy dis-je, pourquoy donc ont-ils attaqué cette proportion ?■ A quoy il me repartit : Ig-norez-vous ces deux chofes, que les moins inftruits de ces affaires con- noiffent: l'vne, que M. Arnauld a toufiours éuité de dire rien- qui ne fuil puifTamment fondé fur la tradition de l'Eglife ; l'autre, que fes ennemis ont neantmoins refolu de l'en re- trancher à quelque prix que ce foit; & qu'ainfi les efcrits de l'vn ne donnant aucime prife aux deffeins des autres, ils ont efté contraints pour fatisfaire leiu- pafHon , de prendre vne proportion telle quelle, & de la condamner fans dire en quoy, ny pourquoy? Car ne fçauez-vous pas comment les lan- fenilles les tiennent en efchec &: les preffent fi furieufe- ment, que la moindre parole qui leur efchape contre les principes des Pères, on les voit incontinent accablez par des volumes entiers ils font forcez de fuccomber? De forte qif après tant d'épreuues de leiu* foibleffe, ils ont jugé plus à propos & plus facile de cenfurer que de repartir, parce qu'il leur eft bien plus aifé de trouuer des Moines que des raifons.

Mais quoy, luy dis-ie , la chofe ellant ainfi , leur cen- fure eft inutile; car quelle créance y aura-t'on en la voyant fans fondement, & ruinée par les refponfes qifon y fera? b^i vous connoiffiez l'etprit du peuple, me dit mon Docteur, vous parleriez d'vne autre forte. Leur cenfure, toute cenfu- rable qifelle eft, aura prefque tout fon effet pour vn temps: & quoy qifà force d'en monftrer l'inualidité, il foit certain qifon la fera entendre, il eft auffi véritable que d'abord la

1. Les deux exemplaires m-4" de la bibliothèque de rinscicut, la deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes ajoutent après: On veut décrier Al. Aniauld. les lignes suivantes ; Je reconnus bien à ce peu de mots, que tous ceux qui avoient été neutres dans la première gucjlion. ne l'euj- fent pas été dans la féconde. Je ne laijfai pas r.canmoins de vouloir ouïr fes rafo.is. et de lui dire. Nicole a traduit ce pass.ige.

2. Les deux exemplaires in-4" de la bibliothèque de l'Institut, l'édition in-8" de 1659 e: quelques éditions modernes : De rien d>re.

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Lettres prouiuciales.

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plus part des efprits en feront auffi fortement frappez que de la plus julle du monde. Pourueu qu'on crie dans les rues : Voicj la cenfiire de M. Arnauld. J^oicj- la condamnation des lanfenijles ; les lefuites auront leur compte. Combien y en aura-t'il peu qui la lifent? Combien peu de ceux qui la liront, qui l'entendent? Combien peu qui apperçoiuent qu'elle ne fatisfait point aux Objections? Qui croyez-vous qui prenne les chofes à cœur, & qui entreprenne de les examiner à fond? Voyez donc combien il y a d'vtilité en cela pour les ennemis des lanfenifles. Ils font feurs par de triompher, quoy que d'vn vain triomphe à leur ordinaire , au moins durant quelques mois. C'ell beaucoup pour eux, ils cher- cheront enfuite quelque nouueau moyen de fubfifler. Ils vi- uent au iour la journée. C'eil de cette forte qu'ils fe font maintenus jufques à prefent, tantoll par vn catechifme vn enfant condamne leiu-s aduerfaires ; tantolT: par vne pro- ceffion la grâce fuffifante mené l'efficace en triomphe ; tantoll: par vne comédie les diables emportent lanfenius; vne autre fois par vn Almanach , maintenant par cette cen- fure.

En vérité, luy dis-je, ie troimois tantoll à redire au procédé des Moliniftes ; mais après ce que vous m'auez dit, j'admire leur prudence & leur politique. le voy bien qu'ils ne pouuoient rien faire de plus judicieux ny de plus leur. Vous l'entendez, me dit-il; leur plus feur party a toufiours efté de fe taire. Et c'eft ce qui a fait dire à vn fçauant Théologien : Que les plus habiles d'entr'eux, font ceux qui intriguent beaucoup, qui parlent peu, & qui n'efcriuent point.

C'eft dans cet efprit, que dés le commencement des alfemblées, ils auoient prudemment ordonné que fi M, Ar- nauld venoit en Sorbonne, ce ne fuft que pour expofer fim- plement ce qu'il croyoit, & non pas pour y entrer en lice contre perfonne. Les examinateurs s'ellant voulu vn peu écarter de cette méthode, ils ne s'en font pas bien trouuez.

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Troifiéme lettre. ^n

Ils le font veiis trop vertement' réfutez parle fécond - Apo- logétique.

C'ell dans ce mefme efprit qu'ils ont trouué cette rare & toute nouuelle inuention de la demy-heure & du fable. Ils fe font deliurez par de l'importunité de ces fafcheux ^ Docteiu's qui prenoient plaifir à réfuter ' toutes leurs raifons, à produire les liures pour les conuaincre de fauffeté; à les fommer de refpondre, & à les réduire à ne pouuoir répli- quer.

Ce n'efl pas qu'ils n'ayent bien veu que ce manquement de liberté qui auoit porté vn fi grand nombre de Docteurs à fe retirer des affemblées, ne feroit pas de bien à leur Cen- fin-e; & que l'acte de M. Arnauld feroit vn mauuais préam- bule ' pour la faire receuoir fauorablement. Ils croyent affez que ceux qui ne font pas duppes % confiderent pour le moins autant le jugement de 70 Docteurs qui n'auoient rien à ga- gner en deffendant M. Arnauld, que celiiy d'vne centaine d'autres qui n'auoient rien à perdre en le condamnant.

Mais après tout ils ont penlé, que c'eftoit toujours beaucoup d'auoir vne cenfure, quoy qu'elle ne foit que d'vne partie de la Sorbonne & non pas de tout le Corps ; quoy qu'elle foit faite auec peu ou point de liberté, & obtenue par

1. La deuxième édition in-12 de 1657 et touccs les édicions suivanres : Trop jortement. Nicole traduit : Acriter.

2. Les mêmes éditions : Par f on fécond.

3- La deuxième édition in-12 de 1657 et quelques éditions modernes suppriment l'adjectif Fâcheux, que Nicole a eu soin de traduire : AlolejJos illos dodores.

4- La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : Entreprenaient de réfuter. Nicole traduit Prenoient plaifir à : Gaudelvinr.

5- Les mêmes éditions : Et que l'aclc de prorejhition de nullité (]u en avott fait AI. Arnauld des avant qu'elle fiir conclue, feroit un maurais préùinbule.

6. Les mêmes éditions : Qui ne font pas préoccupés. Nicole traduit : Apud hommes non oninino rudes.

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Açy Lettres prouiuciales.

beaucoup de menus moyens qui ne font pas des plus régu- liers; quoy qu'elle n'explique rien de ce qui pouuoit eftre en difpute ; quoy qu'elle ne marque point en quoy confifte cette herefie, & qu'on y parle peu de crainte de fe mé- prendre. Ce filence mefme eft vn myftere pour les fnnples ; & la Ceniure en tirera cet auantage fmgulier, que les plus critiques & les plus fubtils Théologiens n'y pourront trouuer aucune mauuaife raifon.

Mettez-vous donc l'efprit en repos, & ne craignez point d'eftre hérétique en vous feruant de la propofition condam- née. Elle n'ell mauuaife que dans la féconde lettre de M. Arnaidd. Ne vous en voulez-vous pas iier à ma parole? croyez en M. le Moyne le plus ardent des Examinateurs, qui a dit encore ce matin à vn Docteur de mes amis, fur ce qu'il luy demandoit', en quoy confille cette différence dont il s'agit, & s'il ne feroit plus permis de dire ce qu'ont dit les Pères. Cette propofition, luy a-t'il excellemment répondu, feroit catholique dans vne autre bouche. Ce n'eil que dans M. Arnauld que la Sorbonne l'a condamnée. Et ainfi admirez les machines du Molinifme, qui font dans l'Eglife de fi pro- digieux renuerfemens : Que ce qui eft catholique dans les Pères, dénient hérétique dans M. Arnauld : Que ce qui elloit hérétique dans les Semipelagiens, dénient orthodoxe dans les efcrits des lefuites : Que la doctrine fi ancienne de S. Augurtin est vne noiuieauté infupportable; & que les inuentions nouuelles qu'on fabrique tous les iours à nollre veuë, paffent pour l'ancienne foy de l'Eglife. Siu' cela il me quitta.

Cette inftruction m'a ouuert les yeiix". l'y ay compris que c'eft icy vne herefie d'vne noiuielle efpece. Ce ne font pas les fentimens de M. Arnaidd qui font hérétiques; ce n'eft que fa perfonne. C'eft vne herefie perfonnelle. Il n'eft

1. La deuxième édition in-12 de 1657 ec toutes les édidons suivantes : Qui a dit encore ce matin à un docleur de mes amis, qui lui demandoit.

2. Les mêmes éditions : Al'a ferri.

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Troijîéme letU^e. ^j

pas hérétique pour ce qu'il a dit ou eicrit; mais feulement pour ce qu'il eft M. Arnauld. C'eft tout ce qu'on trouue à redire en luy. Quoy qu'il fafTe, s'il ne cefîe d'eftre, il ne fera iamais bon catholique. La grâce de S. Auguftin ne fera iamais la véritable tant qu'il la deffendra. Elle le deuiendroit s'il venoit à la combattre. Ce feroit vn coup fur, & prefque le feul moyen de l'ellablir & de deilruire le Alolinifme ; tant il porte de malheur aux opinions qu'il embraffe K

Laiffons donc leurs difFerens. Ce font des difputes de Theolog-iens & non pas de Théologie. Nous qui ne fommes point Docteurs, n'auons que faire à leurs démêliez. Api-enez des nouuelles de la Cenfure à tous nos amis; & aymez moy autant que ie fuis,

MONSIEVR ,

Voftre tres-humble & tres-obeïfîant feruiteur, E. A. A. B. P. A. F. D. E. P. ^

1. M. Faugére, parmi les fragments des Lettres' provinciales échappés à Pascal dans un premier travail, a publié celui-ci : Il faut donc que AL Ar- nauld ait bien des mauvais fentunens pour infecler ceux qu'il embraffe.

2. L'édition in-8« de 1659 et quelques éditions modernes s'arrêtent aux mots: Autant que Je fuis, et suppriment la signature énigmatique (a).

(a) Cette énigme a été expliquée de deux manières. On a su des amis de Nicole qu'il fallait séparer cette suite de lettres en deux parties : B. P. A. F. D. E. P., el lire ensuite : E. A. A.; c'est-à-dire : Biaise Pascal, Auvergnat, fis de Etienne Pascal et Antoine Arnauld. M. Sainte-Beuve, dans son Histoire de Port-Royal, donne de ce logo- griphe une explication plus vraisemblable : Et ancien ami. Biaise Pascal^ Auvergnat fis de Etienne Pasctl.

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QVATRIÉME LETTRE

ESCRITE A VN PROVINCIAL

PAR VN DE SES AMIS*

De Paris, le 25 Février 1656. MONSIEVR,

Il n'efl rien tel que les lefuites. l'ay bien veii des laco- bins, des Docteurs, & de toute forte de gens, mais vne pareille vifite manquoit à mon inftruction. Les autres ne font que les copier. Les chofes valent toufiours mieux dans leur fource. l'en ay donc veu vn des plus habiles, & i'y eftois accompagné de mon fidèle lanfenifte qui fut auec moy ^ aux lacobins. Et comme ie fouhaittois particulièrement d'eflre éclaircy fur le fujet dVn différent qu'ils ont auec les lanfe- niftes touchant ce qu'ils appellent la grâce aâuelle, je dis à ce bon Père que ie luy lerois fort obligé s'il vouloit m'en inftruire, que ie ne fçauois pas feulement ce que ce terme fignifioit, & ie le priay de me l'expliquer ^ Très volontiers, me dit-il, car i'aime les gens curieux. En voicy la définition. Nous appelions grâce actuelle , vne infpiration de Dieu par laquelle il nous fait connoijlre fa volonté, & par laquelle il nous

i. L'édition in-S*" de 1659 et presque toutes les éditions modernes : Quatrième lettre.

2. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions modernes : Qui rint iH'cc moi.

3. Les mêmes éditions : Je le priai donc de me l'cApliqucr,

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Lettres proiiinciales.

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excite à la vouloir accomplir. Et en quoy, luy dis-ie, eftes-voiis en difpute auec les lanfeniftes fur ce fuiet? C'eft, me répon- dit-il, en ce que nous voulons que Dieu donne des grâces actuelles à tous les hommes à chaque tentation, parce que nous fouftenons que fi l'on n'auoit pas à chaque tentation la g-race actuelle pour n'y point pécher, quelque péché que l'on commift, il ne pourroit iamais eftre imputé. Et les lanfe- niftes difent au contraire que les péchez commis fans grâce actuelle ne laiffent pas d'eftre imputez. Mais ce font des refueurs. l'entreuoyois ce qu'il vouloit dire, mais pour le luy faire encore expliquer plus clairement, ie luy dis : Mon Père, ce mot de grâce aâiielle me brouille ; ie n'y fuis pas accous- tumé : {\ vous auiez la bonté de me dire la mefme chofe fans vous feruir de ce terme, vous m'obligeriez infiniment. Ouy, dit le Père, c'eft à dire que vous voulez que ie fubftituë la définition à la place du definy, cela ne change iamais le fens du difcoiu's, ie le veux bien. Nous foùtenons donc comme vn principe indubitable, qu'ime aâion ne peut ejlre imputée à péché, fi Dieu ne nous donne auant que de la commettre, la con- noijfance du mal qui j- eft, & me infpiration qui nous excite à Véuiter, m'entendez-vous maintenant?

Eftonné d'vn tel difcours, félon lequel tous les péchez de furprife, & ceux qifon fait dans vn entier oubly de Dieu, ne poiu-roient eftre imputez', ie me tournay vers mon lan- fenifte, & ie connus bien à fa façon qu'il n'en croyoit rien. Mais comme il ne refpondoit mot-, ie dis à ce Père : le voudrois, mon Père, que ce que vous dites fuft bien véri- table, & que vous en eufîîez de bonnes prennes. En voulez- vous, me dit-il auffi-toft? le m'en vay ^ vous en fournir, &

1. L'édition in-8" de 1659 et quelques éditions modernes ajoutent : Puif qu'avant de les commettre, on n'a ni la connoijfance du mal qui y ejî. ni la penféc de l'éviter. Nicole ne traduit pas cette addition.

2. Les mêmes éditions : 3Iais comme il ne répondait point.

3. La deuxième édition in-12 de 1657 et quelques éditions modernes : Je m'en vas.

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Quatrième lettre. At

des meilleures ; laifTez-moi faire. Sur cela il alla chercher Tes liures. Et ie dis cependant à mon amy : Y en a-t'il quel- qu'autre qui parle comme celuy-cyr Cela vous elt-il û nou- ueau, me répondit-il? Faites ellat que iamais les Pères, les Papes, les Conciles, ny l'Efcriture, ny aucun liure de piété, melme dans ces derniers temps, n'ont parlé de cette forte : mais que pour des Cafuiftes, & des nouueaux Scholaftiques, il vous en apportera vn beau nombre. Mais quoy, luy dis-ie. ie me moque de ces auteurs là, s'ils font contraires à la Tradition. Vous auez raifon, me dit-il. Et à ces mots le bon Père arriua chargé de liures. Et m'offrant le premier qu'il tenoit : Lifez, me dit-il, la Somme des Péchez du Père Bauny que voicy, & de la cinquième édition encore, pour vous montrer que c'eft vn bon liure. C'ell dommage, me dit tout bas mon lanfenifte, que ce lim-e ait elle condamné à Rome, & par les Euefques de France. Voyez, me dit le Père, la page 906. le leus donc, & ie trouvay ces paroles : Pour pécher & fe rendre coupable deuant Dieu, il faut fçauoir que la chofe qu'on veut faire ne vaut rien, ou au moins en douter, craindre, ou bien iuger que Dieu ne prend plaifir à V action à laquelle on s occupe, qu'il la défend, & nonob fiant la faire, franchir le sault, & pajjer outre.

Voila qui commence bien, luy dis-ie. Voyez cependant, me dit-il, ce que c'eft que Tenuie. C'ertoit fur cela que M. Hallier, auant qu'il fut de nos amis, fe mocquoit du P. Bauny, & luy appliquoit ces paroles : Ecce qui tollit pec- cata mundi; Voila celuy qui ofte les pèche- du monde. Il eil vray, luy dis-ie, que voila vne rédemption toute nouuellc selon le P. Bauny.

En voulez-vous, adjoulla-t'il, vne autorité plus authen- tique? Voyez ce liure du P. Annat. C'elt le dernier qu'il a fait contre M. Arnauld; lifez la page ^4 il y a vne oreille, &. voyez les lignes que i'ay marquées auec du crayon : elles font toutes d'or. le leus donc ces termes : Cehn- qui n'a au- cune pe:ifcc de Dieu ny de /es pèche:; , ny aucune apprehenjion ,

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46

Lettres proiiiuciales.

c'eft à dire, à ce qu'il me fit entendre, aucune connoiflance, de l'obUgation d'exercer des actes d'amour de Dieu ou de contri- tion, n'a aucune grâce acîuelle pour exercer ces actes; mais il ejt 7>rar auffi qu'il ne fait aucun péché en les omettant, & que s'il eft damné, ce ne fera pas en punition de cette omijjïon. Et quelques lignes plus bas : Et on peut dire la me/me chofe d'vne coupable commijjion.

Voyez-vous, me dit le Père, comment il parle ' des pé- chez d'omiffion & de ceux de commiffion? Car il n'oublie rien : qu'en dittes-vous ? O que cela me plaill, liiy refpon- dis-je, que l'en vois de belles confequences ! le perce déjà dans les fuittes ; que de myfteres s'offrent à moy ! le vois fans comparaifon plus de gens iuftifiez par cette ignorance & cet oubly de Dieu que par la Grâce & les Sacremens. Mais, mon Père, ne me donnez-vous point vne fauffe ioye? N'eft-ce point icy quelque choie de femblable à cette fuffifance qui ne fufïït pas ? l'appréhende furieufement le Dijlinguo : l'y ay efté déjà attrapé-; parlez-vous fmcerement? Comment! dit le Père en s'echauffant : Il n'en faut pas railler. Il n'y a point icy d'equiuoque. le n'en raille pas, luy dis-je : mais c'eft que ie crains à force de defirer.

Voyez donc, me dit-il, pour vous en mieux affurer, les écrits de M. le Moyne, qui l'a enfeigné en pleine Sorbonne. Il l'a appris de nous à la vérité, mais il l'a bien demeflé. O qu'il l'a fortement eltably ! Il enfeigné que pour faire qu'vne diction f oit péché, il faut que toutes ces chofes se pajfent dans Vame. Lifez, & pefez chaque mot; ie leus donc en Latin ce que vous verrez ici en François : /. D'vne part Dieu ré- pand dans Vame quelque amour qui la panche vers la chofe commandée, & de l'autre part la concupifcence rebelle la folli- cite au contraire. 2. Dieu luj- infpire la connoiJJ'ance de fa

1. Quelques éditions modernes: Comme il parle.

2. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : J'y ai déjà été attiapé.

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Quatrième lettre. ^j

foiblejje. 3. Dieu luv infpire la counoijfance du Médecin gui la doit ^-uerir. 4. Dieu lu y infpire le defir de fa guerifon. 5. Dieu luv infpire le de/ir de le prier & d'implorer fou fe- cours.

Et û toutes ces choies ne fe paffent dans l'ame, dit le lefuite, l'action n'elt pas proprement péché & ne peut eftre imputée, comme M. le Moyne le dit en ce melme endroit, & dans toute la fuitte.

En voulez-vous encore d'autres autorités? en voicy : Mais toutes modernes, me dit doucement mon lanfenifte. le le voy bien, dis-je, & en m'adressant à ce Père ie luy dis : O mon Père, le grand bien que voicy ' pour des gens de ma connoiflance, il faut que ie vous les amené. Peut-eftre n'en auez-vous gueres veu qui ayent moins de péchez, car ils ne penfent jamais à Dieu; les vices ont prévenu leur railbn - : Ils n'ont iamais connu nj^ leur infirmité , nv le Médecin qui la peut guérir. Ils nont iamais penfé à defîrer la faute de leur ame, & encore inoins à prier Dieu de la leur donner : de forte qu'ils font encore dans l'innocence baptifmale % félon M. le Moyne. Ils n'ont iamais eu de penfée d'aymer Dieu, ny d' eftre contrits de leurs pechei, de forte que, félon le P. Annat, ils n'ont com- mis aucun péché par le défaut de Charité & de Pénitence : leur vie eft dans vne recherche continuelle de toutes fortes de plaifirs, dont iamais le moindre remords n'a interrompu le cours. Tous ces excez me faifoient croire leur perte affu- rée. Mais, mon Père, vous m'apprenez que ces mefmes excez rendent leur falut affuré. Beny foyez-vous, mon Père,

1. Une corrcccion manuscricc au crayon de notre collection in-4" propose la suppression des mots Que nvcy. suppression qui n'a été admise par aucun éditeur.

2. Une autre correction au crayon de notre collection : Ont yratcnu l'ufage de leur raifort . correction qui n'a pas été plus adoptée que la pré- cédente.

3. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Dons l'in- nocence du baptême.

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A^ Lettî^es proiiinciales.

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qui iuftifiez ainfi les gens. Les autres apprennent à guérir les âmes par des aufteritez pénibles; mais vous monftrez que celles qu'on auroit crii le plus defefperément malades, ie portent bien. O la bonne voye pour eflre heureux en ce monde & en l'autre ! l'avois toujours penfé qu'on pechaft ' d'autant plus, qu'on penibit le moins à Dieu -. Mais à ce que ie vois, quand on a pu gaigner vne fois fur foy de n'y plus penfer du tout, toutes chofes deuiennent pures pour l'auenir. Point de ces pécheurs à demy, qui ont quelque amour pour la vertu : ils feront tous damnez ces demy pécheurs. Mais pour ces francs pécheurs, pécheurs endurcis, pécheurs fans meilange, pleins & achevez, l'Enfer ne les tient pas; ils ont trompé le Diable à force de s'y abandonner.

Le bon Père qui voyoit affez clairement la liaifon de ces confequences auec fon principe, s'en efchapa adroite- ment, & fans fe fafcher, ou par douceur ou par prudence, il me dit feulement : Afin que vous entendiez comment nous fauuons ces inconueniens, fçachez que nous difons bien que ces impies, dont vous parlez, feroient fans péché s'ils n'a- uoient iamais eu de penfées de fe conuertir, ny de defirs de fe donner à Dieu. Mais nous foutenons qu'ils en ont tous; & que Dieu n'a iamais laiffé pécher vn homme fans luy don- ner auparauant la veuë du mal qif il va faire, & le defir, ou d'euiter le péché, ou au moins d'implorer fon affiftance pour le pouuoir euiter, & il n'y a que les lanfeniftes qui difent le contraire.

Et qiioy, mon Père, luy repartis-je, eft-ce l'herefie des lanfeniftes, de nier qu'à chaque fois qu'on fait vn péché, il vient vn remords troubler la confcience, malgré lequel on ne laiffe pas de franchir le fault & de pcijfer outre, comme dit le P. Bauny ? c'eft vne affez plaifante chofe d'eflre Hérétique pour cela. le croyois bien qu'on fufl damné poiu- n'auoir pas

1 . L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Qu'on péchait.

2. Quelques éditions modernes : Qu'on pcnfoit moins à Dieu.

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Qiiati^iéme lettre. aq

de bonnes penfées, mais qu'on le foit pour ne pas croire que tout le monde en a, vrayement ie ne le penfois pas \ Mais, mon Père, ie me tiens obligé en confcience de vous defabu- fer, & de vous dire qu'il y a mille gens qui n'ont point ces defirs; qui pèchent fans regret, qui pèchent auec ioye, qui en font vanité. Et qui peut en fçauoir plus de nouuelles que vous? Il n'efl pas que vous ne confeffiez quelqu'vn de ceux dont ie parle 5 car c'eft parmy les perfonnes de grande qua- lité qu'il s'en rencontre d'ordinaire. Mais prenez garde, mon Père, aux dangereufes fuittes de voftre maxime. Xe remar- quez-vous pas quel effet elle peut faire dans ces libertins qui ne cherchent qu'à douter de la Religion ? Quel prétexte leur en offrez-vous, quand vous leur dites comme vne vérité de foy qu'ils fentent à chaque péché qu'ils commettent vn auertiffement & vn defîr intérieur de s'en abffenir? Car n'ell- il pas vifîble qu'ellant conuaincus par leur propre expérience de la fauffeté de voftre doctrine en ce poinct que vous dites eftre de foy, ils en entendront la confequence à tous les autres? Ils diront que fi vous n'eftes pas véritables en vn article, vous eftes fufpects en tous : & ainfi vous les obligerez à conclure, ou que la Religion efl fauffe, ou du moins que vous en eftes mal instruits.

Mais " mon fécond foutenant mon difcours luy dit : \"ous feriez bien , mon Père , pour conferuer voftre doctrine , de n'expliquer pas auffi nettement que vous nous auez fait, ce que vous entendez par grâce aâuelle. Car comment pour- riez-vous déclarer ouuertement fans perdre toute créance dans les eiprits ; Qiie perfonne ne pèche qu'il u\yt auparaiiant

1 . M. Faugére a recueilli et publié pour la première fois une variante de ce passage : Je croyais bien qu'on fût damné pour n'avoir pas de bonnes pen- fées ; mais pour croire que perfonne n'en a. cela m'ejl nouveau. Pascal a cercai- nemenc préféré la leçon de 1656 à celle-là, puisque les mots que nous venons de rapporter sont barrés dans le manuscrit publié par M. Faugére.

2. Mais est effacé par un trait au crayon dans notre collection in-4°, correction qui n'a été adoptée par aucune édition.

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1^0 Lettres prouinciales.

la connoijfance de fou infirmité, celle du Médecin, le defir de la o-uerifon & celuy de la demander à Dieu. Croira-t'on fur vollre parole, que ceux qui font plongez dans l'auarice, dans l'im- pudicité , dans les blafphemes , dans le duel , dans la ven- geance, dans les vols, dans les lacrileges, ayent des véritables defirs' d'embraffer la chafteté, l'humilité, & les autres vertus Chreftiennes?

Penfera-t'on que ces Philofophes, qui vantoient fi hau- tement lapuiffance de la nature, en connuffent l'infirmité & le Médecin? Direz-vous que ceux qui foutenoient comme une maxime affurée Que Dieu ne donne point lavertu'^, & qu'il ne s'efi iamais trouué perfonne qui la luj- ait demandée, penfaf- fent à la luy demander eux-mefmes ?

Qui pourra croire que les Epicuriens qui nioient la prouidence Divine, euffent des mouuemens de prier Dieu? eux qui dilbient que c'ejloit luj faire iniure de l'implorer dans nos befoins, comme s'il eujl efié capable de samufer à penfer à nous.

Et enfin comment s'imaginer que les Idolâtres & les Athées ayent dans toutes les tentations qui les portent au péché, c'efi: à dire vne infinité de fois en leur vie, le defir de prier le véritable Dieu qu'ils ignorent, de leur donner les véritables vertus qu'ils ne connoiffent pas ' ?

Oûy, dit le bon Père, d'vn ton refolu, nous le dirons, & plùtoft que de dire qu'on pèche fans auoir la veuë que l'on fait mal , & le defir de la vertu contraire , nous foutiendrons

1. La deuxième édition in-12 de 1657 ec toutes les éditions suivantes : Aient véritablement le défir. Cette leçon est indiquée au crayon à la marge de notre collection in-4''.

2. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions modernes : Que ce n'ejl pas Dieu qui donne la vertu. Cette leçon est indiquée au crayon à la marge de notre collection in-4°.

3. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : De prier le vrai Dieu qu'ils ignorent de leur donner les vraies vertus qu'ils ne connaijfent pas?

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Qjiatriéme lettre. ^ i

que tout le monde, & les Impies & les Infidèles ont ces infpi- rations & ces defirs à chaque tentation. Car vous ne fçaurie'z me monftrer, au moins par l'Efcriuire, que cela ne foit pas.

le pris la parole à ce difcours pour luy dire : Et quoy, mon Père , faut-il recourir à TEfcriture pour monftrer vne chofe fi claire? Ce n'eil pas icy vn point de foy, ny mefme de raifonnement. C'eft vne chofe de fait. Nous le voyons, nous le fcauons, nous le fentons.

Mais mon lanfenifle fe tenant dans les termes que le Père auoit prefcrits, luy dit ainfi : Si vous voulez, mon Père, ne vous rendre qu'à TEfcriture, i'y confens ; mais au moins ne lui refiftez pas, & puis qu'il eft efcrit, que Dieu n'a pas reuelé fes iugemens aux Gentils, & qu'il les a laiffe^ errer dans leurs poj'es, ne dites pas que Dieu a éclairé ceux que les Liures facrez nous affurent auoir ejlé abandonne^ dans les te- nebres & dans l'ombre de la mort.

Ne vous fuffit-il pas , pour entendre l'erreur de vollre principe, de voir que S. Paul fe dit le premier des Pécheurs, pour vn péché qu'il déclare avoir commis par ignorance, & auec ycle?

Ne fuffit-il pas de voir par l'Euangile, que ceux qui cru- ciiïoient I. C. auoient befoin du pardon qu'il demandoit pour eux, quoy qu'ils ne connurent point la malice de leiu- action : & qu'ils ne l'euffent iamais faite félon S. Paul, s'ils en euffent eu la connoiffance?

Ne fuffit-il pas que lefus-Chrift nous auertiffe qu'il y aura des perfecuteurs de l'Eglife qui croiront rendre feruice à Dieu en s'efforçant de la ruiner, pour nous faire entendre que ce péché, qui eft le plus grand de tous félon l'Apoftre, peut eftre commis par ceux qui font fi efloignez de fçauoir qu'ils pèchent, qu'ils croyroient pécher en ne le faifant pas? Et enfin ne fuffit-il pas que I. C. luy-mefme nous ayt appris qu'il y a deux fortes de pécheurs, dont les vns pèchent auec connoiffance, & les autres fans connoiifance ; &. qu'ils feront tous chaftiez quoy qu'à la vérité différemment ?

1^2 . Lettres prouincialcs.

Le bon Père prefTé par tant de tefmoignages de l'Efcri- ture à laquelle il auoit eu recours, commença à lafcher le pied, & laifTant pécher les impies fans infpiration, il nous dit : Au moins vous ne nierez pas que les luftes ne pèchent

iamais fans que Dieu leur donne Vous reculez, luy dis-ie

en l'interrompant, vous reculez, mon Père, & ^ vous aban- donnez le principe gênerai, & voyant qu'il ne vaut plus rien à l'égard des pécheurs, vous voudriez entrer en compofi- tion, & le faire au moins fubfifter pour les juftes. Mais cela eflant, i'en voy l'vfage bien racourcy, car il ne feruira plus à gueres de gens. Et ce n'eft quafi pas la peine de vous le dilputer.

Mais mon fécond qui auoit, à ce que ie croy, eftudié toute cette queftion le matin mefme, tant il eftoit preft fur tout, luy refpondit : Voilà, mon Père, le dernier retranche- ment où fe retirent ceux de voftre party qui ont voulu entrer en difpute ; mais vous y efles auffi peu en affurance. L'exemple des luftes ne vous eft pas plus fauorable. Qui doute qu'ils ne tombent fouuent dans des péchez de furprife fans qu'ils s'en apperçoiuent? N'apprenons -nous pas des Saints mefmes combien la concupifcence leur tend de pièges fecrets, & combien il arriue ordinairement que quelque fobres qu'ils foient, ils donnent à la volupté ce qif ils penfent donner à la feule neceiîité, comme S. Auguftin le dit de foy-mefme dans fes Confefîions ?

Combien eft-il ordinaire de voir les plus zelez s'empor- ter dans la difpute à des mouuemens d'aigreur pour leur propre intereft, fans que leur confcience leur rende fur l'heure d'autre tefmoignage, fînon qu'ils agiffent de la forte pour le feul intereft de la vérité, & fans qu'ils s'en apperçoi- uent quelquefois que long-temps après ?

Mais que dira-t'on de ceux qui fe portent auec ardeur

I. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes suppriment la conjonction Et.

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Quatrième lettre. ^^

à des chofes efFectiuement mauuaifes, parce qu'ils les croyent efFectiuement bonnes : comme l'histoire Ecclefîaftique en donne des exemples ; ce qui n'empefche pas, félon les Pères, qu'ils n'ayent péché dans ces occafîons ?

Et fans cela comment les luftes auroient-ils des péchez cachez ? comment feroit-il véritable que Dieu feul en con- noift & la grandeur & le nombre? que perfonne ne fcait s'il eft digne d'amour ou de haine, & que les plus Saints doiuent toujours demeurer dans la crainte & dans le tremblement, quoy qu'ils ne fe Tentent coupables en aucune chofe, comme S. Paul le dit de luy-melme?

Conceuez donc, mon Père, que les exemples & des iuftes & des pécheurs renuerfent également cette neceflîté que vous fuppofez pour pécher, de connoiftre le mal & d'aymer la vertu contraire, puifque la paiîion que les impies ont pour les vices, tefmoigne aflez qu'ils n'ont aucun defir pour la vertu ; & que l'amour que les Iuftes ont pour la vertu, tefmoigne hautement qu'ils n'ont pas toujours la connoif- fance des péchez qu'ils commettent chaque jour, félon l'Efcriture.

Et il eft fi véritable ^ que les Iuftes pèchent en cette forte, qu'il eft rare que les grands Saints pèchent autre- ment". Car comment pourroit-on conceuoir que ces âmes fi pures qui fuyent auec tant de foin & d'ardeur les moindres chofes qui peuuent déplaire à Dieu, auffi-toft qu'elles s'en aperçoiuent, & qui pèchent neantmoins plufieurs fois chaque iour, euftent à chaque fois auant que de tomber, la counoif- fance de leur injirmitc en eette occafion, celle du Médecin, le dejir de leur faute, & celuy de prier Dieu de les fecourir, &: que

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes: Et il cil jl vrai . correction indiquée au crayon à la marge de notre collection in-4°.

2. Notre collection in-4'' porte en marge, au crayon, cette autre leçon : Que Von voit rarement les grands Saints pécher d'une autre manière. correction qui n'a été adoptée par aucune édition.

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^4 Lettres prouinciales.

malgré toutes ces infpirations, ces âmes zélées ne laijjajjeut pas de pajjer outre, & de commettre le péché !

Concluez donc, mon Père, que ny les pécheurs, ny mefme les plus iuftes, n'ont pas toujours ces connoifTances , ces defirs & toutes ces infpirations toutes les fois qu'ils pè- chent, c'eft à dire, pour vfer de vos termes, qu'ils n'ont pas toujours la grâce actuelle dans toutes les occafions ils pèchent. Et ne dites plus auec vos nouueaux auteurs qu'il eft impofîîble qu'on pèche quand on ne connoift pas la iuftice ; mais dites pluftoft avec S. Auguflin & les anciens Pères, qu'il eft impoffible qu'on ne pèche pas quand on ne connoift pas la juftice : Necejfe eft vt peccet à quo ignoratur {njtitia '.

Le bon Père le trouuant aufîi empefché de foutenir fon opinion au regard des iuftes qu'au regard des pécheurs, ne perdit pas pourtant courage. Et après auoir vn peu refué : le m'en vas bien vous conuaincre, nous dit-il. Et reprenant Ion P. Bauny à l'endroit mefme qu'il nous auoit monftré : Voyez, voyez la raifon fur laquelle il eftablit fa penfée. le fçauois bien qu'il ne manquoit pas de bonnes preimes. Lifez ce qu'il cite d'Ariftote, & vous verrez qu'après vne autorité exprefle, il faut brûler les liures de ce Prince des Philo- fophes, ou eftre de noftre opinion. Efcoutez donc les prin- cipes qu'eftablit le P. Bauny. Il dit premièrement qu'viie aâioji 7ie peut ejlre imputée à blafme lors qu'elle ejî inuolon- taire. le l'auouë, luy dit mon amy. Voilà la première fois, leur dis-je, que ie vous ay veus d'accord. Tenez-vous en là, mon Père, fi vous m'en croyez. Ce ne feroit rien faire, me dit-il. Car il faut fçauoir quelles font les conditions necef- faires pour faire qu'vne action foit volontaire. l'ay bien peur, refpondis-je, que vous ne vous brouilliez de/fus. Ne crai- gnez point, dit -il, cecy eft feur. Ariftote eft pour moy. Efcoutez bien ce que dit le P. Bauny : AJîn qu'vne aâion

I. Une note marginale, au crayon, de notre collection in-4", ré- clame l'indication du passage. Aucune édition n'a satisfait à ce vœu.

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Quatrième lettre. <t

foit Tolontaire, il faut qu'elle pj^océde d'homme qui voj-e , qui f cache, qui pénètre ce qu'il y a de bien & de mal en elle. Volun- tarium ejî, dit-on communément auec le Philofophe, (vous fçauez bien que c'efl Ariftote, me dit-il, en me ferrant les doigts) quod fit à principio cognofcente fmgula, in quitus efi aâio : fi bien que quand la volonté à la volée & fans difcuffion fe porte à vouloir ou abhorrer, faire ou laijfer quelque chofe, auant que r entendement ait pu l'oir s'il y a du mal à la vouloir ou à la fuir, la faire ou la laifjer, telle acîion n'efi ny bonne ny mau- uaife, d'autant qu' auant cette perquifition, cette veue & refiexion de Vefprit deffus les qualité^ bonnes ou mauuaifes de la chofe à laquelle l'on s'occupe, Vaâion auec laquelle on la fait n'efi volontaire.

Et bien, me dit le Père, eftes-vous content? Il femble, repartis-je, qu'Ariftote eft de l'auis du P. Bauny; mais cela ne laifTe pas de me furprendre. Quoy, mon Père, il ne fuffit pas pour agir volontairement, qu'on fçache ce que l'on fait, & qu'on ne le faffe que parce qu'on le veut faire; mais il faut de plus Que l'on voj-e , que Von fçache , & que l'on pénètre ce qu'il j' a de bien & de mal dans cette action? Si cela eft, il n'y a g-ueres d'actions volontaires dans la vie ; car on ne penfe gueres à tout cela. Que de iuremens dans le ieu, que d'excez dans les débauches, que d'emportemens dans le Carnaual , qui ne font point volontaires, & par confequent ny bons ny mauuais, pour n'eftre point accompagnez de ces réflexions d'efpritfur les qualité:^ bonnes ou mauuaifes de ce que l'on fait! Mais efl-il poffible, mon Père, qu'Arillote ait eu cette pen- fée? Car i'auois oùy dire que c'elloit vn habile homme. le m'en vas vous en éclaircir, me dit mon lanfenirte. Et ayant demandé au Père la Morale d'Ariftote , il l'ouurit au com- mencement du 3" liure, d'où le P. Bauny a pris les paroles qu'il en rapporte, & dit à ce bon Pcre : le vous pardonne d'auoir creu fur la foy du P. Bauny, qu'Ariftote ait elle de ce fentiment. Vous auriez changé d'auis fi vous l'aiiiez Ieu vous mefme. 11 ell bien vray qu'il cnleii;ne, qu'a fin qu'j-ne

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c6 Lettres pt^ouinciales.

aâion foit volontawe , il faut connoijîre les pai^ticiilaritei de cette aâion, fingula in qiiibiis ejî aâio. Mais qu'entend-il par là, finon les circonftances particulières de l'action, ainfi que les exemples qu'il en donne, le iuftifient clairement, n'en rapportant point d'autre que de ceux l'on ignore quel- quVne de ces circonilances ; comme d'vne perfonne qui vou- lant monjlrer vne machine, en décoche jni dard qui blejje quel- qu'vn ; & de Merope, qui tuafonjîls en penfant tuer f on ennemj-, & autres femblables ?

Vous voyez donc par quelle ell l'ignorance qui rend les actions inuolontaires ; & que ce n'eft que celle des cir- conftances particulières qui eft appelée par les Théologiens, comme vous le fçauez fort bien, mon Père, l'ignorance du fait. Mais quant à celle du droit, c'eft à dire, quant à l'igno- rance du bien & du mal qui eit en l'action, de laquelle feule il s'agit icy, voyons fi Ariftote eft de l'auis du P. Bauny. Voicy les paroles de ce Philofophe : Tous les mefchans igno- rent ce qu'ils doiuent faire, & ce qu'ils doiuent fufr . Et c'eft cela mefme qui les rend mefchans & vitieux. C'eft pourquoy on ne peut pas dire que parce qu'vn homme ignore ce qu'il eft à pro- pos qu'il fajje pour fatisf aire à fon deuoir, fon ad, ion foit inuo- lontaire. Car cette ignorance dans le choix du bien & du mal ne fait pas qu'vne aâionfoit inuolontaire, mais feulement qu'elle eft pitieufe. L'on doit dire la mefme chofe de celuj^ qui ignore en gênerai les règles de fon deuoir, puifque cette ignorance rend les hommes dignes de blafme , & non d'excufe. Et ainfi l'igno- rance qui rend les aéiions inuolontaires & excufables , eft feu- lement celle qui regarde le fait en particulier & fes circonflances fingulieres *. Car alors on pardonne à ini homme, & on l'excufe, & on le confdere comme aj-ant agi contre fon gré.

Apres cela, mon Père, direz-vous encore qu'Ariflote

I. Quelques édicions modernes suppriment les mots : Et fes circonjianccs fwguli'ercs. Nicole dit dans sa version latine de 1658 : Circa fingulares rerum circumfiantias tota verjatur.

1

Quatrième lettre.

foit de voftre opinion ? Et qui ne s'eftonnera de voir qu'vn Philofophe Payen ait efté plus efclairé que vos Docteurs en vne matière aufîî importante à toute la Morale & à la con- duite mefme des âmes, qu'eft la connoifTance des conditions qui rendent les actions volontaires ou inuolontaires , & qui enluitte les excufent ou ne les excufent pas de péché? N'ef- perez donc plus rien, mon Père, de ce Prince des Philo- fophes, & ne refiftez plus au Prince des Théologiens qui décide ainfi ce poinct au 1. i de Tes Retr. c. ly. Ceux qui pèchent par ignorance, ne font leur action que paixe qu'ils la veulent faire, quoj- qu'ils pèchent fans qu'ils veuillent pécher. Et ainfi ce péché mefme d'ignorance ne peut eftre commis que par la volonté de celuj qui le commet, mais par vne volonté qui fe porte à l'aâion, & non au péché; ce qui nempefche pas neantmoins que l'aâion ne foit péché, parce qu' il fuffit pour cela qu'on ait fait ce qu'on ejloit obligé de ne point faille.

Le Père me parut furpris, & plus encore du paffage d'Ariflote que de celuy de S. Auguftin. Mais comme il penfoit à ce qu'il deuoit dire, on vint l'avertir que Madame la Marefchale de.... & Madame la Marquife de.... le de- mandoient. Et ainfi en nous quittant à la halle : l'en par- leray, dit-il, à nos Pères. Ils y trouueront bien quelque refponie. Nous en auons icy de bien fubtils. Nous l'enten- difmes bien; & quand ie fus feul auec mon amy, ie luy té- moignay d'eflre eftonné du renuerlement que cette doctrine apportoit dans la Morale. A quoy il me refpondit .-.Qu'il eftoit bien eftonné de mon ellonnement. Ne Içauez-vous donc pas encore que leurs excez font beaucoup plus grands dans la Morale que dans la doctrine ' ? 11 m'en donna d'ef- tranges exemples, & remit le refte à vne autre fois. l'efpere que ce que i'en apprendray fera le fujet de nollre premier entretien. le fuis, &c.

'• L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Que dans les autres matières.

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CINQVIÉME LETTRE

ESCRITTE A VN PROVINCIAL

PAR VN DE SES AMIS '

De Paris, le 20 mars 1656.

MONSIEVR,

Voicy ce que ie vous ay promis. Voicy les premiers traits de la Morale des bons Pères lefuites, de ces hommes eminens en doâr^i?ie & en fcigejje ; qui font tous conduits par la fagejfe diuine, qui ejl plus affm^ée que toute la Philofophie. Vous penfez peut-eftre que ie raille. le le dis ferieufement, ou pluftoft ce font eux-mefmes qui le difent^ le ne fais que copier leurs paroles auffi bien que dans la fuite de cet éloge. Cejî vne focieté d'hommes ou plujîojî d'Anges, qui a ejîé prédite par If die en ces par^oles : Allei, Anges prompts & légers. La prophétie n'en eft-elle pas claire? Ce font des efprits d'aigles; c'eft vne troupe de phénix; ini autheur aj^ant monflré depuis peu qu'il j- en a plufeuî^s. Ils ont change' la face de la Chreflienté. Il le faut croire puis qu'ils le difent. Et vous l'allez bien voir dans la fuite de ce difcours , qui vous apprendra leurs maximes.

1. L'édition in-S" de 1659 ^^ ^^ plupart des éditions modernes : Cin- quième lettre.

2. Les deux exemplaires in-4'' de la bibliothèque de l'Institut, la deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes ajoutent: Dans leur livre intitule : Imago pn/ni fœculi. Cctce indication ne se trouve pas dans la version de Nicole.

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60

Lettres prouinciales.

l'ay voulu m'en inftruire de bonne forte. le ne me fuis pas fié à ce que noftre amy m'en auoit appris. l'ay voulu les voir eux-mefmes. Mais i'ay trouué qu'il ne m'auoit rien dit que de vray. le penfe qu'il ne ment iamais. Vous le verrez jDar le récit de ces conférences.

Dans celle que i'eus auec luy, il me dit de fi plaifantes chofes ^ que i'auois peine à le croire; mais il me les monftra dans les liures de ces Pères : de forte qu'il ne me relia à dire pour leur defenfe, finon que c'eftoient les fentimens de quelques particuliers, qu'il n'eftoit pas iufte d'imputer au Corps. Et en effet ie l'affuray que i'en connoiffois qui font anffi feueres que ceux qu'il me citoit, font relafchez. Ce fut fur cela qu'il me découurit l'efprit de la Société qui n'eft pas connu de tout le monde ; & vous ferez peut-eilre bien aife de l'apprendre. Voicy ce qu'il me dit.

Vous penfez beaucoup faire en leur faueur, de monllrer qu'ils ont de leurs Pères auffi conformes aux maximes Euan- geliques, que les autres y font contraires ; & vous concluez de que ces opinions larges n'appartiennent pas à toute la. Société. le le fçay bien. Car fi cela elloit, ils n'en fouffri- roient pas qui y fuffent fi contraires. Mais puis qu'ils en ont auffi qui font dans vne doctrine fi licentieu'e, concluez en de mefme que l'efprit de la Société n'eft pas celuy de la feuerité Chreftienne. Car fi cela eftoit, ils n'en fouffriroient pas qui y fuffent fi oppofez. Et quoy, luy reipondis-je, quel peut donc eftre le deffein du Corps entier? C'eft fans doute qu'ils n'en ont aucun d'arrefté, & que chacun a la liberté de dire à l'auanture ce qu'il penfe. Cela ne peut pas eftre, me refpondit-il. Vn fi grand Corps ne fubfifteroit pas dans vne conduite téméraire, & fans vne ame qui le gouuerne & qui règle tous fes mouuemens ; outre qu'ils ont vn ordre parti-

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I. L'édition in-8° de 1659 ec toutes les éditions modernes : De fi étranges chofes. Nicole traduit Plaifantes : Tarn Jocularia mihi Jefuitarum dogmata memoravit.

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Cinquième lettre.

culier de ne rien imprimer fans Taiieii de leurs Supérieurs. Mais quoy, luy dis-je, comment les mefmes Supérieurs peu- uent-ils confentir à des maximes fi différentes? C'ell: ce qu'il faut vous apprendre, me repliqua-t'il.

Sçachez donc que leur objet n'eft pas de corrompre les mœurs : ce n'eft pas leur deffein. Mais ils n'ont pas auffi pour vnique but celuy de les reformer. Ce feroit vne mauuaife politique. Voicy quelle eft leur pentée. Ils ont aflez bonne opinion d'eux-mefmes pour croire qu'il eft vtile & comme neceffaire au bien de la Religion que leur crédit s'eftende par tout, & qu'ils gouuernent toutes les confciences. ' Et parce que les maximes Euangeliques & feueres font propres pour gouuerner quelques fortes de perfonnes, ils s'en feruent dans ces occafîons elles leur font fauorables. Mais comme ces mefmes maximes ne s'accordent pas au deffein de la plufpart des gens, ils les laiffent à l'égard de ceux-là afin d'auoir de quoy fatisfaire tout le monde.

'C'eil pour cette raifon qu'ayant affaire à des perfonnes de toutes fortes de conditions & de nations fi différentes, il ell neceffaire qu'ils ayent des Cafuiftes affortis à toute cette diuerfité.

De ce principe vous iugez aifement que s'ils n'auoient que des Cafuilles relafchez, ils ruïneroient leur principal deffein qui ell: d'embraffer tout le monde, puifque ceux qui font véritablement pieux cherchent vne conduite plus feure. Mais comme il n'y en a pas beaucoup de cette forte, ils n'ont pas befoin de beaucoup de directeurs feueres pour les conduire. Ils en ont peu pour peu; au lieu que la foule des Cafuiiles relafchez s'offre à la foule de ceux qui cherchent le relafchement.

1- Quelques éditions anciennes, ce notammenc une édicion in-12 de 1659, sans aucune valeur bibliographique, mctccnt ici un alinéa que plusieurs

éditeurs modernes ont supprimé.

2- Quelques éditions modernes suppriment l'alinéa.

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62 Lettres pi^ouinciales.

C'eft par cette conduite obligeante & accommodante, comme l'appelle le P. Petau, qu'ils tendent les bras à tout le monde. Car s'il fe prefente à eux quelqu'vn qui foit tout refolu de rendre des biens mal acquis, ne craignez pas qu'ils l'en deftournent. Ils loueront au contraire & confirmeront vne fi fainte refolution. Mais qu'il en vienne vn autre qui vueille auoir l'abfolution fans reftituer, la chofe fera bien difficile, s'ils n'en fournifient des moyens dont ils fe rendront les g-arands.

Par ils conleruent tous leurs amis, & fe défendent contre tous leurs ennemis. Car fi on leur reproche leur ex- trême relafchement, ils produifent incontinent au public leurs Directeurs aufleres, & quelques liures ' qu'ils ont faits de la rigueur de la loy Chreflienne ; &: les fimples, & ceux qui n'approfondiffent pas plus auant les chofes fe contentent de ces preuues.

Ainfi ils en ont pour toutes fortes de perfonnes, & ref- pondent fi bien félon ce qu'on leur demande, que quand ils fe trouuent en des pays vn Dieu crucifié paffe pour folie, ils fuppriment le fcandale de la Croix, & ne prefchent que Iesvs-Christ glorieux, & non pas Iesvs-Christ fouf- frant : comme ils ont fait dans les Indes & dans la Chine, ils ont permis aux Chreftiens l'idolâtrie mefme par cette fubtile inuention de leur faire cacher fous leurs habits vne image de Iesvs-Christ, à laquelle ils leur enfeignent de rapporter mentalement les adorations publiques qu'ils rendent à l'idole Chacim-choan, & à leur Keum-fucum, comme Grauina Dominicain le leur reproche, & comme le tefmoigne le Mémoire en Elpagnol , prefente au Roy d'Ef- pagne Philippe IV parles Cordeliers des Ifles Philippines, rapporté par Thomas Hurtado dans fon liure du martyre de la foy, page 427. De telle forte que la Congrégation des

I. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions modernes : Avec quelques livres.

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Cinquième letti^e. 63

Cardinaux ie pi^opagandâ jide, fut oblig-ée de deffendre par- ticulièrement aux lefuites fur peine d'excommunication, de permettre des adorations d'Idoles fous aucun prétexte, & de cacher le myflere de la Croix à ceux qu'ils inftruifent de la Religion ; leur commandant exprefTement de n'en receuoir aucun au Baptefme qu'après cette connoiffance, & d'expofer* dans leurs Eglifes l'image du Crucifix , comme il eft porté amplement dans le Décret de cette Congrégation, donné le 9 luillet 1646, figné par le Cardinal Caponi -.

Voila de quelle forte ils fe font répandus par toute la terre à la faueur de la doârine des opinions probables ^ qui eft la fource & la bafe de tout ce dérèglement. C'ell: ce qu'il faut que vous appreniez d'eux-mefmes. Car ils ne le cachent à perfonne , non plus que tout ce que vous venez d'entendre, auec cette di'fference ^ qu'ils couurent leur pru- dence humaine & politique du prétexte d'vne prudence di- uine & Chreflienne^ comme fi la foy & la Tradition qui la maintient, n'eftoit pas toujours vne & inuariable dans tous les temps & dans tous les lieux, comme fi c'eftoit à la règle à fe fléchir pour conuenir au fujet qui doit luy eftre con- forme, & comme fi les âmes n'auoient pour fe piu-ifier de leurs taches, qu'à corrompre la loy du Seigneur; au lieu que la loy du Seigneur qui ejl fans tache & toute fainte , ejî celle qui doit conuertir les âmes, & les conformer à fes falutaires inftructions.

1. L'édition in-S» de 1659 et toutes les éditions modernes : Et leur ordonnant d'exposer.

2. M. l'abbé Maynard , dans son édition des Provinciales de 1851, prétend que le cardinal Caponi n'a jamais existé, et que c'est Ginetti qu'il faut lire. Pascal et ses amis ont toujours écrit Caponi . et M. l'abbé Maynard lui- même ne se sert pas d'un autre mot dans son texte.

3. Otci la probabilité, on ne peut plus plaire au monde ; mettes la pro- babilité, on ne peut plus lui déplaire. (Pensées, fragments et lettres de B. Pascal, publiés pour la première fois par M. P. Faugèrc ; t. I''"", p. 271.)

4. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions modernes : Avec cette feule différence.

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64 Lettres proiiinciales.

Allez donc, ie vous prie, voir ces bons Pères, & ie m'affure que vous remarquerez aifément dans le relafche- ment de leur Morale la caule de leur doctrine touchant la grâce. Vous y verrez les vertus Chreftiennes fi inconnues & fi dépourueuës de la charité qui en eft l'ame & la vie ; vous y verrez tant de crimes palliez & tant de defordres Ibufferts, que vous ne trouuerez plus ellrange qu'ils fou- tiennent que tous les hommes ont toujours afTez de grâce pour viure dans la pieté de la manière qu'ils l'entendent. Comme leur Morale eil toute payenne, la nature tuffit pour l'obieruer. Quand nous fouflenons la neceffité de la grâce efficace, nous luy donnons d'autres vertus pour objet. Ce n'efl: pas fmiplement poiu- guérir les vices par d'autres vices ; ce n'efl: pas feulement pour faire jDratiquer aux hommes les deuoirs extérieurs de la Religion ; c'ell pour vne vertu plus haute que celle des Pharifiens & des plus fages du paga- nifme. La loy & la raifon font des grâces fuffifantes pour ces eifets. Mais pour dégager l'ame de l'amour du monde, poiu- la retirer de ce qu'elle a de plus cher, pour la faire mourir à foy-mefme, pour la porter & l'attacher vniquement & inua- riablement à Dieu, ce n'eft l'ouurage que d'vne main toiue puiffante. Et il eft aufîî peu raifonnable de prétendre que l'on en a toiijoiu-s vn plein pouuoir', qu'il le feroit de nier que ces vertus deftituées d'amour de Dieu , lefquelles ces bons Pères confondent avec les vertus Chreftiennes, ne font pas en noftre puiffance.

Voila comment il me parla', & auec beaucoup de dou- leur^ car il s'aftlige ferieufement de tous ces defordres. Pour moy i'eftimay ces bons Pères de l'excellence de leur Poli- tique ; & ie fus, félon fon confeil, trouuer vn bon Cafuifte de la Société. C'eft vne de mes anciennes connoiffances que

1. L'édicion in-8° de 1659 ec la plupart des edicions modernes : Que l'on a toujours un plein poumir.

2. La plupart des éditions modernes : Voilà comme il me parla.

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Cinquième lettre. 6^ *

ie voulus renouueller exprez. Et comme i'eftois inftruit de

la manière dont il les faut traiter % ie n'eus pas peine à le

mettre en train. Il me fit d'abord mille carefTes, car il m'aime

toujours, & après quelques difcours indifferens, ie pris oc-

cafion du temps nous fommes, pour apprendre de luy

quelque chofe fur le ieufne, afin d'entrer infenfiblement en

matière. le luy tefmoignay donc que i'avois bien de la peine -

à le fupporter, il m'exhorta à me faire violence ; mais comme

ie continuay à me plaindre, il en fut touché, & fe mit à

chercher quelque caufe de difpenfe. Il m'en offrit en effet

plufieurs qui ne me conuenoient point, lorfqu'il s'auifa enfin

de me demander fi ie n'auois pas de peine à dormir fans

fouper. Oùy, luy dis-je, mon Père, & cela m'oblige fouuent

à faire collation à midy, & à fouper le foir. le fuis bien aife,

me repliqiia-t'il, d'auoir trouui ce moyen de vous foulager

fans péché : Allez, vous n'efles point obhgé à ieufner. le ne

veux pas que vous m'en croyez; venez à la Bibliothèque.

l'y fus, & là, en prenant vn liiire : En voicy la preuue, me

dit-il, & Dieu fçait quelle ! C'efl Efcobar. Qui ell Efcobar,

luy dis-je, mon Père? Quoy, vous ne fçauez pas qui efl

Efcobar de noflre Société, qui a compilé cette Théologie

Morale de 24 de nos Pères ; furquoy il fait dans la préface

une Allégorie de ce hure à celiiy de VApocaljyfe qui ejioit

f celle de feptfceaux. Et il dit que Iesvs l'offî^e ainfi f celle aux

quatre animaux Suare-, Va/que^, Molina, Valentia, en pre-

fence de 24 lefuites qui repref entent les 24 Vieillards. Il leut

toute cette allégorie qu'il trouuoit bien iufte, & par il me

donnoit vne grande idée de l'excellence de cet ouurage.

Ayant enfuitte cherché fon paffage du ieufne : Le voicy, me

dit-il ' : Celiiy qui ne peut dormir s'il n'a foup/, e/t-il obligJ

1. L'édidon in-S" de 1659 ec coures les édiàons modernes : Dont il les jdlloit traiter.

2. Les mêmes éditions : Que J'avois de la peine.

3. Les deux exemplaires in-4" de la bibliochéque de l'Inscituc, la

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66 Lettres prouinciales.

de ieiifner? Nullement. N'efles-vous pas content? Non pas tout à fait, liiy dis-je, car ie puis bien fupporter le ieufne en faifant collation le matin & foupant le foir. Voyez donc la fuite, me dit-il; ils ont penfé à tout. Et que dira-t'ou, on peut bien fe pciffer d'vne collation le matin en foupant le foir? Me voila. On n'ejl point encore obligé à ieufner. Car personne n'elî obligé à changer l'ordre de fes repas. O la bonne raifon, luy dis-je! Mais dites-moy, continua-t'il, vfez-vous de beaucoup de vin? Non, mon Père, luy dis-je; ie ne le puis fouffrir. le vous difois cela, me refpondit-il, pour vous auertir que vous en pourriez boire le matin, & quand il vous plairoit, fans rompre le ieufne; & cela foutient tou- jours. En voicy la decifion ^ : Peut-on , fans rompre le ieufne, boire du vin à telle heure qu'on voudra, & mefme en grande quantité? On le peut , & mefme de Vhjyocras. le ne me foti- uenois pas de cet hypocras, dit-il; il faut que ie le mette fur mon recueil. Voila vn honnefte homme, luy dis-je, qu'Efcobar. Tout le monde l'aime, refpondit le Père. Il fait de fi jolies queftions. Voyez celle-cy qui eft au mefme endroit" : Si vn homme doute qu'il ait 21 ans, efl-il obligé de ieufner? Non. Mais ft i'ay 21 ans cette nuit à vue heure après minuit, & qu'il foit demain ieufne , feraj'-je obligé de ieufner demain ? Non. Car vous pourrie^ manger autant qu'il vous plai- roit depuis minuit iufquà ime hernie, puifque vous n'auriei pas encore 21 ans. Et ainfi ayant droit de i^ompre le ieufne, vous n'j^ ejî es point obligé. O que cela eft diuertiffant, luy dis-je! On ne s'en peut tirer, me refpondit-il ; ie paffe les iours & les nuits à le lire ; ie ne fais autre chofe. Le bon Père voyant que i'y prenois plaifir, en fut raui ; & continuant : Voyez, dit-il, encore ce trait de Filiutius, qui eft vn de ces vingt-quatre

deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes: Au tr. i. Ex. ijy n. 6y.

1. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : Au même lieu. n. y^.

2. Les mêmes éditions : A''. j5.

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Cinquième lettî^e. 67

lefuites * : Celuy qui s ejl fatigué à quelque chofe, comme à pourfuirre vnejille-, eli il obligé de ieufner? Nullement. Mais s'il s'ejt fatigué exprei pour ejîre par difpenfé du ieufne, y fera-t-il tenu? Encore qu'il ait eu ce dejfein formé, il nj fera point obligé. Et bien, l'euffiez-vous creu, me dit-il? En vérité, mon Père, luy dis-je, ie ne le croy pas bien encore. Et quoy, n'eft-ce pas vn péché de ne pas ieufnsr quand on le peut? Et eft-il permis de rechercher les occafîons de pécher; ou plulloft n'efl-on pas obligé de les fuir? Cela feroit afTez commode. Non pas toiijours, me dit-il, c'eft félon. Selon quoy, luy dis-je? Hoho, repartit le Père. Et fi on receuoit quelque incommodité en fuyant les occafîons, y feroit-on obligé, à voftre auis? Ce n'eft pas au moins celuy^ du P. Bauny que voicy ^ : On ne doit pas refufer V abfolution à ceux qui demem^ent dans les occafîons prochaines du péché, s'ils font en tel eflat qu'ils ne puiffent les quitter fans donner fujet au monde de parler ou fans qu'ils en receujjent eux-mefmes de V incommodité . le m'en réjouis, mon Père \ il ne refte plus qu'à dire qu'on peut rechercher les occasions de propos délibéré, puis qu'il eft permis de ne les pas fuïr. Cela mefme eft auffi quelque fois permis, adjouta-t'il. Le célèbre Ca- fuifte Bazile Ponce l'a dit, & le P. Bauny le cite & approuue fon fentiment, que voicy dans le Traité de la Pénitence, q. 4, p. 94. On peut rechercher vue occasion dircâement & pour elle-mefme ; primo & per fe, quand le bien fpirituel ou temporel de nous ou de no^re prochain nous y porte.

1. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : To. 2. ir. 2/. part. 2. c. . n. i2j.

2. Quelques éditions modernes, à l'exemple de la deuxième édition in-12 de 1657 : Ad persequendam amicain. M. l'abbé Maynard fait observer qu'on lie ces mots dans un certain nombre d'exemplaires in-4° ( parmi lesquels le nôtre ne se trouve pas), tandis que l'expression donc s'est servi Filiutius est : Ad insequendam amicain. Nicole, bien avant M. l'abbé Mavnard, avait rapporté très-fidèlement ces mots de Filiutius.

3. Les deux exemplaires in-4*' de la bibliothèque de l'Institut, la deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : P. 10S4.

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68 Lcttf^es prouinciales.

Vrayement, luy dis-je, il me femble que ie relue, quand i'entends des Religieux parler de cette forte ! Et quoy, mon Père, dites-moy en confcience, eftes-vous dans ce fentiment là? Non vrayement, me dit le Père. Vous parlez donc, con- tinuay-je, contre voftre confcience? Point du tout, dit-il. le ne parlois pas en cela félon ma confcience , mais félon celle de Ponce & du P. Bauny. Et vous pourriez les fuiure en feureté 5 car ce font d'habiles gens. Quoy, mon Père , parce qu'ils ont mis ces trois lignes dans leurs liures, fera-t'il deuenu permis de rechercher les occasions de pécher? le croyois ne deuoir prendre pour règle que l'Efcriture & la Tradition de l'Eglise , mais non pas vos Cafuiftes. O bon Dieu, s'écria le Père, vous me faites fouuenir de ces lanfe- niftes ! Eft-ce que le P. Bauny & Bazile Ponce ne peuuent pas rendre leur opinion probable ? le ne me contente pas du probable, luy dis-je, je cherche le feur. le voy bien, me dit le bon Père, que vous ne fçauez pas ce que c'eft que la doc- trine des opinions probables. Vous parleriez autrement fi vous la fçauiez^ Ah vrayement, il faut que ie vous en in- ftruife. Vous n'aurez pas perdu voftre temps d'eftre venu icy ; fans cela vous ne pouuiez rien entendre. C'eft le fon- dement & l'A. b. c. de toute noftre Morale. le fus rauy de le voir tombé dans ce que ie fouhaittois; & le luy ayant tef- moigné, ie le priay de m'expliquer ce que c'elloit qu'vne opinion probable. Nos Auteurs vous y reipondront mieux que moy, dit-il. Voicy comme ils en parlent tous générale- ment, & entr'autres nos 24 ^ : Vue opinion efî appellée probable, lorfqu'elle eft fondée fur des raifons de quelque confderation. D'où il arriue quelquefois quvn feul Doâeur fort g7^aue peut

1. Toutes les éditions modernes, à l'exception de celle de M. l'abbé Maynard : Si vous le Javiei.

2. Les deux exemplaires in-4° de la bibliothèque de l'Institut, la deuxième édition in-12 de 1657 ec toutes les éditions suivantes : In princ. Ex. 3, n. 8.

Cinquième lettre. 69

rendre" pue opinion probable. Et en voicy la raifon *. Car vu homme addonné paj^ticiilieretnent à Vejiude, ne s'attacherait pas à me opinion, s'il n'j' ejîoit attiré par vne raifon bonne & fuffi- fante. Et ainfi, luy dis-je, vn feul Docteur peut tourner les confciences & les bouleuerfer à fon gré, & toujours en feu- reté. Il n'en faut pas rire, me dit-il, ny penfer combattre cette doctrine. Quand les lanfeniftes l'ont voulu faire, ils y ont perdu leur temps -. Elle eft trop bien eftablie. Efcoutez Sanchez qui eft vn des plus célèbres de nos Pères ^ : Vous douterei peut-ejîre fi l'autorité d'pu feul Doâeur bon & fçauant rend vne opinion probable. A quoy ie refponds quoiij. Et c'efi ce qu'afjurent Angélus, Sj'lu. Nauarre, Emmanuel Sa, &c. Et voicy comme on le prouue. Vne opinion probable efl celle qui a vn fondement confiderable. Or l'autorité d'vn homme fçauant & pieux n'efî pas de petite confideration , mais pluflofl de grande confderation. Car, efcoutez bien cette raifon,/ /e tefmoignage d'vn tel homme efl de grand poids pour nous ajfurer qu'vne chofe fe foit paffée par exemple à Rome, pourquoj' ne le fera-t'il pas de mefme dans vn doute de Morale?

La plaifante comparaifon, luy dis-ie", des chofes du monde à celles de la confcience! Ayez patience 5 Sanchez répond à cela dans les lignes qui fuiuent immédiatement : Et la reflriâion qu'y apportent certains auteurs ne me plaift pas, que l'authorité d'vn tel Doâeur efl fuffifante dans les chofes de dî^oit humain, mais non pas dans celles de droit diuin. Car elle eft de grand poids dans les vues & dans les autres.

Mon Père, luy dis-je franchement, ie ne puis faire cas de cette reg-le. Qui m'a affuré ^ que, dans la liberté que vos

1. Quelques cdicions modernes : Et en voici la raifon au même lieu.

2. L'édicion in-8° de 1659, à l'exemple de la deuxième édition in- 12 de 1657 : Ils ont perdu leur temps; mais la plupart des éditions modernes n'ont pas admis cette variante.

3. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes: Su/n. l. i. c. <). n. 7.

4. Quelques éditions : Q^ui m'ajfure.

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70 Lettres prouinciales.

Docteurs fe donnent d'examiner les chofes par la rai Ton, ce qui paroillra leur à Fvn, le paroifTe à tous les autres? La

diuerfité des iugemens eft fi grande Vous ne l'entendez

pas, dit le Père, en m'interrompant 5 aufîî font-ils fort fouuent de différents auis ; mais cela n'y fait rien. Chacun rend le fien probable & feur, Vrayment l'on fçait bien qu'ils ne font pas tous de mefme fentiment. Et cela n'en eft que mieux. Ils ne s'accordent au contraire prefque iamais. Il y a peu de queftions vous ne trouuiez que l'un dit oiiy, l'autre dit non. Et en tous ces cas là, l'vne & l'autre des opinions con- traires efl probable. Et c'efl: pourquoy Diana dit fur vn cer- tain fujet * : Ponce & Sanchei font de contraires auis ; mais parce qu'ils ejloient tous deux fçauans, chacun rend fou opinion pro- bable. '

Mais, mon Père, luy dis-je, on doit eftre bien embaraffé à choifir alors. Point du tout, dit-il, il n'y a qu'à fuiure l'auis qui agrée le plus. Et quoy, fi l'autre ell plus probable? Il n'importe, me dit-il. Et fi l'autre eft plus feur? Il n'importe, me dit encore le Père 5 le voicy bien expliqué. C'eft Emma- nuel Sa de noftre Société ". On peut faire ce qu'on penfe ejîre permis félon me opinion probable, quoique le contraire fait plus feur. Or V opinion d'j>n feul Doâeur grauej'fuffit. Et fi vne opinion eft tout enfemble & moins probable & moins feure, fera-t'il permis de la fuiure , en quittant ce que l'on croit eftre plus probable & plus feur? Ouy encore vne fois, me dit- il, efcoutez Filiutius ce grand lefuite de Rome^ : Il e^ permis de fuiure l'opinion la moins probable, quoy qu'elle f oit la moins feure. C'efl lopinion commune des nouueaux auteurs. Cela

1. Les deux exemplaires 10-4*' de la hlbliodièque de l'Insdcut, la deuxième édidon in-12 de 1657 ce quelques édidons modernes : Part. j. ir. 4. r. 2ff.

2. Les deux exemplaires in-4" de la bibliodièque de Tlnscicuc, la deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : Dd':s son aphorifme de Dubio, p. iSj.

3. Les mêmes éditions : Alor. Quœjl. tr. 21. c -f. n. 128.

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Cinquième lettî^e. ^j

n'efl-il pas clair? Nous voicy bien au large, luy dis-ie mon Reuerend Père, grâce à vos opinions probables. Nous auons vne belle liberté de confcience. Et vous autres Cafuiftes auez-vous la mefme liberté dans vos refponfes ? Ouy , me dit-il, nous refpondons aufîî ce qu'il nous plaifl, ou plulloft ce qui plaift à ceux: qui nous interrogent. Car voicy nos règles, prifes de nos Pères Layman, Vafquez, San chez & de nos 24 ^ Voicy les paroles de Layman, que le liure de nos 24 a fuiuies : Jli docieur ejiant coiifiilté peut donner m confeil non feulement probable félon fou opinion, mais contraire à fon opi- nion, s'il ejî ejlimé pi-obable par d'autres, lors que cet auis con- traire au fien fe rencontre plus fauorable & plus agréable à celuj- qui le confulte, fi foj^te hœc illi fauorabilior feu exoptatior fit. Mais ie dis déplus qu'il ne fera point hors de raifon qu'il donne à ceux qui le confultent vn auis tenu pour probable par quelque perfonne fçauante , quand mefme il s'ajjurei^oit qu'il fer oit abfo- lument faux.

Tout de bon, mon Père, voftre doctrine eft bien com- mode. Quoy, auoir à refpondre oùy & non à fon choix! On ne peut a/Tez prifer vn tel auantage. Et ie voy bien maintenant à quoy vous feruent les opinions contraires que vos Docteurs ont fur chaque matière. Car l'vne vous fert toufiours, & l'autre ne vous nuit iamais. Si vous ne trouuez voftre compte dVn cofté, vous vous iettez de l'autre, & toufiours en feureté. Cela eft vray, dit-il; & ainfi nous pouuons toufiours dire auec Diana, qui trouua le P. Bauny pour lui, lorsque le P. Lugo luy ertoit contraire : Sœpe premente Deo, fert Deus aller opem; fi quelque Dieu nous preffe, vn autre nous deliure"'.

I. Les deux exemplaires in-4" de h hibluxhèq ;e de l'Insthuc, la deuxième édition in-12 de 1657 ec toutes les éditions suivantes : Prifcs de nos pères Layman. Tlicol. mor. l. i. tr. r . c. 2. § 2, n. 7; f'afqiic;. Dijl. 62. c. S; n. ^7; Sanchejy m Sum. l. z . c. (), n. 2j et de nos 2./. in princ. Ex. j. n. 2f.

2- M. Faugère, dans les excraics qu'il a publics pour la première fois du manuscrit autographe de Pascal et qui se rapportent aux Pnn-irciales : 0 mon père! lui dis-Je, la bonne rai 'on! Oh! me dit le père, que voilà un homme com-

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7^

Lettres pr^oiiinciales.

l'entends bien, luy dis-je. Mais il me vient vne difficulté dans Telprit. C'efl qu'après auoir confulté vn de vos Doc- teurs, & pris de luy vne opinion vn peu large, on fera peut-eftre attrappé , fi on rencontre vn ConfefTeur qui n'en ibit pas, & qui refufe l'abfolution fi on ne change de fenti- ment. N'y auez-vous point donné ordre, mon Père? En dou- tez-vous, me répondit-il? On les a obligez à abfoudre leurs penitens qui ont des opinions probables, fur peine de péché mortel, afin qu'ils n'y manquent pas. C'eft ce qu'ont bien monftré nos Pères, & entre autres le P. Bauny * : Quand le poittent, dit-il, fuit VJie opinion probable, le Confeffeiir le doit abfoudre, quoj" que f on opinion foit contraire à celle du pénitent. Mais il ne dit pas que ce foit vn péché mortel de ne le pas abrotidre? Que vous eftes prompt, me dit-il; efcoutez la fuite : il en fait vne conclufion expreffe : Refiifer l'abfolution à jni pénitent qui agit félon vne opinion probable, ejl vn péché qui de fa nature ejl mortel. Et il cite pour confirmer ce fen- timent trois des plus fameux de nos Pères, Sûarez, Vafquez & Sanchez".

O mon Père, luy dis-je, voila qui eft bien prudemment ordonné! Il n'y a plus rien à craindre. Vn Confeffeur n'ofe- roit plus y manquer. le ne fçauois pas que vous euffiez le pouuoir d'ordonner fur peine de damnation. le croyois que vous ne fçauiez qu'ofter les péchez; ie ne penfois pas que vous en fceuffiez introduire. Mais vous auez tout pouuoir, à ce que ie voy. Vous ne parlez pas proprement, me dit-il. Nous n'introduifons pas les péchez, nous ne faifons que les

mode! O. mon père ^ répondis-Je ^ fans vos cafuiftes . qu'il y aurait de monde damné! ô que vous rendei large la voie qui mène au ciel! 6 quil y a de gens qui la trouvent!

1. Les deux exemplaires 111-4° ^^ ^^ bibliothèque de l'Inscicut , la deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes: Tr. i-, de Pœnir. qu. ij. p. (jj.

2. Les mêmes éditions : Suarej. to. -f. d. j2. sed. 5; Vafquej. difp. 62. c. 7 et Sanchej. n. 2^.

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4^

Cinquième lett?x\ -^

remarquer. l'ay defîa bien reconnu deux ou trois fois que vous n'elles pas bon Scholaftique. Quoy qu'il en foit, mon Père, voila mon doute bien refolu. Mais i'en ay vn autre encore à vous propofer. C'eû que ie ne fçay comment vous pouuez faire, quand les Pères * font contraires au fentiment de quelqu'vn de vos Cafuifles.

Vous l'entendez bien peu, me dit-il. Les Pères eftoient bons pour la Morale de leur temps 5 mais ils font trop efloi- gnez pour celle du noftre. Ce ne font plus eux qui la règlent, ce font les nouueaux Cafliiftes. Efcoutez noftre Père Cellot - qui fuit en cela nollre fameux Père Reginaldus : Dans les que fiions de Morale, les nouueaux Cafuifles font préférables aux anciens Pères, quoy qu'ils fuffent plus proches des Apojlres. Et c'eft en fuiuant cette maxime que Diana parle de cette forte ^ : Les Benejîciers font-ils oblige ^ de reftituer leur reuenu dont ils difpofent mal? Les anciens difoient qu'ouj'; mais les nouueaux difent que non : ne quittons donc pas cette opinion qui décharge de l'obligation de reflituer. Voila de belles paroles, luy dis-je, & pleines de confolations pour bien du monde. Nous laifTons les Pères, me dit-il, à ceux qui traittent la Pofitiue 5 mais pour nous qui g-ouuernons les confciences, nous les lifons peu, & ne citons dans nos efcrits que les nouueaux Cafuifles. Voyez Diana qui a furieufement efcrit^ ; il a mis à l'entrée de fes liures la lille des auteurs qu'il rap- porte. 11 y en a 296, dont le plus ancien ell: depuis quatre- vingts ans. Cela ell donc venu au monde depuis voftre locieté, luy dis-je? Enuiron, me refpondit-il. C'ell à dire, mon Père, qu'à voftre arriuée on a veu dilparoiftre S. Auguf-

1. Toutes les éditions modernes ajoutent : De VEglife.

2. Les deux exemplaires in-4° de la bibliothèque de l'Institut , la deuxième édition in- 12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : De Hier, l. S. c. 16 . p. 7i^.

3. Les mêmes éditions : P. ^. tr. S. reg. ji.

4. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivanxs : Qui .j rjnr écrit, Nicole : I/nincnJcrum voluminurn confeclor.

10

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y4 Lettres prouinciales.

tin, S. Chryfoftome, S. Ambroife, S. Hierôme & les autres, pour ce qui eft de la Morale. Mais au moins, que ie fçache les noms de ceux qui leur ont fuccedé 5 qui font-ils ces nou- ueaux auteurs? Ce font des gens bien habiles & bien célèbres, me dit-il. C'eft Villalobos, Conink, Llamas, Achokier, Deal- kozer, Dellacruz, Vera-Cruz, Vgolin, Tambourin, Fernandez, Martinez, Suarez , Henriquez, Vafquez, Lopez, Gomez, Sanchez, de Vechis, De Grafîis, De Grafîalis, De Pitigianis, De Graphaeis, Squilanti, Bizozeri, Barcola, De Bobadilla , Simancha, Ferez De Lara, Aldretta, Lorca, De Scarcia, Quaranta, Scophra, Pedrezza, Cabrezza, Bisbe, Dias, De Clauafio, Villagut, Adam à Manden, Iribarne, Binsfeld, Vol- fano-i à Vorberg, Voftheti , StreuefdorF. O mon Père, luy dis-je tout effrayé, tous ces gens eftoient-ils Chreftiens? Comment, Chreftiens, me refpondit-il! Ne vous difois-je pas que ce font les seuls par lefquels nous gouuernons auiour- d'huy la Chreftienté ? Cela me fît pitié ; mais ie ne luy en tefmoignay rien, & luy demanday feidement fi tous ces Au- teurs là elloient lefuites. Non, me dit-il; mais il n'importe; ils n'ont pas laiffé de dire de bonnes chofes. Ce n'eft pas que la plufpart ne les ayent prifes ou imitées des noftres. Mais nous ne nous piquons pas d'honneiu*, outre qu'ils citent nos Pères à toute heure, & auec éloge; voyez Diana qui n'efl: pas de noftre Société; quand il parle de Vafquez, il l'appelle le Phénix des efprits. Et quelque fois il dit que ]^afqiie:{ feid luy eft autant que tout le relie des hommes enfemble, inftar omnium. Auffi tous nos Pères fe feruent fort fouuent de ce bon Diana ; car fi vous entendez bien nollre doctrine de la probabilité, vous verrez bien ^ que cela n'y fait rien. Au contraire nous auons bien voulu que d'autres que les lefuites puiffent rendre leurs opinions probables, afin qu'on ne puiffe pas nous les imputer toutes. Et ainfi quand quelque auteiu* que ce foit en a auancé vne, nous auons droit de la prendre fi nous le

I. L'édition in-8"de 1659 et toutes les éditions suivantes: J^njsverreiquc.

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Cinquième lettre. 7^

voulons par la doctrine des opinions probables, & nous n'en Ibmmes pas les garands quand l'auteur n'eft pas de nortre corps. l'entends tout cela, luy dis-je. le voy bien par que tout ell bien venu chez vous, hormis les anciens Pères; & que vous eftes les Maiftres de la campagne : vous n'auez plus qu'à coiu-ir.

Mais ie preuois trois ou quatre grands inconueniens, & de puifTantes barrières qui s'oppoferont à vôtre courfe. Et quoy, me dit le Père tout eftonné? C'eft, luy refpondis-ie, l'Efcriture fainte, les Papes & les Conciles, que vous ne pouuez démentir, & qui font tous dans la voye vnique de l'Euangile. Eft-ce tout, me dit-il? Vous m'auez fait peur. Croyez-vous qu'vne chofe vifible n'ait pas elle preueuë, &. que nous n'y ayons pas pourueu? Vrayment ie vous admire de penfer que nous foyons oppofez à l'Efcriture, aux Papes ou aux Conciles! Il faut que ie vous éclaircifle du contraire. le ferois bien marry que vous crufîîez que nous manquons à ce que nous leur deuons. Vous auez fans doute pris cette penfée de quelques opinions de nos Pères qui paroiffent choquer leurs decifions, quoy que cela ne foit pas. Mais pour en entendre l'accord, il faudroit auoir plus de loifir. le fou- haite que vous ne demeuriez pas mal édifié de nous. Si vous voulez que nous nous reuoyons demain, ie vous en donneray l'éclairciifement. * Voila la hn de cette conférence, qui fera celle de cet Entretien; aufîi en voila bien affez pour vne Lettre. le m'affure que vous en ferez fatisfait en attendant la fuite, le fuis, &c.

I. Quelques édicions modernes indiquent ici un alinéa,.

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SIXIESME LETTRE

ESCRITE A VN PROVINCIAL

PAR VN DE SES AMIS '

De Paris, ce lo Avril 1656. Al O N S I E \' R ,

le vous ay dit à la fin de ma dernière Lettre que ce bon Père lefuitte m'auoit promis de m'apprendre de quelle forte les Cafuiftes accordent les contrariété/ qui le rencontrent entre leurs opinions & les dedfions des Papes, des Conciles & de l'Efcriture. Il m'en a inftruit en effet dans ma féconde vifite , dont voicy le récit. le le feray plus exactement que l'autre; car j'y portay des tablettes, pour marquer les cita- tions des paffages, & je fus bien fafché de n'en auoir point apporté dés la première fois. Neantmoins fi vous elles en peine de quelqu'vn de ceux que je vous ay citez dans l'autre Lettre, faites-le moy fçauoir, je vous fatisferay facilement'.

1. L'édition in-S" de 1659 et la plupart des éditions modernes : Sixième lettre .

2. L'édition in-S'' de 1659 et toutes les éditions suivantes, à son exemple , suppriment la fin de ce paragraphe depuis les mots : le le ferai plus exacleinent que Vautre. Pascal, au commencement de la sixième Provinciale, fait allusion aux nombreuses citations de la cinquième lettre, et semble regret- ter de n'avoir pas indiqué le volume, le traité, le chapitre, le numéro, le paragraphe d'où il les avait tirées. Cette indication ayant été ajoutée dans la deuxième édition in-12 de 165-' et dans les suivantes, l'expression des regrets

78 Lettres proiiinciales.

Ce bon Père me parla donc ^ de cette forte. Vne des manières dont nous accordons ces contradictions apparentes, eft par l'interprétation de quelque terme. Par exemple le Pape Greg-oire XIV a déclaré que les afTaffins font indignes de jouïr de Tazyle des Eglifes, & qu'on les en doit arracher. Cependant nos 24 Vieillards difent en la page 660- : Qiie tous ceux qui tuent en trahi/ou ne doiuent pas encourir la peine de cette Bulle. Cela vous paroill eftre contraire, mais on l'ac- corde, en interprétant le mot d'ajjajfin, comme ils font par ces paroles : Les ajjaj/ins ne font-ils pas indignes de jouir du priuilege des Eglifes? Ouy par la Bulle de Gre goitre XIV. Mais nous entendons par le mot d'Aj[]'a£ins , ceux qui ont receii de l'argent pour tuer quelqu'jni en trahi/on. D'où il arriue que ceux qui tuent fans en receuoir aucun prix , mais feulement pour obliger leurs amis, ne font pas appelle':^ ajjdjjins. De mefme il eft dit dans l'Euangile : Donnei l'aumofne de voflre fuperjlu. Cependant plufieurs Cafuiftes ont trouué moyen de defchar- g"er les perfonnes les plus riches de l'obligation de donner l'aumofne. Cela vous paroill encore contraire, mais on en fait voir facilement l'accord, en interprétant le mot àQ fuper- jlu, en forte qifil n'arriue prefque jamais que perfonne en ait. Et c'eft ce qu'a fait le docte Vafquez en cette forte dans fon traité de l'Aumofne, c. 4 \- Ce que les perfonnes du monde gardent pour releuer leur condition & celle de leurs parens, n'eji pas appelle fuperjlu. Et c'ejt pourquoy à peine trouuera-t-on

de rauccur a disparu du premier paragraphe de la sixième Provinciale. Il esc bon de faire observer néanmoins que les deux exemplaires in-4" de la biblio- thèque de rinsdcut, ainsi que la deuxième édicion in-12 de 1657, qui onc rétabli toutes les citations dans la cinquième lettre, onc reproduit la fin du premier paragraphe de la sixième.

1. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes suppriment le mot donc.

2. Les mêmes éditions, au lieu de : En la page 660 , indiquent Li citation de la manière ci-après : Tr. 6 . ex. f . n. 27.

3. Quelques éditions modernes ajoutent: N. z-f.

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Sixième lettre. *

quily ait jamais de fuperJJu dans les gens du monde, & non pas me/me dans ' les Rois.

Auffi Diana ayant rapporté ces mefmes paroles de Vaf- qiiez, car il fe fonde ordinairement fur nos Pères, il en con- cliid fort bien, que dans la quejîion : Si les i^iches font oblio-e- de donner V aumof ne de leur fuperJJu , encore que Vaffirmatiue fut véritable, il n'arriuera jamais ou prefque jamais qu'elle oblige dans la prattique.

le voy bien, mon Père , que cela fuit de la doctrine de Vafquez. Mais que refpondroit-on fi on m'objectoit, qu'afin de faire fon falut, il feroit donc auffi feur félon Vafquez d'auoir a(fez d'ambition pour n'auoir point de fuperflu, qu'il eft feur félon l'Euan^ile, de n'auoir point d'ambition pour donner l'aumofne de fon fuperflu'? 11 faudrait refpondre, me dit-il, que toutes ces deux voyes font feures 'félon le mefme Euangile, l'vne félon l'Euangile dans le fens le plus literal & le plus facile à trouuer; l'autre félon le mefme Euangile interprété par Vafquez. Vous voyez par l'vtilité des interprétations.

Mais quand les termes font fi clairs qu'ils n'en foufFrent aucune, alors nous nous feruons de la remarque des circon- llances fauorables, comme vous verrez par cet exemple. Les Papes ont excommunié les Relig-ieux qui quittent leur habit.

I- Quelques édicions modernes : Chci les gens du monde, et non pas même chei les rois.

2. L'éditidii in-8'' de 1659 et toutes les éditions suivantes : De ne point donner Vawno.je . poun'u quon ait ajfej d'ambition pour n'avoir point de fuper- flu ; qu'il eft fur . félon l'Evangile, de n'avoir point d'ambition, afin d'avoir du fuperflu pour en pouvoir donner l'aumône. Une correction manuscrite de notre collection in-4° p3r:e : Si on objedoit qu'il feroit donc auffy feur. félon f'af- quej. de faire fon falut. affin d'auoir aJfej d'ambition pour n'auoir point de fu- perflu ; comme il ejl feur . félon l'Euangilc . de n'auoir point d'ambition . pour pouuoir donner l'aumofne de fon fuperflu. Quoique cecte leçon n'ait pas été com- pL'cemenc aiop;Je par les édiccars de 1659, on dirait qu'ils l'on: eue sous les yeux.

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80 Lettres prouinciales.

& nos 24 Vieillards ne laiffent pas de parler en cette forte, p. 704 ^ : £■« quelles occajîons m Religieux peut-il quitte?- f on habit fans encourir l'excommunication ? Il en rapporte plu- fieurs, & entr'autres celles-cy : S'il le quitte pour vue caufe honteufe , comme pour aller Jilouter , ou pour aller incognito en des lieux de débauches, le deuant bien-toft reprendre. Auffi il eft vifible que les Bulles ne parlent point de ces cas là.

l'auois peine à croire cela, & je priay le Père de me le monftrer dans l'original ; & je vis que le chapitre font ces paroles , eft intitulé , Prattique félon l'efcole de la focieté de lefus , Praxis ex focietatis lefu fcolâ : & j'y veis ces mots : Si habitum demittat vt furetur occulté, vel fornicetur. Et il me monftra la mefme chofe dans Diana en ces termes : Vt eat incognitus ad lupanar. Et d'où vient, mon Père, qu'ils les ont defchargez de l'excommunication en cette rencontre? Ne le comprenez-vous pas, me dit-il? Ne voyez-vous pas quel icandale ce teroit de furprendre vn Religieux en cet eftat avec Ton habit de Rehgion? Et n'auez-vous point ouy parler, continua-t-il, comment on refpondit à la première Bulle Contra follicitantes? & de quelle forte nos 24 dans vn Chapitre auffi de la prattique de l'Efcole de noftre Société expliquent la Bulle de Pie V Contra clericos, &c.? le ne fçay ce que c'eft que tout cela, luy dis-je. Vous ne lifez donc gueres Efcobar, me dit-il. le ne l'ay que d'hier, mon Père, & mefme j'eus de la peine à le troiuier. le ne fçay ce qui eft arriué depuis peu, qui fait que tout le monde le cherche. Ce que je vous difois, repartit le Père, eft en la page 117-. Voyez-le en voftre particulier. Vous y trouuerez vn bel exemple de la manière d'interpréter fauorablement les Bulles, le le veis en eft'et, dés le foir mefme ; mais je n'ofe vous le rapporter, car c'eft vne chofe eftî'oyable.

1. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes substituent à l'indication p. /o^f : Tr. (7. ex. 7. n. zoj.

2. Les mêmes éditions : Efl au tr. i . ex. S. n. 102.

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Sixième lettre. ^j

Le bon Père continua donc ainfi. Vous entendez bien maintenant comment on fe fert des circonftancesfauorables. Mais il y en a quelquefois de fi precifes, qu'on ne peut ac- corder par les contradictions, de forte que ce feroit bien alors que vous croiriez qu'il y en auroit. Par exemple, trois Papes ont décidé que les Relig-ieux qui font obligez par vn vœu particulier à la vie quadragefimale , n'en font pas dif- penfez, encore qu'ils foient faits Euefques. Et cependant Diana dit, que nonobjlant leur decifion ils en font difpenfe:^. Et comment accorde-t-il cela, luy dis-je? C'eft, répliqua le Père, par la plus fubtile de toutes les nouuelles méthodes, & par le plus fin de la probabilité. le vas vous l'expliquer. C'eft que, comme vous le veilles l'autre jour, l'affirmatiue & la neg^atiue de la plufpart des opinions ont chacune quelque probabilité, au jugement de nos Docteurs, &. affez pour élire fuiuies auec feureté de confcience Ce n'eft pas que le pour & le contre foient enfemble véritables dans le mefme fens ; cela eft impoffible, mais c'ell feulement qu'ils font* pro- bables & feurs par confequent.

Sur ce principe Diana noftre bon amy parle ainfi en la part. 5, tr. 13, r. 39 : /^ refpons à la deciCion de ces trois Papes, contraire- à mon opiiiion, qu'ils ont parlé de la forte, en s' attachant à l'affirmatiue, laquelle en effet ed probable , à mon jugement mefme; mais il ne s'enfuit pas de que la neg-atiue n'ait auffi fa probabilité. Et dans le mefme traité R. 65, fur vn autre fujet dans lequel il elt encore d'vn fen- timent contraire à vn Pape, il parle ainfi : Que le Pape l'ait dit comme chef de l'Eglife, je le veux. Mais il ne l'a fait que dans l'eflenduë de la fphere de probabilité de fon fentiment . Or vous voyez bien que ce n'eft pas blelfer les fentimens des Papes, on ne le fouftriroit pas à Rome Diana eft en vn

1. L'édition m-8° de 1659 e: toutes les éditions suivantes : Qu'ils font enfemble.

2. Les mêmes éditions : Qui efl contraire.

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82 Lettres proiiinciaks.

fi haut crédit ^ Car il ne dit pas que ce que les Papes ont décidé , ne foit pas probable 5 mais en laifTant leur opinion dans toute la fphere de probabilité , il ne laiffe pas de dire que le contraire eft auffi probable. Cela eft tres-refpec- tueux, luy dis-je. Et cela eft plus fubtil, aioufta-t-il, que la refponfe que fit le P. Bauny quand on eut cenfuré fes liures à Rome. Car il luy échapa d'écrire contre Mon- fieur Hallier qui le perfecutoit alors furie ufement : Qu'a de commun la cenfure de Rome auec celle de France? Vous voyez aflez par que foit par l'interprétation des termes, foit par la remarque des circonftances fauorables , foit enfin par la double probabilité du pour & du contre, on accorde tou- fiours ces contradictions prétendues, qui vous eftonnoient auparauant, fans jamais bleffer les decifions de l'Efcriture, des Conciles ou des Papes, comme vous le voyez. Mon Reuerend Père, luy dis-je, que TEglife eft heureufe de vous auoir pour defenfeurs ^ ! Que ces probabilitez font vtiles ! le ne fçauois pourquoy vous auiez pris tant de foin d'eftabbr ■qu'vn feul docteur, s'il ejî graue, peut rendre vne opinion probable ; que le contraire peut l'eftre auffi ; & qu'alors on peut choifir du pour & du contre celuy qui agrée le plus , encore qu'on ne le croye pas véritable, & auec tant de feu- reté de confcience, qu'vn Confefteur qui refuferoit de don- ner l'abfolution fur la foy de ces Cafuiftes, feroit en eftat de damnation. D'où je comprends qu'vn feul Cafuifte peut à fon gré faire de nouuelles règles de morale, & difpofer félon fa fantaifie de tout ce qui regarde la conduite de

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4'', adoptée par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Efl en fi grand crédit. C'est cette dernière leçon que Nicole a traduite : Magnâ illic gratiâ pollens.

2. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Que le monde ejl heureux de vous avoir pour ma: très! Nicole : Fortunatum. mi Pater, vobis magiflris orbem!

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Sixième letti^e. 83

l'Eglife ^ 11 faut, me dit le Père, apporter quelque tem- pérament à ce que vous dites. Aprenez bien cecy. Voicy noflre méthode , vous verrez le progrez d'vne opinion nouuelle depuis fa naiffance jufqu'à fa maturité.

D'abord le Docteur graiie qui Ta inuentée l'expofe au monde, & la jette comme vne femence pour prendre racine. Elle eft encore foible en cet eftat ; mais il faut que le temps la meuriffe peu à peu. Et c'eil: pourquoy Diana, qui en a introduit plufieurs, dit en vn endroit : l'aiiance cette opinion, mais parce quelle ejî nouuelle , ie la laijfe meu7~ir au temps, relinquo tempori maturandajn. Ainfi en peu d'années on la voit infenfiblement s'affermir, & après vn temps confide- rable, elle fe trouue autorifée par la tacite approbation de l'Eglife , félon cette grande maxime du P. Bauny : Qii'vne opinion eftant auancée par quelques Cafuijles, & l'Eglife ne s'y ejlant point oppofée, c'ejl im témoignage qu'elle l'approuue. Et c'eft en effet par ce principe qu'il autorife vn de fes fen- timens dans fon traité 6, p. 312. Et quoy, luy dis-je, mon Père, l'Eglife à ce compte-là approuueroit donc tous les abus qu'elle fouffre, & toutes les erreurs des liures qu'elle ne cenflu'e point? Difputez, me dit-il, contre le P. Bauny. le vous fais vn récit, & vous conteflez contre moy. Il ne faiu jamais difputer fur le fait". le vous difois donc que quand le temps a ainfi meuri vne opinion, alors elle ell probable tout à fait^ & feure. Et de vient que le Docte Caramuel dans la Lettre il addreffe à Diana fa Théologie fon- damentale, dit que ce grand Diana a rendu plufieurs opi- nions probables, qui ne l'eftoient pas auparauant , quœ antea

1. L'édition de 1659 ec toutes les éditions suivantes: De tout ce qui regarde la conduite des mœurs. Nicole, dans sa version latine de 1658, n'a pas adopté la nouvelle leçon : Totam Ecclefiœ difciplinam inverti pojfe.

2. Les mêmes éditions : // ne faut Jamais difputer fur un fait.

3. Les mêmes éditions : Tout à fait probable et fùre. Une correction manuscrite de notre collection in-4" donne la même leçon.

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84 Lettres proiiinciales.

non erant. Et qu'ainji on ne pèche plus en les fiiiiiant , au lieu qu'on pechoit auparauant , jam non peccant , licet ante pecca- uerint.

En vérité, mon Père, luy dis-je, il y a bien à profiter auprès de vos Docteurs. Quoy, de deux perfonnes qui font les mefmes chofes , celuy qui ne Içait pas levir doctrine , pèche ; celuy qui la fçait, ne pèche pas ! Elle eft donc tout enfemble inftructiue & juftifiante ^ La Loy de Dieu faifoit des preuaricatevirs félon faint Paul , et ^ celle-cy fait qu'il n'y a prefque que des innocens. le vous fupplie, mon Père, de m'en bien informer, je ne vous quitteray point que vous ne m'ayez dit les principales maximes que vos Cafuiftes ont eftablies.

Helas! me dit le Père, nollre principal but aiu-oit efté de n'ellablir point d'autres maximes que celles de l'Euangile dans toute leur feuerité. Et l'on voit aflez par le règlement de nos mœurs, que fi nous fouffrons quelque relafchement dans les autres, c'eil pluiloll par condefcendance que par deflein. Nous y fommes forcez. Les hommes font aujour- d'huy tellement corrompus, que ne pouuant les faire venir à nous, il faut bien que nous allions à eux. Autrement ils nous quitteroient, ils feroient pis, ils s'abandonneroient entièrement. Et c'eft pour les retenir que nos Cafuiftes ont confideré les vices aufquels on eft le plus porté dans toutes les conditions, aiin d'eftablir des maximes fi douces, fans toutefois bleffer la vérité, qu'on feroit de difficile compofition fi l'on n'en eftoit content. Car le deffein capital que noftre société a pris pour le bien de la Religion, eft de ne rebutter qui que ce foit , pour ne pas defefperer le monde.

Nous auons donc des maximes pour toutes fortes de perfonnes, pour les Beneftciers, pour les Preftres, pour

I. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes: Eft-elle donc tout enfemble injhudu'c et jujiifiante ?

I . Les mêmes éditions suppriment la conjonction Et.

1

Sixième lettt^e.

les Religieux, pour les Gentils-hommes, pour les Domef- tiques, pour les riches, pour ceux qui font dans le com- merce, pour ceux qui font mal dans leurs affaires/ pour ceux qui font dans l'indigence, pour les femmes deuotes, pour celles qui ne le font pas, pour les gens mariez, pour les gens déréglez. Enfin rien n'a échapé à leur preuoyance. C'efl à dire, luy dis-je, qu'il y en a pour le Clergé, la Nobleffe & le tiers Eflat. Me voicy bien difpofé à les en- tendre.

Commençons, dit le Père, par les Beneficiers. Vous fçauez quel ti-afic on fait aujourd'huy des bénéfices ; & que s'il falloit s'en rapporter à ce que faint Thomas & les anciens en ont écrit, il y auroit bien des Simoniaques dans l'Eghfe. Et c'efl pourquoy^ il a elle fort neceffaire que nos Pères aient tempéré les choies par leur prudence, comme ces pa- roles de Valentia, qui eu l'vn des quatre animaux d'Efcobar, vous l'apprendront. C'efl la conclufion d'vn long difcours, il en donne plufieurs expediens, dont voicy le meilleur à mon auis. C'efl en la p. 2042 - du Tome 3 : Si l'on donne vn bien teinporel pour vn bien fpirituel , c'efl à dire de l'argent pour vn Bénéfice , & qu'on donne l'argent comme le prix du Benefce , c'efl vue fimonie vifible. Mais fi on le donne comme le 7notif qui porte la l'olonté du bénéficier à le refigner, non tanquam pretium beneficii , fed tanquam motiuum ad refignandum \ ce

*• Ledicion 1:1-8*' de 1659 ec touces les éditions suivan:es : C'fjl pourquoi.

2. Les mêmes édicions : P. 2oj().

3. La deuxième édicion in-12 de 1657 remplace dans la citation latine les mots : Sed tanquam motiuum ad refignandum. par les termes plus £^énéraux : Sed tanquam motiuum confcrendi fpintujlc. Dans l'édition in-S'" de 1659 & dans toutes les éditions suivantes, on a substitué l'exemple d'une collation de bénéfice à celui d'une refignation de bénéfice et supprimé tout à fait la citation latine ; d'où résulte la leçon ci-après : Mais //" on le donne comme le motif qui porte la volonté du collateui à le conférer, ce nejl point fi monie. encore que celui qui le conjère confidère et attende l'argent comme la fin principale. Ces hésita-

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86

Lett?^es pî^oiiiticiales.

n'ejî point Junonie , encore que celuy qui rejigne, cojîjidere & attende l'argent cojnme fa fin principale. Tannerus , qui eft encore de noftre Société , dit la melme chofe dans Ton tome 3, p. 15 197 q^ioy qu'il avoue, que S. Thomas j' efi con- traire, en ce qu'il enfeigne abfolument que cefi toufiours Jimonie de donner ini bien fpirituel pour j^n temporel, fi le temporel en efi la fin. Par ce moyen nous empefchons vne infinité de fimonies. Car qui feroit afTez mefchant pour refufer, en don- nant de l'arg-ent pour vn bénéfice, de porter ion intention à le donner comme i^n motif qui porte le bénéficier à le refi- gner, au lieu de le donner comme le prix du bénéfice? per- Ibnne n'eil: afiez abandonné de Dieu pour cela. le demeure d'accord, luy dis-je, que tout le monde a des grâces fuffi- lantes pour faire vn tel marché. Cela eft afiuré, repartit le Père.

Voilà comment nous auons adouci les chofes à l'égard des beneficiers. Quant aux Preftres, nous auons plufieurs

tions montraient bien la difficulté de trouver, en termes précis, dans l'auteur cité, les propositions que l'on voulait signaler comme des conséquences de sa doctrine générale sur la simonie; et en eiFet, Nicole, dans sa traduction latine, cite tout autrement. Voici sa citation : Dupliciter , inquit t. j. d. . qu. i6 , y. j. p. 20f 2 . potejl quis conferre fpirituale propter temporale : principaliter, et tanquain propter Jinem. Vno modo, fi temporale œjlimet plans quàm ipfum temporale ; et tune ommno committit talis funomam. Altéra modo potejl quis conj erre fpirituale propter temporale principaliter. tanquam propter Jinem. ita ut temporale apud eum non fit finis ipftus rei fpiritualis, quafi temporale pluris ah eo quàm fpirituale œfîimetur; fed tantummodo voluntatis five applicationis ammi ad aclum conferendi fpirituale : et hoc non ejl ftmonia. Et infra : Cum petitur temporale pro fpirituali, non tanquam pretium debitum ex jujlitià . fed tanquam finis applicationis animi ad conferendiim fpirituale . minime erit fimonia, etiamfi principaliter intendatur et expecletur. La citation de Nicole est exacte, en ce sens qu'il ne cite rien qui ne soit dans Valentia; mais il abrège et sup- prime beaucoup d'intermédiaires, ce qui esc toujours une manière périlleuse de citer. Nous nous en sommes assuré par la confrontation avec le texte de Va- lentia dans l'édition in-folio de Paris, t. III, col. 1801 et 1802. Si Nicole indique le chiffre 2042, c'est probablement qu'il avait sous les yeux l'édition originale d'Ingolstadt.

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Sixième lettre.

87

maximes qui leur font affez fauorables. Par exemple celle-cv de nos 24, p. 143 ' : Vli Preftre qui a receu de l'argent pour dire pue MeJJe, peut-il receuoir de uouuel argent fur la mefme Mejje ? Our, dit Filliutius , en appliquant la partie du facrijice qui luf appartient comme Preftre, à celur qui le paye de noii- ueau , pourueu qu'il n'en reçoiue pas autant que pour vue Me [Je entière; mais feulement pour vue partie , comme pour vn tiers de MejJe.

Certes, mon Père, voicy vne de ces rencontres le pour & le contre font bien probables. Car ce que vous dites ne peut manquer de l'eftre, après l'autorité de Filliutius & d'Efcobar. Mais en le laifîant dans la fphere de probabilité % on pourroit bien, ce me femble , dire auffi le contraire, & l'appuyer par ces raifons. Lors que l'Eglife permet aux Preftres qui font pauures de receuoir de l'arg-ent pour leurs MefTes, parce qu'il efl bien jufte que ceux qui feruent à l'autel, viuent de l'Autel, elle n'entend pas pour cela qu'ils échangent le facrifîce pour de l'argent, & encore moins qu'ils fe priuent eux-mefmes de toutes les grâces qu'ils en doiuent tirer les premiers. Et je dirois encore que les Preftres, félon S. Paul, font oblige^ d'offrir le facrifice premièrement pour eux-mefmes, & puis pour le peuple; & qu'ainfi il leur eft bien permis d'en afîbcier d'autres au fruit du facrifice , mais non pas de renoncer eux-mefmes volontairement à tout le fruit du facrifice & de le donner à vn autre pour \n tiers de Meffe, c'efl à dire pour 4 ou 5 fols. En vérité, mon Père, pour peu que je fuffe graue , je rendrois cette opinion pro- bable. Vous n'y auriez pas grande peine \ me dit-il ; celle-là

i. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes, au lieu de F- ^'H- ^'■- Zj ex. Il, n. r/;.

2. Les mêmes éditions : Dans fa fphère de probahilitc. C'est aussi cette leçon que traduit Nicole : Si qms illud intra fuœ probabilnatis fphacram relinquat.

3. Quelques éditions modernes : Grand' pci ne.

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LettJ^es prouinciales.

l'eft vifiblement ' . La difficulté eftoit de trouiier de la pro- babilité dans le contraire '-. Et c'eft ce qui n'appartient qu'aux grands hommes. Le P. Bauny y excelle. Il y a du plaifir de voir ce fçauant Cafuille pénétrer dans le pour & le contre d'vne mefme queftion qui regarde encore les Preftres, & trouuer railbn par tout, tant il eft ingénieux &

fubtil.

Il dit en vn endroit, c'eft dans le traité lo, p. 474 : On ne peut pas faire me loy qui obligeaft les Ciire^ à dire la Mejfe tous les jours,, parce quvne telle loj les expoferoit indubitable- ment, haud dubiè, au péril de la dire quelquefois en péché mor- tel. Et neantmoins dans le mefme traité 10, p. 441, il dit : Que les Pre(\res qui ont receu de l'argent pour dire la MeJfe tous les Jours, la doiuent dire tous les jours, & qu'ils ne peuuent pas s'excufer fur ce qu'ils ne font pas tou^iours aJJ'e^ bien pre- parei pour la dire, parce qu'on peut toufiours faire l'acie de contrition; & que s ils y manquent, c'eft leur faute , & non pas celle de celuj qui leur fait dire la Meffe. Et pour leuer les plus grandes difficultez qui pourroient les en empefcher, il refont ainfi cette queftion dans le mefme traité qu. 32, p. 457 : Vn Pî-efre peut-il dire la Meffe le mefme jour qu'il a commis vn péché mortel, & des plus criminels , en fe confeffant auparavant? Non, dit Villalobos , à caufe de fon impureté; mais Sancius dit que ouy , & fans aucun péché; & je tiens fon opinion feure , & quelle doit efre fuiuie dans la pratique, & tuta & fequenda in praxi.

Quoy, mon Père, luy dis-je; on doit fuiiire cette opinion dans la pratique! Vn Preftre qui feroit tombé dans vn tel defordre, oferoit-il s'approcher le mefme jour de l'Autel fur

1. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Elle l'ejl vifiblement.

2. Les mêmes éditions : Dans le contraire des opinions qui font mani- feftement bonnes. Nicole traduit la leçon primitive : In oppojîta probabilitatem im'enire arduum erat et operofum.

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Sixième lettre. 89

la parole du P. Bauny? Et ne deuroit-il pas plulloft ' déférer aux anciennes loix de TEglife, qui excluoient pour jamais du facrifîce - les Preftres qui auoient commis des péchez de cette forte, qu'aux nouvelles opinions des Cafuiftes qui les y admettent le jour mefme qu'ils y font tombez? Vous n'auez point de mémoire, dit le Père. Ne vous appris-je pas l'autre fois que, o;z ne doit pas fuiiwe dans la morale les anciens Pères, mais les nouueaux Cafuijles, félon nos Pères Cellot & Regi- naldus'? le m'en fouuiens bien, luy refpondis-je. Mais il y a plus icy; car il y a des loix de l'Eglife. Vous auez raifon, me dit-il; mais c'eft que vous ne fçauez pas encore cette belle maxime de nos Pères ; Qiie les loix de l'Eglife perdent leur force , quand on ne les obferue plus , cum jam defuetudine abierunt , comme dit Filliutius, tom. 2, tr. 25, n. 33. Nous voyons mieux que les anciens les neceffitez prefentes de l'Eglife. Si on efloit fi feuere à exclure les Preftres de l'Autel, vous comprenez bien qu'il n'y auroit pas vn û grand nombre de MefTes. Or la pluralité des Aleffes apporte tant de gloire à Dieu & tant d'vtilité aux âmes, que j'oferois dire auec nollre Père Cellot, dans fon liure de la Hiérarchie p. 611, Imprefîion de Rouen % qu'il n'y auroit pas trop de Preftres,

1. L'édition in-8° de 1659 et quelques éditions modernes présentent ce passage de la manière suivante : Et ne devroit-il pas déférer aux anciennes

lois de l'Eglife qui excluoient pour jamii s du facrifice les prêtres qui avaient

commis des péchés de cette forte, plutôt que de s^ arrêter aux nouvelles opinions des cafuijles.

2. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes, après les mots : pour jamais du jacrijice , ajoutent : Ou au moins pour un long temps. Cette addition se trouve déjà dans les deux exemplaires in-4° de la bibliodièque de l'Institut. Mais la deuxième édition in-12 de 1657 ne l'admet pas. Nicole, dans sa version latine de 1658 .• Vel ad longum certè tcmpus arcebant.

3. Les mêmes éditions placent ces mots avanc la citation, leçon qui ell indiquée par une correction marginale dans notre collection in-4".

4. On ne trouve pas dans la deuxième édition in-12 de 1657 les mots : Imprcjfion de Rouen. Quelques-unes des éditions suivantes , mais en très-petit nombre, ont fait la même suppression.

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9.

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Lettres proiiinciales.

quand non feulement tous les hommes <& les femmes , fi cela fe pomioit, mais que les corps infenfibles & les befies brutes mefmes, bruta animalia , feroient changei en prefires pour célébrer la Meffe. le fus fi lurpris de la bizarrerie de cette imagination que je ne pus rien dire, de forte qu'il continua ainfi.

^ Mais en voila afîez pour les Preftres , je ferois trop long ; venons aux Religieux. Comme leur plus grande diffi- cidté eft en robeïffance qu'ils doiuent à leurs Supérieurs, écoutez l'adouciffement qu'y apportent nos Pères. C'eft Caf- trus Palatis de noftre Société, Op. Mor. p. i, disp. 2, p. 6 : llel} hors de difpute, non efi controuerfia , que le Religieux qui a pour foj' me opinion probable n'efi point tenu d'obéir à fou Supérieur, quoj' que l'opinion du Supérieur foi t la plus probable. Car alors il efi permis au Religieux d'embraffer celle qui luy efi la plus agréable, quœ fibi gratior fuerit, comme le dit Sanche:{. Et encore que le commandement du Supérieur f oit jufie, cela ne l'ous oblige pas de luj obéir; car il n'efi pas jufie de tous points & en toutes manières, non pudequaque Jufiè piwcipit , mais feu- lement probablement : & ain^i vous n'efies engagé que probable- ment à luy obéir, & vous en efies probablement dégagé, proba- biliter obligatus, & probabiliter deobligatus. Certes, mon Père, luy dis-je, on ne fçauroit trop eftimer vn û beau fruit de la double probabilité ! Elle eft de grand vfage , me dit-il, mais abrégeons. le ne vous diray plus que ce trait de noftre célèbre Molina en faneur des Religieux qui font chaf- fez de leurs couuents pour leurs defordres. Noftre P. Efcobar le rapporte en la page 705- en ces termes : Molina affem-e qu'vn Religieux chaffé de fon Monafiere, n'eft point obligé de fe corriger pour r retourner, & qu'il n'efi plus lié par fon vœu d'obéijfance.

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1. La plupart des éditions modernes font commencer l'alinéa aux mots : Je fus fi furpris de la bijarrene...

2. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Tr. 6. ex. 7, n. m.

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Sixième letti^e. c)i

Voila, mon Père, luy dis-je, les Ecclefiaftiques bien à leur aife. le vov bien que vos Cafuiiles les ont traitez fauo- rablement. Ils y ont ag-y comme pour eux-melmes. l'ay bien peur que les gens des autres conditions ne foient pas fi bien traitez. Il falloit que chacun fît pour foy. Us n'auroient pas mieux fait eux-melmes, me repartit le Père; on a ag-i pour tous auec vne pareille charité, depuis les plus grands juf- qu'aux moindres. Et vous m'engagez pour vous le monftrer à vous dire nos maximes touchant les valets.

Nous auons confîderé à leur égard la peine ^qu'ils ont, quand ils font gens de conicience, à leruir des maiftres dé- bauchez. Car s'ils ne font tous les meffages ils les em- ploient, ils perdent leur fortune; & s'ils leur obeïfTent, ils en ont du fcrupule. Et c'ell ^ pour les en Ibulager que nos 24 Pères dans la page 770- ont marqué les jferuices qu'ils peuuent rendre en feureté de confcience. En voicy'quelques- vns : Porter des lettres & des prefens ; ouiirir les portes & les fenejlres ; aider leur maijlre à monter à la fenejlre, tenir l'é- chelle pendant qu'il j' monte: tout cela ejî permis & indiffèrent. Il ejl l'ray que pour tenir l'échelle, il faut qu'ils foient menace^ plus qu'à l'ordinaire s'il y manquoient. Car c'e/i faire injure au mai/Ire d'vne mai/on d'y entrer par la fenejlre.

\ oyez-vous combien cela ell judicieux! le n'attendois rien moins, luy dis-je, d'vn liiire tiré de 24 lefuites. Mais, adjoufta le Père, noftre P. Bauny a encore bien appris aux valets à rendre tous ces deuoirs innocemment à leurs Maiftres, en faifant qu'ils portent leur intention, non pas aux péchez dont ils font les entremetteurs , mais feulement au gain qui leur en reuient. C'eft ce qu'il a bien expliqué dans fa Somme des péchez en la page 710 de la première imprefîîon : iyue les Confeffeurs, dit-il, remarquent bien qu'on

I- L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : C'ej}. 2. Les mêmes éditions substituent aux mots: Dans la page 770, ceux- ci : Tr. 7. ex. -f. n. 22j.

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02 Lettres prouinciales.

ne peut abfoudre les valets qui font des mejfages deshonnejles, s'ils confentent aux pechei de leurs maijîres ; mais il faut dire le contraire s'ils le font pour leur commodité temporelle. Et cela eft bien facile à faire ; car pourquoy s'obftineroient-ils à confentir à des péchez dont ils n'ont que la peine ?

Et le mefme P. Bauny a encore eflably cette grande maxime en faneur de ceux qui ne font pas contens de leurs gages. C'eft dans fa Somme, p. 213 & 214 de la fixiefme Edition : Les i^alets qui fe plaignent de leurs gages, peuuent-ils d'eux-mefmes les croijlre en fe garnijfant les mains d'autant de bien appartenant à leurs maiflres , comme ils s'imaginent en eftre JieceJJaire pour égaler lefdits gages à leur peine? Ils le peuuent en quelques rencontres, comme lors qu'ils font Ji pamn^es en cherchant co7idition , qu'ils ont ejlé oblige^ d'accepter l'offre qu'on leur a faite, & que les autres valets de leur forte gagnent dauantage ailleurs.

Voilà juftement, mon Père, luy dis -je, le pafTage de lean d'Alba.

* Quel lean d'Alba, dit le Père? Que voulez-vous dire? Quoy, mon Père, ne vous fouuenez-vous plus de ce qui fe paffa en l'année 1647 -? ^^ ^^ eftiez-vous donc alors? l'en- leignois, dit-il, les Cas de confcience en vn de nos Collèges ' affez éloigné de Paris. le voy donc bien, mon Père, que vous ne fçauez pas cette hifloire; il faut que je vous la die^ C'eftoit vne perfonne d'honneur qui la contoit l'autre joiu- en vn lieu j'eftois. 11 nous difoit que ce lean d'Alba fer- uant vos Pères du Collège de Clermont de la rue S. lacques, & n'eftant pas fatisfait de fes gages, déroba quelque choie

1 . Quelques éditions modernes réunissent cet alinéa au précédent.

2. L'édition in-S" de 1659 ^^ toutes les éditions suivantes : Ce qui fe pajfa en cette ville Vannée iC^y. Une correction marginale de notre collection in-4° indique cette leçon.

3. Les mêmes éditions : Dans un de nos collèges.

4. La plupart des éditions modernes : Qiie Je vous la dife.

Sixième lettrée. n->

pour le recompenfer. Qu'en fuite vos Pères le firent mettre

en prifon *, l'accufant de vol domeftique ; & que le procès

en fut rapporté au Chaftelet le 6" jour d'Avril 1647, ^^ j'^J

bonne mémoire. Car il nous marqua toutes ces particulari-

tez-là, fans quoy à peine l'auroit-on cru. Ce malheureux

eflant interogé, avoua qu'il auoit pris quelques plats d'elîain

à vos Pères , mais qu'il - ne les auoit pas volez pour cela ,

rapportant pour fa juftifîcation cette doctrine du P. Bauny

qu'il prefenta aux luges, auec un écrit d'vn de vos Pères,

fous lequel il auoit efludié les cas de confcience, qui luy

auoit appris la mefme chofe. Sur quoy Monfieur^' de Mon-

rouge, qui eft vn des plus confiderez de cette Compagnie %

opina & dit ^ : Qu'il n'ejloit pas d'aiiis que fur des écrits de ces

Pères coutenans pne doâriiie illicite, pernicieufe & contraire à

toutes les loix naturelles , diuines & humaines, capable de ren-

uerfer toutes les familles & d'autorifer tous les vols do7nefliques,

ou deuil ah foudre cet accufé. Mais qu'il efloit d'auis que ce trop

fdelle difciple fujt foiietté devant la porte du Collège par la

main du Bourt^eau, lequel en mefme temps brûleroit les écrits de

ces Pères traittant du larcin, & defenfe^ à eux de plus enfei-

gner me telle doârine fur peine de la vie.

On attendoit la fuite de cet auis qui fut fort approuué, lors qu'il arriua vn incident qui fit remettre le jugement de ce procès. Mais cependant le prifonnier difparut, on ne fçait

I- L'édicion in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Que vos pères s'en étant aperçus, le firent mettre en prifon.

2. Les mêmes éditions : Mais il Joutint qu'il.

3- Quelques anciennes éditions, notamment l'édition in-12 de 1659 : Alonfeigneur.

4- L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : L'un des plus considérés de cette compagnie, en supprimant : Qui cil.

5. Les mêmes éditions : Dit en opinant. Les deux leçons qui précèdent sont indiquées par une correction manuscrite dans notre collection in-4'\

6. L'édicion in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Aicc défenfe.

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QA Lettres proiiinciales.

comment, fans qu'on parlaft plus de cette afFaire-là, de forte que lean d'Alba tbrtit, & fans rendre fa vaiffelle. Voila ce qu'il nous dit, & il adjoulloit à cela que l'auis de M. de Mon- rouge eft aux Reg-iftres du Chaftelet, chacun le peut voir. Nous prifmes plaifir à ce conte.

A quoy vous amufez-vous , dit le Père? Qu'eft-ce que tout cela figniiie? le vous parle des maximes de nos Ca- fuiftes; j'ellois preft à vous parler de celles qui regardent les Gentilshommes , & vous m'interrompez par des hiftoires hors de propos. le ne vous le difois qu'en paffant, luy dis-je, & aufîî pour vous auertir d'vne chofe importante fur ce fujet, que je trouue que vous auez oubliée en eftabliffant vollre doctrine de la probabilité. Et quoy, dit le Père, que pourroit-il y auoir de manque après tant d'habiles gens qui y ont paffé ^ ? C'eft, luy refpondis-je, que vous auez bien mis ceux qui fuiuent vos opinions probables en affeurance à l'é- gard de Dieu & de la confcience. Car, à ce que vous dites-, on ell en feureté de ce cofté-la, en fuiuant un Docteur graue. Vous les auez encore mis en afTeurance du cofté des Con- feffeurs ; car vous auez obligé ^ les Prellres à les abfoudre fur vne opinion probable, à peine de péché mortel. Mais vous ne les auez point mis en affeurance du collé des juges, de forte qu'ils fe trouuent expofez au fouet & à la potence en fuiuant vos probabilitez. C'eft vn défaut capital que cela. Vous auez raifon, dit le Père, vous me faites plaifir. Mais c'ell que nous n'auons pas autant de pouuoir fur les Magif- trats que fur les Confeffeurs, qui font obligez de fe rappor- ter à nous pour les cas de confcience. Car c'ell nous qui en

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Apres que tant d'habiles gens y ont paffé.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4" : Puifqwà ce que vous dites . leçon qui n'a été adoptée par aucune édition.

3. Autre correction de notre collection in-4° : Puifque vous avej obligé : elle n'a été reproduite, non plus que la précédente, par aucune édition.

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1

Sixième lettre.

95

jugeons fouuerainement. l'entens bien, luy dis-je; mais fi d'vne part vous eftes les juges des Confeffeurs , n'efles-vous pas de l'autre les ConfefTeurs des luges? Voftre pouuoir eft de grande eftenduë : obligez-les d'abfoudre les criminels qui ont vne opinion probable, à peine d'élire exclus des Sacre- mens ; afin qu'il n'arriue point ' au grand mépris & fcandale de la probabilité , que ceux que vous rendez innocens dans la théorie, foient fouettez & pendus- dans la prattique. Sans cela comment trouueriez-vous des difciples? Il y faudra lon- ger, me dit-il; cela n'efl: pas à négliger. le le propoferay à noftre P. Prouincial. Vous pouuiez neantmoins referuer cet auis à vn autre temps, fans interrompre ce que j'ay à vous dire des maximes que nous auons eftablies en faueur des Gentilshommes, & je ne vous les apprendray qu'à la charge que vous ne me ferez plus d'hiftoires. ' Voilà tout ce que vous aurez pour aujourd'huy; car il faut plus d'vne Lettre pour vous mander tout ce que j'appris en vne feule conuer- fation. Cependant, je fuis, &c.

1. L'édition in-8° de 1659 ec toutes les édidons suivantes : Afin qu'il n'arrive pas.

2. Les mêmes éditions : Ou pendus.

3. Les mêmes éditions mettent ici un alinéa, qu'indique également une correction manuscrite de notre collection in-4''.

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SEPTIEME LETTRE

ESCRITTE A VN PROVINCIAL

PAR VN DE SES AMIS

De Paris, ce 25 Avril 1656.

M O N S I E V R ,

Apres aiioir appaifé le bon Père, dont j'auois vn peu troublé le difcours par l'hiftoire de lean d'Alba, il le reprit fur l'aiTurance que ie luy donnay de ne luy en plus faire de femblables, & il me parla des maximes de fés Cafuiftes tou- chant les Gentilshommes, à peu prez en ces termes.

Vous fçauez, me dit-il, que la païîion dominante des perfonnes de cette condition, eft ce point d'honneur, qui les engage à toute heure à des violences qui paroifTent bien contraires à la pieté chreftienne , de forte qu'il faudroit les exclure prefque tous de nos confefîîonnaux , nos Pères n'euffent vn peu relafché de la feuerité de la religion , pour s'accommoder à la foibleffe des hommes. Mais comme ils vouloient demeurer attachez à l'Euangile par leur deuoir entiers Dieu, & aux gens du monde par leur charité pour le prochain, ils ont eu befoin de toute leur liuniere poiu* trou- uer des expediens qui tempérament les chofes avec tant de

I. L'édidon in-S" de 1659 et la plupart des éditions modernes : Septième lettre.

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1

98 Lettres prouinciales.

jurtefTe, qu'on piift maintenir & reparer Ton honneur par les moiens dont on le lert ordinairement dans le monde ^ fans bleffer neantmoins fa conicience, afin de conferuer tout enfemble deux chofes auffi oppofées en apparence que la pieté & l'honneur.

Mais autant que ce defTein eitoit vtile , autant l'exécu- tion en efloit pénible. Car ie croy que vous voyez aflez la grandeur & la difficulté de cette entreprife. Elle m'eftonne, luy dis-je\ Elle vous eftonne, me dit-il? le le croy. Elle en eilonneroit bien d'autres. Ignorez-vous que d'vne part la loy de TEuang-ile ordonne ^fe ne point rendre le mal pour le mal, & d'en laijjer la vengeance à Dieu? Et que de l'autre les loix du monde défendent de foufFrir les injures , fans en tirer raifon foy-mefme, & fouuent parla mort de Tes ennemis? Auez-vous jamais rien veû qui paroifîe plus contraire? Et cependant quand ie vous dis que nos Pères ont accordé ces chofes, vous me dites fimplement que cela vous eftonne. le ne m'expliquois pas affez, mon Père. le tiendrois la chofe impofîîble, fi après ce que i'ay veû de vos Pères, ie ne iça- uois qu'ils peuuent faire facilement ce qui eft impofîîble aux autres hommes. C'eft ce qui me fait croire qu'ils en ont bien troimé quelque moien, que j'admire fans le connoiftre, & que ie vous prie de me déclarer.

Puifque vous le prenez ainfi, me dit-il, ie ne puis vous le refufer. Sçachez donc que ce principe merueilleux eft notre grande méthode de diriger l'intention, dont l'im- portance efl telle dans noilre morale, que j'oferois quafî la comparer à la doctrine de la probabilité. Vous en auez veù quelques traits en pafîknt dans de certaines maximes que ie vous ay dites. Car lors que ie vous ay fait entendre comment les valets peuuent faire en confcience de certains

I. L'édicion in-8° de 1659 ce toutes les éditions suivantes ajoutent : AJfei froidement ^ ce que n'a pas fait la deuxième édition in-i2 de 1657. Nicole, dans sa version latine, a traduit : Satis frigide.

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Septième lettre. 99

mefTages fafcheux, n'auez-vous pas pris garde que c'elloit feulement en détournant leur intention du mal dont ils font les entremetteurs, pour la porter au gain qui leur en re- uient? Voila ce que c'elt que diriger l'inteiition. Et vous auez veû de mefme que ceux qui donnent de l'argent pour des bénéfices, leroient de véritables fimoniaques, fans vne pareille diuerfion. Mais ie veux maintenant vous faire voir cette grande méthode dans tout fon lullre, fur le fujet de l'homicide, qif elle juftifie en mille rencontres, afin que vous iugiez par vn tel effet tout ce qu'elle efl capable de produire, le voy déjà, luy dis-je, que par tout fera permis, rien n'en efchapera. Vous allez toujours d'vne extrémité à l'autre, répondit le Père ; corrigez-vous de cela. Car pour vous tefmoigner que nous ne permettons pas tout, fçachez que, par exemple, nous ne fouffrons iamais d'auoir l'intention formelle de pécher, pour le feul deffein de pécher; & que quiconque s'obfline à borner fon defir dans le mal pour le mal mefme % nous rompons auec luy; cela eft diabolique : voila qui eft fans exception d'âge, de fexe, de qualité. Mais quand on n'efl pas dans cette malheureufe difpofîtion, alors nous effayons de mettre en prattique noftre méthode de diri- ger l'intention, qui confifle à le propofer pour fin de les actions vn objet permis. Ce n'eft pas qif autant qu'il ei\ en nortre pouuoir, nous ne détournions les hommes des chofes defîenduës ; mais quand nous ne poimons pas empefcher l'action, nous purifions au moins l'intention; & ainfi nous corrigeons le vice du moien par la piu-eté de la fin.

Voila par oi^i nos Pères ont troiuié moien de permettre les violences qu'on prattique en defîendant fon honneur.

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4'*, adoptée par 1 édition in-S" de 1659 et par toutes les éditions suivantes: A n'avoir point d'autre fin dans le mal que le mal même. Nicole, dans sa version latine, a tra- duit cette dernière leçon : Si quis nullum aliu/n prœter ipfum peccatu/n finem Jil'i prœjîituat.

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100 Lettres prouinciales.

Car il n'y a qu'à détourner Ion intention du defir de ven- geance qui eft criminel, pour la porter au defir de deffendre Ion honneur, qui eft permis félon nos Pères. Et c'eft ainfi qu'ils accomplirent tous leurs deuoirs enuers Dieu & entiers les hommes. Car ils contentent le monde en permettant les actions; & ils fatisfont à l'Euangile en purifiant les inten- tions. Voila ce que les anciens n'ont point connu; voila ce qu'on doit à nos Pères. Le comprenez- vous maintenant? Fort bien, luy dis-je. Vous accordez aux hommes la fubftance groiîîere des chofes % & vous donnez à Dieu ce mouuement fpirituel de l'intention -; & par cet équitable partage, vous alliez les loix hiunaines auec les diuines. Mais, mon Père, pour vous dire la vérité, ie me défie vn peu de vos pro- mefles, & ie doute que vos auteurs en difent autant que vous. Vous me faites tort, dit le Père; ie n'auance rien que ie ne prouue, & par tant de paffages que leur nombre, leur autorité & leurs raifons vous rempliront d'admiration.

Car, pour vous faire voir l'alliance que nos Pères ont faite des maximes de l'Euangile auec celles du monde, par cette direction d'intention, efcoutez noftre Père Reginaldus in praxi, 1. 21, n. 62, p. 260: // eft defendiraiix particuliers de fe reiiger. Car S. Paul dit aux Rom. 12: Ne rende^ à per- fonne le mal pour le mal : & l'Eccl. 28 : Celuj- qui veut fe venger attirera fur foy la vengeance de Dieu, & fes pechei ne feront point oubliei; outre tout ce qui ejl dit dans l'Euangile du par- don des offenfes, comme dans les chapitres 6 & 18 de S. Matthieu. Certes, mon Père, fi après cela il dit autre chofe que ce qui

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-S" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : V effet exté- rieur et matériel de Vaâion. C'est cette dernière leçon que Nicole a eue en vue dans sa version latine : Exteriorum aàliaim veluti corpus et rudem ma- ter iam.

2. Les mêm-cs éditions : Ce mouvement intérieur et fpirituel de Vinten- tion. Nicole a aussi adopté cette leçon dans sa version latine : Deo interwrem illum intentionis fiexum relinquitis.

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Septième lettrée. loi

ei\ dans l'Efcriture, ce ne fera pas manque de la fçauoir. Que conclut-il donc enfin? Le voicy, dit-il: De toutes ces chofes il paroiji qu'vn homme de giiein^e peut fur l'heure mefme pourfuiure celuj qui l'a blejfé , non pas à la vérité' auec l'inten- tion de rendre le mal pour le mal, mais auec celle de conferuer fon honneur, non vt malum pro malo reddat , fed vt conferuet honorem .

Voyez-vous comment ils ont foin de défendre d'auoir l'intention de rendre le mal pour le mal, parce que l'Efcri- ture le condamne? Ils ne Tont iamais fouiFert; voyez Lefîius, De iurt. 1. 2, c. 9, d. 12, n. 79 : Celuj' qui a receu vn foufflet, ne peut pas auoir l'intention de s'en venger; mais il peut bien auoir celle d'euiter l'infamie, & pour cela de repouffer à V infiant cette injure, & mefme à coups d'efpée , etiam cum gladio. Nous fommes û éloignez de foufFrir qu'on ait le deffein de te yenger de fes ennemis , que nos Pères ne veulent pas feu- lement qu'on leur fouhaitte la mort par vn mouvement de haine. Voyez noflre Père Efcobar, tr. 5, ex. 5, n. 145 : .SV vofly^e ennemj' efl difpofé à vous nuire, vous ne deue- pas fou- haitter fa mort par vn mouuement de haine, mais vous le pouue- bien faire pour euiter voflre dommage. Car cela elî tellement légitime auec cette intention, que nolîre grand Hurtado de Mendoza dit : Qu'on peut prier Dieu de faire promptement mourir ceux qui fe difpofent à nous perfecuter , fi on ne le peut êuiter autrement. C'eft au 1. de fpe. vol. 2, di. 15, 3, fect. 4, 55.48.

Mon Reuerend Père, luy dis-je, l'Eglife a bien oublié de mettre vne oraifon à cette intention dans fes prières. On n'y a pas mis, me dit-il, tout ce qu'on peut demander à Dieu; outre que cela ne fe pouiioit pas, car cette opinion ell plus nouuelle que le Bréviaire : vous n'elles pas bon chronologifte. Mais fans fortir de ce fiijet, efcoutez encore ce pafîage de nollre Père Gafpar Hurtado, de fub. pecc. diff. 9, cité par Diana p. 5, tr. 14, r. 99. C'ell l'vn des 24 Pères d'Efcobar. Vn bénéficier peut fans aucun péché mortel

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X(C.

102 Lettres pj^ouinciales.

defirer la mort de celuv qui a me peiijioii fur fou beuefîce, & vu fils celle de fou père, & fe réjouir quaud elle arriue, pourueu que ce ue foit que pour le bieu qui luy eu reuieut , & non pas par vue haine perfouuelle.

O mon Père, luy dis-je, voila vn beau fruit de la direc- tion d'intention! le yoy bien qu'elle eft de grande eftenduë. Mais neantmoins il y a de certains cas dont la relblution feroit encore difficile, quoy que fort neceffaire pour les gen- tilshommes. Propofez les pour vou-, dit le Père. Monftrez- moy, luy dis-je, auec toute cette direction d'intention, qu'il foit permis de fe battre en duel. Noftre grand Hurtado de Mendoza, dit le Père, vous y fatisfera fur l'heure, dans ce paffage que Diana rapporte p. 5, tr. 14, r. 99 : Si vn gentil- homme qui eft appelle en duel, ejl connu pour neflre pas deuot, & que les peche:[ qu'on luy voit commettre à toute heure fans fcrupule, fajjeut aifément iuger que, s'il refufe le duel, ce n'ejl pas par la crainte de Dieu, mais par timidité; & quainfi on dife de luj' que c'eft ime poule, & non pas vn homme, gallina & non vir, il peut pour conferuer fon honneur, fe trouuer au lieu affi- gné, non pas véritablement auec l'intention expreffe de fe battre en duel, mais feulement auec celle de fe deffendre,fi celuy qui Va appelle l'j' inent attaquer injujiement. Et fon acîion fera toute indifférente d' elle-mefme . Car quel mal y a-t-il d'aller dans vn champ, de s'y promener en attendant vn homme , & de fe deffendre fi on l'j^ vient attaquer? Et ainfi il ne pèche en aucune manière , puifque ce n'ejl point du tout accepter vn duel, aj'ant l'inieution dirigée à d'autres circonjlances. Car l'accep- tation du duel confifle en l'intention expreffe de fe battre, laquelle cehiy-cf n'a pas.

Vous ne m'auez pas tenu parole, mon Père. Ce n'eil pas proprement permettre le duel. Au contraire il éuite de dire que c'en foit vn poiu* rendre la chofe permife, tant il la croit défendue ^ Ho, ho, dit le Père, vous commencez

I. L'édition in -8" de 1659 et toutes les éditions suivantes ont substitué

Septième lettre. 103

à pénétrer, j'en fuis raiii. le pourrois dire neantmoins qu'il permet en cela tout ce que demandent ceux qui fe battent en duel. Mais puis qu'il faut vous refpondre iufte, noftre Père Layman le fera pour moy, en permettant le duel en mots propres, pourueu qu'on dirige fon intention à l'accep- ter feulement pour conferuer fon honneur ou fa fortime. C'eft au 1. 3, p. 3, c. 3, n. 2 & 3 : 5/ vu foldat à V armée ou vu gentilhomme à la Cour, fe trouue en ejîat de perdre fon honneur ou fa fortune , s'il n'accepte vn duel, je ne imy pas que l'on puiffe condamner celuj' qui le reçoit pour fe deffendre. Petrus Hurtado dit la mefme chofe au rapport de noftre célèbre Efcobar au tr. i, ex. 7, n. 96, & au n. 98 il adjoute ces paroles de Hurtado : Qu'on peut fe battre en duel pour défendre mefme fon bien, s'il n'y a que ce moyen de le confer- uer, parce que chacun a le droit de défendre fon bien , & mefme par la mort de fes ennemis \ l'admiray fur ces paffag-es de voir que la pieté du Roy employé fa puiffance à deifendre & à abolir le duel dans fes Eftats 5 & que la pieté des lefuites occupe leur fubtilité à le permettre & à l'autorifer dans l'Eg-life. Mais le bon Père ertoit fi en train qu'on luy eufl: fait tort de l'arrefter, de forte qu'il pourfuiuit ainfi. Enfin, dit-il, Sanchez, voyez un peu quels gens ie vous cite! fait plus"-; car il permet non feulement de receuoir, mais encore d'offrir le duel, en dirigeant bien fon intention. Et nollre Efcobar le fuit en cela au mefme lieu, n. 97. Mon Père, luy

à QCiZQ leçon la leçon que voici : Au contraire il le croit tellement défendu que. pour le rendre permis . il évite de dire que c'en foi t un. C'est cccce der- nière leçon que ]\ict)lc a traduite dans sa version latine. L'inconnu qui a tait des corrections manuscrites à la marge de notre collection in-4", et que nous regardons comme l'auteur de la variante, ne l'a pas rédigée sans hésitation. Il commence par dire : // croit la chofe tellement défendue . puis il efface cette première correction et écrit sans rature la leç\)n adoptée par toutes les éditions postérieures à 1659.

1. Quelques éditions modernes ont placé ici un alinéa.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4'\ adoptée par

>»^ C-J^^

p'

104 Lettres pj^ouinciales.

dis-je, ie le quitte fi cela eft ; mais ie ne croiray iamais qu'il l'ait efcrit, fi ie ne le voy. Lifez-le donc vous-mefme , me dit il ; & ie leus en effet ces mots dans la Théologie mor. de Sanchez, 1. 2, c. 39, n. j : Il ejl bien raifonnable de dire qu vu homme peut fe battre en duel pour fauiier fa vie, fou honneur ou fou bien en vne quantité confiderable, lors qu'il eft conjîant qu'on les luj veut rauir iniujlement par des pr^ocei & des chicaneries, & qu'il n'j a que ce feul moj^en de les conferuer. Et Nauanms dit fort bien qu'en cette occafion il eft permis d'accepter & d'of- frir le duel , licet acceptare & offerre duellum. Et aufji qu'on peut tuer en cachette fon ennemy. Et mefme en ces rencontres on ne doit point vfer de la voje du duel , fi on peut tuer en cachette fon homme, & for tir par d'affaire. Car par ce moyen on éuitera tout enfemble & d'expofer fa îne dans vu combat & de participer au péché que nofre ennemy commettroit par vu duel.

Voila, mon Père, luy dis-je, vn pieux guet apend : mais quoy que pieux, il demeure toujours guet apend, puis qu'il eft permis de tuer son ennemy en trahi^on^ Vous ay-je dit, répliqua le Père, qu'on peut tuer en trahifon? Dieu m'en garde. le vous dis qu'on peut tuer en cachette; & de vous concluez qu'on peut tuer en trahifon , comme c'efloit la mefme chofe. Aprenez d'Efcobar, tr. 6, exa. 4, n. 26, ce que c'eft que tuer en trahifon, & puis vous parlerez : On appelle tuer en trahifon, quand on tuë celuy qui 7ie s'en défie en aucune manière. Et c' eft pour quoy celuy qui tuë fon ennemy, n'efi pas dit le tuer en trahifon, quoy que ce foit par derrière ou dans vne embufche, licet per infidias aut à ter go peixutiat. Et au mefme traité, n. <^6 '. Celuy qui tue fon ennemy auec lequel il s'eftoit

l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : PaJ^e outre . leçon que Nicole a traduite : Ultra progreditur.

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4'' : Puifque cette pieté n'empêche pas que ce ne foit tuer fon ennemy en trahifon. correction qui n'a été adoptée par aucun éditeur.

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Septième lettre. lO? *

réconcilié fous promeffe de ne plus attentera fa vie, neft pas abfolument dit le tuer en trahifon, à moins qu'il y eujl entr'eux l'ue amitié bien eftroite, arclior amicitia.

Vous voyez par que vous ne fçauez pas feulement ce que les termes fignifient: & cependant vous parlez comme vn Docteur. Tauouë , luy dis-je, que cela m'ell: nouueau: & j'apprens de cette définition qu'on n'a peut-ellre iamais tué perlbnne en trahifon. Car on ne s'auife guère d'aflaffiner que fes ennemis. Mais quoy qu'il en foit, on peut, félon Sanchez', tuer hardiment , ie ne dis plus en trahifon, mais feidement par derrière ou dans vne embufche, vn calomniateur qui nous pourfuit en iuftice ? Oûy, dit le Père , mais en dirigeant bien l'intention; vous oubhez toufiours le principal. Et c'ell ce que Mohna foùtient auffi to. 4, tr. 3, difp. 12. Et mefme, félon noftre docte Reginaldus, 1. 21, cap. 5, n. 57: On peut tuer aujji les faux tef moins qu'il fuf cite contre nous. Et enfin félon nos grands & célèbres Pères Tannerus & Emmanuel Sa , on peut de mefme tuer & les faux tefmoins & le luge, s'il ell de leur intelligence. Vqicy fes mots, tr. 3 , difp. 4, q. 8, n. 83 : Sotus, dit-il, & Leffius dif eut qu'il ne pas permis de tuer les faux tefmoins & le luge, qui confpirent à faire mourir m innocent; mais Emmanuel Sa <& d'autres auteurs ont raifon d'improuuer ce fentiment là, au moins pour ce qui touche la confcience. Et il confirme encore au mefme lieu qu'on peut tuer &: tefmoins & luge.

Mon Père, luy dis-je, j'entens maintenant affez bien voftre principe de la direction d'intention; mais j'en veux bien entendre aufîî les confequences, & tous les cas cette méthode donne le pouuoir de tuer. Reprenons donc ceux que vous m'auez dits, de peur de méprife. Car l'equiuoque feroit icy dangereufe. Il ne faut tuer que bien à propos 8: l'ur

I. Une corrcccion manuscrite de notre collection in-4"\ adoptce par l'édition in-g" de 1659 ^^ P^f W"fes les éditions suivantes : On peut donc, félon Sanche-. Nicole ne traduit pas le mot donc.

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1

06 Lettres prouinciales.

bonne opinion probable. Vous m'auez donc affuré qu'en dirigeant bien Ion intention, on peut, félon vos Pères, pour conferuer Ion honneur & melme Ion bien , accepter vn duel, l'offrir quelquefois , tuer en cachette vn faux accufateur, & fes tefmoins auec luy, & encore le juge corrompu qui les fauoriie ; & vous m'avez dit auffi que celiiy qui a receii vn foiifflet, peut fans fe venger le réparera coups d'efpée. Mais, mon Père, vous ne m'auez pas dit auec quelle mesure. On ne s'y peut gueres tromper, dit le Père, car on peut aller iufqu'à le tuer. C'eil ce que prouue fort bien noftre fçauant Henriquez, 1. 14, c. 10, n. 3 & d'autres de nos Pères rap- portez par Efcobar au tr. i, ex. 7, n. 48, en ces mots : On peut tuer celiij qui a donné vn foufflet , quoy quil s'enfuye, pourueu qu'on cuite de le faire par haine ou par veng'eance, & que par on ne donne pas lieu à des meurtres excej/ifs & nuijibles à l'EJîat. Et la raifon en ejï qu'on peut ainfi courir après fon honneur, comme après du bien dérobé. Car encore que roftre honneur ne foit pas entre les mains de vojtre ennemj- comme feroient des hardes qu'il vous auroit volées, on peut neantmoins le recouurer en la mefme manière, en donnant des marques de grandeur & d'autorité, & s'aquerrant par l'ejîime des hommes. Et en effet nejl-il pas véritable que celuj' qui a receii vn foufflet, eft réputé fans honneur, iufques à ce qu'il ait tué fon ennemj^? Cela me parut fi horrible que j'eus peine à me retenir ; mais pour fçauoir le relie ie le laifîay continuer ainfî : Et mefme, dit-il, on peut, pour prévenir vn foufflet, tuer celuy qui le veut donner, s'il n'y a que ce moien de l'éuiter. Cela eft commun dans nos Pères. Par exemple Azor, inft. mor. part. 3, p. 105 ^ (C'eil encore l'vn des 24 Vieillards.): EJi-il permis à vn homme d'honneur de tuer celuj' qui hiy veut donner vn foufflet ou vn coup de bafon? Les vus difent que non ; & leur raifon eji que la vie du prochain eft plus precieufe que noftre honneur ; outre qu'il

I. Plusieurs éditeurs modernes indiquent cette citation de la manière suivante : Inftr. mor.. p. j. hb. 2, p. 10^.

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Septième lettre. joy

y a de la cruaiitc à tuer ru houuue, pour cuiter feulement ru

foufflet. Mais les autres difeut que cela ejl permis; & certainement

ie le trouve probable, quand on ne peut Véuiter autrement . Car fans

cela l'honneur des innocens feroit fans cejfe expofé à la malice des

infolens. Noftre grand Filiutius de mefme, to. 2, tr. 29, c. 3,

n. 50 &le P. Hereau dans iès Ecrits de l'homicide, Hurtado

de Mendoza in 2, 2, difp. 170, fect. 16, § 1^7, & Becan,

Som. t. I, q. 64, deHomicid. & nos Pères Flahaut & le Court,

'dans leurs Efcrits que l'Vniversité dans fa y Requefte a

rapportez tout au long- pour les décrier, mais elle n'y a pas

reiifTi, & Efcobar au melme lieu n. 48, difent tous les mefmes

chofes. Enfin cela ell û généralement foùtenu que Lefîius,

1. 2, c. 9, d. 12, n. 77, en parle comme dVne choie autorifée

par le confentement vniuerfel de tous les Cafuiftes ' : Il ejl

permis, àk-'û, félon le confentement de tous les Cafuifles , ex

fenteniiâ omnium, de tuer celuj- qui veut donner vu foufflet ou

vn coup de ba/lon , quand on ne le peut cuiter autrement'-. En

voulez-vous dauantag-e ?

le l'en remerciay, car ie n'en auois que trop entendu. Mais pour voir julqu'oi^i iroit vne fi damnable doctrine, ie luy dis : Mais, mon Père, ne fera-t'il point permis de tuer poiu- vn peu moins? Ne fçauroit-on diriger Ton intention, en forte qu'on puifîe tuer pourvu dementy r Ouy , dit le Père , & félon

1. L'édition in-g" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Leffius le décide comme une chofe qui n'efl conrejfée d'aucun cdfuijie, lil\ 2, c. p. n. 76; car il en apporte un grand nombre qui font de cette opinion, et aucun qui foit contraire; et même il allègue, n. 77, Pierre Nararre qui, parlant générale- ment des affronts, dont il n'y a pas de plus fenfible qu'un foufflet, déclare que. félon le confentement de tous les cafuijles...

2. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes, au lieu d'at- tribuer cette opinion, comme le fait Pascal, à Lessius, la mettent sur le compte de Navarre, qu'elles citent textuellement: Selon le confentement de tous les cafuifles, ex fententià omnium, licet contumeliofum occidere. fi aliter ca injuria arceri nequit. Nicole a reproduit cette dernière citation, ainsi que la précé- dente, dans sa version latine de 1658.

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io8 Lettres proiiinciales.

noftre Père Baldelle, 1. 3, difp. 24, n. 24, rapporté par Efcobar au mefme lieu n. 4<^ : Il ejî permis de tuer celiiy qui vous dit : Vous auei menti, Ji on ne peut le reprimer autrement . Et on peut tuer de la mefme forte pour des médifances , félon nos Pères. Car Leffius, que le Père Hereau entr'autres fuit mot à mot, dit au lieu déjà cité : Si vous tafchei de ruiner ma î~eputa- tion par des calomnies deuant des perfonnes d'honneur, & que ie ne puijje Véuiter autrement qu'en vous tuant, le puis-je faire ? Oiij' , félon des Aut heurs modernes, & mefme encore que le crime que imus publie'ifoit véritable , fi toutefois il efl fecret, en forte que vous ne puiffie^ le découurir félon les voyes de la jujîice. Et en voicj' la prenne. Si vous me voule^ rauir l'honneur en me donnant im foufflet, ie puis Vempefcher par la force des armes, donc la mefme defenfe efl permife, quand iwus nie voule^ faire la mefme injure auec la langue. De plus on peut empefcher les affronts, donc on peut empefcher les médifances. Enfin l'honneur ef plus cher que la vie. Or on peut tuer pour défendre fa vie ; donc on peut tuer pour défendre fon honneur \

Voila des arg-umens en forme. Ce n'eft pas difcourir, c'eft prouuer. Et enfin ce grand Lefîius monftre au mefme endroit n. 78 qu'on peut tuer mefme pour vn fîmple gefle ou vn fîgne de mefpris : On peut, dit-il, attaquer & ofter l'honneur en plufieurs manières, dans lef quelles la défenfe paroifl bienjufle; comme fi on veut donner vn coup de bafîon ou vn foufjflet ; ou f on veut nous faire affront par des paroles ou par des fignes, fuie perfgna.

O mon Père, luy dis-je, voila tout ce qu'on peut fouhaiter pour mettre l'honneur à couuert ; mais la vie eft bien expofée, fi pour de fmiples médifances &" des gefles defobligeans, on peut tuer le monde en confcience. Cela efl vrai, me dit-il; mais comme nos Pères font fort circonfpects, ils ont trouué

1. Quelques éditions suppriment l'alinéa.

2. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Ou. Nicole traduit : Aut.

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Septté?7îe lettre. 109

à propos de défendre de mettre cette doctrine en vfage, en de certaines occafîons, comme pour les fimples medifances^ Car ils difent au moins : Qu'à peine doit-on la prattiqiier, praâicè vix probari potejï. Et ce n'a pas efté fans raifon : la voicy. le la fçay bien-, luy dis-je; c'eft parce que la loy de Dieu défend de tuer. Ils ne le prennent pas par là, me dit le Père : ils le trouuent permis en confcience, & en ne regardant que la vérité en elle-mefme. Et pourquoy le defendent-ils doncPEfcoutez-le, dit-il : C'eft parce qu'on dépeupleroit vn Eftat en moins de rien, on en tuoit tous les médifans. Aprenez-le de noftre Reginaldus, 1. 21, n. 63, p. 260 : Encore que cette opinion, qu'on peut tuer pour vue médifance, ne f oit pas fans probabilité dans la théorie, il faut fuiure le contraire dans la prattique. Car il faut toujours éuiter le dommage de l'EJïat dans la manière de fe défendre. Or il ejl vifible qu'en tuant le monde de cette forte, il fe feroit i^n trop grand nombre de meurtres. Lefîius en parle de mefme au lieu déjà cité : Il faut prendre garde que l'j^fage de cette maxime ne foit nuifible à l'EJïat. Car alors il ne faut pas le permettre, tune enim non ejl per- mittendus.

Quoy , mon Père , ce n'eft donc icy qu'vne defenle de politique, & non pas de religion? Peu de gens s'y arrefteront, & fur tout dans la colère. Car il pourroit eftre afîez probable qu'on ne fait point de tort à l'Eftat de le purger d'vn mefchant homme. Auffi, dit-il, noftre Père Filiutius joint à cette raifon vne autre bien confiderable, tr. 29, c. 3, n. 51 : Cejl qu'on feroit puni en jujlice , en tuant le monde pour ce fujet. le vous le difois bien, mon Père, que vous ne feriez iamais rien qui vaille , tant que vous n'auriez point les juges de voftre cofté. Les juges, dit le Père, qui ne pénètrent pas dans les confciences, ne jugent que par le dehors de l'action,

1 . L'édition in-8" de 1 659 et toutes les éditions suivantes : En ces petites cccafwns ; car ils difent. C'est la leçon primitive que Nicole a traduite.

2. Quelques éditions : Je le fais bien.

fic-

1 10 Lettres prouiiiciales.

au lieu que nous regardons principalement à l'intention. Et de vient que nos maximes font quelquefois vn peu diffé- rentes des leurs. Quoy qu'il en foit, mon Père, il fe conclut fort bien des voflres, qu'on peut tuer les médifans en feureté de confcience % pourveu que ce foit en feureté de fa perfonne.

Mais, mon Père, après auoir bien poiuaieù à l'honneur, n'auez-vous rien fait pour le bien? le fçay qu'il eft de moindre considération ; mais il n'importe. Il me femble qu'on peut bien diriger fon intention à tuer pour le conferuer. Oiiy , dit le Père ; & ie vous en ay touché quelque chofe qui vous a pu donner cette oimerture. Tous nos cafuiites s'y accordent; & mefme on le permet, encore que l'on ne craigne plus aucune riolence de ceux qui nous ojîent nojîre bien, comme quand ils s'enfuient. Azor de noftre Société le prouue p. 3, 1. 2, c. I, q. 20.

Mais, mon Père, combien faut-il que la chofe vaille pour nous portera cette extrémité? Il faut, félon Reginaldus 1. 21, c. 5, n. 66 & Tannerus in 2, 2, difp. 4, q. 8, d. 4, n. 69, que la chofe foit de grand prix au jugement d'pu homme prudent. Et Layman & Filiutius en parlent de mefine. Ce n'eft rien dire, mon Père j ira-t'on chercher vn homme prudent, dont la rencontre efl fi rare, pour faire cette eflimation? Que ne determinent-ils exactement la fomme? Comment, dit le Père, eftoit-il fi facile à voftre auis de comparer la vie d'vn homme & d'vn Chreftien à de l'argent? C'eft icy ie veux vous faire fentir la neceffité de nos Cafuiftes. Cherchez moy dans tous les anciens Pères pour combien d'argent il eft permis de tuer vn homme. Que vous diront-ils, finon : Non occides, vous ne tiiere^ point? Et qui a donc ozé déterminer cette fomme, repondis-je? C'eft, me dit-il, noftre grand &

I. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Qucn éi'itant les dommages de l'Etat^ on peut tuer les médifants en fureté de con- fciencc. Nicole a traduit : Scclufo Rei puhlicœ damno.

\r.

Septième lettre. m

incomparable Molina, la gloire de noftre Société, qui par fa prudence inimitable l'a eftimée à 6 ou y ducats, pour lef quels il affeiire qu'il e/t permis de tuer, encore que celuv qui les emporte senfuye. C'ert en Ton t. 4, tr. 3, difp. 16, d. 6. Et il dit de plus au mefme endroit : Quil n'oferoit condamner d'aucun péché ru homme qui tue celuy qui luj i^eut ofler me chofe de la râleur d'vu efcu ou moins, miius aurei , j'el minoris adhuc valoris. Ce qui a porté Efcobar à ellablir cette règle générale n. 44 : Que régulièrement on peut tuer vu homme pour la valeur d'vn efcu, félon Molina.

O mon Père, d'où Molina a-t-il pu eftre éclairé pour déterminer vne chofe de cette importance fans aucun fe- cours de TEfcriture, des Conciles, ny des Pères'! le voy bien qu'il a eli des lumières bien particulières & bien efloi- gnées de S. AugulHn fur l'homicide, auffi bien que fur la grâce. Me voicy bien fçauant fur ce chapitre ; & ie connois parfaitement qu'il n'y a plus que les gens d'Eglife qu'on puiffe oiFenfer & pour l'honneur & pour le bien, fans craindre qu'ils tlient ceux qui les ofFenfent". Que voulez-vous dire? répliqua le Père. Cela feroit-il raifonnabte à vollre auis, que ceux qu'on doit le plus refpecter dans le monde, fuffent feuls expofez à l'infolence des méchans? Nos Pères ont preuenu ce defordre. Car Tannerus to. 2, d. 4, q. 8, d. 4, n. 76, dit, qu'il eji permis aux Ecclefiaftiques & aux Religieux mefmes, de tuer pour défendre non feulement leur rie, mais au/Ji leur bien ou celuy de leur Communauté. Molina qu'Efcobar rapporte n. 43, Becan. in. 2, 2, t. 2, q. 7, de hom. concl. 2, n. 5, Reginaldus 1. 21, c. 5, n. 68, Layman 1. 3, tr. 3, p. 3,

I. Une corrcccion manuscrite de nocre collection in-40 : Ni des Saints Pères, leçon qui n'a été adoptée par aucune édition.

2- L'édition in-8» de 1659 et toutes les éditions suivantes : Que les gens d'églife qui s'abjliendront de tuer ceux qui leur feront tort en leur hon- neur ou en leur bien. C'est cette leçon que Nicole a traduite dans sa version latine.

P'S^

i

112 Lettres proiiinciales.

c. 3, n. 4, Lefîîus 1. 2, c. 9, d. 11, n. 72, & les autres, le feruent tous des mefmes paroles.

Et mefme, félon noftre célèbre P. l'Amy, il eft permis aux Preftres & aux Religieux de preuenir ceux qui les veu- lent noircir par des médifances , en les tuant pour les en empefcher. Mais c'eil: toujours en dirigeant bien l'intention. Voicy Tes termes t. 5, difp. 36, n. 118 : // ejî permis à vu Ecclejîaftique ou à vu Religieux de tuer vu calomniateur , qui menace de publier des crimes fcandaleux de fa Communauté ou de luj^-mefme , quand il n'y a que ce feul moien de l'en empef- cher, comme s'il efl preft à refpandre fes médifances, fi on ne le tue promptement. Car en ce cas, comme il feroit permis à ce Religieux de tuer cehiy qui hiy voudroit ofier la vie , il luj- ejl permis aujjî de tuer celuj' qui luy veut ojter l'honneur ou celuy de fa Communauté , de la mef me forte qu'aux gens du monde. le ne fçauois pas cela, luy dis-je, & j'avois creli fimplement le contraire fans y faire de reflexion, flir ce que j'avois oûy dire ^ que TEglife abhorre tellement le fang qu'elle ne per- met pas feulement aux juges Ecclefiaftiques d'affilier aux jugemens criminels. Ne vous arreftez pas à cela, dit-il; noftre P. l'Amy prouue fort bien cette doctrine, quoy que par vn trait d'humilité bien feant à ce grand homme , il la foumette aux lecteurs prudens. Et Caramoùel noftre illuftre defenfeur qui la rapporte dans fa théologie fondamentale p. 543, la croit ft certaine qu'il foutient que le contraire n'eft pas probable; & il en tire des conclufions admirables comme celle-cy qu'il appelle, la conclufon des conclufions , conclufio- num conclufio : QiivnPrejlre non feulement peut en de certaines rencontres tuer vn calomniateur , mais encore qu'il j' en a il le doit faire , etiam aliquando débet occidere. 11 examine plu- fieiu's queftions nouuelles fur ce principe, par exemple

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4° : Et fans y faire rejiexion, J'auois creii Jimplement le contraire, fur ce que j'auois oiiy dire, correction qui n'a été adoptée par aucun éditeur.

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Septième letti^e. u ^

celle-cy : Sçavoir si les Iesvites pevvent tver les Jansénistes. Voila, mon Père, m'efcriay-je, vn point de Théologie bien furprenant! Et ie tiens les lanfeniftes déjà morts par la doctrine du P. l'Amy. Vous voila attrapé, dit le Père. Il ^ conclut le contraire des mefmes principes. Et comment cela, mon Père? Parce, me dit-il, qu'ils ne nuilent pas à noftre réputation. Voicy ies mots n. 1146 & 1147, P- 547 ^ 54^ Les 'lanfenijles appellent les lefuites Pela- giens : poiirra-fon les tuer pour cela? Non; d'autant que les lanfenijles n'obfcurcijfent non plus l'éclat de la Société, quvn hibou celuj' du soleil; au contraire ils l'ont î'eleuée, quoj- que contre leur intention, occidi non pojfunt, quia nocere non po- tuerunt.

quoy, mon Père, la vie des lanfeniftes dépend donc feulement de fçauoir s'ils nuifent à voftre réputation? le les tiens peu en feureté, fi cela eft. Car s'il dénient tant foit peu probable qu'ils vous fafTent tort, les voila tuables lans difficulté. Vous en ferez vn argument en forme ; & il n'en faut pas dauantage auec vne direction d'intention, pour ex- pédier vn homme en feureté de confcience. O qu'heureux font les gens qui ne veulent pas fouffrir les injures, d'ellre inftruits en cette doctrine! Mais que malheureux font ceux qui les offenfent! En vérité, mon Père, il vaudroit autant auoir affaire à des gens qui n'ont point de religion, qu'à ceux qui en font inftruits jufqu'à cette direction. Car enfin l'intention de celuy qui blefîe, ne foulage point celuy qui ell bleifé. Il ne s'apperçoit point de cette direction fecrette, ^ il ne fent que celle du coup qu'on luy porte. Et ie ne fcay mefme fi on n'auroit pas moins de dépit de fe voir- tuer

1. Comme le pronom // n'a pas paru clair, une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par les deux éditions in- 12 de 165-' et par toutes les éditions suivantes, répète le mot Caramouel.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4" : Si l'on neferoit pas moins touché de douleur de fc voir.... correction qui n'a été adoptée par aucune édition.

* 114 Lettres prouinciales.

brutalement par des gens emportez, que de fe fentir poi- gnarder confcientieufement par des gens deuots.

Tout de bon, mon Père, ie fuis vn peu furpris de tout cecy, & ces queftions du P. TAmy & de Caramoûel ne me plaifent point. Pourquoy, dit le Père; eftes-vous lanfenifte? l'en ay vne autre raifon, luy dis-je. C'eft que j'écris de temps en temps à vn de mes amis de la campagne ce que j'apprens des maximes de vos Pères. Et quoy que ie ne faffe que rap- porter fimplement & citer iidellement leurs paroles, ie ne içay neantmoins s'il ne fe pourroit pas rencontrer quelque efprit bizare, qui s'imaginant que cela vous fait tort, n'en tiraft de vos principes quelque méchante conclufion. Allez, me dit le Père, il ne vous en arriuera point de mal; j'en fuis garand. Sçachez que ce que nos Pères ont imprimé eux- mefmes & auec l'approbation de nos Supérieurs, n'eft ny mauvais ny dangereux à publier.

le vous efcris donc fur la parole de ce bon Père ; mais le papier me manque toujours, & non pas les paffages. Car il y en a tant d'autres & de fi forts, qu'il faudroit des volumes pour tout dire. le fuis, &c.

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>-Cr fi c—^i^.

HVITIEME LETTRE

ESCRITTE A VN PROVINCIAL

PAR VN DE SES AMIS'

De Paris, ce 28 May 1656.

MONSIEVR,

Vous ne penfiez pas que perlbnne eull la curiofité de fçauoir qui nous Ibmmes ; cependant il y a des gens qui efTayent de le deuiner; mais ils rencontrent mal. Les vns me prennent pour vn Docteur de Sorbonne ; les autres attri- buent mes Lettres à quatre ou cinq perlbnnes, qui comme moy ne font ny Preftres ny Ecclefiaftiques. Tous ces faux foupçons me font connoiftre que ie n'ay pas mal reûfTy dans le deffein que j'ay eu de n'ellre connu que de vous, & du bon Père qui fouffre toujours mes vifites, &: dont je fouffre toujours les difcours, quoy qu'auec bien de la peine. Mais ie fuis obligé à me contraindre ; car il ne les continueroit pas s'il s'apperceuoit que j'en fuffe choqué ; &: ainfi je ne pourrois m'acquiter de la parole que ie vous ay donnée de vous faire fçauoir- leur morale. le vous aifin-e que vous de-

1 . L'édition in-8" de 1659 et la plupart des éditions suivantes : Huitième lettre.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4° : Conrioijhc. correction qui n'a été adoptée par aucune édition.

ii6 Lettres proiiiiiciales.

liez compter pour quelque chofe la violence que je me fais. Il efl: bien pénible de voir renuerfer toute la morale Chref- tienne par des egaremens fl étranges, fans ofer y contredire ouuertement. Mais après auoir tant enduré pour vollre fatisfaction , ie penfe qu'à la un i'eclateray pour la mienne, quand il n'aura plus rien à me dire. Cependant je me re- tiendray autant qu'il me fera poffible ; car plus je me tais, plus il me dit de chofes. Il m'en apprit tant la dernière fois, que j'auray bien de la peine à tout dire. Vous verrez que la bourfe y a efté auffi mal menée, que la vie le fut l'autre fois '. Car de quelque manière qu'il pâlie fes maximes, celles que j'ay à vous dire ne vont en effet qu'à fauorifer les luges corrompus, les Vfuriers, les Banqueroutiers, les Larrons, les femmes perdues & les forciers qui font tous difpenfez affez largement de reftituer ce qu'ils gagnent chacun dans leur meftier. C'eft ce que le bon Père m'apprit par ce difcours.

Dés le commencement de nos entretiens, me dit-il, ie me fuis engagé à vous expliquer les maximes de nos auteurs pour toutes fortes de conditions. Vous auez déjà veû celles qui touchent les Beneficiers, les Preftres, les Religieux, les Valets - & les Gentilshommes ; parcourons maintenant les autres, & commençons par les luges.

le vous diray d'abord vne des plus importantes & des plus auantageufes Maximes que nos Pères ayent enfeignées en leur faneur. Elle eil: de nollre fçauant Caftro Palao, l'vn de nos 24 Vieillards, Voicy fes mots : Vu juge peut-il dans vne que/lion de droit juger félon vne opinion probable, en quit- tant l'opinion la plus probable? OHy, & me/me contre f on propre fentiment, imo contra propriam opinionem. Et c'eft ce que

1. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions postérieures : Vous verrei ^^-^ principes bien commodes pour ne point rejlituer. C'est cette dernière leçon que Nicole a traduite dans sa version latine : Tu tamen Jdtis opportuna retincndis inale partis décréta perfpicies.

2. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Les do- meftiques.

Huitième lettre. iij

noftre P. Efcobar rapporte auïïî au tr. 6, ex. 6, n. 45. O mon Père, luy dis-je, voila vn beau commencement, les luges vous font bien obligez; & ie trouue bien eftrange qu'ils s'oppo- ient à vos probabilitez , comme nous Tauons remarqué quel- quefois, puis qu'elles leur font û fauorables. Car vous leur donnez par le mefme pouuoir fur la fortune des hommes que vous vous efles donné fur les confciences. Vous voyez, me dit-il, que ce n'eft pas noftre intereft qui nous fait agir; nous n'auons eii égard qu'au repos de leurs confciences; &. c'efl à quoy noftre grand Molina a û vtilement trauaillé fur le fujet des prefens qu'on leur fait. Car pour leuer les fcru- pules qu'ils pourroient auoir d'en prendre en de certaines rencontres, il a pris le soin de faire le dénombrement de tous les cas oi^i ils en peuuent receuoir en confcience, à moins qu'il y euft quelque loy particulière qui le leur defen- dift. C'eft en fon to. i, tr. 2, d. 88, n. 6. Les voicy : Les juges peuuent î-eceuoir des prefens des parties, quand ils les leur don- nent ou par amitié ou par reconnoijfance de la jujlice qu'ils ont rendue, ou pour les pointer à la rendre à l'auenir, ou pour les obliger à prendre vn foin particulier de leur affaire, ou pour les engager à les expédier promptement. Noftre fçauant Efco- bar en parle encore au tr. 6, ex. 6, n. 48 en cette forte : 5/7 j' a plufieurs perfonnes qui n'ayent pas plus de droit d'ejlre expédie^ Vrn que l'autre , le luge qui pi^endra quelque cliofe de l'ini à condition, ex paâo, de l'expédier le premier, pécher a-f il? Non certainement , félon Layman; car il ne fait aucune injure aux autres félon le droit naturel, lors qu'il accorde à Vvn, par la confideration de fou prefent, ce qu'il pouuoit accorder à celuy qu'il luy eufl plu : & mefme ejtant également obligé enuers tous par l'égalité de leur droit , il le dénient dauantage enuers celuy qui luj' fait ce don, qui l'engage à le préférer aux autres; à'- cette préférence femble pouuoir ejlre e/iimée pour de l'argent, quœ obligatio videtur pretio œftimabilis.

Mon Reuerend Père, luy dis-je, je fuis furpris de cette permiffion que les premiers Magiftrats du Royaume ne

^(«ç.

1 1 8 Lettres pvoiiinciales

fçauent pas encore. Car Monfieur le premier Prefîdent a apporté vn ordre dans le Parlement pour empefcher que certains greffiers ne prifTent de l'argent pour cette forte de préférence : ce qui témoigne qu'il eft bien éloigné de croire que cela toit permis à des luges ; & tout le monde a loué vne reformation li vtile à toutes les parties. Le bon Père lurpris de ce difcoiu's, me répondit : Dittes-vous vray? le ne fçauois rien de cela. Noftre opinion n'ell que probable. Le contraire eft probable auffi. En vérité, mon Père, luy dis-je, on trouue que M. le premier Prefident a plus que probablement bien fait, & qu'il a arrellé par le cours d'vne corruption pu- blique & foufferte din*ant trop long temps. l'en juge de la mefme forte, dit le Père ; mais partons cela, laiffons les luges. Vous avez raifon, luy dis-je; aufîi bien ne reconnoiffent-ils pas affez ce que vous faites pour eux. Ce n'ell pas cela, dit le Père ; mais c'efl: qu'il y a tant de chofes à dire fur tous, qifil faut élire court fur chacim.

Parlons maintenant des gens d'affaires. Vous fçauez que la plus grande peine qu'on ait auec eux, ell de les dé- tourner de l'vfure; & c'efl auffi à quoy nos Pères ont pris vn foin particulier; car ils détellent fi fort ce vice, qu'Efcobar dit au tr. 3, ex. 5, n. i, que de dire que Vv/ure 11 ejl pas péché, ce ferait vue herejie. Et noftre P. Bauny dans fa Somme des péchez c. 14, remplit plufiein*s pages des peines deuës aux vfuriers. Il les déclare infâmes durant leur jne, & indignes de fepulture après leur mort. O mon Père, ie ne le croyois pas fi feuere ! 11 l'eft quand il le faut, me dit-il : mais auffi ce fçauant Cafuifte ayant remarqué qu'on n'eft attiré à l'vfure que par le defir du gain, il dit au mefme lieu : L'on n'obli- geroit donc pas peu le monde , fi le garantifjdnt des mauuais effets de l'vfure , & tout enfemble du pèche' qui en efi la caufe. Von luy donnoit le moien de tirer autant & plus de profit de fon argent par quelque bon & légitime employ, que Von en tire des vfures. Sans doute, mon Père, il n'y auroit plus d'vfu- riers après cela. Et c'efl: pourquoy, dit-il, il en a fourni vne

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Huitième lettre. ijo

méthode générale pour toutes fortes de perfonues ; Gentils- hommes, Prejidens , Coufeillers, &c. & fi facile qu'elle ne confifte qu'en IVlage de certaines paroles qu'il faut pronon- cer en preftant fon argent, enfuite defquelles on peut en prendre du profit, fans craindre qu'il foit vfuraire , comme il eft fans doute qu'il l'auroit efté autrement. Et quels font donc ces termes myflerieux, mon Père? Les voicy, me dit-il, & en mots propres; car vous fçauez qu'il a fait fon liure de la Somme des péchez en françois, pour eftre entendu de tout le monde, comme il le dit dans la préface. Celuj' à qui on demande de l'argent refpondra donc en celte forte : le n'aj- point d'argent à pre/ter;Jî ay bien à mettre à profit honnefie & licite. Si defire^ la fomme que demandei pour la faire valoir par i^ofire induftrie à moitié gain , moitié perte , peut eftre m'j- refoudraj-je. Bien efi vraj^ qu'à caufe qu'il j' a trop de peine à s'accommoder pour le profit , fi vous m'en vaulei afjurer m certain, & quant & quant auffi mon fort principal , qu'il ne coure fortune , nous tomberions bien plufiofi d'accord; & vous feray toucher argent dans cette heure. N'eft-ce pas un moyen bien ailé de gaigner de l'argent fans pécher? Et le P. Bauny n'a-t'il pas raifon de dire ces paroles , par lef- quelles il conclut cette méthode : Voila, à mon auis, le moien par lequel quantité de perfonnes dans le monde , qui par leurs vfures , extorfions & contracts illicites, fe prouoquent la jufie indignation' de Dieu, fe peuuent fauuer en faifint de beau.x , Jionneftes & licites profits.

O mon Père, luy dis-je, voila des paroles bien puif- fantes ! le vous protefte que fi ie ne fçauois qu'elles viennent de bonne part, ie les prendrois pour quelques vns de ces mots enchantez qui ont pouuoir de rompre vn charme'. Sans doute elles ont quelque vertu occulte pour chaffer

I. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions postérieures suppri- ment les trois lignes, depuis : Je vous protcjle . jusqu'à vn charme, et présentent ce passage de la manière suivante : ï'oilà des paroles bien pmjfantes ! Sans

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120 Lettres proiiiuciales.

rvfure, que ie n'entends pas; car i'ay toujours penfé que ce péché confifloit à retirer plus d'argent qu'on n'en a prefté. Vous l'entendez bien peu, me dit-il. L'vfure ne confifte prefque félon nos Pères qu'en l'intention de prendre ce profit comme viuraire. Et c'ell: pourquoy noftre P. Etcobar fait euiter l'vfure par vn simple détour d'intention. C'eft au tr. 3, ex, 5, n. 4, 33, 44 : Ce ferait vfure , dit-il, de prendre du profit de ceux à qui on prejte, fi on V exigeait comme deii par juftice ; mais fi on V exige comme deii par reconnoijfance , ce n'efi point vfure. Et au n. 3 : 7/ neft pas permis d'auoir lin- tention de profiter de l'argent prefié immédiatement; mais de le prétendre par l'entremife de la bien-veillance ^ média beneuo- lentiâ, ce n'efi point vfure.

Voilà de fubtiles méthodes ; mais vne des meilleures à mon fens , car nous en auons à choiflr, c'eft celle du con- tract Mohatra. Le contract Mohatra, mon Père! le voy bien, dit-il, que vous ne fçauez ce que c'eft. Il n'y a que le nom d'eftrang-e. Efcobar vous l'expliquera au tr. 3, ex. 3, n. 36 : Le contraâ Mohatra efi celuj' par lequel on achette des efiofi'es chèrement & à crédit , pour les reuendre au mefme infiant à la mefme perfonne argent comptant & à bon marché. Voila ce que c'eft que le contract Mohatra , par vous voyez qu'on reçoit vne certaine fomme comptant, en demeiu*ant obligé pour daiiantage. Mais, mon Père, je croy qu'il n'y a iamais eu qu'Efcobar qui fe foit ferui de ce mot : y a*-t'il d'autres liures qui en parlent? Que vous fçauez peu les chofes, me dit le Père! Le dernier livre de Théologie Morale, qui a efté imprimé cette année mefme à Paris, parle du Mohatra, & doctement. Il eft intitulé : Epilogus Summarum. C'eft r;/

doute elles ont quelque vertu occulte... Nicole n'a pas non plus traduit ces trois lignes dans sa version latine de 1658.

I. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes ajoutent : De celui à qui on Va prêté . ce que n'ont fait ni le grave Nicole ni Escobar lui-même.

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Huitième lettre. 121

abrège' de toutes les Sommes de Théologie, fris de nos PP. Sua- re-, Sanehe-, LeJJius, Fagunde^, Hurtado & d'autres cafuijles célèbres, comme le titre le dit. Vous y verrez donc en la page <^.\: Le Mohair a ejt quand m homme qui a affaire de jnngt pi fioles, achette d'vn Marchand des ejloffes pour trente pi fioles , payables dans vu an, & les luj' reuend à l'heure mefme pour vingt pijloles comptant. Vous voyez bien par que le Mo- hatra n'efl pas vn mot inoùy. Et bien, mon Père, ce contract ell-il permis? Eicobar, répondit le Père, dit au mefme lieu, qu'il j' a des loix qui le deffendent fous des peines tres- rigoureufes. Il efl donc inutile, mon Père? Point du tout, dit-il j car Efcobar en ce mefme endroit donne des expediens de le rendre permis^ : Encore mefme, dit-il, que celuy qui vend & rachette, ait pour intention principale le deffein de pro- fiter ; pourveii feulement qu'en vendant il n'excède pas le plus haut prix des efioffes de cette forte , & qu'en rachettant , il n'en paffe pas le moindre; & qu'on n'en conuienne pas auparauant en termes expre^ ny autrement. Mais Leiîïus de juft. 1. 2, c. 21, d. 16, dit, qu'encore mefme qu'on en fufl conuenu'-, on n'ejl jamais obligé à rendre ce profit, fi ce n'efl peut'-eflre par charité, au cas que celuj- de qui on l'exige fufl dans l'indigence ; & encore pourveu qu'on le pujl 7'endre fans s'incommoder, fi com- mode potefl. Voila tout ce qui fe peut dire. En effet, mon Père, ie croy qu'vne plus grande indulgence feroit vitieufe. Nos Pères, dit-il, fçauent û bien s'arrefter il faut. Vous voyez bien ' par l'vtilité du Mohatra.

Faurois bien encore d'autres méthodes à vous enfeigner: mais celles-là fuffifent, & j'ay à vous entretenir de ceux

1. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditFons suivantes : Pour le rendre permis.

2. Les mêmes éditions rapportent cette citation d'une manière difle- rente : Qu'on eût vendu dans l'intention de racheter à moindre prix.

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions postérieures : AJfe-.

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122 Lettres proilinciaks.

qui font mal dans leurs affaires. Nos Pères ont penlé à les foulager félon l'ellat ils font. Car s'ils n'ont pas affez de bien pour fubfifter honneftement, & payer leurs dettes tout enfemble S on leiu* permet d'en mettre vne partie à couuert, en faifant banqueroute à leiu-s créanciers. C'ell ce que noftre P. Leffius a décidé, & qifEfcobar confirme au tr. 3, ex. 2, n. 163 : Celuy qui fait banqueroute , peut-il en feureté de con- fcience retenir de fes biens autant qu'il eft nece [faire pour faire fubjîjîer fa famille auec honneur, ne indecorè j'iuat? le fout i en s que OU}', auec LeJJius; & mefme encore qu'il les euft gagne^ par des injujiices & des crimes connus de tout le monde, ex iniujlitiâ & notorio deliâo; quoy qu'en ce cas il n'en puiffe pas retenir en me au^/Ji grande quantité qu'autrement. Comment, mon Père, par quelle ellrange charité voulez-vous que ces biens de- meurent pluftoft à celuy qui les a volez par fes concuffions", pour le faire fubfifter auec honneur, qifà fes créanciers à qui ils appartiennent légitimement, & que vous reduifez par dans la pauureté^? On ne peut pas, dit le Père, con- tenter tout le monde, & nos Pères ont penfé particulière- ment à foulager ces miferables. Et c'eft encore en faueur des indigens que noftre grand Vafquez cité par Caftro Palao to. I, tr. 6, d. 6, p. 6, n. 12, dit que quand on j'oit m voleur refolu ^- prejl à voler vne perfonne panure , on peut pour l'en détourner lu y affigner quelque perfonne riche en particulier, pour le '* voler au lieu de Vautre. Si vous n'auez pas Vafquez ny Caftro Palao, vous trouuerez la mefme chofe dans voftre Efcobar. Car, comme vous le fçauez, il n'a prefque rien dit

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-8'' de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Et tout enfemble pour payer leurs dettes.

2. - Les mêmes éditions : Qui les a gagnes par fes voleries.

3- -■ L'édition in-8'' de 1659 et toutes les éditions suivantes suppriment : Et que vous reduifei par dans la pauureté. Nicole, dans sa version ladne de 1658, se borne aussi à dire : Quitus Jure debentur.

4. Les éditions modernes ont substitué au mot le le mot la.

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Huitième lettt^e. ii"?

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qui ne Ibit pris de 24 des plus célèbres de nos Pères. C'ell au tr. 5, ex. 5, n. 120, dans la pratique de uojlre Société^ four la charité eiiuers le prochain.

Cette charité ell véritablement grande % mon Père, de iauuer la perte de l'vn par le dommage de l'autre. Mais ie croy qu'il faudroit la faire entière; & qu'on feroit enluite obligé en confcience de rendre à ce riche le bien qu'on luy auroit fait perdre'. Point du tout, me dit-il: car on ne l'a pas volé foy-mefme ; on n'a fait que le confeiller à vn autre '*. Or efcoutez cette fage relblution de noftre P. Bauny fur vn cas qui vous eftonnera donc ^ bien dauantage, & vous croiriez qu'on feroit bien '^ plus obligé de rellituer. C'ell: au ch. i^ de fa Somme. Voicy fes propres termes françois : Quelqurn prie ini foldat de battre fou voijîu, ou de brûler la grange d'rn homme qui l'a offenfé ; on demande au défaut du foldat , Vautre qui Va prié de faire tous ces outrages, doit reparer du feu le mal qui en fera ijju. Mon fentiment ejl que non. Car à reftitution nul n'eft tenu, s'il n'a violé la jufiice? La l'iole-t'on quand on prie autruy d' rue faveur? Quelque de- mande qu'on luy en fajjé, il demeure toujours libre de Voâro)-er

1. L'édition in-8" de 1659 ec toutes les éditions postérieures sup- priment le mot dans, et impriment simplement : La pratique de notre Société.

2. Les mêmes éditions : J éntableinent extraordinaire.

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-8^ de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Et que celui qui a donné ce confeil feroit enfui te obligé en confcience de rendre à ce riche le bien qu'il lui auroit fait perdre.

4. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée égale- ment par les mêmes éditions : Car il ne l'a pas volé lui-même; il n'a fait que le conseiller à un autre.

5. Au mot donc . une correction manuscrite de notre collection in-4" substitue encore. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions postérieures ont adopté les deux mots : Donc encore.

6. Une correction manuscrite de notre collection in-4", aloptée par l'édition in-S" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Beaucoup.

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124 Lettres prouiuciales.

ou de la nier. De quelque cojlé qu'il encline \ c'ejî fa volonté qui Vj- porte ; rien ne l'y oblige que la bonté' , que la douceur & la facilité de fou efprit. Si donc ce foldat ne repare le mal qu'il aura fait, il n'y faudra aflreindre celuj- à la prière duquel il aura offenfé l'innocent. Ce pafTage penfa rompre noflre en- tretien ; car ie fus ilir le point d'éclater de rire de la douceur d'efprit " d'vn bi-uleur de grang-e , & de ces eftrang-es rai- Ibnnemens qui exemptent de reftitution le premier & véri- table auteiu- d'vn incendie, que les jug-es n'exempteroient pas de la corde ^; mais fi ie ne me fufTe retenu, le bon Père s'en fut offenfé; car il parloit ferieufement, & me dit en- fuite du mefme air :

Vous deiu-iez reconnoiftre par tant d'efpreuues com- bien vos objections font vaines; cependant vous nous faites fortir par de noftre fujet. Reuenons donc aux perfonnes incommodées, pour le foulagement defquelles nos Pères, comme entre autres Lefîius 1. 2, c. 12, n. 12, affurent ^«'z7 efl permis de dérober non feulement dans me extrefme neceffité, mais encore dans vue neceffité graue'' , quoj' que non pas extrefme. Efcobar le rapporte auffi au tr. i, ex. 9, n. 29. Cela eft fur- prenant, mon Père : il n'y a guère de gens dans le monde, qui ne trouvent leur necefîîté g"raue % & à qui vous ne don- niez par le poiuioir de dérober en feiireté de confcience.

1. Les éditions modernes : Qwil incline.

2. Une correccion manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par les deux éditions in-12 de 1657 et par toutes les éditions postérieures : De la bonté et douceur. Les deux exemplaires in-4° de la bibliothèque de l'Institut : De la bonté et douceur d'efprit. Nicole traduit : Boni tas nioru/nque fuavitas.

3. L'édition in-8'^ de 1659 et toutes les éditions postérieures: De la mort. Nicole, dans sa version latine, traduit : Quem patibulo judices non libe- rarcnt.

4. Une correction manuscrite de notre collection in-4'' : Prejfante. leçon qui n'a été adoptée par aucune édition. Lessius, dans son texte cité par Nicole, se sert des mots : In grat'i neceffitate.

5. Prejfante. au lieu de grave, autre correction proposée à la marge de notre collection in-4", et qui ne devait pas être adoptée plus que la précédente.

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Huitième lettre. 12;

Et quand vous en réduiriez la permiffion aux feules perlbnnes qui font efFectiuement en cet eltat, c'ell ouurir la porte à vne infinité de larcins, que les luges puniroient nonobllant cette necefîîté graue * ; & que vous deuriez reprimer à bien plus forte raifon, vous qui deuez maintenir parmi les hommes non feulement la jurtice , mais encore la charité qui eft deftruite par ce principe. Car enfin n'eft-ce pas la violer, & faire tort à fon prochain que de luy faire perdre fon bien pour en profiter foy-mefme? C'elt ce qu'on m'a appris iuf- qu'icy. Cela n'eft pas toujours véritable, dit le Père: car nolîre grand Mohna nous a appris t. 2, tr. 2, dif 328, n. 8 : Que Vordî^e de la charité n'exige pas qu'on fe priue d'rnproft, pour fauuer par fon prochain d'ime perte pareille. C'eft ce qu'il dit pour monftrer ce qu'il auoit entrepris de prouuer en cet endroit : Qu'on n'ejl pas obligé en confcience de rendj-e les biens qu'vn autre nous auroit donne:^ pour en frujîrer fes créanciers. Et Leffuis, qui foûtient la mefme opinion, la confirme par ce mefme principe au 1. 2, c. 20, d. 19, n. 168.

\o\\s n'auez pas affez de compaflîon pour ceux qui font mal à leur aife; nos Pères ont eu plus de charité que cela. Ils rendent juftice atix pauures auffi bien qu'aux riches, le dis bien dauantage ' : ils la rendent mefme aux pécheurs. Car encore qu'ils foient ^ bien oppofez ^ à ceux qui com- mettent des crimes, neantmoins ils ne laiffent pas d'enfei- gner que les biens gagnez par des crimes peuuent élire légitimement retenus. C'ell ce que dit Leffuis 1. 2, c. 10,

I- Voir la variante 5, à la page précédente.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-40 : le dis encore dauantage. correction qui n'a été adoptée par aucune édition.

3- ^'^^ ^"t'/? qu'ils Joicnt, autre correction marginale de notre collecdon in-4''. qu'aucun éditeur n'a admise.

4. Une correct! n manuscrite de notre collection in-4° , adoptée par l'édition in-S» de 1659 et par toutes les éditions postérieures : Fort oypofés.

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126 Lettres proiiinciales.

d. 6, n. 46 : Les biens acquis par l'adultère font véritablement gagnei par me voj-e illégitime ; mais neantmoins la pojjej/ioii en eji légitime , quamuis mu lier illicite acquirat, licite retinet acquijîta ^ Et c'eft poiirqiioy les f)liis célèbres de nos Pères décident formellement que ce qu'vn juge prend d'vne des parties qui a maïuiais droit, pour rendre en fa faneur vn arrefl injufte, & ce qu'vn foldat reçoit pour auoir tué vn homme, & ce qu'on gagne par les crimes infâmes, peut eftre légitimement retenu. C'eit ce qu'Efcobar ramaffe de nos auteiu-s, & qu'il afîemble au tr. ^, ex. i, n. 23, il fait cette règle générale : Les biens acquis par des roj-es honteufes, comme par vu meurtre, vne fentence injujle, me aâion deslion- nefte , &c., font légitimement pojjedcy, & on n'eft point obligé à les reflituer. Et encore au tr. 5, ex. ^, n. 53 : On peut difpofer de ce qu'on reçoit pour des homicides, des arrejls - injujles, des peche:^ infâmes, &c., parce que la pofjefjîon en ejt jufle, & qu'on acquiert le domaine & la proprietJ des cliofes que l'onj' gagne. O mon Père, luy dis -je, ie n'avois iamais ' oliy parler de cette voye d'acquérir; & ie doute que la juftice l'autorife, & qu'elle prenne poiu* vn iufte titre l'affaffinat, l'injuflice & l'adultère. le ne fçay, dit le Père, ce que les liiu-es du droit en difent; mais ie fçay bien que les noftres, qui font les

1. L'édition in-8" de 165c), copiée par toutes les éditions postérieures, présence autrement ces citations; voici sa leçon : C'ejl ce que LeJJius cnfeigne généralement . l. 2. c. i-f. d. S. On n'eft point , dit-il . obligé ni par la loi de nature, m par les lois pofitu'es. c'ell-à-dire par aucune loi, d' rendre ce qu'on a reçu pour ai'oir cominis une adion criminelle . comme pour un adultère, encore même que cette ad ion foi t contraire à la juftice. Cary comme dit encore Efcobar en citant Leflius, tr. i. ex. 8. n. ^i». les biens qu'une femme acquiert par l'adultère font véritablement gagnés par une voie illégitime; mais néanmoins la poffejfwn en eft légitime . quamvis mulier illicite acquirat . licite tamen retinet acquifita. Ce sont ces dernières leçons que Nicole a adoptées dans sa version latine.

2. L'édition in-8'^ de 1659 ^^ toutes les éditions suivantes : Sentences.

3. Quelques éditions substituent au mot jamais le mot pas.

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Huitième lettre. jjy

véritables règles des confciences, en parlent comme moy. Il eft vray qu'ils en exceptent vn cas auquel ils obligent à rellituer. C'ell quand ou a receii de l'argent de ceux qui n'ont pas le pouuoir de difpofer de leur bien, tels que font les en fans de famille & les Religieux. Car noilre grand Molina les en excepte au t. i, de jufl:. tr. 2, difp. 94 : XiJ} mulier accepijjet ab eo qui alienare non poteft , vt à Religiofo & filio familias. Car alors il faut leur rendre leur argent. Efcobar cite ce pafTage au tr. i, ex. 8, n. 59, & il confirme la mefme chofe au tr. 3, ex. 1, n. 23.

Mon Reuerend Père, luy dis-je, ie voy les Religieux mieux traittez en cela que les autres. Point du tout, dit le Père ; n'en fait-on pas autant pour tous les mineurs généra- lement, au nombre defquels les Religieux font toute leur vie? Il eft Julie de les excepter. Mais à l'efgard de tous les autres, on n'eft point obligé de leur rendre ce qu'on reçoit d'eux pour vne mauuaife action. Et Leffius le prouue ample- ment au 1. 2, de jiiil. c. 14, d. 8, n. 52 : Ce qu'on reçoit, dit-il, pour vne aâion criminelle, n'e/l point fujet à rejlitution par aucune jujlice naturelle, parce qu'vne méchante aâion ^ peut eflre eftimée pour de l'argent, en confiderant Vauantage qu'en reçoit celuy qui la fait faire , & la peine qu[y prend celuv qui l'exé- cute. Et c'eft pourquor ou n'éjt point oblige à reJUtuer ce qu'on reçoit pour la faire , de quelque nature qu'elle foit , homicide, arrejl- injujle, aâion fale '\ Ji ce n'ejt qu'on euft receii de ceux qui n'ont pas le pouuoir de difpofer de leur bien. J'ous dire- peut-eftre que celuv qui reçoit de l'argent pour m mef chant coup, pèche, & quainfi il ne peut nv le prendre nv le retenir ; mais ie

I- L'édition in-8° de 1659 c: toutes les éditions postérieures : Car. dit-il. une méchante aélion, en faisant disparaître le commencement de la cita- tion : Ce qu'on reçoit pour une action criminelle.

2. Les mêmes éditions ont substitue au mot arrêt le mot sentence.

3- Les mêmes éditions ajoutent la parenthèse suivante : Car ce font les exemples dont il Je fer t dans toute cette matière. Nicole, dans sa version latine, a traduit la parenthèse.

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128 Lettres prouinciales.

refpons qu après que la cliofe eft exécutée , il n'j' a plus aucun péché ny à paj'er ni à en receuoir le payement. Noftre grand Filiutius entre plus encore dans le détail de la prattique. Car il marque qu'on ejt obligé en confcience de payer diffe- 7-emment les aâions de cette forte, félon les différentes condi- tions des perfonnes qui les commettent ; & que les mes valent plus que les autres. C'eft ce qu'il eftablit fur de iblides raifons au tr. 3 I, c. 9, n. 231 : Occultœ fornicariœ debetur pretium in confcientiâ & multb maiore ratione quàm publicœ. Copia enim quam occulta facit mulier fui corporis, multo plus valet quàm ea quam publica facit meretrix; nec 7>lla ejl lex pofitiua quœ reddat eam incapacem pretii. Idem dicendum de pretio promiffo virgini , coniugatœ , Moniali , & cuicunque alii. Ejl enim omnium eadem ratio.

11 me fit voir eniiiite dans fes Auteurs des choies de cette nature fi infâmes que ie n'oferois les rapporter, & dont il auroit eii horreur luy-mefme (car il eft bon homme) fans le refpect qu'il a pour fes Pères, qui luy fait receuoir auec vénération tout ce qui vient de leur part, le me taifois cependant, moins par le deffein de l'engager à continuer cette matière, que par la furprife de voir des liures de Religieux pleins de decifions fi horribles, fi injuftes, & extrauagantes tout enfemble'. Il pourfuiuit donc en liberté fon difcours, dont la conclufion fut ainfi. C'eft pour cela, dit-il, que noftre illuftre Molina (je croy qu'après cela vous ferez content), décide ainfi cette queftion : Quand on a receii de r argent pour faire vue mefchante acîion , eft-on obligé à le rendre? Il faut difinguer, dit ce grand homme;// on n'a pas fait l'aâion pour laquelle on a e/lé payé, il faut rendre l'argent; mais fi on Va faite, on n'y eft point obligé, fi non fecit hoc malum , tenetur reftituere ; feciis , fi fecit. C'eft ce qu'Efcobar rapporte au tr. 3, ex. 2, n. 138.

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4*' : Et tout enfemble fi extrauagantes. correction qui n'a été adoptée par aucune édition.

Huitième lettre. ne

Voila quelques-vns de nos principes touchant la relli- tution. Vous en auez bien appris aujourd'huy ; ie veux voir maintenant comment vous en aurez profité. Refpondez moy donc. luge qui a receii de V argent d'inie des parties pour faire m arreji en fa faneur \ eft-il oblige' à le rendre? Vous venez de me dire que non, mon Père. le m'en doutois bien, dit-il; vous l'ay-je dit généralement? le vous ay dit qu'il n'eft pas obligé de rendre, s'il a fait gagner le procez à celiiy qui n'a pas bon droit. Mais quand on a bon droit-, voulez-vous qu'on achette encore le gain de fa caufe qui eft deù légitimement? Vous n'auez pas de raifon. Ne com- prenez-vous pas que le luge doit la juilice, & qu'ainfi il ne la peut pas vendre; mais qu'il ne doit pas l'injuftice, & qu'ainfi il peut en receuoir de l'argent? Auffi tous nos prin- cipaux auteurs, comme Molina difp. 94 8: 99, Reginaldus 1. 10, n. 184, 185 & 187, Filiutius tr. 31, n. 220 &. 228, Efcobar tr. 3, ex. i, n. 21 & 23 , Leffius 1. 2, c. 14, d. 8, n. 52, enfeignent tous vniformement, qu'vn juge eft bien obligé de rendi^e ce qu'il a receii . pour faire juftice , fi ce nejl qu'on le luy euji donné par libéralité; mais qu'il n'ejl iamais obligé à rendre ce qu'il a receii d'rn homme en faneur duquel il a rendu m arreft iniu/le.

le fus tout interdit par cette fantafque decifion; & pen- dant que j'en confiderois les pernicieuses confequences, le Père me preparoit vne autre queftion, & me dit : Refpondez donc vne autre fois auec plus de circonfpcction. le vous demande maintenant : T;/ homme qui fe mesle de deuiner, ejl-il obligé de rendre l'argent qu'il a gai gué par cet exercice? Ce qu'il vous plaira, mon Reuerend Père, luy dis-je. Comment, ce qu'il me plaira ? Vrayment vous elles admirable ! 11 femble de la façon que vous pai-lez, que la vérité dépende de nollre

I- L'édition in-S" de 1659, copiée par couccs les édi:ions suivanrcs Rendre un jugement en fa faveur.

2. Les éditions modernes : Quand on a dron.

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1^0 Lettres prouinciales.

volonté '. le voy bien que vous ne trouueriez iamais celle-cy de vous-mefme. Voyez donc refoudre cette difficulté à Sanchez; mais auffi c'eil Sanchez! Premièrement il dif- tingue en fa Som. 1. 2, c. 38, n. 94, 95 & 96 : Si ce deiiin ne s'ejl feriii que de l'ajîrologie & des autres moiens naturels ; ou s'il a emploie l'art diabolique. Car il dit qu'il ejl obligé de rejtituer en m cas, & non pas en l'autre. Diriez -vous bien maintenant auquel? Il n'y a pas de difficulté, luy dis-je. le voy bien, répliqua-t'il , ce que vous voulez dire. Vous croyez qu'il doit reflituer au cas qu'il le foit ferui de l'en- tremife des démons ? Mais vous n'y entendez rien : c'eft tout au contraire. Voicy la refolution de Sanchez au mefme lieu : Si ce deuin n'a pas pris la peine - & le foin de fçauoir par le moien du diable ce qui ne fe pouuoit fçauoir autrement, fi uuUam operam appofuit j't arte diaboli id fciret, il faut qu'il rejlitue; mais s'il en a pris la peine, il n'y ejl point obligé. Et d'où vient cela, mon Père? Ne l'entendez-vous pas, me dit-il? C'eft parce qu'on peut bien deuiner par Fart du diable % au lieu que l'aflrologie eft un moien faux*. xMais, mon Père, fi le diable ne refpond pas la vérité, car il n'eft guère plus véritable que l'aftrologie, il faudra donc que le deuin reftituë par la mefme rai (on? Non pas toujours, me dit-il. Diflinguo, dit Sanchez fin* cela. Car Ji le deuin ejl ignorant en l'ai^t dia-

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4° : Il femble à vous entendre parler que ce fait de noftre volonté que la uerité dépende. Mais ce n'est pas du premier coup que cette leçon a été imaginée; on peut lire, malgré la rature, cette ébauche : De la forte que vous parlej. Quoi cju'il en soit, la correction n'a été adoptée par aucune édition.

2. La deuxième édition in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : Si ce devin n'a pris la peine.

3. Une correction manuscrite de notre collection m-^° : C'ejf parce qu'on peut deuiner auec certitude par l'art du diable.

4. Au lieu que Vaftrologie eJI très incertaine , autre correction manu- scrite de notre ccjllection in-4'' qui ne figure, non plus que la précédente, dans aucune édition.

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Huitième lettre. \-i\

holique, fi fit artis diabolicœ ignarus, il eft obligé à refiituer; mais s'il ejl habile forcier, & qu'il ait fait ce qui e/l eu lur pour fçauoir la vérité , il n'y eft point obligé; car alors la diligence d'vn tel forcier peut eftre eftimée pour de V argent, diligentia à mago appofita eft pretio œftimabilis. Cela eft de bon lens, mon Père, luy dis-je; car voila le moien d'engager les for- ciers à fe rendre Içauans & experts en leur art, par l'efpe- rance de gagner du bien légitimement félon vos maximes, en feruant fidellement le public. le croy que vous raillez, dit le Père; cela n'ell pas bien. Car fi vous parliez ainfi en des lieux vous ne fufîîez pas connu, il pourroit le trouuer des gens qui prendroient mal vos ditcours, & qui vous repro- cheroient de tourner les choies de la religion en raillerie, le me defendrois facilement de ce reproche, mon Père. Car le croy que fi on prend la peine d'examiner le véritable lens de mes paroles, on n'en trouuera aucune qui ne marque parfaitement le contraire , & peut-eftre s'ofFrira-t'il vn iour dans nos entretiens l'occafion de le faire amplement paroiftre. Ho, ho, dit le Pare, vous ne riez plus. le vous auouë ^ luy dis-je, que ce foupçon que ie me vouluffe railler des choies faintes, me feroit auffi fenfible qu'il feroit injulle'. le ne le difois pas tout de bon, repartit le Père; mais parlons plus ferieufement. l'y fuis tout difpofé fi vous le voulez, mon Père; cela dépend de vous. Mais je vous aduouë que j'ay efté furpris de voir que vos Pères ont tellement ellendu leurs loins à toutes fortes de conditions qu'ils ont voulu mefme régler le gain légitime des Sorciers. On ne fçauroit, dit le Père, efcrire pour trop de monde, ny particularifer trop les cas, ny repeter trop fouuent les mefmes choies en differens hures. Vous le verrez bien par ce paffage d'vn des plus

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4'', adoptée par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Je vous confcffc.

2. Les mêmes éditions, mais non pas notre collection in-4" : Me Jcroit bien fenfible comme il feroit bien injufie.

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132. Lettres prouinciales.

graiies de nos Pères. Vous le pouiiez juger, puis qu'il efl aujourd'huy noilre Père Prouincial. C'eft le R. P. Cellot en Ton 1. 8, de la Hierarc. c. 16, §. 2 : Nous f canons, dit-il, qn'i'ne perfonne qui portoit jnie grande fomme d'argent pour la reftituer par ordre de fou Confejfeur, s'eftant arrefté en chemin che:{ vu Libraire, & luy ayant demandé s'il n'y avoit rien de nouueau , num quid noui? Il luj- mon/Ira jni nouueau Hure de Théologie Morale, & que le feuilletant auec négligence & fans penfer à rien, il tomba fur f on cas, & y apprit qu'il n'eftoit point obligé à refituer; de forte que s'eftant déchargé du fardeau de fou fcrupule, & demeurant toujours chargé du poids de fon argeiit, il s'en retourna bien plus léger en fa maifon, abieciâ fcrupuli farcinâ, retento auri pondère , leuior domum repetiit.

Et bien, dites-moy après cela s'il eft vtile de fçauoir nos maximes? En rirez-vous maintenant? Et ne ferez-vous pas plutoft avec le P. Cellot cette pieufe reflexion fur le bon-heur de cette rencontre? Les r^encontres de cette forte font en Dieu l'effet de fa pj^ouidence, en l'Ange gardien l'effet de fa conduite, & en ceux à qui elles arriuent, l'effet de leur pre- defination. Dieu de toute éternité a voulu que la chaifne d'or de leur falut dépendiff d'ini tel auteur, & non pas de cent autres qui difent la mefme chofe , parce qu'il n'arriue pas qu'ils les rencontrent. Si celuj n'auoit efcrit , celuj' cy ne feroit pas faune. Conjurons donc par les entrailles de lefus-Chrift ceux qui blaj)nent la multitude de nos auteurs, de ne leur pas enuier les Hures que l'eleâion éternelle de Dieu & le fang de Iej\is- Chrijl leur a acquis. Voila de belles paroles par lefquelles ce fçauant homme prouue fi Iblidement cette propofition qu'il auoit auancée : Combien il ejt vtile qu'il j ait vn grand nombre d'auteurs qui efcriuent de la Théologie Morale, quàm vtile fit de Theologiâ Morali niultos fcribere.

Mon Père, luy dis-je, ie remettray à vne autre fois à vous déclarer mon fentiment fur ce pafTag-e 5 & ie ne vous diray prefentement autre chofe fmon que, puifque vos maximes font fi vtiles*, & qu'il eft fi important de les

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Huitième lettt^e. 133

publier, vous deuez continuer à m'en inftruire. Car ie vous afîure que celuy à qui ie les enuoye les fait voir à bien des g-ens. Ce n'eft pas que nous ayons autrement l'intention de nous en feruir, mais c'eft qu'en effet nous penfons qu'il fera vtile que le monde en foit bien informé. Auffi, me dit-il, vous voyez que ie ne les cache pas, & pour continuer ie pourray bien vous parler la première fois des douceurs & des commoditez de la vie que nos Pères permettent pour rendre le falut aifé & la deuotion facile, afin qu'après auoir veû jufqu'icy ce qui touche les conditions particulières, vous âpre niez ce qui eft gênerai pour toutes , & qu'ainfi il ne vous manque rien pour vne parfaite inftruction ^ le fuis, &c.

l'ay toufiours oublié à vous dire qu'il y a des Efcobars de différentes impreffions. Si vous en achetez, prenez de ceux de Lyon, à l'entrée il y a vne Image - d'un Agneau, qui efl fur vn liure rcellé de fept fceaux, ou de ceux de Bruxelles de 1651. Comme ceux- font les derniers, ils font meilleurs & plus amples que ceux des Editions précédentes de Lyon des années 1644 &. 1646^.

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes ajoutent : Apres que ce père m'eut parlé de la forte, il me quitta. Nicole, dans sa version latine, n'a pas traduit cette addition.

2. Les mêmes éditions : il y a à l'entrée une image.

3. L'édition in-S" de 1659 et quelques-unes des éditions postérieures ajoutent à ce P. S. les lignes suivantes, qui ne sont sans doute pas de Pascal : Depuis tout ceci on en a imprimé une nouvelle édition à Pans chej Pigct . plus exacte que toutes les autres. Alais on peut encore bien mieux apprendre les fcn- timents d^Efcobar dans la grande Théologie Morale dont il y a déjà deux volumes in-folio imprimés à Lyon. Ils font très dignes d'être vus pour connaître l'horrible renverfement que les Jéfuites font de la morale de l'Eglife. Nicole n"a traduit ni le P. S. de Pascal ni l'addition qui y a été faite.

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NEVVIEME LETTRE

ESCRITTE A VN PROVINCIAL

TAR VN DE SES AMIS

De Paris, ce 3 luillec 1656.

MONSIEVR,

le ne vous feray pas plus de compliment que le bon Père m'en fit la dernière fois que ie le veis. Auffi-toft qu'il m'apperceut, il vint à moy, & me dit en regardant dans vn liure qu'il tenoit à la main : Qui vous oiiiiriroit le Paradis, ne vous obligeroit-il pas parfaitement ? Xe donneriei-voiis pas les millions d'or pour en auoir jnie clef, & entrer dedans quand bon vous fembleroit ? Il ne faut point entrer en de fi grands frais, en voicy vue, voire cent, à meilleur compte. le ne fçauois fi le bon Père lifoit, ou s'il parloit de luv-mefme. Mais il m'ofta de peine en ditant : Ce font les premières paroles d'vn beau liure du P. Barry de nollre Société ; car ie ne dis iamais rien de moy-mefme. Quel liure, luy dis-je, mon perer En voicy le titre , dit-il : Le Paradis ouuert à Philagie par cent dénotions à la Mère de Dieu , aifées à prattiquer. Et quoy, mon Père, chacune de ces deuotions ailées luffit pour ouurir le Ciel? Oûy, dit-il; voyez-le encore dans la fuite des paroles que vous aiiez ouïes : Tout autant de dénotions à la Mère de

I. L'édition in-8'' de 1659 ec la pluparc des éditions modernes : Neu- vième lettre.

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136 Lettres prouiuciales.

Dieu, que pous trouuerey en ce liure, fout autant de clefs du ciel qui vous ouuriront le Paradis tout entier, pourueii que vous les prattiquiei : & c'ell poiirquoy il dit dans la conclufion qu'il eft content, on en pratique vue feule.

Apprenez-m'en donc quelqu'vne des plus faciles , mon Père. Elles le font toutes, retpondit-il; par exemple : f aliter la fainte Vierge au rencontre de fes images; dire le petit cha- pelet des dix plaijîrs de la Vierge ; prononcer fouuent le nom de Marie; donner commijfion aux Anges de lui faire la reuerence de noflre part ; fouhaitter de luy haflir plus d'Eglifes que n'ont fait tous les Monarques enfemble ; luy dominer tous les matins le bon iour, & fur le tard' le bon foir ; dire tous les iours VAue- Maria en llionneur du cœur de Marie. Et il dit que cette deuotion affure de plus d'obtenir le cœur de la Vierge. Mais, mon Père, luy dis-je, c'efl: pourueu qu'on luy donne auffi le fien. Cela n'eft pas necefTaire, dit-il, quand on eft trop attaché au monde; écoutez-le : Cœur pour cœur, ce feroit bien ce qu'il faut ; mais le voftre efl vu peu trop attaché, & tient vu peu trop aux créatures. Ce qui fait que ie n'ofe vous inuiter à offrir aujourd'hui ce petit efclaue que vous appelle^ voflre cœur. Et ainfi il fe contente de l'Aue-Maria, qu'il auoit demandé. Ce font les deuotions des pages 33, 59, 145, 156, 172, 258 & 420 de la première édition. Cela eft tout à fait commode, luy dis-je, & ie croy qu'il n'y aura peribnne de damné après cela. Helas ! dit le Père , ie voy bien que vous ne fçauez pas iufqu'où va la dureté de cœur de certaines gens ! 11 y en a qui ne s'attacheroient iamais à dire tous les iours ces deux paroles bon iour, bon foir, parce que cela ne fe peut faire fans quelque application de mémoire. Et ainfi il a fallu que le P. Barry leur ait fourny des pratiques encore plus faciles, comme d'auoir iour & nuit vn chapelet au bras en forme de brafjelet, ou de porter fur foy vn rofaire , ou bien vue image de la Vierge. Ce font les deuotions des pages 14, 3 26 & 447* ^^ ////^ dites que ie ne vous fournis pas des deuo- tions faciles pour acquérir les bonnes grâces de Marie, comme

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dit le P. Barry p. io6. Voilà, mon Père, luy dis-je, l'ex- trême facilité. Auffi, dit- il, c'eft tout ce qu'on a pu faire. Et ie croy que cela fuffira. Car il faudroit eftre bien mife- rable pour ne vouloir pas prendre vn moment en toute fa vie pour mettre vn chapelet à fon bras ou vn rofaire dans fa poche, & affurer par fon falut auec tant de certitude que ceux qui en font l'efpreuue n'y ont iamais elle trom- pez, de quelque manière qu'ils ayent vefcu, quoyque nous confeillions de ne laiffer pas de bien viure. le ne vous en rapporteray que l'exemple de la p. 34, d'vne femme qui prattiquant tous les iours la deuotion de falûer les images - de la Vierg-e, vefcut toute fa vie en péché mortel & mourut enfin en cet eftat, & qui ne laiffa pas d'eftre fauuée par le mérite de cette deuotion. Et comment cela, m'efcriay-jer C'eft, dit-il, que Noflre Seigneur la £t refufciter exprés. Tant il eft feur qu'on ne peut périr quand on pratique quel- qu'vne de ces deuotions.

En vérité, mon Père, ie fçay que les deuotions à la Vierge font vn pui/fant moyen pour le falut, & que les moindres font d'vn grand mérite quand elles partent d'vn mouuement de foy & de charité, comme dans les Saints qui les ont pratiquées; mais de faire accroire à ceux qui en vfent fans changer leur mauuaife vie, qu'ils fe conuertiront à la mort, ou que Dieu les refufcitera, c'ell ce que ie trouue bien plus propre à entretenir les pécheurs dans leurs defor- dres par la fauffe paix que cette confiance téméraire apporte, qu'à les en retirer par vne véritable conuerfion que la grâce feide peut produire. Qu'importe, dit le Père, par nous entrions dans le Paradis, moyennant que nous r entrions, comme dit fur vn femblable fujet noftre célèbre P. Binet, qui a efté nollre Prouincial, en fon excellent Hure de la Marque de Predejlination, n. 31, p. 1^0 de la i^'" édition. Soit de bond ou de volée, que nous en chaut -il, pourueu que nous prenions la ville de gloire, comme dit encore ce Père au mefme lieu? l'auouë, luy dis-je, que cela n'importe; mais la

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I ? 8 Lettres prouinciales.

queftion eft de fçauoir fi on y entrera. La Vierge, dit-il, en refpond. Voyez -le dans les dernières lignes du liure du P. Barry : S'il arriuoit qu'à la mort l'ennemj' eiift quelque pré- tention fur vous, & qu'il j euft du trouble dans la petite i^epu- blique de iws penfe'es , vous naue^ qu'à dire que Marie t^efpond pour vous, & que c'eji à elle qu'il faut s'addreffer.

Mais, mon Père, qui voudroit pouffer cela, vous emba- rafleroit. Car enfin qui nous a affuré que la Vierge en ref- pond? Le P. Barry, dit-il, en refpond pour elle p. 465. Quant au profit & bon-heur qui vous en reuiendra , ie vous en refpons, & me rens pleg-e pour la bonne Mère. Mais, mon Père, qui refpondra pour le P. Barry? Comment, dit le Père?

II eft de noftre Compagnie. Et ne fçauez-vous pas encore que noftre Société refpond de tous les liures de nos Pères? Il faut vous apprendre cela. Il eft bon que vous le fçachiez. 11 y a vn ordre dans noftre Société par lequel il eft défendu à toutes fortes de libraires d'imprimer aucun ouurage de nos Pères fans l'approbation des Théologiens de noftre Compa- gnie & fans la permiftîon de nos Supérieurs. C'eft un règle- ment fait par Henry III, le 10 May 1583 & confirmé par Henry IV le 20 Décembre 1603, & par Loiiis XIII le 14 Fé- vrier 161 2 ; de forte que tout noftre Corps eft refponfable des liures de chacun de nos Pères. Cela eft particulier à noftre Compagnie. Et de vient qu'il ne fort auciui ouurage de chez nous, qui n'ait l'efprit de la Société. Voilà ce qu'il eftoit à propos de vous apprendre. Mon Père, luy dis -je, vous m'auez fait plaifir, & ie fuis fafché feiftement de ne falloir pas fceu plùtoft. Car cette connoiftance engage à auoir bien plus d'attention pour vos Autheiu-s. le l'eufte fait, dit-il, fi l'occafion s'en fuft oft'erte; mais profitez-en à l'aue- nir, & continuons noftre fujet.

le croy vous auoir ouuert des moyens d'affurer fon falut affez faciles, aftez feurs & en affez grand nombre. Mais nos Pères fouhaitteroient bien qu'on n'en demeuraft pas à ce premier degré, l'on ne fait que ce qui eft exactement

Neuvième lettre. 139

necefTaire pour le faliit. Comme ils afpirent fans ceiTe à la plus grande gloire de Dieu, ils voudroient éleuer les hommes à vne vie plus pieufe. Et parce que les gens du monde font d'ordinaire détournez de la deuotion par l'eftrange idée qu'on leur en a donnée , nos Pères ont crû * qu'il eftoit d'vne extrême importance de détruire ce premier obltacle. Et c'eft en quoy le P. le Moyne a acquis beaucoup de réputation par le liure de la Dévotion aisée, qu'il a fait à ce deiïein. C'ell qu'il fait vne peinture tout à fait charmante de la deuotion. lamais perfonne ne l'a connue comme luy. Appre- nez-le par les premières paroles de cet ouvrage : La vertu ne s'e/i encore monjlrée à perfonne; on nen a point fait de portrait qui luv rejfemble. Il n'j' a rien d'ctrang'e quilv ait eu fi peu de prejfe à grimper fur fou rocher. On en a fait vne faf- cheufe, qui n'aj-me que la folitude ; on luj' a aJJ'ocié la douleur & le trauail; & enfin on Va faite ennemie des diuertifjanens & des Jeux, qui font la fleur de la ioje & V affaifonnement de la vie; c'eft ce qu'il dit p. 92.

Mais, mon Père, ie fçay bien au moins qu'il y a de grands Saints dont la vie a efté extrêmement auftere. Cela eft vray, dit-il ; mais aiiffi il s'ejl toujours veu des Saints polis & des deuots ciuilife:-, félon ce Père, p. 191. Et vous verrez p. 86 que la différence de leurs mœurs vient de celle de leurs humeurs. Efcoutez-le : le ne nie pas qu'il ne fe vove des deuots qui font pasles & melancholiques de leur complexion, qui arment le Jilence & la retraite , & qui n'ont que du flegme dans les veines & de la terre fur le vifage. Mais il s'en voit a(]ey d'autres qui font d'vne complexion plus heureufe , & qui ont abondance de cette humeur douce & chaude & de ce fan g henni d"- reâifié qui fait la ioye.

Vous voyez de que l'amour de la retraite & du iilence n'eft pas commun à tous les deuots; & que, comme ie vous

1. L'cdinon 111-8" de 1659 ce toutes les éditions suivantes : Ajhjt lU-ons cru.

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140 Lettres prouinciales.

le difoiS;, c'ell l'effet de leur complexion, plùtoft que de la pieté. Au lieu que ces mœurs aufteres dont vous parlez, font proprement le caractère d'vn fauuage & d'vn farouche. Auffi vous les verrez placées entre les mœurs ridicules & brutales d'vn fou melancholique, dans la defcription que le P. le Moyne en a faite au j" liure de fes peintures Morales. En voicy quelques traits : // ejl fans yeux pour les beauté:^ de l'art & de la nature. Il croirait s'ejlre chargé d'vn fardeau incom- mode, s'il auoit pris quelque matière de plaijîr pour foj\ Les iours de feftes il fe retire parmy les morts. Il s'aj-me mieux daiis vn tronc d'arbre ou dans vne grotte que dans vu palais ou fur vn throfne. Quant aux affronts & aux injures, il j' ejl auffi infenfible que s'il auoit des j'eux & des oreilles de/latuë. L'honneur & la gloire font des idoles qu'il ne connoijl point , & pour le/quels il n'a point d'encens à offrir. Vne belle perfonne luj' eft vn fpeâre; & ces vif âges impérieux & fouuerains , ces agréables tj'rans qui font par tout des efclaues volontaires & fans chaifnes, ont le mefme pouuoir fur fes j'eux que le foleil fur ceux des hiboux , &c.

Mon Reuerend Père , ie vous affure que fi vous ne m'auiez dit que le P. le Moyne eft l'Autheur de cette pein- ture , i'aïu'ois dit que c'eiift efté quelque impie qui l'aïu-oit faite à defîein de tourner les Saints en ridicide. Car fi ce n'eft l'imag-e d'vn homme tout à fait détaché des fentimens aufquels l'Euang-ile oblige de renoncer, ie confeffe que ie n'y entens rien. Voyez donc, dit-il, combien vous vous y connoifîéz peu 5 car ce font des traits d'vn efprit foible & fauuage , qui n'a pas les affeâions honnefes & naturelles qu'il deuroit avoir, comme le P. le Moyne le dit dans la fin de cette defcription. C'eft par ce moyen qifil enfeigne la vertu & la Philofophie Chreflienne, félon le deffein qu'il en auoit dans cet ouvrage, comme il le déclare dans l'auertiffement. Et en effet on ne peut nier que cette méthode de traiter de la deuotion , n'agrée tout autrement au monde, que celle dont on le feruoit auant nous, il n'y a point de comparaifon,

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Neupi-Jme lettre. 141

liiy dis-je, & ie commence à efperer que vous me tiendrez parole. Vous le verrez bien mieux dans la fuite, dit-il; ie ne vous ay encore parlé de la pieté qu'en gênerai. Mais pour vous faire voir en détail combien nos Pères en ont ollé de peines % n'eil-ce pas vne chofe bien pleine de confolation pour les ambitieux , d'apprendre qif ils peuuent conferuer vne véritable deuotion, auec vn amour defordonné pour les grandeurs? Et qnoy, mon Père, auec quelque excès qifils les recherchent? Oûy, dit-il; car ce ne feroit toiijours que péché véniel , à moins qu'on defîralt - les grandeurs poiu- ofFenfer Dieu ou l'Eflat plus commodément. Or les péchez véniels n'empefchent pas d'eftre deuot , puifque les plus grands Saints n'en font pas exempts. Efcoutez donc Efcobar, tr. 2, ex. 2, n. 17 : L'ambition qui ejl vu appétit defordouué des charges ô des grandeurs, eft de foj'-mefme vu péché véniel; mais quand on dejire ces grandeurs pour nuire à VEftat ou pour auoir plus de commodité d'offenfer Dieu, ces circonjîances exté- rieures le rendent mortel.

Cela commence bien % mon Père. Et n'eft-ce pas encore, continua-t'il, vne doctrine bien douce pour les auares, de dire comme fait Efcobar au tr. 5, ex. 5, n. 154 : le /car que les riches ne pèchent point mortellement quand ils ne donnent point l'aumofne de leur fuperjlu dans les grandes necejjite\ des panures, Scio in graui pauperum necejjitate diuites non dando fuperjlua, non peccare mortaliter. En vérité, luy dis-je, fi cela ell, ie voy bien que ie ne me connois guère en péchez. Poiu- vous le monflrer encore mieux, dit-il, ne penfez-vous pas que la bonne opinion de foy-mefme & la complaifance

1 . Une corrcccion manuscrice de notre colleccion in-4° : Combien de peines nos Pères en ont ojlé, correccion qui n'a été adoptée par aucun éditeur.

2. Les éditions modernes : A moins qu'on ne déjhàt.

3. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Cela ejl iijfej commode. Ce n'est pas cette leçon, mais la leçon primitive, que Nicole a traduite dans sa \ersion latine : Pulchre. inquam. initia procédant.

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142 Lettres proiiinciales.

qu'on a pour les ouvrages ell vn péché des plus dangereux? Er ne ferez-vous pas bien furpris fi ie vous fais voir, qu'en- core mefme que cette bonne opinion Ibit fans fondement, c'efl: fi peu vn péché que c'efi: au contraire vn don de Dieu? Eft-il poffible, mon Père? Oùy, dit-il; & c'ell ce que nous a appris noftre grand P. Garaffe dans fon hure François inti- tulé : Somme des rerite:{ capitales de la Religion p. 2, p. 419 : C'ejl m effet , dit-il, de iujlice commutatiiie que tout trauail

honnejle foit recompenfé ou de loiiange ou de fatisfaSion

Quand les bons efprits font vn ouurage excellent, ils font iujîe- ment recompenfé:^ par les loiianges publiques... Mais quand vn panure efprit trauail le beaucoup pour ne rien faire qui vaille , & qu'il ne peut ainfi obtenir de loiianges publiques, afin que fon trauail ne demeure pas fans recompenfé. Dieu luy en donne vue fatisfaéîion perfonnelle qu'on ne peut luj' enuier fans une iniuf- tice plus que barbare. C'efi ainf que Dieu qui efi iufte donne aux grenouilles de la fatisfaâion de leur chant.

'Voilà, luy dis-je, de belles decifîons en faneur de la vanité, de l'ambition & de Taiiarice. Et l'enuie, mon Père, fera-t'elle plus difficile à excufer? Cecy ell: délicat, dit le Père. Il faut vfer de la diftinction du P. Baimy dans fa Somme des péchez; car fon fentiment c. 7, p. 123 de la 5" & &' édi- tion, ell que l'enuie du bien fpirituel du prochain efi mortelle, mais que l'enuie du bien temporel n'efi que vénielle. Et par quelle railbn, mon Père? Efcoutez-la, me dit-il : Car le bien qui fe trouue es chofes temporelles , efi fi mince & de fi peu de confequence pour le ciel , qu'il efi de nulle confideration deuant Dieu & fes Saints. Mais, mon Père, fi ce bien ell fi mince & de Il petite confideration, comment permettez-vous de tuer les hommes pour le conferuer? Vous prenez mal les chofes, dit le Père. On vous dit que le bien ell de nulle confide- ration deuant Dieu, mais non pas deuant les hommes. le ne penlbis pas à cela, luy dis-je, & i'efpere que par ces dillinctions-là il ne reliera plus de péchez mortels au monde. Ne penfez pas cela, dit le Père ; car il y en a qui font toù-

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Xcuriéme lettre. [a->

jours mortels de leur nature, comme par exemple la pareffe.

O mon Père, luy dis-je, toutes les commoditez de la vie font donc perdues? Attendez, dit le Père; quand vous aurez veula définition de ce vice qu'Elcobar en donne tr. 2, ex. 2, n. 81, peut-elii-e en iug-erez-vous autrement : efcoutez -la : La pareffe eft vue trijtefje de ce que les chofes fpiritiielles font fpi rituelle s, comme ferait de s'afflig-er de ce que les Sacremeus font la fource de la grâce. Et c'ejt m péché mortel. O mon Père, luy dis-je, ie ne croy pas que perlbnne ait iamais elle affez bizarre pour s'auiler * d'ellre parefTeux en cette forte. Auffi, dit le Père, Efcobar dit enfuite n. 105 : l'auGue qu'il ejl bien rare que perfonne tombe iamais dans le péché de parefje. Comprenez -vous bien par combien il importe de bien définir les choies? Oûy, mon Père, luy dis-je; & ie me fou- uiens fur cela de vos autres définitions de l'airaffinat, du g-uet-apend & des biens Iliperilus. Et d'où vient, mon Père, que vous n'eftendez pas cette méthode à toute forte - de cas, &:^pour donner à tous les péchez des définitions de voftre façon , afin qu'on ne pechaft plus en fatisfaifant fes plaifirs.

Il n'eft pas toujours neceffaire, me dit-il, de changer poiu- cela les définitions des chofes. Vous l'allez voir fur le fujet de la bonne chère, qui eil fans doiue vn des plus grands plaifirs^ de la vie, & qu'Efcobar permet en cette forte n. 102, dans la pratique félon nofire Société : Ejî-il permis de boire & manger tout fon fioul, fans neceffité & pour la feule volupté? Oit y certainement , félon noflre P. Sanche-', pourueu que cela ne nuife point à la fanté ; parce qu'il eJl permis à V ap- pétit naturel de ioii)-r des adions qui lin- font propres: An

I- L'édition in-S*^ de 1659 ^^ toutes les éditions suivantes : Que per- fonne Je fon Jamais ai'ifé.

2. Les éditions modernes : Toutes sortes.

3- L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes suppriment le mot et.

4. Les mêmes éditions : Qui pejfe pour un des plus i^raniis pLulirs.

5. Les mêmes éditions : Selon Sanche'^.

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144 Lettres prouiuciales.

comedere & bibere vfque ad fatietatem abfqiie necejjitate , ob folam voluptatem , fit peccatum? Ciim Saiidio negatiuè refpon- deo, modo non obfit valetudini, quia licite potejt appetitus natii- ralis fuis aâibus frui. O mon Përe, liiy dis-je, voilà le pailage le plus complet & le principe le plus acheué de toute voftre Morale, & dont on peut tirer d'auïîî commodes concluions. Et quoy la gourmandife n'efl: donc pas mefme vn péché véniel? Non pas, dit-il, en la manière que ie viens de dire; mais elle feroit péché véniel félon Efcobar n. ^^6, f fans aucune necejjîté on fe gorgeoit de boire & de manger iufqu'à j'omir ': Si quis fe vfque ad i^omitum ingurgitet.

Cela fufîît fur ce fujet, & ie veux maintenant vous par- ler des facilitez que nous auons apportées pour faire éuiter les péchez dans les conuerfations & dans les intrigues du monde. Vne chofe des plus embaraffantes qui s'y troiuie eft d'euiter le menfonge ; & lur tout quand on voudroit bien faire accroire vne chofe fauife. C'eft à qtioy fert admirable- ment nollre doctrine des equiuoques, par laquelle // ejl per- mis d'vfer de termes ambigus, en les faifant entendre en m autre feus qu'on ne les entend foj'-mef me, comme dit Sanchez, Op. Mor. jD. 2, 1. 3, c. 6, n. i^. le fçay cela, mon Père, luy dis-je. Nous l'auons tant publié, continua-t'il , qifà la fin tout le monde en eft inftruit. Mais fçauez-vous bien com- ment il faut faire quand on ne trouue point de mots equi- uoques? Non, luy dis-je \ le m'en doutois bien, dit-il; cela eft nouueau : c'eft la doctrine des reftrictions mentales. Sanchez la donne au mefme lieu : On peut iurer, dit-il, quon n'a pas fait vne chofe, quoy qu'on l'ait faite effecîiuement, en entendant en for -mefme qu'on ne l'a pas faite vn certain iour, ou auant qu'on fufl né, ou en fous-entendant quelqu'autre circouftance pareille , fans que les paroles dont on fe fert aj-ent aucun feus qui le puiJJ'e faire connoijlre. Et cela eft fort com-

I. L'édition in-8° de 1659 ec toutes les éditions suivantes: Non. mon père.

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Neuvième lettre. i^<^

mode en beaucoup de rencontres & eft toujours tres-iujîe quand cela eft neceffaire ou vtile pour la faute', l'honneur ou le bien.

Comment, mon Père, & n'eft-ce pas vn menfonge, & meime vn parjure? Non, dit le Père: Sanchez le prouiie au mefme lieu, & noilre P. Filliucius auïïî tr. 25, c. 11, n. 331 : parce, dit-il, que c'efl l'intention qui règle la qualité' de l'aâion. Et il y donne encore n. 328 vn autre moyen plus feur d'euiter le menfonge. C'ell qu'après auoir dit tout haut : le iure que ie n'ay point fait cela, on adjoute tout bas : aujourdliuv; ou qu'après auoir dit tout haut, ie iure, on dife tout bas, que ie dis, & que l'on continue enfuite tout haut, que ie n'ay point fait cela. Vous voyez bien que c'eft dire la vérité. le l'aduouë, luy dis-je 5 mais nous trouuerions peut- ellre que c'eft dire la vérité tout bas , & vn menfonge tout haut; outre que ie craindrois que bien des gens n'euflent pas afTez de prefence d'efprit pour fe feruir de ces méthodes. Nos Pères, dit-il, ont enfeigné au mefme lieu en faneur de ceux qui ne fçauroient trouuer ces reftrictions ', qu'il leur fuffit pour ne point mentir, de dire fimplement qu'ils n'ont point fait ce qu'ils ont fait, pourueu qu'ils aj-ent en gênerai l'intention de donner à leurs difcours le fens qu'rn habile homme Y donneroit.

Dites la vérité : il vous eft arriué bien des fois d'eftre embarafte manque de cette connoifTancer Quelquefois, luv dis-je. Et n'auoûerez-vous pas de mefme - qif il feroit fou- uent bien commode d'eftre difpenfé en confcience de tenir de certaines paroles qifon donner Ce feroit, luy dis-je, mon Père, la plus grande commodité du monde! Efcoutez donc Efcobar au tr. ■^, ex. '^, n. 48, il donne cette règle gcne-

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Qui ne ftiu- roient pas ufer de ces reflriclions.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes, ajoute après : De même, les mots : Continiui-t-il. Nicole , dans sa version latine , n'a pas traduit cette addition.

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146 Lettres proiiinciales.

raie : Les promejfes 71' obligent point, quand on n'a point inten- tion de s'obliger en les faifant . Or il n'arriue guère qu'on ait cette intention, à moins que l'on les confirme par ferment ou par contraâ; de forte que quand on dit fimplement, ie le feray, on entend qu'on le fera fi Von ne change de volonté. Car on ne l'eut pas fe priuer par de fa liberté. Il en donne d'autres que vous y pouuez voir vous mefme 5 & il dit à la fin, que tout cela eft pris de Molina & de nos autres auteurs, omnia ex Molinâ & aliis ; & ainfi on n'en peut pas douter.

O mon Père, luy dis-je, ie ne fçauois pas que la direction d'intention euft la force de rendre les promeffes nulles! Vous voyez, dit le Père, que voilà vne grande facilité pour le commerce du monde. Mais ce qui nous a donné le plus de peine, a efté de régler les conuerfations entre les hommes & les femmes ; car nos Pères font plus referuez fur ce qui regarde la chafteté. Ce n'eft pas qu'ils ne traitent des quef- tions affez curieufes & affez indulgentes, & principalement pour les perfonnes mariées ou fiancées. l'appris fur cela les queflions les plus extraordinaires & les plus brutales ^ qu'on puiffe s'imaginer. Il m'en donna de quoy remplir plufîeurs lettres ; mais ie ne veux pas feulement en marquer les cita- tions, parce que vous faites voir mes Lettres à toutes fortes de perfonnes, & ie ne voudrois pas donner l'occafion de cette lecture à ceux qui n'y chercheroient que leur diuer- tiffement.

La feule chofe que ie puis "^ vous marquer de ce qu'il memonflra dans leurs liures, mefme François, ell: ce que vous pouuez voir dans la Somme des péchez du P. Bauny p. 165 de certaines petites priuautez qu'il y explique % pourueu

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes suppriment : Et les plus brutales, expression que Nicole a rendue : Tarn pecude potius quàm homme digna.

2. Les éditions modernes : Que Je puiffe.

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4° propose d'ajou-

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Neuvième lettre. 147

qu'on dirige bien fon intention, comme à paffer pour galand; Si. vous ferez furpris d'y trouuer p. 148 vn principe de Morale touchant le pouuoir qu'il dit que les filles ont de difpofer de leur virginité fans leurs parens; voicy Tes termes : Quand cela fe fait du confentement de la Jîlle, quoj^ que le Père ait fujet de s'en plaindre, ce n'eji pas neantmoins que ladite file ou celuj' à qui elle s'eji projlitue'e, luj' ayent fait aucun tort ou violé pour fon e'gard la iufice. Car la file ef en pojfeffion de fa virginité, auffi bien que de fon corps; elle en peut faire ce que bon luj- femble, à l'exclufion de la mort ou du retranchement de fes membres. Jugez par du refte. le me fouuins fur cela d'vn pafTage d'un Poëte Payen qui a eflé meilleur Cafuifte que ces Pères, puisqu'il a dit que la virginité d' vue file ne luy appai^tient pas toute entière; qu'vne partie appartient au père, & Vautre à la mère, fans lef quels elle n'en peut difpofer mefme pour le mariage. Et ie doute qu'il y ait aucun luge qui ne prenne pour vne loy le contraire de cette maxime du P. Bauny.

Voilà tout ce que ie puis dire de tout ce que i'entendis, & qui dura long-temps que ie fus obligé de prier enfin le Père de changer de matière. Il le fit, & m'entretint de leurs reglemens poiu* les habits des femmes en cette forte : Nous ne parlerons point, dit-il, de celles qui auroient l'intention impure; mais pour les autres, Efcobar dit au tr. i, ex. 8, n. 5 : Si on fe pare fans mauuaife intention, mais feulement pour fatisfaire l'inclination naturelle qu'on a à la vanité , ob naturalem fafûs inclinationem, ou ce n'ejl qu'vn péché véniel ou ce nef point péché du tout. Et le P. Bauny en fa Somme des péchez c. 46, p. 1094, dit que bien que la femme euf connoif- fance du mauuais effet que fa diligence à fe parer opercroit S- au corps & en l'ame de ceux qui la contempleroient ornée de riches & précieux habits, qu'elle ne pecheroit neantmoins en

ter: Et qu'il permet, addition qui n'a été adoptée par aucune édition, mais que Nicole semble avoir traduite : Quœ ille et explicat et excufat.

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148 Lettres pj^oinîiciales.

s en feriiant. Et il cite entr'autres noftre Père Sanchez pour ertre du mefme auis.

Mais, mon Père, que refpondent donc vos Autheurs aux paffag-es de l'Efcriture, qui parlent auec tant de véhé- mence contre les moindres chofes de cette forte? Leiîius, dit le Père, y a doctement fatisfait, de iuft. 1. 4, c. 4, d. 14, n. 114, en difant : Que ces pajjag-es de VE/crititre n'ejloient des préceptes qu'à V égard des femmes de ce temps -là, pour donner par leur mode/lie vu exemple d'' édification aux Payens. Et d'où a-t'il pris cela, mon Père? Il n'importe pas d'où il l'ait pris 5 il lùffit que les fentimens de ces grands hommes font toujours probables d'eux-mefmes. Mais le P. le Moyne a apporté vne modération à cette permiffiion générale; car il ne le veut point du tout IbufFrir aux vieilles; c'ell dans fa deuotion aiiee, & entr'autres p. 127, 157, 163 : La ieunejje, dit-il, peut ejlre parée de droit naturel. Il peut ejlre permis de fe parer en vu âge qui ejl la fleur & la j'erdure des ans. Mais il en faut demeurer là; le contretemps feroit ef range de chercher des rofes fur la neige. Ce n'ejl qu'aux eftoiles qu'il appartient d'efre toujours au bal, parce qu elles ont le don de ieunejje perpétuelle. Le meilleur donc en ce point feroit de prendre con- feil de la raifon & d'jni bon miroir, de fe rendre à la bien-féance & à la necefjité, & de fe retirer quand la nuict approche. Gela efl: tout à fait iudicieux, luy dis-je. Mais, continua-t'il, afin que vous voyez combien nos Pères ont eu foin de tout, ie vous diray que parce qu'il feroit fouuent inutile aux ieunes femmes d'auoir la permifîion de fe parer, fi on ne leur don- noit auiîi le moyen d'en faire la defpenfe, on a' ellably vne antre maxime en leur faueur qui fe voit dans Efcobar au chap. du larcin, tr. i, ex. 9, n. 13 : Vne femme , dit-il, /'(?«<f

I. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes ont présenté ce passage d'une manière toute différente : Je vous dirai que donnant permiffion aux femmes de jouer, et voyant que cette permijfwn leur feroit fouvent inutile. Ji on ne leur donnait aujji le moyen d'avoir^de quoi jouer , ils ont... Nicole a suivi cette leçon dans sa version latine.

Neuvième lettre. iaq

prendre de Varient à fou mary eu pluiieurs occafions , & en- tr'autres pour Jouer, pour auoir des habits & pour les autres chofes qui luy font neceffaires ' .

En vérité, mon Père, cela ell bien acheué. Il y a bien d'autres chofes neantmoins, dit le Père; mais il faut les laifTer pour parler des maximes plus importantes qui faci- litent l'vfage des chofes faintes, comme par exemple, la manière d'afîifter à la Meffe. Nos g-rands Théologiens, Gafpar Hurtado de Sacr. to. 2, d. 5, dilî. 2 & Coninch q. 83, a. 6, n. 197, ont enfeigné fur ce fujet, Qu'il fujit d'ejtre prefent à la MeJJe de corps, quoyqu'on foit abfent d'efprit, pourueu qu'on demeure dans me contenance refpectueufe extérieurement . Et Vafquez paffe plus auant : car il dit, Qu'on fat isf ait au précepte d'oiij-r la MeJJe, encore mefme qu'on ait l'intention de n'en rien faire. Tout cela eft auffi dans Efcobar tr. i, ex. 11, n. 74 & 107 & encore au tr. i, ex. i, n. 116, oî^i il l'exphque par l'exemple de ceux qu'on meine à la MefTe par force, & qui ont l'intention expreffe de ne la point entendre. Vrayement, luy dis-je, ie ne le croirois iamais, fi vn autre me le difoit. En efîet, dit-il, cela a quelque befoing- de Tauthorité de ces grands hommes; auffi bien que ce que dit Efcobar au tr. i, ex. II, n. 31 : Qu'vne mef chante intention, comme de regarder des femmes auec vn defr impur, jointe à celle d'oiiyr la Me/Je comme il faut, n'empefche pas qu'on n'y fatisfaffe, Nec obefl alla praua intentio, ut afpiciendi libidinosè fœminas.

Mais on trouue encore vne chofe commode dans nollre fçauant Turrianus, Select, p. 2, d. 16, dub. 7: Qu'on peut oiiyr la moitié d'viie Me/Je d'vn Prejlre, & enfuite vne autre moitié d'vu autre; & mefme qu'on peut oiiyr d'abord la fin de l'vne, <S'-

I- L'édition in-8" de 1659 ec toutes les éditions suivantes : Une femme, dit-il . peut jouer, et prendre pour cela de l'argent à fon mari. ?sicole, dans sa version latine : Id n'dere cjl apud Efcobarium, tr. i. ex. <), n. ij. Potcll, ait, fœmina ludcrc et pecuniam accipere ad ludum, dandumque paupcribus, intra decentiam lui llatùs. Non injcite . mquam . à vobis mulienbus inser- i'i ru/11 cit.

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1^0 Lettres prom7tciales.

enfuite le commenccinent d'vne autre. Et ie vous diray de plus qu'on a permis encore d'oiiyr deux moitié^ de AleJJe eu tue/me temps de deux differeus Prejtres, lors que l'ini commeuce la Mejfe, quaud l'autre eu eft à l'eleuatiou, parce qu'où peut auoir Vatteutiou à ces deux cofte^ à la fois , & que deux moitié^ de MeJJe font vue MeJJe entière. Duce medietates jniam Mijfam con- Jlitmint. C^efl ce qu'ont décidé nos Pères Bauny tr. 6, q. 9, p. 312, Hurtado de Sacr. to. 2, de MifTâ d. 5, diff. 4, Azorius p. I, 1. 7, cap. 3, q. 3, Efcobar tr. i, ex. 11, n. 73, dans le chapitre de la pratique pour oiij-r la Mejfe félon nojlre Société. Et vous verrez les confequences qu'il en tire dans ce mefme liure, de l'édition de Lyon* des années 1644 & 1646, en ces termes : De ie conclus que vous poune^ oHj-r la Mejfe en très- peu de temps; fi par exemple 7'ous rencontre'{ quatre Mejfes à la fois qui f oient tellement orties, que quand l'vne commence , V autre f oit à VEuangile, me autre à la confecration, & la der- nière à la communion. Certainement, mon Père, on entendra la Meffe dans Noftre-Dame en vn inftant par ce moyen. Vous voyez donc, dit-il, qu'on ne pouuoit pas mieux faire pour faciliter la manière d'oûyr la MefTe.

Mais ie veux vous faire voir maintenant comment on a adouci l'vfag-e des Sacremens, & fur tout de celuy de la Péni- tence. Car c'efl vous verrez la dernière bénignité de la conduite de nos Pères; & vous admirerez que la deuotion qui eftonnoit tout le monde, ait pu eftre traitée par nos Pères avec vne telle prudence, qu'aj'ant abbatu cet épouuantail que les démons auoient mis à fa porte, ils l'ayent rendue plus facile que le jnce , & plus ai fée que la volupté ; en forte que le fimple viure eft incomparablement plus malaifé que le bien viure, pour vfer des termes du P. le Moyne p. 244 & 291 de fa deuotion aifée. N'eft-ce pas vn merueilleux chang-ement? En vérité, luy dis-je, mon Père, ie ne puis m'empefcher de vous dire

I. L'édition in-8° de 1659 et tt)utes les éditions suivantes : Des éditions de Lyon.

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Neuvième lettre. j e i

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ma penfée. le crains que vous ne preniez mal vos mefures, & que cette indulgence ne foit capable de choquer plus de monde que d'en attirer. Car la xVIefTe par exemple eft vne chofe fi g-rande & fi fainte qu'il fuffiroit pour faire perdre à vos Autheurs toute créance dans Tefprit de plufieurs per- fiDnnes, de leur monftrer de quelle manière ils en parlent. Cela eft bien vray, dit le Père, à l'égard de certaines gens; mais ne fçauez-vous pas que nous nous accommodons à toute Ibrte de peribnnes? Il fismble que vous ayez perdu la mémoire de ce que ie vous ay dit fi fouuent fur ce fujet. le veux donc vous en entretenir la première fois à loifir, en différant pour cela noftre entretien des adouciffemens de la confeffion. le vous le feray fi bien entendre que vous ne l'oublierez iamais. Nous nous séparâmes là-deffus; & ainfi ie m'imagine que nollre première conuerfation fera de leur Politique. le fuis, &c.

Depuis que j'ay efcrit cette lettre, i'ay veu le liure du Paradis ouuert par cent dcuo- tions ai/ées à pratiquer^ par le P. Barry, & celuy de la Marque de Predejiinamn , par le P. Binet. Ce font des pièces dignes d'eftre veuës'.

I. L'édition in-8° de 1659 omec ce P. S. Nicole ne l'a pas traduit dans sa version latine. QueL]ucs édiceurs modernes l'ont reproduit ou le placent en note.

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DIXIEME LETTRE

ESCRITTE A VN PROVINCIAL

PAR VN DE SES AMIS '.

De Paris, ce 2 Aourt 1656.

MOXSIEVR,

Ce n'eft pas encore icy la Politique de la Société: mais c'en Qi\ vn des plus grands principes. Vous y verrez les adouciffemens de la Confeffion, qui font apurement le meil- leur moyen que ces Pères ayent trouué pour attirer tout le monde, & ne rebuter perfonne. Il falloit fçauoir cela auant que de paffer outre. Et c'efl pourquoy le Père trouua à pro- pos de m'en inllruire en cette forte.

Vous avez veù, me dit-il, par tout ce que ie vous ay dit iufqiies icy, auec quel fuccés nos Pères ont trauaillé à de- couurir par leur lumière, qu'il y a vn grand nombre de chofes permifes qui pa/Toient autrefois pour défendues: mais parce qu'il refte encore des péchez qu'on n'a pu excufer, & que l'vnique remède en eft la Confeffion, il a elle bien neceffaire d'en adoucir les difficultez par les voyes que j'ay maintenant à vous dire. Et ainfi après vous auoir montré' dans toutes nos conuerfations précédentes comment on a foulage les fcrupules qui troubloient les confciences, en faifant voir que

I. L'cdition in-8" de 1659 et la pluparc des éditions suivantes : Dixièi lettre.

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1^4 Lettres prouinciales.

ce qu'on croyoit maiumis ne l'eft pas, il refte à vous monftrer en celle-cy la manière d'expier facilement ce qui ell vérita- blement péché, en rendant la Confeffion auffi ailée qu'elle efloit difficile autrefois. Et par quel moyen, mon Père? C'ell, dit-il, par ces fubtilitez admirables, qui font propres à nollre Compagnie & que nos Pères de Flandres appellent dans l'Image de noftre premier fiecle, 1. 3, or. i, p. 401, & 1. i, c. 2, de pieufes & faintes JineJJes & tm faint artifice de deuotion, Piam & religiofam calliditatem. Et Pietatis folertiam, au 1. 3, c. 8. C'eft par le moyen de ces inuentions que les crimes s'expient aujourd'hui alacriiis, auec plus d'alegrejfe & d'ardeur qu'ils ne fe commettaient autrefois; en forte que plufieurs per- fonnes effacent leurs taches auffi promptement qu'ils les con- traient, Plurimi vix citiiis maculas contrahunt quàm eluunt, comme il ell dit au mefme lieu. Aprenez-moy donc, ie vous prie, mon Père, ces fîneffes (i falutaires. 11 y en a plu- fieurs, me dit-il; car comme il fe trouue beaucoup de chofes pénibles dans la Confefîion, on a apporté des adou- ciffemens à chacune. Et parce que les principales peines qui s'y rencontrent, font la honte de confeffer certains péchez ', le foin d'en exprimer les circonftances, la pénitence qu'il en faut faire, la refolution de n'y plus tomber, la fuite des occafions prochaines qui y engagent &. le regret de les auoir commis, j'efpere vous monftrer aujourd'huy qu'il ne refte prefque rien de fafcheux en tout cela, tant on a eu foin d'ofter toute l'amertume & toute l'aigreur d'vn remède fi neceffaire.

Car pour commencer par la peine qu'on a de confeffer certains péchez-, comme vous n'ignorez pas qu'il ell: fouuent affez important de fe conferuer dans l'eftime de fon Confef-

1, L'édiuon in-8° de 1659 ec toutes les édidons suivantes : La honte de confeffer de certains péchés.

2. Les mêmes éditions : La peine qu'on a de confeffer de certains péchés.

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Dixième lettre.

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feiir, n'eft-ce pas vne chofe bien commode de permettre, comme font nos Pères , & entr'autres Efcobar , qui cite encore Suarez tr. 7, a. 4, n. 135, d'auoir deux confejjeurs , Vvn pour les pechei mortels & Vautre pour les véniels, afin de fe maintenir en bonne réputation auprès de fon Confejfeur ordi- naij^e , Vti honam famam apud ordinarium tueatur, pourveu qu'on ne prenne pas de occajîon de demeurer dans le péché mortel. Et il donne enfiiite vn autre fubtil moyen pour le confe/Ter dVn péché à fon confelTeur ordinaire mefme \ lans qu'il s'apperçoiue qu'on Ta commis depuis la dernière con- feffion. C'ejf, dit-il, de faire vne confejjîon générale, & de con- fondre ce dernier péché avec les auti^es dont on s'accufe en gros. Il dit encore la mefme chofe princ. ex. 2, n. 73. Et vous auouërez, ie m'affem-e , que cette decifion du P. Bauny, Theol. mor. tr. 4, q. i^, p. 137, foulage encore bien la honte qu'on a de confeffer fes recheutes : Que hors de certaines occafions, qui narriuent que rarement , le Confejfeur n'a pas droit de demander fi le péché dont on s'accufe efl vn péché d'ha- bitude, & qu'on n efl pas obligé de luy refpondre fur cela, parce qu'il n'a pas droit de donner à fon pénitent la honte de décla- rer fes }'echeutes fréquentes.

Comment, mon Père, j'aymerois autant dire qu'un Médecin n'a pas droit de demander à fon malade s'il y a long-temps qu'il a la iieure. Les péchez ne font-ils pas tous difFerens félon ces différentes circonrtances? & le deffein d'vn véritable pénitent ne doit -il pas eftre d'expofer tout l'eftat de fa confcience à fon ConfefTeiu- auec la mefme fm- cerité & la mefme ouuerture du cœur que s'il parloit à lefus- Chrill, dont le Preftre tient la place? Et' n'ell-on pas bien

1- L'ne correction manuscrice de notre colleccion in-4'% adoptée" par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Ale'me à fon confef- fcur ordinaire.

2- L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Or. \icole, dans sa version latine, ne traduit ni et ni or.

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156 Lettres prouinciales.-

éloigné de cette difpofîtion quand on cache les recheutes fréquentes, pour cacher la grandeur de Ton péché? le vis le bon Père embaraffé deffus : de forte qu'il penfa à éluder cette difficulté pluilofl qu'à la refoudre, en m'aprenant vne autre de leurs règles, qui eilablit feulement vn nouueau defordre, fans jufiifier en aucune forte cette decifion du P. Bauny, qui eft, à mon fens, vne de leurs plus pernicieufes maximes & des plus propres à entretenir les vitieux dans leurs mauuaifes habitudes. le demeure d'accord, me dit-il, que l'habitude augmente la malice du péché, mais elle n'en change pas la nature ; & c'eft pourquoy on n'eft pas obligé à s'en confeffer félon la règle de nos Pères, qu'Efcobar rap- porte princ. ex. n. 39 : Qu'on neji obligé de confejfer que les circonflances qui changent Vefpece du péché, & non pas celles qui Vaggrauent.

C'eft félon cette règle que noftre Père Granados dit, in. 5, par. cont. 7, tr. 9, d. 9, n. 22, que fi on a mangé de la j'iande en Carefme, il fuffit de s'accufer d'auoir rompu le jeu/ne, fans dire Ji c'ejl en mangeant de la viande, ou en faifant deux repas maigres. Et félon noftre Père Reginaldus, tr. i, 1. 6, c. 4, n. 114 : ]ii deuin qui s'ejl feruy de l'art diabolique n'eji pas obligé à déclarer cette circonjîance ; mais il fujfit de dire qu'il s'eft mejlé de deuiner, fans exprimer c'eft par la Chiro- mance , on par ini paSe auec le démon. Et Fagundez de noilre Société, p. 2, 1. 4, c. 3, n. 17, dit auffi : Le rapt n'efl pas vne circouftance qu'on foi t tenu de decouurir quand la fille y a con- fentj'. Noilre Père Efcobar rapporte tout cela au mefme lieu, n. 41, 61, 62, auec plufieurs autres decifions afîez curieufes des circonflances qu'on n'eil pas obligé de con- fefîer. Vous pouuez les y voir vous-mefme. Voilà, luy dis-je, des artifices de deuotion bien accommodans.

Tout cela neantmoins, dit-il, ne feroit rien, fi on n'auoit de plus adoucy la pénitence, qui eft vne des choies qui efloi- gnoit dauantage de la Confelîion. Mais maintenant les plus délicats ne la fçauroient plus appréhender, après ce que nous

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Dixième lettre. 157

avons fouftenii dans nos Thefes du Collège de Clermont : Qiiefi le CoJifeJJeiir iinpofe vue pénitence conuenable, coniienien- tem, & qu'on ne veuille pas neantmoins l'accepter, on peut fe reti- rer en renonçant à l'abfolution & à la pénitence impofce. Et Efcobar dit encore dans la pratique de la pénitence félon noftre Société, tr. 7, ex. 4, n. 188 : Que fi le pénitent déclare qu'il l'eut remettre à Vautre monde à faire pénitence & fouffrir en purgatoire toutes les peines qui luy font dues, alors le Confef- feur doit luj- impofer vue pénitence bien légère pour l'intégrité du Sacrement, & principalement s'il reconnoift qu'il n'en accep- teroit pas vne plus grande. le croy, luy dis-je, que fi cela ertoit, on ne deuroit plus appeller la confeffion le facrement de pé- nitence. Vous auez tort, dit-il; car au moins on en donne toufiours quelqu'vne pour la forme. Mais, mon Père, jugez- vous qu'vn homme foit digne de receuoir l'abfolution, quand il ne veut rien faire de pénible pour expier fes offenfesr Et quand des perfonnes font en cet ellat, ne deuriez-vous pas pluftoll leur retenir leurs péchez, que de les leur remettre? Auez-vous l'idée véritable de voftre miniftere ^ ; & ne fçauez- vous pas que vous y exercez le poimoir lier & de délier? Croyez-vous qu'il foit permis de donner l'abfolution indiffé- remment à tous ceux qui la demandent, fans reconnoillre auparauant fi lefus-Chrift délie dans le Ciel ceux que vous déliez fur la terre? quoy, dit le Père, penfez-vous que nous ignorions que le ConfeJJeur doit fe rendre juge delà dif- pofition de, fou pcnitent, tant parce qu'il ejl obligé de ne pas difpenfer les Sacremens à ceux qui en font indigues, lefus-ChriJt luj ayant ordonné d'e/lre difpenfateur fdelle, & de ne pas don- ner les cliofes fiintes aux chiens; que parce qu'il e/l Juge, & que c'efl le deuoir d'vn juge de juger jujlement en déliant ceux qui en font dignes, & liant ceux qui en font indignes ; â auj/i parce

I. L'édition in-8" de 1659 ec toutes les éditions suivantes : De l'étendue de votre miniftere. Nicole, dans sa version latine, traduit : An miniftcni vcftri dignitatem fatis attendis?

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158 Lettres prouinciales.

qu'il ne doit pas abfoudre ceux que lefus-ChriJl condamne? De qui font ces paroles-là, mon Père? De noftre P. Filiutius, repliqua-t'il , to. i, tr. 7, n. 354. Vous me furprenez, luy dis-je; ie les prenois pour eftre d'vn des Pères de l'Eglife. Mais, mon Père, ce pafTage doit bien eftonner les Confel- feurs, & les rendre bien circonfpects dans la difpenfation de ce Sacrement, pour reconnoillre fi le regret de leurs penitens eft fufHfant, & fi les promeffes qu'ils donnent de ne plus pécher à l'auenir, font receuables. Cela n'ell point du tout embarafTant, dit le Père; Filiutius n'auoit garde de laifTer les ConfefTeurs dans cette peine, & c'eft pourquoy il leur donne enfuitte de ces paroles cette méthode facile * pour en Ibrtir : Le Confejfeur peut aifement fe mettre en j^epos touchant la difpofition de fon pénitent. Car s'il ne donne pas des figues fuffif ans de douleur, le Confejfeur n'a qu'à luy deman- der s'il ne detefle pas le péché dans fon ame, & s'il refpond que oiij', il eft obligé de l'en ciboire. Et il faut dii^e la mefme chofe de la l'efolution pour l'auenir, à moins qu'il y euft quelque obli- gation de reftituer ou de quitter quelque occafion prochaine. Pour ce paffage, mon Père, je voy bien qu'il eft de Fihutius. Vous vous trompez, dit le Père; car il a pris tout cela mot à mot de Suarez, in 3 par. to. 4, difp. 32, fect. 2, n. 2. Mais, mon Père, ce dernier pafTage de Filiutius deftruit ce qu'il auoit eftably dans le premier. Car les ConfefTeurs n'au- ront plus le pouuoir de fe rendre juges de la dilpofition de leurs penitens, puis qu'ils font obligez de les en croire fur leur parole, lors mefme qu'ils ne donnent aucun figne fuffi- fant de douleur. Eft-ce qu'il y a tant de certitude dans ces paroles qu'on donne, que ce feul figne foit conuainquant? le doute que l'expérience ait fait connoiftre à vos Pères que tous ceux qui leur font ces promeffes, les tiennent, &. ie

I. Une correccion manuscrite de norre collection in-4'', adoptée par l'édition in-8'' de 1659 et par toutes les éditions savantes : Et c'eft pourquoi, enjuite de ces paroles . il leur doine cette méthode Jiicilj.

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Dixième lettre.

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fuis trompé s'ils n'efprouuent fouiient le contraire. Cela n'importe, dit le Père; on ne laiffe pas d'obliger toujours les ConfefTeurs à les croire. Car le P. Bauny, qui a traitté cette queftion à fonds dans fa Somme des péchez, c. 46, p. 1090, 109 1 & 1092, conclud, que toutes les fois que ceux qui recidiuent fouuent fans qu'on y voye aucun aniandement , fe pref entent au Confef'euv , & luj- difent qu'ils ont regret du paffé & bon deffein pour l'auenir, il les en doit croire fur ce qu'ils le difent , quoy qu'il foit à prefumer telles refo- lutions ne pajjer pas le bout des leures. Et quoj' qu'ils fe portent en fuite auec plus de liberté & d'excès que jamais dans les mefnes fautes, on peut neantmoins leur donner l'abfolu- tion félon mon opinion. Voila ie m'affiu^e tous vos doutes bien refolus.

Mais, mon Père, luy dis-je, je troiuie que vous impofez vne g-rande charge aux Confeifeurs, en les obligeant de croire le contraire de ce qu'ils voyent. Vous n'entendez pas cela, dit-il; on veut dire par qu'ils font obligez d'agir & d'abfoudre, comme s'ils croyoient que cette refolution fuft ferme & conllante, encore qu'ils ne le croyent pas en effet. Et c'eft ce que nos PP. Suarez & Filiutius expliquent en fuite des paffages de tantoll. Car après auoir dit que le Preflre cft obligé de croire fon pénitent fur fa parole, ils ajouftent qu'il n'efi pas neceffaire que le Confefjéur fe perfuade que la' refolu- tion de fon pénitent s'exécutera, ny qu'il le juge mefnie proba- blement ; mais il fuffit qu'il penfe qu'il en a à l'heure mefme le deffein en gênerai, quoy qu'il doiue retomber en bien peu de temps. Et c'ejt ce qu'enfeignent tous nos auteurs, Ita doceut omnes autores. Douterez-vous d'vne chofe que tous nos auteurs enfeignent? *Mais, mon Père, que deuiendra donc ce que le P. Petau â elle obligé de reconnoillre luy-mefme

I. Une corrcccion manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa que Nicole a admis dans sa version latine, mais qu'aucune édition tran- çaise n'a adopté.

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i6o Lettres prouinciales.

dans la pref. de la Peu. piibl. p. 4 : Qiie les SS. Pères, les DoBeurs & les Conciles font d'accord comme d'rne rerite' cer- taine, que la pénitence qui prépare à l'EuchariJUe, doit efire véritable, confiante, courageufe & non pas lafche & endormie, nj fiijette aux recheutes & aux reprifes? Ne voyez-vous pas, dit-il, que le P. Petau parle de l'ancienne Eglife; mais cela eft maintenant fi peu de f ai/on , pour vfer des termes de noS' Pères , que félon le P. Bauny le contraire eft feul véritable ; c'eft au tr. 4, q. i 5, p. 95 : Il y a des auteurs qui difent qu'on doit refufer Vabfolution à ceux qui retombent fouuent dans les me/mes peche^y, & principalement lors qu'après les auoir plujîeurs fois abfous, il n'en paroi^ft aucun amandement : & d'autres difent que non. Mais la feule véritable opinion efl qu'il ne faut point leur refufer Vabfolution; & encore qu'ils ne profitent point de tous les auis qu'on leur a fouuent donne^, qu'ils n'aj'ent pas gardé les promeffes qu'ils ont faites de changer de vie , qu'ils n'a-i'ent pas trauaillé à fe purifier, il n'importe, & quoy qu'en difent les autres, la j>eritable opinion, & laquelle on doit fuiure, efl que mefme en tous ces cas on les doit abfoudre. Et tr. 4, q. 22, p. 100 : Qu'on ne doit ny refufer ny différer Vabfo- lution à ceux qui font dans des pecbei d'habitude contre la loj' de Dieu, de nature & de V Eglife, quojy qu'on n'y voj'e aucune efperance d'amandement, Etfi emendatiouis fulurœ nulla fpes appareat^. Mais, mon Père, luy dis-je, cette affurance d'auoir toujours l'abiblution pourroit bien porter les pécheurs le vous entends, dit-il en m'interrompant; mais efcoutez le P, Bauny, q. i i^ : Oji peut abfoudre celuj' qui auoiie que Vefpe- rance d'efre abfous Va porté à pécher auec plus de facilité qu'il n'eujl fait fans cette efperance. Et le P. Cauiîîn defFendant cette propofition, dit p. 211 de fa Refp. à la Theol. mor. que fi elle nefioit véritable. Vif âge de la Confeffion feroit inter- dit à la plus-part du moiide , & qu'il n'y auroit plus d'autre

I. Toutes les éditions, à l'exemple des deux éditions in-12 de 1657, mettent ici un alinéa.

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Dixième lettre. ^^j

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re;«ei^ aux pécheurs qti'vne branche d'arbre & vue corde ' O mon Père, que ces maximes-là attireront des gens à vos confeffionaux! Aiiffi, dit-il, vous ne fçauriez croire combien il y en vient; nous fommes accable-, & comme opprime- fous la foule de nos penitens, pœnitentium numéro obruimur, comme il eft dit en Flmag-e de noftre premier fiecle, 1. 3, c. 8. le fçay, luy dis-je, vn moyen facile de vous décharger de cette prefTe! Ce feroit feulement, mon Père, d'obliger les pécheurs à quitter les occafions prochaines. Vous vous foulageriez a/fez par cette feule inuention. Nous ne cherchons pas ce foula- gement, dit-il; au contraire; car comme il eft dit dans le mefme liure, 1. 3, c. 7, p. 374, Nojlre Société a pour but de trauailler à ejtablir les vertus, défaire la guerre aux vices, & deferuir vn grand nombre d'ames. Et comme il y a peu d'ames qui veuillent quitter les occafions prochaines, on a efté obligé de deiinir ce que c'eft qu'occafion prochaine, comme on void dans Efcobar, en la pratique de noftre Société, tr. 7, ex. 4, n. 226 : On n'appelle pas occafion prochaine celle Von ne pèche que rarement, comme de pécher par un tranfport foudain auec celle auec qui on demeure, trois ou quatre fois par an -; ou félon le P. Bauny dans fon liure françois, vue ou deux fois par mois, p. 1082, & encore p. 1089, il demande ce qu'on doit faire entre les maiflres & feruantes , confins & confines qui demeurent enfemble, & qui fe portent mutuellement à pécher par cette occafion. Il les faut feparer, luy dis-je. C'eft ce qu'il dit auffi, / les recheutes font fréquentes & prefque Journalières; mais s'ils noffencent que rarement par enfemble, comme feroit vue ou deux fois le mois, & qu'ils ne puijjent fe feparer fans grande incommodité & dommage, on pourra les abfoudre, félon

1. Une correccion manuscrite de notre collection in-40 propose ici un alinéa qui n'a été admis par aucun éditeur.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4<» : Comme de pocher, trois ou quatre fois par an, par vn tranfport foudain auec celle auec qui on demeure, variante qui n'a été adoptée par aucune édition.

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162 Lettres proiiinciales.

ces auteurs, & entre autres Suare^, pourueu qu'ils promettent bien de ne plus pécher & qu'ils aient m rraj- regret du pajje. le l'entendis bien. Car il m'aiioit defia appris deqiioy le Con- fefTeur fe doit contenter pour juger de ce reg-ret. Et le P. Bauny, continua-t'il, permet p. 1083 & 1084 à ceux qui font engagez dans les occafîons prochaines, dj" demeurer quand ils ne les pourraient quiter fans bailler fujet au monde de parler, ou fans en receuoir de l'incommodité. Et il dit de mefme en fa Théologie Morale tr. 4, de pœnit. q. 14, p. 94 & q. 13, p- 93 : Qu'on peut & qu'on doit abfoudre vue femme qui a c1ie:[ elle m homme auec qui elle pèche fouuent , fi elle ne peut le faire fortir honneflement , ou quelle ait quelque caufe de le retenir, fi non poteft honeflè eiicere , aut habeat aliquam cau- fam retinendi, pourueu qu'elle propofe bien * de ne plus pécher auec hiy^. O mon Père, luy dis-je, l'obligation de quitter les occafîons eft bien adoucie, fi on en eil difpenfé auffi-toft qu'on en receuroit de l'incommodité ; mais ie croy au moins qu'on y eft obligé, félon vos Pères, quand il n'y a point de peine. Oûy, dit le Père, quoy qvie toutesfois cela ne foit pas fans exception. Car le P. Bauny dit au mefme lieu : // e/l permis à toutes fortes de perfonnes d'entrer dans des lieux de débauche pour j' conuertir des femmes perdues , quoj' qu'il foit bien j'ray-femblable qu' on j' péchera, comme fi on a defja efprouué fouuent qu'on s'ejt laiffé aller au péché par la i^euë & les cajol- leries de ces femmes. Et encore qu'il j- ait des Doéîeurs qui n'approuuent pas cette opinion, & qui croient qu'il n'eft pas permis de mettre volontairement fou falut en danger pour fecourir fon prochain, ie ne laiffe pas d' embraffer tres-volontiers cette opinion qu'ils combattent. Voila, mon Père, vne nouvelle

1. Toutes les éditions postérieures à celle de 1659 : Qu'elle fe pro- pofe bien.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa qui a été admis par l'édition in-8'' de 1659 et par toutes les éditions suivantes.

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Dixième lettre. 163

forte de prédicateurs. Mais fur quoy fe fonde le P. Bauny pour leur donner cette miffion? C'eft, me dit-il, fur vn de fes principes qu'il donne au mefme lieu après Bafile Ponce. le vous en ay parlé autrefois, & ie croy que vous vous en fouuenez. C'eft qu'on peut j^echerchei" vue occasion direâement & par elle-mefme, primo & per fe, pour le bien temporel ou fpi- ritucl de for ou du prochain. ^ Ces paffages me f rent tant d'horreur que ie penfay rompre là-deiTus. Mais je me retins, afin de le laiffer aller jufques au bout, & me contentay de luy dire : Quel rapport y a-t'il, mon Père, de cette doctrine à celle de l'Euangile , qui oblige à s'arracher les yeux & à re- trancher les chofes les plus necejfaires , quand elles nuifent au falut? Et comment pouuez-vous conceuoir qu'vn homme qui demeure volontairement dans les occafîons des péchez, les detefte fmcerement? N'eft-il pas vifible au contraire qu'il n'en eft point touché comme il faut, & qu'il n'eft pas encore arriué à cette véritable conuerfion de cœur, qui fait autant aimer Dieu qu'on a aimé les créatures? - Comment! dit-il, ce feroit vne véritable contrition. Il femble que vous ne fça- chiez pas que, comme dit le P. Pintereau en la i*" p. p. 50 de l'Abbé de Boific : Tous nos Pères enfeignent d'vn commun accord que c'ejî vne erreur & prefque vue herefie, de dire que la contrition foit necejfaire , & que l'attrition toute feule & mefme conceuë par le sevl motif des peines de l'enfer qui exclud la volonté' d'offencer, ne fuffit pas auec le Sacrement . Quoy, mon Père, c'eft prefque vn article de foy que l'attrition conceuë par la feule crainte des peines fuffit avec le Sacrement! le croy que cela eft particidier à vos Pères. Car les autres qui croyent que l'attrition fuffit auec le Sacrement, veulent au moins qu'elle foit méfiée de quelque amour de Dieu. Et de

1 . Une correccion manuscrite de notre collection in-4'' propose ici un ali- néa qui n'a été admis ni par Nicole, dans sa version latine, ni par aucun éditeur.

2. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes placent ici un alinéa.

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164 Lettres prouincialcs.

plus il me femble que vos auteurs mefmes ne tenoient point autrefois que cette doctrine fiift certaine. Car voftre Père Suarez en parle de cette forte, de pœn. q. 90, ar. 4, difp. 15, fect. 4, n. 17 : Encore, dit-il, que ce foit vue opinion pj^obable que l'attrition fuffit avec le Sacrement, toutefois elle neji pas certaine, & elle peut ejlre faujje, non eft certa, '& poteji ejfe falfa. Et fi elle eft fauJJe, l'attrition ne fuffit pas pour fau- iier l'n homme. Donc cehiy qui meurt fciemment en cet efat, s'expofe volontairement au péril moral de la damnation éter- nelle. Car cette opinion n'ejl nyfort ancienne nj'fort commune, nec valdè antiqua, nec multîim communis. Sanchez ne trouuoit pas non plus qu'elle fuft fi affurée, puis qu'il dit en fa Somme 1. i, c. 9, n. 34, Que le malade & fon Confejfeur qui fe contenteroient à la mort de l'attrition auec le Sacrement , pecheroient mortellement, à caufe du grand péril de damnation oîi le pénitent s'expoferoit , fi V opinion qui ajfeure que l'attrition l^uffit avec le Sacrement, ne fe trouuoit pas véritable. Ny Comi- tolus auffi, quand il dit Refp. mor. 1. i, q. 32, n. 7, 8, Qu'il n'eft pas trop feiir que Vattrition fuffife auec le facilement . ^ Le bon Père m'arrefta deffus. Et quoy, dit-il, vous lifez donc nos Auteurs? Vous faites bien; mais vous feriez encore mieux de ne les lire qu'auec quelqu'vn de nous. Ne voyez- vous pas que, pour les auoir leus tout feul, vous en auez conclu que ces paffages font tort à ceux qui foutiennent maintenant noftre doctrine de l'attrition, au lieu qu'on vous auroit monftré qu'il n'y a rien qui les releue dauantage. Car quelle gloire eft-ce à nos Pères d'aujourd'huy, d'auoir en moins de rien refpandu fi généralement leur opinion par tout, que hors les Théologiens il n'y a prefque perfonne qui ne s'imagine que ce que nous tenons maintenant de l'at- trition, n'ait efté de tout temps l'vnique créance des iidelles?

I . Une correccion manuscrite de notre collection \n-j° indique ici un alinéa qui a été admis par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes.

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Dixième lettre. id

Et ainfi quand vous montrez par nos Pères mefmes, qu'il y a peu d'années que cette opinion n'ejîoit pas certaine, que faites-vous autre chofe finon donner à nos derniers auteurs tout l'honneur de cet eilablifTement?

Auffi Diana noftre amy intime a cru nous faire plaifir de marquer par quels degrez on y eft arriué. C'eft ce qu'il fait, p. 5 , t. i^, il dit: Qu'autresfois les anciens fcholajîiques foiiftenoient que la contrition ejloit necejfaire auffi tojl qu'on auoit fait vu péché mortel; mais que depuis on a crû qu'on n'y ejtoit obligé que les iours de fejles: Et en fuite que quand quelque grande calamité menaçoit tout le peuple : que félon d'autres on ejloit obligé à ne la pas différer long temps quand on approche de la mort; mais que nos Pères Hurtado & Vaf- quei ont refuté excellemment toutes ces opinions là, & eftably qu'on n'y eftoit obligé que quand on ne pouuoit eftre abfous par vue autre iwje, ou à l'article de la mort. Mais pour continuer le merueilleux progrés de cette doctrine, j'ajoufteray que nos Pères Fagimdez, pr^ec. 2, t. 2, c. 4, n. 13, Granados in 3" p. contr. 7, tr. 3, d. 3, fec. 4, n. 17, & Efcobar, tr. 7, ex. 4, n. 88, dans la pratique félon noftre Société, ont décidé, que la contrition n'ejl pas neceffaire mefme à la mort, parce, dilent- ils, que fi l'attrition auec le Sacrement ne fuffifoit pas à la mort, il s'enfuiuroit que l'attrition ne feroit pas fuff faute auec le Sacrement. Et noftre fçauant Hurtado, de facr. d. 6, cité par Diana, part. 4, tr. 4, Mifcell. R. 193, & par Efcobar, tr. 7, ex. 4, n. 91, va encore plus loing- car il dit ' : Le regret d'auoir péché, qu'on ne conçoit qu'à caufe du feul mal temporel qui en a?v'iue , comme d'auoir perdu la fauté ou fon argent, ^J-^^ J\tJ^Ai^^t? Il faut dijlinguer. Si on ne penfe pas que ce mal foi t euuoj-é de la main de Dieu, ce regret ne fuj/ît pas; mais fi on croit que ce mal e/t enuové de Dieu , comme en effet

I- L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes, à ces mots : Car d dit. subscicucnt : Ecoiitci-le. Nicole n'a traduit ni car il dit. ni écoutei-le.

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i66 Lettres proiiinciales.

tout mal, dit Diana, excepté le péché, vient de Inj-, ce regret eji fuffifant. C'ell ce que dit Efcobar en la pratique de nojtre Société. Noflre P. François l'Amy ibuftient aiifîi la melme chofe, T. 8, difp. 3, n. 13. ^ Vous me furprenez, mon Père; car ie ne voy, rien en toute cette attrition que de naturel 5 & ainfi vn pécheur fe pourroit rendre digne de l'abfolution fans aucune grâce furnaturelle : or il n'y a perfonne qui ne fçache que c'eft vne herefie condamnée par le Concile. le l'aurois penfé comme vous, dit- il; & cependant il faut bien que cela ne foit pas. Car nos Pères du Collège de Clermont ont fouftenu dans leurs Thefes du 23 May & du 6 luin 1644, col. 4, n. I, qu'vne attrition peut ejlre fainte & fuffifante pour le Sac7~ement , quoj- qu'elle ne foit pas furnaturelle. Et dans celle du mois d'Aoull 1643, quvne attrition qui nejl que naturelle fuffit pour le Sacrement, pourueu quelle foit honnejle, ad Sacramentum fufficit attritio naturalis, modo honejia. Voilà tout ce qui fe peut dire, fi ce n'ell qif on veuille ajoufter vne confequence qui fe tire aifément de ces principes, qui efl : que la contrition ell: fi peu neceffaire au Sacrement qu'elle y feroit au contraire nuifible , en ce qu'effaçant les péchez par elle-mefme, elle ne laifîeroit rien à faire au Sacrement. C'ell ce que dit nollre P. Valentia, ce célèbre lefuite, Tom. 4, Difp. 7, qu. 8, p. 4 : La contrition n'ejt point du tout neceffaire pour obtenir l'ejfet principal du facrement , & " au contraire elle y eft pluftqft vn objlacle, Imo obfiat potiiis quo- miniis ejfeâus fequatur. On ne peut rien defirer de plus à l'auantage de l'attrition. le le croy, mon Père; mais fouffrez que ie vous en dife mon lentiment, & que ie vous faffe voir à quel excès cette doctrine conduit. Lors que vous dites que

1. Une corrcccion manuscriie de notre collection in-4° indique ici un alinéa qui a été admis par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes.

2. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes substituent le mot mais au mot et.

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Dixième lettre. 167

Vattrition coiiceiie par la feule crainte des peines fiifîît aiiec le facrement pour jultilier les pécheurs, ne s'enfuit-il pas de qu'on pourra toute fa vie expier les péchez de cette forte, &. ainfi ertre fauué fans avoir iamais aimé Dieu en fa vie? Or vos Pères oferoient-ils foùtenir cela? * le voy bien, ref- pondit le Père, par ce que vous me dites, que vous auez befôin de fçauoir la doctrine de nos Pères touchant l'Amour de Dieu. C'ell le dernier trait de leur Morale, & le plus important de tous. Vous deuiez l'auoir compris par les paf- fages que ie vous ay citez de la contrition. Mais en voicy d'autres & ne m'interrompez donc pas - ; car la fuite mefme en efl confîderable. Efcoutez Efcobar, qui rapporte les opi- nions différentes de nos auteurs fur ce fujet dans la pratique de l'amour de Dieu félon noftre Société, au tr. i, ex. 2, n. 21, & tr. 5. ex. 4, n. 8, fur cette quelHon : Quand ejî-on obligé d'auoir affection aâuellement pour Dieu ? Suare^ dit que c'eft ajfe:[, fi on l'aime auant l'article de la mort , fans déter- miner aucun temps ; Vafque^, qu'il fuffit encore à l'article de la mort; d'autres, quand on reçoit le baptefme ; d'autres, quand on efl oblige' d'eftre contrit; d'autres, les iours de fejles. Mais noftre P. Cajlro Palao combat toutes ces opinions là, & auec raifon, mérita. Hurtado de Mendo^a prétend qu'on v efl obligé tous les ans, & qu'on nous traite bien fauorablement encore de ne nous y obliger pas plus fouuent. Mais noflre P. Coninch croit qu'on j' efl obligé en trois ou quatre ans; Henrique^, tous les cinq ans. Mais ^ Filiutius dit qu'il eft probable qu'on y efl pas obligé à la rigueur tous les cinq ans. Et quand donc? Il le remet au jugement des sages, le laiffay paffer tout ce badi-

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa qui a été admis par l'édition in-8° de 1659 et par la plupart des éditions suivantes. Nicole, dans sa version latine, n'admet pas cet alinéa.

2. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions postérieures: Mais en VOICI d'autres plus précis sur l'aincur de Dieu : ne tn'interrcmpci donc pas.

3. Les mêmes éditions substituent au mot mais le mot et.

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i68 Lettres proiiinciales.

nage ^ Felprit de l'homme fe joue fi infolemment de l'amour de Dieu. Mais, pourfuiuit-il, noftre P. Antoine Sirmond qui triomphe fur cette matière dans fon admirable liure de la Defenfe de la vertu, oii il parle françois en France, comme il dit au lecteur, diicourt ainfi au l' tr., fect. i, p. 12, 13, 14, &c : S. Thomas dit qu'on eft obligé à aimer Dieu aujjî tojî après Vvfage de raifon. Ceft vu peu bien tojl. Scotus, chaque Dimanche. Sur quoj fondé? D'autres, quand on eft grief ue- ment tenté. Oiiy en cas qu'il ny euft que cette voje de fuir la tentation. Sotus, quand on reçoit vn bienfait de Dieu. Bon pour l'en remercier. D'autres, à la tnort. Ceft bien tard. le ne croy pas non plus que ce foit à chaque réception de quelque facrement. L'attrition j fufft auec la confejjion , fi on en a la commodité. Suare\ dit qu'on y eft obligé en vn temps. Mais en quel temps? Il vous en fait juge, & il n'en fçait rien. Or ce que ce Doâeur n'a pas fceu, ie ne fçay qui le fçait. Et il con- clud enfin, qu'on n'eft obligé à autre chofe à la rigueur qu'à obferuer les autres commandemens, fans aucune afFec- tion poiu- Dieu , & fans que noilre cœiu- foit à luy, pourueu qu'on ne le haïffe pas. Ceft ce qu'il prouue en tout fon fécond traitté. Vous le verrez à chaque page, & entr'autres aux 16, 19, 24, 28 il dit ces mots : Dieu, en nous commandant de l'aimer, fe contente que nous luy obéifjions en fes autres com- mandemens. Si Dieu euft dit : le vous perdray, quelque obeiffance que vous me rendie^, fi de plus voftre cœur n'eft à moy, ce motif à voftre auis euft-il efté bien proportionné à la ftn que Dieu a deu & a pu auoir? Il eft donc dit, que nous aimerons Dieu en faifant fa volonté, comme fi nous l'aimions d'affection; comme fi le motif de la charité nous y portait. Si cela arriue réellement ,

I. Une correccion manuscrite de notre collection in-4° : Toutes ces cxtraucigances. correction qui n'a été adoptée par aucun éditeur. Le même cor- recteur propose de mettre à la ligne : le laijfay pajfer. Nicole. est le seul des éditeurs des Provinciales qui ait admis cet alinéa dans sa version latine ; il traduit ioiic ce badinage par has incpuas.

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Dixié?ne lettî'e. 169

encore mieux ; finoii , nous ne laijferons pas pourtant d'obéir en rigueur au commandement d'amour, en aj'ant les œuures; de façon que [roj-ei la bonté de Dieu) il ne nous ejî pas tant com- mandé de l'aimer, que de ne le point haïr.

C'efl ainfî que nos Pères ont defchargé les hommes de l'obligation pénible d'aimer Dieu actuellement. Et cette doc- trine ell: fi auantageufe que nos Pères Annat, Pintereau, le Moine & A. Sirmond mefme, l'ont défendue vigoureufe- ment, quand on a voulu la combattre. Vous n'auez qu'à le voir dans leurs refponfes à la Théologie Morale 5 & celle du Père Pintereau en la i'' p. de l'Abbé de Boific, p. 53, vous fera iuger de la valeur de cette diipenfe, par le prix qu'il dit qu'elle en a courte, qui efl: le fang de lefus-Chrift. C'ell le couronnement de cette doctrine. Vous y verrez donc que cette dilpenfe de l'obligation /j/c/ze/z/t? d'aimer Dieu, ell: le priuilege de la loy Euangelique par defTus la ludaïque. // a ejîé raifonnable , dit-il, que dans la loy de grâce du nouueau Tejîament Dieu leuajl l'obligation fafcheufe & difficile qui eftoit en la loj" de rigueur, d'exercer vu aâte de parfaite contrition pour ejire jujîifé; & qu'il injlituaft des facre'mens pour fupleer à fon défaut, à l'aide d'vne difpofition plus facile. Autrement certes les chreftiens , qui font les enfans, n'auroient pas main- tenant plus de facilité à fe remettre aux bonnes grâces de leur Père, que les Juifs, qui ejloient les efclaues, pour obtenir mife- ricorde de leur Seigneur.

O mon Père % il n'y a point de patience que vous ne mettiez à bout, & on ne peut ouïr fans horreur les chofes que ie viens d'entendre. Ce n'eft pas de moy-mefme, dit-il. le le fçay bien, mon Père; mais vous n'en auez point d'auer- {îon , & bien loin de deteiler les auteurs de ces maximes , vous auez de l'eftime poiu- eux. Ne craignez-vous pas que voftre confentement ne vous rende participant de leur crimer

I. L'cdicion in-8" de 1659 ce toutes les éditions suivantes : 0 mon père lui dis-Je. Nicole traduit : Inquam. Pater.

22

170

Lettî^es proiiinciales.

Et pouuez-voiis ignorer que S. Paul juge dignes de mort 71011 feulement les auteurs des maux, mais aujjî ceux qui y con- f entent?'

Ne ruffilbit-il pas d'auoir permis aux hommes tant de , choies défendues, par les palliations que vous y auez appor- tées; falloit-il encore leur donner l'occafion de commettre les crimes mefmes que vous n'auez pu excufer, par la faci- lité & l'afTurance de l'abfolution que vous leur en offrez, en deflruifant à ce deffein la puiffance des Preftres, & les obli- geant d'abfoudre plultoft en efclaues qu'en juges les pécheurs les plus enuieillis, fans aucun amour de Dieu-, fans chan- gement de vie, fans aucun fîgne de regret que des promeffes cent fois violées; fans pénitence s'ils n'en 7'eulent point accep- ter; & fans quitter les occafions des vices, s ils en reçoiuent de r incommodité? ^ Mais on paffe encore au delà, & la licence qu'on a prife d'esbranler les règles les plus faintes de la conduite chrétienne, fe porte jufqu'au renuerfement entier de la loy de Dieu. On viole le grand commandement qui com- prend la loj & les prophètes. On attaque la pieté dans le cœur; on en ofte l'eiprit qui donne la vie ; on dit que l'amour de Dieu n'ell pas neceffaire au falut; & on va mefine iufqu'à prétendre, que cette difpenfe d'aimer Dieu ejl l'auantage que Iesvs-Christ a apporté au monde. C'eft le comble de l'im- piété. Le prix du fang de lefus-ChriJi fera de nous obtenir la difpenfe de l'aimer, Auant l'Incarnation on efloit obligé d'aimer Dieu ; mais depuis que Dieu a tant aimé le monde

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes suppriment l'alinéa.

2. Les mêmes éditions suppriment : Sans aucun amour de Dieu. Nicole, dans sa version latine, n'a pas non plus traduit ces mots. L'auteur anonyme d'un abrégé de l'histoire ecclésiastique, publié à Cologne en 1715, cite, t. XII, p. 81 de cet ouvrage, un long passage de la dixième provinciale. Cette citation est évidemment empruntée à un exemplaire in-4° de 1656, car on y trouve les mots retranchés par l'édition de 1659.

3. Les mêmes éditions indiquent ici un alinéa.

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Dixième lettre.

171

qu'il liiy a donné fou fils rniqiie , le monde racheté par luy fera defcharg-é de l'aimer. Eftrange Théologie de nos jours ! On ofe leuer l'anatheme que S. Paul prononce contt^e ceux qui n'aiment pas le Seigneur Iesvs. On ruine ce que dit S. lean que, qui n'aime point demeure en la mo7^t ; & ce que dit lefus- Chrift mefme que, qui ne l'aime point, ne gai\ie point fes pré- ceptes. Ainfî on rend dignes de jouïr de Dieu dans l'éternité ceux qui n'ont jamais aimé Dieu en toute leur vie. Voila le myllere d'iniquité accomply. * Ouurez eniîn les yeux, mon Père, & fi vous n'auez point elle touché par les autres ega- remens de vos Cafuiftes, que ces derniers vous en retirent par leurs excès, le le fouhaite de tout mon cœur pour vous, & pour tous vos Pères, & prie Dieu- qu'il daigne leur faire connoirtre combien eft faufTe la lumière qui les a conduits jusqu'à de tels précipices, & qu'il remplifTe de Ton amom- ceux qui en dilpenfent les hommes '.

Apres quelques difcoiu-s de cette forte ie quittay le Père, & ie ne voy gueres d'apparence d'y retourner; mais n'y aiez pas de regret; car s'il eiloit neceffaire de vous entre- tenir encore de leurs maximes, j'ay affez' leù leurs hures pour pouuoir vous en dire à peu prés autant de leur Morale, & peut-eilre plus de leur Politique qu'il n'euft fait luy- mefme. le fuis, &c.

I- Une correction manuscrite de notre collection in-40 indique ici un alinéa qui n'a été admis par aucun éditeur.

2. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Et je prie Dieu.

3. Les mêmes éditions : Qui en ofent difpenfer les hommes.

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ONZIÈME LETTRE'

ESCRITE PAR L'AVTHEVR DES LETTRES AV TROVINCIAL

AVX REVERENDS PERES lESVITES,

Du i8 Aoull 1656.

Mes REVERENDS PERES,

l'ay veu les lettres que vous débitez contre celles que i'ay efcrittes à vn de mes amis Hir le fujet de vollre Morale, l'vn des principaux points de voftre defFenfe eft que ie n'ay pas parlé aïTez ferieufement de vos maximes ; c'ell ce que vous répétez dans tous vos écrits, & qtie vous pouffez jufqu'à dire que i'ay tourné les chofes faintes en raillerie.

Ce reproche , mes Pères , eft bien furprenant & bien injufte. Car en quel lieu trouuez-vous que ie tourne les chofes faintes en raillerie? Vous marquez en particulier le contracl Mohatra & Vhijloire de lean d'Alba. Mais ell-ce cela que vous appelez des chofes faintes? -

Vous femble-t'il que le Mohatra foit vnc chofe û véné- rable , que ce foit vn blafphème de n'en pas parler aiiec refpect? Et les leçons du P. Bauny pour le larcin, qui por-

1. L'édition in-8° de 1659: Onpémc lettre. Quelques-unes des éditions suivantes : Oniihne lettre écrite aux révérends pères Jcfuites.

2. Quelques éditions postérieures à celle de 1659, qui admet l'alinéa, ne l'admettent pas.

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174

Lettres prouinciales.

terent lean d'Alba à le pratiquer contre votis-mefmes, font- elles fi facrées que vous aiez droit de traiter d'impies ceux qui s'en mocquent ?

Qiioy, mes Pères, les imaginations de vos Ecriuains * pafferont pour les veritez de la foy, & on ne pourra le moquer des paffages d'Efcobar & des decifions fi fantafques & {\ peu chreftiennes de vos autres auteurs , fans qu'on foit accufé de rire de la Religion? Eft-il poffible que vous aiez oie redire fi fouuent vne chofe fi peu raifonnable? Et ne craignez-vous point, en me blafmant de m'eflre moqué de vos égaremens, de me donner vn nouueau fiijet de me moquer de ce reproche, & de le faire retomber fur vous- mefines en montrant que ie n'ay pris fujet de rire que de ce qu'il y a de ridicule dans vos liures ; & qu'ainfi en me moquant de voftre Morale, i'ay eflé auiîi éloigné de me moquer des chofes faintes que la doctrine de vos Cafuiftes eft éloignée de la doctrine fainte de l'Euangile?

En vérité, mes Pères, il y a bien de la différence entre rire de la Religion, & rire de ceux qui la profanent par leurs opinions extrauagantes. Ce feroit vne impieté de man- quer de relpect pour les veritez que l'efprit de Dieu a reue- lées; mais ce feroit vne autre impieté de manquer de mépris pour les fauffetez que l'efprit de l'homme leur oppofe.

Car, mes Pères, puifque vous m'obligez d'entrer en ce difcoiu's, ie vous prie de confiderer que, comme les veritez chreftiennes font dignes d'amour & de refpect, les erreurs qui leur font contraires font dignes de mépris & de haine ; parce qifil y a deux chofes dans les veritez de nollre Reli- gion, vne beauté diuine qui les rend aimables & vne fainte

I. Quelques exemplaires in-4", l'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Vos auteurs. L'auteur anonyme de l'abrégé d'histoire ecclé- siastique donné à Cologne en 171 5, que nous avons déjà cité, en rapportant, t. XII, p. 83, ce passage de la onzième provinciale, met écrii'diris et non pas auteurs.

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majefté qui les rend vénérables ; & qu'il y a aufïï deux chofes dans les erreurs, l'impiété qui les rend horribles & l'imper- tinence qui les rend ridicules. Et c'eft pourquoy * comme les Saints ont toujours pour la vérité ces deux fentimens d'amour & de crainte, & que leur fageffe eil: toute comprife entre la crainte qui en eft le principe, & l'amour qui en eft la fin 5 les Saints ont auffi pour l'erreur ces deux fentimens de haine & de mépris, & leur zèle s'employe également à repouffer auec force la malice des impies, & à confondre auec ri fée leur égarement & leiu* folie.

Ne prétendez donc pas, mes Pères, de faire accroire au monde que ce foit vne chofe indigne d'im chrellien de traiter les erreurs auec moquerie , puifqu'il eft aifé de faire connoiftre à ceux qui ne le fçauroient pas, que cette pratique eft iufte, qu'elle eft commune aux Pères de l'Eglife, &: qu'elle eft autorifée par l'Efcriture & par l'exemple des plus grands Saints, & de Dieu mefme -.

Car ne voyons -nous pas que Dieu hait & méprife les pécheurs tout enfemble, iufques mefine qu'à l'heure de leur mort, qui eft le temps leiu- eftat eft le plus déplo- rable & le plus trifte, la fageffe diuine joindra la moquerie & la rifée à la vengeance & à la fureiu- qui les condamnera ^ à des fupplices éternels : /;/ interitii rcjlro ridebo & fitbfau- nabo. Et les Saints agiffans par le mefme efprit en vferont de mefme, puifque félon Dauid, quand ils verront la punition des méchans, ils en trembleront & en riront en mefme temps :

1. L'édition in-8« de 1659 et toutes les éditions suivantes : C'ejl pour- quoi. L'auteur anonyme de l'abrégé d'histoire ecclésiastique de 171 5, en citant ce passage de la onzième provinciale, se conforme à la leçon primitive : Et c'cj} pourquoi.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Qu'elle cjl autonjcc par l'Ecriture, par l'exemple des plus grands faints et par celui de Dieu même.

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4" : Qui les con- damneront, correction qui n'a été adoptée par aucun éditeur.

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iy6 Lettres prouinciales.

Videbunt iufti , & timebunt & fupei^ eum ridebimt. Et lob en parle de mefme : Innocens fubfannabit eos\

Mais c'eft vne chofe bien remarquable fur ce fujet, que dans les premières paroles que Dieu a dit ' à l'homme depuis fa cheute, on trouue vn difcours de moquerie, <S- vne ironie piquante, félon les Pères. Car après qu'Adam eut def- obeï dans refperance que le démon luy auoit donnée d'eftre fait femblable à Dieu , il paroift par l'Efcriture que Dieu en punition le rendit fujet à la mort, & qu'après l'auoir réduit à cette miferable condition, qui eftoit deuë à fon pechè, il fe moqua de luy en cet eftat par ces paroles de rifèe : Voilà l'homme qui ejl deuenu comme Vvn de nous : Ecce Adam quajî mus ex nobis. Ce qui eft ime ironie fanglante & fenfible , dont Dieu le piquoit viuement , félon S. Chryfoftome & les inter- prètes. Adam, dit Rupert, meritoii d'ejlre raillé par cette ironie, & on luy faifoit fentir fa folie bien plus viuement par cette expreffion ironique que par vne expreffion ferieufe. Et Hugue de S. Victor, ayant dit la mefme chofe, adjoute, que cette ironie efoit deuë à fa fotte crédulité, & que cette efpece de raillerie eft vne aâion de iujîice, lorfque celuj enuers qui on en vfe l'a méritée.

Vous voyez donc, mes Pères, que la moquerie eft quel- quefois plus propre à faire reuenir les hommes de leurs ègaremens, & qu'elle eft alors vne action de iuftice, parce que , comme dit leremie , les aâions de ceux qui e^n^ent font dignes de rifée à caufe de leur vanité : Vana funt & rifu digna. Et c'eft fi peu vne impiété de s'en rire, que c'eft l'eftet d'vne fagefte diuine, félon cette parole de S. Auguftin : Les f âges rient des infenfe^ parce qu'ils font f âges , non pas

1 . L'auteur des corrections manuscrites de notre collection m-^° exprime ici le désir que la source des citations faites par Pascal soit indiqaée. Aucun éditeur, à notre connaissance, n'a donné satisfaction à ce désir.

2. Toutes les édidons, mais non pas celle de 1659 : Que Dieu a dites.

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Oniiéme lettre.

177

de leur propre fagejfe, mais de cette fagejje diuine qui rira de la mort des^méchans.

Aufli les Prophètes remplis de refprit de Dieu ont vfé de ces moqueries^ comme nous voyons par les exemples de Daniel & d'Elie. Enfin les difcours de Iesvs-Christ mefme n'en font pas fans exemple % & S. Auguftin remarque que quand il voulut humilier Nicodeme qui fe croyoit habile dans Tintellig-ence de la loy : Comme il le roj-oit enjlé d'orgueil par fa qualité de Docteur des lu if s , il exerce & eflonne fa pre- fomption par la hauteur de fes demandes, & l'ayant réduit à V impuiffance de refpondre : Quoj, luj- dit-il, vous efles Maifire en Ifra'èl, & vous ignore^ ces chofes? Ce qui efl le mefme que s'il eufl dit : Prince fuperbe, reconnoifj^ei que vous ne fcaue\ rien. Et S. Chryfoftome & S. Cyrille difent fur cela qu'il mer it oit d'eflre ioiié de cette forte.

Vous voyez donc, mes Pères, que s'il arriuoit aujour- d'huy que des perfonnes qui feroient les maiftres enuers les chrefliens, comme Nicodeme & les pharifîens enuers les luifs, ignoroient les principes de la P^eligion, & foùtenoient - par exemple, qu'on peut eflre fauué fans auoir iamais aimé Dieu en toute fa vie, on fuiuroit en cela l'exemple de Iesvs- Christ, en fe jouant de leur vanité & de leur ignorance.

le m'affure, mes Pères, que ces exemples facrez fuffi- fent pour vous faire entendre que ce n'efl: pas vne conduite contraire à celle des Saints, de rire des erreurs & des éga- remens des hommes ; autrement il faudroit blâmer celle des plus grands Docteurs de l'Eglife qui l'ont pratiquée, comme

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1. Une correccion manuscricc de notre colleccion in-4°, adoptée par l'édition in-S" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : // s'en trouve des exemples dans les difcours de J éfus-Chrijl même.

2. Des éditions modernes, mais non pas celles qui ont été faites sous les yeux de Pascal, ont substitué aux deux imparfaits de l'indicatif: Ignoroient. foùtenoient . les imparfaits du subjonctif: Ignoraffcnt . foutinffent. Un éditeur contemporain a même jugé à propos de consigner dans une note que la leçon primitive était peu régulière.

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jQ Lettres prouinci aies.

S. Hierome dans les lettres & dans Tes écrits contre loui- nien, Vigilance & les Pelagiens : Tertidlien dans Ion Apolo- gétique contre les folies des idolâtres : S. Augiiftin contre les Religieux d'Afrique qu'il appelle les Cheuelus : S. Irenée contre les Gnoftiques; S. Bernard & les autres Pères de l'Eglife, qui ayant eflé les imitateurs des Apoftres, doiuent eftre imitez par les fidèles dans toute la fuite des temps , puifqu'ils font propofez, quoy qu'on en dife, comme le véri- table modèle des chreftiens mefmes d'aujoiu-d'huy \

le n'ay donc pas crû faillir en les fuiuant. Et comme ie penfe l'auoir affez monftré, ie ne diray plus fur ce fujet que ces excellentes paroles de Tertullien, qui rendent raifon de tout mon procédé : Ce que i'aj' fait n'ejl qu'un jeu auant vu véritable combat. l'aj monjîré les bleffures qu'on vous peut faire, plus tojî - que ie ne vous en ayfait. Que s'il fe trouue des endroits l'on foit excité à rire, c'ejî parce que les fujet s mefmes y portoient. Il y a beaucoup de chofes qui méritent d'ejlre moquées & ioiiées de la forte , de peur de leur donner du poids en les combattant ferieufe^nent. Rien n'eji plus deu à la vanité que la' rifée, & c'efî propi^ement à la Vérité à qui il appai^tient de rire, parce quelle efî guaye , & de fe ioiier de fes ennemis, parce qu'elle eft afjurée de la viâoire. Il eft vray qu'il faut prendre garde que les railleries ne foient pas baffes & indignes de la vérité. Mais à cela prés ^, quand on pourra s'en feruir auec adreffe, c'eft vn deuoir que d'en vfer''. Ne trouuez-vous pas, mes Pères, que ce paflage eft bien iufte à noftre fujet : Ce

1. Quelques éditions modernes : Des chrétiens, même aujour- d'hui.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Tai plutôt montré les bleffures qu'on vous peut faire , que je ne vous en ai fait.

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4° substitue d'abord aux mots à cela prés : Cela eflant : puis : Auec cette condition. Le correcteur, mécontent sans doute de sa double tentative, a tout effacé.

4. Le même correcteur demande en marge de notre exemplaire in-4°

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Oii:[iéme letti^e. i-C)

que i'ayfait n'eft qii'ini jeu auant vu véritable combat \ le n'ay fait encore que me jouer, & vous monjirer plûtojl les blejfures qu'on vous peut faire que ie ne vous en aj^ fait. l'ay expofé fimplement vos paffag-es fans y faire prefque de reflexion. Que fi on a efté excité à rire, cejl parce que les fujets y por- toient d'eux-mefmes. Car qu'y a-t'il de plus propre à exciter à rire, que de voir vne chofe aufli g-raue que la Morale (^hreilienne , remplie d'imaginations auffi grotefques que les voftres - ? On conçoit vne fi haute attente de ces maximes, qu'on dit que Iesvs-Christ a luy-mefme reuelces à des Pères de la Société, que quand on y trouue quvn Prejîre qui a receu de l'argent pour dire vne MeJJe , peut outre cela en prendre d'autres perfonnes en leur cédant toute la part qu'il a au facrifice; quvn Religieux n'ejt pas excommunié pour quitter fon habit, lorfque c'ejl pour danfer, pour flouter ou pour aller incognito en des lieux de débauche; & qu'on fatisf ait au précepte d'oiij'r la Mejfe en entendant quatre quarts de Mejfe à la fois de differens PreJIres; lors, dis-je, qu'on entend ces decifîons & autres femblables, il eit impofîible que cette fui-prife ne faffe rire, parce que rien n'y porte dauantag-e qu'vne difpro- portion furprenante entre ce qu'on attend & ce qu'on voit. Et comment auroit-on pu traiter autrement la plulpart de ces matières, puifque ce feroit les autorifer que de les traiter ferieufement , félon Tertullien ^r Quoy, faut-il emplover la

que le passage de l'ouvrage d'où a été cxtraice la citation de Tertullien soit indiqué. Aucune édition n'a fait droit à ce désir.

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suiv^antes : Les lettres que j'ai faites jujqu' ici . ne font qu'un jeu avant un véritable combat. L'auteur anonyme de l'abrégé de l'histoire ecclésiastique, que nous avons déjà cité plu- sieurs fois, en rapportant ce passage de la onzième provinciale (t. XII, p. 86), n'admet pas non plus la seconde leçon ; il suit la leçon primitive, que Nicole a également traduite dans sa version latine.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa qu'aucune édition n'a admis.

3. L'édition in-S'' de 1659 et toutes les éditions suivantes mettent ici un alinéa.

i8o Lettres proiiinciales.

force de l'Efcriture & de la Tradition pour monrtrer que c'eft tuer fon ennemy en trahifon, que de luy donner des coups d'épées par derrière & dans vne embufche ; & que c'eft acheter vn bénéfice que de donner de l'argent comme vn motif pour fe le faire refigner? Il y a donc des matières qu'il faut meprifer, & qui mei^itent d'ejlre ioiïées & moquées. Enfin ce que dit cet ancien auteur, que rien n'ejl plus deu à la vanité que la rifée, & le refte de ces paroles s'applique icy auec tant de iufteffe & auec vne force fi conuainquante, qu'on ne fçaiu-oit plus douter qu'on peut bien rire des erreurs lans bleffer la bienfeance ^ Et ie vous diray aufîi, mes Pères, qu'on en peut rire fans bleffer la charité, quoy que ce foit vne des chofes que vous me reprochez encore dans vos écrits. Car la charité chlige quelquefois à rire des erreurs des hommes pour les porter eux-mefmes à en rire & à les fuir, félon cette parole de S. Auguftin : Hœc tu mifericor- diter irride, vt eis ridenda ac fugienda commendes> Et la mefme charité obhge aufîi quelquefois à les repouffer auec colère, félon cette autre parole de S. Grégoire de Nazianze : L'efprit de charité & de douceur a fes émotions & fes colères. En effet, comme dit S. Auguftin : Qui oferoit dire que la vérité doit demeurer def armée contre le menfonge, & qu'il fera permis aux ennemis de la foy d'effrayer les fidèles par des paroles fortes, & de les réjoiiyr par des rencontres d'efprit agréables; mais que les catholiques ne doiuent e fer ire quauec vne froideur de file qui endorme les leéîeurs?

Ne voit-on pas que, félon cette conduite, on laifîéroit introduire dans l'Eglife les erreurs les plus extrauagantes & les plus pernicieufes, fans qu'il fuft permis de s'en moquer avec mépris, de peur d'eflre accufé de bleffer la bienfeance ; ny de les confondre avec véhémence, de peur d'eflre accufé de manquer de charité?

Quoy, mes Pères, il vous fera permis de dire, qu'on peut

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4° propose ici un

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Onzième lettre. i8i

tuer pour éiiiter vn foufflet & vue injure, & il ne fera pas per- mis de réfuter publiquement vne erreur publique d'vne telle confequence ? Vous aurez la liberté de dire , quvn iuge peut en confcience retenir ce qu'il a r^eceu pour faire vne injujîice, fans qu'on ait la liberté de vous contredire? Vous imprime- rez auec privilège & approbation de vos Docteurs, qu'on peut ejîre fauué fans auoir iamais aimé Dieu , & vous fermerez la bouche à ceux qui défendront la vérité de la foy, en leur difant qu'ils blefferoient la charité de frères en vous atta- quant, & la modeflie de chreftiens en riant de vos maximes*? le doute, mes Pères, qu'il y ait des perfonnes à qui vous aiez pli le faire accroire; mais neantmoins s'il s'en trouuoit qui en fulfent perfuadez, & qui crùffent que i'aurois blefTé la charité que ie vous dois en décriant voftre Morale, ie voudrois bien qu'ils examinaffent auec attention d'où naill en eux ce fentiment. Car encore qu'ils s'imaginent- qu'il part de leur zèle, qui n'a pu fouffrir fans fcandale de voir accufer leur prochain, ie les prierois de confiderer qu'il n'efl pas impoffible qu'il vienne d'ailleurs, & qu'il eft mefme affez vrayfemblable qu'il vient du déplaifu- fecrêt & fouuent caché à nous-mefmes que le malheureux fond qui ell en nous ne manque iamais d'exciter contre ceux qui s'oppofent au relafchement des mœurs. Et pour leur donner vne règle qui leur en faife reconnoiftre le véritable principe, ie leur deman- deray fi en mefme temps qu'ils fe plaignent de ce qu'on a traité de la forte des Religieux , ils fe plaignent encore dauantage de ce que des Religieux ont traitté la vérité de la forte. Que s'ils font irritez non feulement contre les

alinéa qui a été adopté par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes.

I Une correction manuscrite de notre collection in-4° propose ici un alinéa eju'aucune édition n'a adopté.

2. Quelques éditions modernes, mais non pas celles de 1657 et de 1659., qui ont été publiées sous les yeux de Pascal : Car encore qu'ils s'irna- gindjj'ent.

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182 Lettres p?^ouindales.

Lettres, mais encore plus contre les maximes qui y font rapportées, i'aiiouëray qu'il fe peut faire que leur reffenti- ment parte de quelque zèle, mais peu éclairé ; & alors les pafTag-es qui font icy fuffiront pour les éclaircir. Mais s'ils s'emportent feulement contre les reprehenfions, & non pas contre les chofes qu'on a reprifes, en vérité, mes Pères, ie ne m'empefcheray iamais de leur dire qu'ils font groffiere- ment abufez, & que leur zèle eft bien aueugle.

Eftrang-e zèle qui s'irrite contre ceux qui accufent des fautes publiques, & non pas contre ceux qui les commettent! Quelle nouuelle charité qui s'offenfe de voir confondre des erreurs manifeltes par la feule expofition que l'on en fait', & qui ne s'offence point de voir renuerfer la Morale par ces erreurs ! Si ces perfonnes eftoient en danger d'eftre affafîî- nées, s'offenferoient-elles de ce qu'on les auertiroit de l'em- bufche qu'on leur dreife, & au lieu de fe détourner de leur chemin poiu' l'éuiter, s'amuferoient-elles à fe plaindre du peu de charité qu'on auroit eu de découurir le defî'ein cri- minel de ces affaffins? S'irritent-ils lors qu'on leur dit de ne manger pas d'vne viande parce qu'elle eft empoifonnée, ou de n'aller pas dans vne ville parce qu'il y a de la pefte?

D'où vient donc qu'ils trouuent qu'on manque de cha- rité, quand on decouure des maximes nuifibles à la Religion; & qu'ils croyent au contraire qu'on manqueroit de charité de ne pas découurir - les chofes nuifibles à leur fanté & à leur vie, finon parce que l'amour qu'ils ont pour la vie leur fait receuoir fauorablement tout ce qui contribue à la con- feruer; & que l'indifférence qu'ils ont poiu- la vérité fait que

1. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes omettent les mots : Par la feule expofuion que Von en fait. Nicole, dans sa version latine, n'a pas traduit les mots omis. L'auteur anonyme de l'abrégé de l'histoire ecclésiastique, en rapportant ce passage de la onzième provinciale, a eu soin de transcrire : Par la feule expofition que l'on en fait.

2. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Si on ne leur décom'roit pas.

On:{iéme lettre. jg^

non feulement ils ne prennent aucune part à fa defFenfe mais qu'ils voyent mefme auec peine qu'on s'efforce de détruire le menfong-e?

Qu'ils confiderent donc deuant Dieu combien la Morale que vos Cafuifles refpandent de toutes parts, eft honteufe & pernicieufe àl'Eglife; combien la licence qu'ils introduifent dans les mœurs, eft fcandaleufe & demefurée ; combien la hardie/fe auec laquelle vous les foûtenez, eft opiniaftre & violente. Et s'ils ne iiigent qu'il eft temps de s'éleuer contre de tels defordres, leur aueuglement fera auffi à plaindre que le voftre, mes Pères, puifque & vous & eux auez vn pareil fujet de craindre cette parole de S. Auguftin fur celle de Iesvs-Chrjst dans l'Euangile : Malheur aux aueugles qui conduifent, malheur aux aueugles qui font conduits : avais ducentibus, c ceci s fequeniibus.

Mais aftn que vous n'ayez plus lieu de donner ces im- preffions aux autres, ny de les prendre vous-mefmes, ie vous diray, mes Pères, (& ie fuis honteux de ce que vous m'en- gagez à vous dire ce que ie deurois apprendre de vous) ie vous diray donc quelles marques les Pères de l'Eglife nous ont données, pour iuger fi les reprehenfions partent d'vn efprit de pieté & de charité, ou d'vn efprit d'impiété & de haine.

La première de ces règles eft que l'efprit de pieté porte toufiours à parler auec vérité & fincerité, au lieu que l'enuie & la haine employent le menfonge & la calomnie : Splen- dentia & vehementia, fed rébus péris, dit S. Auguftin \ Qui- conque fe fert du menfonge agit par l'efprit du diable. Il n'y a point de direction d'intention qui puifte rectifier la calom- nie ; & quand il s'agiroit de conuertir toute la terre, il ne feroit pas permis de noircir des perfonnes innocentes, parce

I. Quelques édicions modernes, ce que n'ont fait ni l'édition in- 12 de 1657 ni celle de 1659, ajoutent ici l'endroit d'où a été extraite la citation de saint Augustin : De dod. chr. lib. U" c 2S

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184 Lettres pj^oiiinciales.

qu'on ne doit pas faire le moindre mal pour en faire reiifîîr le plus grand bien, & que la vérité de Dieu na pas befoin de noftre meufouge, félon l'Efcriture '. // ejî du deuoir des defen- feurs de la Vérité, dit S. Hilaire % de nauancer que des chofes l'eritables^. Auffi, mes Pères, ie puis dire deuant Dieu qu'il n'y a rien que ie deteite dauantage que de bleffer tant foit peu la vérité ; & que i'ay toufioiu-s pris vn foin très-particu- lier, non feulement de ne pas falfifier, ce qui feroit hor- rible, mais de ne pas altérer ou détoiu'ner le moins du monde le fens d'vn paffage. De forte que fi j'ofois me feruir en cette rencontre des paroles du mefme S. Hilaire, ie poiuTois bien vous dire auec luy : Si nous difons des chofes faujjes, que nos difcours foient tenus pour infâmes; mais fi nous monjh^ons que celles que nous produifons font publiques & mani- fefles, ce n'efî point for tir de la modejlie & de la liberté apofic- lique de les reprocher.

Mais ce n'eft pas affez, mes Pères, de ne dire que des chofes véritables % il faut encore ne pas dire toutes celles qui font véritables % parce qtfon ne doit raporter que les chofes qu'il eil: vtile de découurir, & non pas celles qui ne pourroient que bleffer fans aporter aucim fruit. Et ain/ï comme la première règle eft de parler auec vérité, la féconde eft de parler auec difcretion. Les méchans, dit S. Augustin*"', perfecutent les bons en fuiuant aueuglement la paffion qui les anime "^ ; au lieu que les bons perfecutent les méchans auec vue

Quelques éditions modernes : Job. XIII. 7.

Les mêmes éditions : Contra Conft.

L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Vraies.

Les mêmes éditions : Vraies.

Les mêmes éditions : Vraies.

Quelques éditions postérieures à celle de 1659 : Ep. ÎIII. D'autres : Ep. XLVIIL C'est cette dernière indication qui est la véritable.

7. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : En fuivant Paveugle/iienr de la paffion qui les anime. Voici la citation textuelle de Nicole dans sa traduction latine : Plane feniper et mali perfecuti funt bonos^ et boni

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Oitiiéme lettre.

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fage difcretion , de me/me que les chirurgiens conjîderent ce qu'ils coupent , au lieu que les meurtriers ne regardent point ils frappent. Vous fçaiiez bien, mes Pères, que ie n'ay pas rapporté des maximes de vos auteurs celles qui vous auroient elle les plus fenfibles, quoy que i'eufTe pu le faire, & mefme fans pécher contre la difcretion ; non plus que de fçauans hommes & tres-catholiques, mes Pères, qui l'ont fait autrefois. Et tous ceux qui ont leu vos auteurs, fçauent auffi bien que vous combien en cela ie vous ay épargnez; outre que ie n'ay parlé en aucune forte contre ce qui vous regarde chacun en particuher; & ie ferois fafché d'auoir rien dit des fautes fecrettes & perfonnelles, quelque preuue que j'en euffe. Car ie fçay que c'eft le propre de la haine & de l'animofité, & qu'on ne doit iamais le faire à moins qu'il y en ait * vne neceffité bien preffante pour le bien de l'Eg-life. Il eft donc vifible que ie n'ay manqué en aucune forte à la difcretion dans ce que i'ay efté obligé de dire touchant les maximes de voftre Morale; & que vous auez plus de fujet de vous louer de ma retenue que de vous plaindre de mon indifcretion.

La troisième règle, mes Pères, ell que quand on ell obligé d'vfer de quelques railleries, l'efprit de pieté porte à ne les employer que contre les erreurs, & non pas contre les chofes faintes ; au lieu que l'efprit de boufonnerie, d'im- piété & d'herefîe fe rit de ce qu'il y a de plus facré. le me fuis défia iuftifié fur ce point; & on eft bien éloigné d'ellrc expofé à ce vice, quand on n'a qu'à parler des opinions que i'ay rapportées de vos Auteurs.

Enfin, mes Pères, pour abréger ces règles, ie ne vous

perfecun funt jualos : illi nocendo pcr irijuflitiain, illi confit Ic/ido pcr dilcipli- nain : ilh iininaniter, illi temperanter : illi fcn-icntcs cupididiti. illi charitati . Sed qui trucidât, non confiderat quemadmodum Icniet ; qui autcm ciirjt. con- fiderat quemadinoduin fccet .

1. Les éditions modernes : A moins qu'il n'y en ait.

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i86 Lettres prouinciales.

diray plus que celle cy, qui eil: le principe & la fin de toutes les autres. C'eft que refprit de charité porte à auoir dans le cœur le defir du falut de ceux contre qui on parle, & à adrefTer Tes prières à Dieu en mefme temps qu'on adrefTe fes reproches aux hommes. On doit toufiours, dit S. Auguftin % conferuer la charité dans le cœur, lors mefme qu'on eji obligé de faire au dehors des chofes qui paroiffent rudes aux hommes, & de les frapper auec vue afpreté dure, mais bienfaifante, leur vtilité deuant eftre préférée à leur fatisfaâion. le croy, mes Pères, qu'il n'y a rien dans mes Lettres qui tefmoigne que ie n'aye pas eu ce defir pour vous; & ainfi la charité vous oblig-e à croire que ie l'ay eu en effet, lors que vous n'y voyez rien de contraire. Il paroill donc par que vous ne pouuez monflrer que i'aye péché contre cette règle, ny contre aucune de celles que la charité oblige de fuiure ; & c'ell pourquoy vous n'auez aucim droit de dire que ie I'aye bleffée en ce que i'ay fait.

Mais û vous voulez, mes Pères, auoir maintenant le plaifîr de voir en peu de mots vue conduite qui pèche contre chacune de ces règles, & qui porte véritablement le carac- tère de l'efprit de boufonnerie, d'enuie & de haine, ie vous en donneray des exemples. Et afin qu'ils vous foient plus con- nus & plus familiers, ie les prendray de vos efcrits mefmes.

Car pour commencer par la manière indigne dont vos Auteurs parlent des chofes faintes, foit dans leurs railleries, foit dans leiu's galanteries, foit dans leurs difcoiu's ferieux, trouuez-vous que tant de contes ridicules de voftre P. Binet dans fa Confolation des malades, foient fort propres au deffein qu'il auoit pris de confoler chreftiennement ceux que Dieu afflige? Direz- vous que la manière fi profane & fi coquette dont voftre P. le Moyne a parlé de la pieté dans sa Deuotion aifée, foit plus propre à donner du respect que du mépris poiu' l'idée qifil forme de la vertu chreftienne? Tout fon

I. Les édicions postérieures à celle de 1659 : Ep. V.

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Ou{icme lettre. 187

Jiiire des Peintures Morales relpire-t'il autre chofe, & dans fa profe & dans les vers, quVn efprit plein de la vanité & des folies du monde? Eft-ce vne pièce digne d'vn Preftre que cette Ode du y" liure intitulée : Eloge de la pudeur, il ejl monjlré que toutes les belles chofes font rouges ou fujettes à rougir. C'eft ce qu'il iit pour confoler vne Dame, qu'il appelle Delphine, de ce qu'elle rougiffoit fouuent. 11 dit donc à chaque fiance que quelques-vnes des chofes les plus efti- mées font rouges, comme les rofes, les grenades, la bouche, la langue; & c'eft parmy ces galanteries honteufes à vn Religieux, qu'il ofe méfier infolemment ces elprits bien- heureux qui afîiftent deuant Dieu, & dont les Chreftiens ne doiuent parler qu'auec vénération.

Les Chérubins ces glorieux , Compofe^ de tejle & de plume , Que Dieu de fou efprit allume. Et qu'il éclaire de fes yeux , Ces illuflres faces volantes Sont toufiours rouges ô brûlantes. Soit du feu de Dieu, foit du leur. Et dans leurs famés mutuelles Font du mouuement de leurs aifcs Jii éuantail à leur chaleur. Mais la rougeur éclatte en tor, Delphine, auec plus d'auantage. Quand l'honneur ejî fur ton j'ifage Veftu de pourpre comme m Roy, &^c.

Qu'en dites-vous, mes Pères? Cette préférence de la rougeur de Delphine à l'ardeur de ces efprits , qui n'en ont point d'autre que la charité; & la comparailbn d'vn éuantail auec ces aifles myllerieufes, vous paroill-elle fort chrellienne dans vne bouche qui confacre le Corps adorable de Iesvs- Christ? le fçay qu'il ne l'a dit que pour faire le gahuu ^

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Lettres pvouinciales.

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pour rire; mais c'eft cela qu'on appelle rire des chofes faintes. Et n'eft-il pas véritable^ que fi on lui faifoit iuflice, il ne fe garentiroit pas d'vne cenfure? quoy que pour s'en defFendre il fe feruift de cette railbn, qui n'efl: pas elle- melme moins cenflu*able, qu'il rapporte au liure i*"^ : Que la Sorboiine il a point de iurifdiBion fur le Paruajfe, & que les erreurs de ce pdis-là ne font fujettes nj' aux Cenfures nj' à rinquifition , comme s'il n'eftoit defFendu d'eftre blafphema- teur & impie qu'en proie. Mais au moins on n'en g-arentiroit pas par cet autre endroit de l'auant propos du mefme liure : Que l'eau de la riiiiere au bord de laquelle il a compofé fes vers, e II fi propre à faire des poètes, que quand on en ferait de l'eau benife, elle ne chaferoit pas le démon de la poëfie : non plus que celuy-cy de voftre P. GarafTe dans fa Somme des veritez capitales de la Religion p. 649, il joint le blaf- pheme à l'herefie, en parlant du myftere facré de l'Incarna- tion en cette forte : La perfonalité humaine a efîé comme entée ou mife â chenal fur la perfonalité du W'rbe. Et cet autre endroit du mefme auteur p. 510, lans en rapporter beaucoup d'autres, il dit fur le fuiet du Nom de Iesvs, figuré or- dinairement ainfi IHS : Que quelques-rns en ont oflé la croix pour pt^endi^e les feuls caraâeres en cette forte, IHS, qui efl vu lESVS deualifé,

C'eft ainfi que vous traitez indignement les veritez de la Religion contre la règle inuiolable qui oblige à n'en parler . qu'auec reuerence. Mais vous ne péchez pas moins contre celle qui oblige à ne parler qu'auec vérité & difcretion. Qu'y a-t'il de plus ordinaire dans vos efcrits que la calomnie? Ceux du P. Brifacier font-ils fmceres? & parle-t'il auec vérité quand il dit, 4'^ part. p. 24 & 15 % que les Religieufes

1. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes: N'cjl-il pas vrai.

2. Quelques éditions modernes postérieures à celle de 1659 : /'. 2-f et 2^. D'autres éditions plus récentes encore ; Et z''' p.. p- i'^-

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On:[iéme lettre. 189

de Port Royal ne prient pas les Saints, & qu'elles n'ont point d'images dans leur Eglile? Ne Ibnt-ce pas des faufle- tez tien hardies, puifque le contraire paroift à la veuë de tout Paris? Et parle-t'il auec difcretion, quand il déchire l'innocence de ces filles, dont la vie eft pure & {\ auftere, quand il les appelle des Filles impénitentes, afacramentaires, iucommuniantes , des rierges folles, fantajliqnes, Calaganes, defefperées, & tout ce qu'il vous plaira, & qu'il les noircit par tant d'autres médifances, qui ont mérité la Cenfure de feu M. l'Archeuelque de Paris? Quand il calomnie des Preftres, dont les mœurs font irréprochables, iufqu'à dire i"' part, p. 22 : Qu'ils pratiquent des nouueaute:- dans les confej/ions, pour attraper les belles & les innocentes ; & qu'il auroit horreur de rapporter les crimes abominables qu'ils commettent? N'eft-ce pas vne témérité inflipportable d'auancer des impofVures noires, non feidement fans preuue, mais fans la moindre ombre & fans la moindre apparence? le ne m'eflendray pas dauantag-e fin- ce fujet, & ie remets à vous en parler plus au long vne autre fois; car i'ay à vous entretenir fur cette ma- tière, & ce que i'ay dit fuffit pour faire voir combien vous péchez contre la vérité & la difcretion tout enfemble.

Mais on dira peut-eftre que vous ne péchez pas au moins contre la dernière règle qui oblige d'auoir le defir du faliit de ceux qu'on décrie, & qu'on ne fcauroit vous en accufer fans violer le fecret de voftre cœiu-, qui n'ell connu que de Dieu feul. C'efl vne chofe ellrange, mes Pères, qif on ait neantmoins dequoy vous en conuaincre : que voftre haine contre vos aduerfaires ayant elle iufqu'à fouhaiter leur perte éternelle, voftre aueugkment ait efté iufqu'à découurir vn fouhait fi abominable : que bien loin de former en fecret des defirs de leur falut, vous ayez fait en public des vœux pour leiu- damnation ; &; qu'après auoir produit ce malheureux fouhait dans la ville de Caën auec le fcandale de toute l'Eglife, vous ayez ofé depuis fouftenir encore à Paris dans vos liiu-es imprimez vne action fi diabolique. Il ne fe peut

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190 Lettres prouinciales.

rien adjouller à ces excez contre la pieté. Railler & parler indignement des chofes les plus facrées, calomnier les Vierges & les Preftres faufTement & fcandaleuiement; & enfin former des defirs & des vœux pour leiu' damnation. le ne fçay, mes Pères, fi vous n'efles point confus, & com- ment vous auez pu auoir la penfée de m'accufer d'auoir manqué de charité, moy qui n'ay parlé qu'auec tant de vérité & de retenue, fans faire de reflexion lur les horribles violemens de la charité que vous faites vous-mefmes par de fi déplorables excez \

Enfin, mes Pères, pour conclure par vn autre reproche que vous me faites, de ce qu'entre vn fi grand nombre de vos maximes que ie rapporte, il y en a quelques vues qu'on vous aiioit défia objectées, fin* quoy vous vous plaignez de ce que ie redis contre imus ce qui aiioit dejia - ejlé dit. le refpons que c'eft au contraire parce que vous n'auez pas profité de ce qu'on vous l'a défia dit, que ie vous le redis encore \ Car quel fruit a-t'il paru de ce que de fçauans Docteurs & l'Vni- uerfité entière vous en ont repris par tant de liures? Qu'ont fait vos Pères Annat, Caufiin, Pintereau & le Moine, dans les refponfes qu'ils y ont faites, finon de couurir d'iniures ceux qui leur auoient donné ces auis fi falutaires? Auez-vous fupprimé les liures ces méchantes maximes font enfei- gnées? En auez-vous reprimé les Auteurs? En eftes-vous deuenus plus circonlpects? Et n'eft-ce pas depins ce temps qu'Efcobar a tant efté imprimé de fois en France & aux Païs-bas, & que vos Pères Cellot, Bagot, Bauny, FAmy, le Moine & les autres ne ceffent de publier tous les iours les

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes: Emporte- ments. Nicole, dans sa version latine de 1658, traduit :* Calumriiis veftris.

2. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes suppriment le mot déjà,

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4" : Que ce qui fait que Je vous Je redis encore, c'ejl que vous n'aués pas profiié de ce qu'on vous l'a defia dit . leçon qui n'a été adoptée par aucun éditeur.

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mefmes chofes, & de nouuelles encore auffi licentieufes que iamais? 'Ne vous plaig-nés donc plus, mes Pères, ny de ce que ie vous ay reproché des maximes que vous n'auez point quittées, ny de ce que ie vous en ay objecté de nouuelles, ny de ce que i'ay ri de toutes. Vous n'auez qu'à les confi- derer pour y trouuer voilre confufion & ma defFenfe. Qui pourra voir fans en rire la decifion du Père Bauny pour celuy qui fait brûler vne grange ; celle du P. Cellot pour la reftitution ; le règlement de Sanchez en faueur des forciers; la manière dont Hurtado fait éuiter le péché du duel, en fe promenant dans vn champ & y attendant vn homme; les complimens du P. Bauny pour éuiter l'vfure; la manière d'éuiter la fimonie par vn détour d'intention, & celle d'éuiter le menfonge en parlant tantoll haut, tantoft bas, & le relie des opinions de vos Docteurs les plus graues? -En faut-il dauantage, mes Pères, poiu* me iulliiîerr & y a-t'il rien de mieux deii à la inanité & à la foiblejje de ces opinions que la ri fée, félon TertuUien? Mais, mes Pères, la corruption des moein-s que vos maximes apportent, eft digne d'vne autre confideration, & nous pouuons bien faire cette demande auec le mefme TertuUien •' : Faut-il rire de leur folie ou déplorer leur aueuglemeut , Rideam vanitatem an exprobrem cœcitatem? le croy, mes Pères, qu'on peut en rire & en pleurer à /on choix : Hœc tolerabiliiis vel rident ur j'el Jlentur, dit S. Auguf- tin ''. Reconnoiffez donc, qu'il y a l'n temps de rire & vn temps de pleurer, félon l'Efcriture. Et ie fouhaitte, mes Pères, que ie n'éprouue pas en vous la vérité de ces paroles des Pro- uerbes : Quilv a des perfounes Ji peu raifonnables qu'on n'en

1. Une correction marginale de nocre colleccion in-4° propose ici un alinéa qu'aucun éditeur n'a adopté.

2. Le même correcteur propose ici un alinéa qui n'a pas été plus adopté que le précédent.

3. Quelques éditions postérieures à celle de 1659 ajoutent : Ad nat. hb. 1 1 , cdp. 12.

4. Les mêmes éditions : Contr. FaiilL lit'. 20.

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iû2 Lettres prouinciales.

peut aiioir de fatisfaâion de quelque manière qu'on agiffe auec eux, foit qu'on rie, foit qu'on fe mette en colère.

En acheuant cette lettre, i'ay veu va efcrit que vous auez publié, vous m'accufez d'impoflure fur le fujet de fix de vos maximes que i'ay rapportées, &. d'intelligence auec les hérétiques ; j'efpere que vous y verrez vne réponfe exacte, & dans peu de temps, mes Pères enfuite de laquelle ie croy que vous n'aurez pas enuie de continuer cette forte d'accufation *.

I. L'édition in-S" de 1659 a omis ce P. -S. que Nicole, dans sa version latine, n'a pas non plus jugé à propos de traduire.

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DOVZIEME LETTRE

ESCRITE PAR L"AVTHEVR DES LETTRES AV PROVINCIAL

AVX REVERENDS PERES lESVITES

Du 9 Septembre 1656.

Mes REVERENDS PERES,

l'eflois preft à vous efcrire flir le fiiiet des iniures que vous me dites depuis û long temps dans vos efcrits, vous m'appeliez Impie, Bouffon, Ignorant, Farceiu\ Impojlcur , Calomniateur, Fourbe, Hérétique, Caluinijle déguifé, Difciple de Du Moulin, Poffédé d'vne légion de Diables, & tout ce qu'il vous plailt. le voidois faire entendre au monde poiu*quoy vous me traitez de la forte : car ie ferois fafché qu'on cruft tout cela de moy ; & i'auois refolu de me plaindre de vos calomnies & de vos impoftures, lorfque i'ay veu vos refponfes, vous m'en accufez moy-mefme-. Vous m'auez obligé par de changer mon deffein ; & néanmoins, mes Pères % ie ne laifferay pas de le continuer en quelque forte, puifque i'ef-

1. L'édition in-8° de 1659 et la plupart des éditions modernes: Douiieme lettre aux révérends pères Jefuites.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4° : fous m'ac- cufés moy-mejine d'eflre vn calomniateur et vn impojleur. correction qui n'a été adoptée par aucun éditeur.

3. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes suppriment les mots : Aies pères.

25

lo/j. Lettres prouinciales.

1

père en me défendant vous conuaincre de plus d'impoftures véritables, que vous ne m'en auez imputé de faufles. ^ En vérité, mes Pères, vous en elles plus rufpects que moy. Car il n'eft pas vrayfemblable qu'eftant feul comme ie fuis, fans force & fans aucun appuy humain, contre vn {\ grand corps, & n'eftant fouftenu que par la vérité & la fmcerité, ie me fois expofé à tout j^erdre, en m'expofant à élire conuaincu d'im- pollures. - Il efl trop aifé de découurir les fauffetez dans les queftions de fait, comme celles-cy. le ne manquerois pas de gens pour m'en accufer, & la iullice ne leur en feroit pas refufée. Pour vous, mes Pères, vous n'elles pas en ces termes, & vous pouuez dire contre moy ce que vous voulez, fans que ie troime à qui m'en plaindre. Dans cette différence de nos conditions ie ne dois pas eflre peu retenu, quand d'autres considérations ne m'y engageroient pas. ^ Cependant vous me traitez comme vn impolleur infigne, & ainlî vous me forcez à repartir; mais vous fçauez que cela ne fe peut faire, fans expofer de nouueau, & mefme fans découurir plus à fond les points de vollre Morale; en quoy ie doute que vous foiez bons politiques. La guerre fe fait chez vous, & à vos defpens; & quoy que vous aiez penfé qu'en em- brouillant les quellions par des termes d'Efcole, les relponfes en feroient fi longues, obfcures & fi épineufes, qu'on en perdroit le goull; cela ne fera peut-ellre pas tout à fait ainfi : car i'effaieray de vous ennuyer le moins qu'il fe peut

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4° propose ici un alinéa qu'aucun éditeur n'a adopté.

2. M. Faugère, dans les notes qu'il a recueillies sur Pascal (t. \", p. 308), cite la leçon suivante, qui semble le premier linéament du passage de la douzième provinciale : Je fuis feul contre trente mille? Point. Gardej. vous la Cour . vous l'impoflure; moi la vérité : c'efi toute ma force; fi je la perds, je

fuis perdu. Je ne manquerai pas d'accufation et de pcrfécutions ; mais j'ai la vérité et nous verrons qui l'emportera.

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4" propose ici un alinéa qui n'a été adopté par aucun éditeur.

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Doii:[i(>me lettre. inf

en ce genre d'efcrire *. Vos maximes ont ie ne fçay quoy de diuertifTant qui réjouît toujours le monde. Souuenez-yous au moins que c'eft vous qui m'engag-ez d'entrer dans cet éclairciffement ; & voyons qui le deffendra le mieux.

La première de vos impollures eft fur l'opinion de Vaf- qiiei touchant l'aumofne. Souffrez donc que ie l'explique net- tement, pour olîer toute obfcurité de nos difputes. C'ell: vne choie afTez connue, mes Pères, que félon l'efprit de fEglife il y a deux préceptes touchant Taumofne : l'vn de donner de fou fiiperfiu dans les necejjitei ordinaires des panures; Vautre de donner mefme de ce qui ejt necejjaire félon fa condition dans les necejfitei extrêmes. C'eft ce que dit Cajetan après S. Tho- mas ; de forte que pour faire voir l'efprit de Vafquez tou- chant l'aumofne, il faut monftrer comment il a réglé tant celle qu'on doit faire de fuperflu, que celle qu'on doit faire du neceffaire.

Celle du fuperflu, qui eil: le plus ordinaire fecours des pauures, eil entièrement abolie par cette ieule maxime, de El. c. 4, n. 14, que i'ay rapportée dans mes lettres : Ce que les gens du monde gardent pour releuer leur condition & celle de leurs parens, nefî pas appelle fuper fin. Et ainfi à peine trou- uera-t'ou qu'il j- ait iamais de fuperfiu dans les gens du monde, & non pas mefme dans les Rois. Vous voyez bien, mes Pères, par cette deiinition, que - tous ceux qui auront de l'ambition, n'auront point de fuperfiu, & qu 'ainfi l'aïunofne en elt anéantie à l'égard de la pluipart du monde. Mais quand il arnueroit meime qu'on en aiiroit, on ieroit encore diipenlé d'en donner dans les necefîîtez communes, ielon Waiquez, qui s'oppofe à ceux qui veulent y obliger les riches. Voicy fes termes c. i, n. 32 : Corduba, dit-il, enfeigne que lorf qu'on

1. Quelques éditions modernes, postérieures à celle de 1659 : En ce genre d'écriture.

2. L'édition in-8^^ de 1659 ^^ toutes les éditions suivantes : J'ous voyei bien, mes pères, que par cette dcfînition.

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196 Lettres prouinciales

a du fiipevjhi , on eji oblige d'eu donuer à ceux qui fout dans vue necejjité ordinaire, au moins vue partie, afin d'accomplir le précepte eu quehjue chofe. Mais cela ne me plaist pas; SED HOC NON PLACET. Car nous avons monstre LE contraire contre Cajetau & Nauarre. Ainfi, mes Pères, l'obligation de cette aumofne eft abfolument ruinée, félon ce qu'il plaift à Vafquez.

Pour celle du neceffaire, qu'on ell obligé de faire dans les neceffitez extrêmes & prenantes, vous verrez par les conditions qu'il apporte pour former cette obligation , que les plus riches de Paris ^ peiuient n'y eftre pas engagez vne feule fois en leur vie. le n'en rapporteray que deux. L'vne, QVE l'on sçache quc le pauure uc fera fccouru d' aucuu autrc : Hœc iutelligo & cœtera omnia quando se 10 nullum alium opem laturum, c. i, n. 28. Qu'en dites-vous, mes Pères? Arriuera- t'il fouuent que dans Paris, il y a tant de gens charitables, on puiffe fçauoir qu'il ne fe trouuera perfonne pour fecourir vn pauure qui s'offre à nous? Et cependant fi on n'a pas cette connoiffance, on poiuTa le renuoyer fans fecours, félon Vafquez. L'autre- efl, que la neceffité de ce pauure foit telle, qu'il foit menacé de quelque accident mortel, ou de perdre fa réputation, n. 24 & 26, ce qui efl bien peu commun. Mais ce qui en marque encore la rareté, c'eft qu'il dit n. 45, que le pauure qui efl en cet eftat, il dit qu'on efl obligé à luy donner l'aumofne, jpez/^ voler le riche en confcience. Et ainfi il faut que cela foit bien extraordinaire, fi ce n'efl qif il veuille qu'il foit ordinairement permis de voler. De forte qu'après auoir deftruit l'obligation de donner l'aumofne du fuperflu, qui ell la plus grande fource des charitez, il n'oblige

1. Notre correcceur a d'abord, sur notre collection in-4'', barré les mots de Paris. Mais il s'est ravisé ensuite et a effacé à la marge le deleatur.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4'% adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : L'autre condition.

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Douzième lettre. loy

les riches d'afîîfter les panures de leur necefTaire, que lorf- qu'il permet aux pauures de voler les riches. Voilà la doctrine deVafquez, vous renuoyez les lecteurs pour leur édification.

le viens maintenant à vos impollures. Vous vous elien- dez d'abord fur l'obligation que Vafquez impofe aux Eccle- fiaftiques de faire l'aumolne. Mais ie n'en ay point parlé, & l'en parleray quand il vous plaira ^ 11 n'en eil donc pas quellion icy. Pour les laïques, delquels feuls il s'agit, il iemble que vous voidiez faire entendre que Vafquez ne parle en l'endroit que i'ay cité, que félon leTens de Cajetan, & non pas félon le fien propre. Mais comme il n'y a rien de plus faux, & que vous ne l'auez pas dit nettement, ie veux croire pour voftre honneur que vous ne l'auez pas voidu dire.

Vous vous plaignez en fuitte hautement, de ce qtf après auoir rapporté cette maxime de Vafquez : A peine fe troii- uera-t'il que les gens du monde, & mefme les Rois, aient iamais de fuperfiu, i'en ay conclu, que les riches fout donc à peine obligei de donner l'aumofne de leur fuperjlu. Mais que voidez- vous dire, mes Pères? S'il eft vray que les riches n'ont prefque iamais de fuperflu, n'efl-il pas certain qu'ils ne feront prefque iamais obligez de donner l'aumofne de leur fuperflu? le vous ferois vn argument en forme, fi Diana, qui eftime tant Vafquez qu'il l'appelle le Phœnix des efprits, n'auoit tiré la mefme confequence du mefme principe. Car après auoir rapporté cette maxime de Vafquez, il en con- clud : Que dans la que/lion, fçauoir Ji les riches sont oblige- de donner l'aumofne de leur fuperjlu, quov que l'opinion qui les j' oblige fujt véritable^ il n'arriueroit iamais ou prefque iamais, qu'elle oblige - dans la pratique '. le n'ay fait que fiiiure mot

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4" : le n'en ay point parlé; mais i'en parleray quand il vous plaira, correction qui n'a été adoptée par aucun éditeur.

2. L'édition in-S'^ de 1659 et toutes les éditions suivantes : Qu'elle obligeât.

3. M. Faugère, dans les extraits qu'il a publiés pour la première tois

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198

Lettres prouinciaîes.

à mot tout ce difcoiirs. Que veut donc dire cecy, mes Pères? Quand Diana rapporte auec éloge les fentimens de Vafquez, quand il les trouue probables, <S- très commodes pour les riches, comme il dit au mefme lieu, il n'efl ny calomniatein* ny fauffaire, & vous ne vous plaignez point qu'il luy impofe : au lieu que quand ie reprefente ces mefmes fentimens de Vafquez, mais fans le traiter de phœnix, je fuis vn impolleur, vn fauffaire & vn corrupteur de fes maximes. ^ Certainement, mes Pères, vous auez fujet de craindre que la différence de vos traitemens enuers ceux qui ne différent pas dans le rap- port, mais feulement dans f ellime qu'ils font de voltre doc- trine, ne découure le fond de voftre cœur, & ne faffe iuger que vous auez jDour principal objet de maintenir le crédit & la gloire de voftre Compagnie, puifque tandis que voftre Théologie accommodante pafte pour vne fage condefcen- dance, vous ne defauouez point ceux qui la publient, & vous les louez au contraire - comme contribuans à voftre deffein ; mais quand on la fait paffer pour vn relâchement pernicievix, alors le mefme intereft de voftre Société vous engage à defauoûer des maximes qui vous font tort dans le monde : & ainft vous les reconnoiffez ou les renoncez, non pas félon la vérité qui ne change iamais , mais félon les diuers change- mens des temps, fuiuant cette parole dVn ancien : Omnia pro tempore, uihil pro reritate. '^ Prenez y garde, mes Pères 5

du manuscrit autographe de Pascal, qui se rapportent aux Provinciales, cite cette opinion de Diana : L'on n'eft pas obligé de donner l'aumône de fon fuperjlu dans les communes nécejjités des pauvres ; fi le contraire étoit vrai . il faudrait condamner la plupart des riches et leurs confejfeurs.

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4" indique ici un alinéa qui n'a été adopté par aucun éditeur.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4'', adoptée par l'édition in-8" de 1659 ec par toutes les éditions suivantes: Et au contraire vous les louej.

3. Une correction manuscrite de notre collecdon in-4° indique ici un nouvel alinéa qui n'a été adop:é par aucun éditeur.

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Dou-iéme lettre. log

& afin que vous ne puiffiez plus m'accufer d'auoir tiré du principe de Vafquez vne conféquence qu'il euft deiauoiiée, fçachez qu'il l'a tirée luy-mefme c. i, n. 27. A peine ejl-on obligé de donner l'aumo/ne, quand on n'eft obligé à la donner que de fon fuperjlu , félon l'opinion de Cajetan, et selon la .MIENNE, Et fecundum nojiram. Confeffez donc, mes Pères, par le propre témoignage de Vafquez, que i'ay fuiui exac- tement fa penfée, & confiderez auec quelle confcience vous auez ofé dire, que l'on alloit à la fource , on verroit auec ejlonr.ement qu'il y en feigne tout le contraire.

Enfin vous faites valoir par deffus tout, ce que vous dites que Vafquez a obligé en recompenfe les riches de donner l'aumofne de leur necejjaire^. Mais vous aiiez oublié de mar- quer l'afîemblage des conditions neceffaires pour former cette obligation, & vous dites généralement-, qifil oblige les riches à donner mefme ce qui ell: neceffaire à leur condition. C'ell en dire trop, mes Pères; la règle de l'Euangile ne va pas fi auant; ce feroit vne autre erreiu-, dont Vafquez efi bien éloigné. Pour couurir fon relafchement vous luv attri- buez vn excès de feuerité qui le rendroit reprehenfible, &. par vous vous ofiez la créance de faiioir rapporté fidèle- ment. Mais il n'efi pas digne de ce reproche, après auoir eftably, comme il a fait, par vn fi vifible renuerfement de

1. Une correccion manuscrite de norre collection in-4'', après quelques tâtonnements^ dont les ratures fournissent la preuve : Ce que vous dires qu'en recompenfe Vafquej a obligé les riches de donner l'aumcjne de leur nccejfaire. correction qui n'a été adoptée par aucun éditeur. L'édition in-S'' de 1659 et toutes les éditions suivantes : Ce que vous dires que . J'afquci n'oblige pas les riches de donner l'aumône de leur fuperjlu. il les oblige en recompenfe de la donner de leur néceffaire.

2. Les mêmes éditions : Alais vous avej oublié de marquer l'ajfemblagc des conditions qu'il déclare être néceffaircs pour former cette obligation . lej- quelles J'ai rapportées , et qui la rejtreignent fort, qu'elles V anéanti ffent prcfque entièrement : et au lieu d'ex-pliquer ainfi fîncèrement fa doclrine . vous dites généralement. Nicole, dans sa version latine, traduit la seconde leçon et non la première.

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200 Lettt^es prouinciales.

l'Euangile, que les riches ne font point obligez' ny par iuftice ny par charité de donner de leur fuperflu, & encore moins du neceiïaire, dans tous les befoins ordinaires des panures, & qu'ils ne font obligez de donner du necefTaire qu'en des rencontres fi rares qu'elles n'arriuent prefque iamais.

Vous ne m'obiectez rien dauantage, de forte qu'il ne me refle qu'à faire voir combien eft faux ce que vous pré- tendez, que Vafquez eft plus feuere que Cajetan. Et cela fera bien facile, puifque ce Cardinal enfeigne, Qu'on eft obligé par iuftice de donner laumo/ne de fon fuperjlu , me/me dans les communes necej/ite:^ des panures : pai^ce que , félon les faijits Pères, les riches font feulement difpenfateurs de leur fuperftu, pour le donner à qui ils j'eulent d'entre ceux qui en ont befoin. Et ainfi au lieu que Diana dit des maximes de Vafquez, Qu'elles feront bien commodes & bien agréables aux riches & à leurs Confeffeurs , ce Cardinal, qui n'a pas vne pareille confolation à leur donner, déclare, de Eleem. c. 6, qu'il n'a rien à dire aux riches que ces paroles de Iesvs- Christ : Qu'il ejl plus facile qu'vn chameau paffe par le trou d'vne éguille, que non pas qu'pn riche entre dans le ciel; & à leurs Confeffeurs , que cette parole du mefme Sauueur - : Si vn aueugle en conduit ini autre, ils tomberont tous deux dans le précipice : tant il a trouué cette obligation in difpen fable. •^ Aiiffi c'eft ce que les Pères & tous les Saints ont étably comme vne vérité conllante. Il y a deux cas, dit S. Thomas, 2. 2, q. ii8, art. 4, oii Von eft obligé de donner Vaumofne par vn deuoir de iuftice , ex debito legali : l'ini, quand les panures font en danger; Vautre, quand nous pojjedons des biens

1. L'édition in-8'' de 1659 ce toutes les éditions suivantes : Après mvir établi, comme Je l'ai fait voir, que les riches ne font point obligés.

2. Quelques éditions modernes suppriment les mots : Que cette parole du même Sauveur.

5. Une correction manuscrite de notre collection in-4'' indique ici un alinéa qui n'a été adopté par aucun éditeur.

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Doiiyié}?ie lettrée.

201

fiiperjliis. Et q. 87, a. i : Les troificmes décimes que les Juifs deuoient manger auec les panures, ont ejîé augmentées dans la loj' nouuelle , parce que Iesvs- Christ veut que nous don- nions aux panures non-feulement la dixième partie , mais tout noftre fuperflu. Et cependant il ne plaifl: pas à Vafquez qu'on foit oblig-é d'en donner vne partie feulement, tant il a de complaifance pour les riches, de dureté pour les pauures, & * d'oppofition à ces fentimens de charité qui font trouuer douce la vérité de ces paroles de S. Grégoire, laquelle paroilT: dure - aux riches du monde : Quand nous donnons aux pauures ce qui leur ef necefliire , nous ne leur donnons pas tant ce qui efl à nous, que nous leur rendons ce qui efl à eux : & cefï vn devoir de iufice^ plûtofï qu'vne œuure de mife- ricorde^.

C'ell de cette forte que les Saints recommandent aux riches de partager auec les pauures les biens de la terre, s'ils veident pofTeder auec eux les biens du ciel. Et au heu que vous trauaillez à entretenir dans les hommes l'ambition qui fait qu'on n'a iamais de fliperflu, & l'auarice qui refufe d'en donner quand on en auroit, les Saints ont trauaillé au contraire à porter les hommes à donner leur fuperflu, & à leur faire connoiftre qu'ils en auront beaucoup, s'ils le mefurent, non par la cupidité qui ne fouffre point de bornes, mais par la pieté qui efl: ingenieufe à fe retrancher pour auoir de quoy fe refpandre dans l'exercice de la charité. Nous auons beaucoup de fuperflu, dit S. Augurtin,y/ nous ne gardons que le nece (faire; mais fi nous recherchons les chofes vaines y rien ne nous fujffira. Recherche- , mes frères, ce qui fuffit à Vouurage de Dieu, c'efl: à dire à la nature; & non pas ce qui fuffit à vofre cupidité, qui efl Touurage du démon, f.7

1. Quelques éditions modernes, poscérieurcs à celles de 1657 et de 1659, suppriment le mot et.

2. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Si rude.

3. Les éditions modernes ajoutent : Rcg. PiijK p. j. ii.i. 22.

26

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202 Lettres proiiinciales.

foiiuene:{-vous que le fuperjlu des riches ejî le necejfaire des paumées ' .

le voiidrois bien, mes Pères, que ce que ie vous dis feruift non feulement à me iuftifier, ce feroit peu-, mais encore à vous faire fentir & abhorrer ce qu'il y a de cor- rompu dans les maximes de vos Cafuiftes, afin de nous vnir fincerement dans les faintes règles de l'Euangile, félon lef- quelles nous deuons tous eftre iugez.

Pour le fécond point qui regarde la fimonie, auant que de refpondre aux reproches que vous me faites, ie commen- ceray par l'éclairciffement de vollre doctrine fur ce fujet. Comme vous vous elles trouuez embarraffez entre les Canons de l'Eglife qui impofent d'horribles peines aux fimoniaques, & l'auarice de tant de perfonnes qui recherchent cet infâme trafic, vous auez fuiui voftre méthode ordinaire, qui eft d'accorder aux hommes ce qif ils défirent, & donner à Dieu ^ des paroles & des apparences. Car qu'eft-ce que demandent les fimoniaques, finon d'auoir de l'argent en donnant leurs bénéfices? Et c'efi: cela que vous auez exempté de fimonie. Mais parce qu'il faut que le nom de fimonie demeure, & qu'il y ait vn fujet il foit attaché, vous auez choifi pour cela vne idée imaginaire, qui ne vient iamais dans l'efprit des fimoniaques & qui leur feroit inutile, qui eft d'eftimer l'argent confideré en luy-mefme autant que le bien fpirituel confideré en luy-mefme. Car qui s'auiferoit de comparer des chofes fi difproportionnées & d'vn genre {\ différent? Et cependant pourueu qu'on ne fafle pas cette comparaifon metaphyfique, on peut donner fon bénéfice à vn autre, &. en receuoir de l'argent fans fimonie félon vos Auteurs.

1. Les éditions modernes, postérieures à celles de 1657 et de 1659, ajoutent : In Pf. 1^7.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4° : Ce qui feroit peu, correction qui n'a été adoptée par aucun éditeur.

■i. Les éditions postérieures à celles de 1657 et de 1659 : Et de donner à Dieu.

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Dou-ieme lettre. 20

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C'eft ainfi que vous vous ioûez de la Religion, pour fuiure la paffion des hommes : & voyez néanmoins auec quelle grauité voftre P. Valentia débite Tes fonges à l'en- droit cité dans mes Lettres, tom. 3, difp. 16, p. 3, pag. 2044: On peut, dit-il, donner vn bien tempoi^el pour vn fpirituel en deux manières : l'rne en prifant dauantage le temporel que le fpirituel, & ce feroit fimonie ; l'autre en prenant le temporel comme le motif & la fin qui porte à donner le fpirituel, fans que néanmoins on prife le temporel plus que le fpirituel ; & alors ce n'eft point fimonie. Et la raifon en eft que la fimonie confijîe à i^eceuoir vn temporel comme le iujle prix d'ini fpiri- tuel. Donc fi on demande le temporel, f petatur temporale, non pas comme le prix, mais comme le motif qui détermine à le conférer, ce n'eft point du tout fimonie, encore qu'on ait pour fin & attente principale la poffefjîon du temporel. Minime erit fimonia etiamfi temporale principaliter intendatur & expeâetur. Et vortre grand Sanchez n'a-t'il pas eu vne pareille reuela- tion au rapport d'Efcobar tr. 6, ex. 2, n. 40. Voicy fes mots : Si on donne vn bien temporel pour vn bien fpirituel non pas comme prix, mais comme vn motif qui~ porte le collateur à le donner, ou comme vne reconnoifance fi on l'a déjà receu, efi- ce fimonie? Sanchei affure que non \ Vos Thefes de Caën de 1644 : Ceft vne opinion probable enfeignSe par plufieurs catholiques, que ce n eft pas fimonie de donner vn bien temporel pour vn fpirituel , quand on ne le donne pas comme prix. Et quant à Tannerus, voicy fa doctrine pareille à celle de Valentia, qui fera voir combien vous auez tort de vous plaindre de ce que i'ay dit qu'elle n'eft pas conforme à celle de S. Thomas, puifque luy-mefme l'avoue au lieu cité dans ma Lettre, t. 3, d. 5, p. 15 19 : // ny a point, dit-il, proprement & véritablement de fimonie, finon à prendre vn bien temporel comme le prix d'vn fpirituel ; mais quand on

I- I-es éditions postérieures à celles de 1657 et de 1659 ajoutent Opufc. t. IL I. 2. c. j, d. 23. n. 7.

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204 Lettres prouinciales.

le prend comme ini motif qui porte à donner le fpirituel, ou comme en reconnoijfance de ce qu'on Va donne', ce n'ejl point fimonie , au moins en confcience. Et vn peu après : Il faut dire la mefme chofe, encore qu'on regarde le temporel comme fa fin principale, & qu'on le préfère mefme au fpirituel, quoy que S. Thomas & d'autres femhlent dire le contraire , en ce qu'ils affurent que c'efî abfolument fimonie de donner vn bien fpirituel pour vn temporel, lorfque le temporel en eji la fin.

Voila, mes Pères, voflre doctrine de la fimonie enfei- gnée par vos meilleurs Autheurs, qui fe fuiuent en cela bien exactement. Il ne me refle donc qu'à refpondre à vos impoftures. Vous n'auez rien dit fur l'opinion de Valentia; & ainfî fa doctrine fubfîfte après voilre refponfe. Mais vous vous arreftez fur celle de Tannerus, & vous dites qu'il a feulement décidé que ce n'eftoit pas vne fimonie de droit diuin ; & vous voulez faire croire que i'ai fupprimé de ce paffage ces paroles, de droit diuin. Vous n'eftes pas raifon- nables, mes Pères ^ : car ces termes , de droit diuin, ne furent iamais dans ce paiTage. Vous adjoutez en fuitte que Tannerus déclare que c'efl: vne fimonie de droit pofitif. Vous vous trompez, mes Pères, il n'a pas dit cela généra- lement, mais fur des cas particuliers, in cafibus à iure expreffis, comme il le dit en cet endroit. En quoy il fait vne exception de ce qu'il auoit eftably en gênerai dans ce paffage, que ce n'efi pas fimonie en confcience; ce qui enferme que ce n'en eil pas auffi vne de droit pofitif, fi vous ne voulez faire Tannerus affez impie pour fouftenir qu'vne {îmonie de droit pofitif n'eft pas fimonie en confcience. Mais vous recherchez à deffein ces mots de droit diuin, droit pofitif, droit naturel, tribunal intérieur & extérieur, cas exprime^ dans le Droit, prefomption externe, & les autres qui font peu connus, afin d'èchaper fous cette obfcuritè, &

I. L'édition de 1659 ec toutes les éditions suivantes : Sur quoi vous n'êtes pas raifonnahles, mes pères.

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Douzième lettre. 20 =

de faire perdre la veuë de vos égaremens. * Vous n'écha- perez pas néanmoins, mes Pères, par ces vaines fubtilitez : car ie vous feray des queliions fi fimples qu'elles ne feront point fujettes au dijîingiio. - le vous demande donc, fans parler de droit pojitif ny de i-refomption de tribunal exté- rieur % fi vn bénéficier fera fimoniaque, félon vos Auteurs, en donnant vn bénéfice de quatre mille livres de rente, & receuant dix mille francs argent comptant, non pas comme prix du bénéfice, mais comme vn motif qui le porte à le donner. Refpondez-moy nettement, mes Pères : que faut-il conclure fur ce cas félon vos Auteurs? Tannerus ne dira-t'il pas formellement, Que ce nejl point fimonie en confcience, puifque le temporel n'ejl pas le prix du bénéfice, mais feulement le motif qui le fait donner? Valentia, vos Thefes de Caën, Sanchez & Efcobar ne decideront-ils pas de mefme, que ce nef pas fmonie par la mefme raifonr En faut-il dauantage poiu- excufer ce bénéficier de fimonie : & oferez-vous le traiter autrement ^ dans vos confefîionaux, quelque fentiment que vous en aiez par vous-mefmes; puifqu'il auroit droit de vous y obliger % ayant agy félon l'aduis de tant de Docteurs graues? Confeffez donc qu'vn tel bénéficier ell excufé de fimonie félon vous ; & défendez maintenant cette doctrine fi vous le pouuez.

Voila, mes Pères, comment il faut traiter les quertions pour les démefler; au lieu de les embrouiller ou par des termes d'Efcole, ou en changeant l'eltat de la queftion,

1. Une correction manuscrice de notre collection in-4° propose ici un alinéa qui n'a été adopté par aucun éditeur.

2. L'édition in-S» de 1659 et toutes les éditions suivantes placent ici un alinéa.

^. Les éditions postérieures à celles de 1657 et de 1659 : Sans parler de droit pofiTif ni de préfomprion externe ni de tribunal extérieur.

4. Une correction manuscrite de notre collection \n-j°, l'édition in-8'' de 1659 et toutes les éditions suivantes : Oferiei-vous le traiter de fimoniaque.

5. Les mêmes éditions : // auroit droit de vous fermer la bouche.

206 Lettres prouiiiciales.

comme vous faites dans voftre dernier reproche en cette forte. Tannerus, dites-vous, déclare au moins qifvn tel échange ell vn grand péché; & vous me reprochez d'auoir fupprimé malicieufement cette circonltance, qui le iujlife entièrement, à ce que vous prétendez. Mais vous auez tort, & en plufieurs manières. Car quand ce que vous dites feroit véritable % il ne s'agiffoit pas au lieu i'en parlois de fçauoir s'il y avoit en cela du péché, mais feulement s'il y auoit de la fnnonie. Or ce font deux queftions fort feparées : les péchez n'obligent qu'à fe confefî'er félon vos maximes; la fimonie oblige à reltituer, & il y a des perfonnes à qui cela paroiftroit affez différent. Car vous auez bien trouué des expediens pour rendre la confefîîon douce, au lieu que vous n'en auez point trouué potu* rendre la reftitution agréable. l'ay à vous dire de plus que le cas que Tannerus accufe de péché, n'eft pas amplement celuy l'on donne vn bien fpirituel pour vn temporel qui en efl le motif mefme principal; mais il ajoute encore, que Von prife le temporel plus que le fpirituel, ce qui eft ce cas imaginaire dont nous auons parlé. Et il ne fait pas mal de charger celuy-là de péché, puifqu'il faudroit eftre bien méchant ou bien ftupide, potu' ne vouloir pas éuiter vn péché par vn moyen aufîî facile qu'ell celuy de s'abftenir de comparer les prix de ces deux chofes, lors qu'il eft permis de donner IVne pour l'autre. Outre que Valentia examinant au lieu déjà cité, s'il y a du péché à donner vn bien fpirituel pour vn temporel qui en ell le motif % rapporte les raifons de ceux qui difent que oùy, en ajoutant : Sed hoc non videtur mihi fatis certum : Cela ne me paroi/1 pas cijfei certain.

1. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Serait vrai.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Mais vous n'en avej point trouvé.

3. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Qui en efi le motif principal ,

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Douzième lettre. 20-

Mais depuis voftre P. Erade Bille Profeffeiir des cas de confcience à Caën a décidé qu'il n'y a aucun péché ^ ; car les opinions probables vont toujours en meuri/Tant. C'eil ce qu'il déclare dans Tes écrits de 1644, contre lefquels AI. du Pré Docteur & ProfefTeur à Caën fît cette belle harangue imprimée, qui elt affez connue. Car quoy que ce P. Erade Bille reconnoifTe que la doctrine de Valen- tia fuiuie par le P. Milhard, & condamnée en Sorbonne, foit contraire au fentiment commun , fufpeâe de fimonie en plu- Jîeurs chofes, & punie en iujiice quand la pratique en ejt découuerte, il ne laifTe pas de dire que c'eft vne opinion probable, & par confequent feure en confcience ; & qu'il n'y a en cela ny fimonie ny péché. Cejt, dit-il, vne opinion probable & enfeignée par beaucoup de docteurs catholiques, qu'il n'j' a aucune fimonie ny avcvn péché à donner de l'argent ou vne autre chofe temporelle pour vn bénéfice, foit par forme de reconnoiffance, foit comme vn motif fans lequel on ne le donneroit pas; pourueu qu'on ne le donne pas comme vn prix égal au bénéfice. - C'eft tout ce qu'on peut defirer. Et lelon toutes ces maximes % vous voyez, mes Pères, que la fimonie fera fi -rare, qu'on en auroit exempté Simon mefme le magicien, qui voidoit acheter le Saint Efprit, en quoy il eft l'image des fnnoniaques qui achettent ; & Giezi, qui receut de l'argent pour vn miracle, en quoy il eft la figure des fimoniaques qui vendent. Car il ell fans doute, que quand Simon dans les Actes offj^it de l'argent aux Apo/lres pour auoir leur puUfance, il ne fe feruit ny des termes d'acheter, ny de vendre, ny de prix, & qu'il ne fit autre chofe que

1. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Qu'il n'y a en cela aucun péché.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa qui n'a été adopté par aucun éditeur.

3- Le même correcteur propose de dire : C'ej} tout ce qu'on peut déjirer; et félon toutes ces maximes... Cette manière de ponctuer les dcu.K phrases de Pascal n'a été adoptée par aucun éditeur.

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208

LetU^es prouinciaîes.

d'offrir de l'argent comme vn motif pour fe faire donner ce bien fpirituel. Ce qui eftant exempt de fimonie, félon vos Authem-s, il fe fuft bien garanti de l'anatheme de Saint Pierre, s'il eiift fceu leurs maximes ^ Et cette ignorance fit aufîi grand tort à Giezi quand il fut frappé de la lèpre par Elifée : car n'ayant receu l'argent de ce prince guery mira- culeufement, que comme vne reconnoiffance, & non pas comme vn prix égal à la vertu diuine qui auoit opéré ce miracle, il euft obligé Elifée à le guérir fur peine de péché mortel, puifqu'il auroit agi félon tant de docteurs graues, & que vos Confeffeurs font obligez d'abfoudre leurs penitens en pareil cas % & de les lauer de la lèpre fpirituelle, dont la corporelle n'efl que la figure.

Tout de bon, mes Pères, il feroit aifé'de vous tourner deffus en ridicules' : ie ne fçay pourquoy vous vous y expofez. Car ie n'aurois qu'à rapporter vos autres maximes, comme celle-cy d'Efcobar dans la pratique de la Jimonie félon la Société de lefiis "" : EJl-ce fimonie, lorfque deux Reli- gieux s'engag-ent Vvn à Vautre en cette forte : Donnei-moj' j'ojire voix pour me faire élire Prouincial, & ie vous donneray la mienne pour vous faire Prieur? Nullement. Et cet autre ^ : Ce n'efl pas Jimonie de fe faire donner vn bénéfice en promettant de l'argent, quand on n'a pas dejjein de paj^er en effet, parce que ce n'efl qu'vne fimonie feinte, qui n'efl non plus veri-

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-8» de 1659 et par toutes les éditions suivantes : S'il eût été irijhuit de vos maximes.

2. Les mêmes éditions : Et qu'en pareils cas vos confejfeurs font obligés d'abfoudre leurs pénitents.

3. Les éditeurs modernes écrivent : En ridicule.

4. Une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in -8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes, ajoute : N. fo. Quelques éditions postérieures : Tr. VI. ex. 2. n. ^^.

5. Les mêmes éditions ajoutent: N. z-f. Quelques éditions postérieures: Tr. VI. ex. 2, n. 14.

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Doiiiiéjiie lettre. 209

table \ que du faux or nejf pas du j>eri table or-. C'eft par cette fiibtilité de confcience qu'il a trouué le moyen, en ajoiif- tant la fourbe à la fîmonie, de faire auoir des bénéfices fans argent & fans fimonie. Mais ie n'ay pas le loifir d'en dire dauantage : car il faut que ie penfe à me deffendre contre voftre troifîéme calomnie fur le fujet des banqueroutiers. Pour celle-cy, mes Pères, il n'y a rien de plus g-roffier. Vous me traitez d'impoiteur fur le fujet dVn fentiment de Leflius, que ie n'ay point cité de moy-mefme, mais qui fe trouue allégué par Efcobar dans vn paffage que i'en rap- porte : & ainfî, quand il feroit véritable '' que Lefîius ne feroit pas de l'auis qifEfcobar luy attribue, qu'y a-t'il de plus injufte que de s'en prendre à moy? Quand ie cite Leffius & vos autres Auteurs de moy-mefme, ie confens d'en répondre. Mais comme Efcobar a ramaffé les opinions de 24 de vos Pères, ie vous demande fi ie dois eilre guarant d'autre chofe que de ce que ie cite de luy, & s'il faut outre cela que ie réponde des citations qu'il fait luy-mefme dans les paffages que i'en ay pris? Cela ne feroit pas raifonnable. Or c'ell de quoy il s'agit en cet endroit. I-'ay rapporté dans ma Lettre ce paffage d'Efcobar ', traduit fort fidèlement, & fur lequel auffi vous ne dites rien : Celuv qui fait banque- route peut-il en feureté de confeience retenir de fes biens autant qu'il ejî neceffaire pour viure avec honneur, ne indecorè viuat? Ie respons que ovy avec Lessius, cvm Lessio assero POSSE, &c. Sur cela vous me dites que Lefîius n'efi: pas de ce fentiment. Mais penfez vn peu vous vous engagez. Car s'il efl vray qu'il en eft, on vous appellera impofteurs,

1. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes: Qui n'ejl non plus vraie.

2. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Que du faux or n'ej} pas du vrai or.

3. Les mêmes éditions : Quand il feroit vrai.

4. Quelques éditions postérieures à celles de 1657 et de 1659 ajoutent : T. m. ex. 2. n. z<î"j.

2IO Lettres proiiinciales.

d'auoir afTuré le contraire ; & s'il n'en eft pas, Efcobar fera l'impolleur : de forte qu'il faut maintenant par neceffité que quelqu'un de la Société foit conuaincu d'impofture. Voyez vn peu quel fcandale ! Auïïi vous ne fçauez pas * preuoir la fuite des chofes. Il- vous femble qu'il n'y a qu'à dire des injiu-es au monde - , fans penfer fur qui elles retombent. Que ne faifiez-vous fcauoir voftre difficulté à Efcobar, auant que de la publier? il vous euft fatisfait. Il n'efl pas fi mal aifé d'auoir des nouuelles de Vailladolid, il efl en parfaite fanté, & il acheue fa grande Théologie morale en fix volumes, fur les premiers defquels ie vous pourray dire vn iour quelque chofe. On luy a enuoyé les dix premières Lettres : vous poimiez auffi luy envoyer voftre objection 5 & ie m'aifure qu'il y euft bien refpondu; car il a veu fans doute dans Leffius ce paffage, d'où il a pris le Ne indecorè viiiat. Lifez le bien, mes Pères, & vous l'y trouuerez comme moy lib. 2, c. 16, n. 45. Idem colligitin^ apertè ex iuribiis citaiis, maxime qiioad ea boiia quœ pojî cejfionem acqiii- rit, de quibus is qui debitor ejî etiam ex deliâo, potejt retinere quantum neceffarium eft, vt pro fuâ conditione non indecorè VIVAT. Petes, an leges id permittant de bonis, quœ tempore injîantis cejjfionis habebat? Ita jndetur colligi ex DD. &c.

le ne m'arrefteray pas à vous monftrer que Leffius poiu* autorifer cette maxime abiife de la loy, qui n'accorde que le fîmple viure aux banqueroutiers, & non pas de quoy fubfifter auec honneur : il fuffit d'auoir iultifié Efcobar contre vne telle accufation. C'eft plus que ie ne deuois faire. Mais vous, mes Pères, vous ne faites pas ce que vous deuez : car il eft queftion de répondre au paffage d'Efcobar, dont les decifîons font commodes en ce qu'eftant indepen-

1. Le mot/n7j- a disparu dans l'édition in-8° de 1659 et dans toutes les éditions suivantes.

2. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : // vous femble qu'il ny a quà dire des injures aux perfonnes.

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Douiicmc lettre. 2ii

dantes du deuant & de la fiiitte, & toutes renfermées en de petits articles, elles ne font pas fujettes à vos diftinctions. le vous ay cité fon pafTag-e entier, qui permet à ceux qui font cejjîon de retenir de leurs biens, quoy qu'acquis injuftement , pour faire fubfijler leur famille auec honneur. Surquoy ie me fuis écrié dans mes Lettres : Comment, mes Pères, par quelle ejlrange charité i'oule--i^ous que les biens appartiennent plûtofl à ceux qui les ont mal acquis qu'aux créanciers légitimes? C'eft à quoy il faut répondre; mais c'eft ce qui vous met dans vn fafcheux embarras, que vous effayez en vain d'éluder en détournant la queftion, & citant d'autres pafTages de Lefîius defquels il ne s'agit point. Je vous demande donc fi cette maxime d'Efcobar peut eftre fuiuie en confcience par ceux qui font banqueroute; & prenez garde à ce que vous direz. Car {\ vous répondez que non, que deviendra voilre Docteur & vollre doctrine de la probabilité? & fi vous dites que oûy, ie vous renuoye au Parlement.

le vous laiife dans cette peine, mes Pères, car ie n'ay plus icy de place pour entreprendre l'impoflure fuiuante fur le paffage de Leffius touchant l'homicide ; ce fera pour la première fois, & le refte enfuite.

le ne vous diray rien cependant fur les Auertiffemens pleins de fauffetez fcandaleufes par vous iiniffez chaque impoftiu-e : ie repartiray à tout cela dans la Lettre i'efpere monftrer la fource de vos calomnies. le vous plains, mes Pères, d'auoir recours à de tels remèdes. Les injures que vous me dites n'éclairciront pas nos difFerens, & les menaces que vous me faites en tant de façons ne m'empef- cheront pas de me défendre. Vous croyez auoir la force 8c l'impunité : mais ie croy auoir la vérité & l'innocence. C ell vne ellrange & longue guerre que celle la violence effaye d'opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuuent affoiblir la vérité, &. ne feruent qu'à la releuer dauantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuuent rien pour arrefter la violence, &: ne font que l'irriter encore phis.

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212 Lettres proiiinciales.

Quand la force combat la force, la plus puiffante dellruit la moindre 5 quand l'on oppofe les difcours aux difcours, ceux qui font véritables & conuainquans confondent & difîipent ceux qui n'ont que la vanité & le menfonge : mais la vio- lence & la vérité ne peuuent rien l'vne fur l'autre. Qu'on ne prétende pas de néanmoins que les chofes foient égales : car il y a cette extrême différence, que la violence n'a qu'vn cours borné par l'ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu'elle attaque ; au lieu que la vérité ilibfille éternellement, & triomphe enfin de fes ennemis, parce qu'elle eft éternelle & puiffante comme Dieu mefme (a).

(a ) La défense de la la*^ Provinciale, qui a été insérée dans toutes les éditions, excepté peut-être dans une édition in-i8 portant le millésinne de 1754, mais n'ayant d'ailleurs aucune valeur bibliographique, n'est pas de Pascal. Aussi n'avons-nous pas cru devoir la reproduire, quoiqu'elle fasse partie de notre collection in-4". Nicole, dans sa version latine, n'hésite pas à reconnaître que ce morceau n'est pas de Pascal. 11 fait précéder la traduc- tion qu'il en donne en note d'un court avertissement qui commence ainsi : Sequens epistoLi, ah ignoto scriptore in vuïgus emissa, est inter epistolas 12 et 15...

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TREIZIEME LETTRE

ESCRITE PAR L'AVTHEVR DES LETTRES AV PROVINCIAL

AVX REVERENDS PERES lESVITES'.

Du 30 Septembre 1656. Mes REVERENDS PERES,

le viens de voir voftre dernier écrit, vous continuez vos impoftures iufqu'à la ving-tiéme, en déclarant que vous iîniffez par cette forte d'accufation qui faifoit voftre pre- mière partie, pour en venir à la féconde^ vous deuez prendre vne nouuelle manière de vous defFendre, en monltrant qu'il y a bien d'autres Cafuilles que les vollres qui font dans le relâchement auffi bien que vous, le voy donc maintenant, mes Pères, à combien d'impoftiu-es i'ay à reipondre : & puifque la quatrième nous en ibmmes demeurez, eft fur le fujet de l'homicide, il fera à propos en y répondant de fatisfaire en mefme temps aux 11, 13, 14, 15, 16, 17 & 18 ", qui font fur le mefme fujet.

le iullifieray donc dans cette lettre la vérité de mes citations contre les fauffetez que vous m'inipofez. Mais

1. L'édition in-8" de 1659 et la plupart des éditions modernes: Treiiièmc lettre aux révérends pères Jcfuitcs.

2. L'édition in-8" de 1659 : A la 11. ij. i^. r^. i6. z/ et iS. faute d'impression évidente qui n'a été reproduite que par un petit nombre d'éditions postérieures.

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214 Lettres prouinciales.

parce que vous auez ofé auancer dans vos écrits que les sen- timeiis de vos Auteurs fur le meurtre font conformes aux deci- fons des Papes & des lois ecclefiaJUques, vous m'obligerez à renuerler ^ dans ma lettre fuiuante vne propofition fi témé- raire & fi jinjurieufe à l'Eglise. 11 importe de faire voir qu'elle eft pure de vos corruptions-, afin que les hérétiques ne puifTent pas le preualoir de vos égaremens pour en tirer des confequences qui la deshonorent. Et ainfi en voyant d'vne part vos pernicieufes maximes, & de l'autre les Canons de l'Eglife qui les ont toujours condamnées, on trouuera tout enfemble & ce qu'on doit éuiter & ce qu'on doit fuiure.

Voftre quatrième impofture eft fur vne maxime tou- chant le meurtre, que vous prétendez que i ay faufTement attribuée à Leffius. C'eft celle-cy : Celuj qui a receii vu fou fflet peut pourfuiure à l'heure mefme fou enuemj-, & mefme à coups d'efpée, non pas pour fe ranger, mais pour repay^er fou honneur. Surquoy vous dites que cette opinion eft du Caiuille Victoria. Et ce n'eft pas encore le fujet de la dif- pute ^ Car il n'y a point de répugnance à dire qu'elle foit tout enfemble de Victoria & de Leffius, puifque Leffius dit luy-mefme qu'elle eft auffi de Nauarre & de voftre Père Henriquez, qui enfeignent. Que celuv qui a receii ini foufflei peut à l'heure mefme pourfuiure fon homme, & luy donner autant de coups qu'il ingéra neceffaire pour reparer fon hon- neur. Il eft donc feulement queftion de fçauoir fi Leffius ell auffi ^ du fentiment de ces Auteurs, auffi bien que fon Confrère. Et c'eft pourquoy vous ajoutez : Que Leffius ne raporte cette opinion que pour la réfuter , & qu'ainfi ie luy attri-

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-S" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : A détruire.

2. Les mêmes éditions : Qu'elle eft exempte de vos corruptions.

3. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Et ce n'eft pas encore le fujet de la difpute.

4. Les mêmes éditions retranchent le mot auftï.

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Treizième lettre. 215

biië vu fentiment qu'il n'allègue que pour le combattre, qui ejt l'aâion du monde la plus lafche & la plus honteufe à vu Efcri- vain. Et* ie Ibuftiens, mes Pères, qu'il ne la raporte que pour la fuiure. C'eft vne queftion de fait qu'il fera bien facile de décider. Voyons donc comment vous prouuez ce que vous dites ; & vous verrez enfuite comment ie prouue ce que ie dis.

Pour monllrer que Leffius n'eft pas de ce fentiment, vous dites qu'il en condamne la pratique. Et poiu- prouuer cela, vous rapportez vn de fes passages liu. 2, c. 9, n. 82, il dit ces mots : l'en condamne la pratique, le demeure d'accord que, fi on cherche ces paroles dans Leffius au nombre 82 vous les citez, on les y trouuera. Mais que dira-t'on, mes Pères, quand on verra en mefme temps qu'il traite en cet endroit d'vne queftion toute différente de celle dont nous parlons, & que l'opinion dont il dit en ce lieu qu'il en condamne la pratique, n'eft en aucime forte celle dont il s'agit icy, mais vne autre toute feparée? Cependant il ne faut pour en eftre éclaircy qif ouurir le liure au lieu mefme vous renuoyez". Car on y trouuera toute la fuite de fon difcours en cette manière.

11 traite la queftion, fçauoir Ji on peut tuer pour m fouf- flet au n. 79 & il la finit au nombre 80, fans qu'il y ait en tout cela vn seul mot de condamnation. Cette quellion efiant terminée, il en commence vne nouvelle en l'ar- ticle Qi, fçauoir Ji on peut tuer pour des medifances. Et c'ell fur celle qu'il dit au n. 82 ces paroles que vous auez citées : l'en condamne la pratique.

N'eft-ce donc pas vne chofe honteufe, mes Pères, qiie vous ofiez produire ces paroles, pour faire croire que Leffius condamne l'opinion qifon peut tuer poiu* vn foufîlet? Et

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes substituent au mot et le mot or.

2. Les mêmes éditions : Le livre nu' me vous r^moyei.

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2i6 Lettres proiiinciales.

que n'en ayant rapporté en tout que cette feule preiuie, vous triomphiez deffus en difant comme vous faites : Pliifieiirs perfouues d'honneur dans Paris ont déjà reconnu cette infigne faujjeté par la leâure de LeJ/ius, & ont apris par quelle créance on doit auoir à ce calomniateur. Quoy, mes Pères! eft-ce ainfi que vous abufez de la créance que ces perfonnes d'honneur ont en vous? Pour leur faire entendre que Leffius n'eft pas d'vn fentiment, vous leur ouurez fon liure en vn endroit il en condamne vn autre. Et comme ces perfonnes n'entrent pas en défiance de voftre bonne foy, & ne penfent pas à examiner s'il s'agit en ce heu de la queftion conteftée, vous trompez ainfi leur creduhté. le m'affure, mes Pères, que pour vous guarantir d'vn fi hon- teux menfong-e vous auez eu recours à voftre doctrine des equiuoques, & que lifant ce paffage tout haut, vous difiez tout bas, qu'il s'y agiifoit d'vne autre matière. Mais ie ne fçay {\ cette raifon qui fuffit bien pour fatisfaire voftre con- fcience, fufHra pour fatisfaire la iulle plainte que vous feront ces gens d'honneur, quand ils verront que vous les auez ioliez de cette forte.

Empefchez-les donc bien, mes Pères, de voir mes lettres, ptiifque c'efl: le feul moyen qui vous refte pour con- feruer encore quelque temps voftre crédit. le n'en vfe pas ainfî des voftres. l'en eniioye à tous mes amis : ie fouhaite que tout le monde les voye. Et ie croy que nous aiions tous raifon. Car eniîn après auoir publié cette quatrième impof- ture auec tant d'éclat, vous voilà décriez fi on vient à fçauoir que vous y auez fuppofé vn paffage poiu- vn autre. On iugera facilement, que fi vous enfliez trouué ce que vous demandiez au lieu mefme Leiîius traitoit ^ cette matière, vous ne l'eufîîez pas efté chercher ailleurs; & que vous n'y auez eii recours que parce que vous n'y voiyez

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4'', adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Traite.

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Tî^e interne lettre.

217

rien qui furt faiiorable à voilre de/Tein. Vous vouliez faire

trouuer dans Leffius ce que vous dites dans voftre impofture

pag. 10, lig-ne 12, qu'il n'accorde pas que cette opiniou foit

probable dans la Spéculation : & Leffius dit expreffément en fa

conclufion n. 80 : Cette opinion qu'on peut tuer pour vn

Soufflet receu, e^ probable dans la Spéculation. N'eft-ce pas

mot à mot le contraire de voftre difcours? Et qui peut affiez

admirer auec quelle hardie/Te vous produirez en propres

termes le contraire dVne vérité de fait? De forte qu'au lieu

que vous concluye^ de voftre paffiige fuppofé, que Leffius

n'elloit pas de ce fentiment, il fe conclut fort bien de fon

véritable paffiige qu'il eft de ce mefme fentiment.

Vous vouliez encore faire dire à Leffius, qu'il eu con- damne la pratique. Et comme ie l'ay déjà dit, il ne fe trouue pas vne feule parole de condamnation en ce lieu là; mais il parle ainfi : Il Semble qu'on n'en doit pas facilement per- mettre la pratique : In praxi non videtur facile permit- TENDA. Eft-ce le langage dVn homme qui condamne vne maxime*? Diriez-vous, mes Pères % qu'il ne faut pas permettre Sacilement dans la pratiqua les adultères ou les inceites? Ne doit-on pas conclure au contraire, puifque Leffius ne dit autre chofe, finon que la pratique n'en doit pas eftre facilement permife, que la pratique mefme en peut eftre quelquefois permise, quoyque rarement ^> Et comme s'il eull voulu apprendre à tout le monde quand on la doit permettre, & oller aux perfonnes offen-

1. - L'édition m-80 de 1659 et toutes les éditions suivantes E^l-ce la, mes Percs, le langage d'un homme qrn condamne une maxnnc dans la pratique?

2. Les mêmes éditions suppriment ici les mots : Mes Pères.

3. Une correction manuscrite de notre collection in-40, adoptée par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Ne doit-on pas conclure au contraire que, puifque Leffius ne dit autre choje. finon que la pia- tiquenen doit pas être facilement permifejon fentiment ejî que cette pratique peut être quelquefois permife. quoique raremcm?

218 Lettres prouinciales.

fées les fcrupules qui les pourroient troubler mal à pro- pos, ne fçachant en quelles occafions il leur efl permis de tuer dans la pratique, il a eu foin de leur marquer ce qu'ils doiuent éuiter pour pratiquer cette doctrine en confcience. Efcovitez-le, mes Pères : Il femble, dit-il, qu'on ne doit pas le permettre facilement, a cavse du danger qu'il j- a qu'on agijje en cela par haine ou par vangeance ou auec excès, ou que cela ne caufajî trop de meurtres. De forte qu'il eft clair que ce meurtre reftera tout à fait permis dans la pratique félon Lefîîus, {\ on éuite ces inconueniens, c'eft à dire fi l'on peut agir fans haine, fans vangeance & dans des circonftances qui n'attirent pas beaucoup de meurtres. ^ En voulez-vous vn exemple, mes Pères? En voicy vn affez nouueau. C'eft celuy du foufîlet de Compiegne. Car vous allouerez que celuy qui Ta receu a témoigné par la manière dont il s'eft conduit, qu'il eftoit affez maiftre des mouiie- mens de haine & de vangeance. Il ne luy reftoit donc qifà éuiter vn trop grand nombre de meurtres : & vous fçauez, mes Pères, qu'il eft fi rare que des lefuites donnent des foufîlets aux Officiers de la maifon du Roy, qifil n'y auoit pas à craindre qu'vn meiu'tre en cette occafion en euft tiré beaucoup d'autres en confequence. Et ainfi vous ne fcau- riez nier que ce lefuite ne fufl: tuable en feureté de con- fcience, & que l'ofFenfé ne peiift en cette rencontre pra- tiquer en fon endroit ^ la doctrine de Leffius. Et peut- eftre, mes Pères, qu'il l'euft fait s'il eufl efté inftruit dans voftre efcole, & s'il euft appris d'Efcobar, qu'vn homme qui a receu vn foufflet eft réputé fans honneur iufqu'à ce qu'il ait tué celuj' qui le luj a donné. Mais vous auez

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4" indique ici un alinéa qui n'a été adopté par aucun éditeur.

2. Une correction manuscrite de notre collection in -4" adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Envers lui.

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Trei-icme lettre. 219

fujet de croire que les inftructions fort contraires qu'il a receuës d'vn Curé que vous n'aimez pas trop, n'ont pas peu contribué en cette occafion à fauuer la vie à vn leiiiite.

Ne nous parlez donc plus de ces inconueniens qu'on peut éuiter en tant de rencontres, & hors lefquels le meurtre eft permis félon Leffius dans la pratique mefme \ C'eft ce qu'ont bien reconnu vos Auteurs citez par Efcobar dans \2i pratique de l'homicide félon vojlre Société-. EJl-il pej^- mis, dit-il, de tuer celiij qui a donne' vn foufflet? LeJJius dit que cela ejl permis dans la fpeculation, mais qu'on ne le doit pas confeiller dans la pratique, non confulendum in praxi, à caufe du danger de la haine ou des meurtres nuifibles à l'EJlat qui en pourroient arriuer. Mais les avtres ont ivgé

qu'en EVITANT CES INCONVENIENS CELA EST PERMIS ET

SEVR DANS LA VKXTiQ^Y'E , lu praxi probabUcm & tutam iudi- caruut Henrique^, &c. Voilà comment les opinions s'éleuent peu à peu iufqu'au comble de la probabilité. Car vous y auez porté celle-cy en la permettant enfin fans aucune diftinction de fpeculation ny de pratique-, en ces termes : // ejt permis lors qu'on a receu vn foujfflet de donner incontinent un coup d'efp<k', non pas pour fe vanger, mais pour couferuer fou honneur. C'ell ce qu'ont enfeigné vos Pères à Caën en 1644, dans leurs écrits publics, que l'Vniveriité produifit au Parlement, dans fa troifîéme requelle contre voftre doctrine de l'homicide, p. 339 ''.

Remarquez donc, mes Pères, que vos propres Auteurs ruinent d'eux-mefmes cette vaine diftinction de fpeculation

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4° : Le meurtre eft permis Jeton LeJJïiis mefme dans la pratique, correction qui n'a été adoptée par aucun éditeur.

2. Quelques éditions modernes postérieures à celles de 1657 et de 1659 ajoutent : Tr. I. ex. j . n. ^S.

3- Une correction manuscrite de notre collection in-4'' adoptée par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Qiic VUnivcrfitc pro-

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220 Lettres proiiinciales.

& de pratique que rVniverfité auoit traitée de ridicule, & dont l'inuention eft vn fecret de voftre politique qu'il efl bon de faire entendre. Car outre que Tintellig-ence en eft neceffaire poiu- les 15% 16% 17*^ & 18" impoftures, il eft tou- jours à propos de découurir peu à peu les principes de cette politique myfterieufe.

Quand vous auez entrepris de décider les cas de con- fcience d'vne manière fauorable & accommodante, vous en auez trouué la Religion feule eftoit intereffée, comme les quellions de la contrition, de la pénitence, de l'amour de Dieu & toutes celles qui ne touchent que l'intérieur des confciences. Mais vous en auez rencontré d'autres % l'Eftat a intereft aufîi bien que la Religion, comme font celle de l'vfure, des banqueroutes, de l'homicide & autres femblables. Et - c'ell vne chofe bien fenfible à ceux qui ont vn véritable amour pour l'Eglife, de voir qu'en vne infinité d'occafions vous n'auez eu que la Religion à combattre, comme ce n'eft pas icy le lieu Dieu exerce vifiblement fa iuftice % vous en auez renuerfé les loix fans aucune crainte, fans referue & fans diftinction % comme il fe voit dans vos

duifn au Parlement lorf qu'elle y pré/enta fa troifièine requête contre votre doélrine de l'homicide, comme il fe voit en la page jjr) du livre qu'elle en fit alors imprimer.

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4° adoptée par l'édition in-S" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Fous en avej trouvé d'autres. Cette correction a substitué en outre au mot mais qui com- mence la phrase le mot et. ce que n'ont fait ni l'édition inTS" de 1659 ni les éditions suivantes. On avait même ajouté sur notre exemplaire le mot aussy. après vous en avej; mais on a effacé cette dernière correction.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4*', qui n'a été adoptée par aucun éditeur, substitue au mot et le mot or.

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4*', adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes, supprime, pour les rétablir plus loin, les mots : Comme ce n'efi pas icy le lieu Dieu exerce vifiblement fa luflice.

4. Les mêmes éditeurs : Sans réferve , fans diflinction et fans crainte.

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Trei:^icmc lettre. 221

opinions fi hardies contre la pénitence & Tamoiir de Dieu \ Mais dans celles la Religion &. l'Eftat ont part, vous auez partagé vos décidons, & formé deux queftions fur ces matières : Fvne- que vous appeliez de fpeculation, dans laquelle en confiderant ces crimes en eux-mefmes fans regarder à rinterefl de l'Eftat, mais feulement à la loy de Dieu qui les deffend, vous les auez permis fans hefiter, en renuerfant ainfî la loy de Dieu qui les condamne : l'autre que vous appeliez de pratique , dans laquelle en confiderant le dommage que l'Eftat en receuroit, &la prefence ^ des Magiftrats qui main- tiennent la feûreté publique, vous n'approuuez pas toujours dans la pratique ces meurtres & ces crimes que vous trouuez permis dans la fpeculation, pour* vous mettre par à couuert du cofté des luges. C'eft ainfi par exemple que fur cette queflion, s'il eft permis de tuer pour des médi- fances, vos Auteurs Filiutius tr. 29, c. 3, n. 52, Regi- naldus 1. 21, c. 5, n. 63, & les autres répondent : Cela eft permis dans la fpeculation. Ex probabili opinione licet ; mais ie n'en approuue pas la pratique à caufe du grand nombre de meurtries qui en arriueroient & qui feroient tort à l'Eftat fi on tuoit tous les médifans; & quauftï on feroit punv en iuftice en tuant pour ce sujet. "Voilà de quelle forte vos opinions com-

1,2. Une correccion manuscrite de notre collection in-4° adoptée par l'édition in-8° et par toutes les éditions suivantes : L'amour de Dieu, parce que vous sai'iej que ce n'ejl pas ici le lieu Dieu exerce viftblcment fa jujhce. Mais dans celles l'Etat ejl intérejfé auffi. bien que la religion, l'appréhenfion que vous avei eue de la jujiice des hommes, vous a fait partager vos déci fions et former deux quejh'ons fur ces matières : l'une... C'est cette dernière leçon, se trouvent réunis les deux alinéas, que ÎNicole a traduite dans sa version latine.

3. Sur notre exemplaire in-4'' on a d'abord remplacé le mot prefence par le mot vigilance; puis on a rétabli la leçon primitive.

4. Une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes, ajin de...

5. Une correction manuscrite de notre collection in-4>' indique ici un alinéa qui n'a été adopté par aucun éditeur.

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222

Lettres prouinciales.

mencent à paroiftre fous cette diftinction, par le moyen de laquelle vous ne ruinez que la Religion, fans bleffer encore fenfiblement FEflat ^ Par vous croyez eftre en affiu-ance. Car vous vous imaginez que le crédit que vous auez dans l'Eglife empefchera qifon ne punisse vos attentats contre la vérité, & que les précautions que vous apportez pour ne mettre pas facilement ces permiffions en pratique, vous mettront à couuert de la part des Magiftrats, qui n'eflant pas iuges des cas de confcience, n'ont proprement intereft qu'à la pratique exterieiu-e. Ainfî vne opinion qui feroit condamnée fous le nom de pratique, fe produit en feureté fous le nom de fpecidation. Mais cette bafe eftant affermie, il n'eft pas difficile d'y éleuer le refte de vos maximes. 11 y auoit vne diftance infinie entre la defenfe que Dieu a faite de tuer, & la permifîion fpeculatiue que vos Auteurs en ont donnée. Mais la diftance eft bien petite - de cette permifîion à la pratique. 11 ne refte feulement qu'à monftrer que ce qui eft permis dans la fpeculatiue, l'eft bien aufîî dans la pratique. On ^ ne manquera pas de raifons pour cela. Vous en auez bien troimé en des cas plus difficiles. ^ Voulez-vous voir, mes Pères, par l'on y arriue? Suiuez ce raifonne- ment d'Efcobar qui l'a décidé netement dans le premier des fix tomes de fa grande Théologie Morale, dont ie vous ay parlé, il eft tout autrement éclairé que dans ce recueil qu'il avoit fait de vos 24 Vieillards. Car au lieu qu'il auoit penfé en ce temps qifil pouuoit y aiioir des opinions probables dans la Ipeculation, qui ne fuffent pas feiires dans

1. Une correccion manuscrice de notre colleccion in-4'' propose une variante qui n'a été adoptée par aucun éditeur : Et ne blejfés pas encore fenfiblement î'Ejîar.

2. Une autre correction manuscrite de notre collection in-4", c|ui n'a été adoptée par aucun éditeur : Alais il n'y a guère de diftance.

3. L'édition in-8° de 1659 et quelques éditions modernes : Or on.

4. Sur notre exemplaire in-4" on propose ici un alinéa qu'aucun éditeur n'a admis.

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I Trci-iemc lettre. 22?

la pratique, il a connu le contraire depuis, & l'a fort bien étably dans ce dernier oiuirage ; tant la doctrine de la proba- bilité en gênerai reçoit d'accroifTement par le temps, auffi bien que chaque opinion probable en particulier. Efcoutez-le donc, in pr^loq. n. 15 : le ne voj' pas, dit-il, comment il fe pour- voit faire que ce qui paroijl permis dans la fpeculation, ne lefujt pas dans la pratique; puif que ce qu'on peut faire dans la pratique, dépend de ce qu'on trouue peignis dans la fpeculation, & que ces chofes ne différent Vvne de l'autre que comme l'effet de la caufe. Car la fpeculation ejl ce qui détermine à l'action. D'ov IL s'ensvit qu'on pevt en sevreté de con- science SVIVRE DANS LA PRATIQVE LES OPINIONS PRO- BABLES DANS LA specvlation; & mcfme avec plus de feiireté que celles qu'on n'a pasfi bien examinées fpeculatiuement . En vérité, mes Peres, voftre Efcobar raifonne affez bien quelquefois. Et en effet il y a tant de liaifon entre la fpeculation & la pratique, que quand l'vne a pris racine, VOUS ne faites plus difficidté de permettre l'autre fans dégui- fement. C'ell ce qu'on a veû dans la permiffion de mer pour vn foufflet, qui de la fimple fpeculation a efté poi-tée hardi- ment par Leffius à vne pratique qu'on ne doit pas facilement accorder; & de par Efcobar à vne pratique facile ; d'où vos Peres de Caën l'ont conduite à vne permiffion pleine, fans dif- tinction de théorie & de pratique, comme vous lauez déjà veù. C'ell: ainfi que vous faites croiilre peu à peu vos opi- nions. Si elles paroiffoient tout d\ n coup dans leur dernier excès, elles cauferoient de l'horreur: mais ce progrès lent & infenfible y accouftume doucement les hommes, & en olle le fcandale. Et par ce moyen la permiffion de tuer fi odieufe à l'Ellat & à l'Eglife, s'introduit premièrement dans l'Eglife, & enfuite de l'Eglife dans l'Eftat.

On a veû vn femblable fuccés de l'opinion de tuer pour des médïfances. Car elle eft aujourd'huy arriuée à vne per- miffion pareille fans aucune dillinction. le ne m'arrellerois pas à vous en rapporter les paffiages de vos Peres, fi cela

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224 Lettres prouinciales.

n'eftoit neceffaire pour confondre raffurance que vous auez eue de dire deux fois dans vôtre 15" impofture p. 26 & 30 : Qii'il n'j' a pas ini lefuite qui permette de tuer pour des médifances. Quand vous dites cela, mes Peres/vous deuriez auffi empefcher que ie ne le viffe, puifqu'il m'eft fi facile d'y répondre. Car outre que vos Pères Reginaldus, Filiutius, &c., l'ont permis dans la fpeculation, comme ie l'ay déjà dit, & que de le principe d'Efcobar nous mène feûrement à la pratique, i'ay à vous dire de plus que vous auez plufieurs Auteurs qui l'ont permis en mots propres, & entr'autres le P. Hereau dans fes Leçons publiques, enfuite defquelles le Roy le fit mettre en arrell en voftre maifon, pour auoir enfeigné outre plufieurs erreurs. Que quand celuy qui nous décrie deuant des gens d'honneur, continiie après V auoir auerti de cejfer, il nous eft permis de le tuer, non pas en public de peur de /caudale ^ , mais en cachette, sed clam.

le vous ay déjà parlé du P. l'Amy, & vous n'ignorez pas que fa doctrine fur ce fujet a eûé cenfurée en 1649 P'^^* rVniuerfîté de Louuain. Et néanmoins il n'y a pas encore deux mois que voftre Père des Bois a foutenu à Rouen cette doctrine cenfurée du P. l'Amy, & a enCeïgné : Qu'il eft per- mis à vu Religieux de deffendre V honneur qu'il a acquis par fa vertu, mefme en tuant celuy qui attaque fa réputation, etiam cum morte inuaforis. Ce qui a caufé vn tel fcandale en cette ville là, que tous les Curez fe font vnis pour luy faire impofer filence, &. l'obliger à retracter fa doctrine par les voyes Canoniques. L'affaire en efl à l'Officialité.

Que voulez- vous donc dire, mes Pères? Comment entreprenez-vous de foùtenir après cela qu'aucun lefuite neft d'auis qu'on puiffe tuer pour des médifances? Et falloit-il autre chofe pour vous en conuaincre que les opinions mefmes de vos Pères que vous rapportez; puifqu'ils ne

I. L'édicion in-8'' de 1659 et plusieurs éditeurs modernes : Non pas véritablement en public de peur de scandale. Nicole : Non apertè occidcndus.

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Trei-iéme lettre. 225

défendent pas fpeculatiuement de tuer, mais feulement dans la pratique, à caiife du mal qui eu arriueroit à VEftat? Car ie vous demande fur cela, mes Pères, s'il s'ao-it dans nos difputes d'autre chofe, fmon d'examiner fi vous auez renuerfé la loy de Dieu qui défend l'homicide. Il n'eft pas queftion de fçauoir fi vous auez bleffé l'Eftat, mais la religion. A quoy fert-il donc dans ce genre de difpute de monftrer que vous auez épargné l'Eftat, quand vous faites voir en mefme temps que vous auez delîruit la Religion, en difant comme vous faites p. 28, 1. 3 : Que le feus de Regiualdus fur la quejliou de tuer pour des médifauces, ejî qu'vn particulier a droit d'vfer de cette forte de defenfe, la confideraut fimplemeut eu elle-mefme? le n'en veux pas dauantage que cet aueû pour vous confondre. Vu particulier, dites-vous, a droit d'vfer de cette defeufe, c'ell à dire de tuer pour des médifances, eu coufideraut la chofe en elle-mefme. Et par confequent, mes Pères, la loy de Dieu qui défend de tuer eft ruinée par cette decifion.

Et il ne fert de rien de dire enfuite, comme vous faites, Que cela eft illégitime & criminel, mefme félon la Lov de Dieu, à raifon des meurtres & des defordres qui en arriueroient dans l'Eftat, & qu'on efi obligé félon Dieu * d'à noir égard au bien de l'Eflat. C'eft fortir de la queftion. Car, mes Pères, il y a deux loix à obferuer, l'vne qui défend de tuer, l'autre qui défend de nuire à l'Ellat. Reginaldus n'a pas peut-ellre violé la loy qui défend de nuire à l'Ellat ; mais il a violé certainement celle qui défend de tuer. Or il ne s'agit icv que de celle feule. Outre que vos autres Pères qui ont permis ces meurtres dans la pratique, ont ruiné l'vne auflî bien que l'autre. Mais allons plus auant, mes Pères. Nous voyons bien que vous défendez quelquefois de nuire à l'Eftat, 8: vous dites que vollre deifein en cela eft d'obferuer

I- L'édition in-8" de 1659 ce coures les édicions suivances : Parce qu'on eft obligé fclon Dieu.

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226 Lettres prouinciales.

la loy de Dieu qui oblig-e à le maintenir. Cela peut eftre véritable, quoy qu'il ne foit pas certain; puifque vous pour- riez faire la mefme chofe par la feule crainte des luges. Examinons donc, ie vous prie, de quel principe part ce mouuement.

N'eft-il pas vray, mes Pères, que vous regardiez véritablement Dieu, & que Tobferuation de fa loy fuft le premier & principal objet de voftre penfée, ce refpect regneroit vniformément dans toutes vos décifions impor- tantes, & vous engageroit à prendre dans toutes ces occa- fions l'intereft de la Religion? Mais fi l'on voit au contraire que vous violez en tant de rencontres les ordres les plus faints que Dieu ait impofez aux hommes, quand il n'y a que fa loy à combattre 5 & que dans les occafions mefmes dont il s'agit^ vous aneantiffez la loy de Dieu, qui défend ces actions comme criminelles en elles-mefmes, & ne témoignez craindre de les approuuer dans la pratique que par la crainte des juges, ne nous donnez-vous pas fujet de iuger que ce n'eft point Dieu que vous confîderez dans cette crainte 5 & que fi en apparence vous maintenez fa loy en ce qui regarde l'obligation de ne pas nuire à l'Eftat, ce n'eft pas pour fa loy mefme, mais pour arriuer à vos £ns, comme ont toufiours fait les moins religieux politiques?

Quoy, mes Pères, vous nous direz qu'on a droit de tuer pour des médifances, en ne regardant que la loy de Dieu qui défend l'homicide ~. Et après auoir ainfi violé la loy éternelle de Dieu, vous croirez leuer le fcandale que vous auez caufé, & nous perluader de voftre refpect enuers luy, en ajoutant que vous en défendez la pratique pour des

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4'', qui n'a été adoptée par aucun éditeur : Et que mefme dans celles dont il s'agit.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Qu'en ne regardant que la loi de Dieu qui défend l'homicide, on a droit de tuer pour des médi- fances.

Treiiiéme lettre.

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confiderations d'Eflat & par la crainte des luges? N'efl-ce pas au contraire exciter vn fcandale nouueau % non pas par le reipect que vous témoignez en cela pour les luges; car ce n'efl: pas cela que ie vous reproche, & vous vous ioiiez ridiculement là-defTus pag. 29. le ne vous reproche pas de craindre les luges % mais de ne craindre que les luges; et non pas le luge des luges '\ C'ell: cela que ie blafme, parce que c'ell faire Dieu moins ennemy des crimes que les hommes. Si vous difîez qu'on peut tuer vn méditant félon les hommes, mais non pas félon Dieu, cela feroit moins infupportable : mais que ^ ce qui eft trop criminel pour élire fouffert par les hommes, foit innocent & iufte aux yeux de Dieu qui eft la luftice mefme, qu'eft-ce faire autre choie % fmon montrer à tout le monde que par cet horrible renuer- fement fi contraire à l'efprit des Saints, vous elles hardis contre Dieu & timides entiers les hommes ? ^ Si vous auiez voulu condamner Sincèrement ces homicides, vous auriez lailfé fubfîller l'ordre de Dieu qui les défend; & fi vous auiez ozé permettre d'abord ces homicides, vous les auriez permis ouuertement malgré les loix de Dieu & des hommes.

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, qui n'a été adoptée par aucun éditeur : Vn nouueau scandale.

2. A la marge de notre exemplaire in-4° on peut lire une leçon qui n'a été suivie par aucun éditeur, mais à laquelle on n'est arrivé qu'après plu- sieurs tentatives attestées par de nombreuses ratures : Non en ce que vous tefmoignei refpecrer les luges; car ce n'ejl pas ce que ie vous reproche, et vous vous loués ridiculement là-dejfus (p. 29). mais parce que vous tefmoignés ne craindre que les luges, et non pas le luge des luges.

3. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes sup- priment les mots : Et non pas le luge des luges. Nicole n'a pas adopté cette suppression dans sa version latine. Il traduit : Judicum Judice plané contempto.

4. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Mais quand vous prétendej que...

5. Les mêmes éditions : Que faites-vous autre chofe.

6. Une correction manuscrite de notre collection in-4" indique ici un alinéa qui n'a été adopté par aucim éditeur.

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Lettres prouiuciales.

Mais comme vous aiiez voulu les permettre infenfiblement, & furprendre les Magiftrats qui veillent à la feûreté publique, vous auez agy finement en feparant vos maximes, & ' propofant d'vn collé q^iiil ejt permis dans la fpeculatiue de tuer pour des médifances (car on vous laiffe examiner les chofes dans la fpeculation) & produifant d'vn autre collé cette maxime détachée : Qiie ce qui ejî permis dans la fpecu- lation, Veji bien aujfi dans la pratique. Car quel interell l'Ellat femble-t'il auoir dans cette propofition générale & metaphyfique ? & ainfi ces deux principes peu llilpects eflant receus feparément, la vigilance des Magiilrats ell trompée, puis qu'il ne faut plus que r'affembler ces maximes pour en tirer cette conclulion vous tendez, qu'on peut donc tuer dans la pratique pour de Simples médifances.

Car - c'eft encore icy, mes Pères, vne des plus fubtiles adreffes de vollre politique, de feparer dans vos efcrits les maximes que vous affemblez dans vos auis. C'efl ainfi que vous auez étably à part vollre doctrine de la probabilité, que i'ay foiuient expliquée. Et ce principe gênerai eflant affermi, vous auancez feparément des chofes qui pouua'nt eflre innocentes d'elles - mefmes , deuiennent horribles eflant jointes à ce pernicieux principe. l'en donneray pour exemple ce que vous auez dit p. ii dans vos impoftures, & à quoy il faut que ie réponde : Que plufieurs Théologiens célèbres font d'auis qu'on peut tuer pour vn fouJfJet receu. 11 efl certain, mes Pères, que fi vne perfonne qui ne tient point la probabilité, auoit dit cela, il n'y auroit rien à reprendre , puis qu'on ne feroit alors qif vn fimple récit qui n'auroit aucune confequence. Mais vous, mes Pères, & tous ceux qui tiennent cette dangereufe doctrine, que tout

1 . Sur notre exemplaire in-4° on propose de supprimer le mot et, sup- pression qu'aucun éditeur n'a admise.

2. On propose de plus de supprimer le mot car. suppression qui n'a été adoptée par aucun éditeur.

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Treizième lettre. 229

ce qu'appromient des Auteurs célèbres, eft probable & feur en confcîence, quand vous adjouilez à cela que plufieurs Auteurs célèbres font d'auis qu'on peut tuer pour vn foufflet, qu'eft-ce faire autre chofe finon de mettre à tous les Chreftiens le poignard à la main pour tuer ceux qui les auront ofFenfez, en leur déclarant qu'ils le peuuent faire en feiireté de con- fcience, parce qu'ils fuiuront en cela l'auis de tant d'Au- teurs graiies?

Quel horrible langage, qui en difant que des Auteurs tiennent vne opinion damnable, ell en mefme temps vne decifion en faueur de cette opinion damnable, & qui auto- rife en confcience tout ce qu'il ne fait que rapporter! On l'entend, mes Pères, ce langage de voftre efcole. Et c'ell vne chofe étonnante que vous ayez le front de le parler fi haut, puis qu'il marque voftre fentiment fi à découuert, & vous convainc de tenir pour feûre en confcience cette opi- nion, quon peut tuer pour ru foufflet, auffi toft que vous nous auez dit que plufieurs Auteurs célèbres la foùtiennent. Vous ne pouuez vous en deffendre, mes Pères, non plus que vous preualoir des paffages- de Vafquez & de Suarez que vous m'oppofez, ils condamnent ces meurtres que leurs Confrères approuuent. Ces témoignages feparez du refte de voftre doctrine pourroient éblouir ceux qui ne l'entendent pas aftez. Mais il faut joindre enfemble vos prin- cipes & vos maximes. Vous dites donc icy que Vafquez ne fouffre point les meurtres ; mais que dites-vous d'vn autre cofté, mes Pères? Que la probabilité d'vu fentiment nem- pefche pas la probabilité du fentiment contraire. Et en vn autre lieu, Quil ejl permis de fuiure l'opinion la moins pro- bable & la moins feiire, en quitant l'opinion la plus probable ^L- la plus feiire. Que s'enfuit-il de tout cela enfemble, finon que nous auons vne entière liberté de confcience pour fuiure celuy qui nous plaira de tous ces aiiis oppofez ? Que dénient donc, mes Pères, le fruit que vous efperiez de toutes ces citations? il difparoift, puis qu'il ne faut pour

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230

Lettres prouinciales.

voftre condamnation que r'affembler ces maximes, que vous feparez pour voflre iuftiiïcation. ^ Pourquoy produifez- vous donc ces paffag^es de vos Auteurs que ie n'ay point citez, pour excuier ceux que i'ay citez, puis qu'ils n'ont rien de commun? Quel droit cela vous donne-t'il de m'ap- peller Impofteiir'-? Ay-]Q dit que tous vos Pères font dans vn mefme dérèglement? Et n'ay-je pas fait voir au contraire que voftre principal intereft eft d'en auoir de tous auis pour leruir à tous vos beibins? A ceux qui voudront tuer, on preientera Lefîius; à ceux qui ne le voudront pas ', on pro- duira Vafquez, afin que perfonne ne forte mal content, & fans auoir poiu- foy vn auteur graue. Leffius parlera en payen de l'homicide, & peut-eftre en Chreftien de l'au- mofne : Vafquez parlera en payen de l'aumofne, & en Chrelîien de l'homicide. Mais par le moyen de la proba- bilité que Vafquez & Leffius tiennent, & qui rend toutes vos opinions communes, ils fe prefteront leurs fentimens les vns aux autres, & feront obligez d'abfoudre ceux qui auront agi félon les opinions que chacun d'eux condamne. C'eft donc cette variété qui vous confond dauantage. L'vniformité feroit plus fupportable; & il n'y a rien de plus contraire aux ordres exprés de S. Ignace & de vos premiers Généraux, que ce mélange confus de toutes fortes d'opinions. le vous en parleray peut-ellre quelque iour, mes Pères ; & on fera furpris de voir combien vous elles décheus du premier efprit de vollre inllitut, & que vos propres Généraux ont

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa qui n'a été adopté par aucun éditeur.

2. M. Faugère, dans les notes inédites qu'il a recueillies sur les Pro- vinciales, cite ce p-issage que Pascal a barré : Qu'ai'ej-vous gagné en m'accu- fdfit de railler des chofes faintes? Vous ne gagnerei pas plus en ni'accufanr d'i/fipojh/re.

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : A ceux qui ne voudront pas tuer.

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Treizième lettre.

231

preiieu que le dérèglement de voftre doctrine dans la Morale pourroit eftre funefte non feulement à voftre Société, mais encore à l'Eglife vniuerfelle.

le vous diray cependant que vous ne pouuez pas tirer aucun auantage de l'opinion de Vafqiiez. Ce feroit vne chofe ellrang-e, entre tant de leluites qui ont écrit, il n'y en auoit pas vn ou deux qui eufTent dit ce que tous les Chreftiens confeffent. Il n'y a point de gloire à fouftenir qu'on ne peut pas tuer pour un foufîlet, félon l'Euang-ile ; mais il y a vne horrible honte à le nier. De forte que cela vous iuftifie fi peu, qu'il n'y a rien qui vous accable dauan- tage; puis qu'ayant eu parmy vous des Docteurs qui vous ont dit la vérité, vous n'eftes pas demeurez dans la vérité, & que vous auez mieux aimé les ténèbres que la lumière. Car vous auez apris de Vafquez, que ceji vne opinion payenne & non pas Chrejîienne, de dire qu'on puijje donner vn coup de bafton à celuy qui a donné vn foujfflet. Que c'eft ruiner le Deca- logue & VEuangile, de dire qu'on puijfe tuer pour ce fujet, & que les plus fcelerats d'entre les hommes le reconnoijjent . Et cependant vous auez foufFert que contre ces veritez con- nues Leffius, Efcobar & les autres ayent décidé que toutes les défenfes que Dieu a faites de l'homicide, n'empefchent point qu'on ne puiffe tuer pour vn foufîlet. A quoy fert-il donc maintenant de produire ce paffage de Valquez contre le fentiment de Lefîius, fmon poiu' monllrer que Lefîîus elt vn pajen & vn fcelcrat félon Valquez, & c'ell ce que ie n'ofois dire. Qu'en peut-on conclure fi ce n'ell que Lefîius ruine le Decalogue & VEuangile : qu'au dernier iour ^''afqucz condamnera Lefîius fur ce point, comme Lefîius condam- nera Vafquez fur vn autre; & que tous vos Auteiu-s s'éle- ueront en ingénient les vns contre les autres, pour fe condamner réciproquement dans leurs efîVoyables excès contre la loy de Iesvs-Christ?

Concluons donc, mes Pères, que puis que voltre pro- babilité rend les bons fentimens de quelques-vns de vos

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232 Lettres prouinciales.

auteurs inutiles à l'Eglise, & vtiles feulement à voftre poli- tique, ils ne feruent qu'à nous montrer par leur contrariété la duplicité de vôtre cœur, que vous nous auez parfaitement découuerte, en nous déclarant dVne part que Vafquez & Suarez font contraires à l'homicide, & de l'autre que plufîeurs Auteurs célèbres font pour l'homicide; afin d'offrir deux chemins aux hommes, en detruifant la fimpli- cité de l'eiprit de Dieu, qui maudit ceux qui font doubles de cœur, & qui fe préparent deux voyes : V'œ duplici corde & ingredienti diiabiis înis '.

I. Quelques éditions modernes ajoutent : Eccl. II. zf.

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QVATORZIEME LETTRE

ESCRITE PAR L'AVTHEVR DES LETTRES AV PROVINCIAL

AVX REVERENDS PERES lESVITES.'

Du 23 Octobre 1656. Mes REVERENDS PERES,

Si ie n'auois qii^à répondre aux trois impoftures qui reftent fur l'homicide, ie n'aurois pas befoin d'vn long difcours, & vous les verrez icy refutées en peu de mots; mais comme ie trouue bien plus important de donner au monde de l'horreur de vos opinions fur ce fujet, que de iuftiiier la fidélité de mes citations, ie feray obligé d'em- ployer la plus grande partie de cette lettre à la réfutation de vos maximes, pour vous reprefenter combien vous eftes éloignez des fentimens de l'Eglife, & mefme de la nature. Les permiiîîons de tuer que vous accordez en tant de ren- contres, font paroillre qu'en cette matière vous auez tellement oublié la loy de Dieu, & tellement efteint les lumières naturelles que vous auez befoin qu'on vous remette dans les principes les plus fîmples de la Religion & du fens commun. Car qu'y a-t'il de plus naturel que ce fentiment : Qii'vn particulier n'a pas droit fur la rie d'vn autre? Nous en fommes tellement injlruits de nous-niefnies, dit

I. L'édition in-8'' de 1659 et la plupart des éditions modernes : Quatoriième lettre aux révérends Pères Jéfuites.

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234 Lettres proiiinciales.

S. Chryroftome , que quand Dieu a ejîably le précepte de ne point tuer, il n'a pas adjouté que c'ejl à caufe que l'homicide ejî vu mal; parce, dit ce Père, que la loj fuppofe qu'on a déjà apris cette vérité de la nature *.

Aufïï ce commandement a efté impofé aux hommes dans tous les temps. L'Euangile a confirmé celuy de la loy; & le decalogue n'a fait que renouueller celuy que les hommes avoient receii de Dieu auant la loy en la perfonne de Noë, dont tous les hommes deuoient naiftre. Car dans ce renouuellement du monde Dieu dit à ce Patriarche : le demandera^ compte aux hommes de la vie des hommes, & au frère de la vie de fou frère. Quiconque verfera le fang humain, f on fang fera i^épandu; parce que l'homme eft créé à l'image de Dieu " .

Cette deifenfe générale ofte aux hommes tout pouuoir fur la vie des hommes. Et Dieu fe l'eft tellement referué à luy feul, que félon la vérité Chreftienne, oppofée en cela aux faufles maximes du paganifme, l'homme n'a pas mefme pouuoir fur fa propre vie. Mais parce qu'il a plu à fa proui- dence de conferuer les focietez des hommes, & de punir les méchans qui les troublent, il a eftably luy-mefme des loix pour oller la vie aux criminels : & ainfî ces meurtres, qui feroient des attentats puniffables fans fon ordre, deuiennent des punitions louables par fon ordre, hors duquel il n'y a rien que d'injulle. C'eft ce que S. Auguflin a reprefenté admirablement au i'"^ 1. de la Cité de Dieu ch. 21 : Dieu, dit-il, a fait luy-mefme quelques exceptions à cette defenfe générale de tuer, foil par les loix qu'il a efablies pour faire mourir les criminels, foit par les ordres particuliers qu'il a donnei quelquesfois pour faire mourir quelques per-

1. L'auteur des notes marginales de notre collection in-4° aurait voulu qu'on citât le passage de S. Chrysostome. Aucun éditeur n'a fait droit à cette réclamation.

2. Quelques éditions modernes ajoutent : Gen. IX. 3 et 6.

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Qitator:{ié7Jie letttx'. 235

/ointes. Et quand on tiië en ces cas là, ce n'ejî pas V homme qui tu'é, mais Dieu, dont l'homme n'eJî que rinjîrument, comme vue efpée entre les mains de celuj'- qui s'en fert. Mais fi on excepte ces cas, quiconque tue fe rend coupable d'homicide.

Il eil donc certain, mes Pères, que Dieu feul a le droit d'ofter la vie, & que néanmoins ayant eflably des loix pour faire mourir les criminels, il a rendu les Rois ou les Repu- bliques depofitaires de ce pouuoir. Et c'eft ce que S. Paul nous apprend, lorfque parlant du droit que les Souuerains ont de faire mourir les hommes, il le fait defcendre du ciel, en difant : Que ce nejî pas en vain qu'ils portent V efpée, parce qu'ils font Minijires de Dieu pour exécuter fes vangeances contre les coftpables ^

Mais comme c'eft Dieu qui leur a donné ce droit, il les oblige à l'exercer ainfî qu'il le feroit lui-mefme, c'eft à dire auec iuftice, félon cette parole de S. Paul au mefme lieu : Les Princes ne font pas efîablis pour fe î^endre terribles aux bons, mais aux médians. Qui veut n'auoir point fujet de redouter leur puiffance , n'a qu'à bien faire : car ils font Miniflres de Dieu pour le bien. Et cette reftriction rabaiffe fi peu leur puiffance, qu'elle la releue au contraire beaucoup dauantage; parce que c'eft la rendre femblable à celle de Dieu, qui eft impuiffant pour faire le mal, & tout puifTant pour faire le bien 5 & que c'eft la diftinguer de celle des démons, qui font impuiffans pour le bien, & n'ont de puif- fance que pour le mal. Il y a fetdement cette différence entre Dieu & les Souuerains, que Dieu eftant la iuftice & la fageffe mefme, il peut faire mourir fur le champ qui il luy plaift, quand il luy plaift - & en la manière qu'il luy plaift. Car outre qu'il eft le maiftre fouuerain de la vie des hommes, il ne peut la leur ofter ny fans caufe ny fans con-

1. Quelques éditions modernes ajoutent : Rom. XIII. 14.

2. L'édition in-8° de 1659 a supprimé les mots Quand il lui plaîc. qui ont été rétablis dans les éditions suivantes.

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236 ' Lettres prouinciales.

noiffance ', piiifqu'il eft aiiffi incapable d'injuftice que d'erreur. Mais les Princes ne peuuent pas agir de la forte, parce qu'ils font tellement Miniftres de Dieu qu'ils font hommes néanmoins, & non pas Dieux. Les mauuaifes im- preïïions les pourroient furprendre : les faux foupcons les pourroient aigrir : la paffion les pourroit emporter ; & c'eft ce qui les a engagez eux-mefmes à defcendre dans les moyens humains, & à eftablir dans leurs Eftats des iuges, aufquels ils ont communiqué ce pouuoir, afin que cette autorité que Dieu leur a donnée, ne foit employée que pour la £n pour laquelle ils l'ont receuë.

Conceuez donc, mes Pères, que pour eftre exempts d'homicide, il faut agir tout enfemble & par l'autorité de Dieu, & félon la iuilice de Dieu; & que fi ces deux condi- tions ne font jointes, on pèche foit en tuant auec fon auto- rité, mais fans iuftice ; foit en tuant auec iuftice, mais fans fon autorité. De la neceffité de cette vnion il arriue, félon S. Auguflin , que celiij qui fans autorité tue vu criminel, fe rend criminel luj-mefme, par cette raifon principale qu'il vfurpe vue autorité que Dieu ne luj a pas donnée; & les luges au contraire qui ont cette autorité, font néanmoins homi- cides, s'ils font mourir vn innocent contre les loix qu'ils doiuent fuiure.

Voilà, mes Pères, les principes du repos & de la feû- reté publique, qui ont efté receus dans tous les temps & dans tous les heux, & fur lefquels tous les legiflateurs du monde, faints & prophanes, ont eftably leurs loix; fans que iamais les Payens mefmes aient apporté d'exception à cette règle, fmon lorfqu'on ne peut autrement éuiter la perte de la pudicité ou de la vie, parce qu'ils ont penfé qu'alors, comme dit Ciceron, les loix mefmes femblent offrir leurs armes à ceux qui font dans vue telle neceffité.

I. L'édicion in-8" de 1659 et touces les éditions postérieures : // ejl fans doute qu'il ne la leur ô te jamais ni fans caufe ni fans connoiffance.

Qiiatoriiéme lettre. 237

Mais que hors cette occafîon dont ie ne parle point icy, il y ait iamais eu de loy qui ait permis aux particuliers de tuer, & qui l'ait foufFert, comme vous faites, pour fe garentir d'vn affront, & pour éuiter la perte de l'honneur ou du bien, quand on n'efl point en mefine temps en péril de la vie; c'eft, mes Pères, ce que ie foùtiens que iamais les infidèles mefmes n'ont fait. Ils l'ont au contraire deffendu expreffément. Car la loy des douze Tables de Rome portoit : Qu'il n'eji pas permis de tuer vu voleur de iour, qui ne fe défend point auec des armes. Ce qui avoit déjà efté défendu dans l'E'xode, c. 22, Et la loy Furem, ad legem Corneliam , qui eft prife d'Vlpien, défend de tuer mefme les voleurs de nuit, qui ne nous mettent pas en péril de mort. Voyez-le dans Cujas in tit. dig-. de luflit. & iure ad 1. 3.

Dites-nous donc, mes Pères, par quelle autorité vous permettez ce que les loix diuines & humaines défendent, & par quel droit Lefîîus a pu dire 1. 2, c. 9, n. 66 & 72 : L'Exode défend de tuer les voleurs de iour qui ne fe défendent pas auec des armes; & on punit en iufîice ceux qui tuëroient de cette forte. Mais néanmoins on n'en feroit pas coupable en confcience, lorf qu'on n'efl pas certain de pouuoir recouurer ce qu'on nous dérobe , & qu'on en efl en doute, comme dit Sotus, parce qu'on n'eft pas obligé de s'expofer au péril de perdre quelque cliofe pour fauuer vu voleur. Et tout cela eft encore permis aux Ecclefiafliques mefmes. Quelle eflrange hardieffe ! La loy de Moyfe punit ceux qui tuent les voleurs, lorfqu'ils n'attaquent pas noflre vie j & la loy de l'Euangile félon vous les abfoudra? Quoy, mes Pères, Iesvs-Christ ell-il venu pour deftruire la loy, & non pas pour l'accomplir? Les luges puniroient, dit Leffius, ceux qui tuëroient en cette occafîon ; mais on n'en feroit pas coupable en confcience '. Ell-ce donc que

I. L'auteur des noces marginales de notre collection in-4'' aurait voulu que Pascal eût indiqué le passage, ainsi que ceux qui suivent. Aucun éditeur n'a fait droit à ce désir.

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238 Lettres prouinciales.

la morale de Iesvs-Christ eft plus cruelle & moins enne- mie du meurtre que celle des Payens, dont les iuges ont pris ces loix ciuiles qui le condamnent? Les Chreftiens font- ils plus d'eftat des biens de la terre, ou font-ils moins d'eftat de la vie des hommes que n'en ont fait les idolâtres & les infidèles? Surquoy vous fondez-vous, mes Pères? Ce n'eft fur aucime loy expreffe ny de Dieu ny des hommes, mais feulement fur ce raifonnement eftrang-e : Les loix, dites- vous, permettent de fe défendre contre les voleurs & de repoiijjer la force par la force. Or la defenfe eflant permife, le meurtre eji aujfi réputé permis, fans quoj' la defenfe feroit fou- uent impoffihle.

Il efi faux, mes Pères % que la defenfe eftant permife, le meurtre foit auffi permis. C'eft cette cruelle manière de fe défendre qui eft la foiu-ce de toutes vos erreurs, & qui eft appellée par la Faculté de Louuain vne défense MEVRTRiERE, Defcufio occifiua , dans la Cenfure de la doctrine de voftre P. l'Amy fur l'homicide. le vous foiitiens donc qu'il y a tant de difterence félon les loix entre tuer & fe défendre, que dans les mefmes occafions la defenfe eft permife, le meurtre eft défendu quand on n'eft point en péril de mort. Efcoutez-le, mes Pères, dans Cujas au mefine lieu : // eft permis de repoujfer celuj- qui vient pour s'emparer de nofire poffeffion ; mais il n'est pas permis de LE TVER. Et encore : Si quelqu'vn vient pour nous frapper, & non pas pour nous tuer, il eft bien permis de le repoujfer,

MAIS il n'est pas PERMIS DE LE TVER.

Qui vous a donc donné le pouuoir de dire, comme font Molina, Reginaldus, Filiutius, Efcobar, Leffius & les autres : Il eft permis de tuer cehiy qui vient pour nous frapper. Et ailleurs : // eft permis de tuer celuj" qui veut nous faire vn

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Cela ejl faux, mes Pères.

2. Les mêmes éditions : Dans leur cenfure.

Quatorzième lettre. 239

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affront, félon Vaiiis de tous les Cafuijîes, Ex /entent omnium, comme dit Lefîîus n. 74? Par quelle autorité, vous qui n'eftes que des particuliers, donnez-vous ce pouuoir de tuer aux particuliers & aux Religieux mefmes? Et comment ofez-vous vlurper ce droit de vie &: de mort, qui n'appartient effen- tiellement qu'à Dieu, & qui eft la plus glorieufe marque de la puifTance Ibuueraine? C'eft fur cela qu'il falloit répondre; & vous penfez y auoir fatisfait en difant amplement dans voftre 13' impofture, Que la valeur pour laquelle Molina per- met de tuer un voleur qui s'enfuit fans nous faire aucune violence, n'eft pas auffi petite que i'aj dit, & qu'il faut quelle foit plus grande que fix ducats. Que cela eft foible, mes Pères! voulez-vous la déterminer? A 15 ou 16 ducats? le ne vous en feray pas moins de reproches. Au moins vous ne fçauriez dire qu'elle pafTe la valeur d'vn cheual; car Leffiiis 1. 2, c. 9, n. 74, décide nettement, Quil efî permis de tuer vn voleur qui s'enfuit auec nofîre cheual. Mais ie vous dis de plus que félon Molina cette valeur eft déterminée à fix ducats, comme ie l'ay rapporté : & ft vous n'en voulez pas demeurer d'accord, prenons vn arbitre que vous ne puifîiez refufer. le choifis donc pour cela voftre Père Reginaldus, qui expliquant ce mefme lieu de Molina 1. 21, n. 68, déclare Que Molina j' détermine la valeur pour laquelle il n'eft pas permis de tuer, à j ou 4 ou 5 ducats. Et ainfi, mes Pères, ie n'auray pas feulement Molina, mais encore Reginaldus.

Il ne me fera pas moins facile de réfuter voftre 14*" impofture, touchant la permifîion de tuer vu voleur, qui nous l'eut ofler vn efcu félon Molina. Cela eft conftant qu'Efcobar vous le témoignera tr. i, ex. 7, n. 44, il dit que Molina détermine régulièrement la valeur pour laquelle on peut tuer, à vn efcu. Auffi vous me reprochez feulement dans la 14" impofture, que i'ay fupprimé les dernières paroles de ce paffage : Que l'on doit garder en cela la modération d'une îufte deffense. Que ne vous plaignez-vous donc auffi de ce qu'Efcobar ne les a point exprimées? Mais que vous eftes

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240 Lettres prouinciales.

peu fins! Vous croyez qu'on n'entend pas ce que c'efl: félon vous que fe défendre. Ne fçauons-nous pas que c'eft- vfer d'ime defenfe meurtrière? Vous voulez faire entendre ^ que Molina a voulu dire par là, que quand on fe trouue en péril de la vie en gardant fon efcu, alors on peut tuer, puifque c'eft pour défendre fa vie. Si cela eftoit vray, mes Pères, pourquoy Molina diroit-il au mefme lieu : Qu'il ejî contraire en cela à Car rems & Bald , qui permettent de tuer pour fauiier fa vie? le vous déclare donc qu'il entend fîmplement que û l'on peut garder fon efcu fans tuer le voleur, on ne doit pas le tuer 5 mais que û l'on ne peut le garder qu'en tuant, encore mefine qif on ne courre nulle rifque de la vie, comme fi le voleur n'a point d'armes, qu'il eu permis d'en prendre & de le tuer pour garder- fon efcu 5 & qu'en cela on ne fort point félon luy de la modération d'une iufte defenfe. Et pour vous le monftrer, laiffez-le s'expliquer luy-mefme, tom. 4, tr. 3, d. II, n. 5 : On ne laiJJ'e pas de demeurer dans la modération d'vne iujîe defenfe, quoj' qu'on prenne des armes contre ceux qui n'en ont point, ou qu'on en p?^enîie de plus auantageufes qu'eux. le fçaj' qu'il y en a qui font d'vn fentiment contraire; mais ie n'approuue point leur opinion, mefme dans le tribunal extérieur.

Auffi , mes Pères , il eft confiant que vos Auteurs per- mettent de tuer poiu' la defenfe de fon bien & de fon hon- neur, fans qu'on foit en aucun péril de fa vie. Et c'eft par ce mefme principe qu'ils autorifent les duels, comme ie l'ay fait voir par tant de paffages fur lefquels vous n'auez rien répondu. Vous n'attaquez dans vos écrits qu'vn leul paffage de voflre Père Layman, qui le permet lorf qu'autrement on

1 . L'édition in-8" c: toutes les éditions suivantes : J'oits voudnej faire entendre.

2. Au mot garder répété trois fois, une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes, a substitué le mot fam^er répété également trois fois.

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Qiiatoryiénie lettre.

241

ferait en péril de pej^dre fa fortune ou fon honneur; & vous dites que i'ay fupprimé ce qu'il ajoute : Que ce cas eft fort }\ire. le vous admire, mes Pères : voilà de plaifantes impoftures que vous me reprochez! Il eft bien queftion de fçauoir û ce cas eft rare. Il s'agit de fçauoir û le duel y eft permis. Ce font deux queftions feparées. Layman en qualité de Cafuifte doit iuger û le duel y eft permis, & il déclare que oûy. Nous iugerons bien fans luy fi ce cas eft rare ; & nous luy déclarerons qu'il eft fort ordinaire. Et û vous aimez mieux en croire voftre bon amy Diana, il vous dira qu'il efl fort commun, part. 5, tr. 14, Mifc. 2, Refol. 99. Mais qu'il foit rare ou non, & que Layman fuiue en cela Nauarre, comme vous le faites tant valoir, n'eft-ce pas vne chofe abominable qu'il confente à cette opinion : Que pour conferuer vn faux honneur il foit per- mis en confcience d'accepter vn duel, contre les Edits de tous les Eftats Chreftiens & contre tous les canons de l'Eg-hfe; fans que vous aiez encore icy pour autori fer toutes ces maximes diaboHques ny loix, ny canons, ny autoritez de l'Efcriture ou des Pères, ny exemple d'aucun Saint, mais feulement ce raifonnement impie : L'honneur eft plus cher que la pie. Or il ef permis de tuer pour défendre fa vie. Donc il ejl permis de tuer pour défendre fon honneur? ' Quoy, mes Pères, parce que le dérèglement des hommes leur a fait aimer ce faux honneur plus que la vie que Dieu leiu- a donnée pour le feruir, il leur fera permis de tuer pour le conferuer! C'eft cela mefme qui eft vn mal horrible, d'aimer cet honneur plus que la vie. Et cependant cette attache vitieufe, qui feroit capable de fouiller les actions les plus faintes, fi on les rapportoit à cette fin, fera capable de iuftifter les plus criminelles parce qu'on les rapporte à cette ftn. Quel renuerfement ,

I Une correction manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa qui n'a été adopté par aucun éditeur.

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242 Lettres prouinciàles.

mes Pères, & qui ne voit à quels excès il peut conduire !

' Car enfin il eil vifible qu'il portera iufqu'à tuer pour les moindres chofes, quand on mettra Ion honneur à les conferuer; ie dis mefme iufqu'à tuer pour îme pomme. Vous vous plaindriez de moy, mes Pères, & vous diriez que ie tire de voftre doctrine des confequences malitieufes, fi ie n'eftois appuyé fur l'autorité du g-raue Leffius qui parle ainfi n. 68 : // 7i'e II pas permis de tuer pour conferuer vue chofe de petite valeur comme pour vu efcu, ov povr vne pomme, avt PRO POMO; /? ce n'ejt qu'il nous fujl honteux de la perdj^e. Car alors ou peut la reprendre, & mefme tuer s'il ejî necejjaire pour la ravoir. Et f opus eft , occidere ; parce que ce neft pas tant défendre fou bien que fou honneur. Cela eft net, mes Pères. Et poiu* finir voftre doctrine par vne maxime qui comprend toutes les autres, écoutez celle-cy de voftre P. Hereau, qui l'auoit prite de Leiîîus : Le droit de fe défendre s'eftend à tout ce qui eft neceffaire pour nous garder de toute injure.

Que d'eftranges fuites enfermées " dans ce principe inhumain, & combien tout le monde eft-il obligé de s'y oppofer, & fur tout les perfonnes publiques! Ce n'eft pas feulement l'intereft gênerai qui les y engage, mais encore le leur propre, piùfque vos Cafuiftes citez dans mes lettres eftendent leurs permiffions de tuer iufques à eux. Et ainfi les factieux qui craindront la punition de leiu^s attentats, lefquels ne leur paroiffent iamais injuftes, fe perfuadant aifément qu'on les opprime par violence , croiront en mefme temps , que le droit de fe defendf^e s'ejîend à tout ce qui leur etl neceffaire pour fe garder de toute injure. Ils n'auront plus à vaincre les remords de la confcience qui arreftent la plufpart

i. Une correction manuscrite de notre collection in-4'', adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes, place l'alinéa un peu plus haut et le fait commencer à : Quel remerjernent , mes Pères.

2. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Que d'étranges fuites font enferr?iées.

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Quatorzième lettre. 243

des crimes dans leur naiffance, & ne penferont plus' qu'à furmonter les obftacles du dehors.

le ne parleray point icy, mes Pères, des meurtres - que vous auez permis, qui font encore plus abominables & plus importans aux Eftats que tous ceux-cy % dont Leffius traitte fi ouuertement dans les doutes 4 & 10, auiïi bien que tant d'autres de vos Auteurs. Il feroit à defîrer que ces horribles maximes ne fiiffent iamais forties de l'enfer, & que le diable, qui en eft le premier auteur, n'eiift iamais troiuié des hommes affez deuoiiez à fes ordres pour les publier parmy les Chreftiens,

11 eft aifé de iiiger par tout ce que i'ay dit iufqiies icy ;'' combien le relâchement de vos opinions eft contraire à la feuerité des loix ciuiles & mefme payennes. Que fera-ce donc fi on les compare auec les loix ecclefiaftiques, qui doiuent eftre incomparablement plus faintes ; puifqu'il n'y a que l'Eglife qui connoifte & qui poftede la véritable faintetér Auffi cette chafte Efpoufe du Fils de Dieu, qui à l'imitation de fon Efpoux fçait bien répandre Ton lang pour les autres, mais non pas répandre pour elle celuy^des autres, a vne horreur toute particulière poiu' le meurtre ', & propor- tionnée aux lumières particulières que Dieu luy a commu- niquées. Elle conftdere les hommes non feulement comme hommes, mais comme images du Dieu qu'elle adore. Elle a pour chacun d'eux vn faint refpect qui les luy rend tous vénérables, comme rachetez d'vn prix infiny, pour eftre faits

1. Quelques éditions modernes : Et ils ne penferont plus.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4'', adoptée par les deux éditions in-12 de 1657 et par toutes les éditions suivantes : Je n'en parlerai point ici. mes Pères, non plus que des autres meurtres.

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4" efface : Que tous ceux-cy, suppression qui n'a été admise par aucun éditeur.

4. Quelques éditions modernes : Jufqu'ici.

5. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : A pour le meurtre une horreur loufe particulière.

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244 Lettres prouinciales.

les Temples du Dieu viuant. Et ainfi elle croit que la mort d'vn homme que l'on tuë fans l'ordre de Ion Dieu, n'eft pas feidement vn homicide, mais vn facrilege, qui la priue d'vn de les membres; puifque, foit qu'il foit hdele, ibit qu'il ne le foit pas, elle le confidere toujours ou comme ellant l'vn de fes enfans, ou comme eftant capable de l'eftre. ,

Ce font, mes Pères, ces raifons toutes faintes qui depuis que Dieu s'eft fait homme pour le falut des hommes, ont rendu leur condition fi confiderable à l'Eglife , qu'elle a toujours puny l'homicide qui les deftruit, comme vn des plus g-rands attentats qu'on puiffe commettre contre Dieu, le vous en rapporteray quelques exemples, non pas dans la penfée que toutes ces feueritez doiuent eilre gardées : je fçay que ^ l'Eglife peut difpofer diuerfement de cette difci- pline extérieure ; mais pour faire entendre quel ell fon efprit immuable fur ce fujet. Car les pénitences qu'elle ordonne pour le meurtre, peuuent élire différentes félon la diuerfité des temps ; mais l'horreur qu'elle a pour le meurtre ne peut iamais changer par le changement des temps.

L'Eglife a efté long-temps à ne reconcilier qu'à la mort ceux qui eftoient coupables d'vn homicide volontaire, tels que font ceux que vous permettez. Le célèbre Concile d'Ancyre les foumet à la pénitence durant toute leiu' vie : & l'Eglise a crii depuis eftre aifez indulgente entiers eux en reduifant ce temps à vn très-grand nombre d'années. Mais pour détourner encore dauantage les chreftiens des homi- cides volontaires, elle a puny tres-feuerement ceux mefmes qui eftoient arriuez par imprudence, comme on peut voir dans S. Bafile, dans S, Grégoire de Nyffe, dans les Décrets du Pape Zacharie & d'Alexandre IL Les Canons rapportez par Ifaac Eluefque de Langres t. 2, c. 13, ordonnent

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4" : Doiuent eftre

gardées; /cachant bien que correction qui n'a été adoptée par aucun

éditeur.

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Quatoi—icme lettre. 245

fept ans de pénitence poiœ auoir tué en fe défendant. Et on voit que S. Hildebert Euefque du iVIans répondit à Yues de Chartres : Quil a eii raifon d'interdire vn Preftre pour toute fa rie, qui auoit tué jvi voleur d'rn coup de pierre pour fe défendre ^ .

N'ayez donc plus la hardieffe de dire que vos decifions font conformes à Fefprit & aux Canons de l'Eglile. On vous défie d'en montrer aucim qui permette de tuer pour défendre fon bien feulement - 5 car ie ne parle pas des occa- fions on auroit à défendre auffi fa vie, se svaqve libe- RANDO. Vos propres Auteurs confeffent qu'il n'y en a point, comme entr'autres volîre Père l'Amy, tom. 5, difp. 36, num. 136 : // n'j- a, dit-il, aucun droit diuin nj' humain qui permette expreffément de tuer vn voleur qui ne fe défend pas. Et c'eft néanmoins ce que vous permettez expreffément. On vous défie d'en montrer aucun qui permette de tuer pour l'honneur, pour vn foufîlet, pour vne injure & vne médi- fance. On vous défie d'en, montrer aucun qui permette de tuer les témoins, les iug-es & les Mag-iflrats, quelque injullice qu'on en appréhende. Son efprit ^ eft entièrement éloigné de ces maximes feditieufes, qui oum-ent la porte aux foule- uemens, aufquels les peuples font fi naturellement portez. Elle a toùjom'S enfeigné à fes enfans qu'on ne doit point rendre le mal poin- le mal; qtfil faut céder à la colère; ne point refirter à la violence; rendre à chacun ce qu'on liiy doit, honneur, tribut, foumifîion; obeïr aux Magiltrats 6c aux Supérieurs mefme injuftes, parce qu'on doit toujours

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-S*^ de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Qui . pour fe défendre, avoit tué un voleur d'un coup de pierre.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4", qui n'a é:c adoptée par aucun éditeur : Pour défendre feulement fon bien.

3. L'édition in-8'' de 1659 et toutes les éditions suivantes : L'c'pnt de VEglife. Une correction manuscrite de notre exemplaire \\\-^° : L'c'pnt de cette fiinte Efpoufe de Icfus-Chrijl.

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246 Lettres prouinciales.

refpecter en eux la puifTance de Dieu qui les a eflablis fur nous. Elle leur défend encore plus fortement que les loix ciuiles de fe faire iuftice à eux-mefmes ; & c'eil par fon efprit que les Rois chrelliens ne fe la font pas dans les crimes mefmes de leze-Majeflé au premier chef, & qu'ils remettent les criminels entre les mains des luges, pour les faire punir félon les loix, & dans les formes de la luftice, qui font fi contraires à voftre conduite, que l'oppofition qui s'y trouue vous fera rougir. Car puifque ce difcours m'y porte, ie vous prie de fuiure cette comparaifon entre la manière dont on peut tuer fes ennemis félon vous, & celle dont les luges font moiu-ir les criminels.

Tout le monde fçait, mes Pères, qu'il n'eft iamais per- mis aux particuliers de demander la mort de perfonne ; & que quand vn homme nous auroit ruinez, eftropiez, brûlé nos maifons, tué nollre père, & qu'il fe difpoferoit encore à nous affaffiner & à nous perdre d'honneiu-, on n'écouteroit point en iuftice la demande que nous ferions de fa mort. De forte qu'il a fallu établir des perfonnes publiques qui la demandent de la part du Roy, ou plùtoll de la part de Dieu. A vortre auis, mes Pères, eft-ce par grimaffe & par feinte que les luges chreltiens ont étably ce règlement? Et ne l'ont-ils pas fait poiu- proportionner les loix ciuiles à celles de l'Euangile; de peur que la pratique extérieure de la luftice ne fuft contraire aux fentimens intérieurs que des Chreftiens doiuent auoir? On voit aftez combien ce com- mencement des voyes de la luftice vous confond, mais le refte vous accablera.

Suppofez donc, mes Pères, que ces perfonnes publiques demandent la mort de celuy qui a commis tous ces crimes, que fera-t'on là-defîlis? Luy portera-t'on incontinent le poi- gnard dans le fein? Non, mes Pères; la vie des hommes eft trop importante; on y agit auec plus de refpect; les loix ne font pas foûmife à toutes fortes de perfonnes; mais feule- ment aux luges dont on a examiné la probité & la fuffi-

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Qiiatoriiéuie lettre. 247

fance '. Et croyez -vous quVn feul fiiffife pour condamner vn homme à mort? Il en faut fept pour le moins, mes Pères. 11 faut que de ces fept, il n'y en ait aucun qui ait efté ofFenfé par le criminel, de peur que la paffion n^altere ou ne corrompe fon iug-ement. Et vous fçauez, mes Pères, qu'afin que leur efprit foit auffi plus pur, on obferue encore de donner les heures du matin à ces fonctions. Tant on apporte de foin pour les préparer à vne action fi grande, ils tiennent la place de Dieu, dont ils font les Miniftres, pour ne condamner que ceux qu'il condamne luy-mefme.

Et c'eft pourquoy afin d'y agir comme fidèles difpen- fateurs de cette puiffance diuine d'olter la vie aux hommes, ils n'ont la hberté de iug-er que félon les dépofitions des témoins, & félon toutes les autres formes qui leur font prefcrittes, enfuite defquelles ils ne peuuent en confcience prononcer que félon les loix, ny iuger dignes de mort que ceux que les loix y condamnent. Et alors, mes Pères, fi l'ordre de Dieu les oblige d'abandonner au fupplice les corps - de ces miferables, le mefme ordre de Dieu les oblige de prendre foin de leurs âmes criminelles; & c'ell mefme parce qu'elles font criminelles , qu'ils font plus obhgez à en prendre foin : de forte qu'on ne les enuoye à la mort qu'après leur auoir donné moyen de pouruoir à leur con- fcience. Tout cela ell bien pur cS: bien innocent, & néan- moins l'Eglife abhorre tellement le fang, qu'elle iuge encore incapables du miniftere de fes Autels ceux qui auroient aïïîfté à vn arreft de mort, quoy qif accompagné de toutes ces circonftances fi rehgieufes : par il eft aifé de conce- uoir quelle idée l'Eglife a de l'homicide.

Voilà, mes Pères, de quelle forte on difpofe en iullice

1- Quelques éditions modernes : La naijfance. Nicole traduit dans sa version latine de 1658 : Speclatœ fidei. fpedarœ prudentiœ.

2- L'édition in-8'^ de 1659 et quelques éditions modernes : Le corps.

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248 Lettres prouinciales.

de la vie des hommes * ; voyons maintenant comment vous en difpofez. Dans vos noiiiielles loix il n'y a qu'vn luge; & ce iug-e eft celuy-là mefme qui eft offenfé. Il eft tout enfemble le iuge, la partie & le bourreau. Il fe demande à luy-mefme la mort de Ion ennemy; il l'ordonne, il l'exé- cute fur le champ ; & fans refpect ny du corps ny de l'ame de Ton frère, il tuë & damne celuy pour qui Iesvs-Christ eft mort; & tout cela pour éuiter un tbuftlet, ou vne médi- fance, ou vne parole outrageufe, ou d'autres offenfes fem- blables, poiu* lefquelles vn iuge qui a l'autorité légitime feroit criminel d'auoir condamné à la mort ceux qui les auroient commifes; parce que les loix font très éloignées de les y condamner. Et enfin pour comble de ces excès on ne contracte ny péché ny irrégularité en tuant de cette forte fans autorité & contre les loix, quoy qu'on foit Reli- gieux & mefme Preftre. - en fommes-nous, mes Pères? Sont-ce des Religieux & des Preftres qui parlent de cette forte? Sont-ce des Chreftiens? Sont-ce des Turcs? Sont-ce des hommes? Sont-ce des démons? Et font-ce des mvjlei^s reiielei par l'Agneau à ceux de fa Société, ou des abominations fuggerées par le Dragon à ceux qui fuiuent fon party?

Car enfin, mes Pères, pour qui voulez-vous qu'on vous prenne : pour des enfans de l'Euangile, ou pour des enne- mis de l'Euangile ? On ne peut eftre que d'vn party ou de l'autre; il n'y a point de milieu. Qui n'eft point auec lefus- Chrift, eft contre luy. Ces deux genres d'hommes partagent tous les hommes. Il y a deux peuples & deux mondes répan- dus fur toute la terre, félon S. Auguftin : le monde des

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-8'^ de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Voilà, mes Pères, de quelle forte dans l'ordre de la Juflicc on difpose de la vie des hommes.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa qui n'a été adopté par aucun éditeur.

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Qiiator-ii'})ic' lettre. 249

enfans de Dieu, qui forme vn corps dont lefus-Chrift eft le Chef & le Roy ; & le monde ennemy de Dieu, dont le diable eft le chef & le Roy. Et c'efl: pourquoy lefus-Chrifl eft appelle le Roy & le Dieu du monde 5 parce qu'il a par- tout des fujets & des adora teiu's : & le diable * eft auffi appelle dans l'Efcriture le Prince du monde & le Dieu de ce fiecle, parce qu'il a partout des fuppolls & des efclaues. lefus-Chrilt a mis dans FEglife qui ell fon empire, les loix qu'il luy a plù félon fa fageffe éternelle 5 & le diable a mis dans le monde qui eft fon royaume, les loix qu'il a voulu y eftablir. lefus-Chrifl a mis l'honneur à fouffrir, le diable à ne point fouffrir. lefus-Chrift a dit à ceux qui reçoiuent un fouiîlet, de tendre l'autre joue ; & le diable a dit à ceux à qui on veut donner vn foufîlet, de tuer ceux qui leur voudront faire cette injiu-e. lefus-Chrifl déclare heureux ceux qui participent à fon ignominie ; & le diable déclare malheureux ceux qui font dans l'ignominie. lefus-Chrift dit : Alalheur à vous quand les hommes diront du bien de vous ; & le diable dit : Malheur à ceux dont le monde ne parle pas auec eftime. Voyez donc maintenant, mes Pères, duquel de ces deux royaumes vous eftes. Vous auez oûy le langage de la ville de paix, qui s'appelle la Hierufalem myftique ; & vous auez oiiy le langage de la ville de trouble, que l'Efcriture appelle la fpiritiielle Sodome : lequel de ces deux langages enten- dez-vous? lequel parlez-vous? Ceux qui font à lefus-Chrilt ont les mefmes fentimens que lefus-Chrift, félon S. Paul; & ceux qui font enfans du diable, ex pâtre diabolo, qui a elle homicide dés le commencement du monde, fuiuent les maximes du diable, félon la parole de lefus-Chrift. Efcou- tons donc le langage de vortre Efcole, & demandons à vos Auteurs : Quand on nous donne vn fouiflet, doit-on l'endu- rer plûtoll que de tuer ccluy qui le veut donner; ou bien.

I. L'édit'u)!! in-8° de 1659 ce toutes les éditions suivantes : Et que le diable.

32

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2<o Lettres prouinciales.

eft-il permis de tuer pour éuiter cet affront? // ejl permis, difent Leffius, Molina, Efcobar, Reginaldus, Filiiitius, Bal- dellus & autres lefuites, de tuer celuy qui nous veut donner vn foufflet. Ert-ce le langage de lefus-Chrift? Répondez-nous encore : Seroit-on fans honneur en fouffrant vn foufflet fans tuer celuy qui l'a donné? N'ejt-il pas véritable, dit Efcobar, que tandis qu'rn homme laijfe jnure celur qui luy a donné ru foufflet, il demeure fans honneur? Oiiy, mes Pères, fans cet honneur que le diable a tranfmis de fon efprit fuperbe en celuy de les fuperbes enfans. C'eft cet honneur qui a toii- joiu's efté l'idole des hommes poffedez par l'efprit du monde. C'eft pour fe conferuer cette gloire, dont le démon cil le véritable diftributeiu*, qu'ils luy facriiient leiu* vie par la fureur des duels à laquelle ils s'abandonnent, leur honneur par l'ignominie des fupplices aufquels ils s'expofent, & leur falut par le péril de la damnation auquel ils s'engagent, & qui les a fait priuer de la fepulture mefme par les Canons Ecclefiaftiques. * Mais on doit louer Dieu de ce qif il a éclairé Telprit du Roy par des lumières plus pures que celles de voftre Théologie. Ses edits fi feueres fur ce fujet n'ont pas fait que le duel fuft vn crime, ils n'ont fait que punir le crime qui ell infeparable du duel. Il a arrellé par la crainte de la riguein- de fa iuflice ceux qui n'eftoient pas arreftez par la crainte de la iuflice de Dieu; & fa pieté luy a fait connoillre que l'honneiu- des Chrefliens confifte dans l'obfer- uation des ordres de Dieu & des règles du Chriftianifme, & non pas dans ce fantofme d'honneur, que vous prétendez, tout vain qtfil foit, eftre vne excufe légitime poiu* les meiu'tres. - Ainfi vos decifions meurtrières font maintenant

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa qui n'a été adopté par aucun éditeur.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4° indique encore ici un alinéa qui n'a pas été, plus que le précédent, admis par les éditions postérieures.

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en auerfion à tout le monde ; & vous feriez mieux conseil- lez de 'changer de fentimens, û ce n'eft par principe de Religion, au moins par maxime de Politique. Preuenez, mes Pères, par vne condamnation volontaire de ces opinions inhumaines, les maïuiais effets qui en pourroient naillre, &. dont vous feriez refponfables. Et pour conceuoir plus d'hor- reur de l'homicide^, foimenez-vous que le premier crime des hommes corrompus a elle vn homicide en la perfonne du premier iufte : que leur plus grand crime a efté vn homicide en la perfonne du chef de tous les iulles ; & que l'homicide ell: le feul crime qui dellruit tout enfemble l'Eftat, l'Eglife, la nature & la pieté.

le viens de voir la r.éponfe de voftre Apologifte à la treizième Lettre '. Mais s'il ne répond pas mieux à celle-cy, qui fatisfait à la plufpart de fes difficultez, il ne méritera pas de réplique. le le plains de le voir fortir à toute heure hors du fujet, pour s'étendre en des calomnies &. des injures contre les viuants &. contre les morts. Mais pour donner créance aux mémoires que vous luy fourniffez, vous ne deuiez pas luy faire defauoùer publiquement vne chofe auffi publique qu'eft le fouRlet de Compiegne. 11 eft confiant, mes Pères, par l'aueu de l'offenfé, qu'il a receu fur fa joiie vn coup de la main d'vn lefuite ; &. tout ce qu'ont pu faire vos amys, a efté de m,ettre en doute, s'il l'a receu de l'auant-mai.i ou de 1 arriere-main, & d'agiter la queflion fi vn coup du reuers de la .main fur la joue, doit eflre appelle foufïlet, ou non. le ne fçay à qui il appartient d'en décider; mais ie croy cependant- que c'efl au moins vn foufflet probable. Cela me met en feureté de confcience.

1. Une correction manuscrice de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-8" de 1659 ^^ P^'" toutes les éditions suivantes : A ma rreijième lettre.

2. Quelques éditions modernes : Mais je croinus cependant.

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Q_VINZIÉME LETTRE

ESCRITE PAR TAYTHEVR DES LETTRES AV PROVINCIAL

AVX REVERENDS PERES lESVITES'.

Du 25 Xoucmbre 1656. iMeS REVERENDS PERES,

Puifqiie vos impoftures croiiTent tous les ioiirs, & que vous vous en feruez pour outrag-er û cruellement toutes les perfonnes de pieté, qui font contraires à vos erreurs, ie me lens oblig-é pour leur intereil & pour celuy de l'Eglife de décoimrir vn myflere de voftre conduite, -que i'ay promis il y a long-temps, afin qu'on puifTe reconnoiftre par vos propres maximes quelle foy Ton doit adjouter à vos accu- fations & à vos injures.

le fçay que ceux qui ne vous connoifTent pas affez ont peine à ie déterminer fur ce fujet; parce qu'ils fe troiment danslaneceffité ou de croire les crimes incroyables dont vous accufez vos ennemis, ou de vous tenir poiu- des impolleurs, ce qui leur paroill auffi incroyable. Quoy, difent-ils, fi ces chofes-là n'ertoient, des Religieux les publieroient-ils, 8: voudroient-ils renoncer à leur confcience, & fe damner par ces calomnies? Voilà la manière dont ils raifonnent : 6c ainfi les preuues vifibles par lefquelles on ruine vos fauffetez.

I. L'édition 111-8° de 1659 et h plupart des éditions modernes : Qui//- lièine lettre aux Ra-crends Pcres Jcfiiites.

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254

Lettres proiiiiiciales.

rencontrant l'opinion qu'ils ont de voftre Sincérité, leur eiprit demeure en lulpens entre l'euidence de la vérité qu'ils ne peiuient démentir, & le deuoir de la charité qu'ils appréhendent de blefTer. De forte que comme la feule chofe qui les empefche de rejetter vos médifances, eft l'eftime qu'ils ont de vous; û on leur fait entendre que vous n'auez pas de la calomnie l'idée qu'ils s'imaginent % & que vous croyez faire voûre falut - en calomniant vos ennemis, il ell fans doute que le poids de la vérité les déterminera incon- tinent à ne plus croire vos impoftures. ^ Ce fera donc, mes Pères, le fujet de cette Lettre. le ne feray pas voir feule- ment que vos écrits font remplis de calomnies, ie veux paf- fer plus auant. On peut bien dire des chofes fauffes en les croyant véritables ; mais la qualité de menteur enferme l'in- tention de mentir. le feray donc voir, mes Pères, que voflre intention elt de mentir & de calomnier; & que c'eft auec connoiffance & auec deffein que vous impofez à vos enne- mis des crimes dont vous fçauez qu'ils font innocens ; parce que vous croyez le pouuoir faire fans déchoir de l'eftat de grâce. Et quoy que vous fçachiez auffi-bien que moy ce point de vortre IVIorale, ie ne laifferay pas de vous le dire, mes Pères, afin que perfonne n'en puiife douter, en voyant que ie m'adreffe à vous, pour vous le foùtenir à vous- mefmes, fans que vous puiffiez auoir l'affurance de le nier, qu'en confirmant par ce defaueû mefme le reproche que ie vous en fais. Car c'eft vne doctrine fi commune dans vos efcoles, que vous l'avez foùtenuë non feulement dans vos liures, mais encore dans vos thefes publiques, ce qui ell la

1. Une correction manuscrite de notre collection .in-4'\ adoptée par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : L'idée qu'ils s'imaginent que vous en rwej.

2. Les mêmes éditions : Que vous croyei pouvoir faire votre falut.

7. Une correction manuscrite de notre collection in-4'' indique ici un alinéa que l'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes placent un peu plus bas et qu'elles font commencer à : Je ne ferai pas voir feulement.

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Quin':{icine lettre. 25 >

dernière hardieffe ; comme entr'aiitres dans vos thefes de Louuain de l'année 164^ en ces termes : Ce iieji qu'rn péché véniel de calomnier & d'impofer de faux crimes , pour ruiner de créance ceux qui parlent mal de nous : Quidni non niji venialefit, detrahentis autoy^itatem magnam, tibi noxiani, falfo crimine elidere. Et cette doctrine eft confiante parmy vous, que quiconque l'ofe attaquer, vous le traittez d'ignorant & de téméraire.

C'ert ce qu'a éproiuié depuis peu le P. Quirog'a Capu- cin Alleman, lorsqu'il voulut s'y oppofer. Car voftre Père Dicaftillus l'entreprit incontinent ; & il parle de cette difpute en ces termes, de lull. 1. 2, tr. 2, diip. 12, n. 404 : F;/ cer- tain Religieux graue, piednii & encapuchonné, cucullatus gvm- nopoda, que ie ne nomme point, eut la témérité de décrier cette opinion parmv des femmes & des ignorans , & de dire qu'elle ejîoit pernicieufe & fcandaleufe, contre les bonnes mœurs, contre la paix des EJlats & des Société- , & enfin contraire non feulement à tous les Docîeurs catholiques, mais à tous ceux qui peuuent eftre catholiques. Mais ie luy ar foûtenu, comme ie foûtiens encore , que la calomnie lorfqu'oJi en. vfe contre m calomniateur, quoy qu'elle foit m menfonge , nef point neantmoins i^n péché mortel ny contre la jufiice nj- contre la charité : & pour . le prouuer ie luy ay fourny en foule nos Pères, & les iniiverfitei entières qui en font com- pofées, que i'aj' tous conl\iltei, & entr' autres le R. Père lean Gans Confejfeur de l'Empereur, le R. P. Daniel Bafiele ConfeJJeur de l'Archiduc Leopold , le P. Henry qui a e/lé Précepteur de ces deux Princes, tous les Profefj'eurs publics & ordinaires de l'Vniuerfité de Vienne (toute compolee de lefuites), tous les Profefeurs de l'Vniuerfité de Grats 1 toute de lefuites), tous les Profejfeurs de V ]'niucrjité de Prague (dont les lefliites font les maillres), de tous lefquels i'ar en main les approbations de mon opinion , efcrites & fignées de leur main ; outre que i'aj' encore pour moy le P. de Pennalofja lefuite, Prédicateur^ de l'Empereur & du Ro\- d'Ef pagne, le

2^6 Lettres prouincialcs.

P. Pilliceroli lefuitc, & bien d'autres qui auoieut tous iug;é cette opinion probable auant nojîre difpute. Vous voyez bien, mes Pères, qu'il y a peu d'opinions que vous ayez pris fi à tafche d'eftablir; comme il y en auoit peu dont vous euffiez tant de belbin. Et c'ell pourquoy vous l'auez tellement auto- rifée que les Cafuilles s'en leruent comme d'vn Principe indubitable. // eft confiant, dit Caramouel n. 1151 S que c'ejl vue opinion probable qu'il n'j' a point de péché mortel à calomnier faufjement pour conferuer fon honneur. Car elle eft foûtenuè par plus de vingt Doâeurs graues , par Gafpar Hurtado & Dicajîillus lefuites, &c., de forte que Ji cette doc- trine }i'e/toit probable, à peine y en auroit-il aucune qui le fuft en toute la Théologie.

O Théologie abominable & fi corrompue en tous Tes chefs, que s'il n'eftoit probable & feiu- en confcience - qu'on peut calomnier fans crime pour conferuer fon honneur, à peine y auroit-il aucune de fes decifions qui le fuft'! Qu'il eft vray-femblable, mes Pères, qtie ceux qui tiennent ce principe, le mettent quelquefois en prattique! L'inclination corrompue des hommes s'y porte d'elle-mefme aiiec tant d'impetuofité, qifil eft incroyable qu'en leuant l'obftacle de la confcience, elle ne fe répande auec toute fa véhémence naturelle. En voulez-vous vn exemple? Caramouel vous le donnera au mefme lieu. Cette maxime, dit-il, du P. Dicaf- tillus lefuite touchant la calomnie ayant cfté enfeigne'e par me ComteJJe d'Allemagne aux filles de l'Impératrice, la créance qu'elles eurent de ne pécher au plus que veniellenient par des calomnies, en fit tant naiftre en peu de jours, & tant de

1. Quelques éditions modernes ajoutent : p. 550.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4'\ adoptée par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Que Ji fclon fcs maxinics il n'éroir probable et fur en confcience.

3. L'édition in-8" de 1659 et la plupart des éditions suivantes : Qui fur Jure. On lit dans une note manuscrite et marginale de notre collection in-4" cette autre variante : Qui fuj} nyfeure ny probable.

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Qiiiu-icme lettre.

médifances, & tant de faux rapports, que cela mit toute la Cour en combujiion & en alarme. Car il eft aifé de s'imaginer Vvfage quelles en fceurent faire : de forte que pour appaifer ce tumulte, ou fut oblige' d'appeller m bon Père Capucin d'rne vie exemplaire nommé le P. Qiiiroga (& ce fut llirquoy le P. Dicaftillus le querella tant), qui vint leur déclarer que cette maxime efoit très pernicieufe, principalement parmy des femmes, & il eut m foin particulier de faire que l'Impératrice en abolit tout à fait l'vfage. On ne doit pas eflre furpris des mauuais effets que caufa cette doctrine. Il fau droit admirer au contraire qu'elle ne produifill pas cette licence. L'amour propre nous perfuade toufiours affez que c'eft auec iniuftice qu'on nous attaque; & à vous principalement, mes Pères, que la vanité aueugle de telle forte que vous ^-oulez faire croire en tous vos efcrits, que c'eft bleffer l'honneur de l'Eg-life que de bleffer celuy de voltre Société. Et ainfi, mes Pères, il y auroit lieu de trouuer eftrange que vous ne miffiez cette maxime en prattique \ Car il ne faut plus dire de vous, comme font ceux qui ne vous connoiffent pas : Comment voudroient-ils - calomnier leurs ennemis, puifqu'ils ne le pourroient faire que par la perte de leur falutr Mais il faut dire au contraire : Comment voudroient-ils perdi-e l'auan- tage ' de décrier leurs ennemis, puifqu'ils le peuuent faire fans bazarder leur falut? Qu'on ne s'ertonne donc plus de voir les lefuites calomniateurs : ils le font en feureté de confcience, & rien ne les en peut empêcher; puifque par le crédit qu'ils ont dans le monde, ils peuuent calomnier fans craindre la iuftice des hommes ; 8: que par celuy qu'ils fe

1. Les deux éditions in- 12 de 1657 et quelques éditions modernes : Que vous ne miffiei pas cette maxime en pratique.

2. L'édition in -8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Comment ces bons Pères voudroient-iîs.

3. Les mêmes éditions : Comment ces bons Pères voudroient-ils perdre l'avantage. Nicole dans sa version latine : Boni illi patres.

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2<8 Lettres prouiiiciales.

font donnez fur les cas de confcience, ils ont eftably des maximes pom- le pouiioir faire fans craindre la iuftice de Dieu.

Voilà, mes Pères, la fource d'où naiffent tant de noires impoftiires. Voilà ce qui en a fait répandre à voftre P. Bri- facier, iufqu'à s'attirer la Cenfiu-e de feu M. l'Archeuefque de Paris. Voilà ce qui a porté voftre P. d'Anjou à décrier en pleine chaire dans l'Eglife de S. Benoift ^ le 8 Mars 1655 les perfonnes de qualité qui receuoient les aumofnes pour les panures de Picardie & de Champagne, aufquelles ils contribuoient tant eux-mefmes ; & de dire - par vn menfonge horrible, & capable de faire tarir ces charitez, {\ on euft eu quelque créance en vos impoftures : Qu'il fçauoit de fcience certaine que ces perfonnes aiioient détourné cet argent, pour l'employer contre l'Eglife & contre l'Eflat. Ce qtii obligea le Ciu-é de cette paroiffe, qui éft vn Docteur de Sorbonne , de monter le lendemain en chaire pour démentir ces calomnies. ^ C'eft par ce mefme principe que voftre P. CrafTet a tant prefché d'impoftures dans Orléans, qu'il a fallu que M. l'Euefque d'Orléans l'ait interdit comme vn impofteur public par fon mandement du 9 Sept. % il déclare qu'il défend à Frère lean CraJJet Preflre de la Compagnie de le fus, de prefcher dans fon diocefe, & à tout fon peuple de l'oUir fou y peine de fe rendre coupable d'ime defobéiffance

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Dans réglife S. Benoit à Pans.

2. Les deux éditions in- 12 de 1657, la plupart des éditions mo- dernes, à l'exemple de notre collection in-4° : Er de dire , leçon évidemment fautive, à laquelle quelques éditions postérieures à Pascal ont substitué : Et à dire.

5. Une correction manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa qui n'a été admis par aucun éditeur, excepté par Nicole dans sa version latine de 1658.

4. Une correction manuscrite de notre collection in-4" adoptée par l'édi- tion in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Du () feptembre dernier.

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Qiiin\icine lettre. 2^9

mortelle, fur ce qu'il a appris que ledit Craffet auoit fait vu difcours en chaire remply de fauffeté & de calomnie contre les Ecclefiafiques de cette ville , leur impofant faujjement & malitieufement qu'ils foutenoient ces propofitions hérétiques & impies : Que les commandemens de Dieu font impofjihles : que iamais on ne refifte à la grâce intérieure; & que Iesvs- Christ neft pas mort pour tous les hommes : & autres fem- blables condamnées par Innocent X. Car c'eft là, mes Pères, voftre impofture ordinaire, & la première que vous reprochez à tous ceux qu'il vous eil important de décrier. Et quoy qu'il vous foit auiîî impoffible de le prouuer de qui que ce foit, qu'à voftre P. CrafTet de ces Eccleflaftiques d'Orléans, voflre confcience néanmoins demeure en repos, parce que vous croj'ei que cette manière de calomnier ceux qui vous attaquent j efl fi certainement permife , que vous ne craignez point de le déclarer publiquement & à la veuë de toute vnc ville.

En voicy vn infîg-ne témoignage dans le démeflé que vous euftes auec M. Puys Curé de S. Nifîer à Lyon: & comme cette hiftoire marque parfaitement vollre efprit, i'en rapporteray les principales circonftances. Vous fçauez, mes Pères, qu'en 1649 ^- P^^js traduifit en François vn excel- lent liure d'un autre Capucin * touchant le deuoir des Chrefliens à leur paroijfe, contre ceux qui les en détournent , fans vier d'aucune inuective, & fans defîgner aucun Religieux, nv aucun Ordre en particulier. Vos Pères néanmoins prirent cela pour eux, & fans auoir aucun refpect: pour vn ancien Pafteur, luge en la Primatie de France, & honnoré de toute la ville, voftre P. Alby fit vn liure fanglant contre luv, que vous vendites vous-melhies dans vollre propre eglife le ioiu- de l'Affomption, il l'accufoit de plufieurs choies, 8^

I. Une correccion manuscrite de notre collection in-4'' : D'un P. Cùy:i- cin. L'édition in-8^' de 1659 et toutes les éditions suivanrcs : D'uri an ri P. capucin.

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260 Lettres prouincialcs.

entr'aiitres de sejlre rendu fcaiidaleux par fcs galanteries , & d'eftre fufpeâ d'impiété , d'ejire hérétique, excommunié, & enfin digne du feu. A cela M. Puys répondit; & le P. Alby foùtint par vn fécond liiire Tes premières accufations. N'eft- il donc pas vray^, mes Pères, ou que vous eftiez des calom- niateurs, ou que vous croyiez tout cela de ce bon Preftre , & qu'ainfi il falloit que vous le viffiez hors de Tes erreurs pour le iug-er digne de voltre amitié ? Efcoutez donc ce qui fe paffa dans l'accommodement qui fut fait en prefence d'vn grand nombre des premières perfonnes de la ville, dont les noms font au bas de cette page*, comme ils font marquez dans l'acte qui en fut dreffé le 25 Sept. 1650 \ Ce fut en pre- fence de tout ce monde que M. Puys ne fit autre chofe que déclarer, Que ce qu'il auoit écrit ne s'addrejjoit point aux PP. lefuites : Qu'il auoit parlé en gênerai contre ceux qui éloignent les fdeles des paroijfes, fans auoir penfée d'atta- quer en cela la Société, & qu'au contraire il Vhonnoroit auec amour. Par ces feules paroles ilreuint^ de fon apoftafîe, de fes fcandales & de fon excommunication, fans retractation & fans abfolution; & le P. Alby luy dit enfuite ces propres paroles : Monfieur, la créance que i'aj' eue que vous attaquiez la Compagnie dont i'aj- l'honneur d'e/lre, m'a fait prendre la

* Monjieur de Ville Vicaire gênerai de M. le Cardinal de Lyon : M. Scarron Chanoine &■ Curé de S. Paul : M. Margat Chantre : Mejfieurs Bouuaud, Seue, Auhert & Deruieu, Cha- noines de S. Nifier : M. du Gué Prejîdent des Treforiers de France; M. Grojlier Preuojl des Marchands : M. de Flechere Prejîdent & Lieutenant-gcneral : Mejfieurs de Boi/fat, de Saint Romain & de Bartoly Gentilshommes : M. Bourgeois premier Aduocat du Roy au Bureau des Trejoriers de France : Mejfieurs de Cotton père & fils : M. Boniel, qui ont tousfigné à l'original de la déclaration, auec M. Puys & le P. Alby.

1. - Une correction manuscrite de notre collection in-4", qui n'a été adoptée par aucun éditeur : Vn grand nombre des premières perjonnes de la ville, dont voie y les noms, comme ils font dans l'ade qui en fut fait le 25 fept. i(>s°- Même observation pour l'indication d'un alinéa qui commen- ceroit à : Ce fut en prefence.

2. L'édition in-8° de 1659 : // rcuient. leçon qui n'a été adoptée que par un petit nombre d'éditions postérieures.

Ouiniiéme lettre. 261

plume pour y répondre; & i'ar creû que la manière dont l'en ay vfé m'estoit permise. Mais connoijfant mieux vojîre inten- tion, ie riens vous déclarer qu'il n'y a plvs rien qui me puijje empefcher de vous tenir pour m homme d'efprit très éclairé, de docîrine profonde & orthodoxe, de mœurs irrépréhen- sibles, & en vu mot pour digne Pajleur de voJlre Eglife. C'ejl vue déclaration que ie fais auec ioye, & ie prie ces MeJJieurs de s'en fouuenir.

Ils s'en font rouuenus, mes Pères 5 S: on fut plus Ican- dalifé de la reconciliation que de la querelle. Car qui n'admireroit ce difcoiirs du P. Alby? Il ne dit pas qu'il vient le retracter, parce qu'il a apris le changement des mœurs & de la doctrine de M. Puys ; mais feulement parce que con- noijfant que fon intention n'a pas efté d'attaquer j'ofre Com- pagnie, il n'j' a plus rien qui l'empefclie de le tenir pour catholique. Il ne croyoit donc pas qu'il fuft hérétique en effet? Et néanmoins après l'en auoir accufé contre fa con- noiffance, il ne déclare pas qu'il a failly; & il ofe dire ' au contraire, Qu'il croit que la manière dont il en a vfé luy ejloit permife.

A quoy fongez-vous, mes Pères, de témoigner ainfi publiquement que vous ne mellirez la foy & la vertu des hommes que par l'intention qu'on a pour voftre Société - ? Comment n'auez-vous point appréhendé de vous faire paffer vous-mefmes, & par voftre propre aueii, pour des impofteurs & des calomniateurs? Quoy, mes Pères, vn mefme homme, fans qu'il fe paffe aucim changement en luy, félon que vous croyez qu'il honnore ou qu'il attaque volîre Compagnie,

1. L'édition in-8*' de 1659 et toutes les éditions suivantes : Mais il ofe dire.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes -.Que par les j'cnn- mcnts qu'ils ont pour votre société. C'est cette dernière leçon que Nicole a traduite dans sa version latine : Ut quifquc de focietate wjhJ fcntiat. pcruidc vos de ip lîus fide. de iplius virtute fentire?

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262

Lettres prouinciales.

fera pieux ou impie; irreprehenfible ou excommunié ; digne pajleur de l'Eglife ou digne d'ejîre mis au feu; & enfin catholique ou hérétique ' ? C'efl: donc vne melme chofe dans voftre langage, d'attaquer voftre Société & d'eftre héré- tique? Voilà vne plaifante herefie, mes Pères. Et ainfi quand on volt dans vos efcrits que tant de perfonnes catho- liques y font appellées hérétiques, cela ne veut dire autre chofe, finon que vous croj-e^ qu'ils vous attaquent. - Il eft bon, mes Pères, qifon entende cet eftrange langage, félon lequel il eft fans doute que ie fuis vn grand hérétique. Auffi c'eft en ce fens que vous me donnez fi fouuent ce nom. Vous ne me retranchez de fEglife, que parce que vous croiez que mes Lettres vous font tort; & ainfî il ne me refle pour deuenir catholique, ou que d'approuuer les excès de voftre Morale, ce que ie ne pourrois faire fans renoncer à tout fentiment de pieté ; ou de vous perfuader que ie ne recherche en cela que voftre véritable bien, & il faudroit que vous fuffiez bien reuenus de vos égaremens pour le reconnoiftre. De forte que ie me trouue eftrangement engagé dans l'herefie, puifque la pureté de ma foy eftant inutile pour me retirer de cette forte d'erreur, ie n'en puis fortir, ou qu'en trahiftant ma confcience, ou qu'en reformant la voftre. lufques ie feray toùjoiu-s vn méchant & vn impofteur, & quelque fidèle que i'aye efté à rapporter vos pafî'ages, vous irez crier par tout : Qu'il faut ejlre organe du démon pour vous imputer des chofes dont il n'y a ny marque îtj- vejîige dans vos liiu-es ; & vous ne ferez rien en cela que de conforme à voftre maxime & à voftre pratique ordinaire.

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1. M. P. Faugère, dans les notes inédites qu'il a, recueillies sur les Provinciales, cite cette phrase extraite du manuscrit original de Pascal : Quand vous croyiej AI. Puys ennemi de votre Société, il étoit indigne pafieur de fon églife. Ignorant, hérétique, de mauvaife foi et mœurs. Depuis il ejî digne paf- teur. de bonne foi et mœurs.

2. Une correction manuscrite de notre collection in -4° indique ici un alinéa qui n"a été admis par aucun éditeur.

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Quiniiéme lettre.

263

tant le priuilege que vous auez de mentir a d'étendue. Souffrez que ie vous en donne vn exemple, que ie choifis à deffein , parce que ie répondray en mefme temps à la q" de vos impoftures ; aiiffi bien elles ne méritent d'eftre refutées qu'en paffant.

11 y a dix ou douze ans qu'on vous repVocha cette maxime du P. Bauny : Qu'il eft pei^mis de rechercher direc- tement, PRIMO ET PER SE, viic occafiou prochaine de pécher pour le bien fpirituel ou temporel de nous ou de no/lre pro- chain, tr. 4, q. 14% dont il apporte poiu- exemple : Qu'il eft permis à chacun d'aller en des lieux publics pour conuertir des femmes perdues, encore qu'il foit vraj femhlable qu'on y péchera; pour auoir déjà expérimenté fouuent qu'on eft accouf- tumé de fe laiffer aller au péché par les carejjes de ces femmes. Que répondit à cela voftre P. Cauffin en 1644 dans Ion Apologie pour la Compagnie de lefus, pag. 128 : Qu'on roye l'endroit du P. Bauny, qu'on life la page , les marges, les auant-propos, les fuites, tout le refe, & mefme tout le Hure, on n'j trouuera pas vn feul vejlige de cette fentence, qui ne pourrait tomber que dans lame d'vn homme extrêmement perdu de confcience, & qui femble ne pouuoir être fuppofée que par l'organe du démon. Et voftre P. Pintereau en mefme llyle I. part. p. 24 : Il faut eftre bien perdu de confcience pour enfeigner vue fi deteftable doârine ; mais il faut eftre pire qu'vn démon pour l'attribuer au P. Bauny. Leâeur, il n'y en a ny marque ny vefige dans tout fou Hure. Qui ne croi- roit que des gens qui parlent de ce ton euffent fujet de fe plaindre, & qu'on auroit en effet impoié au P. Bauny? Auez-vous rien affuré contre moy en de plus forts termes? Et comment oferoit-on s'imaginer qu'vn paffage fuft en mots propres au lieu mefme l'on le cite, quand on dit qu'il n'y en a ny marque nj veftige dans tout le Hure?

I- Quelques éditions modernes indiquent la citation de la manière suivante : T. I. tr. ^. q. i^. p. ^^.

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164 Lettres prouinciales.

En vérité, mes Pères, voilà le moyen de vous faire croire jiifqii'à ce qu'on vous réponde; mais c'eft auffi le moyen de faire qu'on ne vous croye iamais plus, après qu'on vous aura répondu. Car il ell fi vray que vous men- tiez alors, que vous ne faites aujourd'huy aucune difficulté de reconnoiftre dans vos Réponfes, que cette maxime eftdans le P. Bauny au lieu mefme qu'on auoit cité : & ce qui eft admirable, c'eft qu'au lieu qu'elle eftoit detejtable il y a douze ans, elle eft maintenant fi innocente, que dans voftre ()" Impoft. p. 10, vous m'accufez d'ignorance & de malice, de quereller le P. Baunj' fur jnie opinion qui neft point reiette'e dans l'Efcole. * Qu'il eft auantageux, mes Pères, d'auoir affaire à ces gens qui difeut le poiu- & le contre! le n'ay befoin que de vous-mefmes pour vous confondre. Car ie n'ay à monftrer que deux chofes : l'vne, que cette maxime ne vaut rien; l'autre, qu'elle eft du P. Baimy; & ie prou- ueray l'vn & l'autre par voftre propre confeffion. En 1644 vous auez reconnu qu'elle eft deteftable; & en 1656 vous auoûez qu'elle eft du P. Bauny. Cette double reconnoiffance me iuftifte aftez, mes Pères. Mais elle fait plus : elle découure l'efprit de voftre Politique. Car dites-moy, ie vous prie, quel eft le but que vous vous propofez dans vos efcrits? Eft-ce de parler auec fmcerité? Non, mes Pères, puifque vos réponfes s'entredeftruifent. Eft-ce de fuiiire la vérité de la Foyr Aiiffi jdcu, puifque vous autorifez vne maxime qui eft détectable félon vous-mefmes. Mais confiderons que quand vous auez dit que cette maxime eft detejlable, vous auez nié en mefme temps qu'elle fuft du P. Bauny ; & ainfi il eftoit innocent : et quand vous auoiiez qifelle eft de luy, vous foiitenez en mefme temjDS qifelle eft bonne; & ainft il eft innocent encore. De forte que l'innocence de ce Père eftant la feule chofe commune à vos deux réponfes, il eft

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4'' indique ici un alinéa qui n'a été admis par aucun éditeur.

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vifîble que c'eft auffi la feule chofe que vous y recherchez, & que vous n'auez pour objet que la defFenfe de vos Pères, en difant dVne mefme maxime qu'elle eft dans vos liures, & qu'elle n'y eft pas ; qu'elle eft bonne, & qu'elle eft mau- viaife; non pas félon la vérité, qui ne change iamais, mais félon voftre intereft, qui change à toute heure. Que ne pourrois-je vous dire deffus : car vous voyez bien que cela eft conuainquant? Cependant cela vous eft tout ordi- naire '. Et pour en omettre vne infinité d'exemples, ie croy que vous vous contenterez que ie vous en rapporte encore vn.

On vous a reproché en diuers temps vne autre propo- rtion du mefme P. Bauny, tr. 4, q. 22, p. 100 : On ne doit njy dénier nj' refufer V abfolution - à ceux qui font dans les habitudes de crimes contre la loy de Dieu , de la nature ' & de l'Eglife, encore qu'on n'y voye aucune efperance d'amen- dement, etji emendationis futurœ fpes nulla appareat. le vous prie fur cela, mes Pères, de me dire lequel y a le mieux refpondu félon voftre gouft, ou de voftre P. Pintereau, ou de voftre P. Brifacier, qui défendent le P. Bauny en vos deux manières 5 l'vn en condamnant cette proportion, mais en defauoûant auffi qu'elle foit du P. Bauny; l'autre en auoùant qu'elle eft du P. Bauny, mais en la juftifiant en mefme temps. Efcoutez-les donc difcourir. Voicy le P. Pintereau pag. 18 : Qii'appelle-f on franchir les bornes de toute pudeur, & paJJ'er au delà de toute impudence, finon d'impofer au P. Bauny comme vne chofe auerée, vne fi dam- nable doctrine? Iuge\, leâeur, de l'indignité de cette calom-

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Cepen- dant rien ne vous eji plus ordinaire.

2. Les mêmes éditions : On ne doit ni dénier ni différer l'abfolunon. Nicole, dans sa version latine, cite le texte même du P. Bauny : Nec negan- dam^ nec differendam.

3. Les mêmes éditions : Dénature.

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266 Lettres proiiinciales.

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nie, & voyei à qui les lefiiites ont affaire ; & fi l'auteur d'vne fi noire fuppofition ne doit pas pajjer déformais pour le truchement du père des menfonges. Et voicy maintenant voftre P. Brifacier 4^ p. pag. 21 : En effet le P. Baiinj dit ce que vous rapporte^. C'eft démentir le P. Pintereau bien nettement. Mais, adjoufte-t'il pour iuftifier le P. Bauny, vous qui j^eprenei cela, attende^ quand vn pénitent fera à vos pieds, que fon Ange gardien hypothèque tous les droits qu'il a au ciel pour efire fa caution. Attende^ que Dieu le Père iure par fon chef que Dauid a inenty quand il a dit par le faint Efprit , que tout homme eft menteur, trompeur & fra- gile; & que ce pénitent ne foit plus menteur, fragile, chan- geant, nr pécheur comme les autres, & vous n appliquerez le fang de lefus-Chrifi fur perfonne.

Que vous femble-t'il, mes Pères, de ces expreffions extrauagantes & impies, que s'il falloit attendre qu'il j euft quelque efperance d' amendement dans les pécheurs pour les abfoudre, il faudroit attendre que Dieu le Père im^afi par fon chef qu'ils ne tomberoient iamais plus? Quoy, mes Pères, n'y a-t'il point de différence entre l'efperance & la certitude? Quelle injure eft-ce faire à la grâce de lefus-Chrift, de dire qu'il eft fi peu poffible que les Chreftiens fortent iamais des crimes contre la loy de Dieu, de la nature * & de l'Eglife, qu'on ne pourroit l'efperer/^w^ que le faint Efprit euft menty: de forte que félon vous û on ne donnoit l'abfolution à ceux doiit on n'efpere aucun amendement, le fang de lefus-Chrift demeureroit inutile, & on ne l'appliqueroit iamais fur per- fonne? A quel eftat, mes Pères, vous réduit le defir immodéré de conferuer la gloire de vos Auteurs, puifque vous ne trou- uez que deux voyes pour les iuftifier, l'impofture ou l'impiété : & qu'ainfi la plus innocente manière de vous deffendre eft de defauoûer hardiment les chofes les plus euidentes?

I. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : De nature.

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Qiiiniiéme lettre. 267

De vient que vous en vfez fi fouuent. Mais ce n'eft pas encore tout ce que vous fçauez faire. Vous forgez des efcrits pour rendre vos ennemis odieux, comme la Lettre d'un Minijire à M. Arnaiild, que vous debitaftes dans tout Paris, pour faire croire que le Hure de la Fréquente Communion, approuué par tant de Docteurs & tant d'Euefques % mais qui à la vérité vous eftoit vn peu contraire, auoit elle fait par vne intelligence fecrete auec les Minières de Charenton. Vous attribuez d'autrefois à vos aduerfaires des efcrits pleins d'impiété, comme la lettre circulaire des lanfenijies, dont le ftyle impertinent rend cette fourbe trop groffiere, & découure trop clairement la malice ridicide de voftre P. xMeynier, qiu ofe s'en feruir p. 28 pour appuyer fes plus noires impollures. Vous citez quelquefois des Hures qui ne furent iamais au monde, comme les Conjlitutions du saint Sacrement, d'où vous rapportez des paflages que vous fabriquez à plaifir, & qui font dreffer les cheueux à la tefte des fimples, qui ne fçauent pas queUe ell: voftre hardieffe à inuenter & publier des menfonges. Car il n'y a forte de calomnie que vous n'ayez mife en vfage. Iamais la maxime qui l'excufe ne pouuoit eftre en meilleures mains -.

Mais ceUes-là font trop aifées à deftruire : & c'q^ pour- quoy vous en auez de plus fubtiles, vous ne particularifez rien, afin d'ofter toute prife & tout moyen d'y répondre, comme quand le P. Brifacier dit : Que fes ennemis commettent des crimes abominables, mais qu'il ne les l'eut pas rapporter. Ne femble-t'il pas qu'on ne peut conuaincre d'impofture vn reproche fi indéterminé? Mais néanmoins vn habile

1 . Une correccion manuscrite de notre collection in-4«'. adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Par tant d'évêques et tant de docleurs. Nicole, dans sa version latine, n'a tenu compte que de la leçon primitive : Tôt dodorum. tôt epifcoporum.

2. L'édition in-8° de 1659 et quelques éditions modernes : En meil- leure main.

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268 Lettres prouinciales.

homme * en a trouiié le fecret ; & c'eft encore vn Capucin, mes Pères : vous elles aujourd'hui malheureux en Capucins 5 & ie preuois qu'vne autre fois vous le pourriez bien eftre en Bénédictins. Ce Capucin s'appelle le P. Valerien, de la maifon des Comtes de Magnis. Vous apprendrez par cette petite hiftoire comment il répondit à vos calomnies. 11 auoit heureufement reûffi à la conuerfion du Landgraue de Darm- ftat". Mais vos Pères, comme s'ils eufTent eu quelque peine de voir conuertir vn Prince fouuerain fans les y appeller, iîrent incontinent vn hure contre luy, (car vous perfecutez les gens de bien partout) falfifiant vn de Tes paffages, ils luy imputent vne doctrine helvétique; & certes vous auiez grand tort, car il n'auoit pas attaqué voftre Compagnie ^ Ils firent auffi courir vne lettre contre luy, ils luy difoient : O que nous auons de cliofes à découurir, fans dire quoy, dont vous ferei bien affligé! Car fi vous n'y donne^ ordj^e, nous ferons oblige^ d'en auertir le Pape & les Cardinaux. Cela n'eft pas maladroit; & ie ne doute point, mes Pères, que vous ne leur parliez ainfi de moy ; mais prenez garde de quelle forte il y répond dans fon liure imprimé à Prague l'année dernière, pag. 112, & fuiu. Qiie ferai-ie, dit-il, contre ces injures vagues & indéterminées? Comment conuaincraj-je des reproches qu'on n explique point? En voicy néanmoins le moyen. C'ejl que ie déclare hautement & publiquement à ceux qui jne menacent, que ce font des impojîeurs infignes, & de

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Un habile homme néanmoins.

2. L'édition in-8° de 1659 reproduit cette leçon qui a été modifiée dans les éditions postérieures de la manière suivante : Du prince Ernejl Land- grave de Hejfe-Rheinfeld. Il paraît certain que la première leçon est fautive.

3. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes suppriment ces mots : Et certes vous auiej grand tort, car il n'auoit pas attaqué vojtre Com- pagnie. Nicole, dans sa version latine, n'a pas omis ce passage. Voici com- ment il le traduit : Immentijfime quidem (nam ille Societatem vejîram non impugnârat).

Qtiin:{iéme lettre. 260

tres-habiles & de tres-impudens menteurs S s'ils ne décomirent ces crimes à toute la terre. Paroi/Je:^ donc, mes accufateurs , & publiei ces chofes fur les toits, au lieu que vous les aue~ dites à roreille, & que vous aue^ menti en affurance en les difant à l'oreille. Il y en a qui s'imaginent que ces dif putes font fcan- daleufes. Il efl vraj' que c'efi exciter vn f caudale horrible, que de ni imputer vn crime tel que Vherefie, & de me rendre fufpect de plufieurs autres. Mais ie ne fais que remédier à ce fcandale en foûtenant mon innocence.

En vérité, mes Pères, vous voilà malmenez; &: iamais homme n'a efté mieux iuftiiié. Car il a fallu que les moindres apparences de crime vous ayent manqué contre luy, puifque vous n'auez point répondu à vn tel defy. Vous auez quel- quefois de fafcheufes rencontres à effuyer; mais cela ne vous rend pas plus fages. Car quelque temps après vous l'attaquaftes encore de la mefme forte fur vn autre fuiet : & il fe défendit auffi de mefme p. 151, en ces termes : Ce genre d'hommes qui fe rend infupportable à toute la Chreftienié, af pire fous le prétexte des bonnes œuures aux grandeurs & à la domination, en détournant à leurs fins prefque toutes les loix diuines, humaines, pofitiues & naturelles. Ils attirent ou par leur doctrine, ou par crainte, ou par efperance, tous les grands de la terre, de l'autorité desquels ils abufent pour faire reiiffir leurs deteftables intrigues. Mais leurs attentats, quov- qiie fi criminels, ne font nv punis nv arrefte-y,- ils font recom- penfei au contraire ; & ils les commettent auec la mefme har- dieffe que s'ils j^endoient vn feruice à Dieu. Tout le monde le reconnoilî, tout le monde en parle auec exécration; mais il y en a peu qui f oient capables de s'oppofer à vue fi puifdnte tyran- nie. C'efl ce que i'ay fait neantmoins. l'a y arrêté leur impu- dence, & ie l'ai^f^efleraj' encore par le mefme moyen. le déclare donc qu'ils ont mentj' très impudemment , xMentiri impvden-

I- Les deux éditions in-12 de 1657 et toutes les éditions suivantes : De très-habiles et très-impudents menteurs.

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Lettres p^ouinciales.

TissiMÈ \ Si les cho/es qu'ils m'ont reprochées font j'eri tables, qu'ils les prouuent donc, ou qu'ils pajjent pour conuaiiicus d'vn menfonge plein d'impudence. Leur procédé fur cela découurira qui a raifon. le prie tout le monde de Vobferuer, & de remar- quer cependant que ce genre d'hommes, qui ne fouffrent pas la moindre des injures qu'ils peuuent repouffer, font femblant de fouffrir tt^es patiemment celles dotit ils ne fe peuuent deffendre , & couurent d'ime fciuffe vertu leur véritable impuiffance. C'efl pourquoy i'ar voulu it^riter plus viuement leur pudeur, afin que les plus gro£iers reconnoifjént que s'ils fe taifent, leur patience ne fera pas m effet de leur douceur, mais du trouble de leur confcience.

- Voilà ce qu'il dit, mes Pères. Et il finit ainfi : Ces gens- dont on fçait les hijloires par tout le monde, font fi euidem- ment injufles & fi infolens dans leur impunité , qu'il faudroit que J'euffe renonce à lefus-Chrift & à fou Eglife, fi ie 7ie detefiois leur conduite, & mefme publiquement , autant pour me jufiijîer que pour empefcher lesfimples d'en efire feduits.

Mes Reuerends Pères, il n'y a plus moyen de reculera Il faut pafTer pour des calomniateurs conuaincus, & recou- rir à voftre maxime, que cette forte de calomnie n'eft pas vn crime. Ce Père a trouué le fecret de vous fermer la bouche; c'ell ainfi qu'il faut faire toutes les fois que vous accufez les gens fans preuues. On n'a qu'à répondre à cha- cun de vous, comme le P. Capucin, mentiris impudentiffimè. Car que répondroit-on autre chofe, quand voftre Père Bri- facier dit par exemple, que ceux contre qui il efcrit/o«f des

1. Quelques éditions modernes : Mentiris impudentij/îmè . leçon que n'ont adoptée ni les deux éditions in-12 de 1657, ^^ l'édition in-S" de 1659. Voici le texte même du P. Valérien, tel que le cite Nicole dans sa version latine : Aio. aurores illius fcripti. vobis judicialiter exhibiti. mentiri impudentijfîme.

2. Une correction manuscrite de notre collection in- 4" supprime l'alinéa, ce que n'a fait aucun éditeur.

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, qui n'a été adoptée par aucun éditeur : Il n'y a plus moyen de reculer, mes Reuerends Pères.

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Quiniiéme lettre. 271

portes d'enfer, des Pontifes du diable, des gens décheus de la foy, de Vefperance & de la charité, qui bajtijjent le threfor de V Antechrijl ? Ce que ie ne dis pas (adjoufte -t'il) par forme d'injure, mais par la force de la vérité. S'amuferoit-on à prouuer qu'on n'eft pas porte d'enfer, & qu'on ne baflit pas le threfor de l'Antechrif?

Que doit-on refpondre de melme à tous les difcours vagues de cette forte qui font dans vos liures & dans vos Auertiffemens fur mes Lettres : par exemple, quon s'applique les ?'efitutions , en reduifant les créanciers dans la pauureté ; Qu'on a offert des facs d'argent à de fçauans Religieux qui les ont refufe\; Qu'on donne des bénéfices pour faire femer des hei^ejies contre la foy; Qu'on a des penfionnaires parmy les plus illujlres ecclefq/iiques & dans les Cours Souueraines ; Que ie fuis auffi penfionnaire de Port-Royal ; & que ie faifois des Romans auant mes Lettres, moy qui n'en ay iamais leu aucun, & qui ne fçay pas feulement le nom de ceux qu'a faits voftre Apolog-ifle (a)? Qu'y a-t'il à dire à tout cela, mes Paies, fînon Ment iris impudentiffimè, fi vous ne marquez toutes ces perfonnes, leurs paroles, le temps, le lieu? Car il faut fe taire , ou rapporter & prouuer routes les circon- ftances, comme ie fais, quand ie vous conte les hilloires de lean d'Alba & du P. Alby ^ Autrement vous ne ferez que vous nuire à vous-mefmes. Toutes ces fables - pouuoient peut-eftre vous feruir auant qu'on fceuft vos principes; mais à prefent que tout elt découuert, quand vous penferez dire à l'oreille, Qu'vn homme d'honneur, qui defire cacher fon nom, pous a appris de terribles chofes de ces gens-là; on vous fera foiuienir incontinent du Mentiris impudentiffimc du

(a) Il s'agit ici de Desmarest de Saint-Sorlin auquel Pascal avait attribué à tort l'apo- logie des Jésuites, erreur qu'il a reconnue plus tard et réparée avec une rare éloquence. (Voy., à la fin de la 16'' Provinciale, le a*" P. -S.)

1. L'édition in-8" de 1659 ec toutes les éditions suivantes : Du P. Alby et de Jean d'Alba.

2. Les mêmes éditions : Toutes vos fables.

' 272 Lettres proilinciales.

bon Père Capucin. ^ 11 n'y a que trop long- temps que vous trompez le monde, & que vous abulez de la créance qu'on auoit en vos impoftures. 11 eft temps de rendre la réputation à tant de perfonnes calomniées. Car quelle innocence peut eftre généralement reconnue qu'elle ne foufTre quelque atteinte par les impoftures hardies d'vne Compagnie répandue par toute la terre, & qui fouz des habits reli- gieux coiuire des âmes fi irreligieufes, qu'ils commettent des crimes tels que la calomnie, non pas contre leurs maximes, mais félon leurs propres maximes? Ainfi l'on ne me blafmera point d'auoir détruit la créance qu'on pouuoit auoir en vous : puifqu'il elt bien plus iufte de conferuer à tant de perfonnes que vous auez décriées, la réputation de pieté qu'ils ne méritent pas de perdre, que de vous laiffer la réputation de fmcerité que vous ne méritez pas d'auoir. Et comme l'vn ne fe pouuoit faire fans l'autre, combien elloit-il important de faire entendre qui vous elles? C'eft ce que i'ay commencé de faire icy; mais il faut bien du temps pour acheuer. On le verra, mes Pères, & toute voftre Poli- tique ne vous en peut garantir ; puifque les efforts que vous pourriez faire pour l'empefcher, ne feruiroient qu'à faire connoiftre aux moins clair-voyans que vous auez eu peiu*, & que voftre confcience vous reprochant ce que i'auois à vous dire, vous auez tout mis en vfage pour le preuenir.

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4" indique ici un alinéa qui n'a été admis par aucun éditeur.

SEIZIEME LETTRE

ESCRITE PAR L'AVTEVR DES LETTRES AV FROVINCIAL

AVX REVERENDS PERES lESVITES.'

Du 4 Décembre 1656. Mes REVERENDS PERES,

Voicy la fuite de vos calomnies, ie répondray d'abord à celles qui reftent de vos Auertijfemens . Mais comme - tous vos autres liures en font eg'alement remplis, ils me fourniront aflez de matière pour vous entretenir fur ce fiijet autant que ie le iugeray neceflaire. le vous diray donc en vn mot fur cette fable que vous auez femée dans tous vos écrits contre Mr d'ipre, que vous abufez malicieii- fement de quelques paroles ambiguës d'vne de fes lettres, qui eftant capables dVn bon fens doiuent eftre prifes en bonne part, félon Fefprit charitable de l'Eglife, & ne peuuent eftre prifes autrement que félon l'efprit malin de voftre Société '.

1. L'édition in-S" de 1659 et la plupart des éditions modernes : Seizième lettre aux révérends Pères Jéfuites.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, qui n'a été adoptée par aucun éditeur : Voicy la fuite de vos calomnies. le répondray d'abord à celles qui reftent de vos Auertijfcmens : et comme...

3. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Selon Vefprit de l'Eglife. et ne peuvent être prifes autrement que félon Vefprit de votre Société. Nicole, dans sa version latine, a eu soin de ti'aduire les deux épithétes charitable et malin : Ex benigno ccclefîœ fpiritu, ex Societatis vcjha: malignitate.

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274

Lettres prouincialcs.

Car pourquoy voulez-vous qu'en difant à Ton amy : Ne vous mettei point tant en peine de vojlre neueii ; ie Inj- fournii^ay ce qui ejt necejfaire de l'argent qui eji entre mes mains, il ayt voulu dire par qu'il prenoit cet argent pour ne le point rendre, & non pas qu'il l'auançoit feulement pour le rem- placer? Mais ne faut-il pas que vous foyez bien imprudens; puifque vous auez fourny * vous-mefmes la conuiction de voftre menfonge par les autres lettres de Mr d'ipre, que vous auez imprimées , qui marquent parfaitement - que ce n'eftoit en effet que des auances qu'il deuoit remplacer? C'efl ce qui paroift dans celle que vous rapportez du 30 Juil- let 1619 en ces termes qui vous confondent : Ne vous foucie^ pas DES AVANCES, // ne luy manquera rien tant qu'il fera icy. Et par celle du 6 lanuier 1620 il dit : vous auei trop de hafte ; & quand il fer oit quefiion de rendre compte, le peu de crédit que i'aj' icj 77ie fej^oit trouuer de l'argent au befoin.

Vous eftes donc des impofleurs, mes Pères, auffi-bien fur ce fujet que fur voftre conte ridicule du Tronc de S. Merry. Car quel auantage pouuez-vous tirer de l'accufa- tion qu'vn de vos bons amis fufcita à cet Ecclefiaflique que vous voulez déchirer? Doit-on conclure qu'vn homme eft cou- pable, parce qu'il eft accufé? Non, mes Pères. Des gens de pieté comme luy pourront toiijours eftre accufez, tant qu'il y aura au monde des calomniateurs comme vous. Ce n'eft donc pas par l'accufation, mais par l'arreft qu'il en faut iuger. Or l'arreft qui en fut rendu le 23 Février 1656 le iuftifie pleine- ment; outre que celuy qui s'eftoit engagé témérairement dans cette iniufte procédure, fut defauoûé par fes Collègues, & forcé luy-mefme à la retracter \ Et quant à ce que vous dites

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-S" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Ne faut-il pas que vous foyej bien imprudents d'avoir fourni...

2. Les mêmes éditions : Vifblement^ que Nicole traduit par Apertè.

3. Les mêmes éditions : A y renoncer.

r

Sei\iémc lettre. 275

au mefme lieu de ce fameux direcîeui- qui fe fît riche en vu Jiioment de neuf cens mille Hures, il lliffit de vous renvoyer à Meilleurs les Curez de S. Roch & de S. Paul, qui rendront témoignage à tout Paris de Ion parfait des-intereffement dans cette affaire, &. de voftre malice inexculable dans cette impofture. ^ C'en eli affez - pour des fauffetez fi vaines. Ce ne font que les coups d'effay de vos Nouices, & non pas les coups d'importance de vos grands Profés. l'y viens donc, mes Pères; ie viens à cette calomnie l'vne des plus noires qui Ibient Ibrties de voftre efprit. le parle de cette audace infupportable, auec laquelle vous auez olé imputer à de faintes Religieufes, & à leurs Directeurs, de ne pas ct^oire le myflere de la Tranffubjlantiation , nv la prefence t^eelle de lefus-ChriJi dans l'EuchariJlie. \o\\b. , mes Pères , vne impofture digne de vous. Voilà vn crime que^^Dieu leul eft capable de punir, comme vous leuls elles capables de le commettre. 11 faut eftre auffi hinnble que ces humbles calomniées, pour le fouffrir auec patience; & il faut élire auffi méchant que de fi méchans calomniateurs, pour le croire, le n'entreprens donc pas de les en iulliiier; elles n'en font point fufpectes. Si elles auoient befoin de defen- feurs, elles en auroient de meilleurs que moy. Ce que i'en diray icy ne fera pas pour monllrer leur innocence, mais pour monftrer voftre malice. le veux feidement ^ous en faire horreur à vous-mefmes, & faire entendre à tout le monde qu'après cela il n'y a rien dont vous ne foyez capables.

Vous ne manquerez pas neantmoins de dire que ie fuis de Port-Royal : car c'eft la première chofe que vous dites à quiconque combat vos excès; comme on ne trouuoit qu'à Port-Royal des gens qui euffent affez de zèle pour défendre

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4", l'édition in-8' de 1659 et toutes les éditions suivantes mettent ici un alinéa.

2. Les mêmes éditions : En voilà ojfci-

276

Lettres proiiinciales.

-^A

contre vous la pureté de la Morale Chrétienne. le fçay, mes Pères, le mérite de ces pieux folitaires qui s'y eftoient retirez, & combien l'Eglife eft redeuable à leurs ouurages fi édiiians & fi folides. le fçay combien ils ont de pieté & de lumière. Car encore que ie n'aye iamais eu d'eftablifTement auec eux, comme vous le voulez faire croire fans que vous fçachiez qui ie fuis, ie ne laiffe pas d'en connoiftre quel- ques-vns, & d'honnorer la vertu de tous. Mais Dieu n'a pas renfermé dans ce nombre feul tous ceux qu'il veut oppofer à vos defordres. l'efpere auec fon fecours, mes Pères, de vous le faire fentir ; & s'il me fait la grâce de me foutenir dans le deifein qu'il me donne d'employer pour luy tout ce que i'ay receu de luy, ie vous parleray de telle forte que ie vous feray peut-eftre regreter de n'auoir pas affaire à vn homme de Port-Royal. Et pour vous le témoigner, mes Pères, c'eft qu'au lieu que ceux que vous outragez par cette infigne calomnie, fe contentent d'offrir à Dieu leurs gemiffemens, pour vous en obtenir le pardon, ie me fens obligé, moy qui n'ay point de part à cette iniure, de vous en faire rougir à la face de toute l'Eglife, pour vous pro- curer cette confufion falutaire dont parle l'Efcriture, qui eft prefque l'vnique remède d'vn endurciffement tel que le voftre : Impie faciès eoriim îgnominiâ, ô quœrent nomen tiium. Domine \

Il faut arrefter cette infolence qui n'eipargne point les lieux les plus faints. Car qui pourra eflre en feureté après vne calomnie de cette nature? Quoy, mes Pères, afficher vous-mefmes dans Paris un liure fi fcandaleux auec le nom de vollre Père Meynier à la telle, & fous cet infâme titre : Le Port-Roj'al & Genéiie d'intelligence contre le tres-faint Sacrement de l'Autel, vous accufez de cette apoftafie non feulement M. de Saint-Cyran ^ & M. Arnauld, mais auffi la

1. Quelques éditions modernes ajoutent : Pf. LXXXIh 17.

2. Une correction manuscrite de notre collection m-^^ , adoptée par

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Seizième lettt-e. 277

Mère Agnes fa fœur, & toutes les Religieufes de ce monaf- tere, dont vous dites pag. 96 : Que leur foj- ejl auji fiifpeâe touchant l'EiichariJUe, que celle de M. Arnauld, lequel vous foùtenez pag. 4 élire effeâiuement Caluinijîe. le demande defTus à tout le monde, s'il y a dans FEglife des perlbnnes fur qui vous puiffiez faire tomber vn fi abominable reproche avec moins de vray-femblance ? Car dites-moy, mes Pères, ces religieufes & leurs Directeurs eftoient d'intelligence aiiec Geneue contre le tres-faint Sacrement de l'Autel , ce qui eft horrible à penfer, pourquoy * auroient-elles pris pour le principal objet de leur pieté ce Sacrement qu'elles auroient en abomination? Pourquoy auroiênt-elles joint à leur règle l'inllitution du faint Sacrement? Pourquoy auroient-elles pris l'habit du faint Sacrement; pris le nom de filles du faint Sacrement; appelle leur Eghfe, l'EgHfe du faint Sacre- ment - ? Pourquoy auroient-elles demandé & obtenu de Rome la confirmation de cette inftitution, & le poimoir de dire tous -les ieudys l'ofHce du S. Sacrement, oi^i la foy de l'Eghfe eft fi parfaitement exprimée, fi elles auoient conjiu"é auec Genéue d'aboHr cette foy de l'Eglife? Pourquoy fe feroient - elles obligées par vne deuotion particuHere, approuuée auffi par le Pape, d'auoir fans cefie nuit & iour des Religieufes en prefence de cette fainte hoftie, pour reparer par leurs adorations perpétuelles enuers ce facrifice

l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : M. l'abbé de Sdint-Cyran.

j. Une correction manuscrite de notre collection in-40, que n'ont adoptée ni l'édition in-12 de 1657 ni aucune des éditions suivantes : Car fi ces Religieufes et leurs direclcurs efioient d'intelligence auec Genéue contre le tres-famt Sacrement de l'Autel, ce qui ejl horrible à penjer. dittes moy. mes Pères, pourquoy...

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, qu'aucun édi- teur n'a admise : Pourquoy auroient-elles pris l'habit du S. Sacrement? Pourquoy auroient-elles choify le nom de filles du S. Sacrement? Pourquoy auroient-elles appelle leur Eglifc. l'Eglife du S. Sacrement?

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278

Leth^es prouiiiciales.

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perpétuel l'impiété de Therefie qui l'a voulu anéantir? Dites-moy donc, mes Pères, fi vous le pouuez, pourquoy de tous les myfteres de noftre religion, elles auroient laiffé ceux qu'elles croyent, pour choifir celuy qu'elles ne croy- roient pas? Et pourquoy elles fe feroient deuoûées d'vne manière fi pleine & fi entière à ce myftere de noftre foy, (i elles le prenoient, comme les hérétiques, pour le myftere d'iniquité ? ^ Que répondez-vous, mes Pères, à des témoi- gnages fi euidens non pas feulement de paroles, mais d'actions; & non pas de quelques actions particulières, mais de toute la fuite d'vne vie entièrement confacrée à l'adoration de Iesvs-Christ refidant fur nos Autels? Que répondez-vous de mefme aux Hures que vous appeliez de Port-Royal, qui font tout remplis - des termes les plus pré- cis, dont les Pères & les Conciles fe foient feruis pour mar- quer l'efTence de ce myftere? C'efi: vne chofe ridicule, mais horrible, de vous y voir répondre dans tout voftre libelle en cette forte : M. Arnaidd, dites-vous, parle bien de tranjfub- Jîantiation , mais il entend peut-efire î^«<? tranjfiiblïantiation fignificatiiie. Il témoigne bien croire /a prefence réelle; mais qui nous a dit qu'il ne l'entend pas d'vne figure vraye & réelle? en fommes-nous, mes Pères, & qui ne ferez- voiis point paffer pour Caluinifte quand il vous plaira, fi on vous laiife la licence de corrompre les expreffions les plus canoniques & les plus faintes, par les malicieufes fubti- litez de vos nouuelles equiuoques? Car qui s'efi: iamais feruy d'autres termes que de ceux-là, & fur tout dans de fimples difcours de pieté , il ne s'agit point de con- trouerfes? Et cependant l'amour & le refpect qu'ils ont pour ce faint myflere, leur en a tellement fait remplir tous leurs écrits, que ie vous deffie, mes Pères, quelques

1. Une correccion manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa qui n'a été adopté par aucun éditeur.

2. Quelques éditions, mais non pas celle de 1659: Qui font tous remplis.

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1

Seizième lettî^e. 279

artificieux que vous foyez, d'y trouucr la moindre ombre d'ambiguité, & de comienance avec les lentimens de Genéue ^

Tout le monde fçait , mes Pères - , que Therefie de Genéue confifte efTentiellement, comme vous le rapportez vous-melmes, à croire que Iesvs -Christ n'eft point enfermé dans ce Sacrement : qu'il eft impoffible qu'il Ibit en plufieurs lieux : qu'il n'eft vrayement que dans le Ciel, & que ce n'eft que on le doit adorer, & non pas fur l'Autel : que la lubftance du pain demeure : que le corps de Iesvs- Christ n'entre point dans la bouche ny dans la poitrine : qu'il n'eft mangé que par la foy, & qu'ainfi les méchans ne le mangent point; & que la Mefte n'eft point vn facrifice, mais vne abomination. Efcoutez donc, mes Pères, de quelle manière Port-Royal ejï d'intelligence avec Genéue dans leurs Hures. On y lit à voftre confufion, que la chair & le fang de Iesvs-Christ font contenus fou^ les efpeces du pain & du vin, 2' lettre de M. Arnauld pag. 259. Qiie le Saint des Saints eft prefent dans le SanBuaire, & qu'on Vf doit adorer, ibid, pag. 243. Que Iesvs-Christ habite dans les pécheurs qui communient , par la prefence réelle & véritable de fon corps dans leur poitrine , quovque non par la prefence de fon efprit dans leur cœur, Freq. Comm. 3*^ Part, chap. 16. Que les cendres mortes des corps des Saints tirent leur principale dignité de cette femence de vie, qui leur refte de l'attouchement de la chair immortelle & viuiiiante de Iesvs- Christ, i" Part. chap. 40. Que ce n eft par aucune puiffance naturelle, mais par la toute puiffance de Dieu, à laquelle rien

1. Une correccLon manuscrite de notre collection in-4° : D'un cojle Li moindre apparence d'ambiguïté, et de Vautre la moindre ombre de conucnancc auec les Jenti mens de Genéue. L'édition in-S"^ de 1659, qui semble s'être inspi- rée de la correction proposée ci-dessus, et toutes les éditions suivantes : D'y trouver ni la moindre apparence d'ambiguïté, m la moindre convenance avec us fentiments de Genève.

2. Quelques éditions : Tout le monde fait bien, mes Pcres.

1

■^)t.

280 Lettres p^ouinciales.

n'eft impojjîblc, que le corys ^^Iesys-Christ^T? enfermé fous riioftie & fous la moindre partie de chaque hojîie, Theolog. Fam. leç. i^. Que la vertu diuine ejî prefente pour produire l'effet que les paroles de la confecration fignifîent, ibid. Que Iesvs-Christ qui ejt rabaife & couché fur l'autel, eJî en mefme temps éleué dans fa gloii'e : qu'il efl par luy-mefme & par fa puifl'ance ordinaire en diuers lieux en mefme temps, au milieu de l'Eglife triomphante & au milieu de VEglife mili- tante & voyagere. De la furpenfion, Raif. 21. Que les efpeces facramentales demeurent fuf pendues , & fuhfiflent extraordinai- rement fans efre appuyées d'aucun fujet , & que le corps de Iesvs-Christ ejï auffi fuf pendu fous les efpeces: qu-il ne dépend point d'elles comme les fubjîances dépendent des accidens, ibid. 23. Que la fubjlance du pain fe change en laiffant les acci- dens immuables. Heures dans la profe du faint Sacrement. Que Iesvs-Christ repofe dans l' Eucharijîie auec la mefme gloire qu'il a dans le Ciel, Lettres de M. de S. Cyran, tom. i, Let. 93. Que f on humanité glorieufe refde dans les tabernacles de l'Eglife fous les efpeces du pain qui le couurent viliblement; & que fçachant que nous fommes groffiers, il nous conduit ainfi à l'adoration de fa diuinité prefente en tous lieux, par celle de fou humanité prefente en vn lieu particulier, ibid. Que nous receuons le corps de Iesvs- Christ /«r la langue, â qu'il la fanâifîe par fon diuin attouchement. Lettre 32. Qu'il entre dans la bouche du Preftre, Lettre 72. Que quoy que Iesvs-Christ fe foit rendu acceffible dans le S. Sacrement par vn effet de fou amour & de fa clémence, il ne laiffe pas d'y conferuer fon inac- ceffibilité, comme vue condition infeparable de fa nature diuine; parce qu'encore que le feul corps & le feul fang y foient par la vertu des paroles , ri rerborum, comme parle VEfcole, cela n'empefche pas que toute fa diuinité auffi bien que toute fon humanité n'y foit par vue fuite & vue conionâion neceffaire^, Defenle du Chappellet du S. Sacrement p. 217. Et enfin

I, L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : N'y foit

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Seizième letti^e. 281

que rEuchariJiic eji tout eufemble facrement & facrijïcc, Theol. Fam. leç. 15, ^ qu'encore que ce facrijîce foit inic commémora- tion de celuj' de la Croix, toutefois il j' a cette différence que celuj' de la Meffe neft offert que pour l'Eglife feule, & pour les fidèles qui font dans fa communion ; au lieu que celuj' de la Croix a efé offert pour tout le monde, comme VEfcriture parle, ib. p. 153. * Cela fuffit, mes Pères, pour faire voir claire- ment qu'il n'y eut peut-ellre iamais vne plus grande impu- dence que la voftre. Mais ie veux encore vous faire prononcer cet arreft à vous-mêmes contre vous-mêmes. Car que demandez-vous aiîn d'ofter toute apparence qu'vn homme foit d'intelligence avec Genéue? Si M. Arnauld, dit voftre Père Meynier p. 83, euft dit qu'en ce't adorable mjflere, il n'y a aucune fubfiance du pain fous les efpeces, mais feule- ment la chair & le fang de Iesvs-Christ, j'^^^Jf^ auoiiJ qu'il fe feroit déclaré entièrement contre Gencue. Auoûez-le donc, impofteurs, & faites luy vne réparation publique de cette injure publique-. Combien de fois Tauez-vous veu dans les paffages que ie viens de citer? Mais de plus la Théo- logie familière de M. de S. Cyran eftant approuuée par M. Arnauld, elle contient les fentimens de l'vn & de l'autre. Lifez donc toute la leçon 15 & fur tout l'article fécond, & vous y trouuerez les paroles que vous demandez, encore plus formellement que vous-mefmes ne les exprimez ; Y a-t'il du pain dans Vhoftie & du vin dans le calice? Xon , car toute la fubfiance du pain & celle du vin font oftees pour faire place à celle du corps & du fang de Iesvs- Christ,

far une conjonciion nécejfaire. Nicole n'a traduit que ces derniers mots : Propter necejfanam conjunclionem.

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4'' indique ici un alinéa qui n'a été admis par aucun éditeur.

2. L'édition in-8"^ de 1659 omet les mots de cette iniure pu- blique, omission que n'a commise presque aucune des éditions suivantes. Nicole, dans sa version latine, traduit : Publicam injuriam publicà fatisfaàior.e farcite.

36

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^Cr n gr^X

282 Lettres prouiuciales.

laquelle y demeure feule couuerte des qualité^ & des efpeces du pain & du viii.

Et bien, mes Pères, direz-voiis encore que le Port-Royal n'enfeigne rien que Genéue ne reçoiue : & que M. Arnauld n'a rien dit dans fa féconde Lettre qui ne puft ejlre dit par vn Miuijîre de Charenton ? Faites donc parler Meftre- zat comme parle M. Arnauld dans cette lettre pag. 237 & fuiu. F'aites luy dire, Que c'eft vn menfonge infâme de l'accu- fer de nier la tranfjubflantiation : Qu'il prend pour fondement de fes Hures la vérité de la prefence réelle du Fils de Dieu , oppofée à llierefie des Caluinijles : Qu'il fe tient heureux d'eflre en vn lieu l'on adore continuellement le Saint des Saints pre- fent ' dans le Sanâuaire; ce qui efl beaucoup plus contraire à la créance des Caluiniftes, que la prefence réelle mefme; puifque, comme dit le Cardinal de Richelieu dans fes Con- trouerfes, pag. 536 : les nouueaux Minijires de France s' efl ant vnis avec les Luthériens qui la cî^oyent % ils ont déclare' qu'ils ne demeuî^ent feparei de l'Eglife touchant ce mjflere, qu'à caufe de Vadoration que les catholiques rendent à lEucharifiie. Faites fig-ner à Genéue tous les paffag-es que ie vous ay rapportez des liiu-es de Port-Royal , & non pas feulement les paffag-es, mais les traitez entiers touchant ce myiiere, comme le lim*e de la Fréquente communion, l'Explication des cérémonies de la Meffe, l'Exercice durant la Meffe, les Raifons de la fuipenfion du S. Sacrement, la traduction des hymnes dans les Heures du Port-Royal, &c. Et enfin faites eftablir à Charenton cette inftitution fainte d'adorer fans ceffe lefus-Chrift enfermé dans l'Euchariftie, comme on fait

1. L'édition in-8° de 1659 omet le mot préfent. que la plupart des éditions suivantes ont rétabli et que Nicole, dans sa version latine, a eu soin de traduire : In fanàluario reftdens.

2. L'édition in -8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Qui croient la prefence réelle de Jéfus-Chrifl dans VEuchariftie. Nicole traduit également cette leçon : Qui fe Lutheranis conjunxerunt realem prœfenriam non negantibus.

7iv ^ b j>3^

Set\ié?7îe lettre. 283

à Port-Royal, & ce fera, le plus fîg-nalé feruice que vous puiffiez rendre à l'Eglife, puifqu alors le Port-Royal ne fera pas d'intelligence avec Genéue , mais Genéue d'intelligence avec le Port-Royal & toute FEglife.

En vérité, mes Pères, vous ne pouuiez plus mal choifir que d'accufer le Port-Royal de ne pas croire l'Euchariftie ; mais ie veux faire voir ce qui vous y a engagez. Vous fçauez que i'entens vn peu voftre Politique. Vous l'auez bien fuiuie en cette rencontre. Si iM. de S. Cyran ' & M. Arnauld n'auoient fait que dire ce qu'on doit croire tou- chant ce myftere, & non pas ce qu'on doit faire pour s'y préparer, ils auroient efté les meilleurs catholiques du monde, & il ne le feroit point trouué d'equiuoques dans leurs termes àQ prefence réelle & de tranjjubjtantiation. Mais parce qu'il faut que tous ceux qui combattent vos relâche- mens foient hérétiques, & dans le point mefme oii ils les combattent, comment M. Arnaidd ne le feroit-il pas fur l'Euchariftie, après auoir fait un liure exprés contre les pro- fanations que vous faites de ce Sacrement? Quoy, mes Pères, il aiu'oit dit impunément, qu'on ;/^ doit point donner le corps de lefiis-Chrifi à ceux qui retombent toujîours dans les mefmes crimes, & aufquels on ne voit aucune efperance d'amen- dement ; & qu'on doit les feparer quelque temps de V Autel, pour fe purifier par vue pénitence fincere, afin de s'en approcher en fuite avec fruit? Ne fouffrez pas qu'on parle ainfi , mes Pères ; vous n'auriez pas tant de gens dans vos confeifionaux. Car vollre P. Brifacier dit que fi vous fui uie^ cette méthode, vous n'appliqueriez le fang de lefus-Chrifi fur perfonne. 11 vaut bien mieux pour vous qu'on fuiue la pratique de vollre Société, que voilre P. Mafcarenhas rapporte dans im liure approuué par vos Docteiu-s, & mefme par vollre R. P. General, qui ell.

I- L'éduion in-8" de 1659 ce toutes les éditions suivantes : M. l'abbc de S. Cyran. Nicole ajoute une épithéte sonore : Sandi Cygirani clanjjimiu abbas.

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284 Lettres prouinciales.

Que toute forte de perfonnes, & mefnie les Prefîres peuueut rece- uoir le corps de lefus-ChriJl le iour me/me qu'ils fe font foui lle^ par des pèche- abominables : Que bien loin qu'il j- aj't de Virre- uerence en ces communions, on ejl loiiable au contraire d'en vfer de la forte : Que les confeffeurs ne les en doiuent point détourner, & qu'ils doiuent au contraire confeiller à ceux qui viennent de commettre ces crimes, de communier à l'heure mefme, parce qu'encore que VEglife l'ajt deffendu, cette deffenfe ejî abolie par la pratique vniuerfelle de toute la teri^ *.

Voilà ce que c'efl, mes Pères, d'auoir des lefuites par toute la terre. Voilà la pratique yniiierfelle que vous y auez introduite, & que vous y voulez maintenir. Il n'importe que les tables de lefus-Chrift foient remplies d'abomination, pourueu que vos eglifes foient pleines de monde. Rendez donc ceux qui s'y oppofent hérétiques fur le S. Sacrement'. Il le faut à quelque prix que ce foit. Mais comment le pourrez-vous faire après tant de témoignag-es inuincibles qu'ils ont donnez de leur foy? N'auez-vous point de peur que ie rapporte les quatre grandes preuues que vous don- nez de leur herefîe? Vous le deuriez, mes Pères, & ie ne dois point vous en épargner la honte. Examinons donc la première.

M. de S. Cyran, dit le P. Meynier, en confolant vn de fes amj's fur la mort de fa mère, tom. 1 , lettre 14, dit que le plus agréable facrijice qu'on puiffe offrir à Dieu dans ces rencontres, e^l celuy de la patience : donc il ejî Caluinijle. Cela efl bien fubtil, mes Pères; & ie ne fçay fi perfonne en voit la raifon.

1. L'édition in-8" de 1659 et quelques éditions modernes ajoutent ici l'indication de la citation : Ma/car. tr. IV, difp. V, n. 28-1. Nicole, dans sa version latine, donne le texte même du Jésuite. Comme il parle latin et que le latin dans les mots brave l'honnêteté, il cite des détails que nous nous abstiendrons de reproduire.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4", qui n'a été adoptée par aucun éditeur : Rendes donc hérétiques fur le fuiet du S. Sacre- ment ceux qui s\^ppofent à des maximes fi deteftables.

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Seizième lettre. 285

Apprenons la donc de liiy. Parce, dit ce grand Controuer- fite, qu'il ne croit donc pas le facrijice de la Mejfe. Car c'ejl celiij'-là qui ejî le plus agréable à Dieu de tous. Que l'on dife maintenant que les lefliites ne fçauent pas raifonner. Ils le fçauent de telle forte qu'ils rendront hérétiques tels di (cours qu'ils voudront ^, & mefme l'Efcriture fainte. Car n'eft-ce pas - vne herefie de dire, comme fait l'Ecclefiaftique : // n'j- a rien de pire que d'ajnner V argent, nihil ejl iniquius quàm amare pecuniam; comme les adultères, les homicides & l'idolâ- trie n'eftoient pas de plus grands crimes ? Et à qui n'arriue- t'il point de dire à toute heure des chofes femblables, & que par exemple le facrifice d'vn cœur contrit & humilié ell le plus agréable aux yeux de Dieu; parce qu'en ces dif- cours on ne penfe qu'à comparer quelques vertus inté- rieures les vnes aux autres, & non pas au facrifice de la Meffe, qui efi: d'un ordre tout différent, & infiniment plus releué. ^ N'efles-vous donc pas ridicules, mes Pères, & faut- il pour acheuer de vous confondre, que ie vous reprefente les termes de cette mefme lettre, M. de S. Cyran parle du facrifice de la Meffe, comme du plus excellent de tous, en difant. Qu'on offre à Dieu tous les iours, & en tous lieux le facrijice du corps de fon Jils, qui n'a point trouue de plvs EXCELLENT MOYEN quc celuj^- pour honnorer fon Père? Et en fuite. Que lefus-ChriJl nous a oblige:^ de prendre en mourant fon corps facrijié , pour rendre plus agréable à Dieu le facri- fice du nqftre, & pour fe ioindre à nous lorfque nous mourons, afin de nous fortifier en fanctifiant par fa prefence le dernier facrijice que nous faifons à Dieu de nojire rie & de noflre corps.

1. Une correction manuscrice de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Us rendront hérétique tout ce qu'ils voudront.

2. Les mêmes éditions : Ne feroit-ce pas.

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4'' indique ici un alinéa qui n'a été admis par aucun éditeur, excepté par Nicole dans sa version latine.

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286 Lettrées prouinciales.

Diffimulez tout cela, mes Pères, & ne laifTez pas de dire qu'il détournoit de communier à la mort, comme vous faites p. 33, & qu'il ne croyoit pas le facrifice de la MefTe. Car rien n'ell trop hardy pour des calomniateurs de pro- feffion.

Voftre féconde preuue en ell vn grand témoignage. Pour rendre Caluinifte feu M. de S. Cyran, à qui vous attri- buez le liiu*e de Petrus Aurelius, vous vous feruez d'vn paffage Aurelius explique, pag. 89, de quelle manière l'Eglife fe conduit à l'égard des Preftres, & mefme des Euefques qu'elle veut depofer ou dégrader. L'Eglife, dit-il, ne polluant pas leur ojîer la puiffance de l'Ordre, parce que le caraâere ejî ineffaçable, elle fait ce qui eft en elle : elle ojie de fa mémoire ce caraâere quelle ne peut ofter de lame de ceux qui l'ont receii ; elle les confidere comme s'ils n'ejloient plus Preftres ou Euefques : de forte que, félon le langage ordinaire de l'Eglife, on peut dire qu'ils ne le font plus, quoj^ qu'ils le foient toujours quant au caractère, ob indelebilitatem charaéieris. Vous voyez, mes Pères, que cet Auteur approiuié par trois Affemblées générales du Clergé de France, dit clairement que le caractère de la Preftrife eft ineffaçable ; & cependant vous luy faites dire tout au contraire en ce lieu mefme, que le caraâere de la Preflrife n'eft pas ineffaçable. Voila vne infîgne calomnie, c'eft à dire félon vous, vn petit péché véniel; car ce liure vous auoit fait tort ayant refuté les herefies de vos confrères d'Angleterre touchant l'authorité Epifcopale. Mais voicy vne infîgne extrauagance & vn gros péché mortel contre la raiibn \ C'eft qu'ayant fauffement fuppofé que M. de S. Cyran tient que ce caractère eft effa- çable, vous en concluez qu'il ne croit donc pas la prefence réelle de lefus-Chrifl dans l'Euchariftie.

I. -• L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes suppriment Et vn gros péché mortel contre la raijon, que Nicole, dans sa version latine, n'a pas traduit non plus.

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Seiiiéjne lettre. 287

N'attendez pas que ie vous réponde defllis, mes Pères. Si vous n'auez pas * de lens commun, ie ne puis pas vous en donner. Tous ceux qui en ont fe moqueront aflez de vous, auffi-bien que de voftre troisième preuue, qui ell: fondée fur ces paroles de la Freq. Com. y p. ch. 11 : Que Dieu nous donne dans VEuchai^iJîie la mesme viande qu'aux Saints dans le Ciel , fans qu'il j^ ait d'autre différence , finon qu'icy il nous en ojle la veuë & le gou^f fenjîble , referuant F m & Vautre pour le ciel. En vérité, mes Pères, ces paroles expriment fi naïuernent le lens de l'Eglife, que i 'oublie à toute heure par vous vous y prenez pour en abufer. Car ie n'y voy autre chofe, fmon ce que le Concile de Trente enfeigne i^Q^. 13, c. 8 : Qu'il n'y a point d'autre différence entre lefus-Chrift dans l'Euchariftie & lefus-Chrill dans le ciel, finon qu'il eft icy voilé, & non pas là. M. Arnauld ne dit pas qu'il n'y a point d'autre différence en la manière de receuoir lefus-Chrift, mais feulement qu'il n'y en a point d'autre en lelus-Chrifl que l'on reçoit. Et cependant vous voulez contre toute raifon luy faire dire par ce paffage, qu'on ne mange non plus icy lellis-Chrift de bouche que dans le ciel; d'où vous concluez ion herefîe.

Vous me faites pitié, mes Pères. Faut-il vous expliquer cela dauantage? Pourquoy confondez-vous cette nourriture diuine auec la manière de la receuoir? 11 n'y a qu'vne leulc différence, comme ie le viens de dire, dans cette nourriture lur la terre & dans le ciel, qui eft, qu'elle eft icy cachée fous des voiles qui nous en ofl:ent la veuë & le goufl: tenfible. Mais il y a plufieurs différences dans la manière de la rece- uoir icy & là, dont la principale ell que, comme dit M. Arnauld 3^ part. ch. 16, il entre icy dans la bouche & dans la poitrine, & des bons & des méchans , ce qui n'eft pas dans le ciel.

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes, substitue le mot point au moz pas.

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Lettres prouinciales.

Et fi vous ignorez la raitbn de cette diiierfîté, ie vous diray, mes Pères, que la caufe pour laquelle Dieu a ellably ces différentes manières de receuoir vne mefme viande, eft la différence qui fe trouue entre l'eftat des Chreftiens en cette vie, & celuy des Bienheureux dans le ciel. L'eftat des chreftiens, comme dit le Cardinal du Perron après les Pères, tient le milieu entre l'eflat des Bienheureux, & l'eflat des luifs. Les Bienheureux poffedent lelus-Chrin: réellement fans iig-ures & fans voiles. Les Juifs n'ont poffedé de lefus- Chrift que les figures & les voiles, comme eftoient la manne & l'agneau Pafchal. Et les chreltiens poffedent lefus-Chrilt dans l'Euchariftie véritablement & réellement, mais encore couuert de voiles. Dieu, dit S. Eucher, sejî fait trois taber- nacles : la Synagogue, qui n'a eu que les ombres fans vérité : VEglife, qui a la vérité & les ombres : & le ciel, il nj a point d'ombres, mais la feule vérité. Nous fortirions de l'eflat nous fommes, qui eft l'eftat de foy, que S. Paul oppofe tant à la loy qu'à la claire vifion, fi nous ne poffedions que les fîgiu-es fans lefus-Chrift; parce que c'eft le propre de la loy de n'auoir que l'ombre, & non la fubftance des chofes : & nous en fortirions encore, fi nous le poffedions vifiblement; parce que la foy, comme dit le mefme Apoftre, n'eft point des chofes qui fe voyent. Et ainfi l'Euchariftie eft parfaite- ment proportionnée à noftre eftat de foy, parce qu'elle enferme véritablement lefus-Chrift, mais voilé. De forte que cet eftat feroit deftruit, ft lefus-Chrift n'eftoit pas réelle- ment fous les efpeces du pain & du vin, comme le prétendent les hérétiques; & il feroit deftruit encore, fi nous le rece- uions à découuert comme dans le ciel 5 puiique ce feroit confondre noftre eftat auec l'eftat du ludaïfme, ou auec celuy de la gloire ^ Voilà, mes Pères, la raifon myfterieufe & diuine de ce myftere tout diuin. Voilà ce qui nous fait

I. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Ou avec l'état du Juddifme. ou avec celui de la gloire. Une correction manuscrite de

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Seiiiéine lettre. 280

abhorrer les Caliiinifles, comme nous rediiifans à la condi- tion des Juifs ; & ce qui nous fait afpirer à la gloire des Bien-heureux, qui nous donnera la pleine & éternelle ioûif- fance de lefus-Chrift. Par oli vous voyez qu'il y a plufieurs différences entre la manière dont il fe communique aux chreftiens & aux Bien-heureux, & qu'entr'autres on le reçoit icy de bouche, & non dans le ciel ' ; mais qu'elles dépendent toutes de la feule différence qui eft entre l'eftat de la foy nous fommes, & l'eflat de la claire vifion ils font. Et c'eft, mes Pères, ce que M. Arnauld a dit fi claire- ment en ces termes : Qu'il faut qu'il nj- aH point d'autre différence entité la pureté de ceux qui reçoiuent lefus-ChriJi dans l'EuchariJîie, & celle des Bien-heureux, qu'autant qu'il y en a entre la foy & la claire vifion de Dieu, de laquelle feule dépend la différente manière dont on le mange dans la terre & dans le Ciel. Vous deuriez, mes Pères, auoir reueré dans ces paroles ces faintes veritez, au heu de les cor- rompre, pour y trouuer vne herefie qui n'y fut iamais, & qui n'y fçauroit eflre, qui efl, qu'on ne mange lefus-Chrifl que par la foy, & non par la bouche, comme le dilent mah- cieufement vos Pères Annat & Meynier, qui en font le capital de leur accufation.

Vous voilà donc bien mal en preiuies, mes Pères 5 & c'efl pourquoy vous auez eu recours à vn nouvel artifice, qui a eflé de falfifier le Concile de Trente, afin de faire que M. Arnauld n'y fufl pas conforme : tant vous auez de moyens de rendre le monde hérétique. C'efl ce que fait le P. Meynier en cinquante endroits de fon liure, & huit ou dix fois en la feide p. 54, il prétend que pour s'exprimer

notre colleccion in-4°. adoptée par l'édicion in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes, place ici un alinéa.

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4'', qui n'a été admise par aucun éditeur : Par vous voyei qu'entre la mamcrc dont il fe communique aux chrétiens et aux bien-heureux . il y a plufieurs différences et entr'autres qu'on le reçoit icy de bouche, et non dans le ciel.

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200 Lettres pi^ouinciales.

en catholique, ce n'eil pas affez de dire : Je croy que lefus- Chrill eft prefent réellement dans l'Euchariftiej mais qu'il faut dire : le croy avec le Concile qu'il y ejî prefent d'une j'raj-e présence locale, ou localement. Et fur cela il cite le Concile feif. 13, can. 3, can. 4, can. 6. Qui ne croiroit en voyant le mot de prefence locale cité de trois canons d'vn Concile vniuerfel, qu'il y feroit effectiuement? Cela vous a pu fervir auant ma quinzième lettre ; mais à prêtent, mes Pères, on ne s'y prend plus. On va voir le Concile, & on trouue que vous efles des impofteurs. Car ces termes de prefence locale, localement, localité, n'y furent iamais. Et ie vous déclare de plus, mes Pères, qu'ils ne font dans aucun autre lieu de ce Concile, ny dans aucun autre Concile précèdent, ny dans aucun Père de l'Eglife. ^ le vous prie donc fur cela, mes Pères, de dire û vous pré- tendez rendre fufpects de Caluinifme tous ceux qui n'ont point vfé de ce terme. Si cela eft, le Concile de Trente en ell fufpect, & tous les Pères fans exception ^ Vous eftes trop équitables pour faire vn grand fracas dans l'Eglife pour vne querelle particulière \ N'auez-vous point d'autre voye pour rendre M. Arnauld hérétique, fans offenfer tant de gens qui ne vous ont point fait de mal, & entr'autres S. Thomas, qui etl vn des plus grands deffenfeurs de l'Euchariftie, & qui s'eft fi peu ferui de ce terme, qu'il l'a rejette au contraire, 3' p. quœft. 76, a. ■), il dit : Nullo

1. Une correccion manuscrite de notre collection in-4'' indique ici un alinéa qui n'a été admis par aucun éditeur.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Tous les Jaints Pères fans exception. Nicole, dans sa version latine, ne traduit pas le mot Saints : Et oinnes Patres, nullo prorfus excepto.

3. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes suppriment la phrase : Vous ejîes trop équitables pour faire vn fi grand fracas dans l'Eglife pour vne querelle particulière. INicole ne l'a pas traduite non plus dans sa version latine.

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Seiiiéme lettre. 291

modo corpus Chrijîi eft in hoc Sacramento localiter * ? Qui eftes-vous donc, mes Pères, pour impofer de voftre autorité de nouueaux termes, dont vous ordonnez de le leruir pour bien exprimer la foy : comme fi la profeffion de foy drelTée par les Papes félon Tordre du Concile, ce terme ne le trouue point, eftoit defectueufe, & laiflbit vne ambiguïté dans la créance des lideles, que vous feuls euffiez décou- uerte? Quelle témérité de prelcrire ces termes aux Docteurs mefmesr Quelle faulTeté de les impofer à des Conciles généraux? Et quelle ignorance de ne fçauoir pas les diffi- cidtez que les Saints les plus éclairez ont fait de les rece- uoir? Roiigijfe:^, mes Pères, de vos impojliires ignoi^antes , comme dit l'Efcriture aux impofteurs ignorans comme vous : De mendacio ineruditionis tuœ confiindere.

N'entreprenez donc plus de faire les maiftres. Vous n'auez ny le caractère ny la fuffifance pour cela. Mais fi vous voulez faire vos proportions plus modellement, on pourra les écouter. Car encore que ce mot de prefence locale ayt elle reietté par S. Thomas, comme vous auez veu, à caufe que le corps de lefus-Chrift n'ell pas en rEucharillie dans l'eftenduë ordinaire des corps en leur lieu : neantmoins ce terme a efté receu par quelques nouveaux Auteurs de controuerfes, parce qu'ils entendent feulement par que le corps de lefus-Chrill: ell: vrayement fous les efpeces, lef- quelles eftant en vn lieu particulier, le corps de lefus-Chrill y ell auin. Et en ce fens M. Arnauld ne fera point de dilh- cidté de l'admettre; puifque M. de S. Cyran & luy ont déclaré tant de fois que lefus-Chrill dans l'Eucharillie ell véritablement en vn lieu particulier, & miracideufement en plufieurs lieux à la fois. Ainfi tous vos ralinemens tombent par terre, & vous n'auez pu donner la moindre apparence à

I. Selon l'auteur de nos correccions manuscrites, le mot localiter devrait être imprimé en capicalcs. Il place ensuite un alinia ; aucun éditeur ne s'est conformé à cette double indication.

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292 Lettres prouinciales.

vne accufation qu'il n'eult elle permis d'auancer qii'auec des prennes iniiincibles.

Mais à quoy fert, mes Pères, d'oppofer leur innocence à vos calomnies? Vous ne leur attribuez pas ces erreurs ^ dans la créance qu'ils les foûtiennent, mais dans la créance qu'ils vous font tort-. C'en eft afTez félon vollre Théologie, pour les calomnier fans crime, & vous pouuez fans confef- fion ny pénitence dire la Mefle en mefme temps que vous imputez à des Preftres qui la difent tous les iours, de croire que c'eft vne pure idolâtrie, ce qui feroit vn fi horrible facrilege, que vous-mefmes auez fait pendre en effigie voftre propre Père larrige, fur ce qu'il auoit dit la Meife ejîant d'intelligence auec Ge'ncue ^

le m'eftonne donc, non pas de ce que vous leur impo- fez auec fi peu de fcrupule des crimes û grands & fi faux, mais de ce que vous leur impofez auec fi peu de prudence des crimes fi peu vray-femblables. Car vous difpofez bien des péchez à voftre gré; mais penfez-vous difpofer de mefme de la créance des hommes ? En vérité, mes Pères, s'il falloit que le foupçon de Caluinifme tombaft fur eux ou fur vous, ie vous troimerois en mauuais termes. Leurs difcours font aufîi catholiques que les voftres ; mais leur conduite confirme leiu' foy, & la voftre la dément. Car fi vous croyez auffi bien qu'eux que ce pain eft réellement changé au corps de lefus- Chrift, pourquoy ne demandez-vous pas comme evix que le cœur de pierre & de glace de ceux à qui vous confeillez

1. Une correccion manuscrite de notre collection in-4°, qui n'a été adoptée par aucun éditeur : De Jl grandes erreurs.

2. -Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Dans la créance qu'ils vous nuifcnt. Nicole traduit : Quod ipfos vobis obejfe exijîi- metis.

•5. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Au temps il était d'intelligence avec Genève. Nicole a traduit la leçon primitive : Cuin Gène va fen tiens.

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Seiyié})ie lettre. 293

d'en approcher ^, foit fincerement changé en vn cœur de- chair & d'amour? Si vous croyez que lefus-ChrilT: y eft dans vn ertat de mort, pour apprendre à ceux qui s'en approchent à mourir au monde, au péché & à eux-mefmes, pourquoy portez-vous à en approcher ceux en qui les vices & les pal- fîons criminelles font encore toutes viuantes? Et comment iugez-vous dignes de manger le pain du ciel, ceux qui ne le feroient pas de manger celuy de la terre?

O grands venerateurs de ce faint myftere, dont le zèle s'employe à periecuter ceux qui Thonnorent par tant de communions laintes, & à flatter ceux qui le deshonnorent par tant de communions facrileges! Qu'il eft digne de ces defenfeurs d'vn û pur & fi adorable facrifice d'environner la table de Iesvs-Christ de pécheurs - enuieilhs tout fortans de leurs infamies, & de placer au milieu d'eux vn Preftre que fon ConfefTeur mefme enuoye de les impudicitez à l'Autel, pour y offrir en la place de Iesvs-Christ cette victime toute fainte au Dieu de lainteté, & la porter de tes mains loùillées en ces bouches toutes fouillées! Ne fied-il pas bien à ceux qui pratiquent cette conduite par toute la terre, lelon des maximes approuuées de leur propre General, d'imputer à l'Auteur de la Fréquente Communion & aux Filles du faint Sacrement, de ne pas croire le faint Sacrement?

Cependant cela ne leur fuffit pas encore. Il faut pour fatisfaire leurpaffion qu'ils les accufent enfin d'auoir renoncé à Iesvs-Christ & à leur baptefme. Ce ne font pas là, mes Pères, des contes en l'air comme les voftres. Ce font les funeftes emportemens par vous auez comblé la mefure

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4'\, adoptée par l'édition in- de 1659 et par toutes les éditions suivantes : De s'en approcher.

2. L'édition in-8» de 1659 et toutes les éditions suivantes : De jaire environner la table de Jéjus-Chrijl de pécheurs... Une correction manuscrite de notre collection in-4'' : D'appeller et faire approcher en joulle de la table de leftis-Chrijî des pécheurs. . .

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294 Lettrées pi^ouùiciales.

de vos calomnies. Vne fi infîgne fau/Teté n'eiift pas elle en des mains dignes de la foutenir, en demeurant en celles^de voftre bon amy Filleau, par qui vous Fauez fait naiftre; vollre Société le l'ert attribuée ouuertement, & vollre P. Meynier vient de foutenir comme vue vérité certaine , que Port-Royal forme vne cabale fecrete depuis 3 5 ans, dont M. de S. Cyran & M. d'Ipre ont elle les chefs, pour ruiner le mj^lîere de l'Incarnation, faire pajjer VEuangile pour j'iie hi flaire apocrj-phe , exterminer la Religion chreftienne , & e'ieuer le Deifme fur les ruines du Chrifianifme. '' Eft-ce tout, mes Pères? ferez-vous fatisfaits fi l'on croit tout cela de ceux que vous haïlTez? Voftre animofîté feroit-elle enfin afTouuie, fi vous les auiez mis en horreur, non feulement à tous ceux qui font dans l'Eglife, par l'intelligence arec Genéue, dont vous les accufez f mais encore à tous ceux qui croyent en Iesvs-Christ, quoy que hors l'Eglife, par le Deifme que vous leur imputez?

Mais qui ne fera furpris de l'aueuglement de voftre conduite? Car à qui pretendez-vous perfuader - fur voftre feule parole fans la moindre apparence de preuue, & auec toutes les contradictions imaginables, que des Euéques & des Prêtres qui n'ont fait autre chofe que prefcher la grâce de Iesvs- Christ, la pureté de l'Euangile & les obligations du baptême, auoient renoncé à leur baptême, à l'Euangile & à Iesvs-Christ ? qifils n'ont trauaillé que poiu' eftablir cette apoftafte, & que le Port-Royal y trauaillé encore? Qui le croira, mes Pères •^? Le croyez-vous vous-mefmes,

1. Une correccion manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa qui n'a été admis par aucun éditeur.

2. L'édition in-8'' de 1659 et toutes les éditions suivantes suppriment le membre de phrase : Qni ne fera furpris de Vaueuglement de votre conduite? et commencent ainsi le paragraphe : Mais à qui prêt endei-vous perfuader...

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-S" de 1659 et par toutes les éditions postérieures, modifie ce pas- sage de la manière suivante : Que des prêtres qui ne prêchent que la grâce de

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Seizième lettre. 295

miferables que vous elles? Et à quelle extrémité eftes- vous réduits , puifqu'il faut neceffairement ou que ^ous prouuiez cette accufation % ou que vous paffiez pour les plus abandonnez calomniateurs qui furent iamais? ' Prou- iiez-le donc , mes Pères. Nommez cet ecclefiaftique de mérite, que vous dites auoir affifté à cette afTemblée de Bourg- Fontaine en 1621 & auoir découuert à voftre Filleau le deffein qui y fut pris de deftruire la Religion chreftienne. Nommez ces fix perfonnes que vous dites y auoir formé cette confpiration. Nommez celuy qui ejl désigné par ces lettj^cs A. A. que vous dites p. i) n'eftre pas Antoine Arnauld, parce qu'il vous a conuaincus qu'il n'auoit alors que neut ans, mais vn autre qui eft encore en vie & qui eft ti^op bon amv^ de M. Arnauld pour luj- ejîre inconnu. Vous le connoifTez donc, mes Pères, & par confequent fi vous n'eftes vous-mefmes fans religion, vous eftes obligez de déférer cet impie au Roy & au Parlement, pour le faire punir comme il le meriteroit. 11 faut parler, mes Pères : il faut le nommer, ou fouffrir la confufion de n'ellre plus regardez que comme des menteurs indignes d'eftre iamais creus *. C'ell: en cette manière que le bon P. Valerien nous a appris qu'il falloit mettre à la gefne, & pouffer à bout de tels impolleurs. Vollre filence deffus

Jéjus-Chrij}. kl pureté de l'Ei-angile et les obligations du baptême, ont renoncé à leur baptême, à V Evangile et à Jefus-Chrijl? Qui le croira, mes Pcrcs?

1. L'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Que

vous prouviei qu'ils ne croient pas en Jéfus-Chrijl. Une correction manuscrite de notre collection in-40 ajoute à la leçon de l'édition in-S» : Et que M. d'Ipre et AI. de Saint-Cyran ont eu pour but dans tous leurs oiiuragcs d'abolir la foy de VEuangile.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa qui n'a été admis par aucun éviiteur.

T. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Que vous dites être encore en vie et trop bon ami...

4. Une correction manuscrite de notre collection in-4'' : Que comme des fourbes fans honneur et fans confcience. Puis viendrait un alinéa. Les édi- tions postérieures n'ont admis ni l'alinéa ni le changement proposés.

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296 Lettres proiiinciales.

fera vne pleine & entière conviiction de cette calomnie dia- bolique. Les plus aueugles de vos amys feront contraints d'auoûer que ce ne fera point m effet de voftre vertu, mais de j'ojlre impuiffance ; & d'admirer que vous ayez elle fi médians que de l'eftendre iufques aux Religieufes de Port- Royal, & de dire, comme vous faites p. 14, que le Chappelet fecret du faint Sacrement compofé par l'vne d'elles, a efté le premier fruit de cette confpiration contre Iesvs-Christ ; & dans la p. 95, qu'on leur a infpiré toutes les detejtables maximes de cet écrit, qui ell félon vous une inftruction de Deifme. On a défia ruiné inuinciblement vos impollures fur cet écrit, dans la defenfe de la Cenfure de feu M. TArche- uefque de Paris contre vollre P. Rrifacier. Vous n'auez rien à y repartir, & vous ne laiffez pas d'en abufer encore d'vne manière plus honteufe que iamais, pour attribuer à des filles d'vne pieté connue de tout le monde, le comble de l'impiété. ^ Cruels & lafches perfecuteurs, faut-il donc que les cloiftres les plus retirez ne foient pas des afyles contre vos calomnies? Pendant que ces faintes Vierg-es adorent mut & iour lefus-Clirill: au faint Sacrement, félon leur infli- tution, vous ne ceffez nuit & iour de publier qtf elles ne croyent pas qu'il foit ny dans l'Euchariftie, ny mefme à la droite de fon Père; & vous les retranchez publiquement de l'Eglife, pendant qu'elles prient dans le fecret pour vous & pour toute l'Eglife. Vous calomniez celles qui n'ont point d'oreilles pour vous oûir, ny de bouche pour vous répondre. Mais Iesvs-Christ, en qui elles font cachées pour ne paroiftre qu'vn iour auec luy, vous écoute & répond poiu* elles. On l'entend auiourd'huy cette voix fainte & terrible, qui ellonne la nature, & qui confole l'Eglife. Et ie crains, mes Pères , que ceux qui endurcifîbnt leurs cœurs, & qui refufent auec opiniâtreté de l'ouïr quand il parle en Dieu,

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4" indique ici un alinéa qui n'a été adopté par aucun éditeur.

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Seiiiéme letti'e. 297

ne foient forcez de l'ouïr aiiec effroy quand il leur parlera en lug-e.

Car enfin, mes Pères, quel compte luy pourrez-vous rendre de tant de calomnies^ lors qu'il les examinera, non fur les fantaifies de vos Pères Dicaflillus, Gans & Penna- loffa ' ; mais fur les règles de fa vérité éternelle, & fur les faintes ordonnances de fon Eglife, qui bien loin d'excufer ce crime, l'abhorre tellement, qu'elle l'a puny de mefme qu'vn homicide volontaire. Car elle a différé aux calomnia- teurs, aufîî-bien qu'aux meurtriers, la communion iufques à la mort, par le P'' & IP Concile d'Arles. Le Concile de Latran a iugé indignes de l'eftat ecclefiaflique ceux qui en ont elle conuaincus, quoy qu'ils s'en fu/fent corrigez. Les Papes ont mefme menacé ceux qui auroient calomnié des Euefques, des Preflres ou des Diacres, de ne leur point donner la communion à la mort. Et les auteurs d'vn écrit diffamatoire, qui ne peuuent prouuer ce qu'ils ont auancé, font condamnez par le Pape Adrien à ejire foiiete-, mes Reuerends Pères, Jlagellentiir. Tant l'Eglife a toufioiu's elle éloignée des erreurs de voftre Société fi corrompue, qu'elle excufe d'aufîî grands crimes que la calomnie, pour les commettre elle-mefine auec plus de liberté.

Certainement, mes Pères, vous feriez capables de pro- duire par beaucoup de maux, fi Dieu n'auoit permis que vous ayez fourny vous-mefmes les moyens de les empê- cher, & de rendre toutes vos impolhires fans effet. Car il ne faut que publier cette eltrange maxime qui les exempte de crime, pour vous ofter toute créance. La calomnie eft inutile, fi elle n'efl iointe à vne grande réputation de fince- rité. Vn médifant ne peut reiiffir s'il n'ell en ellime d'abhor- rer la médifance, comme vn crime dont il elt incapable. Et

I- L'édition in-8« de 1659 et toutes les éditions suivantes ajoutent : Qui les excufent . addition que Nicole n'a pas traduite dans sa version larine.

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2û8 Lettres prouinciales.

ainf], mes Percs , voftre propre principe vous trahit. Vous l'auez eftably pour affeurer voftre confcience. Car vous vou- liez médire fans eilre damnez, & eftre de ces faints & pieux calomniateurs , dont parle S. Athanafe. Vous auez donc embraffé, pour vous fauuer de l'enfer, cette maxime qui vous en fauue fur la foy de vos Docteurs 5 mais cette maxime mefme, qui vous garantit félon eux des maux que vous craignez en l'autre vie, vous ofte en celle-cy l'vtilité que vous en efperiez : de forte qu'en penfant euiter le vice de la médifance , vous en auez perdu le fruit 5 tant le mal eft contraire à foy - même , & tant il s'embarraife & fe détruit par fa propre malice.

Vous calomnieriez donc plus vtilement pour vous, en faifant profefîîon de dire auec S. Paul, que les fimples médifans, maledici, font indignes de voir Dieu; puifqifau moins vos médifances en feroient plutôt creuës, quoy qu'à la vérité vous vous condamneriez vous-mêmes. Mais en difant, comme vous faites, que la calomnie contre vos ennemis n'eft pas vn crime, vos médifances ne feront point creuës, & vous ne laifferez pas de vous damner. Car il eft certain, mes Pères, & que vos Auteurs graues n'anéantiront pas la luftice de Dieu, & que vous ne pouuiez donner vne preuue plus certaine que vous n'efles pas dans la vérité, qu'en recourant au menfonge. Si la vérité eftoit pour vous, elle combattroit pour vous; elle vaincroit pour vous, & quelques ennemis que vous euffiez, la vérité j'ous en deliureroit, félon fa promeffe. Vous n'auez recours au menfonge que pour foùtenir les erreurs dont vous flatez les pecheiu's du monde, & poiu* appuyer les calom- nies dont vous opprimez les perfonnes de pieté qui s'y oppofent. La vérité eftant contraire à vos fins, il a fallu mettre vojlre confiance au menfonge, comme dit vn prophète. Vous auei dit : Les malheuj^s qui affligent les hommes ne vien- dront pas iufques à nous; car nous auons efperé au menfonge, & le menfonge nous protégera. Mais que leur répond le pro-

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Sei:{téme lettre. iCfC)

phete? D'autant, dit-il, que vous aue^ mis voftre efperance eu la calomnie &\ au tumulte, fperajîis in calumniâ & in tumultu, cette iniquité vous fera imputée, & vojlre ruine fera femblable à celle d'vne haute muraille qui tombe d'une cheûte impreueuë, & à celle d'un vaijjeau de terfx', qu^on brife & qu'on écrafe en toutes fes parties par vn effort fi puijfant & fi vniverfel , qu'il n'en rejlera pas vn tejl, l'on puijje * puifer vn peu d'eau ou por- ter vn peu de feu : parce que, comme dit vn autre prophète ', vous auei affligé le cœur du jujle, que ie n'ay point ciffigé mov- mefme; & vous aue\ flaté & fortifié la malice des impies. le retirerar donc mon peuple de vos mains, & ie ferav connoiflre que ie fuis leur feigneur & le voflre.

Oûy, mes Pères, il faut efperer que fi vous ne changez d'efprit, il retirera de vos mains ceux que vous trompez depuis long-temps, foit en les laifTant dans leurs defordres par voftre mauuaife conduite, foit en les empoifonnant par vos médifances ^ Il fera conceuoir aux vns que les faufles règles de vos Cafliiftes ne les mettront point à couuert de fa colère; & il imprimera dans Tefprit des autres la iufte crainte de fe perdre en vous écoutant, & en donnant créance à vos impoftures '* ; comme vous vous perdez vous-mefines

1. L'édition in 8" de 1659 ^^ toutes les éditions suivantes : Un teH avec lequel on puijfe... Une correction manuscrite de notre collection in-4° : Vn morceau auec lequel on puijfe...

2. Une correction marginale de notre collection in-4*' : Les citations des passages rapportés manquent. Quelques éditions modernes les ont^ajoutées : Eiech. XIII. Ijai, XXJIII, is- Ch. XXX, 12-1^.

3. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Dieu retirera de vos mains... Une correction manuscrite de notre collection in-4'', qui n'a été adoptée par aucun éditeur : Ceux que vous trompej depuis Ji long- temps, foit en les laijfant dans leurs defordres par vojlre mauuaife conduite, foit en les empoifonnant par vos médifances, feront retirés de vos mains par la mifericorde de Dieu fur eux.

4. Une correction manuscrite de notre collection in-4'', adoptée par l'édition in-S» de 1659 et par toutes les éditions suivantes : En ajoutant foi à vos impojlures.

300

Lettres prouinciales.

en les inuentant, & en les femant dans le monde. Car il ne s'y faut pas tromper : on ne fe mocqvie point de Dieu, & on ne viole point impunément le commandement qu'il nous a fait dans l'Euangile , de ne point condamner noftre pro- chain, fans être bien affeùré qu'il eft coupable. Et ainfi quelque profeffion de pieté que faffent ceux qui fe rendent faciles à receuoir vos menfong-es, & fouz quelque prétexte de deuotion qu'ils le faffent, ils doiuent appréhender d'eftre exclus du royaume de Dieu pour ce feul crime, d'auoir imputé d'auffi grands crimes que l'herefîe & le fchifme à des Preftres catholiques & à des Religieufes % fans autres preuues que des impoftures auffi groffieres que les voftres. Le Démon, dit M. de Genéue, ejî fur la langue de celuj' qui médit, & dans l'oreille de celuy qui l'écoute. Et la médifance, dit S. Bernard, Gant. 24, ejl vu poifon qui ejîeint la charité en l'vn & en l'autre. De forte qu'ime feule calomnie peut ejire mortelle à vue infinité d'ames, puif qu'elle tue non feulement ceux qui la publient, mais encore tous ceux qui ne la rejettejit pas.

Mes Reuerends Pères, mes Lettres n'auoient pas accouftumé de fe fuiure de fi prés, n'y d'eflre fi eflenduës. Le peu de temps que i'ay eu a en;é caufe de l'vn & de l'autre. le n'ay fait celle-cy plus longue que parce que le n'ay pas eu le loifir de la faire plus courte. La raifon qui m'a obligé de me hafler, vous eft mieux connue qu'à moy. Vos Refponfes vous reùffiffoient mal. Vous auez bien fait de changer de méthode; mais ie ne fçay fi vous auez bien choifi, &. fi le monde ne dira pas que vous auez eu peur des Benediftins.

le viens d'apprendre^ que celuy que tout le monde faifoit auteur de vos Apologies les

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4°_, adoptée par l'édition in-S" de i6"59 et par toutes les éditions suivantes : A de faintes religieufes.

2. Le second paragraphe de ce P. S. qui commence par les mots : le viens d'apprendre , ne se trouve pas dans notre collection in-4°; mais quelques autres exemplaires in-4'' le donnent, ainsi que les deux éditions in-12 de 1657, attribuées aux Elzeviers, l'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes. Nicole n'a pas manqué de le traduire dans sa version latine de 1658. Si notre collection in-4'' ^^ contient pas ce second paragraphe, nous aurons sans doute le droit d'en conclure que notre exemplaire a paru avant que Pascal

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Sci:iicnic' lettre.

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defauouë, & fe fafche qu'on les luy attribue. 11 a raifon, & i'ay eu tort de l'en auoir foup- çonné. Car quelque affurance qu'on m'en euft donnée, ie deuois penfer qu'il auoit trop df iugement pour croire vos iinpoflures, & trop d'honneur peur les publier fans les croire. Il y a peu de gens du monde capables de ces excez qui vous font propres, & qui marquent trop voflre caraélere, pour me rendre excufable de ne vous y auoir pas reconnus. Le bruit com- mun m'auoit emporté. Mais cette excufe qui feroit trop bonne pour vous, n'eft pas fuffi- fante pour moy, qui fais profefTion de ne rien dire fans preuiîfe certaine, & qui n'en ay dit aucune que celle-là. le m'en repens, ie la defauouë, & ie fouhaite que vous profitiez de mon exemple.

aie pu reconnaître l'erreur qu'il répare d'une manière si viccorieuse, mais non sans une certaine acrimonie (voy. la note de la quinzième Provinciale, p. 271).

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DIX-SEPTIÉME LETTRE

ESCRITTE PAR L'AVTEVR DES LETTRES AV PROVINCIAL

AV REVEREND P. ANNAT lESVITE'

Du 23 lanuier 1657 -.

Mon REVEREND PERE;

Voftre procédé m'auoit fait croire que vous defiriez que nous demeuraffions en repos de part & d'autre, & ie m'y eftois difpofé. Mais vous auez depuis produit tant d'écrits en peu de temps, qu'il paroift bien qu'vne paix n'eft guère affurée, quand elle dépend du filence des lefuites. le ne fçay û cette rupture vous fera fort auantageufe ; mais pour moy ie ne fuis pas fafché qu'elle me donne le moyen de deftruire ce reproche ordinaire d'herefie, dont vous rem- plirez tous vos Hures.

Il eft temps que i'arrefte vne fois pour toutes cette hardieffe que vous prenez de me traitter d'heretique, qui s'augmente tous les iours. Vous le faites dans ce liure que vous venez de publier, d'vne manière qui ne fe peut plus fouffrir, & qui me rendroit enfin fufpect, fi ie ne vous y répondois comme le mérite vn reproche de cette nature.

1. L'édition in-8" de 1659 ec la plupart des éditions modernes : Dix- feptième lettre au révérend P. Annat Jéfuite.

2. Les deux exemplaires m-^° de la bibliothèque de Tlnsticut : Ce 23 ianuier id^j.

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- ■Î04 Lettres prouinciales.

Taiiois méprifé cette injure dans les écrits de vos confrères, aiiffi bien qu'vne infinité d'autres qu'ils y méfient indiffé- remment. Ma 15" lettre y auoit affez répondu : mais vous en parlez maintenant dVn autre air : vous en faites ferieu- fement le capital de voftre deffenfe : c'eft prefque la feule chofe que vous y employez. Car vous dites, Que pour toute réponfe à mes quinie lettj^es, il fuffit de dire quinze fois que ie fuis hérétique; & qu'eftant déclaré tel, ie ne mérite aucune créance. Enfin vous ne mettez pas mon apoftafie en queflion ; & vous la fuppofez comme vn principe ferme, fur lequel vous bafliffez hardiment. C'efl donc tout de bon, mon Père, que vous me traitez d'heretique ; & c'efl aufîi tout de bon que ie vous y vas répondre \

Vous fçauez bien, mon Père, que cette accufation efl importante, que c'efl vne témérité infupportable de l'auancer, fi on n'a pas dequoy la prouuer, le vous demande quelles preuues vous en auez. Quand m'a-t'on veu à Cha- renton? Quand ay-je manqué à la MefTe, & aux deuoirs des chrefliens à leurs paroiffes? Quand ay-je fait quelque action d'vnion auec les hérétiques, ou de fchifme auec l'Eglife ? Quel Concile ay-je contredit? Quelle Conflitution de Pape

ay-je violée? Il faut répondre, mon Père, ou ^ vous

m'entendez bien. Et que répondez-vous? le prie tout le monde de l'obferuer. Vous fuppofez premièrement, Que cehiy qui écrit les Lettres, efl de Port-Royal. Vous dites enfuite, Que le Port-Roj-al eji déclaré hérétique : d'où vovis concluez que celuj' qui écrit les Lettres ejl déclaré hérétique \

1. Quelques éditions modernes : Que je vais vous y répondre.

2. M. Faugère, dans les notes inédites qu'il a recueillies, cite cette pensée de Pascal, qui semble être un premier linéament du passage de l'édi- tion originale des Provinciales : Je ne fuis point hérétique ; je n\u point fou- tenu les cinq propositions. J^ous le dites et ne le prouvej pds. Je dis que vous avei dit cela et je le promue (t. P"" des Pensées, p. 305).

3. M. Faugère cite encore cette pensée de Pascal : Vous dites que je fuis hérétique. Cela efl -il permis? Et fi vous ne craignei pas

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Dix-feptiéme lettre. 305

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Ce n'efl: donc pas fur moy, mon Père, que tombe le fort de cette acciifation, mais lur le Port-Royal ; & vous ne m'en chargez, que parce que vous fuppofez que i'en fuis. Ainfi ie n'auray pas grand'peine à m'en défendre; puifque ie n'ay qu'à vous dire que ie n'en fuis pas, & à vous renuoyer à mes Lettres, i'ay dit que ie fuis feiil, & en propres termes, que ie ne fuis point de Port-Roj'al ; comme i'ay fait dans la 16^ qui a précédé voftre liure.

Prouuez donc d'vne autre manière que ie fuis héré- tique, ou tout le monde reconnoiftra voftre impuiffance. Prouvez que ie ne reçoy pas la Conftitution par mes écrits V Ils ne font pas en fi grand nombre. 11 n'y a que 16 Lettres à examiner, ie vous deffie, & vous & toute la terre d'en produire la moindre marque. Mais ie vous y feray bien voir le contraire. Car quand i'ay dit par exemple dans la 14'" Qu'en tuant, félon vos maximes, fes frères en péché mortel, on damne ceux pour qui lefus-Chrift eft mort, n'a.y-je pas vifible- ment reconnu que lefus-Chrift eft mort pour ces damnez, & qu'ain/î il eft faux, qu'il ne foi t mort que pour les feuls pre- define{, ce qui eft condamné dans la cinquième Proportion? Il eft donc feiir, mon Père, que ie n'ay rien dit pour foufte- nir ces proportions impies, que ie detefte de tout mon cœur. Et quand le Port-Royal les tiendroit, ie vous déclare que vous n'en pouviez rien conclure contre moy; parce que grâces à Dieu ie n'ay d'attache fur la terre qifà la feule Eglife Catholique, Apoftolique & Romaine, dans laquelle ie veux viure & mourir, & dans la communion auec le Pape fon

que les hommes ne rendent juftice. ne craignei-vous pas que Dieu ne la rende. (t. I*"" des Pensées, p. 307) M. Faugére cice de plus ce premier jet de la pensée de Pascal : Quelle rai/on en ai^i-vous? T'ous dires que je fuis Jan- fénifle, que le P. R. fourient les cinq propojitions, et qu'ainjl je les Joutiens. Trois menfonges (t. P"" des Pensées, p. 311 ).

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4'', adoptée par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Proine- par mes écrits que je ne reçois pas la Conjhtunon.

39

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il . .

■^06 Lettres prouinciales.

ibimerain CheF, hors de laquelle ie luis tres-perfuadé qu'il n^y a point de talut.

Que ferez-vous à yne perfonne qui parle de cette forte, & par m'attaquerez-vous ; puifque ny mes difcours ny mes écrits ne donnent aucun prétexte à vos accufations d'herefie, & que ie trouue ma feûreté contre vos menaces dans l'obfcurité qui me coimre? Vous vous Tentez frappez par vne main inuifible qui rend vos égaremens vifibles à toute la terre 5 & vous effayez en vain de m'attaquer en la perfonne de ceux aufquels vous me croyez vny. le ne vous crains ny pour moy, ny pour aucun autre, n'eftant attaché ny à quelque communauté, ny à quelque particulier que ce foit. Tout le crédit que vous pouuez auoir eft inutile à mon égard, le n'efpere rien du monde ; ie n'en appréhende rien ; ie n'en veux rien ; ie n'ay befoin par la grâce de Dieu ny du bien, ny de l'autorité de perfonne. Ainfi, mon Père, i'échappe à toutes vos prifes. Vous ne pouuez me faifir ^ de quelque collé que vous le tentiez. Vous pouuez bien toucher le Port-Royal, mais non pas moy. On a bien délogé des gens de Sorbonne ; mais cela ne me déloge pas de chez moy. Vous pouuez bien préparer des violences contre des Preftres & des Docteurs, mais non pas contre moy qui n'ay point ces qualitez. Et ainfi peut-eflre n'euftes-vous iamais affaire à vne perfonne qui fuft fi hors de vos atteintes, & fi propre à combattre vos erreiu's, eilant libre, fans engage- ment, fans attachement, lans liaifon, fans relation, fans affaires, affez inflruit de vos maximes, & bien refolu de les pouffer autant que ie croiray que Dieu m'y engagera, fans qu'aucune confideration hiunaine puiffe arrefler ny ralentir mes pourfuites.

A quoy vous fert-il donc, mon Père, lorfque vous ne

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Vous ne me fauriei prendre.

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Dix-feptiéme lettre. 307

pouuez rien contre moy, de publier tant de calomnies contre des perfonnes qui ne ibnt point méfiées dans nos difFerens, comme font tous vos Pères r Vous n'échapperez pas par ces fuîtes. Vous fentirez la force de la vérité que ie vous oppofe ^ le vous dis que vous aneantiffez la Morale Chreftienne en la feparant de l'amour de Dieu, dont vous dilpenfez les hommes ; & vous me parlez de la mort du P. Méfier que ie n'ay veû de ma vie. le vous dis que vos Auteurs permettent de tuer pour vne pomme, quand il ell honteux de la laifTer perdre ; & vous me dites qu'on a ouuert ini tf^onc à S. Merrv. Que voulez-vous dire de mefine de me prendre tous les iours à partie fur le liure de la fainte Vir- ginité fait par vn P. de l'Oratoire, que ie ne vis iamais non plus que fon liure r le vous admire, mon Père, de confîderer ainfi tous ceux qui vous font contraires comme vne feide perfonne. Voftre haine les embraffe tous ensemble, & en forme comme vn corps de reprouuez, dont vous voulez que chacim réponde pour tous les autres.

Il y a bien de la différence entre les lefuites , & ceux qui les combattent. Vous compofez véritablement vn corps vni fouz vn feul chef; & vos règles, comme ie l'ay fait voir, vous deffendent de rien imprimer fans l'aueii de vos Supé- rieurs, qui font rendus reiponfables des erreurs de tous les particuliers, /(^;/5 qu'il puijfent s'excufer en difant qu'ils n'ont pas remarqué les ertx'urs qui y font enfeignées: parce qu'ils les doiuent remarquer; félon vos Ordonnances, & félon les lettres de vos Généraux Aquauiua , Vittelefchi, &c. C'ell donc auec raifon qu'on vous reproche les ég-aremens de vos con- frères, qui fe trouuent dans leurs ouvrages approiuiez par vos Supérieurs & par les Théologiens de vollre Compagnie. Mais quant à moy, mon Père, il en faut iuger autrement.

I. J'ous fentirei la force de la vérité et vous lui a.dcrcj, variante recueillie par M. Faugère dans les noces incdices pour les Provinciales (t. pf des Pensées, p. 307).

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^08 Lettres prouinciales.

le n'ay pas foufcrit le liure de la fainte Virginité. On oiiiiri- roit tous les troncs de Paris ' fans que l'en fufTe moins catholique. Et enfin ie vous déclare hautement & nette- ment que perfonne ne répond de mes Lettres que moy ; & que ie ne répons de rien que de mes lettres.

le pourrois en demeurer là, mon Père, fans parler de ces autres perfonnes que vous traitez d'heretiques, pour me comprendre dans cette accufation. Mais comme i'en fuis l'occafîon, ie me trouue engagé en quelque forte à me feruir de cette mefme occafion pour en tirer trois auantages. Car c'en eft vn bien confiderable de faire paroiftre l'inno- cence de tant de perfonnes calomniées. C'en eft vn autre & bien propre à mon fujet, de monftrer toujours les artifices de voftre politique dans cette accufation. Mais celuy que i'eftime le plus, eft que i'apprendray par à tout le monde la fauffeté de ce bruit fcandaleux que vous femez de tous coftez : Que l'Eglife eft diuifée par me nouuelle here^e. Et comme vous abufez vne infinité de perfonnes, en leur fai- fant accroire que les points fur lefquels vous effayez d'exci- ter vn grand orage, font effentiels à la foy, ie trouue d'vne extrême importance de détruire ces fauffes impref- fions, & d'expliquer icy nettement en quoy ils confiftent, pour monftrer qu'en effet il n'y a point d'heretiques dans l'Eglife.

Car n'eft-il pas véritable ' que fi l'on demande en quoy confifte l'herefie de ceux que vous appeliez lanfeniftes, on répondra incontinent que c'eft en ce que ces gens-là difent, Qiie les commaiidemens de Dieu font impojjïbles : Qu'on ne peut re^ïfter à la grâce ; & qu'on n'a pas la liberté défaire le bien & le mal : ^/^'Iesys-Christ nelî pas mort pour tous les hommes, mais feulement pour les predejîinei; & enfn qu'ils foùtiennent

1. On ouvrirait tous les troncs de S. Alerry fans que vous en fujfiei moins innocents, variante recueillie par M. Faugére dans ses noces inédites pour les Provinciales (t. P'' des Pensées, p. 311).

2. L'édition in -8° de 1659 et toutes les éditions suivantes : Car n'eJJ-il pas vrai...

1

Dix-feptieme lettre. 309

les cinq Pi^opofitions condamnées par le Pape. Ne faites-vous pas entendre que c'eft pour ce fujet que vous perfecutez vos aduerfaires? N'eft-ce pas ce que vous dites dans vos liures, dans vos entretiens, dans vos catechifmes, comme vous fiftes encore aux feftes de Noël à S. Louis, en deman- dant à vne de vos petites bergères : Pour qui ejî j^enii lefus- Chrift, ma Jîlle? Pour tous les hommes, mon Père. Et quoy, ma fille, vous n'eftes donc pas de ces nouueaux hérétiques, qui difent qu'il n'efi venu que pour les predefiine\? Les enfans vous croyent defllis, & plufieurs autres auffi 5 car vous les entre- tenez de ces mefmes fables dans vos fermons, comme voftre Père CrafTet à Orléans, qui en a efté interdit. Et ie vous auouë que ie vous ay creù ^ auffi autrefois. Vous m'auiez donné cette mefme.idée de toutes ces perfonnes-là. De forte que quand vous commençaftes à les accufer de tenir ces Proportions-, i'obferuois auec attention quelle feroit leur réponfe; & i'eftois fort difpofé à ne les voir iamais, s'ils n'eufîent déclaré qu'ils y renonçoient comme à des impietez vifibles. Mais ils le firent bien hautement. Car M. de Sainte- Reime Profeffeur du Roy en Sorbonne. cenfura dans fes écrits publics ces cinq Proportions long-temps auant le Pape, & ces Docteurs firent paroiftre plufieurs écrits, & entr'autres celuy de la Grâce Viâorieufe, qu'ils produifirent en mefme temps, ils rejettent ces propofitions 8: comme hérétiques & comme efirangeres. Car ils difent dans la Préface, Que ce font des propofitions hérétiques & Luthériennes, fabriquées & for- gées à plaifir, qui ne fe trouuent ny dans lanfcnius nv dans fes defenfeurs, ce font leurs termes. Ils fe plaignent de ce qu'on

1 . Quelques éditions modernes : Que je vous ai crus. Dans la phrase de Pascal, creù est un verbe neutre : Que ie vous ay creù. c'est-à-dire que i'ay creù à vous. Il n'y a donc pas faute en cet endroit.

2. L'édition in-S" de 1659 et toutes les éditions suivantes : De forte que lorfque vous les preffiei fur ces propofitions. C'est cette dernière leçon que Nicole a traduite dans sa version latine : Quum illos fuper ijlis propofitiombus urgere capifiis.

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^10 Lettres prouinciales.

les leur attribue, & vous addreflent pour cela ces paroles de S. Prol'per, le premier difciple de S. Auguftin leur maiflre, à qui les Semipelagiens de France en imputèrent de pareilles pour le rendre odieux. Ilj-a, dit ce Saint, des perfonnes qui ont vue pajjion Ji aiieugle de nous décrier, qu'ils en ont pris vn moj'en qui ruine leur propre réputation. Car ils ont fabrique' à dejjein de certaines propojîtions pleines d'impiete^ & de blaf- phémes, qu'ils enuoj-ent de tous cojlei, pour faiy^e croire que nous les foûtenons au mef me fens qu'ils ont exprimé par leur écrit. Mais on verra par cette réponfe & 7ioJlre innocence, & la malice de ceux qui nous ont imputé ces impiété^, dont ils font les vniques inuenteurs.

En vérité, mon Père, lorfque ie les ouïs parler de la forte avant la Conftitution : quand ie vis qu'ils la receurent en fuite avec tout ce qui fe peut de refpect : qu'ils oifrirent de la foufcrire; & que M. Arnauld eut déclaré tout cela pins fortement que ie ne le puis rapporter, dans toute fa féconde lettre, i'eu/fe creù pécher de douter de leur foy. Et en effet ceux qui auoient voulu refufer l'abfolution à leurs amis, auant la lettre de M. Arnauld, ont déclaré depuis qu'après qu'il auoit û nettement condamné ces erreurs qu'on luy imputoit, il n'y auoit aucune raifon de le retrancher ni luy ni fes amis de l'Eglife. Mais vous n'en auez pas vfé de mefme. Et c'eft fur quoy ie commençay à me défier que vous agifîîez auec pafîion.

Car au lieu que vous les auiez menacez de leur faire figner cette Conftitution quand vous penfiez qu'ils y refilîe- roient, lorfque vous viftes qu'ils s'y portoient d'eux-mefmes, vous n'en parlaftes plus. Et quoy qu'il femblall que vous deufîiez après cela eflre fatisfaits de leur conduite, vous ne laifîàtes pas de les traiter encore d'heretiques, Parce, difiez- vous, que leur cœur démentait leur main, & qu'ils ef oient Catholiques extérieurement , & hérétiques intérieurement, comme vous -mefme l'auez dit dans voftre Refp. à quelques demandes, p. 27 & 47.

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Dix-fepticmc lettre. -i 1 1

Que ce procédé me parut étrange, mon Père! Car de qui n'en peut-on pas dire autant ? & quel trouble n'excite- roit-on point par ce prétexte? Si l'on refiife, dit S. Grégoire Pape, de croire la confejjîon de foy de ceux qui la donnent conforme aux fentimens de l'Eglife, on remet en doute la foj de toutes les perfonnes Catholiques^. le craignis donc, mon Père, que vojlre dejjein ne fuji de rendre ces perfonnes héré- tiques, fans qu'ils le fuffent, comme parle le mefme Pape fur vne difpute pareille de Ton temps : parce, dit-il, que ce n'efl pas s'oppofer aux herefes, mais c'ejt faire vne herefie que de refufer de croire ceux qui par leur confeffion témoignent d'efre dans la véritable foy : Hoc non ejl hœrefim pur gare, fed facere^ . Mais ie connus en vérité qu'il n'y auoit point en effet d'heretiques dans l'Eglife, quand ie vis qu'ils s'eftoient fi bien iuftiiiez de toutes ces herefies que vous ne pûtes plus les acculer d'aucune erreur contre la foy ; & que vous fuftes réduits à les entreprendre feulement fur des queftions de fait tou- chant lanfenius, qui ne pouuoient ertre matière d'herefie. Car vous les voulûtes obliger à reconnoiftre que ces propofi- tions ef oient dans lanfenius, mot à mot, toutes, & en propres termes, comme vous l'écriuites encore vous-mefme : Sin- gulares, indiuiduœ, totidem verbis apud lanfetiium contentœ, dans vos Cauilli, p. 39.

Dés-lors voftre dilpute commença à me deuenir indif- férente. Quand ie croyois que vous difputiez de la vérité ou de la fauffeté des Propofitions, ie vous écoutois auec atten- tion; car cela touchoit la foy : mais quand ie vis que vous ne difputiez plus que pour fçauoir fi elles elîoient mot à mot dans lanfenius ou non : comme la religion n'y eftoit plus intereffée, ie ne m'y intereffay plus aufîi. Ce n'ell pas qtfil n'y eull bien de l'apparence que vous difiez vray; car de dire que des paroles font mot à mot dans un Autheur, c'ell

I. Quelques éditions modernes ajoutent à ces citations le lieu d'où elles sont tirées : z" Regijf. 1. lib. J\ ep. XJ\ 2^ Ep. Xl'I.

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^ 1 2 Lettres proiiinciales.

à quoy l'on ne peut fe méprendre. Auffi ie ne m'étonne pas que tant de perfonnes, & en France & à Rome, aient creù fur vne exprefîîon fi peu fufpecte, que lanfenius les auoit enfeignées en effet. Et c'eft pourquoy ie ne fus pas peu flir- pris d'apprendre que ce point de fait mefme * que vous auiez propofé comme fi certain & fi important, eftoit faux, & qu'on vous défia de citer les pages de lanfenius, vous auiez trouué ces Propofitions mot à mot, fans que vous l'ayez jamais pu faire ^

le rapporte toute cette fuite, parce qu'il me femble que cela découure affez l'efprit de voftre Société en toute cette affaire, & qu'on admirera de voir que malgré tout ce que ie viens de dire, vous n'ayez pas ceffé de publier qu'ils eftoient toujours hérétiques 5 mais vous auez feulement changé leur herefie félon le temps. Car à mefure qu'ils fe iuftifioient de l'vne, vos Pères en fubftituoient vne autre, afin qu'ils n'en fuffent iamais exempts. Ainfi en i6'>3 leur herefie eftoit fur la qualité des Propofitions. En fuite elle fut fur le mot à mot. Depuis vous la mites dans le cœur. Mais aujourd'huy on ne parle plus de tout cela ; & l'on veut qu'ils

1. Une correction manuscrice de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Ce même point de fait.

2. M. Faugère a recueilli, dans ses notes inédites pour les Provin- ciales, la leçon suivante qui se rattache au passage dont nous nous occupons : AI. Arnauld et fes amis proteftent qu'il les condamne en elles-mêmes (les cinq propositions) et en quelque heu elles fe trouvent ; que fi elles font dans Jan- fénius, il les y condamne; que quand même elles n'y feroient pas. f le fens hérétique de ces propofitions que le pape a condamné fe trouve dans Jarfénius . qu'il condamne Jarfénius... Et vous voule^ le retrancher de l'Eglife fur ce refus (de déclarer que ces propositions sont mot à mot dans Jansénius), quoiqu'il condamne tout ce qu'elle condamne, par cette feule raifon qu'il n'ajfure pas que des paroles ou un fens eft dans un livre il ne l'a Jamais trouvé^ et per- fonne ne le lui veut montrer. En vérité, mon Père, ce prétexte eft Ji vain qu'il n'y eut peut-être jamais dans l'Eglife de procédé fi étrange, fi injufte et fi téméraire... (t. I'"' des Pensées, p. 308).

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foient hérétiques, s'ils ne fig-nent que le fens de la doâtrine de lanfeniiis fe trouue dans le fens de ces cinq Propositions *.

Voilà le fujet de voflre difpute prefente. Il ne vous fuffit pas qu'ils condamnent les cinq Propositions, & encore tout ce qu'il y auroit dans lanfenius qui pourroit y eftre conforme & contraire à S. Auguftin. Car ils font tout cela. De forte qu'il n'eft pas queftion de fçauoir par exemple fi Iesvs-Christ n'eft mort que pour les Predejiine^; ils con- damnent cela aufîî bien que vous : mais fi lanfenius ei\ de ce fentiment là, ou non. Et c'eft fur quoy ie vous déclare plus que iamais que voftre difpute me touche peu, comme elle touche peu l'Eglife. Car encore que ie ne fois pas Docteur, non plus que vous, mon Père, ie voy bien neant- moins qu'il n'y va point de la foy, puifqu'il n'eft queftion que de fçauoir quel eft le fens de lanfenius. S'ils croyoient que fa doctrine fuft conforme au fens propre & littéral de ces Proportions, ils la condamneroient; & ils ne refufent de le faire que parce qu'ils font perfuadez qifelle en eft bien différente : ainfî quand ils l'entendroient mal, ils ne feroient pas hérétiques, puifqu'ils rie l'entendent qu'en vn fens catholique.

Et poiu- expliquer cela par vn exemple, ie prendray la diuerfité de fentimens qui fut entre S, Bafile & S. Athanafe touchant les Efcrits de faint Denis d'Alexandrie, dans lef- quels S. Bafile croiant trouuer le fens d'Arius contre l'éga- lité du Père & du Fils, il les condamna comme hérétiques ; mais S. Athanafe au contraire y croiant trouuer le véri- table fens de l'Eglife, il les foùtint comme catholiques. Penfez-vous donc, mon Père, que S. Bafile qui tenoit ces Efcrits pour Ariens, euft droit de traiter S. Athanafe d'here-

I. M. Faugère, dans ses notes inédites pour les Provinciales, a recueilli le premier germe de la même pensée : Il y a deux ans que leur héréfte était la bulle; l'année pajfée c'était intérieur ; il y a fix mais que c'était totidem. A préfent c'ejf le fens (t. I*""" des Pensées, p. 309).

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^14 Lettres proiiinciales.

tique, parce qu'il les defendoit? Et quel fujet en euft-il eu, puifque ce n'eftoit pas rArianifme qu'il defendoit ^, mais la vérité de la foy qu'il penfoit y eftre? Si ces deux Saints fuffent conuenus du véritable fens de ces Efcrits, & qu'ils y euffent tous deux reconnu cette herefie, fans doute S. Atha- nafe n'euft pii les approuuer fans herefîe j mais comme ils elloient en différent touchant ce fens, S. Athanafe eftoit catholique en les Ibuftenant, quand mefme il les euft mal entendus ; puifque ce n'euft efté qu'vne erreur de fait, & qu'il ne defendoit dans cette doctrine que la foy catholique qu'il y fuppofoit.

le vous en dis de meime, mon Père. Si vous conueniez du fens de lanfenius, & qu'ils fuffent d'accord auec vous % qu'il tient, par exemple, qu'on ne peut refijler à la grâce, ceux qui refuferoient de le condamner feroient hérétiques. Mais lors que vous diiputez de fon fens, & qu'ils croyent que félon fa doctrine on peut refijîer à la grâce, vous n'auez aucun fujet de les traiter d'heretiques , quelque herefîe que vous luy attribuiez vous-mefmes; puifqu'ils condamnent le fens que vous y fuppofez, & que vous n^ofe- riez condamner le fens qu'ils y fuppofent. Si vous voulez donc les conuaincre, monftrez que le fens qu'ils attribuent à lanfenius ert hérétique : car alors ils le feront eux- mefmes. Mais comment le pourriez-vous faire, puifqu'il eft conftant, félon voftre propre aueii, que celuy qu'ils luy donnent n'eft point condamné?

Pour vous le montrer clairement ie prendray pour principe ce que vous reconnoiffez vous-mefmes, que la doârine de la grâce efficace n'a point efté condamnée, & que le Pape n'y a point touché par fa Conftitution. Et en effet

1. Quelques éditions modernes : Qu' Athanafe défendait.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Et que vos adver- faires fuffent d'accord avec vous.

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Dix-feptiéme lettre. 3 1 5

quand il voulut iuger des cinq Propofitions, le point de la grâce efficace fut mis à couuert de toute cenfure. C'eft ce qui paroift parfaitement par les Avis des Confulteurs auf- quels le Pape les donna à examiner. l'ay ces Avis entre mes mains, auïïi bien que plufieurs perlbnnes dans Paris, &: entr'autres M. l'Euelque de Montpelier, qui les apporta de Rome. On y voit que leiu-s opinions furent partagées, & que les principaux d'entr'eux, comme le Maillre du facré Palais, le Commiffaire du faint Office, le General des Auguf- tins & d'autres, croyant que ces propofitions pouuoient élire prifes au fens de la grâce efficace, furent d'auis qu'elles ne deuoient point élire cenfurées ; au lieu que les autres demeurant d'accord qu'elles n'eufTent pas deu élire con- damnées fi elles eufTent eu ce fens, ellimerent qu'elles le deuoient élire, parce que, félon ce qu'ils déclarent, leur fens propre & naturel en elloit tres-éloigné. Et c'ell pour- quoy le Pape les condamna, & tout le monde s'ell rendu à fon ingénient.

Il eil donc feûr, mon Père, que la grâce efficace n'a point elle condamnée. Auffi ell-elle fi puilTamment foute- nuë par S. Augullin, par S. Thomas &: toute fon Efcole, par tant de Papes & de Conciles, & par toute la Tradition, que ce feroit vne impieté de la taxer d'herefie. Or tous ceux que vous traitez d'heretiques déclarent qu'ils ne troiuient aiure chofe dans lanfenius que cette doctrine de la grâce efficace. Et c'ell la feide chofe qu'ils ont foutenuë dans Rome. Vous-mefme l'auez reconnu, Cauil. p. 3v vous auez déclaré, qu'en parlant deuant le Pape ils ne dirent aucun mot des Propofitions, ne rerbum quidein : & qu'ils emploj'er^ent tout le temps à parler de la grâce efficace. Et ainfi, foit qu'ils le trompent on non dans cette fuppofition, il ell au moins fans doute que le fens qu'ils fuppofent n'ell point hérétique, & que par confequent ils ne le font point. Car pour dire la chofe en deux mots, ou lanfenius n'a enfeigné que la grâce efficace, 6«: en ce cas il n'a point d'erreurs : ou

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^ 1 6 Lettres prouinciales.

il a enfeigné autre chofe, & en ce cas il n'a point de defenfeurs. Toute la queftion efl donc de fçauoir fi lan- fenius a enfeigné en effet autre chofe que la grâce efficace ; & fi l'on trouue que oûy, vous aurez la gloire de Tauoir mieux entendu- mais ils n'auront point le malheur d'auoir erré dans la foy.

11 faut donc louer Dieu, mon Père, de ce qu'il n'y a point en effet d'herefie dans l'Eglife, puifqu'il ne s'agit en cela que d'vn point de fait, qui n'en peut former. Car l'Eglile décide les points de foy auec vne autorité diuine, & elle retranche de fon corps tous ceux qui refufent de les receuoir; mais elle n'en vfe pas de mefme pour les choies de fait. Et la raifon en eft que noftre falut efl attaché à la foy qui nous a efté reuelée, & qui fe conferue dans l'Eglife par la Tradition ; mais qu'il ne dépend point des autres faits particuliers qui n'ont point efté reuelez de Dieu. Ainfî on eft obligé de croire que les commandemens de Dieu ne font pas impofîibles, mais on n'eft pas obligé de fçauoir ce que lanfenius a enfeigné fiu- ce fujet. C'eft pourquoy Dieu con- duit l'Eglife dans la détermination des points de la foy, par l'afîiftance de fon efprit qui ne peut errer; au lieu que dans les cliofes de fait, il la laiffe agir par les fens & par la rai- fon qui en font naturellement les iuges. Car il n'y a que Dieu qui ait pu inflruire l'Eghfe de la foy : mais il n'y a qu'à lire lanfenius pour fçauoir fi des proportions font dans fon liure ^ Et de vient que c'eft vne herefie de refîfter aux decifions de foy : parce que c'eft oppofer fon efprit propre à l'efprit de Dieu. Mais ce n'eft pas vne herefie, quoy que ce puiffe eftre vne témérité, que de ne pas croire

I. M. Faugère a recueilli, dans ses notes inédites pour les Provin- ciales, une pensée de Pascal qui ressemble beaucoup au passage dont nous nous occupons : Comment le fens de Janfénius feroit-il dans des propojînons qui ne font pas de lui? Ou cela ejl dans Janfénius ou non. Si cela y efl^ le voilà condamné en cela; fïnon. pourquoi le voulei-vous faire condamner? (t. I*^"" des Pensées, p. 311).

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certains faits particuliers, parce que ce n'eft qii'oppofer la raifon qui peut eftre claire, à vne autorité qui eft g-rande, mais qui en cela n'eft pas infaillible.

C'ell: ce que tous les Théologiens reconnoiflent, comme il paroift par cette maxime du Cardinal Bellarmin de voftre Société : Les Conciles généraux & légitimes ne peuuent errer en dejinijjant les dogmes de for ; mais ils peuuent errer en des que/lions de fait ^. Et ailleurs : Le Pape, comme Pape, & mefme à la tejte d'vn Concile vniverfelj peut errer dans les' controuerfes particulières de fait, qui dépendent pi^incipalemeiit de l'information & du témoignage des hommes \ Et le Cardi- nal Baronius de mefme : Il faut fe foûmettre entièrement aux décidions des Conciles dans les points de foy ; mais pour ce qui concerne les perfonnes & leurs écrits, les cenfures qui en ont ejlé faites ne fe trouuent pas auoir ejté gardées auec tant de rigueur, paixe qu'il n'j" a perfonne à qui il ne puijjé arriuer d'j' eflre trompé^ . C^eft aufîî pour cette raifon que M. l'Arche- uefque de Touloufe a tiré cette reg-le des lettres de deux g'rands Papes S. Léon & Pelag^e II : Que le propre objet des Coîiciles eft la for, & que tout ce qui s'y refout hors de la for, peut eflre reueu & examiné de nouueau ; au lieu qu'on ne doit plus examiner ce qui a eft é décidé en matière de foy, parce que, comme dit Tertullien, la règle de la foy eft feule immobile & irretraâable.

De vient qu'au lieu qu'on n'a iamais veu les Conciles généraux & légitimes contraires les vns aux autres dans les points de foy; parce que, comme dit M. de Touloufe, il nejî pas feulement permis d'examiner de nouueau ce qui a efté déjà décidé en matière de foy, on a veu quelquesfois ces mefmes Conciles oppofez fur des points de fait, il s'agiflbit de l'intelligence du fens d'vn Auteur; parce que, comme dit

I. Quelques éditions modernes indiquent les ouvrages d'où ces diffé- rentes citations ont été tirées ; z" De Sum. Pont. Lib. W. cjp. XL Cdp. II. j" Ad ann. 681. n. 30.

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Lettres prouinciales.

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encore M. de Touloufe après les Papes qu'il cite, tout ce qui fe refout dans les Conciles hors la foj, peut ejlre reueii & examiné de nouueau. C'efl ainfi que le IV' & le V' Conciles paroifTent contraires Tvn à l'autre en l'interprétation des mefmes Auteurs : & la mefme chofe arriua entre deux Papes fur vne proportion de certains Moynes de Scythie. Car après que le Pape Hormifdas l'eut condamnée en l'entendant en vn mauuais fens, le Pape lean II Ton fuccef- leur l'examinant de noiuieau & l'entendant en vn bon fens, l'approuua, & la déclara catholique. Diriez-vous pour cela qu'vn de ces Papes fuit hérétique? Et ne faut-il donc pas auoûer que pourueu que l'on condamne le fens heretiqvie qu'vn Pape aiu'oit fuppofé dans vn écrit, on n'elt pas héré- tique pour ne pas condamner cet écrit en le prenant en vn fens qu'il eft certain que le Pape n'a pas condamné 5 puif- qif autrement l'vn de ces deux Papes feroit tombé dans l'erreur ?

Fay voulu, mon Père, vous accouftumer à ces contra- rietez, qui arriuent entre les catholiques fur des queflions de fait touchant l'intellig-ence du fens d'vn auteur, en vous montrant fur cela vn Père de l'Eg^life contre vn autre, vn Pape contre vn Pape, & vn Concile contre vn Concile, pour vous mener de à d'autres exemples d'vne pareille oppo- fition, mais plus difproportionnée. Car vous y verrez des Conciles & des Papes d'vn cofté, & des lefuites de l'autre qui s'oppoferont à leurs decifions touchant le fens d'vn auteiu-, fans que vous accufiez vos confrères, ie ne dis pas d'herefîe, mais non pas mefme de témérité.

Vous fçauez bien, mon Père, que les écrits d'Origene furent condamnez par plufieurs Conciles & par plufieurs Papes, & mefme par le V Concile General, comme conte- nans des herefîes, & entr'autres celle de la reconciliation des démons au iour du ingénient. Croyez-vous fur cela qu'il foit d'vne neceffité abfoluë pour élire catholique de con- feffer qu'Origene a tenu en effet ces erreurs ; & qu'il ne

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Dix-feptiéme lettrée. ^19

Tuffife pas de les condamner fans les luy attribuer? Si cela eftoit, que deuiendroit vollre Père Halloix, qui a foùtenu la pureté de la foy d'Origene, auïîi bien que plufîeurs autres catholiques qui ont entrepris la mefme chofe, comme Pic de la Mirande & Genebrard Docteur de Sorbonne?Et n'eft-il pas certain encore que ce mefme V*" Concile Gene- ral condamna les écrits de Theodoret contre S. Cyrille, comme impies, contraires à la vraye for, & contenans Vherefie Nejîorienne? Et cependant le P. Sirmond lefuite n'a pas laifTé de le deffendre, & de dire dans la vie de ce Père, que ces mefmes écrits font exempts de cette herefie Nejîorienne.

Vous voyez donc, mon Père, que quand l'Eg-life con- damne des écrits, elle y fuppofe vne erreur qu'elle y con- damne; & alors il efl de foy que cette erreur eft condam- née; mais qu'il n'ell pas de foy que ces écrits contiennent en effet l'erreur que l'Eg-life y fuppofe. le croy que cela eft affez prouué; & ainfî ie iiniray ces exemples par celuy du Pape Honorius, dont l'hiftoire eft fi connue. On fcait qu'au commencement du VIP fiecle, l'Eglife eftant troublée par l'herefie des Monothelites, ce Pape pour terminer ce diffé- rent fit vn Décret qui fembloit fauorifer ces hérétiques ; de forte que plufieurs en furent fcandalifez. Cela fe paffa neantmoins auec peu de bruit fous ion Pontificat : mais 50 ans après, l'Eglife eftant affemblée dans le VI'' Concile General, le Pape Agathon prefîdoit par fes Légats , ce Décret y fut déféré ; & après auoir efté leû & examiné, il fut condamné comme contenant l'herefie des Monothe- lites, & brûlé en cette qualité en pleine affemblée auec les autres écrits de ces hérétiques. Et cette decifion fut receuë auec tant de refpect & d'vniformité dans toute l'Eglife, qu'elle fut confirmée enfuite par deux autres Conciles Généraux, & mefme par le pape Léon II & par Adrien II qui viuoit deux cens ans après , fans que perfonne ait troublé ce confentement vniverfel & paifible durant fept ou huit fiecles. Cependant quelques auteurs de ces derniers

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^20 Lettres pj^ouinciales.

temps, & entr'autres le cardinal Bellarmin, n'ont pas crû fe rendre hérétiques pour auoir foûtenu contre tant de Papes & de Conciles, que les écrits d'Honorius font exempts de l'erreur qu'ils auoient déclaré y eilre; parce, dit-il, que des Conciles Généraux pouuant errer dans les queftions de fait, on peut dire en toute ajfurance que le VP Concile s'ejl trompé en ce fait là, & que n'ayant pas bien entendu le fens des lettres d'Honorius, il a mis à tort ce Pape au nombre des hérétiques \

Remarquez donc bien, mon Père, que ce n'eft pas eftre hérétique, de dire que le Pape Honorius ne l'eftoit pas, encore que plufîeurs Papes & plufieurs Conciles l'eufTent déclaré, & mefme après l'auoir examiné. le viens donc maintenant à nollre queftion ; & ie vous permets de faire voftre caufe auffi bonne que vous le pourrez. Que direz-vous, mon Père, pour rendre vos aduerfaires héré- tiques ? Que le pape Innocent X a déclaré que V erreur des cinq Propqjitions ejl dans lanfenius. le vous laifTe dire tout cela. Qu'en concluez-vous ? Que c'efl eftre hérétique, de ne pas reconnoiflre que l'erreur des cinq Propojitions eft dans lanfe- nius? Que vous en femble-t'il, mon Père? N'eft-ce donc pas icy vne queftion de fait de mefme natiu-e que les pré- cédentes? Le pape a déclaré que l'erreur des cinq Propor- tions eft dans lanfenius, de mefme que fes predeceffeurs auoient déclaré que l'erreur des Neftoriens & des Mono- thelites eftoit dans les écrits de Theodoret & d'Honorius. Sur quoy vos Pères ont écrit qu'ils condamnent bien ces herefies, mais qu'ils ne demeurent pas d'acord que ces Auteurs les ayent tenues; de mefme que vos aduerfaires difent aujourd'huy qif ils condamnent bien ces cinq Propo- rtions ; mais qu'ils ne font pas d'accord que lanfenius les ait enfeignées. En vérité, mon Père, ces cas-là font bien

I. Quelques édicions modernes ajoutenc : De fum. Pont.. Lib. IJ\ cap. XL

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Dix-feptiéme lettre. 321

femblables; & s'il s'y troime quelque différence, il eft aifé de voir combien elle eft à l'auantage de la queftion prefente, par la comparaifon de plufieurs circonftances particulières qui font vifibles d'elles-mefmes, & que ie ne m'arrefte pas à rapporter. D'où vient donc, mon Père, que dans vne mefme caufe, vos Pères font catholiques, & vos aduerfaires hérétiques? Et par quelle eftrange exception les priuez- vous d'vne liberté que vous donnez à tout le relie des fidèles ?

Que direz-vous flir cela, mon Père, Que le Pape a con- firmé fa Confitiition par vn bref? le vous répondray que deux Conciles Généraux & deux Papes ont confirmé la condamnation des lettres d'Honorius. Mais quelle force prétendez vous faire * fur les paroles de ce Bref, par lefquelles le Pape déclare, Qu'il a condamné la doctrine de lanfenius dans ces cinq Propoftions? Qu'eft-ce que cela ajoute à la Conftitution, & que s'enfuit-il de là, finon que comme le VP Concile condamna la doctrine d'Honorius, parce qu'il croyoit qu'elle eftoit la mefme que celle des Monothelites ; de même le Pape a dit qu'il a condamné la doctrine de lanfenius dans ces cinq Propofitions, parce qu'il a fuppofé qu'elle efloit la mefme que ces cinq Propo- fitions. Et comment ne l'euft-il pas creù? Vollre Société ne publie autre chofe; & vous-mefme, mon Père, qui auez dit qu'elles y font mot à mot, vous eftiez à Rome au temps de la Cenfure ; car ie vous rencontre' partout"-. Se fuft-il

1 . Quelques éditions modernes : Mais quel fond prérendej-vous faire... Nicole traduit : Verwn quid tandem ex novi diploniatis verbis elicis...

2. Les deux exemplaires in-4'' de la bibliothèque de l'Institut : Vojtre Société ne publie autre chofe partout... Car le vous rencontre tou-

fiours. L'un des deux exemplaires de la bibliothèque de l'Institut, celui qui ne contient pas l'Avertissement de Nicole et qui paraît le plus ancien, a une cor- rection à la main au moyen de laquelle on a efflicé le premier partout et on a substitué au mot toufwurs le mot partout, ce qui rend la phrase exactement conforme à celle de notre collection in-4".

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•^22 Lettrées prouiiiciales.

déiîé de la fincerité ou de la fuffifance de tant de Religieux graues? Et comment n'euft-il pas creu que la doctrine de lanfenius eftoit la mefme que celle des cinq Propofitions, dans l'affurance que vous luy auiez donnée qu'elles eftoient mot à mot de cet Auteur? Il efl donc vifible, mon Père, que s'il fe trouue que lanfenius ne les ait pas tenues, il ne faudra pas dire, comme vos Pères ont fait dans leurs exemples, que le Pape s'efl: trompé en ce point de fait, ce qu'il eft toujours fafcheux de publier : mais il ne faudra que dire que vous auez trompé le Pape ; ce qui n'apporte plus de fcandale, tant on vous connoift maintenant.

Ainfi, mon Père, toute cette matière eft bien éloignée de pouuoir former vne herefie. Mais comme vous voulez en faire vne à quelque prix que ce foit, vous auez effayé de détourner la queftion du point de fait, pour la mettre en vn point de foy; & c'eft ce que vous faites en cette forte. Le Pape, dites-vous, déclare qu'il a condamne la doâi^ine de lan- fenius dans ces cinq Propofitions : donc il efi de foy que la doBrine de lanfenius touchant ces cinq Propofitions efl héré- tique telle qu'elle foit. Voilà, mon Père, vn point de foy bien eftrange , qu'vne doctrine eft hérétique telle qu'elle puiffe eftre. Et quoy! fi félon lanfenius on peut refifer à la grâce intérieure, & s'il eft faux félon luy que I es vs- Christ ne foit mort que pour les feiils predefiine\, cela fera-t'il auffi condamné, parce que c'eft fi doctrine? Sera-t'il vray dans la Conftitution du Pape, que l'on a la liberté' de faire le bien & le mal ; & cela fera-t'il faux dans lanfenius? Et par quelle fatalité fera-t'il fi malheureux que la vérité deuienne here- fie dans fon liure? Ne faut-il donc pas confeffer qu'il n'eft hérétique qu'au cas qu'il foit conforme à ces erreurs con- damnées; puifque la Conftitution du Pape eft la règle à laquelle on doit appliquer lanfenius, pour iuger de ce qu'il eft félon le rapport qu'il y aura 5 & qu'ainfi on refoudra cette queftion, /t\7z/o/r// /I7 doârine eft hérétique, par cette autre queftion de fait, fçauoir fi elle efi conforme au fens

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Dix-feptiéme lettrée. ^23

natiœel^de ces Propositions ; eftant impoffible qu'elle ne foit hérétique f\ elle y efl conforme 5 & qu'elle ne foit catho- lique fi elle y eil contraire. Car enfin puifque félon le Pape & les Euefques les Propofitions font condamnées en leur fens propice & naturel, il eft impoffible qu'elles foient condamnées au fens de lanfenius, fmon au cas que le fens de lanfenius foit le mefme que le fens propre & naturel de ces Propor- tions, ce qui eft vn point de fait.

La quelîion demeure donc toùjoiu-s dans ce point de fait, fans qu'on puiffe en aucune forte l'en tirer pour la mettre dans le droit. Et ainfî on n'en peut faire vne matière d'herefie ; mais vous en pourriez bien faire vn prétexte de perfecution, s'il n'y auoit fujet d'efperer qu'il ne fe trouuera point de perfonnes qui entrent aifez dans vos interefts, pour fuiure vn procédé fi injufte, & qui veuillent contraindre de fîgner, comme vous le fouhaittez, que Von condamne ces Propo- fitions au fens de lanfenius, fans expliquer ce que c'ell que ce fens de lanfenius. Peu de gens font difpofez à figner vne confeffion de foy en blanc. Or ce feroit en figner vne, que vous rempliriez enfuite de tout ce qu'il vous plairoit ' ; puif- qifil vous feroit libre d'interpréter à volîre g-ré ce que c'eft que ce fens de lanfenius qu'on n'auroit pas expliqué. Qu'on l'explique donc auparauant : autrement vous nous feriez encore icy vn pouuoir prochain abflrahendo ab omni fenfu. Vous fçauez que cela ne reûfîît pas dans le monde. On y haït l'ambig-uité, & furtout en matière de foy, il est bien iufte d'entendre pour le moins ce que c'eli que l'on condamne. Et comment fe pourroit-il faire que des Doc- teurs, qui font perfuadez que lanfenius n'a point d'autre

I- Les deu.x édicions in- 12 de 1657 : Cen ferait ftgncr vne. que vous rempliriei enfuite de tout ce qu'il vous plairait. L'édition in-8° de 1659 : C'en feroit figner vne en blanc, qu'on remplirait enfuite de tout ce qu'il vous plairait. Les éditions suivantes : Ce ferait en figner une en blanc, que vous rempli riej enfuite de tout ce qu'il vous plairait.

3 24 Lettî^es proiiinciales.

lens que celiiy de la grâce efficace, confentifTent à déclarer qu'ils condamnent fa doctrine fans l'expliquer j puifque dans la créance qu'ils en ont, & dont on ne les retire point, ce ne feroit autre chofe que condamner la grâce efficace, qu'on ne peut condamner fans crime? Ne feroit-ce donc pas vne eilrange tyrannie de les mettre dans cette mal- heureufe neceffité, ou de fe rendre coupables deuant Dieu, s'ils iîgnoient cette condamnation contre leur con- fcience ; ou d'eflre traitez d'heretiques , s'ils refufoient de le faire?

Mais tout cela fe conduit auec myftere. Toutes vos démarches font politiques. Il faut que i'explique pourquoy vous n'expliquez pas ce fens de lanfenius. le n'écris que pour découurir vos deffeins, & pour les rendre inutiles en les découurant. le dois donc apprendre à ceux qui l'ignorent, que voflre principal intereil dans cette difpute eftant de releuer la grâce suffifante de voftre Molina, vous ne le pouuez faire fans ruiner la grâce efficace qui y eil tout oppofée. Mais comme vous la voyez aujourd'huy avito- rifée à Rome \ & parmy tous les fçauans de l'Eglife, ne la pouuant combattre en elle-mefme, vous vous elles auifez de l'attaquer fans qu'on s'en apperçoiue, fouz le nom de la doc- trine de lanfenius. Ainfi il a fallu que vous ayez recherché de faire condamner lanfenius' fans l'expliquer; & que pour y reûffir, vous ayez fait entendre que fa doctrine n'eft point celle de la grâce efficace ; afin qu'on croye pouuoir condamner l'vne fans l'autre. De vient que vous effayez aujourd'huy de le perfuader à ceux qui n'ont aucune con- noiffance de cet auteur. Et c'eft ce que vous faites encore

1. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : Mais comme vous voye\ celle-ci aujourd'hui autorifée à Rome.

2. L'édition in-8° de 1659 omet toute la ligne : Ainft il a fallu que vous ayej recherché de faire condamner lanfenius. On ne peut pas donner comme une variante ce qui n'est réellement ici qu'une faute typogra- phique.

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Dix-fepticme lettre. 325

voiis-merme, mon Père, dans vos Caitilli p. 23, par ce fin raifonnement : Le Pape a condamné la doârine de lanfenius. Or le Pape n'a pas condamne' la doârine de la grâce efficace. Donc la doârine de la grâce efficace ejî différente de celle de lanfenius. Si cette preuiie elloit concluante, on monftreroit de mefme qu'Honorius & tous ceux qui le foutiennent font hérétiques, en cette forte. Le VP Concile a condamné la doctrine d'Honorius. Or le Concile n'a pas condamné la doctrine de l'Eg-life. Donc la doctrine d'Honorius ell diffé- rente de celle de l'Eglife. Donc tous ceux qui le deffendent font hérétiques. Il eft vifible que cela ne conclut rien, puifque le Pape n'a condamné que la doctrine des cinq Propofitions, qu'on luy a fait entendre eftre celle de lan- fenius.

Mais il n'importe 5 car vous ne voidez pas vous feruir long-temps de ce raifonnement. 11 durera affez tout foible qu'il eft ^ poiu- le befoin que vous en auez. Il ne vous eft neceffaire que pour faire que ceux qui ne veident pas con- damner la grâce efficace, condamnent lanfenius fans fcrii- pule. Quand cela fera fait, on oubliera bien toft voftre argu- ment, & les fîgnatures demeurant en témoignage éternel de la condamnation de lanfenius, vous prendrez l'occa/lon pour attaquer - directement la grâce efficace par cet autre raifonnement bien plus folide, que vous en formerez en fon temps ^ : La doârine de lanfenius, direz-vous, a ejïé condam- née par les foufcriptions rniuerfelles de toute l'Eglife. Or cette doârine ejl manifeftement celle de la grâce efficace ; 6c vous proiuierez cela bien facilement. Donc la doârine de la grâce efficace eJî condamnée par VaueH mefme de fes defenfeurs.

1 . Une correction manuscrice de nocre collection in-4", qui n'a été adoptée par aucun éditeur : Tout faible qu'il cfl. il durera ajfei-

2. Une corrcccion manuscrite de notre collection in-4'\. adoptée par l'édition in-8'^ de 1659 et par toutes les éditions suivantes : J'ous prendrei Voccafwn d'attaquer.

3. Les mêmes éditions : Que vous formerej en jcn temps.

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3 26 Lettres prouinciales.

^ Voilà pourqiioy vous propofez de figner cette condamnation dVne doctrine fans l'expliquer. Voilà Fauantage que vous prétendez tirer de ces foufcriptions. Mais fi vos aduerfaires y refillent, vous tendez vn autre pieg-e à leur refus. Car ayant joint adroitement la queflion de foy à celle de fait, fans vouloir permettre qu'ils l'en feparent, ny qu'ils fignent l'vne fans l'autre ; comme ils ne pourront foufcrire les deux enfemble, vous irez publier partout qu'ils ont refufé les deux enfemble. Et ainfi quoy qu'ils ne refufent en effet que de reconnoiftre que lanfenius ait tenu ces Proportions qu'ils condamnent, ce qui ne peut faire d'herefîe, vous direz hardi- ment qu'ils ont refufé de condamner les Propofitions en elles-mefmes, & que c'efl leur herefie. -Voilà le fruit que vous tirerez de leur refus, qui ne vous fera pas moins vtile que celuy que vous tirere:^ de leiu* confentement^ De forte que fi on exige ces fignatures, ils tomberont toujours dans vos embufches, foit qu'ils fignent ou qu'ils ne fignent pas ; & vous aurez voftre compte de part ou d'autre : tant vous auez eu d'addreffe à mettre les chofes en eftat de vous ertre tou- jours auantageufes, quelque pente qu'elles puiffent prendre. Que ie vous connois bien, mon Père ; & que i'ay de regret^ de voir que Dieu vous abandonne iufqu'à vous faire reûffir fi heureufement dans vne conduite fi malheureufe! Voftre bon-heur ell digne de compaffion, & ne peut eftre

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, l'édition in-8° de 1659 et toutes les éditions suivantes placent ici un alinéa, ce que n'ont pas fait les éditeurs de 1657.

2. L'édition in-S*^ de 1659 et toutes les éditions suivantes indiquent ici un alinéa.

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4°, adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par quelques éditions modernes : Voilà le fruit que vous Tireriej de leur refus, qui ne vous feroit pas moins utile que celui que vous tireriej de leur confentement .

4. Une correction manuscrite de notre collection in-4<', adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Que j'ai de douleur.

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Dix-feptiéme lettre. ^27

eniiié que par ceux qui ignorent quel ell le véritable bonheur. C'eft eflre charitable que de trauerfer celuy que vous recherchez en toute cette conduite ; puifque vous ne l'appuyez que fur le menfonge, & que vous ne tendez qu'à faire croire l'vne de ces deux fauffetez : ou que l'Eglife a condamné la grâce efficace : ou que ceux qui la deffendent, fouftiennent les cinq erreurs condamnées ^ 11 faut donc apprendre à tout le monde, & que la grâce efficace n'ell: pas condamnée par voftre propre aueû, & que perfonne ne foûtient ces erreurs ; afin qu'on fçache que ceux qui refufe- roient de figner ce que vous voudriez qu'on exigeai!: d'eux, ne le refufent qu'à caufe de la queftion de fait; & qu'eftant prefts à fîgner celle de foy, ils ne fçauroient eftre héré- tiques par ce refus ; puifqu'enfin il eft bien de foy que ces Propofîtions font hérétiques ; mais qu'il ne fera jamais de foy qu'elles foient de lanfenius. Ils font fans erreur; cela fuffit. Peut-eftre interpretent-ils lanfenius trop fauorable- j

ment ; mais peut-eftre ne l'interpretez-vous pas a/fez fauo- rablement. le n'entre pas dedans. le fçay au moins que félon vos maximes vous croyez pouuoir fans crime publier qif il eft hérétique contre voftre propre connoiffance - ; au lieu que félon les leurs % ils ne pourroient fans crime dire qu'il eft catholique, s'ils n'en eftoient perfuadez. Ils font donc plus fînceres que vous, mon Père : ils ont plus examiné lanfenius que vous : ils ne font pas moins intelligens que vous : ils ne font donc pas moins croyables que vous. Mais quoy qu'il en foit de ce point de fait, ils font certainement catholiques; puilqu'il n'eft pas neceffaire pour l'eftre de dire

1. Une correccion manuscrite de notre collection in-4° indique ici un alinéa qui a été adopté par toutes les éditions.

2. Une correction manuscrite de notre collection in -4", effacée ensuite : Vous croyej pouuoir, contre voftre propre connoijfancc. publier fans crime qu'il...

3. Une correction manuscrite de notre collection in-4" : La leur, mau- vaise leçon qu'aucun édireur n'a admise.

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^28 Lettres proilinciales.

qu'vn autre ne l'eft pas ; & que fans charger perfonne d'erreur, c'eft affez de s'en décharger foy-mefme (a).

Et dans la copie imprimée à Ofnabruk efl en ce lieu ce qui fuit ' :

Mon R. P. fi vous auez peine à hre cette lettre, pour n'eftre pas en aflez beau caractère, ne vous en prenez qu'à vous-même. On ne me donne pas des priuileges comme à vous. Vous en auez pour combattre iufqu'aux miracles, ie n'en ai pas pour me défendre. On court fans cefî'e les impri- meries. Vous ne me confeilleriez pas vous-même de vous écrire dauantage dans cette difficulté. Car c'eft vn trop grand embaras d'eftre réduit à l'impreffion d'Ofnabruk-.

(a) La ij*" Provinciale adressée au P. Annat est suivie, dans la plupart des éditions, d'une autre lettre au même père datée du 1 5 janvier 1657 sur son écrit qui a pour titre : La bonne foy des îanfenijîes. Cette lettre, attribuée à Nicole, n'est certainement pas de Pascal. Aussi ne fait-elle pas partie de notre collection in-4". En refusant de la réimprimer, nous avons imité l'exemple de l'édition in-8° de 1659 qui ne donne pas cette lettre au P. Annat, et de Nicole lui-même, qui ne l'a pas traduite dans sa version latine. Les deux éditions in-12 de 1657 l'ont reproduite.

1. Ces deux lignes ne se trouvent pas dans les exemplaires in-4'' ^^ la bibliothèque de rinscitut. Mais les deux éditions in-12 de 1657 les ont imprimées textuellement.

2. L'édition in-S" de 1659 omet cette espèce de P. S. que Nicole n'a pas traduit non plus dans sa version latine de 1658. Toutes les éditions posté- rieures à 1659 le placent en note. Il est superflu de faire observer que la précendtie copie imprimée à Osnabruk n'a jamais existé.

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DIX-HUITIEME LETTRE

AV REVEREND P. ANNAT. lESVITE',

SUR LA COPIE IMPRIMÉE A COLOGNE LE 24 MARS 16572.

Mon REVEREND PERE,

Il y a long-temps que vous traiiaillez à troiiiier quelque erreiu* dans vos aduerlaires , mais je m'afliire que vous allouerez à la fin qu'il n'y a peut-eftre rien de û difficile que de rendre hérétiques ceux qui ne le font pas, & qui ne fuyent rien tant que de Tertre, l'ay fait voir dans ma der- nière Lettre combien vous leur auiez imputé d'herefies l'vne après l'autre, manque d'en troiuier vne que vous ayez pu long-temps maintenir, de forte qifil ne vous elloit plus reflé que de les en accufer fur ce qifils refufoient de con- damner le fens de lanfenius, que vous vouliez qifils con-

1. Les deux éditions in-12 de 1657 : Dix-huitième lettre efcrite par Fauteur des lettres au prouincial au R. P. Annat lefuite. La plupart des édi- tions modernes : Dix-huitième lettre écrite au R. P. Annat jéfuite.

2. L'édition in-8" de 1659 n'imprime que la date 24 mars iC>S7y et omet les mots Sur la copie imprimée à Cologne. La plupart des éditions modernes suivent cet exemple. Quelques unes placent la date à la fin de la lettre; d'autres la suppriment complètement. On pense bien que la mention : Sur la copie imprimée à Cologne n'est qu'une fiction plaisante et que l'édition origi- nale de la 18^ Provinciale n'a jamais été imprimée à Cologne

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7^0 Lettres prouinciales.

damnafient fans qu'on l'expliquaft. C'eftoit bien manquer d'herefies à leur repprocher, que d'en eftre réduits là. Car qui a iamais oûy parler dVne herefie que l'on ne puiffe exprimer? Auffi on vous a facilement répondu, en vous reprefentant que fi lanfenius n'a point d'erreurs, il n'eft pas iulle de le condamner ; & que s'il en a, vous deuiez les déclarer, afin que l'on fceuft au moins ce que c'eft que Ton condamne. Vous ne l'auiez néanmoins iamais voulu faire, mais vous auiez effayé de fortifier voflre prétention par des Décrets, qui ne faifoient rien pour vous : car on n'y explique en aucune forte ^ le fens de lanfenius, qu'on dit auoir efté condamné dans ces cinq Proportions. Or ce n'eftoit pas le moyen de terminer vos difputes. Si vous conueniez de part & d'autre du véritable fens de lanfenius, & que vous ne fuffiez plus en difterent que de fçauoir fi ce fens ell héré- tique ou non ; alors les iugemens qui declareroient que ce fens eif hérétique, toucheroient ce qui ell véritablement en queftion -. Mais la grande difpute ellant de fçauoir quel eft ce fens de lanfenius, les vns difant qu'ils n'y voyent que le fens de S. Auguftin & de S. Thomas; & les autres, qu'ils y en voyent vn qui eft hérétique & qu'ils n'expriment point, il eft clair qifvne Conftitution qui ne dit pas vn mot tou- chant ce différent, & qui ne fait que condamner en gênerai le fens de lanfenius fans l'expliquer, ne décide rien de ce qui eft en difpute.

C'eft poiu-quoy l'on vous a dit cent fois que voftre dif- férent n'eftant que fin* ce fait, vous ne le finiriez iamais qu'en déclarant ce que vous entendez par le fens de lanfenius. Mais comme vous vous eftiez toujours opiniaftré à le refu- fer, ie vous ay enfin pouffé dans ma dernière Lettre, i'ay

1. Un correccion manuscrite de notre collection in-4'"', adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : Pui [qu'on n'y explique en aucune forte.

2. L'édition in-8'^ de 1659 et toutes les éditions suivantes : Ce qui ferait véritablement en queftion.

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Dix-liiiiticine lettre. 331

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fait entendre que ce n'efl pas fans myftere que vous auiez entrepris de faire condamner ce fens fans l'expliquer, & que voftre deffein eftoit de faire retomber vn iour cette condamnation indéterminée fur la doctrine de la grâce effi- cace, en monftrant que ce n'ell autre chofe que celle de lanfenius, ce qui ne vous feroit pas difficile. Cela vous a mis dans la neceffité de répondre. Car fi vous vous fuffiez encore obllinez après cela à ne point expliquer ce fens, il eull paru aux moins éclairez que vous n'en vouliez en effet qu'à la g"race efficace, ce qui euft efté la dernière confufion pour vous dans la vénération qu'a l'Eglife pour vne doctrine fi fainte.

\o\\s auez donc efté obligé de vous déclarer, & c'eft ce que vous venez de faire en répondant à ma Lettre, ie vous auois reprefenté, Qiie fi lanfenius aiioit fur ces cinq Propofitions quelque autre feus que celuy de la grâce efficace, il nauoit point de defenfeurs ; mais que s'il n'auoit point d'autre fens que celuj- de la grâce efficace, il n'auoit point d'erreurs. Vous n'auez pu defauoiier cela, mon Père : mais vous y faites vne diftinction en cette forte p. 21 : // ne fuffit pas, dites-vous, pour iufiijîer lanfenius, de dire qu'il ne tient que la grâce efficace ; parce qu'on la peut tenir en deux manières : l'vne hérétique, félon Caluiuy qui confifte à dire que la volonté meuë par la grâce n'a pas le pouuoir d'y refifter ; l'autre ortho- doxe félon les Thomiftes & les Sorbonnifies, qui efi fondée fur des principes établis par les Conciles ; qui efi que la grâce effi- cace par elle-mefme, gouuerne la volonté de telle forte qu'on a toujours le pouuoir d'y refifier.

On vous accorde tout cela, mon Père ; &: vous liniffez en difant, Que lanfenius feroit catholique s'il defendoit la grâce efficace félon les Thomifies; mais qu'il efi hérétique, parce qu'il efi contraire aux Thomifies & conforme à Caluin, qui nie le pouuoir de refifier à la grâce. le n'examine pas icy, mon Père, ce point de fait ; içauoir lanfenius eft en effet con- forme à Caluin. 11 me fuffit que vous le prétendiez, ^ que

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332- Lettres prouinciales.

vous nous faffiez fçauoir aujourd'huy que par le fens de lanfenius vous n'auez entendu autre chofe que celuy de Caluin. N'eftoit-ce donc que cela, mon Père, que vous vou- liez dire? N'eftoit-ce que Terreur de Caluin que vous vouliez faire condamner fous le nom du fens de lanfenius? Que ne le declariez-vous plùtoll ? Vous vous fuïïîez bien épargné de la peine. Car fans Bulles ny Brefs tout le monde euft con- damné cette erreur auec vous. Que cet éclairciffement eltoit neceffaire, & qu'il leue de difficultez! Nous ne fça- uions, mon Père, quelle erreur les Papes & les Euefques auoient voulu condamner fouz le nom du fens de lanfenius. Toute l'Eglife en eftoit dans vne peine extrême, & perfonne ne nous le vouloit expliquer. Vous le faites maintenant, mon Père, vous que tout voflre party confidere comme le chef & le premier moteur de tous fes confeils, & qui fçauez le fecret de toute cette conduite. Vous nous Fauez donc dit, que ce fens de lanfenius n'eft autre chofe que le fens de Caluin condamné par le Concile. Voilà bien des doutes refolus. Nous fçauons maintenant que l'erreur qifils ont eu deffein de condamner fouz ces termes du fens de lanfenius, n'eft autre chofe que le fens de Caluin, & qu'ainfi nous demeurons dans l'obeï/fance à leurs Décrets, en con- damnant auec eux ce fens de Caluin qu'ils ont voulu con- damner. Nous ne fommes plus ertonnez de voir que les Papes & quelques Euefques aient eflé fi zelez contre le fens de lanfenius. Comment ne l'auroient-ils pas elle, mon Père, ayant créance en ceux qui difent publiquement que ce fens ell le mefme que celuy de Caluin?

le vous déclare donc, mon Père, que vous n'auez plus rien à reprendre en vos aduerfaires, parce qu'ils détellent alfurément ce que vous dételiez. le fuis feidement ellonné de voir que vous l'ig-noriez, & que vous ayez fi peu de con- noiffance de leurs fentimens fur ce fujet, qu'ils ont tant de fois déclarez dans leurs ouurages. le m'alTure que fi vous en elliez mieux informé, vous auriez du regret de ne vous eflre

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Dix-liiiitiéme lettre 333

pas inftruit aiiec vn efprit de paix d'vne doctrine fi pure & fi chrellienne, que la pafîîon vous fait combattre fans la con- noillre. Vous verriez, mon Père, que non feulement ils tiennent qu'on refilîe effectiuement à ces grâces foibles, qifon appelle excitantes ou inefficaces, en n'exécutant pas le bien qu'elles nous infpirent : mais qu'ils font encore auffi fermes à foutenir contre Caluin le pouuoir que la volonté a de refiller mefme à la grâce efficace & victorieufe, qu'à def- fendre contre Molina le pouuoir de cette grâce fur la volonté : aufîî jaloux de l'vne de ces veritez que de l'autre. Ils ne fçauent que trop que l'homme par fa propre nature a toù- joiu-s le pouuoir de pécher & de refiller à la grâce, & que depuis fa corruption il porte vn fond malheureux de con- cupifcence qui luy augmente infiniment ce pouuoir; mais que néanmoins quand il plaift à Dieu de le toucher par fa mifericorde, il luy fait faire ce qu'il veut, & en la manière qu'il le veut, fans que cette infaillibilité de l'opération de Dieu deftruife en aucune forte la liberté naturelle de l'homme, par les fecrettes & admirables manières dont Dieu opère ce changement, que S. Augultin a fi excellemment expliquées, &: qui diffipent toutes les contradictions imagi- naires, que les ennemis de la grâce efficace fe figurent entre le pouuoir fouuerain de la grâce fur le libre arbitre, & la ptiiffance qu'a le libre arbitre de refifter à la grâce. Car félon ce grand Saint, que les Papes & l'Eglife ont donné pour règle en cette matière. Dieu change le cœur de l'homme par vne douceur celefle qifil y répand, qui furmontant la délectation de la chair, fait que l'homme fentant d'vn collé fa mortalité & fon néant, & découurant de l'autre la gran- deur & l'éternité de Dieu, conçoit du dégoull pour les délices du péché qui le feparent du bien incorruptible: ^ ' trouuant fa plus grande ioye dans le Dieu qui le charme.

I. L'édicion in-8'^ de 1659 e; la pluparc dos éditions modernes sup- primcnc la conjoncàon cr.

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334 Lettres pi^ouinciales.

il s'y porte infailliblement de liiy-mefme, par vn moiiuement tout libre, tout volontaire, tout amoureux ; de forte que ce luy feroit vne peine & vn fupplice de s'en feparer. Ce n'ell pas qu'il ne puifîe toujours s'en éloigner, & qu'il ne s'en éloignaft effectiuement s'il le vouloit; mais comment le vou- droit-il, puifque la volonté ne fe porte iamais qu'à ce qui luy plairt le plus, & que rien ne luy plaill: tant alors que ce bien vnique qui comprend en foy tous les autres biens? Quod enim amplius nos deleciat, fecundum id opey^emiir necejfe ejî, comme dit S. Auguftin \

G'eft ainfi que Dieu difpofe de la volonté libre de l'homme fans luy impofer de necefîîté, & que le libre arbitre qui peut toujours refifter à la grâce, mais qui ne le veut pas toujours, fe porte auffi librement qu'infaillible- ment à Dieu, lorfqu'il veut l'attirer par la douceur de fes inipirations efficaces.

Ce font là, mon Père, les diuins principes de S. Auguf- tin & de S. Thomas, félon lefquels il ell véritable que nous pointons rejijler à la grâce, contre l'opinion de Caluin ; & que néanmoins, comme dit le Pape Clément VIII dans fon écrit adreffé à la Congrégation de Auxiliis - : Dieu forme en nous le mouuement de noftre volonté, & difpofe efficacement de nojlre cœur, par l'empire que fa Majejîé fuprême a fur les volontei des hommes, auffi bien que fur le rejle des creatuj^es qui font fou y le ciel, félon S. AuguJHn.

C'eft encore félon ces principes que nous agifîbns de nous-mefmes, ce qui fait que nous auons des mérites qui font véritablement noftres, contre l'erreur de Caluin ; & que néanmoins Dieu ellant le premier principe de nos actions, !kfaifant en nous ce qui luj ejl agréable, comme dit S. Paul, nos mérites font des dons de Dieu, comme dit le Concile de Trente.

I- Quelques éditions modernes ajoucenc : Exp. Ep. ad Gai. n. i-(). 2. Les mêmes éditions ajoutent : Art. 3 et (î.

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Dix-huitiéme lettrée. 335

C'eft par qu'ell détruite cette impieté de Luther, condamnée par le mefme Concile : Que nous ne coopérons en aucune forte à nojlrefalut, non plus que des chofes inanimées: & c ell par qu'ell encore deftruite l'impiété de l'école de Molina, qui ne veut pas reconnoiftre que c'eft la force de la grâce melme, qui tait que nous coopérons auec elle dans l'œuure de noltre falut; par il ruine ce principe de foy ellably par S. Paul : Que c'eji Dieu qui forme en nous & la volonté & Vacîion.

Et c'eft enfin par ce moyen que s'accordent tous ces paffages de l'Elcriture qui iemblent le plus oppotez : Conuertilfei-pous à Dieu : Seigneur conuertiffe^-nous â vous. Rejette^ vos iniquité:^ hors de vous : Cejî Dieu qui ojle les iniquitei de fou peuple. Faites des œuures dignes de pénitence : Seigneur, vous ave:; fait en nous toutes nos œuures. Faites- vous vu cœur nouueau & vn efprit nouueau : le vous don- neraj' vn efprit nouueau, & ie créera v en vous vn cœur

nouueau, &c

L'vnique moyen d'accorder ces contrarietez apparentes qui attribuent nos bonnes actions tantoft à Dieu & tantoll à nous, eft de reconnoillre, que comme dk S. Augullin, nos aâions font nojlres à caufe du libre arbitre qui les produit; & quelles font auffi de Dieu, à caufe de fa grâce qui fait que noftre libre arbitre les produit \ Et que, comme û dit ailleurs, Dieu nous fait faire ce qu'il luy plaill, en nous tai- fant vouloir ce que nous pourrions ne vouloir pas : à Deo faâum eft vt vellent quod & nolle potuijjént.

Ainfi, mon Père, vos aduerfaires font parfaitement d'accord auec les nouueaux Thomiftes mefmes ; puifque les ^rhomilles tiennent comme eux & le pouuoir de refiller à la grâce, 8c rinfaillibilité de l'effet de la grâce qu'ils tont profeffion de foutenir fi hautement, félon cette maxime

I .

noire

L'éiicion 1.1-8" de 1659 ec la pluparc des cdiclons suivanccs : Que : arbitre les prodiiir. Nicole dk : Liberum arbifrium.

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336 Lettres proiiiuciales.

capitale de leur doctrine, qii'Aliiarez Tvii des plus confide râbles d'entr'eux répète fi fouuent dans Ion liure, & qu'il exprime difp. 72, n. 4 ' en ces termes : Quand la grâce effi- cace meut le libre arbitre, il cou/eut infailliblement; parce que l'effet de la grâce eft de faire qu'encore qu'il puiffe ne pas con- fentir, il confente néanmoins en effet : dont il donne pour raifon celle-cy de S. Thomas Ion Maiftre - : Que la volonté de Dieu ne peut manquer d'eflre accomplie; & qu'ainfi quand il veut qu'vn homme confente à la grâce, il confent infailliblement, & me [me neceffairement , non pas d'vne neceffité abfoluë , mais d'vne neceffité d'infaillibilité. En quoy la grâce ne blefTe pas le pouuoir qu'on a de refifter fi on le veut ; puilqu'elle fait feulement qifon ne veut pas y refiiter, comme voftre Père Petau le reconnoift en ces termes to. i, p. 602^' : La grâce de lefus-Chrifi fait qu'on perfeuere infailliblement dans la pieté, quor que non par neceffité. Car on peut n'y pas confentir fi on le veut, comme dit le Concile; mais cette mef me grâce fait que Vbn ne le veut pas.

C'eft là, mon Père, la doctrine conilante de S. Aug-uf- tin, de S. Profper, des Pères qui les ont fuiiiis, des Conciles, de S. Thomas, de tous les Thomiftes en gênerai. C'eft auffi celle de vos aduerfaires, quoy que vous ne l'ayez pas penfé ; & c'eft enfin celle que vous venez d'approuuer vous-mefme en ces termes : La doârine de la grâce efficace, qui reconnoifi qu'on a le pouuoir d'y refifter, eft orthodoxe, appuyée fur les Conciles, & foutenuë par les Thomifies & les Sorbonniftes. Dites la vérité, mon Père ; fi vous euiîîez fceu que vos aduer- faires tiennent eftectiuement cette doctrine, peut-eftre que l'intereft de voftre Compagnie vous euft empefché d'y don- ner cette approbation jDublique : mais vous eftant imaginé

1. Les éditions modernes ajoutent : Lib. JlII.

2. Les mêmes éditions ajoutent : /. 2. q. ztz. art. j.

3. Quelques éditions modernes substituent à l'indication de Pascal celle-ci : T. I. Thcol. dogin. L.. IX. ch, VU. p. 602.

Dix-huitiéme lettrée.

337

i

qu'ils y eftoient oppofez, ce mefine intereft de voflre Com- pagnie vous a porté à autorifer des fentimens que vous croyiez contraires aux leurs, & par cette méprife voidant ruiner leurs principes, vous les auez vous-mefme parfaite- ment ertablis. De forte qti'on voit aujourd'huy par vne efpece de prodige les defenfeurs de la grâce efficace iufti- fiez par les defenfeurs de Molina : tant la conduite de Dieu eft admirable, pour faire concourir toutes chofes à la gloire de fa vérité!

Que tout le monde aprenne donc par voilre propre déclaration, que cette vérité de la grâce efficace neceffaire à toutes les actions de pieté, qui eft chère à l'Eglife, & qui eft le prix du fang de fon Sauueur, eft fi conftamment catholique, qu'il n'y a pas vn catholique, iufques aux lefuites mefmes, qui ne la reconnoifte pour orthodoxe. Et l'on fçaura en mefme temps par voftre propre confeffion qu'il n'y a pas le moindre foupçon d'erreur dans ceux que vous en auez tant accufez : car quand vous leur en imputiez de cachées fans les vouloir découurir, il leur eftoit auffi difficile de s'en deftendre, qu'il vous eftoit facile de les en accufer de cette forte : mais maintenant que vous venez de déclarer que cette erreur qui vous oblige à les combattre, eft celle de Caluin que vous penfiez qu'ils foutinffent, il n'y a perfonne qui ne voye clairement qu'ils font exempts de toute erreur; puifqu'ils font contraires à la feule que vous leur impofez, & qu'ils proteftent par leurs difcours, par leurs liures & par tout ce qu'ils peuuent produire pour témoigner leiu's fenti- mens, qu'ils condamnent cette herefîe de tout leur cœur, & de la mefme manière que font les fhomiftes, que vous reconnoiffez fans difficulté pour catholiques, & qui n'ont iamais efté fufpects de ne le pas eftre.

Que direz-vous donc maintenant contr'eux, mon Père r Qu'encore qu'ils ne fuiuent pas le fens de Caluin, ils font néanmoins hérétiques, 'parce qu'ils ne veulent pas recon- noiftre que le fens de lanfenius eft le melme que celu}- do

43

^38 Lettrées proiiinciales.

Caluin ? Oferiez-vous dire que ce foit vne matière d'here- fie? Et n'eft-ce pas vne pure queftion de fait, qui n'en peut former? C'en feroit bien vne de dire qu'on n'a pas le pou- uoir de refifter à la grâce efficace : mais en eft-ce vne de douter lanfenius le foutient? Ell-ce vne vérité reuelée? Eft-ce vn article de foy, qu'il faille croire fur peine de dam- nation? Et n'eft-ce pas malgré vous vn point de fait, pour lequel il feroit ridicule de prétendre qu'il y eufl: des héré- tiques dans l'Eglife?

Ne leur donnez donc plus ce nom, mon Père, mais quelqu'autre qui foit proportionné à la nature de voftre dif- férent. Dites que ce font des ignorans & des flupides, & qu'ils entendent mal lanfenius; ce feront des reproches affortis à voftre difpute : mais de les appeller hérétiques, cela n'y a nul rapport. Et comme c'eft la feule injure dont ie les veux défendre, ie ne me mettray pas beaucoup en peine de montrer qu'ils entendent bien lanfenius. Tout ce que ie vous en diray, eft qu'il me femble, mon Père, qu'en le iugeant par vos propres règles, il eft difficile qifil ne paffe pour catholique * : car voicy ce que vous eftabliffez pour l'examiner.

Pour fçaiioir, à'ites-YOus, fi laiifeuiiis eft à couuert, il faut fçauoir s'il défend la grâce efficace à la manière de Caluin, qui nie qu'on ait le pouuoir dj' refifter; car alors il feroit héré- tique : ou à la maniérée des Thomifes, qui l'admettent; car alors il feroit catholique. Voyez donc, mon Père, s'il tient qu'on a le pouuoir de refifter, quand il dit dans des Traitez entiers, & entr'autres au to. 3, 1. 8, c. 20 : Qu'on a toujours le pou- uoir de refifter à la grâce, félon le Concile; qve le libre

ARBITRE PEVT TOVIOURS AGIR ET n'aGIR PAS, J'Ouloir

& ne vouloir pas, confentir & ne confentir pas, faire le bien &

I. Une correction manuscrite de notre collection in-4'', qui n'a été adoptée par aucun éditeur : Qu'ils ne paffent pour catholiques. Pascal a mis le singulier parce qu'// ne pajfe se rapporte à Jansénius.

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Dix-huitiéme lettre. 339

le mal & ^ que l'homme en cette vie a toujours ces deux libeî^te^, que vous appel le-\ie contrariété & de contradiâion '• Voyez de mefme s'il n'ell pas contraire à l'erreur de Caluin, telle que vous-mefme la reprefentez, luy qui montre dans tout le chap. 21 que l'Eglife a condamné cét\heretique, qui fou/lient que la grâce efficace n'agit pas fur le libre arbitre en la manière qu'on Va crû fi long-temps dans l'Eglife, en forte qu'il foit enfuite au pouuoir du libre arbitre de confentir ou de ne con- fentir pas ; au lieu que félon S. Augufiin & le Concile, on a toujours le pouuoir de ne confentir pas fi on le veut, & que félon S. Profper Dieu donne à fes Eleus mefmes la volonté de perfeuerer, en forte qu'il ne leur ofie pas la puiffance de vouloir le contraire. Et enfin iugez s'il n'eft pas d'accord auec les Tliomiftes, lorfqu'il déclare c. 4, que tout ce que les Thomifies ont écrit pour accorder l'efficacité de la grâce auec le pouuoir d'y refîfier, efl fi conforme à f on j eus, qu'on n'a qu'avoir leurs Huttes pour j' apprendre fes fentimens : Qiiod ipfi dixerunt, diâum puta ^.

Voilà comme il parle fur tous ces chefs, & c'eft fur- quoy ie m'imagine qu'il croit le pouuoir de refiller à la grâce ; qu'il efl contraire à Caluin & conforme aux Tho- mifies, parce qu'il le dit, & qu'ainfi il eft catholique félon vous. Que û vous auez quelque voye pour connoillre le fens d'vn auteur autrement que par fes exprefîîons, & que fans

1. L'édition in-8° de 1659 supprime la conjonction et. suppression qui n'a été admise par aucune des éditions suivantes.

2. La même édition ; Que vous appelei de contradiction. La suppres- sion des mots de contrariété est une faute évidente que les éditions suivantes se sont bien gardées de reproduire.

3. Comme la citation de Pascal n'est pas exactement conforme à celle qu'on peut lire dans la traduction latine de Nicole , nous croyons devoir transcrire ici la citation du célèbre janséniste : Quidquid phylîcœ pradcter- minationis defenfores pro fuâ Jententià protulerunt. ut liberum arbitrium fub falvuni ejfe perfuadeant ; quidquid etiam ad dijfolvenda oppugnantium argumenta.

telaque repercutienda inohti funt. pro hac fentcntià diclum puta.

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^40 Lettres proiiinciales.

rapporter aucun de Tes pafTages vous vouliez foutenir contre toutes Tes paroles qu'il nie le pouuoir de refirter, & qu'il eft pour Caluin contre les Thomiftes, n'ayez pas peur, mon- Pere, que ie vous accufe d'herefie pour cela 5 ie diray feu- lement qu'il femble que vous entendez mal lanfenius, mais nous n'en ferons pas moins enfans de la mefme Églife.

D'où vient donc, mon Père, que vous agiffez dans ce dif- férent d'vne manière fi paiïîonnée, & que vous traitez comme vos plus cruels ennemis & comme les plus dangereux héré- tiques ceux que vous ne pouuez accufer d'aucune erreur, ny d'autre chofe, fmon qu'ils n'entendent pas lanfenius comme vous? Car de quoy difputez-vous, fmon dufens de cet Auteur? Vous voulez qu'ils le condamnent; mais ils vous demandent ce que vous entendez par là. Vous dites que vous entendez l'erreur de Caluin, ils répondent qu'ils la condamnent; & ainfi fi vous n'en voulez pas aux fillabes, mais à la chofe qu'elles {igniiient, vous deuez eflre fatisfaits. S'ils refufent de dire qu'ils condamnent le fens de lanfenius, c'eft parce qu'ils croyent que c'eft celuy de S. Thomas. Et ainfî ce mot eft bien equiuoque entre vous : dans voftre bouche il fignifte le fens de Caluin, dans la leur c'eft le fens de S. Thomas : de forte que ces difterentes idées que vous auez d'vn mefme terme, caufant toutes vos diuifions, û i'eftois maiftre de vos dif- putes, ie vous interdirois le mot de lanfenius de part & d'autre. Et ainfî en n'exprimant que ce que vous entendez par là, on verroit que vous ne demandez autre chofe que la condamnation du fens de Caluin, à quoy ils confentent ; & qu'ils ne demandent autre chofe que la defenfe du fens de S. Auguftin & de S. Thomas, en quoy vous eftes tous d'accord.

le vous déclare donc, mon Père, que pour moy ie les tiendray toujours pour catholiques, foit qu'ils condamnent lanfenius s'ils y trouuent des erreurs; foit qu'ils ne le con- damnent point, quand ils n'y trouuent que ce que vous-

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Dix-liiiiticme lettre. 341

mefme déclarez eilre catholique : & que ie leur parleray comme S. Hierôme à Jean Euefque de lerufalem, accufé de tenir huit propofitions d'Origene : Ou condamne- Origene, difoit ce Saint, fi vous reconnoi[fe-{ qu'il a tenu ces erreurs, ou bien nie- qu'il les ait tenues : Aut nega hoc dixijje euni qui arguitur, aut Ji locutus ejl talia , eum damna qui dixerit \

Voilà, mon Père, comment agiffent ceux qui n'en veulent qu'aux erreurs, & non pas aux perfonnes ; au lieu que vous qui en voulez aux perlbnnes plus qu'aux erreurs, vous troiuiez que ce n'ell rien de condamner les erreurs, û on ne condamne les perfonnes à qui vous les voulez imputer.

Que vollre procédé eft violent, mon Père, mais qu'il eft peu capable de reùffir! le vous l'ay dit ailleurs, & ie vous le redis encore ; la violence & la vérité ne peuuent rien Tvne fur l'autre. lamais vos accufations ne furent plus outra- geufes, & iamais l'innocence de vos aduerfaires ne fut plus connue : iamais la grâce efficace ne fut plus artificieufement attaquée, & iamais nous ne l'auons veuë fi affermie. Vous employez les derniers efforts pour faire croire que vos dif- putes font fur des points de foy, & iamais on ne connut mieux que toute vollre difpute n'ell que fur vn point de fait. Enfin vous remuez toutes chofes pour faire croire que ce point de fait eft véritable, & iamais on ne fut plus difpofé !

à en douter. Et la raifon en eft facile. C'eft, mon Père, que vous ne prenez pas les voyes natiu-elles pour faire croire \

vn point de fait, qui font de convaincre les fens, & de mon- trer dans vn Hure les mots que l'on dit y eftre. Mais vous allez chercher des moyens fi éloignez de cette fimplicité, que cela frappe neceffairement les plus ftupides. Que ne preniez-vous la mefme voye que i'ay tenue dans mes lettres pour décoiuu'ir tant de maimaifes maximes de vos auteurs,

I. Quelques éditions modernes, celle de 1851 noummcnt, ajoutent: Ep. 28, allas 6.

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342- Lettres prouinciales.

qui efl de citer fidèlement les lieux d'oi^i elles font tirées ?

G'elt ainfi qu'ont fait les Curez de Paris, & cela ne manque

iamais de perfuader le monde. Mais qu'auriez-vous dit, &

qu'auroit-on penfé, lorfqu'ils vous reprochèrent par exemple

cette propofition du P. l'Amy, Qu'vn Religieux peut tuer

celuy qui menace de publier des calomnies contre luy ou contre

fa Communauté, quand il ne s'en peut deffendre autrement, s'ils

n'auoient point cité le lieu elle eft en propres termes,

que quelque demande qu'on leur en euft faite, ils fe fufTent

toujours obilinez à le refufer, & qu'au lieu de cela ils

eufîent elle à Rome obtenir une Bulle qui ordonnaft à tout

le monde de le reconnoillre? N'auroit-on pas iug-é fans

doute qu'ils auroient furpris le Pape, & qu'ils n'auroient eii

recours à ce moyen extraordinaire, que manque des moyens

naturels que les veritez de fait mettent en main à tous ceux

qui les foutiennent? Auffi ils n'ont fait que marquer que le

P. l'Amy enfeig-ne cette doctrine au to. s, difp. 36, ;/. 118,

P^g'^ 544 de l'Edition de Doiiay : & ainfi tous ceux qui l'ont

voulu voir l'ont trouuée, & perfonne n'en a pu douter. Voilà

vne manière bien facile & bien prompte de vuider les

queilions de fait Ton a railon.

D'où vient donc, mon Père, que vous n'en vfez pas de la forte? Vous auez dit dans vos Cauilli, Que les cinq Propo- Jitions font dans lanfenius mot à mot, toutes, en propres termes, totidem rerbis '. On vous a dit que non. Qu'y auoit-il à faire deiîus, finon ou de citer la page, fi vous les auiez veuës en effet, ou de confefTer que vous vous eftiez trompé ? Mais vous ne faites ny IVn ny l'autre, & au lieu de cela voiant bien que tous les endroits de lanfenius que vous alleg-uez quelquefois pour éblouir le monde, ne font point les Propo- fitions condamnées, indiriduelles & fingulieres, que vous vous eftiez engag-é de faire voir dans fon liure ; vous nous pre-

I. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes : lisdem vcrbis. Nicole se sert dans sa version latine des mots : Tocidem verbis.

Dix-hiiiticmc lettre.

343

Tentez des Conftitutions qui déclarent qu'elles en font extraites, fans marquer le lieu.

le fçay, mon Père, le refpect que les Chreftiens doiuent au S. Sieg-e, & vos aduerfaires témoignent afTez d'eftre tres-refolus à ne s'en départir iamais : mais ne vous imagi- nez pas que ce full en manquer, que de repretenter au Pape auec toute la foùmiffion que des enfans doiuent à leur Père, & les membres à leur Chef, qu'on peut l'auoir turpris en ce point de fait : Qu'il ne l'a point fait examiner depuis fon Pontificat, & que fon Predeceffeur Innocent X auoit fait feulement examiner fi les Proportions elloient héré- tiques, mais non pas elles eiloient de lanfenius. Ce qui a fait dire au Commiffaire du S. Office l'vn des principaux examinateurs : Qu'elles ne poiiuoient eflre cenfurc'es au feus d'aucun Auteur : Non funt quali^cabiles in feufu proferentis ; parce qu'elles leur auoient ejlé prefente'es pour ejlre examinées en elles-mefmes, & fans conjiderer de quel auteur elles pouuoient ejlre. In ab/lraâo & vt prœfcindunt ah omni proferente : comme il fe voit dans leurs fuffrages nouuellement imprimez : Que plus de foixante Docteurs, & vn grand nombre d'autres perfonnes habiles & pieufes ont leu ce liure exactement, fans les y auoir iamais veuës, & qif ils y en ont trouué de con- traires : Que ceux qui ont donné cette imprefîîon au Pape pourroient bien auoir abufé de la créance qu'il a en eux, ellant intereffez comme ils le font, à décrier cet auteur, qui a conuaincu Molina de plus de cinquante erreurs : Que ce qui rend la chofe plus croiable, q'\ qu'ils ont cette maxime, l'une des plus autorifées de leur Théologie, qu'ils peuuent calomnier fans crime ceux dont ils fe croient iniujlement attaque:^; & qu'ainfi leur témoignage ellant fi fufpect, & le témoignage des autres eftant confiderable, on a quelque fujet de fupplier fa Sainteté avec toute l'humilité polfible, de faire examiner ce fait en prefence des Docteurs de l'vn & de l'autre party, afin d'en pouuoir former vne decifior folemnelle 8: régulière. Qu'on a/J'emble des iuf;-es liabiles ,

?44 Letti^es proiiiucialcs.

difoit S. Bafîle fur un femblable fujet, Ep. 7^, que chacun y foit libre : qu'on examine mes e'crits : qu'on vo^'e s'il j' a des erreurs contre la foj^ : qu'on life les obieâious & les réponCes, afin que ce foit jni iugement rendu auec connoijjance de caufe & dans les formes , & non pas vne diffamation fans examen.

Ne prétendez pas, mon Père, de faire paffer pour peu fournis au S. Siège ceux qui en vferoient de la forte. Les Papes font bien éloignez de traiter les Chreftiens auec cet empire que l'on voudroit exercer fouz leur nom. L'Eglife, dit le Pape S. Grégoire, in lob. lib. 8, c. i, qui a efté formée dans V école d'humilité ne commande pas auec autorité, mais per- suade par raifon ce quelle enfeigne à fes enfans, qu'elle croit engage^ dans quelque erreur : Reâa quœ errantibus dicit, non quafi ex autoritate prœcipit, fed ex ratione perfuadet. Et bien loin de tenir à deshonneur de reformer vn iugement l'on les auroit furpris, ils en font gloire au contraire, comme le témoigne S. Bernard Ep. 180. Le Siège Apojlolique, dit-il, a cela de recommandable, qu'il ne fe picque pas d'honneur, & fe porte volontiers à reuoquer ce qu'on en a tiré par furprife : auffi eft-il bien iufte que perfonne ne profite de l'iniuQice, & princi- palement deuant le S. Siège. ^ Voilà, mon Père, les vrais fenti- mens qu'il faut infpirer aux Papes ; puifque tous les Théolo- giens demeurent d'accord qu'ils peuuent élire furpris, & que cette qualité fupréme ell fi éloignée de les en garentir, qu'elle les y expofe au contraire dauantage, à caufe du grand nombre des foins qui les partagent. C'eft ce que dit le inefme S. Grégoire à des perfonnes qui s'eltonnoient de ce qu'vn autre Pape s'eftoit laifîé tromper : Pourquoj' admi- rei-rous, dit-il, 1. i -, Dial., que nous foj'ons trompe'^, nous qui fommes des hommes? N'auei-vous pas j'en que Dauid, ce Roj- qui auoit Vefprit de prophétie, aj'ant donné créance aux

1. Une correction manuscrite de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes, indique ici un alinéa.

2. Quelques éditions modernes ajoutent : Ch. IV.

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* Dix-huiticmc lettre. 345

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impoftiires de Siba, i^endit m iugement injiijle contre le fis de loiiathas? Qui trouuera donc ejlrange que des impojleurs nous l^urprennent quelquefois, nous qui ne fommes point prophètes? La foule des affaires nous accable, & nofre efprit, qui efant partagé en tant de chofes s'applique moins à chacune en parti- culier, en ejl plus aifement trompé en mie. En vérité, mon Père, ie croy que les Papes Içauent mieux que vous s'ils peuuent eftre furpris ou non. Ils nous déclarent eux-mefmes que les Papes & que les plus grands Roys font plus expo- fez à ertre trompez que les perfonnes qui ont moins d'occu- pations importantes. 11 les en faut croire. Et il elt bien aifé de s'imaginer par quelle voye on arriue à les furprendre. S. Bernard en fait la defcription dans la lettre qu'il écriuit à Innocent II en cette forte' : Ce nef pas me chofe efon- nante nv nouuelle, que V efprit de l'homme puiffe tromper & ejlre trompé. Des Religieux font venus à vous dans m efprit de menfonge & d'illufion. Ils vous ont parlé contre vn Euefque qu'ils hdiffent, & dont la vie a efé exemplaire. Ces perfonnes mordent comme des chiens, & veulent faire pajjer le bien pour le mal. Cependant, tres-fiint Père, vous vous mettei en colère contre vofre fils. Pourquor aue^-vous donné vn fujet de ioye à fes aduerf aires? Ne croye:^ pas à tout efprit, mais efprouue^f les efprit s font de Dieu, fefpere que quand vous aure^ connu la vérité, tout ce qui a efé fondé fur vnfaux rapport fera difîpé. le prie l'efprit de vérité de vous donner la grâce de feparer la lumière des ténèbres, & de reprouuer le mal pour fauorifer le bien. Vous voyez donc, mon Père, que le degré eminent font les Papes, ne les exempte pas de furprife, & qu'il ne fait autre chofe que rendre leurs furprifes plus dange- reufes & plus importantes. C'ell ce que S. Bernard repre- fente au Pape Eugène, de Confid. lib. 2, c. vit. : Il r a vn autre défaut fi gênerai, que ie n'aj l'eii perfonne des grands du monde qui l'euite. CeU, faint Père, la trop grande crédulité,

I. Quelques éditions modernes ajoutent : Ep. J27.

44

ï.

f ^46 Lettrées pi^ouinciales.

d'où naijjent tant de de/ordres. Car' c'ejî de que viennent les perfecutions violentes contre les innocens, les preinge^ iniujîes contre les abfens, & les colei^es terribles pour des chofes de néant, pro nihilo. Voilà, faint Père, vn mal vniuer Tel, duquel fi vous ejles exempt, ie diraj- que vous ejîes le feul qui aj-e^ cet auantage entre tous vos confrères.

le m'imagine, mon Père, que cela commence à vous perfuader que les Papes font expofez à eftre furpris. Mais pour vous le montrer parfaitement, ie vous feray feule- ment reffouuenir des exemples que vous-mefme rapportez dans voftre liure, de Papes & d'Empereurs que des héré- tiques ont furpris effectiuement. Car vous dites qu'Apolli- naire furprit le Pape Damafe, de mefme que Celeftius furprit Zozime. Vous dites encore qu'vn nommé Athanafe trompa l'Empereur Heraclius, & le porta à perfecuter les catholiques ; & qu'enfin Sergius obtint d'Honorius ce décret qui fut brûlé au vi" Concile, en faifant, dites-vous, le bon valet auprès de ce Pape.

Il eft donc conllant par vous-mefme que ceux, mon Père, qui en vfent ainfî auprès des Roys & des Papes, les engagent quelquefois artifîcieufement à perfecuter la vérité de la foy % en penfant perfecuter des herefîes. Et de vient que les Papes, qui n'ont rien tant en horreur que ces furprifes, ont fait d'vne lettre d'Alexandre 111 vne loy eccle- fiaftique, inférée dans le droit canonique, pour permettre de fufpendre l'exécution de leurs bulles & de leurs décrets, quand on croit qu'ils ont efté trompez. Si quelquefois, dit ce Pape à l'Archeuefque de Rauennes", nous enuoions à vofre Fraternité des décrets qui choquent vos fentimens, ne vous en inquietei pas. Car ou vous les executerei auec reuerence , ou

1. Une correction manuscrite de notre collection 'm-^° , adoptée par l'édition in-8° de 1659 et par toutes les éditions suivantes : A persécuter ceux qui défendent la vérité de la foi. C'est cette leçon que Nicole a suivie dans sa version latine : J^eritatis defenfores infequuntur.

2. Quelques éditions modernes ajoutent : C. V . extr. de Refcript.

Kc

Dix-huitiéme lettre. 347

vous nous mander^e^ la rai fou que vous croye^ auoir de ne le pas faire; parce que nous trouuerons bon que vous n'executie:^ pas vu décret, qu'on auroit tiré de nous par furprife €- par arti- fice. C'ell ainfî qu'agifTent les Papes qui ne cherchent qu'à éclaircir les difFerens des Chreftiens, & non pas à fuiure la pafîîon de ceux qui veulent y jetter le trouble. Ils n'vfent pas de domination, comme difent S. Pierre & S. Paul après Iesvs-Christ; mais TeTprit qui paroiii en toute leur con- duite, eft celuy de paix & de vérité. Ce qui fait qu'ils mettent ordinairement dans leurs lettres cette claufe qui efl foufentenduë en toutes : Si ita efi : Ji preces j'eritate nitan- tur : Si la chofe efi comme on nous la fiait entendre : fi les faits fout véritables. D'où il fe voit que puifque les Papes ne donnent de force à leurs Bulles qu'à mefure qu'elles font appuyées fiir des faits véritables, ce ne font pas les Bulles feides qui prouuent la vérité des faits ; mais qu'au contraire, félon les Canonifles mefmes, c'eft la vérité des faits qui rend les Bulles receuables. ^D'oii apprendrons-nous donc la vérité des faits ? Ce fera des yeux, mon Père, qui en font les légitimes iiiges, comme la raifon Tell des chofes natu- relles & intelligibles, & la foy des chofes furnaturelles & reuelées. Car puifque vous m'y obligez, mon Père, ie vous diray que félon les fentimens de deux des plus grands Doc- teurs de l'Eglife, S. Auguftin & S. Thomas, ces trois prin- cipes de nos connoiffances - ont chacun leurs objets feparez, & leur certitude dans cette eftenduë. Et comme Dieu a voulu fe feruir de Tentremife des fens pour donner entrée à la foy : Fides ex auditu : tant s'en faut que la foy détruife la certitude des fens, que ce feroit au contraire détruire la

1. Une correction manuscricc de notre collection in-4", adoptée par l'édition in-S" de 1659 et par toutes les éditions suivantes, indique ici un alinéa.

2. L'édition in-8" de 1659 et toutes les éditions suivantes ajoutent : Les fens, la raifon et la foi. Nicole, dans sa version latine traduit : Scnsus. rationem et Jidem.

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34^ Lettj^es proiiiiicialcs.

foy, que de vouloir reuoquer en doute le rapport iïdele des fens. C'eft pourqiioy S. Thomas remarque expreffément que Dieu a voidu que les accidens fenfibles fubfiftafrent dans rEuchariftie, afin que les fens qui ne iugent que de ces acci- dens, ne fufTent pas trompez : Vt fenfiis à deceptione reddan- tm^ immiuies.

Concluons donc de que quelque proportion qu'on nous prefente à examiner^ il en faut d'abord reconoiftre la nature, pour voir auquel de ces trois principes nous deuons nous en rapporter. S'il s'agit d'vne choie furnaturelle, nous n'en ingérons ny par les fens, ny par la raifon, mais par l'Efcriture & par les decifions de l'Eglife. S'il s'agit d'vne propofition non reuelée & proportionnée à la raifon natu- relle, elle en fera le propre iuge; & s'il s'agit enfin d'vn point de fait, nous en croirons les fens, aufquels il appar- tient naturellement d'en connoilîre.

Cette règle eil fi générale, que félon S. Augufiin & S. Thomas quand l'Efcriture mefme nous prefente quelque paffage, dont le premier fens littéral fe trouue contraire à ce que les iens ou la railbn reconnoiffent aiiec certitude, il ne faut pas entreprendre de les defauoûer en cette ren- contre, jDour les foumettre à l'autorité de ce fens apparent de l'Efcriture; mais il faut interpréter l'Efcriture, &y cher- cher vn autre fens qui s'accorde auec cette vérité fenfible ; parce que la parole de Dieu eflant infaillible dans les faits mefmes, & le rapport des fens & de la raifon agiflans dans leur eftenduë ellant certain aufîi, il faut que ces deux veri- tez s'accordent ; & comme l'Efcriture f e peut interpréter en différentes manières, au lieu que le rapport des fens efl vnique, on doit en ces matières prendre pour la véritable interprétation de l'Efcriture celle qui conuient au rapport fïdele des Iens. Il faut, dit S.Thomas, i p.,q. 68, a. i, obfcruer deux chofes félon S. Augufin : Vinie que VEfcriture a toujours vn fens véritable ; l'autre, que comme elle peut receuoir plusieurs fens, quand ou en trouue vn que la raifon conuainc certainement

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Dix-huitiânc lettre. 349

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de faiijfeté, il ne faut pas s'obfîiner à dire que c'en f oit le feus naturel, mais en chercher im autre qui s'y accorde.

C'efl ce qu'il explique par l'exemple du paiTage de la Genefe, il eft écrit que Dieu créa deux grands luminaires, le foleil & la lune, & aujjî les e /loi les : par l'Efcriuire femble dire que la lune eft plus grande que toutes les étoiles ; mais parce qu'il eft conftant par des demonllrations indubitables que cela efl faux, on ne doit pas, dit ce faint, s'opiniaArer à défendre ce fens littéral ; mais il faut en cher- cher vn autre conforme à cette vérité de fait, comme en difant que le mot de grand luminaire ne marque que la grandeur de la lumière de la lune à nojlre égard, & non pas la grandeur de fon corps en lur-mefme.

Que fi l'on vouloit en vfer autrement, ce ne feroit pas rendre l'Efcriture vénérable, mais ce feroit au contraire l'expofer au mépris des infidèles : parce, comme dit S. Auguftin \ que quand ils auroient connu que nous croyons dans l'Efcriture des chofes qu'ils fanent parfaitement - efre faufj'es, ils fe riroient de nofre crédulité dans les autres chofes qui font plus cachées, comme la refurreâion des morts & la rie éternelle. Et ainfi , adjoûte S. Thomas, ce feroit leur rendre nojlre 'Religion m prifable , & mefme leur en fermer

l'entrée.

Et ce feroit auffi, mon Père, le moyen d'en fermer l'entrée aux hérétiques, & de leur rendre l'autorité du Pape méprifable, que de refufer de tenir pour catholiques ceux qui ne croiroient pas que des paroles font dans vn liure elles ne fe trouuent point, parce quVn Pape l'auroit déclare par furprife. Car ce n'elt que l'examen d'vn liure qui peut faire fçauoir que des paroles y font. Les chofes de fait ne

I. Quelques éditions modernes ajoutent d'après la v(^rsion latine de

Nicole : De Gen. ad lit. I i. c. zp.

2. Une correction manuscrite de notre collection in-4",, adoptée par l'édition in-8" de 1659 et par toutes les éditions suiv-an::s : ccTtamcmcnt. Nicole cite le mot même de S. Augustin, optime.

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3$o Lettres proiiinciales.

fe proiiiient que par les fens. Si ce que vous foutenez eft véritable, monftrez-le, fînon ne follicitez perfonne pour le faire croire : ce feroit inutilement. Toutes les puifTances du monde ne peuuent par autorité perfuader vn point de fait, non plus que le changer; car il n'y a rien qui puifTe faire que ce qui efl ne foit pas.

C'eft en vain par exemple que des Religieux de Ratis- bonne obtinrent du Pape S. Léon IX vn Décret folemnel, par lequel il déclara que le corps de S. Denys premier Euefque de Paris, qu'on tient communément eftre l'Areopagite, auoit elle enleué de France & porté dans l'Eglife de leur monaf- tere. Cela n'empefche pas que le corps de ce faint n'ayt toujours eflé & ne foit encore dans la célèbre Abbaye qui porte fon nom, dans laquelle vous auriez peine à faire rece- uoir cette Bulle, quoy que ce Pape y témoigne auoir exa- miné la chofe auec toute la diligence pojjible, diligeutijjimè ; & auec le confcil de plufieurs Euefques & Prélats : de forte qu'il oblige ejli^oitement tous les François, dijlriâè prœcipientes, de 7X'conuoi^ftre & de confejfer qu'ils n'ont plus ces faintes reliques. Et néanmoins les François qui fçauoient la fauffeté de ce fait par leurs propres yeux, & qui ayant ouuert la chaffe, y trouuerent toutes ces reliques entières, comme le témoignent les hilloriens de ce temps-là, criu-ent alors, comme on l'a tousiours crû depuis, le contraire de ce que ce S. Pape leur auoit enjoint de croire, fçachant bien que mefme les Saints & les Prophètes font fujets à élire furpris.

Ce fut aulîî en vain que vous obtintes contre Galilée ce Décret de Rome qui condamnoit fon opinion touchant le mouuement de la terre. Ce ne fera pas cela qui prouuera qu'elle demeure en repos ; & fi l'on auoit des obferuations conllantes qui proimalfent que c'ell elle qui tourne, tous les hommes enfemble ne l'empefcheroient pas de tourner, & ne s'empefcheroient pas de tourner aulîi auec elle. Ne vous imaginez pas de mefme que les lettres du Pape Zacharie pour l'excommunication de faint Virgile, fur ce qu'il tenoit

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Dix-hiiitic)}ie lettre.

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qu'il y auoit des antipodes, ayent anéanti ce nouueau monde ; & qu'encore qu'il euft déclaré que cette opinion eftoit vne erreiu- bien dangereufe, le Roy d'Efpagne ne le foit pas bien trouvé d'en auoir pluftoft crû Chriftofle Colomb ^ qui en venoit, que le iug-ement de ce Pape, qui n'y auoit pas efté; & que l'Eglife n'en ait pas receu vn grand auantag-e, puifque cela a procuré la connoifTance de l'Euang-ile à tant de peuples, qui fufTent péris dans leur infidélité.

Vous voyez donc, mon Père, quelle eft la nature des chofes de fait, & par quels principes on en doit iuger : d'où il eft aifé de concliu*e flir noftre fujet, que û les cinq pro- portions ne font point de lanfenius, il eft impoffible qu'elles en ayent efté extraites, & que le feul moyen d'en bien iuger & d'en perfuader le monde, eft d'examiner ce liure en vne conférence réglée, comme on vous le demande depuis ft long-temps. lufques-là vous n'auez aucim droit d'appeller vos aduerfaires opiniaftres : car ils feront fans blafme fur ce point de fait, comme ils font fans erreurs fur les points de foy; catholiques fiir le droit, raifonnables fur le fait, & innocens en l'vn & en l'autre.

Qui ne s'eftonnera donc, mon Peré, en voyant d'vn cofté vne iuftification û pleine, de voir de l'autre des accu- fations fi violentes? Qui penferoit qu'il n'eft queftion entre vous que d'vn fait de nulle importance, qifon veut faire croire fans le monftrer? Et qui oferoit s'imaginer qu'on rîft par toute l'Eglife tant de bruit pour rien, fro iiihilo, mon Père, comme le dit S. Bernard. Mais c'eft cela mefme qui eft le principal artifice de voftre condiute, de faire croire qu'il y va de tout en vne aftaire qui n'eft de rien - j 6c de donner à entendre aux perfonnes puiffantes qui vous

1. Toutes les édicions modernes : Chnjiophc Colomb.

2. M. Faugère, dans les noces inédites qu'il a recueillies sur les Pro- vinciales, cite la variante suivante : J'ous e'ics bien ridicules de fiiire du bru t pour les propofitions. Ce n'ejl rien (t. P'' des Pensées, p. 310).

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^52 Lettres py^oiiinciales.

écoutent, qu'il s'agit dans vos difputes des erreurs les plus pernicieufes de Caluin & des principes les plus importans de la foy; afin que dans cette perfuafion ils employent tout leur zèle & toute leur autorité contre ceux que vous com- battez, comme fi le falut de la Religion catholique en dependoit^ au lieu que s'ils venoient à connoiftre qu'il n'eft queilion que de ce petit point de fait, ils n'en feroient nid- lement touchez & ils auroient au contraire bien du regret d'auoir fait tant d'efforts pour fuiure vos pafîions particu- lières en vne affaire qui n'eft d'aucime confequence pour l'Eghfe.

Car enfin pour prendre les chofes au pis, quand mefme il feroit véritable que lanfenius auroit tenu ces propofitions, quel malheur arriueroit-il de ce que quelques perfonnes en douteroient, poiu-ueu qu'ils les deteflent, comme ils le font publiquement? N'eit-ce pas affez qu'elles foient condamnées par tout le monde fans exception, au fens mefme vous auez expliqué que vous voulez qu'on les condamne? En feroient-elles plus cenfurées, quand on diroit que lanfenius les a tenues? A quoy feruiroit donc d'exiger cette recon- noiffance, fmon à décrier vn Docteur & vn Euefque, qui ell mort dans la communion de l'Eglife? le ne voy pas que ce foit vn fi grand bien, qu'il faille l'acheter par tant de troubles. Quel intereil y a l'Eftat, le Pape, les Euefques, les Docteurs & toute l'Eglife? Cela ne les touche en aucune forte, mon Père , & il n'y a que voftre feule Société qui receuroit véritablement quelque plaifir de cette diffamation d'vn auteur qui vous a fait quelque tort. Cependant tout fe remue, parce que vous faites entendre que tout eft menacé. C'ell la caufe fecrete qui donne le branle à tous ces grands mouuemens, qui cefferoient auffi-tolt qu'on auroit fceii le véritable eftat de vos difputes. Et c'eft pourquoy, comme le repos de l'Eglife dépend de cet éclairciffement, il eftoit d'vne extrême importance de le donner, afin que tous vos dégui- femens eftant découuerts, il paroiffe h. tout le monde que

Dix-huitiéme lettre. 353

vos acculations font fans fondement, vos adiierfaires fans erreur, & l'Eglife fans herefie.

Voilà, mon Père, le bien que i'ay eu pour obiet de pro- curer, qui me femble fi confiderable pour toute la Religion, que i'ay de la peine à comprendre comment ceux à qui vous donnez tant de fujet de parler, peuuent demeurer dans le filence. Quand les iniures que vous leur faites ne les toucheroient pas, celles que l'Eglife fouffre deuroient ce me femble les porter à s'en plaindre : outre que ie doute que des Ecclefiaftiques puiffent abandonner leur réputation à la calomnie, fur tout en matière de foy. Cependant ils vous laiffent dire tout ce qu'il vous plaift; de forte que, fans l'occaiîon que vous m'en aiiez donnée par hazard, peut-eftre que rien ne fe feroit oppofé aux imprefîions fcandaleufes que vous femez de tous coftez. Ainfi leur patience m'eftonne, & d'autant plus qu'elle ne peut m'eftre fufpecte ny de timi- dité ny d'impuiffance, fçachant bien qu'ils ne manquent ny de raifons pour leur jufliiication, ny de zèle poiu* la vérité. le les voy néanmoins fi religieux à fe taire, que ie crains qu'il n'y ayt en cela de l'excès: Pour moy, mon Père, ie ne croy pas le pouuoir faire. Laiffez l'Eglife en paix, & ie vous y laifferay de bon cœur. Mais pendant que vous ne trauail- lerez qifà y entretenir le trouble, ne doutez pas qu'il ne fe troime des enfans de la paix , qui fe croiront obligez d'employer tous leurs efforts pour y conferuer la tran- quillité (a).

(a) Notre collection 111-4° des dix-huit Provinciales ne donne ni le fragment d'une Provinciale qu'on peut lire dans quelques éditions, ni la lettre d'un avocat au Parlement touchant l'Inquisition, qu'on veut établir en France à l'occasion de la nouvelle bulle du pape Alexandre VII, datée du i"""" juin 1657, et que certains éditeurs appellent une 19* Provinciale. L'édition in-8" de 1659, la dernière qui ait été faite sous les yeux de Pascal, ne publie pas non plus ces deux pièces. La première n'est qu'une ébauche ina- chevée. La seconde n'est évidemment pas de la main de Pascal; elle est attribuée à Lemaistre, frère de Lemaistre de Saci. Nicole n'a pas traduit ces deux morceaux dans sa version latine de? Provinciale?.

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TABLE DES MATIERES,

Avertijfement .

Pages. I XIX

Lettre efcrite à vn prouinciul pu.r vn de fes anus fur le fuiet des difputes prefentes de la Sorbonne.

Des difputes de Sorbonne, & de l'invention du pouvoir prochain, dont les moliniftes fe fervirent pour faire conclure la cenfure de M. Arnauld i H

Seconde lettre efcrite à vn prouinclal par vn de fes amis.

De la grâce fuflSfante i) 28

Refponfe du prouincial aux deux premières lettres de fon amy . . . 29 30

Troifiefme lettre efcrite à vn prouincial pour feruir de refponfe à la précédente.

Injuftice, abfurdité & nullité de la cenfure de M. Arnauld. , . }i 4'

Quatrième lettre efcrite à vn prouincial par vn de fes amis.

De la grâce aduelle toujours préfente, & des péchés d'ignorance. 4^ 5-7

Cinquième lettre efcritte à vn prouincial par vn de fes amis.

Deffein des jéfuites en établiffant une nouvelle morale. Deux fortes de cafuiftes parmi eux : beaucoup de relâchés, & quelques uns de févères; raifon de cette différence. Expli- cation de la doftrine de la Probabilité. Foule d'auteurs modernes & inconnus mis à la place des faints Pères .... 59 75

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356 Table des Matih^es.

Pages. Sixie/me lettre efcrite à va proiancml par vn de fes amis.

Différents artifices des jéfuites pour éluder l'autorité de l'Evan- gile, des conciles & des papes. Quelques conféquences qui fuivent de leur doftrine fur la Probabilité. Leurs relâchements en faveur des bénéficiera, des prêtres, des religieux & des domeftiques. Hiftoire de Jean d'Alba 77 95

Septième lettre efcritte à vn prouincial par vn de fes amis

De la méthode de diriger l'intention, félon les cafuiftes. De la permiflion qu'ils donnent de tuer pour la défenfe de l'honneur & des biens, & qu'ils étendent jufqu'aux prêtres & aux reli- gieux. Queftion curieufe propofée par Caramuel, favoir s'il eft permis aux jéfuites de tuer les janféniftes 97 114

Huitième lettre efcritte à vn prouincial par vn de fes amis.

Maximes corrompues des cafuiftes touchant les juges, les ufuriers, le contrat Mohatra, les banqueroutiers, les reftitutions, &c. Diverfes extravagances des mêmes cafuiftes 115 133

Neuuième lettre efcritte à vn prouincial par vn de fes amis.

De la fauffe dévotion à la fainte Vierge que les jéfuites ont introduite. Diverfes facilités qu'ils ont inventées pour fe fau- ver fans peine, & parmi les douceurs & les commodités de la vie. Leurs maximes fur l'ambition, l'envie, la gourmandife, les équivoques, les reftridions mentales, les libertés qui font permifes aux filles, les habits des femmes, le jeu, le précepte d'entendre la meffe 135 151

Dixième lettre efcritte à vn prouincial par vn de fes amis.

Adouciffements que les jéfuites ont apportés au facrement de pénitence, par leurs maximes touchant la confeffion, la fatif- faction, l'abfolution, les occafïons prochaines de pécher, la contrition & l'amour de Dieu 153 171

Onzième lettre efcrite par Vaut lie ur des lettres au prouincial aux Reuerends Pères lefuites.

Qu'on peut réfuter par des railleries les erreurs ridicules. Pré- cautions avec lefquelles on le doit faire; qu'elles ont été obfervées par Montalte, & qu'elles ne l'ont point été par les jéfuites. Bouffonneries impies du père Le Moine & du père Garaffe 173 192

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Table des Maiièî^es. 357

Pages. Douzième lettre efcrite pur Vautheur des lettres au prouincial aux Reuerends Pères lefuites.

Réfutation des chicanes des jéfuites fur l'aumône & fur la

fimonie 193 212

Treizième lettre efcrite par l'autheur des lettres au prouincial aux Reuerends Pères lefuites.

Que la dodrine de Lefilus fur l'homicide eft la même que celle de Victoria. Combien il eft facile de paffer de la fpéculation à la pratique. Pourquoi les jéfuites fe font fervis de cette vaine diftindion, & combien elle eft inutile pour les juftifier. ... 213 232

Quatorzième lettre efcrite par Vautheur des lettres au prouincial aux Reuerends Pères Iefuit£s.

On réfute par les faints Pères les maximes des jéfuites fur l'homi- cide. On répond en paffant à quelques-unes de leurs calom- nies, & on compare leur dodrine avec la forme qui s'obferve dans les jugements criminels 233 251

Quinzième lettre efcrite par l'auteur des lettres au prouincial aux Reuerends Pères lefuites.

Que les jéfuites ôtent la calomnie du nombre des crimes, & qu'ils ne se font point de fcrupule de s'en fervir pour décrier leurs ennemis 253 2~2

Seizième lettre efcrite par l'auteur des lettres au prouincial aux Reuerends Pères lefuites.

Calomnies horribles des jéfuites contre de pieux eccléfiaftiques

& de faintes religieufes 273 301

Dix-feptiéme lettre efcritte par l'auteur des lettres au prouincial au Reuerend P. Annat lefuite.

On fait voir, en levant l'équivoque du fens de Janlénius, qu'il n'y a aucune héréfie dans l'Eglife. On montre, par le confen- tement unanime de tous les théologiens, & principalement des jéfuites, que l'autorité des papes & des conciles œcuméniques n'eft point inl:aillible dans les queftions de fait 303 328

Dix-huitième lettre au Reuerend P. Annat lefuite^ fur la copie imprimée à Cologne.

On fait voir encore plus invinciblement, par la réponfe même du

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^58 Table des Matières.

Pages. P. Annat, qu'il n'y a aucune héréfle dans l'Eglife; que tout le monde condamne la doftrine que les jéfuites renferment dans le fens de Janfénius, & qu'ainfi tous les fidèles font dans les mêmes fentiments fur la matière des cinq propofîtions. On marque la différence qu'il y a entre les difputes de droit & celles de tait, & on montre que, dans les queftions de fait, on doit plus s'en rapporter à ce qu'on voit qu'à aucune autorité humaine 329 355

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P28 1867

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