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TRAITÉ

LA PRÉDICATION

On a désigné par des astérisques (*) les passages qu'il suffit de lire pour les distinguer de ceux dont il importe de faire rendre compte eu classe aux élèves.

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TRAITE

PRÉDICATIO

A L'USAGE DES SEMINAIRES

M. LE CURE DE SAINT-SULPICE

S. Jean Chrvsostome, du Sacerdoce, Ht. IV.

NOUVELLE EDITION

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PARIS

LIBRAIRIE JACQUES LECOFFRE

ANCIENNE MAISON PERISSE FRÈltES DE PAUIS

LECOFFRE FTLS ET C'^ SUCCESSEURS

90, RUE BONAPARTE, 90 1869

AVANT-PROPOS

Depuis quelques années, il s'est établi dans la plupart des séminaires un cours spécial pour former les prêtres au su- blime ministère de la prédication. On a compris qu'il y aurait lacune dans l'éducation cléricale, si, en môme temps qu'on enseigne aux jeunes lévites les sciences ecclésiastiques, on ne leur apprenait à en dispenser aux peuples les riches trésors du haut de la chaire sacrée. Qu'est-ce, en effet, qu'un docteur qui ne sait pas paître son troupeau, un guide qui connaît le che- min, mais ne sait pas le montrer? Qu'est-ce qu'un ministre de l'Evangile qui n'est pas capable d'en développer les sublimes enseignements, qui n'a dans ses discours ni l'ordre ni la clarté nécessaires pour instruire, ni l'art et la grâce pour plaire, ni l'onction pour toucher, et qui, par la manière basse et ravalée dont il expose les divins oracles, leur ôte toute leur force et toute leur majesté? C'est un ouvrier inutile dans le champ de l'Église, ses prédications stériles laissent les peuples dans l'ignorance, ne convertissent personne, et n'ont d'autre effet que d'inspirer pour la parole sainte de l'éloignement et du dégoût. L'expérience ne l'apprend que trop.

De naît un autre mal, la déconsidération du sacerdoce.

a

▼I AVANT-PROPOS.

Nous vivons dans un siècle les vues de la foi ne suffisent plus pour concilier au prêtre l'estime et la vénération dont son ministère a besoin d'être entouré pour être utile. Il faut qu'il force par son mérite le respect des peuples : et ce mé- rite, quel est-il? Nous n'hésitons pas à le dire, c'est en pre- mière ligne le talent de la chaire. Si un pasteur des âmes fait des instructions claires et solides ; si l'onction de ses discours en égale la pureté et la grâce ; si sa parole vive, pénétrante, captive et entraîne tout son auditoire, l'estime publique lui est assurée : mais s'il fait mal son prône, si ses discours, sans clarté comme sans chaleur, sans solidité comme sans onction, ennuient ses auditeurs, il sera déconsidéré dans sa paroisse autant que peu utile. Quelques esprits trop faciles à prévenir ont pris pour thermomètre de la considération ré- servée au prêtre son plus ou moins d'habileté dans les sciences modernes que l'engouement de la nouveauté a mises à la mode; c'est une erreur. Quelque belles et intéressantes que puissent être ces sciences par elles-mêmes, quel que soit l'éclat glorieux à la religion qu'elles réfléchissent sur le prêtre de mérite qui s'y applique, il n'en est pas moins certain que, si celui-là même qui les ignore remplit dignement le grand mi- nistère de la prédication, aucun homme de sens ne songera à lui demander compte de ce qu'il ne sait pas et de ce qu'il n'est pas tenu de savoir, pas plus qu'on n'exige d'un médecin ha- bile dans son art qu'il soit bon astronome, ou d'un avocat sa- vant dans la science des lois qu'il soit bon chimiste. Si au con- traire il prêche mal, possédât-il d'ailleurs toutes les sciences du jour, il pourra siéger avec honneur dans une académie ; mais comme pasteur il ne sera pas estimé : les peuples com- prennent très-bien que, si ce n'est pas une honte au prêtre d'ignorer les choses étrangères à son état, c'en est une de ne

AYAKT-PROPOS. vtt

pas être habile dans la fonction principale de son ministère, qui est la prédication.

C'est donc une belle et heureuse institution que l'établisse- ment d'une chaire d'éloquence sacrée dans les grands sémi- naires : toutefois cette œuvre ne peut obtenir un plein succès qu'autant qu'on aura à mettre entre les mains des jeunes lévites un livre contenant les règles de l'art auquel on veut les former : sans cela il y aura, d'une part, grande fatigue pour le professeur obligé de faire beaucoup de recherches et de parler longtemps, et, de l'autre, peu d'utilité pour les audi- teurs, qui auront bientôt oublié ce qui n'aura fait qu'efileurer leurs oreilles; tandis qu'aidé d'un livre, l'élève médite à loisir les bonnes règles de la prédication, en saisit l'esprit et la por- tée, en enrichit sa mémoire et son goût, en rend compte en classe et en confère avec son professeur, dont la tâche alors est aussi facile que profitable. Placé plus tard dans le minis- tère, le jeune prêtre n'est point réduit à des réminiscences vagues et confuses; il reprend en main son Traité de la pré- dication, rafraîchit dans sa mémoire le souvenir des vrais principes, et s'attache ensuite à mettre d'accord dans ses compositions la pratique et la théorie.

Il faut donc un livre ; et ce livre doit contenir des règles sûres, propres à préserver les jeunes gens du mauvais goût, à leur apprendre la vraie manière de prêcher selon l'esprit de l'Évangile : ce livre doit traiter tous les genres de prédication, puisqu'il s'agit de former la jeunesse cléricale à tous ces genres : ce livre, enfin, doit être écrit dans un style et une forme qui tiennent le milieu entre la sécheresse d'une composition didac- tique peu agréable au lecteur, et l'abondance d'un ouvrage oratoire ou académique que les élèves ne pourraient que difli- cilement analyser, apprendre et retenir : car ici il y a deux

▼nt AVANT-PROPOS.

classes de personnes à satisfaire, le lecteur qui veut toujours trouver son plaisir dans ce qu'il lit, et l'élève qui, ayant à ren- dre compte en classe de ce livre comme d'une leçon de théo- logie, devra y démêler sans peine les divisions, subdivisions et moyens de preuve.

Telle est l'idée que je me suis faite d'un livre vraiment utile pour les cours de prédication établis dans les séminaires. J'en ai cherché longtemps un de ce genre parmi les nombreux ou- vrages écrits sur ces matières; mes recherches ont été vaines. Force donc a été à moi de me mettre à l'œuvre. Ai-je atteint le but que je me suis proposé ? Il ne m'appartient pas d'en juger; d'autres prononceront.

Dans ce travail, je me suis attaché à ne rien omettre d'utile, soit sur les principes généraux, soit sur chaque genre de pré- dication, parce que j'ai pensé qu'un grand nombre de lec- teurs, ou n'auraient pas les livres auxquels je les renverrais, ou n'en combineraient pas les enseignements de manière à former un ensemble ; et, par ces motifs, j'ai estimé chose bonne et importante de, faire un livre qui pût à lui seul tenir lieu de tous les autres sur la matière.

Toutefois, je dois le dire ici, ces préceptes serviront peu si on ne les enseigne pratiquement aux élèves ; et voici les exer- cices qui nous semblent les plus utiles à cet effet.

On peut faire débiter aux jeunes gens des instructions ou parties d'instructions composées pendant les vacances, et leur faire remarquer en quoi pèche soit le discours, soit le débit. Il serait même bon de prendre l'avis des élèves ; cela les fait mieux écouter, leur apprend à apprécier un discours, et souvent ils font des observations sages qui échapperaient au professeur.

On peut, la veille ou i'avant-veille de la classe, indiquer

AYANT-PROPOS. ix

à un OU deux élèves un Irnit Iiisloiiquc à lire dnns Godescard, ou nicme dans l'Évangile ou l'Ancien Testament; ils s'en pénètrent sans l'apprendre par cœur, et s'exercent à le débiter sans se reprendre, en articulant bien tons les mots et tVun ton naturel.

5" Il sera très-utile de les exercer à donner des avis au peuple et à annoncer les fêtes : on leur fera lire, pour les avis, la Méthode de Besançon, tome III, page 104, et pour les annonces des fêtes, le Rituel, s'il les contient, ou quelque au- tre ouvrage.

On peut leur faire apprendre par cœur et débiter tantôt quelque morceau oratoire, comme ceux qui se trouvent pages il9 et suivantes de cet ouvrage, tantôt quelque formule dont la prononciation exige successivement les divers tons de la nar- ration, de l'interrogation, de la prière, etc.. comme le cha- pitre xiii de saint Jean jusqu'au j. 18 ; le chapitre xi de la 1''' aux Corinth., depuis le y. 20 jusqu'à la fin.

Il sera encore très-utile de leur faire faire le catéchisme selon la Méthode pratique de catéchisme de raonseigneiu- Dé- vie, évêque de Belley, qu'on leur aura fait étudier d'avanc(\

Tels sont les cinq exercices par lesquels on peut former les élèves et donner de l'intérêt à la classe.

Si, aux principes développés dans cet ouvrage, quelques-uns voulaient joindre des études plus étendues ou plus approfon- dies, nous donnerons ici en leur faveur la liste des auteurs principaux à consulter sur la matière.

AUTEURS ECCLÉSIASTIQUES.

S. Augustinus, de Doctrinâ chiistianâ, lib. IV; de Catechi%andis Riidibns.

^ AVANT-PROPOS.

Ces deux ouvrages sont des mines inépuisables : plus on les étudie, plus on y découvre de richesses.

S. Joannes Chrysostomus, de Sacerdotio, lib. IV et Y. Cet ouvrage est moins pratique que le précédent, mais ce- pendant se lit avec grand fruit.

S. Gregorius Magnus, de Cura pastorali.

La troisième et la quatrième partie de ce livre admirable, digne d'être le manuel de tous les pasteurs, contiennent les règles les plus sages sur la prédication ; et les deux premières parties ont encore quelques chapitres précieux relatifs à la matière. On lira encore très-utilement l'homélie xvii du même saint docteur sur les évangiles, livre 1% et ses commen- taires sur le chapitre xxxiii d'Ézéchiel.

De Vitâ contemplativd, inter opéra S. Prosperî, lib. L

Gerson, Tractatus deparvulis ad Christum trahendis. Cet opuscule est un petit chef-d'œuvre de pieuse sensibilité et de foi vive.

Humbert de Romanis, cinquième général des Dominicains, de Eriiditioiie prxdicatorum, ouvrage latin divisé en deux li- vres, dont le premier traite de l'éloquence de la chaire en gé- néral, et le second de la manière de faire proraptement un sermon ; il se trouve au tome XXV de la Bibliotheca maximo Patrum de l'abbé de La Bigne.

S. Carolus, Acta Ecdesise mediolanensis ; uM de Prxdicatione verbl Bel et de catechizandis pueris rudibus.

S. François de Sales, Lettre xxxi à V archevêque de Bourges. Celte lettre est une sorte de traité de la prédication. Le saint ne veut pas que le prédicateur s'applique à plaire : nous nous permettons quelques réserves à ce sujet.

AVANT-PROPOS. ii

S. Ignace, Règles de la Société de Jésus pour la prédication. S. François Xavier, Lettres au P. Barzée, de 1549 et 1552. S. François deBorgia, Tractatus de ratione concionandi.

Le P. Aqiiaviva, Epistola ad piwvinciales Societatis et Instruc- tio pro concionatoribus .

Les écrits des quatre derniers auteurs que nous venons de citer sont des monuments de sagesse, de piété et de zèle.

Benoît XIV, Institutio 9^ 10", 72^; Litterx encijclicsô^ etsi mi~

NIMÈ, CUM RELIGIOSI.

Le p. Rapin, Réflexions sur Véloqiience.

Le P. Louis de Grenade, Rhétorique ecclésiastique.

Le P. Gilbert, jésuite, Le Bon Goût de l'éloquence chrétienne; l'Éloquence chrétienne dans l'idée et dans la pratique.

Ces deux ouvrages sont remarquables, le second surtout, les meilleurs préceptes sont appuyés des plus beaux exemples de saint Jean Chrysostome^

Le P. Albert, de Paris, de la Véritable Manière de prêcher selon l'esprit de l'Evangile. C'est un des auteurs les plus sages et les plus pratiques sur la prédication. On regrette seu- lement que le style en soit si pâle et si peu soigné.

Gaicbiez, Maxijnes sur le ministère de la chaire^ ouvrage plein de substance et de doctrine, sont rassemblés en peu de mots, avec un goût exquis, les vrais principes sur la ma- tière.

Le P. de Foix, jésuite, l'Art de prêcher ^ ouvrage profond et solide, dont l'abbé Gouget donne l'analyse dans le 2" volume de sa Bibliothèque française ^ page 155.

* Cet ouvrage forme le dernier volume de la Bibliotltèque des Pndkaleurs.

XII AVANT-PROPOS

Antoine Arnaud, Rc(lexwns sur V éloquence des prédicalcurSy un des meilleurs ouvrages sur la malièrc, 1 vol. in-]2.

Fleury, Discours sur la prédication; ce n'est qu'une ébauche, mais on y reconnaît un grand maître.

Dinouart, Éloquence du corps. Rhétorique du prédicateur , traduite du latin d'Augustin Valérie, 1 vol. in-12. « Ouvrage, « dit l'abbé Gouget, propre à corriger ceux qui manqueraient « dans leur ministère, et à former ceux qui veulent s'y rendre « habiles. »

L'abbé Mallet, Essai sur les bienséances oratoires. Prin- cipes pour la lecture des orateurs.

Le P. de la Rue, Préface de ses sermons. Bédouin, chanoine régulier de l'abbaye de Prémontrê, Prin- cipes de V éloquence sacrée, 1 vol. in-12, Soissons, 1787.

Nouvelles Observations sur les différentes méthodes de prê- cher.

Cet ouvrage ne porte point le nom de son auteur, mais il contient des observations fort sages.

S. Liguori, Lettre à un religieux de ses amis. 11 y rend compte de l'ouvrage de Muratori, qui a pour litre : de l Elo- quence populaire, ouvrage qu'il appelle un livre d'or. De la Véritable Manière de prêcher à l'apostolique. Instruction pra- tique pour les exercices de la mission.

Miroir du clergé, vol. II.

Méthode de Besançon, vol. II.

Pastoral de Limoges, vol. II.

Ces trois ouvrages sont précieux, les deux premiers [in- des

AVAÎST-PUOPOS. xn

I

observations pratiques du plus grand intérêt, le troisième par un fond de doctrine, de sagesse et de piété qui en fait le traité peut-être le plus complet que nous ayons dans notre langue sur la prédication : son seul défaut est de ne pas vouloir que le prédicateur s'applique à plaire.

Besplas, Essai sur l'éloquence de la chaire.

Maury, Essai sur l'éloquence de la chaire. Cet ouvrage manque de netteté et de précision dans l'énoncé des principes.

Dupanloup, Rhétorique sacrée, extraite des écrits de Fénelon. Une source si pure révèle assez le mérite de l'ouvrage.

Le Guide de ceux qui annoncent la parole de Dieu.

Méthode générale du cafd/m'me, par M. Dupanloup.

Les Vrais prijicipes de la prédication, par M. Vêtu'. Ces trois derniers ouvrages sont des recueils estimables de ce qui a été écrit de mieux sur la prédication.

2" AUTEURS PROFANES.

Arislote, Bhétorique.

Quoique le prédicateur ait à laisser de côté dans cet ouvrage bien des choses étrangères à sa partie, il gagnera beaucoup en le lisant : ce que dit Aristote des moeurs et des passions, des preuves, de l'élocution et de toute l'économie du discours, est d'une sagesse remarquable.

' L'aulciir cilc partout l'ouvrage du P. Albert sons le nom (l'Ahelly, trompé sans doute par le catalogue qui est à la (in du livre, le libraire l'attribue, eu cllet, à Abclly.

iiv AVANT-PROPOS.

Longin, Traité du sublime.

Le mérite de cet ouvrage est au-dessus de nos éloges.

Cicéron, ad Hereyinium, libri quatuor.

de Inventione, libri duo.

de Oratore, libri très.

Orator.

Brutus seu de Claris Oratonhiis.

Tous ces ouvrages de Cicéron, mais surtout les trois der- niers, renferment tout ce qui peut se dire de mieux sur l'art de la parole : la doctrine d'Aristote y est perfectionnée par tout ce qu'une vaste érudition, un étonnant génie, de mûres réflexions, une longue expérience, pouvaient y ajouter : et la grâce de la diction y fait toujours marcher côte à côte le pré- cepte et le modèle.

Quiutilien, Institutiones oratorix, édition de Rollin , en 2 vol.

Celui-ci a profilé du travail d'Aristote et de Cicéron : moins théorique, il est plus pratique, et le sage Rollin en porte ce jugement : Ex omnibus antiquis scriptoribus, qui magis prodesse juventuti possit, neminem prorshs reperiri'posse arbitror. Cet ouvrage, en effet, comme on pourra le remarquer, est la source nous avons puisé le plus souvent.

J. Severianus, Synthemata rhetoricsd, dans la collection des Rhetores minores.

Le P. Buffier^ , Traité philosophique et pratique de V élo- quence.

* Nous plaçons ce célèbre jésuite parmi les auteurs profanes, parce que son ouvrage n'a aucun rapport particulier à l'éloquence sacrée.

AVANT-PROPOS. tv

Gibert, la Rhétorique ou les Règles de l éloquence.

Jugement des savants sur les auteurs qui ont traité de la rhétorique.

Campbell, Philosophie de la rhétorique, Londres, 1776, ou abrégé du même ouvrage pour les écoles, Londres, 1825'. Un savant anglais apprécie cet ouvrage en ces termes : « Ce livre a est incomparablement supérieur à celui du docteur Blair, « non-seulement pour la profondeur des pensées et l'origina- « lité des recherches, mais encore en utilité pratique et pour « l'enseignement. »

Richard Wately, Éléments de rhétorique, O.xford, 1852.

Encyclopédie méthodique, articles Éloquence de la chaire, Rhétorique, Art oratoire. Pathétique, Stijle, etc.. Soit dans le corps de l'ouvrage, soit aux suppléments : rarement on a mieux traité ces questions.

Marmontel, Éléments de littérature. Parmi quelques principes faux, il se trouve d'excellentes choses dans cet ouvrage.

Rollin, Traité des études, vol. II.

L'abbé Le Batteux, Cours de belles-lettres, vol. IV, plein des observations les plus solides sur l'éloquence.

L'abbé Collin, Préface de sa traduction de ï Orateur de Ci- céron, écrit plein de goût et d'excellentes réflexions.

Girard, Préceptes de rhétorique.

TRAITÉ

LA PEÉDICATION

La Prédication est une fonction sainte par laquelle on enseigne aux hommes les vérités chrétiennes et on les exhorte à y conformer leur conduite. Tout est saint dans la prédication : elle a été fondée par l'Auteur même de la sainteté, Jésus-Christ, qui a dit : Prxdicate Evangelium omni creaturx^ : elle demande un ministre saint, saint par son caractïîre, saint par ses vertus; ou plutôt le Sauveur lui- même en est le ministre invisible qui prêche au fond des consciences par l'organe du Prêtre : Deo exhortante per nos^. Tout son langage est saint; elle ne traite que la parole de Dieu ; elle en est ou l'exposé ou le commentaire. La fin elle tend est sainte : détourner de tout ce qui est mal, porter à tout ce qui est bien, faire des saints, voilà son but; et pour l'atteindre elle a divers moyens : car elle ne con- siste pas seulement dans ce genre d'instruction solennelle qu'on appelle le sermon, mais dans tout enseignement de la doctrine chré- tienne au peuple, sous quelque forme de discours qu'on la lui pré- sente, soit sous la forme de sermon, soit sous la forme de prône ou d'homélie, soit même sous la forme de catéchisme.

11 est des règles pour diriger ceux qui sont appelés à ce sublime ministère : les Pères de l'Eglise, plusieurs saints et divei's auteurs ecclésiastiques les ont tracées avec une sagesse et une profondeur

* Marc, XVII. 15. ^ - II Cor., v.

2 TRAITE DE LA PRÉDICATION.

de \ues remarquables : nous en avons donné la longue liste dans y Avant-Propos, et nous nous sommes permis d'y joindre un grand nombre d'auteurs profanes, dont les préceptes nous semblent devoir faire autorité, même dans la chaire : la raison en est que le discours sacré et le discours profane, quoique bien différents sous tant de rapports, se re^s^nublent par leur fin immédiate, qui est de con- vaincre et de persuader les auditeurs : or ces grands hommes, ayant fait une étude spéciale de l'âme humaine, des moyens par lesquels elle se gagne et des ressorts par lesquels elle se meut, ont connu à fond l'art de convaincre et de persuader.

Mais si la chaire a ses régies incontestables tracées à la fois par les auteurs ecclésiastiques et les auteurs profanes, c'est un devoir pour le prédicateur d'en faire une étude sérieuse, d'en acquérir une connaissance exacte. En effet, si l'art de bien dire peut servir à persuader le vrai et le faux, le bien et le mal, peut-on penser qu'il soit permis d'en laisser le monopole au mensonge et à l'iniquité sans employer les mêmes moyens à la défense de la vérité et de la vertu? Qids ità desipiat ut hoc sapint? dit saint Augustin : Cumin média posita sit facilitas eloquii, cnr non bonorum studio comparatur ut militet veritati, si eam mali in usus iniquitatis et errons usur- pant^'? Ce serait un crime de négliger, pour sauver les hommes, les ressources que d'autres emploient pour les égarer ou les perdre, et, tandis qu'une parole de vice ou d'erreur se montre souvent si belle, si entraînante, de présenter la parole de Dieu sans grâce, sans in- térêt et sans couleur, souvent même sous une enveloppe difforme propre à en dégoûter les peuples. De l'avis de l'Apôtre aux mi- nistres de l'Évangile : Sollicité cura teipsum probabilem exhibere Deo, operarium inconfusibilejn rectè tractantem verbam veritatis^. Or, quelque talent naturel qu'on puisse avoir reçu de la nature, quelque connaissance même qu'on ait de la théologie et des sciences ecclésiastiques, on ne prêchera que médiocrement, souvent même inutilement, si l'on ne connaît pas les régies de la prédication : car, si, pour réussir dans quelque art que ce soit, il faut auparavant en étudier et en posséder les règles, combien plus le faut-il pour réussir dans l'art si sublime de parler au nom de Dieu, de développer les mystères du ciel, d'arracher les pécheurs aux passions qui les tyran- nisent et de les gagner à la vertu? II est vrai que la nature contribue plus que l'art à former l'orateur, et qu'il n'y a de vraie éloquence que

* Lib. IV de Doct. christ., c. n. - II Tim., ii, 15.

THAITÉ DE LA PRÉDICATION. 5

elle en a déposé le germe heureux (car nous sommes loin de partager l'avis de celui qui disait: Nciscuntur poetx, flunt oratores) ; mais il n'en est pas moins certain que la nature abandonnée à elle seule ne ferait jamais que des orateurs incomplets : dans les uns, elle a besoin d'être corrigée, parce qu'elle se produit ou avec excès, déployant son énergie sans discrétion, ou à contre-temps, plaçant mal ce qui, dit à propos et en son lieu, eût été parfait; dans les au- tres, elle a besoin d'être aidée, parce qu'elle ne se montre qu'à moitié : elle laisse voir le germe du talent; mais ce germe, il faut que l'ait le développe; dans d'autres enfin, elle ne paraît aucune- ment, elle semble muette; mais, si l'art la scrute, l'interroge, il la trouve, la saisit et la fait parler. La nature, c'est une terre qui a be- soin d'être cultivée, et qui, abandonnée à elle seule, produirait in- distinctement de bonnes et de mauvaises herbes, ou, si on l'aime mieux, c'est une aveugle qui ne sait elle va si l'art ne la condnit. Il faut donc que Tune et l'autre marchent toujours ensemble : leur alliance est la condition du succès. C'est ce que Montaigne a voulu dire par ce mot de sa façon : Il faut que la nature sartinlise; elle ne peut que par atteindre au développement pour lequel elle est faite, selon ces paroles d'Horace :

Naliirâ fïeret laudabile carmen, an arte, Qusesitum est. Ego nec studium sine divite vend, Nec rude quidprosU video ingenium : alterius sic Altéra poscit opem res, et conjurât amicè.

Au reste, l'expérience démontre tous les jours cette vérité : d'où vient que les chaires chrétiennes retentissent si souvent de discours défectueux, qui ne produisent aucun fruit, soulèvent la critique des moins malveillants, provoquent l'ennui, et sont quelquefois même ridicules ? C'est que les auteurs de ces discours ignorent les bonnes règles de la prédication. Sans doute, les régies seules n'eussent pas fait d'eux de grands orateurs, car rien ne supplée la nature; mais du moins elles eussent formé leur goût, diminué ou peut-être corrigé tout à fait leurs défauts naturels, et en eussent fait des prédicateurs utiles, sinon brillants. D'où vient que les sermons de Bossuet lui- même, malgré les beautés sublimes dont ils étincellent, laissent tant à désirer pour être des œuvres complètes, au jugement de la Harpe et du cardinal Maury? N'est-ce point qu'il les composa à un âge la réflexion et le travail n'avaient point encore corrigé les écarts de

4 TH.UTK DE LA PRÉDICATION.

la nalure abandonnéo à elle-même ? D'où vient que Bourdaloue, mal- gré la merveilleuse solidité de ses discours, est quelquefois mono- tone, froid, sec, dans l'exposé de ses preuves, et de mauvais goût dans ses compliments? Il est difficile de penser qu'il fût tombé si souvent dans ces défauts s'il eût plus réfléchi sur certaines règles de l'art et se fût étudié à les mettre en pratique. Or, si les plus beaux génies sont sujets à de grands écarts, souvent même à des défauts choquants, lorsqu'ils ne joignent pas aux talents naturels l'étude et la connaissance des régies, combien cette élude et cette connaissance sont-elles nécessaires à ceux qui n'ont que des talents médiocies, c'est-à-dire, pour parler avec vérité, au plus grand nombre de ceux que leur vocation oblige à annoncer la parole de Dieu !

Il est donc certain que tout prêtre, avant d'exercer le ministère de la prédication, est tenu d'en apprendre les règles ; mais quelle est la gravité de cette obligation? Deux considérations le feront com- prendre : Plus un ministère est excellent, sublime et sacré, plus est coupable celui qui, sans en connaître les règles, s'y ingère aveu- glément, le traite sans honneur et le rend méprisable aux peuples : or, quoi de plus excellent, de plus sublime, de plus sacré que le ministère de la prédication? 2" L'obligation de posséder les règles d'un art qu'on veut exercer est en proportion avec la gravité des intérêts qui s'y rattachent : ainsi, un homme qui, se donnant pour médecin, traiterait les malades sans connaître les régies de la théi a- peutique, commettrait un crime égal à l'homicide, par la raison évi- dente que son ignorance mettrait en péril la vie des citoyens : or, à la prédication se rattachent des intérêts plus grands que tous les inté- rêts temporels et que la vie même; il y va du ciel ou de l'enfer pour les auditeurs, selon que le prêtre, chargé de les instruire, remplira bien ou mal son ministère. Celui qui prêche selon les bonnes règles éclaire, touche et souvent convertit ; celui qui ne le fait pas, laisse les pécheurs croupir dans l'ignorance et le désordre, les dégoûte de la parole de Dieu et la leur rend inutile ; d'où nous pouvons conclure avec le père Louis de Grenade * : « qu'il n'y a rien de plus coupable « que cette témérité avec laquelle on entre dans un emploi si grand, « si important, si nécessaire à l'Église et le plus difficile de tous, sans « s'instruire auparavant des règles et méthodes sûres par lesquelles « on pourra s'en acquitter dignement et avec fruit. »

* r.liél. ecclés., liv. I, c. n.

Tr.VITÊ DE LA PRÉDICATION. 5

Et qu'on ne pense pas que les règles que donne la rh-îoiique puissent suffire; ces notions élémentaires, puisées au collège, ne sont en quelque sorte que le fondement sur lequel s'élèvent le .^règles de la prédication, régies bien plus hautes et plus étendues qui com- mencent, pour ainsi dire, les autres finissent, et qui ont d'ail- leurs un tout autre caractère : car, chargées de diriger Téloquence dans les régions de la foi, on sent que comme l'atmosphère elles doivent se développer est différente, elles doivent aussi avoir leur spécialité. L'esprit de l'Évangile, le génie de l'apostolat, les observa- tions qu'a fournies l'expérience à ceux qui ont parcouru la carrière de la chaire avec succès, doivent y dominer plus encore que tout l'art des rhéteurs. Nous sommes loin de rejeter cet art ; nous le pro- clamons essentiel, comme nous l'avons déjà fait observer; mais, pour le rendre plus utile à la prédication, il faut le christianiser, si je puis ainsi dire. C'est, du reste, ce qu'on comprendra mieux par la lecture de cet ouvrage.

Entrant donc sur-le-champ en matière, nous diviserons notre Traité en deux livres : dans le premier, nous ti altérons de la prédication en général, c'est-à-dire des principes généraux qu'on y doit suivre et dos règles communes aux différents genres de prédication ; dans la second, nous traiterons des différents genres de prédication en par- ticulier et des règles spéciales rpfon y doit observer.

LIVRE PREMIER

DE LA PRÉDICATION EN GÉNÉRAL

Celui qui aspire à la magnifique mission d'annoncer la parole de Dieu aux hommes doit commencer par bien comprendre tout l'en- semble de ce sublime ministère. S'il n'en a pas une idée exacte, le faux qui sera dans son esprit passera dans son travail, et il fera mal en croyant bien faire : si, au contraire, il en a une idée juste, il s'ap- pliquera avec ardeur à réaliser cette idée, évitant ou corrigeant tout ce qui s'en écarte, retouchant sa composition, la remaniant sans cesse jusqu'à ce qu'il y reconnaisse le beau idéal qu'il a dans la pensée, et ainsi il atteindra la mesure de perfection dont il est capable. Voyez l'architecte, voyez le peintre; s'ils n'ont pas une idée juste et complète, l'un de la belle ordonnance d'un édifice, de sa solidité et de sa grâce, l'autre de la sage distribution des couleurs, des posi- tions et des nuances à donner aux divers personnages ou paysngos qu'il représente, il ne sortira de leur idre incom])lùtt> qu'un édifice ou un tableau incomplet, sans ensemble, sans proporlions et sans justesse. Pour réussir en quelque genre que ce soit, il est donc essen- tiel de se former avant tout une idée juste de ce qu'on doit faire ; et,

8 TP.Ani; l'F. i.A rr.Éiur.ATioN.

celte idée une fois acquise, il ne icsle [)Uis qu'à étudier la manière de la réaliser.

Conformément à ces principes, nous partagerons ce livre en trois parties. Dans la première, nous examinerons quelle idée il faut se faire du ministère de la prédication ; dans la seconde, nous étudie- rons la préparation qu'il demande, et, dans la troisième, nous traite- rons de la manière de s'en bien acquitter.

PREMIÈRE PARTIE

QUELLE IDÉE IL FAUT SE FAIRE DU MIKISTIiRE DE LA l'RÉBICATlON.

Pour se former de ce ministère une idée complète qui dispose à le remplir dignement, il faut bien comprendre 1" l'excellence de la prédication ; autrement on ne porterait pas dans l'exercice de celte sublime fonction cette haute estime, cette élévation de vues, cette ferveur de zèle qu'on y doit porter; la nécessité de la prédication ; autrement on pourrait se rendre coupable de négligence grave dans l'exercice d'un si saint devoir; 5" les matières qu'il convient de traiter en chaire ; sans des notions exactes sur ce point, on serait exposé à traiter des sujets qui ne conviendraient pas à un discours sacré ou ([ui seraient moins utiles aux lldèles ; 4" les qualités de la prédication ; car celui qui ne les connaîtrait pas serait dans l'impossi- bilité de donner à ses insiructions les caractères et la forme qui leur sont essentiels ; 5** enfin les qualités du prédicateur, afin de les ac- quérir avant de s'engager dans la carrière, et de les conserver après s'y être engagé. Tel sera donc l'objet des cinti chapitres qui vont partager celle première partie.

10 TRAITH DE LA rRÉDICATION.

CHAPITRE PREMIER

De l'excellence de la Prédication ^

* Après le saint sacrifice de la Messe, il n'est point dans le mi-

* nistère ecclésiastique de fonction plus sublime que celle de la pré-

* dication. C'était l'occupation principale de Notre-Seigneur pendant

* les trois années de sa vie apostolique et le but de la mission qu'il

* avait reçue de son Père : Oportet me evangelizare regnumUei, qidà

* ideô missus sum^, et il laissait à ses disciples, comme moins im-

* portante, la charge de baptiser : Quanquàm Jésus non baptizaret,

* scd discipuli ejus'. Saint Paul faisait de même : Je n'ai baptisé

* personne à Gorinlhe, disait-il, sinon Crispe et.Caïuset la famille

* de Stephanas : Non enim misit me Christus baptizare, sed evange-

* lizare'*. Conformément à ces grands exemples, et pénétrés de

* l'excellence d'un ministère qui demande tant de science, de lu-

* mières et de grâce, les évêques des premiers siècles se réservaient

* souvent à eux seuls l'exercice de la prédication, quoiqu'ils en re-

* connussent dans les prêtres le pouvoir ordinaire. Sous l'ancienne

* loi même, cet office n'était envisagé qu'avec une vénération pro-

* fonde : Moïse et Jérémie s'en proclament tout à la fois indignes et

* incapables; Isaïe a besoin qu'un ange, pour l'y disposer, vienne

* purifier ses lèvres : le Précurseur s'y prépare par la pénitence et

* la solitude la plus austère. Pleine du même esprit qui animait les

* saints de l'un et de l'autre Testament, sainte Thérèse ne pouvait

* assez admirer la grandeur de cet emploi, et elle portait envie aux

* prédicateurs, en considérant le service éminent qu'ils rendent à

* Dieu et aux hommes : Je donnerais mille vies, disait-elle, pour le

* bonheur d'être chargée d'une si noble mission^. C'est qu'en effet,

* de quelque côté qu'on envisage le ministère du prédicateur, tout y

* est dune excellence incomparable, et la sublimité de sa mission,

1 Voyez le Pastoral de Limoges, t. II, titre i. La Harpe, Cours de littéra- ralure, t. VIII. Grenade, liv. I, vi. ^ Luc., iv, 43. ^ Joami., iv. -^I Cor., i. 2 Chap. XXI de sa Vie, écrite par elle-même.

EXCELLENCE DE LA PRÉDICATION. It

* et la majesté de sa parole, et la grandeur des sujets qu'il est chargé

* de traiter, et la fin pour laquelle il parle, et les el'fels de sa pré-

* dication, quand elle est à la hauteur de son ministère, et les

* grands avantages qu'en relire la société, et le bien qui lui en re-

* vient à lui-même.

♦ARTICLE 1.

* EXCELLENCE DE LA PRÉDICATION. DÉMONTRÉE PAR LA SUBLIMITÉ DE LA MISSION * DU PRÉDICATEUR.

*La mission la plus haute que puisse recevoir un orateur profane,

* c'est d'être l'interprète de son roi ou l'organe de sa patrie ; mais

* l'orateur sacré remplit une mission bien plus sublime, celle d'in-

* terprête de son Dieu et d'organe de la religion. Jésus-Christ lui-

* même a institué cette mission sacrée toute sainte et toute surnatu-

* relie, en vertu de la plénitude de puissance qui lui avait été

* donnée : Data est mihi omnis potestas in cœlo et in terra ; euntes

* ergo, docete ', et en envoyant ses apôtres et leurs successeurs de

* la môme manière qu'il avait été envoyé lui-môme : Sicut misit me

* vivens Pater, et ego mitto vos ^, il leur confie sa parole pour qu'ils

* la dispensent aux fidèles, il les établit ses ambassadeurs et ses mi- *iiistres; ce qui leur donne la hardiesse de dire : Pro Christo le-

* gatione fiuigimur^; ou plutôt il s'identifie en quelque sorte avec

* eux : Qui vos audit me audit * ; ils ne sont que ses organes par

* lesquels il évangéhse les hommes et les exhorte à la vertu, selon

* celte parole de l'Apôtre : Deo exhortante per nos... ^, in me loqui-

* tur Christus^. Or, qui pourrait dire la sublimité de cette am-

* bassade, de celte divine nonciature, comme l'appelle saint Jean

* Cbrysostome, ou plutôt de celte sorte de personnification avecJésus-

* Christ môme? Toutes les ambassades du monde ne sauraient lui

* être comparées : ici ce n'est point un roi de la terre qui nous

* envoie, c'est le Roi des rois, près duquel tous les rois du monde ne

* sont que poussière ; et la foi ne laisse plus voir on nous des

* hommes qui parlent à des hommes; nous sommes les anges du

* Seigneur, les envoyés du ciel; ou plutôt c'est le Seigneur môme du

* ciel qui par nous en inliine les oracles et les volontés à la terre.

* Mali]]., XXVIII. * Joaiiii., x\-. ^11 Cor., v, '2-). •* Luc, x, 1G. * II Cor., V, '20. c II Cor., xiii, 5.

12 TRAITÉ DE tA PHÉDlCATION.

* Les premiers chrétiens étaient si frappés do cette considéra! ion,

* qu'ils respectaient leurs prédicateurs comme les anges de Dieu,

* comme Jésus-Christ lui-même, honorant la personne du prince

* dans colle do son ambassadeur : Sicnt angeluin Dei excepistis mi , * siait Christum Jesum^, et ils recueillaient avec religion toutes les

* paroles* qui sortaient de leur bouche, comme s'ils les eussent en-

* tendues sortir de la bouche même de Dieu : Accepistis illiid, non

* vt vcrhum hominum, scd, sicnt est verè, verbum Dei-.

* Tel est le premier principe par lequel se démontre l'excellence

* de la prédication, principe fécond en conséquences que nous dé-

* unirons, dans la suite de ce Traité, sur la nécessité de la mission,

* de la sainteté de vie dans le prédicateur, de l'exactitude dans la

* doctrine, de la clarté dans le langage, etc.

* ARTICLE 2.

* EXCELLENCE DE LA PRlÎDlCATlON, DÉMnNlRÉE PAP, LA MAJESTÉ DE LA PAIIOLE * DU PRÉDICATEUR.

* La parole du prédicateur diffère essentiellement de la parole de

* l'homme ou du discours profane. Elle est la parole même de Dieu,

* telle qu'elle est énoncée dans l'Écriture, ou exphquée par l'Eglise

* avec l'infaillibilité de Dieu môme; d'où il suit qu'elle n'a point

* pour objet, comme presque tous les discours humains, des ques-

* lions sujettes à controverse. Elle est vérité et sainteté : comme

* vérité, elle commande avec un empire souverain à toutes les in-

* telligences; comme sainteté, elle a droit de se faire obéir par

* toutes les volontés, de frapper de sa réprobation tout ce qui n'est

* pas avoué par la vertu, et d'abattre toute créature qui s'élève contre

* la loi de Dieu. Capable de remplir cette sublime mission, elle tire

* du ciel môme une force invincible, c'est-à-dire la grâce de Jésus-

* Christ, pour manier et toucher les cœurs, jointe à l'autorité de

* Dieu pour corriger, pour reprendre et dire toutes les vérités qui

* nulle part ailleurs ne pourraient trouver un organe. Quelque sa-

* vants ou quelque puissants que soient ses auditeurs, la parole du

* prédicateur, comme parole de Dieu, est au-dessus d'eux ; elle

* domine leur science et leur puissance de tonte la science et de

» Galat., IV, 1 i. * I Tlles^^ul., ii, 15.

EXCELLENCE DE LA TRÉDICATION. 13

* toute la puissance de Dieu. Les rois eux-mêmes s'humilient comme

* le peuple devant sa majesté, et viennent l'entendre pour être

* instruits et recevoir des leçons. C'est elle qui jugera le monde au

* dernier jour, dit Notre-Seigneur : Sermo qnem locutiis siim, illeju-

* dicahit eiim in novissimo die S et elle est le texte de la loi sur laquelle

* sera dressée pour chacun, dans l'extrême rigueur du droit, la sen-

* tence d'une éternité heureuse ou malheureuse. C'est elle enfin que

* saint Augustin proclame non moins digne de respect que le corps

* même de Jésus-Christ : No7i minus est verbum Dei quàm corpus

* Christi'. Aussi est-ce justement que la trihune du haut de laquelle

* on l'annonce s'appelle la chaire sacrée, et que toutes les grandeurs

* de la terre s'effaceni;, que les rangs, les litres et les fortunes se

* confondent à ses pieds, pour ne laisser sentir que la prééminence

* du prédicateur parlant au nom de celui devant qui tous les hommes

* sont égaux, au nom du ciel d'où descend tout empire.

* Tout ce qui environne le prédicateur ajoute encore une nouvelle

* majesté à sa parole. Il est élevé dans la chaire comme entre le ciel

* et la terre pour intimer à celle-ci les oracles de celui-là. Sa voix

* retentit dans le silence d'un recueillement universel, dans l'é-

* tendue d'une enceinte sacrée : et le Dieu dont il est l'envoyé, dont

* il venge les droits, est présent sur l'autel, sanctionnant par son

* autorité les discours de son ministre, pénétrant de son regard les

* replis les plus cachés des cœurs, leur disant à tous qu'il n'entend

* pas que sa parole tombe en vain au milieu d'eux, et que, s'ils n'en

* recueillent les moindres parcelles avec un religieux respect pour

* les faire servir à la réforme de leur vie, ils lui en rendront un

* jour un compte sévère. Or se peut-il une parole plus majestueuse

* que celle qui est entourée de tant de circonstances vénérables?

* Kl combien toute l'éloquence profane pâlit, rapprochée de celle-

* ! Si la tribune et le barreau sont le théâtre de l'éloquence, on

* peut dire que la chaire en est le trône; l'éloquence sacrée, c'est

* l'éloquence par excellence.

* De ce second principe, comme du premier, découlent de nom- ■* brcuses conséquences que nous déduirons dans le cours de ce

* Traité.

* Joann., xii, 48. * Scnn. ctc, m aiiijcnd.

a TRAITÉ DE LA PRÉDICATION,

*AUT1CLE5.

* EXCELLENCE DE LA PRÉDICATION, DKiMOMRÉE PAR LES SUJETS * QUE LE PRÉUIOATEUR EST CHARGÉ DE TRAITER.

* Le pi'ivilége du prédicateur, dit saint Augustin, est de n'avoir

* jamais à parler que de grandes choses : Dicfnr est rernm magna-

* rum^. Presque tous les sujets que peut traiter l'orateur profane

* sont d"un intérêt passager, ne regardent que les circonstances du

* moment ; et les circonstances une fois passées, le sujet perd son

* intérêt. Que nous importent aujourd'hui, par exemple, Philippe et

* les Athéniens, Milon et Ligarius, Catilina et Verres? Mais les

* sujets de l'éloquence chrétienne ont un intérêt de tous les temps,

* parce que le salut auquel ils se rapportent est l'affaire de tous les

* siècles, affaire à chaque moment aussi saisissante d'intérêt, aussi

* grave, aus.si pressante, aussi personnelle à une époque qu'à une

* autre.

* Presque tous les sujets de l'éloquence profane ne regardent

* que certains individus et ne s'adressent qu'à un petit nombre

* d'hommes ; mais ce que dit l'orateur sacré regarde tous les

* hommes, parce que tous ont le même intérêt à se sauver. Pas

* un seul homme, dans toute la suite des siècles, qui, en lisant *un discours sacré, ne doive se dire: Ceci me regarde, ceci s'a-

* dresse à moi.

*Les plus grands sujets que puisse traiter l'orateur profane sont

* l'homme et ses besoins, le temps et ses vicissitudes, c'est-à-dire

* des intérêts bornés ; mais que la parole du prédicateur s'élève

* bien plus haut ! l'éternité et ses suites, Jésus-Christ et ses lois, *Dieu et ses perfections, ses oracles et ses mystères, voilà ses sujets!

* sujets immenses l'on peut déployer tour à tour le pathétique et *le terrible, le touchant et le sévère, tout ce qui favorise l'élan du

* génie, intéresse le sentiment, étonne l'imagination : Omnia magna

* qux dicimus^. La Providence qui gouverne tout, l'immensité divine

* qui remplit tout, l'Incarnation, la Piédemption, l'Eucharistie, tous *ces miracles d'amour dont se compose l'histoire du christianisme,

* les grandeurs du chrétien qui a Dieu pour père, Jésus-Christ pour

* frère, les anges pour serviteurs et pour gardiens, les démons pour

* esclaves, et qui est appelé à être dans une autre vie roi du plus

* beau royaume qui se puisse imaginer, enfin les quatre fins de

* De Doct. christ., lib. IV, xxxvni. - S. Aug., de Doct. christ., Ub. IV, xxxv.

EXCELLENCE DE LA rRÉDICÂTION. 13

* l'homme qui placent l'orateur toujours en face de l'éternité et en

* embrassent les grands intérêts, se peut-il une plus Ijelle carrière *pour l'éloquence? Omnia magna qux dicimus. Si du dogme nous

* passons à la morale, que peut-on concevoir de plus intéressant que

* d'avoir à dire aux lîommes d'aimer de tout leur cœur celui qui les

* a aimés jusqu'à mourir pour eux, de s'aimer les uns les autres

* comme une famille de frères, de vivre dans un corps de boue de la *vie même des anges, quand surtout on a pour traiter ces vérités

* tout l'Évangile, ce code sublime de morale qui offre au prédicateur *un champ immense et fécond, une si merveilleuse richesse, gran- *deur et variété de vues? Omnia magna qux dicimus. Telle est

* l'excellence de ces sujets, que rien n'y est médiocre; tout y est

* grand et majestueux jusqu'aux choses les plus simples et les plus

* vulgaires : quoi de plus commun et de moins important quun

* verre d'eau froide? Res minima atque vilissimay dit saint Augustin.

* Cependant, continue ce saint docteur, la religion apprend au pré- *dicateur à s'élever de cette chose si petite aux vues les plus hautes, *et à faire jaillir de ce verre d'eau froide comme une flamme de

* charité qui allume dans le cœur des auditeurs les plus indifférents

* un saint désir de se livrer aux œuvres de miséricorde par l'espoir

* de la récompense céleste : Tanquàm de illâ aquâ frigidd quxdam

* flamma surrexit, qux etiam frigida homimmi pectora ad misericor-

* dix oj)era facienda spe cœlestis mcrcedis accenderet ^

* De ces considérations le prédicateur doit conclure combien sa

* position est supérieure à celle de l'orateur profane. Au barreau ou

* à la tribune, celui-ci est réduit le plus souvent à traiter des sujets

* d'un intérêt si médiocre, si peu durable et si peu général, que c'est

* vraiment pitié de voir des honmies de génie exercer leur talent sur *si peu de chose, tandis que le prédicateur est toujours grand et in-

* téressant par l'excellence des choses dont il parle, lors nnhne qu'il *les dit dans le langage le plus simple.

* ARTICLE 4.

* EXCELLENClî DE LA. PP.lÎDICATION, DÉMOMTliÉE PAU LA FiN MKMK * DE LA PIIÉDICATION.

. * L'éloquence, dit Euripide, est la souveraine des âmes' : elle élève

1 De Doct. clirist., lilj. IV, xxxvii.

* IlctOw T-i7y ri>f,xvjov ûvOf-uTioii; ij.ivrfj. llcciil)., v, 77ri, l'aciiviiis a ilil un

l(i TII.VITÉ D2 L\ l'IiÉDICATlON.

* celui qui la possède au-dessus des autres hommes, ethii donne une

* [)uissance personnelle, qui, comme Pascal l'a remaïqué', n'a point

* d'égale sur la terre, la puissance de conduire à son i;ré les volontés,

* de maîtriser ses semblables par la conviction et la persuasion,

* d'exciter dans les cœurs tous les nobles sentiments, de faire réussir

* li's plus grandes affaires et les plus difficiles entreprises : aussi *(;icéron déclare-t-iP qu'il ne connaît rien de plus grand et de plus

* magnifique, rien de plus excellent et de plus royal. Mais, si telle est

* l'excellence de la parole humaine considérée dans sa fin, combien

* plus grande n'est pas, sous le même rapport, rexcellence de la

* parole divine !

* Tous les discours des orateurs profanes, toutes les négociations

* dont peuvent être chargés les ambassadeurs des rois de la terre,

* ne tendent pour l'ordinaire qu'à obtenir la jouissance ou empêcher

* la perte de quelques-uns des biens périssables de ce bas monde. *Mais la prédication a une fin incomparablement plus haute et plus

* sublime : c'est de réconcilier la terre avec le ciel, et de coopérer

* avec Jésus-Christ au grand ouvrage de la rédemption du monde ;

* c'est de procurer, pour cette vie et pour l'autre, la gloire de Dieu

* et le bonheur de l'homme. Tous les jours Dieu est méconnu et of-

* fensé par ses créatures ; le prédicateur est envoyé pour proclamer

* devant les peuples ses droits à leur amour et le faire aimer de tous

* les cœurs. Tous les jours il est des hommes qui, appelés à êtrerois *dans léternité, se rendent indignes de cette sublime destinée; le

* prédicateur est délégué pour leur faire recouvrer les trônes qu'ils

* ont perdus. Quelle fin plus magnifique ! et peut-il être une mission *plus digne d'un grand cœur, dun cœur qui aime Dieu et les

* hommes? Jamais la parole humaine fut-elle animée par de tels

* motifs? Jamais l'éloquence fut-elle employée au service d'intérêts si

* augustes, si sacrés? Ce n'est pas ici une tête à sauver, une ville, une

* pallie à défendre ; ce sont des milliers d'âmes qui se perdent, à

* arracher à l'enfer, à conquérir pour le ciel! Et qui ne comprend

* combien ces considérations sont plus nobles, plus élevées, et sur-

* tout plus inspiratrices que l'amour de la patrie et de la justice dont

* s'inspire l'orateur de la tribune ou du barreau?

mot semblable : 0 flexanima atque omnium regina reriim oratio! Fragment de l'Ilerniione, cité par Cicéron, de Orat., lib. II, 187; et par Konius-llarcellus, au mot flexanima.

' LeUre à Christine de Suède, ou dédicace du Traité de la Roulette.

" De Orat , lib. I, 50et seq.

EXCELLENCE DE LA rRÉUlCATION. i?

* Pour arriver à leur but, les orateurs profanes ne se proposent

* d'exciter dans leurs auditeurs que des mouvements naturels, comme

* le désir ou l'aversion, la crainte ou la joie ; mais pour atteindre son

* but qui sort du cercle des choses naturelles, le prédicateur se pro- *pose de produire dans les cœurs des mouvements surnaturels, qui

* disposent l'âme à la justification, ou la justifient à l'instant même,

* ou lui méritent, si déjà elle est dans un état de justice, un nouveau

* degré de grâce pour la vie présente et une nouvelle mesure de

* gloire pour la vie future. Il faudrait avoir les yeux du cœur éclairés *par une foi vive pour comprendre tout ce qu'il y a d'excellent dans

* cette fin de la prédication.

* Ce n'est pas tout : comme une fin si sublime est supérieure à

* toutes les forces de l'éloquence humaine, le prédicateur s'associe à

* l'esprit de Dieu pour produire dans les âmes ces impressions cé-

* lestes, méritoires de la gloire éternelle ; il l'aide dans celte œuvre

* toute divine : Dei enim swnus adjutores^, donnant pour cela à son

* discours une forme persuasive et touchante, propre à s'allier avec

* l'action aussi douce que forte de la grâce, qui tourne les cœurs

* comme il lui plaît sans les violenter : de l'onction, cette sublime

* création propre au genre apostolique, et qui ne convient à aucun

* autre genre. Or, quoi de plus magnifique, de plus divin que de co-

* opérer à l'esprit de Dieu convertissant les pécheurs, formant les

* saints et enfantant les élus, que de joindre l'onction de ses discours celle de la grâ(îe pour sauver les hommes, et de partager ainsi

* avec Dieu même l'œuvre de la conversion et l'empire des cœurs?

* ARTICLE 5.

* EXCELLENCE DE LA PRÉDICATION, DÉMONTRÉE PAR SES EFFETS.

* Les sacrements produisent sans doute des effets merveilicux cpii *ont été souvent célébrés par l'éloquence dos Pères et des Docteurs

* de l'Église. Toutefois, il y a cette différence entre le prêtre qui les

* administre, et le prédicateur, que l'action du premier se restreint

* à un seul homme, tandis que l'action du second s'étend à tout un

* peuple; Pun est le pêcheur à la ligne qui ne prend qu'un poisson

* à la fois, Paulre le pêcheur au filet qui en prend une multitude d'un

* seul coup: et ce qui rend cette action du prédicateur sur les peuples

* I Cor., m.

18 TRAITE DE LA PRÉDICATION.

* plus merveilleuse, c'est qu'elle est le développement de la plus

* grande puissance morale qu'il puisse être donné à l'homme d exer-

* cer sur ses semblables; elle obtient du cœur humain les sacrifices

* les plus pénibles qui puissent se faire en ce monde, le sacrifice de

* ses passions, de son orgueil, de ses attaches les plus enracinées ;

* elle brise sous sa puissance les superbes et les rend humbles ; elle

* amollit les cœurs les plus durs et les rend tendres envers Dieu et

* envers leurs frères; elle purifie les âmes les plus gâtées et les ra- *méne à la blancheur de l'innocence : Vox Domini confringentis ce- *dros... concidientis desertum... Vox Domini in virtiite, vox Domini

* in magnificenticl^ . . . Vivus est enim sermo Dei etefficaxet penetra-

* bilior omni gladio ancipiti et pertingens usque ad divisionem

* animx ac spiritûs ^. Par le ministère des apôtres, la parole de Dieu

* a converti le monde et rendu communes sur la terre les plus su- *blimes vertus^. Sa puissance n'a pas cessé avec le siècle aposto- *lique: saint Denis en France, saint Boniface en Allemagne, saint

* Augustin en Angleterre, saint François Xavier dans les Indes, saint

* Charles Borromée en Italie, saint François de Sales dans le Cha-

* biais, saint François Régis dans les Gévennes et une foule d'autres

* saints prédicateurs sur tous les points du globe, ont prouvé au

* monde sa vertu impérissable. Tous les jours encore, par le minis- *tére des hommes apostoliques, elle continue les mêmes merveilles *dans rOcéanie, l'Amérique et autres terres lointaines. Même au

* milieu de nous, de fervents missionnaires vont la porter dans les

* paroisses qu'on croyait les plus impies, et elle les rend chrétiennes;

* elle y fait fleurir les plus pures vertus. Sans doute, hors le temps

* des missions et des retraites, elle ne produit pas toujours des effets

* aussi merveilleux. Mais toutefois, lorsqu'elle est annoncée assidù- *ment dans une paroisse par de bons prônes et des instructions *sohdes, elle y opère un bien qui, pour être moins sensible, n'en *est pas moins réel; elle y entretient l'esprit de religion et de piété;

* elle y conserve la foi, l'espérance des biens futurs, la charité envers *Dieu et le prochain, et toutes les vertus qui font le bonheur de

* l'homme en ce monde et en l'autre.

* Et, chose digne de remarque, celte puissance de la parole, cet

* effet merveilleux d'un discours sortant de la bouche d'un homme,

1 Psalm. xxviti. - Heb., iv. ' Voy. hom. de S. Clirys. sur la 1" ép aux Cor. Homélie du même aux Juifs et aux Gentils, pour leur prouver la dU vinilé de Jésus-Christ.

EXCELLENCE DE LA PREDICATION. 19

* t'?t le privilège exclusif delà prédication. Bien de grands génies ont

* entrepris d'enseigner la sagesse aux hommes : les Platon, les So-

* crate, les Cicéron, les Épictète et les Sénèque en ont donné d'admi- ■* râbles leçons; mais ils n'ont pas gagné à la vertu une seule ville,

* une seule bourgade. La prédication évangélique seule a le sublime

* pouvoir de remuer les populations, de les arracher au vice et de

* les former à la vertu ; l'univers converti par elle en rend témoi-

* gnage.

* Or, combien est excellent un ministère qui peut produire de tels ' * effets, et qui les produit quand le ministre soutient la vertu de sa

* parole par la sainteté de sa vie !

* ARTICLE 6.

* EXCELLENCE DE LA PRÉDICATION, DÉMO>TRÉE PAR l'uTILITÉ QUE LA SOCIÉTÉ

* EN RETIRE.

* La prédication, indépendamment des grands biens qu'elle est

* appelée à produire dans l'ordre de la religion, est la chose la plus

* utile à la société civile, à un État quelconque. Et peut-on concevoir, *en effet, politiquement parlant, une institution plus précieuse, plus

* ci\i!isatrice, plus favorable à la sécurité publique et aux intérêts

* bien entendus Je tout gouvernement, que celle qui rassemble les

* citoyens tous les huit jours dans un lieu de silence et de recueille-

* ment pour leur exposer, au nom et sous l'œil de Dieu, tous leurs

* devoirs, leur redire ce bel abrégé de morale : Pi'oiit vultis ut faciant

* vobis homines, et vos facite illis similiter %leur recommander tout

* ce qui est pur, tout ce qui est juste et saint, tout ce qui est aimable

* et honorable, tout ce qui est vertuetix et digne d'éloge, en un mot

* leur défendre de la part de Dieu tout ce qui peut nuire à la société

* et aux particuliers, et leur tracer les régies de conduite les plus

* propres à procurer la paix pubhque, la sécurité générale, le bon- *heur de tous et le bien de chacun?

* C'est sans contredit le meilleur moyen de faire d'honnêtes gens *etdc bons citoyens, d'obtenir l'obéissance aux lois, le respect de

* l'autorité, la paix dans les familles, la bonne foi dans les contrats

* et le commerce, la charité et la douceur dans les rapports mutuels;

* et les pasteurs qui, sur les divers points d'un royaume, font chaque

' Luc, VI, 31.

TRAITE DE L\ PP.EDICATION.

"^Dimanolit; une instiuclioii reli<;i(>use à leur peuple rassemblé, con- ''tribiient plus efficacement au bien de l'État que tous les agents de *îa force publique, que tous cimix qui tiennent en main les rênes du

* gouvernement. L'antiquité ne nous offre rien de semblable, et elle

* aurait rêvé en vain une telle institution, parce que le cbristianisme

* seul pouvait l'exécuter. Or, combien ne doit pas paraître excellente

* aux yeux du prêtre qui aime les liommes une œuvre féconde en si

* précieux résultats !

ARTICLP] 7.

* EXCELLENCE DE L\ PRÉDICATION, DÉMONTRÉE l'AK LE BIEN QUI EN REVIENT

* AU PRÉDICATEUR LUI-MÊME.

* C'est bien au prédicateur que peuvent s'appliquer ces paroles des

* Proverbes : L'bomme recueillera des fruits de sa bouclie une abon-

* dance de biens. De frucluoris sui homo satiabitar bonis ^. En effet, *il retire de l'exercice de la prédication quatre avantages inappré- *ciables.

* Il y trouve son instruction. Appliquez-vous, disait saint Paul à *Timothée, à vous instruire par l'étude des bons auteurs pour pou- *voir ensuite instruire les autres : Attende lectioni^ exhortationi'^ .

* En enseignant les autres, vous deviendrez un bon ministre de Jésus-

* Christ, parce qu'en remplissant cette fonction vous vous nourrirez *des enseignements de la foi et de la saine doctrine, vous vous les

* incorporerez comme la nourriture s'incorpore en nous : Hxcpro-

* ponens fmtribiis, bonus eris minisler Christi Jesii, emUritus verbis *fidei et bonx doctrinx '. C'est en effet une nécessité pour le préJI-

* cateur d'approfondir les vérités qu'il doit enseigner, les endroits *de la sainte Écriture qu'il doit expliquer, et les auteurs qui ont le

* mieux écrit sur ces beaux sujets. Or, quoi de plus heureux pour le

* prêtre que celte nécessité de s'instruire, celte sorte d'impossibilité

* d'ignorance? Après qu'il aura prêché successivement sur toutes les

* vérités de la religion, il devra les connaître toutes à fond, n'eût-il *fait qu'apprendre sur chacune d'elles les sermons d'autrui.

* 2"Le prédicateur trouve dans son ministère de puissants moyens

* de sanctification. Car, pour bien prêcher, il ne suffit pas d'étudier; *il faut, par de sérieuses méditations, se pénétrer de ce qu'on doit

« Prov., XIII, 2. 3 r Tim.. iv. ^ l Tiin.. iv, 0.

EXCELLENCE DE L\ PnÉDlC.UION. 2t

* dire, en acquérir une foi vive, un senliment profond : or, cet exer- *cice est éminemment propre à le faire avancer dans la vertu. En

* cherchant à pénétrer et à remplir les autres, il e^t facile de se péné-

* trcr et de se remplir soi-même : Qui inebviat, ipse qnoque inehria- *bitnr^, de s'ajtpliquer ce qu'on leur dit*, de s'animer en les ani-

* maiit, et ainsi de se sauver en les sauvaut, selon la remarque de

* l'Apôlre : Hoc faciens, teipsum salvum faciès^ et eos qui te audiunt^. *Aiis:>i plusieurs maîtres delà vie spirituelle, et en parliculier saint

* Ignace, conseillent-ils aux prédicateurs de traiter en chaire, par

* préférence à tout autre sujet, si la circonstance le permet, les ma-

* liéres qui reviennent le mieux à leurs propres besoins.

* 7}" Le prédicateur reçoit dés cette vie les plus douces récompenses

* de son zèle. Car quelle consolation pour Je pasteur fidèle à instruire,

* de voir les âmes dont il est chargé ramenées au devoir et à la piélê.

* Ce sont des enfants qu'il a engendrés, et qu'il peut avec confiance

* présenter au Seigneur. Ils l'entourent de leur reconnaissance comme

* de leur respect, et ces sentiments s'accroissent chaque jour de tout

* leur amour pour la vertu, comme leur amour pour la vertu s'accroît

* de tout l'amour qu'ils portent au pasteur. Celui qui ne dispense pas

* au peuple le pain de la parole est sans considération dans sa pa-

* roisse, parce que tout le monde sent qu'il manque à son devoir :

* Qui abscondit frumenta maledicetiir à populia'*; mais le bon pas-

* teur qui prêche exactement est estimé de tous, on croit à son nié- *iite, plus encore à sa vertu; c'est un bienfaiteur, un père qu'on *aime à consulter dans ses peines et ses doutes; et, quand il parle,

* on recueille toutes ses paroles avec un religieux respect. N'est-ce

* pas la plus douce récompense qu'un bon prêtre puisse recevoir

* en ce monde, et l'accomplissement de l'oracle del'Esprit-Saint ; Vir peritns multos crudivit el aninne sux suavis est^l

* 4" Des récompenses meilleures encore lui sont assurées pour

* l'éternité. L'Esprit-Saint les décrit avec une merveilleuse magni-

* ficence d'expression : Qui ad justitiam erndiu7U multos, fulge-

* Imnt quasi sUdlx in perpétuas xlernitates^... Qui feceril et do-

* ciierit, hic rnaqnus vocubitiir in regno cœlorum'^ ; et les docteurs

* enseignent que les saints prédicateurs auront dans le ciel une ■* gloire proportionnée au nomjjre de ceux qu'ils auront évangé-

1 l'rov., XI, '25. * Voyez Rodri^riirz, toino IV, \" Iraih", cli. vi, vl Cli'innit d Alox., liv. 1 (les Slioiiiates. '• I Tiin., iv, It). * l'iov., ii, '2<i. ■' Kccli,, xxxvii. $C-- ^ iJaiiit-'l, xii, 5. '' Miillli., v, l'J.

22 TRAITE DE LA PREDICATION.

* lises. Ces âmes qui leur devront le salut chanteront leurs louan-

* ges, leur formeront comme un cortège d'honneur*, et Dieu déco-

* rera leur tète d'une couronne magnifique et d'une auréole de

* gloire^, conformément à ces paroles de l'Apôtre : Qux est noslra

* spes aut corona glorix? Nonne vos^... qaiidium meum et co-

rona mea

49

CHAPITRE II

De la nécefssité de la Prédication.

Tout ce que nous venons de dire sur l'excellence du ministère de la prédication devrait suffire à un prêtre animé de l'esprit de son état pour lui inspirer le zèle de cette fonction et le rendre fidèle à s'en bien acquitter ; mais comme la matière est si importante et in- téresse à un si haut degré la gloire de Dieu et le salut du prochain, nous établirons, l'obligation de prêcher imposée à tout pasteur des âmes; nous exposerons, 2" l'étendue de cette obligation ; nous démontrerons la futilité des prétextes qu'on allègue pour l'éluder, et enfin, nous examinerons jusqu'à quel point les prêtres qui n'ont point charge d'àmes sont tenus de prêcher.

ARTICLE 1.

DE l'obligation DE PP.ÊCnER, IMPOSÉE A TOUT PASTEUR ifES AMES.

Tout pasteur doit trouver cette obligation écrite dans son cœur : car, pour peu qu'il ait de charité, comment laisser périr sous ses yeux, par un silence coupable, des ouailles qu'il a mission de sauver, sans se mettre en peine de les arracher, par des instructions exactes et soignées, à l'ignorance, au vice, à l'enfer, pour les rendre à la vertu et au ciel, le légitime héritage des enfants de Dieu? Mais toute-

* Ilomél., XVII de S. Grégoire, sur le ch. xsv de S. Matth., in mcdio. ^ IJug. Gard, in cap. xn Dan. S. Thom., suppL, q. xcvi, arL 7 ^V Tl:css , ii, 19. * Philip., IV.

•NÉCESSITÉ DE I.A pr.ÉfjICATION. 23

fois, comme l'homme est si enclin à se faire illusion sur les dcToirs les plus évidents, dès qu'ils le gênent, nous établirons les deux pro- positions suivantes : la première, que la prédication est en tout temps un devoir rigoureux pour tout pasteur des âmes; !a seconde, que ce devoir est aujourd'hui plus pressant que jamais.

PHEMIÈRE PROPOSITION. La prédication est en tout temps tin devoir rigonreox pour tout pasteur des âmes '.

En effet, si nous ou\Tons l'Ancien Testament, nous voyons que les pasteurs y sont appelés des sentinelles destinées à avertir le p'juplc de Dieu de ses devoirs, à lui dénoncer les malheurs qui le menacent s'il est infidèle; et l'Esprit-Saint frappe des plus terribles analhèrnes ceux d'entre eux qui négligeraient cette divine mission : Speculatores ejus cseci... Canes muti non valentes lutrare^... Speculntorem dedi te domui Israël; si non fuerin locutus ut se custodial impius à via sud, sanguinem ejus de manu tud requiro-m'", paroles auxquelles ssint Paul faisait sans doute allusion quand il disait aux Éphésiens : Mun- dus sum à sanguine omnium; non enim subterfugi quominiis annun- tiarem omne consilium Dei vobis ; per triennium non cessavi mm lacrymis monens uniimquemque vestrûm *. Sur quoi le droit canonique fait cette remarque : Mundus à sanguine eorum non esset^ si eis Dei consilium annuntiare noluisset, quià cum increpare delinquentes no- luerit, eos procul dubio tacendo pastor occidit^. Évidemment donc, d'après l'Ancien Testament interprété par saint Paul et par le droit canonique, le pasteur répondra, âme pour âme, de toutes les ouailles qu'il n'aura pas suffisamment instruites. Si de nous passons au Nouveau Testament, nous y retrouverons la même doctrine claire- ment enseignée. Car ce n'est pas seulement aux apôtres que Notre- Seigneur a dit : Prsedicate Evangelium omni creaturx^... docete omnes gentes'; le concile de Trente déclare que ces paroles regardent tous ceux qui ont charge d'âmes : Pnecepto divino mandatum est omnibus qnibus animarum cura commissa est, oves suas... verbi divini prsedAcatione... pa.^cere^, et le contexte de l'Évangile nous le dit assez clairement : car Notre-Seigneur parle ici à un corps de

* Voyez Habert, de Ordine, c. v, §12. Pastoral de I.imog^^?, i. II. lit. (I.

CoUft, Dfîvoirs d'un pasteur, v. Jliroir du Ck rf';, t. II. Le Guide de

ceux qui annoncent la parole de Dieu, iiv. 111, specialiUs, p. Ô7J et ST."!;.

* Isaï, Lvi. s Ezech., xxxni. * Act. Apost., xxi. » Di.'t. xmii, c. Epliesiis.

* .Marc, XVI. "^ Matth.. xxviii. » Scss. xxiii, c. i. de l'.eform.

24 TRAITÉ DE LA PIIÉDIGATION.

pasteurs qui doit durer jusqu'à la fin des siècles, puisqu'il leur dit : Ecce ego vobiscum siim omnibus diehus usque ad consnmmationem sxculi : c'est doue aux successeurs perpétuels des apôtres qu'il s'a- dresse; et à quels successeurs? Ce n'est pas aux évèques seuls, puis- qu'ils ne peuvent pas se multiplier dans chaque paroisse de leur diocèse pour prêcher; c'est donc aux pasteurs du second ordre, établis dans ces mêmes paroisses pour remplacer l'évèque ; c'est à eux qu'il dit : Docele. Aussi quand le grand Apôtre, cet excellent in- terprète de l'Évangile et des volontés de son Maître, énumère les grâces que l'Esprit-Saint répand dans l'Église, il joint ensemble comme inséparables la qualité de pasteur et celle de docteur : Alios vero pastores et doctores^, selon la belle remarque de saint Thomas, qui ne fait en cela que suivre saint Jérôme et saint Augustin : Sub eodem addit pastores et doctores ad ostendendum quod proprium offi- ciuni pastonim Ecclesise est docereea qux pertinent adfuk'yn et bonos mores-; et quand il veut inculquer à Timothée l'obligation de prê- cher, il emploie, pour mieux la lui taire sentir, les instances, les protestations, tout ce que le langage humain a de plus énergique, et il en appelle même au tribunal de Dieu et de Jésus-Christ qui doit juger le monde : Testificor coràm Deo et Jesu Christoquijudicaturus estvivos et moi'tiios, prœdica verbum, insta opportune, importuné; argue, obsecra, increpa inomni patientiâ et doctrina" . Or, demande saint Augustin, quel est celui qui, après avoir entendu une exhorta- tion si pressante, n'apportera à la prédication tout le zèle et tous les soins que demande l'Apôire? Quel pasteur, après de telles paroles, serait assez osé pour négliger le devoir sacré de l'instruction : Qids hxcaudiens ab hâc diligentiâ et instantiâ conquiescat? Quis sub hâc testificatione segnis esse audeaf^'l

Celte même obligation a été promulguée dans tous les siècles de- puis l'origine du christianisme. Les canons apostoliques ordonnent d'excommunier le prêtre qui n'instruit pas, et s'il ne se corrige point, d'en venir à la déposition : Presbyter qui negligentiùs circà populum agit neque in pietate eos erudit^ à communione segregetur : si verô in socordiâ perseveraverit, deponatur'. Saint Basile appelle un tel prêtre un homicide : Cuidocendi munus commissum est, si is annun- tiare 7ieglexerit , perindè ac homicida judicatur^. Saint Grégoire dit dans le môme sens : Tôt occidimus, quot ad mortem ire quotidiè

» Eph., IV, 11. - s. Thom., in Ep. ad Epli., vu. "'H Ynn., iv. * Lib. I, contr. Crescent., c. vi, n. 8. ^ Can. lvii ^ p,eg. brcv., 'ii.

^ÉCESS1T1•: DE LA PREDICATION. 25

tepidi et taccntes videmus, quià peccatum sxihditi, culpa prsepositi, si taciœrit, vepiUaturK Saint Chrysoslome va plus loin encore; il pro- nonce que le silence du pasteur est pire que l'homicide, parce que l'homicide ne fait mourir que le corps, et la négligence à instruire entrahie la mort éternelle des âmes : Quantum melior est anima quàm corpus, tantà gravins peccatiim animabiis laborantibus spiri- tuales eleemosynasnon prxstare quàm. corpoiibiis corporales... scian^ pastores quantum bealitudinis sibi acquirant si diligentes fuerint circà verbum Dei, et quantum damnationis si fuerint négligentes^. Saint Isidore de Séville dit de même : Sacerdotes pro populorum ini- quitate damnantur, si eos aut ignorantes non erudiant, aut peccantes non arguant'. De ces prescriptions des conciles : Oportet, dit le M" concile général^ eos qui prœsunt ecclesiis, omnibus quidem die- bus, sedprxcipuè diebus dominicis, omnem clerum etpopulum docere. Omne opus eorum, dit le IV^ concile de Tolède, in prxdicatione et doctrinâ consistit'^. Ad evangelizamlum missi sunt parochi, dit le 1" concile de Cologne ; vx ergo illis si non evangelizaveriyit. A la suite de tous ces conciles vient le concile de Trente, plus explicite encore et plus énergique : Curam animarum habentes, dil-il au chap. II de la v'^ sess., de Reform., per se vel alios idoneos, si légi- timé impediti fuerint, diebus saltem dominicis et festis solemnibus plèbes sibi commissas, pro siuî et earum capacitate pascant saluta- ribus verbis... Si quis eorum prxstare negligat, per censuras eccle- siasticas cogantur; paroles qui révèlent ici une obligation grave, puisqu'on ne peut infliger les censures que pour une faute mortelle. Non content d'une injonction si formelle, le saint concile revient encore sur ce sujet dans la xxii^ session, chap. xiii, de Sacrif. Missae : Mandat sancta synodus pastoribus et singulis curam animarun ge- rentibus, ut fréquenter inter missarum celebrationem vel per se vel per alios... aliquid cxponanl... diebus prxsertim dominicis et fes- tivis. Enfin, à la xxiV" session, ch. vn, de Reform., il ajoute : Prx- cipit sancta synodus... ut inter missarum solemnia aut divinorum celebrationem sacra eloquia et salulis monita... singulis diebus festis explanent, eademque in omnium cordibus... inserere aiqueeos in lege Domini erudire studeant. Or, ces canons ont été adoptés et publiés par les conciles des diverses provinces en France, de Rouen en lôî^l, de Bordeaux en 1585, etc., et sont devemis la base des statuts de

1 HciiTi. XII, in Ezccli. - Honi. liv, in c. xxv S. M;iltli. ^.^ciil. lil). III. * C. XIX. '' C. XXV, can. i.

2r, TRAITÉ DK LA PRÉDICATION.

tous les diocèses. 11 n'i'st donc point d'article du droit ecclésiastique plus solidement établi, plus universellement vénéré.

Du reste, la raison seule, é(;lairée par la foi, suffirait pour dé- montrer cette obligation. Car tout pasteur doit à son troupeau de le nourrir : Pastor à jjasceudo; et la nourriture qu'il faut à l'esprit et au cœur de l'honime, c'est la parole de Dieu : Non in solo pane vivit Jwmo, scd in omni verbo quod procedit de are Dei\^. En prenant charge d'âmes, le pasteur s'est engagé à donner aux fidèles confiés à ses soins les secours nécessaires pour les sauver, puisque le salut €st la fin essentielle du ministère pastoral ; or, l'instruction leur est doublement nécessaire : nécessaire, parce que, les uns ne sachant pas lire, les autres ne sentant pas l'importance d'apprendre, et manquant ou de bon vouloir, ou de temps, ou d'intelligence, il n'est point pour eux d'autre moyen d'acquérir, en matière de re- ligion, les connaissances suffisantes au salut ; nécessaire encore, parce que la volonté humaine, si faible pour le bien, si fortement inclinée vers le mal, a besoin d'être avertie, cxliortée, pressée; et si on la laissait à elle seule, elle négligerait bientôt fous ses devoirs. Ici donc s'applique dans toute son énergie la parole de l'Apôtre : Fidcs ex auditu, aiulitns autan fer verhnm Christ i... qaomodo au- tem aiidient sine prxdicante'^2 Le pasteur qui n'instruit pas manque donc à la première de ses obligations envers son peuple : c'est un parricide, disent les saints, puisque comme pasteur il est le père de son peuple, et que, d'après une maxime de droit, ne pas nourrir son enfant c'est le tuer, autant que si on l'étouffait : Necnre vide- tur non solhm qiix partum prœfocat scd qux alimenta denegat. Crime horrible qui ne perd pas seulement une âme, mais une pa- roisse tout entière, et cela quelquefois pour plusieurs générations, parce que l'ignorance une fois établie, les peuples n'attachant plus aucun intérêt à ce qu'ils ne connaissent pas, ignoti nulla cupide, ne veulent plus entendi'e parler de la religion, et résistent à tous les efforts du zèle qui voudrait réparer le mal. Telle est la gra- vité de cette faute, que c'est de la part du pasteur un péché de lèse-société : la société chrétienne l'a placé pour instruire au poste qu'il occupe : dans son plan, chaque cure est une école fondée pour enseigner les vérités et les vertus chrétiennes , le pasteur est le maître de celte école, les paroissiens en sont les disciples. S'il n'y donne pas exactement ses leçons, il trompe la confiance de l'Église

» Jlatlh., IV. - r.oia., x, 17.

iSECESSITÈ DE L.V PRÉDICATION. 27

et de la société; il pèche contre la probité et la justice, comme le professeur de science ou de belles-lettres qui garderait le silence dans sa classe, avec celte différence, que la faute du pasieur qui n'instruit pas surpasse celle du professeur qui ne donne pas ses leçons, de toute la distance qui existe entre l'importance des vérités religieuses et l'importance des connaissances scientifiques ou lit- téraires ; c'est-à-dire qu'il se rend coupable envers les particuliers dont il cause la damnation éternelle, envers la société qui attendait de lui cette garantie de paix et de sécurité que peuvent seules donner 'es doctrines religieuses, envers l'Église, dont il laisse périr la foi, dont il fait mourir les enfants. Si, après cela, il ose percevoir le traitement que la société ne lui alloue, comme au professeur public, qu'à la condition de leçons exactement données, ne doit-il pas se dire au fond de sa conscience, comme ces pasteurs dont parle saint Grégoire : Quid nos, ô pastores, aginius^ qui mercedem con- sequimur et operarii nequaquàm suvius? Fnictus Ecdesix percipimus et pro Ecclesiâ minime in prxdicatione laboyavuisK Une telle prévarication est une offense directe et immédiate de Dieu lui-même. Car Dieu, en rétablissant pasteur, l'a constitué son ambassadeur auprès du peuple qui lui est confié : or, tout ambassadeur est obligé à notifier les volontés de son maître ; il prévarique s'il ne le fait pas, et est responsable des maux qui sont la suite de son coupable silence. De même et au même titre, Dieu l'a établi gardien de la re- ligion et de la vertu dans sa paroisse : or, s'il n'instruit pas, il est un gardien infidèle ; et selon la désolante prédiction du Prophète qui disait : Lexpcribit à sacerdote'^, il laisse périr la religion et la vertu dans la portion de l'Église commise à ses soins. Car c'est un fait d'expérience que la prédication est négligée, la foi se perd, les sacrements sont abandonnés, les solennités désertes ; on ne sait ni se confesser ni prier; tous les vices se débordent, et les mœurs se dépravent en proportion de l'ignorance : Non est scientia Dei in terra; maledictio, et mendacium, et homicidiam, et furtum, et adulteriiim iniindaverunt ^.

De toutes les preuves que nous venons d'exposer, on peut inférer combien est exacte cette conclusion de Médina, qui en cela est d'accord avec tous les théologiens : Advertant quiciimque in Christi Ecclesiâ ad pastoralis officii dignitatem assnmpti siint, ad apostoli- cum prxdicatioms munusexercrndiim naturali, diviaoct ccdcsiasLico

* Iloiri. XVII, in Evanj;. * Ezccli., vu, '20. ^ Osi'e, iv, 2.

28 TRAITÉ DE I.A PREDICATION.

jure ità esse constrictos iit,nisi id diligenter explevennt, cerlimsub- ituri sint ârmuationis sitpplichim ; et combien encore sont justes ces analhèmes du pope Nicolas dans sa lettre à l'empereur Michel : Dispensatio cœlestis seminis nobis crédita est : vx si non spar- serimus, vx si taciierimus, vx nobis qui ministerii opus suscepimus, si Domini veritatem quam Apostoli prxdicaveriint, prxdicare ne- glexerimus!

* DEUXIÈME PROPOSITION.

* Le devoir de la prédication est plus pressant aujourd'hui que jamais pour tout

,* pasteur des âmes.

* Kn effet, plus il y a pour les fidèles, d'un côté difficulté de s'in-

* struire, de l'autre profonde ignorance, plus il y a pour le pasteur

* dt'voir pressant de ne pas négliger la prédication. Or, cette dif-

* flculté de s'instruire et cette ignorance sont plus grandes aujour-

* d'iuii que jamais.

* Âulrefois on s'instruisait en famille, on y parlait volontiers le

* langage de la religion, et par on apprenait ce que l'on ne savait

* pas, et ce qu'on savait on ne l'oubliait pas : aujourd'hui les tradi-

* lions et l'enseignement de famille n'existent plus ; on laisse au

* pasteur le soin de parler de la religion, et on ne se réserve, au "* moins dans un grand nombre de familles, que la liberté de la

* blaj^pliémer, de la tourner en ridicule et d'en violer les préceptes.

* Autrefois la religion était la première des sciences qu'on enseignait

* dans les écoles et les collèges; aujourd'hui elle est à la dernière

* place, et souvent même on n'en parle que pour jeter dans

* les esprits des objections et des préjugés contre elle. Autrefois on

* s'instruisait à l'église en écoutant les prédicateurs, parce que la

* science qu'on avait de la rehgion mettait en état de les compren-

* dre; aujourd'hui on est si ignorant, que tous les sermons qui ne

* sont pas une expUcation élémentaire de la doctrine ne sont pour

* plusieurs auditeurs que comme un assemblage d'énigmes. Autrefois

* on s'instruisait en particulier, parce qu'on attachait un grand prix

* à connaître sa religion ; aujourd'hui l'indifférence, qui glace les

* esprits et les cœurs, a introduit des dispositions toutes contraires ;

* l'étude de la religion a été prise en dégoût et mise au rang des oc-

* cupations puériles et surannées.

* Aussi l'ignorance en matière de religion n'a-t-elle jamais été

* aussi profonde et aussi générale. La plupart des hommes qui

M'fIF.SSITF DE LA rriL,DlC\llo:v. 29

* composent aujourd'lini la société en France, quelles que puissent

* être leurs lumières sur d'autres points, n'ont que des connais-

* sauces trèsi^superficielles et pleines de préjugés sur la religion :

* ils en ignorent jusqu'aux éléments, et ne savent que les objections

* et les blasphèmes vomis contre elle. Ceux-là même qui l'ont ap-

* prise autrefois, trouvant dans ses maximes et ses pratiques la

* condamnation de leur vie déréglée, cherchent à l'oublier, à ne

* pas la croire, et en viennent à bout^ H y a plus : un grand nombre

* de fidèles, même parmi ceux qui fréquentent les sacrements,

* ignorent les vérités dont la connaissance est nécessaire, soit de

* nécessité de précepte, soit même de nécessité de moyen. C'était

* la remarque que faisait Bossuet dans son temps : « Elle est fort

* « grande parmi les fidèles, disait-il, la troupe de ceux qui pé-

* « rissent faute de connaître la religion, et ce ne sont pas seule-

* « ment les pauvres et les simples, dépourvus des moyens d'ap-

* « prendre, mais les puissants, les riches, les grands et les princes

* « même qui négligent presque toujours de se faire instruire de

* « leurs obligations particulières et des devoirs communs de la

* « piété chrétienne, et qui tombent, par le défaut de cette science,

* « pêle-mêle avec la foule dans les abîmes^. » Or, si l'ignorance de

* la religion perdait tant d'âmes au temps de Bossuet, que doit-ce

* être aujourd'hui après tous les ravages de l'impiété déchainée sur

* la France depuis plus d'un demi-siècle? Combien l'ignorance est-

* elle plus profonde et plus générale ! Le mal en est au point qu'un ■* grand nombre de chrétiens, même assidus à l'église, quand on les

* presse par des interrogations, se montrent assez ignorants pour

* répondre que Dieu n'a pas toujours exjsté, que le ciel, le soleil et

* la terre existent de toute éternité, que dans la Trinité, le Père

* existait avant le Fils, qu'il a un corps comme le Fils, que les trois

* personnes ne font qu'une seule personne, que c'est le Père ou le

* Saint-Esprit qui s'est fait homme, que le corps de Jésus-Christ est

* éternel comme sa divinité. Combien parmi eux n'ont pas la moindre

* idée de la foi, de l'espérance, de la charité ! La foi est, à leur avis,

* une sinifde opinion; ils pensent que tel article de foi est vrai,

* pourquoi ? on le leur a dit, ils n'en savent pas davantage. L'es-

* Voyez la Confcrcnce de M. de Fi-nyssinous sur les causes de nos erreurs et le discours i)réliiuiiiaire du (latécliisiue historique de Floury.

'•* Sermon m jiour le premier Dimanclie de carême sur la prédication. lie- rioît XIV i-emarcjuait aussi de son temps la nirme ij^^noraiiee de la relii;ion. Voyez le Guide de ceux qui annoncent In parole de Dieu, p. 370.

ÔO THAITÉ DE U PRÉDICATION.

* {)t'«j;incc, ils rapprécicnt si peu, que s'il dépoiidait d'eux de vivre

* loMJoui's sur la terre, ils conseiiliraienl bien volontiers à se passer

* du ciel. L'amour de Dieu pour lui-même, quoique cet amour

* soit d'obligation, est une chose qu'ils ne soupçonnent pas, et

* l'amour surnaturel du prochain ne leur est pas plus connu. Com-

* bien enfin sont incapables, par le fait seul de leur ignorance, de

* recevoir validement une absohuion, ne connaissant pas plus la

* contrition, ses qualités et ses motifs que les dogmes de la foi? Or,

* en présence d'une telle calamité, qui ne sent combien est pres-

* sant, pour un pasteur, charsié du salut des âmes, le devoir d'ac- *complir la parole de l'Esprit-Saint : Labia sapicntium dissemina-

* hunt sdentiam^l

ARTICLE 2.

jusqu'où s'étend l'obligation de prêciîeu ".

1" Tout pasteur est obligé à faire ce qui lui est moralement pos- sible pour instruire tous ses paroissiens de toutes les vérités dont la connaissance est nécessaire, soit de nécessité de moyen, soit de néces- sité de précepte, de telle sorle qu'on ne puisse lui imputer l'igno- rance où serait un seul d'entre eux de quelqu'une de ces vérités. Si, en effet, les fidèles sont obligés sub gravide connaître tous ces points de doctrine, le pasteur, par une obligation corrélative, est tenu de les leur enseigner de manière qu'ils les sachent, s'ils ont bonne volonté : autrement, Dieu, en les obligeant à les savoir, leur ferait un commandement impossible, puisque la plupart d'entre eux n'ont d'autre moyen de les apprendre que l'enseignement de leur pasteur. Par conséquent, tout pasteur des âmes est responsable, devant Dieu, de l'ignorance serait sa paroisse de ces dogmes essentiels ; et il n'a droit de se rassurer qu'autant qu'il peut se dire, la main sur la conscience : Si quelqu'un de mes paroissiens ne connaît pas ces vé- rités; si chaque année, à l'époque des Pâques, quelque absolution se trouve nulle par l'ignorance du pénitent ; si, ce qui est plus affreux à penser, quelque moribond reçoit une absolution inutile, parce qu'il ne sait pas les principaux mystères ou les conditions de la con-

1 Prov., XV, 7. 2 Collet, Devoirs d'un pasteur, c. v, n" 5, 8, 9, 10. Be- noît XIV, do Synod., lib. IX, c. xvii. BuUar., t. I, Cnnslit. 42, iustit,. U, 10, 72. Segneri, c. v. Le Guide de ceux qui annoncent la parole de Dieu, p. 360 et suiv.

NECESSITE-DE LA PREDICATION. 51

trition, ce n'est pas à moi la faute; j'ai expliqué toutes ces choses assez clairement, assez souvent, pour que personne de bonne volonté ne puisse les ignorer.

2" De ce principe, on doit conclure qu'il faut prêcher souvent. C'était l'avis de saint François Xavier : « Faites des instructions au peuple, (( le plus souvent que vous pourrez, écrivait-il à ses compagnons ; il « n'est point de fonction d'une utilité plus universelle pour la gloire « de Dieu et le salut des âmes. » Saint François de Sales pensait de même : « Croyez-moi, disait-il à M. de Belley, on ne prêchera jamais « assez : Numquam satis dicitiir quoi minqiiam satis discitur. » Et celte conviction était si profonde dans saint Liguori, que non-seule- ment il ne manquait aucune occasion d'instruire son peuple, mais encore il donnait par lui-même ou faisait donner par ses prêtres, des missions fréquentes dans toutes les paroisses de son diocèse, et des retraites plusieurs fois chaque année.

o" De cette conclusion générale descendant à des conclusions par- ticulières, nous établissons avec le concile de Trente que tout pasteur, s'il n'a un empêchement légitime, est tenu de prêcher au moins tous les Dimanches et tous les jours de fêtes solennelles : Dielms saltem dominicis et festis solemnibus ^ et même tous les jours pendant l'avent et le carême, ou au moins trois fois la semaine , si le peuple a besoin de cette instruction héquente et veut venir l'entendre^.

Les théologiens conviennent que la loi du concile de Trente, ou plutôt le droit divin dont elle est l'inlerprète, n'oblige pas siib gravi pour chaque Dimanche ou chaque fête en particulier. Mais quel est le nombre précis de Dimanches l'on ne peut omettre la prédica- tion sans qu'il y ait péché mortel? Ceci est assez difficile à déter- miner, et, en cette question comme en bien d'autres, il n'y a souvent que Dieu qui sache la limite rigoureuse qui sépare le mortel du véniel. Le pasteur qui méditera au pied du crucifix le principe posé en têle de cet article, ne s'enquerra guère de cette solution, il instruira le plus qu'il pourra, et craindra toujours de n'avoir pas assez instruit. Quant à ceux qui voudraient une délerminalion précise, nous leur répondrons : !• que le concile de Trente, par cela même (juil oi"- donne à l'évêque de sévir par les censures ecclésiastiques contre le pasteur qui laisserait passer trois mois dans une année sans instruire', déclare que cette omission est surfisanle poui'un péché mortel, puis- qu'il n'y a qu'une faute mortelle qui puisse être irappée de censure.

* Scss. V, 2, (le Ilefunin. - Sess. xxiv, c. iv, de Heîonri. ^ Siss. v, c. ii.

32 TRAITE DE LA PRKDIGATION.

Nous répondrons, qu'au jugement des théologiens, il n'est pas requis, pour qu'il y ait péché mortel, qu'on omette la prédication pendant trois mois de suite ; il suffit qu'on l'omette la valeur de trois mois dans le cours d'une année, c'est-à-dire treize Dimanches, sans y coniprendre toutefois ni les six semaines ou deux mois destinés à la moisson ou aux vendanges, pendant lesquels Tévèque peut per- mettre la suspension des instructions, ni les cas de légitime dispense dont nous parlerons à l'article suivant; d'où l'on peut conclure quelle serait l'erreur de celui qui croirait pouvoir se contenter de prêcher tous les quinze jours, puisqu'alors il laisserait passer par le fait six mois ou la moitié de l'année sans instruire. Nous répondrons, 5" que laisser passer un mois de suite sans prêcher, hors le temps des va- cances, c'est, au jugement d'un grand nombre de théologiens, matière suffisante pour un péché mortel. A l'appui de ces diverses assertions, nous pourrions citer Navarre, Azor, Antoine, Collet, Bonacina, saint Liguori, Mgr Bouvier : nous nous bornerons à citer les trois derniers. Bonacina s'exprime ainsi dans son Traité du Décalogue * : Ego arhi- tror morlaliter peccare si uno intégra mense continiio, aut ctiam si duobus vel tribus mensibiis totius aniii discontinuis non concionentur, quia hxc videtur materia gravis, non solîim secundkni se , verùni etiam respective. Saint Liguori, qui n'a pas la réputation d'être trop sévère, parle dans le même sens, avec cette différence qu'il affirme que tel est le sentiment commun des docteurs : Doctores a(lîrniant graviter peccare parochum qui per mensem continuum, aut per très menses discontinuos concionari omittit, exceptis duobus mensibus in quibus permittit conc. Trident, parochis, ex justd causa ab episcopo approbandâ, posse licite abesse^ ; et ailleurs il prescrit aux confes- seurs d'interroger les curés dont ils dirigent la conscience, s'ils ont été exacts à prêcher chaque Dimanche : Etenim, ajoute-t-il, paro- chus, cum non est légitimé impeditus, omittendo concionari per men- sem continuum., aut très menses discontinuos intrà unnum, à docto- ribus non excusatur à gravi culpâ^. Enfin, Mgr Bouvier, dans son Traité du Décalogue *, dit en termes semblables ; Graviter peccant pafochi qui tribus mensibus anni etiam discontinuis per se vel per alios non concionanlur, et il ajoute : Ità sentiunt omnes theologi, etiam meliores. Quelque instruits qu'on suppose les paroissiens, la faute du

4

* De .'î" Prœcept., § 2, n. 51. - Praxis confess., n. 21)5. s Praxis con- fess.,n. 52. * De Prœcept., p. 520.

NÉCESSITE DE LA PREDICATiON. 33

pasteur qui ne prêche que rarement n'en est pas moins un péché nioi'tel, suivant ces paroles de Barbosa^: Qui rarb concionantur ^ peccant moitaliter, etiam prxcisâ gravi necessitate populi. £t la raison en est que ceux qui sont instruits de la religion Toublieraient bientôt si l'on n'entretenait leiu^s connaissances par des instructions liéquentes; et que, quand même ils ne l'oublieraient pas, ils auraient besoin d'être exhortés à pratiquer ce qu'ils croient, et à combattre la tendance au relâchement, qui dégoûte notre nature du bien et la prédis|)0sc au mal ; car toujours cette tendance malheureuse demeu- rera dans l'homme et y fera des ravages ; toujours il y aura des vices à déraciner, des scandales à réprimer, des âmes tiédes à réchauffer, des volontés faibles à fortifier, des pensées de foi à réveiller; toujours par conséquent la prédication sera nécessaire, quelque instruits qu'on suppose les paroissiens. Lorsqu'ils sont ignorants, l'obligation devient double, si Ton peut ainsi dire, et croît en proportion de l'i- gnorancie, au point que si, dans telle paroisse le peuple est in- struit, il y a péché véniel à omettre la prédication un certain laps de temps, il pourra y avoir péché mortel à l'omettre pendant un temps semblable dans une paroisse règne l'ignorance. C'est à la sagesse des évêques à apprécier ces besoins respectifs des peuples, et à prescrire en conséquence le nombre des prédications strictement oblig.itoires. Dans le diocèse de Bordeaux, il y a suspense ipso facto contre tout prêtre qui laisserait passer trois Dimanches dans un mois sans instruire, et obhgation, mais non sous peine de censuie, de prê- cher tous les Dimanches, à moins d'empêchements légitimes, excepté seubment six Dimanches dans l'année, au temps de la vendange ou de la moisson. Toutefois encore alors, pour ne pas laisser le peuple sans instruction, il est prescrit de lire le prône du Rituel, qui est un abrégé do la doctrine chrétienne.

Bonacina enseigne qu'une fois qu'un pasteur a omis la prédi- cation assez de Dimanches pour constituer un péché mortel, il pèche ensuite mortellement chaque Dimanche qu'il laisse passer sans in- struction, parce (jue, dit-il, Obtigatio concionandi non est nffixa diei, itri ut transeul cum ipso die ^ Tlus il a lardé à prêcher, plus l'obli- gation de le faire devient pressante le Dimanche suivant. De cette observation comirie de celles qui précèdent, il suit que le prêtre, dans cet état de négligence, ne peut être absous par aucun confes- seur, puisqu'il est dans une habitude de péché mortel, et ({u'on ne

* De Oliic. [larocli., p. 1. c. vi, ii. 8. - De l'iicccpl., § 2, ii. 32.

3

54 TRAITÉ DE L\ PREDICATION.

poul pas supposer eu lui la boune foi ou l'iguorauce iuvinoible sur un

devoir aussi claireinonl et aussi souvent promulgué.

7" Selon Mgr Bouvier % les vicaires (jui, sans en être légilimement empêchés, ne prêchent pas à leur tour, et sont cause par qu'il s'écoule treize Dimanches dans Tannée sans instruction, ou môme seulement trois Dimanches dans un mois est admise la disci- pline (lu diocèse de Bordeaux, pèchent mortellement, parce qu'étant envoyés par l'évoque pour aider le curé dans les fonctions du mi- nistère, ils partagent par cela même la responsabilité avec lui.

8" Le Père le Jeune* recommande aux curés comme un devoir très-important la prédication à la première messe. « Âutrem.ent, dit- « il, les valets, servantes et autres qui ne se trouvent qu'à cette messe « n'apprendront jamais leur religion. » De vient que Mgr Bouvier^ déclare coupables de péché mortel les curés qui ne prêclient jamais à cette messe, et à plus forte raison ceux qui ne veulent pas y laisser prêcher leur vicaire. Il oblige même suh gravi les pasteurs à instruire dans des catéchismes privés les ignorants d'un âge avancé, que la honte ou les travaux éloignent des instructions adressées aux enfants, ou qui, à raison de leur grossièreté, ont besoin d'explications parti- culières; et il recommande de choisir pour cela le temps de la jour- née qui leur est le plus commode ; ordinairement, c'est le soir, quand tous les travaux sont finis.

Tout curé ou vicaire qui ne prêche pas de manière à se faire comprendre, soit parce qu'il emploie un genre trop relevé, soit parce que, faute de se préparer quand il le pourrait, il parle sans ordre ni clarté, est coupable comme s'il ne prêchait pas. La raison en est qu'il manque tout à fait le but de la prédication, et que, loin d'être utile aux âuies, il les dégoûte de la parole de Dieu, et met par obstacle à leur conversion future.

10° Ce précepte de la prédication fréquente n'a rien de pénible si on le comprend bien : car ce ne sont pas de longs sermons qu'on demande; celle longueur est au contraire un grand défaut, comme nous le dirons plus tard ; il s'agit seulement d'un quart d'heure d'in- struclion chaque Dimanche, sans toutefois y comprendre les caté- chismes. Qui peut dire que c'est trop exiger? C'est à peu près une heure par mois ou douze heures par an ; c'est même moins encore, à raison des vacances.

■^ De 4" Prœcept. , p. 551. 2 Pi-êface de ses Sermons, s iqco citât j, p. 330,

NÉCESSITÉ DE LA PRÉDICATION. 35

* ARTICLE 3.

" FUTILITÉ DES PRETEXTES Qu'oN ALLEGUE POUR ÉLUDER L OJJLIGATIO.N * DE Pr.ÈCUER *.

* D'après les principes posés à l'article précédent, le pasteur qui

* ne p<Hit pas prêcher habituellement doit se démettre de sa cure,

* puisqu'il n'est point permis de garder un emploi dont on ne peut

* pas remplir la première et la plus essentielle obligation. S'il ne s'a-

* gissait que de suspendre la prédication pendant \m temps assez

* long, avec l'espoir de reprendre plus tard ce ministère, le pasteur ■* pourrait conserver son titre, de l'agrément de l'évoque, mais à la "* condition de se faire remplacer dans la chaire, pour ne pas laisser

* les fidèles sans instruction pendant ce long temps. Si enfm il n'était ■* question que de quelques Dimanches en passant, et qu'une bonne ■* raison, soit locale, soit personnelle, s'opposât à une prédication

* aussi fréquente que le prescrivent les règles, il devrait demander "* dispense aux supérieurs ecclésiastiques, et, s'il ne le pouvait pas

* commodément, il pourrait user de leur dispense implicite, ou légi- ■* timement présumée, supposé que, devant Dieu, il jugeât qu'il y a

* motif suffisant. De il suit qu'on peut se dispenser de prêcher :

* pendant les vendanges ou la moisson pourvu qu'on n'étende pas

* cette dispense au delà du temps fixé par l'autorité ecclésiastique ; "* 2" dans un cas de maladie ou d'infirmité passagère qui rendrait la

* prédication impossible ou très-difficile ; lorsqu'il y a, soit ur-

* gence d'administrer un malade, soit quoique autre obstacle que

* l'autorité ec.clésiasti([ue consultée jugerait certainement une raison ■* suffisante d'omettre la prédication ce jour-là.

* Mais, en dehors de ces raisons légitimes, il est un grand nombre "* de prétextes à l'omhre desquels on aime à se déguiser ses obliga-

* tions et il est utile d'en dévoiler toute la futilité, afin qu'on ne s'y

* laisse plus tromper. On peut partager ces prétextes en trois classes : "* les uns se prennent du côté du peuple, les autres du côté du pas-

* leur, et les derniers du côté des supérieurs ou des confrères.

' Voyez Si'gnori, c. v et vi. Devoirs du Sacerdoce, jmr l'ablié Malliieu, t. III, p. 2i8. Collet, Devoirs des pasteurs, c. v. Pastorales de Limoges,

t. II, tit. H, c. III.

SO TllAITÉ DE LA rRÉDICATION.

* I. l'rétexles pris du côté du peuple.

* i'^'' Prétexte. On ne gagne rien à tant instruire ; le peuple n'en

* profite pas, et les paroisses l'on prêche souvent ne valent pas

* mieux que celles l'on prêche rarement.

* Réponse, 1" Voilà près de trois mille ans que Dieu a résolu

* celle objection par le prophète Ézèchiel^ : Si annuntiante te ad

* impium nt à viis suis convertatur, non fuerit conversiis à via sud,

* ipse in iniquitate sud morietur : porro tu animam tuam liberasti.

* Ainsi, lors même que la paroisse ne profite pas de l'instruction, le

* pasteur y gagne toujours d'avoir fait son devoir et mis son âme à

* l'abri de la justice de Dieu, qui lui demande d'avoir du zèle, mais

* non pas de réussir^ ; de semer, mais non pas de faire croître la se-

* mence; il y gagne la même récompense pour le ciel que s'il eût

* réussi, et même une récompense plus belle, puisque le travail sans

* succès est plus pénible, et par conséquent plus méritoire ; une ré-

* compense plus sûre, puisqu'il a moins à craindre que l'amour-

* propre ne l'enlève. Par conséquent, fût-il certain que la prédica-

* tion ne produira pas de fruit, il devrait prêcher également. Le

* soleil, dit saint Jean Chrysostome, ne laisse pas d'éclairer les dé-

* serts, ni les sources de couler sur les sables arides. 2" Le fruit

* de la prédication, sans être sensible au moment même l'on

* parle, n'en est quelquefois pas moins réel, et se montrera plus

* tard. On n'opère pas encore la conversion, mais on la prépare. C'est

* une semence jetée dans les âmes, il faut du temps pour qu'elle y

* germe et s'y développe. Un jour, qui peut-être n'est pas loin on en

* verra les fruits : Noli suhtraliere verbum, dit l'Esprit-Saint, si forte

* audierit et convertatur unusquisque à via sud mald'. Jamais un

* pasteur ne doit désespérer de la conversion de ses ouailles : une

* mère tendre n'abandonne point son enfant tant qu'il respire, fùt-il

* même désespéré de tous les médecins*. L'amour espère toujours et

* essaye les remèdes jusqu'à la fin. « Je n'ai pas persuadé aujourd'hui

* « mon auditeur, dit saint Jean Chrysostome^; mais peut-être le ferai- .'. je demain, peut-être dans trois ou quatre jours ou dans quelque

* « temps. Le pêcheur qui a jeté inutilement ses filets pendant un

* ft jour entier, prend quelquefois sur le soir, et au moment il

* « allait se retirer, le poisson qu'il n'avait pu prendre pendant tout

* Ezech., c. îxxiii. * Curam exigeris , non curationem, S. Bern., de Con- sid. , lib. IV, c. II. ' Jerem., c. xxvi. *Nemo desperandiis est dhm in hoc corpore constituitur. De Pœnit., dist. 7. *1" Homélie sur Lazare.

NECESSITE DE LA PREDICATION. 57

* « le jour. Le laboureur ne laisse pas de cultiver ses terres, quoiqu'il

* « n'ait pas eu de bonne récolte pendant plusieurs années; et, à la

* a fin, une seule année répare souvent les dommages soufferts pen- ■* « dant plusieurs. Il y a plus : le diable cesse-t-il de tenter chacun

* « des fidèles, parce qu'il prévoit que plusieurs seront sauvés?

* (( Voyez avec quels soins, quelle infernale persévérance, quelle

* (! détestable sollicitude il poursuit l'âme jusqu'à ce qu'on ait

* « rendu le dernier soupir : jusque-là il ne désespère pas ; et vous

* « croyez, ajoute le saint docteur, que votre évêque ne fera pas

* « pour sauver votre âme, ce que le diable fait pour la perdre ? Jé-

* (( sus-Christ savait bien que Judas ne se convertirait pas, et pourtant

* « jusqu'à la fin il voulut tenter sa conversion, lui reprochant sa

* « faute dans les termes les plus touchants : Amice, ad quid venisti ?

* « Or, si Jésus-Christ, le modèle des pasleurs, a travaillé jusqu'à la

* « fin à la conversion d'un homme désespéré, que ne devons- nous

* « pas faire pour ceux: à Tégard desquels il nous est ordonné d'cs-

* « pèrer*? » L'expérience démontre que sur le nombre des

* auditeurs, il y en a toujours quelques-uns qui tirent du fruit de

* la prédication, et qu'en somme les paroisses l'instruction a été

* soignée valent mieux que celles elle a été négligée. Si quelque-

* fois il n'y a pas plus de communions pascales dans l'une que dans

* l'autre, c'est que dans la première il y a moins de sacrilèges. *4° Enfin, quel que soit le peu de fruit de la divine parole, le prédi-

* cateur doit, au lieu de se décourager, faire servir cette stérilité

* même à son profit spirituel, et en tirer, avec un nouveau degré

* d'humilité, un encouragement puissant à devenir meilleur. Si ma

* parole a été stérile, doit-il se dire à lui-même, c'est que je ue suis

* pa§ assez saint; je n'ai ni assez édifié ni assez prié. Si à ma place

* eût prêché un François Xavier, un François de Sales, combien de

* pécheurs se seraient convertis ! Il faut donc que, cessant de me

* plaindre de mes auditeurs, je m'en prenne à moi-même, que je prie

* davantage et que je me sanctifie.

* 2" Prétexte. Il y en a si peu qui viennent entendre la parole

* de Dieu ! Cela ôte le courage de prêcher.

* Réponse. Il n'est pas juste que le petit nouibre de chrétiens

* présents soient puni;» de l'absence des autres par la privation du

* puin de la parole : le pasteur doit l'instruction à ce petit nombre

* Voyez sur le môme sujet, le seutiment de S. Frauçois de Sales dans le Guide de ceux qui aiinoncciit tu jxdoIc de l'ieu, p. 71.

58 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* aussi bien qu'à une imillitude; et n'y eùL-il qu'une seule âme à en

* profiter, elle vaut bien toute la peine que se donne le prédicateur

* pour prêcher : Jésus-Christ fit une de ses plus belles instructions

* pour une seule fennne, la Samarilaine. Et puis, est-ce quelesfontai-

* nés placées de dislance en dislance parla main delà nature cessent

* de couler lorsqu'il ne vient personne puiser à leurs eaux? Or, nous

* sommes les ruisseaux de Celui qui a dit : Je suis la source d'eau

* vive; venez à moi, vous tous qui avez soif. 11 faut donc que les

* eaux de la giàce coulent sans cesse de notre bouche, afin que si

* quelqu'un de nos frères a soif, il trouve toujours dans noire parole

* un rafraichissement contre des passions qui le dévorent. 2" Loin

* de refuser la divine parole aux petits auditoires, ce sont ceux au

* contraire oii nous devons la répandre avec plus de consolation : le

* cœur du prédicateur s'y conserve plus humble, son intention plus

* pure, et le ciel y verse plus de grâces : « Ayez une grande joie,

* « disait saint François de Sales S quand, en montant en chaire,

* « vous apercevez peu de gens et votre auditoire clair-semé. Une

* « expérience de trente ans m'a appris que la prédication fait plus

* « de fruits dans les petites assemblées que dans les grandes. » Et,

* en effet, le saint évêque prêcha un jour devant sept personnes et

* l'une d'elles se convertit.

* 5" Prétexte. Le peuple n'aime pas les prédications; il les écoute

* avec ennui et dégoût, ou plutôt il n'y fait aucune attention et

* pense à toute autre chose pendant l'instruction.

* Réponse. L'Église, qui n'a pu ignorer cette objection, ne l'a

* pas crue fondée, puisqu'elle n'en a pas moins posé la règle de

* prêcher aîi «joins tous les Dimanches et jours de fêtes solennelles.

* Saint Paul en a porté le même jugement, puisqu'il dit à Timothôe :

* Prxdica verhum, instaopportimi', importuné; c'est-à-dire, comme

* l'explique saint Césaire^ : Opportune volentihus, imporhinè nolcnti-

* bus. Enfin, Jésus-Christ et tous les apôtres ont pensé de même,

* puisque sachant bien que beaucoup de Juifs n'aimaient pas leur

* prédication et ne l'écoulaient mêine qu'avec dépit, ils n'en ont pas

* moins prêché. Et, en effet, si quelques auditeurs ou même le plus

* grand nombre sont distraits ou dégoûtés, tous ne le sont pas, et il

* serait injuste que ceux-ci portassent la peine delà faute de ceux-là.

* Le prédicateur est comparé dans l'Évangile au laboureur qui ense-

* menée son champ : or, parce que quelques grains de semence se

1 Guide de ceux qui annoncent la parole de Dieu, p. 82 et 20G. - Ilom. xxvi.

NECESSITE DE LA P!;i: IJCATION. 39

* perdent, les uns en tombant sur la jiicrre ou dans un mauvais

* fonds, les autres emportés par le vent, !e laboureur ne laisse pas

* de semer, convaincu que si quelques grains périssent, il en est

* dédommagé par ceux qui fructifient.

* A toutes ces raisons, nous pourrions eu ajouter une autre qui

* sape par la base les trois objections à la fois que nous venons de

* combattre : c'est que le plus souveist il dépend du prêtre de faire

* tomber tous ces prétextes, et que les reproches qu'il jette aux

* peuples ne sont imputables qu'à lui. Oue la prédication soit ce

* qu'elle doit être, et les peuples en profiteront, et ils y courront en

* foule, et ils l'écouteront avec attention et intérêt : mais si, comme

* il arrive souvent, le prédicateur parle sans ordre et sans solidité,

* sans clarté et sans chaleur, dans un style bas et trivial, s'il se

* fâche et s'emporte contre les absents en invectives aussi désa-

* gréables pour les personnes présentes qui ne les méritent pas,

* qu'inutiles aux autres qui ne les entendent pas^; si, trop long

* dans ses discours, et oubliant que les personnes malades et dé-

* goûtées ne peuvent prendre que peu de nourriture à la fois, il

* fatigue et ennuie ses auditeurs, il a jnauvaise grâce de se plain-

* dre des fidèles ; il doit s'en prendre uniquement à lui-même, et

* cesser d'alléguer pour son excuse cela même qui fait sa condam-

* nation.

II. Pi'étextes pris du côté du pasteur.

* i^'^ Prétexte. Je n'ai pas le temps de préparer des instruc-

* lions ; tous mes moments sont absorbes par d'autres soins.

* Réponse. Voyons d'abord s'il est bien vrai qu'on ne puisse

* pas trouver le loisir de préparer ses instructions : qu'on examine

* aux pieds du crucifix si Ton ne perd pas beaucoup de moments

* en conversations inutiles, en visites superflues, en repas, jeux et

* amusements, en affaires temporelles l'Apôtre défend de s'ingé-

* rer ; qu'on se demande à soi-même si l'on met de l'ordre dans

* l'emploi de ses journées, si l'on mène cette vie de règle qui est le

* grand secret de mulliplii-r le temps, si dès le connnencement de

* la semaine on prépare le prône du Dimanche, de peur que, les

* derniers jours, des confessions inattendues, des visites imprévues

* ou autres affaires n'en ôlent le loisir. Si la conscience fait des

* reproches sur quelqu'un de ces points, le pasteur est sans excuse;

* Guide de ceux (jui auuoncent la i)arolc de Dieu, p. 112.

10 Tn.UTK DE L.\ l'IlÉlilCATION.

* mais si rôellement on ne peut pas concilier la préparation dos

* prônes avec la multiplicité des occupations, alors de deux choses "* l'une : ou l'on se fait remplacer en chaire par un prédicateur ca-

* pable, ou non : si l'on se fait remplacer, on n'est plus tenu sans

* doute de prêcher habituellement, puisque, par hypothèse, on

* ne le peut pas, et qu'on pourvoit d'une autre manière à l'inslruc-

* tion du peuple : mais on n'est pas cependant entièrement dis-

* pensé de prêcher, et on doit le faire lorsqu'on le peut, soit parce

* que quiconque accepte un emploi s'engage à en remplir les obli-

* gâtions par lui-même toutes les fois qu'il n'aura pas d'empê-

* «hements légitimes, soit parce qu'il y a une grâce d'état, une

* efllcacité particulière altachée à la parole du pnsleur : c'est^ selon

* dom Barthélémy des Martyrs^, le lait de la mère qui vaut mieux

* à l'enfant que celui d'une nourrice, d'ailleurs saine et vigoureuse.

* Si, au contraire, on ne se fait pas remplacer, on doit retrancher

* de ses occupations le temps dont on a besoin pour prêcher aussi

* souvent que l'Église l'ordonne et que l'exigent les besoins des

* peuples. C'est ce que nous enseigne l'exemple des apôtres : car,

* s'il était une occupation sainte et importante qui pût dispenser

* du devoir d'instruire, c'eût été sans doute le soin de ces généreux

* chrétiens, pauvres volontaires, qui avaient renoncé à tous leurs

* biens pour l'amour de Jésus-Christ : or, cependant que lisons-nous

* dans les Actes? Les apôtres, accablés par la multitude de ces

* pauvres, ne disent pas : Nous ne pouvons prêcher, nous avons "* trop d'affaires ; mais ils disent : Non est œquum nos derelinquere

* verbum Dei, et ministrare mensis^. « Quelque saint et excellent

* « que soit le soin des pauvres, nous devons cesser de nous y ap-

* « pliquer nous-mêmes, plulôt que de quitter la prédication; » et ■* en conséquence, ayant institué l'ordre des diacres, ils se déchar-

* gèrent sur eux de la distribution des aumônes, afai de pouvoir se

* livrer tout entiers au ministère de la parole ; tant ils estimaient

* ce ministère le premier et le plus essentiel des devoirs; et certes,

* bien justement, car le soin des pauvres ne soulage que des misè- ■* res corporelles ; la prédication guérit les âmes : les sacrements

* peuvent être suppléés dans les adultes parla charité jointe au désir

* de les recevoir; rien ne peut remplacer l'instruction; sans elle,

* le peuple tombe dans l oubh de Dieu, la foi se perd et la rehgion

* s'éteint.

* .Sliiimliis pastoi'um, 2 part., c. vu, ou Vie de dom liartliùlcmy des Martyrs, ilv. iV, c. V. '-' AlI. ajiobl . c. vi, 2.

jsécessite de la prédication. 41

* 2" Prétexte. Faire un bon sernion est une chose au-dessus île

* mes forces; puis, ma santé ne tiendrait pas à prêcher si souvent

* et, enfin, je suis si timide que je n'ose parler en public.

* Réponse. Si cette objection était fondée en vérité, je dirais

* au pasteur qui me la proposerait : Quittez votre poste sans tarder.

* Point de prédication, point de cure; c'est un principe invariable,

* il n'est point permis de garder une place dont on ne peut pas

* remplir l'oblipration la plus essentielle. Mais il n'est pas vraisembla-

* ble que ces difficultés soient réelles. La préoccupation qui porte

* à se croire incapable de prêcher vient uniquement de la fausse

* idée qu'on se fait de ce ministère. On s'imaghie qu'il faut conipo-

* ser des pièces d'éloquence, des discours à grands mouvements,

* genre dans lequel on désespère de réussir; tandis que dans îa

* réalité il ne s'agit que d'expliquer la doctrine chrétienne avec sim-

* plicité, piété, onction, et surtout assurance, sans hésitation, en

* termes clairs et à la portée du peuple. Si on le fait ainsi, ce sera

* merveille, et l'on sera sûr d'emporter les suffrages de tous, des

* savants comme des ignorants, des grands comme des petits. Or,

* pour cela que faut-il? 11 n'est pas nécessaire d'avoir de grands ta-

* lents; il suffit de lire sur le sujet qu'on veut traiter quelque bon

* auteur, comme Lambert, Guillet, Lhomond, et, après s'en être bien

* pénétré, de diviser sa matière en deux ou trois réflexions, puis

* d'aimer beaucoup ses paroissiens, d'avoir à cœur de les pénétrer

* de la vérité qu'on a à leur prêcher, et d'écrire, sous l'inspiration

* de la charité, les pensées et les sentiments dont on est plein.

* C'est assez de bien aimer pour bien dire, remarque saint François

* de Sales^; le cœur rend éloquents ceux qui le sont le moins, et

* supplée à tous les agréments du style. Un père, sans être habile

* orateur, sait donner de bons avis à sa famille, et il le fait avec

* plus de succès que personne ; toutes ses paroles sont entendues

* avec plaisir, recueillies avec bonheur, parce qu'on l'aime et

* qu'on sait en être aimé : de même un pasteur qui a pour ses

* ouailles un cœur de père, qui leur parle avec simplicité, mais

* d'une manière cordiale et paternelle, avec un grand désir de les

* sauver tous, est nécessairement goûté, et produit un grand fruit.

* 11 est possible qu'en connnençant, la difficulté de composer et

* d'apprendre, ou peut-être même certains vices d'organe, fassent

* Lettre à l'archevêque de liourgcs.

42 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* croire qu'on est incapable de prêcher; mais l'expérience démontre

* que l'exercice vient à bout do tous ces obstacles : on s'enhardit

* peu à pou, on devient plus maître de soi, et bionlôt on a acquis

* une assurance et un aplomb dout on ne se croyait pas capable.

* Démosthèues, le plus parfait orateur de la Grèce et de l'antiquité

* tout entière, avait dans sa jeunesse un embarras de langue qui eût *doiroûlé pour jamais de l'éloquence un homme moins laborieux*.

* Saint Charles Borromée éprouva de môme en commençant de

* grandes difficultés, et à force de travail il parvint à prêcher avec

* aisance et noblesse, ordonnant parfaitement la marche de ses dis-

* cours et les soutenant par la vigueur et la sohdité des raisonne- *ments^ La santé ne peut guère être compromise par la

* prédication : comment un quart d'heure d'instruction tous les huit

* jours fatiguerait-il à ce point? On se fatigue plus quelquefois à

* soutenir des conversations longues et animées, à faire des lectures

* ou des compositions qui intéressent, et on ne songe pas môme à

* s'en plaindre; preuve évidente que, dans le prétexte allégué, il y

* a plus d'imagination que de réalité Du rcsle, si la santé était réel-

* lement compromise, il faudrait en référer à l'autorité, et s'en tenir

* à ses décisions. 5" La timidité n'est point un obstacle insur-

* montable : il faut d'abord concevoir une volonté ferme d'en triom-

* pher, en considérant le compte terrible que le souverain Juge nous

* demandera de nos ouailles, et que ne pourra couvrir celte mau-

* vaise excuse : Je n'ai pas osé les instruire. Cette volonté une fois

* arrêtée, il faut, pour la mettre à exécution, 1" envisager avec une

* foi vive l'autorité et la grandeur de notre ministère : en chaire,

* nous sommes les ambassadeurs de Dieu et les représentants de

* Jésus-Christ; c'est à l'auditeur à trembler devant nous. Nous som-

* mes ses juges; c'est notre parole qui le jugera. Nous sommes ses

* maîtres, nous avons droit de le reprendre et de l'enseigner. Il

* faut, 2" avoir une intention droite cl pure. Le prédicateur qui n'a

* que Dieu en vue ne s'inquiète pas de l'opinion des hommes, et ne

* craint point la confusion que lui attirerait une infidélité de mé-

* moire ; il dit comme l'Apôtre : MUii pro minimo est, ut à vohis ju-

* dicrr aut ab humano die'\ 11 faut, o" ne pas s'exagérer le mérite de

* son auditoire : partout la plupart des auditeurs sont peu capables

* d'apprécier un discours, et sont môme disposés à le trouver bon,

* Voyage d'Anacharsis, c. lxi. - Préface de ses Ilomùlies, publiées en 1747 ; Milan, 5 \ol in-folio. ^ I Cor., iv, 5.

NÉCESSITÉ DE LA PRÉDICATION. 45

* pourvu qu'il soit clair, pieux, bien oidonné; et qu'on le prononce

* d'un ton ferme et sans s'arrêter. A" Enfin, il faut essayer et se

* lancer, l'ius on retarde, plus la timidité croît ; et plus tôt on com-

* meiice, plus tôt on triomphe : « Prêchez souvent, disait saint Fran-

* « çois deSalesSil n'y a que cela pour devenir maître : hardiment,

* « monsieur, et courage pour l'amour de Dieu. Dites quatre mots, et

* « puis huit, et puis douze, jusqu'à demi-heure : montez en chaire,

* « il n'est rien d'impossible à l'amour. »

* o' Prétexte. Je suis trop vieux, je ne puis plus prêcher,

* Réponse. Je le veux bien, vénérable vieillard; mais alors, que

* vos cheveux blancs me pardonnent cet avis, alors cédez à un autre *la place que vous ne pouvez plus remplir. Jamais un vieillard ne

* s'honore plus que lorsque, comprenant son impuissance, il quitte

* de lui-même un poste au-dessus de ses forces. Si toutefois votre

* évêque veut que vous restiez au milieu de votre peuple, comme un *père au milieu de sa famille, faites instruire vos ouailles par une

* voix étrangère ^, comme autrefois Valère, évêque d'IIippone, qui

* faisait prêcher Augustin en sa place ; et alors il vous suffira d y

* joindre de temps en temps quelques mois de salut, à l'exemple de

* saint Jean, qui, dans sa dernière vieillesse, se faisait porter à l'église

* pour répéter aux fidèles : Filioli, diligite alterutrum. Les paroles *d'un vieillard de mérite, blanchi à l'ombre du sanctuaire, ont quol-

* que chose de si touchant et de si vénérable ! Il ne dit que quelques

* mots, mais ces mots vont au cœur. La parole divine, en passant

* par sa bouche, semble acquérir un plus grand poids ; on l'écoute *avec vénération, comme un maître qu'un long exercice a rendu *plus habile et plus capable de donner des conseils judicieux. Ces

* efforts d'une voix qui tombe, d'une ardeur qui s'éteint-, faibles restes *dece qu'il fut autrefois, consolent et réjouissent ses enfants. Ce

* sont les débris d'un beau monument, qu'on admire et qu'on res- *pecle jusque dans sa chute. La vieillesse, relevée par une vie hono- *rable, dit l'Esprit-Saint^, est une couronne de gloire ; il y a dans *les cheveux blancs une majesté qui rend le vieillard vénérable.

*4'' Prétexte. Je fais des lectures en chaire : cela vaut bien des

* prédications.

* Réponse. Le concile de Trente demande plus qu'une lecture ;

* Lnltre à l'archevêque de Bourges, versus finem. - I>e Guide de ceux qui annoncent la parole de Dieu, pag. T,Q-l et 57'2. ' Coroiia dignilatis senec- tus qux in viis jiistitiœ reperittir, l'rov., 10, 31 Difjiiilas scnnm canilies. Ibid., '20, 20.

44 TRAITE DE LA PRÉDICATI0N.

*il veut une prédication, parce que ce dernier genre d'instruction a *une tout autre vertu pour exciter l'attention, provoquer l'intérêt,

* loucher les cœurs, et l'on peut bien mieux s'y accommoder à la

* portée et aux besoins de tous. Eût-on composé soi-même son in- *strucfion, ce serait encore un abus de la lire en chaire, si, avec du

* travail, on pouvait faire autrement. Cette lecture ôte au discours le

* mouvement et la vie, elle le prive de cette puissance de persuasion

* qu'un débit animé et naturel exerce sur l'auditoire, et le paralyse

* en quelque sorte tout entier. Cette pratique est d'ailleurs contraire

* à la coutume universelle de l'Église catholitjue, dont la sagesse doit

* faire règle sur ce point comme sur tous les autres. Si toutefois on

* était dans l'impossibilité de prêcher, on devrait, avec la permission

* de Tévêque, y''suppléer par des lectures appropriées aux besoins *des auditeurs. Le cinquième concile de Milan le recommande; saint

* Augustin le dit expressément^; saint Césaire et saint Grégoire le

* Grand, au sixième siècle, ont même composé, dans cette vue, des

* instructions à l'usage des prêtres incapables d'en faire de leur pro- *pre fonds ^; et saint Charles Borromée, vers la fm de sa vie, mit

* par écrit ses Homélies dans le même dessein : ce qui prouve que

* l'Eglise a cru que, dans le cas de nécessité, ces lectures pouvaient

* tenir lieu de la prédication. Les pasteurs qui seraient réduits à

* adopter celte méthode doivent observer les avis que nous donnerons

* dans le second livre, 11*' partie, chap. viii, pour rendre ces lectures *plus profitables.

' III. Prétextes pris du côté des supérieurs ou des confrères.

* 1" Prétexte. Les supérieurs ecclésiastiques laissent ou placent ia tête des paroisses des pasteurs qui ne prêchent pas.

* Réponse. Si les supérieurs agissent ainsi, c'est ou qu'ils igno- *rent la négligence de ces pasteurs, ou qu'ils ne peuventles changer, *ou que, n'ayant personne à mettre en leur place, ils estiment un "* moindre mal pour les paroisses d'avoir de tels prêtres que de rester *sans culte extérieur, sans sacrements, sans aucun secours religieux. ■*Mais, d'ailleurs, quoiqu'il en soit de la conduite des supérieurs, les ■* pasteurs qui ne prêchent pas n'en sont pas moins coupables : l'obli-

* galion d'instruire est de droit divin, et indépendante de la manière

* d'agir des hommes, lesquels n'ont pas droit de l'abroger.

1 De Doct. christ., lib. IV, c xxix, n. 62. ^ Abrégé de la discipline de l'Église, par d'iléricourt, I part., c. x, p. 89 et 95.

NÉCESSITÉ DE LA PllEDICATION, 45

*^e PnHexte. On voit des prêtres instruits et estimables qui *ne prêchent pas aussi souvent que l'exigent les règles établies *jusqu'ici.

* Réponse. Personne ne possède plus de science et n'est plus

* estimable que l'Église et ses docteurs; or, les principes que nous

* avons établis ne sont autre chose que la doctrine de l'Église et de *tous les théologiens. Ici, comme en tout le reste, il faut donc se

* rappeler l'axiome ; Nos non exemplis, sed regulis vivimus.

ARTICLE 4.

UE l'obligation de prêcher, par RAr'POl;T AUX PRÊTRES QOI n'ont POIÎ.T CHARGE d'aMES.

1*'' Principe. Le vœu de l'Église est que tous les prêtres, sans exception, soient capables de prêcher d'une manière utile et conve- nable. On en peut juger par la loi du concile de Trente, qui prescrit de n'admettre au sacerdoce que des personnes capables d'enseigner au peuple les vérités dont la connaissance est nécessaire pour le salut : Ei sint qui... ad populum docendum ea qux scire omnibus necessa-

riuni est ad salut cm diligenti examine prxcedente, idonei com-

probentur K On en peut juger encore par le Pontifical qui, dans la cérémonie de l'ordination des prêtres, leur dit à tous sans distinc- tion : Sacerdotem oportet prxdicare, et prescrit de les revêtir de l'élole, ornement que toute l'antiquité a regardé non-seulement comme le symbole de la puissance sacerdotale, mais plus spéciale- ment comme l'indice du pouvoir de prêcher; ce qui lui a fait donner le nom d'orarmm, selon l'étymologie que nous en a laissée le IV*^ con- cile de Tolède, en 531 : Orarium oportet levitam gerere, quiàorat, id est,prxdicat^. Enfin, les exemples de l'antiquité nous révèlent encore le vœu de l'Église sur ce point. 11 est vrai que [)lusieurs auteurs pré- tendent que les évêques des premiers siècles avaient seuls le droit d'adresser aux peuples la prédication solennelle, tellement que, selon eux, Oiigèiie, saint Cln^ysostome, saint Augustin, ne durant qu'à leur merveilleuse et précoce éloquence le privilège de faire entendre leurs voix dans l'assemblée des fidèles ; mais les auteurs qui ont le mieux approfondi ce point de discipline ^ enseignent généralement que,

1 Scss. 2ô, c. XIV, de Picform. " Voy. Ifabeit, do Ordine, c. v, g 12 ad finom.— ^ Tliomassjn, Discipline de l'Église, t. Il, p. 1759 et suiv. D'iléricourl., Abrégé du même ouvrage, I part., c. x. Fleury, Mœurs des chrétiens, n. 40,

46 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION,

dés les premiers siècles, on reconnaissait dans les simples pn'lres le pouvoir de prêcher, et qu'ils prêcliaient effectivement dans plusieurs diocèses : c'est ainsi qu'au troisième siècle on voit saint Félix, encore simple prêtre, prêcher souvent à Noie sous deux évêiiues successive- ment ; au cinquième siècle, saint Jérôme blâme, dans sa lettre à Népotien, la coutume de quelques églises le prêtre ne parlait point en présence de l'évèque ; preuve que plus généralement les prêtres prêchaient, même l'évèque présent. A la même époque, Yalôre, évoque d'Hi[)pone, en chargeant saint Augustin, encore simple prê- tre, du ministère de la parole, jusiifie cette innovation par l'exemple des Églises d'Orient; preuve évidente encore qu'en Orient, le minis- tère de la prédication était dévolu aux simples prèlresdèsles prenaers siècles. Si donc en quelques endroits les prêtres n'exerçaient pas le pouvoir de prêcher, c'était que l'évèque se le réservait, soit parce qu'en certains pays ils en avaient abusé, comme il arriva à Alexandrie du temps d'Arius, soit parce que, les diocèses étant alors trôs-mul- tipliéset peu étendus, l'évoque ne voyait pas de raison de confier à de simples prêtres un ministère qu'il pouvait facilement exercer lui- même, soit enfin parce que telle était la discipline particulière des lieux, fondée sur des circonstances que nous ne connaissons pas.

S'" Principe. Il est certain que les prêtres qui n'ont point charge d'âmes ne sont pas obligés, à titre de justice, à prêcher. C'est un point trop universellement reconnu pour nous y arrêter plus long- temps.

o^ Principe. Il est certain que, sans avoir charge d'âmes, les prêtres n'en sont pas moins obligés, à titre de charité, à prêcher en certaines circonstances : car 1" lorsque Dieu leur a donné dans leur ordination le pouvoir de prêcher, et qu'ils ont reçu de la nature les moyens de le faire, c'est sans doute pour le bien du prochain et le salut des âmes : si donc ils n'annoncent jamais la divine paiole, ils encourent le reproche qu'adresse l'Esprit-Saint à ceux qui enfouissent leur talent, à ceux qui placent la lampe sous le boisseau lorsque la maison de Dieu est dans les ténèbres, à ceux enfin qui tiennent la vérité captive. Si c'est une faute grave contre la charité de refuser à des frères qui languissent ou se meurent faute de pain, la nourri- ture corporelle qu'on pourrait leur donner, n'est-ce pas une faute bien plus grave de leur refuser la nourriture spirituelle qui leur manque? Si l'aumône qui fait vivre le corps est obligatoire, combien plus celle qui fait vivre les âmes! Or, c'est un fait patent que, dans un grand nombre de diocèses, les peuples n'ont pas cette mesure

MATIÈRES DE LA PRÉDICATION. 47

d'instruction dont ils ont besoin : les âmes languissenl ou se meurent faute de la parole de Dieu.

Mais quelle est la gravité de cette obligation ? la solution de celte question dépend des besoins plus ou moins pressants des localités. Si l'on demeure dans un diocèse la parole de Dieu soit distribuée abondamment aux peuples avec zèle et intelligence, l'obligation du prêtre qui n'a point cliarge d'âmes sera légère, et pourra même se restreindre à certaines circonstances on l'inviterait à prêcher pour remplacer un confrère malade, ou pour réveiller l'aîtenlion des fidèles par l'intérêt qu'inspirent la variété et la nouveauté ; mais si Ton deuieure dans un de ces diocèses, malheureusement si nom- breux, où l'on peut dire : PariniU petierunt patieyn, et non erat qui fnuujeret eis'-... Messis quidem muUa, operarii autem panci^, l'obli- gation alors acquiert une gravité proportionnelle aux besoins, sauf le cas l'on se rendrait utile par un autre genre de ministère, comme celui de la confession. En effet, plus la nécessité des pauvres est extrême, plus le précepte de l'aumône devient urgent et grave pour le riche. Or le même raisonnement s'applique ici : plus les peuples ont besoin d'instruction religieuse, plus celui qui peut la leur donner y est obligé. Demeurer oisif en présence de celte famine si commune et si désastreuse de la parole de Dieu, ou perdre en lec- tures frivoles et vains amusements les longs loisirs qu'on pourrait employer à préparer d'utiles instructions^, c'est être cruel envers ses frères, c'est manquer à l'Église, c'est manquer à Jésus-Christ même : Sic peccantes in fratres, in Ciirislum peccatis^.

CIUriTRE III

Des matirres <tc la Prc-dicatîon.

Nous exposerons H" ce qu'il faut traiter dans la chaire sacrée ; ce dont on doit s'y abstcin'r.

1 Jércin., Tliron., iv, 4. * Mnllli., ix. ^ Miroir du clorur, Miroir du clianoine, à la lin du premier voluiuc. * 1 Cor., vin.

-{<; TI'.AlTi; liE F,A ÎM'vKDiCATIOrv.

ARTICLE i.

DE CE qu'il faut TRAITER EN CIIAU'.E.

Jésns-Clirist, comme nous l'avons dit ailleurs, n'a fondé la prédi- cation que pour le salut des hommes. De ce principe, nous pouvons conclure que tout ce qui est nécessaire ou utile au salut, peut être la matière de la prédication, et doit l'être plus ou moins, selon que la chose est plus ou moins nécessaire ou utile au salut. Mais quel est cet ordre de nécessité ou d'utilité qui doit régler les matières de la prédication? Telle est la question que nous avons ici à examiner.

1" Il faut placer en tête les trois principaux mystères avec le sym- bole et les vertus théologales, les commandements de Dieu et de l'Église avec les sacrements qu'on doit recevoir et les dispositions nécessaires pour s'en approcher, enfin l'oraison dominicale et les devoirs d'état. Voilà la hase de l'édifice spirituel, et par conséquent de linstruction religieuse^; voilà le corps de doctrine que Dieu oblige tous les fidèles à savoir distinctement, et sur lequel, par conséquent, il faut revenir sans cesse jusqu'à ce qu'ils le possèdent, selon la sage prescription du Concile de Trente : Pnrochi... pascant plebcm sibi commissam salularihus verbis, doccndo qux scire omnibus necessa- rium est ad saluteni- : devoir d'autant plus rigoureux aujourd'hui que, si l'on excepte un très-petit nombre de paroisses longtemps gouvernées par un pasteur zélé et capable, qui ait donné un soin spécial à l'instruction, la plupart des auditeurs ignorent ces premiers éléments de la religion, ou parce qu'ils ne les ont pas appris suffi- samment au catéchisme, ou parce qu'ils les ont oubliés. « Ceux qui « ont quelque expérience des fonctions ecclésiastiques et quelque « zèle du salut des âmes, dit Fleury dans la préface de son Caté- « chisme, sont sensiblement touchés de l'ignorance de la plupart des (( chrétiens : ce ne sont pas seulement les paysans, les ouvriers, ce « sont les gens du monde, polis et éclairés d'ailleurs, souvent même « les gens de lettres, que l'on trouve fort mal instruits de nos mys- « tères et des règles de la morale... On voit même des personnes « dévotes qui ont lu beaucoup de livres spirituels et savent « grand nombre de pratiques de piété, mais qui n'ont pas encore

« Miroir du clergé, t. II, p. lO." à 111. Devoirs d'un pasteur, c. v, § 2, ii°= 2 et 4. Iiistruct. pastorale de l'évèque de Chartres, en août 1828, dans l'Ami de la relijion du 10 décembre 1828. - Sess. 5, de Reform., c. ii.

MATIÈRES DE LA PREDICATION 49

« compris l'essentiel de la religion. » Frappé de la même observation, le Père le Jeune raconte de lui-même* que, pendant quarante ans, en quelque endroit qu'il prêchât l'avent ou le carême, il exposait presque tous les Dimanches et fêtes, à la fin du sermon, les mystères de la Trinité et de l'Incarnation, de la passion, la résurrection el l'ascension du Sauveur, tout ce qui est essentiel aux sacrements de baptême, de pénitence et d'eucharistie, faisant remarquer à ses au- diteurs que le Fils de Dieu n'a pas toujours été homme ; qu'étant Dieu de toute éternité il s'est fait homme par amour pour nous, et sera homme à jamais ; qu'il est dans l'eucharistie en chair et en sang; que la confession ne sert de rien sans un vrai repentir, et qu'il faut le demander à Dieu avec instance. « Si vous avez du zèle pour la « gloire de Dieu et le salut des âmes, ajoute ce célèbre missionnaire « en s'adressant aux prédicateurs, vous ferez de même : autrement « les peuples tomberont et demeureront dans une effroyable igno- « rance de ces mystères si nécessaires au salut. » C'est donc à tort que beaucoup de pasteurs n'instruisent presque jamais leurs peuples sur les vérités fondamentales, bornant toutes leurs prédica- tions à quelques réflexions morales tirées plus ou moins heureuse- ment de l'Évangile du jour. Suivre une pareille méthode, sm-tout ces vérités ne sont pas gravées dans tous les esprits et tous les cœurs, c'est bâtir un édifice sans fondement, c'est abandonner les âmes à leur perte éternelle. « C'est se perdre soi-même, dit l'évêque « de Chartres^, et méconnaître la grande dette des pasteurs. Non, « continue ce Prélat parlant à son clergé, vous ne sauriez vous dis- « penser de poser pour le fondement de vos instructions l'explication <( de ces articles essentiels. Ce n'est que lorsque toute votre paroisse a en sera profondément imbue que vous pourrez passer à autre « chose. Si vous suiviez un autre ordre, vous donneriez desahments H peu profitables, au lieu de ceux dont on ne peut se passer et dont « la privation cause la mort. Traitez donc d'abord ces matières, « approfondissez-les, reproduisez-les sous mille formes; il est trés- « facile de les orner, de les enviroimer de détails qui les rendent « agréables et attrayantes. Par vous assurerez tout à la fois votre « salut et celui de vos frères, d Conformément à tant d'autorités et de raisons, un pasteur ne peut rien faire de mieux que de suivie le plan d'instructions tracé par les soins de saint Charles dans le Catéchisme du Concile de Trente, ou, s'il ne croit pas devoir suivre ce plan, de

' Prélaco de ses Sermons. * Instruct. pastorale du mois d'aoïH 1S'J8.

4

50 ThAlTE DE LA PREDiCATIOÎ*.

traiter au moins chaque Dimanche celles des vérités chrétiennes qui ont le plus de rapport avec l'évangile du jour ou de la fête qu'on célèbre, suivant la table qui se trouve à la fin du Catéchisme du même Concile. C'est l'avis que donnait Bossuet à ses curés* : « Nous (i vous exhortons, leur disait-il, à répandre toujours dans vos prônes « et dans vos sermons quelque chose du catéchisme, et à y ramener « souvent les mystères de Jésus-Christ et la doctrine des sacrc- « ments. »

Après les vérités fondamentales, les fins dernières doivent être la matière la plus fréquente des prédications. C'est là, dit saint Liguori, ce qui fait d'ordinaire le plus d'impression sur les hommes et es porte à changer de conduite ; c'est en parlant de la mort, de l'enfer, de l'éternité, et en intéressant par la nature immortelle de l'homme, qu'on remue les cœurs, qu'on réveille le remords, qu'on arrache les larmes, et que le prédicateur, s'élevant au-dessus de lai-môme, se montre vraiment l'envoyé du ciel et parle en son nom ; puis, celte matière est plus à la portée de tous, plus adaptée à tous les besoins, plus intelligible à tous les esprits, plus efficace sur tous les cœurs pour les détourner du vice et les porter à la vertu. Les fins dernières, dit un célèbre orateur, sont le grand res- sort qui fait aller toute la vie chrétienne, et leur souvenir, dit l'Esprit-Saint, préserve de tout mal- : on ne pèche que parce qu'on les oublie; si l'on y pensait bien, on ne pécherait jamais. Aussi saint François Xavier donnait-il cet avis à un de ses compagnons^ : « Faites sentir combien le péché est abominable ; représentez l'excès « de l'injure que fait à la souveraine majesté de Dieu l'homme qui « se souille d'un péché mortel; imprimez dans les esprits un sa- « lutaire effroi de la terrible condamnation qui, au grand jour du « jugement, sera fulminée contre les coupables convaincus ; pei- (( gnez d'une manière vive les affreux tourments de l'enfer ; mena- « cez de la mort, surtout d'une mort inopinée et subite, ceux qui « ne se mettent point en peine de servir Dieu, et dorment tranquilles « avec une conscience souillée et abominable ; saisissez en même « temps les moments favorables pour rappeler aux pécheurs la « croix de Jésus-Christ, ses blessures, sa mort, par lesquelles il a « daigné expier nos offenses, et que votre discours, alors animé des « affections les plus touchantes exprimées par des figures pathé-

* Préface de son Catéchisme. ^EccI., vu, iO. s LeUre du saint au P. Bai-- zée, en 1549, § 8.

MATIÈRES DE LA rUÉDICATlON'. 51

« tiques, des apostrophes et di's colloques propres à émouvoir, « inspirent une telle douleur du péché, que les larmes, s'il est pos- « sible, coulent de toutes parts. Voilà le véritable et l'unique portrait « d'une prédication fructueuse. » Contre cette doctrine, on objecte que les temps sont changés, qu'aujourd'hui on ne veut plus entendre parler de sujets terribles, qu'il faut s'accommoder au siècle et mé- nager sa faiblesse. A cela nous répondrons, que, tout en traitant les fuis dernières, on peut et on doit entremêler le terrible et le consolant, opposer les fins dernières du juste aux fins dernières du pécheur, encourager après avoir effrayé, montrer la route du ciel après avoir décrit l'enfer, et faire voir en Dieu un père plein de ten- dresse envers celui qui se reppnt en même temps, qu'il est un juge terrible contre celui qui s'obstine. Nous répondrons, 2" que, si dans les siècles de foi et de vertu, on prêchait surles fins dernières, la chose est bien plus nécessaire dans ces derniM's jours d'indifférence la crainte de la mort et de l'enfer ne retient plus les passions dé- chaînées. C'est aujourd'hui plus que jamais qu'il faut élever la voix pour faire entendre ces grandes vérités : Clama, ne cesses, quasi tuba exalta vocem tiiam, et annuntia populo meo scelera eorum^. Malheur au prêtre qui, en dissimulant les justices du Seigneur, laisse les âmes dans une fausse sécurité qui les perd : Si dicente me ad impiiim, morte morieris, non anmmtiaveris ei... ipse impius inini- quitnte sua morietur ; sanguinem autem ejus de ynanu tuâ requiram -, La modération que les gens du monde demandent au prédicateur n'est qu'un ménagement coupable pour la mollesse de leurs mœurs, la nullité de leurs principes, les vices de leur vie et le sommeil de leur conscience qui ne voudrait pas être réveillée : il est indigne d'un ministre de la parole de céder à de telles considérations.

Après les vérités fondamentales et les fins dernières, la matière la plus importante de la prédication, c'est l'ensemble delà religion, présenté de manière à mener ses auditeurs avec ordre et méthode, depuis les premiers éléments jusqu'aux plus hauts mystères. Cet ensemble se compose de faits, de dogmes, de morale et de prati- ques. 1° L'exposé des faits doit entrer comme premier élément dans l'ensemble de l'enseignement religieux : car presque tout est lii>to- rique dans la religion ; et on ne la connaît bien qu'autant qu'on con- naît son histoire. Ce sont les l'.iits (pii établissent et consolident la foi, qui expliquent presque tous les dogmes, qui rendent raison des

' Isaïe, Lviii. - Ezecli., xxxm.

52 TRAITÉ DE I..\ mEDICATION.

principales céréinonios du culte catholique, etdorjnent rijilelligciice des instructions religieuses qui se font dans les chaires chrétiennes. Tous les jours on parle aux peuples de l'Écriture, de l'Église, des deux Testaments ou des deux lois, des sacrifices de Moïse et d'Aa- ron, d'Abraham et de Melchisédech, des prophètes, des apôtres ; et s'ils ignorent les faits, les choses et les personnes de l'Histoire sainte, ils ne comprennent rien à ce langage. On leur dit que Jésus- Christ est notre Pâque, et quel sens peut avoir pour eux cette parole, s'ils ne savent auparavant quelle était la Pâque des Juifs mstiluée pour célébrer la délivrance d'Egypte et figurer la déliviance plus excellente de l'esclavage du démon par Jésus-Christ? Toute l'année, enfin, ils voient célébrer les mystères du christianisme et adminis- trer les sacrements ; et s'ils ne connaissent pas l'histoire de la vie deXotre-Seigneur, ils ne comprennent pas plus ce qu'ils voient faire que ce qu'ils entendent dire. Il est donc de la plus grande impor- tance d'expliquer au peuple la partie historique de la religion ; et ce g-enre d'instruction aura le triple avantage d'être écouté avec plus d'attention et d'intérêt, de se graver dans la mémoire d'une ma- nière plus nette et plus durable, et de faire mieux ressortir les vé- rités qu'il démontre : ainsi l'action de la Providence se montrera sensible dans l'histoire des patriarches et du peuple de Dieu; la beauté et les charmes de la vertu éclateront dans l'histoire de Piuth, de Tobie, d'Eslher-, la crainte de Dieu et l'horreur du péché res- sortironl du récit de la création, du déluge, de Pembrasement de Sodome, des plaies d'Egypte, des miracles du désert, de la captivité de Babylone, et des autres effets de la justice, de la puissance et de la grandeur divines. Dieu, au contraire, paraîtra aimable si l'on ex- pose les biens qu'U a faits à Abraham, Joseph et Moise, les soins qu'il a pris de son peuple dans le désert et surtout l'incarnation du Verbe, la vie et la mort de Jésus-Christ*. On trouvera les matériaux tout préparés pour ce travail, dans le Catéchisme historique de Fleury, dans l'Histoire delà Religion par Lhomond, dans l'Abrégé de l'An- cien Testament par Mésenguy, et dans le Discours de Bossuet sur l'Histoire universelle. La Bible de Royaumont pourra aussi fournir des réflexions pieuses à intercaler dans le cours de la narration, 2^ 11 faut instruire sur le dogme. C'est dans plusieurs prédicateurs un étrange écart de ne jamais traiter que des sujets de morale, sans

On peut aiipliquer aux grandes pci'j-'onnes ce que Fûndon d'il de l'utilité de l'Histoire sainte pour les enfants : Editcatm: des filles, c. vi.

MATIEP.ES DE LA rHEDICAT10>;. 55

expliquer le dogiiifi. C'est bâtir en l'air que tle procéder ainsi : h morale a son fondement et sa sanction dans le dogme : sans lui, elif. n'est qu'une morale philosophique, dénuée d'autorité et de vie ; élayée par lui, elle prend une majesté imposante et sainte ; Dieu la commande, l'éternité la sanctionne, Jésus-Christ la consacre par ses exemples, et ses mystères la persuadent mieux que tous les raison- nements^ Aussi tous les grands maîtres de la prédication sesont-iis atlachés au dogme. C'est dans la région sublime des mystères, dit M. de Boulogne ^, que l'on a vu planer les aigles de la chaire ; c'est dans ces vastes réservoirs qu'ils ont puisé les eaux abondantes de l'éloquence sacrée ; c'est dans ce saint des saints, qu'entrant comme le grand prêtre de l'ancienne loi, ils sont allés chercher ces oracles que les populations émues et saisies écoutaient comme la voix d^ Dieu même ; et c'est au contraire pour avoir négligé la partie doc- trinale et mystérieuse, pour s'être trop attaché à la partie morale cl humaine, que plusieurs prédicateurs modernes ont manqué le vrai but de l'instruction chrétienne, celui d'enrichir la morale par le dogme et le dogme parla morale. Voilà d'où vient encore l'incontes- table supériorité des prédicateurs catholiques sur les prédicateurs protestants ; c'est que ceux-ci puisent tous leurs sermons dans une raison toute nue, qui semble s'effaroucher de tout ce qui est dogme et repousser tout ce qui est mystère. Il faut donc traiter à fond le dogme, faire connaître Dieu et ses perfections, Jésus-Christ, ses mys- tères et sa doctrine, l'Église et son autorité infaillible, la justification et la grâce, les sacrements, la nécessité et les qualités de la prière. 5" Tout en instruisant sur le dogme, il ne faut pas négliger la morale. Puisque le salut des auditeurs, qui est le but de la prédica- tion, ne s'obtient que par les œuvres, il est évident que le prédicateur qui s'en tient à la spéculation et aux considérations dogmatiques, manque tout à fait son but, et que celui qui veut être utile doit tout rapporter à la pratique, c'est-à-dire à la réforme des mœurs, à l'exer- cice des vertus, jusque-là que, lors même qu'il traite un sujet pure- ment dogmatique, il doit toujours terminer par une conséquence morale qui tende à rendre l'honmie meilleur. Les sujets principaux à traiter en ce genre sont les commandements de Dieu et de l'Eglise,

' La véritaîjle fin des mystères, dit Dossiiet dans la préface de son Café'- chi.sine, c'est d'inspirer l'amour de Dieu et de tontes les vertus, Dieu n'ajant pas l'ait des elio.~es si admirables pour être la pâture des esprits curieux, mais pour être le fondement des saintes pratiques auxquelles La religion nous oblige.

* Discours sur les causes de la décadence de l'éloquence.

hi TRAITÉ DE LA PIŒDICATION.

la iiatuie des vices et des vertus, avec les motifs et la manière d'évi- ter les uns et de pratiquer les autres, la haine du péché et ses diffé- rentes espèces, sans oublier les péchés de pensées et de désirs, d'omissions et de pai-oles, la nécessité des bonnes œuvres, avec la manière de faire chrétiennement ses actions et surtout ses exercices de piété. Mais entre fous ces sujets, il faut choisir de préférence les grands devoirs du christianisme et les grands défauts les plus com- muns : l'esprit instruit des devoirs importants, et le cœur touché des vérités essentielles, corrigeront d'eux-mêmes les petits défauts ; et d'ailleurs, ne pouvant tout dire, ce serait employer moins bien son temps que de s'arrêter à des choses moins importantes. Ce n'est pas que le prédicateur doive négliger d'enseigner la perfection aux justes : ces âmes généreuses, si chères au cœm' de Notre-Seigneur, ont droit à une part abondante dans la distribution de la divine parole. Il ne faut quelquefois qu'un mot pour faire éciore une vocation : témoin saint Antoine, auquel il suffit d'entendre lire à l'église cette parole : Si vis perfectus esse, vade, vende qiiod hahes, et dapmiperihus^. Mais le prédicateur pourra satisfaire à ce qu'il doit à ces âmes d'élite, tantôt en insérant dans ses discours des avis sur les conseils et la perfection évangéliques, tantôt en traitant ces matières ex professa, quand le genre de l'auditoire le comportera. A" Il faut expliquer aux fidèles les pratiques de la religion, et par nous entendons les cérémonies du culte public et de l'administration des sacrements, les prières du matin et du soir, enfin les pratiques pieuses. Les céré- monies ont toutes un sens caché et sont une prédication en action. Si le fidèle les comprend, elles l'intéressent, l'instruisent et l'édi- fient : si on ne lui en donne pas l'intelligence, il ne les voit qu'avec ennui et dégoût, sans profit pour la piété; souvent même il les cri- tique comme choses singulières qui n'ont pas de sens. Rien ne lui sera plus agréable que d'en entendre l'explication, soit parce qu'une instruction qui se rattache à des objets sensibles se saisit et se retient sans peine, soit parce que tout le monde éprouve un plaisir naturel à savoir la raison des choses qui se iont sous ses yeux. Même utilité et même agrément pour les fidèles se rattacheraient à l'explication des prières du matin et du soir : il y aurait utilité ; car, s'ils les comprenaient, ils les diraient plus aisément avec attention et piété, entreraient dans le sens qu'elles expriment et rendraient ainsi à Dieu un culte vraiment intérieur, tandis que, s'ils ne les comprennent pas,

* Matth., XIX, 21.

MATIÈRES DE L\ PRÉDICATION. 55

ce qu'ils disent n'est plus qu'un jeu des lèvres l'esprit et le cœur ne sont pour rien, où, aucun sentiment pieux n'occupnnt rame, il est difficile de se défendre des distractions et de faiie une bonne prière. 11 y aurait aussi agrément : car, qui ne prendrait plaisir à acquérir Tintelligence de paroles qu'on profère tous les jours, et à éviter par l'ennui et le dégoût presque inséparables d'une récita- tion de mots incompris? Enfin, il serait également intéressant d'ex- pliquer et de recommander aux fidèles les pratiques pieuses, propres à maintenir les âmes dans la vertu et à accélérer leurs progrès dans la perfection, par exemple, un règlement de vie, l'oraison mentale avec l'examen de prévoyance chaque matin, l'examen particulier et général, la lecture spirituelle, la visite au Saint-Sacrement, la prière en famille, au moins le soir; la pratique des oraisons jaculatoires, pour offrir à Dieu ses actions, accepter avec calme ses souffrances et ses peines, l'appeler à son secours dans les tentations, et demander son amour ; la piété envers le crucifix et l'usage si chrélien d'en avoir un exposé en chaque maison ; la dévotion à la sainte Vierge et la fidéhté à l'honorer chaque jour par le chapelet et autres pratiques ou prières ; la fréquentation des sacrements, l'audition journalière de la sainte messe, autant qu'on le peut; la manière de l'entendre et d'assister aux offices; un acte de contrition aussitôt après chaque faute, et la confession au plus tôt; la fuite des occasions du péché, comme les mauvaises compagnies, les rapports trop intimes avec les personnes d'un autre sexe, la modestie des regards, qui prévient la vue des objets dangereux, etc.. Le monde appellera communes et triviales les instructions sur ces matières ; mais ses vaines criti- ques n'arrêteront pas le prédicateur qui aura un vrai désir de sauver les âmes ; car c'est par de telles pratiques qu'on assure la conversion des pécheurs et qu'on sanctifie les justes. Saint François de Sales et saint Liguori ne cessaient de les recommander*, et c'est mémo presque la seule partie du sermon que retiennent les gens simples qui y assistent : ils oublient les divisions, les preuves, les mouve- ments oratoires, mais ils retiennent une pratique pieuse qu'on leur a expliquée et recommandée.

-4" Dans le choix des matières de la prédication, il faut préférer les sujets communs et rebattus aux sujets nouveaux et extraordi"

* LeUres de S. Liguori à un religieux de ses amis, sur leloquenco et la pré- dication populaire, dans la Méthode qàiérale de catéchisme, par M. Dupanloup t. II, p. 44.

50 TRAITE DE LA PREDICATION.

naires ^ La raison en est que les sujets les plus communs sont les plus utiles ; ils ne sont si communs que parce que leur importance a frappé un plus grand nombre d'esprits qui ont cru ne pouvoir rien faire de mieux que de les traiter. Si les auditeurs les ont déjà en- tendus, il leur sera très-utile de les entendre encore, pour s'en pénétrer toujours davantage et les appliquer à la réforme de leui vie. D'ailleurs, les sujets les plus rebattus ont souvent aujourd'hui le mérite de la nouveauté, soit parce qu'un grand nombre de prédi- cateurs les dédaignent par une secrète vanité qui veut parler autre- ment que les autres, ce sont vraiment des sujets neufs et peu ordi- naires dans la chaire ; soit parce qu'un nombre d'auditeurs n'ayant que des coimaissances superficielles en religion, ces sujets com- muns, bien traités et bien approfondis, leur paraissent neufs. Enfin, les Pères dans leurs homélies, Massillon et Bourdaloue dans leurs sermons, n'ont point traité des sujets extraordinaires : ils se sont attachés à traiter les vérités les plus communes, parce qu'ils les regardaient comme les plus importantes et les plus utiles. Or les prédicateurs modernes auraient mauvaise grâce à se croire plus habiles dans le choix de leurs sujets que ces grands maîtres de la chaire.

Tout pasteur doit régler ses instructions de manière à pou- voir dire comme l'Apôtre aux habitants d'Éphése : Mundns siim à sanguine omnium ; non enim subterfugi quominùs annuntiarem omne consilium Dei vobis; c'est-à-dire qu'il ne doit rien y avoir, dans la religion, qu'au bout d'un certain temps il n'ait enseigné à ses ouailles, plus ou moins, en proportion de l'importance de la chose et de la capacité des auditeurs.

ARTICLE 2.

DES CHOSES qu'il FAUT s'aBSTENIR DE DIRE EN CHAIRE '.

Rappelons ici le principe posé au commencement de l'article précédent : c'est que Jésus-Christ n'a étab-li la prédication que pour le salut des hommes. On pourrait démontrer, par ce seul principe, qu'il faut éviter dans la chaire les inexactitudes de doc- trine, la discussion des objections inconnues aux auditeurs, les

* S. Liguori, Véritable Manière de prêcher à l'apostolique, n°' 45 et 44. Le P. bégneri, Devoirs des curés, p. 128. - Pastoral de Limoges, t. II, til. IV, c. II.

JIATIEUES DE LA IT'.LDIGATION. 57

questions douteuses et controversées, les nouveautés, les matières relevées et subtiles qui surpassent la portée de l'auditoire, enfin tout ce qui ne tend pas au salut ou n'est pas propre à le procurer. Mais, comme ces points sont d'une haute importance, nous allons les éclaircir par des preuves spéciales et des applications.

1" Il faut éviter avec le plus grand soin toutes les inexactitudes de doctrines, soit en dogme, soit, en morale. Le prédicateur parle comme ambassadeur de Jésus-Christ : or un ambassadeur doit se conformer exactement aux instructions de son prince. 11 parle au nom de Dieu ; or dire au nom de Dieu des choses fausses, c'est faire Dieu auteur du mensonge, c'est blesser sa véracité infinie. Ajoutez que, s'il n'expose pas exactement le dogme, il déshonore la chaire de vérité et en fait une chaire d'erreur ; il trompe ses auditeurs, leur donne de fausses idées sur la religion, et court risque de leur faire perdre la foi. S'il n'expose pas exactement la morale, ou il l'atténue ou il l'exagère : s'il l'atténue, il corrompt la loi de Dieu, altère la sévérité de l'Évangile, fausse les con- sciences, se rend responsable de tous les péchés qui seront la suite de ses doctrines relâchées ; et, pour avoir condescendu aux pécheurs qui lui disent : Loquimini nohis placentia\ il s'attire l'analhème porté contre ceux qui consuunt piilvillos siib omni cu- hito manûs, et [admit cervicalia suh capite universx xtntis^; souvent même il perd la confiance des auditeurs, quand il s'en trouve d'assez instruits pour reconnaître l'inexactitude de sa doc- trine. Si, au contraire, il exagère la morale, s'il présente comme mortel ce qui est véniel, comme précepte ce qui est de conseil ; s'il invective contre des fautes légères comme contre des fautes graves, en prenant à la lettre certaines propositions échappées aux saints Pères, ou s'il recueille, sans discrétion, tout ce que lui sug- gère une imagination ardente pour rendre son sujet plus terrible, il résulte de que les uns se découragent et abandonnent la vertu comme impraticable, les autres se font une fausse conscience qui est pour eux une source de fautes et peut-être de fautes graves , d'autres enfin, frappés de ses exagérations, n'écoutent plus qu'avec défiance un prédicateur qu'ils jugent entraîné par son caractère dans une rigidité excessive, ou emporté par son imagination en de vaines déclamations : ils se persuadent qu'il y a toujours à ra- battre de ce qu'il dit, et en viennent quelquefois jusqu'à mettre

* Isaïe. c. XXX. * Ézéchiel, c. xiii.

53 TRAITE DE LA PllEDICATION.

en doute les maximes les plus incontestables de la perfection chrétienne. Massillon mérite des reproches à ce sujet ; il sacrifie quelquefois l'exactitude de la morale aux mouvements de rélo- quence, et les objets les plus terribles en eux-mêmes le deviennent encore davantage dans sa bouche par suite des exagérations son imagination l'entraîne. Il semble oublier qu'il vaudrait mieux laisser le pécheur dans l'apathie que de le précipiter dans le déses- poir ; que la voie du ciel est assez étroite par elle-même sans la rétrécir encore, et que le rigorisme d'une morale outrée contredit la parole du divin Maître : Jugum meum siiaveK L'exagération dans la morale, soit du côté de la sévérité, soit du côté du re- lâchement, est donc aussi funeste aux âmes que déplacée dans le ministre du Dieu de vérité; et, en conséquence, faut bien peser d'avance tout ce qu'on doit dire en chaire, ne rien s'y permettre qui ne soit incontestablement exact, n'y énoncer que les prm- cipes qu'on peut suivre dans la pratique, et ne pas être comme ces prédicateurs dont on dit qu'ils surfont en chaire et rabattent au tribunal : Eloqiiia Domini igné examinato.-, eloquia Domini, eloquia casta, argenium igné examinatum, purgatum septuplum^.

Il faut éviter la discussion des objections inconnues aux au- diteurs : car toute objection est comme le fruit défendu ; elle pique la curiosité, elle excite l'intérêt, et est toujours parfaite- ment écoutée : il n'en est pas de même de la réponse ; on y est souvent distrait, et l'objection demeure seule avec l'esprit, avec ses funestes conséquences que le démon et la passion savent bien déduire. De plus, les âmes simples qui ne croient pas possible qu'on ose attaquer la religion pourraient se scandahser dy trait lancé contre leur croyance ; et il est important de ne pas donner lieu à ce scandale.

5" Il ne faut point traiter en chaire les questions douteuses et controversées, ni entreprendre d'établir comme des dogmes ses opinions particulières. Incerta tractari non permittant cpiscopi, dit le Concile de Trente*. En effet, la prédication doit avoir pour objet la parole de Dieu; or la parole de Dieu, c'est le dogme catho- lique, et non les opinions particulières de chaque individu. Le prédicateur est l'ambassadeur de Jésus-Christ et parle en son nom ; il doit donc parler comme parlerait Dieu lui-même, c'est-à-dire

1 Matth., XI, dO. - Psalm., xvii, 51. ^ Psalm., xi, 7. •* Sess. nxv, dé- cret, de Purff.

MATIÈRES BE LA TREPICATION. 59

prononcer autant d'oracles que de paroles : mais s'il prêche ses opinions particulières, il ne parle plus comme Dieu ni d'une manière digne de Dieu ; il parle comme homme, et ses paroles, loin d'être des oracles, sont sujettes à contestation ; il n'a point <lroit de demander créance pour elles et ne peut pas même sans témérité, dit saint Bernard, affirmer ce qu'il enseigne : Opinio qux assertionem hahei, temeraria estK Ce qu'il dit aujourd'hui, un autre pourra le contredire demain, en soutenant que lui seul a raison ; et alors la chaire èvangélique d'où la parole de Dieu de- vait seule descendre, deviendra une arène les hommes se com- battront pour des opinions humaines : témoin de ces débats et incapable d'ailleurs de discerner l'opinion d'avec le dogme, le peuple conclura qu'on peut bien ne pas ajouter foi à tout ce que disent des hommes qui ne s'entendent pas entre eux ; et dès lors, par une conséquence inévitable, le sacré ministère de la prédi- cation sera déshonoré, et toute autorité sera enlevée à la parole de Dieu. De il suit qu'il ne faut point traiter en chaire cer- tains point délicats, comme le sort des enfants morts sans bap- tême^, ou celui des infidèles qui auraient observé la loi natu- relle ; la matière des sacrements de la Confirmation et de l'Ordre, le ministre du Mariage, la mitigation des peines des damnés, le titre de la loi par rapport à l'intérêt, les inventions de certains théologiens pour expliquer la présence réelle, etc.. Observons cependant que le prédicateur ue doit pas se croire obligé à ne dire que les vérités défin-ies; il peut et doit même traiter les vérités qui, sans être décidées, font partie de l'enseignement universel, par exemple, l'union de la divinité au corps de Jésus-Christ pen- dant les (rois jours de sa mort, la nature du feu de l'enfer, la matière et la forme du sacrement de Pénitence, la notion de l'in- dulgence plénière et de l'indulgence partielle, les opinions de morale généralement reçues dans TÉcoie, pourvu toutefois qu'il sépare le certain du probable, les points définis de ceux qui ne le sont pas, qu'après l'exposé des principes généraux communé- ment admis, il laisse les fidèles au jugement de leurs directeurs quant aux applications particulières sujettes à discussion ; qu'enfin il se garde bien de donner des décisions hasardées, de fixer la li-

De Consid., lib. V, c. m. ' Plusieurs abuseraient de l'cnseignemenl gé- néral sur coUe question pour différer de faire baptiser leurs enfants, pour se inénager moins pendant la grossesse, ou munie peut-être pour mettre leur honneur à couvert à la faveur d'un crime.

60 TRAITE DE LA PREDICATION.

mite du péché mortel au péché véniel lorsque renseignement commun ne le fixe pas, et surtout d'introduire dans son discours des opinions singulières, quoique permises dans ll^cole : Ne sin- gulares opiniones, qiianqiiàm in sdiolis afferantur, ad concionem adhibeat, dit saint Charles ; 7iihil quod cum prohatis Ecdesis& doc- toribus consentaneuvi non sit, proférât^.

4" Il faut s'abstenir en chaire de toutes les nouveautés, comme certaines considérations politiques, littéraires, purement philoso- phiques et autres semblables, car le Saint-Esprit dit, dans le Psal- miste, que c'est la parole de Dieu qui convertit : Lex Domini im- maculata convertens animas; testimonium Domini fidèle, sapientiam pi'xstans parnilis; prseceptum Domini lucidum illuminans oculos. Or, ce serait une présomption d'espérer plus de ses propres pensées que de la parole de Dieu. L'Esprit-Saint, d'ailleurs, a tracé le cercle dans lequel doit se renfermer le prédicateur : Prœdicate Evangelium, prxdica verbum; l Évangile, la parole de Dieu, voilà la matière né- cessaire, comme l'âme et la substance de la prédication : y substituer de profanes nouveautés, des questions sociales, économiques, poli- tiques ou philosophiques; prétendre que la chaire doit subir une ré- forme, que les besoins de l'époque demandent un enseignement autre que celui de nos pères, mieux en rapport avec le siècle, c'est dénaturer la prédication et vouloir faire de la tribune évangéhque une école de philosophes livrée, comme celle du Portique ou du Lycée, aux disputes des hommes, à l'arbitraire des opinions, à la mobilité des imaginations humaines ; c'est contredire saint Paul, qui veut qu'on évite même les nouveautés d'expressions : Devitans pro- fanas vocum novitates, et le saint Concile de Trente qui prescrit aux prédicateurs de ne prêcher que la loi de Dieu : Divinam legem an- nuntient; c'est faire le procès aux Chrysostome, aux Grégoire de Nysse et de Nazianze, aux Basile, qui tenaient sans doute parleur en- seignement aux besoins de leur époque, et qui cependant prêchaient comme avaient prêché avant eux tous les hommes apostoliques, sans faire au siècle aucune concession, tenant pour certain que la reli- gion, antique comme le monde, ne souffre de nouveau que le tour qu'on donne à la pensée, ce tour ingénieux qui fait paraître toujours nouvelles les choses les plus anciennes. C'est, enfin, insulter à la pa- role de Dieu que de croire qu'elle est une chose surannée, qui ne convient plus au siècle, qui ne peut plus avoir son efficacité pre-

* Act. Eccl. Mediol., part. IV, instr. praîdic. de materià sacrae concionis.

îlIATiERES DE LA riŒDICATION. 01

îiiière " il y a, aujourd'hui comme toujours, des pécheurs à convertir, cl pour cela il faut, aujourd'hui comme toujours, leur prêcher Jésus- christ crucifié, quoique le Juif s'en scandalise, et que le Grec n'y voie qu'une folie ; il faut, comme l'Apôtre en présence de Félix, les el'hayer par la terreur des jugements de Dieu. De là, nous pou- vons conclure combien sont répréhensibles ces prédications modernes qui n'ont plus de l'Écriture dans leurs sermons que le texte obligé, qui ne prêchent, plus la parole divine, mais de profanes nouveautés ; qui ne vont plus cherclier leurs sujets dans l'Évangile, mais dans les spéculations de la philosophie ou de la politique, ou qui, quand ils parlent du christianisme, semblent prendre à tâche de le séculariser, rougissant de nommer Jésus-Christ en chaire, et mettant à la place de ce nom adorable quelquenom nouveau, le MaUre,\e Christ, etc., n'osant plus traiter ni nos mystères, ni les vertus chrétiennes, ni les analhémes que lance l'Évangile contre les vices et les passions, et aimant mieux présenter cette rehgion divine comme le principe géné- rateur du beau dans la civilisation, dans les arts, etc., comme si c'était pour la civilisation que le christianisme fût descendu du ciel; et ils disent tout cela à des âmes pieuses venues dans l'église pour s'édifier ! On suivrait ces prédicateurs pendant un carême entier, et on ne les entendrait pas parler du délai de la cenversion, d'une seule des fins de l'homme, d'un sacrement , d'un précepte du Décalogue, d'une loi de l'Église, d'un mystère, d'un poché mortel : or, quel fruit peuvent produire dans les âmes de tels prédicateui-s, et quel rapport y a-t-il entre leur genre et le genre des Pères et des prédicateurs de tous les siècles? Le remède à cet abus, c'est de poser en principe que ie langage du prédicateur doit être tellement l'expression des pensées et des sentiments de Jésus-Christ, qu'après l'avoir entendu chacun puisse dire : Hsec dicit Dominus, et que toutes ses paroles puissent être traduites dans le langage môme de l'Ecriture. Tout discours qui ne peut pas subir cette épreuve n'est pas un discours évangéliquc.

Il faut éviter les questions relevées et subtiles qui surpassent la portée des auditeurs : Apud rudem piebem difllciliores ac subtiliores quxstiones... à popularibus concionibus sccludantur, dit le Concile de Trente ^ En effet, quel est le but de la prédication? c'est sans doute l'instruction et la sanctification des fidèles : or, que sert pour cette fin de leur dire des choses difficiles et subtiles qu'ils ne peuvent comprendre? Quelque relevé et magnifique que soit le discours pour

* Scss., XXV, dccr. de Purg

62 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

les savants, il n'est d'aucune lUilité pour ceux qui ne le comprennen pas, et par conséquent leur parler ainsi, c'est se prê(;her soi-même plutôt que prêcher Jésus-Christ ; c'est suivre les inspirations d'un amour-propre avide de gloire plutôt que celles d'un zèle éclairé et sincère ; c'est enfin s'écarter des exemples de Notre-Seigneur, que nous voyons au contraire s'ahaisser toujours à la portée des plus humbles esprits, ménager ses lumières pour ne pas éblouir leur faible vue, leur parler avec la plus grande simplicité et employer pour se faire comprendre les comparaisons les plus communes : mo- dèle qui apprend aux prédicateurs de tous les siècles à ne point faire montre de leur esprit, et à ne dire en chaire que ce qui convient à la portée des auditeurs : d'où l'on voit combien seraient déplacés dans nos auditoires ordinaires, composés de femmes et de gens simples, soit les conférences de M. Frayssinous, soit les sermons de Bourda- loue, de Bossuet, et même la plupart des discours de Massillon : évi- demment, les hautes considérations qu'ils renferment ne seraient pas comprises.

G" 11 faut éviter dans la prédication tout ce qui ne tend pas au salut ou n'est pas propre à le procurer. Quxstiones... quai ad xdifi- cationemnon faciuntet ex quibus nullafit pietntis accessio, à popiila- ribus concionibus secliidantur, dit le Concile de Trente à l'endroit déjà cité. Le caractère de la parole de Dieu, c'est d'être utile : Ego Do- minus Deiis tirns docens te utilia, dit le Seigneur dans Isaïe ^ Le Sage dans l'Ecclésiaste enseigne le peuple ; mais son discours ne contient que des choses utiles et pleines de vérité : Chmqiie esset sapientU- simus Ecclesiastes docuit popidum... quxsivit verba utilia et con- scripsit sermones rectissimos acveritate plenos^. Saint Jean-Baptiste est suscité pour préparer les voies au Messie, mais sa prédication se résume tout entière dans la science du salut: Puer propheta... ad dajidam scieiitiam salutis plebi ejus^. Jésus-Christ dans ses prédica- tions n'a pas dit un mot qui ne tendît au salut; saint Paul prenait à témoin les Éphésiens qu'il leur avait prêché tout ce qu'il leur était utile de connaître : Scitis qucvwdo nihil substraxerim utilium'', et défendait à Tite de s'occuper des disputes de généalogie, parce qu'elles étaient inutiles pour le salut : Genealogias devita : sunt enim inutiles^. Et en effet, puisque le salut est l'unique but de la prédica- tion, tout ce qui n'y tend pas est hors d'œuvre et chose déplacée.

» Isaïe, XLViii, 17. - Eccl., xn, 9. ^ Luc, i, 77. ■» Act., xx, 20. 6 Tit., m, 9.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 63

Jamais donc on ne doit parler en chaire ni de politique, ni d'affaires temporelles, ni d'intérêts personnels, ni de querelles et contestations particulières. Jamais même il ne faut faire intervenir dans son dis- cours des points d'histoire, de science ou d'art, qui ne font rien à la gloire de Dieu on au salut des âmes. Il faut négliger les systèmes de physique, parler du ciel et de la terre comme on en parlait avant Co- pernic et Descartes, et comme en parle encore aujourd'hui tout le monde dans le langage de la conversation. Les discussions scienti- fiques seraient plus que superflues, et pourraient peut-être faire admirer le savoir du prédicateur ou repaître la curiosité des audi- teurs, mais ôteraient au discours son onction et sa force, en allonge- raient inutilement la marche, en feraient perdre de vue le but essen- tiel. Ici donc s'applique parfaitement le mot de Quintilien, qui défend de se laisser détourner de ce qui est utile au sujet par l'appât de la vaine gloire, comme il arrive à plusieurs, dit-il : Cavendiim antè omnia, ne, quocl plerisque accidit, ah ntilitate causx prœsentis cupido laïidis abdîicatK

CHAPITRE IV

Des qualités de la prédication

La prédication peut se considérer ou dans le prêtre qui en est le ministre, ou dans l'auditeur auquel elle s'adresse, ou dans son action sur les âmes, ou enfin dans l'ensemble des parties dont elle se compose. Suivant ces divers rapports, elle doit avoir divers ca- ractères.

Considérée dans le prêtre qui en est le ministre, elle doit être adaptée à sa personne.

Considérée dans l'auditeur, elle doit être appropriée à ceux aux- quels elle s'adresse.

Considérée dans son action sur les âmes, elle doit instruire, plaire et toucher.

1 LiL, XII. c. IX.

64 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

Considérée dans rensenible des parties qui la constituent, elle doit former un tout régulier, et être conforme au principe d'unité qui est essentiel à toute bonne composition.

Revêtue de tous ces caractères, la prédication est parfaite; privée d'un seul, elle est vicieuse. Ce qui ne veut pas dire qu'elle soit coupable et répréhensible devant Dieu : car tous ne peuvent pas s'élever jus- qu'à la perfection de Fart, perfectio paucorum est; et le Dieu juste et bon ne demande à ses ministres que ce qu'ils peuvent. Nous pro- posons la perfection parce que tous doivent y tendre; mais celui qui, sans y atteindre, s'en sera approché selon la mesure de talent qui lui a été donnée, aura rempli tout devoir devant Dieu et devant les hommes. C'est dans cette vue que nous allons exposer les divers caractères de la bonne prédication,

ARTICLE I".

PREMIER CARACTÈRE DE LA PREDICATION; ELLE DOIt ÈTI'.E ADAPTÉE AU PRÉDICATEUR.

Saint Augustin a dit : Il n'y a de véritable éloquence que celle qui convient à la personne qui parle; et rien de plus juste que cette observation. On raconte de Socrate que, Lysias lui ayant lu un dis- cours qu'il avait composé pour sa défense, ce philosophe lui dit : Votre discours est fort beau et parfaitement bien écrit ; mais il ne convient pas à Socrate : Prxdara sanè et elegans oratio est, sed non convenu Socrati. Mais, reprit Lysias, si mon discours est bon et bien fait, pourquoi ne vous convient-il pas? C'est, répondit ce grand homme, que toute chaussure ne va pas à tous les pieds, par cela seul qu'elle est élégante : réponse digne de Socrate. Autre, en effet, devait être la manière de parler d'un philosophe austère, autre le genre d'un rhèlheur aux formes gracieuses et polies. Le discours, pour être utile et goûté, doit donc être adapté à celui qui parle *, c'est-à-dire être en rapport avec son âge ; avec l'autorité que lui donne sa position ou sa réputation ; enfin, avec son genre de talent. Ainsi, un vieillard vénérable pourra sans inconvénient dire bien des choses qui seraient souverainement déplacées dans la bouche

* Providendiim est ne qux dicuntur ab eo qui dicit dmmtiant. . . Idem aliter Csesar, aliter Cicero, aliter Cato sttadere debehit, dit Quinlilicn. iib. III, c. viii. Rien ne s'applique mieux à cette partie de l'art oratoire que les principes de conduite donnés par Cicéron, Iib. I, c. xxxi, de Officiis

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 65

d'un jeune homme *, par exemple, adresser certains reproches aux auditeurs, faire une insliuclion sur le mariage, sur riiupurolé ou autres détails déhcats relatifs à celte matière. Ainsi, un curé ancien dans sa paroisse, un évoque dans son diocèse, peuvent prendre un ton de commandement et d'empire qui serait ridicule dans un jeune prêtre. De même, quoique Bourdaloue ait pu dire : Voilà ce que Dieu 7n inspire pour voire édification, on ne pardonnerait pas cet air in- spiré à un jeune prédicateur sans renom. On ne lui pardonnerait pas plus de vouloir s'élever au-dessus de sa sphère, sortir de son genre et quitter le naturel. Le poëte a dit avec justesse :

Sumite materiam vestris, qui scribitis, asquam Viribus^. . . .

Chacun a son caractère particulier qui le distingue, un genre d'esprit qui lui est propre; chacun a sa manière de concevoir, de sentir, de rendre ses pensées et ses sentiments. Tant qu'on s'en tient là, sans chercher à faire mieux qu'on ne peut, on parle d'une manière, sinon élevée, au moins raisonnable ; et le discours, s'il n'annonce pas un homme de génie, annonce un homme de goût et de bon sens. Les grands hommes ne se sont élevés au degré de perfection ils sont parvenus, qu'en suivant le genre qui leur était propre, qu'en cultivant la spécialité pour laquelle la nature les avait faits, et travaillant à en tirer le meilleur parti possible. <i Remplissez « toute l'étendue de votre mérite, disait le cardinal de Retz; déve- « loppez, autant qu'il est susceptible de l'être, le talent qui vous est « propre; restez ce que vous êtes, ou plutôt devenez tout ce que « vous devez être. » Mais, si l'on veut sortir du naturel, si l'on ne veut plus être soi-même, on éprouvera la vérité de ce mot du poëte:

Tti nildl invita dices faciesve Minervâ.

Et Ton se donnera beaucoup de peine pour ne rien faire de bon. C'est un écart de jugement de mépriser ce qu'on a, de n'estimer que ce qu'on n'a pas, et de courir après des talents qui ne sont pas les nôtres. Si Rourdaloue eût voulu être Bossuet, il eût été un pi- toyable orateur, et si Massillon eût voulu être Rourdaloue, son nom serait demeuré sans gloire. Tel réussit dans le genre doux et calme, qui échouera dans le genre véhément et terrible; tel traite fort bien un sujet il faut du raisonnement, qui sera plus que médiocre dans

* Quintil., lib. XI, c. i. « Art poét.

r.G THAIIE UE LA PHEDICATION.

un autre il faudrait du sonliinont. Toi fera de bons prônes, qui fera de mauvais sermons ; et tel st^'a excellent catéchiste, qui sera pauvre prédicateur. L"art doit perfectionner la nature, mais non pas la forcer: ce qui sort du naturel est fanx, contiefait, maniéré, et dès lors ne saurait ni plaire Jii toucher. Le grand secret est donc de se connaître, de cultiver son genre sans viser à en sortir, et d'adapter sa prédication à sa spécialité.

De ces rénexious, concluons, que chacun doit étudier son apti- tude naturelle, sa position relativement à ses auditeurs, et y accom- moder son sujet, son style, son geste, son ton de voix, sans vouloir se donner plus d'art, plus de science, plus d'extérieur que le naturel n'en comporte.

Concluons, que chacun doit laisser prédominer dans ses dis- cours celle des trois forces oratoires (instmiro, plaire, toucher} dont l'a particulièrement doué la nature. Si l'on a reçu d'elle le don de convaincre par un raisonnement profond, on ne doit pas (juilter ce genre fort et sohde pour le genre fleuri et délicat; si au contraire on a reçu le don de plaire et de toucher par un esprit vif, une imagina- tion brillante, un cœur sensible, il faut se garder d'échanger ce genre pour la gravité sévère d'un théologien qui raisonne et disserte. Par la même i-aison, celui qui a la facilité naturelle de bien parler, ne doit pas détruire son talent pour prendre le genre recherché et extraordinaire, comme au contraire celui qui n'a reçu que le don de parler simplement, doit s"en tenir sans vouloir s'élever plus haut. On ne saurait dire combien d'ecclésiastiques ont perdu leur talent, faute de suivre ces règles : ils auraient pu faire avec succès des instructions familières, et ils se sont rendus inutiles autant que ridicules en voulant faire des sermons relevés et au-dessus de leur portée. Parce qu'ils avaient réussi en quelques prônes, ils se sont imaginé être en état de prêcher des sermons; et, voulant se faire orateurs sans être nés pour cela, ils n'ont été que déclamateurs. Ce langage et ces hautes considérations sortaient de leur naturel ; c'é- taient des armes trop fortes pour leur faiblesse, ils les ont maniées gauchement et sans succès ; malheureux de ne s'être pas dit comme David, lorsqu'on lui fit prendre l'armure de Saûl : Je ne puis marcher ainsi au combat; je n'ai pas l'usage de ces armes : No7i possum sic incedere, quia umm non haheo. Plus malheureux encore de ii'avoir pas eu, au défaut de sens pour comprendre qu'il fallait demeuier dans leur sphère, assez de docilité pour prendre conseil et suivre les avis d'un ami sincère qui leur auiail dit de s'en tenir toujours à

QUALITES DE LA PREDICATiaN. 67

des compositions simples, les seules pour lesquelles la nature les avait faits.

Concluons, 5" que ceux qui commencent ne doivent point, dès leur début, enti^eprendre de grands sermons ni traiter des sujets difficiles qui demandent le talent d'un prédicateur exercé, mais faire leurs premiers essais par des prônes sur des sujets faciles et pratiques, comme les dispositions à la pénitence et à l'eucliaristie ; et peu à peu, si Dieu leur en a donné les moyens, ils s'élèveront à des compositions plus hautes.

Concluons, qu'il faut se tenir en garde contre le désir d'imiter les prédicateurs qui passent pour les plus excellents. On peut bien emprunter d'eux ce qui revient à notre manière de sentir et de dire ; mais vouloir les singer en tout, renoncer à être soi-même pour chercher à être ce qu'ils sont, s'étudier sérieusement à prendre leur ton de voix, leurs gestes, leur regard et toutes leurs manières, c'est se rendre ridicule; c'est une affectation indigne de la parole de Dieu, et que les auditeurs punissent presque toujours d'un sourire moqueur. Mieux vaut être médiocre en son genre que copie défigu- rée d'un beau modèle. On perd ce qu'on a de talent en voulant pren- dre celui d'un autre ^ : tantôt on copie ce qu'il a d'admirable, mais ce qui allait bien dans sa bouche et dans sa composition va mal à no- ire personne, cadre mal avec notre genre, et gâte notre travail, comme le plus beau trait, quand il est déplacé, gâte le plus beau visage; tantôt aveuglé par l'enthousiasme qui fait voir tout en beau dans les prédicateurs de renom, on veut les imiter en tout ; et comme le faux et l'irrégulier sont toujours ce qui frappe davantage, ou copie d'eux précisément ce qu'il en faudrait éviter, semblable en cela au peintre qui attrape plus aisément les défauts d'un visage que la juste proportion des traits.

Concluons, enfin, qu'il n'est pas aussi utile qu'on le croit souvent d'entendre et de consulter les grands prédicateurs : c'est à chacun à se faire des règles propres à son génie, à se perfectionner par le développement de ses dispositions naturelles en conservant toujours son genre de talent, selon que le tempérament, le goût, l'inchnalion, nous l'ont fait.

* L'esprit qu'on veut avoir g5te celui qu'on a. Gresset

.^, TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

ARTICLE 2.

DEUXltME CARACTÈRE DE LA PKtDICATION ; ELLE DOIT ETRE APPROPRIÉE

A l'auditoire *.

* Tous los maîtres dans l'art de bien dire ont proclamé la néces-

* site d'adapter le discours à l'auditoire. Quintilien, dans ses Insti-

* lutions, a consacré un livre entier au développement de cette

* importante matière, qu'il estime la plus essentielle de toutes : Qnx

* est, dit-il, meojudicio maxime necessaria ' ; et Cicéron avait enseigné

* avant lui que l'orateur doit accommoder non-seulement ses pen-

* sées, mais encore ses expressions à ceux auxquels il parle : Non

* enim, dit-il, auditor omnis eodem aut verhorum génère tractandus

* est, aut sententianmi^... Nec semper, nec apud omnes, nec contra

* omnes, nec pro omnibus, eodem modo dicendum*. De dépend

* tout le succès du discours, et on peut affirmer qu'une des princi-

* pales causes du peu de fruit que produisent tant de prédications,

* c'est que le plus souvent elles ne sont point adaptées aux audi-

* leurs. Les prédicateurs composent dans leur cabinet des discours

* vagues destinés à tous les auditoires possibles ils seront appelés

* à porter la parole, sans songer à approprier leur langage aux be-

* soins et aux dispositions d'aucun auditoire particulier. On dirait,

* à voir leur manière de faire, que tous les peuples ont la même

* portée, de sorle que ce qui sera compris dans un endroit devra

* l'être partout; les mêmes besoins, de sorte que le même remède

* devra convenir à tous les malades ; enfin les mêmes dispositions,

* à tel point qu'il soit inutile de varier ses moyens pour s'insinuer

* dans les cœurs et les gagner à la vertu. Par suite de cette erreur,

* on voit certains prêtres se faire un cours annuel de prônes ou

* d'instructions, et se reposer après ce travail fini, croyant satisfaire

* à leur devoir en répétant tous les ans les mêmes discours ; comme

* si les besoins des fidèles ne variaient pas selon les temps, et que

* les circonstances n'amenassent dans leurs idées et leur conduite au-

* cun changement qui exigeât de nouveaux avis, comme s'ils ne fai-

* saient aucun progrés dans la religion et la pratique de la vertu ;

* S. Grégoire, livr. S. Augustin, de catechîzandis Rudibus. Pastoral de Limoges, t. II, 1" part., tit. vu. Introductio Catecliismi Conc. Trid., § 4. * Lib. XI, I. ' Orator, lxxi, * Orator, cxxm. Voyez encore de Oro^, 210.

' QUALITES DE LA PREDICATION. 69

* comme si, enfin, après de longues années de ministère, le pasteur

* ne les connaissait pas mieux, n'était pas plus formé à la science

* de son état, capable, par conséquent, de leur dire des choses

* plus utiles et plus pratiques que le premier jour. Ce n'est pas

* ainsi que procède le prédicateur qui entend son devoir : convaincu

* qu'il n'y a de bonne instruction que celle qui est adaptée à l'audi-

* toire, selon l'avis de l'Esprit-Saint : Sermo opportumis est optimus^,

* il considère moins ce qui convient à la nature du sujet que ce qui

* convient à ceux à qui il adresse la parole, moins ce qu'on peut

* dire sur telle matière que ce qu'il est à propos de dire à de tels

* auditeurs : et le soin d'entasser des passages et des réflexions

* de manière à former un discours complet ne vient qu'en second

* lieu, après l'élude simultanée et de l'état moral des fidèles qu'il

* doit évangéliser, et des moyens les plus propres à les éclairer et à

* les convertir : car on ne prêche pas pour parler, mais pour chan-

* ger les cœurs, et il n'y a pas d'apparence que l'auditeur songe à sa

* conversion, si le prédicateur n'y pense le premier et n'en prépare *les voies.

Pour donner les développements nécessaires à une matière si im- portante, nous traiterons en trois paragraphes l'obligation et la manière d'adapter son discours : à la portée des auditeurs; 2" à leurs besoins; 3" à leurs dispositions.

De l'obligation et de la manière d'adapter son discours à la portée des auditeurs.

Entre les divers rapports sous lesquels le prédicateur doit adapter son discours à son auditoire, il est évident que celui-ci est le pre- mier. Car la première condition pour que deux personnes traitent l'une avec l'autre, c'est qu'elles se comprennent. Nous parlerons donc : 1" de l'obligation d'adapter son discours à la portée des au- diteurs, 2" de la manière d'y réussir.

SECTION i^\ De robligation d'adapter son discours à la portée des auditeurs*.

* Quoique cette obligation soit si évidente par elle-même qu'aucun

* homme de sens ne la puisse nier, il n'est pas moins nécessaire de

' Pi'ov , XV, 25.

* Voyez le Prédicateur apostolique, par le P. Eudes. S. Liguori, Véritable

7jft TUAITÈ DE LA PnÉDICATlON.

* la faire ressorUr dans loule sa foi-ce, car, si tous l'admettent en

* théorie, Irès-peu s'y conforment dans la pratique. On ne se repré-

* sente poiat assez, en écrivant ses discours, comment sont composés

* presque tous nos auditoires même dans les grandes villes ; on ou-

* blie que les hommes instruits étant partout en minorité, que nos

* églises étant d'ailleurs fréquentées par les petits et les pauvres

* beaucoup plus que par les grands et les riches, les persomies capa-

* blés de comprendre les choses difficiles y sont presque toujours en

* moindre nombre, de sorte que la masse de l'auditoij'e se compose

* de gens simples et sans lettres qui n'entendent rien aux expres-

* sions relevées, aux longues périodes, aux pensées subtiles et abs-

* traites. De tant de discouj'squi n'apprennent rien, parce qu'ils

* ne sont pas compris ; de l'inutilité de la prédication, l'iguo-

* ranee des peuples, le dépérissement de la foi et la dépravation

* des mœurs ^

Prêcher ainsi sans se mettre à la portée de ses auditeurs, c'est abuser de la parole, s'écarter des règles de la véritable éloquence, jublier les exemples de Jésus-Christ et des Saints, prévariquer contre on ministère ; c'est la même faute que si l'on ne prêchait pas ; c'est, sous certains rapports, une faute plus grande encore ; c'est enfin una faute sans excuse. Reprenons chacune de ces assertions.

C'est abuser de la parole : car la parole n'a été donnée à l'homme que pour être un moyen de communication d'idées avec ses semblables, et comme le véhicule des pensées de l'un dans l'esprit de l'autre : or, évidemment elle ne pont atteindre ce but qu'autant qu'elle est comprise : si donc celui qui me parle ne se met pas à ma portée, il manque la fin pour laquelle Dieu lui a donné la noble faculté du langage, il est pour moi comme un étranger qui me parle une langue inconnue : Si nesciero virtutem vocis, qui loquitur, miki barbarus *. 11 dépense sa voix sans raison, dit saint Augustin, puisque

manière de prêcher à VapostoUque. Lettre à un religieux de ses amis. - L'Eloquence clu'étienne dans l'idée et la pratique, par le P. Gisbert de la S. J. Muralori, de l'Éloquence populaire dans la Mi'thode générale de Catéchisme, par M. Dupanloiip, t. II, p. 5 et suiv.

* Contliujil m/iltis concionaturibus, dit Piollin dans la préface de son édition des Institutions de Quintilien, quia non satis cogiiant plerosque audientium, etiam inter eos qui in caHeris eruditi videnliir, sxpè in rébus divinis infantes esse et novitios, continrjit illis, inqnam. nt diim inayna et siiblimia affectant, facii velut ses sonates aut ci/wbaium tiniiicns, nihd prxter canoros strepitns edanl, quibus non pasii, sed illusi, pleriqiie vacni et inancs integram et jejiinam famem do- mum référant. Parvuli peUerunt panem, et non erat qui frangeret eis.

* I Cor., XIV.

QUALITES DE LA PRtDlCATiON. 71

nous ne devons parier que pour être compris : Loquendi omnino miUa causa, si quod loquimur non intelligimt ii quos ut intelligant loqiiimur ^ et volontiers on lui appliquerait ces vers du poêle Maynard à un écrivain de son temps :

Mon ami, chasse bien loia Cette noire rliétorique : Tes écrits auraient besoin D'un devin qui les explique. Si ton esprit veut caclKr Les belles choses qu'il pense. Dis-moi, qui peut t'empôchcr De te servir du silence *?

Le conseil était très-raisonnable : il vaut mieux se taire que de parler pour n'être pas entendu.

2" C'est s'écarter des règles de la véritable éloquence : car la véri- table éloquence ne consiste pas à se faire admirer par les grâces de son style, par de belles périodes et d'élégantes figures, mais bien à agir sur les esprits et les cœurs : sur les esprits, en les éclairant par une instruction solide et leur imprimant de fortes convictions ; sur les cœurs, en y faisant pénétrer la persuasion avec ses vives émotions qui subjuguent la volonté, qui l'entraînent comme de vive force et transforment pour ainsi dire en un autre homme l'auditeur vaincu. Or, il est évident que la première condition pour obtenir ces grands effets de l'éloquence, c'est de se mettre au niveau de ceux à qui l'on parle et de s'en faire parfaitement comprendre. Tel est le secret par lequel le fameux O'Connell a exercé sur sa nation, pendant tant d'années, une si grande puissance de parole, remuant les masses et les retenant, les maniant et les gouvernant comme un seul homme : c'est que son langage véritablement éloquent, précisément parce qu'il n'avait rien de semblable à cette parole brillante qu'il faisait entendre devant le Parlement, précisément parce qu'il était popu- laire, était parfaitement adaplé à la portée de ses auditeurs ; un dis- cours académique eût trouvé les populations inattentives et les eût laissées inertes. .Vussi Quintilien a-t-il bien raison de dire : Apiid populum qui expluribus constat indoctis, secundùm communes mugis

t DeDoct. c]irist.,lib. IV, 10.

* An scire a'que iiitclli^icre nemincm vis, qux dicas? Qtiidni, homo inepti', ut quod lis, (ibnndè conscquaris, tuccs'f Aulu-dclle, i, 10. Noitne satins est viii- tum esse quàm, quod nemo intelliyal, dicere? Gic, Philippic, m, c. ix, n. 22.

72 TRAITE DE LA PRÉDICATION.

intellectus loquendvm ', et les prédicateurs de notre siècle ne sau- raient trop méditer cette grande et utile leçon.

Ne pas se mettre à la portée de ses auditeurs, c'est oublier les exemples de Jésus-Christ et des Saints; car Notre-Seigneur variait le fond et la forme de ses instructions selon la portée de ceux auxquels il s'adressait : il parlait un langage élevé et raisoinié avec les doc- teurs de la loi, et les pressait par l'Kcriture ; mais quand il s'adresse au peuple, il l'instruit de la manière la plus simple et la plus fami- Mère; toutes ses paroles sont claires, ce sont des maximes courtes, faciles à retenir et pleines de substance, comme on le voit dans le sermon sur la montagne : pour se faire comprendre, il descend jus- qu'aux comparaisons les plus humbles, celles du laboureur, du fer- mier, de la semence, de la vigne, du figuier et autres objets que les auditeuts avaient tous les jours sous les yeux. Il ne leur parle, dit saint Marc, que selon qu'ils étaient capables de comprendre, proiit yoteroMt audire^, et il s'abstient de leur dire ce qui eût été au-dessus de leur portée : Adhuc haheo midta diccre vobis, sed non potestîs por- tare modo'. A l'exemple de ce divin Maître, les apôlres ont toujours proportionné leurs discours à leur auditoire. Je n'ai pu, dit saint Paul aux Corinthiens, vous parler comme à des personnes spirituelles; je vous ai donné le lait de la doctrine élémentaire comme à des en- fants dans la piété, et non la nourriture solide d'une doctrine plus élevée ; vous n'étiez pas capables de la comprendre et de la goûter : Non potui loqui vobis quasi spiritualibiis. Tanquàm parmdis in Christo lac vobis dedi, non escam; nondhm enim poteratis'^. Cet excellent prédicateur, qui savait parler la plus haute sagesse devant les par- faits, ménageait prudennnent les sources de ce savoir immense puisé au troisième ciel, et n'en produisait au dehors que la petite partie que l'esprit de ses auditeurs pouvait porter : il craignait justement que trop de science ne les eût accablés comme on voit la pluie qui tombe par torrents écraser au lieu d'arroser, tandis que celle qui tombe goutte à goutte féconde heureusement la terre. La méthode de Jésus-Christ et des apôtres a été celle des saints prédicateurs de tous les siècles. Saint Basile, au rapport de saint Grégoire de Nysse, prêchait de telle manière que les plus simples comprenaient ses discours, et que les plus savants les admiraient. Lorsque saint Jean Chrysostome commença à prêcher, il employa un langage relevé; mais une fennne du peuple lui ayant dit : Mon père, nous autres

» Lib. III, c. viiî. ' Marc, iv, 55. ^ Joann., xvi, 12. * I Cor., m

nilAMTÈS DE LV PI'.ÉDIGATION 75

pauvres d'esprit, nous ne vous entendons pas, il cliangea aussilûl sa manière et prit ce genre simple qu'on remarque dans ses Homélies, toujours intelligible à tous, malgré l'éclat de l'éloculion, et abondant en comparaisons tirées d'objets sensibles connus du peuple. Saint Augustin, ce génie si sublime, prêcbant devant les marins et les marchands d'Hippone, s'abaisse a leur portée et leur parle le langage le plus clair : il avait d'abord écrit contre les Manichéens dans un style relevé, qui faisait que ceux qui avaient peu de science ne l'en- tendaient qu'avec peine ; mais sur les représentations qu'on lui fit, il prit le style simple et ordinaire, qui, dit-il, a cet avantage au-dessus de l'autre, d'être intelligible tout à la fois et aux savants et aux igno- rants ^ Quoi de plus clair et de plus à la portée des peuples, que les Homélies de saint Grégoire le Grand? On voit qu'il pratique excellem- ment ce qu'il avait dit en commentant ces paroles de Job : Super illos stillahat eloquium meum^. Celui qui instruit les autres, disait ce grand docteur, doit se proportionner à la faiblesse de ses auditeurs, ne laisser tomber sur eux ses instructions que peu à peu, goutte à goutte, selon qu'ils sont capables de les recevoir, et s'abstenir de tout ce qui est trop relevé pour être utile ; en agir autrement, ce serait chercher sa gloire plutôt que le bien des âmes. Tous les saints prêtres, tous les saints missionnaires qui ont fait de grands fruits dans l'Église, ont redit le même précepte et donné le même exemple. Saint François de Sales y insiste d'une manière spéciale, dans sa lettre à l'Archevêque de Bourges ; saint Vincent de Paul ne cessait de recommander à ses missionnaires la plus grande simplicité dans la pensée et dans l'expression, comme le moyen le plus propre à in- struire et convertir. Enfin, saint Liguori a fait un traité entier sur cette matière'. « Si le bas peuple, y dit-il, ne doit pas comprendre, « pourquoi l'appeler dans les églises? dés lors la parole de Dieu lui « devient inutile, et toute la peine qu'on se donne en chaire est « perdue pour la presque totalité des auditeurs... Pour moi, ajoutait ( ce saint Évêque, je n'aurai pas à rendre compte à Dieu de mes ser- « mons : car j'ai toujours prêché de manière à me faire comprendre « de la bonne femme la plus simple et la plus grossière. » Donc, pouvons-nous conclure, ne pas mettre son discours à la portée des auditeurs, c'est oublier les exemples de Jésus-Christ et des Saints. 4" C'est prévaiiquer contre son ministère : car tout prédicateur est

» De Gcn. contra Miniich., lih. 1, 1. * .Toit, x\ii, '22, » Do la Véritable Manière de prèclicr à raj)Osloli(iuc.

74 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

rairibassadonr de Jésus-Clirist auprès des hommes ; or, le devoir d'un ambassadeur est d'expliquer clairement et de faire comprendre à ceux vers qui il est envoyé les volontés de son maître. Tout prédica- teur a pour mission d'instruire les peuples et de presser leur con- version. Or, celui qui ne proportionne pas ses discours à la portée des fidèles n'instruit pas et convertit moins encore, puisque évi- dennnent un discours qu'on ne comprend point ne peut porter ni instruction dans les esprits, ni dispositions à la conversion dans les volontés ^ En vain allé^erait-on pour excuse que quelques-uns comprennent : le prédicateur est redevable de son ministère à tous, aux ignorants et aux pauvres, autant et plus encore qu'aux savants et aux riches. S'il en prive les premiers qui sont partout en majorité, s'il semble avoir honte d'être compris par eux et ne vouloir être com- pris que par les gens de lettres qui sont partout en si petit nombre, il prévarique contre son ministère.

5" Il commet la même faute que s'il ne prêchait pas. En effet, que dirait-on d'une nourrice qui, au lieu de donner du lait à des enfants à la mamelle, ne leur donnerait que des viandes solides qu'ils ne sau- raient ni manger ni digérer? Que dirait-on d'un père qui, au lieu de couper le pain par morceaux à ses enfants de manière qu'ils pussent s'en nourrir, placerait devant eux un pain entier qu'ils n'auraient pas la force de rompre pour apaiser leur faim? Est-ce que cette nour- rice, est-ce que ce père ne seraient pas réputés, devant Dieu et de- vant les hommes, coupables d'homicide comme s'ils avaient laissé mourir ces enfants sans aucune nourriture? Or, telle est l'image exacte du pasteur qui ne met pas sa prédication à la portée de ses auditeurs : il leur donne bien un certain aliment, mais un ahment qu'ils ne peu- vent prendre ni digérer ; il leur faudrait, comme à des enfants dans la foi, le lait des doctrines élémentaires, et il leur présente une viande solide qui ne convient qu'aux forts ; il faudrait leur rompre par morceaux, pour ainsi parler, le pain de la parole évangélique,

* Saint Liguori, parlant des prédicateurs de carême qui ont leurs discours dans la mémoire, et n'y chang'ent jamais un mot, quel que soit l'auditoire, ra- conte que le cardinal l'ig-natelli, archevêque de iNaples, recommandait un jour à des prêlres qui partaient pour une mission de metti^e leurs discours à la portée du peuple, parce que, disait-il, tout sermon qui n'est pas à la portée de ceux qui doivent l'entendre, est un sermon inutile. Vous me répliquerez, ajouta ce prélat, que la recette est faite; en ce cas, je répondrai : Pauvres malades! Ce prélat, reprend saint Liguori, avait raison; car quel bien peut tirer mi ma- lade d'une recette que le médecin aui'ait faite au hasard et à l'avance, sans connaître celui qu'il aurait à guérir?

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 75

c'c'sl-à-dire la leur expliquer jusque dans les plus petits détails, et il ne leur dit que des généralités qu'ils ne peuvent saisir, de sorte qu'ils demeurent fout aussi ignorants, tout aussi étrangers à la foi que ceux qui n'en entendent jamais parler. Il ne suffit donc pas aux pasteurs de prêcher chaque Dimanche ; s'ils ne mettent leurs discours à la portée de leurs audileurs, ils seront condamnés devant Dieu comme s'ils n'avaient pas prêché.

C'est même sous certains rapports une faute plus grande que l'absence de toute prédication : car, en prêchant ainsi, on dégoûte les peuples de la parole de Dieu, ils la prennent en aversion et ne viennent plus l'entendre, tandis que si l'on ne prêchait pas, il y au- rait une prévention de moins contre les prêtres qui se présenteraient ensuite pour les instruire. Puis on prend la place d'un prédicateur utile, et par non-seulement on ne donne pas aux peuples le pain de la divine parole dont ils ont besoin, mais on empêche qu'un autre ne vienne le leur rompre. De plus, on donne un exemple contagieux à ses confrères, qui finissent par l'adopter, croyant que c'est le bon ton de la chaire. Enfin, l'absence de toute prédication serait un mal patent que le pasteur se reprocherait, dont le peuple se plaindrait, et dont les supérieurs ecclésiastiques feraient justice, tandis que la prédicafion qui n'est pas à la portée des peuples est le voile qui cache le mal, c'est le palliatif de la gangrène, lequel trompe les fidèles, les supérieurs ecclésiastiques et souvent même la conscience du pasteur qui se fait illusion.

Prêcher ainsi, c'est une faute sans excuse : car que peut-on alléguer pour justifier un pareil abus de la parole sainte? C'est, dit-on, qu'il peut se trouver dans l'auditoire un certain nombre de personnes instruites. Mais est-ce qu'un discours simple, clair et solide n'est pas fait pour plaire à tous les esprits? Mais n'est-ce pas un abus déplorable de ne prêcher que pour le très-petit nombre personnes éclairées qui peuvent se trouver dans l'église, quelquefois même pour un ou deux, protides dont on convoite l'estime, dont on redoute la critique, et de laisser sans instruction la presque totalité des auditeurs? est, dans une pai'eille conduite, la pureté d'inten- tion, le zèle de la gloiie de Dieu et du salut des âmes? Quoi! pour contenter quelques personnes, priver tout un grand peuple qui écoute de l'instiuction dont il a besoin ! Un pareil désordre ne peut cerlai- nement trouver grâce devant Dieu, ni même devant les hommes d'esprit qui ont du sens; car ils doivent se dire en entendant ce dis- cours : Non eral hic Iocuh : ce lanir.i'ro est un contre-sens devant un

76 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

tel aiulifoire. On allègue encore que, ne voulon^ rien dire que ne puissoiit comprendre les gens simples et sans lettres, ce serait frap- per de mort l'éloquence de la chaire. A cette excuse, nous répon- drons que, si ce genre d'éloquence ne pouvait se conserver qu'au déiriment du salut des âmes, il vaudrait mieux mille fois qu'il pérît. Mais il est faux que l'éloquence de la chaire soit incompatible avec le genre simple; saint Vincent de Paul, dans ses discours familiers, est pathétique et entraînant, et on y trouve des traits qui feraient honneur aux plus grands orateurs. Il n'y a, dit QuintiUen, que des orateurs de mauvais goût qui croient avoir beaucoup d'esprit quand il en faut pour les entendre : Tune demùm ingeniosi si ad intelliijen- dos nos opus sit ingenio ^ Le seul bon discours, au contraire, nous dit ce prince des rhéteurs, est celui qui est clair pour les ignorants, sans que les savants y trouvent rien à reprendre : Sermo doctis pjvbabilis et planus imperitis-; et toutes les fois que l'auditeur n'a pas assez de son esprit pour comprendre un discours, on peut prononcer que ce discours est mauvais : Otiosum {seu vitiosum) sermonem dixerim, quem aiiditor suo ingenio non intelligit *.

SECTION 2.

De la manière d'adapter son discours à la portée de ses auditeurs.

* On se fait rarement une idée exacte de ce que doit être un dis-

* cours pour être à la portée du peuple qui compose ordinairement *nos auditoires. Nous nous imaginons que les autres comprennent

* ce que nous comprenons nous-mêmes ou ce que comprendraient

* les gens de lettres, que ce qui est clair pour notre intelligence le

* sera aussi pour l'intelligence des autres, et nous oublions la dis-

* tance immense qui existe entre la portée d'un esprit cultivé et la

* portée d'un esprit inculte, incapable de saisir toute pensée, toute

* tournure ou expression qui n'est pas de la plus grande clarté : pre-

* mière erreur de bien des prédicateurs*. Une seconde, c'est qu'ils

* s'imaginent que se mettre à la portée du peuple, c'est parler un

* langage trivial, bas et négligé ; et ils ne pensent pas que la parole

* de Dieu doit toujours être traitée avec honneur, que la simplicité

« In Pram., lib. VIII. « Ibid. ' Lib. VIII, ii.

* On raconte de Molière qu'il récitait ses pièces de théâtre à sa servante, et estimait mauvais tout ce qui n'était pas clair pour elle et ne lui faisait pas une impression analogue aux paroles. Que de choses à réformer dans les sermons, si on les soumettait à une épreuve semblable!

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 77

* de l'expression n'en exclut point la noblesse, et que la manière de

* parler de la religion ne doit jamais provoquer le rire ou le mépris

* des peuples, mais commander leur respect et leur vénération. Une

* troisième erreur consiste à penser que la bonne manière de parler

* aux peuples, c'est de dire les cboses comme elles se présentent à

* l'esprit, sans s'y être préparé : étrange illusion, que nous aurons

* occasion de réfuter plus tard. Nous dirons seulement ici que plus

* les peuples sont grossiers et ignorants, plus il faut de préparation

* pour se rendre intelligible. On se fait facilement comprendre à un

* homme d'esprit : Intelligenti pauca; mais s'adresser à une multi- *tude sans instruction, avoir à mettre à sa portée des notions spiri-

* tuelles de l'ordre le plus élevé et étrangères au cercle accoutumé

* de ses pensées, voilà qui est vraiment difficile et demande une

* forte préparation, beaucoup de tact et une grande patience de ré-

* flexion.

Pour réussir dans une telle entreprise il faut : choisir un genre et un sujet proportionnés aux auditeurs; 2'' disposer le tout avec ordre; 5'' l'énoncer avec clarté. Ceci a besoin de quelques dévelop- pements.

Il faut choisir un genre et un sujet proportionnés aux auditeurs; c'est-à-dire que, s'ils sont pour la plupart peu versés dans la con- naissance de la religion et la culture des lettres, l'instruction fami- lière et catéchistique est le genre qui convient; si, au contraire, ils connaissent déjà les vérités de la foi et ont reçu une certaine éduca- tion, c'est le sermon ou un cours de religion développé; si, enfin, il y a mélange de ces deux classes d'auditeurs, il faut prendre un genre mitoyen, propre tout à la fois à se faire comprendre des igno- rants et à intéresser les savants. Quant au sujet ou au fond du discours, il ne faut choisir pour les auditoires ordinaires que des su- jets simples, accessibles à toutes les intelligences, n'employer, en les traitant, que des preuves qui soient à la portée de tous, des raisons faciles à comprendre, des comparaisons familières, des exemples sensibles, des traits d'histoire, surtout d'Écriture sainte, et omettre toutes les raisons qui ne pourraient être saisies que par des esprits exercés et élevés. Avec un sujet simple, traité simple- ment, un prédicateur médiocre produit plus de fruit que n'en pro- duirait dans sa place le premier des orateurs, déveloi)pant de su- blimes doctrines; et son infériorilé'inênic tourne au bien des âme.s, selon la remarque d'Aiislote, qui dit que les hommes peu érudits sont plus propres que les savants à persuader le peuple parce que,

T* TP^arÉ DE LA rR£.DtaTia-M.

n"etant capables que de choses commîmes, ils se trouvent par aièflae plas à la portée de leurs auditeurs : Mugis idonei ad persua- iendiLm mnL ineruiiti quàm eruditi intar vvlgares , quià commiima

S"* Il faut disp-^iser tout sou discours avec ordre, c'est-à-dire qu'il Êaut que dans le discours tout soit à sa place, que la matière soit bien liivisee, les pensées parfaitement coordonnées et si bien enchai- aées entre elles qu'elles paraissent naître sans effort les unes des autres; il faut que l'esprit sort toujours mené par mie marche droite et naturelle du connu àlinco-nnu, du plias connu à ce qui l'est moins, sans qu'il y ait jamais- de passage brusque et non ménagé d'une aoliûîi à une autre. Ce bel ordre fait quse les auGMteurs saisissent fa- cilefflent et trouvent presque toutes les matières à leur portée.

3' 11 faut s'énoncer avec clarté, c'est-à-dire d'une manière si in- telUiible, que la pensée exprimée par la parole passe sur-le-cbamp et sans effort dans l'esprit de l'auditeur, et que comme le soleil frappe nos yeux sans que nous y songions et presque malgré nous, le discours par sa clarté non-seulement puisse se compreûdre. mais ne pa.s.-e pas ne point être comprise irest la qualité fondamentale de tout discours, dit Ouintiiien : Prima virtus perspicuitas-, et c'est en particulier comme l'essence de la langue française ; elle cesse d'être elle-même, dès qu'elle cesse d'être claire. Mais si elle doit être claire partout, eEe doit l'être plas encore dacs la prédication. Là, elle doit surpasser la clarté du genre épistolaire. la clarté même si limpide du langage de la conversation, parce que, dans une lettre OQ peut découvrir le sens d'un passage obscur par une seconde lec- ture plus attentive; et dans l'entretien familier, on peut se faire ex- pliquer ce qu'on n'a pas compris, tandis que, dans la prédication, l'usage et les bienséances ne permettent de faire répéter au pré- dicaieur ce qu'il a dit, pour essayer de raieir: idre, ni de loi

demiinder des explicatioas^. Il faut donc q - - .- de toutes ses paroles soit tellement clair, qu'il soit saisi du premier coup, et pour ainsi dire à la volée, par des auditeurs dont plusieurs sont peu in- telligents, et qui presque tous ne donnent pas à toutes les parties du discours une attention également soutenue. C'est l'avis que donne

* Id in consilio est hahendmn . . . Multis enm (anditorem) frequenier cogitatio- nïhus a^ocari, nisi tàm. clara fuerint ea quEe dicimus ut in animara ejus oratio, lit sol in nciilos. etiamsi non intendatur, inairrat. Quarè non ut iniellig'ere pœsit, aedne (anninc possit non intelli^ere carandum. Quint., Ub. VlII. ii. * Hid. ^ S. iugust.. de Doctr. ciiri.st., lib. IV, xiy.

criuns K râmcsnim

QùtffioipoiirtBas ksdisooarspBUics: fùmmémmi

qaod otiosum fcrUsse ledmem «ne /Ui^

iHC&K rrp^Êimr exfiecUÊt^', etti est aasâle jj ■tîwn iii et

IVosper : Toi sàiipter et mpertus... aermm deket esse, Atl^ itf

mteUifemtiÊ sm nmUos fwnnw im^erilos eaimàat^.

Pour dUôndre cette pai&ite darté, ï est des lè^es à ohaaKa dasDsremploidesnHifs, AmsI» toarire des phi jlh..1j, jb«s la mard?? gêflénle da &ooors, et oifia daas TBage de «filai» Mijais I^k: peot s'aider le prê&atear.

1* Bè^ks ooneetaxM Fea^Qî as ne^

i^BèfU. Pour être ckir,kfn£ctfear dot éâto-: t'insles tennesderécaie, t^ ye esttmce, aArimcg, mmàrmiXy OÊMx matérkUt, fsnmeSe, efficiaÊi^faÊmU^ 9em€~,e^èa A. qae le peiqftie n'atfendpas; ^ les nais twJwifes et tirés des arts et des sriflBCBS, da grec <m Cane antre fai^ae^Be les pi I iiiim I iMiiiii tiiimiil mV MWfuiilii .TV nier iltili lil!^ les tenues trtsç g^ièravL, oâcuns le sauulîsae, le setràBclûaK, le «ylif îiwe, etc.^ tooies exjppesâMis aaoqades lapliifiîn if:^ ■liili m ' m'entendent xien; 4* Iwis les ewb svannês oa «<^q"*t¥*». ansâ liîai que toœ ks nèologisBâs «a mots j qaâ ne panent être compris qae des sasams, etpaBB-riatâffiçanoe «ip«MpM»fe; le pol^ aurait besrâi fm dîftiawnaîre'. Fnrei, dsail César, diè par AnliHbeiie. fuyez rn—T an éenâl taate expression non consacrée par an usage constant: Tafàn» iciya fmai^ ac/ayâar tasolens terinai ^ à» ks apressians qai minfnfnt de natmel, ^ sont affectées, prtHafitîeBses, guindées on bonrsoaâèfê. lâen n ^ à of^Kisè à la clarté qae cette manière de s'espnma'. etTuk^iers os rappellerait aux partisans de cemaarais ge^^recemetdelaBmTèfe: ( Vous Toalez. Acis^ me dire qaH ^t froid? qne ne me d^ei~Toas : lH lait firtMd? Est-ce donc vn si grand md d'être entendu qnand on t parkâ de parkroaoMnelonlle monde?) d' Ls expierions tirées àalai^gage mystique que k peafde ne ooaopRnd pas, comane la wic spùitÊtilc, ïkmmmte auhnaf, k rieU hmmme et k aauw/ hoKWkt, FninâyBfâaB, la nâpènû'afâw et les aatics paraks de TEciiuire

Tîe 4a cavfinl de Cfaneras, Pl 3S. 51 et «•. « Aaii-Cdfe, A. l. x. Qoùtifiai dit. di^ le Mtee seas : CmMiwttmâf. turtietimm ttfM*mâi ■wftùfra

80 TP.AITÉ DE LA PI'.ÉDICATION.

saillie, allégoriqiK^s ou métaphoriques, qui font allusion à des faits anciens, pou connus des auditeurs.

2' Règle. Quand pour rendre certaines pensées il ne se présente d'expressions propres que certains mots qu'on soupçonne n'être pas bien compiis des auditeurs, il faut les expliquer avec une parfaite netteté et ne rien laisser passer d'obscur sans l'éclaircir. On doit éviter toutefois, autant que possible, de mettre dans son discours trop de mfts à expliquer ou d'expliquer trop longuement ceux qui en ont besoin : des explications trop répétées ou trop longues rendraient le discours languissant, en interrompraient la marche et en ôleraient la vie.

Règle. Quand les termes usités dans le vulgaire font mieux comprendre ce qu'on veut dire, il ne faut pas rougir de les employer, quoiqu'ils ne soient pas conformes à la langue. L'essentiel est de se faire comprendre et non d'avoir l'approbation des grammairiens : Meliùsest ut reprehendant nos gmiimiatici quàm no7i intelligant po- puli, dit saint Augustin^ : et le même saint docteur ajoute qu'eu Afrique, les ignorants comprenaient mieux le barbarisme ossiim que le mot latin os, il ne fallait pas faire difficulté de l'employer en les instruisant : Cur doctorem pietatis pigeât imperitis loquentem ossum potiits dicere quàm os^'^. Exemple qui nous apprend que le commun du peuple entend très-peu le français, il faut l'instruire dans son langage vulgaire qu'on appelle ^m/om; autrement les fidèles croupiraient dans l'ignorance et dans tous les vices qui en sont la suite. On doit se garder toutefois des manières de parler basses ou ridicules. 11 y a dans le patois, comme dans toute espèce de langue, une manière de s'énoncer qui ne prête point à rire, qui a même sa dignité et sa noblesse.

2" Règles concernant la tournure des phrases.

1"^^ Règle. Il faut éviter les périodes trop longues dont le sens demeure longtemps suspendu, ou dont les membres n'ont pas une liaison facile à saisir. Ces longues périodes fatiguent l'attention des auditeurs ou en dépassent souvent l'intelligence. « Il faut se garder, « dit saint François de Sales, des quanquàm et des longues périodes {( des personnes de classe : tout cela est la peste de la prédication. » Il vaut mieux couper ces phrases trop longues, sans cependant tomber

* In Tsalm. 138 - De Doctr. christ., lib. IV, xxiv.

QUALITÉS DE l.A rRÉDlCATlUN. 81

dans l'excès coiilrnire des phrases trop courtes, d'où résiillerail un style haché, satilillant, par conséquent maigre, sec et sans dignité.

2^ Règle. Il faut éviter les circonlocutions, les phrases inci- dentes, les expressions ou épilhéLes inutiles, enfui les ornenienis superflus qui, noyant la véiité dans un luxe de paroles et d'images, rendent le discours obscur, et distraient ou au moins occupent sans utilité l'attention de l'auditeur : rien ne favorise plus la clarté que de parler simplement et avec précision, n'employant les mots (ju'autant qu'ils sont nécessaires pour rendre la pensée, et retranchant impi- toyablement tous ceux dont on peut se passer sans que l'auditoire y perde rien

5*= Règle. Il faut éviter les arrangements de mots qui ne sont pas naturels, les tournures de phrases embarrassées, entortillées, traînantes, obscures, qui ne présentent pas dès le premier abord un sens net et développé, mais surtout les ambiguïtés et équivoques qui résultent si souvent de l'emploi des pronoms : il, le, la, son, sa, ses, parce qu'on ne voit pas clairement à quoi ils se rapportent, connue dans cette phrase : Les Mages qui cherchaient Jésus-Christ en pré- sence d'Héi-ode, montraient bien qu'ils ne craignaient pas sa colère : ils disaient hardiment qu'ils avaient vu son étoile', ou mieux encore dans celle.-ci : Le casque de Goliath qui fut tué par David, faisait la charge de son ccuyer : il 77iarchait devant lui, et il croyait l'effrayer par SES menaces.

4" Règle. Il faut étudier la manière dont le peuple qu'on est chargé d'instruire conçoit les choses et rend ses idées, les figures et les comparaisons qui lui sont les plus ordinaires, les tournures qui lui sont les plus familières, et se rapprocher de sa manière de con- cevoir et de parler, autant que le permet la dignité de la chaire : rien n'est plus propre que cette méthode à mettre la prédication à la portée de l'auditeur.

5" Règle. Lorsqu'il est nécessaire, "oonr se faire mieux com- prendre, de sacrifier les grâces et même la pureté du langage, il faut le faire sans hésiter et préférer la tournure ou la manière qui fait le mieux entendre ce qu'on veut dire, quoiqu'elle flatte moins l'o- reille ou soit moins cnuformc aux règles. Evideutix appetitns, dit saint Augustin, aliquando negligit verbacultiora, nec carat quid benê sonet, sed qxdd benèindicet quod ostendere intendit^. Et en effet, re- marque ce savant docteur, que sert l'exactitude de votre phrase, la

* De Doctr. clirist, lib. IV, xxiv.

82 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

pureté de votre style, si l'auditeur ne comprend pas, puisqu'on ne parle que pour se faire entendre? Quid prodest locittionis inlegritas quam non seqnitur intellectus audientis^. Que me sert, ajoute-l-il par une ingénieuse comparaison, que me sert une clef d'or si elle n'ouvre pas le lieu je veux entrer, et quel mal y a-t-il qu'elle soit de bois si elle l'ouvre? Quid prodest clavis aurea si aperîre quodvolumiisnon potest, aitt quid obestlignea, si hoc potest'. Et qu'on ne croie pas que cette manière de parler soit sans esprit et sans art : elle est, dit Cicéron, d'autant plus soignée, qu'elle le paraît moins, negliijentia est diligens'^; elle indique un homme plus attentif aux choses qu'aux mots, plus occupé du bien des autres que de sa propre réputation. Observons toutefois que cette manière de parler ne doit jamais aller jusqu'à rendre le discours bas et rampant : en le rendant plus clair et plus intelligible, elle doit toujours lui conserver sa dignile : Kxc sic ornatum detrahit ut sardes non contraliat, dit saint Augustin*.

Règles pour la marche généi^ale du discours.

l"'*' Règle. 11 faut bien faire ressortir ses divisions, ses raison- nements, ses pensées principales et les divers enseignements et résolutions qu'on veut inculquer à ses auditeurs. Si l'on ne parlait qu'à des gens instruits, capables de décomposer un discours, d'en remarquer les raisonnements et les parties essentielles on plus im- portantes , cette règle serait sans application ; mais l'expérience démontre au contraire que la plupart des auditeurs ne savent dis- cerner ni les parties d'un discours, ni les endroits qu'il est plus utile de retenir; souvent même ils s'attachent à une pensée inci- dente, à des choses accessoires, et négligent l'important et l'essen- tiel. Il ne faut donc pas craindre de leur dire : Nous avons vu pre- mièrement telle vérité, secondement telle vérité, troisièmement celle autre vérité; vous ferez premièrement telle chose; secondement telle chose ; troisièmement telle autre chose; remarquez Uen ceci, faites attention, à cela; voilà le fruit principal que vous devez retirer de ce discours, etc.. Cette méthode réveille l'attention, frappe l'intelli- gence et grave l'instruction dans la mémoire.

S'' Règle. Quand il s'agit de choses difficiles à comprendre ou dont il importe de pénétrer les auditeurs, il faut représenter la

* De Doct. christ., hb. IV, xxiv^ -Ibid., xxvi ^ Orat., lxxvu et lxxvui. 4 De Doct. clirisl., lib. IV, xxvi.

QUALITES DE LA Pr.EniCATION. 83

même pensée sous diverses expressions, la tonrnor en plusiours ma- nières et quelquefois même la redire dans les mêmes termes : cela est nécessaire pour suppléer au peu d'intelligence ou au défaut d'attention des auditeurs.

5* Règle. Le prédicateur, en débitant son discours, doit lire dans les yeux et dans la contenance des auditeurs s'il est compris ; et lorsqu'il s'aperçoit qu'on ne l'entend pas, il doit revenir sur ce qu'il a dit, donner à sa pensée différents tours jusqu'à ce qu'il reconnaisse qu'on le comprend *. Il est vrai que cette régie est impraticable pour ceux qui apprennent leurs sermons mot à mot, et les récitent comme urt écolier dit sa leçon, servilement attachés à leur mémoire: mais nous verrons plus tard la manipre de s'affranchir de cette mar. che timide des commençants.

4" Règles concernant les divers moyens dont doit s'aider le prédicateur pour se faire comprendre.

l''^ Règle, Avant d'écrire ou de parler, il faut se rendre exac- tement à soi-même raison de son sujet et l'étudier jusqu'à ce qu'on le possède pleinement, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'on en ait une idée nette, précise et lumineuse. Le défaut de netteté dans la pensée est la cause la plus fréquente de l'obscurité dans l'expression : c'est parce qu'on ne sait pas bien positivement ce qu'on veut dire, ou qu'on n'en a qu'une idée confuse, qu'on ne sait pas le dire claire- ment. De ce mot de Quintilien : plus un écrivain est médiocre, plus il est obscur; plus, au contraire, il a d'instruction et de génie, plus il est clair et facile à comprendre ^. De aussi ces vers si connus de Boileau :

Avant donc que d'écrire, apprenez à penser : Selon que notre idée est plus ou moins obscure, L'expre;~sion la suit ou moins nette ou plus pure. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément.

2^ Règle. En composant son discours, il faut se considérer ou comme un père plein de tendresse pressant ses enfants bien-aimés de se soustraire à quelque grand malheur, et leur parlant en consè-

* Solet motu suo signifccare utrùm intellexerit. cognnscendi avida multitudo t quod donec significel, v ersandum est qiiod agilnr midtmodâ varielate dicendi S. Aug., de Doct. christ., lib. IV, xxv. ^ Lïh. II, c. v.

M TRAITÉ DE \A mÉUICATION.

quonco avoc un désir ininiensc d'être bien compris, ou comme un ami qui, voulant éclairer des personnes chères sur les périls qui les menacent, cherche de toutes les manières à s'en faire entendre, sans perdre do vue un seul instant que ces personnes n'ayant pas fait d'étude, leur esprit inculte ne peut comprendre que les choses les plus simples. Le prédicateur qui aura pour ses auditeurs des entrailles de père et d'ami, sera nécessairement clair, parce que, s'oubliant tout entier lui-même, il ne songera qu'au bien de ceux à qui il parle.

o*" lU'gte. Quand on a écrit son discours, il faut le lire lente- ment, le méditer attentivement ; se demander ce qu'on a voulu dire, et si on l'a dit d'une manière nette et claire ; discuter jusqu'aux moindres détails de sa composition, comme si c'était l'ouvrage d'un «étranger qu'on eût à cœur de critiquer sévèrement, enfin se mettre à la place des auditeurs, et examiner devant Dieu s'ils comprendront îelle expression, telle phrase, telle figure; toutes choses peut-être éminemment claires pour les esprits cultivés, mais non moins obscures pour les gens simples et sans lettres qui composent la ma- jorité de l'auditoire.

§2.

Ile Tobligation et de la manière d'adapter son discours aux besoins des auditeurs.

Nous diviserons ce paragraphe comme le précédent.

SECTION f*.

De l'obligation d'adajiter son discours aux besoins des auditeuis*.

Le prédicateur est tenu d'adapter son discours aux besoins des auditeurs, par la même raison qu'un médecin est tenu d'adapter ses remèdes aux besoins de ses malades. S'il est fidèle à ce piùncipe, il prêchera toujours utilement, et les auditeurs l'écouteront avec inté- rêt, parce qu'ils sentiront que le discours convient à leurs besoins, que le prédicateur n'est pas un cliarlatan qui colporte partout la même recette pour tous les maux, mais un médecin habile et intelli- gent qui coimaît leur ma! et leur en apporte le remède propre et spécifique. Cette prédication, a'usi appropriée à leur état moral, les

* Voyez le P. Albert, II* part., c. xvt. xxxvii et xxxviii. Gicnade, liv, II, e. XI et XII. Devoirs des curés, c. vu, art. I.

OUALMES DE LA l'IiÉDICATION. 8S

forcera de rentrer en eux-mèiries, de se faire l'applicalioii des vérités entendues, de voir clairement ce qu'ils sont et ce qu'ils doivent être, leurs défauts et les moyens de se corriger ; et ainsi sera obtenue la fin première et essentielle de l'éloquence chrétienne. Mais, au con- traire, si le prédicateur Ji'adaple pas sou discours aux besoins de;-; auditeurs, il manquera tout à fait son but; car, ou ce qu'il dira ne sera pas en rapport avec leurs besoins, ou il négligera de leur en faire l'application, ou il leur en fera une applicaliini fausse et a contre-sens : dans le premier cas, le discours sera déraisonnable; dans le second, il sera inutile ; dans le troisième, il sera mauvais, sou- vent jusqu'à être nuisible.

Si la matière n'est pas en rapportaveclcs besoins des auditeurs, le discours sera déraisonnable; car quoi de plus déraisonnable, par exemple, que de prêcher contre le luxe et le mauvais usage des richesses tout le monde est pauvre, sauf peut-être deux ou trois familles ; contre l'ambition ou l'orgueil de César et d'Alexandre de- vant des femmes du peuple qui ne portent pas leurs prétentions au delà de leur ménage ; contre les philosophes et les incrédules devant un auditoire qui ne comprend pas seu!em(?nt ce que signifient ces dénominations : contre l'ivrognerie personne ne s'enivre; contre la communion sacrilège très-peu de personnes font leurs Pâques? On sent combien tout cela est absurde

Quand même la matière conviendrait aux auditeurs, si le pré- dicateur néglige d'en faire l'application à leurs besoins, il fera peu ou point de fruit. Les fidèles sont si peu habitués à rentrer en eux-mêmes, à étudier leur cœur, et à en observer les mouvements, ils craignent tant de te voir tels qu'ils eont de peur d'être réduits à se condamner, que si le prédicateur s'en tient à des généralités, sans descendre dans des détails pratiques qui les obligent à s'ap- pliquer ce qu'ils entendent, ils écouteront l'instruction connne quelque chose de purement spéculatif d'où ils n'ont à tirer aucune conclusion pratique ; personne ne se dira : « C'est toi que cela re- « garde, le mal qu'on signale est le tien : Tu es ille vir. » .Ainsi l'on sortira du sermon tel qu'on y était venu, sans même penser à se corriger; et quelque talent qu'ait un prédicateur, il sera à peu près inutile; comme, au contraire, n'eût-il (|u'un talent médiocre, il instruira avec grand fruit si, descendant dans ces détails et con- duisant l'auditeur comme par la main dans les différentes actions de sa vie, jusque dans les replis les plus cachés de son co-nr, il l'amène à recoimaitre l'opposition de ses mœurs, de ses pensées,

88 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

(le ses sentiments avec la vérité prêchée, et à voir clairement ce qu'il a à réformer en lui, soit dans sa conduite extérieure, soit dans ses dispositions intérieures. C'est donc un des points essentiels de toute instruction, un des devoirs principaux des prédicateurs; et l'on ne saurait trop déplorer qu'un grand nombre d'entre eux^ craignant sans doute de paraître trop simples en s'abaissant à ces détails, et plus jaloux de leur réputation que du salut des ânfifis, se bornent à des généralités, à des déclamations vagues sans rien de pratique, sans aucune application aux besoins des auditeurs.

o'* Quand même le prédicateur essayerait d'appliquer la vérité qu'il prêche aux besoins des auditeurs, s'il n'en fait une applica- tion iu: te, sa parole deviendra souvent funeste et nuisible : si, par exemple, quand je parle du péché mortel, je ne cite que des dés- ordres énormes, et par conséquent rares; si, quand j'attaque l'or- gueil, je frappe de mes anathèmes et Aman et Nabuchodonosor, non-seulement mes traits trop élevés passeront par-dessus la tête des auditeurs et n'iront point à leur cœur, je porterai mes coups en l'air et je combattrai des chimères; mais encore je contribuerai à tranquilliser les pécheurs dans leur état : car, voyant clairement qu'ils n'ont point les vices contre lesquels je tonne, puisqu'ils sont join d'être des Aman, des Nabuchodonosor et des monstres de scélé- ratesse tels que ceux que je décris, ils se rassureront, par mon dis- cours même, dans leurs désordres; et concluront qu'ils peuvent encore aller loin dans la carrière du vice avant de tomber sous mes anathèmes. Tel est l'inconvénient du défaut de justesse dans les applications ; et, sous ce rapport, Massillon n'est pas toujours irré- prochable : les peintures qu'il fait de certains vices ou désordres sont quelquefois tellement exagérées, que personne ne s'y reconnaît.

SECTION 2. De la manière d'adapter son discours aux besoins des auditeur*

Pour remplir avec succès ce devoir si important du prédicateur, il faut : bien connaître le peuple à qui l'on parle ; embrasser dans son discours les besoins des différentes classes d'auditeurs aux- quelles on s'adresse; s'attacher surtout à combattre les passions dominantes, les abus ou désordres principaux qui régnent dans la paroisse.

« Partout vous serez appelés à exercer le saint ministère, di-

QUALITES DE LA PRÉDICATION. 87

« sait saint François Xavier aux compagnons de son apostolats n'y « fussiez-vous que pour un peu de temps, interrogez avec soin des « hommes de Jjien qui aient l'expérience de la vie que mènent com- « munément les gens du pays ; apprenez d'eux le plus exactement « que vous pourrez, non-seulement les crimes, les fourberies ordi- « naires, les artifices dont on se sert pour faire des injustices et n tromper dans le négoce, mais encore les usages reçus parmi le « peuple, les opinions généralement répandues, les goûts de la « nation, la manière dont les hommes ont coutume d'agir entre eux. « Croyez-en mon expérience, il n'est point de connaissance plus « utile... Il faut mettre à acquérir cette science du monde, ajoute le « même saint-, autant de soin qu'à apprendre la philosophie ou lalhéo- « logie, parce qu'avec elle on fait les discours les plus utiles : par (( on sait sur quoi il faut insister dans les prédications, et comment « il faut manier les esprils ; par on acquiert une grande autorité sur « ses auditeurs, qui souvent méprisent nos discours par la pensée « qu'ignorant le monde, nous ne sommes pas aptes à le juger; mais « quand ils reconnaissent, par expérience, que le prédicateur est « aussi versé et aussi rompu qu'eux dans les usages de la vie civile, <( ils l'admirent, se livrent à lui avec confiance et exécutent volontiers « ce qu'il leur conseille même de plus dur à la nature. » Confor- mément à des observations si sages, il faut étudier avec soin le peuple qu'on est chargé d'évangéUser : si l'on est étranger, on s'informe près du pasteur du lieu ; et si l'on est soi-même pasteur, on acquiert la connaissance de son troupeau par les observations auxquelles don- nent lieu les rapports journaliers avec lui, par les renseignements qu'on recueille dans la conversation, ou qu'on demande adroitement aux uns et aux autres; par l'étude de son propre cœur, le meilleur livre l'on puisse apprendre à connaître les hommes, suivant le mot célèbre de Fontenelle : C'est moi que j'étudie quand je veux con- naître les autres^, enfin par l'exercice même du saint tribunal, qui fait connaître d'une manière précise les vices à corriger, les erreurs à combattre, les préjugés à réformer, tous les besoins des auditeurs et les ohslacles qu'ils ont à vaincre pour arriver au salut : toutefois il faut observer qu'on ne doit user de ce dernier moyen qu'avec discré- tion, pour ne blesser personne et ne pas donner lieu au soupçon

* LeUrc au P. Gaspard Barzéc, du mois de mars 1549, g Ô9.

* Lettre au même, du mois de mars 1545, § 40.

' Voyez sur l'avantage de s'étudier soi-même pour connaître les autres, l cardinal Maury, Essai sur l'éloquence de la chaire, 1. 1, p. 56.

88 TI'.AITÉ DE LA PRÉDICATION.

qu'on trahif le secret des consciences. C'est avec tous ces moyens de conn;iitre, que le prédicateur devra préparer ses instructions; et voici comment : supposons, par exemple, que je veuille prêcher sur la charité envers le prochain ; je commencerai par bien étudier la nature, l'étendue de cette vertu et les motifs qui portent à la pra- tiquer ; puis, me transportant, par la pensée, au milieu des hommes pour voir comment par le fait ils la pratiquent, me rappelant ce que j'ai vu et entendu dans le monde, devinant le reste soit paranalogie^ soit parl'étnde de ce qu'éprouverait mon propre cœur placé en telle et telle position, je me demanderai : Quelle idée a-t-on de ce devoir vians le monde? Comment la charité y est-elle pratiquée? Ce son*- dans les conversations des médisances, des railleries, des amuse- ments aux dépens du prochain; dans les relations réciproques, peu d'égards et de complaisances les uns pour les autres, des brusque- ries, des paroles dures ou piquantes, des reproches vifs pour les moindres torts, des refus de services qu'on pourrait facilement rendre, ou des services rendus de mauvaise grâce, par intérêt et espérance de retour, par bonté naturelle ou inclination, jamais par un motif de charité chrétienne et en vue de Dieu; c'est, pour tous ceux qui ne sont ni parents ni amis, une insouciance complète qui, loin devoir en eux des frères, y voit à peine des hommes, et ne sait pas même dire avec le sage du paganisme : Homo mm, humanum nihil à me alie- num piito; ce sont enfin, dans les moindres démêlés, des altercations violentes, des haines et des injures; dans les concurrences, des ja- lousies, des rivalités et des vengeances. Toutes ces observations me fourniront la matière principale de mon discours, et m'apprendront les désordres' dont j'ai à faire ressortir la gravité et à signaler les remèdes. Je n'aurai qu'à exécuter ces indications, et j'aurai fait une instruction vraiment utile, appropriée aux besoins de mes auditeurs. Après m'avoir entendu, ils verront clairement leurs devoirs; et se reconnaissant dans mes tableaux parce que je leur aurait dit les choses comme elles se passent, ils seront forcés de s'en faire l'applica- tion à eux-mêmes. «Avec cette méthode, observe saint François Xavier, « on fera des discours plus utiles que si l'on débitait au peuple des « bibliothèques entières de raisonnements spéculatifs. » Aussi, disait- il au Père Barzée* : « Employez la plus grande partie de votre ser- « mon à faire une peinture vive de l'élat intérieur et du trouble des « pécheurs; que chacun se voie dans votre discours comme dans un

» Lettre au P. Barzée, §§ 40 et 47.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 80

« miroir, et y reconnaisse l'inquiétude de ses projets, la frivolité de « ses pensées, le néant de ses espérances, les fraudes qu'il médite « dans son esprit. Les hommes n'écoutent rien avec plus d'attention « que les choses dont le témoignage intime de leur conscience leur « fait sentir la vérité. Faites-leur un portrait fidèle de tout ce qui se « passe en eux, et pour cela, examinez-les avec soin, observez, appro- « fondissez, étudiez ces livres vivants : par là, vous enseignerez ulile- « ment, vous acquerrez un grand empire sur les pécheurs pour les « attirer à vous, les détourner de la mauvaise voie et leur faire goûter « la vérité et la vertu. »

Pénétré de ces sages avis, le prédicateur doit embrasser dans son discours les besoins des différentes classes d'auditeurs auxquels il s'a- dresse : car s'il ne traite que les besoins d'une certaine classe, son dis- cours sera sans intérêt comme sans utilité pour le reste de l'auditoire ; il donnera aux uns la nourriture qui leur convient, et laissera les au- tres à jeun. Or, cependant, tous ont un droit égal à la distribution de la divine parole ; ils sont autour de la chaire comme ces malades de l'Évangile autour de la piscine, et le prédicateur est l'ange envoyé de Dieu pour les guérir : médecin de tous, il se doit à tous, aux aveugles pour leur faire voir la lumière, aux faibles pour les fortifier et les en- courager, à ceux qui sont tombés pour les relever, à ceux qui sont de- bout pour les affermir. 11 faul donc pourvoir à tant de besoins divers S et pour cela, se souvenir qu'il y a dans presque tous les auditoires trois classes de pécheurs, ceux qui pèchent par faiblesse ou igno rance, ceux qui pèchent par habitude, mais n'ont pas encore étouffé le remords, et les pécheurs endurcis ; comme aussi trois classes de justes, ceux qui commencent à se donner à Dieu, ceux qui ont déjà fait quelques progrès et ceux qui sont fort avancés; enfin des person- nes de différents états. Pour satisfaire aux besoins des diverses classes de pécheurs et de justes, si le prédicateur traite d'un vice, il com- battra de toute la puissance de sa parole les péchés graves que ce vice fait commettre, parlant avec commisération de ceux qui tom- bent par faiblesse, avec force contre les habitudinaires, avec plus d'énergie encore contrôles endurcis; puis il censurera les moindres défauts, les imperfections mêjnc relatives à cette matière, et enfin il prescrira les moyens de corriger ou prévenir ce vice, indiquant suc- cessivement ceux qui sont de nécessité ou de précepte, et ceux qui sont de perfection. Si, au contraire, il traite d'une vertu, il s'alla-

Voyez lUiéloriciue eccliibiastiiiiie fie GrciKulc, liv. H, c. t'2.

90 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

chera à inspirer de l'horreur des péchés opposés, puis il proposera les pratiques communes de celte vertu, et enfin il en fera reconnaître les pratiques les plus parfaites : par il s'atisfera à tous les be- soins indiqués ; chaque classe de pécheurs ou de justes recevra son remède propre, et il n'y aura personne dans l'auditoire qui ne puisse tirer profil de la prédication. Quant aux divers états ou professions de ses auditeurs, il inculquera souvent dans ses discours le principe général que les devoirs d'état sont de tous les devoirs les plus es- sentiels, et cependant ceux qu'on néglige le plus, dont on se repro- che le moins l'infraction : puis, à l'exemple de saint Jean, qui fixait d'une manière si précise les obligations de chaque condition, des soldats, des publicains, d'Hérode lui-même, il expliquera avec clarté, selon l'occurrence, les obligations des riches et des pauvres, des maîtres et des serviteurs, des pères et des enfants, aussi bien que celles des divers états qu'on exerce dans la paroisse, en ayant soin : de ne décrier aucune profession honnête, et de relever au contraire les diverses professions de la société par ce qu'elles au- raient de beau, si elles étaient remphes selon la religion ; 2" de ne point développer les devoirs d'état qui ont des obligations respecti- ves, comme ceux de maîtres et de serviteurs, sans dire en même temps les devoirs de la partie corrélative, afin de ne pas donner à penser qu'il ménage les uns en attaquant les autres ; 5" de n'a- dresser ni reproches ni avis publics sur un état ou un emploi quelconque, lorsqu'il n'y a que deux ou trois personnes à l'exercer dans la paroisse, parce qu'alors il est évident que, dans l'opinion générale, cela équivaudrait à une personnalité offensante.

Tout en embrassant ainsi les divers besoins de son auditoire, le prédicateur s'attachera surtout à combattre les passions dominantes, les abus ou désordres principaux du Heu l'on prêche. Car, par cela même que ces vices dominent en ce Heu, ce sont les plus grands obstacles au salut ; ce sont les maladies auxquelles il est le plus ur- gent d'apporter remède, et si l'on ne les déracine, ce seront celles qui feront le plus de victimes. Telle était la pratique des saints Pé- rès; de ces discours multipliés de saint Âmbroise contre l'usure, de saint Chrysostome contre le luxe et la dureté envers les pauvres, de saint Augustin contre l'ivrognerie et la débauche ; et lors même que ces Pères traitaient un autre sujet, ils savaient intercaler tou- jours quelques mots contre le vice dominateur. Tel était aussi l'avis que donnait saint Charles aux prédicateurs, leur recomniandant de poursuivre dans leurs discours, jusqu'à extinction, les dérèglements

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 91

du lieu ils prêcliaicnt : Cam ad concionandum aliqub concionator venerit, accuratè illhis loci morum coiTvptelas conquiret, qiias, ut occasio foret, constantissimè iisqiie adeb exagîtaint ut fundiths^ quan- tum in se est, extirpet^. « Les villes et les populations, dit Co7'neliusà Lapide, cité par Benoît XIV dans son Institution 27, n" 19, demeu- rent toujours plongées dans les mêmes désordres, sans que les pré- dications produisent parmi elles presque aucun fruit, parce que les prédicateurs, se jetant dans les sujets généraux de la religion, ne poursuivent pas à outrance et n'attaquent même pas les vices parti- culiers propres au lieu ils prêchent. Qu'ils changent de méthode, continue ce savant homme, s'ils ont à cœur les intérêts de Dieu, de leur conscience, de l'Église et de leurs auditeurs^. »

Toutefois en combattant les désordres de la paroisse, il est plu- sieurs règles à observer :

1" Il ne faut point prendre le ton acerbe du reproche et de Tin- vective : le vrai zèle ne connaît point ce langage : il est doux et sans fiel, tendre et compatissant pour le pécheur qui s'égare. D'ail- leurs, l'invective aigrit et ne corrige pas : la seule manière de ren- dre un reproche profitable, c'est d'en retrancher tout ce qui est offensant, et de le revêtir de toute la douceur du langage, de tous les charmes de la charité, et surtout des industries aimables qu'en- seigne le grand art des précautions oratoires dont nous parlerons au paragraphe suivant. Un reproche est toujours une médecine amère; on ne la peut faire accepter aux auditeurs qu'en tempérant son amertume par la bonté des formes, qu'en dorant la pilule, s'il nous est permis d'employer l'expression vulgaire.

11 ne faut point présenter les désordres comme plus graves ou plus communs qu'ils ne sont. Si on les présente comme plus gra- ves, on donne au pécheur qui ne va pas jusqu'à cet excès occasion de se dire : Je ne vis donc pas aussi mal que bien d'autres, et l'on s'expose à être traité d'homme exagéré qui ne mérite pas confiance. Si on les présente comme plus communs : Je ne vis donc que comme tout le monde vit, se diront les coupables, et ainsi ils s'cn-

* Act. Eccl. Mcd., t. I, p. 104.

' Concionatorcs communcm tramitem explicandi evangelia seqiiuntur, pecca- toribus comnicndunt passionem Cliristi, iriisericordiain Dei et culliim B. Vir{;i- iiis, quod illa suî cultores non sinat periic; nec descenduuL ad vitia liuic illive loco prnpria, ut contra ca tonont et rnlniincnt eaqufi extirpent : nndè urljos et popiili manont in iisdcm vitiis nec nlhim vel exigumn ex concioniljus omiiiliiis fructum reCenint. Mutent ergo rnoduin concionandi, si Deo, x:onscicntiae, licclc- siœ et auditoribus consulcre satagunt.

î'2 TliAlTE DE LA PREDICATION.

hardiroiit au mal pnr le mauvais exemple. Joignez à cela l'injustice (le diffamer une paroisse entière pour les désordres de quelques particuliers. C'est pourquoi, dans les reproches généraux, il faut tou- jours mettre quelque exception pour ne pas envelopper les inno- cents avec les coupables. De même, en s'é'.evant contre les grands crimes, il faut toujours supposer qu'ils sont rares, afin d'inspirer plus de honle et de regret à ceux qui ont à se les reprocher ; mais il faut insister longuement sur les vices moins énormes, qui sont com- muns parmi les auditeurs, vices d'autant plus dangereux qu'ils n'ont lien de déshonorant aux yeux du monde, et qu'on les rencontre fréquemment dans les personnes mêmes qu'on estime, qu'on appelle braves et honnêtes gens. Ainsi, par exemple, si je parle du salut, je ne me bornerai pas à m'élever contre ceux qui le négligent entièrement, mais je m'étendrai sur ceux qui ne s'en occupent qu'à demi, et cioient pourlai^t en faire assez, et je leur ferai toucher du doigt le danger de se perdre auquel ils s'exposei.t. Si je prêche sur l'orgueil, je laisserai de côté les excès qui révoltent et qui sont rares ; je mon- trerai l'orgueil tel qu'il est dans presque tous les hommes, dans ceux- même qui s'en croient le plus exempts ; et en faisant réfléchir sur les motifs qui les font penser, parler, agir, en leur représentant au na- turel comment et dans quelles circonstances ce vice se manifeste en eux, je les forcerai de reconnaître que l'orgueil est le mobile ordinaire de leur conduite, que leurs pensées et leurs désirs ne tendent qu'à le satisdiire, et qu'il gâte souvent jusqu'à leurs meilleures actions. Il faut porter dans la peinture du vice une réserve extrême pour ne souiller en rien l'imagination. Ainsi, point de ces peintures si vives et si délicates, qu'elles semblent laisser au vice ses agréments; point de ces descriptions des amusements mondains dans un langage plaisant et léger, plus propre à faire aimer le monde qu'à le décrier; point de ces détails qui annoncent dans le prédicateur un homme parfaitement instruit des modes, du nom des parures, des divertis- sements et des jeux : il ne faut pas que le prêtre paraisse trop con- naître le monde ; son mérite, observe Gaichiez, est qu'on dise de lui qu'il l'a deviné ; enfin, point de ces locutions qui, quoique les termes soient chastes, réveillent dans l'imagination quelque chose capable d'alarmer la pudeur. La langue française est la plus chaste de toutes les langues ; avec elle, le voile dont on couvrirait certaines matières serait toujours transparent, les âmes pures et innocentes s'en offen- seraient, les autres s'en scandaliseraient et croiraient peut-être qu'on n'est pas exempt soi-même des vices dont on parle si volontiers.

CVJALnES DE I.A PULDICATION. 93

II faut éviter trois autres défauts dans les poitraits ou peintures de mœurs : le premier serait d'y mettre de la malice ou de l'humeur ; ce qu'aurait peint la malignité ou l'humeur chagrine ne saurait être béni de Dieu, irriterait ceux qui s'y reconnaîtraient, divertirait ceux qui ne s'y retrouveraient pas, et ne convertirait personne. Le second défaut serait de descendre dans des détails trop bas et de tomber dans le trivial : ainsi, par exemple, il serait indécent de rapporter les paroles et de représenter les postures de deux femmes qui se querellent, de dépeindre les manières ridicules d'un ivrogne, de citer les propos que la passion inspire : il faut toujours conserver à la chaire sa dignité, à la parole de Dieu sa majesté. Le troisième défaut serait de se permettre quelque personnalité *, c'est-à-dire quelque reproche qui, par sa nature ou par l'interprétation prévue des assis- tants, est tellement applicable à certains individus, qu'on peut le regarder comme une diffamation Ce genre de reproches aigrit le coupable et le porte à de plus grands excès, met le trouble et la division dans les paroisses, fait perdre au prédicateur l'estime et la confiance au moins d'un grand nombre, et décèle en lui une secrète animosité contraire à la douceur évangélique ; un esprit exagéré, satirique et vindicatif. Pour ne point tomber dans ce défaut, il faut énoncer les reproches en termes généraux qui ne puissent d'une manière quelconque désigner personne en particulier ; et plus les lieux l'on prêche sont petits, plus les expressions y doivent être mesurées, parce que, le nombre des auditeurs étant plus restreint, les applications y sont plus faciles, et la malignité ne les manquerait pas. Tant qu'on se tient dans des généralilés, on est irréprochable. Si alors beaucoup de personnes trouvent que ce qu'on dit s'applique à elles, le prédicateur n'en est que plus digne d'éloges. C'est une preuve que l'instruction est bonne et qu'on a mis le doigt sur la plaie. Le pécheur qui se condamne en secret démontre l'opportunité de la morale.

En même temps qu'on peint les désordres et qu'on les déplore, il faut toujours en indiquer les remèdes. Il y en a de généraux et de particuliers. Les remèdes généraux sont la retraite, la prière, la mé- ditation, les lectures de piété, le jeûne, la mortification et l'aumône. Les remèdes particuliers varient selon les défauts ou les dispositions des personnes, et doivent être présentés par le prédicateur, non d'une manière vague, mais avec tant de netteté et de précision, que

' Voyez la lettre de S. François Xavier au P. Barzée. en 1549, § 9, dans le Guide de ceux qui annoncent la parole de Dieu, p. 504.

n TRAITE DE LA PRÉDICATION.

tous voient clairement ce qu'ils ont à faire. Comme on leur a montré en détail ce qu'ils sont, il faut leur montrer aussi en détail ce qu'ils doivent être, les pratiques et les moyens divers par lesquels ils peu- vent se corriger, les obligations qu'ils ont à remplir et la vie nou- velle où il leur faut entrer. La meilleure méthode pour réussir en ceci, c'est de leur présenter, si je puis ainsi dire-, leurs devoirs en action, sous la forme d'un récit leurs yeux suivent en quelque sorte pas à pas le chrétien accomplissant tout ce qu'on a dit dans l'instruction et tout ce qui en est la conséquence. Je suppose, par exemple, que je prêche sur le respect aux églises; je dirai à mes auditeurs : Voyez le vrai chrétien ; dès l'entrée du lieu saint, tout son extérieur plus calme, plus recueiUi, annonce la foi vive dont il est pénétré ; il prend avec respect de l'eau sainte que l'Église a bénie, et trace sur lui le signe de la croix avec religion ; sa démarche est modeste, son maintien édifiant, ses regards retenus : voyez-le comme il tombe à genoux devant la majesté de son Dieu, comme il prieavec recueillement, etc.. Je suppose encore que j^ prêche sur le respect humain : je leur ferai d'abord, comme nous avons dit, le tableau des fautes entraîne ce vice, je peindrai ces lâches et timides esclaves de l'opinion, n'osant, malgré le cri de leur conscience, remphr les devoirs du christianisme, venir à l'église, s'y tenir avec modestie, fréquenter les sacrements; mais ensuite, à ce premier tableau, j'op- poserai le tableau du vrai chrétien foulant tout respect humain sous les pieds, suivant toujours avec noblesse et fermeté la voix de sa conscience, faisant bien et laissant dire; et je le montrerai dans toutes les positions fidèle à son devoir, parce qu'il est plus grand que l'opinion. On sent combien ces tableaux pratiques sont utiles; ils renferment tout le fruit que les auditeurs doivent retirer du sermon.

§ 3.

De l'obligation et de la manière d'adapter son discours aus dispositions des auditeurs.

Encore même division que dans les paragraphes précédents.

SECTION f*.

De l'obligation d'adapter son discours aux dispositions des auditeurs.

Autant il est nécessaire d'adapter le discours à la portée et aux besoins des auditeurs, autant et plus encore il est essentiel de

QUALITES DE LA PREDICATION. 95

l'adapter à leurs dispositions. Cicéron tient pour une des premières qualilés de l'orateur celle finesse naturelle et perfectionnée par l'exercice, qui sait discerner les pensées, les sentiments de son au- ditoire pour y approprier son langage : Acuto homine opus est na- turâ usuque callido, qui sagaciter pervestîget quid il qiiibus aliquid dicendo persuadere velit, cogitent, sentiant, opinentui\ expectent : teneat oporiet venas cujusque generis, œtatis, ordinis, et eoriim mentes sensusque degustet ^. Le bon sens qui sait faire ce discerne- ment, dit-il ailleurs, est le fondement de l'éloquence. Est eloquentix fundamentum sapientia *; et Quinlilien dit dans le même sens : Res in oratore prsecipua consilium est'"... lUud dicere satis habeo nihil esse in orundo prius consilio *. C'est qu'en elTet tout le succès du discours dépend essentiellement de là. Si l'on présente aux auditeurs la vérité d'une manière qui leur convienne, ità ut veritas placeat, selon la belle expression de saint Augustin ; si par certains tours adroits on ménage leurs dispositions et on capte leur bienveillance, on sera sûr d'être goûté : si, au contraire, on heurte de front et sans jjnénagemenls leurs préventions, leurs passions chéries, leur caractère ; si en un mot on leur déplaît, on ne fera que les aigrir sans produire aucun bien : car telle est la susceptibilité humaine, qu'elle reçoit mal, même les meilleures choses, si on ne les lui pré- sente d'une manière qui lui convienne. Un mot, un seul mot qui blesse ou qui déplaît, peut faire échouer un discours tout entier. Jamais on ne choque impunément un auditeur délicat et sensible. Aussi les plus grands orateurs ont-ils porté jusqu'au scrupule la crainte de déplaire à leurs auditeurs. Périclés, au rapport de Quin- tilien ^, formait des vœux, lorsqu'il avait à parler en public, pour qu'il ne lui vînt pas sur les lèvres un seul mot qui pût offenser le peuple; et en montant à la tribune, il se disait : Souviens-toi que tu vas parler à des hommes, à des Grecs, à des Athéniens. Cicéron, non moins scrupuleux observateur de ce grand principe de l'art oratoire, ne s'épargnait ni réflexions ni sollicitudes pour venir â bout de con- naître parfaitement les dispositions, les manières de voir, les senti- ments les plus intimes de ses auditeurs, afin d'y adapter son discours. Omni mente in cogitatione curâque versor, nous dit-il®, ut odorer quàm sagacissimè possim, quid sentiant, quid existiment, quid expectent, quid velint, quù deduci oralione facillimè passe videantur.

*■ De Orat , lib. I, cxxiii. « Orat., lxx. s Lih. II, \\v. * Lib. YI, ▼. » Lib. XII, IX. 6 De Orat., lib. Il, clxxiv;.

90 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

On fient donc bien appliquer ici ce que le coniédieii Ilosciuî disait de son art : Le point c.ipilal est d'observer ce qui convient : Caput esse artis decereK El ce qui augmente l'importance du principe que nous établissons, c'est, l" qu'il embrasse toutes les parties de la rliélo- rique; invention, disposition, éloculion, ton et geste, tout doit être contenu dans les limites strictes des bienséances, adapté à l'auditoire, et réglé de manière que rien ne lui déplaise : c'est, 2" que la nature nous incline à suivre une marcbe toute contraire : quand les hommes ne font pas à notre gré et surtout quand ils nous mécontentent ou nous blessent, nous sommes portés à consulter notre humeur plutôt que leurs dispositions, à satisfaire notre vivacité plutôt qu'à peser l'effet- que produiront nos paroles, et de résultent les plus grands maux : c'est, 5" que les ménagements nécessaires pour bien adapter son discours aux dispositions des auditeurs sont doublement diffi- ciles : difficiles à discerner, il faut pour cela beaucoup de réflexion : Nihil difficilms quàm quid deceat videre, dit Cicéron ^, et difficiles à observer, il faut se retenir pour demeurer dans la mesure convena- ble, et l'homme n'aime pas ce qui le gêne et le captive ; il lui e^plus commode de se vider le cœur en toute liberté des mécontentements qu'il éprouve.

SECTION 2.

De la manière d'adapter son discours aux dispositions des auditeurs.

* L'art d'adapter son discours aux dispositions des auditeurs, est

* à peu près identique avec ce tact exquis des convenances sociales

* qui sait non-seulement éviter tout ce qui blesse, mais encore char-

* mer par son langage et ses manières, faire plaisir à tous et forcer

* la bienveillance même des esprits les plus prévenus. C'est la finesse

* de l'homme du monde, poli et adroit, traitant avec des personnes

* qu'il a intérêt à ménager; c'est, qu'on nous passe celte compa-

* raison, l'art du courtisan, qui sait prendre les hommes, les tourner "* comme il lui plaît, et les amener à ses fins ; il n'y a qu'à en retran-

* cher la flatterie et le manque de droiture, qui seraient des crimes

* dans la chaire de vérité. C'est enfin, pour parler plus chrétien- *nement, cette parfaite intelligence des hommes et de la manière de

* s'en faire goûter, fruit de la prudence surnaturelle que coinmu-

* nique l'esprit de Dieu aux prédicateurs qui le possèdent, ou de

* De Orat., lib. 1, cxxxii. ^ Orat., i\x.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 97

* celle sagesse d'en haut, promise aux hérauts de l'Évanj^ile : Ihidio

* ejus docet vos de omnibus^. Dabitur vobis in illâ horâ quid loqua-

* mini'^.

* Pour réussir dans cet art difficile qui contient les plus rare?

* secrets et les plus profonds mystères de l'éloquence, il faut com-

* mencer par étudier et bien constater l'état moral des auditeurs,

* les sentiments qui les animent et qu'il s'agit de changer ou de for-

* tifier, leurs susceptibilités, leurs préjugés, leurs passions ou leurs

* attaches, ce qu'ils auront plaisir à entendre et ce dont ils s'offeii-

* seraient. Dans celte étude, ou l'on ne découvrira aucun danger

* particulier de blesser l'auditoire, ou l'on reconnaîtra la nécessité

* de garder des ménagements : chacune des deux hypothèses a ses

* règles spéciales.

Première h'jpothèse, dans laquelle il nij a aucun danger particulier de blesser

Vaudiloire.

Dans ce cas plus facile, il suffit, pour adapter le discours aux dis- ; positions des auditeurs, de ne manquer à aucune des bienséances*/; oratoires^. Ces bienséances sont de plusieurs sortes; elles sont re- latives et au prédicateur et aux auditeurs, et au lieu et au temps l'on parle, et au sujet qu'on traite.

Les bienséances oratoires, par rapport au prédicateur, lui pres- crivent de ne rien se permettre qui ne convienne à son âge, à sa position, aux circonstances dans lesquelles il parle, de se montrer sans faste et sans prétention, simple et modeste, honnête et bien- veillant, surtout de ne parler de soi que rarement, lorsqu'il y est forcé*, et de tendre à se faire oublier le plus possible pour ne laisser penser qu'à la vérité qu'il prêche. On a presque toujours mauvaise grâce à se mettre en scène, et l'auditeur le voit avec peine. Bossuet est louable d'avoir si noblement et si à propos parlé de lui-même dans la péroraison du prince de Condé ; mais on pardonnerait diffi- cilement à un homme ordinaire de parler de son âge et de ses che- veux blancs pour donner plus de poids à son discours. Il serait même difficile d'excuser dans Bossuet ce qu'il dit de lui-même sans utilité pour l'auditoire dans l'exorde de son premier panégyrique de saint Joseph.

Joann., ii, 27. « MaUli., x, 19. » Voyez GrciKide, lil). V, c. xvm.

* Le moi est liaïssable, dit Pascal, il est l'ennemi et voudrait être le tyi;iii Je tous les autres. Pensées, c xxv.

98 TRAITÉ DE LA PRÉWCATION .

Les bicnséancos relatives aux auditeurs consistent à observer en- vers eux toutes les convenances, et à adapter son discours à leur sexe, leur âge, leur caractère, leur esprit et leur position. On doit parler un langage différent selon qu'on s'adresse à un auditoire d'hommes ou à un auditoire de femmes, à des personnes âgées ou à des jeunes gens. « Ne reprenez pas un vieillard avec sévérité, dit « saint Paul *, mais usez d'humilité, de douceur et de prières comme « envers un père : avertissez les jeunes gens comme vos frères, et les « femmes avancées en âge comme vos mères, les fdles comme vos « sœurs. » Et si l'auditoire est composé d'enfants, on sent qu'il faut encore un autre langage, éminent en simplicité et en clarté. 11 est aussi une manière de parler différente selon le caractère des audi- teurs. Il y a des auditoires susceptibles qui veulent être traités avec délicatesse ; il leur faut le langage de la douceur et de la condescen- dance; il en est d'autres il est plus utile de parler avec vigueur et sans détour ; il leur faut le langage de la fermeté et de l'autorité. Saint Paul prêche la douceur à Timothée, parce que celui-ci, d'une humeur ardente, avait à gouverner les Éphésiens, peuple sensible qu'il fallait ménager, tandis qu'il prêche la fermeté à Tite, parce que celui-ci, d'un naturel doux, avait à gouverner les Cretois, peuple farouche et grossier qui avait besoin d'être repris sévèrement : In- crepa illos duré, argue cum omni imperio, lui dit-il, tandis qu'à Ti- mothée il disait : liicrepa in omni patientid. Enfin, il faut avoir égard à l'esprit et à la position des auditeurs, parlant un langage plus simple avec les simples, un langage plus élevé avec les esprits cul- tivés, un langage d'insinuation avec les esprits hautains ou prévenus, un langage plus réservé devant les grands et les riches du monde, surtout si l'on veut leur expliquer leurs devoirs, leur reprocher leurs vices, leur luxe et leur ambition. Plus ils sont élevés, plus ils sont faciles à froisser, et dès lors ceci rentre dans la seconde hypothèse dont nous parlerons plus bas.

Les bienséances relatives au lieu l'on parle consistent à appro- prier son langage à ce lieu, variant sa manière selon que c'est une ville ou une campagne, un collège ou une paroigse, une communauté <îe religieuses ou un pensionnat; et les bienséances relatives au temps consistent dans le rapport du sermon avec la circonstance dans la- quelle on le prononce, par exemple avec le mystère qu'on solennise ce jour-là, avec les cérémonies qu'on y fait, ou avec l'esprit de l'Église.

* ITim., V.

QUALITES DE LA PIIEDICATION. 99

Enfin, les bienséances relatives au sujet consistent dans le rapport eu style, du geste et du débit avec le sujet qu'on traite, rapport qui doit varier, selon que l'on fait ou un sermon, ou un prône, ou un catéchisme, mais qui toujours doit être l'expression de sentiments analogues aux choses que l'on dit : tantôt ce sera la tristesse, tantôt la joie ; ici, la douceur et la bonté ; là, l'amour et la tendresse ; ail- leurs, le mépris de la gloire, des richesses, des plaisirs et des hon- neurs.

Deuxième hypothèse, dans laquelle de grands ménagements sont nécessaires pour ne pas blesser l'auditeur.

* Ici le prédicateur a une question préliminaire à se faire : y a-t-il "* lieu de penser que mes auditeurs, étant disposés comme ils sont,

* profiteront de telle vérité que je me propose de leur annoncer, de

* tel avis que je voudrais leur donner? à quoi servira mon discours?

* cui bono? Et, s'il ne peut pas prudemment espérer un heureux ef- ■* .et, il doit taire la chose, et attendre pour la dire un moment fa- ■* vorable, selon cetle parole du Sauveur : Habeo muUa dicere vobis,

* sed non potestis povtare modo, et se borner pour le présent à des

* instructions qu'on entende volontiers et qui disposeront à écouter

* plus tard des vérités sévères. En agir autrement, et dire à contre-

* temps certaines vérités, ce serait peine perdue, comme lorsque le

* médecin prescrit des remèdes à un malade qui n'est pas disposé

* à les prendre; ce serait pis encore ; on provoquerait le méconten-

* tement et le murmure, on augmenterait le mal qu'on voulait dé- "* truire. Le discours pourrait être excellent en soi, et faire beaucoup "* (le bien, étant prononcé dans des circonstances favorables : mais

* ;; iressé à un auditoire mal disposé, il ne produit qu'un effet fâ- ■* clieux, comme la même herbe qui nourrit quelques animaux en

* fait mourir d'autres, ou comme le même remèue qui guérit une "* maladie en augmente une autre. Qu'un prêtre, par exemple, nou-

* vellement arrivé dans une paroisse pour exercer le ministère pas-

* toral ou prêcher une slalion, commence par inveclivcr contre les

* désordres et à traiter des sujets terribles ; les paroissiens, non dis-

* posés à ces sorties violentes, se préviendront et ne verront plus en

* lui qu'un homme dur, qui ne sait pas garder de ménagements;

* tandis que s'il eût commencé par des sujets doux, attrayants, et

* réservé les vérités fortes pour le temps il aiu;iit eu giigné la

10(» TRAITÉ DE LA PREDICATION.

* confiance, il eût parfaitement réussi'. Qu'un autre attaque de

* front les danses, les spectacles, les cabarets et autres désordres

* semblables, il ne fera, le plus souvent, que les multiplier; mais

* qu'il attaque ces maux dans leurs sources qui sont l'ignorance de

* la religion, l'amour des plaisirs sensuels ; qu'il s'attache à faire

* renaître la pudeur dans ceux qui l'ont perdue, à la cultiver dans

* ceux qui la conservent encore, et tous ces abus disparaîtront sans

* presque qu'il en parle ^.

- * C'est ainsi qu'en interrogeant les dispositions de ses auditeurs,

* le prédicateur discernera ce qu'il doit dire ou ce qu'il doit taire.

* Mais si, dans cet examen, il reconnaît la nécessité et l'utilité d'a-

* border certains points délicats qui froissent des passions chéries,

* des préjugés enracinés ou des susceptibilités d'amour-propre,

* comment doit-il s'y prendre? C'est le nœud de la difficulté :

* c'est alors qu'il faut avoir recours à ces tours adroits et insinuants,

* à ces ménagements ingénieux que les rhéteurs désignent sous le

* nom de frécaiitions oratoires, et que peuvent seuls enseigner la

* connaissance du monde, de l'homme en général et des auditeurs

* en particulier, le bon sens, le tacl, le sentiment des convenances;

* c'est alors qu'il faut étudier toutes les avenues du cœur les plus

* douces et les plus faciles, molles aditus, mollissima fanai tempora,

* comme dit Virgile, y entrer avec adresse, et une fois qu'on s'y est

* introduit, en toucher les fibres les plus sensibles sans blesser.

* Voilà sans doute pourquoi Aristote remarque^ que la rhétorique

* tient à l'ensemble des sciences morales, et surtout à la politique,

* dont elle est, dit-il, comme un germe et un rejeton ; et il n'y a,

* en effet, qu'une science profonde du cœur humain, qu'un esprit po-

* litique fin et exercé, qui puisse révéler ces délicatesses et ces mystè-

* res de langage que n'enseignent point les préceptes de la rhétorique.

* Dans l'impossibilité nous sommes de préciser le mode qu'il

* faut suivre en chaque occasion, nous nous bornerons à exposer ici

* certaines règles qui pourront au moins servir d'exemples ou d'in-

* dications au prédicateur pour se tirer de cette partie si difficile de

* son art.

i^^ Règle. 11 faut mettre dans tout son langage un grand fonds de bon sens, accompagné d'estime et d'affection pour ses auditeurs. Ce grand fonds de bon sens que nous requérons ici consiste à pré-

* S. Carol., Instr. prscdic. de mat. prîedic, p. 599. * Miroir du Clergé t. II, p. 511. 3Rhet., lib. I, c. ii

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION 101

senter la vérilé qu'on prêche comme quelque chose de si juste, de si sage, de si conforme à la droite raison, que les auditeurs ne puissent s'empêcher de l'approuver. Tel est le mérite éminent des Conféren- ces de M. Frayssinous, et tel est aussi le caractère propre de V Intro- duction à la vie dévote, saint François de Sales décrit la dévotion avec tant de sens et de vérité qu'en même temps que « le religieux « le plus austère la peut reconnaître, le courtisan le plus dégoûté, « s'il ne lui donne pas son affection, ne peut lui refuser son estime^ » Conformément à ces grands exemples, que le prédicateur montre toujours la religion et la vertu comme souverainement raisonnables, et ses paroles seront bien accueillies, parce qu'il est difficile à l'homme de se fâcher contre le bon sens, surtout quand on le lui présente avec calme et modération. A ce bon sens, toutefois, il est important de joindre des témoignages d'estime pour ses auditeurs, évitant de les supposer, au moins tous, coupables des excès qu'on censure, et semblant plutôt les prémunir contre un mal à craindre que. les corriger d'un mal existant. Le cœur, flatté de l'estime qu'on lui témoigne, écoute avec une prévention favorable, et supporte même volontiers la plaie qu'on lui fait, surtout s'il reconnaît dans l'orateur cet amour tendre et ces douces effusions de charité dont l'apôtre saint Paul a donné dans ses épîtres de si beaux exemples aux prédicateurs de tous les siècles : Os nostnim patet ad vos, ô Corinthii, cor' nostrum dilatatum est. Non angustiamini innohis-... Non ut confundam vos hxcscribo, sed ut filios meos cliarissmos mo- neo ^.. . Filioli, quos itenim parturio, donec formetur Christus in vo- bis * . . . Testis est mihi Deus, quomodo cupiam omnes in visceribiis Jesu Christi^. Cupide volebamus traderevobis non solum Evangelium Dei^ sed etiam animas nostnis, quoniam charissimi nobis fucti estis^. Un cœur qui aime tant a droit de tout dire, et l'auditeur ne peut s'en offenser : il comprend que toutes les paroles qui sortent d'une bouche si amie ne sont inspirées que par l'amour qu'on lui porte, et par un vif désir de son plus grand bien. Fussent-elles sensibles à son cœur comme le vin sur la plaie, la charité, comme une huile douce, en tempère l'âcretè.

Le cardinal deCliev(;rus a pratiqué admirablement cette règle dans l'exorde de son discours à l'Kcole polytechnique le jour du Ven- <lredi-Saint : un illustre prélat avait été obligé, par le tumulte des

« Bossuot, l'aii('';,'yri(iiic de S. François de Sales, part. * II Cor., vt, 11 , ~ 5 I Cor., jv, 14. '' Gai., iv, 11). » Philip., i, 8, " I Thcss., ii, 8.

102 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

élèves indociles, de descendre de chaire l'année précédente. Mon- seigneur de Cheverus arrive, et commence ainsi :

Non judicavi me scirc aliquid inter vos, 7iisi Jesum Christum et hune crucifîxum , au milieu de vous je n'estime savoir autre chose que Jésus crucifié : « Si j'avais, dit-il ensuite, à parler des sciences humaines, ce se- « rait au milieu de cette savante école, ce serait de vous-mêmes, messieurs, « que je viendrais prendre des leçons; mais aujourd'hui il s'agit de la « science de la croix, c'est ma science spéciale, la science que j'étudie et « prêche depuis quarante ans parmi les nations civilisées comme parmi les « peuplades sauvages, parce qu'elle convient également à tous ; et vous per- te mettrez à un vieil évoque de vous communiquer le fruit de ses longues « études. »

2^ Règle. 11 faut se supposer au rang des auditeurs, et se de- mander à soi-même : Si j'étais en leur place, comment voudrais-je qu'on me parlât? si j'étais imbu dételle prévention, dominé par telle passion ou tel esprit de parti, affecté de tel sentiment ou aveuglé par telle erreur, aurais-je plaisir à entendre ce langage? n'en serais-je pas au contraire blessé et révolté? Ce qui nous paraîtra alors propre à nous plaire dans l'hypothèse posée plaira très-probablement aux autres, et ce qui nous semblera capable de nous blesser les blessera, parce que tous les hommes portent en eux le germe plus ou moins développé des mêmes affections. De ce mot de l'Esprit-Saint : Intellige qiix snnt jiroximi tiii ex teipso^, que Fontenelle n'a fait presque que traduire, lorsqu'il a dit : C'est moi que j'étudie quand je veux connaître les autres.

5" Règle. Il faut commencer par entrer dans l'esprit et les sentiments des auditeurs, et faire de leurs dispositions comme le point de départ pour les amener au but que Von se propose. C'était la tactique que suivait l'abbè de Polignac, depuis cardinal, dans ses conférences avec le souverain pontife Alexandre VIH. Vous com- mencez toujours par penser comme moi, lui disait le pape, et vous finissez par me faire penser comme vous^. Beau modèle pour le pré- dicateur, lorsqu'il a à combattre des préventions ou à traiter cer- tains sujets délicats. Par la même raison, s'il a à consoler des auditeurs affligés, il doit se garder de paraître gai et de les inviter à la joie dès le début de son discours ; ce serait les offenser et leur déplaire; mais il doit se montrer triste comme eux, compatir à leur

1 Eccli., XXXI, 18. - Louis XIV disait aussi de lui r « Je viens d'entretenir un jeune homme qui m'a toujours contredit et qui m'a toujours plu. »

QUALITES DE LA rRÉDICVTION. 103

douleur et les faire entrer peu à peu dans les sentiments de conso- lation qui sont le but de son discours.

^^^ Pièglc. Si l'on a à parler de faits qui puissent blesser les susceptibilités de Tamour-propre, froisser les préjugés et l'esprit de parti, il faut saisir le côté honorable ou excusable de la chose et dissimuler l'autre, imitant l'artifice de ce peintre qui, pour cacher la difformité d'un visage, inventa l'art du profil. Ainsi a fait admira- blement Bossuet dans l'oraison funèbre du grand Condé, lorsqu'il parle des guerres civiles dans lesquelles ce prince avait pris pari contre son roi.

Puisqu'il faut une fois parler de ces choses dont je voudrais pouvoir me taire éternellement, jusqu'à cette fatale prison, il n'avait pas seulement songé qu'on pût rien attenter contre l'État; et s'il souhaitait d'obtenir des grâces, il souhaitait encore plus de les mériter. Je puis bien répéter ici de- vant ces autels les paroles que j'ai recueillies de sa bouche, puisqu'elles marquent si bien le fond de son cœur ; il disait en parlant de cette prison malheureuse, qi\'il y était entré le plus innocent de tous les hommes et qu'il en était sorti le plus coupable. Hélas! poursuivait-il, je ne respirais que le service du roi et la grandeur de l'État ! On ressentait dans ses paroles un regret sincère davoir été poussés! loin par ses malheurs. Mais, sans vouloir excuser ce qu'il a si hautement condamné lui-même, disons, pour n'en parler jamais, que, comme dans la gloire éternelle, les fautes des saints pé- nitents, couvertes de ce qu'ils ont fait pour les réparer et de l'éclat infini de la divine miséricorde, ne paraissent plus ; ainsi, dans des fautes si sin- cèrement reconnues, et, dans la suite, si glorieusement réparées par de fidèles services, il ne faut plus regarder que Ihumble reconnaissance du prince qui s'en repentit et la clémence du grand roi qui les oublia.

Fléchier, dans l'oraison funèbre de Turenne, nous offre un aulrs exemple de la même difficulté vaincue.

Souvenez-vous, messieurs, de ce temps de désordre et de trouble l'es- prit ténébreux de discorde confondait le droit avec la passion, le devoir avec l'intérêt, la bonne cause avec la mauvaise, les astres les plus bril- lants souffrirent presque tous quelque écli| s-e, et les plus fidèles sujets se virent entraînés malgré eux par le torrent des partis, comme ces pilotes qui, se trouvant surpris de l'orage en pleine nier, sont contraints de quitter la route qu'ils veulent tenir, et de s'abandonner pour un temps au gré des vents et de la tempête : telle est la justice de Dieu ; telle est l'infirmité na- turelle des hommes. -Mais le sage revient aisément à soi, et il y a dans la pohlique comme dans la religion une espèce de pénitence plus glorieuse que l'innocence même, qui répare avantageusement un peu de fragilité par des vertus extraordinaires et par une ferveur continuelle. Que dirai-je doncl

ia* TRAITE DE LA PREDICATION.

Dieu peimil aux vents et à la mer de gronder et de s'émouvoir, et la tem- pête s'éleva. Un air empoisonné de factions et de révolte gagna le cœur de l'État; les passions que nos péchés avaient allumées rompirent les digues de la justice et de la raison, et les plus sages mêmes, entraînés par le raal- lieur des engagements et des conjonctures, contre leur propre inclination, se trouvèrent, sans y penser, hors des bornes de leur devoir.

Pièijle. Si l'on a à traiter des vérités morales qui aient quel- que chose de pénible pour l'auditeur, ou à faire des reproches, à donner des avis délicats, il faut adoucir ce qu'on a à dire, non pas en altérant la vérité, ce qui serait un crime, mais en la proposant sous une forme aimable qui lui ôte son amertume. 11 est pour cela divers moyens : tantôt on tempère la leçon à la faveur d'un compli- ment délicat, comme fait saint Paul dans son admirable discours à l'Aréopage, où, trouvant jusque dans l'idolâtrie des Athéniens une matière à éloge et une disposition à l'Évangile, il les loue de leur caractère religieux, et de là, par une transition aussi fine que natu- relle, prend occasion de leur prêcher Jésus-Christ, le Dieu inconnu qu'ils adoraient ; ou bien on convertit le reproche en un éloge dé- guisé, comme fait Démosthènes, lorsqu'il reproche aux Athéniens de ne pas se montrer dignes d'eux-mêmes, dignes des vainqueurs de Salamine et de Marathon, ou lorsqu'il s'écrie : « Vous venez de- « mander tous les jours sur la place : Qu'y a-t-il de nouveau? Et « quoi de plus nouveau que de voir un peuple, tel que les Athé- « niens, près d'être envahi par Philippe? » Tantôt on se met du nombre de ceux qu'on veut corriger, et on s'applique la leçon à soi-même, comme fait Massillon, lorsque voulant donner devant les laïques une leçon aux prêtres sur le respect au lieu saint, il s'écrie :

Par vous nous avertissez, ô mon Dieu ! quelle doit être dans nos temples la sainte gravité et le recueillement inviolable de vos ministres; que c'est à nous à porter ici, gravée sur notre front, la sainte terreur de vos mystères et le sentiment vif et intime de votre présence ; que c'est à nous à inspirer ici le respect au peuple qui nous environne, par le seul spectacle de notre modestie, et à ne pas paraître autour de l'autel, lorsque nous sommes occupés aux saints mystères, plus inappliqués, plus précipités que la multitude même qui y assiste '.

D'autres fois on mêle à de justes remontrances des excuses qui atténuent la faute. C'est quelquefois un moyen de porter les coupables

* Tome I du Grand Carême.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 105

à se condamner plus sévèrement, et ce fut celui que saint Pierre employa pour reprocher aux Juifs leur déicide, s'appliquant à excu- ser leur faute en même temps qu'il la leur reprochait. Et mmc, fratres, scio quiaper ignorcmtiam fecistis sicut et princij)es vestri^. On peut encore, sans adresser de reproche direct aux coupables, se borner à gémir en général sur tel ou tel désordre, laissant à chacun à prendre la part qui lui revient dans la censure du prédicateur^. A ces manières d'adoucir ce que la vérité a d'amer, on peut joindre certaines formes de politesse, par exemple : Permettez-moi de dire, ou bien encore : il m'en coûte, mes frères, de vous faille entendre des vérités pénibles, mais mon devoir, mais votre intérêt m'oblige à parler, etc.. Enfin, on peut avoir recours à des tours ou des circon- locutions qui voilent ce qu'il serait trop accablant de montrer à nu. Ainsi Bossuet, pour dire que Charles P"" est mort sur l'échafaud, s'exprime en ces termes :

Qui pourrait raconter ses justes douleurs (de la reine d'Angleterre) ! Non, Jérémie lui-même, qui seul semble capable d'égaler les lamentations aux calamités, ne suffirait pas à de tels regrets ; elle s'écrie avec ce prophète ; Voye%, Seigneur, mon affliction : mon ennemi s'est fortifié, et mes enfants sont perdus. Le cruel a mis sa main sacrilège sur ce qui m'était le plus cher. La royauté a été profanée et les princes ont été foulés aux pieds. Laissez-moi, je pleurerai amèrement; n'entreprenez pas de me consoler; Vépée a frappé au dehors, mais je sens en moi-même une mort semblable.

Cette citation heureuse raconte l'horrible événement d'une manière noble et touchante.

*Nous terminerons ces régies par deux exemples remarquables

* propres à en donner l'intelligence : le premier se lit dans le 29'' ser- *monduP. Ségneri, célèbre prédicateur d'Italie, et nous offre un

* modèle de modération et d'urbanité dans la censure du vice. Après

* s'être élevé avec énergie contre ceux qui, n'étant pas bons, empê-

* client les autres de l'être, il fait ainsi l'application de son sujet à ses " auditeurs :

Je ne veux pas vous offenser, mes frères; il me serait bien plus doux de vous louer que de vous blâmer. Je sais qu'il en est plusieurs parmi vous qui s'appliquent à déraciner les vices par le zèle, à faire germer les vertus par

Act. apost., m, 17. ^ Voyez, sur la manièi'e de faire ces reproches, les précautions oratoires que recommandent S. François de lîorgia dans le Guide de ceux (jui annoncent la parole de Dieu, p. 20i>, 210, 211, et S. François Xa- vier, ibidem, p. 522, 552, 555.

d06 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

é'exemple; mais est-ce le grand noiTibre? j'en appelle à votre conscience; ne vous reproche-t-elle point d'avoir raillé quelquefois les jeunes gens qui, dédaignant vos réunions et fuyant vos jeux, mettaient leurs délices à s'en- tretenir avec Dieu dans nos églises 1 Répondez, êtes-vous sûr de n'être pour personne un obstacle qui l'arrêle dans les voies de la piété, qui le détourne d'assister au saint sacrifice, ou de participer aux sacrements aussi souvent que son cœur l'y porterait ! Dieu m'est témoin, mes frères, que j'ai plaisir à penser de vous tout le bien possible; mais plaise au ciel que vous ne soyez pas de ces hommes dont parle la Sagesse, qui invitent leurs compagnons à partager de coupables amusements ; Venez, leur disent-ils, couronnons-nous de roses avant qu'elles se flétrissent, ne songeons qu'à nous divertir, à nous enivrer de plaisirs. 11 se rencontre parfois dans le monde des personnes qui, voyant un David prêt à pardonnera Saûl, l'animent à la vengeance ; qui, trouvant un Assuérus transporté d'une injuste colère contre Vasthi, applau- dissent à ses fureurs; qui, s'associant à un Amnon dévoré d'un amour im- pur pour Thamar, approuvent cette passion frénétique et lui enseignent l'art de la satisfaire, i'ourriez-vous assurer, mes frères, qu'il ne se trouve parmi vous aucun de ces hommes, qu'il n'y en ait pas un dans cette ville d'ailleurs si sainte, dans cet auditoire d'ailleurs si édifiant ? Oh ! plût à Dieu que vous pussiez m'en donner l'assurance? Tour cela, je donnerais, oui, je donnerais avec joie tout le sang de mes veines.

* Voilâsans doute des reproches graves ; mais comme ils sont pré-

* sentes avec délicatesse, grâce et force! Qui pouvait s'en offenser? *et comment ne pas aimer au contraire le prédicateur qui parlait un *tel langage?

* Le second exemple se trouve dans les dernières pages du sermon *de Massillonsur la parole de Dieu. L'orateur, voulant condamner

* les censeurs de cette divine parole, ne leur dit pas : Quel droit *ave%-vous sur nous ? Ce serait de l'arrogance ; mais avec une mo-

* destie qui désarmerait la malignité même, il leur dit :

S'il était permis de nous recommander ici nous-mêmes, comme le disait autrefois l'Apôtre à des fidèles ingrats, plus attentifs à censurer la simplicité de son extéric^ur et de son langage que touchés des fatigues et des périls in- finis qu'il avait essuyés pour leur annoncer l'Évangile, nous vous dirions : Mes frères, nous soutenons pour vous tout le poids d'un ministère pénible ; nos soins, nos veilles, les travaux infinis qui nous conduisent à ces chaires, n'ont point d'autre objet que votre salut: eh! ne méritons-nous pas du moins que vous respectiez nos peines ! Le zèle qui souffre tout pour vous assurer le salut, peut -il jamais devenir le triste sujet de vos dérisions et de vos censures !

* Il ne dit pas : Nous méprisons vos critiques, ce serait de l'amer- *tume, mais :

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 107

Nous vous montrons le g'Iaive terrible du Seigneur suspendu sur votre lête, prêt à tomber sur vous; et, loin de Jrémir, vous vous amusez à exa- miner s'il brille, et vous cherchez dans les terreurs mêmes delà prédicoiion les beautés de Téloquence. Grand Dieu! que le pécheur paraît méprisable et digne de risée, quand on l'envisage dans votre lumière!

* Enfin il ne dit pas : Vos applaudissevioits, nous les méprisons,

* il nous faut des larmes; mais avec la plus touchante onction, il

* s'écrie :

Eh ! que nous importe de vous plaire, si nous ne vous changeons pas ? Que nous sert d'être éloquents, si vous êtes toujours pécheurs ? Quel fruit nous revient-il de vos louanges, si vous n'en retirez vous-mêmes aucun de nos instructions? Notre gloire, c'est l'établissement du régne de Dieu dans vos cœurs ; vos larmes toutes seules, bien mieux que vos applaudissements, peuvent faire notre éloge ; et nous ne voulons pas d'autre couronne que vous-mêmes et votre salut éternel.

* Comme ces phrases admirablement précises, sans être ni sèches, *m obscures, ni incomplètes, ménagent adroitement toutes les sus-

* ceptibilités, et toutes les déUcatesses !

ARTICLE 5.

TROISliiJIE CAKACTÈRE DE LA PKÉDICATION ; ELLE DOIT ETRE INSTRUCTIVE.

C'est un grand tort de certains prédicateurs et un grand oubli de leurs devoirs, de s'occuper plus à embellir leurs discours qu'à les remplir de vérités utiles, à plaire par les grâces du style et de la déclamation qu'à éclairer par une instruction solide. Diseurs de rien ou de peu en beaucoup de paroles, ils ne portent ni lumières ni con- viction dans l'esprit de leurs auditeurs, et leur prédication n'est qu'un verbiagQ vide de raisonnements et de choses. Pour prévenir ce grave abus, nous traiterons dans un premier paragraphe de la nécessité de rendre la prédication instructive ; et dans un secoiîd, de la manière de le faire.

^ 1".

Delà nécessité de renilr*^ la prédication iiislructive.

Soit qu'on envisage la prédication sous le rapport oratoire, soit qu'on la considère sous le rapport de la foi, on voit également la nécessité de la rendre instructive.

108 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

1* A ne l'envisager que sous le rapport oratoire, il est essentiel de la rendre instructive; car un discours bien nourri de doctrines, for de preuves et de raisons, est presque infailliblement un bon discours. Les pensées solides, les grandes vérités dont l'orateur est plein, en- traînent après elles des expressions qui y répondent.

Verbaqiie pronisam rem non invita sequentur.

Le secret de l'éloquence, au jugement d'Horace, c'est d'être bien instruit de son sujet, de connaître à fond toute la doctrine qui s'y rapporte ; et bien penser sert merveilleusement à bien dire.

Scribendi rectè sapere est principiiau et fous *.

A cette première considération s'en joint une autre, tirée de Cicéron : Una res, dit-il, prx nohis est ferenda, ut nihil aiiiid nisi docere velle videamiir ^. C'est-à-dire que l'instruction doit faire le fond du discours ; tout le reste n'est que son accessoire, un moyen de le faire recevoir, goûter et pratiquer. Cicéron explique cette pensée par une belle comparaison : instruire à fond les auditeurs du sujet qu'on traite, dit-il, développer et faire ressortir la vérité qui doit les mener à la vertu, voilà ce qui doit former le corps ou la substance du discours, et les autres parties de l'éloquence qui consistent à plaire et à émouvoir, ne doivent y intervenir que comme le sang dans les veines, fondues et circulant en quelque sorte dans le corps de l'instruction : Sicuti sanguis in corporibus, sic illx in orationibiis fusx esse debebunt ^, ou, comme le dit Quintilien, elles n'ont droit de s'y montrer que pour venir au secours de l'instruction et la faire valoir *. S'il est donc important de plaire et de toucher, il l'est bien plus d'instruire ; et même on peut dire qu'on ne réussira à plaire et à toucher qu'autant qu'on instruira. Si les mouvements oratoires ne sont amenés et préparés par l'instruction, c'est-à-dire par un exposé clair du sujet et par des preuves solides, ils ne seront qu'une décla- mation vaine, un jeu de l'imagination sans objet, une fureur hors de saison, comme dit Longin; des actes d'un homme ivre parmi des auditeurs à jeun, selon Cicéron : Vinolentiis inter sobrios '. Ces pro- duits de l'éloquence, séparés de l'instruction, peuvent être comparés à un bel habit auquel il manque un corps pour le porter, à une belle décoration à laquelle manque un sujet pour la recevoir. Aussi voyons-

* Art poét. 2 De Orat., lib. II, ccc.t. ^ De Orat., lib. II, cccx. « Quint., T, 8. * Orat., xcix.

QUALITÉS DE LA. PRÉDICATION. ÎOJ)

nous chez les grands orateurs de l'antiquité chaque mouvement amené par les preuves, engendré, si je puis ainsi dire, par les raisotis et les faits ; ce n'est qu'après les arguments les plus décisifs que ces grands hommes ébranlent et entraînent l'auditeur par la vivacité des mouvements oratoires : ainsi procèdent Démosthènes dans ses Philip- piques, dans son immortel chef-d'œuvre /)/'o Coronâ., et Cicérondans ses discours contre Catilina, contre Verres, etc.... Donc, même à ne considérer la prédication que sous le rapport oratoire, elle doit ren- fermer une instruction solide.

fsf 2" Si on l'envisage sous le rapport de la foi, elle le doit bien plus encore.

Car l'obligation de prêcher est identique avec l'obligation de donner une instruction solide. Quand Jésus-Christ disait à ses Apô- tres : Docete omnes génies. . . Docentes eos servare omnia quxcumque mandavi vohis; et quand saint Paul, son fidèle interprète, disait à Timothée : Doce et exhortare... Attende lectioni et doctrinœ, c'était une instruction solide que l'un et l'autre demandaient. Tel est le sens du verbe docere; et prêcher sans instruire, c'est éluder l'obligation, ce n'est pas la remplir, puisque celui qui n'instruit point peut faire du bruit, mais pas de fruit; se faire admirer, mais non êlre utile : Qui tantùm verba sectatur, 7iUiil liabehit, dit l'Esprit-Saint ^ Ce qui a fait dire à saint Augustin : Docere necessitatis est... Popidi piins docendi quam movendi^.

Et en effet, pour peu qu'on réfléchisse sur les besoins des peuples, on comprendra combien l'instruction leur est nécessaire. L'instruc- tion consiste à expliquer clairement la doctrine chrétienne et à la prouver solidement ; or, n'est-il pas évident que les peuples ont un besoin immense de l'un et de l'autre? Ils ont besoin qu'on leur explique clairement la doctrine : car la plupart, n'ayant d'autre moyen de l'apprendre que les instructions de leur pasteur, ne la connaîtiont jamais, si on ne la leur explique en chaire; ou ils n'au- ront que des notions confuses, inexactes, fausses sur la religion, ses dogmes, ses préceptes, la pratique des vertus, la vraie et solide piété: et ici nous pouvons citer en preuve une trop malheureuse expérience. Combien de personnes ont suivi pendant de longues années les prédications de leur paroisse, qui n'en sont pas plus in- struites sur la religion et sur tous leurs devoirs, qui n'en croupissent pas moins dans l'ignorance et les vices qu'elle traîne à sa suite? Le.

* Prov., xix, 8. 'De Doct. christ., lilj. IV, c. xii.

110 TRAITE DE LA mEDICATION.

prédic:tteur no leur a pas assez expliqué la doctrine, on a supposé un fonds d'instruction qu'ils n'avaient pas. Be point de religion, oa une religion mal entendue ; point de piété, ou une fausse vertu ; de les superstitions, l'alliance des pratiques religieuses et quoique^ fois même des sacrements avec le désordre. Si donc on veut être vraiment ulile, il faut nourrir de doctrine toutes ses prédications,, expliquer toujours, en chacune d'elles, quelques pages de théologie ou de catéchisme sur les mystères, les sacrements, les commande- ments de Dieu ou de l'Église. 2" Il n'est pas moins nécessaire de- prouver solidement la doctrine chrétienne. Sans doute il est des vériîés si claires, si généralement admises, qu'il serait inutile et même dangereux d'insister à le prouver^; mais hors de celte classe de vérités premières, il faut appuyer de preuves solides tout ce que l'on dit; car, les auditeurs ne tiennent ni le prédicateur pour inspiré, ni sa parole pour infaillible : souvent même ils écoutent avec prévention et ne se rendent qu'à la force des preuves, si même en- core ils s'y rendent, parce que la passion, appréhendant les sacrifices qu'on lui demande, cherche par tous les subterfuges à échapper à la conviction. Il faut donc que, si l'auditeur résiste encore dans son cœur, il soit au moins confondu dans son esprit et réduit ou à se taire ou à se débattre en vain contre des raisonnements inatta- quables. 2° Qui ne sait que la conviction est la seule chose qui de- meure? Les émotions sont passagères, les résolutions inconstantes, les impressions faciles à s'effacer; tout cela, si une conviction pro- fonde ne le soutient ou ne le remplace, ne sera qu'un édifice bâti sur le sable, qui tombera aux premiers vents des tentations, au pre- mier souffle du respect humain, au premier entraînement de la pas- sion, ou par le seul effet du dégoût naturel. L'homme, étant un être raisonnable, veut être conduit par la raison, comprendre les choses et la raison des choses; autrement, ou il ne les adopte pas, ou ne les croyant que faiblement, il se laisse facilement aller à ee qu'on lui a défendu, ou enfin sa foi, ne reposant pas sur des fon- dements solides, sera en périt continuel d'être ébranlée, peut-être même tout à fait renversée, soit par les mauvais discours qu'il sera exposé à entendre, soit par les livres irréligieuse qui tomberont sous ses yeux, soit enfin par les tentations que le démon ou son propre esprit lui suggérera. La prédication qui n'instruit pas manque

* In rébus apertis argumentari îimi stultum quàm in clariisimum solcm mor- tale lumen inferre. Quintil., lib., V, c. xir.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATIO>\ Hl

donc tout à fait le but. Au contraire celle qui instruit l'atteint admi- rablement. Qu'on interroge l'expérience, et que Ton compare deux paroisses, l'une se font habituellement de beaux discours, pleins de feu, d'une certaine éloquence même si vous voulez, mais vides de doctrine ; l'autre le pasteur instruit simplement, mais avec clarté et solidité. Dans la première de ces paroisses, on verra la religion peu connue et encore moins pratiquée; dans l'autre, au contraire, on trouvera une piété éclairée, une vertu véritable et bien entendue, les sacrements fréquentés ; et il ne faut pas en être sur- pris : le prédicateur ne fit-il qu'exposer les vérités chrétiennes, la religion est si belle par elle-même qu'on ne peut la connaître sans l'aimer : il suffit de la montrer telle qu'elle est pour déterminer la conversion, quand on parle à des âmes droites qui ne sont hors de la voie que par ignorance. Bossuet a obtenu plus de conversions par son Exposition de la doctrine catholique que par tous ses livres de controverse; et les saints Pères, comme l'observe le Concile de Trente S ont souvent converti les infidèles, ramené les hérétiques, et confirmé les catholiques dans la vraie foi par un simple exposé des vérités de la religion. Les esprits égarés eussent peut-être ré- sisté à tons les mouvements oratoires et se fussent tenus en garde contre les prestiges de l'éloquence; mais un exposé de la religion, simple, clair, méthodique et plein de calme, les gagnait; l'amour du beau, du juste, du grand et du sublime, dont l'âme humaine ne peut se dépouiller, ne leur permettait pas de résister à cet ensemble de vérités si belles, si pures, si divines : ils se rendaient avec bon- heur, ils s'attachaient à la religion par amour.

Et si le simple exposé des vérités chrétiennes est si utile, que doit- ce être lorsqu'on y joint des preuves solides de tout ce qu'on avance? C'est alors qu'une conviction profonde s'associant à une intelligence parfaite de la religion, le fidèle devient inébranlable dans la foi, capable de rendre raison de sa croyance et de défendre ses pratiques religieuses contre quiconque oserait les attaquer ; c'est alors que la volonté embrasse généreusement le parti de la vertu, et ses réso- lutions sont durables parce qu'elles reposent sur la pierre ferme de la conviction. Et qu'on ne croie pas que les preuves ne soient faites que pour les esprits cultivés; les gens les plus simples ont du sens, se montrent intelligents sur ce qui les intéresse et sont capables de saisir, sinon des raisonnements profonds et subtils, au moins des

* Sess. III, de Symbole.

112 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

preuves claires et simples, telles qu'en offre la religion. Quiconque se rapprochera de leur manière de concevoir et de raisonner leur apprendra facilement à motiver leur croyance et leurs actes, rendra leur foi raisonnable, leur piété éclairée, et assurera ainsi leur fidélité aux devoirs du christianisme ^

Aussi voyons-nous que les grands maîtres de la chaire se sont appliqués à nourrir leurs discours d'une instruction solide. Bour daloue ne songe pour ainsi dire qu'à instruire, prouver et convaincre s'il émeut et gagne ses auditeurs, ce n'est qu'à force de les presser par le nombre et le poids des raisons ; il est, sous le rapport de l'in- struction, le roi des prédicateurs- Massillon lui est bien inférieur en ce genre; mais cependant on trouve une instruction très-soUde dans plusieurs de ses discours, par exemple dans les sermons sur la divinité de Jésus-Christ, sur la vérité d'un avenir, sur la vérité de la religion, sur les doutes en matière de religion. On regrette seulement que dans beaucoup d'autres discours, il ait supposé l'instruction sans la donner, ou ait outré la morale en fondant sur cette exagération des mouvements pathétiques, comme dans les sermons sur le petit nombre des élus, sur la tiédeur, sur le jeûne, Bossuet, comme les grands orateurs de l'antiquité, ne fait venir les mouvements oratoires qu'à l'appui des preuves; il instruit, il raisonne et démontre; il porte un regard d'aigle sur la religion, sur les mystères, et découvre à l'auditeur étonné des aperçus neufs, vastes et sublimes. Seulement ses raisonnements ont parfois le défaut, ou d'être trop profonds pour être saisis par les intelligences ordinaires, ce qui peut venir de ce que son esprit, nourri des plus hautes conceptions, était moins propre à abaisser la discussion à la portée du vulgaire, ou d'être d'une subtilité qui fatigue l'esprit plus qu'elle ne le convainc, ce qui peut venir encore de ce qu'il a composé ses sermons à un âge son goût n'était pas mûri par l'expérience, ou de ce qu'il les a peu travaillés et ne les a jamais retouchés ensuite, n'en faisant aucun cas dans la dernière moitié de sa vie, comme on peut le voir dans son histoire par le cardinal de Beausset.

§2.

De la manière d'instruire.

Pour faire un discours vraiment instructif, il ne faut pas commencer par consulter son imagination, rêver des mouvements oratoires et des

* Fénclon, IcUre sur la religion, n" 1 et 2. Miroir du clergé, t. II, p. 112, Flcury, dit^cours préliiu, du Catéch. liist.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 113

figures : te serait vouloir faire l'habit avant de connaître la taille et les formes du corps auquel il est destiné; mais il faut commencer par étudier sa matière, voir ce qu'enseignent là-dessus la théologie et les bons auteurs spirituels, et se faire de son sujet des idées nettes et précises, en observer les divers rapports et en embrasser l'en- semble. Après l'avoir étudié pour soi, il faut l'étudier pour les autres : car autre chose est de savoir pour soi, autre chose de savoir pour enseigner : l'homme qui possède le mieu\ une matière quelconque, a besoin d'y réfléchir beaucoup encore pour être en étal de l'exposer avec clarté, méthode et d'une manière qui convienne au genre d'es- prit de ses auditeurs. Dans cette étude de son sujet, il doit, comme nous 1 avons dit, se proposer deux choses : la première de bien expli- . quer la doctrine chrétienne ; la seconde de la prouver solidement : comment faire l'une et l'autre? C'est ce que nous avons maintenant à traiter.

SECTION i'\

De la manière d'expliquer la doctrine chrétienne.

Pour bien expliquer les vérités chrétiennes, il est plusieurs règles à observer :

11 faut supposer peu de choses comme sues d'avance, laisser peu à deviner, et éclaircii tout ce qu'on soupçonne n'être pas par- faitement clair dans l'esprit des auditeurs. Il y a moins d'inconvé- nients à risquer d'en dire trop pour les gens d'esprit qu'à risquer de n'en pas dire assez pour le vulgaire ; tout d'ailleurs dans la religion est énigme pour le peuple, si on ne le lui exphque. Plongé dans les sens et les intérêts matériels, il ne voit les choses spirituelles que d'une manière tout à fait confuse, comme nous voyons les objets placés à une grande distance de notre vue : il faut donc les rapprocher de son intelligence, et les lui montrer dans tout leur jour.

Dans ces explications, il faut se faire un devoir de conscience d'être exact, de bien discerner les préceptes d'avec les conseils, les dispositions essentielles d'avec ce qui est de perfection, et surtout s'attacher plus à la pratique qu'à la spéculation, à ce qui peut bien faire recevoir les sacrements qu'à ce qui peut en donner de l'admira- tion. Les raisons do cette règle sont évidentes.

o" Pour que l'explication soit claire, il faut suivre les règles données à l'article précédent sur la manière d'adapter son discours à la portée

8

114 TRAITÉ DE L.\ PRÉDICATION.

des auditeurs, et la plupart des règles que nous exposerons plus bas* sur la manière de faire le catéchisme; mais surtout il faut bien dé- finir, bien diviser et éclaircir sa matière par des comparaisons et des exemples : une définition exacte dont on explique tous les termes, ou à laquelle on amène comme par degrés l'intelligence de l'auditeur en procédant à magis noto ad minus notum, fait connaître la nature de la chose dont on parle : une bonne division en fait discerner les différentes parties ou ramifications, empêche la confusion des idées et précise le sens des mots. Enfin, les comparaisons, les exemples, rendent la chose sensible et la font pour ainsi dire toucher au doigt.

Après avoir expliqué la vérité considérée en elle-même, il faut déduire les conséquences pratiques qui en découlent, en faire l'ap- plication aux besoins des auditeurs selon ce que nous avons dit plus haut^, leur préciser d'une manière claire les résolutions qu'ils doi- vent prendre, c'est-à-dire telle chose à faire en telle circonstance et de telle manière, ou telle chose à éviter en telle occasion et par tel moyen ; puis enfin leur faire comprendre que, pour être fidèles à ces résolutions, il faut en demander la grâce à Dieu par des prières fer- ventes et prendre les moyens de s'en souvenir, par exemple, en se les rappelant tous les jours après la prière du matin et du soir.

Ces explications de la doctrine chrétienne demandent un style simple et le langage calme de la raison ; tout raUre genre y serait déplacé : lesîyle élevé, les gnindes figures, les mouvements oratoires doivent êîre réservés pour îcs autres parties du discours.

SECTION 2.

De la maniiJre de prouver '.

Il ne faut jamais donner de preuves qui ne soient solides : don- ner une preuve dont on sent le faux, c'est manquer de probité, c'est exposer la rehgion à la dérision des impies qui, s'ils découvrent le faible de l'argument, jugeront toutes les autres preuves de notre croyance aussi défectueuses ; c'est enfin faire tort à tout son discours, parce qu'une preuve faible ou mal exposée fait soupçonner le discours entier de n'être pas solide, et inspire l'envie de le contredire ; souvent môme cette partie faible est la seule qu'on retient, la seule dont on parle. 11 vaut donc mieux donner moins de preuves et n'en donner

» Liv. II, c. X, art. 0, § 2. 2 c. iv, art. 2, § 2. ^ Voyez le P. .Albert, 2' fan., ch. xm, xtv, xvii et suiv, , 51, o2.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 115

que de convaincantes. Les preuves ne se comptent pas, elles se pèsent, et plusieurs faibles raisons n'en valent pas une concluante.

Il ne faut point entreprendre de donner sur chaque chose toutes les bonnes preuves possibles; il vaut mieux choisir les meilleures et laisser les autres. En laissant entrevoir plusieurs preuves sans les pousser, on fait sentir à l'auditeur qu'on a une surabondance de droit et de raison. Puis, il serait impossible de mettre un si grand ama^ de preuves dans tout leur jour : on ne pourrait que les effleurer, TtA-sa-f^^ «-ff et dès lors elles feraient peu d'impression, au lieu qu'un moindre nombre, mais qu'on fera fortement ressortir, entraînera bien plutôt la conviction. Enfin, peu d'auditeurs sont capables de suivre une trop longue série d'arguments et de démonstrations, et d'ailleurs", quand ils le pourraient, tout un discours employé en preuves serait nécessairement sec, peu propre à émouvoir. Il n'y aurait rien pour le ^^ cœur, rien pour ces grands mouvements oratoires qui ébranlent, en- ,„ traînent, emportent d'assaut la volonté. On excepte de cette règle 0^^>' certaines vérités qui trouvent de grandes contradictions, et il faut non-seulement convaincre, mais terrasser son adversaire : alors on peut accumuler les preuves plus que dans les discours ordinaires.

Dans le choix des preuves, il faut préférer celles que l'auditeur saisira plus aisément, qui l'intéresseront davantage et lui feront plus d'impression. Les preuves les plus fortes en elles-mêmes ne sont pas toujours les meilleures : on peut même dire qu'elles ne valent rien relativement, si elles dépassent la portée des auditejjrs ou si elles ne doivent pas les frapper. 11 faut donc nous tenir en garde contre le penchant qui nous porte à croire que les autres saisiront les dé- monstrations que nous saisissons nous-mêmes, éviter dans les audi- toires vulgaires les raisonnements profonds et ne jamais rechercher les preuves extraordinaires : les plus communes sont souvent les meilleures ; elles ne sont devenues communes qu'à force d'être vraies, et l'auditeur les revoit avec plaisir si on leur donne un tour neuf. ^

Le fond' principal des preuves employées dans la chaire doit être tiré des moliCs de la foi, de l'Écriture sainte, des Pères ou des con- ciles et des exemples des saints. Parlant au nom de Dieu et comme son envoyé, le prédicateur doit faire valoir surtout la parole divine cl la doctrine de 1' [église interprète de cette parole. Ce serait se dé- grader que de fonder son discours sur des raisons profanes, comme ferait un académicien. Cependant il ne faut pomt négliger les preuves de raison ; elles sont un accessoire utile aux preuves tirées de la ré- vélation, et elles ont cet avan'nge qu'elfes excitent plus l'altcnlion et

m TRAITÉ DE LA PREDICATION.

l'intérêt que toute autre. L'auditeur se fait honneur de les com- prendre, et l'esprit superbe de notre siècle en est plus satisfait. On aime même non-seulement les preuves démonstratives, mais encore les raisons de convenance qui rendent d'une croyance plus facile les mystères de la religion, en éclaircissent les ténèbres et en lèvent les contradictions apparentes. Seulement, le prédicateur doit se garder de donner comme preuves ces raisons de convenance, de sonder té- mérairement le mystère et de chercher à le faire disparaître.

Pour s'assurer de la force des preuves, il faut voir si, propo- sées froidement dans la conversation, elles convaincraient un homme sensé; si, en cas que nous fussions à la place du pécheur que nous voulons convertir, elles nous convaincraient nous-mêmes; si, réduites en syllogisme, il en résulte deux prémisses claires et une conséquence évidemment déduite qui soit la proposition même qu'on veut prouver. Ce n'est qu'après leur avoir fait subir cette épreuve qu'il faut les adopter*.

Le choix des preuves une fois arrêté, il faut les disposer de ma- nière que le discours aille toujours croissant, que chaque preuve enchérisse sur la précédente, et que les dernières soient les plus fortes, les plus propres à loucher l'auditeur, afin de le laisser sans réplique et sous l'empire d'une conviction profonde. Quelques rhé- teurs sont d'avis qu'il faut placer au milieu les preuves moins for- tes * et observer l'ordre suivant : fortiora, fortia, fortissima : ce sentiment, moins commun, peut cependant quelquefois avoir son ap- plication selon les circonstances ^.

7" Les preuves ainsi disposées, il reste à les développer ; et pour cela, il faut déguiser les formes de l'argumentation sous les grâ- ces du langage. Le syllogisme est, par rapport au discours, ce que sont les os et les nerfs par rapport au corps : si on les voyait à nu, ils offriraient à l'œil un spectacle repoussant ; de même le syllo- gisme, s'il était présenté dans toute sa nudité, ne formerait que le squelette d'un discours vigoureux peut-être, mais sec et disgra- cieux. 11 faut donc le revêtir des charmes de l'élocution*, mais ce-

* Voyez le sermon de Massillon sur le bonheur des justes : l'exorde est la majaire, le corps du discours la mineure, et la péroraison contient la con- clusion. — * Cic, lib. ad Heren., n. 18.

' Argumenta, prout ratio causx cujusque poslulabit, ordinabuntur , tino ex-' cepto, ne à potenlissimis ad levissima decrcscat oratio. Quint., lib. V, c. xii.

* Orationem coufertam esse enthymematiim stipatione minime velim... nisi delectatione allicimiut et viribus trahimus, ipsa quae justa ac vera sunt tenere non possumus. Locuples et speciosa vult esse eloqueutia. .. Feralur igitur non

QUALITÉS DE LA ['HÉDICATION. 117

pendant ne pas tellement le dissimuler qu'il échappe au discerne- ment de l'auditeur : pour cela il faut, après avoir prouvé solidement a majeure, la répéter pour en montrer la liaison avec 4a mineure, et après avoir prouvé cette dernière, réunir les deux prémisses en- semble pour faire ressortir la conclusion et la force du raisonne- ment. Faute de procéder ainsi, un grand nombre de prédicateurs font des discours tout à fait défectueux : ainsi, par exemple, pour prou- ver qu'il faut aimer Dieu, ils énumérent ses bienfaits dans l'ordre de la nature et dans l'ordre de la grâce, et en restent là; tandis que, cette énumération n'étant qu'une des prémisses de ce syllogisme : Il faut aimer un Dieu infiniment bienfaisant; or Dieu est infim- ment bienfaisajit; donc il faut l'aimer, il y aurait à développer l'au- tre prémisse et la conclusion ; développement qui donnerait lieu à une foule d'inductions et d'applications du plus grand intérêt, et fe- rait en même temps toute la force comme tout le fruit du sermon. 2' 11 faut éviter les raisonnements trop concis et trop serrés qui par même sont obscurs ou demandent, pour être suivis, une grande contention d'esprit : autrement on place l'auditeur dans cette situation pénible qu'il ne peut perdre la moindre partie de la prédication sans en perdre la suite, ni réparer par le retour de Fattention ce qu'un moment de distraction lui a dérobé ; et s'il veut prendre sur lui d'être toujours attentif, on l'oblige à une fati- gue d'esprit qui l'absorbe et ne laisse point assez de loisir à l'âme pour rentrer en elle-même, au cœur pour s'échauffer, à la volonté pour se déterminer. Voilà pourquoi l'orateur doit donner plus de développement à ses pensées que le théologien. Saint Augustin n'a pas prêché comme saint Thomas a écrit, et saint Chrysostome inté- resserait moins s'il était plus serré. 5" 11 faut éviter les longs rai- sonnements qui enchaînent plusieurs propositions dont chacune attend sa preuve. Quand on se livre trop à la dialectique, il en ré- sulte deux inconvénients : le premier, de fatiguer l'auditeur, qui aime qu'on lui épargne la peine de suivre si loin le til de l'argumen- tation; le second, d'ôter au discours le coulant, la chaleur et l'onc- tion : il vaut mieux donner moins à l'esprit et plus au cœur; un sentiment vivement exprimé enlève l'auditeur et en triomphe mieux que tous les raisonnements. Quoiqu'on principe général il faille l)ien se garder de délayer ses preuves eu les développant trop, il est

semitis, sed cr/mpis; non vti fontes angusHs fistulis colliginiliir, srd ut latissimi atn- nrs, toits vtiUibiiH piiat . . . MtiUUm ad (idem (idjiwi/l aiidieulis voluplas . . . his tamen h(ibcnd\in modiis, ut sinl ornamcnlu, non mpedimenlo. Quintil., lib. V,c. xiv

1:S TIiA.lIÉ DE LA rRÉDiCATJON.

quelquefois nécessaire de présenter sous diverses faces et à diverses reprises uu argument péremptoire, une raison décisive, soit parce que la variété des tours pique et réveille «eux qui ont écouté une première fois sans intérêt, soit parce que plusieurs ont pu être dis- traits et perdre ainsi la preuve, etd'autres, à conception.lente, ne l'ont pas saisie ou l'ont écoutée avec prévention ; un retour au point décisif emporte la conviction. Comme les exemples enseignent mieux tou- tes choses que les préceptes, il sera ti'ès-utile de voir l'application de ces règles dans nos grands orateurs, en particulier dans les sennons de Massillon sur la vérité de la religion, et la vérité d'un avenir, et dans la célèbre Passion de Bourdaloue, Judxi signa petîtnt et Graeci sapiciitiavi q^ixriint, nos a/titcm, etc.

Ce n'est pas assez au prédicateur de bien prouver : il faut en- core, en matière ide morale, qu'il poursuive le pécheur à travers les prétextes et objections il se retranche, qu'il le pousse à outrance, se mettant en communication intime avec lui par un diiilogue serré plein de naturel et d'adresse, mais sans amertume ni rien qui of- fense : cette réfutation est pleine d'intérêt quand elle est fait^ avec tact et discernement. On la place ordinairement à la suite des preu- ves, mais cependant on peut la donner plus tôt quand on a à dé- truire des préju;;^é5 qui empêcheraient de saisir le corps du discours, ou même on peut l'interc.alerenire les différents meiiibros de la preuve si elle y convient mieux. La chose principale à observer dans ces ré- A^itations, c'est de bien choisir les objections qu'on veut attaquer, et de s'abstenir de celles qu'on n'est pas sûr de réfuter victorieuse- ment et sans réplique : le pécheur s'affermit dans son désordre si l'on n'oppose aux prétextes dont il le couvre que de faibles raisons. Quand le choix est fait, le meilleur moyen de présenter ces objections est de les mettre dans la bouche de l'auditeur, et de les exposer avec franchise et sans détour, telles qu'il les comprend et qu'il les sent, de sorte qu'en les entendant, il se dise que c'est bien le point de la difficulté; par là, on captive son intérêt, on enchaîne sa curiosité. L'objection posée, il est bien des manières d'y répondr-e.

On peut montrer la fausseté du principe sur lequel s'appuie le pécheur. Massillon nous en offre de Idéaux exemples lorsqu'il réfute ce principe : La jeunefise est la saison des plaisirs, la vertu sera pour le déclin de l'âge, et cet autre principe : Il ne faut pas s'engager envers h public par une conversion qu'on n'est pas sûr de soutenir. Voici comment il renverse le premier principe :

QUALITES DE LA PRÉDICATION. 119

(jui vous a dit que la mort ne vous surprendra pas dans le cours de ces ■années que vous destinez au monde et aux passions?... Je veux qu'elle ne vous surprenne pas, l'âge changera-t- il votre cœur?... Changea-t-il le cœur de Salomon..., de Saùl, de Jézabel, d'Uérodias?... Sous des dehors différents, et que la bienséance seule a changés, on conserve le même goût pour le monde, la même vivacité pour les plaisirs, un cœur jeune encore dans un corps changé et effacé... M;iis quand ce malheur ne serait point à craindre, le Seigneur n'est-ii pas le Dieu de tous les âges?... Le premier est-il trop précieux pour lui être consacré ? Vous ne lui réservez donc que les restes cl le rebut de vos passions et de votre vie? C'est comme si vous lui disiez : Seigneur, tant que je serai propre au monde et aux plaisirs, n'attendez pas que je revienne à vous ; tant que le monde voudra de moi, je ne saurais vou- loir de vous ; quand il commencera à m'écliopper, et que je ne pourrai plus en faire usage, alors je me tournerai vers vous, je vous dirai : Me voici; je vous prierai d'accepter un cœur que le monde rejettera, et qui sera même triste de la dure nécessité de se donner à vous... Le prophète Isaïe insultait autrefois aux adorateurs des idoles : Vous prenez un cèdre sur le Liban, leur disait-il, vous en retranchez la plus belle partie pour vos plaisirs et l'orne- ment de vos palais ; et quand vous ne savez plus à quoi employer ce qui reste, vous dites : Et de reliquo ejus idolum faciam. Voilà ce que je puis vous dire ici à mon tour *.

Dans la réfutation du second, principe qui termine le même ser- mon, nous remarquons ce magnifique morceau :

Commencez toujours... La chose ne vaut-elle pas du moins la peine d'être tentée? Est-ce qu'un homme qui serait à la merci des flots et sur le point d'un triste naufrage ne tente pas premièrement s'il pourra aborder au port à la nage avant de se laisser submerger aux ondes! Ne fait-il point d'ef- forts ! Se dit-il à lui-même pour ne rien tenter : Peut-être je ne me soutien- drai pas ! Ali ! il essaye, il combat contre le danger, il va jusqu'au dernier moment de sa force... Vous périssez, mon cher auditeur, les ondes vous gagnent, le torrent vous entraîne, et vous balancez si vous essayerez devons sauver, et vous mettez à sonder vos forces les seuls moments qui vous res- tent pour pourvoira votre sûreté?...

On peut distinguer un principe qui a un double sens, l'un vrai, l'autre faux ; c'est ainsi que Massillon, dans son sermon sur les œu- vres de miséricorde ^, distingue le principe : La miséricorde aide à expier les crimes:. «

La miséricorde aide à expier les crimes dont on se repent, mais elle r.e justitie pas ceux qu'on aime; elle est le secours de la pénitence, mais n'est

1 Sermon sur le délai de la conversion, 2'' partie, Avont - Dans le volume des Mystères, vei's la fin du sermon

120 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

pas l'excuse de la volupté... Ce qu'il y a ici de déplorable, c'est que... st quelquefois la grâce jette des terreurs dans la conscience, la nudité couverte, la faim rassasiée, s'offrent à l'instant et calment cet heureux orage. Ce sont des signes de paix qui dissipent nos alarmes; c'est l 'arc-en-ciel trompeur dont parle le Prophète, aj'cns dolosiis, lequel, au milieu des nuages et des tempêtes heureuses que Dieu commençait à exciter dans le cœur, divertit notre esprit de rimaL;e du danger. On s'endort sur ces tristes débris de re- ligion, comme s'ils pouvaient nous sauver du naufrage ; et des œuvres chré- tiennes qui devraient être le prix de notre salut deviennent l'occasion de notre perte.

On peut montrer la fausseté de la conséquence qu'on tire d'un fait ou d'un principe vrai. C'est ainsi encore que Massillon, dans son .sermon sur les élus *, réfute les conséquences de ce fait allégué par le pécheur : Je ne fais que ce que font tous les autres : Venez nous dire maintenant, etc. (voyez dans l'auteur même), et que dans le discours sur le délai de la conversion il réfute les conséquences du principe posé par le pécheur : Supposons que la grâce vous manque, qu'en concluez-vous? etc.. (Voyez encore dans l'auleur.)

Souvent on peut nier en même temps le principe et la consé- quence, comme le fait si bien Massillon^ en réfutant celte objection : Il faut distinguer entre ceux qui sont du monde et ceux qui n'en sont pas : donc puisque je suis du monde, je puis me dispenser d'une morale si sévère.

Réfulation du principe :

Y a-t-il un autre Évangile pour vous que pour ceu.'c qui habitent les dé- serts?... Vous êtes du monde? Mais la pécheresse de l'Évangile était du monde ; se crut-elle dispensée de faire pénitence? David était du monde ; se persuada-t-il que ce titre dût modérer la rigueur de ses austérités?... Les Judith, les Estlier, lesPaule, les Marcelle étaient du monde... distinguait-on entre les premiers fidèles ceux qui étaient du monde de ceux qui n'en étaient pas? PJlre chrétien, et n'être plus du monde, était alors la même chose. Vous êtes du monde, mon cher auditeur? Mais c'est votre cVime, et vous en laites votre excuse? Un chrétien n'est plus de ce monde, c'est un citoyen du ciel...

Réfulation de la conséquence :

Quand vous dites que vous êtes du monde, que prétendez-vous dire? Que vous êtes dispensé de faire pénitence? Mais si le monde est le séjour de l'in- nocence, l'asile de toutes les vertus, le protecteur fidèle de la pudeur, delà

* volume du Grand Carême. * Sermon sur la Samaritaine, 1"^^ partie, 3" volume du Grand Carême.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 121

sainteté, de la tempérance, vous avez raison. Que la prière est moins néces- saire? Mais si dans le monde les périls sonî. moms fréquents que dans les so- litudes, les pièges moins à craindre, les séductions moins ordinaires, les chutes plus rares, et qu'il faille moins de grâce pour s'y soutenir, je suis pour vous. Que la retraite n'y saurait être un devoir? Mais si les entretiens y sont plus saints, les assemblées plus innocentes ; si tout ce qu'on y voit, qu'on y entend, élève à Dieu, nourrit la foi, réveille la piété, sert de soutien à la grâce, je le veux. Qu'il en doit moins coûter pour se sauver? Mais si vous y avez moins de pussions à combattre, moins d'obstacles 'a surmonter; si le monde vous facilite tous les devoirs de rÉvangile..., vous dites vrai, et on vous l'accorde. 0 homme ! tel est votre aveuglement, de compter vos malheurs parmi vos privilèges, de vous persuader que ce qui multiplie vos chaînes augmente votre liberté, et de faire votre sûreté de vos périls mêmes !

5" Les réfutations les plus piquantes sont celles l'on réunit comme dans un faisceau plusieurs objections qu'on repousse l'une après l'aulre par des réponses incisives aussi fortes que courtes. Ces traits brefs et lumineux d'une dialectique nerveuse et pressante, d'une clarté portée au plus haut point d'évidence, sont comme des dards qui vont s'enfoncer dans le cœur de l'adversaire, et qui tom- bant sur lui de toutes parts, ne lui laissent aucun moyen d'évasion. Massillon excelle en ce genre : nous en citerons deux exemples pour faire comprendre la chose.

1" Exemple. Il s'agit de prouver que les vertus des bons laisse- ront les méchants sans excuse*.

Que pourrez-vous répondre devant le tribunal de Jésus-Christ ! Direz-vous que TOUS n'avez fait que suivre des usages établis? Mais les justes qui sont parmi vous s'y conforment-ils? Vous excuserez- vous sur les suites d'une nais- sance illustre? Vous en connaissez qui, avec un nom encore plus grand que le vôtre, en sanctifient l'éclat et trouvent le secret de le faire servir au salut. Quoi ! la vivacité de l'âge, la délicatesse du sexe ? On vous en montre tous les jours qui regardent tous ces vains avantages comme la boue, et n'ont de pensées que pour le ciel. Quoi! la dissipation des emplois? Vous en voyez chargés des mêmes soins que vous, et qui cependant font du salut la prin- cipale affaire. Voire goût pour le plaisir? L'amour du plaisir est le premier penchant de tous les hommes ; et il est des justes en qui il est encore plus violent. Vos afllictions? 11 y a des gens de bien malheureux. Votre prospé- rité ? 11 s'en trouve qui se sanctilient dans l'abondance. Votre santé ? On vous en montrera qui, dans un corps iiilhme, portent une âme remplie d'une force divine.

* Sormon sur le mélango des bons et des méchants, vers la fin de la l'* partie, 2* vol. du Grand Carême

152 TRAITÉ DE LA PRÉniCATLON.

2" Exemple. 11 s'agit de prouver que les discours du inonde ne doivent pas nous détounier de la pratique de la vertu*.

Que pourra-t-on dire de vous dans le monde qui doive tant vous alarmer? One vous êtes cliangeanl? Heureuse inconstance qui vous délache d'un monde toujours flottant et incertain, pour vous attacher aux biens im- muables que personne ne pourra vous ravir ! Que vous êtes insensé de re- noncer aux plaisirs à v.otre âge ? Sainte folie, plus sage que toute la sagesse du siècle, puisqu'en renonçant aux plaisirs vous ne renoncez à rien, et qu'en trouvant Dieu vous trouvez tout! Que vous ne vous soutiendrez pas? Utiles reproches qui deviennent pour vous des instructions et doivent animer votre vigilance. Que vous ne quittez le monde que parce que le monde vous quitte? Précieuse injustice qui vous empêche de recevoir ici-bas une vaine récom- pense! Que vous ne jouez ce nouveau personnage que pour aller plus sûre- ment à vos fins? Soupçon plus honteux au monde qu'à vous-même. Que vous affectez des routes singulières qui vous donnent du ridicule dans le monde? Censure consolante qui vous déclare que vous suivez la route des saints qui n'ont jamais ressemblé à la multitude! Enlin, que depuis votre changement vous n'êtes plus bon à rien? Mon Dieu! mais vous servir, vous ri ::er, remplir ses devoirs, prier pour ses frères, les éditler, les secourir, les consoler, est-ce donc être inutile sur la terre?

Tels sont les différents modes de réfutation ; et après avoir ainsi pressé l'auditeur jusque dans ses derniers retranchements, et l'y avoir terrassé, on le relève, on l'encourage et on lui montre ce qu'il a à faire pour son salut.

Pour résumer et mettre en pratique toutes les régies que nous venons d'exposer sur la manière d'instruire, il sera très-utile de se rappeler la méthode deMassillon : « Quand je fais un sermon, disait- (( il. j'imngine que quelqu'un me consulte sur une affaire sur laquelle (( il n'est pas d'accord avec moi : alors je mets toute mon application « à le convaincre, je le presse, je l'exhorte, et je ne le quitte point « qu'il ne se soit rendu à mes raisons. » A l'exemple de ce grand orateur, il faut se représenter avoir en face un homme qui n'a que des idées fausses ou inexactes sur la matière qu'on a à traiter : on essaye d'abord de la lui expliquer si clairement qu'il ne puisse pas ne point la comprendre, puis de la lui prouver en se demandant sou- vent : Cette preuve est-elle bien claire, bien concluante pour mon auditeur? qu'aurait-il à m'objecter, et qu'aurais-je à lui répondre? Serait-il obhgé de se rendre à mes preuves, sous peine d'être souve- rainement déraisonnable?

' Sermon sur le respect humain, vers la fin de la partie, vol. du Grand Carême.

QUALITÉS DE L\ PRÈDICATIOX 125

ARTICLE A.

QUATRIÈME CABACTÈRE DE LA PREDICATION; ELLE DOIT PLAIRE.

La nécessité de plaire fera le sujet d'un premier paragraphe; et nous étudierons dans le second la manière de plaire,

§ l"' De la nécessité de plaire.

Nous voici arrivés à un point sur lequel non-seulement les rhéteurs compilateurs, mais les maîtres mêmes se sont souvent trompés. Ci- cêron lui-même, dans plusieurs passages de ses écrits sur l'élo- quence, n'entend par l'art de plaire que l'art de cadencer les pé- riodes; et Fénelon^ à son exemple, confondant deux choses si distinctes, rejette la doctrine commune des rhéteurs qui impose à l'orateur l'ohligation d'instruire, de plaire et de toucher; et tout en louant les grâces du discours qui servent à la persuasion^ il substitue à l'art de plaire celui de peindre, lequel se trouve sans contredit dans l'éloquence; comme nous le dirons à l'article suivant, mais ne s'y ti cuve que sur un plan qu'on peut nommer secondaire.

Pour préciser les notions d'un point si mal éclairci, commençons par définir ce qu'est dans le prédicateur l'art de plaire. Ce n'est point seulement, comme quelques-uns l'ont pensé, l'art de cadencer des périodes ; car on peut plaire sans cela, déplaire avec cela, et même précisément à cause de cela; mais c'est, en prenant ce mot dans le sens large et vrai, le secret de se faire écouter avec plaisir, intérêt et confiance. Or, pour obtenir un tel résultat, il faut que le prédicateur plaise par ses mœurs, par le fond des choses qu'il dit et par la ma- nière de les dire.

Plaire par ses mœurs, c'est conquérir par sa vertu et son caractère aimable cette confiance, celte affection et cette estime qui font écouter volontiers un orateur, et prédisposent les esprits à lui accorder créance; c'est; pour plus préciser encore, donner à son discours et à son débit môme l'empreinte, la couleur, si je puis ainsi dire, de la vertu qui convient dans la circonstance l'on parle. On ne saurait dire combien ce point est essentiel à toute bonne prédication. Diffici- lement on résiste à l'accent inimitable de la vertu, lorsqu'elle prête

* Dialogue sur l'éloquence

124 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

ses charmes au discours et l'éclairé de sa douce et vive lumière ^ ; la confiance qu'elle inspire fait seule la moitié de la persuasion ; comme, au contraire, le défaut d'affection ou d'estime forme une prévention défavorable qui nuit aux meilleurs discours*. Cette observation, faite ici en passant, recevra son plein développement au chapitre suivant, lorsque nous traiterons les qualités du prédicateur.

Plaire par le fond des choses que l'on dit, c'est adapter son dis- cours au caractère, aux goûts, aux préjugés même et aux passions de ses auditeurs, de manière qu'il ne s'y trouve rien qui les froisse ou leur déplaise, et qu'au contraire la vérité se montre à eux sous un jour si beau, si séduisant, qu'ils ne puissent lui refuser leur estime et leur amour,//» ut veritas placeat, dit saint Augustin'; c'est, plus spécialement encore, observer dans toutes ses paroles, comme dans toutes ses manières, les bienséances et précautions oratoires. Nous avons traité ailleurs* cette question aussi impartante que délicate, lorsque nous avons montré la nécessité d'adapter son discours aux dispositions des auditeurs.

Enfin, plaire par la manière de dire les choses, c'est rendre ses pensées et ses sentiments avec l'éloquence ou la grâce qui leur con- vient devant l'auditoire auquel on s'adresse; et ici se trouve le point le plus délicat de la controverse. Faut-il s'attacher aux grâces de l'é- loquence, ou faut-il les mépriser comme indignes de la simplicité de 1 Evangile et de la folie de la croix ? Le pour et le contre en celte question sont soutenus par des hommes que recommandent égale- ment le mérite et la vertu. Pour nous, continuant à distinguer les différents sens qu'on peut attacher au mol piaille, nous établissons comme incontestables les trois propositions suivantes : 1" le prédica- teur ne doit point chercher à plaire par le bel esprit et l'élégance af- fectée ; il ne doit point chercher à plaire par le genre romantique ; il doit, en vue de convertir, embellir la parole sainte des charmes de la vraie et solide éloquence, de manière qu'elle plaise aux audi- teurs. Ces propositions recevront successivement leur explication et leur preuve.

* C'est cette expression naïve et simple des plus belles mœurs qui répand tant de charmes sur les discours de saint Vincent de l'aul, les écrits de saint François de Sales, le Petit Carême de Massillon , et surtout les péroraisons, entre autres celle du sermon sur le Triomphe de la Religion.

* Voyez une lettre de saint François Xavier dans le Guide de ceux qui an- noncent la parole de Dieu. p. S28. ^ T>c Doct. christ., lib. IV. * Pag. 111 et suiv.

QUALITES DE LA PRÉDICATION. 125

* PREMIÈKE l'ROrOSITION.

* Le pfédicateur ne doit pas chercher à plaire par le bel esprit et l'élégance affectée',

* Car, il n'est point de modèles pins sûrs de la bonne prédica- *tion que Jésus-Christ et les saints : or, comment ont-ils .prêché? *Notre-Seigneur, s'il l'eût voulu, eût pu, sans doute, embellir sa pré-

* dication de fout ce que le bel esprit a de plus fin et de plus délicat :

* cependant on ne trouve dans ses discours rien de semblable. Élevé *et profond dans la pensée, il est simple et populaire dans l'e.Kpres- *sion; et Ton chercherait en vain dans son langage le jeu des anti-

* thèses, et les raffinements du bel esprit. Les apôtres ont prêché de *la même manière; tous ont pu dire comme saint Paul : Prxdicatio *mea non inpersxiasibilibtis Jmmanx sapientix verbis, ut fides vestra

* non sit in sapientiâ hominum, sed in virtute Bel. Misit me Christus

* evangelizare non in sapientiâ verbi,ut non evaciietiir criix Christi^.

* Et elle a été aussi la méthode des saints prédicateurs de tous les

* siècles, des hommes apostoliques de tous les pays : ces maîtres

* consommés dans l'art d'annoncer la divine parole, habitués aux

* succès d'une éloquence mâle et vigoureuse qui remuait tous les

* cœurs, dédaignaient comme indignes d'eux les ornements étudiés, *le bel esprit, l'élégance recherchée. On raconte même de saint

* François de Sales, qu'un jour, s'apercevantque ses auditeurs étaient

* près d'applaudir aux traits d'esprit dont il avait parsemé le sermon

* qu'il prêchait, il quitta tout à coup ce qu'il avait préparé, et se mit parler simplement, afin de ne pas partager le cœur de ses audi-

* leurs entre la parole humaine et la parole divine, et de laisser à

* celle-ci seule tout le fruit et l'honnenr du sermon. On lit de Taulère

* quelque chose de semblable. La grâce recherchée de ses discours le

* faisait admirer de toute la ville de Cologne : mais, sur l'avis d'un

* saint solitaire, il échangea ce genre fleuri avec le genre aposto- *lique, et alors on ne se borna plus à l'admirer; en l'entendant, on *se frappait la poitrine, on fondait en larmes et on se convertissait. *0r, un genre de prédication opposé à celui qu'a adopté la sagesse de

* Jésus-Christ et des saints, et que l'expérience des siècles a démontré

* être le seul fécond en œuvres de salut, est par cela même réprouvé.

* Voyez le Pastoral de Limoges, t. II, Impartie, lit. v, c. ii, § 3, et tit. viii c. I et IV. Le P. Albert, part., c. xv; part., c. x et xi. Le Guide do ceux qui annoncent la parole de Dieu, p. Tiol et 35'2. Ibid., p. 195, '257 et '258. 2 I Cor., I et ii.

126 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

*2° Ce mauvais genre est contraire au bon goût. Car, V le bon *goût dit à roratcur de se faire oublier pour qu'on ne pense qu'aux

* choses qu'il dit; par conséquent, de cacher son art sous le naturel *et la simplicité de ses paroles. Le peintre ne laisse pas remarquer

* les coups de pinceau sur sa toile, mais seulement les objets qu'il a

* voulu peindre ; de même le vrai orateur met sa gloire à ne point

* paraître pour vous occuper uniquement du sujet qu'il traite; telle *est la règle que dicte le bon goût. Or celui qui cherche à plaire par *le bel esprit et l'élégance affectée pèche évidemment contre cette

* règle. 2" C'est un autre principe du bon goût, que la vraie élo-

* quence consiste dans une parole forte de choses et pleine de moa- *vements; que faire le bel esprit par des expressions ingénieuses et *la profusion des ornements mêlés à un style toujours parfaitement "peigné, c'est imiter les enfants qui préfèrent le clinquant à Tor

* massif, les bagatelles qui amusent aux choses sérieuses qui sont

* utiles; c'est énerver le discours^ comme on affaiblit une colonne à

* mesure qu'on la taille pour y ajouter des ornements. C'est même se

* rendre désagréable aux auditeurs : car l'abondance produit la sa- *tiété; et les grâces n'ont de charmes qu'à la condition de n'être pas 'prodiguées. Elles s'effacent par le nombre, et cessent de plaire si

* elles sont trop continues^. C'est avoir de l'esprit, dit la Bruyère, *que de plaire par un style fleuri, des traits brillants et de vives "descriptions; mais ce n'est pas en avoir assez. Un meilleur esprit *"néghge ces ornements indignes de servir à l'Évangile : il prêche sim- *plement, fortement, chrétiennement; il n'a garde de remplacer la

* manière forle et tout apostoMque des vrais prédicateurs par la va- *nité du genre académique ; de manquer le touchant et le subhme ^des vérités chrétiennes, pour faire du bel esprit. Les hommes les *pius propres aux succès de la chaire y perdraient leur propre talent. "'*■ Qu'on hse les prédicateurs du siècle de Louis XIV ; ils sont partO! t *i;alurels.Bossuetne recherche jamais la phrase; s'il est grand, c'est *parla force de son génie. Jilassillon est toujours pur, etBourdaloae

* ion jour s solide.

* 5" Ce mauvais genre est contraire au bon sens. Quintili'en5'se

* plaignait autrefois de' ee- que cette' envie démesurée de plaire par

* les charmes du style avait envahi le barreau, à ce point que les

' Cultus muliebris et luxuriosus non corpus cxornat, sed detcgit montera. Similiter illa transUicida et versicoloi- elocutio res ipsas effœminat qiiœ illo yer- Ijorum habilu vestiuutur. Quintil., Jib. VIII in proœmio. (Legantiir sequentia.) « Cicer., de Orat., ni, 95 et seq. Ad Heren., lib. IV, 25 et 51. ' Lib. IV, c. iT, versus fiiiem.

QUALITES DE LA PREDICATION 4M

* avocats, dans les procès même la fortune et la vie des citoyens

* étaient mises en cause, s'amusaient à faire le bel esprit, à parsemer

* leurs discours de fleurs de rhétorique qui ne faisaient rien a l'af-

* faire, au lieu de raisonner avec force, de s'appliquer à convaincre,

* à persuader et toucher les juges. In ipsa capitis aut fortunariim *pericula irnipit voluptas. C'était sans doute un grand oubli du

* bon sens ; c'est comme si un médecin près d'mi malade à l'extrémité

* s'amusait à débiter des phrases élégantes et des pensées ingé-

* nieuses pour faire montre de son esprit, au lieu de prescrire promp-

* tement le rem^e qui va arracher le malade à une mort imminente.

* Mais si, dans l'avocat et le médecin, cet abus d'un esprit plus oc-

* cupè des mots que des choses est si condamnable, combien plus

* l'est-il dans le prédicateur chargé de traiter des intérêts bien au-

* trement graves ! Quoi ! lorsqu'il faudrait des coups de tonnerre

* pour réveiller le pécheur endormi, y a-t-il du sens de s'occuper à

* charmer son oreille par l'harmonie des sons? Lorsqu'il faudrait

* le terrasser par le cri du sang de Jésus-Christ qui demande ven-

* geance d'avoir été si longtemps profané, par la menace de la colère

* d'un Dieu prête à éclater sur sa tête, de la mort qui s'approche et

* de l'enfer ouvert sous ses pieds pour l'engloutir, est-il raisonnable

* de penser à faire un vain étalage d'esprit, à ramasser des pensées

* brillantes, à entasser des figures et arrondir des périodes? Ce n'est

* pas en jetant des fleurs sur les pas des pécheurs qu'on leur inspire

* la crainte des jugements de Dieu, qu'on brise les cœurs et qu'on

* arrache des larmes. Quand le feu prend à une maison, dit saint

* Thomas de Villeneuve, faut-il une période étudiée pour crier à

* l'incendie ; et, ajoute saint Liguori, faut-il de Teau de rose pour

* l'éteindre? On peut conclure de quelle est l'aberration de ces

* prédicateurs qui veulent, non effrayer, mais plaire ; non remuer

* les consciences, mais flatter les oreilles; non opérer la conversion,

* mais enlever les suffrages. Le P. de Neuville, prédicateur remar-

* quable sous beaucoup de rapports, mérite bien des reproches sur

* ce point; on souffre de le voir épuiser toutes les finesses de son

* esprit riche en antithèses, pour dépeindre les horreurs dujuge-

* ment dernier ou les supplices affreux du réprouvé dans l'enfer, et

* l'on se dil malgré soi que, s'il avait eu le cœur touché, l'âme brisée

* par ce spectacle, il n'aurait pas eu le courage de s'amuser à faire

* le bel esprit en disant des choses si terribles.

* M. de La Motte, dans une ode au cardinal de Polignac, censure

* ainsi celle classe de prèdicafeuis :

i28 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* Mais qui lèvera le scandale

* De ces faux propliètes du Christ,

* Qui font d'une sainte morale

* Un sacrilège jeu d'esprit?

* C'est leur gloire et c'est leur adresse

* Non nos maux et notre faiblesse, 'Qu'ils veulent nous faire sentir;

* Et, fiers du vain succès de plaire,

* Ils laissent au pasteur vulgaire " L'humble gloii'c de convertir.

* Que l'orateur évangélique

* A mon seul intérêt s'applique :

* S'il veut plaire, il va m'attiédir;

* Il n'a qu'à rougir de sa gloire,

* S'il laisse un nombreux auditoire

* Tranquille assez pour l'applaudir.

* Ce mauvais genre est indigne de la sublimité du ministère

* évangélique. Prêcher de la sorte, c'est rabaisser ce sublime mi-

* nistère au rôle d'un jeune rhétoricien qui s'exerce à tourner la

* phrase, ou d'un homme vain qui veut se faire admirer ' ; c'est

* mettre la parole de Dieu au service de l'éloquence humaine, au

* lieu de faire servir l'éloquence humaine à la parole de Dieu,

* comme le dit si bien saint Augustin : Non doctoi' verhis serviat,

* sed verba doctorV^; c'est porter en chaire, au lieu des grandes vues *de l'éternité, de la gloire de Dieu et du salut des âmes, les vues

* étroites de sa vanité et les misérables intérêts de son amour-propre;

* c'est imiter le soldat qui, au lieu de suivre vigoureusement l'en-

* nemi, fait le beau en sa présence et s'occupe plus à faire admirer

* sa bonne mine qu'à terrasser ceux qu'il a à combattre, comme si

* c'était pour une fin si vile que le glaive de la parole a été mis aux

* mains des prédicateurs; c'est enfin se dégrader jusqu'à prendre *pour but de ses efforts le plaisir de l'oreille, lorsqu'il faudrait au

* contraire déchirer les cœurs, les arracher au plaisir, et leur faire

* embrasser la pénitence. Ceux qui avilissent ainsi la chaire, dit

* saint Liguori, sont des ermemis de Jésus-Christ, des traîtres à la

* parole de Dieu qu'ils profanent, et leur conduite est un forfait contre le saint ministère dont ils sont chargés. Ils veulent, di-

* sent-ils, apprivoiser le siècle avec la divine parole et faire goûter

* Si vous voulez faire du bel esprit, disait un courtisan au P. de La Rue, vous trouverez des gens qui en meltroiit plus dans un couplet de chanson que vous dans tout un sermon, et ils se croiront vos maîtres; mais parl-ez-leur de Dieu avec force et science, c'est ce qu'ils n'entendent point, et en cela vous serez maître et ils vous respecteront. * De Doct. christ., lib. IV, lxi.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 12»

* la religion aux gens du monde: misérable prétexte pour couvrir la

* vanité qui brigue la réputation d'orateur et veut faire montre d'es-

* prit. Saint Paul ne croyait pas devoir user de ce moyen pour faire

* goûter la religion aux beaux esprits de Corinthe et d'Athènes; il

* était éloquent, mais non pas élégant dans le sens de nos adversaires.

* Un orateur chrétien doit dompter son siècle, et non s'en laisser

* maîtriser; être le juge de ses auditeurs, et non les accepter pour

* arbitres; leur parler en maître, et non se faire leur esclave. Il doit,

* disait le P. Mac Carthy, se proposer d'être, non pas pi'édicateur^

* dans le sens que le monde attache à ce mot, mais convertisseur. Eh

* conséquence, il ne doit pas s'occuper à chatouiller les oreilles, mais

* à changer les cœurs; à amuser ses auditeurs malades, mais à les

* guérir : et s'il fait entrer dans son discours les ornements qui se

* présentent d'eux-mêmes, et qu'emporte comme par force la nature

* du sujet, il ne doit pas les rechercher pour paraître et se faire re-

* marquer : Fertur inipetu suo, et elocutio7iis pulcfmtndinem , si occur-

* rerit, vi rerum capit, iioii cura decoris assumit ^ ; il les saisit comme *en passant, parce qu'ils lui tombent sous la main, mais il les dé-

* daigne s'ils nuisent à la liberté de son action, au pathétique de

* ses mouvements, ou ne conviennent pas à l'intelligence bornée de

* ses auditeurs; il veut la force et la clarté de l'expression plutôt que *son agrément, comme l'orateur Antoine, au rapport de Cicéron*:

* Nequeid ipsum tàm leporis causa quàmponderis^ parce qu'il n'am- *bitionne ni l'admiration du monde ni la réputation d'homme d'es-

* prit; il ne veut que le salut de ceux qu'il évangélise.

* 5" Le genre que nous combattons est nuisible au succès de la •prédication. 11 est impossible que Dieu bénisse la parole de ces

prédicateurs qui se prêchent eux-mêmes; et coimne toute parole

* de l'homme est stérile si Dieu ne la bénit, il suit qu'ils seront dans *lo champ de l'Église des arbres à belles fleurs, si vous voulez, *mais sans aucun fruit. A considérer même humainement la chose,

* lorsque le prédicateur domie trop d'attention au tour de la

* phrase, au choix de l'expression, à l'harmonie de la période, sa

* composition est moins animée, moins libre, moins passionnée,

* moins touchante; l'esprit nuit au cœur et les mots aux choses. On

* réussit tout autrement lorsque, sans s'anêler à un vain luxe d'es-

* prit qui ne fait que gêner et ralentir la marche oratoire, on se

* précipite avec force vers son bul. Ajoutez ((ue la plupart des au-

De Doct. clirisl., lilj. IV, xi.if. * In Driilo, IIO.

'^30 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

éditeurs ne peuvent pas comprendre ces longues périodes, ces ■* phrases poétiques, ces métaphores fréquentes et hardies, ces épi-

* thètes entassées, ces mots nouveaux inventés et ces vieux mots

* rajeunis, dont cette classe de prédicateurs aime à farcir ses dis-

* cours, et ainsi la prédication devient inutile, faute d'être comprise,

* Quand même on la comprendrait, elle ne produirait pas de fruit,

* parce qu'étant inspirée par un esprit tout profane, plutôt acadé-

* mique qu'évangélique, elle ne laisse aucune impression de grâces

* dans les cœurs ; elle perd sa vigueur et sa mâle énergie, sa no-

* blesse et sa dignité. Ce n'est plus ce glaive de la parole qui pénètre

* jusque dans la moelle des plus secrètes pensées ; les riches drape-

* ries dont on recouvre son tranchant empêchent son action sur leff

* âmes. Puis, parmi les auditeurs, les uns se scandalisent de cette

* vaine ostentation de bien dire, de ces recherches d'amour propre

* mêlées à un ministère sacré ; les autres s'en amusent, écoutant ces

* sortes de discours sans aucun but de conversion, comme un dis-

* cours profane, comme un concert de musique, uniquement pour "* le plaisir des sons, selon ce que disait Dieu à Ézéchiel : Es eis qiuisi

* Carmen muslcnm^; et au sortir de on s'écrie : Comme il a bien

* parlé ! comme c'est beau ! mais on ne songe pas même à réformer *sa conduite ; on s'occupe du prédicateur, et on s'oublie soi-même.

* Cest un feu d'artifice qui éclaire, amuse, étonne les spectateurs,

* mais qui les laisse en finissant dans la plus profonde obscurité. De

* le discours chrétien devenu comme un speclacle, un exercice ■* académique l'on va pour applaudir ou condamner, et non pour

* devenir meilleur, l'on cherche, non des sermons qui portent la

* componction, mais des discours qui charment par l'harmonie des'

* périodes; de les peuples gâtés et perdus, dit saint Jean Chrysos-

* tome^. Il y a plus, c'est que ceux-là même (jui écoulent ces sortes

* de discours avec la bonne- volonté d'en profiter se trouvent comme'

* involontairement distraits à chaque instant du fond des choses par

* les fleurs de rhétorique jetées avec profusion, par les tours spiri- *tuels, les mots choisis et nouveaux, et autres vains ornements'

* qui piquent la curiosité, occupent l'esprit et empêchent qu'on ne

* soit touché : on songe à la parure dont la vérité est ornée, et non la vérité elle-même, à la beauté de la phrase, à la richesse k-

* Txxiii, 32. * Subvertit ecclesias, quod vos nonquœritis sermonem qui com- pungere possit, sed quioblectet, quasi cantores aitdienles: et idem fit ac sipaler videns piierum xgrolum, iUi qusecnmquc oblectent porrigat : talem non dtxerim patrem. Hom. xxx, in Act. apost.

QIIALITKS DE LA PREDICATION. 131

* période, ot iioi i'iîx choses qu'elles expriment et aux fruits qu'il

* faudrait recueillir : la forme emporte le fond.

* DEUXIÈME PaûPOSITiON.

* Le prtdicaleiu' ne doit point chercher à pUihe par le genre romanliquc.

* Pour bien comprendre le sens de cette proposition, avant d'on

* établir les preuves, distinguons deux genres d'éloquence, le clas-

* sique el le romantique. Le classique est le genre qui suit les règles

* dom-iées par les grands maîtres dans l'art de bien dire, Aristote,

* Cicéron, Quintilien, et qui a pour caractères dislinctifs des plans

* bien ordonnés tout se suit et s'enchaîne, des explications nettes,

* des définitions exactes, des preuves solides, une marche logique

* et toujours claire, un style coulant et naturel, des expressions

* propres et sans prétention, des mouvements oratoires bien amenés ■* et sagement dirigés, en un mot la manière d'écrire de Massillon "* ou de Fénelon, de la Bruyère ou de d'Aguesseau, de M. Frayssi-

* nous ou de M. Mac Carthy. Le genre romantique, au contraire,

* tient peu de compte de toutes ces choses ; il n'entend pas s'as-

* treindre à un ordre régulier de raisonnements et de pensées, à des

* explications de la religion, de ses mystères et de ses préceptes : il

* lui semble que ce serait rétrécir le génie et le lier sous les bande-

* leltes de l'enfance, que de l'enfermer dans les règles des rhéteurs :

* en conséquence, il s'abandonne aux élans de l'imagination oflran-

* chie de toutes règles, court sous sa conduite à travers son sujet,

* entassant pêle-mêle toutes sortes de raisons et de moyens, sans

* les graduer dans ce bel ordre qu'enseigne la rhétorique, chargeant

* tout ce qu'il dit d'ornements, d'images et de grands mots jetés à

* profusion sans discuter sévèrement leur à-propos et leur conve-

* nance. Ce sont des néologismes, des constructions forcées, des

* idées vagues et sans précision ; enfin c'est l'opposé des écrivains du

* grand siècle; on ne veut pas parler comme eux, avoir comme eux

* un style coulant et naturel : on croirait 5'abaisser.

* Ces notions du claspu[ne et du romanliqrie ainsi précisées, nous ■* établissons que le prédicateur ne doit point cherciier à plaiie par

* le genre romantique. Nous pourrions nous borner ici à renvoyer ■* aux preuves développées dans la question piècédente: nul doute

* que le partisan du romaiitisiiie qui les pèserait devant Dieu avec

* un cœur droit, n'y reconnût la coudamnalion de ce genre, trop

* semblable sous plusieurs rap|io! ts à l'élégance afi'eclée. Mais l'im-

152 TRAITÉ DE LA l'nÉniCATION.

* portance de la matière demandant des preuves spéciales, nous di-

* sons ((ue le genre romantique doit être réprouvé, en preniier lieu,

* comme iiiiiitelligible à la masse des auditeurs : en effet, dans nos

* auditoires, dont l'immense majorité se compose presque toujours

* de personnes d'un esprit peu cultivé ou tout à fait inculte, un

* discours ne peut être bien compris qu'autant que la plus grande

* clarté règne dans l'expression, la netteté !a plus parfaite dans la

* pensée, une sorte de limpidité pure dans le style et un ordre con-

* stant dans la suite des idées : chose très-difficile, comine nous

* l'avons remarqué ailleurs, et écueil de bien des prédicateurs. Or si

* ceux-là même qui s'y appliquent n'y réussissent pas toujours,

* combien moins y réussira le prédicateur romantique qui n'y pense

* pas même et que la nature de son genre en éloigne? Observez tous

* ses discours; tantôt c'est un mot nouveau dont la signification est

* inconnue aux auditeurs, tantôt une figure gigantesque, une tour-

* nure étrange, une tirade entière doBt plusieurs ne saisissent pas le

* sens; le plus souvent, pour ne pas dire toujours, c'est le discours

* entier qui est pour eux une énigme, faute de clarté dans l'expres-

* sion, d'ordre dans les pensées : aussi n'est-il pas rare de les en-

* tendre s'écrier, au sortir de ces sortes de sermons : C'était si beau,

* si relevé, que je nai pu rien y comprendre ; ou s'ils n'ont pas la

* franchise de faire cet aveu, il suffirait de les interroger pour s'as-

* surer que leur intelligence ne remporte rien de ce genre d'instruc-

* tion. Ici donc s'applique tout ce que nous avons dit plus haut ^ sur

* la gravité de la faute que commet le prédicateur qui n'adapte pas

* son discours à la portée des auditeurs.

* 2" Le genre romantique, lors même qu'il se rendrait intelli-

* gible, est impropre à enseigner la religion : en effet, pour bien

* l'enseigner, il faut dans le discours : un fond abondant de doc-

* trine théologique qui donne aux fidèles des notions complètes sur

* nos dogmes, nos mystères et les préceptes moraux ou positifs ;

* une exactitude rigoureuse dans l'énoncé de chaque proposition ^

* T)» des explications nettes et détaillées qui forcent les intelligences

* les plus bornées à comprendre ; des preuves solides de tout ce

* qu'on avance : or, tout cela est peu compatible avec le genre ro- *mantique. Ce serait en vain, pour l'ordinaire, qu'on chercherait

* dans ces sortes de discours un fond abondant de doctrine : i'ima-

* gination, avec ses grandes figures, ses mouvements exagérés, y

* Art. 2, § 1.

QUALITES DE LA PîîEr.I CATION. 153

* occupe presque toule la place, à ce point que, si on les dépouille

* de tout ce qui surcluirge la pensée et qu'on les soumette à l'ana-

* lyse, on Irouveia que le fond de la doctrine se réduit presque à

* rien, et que ce j^rand bruit de paroles est vide d'idées. Ce serait

* en vain qu'on y chercherait l'exactitude théologique : l'expérience

* démonti'e que le plus souvent l'imagination emporte l'orateur ro-

* mantique et ne lui laisse pas le calme et la maturité de réflexion ■* nécessaire pour ne rien dire d'inexact, et peser sévèrement toutes

* ses propositions et toutes ses pai'oies. On y trouverait encore moins

* les explications nettes et détaillées propres à faire comprendre la

* religion à ceux qui ne la connaissent pas : Torateur romantique ne

* descend point à ces menus détails qui lui semblent trop froids

* pour son imagination, trop petits pour qu'il y concentre l'ardeur

* impétueuse de son génie avide de s'élancer dans le grand et de

* produire effet. Enfin on n'y trouvera pas plus les preuves solides :

* pour bien prouver, il faut peser la valeur de chaque raison avec

* un grand calme de réflexion, les disposer ensuite avec ordre et

* méthode, et enfin les développer avec une parfaite lucidité de style :

* tel est le caractère des Conférences de M. Frayssinous, et voilà

* pourquoi elles satisfont si pleinement l'esprit ; mais tout cela est

* évidemment opposé à la nature du genre romantique, d'où il suit

* que si ce genre finissait par prévaloir dans la chaire, la science de

* la religion périrait et la foi s'éteindrait dans tous les cœurs.

* o" Le genre romantique est impropre à convertir et sanctifier les

* âmes. Les discours propres à cette fin sont ceux qui parliMit dun

* ca;ur touché de Dieu, et pénétré j>ar une fervente niéditalion,

* qui allient Toiiction de sa piété avec l'exposé lucide des principes

* d'une conversion et d'une vertu solides, et toutes les saintes iii-

* dusti'ies propres à gagner le cœur à Dieu. Or, dans le discours ro-

* mantique 011 ne trouve tien de semblable : là, ce n'es! pas ii; coMir

* touché de Dieu, mais l'imagination exaltée qui inspire la parole ; ce ■* n'est pas l'espiil divin qu'on consulte dans la méditation, c'est une

* ardeur tout liuiiiaine dont ou cluu'che à s'enflammer; ce n'est pas

* l'onction de la piété (jui sanctifie le langage et le fait entrer dans le

* cœur, c'est la véhémence des mots et fies figures (pii ne tend qu'à

* frapper et saisir l'imagination. l'IiiMu, le discours loniantique est

* vide des principes de la vraie et solide piété, et on n'y r(;connait

* pas cette étude du cœur humain cl des moyens par lesquels on le

* gagne, des ressorts par lesquels on le meut. Tout l'effel que peuvent

* produin^ les prédicalionéi romani i(pi(^s est donc de séduire les inia-

15'i îilAITÈ DE LA PUÉDICATION.

* giaations ardentes et d'eulraîner ainsi la foule. On est content

* d'avoir entendu autre chose qu'un sermon, d'avoir écouté un beau

* diseur qui a amusé l'imagination ; mais on ne songe pas à se con- *vertir; ou si parfois il en résulte quelques conversions, elles du-

* rcnl peu, parce que le prédicateur n'a pas posé les principes

* solides qui les rendent durables.

* ¥ Le genre romantique est contraire aux principes de la saine

* éloquence. En effet, le bon goût, comme le bon sens, prescrit à

* notre langue, plus encore qu'à toute autre, la clarté dans Te.vpres-

* sion, la netteté dans le style, et ne lui permet d'être hardie qu'à

* condition d'être correcte, dètre gracieuse dans sa marche qu'à

* condition d'être facile, de revêtir toutes les formes qu'à condition

* qu'elles seront naturelles, de prendre tous les ornemenis qu'à

* condition qu'ils seront vrais. Le bon goût, comme le bon sens, de-

* mande encore dans l'orateur cette raison judicieuse qui dirige ses

* conceptions vers un but unique, qui coordonne, d'après un plan

* a^Têlé, les diverses parties d'une composition et en fait un tout ré_

* gulier, cette force calme qui, réglant les écarts de l'imagination,

* se modère elle-même, gradue habilement ses moyens et les fait

* tous converger vers une impression unique et profonde qu'elle a

* dessein de produire : tout ce qui s'écarte de sort des vrais prin-

* cipes. Or tout cela reste à désirer dans le genre romantique; vous

* y trouvez des élans désordonnés de l'imagination, des ornements

* ambitieux, de bizarres alliances de mots, des acceptions étranges

* de termes, des images incohérentes, la confusion et le désordre

* dans la marche du discours.

* 5" Enfin le genre romantique est condamné par les autorités les

* plus compétentes en littérature et en religion. Les romantiques

* font profession de ne plus vouloir des règles tracées par tous les

* grands maîtres dans l'art de bien dire. Mais parler ainsi, c'est pro-

* noncer soi-même sa condamnation. Car des règles qui, dans tous ' les temps, ont obtenu l'as.'^entiment général, sont évidemment la

* voix de la raison et de la vérité; prétendre s'en affranchir, c'est

* s'inscrire en faux contre le témoignage de tous les siècles, et pré-

* férer son opinion au jugement de tous les hommes qui ont honoré

* l'humanité par la puissance de leur génie et l'étendue de leur intel-

* iigence. Il est vrai que quelques écrivains romantiques, Ossian,

* Shakespeare, Young, Schiller, Gœthe, lordByron, Victor Hugo, ne

* sont pas sans beautés; mais à côté de ces traits de génie, que de

* choses étranges et bizarres qui avertissent l'homme de goût que ce

QUALITÉS DE LA PREDICATION 135

* ne sont pas les vrais maîtres à suivre ! El que sont, d'ailleurs, ces

* novateurs en littérature près de cette foule de beaux génies qui ont

* illustré les siècles de Périclès, d'Auguste et de Louis Xl-Y? Que *vaut leur autorité près de celle de Longin, de Cicéron, d'Horace,

* de Quintilien ; et dans nos temps modernes, de Boileau et de Féne-

* Ion ; près de tous les siècles enfin ? Si à ces autorités littéraires nous

* voulions joindre les autorités religieuses, nous dirions à ces parti-

* sans du romantisme : Est-ce ainsi qu'a prêché Jésus-Christ, qu'ont

* prêché les apôtres et tous les hommes apostoliques? Est-ce l'élo-

* quence grave et austère des Basile et des Chrysostome, des Am- *broise et des Augustin? Et comment pouvez-vous espérer faire le

* bien dans l'Église de Dieu avec un genre opposé à celui qu'ont

* employé tous les saints?

* Mais, dira-t-on peut-être, il faut approprier la prédication au

* goût des temps l'on vit, et attirer par l'appât d'un genre qui

* plaît tous les mécréants à l'église pour les y prendre au filet de la

* divine parole. Nous répondrons à cela : qu'on peut attirer

* les auditeurs autour de la chaire chrétienne sans recourir à ce

* mauvais genre. Le feu sacré du bon goût ne s'éteint jamais enîiè-

* rement dans la société; la foule peut applaudir quelque temps au

* mauvais genre comme à une mode qui passe ; mais lorsque le bon

* goût lui apparaît dans toute sa beauté native, elle ne peut en au-

* cun temps lui refuser son approbation, elle admire par instinct ; et

* les Frayssinous et les Mac Carthy, ces orateurs au goût si pur et si

* classique, en sont une preuve éclatante. 2" Il est inutile d'attirer

* ta foule à l'église si l'on ne l'instruit de la religion, si l'on ne la

* dispose au moins à se convertir. Or ces discours romantiques n'in-

* struispnl ni ne disposent à une conversion solide.

* Mais, dira-t-on peut-être encore, vous voulez donc bannir de la

* chaire l'imagination et les grands mouvements de l'éloquence?

* Non, certes; nous voulons seulement qu'on réprime les écarts de

* l'imagination, qu'on respecte la langue et le bon goût, qu'on s'en

* tienne aux règles qu'ont suivies les Cicéron, les Dôinosthènes, les

* Massillon, sans sacrifier pour cela les ressources que l'imaginaliou

* bien dirigée fournit à l'éloquence.

i36 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

TROISIEME PUOPOSniON.

Le pn'iiicateiir doit, en vue de convertir, embellir la parole sainle des charinea delà vraie et solide éloquence, de manière qu'elle plaise aux auditeurs'.

Pour avoir la prouve de cette assertion, il suffit d'étuditr le cœur humain, d'examinerce que demande le respect à la parole de Dieu, de voir ce qu'ont pensé et ce qu'ont pratiqué à ce sujet les plus saints prédicateurs de l'antiquité.

Etudions d'abord le cœur humain : nous y trouverons une secrète et involontaire estime pour l'homme éloquent, laquelle captive l'at- tention, éveille l'intérêt, suspend tout un auditoire à la bouche de l'orateur qui excelle dans son art, et au contraire, un dégoût naturel pour celui qui parle mal ou débite mal ; nous y trouverons un fond d'amour-propre qui, flatté des égards qu'on lui témoigne en ne lui parlant qu'avec correction et grâce, dispose à mieux écouter ; nous y trouverons l'attrait du plaisir qui ne veut prêter attention qu'au- tant que cela amuse, et détourne sa pensée si on l'ennuie. Cela est mal sans doute, mais tel est l'homme, et il faut bien l'accepter et le prendre tel qu'il est : par conséquent, il faut lui plaire pour s'en faire écouter, lui plaire pour l'instruire et le convaincre. II est même difficile de le toucher sans lui plaire, parce que, le pathéti- que ne pouvant régner que par intervalles, celui qui ne s'applique- rait pas suffisamment à plaire dans le corps du discours risquerait ou de paralyser d'avance, ou de détruire postérieurement l'effet qu'il pourrait produire en s'adressant aux passions. Aussi Platon, malgré la sévérité avec laquelle il traite la rhétorique dans son Gor- gias, recommandait à Xénocrates de sacrifier aux Grâces, et disait à Dion que plaire aux hommes était l'indispensable condition de tout succès^. Aristote de même enseignait que, par suite dc& mauvaises dispositions et de l'infirmité de l'auditeur'^, l'expression ou la forme n'est indifférente dans aucun genre d'enseignement; que telle chose sera comprise et goûtée, si vous la présentez d'une certaine manière, qui ne le serait pas, présentée d'une autre.

Mais si ces observations sont justes par rapport aux discours profa- nes, elles le sont bien plus dans la prédication, il s'agit défaire goûter aux hommes des vérités qui leur nnposent des devoirs péni-

* V. Rollin, Traité des Éludes, t. II. * iv« lettre. ' Atx tv^ toû àz/;o«Tou /t(jx''''P'«^ ^oJi^ tout le passage, 1II« livre de sa Rhétorique, cli. i, p. 142 et 445 de l'édition et excellente traduction de M. E. Gros. Paris, in -S", 1822.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 137

bles. Les mauvaises dispositions dont parle Aristole s'augmentent alors de toute la grandeur des sacrifices à faire, et le cœur effrayé cherche tous les moyens de ne pas se laisser persuader ; il essaye de se prendre à tous les mots pour ne pas être accablé par les choses, de trouver matière à critique pour se distraire de ce qui pourrait le convaincre ou le toucher ; et l'esprit, facilement dupe du cœur, ne sent pas la force des preuves les plus solides ; ou si l'évi- dence des raisons emporte la conviction comme de vive force, la lâcheté arrête la détermination de la volonté, et on ne fait pas le bien qu'on voit clairement qu'il faudrait faire : Video meliora pro- hoque,deleriora sequor. Or, pour faire goûter les vérités évangéliques à un cœur ainsi disposé, ce n'est pas trop de tous les charmes de la vraie et solide éloquence, de toutes ses industries et de toutes ses ressources ; il faut que la doctrine, si elle est rude par elle-même, soît au moins aimable dans sa parure et dans sa manière de se pré- senter, que la forme fasse passer le fond, et que l'esprit satisfait ouvre à la vérité la porte du cœur. Hélas ! à peine encore alors se laissera-t-on gagner ; que serait-ce donc si le discours était sec et sans agrément? 11 est vrai que certains auditeurs bien disposés peu- vent quelquefois accueillir avec bienveillance tout ce qu'on leur dit, de quelque manière qu'on le leur dise, parce qu'ils s'attachent uni- quement au fond des choses ; mais ce sont de rares exceptions. L'expérience et la moindre connaissance du cœur humain démon- trent que la plupart ont besoin d'être gagnés par des formes insi- nuantes, attirés par l'amorce du plaisir : llliim qui est delectatione af- fectus, facile qiiô volueris duces, dit saint Augustin ; nemo flectituî' si molesté audit ^ Pour que les auditeurs écoutent avec fruit, dit en- core le même Père, il faut qu'ils écoutent volontiers, Hbenter. Or coirnnent écouteront-ils volontiers, si l'on ne leur parle d'une ma- nière intéressante et avec une certaine grâce : Qiiis eum velit audirCy nisi auditorem nonmiUâ suavitate detineat^? On n'arrive donc au cœur que par l'esprit, et pour remuer l'un, il faut plaire à l'autre'. N'y outil d'ailleurs que les égards dus à la parole sainte, c'en se- rait assez pour faire au prédicateur une loi de ne point négliger les ornements de la vraie et solide éloquence. Car si le respect au corps eucharistique de Jésus-Christ a fait penser à tous les siècles

1 DcDoct. clirist , lib. IV, xxv. * De Doct. christ., i.vi. * Yiue prwct'ijta, (lit Qiiintilioii, etlamsi natitrâ suiit lioitcsta. plks tawen ad forinaitilas iiieiilts ua- li.nl, quoties pnlcltriludint m rtrum cliirilas orationis itliiiitiiial. Ouiiit., lib. II,

C. XVII.

138 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

qu'on ne pouvait faire un plus digne usage de l'or et des pierreries que de les employer aux vases destinés à le contenir, le respect à sa parole, qui selon saint Augustin, n'est pas moins vénérable que son corps, doit nous porter aussi à employer pour elle tout ce que le langage humain a de plus parfait ; et comme celui-là serait très- coupable qui déposerait le corps du Sauveur dans des vases vils et ignobles, celui-là ne l'est pas moins qui, par sa négligence, avilis- sant celte divine parole aux yeux des peuples, la leur présente sous «ne forme désagréable, dépourvue des ornements propres à la faire aimer et respecter. Quelle irrévérence, d'ailleurs, ne serait-ce pas envers la parole sainte, si les prêtres avaient moins de zèle pour la traiter avec honneur que n'en ont les hommes du monde pour trai- ter dignement la parole humaine? Or, que l'on voie au barreau, à la tribune, dans les feuilles publiques, au théâtre, comment toutes les ressources de l'art sont mises en jeu pour donner de l'intérêt à la parole humaine et remporter par elle des victoires. Les orateurs ont un langage pur, brillant et énergique, les écrivains composent de belles pages, les acteurs pàUssent sur les hvres, sacrifient ^'ur re- pos, n'épargnent rien pour bien savoir et bien débiter leur rôk\. ne se pardonnent pas un ton de voix faux, un geste déplacé : et ne ^^.x»- rait-ce pas une chose honteuse que tandis qu'une parole de fiction et de mensonge est maniée avec tant d'adresse, la parole de Dieu fût traitée négligemment, présentée dans un style bas, rampant et tri- vial, débitée froidement et maladroitement?

Aussi les plus saints pi'édicateurs nous ont donné en cette matière et l'exemple et le précepte. Un des auteurs qui ont le mieux étudié la tradition sur ce point, le savant Thomassin ^, pense que pendant les trois ou quatre premiers siècles, la plupart des évêques et des prêtres, jugeant les ressources de l'art suffisamment remplacées par le don des miracles, alors si commun, se contentaient de faire des instructions familières dans le genre le plus simple, et de ver- ser, de la plénitude d'un cœur rempU du Saint-Esprit, les paroles de lumière et de grâce qu'ils avaient puisées dans l'oraison; mais il ajoute que, le don des miracles étant devenu rare, les plus saints évêques crurent devoir y suppléer par les ressources de Tart, et vi- rent dans ce moyen nouveau un auxiUaire puissant pour gagner les âmes de Dieu. C'est ce que nous remarquons, en effet, chez les Pè- res grecs et les Pères latins. Chez les Pères grecs nous voyons saint

* Ancienne et Nouvelle Discipline, 1. 11^ liv III, c. Lxxxm.

QUALITÉS DE LA l'RÉDlCATiON. 159

Grégoire de Nazianze, d'ailleurs si plein de mépris pour l'arrange- ment des paroles et les vaines délicatesses du langage qui ne servent qu'à flatter l'oreille, professer la plus haute estime pour tout ce que la solide éloquence peut avoir d'utile. 11 nous apprend dans son troisième discours que, pour acquérir le talent de la parole, il avait voyagé sur terre et sur mer; et «. je ne me repens point, dit-il, des « peines et des fatigues au prixdesquclle.s j'ai acheté un talent si utile; <■ je désirerais en posséder toute la force... J'ai tout abandonné pour « Dieu, dit-il ailleurs'; c'est le seul de tous les biens qui me soit « resté... Je m'attache uniquement à l'art de parler, j'en fais mon « partage et je ne l'abandonnerai jamais. » Dans un autre discours^, il dit qu'il s'est formé à l'éloquence par l'étude des auteurs profanes, mais qu'il a ennobli ces premières connaissances par la lecture des fivres sacrés et par le bois vivifiant de la croix, lequel leur a ôté ce qu'elles avaient d'amertume : et il ajoute qu'il ne partage pas le sentiment de ceux qui veulent qu'on se contente d'un discours sec, sans ornement, sans élévation, et qui, couvrant leur paresse ou leur ignorance par un mépris dédaigneux des règles, prétendent en cela imiter les Apôtres, sans considérer que les miracles et les prodiges leur tenaient lieu d'éloquence. Saint Basile, contemporain et ami de saint Grégoire, s'appliqua comme lui à l'art de bien dire ; et, dans la chaire de Césarée, il déploya toutes les ressources de l'art qui lui avait valu auparavant tant de succès au barreau. Un peu après ces deux grands hommes, parut saint Chrysostome, qui, non content de cultiver l'éloquence, enseigna comme un principe incontestable, dans son beau Traité du Sacerdoce, que le devoir d'un pasteur est d'acquérir le talent de la parole au plus haut degré dont la nature l'a fait capable^, parce que c est de que dépend le salut de 1p '7lu- part des âmes qui lui sont confiées ; d'où il infère combien se iro'n- penl les pasteurs qui, n'ayant ni les vei tus de saint Paul ni le don des miracles, négligent le secours de l'éloquence que le grand Apô- tre lui-même n'a pas dédaigné. Et la même doctrine se retrouve chez les Pères latins. Saint Ambroise, dans le livre I" de ses Offices*, enseigne que le discours de l'orateur chrétien, tout en rejetant l'é- légance affectée, doit conserver de l'aménité et de la grâce : Non affectatâ elegantiâ, sed non inlermissd gratta, et il observait lui-même admirablement ce principe : car, au témoignage de saint Augustin"',

* Disc, xii. * Disc, xivii. ^ lY" et Y" livre. \pr, tov lifjza tzû.-jtx iroisf» vnkp TOÛ TaÙT>)v xr/jTaTÔat t)7v ijyyv. * G. xxii. ^ Coiifess., lib. Y, c. xiu

et XIV.

1*0 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

il prêchait avec tant de grâce et de charme, que les auditeurs en étaient comme dans une sainte ivresse, ravis et transportés, hors d'eux-mêmes. « l'eut-être, dit saint Augustin, je ne me serais jamais « converti si je n'eusse été attiré aux instructior.s par l'éloquence « d'Ambroise. Car je cherchais beaucoup moins le fond des choses « que la manière dont il les disait. Mais la vérité que j'estimais si « peu entrait dans mon esprit avec les agréments du discours que V je cherchais uniquement. Il n'était pas en mon pouvoir de séparer « ces deux choses, et tandis que je croyais n'ouvrir mon cœur qu'à « la beauté de la diction, la vérité y entrait en même temps et se « rendait maîtresse de mon esprit. » A l'exemple de saint Ambroise, saint Augustin employait en chaire toutes les ressources de l'élo- quence, et recommandait aux prédicateurs de les cultiver, par cette raison, disait-il, qu'il en est de la parole comme de la nourriture : l'une et l'autre doivent être assaisonnées pour être reçues avec plai- sir et par conséquent avec fruit ; la déUcalesse des hommes l'exige, et il faut donner quelque chose à leur goût. Sans doute, ajoule-t-il, ce serait beaucoup mieux de n'aimer dans les mots que les choses, mais cette qualité est rare, et si l'on montre la vérité nue et sans grâce, on touchera peu de personnes^ C'est dans celte vue que le grand docteur a composé son IV« livre de la Doctrine chrétienne, oîi, traçant d'une main habile les régies de la prédication, il ne fait qu'appliquer à l'orateur chrétien les principes que les anciens rhé- teurs, et surtout Âristote et Cicéron avaient enseignés pour l'ora- teur en général. Saint Jérôme développe la même doctrine dans sa lettre à l'orateur Magnus, et il fait un long dénombrement des écrivains sacrés et d'autres ecclésiastiques qui ont employé l'élo- quence humaine à la défense du christianisme, faisant remarquer en particulier que saint Paul a cité les poètes grecs pour établir sa doctrine, parce que, dit le saint docteur, il avait appris de David à arracher à ses ennemis leurs propres armes pour les battre et à couper la tête de Goliath avec sa propre épée.

Il demeure donc démontré que l'orateur chrétien doit chercher à plaire, non pas précisément pour plaire, mais pour faire goûter la vérité aux hommes, et par cet innocent appât les engager à en accepter plus volontiers les divins enseignements, à en pratiquer plus fidèlement les salutaires leçons. Ornatu non jactanter, sed prudenter utamur, non ejus fine contenti quo delectatur auditor, sed

^ De Doct christ., lib. IV, xxvi.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. î il

hoc potiùs aijentes ut ipse ad bomim quod persuadere volumus, adjii- vetiir'-. El voilà pourquoi TEsprit-Saint nous dit que la langue des sages embellit ce qu'ils savent, et que le charme de leurs dis- cours est doux à l'âme comme un rayon de miel à la bouche : Lingua sapientiiim ornât scientiam^. Favus mellis composita verba'".

* Si l'on nous objecte la simpliché du langage des écrivains sa-

* crés, nous répondrons, que le don des miracles et une émi-

* nente sainteté leur suffisant pour convertir les peuples, ils pou-

* valent se dispenser d'une ressource qui nous est nécessaire à nous

* qui n'avons point les mêmes moyens de conversion. Nous répon-

* drons, que le langage simple et calme des évangélistes en ra-

* contant les mystères les plus propres à émouvoir, est quelque

* chose de surhumain, impossible à l'homme sans un secours ex-

* traordinaire, tel que l'inspiration, et qu'ainsi, tenter de parler,

* par exemple, de la passion de Jésus-Christ avec la simplicité des

* évangélistes, c'est tenter Dieu, c'est s'exposer à parler d'une ma-

* niére opposée à la nature et par conséquent ridicule. Nous répon-

* drons, 3" que, dans l'Écriture sainte, à côté des pages écrites avec

* une simplicité surhumaine, se trouvent encore des modèles ache-

* vés de tous les genres d'éloquence qui ont étonné les littérateurs

* anciens et modernes ; nous aurons occasion de le démontrer plus

* tard. Si, dans tous les livres saints, l'art ne paraît point, ce n'est

* pas qu'il y manque, dit saint Augustin'^; c'est que les auteurs ne

* s'occupent pas à le démontrer, non quià non habent, sed quià non

* ostentant, c'est qu1ls ont atteint la perfection de l'art, laquelle

* consiste à donner aux plus beaux ornements du discours tant de

* naturel qu'on n'y soupçonne pas l'art ^. Il est vrai que saint Paul

* s'appelle imperitus sermone; mais cela ne veut pas dire qu'il fût

* ignorant dans l'art de défendre la vérité avec adresse : car il ajoute

* aussitôt après : sed non scientiâ, et nous montrerons plus tard qu'il

* a réuni au plus haut degré toutes les qualités qui font le grand

* orateur. C'est donc ou une concession gratuite qu'il fait par nio-

* destie à ses adversaires, ou parce que, originaire de Tarse, il ne

* parlait que le grec corrompu des Juifs hellénistes, et savait assez

* mal cette langue.

* Si on nous objecte encore que vouloir convertir par les moyens

« De Docl. clirist., lib. IV, xxv. - Piov., .w, '2. ^ lb:d., xvi, U. * »e Docl. christ., 11. 10 et 14. " Deshiit ors esse, si apparet, dit Qxiintilicn, lib. IV, c. II, firrf fiiiem.

142 TRAirÉ DE LA PliKOlCATlON.

* Ininiains, on s'adrossanf à l'imagination et anx passions, c'est

* anéantir la croix de Jésus-Christ, lui dérober sa gloire, et employer

* des moyens de succès indignes d'un orateur chrétien, nous répon- *drons;-1" que, quoique la conversion des âmes soit l'ouvrage de

* l'Espril-Saiiit, l'homme, étant l'instrument dont cet Esprit divin se

* sert pour l'opérer, doit faire tout ce qui dépend de lui pour aider

* son action : Dei enim sumiis adjutores; et comme on ne laisse pas

* d'employer Ich remèdes que prescrit la médecine, quoique leur

* effet dépende uniquement de Dieu, ainsi on doit mettre en œuvre *tous les moyens de l'éloquence, quoique la parole de l'homme

* n'ait d'effet qu autant que la grâce touche les cœurs. Nous répon-

* drons, que l'miagination et les passions sont des dons excellents

* du Créateur, qui, employés selon ses vues, peuvent servir à sa

* gloire et à notre perfection. Notre-Seigneur ne s'adressail-il pas à

* l'imagination, celte faculté que nous avons de concevoir les

* choses sous des images sensibles, lorsqu'il mêlait dans ses discours

* tant de paraboles, d'images et de figures? N'a-t-il pas éprouvé lui-

* même les passions, ces mouvements de l'âme qui se porte avec

* ardeur vers quelque ol)jet? 11 a pleuré sur Lazare et sur Jérusalem ;

* il s'est indigné dans le temple; il a été triste au jardin des ÛHves.

* Si donc on peut abuser de l'imagination et des passions, on peut

* s'en servir aussi pour le bien.

Du principe que nous venons d'établir, il suit, 1" que le prèdi" cateur doit bien posséder les règles de l'art oratoire, et savoir se servir contre le mensonge des mêmes armes dont le mensonge s'est servi si souvent contre la vérité. Il suit, qu'il doit préparer et soigner ses discours, mais en même temps bien diriger son inten- tion vers Dieu seul, et ne vouloir plaire que pour conveitir.

De la manière de plaire.

D'après les principes posés plus haut, le prédicateur doit plaire par ses mœurs, par le fond des choses qu'il dit et par la manière de les dire.

Pour plaire par ses mœurs, il faut que toutes ses paroles, ses gestes, ses regards, les traits de son visage portent le cachet de la vertu et de la sainteté ; qu'il se montre tendrement affectionné à ses auditeurs, non par des expressions flatteuses qui aviUssent le mi nistère, mais par un désir ardent de leur plus grand bien, leur fai-

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION 145

sant envisager leur devoir comme leur bonheur, et leur bonheur comme nécessaire au sien. L'orateur qui parait nous vouloir du bien et chérir nos intérêts, nous plaît sans peine et range facilement notre volonté à son avis ^

Pour plaire par le fond des choses, il faut avoir ce tact, ce bon sens qui sait éviter tout ce qui peut blesser, et trouver le secret de faire goûter la vérité qu'on prêche. Nous avons donné plus haut^ les règles relatives à ce secret de l'art oratoire.

Enfin, pour plaire par In manière de dire les choses, le prédicateur doit, en premier lieu, éviter tout ce qui décèlerait en lui soit igno- rance, soit négligence peu respectueuse pour son auditoire^, comme les fautes de français, le mauvais style, le mauvais geste, la mauvaise prononciation, les discours froids, sans chaleur et sans vie, et sur- tout celte prétendue abondance, fruit de la paresse, qui dit les choses comme elles viennent, sans choix, sans ordre et sans jus- tesse, qui a toujours la même morale et des redites ennuyeuses, qui est triviale dans l'expression, basse et rampante dans la pensée, acerbe dans l'invective. Aussi saint Augustin recommande-t-il que, lors même qu'on dit les choses les plus simples, on les dise de ma- nière à ne pas dégoûter l'auditeur : Nohmiis fastidiri, etiam quod subviissè dicimus'*.

Mais si le prédicateur doit éviter la paresse qui néglige l'art de plaire, il doit aussi éviter la préoccupation qui recherche trop les moyens de plaire. Il est, dit la Fontaine, un art de plaire et de n'y penser pas. Si on laisse soupçonner à l'auditeur qu'on s'applique à lui plaire, il s'en scandalise, il veut voir dans le prédicateur un des- sein plus haut, et on lui déplaît par cela seul qu'on parait préoccupé du désir de lui plaire. Il y a plus : souvent même on plaît davantage en paraissant ne point craindre de déplaire ; ce secret était celui de Démosthènes lorsqu'il traitait si sévèrement les Athéniens.

Reste donc à voir mainicnant quels sont les moyens de plaire. Les règles données par les rhéteurs à ce sujet regardent les mots, la con. struction des phrases, l'élocution, le style et la manière de présenter son sujet : autant de points qu'il ne faut pas confondre, et qu'une comparaison nous rendra sensibles. Les mots sont au discours ce que sont les matériaux à l'édifice ; la construction des phrases ce qu'est la disposition des matériaux entre eux; l'élocution ce qu'est la taille

* Voyez au chapitre suivant les qualités du prédicateur, surtout la sainteté. '■* Papes 113 et suiv. ' Voyez Groiiade, liv. V, c. nxiv. * De Doct. ciirist., jib. JV, Lvi.

144 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

et le poli des matériaux; le style ce qu'est le genre d'architecture; la manière de présenter son sujet ce qu'est l'appropriation de l'édi- fice au goût et au bien-être de ceux qui doivent l'iiabiter. Voici main- tenant ces règles en substance.

Règles pour les mots '.

1" Règle. Il faut avoir pour chaque pensée le terme propre ou l'expression juste qui lui convient, 11 n y a presque plus de termes entièrement synonymes ; chaque idée a un mot qui l'exprime plus clairement que tout autre, qui la rend tout entière, et est fait pour elle; c'est ce qu'on appelle le terme propre qu'il faut toujours re- chercher, et qu'il faut saisir dès qu'on l'a trouvé ; aucun autre ne le vaut. César tenait comme un principe que l'origine de l'éloquence est dans le choix des mots^, et la Bruyère observe que, s'il y a peu d'écrivains supérieurs, c'est que la science du mot propre, de l'expression unique pour chaque pensée est très-rare. Qui ne pos. sède pas cette science, ajoute-l-il, n'est ordinairement qu'un esprit médiocre.

2'' Règle. Il ne suffit pas que l'expression soit juste, il faut en- core qu'elle soit digne et convenable ; c'est-à-dire qu'il faut éviter tout terme bas et trivial, toute parole non consacrée par l'usage dans le sens qu'on emploie^, tout mot non approuvé par la foi, comme le destin, la fatalité, la fortune, le hasard. Le français porte dans le choix, de l'expression l'exactitude jusqu'au scrupule; et, comme on l'a observé, un mauvais mot fait souvent plus de toit qu'un mauvais raisonnement.

Zf Règle. Il faut n'employer les mots qu'autant qu'ils sont né- cessaires pour rendre les pensées, et les pensées qu'autant qu'elles sont utiles pour le sujet*. Tout mot superflu, toute épithète qui ne multiplie pas le sens, et en général tout ce qui peut se retrancher san jue le discours y perde, doit être impitoyablement supprimé. Ce: e fait d'un charlatan de pailer pour dire des riens, et il est in- digne dun ministre de l'Évangile de faire servir la chaire sacrée à étaler des phrases qui ne tendent qu'à une vaine montre d'esprit.

Règles pour la construction des phrases^.

\'^^ Règle. Il faut, dans la construction des phrases,, disposer

* Voyez le P. Albert, III-' part., c. viii et ix. - Reclè et verèdicebat Cxsar delectum verborim csxe oriirinem cloquentise, Muret, Orat., xiii. ' Cic. Orat., 155. * Cic, de Orat., lib II, 32G et 209. s Voyez le P. Albert, III« part., c. T, Ti, VII, VIII,

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 145

les mots selon l'ordre même des idées et des sentiments *. Il est en- tre les idées une subordination naturelle qui les lie les unes aux au- tres; et plus cette liaison est rendue sensible par la disposition de l'expression, par le tour de la phrase, plus le discours est net et parfait; c'est ce qui caractérise le bon écrivain; comme au con- traire, sans cttte liaison, la lumière disparaît avec l'ordre, et le dis- cours ne produit plus que de faibles lueurs. Prenons un exemple de l'une et de l'autre înanière d'écrire :

Discours parfaiteinent lié.

Quand Thistoire, dit Bossuet, se- rait inutile aux autres hommes, il faudrait la faire lire aux princes. Il n'y a pas de meilleur moyen de leur découvrir ce que peuvent les pas- sions, et les inlérêls, et les temps, et les conjectures. Si Texpérience leur est nécessaire pour acquérir cette prudence qui fait régner, il n'est rien de plus utile à leur instruc- tion que de joindre les exemples des siècles passés aux expériences qu'ils font tous les jours. Au lieu qu'ordinairement ils n'apprennent qu'aux dépens de leurs sujets et de leur propre gloire à juger des affaires dangereuses qui leur arri- vent, par le secours de l'histoire ils forment, sans rien liasarder, leur jugement sur les événements passés. Lorsqu'ils voient jusqu'aux vices les plus cachés des princes, malgré les fausses louantes qu'on leur donne pendant la vie, exposés aux yeux de tous les hommes, ils ont honte delà vaine joie que leur cause la llatlerie, et iis connaissent que la vraie gloire ne peut s'ac- corder qu'avec le mérite.

Même discours sans liaisons iVidces.

Il faudrait faire lire lliistoire aux princes, quand même elle serait inutile aux autres lionimes. Il n'y a pas de meilleur moyen de leur dé- couvrir ce que peuvent les [ia;siûns, et les intérêts, et les temps, et les conjonctures. Il n'est rien de plus utile à leur instruction que de join- dre les exemples des siècles passés aux expériences qu'ils font tous les jours, s'il est vrai que rexpérience leur soit nécessaire pour acquérir cette prudence qui fait régner. Par le secours de l'histoire, ils forment, sans rien hasarder, leur jugement sur les événements passés, au lieu qu'ordinairement ils n'apprennent qu'aux dépens de leurs sujets et de leur propre gloire à juger des affaires dangereuses qui leur arri- vent. Ils ont honte de la vaine joie que leur cause la tlatterie, et con- naissent que la vraie gloire ne peut s'accorder qu'avec le njérile, lors- (|u"ils voient jusqu'aux vices les plus cachés des princes, nial-ré les fausses louanges qu'on leur donne pendant la vie, exposés aux yeux de tous les hommes.

Uiu'lle dilVéreiice entre ces deux nmrceaux! Dans le premier, il faudrait faire lire Vliisioire aux princes', se lie natinvllemont avec

* Voyez Condillac, île ['Art d'écrire.

iO

146 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

il n'y a pas de meilleur moijen, etc., et voilà que dans le second on a séparé ces deux idées. Dans le premier, après avoir remarqué que l'étude de l'histoire est utile aux princes, l'esprit, en suivant la liaison des idées, se porle naturellement sur l'expérience, autre source d'instruction. Dans le second, cet ordre d'idées n'existe plus. Dans le premier, Bossuel, voulant démontrer l'utilité que les prin- ces peuvent retirer des exemples du passé, commence par faire voir l'insuffisance de l'expérience, observe ensuite les secours que donne l'histoire; et, pour démontrer quels sont ces secours, il expose d'a- bord ce que les princes voient dans l'histoire, et puis il considère quelle impression elle peut faire sur eux; dans le second, au con- traire, tout cet ordre d'idées est changé. Aussi les phrases ne tien- nent plus les unes aux autres, il semble qu'à chacune on reprenne un nouveau discours, sans égard à ce qu'on a dit ou à ce qu'on va dire; on est comme un homme fatigué qui s'arrête à chaque pas et qui n'avance que par efforts, tant le principe de la liaison des idées est fondamental dans l'art d'écrire et de parler.

2"= Règle. Tout en construisant ses phrases selon l'ordre des idées, il faut éviter ce qui peut blesser l'oreille; car, comme le dit Boileau,

la plus noble pensée

Ne peut plaire à l'esprit si l'oreille est blessée.

D'après ce principe, il faut éviter la répétition des mêmes mots, excepté celle qui rendrait la phrase plus nette, plus nombreuse et plus élégante, le concours des syllabes de même consonnance, la rencontre des voyelles qui forment hiatus, comme dans cette phrase : Il alla à Amiens, oîi il s'appliqua à apprendre la viusique : le rappro- chement des sons pesants et rudes, trop légers ou trop sautillants; en un mot, tout arrangement de mots qui s'opposerait à une pronon- ciation coulante de la phrase, et surtout l'accumulation des de, comme dans cette phrase : J'ai reçu de Paris de mon marchand de livres des recueils de musique d'une grande beauté; plus encore l'accumulalion des qui, et des que se rapportant à des substantifs différents, comme dans cette phrase de Nicole : « Qui ne croirait « que ceux que Dieu a éclairés de si pures lumières, à qui il a dé- « couvert la double éternité de bonheur ou de misères qui les at- « tend, qui ont l'esprit rempli de ces grands objets, sont incapables « d'être touchés des bagatelles du monde? » Ou cette autre phrase du même auteur : « Nous tombons sans y penser dans une infinité

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION 147

« de fautes à l'égard de ceux avec qui nous vivons, qui les disposent « à prendre en mauvaise part ce qu'ils souffriraient sans peine, s'ils « n'avaient déjà un commencement d'aigreur dans l'esprit. » Tous ces qui se rapportant à différents objets forment une construction vicieuse, embarrassent la pbrase en même temps qu'ils font des équivoques.

Règle. Ce n'est pas assez de ne point blesser l'oreille, il faut encore la charmer par les combinaisons heureuses, qui donnent à la contexlure, à la coupe et à l'enchaînement des phrases, cette har- monie qu'on appelle le nombre oratoire. Pour cela, il faut, que les périodes soient variées dans le nombre et la longueur de leurs membres, sans être jamais ni trop courtes ni trop longues. L'o- reille se lasse d'entendre toujours la même coupe de phrases, au lieu qu'elle se plait à cet heureux mélange de longues et de courtes périodes qui donne du fou et de la majesté au style. Il faut, 2" que l'es sons soient liés entre eux par certaines proportions et tempérés l'un par l'autre S une syllabe rude adoucie par une plus douce qui la suive ou la précède, une syllabe faible soutenue par une plus forte; que les consonnes et les voyelles, les longues et les brèves s'assortissent; que la phrase se cadence de manière à précipiter ou ralentir la prononciation au gré de l'oreille, du goût et du cœur, sans avoir jamais rien de dur ni de lâche, rien de pesant ni d'em- barrassé. Il est une sorte de modulation résultant de la valeur syl- labique et de la disposition des mots, qui en rend la prononciation facile et harmonieuse; l'oreille seule en juge par l'instinct du sen- timent et indépendamment des régies^; toutefois ce nombre ora- toire ne peut produire son effet qu'autant qu'il semble se présenter de lui-même plutôt qu'être amené par artitîce^. 11 faut, qu'il y ait rapport entre les sons du discours et l'objet qu'ils expriment. Ce rapport, qu'on appelle l'harmonie iraitative, crée des images, peint par les sons et produit des effets merveilleux. Nos grands orateurs, comme nos poètes, en offrent de nombreux exemples. 11 faut, 4" sa- voir dans l'occasion symétriser entre eux les Inembres de phrase, de telle sorte que chacun contienne une pensée différente, comme dans celte description d'une ânje pénitente :

« Ce n'est point son tempérament qu'elle consulte, ce sont ses « besoins; ce n'est pas la nature qui la règle, c'est la grâce; ce n'est

» ^ic. de Orat., nr, 171. - Cic, Orat., 121). ï De Orat., 105.

148 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

« pas la faiblesse humaine qui la soutient, c'est la main de Dieu qui

« la porte. »

Règles pour léloculion ^ .

l'f* W'gle. L'élocution de la chaire doit toujours être pure. Les meilleures choses déplaisent si elles sont mal exprimées, et le mau- vais langage a le triple inconvénient de distraire l'attention, de pro- voquer la critique et de déshonorer le ministère.

2^ Eègle. L'élocution doit être naturelle, sans affectation, paraître couler de source, de telle sorte qu'on n'y reconnaisse ni étude ni travail, et que les auditeurs s'imaginent que cette manière de s'énoncer est facile^. Les figures qui l'ornent et les mouvements qui l'animent, doivent naître du fond même du sujet, et y aller si bien, peindre tout avec tant de vérité, qu'on ne songe pas même à la fio-ure ; si on y pense, elle est mauvaise : d'où il suit que le bon dis- cours, quoique élevé quand il le faut, n'est jamais guindé : il connaît ni l'enflure qui est de tous les défauts du langage le plus ridicule, ni les expressions ampoulées et à prétention qui dénotent la vanité, ni la recherche qui court après l'élégance. 11 procède bon- nement et naturellement, mais non négligemment; et voilà ce qui plaît à l'auditeur. On charme toujours quand, par sa simpUcité et son air naturel, on persuade qu'on ne pense pas à charmer. Et qu'on ne croie pas que cette simphcité dispense du travail, qu'elle consiste à s'arrêter à la première pensée qui se présente, à lui laisser le tour sous lequel elle se montre, à l'exprimer sans choix de termes, à la placer le hasard l'a fait trouver; c'est de la négligence, ce n'est pas du naturel et de la simplicité. Pour être naturel et simple, il faut, au contraire, souvent beaucoup de travail : celui-là seul qui, à force d'étude, s'est rendu bien maître de sa matière et de sa langue peut tout disposer et tout dire dans cet ordre naturel qui dissimule l'art, qui semble tout simple et coule doucement comme une rivière paisible dont le lit est droit et bien uni.

5^ Uègle. L'élocution doit être noble : Oralio sit plena gravi- tatis et ponderis, dit saint Ambroise\ Ce qu'on a bien pensé, perd de son prix, s'il n'est dignement exprimé, comme un diamant s'il est mal enchâssé*. L'élocution de la chair» sacrée est le vêtement de la

1 Voyez le P. Albert, III« part., c. i, xii ot xvi.— Traité des Études, de Rol- Ijn, t. II. Pastoral de Limoges, t. II, I" part., lit. vm Grenade, liv. V, 2 Ouintil., IV. 2. Cic., Orat., 77. ^ De Offic, lib. I, c. xxu * Gai- cbiez.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 149

vérité ; ce vêtement doit être grave comme le corps qu'il couvre. Il est d'ailleurs de la dignité de la chaire d'y parler toujours noble- ment, d'y porter une majesté douce et modeste, incompatible avec toute plaisanterie, toute façon de parler capable de faire rire, toute parole de flatterie envers qui que ce soit, fût-il roi ou prince, toute louange de soi-même indirecte, toute expression peu digne d'un homme grave, tous les bons mots et les proverbes vulgaires, toute parole blessante ou injurieuse, vive, colère, inspirée par l'aigreur ou le mécontentement.

4* Hègle. L'élocution doit être modérément ornée. 11 faut des ornements au discours pour réveiller l'attention, donner à la vérité une couleur plus vive qui la fasse mieux saisir et dispose les cœurs à la conversion. La rhétorique désigne ces ornements sous le nom de figures, parce qu'ils revêtent la pensée comme d'une forme, d'une figure nouvelle ; ils lui donnent, dit Quintilien, force et beauté : Vim rebîis adjiciunt et gratiam ■prxstant^, et, par elle, une idée com- mune devient grande et magnifique. Quoi de plus commun, par exemple, que cette pensée : L'homme conserve, jusqu'au dernier moment, des espérances qui ne se réaliseront jamais. Et quoi de plus frappant que la même pensée ainsi rendue par Bossuet : « L'homme « marche vers le tombeau, traînant après lui la longue chaîne de ses « espérances trompées. » Quoi de plus commun encore que cette pensée : « En Angleterre, sous Charles I", les catholiques ne pou- vaient ni se confesser ni entendre la messe sans péril. « Et quoi de pins beau que la périphrase de la même pensée, toujours par Bos- suet :

<( Les enfants de Dieu étaient étonnés de ne plus voir ni l'autel ni « le sanctuaire, ni ces tribunaux de miséricorde qui justifient ceux « qui s'accusent. 0 douleur! il fallait cacher la pénitence avec le (i même soin qu'on eût fait les crimes, et Jésus-Christ même se voyait « contraint, au grand malheur des hommes ingrats, de chercher « d'autres voiles et d'autres ténèbres que ces voiles et ces ténèbres « mystiques dont il se couvre volontairement dans l'Eucharistie. »

Les figures ou ornements sont donc bien utiles au prédicateur; mais cependant il en faut user modérément. Nous l'avons déjà ob- si>rvé, il est danjrereux de vouloir trop orner ce qu'on dit, parce que cette surabondance d'ornements sort du naturel, distrait l'auditeur du fond des choses, et l'empêche d'être touché; cette prodigalilô de

IX, l.

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QUALITES DE LA PREDiCATlO". tôl

4" RctjLes pour le sttjle K

Il faut varier son slyle selon les diverses parties de son discours et selon les sujets qu'on traile. Vw ''U,

ditCiceroa^ Eu toutes clioses, i ^ u-

dreut le dégoût: Omnibun t/i rébus stmilUiLd*/ satietatLi est rtuner^, et ici elles seraient, pli- ' ars. un '' ' me

le devoir de l'orateur e- - : aux peu? - co-

Jon?r diftéreuimeat, selon la nature des choses qu'où traite ; ce q«e '' ','Ue tiptè aurrv*, et ce qu'un poète a élégamment

e vers :

"'•s wiileui-s du s«jel je teùulrai mou lan^agv.

Aiusi, le stvle d " simple et " " ^ " . ' . :■ a-

cipes. co«Luit et s les rv« - > - .os

preuves, vil' et rapide itans les niouveuieuls. Les choses de sentmieat no veulent point dun >: ' lîuè daus de îo , - - les

le veulent iuiime et p.i Les cboses :^ u

un stvle aracieux et tîeuri. pittoresijiie et abondant eu nuages. Fo«r

les sujets simples, ' ' ^!vle simpi . :; - " "^ "^ "ue

sans titres, boau ^ - > grâces -i-

ractère, réumt la netteté dans le discours, le aatui-ei àajus ta peusee, et l'abandon au moins apparent daus lexpression. Pour les grands sujets, il faut le style élevé qui prend s.i source dans la graaùeur d'ime et lélëvalioti des setitimeuls^ qui déploie toutes les riclit.ss^ de la belle éloi^ueuce. les uobles hardiesses^ l éclat des penst'es, la véhémence des prissions et la beauté des plus ma^nitiques igures. t Mliiî, pour les sujets luoveas* il faut style qm ue s" la

hauteur convenable, ce style teiupéré qui réjouit par ;.- -i>s

s;iMS éblouir par st»n éclat, qui a des grâces, des peùatures déli- cieuses et pleines de vérité, nr- -^'cesgra ^ rtts

qui saisissent etetoiiaeut. La pc- ie Vart o: :. - ::it

Vugustin * eu s appuyant sur Cicéroa *, coasiste à savoir emplox«r

à prv>po8> c«s trois genres d'éloquenc

à:xtt: ts Itfiinr .--••;; >-.\'.r/(trt> itiù -

-^ Lii). M. * Oc IWt. cànsc - to. IV, «.m*. « Onu ie Oi-si-

15'2 TP.AITÉ DE LA PP.KDICATION

tempcratc, v.iatjna (jnuiditer dicere ; et IJoileau a dit dans le même sens :

Sans ct'sse en cci'ivaiit variez vos discours;

Tu slyU- irop ryal cl toujours iiniformo

1-11 v;iiii lu'iHo à nos yeux : il faut qu'il nous endorme.

Piniles pour la manière de présenter son sujet.

V" Règle. Il l'aLit subordonner l'art de plaire aux autres devoirs de l'orateur, et faire servir les autres devoirs de l'orateur à l'art de plaire : car, l" plaire ne peut jamais être un but pour un ministre de l'Évangile, mais seulement un moyen; tandis que les autres de- voirs de l'orateur, qui consistent à instruire, convaincre et per- suader, sont le vrai but de la prédication ; d'où il suit qu'on ne doit s'appliquer à plaire qu'en vue de ces devoirs, c'est-à-dire pour faire goûler l'instruction, faire arriver la conviction dans les esprits, la persuasion dans les cœurs. Quoique les autres devoirs de l'orateur ne suffisent pas seuls pour plaire, ils y contribuent puissamment. On plaît si on explique avec netteté et clarté la doctrine évangèlique: ce qui est clair, net et naturel s'écoute toujours avec plaisir, et le plaisir s'accroît encore quand ce que dit l'orateur est grand et ma- gnifique, d'une importance souveraine, d'une utilité infinie, comme le sont les vérités chrétiennes. On plaît si on prouve solidement tout ce qu'on avance : le cœur de l'homme fait pour la vérité éprouve du plaisir à entendre raisonner juste, à voir la vérité invinciblement prouvée, fortement défendue. Undè acclamntur ità dicentibus, re- marque saint Augustin, 7iisiquiàverîtassicdemonstrata,sicdefensa, sic invicta delectat^^. On plaît si on émeut: le cœur touché est tou- jours content. On plaît si on dispose toutes les parties de son dis- cours avec un ordre parfait, et qu'on le prononce d'une manière naturelle, grave, pieuse, modeste et paternelle. Cette manière de faire plaît incomparablement plus que toutes les figures de la rhéto- rique et toutes les grâces du style.

2" liègle. Pour présenter son sujet d'une manière qui plaise, il faut s'attacher à bien penser, bien sentir et bien rendre. Tel est le secret comme la mesure de toute bonne composition. Bien penser, c'est n'avoir que des pensées vraies, justes et naturelles, claires et nett. s, (jui aillent bien au sujet et y intéressent l'auditeur tantôt par leur élévation, leur grandeur et leur force, tantôt par leur vivacité^

* De Doct. christ., lib. IV, c. xxvi.

QUALITES DE LA PREDICATION. 153

leur délicatesse et leur grâce, d'autres fois par un sens à demi pro- duit qui laisse à l'esprit, non l'embarras de comprendre, mais le plaisir facile de deviner , ou par quelque chose de nouveau qui frappe et surprend. Bien sentir, c'est avoir l'âme fortement impres- sionnée par son sujet ; et ce sentiment doit toujours être vrai, natu- rel, et selon les circonstances, plein de délicatesse ou de feu, d'énergie ou de grandeur, de pathétique ou de sublime. Bien rendre, c'est dire ses pensées et ses sentiments de manière à les faire entrer dans l'âme des auditeurs par la vérité et la force, la grâce et la jus- tesse de l'expression, quelquefois même par le pouvoir seul d'un mot mis à sa place ; et pour cela il ne faut pas voir seulement dans le bien rendre le vêtement de la pensée ou du sentiment ; c'est la pensée même avec sa forme, c'est l'âme mise en dehors, observe un littérateur habile ^ : ce qui fait dire à Montaigne que quand on voit de braves formes de s'expliquer, bien vives, bien 'profondes, il ne faut pas s'écrier que c'est bien dire, mais que c'est bien sentir et bien penser; et que dans tous les chefs-d'œuvre des lettres et des arts, il faut voir des peintures conduites non tant par dextérité de la main comme pour avoir eu l'objet plus vivement enpreinteti l'âme.

3* Règle. Il faut éviter la longueur dans ses prédications, et tendre à retrancher plutôt qu'à ajouter-. Cette trop grande longueur fatigue et rebute: les murmures des auditeurs, quelquefois même leur désertion de l'église, en sont les tristes résultats : peu et bon, c'était la maxime de saint François de Sales ^ : peu de choses, mais des choses utiles et bien choisies. « Moins vous direz, disait ce saint « évêque, plus on profitera ; plus vous direz, moins on retiendra; à « force de charger la mémoire des auditeurs, on la démolit, comme « on éteint les lampes quand on y met trop d'huile, et on suffoque « les plantes en les arrosant démesurément. Quand un discours est « trop long, la fin fait oublier le milieu, et le milieu le commence- « ment. » Le P. Grenade était du même avis. « Dès que ceux qui « nous entendent, dit-il, commencent à se lasser, ils ne font plus « attention à ce qui; nous disons; ils perdent même le goût et le « souvenir des clioses qu'ils ont auparavant écoutées avec plaisir. » Aussi voyons-nous que les homélies dos saints Pères étaient très- courtes : et Fénelon se plaint avec raison (ju'on ait cru mieux faire en préchant longuement. « Maintenant, dit-il, afinqu'uu prédicateur

* M. Villcmain. * Mémoires do M. de la Mottp, t. I, p. T,)l . ' Le Giiiile ceux de qui annoncent la parole de Dieu, p. Hl.

154 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

« ait bien fait, il faut qu'en sortant de chaire il soit tout en eau, « hors d'haleine et incapable d'agir le reste du jour: les anciens « évêques ne faisaient pas tant de cérémonies. » D'après ces ré- flexions, voici les règles à suivre : le prône du Dimanche ne doit jamais dépasser vingt minutes, et il sera meilleur s'il n'en dure que quinze: aller au delà de ces limites, c'est mécontenter ceux qui n'ont pas assez de loisir ou de dévotion pour rester si longtemps à l'église, et qui cependant ne peuvent décHner celte instruction, puisqu'elle est enclavée dans la Messe ; 2" les sermons ou discours de Vêpres seront toujours assez longs s'ils durent une demi-heure ; trois quarts d'heure , c'est beaucoup ; l'heure , c'est le nec plus ultra.

APJICLE 5.

CINQUIÈME CAKACTÈUE DE LA PKÉDICATION; ELLE DOIT TOUCHER.

Suivant notre marche accoutumée, nous montrerons , dans un premier paragraphe, la nécessité de toucher, et dans un second paragraphe, la manière d'y réussir.

§ l".

De la nécessité de toucher '.

* Toucher ou émouvoir, c'est remuer dans les profondeurs de

* l'âme les passions, ces puissants mobiles» de la volonté humaine,

* et par faire entrer dans les cœurs les sentiments et détermina-

* lions généreuses analogues au sujet qu'on traite. C'est, dit saint

* Augustin, amener l'auditeur à aimer le bonheur qu'on lui promet,

* à craindre le châtiment dont on le menace, à haïr le mal qu'oji

* condamne, à embrasser le bien qu'on recommande : Flectitur

* si amat quod polliceris, timeat quod minaris, oderit qiiod argîdSj

* quod commendas amflectatur'^ : ce n'est pas seulement con-

* vaincre et montrer la lumière, mais c'est persuader et déterminer ■* à suivre la lumière que l'on voit; c'est entraîner la volonté, ravir

* l'auditeur à lui-même pour le gagner à la vertu. Au théâtre, on *veut émouvoir tant que dure le spectacle; au barreau, jusqu'à ce

* que l'arrêt soit prononcé ; mais dans la chaire, il s'agit d'exciter *des sentiments qui durent, de changer le cœur en définitive et

* Roilin, Traité des Étudep, t. II. Pastorale de Limoges, t. II. Quinti- lien, lib. X, c. vu. - De Doct. christ., lib. IV, xxvu.

QUALITÉS DE LA TREDICATION. 155

*pour toujours; et ce qui augmente la difficulté, c'est que si, au *ijaiTeau, le juge auquel l'orateur s'adresse est indifférent entre les

* parties, dans la chaire, celui que vous voulez soumettre est juge *et partie, et se croit intéressé à résister. Nos deux grands ora-

* leurs, Bourdaloue et Bossuet, si parfaits d'ailleurs, l'un sous le

* rapport de l'instruction et de la solidité, l'autre pour le sublime

* des pensées et la grandeur des vues, laissent beaucoup à désirer *sur ce point : aucun d'eux n'est cet orateur véhément qui triomphe *des volontés rebelles, entraîne les populations et captive tous *les cœurs. Massillon, un peu plus heureux, ne traitait presque

* jamais un sujet de sentiment sans faire verser des larmes à tout *son auditoire, dit le cardinal Maury*; mais toutefois on n'était

* pas converti pour cela ; la sensibilité était émue sans que le cœur *fùt changé. C'est dans l'antiquité surtout qu'on trouve ces grands

* effets de l'art d'émouvoir. Lorsque saint Augustin, encore simple

* prêtre, fut chargé, par l'évêque Valére, de le remplacer dans le

* ministère de la chaire, le peuple d'IIippone était dans l'usage de

* célébrer à l'église, le jour de la fête de saint Léonce, des réjouis- ■* sances accompagnées de festins, qui dégénéraient en ivrogneries

* et en débauches : le nouveau prédicateur entreprend d'abolir cet

* usage : la multitude murmure ; il prononce un premier discours, "il rencontre de nombreux contradicteurs; il reprend la parole le *jour suivant, fait éclater toute la douleur que la charité lui in-

* spire, il prie,, il gémit, il conjure par les humiliations et les souf-

* fronces de Jésus-Christ, par sa couronne d'épines, sa croix et son

* sang, par la tendresse du vénérable Valére, qui l'a établi pour être *le ministre de leur salut et non le témoin de leur perte, par les

* châtiments dont Dieu, dans sa miséricorde, les frappera sans

* doute en ce monde pour ne pas les damner dans l'autre. A ces

* accents si touchants de la charité et du zèle, tout l'auditoire fond *en larmes : Augustin y mêle les siennes, et la victoire est rem-

* portée; l'usage est aboli à jamais. Le même saint docteur

* trouve à Césarée, en Mauritanie, l'habitude ancienne d'un spec-

* lacle barbare qui faisait les délices du peuple : il monte en chaire "pour demander la suppression de cette coutume, et s'élève, avec

* toute la force de son génie, contre un spectacle si indigne d'âmes

* chrétiennes. Ou applaudit : il croit n'avoir lien fait, il conlhme *avec plus de véhémence; on fond en liirmcs, alors il espère.

Essai sur l'Eloquence de la chiire.

156 TRAITÉ T)E L.\ rRÉOICATION.

*(i En effet, ajoute-t-il en racontanl ce trait, le peuple renonça

* « au spectacle, et il y a huit ans qu'il n'en est plus question. »

* Voilà ce qu'on appelle le talent d'émouvoir. On trouve ce même

* talent dans saint Chrysostome désarmant par la bouche de

* Flavien la colère de Théodose contre les habitants d'Ântioche, *et dans Démosthènes, dont Fénelon a tracé un portrait si vrai,

* lorsqu'il le fait parler ainsi à Cicéron, au trentième dialogue des

* morts: « Tu occupais l'assemblée de toi-même, et moi je ne

* « l'occupais jamais que de l'affaire dont je parlais ; on t'admirait,

* « et moi j'étais oublié par mes auditeurs, qui ne voyaient que le

* « parti que je voulais leur faire prendre. Tu réjouissais par les

* « traits de ton esprit, et moi je frappais, j'abattais, je terrassais

* « par des coups de foudre ; tu faisais dire : Qu'il farle bien ! et

* « moi je faisais dire : Allons^ marchons contre 'Philippe. » On ne

* saurait donner une idée plus parfaite du talent d'émouvoir. Si *donc, en m'entendant, l'auditeur demeure froid, assez calme pour

* s'occuper de mon éloculion et de mon geste; si, après m'avoir

* entendu, il n'éprouve que le plaisir que laisse une musique agréa- *ble, et s'écrie : Qu'il parle bien! qu'il est grand orateur! ]e n'ai *pas touché, et mon discours manque d'un des plus beaux carac- *tères de la véritable éloquence. Si, au contraire, pendant que je

* parlais, l'auditeur s'est senti profondément ému; si, uniquement

* frappé des vérités que j'annonçais, il n'a pas eu le loisir de songer la diction; si je l'ai entraîné comme tout palpitant dans ma

* course sans lui laisser, pour ainsi dire, la liberté de respirer; *si, à mesure que je parlais, son cœur s'est attendri, s'il a poussé *des soupirs, éclaté en sanglots, versé des larmes, et pris une

* résolution ferme de faire ce que je lui demandais, j'ai atteint *mon butj ma prédication a été touchante, elle a été ce qu'il ♦fallait.

Quoique la prédication ne tende pas toujours à toucher ou émou- voir, elle doit cependant plus généralement avoir ce caractère. Car que servirait d'instruire et de plaire, si l'on n'amenait l'auditeur à aimer et pratiquer les devoirs qu'on lui expose? Si l'on ne le fait arriver jusque-là, on demeure en chemin, puisqu'on n'a vou- loir instruire et plaire que pour déterminer à pratiquera Or, pour l'amener là, il faut, par l'art de loucher et d'émouvoir, attaquer son

' Victorise est flectere, dit saint Augustin, quià fleri potest ut (auditor) docea- ttir et delectetttr, et non assentiatur : quid antem illa duo proderunt, si desit hoc tertium? De Doct. christ., lib. IV, xxvni.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 157

cœur est le siège de sa volonté et des déterminations généreuses ; il faut s'en rendre maître à l'aide des passions et des mouvements oratoires qui sont les ressorts par lesquels il se gagne. La volonté sans passion, dit Plutarque, est un vaisseau qui, pour partir, attend que le vent vienne enfler sa voile. Le cœur de l'homme a naturelle- ment peu de goût pour la verlu ; on ne le décide à l'embrasser qu'en lui en parlant avec âme et sentiment ; il est froid pour le bien, on ne l'y détermine qu'en l'échauffant par une parole passionnée et brû- lante : c'est donc peu pour le prédicateur de donner de la lumière à l'entendement, dit saint François de Sales; il faut encore donner de la chaleur à la volonté; comme c'est peu pour l'auditeur de sortir du sermon convaincu qu'il doit être vertueux, il faut qu'il en sorte déjà vertueux, c'est-à-dire décidé fortement à l'être. Si le soleil n'avait que de la lumière sans chaleur, il demeurerait toujours, à la vérité, le plus bel ornement de l'univers, mais il n'en serait pas la vie et cesserait d'être le principe des beautés de la nature : de même tout discours qui laisse l'auditeur froid, qui ne remue pas le cœur et ne lui fait pas prendre de résolutions fortes, peut être étincelant d'es- prit et rayonnant de beautés, mais n'est certainement pas un bon discours. Il lui manque la condition essentielle que requiert saint Augustin : Flectendus auditor ut moveatur ad agendum^.

Si au contraire le prédicateur réussit à toucher les cœurs, tout sera gagné. Il plaira ; car on plaît toujours quand on touche, et un plaît davantage à proportion qu'on touche davantage ; ses preuves seront trouvées bonnes, car l'esprit ne songe plus à contredire quand le cœur s'est rendu, l'émotion l'entraîne, et la victoire est assurée. C'est en touchant, bien plus qu'en raisonnant, qu'on con- vertit; c'est en prenant les hommes par le cœur qu'on les ramène, bien plus qu'en les prenant par l'esprit, parce que, pour la plupart, le siège du mal est bien plus dans la volonté que dans l'entende- ment; et voilà ce ((ui explique comment des discours médiocres pour la compo.sition, mais louchants et pathétiques, ont produit de si grands effets. C'est le sentiment qui est l'âme de l'éloquence, et c'est le pathétique, l'xpression du sentiment, qui fait faire les conversions, les restitutions, les réconciliations : à la faveur des mouvements, on triomphe du cœur, et on en obtient tout ce qu'on veut. Tout le secret du succès est donc : le discours qui n'atta([ne pas le cœur, qui ne le remue ni ne le touche, est presque nécessaire-

' De Doct. clirist., lib. IV, xxvii.

158 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

ment un discours sans effet. On aura beau prouver, par exemple, qu'il y a un jugeinent dernier et un enfer, l'auditeur ne se convertira pas si, par des tours vifs et des mouvements passionnés, on ne lui inspire la crainte de l'un et de l'autre.

D'ailleurs, le christianisme étant une religion toute de sentiment, l'onction qui part du cœur et va au cœur doit être le caractère es- sentiel et comme l'âme de l'éloquence sacrée. Parler du christianisme avec froideur et sans âme, ce n'est pas s'en montrer le ministre, c'est oublier ce qu'on doit à Dieu, à ses freines, à soi-même : à Dieu, puisque c'est sa cause qu'on plaide, sa gloire qu'on défend ; à ses frères, puisque ce sont les grands intérêts de leur éternité heureuse ou malheureuse qui sont en question ; à soi-même, puisque les vérités que le prédicateur annonce le regardent aussi bien que ses auditeurs, et que si ceux-ci ne se sauvent pas par sa faute, il en est responsable devant Dieu. Loin de la chaire ces prédicateurs dont la parole froide montre des hommes pleinement résignés à la répro- bation de leurs auditeurs. Quintilien enseigne, en parlant de l'élo- quence profane, que les mouvements sont la partie essentielle de l'art oratoire, l'âme qui donne la vie au discours, lequel sans cela est sec, froid, languissant et mort : Hoc opus, hic lahor est, sine quo cxtera nuda, jejuna, infirma et ingrata sunt^. Mais si ce prince des rhéteurs exigeait ces mouvements pour les harangues séculières, combien plus sont-ils nécessaires dans un discours chrétien l'on a à faire prévaloir contre toutes les résistances de la nature des intérêts si grands, si propres à émouvoir? Plaire sans toucher en pareilles matières, peut valoir la réputation de bel esprit, mais le titre d'apôtre et d'homme de Dieu, jamais : c'est le privilège exclusif du prédicateur qui touche.

§ 2.

De la manière de toucher.

Comme toucher ou émouvoir dans le sons que nous l'entendons ici, c'est remuer les passions qui sont dans le cœur de l'homme et les diriger vers le bien, il est évident que le prédicateur qui veut réussir dans cette partie doit connaître la manière dont le cœur se meut, ou plutôt connaître le cœur lui-même ; et c'est la première science de l'orateur, celle qui lui vaut les plus beaux triomphes. Delà l'utilité

» Lib. YI, n.

QUALITES DE LA rKCDICATIOiN 159

immense dont peut lui être l'étude de la théorie des passions, telle quelle est présentée dans le second livre de la Rliétorique d'Aristote et dans les quatrième et cinquième livres de la Recherche de la vérité du P. Ma'lebranche : de l'utilité non moindie qu'il peut retirer de l'étude de son propre cœur pour y trouver le secret de remuer celui des autres, parce que tous les autres, étant hommes comme nous, ont un cœur comme le nôtre, se remuent les mêmes passions que nous ressentons en nous-mêmes. Ces connaissances présupposées, nous indiquerons au prédicateur : P le-s conditions requises pour produire les mouvements ; "2" la manière de les diriger.

SECTION v^

Des conditions reqiiises pour produire les mouvements oratoires '.

Pour produire dans les auditoires chrétiens ces grands mouvements oratoires qui louchent et changent les cœurs, il faut autre chose que pour émouvoir une assemblée profane. Il faut d'abord édifier el prier : édifier, parce que les peuples ne se laisseraient pas toucher par un homme dont la conduite démentirait les paroles; prier, parce que la grâce toute-puissante de Jésus-Christ peut seule opérer dans les âmes ces changements meneilleux qui transtorment un honnne tout entier. Nous réservons au chapitre suivant (art. 5 et 5) le déve- loppement de ces deux vérités.

Il laut, i" étudier les dispositions des auditeurs : car elles vaiùent selon les personnes, les lieux et les circonstances. Ici l'on sera touché dune considération qui ne produirait rien ailleurs : 1 amour et les afiections douces gagneront ceux-ci, et ceux-là ne seront sensibles qu'aux alïeclions de la crainte. Or, si le prédicateur ne sait pas dis- cerner les fibres du cœur qu'il faut remuer, impossible qu'il touche; s'il le sait, sa tâche s'aplanit et le succès lui devient facile.

Il faut, 5" être profondément touché soi-même de son sujet : Pectiis est quod disertos facit, a dit Quintihen-; et 1 Esprit-Saint avait dit avant lui : Car sapientis efudiet os ejus, et labiis ejus addet graliam'. Il n'y a qu'un cœur touché qui puisse loucher les autres; c'est ime vérité d'expérience. J'ai tenté, dit Cicéron% tous les moyens d'é- mouvoir; je les ai portés à la perfection autant qu'd m'a été possible; mais j'avoue que je dois mes succès moins aux efforts de mon esprit

' Voyez le P. Albei-t, II* pai't., c. xmv et suiv. - lust. orat.. x, 7 -'Pi-ov., XM, 23. * Orator., c\xxii.

160 TRAITE DE LA PRÉDICATION.

qu'à la véhémence des passions qui m'agitent et me transportent hors de moi-même quand je parle en public... C'est par celte véhé- mence que j'ai réduit au silence Hortensius, que j'ai fermé la bouche à Catilina, que j'ai réduit Curion à s'asseoir sans pouvoir répondre un seul mot, sinon que je lui avais fait perdre la mémoire par quelques sortilèges*. » « Voulons-nous, dit Quintihen^, après Cicéron^, tou- « cher vivement nos auditeurs ? soyons touchés les premiers du sen- « timent que nous voulons leur inspirer : A tali animo proficiscatur (( oratioqualem facere {aiiditorem) volet. Commen[ atlendrirai-je si ma « parole prouve que je ne sens rien? Comment échaufferai-je si je « suis froid? Comment ferai-je verser des larmes si j'ai les yeux « secs? Gela est impossible : on n'allume qu'avec du feu, on n'hu- « mecte qu'avec quelque chose d'humide ; et nulle chose ne donne à (t une autre la couleur qu'elle n'a point. » Tout le monde connaît le mot d'Uorace :

Si vis me flere, dolendum est

Primiim ipsi tibi. Pour me tirer des pleurs il faut que vous pleuriez.

La raison de ce principe est facile à concevoir : lorsque l'orateur est profondément pénétré de son sujet, l'émotion intérieure donne à ses paroles, à ses regards, à ses gestes, à son maintien, à toute sa manière une action passionnée qui exerce sur les auditeurs comme un pouvoir irrésistible : témoin saint Ignace, dont l'histoire rapporte que, malgré la grande simpHcité avec laquelle il exposait les vérités de la religion, la manière pénétrée dont il en parlait touchait ses auditeurs jusqu'aux larmes; la véhémence du sentiment le rendait éloquent. Mais si l'on n'a pas dans l'âme le sentiment qu'on veut in- spirer, en vain on essayera de le feindre; tout ce qui ne vient point du cœur ne va point au cœur, et rien n'a plus mauvaise grâce qu'un orateur qui veut faire l'homme touché sans l'être réellement. Il crie avec effort, il gesticule avec excès, il s'agite en tout sens ; et tous ces mouvements que le cœur ne dicte pas, n'aboutissent qu'à faire souffrir l'auditeur. .lamais l'affectation ou ce qui n'est point naturel n'a fait verser une larme. C'est ce qui fait dire à saint François de Sales* que « pour toucher il faut être bien épris de son sujet; il faut « que les paroles soient enflammées non par des cris et des rotions

1 Orator., cxxix. " Lib. VI, n. s De Orat., n, 189 et seq. * Lettre à l'archevêque de Bourges, c. v.

QUALITÉS DE LA PREDICATION. Iffi

« démesurées, mais par l'affection intérieure, et qu'elles sortent du « cœur plus que de la bouche. On a beau dire, ajoute-t-il, le cœur « seul parle au cœur et la langue ne parle qu'aux oreilles. » Voilà ce qui explique le peu de fruit qu'ont produit certains prédicateurs de beaucoup d'esprit ; leurs discours brillaient de tout l'éclat du style; la vivacité, la hardiesse et le nombre des figures, rien n'y manquait ; mais en entendant ce beau langage, on reconnaissait que l'orateur n'était pas pénétré des sentiments qu'il exprimait, que sa parole ne partait pas du cœur; et dés lors, on ne voyait plus en lui qu'un froid déclamateur. Voilà aussi ce qui fait comprendre comment les mêmes hommes qui parlent si bien d'inspiration dans les moments ils sont touchés, sont si inférieurs à eux-mêmes quand ils écri- vent dans le silence du cabinet; comment, par exemple, Maury, qui parlait à la tribune un langage si plein d'âme et de chaleur, nous a laissé des discours écrits l'on ne retrouve le plus souvent qu'un style froid, ambitieux et boursouflé. Pedus est qiwd disertos facit, tel est le mot de l'énigme. Une personne même ignorante s'exprime éloquemment dans un moment de douleur, de colère ou de quelque autre passion; une personne simple et sans lettres parle des choses de Dieu avec une élévation de pensées et de sentiments qui confond les plus habiles docteurs ; c'est que l'une et l'autre sentent vivement, et le cœur les inspire.

C'est donc une condition indispensable, pour quiconque veut tou- cher et émouvoir, de se bien pénétrer de son sujet; mais comment s'en pénéti er? La chose est facile à ceux qui ont reçu du ciel une âme tendre et sensible ; sans grands efforts ils sentent vivement, ils se pénétrent fortement, et il leur est aisé d'être éloquents : car les grandes pensées, aussi bien que les grands sentiments, viennent du cœur ; et pour parler avec Corneille, il est facile de

Verser dans tous les cœurs ce que ressent son cœur.

C'est cette exquise sensibilité qui répand tant de charmes sur les écrits de Fénelon, sur les sermons de Massillon\ et qui, dans les temps anciens, a inspiré à saint IJernard tant de morceaux d'un pa- thétique aciii'vé, tels que le discours sur la mort de son iVére Gérard, et à saint Jean Chrysostome tant de chefs-d'œuvre d'éloquence.

1 Voyez, entre autres morceaux, son Iiomélic sur l'Enfant prodigue : dès les premiers traits qu'il dessine des oomiials inlrrifiirs du iirodigue, on se sont ému, tant il y a de vérité dans la iicinUiic : Combattu par ces agitations in- finies, etc.

11

168 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

Mais si l'on manque de sensibilité, jamais on ne sera oraleur. Ne sachant pas s'attendrir soi-même, comment sanrait-on attendrir les autres? C'est pourquoi ceux qui ont reçu du ciel ce don précieux doivent travailler à le développer, et ceux que la nature n'a pas créés sensibles doivent s'efforcer d'y suppléer. Il est pour les uns et pour les autres un moyen assuré, c'est la pratique journalière et fer- vente de la méditation, comme nous le dirons au chapitre suivant (art. 5); et si la méditation seule n'émeut pas assez, on peut lire attentivement quelque bon auteur sur la matière, y remarquer les mouvements oratoires et les considérations les plus propres à tou- cher, s'efforcer par la prière et de pieuses affections de les faire passer dans son âme, et concevoir un grand désir de les communi- quer aux auditeurs pour leur salut. Cette disposition de zèle mettra nécessairement dans le cœur des mouvements tendres et pleins de sensibilité propres à toucher l'auditoire.

Après qu'on s'est ainsi pénétré de son sujet, il ne reste plus qu'à bien peindre les sentiments qu'on éprouve. La vive peinture des choses, dit Fénelon S est l'âme de l'éloquence ; le véritable ora- teur ne se contente pas d'énoncer ce qu'il veut dire, il le peint; et quiconque n'aura pas ce talent ne réussira jamais à émouvoir. Le sentiment se peint par le ton de la voix, le regard, le geste, la phy- sionomie et tout l'extérieur qui annoncent si l'on est touché et Jusqu'à quel point on l'est; mais il se peint surtout par la parole. Quelquefois il inspire lui-même son expression, et c'est alors quelle est meilleure :

* Lorsqu'il ne l'inspire pas, il faut appeler à son secours l'imagi-

* nation, la rhétorique et le goût. L'imagination est cette faculté de

* l'âme qui nous peint tous les objets de manière à les rendre aussi

* présents à l'esprit que si on 'les avait sous les yeux; ce qu'elle

* nous montre, on croit le voir, on croit le toucher 2; et il n'est pas

* jusqu'à la pensée, jusqu'à l'objet même spirituel ou idéal, à qui

* elle ne donne un corps pour le faire servir à former dans le dis-

* cours ces tableaux si pleins de vie, ces images si touchantes qui

* ravissent, qui donnent de la force à la diction et du sentiment aux

* choses même inanimées. La vérité toute nue est comme une fi-

* gure morte et un cadavre, l'auditeur s'en laisse peu émouvoir;

* mais, revêtue par l'imagination de qualités sensibles, elle vit et

* respire, elle émeut le cœur, elle l'intéresse, elle l'attendrit. Les

* Dialogue sur l'Éloquence de la chaire. - Quintilien, llv. YI, c. ii.

QUALITES DE LA PREDICATION. 163

* images, dit LonginS animent et échauffent le discours, captivent

* et persuadent; et voilà ce qui a fait dire à un écrivain de beaucoup

* d'esprit* que « l'éloquence est tout entière dans le cœur et l'ima-

* ,( gination. C'est qu'elle va prendre ces vives couleurs qui vous "* « font voir ce dont el!e vous parle, ces charmes qui embellissent

* « tout, ces tours hardis et véhéments qui donnent aux pensées des

* « ailes de feu et les jettent comme des traits brûlants dans l'âme

* « de l'auditeur. » Or le moyen de cultiver ou plutôt de féconder

* cette faculté précieuse, brillante et nécessaire auxiliaire de l'élo-

* quence, c'est de se représenter vivement les faits dont on parle

* comme si l'on en était l'acteur ou le témoin, en étudiant par la

* pensée toutes les circonstances de personnes, de lieu et de temps,

* et s'attachant principalement à celles qui sont plus capables d'en-

* flammer l'imagination; c'est de lire les bons auteurs et d'y obser-

* ver tant de beaux tableaux, tant de vives images qui représentent

* les choses avec vérité, les meltcnt sous les yeux et forcent !e cœur

* d'y être sensible. La rhétorique doit ensuite venir er. aide à

* l'imagination avec son genre pathétique, ses grandes et vives figu-

* ^e^ï si propres à exprimer les mouvements du cœur, comme Vexcla-

* mation, V apostrophe, surtout celle qui s'adresse à Dieu par des re-

* tours doux et tendres qui semblent le rendre présent au discours*,

* ï interrogation, de toutes les figures oratoires la plus dominante et

* la plus rapide ; le dialogue, qui met en rapport le prédicateur et

* l'auditoire, et qui est si propre à échauffer le discours^ ; le mono-

* logue, par lequel l'auditeur rentre en lui-même, se reproche le

* passé, s'encourage pour le présent ou prend des résolutioiîs pour

* l'avenir; V adjuration ou le serment oratoire, qui consiste à prendre

* à témoin les êtres animés ou inanimés, l'autel, la croix, les tribu-

* naux sacrés, les murs de l'église, les personnes; le souhait, qui

* consiste dans des désirs ardents de convertir son auditoire, de

* faire aimer Dieu, fallût-il pour cela donner son f-aug jusqu'à la

* Loiiîjin, Traité du sublime, c. xiii. ^ Le P. Guénard.

3 Massillon olfrc do licaux exemples de ces épancliemcnts de sensibilité vers Dieu : dans son liomélie sur l'cufaiit prodigue : // semble, ô mon Dieu! que vous vouliez être purliculièrement le père des ingrats, cic. 0 miséricorde de mon Dieu! eli! que vous revient-il donc du sulut de la cn'alure? etc. . . Dans le sermon sur le Mélange des bons et des méclianls : Il semble, ô mon Dieu! que vous ne soyez pas assez aimnMe pour être servi dans la seule vue de vouS' même. ">» Dans la péroraison du Sermon sur les ainiclions : Grand l)ieu, c'est à V(S pieds désormais, etc.

* On trouve des dialogues rcmarqualiles dans presque Ions les .sermons de Massillon; voyez, enlre autres, dans le sermon sur Thniploi du ienips.

164 TliAlTÉ DE LA rnEI)lCATlO>'.

* dernière goutte ; quelquefois mêiiie, mais lareineuf., les iutorrup-

* lions, les sens suspendus ou phrases imparfaites. A ces fij:;ures,

* ajoutez tout ce qu'un cœur pénétré d'une foi vive peut inspirer à

* un orateur plein de son sujet : une courte prière, une aspiration,

* un coup d'œil vers le ciel, un geste, un soupir suffisent souvent

* pour donner aux réflexions les plus communes une force capable

* de toucher jusqu'aux larmes. Enfin, à l'imagination et à la rliè-

* torique doit se joindre le goût, cet instinct pur et délicat qui ap-

* précie le vrai beau et le discerne du faux, qui rend la pensée et

* le sentiment avec une vérité parfaite sans rien de trop ni de trop

* peu. Privée de sa direction, l'imagination se jette dans des écarts,

* et la rhétorique prodigue ses fleurs sans discernement. Avec son

* secours, au contraire, l'une et l'autre sont soutenues dans les li-

* mites il faut qu'elles restent, dirigées dans le sens elles doi-

* vent marcher; les couleurs sont distribuées avec sagesse, chaque

* chose est à sa place, rien n'est outré, tout est comme il faut. Cette

* faculté si importante se cultive et s'épure par l'étude des grands

* modèles, l'habilude de la réflexion, la discussion sévère de ses

* propres compositions, comme si c'était l'ouvrage d'un étranger

* soumis à notre critique.

SECTION 2.

De la manière de diriger les mouvements.

Autant les mouvements oratoires produisent un grand effet quand on les emploie avec sagesse et disci^étion, autant ils gâlent le discours quand on ne les conduit pas selon les règles. Or ces règles peuvent se réduire à six.

1"' Règle. Tout mouvement oratoire doit être en rapport avec le sujet. Il est de petits sujets les grands mouvements seraient dé- placés et ridicules ; d'en est d'autres il faut des mouvements forts et véhéments, par exemple l'énormité du péché, la mort du pé- cheur, le jugement, l'enfer: les grands mouvements sont de mise; et, employés avec art par un orateur vivenient pénétré, ils peuvent produire les plus heureux effets, comme on peut le voir en lisant la peinture du jugement dernier par saint Éphreni * ou par saint Jean Clïrysoslome^, et les fragments de Bridaine sur les fins dernières'.

* Kibliotliôquc des Pères, par M. Guillon, t. XI, XVI, ou Godcscard, Vie de saint Éplirem. - Discours choisis, par l'abLû Aiiger, t. II, p. 282 et 455. ' Vie de Bridaine, par l'abbé Carron.

QUALITÉS DE LA PREDICATION. 165

Il est enfin d'autres sujets il faut des mouvements doux et tendres: par exemple, l'amour de Dieu ou du prochain, le ciel, la confiance, la patience, l'aumône; et même on pourrait ranger dans celle classe la plupart des sujets do prédication, puisque le fond de la religion n'est que charité et amour, que la douceur est plus propre que la violence à gagner les cœurs, et que l'auditeur se fatiguerait bientôt des mouvements véhéments qui reviendraient trop souvent; d'où l'on peut conclure que le genre dominant de la chaire doit être l'onction, cet épanchement suave, pieux et affectif d'un cœur plein de Dieu, lequel s'insinue dans l'âme sans secousse, y réveille les sentiments les plus tendres, en gagne et soumet toutes les puis- sances par une victoire qu'elle chérit. Massillon avait bien saisi ce principe : dans presque tous ses sermons, son âme s'épanche en sentiments avec un naturel qui enlève ^ ; et il est à regretter qu'un grand nombre de prédicateurs ne l'aient pas aussi bien compris. Emportés par une imagination vive et ardente, ils emploient à tout propos les grands mouvements, les peintures vives, les figures har- dies, les paroles véhémentes, jusque dans les sujets qui demande- raient le langage le plus doux et le plus affectueux : par ils dé- naturent la religion, cachent aux peuples ce qu'elle a d'aimable et d'attrayant, et fatiguent leur auditoire. Eussent-ils même à traiter des sujets terribles, ils devraient savoir au moins qu'il faut toujours dans l'exorde des mouvements doux, dans la péroraison des mouve- ments véhéments, et dans le corps du discours un sage tempéra- ment des uns et des autres,

Règle. Tout mouvement doit être amené, c'est-à-dire qu'il faut y venir par degrés , y préparer peu à peu les auditeurs par l'exposé des raisons et des preuves, et y arriver comme à une con- séquence toute naturelle de ce qu'on a dit. Si l'on se jette brusque- ment et sans préparation dans ces mouvements, on sort de la nature, on devient ridicule. Celte précaution est surtout nécessaire quand les auditeurs sont dans des dispositions contraires aux mouvemejils qu'on veut produire: alors, connne nous l'avons déjà observé ailleurs, il faut commencer par entrer dans leur pensée, se confoi mer à leur situation ; puis arriver peu à peu à calmer les passions qui se sont opposées à notr'e but, et enfin exciter celle que nous souhaitons. Si les mouvements ne sont préparés et amenés ainsi, il est impossible qu'ils réussissent.

Voyez le sermon sur le BoiiIumu* cIoï justes, où, îipièsMvoir iiciiil le iiiallieur <lii iirclieur otiligé de s'étouidii" sur son étal, il s'éi-rie : 0 /uniniie, etc.

166 TRAITÉ DE LA rRÉDlCATION.

o" Règle. Tout mouvement doit être soutenu et ne pas s'arrêter brusquement. Il ne sert à rien d'arriver au cœur et de l'émouvoir, si on laisse imparfaite l'émotion commencée pour passer tout à coup à autre chose. En ne soutenant pas ce mouvement, on prouve à l'au- diteur qu'il était factice, qu'il ne partait pas du fond de l'âme, et par cela seul on en détruit tout l'effet. Puis l'auditeur qui avait com- mencé à être ému, qui se préparait à suivre l'émotion, regrette de se voir trompé dans son attente et retombe dans la froideur. C'est donc manquer de tact et de goût que de quitter un mouvement à moitié: lorsqu'il commence à s'exciter, il faut le poursuivre et le conduire à sa perfection en développant par des tours énergiques ce qui peut toucher et pénétrer davantage.

Â" Règle. Les mouvements oratoires ne doivent pas être poussés trop loin, c'est-à-dire qu'il faut savoir les arrêter à propos et ne pas les faire durer trop longtemps. Les mouvements ne doivent régner dans le discours que par intervalles ; rien de ce qui est violent ne peut ni ne doit être durable, et si l'orateur a assez de poumons pour tonner pendant tout un sermon, le cœur des auditeurs n'est pas fait pour tenir à cet excès d'agitation ; il s'en fatigue, et ces mouvements trop fréquents ou trop prolongés cessent de lui faire impression ^ On s'accoutume à ce qui dure ; l'âme s'y endurcit comme le corps aux coups réitérés, et tout l'intérêt se refroidit. D'ailleurs, soutenir trop longtemps une émotion vive, c'est sortir du naturel, et s'épui- ser à contre-temps. Plus même le mouvement est fort, moins il faut l'étendre ; on doit craindre de le délayer en le présentant sous trop de paroles : ce serait lui ôter toute sa force. On raconte d'un prédi- cateur que quand il avait ému le peuple jusqu'aux larmes, il des- cendait aussitôt de chaire et laissait dans son émotion l'auditoire consterné. Commotis animis, dit Cicéron -, diutiùs morarinon opor- tebit: lacrymâ enim nihil citiùs arescit. Qu'on juge, d'après cela^ combien se trompent certains prédicateurs à imagination vive, qui croient faire merveille en accumulant les tableaux, les figures, les élancements de cœur, les mouvements de toute espèce ; ils visent à l'effet et sortent du naturel. Observons toutefois que si les grands mouvements ne doivent régner que par intervalles, il n'est aucune partie du discours qui ne doive être animée de cette chaleur douce,

1 Lacrymis latigatur auditor. . Is'on patiamur frigescere hoc opus, et affec- tum, cùm ad summiun ]iorduxerimus, relinquamus. . . Qiiidquid non adjicit prioribus detroliere \idetur. et facile déficit afïectns qui descendit. Quintil., lil). YI, CI. - De invontionc. lih. I, 110.

QUALITES DE L\ PREDICATION. 167

de ces mouvements modérés qui donnent la vie et l'intérêt à tout ce qu'on dit.

Règle. 11 faut retrancher des mouvements oratoires tout ce qui est étranger et tout ce qui est outré. Ce qui est étranger au mouvement lui donne un air faux qui le rend froid et ridicule ; quand on est bien touché de quelque objet, on ne pense pas à autre chose ; l'âme est tout entière à ce qui l'émeut. D'un autre côté, ce qui est outré manque tout fait son but, et fait souvent rire ceux auxquels on voulait arracher des larmes, observe Quintilien : Nihil habet ista res médium, sed aut lacrymas meretiir mit risum ^ ; ou du moins quand ce pathétique outré n'est pas ridicule, il est froid et ennuyeux ; le cœur veut se donner, il n'aime pas qu'on le force. De on peut voir combien il est facile de s'égarer en essayant le pathétique, et c'est ce qui fait dire à Quintilien qu'on ne doit point entreprendre de tirer des larmes à son auditoire, à moins de se sentir le talent nécessaire pour y réussir : Ne quis, sine summis ingenii viribus, ad movendas lacrymas aggredi aiideat... Metiatur ac diligenter sestimet villes suas, et quantum omis subit2irus sit intelligat -.

6*^ Règle. Les grands mouvements oratoires ne comportent pas un style châtié, minutieusement exact, fleuri et périodique. La na- ture émue a de l'abandon dans son langage et ne songe pas à amuser l'esprit par des périodes. Tout occupée de ce qui l'émeut et non de la manière dont elle le dit, elle a dans son style un certain désordre; son expression, sa voix, son geste, ne sont réglés que par son émo- tion. Le soldat qui pousse lennemi à outrance, dit Gaichiez, se met peu en peine si les spectateurs sont charmés de sa grâce, il est con- tent pourvu qu'il vainque. Pour terrasser des monstres, on n'em- ploie pas des armes de parade ; il faut le sabre et la massue. Ces irrégularités éloquentes sont éminemment propres au sermon le prédicateur envisage moins la perfection que le fruit du discours. Cependant il ne faut pas croire que la nature émue n'ait ni ses insi- nuations ni ses figures ; elle arrange même à la fin avec un reste d'émotion ce que dans le feu elle a traité en désordre.

OBSERVATIONS SUR LES TROFS ARTICLES PRÉCÉDENTS.

* Avant d'aller plus loin, nous croyons devoir rappeler l'attention *du lecteur sur les trois articles précédents. Remarquons, l"qu'in-

' Lib. VI, c, I. * Ibidem, c. vi, n"' 1 et 4.

168 TRAITE DE L\ rUEDICATION.

* slruire, plaire et toucher forment les trois éléments que l'analyse a

* fait découvrir aux i héteurs dans le pouvoir de l'éloquence sur les *âmes, les trois actions que l'orateur est appelée exercer sur ses

* semblables, les trois arts (lui font l'homme puissant par la parole;

* ce que saint Augustin a fort bien dit par ces mots aussi courts que

* pleins de sons : Veritas pateat, veritas placent, veritas inoveat.

* Veritas pateat, voilà l'élément logique qui instruit ; veritas placeat^

* voilà, pour parler comme Âristote, l'élément politique qui capte la

* bienveillance et fait goûter la vérité ; veritas moveat, voilà l'élé-

* ment esthétique ou pathétique qui remue les passions et entraîne *ia volonté.

* Remarquons, qu'on retrouve, sinon toujours, au moins le plus

* souvent, la présence on l'action de ces trois éléments dans toutes

* les opérations par lesquelles doit passer l'œuvre oratoire, savoir :

* 1" dans l'invention : car il y a preuve ou élément logique, mœurs

* ou élément politique, passions ou élément pathétique; 2" dans la

* disposition : car l'exorde ou le début demande l'élément politique ou

* l'art de plaire, le corps du discours l'élément logique, la péroraison

* l'élément pathétique ; 3" dans l'élocution : car ce triple élément est

* la base de la diï^tinction des trois styles : le style simple sert à

* mstruire et prouver; puis, comme la passion est poëto, cliaquefo s

* qu'on est ému et qu'on veut émouvoir, on en prend spontanément

* un autre tout différent, le style noble et élevé ; et enfin quand on

* veut plaire, on a recours naturellement à un style intermédiaire

* entre les deux autres, et qu'on nomme le style tempéré; A" dans

* l'action : car le ton et le geste doivent varier selon qu'on instruit,

* qu'on plaît ou qu'on touche.

* Remarquons, 5" que le concours de ces trois grands éléments de

* l'art oratoire n'est pas toujours nécessaire pour constituer l'élo-

* quence : il peut y avoir éloquence avec deux éléments, quelquefois

* même avec un seul, si celui-là est le seul qui soit de mise dans le

* cas posé. Qu'est-ce, en effet, que l'éloquence? C'est l'art ou le don

* d'agir sur les facultés de ses semblables par l'expression de sa

* pensée. Si donc je parle dans une circonstance il ne faut qu'in-

* struire et prouver, je serai éloquent si j'instruis et je prouve, parce

* que j'aurai exercé sur l'esprit de mon auditeur la seule action que

* j'étais appelé à y exercer. Par la même raison, si je parle dans

* quelque grande circonstance il ne faut qu'émouvoir, je serai

* éloquent si j'émeus, sans chercher à instruire et à plaire ; et la

* raison fondamentale de cette doctrine, c'est que souvent nous nous

QUALITES DE LA PREDICATION. 169

* décidons sous l'influence d'une seule des trois actions que peut

* exercer sur nous l'orateur.

* Remarquons enfin, que cependant le plus souvent il faut fondre

* ensemble ou faire marcher de front ces trois éléments ; et alors

* chacun d'eux doit faire des concessions à l'autre et le laisser pré-

* dominer selon la nature du sujet, la partie du discours etles diverses

* circonstances.

ARTICLE 6.

SIXIÈME CARACTÈRE DE I.A PREDICATION; ELLE DOIT ETRE CONFORME AU PRINCIPE d'uMTÉ qui est essentiel a toute bonne COMPOSITION.

Nous montrerons dans un premier paragraphe la nécessité de cette condition, et dans un second la manière d'y satisfaire.

* § !"•

* Combien l'unité est nécessaire dans la piédicalion '.

* L'unité, en fait de composition littéraire, consiste en deux cho-

* ses, l'unité de vue et l'unité des moyens.

* Il y a unité de vue, lorsque tout, dans le discours, tend à une

* fin commune qui est comme le centre tout aboutit, le foyer

* tout converge ; lorsqu'il n'est pas une phrase qui n'aille à ce but,

* qui ne soit nécessaire ou utile pour y conduire et y faire arriver

* l'auditeur; lorsque, enfin, de ce but, comme d'un point central,

* vous voyez d'un seul coup d'œil le sermon tout entier, de même que

* de la place publique d'une ville, on voit dans toute leur longueur

* toutes les rues qui y aboutissent quand elles sont droites et en

* symétrie. Cette unité de vue donne au discours cette propriété

* remarquable, qu'il se réduit à une seule proposition mise au plus

* grand jour par des tours variés, ou plutôt, comme dit Fénelon, il

* est la proposition développée, et la proposition est le discours en

* abrégé. 2" Il y a unité de moyens, lorsque toutes les parties du ■* discours sont coordonnées, liées et assorties de manière qu'on

* avance toujours sur une même ligne de conceptions progressives :

* c'est un tissu de pensées et de sentiments qui se suivent et s'engen-

* drent, s'appellent et s'enchaînent, et forment un tout régulier.

* Chaque cliose est placée en son lieu; chaque vérité prépare, amène,

* Voyez le Guide de ceux qui aiinoiiceiit la iiarolc de Dieu, p. '259, 2C0. Fénelon, Lettre à l'Acadcmie.

lîO TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* appuie une autre vérité qui a besoin de son secours, et toutes con-

* spirant à conduire l'auditeur au but, l'y mènent par une liaison de

* pensées telle qu'on ne peut rien en ôter sans rompre la marche,

* rien en déplacer sans affaiblir la force ou déranj:^er l'harmonie du

* discours ^ Voilà ce qu'on appelle ï unité, ce caractère si essentiel à

* tout ouvrage d'art.

* Or, disons- nous, cette unité est requise pour toute bonne prédi-

* cation; et premièrement, l'unité de vue est nécessaire : car tout ce

* qui, dans un discours, ne va pas au but et ne fait rien au dessein

* que le prédicateur a se proposer, est un hors-d'œuvre. Fût-

* ce de vrais traits de génie, dès qu'ils ne vont pas au but, ils déparent

* l'ouvrage, en dérangent l'économie, semblables, dit Horace, à

* des bandes de pourpre cousues sans ordre les unes à la suite des

* autres, et rappellent la manière de faire du statuaire malhabile, qui

* réussit dans les détails et ne sait pas composer un ensemble^, ou

* celle du peintre ignorant qui joint au corps représenté sur sa toile

* un membre qui n'y revient pas. Ces pensées disparates distraient

* l'auditeur ; pour peu qu'il ait d'intelligence, il s'offense de ce qu'on

* lui fait perdre de vue le sujet principal ; et mécontent d'entendre

* ce qu'il sent qu'on ne devrait pas lui dire, ne voyant plus dans le

* prédicateur qu'un voyageur hors de sa route, qui oublie il veut

* aller, il n'écoute plus avec intérêt; le fruit du discours est manqué.

* Quand même ce qu'on dirait se rapporterait au but du ser-

* mon, cela ne suffirait pas encore ; il faut de plus l'unité de moyens

* dans le sens que nous l'avons expliqué. En effet, ce qui fait un bel

* édifice, ce n'est ni un grand amas de pierres et de matériaux, ni

* même la collection de plusieurs petites maisons rapprochées sans

* vue d'ensemble ; c'est la juste proportion de divers bâtiments en

* rapport les uns avec les autres et disposés dans le même dessein

* pour former un tout régulier. Ce qui fait une armée forte el capable

* de vaincre, ce n'est pas la multitude des soldats : s'ils étaient pêle-

* mêle et sans règle, ils s'embarrasseraient et se nuiraient muluel-

* lement . c'est le bel ordre dans lequel on les dispose, l'ensemble de

* la marche et des mouvements. Enfin, remarque Quintilien', ce qui

* Bossuet laisse souvent à désirer sur ce point : bien des morceaux , dans plusieurs de ses sermons, pourraient se retrancher sans que le discours cessât d'être complet.

2 Infelix opcris suinmâ, quià ponere totum

Nesciet. De Art. poet. s Lib. VI, in proœmio.

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. 171

* fait un corps luitnain fort et vigoureux, c'est l'union et la parfaite

* correspondance de tons ses membres. Mettez un membre à la place *d'un autre, vous n'aurez qu'un monstre; dérangez tant soit peu

* les muscles et les nerfs, ils ne feront plus leur fonction. Il en est

* de même du discours : ce qui fait sa force comme sa beauté,' cène

* sont pas de belles lirades disparates et sans liaisons; c'est le rapport

* intime et la convenance parfaite de chaque partie entre elles et avec

* le tout; c'est le placement bien entendu de chaque preuve, de

* chaque mouvement, de chaque pensée ; c'est la suite etl'enchaine-

* ment des idées qui se tiennent et se hent si bien les unes aux autres,

* qu'on n'en peut rien retrancher sans faire une lacune, sans couper

* dans le vif, si je puis ainsi dire : c'est l'ordre, en un mot ; et plus

* il y a d'ordre, plus le discours est parfait. Quiconque ne voit pas

* la grâce et la force de ce bel exemple n'a encore rien vu au grand

* jour, ditFénelon*. Si, au contraire, chaque vérité ne&t pas mise

* à sa place, si l'orateur dit au commencement ce qu'il ne devrait

* dire qu'au milieu ou à la fin, ou s'il finit par il devait commencer,

* s'il n'y a point de suite dans les idées, point d'ensemble, point de

* marche régulière, c'est un discours essentiellement mauvais; il

* manque d'unité, et l'unité, dit saint Augustin, c'est le principe et

* la forme de tout ce qui est beau : Omnispidchriludinis forma imitas

* est^. Sans elle, point d'ordre, et sans l'ordre, il n'y a que confu-

* sion et ténèbres.

De la manière de donner de l'unité à la prédication.

Pour faire une instruction qui réunisse l'unité de vue et l'unité de moyens, il faut, avant tout, se proposer une fin bien précise et net- tement désignée. Plusieurs prédicateurs seraient fort embari^assés pour répondre, si on leur demandait quel est le but tend leur sermon ; ils se sont proposé de remplir leur tâche, de com[)Oser un discours quelconque, et n'ont pas eu d'autre vue. l>e il résulte qu'ils errent à l'aventure, qu'ils parlent à tort et à travers, qu'ils frappent en l'air, faute d'avoir un but diriger leurs coups; et l'au- diteur ne voyant pas tend celle inslruclion, et l'on veut le mentir, écoute sans intérêt ou du moins sans i'ruil. « 11 faut donc, « dit saint François de Sales, bien se garder d'entrer jamais en « chaire sans avoir un dessein pailiculier d'êdiliir quelque coin des

Lettre à rAcadcniie. * I Episl. xviii.

l'2 TliAITÉ DE LA riŒDlCATION.

« aiiirailles do Jérusalem, » c'est-à-dire qu'on doit toujours se pro- poser une fui jtile au salut des auditeurs, comme l'extirpation d'un vice, la pratique d'une vertu, l'abolilion d'un abus, l'élablissement d'une bonne œuvre, et se dire à soi-même pour mieux préciser celte fin : Qu'est-ce que je veux obtenir de mes auditeurs? Quelles sont les réformes, les pratiques pieuses, ou la vertu spéciale que j'aspire à leur inculquer? Quelles dispositions, quelles résolutions désiré-je qu'ils remportent de mon discours? Et il faut que la réponse à ces questions soit bien nette dans l'esprit ; car si elle y est vague et con- fuse, on sera comme le voyageur qui se met en route sans savoir il va*.

Celte fm bien précisée, il faut : se tracer un plan propre à l'at- teindre ; 2'' remplir ce plan sans dévier du but ni déroger à l'ensemble.

DU PLAN^.

Sans plan ou avec un plan mal conçu, obscur ou indéterminé, l'unité est impossible : on peut assembler des phrases et des mots, mais il y a désordre et confusion : c'est un pêle-mêle d'idées jetées sans suite et sans enchaînement, parce que, ne les ayant pas subor- données entre elles, on ne voit pas la raison de placer l'une dans un endroit plutôt que dans un autre : mais avec un bon plan on forme sans peine un corps d'ouvrage tout se lie et se tient, toutes les raisons apparaissant chacune à sa place, claires et dis- tinctes, se prêtent une force mutlielle qui double leur effet, les mouvements bien préparés arrivent à propos, enfin la succession des idées qui naissent l'une de l'autre et l'ordonnance générale de tout le discours forment une éloquence de choses bien autrement

' M. de Bclley rapporte que S. François de Sales lui demandait souvent après l'avoir entendu, quel avait été son Lut particulier dans son sermon, et il lui recommandait de ne pas se borner au dessein y;énéral do convertir les pé- cheurs et de sanclilier les justes, mais d'avoir toujours un but particulier. « Vous « ne sauriez croire, ajoute M. de Belley, jusqu'à quel point cet avis est impor- « tant et combien de sermons bien travaillés sont inutiles faute de tendre à un « but particulier ; mais quand ou n'a qu'un but et que toutes les raisons et tous « les mouvements frappent là, l'impression est puissante et de nature à amollir « les cœurs les plus durs. »

On doit tenir pour certain, dit le P. Albert, qu'on ne fera jamais un bon sermon si l'on ne se dit à soi-même, avant de le commencer : Il faut que je persuade telle vérité : cotte intention est comme un cordeau qui conduit les preuves en ligne droite et empêche qu'on ne s'égare en choses inutiles.

- Voyez CéruUi, Discours sur l'intérêt d'un ouvrage. Féuelon, Lettre à l'Académie, § 4.

QUALITES DE LA PHEDICATION. 173

entraînante que celle des expressions ou de quelques morceaux isolés.

(le plan peut se faire de deux manières : ou par une division clai- rement énoncée, ou sans division. Les orateiiis anciens, les Pères de l'Église, les prédicateurs d'autrefois, pendant plusieurs siècles, s'abstenaient souvent de diviser leur discours : ils proposaient leur sujet et le conduisaient jusqu'à la fin sans en distinguer les parties. On doit les imiter en cela : 1" quand un seul point doit suffire pour tout le discours : car il est ridicule d'annoncer plusieurs points en se réservant de dire qu'on n'a pas le temps de les traiter: à quoi bon promettre à l'auditeur ce qu'on ne veut pas lui donner ? 2'^ quand la liaison des matières conduit assez l'esprit sans quil soit utile d'an- noncer le partage de ce qu'on va dire : il est bon même quelquefois d'en cacber l'ordre et l'barmonie, comme dans une homélie ou une exhortation ; 5" quand le discours doit être très-court, comme un compliment, une allocution, une petite liarangue : l'énoncé de la division, en ces circonstances, nuirait à l'effet, prouverait un esprit minutieux, un cœur froid.

Mais, hors de ces cas, il faut énoncer son plan à l'aide des divi- sions. L'usage constant en cette matière doit faire loi : s'en écarter, ce serait une singularité de mauvais goût, ce serait frustrer l'attente des auditeurs et les mécontenter. D'ailleurs, la pratique des divi- sions a les plus grands avantages : elle est utile au prédicateur pour aider sa mémoire, mais surtout pour le diriger dans sa composition : le génie a besoin d'être guidé dans sa route; la règle qui lui épargne les écarts le sert en le contraignant ; et il n'en est que plus ferme et plus grand lorsqu'il marche avec ordre, éclairé par la raison et le goût. La division n'est pas moins utile à l'auditeur : elle répand, dit Quiniilien*, une grande clarlè sur tout le cours du discours ; elh; sert à démêler les questions principales d'avec les questions iiundenles qui peuvent les obscurcir, et à faire ressortir les iàée§ mères auxquelles se rattacbent tous les détails; elle délasse l'esprit par les repos auxquels elle donne lieu et qui disposent à un renouvcllenieut d'attention ; elle ex(nle l'intérêt par h; désir ((n'elle

* Onil/oiii pluriinum liicis et fjralix coufurl. Neqne eniin soliini id cffieit ut clariora fiant qux ilicnntiir, reluis veliit ex tiirbû cxlrarlix; scd rr/icil f/iioqiie audtciitcDi ccrlc .shifjiila/ luii parliidii fine, non alitrr fjnani /'(tricntihns jirr. miil- tiim dctraliHut pUiii'ilionin noliila in)icri]iHs liip/diliiis Sjiatii/. Màni et cilirinsti laboris nusse ineuHuruni voliiptati est, et Iwrtniiir ad rctiiina fortins c.vrqurnda scire quantnm supersit. Oui ni il., lil). IV, c. v.

174 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

inspire de voir coimnenl le plan annoncé sera rempli : enfin, dit saint Charles, c'est \\n fait d'expérience, que tous conçoivent ei re- tiennent phis aisément un sermon dont les parties sont bien distinc- tes : sachant l'on veut les conduire, ils suivent le discours avec plus de plaisir, et en retirent un plus grand fruit. Aussi est-il digne de remarque que, quand le sujet du discours est une proposition composée, ou, ce qui revient au même, quand l'orateur doit établir plusieurs propositions, comme cela se l'ait dans la plupart des ser- mons, tous les orateurs anciens et modernes, sacrés et profanes, énoncent les divisions, malgré leur usage habituel de les supprimer, comme on le voit dans les discours de Cicéron pro Milone^, pro Ar- cliiâ poetd^, pro lege Maniliâ^, pro Murenâ'', dans la harangue de Démosthènes contre Aristocrate, dans plusieurs discours de saint Jean Chrysostome, de saint Basile et de saint Grégoire de Nazianze ; d'où il suit combien est fausse l'assertion de quelques auteursmodernes qui prétendent ({ue ia méthode des divisions a été inconnue aux an- ciens et n'est qu'une invention de la scolastique. Celle-ci, à la vé- rité, les a rendues plus communes, mais elles existaient longtemps auparavant.

Fénelon objecte que ces divisions avec pause entre chaque partie dessèchent et gênent le discours, brisent Taclion de l'orateur et l'effet qu'elle doit produire, ôtent l'unité et forment comme deux ou trois discours différents. Nous convenons qu'il est des divisions vicieuses qui peuvent produire ces mauvais effets ; qu'il fut même un temps l'abus en ce genre était porté jusqu'au ridicule ; mais de l'abus des divisions conclure qu'il faut les supprimer toutes, c'est un sophisme que Fénelon réfute par son propre exemple, puisqu'il a divisé son sermon pour l'Epiphanie et son beau discours pour le sacre de l'électeur de Cologne. 11 faut en conclure seu- lement qu'il faut bien connaître et bien observer les règles de la division .

Ces règles peuvent se réduire à cinq, également applicai)les aux subdivisions comme à la division elle-même.

La division doit être claire : car on l'emploie pour répandre la clarté sur tout le discours; et comment la répandrait-elle si elle n'était pas claire elle-même''? Elle doit donc être conçue en termes si nets et si précis, présenter avec tant de lucidité le partage du dis-

1 C. 2. 2 G. 2. 3 C. 2. * G. 5. » Qyjj turpius quàm id esse obscurum ipsum, quod in eum solum adhibetur usum, ne sint cœtera obscura? Quint., lib. IV, c. V.

QUALITES DE LA PRÉDICATION. 175

cours, que même .es esprits bornés le saisissent et que personne ne puisse s'y niépi endre.

2" Elle doit être just'»; c'est-à-dire qu'elle doit embrasser toute l'étendue du sujet ni plus ni moins, qu'un point ne doit pas rentrer dans l'autre, que les diverses parties doivent se rapporter à un tout de manière à former cette unité qui fait goûter la proportion des parties ; que même, autant que possible, le premier point doit être un degré pour monter au second, et celui-ci doit confirmer l'autre et enchérir, de sorte que l'intérêt aille toujours croissant. Si les partitions ne sont pas bien tranchées, si les membres rentrent les uns dans les autres, en sorte que le prédicateur soit obligé de re- venir sur ce qu'il a déjà dit, la confusion se met dans le discours, et l'auditeur, rebuté de voir reparaître les mêmes idées, refuse son attention. Ce serait s'exposer à manquer à celte justesse que de vou- loir diviser son discours toujours en deux points ou toujours en trois. Il ne faut pas être esclave de ce nombre, m^is s'en tenir aux parties indiquées par la nature du sujet. On trouvera dans les Passions de Bourdaloue et de Massillon de beaux exemples de la justesse dont nous parlons.

La division doit être courte, mais féconde. Car si les points de la division n'étaient pas proposés brièvement, il serait difficile de les retenir; et s'ils étaient trop nombreux, par exemple quatre ou cinq, on ne les traiterait pas assez à fond, ou l'on ferait un sermon trop long et on disperserait l'attention sur une surface trop étendue. Il en serait de même pour les subdivisions. Multipliées, elles nuiraient aux mouvements oratoires, et rendraient le discours sec et trop di- dactique; on serait toujours dans les énoncés, et rien ne serait poussé ni développé ; elles ennuieraient l'auditeur et embarrasse- raient sa mémoire, rapetisseraient le sujet au lieu de l'agrandir, l'obscurciraient au lieu de l'éclaircir et amèneraient les inconvénieiits qu'on veut prévenir en divisant : In eamclem obscur i la U>m incidunt contra qiiam partitio inventa est, dit Quintilien^ Enfin, elles ôte- raient au sermon sa force et sa majesté ; ce qu'on hache trop se ré- duit à rien, et ces pai ties tant subdivisées ne seraient plus les mem- bres entiers d'un corps de discours fort et vigoureux, ce n'en seraient que des morceaux coupés et comme disséqués. Auctorituti plurimùm detrahunt illa non menibra, sed frusta, dit encore Quintilien®. Si donc beaucoup de subdivisions semblent naître du sujet, il faut ou

» Lib. IV, c. V, 2. ^ Ibida^

17S TRAITE DE LA PREDICATION.

les fondre dans le discours comme preuves ou appendices des subdi- visions énoncées, ou, si cela ne se peut, les omettre tout à fait. Ce- pendant, dans leur brièveté, les divisions et subdivisions doivent être fécondes. Car si l'on se resserrait dans de petits aperçus, l'élo- quence serait bientôt à sec. 11 faut donc prendre des sujets vastes ; mais, toutefois, pour ne pas embrasser trop de matières, ce qui met trait dans la nécessité d'effleurer les choses sans les approfondir, il faut se borner aux rapports les plus utiles, et leur donner les déve- loppements convenables.

4" La division doit être simple, soit en elle-même, soit dans son énoncé : en elle-même, c'est-à-dire qu'il ne faut point rechercher les plans extraordinaires; les plus communs, étant les plus naturels, sont les meilleurs. C'est plus dans la manière de remplir un plan que dans le plan lui-même que se montrent le talent et le génie. D'ailleurs, dédaigner les plans communs et les roules battues, c'est imiter le voyageur qui abandonne la route publique pour se jeter dans des sentiers écartés. 2" La division doit être simple dans son énoncé : c'est-à-dire qu'il faut éviter ces divisions par antithèses re- cherchées, par répétitions étudiées, par symétries savamment arran- gées qui retournent en mille manières les points du sermon, et énon- cer sa division le plus simplement possible pour bien fixer l'esprit de l'auditeur sur le sujet à traiter, sans l'en distraire par un vain jeu de paroles, par une affectation puérile de répéter la même chose en trois ou quatre manières différentes.

La division doit être pratique ; c'est-à-dire qu'en général les membres de la division doivent montrer ce que nous devons faire ou ce que nous devons éviter ; de sorte que l'auditeur, en retenant seu- lement la division, sache le fruit qu'il doit retirer du sermon. Nous verrons dans la première partie du second livre la manière de rendre pratiques les divisions sur toutes sortes de sujets ; et l'on comprend ja raison de cette condition, c'est que la pratique est l'essentiel, c'est la seule chose qui sauve.

Le plan sans division doit avoir à peu près les mêmes caractères que la division elle-même, il doit être clair, c'est-à-dire qu'il faut disposer toutes les parties du sujet, de manière qu'on saisisse d'un coup d'oeil leur ensemble et leurs rapports, les séparant sans les iso- ler, les assemblant sans les confondre et donnant à chacune la place qui lui revient. 11 doit être juste, c'est-à-dire embrasser le sujet dans toute son étendue, mais sans aller au delà, ne rien omelti'o de ce qui lui est propre comme n'y rien mêler d'étranger. 11 doit être

QUALITÉS DE LA PRÉDICATION. l''^

fécond, c'est-à-dire oiïrir à l'orateur une grande abondance de pen- sées. Ce doit être comme un beau point de vue du haut duquel le voyageur découvre mille objets qui le ravissent. Il doit être simple, c'est-à-dire que tout le sujet doit se réduire à un petit nombre de pensées ou de propositions générales qui l'embrassent tout entier.

Ces diverses qualités du plan, comme celles de la division, se sai- siront beaucoup mieux en les appliquant à quelques discours, par exemple au sermon de Massillon sur la vérité de la religion ou sur la Passion, au sermon de Bourdaloue sur la loi chrétienne ou à celui de Terrasson sur la pensée de la mort. On peut dire qu'en général Bourdaloue et Massillon sont remarquables par la perfection de leurs plans et de leurs divisions : on ne peut que profiter beaucoup en les étudiant. Le premier a même dans ses Pensées plus de vingt plans excellents non remplis, que tout prédicateur peut s'approprier et remplir à sa manière.

On peut tirer ses divisions, tantôt de l'Écriture sainte, et c'est la meilleure source, parce qu'alors elles ont l'autorité de l'esprit de Dieu dont on ne fait que commenter les divins enseignements ; tantôt des écrits des Pères : l'autorité de ces hommes éminents leur donne un très-grand poids ; tantôt enfin du fond même du sujet, d'après les indications que nous donnerons dans la première partie du ssM^ond livre: ainsi, si l'on parle d'une vertu, on peut prendre pour division : Motifs et moyens de la pratiquer ; si c'est un mystère, Excellence du mystère et fruits qu'on en doit tirer : si c'est une action ou une œuvre à recommander, Motifs de faire cette œuvre, manière de la faire.

2" DE LA îIANILrE DE P.EMl'LU; LE PL.VN.

Le plan une fois tracé, il faut, choisir avec discernement les pensées propres à le remplir et n'y admettre que celles qui vont droit à la fin qu'on se propose. A mesure qu'elles se présentent à l'esprit dans !a méditation préparatoire du sujet, il faut, si je puis ainsi dire, leur demander ce qu'elles feront pour cette fin. Et si elles ne vont pas au but, ou n'y vont que par des voies détournées et tor- tueuses, obscures et difficiles à suivre, il faut les rejeter sans pitié. Si, au contraire, elles semblent convenir, il faut en prendre note, afin de les conserver; ce sont pièces de bon aloi. Le prédicateur continue ainsi son travail, toujours les yeux fixés sur la (in cpi'il se propose pour y ajuster tout son discours ; et comme un hiibile tireur qui ne perd [n\s de vue le but il vise, souvent il se redit : Voilà

U

178 TRAITÉ DE LA TREDICATION.

je veux amener mes auditeurs; quel effet peut produire pour cela telle considération : Quid hoc ad salutem animarum ? Après qu'il a ainsi rassemblé toutes ses pensées, il les repasse en revue, il les dis- cute, il examine s'il ne lui est point échappé quelque raisonnement, quelque réflexion qui ne se rapporte pas au but ; et dès qu'il l'a reconnu, quelque spirituel que le trait lui paraisse, il on fait le sacri" flce en dépit de Famour-propre : par jamais il ne divague, et va toujours droit il faut aller, se tenant constamment dans les limites du chemin qui y conduit. Si le sermon a plusieurs parties, par exemple si c'est une instruction sur la pénitence ainsi divisée : Il faut faire pénilence, il ne faut pas différer la pénitence, il faut que la pénitence soit rigoureuse, l'orateur, discernant ces trois points de vue, ne dira rien dans la première partie qui se rapporte à la promp- titude ou à la rigueur de la pénitence, rien dans la seconde qui se rapporte à la nécessité ou à la rigueur de cette pénitence, et enfin rien dans la troisième qui ait trait à sa nécessité ou à sa promptitude ; autrement il perdrait de vue son but, ses preuves ne seraient pas ad rem.

Ce n'est pas assez que toutes les pensées aillent toujours clai- rement au but, il faut encore les coordonner ensemble; c'est ce qu'Horace explique parfaitement par ces vers :

Ordinis hxc virtus erit, et venus, aitt ego fallor, Ut jàin mine dicat jàni nunc debentia die!, Pleraque différât, et prsesens in tempus omittat * .

Une pensée placée après telle autre qui y prépare les esprits et lui iriénage en quelque sorte bon accueil, fera un excellent effet; la môme pensée, jetée tout à coup à l'auditeur sans aucune précaution qui l'y dispose, sera mal venue, et mécontentera ou ne fera aucun bien. Une preuve qui dite d'abord n'aurait paru rien, deviendra dé- cisive si vous la réservez pour un autre endroit l'auditoire sera préparé par d'autres considérations à en sentir toute la force; sou- vent même un mot qui a trouvé heureusement sa place, y met la vérité dans tout son jour ; tant il est important de bien coordonner toutes les parties du discours, afin qu'elles marchent avec ensemble vers le but comme une armée aux rangs serrés et en bel ordre de bataille. Mais pour déterminer ainsi la place précise de chaque chose, il faut être bien maître de sa matière, avoir tout vu, tout pénétré, tout embrassé, savoir discerner le premier anneau de cette chaîne de

* De A: L. p 'cl., X1.I, xLiv,

QUALITÉS DU PRÉDICATEUR. 179

preuves,'de raisons, de sentiments, puis le second anneau qui sou- tiendra le premier et auquel le premier aura préparé les esprits, et ainsi de suite jusqu'à la fin, de sorte que toutes les preuves et tous les sentiments s'entr'aident pour faire impression, que le discours aille toujours croissant et que l'auditeur sente de plus en plus le poids de la vérité. L'ordre même dans lequel on remue les passions n'est pas indifférent ; il faut commencer par celles qu'on peut exciter d'abord plus facilement et qui peuvent servir à émouvoir les autres ; de on passe à celles qui peuvent produire les plus grands effets et par lesquelles il faut terminer le discours.

Les diverses parties du discours ainsi coordonnées, il faut les lier entre elles par des transitions naturelles ^ Sans cela le discours pa- raîtrait décousu, composé de pièces et de morceaux qui, rapprochés, ne s'unissent pas, se succédant ne se suivent pas et ne font jamais un tout. Ces transitions ne doivent point être un simple rapproche- ment de mots, mais une suite dans le raisonnement ou le sentiment, ménagée avec tant d'art qu'on n'y aperçoive ni effort ni intention de faire une liaison. Ce doit être une connexion naturelle telle, qu.î 'es idées s'appellent, se correspondent, semblent naître les unes des autres et s'unir par leur simple développement sans des rapports péniblement combinés, comme les pierres bien taillées, dit Cicéron, s'unissent sans le secours du ciment. Alors les transiiions sont à peine sensibles, et le discours ressemble à ces ouvrage d'art, fondus d'un seul jet, l'œil cherche en vain le point d'union des parties qui le composent. Pour atteindre ce secret de l'art oratoire, il faut bien étudier les rapports qui unissent entre elles les différentes parties du discours ; et si l'on ne peut pas i éussir à trouver de bonnes transitions, il vaut mieux s'en passer; les mauvaises dépai^ent le discours au lieu de l'orner.

CHAPITRE V

Des (jualâtéK «lu prédicateur.

Le ministère de la chaire, pour être à toute lia hauteur de son excellence, demanderait un assemblage de qualités qui se trouve ra-

* Voyez le P. Albert, III" part., c. vu et vm.

180 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

rement dans un seul homme. Tout ce que peuvent et doivent faire ceux qui en sont honorés, c'est de tendre sans cesse à perfectionner la mesure de moyens naturels et surnaturels que Dieu leur a donnés, en s'humiliant tous les jours d'être si éloignés de ce qui devrait être un ministre de la parole sainte. Afin de les diriger dans ce travail de perfectionnement, nous traiterons ici des qualités principales qui doivent distinguer un prédicateur vraiment digne de ce nom, et nous les réduirons à sept, savoir : la mission légitime ; la pu- reté d'intention ; la vie sainte et exemplaire; le zèle; 5" l'es- prit d'oraison ; 6" le talent ; la science.

* ARTICLE I«^

' DE LA MISSION LEGITIME *.

* Un prédicnteur n'a droit de prêcher qu'autant qu'il y est auto-

* risé par l'évêque du diocèse, lequel subordonne ordinairement sa

* permission à l'agrément du curé du lieu doit se faire la prédi-

* cation. C'est ce qu'on appelle la mission légitime, et saint Paul *nous en démontre la nécessité quand il dit aux Romains : Quomodo * prsedicabunt nisi mittantur^^. Paroles qui ne sont que counne

* l'écho de celles que fit entendre autrefois le Seigneur, parlant au

* prophète Jérémie : Cùm non misissem eos, nihil profuerunt popido *hinc''. Cette nécessité d'ailleurs est fondée, sur la subordination

* hiérarchique ; car, supposons pour un instant que chacun puisse

* aller, malgré les évêques et les curés, prêcher dans tous les dio-

* cèses et toutes les paroisses ; l'Église ne présenterait plus que *rimage hideuse du désordre et de la confusion; chacun pourrait

* convoquer les peuples à son gré, prêcher la doctrine qui lui plai-

* rait ; et les évêques dépouillés du droit d'accorder ou de refuser la

* mission, selon qu'ils jugent que le bien spirituel de leurs diocésaiiiS

* l'exige, ne pourraient plus remplir les devoirs que leur impose le

* double titre de gardiens de la foi et de pasteurs des âmes. La né- *cessitè de la mission est fondée, sur la nature même de la pré-

* dication ; car la prédication , étant une légation , ainsi que

* nous l'avons établi dans le premier chapitre, suppose qu'on est

* envoyé légitimement; or on ne peut être envoyé légitimement

* que par ceux que Dieu a revêtus de son autorité pour le gouver-

* Voyez Pastoral de Limoges, t. II, I" part., lit. ra, c. i. ~ *Rom., x, IT).— c iérém., xxiii, 52.

QUALITÉS DU PRÉDICATEUR. 181

* iiement de son Église, puisqu'il n'y a plus aujourd'hui de mission

* immédiate comme au temps des apôtres et des prophètes.

* De ce principe il suit, qu'on doit aller prêcher partout *Dieu envoie par l'organe des supérieurs, sans donner pour excuses *les défiances que la pusillanimité suggère. C'est alors que le prêtre *doit dire: In verho tuo laxabo rete^, et compter sur les divins

* oracles: Vir obediens loqiietar victorias-. Si Dominus magmis vo- *hierit^ spiritu intdligentix replebit illum'^. Veni et mittam te...

* Ego ero tecum''. Il suit, 2" qu'il ne faut point cheicher à prévenir *le choix des supérieurs par des sollicitations directes ou indirectes

* que trop souvent Taniour-propre inspire, mais at'endre et suivre

* l'indication de la Providence. Il suit, 5" que si l'on a le choix entre

* plusieurs chaires, sans que les supérieurs veuillent prononcer, il *uiut choisir celles l'on juge que la prédication sera plus ulile, et *non point celles l'on espère obtenir soit plus de réputation, soit *plus d'émoluments. Une mission divine, telle que celle du prédi-

* cateur, ne doit point prendre sa source dans la vanité ou l'avarice,

* mais uniquement dans l'intérêt de la plus grande gloire de Dieu et

* du salut des âmes.

* ARTICLE 2.

* DE LA PURETÉ d'iNTFNTIOS ^.

* Celui qui enseigne dans l'Église, dit saint Prosper, doit se pro-

* poser pour fin spéciale de rendre meilleurs ceux qui l'écoutent:

* Hoc specialiter doclor ecdesiasticus elaboret, quo fiant qui andiunt *eîim, meliores, non vanâ assentatione faiitores^. Son but doit être

* d'amener l'auditeur, non pas à battre des mains d'admiration et

* de plaisir, mais à se frapper la poitrine de douleur et componction,

* à rentrer dans sa conscience sans penser au prédicateur, à aimer

* uniquement Dieu qui l'a fait pour lui seul, et Jésus-Christ qui l'a

* racheté au prix de son sang ; voilà le noble et unique mobile qui *doit diriger l'orateur sacré. Mais, d'un autre côté, l'éclat de cette

* fonction, la réputation qu'elle peut donner, l'ostime, les louanges,

* la confiance publique qui accompagnent le succès, ont une telle

* puissance de séduction sur le cœur humain, qu'il est à craindre

' Luc, V, 5. - l'rov., xxi, 28. ' Eccli., xxxix, 8. * l'xod ..i, ri.

* l'iistoral de Liu.o-es, t. II, 1'° part., 5, c. i. Le 1». Albert, II" part., c. xv.— Grenade, liv. I, c. viii. ^ De Yità conlemplalivà, iib. I, c. xxiii.

482 TRAITE DE LA PRÉDICATION

* que l'amour-propi-e ne s'empare de l'intenlion du prédicateur et

* ne devienne comme l'âme de son ministère.

* Et cependant quoi de plus contraire aux exemples de Jésus-

* Christ et des apôtres? Ilonorifico patrem memn... disait le Sau-

* veur : ego non quxro gloriam meam *... Et saint Paul disait au nom

* de tous les apôtres : Nous prêchons, nonpas pour plaire aux hommes,

* mais à Dieu : Non quasi hominibus placentes, sed Deo qui probat

* corda nostva^. Nous ne cherchons ni à flatter, ni à gagner des

* biens temporels * ni à nous attirer la gloire et l'estime des

* hommes: Neqiie enim fiiimus in sermone adulationis, neqm in * occasione avaritix, nec quxrentes ab hominibus gloriam^. Nous ne *nous prêchons pas nous-mêmes, mais Jésus-Christ: Non nosmet-

* ipsos prœdicamiis , sed Jesum Christum * ; c'est-à-dire , suivant

* Tinterprélation de saint Thomas, nous ne rapportons pas nos prè-

* dications à notre gloire ou à notre intérêt, mais à la gloire de Jésus-

* Christ. Nous prêchons en toute sincérité, comme parlant delà part

* de Dieu, en sa présence et dans l'esprit de Jésus-Christ: Ex since- * ritute sicut ex Deo, coram Deo, in Christo loquimur'". Telle est

* l'excellente et très-parfaite pureté d'intention avec laquelle ont

* prêché Jésus-Christ et les apôtres ; tel est l'exemple donné aux pré- *dicateurs de lous les siècles : mais celui qui porte dans la chaire

* sacrée des vues d'omour-propre et de vanité, fait tout le contraire;

* il se constitue en opposition formelle avec le divin fondateur de *la prédication, avec tous les apôtres, et c'est son premier

* désordre.

*Le second, c'est qu'il fait à Dieu un outrage direct. Si un prince

* envoyait un de ses officiers pour calmer une révolte, et que celui-ci, *au lieu de rallier à son souverain les sujets insoumis, se fit lui-

* même le chef de la rébelUon et les ralliât à sa personne ; si un am- *bassadeur, chargé de traiter pour son roi d'un mariage avec une

* princesse étrangère, en traitait pour lui-même, ce seraient-là sans

* doute des crimes de félonie et de lèse-majesté au premier chef : or,

* tel est exactement le crime du prédicateur qui prêche par vanité. II

* est l'envoyé de Dieu pour lui ramener les cœurs des hommes re-

* belles à sa loi sainte ; et au lieu de gagner ces cœurs à Dieu, il se

* révolte contre Dieu par son amour-propre et ne songe qu'à se les

* gagner à lui-même. Il est le délégué de Jésus-Christ, chargé de

* dire aux âmes que ce divin Sauveur les demande pour épouses,

» Joann., vm, 49 et 50. ^ I Thess., ii, 4. ^ j Tli«s.. ii, 5. ♦!! Cor., IT, î>. " II Cor., u, 17.

QUALITÉS DU PRÉDICATEUR. 183

■*et de presser ce saint mariage : et voilà qu'il ne travaille qu'à se

* faire aimer lui-même de ces âmes. Traître coupable et malheu- *reux! s'écrie saint Chrysostonie: Miser et infclix proditor^ , il

* profane la sainteté de son ministère : semblable à Judas qui,

* dans l'exercice de son apostolat, se proposait pour lin un gain sor-

* dide : Fur erat et loculos habens ^, lui se propose l'intéiêt non moins

* méprisable d'un fol orgueil. Comme ces faux apôtres dont parle

* saint Paul, pseiido-apostoli, operarii suhdoli, Irmisflgurantes se in * apostolos Ckristi' ; quidam per invidiam et contentionem prxdi- *C(mt'*^ il abaisse la grandeur de sa mission jusqu'aux petitesses de *i'amour-proj)re; il s'en sert pour faire penser à lui et conquérir

* quelque fumée de louange, appliquant ainsi à la satisfaction de sa *vanité les talents que Dieu lui avait donnés pour sauver les âmes ;

* crime dont le Seigneur se plaint, dit sain! Bernard^, par ces paroles

* du Prophète : Je leur ai donné mon or et mon argent, et ils l'ont fait

* servir au culte de Baal. Ainsi il corrompt et avilit la divine parole *en l'employant, non à engendrer des enfants à Dieu, selon le dessein

* qu'avait eu Jésus-Christ en la lui confiant, mais à engendrer des

* louangeurs de sa personne, des admirateurs de son mérite; ce qui *cst, selon saint Grégoire, une espèce d'adultère: Adiilterare ver- *bum Dei est ex eo non spirituelles fructus quxrere, sed adulterinos "^ fœtus laudis humansô^ ; et c'est le sens que donne le saint docteur

* à ces paroles de l'Apôtre : Non sumus sicut plu7imi adultérantes

* verbum Dei '' Enfin, le prédicateur vaniteux fait encore à Dieu un

* autre outrage : c'est que, si quelques âmes sont touchées en l'en-

* tendant, il s'en attribue la gloire et s'arroge ainsi un mérite qui ne

* convient qu'à Dieu. Car si l'homme peut planter et arroser, Dieu

* seul fait croître ; si l'homme peut frapper les oreilles, Dieu seul

* change les cœurs : à lui seul, par conséquent, appartient l'honneur

* de la conversion : Soli Deo honor et gloria.

* Mais il y a dans l'amour-propre du prédicateur quelque chose *de pire que l'injustice. Que dirait-on d'un père qui, accouru pour *sauver ses enfants de quelque grand péril, se préoccuperait "moins de leur délivrance que du jugement des spectateurs sur le ^plus ou moins de grâce dans sa manière de faire, et se consolerait

* aisément de l'inulililè de ses efforts, pourvu qu'on louât son

* Homil., XXX, ad popul. -^ - .Io;iiiii., XII, G. "'lICor.,xi, \'>. *!'liil., i, 1."). •> Iii Canlic, serin xli. "^ Mural., lib. .\VI, 2b. el lih. XXIII, c. xii. "> II Coi-., II.

•If^'t TRAITE L)K LA ITmiDTCATION.

* adresse? Sans doute toui le monde crierait à l'inliumaiiité ; et

* cependant c'est l'image, encore bien adoucie, de celui qui prê-

* elle par amour-propre. Tère de son peuple, accouru pour arracher

* ses enfants à l'enfer, il songe moins à leur salut qu'à sa vanité ; *sa pensée dominante est de se l'aire estimer, et il sera content *si 1 on dit qu'il a bien prêché, quoique personne ne se soit con-

* verti .

*Une telle conduite lui fait à lui-même le plus grand tort : car,

* après s'être donné, pour composer un sermon, l'apprendre et le

* débiter, une peine qui aurait pu lui mériter une belle couronne *dans le ciel, il en perd tout le fruit en le sacrifiant à la vanité. II

* fait de sa prédication même un péché digne des châtiments de la

* justice divine; et semblable à la lampe qui se consume en éclai-

* rant les autres, il trouve sa perte dans les choses mômes il pro-

* cure le salut des auditeurs. Peut-être, par un sévère jugement de *Dieu, il obtiendra la gloire et les éloges qu'il ambitionne; mais

* cette réputation, à laquelle il sacrifie de si grands intérêts, est

* plutôt une ignominie qu'une gloire, car il perd la réputation ho- *norable d'être un homme de Dieu qui touche les cœurs, et il n'ob-

* tient que le triste )'enom d'être un rhéteur qui flatte les oreilles :

* il perd la réputation d'mi prêtre humble et sans prétention, et il

* obtient la honte attachée à la vanité qui se montre. Voilà devant *Ies hommes le fruit de l'amour-propre satisfait ; mais devant Dieu

* c'est bien autre chose : l'orgueil enfle le cœur de ce prédicateur à

* prétention; il lui ferme la porte des grâces, et devient pour lui *un piincipe de chute et de péché : Initium omnis peccati sii- *perbia'-.

*A tant de raisons, ajouterai-je que l'amour-propre suffit seul

* pour paralyser tout l'efi'et de la prédication? Pour qu'une pré- *dication soit utile, il faut : la bénédiction du ciel, puisque *la conversion des cœurs ne peut être que l'ouvrage de la grâce; *2" la bienveillance des auditeurs, poui- qu'ils écoutent favora- *blement; 3" un discours propre à les édifier. Or, l'amour-propre

* exclut ces trois conditions de succès : 11 éloigne les bénédic- *tion3 du ciel ; on ne les aura, ni pour traiter dignement les mys- *tères, puisque les lumières divines qui en révèlent l'excellence, *la grâce et les vertus, sont réservées aux humbles et refusées aux

Eccli., X, 15.

QUALITÉS DU PRKDICATEUr,. 183

* orgueilleux ' ; ni pour loucher les cœurs, puisqu'il est écrit: *Deus siiperbis resistit, humilibus autem dut gratinm^; ce qui *veut dire que les humbles peuvent espérer une bénédiclion

* abondante sur leurs prédications, mais que les orgueilleux auront

* Dieu contre eux, loin d'en pouvoir espérer assistance : « C'est

* (i vous, » écrivait saint François Xavier à un prédicateur qui se

* recherchait lui-même et briguait la réputation d'homme d'esprit, *ft c'est vous qui êtes cause que Dieu est privé d'une partie de sa

* (( gloire; c'est vous qui êtes cause que les âmes dont le soin vous

* « a été condé ne reçoivent qu'une faible partie dos fruits abon- *(( dants que vous étiez appelé à leur procurer. Oh! combien de

* « dons célestes qui étaient sur le point de couler sur elles, et que

* « vous avez arrêtés par cela seul que vous n'êtes pas tel que vous

* « devriez être. » 2" L'amour-propre éloigne la bienveillance *des auditeurs. Celui qui affecte de montrer de l'esprit se fait mé-

* priser : Odibilis coram Deo et hominibns svperbia'\ On n'est pas

* disposé à le croire, et on cherche des subterfuges pour résistera *ses raisons, parce qu'il n'en paraît pas touché lui-même. Affcrt

* andientibus , dit Quintilien, no7i fastidhim modo, scd et odium'*.

* 3" Sous l'inspiration de l'amour-propre, on ne fait pas un discours

* propre à édifier : on commence par choisir le sujet l'on espère

* faire briller son esprit et on laisse celui qui pourrait être plus

* utile aux auditeurs : on n'a pas à cœur de les instruire, dit saint

* Grégoire : Non illos appétit eriidire, sed se ostendere,nec intuetur

* quàm justi qui audiunt fiant, sed ipse quàm doctus, ciim avditiir,

* appareat^. On semble avoir adopté la maxime d'Éliu, cet ami de

* Job, qui disait : Audite, sapientes, verba mea; et, enidÀti, auscul-

* tate me^ : Ce n'est pas pour des ignorants que je parle; vous qui

* êtes savants et pouvez comprendre ce que je dis, écoutez-moi ; et

* en conséquence on délaisse le pauvre sans lui donner une instruc-

* tion à sa portée. Chose afligeante ! Lors môme qu'on prendrait un

* sujet utile, la vanité empêche de le traitei' d'une manière profita-

* ble ; car l'amour-propre songe plus à être brillant qu'à être clair,

* à se faire remarquer par la singularité de son genre qu'à se faire

* comprendre par un langage simple et naturel. Les preuves com-

* numes lui déplaisent comme trop vulgaires, et les raisonnements

' ConliU'or tibi, l'alcr, Domino cœli cl terne, quià aliscoiidisti Iircc à sapien- tibus et. iiriuleiililjns, et rovcliisti ea jiarvnlis. Matlli., xi, 2r>. '^ I l'etr., \. 5. .lac. IV, C. '■ Kccl., X. ■» l,ih. il, c). 1. ■■' S. C.rc-., Do Mural., lib. XXIV, viu. •= Job., xxxiv, '2.

186 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* subtils obtiennont la préférence comme plus neufs et plus piquants.

* xVinsi l'on parle à des gens simples comme si c'était à des hommes

* doctes ; et pour comble de malheur, l'affectation du ttyle, la mul-

* tiplicité des figures, ôtent toute chaleur et toute onction au discours.

* Ajoutez à cela que l' amour-propre met dans la prononciation, le

* geste et le débit, un faste, un air de prétention et de suffisance

* qui ôteraient au meilleur sermon tout son effet ; et ainsi la prédi-

* cation se trouve entièrement paralysée.

*Du principe que nous venons d'établir, nous pouvons déduire

* plusieurs conséquences importantes pour la pratique.

* Les prédicateurs doivent méditer souvent ces avis de saint

* François Xaxier au P. Barzée^ : « Comme j'entends de toutes

* (( parts, lui dit-il, faire l'éloge de vos prédications, je tremble qu'à

* « force de plaire à tout le monde, vous ne cessiez de vous déplaire

* ff à vous-même : humiliez-vous sans cesse dans vos succès en en "* « rapportant la louange à Dieu, unique auteur de vos talents quels ■* « qu'ils soient et de tout le profit que vos auditeurs en tirent. Rien

* « ne vous appartient en propre dans ce ministère que les fautes

* ({ que vous y mêlez ; croyez que si Dieu donne à vos discours force

* « et lumière, quoique vous en soyez indigne, c'est une faveur ac-

* « cordée, non à vos mérites, mais aux prières de l'Église et à

* « la piété du peuple. N'oubliez pas que vous rendrez à Dieu un

* « compte très-sévère de ce don qui vous a été confié pour l'avan-

* « tage des autres... Comparez le fruit de vos prédications avec le

* « fruit bien plus abondant qui en résulterait, si vous ne mettiez pas

* « obstacle aux desseins de la divine bonté par vos péchés journa-

* (( liers... Plein de ces pensées, plus on vous élèvera, plus vous de-

* « vez vous abaisser profondément... Je vous en supplie, appliquez-

* (( vous sans relâche à ces exercices du mépris de vous-même : si

* « vous veniez à les négliger ou à les interrompre, j'aurais tout à

* « craindre pour votre salut. Piappelez-vous tant de prédicateurs

* « qui, après avoir prêché les autres, sont devenus des réprouvés,

* « par cela seul qu'ils manquaient d'humilité ; ils prêchaient élo-

* « quemment, admirablement ; ils ont converti grand nombre de

* « pécheurs, et après avoir servi d'instruments aux miséricordes

* « du Seigneur, ils ont été précipités dans les feux éternels, parce

* « qu'ils se sont attribué la gloire due à Dieu seul. Dressant leur

* Voyez le Guide de ceux qui annoncent la parole de Dieu, p. 511 et suiv Voyez le même sujet, par S. François de Borgia, il/id., p. 202, et par le P. Aqua- viva, il>!cl., p. 2.bô.

QUALITES DU PREDICATEUU. 487

* « tête superbe, ils ont rencontré les foudres que Dieu lance contre

* « ceux qui s'élèvent... Pour prévenir ce malheur, calculez ce qui,

* « dans vos prédications, appartient à Dieu, et ce qui vous appar-

* « tient à vous-même ; alors vous ne trouverez pas de quoi vous glo-

* « rifier, mais abondamment de quoi trembler et vous humilier, s

* 2" Avant, pendant et après la prédication, il faut se tenir conti-

* nuellement en garde contre l'amour-propre : il est aussi difficile

* de n'en point subir les influences, que facile de se le dissimuler

* à soi-même. Saint Grégoire le Grand dit de lui-même, dans le der-

* nier chapitre de ses Morales : « Si je rentre dans mon cœur pour

* « examiner l'intention qui m'a porté à composer cet ouvrage, je

* « vois que je l'ai entrepris dans la vue de plaire à Dieu ; mais je

* « reconnais en même temps qu'il se mêle quelquefois à cette pre-

* « mière intention d'autres vues moins pures, et un certain désir

* « de la gloire humaine, qui s'empare de mon esprit comme un

* « voleur qui se jette à l'improviste sur le voyageur au miheu de

* « son chennn. » Cet exemple d'un si grand saint apprend aux pré-

* dicateiu^s combien ils doivent se tenir en garde contre ce dange-

* reux ennemi. Jamais ils ne doivent se permettre un mouvement,

* une phrase, un mot, pour se faire remarquer, pour provoquer

* l'admiration et faire dire : Que c'est bien écrit ! quelles belles

* images! Loin de rechercher de tels éloges, ils doivent en être

* humiliés lorsqu'on les leur donne, parce que c'est une preuve

* qu'ils ont manqué leur but, qui est la conversion. Si les audi-

* teurs étaient vraiment touchés et convertis, ils ne songeraient pas à

* la forme du discours; ils seraient tout occupés du fond des choses.

* Autant il faut s'oublier soi-même en prêchant, autant il faut

* se préoccuper vivement de la fin qu'on se propose d'atteindre

* pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. On ne doit pas imiter

* ces prédicateurs qui ne visent qu'à remplir leur tâche de ma-

* nière à contenter leurs auditeurs, et ne songent pas même au

* dessein de les convertir; l'homme de Dieu, au contraire, le vr.ii

* prédicateur, ne tend qu'à convertir et est comme tout absorbé

* dans cette pensée.

* 4" Pour avoir cette pureté parfaite d'intention, il faut être trés-

* saint. Car il n'y a qu'une; éminente sainteté qui soiL à l'épreuve

* de la complaisance dans les succès et du découragement dans

* les revers, qu'une humilité profonde qui ne prenne aucune part

* dans les applaudissements et les louanges, qu'un détachement

* complet qui ferme les yeux à toute vue propre pour ne se proposer

i88 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

*que d'engendrer des enfants à Dieu, de former Jésus-Christ dans *les cœurs avec son esprit ot ses saintes dispositions, heureux

* de le faire vivre et croître dans l'estime et l'anioui' de tous, et

* d'être ouhlié soi-même, selon la devise du premier prédicateur qui

* l'a annoncé au monde : lllum oportet crescere, me autem mi-

* 7iuiK

* ARTICLE 5.

* DE LA VIE SAINTE ET EXEMPLAIRE *.

* 11 ne suffit pas que le prédicateur porte dans la chaire sacrée

* une intention droite et pure ; il faut encore que l'ensemble de sa

* vie ait répandu d'avance parmi son auditoire comme un parfum

* de vertu et sainteté qui prépare la persuasion et fraye à ses pa-

* rôles la route des cœurs. Les païens eux-mêmes plaçaient la ré-

* putalion d'homme de bien et de grande vertu au premier rang

* des qualités de l'orateur, selon le mot de Caton que Quintilien a

* si bien développé au Xll'^ livre de ses Institutions : Orator est vir ■* probus dicetidi peritus. Or, si tel doit être l'orateur profane, que

* ne doit pas être l'orateur sacré qui vient prêciier la sainteté à ses

* auditeurs? Pour le bien comprendre, considérons d'un côté le

* saint prédicateur, et de l'autre celui dont la vie n'est pas assez

* exemplaire.

* Le saint prédicateur agit sur les âmes par sa présence seule,

* par ses exemples, par ses discours et par ses prières. La vue seule

* en chaire d'un homme plein de piété et qu'on croit un saint, ré-

* veille des idées de vertu et donne à ses paroles comme une auto-

* rite divine. Tous vénèrent en lui l'homme de Dieu, l'ange du Sei-

* gneur ; tous récoutent avec un religieux respect ; et jamais le mot

* de Virgile n'eut une application plus vraie :

* Tune pietate gravent ac meritis si forte viriim quem ' Coitspexêre, silent, arrectisque auribui adsiant.

* nie régit dictis animos et pectora ninlcet.

* Saint Liguori n'avait qu'à se montrer en chaire ; l'expression

* touchante de sa physionomie, son air pénétré, ses gestes inspirés,

* Joann., m. 3lt.

* Voyez le Guide de ceux qui annoncent la parole de Dieu, p. 2G4, 269, 529. Rodriguez, t. IV, 1" traité, c. viii. Pastoral de Limoges, lit. ni, c m. Albert, I"= part., c. v. Miroir du clergé, t. II. Grenade, liv. I, c. ix, et liv. VI, c. XI.

QUALITÉS DU PRÉDICATEUR. 189

* convertissaient les pécheurs les plus endurcis, et jusqu'à ceux qui

* ne pouvaient saisir une soûle de ses paroles^ Saint François de

* Borgia. prêchant à la première messe qu'il dit en public, fit fon-

* dre en larmes ceux-là même dont il ne put se faire entendre; 'le

* spectacle seul de sa personne fit dans les âmes une impression

* égale à celle que produisaient ses paroles sur ses plus proches ou-

* diteurs. Nous avons vu le saint, s'écriait-on tout attendri, nous

* avons vu l'amour divin élincelant sur son visage et dans tous ses

* gestes ; et l'on se convertissait. On raconte quelque chose de sem-

* blable du P. Eudes ; un seul mot sorti de sa bouche, la simple

* récitation de l'Oraison dominicale, de '.a Salutation angélique ou ■* du Décaloi'ue. les coups dont il se frappait la poitrine en disant :

* Priez- pour nous, pauvres pécheurs, touchaient plus les fidèles

* que les sermons les plus soignés des autres prédicateurs : c'est

* ainsi que la vue seule d'un homme de Dieu touche et convertit. Ce "* que sa présence produit de bien dans les âmes, ses saints exein-

* pies le confirment et le perfectionnent. Avant qu'il parle, sa vie

* édifiante a déjà prouvé que le bien est possible, et ce genre de

* preuve est plus du goût des auditeurs que la voie de la discus-

* sion; ils le saisissent mieux, c'est un langage hiteliigible à tous

* les yeux , il convainc sans discuter, il reprend sans offenser, il ôto

* tout prétexte à la lâcheté. Comment pourrions-nous refuser do

* faire ce qu'il nous demande, disait-on en entendant saint Frau-

* cois de Borgia, puisqu'il en a fait lui-même beaucoup plus? Cette

* prédication d'action a encore cet avantage, qu'une fois entrée

* dans l'âme, elle n'en sort plus; on oublie un beau discours, on

* n'oubliera jamais un grand exemple ; il demeurera dans le cœur

* comme un remords si l'on devient infidèle. Voilà ce que pro-

* duit l'exemple d'un saint prédicateur; que produiront donc ses

* paroles? Car c'est un fait d'expérience que la sainteté contribua

* merveilleusement à l'éloquence : elle fait une partie essentielle du

* génie apostolique ; c'est elle qui inspire les grandes pensées, les

* sentiments élevés, les dévouements nobles, généreux, et tous ces ■* sublimes élans qui font battre les cœurs, qui enlèvent l'admiration ■• et entraînent les masses; c'est elle qui apprend à parler de la

* religion, des mystères, des vertus, avec âme, iiilelligonco et

* onction. Quand on aime Dieu de tout son cœur, on e^t éloquent

* pour dire aux autres de l'aimer. Si saint Pierre par sa première

* C'est ce qui arriva à Salcrnc, à Bénévcnt, à Anialfi et ailleurs.

190 THAITÉ DE LA rr.l'.DîCATIO>'.

* i>rt''(licalioii a coiivorti cinq mille lioiiiiiies, c'est que son cœur

* tout embrasé Taisait arriver sur ses lèvres des paroles de feu qui

* allaient au cœur des auditeurs : Viriute magnâ, disent les Actes

* des apôtres, reddebant testimonium resuD-cclionif! Jesn Christi^.

* Mais c'est peu encore pour les saints préilicati urs que celte pa-

* rôle éloquente que leur inspire ri''sprit divin dont ils sont rem- *j)lis, ils [trient avec ferveur, et leurs prières montent au ciel,

* en fout drscendre la grâce rpù bénit el féconde tous leurs dis-

* cours. Us entrent, selon l'expression du Prophète, dans les puis-

* sauces du Seigneur, et en font découler une pluie salutaire qui

* dispose les âmes à concevoir, à croire et à aimer les vérités qu'ils

* prêchent.

* Ainsi réussissent les saints prédicateurs. Les apôtres n'étaient

* pas des orateurs habiles dans les lettres humaines, mais ils étaient

* des saints et ils convertissaient; saint Siméon Stylite, saint Antoine,

* .^aint François d'Assise, étaient des hommes sans études et sans

* science, usais ils étaient des saints ; et on ne saurait dire le nombre *■ prodigieux de pécheurs que leur parole a gagnés à la vertu.

* Sainte Catherine de Sienne était une pauvre fdle sans aucune

* connaissance des lettres, qui n'a vécu que trente-trois ans; et

* néanmoins ses exhortations, relevées par sa sainteté, opéraient

* tant de conversions que quatre confesseurs qui l'accompagnaient,

* par une permission spéciale du souverain Pontife, ne pouvaient

* suffire à entendre les pécheurs qu'elle ramenait par ses discours,

* tant la vie sainte et exemplaire donne d'eflicacitô à la prédi-

* cation.

* C'est ce que disent d'une voix unanime tous les saints docteurs :

* saint Augustin enseigne que la sainteté de la vie a une force de

* persuasion plus puissante que la plus magnifique éloquence :

* Uabet qunntâcumque granditaîe dictionis majns pondus vita di-

* centis^. Saint Prosper dit que la prédication est parfaite quand

* elle est relevée et expliquée aux fidèles par f éminente sainteté du

* prédicateur plus que par ses beaux discours : Eani esse perfectam

* dodrinam quani conversatio spiritualis oslendcvit, non qiiam ina-

* nis sermo jaciildrit'^. Et saint Bernard attriluie toute la puissance

* de la parole du prédicateur à l'édification d'une vie exemplaire

* ({ui prouve à tous les auditeurs qu'il est le premier à croire ce

< Act. IV, ■". -Lilî. lY, de Doct. cliri?!., c. xxvii. ^ Lib. f, de Vilà con- tcmp., c XVII.

QUALITÉS DU PRÉDICATEUR. 191

* qu'il veut persuader aux autres . Dahis voci tuse. vocem vîrtulis,

* si quod suades, prius tibi illiid persuasisse cognosceris : validior

* operis quàm oris vox^

* xMais autant le prédicateur exemplaire est puissant par la parole,

* autant le prédicateur qui ne prêche pas d'exemple est impuissant

* pour le bien; car 1" il n'aura point la bénédiction du ciel, sans

* laquelle la parole est stérile : au lieu de bénir sa prédication, Dieu

* la lui reproche : Peccatorî cmtem dixit Deus : Quarè tu enarras

* juslilias meas etassumis testamentum meuniper os tuum^2 ei elle

* sera un jour le texte même de sa condamnation : Ex ore tiio te

* judico, serve nequain'^. Les bénédictions célestes ne sont que pour

* les prédicateurs qui pratiquent ce qu'ils prêchent, qui ont un fonds

* solide de sainteté, et vivent unis à Dieu au nom de qui ils parlent,

* à Notre-Seigneur dont ils sont les représentants, et à l'Esprit-Saint

* dont ils sont les organes.

* 2" Il n'aura point en sa faveur la bienveillance des auditeurs :

* car, lorsque le prédicateur est seulement soupçonné de ne pas

* faire ce qu'il enseigne, les auditeurs tournent contre lui toutes

* ses instructions, lui disant intérieurement : Medice, cura teip-

* sum^... Inexcusabilis es, ô komo... In quo enim judicas alterum,

* teipsum condemnas : eadein enim agis quac judicas... Qui alium

* doces, teipsum non doces^. Plus même il prouve l'obligation de

* régler ses mœurs, plus il se déshonore si les siennes sont décriées,

* parce que chacun lui renvoie les traits quil lance. On a toujours

* mauvaise grâce de prêcher ce qu'on ne fait pas ; c'est, au laiîgage

* de l'Écriture, bâtir d'une m.ain et abattre de l'autre : Unus sedifi-

* cans et unus destruens ; quidprodest illis ''? C'est renverser par ses

* exemples ce qu'on édifie par ses discours : Quodverbis praidicant,

* moribus impvguant, dit saint Grégoire''; et dès lors, continue le

* même Père, le prédicateur est sans autorité et sa parole avilie :

* Loquendi auctoritas pe7'ditur, cîirn vox opère non adjuvntur : cnjus

* vita despicitur, restât ut ejus prxdicalio contemnatur. L'auditeur

* prévenu s'indigni; contre ces nouveaux pharisiens qui disent et ne

* font pas : Dicunt et non faciunt ; alligant onera gravla et imponunt

* in humeros hominiim, digito antem suo nohmt eamovere^; qui

* cen^^urent le monde tandis qu'ils en suivent les maximes, (ju'ils en

* ont les manières et en goûtent les plaisiis ; qui pi relient la niorti-

* Scrm. MX, in C^ntic. - Ps. xi.ix, xvi. ^ Ur.c, i, '12. * I.nc"., iv. 2i,

* Rom., II, 1 et scq. •^ Eccli., xwiv. '' Pii.<tor., \k\v\. I. '•. ii. î* Mutlli,,

192 TCAITÊ DE LA PRÉDICATION.

* lication et la pénitence quand ils sont connus pour aimer la bonne

* chère, pour mener une vie molle et mensuelle; qui donnent des

* leçons de détachement en tenant sordidement à leurs intérêts; qui

* enseignent la douceur avec une humeur colère, l'humilité avec un

* amour-propre manifeste à tous. Témoin des actions qui donnent le

* démenti et font honte à leurs paroles, le peuple s'en tient à ce

* qu'il leur voit faire, méprise ce qu'il leur entend dire, et ce qu'il y

* a de pis, remarque Fônelon, c'est qu'on s'accoutume par à penser

* que cette sorte de prêtres ne parle pas de bonne foi ; cela décrie

* leur ministère, et quand d'autres parlent après eux avec un zèle

* sincère, on ne peut se persuader qu'ils disent vrai; on prend leurs

* discours pour chose de cérémonie et affaire de métier. Ainsi le

* prédicateur qui n'est pas exemplaire, n'aura point la bienveillance

* des auditeurs.

* Il n'aura point une manière de prêcher propre à convertir :

* car, quand on n'a point de piété, on parle d'une manière froide et

* lâche, qui ne peut pas toucher les cœurs, remuer les volontés ; et

* si quelquefois l'on s'anime, tout le monde reconnaît que ce n'est

* qu'une chaleur factice comme celle d'un comédien qui joue un

* rôle sans être touché des sentiments qu'il exprime, a Si les prédi-

* »( caleurs convertissent si peu de monde, dit sainte Thérèse*, ■* « c'est parce qu'ils n'ont point assez de ce grand feu d'amour de

* « Dieu qu'avaient les apôtres. » Quand on n'aime point Dieu, on

* n'a pas à cœur qu'il soit aimé, et on en vient jusqu'à ne pas oser

* dire certaines vérités aux pécheurs, tantôt par respect humain,

* tantôt par intérêt : Dkm timemus detractiones, irrisiones et oppro-

* hria hominum siipei^borum, dùmqiie metidmus perdere tejnporalia,

* minus quàm oportet prxdicamus seterna, dit saint Augustin 2, ou si

* on leur en parle, on le fait mal, parae qu'on le fait sans piété. La

* plupart des prédicateurs prêcheraient bien s'ils étaient saints; une

* piété tendre et solide préviendrait les écarts de l'humeur ou de

* l'imagination, rectifierait le goût, et suppléerait même peut-être à

* ce qui manque du côté du talent. De toutes ces réflexions, nous

* pouvons donc conclure, avec saint Grégoire, que le plus grand

* fléau de la religion c'est d'avoir, pour reprendre les pécheurs, des

* prêtres dont la vie n'est pas édifiante : Nulliim, puto, ab aliismajus

* prxjudicium quàm à sacerdotibiis tolérât Deiis, quando eos quos

* ad aliorum correctionem posuit, dare exempla pravitatis cernit^.

* Ch. XVI de sa Vie. - Horn. vu. ^ Ilom. xvii, in Evans:.

ouALiTLS Di: pi;éd:cateit.. 102

*Mais, dira-t-on, on voit des prédicateurs qui ne sont rien moins

* que Sciials, et qui cependant ont des succès. A cela nous répondons

* que ces succès consistent le plus souvent en beaucoup de bruit et

* peu ou point de fruit, beaucoup d'éloges et point de conversions

* solides ; et les succès, s'il y en a de réels, sont dus à la réputation

* de vertu et de sainteté qu'ont ces prédicateurs sans l'avoir niéiitée.

* Les fidèles, par la haute idée ([u'ils ont du ministère ecclésiastique.,

* croient volontiers, jusqu'à preuve du contraire, que le prédicateur

* pratique le premier ce qu il enseigne, et ne songent pas même à

* le soupçonner. Mais malheur au jour l'on découvrirait la vérité;

* et si le prédicateur n'est pas ce qu'il doit être, il est bien à craindre

* que tôt ou tard elle ne se découvre ; il est difficile, autant que vil

* et honteux, de soutenir constamment le rôle d'une vertu qu'on

* n'a pas. *

* De lî, il suif, 1" que le prédicateur doit s'observer dans fout le

* détail de sa conduite, dans son maintien, sa conversation, l'emploi

* de son temps, pour ne rien laisser paraître que d'édifiant^ : car le

* monde ne se contente pas même d'une vertu médiocre (ians ceux

* qui lui prêchent la sainteté : il veut qu'irrépréhensibles, ils puis-

* sent dire comme l'Apôtre : Soye^ mes imitateurs; et pour peu

* qa'il aperçoive quelque chose d'humain, il retire sa confiance : ce

* qui a fait dire à saint Grégoire ces belles paroles : Qui loci neces-

* sitate exifjitiir summa dicere, hdc eddem necessitate compelUtur

* mimma monstrare ^.

* Il suit, que le prédicateur doit s'interdire, autant que pos-

* sible, les festins, les jeux et les sociétés du monde. On re-pecte

* un ministre qu'on ne voit qu'à l'autel et en chaire : si on le voit

* boire et manger, jouer et s'amuser comme les autres hommes, les

* esprits failjji's diminueront quoique chose de la haute idée qu'ils

* en avaient; et cette sorte de charme qui le faisait regarder comme

* un personnage surhumain tombera. Il n'est pas facile de soutenir, au

* milieu des repas, des jeux et des sociétés, la dignité de ministre

* évangélique, de ne jamais se montrer homme, et d'éviter con-

* stamment dans ses paroles et ses manières tout ce qui ne répond

* P«s à la grande idée que les fidèles ont du prédicateur. Aussi

* voyons-r.'oUi, que Notre-Seigneur ruconnnaïklait à ses apôtres de ne

* point aller mangci- de côté et d'autre : lu eudem dumu munete,

* Voyez le r.uide de ceux qui annoncent la iiarule de Dion, ji. '2iO. * l'ast^ lib. II, c m.

13

194 TRAITÉ DE L,V rP.EDICATION.

* edentes et hibentes qux apud illos sunt ; noUte transira de domo in

* domiwi^. ^

* II suit, qu'il doit s'abstenir le plus possible de fréquenter les

* personnes du sexe, surtout de leur parler seul à seul, et même de

* les tenir trop longtemps au confessionnal : telle est la malignité du

* monde, que ces rapports mettent toujours en péril cette grande

* réputation de sainteté dont le prédicateur a besoin.

* Il suit, que la bonté et la douceur qui caractérisent la vraie

* sainteté, doivent respirer dans toutes ses paroles et dans tous les

* traits de son visage, surtout quand il est en chaire. Jamais il ne

* doit se permettre de reproches amers, d'invectives ou réprimandes

* fougueuses, d'aposirophes insultantes aux pécheurs, aux incré-

* dules, aux liérétiques, de défis hautains de répondre aux preuves

* données : les peuples croient qu'un prêtre qui se fâche même

* contre le vice, qui montre de la fierté et de l'humeur, même pour

* la vertu, est un homme comme un autre, qui se laisse dominer

* par la vivacité et l'orgueil ; ils ne reconnaissent pas les traits de *Ia sainteté qui, toujours bonne, aimante, compatissante pour les

pécheurs égarés, tempère l'amertume des reproches nécessaires

* par la douceur de la charité. Si même, pendant le sermon, *il se fait quelque bruit; si une porte, une fenêtre, un enfant ou

* quelque autre chose incommode ; si des personnes arrivent tard

* ou sortent avant la fm, il faut le souffrir sans humeur : en s'impa-

* tientant, on scandaliserait jet on nuirait au fruit de la prédication ;

* ou s'il est nécessaire de parler pour faire cesser le bruit, il faut le

* faire modestement et sans émotion, priant avec douceur qu'on y

* mette ordre^. De même, si l'on n'a qu'un petit nombre d'auditeurs,

* il ne faut point s'en plaindre avec amertume; ce serait montrer

* l'amour-propre offensé, et faire remarquer à ceux qui n'y pensaient

* point qu'on n'est pas bien suivi, d'où il§ conclueraient qu'on n'est

* pas bien, digne de l'être. Si l'on est critiqué, il ne faut jamais en

* rien dire en chaire; ce serait aigrir les censeurs, et ils diraient

* encore pis ; ce serait divulguer ce que peut-être beaucoup igno-

* rent, et la justification ne convaincrait pas le monde qui aime à

* croire le mal. Il y a plus de mérite et d'honneur à imiter le silence

* du Fils de Dieu : Jésus autem tacehat.

» Luc., X, 47. 2 s. François de Sales, dans sa lettre à l'arclievéque de Bour- ges, s'accuse comme d'une faute d'avoir l'ait paraître un peu de mécontentement un jour qu'on vint, à sonner avant qu'il eût achevé son sermon. Vojez, sur co sujet, le Guide de ceux qui ynuoncunt la parole de Dieu. p. 209

QUALITES DU PRÉDICATEUR. 195

* Pour conclusion de cet article, nous conseillons àux prédicateurs, ■* i" de s'appliquer à eux-mêmes les vérités qu'ils annoncent aux.

* autres : ces vérités les regardent comme leurs auditeurs, et ils

* doivent être les premiers inquiets pour leur salut : autrement ils

* seront comme ces canaux qui ne retiennent rien de la liqueur

* qu'ils épanchent, au lieu d'être comme ces bassins qui, en répan-

* dant leurs eaux, demeurent toujours pleins, parce qu'ils ne font que

* donner de leur surabondance qui déborde. Mous leur recomman-

* dons, de s'exercer eux-mêmes, plusieurs semaines d'avance, à

* la pratique de la vertu sur laquelle ils se proposent de prêcher :

* c'est ce que M. de la Motte, évêque d'Amiens, rappelait faire son

* sewion. Par ils se pénétreront mieux de leur malière; ils en '" parle) ont en hommes expérimentés qui connaissent par eux-mêmes

* les divers actes de cette vertu, ses effets, ses difficultés, ses conso-

* lations, et ainsi leur discours sera -vraiment instructif et pratique :

* sans cette méthode, ils se perdront le plus souvent en considéra-

* tions spéculatives et sans utilité.

* ARTICLE 4.

* DU ZÈLE '.

" Nous venons de voir que le prédicateur doit être saint; mais sa -* sainteté doit avoir un caractère tout spécial, qui est le zélé, c'est-à-

* dire un désir ardent de faire aimer Dieu et de sauver ses frères, une

* sainte passion de dilater le royaume de Jésus-Christ dans les âmes,

* telle que l'éprouvait l'Apôtre quand il disait : Cupide volebamus

* tradere vobis non solùni Evangeliiim Dei, sed etiam animas uostra^^. . .

* Libentissimè impendam et superimpendar' ipse pro animabus ves-

* tris^. Ce grand désir de la gloire de Dieu et du salut de ses frères

* est le premier et le plus excellent maître de l'art de prêcher ; c'est

* ce qui inspire au prédicateur la vraie manière de se faire com-

* prendre, de toucher et de persuader, c'est ce qui lui suggère ces '' expressions qui vont au cœur, ces figures véhémenles, cos excla-

* malions énergiques, ces supplications ou ces reproches, ces apo- - slrophoshanlies, cette sainte ardeur qui agitait les propliètcs. L'élo-

* quence vivUiée par le zèle tient de l'inspiration; elle [lerce par des

* traits vifs, elle remue, elle entraîne. L'élégance du discours peut

* en souffrir; mais qu'inipoite? Le prédicateur digne de ce nom vise

1 Grenade, ]iv. I, c. x et xi. 2 I Tlicss., 11, 8 s II Cor., xii, 15.

lOG TIIAITÉ DE L.\ PUÉDICATION.

* ù un but plus haut : il foule sous les \ncAs toute vue d'amour-

* propre, et s'oublianl lui-même, il lui suffit de faire sentir à l'audi»

* leur qu'il faut se sauver. 11 ne court point après l'éloquence, mais

* l'éloquence le suit, une éloquence vraie et naturelle qui part d un

* cœur pénétré : car il est brisé de douleur et comme hors de lui-

* même à la vue des dérèglements des hommes, du mépris qu'ils font

* de la religion, du danger ils sont de tomber en enfer ; et dans

* l'ardeur du zèle qui le dévore, il tente toutes les voies pour s'insi-

* nuer dans leur cœur et les gagner; il est fort, véhément, pres-

* saut; sa voix, ses gestes, ses regards, la vivacité de ses paroles, tout

* en lui saisit et pénètre; on sent qu'il y a quelque chose de plus

* qu'humain ; que c'est Dieu qui parle par sa bouche ; et sa voix est

* vraiment cey,e voix du Seigneur qui brise les cèdres, qui lance des

* feux et des flammes : Vox Domini confringentis cedros, vox Domini

* intevcidentis flammam ignis^. Fût-il même prédicateur médiocre

* pour tout le reste, dès qu'il a cette ardeur de convertir, il fera un

* grand bien ; il saura sup^gérer les moyens de salut les plus utiles,

* les acles et les pratiques les plus propres à pénétrer les cœurs de

* conlrition, d'amour de Dieu, et changera les populations. Fût-il au

* contraire le prédicateur le plus habile, s'il ne brûle pas de ce feu

* sacré, si les peuples ne voient point en lui le cœur qui parle avec

* un désir immense de les sauver, ses discours seront stériles et ne

* convertiront personne.

* Pour acquérir ce grand zèle, il faut : s'efforcer de croître tous

* les jours dans l'amour de Dieu et des hommes : car le zèle n'est

* que la flamme de la charité. Quand on aime beaucoup Dieu, on ne

* peut souffrir de le voir outragé, et on est dévoré du désir de faire

* cesser ces outrages : Vidi "prssvaricoMtes et tahesceham-. Factus est

* in corde meo quasi ignis exxduans, et defeci ferre non sustiihvis :

* andivi enim coniumelias multorxim' . Plus on aime Jésus-Christ,

* plus on a de peine de voir son sang inutile à tant de pécheurs, son

* amour pour les âmes frustré, et on s'efforce d'étancher la soif

* brûlante qu'il a de leur salut ; on la ressent soi-même, cette soif

* qui lui faisait dire sur la Croix : Sitio. Enfin, quand on aime beau-

* coup le prochain, on s'afflige de le voir courir à sa perte, et un

* dé.-:ir immense de l'en préserver s'allume dans le cœur. 2" 11 faut

* souvent demander le zèle à Dieu par des prières ferventes et s'y

* exciter par le souvenir des saints. Si saint Vincent de Paul, saint

* Psal. XXVIII, 7. - Psal. cxviii, 158. ^ Jcr., xx, 10.

QUALITES DU PREDICATEUR. 197

* François Régis ou saint François Xavier étaient en ma place, que

* f<?raient-ils pour le bien de cette paroisse? avec quelle ardeur,

* quel zèle feraient-ils cette instruction? Il faut se garder de

* prendre pour zèle un mouvement naturel qui nous fait désirer le

* succès de tout ce dont nous sommes chargés. On reconnaît le zèle

* qu'allume la piété à deux caractères, à la charité qui est son prin-

* cipe, à la pruilence qui est sa règle : ainsi le vrai zèle aime ten-

* (Irement les pécheurs, il n'a pour eux que commisération, jamais

* de courroux. 11 les attire par les charmes de la douceur, et leur fait

* envisager leur bonheur dans leur devoir : le vrai zèle ne brusque

* ni h s temps ni les personnes, il sait attendre les conjonctures favo- "* râbles pour dire certaines vérités, pour faire certaines entreprises.

* La nature au contraire se fâche contre les volontés rebelles, tonne

* et menace contre les pécheurs, heurte de front les résistances et ■* veut que tout lui cède.

* ARTICLE 5.

* DE l'esprit d'obATSON '.

* Une fois que le prédicateur a la mission légitime, la pureté d'in-

* îention, la sainteté de vie et le zèle, il ne lui reste pUisqu'à puiser

* '"e qu'il doit dire dans les sources d'où doit sortir toute bonne in-

* .^truction. Ces sources sont l'esprit d'oraison, le talent et la science,

* trois choses dont il nous reste à parler,

* L'esprit d'oraison, objet de cet article, est ce saint commerce de

* l'âme avec Pieu, par lequel on s'unit à lui dans un pieux recueille-

* ment pour méditer son sujet à la lumière divine, et prier l'Esprit-

* Saint non-seulement de nous faire connaître ce qu'il faut dire,

* înais encore de bénir toutes les paroles qu'il nous aura inspirées.

* Telle est la source première oià doit puiser tout prédicateur qui

* veut être utile.

* Los anciens prophètes ne parlaient au peuple qu'après avoir con-

* suite Dieu sur ce qu'ils devaient dire : Audies sermouem ex ore meo,

* dit Dieu à Ézèchiel, et anmintiabls eis ex me*. Les apôtres, à leur ■* exemple, joignaient ensemble la prière et la prédication connr.'J

* choses inséparables, mais cependant en donnant toujours la pre-

' Voyez S. François de Borgia, de Ratioue coiicioiiandi, c. m, dans le Guide de ccii>; qui annoncent la parole de Dieu, p. 1^7) et l.Sî, 187 et Miiv., 198 et suiv., 'iOJ et suiv. ^ Lz., m, 17.

198 TRAITÉ DE LA PRKDICaTION

* mière place à la prière comme à la source d'où doit partir la

* prédication. Nos vero orationi et ministerio verbi instantes eiimus^.

* El saint Paul ne se bornait pas à prier sans cesse, comme il le dé-

* clare en plusieurs endroits de ses Épîtres, mais il conjurait les

* fidèles d'Éphèse, de Colosse, de Thessa'.onique, de joindre leurs

* prières aux siennes, pour que sa prédication fût bénie. Vigilantes

* i?i omni obsecrationc pro me, ut ôMurmihi sermo in apertione oris * mei civm fidiiciâ notum facere mysîerium Evangelii'^... Orantes pro

* nobis, dil-il ailleurs, ut Beus aperiat nobis ostium sermonis ad lo-

* quendum mysterium Christi^... Fratres, dit-il encore, orate pro nobis

* ut sermo Dei ciirrat et clarificetur '*. Or, si un saint Paul, un si

* grand apôtre, un homme instruit au troisième ciel, a cru avoir tant

* besoin de prières pour prêcher avec fruit, combien n'en avons-

* nous pas plus besoin nous-mêmes !

*La ferveur de la prière, dit saint Augustin, est plus nécessaire

* au ministre de la parole que toutes les ressources de l'art oratoire :

* Pietate magis orationum quàm oratomm facultate indiget. . Et il ne

* doit exercer auprès des peuples la fonction de prédicateur qu'après

* avoir rempli auprès de Dieu celle de supphant : Sit orator antequàm

* dicter^. Ce grand maître de l'éloquence chrétienne veut que le

* prédicateur redouble encore de ferveur dans sa prière, à mesure

* que le moment de parler approche : Jpsâ horâ ut dicat accedens,

* priusqiiàm exserat proferentem linguam, ad Deum levet aniniam

* sitientem, afin, dit-il, que son discours ne soit qu'un épanchement

* des saintes affections conçues dans l'oraison : Ut eriictet quod bi'

* berit vel quod impleverit fundat, et il ajoute une raison frappante

* de ce précepte : Qais novit^ dit-il, quid ad prxsens tempus dicere,

* expédiât, nisi qui corda omnium videt ? et quis facit ut quod oportet

* et quemadmodlim oportet dicatur à nobis, nisi in cujus manu sunt et

* nos et sermones nostri^"! La même doctrine se retrouve dans un

* Capitulaire d'Aix-la-Chapelle : Hoc dicat sacerdos quod ex divinâ

* lectione didicerit, quod illi Beus inspiraverit, non quod prxsump- "* tione hiimani sensûs invenerit, et surtout dans cette belle parole

* de saint Thoiiias qui dit que toute bonne prédication découle de

* la plénitude de l'oraison : Ex pleuitudine contemplationis derivatur

* prscdicatio"^ .

* Conformément à ces principes, le premier avis que j'ai à vous

1 Act. VI, 4. '-^ Eph., VI, 18 et 19. ^ Col., iv, 3. * II Thess., m. 8 Lib. iV, de Doct. christ., xixii. ^ Lib. IV, de Doct. christ., xxvii. '' ii, 2, q. 1^8, art. 6.

QUALITÉS DU PRÉDICATEUR. 199

* donner pour bien prêcher, dit le célèbre P. Lejeune dans ses Avis

* aux prédicateurs, c'est de bien prier ; le second, c'est de bien

* prier; le troisième, le quatrième, le cinquième, le dixième, c'est

* de bien prier : étions les hommes de Dieu auxquels il a été donné,

* dans les différents siècles, de faire de grands fruits dans l'Éylisej

* par leurs prédications, comme les François d'Assise, les Xavier, les

* Régis, les François de Sales, ont enseigné la même doctrine, pro-

* clamant d'une voix unanime que la prière est le véritable ressort

* de l'éloquence chrétienne, que celle-ci n'a de puissance que par le

* mouvement que lui imprime le Saint-Esprit, qu'une demi-heure de

* méditation avant de monter en chaire est plus utile que quatre

* heures d'étude, et qu'il vaut mieux s'exposer à ne pas savoir exac-

* tement tous les mots de son cahier, que de manquer à remplir son

* âme de la gi âce que donne la prière pour s'émouvoir soi-même et

* émouvoir les autres. Et ce qu'enseignaient ces saints prédicateurs,

* ils le pratiquaient fidèlement : ils puisaient toutes leurs lumières

* aux pieds du crucifix ; ils priaient avant, pendant et après la prèdi-

* cation, y consacrant quelquefois les nuits entières, et ajoutant à la

* prière, pour lui donner plus d'efficace, de rigoureuses mortifica-

* tions. Saint Dominique ne montait jamais en chaire qu'après s'être

* prosterné humblement aux pieds de la sainte Vierge, pour lui re-

* commander sa prédication et lui dire : Dignare me laudare te,

* Virgo sacrata, da inihi virtutem contra hostes tuos. Saint Vincent

* Ferrier ne pi êchait qu'après deux heures d'oraison ; et un jour

* qu'ayant négligé cet exercice pour mieux préparer son sermon, il

* avait parlé d'une manière sèche et sans onction. Hélas ! s'écria-t-il

* en gémissant, Vincent a parlé aujourd hui, tandis que les autres

* jours c'était Dieu qui parlait par sa bouche*.

* Et en effet, ce n'est qu'à l'aide de l'oraison qu'on peut bien com-

* poser, bien débiter et convertir les âmes : 1" bien composer : car

* si un ambassadeur doit conférer avec son prince et en prendre les

* ordres avant d'aller remplir sa mission, le prêtre, avant de parler

* aux hommes de la part de Dieu, doit s'élever vers lui par la inédi-

* tation et le consulter sur ce qu'il doit leur dire : Jésus-Christ a suivi

* cette règle, comme envoyé de son l'ère : Qiix ego loqnor, à meipso

* non loquor^. Sicut docuit me Paler, hxc loquor'". A plus forte

* raison le prêtre doit-il faire de même, et semblable à l'ange de

* On lit un trait scmblaLle de S. François d'Assise, dans le CaU'.li. spirit. du P. Surin, t. II, IIl- pnrl., ci. * Joann., xiv, 10. ^ Jonnn., vm, 28.

200 TRAITÉ DE LA PREDICATION.

■* réclielle mystérieuse, monter du peuple à Dieu par l'oraison pour

* descendre de Dieu au peuple par la prédication. C'est dans le re-

* Cl eillement d'une méditation profonde que Dieu é(;lairc i ame de

* sa lumière, qu'il la remplit de son onction, la touche, la pénètre et

* l'embrase du feu sacré qui vivifie sa parole. De jaillissent les

* plus beaux mouvements; on ne court pas après, ce sont des traits

* de feu qui soitent d'eux-mêmes, c'est le langage naturel d'un cœur

* touché, et il semble qu'on serait embarrassé pour parler autrement. *Sans l'oraison, au contraire, jamais les plus beaux talents ne pro-

* duiront un discours vraiment évangélique : on pourra faire une

* composition brillante d'esprit, riche d'imagination, mais ce ne sera

* pas un sermon : il y manquera l'onction qui va au coeur, et la piété

* qui convertit. Cette onction, cette piété ne découlent que du sen-

* liment intérieur des choses de Dieu : si le cœur ne les sent, ne les

* goûte par la méditation, il ne produit que des paroles mortes, pri-

* véi's de l'esprit de vie, et les passages mêmes de l'Écriture ou des

* Pères les plus propres à toucher deviennent pâles et sans force.

* Voilà pourquoi le prédicateur ne doit écrire, autant qu'il se peut, ■* que dans ces moments heureux où, par une étude faite en esprit de

* prière, le cœur se remplit d'onction : alors la source des expres-

* sions est sanctifiée, et l'on écrit, sous l'inspiration et comme sous

* la dictée de Dieu, une instruction capable de toucher les cœurs.

* L'oraison est nécessaire pour bien débiter. Ce serait en vain que

* le prédicateur aurait été homme d'oraison en composant, s'il ne

* portait en chaire un cœur qu'ait profondément pénétré de son sujet

* une bonne méditation faite avant d'y monter: la voix que le cœur

* n'anime pas n'est qu'un airain sonnant; les traits de l'homme qui

* n'est pas touché sont sans expression ; son geste faux ou théâtral

* manque de naturel ou d'énergie, et les meilleures choses, par cela

* seul qu'il les dit sans sentiment, demeurent sans effet. Mais porte. ■* t-il en chaire un cœur pénétré par l'oraison, dès son arrivée dans

* la tribune sacrée, il frappe tous les regards, saisit toutes les âmes

* par cet air profondément recueilli qui annonce plutôt un ange qu'un

* homme; c'ist un autre Moïse qui vient de s'entretenir avec Dieu

* sui' la montagne, et il semble qu'on voit en lui un rejaillissement

* de la gloire du Dieu qui l'envoie : cet aspect seul est un magnifique

* exorde, et dispose tous les cœurs aux impressions de la grâce. Dans

* le cours du débit, cet air pénétré ne l'abandonne point, un vif sen-

* timent de foi anime et dirige sa voix, ses traits et son geste; l'onc- *lion de sa parole fait passer dans les âmes les impressions qu'il

QUALITES DU PREDICATEUR 201

* éprouve; et la grâce qui les a fait naître dans le prédicateur con-

* tinue de les animer dans l'auditeur ; puis, l'amour divin qui brûle

* au dedans lui inspire des mouvements oratoires, des expressions

* toutes de feu, auxquels il n'avait pas même pensé dans sa compo-

* sition, mais qui vont droit au cœur; et comme les gens passionnés

* trouvent sans étude une manière énergique de rendre leurs pensées,

* ainsi, dit saint François de Sales, le prédicateur qui sent vivement

* les choses divines parce qu'il les a méditées, a une certaine rliéto-

* rique du cœur qui dépasse de bien loin tout l'art oratoire. Ne dit-il

* d'ailleurs que les choses les plus communes, le feu et le sentiment

* avec lesquels il les dit leur fttnt produire une impression profonde.

* L'oraison est surtout nécessaire pour convertir les âmes. Car

* la foi nous enseigne que la conversion n'e&t point le fait de

* l'homme; elle ne peut être produite que par la grâce de Dieu ; et

* ici, plus qu'en tout autre sujet, s'applique la parole de Notre-Sei"

* gneur : Sinemenihil potestis facere. En vain on plante, en vain-on

* arrose, si l'Esprit-Saint ne donne l'accroissement; en vainon frappe

* les oreilles d'un son de paroles plus ou moins arlistement arran-

* gées, si la grâce n'agit sur les cœurs avec cette toute-puissance * d'aclion qui lui est propre pour airacher l'homme à lui-même, à "* ses désirs, à ses joies, à ce qui faisait sa vie et son bonheur et lui

* donner le courage d'être et de se montrer ouvertement chrélien.

* Mais s'il en est ainsi, il faut donc prier, puisque dans le cours or-

* dinaire de la Providence la grâce ne s'accorde qu'à la prière et aux

* gémissements du cœur.

* De il suit, 1" que la composition d'un sermon ne doit point

* être regardée comme une œuvre littéraire, mais comme un exer- "* cice religieux, une occupation samte à laquelle on se livre sous

* l'œil de Dieu, en le consultant dans un pieux recueillement.

* Il suit, qu'avant de monter en chaire, il faut se prosterner "* devant le Dit^u qui tient tous les cœurs dans sa main, en le conju- ■* rant de bénir la semence que nous allons y jeter, pour qu'elle pro-

* duise au centuple; et les saints jirêtres aiment à appuyer celte

* prière, tantôt par la vertu toute-puissante du saint sacrifice offert

* dans cette vue, tantôt par des visites ferventes au Saint-Sacrement,

* qui èlaicnt la grande ressource de l'apôtre des Indes *; puis, parle

* secours des Ang(,'s gardiens (lu'iis conjurent de siq)i)léer, par leurs

' On olilieril jilus tic convrrsions, disnit s.iiiil François Xavier, en priant .sur le Hiarciie|iied (h; l'autel, qu'en iirfiiiun(;anl en cliaire les /jIus beaux morceaux d'éloiiuence.

202 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* inspirations auprès de chaque auditeur, à ce qui manquera aux

* discours de l'homme; enfin par l'assistance des saints qui ont le

* plus excellé dans la vertu qui fait le sujet de l'instruction, et sur-

* tout la protection de la très-sainte Vierge, qu'ils invoquent comme

* le secours des chrétiens, le refuge des pécheurs, mettant tout ce

* qu'ils doivent dire sous le patronage de son cœur immaculé, par

* lequel tant de conversions se sont opérées en ce siècle. A mesure

* que le momenl de monter en chaire approche, il faut redouhler ses

* prières ; et lorsqu'on y est, prier encore par de fréquentes éléva- " tions de cœur, se souvenant des paroles de Notre-Seigneur ; Non

* enim vos esiis qui loquimini, sed Spiritus Patris vestri qui lo-

* quitur in vobis *, et de ces autres de Judith : Memores estote Moysi

* servi Dei qui Amalec non ferro pugnando, sed precibus sanctis

* orando dejecit^. Enfin, lorsqu'on est descendu de chaire, il faut

* prier encore, n'attendant de succès que de la grâce divine, sans

* compter en rien sur son éloquence et ses talents, sur sa longue

* hahitude et sa honne réputation.

* ARTICLE 6.

* DU TALENT DE LA CHAIRE.

*A l'esprit d'oraison doit se joindre plus ou moins un fonds de ta-

* lent pour la prédication ; et personne sans cela ne peut entrer dans

* le sacerdoce, par la raison qu'il n'est point permis d'embrasser un

* étal si l'on n'a l'aptitude requise pour en remplir les fonctiv)ns. Ce

* fonds de talent doit avoir pouî- caractère spécial le bon sens ^, qua-

* lité beaucoup plus rare qu'on ne pense, et bien préférable à l'es-

* prit, à la mémoire et à l'imagination. Le bon sens dit tout ce qu'il

* faut, rien de plus, et le dit de la meilleure manière; il met de

* l'ordre, de la netteté, de la précision, de l'exaclilude en tout,

* classe sa matière par des divisions justes, prouve tout ce qu'il

* avance par des raisonnements suivis et convaincants, et y entre-

* mêle, avec ménagement et prudence, des réflexions judicieuses,

* des applications pratiques. Avec le bon sens, on est toujours goûté;

* ce qui est naturel et fondé sur la droite raison plaît partout et est de

* tous les temps ; les grands et le peuple, les savants elles ignorants,

* tous y applaudissent : sans le bon sens, au contraire, le plus beau

* talent n'est rien ; la justesse manque souvent dans les pensées, la

* Matth , X, 20. 2 Judith., IV, 15. —' Est eloquentise, sicut reliquarum re- rum, fundamenlum sapieiitia. Gicer., de Orat., c. vui, 70.

QUALITES DL l'IiEiUCATI.Urî. 203

' solidité dans les raisonnements; il y a pou di^ pratique, peu de dé-

* tails de mœurs bien présentés ; souvent beaucoup d'imprudences

* et d'indiscrétions: tantôt on se rend ridicule en affectant de pa-

* raîlre sublime, ou faisant des gestes à contre-sens ; tantôt on dis-

* trait l'auditeur du sujet principal par des digressions et des hors-

* d œuvre, on s'égare à la suite de son imagination, ou l'on court

* après de fausses lueurs de bel esprit.

* Quelque talent qu'on ait reçu de la nature pour la prédication, il

* y a obligation de le cultiver et d'en tirer le meilleur parti possible,

* Le respect à la parole de Dieu l'exige ; l'intérêt des âmes le ré-

* clame ; notre propre salut le demande ; car il est à la condition

* que nous ferons valoir la mesure de talent qui nous a été départie.

* Le prédicateur serait donc très-coupable de se négliger dans sa

* manière de prêcher. Mais aussi, s'il fait ce qu'il peut, il ne doit

* point se décourager ni s'affliger de ne pas faire mieux. 11 est dans

* l'ordre de la Providence qu'il y ait des prédicateurs qui, par la

* trempe de leur esprit et l'impossiijilité de s'élever à de hautes con-

* sidérations, soient portés à se dévouer à l'instruction des ignorants

* et des simples, lesquels font partout le plus grand nombre. Ce sont

* même ceux-là qui produisent souvent le plus de fruit : car Dieu

* n'atta 'he point le succès de sa parole à un talent complet. Comme

* c'est Jésus-Christ qui baptise, c'est aussi Jésus-Christ qui prêche :

* et quand il trouve dans le ministre, qui est son organe, droiture

* d'intention, piété et zèle, il convertit par la seule onction, et donne

* à la simplicité la même force qu'à la science et à l'éloquence. De

* 1,1 vient que des talents médiocres, mais dont la médiocrité est

* suppléée par plus de piété et d'étude, font souvent plus de bien

* que des talents éminents ; Dieu remplace par sa grâce ce qui

* manque au discours du prédicateur. Or, quand on convertit, on a

* toujours assez de talent : dès que le but de la prédication est atteint,

* (ju'importe de prêcher mieux? La vanité en est contente, mais le

* huit n'en est pa> plus grand pour les fidèles, et la veitu du prédi- *cateur est en péril.

ARTICLE?.

Dli LA SCIENCE NÉCESSAIRE AU ri\KDICATEUR '.

* Dans tous les temps il y a eu des orateurs trop empressés de pa- *raitre, qui se sont étudiés à bien parhM- avant d'avoir appris ce qu'il

1 Pastoral de Limoges, t. II, 1^° part., til. ni, c. ii. Tiaitù dos Études, par RoUin.

204 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* faut dire. Platon s'en plaint dans le dialogue de Socrate avec Phèdre,

* el dans celui de Gorgins contre les rhéteurs ; Cicéron émet la même

* plainte, fondée sur celte raison solide qu'on ne parle jamais hien

* que de ce qu'on sait bien. Mais ce qui est vrai pour l'éloquence

* profane l'est bien davantage pour l'éloquence sacrée ; et ce serait à

* un jeune prêtre une grande faute, autant qu'un grand malheur, de

* se lancer dans la carrière de la chaire avant d'avoir acquis un fond

* suffisant de science. 11 faut se remplir avant de se répandre, dit

* saint Bernard : infiinde ut effanda^. Si, pressé de se produire, on

* veut verser au dehors lorsqu'on n'est encore qu'à demi plein, on

* perd son propre talent : Quod tuum est ■perdis, si priiisquàm i^ifim- "* daris tu îotus, semiplenus festines effundi^. Saint Grégoire - compare

* les prédicateurs qui se lancent ainsi avant le temps aux petits des

* oiseaux qui, voulant prendre leur vol trop haut avant d'avoir les

* ailes assez fortes pour les soutenir dans l'espace, tombent à terre

* et se tuent. C'est là, en etfet, l'image de ce qui leur arrive : leurs

* discours sont vides ; il y a beaucoup de mots et peu d'instruction,

* des phrases vagues, des lieux communs, des raisons superficielles,

* même souvent fausses, et point de vue d'ensemble, point de fonds

* solide. On reconnaît en les entendant que, dépourvus de doctrine,

* embarrassés de leur indigence, ils se sont tourmentés pour trouver

* que dire, bien différents de l'orateur instruit qui ne parle que

* parce qu'il est rempli de vérités, lesquelles se débordent de son "* âme soulagée de les répandre, et sortent en accents véhéments

* par un effet naturel de leur plénitude. Oh ! que les saints Pères

* étaient loin de partager ce grand empressement de paraître ! Saint

* Grégoire de Nazianze, saint Basile, saint Chrysoslome, avant de

* commencer à prêcher, se tinrent renfermés pendant plusieurs an-

* nées dans la retraite, uniquement occupés à la méditation et à l'é- *tude; et quand Valère, évêque d'Hippone, voulut charger saint

* Augustin du ministère de la prédication, ce grand homme, effrayé

* d'une fonction qui demande tant de lumières, et ne trouvant ni dans

* ses talents naturels ni dans le fonds de science qu'il possédait

* déjà un motif de se rassurer, demanda avec les plus vives instances

* le temps de s'y préparer par l'étude, la prière et les larmes : « Si

* « vous ne voulez pas, disait il à Valère^, me donner le temps d'ac-

* u quérir ce que je vois qui me manque, vous voulez donc que je

' Serin, x:, in cant. 2. -De Car. pastor., lib. III, c. sxv. ^ Epist. xxi, 2d Val.

■QUALITÉS !iU PREDiCATEUn. 205

* « périsse? Valorc, mon cher père, est votre charité?... lîélas!

* « qu'aurai-je à répondre au Seigneur quand il me jugera? Lui

* (( dirai-je qu'étant déjà engagé dans les emplois ecclésiastiques, il

* (( ne m'a plus été possible de m'instruire de ce qui m'était néces- saire pour m'en bien acquitter? » Et remarquons que quand ■* saint Augustin parlait ainsi, il avait déjà fait plusieurs savants ou-

* vrages pour la défense de la religion : déjà il avait écrit ses beaux ■* livres de l'Ordre, de ['Immortalité de L'dme, du Libre Arbitre, du

* Maître, de la Vraie Pieligio7i, elc, etc.. 11 avait donc ce qu'il ial-

* lait et plus qu'il ne fallait; mais ce grand homme avait une si

* haute idée du ministère de la parole, il pensait qu'une étude si

* profonde et si longue devait en précéder l'exercice, qu'il regardait

* comme rien tout ce qu'il avait fait. A cet exemple, le jeune prêtre,

* au sortir du séminaire, doit étudier longtemps avant de s'établir

* prédicateur. Qu'il fasse les instructions qui sont dans l'ordre de ses

* devoirs indispensables, à la bonne heure; mais qu'il attende, pour

* se lancer plus avant, que ses provisions de science soient faites. Alors

* il éprouvera la vérité de ces oracles de l'Esprit-Saint: Si la nuée est

* remplie, elle répandra sur la terre une pluie précieuse: Si repletx

* fuerintnubes, imbrem fundent super terram\ L'homme instruit

* fera de grands biens par sa doctrine ; sa science sera une source

* de vie pour ceux qui auront le bo:dieur de l'entenilre : Eruditus in

* verbo reperiet bona^-... Fons vitx eruditio possideiitis^. Pour mieux

* développer encore notre pensée à ce sujet, nous traiterons, dans

* un premier paragraphe, des sciences profanes que le prédicateur

* doit posséder, et dans un second, des sciences-sacréis nécessaires

* à son ministère.

Des sciences profanes que le prédicateur doit possiVlcr.

Le prédicateur doit, avant tout, bien posséder la langue dans hujuelle \\ [trêche, c'est-à-dire connaître le sens précis que les audi- teurs attachent à chaque mot, construire ses phrases d'une manière correcte , doinier à sa pensée la tonrniu'e convenable, et savoir la piésenler sous ses différentes faces pour iniriix la faiie ressoilir. Rien ne nuirait plus au succès de la prédication, surtout dans le temps nous sommes, que les fautes de français. Ce serait assez quelquefois d'un terme impropre, d'une phrase louche, d'un tour

* Ecoles., XI, j. - l'iov., XVI, 20. ^ l'iov., xvi, 22.

206 Tr.AITÉ DE i A l'KÉDICATIOÎÎ.

irrégulier pour prévenir contre le prédicateur, lui ôter créance, et lui valoir l'épithète d'ignorant. C'est ce qu'a dit très-bien Eoi- leau :

Surtout qu'en vos écrits la langue l'éîc^rée

Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée .

En vain vous me frappez d'un son mélodieux,

Si le terme est impropre ou le tour vicieux.

Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme,

Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme.

Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin

Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain

Or, pour arriver à la connaissance parfaite de sa langue, il faut en étudier soigneusement les principes, lire les bons auteurs qui en traitent, ne janiais laisser passer un doule ou une diflicnlté dans ses lectures ou ses coniposilions sans l'éclaircir, et ne point s'étayer d'une autorité en opposition avec les règles, parce qu'il est peu d'au- teurs auxquels, dans le cours d'un long ouvrage, il ne soit écbappé quelques irrégularités.

Le prédicateur doit connaître les préceptes de la rhétorique et les règles de la saine littératui e^ conserver toujours présente dans son esprit une idée générale des lieux communs oîi l'invention puise ses ressources, de la disposition et de ses différentes parties, de l'é- loculion et des figures qui donnent au discours grâce ou énergie. Il y aura toujours profit pour lui à repasser de loin en loin ces ma- tières, surtout s'il y ajoute la lecture de nos bons auteurs en fai- sant à leurs écrits l'application des règles. L'étude des humanités rend le goût plus fin et plus exquis, ouvre l'esprit, apprend à sentir et à bien rendre ce qu'on sent. D'ailleurs, comme nous l'avons fait observer dés le commencement de ce traité, les règles de la rhé- torique et les principes de la saine littérature doivent diriger toute bonne prédication.

Le prédicateur doit posséder parfaitement cette parlie de la logique^ qui apprend à discerner le vrai du fau.v, le certain de l'in- certain, l'évident du pr< bable, à se faire des idées nettes des choses, à les exposer avec clarté et méthode, à raisonner juste, pousser ses raisonnements jusqu'au bout et tirer ensuite ses conclusions, 11 n'y a de bon orateur, dit l'abbé d'Olivet^, que celui qui est boa logicien; avuirde la rhétorique, c'est quelquefois un titre au blâme et même à

* Voyez le- P. Albert, 1" part., c. xv. - Préface de la traduction des Piii- lippiijues de Déinosllicnes.

QUALITÉS DU PP.EDIGATEUR. 207

la raillerie : avoir de la logique, c'est toujours un sujet d'éloges. Un des défauts les plus ordinaires à ceux qui parlent en public, c'est de manquer de logique. La plupart ne sont que des rhéteurs qui pérorent et ne raisonnent pas ou raisonnent mal ; et pour com- prendre combien ce défaut est grave, il suffit de se rappeler que l'art de bien dire se compose de deux parties : la première a pour objet d'examiner qu'est-ce qu'on veut prouver, et si on le prouve par des arguments clairs, solides, concluants : c'est le fait de la lo- gique ; la seconde consiste à mettre ces preuves dans l'ordre qui peut faire le plus d'impression, et à les exposer de la manière la plus capable de frapper : c'est le fait de l'éloquence. Or il est évident que si la première partie manque, le discours pèche par sa base. Aussi Cicéron disait-il* qu'il était redevable de son mérite oratoire à la philosophie beaucoup plus qu'à la rhétorique : Fateor me ora- torem, si modo sim, non ex officmis rhetojmm, sed ex academix spatiis extitisse ; et il déplorait le divorce qui s'était introduit de son temps entre ces deux sciences, c'est-à-dire entre la pensée et la parole, entre l'esprit et la langue^. Il n'est donc pas permis au pré- dicateur de n'être qu'orateur, il faut qu'il soit beaucoup plus logi- cien : la logique lui fait trouver des preuves solides, et l'éloquence les fait valoir: comme logicien, il parle à la raison et convainc; comme orateur, il parle à l'imagination et au cœur, peint et per- suade, et ainsi tout l'homme est gagné. Donc le prédicateur doit bien posséder et même repasser de temps en temps la partie de la logique qui regarde la définition, la division le raisonnement et la méthode. Il lira avec utilité sur ces matières plusieurs chapitres des Leçons de philosophie de M. Laromiguière.

4" Il doit connaître le monde, la manière dont on y pense, dont on y parle, dont on y vit ; autrement il ressemblerait au médecin qui ne connaît pas le malade qu'il a à traiter. Il doit sui tout connaître le cœur humain, parce que c'est que se trouve la racine et comme le foyer du mal qu'il a à guérir. Il arrivera à cette connaissance en observant les hommes et surtout en étudiant son propre cœur. On demandait un jour à .Massillon il avait pris, lui qui vivait dans la solitude, des peintures si vraies d'un monde qu'il ne fréquentait pas : Dans mon propre cœur, répondit-il.

5" S'il n'est pas nécessaire, il serait au moins utile au prédica- teur de connaître l'histoire et les auteurs profanes. Il en pourrait

* Orot., c. m, ^ m, de Orat., n. ' 0 et seq

208 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

tiror des maximes et des traits propres à confondre las chréliens d'aujourd'hui qui pensent ou agissent moins sagement que nos pè- res, que tant d'iiommes vertueux, dans des positions !a vertu leur était bien plus difficile. Souvent même il pourrait les confondre par les exemples et les maximes des païens, qui ne se permettaient pas ce que font certains chrétiens, et qui avaient sur bien des points une morale meilleure, comme on pourrait le prouver, entre autres, par Épictète et Sénèqiie, lesquels ont des sentences d'une vérité et d'une justesse remarquables, A cet avantage s'en joint un autre, c'est qu'il trouverait les plus beaux modèles d'éloquence dans Cicé- ron et Démosthènes parmi les anciens ; da«s le recueil des princi- paux chefs-d'œuvre de l'éloquence française parmi les modermes» Toutefois il faut observer : 1" qu'il faut être sobre de citations d'auteurs profanes ; les prodiguer, ce serait ôter au discours sacré sa couleur propre, sa teinte évangélique; 2" qu'il faut se garder de présenter comme estimable ce qui n'est que le fait de l'orgueil, de la vanité ou de quelque autre sentiment peu conforme à l'Évangile comme les vertus païennes; S" qu'il n'est pas permis de parler en chaire des personnages de la Fable, ni de proposer pour modèles les exemples des vertus païennes que la religion n'a point sancti- fiées; 4" que le prédicateur ne doit donner qu'un temps médiocre à la lecture des auteurs païens : l'Écriture, les Pères et les auteurs chrétiens doivent toujours faire sa principale étude : saint Jérôme se reprocha vivement de s'être attaché à l'étude de Gicérun jusqu'à négliger celle des saintes Écritures ; 5" qu'on ne doit pas étudier les auteurs païens par amour pour la belle littérature ; celte fin n'est pas assez élevée pour une âme sacerdotale : on doit les étudier uni- quement en vue de se former au ministère de la parole; et en chei'ciiaut à imiter leur éloquence, il faut avoir soin de l'adapter au genre de la chaire chréitienne.

Des sciences sacrées nécessaires au prédicateur.

Le prédicateur doit connaître : l'Écriture sainte et la manière de s'en servir; les Pères ; 5" l'histoire ecclésiastique; 4" la théo- logie ; 5'^ la science de la vie spirituelle.

QUALITÉS DU PRÉDICATEUR. 209

SECTION l'\

De l'étude de l'Écriture sainte et de la manière de s'en servir *.

De l'étude de l'Écriture sainte.

L'Écriture sainte est le fond sur lequel doit travailler tout prédi- cateur ; et sa parole ne doit être que comme le développement de ce divin livre. Car, qu'est-ce que la prédication, sinon la parole de Dieu expliquée? Prxdica verhum, disait l'Apôtre à Timothée. Am- bassadeur de Dieu vers les hommes, le prédicateur doit recevoir de Dieu même la parole qu'il est chargé de leur porter ; envoyé du ciel, il doit en parler le langage. Or, cette parole de Dieu, ce hiiigage du ciel ne se puisent que dans l'Écriture sainte; et ce n'est qu'au- faiit qu'on tire de celte source sacrée tout le fond de sa prédi- cation qu'on a droit de dire comme saint Paul : In me loquitnr Christus... Posiiit in nohis verhum reconciliationis... Deo exhor- tante fer nos.

Les paroles de l'homme sont des paroles mortes incaijables de produire des fruits pour la vie éternelle ; mais la parole de Dieu, pleine de vie, porte en elle une vertu qui touche et persuade; c'est, pour parler avec l'Esprit-Saint, iin feu qui échavffeles plus froids, îin marteau qui brise les âmes dures comme la pierre., un glaive qui atteint ju.squ aux parties du cœur les plus intimes; et l'expérience démontre qu'il y a une grâce spéciale attachée aux paroles de l'É- criture, que les vérités liées à quelques passages des livres saints, dont le prédicateur a approfondi le sens ou fait sentir l'énergie, sont ce qui produit le plus d'impression et ce qu'on retient le mieux.

Mais si la sainte Écriture, fondue dans le discours sacré, est si utile à l'auditeur, elle est encore plus précieuse au prédicateur. Car, comme le dit l'Apôtre, elle peut servir à toutes les fins de la prédi- caliou, soit à enseigner le dogme ou expliquer les mystères, soit à développer la morale ou attaquer les vices : Oniiris scriptura divi- niths inspirata, utilisest ad docendum^ ad argue ndum, ad corripieu- dum, ad erudiendum injustitid, ut perfertus sit Jionto Dei, ad onuw opvs bomim ijistructus-; et saint Augustin assure que K; prédicaleuf ■excelle pins ou moins dans le miiiislèie de la parole, se!'jn ({u'il est

' Voyez le (iiiide cli' ('«iix ([ni .'uiiidiicfiit la [larnlc de Uivn, p •Cl suiv - H Tiiii., m, l(i ri 17,

14

21C TRAITÉ DE LA PHÉDICATION

plus OU moins habile dans la science des Écritures: Sapienter dicii tautb magis vel minus, quanto in scripturis sanctis magis minùsve profccit^. C'est qu'en effet la parole de Dieu communique au discours de l'orateur évangélique une autorité et une force que ne sauraient lui donner tous les raisonnements humains. Comme riionime porte naturellement dans son cœur, avec l'idée de la Divinité, un fonds de vénération pour elle, le style consacré des saints livres répand sur le discours une majesté touchante qui inspire la vertu, qui commande la soumission et le respect d'autant plus efficacenienî qu'il s'y mêle un charme de piété qui fait aimer la vérité qu'on prêche. L'o:iction de i'Esprit-Saint, dont l'Écriture est pleine, embaume la parole ; et l'amour de Dieu, le dévouement à son service, la charité envers le prochain, l'oubli de soi-même, tous les sentiments tendres et géné- reux s'en exhalent comme un doux parfum. Car, a dit un auteur trop célèbre en parlant de nos divins livres, jamais la vertu n'a parlé un si doux langage ; jamais la plus parfaite sagesse ne s'est exprimée avec t uit de grandeur et de simplicité. On ne peut lire ces pages sacrées sans se sentir meilleur ; elles poi tent dans l'âme l'a- mour de leur auteur, la volonté d'accomplir ses préceptes ; et Ion reconnaît le prédicateur qui s'en est pénétré à l'onction sainte qui coule doucement de ses lèvres. Quelque matière qu'il ait à traiter, il y trouve, pour embellir son sujet, des traits de vertu louchants et pleins d'intérêt. Ce sont les plus beaux exemples de piété, dans David, Josaphat et autres saints personnages ; de tendresse pater- nelle, d'amour filial, d'affection de famille, dans Joseph, Ruth et Tobie; de résignation parmi les épreuves, dans Job, Jérémie et les Ma('habées; de conduite noble et géiiéreuse, dans la manière d'agir d'Abraham envers Lot, de Joseph envers ses frères, de David envers Saùl ; d'une vie simple et laborieuse paruii les richesses, dans les patriarches.

Ajoutez à tous ces avantoges les beautés oratoires les plus magni- fiques, qui y sont semées à chaque page comme les étoiles au firma- ment, et qui ne demandent qu'à venir enrichir la parole du prédi- cateur. Tantôt c'est le snl^lime des idées et la magnilicence des images, comme dans ces peintures de la majesté de Dieu que nous ont laissées Moïse et Job, Isaïe et Barruch; tantôt c'est le pathétique et le véhément, comme dans ces vives remontrances que les prophètes aiiressent aux rois et aux peuples ; ici c'est le tendre, le doux et l'iii-

1 De Doct. christ., Lb IV, v.

QUALITÉS DU PRÉDICATEUR. 211

sinuant, comme dans les exhortations de Moïse aux Israélites avant sa mort, ou l'épître de saint Paul à Philémon ; c est la simplicité du goût antique jointe à la grandeur des pensées, comme dans la Gtinèse, dans l'Évangile, et surtout dans les discours de Jésus-Christ rapportés par saint Jean, presque tout est sensiblement divin- Tous ces organes du Saint-Esprit laissent au-dessous d'eux, à une distance incommensurable, les orateurs et les poètes profanes, et sont pour le prédicateur un trésor inépuisable de beautés littéraires, à l'aide desquelles il peut facilement donner à son discours vie et cha- leur, mouvement et force.

Aussi voyons-nous que les saints Pères ont tous regardé l'Ecriture sainte comme la source principale le prédicateur doit puiser ses pensées^; et eux-mêmes en ont fait le sujet continuel et presque unique de leurs éludes. Il ne se passait pas de semaine que saint Chrysostome ne lût les quatorze épîtres de saint Paul; et saint Ber- nard était si plein de toute l'Écriture sainte, qu'il n'a presque pas une phrase il ne s'en trouve quelque passage. Ce divin hvre était le foiîds ces grands hommes prenaient toutes leurs instructions; ils en développaient les histoires, ils en tiraient des sens pieux; ils en expliquaient les difficultés ; ils en appliquaient à la vie chrétienne les divins enseignements ; et s'ils voulaient parler d'un vice ou d'une vertu, c'était qu'ils puisaient les motifs d'éviter l'un et de prati- quer l'autre. aussi ont puisé nos grands orateurs ; Bourdaloue y trouve ses preuves, Bossuet ses comparaisons, ses exemples, ses images, ses traits sublimes ; Massillon en tire également des beautés merveilleuses, quoique ses citations soient plutôt des allusions heu- reuses, quelquefois même dans un sens opposé au texte, que de vé- ritables développements du texte lui-même. C'est donc une vérité incontestable que l'Ecriture sainte a été la mine féconde qu'ont creu- sée sans relâche tous les maîtres de la chaire. Dans les prophètes ils ont pris l'énergie et le pathétique de leurs discours; dans les livres historiques les traits édifiants et les allusions ingénieuses; dans les psaumes les sentiments de la piété la plus affective ; dans les livres sapienliaux des règles de conduite ; dans les éva;jgiles et surtout dans saint Matthieu, les préceptes moraux et les conseils de perfec- tion; daiis saint Paul tout le fond de la religion. Mais pour tirer de l'Ecriture sainte ces fruils précieux, il est des règles qui ap- prennent à s'en servir: nous allons les exposer.

* Voyez-en la pi-ciive dans Rallinyliou, Prwparalio ad locûs comvmnes.

212 TRAITE DE L.\ PRÉDICATION.

ii" De la manière de se servir de l'Écriture sainte dans la prédication^.

Il faut, au jugement de saint Augustin, que le prédicateur ait lu et connaisse l'Écriture sainte tout entière : Tolas legerit notasque habîierit, etsi non intellectu, tamen lectione- , parce que le livre qu'on aurait cru le moins utile au sujet qu'on traite contient quel- quefois les plus riches aperçus sur la matière ; et il faut de plus qu'il la relise continuellement, parce qu'elle est comme ces mines inépui- sables dans lesquelles on trouve toujours de nouvelles richesses, à mesure qu'on creuse, ou comme ces tableaux exquis dans lesquels on découvre toujours des beautés nouvelles, à mesure qu'on les étu- die davantage.

11 faut lire la Bible avec un sentiment profond de religion, comme une lettre envoyée du ciel, écrite par le Saint-Esprit lui- même : Quid est Scriptiira sacra, nisi epistola omnipotentis Dei ad creaturam siiam^l d.\gne, par conséquent, d'être étudiée avec une vivacité de foi et d'amour qui en grave les passages dans l'esprit, de manière qu'ils se représentent d'eux-mêmes à la pensée lorsqu'on en aura besoin. 11 faut s'en rendre le langage familier, en employer le plus souvent possible les expressions, mais surtout la méditer, en priant Dieu de nous en donner l'intelligence. Sans l'esprit d'oraison, on n'en retire que peu de fruit pour soi et pour les autres * ; on y puise des lumières qui brillent, mais sans échauffer, qui font ad- mirer le talent, mais sans convertir les cœurs. L'homme d'oraison, au contraire, qui la médite, qui se l'approprie, y puise un feu divin qui échauffe et embrase ; il s'élévâ au-dessus de l'homme par l'ex- pression comme par la pensée, ou plutôt l'homme disparaît en lui, et on ne voit plus que Dieu seul dont il emprunte le langage: Périt in eis quodam modo mens Jiumana et fit divina. Aussi Dieu dit-il à Ézéchiel : Comede volume^i istiid, et vadens loqiiere filiis Israël^; sur quoi saint Jérôme fait ce beau commentaire : Dévorez ce livre par une lecture assidue, digérez-le par la méditation, faites-le passer en votre substance ; autrement n'allez pas prêcher mon peuple : Nisi antè comederimiis volumen, docere non possiimus^.

Il faut interpréter l'Écriture selon la doctrine de l'Église et des

* Le V. Albert, 11'= part., c. xxiv. Pastoral de Limoges, t. II, II* part., tit. i, c. m, ggô et i. - De Doct christ., lib. Il, viii. 3 S. Grog. Magii., lib. IV, ep. XL ad Theod. * Le Guide de ceux qui annoncent la parole de Dieu, p. 25 i. ^ III, I. ^ In Ezech.

QUALITÉS DU PRÉDICATEUR. 2t3

Pères* ; ce sont les autorités qui en fixent le véritable sens. Cepen- dant, comme l'Écriture est un fonds qui rappoile sans cesse, il n'est pas défendu de donner de nouveaux sens, pourvu qu'ils soient fon- dés sur la lettre, conformes à la piété et à l'analogie de la foi. On n'exclut que les sens forcés, évidemment conlraires au sens naturel: citer ainsi l'Écriture sainte, ce serait la travestir et la défigurer ; ce serait la traiter, dit saint François de Sales, comme le carillon des cloches, à qui l'on fait signifier tout ce que l'on veut.

Si l'on veut prouver, il ne faut employer que des passages dont le sens littéral établisse la thèse en question ; c'est le seul sens qui fasse preuve. Si l'on veut expliquer ou développer, on peut employer des passages qui ne reviennent au sujet que dans le sens mystique, mais cependant avec précaution, et autant que possible, d'après l'autorité de quelque Père qui ait donné ce sens, à moins qu'on ne s'en serve seulement comme de point de comparaison. Tous les sermons de Massillon sont pleins de beautés oratoires tirées de ce sens mystique.

Il ne faut pas citer un grand nombre de textes, ou des textes trop longs : cela ennuie l'auditeur et dessèche le discours. 11 n'en faut que peu et de bien choisis, qui soient courts, clairs, frappants, faciles à retenir, bien appropriés au sujet, cités à propos et non pas pour prouver des choses évidentes.

6" Il faut très-peu ou point de citations latines, quand on parle à des auditeurs qui ne les comprennent pas ; et lors même qu'ils les comprennent, il faut toujours, avant de les citer, les traduire en français, en les dépouillant, autant que possible, de la construction latine, pour leur donner une même couleur avec le reste du discours et faire passer dans notre langue leur grâce et leur beauté.

7" Il faut rarement citer le livre, le chapitre et le verset : il suffit de dire en général : Comme dit VÉcrihire, comme dit saint Paul, etc..

8" Il faut expliquer le texte, le développer et l'appliquer au sujet. Tantôt on en commente chatpie mot pour en faire valoir la force et l'énergie ; tantôt, au lieu d'interpréter les mots, on s'attache au sens, et on 1(! fait ressortir, soit par les aniécédentselles conséquents, soit par le motif, l'occasion et les circonstances', soit par le respect et la

' Voypz S. Franrois de lîorpifi, de Hatione concionaiidi, dans le Guide de ceux qui annoncent, la ])arol(! de Dieu, p. ISI-'-iUi. - Voyez dans l'oraiî^ou funèbre d(; Henrielle d'Angleterre, comment. liossuet connuoiite le passade de David' Ecce mcnsurabilcs posuisti dies meos. et plus bas, un mot de Saiouion.

214 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

soumission dus à la parole de Dieu, soil enfin par d'autres passages de l'Ecriture ou l'iiiterprétalion des Pères.

Les Pères, les grands prédicateurs, Bossuet surtout dans ses Elévations, et Massillon dans tous ses sermons, ont fait un heureux usage des allusions aux choses de l'Ancien Testament, comme à l'ar- che de Noé, à la servitude d'Egypte, à l'Agneau pascal, au passage d^ la mer Rouge, à la colonne de feu, à la manne, à l'eau du rocher, au serpent d'airain, au voyage dans le désert. Ces allusions plaisent beaucoup aux auditeurs et relèvent le discours. Qui n'aimerait, par exemple, celte application de l'Écriture à la persévérance dans la prière, par Massillon?

Vous avez prié, et vous en êtes demeurés là, comme ce roi dlsraëi, après qu'il eût frappé trois fois la terre d'un javelot ; mais que ne poursuiviez- Tous, comme répondit le prophète Elisée à ce prince imprudent? Si vous eussiez frappé cinq fois, c'en était fait de l'Assyrie, et vous auriez rem- porté une victoire entière sur vos ennemis. Dieu avait marqué le mo- ment de sa grâce à une nouvelle demande; vous vous êtes découragés lorsque vous étiez sur le point de recueillir le fruit de vos peines : Si percussisses quinqities. Encore un peu de persévérance, vous obteniez ce que vous demandiez; encore un coup frappé à la porte, on vous l'eût ouverte'.

Qui n'aimerait encore cette belle allusion du pécheur qui retombe à l'idole de Dagon qui se renverse et chaque fois se mutile davantage*, et celte autre allusion de la Providence affligeant ceux qu'elle aime, à Joseph sentant renouveler toute sa tendresse lors même qu'il par- lait plus durement à ses frères^?

On lit aussi dans l'abbé Poule cette allusion touchante à la manne du désert :

Tout ce que les Israélites ramassaient de la manne, au delà de leurs besoins de chaque jour, s'altérait et se consumait. Moïse en fit remplir une urne qu'il plaça dans r;irche, et cette manne y fut inaltérable. Il en est de même des biens de la terre : tout ce que vous en gardez au delà du nécessaire et des bienséances de votre état se corrompt et vous cor- rompt vous-mêines. Cachez ces richesses superflues dans les arches vivantes de Jésus-Clu^ist, qui sont les pauvres : elles y deviendront incor- ruptibles *

10" On peut, pour se procurer des citations, se servir de la Con-

* Sermon de Massillon sur la Prière (Carême), jeudi delà première semaine. - Idem sur la Rechute, 11" part. ' Idem sur les Afflictions (Avent), vers la ^nde la l" part. * Sermon sur l'Aumône.

OUALITÈS DU PREDICATEUR. 215

cordanco ou du Thésaurus hiblicus ; mais il vaut mieux les puiser à la source.

SECTION 2. De l'étude des Pères *.

Les Pères sont par excellence les grands maîtres de la chaire. Initiés par une merveilleuse expérience à la connaissance du cœur humain et de ses penchants, parfaitement instruits de (eûtes les bien- séances pour parler en public, génies élevés, pleins de grandes vues et de nobles sentiments, esprits délicats, d'une politesse exquise dans l'expression comme dans la pensée, ils offrent au prédicateur dans leurs écrits des modèles sûrs. Les Pères grecs sont admirables en tout; les Pères latins ont, il est vrai, payé tribut au goût de leur siècle ; mais à côté des défauts de style qui tiennent à leur époque, ils ont des beautés inimitables. Quelle élévation de sentiments et de pensées dans Tertullien ! quelle manière noble et touchante, quel ton vélio- ment et sublime dans saint Cyprien! quelle force de raisonnement et quel talent de persuasion, quelle noblesse d'idées et quel tact exquis, quel langage tendre, affectueux et insinuant dans saint Augustin ! quelle énergie, quelle expression mâle et grande dans saint Jérôme ! Saint Ambroise excelle par une force de persuasion inimitable et par la tendresse du sentiment quand le sujet y prête ; saint Léon est grand et élevé ; saint Grégoire plein de dignité et d'onction ; saint Bernard plein de dignité et de force. Voilà donc d'immenses richesses, et elles sont toutes à nous : ce sont les écrits de nos Pères; c'est par conséquent notre héritage ; nous pouvons y prendre la doctrine, les raisonnements, les preuves, les tours même. Nous serons louables de préférer les pensées de ces grands hommes aux nôîres ; ce fonds étranger deviendra notre propre bien par l'usage que nous en ferons. Or, un prédicateur, pour peu qu'il ait le talent de la parole, se trou- vant au milieu de ces richesses immenses dont il lui est permis de prendre tout (;e qu'il lui plait, peut-il manquer de parler d'une ma- nière intéressante, instructive et solide, grande, noble, et majes- tueuse? Bourdaloue a tiré des Pères ses priui^ipaux raisonnements, et puisé en eux cette connaissance profonde de la religion qui fait le

' Voyez le Traité des Éludes de Rolliii, t. 11. De la l-ctlure des Pères, par D;i:KOiine, IV» partie, c. xv. Essai sur l'éloquence do la chaire, par Maury, n" 10. Discours préliminaire sur les Homélies de S. Chrysost., par l'abbé

AuKcr.

'ii(j ïUAiii': iii: LA 1'i;li)!catio>'

mérite cloniiiiiiiit de ses discours. Bossnct cite conlinuoUement Ter tullien et saint Aiiguslin ; et c'est de ces deux Pèies i}u'il emprunte ses pensées les plus sublimes, ses raisonnements les plus convain- cants, les descriptions et les comparaisons les plus frappantes. On peut en voir un exemple dans le magnifique exorde de son sermon pour le dimanche des Rameaux sur Ihonnour du monde, dans un autre sermon du même jour sur la nécessité des souliVances, et ail- leurs. Massillon, quoique beaucoup moins riche en ce genre que Bourdaloue et Bossuet, y a puisé cependant de grandes beautés. On peut voir entre autres le pa: ti qu'il tire de saint Augustin vers la fin du sermon sur la confession', et d'un autre du même Père dans le sermon sur le mauvais riche, vers la fin du premier point. Si l'on objecte que les Pères n'ont pas d'ordre et de méthode dans leurs discours, nous répondrons qu'ils se proposaient un but tout différent du nôtre; nous, nous prenons un sujet, nous l'envisageons sous ses différentes faces, nous encadrons ces aperçus dans un plan régu- lier, et en formons pour ainsi dire un traité. Les saints Pères avaient une autre marche ; ils prenaient beaucoup moins de matières et ne cherchaient pas comme nous à épuiser leur sujet ; il leur suffisait de dire ce qu'ils jugeaient utile au bien des auditeurs, ou propre à produire l'intérêt et les sentiments qu'ils voulaient inspirer, et ils supprimaient tout le reste. Conformément à ce principe, plusieurs de leurs écrits oratoires sont moins des discours réguliers que des avis ou des entretiens paternels adressés à leur peuple, des explications de l'Ecriture sainte dans lesquelles ils font entrer, selon les circon- stances des temps et des lieux, toutes les instructions, réprimandes ou exhortations qui intéressent le salut des âmes confiées à leur sollicitude.

Quant à la manière de se servir des Pères "^ nous observerons, que, la plupart des prédicateurs ne pouvant consacrer que peu de temps à cette étude, il vaut mieux se borner aux écrits oratoires, et entre ceux-ci, aux meilleurs, c'est-à-dire à saint Chrysostome, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, parmi les Grecs; saint Augustin et saint Bernard, parmi les Latins. RoUin pense que si l'on possédait bien seulement les homélies de saint Chrysostome et les sermons de saint Augustin sur l'Ancien et le Nouveau Testament, avec quelques

* Grand Carême, vendredi de la première semaine. - Voyez le P. Albert, II« part., c. XXVI et xxvn. Le Guide de ceux qui annoncent la parole de Dieu, p. '255 et suiv.

QUALITÉS DU l'RÉniCATEUU 217

autres petits traités de ce dernier Père, on aurait le fonds le plus riche pour tous les genres de prédicalion. Les homélies de saint Chrysostonie et de saint Basile, traduites par rahbé Auger, pourraient suffire plusieurs; d'autres pourraient lire la Bibliothèque des Pères, par M. Guillon. Nous observerons, que les citations qu'on fait des Pères doivent être courtes, vives et énergiques : longues, elles ennuieraient et ne feraient pas d'impression. Elles doivent aussi être peu nombreuses en chaque sermon : autrement on n'aurait pas le loisir de les paraphraser de manière h en faire ressortir l'énergie; et l'auditeur, écrasé par le' grand nombre, n'en retiendrait peut-être aucune. Enfin elles doivent être choisies avec discrétion ; il est bien des choses que les Pères n'auraient pas dites de la même manièie s'ils avaient écrit de nos jours : c'est donc au prédicateur à faire la part des circonstances ils écrivaient. Il ne faut pas citer toujours le même Père ; l'auditeur aime la variété : du reste, quel que soit celui dont en emprunte les paroles, il est bon d'en relever l'autorité. Ainsi Bossuet, citant saint Augustin, l'appelle, pour faire ressortir le poids de son témoignage, la plus grande lumière de VÉglise au v" siècle, V oracle de l Eglise d^ Afrique, alors une des plus savantes du monde. 4°Entin, on trouvera beaucoup de citations utiles dans le Thésaurus Pairum ; mais le mieux est toujours d'aller aux sources.

SECTION 3. De l'élude de Thistoire ecclésiasiiqiie.

L'étude de l'histoire ecclésiastique est utile à tous : on y apprend à mieux connaître la religion, son esprit, son influence sur le bon- lieur des sociétés et des particuliers, sa hiérarchie et sa discipline : l'expérience des siècles forme à la connaissance des hommes; et une notion exacte des faits révèle le faux des olijections que les ennemis de la religion ont voulu en tirer en les dénaturant. iMais cette étude, si utile à tous, l'est plus spécialement encore au prôdicaleur : il y trouve dans la marche des événements les traits visibles de la Provi- dence de Dieu sur son Église ; dans les mœurs et la discipline des temps anciens, des leçons pour nos temps modernes, partout des rappiochemeiils et des preuves à l'appui de ses assertions. N'en retiràl-il d'autres fruits que de pouvoir enrichir ses discours des faits édifiants dont se composent les vies des saints et qui sont connne l'Évangile en pratique, cela seul lui serait un avantage inapprècia-

218 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

ble, et donnerait le plus grand intérêt ù ses prédications*. Caria curiosité naturelle de riiomme pour connaître les affaires d'autrui fait(|n'on écoute toujours un récit avec plaisir; cela réveille l'atten- tion dans ceux qui étaient distraits, la délasse et la soulage dans ceux qui écoutaient. Puis, les faits font mieux comprendre les doctrines ; c'est l'argument le plus frappant, le plus à la portée de la multitude; il semble que la chose se passe sous nos yeux, tout le monde voit et comprend. C'est même un excellent moyen, soit de faire entendre certaines vérités délicates et d'avertir ceux qu'on n'oserait reprendre, soit de décider les auditeurs à mettre l'instruction en pratique : les faits, en leur démontrant possible, facile même, ce qu'ils disaient impratica])le, réfutent tous leurs prétextes, et laissent la lâcheté sans excuse. Ces récits ont encore l'avantage d'être la partie de linstruc- tion qu'on retient le mieux, et souvent même la seule chose qu'on retienne ; la doctrine rattachée à des faits sensibles se grave plus profondément dans l'esprit et dans le cœur. Enfin, comme les faits d'autrui émeuvent naturellement, ils ouvrent la porte du cœur ; le prédicateur y entre, et déduit de son récit avec succès des exhorta- tions ou des avis, des promesses ou des menaces, selon les circons- tances : c'est comme le corolla're tiré d'un principe.

Mais, pour que les histoires produisent ces heureux effets, il est certaines régies à observer. Il n'en faut point citer qui ne soient certainement vraies. Des histoires apocryphes déconsidéreraient la religion et feraient peser sur le clergé le reproche de crédulité et d'ignorance. On doit même être trés-réservé par rapport aux visions, aux extases et aux faits, peut-être vrais en eux-mêmes, mais qui prêteraient aux railleries et aux sarcasmes des hommes du jour. 2" Il n'en faut pas être prodigue; un trop grand nombre fatiguerait les auditeurs et les détournerait du sujet principal. C'est assez, dans une instruction, d'un ou de deux exemples bien choisis et cités à propos. 5" 11 faut proposer ces exemples avec une grande clarté et d'une manière facile à retenir. Il faut retrancher de son récit toutes les circonstances qui ne font rien au sujet, et faire ressortir toutes celles qui sont propres au but qu'on se propose, en s'atlachant à être assez court pour n'ennuyer pas, et assez long pour que l'exemple pénétre : on doit y éviter les dialogues entre les person- nages dont on parle, à moins qu'ils ne soient fondés sur une très-

* Fénelon, de l'Éducation des filles, c. vi. Préface du Catéch. hist. de Fleury. Le P. Albert, II« part., c. xxix.

QUALITES DU PREDICATEUR 219

grande probabiliié, courts, saillants et snns tiivialité, Après le récit, il faut en faire l'application aux audiîeurs d'une manière vive, et leur montrer qu'ils doivent imiter le trait proposé.

SECTION 4.

De l'étude de la théologie.

La science de la théologie est le fondement essentiel de tou(e bonne prédication : car, le prédicateur enseignant la vérité aux hommes de la part de Pieu, doit non-seulement ne point errer, mais être sûr qu'il n'erre pas et qu'il expose la doctrine évangélique dans toute sa pureté. Or, sans un fonds solide de science théologique, le prédicateur errera ou hésitera en beaucoup de choses ; en matière de dogme, il confondra ce qui est de foi et ce qui ne l'est pas ; il ne sera ni exact dans l'exposé de !a doctrine, ni solide dans les preuves, et par ébranlera la foi des auditeurs ou les jettera dans l'erreur : en matière de morale, il confondra le conseil avec le précepte, ce qui est de perfection avec ce qui est d'obligation, ce qu'on peut to- lérer avec ce qu'on doit interdire, et, faussant la conscience des au- diteurs, ou il les tranquillisera mal à propos par des décisions relâ- chées, ou il les rebutera par une morale exagérée. 2" Sans science théologique, il ne saura pas lui-même ce qu'il y a à dire sur chaque sujet; il n'aura rien de précis dans l'esprit, rien de clair dans la pen- sée; et au défaut d'une instruction solide, il se livrera à des écarts d'imagination, se jettera dans des généralités qui ne laisseront aucune idée nette dans l'esprit des auditeurs, et dira des choses peu utiles, aussi impropres à éclairer l'intelligence qu'à convertir le cœur. Il n'y a que l'hommesolidement instruit qui puisse faire un discours clair et nourri de doctrine : il faut savoir les choses à fond pour les en- seigner avec netteté et précision.

Le prédicateur doit donc étudier la théologie, et l'étudier tous les jours; car ce n'est qu'à cette condition qu'on la sait. Mais il faut ici observer deux choses : la première, c'est dérégler ses études; la curiosité qui court sans ordre d'un sujet à un autre, qui effleure tout sans rien approfondir, n'amasse que confusion et ne recueille que des connaissances superficielles sans encliainenient et sans suite. Saint François de Sales, pour prévenir cet écueil, s'attache à la Sonnne de saint Thomas, qu'il vénérait comme le plus grand des

Voyez Pastoral de Limoges, t. IF, l" |i;irl., Ut. m, c. ii. g '2.

2'iO TUAlTt; DE LA rfiEDlCATIO.N.

doctiHirs et le plus profond des théologiens; il l'étudin, le niédiJa, l'approfondit avec une infatigable persévérance, il s'en rendit les principes si familiers, qu'il en faisait dans toutes les circonstances une application aussi facile que juste. De cette exactitude et cette sagesse de doclrine si remarquables dans tous ses écrits. La se- conde cliose à observer, c'est d'éviter dans ses instructions un vain étalage d'érudition et de science, et tout ce qui élèverait le discours au-dessus de la portée du commun des auditeurs, comme seraient les abstractions métaphysiques. Le prédicateur qui entend l'éloquence prend plus de soin d'être intelligible que de paraître docte. Il n'ex- clut pas la science, mais il en cache ce qui embarrasserait l'intelli- gence des fidèles, et n'en montre que ce qu'il peut mettre à leur portée. Alors l'ignorant comprend, le snvant s'édifie, et tous sont contents.

SECTION 5. De la science de la vie spirituelle.

Tout prédicateur ayant pour mission de retirer les pécheurs du vice et de les former à la vertu, d'affermir les faibles et de perfec- tionner les justes, doit par cela même connaître les règles par les- quelles l'âme se détache du péché, se façonne aux vertus et s'élève à la perfection ; c'est-à-dire qu'il doit connaître la science de la vie spirituelle, puisqu'elle n'est autre chose que la science de ces règles. Fleury se plaint^ qu'il est des prêtres qui ne connaissent pas le corps de la doctrine chrétienne et la suite des desseins de Dieu sur nous, dont, par conséquent, la dévotion ne peut être que superficielle, parce qu'elle n'est pas fondée sur des principes soUdes. 11 serait donc très- utile au prédicateur de s'être fait à lui-même un abrégé de l'expli- cation des choses nécessaires à la foi et à la vie parfaite. Rodriguez, dans son admirable ouvrage de la Perfection chrétienne ; Grenade, dans toutes ses œuvres ; le P. Saint-Jure, dans son beau livre de la Connaissance et de l'Amour de Jésus-Christ, lui offrent, sous ce rapport, une mine inépuisable. Il pourra lire aussi très-utilement tous nos ouvrages ascétiques, comme l'Imitation, le Combat spirituel, les Fondements de la vie spirituelle par le P. Surin ; les œuvres de saint François de Sales, la Retraite du P. Judde, et nos auteurs d'instruc- tions religieuses, comme Lambert, Guillet, Couturier, et le Caté- chisme du concile de Trente. Toutefois ces livres ne le rendront

* Préface du Catéchisme historique.

QUALITÉS DU PRÉDICATEUR. 221

habile dans cette science qu'autant qu'il les étudiera : dans un esprit d'oraison, parce ([ue la méditation en apprend plus que tous les livres sur Jésus-Christ et nos mystères ; dans un esprit de pra- tique, parce que la science des saints est une science expérimentale dans laquelle la pratique des choses ou la propre e:\perieiice icnd plus savant que l'étude et la spéculaiion.

* Ici finit tout ce que nous avions à dire touchant l'idée qu'il faut

* se faire du ministère delà prédication : maintenant il ne sera pent- *être pas sans intérêt de voir comment saint Paul, ce grand modèle

* du prédicateur, a rempli admirahlement cette idée. Ce sera une

* confirmation de tout ce que nous avons dit, et par conséquent une

* digne conclusion de cette première partie.

* Nous ne nous arrêterons pas à prouver combien pai'faitement

* saint Paul a connu l'excellence et la nécessité de la prédication :

* ceci ressort assez des développements donnés dans les deux pre-

* niiers chapities. 11 a en outre traité toutes les matières de la pré-

* dication d'une manière adaptée à la dignité de son apostolat, à la

* portée, aux besoins et aux dispositions de ceux auxquels il s'adres-

* sait. Le moindre souvenir de ses Épitres prouve ces assertions.

* Conmic û développe magnifiquement tous les points de la doctrine !

* Comme il sait prendre toutes les formes et tous les tours pour se

* proportionner à ses auditeurs ! Quelle adresse dans son discours à

* l'Aréopage ! Quelle noblesse et quels ménagements dans son apo-

* logie devant Félix et Agrippa ! Quelle tendresse et quelle onction

* dans son épître à Philémon ! mais surtout comme il a su donner à *sa prédication les trois caractères qui font le grand orateur! lia ■*su convaincie par la force des raisoimements, docere; plaire par la

* vivacité des tours et l'agrément des images, delectare; émouvoir

* les passions par les njouvements patliéli(jues et les grandes figures,

* movere. Il a su convaincre, docere. A Damas il confond les Juifs;

* à Jérusalem il terrasse les Grecs [)ar la puissance de sa parole, tel-

* lement que, ne pouvant souffrir la honte d'être vaincus, ils cher-

* client à le faire mourir; à Athènes il convainc, par un seul de ses

* dis(;ours, un sénateur de l'Aréopage, qui se convertit avec toute sa

* famille; dans toutes les villes il discute avec les Juifs, les païens,

* les épicuriens, les stoïciens, et partout il st fait admirer ; les hycao-

222 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* nicns même le prennent pour Mercure à cause de son éloquence.

* Dans ses Épîtres, vous le voyez partout poursuivant la thèse qu'il a

* entreprise, démontrant invinciblement tout ce qu'il avance, et em-

* portant par la force du raisonnement toute difficulté qui tombe

* sous sa main. Avec quelle adresse dans ses épitres aux Romains (t

* aux Galates il fait valoir contre eux les témoignages de l'Ancien

* Testament! Comme il presse ses adversaires! comme il les en-

* traîne à son but sans leur laisser aucune issue par laquelle ils puis-

* sent échapper à la force de sa dialectique! Quelle abondance de

* preuves dans sa prenjière épître aux Corinthiens, pour démontrer *le dogme de notre résurrection future, et dans la seconde avec

* quelle force, quel talent d'insinuation il fait l'apologie, tant de sa

* personne que de son ministère, et pousse ses adversaires jusque

* dans leurs derniers retranchements ! Et qui n'admirerait surtout la

* puissance de logique qu'il déploie dans son incomparable épître

* aux Hébreux? Comme il prouve par des raisons invincibles la supé-

* riorité de Jésus-Christ sur les anges, sur Moïse et sur tous les

* prêtres de l'ancienne loi, puisant tous ses arguments dans la théo-

* logie même des Juifs, qui ainsi ne pouvaient les récuser sans aban-

* donner leurs propres principes! Aussi saint Augusiin, si capable

* d'en juger, professe-t-il que saint Paul était un excellent dialecticien,

* et que jamais personne n'a raisonné avec plus de force. Saint

* Paul a su plaire par la vivacité des tours et l'agrément des images,

* delectare. Sans doute, son style n'est pas sans défaut, il n'a pas

* toute la pureté attique, souvent même son éloculion a quelque

* chose de rude, et ses constructions sont embarrassées et irrégu-

* liéres ; mais toujours son expression est juste, vive, touchante et

* quelquefois hardie, grande et sublime. Quelle beauté de diction,

* dans le douzième chapitre de l'épître aux Romains, que Grotius

* trouve tout entier du genre d'Isocrate ! dans le onzième chapitre

* de la seconde épître aux Corinthiens, saint Augustin admire à

* juste titre une éloquence toute divine et une vivacité de tours mer-

* veilleuse ! dans l'épître aux Hébreux, la pureté et la magnifî-

* cence du style le disputent à l'excellence des matières et à la su-

* blimité du sujet! Partout sa parole s'embellit des figures les plus

* propres à animer le discours, l'interrogation, l'exclamation, l'anti-

* thèse, la comparaison, l'énuméralion, la gradation et quelquefois

* même l'ironie : tout s'anime et prend vie sous son pinceau ; dans

* son langage, la doctrine élémentaire est le lait des enfants, la doc-

* Irine plus parfaite le pain des forts; la parole de Dieu est un glaive

SAINT PAUL, MODÈLE DU PRÉDICATEUR. 223

* à deux tranchants qui pénétre jusqu'aux moeller^ de l'âme ; la foi

* est un bouclier qui repousse les traits enflammés de l'ennemi ; l'es-

* pérance est une ancre arrêtée dans le ciel ; la charité est une cui- *rasse qui cou\Te tout entier le soldat de Jésus-Glirist ; les démons

* sont une armée d'ennemis invisibles qui planent au-dessus de nous

* dans les airs; les fidèles sont un champ que Dieu cultive, un édi-

* fiée qu'il bâtit, un corps dont les membres, étroitement unis entre

* eux, sont vivifiés et mus par le même chef; les bons sont les

* azymes, les méchants sont le levain qui fait aigrir toute la pâte ;

* les Gentils sont des hosties vivantes que l'Apôtre immole par le

* glaive de la parole et consacre à Jésus-Christ ; lui-même est une

* libation qui va bientôt se répandre, une victime qui va être im-

* molée sur la prédication de la foi, un atblète qui court dansl'a-

* rêne; il va saisir la couronne qui l'atteud au bout de la carrière.

* Sa prédication est un grand édifice dont Jésus-Christ est le fonde- *ment; et sur ce fondement les uns élèvent l'or, l'argent et les

* pierres précieuses, les autres le bois, la paille et un foin aride ; *mais un feu vengeur en fera le discernement. L'Éghse est une

* colonne ferme, un fondement inébranlable, un palais magnifique

* so trouvent des vases d'honneur avec des vas'S d'ignominie,

* et qui porte écrite sur sa base la céleste devise qui assure l'immuable

* stabilité. Et que dire de la belle comparaison dt s membres du

* corps humain, que nous hsons au chapitre Xll'' de la première

* épître aux Corinthiens? Un Romain célèbre l'avait déjà employée,

* mais combien l'Apôtre la présente d'une manière plus vive, plus

* énergique et plus pittoresque ! Ainsi saint Paul a su plaire et

* intéresser, delectare ; il n'a pas moins exceUé dans le talent d'émou-

* voir, movere. Les figures les plus vives et les plus pathétiques

* viennent, sans être recherchées, tantôt élever son discours jus-

* qu'au sublime, tantôt le rendre touchant jusqu'à amollir les cœurs

* les plus durs. Quoi de plus achevé et de plus vrai, au jugement de

* Grotius lui-même, que la vive description de la corruption des

* Gentils, au cliapiire I" de l'épître aux Romains! Quoi de plus animé

* et de jilus pittoresque que le tableau qu'il trace de l'hounne asservi

* au joug de la concupiscence, .ipprouvant le bien qu'il ne fait pas, et '* [ais;ml le mal qu'il condamne 1 Avec (jUcUe splendeur d'images il

* décrit le grand miracle de notre résurrection future et de la trans-

* formation des corps glorieux, l'appaiition subite ùe Jésus-Christ

* descendant des cieux environné di^ ses anges et d'un tourjjillon de

* llammes, tous les lionunes ressuscites cl allant à sa rencontre au

224 TRAITE DE LA TREDI CATION.

* milieu des airs ! Il n'est pas moins touchant lorsqu'il trace le ta-

* hleau de ses propres souffrances, de ses travaux, de ses dangers, de

* ses morts multipliées, de ses infirmités, de ses tentations, de ses

* révélations, de ses extases; et quel parallèle plus magnifique

* que celui qu'il nous a fait du ministère ancien et du ministère

* nouveau, le premier changeant comme la figure qui passe, le

* second immuable comme la vérité qui demeure; d'un côté Moïse

* ébloui des splendeurs divines, obligé de voiler son visage et lais-

* tant le voile sur les yeux des Juifs incrédules; de l'autre, les apôtres

* ("onlemplant à face découverte cet abîme de clartés, et connne

* transformés dans la splendeur de l'essence divine ! Quel autre pa-

* i;dlèlenon moins saisissant d'intérêt entre la Jérusalem terrestre et

* la Jérusalem céleste ! D'un côté, une montagne toute en feu, une

* nuée ténébreuse, l'obscurité et le bruit de la tempête, des foudres

* et des tonnerres, une voix si terrible qu'elle effraye les Israélites et

* i^lace Moïse d'épouvante ; de l'autre, la montagne de Sion, la cité

* du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, une troupe innombrable

* d'anges, l'Église des premiers-nés dont les noms sont écrits dans *les cieux. Dieu le rémunérateur des justes, Jésus le médiateur du

* Nouveau Testament, dont le sang crie plus haut que celui d'Abel.

* Que dire enfin de la magnifique description de la foi dos justes de

* l'Ancien Testament, des qualités glorieuses de Jésus-Christ et des

* splendeurs incomparables de son sacerdoce ! C'est ainsi que saint

* Paul éblouit et surprend l'imagination par la grandeur des figures ;

* et il n'est pas moins habile à subjuguer et entraîner les cœurs par

* la vivacité des mouvements : tantôt il se livre à tous les transports

* d'une sainte indignation ; tantôt il fait entendre les accents tou-

* chants d'un père, d'une mère, d'un ami tendre. Il pénètre jusqu'au

* cœur et vous montre palpitantes les entrailles de sa charité. Dé-

* iiiosthénes a-t-il rien de plus véhément que ses réprimandes aux

* Juifs qui n'observaient pas la loi qu'ils connaissaient (ch. II del'É-

* pitre aux Romains), et aux fidèles qui portaient leur procès autri-

* bunal des païens (ch. VI de la première aux Corinthiens)? Et d'un

* autre côté, ces Juifs qu'il réprimande avec tant de véhémence,

* comme il les aime ! Il les aime jusqu'à vouloir être auathème pour

* eux. Ces Corinthiens qu'il vient de censurer si fortement, il les

* porté tous dans son cœur. « Notre bouche s'ouvre pour vous, ô Co- *iiathiens! leur écrit-il, notre cœur se dilate de tendresse, vous

* n'êtes point à Tètroit ou f(ind de nos entrailles, dilatez donc aussi

* vos cœurs pour nous recevoir. Quand vous auriez dix mille maîtres,

SAINT PAUL, MODÈLE DU PRÉDICATEUR. 225

* VOUS n'avez qu'un seul Père, et c'est moi qui vous ai engendi es en

* Jésus-Christ. Je ne cherche pas vos hiens, mais vos âmes, et je suis

* tout prêt à sacrifier tout ce que je possède et à m'inuiioler moi-

* même pour votre salut. » Ailleurs, il louche, il attendrit par d'au-

* très accents de charité, se révèle l'ànie la plus aimante, un

* cœur plus que paternel, l'affection d'une nourrice qui réchauffe ses

* nourrissons dans son sein, d'une mère qui enfante avec douleur

* les fruits de sa tendresse. 11 est donc vrai que saint Paul a eu le

* talent de pénétrer et d'émouvoir, comme nous avons vu qu'il avait

* eu celui de plaire et de convaincre, docere^ delectare, movere.

* Qu'il ait su donner aussi à sa prédication ce caractère d'unité,

* essentiel à toute bonne composition, c'est une chose dont son

* grand talent et les discours qui nous restent de lui au Hvre des

* Actes ne nous permettent pas de douter : d'où nous pouvons con-

* dure que sa prédication a eu toutes les qualités que nous avons

* décrites. Il ne nous sera pas plus difficile de démontrer qu'il a eu

* lui-même toutes les qualités d'un parfait prédicateur.

* Il a eu la mission légitime; c'est Jésus-Christ lui-même qui

* l'a envoyé, comme il le dit en tête de presque toutes ses épitres :

* Paidîis apostolus Jesu Christi, et comme il l'établit dans l'épître

* aux Galatos et dans la seconde aux Corinthiens. C'est d'ailleurs un

* fait prouvé surabondamment par les prodiges qui suivaient ses pas,

* par les effusions miraculeuses du Saint-Esprit descendant à sa voi.v

* sur les fidèles, par cette multitude de conversions qu'il appelait

* lui-même une apologie de son apostolat écrite de la main du Dieu

* vivant, et mille fois plus convaincante que celle qui est tracée par

* une encre corruptible.

* Et cette mission, il la tenait, non, comme les autres apôtres, de

* Jésus-Christ vivant sur la terre, mais de Jésus-Clnist ressuscité et

* régnant au plus haut des cieux, qui Ta instruit de sa propre bou-

* che, de sorte que s'il était allé- à Jérusalem voir Pierre, ce n'était

* point pour recevoir ses instiuctions, mais pour saluer en sa per-

* sonne le chef de tout l'apostolat et se niellre en harmonie avec

* celui auquel tout devait être subordonné et d'où (hv.iit partir le

* rayon du gouvernemeiit.

* Cette mission avait de plus ceci de remarquabh% qu'elle n'était

* pas, comme celle des autres apôtres, ponr un pjiys ou un [)rii[)le particulier, mais pour la GenliUlé tout entière, de soi te ((u'elle

* n'admettait d'iiulres bornes que celles de l'univins. Ccini-ci. av.iit

* dit le Sauveur à An, mie, est un vase d'élection (leliiiè ,'i \)<>ylov [,i

TRAITE DE LA PREDICATION.

* gloire de mon nom, non-seulement aux enfants d'Israël, mais

* aux rois et aux nations de la terre ; et il déclare lui-même aux *Éphésiens que, quoiqu'il soit le dernier de tous, il a reçu la mis-

* sion et la grâce d'annoncer aux Gentils les richesses ineffables de

* Jésus-Christ.

* 2" 11 a rempli celte mission céleste avec une parfaite pureté d'in- *tention; qui peut en douter? Cette grande âme comptait pour rien

* l'opinion des hommes : Mihi pro minimo est, et ne se glorifiait

* que dans la croix de Jésus-Christ. Si je voulais plaire aux hommes,

* disait-il, je ne serais plus serviteur de Jésus-Christ; je neveux *d'aulre gloire que le témoignage de ma conscience. Quelques-uns

* prêchaient à Rome par un sentiment de malveillance envers lui ;

* mais, disait-il , quelle que soit l'intention qui les anime, je me ré-

* jouirai toujours, pourvu que Jésus-Christ soit annoncé et formé

* dans les cœurs. C'est ainsi que la gloire de Dieu et le salut des

* âmes étaient les deux seuls mobiles de son ministère et de toute

* sa conduite.

* 5" Il a été saint et a prêché d'exemple ce qu'il recommandait

* aux autres : il ne demande aux fidèles que de faire ce qu'ils l'ont *v« faire lui-même : Qux vidistis in me, hsec agite; il les loue de

* ce qu'ils suivent ses exemples : Et vos imitatores mei facti estis ; *iî prend Dieu à témoin de la conduite sainte, juste et irréprocha-

* ble qu'il a tenue parmi eux : Vos testes estis et Deiis, qiiàm sanctè

* et juste sine querelâ fuimus ; enfin il va jusqu'à les conjurer d'être

* ses imitateurs comme il l'est lui-même de Jésus-Christ : Imitatores

* mei estote, sicnt et ego Christi. Si, en effet, il leur prêchait la

* pénitence, il châtiait son corps et le réduisait en servitude ; s'il

* leur recommandait la patience dans l'adversité, il était toujours

* dans les tribulations et les épreuves ; s'il les exhortait au sacrifice

* de leurs intérêts les plus chers, il avait lui-même renoncé à tout *pour Jésus-Christ, et gagnait sa vie en travaillant de ses mains ; ^ s'il leur annonçait le crucifiement de toutes les inclinations de la

* nature, il était lui-même tout attaché à la croix et servait le Sei-

* gneur dans la faim, la soif et la nudité ; s'il leur prêchait l'humi-

* lité, il n'était à ses yeux qu'un persécuteur outrageux, le plus '* grand des pécheurs, un avorton qui ne mérite pas de voir la lu- *mière; s'il les animait à la charité et au support de leurs frères, il

* s'était fait tout à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ. Enfin

* Jésus-Christ était toute sa vie ; il ne vivait pas, mais c'était Jésus-

* Christ qui vivait en lui.

SÂI^■T PAUL, MODÈLE DU PRÉDICATEUn. 227

*4° Il a eu au plus haut degré le zèle du salut des âmes : sans "* citer les passages de ses Épîtres respire le zèle le plus brûlant,

* les faits seuls parlent assez hautement. Emporté par l'ardeur qui

* le dévore, cet apôtre insatiable de la gloire de son Maître el du sa-

* lut des âmes parcourt en les évangélisant les villes de l'Asie

* Mineure, passe de en Europe, prêche la foi à Philippes, Thessa-

* Ionique, Bérée, Athènes, Corinlhe, Éphèse; et depuis Jérusalem '^jusqu'aux confins de l'illyrie, il remplit tous les lieux du bruit de

* sa prédication; de il se rend à Rome et se propose de porter

* jusqu'en Espagne et aux extrémités de l'Occident le nom et l'É-

* vangiie de Jésus-Christ. Il est dominé par la grande et noble pensée

* de réunir tous les peuples de la terre dans une même foi, et ce

* projet si digne de son grand cœur ne le laisse en repos ni jour ni

* nuit.

* 5" Il a excellé dans l'esprit d'oraison. Il assure lui-même qu'il

* priait sans cesse avec une grande abondance de larmes, cuni mul-

* tis lacnjmis, afin d'attirer les bénédictions de Dieu sur ses tra-

* vaux. Ses courses et ses fatigues n'interrompant jamais sa prière ;

* jeté dans les cachots et chargé de chahies à Philippe, il faisait

* monter vers le ciel les accents de celte prière humble et fervente

* qui convertit le geôlier et toute sa maison. Son oraison même était

* si sublime, que plus d'une fois elle a été accompagnée de révéla-

* tiens, d'extases et de ravissements jusqu'à être transporté au troi-

* sième ciel.

* (5" Saint Paul a possédé à un haut degré le talent de la parole;

* cela résulte clairement de tout ce que nous avons dit en parlant

* des caractères de sa prédication.

* Il a eu la science nécessaiie au prédicateur. Les citations

* qu'il fait de trois poètes grecs, d'Aratus, dans son discours à l'A-

* réopage ; de Ménandre, dans sa deuxième aux Corinthiens, et

* d'Épiménides, dans sa lettre à Tite, prouvent qii'il n'était pas

* étranger aux connaissances littéraires; mais il est bien plus

* admirable, c'est dans cette sublime théologie apprise au troisième

* ciel de la bouche de Jésus-Christ régnant glorieux à la droite de ' son Père, et(ju'il a transmise à l'Kgiise par ses Épitres. Qu'il nous

* soit permis d'en donner ici une légère esquis-e dans les termes

* mêmes de l'Apôtre. Toute la théologie se réduit à connaître Dieu,

* rhomme, sa réparation après sa chute, sa justificalion, sa glorifi-

* catior: ou son châtiment dans la vie future, et enfin les règles de ■* la morale qui doivent le diriger dans la vie présente. Oi-, saint Paul,

228 TRAITE DE LA ri'.ÉDÎCATlON.

* dans ses Épitres, nous fait connaître toutes ces choses avec une

* magnificence d'idées incomparable.

* Il nous fait connaître Dieu; c'est, selon lui, le Roi immortel

* des siècles, le Dieu invisible et unique, le seul heureux, le seul

* puissant, le Roi des rois, le Dominateur des dominateurs, qui pos-

* sède l'immortalité et habite une lumière inaccessible, celui que nul

* mortel n'a vu ni ne pourra jamais voir, à qui appartient la gloire

* et un empire éternel, qui vivifie les morts et appelle les choses

* qui ne sont pas mèn^e comme celles qui sont; c'est en kii que

* nous avons l'existence, le mouvement et la vie ; c'est le Père des

* miséricordes et le Dieu de toute consolation. Il a un 111s unique

* qui est la splendeur de sa gloire, l'empreinte de sa substance ; qui

* porte tout par la toute-puissance de sa parole ; qui a créé, outre

* les êtres visibles, les Puissances, les Trônes et les Dominations ;

* qui étant dans la forme de Dieu, pouvait, sans usurpation, s'égaler

* à Dieu; qui renferme en lui toute la plénitude de la Divinité; qui

* est le grand Dieu sauveur, le Dieu béni dans les siècles des siècles.

* Le Saint-Esprit est le lien d'amour qui unit le Père et le Fils ; et

* c'est cet Esprit adorable qui a parlé par les prophètes, qui a inspiré

* les Écritures, qui est l'auteur de tous les dons merveilleux répan-

* dus dans l'Église ; c'est par lui cpie les docteurs enseignent la sa-

* gesse, que les prophètes annoncent l'avenir, que les thaumaturges

* opèrent les prodiges, que les interprèles dévoilent le sens caché

* des Écritures; c'est par lui qu'on parle dans l'Église des langues

* étrangères, qu'on guérit les malades, qu'on discerne les Espîits;

* c'est lui seul qui peut sonder les profondeurs de la Divinité; et ces ^ trois divines personnes réellement dislinctes, puisque l'Apôtre les

* fait agir à part et leur attribue des opérations propres et singuliè-

* res, ne forment cependant qu'un seul Dieu : Nohis tamen uniis

* J)eus. 1'^ L'Apôtre nous fait connaître l'homme ; il nous montre

* le premier Adam en qui tous ont péché, et qui, par son péché, a

* introduit la mort dans le monde. Tous sont enfants de colère par

* le malheur de leur origine; et de cette corniplion originelle qui

* infecte également et le Juif et le Gentil, résulte le combat intérieur

* de la concupiscence et de la grâce, de la loi des membres et de

* la loi de l'esprit, la lutte continuelle de ces deux hommes con- *traires, dont l'un fait le mal et l'autre veut le bien; d'^i l'Apôtre

* conclut en s'écriant : Malheureux homme que je suis! qui me dé-

* livrera de ce corps de mort? Il va vous l'apprendre lui-même

* en nous révélant, en troisième lieu, la réparation de l'homme

SAINT PAUL, MODÈLE DU PRÉDICATEUR. 229

* après sa chute. La nature avec les maximes d'une philosophie or-

* gueilleuse était impuissante à opérer cette réparation : témoin les

* égarements affreux des philosophes: la loi, avec ses ordonnances

* et ses menaces, pouvait arrêter la main, mais ne changeait pas le

* cœur et irritait la concupiscence sans la réprimer. La foi seule en

* Jésus-Christ pouvait donc relever l'homme déchu ; et ici l'Apôtre

* nous fait connaître ce Médiateur incomparahle envoyé pour nous

* sauver. Aucun de ses mystères n'échappe à sa vue et à son pin-

* ceau : avec quelle magnificence il nous décrit le mystère de ce

* Dieu, manifesté dans la chair, justifié par les œuvres du Saint-Es-

* prit, montré aux anges, prêché aux nations, cru dans le monde et

* reçu dans la gloire, apparaissant aux hommes assis dans les té- ■* nébres de la mort comme un soleil levant pour les éclairer de ses

* divins rayons: Apparuit gratia Dei salvatoris, etc., participant à

* notre nature, afin d'être en état de souffrir et de mourir pour

* nous, se donnant comme le prix de la rédemption de tous, s'offrant

* comme une victime de propiliation et d'agréable odeur aux yeux

* de Dieu, médiateur entre Dieu et les hommes, réconciliant le

* monde avec un Dieu irrité, pacifiant par le sang de sa croix le

* ciel avec la terre , déchirant la cédule de condamnation portée

* contre nous, arrachant à l'enfer ses trophées et ses dépouilles, et

* menant attachées à son char de tiiomphe les puissances des té-

* nébres ; livré à la mort pour expier nos péchés, et ressuscitant

* pour nous donner le modèle d'une vie nouvelle, puis montant au

* plus haut des cieux, menant à sa suite une multitude de captifs

* dont il a brisé les fers ; et l'Apôtre nous le représente pénétrant

* par son sang dans le sanctuaire éternel, s'asseyant à la droite de

* la Majesté divine, il vit toujours pour intercéder pour nous,

* Pontife saint, innocent et sans souillure, plus élevé que les cieux,

* prêtre selon l'ordre de Melchisédech, sans commencement ni fin,

* dont le privilège est de ne point avoir de successeur, mais d(; rem

* plir éternellement par lui-même les fonctions de son immortel sa-

* (Trdoce. 4" Pour justifier l'homme par l'application de tant

* d'ineffables mérites, l'Apôtre nous montre une suite de docteurs

* et de pasteurs qui doiv^'iit se succéder ju.s(|u'à la consonnnatiou des

* siècles ; une Église, le fondement de la foi et la colonne de la vé-

* lité, afin de nous réunir tous^ dans l'unité d'une même croyance ;

* les sacrements, qui ne sont plus des éléments sans vertu, mais des " canaux de vie, lesquels purifii'iil l'Kglise et lui donnent une beauté

* é;.^alement exempte et des taches de la laideur et des rides de la

250 ÎP.AITÈ DE LA PRÈDICITIUN.

* vieillesse ; le baplèmo, qui nous régénère et nous sanctifie par la vert

* de ses eaux ; la confinnation qui nous affermit et nous marque du

* sceau du Saint-Esprit; l'euiliarislie, qui est la participation du

* corps et du sang de Jésus-Christ, participation si réelle, que la re-

* cevoir indignement, c'est profaner ce corps et ce sang adorable, et

* qui est en même temps le sacrifice propre des chrétiens, auquel ne

* peuvent participer les prêtres lévitiques ; la pénitence, sulfisam-

* ment indiquée par la peine satisfactoire imposée à l'incestueux de

* Corinlhe; l'ordre dont Tirnolhée doit ressusciter en lui la grâce ;

* enfin le mariage, avec sa nature et ses devoirs si bien décrits, et le

* titre exprès de grand sacrement. A ces moyens extérieurs de sanc-

* tification, l'Apôtre ajoute les moyens intérieurs plus admirables

* encore, et montre le chrétien toujours sous l'empire de la grâce,

* objet de la prédile(;tion des trois personnes divines : le Père l'a

* prédestiné de toute éternité d'après le mouvement gratuit de sa vo-

* lonté, le Fils l'a racheté et justifié par son sang; et, assis à la droite

* du Pèie, il ne cesse d'intercéder pour lui ; le Saint-Esprit l'ainme, *le régit, éclaire ses ténèbres, répand la charité dans son cœur, lui

* donne la confiance d'appeler Dieu son père, pousse au fond de son

* âme ces gémissements ineffables qui sont toujours exaucés. La

* grâce, après avoir créé en nous Tliomme intérieur, n'abandonne

* point son ouvrage : c'est elle qui nous fait croire et pratiquer, qui

* nous crée dans les bonnes œuvres, qui nous inspire le vouloir et le

* faire, et sans elle nous ne pouvons rien : avec tant de secours,

* comment ne parviendrions-nous pas à la gloire? 5" Ici, l'Apôtre

* nous décrit avec un éclat merveilleux le dernier avènement du

* Sauveur pour nous emmener avec lui dans son royaume. Au signal

* de la trompette, dit-il, il descendra du ciel environné de ses anges

* et d'un tourbillon de feu ; les justes iront à sa rencontre dans les

* airs, revêtus de corps glorieux et resplendissants, prés desquels

* pâliront la beauté des planètes, l'éclat du soleil et des étodes; et

* ils pourront alors insulter à la mort. 0 mort ! est ta victoire ? ô

* enfer ! est ton aiguillon? Grâces à Dieu qui nous a accordé celte

* grande victoire par Jèsus-Chiist ! Quant à ceux qui n'ont pas obéi

* à rÉvangile, ils seront séparés de sa face adorable et souffriront

* des peines éternelles. L'Apôtre ne décrit pas d'une manière

* non moins admirable les règles de morale qui doivent diriger le

* chrétien dans la vie présente. 11 pose la foi comme le grand prin-

* cipe de la justification ; le juste vit de la foi et se perfectionne par

* la foi ; sans la foi il est impossible de plaire à Dieu ; c'est par la foi

SAINT PAUL, MODÈLE DU PRÉDICATEUR. 231

* que les patriarches et les apôtres, tous les justes de l'ancienne

* alliance ont été agréables à ses yeux ; cette foi doit être ferme et

* nous rendre en quelque sorte visible l'objet de nos espérances; elle

* doit être vive et opérer par la charité. A la foi doit se joindre l'es-

* pérance qui nous sauve : Spe salvi facti sumus. Appuyée sur

* les divines promesses, elle ne confond jamais ; elle se fortifie au

* milieu des épreuves, elle attend le Sauveur qui viendra des cieux,

* elle est comparable à une ancre immobile fermement attachée à ce

* divin tabernacle Jésus noire précurseur est entré. Puis vient la

* charité ; et ici comme l'Apôtre est magnifique ! Il en démontre

* la nécessité , il en décrit les touchants caractères , il l'élève au-

* dessus de tous les dons surnaturels et la suit jusque dans le ciel

* elle doit survivre à toutes les vertus, et faire notre éternelle

* béatitude. Que ne dit-il pas encore de la pénitence, de la pureté,

* de la mortification, du crucifiement intérieur, de la douceur, du

* support des infirmités de nos frères, de l'humilité d'esprit et de

* cœur ? Il veut qu'un disciple de Jésus-Christ soit une parfaite copie

* de cet excellent modèle, qu'il le représente dans tous ses mystères,

* qu'il meure avec lui, qu'il ressuscite avec lui pour ne plus mourir

* par le péché, mais toujours vivre de la justice. Le chrétien vivant

* de la foi, soutenu par l'espérance, enraciné dans la charité, fortifié *par l'Esprit-Saint, tenant à Jésus-Christ comme la pierre à son fon-

* dément, comme la branche à sa racine, comme le membre au

* chef qui lui donne le mouvement et la vie, ne doit point mettre de

* bornes à sa perfection ; il doit croître sans cesse dans la charité,

* dans l'union avec Jésus-Christ dont il doit être revêtu, avec lequel

* il doit être incorporé, ou plutôt qui doit vivre en lui tout entier. A

* mesure que l'homme extérieur se dissout et se détruit, l'homme

* inlérieur doit se renouveler, se fortifier et s'avancer sans cesse

* vers cette plénitude d'âge, vers cette mesure de l'homme parfait

* qui ne se trouve qu'en Jésus-Christ. Nous pourrions encore suivre

* l'Apôtre expliquant les devoirs particuliers de chaque condition ;

* mais c'en est assez, et nous sommes abondamment autorisés à

* conclure que saint Paul a réuni au plus haut degré toutes les qua-

* lités d'un orateur évangélique et a été le plus excellent des prédi- ^ cateurs.

SECONDE PARTIE

DE LA PRÉPARATION QUE DEMANDE LE MINISTÈRE DE LA PRÉDICATION.

Ce que nous avons dit jusqu'ici sur les caractères de la Prédication et les qualités du prédicateur démontre assez la grande préparation que demande ce ministère. Tout le monde comprend que ce n'est qu'après de longs efforts qu'on peut atteindre cette mesure de sainteté et de science que doit avoir l'orateur sacré, pour donner à sa prédi- cation les caractères marqués. Maintenant, quittant ces considéra- lions générales et descendant à des détails particuliers, nous allons considérer le prédicateur se préparant, dans le cabinet, à monter en chaire ; et, pour le diriger dans ce travail, nous traiterons : 1" de la préparat:on éloignée ; de la préparation prochaine.

TUA Ë DE LA PRÉDICATION.

CHAPITRE PREMIER

De la préparation é.'oîgnée.

La préparation éloignée consiste en certains moyens de se former à la prédication : il en est trois principaux, savoir : les lectures, les recueils, les essais de composition.

ARTICLE 1«'.

DES LECTURES *.

11 est deux sortes de lectures : les unes ont pour objet de recueillir des idées et des matériaux en vue de composer actuellement une instruction ; et celles-là regardant la préparation prochaine, nous n'avons point à nous en occuper ici, nous en traiterons plus tard ; les autres ont pour objet de former le goût et de développer les talents qu'on a reçus de la nature, et c'est de celles-oi seulement que nous avons à traiter en cet article.

Il est certain que la lecture des bons modèles est le premier et le plus excellent moyen de se former au ministère évangélique et de développer ses talents naturels. Car, comme Sénèque Ta justement observé, la voie des préceptes est longue, celle des exemples est à la fois plus courte et plus facile : Longum iter per prxcepta, brève et effïcax perexempla. Les rèj^les et les préceptes, d'ailleurs si utiles et si nécessaires, ne peuvent même être bien compris qu'autant qu'on en voit l'application dans les bons modèles ; voilà ce qui en fait con- naître l'esprit, en révèle le sens, en enseigne la pratique, et ce qui forme le goût. Mais pour tirer de ces lectures tout le fruit qu'elles peuvent produire, il est plusieurs règles à observer.

1'* Règle. Il faut se borner longtemps, et jusqu'à ce qu'on ait le goût formé, à un petit nombre d'excellents ouvrages ; Diu nonnisi

* Voyez la Véritable Manière de prêcher selon l'esprit de l'Évangile, par le P. Albert, III» part., c. xxi et suiv. Traité des Études de RoUin, liv. III, c. ni, art. 2, § 1 Quintil., liv. II, c. v et vi.

PRÉPARATION ÉLOIGNÉE. 235

optimv.s quisque et qui credentem sibi minime [allât, legendus est, dit Quintilien^ I.a raison de cette règle, c'est qu'en lisant des ouvrages médiocres, on s'expose à se laisser séduire par un éclat trompeur de style ou de pensées, à prendre la fausse éloquence pour la véri- table, et à se gâter le goût peut-être pour toute la vie ; c'est, en second lieu, qu'en méditant à fond un petit nombre d'ouvrages vrai- ment modèles, on se pénètre de leur esprit, de leur genre et de leur manière ; on se les approprie, on les convertit en son propre esprit, si je puis ainsi dire; et par on se forme le goût et on perfectionne son talent , tandis que celui qui lit beaucoup de livres sans rien approfondir ne relire que peu de fruit de ses lectures.

2' Règle. Dans le choix de ses livres de lecture, il faut se défier de son propre jugement, consulter des hommes d'un goût sûr, et n'admettre que des ouvrages consacrés par le jugement des siècles ou placés au premier rang par une opinion pubhque certaine et inva- riable. Tels sont, parmi les auteurs profanes, DêmosthènesetCicéron, que saint Charles et le P. Ségneri lisaient souvent comme les grands modèles de l'art de bien dire ; parmi les Pères, saint Chrysostome et saint Augustin ; parmi les prédicateur du grand siècle, Bourda- loue pour le fond des choses etMassillon pour le style. Nous enga- geons les jeunes gens à s'en tenir pendant longtemps à ces deux auteurs pour la langue française : le défaut de Bourdaloue, qui est d'être souvent froid et monolone, sera corrigé par la grâce, le mou- vement et la chaleur de Massillon : et le défaut de Massillon, qui est de ne pas instruire assez, de traiter peu le dogme, d'exagérer la morale, se corrigera par le genre si instructif, si sohde et si exact de Bourdaloue ; et ainsi ils auront dans ces deux auteurs tout ce qui fait l'excellent prédicateur. Ils ne liraient pas sans danger ni M. de Boulogne, qui gâte trop souvent son beau talent par un style antithé- tique et recherché ; ni le cardinal Maury, dont la phrase ambitieuse, manquant souvent de précision, est plus riche en mots qu'en pen- sées et en sentiments; ni la plupart de nos auteurs modernes, chez lesquels on trouve si rarement le goût pur, la justesse et le naturel ; ni même Bossuet, qui, par cela même qu'en certains endroits il vous ravit, vous transporte, vous terrasse d'admiration, si je puis amsi dire, dispose les esprits peu formés, tantôt à vouloir imiter ce qui est inimitable, tantôt à tout admirer en lui, même les endroits défec- tueux, et par à se dépraver le goût. A plus forte raison doivent-ils

* Lib. X, cap. i.

236 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

s'interdire tous ces livres nouveaux écrits dans le genre romantique, qui ne sont [tropres qu'à pervertir l'esprit, souiller le cœur et dé- goûter de tout ce qui est grave et sérieux. Il est vrai que le prêtre doit prononcer sur les lectures à permettre ou à interdire à ses péni- tents; mais il a deux moyens de s'éclairer à ce sujet: le premier est de s'en tenir au jugement de la Bibliographie catholique ou autres revues estimables ; le second est de jeter un coup d'œil rapide sur le livre, et de s'arrêter dés qu'on a reconnu qu'il est mauvais. Pour avertir que tel breuvage est du poison, il n'est pas nécessaire d'en vider la coupe jusqu'à la lie.

5' Règle. 11 faut lire peu à la fois et réfléchir beaucoup : Miiltiim legendiim, non multaK Lorsqu'on lit trop à la fois, l'esprit se fatigue, effleure sans approfondir, et n'en recueille rien de net et de distinct : c'est comme une plaie d'orage qui ne mouille que la surface et s'écoule sans pénétrer en terre. L'essentiel est donc de réfléchir beaucoup, c'est-à-dire d'étudier le plan, la conduite et l'ensemble du discours, de suivre l'enchaînement et la liaison de ses parties, de se rendre compte à soi-même des raisonnements et des preuves en les dépouillant de tout l'éclat extérieur qui les environne et dont il ne faut pas se laisser éblouir, de peser ces raisons et ces preuves pour voir si elles sont solides, si elles vont au sujet, si elles sont à leur place; enfin de se mettre dans l'esprit toute l'économie du travail de l'auteur de manière à pouvoir dire : Ici il veut prouver telle chose, et il la prouve par telles raisons ; il explique telle vérité et en fait l'application à son auditoire. Puis, après avoir ainsi décomposé le discours et l'avoir réduit à sa plus simple expression, on examinera comment l'auteur a agrandi et embelli ces idées pre- mières, revêtu ce squelette de si magnifiques couleurs ; par quelles ligures et tournures oratoires il a relevé telle preuve et telle consi- dération, avec quel art il a appliqué telles règles et tels préceptes do la rhétorique; et par on parviendra peut-être, à son grand profit, à surprendre le secret de l'auteur sur l'art d'écrire. C'est aussi le sage conseil que donne le P. Jouvency : Vide, ditMl, cùm eloquentem locum legis aiidisve, quid te movcat, quemadmodum moveat, cur moveat, ut se insinuet orator, ut reluctantem animum nunc frangatvi, nunc astu capiat, ut spe, odio, timoré accendat^. Pour mieux fixer ses réflexions, il serait même souvent utile d'ana- hser par écrit les discours qu'on lit, c'est-à-dire d'en rédigerle plan,

» riin. Jun., lib VII, c. ix. « De Rat. dise, art. i, § 5

PliÉI'ARATION ÉLOIGî^ÉE. 257

les divisions et subdivisions avec leurs principaux développemeiils : l'habitude de ces analyses accoutume l'espi il à la réflexion, le fami- liarise avec l'ordre et la méthode, grave dans la mémoire les beautés de l'ouvrage, et lait insensiblement contracter la facilité d'écrire et de rendre ses pensées.

4' Règle. En hsant les auteurs, il faut avoir l'esprit assez élevé et assez étendu pour apprécier toute espèce de beautés qui s'y trouve. Beaucoup, dans ces lectures, se laissent aveugler par la prévention : ainsi tel qui aime le sentiment et la grâce du style ne peut souffrir Bourdaloue et tout ce qui ressemble à la dissertation ; tel qui a le goût du soUde ne peut souffrir Massillon et tout ce qui n'est pas raisonnement; tel qui recherche les belles applications d'Écriture sainte prend en dégoût toute lecture il n'en trouve pas, et rejette le livre en disant : II n'y a rien dans cet ouvrage, parce qu'il n'y trouve pas l'idée fi.\e qu'il y cherche.

ARTICLE 2.

DES RECUEILS.

Un des premiers fruits que le prédicateur doit tirer de ses lectures, c'est de recueillir par écrit ce qu'il y trouve de plus touchant, et de plus propre à convertir. Locos sibi compambit, dit saint Charles, quibus auditornm animi commoveri soient ad amoreniDei. En notant ainsi dans un recueil toutes les choses saillantes et remarquables qu'on lit ou qu'on entend, qui nous frappent ou nous louchent, on se crée pour l'avenir un trésor précieux qui fournit plus tard de quoi parler sur toutes les matières, et épargne des recherches péni- bles, souvent infructueuses; on se rend profitables pour loul 1ère:- te de sa vie et les instructions ou lectures publiques auxquelles on assiste, et les études ou lectures privées auxquelles on se livre, et les réflexions que l'on fait et les sentiments (ju'on éprouve ; lien n'est perdu, une intelligente précaution met tout en réserve pour le jour du besoin; tandis que si l'on néglige ce recueil, on laisse périr le fruit de ses lectures, de ses réflexions ou impressions, de la pluj-.art même de ses études. Au moment de la composition, on se souviendra peul-èlre d'avoir lu ou entendu quelque (;hose sur la malière (lu'on a à traiter, mais qu'a-t-on lu ou entendu? mais le retrouver? on l'ignore. On a senti vivement autrefois cerlaiiu^s considérations sur ce même sujet; et sous l'impiession de (;e sentiment vif, on eût écrit

238 TUAITÉ DE LA PREDICATION.

alors des pages pleines d'âme et de chaleur; mais aujourd'hui on n'en est phis touelié, ou on l'est si peu que le senliiaenl n'inspire rien. On est donc dans une indigence complète, dépourvu de tous matériaux; le passé n'a rien laissé en réserve pour le présent : n'est- ce pas une perte déplorable? Aussi l'autorité et la pratique des hommes les plus graves déposent-elles en faveur de l'utilité de ces recueils. Entre un grand nombre que nous pouri ions citer,nousnous bornerons à quelques-uns. Le savant pape saint Damase regardait comme temps perdu toutes les lectures dont on ne prenait pas note : Lectionem sine stylo somnium piita ; saint Charles s'était composé à lui-même de vastes recueils, et on lit, dans la préface de ses Homé- lies', qu'il en retirait les plus grands avantages pour écrire et varier ses instructions. M. Tronson ne lisait rien de remarquable qu'il ne le notât, et c'est de que nous est venu son excellent ouvrage qui a pour titre : Forma cleri. Les règles de la société de Jésus prescrivent ces recueils aux prédicateurs^; saint François de Borgia et le P. Aquavia les leur recommandent de la manière la plus expresse*; et saint François Xavier en parle en ces termes au P. Barzée : « Rap- « pelez-vous, lui écrit- il : 1* que ce que l'on confie au papier s'im- « prime plus avant dans la pensée; le soin de l'écrire et le temps « qn'onymetle gravent dans la mémoire; 2" que les choses qui « nous ont frappés finissant par s'effacer de notre esprit, il n'en res- « tera rien si, pendant que les idées sont encore fraîches, nous ne « les écrivons sur des cahiers nous puissions les retrouver, comme « les gens du monde conservent dans leurs archives les litres dont « ils peuvent avoir besoin. Le profit que produit ensuite la lecture de « ces cahiers, est semblable à celui des mineurs qui retrouvent une (( veine de métal qu'ils avaient perdue; car en creusant cette veine, « ils en tirent d'abondantes richesses. » Enfin, plein de la même vérité, le P. Mabillon, juge si expert en fait d'études, voulait que les jeunes gens commençassent les recueils dont nous parlons dès les premières années ils en sont capables*.

La manière de faire ces recueils est facile. On a un cahier dans lequel on indique an haut des pages, par ordre alphabétique, certains titres, comme abstinence, baptême, charité, esj)érance, foi, etc.; et sous ces titres on écrit toutes les choses remarquables qui

* Prafat. in Hom., p. S, 10. ^ Guide de ceux qui annoncent la parole de Dieu, p. 148. 3 Ibid., p. ,i)-î et 208. * Trailé des Études monastiques, II' jart.

PRÉPARATION ÉLOIGNÉE. 239

s'y rapportent, à mesure qu'on les lit dans l'Écriture sainte ou ail- leurs, qu'on les entend dans les prédications ou la conversation, qu'elles se présentent à l'esprit lorsqu'il réfléchit, ou même dans les moments les plus inattendus, comme une promenade, un temps d'insomnie, etc.. 2" Il ne faut mettre dans ce recueil que ce qui a rapport à la prédication, et faire, si l'on veut, des recueils sépa- rés pour la théologie ou les autres sciences ; autrement, on ne pour- rait plus se reconnaître dans son travail, et la confusion des idées le rendrait inutile. 11 ne faut pas écrire tout au long les passages de l'Écriture sainte ou des Pères, mais se borner à en indiquer quel- ques mots en marquant le livre et le chapitre l'on pourra au be- soin retrouver le texte dans son entier. La relation complète du texte serait une perte de temps et grossirait trop le cahier. 4" Une faut mettre dans ce recueil que les endroits vraiment dignes d'être spécialement remarqués; et si l'on a lieu de craindre qu'on se laisse éblouir par un faux brillant, il est sage d'attendre que le premier feu de l'enthousiasme soit passé pour juger plus sainement si la chose mérite d'être notée. Quand le passage ou la réflexi^" que nous voulons consigner dans notre recueil nous touche et -wus électrise, il est bon de profiter de ce moment d'inspiration pour écrire ce que l'on sent et les conséquences pratiques qui se ré- vèlent alors à notre pensée. Jamais nous ne serons plus éloquents que dans ces moments nous sommes pénétrés et pleins de notre sujet. Nous observerons seulement qu'alors il faut s'occuper d'écrire ce qu'on sent plutôt que ce qu'on veut faire sentir aux autres, et s'appliquer ces notes à soi-même plutôt qu'à un auditoire qu'on se compose par l'imagination au gré de l'amour-propre, et qui jamais peut-être ne sera tel qu'on se le représente.

Le Thésaurus biblicus et le Thésaurus Patrum offrent des modè- les de recueils, mais ne dispensent pas de s'en faire à soi-même; rien ne peut être adapté à notre genre d'esprit, à notre trempe d'âme comme ce que nous avons goûté et senti nous-mêmes,

ARTICLE 3.

DES ESSAIS DE COMPOSITION.

La lecture et les recueils enrichissent l'esprit ; les essais de com- position lui apprennent à fiiire usage de ces richesses ; et Cicéion dit justement que le meilleur de tous les maiires dans l'art d'c

'240 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

crire, c'est l'exercice*. On peut s'exercer ainsi en plusieurs ma- nières.

Après qu'on a décomposé par l'analyse et étudié à fond un discours, ainsi que nous l'avons dit à l'article de la lecture, il serait très-utile d'essayer de le recomposer pendant qu'on a encore le génie échauffé par celte étude, et de comparer ensuite son travail avec celui de l'auteur. Rien n'est plus propre que cet exercice à ou- vrir l'esprit, à perfectionner le goût, à faire comprendre l'applica- tion des règles et à les graver dans la mémoire en caractères ineffaçables. Si l'on ne veut pas se donner la peine de faire les ana- lyses sur lesquelles on doit travailler, on trouvera des canevas tout faits à la fin des sermons de Bourdaloue, de Massillon, du P. Se- gaud et de plusieurs autres. On peut travailler sur cet excellent fond, et comparer ensuite 5-a composition avec celle du maître auquel on a emprunté le plan.

2" Un autre essai de composition plus simple, mais non moins utile, c'est de lire attentivement une ou deux pages parfaitement écrites, soit en français, soit dans une autre langue morte ou vi- vanlb, de manière à en retenir toutes les principales pensées; puis, mettant le livre de côté, de rendre ces pensées par écrit le mieux qu'on peut, en s'efforçaiit de reproduire les figures, les mou- vements et les tours de l'auteur, de saisir ses formes et son carac- tère, sa grâce, sa précision et son énergie. On reprend ensuite le livre et l'on compare son style avec celui du modèle. Par ce rap- prochement, on discerne sans peine et les défauts de sa compo;i- lion, et les tournures qu'il eût fallu prendre, et, en général, quelle est entre plusieurs manières d'exprimer une pensée celle qui est la meilleure.

11 serait très-utile de s'exercer à rendre en français moderne les plus remarquables de nos vieux auteurs français, comme le P. Lejeune, le P. Binet, le P. Lingendes : ce serait le moyen de se former à penser et à sentir comme ces auteurs qui ont du reste un fond si excellent. Massillon s'est exercé ainsi sur le P. Lejeune.

h" Les maîtres de l'art recommandent encore comme un exer- cice très-important d'essayer de traduire et de faire passer dans notre langue les beautés soit des principaux livres de l'Écriture sainte, comme Job, Isaie, les Psaumes; soit des saints Pères, comme

1 Cuput est... quàm plurimîan scribere. Stylus optimus et prxstanlissimus dicendi effector ac magister. De Orat., lib. I, c. xxxni, n' lûO.

PREPARATION ÉLOIGNÉE. 2H

sîjint Chrysostome et saint Basile parmi les Grecs ; saint Augustin et saint Çrégoire le Grand parmi les Latins. Les efforts qu'il faut faire poui rendre exactement l'original, lui conserver sa grâce, sa cou- leur et sa manière, obligent l'esprit à se pénétrer de ses l^eautés, à penser et à parler comme lui, à s'approprier son style et ses tour- nui'es, enfin à lutter avec son modèle; et, dans cette lutte, à avoir recours à toutes les ressources de la langue d'où naii une fécondité merveilleuse d'idées, de tours il d'expressions. Cicéron nous a;!- prcnd ^ que la méthode par laquelle il s'est le mieux formé à l'élo- quence, a été de traduire en sa langue les plus beaux morceaux des grands oiatcurs de la Grèce. Fénelon se prépara à la composition du Télémaque par la traduction de l'Odyssée, dont il prit l'esprit, les grâces, l'abondance ; Jean-Jacques Rousseau acquit par la tra- duction de Tacite cette vigueur et cette énergie de style qui fait le propre caractère de ses ouvrages. C'est donc une excellente mé- thode ; seulement il faut bien choisir l'auteur et l'endroit de l'au- teur qu'on veut traduire ; autrement on se gâterait le goût.

Une dernière méthode pour bien apprendre à écrire, c'est Timitation, laquelle consiste à transporter dans ses propres écrits les images, les sentiments, les pensées d'un auteur en les dégui- sant avec esprit ou en les embellissant. Les grands modèles nous inspirent; et une bonne part de l'art, dit Quintilien-, consiste à imi- ter ce qu'on trouve en eux de parlait, l'abondance et la richesse des termes, la variété des figures et la manière de composer. Virgile s'est formé en imitant Homère, Cicéron s'est inspiré de Démoslhè- nes, Pindare a été imité par Horace, lequel lui-même a été imité parBoileau. Pour réussir dans cette imitation, il faut^, choisir les modèles les plus purs et les plus parfaits, viser à les atteindre et même à leur disputer la victoire, sans jamais se laisser aller au désespoir de les égaler. Car, dit Quintilien, altiùs ibwit qui ad summa nitentiir, qiiàm qui desperalione que velint evadendi, protinîis circà ima substiterint''. Il faut, 2" se remplir si bien de leurs sen- timents et de leurs pensées, de leurs expressions et de leurs tours, que nous en disposions comme d'une chose qui sorte de notre fonds avec aisance et liberté, sans être esclaves de nos modèles, sans ram- per servilement sur leurs traces; de sorte qu'il soit vrai de dire que ce que nous re{)roduisons (!st à nous, paire que nous nous le sonnnes

' De Oral., Jib. I, I5D. - .Neque cnim diibitari polcsl quin artis pars inayiia ooiilincatiir inii!a:i<,uc. Lib. X. c. ii. Lcgalnr hoc caiHit lnlerjrtmi. —''De Uraf., îôO. Lib. I, in Prodiuid, it.

Iti

'242 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

approprié par l;i manière de le rendre, ô" Il faut, en iniilant les bons modèles, conserver son génie el son caractère particulier, ne prendre d'eux que ce qui revient à notre genre, et le transformer, si je puis ainsi dire, en nolr(! substance, reiidant mieux une boriue idée mal présentée, rajeunissant une forme vieillie, appliquant à une autre matière une forme énergique. Il faut se garder de ja- mais copier; ce serait tomber dans le plagiat qui pille le travail d'autrui et le donne comme sien, sans se donner la peine de se l'ap- proprier par l'imitation large et licite que nous venons d'expliquer. Nous observerons en terminant que, quoique l'imitation ait ses avantages, il laut cependant savoir s'en passer. Le génie s'affaiblit et s'éteint quand on s'obstine à lui substituer un génie étranger ; il s'ac- coutume alors à ne rien produire de son fonds, perd sa tournure originale, ne peut p'us marcber sans guide, et quand les modèles lui manquent, il se trouve arrêté et impuissant.

CHAPITRE ÎI

De la préparation prOieSsai!;^

Nous traiterons : de la préparation prochauie en général et de ses différentes espèces ; 2" de Ja manière de composer; .1" de la ma- nière d'apprendre.

ARTICLE l-^'-.

DE LA PRÉPARATION PROCHAINE EN GÉNÉRAL ET DE SES DIFFÉRENTES ESi'ÈCES.

Nous établirons dans un premier paragi-aphe l'obligation de pré- parer ses instructions, et dans le second nous discu ferons les diffé- rentes manières dont plusieurs prétendent satisfaire à cette obli- gation.

8 ['^^

l'reuves de l'obligation imposte à tout prédicateur de préparer ses instniclions.

Nous convenons qu'il est des cas le prêtre, tantôt pressé parla multitude des affaires, tantôt appelé à porîer la parole dans une cir- constance imprévue, est obligé de parler sans piépaiation : alors»

PRÉPARATION PROCHAINE. 245

excusé par la nécessité devant Dieu comme devant les hommes, il a droit aux r,râces du ciel et à l'indulgence de ses auditeurs , mais, hors ces cas exceptionnels, nous posons en thèse que tout prêtre, avant de monter en chaire, est tenu de préparer ce qu'il doit, dire. Car c'est un fait incontestahle que, quand on paile sans préparation, on parle le plus souvent sans ordre et sans sohdité: on tombe dans des redites, on se perd dans des digressions, on noie ses pensées dans un déluge de paroles, et Ton ne fait que languir jusqu'à ce que l'imaginalion soit échauffée, c'est-à-dire quelquefois pendant tout le sermon. Pas d'improvisateur qui ne coure les chances de mal dire et d'échouer d'une manière visible à tous : il est des moments de stérilité l'esprit le plus facile ne trouve rien ; il ne faut pour cela quelquefois qu'une variation dans la température, dans la santé, dans l'humeur ; et hors même de ces moments malheureux, nulle causes peuvent troubler et faire perdre le fil d'S idées, tantôt un au- diteur inattendu, une circonstance imprévue, tantôt une imagination qui se présente, un contre-temps qui survient ; et pût-on d'ailleuis toujours remplir sa tâche, ce ne serait, au moins habituellement, qu'en tournant dans le même cercle d'idées, et ce cercle épuisé, en se répétant soi-même; de ce mot si connu : Un sermon qui coûte feu à faire, coûte beaiicuiip à entendre, et cet autre : Ce qui coûte peu vaut ce que cela coûte. Or, ce fait éîabli, il est aisé d'en déduire l'obligation de se préparer: car, si l'on ne se prépare pas, on s'expose à se déconsidérer soi-même et à compromettie son minis- tère. Le peuple sait souvent très-bien discerner ce qui est mal; et lors môme qu'on pourroit lui faire illusion, il se rencontre presque partout quelque connaisseur qui blâme : son goût règle celui des autres et enl)aîne la foule.

Si l'on ne se prépare pas, on se rend coupable d'irrévérence envers la parole de Dieu, puisque, d'un côté, cette divine parole digne, selon saint Augustin, des mêmes respects que le corps même de Jésus-Christ, ne doit être [u'ésentée aux peuples que sous des formes propres à lui concilier la vénération, et que, d'un autre côté un bon sermon est, une œuvre difficile à faire, qui demande beau- coup de temps et de soins, de léflexions et de paîience. Ceu.x-là même qui préparent le mieux C(! qii'ils doivent dire, ne réussissent pas toujours à parler aussi digni'nuMit qu'il le faudrait : comment donc s'en acquilti'ra celui (pii n'y appoilc niicune préparation?

Une telle négligence est un man([ii('ment envers Dieu lui-même. Un ambassadeur, en pfl'et, qui ne reinrseiilerait [»as dignement son

244 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

prince et n'apporterait pas tous ses soins au succès de la négociation qui lui est confiée, serait regardé avec raison par son maître comme un prévaiicateur. Or le prédicateur est en chaire le représentant de la majesté divine, chargé d'y traiter les grands intérêts de la gloire de Dieu et du salut des âmes, et voilà que non-seulement il désho- nore par sa négligence sa sublime ambassade, il traite à la légère et s'expose à faire manquer les intérêts éternels et divins dont il est chargé, mais encore il tente Dieu en comptant sur un miracle pour suppléer à sa paresse, c'est-à-dire pour instruire et toucher les peu- ples par un discours qui n'a rien d'instructif et de touchant, qui manque à la fois de la clarté et de l'ordre, de la solidité et de l'onc- tion propres à produire ces effets de grâce et de sainteté ; tentation de Dieu que le théologien Navarre ne craint pas d'appeler un péché mortel, au moins quand elle est habituelle. Il est vrai que le succès de la prédication vient de Dieu qui seul donne l'accroissement, et non du discours en lui-même ; mais il n'en est pas moins vrai que, dans le cours ordinaire de la Providence, Dieu, pour produire ces fruits, se sert, comme de causes secondaires, de discours solides, clairs et touchants, propres à faire sur les auditeurs de salutaires impres- sions,

4" La négligence qui ne prépare pas l'instruction, est un manque d'égards envers son auditoire. L'auditoire de la plus humble cam- pagne, comme celui des plus grandes villes, a le droit d'être res- pecté: ce sont, de part et d'autre, des âmes immortelles, rachetées au prix du sang de Jésus-Christ, et destinées à régner dans les cieux: il faut donc toujours leur parler d'une manière convenable. Saint Chrysosfome explique cette vérité par une belle comparaison : Si dans la maison des riches, dit-il, de magnifiques flambeaux en illu- minent tous les appartements, tandis que dans le réduit des pauvres il n'y a qu'une petite lampe pour en éclairer toutes les parties; si dans les grandes villes, de belles fontaines décorent toutes les rues, tandis que dans les bourgades il n'y a qu'une fontaine pour tous les habitants, c'est la gloire de l'Église qui est la maison de Dieu, la cité sainte, d'être éclairée jusque dans ses moindres parties par une prédication qui brille ccmme un magnifique flambeau, et d'être ar- rosée en tous sens par des sources riches et pures de cette eau qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle: les enfants de Dieu doivent partout être traités avec honneur.

Négliger de préparer ses instructions, c'est encourir une res- ponsabilité terrible ; car c'est altirer sur sa tète cet effroyable ana-

PRÉPARATION PROCHAINE. 2i5

thème: Maledictus qui facit opiis Dei negligenter\ puisque nulle action n'est plus l'œuvre de Dieu que la prédication. C'est charger sa conscience de la damnation des âmes qu'un discours mieux préparé eût sauvées ; et si Quintilien flétrit des noms de perfide et de traître l'avocat qui ne prépare pas son plaidoyer autant qu'il le peut, parce que sa négh'gence compromet les intérêts de ses clients : In suspecta causa perfidi ac proditoris est pejus agere quàm possU^; de quels noms ne mérite pas d'être flétri le prédicateur qui, en ne pré- parant pas son instruction autant qu'il lui est possible, compromet bien plus que la fortune, l'honneur ou la vie des particuliers, savoir les inlérêls infiniment supérieurs de la gloire de Dieu et du salut des âmes ! Chacun, dit l'Apôtre, recevra selon son travail : Unusquis- qiie propriam mercedem accipiet secundUm smim laborem : et comme le bon prêtre qui aura apporté le plus de préparation recevra la plus belle couronne, quand même il n'aura eu aucun succès, celui qui ne se sera pas préparé sera puni en proportion de sa négligence. Et qu'on ne dise pas qu'on prêche apostoliquement : parler ainsi, c'est profaner une expression si sainte, c'est blasphémer ce qu'on ignore : si certains hommes apostoliques font du fruit par des dis- cours simples et peu soignés, c'est qu'ils ont des vertus qui font passer ce défaut; c'est que Dieu, voyant qu'ils manquent de temps ou de moyens pour mieux faire, bénit leur bonne volonté. Mais les saints qui l'ont pu se sont toujours préparés. Saint Augustin, ce maîlre si habile dans l'art de parler, préparait avec le plus grand soin ses instructions, même après avoir prêché pendant trente ans tous les Dimanches, comme il nous l'apprend lui-même à la fin de son quatrième discours sur le psaume 103 : Magno labore quxsita et inventa sunt, dit-il, magno labore niintiata et dispittata sunt : sit labor noster fructuosus vobis, et benedicet anima nostra Dominum. Saint Chrysostome n'invitait personne à manger à sa table, afin d'a- voir plus de temps pour préparer ses instructions, s'appliquant ces paroles des Apôtres : Non est xquum nos derclinquere vevbiim Dei et minislrare mensis^. Dans des temps plus rapprochés, saint Char- les Dorroniée, malgré la facilité acquise par de longues études et de fiéquents exercices, ne crut jamais pouvoir négliger cette prépa- ration *; et Fénelon ne crut pas davantage pouvoir s'en dispenser, nonobstant l'esprit prodigieux et fécond dont il était doué, lùifin, saint Liguori, malgré son genre sinqile et missionnaire, ne perniet-

» Jer., xi.vui, 10 * Lib. XII, ix. ' Act., vi, 'i. ■» Pmf. in lloiii., vu.

*246 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

tait pas à ses prêtres de monter en chaire qu'ils n'eussent aupara- vant écrit ioiit ce qu'ils devaient dire, à moins que leur talent ne lût assez éprouvé pour n'avoir pas besoin d'écrire ; et alors même il exigeait qu'ils eussent profondément médité leur sujet et se fus- sent fait un canevas bien fourni. Si après de tels exemples il était utile d'en ajouter d'autres, nous pourrions ciler les païens eux- mêmes. Périclès ne parlait jamais au peuple sans s'être fortement préparé et sans avoir prié les dieux avant de sortir de sa maison, de ne pas permettre qu'il lui échappât une seule parole indigne de son auditoire. Cicéron, tout habile qu'il était, ne plaidait jamais sans s'y être disposé avec le plus grand soin : Ad illam causarum operam, nunquàm nisi paratus et meditatus accedo^. Or, si l'intérêt de la réputation, si le désir d'un succès éphémère a pu rendre des païens si laborieux, quel zèle pour se préparer ne doit pas inspirer au prédicateur la vue du salut éternel des âmes qui est le but de tous ses discours !

De nous pouvons conclure, que le prêtre chargé d'instruire doit toujours s'y prendre à temps pour préparer ses instructions ; s'il attend à la veille ou à l'avont-veille, il aura trop peu de loisir pour penser suffisamment à sa matière, pour trouver les meilleu- res choses à dire et la meilleure manière de les dire; souvent même ce peu de loisir lui sera enlevé par des travaux inattendus et les fonctions imprévues de son ministère. Le seul moyen de pré- venir tous ces inconvénients, c'est, dès qu'il a fini une instruction, de commencer aussitôt la préparation de l'instruction suivante.

Nous concluons, 2" que le prêtre, chargé d'annoncer la parole de Dieu au peuple, doit s'interdire tout passe-temps, toute visite, tt même toute étude, toute lecture trop prolongée de feuilles publi- ques ou de livres curieux qui ne s'accorderait pas avec la prépara- tion soignée de ses prônes ou instructions ; et si malgré cela il ne peut se préparer autant qu'il le désirerait, il doit compenser le dé- faut de préparation par une surabondance de prières.

Des différentes manières de préparer ses instructions*.

On peut distinguer six manières de préparer ses instructions ; la première est de les écrire en entier et de les débiter selon le

* Lib. I, de Log., xu. - Voyez Pastoral de Liirion^es, t. II, II« part., tit. r, c. VI S. Fi'aiiçois de Borgia, de Ralioue concionandi, c. iv, v et xi, dans le

Pr.ÉPAnATION PROCHAINE. 247

mot à mot du cahier; la seconde est de les écrire encore en antiar, mais, dans le débit, de s'affranchir du mot à mut; !a troisième est d'écrire sommairement tout le fond de son discours, en indiquant toutes !es idées qui doivent y entrer, l'ordre de ces idées et les fi- gures les plus marquantes, mais sans s'attacher aux mots qui doi- vent rendre chaque idée; la quatrième manière est de se borner à tracer le canevas du sermon, ses divisions, subdivisions et chefs de preuves; la cinquième, de ne pas écrire du tout et de réfléchir seu- lement quelques instants avant de parler ; la sixième enfin, d'ap- prendre et de débiter les sermons d'autrui. Que penser de ces six modes de préparation? c'est sur quoi les propositions suivantes vont nous fixer.

|re Proposition. Il faut écrire ses instructions en entier jusqu'à ce qu'on ait traité la phipart des vérités de la religion, meublé son esprit d'un fond solide de doctrine et acquis par l'exercice le talent de s'énonc;^r en public avec aisance.

Cette méthode a deux grands avantafres : le premier, de ménager à l'orateur, pour le reste de sa vie, des matériaux précieux qu'il sera heureux de retrouver plus tard, tandis que celui qui n'écrit pas perd tout le fruit de ses recherches et de ses éludes ; et chaque fois qu'il faut prêcher, c'est un travail toujours nouveau à recommencer. Le second avantage, c'est de perfectionner et de mûrir le talent du prédicateur. En s'astreignant à écrire ses idées et à les bien rendre, on contraint l'esprit à y réfléchir davantage, à mieux les préciser et les coordonner, à serrer ses raisonnements, à presser sa marche, à avoir toujours le style pur, la pensée nette, l'expression convenable ; enfin, à étudier plus à fond son sujet, à le traiter plus parfaitement; et de il arrive que l'usage, pénible d'abord, de parler toujours comme il faut, se convertit en habitude, et on le fait ensuite sans ef- fort et comme naturellement,

La méthode opposée, au contraire, a d'immenses inconvénients. D'abord il est très-peu de personnes qui aient assez de talent pour traiter convenablement la parole de Dieu sans avoir écrit. La plu- jiart de ceux qui s'y hasardent parlent sans exactitude et précision, sans ordre et souvent sans plan ; ou s'ils en ont un, ils s'en é eartent par des digressions fréquentes. Tantôt c'est une prolixité excessive qui fatigue et rebute les auditeurs; tantôt c'est, pour trouver les

Guidii de ceux qui annoncent la parole de Dieu, p. lilô et suiv. Jirnioiro sur M. de la Motte, t. I, p. 258. Éloipiencc du corps, par Dinouart, c. v. Gillet, Devoirs d'un pasteur, c. v, n" 7. IVneloii, 2' dialo-ue.

248 TUAITE DE L\ PRÉDICATION.

pensées ou les expressions, un einbnrras qui ne I.ii^se pas au débit le ton convenable; et ainsi le discours, niédiocreau moins tant pour le fond que pour la forme, est peu prolilable aux auditeurs et désho- nore la parole de Dieu. Puis eût-on assez du talent pour bien parler, ou pariera toujours moins bien que si l'on avait écrit et préparé avec soin sa inalière. L'esprit ne peut pas trouver dans l'improvisa- tion aulant de pensées et de raisons, ou du moins d'aussi bonnes qu'il en eût trouvé en réfléchissant mûrement et fixant ses idées sur le papier. El certes, si quelqu'un était bien capable de bien parler après une préparalion non écrite, c'était sans doute Fénelon : or, on rapporte que quelquefois il était laible en chaire et au-dessous de ce qu'on avait droit d'attendre de sa réputation comme de sa dignité. 11 faut donc écrire autant que possible.

Si l'on objecte qu'on n'en a pas le temps, nous répondrons, 1" que ce prétexie ne peut justifier ni ceux qui savent trouver du temps pour les visites et conversations inutiles, pour la lecture prolongée des journaux, des brochures politiques et littéraires et autres livres profanes, ni ceux qui n'ont point d'ordre dans l'emploi de leurs journées; le défaut dordre dépense le temps, l'ordre le multiplie. Nous répondrons, 2" que quand nous faisons au prédicateur une loi d'écrire, nous ne lui demandons pas de consacrer de longues heures à châtier et polir ses compositions, comme ferait un académicien qui n'a pas autre chose à faire. Nous avons déjà condamné ailleurs comme indigne de la chaire cette recherche de style, cette élégance tout est compassé. Nous répondrons, 5" que si réellement on n'a pas le temps d'écrire un prône pour tous les Dimanches, il faut en écrire un pour tous les quinze jours ou pour tous les mois : l'intérêt qu'exciteront au moins ces ir>structions soignées, couvrira et fera pardonner les défauts des instructions improvisées; de plus, on exercera sa mémoire en les apprenant, et on se créera pour l'a- venir une provision d'instructions qui ira toujours croissant ; tandis que si l'on n'écrit rien, on s'habituera à parler mal et on perdra la mémoire.

2^^ Proposition. Il vaut mieux, dans le débit, ne pas tenir au mol à mot de son cahier ^

Les commençants auxquels la timidité ne laisse pas assez de li- berté d'esprit pour dire une phrase non écrite, ou qui ne savent pas

* Voyez le P. de Larue, préface de ses Sermons; Fénelon, Dialogue sur l'élo- quence, et Duguet, dans une de ses lettres.

rUEPARATION PROCHAINE. 249

encore manier convenableinent leur langue, sont dans la trisle né- cessité de s'en tenir à ce qu'ils ont écrit; mais ils doivent tendre peu à peu à s'affranchir de cet esclavage, à suppléer aux mots qui leur manquent, et même à se laisser aller aux mouvements que les circonstances inspirent.

En effet, la méthode de débiter mot à mot un discours a quatre grands inconvénients : le premier, c'est qu'elle exige beaucoup de temps, beaucoup de fatigue, et un grand courage pour surmonter l'ennui et le dégoût insépaiables de l'exercice d'apprendre par cœur. Oi-, le prêtre qui ne saurait prêcher que le mot à mot, pour- rait souvent manquer du temps, du courage, de la patience néces- saires, et négli;^er ainsi le devoir de la prédication. Le second inconvénient, c'est qu'elle expose à demeurer court en chaire. Quoiqu'on ait appris, il ne faut qu'une distraction, que l'oubli d'un mot pour faire perdre le fil du discours et réduire l'orateur à ne sa- voir que dire. Troisièmement, cette attache aux mots diminue né- cessairement le naturel, le feu et la véhémence du débit; c'est un oraleur qui déclame, ou un écolier qui récite, plu'ôt qu'un homme qui parle et que la conviction inspire ; son action est contrainte et ses yeux marquent que la mémoire travaille. Or, rien de plus nuisi- ble au succès de la prédication; ce n'est pas ainsi qu'on saisit et qu'on persuade, qu'on étonne et qu'on attendrit. Quatrièmement enfin, quand on ne sait dire que ce qui est écrit, on ne peut ni sui- vre les mouvements que l'esprit de Dieu inspire pendant le sermon, ni modifier son discours selon les circonstances et y mêler d'heu- reux à-propos, ni accommoder son langage à la portée des audi- teurs : « Ces sortes de prédicateurs, dit saint Liguori, portent leurs « discours dans la mémoire ; et qu'ils parlent à des ignorants ou à « des gens instruits, ils n'y changent pas un mot : ils remarquent « que l'auditeur ne comprend pas ; n'importe, ils ne donnent aucun « développement nouveau, aucune explication, aucun éclaircissement, « cela n'est pas dans la leçon apprise. « Or, tout le monde sent combien tous ces inconvénients sont graves.

Ainsi leii hommes les plus habiles et les plus experts en cette ma- tière sont-ils tous opposés à la méthode du mot à mot. Quinliiien dèclai'c qu'il déteste l'esclavage des mots, (pie c'est un lourmrnt qui éteint le feu de l'imagination, qui miit au naturel et à la rapi- dité de l'action'. Cicéron demande que l'uraleur ait une grande

ALoiTiiii;ind;i lirec iiilolicitas, ([urp et ciirsum dicendi rcfr;fnat cl cnlorein

250 TllAlTÉ DE LA niÉDICATlON.

présence d'esprit pour ajouter à son discours selon l'inspiration du moment ou selon ce que suggèrent les circonstances; et lui-même a écrit après coup, dans ses harangues, plusieurs choses improvi- sées dans le feu de l'action. Les saints Pères faisaient de même ; ils modifiaient souvent leur première composition par tout ce qui leur était inspiré dans le moment du débit; et saint Augustin veut que, quand on parle en public, on discerne, par les mouvements du corps et l'air du visage, si l'on se fait coiriprendre et si l'on tou- che, et qu'on tourne son sujet en différentes manières, jusqu'à ce qu'on y soit parvenu ; ce que ne peuvent pas faire, ajoute le saint docteur, ceux qui ne savent que dire mot à mot ce qu'ils ont pré- paré^.

Pour réussir en ceci, il faut, procéder par degrés dans ces sorties hors de son cahier, et ne pas se lancer à l'aventure trop tôt ni trop longtemps. 11 est essentiel de savoir auparavant la religion à fond, de bien se posséder, de connaître son auditoire, de s'être exercé longtemps à parler toujours d'une manière noble et naturelle, et d'avoir l'habitude de la réflexion et du raisonnement. Il faut, 2*» écrire son discours en style simple et coulant, parce que, si l'on emploie un style parfaitement limé et poli, élégant et compassé, ce qu'on improvisera fera disparate. 5" 11 faut apprendre une première fois son manuscrit par jugement et réflexion, sans s'attacher aux mots, se rendant compte de toutes ses parties et de l'ordre des idées, et s'exerçant plusieurs fois en son particulier à le débiter avec des termes, des gestes et une prononciation convenables : puis on l'apprend, autant que possible, comme si l'on avait dessein de le dire mot à mot, surtout le commencement, les transitions et les fi- gures principales ; mais après on s'abandonne au torrent du discours, sans courir après une parole qui demeure en chemin, de telle sorte que les passages mêmes qu'on récite mot à mot semblent sortir de l'abondance du cœur.

Proposition. Quand on a écrit pendant un certain temps, qu'on a acquis une connaissance approfondie de la religion et la facililé de parler en public, il est mieux de n'écrire ses Instructions que sommairement dans le sens expliqué plus haut^.

En effet, quand on parle de la sorte, on met dans le discours plus

cogitationis extinguit : miser enim et pauper orator est, qui nuUiim vcrbum. jequo animo perdere polest. Lib. VIII, in l'roœmio De Doct. clirist., lib, ÏV, XXV. 2 Voyez le Guide de ceux qui annoncent la parole de Dieu, p. 19i,

PRÉPARATION PnOCllAIlNE. 251

de cet abandon qui prouve à l'auditour qu'on lui parle de conviction, plus de ce langage du cœur qui va droit au cœur; le style et le débit oi;t un naturel qui gagne la confiance, qui, détournant l'at- tention de la forme, la porte tout entière sur le fond des choses, et dispose les esprits à mieux profiter de Tinstruction. Alors on est li- bre et fort dans son action, parce (ju'on se possède; on pousse les mouvements oratoires et l'on en suit l'impétuosité; toutes les paro- les coulent de source, sont vives, pleines de mouvement, et la chaleur dont on est animé inspire des expressions et des figures que l'étude du cabinet n'eût jamais trouvées : alors on proportionne son discours à l'effet qu'on voit qu'il produit, on étend ce qui fait impression, on reprend d'une autre manière ce qui n'a pas été saisi et on le revêt d'images et de comparaisons plus sensibles. La dic- tion, il est vrai, adra bien quelques défauts que la préparation écrite mot à mot eût prévenus, mais ces défauts seront plus que compensés par tous les avantages dont nous venons de parler; l'au- diteur touché n'y fera même pas attention; ou, s'il les aperçoit, il saura gré à l'orateur de s'oublier lui-même pour ne penser qu'au bien de ceux qu'il évangélise. C'est donc un mot bien juste que celui du P d'Orléans dans sa vie du P. Cotton, lorsqu'il dit, en parlant des prédicateurs contempoi ains de ce célèbre jésuite qui n'appre- naient pas leurs sermons n ot à mot : Peut-être paiions-nous mieux queux ; mais vraisemblablement ils prêchaient mieux que nous.

Cette uiètbode a encore un autre avantage, c'est qu'elle demande moins de temps et de peine. Quand on s'est habitué à ne rien dire qu'on n'ait écrit, on e^t obligé d'employer à la composition une partie notable de son temps, et par suite de laisser en souffrance tous les autres devoirs du ministère, Encore n'est-ce pas tout : si après avoir écrit on n'a pas le loii^ir d'apprendre par cœur, on est réduit à ne pouvoir ritni dire ; or, (]uoi de plus triste que de voir un pasteur' qui ne sait pas parler de Dieu à son peuple, si aupara- vant il n'a rangé toutes ses paroles et appris en écolier sa leçon par cœur? 11 n'en est pas ainsi de celui qui suit la méthode dont nous parlons; il lui faut beaucoup moins de temps pour piéparer et pour apprendre, et il peut ainsi l'aiie marcher de front toutes ses obli- gations sans en négliger aucune. Aussi celte méthode est-elle celle que conseille Fènelon, et qu'ont suivie le P. Bridaine, le P. Kudes, le cardinal Uellarmin, et la plupart des hommes apostoliques.

Nous observerons cependant, que, quelque habitude qu'on ait de la parole, il est certains sujets importants, certaines prédications

252 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

solennelles qu'il faut écrire en entier. Fénelon lui-même écrivit les dscours pour le sacre de l'électeur de Cologne et pour la fête de l'Epiphanie.

Nous observerons, que même dans les discours moins impor- tants, il est certaines parties plus délicates ou plus difficiles qu'il faut écrire telles qu'on doit les prononcer, ne laissant à l'improvisa- lion que les développements faciles.

Proposilion. Il est rare qu'on puisse se borner à écrire un simple canevas, contenant seulement l'indication des divisions, sous- divisions et chefs de preuves.

En effet, un prêlre ne doit pas, lorsqu'il peut faire autrement, s'exposer à traiter la divine parole d'une manière peu digne d'elle et peu utile au salut des âmes : or, c'est à quoi s'expose celui qui se contente du simple canevas dont nous venons de parler. 11 est très-peu de prédicateurs qui puissent se répondre qu'avec une pré- paration aussi courte ils sauront parler solidement, clairement, et donner à leurs discours l'ordre, l'intérêt et la force que demandent la dignité de la parole de Dieu et le salut des âmes. On peut même dire que tous, sans exception, s'exposent à éprouver une stérilité d'idées, une sécheresse de sentiments, une absence de mouvements qui nuira à tout l'effet de leurs discours ; d'où il suit qu'on ne peut se permettre un tel mode de préparation que quand il est impossi- ble de faire autrement.

5^ Proposition. Quand on ne peut écrire en aucune manière son instruction, il ne suffit pas de réfléchir quelques instants avant de monter en chaire ; il faut encore déterminer soigneusement le sujet, le plan et la marche de tout le discours.

Ici s'applique la même preuve qu'à la proposition précédente. S'écarter du principe énoncé, c'est évidemment s'exposer à manquer de matière et d'idées, d'ordre et de précision; c'est traiter sans res- pect la parole de Dieu, c'est compromettre le salut des âmes. Le moins qu'on puisse faire, quand on ne peut rien écrire, c'est de se préparer autant qu'il le faut pour être en état de mettre de l'ordre dans son discours, de dire des choses solides et touchantes, de les appuyer de passages do l'Écriture sainte et de ne pas excéder les bornes au delà desquelles l'auditoire se fatigue. Aussi, quand Fé- nelon, dans ses dialogues sur l'éloquence de la chaire, se montre le partisan du prédicateur qui parle sans avoir écrit, il ne suppose pas seulement « un homme instruit et qui a de la facilité pour s'exprimer, « mais encore un homme qui a médité fortement tous les principes

PREPARATION PROCHAINE. 253

du sujet qu'il doit traiter et dans toute leur étendue, qui s'en est « fait un ordre dans l'esprit, qui a rangé toutes les preuves, préparé « un certain nombre de fi^rures touchantes et les plus fortes expres- « sions par lesquelles il veut rendre son sujet sensible, qui sait tout « ce qu'il doit dire et la place il doit mettre chaque chose, de « sorte qu'il ne lui reste, pour l'exécution, qu'à trouver les expres- i( sions communes qui doivent faire le corps du discours. » Voilà certes une grande et excellente préparation qui peut suppléer le sermon écrit, et revient à peu près à la manière d'écrire sommai- rement son discours, dont nous avons parlé à la deuxième propo- sition.

Il est bien vrai que certains saints n'ont pas apporté à leurs dis- cours une préparation a ssi parfaite : ils se bornaient à méditer quelques instants leur sujet et se livraient ensuite à l'esprit de Dieu. Mais ces exemples ne détruisent pas la règle générale ; et ce serait tenter Dieu que de vouloir faire en cela comme les saints, sans avoir leur long usage du ministère de la parole, leur union à Dieu, leur oraison habituelle et les grâces extraordinaires dont ils étaient rem- plis.

Proposition. Il est des cas il est mal, et d'autres il est bien de prêcher les sermons d'autrui.

Prêcher les sermons d'autrui qui ne sont pas livrés au public, ou sur lesquels on n'a pas acquis un droit légiîime, par donation, achat ou autre contrat, c'est une injustice, un attentat au droit de propriété.

Prêcher les sermons d'autrui, lors même qu'on les possède à titre légitime, c'est un fait blâmable, si l'on a le temps et la facilité de composer soi-même. Car une telle action procède ou de paresse, parce qu'on ne veut pas se donner la peine de composer, ou de va- nité, parce qu'on veut se faire une réputation de grand prédicateur; or cette paresse ou cette vanité éloigne les bénédictions de Dieu. Sup- posons iriême le prédicateur par des intentions plus élevées et plus dignes de lui ; toujours serait-il certain que les sermons d'au- trui ne peuvent être que peu utiles, soit parce qu'il est rare qu'ils soient appropriés à la portée et aux besoins des auditeurs, soit parce qu'il est plus rare encore qu'ils s'adaptent au génie et à la manière de sentir du prédicateur, qui dès lors ne pourra pas les piononcer avecnalurel etsenliment. Une petite exhortation, faite selon sa capa- cité et prononcée avec zèle, produirait incomparablement plus de fruit. De plus, il est difficile qu'une fois ou autre le plagiat ne se dé-

234 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

couvre, et dès lors on sera déshonoré, signalé dans le public comme im ignorant, comme le geai qui se pare des plumes du paon. C'en sera assez pour n'être plus propre à faire le bien : la prévention une fois établie fera que, même dans ses propres compositions, on sera écouté sans inléiêl, et par conséquent, sans fruit. A tous ces incon- vénients, ajoutez le préjudice grave qui en résulte pour le prédica- teur, lequel perdant par toute habitude de composer, devient in- capable de rien tirer de son fonds.

Lorsqu'on n'a pas le temps et la facilité de composer soi-même^ on peut prêcher les sermons d'autrui légitimement acquis, pourvu qu'on le fasse par un motif de zèle et uniquement en vue du bien. Car il est évident qu'il vaut mieux que les fidèles soient instruits par cette voie que de rester sans instruction ou de n'en recevoir qu'une fort médiocre : c'était l'avis de saint Augustin : Sunt quidam, dit-il*, qui benè pronuntiare possunt, quid autem pronuntient excogitare non possunl. Qiiod si ah aliis sumant eloquenter sapienterqiie conscriplum memorixque commend.ent atqiie ad popidum proférant, non improbè faciîL7it. C'était aussi l'avis de plusieurs évêques des premiers siècles, qui faisaient lire et même prononcer dans les paroisses les sermons qu'ils avaient composés, afin d'instruire les fidèles, au défaut des prêtres dont la science ne leur offrait pas assez de garantie. Le prône du Rituel et les instructions sur les principales fêtes qui se trouvent à la suite sont des restes de cette ancienne pratique. Donc, dans la supposition établie, il est permis de prêcher les sermons d'autrui. Toutefois il est des précautions à prendre pour parer aux inconvé- nients de celte méthode : 1" 11 ne faut pas choisir des discours con- nus et surtout des morceaux saillants qui décèleraient à l'instant le plagiat, ni faire un assemblage bizarre de morceaux disparates pillés çà et là, sans unité et sans goût : mais il faut choisir des discours adaptés à son auditoire et en retrancher les détails qui ne convien- draient pas; remarque d'autant plus essentielle que la plupart des sermons composés pour la cour ou les grandes villes parlent un lan- gage trop élevé pour le peuple, et censurent des vices qui ne se ren- contrent pas probabl» ment l'on prêche. En même temps que ces discours doivent convenir à l'auditoire, ils doivent encore être adaptés à l'orateur : un discours plein de feu serait un contre sens pour un tempérament froid; un discours calme, pour une imagina- tion ardente ; un discours d'im style nombreux et à longues périodes,

* Lib. IV, de Dùct. cluist.. 62.

PREPARATION PROCHAINE. 2rjS

pour une poitrine faible et une voix débile ; enfin, un discours pom- peux et relevé, pour un esprit connu comme simple et borné. 2" I! faut se bien pénétrer des sentiments et affections qu'exprime le dis- cours, afin d'y approprier son action et son débit; comme chacun a sa manière d'envisager et de sentir les choses, il est difficile qu'une composition étrangère revienne parfaitement à l'esprit et au cœur de celui qui l'emprunte, et d'un autre côté, si l'action et le débit ne ré- pondent pas au fonddes choses, il est impossible que le discours fasse impression. On doit donc tâcher de vaincre la diificulté en retouchant un peu soi-même le discours, pour l'accommoder à sa manière au- tant qu'aux besoins des auditeurs.

11 est permis de prendre dans les auteurs ses plans, ses divi- sions, ses preuves, ses principales pensées, pourvu qu'on se les rende propres par la tournure et le style. On pardonne même de prendre dans les anciens ce qu'on y trouve de bon : le travail de la recherche, le discernement que cela suppose, le mérite de la traduc- tion, deviennent alors nos titres de propriété.

ARTICLE 2.

DE LA MANIÈRE DE COMPOSER *

La marche à suivre pour bien composer consiste : 1" à hien choisir son sujet; 2" bien le méditer; 5" bien le développer ; ¥ rédiger soii discours; revoir avec soin sa rédaction.

En distinguant ainsi cinq parlies dans la composition, nous ne vou- lons pas dire que dans la pratique il faille les séparer de la sorte ; souvent au contraire, elles se confondent. Ainsi un beau plan se pré- sente àl'cspiit, on le médite, on le développa, on le rédige dans une même opération : nous ne les distinguons donc théoriquement que pour mieux les expliquer.

g 1".

Du chorx du sujet.

Rien de plus imporlaiit (jue ce choix. Un sujet bien choisi intéresse par cela seul les auditeurs et leur est utile; un sujet mal choisi dé- plaît et est sans fruit. Le sujet est la base et le fondement du discours. Or, quand un édifice manque par la base, sa ruine est assurée. Rien donc de plus essentiel qui; de bien choisir son sujet.

* Voyez Grenade, liv. VI, c. xiii.

256 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

Pour y réussir, voici les règles principales à observer : Il no faut point prendre conseil de l'amour-propre, ami exclusif des sujeis qui prêtent le plus aux grands ornements et au triomphe de l'élo- quence : fixer son choix d'après un si mauvais conseiller, ce serait ahu?er de la parole de Dieu, et chercher à se faire valoir au lieu de chercher à sauver des âmes. Mais il faut prendre conseil de la plus grande utihté des auditeurs, et choisir les plus profitables à leur salut, c'est-à-dire les plus propres à les instruire, à les toucher et à les convertir, puisque c'est le but de la prédication : par conséquent, il faut consulter les circonstances du temps et du lieu, la portée, les besoins, les dispositions, le caractère des personnes, comme nous l'avons expliqué ailleurs, puisqu'il est évident qu'un discours ne peut faire d'impression salutaire qu'autant qu'il convient à l'auditoire et lui est bien adapté.

Entre les sujets utiles, il faut choisir ceux qui sont utiles au plus grand nombre des auditeurs : c'est-à-dire qu'un sujet qui n'in- téresserait qu'une portion de l'auditoire ne peut pas faire le fonds du discours; il peut seulement y entrer comme partie accessoire, objet de détail ; mais le sujet principal doit convenir à tout le monde, ou au moins au plus grand nombre. Tels sont les fins dernières, les vertus théologales et cardinales, les sacrements, les commandements de Dieu et de l'Église, toutes les grandes vérités de la religion qui intéressent essentiellement tous les hommes, comme le malheur d'une âme en péché, et pnr conséquent en péril des plus lerribles châtiments; l'extravagance de celui que ni les jugements de Dieu, ni une éternité de souffrance, ni la porte d'un bonheur infini, ne peuvent effrayer ; le bienfait de la rédemption, la dignité du chré- tien, la Providence, l'obligalion de pardonner les injures, de fuir les occasions du péché, de prier, de faire l'aumône, le crime du respect humain, de l'abus des grâces, delà perte du temps, etc.. Il est vrai que ces sujets ont été souvent traités, mais on peut les rendre nou- veaux par une nouvelle forme : Non debemiis dicere nova, sed novè, et d'ailleurs l'expérience démontre combien les peuples ont besoin de se les rappeler.

Entre les sujets utiles au plus grand nombre, il faut, autant que possible, choisir de préférence ceux qui vont le mieux à notre genre de talent, et laisser à d'autres ceux qui nous reviennent moins : car tel qui excelle à consoler et prêcher la confiance, pourra réussir fort mal à prêcher les vérités terribles, et vice versa. 11 faut de plus éviter les sujets trop étendus qui obligent l'orateur à effleurer les

PREPARATION PROCHACSE. 257

choses sans en rien approfondir, comme aussi les sujets trop petits l'éloquence est à l'étroit et qu'on ne peut remplir que par des tours de force.

4' Le sujet une fois déterminé, il faut choisir encore les rapports ou points de vue sous lesquels il est plus utile de le présenter, et le but pratique qu'il convient de se proposer, comme tel défaut à ré- former ou tel acte de vertu à l'aire pratiquer. Il est une manière de présenter la vertu qui la fait paraître hérissée de difficultés, désa- gréable et rep'iussante ; il en est une autre qui la montre souverai- nement raisonnable, belle et aimable, noble et grande : il faut avoir sojiide bien choisir ces derniers rapports, en examinant ce qui con- viendra le mieux aux dispositions des auditeurs, les côtés de la ques- tion qui leur plairont davantage et ceux qwi pourraient leur déplaire; et d'après cela on précise son sujet, en se demandant : A quoi veux- je porter mes auditeurs ? qu'est-ce que je me propose d'obtenir d'eux?

§2.

De la mtditation du sujet.

Après qu'on a fait choix d'un sujet, et bien déterminé les points de vue qu'on se propose en entreprenant de le traiter, il faut le méditer avec soin. Méditer un sujet, c'est l'étudier, l'approfondir, l'envisager sous toutes ses faces, pour y chercher ce qui peut instruire, convain- cre, toucher, corriger ses auditeurs : Ce <jui peut les instruire : et pour cela on voit ce qu'en dit la théologie ; on se fait des idées nettes, exactes et précises sur la matière, et on examine le moyen de faire passer ces notions dans l'esprit des auditeurs. Ce qui peut les convaincre; et pour cela on se demande quelles preuves, quels arguments leur feront plus d'impression ; et on tâche, à force de réllexions, de s'en pénétrer si profondément soi-même, qu'on ne puisse penser sans une sorte de stupeur à la folie des hommes qui ne croient pas une vérité si invinciblement déir)onlrée. o" L'esprit éclairé et convaincu, on passe alors de la partie doctrinale à la partie du sentiment, et l'on se demande : Comment remuer les cœurs et entraîner leurs volontés? Quels mouvements oratoires puis-je em- ployer pour les ébranler, les attendrir, les gagner? Que puis-jc leur dire de touchant, de pathétique qui aille au cœur? Que me fournis- sent pour cela rKciilurc sainte, k»s écrits dos l'éres, les exemples des saints, les vues de la foi, l'étude du cœur humain, et même les fi- gures de la rhéturi(iue, comme l'apostrophe, la prosopopée, l'excla»

17

258 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

mation, l'interrogalion? La partie du sonliment ainsi étudiée, que pourrais-je dire, se demande-t-on à soi-même, de plus pratique sur ce sujet? Quels porlrails de mœurs chacun reconnût ses défauts pourrais-je faire ici? Quels actes de vertu, quelles salutaires prati- ques pourrais-je conseiller pour corriger mes auditeurs et les ame- ner au bien?

Voilà ce que c'est que méditer un sujet, et tous les maîtres de l'art s'accordent à recommander cette méditation comme le préliminaire essentiel de toute bonne composition : sans cette étude préalable, on parlera d'une manière superficielle, incomplète, souvent inexacte; le discours ne sera qu'un amas de réflexions froides et sans âme, un assemblage de textes et de morceaux décousus. On sera obscur, parce qu'on n'aura pas d'idées claires et précises sur la maliêre ; on sera froid, parce que la méditation n'aura échaufié ni le cœur ni l'imagination ; on divaguera, on marchera sans ordre et au hasard comme un voyageur qui ne connaît pas le pays il se trouve, ou à tâtons comme un homme qui est dans les ténèbres. Par la médita- tion, au contraire, on se rend maître de son sujet, et on le possède à fond; comme on le conçoit clairement, on l'énonce et on le déve- loppe avec aisance et facilité. L'esprit fournit alors les meilleures preuves, le cœur les plus beaux mouvements, l'imagination les plus riches images; et les expressions, les tours, les figures les plus con- venables se présentent comme naturellement pour les rendre : c'est alors que le meilleur style coule comme de source, et que les plus grandes beautés jaiUissent sans effort du fond du sujet.

Cui lecta potenter erit res,

Nec facundia deseret hune, nec lucidus ordo '.

Mais pour obtenir ces heureux résultats, il est plusieurs règles à observer.

1" Règle. 11 faut appliquer à son sujet les régies spéciales qu'on trouvera exposées dans la première partie du second livre de ce Traité; et l'envisager sous tous les points de vue que ces régies indi- quent. Il résultera de cette étude une source abondante d'idées pré- cieuses et utiles.

S'' Piègle, 11 faut lire attentivement quelque excellent ouvrage sur la matière ; très-peu d'hommes ont par eux-mêmes assez de science acquise pour tirer de leur propre fonds tout un discours. La lecture

* Aïs poet.

PRÉPARATION PROCHAINE. 259

enseigne ce qu'on ignore et rafraîchit la mémoire de ce qu'on sait ; elle réveille l'im.agination et la fertilise, excite le zèle et communique l'onction, inspire des conceptions pleines de vie, sollicite et m.ot en jeu l'esprit d'invention. Les ouvrages des grands maîtres, ditLongin, sont comme autant de foyers sacrés s'allument les esprits les plus froids. On raconte que Bossuet lisait toujours, avant dose meltre u la composition, un chapitre d'Isaïe et quelques pages de saint Gré- goire de Nazianze. Il faut donc lire aussi quelque excellent auteur' oratoire ou ascétique, sur le sujet que nous voulons traiter, et c'est dans cette vue que nous indiquons, au second livre de cet ouvrage, les écrivains les plus remarquables sur chaque partie et les meilleurs auteurs de sermons, prônes, homélies, conférences, etc.. Dans cette lecture nous devons nous proposer : de connaître à fond la matière peur nous mettre en état de donner une instruction solide et com- plète aux fidèles ; de n'y pas chercher seulement des pensées, des passages, des applications pour nous en servir, mais d'y observer bien plus l'ordormance de tout le discours, la manière dont les choses sont amenées, présentées, liées avec ce qui précède et ce qui suit, les images, les comparaisons, les expressions vives et lumineuses qui mettent la pensée en relief, enfin tout ce qui fait le nerf, la force et l'agrément du discours ; 5" de nous échauffer le cœur et l'imagina- tion, de nous électriser en quelque sorte sur le sujet que nous vou- lons traiter.

3' Règle. Après cette lecture, il faut se recueillir au plus intime de son âme pour méditer devant Dieu ce qu'on a lu, se l'approprier et le faire passer comme dans son propre fonds : on élimine tout ce qui ne vient pas à notre but, on recueille tout ce qui s'y rapporte, on le fond dans ses propres idées, on s'en pénètre, on le rend sien par la manière de le sentir; et de naîtront plus tard une tournure et une exircssion qui seront à nous.

4* Règle. 11 faut écrire à l'instant même l'on est pénétré, tout ce que l'esprit, le cœur, l'imagination, la sensibilité inspirent de bon et d'utile, de touchant et de frappant sur le sujet que nous éludions : on développe ces bonnes inspirations selon l'attrait du moment, sans chercher à y meltre la perfection de l'ordre et du style. Pendant qu'on les écrit, d'autres se présentent, et celles-ci en font éclore de nouvelles; car ce (jui ne vient point en réfléchissant, vient souvent en écrivant. Ainsi faisait Rourdaloue. L'auteur de la préface de ses Pensées raconte qu'il jetait d'abord sur le papier « les dil'fé- « rentes idées qui se présentaient à lui touchant la matière qu'il vou-

260 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

« lait traiter ; il marquait tout confusément et sans aucune liaison ; « mais, s'étant ensuite tracé le plan de son discours, il choisissait ce « qui pouvait convenir et laissait le reste, dont on a formé les deux « volumes de ses Pensées. » Ainsi doivent faire tous les prédicateurs : ils doivent saisir ces moments heureux d'inspiration, l'âme pleine de son sujet, ol se débordant en quelque sorte, semble nous solli- citer de la soulager en confiant au papier la vérité ou le sentiment qui la pénètre : tantôt c'est une lumière soudaine qui nous saisit, une foi vive, une ardente charité puisée dans l'oraison au pied de l'autel et du crucifix, qui nous inspire ; tantôt c'est la lecture d'un morceau sublime ou touchant, la vue d'une cérémonie imposante, quelque grand souvenir, quelque riche imagination qui nous met en verve ; et le cœur échauffé dicte une composition qu'on reçoit plutôt qu'on ne la produit; la plume ne peut suivre la rapidité de la pensée. Ce qu'on écrit sous l'impression de cette inspiration vaut mieux que toutes les compositions à froid et touchera davantage, parce que le mouvement part d'un cœur touché ; d'où l'on peut conclure combien il est essentiel de ne pas se laisser refroidir ou distraire, de profiter du bon moment qui, une fois perdu, ne se retrouverait peut-être plus ; et c'est pour prévenir ce refroidissement qu'on conseille, ainsi que nous l'avons dit, d'écrire rapidement tout ce qui se présente de bon sans s'inquiéter de la justesse de l'expression, sans vouloir pro- duire quelque chose de fini ; plus tard, on reviendra sur ce premier jet et on y mettra le poli qui y manque. Nous recommandons seulement d'ajouter à ces notes des indications marginales qui en exposent le sujet ; autrement on ne saurait pas comment s'y reconnaître.

Du développement du sujet.

Après la méditation du sujet, il faut tout coordonner dans un plan régulier, comme nous l'avons dit ailleurs en parlant de l'unité, puis procéder aux développements oratoires. Les développements, quand ils sont habilement exécutés et sagement ménagés, opèrent sur une pensée ou une proposition comme la sève sur un germe : ils font croître, grossissent, rendent sensible à tous les yeux ce qui aupara- vant était à peine perceptible : ils répandent la clarté du grand jour sur toutes les parties du plan, ornent et relèvent la vérité par diffé- rents tours qui en montrent les faces diverses ; et de ce qui n'était d'abord qu'un squelette décharné, ils font un corps nourri et plein

PREPARATION PROCHAINE. 2GI

d'embonpoint ; ils rendent brûlant ce qui était froid, animé ce qui était languissant ; de sorte qu'il est vrai de dire que ce sont des déve- loppements qui expliquent les choses et les font comprendre, qui les prouvent et les font croire, qui en pénètrent les cœurs elles font pratiquer; que par conséquent, est toute la force de l'orateur, comme le dit Quintilien^

Si l'on n'avait à traiter qu'avec des intelligences élevées et des cœurs vertueux, la simple exposition des faits pourrait suffire ; mais la plupart des auditeurs ayant des vues si fausses ou si courtes, spécialement sur les choses spirituelles, on ne peut s'en faire com- prendre qu'à force d'explications et d'éclaircissements : la plupart opposant à la pratique de la vertu tant de passions, de préjugés, d'attaches aux faux biens d'ici-bas, on ne peut en triompher que par des développements pleins de lucidité, de force et de chaleur, qui leur montrent clairement sont les maux véritables qu'ils doi- vent craindre et les vrais biens qu'ils doivent désirer. Qu'on se borne à leur dire les choses sèchement, simplement et sans aucun déve- loppement, ce seront paroles perdues, ils ne se rendront pas.

Aussi, tous nos grands prédicateurs se sont-ils attaciiés d'une ma- nière spéciale à cette partie de l'art oratoire : et c'est même à cela qu'ils doivent leurs plus beaux morceaux ^ ; c'est ainsi que Bossuet, dans .son panégyrique de saint Paul, donne le plus magnifique dévelop- pement à la mineure de ce syllogisme, qui fait tout le fond de son discours : on doit attribuer à une vertu divine des effets qui ne peu- vent être attribués à des moyens humains; or, il est impossible' d'attribuer aux moyens humains le succès prodigieux de la prédi- cation de saint Paul : donc..., etc. C'est ainsi encore que, dans son sermon pour le jour de la Circoncision, après avoir établi que ' Jésus-Christ est notre roi, il développe d'une manière si belle et si touchante, dans les six dernières pages, celte conséquence : donc nous lui devons une obéissance entière.

Il est trois sources principales le prédicateur peut puiser ses développements. La première, ce sont les lieux communs de la prédication : nous ne désignons pas seulement par l'Écriture sainte, les Pères, les Conciles et tous les ouvrages religieux ou ec-

« Lib. VIII, c. MI.

* Voyiz comme Massillon, dans son sermon sur la mort, dcvoloppe cette pen- sée si commune . Tout est passager et périssable ici-bas : Sur quoi vous ras- surez-vous donc, de. ; et comme Rossuct, dans l'oraison lunébrc de Madame, dévclo|ipc cette simple pensée La vcilà morte : La voilà, maigre ci' grand ■cœur, etc..

262 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

clésiasliques, sources sacrées le prédicateur peut toujours puiser, mais encore et surtout les grandes vérités qui viennent à l'appui de tous les sujets de morale, comme le salut, la mort, le jugement, réternité, l'amour di\in, la passion et la mort de Jésus-Christ ; les considérations générales sur les bienfaits de Dieu, sur les vertus ou les vices, sur les sacrements ou la prière, telles qu'elles se trouvent ex- posées dans la première partie du second livre de ce Traité. Pour que ces lieux communs contribuent à relever le discours, il faut, qu'ils n'interviennent que comme accessoire : si Ton s'y arrêtait trop, ils absorberaient le sujet principal, détourneraient l'attention et en nuieraient. 11 faut les approprier tellement au sujet qu'ils pa- raissent faits pour lui seul, et que personne ne puisse penser au lieu commun.

La seconde source de développement se trouve dans les lieux communs de la rhétorique, laquelle enseigne à faire ressortir les choses dont on parle, par leurs causes ou leurs principes, par leurs effets*, par l'énumérallon des parties^, par les contraires qui con- sistent à dire ce qu'une personne ou une chose n'est pas pour mieux faire comprendre ce qu'elle est', par les circonstances de lieu, de temps et autres contenues dans le vers si connu : Quis, qiiid, ubi, quibiis aiixiliis, cur, qiiomodo, qiiando, enfin, par les comparaisons, les exemples et les paraboles.

Comme la rhétorique expHque toutes ces choses, nous nous bornerons à quelques observations sur les comparaisons, les exem- ^ples et les paraboles, parce que d'un côté ce sont des points d'une importance principale dans la prédication, et que de l'autre l'élo- quence de la chaire doit les envisager sous un point de vue qui lui est propre. Les comparaisons ont l'avantage de donner au discours de la clarté, de l'agrément, de l'intérêt et de la force, de telle sorte qu'elles font comprendre les choses aux gens simples et plaisent aux esprits élevés. C'est un trait de lumière qui embellit le sujet dont on parle, de tout ce qui nous séduit dans l'objet pris pour

* Voyez, dans le sermon de Massillon pour la Toussaint, la définition du monde : En effet, qu'est-ce que le monde?

- Voyez un exemple d'énumération dans le Petit Carême de Massillon, au pre- mier Diinauchc. lil'^ partie ; L'ambitieux ne jouit de rien, etc., etc.; et au troisième Dinianclie ; Parcourez toutes les passions, etc.

■^ Exemple lire de Fléchier : « M. Le Tellier n'était pas de ces âmes oisives qui n'apportent d'autre préparation à leurs charges que celle de les avoir dé- sirées; qui mettent leur gloire à les acquérir, non pas à les exercer; qui s'y jettent sans discernement et qui s'y maintiennent sans mérite, et qui n'achè- tent ces titres vams que pour satisfaire leur orgueil et honorer leur paresse. »•

PRÉPARATION PROCHAIISE. 265

po t de comparaison^. Mais pour qu'elles produisent ces effets, il faut observer certaines règles. On ne doit les tirer que d'objets bien connus des auditeurs; autrement, loin d'êclaircir le discours, elles l'obscurciraient. L'Esprit-Saint nous en donne l'exemple dans l'Écriture : car il tire ses comparaisons du corps humain, du mou- cheron, de la fourmi, du chien qui retourne à son vomissement, de l'arbre, de la semence, de la moisson, de la vigne, du berger, du laboureur, etc.. 20 Dans ces similitudes, il faut toujours observer la décence et la noblesse du langage qui convient à la chaire : l'in- vention fournit les images, le bon sens les rend justes, c'est à l'es- prit élevé à les ennoblir. Il faut être ordinairement court dans ses comparaisons, et n'en pas presser tous les rapports ; les choses ne se ressemblent qu'à certains égards. Elles peuvent être dévelop- pées et plus fréquentes dans le discours calme ; à mesure qu'il s'a- nime, elles doivent être plus concises : dans le pathétique, elles ne doivent paraître que comme un trait rapide. ¥ Les comparaisons tirées de l'histoire sainte ont une grâce particulière : Massillon les emploie très-souvent et toujours avec bonheur'^. Bossuet n'est pas moins heureux : tantôt il montre dans les Israé-

* Massillon, dans son deuxième sermon pour une profession religieuse, fait sentir par une belle comparaison combien, après plusieurs années de fei'veur, il faut se tenir en garde contre le relâchement : « C'est alors, dit-il, que vous « devez être plus sur vos gardes, et que, vous étant enrichis de biens spirituels, « le démon fera plus d'efforts pour vous les enlever. Il vous laissera paisibles dans « les commencements, semblable à un pirate qui laisse passer tranquillement a les navires qui partent pour fournir une longue carrière et aller chercher au c loin des marchandises précieuses, et ne les attaque qu'au retour, et pres- c que sur la fin de leur course, parce qu'il les trouve alors chargés de richesses c qu'il s'efforce de leur ravir. »

* Qui n'admirerait, par exemple, cette belle comparaison, dans son sermon sur la parole de Dieu, versus finem : « On peut appliquer à la plupart de nos audi- a leurs ce que Joseph disait par feinte à ses frères : Ce n'est pas pour chercher < le froment et la nourriiure que vous êtes venus ici; c'est comme des espions a qui venez remarquer les endroits faibles de la contrée. Exploratores estis : « ut videalis infinuiora lerrx venistis; ce n'est pas pour vous nourrir du pain c de la parole que vous venez nous écouter, c'est pour trouver placer quel- a ques vaincs censures. »

Et plus bas, quelle comparaison non moins ingénieuse entre le prédicateur elles Israélites aiguisant leurs instruments de labour chez les Pliiàslins! Qui n'admirerait encore cette belle comparaison du faux dévot, dans son sermon sur le véritable culte, II" partie : . -'

« Vous ressemblez à cet autel des tabernacles dont il est parlé dans l'Ecriture; c il était revêtu d'or pur, les dehors en étaient brillants, mais le dedans était a vide, et il n'était pas solide, dit l'Esprit de Dieu : Non eral solidum, scd in- « tm vacuum. En vain vous immuiez dessus des victimes étrangères dont le a Seigneur n'a pas besoin, vos passions n'y paraissent jamais immolées devant

2C4 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

lites traversant le désert pour aller à la terre promise l'image du chrétien allant au ciel sa patrie'; tantôt il compnre la vie à un chemin qui aboutit à l'éternité^; d'autres fois il lire pour l'âme chrétienne de sublimes leçons de l'exemple même d'un coursier in- dompté^.

Non moins utiles que les comparaisons, les exemples sont dans un jcrmon ce qu'on écoute plus volontiers, ce qu'on remarque et ce qu'on retient le mieux, et la manière de persuader la plus efficace. Voyez comment Massillon en déduit l'obligation du jeûne pour les grands comme pour les petits*.

Dieu ne mesure pas vos infirmités sur vos titres, mais sur sa loi. David était un prince que les délices de la royauté auraient sans doute amol- lir : lisez, dans ses di\ins Cantiques, l'histoire de ses austérités. Et si vous croyez que le sexe vous donne quelque privilège, Esther, au milieu des plaisirs d'une cour superbe, savait affliger son âme par le jeûne ; Judith, si distinguée dans Israël, pleura la mort de son époux dans le jeûne et dans fe cilice ; les Paule, les Marcelle, ces illustres femmes romaines, descendues des maîtres de l'univers, quels exemples d'austérité n'ont-elles pas laissés aux siècles suivants !

Voyez encore comment par l'exemple Massillon démontre l'em- pire de la vertu ^ :

Un Jean-Baptiste, accompagné de sa seule vertu, devient le censeur d'une cour voluptueuse, et Ilérode ne peut s'empêcher de craindre sa censure ;

« la sainteté de Diou; il n'y voit que de vaines apparences, et le dedans est tou- « Jours vide de foi et de piété : lutlis vacuian. «

Et un peu plus loin :

« Vous êtes semblables à ces soldats dont il est parlé dans l'histoire des Ma- « chabées, lesquels, sous les enseignes de Juda, combattaient, ce semble, pour « la cause du Seigneur; mais ayant été défaits et mis à mort, on trouva ca- « chées sous leurs tuniques des marques d'idolâtrie ; et on découvrit que, sous « une fidélité exlérieui'e à la religion, ils avaient porté les abominations des in- « fiilèks. »

Voyez encore, dans le sermon sur le respect humain, cette magnifique com- paraison du juste avec le feu sacré cache' en terre et comme dans la boue, jusqu'à ce que le soleil, vainqueur des nuages, eût lancé dessus quelques traits de sa chaleur et de sa lumière : ainsi, quand Jésus-Christ, soleil de l'éternité, lais- sira tomber sur ce juste, qu'on regarde comme une boue propre à être foulée aux pieds, les traits de sa lumière et de sa majesté, il brillera d'un éclat im- mortel.

» Exorde du sermon sur l'unité de l'Église. Élévation, semaine. * Der- nier sermon pour i'àques. ' Méditations, jour de la 11"= partie. * Sermon sur le jeûne. Mercredi des Gendres. ^ Sermon sur le mélange de? bons et des méchants, 1" partie, II' volume du Grand Carême

PRÉPARATION PROCHAINE. 265

un Michée s'oppose seul aux vains projets de deux rois et de deux armées, et tout est ébranlé à la seule voix de Thomme de Dieu. Un prophète in- connu vient, de la part de Dieu, reprocher au peuple d'Israël, rassemblé à Bélhel. l'impiété de ses sacrifices, et les mystères profanes sont suspendus. Élie tout seul vient au milieu de Samarie menacer Achab de la vengeance divine, et le prince, tremblant, s'humilie. Un Samuel, armé de la seule dignité de son âge et de son ministère, vient reprocher à Saiil, vainqueur d'Amalec, encore environné de ses troupes victorieuses, son ingratitude et sa désobéissance ; et ce prince, si intrépide devant ses ennemis, sent sa fierté tomber devant le prophète, et met tout en usage pour l'apaiser. 0 sainte autorité de la vertu ! qu'elle porte avec éclat les caractères augustes de sa céleste origine !

La parabole, qui est une histoire qu'on imagine pour éclaircir le discours, produit le même effet que l'exemple. Elle soutient, ra- nime Tattenlion de l'auditoire, et lui fait sentir plus vivement la vérité ; elle est à la portée des enfants et du peuple, plaît aux grands et aux cages, et donne à tous des leçons importantes sous une enve- loppe qui en ôte Tamertume. Le P. lîridaine s'en servait souvent et on fera très-bien de l'imiter. Ces fictions ne sont pas des mensonges parce qu'elles disent moins ce qu'elles semblent dire que ce qu'elles laissent à deviner. Et d'ailleurs, elles sont autorisées par l'exemple de l'Évangile, qui en est plein.

La troisième source de développements, ce sont, toutes les fois que le sujet le comporte, les détails de mœurs qui placent sous les yeux des fidèles les obligations relatives à la matière qu'on traite les fautes par lesquelles ils les violent ; les moyens de se corriger et enfin les diverses conséquences pratiques qui découlent de l'instruc- tion. Nous avons expliqué ailleurs (1'''^ part., c. 4, art. 2, § 2) l'im- portance et la manière de donner ces détails.

Telles sont les sources le prédicateur doit puiser ses dévelop- pements : mais cette connaissance lui servirait peu, s'il ne connais- sait, en même temps, les règles à suivre pour bien développer; c'est ce qui nous reste à exposer. La première règle est de ne dé- velopper qu'autant qu'il le faut pour rendre le discours ou plus clair, ou plus solide, ou plus touchant. Si la pensée est développée au delà de ses justes bornes, les bonnes choses se trouvent étouffées sous le nombre des superflues, et l'abondance fait naître l'obscurité. De vient qu'une grande facilité se convertit souvent en un grand défaut; elle est négligente et délaye tout ce qu'elle dit. Pour prévenir col inconvénient, il faut Irier ses idées et éliminer tout

266 TRAITE DE LA PREDICATION.

ce qui est diffus ou sans utilité, conformément au précepte de Boileau :

Fuyez l'abondance stérile,

Et ne vous chargez pas d'un détail inutile. Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant; L'esprit rassasié le rejette à l'instant. Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire.

La deuxième règle est d'amplifier, non en accumulant des mots et des phrases, mais en multipliant le sens avec le moins de mots possible, et ajoutant toujours de nouvelles choses à ce qu'on a dit. Loin de la chaire ces amplifications verbeuses qui ne font que ré- péter les mêmes idées en termes différents ! La troisième règle est de disposer les développements de telle sorte que le discours aille toujours croissant, c'est-à-dire qu'à mesure qu'il avance, il soit plus clair, plus animé, plus fort et plus énergique. La qua- trième régie est de se représenter,, à l'exemple de Massillon, qu'on a son adversaire en présence, et de diriger ses développements de manière à le poursuivre avec toute la force du raisonnement et la véhémence du zèle, jusqu'à ce qu'on croie l'avoir gagné à la vertu. Pour mettre à profit tout ce que nous venons de dire, il sera utile de hre de bons modèles, d'observer les moyens de développements qu'ils ont employés, celles des sources que nous venons d'indiquer ils ont puisé, et par cette étude on se formera à développer ses pensées comme eux. On trouvera, par exemple , dans l'oraison funèbre du prince de Condé par Bossuet, les plus magnifiques déve- loppements par comparaisons et descriptions ; dans le sermon de Massillon sur les vices et les vertus des grands, des développements par les effets et les circonstances ; enfin dans l'oraison funèbre de Henriette d'Angleterre, presque toutes les sources de développe- ments employées à l'amplification de cette simple pensée: Tout est vanité ici-bas.

§ 4.

De la rédaction du discours.

Après qu'on a arrêté son plan et étudié tous les développements à lui donner, il ne reste plus qu'à prendre la plume et à bien rendre tout ce qu'on a pensé et senti ; travail souverainement important et décisif pour le succès : car presque toutes les choses qu'on dit frappent moins que la manière dont on les dit. C'est que l'orateur

PREPARATION PROCHAINE. 267

donne à son discours le nombre et l'harmonie, la grâce et la force, la dignité et l'onction; c'est qu'il peint la nature, et donne à ses tableaux ce coloris qui les anime ; c'est enfin que, par les charmes du style, il forme cette parole belle et pure qui instruit, qui plaît, qui s'insinue dans les cœurs et les gagne à la vertu. Si, au con- traire, la rédaction est vicieuse, il ne pourra ni instruire, ni plaire, ni toucher ; souvent même on se défiera de sa doctrine ; ce qui est mal dit passe aisément pour mal pensé. Voici les règles à suivre pour réussir dans cet important travail :

1'^ BègJe. 11 ne faut écrire que quand on est touché. Vouloir composer dans certains moments l'esprit, le cœur et l'imagina- tion se taisent, l'on se sent froid, stérile et sans aptitude pour ce genre de travail, serait se fatiguer en pure perte; ce qu'on ferait alors serait mauvais ou sentirait l'effort. Impossible de réussir si ron n'écrit de verve, fervente calamo, c'est-à-dire sous l'impulsion d'un cœur tellement plein de son sujet, qu'on éprouve comme un besoin d'épancher au dehors la vérité qui en veut sortir. Alors, et seu- lement alors, on pourra bien faire. Les mots viendront se pré- senter d'eux-mêmes, et la richesse des couleurs affluera sous le pinceau.

S"" Règle. C'est dans la prière et la méditation que le prédica- teur doit chercher à se pénétrer de son. sujet. L'imagination n'in- spire qu'une chaleur factice et profane : l'oraison seule embrase le cœur d'une chaleur véritable et puisée en Dieu même, comme nous l'avons dit dans la première partie, chap. V, art. 5.

5*= Règle. Si l'oraison nous laisse dans la sécheresse et l'insen- sibilité, il faut remettre la composition à un autre temps sans se décourager; ce qui ne vient pas dans un moment sort quelquefois dans un autre avec impétuosité et abondance. Mais si l'on reconnaît que cette stérilité de l'esprit ne provient que de lu paresse qui en- gendre un certain engourdissement des facultés, il faut se garder de céder au dégoût qui porte à jeter la plume ; ce serait lâcheté ; on doit alors faire effort sur soi, et essayer divers moyens d'écrire. Le premier est de se demander ce qu'on veut dire ; souvent en forçant l'esprit à préciser ses idées, on trouve ce qu'on cherche : si l'on avait toujours des notions claires de son sujet, on serait rarement stérile et embarrassé; l'expression se présenterait d'elle-même, selon ces vers si connus :

Ce que l'on conçoit bien s'énonce claircintiif, Et les mots pour le dire arrivent aisément.

268 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

Le second moyen serait de se supposer placé dans la chaire, et obligé d'improviser sur le sujet; souvent en s'essayant à parler, on réussit à dire ce qu'il faut. Enfin, un troisième moyen serait de s'entretenir avec un homme de mérite, ou, à son défaut, avec un autre quel- conque, sur la matière qu'on veut traiter. Celte conversation éveille l'esprit, fait naître des idées ; on s'échauffe, on s'anime, la veine s'ouvre et la fécondité revient.

4^ Règle. Conformément aux principes établis jusqu'ici, la ré- daction d'un discours sacré doit se distinguer par trois caractères principaux, la clarté, la pureté, la variété. Une rédaction claire est celle qui est parfaitement lucide dans la pensée et l'expression, dans le raisonnement et toute la marche du discours, de sorte qu'elle offre à l'esprit, même le plus vulgaire, une lumière nette, sans au- cune ombre, sans obscurité et sans nuages : une rédaction pure est celle qui est conforme à toutes les règles et toutes les délicatesses du langage ; enfin une rédaction variée est celle qui modifie son ton et son style selon la nature des choses que l'on dit et selon les di- verses parties du discours. Cette variété coule de source tant qu'on écrit d'inspiration, parce qu'elle est dans la nature ; dès qu'on ne la retrouve plus et que le style devient monotone, il faut quitter la plume, revenir à la méditation; et bientôt chaque pensée reprendra son mouvemet, son caractère et sa couleur.

Règle. Il faut, pendant la rédaction, prendre garde de se dessécher le cœur et l'imagination, en se préoccupant trop des rè- gles de l'éloquence, de la politesse du style, de la recherche des mots; il faut, au contraire, s'abandonner au feu de l'inspiration, et tendre à l'accroître toujours davantage, en nourrissant au fond de son âme un désir ardent de procurer par sa composition la gloire de Dieu et le salut des peuples : quand ce désir pénètre l'orateur, il l'enflamme, il l'anime et lui suggère tantôt de beaux mouvements, tantôt d'utiles réflexions, mais presque toujours la manière de se faire comprendre et de toucher. On corrige ensuite les défauts de ré- daction qui ont échappé à l'impétuosité de la composition.

De la révision et de la correction sévère de ses compositions*.

Lorsqu'on a rédigé son discours d'après les principes établis, i] est nécessaire de le revoir avec soin et de le soumettre à une correc-

* Voyez Quintilien, liv. X, ch. iv en entier.

PRÉPARATION PI'.OCHATNE. 269

tion sévère. Le premier travail, quoique heureux quelquefois, est toujours rempli d'imperfections; quand on se pardonne ces défauts, ils vont toujours croissant, et le mal devient incurable. Il faut donc revenir sur ce qu'on a fait, corriger les constructions et les liaisons, les tours et les figures, les expressions même qui présenteraient quelque chose d'impropre, d'incorrect ou d'irrêgulier ; ajouter les images, les mouvements ou tournures capables de faire impression ;^ retrancher ce qui est de trop, suppléer à ce qui manque, transporter ce quine serait pas à sa place, modifier ce qui aurait besoin de l'être. Le discours ainsi retouché, il faut le retoucher encore quelques jours après ; cette revue de son manuscrit fait découvrir des rap- ports jusqu'alors inaperçus, d'heureux développements et de nou- veaux tours : il est même très-utile d'en tirer plusieurs copies : chaque fois on aperçoit des fautes, on corrige, on perfectionne, tantôt en ajoutant ce qui manque à la phrase, tantôt en retranchant ce qui s'y trouve de trop *. Ce n'est pas tout : il faut le retoucher en l'appre- nant; cet exercice éveille l'attention sur bien des fautes; et le re- toucher encore après l'avoir prêché : c'est en le prononçant qu'on remarque le mieux ce qu'il y a de défectueux et ce qui pouvait être pressé davantage. Enfin, après un certain nombre d'années, il est à propos de le revoir de nouveau ; alors la réflexion et l'expérience ont mûri le jugement ; une certaine tendresse qui aveugle pour ce qu'on vient de produire s'est refroidie, et l'on peut mieux voir et réformer les traits de jeunesse. C'est à ces corrections réitérées que Quintilius invitait ceux qui le consultaient, au rapport d'Horace: « Corrigez, leur disait-il, corrigez ceci, croyez-moi, et encore cela. « Vous avez essayé, vous ne pouvez faire mieux. Ne vous « découragez pas, essayez encore et remettez sur l'enclume ces « endroits défedueux*. » Ce n'est qu'à celle condition qu'on peut réussir ; et tout écrit qui n'a pas été longtemps soumis à des correc- tions sévères et souvent répétées offre large prise à la critique :

Carmen reprehenditc, quoil non

Mulla (lies et milita littira cocrcuit, alqiie Piscsectum decies non castigiwit ad iinguem.

Quel est, demandait M, de Ronald à un liltératour habilo, colni de mes ou- vrages ijuc vous csliinoz le meilleur? ('.'tst, réi)oud celui-ci, votre réponse à madame de Staël. Je le conçois, reprit M. do iîonald, je l'ai copié (piatorze lois.

Qnintilii si quid reciluns, corrii/e, sndes, Hoc, aiehat, et hoc : wcliiis le pu se nef/ares, Ilis terqiie expcrtinn frustra ; delere jiiOel'at

t7 iiiulè tornatos inciidi rcddere versus. (Ars poet.)

270 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

Ce que Boileau a traduit par ces vers si connus :

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez, Ajoutez quelquefois et souvent effacez.

Encore n'est-ce pas assez de se corriger soi-même : il faut se faire corriger par un maître habile, par un ami charitable et intelligent et se rendre docile à sa censure^ : « Il condamnera, dit Horace, les « endroits lâches ou durs de vos compositions, barrera d'un revers « de plume ceux qui seront négligés, retranchera les ornements (1 affectés, vous fera éclaircir ce qui est obscur, fixer ce qui estéqui- « voque, et marquera tout ce qui doit être changé. Ce sera Aris- « tarque, et il ne dira point : Pourquoi faire de la peine à ce jeune « homme pour des bagatelles ? Ces bagatelles auront des suites dans « un âge plus mûr ; ce qu'on lui pardonne aujourd hui le rendrait « plus tard un objet de mépris et de risée *. » Enfin, après toutes ces corrections, on transcrit au net son travail, et en le transcrivant on lui donne le dernier poli.

Nous convenons que toutes ces corrections sont lentes, pénibles et laborieuses ; mais c'est précisément cette lenteur qui garantit le succès ; ce sont ces difficultés vaincues qui donnent, après un certain temps, la facilité et la vitesse en faisant contracter l'habitude de bien écrire. « Je prescris à ceux qui commencent, dit Quintilien, la « lenteur est une sorte de sollicitude en composant : l'essentiel est tt de commencer par écrire aussi bien qu'il est possible : la vitesse (c naîtra de l'habitude. En écrivant vite, on n'apprend jamais à bien « écrire; mais, en écrivant bien, on apprend enfin à écrire vite : « cita scribendo non fit ut henè scribatur; benè scribendo fit ut citô^. » Tous les grands écrivains ne se sont formés que de la sorte; les plus illustres docteurs de l'Église ne sont parvenus qu'après beaucoup de peines et de travaux à annoncer dignement la divine parole. Massillon a constamment retouché ses écrits jusqu'à sa mort ; et comment

* Voyez le Guide de ceux qui annoncent la parole de Dieu, p. 248, 202. - Vir bonus et prudens versus reprehendet inertes,

Culpabit duros. incomptis allinet atriim

Transverso calamo signum : ambitiosa recidet

Ornamenfa; parian Claris lucein dure coget ;

Arguet ambiguë die tu m; mutanda notablt ;

Fiet Arislarchus, nec dicct : Cur ego amicum

Offendam in nugis? Use nugx séria diicent

In mala derisum semel exceplumque siniilrê. » X, V.

PRÉPARATION PROCHAINE. 271

après cela des prédicateurs, qui sont loin d'avoir les mêmes talents naturels et le même fonds de science, croiraient-ils pouvoir négliger les travaux et les soins dont les plus habiles maîtres n'ont pas cru pouvoir se dispenser?

ARTICLE 3.

DE LA MANIÈRE d' APPRENDRE *

Le sermon composé et corrigé, il ne reste plus qu'une dernière opération avant de monter en chaire : c'est de bien l'apprendre. Un sermon bien appris, ne fût-il que médiocre, paraît bon ; et, s'il est bon, il paraît excellent. Mieux on le possède, plus on est en état de l'animer et de lui donner le séduisant de l'improvisation en dis- simulant l'art, en le débitant avec naturel parce qu'on est sans préoc- cupation, avec feu parce qu'on est sans contrainte. On demandait un jour à Massillon quel était son meilleur sermon : « C'est, répondit- « il, celui que je sais le mieux. » Parole d'une parfaite justesse. En effet, plus un discours ressemble à une inspiration soudaine par le naturel du débit, plus il est propre à produire du fruit et à exciter l'enlhousiasme : or cette liberté d'action, ce naturel qui imite la production improvisée du génie et fait oublier aux auditeurs le double travail de la rédaction et de la mémoire, on ne peut l'atteindre qu'au- tant qu'on sait très-parfaitement son discours. Si l'on ne sait qu'à moitié, on hésite, on se répète, on recourt à son manuscrit , et, toujours inquiet de ce qu'on va dire, on ne pense jamais à ce qu'on dit. Dès lors, on est froid et sans intérêt ; la préoccupation éteint le zèle, gêne l'action et ô(e même à la voix l'inflexion naturelle ; on n'apparaît p'us à l'auditeur que comme un écolier qui a mal appris sa leçon: la dignité du ministère s'efface, et tout le mérite intrin- sèque du discours, fût-il excellent en soi, est oublié.

D'un autre côté, si, pour échapper à l'inconvénient de demeurer court, on se réduit à lire ses sermons, on Jeurûte l'iiilérèt et la vie-: on ennuie les auditeurs et on se déconsidère soi-même dans l'estime des peuples.

Il faut donc, avant démonter en chaire, savoir imperlurbahlement ce qu'on y doit dire : il est môme très-désirable qu'on soit tellement

» Voyfz le P. Albert, 111° part., c. xx. Devoirs d'un l'astcur, c. v, n" .S. Le Guide de ceux (lui aniioiicent la parole de iJieu, p. 195 et Ï'M. (Juiiililieii, liv. XI, cil. Il en entier. - Voyez d'Ajiuesseau, t. I, Discours sur les causes de la décadence de réliKjuence,

272 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

maître de sa matière, tellement indépendant et sûr de sa mémoire, qu'on puisse improviser les traits heureux que le moment inspire, et reprendre ensuite le fil de son discours.

Le plus grand auxiliaire qu'on puisse donner à sa mémoire, après toutefois l'habitude d'apprendre qui l'accroît autant que l'inaction la diminue, c'est une composition méthodique et bien ordonnée, rien n'est isolé, les idées se suivent et s'engendrent, chaque chose esta sa place sans aucune divagation. Ce bel ordre fait entrer sans peine dans l'esprit l'enchaînement des matières, les divisions et les subdivisions, la suite des idées depuis l'exorde jusqu'à la péro- raison; et rien alors n'est plus facile à apprendre, surtout si l'on aide encore la mémoire par des titres à la marge de son cahier, par des numéros qui indiquent les subdivisions, des alinéas qui, ména- gés à propos, dirigent dans le souvenir du classement des idées, et qu'on a soin de ne pas commencer par les mêmes mots de peur de se méprendre. Souvent même la mémoire trouveun secoins précieux dans l'habitude de souligner les mots notables qui iiwliquent les idées principales, dans la diversité deTécriture, ou des traits bizarres qui aient rapport au sens, quelquefois même dans les ratures et les mots et interhgnes auxquels les souvenirs se rattachent souvent plus qu'à un discours mis au net*.

En étudiant son sermon, il faut n'apprendre qu'un alinéa à la fois, et réunir ensuite, en repassant, deux ou trois alinéas, puis tout une subdivision, et enfin tout le premier point. On doit s'abstenir de déclamer dans cet exercice, et se borner à lire des yeux ou à voix basse : l'intérêt de la santé exige cette précaution.

Enfin, il est très-utile de réciter son discours en son particulier le soir avant de s'endormir. L'expérience démontre qu'à la faveur du silence de la nuit et du sommeil les impressions se gravent mieux dans la mémoire. Toutefois il faut le repasser encore le matin et surtout deux ou trois heures avant le sermon, sans se rassurer sur ce qu'on l'a débité la veille en son particulier.

Si, malgré toutes ces précautions, la mémoire vient à manquer, ou ce sont des mots qui échappent, et alors il faut y suppléer sans se troubler par des mots à peu près équivalents ; ou c'est un texte, une phrase qu'on ne se rappelle pas, et alors il faut passer outre et conti- nuer sans rien laisser apercevoir; ou enfin c'est toute la suite du dis- cours qui semble disparaître, et alors il faut développer la dernière

Cic, ad Ileren., m, 29 et seq.

F'RÉPAr.ÂTION PROCHAINE 27 >

pensée à l'aide de quelques phrases banales ou lieux communs : souvent pendant ce temps les choses oubliées reviennent. L'essentiel est de ne pas s'arrêter, de ne point se reprendre, et de dissimuler son embarras. Si ces moyens ne réussissent pas, il vaut mieux recourir humblement à son cahier que de descendre de chaire en laissant son discours inachevé.

On sera moins exposé à cet accident lorsqu'on pourra, comme nous l'avons dit, se borner à apprendre par cœur l'exorde, les textes et citations, les transitions, les tableaux et mouvements, certainesfigures ou tournures propres à produire de l'effet, enfin la péroraison; et pour le reste s'abandonner à l'inspiration du moment, après toute- fois qu'on a classé l'ordre de ses idées et fixé toute la marche du discours.

is

TROISIÈME PARTIE

DE La MANIERE DE PRECHER OU DE L'ACTION ORATOIRES

Jusqu'à présent nous avons considéré le prédicateur se préparant à monter en chaire : il est prêt maintenant ; le voilà qui y apparaît. Comment doit-il s'y conduire-? Il doit se mettre à genoux du côté de l'autrl et prier Dieu avec ferveur de bénir les paroles qu'il va dire de sa part aux fidèles assemblés. 2" Après sa prière, il se lève, demeure quelques instants en silence et profondément recueilli;. et, quand tout est calme et dans l'attente, il jette modestement la vue sur toutes les parties de l'auditoire pour se familiariser avec lui et n'être pas distrait ensuite par les objets qu'il n'apercevrait que dans le cours du discours. Après cela, il fait le signe de croix posément et avec une religion profonde; puis il commence. Mais comment doit-il prononcer son discours, ou autrement quelle doit èlre son action? Grave et importante question ! Pour la résoudre, nous trai- terons, dans un [)remier chapitre, de l'action en général, et dans un second, des dilférentes parties dont l'action se compose.

* Voyez Quinlilipii, liv, XI, c. m. Le V. Albert, III» partie, c. x\ii, xvm et XIX. Pa.storal de Limopos, t. II, l" partie, lit. ix. (iiniadc, liv. VI. Éloquence du corps, par Hinouart. L'Art de lire à haute voix, par Diibroca. * Voyez Grenade, liv. VI, cli.xiv

27G TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

CHAPITRE PREMIER

De l'action en g^éncral.

Ici se présentent à examiner trois questions : Timporlance de l'action; ses qualités; les obstacles qui la gênent ou la vicient. ^

* ARTICLE 1".

DE l'iMPORTAKCE DE l'aCTIOI!.

* L'importance de l'action est une vérité tellement fondée dans la

* nature, que tous les siècles et tous les peuples se sont accordés à

* la proclamer. Les Grecs et les Romains en étaient si convaincus,

* qu'ils avaient chaque semaine des exercices réglés pour y former

* la jeunesse dès le plus bas âge ; et on n'était point admis à parler

* en public avant de les avoir suivis assidûment pendant plusieurs

* années. Tout le monde snit que Démoslhènes, interrogé quelle

* était la partie principale dans l'art oratoire, répondit que c'était

* l'action ; qu'interrogé de nouveau quelle était la seconde, quelle

* était la troisième, il répondit toujours : l'action; signifiant par qu'en elle seule pour ainsi dire était tout l'art oratoire. Tout le

* monde connaît également l'opinion deCicéron sur ce point: « L'ac-

* « tion, dit-il, est le langage et l'éloquence du corps... Elle est la

* « reine de l'art de bien dire; sans elle le plus grand orateur est nul,

* « et avec elle l'orateur médiocre s'élève au-dessus des plus ha-

* « biles*. » La manière de dire les choses, observe-t-il encore, est

* plus importante que les choses mêmes : Non tàmrefert qualia sint

* qiisR dicas, quàm quomodd dicantur. Quintilien, comme ces deux

* grands princes de l'éloquence, enseigne que c'est l'action qui donne

* la vie aux paroles ; que, si elle est vicieuse, le plus beau discours

* fera peu ou point d'effet , et que, si elle est ce qu'elle doit être, le

* Cic. deOrat., m, 25. Oralor., lv

ACTION ORATOIRE. 277

* discours le plus médiocre passera pour excellent ; que toutes les

* preuves paraissent faibles si elles ne sont dites d'une certaine ma-

* nière, et que tous les sentiments sont fi oids si tout l'extérieur de

* l'orateur, sa voix, son visage ne les embrasent*. Or ce qti'ont pensé

* ces grands hommes a été répété par tons les siècles et admis

* comme des axiomes. Saint François de Sales écrivait à l'arclie-

* vêque de Bourges : « Dites merveille et ne le dites pas bien, ce

* « n'est rien; dites peu et bien, c'est beaucoup. » Plein de la même

* vérité, le P. de Grenade plaçait tellement l'aclion au-dessus des

* autres parties de l'art oratoire, qu'il y a consacré la partie la plus

* notable de sa Rhétorique ecclésiastique.

* C'est qu'en effet l'action oratoire, quand elle est naturelle, vive et

* animée, a sur les âmes un empire prodigieux. Elle en dit autant

* que les paroles : témoin le fameux Roscius, qui défiait Cicéron de

* rendre ses pensées avec le langage ordinaire mieux et plus vile que

* lui avec le seul secours du geste. Et d'oîi vient qu'Hortensius a pu

* être le rival de Cicéron, quoique ses écrits fussent si inférieurs à

* ceux de l'orateur romain? C'est, dit Quintilien, uniquement par la

* perfection de son débit et les charmes de sa prononciation. D'où

* vient que de tant de discours admirés en chaire il en est si peu qui

* supportent l'impression? La raison en est toujours la même : c'est *que l'action communique à tout ce qu'on dit un mérite qu'on n'y

* sent plus quand on le lit ; elle est l'âme du discours, elle vous sé-

* duit, vous entraîne, et cache même les défauts de la composition

* jusqu'à faire trouver admirable un discours qui ne soutiendrait pas

* l'examen d'une lecture réfléchie. D'où vient enfin que les acteurs

* du théâtre intéressent à un si haut point et font passer dans l'âme

* des spectateurs les sentiments des diverses passions qu'ils expri-

* ment? La perfection du débit en est la cause unique : or, si avec

* des sujets profanes ou purement iniaginaires, en jouant des per-

* sonnagcs feints et simulant une passion qu'on ne partage pas, on

* peut par l'action produire de tels effets, que ne pourrait pas l'action

* bien dirigée du prédicateur, qui a, dans les sujets sublimes qu'il

* traite, dans sa qualité d'und)assadeur de Dieu, tant de puissants

* moyens d'émouvoir, d'exciter la tendresse et les pleurs, les craintes,

* l'espérance et l'amour, d'intéresser tous les sentiments, de remuer

* toutes les fibres du cœur !

* Cette puissance de l'acîtion est, du reste, un fait dont la raison

« l.il). XI, c. VIII, et li'j. il, c. m.

278 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* est facile à concevoir. Les sens étant la voie par laquelle la vérité

* arrive à l'esprit et passe de au cœur, ou plutôt étant comme l'in-

* troducteur qui la présente, si cet introduclenr plaît et charme, il

* assure bon accueil à la vérité et forme seul un préjugé favorable ; ■" on croit facilement un homme qui a l'air et les manières spiri-

* tuelles : mais, si cet introducteur déplaît, sa disgrâce retombe sur

* la vérité même qu'il présente et qui déjà, nar sa nature, contrarie

* nos inclinations. Observation d'autant plus vraie que le commun

* des auditeurs ne connaît guère le fort ou le faible d'un discours;

* mais il discerne très-bien si le prédicateur parle comme un homme

* persuadé, si son action est naturelle, énergique; et c'est parla

* qu'on le juge : si cela manque, tout est manqué. En vain vous aurez

* un excellent sermon, si vous ne savez pas y accommoder l'action:

* le peuple, qui apprécie les choses par les sens plus que par l'esprit,

* par la forme plus que par le fond, prononcera qu'il ne vaut rien et

* n'en profitera pas. Si, au contraire, votre action va au cœur, si

* vous donnez à ce que vous dites l'air et le ton qui conviennent,

* vous êtes sûr de toucher, quand même on ne vous enîendrait pas ;

* une action vraiment oratoire charme l'oreille, éblouit les yeux,

* porte l'admiration dans l'esprit, la séduction dans le cœur; le plai-

* sir ouvre l'âme, et la persuasion naît : Splendore vocis et dignitate

* motûs fit speciosum et illustre qiiod dicitur, dit Cicéron *.

* De nous pouvons conclure que c'est un devoir pour le prédi-

* cateur de bien posséder les principes de l'art oratoire et de s'y

* exercer jusqu'à ce qu'il y soit parfaitement formé. La conscience,

* en effet, lui dit qu'il ne peut pas négliger une chose d'où dépend

* le succès de son ministère, et que si, pour perdre les âmes, les

* acteurs de théâtre s'efforcent avec tant de sollicitude d'arriver à la

* perfection de l'action, lui, pour les sauver, doit travailler, avec un

* zèle au moins égal, à se rendre habile en cette partie de son art.

* Quoi ! les ministres de Dieu énerveraient par le vice de leur action

* la force de tout ce qu'ils disent, tandis que les ministres de Satan,

* par la perfection de cette même action, relèvent la vanité de leurs

* discours et font pénétrer les passions dans les âmes ! Ce serait une

* honte au clergé, et un outrage à la parole de Dieu.

* Si l'on objecte que l'art est ici inutile, que la nature seule ap-

* prend tout, nous répondrons avec Quintilien : Nihil licet esse per-

* fectum, nisi ubi natura cura juvatur. Tous les talents sont bruts

» In Brulo, '200

ACTION ORATOIRE. 279

* et informes, si l'art des préceptes ne les fait éclore et ne leur donne

* ce poli qui en fait le prix. Déniosthènes avait reçu de la nature

* peu de dispositions pour parler en public ; l'exercice et l'applica-

* tien lui donnèrent ce que la nature lui avait refusé.

* Si l'on objecte encore que les apôtres n'ont pas appris les règles

* de l'action, nous répondrons qu'ils avaient reçu le don des mira-

* des, bien capable de suppléer à l'éloquence humaine, et de plus,

* les dons du Saint-Esprit qui leur enseignait à annoncer dignement

* l'Évangile; qu'inspirés par cet Esprit divin, ils savaient être élo-

* quents en action comme en paroles, et que saint Paul, au milieu

* de l'Aréopage, n'eût point été écouté, si par une action extérieure

* jointe au sublime du langage, il n'eiât su captiver l'attention de ce

* peuple orateur.

ARTICLE 2.

DES QCAL!TÉS DE l'aCTïON.

L'action doit être naturelle, édifiante, variée, expressive, appro- priée aux sujets et aux auditeurs.

l" Elle doit être naturelle. Rien n'est plus beau que la nature ; elle laisse loin derrière elle l'action la plus étudiée ; elle a des grâ- ces que la science ne peut donner, et elle seule a le secret de ces beaux moments, de ces moments sublimes qui vous enlèvent. Les gestes qu'on fait par art ne valent jamais ceux que commaade une passion qui nous émeut. Un homme pénétré de douleur ou saisi par la surprise fait des gestes sans y penser ; ils sont parfaits; c'est la nature qui meut ses mains et sa voix, ses yeux et tout son corps ; on ne peut mieux faire. La nature est belle jusque dans son immobi- lité pleine de majesté et de force ; c'est le repos d'une puissance qui vous maîtrise. Bourdaloue prêchait les yeux fermés, les mains join- tes collées sur la chaire, et il ravissait ; c'est qu'il était natujel. Au contraire, tout ce qui sort de la nature déplaît, et rien n'a plus mau- vaise grâce que de vouloir, en chaire, cesser d'être soi-même, re- noncer à sa voix accoutumée et prendre un ton décl.unatoire, une manière de dire artificielle et affectée. Il y a Ui de quoi faire perdre tout le fruit du meilleur sermon. A ce ton précieux, à ce genre af- fecté si peu en rapport avec la majeslê sévère de l'éloquence sacrée, l'auditeur reconnaît un homme il cherchait l'envoyé de Dieu, et ne peut se persuader que des passions si occupées d'elles-mêmes soient réelles. Il faut donc s'appliquer à être naturel, c'est-à-dire à

280 TRAITÉ DE 1.A PUÉDICATION

ne laisser par;u(re ni gêne ni art, et à imiter ce que fait la nature quand elle est parfaitement libre, de sorte que toute l'action semble proiluifesponîanément et comme inspirée par le sentiment dont on est plein; il faut parler à son auditoire, et non pas déclamer; gar- der sa voix telle que Dieu nous l'a donnée, et ne pas vouloir la faire paraître on plus douce et plus délicafe, ou plus forte et plus pleine qu'elle ne l'est par elle-même ; il ne faut ni grasseyer à dessein, ni prendre le Ion emphatique, ni affecter, surtout avec une voix faible et un caractère connu de douceur, le ton fier, menaçant et terrible ; mais se borner, en demeurant dans la nature, à corriger ce qu'elle a de défectueux, et à perfectionner ce qu'elle a de bon. Ce naturel de l'action était un des principaux caractères de Massillon ; et l'acteur le plus parfait qu'eut le théâtre de son temps, étant venu l'entendre, fut si frappé du vrai qui régnait dans toute sa manière, qu'il s'écria, en s'adressant à un acteur qui l'accompagnait : Mon ami, voilà im orateur; et nous, nous ne sommes que des comédiens! De il suit qu'il ne faut point forcer son genre pour vouloir imiter un au- tre prédicateur, et encore moins prendre le genre affecté et exagéré du théâtre. Il ne s'agit pas d'arrêter sur soi les regards de l'aii- liteur, mais de le forcer à les retourner sur lui-même; et pour cela il faut régler son action sur ce qu'on sent, se contentant de donner tout le naturel possible à son air, son geste et sa voix. Il suit, 2" que c'est du cœur que doit partir l'action : sentir ce que l'on dit, voilà le vrai principe comme tout le secret d'une déclamation par- faite; voilà ce qui, sans môme qu'on y pense, donne à la voix le ton qu'il faut, au corps le maintien, aux mains le geste, aux yeux le mou- vement, au visage l'expression, à la tête la position qui convient, et ici, comme dans l'art d'écrire, il est vrai de dire : Pectus est quod disertosfacit. Un geste, un regard, une inflexion juste, inspirés parle sentiment, saisissent l'auditeur et le persuadent. Toutefois nous ne prétendons pas exclure l'art : un de nos poètes a dit :

Quiconque plaît sans lui ne plaît que par hasard.

L'art règle la nature dans ceux chez qui le sentiment n'est pas assez développé, assez vif ou assez éclairé : il forme et perfectionne le goût, rappelle au naturel l'orateur qui s'en écarte. Étudier la nature et la suivre, voilà toute son industrie, et il ne s'estime par- fait que lorsqu'il s'est si pleinement dissimulé, qu'elle seule se montre.

ACTION ORATOIRE. 281

L'aciion doit être édifiante, c'est-à-dire que le prédicateur doit avoir un extérieur grave, modeste, pénétré de la sainteté de son ministère et de la vérité de ce qu'il prêche. Cet air évangélique, cet extérieur de prophète, cette sorte d'onction chrétienne qui sanctifie toutes ses manières et se répand sur tout son extérieur, frappe et sai- sit, édifie et parle au cœur, dispose aux impressions de la grâce. Saint Charles, par cet innocent secret, convertissait les peuples, quoique avec une voix faihle, désagréahle même, et une éloquence commune. Saint François de Sales n'était pas moins remarquable en ceci : « Il « suffit de vous voir en chaire, lui disait M. de Belley : vous n'avez « encore rien dit que déjà vous avez tout dit par votre seul extérieur, « et les cœurs sont gagnés, » Enfin, on lit deMassillon'que, dés qu'il paraissait à la tribune sacrée, son air recueilU et pénétré annonçait d'avance la grandeur et l'importance des vérités qu'il allait annon- cer; il n'av;iit pas encore ouvert la bouche, et l'auditeur était saisi. Il commençait enfin... semblant ne pouvoir contenir au dedans de lui les vérités dont il était plein. On eût dit qu'un feu intérieur le dévorait, que c'était un besoin pour son âme de !e laisser éclater au dehors. Alors tout parlait en lui, tout persuadait, tout portait dans l'auditoire la conviction et le sentiment : il disait les choses avec force et vivacité, parce qu'il les sentait de même, faisant consister tout le mérite de l'action à paraître bien pénétré des vérités dont il vou- lait pénétrer les autres. De il suit, qu'il faut éviter les gestes désordonnés de certains prédicateurs qui crient, s'échauffent, se tourmentent, ont toujours l'air de l'imiignation. L'esprit de Dieu est plus calme; on le reconnait à la douceur du débit accompagnée d'une noble simplicité, et cette douceur édifie autant qu'elle plaît; elle va au fond des cœurs et y triomphe des obstacles qu'elle ren- contre, tandis que l'action immodérée nuit à l'effet en proportion de son excès, et rompt ce calme majestueux qui sied si bien devant les autels et dans l'onction sacrée. De il suit, 2" que le prédicateur doit éviter tout air maniéré, comme d'ajuster avec trop de soin son surplis, de poser et prendre son mouchoir d'un air élégant et étudié, d'affecter une toux de commande : encore plus il doit éviter tout air hautain, comme de jeter des regards hardis et fiers sur son auditoire, de prendre un ton de maître et di?s manières présomptueuses ; il lui faut, au contraire, exprimer dans tout son extérieur la simplicité et la modestie d'un homme de Dieu. Il suit, Z" qu'une même aclicri

1 Prtfacc du l'olit CiirLine, jiar le I'. Janiuirt, de l'Urytoire.

282 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

no convient pns à tons les prédicati?urs ; que les jeunes gens doivent avoir une action plus liuiuble, plus modeste que les anciens, une action presque timide ; que les inférieurs ne doivent imiter ni les prélats, ni les vieillards vénérables, ni les prédicateurs célèbres aux- quels il est permis de répandre sur leur extérieur un peu de cet air d'autorité qui convient à leur rang, leur âge, leur réputation. On malédifierait en prenant le même genre.

L'action doit être variée, c'est-à-dire qu'elle doit croître avec le progrès des passions qui l'animent, s'échauffer selon la grandeur des obstacles qu'il s'agit de renverser, puis se calmer, mais toute- fois se peindre jusque dans son repos, et reprendre par intervalles une nouvelle ardeur. Dire tout sur le même ton et avec le même geste, ce serait être semblable à un écolier qui récite plutôt qu'à un orateur qui pnrle, et attirer sur soi le ridicule de ce mauvais joueur de harpe qui ne toucherait jamais que la même corde.

Ut citharxdus

Ridetur, cltordâ qui semper oberrat eâdem *.

Ce serait prouver qu'on ne parle pas de conviction, et souvent même rendre sa phrase inintelligible, puisqu'un même mot a un sens tout différent selon le ton avec lequel on le prononce. Ce se- rait enfin parler contre nature, et faire un contre-sens continuel, puisque la voix, étant l'interprète du cœur, doit prendre autant de tons qu'il y a d'affections dans l'âme, d'idées ou de sentiments dans le discours^; c'est à-dire, qu'elle doit varier presque continuelle- ment : car chaque mot présente une idée nouvelle, ou modifie Tidée déjà présentée, ou la lie avec une autre. Or, rien ne déplaît tant aux auditeurs que le désaccord entre la parole et la pensée : ce défaut d'harmonie détruit l'intérêt et gâte tout le mérite du discours. Que le débit, au contraire, soit accompagné de cette variété de gestes et de tons qui forme ce qu'on appelle Y accent oratoire, dès lors, tout le discours prend vie ; il a une marche hbre, franche et naturelle ; l'auditeur s'intéresse, se captive, s'unit à celui qui parle, entre dans ses pensées et ses sentiments, parce qu'il les trouve nettement des- sinés, fortement caractérisés dans les mouvements, le visage, les yeux, les mains, la voix de l'orateur, qui se modifient constamment selon le sens et l'arrangement des paroles, selon le tour des pé-

* Horat., Arspoet. - Cic. de Orat., lib. III, 216 et seq. 224 et seq. Ora- tor., 55 et seq.

ACTION ORATOIRE. 283

riodes et les cadences du style, tantôt graves et lentes, tantôt légè- res et rapides, tantôt douces et modérées. 11 en est ici comme de la musique, toute la beauté consiste dans la variété des Ions accom- modés aux choses qu'ils expriment. Dans les endroits l'on ne fait qu'instruire, raconter et s'insinuer, l'action doit être simple et mo- deste ; il faut appuyer, elle doit avoir quelque chose de ferme ! et de prononcé, et le discours s'anime et s'échauffe, elle doit I se montrer vive, impétueuse et pathétique. En ménageant ainsi la véhémence, on rend la surprise et l'émotion des auditeurs bien plus saisissantes lorsque l'action s'élève à un enthousiasme soudain; au lieu que, lorsqu'on ne sait pas se réserver, souvent on s'épuise sur des choses communes, et l'on est ensuite réduit à dire faiblement celles qui demanderaient une action véhémente ; ce qui emporte le double ridicule de débiter d'une manière animée des choses peu im- portantes ou écrites sans chaleur, et de réciter d'une manière lan- guissante des paroles pleines de verve et de sentiment.

4" L'action doit être expressive, c'est-à-dire, qu'elle doit peindre les pensées et les sentiments, toutes les passions répandues dans le discours, toutes les figures dont il est orné, comme les interrogations et les réponses, comme les exclamations et les apostrophes; et elle doit être dans ces peintures si vraie, si nette, si caractérisée, qu'il n'y ait persoime qui ne la comprenne, et que même quelquefois elle sup- plée à ce qu'on ne peut ou à ce qu'on ne veut pas exprimer. Elle est mauvaise si elle est obscure et équivoque ; chaque mouvement doit avoir une signification claire, comme dans le langage chaque mot doit avoir un sens ; et même ces mouvements doivent être, aussi bien que les différentes parties du discours, liés entre eux par des transitions heureuses qui ménagent le passage de l'un à l'autre sans y laisser aucun vide. Quand l'action a ce caractère, la richesse de l'élocution en tire une nouvelle grâce, la pensée plus de vivacité, le sentiment plus d'onction et de force, et l'auditeur touché livre son âme au prestige de l'éloquent débit. Si, au contraire, l'action manque d'expression, elle paralyse tout l'effet du discours; un air dévisage, un coup d'oeil, /m son de voix, un geste qui ne sont pas en rapport avec ce qu'on dit, suffisent pour trahir le prédicateur non pénétré ; et tous les auditeurs alors lui ap[)liquent le mot de Cicéron à Cali- dius, qui, d'un air froid, d'une voix huiti;, d'un geste négligé, accusait Gallius d'empoisonnement : « Si vous étiez convaincu de ce que vous « avancez, le diriez-vous de la sorte? » Tu nisi (ingères, sic agercs^.

* In Hnilri, 277 et soq.

284 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION,

L'action doit être appropriée au sujet : ainsi si Ton fait un prône ou une instruction familière, elle doit être simple et aisée, éloignée du genre pathétique ou élevé qui convient au discours solennel. Le prédicateur est alors un père qui exhorte ses enfants ; il doit leur parler d'une manière aisée et tranquille, tendre et prévenante, (jui annonce l'autorité sans la faire sentir. Si l'on traite les fins dernières, l'action doit être ferme et véhémente ; il faut l'air et la voix d'un prophète; tout doit annoncer; et la majesté redoutable d'un Dieu vengeur, et le tremblement du prédicateur qui craint pour ses frères, qui craint pour lui-même. Si l'on prêche sur les vices ou la corrup- tion des mœurs, l'action doit être tantôt vive, pressée, insinuante; tantôt tendre, pleine de douleur et de compassion. Si l'on traite les souffrances et la mort de Jésus-Christ, l'action doit être triste, lente, interrompue, propre à exciter les gémissements et le repentir, quel- quefois même entremêlée d'un certain désordre par l'excès de la douleur ou de l'amour; si l'on prend la croix en main pour la mon- trer à son auditoire et le faire fondre en larmes, il faut être, en quelque sorte, sûr du succès : en manquant l'effet on se rendrait ridicule. A t-on à prêcher un panégyrique? il faut que l'action soit brillante et douce, mais sans véhémence. Est-ce une oraison funèbre^ que l'action soit grave et sérieuse, inspire la douleur, le regret et la vénération pour le héros. Si enfin Ton prêche sur les mystères, il faut une action noble, soutenue et variée.

L'action doit être appropriée aux auditeurs. Ainsi devant les grands il faut parler avec dignité, devant le peuple avec autorité ; à la campagne on peut se permettre, toutefois jusqu'à ceitaines limites, de paraître véhément et terrible dans son action, de crier même e( de s'agiter, parce que le peuple se persuade plus par une voix puis- sante et des gestes impétueux que par la force du raisonnement ou la beauté de la diction : en ville, il faut plus de réserve, de retenue et de modestie ; il faut parler et non crier; il faut une action noble et pohe, une voix douce et agréable, un geste grave, des mouve- ments discrets, un extérieur toujours respectueux ; et l'air d'autorité du ministre doit ê!re tempéré par l'air modeste de l'homme.

Telles sont les qualités d'une bonne action oratoire. Le public les connaît par instinct; il est juge suprême en cette matière ; on ne peut ni l'égarer ni le surprendre. Si les auditeurs s'agitent d'impa- tience sur leurs sièges, s'ils promènent sur l'assemblée des regards inattentifs et distraits, si les paroles les plus touchantes les laissent froids et indifférents, on peut être sûr que le débit est mauvais. Mais

ACTION ORATOIRE. 285

le prédicateur captive leur attention, s'il les saisit et les émeut, s'il les voit immobiles à leur place, le regard fixe sur lui, partageant (ouïes ses pensées et tous ses sentiments, son action a été certaine- ment bonne, elle a rempli sa fin

ARTICLE 3.

DES OBSTACLES QUI PEUVENT GÊNER OU VICIER l'aCTION

11 est cinq principaux obstacles qui peuvent gêner ou vicier l'ac- tion.

Le premier, c'est de ne savoir qu'imparfaitement son discours. Car alors, préoccupé par la crainte de s'arrêter en chemin autant que par la recherche inquiète de ce qu'on doit dire, on perd toute la hberté de son action, et le sentiment, étouffé sous les sollicitudes de la mémoire, ne l'anime plus. La parole n'a plus ni ce degré de viva- cité, ni ces nuances et ces inflexions que requièrent les diverses par- lies du discours, ni ces transitions de voix heureuses et naturelles qui conduisent d'une pensée à une autre, d'une narration à une preuve, d'une preuve à un sentiment ; enfin on est hors d'état de régler sa prononciation.

Le second ol)stacle, c'est la timidité. Dans cet état fâcheux, on n'est plus maître de soi ; on est troublé, distrait, gêné ; on ne s'applique qu'à demi soit à ce qu'on dit, soit à la manière de le dire ; cette timidité éteint le sentiment, ôte l'aisance et le naturel ; et, tant qu'on ne l'a pas surmontée, il est impossible de réussir. Nous avons indiqué ailleurs les moyens de la vaincre.

Le troisième obstacle, c'est l'amour-propre qui craint l'humiliation et ambitionne la louange. La crainte de l'humiliation jette le prédi- cateur dans le trouble et le met à la torture : il y a embarras dans toute son action, parce qu'il y a inquiélude dans son esprit ; et il ne laisse échapper que des sons de voix faux, des gestes restreints. D'autres fois, l'ambition des louanges lui inspire une envie excessive de plaire, qui le lait tomber dans l'affectation et la recherche ; tous ses gestes sont étudiés, outrés ou peu naturels. Le moyen de lever cet obstacle se trouve d'abord dans une humililé franche et sincère ; puis dans l'habilude d'une conversation toujours noble et naturelle, toujours pleine de grâce et de décence, mais éloignée de toute affec- lalion. Une fois qu'on s'est accoutumé à un langage toujours digne, on ne craint plus tant de déplaire, on ne pense pins tant à plaire, et, par cela même, on [)lait davantage sans aucun effort.

280 TRAITE DE LA IM'.ÉDICATION.

Le quatrième obstacle, c'est le défaut de sensibilité ou naturelle ou acquise par la méditation. Si l'on est froid, peu touché de ce qu'on prêche, il est impossible d'avoir une bonne action oratoire ; ce qu'on a de mieux à faire alors, c'est de se borner à peu de gestes : les gestes forcés que le sentiment n'inspire pas nuisent plus à l'effet qu'ils ne servent.

Enfin le cinquième obstacle, c'est dans le prédicateur une idée imparfaite de la grandeur de sa mission. Une foi vive de l'excellence d'un si haut ministère donnerait à tous ses mouvements ce caractère de noblesse qui va si bien dans la chaire sacrée, lui inspirerait une élévation de sentiments, une dignité de manières convenables à l'envoyé de Dieu, et remplirait son âme de ce saint enthousiasme qui dicte les plus beaux gestes. Mais s'il juge son ministère d'une manière trop humaine, s'il n'en sent pas la grandeur, dès lors sa parole est sans noblesse, son geste sans dignité; et rien dans son action, expression fidèle de son âme, n'est à la hauteur de la parole de Dieu.

CHAPITRE II

Des différentes parties dont l'action se compose»

On peut distinguer six parties dans l'action : la prononciation, la contenance du corps, les gestes des mains, le mouvement des yeux, les traits du visage et la position de la tète. Nous allons exposer les règles qui regardent chacune de ces six parties.

ARTICLE 1".

DE LA PRONONCIATION.

* La prononciation est la première partie de l'action comme elle ■* en est la plus importante : rien n'exprime et ne remue les passions * comme la voix : Ad actionis usmn atqiie laudem maximam sine ■* diibio partem vox ohtinet, dit Cicérone Elle relève les endroits fai-

' De Orat., lib. III, 224.

DES DIFFERENTES PARTIES DE L'ACTION. 287

* bles, elle donne de l'intérêt aux choses les plus simples et fait

* verser des larmes la lecture laisserait l'âme insensible. Le ton

* pathétique touche souvent plus que les paroles les plus véhé-

* mentes; il a surtout un empire prodigieux sur la multitude, qui ne

* saisit pas le fond du discours, mais se laisse ébranler par le ton

* pénétré de l'orateur; et c'est ce qui donnait au P, Bridaine, ce

* qui donne encore à tous les missionnaires une si grande puissance

* sur leurs auditeurs. Sans ce secours, au contraire, toute éloquence ' tombe ; un discours mal prononcé ne peut jamais faire d'effet.

* L'oreille, ce sens qui porte les paroles à l'esprit, est d'une délica-

* tesse exlrème, dit Cicéron : Aurium est jndicium stiperbissimum^ :

* si vous la blessez, elle fait oublier et compîer pour rien les charmes

* de votre élocution. Tous les senliments languissent, si la voix ne

* parle leur langage; toutes les affections de l'âme s'éteignent, si elle

* ne les anime, et les preuves mêmes perdent leur force, si elles

* ne sont présentées avec un ton d'assurance qui démontre la con-

* viction.

La prononciation étant donc si importante, nous exposerons : ses qualités; 2" les règles auxquelles il faut la soumettre; la manière d'améliorer et de conserver sa voix.

Des qualités de la prononciation *.

La prononciation oratoire doit avoir quatre qualités principales : elle doit être, 1" claire et distincte. On finit bienlôt par ne plus écouter ce qu'on n'entend qu'avec peine ; et quand même on écou- terait, le traval de l'esprit qui cherche à entendre préoccupe l'âme et empêche de se laisser pénétrer par le sens. Il faut donc parler de manière à être entendu aisément et parfaitement de tous ; et pour cela il faut élever assez la voix, articuler distinctement toutes les syllabes, les prononcer selon leur quantité, d'une manière nette et pleine, bien détacher les mots, les phrases et membres de phra- ses, et appuyer surtout sur les finales.

2" La prononciation doit être pure et correcte, c'est-à-dire, n'avoir aucun des défauts que réprouvent les i èglos de la grammaire ou l'u- sage de la bonne société : il faut y éviter tout accent vicieux, c'est- à-dire, en général, celui qui fait coimaiire de quel pays est l'orateur,

»Oratoi-., 150. '^ Cic. ad Ileren., lib. lil, '20 et spq.

288 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION,

et être attentif à faire des liaisons des consonnes finales avec les voyelles des mots suivants, prononçant, par exemple, le divin na- mour, bon tiami, so torgueil, gran torateuv.

La prononciation doit être bienséante ; c'est-à-dire n'avoir rien de choquant, de rustique, d'affecté, d'embarrassé comme si on étu- diait les tons à donner à chaque mot. Il faut donc éviter la voix rauque, aigre, rude ou efféminée, la voix d'un volume trop gros et trop vaste qui sent le ton magistral, la voix lente qui, se traînant sur les mots, fatigue et dégoûte l'auditeur, plus encore la voix trop précipitée qui ne laisse pas le temps de saisir et de goûter ce qu'on dit, qui sent l'écolier empressé de se décharger du poids de sa le- çon, et qui est d'ailleurs si opposée à la gravité de la chaire sacrée, la parole évangélique doit couler comme un fleuve majestueux et non se précipiter comme un torrent. La perfection de la voix, c'est d'être sonore et claire, flexible et naturelle, toujours pleine de dignité, soit lorsqu'elle est douce, soit lorsqu'elle est fulminante; mais surtout toujours contenue dans ce juste milieu également éloi- gné de la pré(Mpitation et de la lenteur, lequel donne du poids au discours, en fait sentir la force et l'harmonie, produit des sons plus nourris, soulage l'organe en facilitant les repos, et aide puissam- ment à conserver l'empire sur soi, sans jamais se troubler dans le cours du débit.

4" La prononciation doit être adaptée aux pensées et aux senti- ments qui composent le discours, c'est-à-dire qu'elle doit marquer la nature et la force de chaque idée par un accent particulier qui fasse discerner les propositions d'avec les preuves, les preuves d'a- vec les conséquences, les divisions d'avec le récit, les objections d'avec les répliques, les pensées communes d'avec les pensées éle- vées, les idées gracieuses d'avec les idées tristes. Un ton qui con- fondrait tout, ferait un chaos capable de dégoûter l'auditeur le plus attentif, et les mots iraient frapper son oreille sans arriver jusqu'à son cœur. Si l'on veut le toucher, il faut qu'il y ait conformité enîre la nature de la pensée ou du sentiment et la manière dont lun ou l'autre est rendu. La voix a pour cela des moyens infinis ; et il n'est pas une pensée ou un sentiment qu'elle ne puisse exprimer par un accent particulier; et voilà ce qui en fait un des plus beaux dons que la nature nous ait départis. Le mal est que ce talent, le plus di- gne de tous d'être cultivé, est de tous le plus négligé et le plus mé- connu : les uns ont des tons insignifiants qui n'expriment rien, ou faute d'âme ou faute de connaissance ; les autres ont des tons faux

DES DIFFÉRENTES TARTIES DE L'ACTION. 289

résultat du mauvais goût ou de rininlelligence de ce qu'ils disent; d'autres cnfia ont un ton oxai^oré et outré, fruit de leur imagination trop ardente ou de leur sensibilité trop vive.

§2.

De la manière de ivgler sa voix dans le discours public.

Le ton qu'il faut prendre en parlant en public se mesure d'après l'étendue de l'auditoire : il est nécessaire et suflisant de l'élever à un degré tel que l'auditeur le plus reculé puisse facilement entendre : l'élever au delà, ce serait se fatiguer en vain et fatiguer l'auditeur lui-même. On a observé que le ton général de la voix doit être en fa, le ton le plus haut en la, et le ton le plus bas en 7'<j. Au-dessus du la, la voix se fausse et le ton est désagréable : au-dessous du on n'est pas entendu. On a observé également que, pour se bien faire enten- dre, il faut, se tenir au milieu de la chaire, sans voltiger à droite et à gauche, parce que ces mouvements partagent le son et le dissi- pent, ou donnent tout aux uns et rien aux autres : 2" faire en sorte que la voix aille frapper directement le mur ou le pilier en face de la chaire, afin que de les sons se réfléchissent dans tout l'audi- toire.

Le ton général de la voix ainsi fixé, doit modifier ses inflexions, selon ce qu'exigent les diverses parties du discours, la nature du su- jet et le sens des phrases, les endroits il faut appuyer et ceux il faut faire des repos.

Règles de la voix dans les diverses parties du discours.

La voix ne doit point glisser sur toutes les parties du discours comme sur une surface unie : dans i'exorde, elle doit èlre calme, modérée et respectueuse. Crier dès lors et pousser des éclats de voix, ce serait aller contre nature, puisqu'il n'est pas naturel d'être échauffé dès le commencement ; la chaleur ne vient que peu à peu et par degrés ; ce serait encore violer la règle fondamentale de I'exorde, qui est de s'insinuer dans l'esprit des auditeurs par la mo- destie et le calme du langage : Quid insuavius, dit Cicérun, ijiiàm clamor in exordioK... A principio clamare, aijreste est quiddam^. Ce serait enfin se mettre hors d'élat de s'élever plus haut dans la suil(Mlu dis(;ours, c|uan(l la natui'(! des (;Iioses le demanderait, au

« Ad lîeic'ii., lib m. 'Ji - 1)0 Onit , iih. 111, 'iiT.

r.)

290 TRAITÉ !)!■: LA rRÉDlCATION.

lieu qu'en niénageaiil sou l'eu dès le conimeuccnient, pour ne le produire qu'à propos, on fait beaucoup plus d'impression. Dans l'énoncé de la division ou des sous-divisions, il faut une clarté de voix parfaite, et on ne saurait trop y éviter la précipitation ou la confusion des sons, parce que, quand l'auditeur n'a pas bien saisi cet énoncé, il S(> mécontente et prend difficilement intérêt à ce qui suit. Les définitions oratoires exi<;ent une précision exquise de langage; on doit ne laisser passer aucun des traits qui caractérisent la chose (ju'on (iéfiiiit et les présenter tous avec une égale force et un égal intérêt. Dans le corps du discours, quand on narre ou qu'on expose, la voix doit être un peu plus élevée que dans l'exorde, mais simple et posée, libre et coulante, plus animée en racontant un trait de générosité, plus touchante et plus pathétique en rapportant quel- que l'ait attendrissant, toujours diversifiée de manière à représenter les choses dont on parle. Quand on avance une proposition ou qu'on interroge, la voix doit être à peu prés celle de la conversation , mais rm peu plus haute. Ce qui est argumentation doit se dire d'un ton pressant, ferme et hardi, en observant toutefois de prononcer d'une voix moins chaleureuse les arguments moins forts, et avec un accent beaucoup plus énergique de conviction les arguments les plus con- cluants. Ce qui est réfutation doit avoir un caractère de raison supé- rieure qui ne laisse pas supposer la possibilité de la réplique, et comme un air de triomphe qui entraîne l'auditeur. Dans tout ce qui est mouve- ment, il faut le ton animé et pénétré, mais en ol)servant deux choses : la première, de bien remarquer commence et finit le jialhétique, afiJi de ne pas appliquer à faux le ton propre à ce genre, ce qui se- rait ridicule ; la seconde, de ne pas passer brusquement du ton calme au ton passionné, ni de l'accent chaleureux à une voix gla- ciale, mais de ménager le passage de l'un à l'autre : le sentiment ne naît ni ne s'éteint tout à coup. Enfin, il faut surtout réserver sa voix pour la péroraison, ce moment décisif dont les impressions restent presque seules et efiacent toutes les autres : c'est qu'il faut déployiu' une voix puissante, pénétrée et pathétique, qui aille jusi}u'au fond des cœurs.

Règles de la voix selon la nature du sujet et le sejis des plirases

Cluujue sujet demande un ton particulier. Si l'on exhorte, la voix doit être forte et pressante; si l'on prie, doiîce et soumise ; si l'on console, tendre et couinali.ssaule ; si l'on conseille ou |)roiiict, t^rave

DES DIFFÉRENTES PARTIES DE L'ACTION 291

et soutenue. Les choses fâcheuses demandent un accent triste et plaintif, les paroles de paix ou d'encouragement une voix douce et éclatante, et si l'on parle des grandeurs de Dieu, de la beauté de la religion et de ses mystères, la voix doit prendre elle-même un ton de grandeur et de majesté. Quel que soit le sujet, le ton de vérité avec lequel chaque phrase doit être prononcée se présentera comme de lui-même, pour peu que le prédicateur ail d'âme. Il dira les pensées communes d'un ton calme et modéré; les pensées vives, qui comme un trait de lumière illuminent l'esprit par leur clarté et le frappent vite par leur brièveté, d'un ton décidé et tranchant* : se traîner en les énonçant ferait un contre-sens et manquerait le but qui est de produire une secousse momentanée. Aux pensées fortes faites pour produire des impressions profondes, il prendra un ton grave, imposant, entièrement distinct du ton précédent*. Il exprimera les pensées hardies avec une sorte d'audace, les pen- sées nobles, grandes et sublimes, avec majesté. Mais, surtout, il s'attachera à rendre, par la llexibilité de sa voix, les passions diver- ses et les mouvements de l'âme, qu'exprime sa parole.

Chaque passion a un ton qui la dislingue et la caractérise. Dans la douleur, la voi.t est triste et gémissante, pleine de larmes et inter- rompue par des soupirs, plus grave cependant et plus uniforme quand on ne veut pas se plaindre; dans la joie elle est gaie et cou- lante; dans l'amour elle est douce, tendre et affectueuse; dans la haine elle est sévère, et si l'on vient jusqu'à l'indignation, elle s'ex- prime par des éclats violents. Si l'on veut inspirer la hardiesse, elle est haute et ferme ; si l'on craint, elle tremble et hérite, et si l'on excite la compassion, elle est plaintive et tendre. Les figures par lesquelles les passions s'expriment, comme l'interrogalion, l'apo- strophe, l'ironie, l'exclamation, ont aussi leur ton particulier que la nature et le sentiment enseignent. Ainsi dans l'apostrophe à Dieu, aux saints ou aux choses inanimées, il faut élever la voix plus haut que lorsqu'on parle aux honunes^; dans le dialogue, il faut pro-

» Ainsi doit se prononcer le mot d'Horace : Qu'il moiirât ! on lu rr-plique de Hédéc, qui, quand on lui demande ; Ouc vous rcste-t-il conlie tant d'en- nemis? répond : Moi.

* Ainsi doivent se prononcer ces deux vei's si laineux :

Celui qui mot un frein à la fureur des Ilots Sait aussi des inéchaiits arnMer les complols.

s On raconte de Jlassillon que lorsqu'il faisait son exclamation favorite, ^/-aHd Lieu! (pii revient si souvent dans ses discours, il produisait loujours une im-

•: ii TRAiTi: Dr: la puedication.

)io!K'( r la ivpop.se d'un Ion difrôiriil de la deuiaiulL", ri rliaiij^er S3' voix coiiiîMe si deux persoinies s'entretenaient ensemble. Si l'on in- troduit dans le discours ([ueliju'un f|ui délibère en lui-même, il faut baisser la voix comme si l'on ne voulait pas être entendu, tout en se faisant suffisamment entendre.

a" Ilrijlcs de la voix pour ajfuyer à propos.

Il est cerlains endroits il faut appuyer, c'est-à-dire qu'il faut marquer d'nn son de voix plus plein et plus fort, connue méritant une attention toute particulière. La manière dont on place ces appuis, est ce qui doime à la pensée sa force, son énergie, souvent même son sens ; et il est bon de les préparer avant de monter en chaire, au moins pour les parties les plus touchanles: quand on se fie à l'im- pulsion du moment, on se trompe souvent, et l'effet est manqué. Il est essentiel aussi de ne pas trop les mulliidier : trop fréquents, ils lasseraient et ne produ raient plus d'effet. î'our déterminer les en- droits où il faut les placer, il n'y a guère d'aulie règle que d'étudier le sens et la force des pensées et des sentiments : le tact et le goût proiioiiceiit d'après cette étuile l'on doit appuyer plus ou moins. Toutefois, voici quelques [srincipes dont peut-être on pourra s'aider. d'Un dèladie par un léger changement de ton les phrases incidentes, et l'on appuie avec force sur les premiers tensies d'un sens contraire on qui expriment une conséquence. 2 Lors(pie la période contient une interrogation, il faut appuyer sur les mots qui l'ont ressorti)' cette interrogation et sur la dernière syllabe, ou, si celle-ci se termine par un c muet, sur la pènuUiénie. Ainsi, dans cette phrase : Jusqucs à quand, cIiriHicns, ahusercz-vous de la boitte de Dieu et de son iné- puisable patience? il faut appuyer sur quanti, sur nais, plus encore sur la pénultième de patience, et couler sur le resle. o" On appuie avec un ton plein, ou nue sorte d'empliase sur les mots qui expri- ment quelque chose de gi'and, et avec; une voix faible sur ceux qui n^arquent la faiblesse ou la dou.leur. Ainsi, dans cette phrase : Si je so)ide vos cœurs, pcrisez--2'ims cpie j'u trouve une foi vive, forte et puis- sante ? J'appréiiende ou de n'en point trouver en vous, ou de la trou- ver faible, défectueuse, languissante, il faut a['piiyer avec un ton plein, fei nn', élevé sur ces mots vive, forte, puissante, et avec un ton plaintif, douloureux, moins élevé sur ceux-ci : faible, défectueuse, languissante. Lorsqu'il y a aniithèso dans une phras(>, il faut ap.

I V( ;-s;i)ii [ nif();;iIo par l'ncceiit larliciilicr qu'il prenait alors, ol (]u'il accorupa- i.!iail d'un n'u:;iid vif vers le ciul et à'v.u '^v^lc pkiii d'exprcs.-io:!.

DES DIFFERENTES PARTIES DE L'ACTION. 2' 3

puyer diversement sur ses différents membres, afin de faire ressortir le contrasie des idées par le contraste de la voix. Ainsi, dans cette phrase de Bossuet, sur la princesse Henriette : Le matv.i elle fleu- rissait; avec quelles grâces, vous le savez- : le soir nous la vîmes sé- chée, et dans cette autre de Fléchier : Hélas! nous savions ce que nous devions espérer, et nous ne savions pas ce que nous devions craindre, il faut dire sur un ton plus haut le premier membre, et le second sur un ton plus bas. De même encore, dans cet exemple du même auteur : 0 Dieu terrible, mais juste dans vos conseils sur les enfants des hommes! vous immolez- à votre grandeur de grandes victimes^ et vous frappez, quand il vous plaît, ces têtes illustres que vous avez, tant de fois couronnées, il faut appuyer d'une voix haute sur â Dieu terrible, en faisant sentir forîement les deux ?t, appuyer d'une voix basse et humiliée sur juste, en faisant un peu siffler lej, couler ensuite sur les mois suivants, puis appuyer sur immolez, sur grandeur, sur frappez, sur têtes; abaisser sur grandes victimes quand il vous plaît, et enfin, allonger un peu la dernière syllabe de couron- nées. 4° Quand on doit appuyer avec une véhémence spéciale sur quelques parties d'une période, il faut ménager le ton dans celles qui précèdent; ainsi quand l'acteur Ésopus récitait les trois vers qu'on a ainsi traduits :

Irouverai-jc du secours? A qui pourrai-je avoir recours? Mais, opère! ô pairie! ô maison do Priam !

il prononçait, remarque un ancien, les deux premiers doucement et ".ans véhémence, afin de tomber sur le troisième avec cette émotion et cet éclat de voix dont il eût été incapable s'il se fût épuisé dans les deux premiers vers.

Règles delà voix pour les repos.

On dislingue deux sortes de repos : les premiers sont les repos expressifs qui se placent à la suite d'une pensée importante sur la- quelle on veut fixer Tattcntion de l'auditeur, ou quelquefois même auparavant. Ces petits silences ménagés à propos laissent à l'audi- teur le loisir de goûter ce qu'on lui dit, de saisir les preuves, d'en- trer d;;ns les sentiments qu'on lui suggère, et soulaizent la voix de l'orateur : Intervalla vocem confirmant et auditori spatium cogitandi reUwiuunt, dit Cicérone La seconde' sorte de re[)Os, ce sont ceux

» Ad ilcrcii., lib. 111, xxi.

294 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

qui indi(ju(>nt la division des sens et permettent au prédicateur de reprendre ludeinc. L'art de les placer est une des parties délicates et essentielles du débit. Si on les établit à faux ou qu'on ne les fasse pas le sens le demande, et qu'ainsi on forme une masse de ce qui devrait être divisé ou qu'on morcelle ce qui voulait être lié, on ôte au discours et son sens et ses charmes. Il est trois causes qui les déterminent. La première, est le besoin de respirer combiné avec le sens. Ainsi entre chaque période on fait une pause courte, en ayant soin de commencer la période suivante un degré plus bas que la précédente, sauf les circonstances la nature des choses indique de faire le contraire: on prononce d'une haleine les périodes courtes et les plus longues à diverses reprises, en observant : de ménager son haleine pour en avoir encore de reste quand on la reprend ; 2" de la reprendre légèrement dans les intervalles lorsqu'on prévoit ne pouvoir prononcer d'un seul trait un membre de période; de ne faire les pauses que selon que l'esprit fait ses repos, c'est-à-dire de les faire plus longues à la fin d'un sens entier, plus courtes à la fin d'un membre de phrase, plus courtes encore dans les petits inter- valles de chaque membre, et d'éviter avec grand soin toute pause capable de faire croire à l'auditeur que le sens est achevé lorsqu'il ne l'est pas encore. La seconde cause qui détermine les repos, c'est la ponctuation ; tout le monde en connaît les signes, mais n'en connaît peut-être pas les régies. La virgule s'emploie plutôt pouF ménager la faiblesse de l'organe de l'orateur ou de l'intelligence de l'auditeur que pour marquer une division réelle dans le sens de la phrase; d'où il suit qu'il faut s'y arrêter très-peu; autrement on nuirait à la vérité et à l'unité de la pensée : le point et virgule se place pour diviser les parties principales d'une proposition; et en conséquence, on peut s'y arrêter pour reprendre haleine, mais pas plus longtemps. Les deux points indiquent que la phrase est gram- maticalement complète, mais que, dans la réaUté, elle est subor- donnée à un objet principal, comme dans cet exemple : Il y a dans l'homme deux principes opposés : rameur-propre qui nous rappelle à nous, et la bienveillance qui nous répand; et ainsi ils demandent un repos plus marqué, une chute de la voix plus exprimée. Le point marque la fin d'un sens entier, et par cela même il demande un re- pos décisif, une chute de voix pleinement caractérisée. Enfin, la troi- sième cause qui détermine les repos, c'est le jugement de l'esprit et de l'oreille, ou, en J'autres termes, c'est le tact qui discerne ce que demandent la force de l'expression ou de la pensée, et l'harmonie ou

DES DIFFÉRENTES PARTIES DE L'ACTION. 293

le nombre oratoire. Comme ceci n'est point susceptible de règles, nous ferons comprendre la chose par un exem.ple : prenons l'éloge funèbre de Judas Machabée par Flécbier, et indiquons par un signe les repos qu'y veulent l'esprit et l'oreille.

Cet homme | qui portait la gloire de sa nation | jusqu'aux extrémilés de la terre, | qui couvrait son camp du bouclier | et forçait celui de rennenii avec lepée, | qui donnait à des rois ligués contre lui ] des déplaisirs mor- tels I et réjouissait Jacob par ses vertus et ses exploits, | dont la mémoire doit être éternelle; | cet homme qui défendait les villes de Juda, | qui domptait forgueil des enfants d'Ammon et d'Ésaù, | qui revenait chargé des dépouilles de Saraarie, | après avoir brûlé sur leurs propres autels 1 les dieux des nations étrangères ; | cet homme que Dieu avait mis autour d'Israël | comme un mur d'airain, j se brisèrent tant de fois toutes les forces de l'Asie, | et qui, après avoir défait de nombreuses armées, | décon- certé les plus fiers et les plus habdes généraux des rois de Syrie, | venait tous les ans, | comme les Israélites, | réparer avec ses mains triomphantes | les ruines du sanctuaire, 1 et ne voulait d'autre récompense des services qu'il rendait à sa patrie | que l'honneur de l'avoir servie ; | ce vaillant homme, | poussant enfin, | avec un courage invincible, | les ennemis qu'il avait ré- duits I à une fuite honteuse, | reçut le coup mortel, | et demeura comme enseveli dans son triomphe. | Au premier bruit de ce funeste accident, j toutes les villes de Judée furent émues; | des ruisseaux de larmes coulèrent des yeux de tous les habitants; | ils furent quelque temps saisis, | muets, | immobiles ; | un effort de douleur 1 rompant enfin | ce long et morne silence, | d'une voix entrecoupée de sanglots | que formaient dans leurs cœurs I la tristesse, | la crainte, | ils s'écrièrent : Comment est mort \ cet homme puissant qui sauvait Israël ?

Qui ne voit que ces repos aident à faire ressortir la magie des nombres et de l'harmonie, si évidente dans cette période qui semble sortir avec effort, se traîner, tomber, se relever, et enfin arriver avec peine jusqu'à l'exclamation qui la termine? Après cette excla- mation, l'orateur s'abandonne sans retenue au sentiment qui a éclaté; il s'élève au ton de l'enthousiasme, et les nombres deviennent plus entrecoupés.

A ces cris, | Jérusalem redoubla ses pleurs, j les voiUes du temple s'ébranlèrent, | le Jourdain i^e tioubla, | et tcus ses rivages | retentirent du son de ces lugubres paroles : | Conunent est mort | cet homme puissant | qui sauvait le peuple d'Israël !

C'est ainsi que les repos mettent à l'aise l'esprit, l'oreille, la res- piration de l'orateur et de l'auditeur ; ils présentent les objets nette-

296 TRAITÉ DE ].\ PRÉDICATION.

ment séparés, ils lient les phrases par dos rapports symétriques, ils les font croître ou décroîlre selon les circonstances, et les varient de manière à satisfaire le goût. Lorsque l'harmonie est dans le style, ainsi qu'elle se trouve ici éminemment, elle passe facilement dans la voix ; mais si elle y manque, elle ne pourra , à l'aide d'aucune règle, passer dans le débit.

Nonobstant tous ces détails, il ne sera pcut-è're pas inutile de présenter ici, pour conclusion de toutes les régies relatives aux mo- difications delà voix, un exemple annoté qui en offrira Taiiplicalion. Il est tiré de l'exorde de l'oraison funèbre de la duchesse d'Orléans, parBossuet.

1 Ton de noblesse et regret : phrase entière sans varia- tion.

^Attendri.

' de taché et ému.

* Ton de puissance et d' en- traînement. ^Pénétré.

^ Élevé. ' Opposition.

^Plus excité. ^ Sans force.

10 Brillant. ^Supposition.

s'^ Positif.

s-' Componction.

^'' Interrogation, gr ave, j)arlé, pénétrant. *^ Force.

^^ Simplement.

1^ Entraîné .

is Noblesse. '^ Chaleur. *^ Sans force. -'^ Absolu. -- Humilité.

-^ Noble et solennel.

=* Grave.

^' Élevé.

26 Triste. -'' Soutenu.

^^ Humble.

^^ Noblement.

' .T'étais donc destiné à rendre ce devoir funèbre | à très-haule et très-puissante prin- cesse I Henriette-Anne, d'Angleterre , ] du- chesse d'Orléans. | -Elle ] que j'avais vue si attentive ] pendant que je rendais le même devoir à la reino sa mère, | devait être I ^ sitôt après | le sujet d'un discours semblable. *0 vanité I ] ô néant! 1 ô mor- tels ignorants de leur destinée! | ^Non, | après ce que nous venons de voir, | '^h santé I ''n''est qu'un nom; ] ^la vie | ^ n'est qu'un songe; | *°la gloire | "n'est qu'une apparence... | *-Tout est vain en nous, [ '^ excepté le sincère aveu que nous faisons d.'vrail Dieu | de nos vanités... | '■^îîais d:s- je la vérité? | L'homme que 1 *''Dieii a fait à son image | '"^ n'est-il qu'une ombre ? - " Ce que Jésus-Christ est venu chercher du ciel en la terre, | ce qu'il a cru pouvoir | ^^sans se ravilir, | *9 racheter de tout son sang, 1 -"n'est-ce cpi'un rien? | -'Recon- naissons notre erreur... | -Tout est vaai en l'homme | si nous regardons le cours de sa vie mortelle; | -^ mais tout est pré- cieux, I tout est important, | si nous con- templons le terme elle aboutit | el le compte qu'il en faut rendre. | ^iJlédifons donc aujourd'hui à la vue | -^ de cet autel ( -^ et de ce tombeau I ^' la première et la dernière parole de l'Ecclésiaste, | -spune qui montre le néant de l'homme, | ^opaulre oui établit sa irrandeur.

DES DIFFÉRENTES PARTIES DE L'ACTIOÎN\ 297

* De la manière d'améliorer et de conserver sa voix.

* Un bel orgnno, un timbre bannonieiu, ce son louchant qui \a

* au cœur avec le plaisir, est sans doute un don naturel que l'art ne

* saurait communiquer. Mais il est des moyens de corriger ou de

* prévenir les défauts de cet organe et d'améliorer ou de perfection-

* ner ce qu'il y a de bon. Démosthènes avait une voix ingrate, une

* articulation embarrassée, une prononciation difficile ; mais par sa

* persévérance à exercer et à développer sa voix, tantôt dans un ca-

* binet souterrain, il descendait tous les jours et demeurait quel-

* quefois plusieurs mois de suite, tantôt sur les montagnes qu'il

* gravissait et descendait en déclamant avec force la bouche pleine

* de cailloux, d'autres fois sur le bord de la mer il s'efforçait de

* surmonter par l'élévation de sa voix le bruit des flots, il parvint à

* rendre sa prononciation aisée et agréable, forte et puissante. Or,

* si l'amour de la gloire a pu inspirer tant d'industrie et de courage

* à un homme pour se former une voix oratoire, comment le zèle de

* la gloire de Dieu et du salut des âmes n'engagerait-il pas le prêtre

* à soigner et perfectionner en lui un organe si utile à son minis-

* 1ère? Voici les moyens qui pourront lui servir à cette fin, 11 faut,

* se tenir en garde dès sa jeunesse contre les moindres défauts de

* prononciation, afin de n'en contracter aucun. Il faut, étudier les

* règles d'une parfaite prononciation; et nulle part, ce nous semble,

* on ne les trouvera mieux présentés que dans l'Art de lire à haute

* voix, par Dubroca. Une fois qu'on les possède, il faut les mettre

* en pratique, et s'exercer souvent en son particulier à prononcer

* quelque morceau oratoire, comme si l'on parlait en public, à ar- ■* ticuler distinctement tous les mots et toutes les syllabes, à faire

* prendre à sa voix toutes les inflexions depuis les sons les plus

* aigus jusqu'aux plus graves, et surtout à saisir sur-le-champ le ton

* convenable, et à passer d'un ton à l'autre sans blesser l'oreille. II

* faut, ménager sa voix et ne la fatiguer ni en chaire par des cris ■* trop violents, des prédications trop longues, ni hors de la chaire

* par des conversations inutiles, des chants de pur amusement, des

* contestations et des disputes. 4" Les médecins indiquent comme

* moyens de conserver sa voix un régime alimentaire adoucissant

* cl fortifiant, se coucher de bonne heure, la modération dans ■* l'élude, la Irugalité, la piomcnadi; prisi; ;'i propos, mais douce-

298 TRAITÉ DE LA PHÉDICATION

* iiii'iit t'i s,ms excès; et ils rei^ardciif couime coiiliaii'e à In voix

* ru:<;ii;e trop IVéquent des noi\, du fromai^e et de toute espèce de

* crudités.

ARTICLK 2.

DE LA OONTENANCK DU CORPS.

Une belle conleiiance éloignée de toute affectation fait impression sur Ions les hommes, quels qu'ils soient, et il est impossible de voir, sans être frappé, un prédicateur en chaire dont le maintien grave et plein de dignité est en même temps humble, simple et sur- tout honiièle : car rhonnèteté est le plus doux de tous les charmes et dispose les cœurs à écouler favorablement. Voici les règles à ob- server à ce sujet.

Il faut tenir le corps droit, status erectus et celsus, dit Cicéron ^, mais non pas rejeté en arrière avec fierté, ni trop roide comme ces hommes tout d'une pièce dont parla Epictéte, incedunt quasi veru déglutissent ',

2" il ne faut ni se balancer à droite et à gauche, ni se courber, ni s'appuyer sur les coudes, ni faire du tapage et frapper des coups de pied dans la chaire , ni se permettre certaines contenances molles et efféminées, certains laisser-aller qui annoncent trop un ho:!. me sans gène, ni tenir le corps immobile, ce qui rend raction froide et ennuyeuse, ni trop l'agiter, ce qui déroge à la dignité de la chaire.

5" On demeure debout pendant l'exorde, tenant la barrette des deux mains sur le bord de la chaire; on s'assied et on se couvre en commençant la première partie; on reste assis tant qu'on raisonne, qu'on expose, qu'on expli(|ue ou qu'on narre; on se lève pour apo- stropher, pour presser l'auditeur, pour animer les endroits pathéti- ques et puur prononcer la péroraison.

4" On se découvre au nom de Jésus-Christ, puis quand on fait une prière à Dieu ou aux saints, enfin, pendant la péroraison ; et dans tous ces cas, on tient la barrette de la main gauche pour gesticuler de la main droite; car jamais la main qui tient la barrette ne doit gesticuler.

' Orat., Lix. * Arrian., lib. I, c. xxr.

DES DIFFÉRENTES PARTIES DE L'ACTION. 299

ARTICLE 3.

DES GESTES DES MAINS *.

Les mains sont pour l'homme comme une seconde langue qui, sans parole, explique ses pensées et fait connaître ses sentiments. Leur geste anime l'éloquence, soutient le discours, et il n'est pas un mouvement de l'âme, dit Cicéron, qui n'y ait son expression.

Nous dirons d'abord les bonnes règles du geste , et ensuite nous en signalerons les défauts.

Règles dii geste.

Il faut être sobre de gestes, savoir dire certaines choses tran- quillement, et ne remuer les bras que quand le discours est animé, parce qu'il est contre la nature de gesticuler beaucoup en disant des choses simples. la passion n'a aucune part, le mouve- ment des bras n'a rien à peindre. Il est même des cas Fon s'exprime avec plus d'énergie par une cessation de tout mouve- ment. Un grand sentiment rend immobile. Certaines passions s'ex- priment assez par le jeu de la physionomie, les traits du visage, un regard, un mouvement de tête ; le geste ne ferait que les affai- blir. Un personnage élevé n'a que peu ou point de gestes : La dignité n'a pas de bras, a-t-on dit. De même tous ceux dont les yeux et les traits sont susceptibles d'une expression vive et forte n'ont besoin que de peu de gestes. En un mot, il faut tenir comme un prin- cipe qu'il vaut mieux avoir trop peu de gestes que d'en avoir trop, et n'en pas faire que d'en faire de mauvais. Massillon et Bourdaloue en faisaient très-peu. Le geste doit toujours précéder quelque peu la parole, parce qu'on sent bien plutôt que la voix ne peut le dire, et le geste est beaucoup plus preste qu'elle ; il faut des moments à la parole pour se former et arriver à l'oreille, tandis que le geste part au moment même l'âme éprouve le sentiment : à cela prés, il doit toujours être d'accord avec la voix, c'est-à-dire en suivre le progrès et la graduation, et tomber avec elle à la fin des périodes ; c'est-à- dire encore, s'harmonisT parfaitement avec le sens des paroles, de sorte que la nature seule semble le former sans aucune étude, et que l'art n'y ait de part que pour le remettre dans le naturel. Aux jeux

' Voyez l'Art de lije à haute voix, par Duhroca, p. r>'20 Cic, de Orat., lib III, 220.

300 TRAITÉ DE LA PHÉDICATÎON

olympiques, un acteur perdit le prix pour avoir fait, lui dit-on, ui solécisme de la main : il avait montré la terre dans une invocalioi à Jupiter, et le ciel dans une apostrophe à la terre. On doit fair peu de ge.-tes en counnençant, et ne les multiplier qu'à proportioi que le discours s'échauffe : il faut lever la main dans l'exclamation e l'admiration, la jeter en dehors pour repousser, la retirer à soi pou attirer, la tendre roide pour demander l'attention, pour indiquer oi imposer le silence, la replier sur soi pour marquer la réflexion ou 1 remords, la porter au cœur pour exprimer la chaleur du sentiment Les mains jointesmarquent la soumission quand on les abaisse, l'adc ration, le respect et la prière quand on les élève, la douleur profond quand on les tient devant soi. On raconte de Massillon qu'il les croi sait quelquefois sur son front avec un merveilleux effet. Les bra étendus et ouverts marquent la bouté qui accueille, un bras tendu c roidi caractérise la force et la puissance. A" La main droite doit tou jours dominer le geste ; elle le commence du côté gauche en form de croissant et le finit à droite, et pendant qu'elle est en action, l'autr main doit être appuyée sur la chaire ou étendue sur la poitrine. L. main gauche ne doit presque jamais gesticuler, plus rarement encor gesticuler seule ; elle ne doit intervenir que pour accompagner 1 droite, pour obéir aux mouvements que celle-ci en exige, pou témoigner de l'aversion ou montrer la place des réprouvés. L'inde: allongé et les trois derniers doigts fermés sous le pouce, ontquolqui chose d'assuré, de vif et de pressant qui va bien dans les reproche: elles arguments serrés, mais qui siérait mal dans l'exorde.

Défauts du geste.

Un geste trop régulier serait un défaut dans certains endroit! du discours : les mouvements pathétiques demandent une espèce de désordre, et ne comportent pas une régularité si soignée. Il faui éviter, en gesticulant, d'élever les mains au-dessus des épaules oi des yeux, de les abaisser au-dessous de la ceinture, à moins que ne soit pour les poser sur la chaire, d'écarter les doigts, de les courber, de les remuer avec légèreté, de présenter le poing fermé, de se couvrir delà main le visage ou la bouche. On ne doit ni faire claquer ses mains l'une dans l'autre, ni en frapper la chaire à grands coups, ni faire des énumérations sur ses doigts, ni imiter les actions de ceux dont on parle, par exemple, d'un joueur d'instru- ment, d'un escrimeur, d'un ivrogne, d'un liomme ou d'une femme

DES DIFFERENTES PARTIES DE L'ACTION. 301

en colère. Si l'on représente Jésus-Christ tn croix, il ne faut pas lui faire joindre les mains pour dire : Pater, igaosce i/ZZ-s-, ou lui faire désigner saint Jean avec le doigt pour dire : Millier, ecce fdiii^ tuus. A" On doit éviter d'étendre les bras avec contenlion coinnieun lutteur, de les laisser tomber de leur propre poids, on pondre négli- gemment, de trop les remuer et do les agiter, ce qui est peu digne de la majesté de la chaire ; en un mot de faire des gestes outrés et ■violents.

ARTICLE 4.

DES 3I0UVE.VESXS DES YEUX.

Les yeux sont comme un miroir l'âme se peint tout enlicj'e; ils sont la langue du creur et comme une autre bouche par laquelle toutes les passions parlent le langage qui ieui- est propre : Oculos natnra nobis ad motus animorum declarandoa dédit, dit Cicéron '. Que des yeux animés lancent un regard à propos, c'est assez pour que le discours laisse nne impression profonde. L'art d'en régler les mouvements et de les mettre ioujours en harmonie avec le discours est nn des grands secrets de l'éloquence et un des plus jjuissants moyens de succès. La joie rend l'œil vif, la tristesse le couvre comme d'un nuage; dans l'indignation, il est ardent et enflammé ; dans le reproche, sévère ; dans ia frayeur, égare. S'il déplore l'état du pécheur, il est compatissant et donne des larmes ; s'il menace des vongeaiu:es divines, il estt"riibli!, lance la foudre et les éclairs; s'il adn^iire, il est élevé et radieux-; s'il veut exprimer la honte et le repentir, il est baissé et comme obscurci.

Les principaux défauts à éviter en ce point sont de fixer le regard .'-■oit sur certains points de l'audiloire, soit sur certaines pei^soimes ; d'avoir les yeux ou fermés et comme endormis, ou trop ouverls, ou légers et volages, ou tremblants et timities, ou tiers et liagards, ou eriéminés et langoureux, ou louches (ît elïarés, ou continneliemejit agiles et clignotants. 11 faut les promener modestement dans tout l'auditoire, et leur faire prendre les forjnes rjue demandeiit lesdilTé- rente;; parties du discours, en leur laissant cepiuidant toujours le caraclèi'e de gravité et de modestie qui convient.

* De Orat , lih. III, 22-2.

302 TRAITÉ DE LA PP.ÉDICATION.

ARTICLE 5.

DES TRAITS DU VISAGE *.

Le visage a, comme les yeux, son langage propre : Snnt in ore omnia, dit Cicéron^. Toutes les passions y jouent leur rôle : c'est comme une toile sur laquelle la nature exprime les sentiments de l'âine. Tous les pays, sans distinction de langues, tous les hommes, ignorants ou lettrés, savent y lire la joie ou la tristesse, la colère ou la compassion, l'amitié ou l'aversion, l'humilité ou l'orgueil, la dévo- tion ou la dissipation. Il parle même quelquefois plus efficacement que le discours le plus éloquent^ : un visage respirent la piété, la candeur, la modestie, frappe et intéresse ; un front brille la majesté saisit et commande le respect ; et avec quel surcroît d'atten- tion et de plaisir l'auditeur prête l'oreille lorsqu'il voit empreints sur le visage de celui qui lui parle les sentiments exprimés par les paroles ! Tout le reste, pour peu qu'il soit passable, parait merveil- leux ; le discours entre facilement dans les esprits et gagne rapide- ment toutes les âmes.

Puisque les traits du visage sont d'une telle importance, il faut donc savoir bien les régler. En commençant, le visage doit être doux, affable et tranquille, et ne s'animer que par degrés. Jamais i ne doit êlre impérieux ni trop sévère. 2" Il doit toujours s'ajuster au sujet et faire sentir ou deviner les mouvements de l'âme. Que toutes les passions s'y peignent; l'auditeur aime à les lire. Il ne faut point rider le front pour affecter l'austérité ni le frotter avec la main pour rappeler un mot qui échappe. Corrugare nares, inflare et movere et dùjito inquietare, et impulsii subito spiyitum excutere et diducere sxpiùs et plenâ manu resupinare indecorum est, dit Quiii- tilien *. Il faut laisser les parties de la bouche agir naturellement sans les contraindre, ne pas mordre ou lécher ses lèvres, ne pas les tenir trop fendues, trop avancées, trop serrées ni si ouvertes qu'elles laisseiît voir les dents, ni nonchalamment pendantes, comme si elles ne daignaient pas se prêter à l'articulation des mots. 6" Il faut éviter avec grand soin de cracher trop souvent, et surtout de laisser tomber sa salive sur les auditeurs, de faire la moue, de boursoufler ses joues ou de souffler comme un athlète fatigué.

1 Voyez l'Art de lire à haute voix, par Dubro^a, IV^ part. ~ Orator., lx. 2 De Orat., lih. IIÎ, 221. 3 Non tiim affedus exprimit scribens digilus qu'am vidUiS. Saint Bernard, epist. lxvi. * Lib. XI, c. m.

DES DIFFÉRENTES PARTIES DE L'ACTION. 303

ARTICLE 6.

DE LA POSITION DK LA TETE.

Comme la tète occupe le premier rang entre les parties du corps, aussi roccupe-t-elle dans le geste, dit Ouintilien^ On doit la tenir droite et dans une assiette naturelle. On l'élève avec modestie quand on s'adresse à Dieu ou aux saints, quand on parle du ciel et de tout ce qui inspire la joie; on la baisse dans la tristesse, dans les récits lugubres, dans l'aveu de nos faiblesses ou de nos fautes, en évitant toutefois, quand on l'élève, d'imiter le mouvement des oiseaux qui boivent, ou quand on la baisse, le mouvement des personnes assou- pies. On l'élève encore quand on admire, et on l'incline médiocre- ment quand on compatit, qu'on prie, qu'on conjure, qu'on sollicite. On la tient ferme quand on affirme, qu'on exhorte, qu'on confond; on la détourne pour refuser, témoigner de l'horreur ou de l'aversion. Mais il ne faut jamais la tenir trop haute; ce serait signe d'orgueil et de suffisance ; ni penchée, ce serait marque d'indolence ; ni habi- tuellement baissée, cela ôte toute dignité ; ni roideet immobile, cette position a quelque chose de fier et de repoussant. 11 faut éviter en- core d'en frapper l'air par des mouvements déplacés, ou de sembler vouloir la cacher entre ses épaules, ou de la soutenir de sa main, ce qui donnerait un air de nonchalance.

Telles sont les régies d'après lesquelles le prédicateur doit parler en chaire. Quand il est descendu de la tribune sacrée, il lui reste encore plusieurs devoirs à remplir^. 1" 11 doit prier pour ses audi- teurs, afin qu'ils profitent de l'instruction, et pour lui-même, afin d'obtenir la grâce de faire ce qu'il a enseigné. Il doit noter sur son cahier les pensées ou tournures frappantes que lui a inspirées la chaleur du débit et les modifications que lui ont suggérées soit ses propres observations, soit celles d'autrui. « C'est, dit le cardinal « Maury', en prêchant cinq ou six fois un discours et en le corri- « géant immédiatement après, qu'on en juge très-bien et l'effet et (( Teiisenible, qu'on peut en fortifier les mouvements, en élaguer « les longueurs, en multiplier et perfectionner les beautés. » 3" Il doit s'appliquer à quelque bonne lecture ou autre occupation, pour faire diversion soit avec la vaine complaisance quand il croit avoir

* Lib. XI. c. vin. - Voyez le Guide île ceux qui aiinoucciiL la [larolo de Dieu, p. 21'' et suiv. ' Essai sur l'éloquence de la chaire, c. lxxviu.

504 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

OU du succès, soit avec la tristesse quaiul il pense avoir mal réussi. 4'^ Il doit s'humilier avec calme devant Dieu des fautes qui lui sont échappées dans le débit, sans s'en excuser devant les hommes, sans s'inquiéter et encore moins s'informer de ce qu'on pense et de ce qu'on dit, ne pas mendier des éloges, et, s'il en reçoit, ne pas s'y complaire, mais se demander ce qu'il en pensera à l'heure de h\ mort, au jugement dernier ou dans l'éternité.

Viy DU LIVUl-, r'KLKIEPi.

LIVRE SECOND

DES DIFFÉRENTS GENRES D'INSTRUCTION

ET DES RÈGLES PABTICULIÈKES QU'oN DOIT Y OBSEnVER.

Comme le prêtre est obligé, selon les circonstances, à diverses sortes de prédications, et que cha(;une d'elles a ses règles spéciales, il est nécessaire d'ajouter aux principes généraux que nous avona exposés jusqu'ici les règles parliculières propres à chaque gciu-e. Cette nouvelle étude aura l'avantage de mettre les principes géné- raux dans un plus grand jour et d'en rendre l'application plus fa- cile.

Or les prédications peuvent différer en deux manières : ou à raison dos sujets qu'on traite, ou à raison des genres divers de discours dans lesquels on traite : c'est pourquoi nous diviserons ces régies en deux [larties : dans la première, nous parlerons des divers sujets que peut traiter l'orateur sacré ; dans la seconde, des diverses formes de prédication.

20

PREMIÈRE PARTIE

DES DIVERS SUJETS QU'ON PEUT TRAITER DAxNS' LES CHAIRES GBRÉTIEN^'ES.

On peut réduire à huit classes les sujets à traiter dans la chaire, savoir : les vérités chrétiennes; les mystères de Notre-Seii:neur ou de la sainte Vierge ; les vertus et les vices; k'S sacrements ; la prière ; les panégyriques des saints; les vètures et profes- sions rehgieuses; les oraisons funèbres. Or chacun de ces sujets demande à être traité d'après des règles spéciales, et nous allons les exposer.

CHAPITRE PREMIER

De la manière de traiter les vérités clirétiennes '•

Il est doux manières de traiter ces vérités : la première est de s'attacher à en faire ressortir la certitude par des preuves solides pour alïermir ses auditeurs dans la fui ; la seconde, de les présenter commt» motif des vertus chrétiennes en les considérant sous le point de vue moral : ces deux manières sont l'une et l'autre extrêmement utiles.

*Et d'abord il est très-utile d'affermir ses auditeurs dans la foi

* Yoy. z Pastoral de Limoges, t. II, II» paît., lit. ii, c i.

^■'8 TRAITÉ DR I.A IT.KDICATIOIS.

* cit' ces vérilés par des prouvas solides. l'iicn iicsl plus propre à

* clc>:i!K r aux fidèlos une haute osliine el une grande idée de la re-

* lijiioii que de leur montrer les preuves iué!)ran!al)lt's et (''clalanles

* de cerlilude surlesquelles repose clia(jue dogme de noti'e eroyance.

* C'est un grand et vaste édifict! dont toutes les pierres sont em- *preint!S du doigt de Dieu. Or ces caractères augusics de divinité

* pénèlr(;iit l'ânie à laquelle on les présente d'eslime et de vénéîa-

* lion, de dévouement et d'amour pour une religion (jui descend si

* évitletnment du ciel. A ce beau spectacle, l'énergie de la conviction

* agit sur la volonté, l'enivre d'un saint enthousiasme, la rend forte,

* invincible, capable de tous les sacrifices. Que ne peut pas un 'homme à conviction profonde? C'est ce qui a conduit les martyrs

* aux écbafauds et aux amphithéâtres, les confesseurs dans les pri-

* ïons, les solitaires dans les déserts; c'est ce qui a fait tous les

* saints. Mais pour obtenir ces grands résultats dans une paroisse, 'il est nécessaire de raviver de temps en temps les croyances par

* des preuves présentées avec le raisomiement solide d'une logique

* inexpugnable et l'accent d'une conviction personnelle poitée au

* jilus liant degi'é. Autrement la foi devient faible, languissante, sans

* énergie pour le bien et est dans l'homme comme n'y étant pas ; c'est

* la foi morte, la foi sans les œuvies, et même elle est en grand péril

* de s'éteindre entièremeiit. Car tout semble conjurer contre elle :

* les objections que le démon fait naitre dans l'esprit, celles que

* suggèrent les lectures ou les réllexions que l'on fait soi-même, les

* feuilles publiques, les productions anlireligieuses qu'un zèle impie

* répand partout à profusion, les discours particuliers qui retentis-

* sent chaque jour aux oreilles, tout tend à miner, ébranler, ren-

* verseï- la foi : et point d'autre remède à un si grand mal, que l'ex-

* posé solide des preuves qui établis.^ent nos croyances : soutenu

* par ces preuves, la foi demeure ferme contre tous les assauts ; " privée de ces appuis, elle chancelle et tombe sans retour. Témoin

* une déplorable expérience : qui pourrait dire condjien de jeunes

* gens et d'hommes faits ont ])eidu la loi, paice que le prêtre qui

* catéchisa leur enfance ou qui les instruisit dans un âge plus avancé

* jie leur fit pas connaître les preuves sohdes de leur cioyance?

* .Mieux instruits, ils se sciaient conservés.

* 'î" Il est très-utile de considérer les vérilôa chrétiennes sous le

* point de vue moral, en montrant aux audit(!urs les conséquences 'pratiques qui en découlent. Ces vérités sont pour l'âme qui les

* niijdite une source inépuisable d'utiles instructions, de pieuses

MANIÈRE DE TRAITER LES VÉRITÉS CHRÉTIENNES. 509

* affections, de résolutions saintes et généreuses. Plus on les appro- ■' fondit, meilleur on devient, et il est impossible de les considérer

* avec foi sans se reprocher ses défauts, sans se sentir mieux disposé

* pour la vertu. Les règles que nous exposerons plus bas feront sentir

* la justesse de celte observation; et ce qui la confirme d'avance,

* c'est que ces sublimes vérités sont le fondement le plus solide de

* toute la morale, parce qu'elles en contiennent à la fois le molif, la

* sanction et l'exemple ; on peut même dire qu'elles en sont le charme

* puisque par elles l'homme trouve du bonheur à se priver, à souffrir,

* à s'humilier et mourir.

* Mais pour traiter convenablement sous ces deux points de vue

* les vérités chrétiennes, il est des règles à observer; et les deux

* articles suivants les feront connaître.

ARTICLE 1".

RÈGLES A SUIVRE DANS l'eXPOSÉ DES PREUVES DES VERITES CHRÉTIENNES.

1''^ Règle. Le prédicateur, en établissant ces vérités dans les auditoires catholiques ordinaires*, ne doit pas paraître soupçonner qu'il y ait parmi ceux auxquels il parle des esprits capables de douter de la vérité qu'il propose. En effet, comme ceux qui ne croient pas ne viennent guère à l'église, le reproche n'irait point à son adresse ; et comme dans presque tous les auditoires il y a beaucoup d'âmes simples qui pensent qu'aucun homme sensé ne peut douter do la religion, il est important de leur laisser cette pensée qui est dans leur esprit comme la preuve fondamentale ou plutôt le charme de leur foi. Si vous leur dites qu'il y a des gens qui ne croient pas, vous leur ôtez ce charme pieux, vous les scandalisez; vous leur proposez un exemple de doute qu'ils croyaient impossible, vous ébranlez leur foi.

2'' Hègle, Il ne faut point dire ouvertement â ses auditeurs qu'on entreprend de leur prouver telle vérité, mais il faut dissimuler son dessein sous une forme de langage qui donne lieu cependant de présenter toutes les preuves. En effet, ou les auditeurs auxquels on s'adresse sont des âmes simples dont la foi pleine de candeur ne soupçonne pas même la possibilité du doute en matière de dogme,

* Nous ne prétendons point donner ici dos règles pour ces auditoires spociauv, tels fine ceux (jue rassenililuit, il y a quclfiucs années, autour de la cliairc de ISotre-Dame. le i*. de Ravignan ou le I'. Lacordaire. CeUc spécialité a ses règles à part, et il n'entre pas dans notre plan de les exposer.

310 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

OU ce sont des personnes qui ne croient pas. Dnns le premier cas, celui qui leur dirait : Je viens vous prouver telle chose, ferait naître dans leur esprit ce soupçon : Mais cette vérité est donc matière à controverse ; il est donc possible d'en douter ou de ne pas la croire, et ce soiipçon serait un scandale pour plusieurs. Dans le second cas, ces attaques de front portées à l'erreur effaroucheraient les esprits, les mettraient en défiance contre le prédicateur, en faisant redouter à leur amour-propre l'humiliation d'être vaincu dans le combat ; et alors ils n'écouteraient plus que dans un esprit de contestation, avec le désir bien prononcé de trouver en défaut l'agresseur de leurs doctrines. Aussi saint François de Sales, dont le jugement en cette matière a tant de poids, puisque cet apôtre de la douceur a converti tant d'hérétiques, assure que jamais ces attaques directes ne lui ont réussi : sa méthode était d'exposer simplement et clairement les vérités de la foi dans leur majestueuse beauté, sans aucun mot qui sentît la controverse ; et c'est ainsi que nous devons faire nous-mê- mes. Je suppose, par exemple, que je voulusse prouver l'existence de Dieu, je ne dirai pas : Je viens vous prouver qu'il y a un Dieu ; mais je dirai par exemple : « Comment pouvons-nous vivre dans un « si grand oubli de Dieu et penser si rarement à lui? Tout nous en « parle dans la nature : si je considère les cieux, etc.. Si je consi- « dère la terre, etc.. Si je me considère moi-même, etc.. L'enfant « qui voit une maison se dit qu'il y a une intelligence qui a présidé à « sa construction, une main qui a élevé ses pierres ; et nous, nous « voyons l'univers, et('... El nous ne pensons pas, etc.. Et nous n'a- « dorons pas... » Si encore je veux prouver la présence réelle, je ne dirai pas : Je viens vous prouver que Jésus-Christ est présent dans l'Eucharistie ; mais je dirai : « Jésus-Christ, mes frères, nous a té- « moigné un amour infini dans l'institution de ce sacrement : car on « juge de l'amour d'une personne par la grandeur et l'excellence du « don qu'elle fait à la personne aimée : or Jésus-Christ nous fait « dans ce sacrement le don le plus excellent et le plus magnifique ; « car ce n'est pas une figure, un mémorial de sa personne qu'il « nous y donne, c'est sa personne adorable tout entière, comme le « prouvent ces paroles \ Ceci est mon corps, etc.. » Et ainsi l'audi- teur, me croyaut tout occupé à faire ressortir l'amour de Jésus- Christ pour les hommes, lorsque par le fait je serai occupé à lui prouver la présence réelle, sentira tout à la fois et son cœur touché et son esprit convaincu. 3^ îlèçile. Il faut présenter les preuves par forme de développe-

MANIÈRE DE TRAITER LES VERITES CHRETIENNES. 311

ment et d'exposition de la vérité qu'on veut établir, en y évitant tout ce qui ressemble à l'argumentation et à la controverse. Cette règle est fondée sur la même raison que la précédente, et l'exemple déjà cité servira à l'éclaircir ; ainsi, au lieu d'argumenter sur le sens à donner à ces paroles : Ceci est mon corps, au lieu de dire que ce sens est encore confirmé par les Pérès, je développerai ma preuve comme si je ne voulais que faire ressortir l'amour de Jésus pour nous. «Voyez, dirai-je, avec quelle clarté son amour s'exprime, etc.. « Aussi les Pères, commentant ces paroles, sont-ils dans l'ad- (( miration d'un tel excès d'amour : 0 miracle i ô amour ! s'écrie « saint Chrysostome, celui qui est assis à la droite du Père est en « même temps entre les mains des prêtres, etc.. » Et après cela je conclurai, non pas : donc Jésus est présent dans l'Eucharistie, mais : donc il nous témoigne dans ce sacrement un amour infini. Cette méthode a l'avantage de parler à la fois à l'esprit et au cœur; et, quand le cœur est touché, l'esprit ne songe pas à dis- puter,

Règle. II faut être très-sévère dans le choix de ses preuves, très-clair et liès-logique dans leur exposé. Nous renvoyons, pour l'explication de cette règle, à ce que nous avons déjà dit dans le premier livre, chap. iv, art. 5, g 2, section 2, de la Manière de prouver.

5^ Règle. 11 ne faut point se proposer les objections ni paraître suppose:' qu'il y en ait à faire contre la vérité qu'on traite ; mais il faut donner des explications qui les résolvent en les prévenant S et si l'objection se tire d'un texte de l'Écriture ou des Pères, apporter le texte lui-même en preuve de la vérité qu'on établit. La raison de cette règle, c'est qu'il est presque toujours dangereux de proposer des objections, soit pour le motif indiqué dans les règles piécéderi- tes, soit parce que l'auilileur, fort attentif à l'objection, est souvent distrait à la réponse, soit enfin parce que l'objection produit dans l'esprit une prévention défavorable qui cherche à trouver la réponse en défaut : et d'un autre côté, la méthode que nous indiquons a cet avantage qu'elle détruit l'objection dans ceux qui la connaissent, et met en état d'y répondre ceux qui ne la connaissent pas, tout en les laissant dans l'heureuse simplicité de leur ignorance. Si donc je

* Non itàpropouanlnr arfjunictila ut simpliciorcs offenUi possint; sed eo pacto res cxpoïKdur ut illi ex data explicaliune solutionem eoriim quiv. sibi in mentetn venerint mit ab aliis audivcrint, facile collif/mil.

(Royiiho Socictatls Jfsu.)

312 TRAITi; DE LA l'r.KlUCATÎON.

vt'iix rôinlor l'objoclioii (pic li's iirolcslrinls tirent c.onlre la présence réelle do ce passage do l'Evangile : Spirilus est qui vivifient, caro non pvodcst qnithjuam, je ne présenterai pas ce texte connne for- mant iine (lillicnllé; mais je dirai, on continuant l'exposé de la doc- trine calliolitpuî : « [>'espril de la Itivinilé vivifie la chair sacrée du « Sauveur qui, par elle seide et sans son union avec le Verbe, ne « poiMiait répandre la grâce dans les âmes, » Ou bien encore, en suivant ritileipi'élation de saint Augustin : « Oh! combien était « grossier et indigne de la majesté de ce mystère le sentiment des (( Capharnaïtes, (jui croyaient que Jésus-Christ couperait sa chair eu « morceaux sanglants pour la donner à manger ! Que la croyance « catholique est plus belle, plus digne de Dieu et de l'homme ! C'est « la seule que Notre-Soigneur approuve, puisqu'il dit que le sens « grossier et charnel des Capharna'ites ne sert de rien : Caro non « prodcst quidquam. » On voit que parla celli' paiole qui élait une (ibjerliou devient une preuve ; et ainsi on déguise la controverse tout en latrailant. Telle était la méthode de saint François de Sales; et la conveision de tant de milliers d'hérétiques qui en a été l'heu- reux ei'fet, en démontre l'excellence : telle était aussi la doctrine de Féiielon : « Je voudrais, dit-il dans ses Dialogues sur l'éloquence, <( qn'u)i prédicateur, en montrant l'origine et l'établissement de « la religion, ilétruisit les objections des libeitins, sans ontrepren- « dre ouvertement de les attaquer, de peur de scandaliser les sim- « pies fidèles. »

Rrgle. : 11 faut ajouter aux preuves toutes les considérations propres à faire ressortir la beauté, la majesté et la sainteté de la doctrine chrétienne sur le point en question, et montrer combien le dogme catholique est convenable à la bonté de Dieu, à sa miséri- corde, à sa sagesse et à tous ses attributs. Des pi'cuves sèches trou- veraient souvent Tesprit prévenu contre les dogmes difficiles à croire ou (pii ont pour conséquences des préceptes pénibles; mais si ces dogmes lui apparaissent dignes d'admiration et d'amour, il éprouve pour eux, au contraire, des préventions favorables qui lui en font accueillir les preuves avec joie et bonheur. Ainsi, par exemple, si, ayant à démontrer l'in^tituliou divine de la confession, je me borne à donner sèchement mes preuves, l'orgueil, conlristè de l'humilia- tion qu'on lui inqiose, cheichera des prétextes, des objections et des difficultés pour ne pas se rendre ; mais si je lui montre dans celte institution la miséricorde infinie de Dieu qui ne demande au coupa- ble que l'aveu de ses fautes pour les lui pardonner, quelque nom-

MANIÈRE DE TRAITER LES VERITES CHRETIENNES. wl3

breiises et éiioimes qu'elles soient ; si je lui fais voir dans ce sacie- mentiui chef-d'œuvre de la sagesse divine, frein des passions, ga- rantie de la morale, source des sages conseils, moyen de prévenir ou de réparer tous les torts, repos et bonheur des consciences; dés lors il est gagné, il trouve que Dieu a bien fait, et croit déjà à moitié un dogme si beau, si consolant, avant même que je lui en aie donné les prouves; il m'écoute avec désir de croire, et bientôt il croit. Aussi les controversistes qui ont ramené le plus d'hérétiques au giron de l'Éghse, ont-ils tous suivi cette marche; et telle était encore la méthode de saint Thomas d'Aquin, lequel s'attache, dans presque tous les sujets qu'il traite, à faire voir combien la vérité qu'il établit est digne de Dieu et des hommes. Les prédicateurs ne sauraient mieux faire : qu'ils fassent admirer et aimer à l'auditeur la vérité qu'ils lui démontrent ; cette disposition le rendra plus propre à sai- sir et goûter les preuves.

Règle. Si l'on croit, d'après les circonstances, devoir parler de ceux qui ne partagent pas notre croyance sur le point en ques- tion, il faut toujours en parler avec charité et douceur, sans se permettre la moindre parole qui puisse les offenser. Les apostrophes insultantes, les invectives et les reproches, les paroles piquantes, les défis de répondre portés aux adversaires ne peuvent être bénis de Dieu, parce qu'il y entre toujours beaucoup d'orgueil et point de charité. Ajoutez à cela que nos adversaires ne peuvent être que l'é- vollés et aigris par ce mauvais genre ; cela seul serait un obstacle à leur retour s'ils en avaient la pensée. « Jamais, disait s;ijnt Vincent « de Paul, je n'ai vu ni entendu dire qu'aucun hérétique ait été con- « vcrti autrement que par la douceur et l'humilité. » Et il en est de même des incrédules et des pécheurs : pour les ramenei- il faut chercher à les gagner et non à les confondre, se montrer à eux non comme un adversaire qui veut remporter la victoire, mais comme un père qui les aime, et ne cherche à les éclairer que parce qu'il les aime. Il est au ibiid de toutes les âmes un orgueil secret qui prévient contre la vérité que les autres nous découvrent, et cet orgueil demande à être ménagé.

8" licgle. Après avoir exposé les preuves, il faut toujours dé- duire des affections pieuses, et tirer quehjues conséquences prati- ques propres à rendre les auditeurs meilleurs. Ces affections servent uierv<'illcuseinent à la persuasion, et gravent la vérité non-seule- ment dans l'esprit, mais dans le cœur, siège de la foi (jui justifie : Corde crcdilur ad justitiam. D'ailleurs, toute vérité religieuse ayant

314 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

pour conséquence des obligations à remplir, le prédicateur s'arrête- rait en chemin s'il ne menait ses auditeurs jusque-là. Éclairer l'enten- dement n'est qu'un moyen pour déterminer la volonté à mieux vivre ; et c'est perdre, au moins en grande partie, le fruit de son discours que de ne pas conclure par une exhortation pressante à la réforme des mœurs, à la pratique des vertus.

ARTICLE 2.

RÈGLES A SUlvr.E EN TRAITANT LES VERITES CHRETIENNES SOUS LE RAPPORT MORAL OU DANS LE DESSEIN DE PORTER LES HOMMES A LA VERTU.

Les perfections de Dieu, ses bienfaits, les fins dernières de Ihomme, tels sont les trois chefs auxquels peuvent se rapporter foutes les vérités chrétiennes'. Les trois paragraphes suivants vont nous exposer les règles relatives à ces trois ordres de vé- rités.

g 1er. De la prédication sur les perfections divines.

C'est un devoir pour le prédicateur de développer souvent aux peuples les perfections de Dieu, et de leur montrer dans ces per- fections le principe de toutes leurs obligations, le motif de toutes les vertus. Dieu n'est pas connu, voilà la cause de tous les maux qui dé- solent la terre ; voilà pourquoi les pécheurs ne le craignent point et les bons l'aiment si faiblement: ce qui a fait dire à Jésus-Christ que la connaissance de Dieu est la clef de la vie éternelle : Excest vita œterna ut cognoscant te solum Deum venim. Pour traiter digne- ment un si grand sujet, voici quelques règles qui pourront diriger le prédicateur.

d'« Règle. Le prédicateur doit s'attacher à donner aux peuples la plus grande idée de Dieu, et n'en parler jamais lui-même qu'a- vec un profond respect, soit qu'il traite ex professa les grandeurs di- vines, soit qu'il en parle par occasion dans ses instructions. L'estime souveraine de cette majesté infinie dont Newton n'entendait jamais prononcer le nom sans se découvrir, fera comprendre aux peuples ce que c'est qu'adorer et s'abaisser devant Dieu ; elle les rendra dociles à ses commandements, soumis à sa Providence, religieux en-

* Les vérités qui n'entrent pas dans cette division ont rapport aux mystères ou aux vertus, à la prière ou aux sacrements dont nous parlerons dans les articles suivants.

MANIÈRE DE TRAITER LES YÉP.ITÉS CHRÉTIENNES. 515

vers son nom adorable qu'on cessera de blasphémer, et envers ses 'aiinistres qu'on honorera; elle leur inspirera le respect et raltontion dans la prière et le lieu saint, élèvera leur âme au-dessus des vues humaines, au-dessus de tous les intérêts temporels, qui ne sont rien pour qui a compris cette parole : Qitis ut Dens? Dieu seul est tout; tout doit être sacrifié au bonheur de lui plaire. Il est donc de la plus haute importance d'inspirer aux peuples cette souveraine estime de Dieu ; et l'on y réussira en leur exposant avec un air pénétré et un sentiment profondément religieux sa toute-puissance, sa gran- deur, sa sainteté, son éternité, toutes ses perfections incompréhen- sibles parce qu'elles sont infinies, en leur montrant ensuite les anges abîmés de respect devant sa majesté, tous les saints prosternés de- vant son trône, tels que nous les représente l'apôtre saint Jean dans l'Apocalypse, et surtout en accompagnant ces paroles de son exem- ple, et'paraissant toujours proiondément respectueux dans la prière et le lieu saint.

2'^ Règle. En même temps que le prédicateur donne aux peu- ples une grande idée de Dieu, il doit s'attacher à le leur montrer comme infiniment aimable et infiniment à craindre. L'amour et la crainte, voilà les deux sentiments dont le cœur de l'homme a be- soin : l'amour pour l'attirer à Dieu, la crainte pour effrayer les pas- sions qui voudraient l'en éloigner; et la prédicateur trouvera facile- ment dans les perfections divines de quoi faire naître au cœur de ses auditeurs ces deux dispositions. Quoi de plus aisé que de montrer que Dieu est infiniment aimal)le , puisqu'il est infiniment parfait, qu'il est notre l'ère, le ce itre et la joie de nos cœurs? Et il n'est pas plus difficile de faire voir qu'il est infiniment à craindre, puisqu'il est notre juge, juge infiniment saint qui ne peut souffrir rien de souillé, juge infiniment terrible qui tient entre ses mains la sentence de notre éternité heureuse ou malheureuse.

I{(hjle. Le prédicateur, en traitant les perfections divines, devra saisir en elles ce qu'elles nous ofi'rent d'imitable, et le pro- poser à ses auditeurs comme le type magnifique et sublime de la vie chrétienne. Car Dieu nous ayant créés à son image, le propre de la religion est d'achever dans nos âmes colle divine ressemblance ; enfants de Dieu, nous devons nous montrer dignes de notre père : et ici 1(! prédicateur aura à développer aux fidèles la miséricorde de Dieu avec toutes ses richesses, en leur disant comme Jésus-Christ: Estnlc miséricordes siciit et Pater vester misericors est ^ ; sa sainteté

Luc, VI, 50.

510 TRAITÉ DE LA PRÉDICATIO:^.

en ajci'itant avec Dieu lui-même dans le Lévilique : Sniicti estoie quoniam ego snnctus snm ' ; ba patience qui soudVc tous les péchés des hommes, sa douceur qui ne se trouble ni ne se fâche d'aucun outrage, sa bonté qui rend le bien pour le mal, comble toutes les créatures de ses bienfaits et est pour nous plus ((ue maternelle, toutes ses perfections enfin, en déduisant avec le divin Maître l'obli- gation de nous rapprocher le plus possible de ce beau modèle: En- tote verfecti sicut et Pater rester coilestis perfectiis est^.

A" Règle. On peut traiter en deux manières les perfections di- vines: la première est d'établir ou expliquer cette perfection dans le premier point, qui alors serait purement dogmatique, et de déve- lopper dans le second, qui alors serait tout moral, les fruits de vertu que nous devons recueillir. Par exemple, je puis dire : Dieu est pré- sent partout, premier point ; à quoi nous ohUge cette présence de Dieu en tous lieux? second point ; ou encore: // y aune Providence qui veille sur chacun de nous, premier point; quels sont nos devoirs envers cette Providence? second point. La deuxième manière, c'est d'insérer les fruits, affections et pratiques dans l'énoncé même des perfections de Dieu; par exemple: La présence de Dieu partout est un motif puissant d'éviter tout péché, premier point; d'arriver en peu de temps à la perfection, second point ; ou encore avec Bourda- loue^: Dieu a sur nous un domaine essentiel que nous devons recon- naître par une sincère oblation de nous-mêjnes, premier point ; un domaine universel que nous devons reconnaître par une entière obla- tion de nous-mêmes, second point ; un domaine éternel que nous de- vons reconnaître par une prompte oblation de nous-mêmes, troisième point. Cette méthode paraît plus utile que la première, en ce qu'elle découvre mieux aux peuples les fruits qu'ils doivent tirer du dis- cours, chaque proposition de la division marquant ce qu'il faut faire ou ce qu'il faut éviter.

On peut consulter sur les perfections divines : l'Écriture sainte, et surtout les prophètes; Bossuet, dans ses Élévations sur les mystères; 5" Avrillon, dans ses Réflexions sur les attributs de Dieu , 4" Lafosse, Tractatus de Deo et divinis attributis.

De la prélication sur les bienfaits de Dieu.

Il est très-utile de prêcher souvent sur les bienfaits de Dieu, et de faire ressortir la reconnaissance à laquelle ces bienfaits nous

* Lev.,xi, 4i. -Maltli., v, ■^S. ^ Sermon pour le jour delà Puri/icatioii.

MANIERE DE TRAITER LES VERITES CHRETIENNES. 517

obligent. « Je vous engage, écrivait saint Liguori à un missionnaire, « à parler souvent de l'amour que Jésus-Chiist nous a témoigné « dans l'institution du Saint-Sacrement, et de celui qu'à notre tour ti nous devons ressentir pour notre aimable Rédempteur. Tout ce « qui se fait par la crainte des châtiments et non par amour, a peu « de durée. »

Il y a ici, comme dans le paragraphe précédent, deux manières de traiter ce sujet, -l'une et l'autre également utiles.

La première est de montrer dans un premier point la grandeur du bienfait, et dans le second les obligations qui en résultent, c'est-à- dire la reconnaissance qu'on en doit avoir et les fruits qu'il en faut recueillir. Pour relever la grandeur du bienfait, on considère trois points de vue, le bienfait en lui-même, celui (lui le donne et celui qui le reçoit : 1' le bienfait en lui-même : on en démontre le prix en faisant voir combien il est excellent eu soi, combien il nous est utile , peut-être même nécessaire, et s'il y a lieu, combien il est multiplié et souvent réitéré; celui qui le donne; et ici on fait res- sortir d'un côté la dignité infinie du bienfaiteur qui veut bien abaisser ses bienfaits jusqu'à nous; de l'autre ce que lui coûte ce bienfait et l'affection plus que paternelle avec laquelle il nous le donne; 5" celui qui le reçoit; et ici on démontre que c'est une personne qui n'a mé- rité en rien cette faveur , qui au contraire s'en est rendue horrible- ment indigne, et parles outrages faits à son bienfaiteur, et par l'in- sensibililù prévue pour le bienfait. Ces trois considérations peuvent se développer à l'aide du vers si connu :

Quis, qiiid, ubi, qiiibus anxiliis, cur, quomodu, qucindb.

Qiiis? Plus le bienfaiteur est élevé, plus le bienfait est appréciable: le don d'un roi à un sujet est plus appréciable qu'un don d'égal à égal. Quid? Quel est le bienfait en lui-même et en ses conséquences ou ses avantages? l//^i?Oùaèté déposé ce bienfait, c'est-à-dire à qui a-t-il été donné? A uu néant rebelle et ingrat, connu d'avance comme tel. Qiiibus anxiliis ? Les moyens emi)loyés [)our conférer ce bienfait ne supposent-ils pas une bonté ineffable? Car? Par pur amour, et loin que le bieidaiteur eût intérêt à conférer ce bienfait à l'hounne, tout devait l'en dêtoui'ner. Qnornod')? Les circonstances qui entourent ce bienfait, la manière dont il est donné, relèvent encore la générosité et la li'iulresse du bienfaiteur. Qnaitdù? fiC temps nous recevons ce l)i(!nfait en est une nouvelle preuve. Pour (lire ensuite à (pioi oblige le bieufiit, on fait voir: 1" ([u'il faut

518 TUAITÉ DE LA PliÉDICATION.

aimer le bienfaiteur et ie remercier souvent ; craindre de l'offenser, chercher au contraire à lui plaire en tout, et désirer, si on le pou- vait, de lui rendre la pareille, de faire pour lui autant qu'il a fait pour nous ; 2" qu'il faut conserver précieusement le bienfait, en faire toute l'estime qu'il mérite et surtout l'usage pour lequel il nous a été donné.

La deuxième manière de traiter les bienfaits de Dieu est, comme dans le paragraphe précédent, d'insérer la moralité dans les pro- positions mômes de la division. Par exemple, si je veux prêcher sur la création : Par la création, Dieu est V auteur de mon être, je dois lui obéir, premier point ; il m'a fait pour lui, je dois tendre à luiy second point; il ni a fait à sa ressemblance, je dois ri7niter, irohième point ; ou encore : Dieu par la création est mon maître, je dois le servir, premier point ; il est mon père, je dois l'aimer et l'honorer, second point ; et l'on suit pour le développement les moyens d'am- plification que nous avons indiqués en exposant la première ma- nière.

Telle est la méthode qu'on peut suivre pour traiter tous les bien- faits de Dieu, comme laProvidence, l'Incarnation, la Rédemption, la Grâce, l'Eucharistie, la Confession, etc. Le prédicateur, en s'atta- chant à ces indications, est sûr de donner toujours une instruction utile.

§5.

De la prédication sur les fins dernières.

Nous avons déjà dit, dans le chapitre troisième du premier livre, combien il est important de prêcher souvent sur ces vérités. On ne saurait trop rappeler à l'homme qu'il ne meurt pas tout entier comme la brute, qu'au sortir de la vie, l'attendent d'ineffables jouis- sances ou d'épouvantables supplices, selon qu'il aura bien ou mal vécu ; et nul doute qu'une des causes principales du dépérissement des mœurs parmi les fidèles, c'est qu'on ne prêche pas assez ou qu'on prêche mal sur ces graves sujets. Pour les traiter utilement, il faut commencer par s'en bien pénétrer en se les appliquant à soi- même, afin d'en porter en chaire une foi si vive, que toutes les pa- roles, tous les gestes, les traits du visage, l'accent de la voix, per- suadent aux auditeurs qu'on éprouve le premier pour soi-même les sentiments qu'on veut leur inspirer. C'est ôter à ces vérités tout leur effet que d'en parler avec froideur, comme on parle de choses in- différentes; c'est même une sorte de scandale que de laisser paraître,

MANIERE DE TRAITER LES VERITES CHRETIENNES. 319

avant, pendant ou après le sermon, un certain air libre et content de soi, qui décèle une âme étrangère ou insensible à la vérité prèchée, II faut, en second lieu, se proposer un but pratique auquel on ra- mène le discours. Car, poiter l'effroi dans les âmes n'est pas un but digne d'un ministre de l'Évangile : si sa parole est terrible, ce ne doit être que pour rendre les hommes meilleurs. Massillon a quel- quefois manqué à cette règle ; il effraye son auditeur et le laisse là. Bourdaloue , au contraire , s'empare de l'auditeur effrayé , et lui montre la manière d'échapper au danger qui l'épouvante. Ainsi doit faire tout bon prédicateur.

Sous le nom des fins dernières, on comprend ordinairement le salut, la mort, le jugement, l'enfer et le ciel. Nous ferons sur chacun de ces sujets quelques observations que nous croyons utiles aux prédicateurs qui voudront les traiter.

Sur le salut.

1" Observation. On rencontre souvent trois défauts dans les prédications sur cette matière. Le premier, c'est que le prédicateur se transforme en historien fastidieux des œuvres de Dieu, depuis le paradis terrestre jusqu'au Calvaire, et souvent plus loin. Sans doute il est bon de montrer ce que Dieu a fait pour le salut, afin de faire ressortir l'importance qu'il y attache ; mais cette peinture doit se faire brièvement, à grands traits, et surtout être entremêlée d'appli- cations ou d'inductions contre le pécheur qui néglige son salut : le salut, peut-on lui dire par exemple, est la dernière de vos affaires ou plutôt n'en est pas une pour vous ; et Dieu en fait son unique affaire, à laquelle il subordonne tout le reste ; d'où je conclus ou que Dieu n'a pas raison ou que votre conduite est déraisonnable... Vous dites que les sacrifices que demande le saUit sont trop pénibles, et voyez Jésus-Christ au jardin des Ohves, à la colonne de la llagellalion, sur la croix... Le second défaut est de faire une longue description du ciel et de l'enfer. Ces descriptions ont l'inconvénient : 1" d'être nécessairement faibles et imparfaites, parce que ce sont des matières trop vastes pour n'occuper qu'un coin du tableau; d être des hors- d'œuvre. 11 ne s'agit pas ici de décrire le ciel ou l'enfer, mais de presser avec force et énergie ses auditeurs de se mettre de tout leur cœur à travailler à leur salut. Le troisième défaut est de parler sans modération du petit nombre des élus, de l'impénitence finale, du d.inger du délai de la conversion, de la suite des rechutes dans le péché, de l'empire, des mauvaises habitudes et autres matières

r.'JO TUMTM DE LA l'I'.KDin.VTlON.

st'iiililables. Par on (U'couia^c, on (!i''st'siu''!(> les péclKMirs, qui no sciiteiil déjà {[uc Iroj) les (lilliciillés (in saliil; et on Irouidc les justes, on leur ôle la paix (jui leiu' i-st si nécessaire, dvMihle inconvénient qui rend le sermon plus iniisible (pi'utile. Saint François de Sales avait une liien antiepi'arKiue ; il s'altaoliait, au contraire, à montrer qu'avec nu piui de bonne volonté tous S!'s auditeurs pouvaient se sauver. Les prédicateurs ne sauraient ti'op imiter un si beau modèle.

li'' Observalio)!. Tout bon sermon sur le salut doit renfermer expliciieinenl ou implicitement les deux points suivants : Il fautvous occiijHT iDiit oiticr et drs (injourd' lini de votre salut, premier point; que faut-il faire pour réussir dans une affaire si grave? second point. Dans le premier point, le prédicateur doit faire toucher au doigt que c'est une ali'aire, 1" importante (on peut en prendre à témoin les l'éprouvés, les saints, Dieu lui-même); nécessaire (pas moyen de rélud(>r : lu alterutram ;vternilatem. cadam uecesse est) ; o" [jcrson- nelle (il ne s'agit pas de nos biens on de notre honneui', il s'agit de nous-mêmes, et chacun dans celle alTaire y est pour soi); urgente (tout délai est dangereux); digne de tous nos soins (elle les demande et elle les mérite). Dans le second point, il faut montrer la nécessité, i" de recouvrer promplement eî, de conserver soigneu- sement l'étal de grâ(;e ; 2" de tout suijordonner au salut, actions, projets, choix d'un état et d'un éta))lissement, usage des choses de ce bas monde, tout enfin : Quid hoc ad xterniiatein? Voilà le prin- cipe et la régie de conduite (pie tous doivent adopter comme consé- quence du sermon.

3'' Observation. On peut consulter sur celle matière le Traité de l'importance du salut par le V. llapin ; la Guide des pécheurs, livi'e II, cil. j ; le P. Giroust dans son Avent et son Carême; et, parmi les Pères de l'Kglisc, saint Chrysostome, homélies 22 et 58 au peuple d'Anlioehe, et saint Augustin, serm. Gi, de Verbis Domini. Si, au lieu de traiter le soin du salut, on voulait traiter l'insouciance des hommes pnur le salut, on pouriMit montrer combien cette insou- ci.iiire es!, 1" injurieuse à Dieu; 2" indigne d'un homme sensé; et Ion liouverait de belles et excellentes considérations sur ce sujet (lins les chapitres vni et mi du premier volume de l'Essai sur l'in- dilléieiice par M. de Lamennais.

2" Sur la mort.

1"= Observation. H y a dans les prédications sur celle matière ti'ois défauts très-commims. Le premier est de prouver par 1 Écriture

MANIÈRE DE TMÎTER LES VÉRITÉS CHRÉTIENNES. 3*1

sainte, la tradition, l'expérience et la raison, la certitude de la mort et rincerlilude du moment de la mort, choses assurément admises de tout le monde. 11 est bon, sans aucun doute, de faire considérer au pécheur qu'il doit mourir et qu'il n'en sait pas le moment ; mais il est ridicule d'entreprendre de le lui prouver comme on prouve- rait une proposition sujette à controverse. Le second défaut est de peindre les angoisses, le remords, le désespoir du pécheur mourant. Cette peinture élait vraie et utile dans les siècles de foi : aujourd'hui elle porterait complètement à faux. L'e.xpérience démontre que les plus grands pécheurs meurent fort tranquilles, et les exhortations les plus véhémentes du zélé ne peuvent réveiller sur eux la moindre inquiétude. Letroisième défaut est de démontrer l'impossibilité de bien mourir quand on a mal vécu. C'est le défaut est tombé k V. Brydaine dans son sermon sur la mort du pécheur, il traite cette proposition unique ; Telle vie, telle mort; si vous vivez dans le péché, vous mollirez dans le -péché. Cela a l'inconvénient: 1* de mettre des bornes à la miséricorde de Dieu, ce qui ne doit jamais se faire; d'exposer le pécheur mourant à désespérer de son salut, et le ministre appelé pour l'assister à contredire ce qui a été dit en chaire. Observation. Il y a quatre manières principales de présenter ce sujet, suivant le but qu'on se propose. Si l'on veut engager les fidèles à se préparer à la mort, on peut diviser ainsi son sermon: // faut se préparer à lamort., premier point: comment s'y préparer? second point. Le premier point se prouve : 1* par le malheur de mourir sans préparation, malheur immense, irréparable; par le danger évident d'encourir ce malheur si l'on vit sans y penser; 3* par la difficulté de se préparer quand on attend au dernier moment. Pour le second point, on montre qu'il faut : mettre dans sa conscience et ses affaires, dès ce moment même, l'ordre qu'on voudrait y avoir mis à l'heure de la mort ; faire chacune de ses actions connne si on devait mourir aussitôt après ; ne jamais demeurer dans un état l'on ne voudrait pas mourir. Si l'on veut détacher les cœurs de la terre pour les porter à la sainteté, on peut dire : La certitude de la mort doit nous détacher de toutes les choses de ce monde, premier point; l'incertitude du moment de la mort doit nous inspirer une vigilance continuelle qui nous conserve toujours prêts à paraître devant Dieu, second point. Si l'on veuf former ses auditeurs à la pratique des vertus chrétiennes, on jx'ul leur présenter la pensée de la mort connne motif d'humi- lité, comme règle infaillible de prudence chrétienne, comme moyen

21

3Î2 TRAIÏÈ DE f.A I'ni;ni{;\T[ON.

efficace de ferveur. Ces trois points donneront lieu aux plus utiles développements; le premier a été admirablement traité par Bossuet*. 4* Si l'on veut détruire dans ses auditeurs cette crainte excessive de la mort si indigne d'une âme chrétienne, on peut leur dire que dans la mort du vrai chrétien tout est consolation et jouissance, le passé, le présent et l'avenir, he passé, carie vrai chrétien quitte sans regret ce qu'il a possédé sans attache, il se voit avec bonheur affranchi des misères de cette vie et surtout du danger dépêcher. Leprésent, c'est le voyageur qui arrive au terme, le nautonier qui entre dans le port. L'avenir, il voit le ciel qui s'ouvre, il va jouir enfin du bonheur éternel pour lequel il est fait.

5^ Observation. On peut consulter sur cette matière le P. Fallu, dans son Traité des quatre fins de l'homme; les Essais de morale de Nicolle, tome IV, sur les fins de l'homme; la Retraite du P. Nouet, pour se préparer à la mort ; Bellarmin, dans ses Opuscules, tome V; Bossuet, Bourdaloue, Massillon, les sermons nouveaux, et, parmi les saints Père, saint Ambroise, de Bono mortis ; saint Augustin, dans le livre Spéculum peccatoris ; saint Basile, Admonitio ad filnim spiri' tualem ; saint Grégoire, pape, au septième livre de ses Morales, ch. XIV.

Sur le jugement.

\^^ Observation. Bien des prédicateurs ont ici le tort, de ne traiter presque jamais le jugement particulier, matière cependant si intéressante et si propre à toucher; en traitant le jugement général, de se livrer à des descriptions de pure imagination, lorsqu'ils ne devraient faire entendre que la parole de Dieu ; 3" de ne parler que du jugement des pécheurs et jamais du jugement des justes, contrai- rement à l'exemple de Jésus-Christ qui, dans l'Evangile, réunit pres- que toujours ce double jugement, et à l'intérêt des auditeurs qui ont besoin d'être encouragés et consolés par le jugement des bons, autant qu'effrayés par le jugement des méchants. Le P. Brydaine, plein de cette vérité, a fait un long sermon consacré uniquement au jugement des bons.

2"^ Observation. Si l'on veut traiter le jugement particulier, on peut montrer l'arme au sortir de la vie, citée devant le tribunal de Dieu. Si elle est juste, quelle consolation! premier point. Si elle est coupable, quel désespoir! second point. Pour le premier point, tout

* Sermon pour le vendredi de la quatrième semaine de Carême.

MANIÈRE DE TRAITER LES VÉRITÉS CHRÉTIENNES. 525

console le juste, son juge, ses péchés, ses bonnes œuvres, son avenir : son juge, c'est son meilleur ami ; ses péchés ! quelle joie de les voir tous pardonnes et couverts du sang de Jésus-Christ ! ses bonnes œuvres, quel plaisir de les lire toutes jusqu'aux moindres, inscrites au livre de vie ! son avenir, il va être éternellement heureux. Pour le second point, on montre le pécheur, saisi d'effroi, tout à coup au sortir de la vie seul devant son juge, et quel juge ! un juge irrité, un juge qui sait tout; accusé des péchés commis, du bien omis, de Tabus des grâces, etc.. ; 5" convaincu par sa conscience, par le démon, par son juge; condamné, et l'arrêt est exécuté sur l'heure; on pourrait conclure très-utilement cette instruction par l'a\is de l'Apôtre : Si nosmetipsos disjiidicai'emus, non utique jiidica- rrnrnr. Si l'on veut traiter le jugement général, on peut, en faisant l'historique des circonstan.ces qui précéderont ou accompa- gneront le jugement et du jugement lui-même, faire ressortir tout ce que ce dernier jour aura de consolant pour le juste et d'épouvan- table pour le pécheur. On peut, démontrer en deux points dis- tincts la joie du juste et les angoisses du pécheur. On peut, res- treindre quelquefois son sujet au pécheur seul, et montrer comment, en ce jour, il sera accusé, convaincu, condamné.

5'^ Observation. On peut consulter sur ce sujet le P. Fallu et les Essais de morale de Nicole indiqués plus haut; puis, parmi les pré- dicateurs, Bourdaloue et Massillon, Ségaud, Cambacérès etMac-Car- thy ; enfin, parmi les Pères, saint Chrysostome, Sermo de secundo adventu Filii Dei, hom. 5, in epist. ad Piom. 10, in secundam ad Cor., 8 in ep. ad Thessal., 3 in secundam ad Timoth., et S. Bernard, serm. 27 in Ganlic.

Sur l'enfer.

1"'^ Observation. Bien des prédicateurs tombent ici en plusieurs défauts. Le premier est de consulter dans la description qu'ils font de l'enfer plutôt leur imagination que la parole de Dieu ou l'ensei- gnement de l'Eglise, et d'avancer beaucoup de choses sans preuves, ou du moins sans preuves solides. Ce défaut, grave dans tous les temps, l'est beaucouj) plus dans ce siècle d'incrédulité : laudileur mal disposé en conclut (jne toutes les frayeurs qu'on veut lui faii'e de l'enfer ne sont qu'imaginaires et s'enduicit dans le péciié. 11 est donc essentiel (ra[)[)uyer tout ci^ (jue l'on dit de preuves sulidi's, de raisonnements exacts, et de prévenir niènie, autant qu'on le peut, les objections qui peuvent naître thins l'esprit des auditeurs cdiitre

Z2i TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

la bonté de Dieu, contre sa justice et sa sagesse. Le second dé- faut est de décrire les souffrances des damnés d'un certain ton qui annonce qu'on n'en craint rien pour soi, et qu'on est fort peu touché du malheur do ceux qui les subissent : on dirait, en entendant cer- tains prédicateurs, qu'ils prennent plaisir dans ces peintures hideuses du supplice de leurs semblables. Il n'en est pas ainsi de l'homme do Dieu; il souffre à la seule pensée des souffrances de ses frères; il n'en parle qu'avec l'accent de la compassion, et se confondant avec l'assemblée des fidèles dans une crainte commune, il tremble d'é- prouver lui-même un jour les maux qu'il dénonce aux autres, Le troisième défaut est de ne pas tirer, d'un si grand sujet, des consé- quences pratiques pour porter ses auditeurs à une conversion prompte, à une pénitence sévère, à la vigilance, à la prière, au zèle du salut.

'2^ Observation. 11 n'est pas toujours à propos de décrire en dé- tail les tourments de l'enfer. La foi de cerlains auditoires est trop faible pour supporter ce tableau, et pourrait en être ébranlée. On pourrait alors se contenter de généralités, et dire par exemple : Il y a une autre vie ou tout péché viortel, non expié ici-bas, sera puni, premier point; ces châtiments seront éternels, second point; cesf une folie à lliomme de s'y exposer, ti'oisième point. Dans les au- ditoires plus chrétiens, on décrira les quatre tourments de l'enfer, un feu dévorant, un Dieu perdu, un ver rongeur, tout cela pour l'é- ternité; mais il faudra toujours ajouter les moyens d'éviter l'enfer ou les fruits à tirer de l'instruction. D'autres fois, au heu de trai- ter l'enfer môme, on pourra prêcher très-utilement sur la pensée de l'enfer, et montrer combien celte pensée est propre à nous inspirer : un grand courage pour vaincre toutes les difficultés qui s'opposent au salut, 2" une vigilance continuelle, o" une humilité profonde, etc.

5" Observation. On peut consulter sur cette matière le P. Fallu dans ses quatre fins de l'homme et dans un de ses sermons ; Bourda- loue, Ségaud, Giroust, Cambacérès, le P. de Ligny; et parmi les saints Pères, saint Grégoire pape, lib. 9 Job; saint Augustin, lib. 5 de Spiritu et anima; saint Bernard, serm. 16 in Cantic, et surtout saint Chrysostome, hom. 24 in S. Matth., 10 in 2 Cor., et le livre de Providentiâ Dei, il démontre que Dieu devait à sa bonté de créer l'enfer, parce que sans l'enfer personne n'eût eu le courage de fiire les sacrifices nécessaires pour aller au ciel.

MANI!;iiE DE TRAITER LES MYSTÈRES. 5?5

Sur le ciel.

Cette matière est très-difficile à traiter et a été l'écueil de plusieurs grands prédicateurs, parce que l'homme, dans celte vallée de lar- mes, connaît si peu le bonheur, qu'on manque de points de compa- raison pour faire entendre la félicité dont Dieu enivre ses saints. Il n'existe guère que deux manières de traiter ce sujet ; la première est de décrire dans un premier point le bonheur du ciel, et de mon- trer dans le second les moyens d'y arriver ou les fruits que doit produire en nous cette considération. La seconde manière est d'insérer la moralité dans le dogme, et de dire par exemple : La foi du paradis doit détacher notre cœur de tous les biens de ce inonde, premier point; 7ious enjlammer de ferveur dans le service de Dieu, second point ; nous rempli)' de patience et de courage au milieu des épreuves de la vie, troisième point.

On peut consulter sur ce sujet le P. Fallu dans son traité des quatre fins de l'homme, l'abbè Poulie, le P. Giroust; et, parmi les Pères de l'Église, tous ceux qu'indique la Bibliothèque des Pères, de M. Guil- lon, table des matières, art. Ciel.

CHAPITRE II

De la manière de traiter les luysttTes de IVotre-Scîgneur ou de la sainte Vicrarc >.

* Nous entendons ici par le nom de mystères, non-seulement les

* actions de Notre-Seigneur qui ont un rapport immédiat à notre

* salut, comme sa Naissance, sa Circoncision, sa Passion, sa Ptésur- ■* rection et son Ascension, mais encore les merveilles que Dieu a

* opérées en la sainte Vierge, comme sa Conception Immaculée, sa

* Nativité, son Annonciation, son Assomption, ou lesaclions qu'elle a

* laites par inspiration divine, counne sa Présentation, sa Visitation,

* sa Purification. Le prêtre doit avoir à cœur de faire connaître et

* Voyez le P. Albert, I" partie, c. ii. Pastoral do Limogos, t. H, II' partie, lit. II, c. II.

326 TRAITE DE LA l'IlÉDICATION.

* aimt'r ces mystères : son talent y Ironvera une ressource immense,.

* un liche li'ésor des plus sublimes considérations et des plus beaux

* mouvements. Les Pères et les docteurs de l'Église, les orateurs

* ecclésiastiques modernes, et à leur tôle Bossuet, i'ourdaloue, Mas-

* sillon , n'ont cessé de fouiller cette mine si lèconde et ne l'ont pas

* épuisée; elle ne le sera jamais ; elle ne saurait l'être, parce que tous

* les mystères sont en Dieu un cbef-d'œuvre de sagesse et de bonté,

* et que tout ce qui est de Dieu est infini. Négliger les mystères, ce

* serait donc se priver des richesses de son art, et ôter à son discours

* la couleur qui lui convient pour lui donner une couleur mondaine

* qui, dans la chaire, est une couleur déplacée, un défaut réel et non

* un mérite.

* Toutefois ce n'es! encore que la moindre des considérations

* qui doivent porter le prédicateur à traiter ces beaux sujets. Les

* avantages spnituels qui en reviennent aux auditeurs lui en font un

* devoir bien plus pressant. Les mystères, en effet, sont l'aliment

* le plus soiide et le plus utile de la pié:é chrétienne : ils forment le

* fond et comme la substance de toute la religion, et on ne la con-

* naitbicn qu'autant qu'on les connaît. Ils parlent au cœur, ils l'é-

* chauffent et l'embrasent; ils lui demandent des sacrifices, lui en-

* seignent toutes les vertus, lui disent tous ses devoirs, et le cœur

* ne peut rien leur refuser. La morale que le prédicateur en déduit

* est toujours naturelle, parce que chacun sent que les mœurs doi-

* vent être conformes à la croyance ; et elle est en même temps tou- ■* jours pressante, parce que le mystère lui sert de preuve.

* C'est donc manquer essentiellement à son devoir que de ne pas

* exposer aux fidèles la doctrine et l'esprit des mystères, et cette

* faute serait plus grave encore les jours on les solennise : car le

* dessein manifeste de l'Église, en consacrant des fêtes particuhères

* en leur honneur, a été que les fidèles entrassent, ces jours-là, dans

* l'esprit propre du mystère qu'on célèbre et en attirassent sur eux

* les grâces et les vertus. Or, c'est un devoir pour le prédicateur de

* seconder cette vue de l'Église, en expliquant aux peuples le mys-

* tère du jour, non par quelques mots dits en passant dans l'exorde

* ou ailleurs, mais par un discours destiné tout entier à ce dévelop-

* pement et la morale n'intervienne qu'en second et comme ac-

* cessoire. Les fidèles s'y attendent et ils en ont le droit : si le prédi-

* cateur frustre cet espoir, il les mécontente, il leur porte un préju-

* dice grave en les laissant dans l'ignorance de la partie principale

* de la religion : et cette faute est moins excusable que jamais, au»

MANIERE DE TRAITER LES MYSTÈRES. 327

* jourd'hui la foi est si faible, le christianisme si peu connu, et

* son esprit si oublié.

Pour traiter dignement les mystères, il faut : les faire connaître; les faire honorer; faire participer les fidèles aux grâces qui y sont renfermées; diviser son instruction de manière que ces trois objets soient remplis avec ordre et clarté, Tout ceci demande des développements que nous allons donner dans les articles sui- vants.

ARTICLE 1«.

DE LA MANIÈRE DE BIEN FAIRE CONNAÎTRE LES MYSTERES

Saint François de Sales* indique aux prédicateurs un moyen de bien faire connaître les mystères, qui est de considérer ces trois points : qui ? pourquoi? comment? Exemple : Qui est né? Le Fils de Dieu fait homme. Pourquoi ? Pour nous sauver. Comment ? Pauvre, nu, froid, en une étable et petit enfant. Qui est ressuscité? L'Homme-Dieu qui était mort pour nous. Pourquoi? Pour sa gloire et notre bien. Comment? Glorieux et immortel, etc. Cette mé- thode, bonne en soi, ne nous semble pas assez explicite.

Pour faire connaître à fond un mystère, il faut : 1" en bien expli- ';{ucr l'extérieur et l'intérieur; faire ressorlir les perfections de Dieu, de Jésus-Christ ou de la sainte Vierge qui y sont renfermées ; "5° exposer les avantages qui en reviennent aux hommes.

11 faut en expliquer l'extérieur et l'intérieur: on entend par l'extérieur d'un mystère ce qui en est la partie visible, et par l'in- térieur ce qui so passait d'admirable, au moment du fait extérieur, dans l'âme de Jésus-Christ ou de la sainte Vierge, soit par rapport à Dieu, soit par rapport aux hommes, soit par rapport à eux-mêmes. Le fait extérieur nous est raconté dans l'Évangile ou quelquefois transmis par la tradition. Il faut l'exposer en détail aux fidèles, soit pour qu'ils ne sortent pas du sermon sans connaître le mystère qu'on honore, soit parce que c'est le fondement solide des moralités qu'on se propose de tirer, soit enfin parce que chaque circonstance du mystère contient une instruction propre à en relever l'excellence, c( utile au salut. Ainsi, par exemple, dans le mystère de l'Epiphanie, l'apparition de l'étoile, la promptitude des Mages à partir, la dispa-

* Lcllrc à l'archevêque de Douiges.

3^8 THAITÉ DE L\ PRÉDICATION.

rilion do l'étoile à leurs yeux dans Jérusalem, leurs présents, leur retour par un autre chemin, tout est intéressant et instructif. L'in- lérieur des mystères n'est pas moins digne de fixer l'attention de la piété chrétienne, et se découvre sans peineà l'aide de la m:^ditalion, des principes de la foi ou des paroles mômes de rÉvangile. Ainsi, par exemple, si dans le mystère de l'Epiphanie dont nous venons de parler, on se demande quels étaient alors les sentiments de Jésus- Christ, on trouve, par la méditation, cette réponse entre plusieurs autres : son amour pour les hommes le pressait si fort d'éclairer les Gentils, que, peu de jours après sa naissance, il envoya l'étoile aux Bfages pour les appeler à sa crèche: ceux-ci n'étaient que les pré- mices, et en eux il voyait tous les Gentils à venir. Il me voyait moi- même distinctement à travers les siècles, peut se dire chaque fidèle, et, du fond de sa crèche, il me réservait plus que l'apparition d'un météore, il me réservait la grâce de la foi, la grâce d'une éducation chrétienne, la grâce de tant de movens de salut , et de l'es- prit et le cœur concluent quel amour Jésus nous porte dans ce mys- tère. On voit combien cette manière d'envisager les mystères les rend intéressants, pieux, touchants, instructifs, et nous les fait mieux connaître.

2** Il faut faire ressortir les perfections de Dieu, de Jésus-Christ ou de la sainte Vierge qui sont renfermées dans le mystère. Comme Dieu, en se révélant au monde, s'est proposé en premier lieu sa gloire, celle de son Fils ou de la sainte Vierge, et que cette gloire consiste principalement dans la manifestation de leurs perfections, on ne correspondrait pas à ses desseins si, en traitant les mystères, on ne faisait ressortir les perfections ineffables qui y brillent avec tant d'éclat aux yeux de l'âme qui les médite ; on manquerait à la religion en ne saisissant pas une occasion si favorable d'en donner une haute idée aux hommes, et de lui concilier leur estime, leur respect et leur admiration ; enfin on nuirait aux fidèles, en les pri- vant d'une instruction essentielle. Si donc, par exemple, j'ai à traiter le mystère de la croix, j'y ferai voir la justice de Dieu auquel il a fallu une si grande expiation pour le péché, sa miséricorde qui a concilié les droits de sa justice avec la grâce du coupable, sa grandeur à laquelle un Dieu victime est immolé par un Dieu prêtre. Si j'ai à traiter le mystère de l'F.ucharistie, j'y ferai admirer à la fois la bonté de Dieu, sa puissance et sa sagesse, selon le mot de saint Au- gustin: Chin sit ditissimus, plus dare non habuit ; chm sit poteritis- sirmis, plus dare non potuit; cUm sit sapientissimus, plus dare nés-

MANIERE DE TRAITER LES MYSTERES. 529

tivit. Si j'ai à parler des mystères brillent soit les grandeurs de Notre-Seigneur, comme la Résurrection et l'Ascension, soit les pri- vilèges incomparables de la sainte Vierge, comme l'Immaculée Con- ception, l'Annonciation, l'Assomption, je m'appliquerai à faire res- sortir tout ce qui relève Jésus et Marie dans ces mystères, pour leur concilier le respect et la vénération des peuples. Si, au contraire, j'ai à parler des mystères ils s'bumilient, par exemple de leur vie cachée et laborieuse, des mystères du Calvaire , je célébrerai tout ce qu'il y a dans ces humiliations de grandeur véritable, de sagesse et d'amour pour les hommes. Enfin, quel que soit le mystère, je ferai remarquer combien il était digne de Dieu, digne de sa sagesse, de sa bonté et de sa puissance.

Il faut exposer les avantages qui reviennent de ce mystère aux hommes. Comme après sa propre gloire, après celle de son Fils ou de la sainte Vierge, Dieu, en opérant les mystères, s'est proposé le bien de l'homme, le devoir du prédicateur est de montrer comment, en chaque mystère, Dieu a atteint son but, que de maux ce mystère éloigne de nous, que de biens il nous procure; comment, par exemple, l'Incarnation a relevé l'homme tombé, sauvé le genre hu- main que le péché avait perdu, rehaussé notre nature jusqu'à la par- ticipation de la nature divine, et procuré à la terre un insigne bien- faiteur, un docteur infaillible, un modèle incomparable; ou, si on l'aime mieux, comment dans ce mystère Jésus-Christ nous élève par ses abaissements , nous enrichit en se faisant pauvre, nous rend libres en prenant la forme d'esclave. Celle manière de présenter les mystères est éminemment piopre à faire aimer et respecter la reli- gion, à toucher le cœur de l'homme qui se voit ainsi l'objet et la fin de tontes les œuvres d'un Dieu.

Tels sont les différents points de vue sous lesquels il faut envisager les mystères pour bien les faire connaître. Saint Thomas, dans la Z" partie de sa Somme, et Suarez, dans sa Théologie, développent l'un et l'autre ces points de vue d'une manière merveilleuse. Bossuot a suivi la même marche dans ses sermons sur les mystères, et c'est d'après cela que M. de Boulogne, qui lui a emprunté un grand nombre de ses idées, Iraitaiil le mystère de Noël, montre, dans un premier point, combien ce mystère fait ressortir la puissance, la grandeur, la sagesse, la justice, la miséricorde, la sainteté, la bonté de Dieu, et, dans un second point, combien ce mystère était conve- nable pour consoler l'honnue malheureux, guéi'ir l'honnue malade et corrompu, relever riionnne dAt^Madè. C'est ainsi encore c[ue pro-

530 ir.AITÉ DE LA PRÉDICATION.

cède Bourdaloue dans l'Instruction pour le temps de l'Avenir et que doivent procéder tous les prédicateurs : toujours ils doivent montrer dans les mystères Dieu grand et bon, l'homme ennobli, meilleur et plus heureux ; ou s'il s'agit de la sainte Vierge, présenter ses gran- deurs comme unies à nos intérêts : si dans l'Annonciation elle de- vient mère de Dieu, c'est pour être la mère des hommes; si dans l'Assomption elle est élevée en gloire, c'est pour être notre avocate et le refuge des pécheurs.

ARTICLE 2.

DE LA MANIÈRE DE FAIRE HONORER LES MYSTERES.

En même temps qu'on éclaire l'esprit des auditeurs sur le fond d'un mystère, il faut parler à leur cœur et tâcher d'y faire naître les affections et les sentiments pieux que ce mystère est de nature à in- spirer. Le prédicateur manquerait tout à fait sou but si, dissertateur froid et spéculatif, il ne parlait qu'à l'esprit. Toutes les considéra- tions indiquées dans l'article précédent ne doivent être pour lui que des moyens d'arriver à remuer le cœur, à l'échauffer et le pénétrer des sentiments de la piété chrétienne. Ces sentiments varient selon le mystère; mais cependant, presque toujours on y trouve matière aux sentiments suivants, savoir: 1" la reconnaissance pour les grâces que ce mystère nous apporte ; 2" l'amour pour la bonté qui y éclate ; l'admiration et la louange pour la grandeur, la puis- sance, la sagesse qui y brillent ; le respect et la vénération pour l'excellence du mystère en lui-même ; 5" le désir et le ferme propos d'une vie meilleure et plus parfaite, plus détachée et plus humble ; 6" la joie ou la compassion. C'est en développant ces sentiments divers que le prédicateur donne de l'onction à ses instructions et y répand comme un parfum de piété qui touche les cœurs: sans cela il est sec, froid, peu intéressant, et ses discours n'ont qu'une médiocre utilité.

ARTICLE 3.

DE LA MANIÈRE DE FAIRE PARTICIPER LES FIDÈLES AUX GRACES DES MYSTERES.

Jésus-Christ ayant opéré ses mystères pour qu'ils fussent des sources abondantes de grâces dans son Église, et ces grâces se ré- pandant principalement dans les jours on les solennise, le prédi-

* Elle se trouvq parmi les Exhortations de Bourdaloue.

ÎIAIN'IEP.E DE TRAITER LES 3ÎYSTERES. 051

calcur doit enseigner aux iklèlcs à y participer; et pour cela il doit, leur faire remarquer les leçons de vertu et de perfection que renferme soit l'extérieur, soit l'intérieur du mystère, et les inviter à mettre ces leçons en pratique, aidés du secours de Jésus-Christ et de l'assistance de Marie : car la grâce qui aide à faire le bien, découle de chaque mystère en même temps que la leçon qui montre ce qu'il faut faire.

Le prédicateur doit faire observer les voies par lesquelles Notre- Seigneur ou la sainte Vierge a consommé le mystère. Par exemple, qu'a fait Notre-Seigneur pour arriver à la gloire de sa résurrection? Il a été crucifié, il est mort, il a été enseveli : Crucifixus, tnoi'tuiiset sepultus resurrexit. Donc, conclura le prédicateur, nous aussi, si nous voulons ressusciter avec Jésus-Christ, nous devons crucifier nos passions, mourir à nos péchés, ensevelir notre amour-propre.

Outre les grâces générales attachées aux mystères et dont nous venons de parler, chaque mystère a sa grâce propre. Il est important de bien la faire comprendre aux fidèles et de les inviter à l'attirer en eux parleurs prières, leurs désirs el les actes des vertus analogues. Car c'est le fruit principal qu'ils doivent recueillir de chaque so- lennité. Ainsi le mystère de Noël a pour grâce spéciale l'enfance spirituelle, perfection sublime que le monde ne connaît pas, admi- rable composé d'innocence , de candeur et de simplicité, condition rigoureuse à laquelle Jésus-Chrits a mis son paradis: A''m efficiamini sicutparvidi, nonintrabitis inregnum cœlorum. Le mystère de lÉpi- phanie a pour grâce et pour fruit la correspondance prompte, cou- rageuse et persévérante à la grâce qui nous sert d'étoile pour aller à Jésus-Christ ; le mystère de la Passion, la patience dans les souf- frances et la mort à nos inclinations déiéglées ; le mystère de la Ré- surrection, une vie nouvelle toute spirituelle et intérieure ; le mys- tère de l'Ascension, les désirs du ciel et l'union à Dieu. Ces quelques vues donnent une idée suffisante de la manière d'observer la grâce de chaque mystère.

APJICLE 4.

COMMENT CIVISER LES LNSTRUCTIONS SUR LES MYSTÈRES.

La première manière est de traiter dans le premier point la doc- trine du mystère, et de montrer dans le second le fruit qu'on eu doit tirer. Conformément à ce principe, on pourrait dire: Excellcvce et grandeur du mystère, premier point ; manière de llwnorer et d'y

M-2 TRAITÉ DE LA rRÉDICATION.

participer, second Tpoint; ou encore: Ce que Dieu a fait pour nous dans ce mystère, premier point ; ce que nous devons faire pour Dieu, second poinl ; ou encore : Desseins adorables de Dieu dans ce mys- tère, premier point; sentiments que ce mystèi'e doit nous inspirer y second point ; ou encore enfin : Gloire ({ui revient à Dieu dans ce mystère, premier point ; avantages qui en reviennent à l'homme, second point.

La deuxième manière est de joindre ensemble la doctrine et les fruits du mystère sous un môme énoncé: conformément à cette in- dication, on pourrait dire: Jésus dans la crèche est pour nous un bienfaiteur qu'il faut aimer, premier point ; un docteur qu'il faut écouter, second point ; un modèle à imiter, troisième point ; ou en- core : Marie dans sa purification nous apprend à obéir, jusque dans les moindres circonstances de la loi, premier point; lors même qu'il n'y a que conseil sans obligation j^goureuse, second point; lors même qu'il faut sacrifier ce que nous avons de plus cher et de plus précieux, troisième point.

Pour remplir tous ces' canevas et autres semblables, on trouvera d'amples matériaux dans le P. Nouet, dans Grenade, dans nos auteurs ascétiques , nos sermonaires , et surtout Bourdaloue et Bossuet, qui ont excellé en cette partie. Bourdaloue expose les mystères avec une clarté parfaite et en déduit les plus importantes leçons pour la réforme des mœurs ; Bossuet en révèle toute la beauté et la grandeur avec une magnificence de vue qui étonne et ravit.

CHAPITRE III

fSe manière de prêcher sur les Yertns et les vîecs '•

Pour bien traiter ces sortes de sujets, il faut : 1" expliquer d'une manière nette et précise en quoi consiste la vertu ou le vice dont on parle ; présenter avec force les motifs de pratiquer cette vertu ou de fuir ce vice ; en indiquer les moyens ; bien diviser son in-

* Voyez le P. Albert, I" partie, c. xii. Pastoral de Limoges, t. II, II" partie, lit. Il, c. m.

MANIÈRE DE PRÊCHER SUR LES VERTUS ET LES VICES. 333

strnction. Les articles suivants indiqueront la manière de bien faire toutes ces choses.

ARTICLE l-^'.

COMMENT EXPLIQUER EN QUOI CONSISTE LA VEUTU OU LE VICK IIONT ON PAP.LE?

Il est très-important de donner une idée exacte de la nature des vertus ou des vices. La plupart des fidèles, même pieux, ont été si pou instruits là-dessus, qu'ils ne sauraient pas dire ce que c'est que l'hu- milité, l'abnégation, le recueillement, la ferveur; ce que c'est que l'orgueil, la tiédeur ; et faute d'avoir là-dessus des idées précises, ils sont comme dans l'impossibilité d'acquérir les vertus ou de corriger leurs vices ; car comment corriger un vice qu'on ne croit pas avoii", ou pratiquer une vertu qu'on ne connaît pas ? Or, pour donner celte idée exacte des vertus ou des vices, il faut avant tout bien les défi- nir; et ici l'on peut employer les deux définitions indiquées par la logique, la définition proprement dite, qui fait connaître la nature de la chose par son genre et sa différence, comme quand je définis l'humilité ; Virtus qiiâ homo ex verissinid sut cognitione sibi ipsi vi- lescit, et la description qui explique la chose plus au long, d'une ma- nière oratoire. Ces deux espèces de définitions sont très-utiles : la première donne à tous les esprits attentifs, capables de saisir la por- tée des mots, une idée précise, rigoureuse et parfaite de la vertu ou du vice; la seconde fait comprendre la chose aux esprits superfi- ciels et vulgaires par les détails et les développements dans lesquels elle entre. Quand c'est une description de la vertu, chacun peut sui- vre l'inspiration de son talent, et aucune précaution spéciale n'est requise : saint Cyprien et saint Ambroise nous en ont laissé de ma- gnifiques modèles, le premier en décrivant la virginité dans son livre de Ilabilu et disciplina virginum, le second en traçant le ta- bleau d(^ la modestie dans son livre de Virginibns ; mais quand c'est la description d'un vice, il faut y procéder avec discrétion et observer les règles de prudence exposées au premier livre de co Traité*, tou- chant la peinture des désordres du monde.

Api'ès avoir défini la vcrlu ou le vice dont on parle, il faut en dé- mêler les différents points de vue, en distinguer les espèces et les degrés. Si, par exemple, je veux faire connaître la contrition, je distinguerai la contrition parfaite qui est fondée sur l'amour, et la

* Chap. IV, art. 2, § 2, sccl. n.

331 TRAITE DE LA PREDICATlOTî.

contrition imparfaite ou l'attrition qui procède de divers motifs de foi joints à un commoncoment d'amour. Si je veux expliquer l'hu- milité, je la diviserai, avec Rodriguez, en quatre de^rrés, dont le premier est de ïie point s'estimer soi-même, le second de ne point désirer l'estime des autres, le troisième de recevoir avec patience toutes les humiliations, le quatrième de les recevoir même avec joie et de les désirer. On conçoit combien ces aperçus divers jet- tent de jour dans l'esprit et font mieux comprendre la nature de la vertu. ^

Cependant ce n'est pas encore assez : comme les hommes sont si portés à se faire illusion et à croire posséder des vertus qu'ils n'ont pas, ou être exempts des vices même qui sont en eux les plus sail- lants, il sera utile de joindre à la définition et à la division, lesca- ractères, les marques et les effets des vertus ou des vices dont on parle. Par on apprendrai aux auditeurs à se connaître ; on leur donnera rintelligence des vertus qu'ils ont à acquérir ou des réfor- mes qu'ils ont à opérer pour corriger leurs vices, et ils ne pourront plus se tromper eux-mêmes. Ainsi, je ferai parfaitement connaître la charité si j'en parcours avec saint Paul les divins caractères ; la contrition, si j'en développe les cinq conditions ; l'obéissance, si je kl montre, comme le fait saint Ronaventure : Prompta sine dilatione, voluntaria sine contradictione, stremia sine pusillanimitate, univer- salis sine exceptione^ . De même je ferai reconnaître l'orgueil à ceux- mêmes qui ne s'en soupçonnent pas coupables, si je le leur signale par ses marques, qui sont la complaisance en soi-même et dans les moindres avantages qu'on croit avoir, la bonne opinion de son mérite, qui fait qu'on se préfère aux autres, qu'on les critique, qu'on les tourne en ridicule et qu'on n'entend pas être critiqué soi- même, l'attache à ses idées qu'on juge toujours meilleures que cel- les d'autrui, l'obstination dans ses volontés, qui ne veut faire que ce qui lui plaît, et fuit la soumission et la dépendance, la présomption qui ne doute de rien et se croit capable de tout, la vanité qui cherche à se faire remarquer par son extérieur, à se faire valoir, à se vanter, à capter en toutes manières l'estime et la louange, les postes hono- rables et les fonctions d'éclat. Si à ces marques j'ajoute les effets des vices ou des vertus et que je les fasse voir en action et en pra- tique, si je détaille, par exemple, les effets de la charité chrétienne qui ne pense point le mal, et le dit moins encore, qui estime et res-

* Collât., m.

MANIÈRE DE rRÊCIIER SUR LES VERTUS ET LES VICES. 535

pecte le prochain, qui fait du bien à tous et leur en fait le plus qu'elle peut, qui souffre de tout le monde et ne fait rien souffrir à personne, qui est toujours bonne, aimable, obligeante, il ne sera plus possible qu'il reste aucun nuage sur les yeux de mes auditeurs; ils verront clairement s'ils ont les vices ou les vertus que je leur aurai si bien expliqués.

Tels sont les moyens par lesquels un prédicateur peut faire con- naître à ses auditeurs la nature des vertus ou des vices sur lesquels il prêche; ils se réduisent à cinq, comme on le voit, et consistent à les définir, les diviser, en décrire les caractères, en assigner les marques, en peindre les effets. On trouvera, pour remplir ces indi- cations, des ressources précieuses dans la deuxième partie de la Somme de saint Thomas, et dans les Examens particuliers de M. Tronson, qui offrent un recueil d'observations du plus grand in- térêt sur cette matière.

ARTICLE 2.

DES MOTIFS [('embrasser LA VERTU ET DE FUIT. LE VICE.

Pour engager les hommes à pratiquer une vertu ou à fuir un vice, il faut leur monttrer : qu'il y a nécessité et justice à le faire; qu'il y a utilité et sûreté ; 5" qu'il y a plaisir; 4" qu'il y a gloire; 5" qu'il y a possibilité et même facilité.

\" Motif. Il y a nécessité et justice. On le prouve par la loi na- turelle, par la loi divine ancienne et nouvelle, quelquefois même par la loi humaine, soit ecclésiastique, soit civile, et enfin par les conséquences déplorables qu'entraînerait l'absence de celte vertu ou la présence de ce vice : sans cette vertu, peut-on dire, vous ne pour- rez rempUr vos devoirs d'état, vous n'aurez point telle grâce ou telle autre vertu nécessaire à votre salut, vous n'obtiendrez point la persévérance finale : si vous ne déracinez ce vice, il vous précipitera dans tel désordre, tel malheur, etc ..

2" Motif. Il y a utilité et sûreté dans la pratique de la vertu. On le prouve en montrant qu'elle nous fait échapper aux plus grands maux pour celte vie et pour l'autre, qu'elle concourt à notre bien- être dés ici-bas, qu'elle nous y procure l'amitié de Dieu, toutes sor_ tes de biens et d'avantages, en même temps qu'elle nous assure, pour la vie fwture, le bonheur et la gloire. Au contraire, on fait voir que le vice a les suites les plus funestes, qu'il nous accable dès maintenant de peines et de misères, qu'il trompe toutes nos espé-

336 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

rances, attire sur nous la haine et l'indignation de Dieu et nous précipite, au sortir do la vie, dans des malheurs et des supplices sans fin.

5*= Motif.- 11 y a plaisir à être vertueux. On le prouve en mon- trant que la vertu fait goûter un bonheur solide qui surpasse tous les plaisirs des sens, qu'elle bannit les troubles, les inquiétudes et les remords de la conscience, qu'elle remplit l'âme d'une paix dont la douceur surpasse tout ce que le cœur de l'homme peut sentir ici- bas, qu'enfin la consolation qu'elle donne est si grande qu'elle adoucit l'amertume de toutes les afflictions, et fait surabonder de joie au milieu de la tribulation. Superabimdo gaudio in omni tribu- latione. Au contraire, dans combien de chagrins est noyé le cœur de l'homme vicieux! que d'angoisses, de dégoûts et d'amertumes! que de remords déchirants! quel affreux mécontentement de soi! On a peine à se supporter, tant on se trouve vil et odieux à ses pro- pres yeux ! Tribulatio et angiistia in omnem animam hominis ope- rantis malmn^.

¥ Motif. 11 y a gloire à pratiquer la vertu. On le prouve en faisant ressortir combien elle est belle, excellente, aimable en soi, conforme à la droite raison, plus précieuse que toutes les choses d'ici-bas; combien elle honore, élève et ennoblit le chrétien qu'elle rend semblable à Jésus-Christ, et à qui elle mérite l'approbation et la louange de Dieu, des anges et des hommes. On fait voir au contraire, que le vice est honteux en soi comme opposé à la droite raison, qu'il dégrade et avilit ceux qui se font ses esclaves, que Dieu et les hommes l'ont en exécration, que sa turpitude et sa bas- sesse font horreur à toute âme honnête, et déconsidèrent celui qui s'y livre.

Motif. 11 est possible et même facile de pratiquer la vertu et de fuir le vice. On le prouve : par la bonté de Dieu dont la grâce aidela faiblesse de ses enfants, quand il trouve en eux bonne volonté: 2" par sa justice qui, par cela même qu'elle commande quelque chose, doit les moyens nécessaires pour l'accomplir, du moins à ceux qui les lui demandent; par les exemples des saints; tant d'autres ont pratiqué cette vertu ou fui ce vice dans une position qui n'était pas plus favorable que la nôtre, et qui peut-être l'était moins; or, quod isti et istx, cur non ego^? A" par la promesse de Notre-Seigneur, qui s'est engagé à rendre son service facile et doux:

* Rem , 11, 9.-3 Confess. S. Aug., lib. VIII, c. xi.

MANIÈi'.E DE PRÊCHER SUR LES VERTES ET LES VICES. 537

Jugiim meiim suave est et omis levé ', et par la parole scniblahlo do l'Esprit de Dieu, dans saint Jean : Mandata ejus gravia non sunt^; par les fatigues et les peines que se donne le monde pour des biens périssables ; Dieu n'en demande pas tant pour le ciel ; C" par l'énergie qu'inspirent l'amour, la grâce, l'espérance de la récom- pense, lesquels rendent tout facile, et font braver joyeusement tou- tes les difficultés.

Tous ces motifs de pratiquer la vertu et de fuir le vice se lisent au septième chapitre de la Sagesse, au premier de rEccIésiaslique, et en mille autres endroits de l'Écriture et des Pères. On les trouve dé- veloppés avec une rare perfection dans la Guide des pécheurs, par le P. Grenade, et exposés en substance dans le sermon du P. Cheminais sur la sainteté, l'orateur démontre en trois points qu'il y a gloire, bonheur et facilité à se sanctifier.

AUTICLE o.

PES MOYENS D'ACQUÉr.in LA VET.TU ET DE CORRIGER OU DE pnÉVENIli LE VICE.

il servirait peu d'avoir fait connaître le prix d'une vertu, si l'on n'enseignait à la pratiquer, d'avoir sondé la plaie que le vice l'ait à l'âme, si l'on n'en faisait connaître le remède ou le prèservalif. C'est pourquoi le prédicateur, après avoir exposé avec force les rai- sons de pratiquer une vertu ou de fuir un vice, doit toujours en en- ïcigner les moyens. Ces moyens sont ou généraux ou particuliers : les moyens généraux, c'est-à-dire également utiles pour l'acquisi- tion de toutes les vertus ou la réforme de tous les vices, sont la prière, la fréquentation des sacrements, les lectures pieuses, l'exa- men de prévoyance le malin, l'examen particulier vers midi, l'exa- men général le soir, et des retours fréquents sur soi pendant le jour; la fuite (les occasions dangereuses et des mauvaises coiMpagnies, la fidélité à repousser les premières pensées du mal, et à mortifier sa volonté propre ; la considération sérieuse et fréquente des exemples de Noire-Seigneur, des vertus des saints, des motifs pn^ssants que nous avons d'être vertueux : enfin la correspondance pronq)te et gé- néreuse à la grâce, quelque sacrifice qu'elle nous demande. Les moyens particuliers, c'est-à-dire propres pour chaque vertu et cou- re chaque vice, ou aila[»tés s[)éc.i;d(Mn(!nl à (^crlaines positions dans J('s<|U('I!('S se trouvent les auditeurs, varient selon les circonstances,

».M;.ltli., II, '0. M .lo;m.,i.

22

338 TRAITE DE LA TREDICATION.

et c'est à la prudence du prédicateur à les désigner. La retenue des regards et la mortification des sens sont un moyen d'acquérir et de conserver la chasteté; l'aumône, un moyen d'extirper l'avarice; riunnilité, un remède à la colère, qui le plus souvent n'est qu'un bouillonnement de l'orgueil contrarié, et ainsi du reste.

ARTICLE 4.

COMMENT DIVISER LES INSTRUCTIONS SUR LES VERTUS OU LES VICES? g |er

La manière la plus utile de faire une instruction sur une vertu ou sur un vice est de la diviser en trois points, en exposant, selon les indications données aux trois articles précédents : en quoi consiste la vertu ou le vice ; 2" les motifs d'embrasser cette vertu ou de fuir ce vice ; les moyens d'y réussir. Si l'on voulait réduire sa division à deux points, et dire par exemple : Importance de cette vertu, pre- mier point ; moyens de racquérir, second point, il faudrait traiter accessoirement dans le corps du discours la partie omise par cette division abrégée.

§ 2.

On peut faire plusieurs instructions sur une même vertu, en trai- tant séparément chacun des trois points énoncés plus haut : ainsi, si je veux traiter le premier point seul, savoir en quoi consiste telle vertu, par exemple la contrition, je développerai les cinq indications don- nées à l'article premier; si je veux traiter le second point seul, savoir les motifs de pratiquer telle vertu ou de fuir tel vice, je développerai les cinq autres indications données à l'article second, en les résu- mant en trois réflexions : Piien de plus nécessaire, premier point ; rien de plus avantageux, second point ; rien de plus facile, troisième point ; ou autrement : Excellence de cette vertu, premier point avantages qiCelle procure, second point ; consolations quelle donne, troisième point. Si enfin je ne veux traiter que les moyens d'acquérir la vertu, je puis exposer dans un premier point ce qu'il faut éviter, et dans un second point ce qu'il faut pratiquer : par exemple, en appliquant ceci à la vertu de chasteté, je montrerai dans le premier point que, pour la conserver, il faut éviter une sécurité téméraire, la fréquentation indiscrète des personnes du sexe, l'oisiveté, la bonne chère; et dans le second point, je montrerai qu'il faut repousser par

MANIÈRE DE PRÊCHER SUR LES VERTUS ET LES VICES. 539

une diversion prompte les moindres pensées du mal, les premières atteintes de la tentation, garder ses sens, mortifier son corps, être fidèle à la prière. Les moyens généraux indiqués à l'article troi- sième peuvent aussi faire la matière de plusieurs exhortations,

§5.

On peut très-utilement consacrer une instruction à réfuter les mauvais prétextes ou les vaines excuses par lesquels les pécheurs essayent de justifier leurs vices : par exemple, on pourrait traiter ainsi le pardon des injures : Vous dites : Il y va de mon honneur de me venger, et moi je vous prouverai qu'il y n plus dlioyineur.à par- donner qu'à se venger, premier point ; vous dites : Il y va de mon intérêt, afin qu'on ne recommence pas, et moi je vous prouverai qu'il y a pour vous un plus grand avantage à pardonner, second point ; vous dites : Il y va de ma satisfaction, je ne serai content que quand je serai vengé; et moi je vous prouverai que le pardo7i généreux vous donnera un plaisir j)lusvrai et plus solide, troisième point.

Onpeut voir un modèle d'une réfutation de ce genre dans le sermon si frappant de Massillon sur le délai de laconversion S qui est consacré tout cîUJerà l'émter les prétextes que le pécheur allègue pour différer son retour à Dieu.

^-

Ce que nous avons dit de la manière de traiter les vices et les vertus peut s'appliquer à toutes les obligations du chrétien, par exemple aux commandements de Dieu et de l'Église, au bon emploi du temps, à la dévotion à la sainte Vierge, etc.. Ainsi, si je veux traiter un des dix commandements, je montrerai dans un premier point les motifs de garder ce commandement; dans un second, en quoi consiste la pratique de ce commandement ; et dans uu troisième, quels sont les moyens de l'observer fidèlement. Si je veux prouver l'obligation d'être saints, je dirai : Soyez saints parce que vous le devez, premier point; soyez saints parce que vous le pouvez, second point; et je ferai entrer dans ces deux points les diverses considérations énoncées dans les Irois premiers articles de ce chapitre. Si je veux traiter la dévotion à la sainte Vierge, je montrerai dans un premier point les motifs de cette dévotion, et dans un second point la pratique de celte dévotion, et toujours je pourrai faire entrer les mêmes consi-

* Avent,

J40 TUAITÈ DE LA PRÉDICATION.

dérations. En un mot, quel que soit le sujet, on peut presque toujours diviser ainsi la matière : // faut faire cela, premier point ; comment te faire ? second point. Cette division toute naturelle est aussi presque toujours la meilleure, et donne lieu aux développements les plus utiles.

§5.

Entre les commandements de Dieu, il en est deux qui offrent des difficultés toutes spéciales : ce sont le sixième et le neuvième -, le prêtre ne doit jamais les aborder qu'avec une secrète crainte de dépasser les limites de la prudence, soit parce qu'il doit à la sainteté de son caractère, de ses fonctions et de sa mission divine, de ne laisser échapper de ses lèvres que des paroles pures et chastes comme celles d'un séraphin, soit parce que rien n'est plus dangereux que d'arrêter les pensées des auditeurs, dans une assemblée composée de person- nes de tout âge et de tout sexe, sur ces matières lubriques. Quand il aura à les traiter, il priera auparavant l'Esprit-Saint de purifier ses lèvres comme celles du Prophète, et prendra un ton de décence et de gravité qui inspire une sainte réserve à tous les auditeurs. Puis, entrant dans son sujet, il pourra l'envisager sous deux faces oppo- sées, c'est-à-dire ou traiter la vertu de pureté ou attaquer le vice con- traire, et montrer les motifs et les moyens de pratiquer l'une ou de fuir l'autre, selon les indications données plus haut, art. 2 et 3. La première manière, qui consiste à traiter la vertu, est plus facile, moins dangereuse, et convient mieux à un jeune prêtre; la seconde, qui consiste à attaquer le vice, ne va guère qu'à un homme grave dont l'autorité et l'expérience couvrent la hardiesse des paroles. En traitant les motifs de la pureté, le prédicateur devra s'attacher à faire ressortir combien est belle cette vertu qui élève l'homme au- dessus de lui-même, qui le fait vivre de la vie des anges dans un corps de boue, qui lui vaut tant de grâces ici-bas et tant de gloire dans le ciel; il la fera admirer et chérir aux jeunes gens dans saint Louis deGonzage ou saint Stanislas Kostka, dans Berchmans ou Déca- logne; aux jeunes personnes, dans cette foule de vierges qui, pour se conserver pures, ont sacrifié leur vie avec un courage intrépide, ou ont embrassé les austérités du cloître, mais surtout dans Marie, la Reine des vierges, dont le nom seul exhale un parfum de pureté eéleste; et ces exemples, pourvu qu'ils soient racontés avec des paroles d'une chasteté angéliqueet entremêlés à propos de sentences morales, produiront de merveilleux efftes sur les cœurs. Après ces

MANIÈRE DE PRÊGHEK SUR LES VERTUS ET LES VICES. 3M

considérations si suaves tout devra êlre pur comme le ciel, viendra naturellement l'exposé des moyens de vivre dans la pureté, tels que la dévotion à la sainte Vierge, l'humilité et auties moyens indiqués au § 2 du présent article. En traitant les motifs de fuir le vice opposé, le prédicateur devra s'attacher à deux principaux, ses effets et ses châtiments . ses effets sont hideux ; car il dégrade et avilit l'homme, même à ses propres yeux; il flétrit dans le cœur tous les sentiments honnêtes; il profane un corps qui est le membre de Jésus-Christ et le temple de l'Esprit-Saint ; il engendre le dégoût de tous les devoirs, de Dieu même et de son service, fait mourir dans les âmes la charité à laquelle il substitue un égoïsme cruel et sans enlrailles, l'espérance qu'il remplace par le désir du néant et jus- qu'à la foi même dont la doctrine pure répugne à la corruption du cœur : Dixit insipiens in corde suo : Non est Deus. Ses châtiments sonl teri ibles ; de tous les vices, c'est celui qui excite au plus haut degré l'horreur et la vengeance de Dieu : de le déluge ensevehs- sant le genre humain sous ses eaux, quià caro est^; de le feu du ciel réduisant en cendres les villes corrompues de la Pentapole ; de tant de victimes de la mort avant l'âge, ou frappées subitement comme la foudre ; de tant de désordres dans les familles, tant de calamités privées et publiques. Enfin, en traitant les moyens de fuir ce vice, le prédicateur exposera ceux que nous avons indiqués pour la garde de la vertu contraire, mais s'altachera principalement à la nécessité d'éviter les occasions dangereuses, telles que les mau- vaises lectures, les rapports trop libres avec les personnes d'un autre sexe, la licence des regards et des paroles. A ces remarques nous n'avons plus qu'une observation à ajouter : c'est que pour ne pas s'écarter des limites de la prudence dans un sujet si délicat, le pré- dicateur devra prendre pour modèles le sermon de Bourdaloue sur l'impureté, et le discours de Massillon sur l'Enfant prodigue, et ne pas dépasser la réserve que se sont imposée ces deux grands maîtres de la chaire.

g 6.

Les auteurs qui ont le mieuv écrit sur les vertus chrétiennes sont Rodriguoz, Saint-Jure, saint François de S.des et (Irenade. On trou- vera dans le premier tout ce (ju'on peut dire de mieux sur les vei tus dont il traite.

* Gcnrs., vr, Z.

342 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

CHAPITRE IV

De la manière de prêcher sur les sacrements *

Pour bien traiter une matière si importante, il faut connaître: les considérations générales dont elle est susceptible; la forme à donner aux instructions sur ces graves sujets.

ARTICLE 1".

DES CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES QU'ON PEUT FAIRE SUR LES SACREMENTS.

Ces considérations ont pour objet de faire ressortir l'excellence des sacrements, leur nécessité, leurs avantoges, les dispositions qu'on y doit apporter et les défauts qu'on y doit éviler, les obligations qu'ils imposent et le sens des cérémonies par lesquelles ils se confèrent.

§ !''•

De la manière de faire ressortir rexcellence des sacrements.

On fait ressortir l'excellence des sacrements en montrant qu'ils ne sont point d'institution humaine comme les autres cérémonies de l'Église, si vénérables cependant à tant de titres ; qu'ils viennent du ciel même et ont Dieu pour auteur; qu'ils sont le canal par lequel Jésus-Christ nous communique les mérites de son sang, et répand sa grâce dans nos âmes; qu'enfin la manière dont ils opèrent mérite toute notre admiration et tout notre amour : un peu d'eau, d'huile ou de pain, quelques paroles, et par l'application de ces éléments si sim- ples, si communs, l'âme qui n'y met point d'obstacle est infaillible- ment purifiée, quelles que soient ses souillures. Digne de l'enfer et esclave hideuse du démon avant les paroles sacramentelles, elle apparaît tout à coup, dès qu'elles sont prononcées, digne du ciel, belle aux yeux de Dieu et de ses anges; ou, si déjà elle é<ait juste

3 Voyez Pastoral de Limoges, t. II, 11= partie, tit. ii, c. v.

MANIÈRE DE PRÊCHER SUR LES SACREMENTS. 543

auparavant, elle devient plus pure, riche d'un nouveau degré de grâce en ce monde et de l'espérance d'un nouveau degré de gloire dans l'autre. Quoi de plus merveilleux ! Outre ces titres d'excellence communs à tous les sacrements, chacun a les siens propres; par exemple, le Baptême, la Confirmation et l'Ordre impriment dans l'âme un caractère ineffaçahle, lequel sera pendant toute l'éternité comme une décoration magnifique, un insigne de gloire qui brillera au milieu des splendeurs du ciel, si la sainteté de la vie y a corres- pondu. Et que dire de l'excellence de l'Eucharistie, sacrement inef- fable qui renferme un monde de miracles, sacrement permanent par lequel un Dieu demeure avec nous et nous donne non-seulement sa grâce, mais l'auteur même de la grâce, qui choisit nos cœurs pour son paradis en terre, de sorte qu'autour de celui qui a communié, des légions d'anges sont prosternées adorant leur Dieu dans ce nouveau ciel son amour se plaît à habiter. Quelle riche matière à l'éloquence du prédicateur, et qu'il y a un beau champ pour faire ressortir la bonté, l'amour, la miséricorde de Dieu, qui met à des conditions si faciles le pardon des plus horribles offenses, qui verse si abondamment sa grâce dans les âmes, et enfin se donne tout entier lui-même !

Comment expliquer la nécessité des sacrements.

On peut distinguer ici trois sortes de nécessités, la nécessité de moyen, la nécessité de précepte, la nécessité que j'appellerai acci- dentelle. Un sacrement nécessaire de nécessité de moyen est celui qui, d'après l'institution divine, est le seul moyen que nous ayons d'arriver à la justification quand nous sommes en état de péché : c'est la planche de salut qui reste au naufragé ; il serait bien cou- pable, bien ennemi de lui-même s'il n'en profilait pas, et justement on lui appliquerait les paroles du Prophète : Perditio tua, Israël*- ! C'est la considération que doit développer le prédicateur en traitant soit le sacrement de pénitence, soit l'obligation de faire baptiser les enfants le plus tôt possible après la naissance, soit même l'exlrême- onclion, puisque, établie par Jésus-Christ comme supplémenl du sacrement de pénitence, elle a la vertu de remettre les péchés mor- tels qui n'auraient pas élè remis par ce sacrement, soit (pi'un n'eût pas pu le recevoir, soit (ju'on l'eût reçu invalidenient, soii qu'après

* Osée, XIII, 9

3U TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

l'avoir bien reçu on eiU commis un péché mortel dont on ne songe- lait pas à se confesser. Le prédicateur doit, en second lieu, faire ressortir la nécessité du précepte, en montrant : 1" que la bonté de Dieu ne se borne pas à nous offrir ses trésors ; son amour est si grand qu'il nous fait une loi de les recevoir : quelle ingratitude si nous refusons! qu'en désobéissant à Dieu dans un précepte si ai- mable, nous l'outrageons de la manière la plus sensible, nous le blessons au cœur, si l'on peut ainsi dire; et son amour, converti en colère par notre malice, nous menace de châtiments éternels. Enfin, le prédicateur fera ressortir la nécessité accidentelle des sa- crements, en montrant qu'ils sont pour plusieurs un secours néces- saire pour vaincre leurs mauvaises habitudes, résister aux tentations et opérer leur salut : combien se soutiendraient dans la vertu s'ils voulaient se confesser souvent, communier de temps en temps! Mais en se privant de ce secours, abandonnés à leur propre faiblesse, ils sont incapables de prendre le dessus sur le démon, sur eux-mêmes et les tentations qui les assiègent.

Comment expliquer les avantages que les sacrements confèrent à Vâme?

Il est très-important d'exposer ces avantages, afin de porter les âmes à l'amour de nos sacrements. Bourdaloue, dans sofl sermon pour le treizième dimanche après la Pentecôte, se plaint en parti- culier de ce qu'on parle trop peu aux fidèles des trésors inestimables que renferme le sacrement de pénitence ; et en conséquence il s'at- tache à prouver que la confession e,st à la fois le remède du péché et le préservntif contre la rechute. Conformément à l'exemple et au con- seil de ce roi des prédicateurs, on ne saurait trop expliquer aux fidèles les avantages des sacrements. Il en est deux principaux : ils confèrent à l'âme qui les reçoit dignement la grâce sanctifiante et la grâce sacramentelle.

Pour faire ressortir les avantages de la grâce sanctifiante, le pré- dicatenr pourra exposer d'abord l'excellence de celte grâce, don surnaturel qui nous élève à la participation de la sainteté divine, qui vaut le ciel môme, puisque Dieu ne peut pas le lui refuser, qui est le prix du sang de Jésus-Christ, qui nous fait l'ami de Dieu, l'hé- ritier de son royaume, le temple de son Saint-Esprit. Puis il mon- trera celte grâce comme source de tous les mérites : avant de la posséder, les actions les plus héroïques de l'homme ne pouvaient lui

5IAMÈP.E DE PP.ÉGIIER SUR LES SACREMEMS. 54".

être d'aucun mérite pour le ciel ; mais, une fois qu'il la possède, ses œuvres les plus communes, faites en vue de Dieu, leur valent un poids immense de gloire, et les moindres souiïrances d'ici-bas au- ront pour compensations des jouissnnces éternelles. Enfin le prédi- cateur exposera le bonlïeur d'une âme réconciliée avec Dieu par les sacrements, la paix et la joie de la bonne conscience qui se puisent dans ces vives sources de la grâce.

Pour faire ressortir ensuite les avantages de la grâce sacramentelle, il fera admirer l'infinie bonté de Dieu qui a ménagé dans chaque sacrement un secours spécial relatif aux diverses obligations de l'homme sur la Terre. Si par le baptême nous contractons l'obliga- tion de croire et de vivre en chrétien, ce sacrement nous confère, avec les vertus infuses de foi, d'espérance et de charité, le droit aux grâces dont nous aurons besoin plus tard pour remplir tous les de- voirs du christianisme. Si par la confirmation nous nous engageons à professer hautement la religion, nous recevons, en même temps, une grâce de force contre le respect humain, contre nous-même et contre le démon ; la pénitence aide notre ferme propos par une grâce spéciale contre la rechute ; l'Eucharistie soutient notre âme par son céleste aliment, amortit le foyer delà concupiscence, et dé- pose en nos corps le germe de l'imuiorlalité ; l'ordre et le mariage donnent les grâces pour vivre saintement dans les états difficiles ils nous placent ; et, enfin, rExIrême-Onction nous fortifie contre les épreuves de la maladie, contre les terreurs de la mort, prépare au dernier passage ou rend la santé si elle est utile au bien de l'âme. Or, quoi de plus intéressant que le développement de ces conso- lantes vérités, et combien ne sont-elles pas propres à faire sentir les avantages des sacrements!

Des dispositions qu'il faut apporter à la n'-ception des sacrements et des défauts qu'il y faut éviter.

Le prédicateur s'attachera à faire ressortir l'importance des dispo- sitions requises pour s'approcher des sacrements, en montrant que sans elles la réception du sacrement serait un sacrilège, et nous fe- rait puiser la mort dans les sources mêmes de la vie ; (pu; la mesure des dispositions est la mesure des grâces (pi'on reçoit, le sacrement oj)éranl [)his ou moins si>lon qu'ouest plus ou moins disposé; et qu'ainsi celui qui n'ap[)Oile que des dispositions médiocres se piive

550 TRAITE DE LA PRÉDICATION.

d'une partie des fruits que Dieu a allachés à la réception de ce sa- crement.

Après avoir traité l'importance des dispositions, il dira en quoi elles consistent ; et, là, il exposera avec soin et précision les dispo- sitions éloignées et les dispositions prochaines, les dispositions abso- lument nécessaires et les dispositions utiles et plus parfaites sans être nécessaires ; il dira en quoi consiste chaque disposition parti- culière, les moyens de l'acquérir, les défauts qui empêcheraient en- tièrement le fruit du sacrement, et ceux qui ne feraient que le rendre moindre.

Le détail 'de tous ces points nous mènerait trop loin ; l'énoncé seul les fait assez comprendre.

Des obligations qu'on contracte par la réception des sacrements.

Tous les sacrements portent avec eux des obligations particulières : la ptemière est celle de la reconnaissance pour un si grand bienfait; la seconde est de conserver précieusement la grâce reçue, en veil- lant sur son cœur pour ne pas la laisser enlever par le péché ; la troisième est de la faire fructifier par une correspondance exacte aux vues que Dieu s'est proposées en nous la donnant ; la quatrième est de remphr parfaitement les devoirs de l'état pour lequel le sacre- ment nous a été conféré. Le prédicateur doit développer toutes ces obligations et les faire ressortir avec force en montrant qu'il nous faudra rendre un compte rigoureux de toutes les grâces, et que si nous les laissons stériles en nous, elles tourneront à notre perte ; les bienfaits mêmes de Dieu deviendront les sujets de notre condam- nation.

§6.

Des cérémonies des sacrements.

Ces cérémonies sont une des matières de prédication les plus utiles; elles ont toutes un sens moral très-instructif pour qui sait les comprendre; le devoir du prédicateur est de les expliquer aux fi- dèles, da développer tout ce qu'elles ont de pieux, de loucliant, de propre à exciter la foi et la dévotion, et de montrer comment elles donnent l'intelligence du sens caché des sacrements, rappellent les bienfaits de Dieu, honorent ses grandeurs et relèvoiit son culte. Cette

MANIÈRE DE PRÊGHEU SUR LES SACREMENTS. 547

instruction sera reçue avec d'autant plus de plaisir qu'elle se ratta- chera à des signes sensibles que les fidèles s'estimeront heureux de comprendre, et qu'elle leur enseignera d'une manière plus facile à retenir tous les devoirs que le sacrement leur impose.

ARTICLE 2.

DE LA FORME A DONNER AUX INSTRUCTIONS SUR LES SACREMENTS.

Les instructions sur les sacrements s'adressent tantôt au public du haut de la chaire, tantôt aux particuliers dans l'administration même du sacrement. Nous allons traiter séparément ces deux cas.

§ 1".

Des instructions publiques sur les sacrements.

Si Ton n'a qu'une seule instruction à faire sur un sacrement, on peut diviser ainsi son sujet : Excellence du sacrement, premier point ; et sous cet énoncé on comprend son excellence proprement dite, sa nécessité et ses avantages; dispositions qii il demande^ se- cond point; ohligalions qu'il impose, troisième point; et, en traitant ces deux derniers points, on expose les cérémonies comme dévelop- pements et comme preuves de la doctrine.

Si l'on a plusieurs instructions à faire sur le même sacrement, les six paragraphes indiqués dans l'article précédent fournissent matière à six instructions et plus encore. Ainsi, par exemple, si je veux traiter le sacrement de pénitence, je puis facilement faire six instructions : la première traitera du précepte divin de la confession, des avantages d'une bonne confession, du crime de ceux qui ne se confessent pas ou qui se confessent mal. La seconde traitera de l'examen de conscience, et j'en ferai voir l'importance, j'en dirai les qualités, et j'exposerai la manière de le faire. La troisième trai- tera de la contrition; et encore j'en montrerai l'importance, j'en expliquerai les conditions, et j'enseignerai la manière de la former dans son cœur. La quatrième traitera du ferme propos et en fera con- naître la nature et la nécessité, les caractères et les marques. La cin- quième traitera de la confession, en dèveloppeia les qualités et exposera la manière de se confesser. La sixième, enfin, traitera de la satisfaction ou de la pénitence à laquelle nous sonnnes obligés, même pour les péchés pardonnes ; et là, réunissant avec la pénitence sacramentelle la pénitence laissée à notre; discrétion, j'exi)oserai son

358 THAITÈ DE LA mÉDICATION

importance, sa rigueur, cl la inanièro de la faire. Si je veux traiter rEuchai'istie, que de matières à instiuclions ne s'oUVent pas à la pensée! On pourrait, dans un premier discours, montrer l'obligatioii de communier et tout ce que cette obligation a de doux et d'aimable :, dans un second discours, faire ressortir l'outrage que la coniuiuuiou indigue fait à Jésus-Christ, et les maux qu'elle fait à l'homme; dans un troisième, exposer les avantages de la bonne cummunio:i et les dispositions pour bien communier; dans un quatrième, enfin, traiter la comnumion fréquente, et exposer sa nécessité pour plusiems, se> avantages pour tous, et ses conditions.

Pour remplir tous ces canevas ou autres semblables, on trouvera d'excellents matériaux dans les principaux auteurs de sermons ou d^' prônes, dans les catéchismes de Couturier, de M. de Lanlages et sur- tout du concile de Trente.

Des instructions à adresser aux particuliers clans l'administralion des sacrements.

Nous n'avons point à parler ici de la Confirmation et de l'Oidre : ceux qui seront un jour les ministres vénérés de ces deux sacrements sauront, mieux que nous ne pourrions l'indiquer, ce qu'il convient de dire en les administrant. Il s'agit donc uniquement ici des in- struclions que doit adresser le prêtre dans l'administration des sacre- ments de Baptême, de Mariage, de Pénitence, à une première com- munion, en donnant le viatique et l' Extrême-Onction. Une allocution instructive et pieuse est dans ces cas de la plus grande importance; les lîiluels de presque tous les diocèses la prescrivent; le prêtre ne peut avoir d'occasion plus favorable d'annoncer la parole de Dieu : ce sont même souvent les seuls cas il puisse faire entendre des paroles de foi et de salut à plusieurs qui ne viennent jamais à l'église hors de ces circonstances ; et serait en lui le zèle du salut des âmes, s'il manquait une occasion qui peut-être ne se représentera plus? Enfin, dans ces moments si sérieux on est mieux disposé à entendre parler de Dieu, si j'en excepte le Mariage, le prêtre, par la gravité du langage, doit suppléer à l'imperfection des dispositions.

Mais pour que ces instructions soient utiles, il faut d'abord qu'elles soient courtes, et fortes de choses en proportion de leur brièvelé- Elles ne doivent guère dépasser cinq à six minutes, excepté à la pre- mière communion, l'on peut parler pendant dix minutes avant et dix minutes après. 11 faut, en second lieu, qu'elles soient bien appro-

MANIÈRE DE PRÊCHER SUR LES SACREMENTS. ôiO

priées à la circonstance, et pour faciliter au prêtre l'accomplisse- ment de celte condition, nous allons parcourir les différents cas.

1" Pour un Baptême, il faut commencer par rappeler au recueil- lement l'esprit peut-être dissipé des auditeurs, en leur montrant le profond respect qui est au sacrement, et les grandes choses qui vont s'opérer dans l'enfant qu'on présente. D'esclave de Satan, il va devenir enfant de Dieu et de l'Église, héritier du ciel, temple du Saint-Esprit, pur comme un ange, plus grand que les anges par sa dignité de chrétien et son union avec Jésus-Christ. Mais aussi, et c'est la seconde réflexion, que de grandes obligations vont lui être imposées ! Obligation de renoncer au démon, à ses pompes et à ses œuvres, ol)ligation de vivre de la vie de Jésus-Christ : Quicmnque baptizati estis, Christum indiiistis^. 11 faut ensuite faire rentrer les auditeurs en eux-mêmes pour qu'ils jugent comment ils ont porté ce beau tiire de chrétien et en ont rempli les obligations, les inviter à renouveler les promesses de leur baptême avec la résolution d'y être plus fidèles, et rappeler aux parrains et marraines qu'ils y sont spé- cialement tenus, puisqu'ils vont faire haute profession de la foi au nom de l'enfant, promettre à Dieu qu'il exécutera les engagements qu'ils vont prendre en son nom, et s'obliger à y veiller.

2" Pour le Mariage, il faut : faire ressortir combien c'est un grand sacrement, tant parce qu'il représente l'union de Jésus-Christ avec son Eglise, que parce qu'il décide du bonheur de la vie entière, et même souvent de la vie éternelle, en unissant les destinées des deux époux par des liens indissolubles : quoi de plus grave, de plus digne de sérieuses réflexions ! il faut expliquer ce que les deux époux se doivent l'un à l'autre : le mari doit aimer son épouse comme Jésus-Christ a aimé son Église, l'honorer comme une partie de lui-même et avoir pour elle une bonté compatissante. L'épouse doit avoir pour son mari l'amitié et la complaisance, le respect et la soumission de l'Eglise pour Jésus-Christ ; tous deux doivent ne faire qu'un cœur et qu'une âme; s'assister dans leurs besoins, se suppor- ter dans leurs faiblesses ou leurs défauts, s'édifier par de bons exem- ples, s'aider par de bons avis et être l'un pour l'autre comme un nouvel ange gardien. 3" Il faut ajouter que si le ciel bénit leur ma- riage, ils devront élever leurs enfants dans la pratique et l'amour de la religion, que c'est une obligation dont ils sont redevables à Dieu, M riv,'lise, à la société, à eu.x-mômes, puisque leur bonheur en dépend.

» Galat., III, 27.

350 TIUITE DE LA PREDICATION.

5" Pour la Pénitence, il faut une exhortation courte, pleine de charité, qui ne contienne aucun reproche pénible à l'amour-propre, qui soit appropriée à l'intelligence, au caractère, aux besoins du pé- nitent, et réunisse le langage de la confiance à celui de la crainte. Celte exhortation doit contenir, sinon toujours, au moins le plus souvent : des avis sur la nécessité de se corriger des fautes accu- sées, et d'entrer dans une vie meilleure; les moyens et les pratiques les plus propres à réformer les défauts du pénitent, et à lui faire ac- quérir les vertus, comme la fuite des occasions, la fidélité aux exer- cices de piété, etc.. ; les motifs de contrition. On se sert utile- ment pour cette allocution de la considération du mystère ou de la fête qu'on célèbre et qu'on se prépare à célébrer.

L'exhortation d'avant la première communion doit contenir les actes préparatoires à la réception du sacrement, c'est-à-dire les actes de foi, d'humilité, de contrition, d'amour et de désir : il faut les présen- ter avec clarté et simplicité pour qu'ils soient à la portée des enfants, mais en même temps avec l'onction et la chaleur d'une âme forte- ment pénétrée. Après la communion, l'exhortation doit contenir une adoration humble mêlée d'admiration et d'amour pour le Dieu qui est en leur poitrine ; des remercîments pour une si grande grâce ; des prières pour tous leurs besoins : nul moment plus fa- vorable pour tout demander ; l'offrande de toute leur personne à ce Dieu si prodigue de lui-même, pour ne plus vivre que de son amour et selon son bon plaisir ; enfin la résolution de continuer à fréquen- ter les sacrements, à assister aux instructions, à fuir les occasions et compagnies dangereuses; et ici on fait une apostrophe aux pa- rents pour leur dire que ces enfants, si purs aujourd'hui, sont un trésor que l'Église leur confie, qu'ils en répondront devant le tribu- nal de Dieu, s'ils ne veillent pas à sa garde, et surtout s'ils allaient détourner ces chers enfants de la vertu par leurs discours ou leurs exemples.

Pour le viatique, l'exhortation d'avant et d'après doit contenir à peu près les mêmes actes dont nous venons de parler. On ajoute seulement auparavant quelques réflexions touchantes sur la bonté de Notre-Seignenr qui vient en personne visiter le malade, le conso- ler, le fortifier, nourrir son âme de sa chair et de son sang ; et après la communion, on l'engage à se tenir uni à Jésus souffrant sur la croix, à lui offrir sa maladie, à s'abandonner à la Providence, à lui redire souvent du fond du cœur : Fiat voluntas tua.

6" Enfin, pour l' Extrême-Onction, il faut faire admirer la bonté

MAMÈRE DE PRÊCHER SUR LA PRIÈRE. 351

de Notre-Seigneur qui a établi pour les malades un sacrement spé- cial, lequel a la vertu d'effacer ce qui pourrait rester encore des péchés de la vie passée, de fortifier contre les tentations, de don- ner grâce et courage pour souffrir avec patience et mérite les dou- leurs de la maladie, et même de rendre la santé si cela est utile au salut ; quel amour, quel tendre intérêt de la part de Jésus-Christ pour ses membres souffrants, et avec quelle reconnaissance, quel bonheur ne doit-on pas recevoir un sacrement si précieux ! Il faut inspirer au malade l'esprit de pénitence et de componction, l'invi- ter à demander à Dieu, pendant l'onction de chaque sens, pardon des fautes qu'il a commises par ce même sens, et tout à la fois l'engager à concevoir une grande confiance dans les mérites de Jésus-Christ, qui vont lui être appliqués par la vertu du sacre- ment.

CHAPITRE V

De la manière de prêclier sur la priè^'e '.

Nous entendons ici par la prière tous les devoirs et hommages qui constituent le culte intérieur à Dieu, parce que telle est l'ac- ception commune de ce mot, bien différente de son sens rigoureux et grammatical qui ne comprend que la demande. Or, il est peu de sujets sur lesquels il soit plus essentiel d'instruire les fidèles, parce que l'homme étant obligé de rendre à Dieu ses devoirs d'adoration et d'amour, et ayant d'un autre côté tant de grâces temporelles et spirituelles à demander, il a besoin de connaître à fond tout ce qui regarde cet important sujet, afin de savoir adresser à son Créateur des hommages qui l'honorent et des supplications dignes d'être exaucées. Les instructions à faire sur cette matière sont de deux sortes : les unes regardent la prière en général, les autres ont pour objet les prières particulières. Nous traiterons successivement des unes et des autres.

* Yojez Pastoral de Liinot,'-Gs, t. II, 1^ l'îirlie, tit. n, c. vi.

352 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

ARTICLE I«.

DE l'iNSTHUCTION SUP. LA PRIÈRE EN GÉNÉRAL.

Trois sujets s'offrent ici à traiter, tous d'une égale importance : i" les motifs qui doivent nous porter à prier; ce qu'il faut de- mander dans la prière ; les conditions ou qualités de la bonne prière.

§ 1".

Les motifs de prier peuvent se réduire à trois : ce sont la néces- sité, l'efficacité et les consolations de la prière. On prouve la nécessité de la prière par quatre chefs de preuve ; le premier est l'obligation naturelle imposée à tous d'adorer, de remercier, de louer Dieu et de lui demander pardon , le second, c'est la loi posi- tive que Jésus-Christ a faite de la prière ; le troisième, c'est l'im- puissance où nous sommes d'accomplir les préceptes, de vaincre les tentations, de faire quoi que ce soit de méritoire, de nous sauver en un mot sans la grâce, laquelle ne s'accorde ordinairement qu'à la prière ; la quatrième enfin se déduit de tout ce que nous avons à de- mander à Dieu, soit pour iiolie vie temporelle, hoit en faveur des personnes qui nous sont chères, de nos parents, de la société en- tière. — Quand même la prière ne serait pas aussi absolument nécessaire qu'elle l'est en effet, tant d'efficacité lui est promise que cela seul devrait suffire pour nous e.Kciter à prier. Si un roi avait promis d'accorder tout ce qu'on lui demanderait, en faudrait-il da- vantage pour exciter ses sujets à lui adresser des requêtes ? Or, c'est précisément ce que Dieu a promis à la prière : ces promesses sont réitérées en cent endroits de l'Écriture : elles sont munies de l'autorité du serment : Ameji, amen dico vobis ^ clies embrassent tout ce que nous pouvons chrétiennement vouloir : Quodcumqiie vo- hieritis petetis et fiet vobis^ ; elles sont laites pour tous sans dis- tinction de petits et de grands : Priîicipis aiires paucis patent, dit saint Ghrysostome, Dei vero omnibus volentibus. Elles n'excluent pas même les plus grands pécheurs ; témoin le publicain à la porte du temple ; ce qui fait dire à l'Apôtre que Dieu est riche envers tous ceux qui l'invoquent : Dives in omnes qui invocant i[lum'\ Dieu y a donc engagé sa parole, il ne peut rien refuser à la prière, et elle lui

* Joaun , XIV, 12 et secj. « Idem, xv, 7. ^ Rom., x, 12.

MANIÈRE DE PRÊCHER SUR LA PRIÈRE. 553

fais violence, selon l'expression de saint Jean Cliraaque : Oratio vim Deo infert. Seulement, ilfant l'aire observer aux fidèles que Dieu ne manque pas à sa promesse quand il ne fait pas à l'instant uiême ce que nous lui iemandons, soit parce que souvent nos prières n'ont p;!s les qualités voulues, soit parce que la faveur que nous sollici- tons, tantôt n'est pas ce qui est le meilleur pour nous, tantôt nous sera plus utilement accordée plus tard, de sorte que Dieu sert mieux nos intérêts, en ne faisant pas à l'instant ce que nous deman- dons ; et c'est nous exaucer dans mi sens plus excellent : le délai même a souvent l'avantage d'exciter en nous le désir et l'estime des biens de Dieu, et de nous provoquer à prier avec plus de ferveur. Les consolations de la prière sont un troisième motif de nous appliquer à ce saint exercice : l'expérience démontre que c'est dans la prière que l'âme affligée trouve sa consolation, l'âme fervente les plus purs plaisirs de la vie, toute âme chrétienne le calme des pas- sions, le goût de la vertu et le bonheur attaché à l'innocence. Le pré- dicateur, en développant ces pensées, fera bien de recommander la pratique des oraisons jaculatoires qui attirent tant de grâces à l'âme et l'unissent à Dieu.

Après avoir ainsi exposé les motifs de prier, une autre question se présente : que pouvons-nous demander dans nos prières? Nous pouvons demander : l°tout ce qui est nécessaire ou utile à notre ânje ; 2* la délivrance des maux temporels en tant qu'il est expé- dient pour notre salut que nous en soyons délivrés; tout ce dont nous avons besoin pour la vie du corps et pour la position sociale ({ue la Providence nous a faite ; toutes ces mêmes grâces pour le prochain, le bien de i'l']glise et de la société ; enfin tout ce qui inté- resse la gloire de Dieu et la propagation du royaume de Jésus-Christ, Toute demande en dehors de ces indications ne doit pas entrer dans nos prières, et ne serait pas exaucée.

§3.

Les motifs et l'objet de la prière ainsi exposés, il ne reste plus qu'à en dire les qualités. Ces qualités sont : l'Me respect extérieur et intérieur pour la majesté de Dieu, et par conséquent l'attention au sens des paroles qu'on prononce, ou du moins à quel(|ue peii" sée pieuse propre à honorer Dieu; 2'M'humilitè inspirée par un

25

oOi TRAITE DE LA TREDICATION

seiiliiiient profond do nos misères, et par une foi vivo des gran- deurs de celui à qui nous parlons; 5" la confiance dans la miséri- corde divine 'et dans les promesses faites à ceux qui prient comme il faut ; un grand désir d'être exaucé ; 5" la persévérance dans la prière.

ARTICLE 2.

DE l'instruction SUR LES PRIÈRES PARTICULIÈRES.

La plupart des fidèles ne comprennent rien aux prières qu'ils font, par exemple, à l'Oraison dominicale, à la Salutation angèlique, aux actes des vertus théologales, aux prières du matin et du soir, au signe de la croix ; et de vient qu'ils récitent ces prières sans piété comme sans attention; leur culte est tout machinal, tout dans le mouvement des lèvres ; ce n'est point le culte en esprit et en vérité. II est donc très-iinporlant, pour prévenir ou corriger ce mal, de faire des instructions sur les prières particulières les plus ordinaires aux fidèles ; et voici les règles à suivre en cette matière : I" Il faut expliquer le sens de tous les mots de la prière, de sorte qu'il n'en reste pas un seul incompris pour les auditeurs. 2" 11 faut faire res- sortir l'excellence et la heautô de celte prière. 5" I! faut indiquer les sentiments pieux et les saintes affections qui en doivent accompa- gner la récitation. 4" Il faut les engager à repasser souvent dans leur esprit les explications données , en redisant lentement cette même prière, et s'arrêtant à goûter ce que chaque mot hien compris leur inspire de pieux et d'utile.

CHAPITRE YI

Des panégyriques des saints '.

* Il faut bien distinguer le panégyrique d'un saint d'avec son his- * toire : celle-ci s'applique à faire connaître toutes les actions et les

* Voyez le P. Albert, II» part., c. xi. Pastoral de Limoges, t. II, II' piirt., tit. Il, c. IV. Grenade, liv. IV, c. iv et v.

PANÉGYRIQUES DES SAINTS ôôô

* circonstances de sa vie; mais le panégyrique ne parle que de ce

* qui est sujet d'édification ; il indique à peine en passant les actions

* qui ont rendu son héros célèbre ; et il insiste sur les moyens qui

* l'ont sanctifié, pour montrer aux peuples combien il est digne de

* leur faire comprendre en quoi consiste la véritable sainteté, leur

* prouver qu'ils peuvent, qu'ils doivent l'acquérii', et les y txcilor

* par ce qu'il y a de phis puissant sur le cœur de l'houime,

* l'exemple et la récompense. Ainsi le panégyrique ne loue les

* saints que dans un double but : le premier, d'engager les peuples à *les honorer et les invoquer; le second, de porter les auditeurs à

* la vertu en leur offrant des modèles qui les instruisent et les ani-

* ment à la fois ^ Tout ce qui ne se rapporte pas à cette double fin,

* ou la dévotion envers le saint ou l'imitation de ses exemples, est

* un hors-d'œuvre dans le panégyrique et doit en être sévèrement

* élagué.

* De celte notion du panégyrique, il est facile d'en inférer les

* grands avantages : des exenjples de piété et de vertu s'écoutent

* plus volontiers, excitent plus d'intérêt, font plus d'impression sur *les cœurs et se retiennent mieux que toutes les réflexions. Souvent

* des hommes que les exhortations les plus véliémentes avaient

* trouvés insensibles ont été gagnés et convertis par les grands

* exemples des saints : il semblait qu'en leur montrant la voie que

* ceux-ci ont suivie on en ôtait les épines, que la pratique de la

* vertu n'était plus pour eux aussi difficile, et qu'ils pouvaient bien

* ce que d'autres avaient pu: Qiiod isti cur non ego? C'était ce qui

* faisait dire à saint Augustin : Solemnitates marlynim exhortationes

* martijriorum siuit^ ; et à saint Basile: Hœc est maairjrum vera

* laus alios ad eorum virtutem xmiUandam invitare ^. Aussi voyons-

* nous que les Pères se plaisaient à présenter au peuple les pané-

* gyriques des saints : saint Cyprien a fait les panégyriques des pre-

* miers martyrs, et il y déploie une éloquence qui ne le cède ea

* rien à Cicéron et à Démosthènes. Saint Basile, saint Grégoire de *Nazianze, saint Chrysostome, saint Augustin, nous ont aussi laissé

* un grand nombre de panégyriques ; et cet exemple est digne d'ètrcj imité. Toutes les fois que l'Église honore un saint d'un culte so-

* lenneî, il est dans les convenances de prendre pour matière de

* prédication le panégyrique de ce saint : toute autre matière serai

* Ut et mis débit us honor dicetnr, et nobis virtittis rxempla monstrcntur. S. Cluys., t. III, scrm. i de Marlii.

* Serm., 47, de Sanct. ' Uom. 20, iii quadraginta Martyres.

356 TRAITE DE LA PREDICATION.

* contraire à l'esprit de l'Église, tromperait ratlente des fidèles,

* affligerait leur piété, et leur serait beaucoup moins utile. 11 est

* même bon de choisir de temps en temps, le dimanche, pour sujet

* d'instruction, le panégyrique du saint le plus remarquable qui se

* trouve dans la semaine. 11 est tellement dans la nature de tous

* les hommes d'aimer à entendre raconter des histoires, que ce genre

* de prédication ne peut être que très-agréable autant qu'utilraux ■* auditeurs.

* Pour réussir dans le panégyrique, il faut connaître : l°les sources

* d'où se tire l'éloge des saints; la manière de le présenter; 5" les

* ornements que comporte ce genre de discours. Ce sera le sujet de ■* trois articles.

ARTICLE 1".

DES SOURCES d'oC SE TIRE l'ÉLOGE DES SAINTS.

Il est cinq sources principales d'où Ton peut tirer l'éloge des saints. On le déduit: de la position ils se sont trouvés; des actions qu'ils ont faites; 3" des intentions qu'ils ont eues ; 4" des pa- roles qu'ils ont dites ou qu'on peut leur appliquer ; des comparai- sons ou parallèles avec d'autres hommes.

L'éloge des saints se tire de la position ils se sont trouvés. Les circonstances de position font, en effet, merveilleusement ressortir leur vertu, soit lorsqu'à raison de ces circonstances la vertu leur a été beaucoup plus difficile et a exigé d'eux un plus grand courage, soit lorsque jouissant ou pouvant jouir des avantages temporels de la naissance, de la fortune et des talents, ils en ont fait un saint usage ou un généreux mépris, plaçant en première ligne leur sanc- tification et regardant tout le reste comme de la boue. Ainsi, par exemple, c'est un grand sujet d'éloge d'avoir été vertueux au sein d'une famille idolâtre ou sans reHgion, comme saint Martin; d'avoir eu le courage du martyre étant encore dans un âge tendre, comme sainte Agnès ; d'avoir été humble au milieu des grandeurs, mortifié parmi les délices , recueiUi au milieu de mille affaires , comme saint Louis f de s'être plu dans la pauvreté et l'ignominie lorsqu'on pouvait être riche et honoré, comme saint Alexis ; d'avoir vécu dans l'opulence et d'avoir consacré à Dieu toutes ses richesses jusqu'à être plus pauvre que les pauvres eux-mêmes pour l'amour de Jésus-

PANÉGYRIQUES DES SAINTS. 357

Christ, comme sainte Paule, au témoignage de saint Jérôme. Mais le prédicateur ne doit rapporter ces circonstances de position qu'au- tant qu'elles servent à relever la sainteté : s'il paraissait les appré- cier comme le monde, il dérogerait à son caractère de ministre de l'Évangile, qui n'estime les choses que d'après le mérite qu'elles ont devant Dieu.

L'éloge des saints se tire des actions qu'ils ont faites ; et ici il faut : i" faire un choix des actions principales, sacrifiant les traits moins importants, du moins les effleurant légèrement ou se bornant à les indiquer en masse; dans ce choix, il faut s'attacher beaucoup plus à l'imitable qu'à l'admirable, à l'édification des peuples qu'à la gloire des saints, aux actions de vertu qu'aux faits miraculeux qui ont étonné l'univers. C'est une erreur du monde d'attacher la sain- teté à des actions extraordinaires, et de n'estimer dans les saints que les faits qui portent le cachet du merveilleux. Le prédicateur doit détruire ce préjugé et apprendre aux fidèles que la sainteté consiste dans les vertus cachées et qui paraissent communes, dans cette piété uniforme et constante, sans éclat extérieur, qui suit toujours d'un pas égal la route du devoir, qui est exacte dans les petites choses aussi bien que dans les grandes, se prépare à celles-ci par la fidélité à celles-là, et anime les unes et les autres par une foi vive et une ardente chanté. Le choix des actions ainsi fait, on les relève par l'étude des circonstances qui les ont précédées, accompagnées ou suivies, comme le temps, le heu, la manière, l'occasion, etc.. QuiSy quid, uhi, etc. C'est par ce procédé que saint Chrysostome relève la victoire du chaste Joseph : 1" il était à la fleur de l'âge, à cette époque de la vie les passions sont plus fortes et la raison plus faible ; 2" la femme de Putiphar lui propose le crime dans un heu secret et éloigné de tous les regards ; 3* c'était pendant l'absence de son mari ; i" toutes les précautions étaient prises pour que personne, ni de la maison ni du dehors, n'en sût rien ; 5" Joseph était esclave, et c'était une personne riche et puissante qui le tentait ; 0" c'était la maltresse de la maison qui, s'il ne conschtait, allait le diffamer et le perdre, et malgré tout cela le saint jeune hounne triomphe de la tentation, retenu par la crainte de l>ieu et la pensée de son devoir.

558 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

§3.

On déduit l'éloge des saints des intentions qu'ils ont eues dans toute leur conduite. En effet, leur plus grand mérite n'est pas dans les actions extérieures, qui ne sont, en quelque sorte, que l'écorce de la vertu, mais bien dans les intentions ou dispositions intérieures qui ont animé ces actions et en ont fait des œuvres saintes. Voilà ce qui constitue le vrai mérite aux yeux de Dieu. Hommes vident ea qux jmrent, Deus autem intuetur cor. Le panégyriste doit donc pénétrer dans les dispositions intérieures des saints, se rendre compte de leurs intentions, de leurs vues de foi, de leur grand désir de plaire à Dieu en toutes choses, et révéler aux fidèles ces secrets de leur belle âme.

§4.

Les paroles qu'ont dites les saints ou qu'on peut leur appliquer peuvent servir beaucoup à leur éloge. Il y a une grâce particulière et comme un parfum de piété attachés aux paroles des saints ; elles sont l'expression de la beauté de leur âme, elles portent avec elles lumière et oiiclion, et se retiennent avec autant de facilité que de plaisir. Le prédicateur peut donc utilement en enrichir son dis- coui^s. 11 peut même souvent appliquer à son héros les paroles de l'Écriture ou de la tradition, par le moyen de cette formule ou autre équivalente : Notre saint avait appris des livres sacrés, de saint Augustin, de saint Chrijsostome, etc.. , que...., et on cite ici leurs paroles. Par là, le panégyrique se trouve nourri des plus belles maximes de l'Écriture et des Pères, fort d'autorité et de doc- trine.

Les comparaisons et les parallèles sont une riche source d'éloges, et le panégyi iste ne peut rien trouver de plus propre à faire ressortir les vertus de son héros. Ces comparaisons peuvent se faire de trois manières, ou par opposition, ou par ressemblance, ou par dissem- blance : par opposition, si, par exemple, je compare les senti- ments, les paroles et les actions du saint dont je fais i'éloge avec les sentiments, les paroles et les actions des hommes du monde, et que par le contraste qui ressort de cette comparaison, je rehausse le courage et la sagesse des saints, leurs vues plus hautes, leurs sen- timents plus généreux et plus nobles ; 2" par ressemblance, si, par

PANE'jYP.IQLIES des SALMS. 5.!)0

exemple, j'expose quelques traits de grande vertu d'un autre saint, pour montrer ensuite que le saint que je célèbre, ou a égalé cotte vertu ou s'en est apjtroclié : Alios exxquavit, ab aliis parùm ahfait, dit saint Grégoire de Nazianze, dans l'éloge de saint Alhanase; par dissemblance, en relevant telle action de mon héros, non plus seulement au niveau, mais au-dessus de quelque belle action d'un autre, comme quand saint Grégoire de Nazianze relève l'action de la mère des Macliabùes qui offie au martyre ses sept enfants au- dessus du sacrifice d'Abraham : 0 sacrifïcium AbraJix sncrificio majus ac pvxstantius! Nam ille unnm obtulit, hxc autem foimlum nniversum filiornm Deo consecravit. Il faut seulement éviter cer- tains écarts dans ces comparaisons : on ne doit point présenter le saint qu'on loue comme le plus grand saint du paradis ; de telles exagérations sont inutiles à la louange des saints, à l'édification des auditeurs, et dépourvues d'ailleurs de tout fondement, puisque per- sonne ne peut connaître la mesure de celte charité qui seule gradue les saints dans la gloire. 2" On ne doit point rabaisser le saint avec qui l'on compare son héros; il vaut mieux, au contraire, le relever autant qu'on le peut, puisque plus il sera élevé, plus lu gloire de celui qu'on lui compare sera grande. C'est d'ailleurs manquer de respect aux saints que de les déprimer pour en louer un autre, et de ne les faire entrer dans son tableau que comme des ombres. On ne doit jamais rehausser la sainteté de son héros au-dessus de celle de Jésus-Christ, de la sainte Vierge ou des Apôtres: il y a de la sain- teté des saints à celle de Jésus Christ une distance infinie, à celle de la sainte Vierge une distance indéfinie, à celle des Apôtres une dislance toujours appréciable, parce que, comncele dit saint Tho- mas, leur grâce a été plus abondante : Acceperiint cxteris abundan- tius.

ARTICLE 2.

PE I.A MANltr.E DE l'RÉSENTEU l'ÉLOGE DES SAI.NTS.

Nous pouvons dihtingiu'r le fond et la forme du discours. 1" Pour le fond, il faut s'attacher à montrer, dans le saint qu'on honore, les vertus (pie les auditeurs ptïuvent mieux pratiquer dans leur posi- tion, et si l'on traite les autres vertus qui leur reviennent peu, leur expliquer ce qu'ils peuvent f.iin! pour approcher au moins de ce qu'ils ne peuvent imiter. 11 lanl surtout faire l'essoitii- eelte. vérité, que les saints ont rempli les obligations de leur état avec une lidé-

360 TRAITÉ DE L.\ PRÉDICATION.

lité parfaite, qu'en cela consiste la sainteté, et qu'ils ne sont arrivés à une éminente perfection que par l'exactitude aux petits devoirs, aux vertus communes dont la pratique est de chaque jour. Si l'on célèbre les miracles ou les dons extraordinaires de son héros, il faut en tirer des arguments pour confirmer la foi des auditeurs, mon- trer la puissance de Dieu, le crédit du saint dans le ciel, et porter tous les cœurs à la confiance en sa protection, en observant, toute- fois, que cette confiance ne nous sauvera qu'autant que nous imite- rons ses exemples ; et, alors, il faut exposer fortement et briève- ment les motifs de pratiquer les vertus particulières que nous aurons montrées en lui.

On peut donner au panégyrique ou la forme morale ou la forme historique.

La forme morale consiste à diviser le panégyrique en deux ou trois vertus dans lesquelles le saint a excellé, ou à s'arrêter à une seule qui a fait son caractère propre. Si l'on choisit deux ou trois vertus, voici un exemple de la manière de procéder apphquée au panégy- rique de saint Louis : L'humilité de ce saint roi, au milieu des hon- neurs, peut-on dire, 7ious apprend comment nous devons être humbles, premier point ; sa mortification au milieu des délices de la cour, combien nous devons être réservés dans l'usage des jouissances des sens, second point ; son détachement dans V abondance, combien nous devons être dégagés de toute affectioji aux biens de cemonde, troisième point ; et pour peu qu'on ait à dire sur chacune de ces vertus et sur les circonstances dans lesquelles le saint les a pratiquées, onremplira facilement et utilement chacun de ces trois points, surtout si l'on traite la nature, les caractères, les marques et les effets de ces vertus, les motifs et les moyens de les pratiquer selon les indications données au chapitre 111. Si l'on veut, au contraire, s'arrêter à une seule vertu qui soit comme le caractère propre du saint, par exemple, la douceur dans saint François de Sales, le zèle dans les apôtres, la force dans les martyrs, la pureté dans les vierges, l'amour des pauvres et de la pauvreté dans saint Thomas de Villeneuve, le mépris du monde dans saint Bruno et saint François de Borgia, on peut, 1" rattacher tous les traits de la vie du saint à cette seule idée, et dire par exemple : Saint François de Sales, par la force de sa douceur, triomphe de Vhérésie, premier point; par l onction de sa douceur rétablit la piété dans l'Église, second point. On peut, rattacher la vie dusaint à quelques-unes des indications propres à expliquer la nature de la vertu, telle que nous les avons données à l'article 1" du chapitre 111 :

PANÉGYRIQUES DES SAINTS. 361

ainsi, par exemple, si j'ai à faire le panégyrique de saint André, dont le caractère est l'amour de la croix, j'indiquerai, d'après saint Ber- nard, les trois degrés de cet amour, qui sont de souffrir sans murmure, patienter; avec égalité d'âme, lihenter ; avec joie, gau- denter : et je montrerai que saint André nous apprend à porter la croix en ces trois manières. On peut, faire entrer dans le panég\-- rique tout ce qui regarde la vertu spéciale qu'on a choisie, c'est-à- dire sa nature, ses motifs et ses moyens, comme nous l'avons expliqué au chapitre 111, et montrer que le saint a pratiqué excellemment cette vertu, quels sont les motifs qui l'ont porté à cette pratique, par quels moyens il est arrivé à la perfection de cette vertu. A l'aide de ces principes, je puis facilement faire le panégyrique d'un saint dont même je ne connaîtrais nullement la vie ; ainsi, je suppose que j'aie à faire le panégyrique d'un martyr inconnu, je puis choisir l'amour de Dieu comme sa vertu propre, montrer que le véritable amour est l'amour pratique qui se manifeste par les œuvres, l'amour généreux qui met Dieu au-dessus de tout, l'amour fervent qui se réjouit d'avoir de grands sacrifices à faire pour Dieu ; puis je montrerai que le saint a eu ce triple amour, que tous les chrétiens doivent l'avoir de même, et je donnerai les moyens d'y arriver. 4" On peut dire encore: Jusqu'à quel degré le saint a porté cette vertu? premier point; quelle est la récompense dont Dieu a couronné sa vertu? second point *.

Outre la forme morale, le panégyrique peut encore se présenter sous la forme historique, laquelle consiste à diviser le discours d'après les différentes époques ou les divers états de la vie du saint ; d'après les différentes époques; ainsi on peut considérer le saint dans son enfance, sa vie et sa mort, comme l'a fait l'abbé Clémciit dans le panégyrique de saint Nicolas, qu'il divise ainsi : Ce saint a été un miracle de piété dès sa première enfance, premier point ; 2in miracle de charité dans toute la suite de sa vie, second point; un miracle de foi à la fin de ses jours, troisième point. On peut encore considérer le saint dans sa jeunesse, son âge mûr etsa vieillesse, on, si ses premières années ont été entachées de quelques fautes, mon- trer : r la promptitude de sa conversion, il a obéi sans délai à la grâce; 2' la solidité dosa conversion, il n'est pUis retombé; 5" la perfection de sa conversion, il s'est élevé à la plus haute vertu. Division qui peut s'appliquer à un panégyrique de saint Augustin, de

* Voyez le panégyTique de S. Louis, par Bourdaloue, modèle du genre po'-ir plan.

zi'i i;;m:i. wi: \\ 1'[;i.ii!(.ati(i.n.

s;iiiiti' i\Iat;(lt'I('iiit>, e\ iiiôiiic de saiiil l'iuil. On peut diviser le paiit*'gyrif|ue d'iiprès les dilTérenls (Mnls le saint s'est trouvé, et t'onsidoror son héros, par exemple, dans le monde, dans la vie reli- gieuse, daus la prélatine; mais alors il faut bien se garder dt; parler dos défauts des religieux ou des ecclésiastiques, sous prétexte de relover ki <,Moire du saint : cela malédifierait les auditeurs.

Nous observerons en finissant cet article, que, quelle que soit la forme de panéi,'yrique qu'on adopte, il ne faut pas multiplier et étendre plus qu'il n'est nécessaire les réilexions morales : on étouf- ferait ainsi et on ferait comme disparaîti'C la vie du saint sous cet amas de moralités. 11 vaut mieux mettre son héios parlant et agissant sous les yeux des auditeurs, par un récit de ses belles actions, concis, serré, vif et plein de mouvements; voilà ce qui donne du corps et de la force à un éloge, ce qui instruit et ce qui touche. Lorsque le sujet du panégyrique est fécond en événements, la morale ne doit même naître que du récit sans l'interrompre. Nous obser- verons, 2° qu'il ne faut pas craindre d'entrer dans les détails de la vie du saint qui peuvent édifier les auditeurs : ce sont ces détails-là même qui rendent le discours plus ulde. Il faut seulement éviter de montrer aux peuples une perfection plus admirable qu'imitable ; ce itérait les désespérer et nuire au (ruil du panégyrique. Enfin, nous observerons, 7f qu'il ne faut ni s'aslreindre trop rigoureusement à l'ordre chronologique, ce qui glacerait le récit en sacrifiant la marche oratoire au calcul des dates, ni s'en écarter trop visiblement de manière à être obligé de revenir sur ses pas, comme a fait Mascaron, qui, après avoir raconté la mort de Turenne dans la première partie, expose dans la seconde divers traits de sa vie.

ARTICLE o.

DES ORNEMENTS (,)UE COMPORTE LE PANÉGVniQLE.

Ce genre de discours admet le style élégant et fleuri, et même le style élevé et pompeux, comme inspiré par le saint enthousiasme du prédicateur qui a médité son héros et vient avec une pieuse ostenta- tion communiquer à ses auditeurs l'admiration dont il est pénétré. L'éloge est une couronne; il est permis de l'orner de fleurs, et même de diamants si l'on peut. Cependant tout ne doit pas être également semé d'ornements; il faut de la variété ; un discours tout brille- rait finirait par éblouir, et déplairait à force de vouloir plaire : il faut des ombres pour faire mieux paraître les traits qui doivent frapper.

PANEGYRIQUES DES SAINTS. 563

Les grandes actions demandent beaucoup d'ornements; celles qui sont moins importantes veulent être moins ornées ; mais toujours il faut une sainte gravité qui corresponde à la vie grave et édifiante du héros, une éloquence noble, éloignée de toute alfectittion, qui doive sa beauté plutôt aux choses qu'aux mots, plutôt à la matière traitée qu'à l'esprit de l'orateur.

Voilà ce que peut être le panégyrique ; mais il n'est point rigou- reusement nécessaire qu'il soit tel ; et, quoiqu'il soit permis d'y employer toutes les richesses de l'éloquence, on peut aussi le pré- senter dans le langage le plus simple. Car, dit saint Basile*, l'école du christianisme ne suit point en celte partie les préceptes et les régies des rhéteurs : les vertus des saints n'ont pas besoin des orne- menls et des fleurs de l'éloquence humaine; elles brillent assez par leur propre éclat, et le narré simple et sans art qu'en fait le prédi- cateur suffit à la louange du héros chrétien, comme à l'édification, des auditeurs : Sacra Schola, dit le saint docieur, prxceptarhetorum aiU instiluta non seqiiitur : niidam rerum expositionem pro encomio habet, quam sanctis et nohis sntis esse exislimat. D'après ce principe, un bon prêtre, quelque occupé qu'il soit par les travaux du ministère, peut donner souvent pour instruction à son peuple les panégyriques des saints. 11 raconte avec simplicité les traits édifiants qui embellis- sent leur vie; il y ajoute quelques réflexions morales, tire des consé- quences pratiques ; et cette méthode, plus facile que les panégyri- ques solennels, est souvent plus utile.

Si, du reste, le prêtre désire dos modèles pour se former à ce genre d'instruction, l'antiquité lui en offrira des plus magnifiques dans saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Chrysostome; et la chaire française, dans Fléchier, Bourdaloue, Bossuet, Ségaud et de Larue.

CHAPITRE YII

UcM discours pour vt-tureH et professions religieuses.

On fait ordinairement un discours à la cérémonie de la prise d'habit et de la profession d'une religieuse : on i)eut réduire à ciiui chefs

1 Unit. XMX, i:i (idiiliMi

564 TRAITE DE LA PREDICATION.

principaux les idées qui doivent entrer dans ces sortes de discours.

On félicite la religieuse de ce qu'elle quitte le monde : car le monde est, une vanité, une fleur qui se fane, une vapeur qui dis- paraît, un songe qui s'évanouit; une mer remplie d'écueils, le salut est difficile, la vertu même fait souvent naufrage; une source de peines, de mécomptes, de chagrins et d'amertumes. Le monde ne fait que des malheureux ^

2" On la félicite de ce qu'elle entre en religion. On lui en fait voir les avantages, les douceurs, les consolations. Des plaisirs purs, les joies de l'Esprit-Saint, l'onction de la grâce, l'espérance de la glon^e, adoucissent les privations du cloître.

On lui développe les engagements de l'état religieux, qui consis- tent à sacrifier à Dieu ses biens par un dépouillement sans réserve, ses sens par une pureté sans tache et des mortifications constantes, son cœur et sa volonté par une obéissance entière.

On l'exhorte à avancer de jour en jour dans les voies de la per- fection, parle recueillement, le silence, les exercices de piété, l'imi- tation des beaux exemples qu'elle aura sous les yeux.

On finit par une exhortation aux assistants, où, après leur avoir fait admirer le sacrifice de la personne qui entre en religion, on les invite à profiter de cet exemple, à imiter par les dispositions de leur cœur ce que celte vierge prudente va faire à la face du ciel et de la terre, c'est-à-dire à quitter d'affection tous les biens de ce monde, à renoncer aux plaisirs des sens, à mourir à toutes les choses créées, comme on voudrait l'avoir fait à l'heure de la mort, et à renouveler dans ses dispositions les promesses de leur baptême.

Voici quelques modèles des divisions qu'on peut adopter dans ce genre de discours :

1" Modèle. Les uns condamnent la personne qui entre en reli- gion ; et ceux-là il faut les confondre en leur faisant voir la sagesse d'une telle détermination, premier point ; les autres la plaignent, et ceux-là il faut les éclairer en leur faisant voir la sainteté de cette détermination, second point ; d'autres enfin la regrettent, et ceux-là il faut les consoler en leur faisant voir le bonheur de cette consé- cration, troisième point.

2^ Modèle. En quittant le monde, on ne fait que quitter un sé- jour de malheur, premier point ; en entrant en religion, on trouve le bonheur, deuxième point.

* Voyez Bourdaloue, sermon sur les récompenses des saints

ORAISONS FUNEBRES, 565

ô^ Modèle. Les exercices spirituels, qui sont difficiles dans le monde, sont faciles dans la religion, premier point : les goûts spiri- tuels, qui sont inconnus aux gens du monde, sont communs en reli- gion, second point; le salut, qui est si exposé dans le monde, est plus en sûreté en religion, troisième point.

On peut consulter sur ce genre de sermons, Bourdaloue, qui a jusqu'à neuf discours sur l'état religieux ; Bossuet, qui en a treize; Massillon, qui en a quatre ; le P. Ségaud, qui en a deux.

* CHAPITRE YIII

Des oraisons funèbres.

* L'orateur, dans ce genre de discours, ne doit point se proposer

* pour fin principale de louer son héros ; ce serait dégrader la chaire

* sacrée que de la faire servir à la vaine louange de la créature. Il

* doit encore moins se permettre des louanges qui ne seraient pas

* fondées; la flatterie, défendue partout. Test bien davantage dans la

* chaire de vérité ; et la religion ne souffre pas qu'à la face des au-

* tels, au milieu des saints mystères, on accorde un éloge public à ■* celui qui ne le mériterait pas. De cette loi de l'Église qui défend

* do prononcer aucune oraison funèbre sans la permission do l'é-

* vè([ue, lequel seul doit juger si le défunt est digne de cet honneur.

* Enlin, il ne doit rien louer dans son héros de ce qui n'est pas louable

* selon le christianisme dont la doctiine céleste ne connaît de vrai-

* ment bon, de vraiment grand, que ce qui est sanctifié par la grâce. Célébrer la naissance, la fortune, la gloire et les honneurs que la

* foi place au rang des vanités, ce serait se mettre en contradiction

* avec Jésus-Christ; ce serait, pour ainsi dire, abjurer l'Évangile.

* Que doit donc faire l'orateur qui a reçu la mission de faire une

* oraison funèbre? !• Il doit se proposer pour fin la gloire de Dieu ■* et l'utilité des auditeurs ; la gloire de Dieu en célébrant l'action de *la Providence ou de la grâce sur le défunt, l'utilité dos auditeurs

* en puisant dans la vie et la mort de son héros des leçons de vertu,

306 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* de zèle pour le salut, de mépris pour le monde et pour tout ce qui

* passe, de sorte que la louange n'apparaisse dans le discours que

* comme moyen do faire glorifier Dieu et de sanctifier les fidèles.

* C'est ainsi que Bossuet, dans son Oraison funèbre du Grand Condé,

* se propose de montrer « que ce qui fait les héros, ce qui porte la

* {( gloire du monde jusques au comble... ne serait qu'illusion si la

* « piété n'y était jointe, et enfin que la piété est le tout de l'homme. »

* Bourdaloue rapporte également l'éloge du même prince à Tinstruc-

* tion de ses auditeurs, comme on le peut voir dans l'oraison funèbre

* qu'il en a faite, une des compositions qui font le plus d'honneur à

* son génie. L'orateur doit choisir un texte qui mette la vie et le

* caractère du héros devant les yeux, et qui en soit comme un éloge

* abrégé. Si même il en trouve un qui puisse être supposé dans la

* bouche du défunt, en sorte que les auditeurs se le représentent le

* prononçant lui-même, ce sera un mérite de plus. L'exorde doit

* être entrecoupé de gémissements et de plaintes sur la fragilité des

* choses humaines; c'est la douleur elle-même qui doit parler et

* éclater en regrets, La division pourrait être moins marquée que

* dans le sermon; il suffit qu'une proposition l'indique sans que i'o-

* rateur la signale à l'attention. Le corps du discours doit être

* tout empreint de zèle pour la gloire de Dieu et le bien des âmes ;

* il demande un style noble, plein de dignité, de force et surtout de

* naturel, tel qu'il convient à l'organe de la douleur publique, le-

* quel ne fait en quelque sorte que prêter sa voix au peuple con-

* sterne. Vers la fin, il faut prendre un essor plus sublime, donner

* à l'accent de la douleur plus d'énergie, de majestueuse tristesse,

* et frapper ses plus grands coups pour laisser dans les âmes les im-

* pressions profondes de grâce et de salut qui doivent être le fruit de

* celte lugubre cérémonie. Un certain désordre éloquent est bien

* à sa place ; et les circonstances d'une mort édifiante, ou quelques

* paroles du défunt, présentées avec des traits et des couleurs con-

* venables, termineront heureusement le discours.

* Bossuet est le modèle incomparable en ce genre; après lui, mais

* à une distance immense, vient Fléchier, dont les grâces sentent

* l'affectation, et qui laisse à désirer du côté de l'onction et de la

* chaleur.

SECONDE PARTIE

DES DIVERS GENRES DE PRÉDICATION.

On peut distinguer dix genres de prédication : l^la prédication solennelle ; le cours suivi d'instructions sur la doctrine chrétienne; l'homélie ; 4" le prône ; les avis ; les conférences ; T" les allo- cutions; 8° les lectures publiques; les missions ou retraites; 10° le catéchisme. Nous traiterons en autant de chapitres de chacun de ces genres.

CHAPITRE PREMIER

lïe Im prcdicMtiou solennelle.

Nous entendons par la prédication solennelle le sermon, et par le sermon une instructipn religieuse dans hiquollc on s'attache à suivre [es règles que donne la rhétorique i)Oui' le discours oratoire. 11 peut avoir pour objet tous les sujets de prédication dont nous venons de piuier dans la première partie de ce second livre, sauf (jue, quand )1 traite l'éloge d'un saint, on l'appelle plus \iro[)remcnlpan('(njriqiie , et oraison funèbre, si c'est l'éloge d'un homme récemment mort. Nous examinerons ici deux questions : i" quelles sont les règles pro- pres au sermon; s'il est expédient de prêcher souvent des ser- mons.

568 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

ARTICLE l".

QUELLES SONT LES RÈGLES PROPRES AU SERMON?

Le sermon doit être écrit dans un style soutenu, noble et élevé, mai^ cependant toujours naturel, toujours clair, toujours à la portée des auditeurs auxquels il est destiné. Il exige, et c'est ce qui le diffé- rencie des autres genres de prédication, il exige toujours un texte, «n exorde, un corps de discours et une péroraison. Chacune de ces parties a ses règles, et nous allons les exposer dans les paragraphes suivants :

Du texte.

Le texte doit renfermer en substance tout le sujet du discours, contenir même la division ou en termes formels ou par des consé- quences aisées à tirer. Ce doit être comme un thème dont on vient de donner le développement, ou plutôt ce doit être tout le discours en germe, de sorte qu'après l'avoir entendu on puisse déjà prévoir jusqu'à un certain point quel sera le sujet du sermon.

Le texte doit avoir un rapport naturel au sujet du discours ; un sens forcé dès le début choquerait l'auditoire. 11 est même à désirer que ce rapport soit httéral, parce que si le texte était allégorique, l'application en serait souvent obscure, ou au moins longue et for- cée; on ne pourrait y arriver que par un long circuit, que la brièveté de l'exorde ne permet pas. 11 est cependant des cas l'application littérale de l'Écriture est moins nécessaire, et quelquefois même n'est pas possible, par exemple dans les panégyriques et les oraisons funèbres, dans les discours de circonstance et dans certains sujets de morale. De les textes employés par Fléchier dans l'oraison fu- nèbre de Turenne, par Bossuet dans l'oraison funèbre de la reine d'. Angleterre, et par Massillon dans son discours sur l'excellence du sacerdoce.

Le texte ne doit être ni trop long ni trop court : trop long, il ne se retiendrait pas; trop court, il serait singulier. Un prédicateur prit autrefois pour texte : Siluit, il se tut ; et l'assemblée rit.

4" Il faut donner une traduction du texte simple et fidèle, sans pa- raphrase, sans application ; ce n'en est pas encore le temps.

Le livre de l'Ecclésiastique contenant beaucoup d'éloges des

PRÉDICATION SOLENNELLE. 569

saints de l'Ancien Testament, fournit au prédicateur une mine précieuse de textes qu'il peut appliquer heureusement aux saints du i^ouveau.

De l'exorde.

L'exorde a pour but de disposer les auditeurs à recevoir favora- blement ce qu'on va leur dire, et par conséquent de gagner leur bien- veillance, d'exciter leur intérêt, de se concilier leur attention. De on peut en inférer Timportance. Le succès du sermon entier en dé- pend souvent : si les premières impressions sont favorables, on écoute volontiers ; si elles ne le sont pas, on écoute avec prévention, et tout le discours subit la disgrâce de l'ciorde. Si seulement on laisse hé- siter rintérêt des auditeurs et divaguer leur imagination, si on ne les entraîne pas à sa suite en captivant fortement leur attention, tout est perdu. De cet avis de Cicéron à l'orateur : Vestibula ho- nesta, aditusque ad caiisam faciet illustres ^

Pour réussir en cette partie, il faut, 1" se présenter en chaire avec un air do modestie et de candeur qui prévienne favorablement les esprits. Rien n'indispose plus l'auditeur qu'une apparence de pré- somption et de fierté qui annonce qu'on est content de soi, ou un ton de hardiesse qui décèle peu de respect pour l'auditoire, ou un cer- tain genre affecté qui indique la recherche. La modestie, au con- traire, rehausse le talent et la vertu, leur donne un caractère de simplicité qui ouvre le chemin à la persuasion, excite l'intérêt, attire l'estime et la bienveillance, témoigne la considération qu'on a pour son auditoire ; et l'auditeur, content d'être respecté, écoute avec faveur^. On doit donc éviter de parler de soi dans l'exorde : en parler pour se louer, c'est vanité ; en parler pour excuser la faiblesse de ses talents, c'est un raiïineinent d'auiour-proprc, c'est oubli do la dignité du ministère évangélique. 11 faut, donner à son exorde toutes les ';u;ilitt'S requises par les maîtres de l'art : selon eux-, tout bon exorde doit êlie court, simple, clair, exact, adapté aux dispositions des auditeurs et au sujet.

Il doit être court, c'est-à-dire qu'il doit aller promptemcnt et

* Orat., i.

2 Omius mi jaclalio, dit Quiiitilicu au livre XI de ses Inst., c. i, affcrt nii- dienlilnis non faslidium inmio, sed odiiini; habet enim mens nosira natitrâ sublime qiihldam et erectim et inipulii'iis xiipirioris : ideof/iœ abjeclosaul siiudiuI- tentes ne lihentcr allcvumus, quia hoc fucere tanquàm majores lidemur, el quoi tes disces.sil lemululio, mccedil htmianilas. Al qui. .se exUdlil, premcre ac despicere creditur, ncc làm se majorem quàm minores cicleros facere.

24

-■JO Tr.AlTÉ M' 1 A l'Ili.IlICMION.

diivclt'niont nii bul (jui est iraiiiionci'r ci d'cxiiosor en ^^ros le biijet du discours. Il n.' eouiporle ni délails ni argumcnb cl preuves, ni digressions et pensées accessoires. On piuil tout au plus insinuer les scnliniciils an;ilot;ues au sujet, on si c'est un pancj;yri(iue, don- ner le portrait en petit. Un exorde loii^^ fatigue l'auditeur, le prê- \ient contre toute la suite du discours qu'il présume devoir être lon^,' en propoition. et use d'avance l'attention et la vigueur de son esprit qu'il vaut bien mieux réserver pour le corps du sermon. C'est un défaut dans lequel l'ossuet est tombé plusieurs fois, eu particulier dans son sermon, si magnifKjue du reste, pour le jour de la Circon- cision. Toutefois en ne voulant pas élre long, il faut se garder de l'excès contraire : la règle est qu'il doit y avoir proportion entre l'cxordeetla suite du discours, connne entre la tète et le reste du corps, comme entre le vestibule et l'ensemble de l'édifice*.

L'exorde doit être simple, c'est-à-dire, qu'il faut y éviter Téclat et la pompe des figures, les mouvements véhéments et la magnifi- cence des tours oratoires. Dans la situation tranquille est encoie l'audileur, il faut un langage plus calme, un exposé simple et mo- deste du sujet, et si l'on veut des mouvements, que ce soient des niouvements doux et paisibles. Le plus beau jour ne connnence pas par son midi, mais par une clarté si faible qu'elle tient encore de l'obscurité de la nuil'^ . ainsi il ne faut s'élever que par degrés au.K grands effets de l'éloquence. Beaucoup de dignité, très-peu d'éclat et de parure, voilà, dit Cicéron, le caractère de l'exorde : Gravitatis pluri- muni,spli')idons('t concinnitatis minimum'". L'art qui s'y montrerait, aurait double inconvénient : le premier, de faire soupçonner que l'ora- teur cherche plus à plaire qu'à convertir, à satisfaire sa vanité qu'à sauver ses auditeurs; et ce soupçon diminuerait la créance qu'on doit avoir en lui ; le second, d'amuser et de distraire les esprits, et par de les rendre moins propres à goûter le langage solide du corps du discours qui n'olfrirait pas le même agrément. Cependant il est des exceptions au principe général sur la simplicité de l'exorde: le premier cas est celui les auditeurs seraient déjà pénétrés de quel- (pu^s grands sentiments inspirés par les circonstances : alors un dé- but siuq)le et sans ânu^ les choquerait, parce qu'il contrasterait avec l'impression générale : de vient que tout le monde admire les l'xordes magnifiques dos oraisons funèbres de la reine d'Angleterre

1 Cic, de Oiat., lih. Il, ."JO. _ * Cic, de Chat., lib. il, r.l7. 5 Ul. \, de IllVCllt., x.w.

PRÉDICATION SOLENNELLE. 571

par Hossuet, et de Turcnno par Fléchier. Le secosul cas est celui les circonstances demandent ou au moins permettent un exorde ab ,, abrupto : cette espèce d'exordeétantpassionné doit être dans le genre pathétique et soutenu par de grands mouvements. Le troisième cas est celui le sujet est si saisissant d'intérêt, que les auditeurs n'oni: pas besoin d'êlre menés par degrés aux grandes émolions : de l'exorde de saint Jean Chrysbstome sur la disgrâce d'iîulrope, et celui de Massilloa sur le mauvais riche. Tels sont les cas d'excep- tion, et il faut se garder de trop les multiplier, soit parce qu'il est dil- licile de réussir dans le genre pathétique, soit parce qu'il est à crain- dre que le reste du sermon ne soutienne pas la véhémence du début : il vaut mieux réserver ses ressources pour le corps du discours.

L'exorde doit être clair, c'est-à-dire présenter le sujet du ser- mon sous un jour lumineux, avec netteté et précision, d'une ma- nière facile à comprendre et à retenir : sans cela, l'auditeur marche à tâtons, ne sachant l'on veut le mener ; celte obscurité le dé- goûte et le prévient défavorablement.

L'exorde doit être exact ; car nul endroit du discours n'est écouté avec plus de sang-fi oid ni plus examiné. C'est qu'on com- mence à apprécier le mérite du prédicateur, et le jugement (ju'on porte dans cette partie influe sur celui qu'on portera dans toute la suite ; il est dans la nature de l'homme d'être porté à juger selon les premières impressions reçues.

L'exorde doit être adapté aux dispositions des auditeurs, c'est- à-dire s'harmoniser si bien avec les sentiments de l'auditoire, que tous en soient contents, et entendent volontiers traiter la matière qu'on leur annonce. Pour cela il faut, être poli et gracieux quoi- que avec dignité, ménager adroitement les préventions, monti'er beaucoup de bienveillance, et un grand zèle pour le bien de ses au- diteurs, sans cependant en faire parade comme certains prédica- teurs qui disent souvent : Mon zèle. Il faut, qu'un parfum de piété accompagne toutes nos paroles, et que tout notre extérieur annonce condjien nous sommes fortement pénétrés des vérités que nous prê- chons. lUen ne dispose mieux les fidèles à nous entendre, parce qu'a- lors ils ont la conviction que nous ne sommes mus en lein- p.irlanl que par des vues de foi, [)ar des motifs plus éhnés que la terre. 11 faut, 5" leur montrer son suj(!t parles endroits les plus intéressants, (\t leur en faire ressortir l'importance, sans cependant imiter ces prédicateurs, qui annoncent cha(|ue fois qu'ils vont IrailiT le plus l)eau sujet du monde, et. qui préviennent l'auditeur de l'oidre, de la

572 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

netteté, de la force, de toutes les qualités du discours qu'ils vont donner. Le prédicateur sage est plus modeste; il se contente do re- présenter l'importance de la vérité qu'il va traiter.

ô** L'exord(4 doit être en rapport avec le sujet, c'est-à-dire qu'il doit y conduire par un rapport nécessaire et avoir avec le corps du discours une connexion essentielle, comme la tête avec le corps ^ : un exorde vague qui peut s'appliquer à toutes sortes de sujets ou être retranché sans faire tort au discours, est vicieux. 11 y a plus : toute pensée qui ne tend pas directement au sujet, qui ne va pas prompte- ment au fait et n'y met pas les auditeurs, est un écart blâmable. En vain on y ramènerait l'attention après l'avoir transportée ailleurs ; il y a abus dans cette digression. Pour prévenir ces inconvénients, Ci- céroa^ conseille de ne faire l'exorde qu'après tout le reste du dis- cours, parce qu'alors, connaissant à fond tout le sujet, il est plus facile d'en faire sortir l'exorde comme une fleur de sa lige et de ne rien mettre qui n'y ait rapport. Sa méthode est sûre, et c'est celle des grands orateurs.

On faisait autrefois deux exordes, l'un pour conduire à Y Ave Ma- ria, l'autre pour préparer à la division : aujourd'hui on se contente d'un seul ; il faut s'en tenir à cet usage. Cet exorde peut se faire de quatre manières : simplement et sans art, en exposant en peu de mots ce dont il s'agit; c'est ce qu'on doit faire quand l'attention et la bienveillance des auditeurs nous sont assurées d'avance ; 2" par insinuation, quand on a des dispositions peu favorables à redouter, un préjugé enraciné à attaquer, une erreur dominante à détruire, un adversaire respectable et puissant à combattre ; et c'est qu'il faut employer tout l'art et la finesse des précautions oratoires dont nous avons parlé ailleurs ; 5" dans le genre magnifique et pompeux, quand on a à louer un héros ou un saint que tout le monde admire d'a- vance et à la gloire duquel tous s'intéressent; enfin, ab abrupto, cpiand il s'agit d'une chose de la plus haute gravité, (}ui excite par elle-même un vif sentiment de douleur, d'indignatit.n ou d'une au- tre passion violente. L'exorde simple ne doit avoir rien d.3 bas ni de trop familier; l'exorde par insinuation, aucuiie finesse qui choque la vérité et la délicatesse, l'exorde pompeux rien d'afleclé, et l'exord» ab abrupto, rien qui indique l'orgueil ou la colère. C'est en étudiant les dispositions des auditeurs qu'on discernera l'espèce d'exorde qu'il faut choisir,

* Cic. de Orat., lib. II, 525. 2 De Orat., lib. il, 515, 11. 518 et 5iP.

PRÉDICATION SOLEPs'NELLE. 573

Ce choix une fois fait, voici la manière de procéder, excepté dans i'exorde ab abrupto qui n'est point soumis à ces règles : après avoir cité son texte, on l'explique ; on en fait l'application au sujet qu'on va traiter ; on indique ensuite ce sujet d'une manière claire et nette; puis, circonscrivant les points de vue auxquels on veut s'arrêter, on laisse paraître les germes de son plan; tous les mots en avançant, le développent, l'éclaircissent; et ainsi on prépare, on amène, on énonce enfin la division ou le partage du discours, de sorte qu'il soit vrai de dire que I'exorde tout entier n'est que le développement d'une seule pensée. Après la division, on invoque les lumières de l'Esprit-Saint par l'intercession de Marie. Rien de plus juste, lors- qu'on entreprend de détruire le règne du démon, que de réclamer l'assistance de celle qui lui écrasa la tête ; lorsqu'on veut dévelop- per le dogme, que d'invoquer celle qui a éteint toutes les héré- sies; lorsqu'on veut parler du salut, que d'employer les paroles venues du ciel pour en être le commencement et l'annonce ; lors- qu'on veut une grâce, que d'invoquer.celle par qui Dieu se plaît à dispenser ses dons. Mais on ne saurait mettre trop de simplicité dans cette invocation : si l'éloge de la sainte Vierge s'y présente na- turellement, on peut l'y placer en peu de mots sans jamais l'étendre : sinon, il faut venir à VAve Maria simplement et sans aucun art. Dans le temps pascal on le remplace par le Hegina cœli, et dans le temps de la passion et aux fêtes de la croix, par la strophe 0 Crnx, ave ; le chœur chante l'un et l'autre.

Quelquefois, vers la fin de I'exorde, on insère un compliment pour quelque personnage présent, comme l'évêque, un ancien curé, un prince, etc.. Ces compliments doivent être très-rares. La chaire est faite pour louer Dieu et non pour préconiser les hommes : In ecdesiis benediciie Deo ^ Je ne vous donnerai pas de louanges^ disait un pré- dicateur à Louis WN, farce que je nen ai pas trouvé dans l'Évangile. Puis, les compliments, s'ils sentent la flatterie, comme cela arrive presque toujours, déshonorent l'orateur, déplaisent aux fidèles, tentent de vanité celui (juon loue, ou le contristeni, s'il a du bon sens', et font même quehpiefois ressortir ses déiauls. Rien de plus indigne d'un minisire dcLl-lvangilc que de doinier des louanges qu'il

* Psalm., Lxvii, 27. ^ Si vous avez dit cela pour me couvrir de confusion, disait sailli. Fraiii;ois de Sales à M. de licllcy, qui l'avait compliineiUé, vous avez trouve le vrai secret. Un prédicateur s'étaiil fort mal lire d'uu coniplimcnt <iu'il adressait à M. do la Motte : // ne faut pas s'étonner, dit l'iiuiuble [U'élaî qu'une ln)i(jne accouticnc'e a la vérité se refuse au mensonge.

:>ii TiiAiiK DE i\ i>ru':nic.\Ti()N.

s, lit ("Ir»^ f;iuss(S : c'est, iiiciilir sci(Miiiii('ii(, c'est instiller à I;i vérilé du liiiut, (le son trône. Cependiiiil, il est des circonstances le coiu- plinieiit est inipéi'ieiisenieiit l'ecoinniandé par l'usage, par ce (|u'on appelle ïrtiijuctit' ; mais alors il faut bien se garder du niainaisgoùt de ces prétHcateurs ([ui débitent tles louanges longues et fastidieuses, qu'on a justement a\)\)dos des coups (Venceiisoir au visage. Boinxialoue a ('ompléleuient échoué en celte partie, et il est ilifficilede louer plus maladroilemeiit. Le compliment doit être si bien amené, qu'il semble sortir naturellement du sujet qu'on traite, et louchéavec tant d'adresse, que la modi'siic do celui qu'on loue n'en puisse être blessée. Go doit être une pensée délicate, une action de grâces en quelques mots à l'Auteur de tous les dons, une leçon lespectueuse ou une exhorta- tion cachée sous l'enveloppe d'une louange, enfin, la moindre chose, pourvu qu'on sache en gros qu'on a complimenté. Massillon est le plus pariait modèle en ce genre : son cxorde pour le jour de la Puri- fication, sa péi(»raison pour le jour de Pâques dans son Grand Garème, sont remarcpiables sous ce rappoil ; niais son chef-d'œuvre, c'est son exorde pour le jour de la Toussaint, il loue avec tant d'art Louis XIV, sans déroger aux maximes de l'Évangile i;ur la vanité de la gloire humaine. Bossuet, quoique moins délicat et moins adroit, a aussi des compliments dignes d'être cités, en particulier celui qu'il adressa au piaiice de Gondé, en I6MJ', leijuel, au jugement du cardinal de 11 ii!sset% contient un des plus beaux mouvements ora- toires dont l'histoire de l'éloquence puisse offrir l'exemple, et celui qu'il adressa à Louis XIV, à la (in de son sermon du jour de Pâques KiSO. Fénelou a aussi des conqjlinients trés-remarcpuibles pour Louis XiV elles ambassadeurs di; Siam, dans son sermon pour le jour de l'Epiphanie.

* Telles sont les régies que nous avions à donner sur l'exorde :

* pour les faire encore mieux comprendre, nous allons les éclaircir '^ par (juebpies citations : la piemière sera cet exorde tant vanté que

* U: cardinal Maury prête au V. llridaine, ouvrant la mission de 175'"),

* dans légiise Saml-Snlpice de Paris, devant vui brillant auditoire

* accouru pour l'entendre :

A la vue d'iin auditoire si nouveau pour moi, il semble, mes frères, que je ne devrais ouvrir la boiichi' (|ue pour \ui;s demander grâce en faveur d'un pauvre niissionnaii'e, dépoinvu de. Um.-, les talents que vous exigez

* A l;i Miilr> lin sermon sur l'Iimiiicur du monde, Diinaiiclie des l'.anicanx. -' Histoire df D.js.suct, liv. il, v.

PRÉDICATION SOLENNELLE. S75

qunnd on vient vous parler de votre salut. J'éprouve cependant aujourd'hui un sentiment bien différent; et si je suis humilié, gardez-vous de croire que je m'abaisse aux misérables inquiétudes de la vanité, comme si j'élais accou- tumé à me prêcher moi-même! A Dieu ne plaise qu'un ministre du ciel pense jamais avoir besoin d'excuse auprès de vous ! Car, qui que vous soyez, vous n'êtes tous, comme moi, au jugement de Dieu, que des pécheurs. C'est donc uniquement devant votre Dieu et le mien que je me sens pressé dans ce moment de frapper ma poitrine. Jusqu'à présent, j'ai publié les justices du Três-I!;iut dans des temples couverts de chaume. J'ai prêché les rigueurs de la pénitence à des infortunés dont la plupart manquaient de pain. J'ai annoncé aux bons habitants des campagnes les vérités les plus effrayantes de ma religion. Qu'ai-je fait, malheureux? J'ai conlristé les pauvres, les meil- leurs amis de mon Dieu. J'ai porté l'épouvante et la douleur dans ces âmes simples et fidèles, que j'aurais plaindre et consoler. C'est ici mes re- gards ne tombent que sur des grands, sur des riches, sur des oppresseurs de l'humanilé souffrante ou sur des pécheurs audacieux et endurcis : ah ! c'est ici seulement, au milieu de tant de scandales, qu'il fallait faire i^etentir la parole sainte dans toute la force de son tonnerre, et placer avec moi dans cette chaire, d'un côté la mort qui vous menate, et de l'autre mon grand Dieu, qui doit tous vous juger. Je tiens déjà dans ce moment votre sentence à la main. Tremblez donc devant moi, hommes superbes et dédaigneux qui m'écoulez ! L'abus ingrat de toutes les espèces de grâces, la nécessité du salut, la certitude de la mort, l'incertitude de cette heure si effroyable poui' vous, rim[y'iiilence finale, le jugement dernier, le petit nombre des élus, l'enfer et par-dessus tout l'éternité ! L'éternité ! Voilà les sujets dont je viens vous entretenir, et que j'aurais sans doute réserver pour vous seuls. Eh! qu'ai-je besoin de vos suffrages, qui me damneraient { eut-être sans vous sauver"' Dieu va vous émouvoir, tandis que son indigne ministre vous par- lera; car j'ai acquis une longtie expérience de ses miséricordes. C'est lui- même, c'est lui seul qui, d;uis quelques instants, va remuer le fond de vos consciences. Fraj)pés aussitôt d'elfroi, pénélrés d'horreur pour vos iniquités passées, vous viendrez vous jeter entre les bras de ma chaiité, eu versant des larmes de componction et de repenlance, et à force de r(;mords vous me trouverez assez éloquent.

* Voilà sans doute un inorceau parfaitomenl érjit, et les traits du

* i^énie y brillent en plus d'un endroit. Toutefois, nous sommes loin

* (le présenter cet exorde connme un modèle; nous le citons au con-

* Il aire pour prémunir les jeunes prédicateurs contre le danger de

* limilalion, el j)our 1(mu' apprendre à ru; point accorder loui' adiiii-

* cation à ([ueUjuos traits de génie, quand ces traits sont des écarts.

* i-e premier reproche que nous avons à faire à l'auteur deceloxorde,

* c'est le ton acerbe avec Iequ(d il traile ses auditeurs, qu'il ose quali-

* lier d'oppresseurs de l'Iiumunilê souffrante, de péclieurs audacieux

376 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* et endurcis, dliommes superbes et dédaigneux. Un langage si dur ■* est déplacé sur les lèvres d'un ministre de l'Évangile, et plus

* propre à aliéner les cœurs qu'à les gagner. Ce n'est pas ainsi que

* les François de Sales et les Vincent de Taul ont traité leurs audi-

* teurs pour les convertir. Mais ce langage, partout déplacé, l'est ici

* bien plus encore : c'est dans un exorde; et qui ne sait que le carac-

* tère essentiel de cette partie du discours est un ton de douceur et

* d'insinuation qui dispose les auditeurs à la bienveillance ? C'est en

* parlant pour la première fois à la classe d'auditeurs la plus facile

* à froisser, aux grands et aux riches du monde; c'est au milieu d'une

* assemblée que l'orateur ne pouvait juger digne de si dures quali-

* fications. Quoi ! Bridaine arrive pour la première fois à Paris, il

* monte en chaire, aperçoit un auditoire composé d'un grand nombre ■* d'ecclésiastiques et d'évêques, de la'iques religieux que l'on sait être

* toujours les plus nombreux à pareils rendez-vous, et probablement,

* j'en conviens, d'un certain nombre d'autres qui ne l'étaient pas;

* et voilà que tout à coup il éclate, il apostrophe ses auditeurs dans

* les termes les plus durs, et cela sans faire aucune exception; prêtres,

* évêques, la'iques pieux, fout est enveloppé dans l'anatbème : Mes

* regards ne tombent ici que sur des oppresseurs de riiumanité soiif-

* frante, sur des pécheurs audacieux et endurcis. Peut-il être un

* pareil oubli des convenances, et y a-l-il du sens dans un tel lan-

* gage? Le second reproche que nous avons à fnire à l'auîeur de

* cet exorde, c'est l'étrange et bizarnsî pensée de réserver à la ville

* de Paris toute seule les vérités terribles delà religion. Quoi! il n'en

* fallait rien dire à Lyon, à Marseille, Avignon, Aix, Montpellier,

* Clermont et tant d'autres grandes villes de France Bridaine avait

* donné des missions! Quoi ! il faut respecter la conscience coupable

* du pécheur qui habite sous le chaume et manque de pain ; il ne

* faut pas le réveiller de son sommeil de mort par le tonnerre de la

* divine parole! et si on l'a fait, il faut s'en repentir, en demander par-

* don à Dieu et aux hommes : Quai- je fait malheureux? C'est ici seule-

* ment qui! fallait faire retentir la parole sainte! etc. . . Comme si dans

* tout le reste de la France la prédicalien des vérités éternelles eût

* été inopportune, et qu'il n'y eût point trouvé de pécheurs à con-

* vertir. Se peut-il rien de plus absurde? Le troisième reproche,

* c'est que le prédicateur parle trop de lui-même : Je ne m'abaisse

* 'pas aux rnsérables inquiétudes de la vanité... Je ne suis pas accou-

* tumé à me prêcher moi-même... Tremblez devant moi... Qu'ai-je

* besoin de vos suffrages... Tai acquis une longue expérience des

PREDICATION SOLENNELLE. 377

* miséricordes divines... Vous viendrez vous jeter entre les bras de

* ma charité... Vous me trouverez assez éloquent. C'est, en vérité trop

* se mettre en scène dans un si court espace; le missionnaire humble

* parle autrement, il ne songe qu'à se faire oublier, et le moi ne

* revient pas si souvent sur ses lèvres. Enfm, nolie quatiiéuie et

* dernier reproche, c'est l'amas de faussetés palpables dont cet

* exorde est plein : Jusqu'ici, dit Bridaine, j'ai publié les justices du

* Très-Haut dans des temples couverts de chaume ; et l'histoire rap-

* porte au contraire qu'il avait donné des missions dans les villes, et

* même dans les principales cités du royaume, autant ou plus que

* dans les campagnes. J'ai porté Vépouvante dans les âmes simples et

* fidèles, j'ai contristé les meilleurs amis de mon Dieu; c'est-à-dire

* je n'ai prêché qu'à des sainls; mais quoi de plus faux? 11 dit hii-

* même qu'il a une longue expérience des miséricordes divines ; et

* cette expérience n'a lieu que dans la conversion des grands coupa-

* blés. Mes regards ne tombent ici que sur des pécheurs audacieux et

* endurcis. Et qu'en savait-il ? Connaissait-il la conscience de chacun

* de ses auditeurs qu'il voyait pour la première fois? Peut-il même y

* avoir une seule assemblée chrétienne dont un homme puisse dire :

* Tous sont des pécheurs endurcis ? Cet exorde est donc mauvais

* de tout point, indigne du P. Bridaine, un fruit de l'imagination du

* cardinal Maury, plutôt qu'un produit de sa mémoire.

* Veut-on un exorde qui contienne le môme fond d'idées sous une

* forme meilleure? qu'on lise l' exorde du sermon de Bossuet, pour

* le jour de Pâques de l'an 1680 :

Avoir à prêcher le plus glorieux des mystères de Jésus-Chri.-t et la fèlt- la plus solennelle de son Église, devant le plus grand de tous les rois et la cour la plus auguste de l'univers, reprendre la parole après tant d'années d'un perpétuel silence, el avoir à contenter le délicatesse d'un auditoire qui ne soulTre rien que d'ex(|uis, mais qui, pernitttez-moi de le dire, sans songer, aulant qu'il faudrait à se convenir, souvent ne veut être ému qu'autant qu'il le faut, pour éviter la langueur d'un discours sans force, qui, plus soigneux de son plaisir que de sou salut, lorsqu'il s'agit de sa guerison, veut qu'on rherclie de nouveaux moyens pour (lutter son goût raffiné ; ce serait une chose à cramdre, si celui qui doit annoncer dans l'as- semblée des fidèles la gloire de Jésus-Christ ressuscité, el y faire entendre la voix immortelle de ce Dieu sorti du tombeau, avait à craindre autre chose que de ne pas assez soutenir la force et la majesté de sa parole. Mais ici ce qui fait craindre soutient : cette parole divine, révérée du ciel, de la terre et des enfers, est ferme et luute-[)uissanle jiar elle-même, et on ne peut l'alfaiblir, lorsque toujours aulant éloigné d'une excessive riuueur cpii

578 TRAITÉ DK LA PRÉDICATlt)N.

se délourno à la droite, que d'une extrême condescendance qui se détourne vers la gaiiclio, on propose cette parole dans sa pureté nalurelle, telle qu'elle est sortie de la bouche de Jésus-Christ et de ses apôtres, fidèles et incorruptibles témoins de sa résurrection et de toutes les obligations qu'elle nous impose. Alors il ne reste plus qu'une crainte vraiment juste, vraiment raisonnable, mais qui est commune à ceux qui écoutent avec celui qui parle : c'est de n'ouvrir pas le cœur assez promptement à la vertu qui raccompagne, et de prendre plus garde à l'homme qui parle au dehors qu'au prédicateur invisible qui sollicite les cœurs de se rendre à lui. Que si vous écoutez au dedans ce céleste prédicateur, qui jamais n'a rien de faible ni de languissant, et dont les vives lumières pénètrent les replis les phis cachés des consciences, que de miracles nouveaux nous verrons paraître! Que de morts sortiront du tombeau !

* Il est aisé de remarquer en ce morceau avec quel art Bossuet

* ménage l'esprit de ses auditeurs ; s'il fait un reproche, c'est un de

* ces reproches dont les hommes du monde ne se choquent pas ; et

* encore il le tempère et demande la permission de le dire. S'il parle

* de la crainte que les vérités du salut doivent inspirer, il s'associe à

* ses auditeurs, en observant que celte crainte doit être commune et

* à ceuxqiii écoutent, et à celui quipaiie. Bossuet nous offre encore

* un beau modèle d'exorde dans son sermon sur l'honneur du monde,

* pour le dimanche des Rameaux. On peut le voir dans l'auteur

* même.

Du corps du discours.

Le corps du discours doit commencer par une introduction con- sistant en quelques phrases préparatoires qui amènent les subdi- visions, si l'on juge à propos de les énoncer, ou qui fasse entrer en matière, si on ne les énonce pas. Cette introduction doit avoir deux quahtés : elle doit être courte, soit pour ne pas allonger le sermon, soit pour ne pas rebuter l'auditeur qui s'ennuie d'entendre un homme qui n'en vient point au fait; 2" elle doit amener si naturel- lement la subdivision, que l'auditeur puisse penser que le prédica- teur n'a subdivisé que par nécessité, pour expliquer plus clairement, ou telle raison qui avait plusieurs membres, ou tel passage de l'Écri- ture ou des Pères qui ne pouvait s'éclaircir autrement. Car si les subdivisions paraissent étudiées, si l'artifice s'y montre, l'auditeur ne voit plus dans le prédicateur qu'un homme qui parle par art et non par conviction, qui a cherché des subdivisions pour remplir une

rP.EDTCATION SOLENNELLE. Z10

f.îche Pt avoir de quoi dire : et àèà lors il est comme impossible que le sermon louche et persuade.

Il n'es! pas nécessaire d'annoncer d'avance les subdivisions au com- mencement de chaque point ; il suffit de les énoncer à mesure qu'on y arrive. Celte méthode produit même beaucoup plus d'effet lorsque les subdivisions enchérissent Tune et l'autre. Cependant il est tou- jours permis et même souvent utile de les annoncer, pourvu que ce ne soit jamais dans l'exorde, mais bien au commencement de cha- que point.

Les propositions de la subdivision une fois énoncées, il faut s'oc- cuper tout entier à les prouver. Car, quelque bien divisé et subdivisé que fût un sermon, si les preuves n'en étaient pas solides, ce ne serait qu'un beau plan d'édifice, mais sans aucune consistance dans ses parties. Les preuves de la première subdivision données, on con- clut ; et l'on en vient aux applications de la vérité à ses auditeurs, aux sentiments et mouvements oratoires, si déjà on ne s'y est livré " en donnant les preuves: puis on ménage les passages à la subdi- vision suivante par une transition si naturelle que l'auditeur l'aper- çoive à peine, sans cependant alTecler de cacher la marche de son discours, dont il est bon, au contraire, de faire sentir la méthode et l'analyse, en montrant, à mesure qu'on avance, les rapports et la marche progressive des différentes parties, pour conduire par cette clarté à la conviction. On suit la même méthode pour la seconde et troisième subdivision ; puis on conclut la première partie en re- cueillant et groupant ensemble toutes les subdivisions pour terrasser l'auditeur de tout le poids de ses forces réunies. C'est le lieu de quelque beau mouvement oratoire, qu'on termine par une transition à la seconde partie. La seconde partie suit la même marche et ar- rive par une transition à la péroraison.

§ 4.

De la iiéror;iison *.

* lîicn ne doit être plus ménagé, plus étudié que celle dernière

* ])artie du discours; car c'est le moment décisif, le dernier assaut

* ([ui va décider de la victoire; c'est qu'il faut presser vivement

* l'auditeur, pour le foi cei' de se rciulre et aux preuves (ju'on lui a

* données et aux conclusions qui en sont rigoureusement déduites;

* Voyez le P. Alherl, II» |>Mrti(', c. \xxix

380 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* c'est qu'il faut arracher les larmes de la componction, faire

* prendre les résolutions généreuses et obtenir tout ce que souhaite

* un prédicateur qui n'aspire qu'à convertir. Pour cela, il ne faut pas

* que le discours languisse; point de citations longues ou qui aient

* besoin d'explication; dans ce moment solennel rien que de

* fort, de vif, de pénétrant : Qux excrUmit servcntur ad pero-

* randum, dit Cicéron K Hîc, si usqiiam, totos eloquentix finîtes ape-

* rire licet, dit Quintilien^. il faut que la passion s'enflamme et

* rassemble tout ce qu'elle peut fournir de mouvements rapides, im-

* pôtueux, brûlants, de tours animés, d'expressions énergiques,

* de figures hardies, d'images attendrissantes; et le prédicateur, ■* pour y suffire, doit avoir la prévoyance de se réserver de la voix et

* du feu.

La péroraison doit renfermer, sinon toujours, au moins le plus souvent, quatre parties qui sont comme les éléments dont elle se compose.

La première est un précis, une récapitulation sommaire des points du discours, et des principales raisons qu'on juge les plus propres à entraîner la persuasion, afin que toutes les forces ainsi serrées et ra- massées en ordre, allant fondre ensemble sur les esprits et les cœurs, remportent la victoire qu'on avait peut-être refusée jusqu'alors à cha- cune d'elles prise isolément : Si per singula minus moverat, turbâ valet, dit QuintiUen^; m.ais pour que cette récapitulation produise son effet, il faut, qu'elle soit courte, rapide, presque inaperçue par l'auditeur, qui s'ennuierait d'entendre redire les mêmes choses, et par conséquent dégagée de tout ce qui pourrait paraître répétition et longueur, ut memoria, non oratio renovata videatur, dit Cicéron*. Sans cela, elle n'atteindrait pas son but; il ne s'agit plus ici de prouver, mais de faire vouloir ce qu'on a prouvé qu'il faut vouloir ; il faut mettre dans cette récapitulation beaucoup d'énergie, de chaleur, et une grande variété de tours. Tantôt on peut mettre en scène Jésus-Christ, les saints, ou même quelque objet inanimé : « Si « le souverain Juge paraissait dans cette assemblée, que pourriez-vous « lui alléguer pour excuse? Il vous est démontré que, etc.. Si la re- « ligion, si l'Eglise pouvaient parler ici, enfants rebelles, pourraient- « elles vous dire, vous savez que, etc.. » Taniôt on peut transporter l'auditeur au lit de mort, au jugement dernier, dans l'éternité :

» De Orat., lib. II, r;i4. ^ Lib. IV, c. i. '- IMrlem. * De Invcntione, lib. I, ICO.

PREDICATION SOLENÎSELLE. 381

« Alors que pensere%-vous de tels 'prétexte, de telle objection? Ne jii- « gerez-voiispas, comme je viens de vous le montrer, que., elc, etc.. » Quelquefois on peut engager l'auditeur à se jeter en esprit aux pieds du crucifix, et, là, à se faire à lui-même le résumé de tout le discours : « 0 mon Dieu! je le comprends maintenant, etc., etc.. » D'autres fois, enfin, on peut tout simplement rappeler le fond du discours par ces formules ou autres semblables : « Ouvrons donc enfin les yeux, « et comprenons que... Que tardez-vous encore à vous convertir, et « que manque-t-il à vos convictions? Vous avez- vu que, etc.. » Mas- sillon nous offre un beau modèle de récapitulation à la fin de son sermon sur la vérité d'un avenir :

Que conclure de tout ce discours ? Que l'impie est à plaindre de clierciier dans une ai'lVeuse incertitude sur les vérités de la foi, la plus douce espé- rance de sa destinée ; qu'il est à plaindre de ne pouvoir vivre tranquille qu'en vivant sans foi. sans culte, saus Dieu, sans conscience; qu'il est à plaindre, s'il faut que l'Évangile soit une fable ; la foi de tous les siècles, une crédulité ; le sentiment de tous les hommes, une erreur populaire ; les premiers principes de la nature et de la raison, des préjugés d'enfance ; le sang de tant de martyrs que l'espérance d'un avenir soutenait dans les tourments, un jeu concerté pour tromper les hommes ; la conversion de l'univers, une entreprise humaine; l'accomplissement des prophéties, un coup de hasard ; en un mot, s'il faut que tout ce qu'il y a de mieux établi dans l'univers se trouve faux, afin qu'il ne soit pas éternellement malheu- reux. Quelle fureur de pouvoir se ménager une sorte de tranquillité au mi- lieu de tant de suppositions insensées ! 0 homme ! je vous montrerai une voie plus sûre de vous calmer, etc..

La seconde partie do la péroraison doit contenir le fruit du dis- cours, ou les conséquences pratiques et les résolutions de mieux vivre qui en découlent : saint Liguori recommandait d'une manière spéciale à ses prêtres ces résolutions; et il leur donnait pour règle de les énoncer dans un acte de contrition prononcé avec l'accent de la douleur la plus vive, avec toute la chaleur du zèle ; ce devait être là, selon lui, le moment brûlant devaient couler les larmes, devaient éclater les sanglots.

Le troisième élément de la péroraison consiste dans une exhorta- tion pathétique et véhémente qui aille au fond de tous les cœurs, détermine les volontés et complète la victoire. C'est pour cet en- droit, qui ne fait qu'un avec le préi édent dont nous venons de par- ler, qu'il faut réserver les plus vives émotioi.s; c'est qu'il faut n;ettre en jeu toutes les ressources de la sensibilité et frapper les plus grands coups

382 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

Enfin, la dernière partie de la péroraison est une prière adressée à Dieu, à Jésus-Christ ou aux saints, pour demander la grâce de met- tre à exécution les résolutions prises. C'était la pratique des saint? Pères de terminer ainsi leurs sermons, et quoique ce ne soit pas ab- solument requis, il est louable de les imiter. Massillon l'a fait avec un succès remarquable en prêchant sur le petit nombre des élus et dansson sermon pour le jour de Pâques. La paraphrase d'un endroit choisi de l'Écriture sainte donne une grâce particulière à cette prière et peut même faire une péroraison entière des plus touchantes, comme on en peut juger par la paraphrase du De profundis, qui forme la péroraison de l'homélie de Massillon sur Lazare : Grand Dieu, etc.. ; par celle du Lœtatus siim, dans la péroraison du ser- mon de l'abbé Poule, sur le ciel : Cité de Dieu, etc.. ; enfin par celle des paroles de la Sagesse, Timc stabunt, qui fait la péroraison du sermon du P. Mac Carthy, sur la grandeur des saints, et com- mence par ces mots : Oh! que j'aime à contempler , etc.. Mais pour que ces paraphrases produisent de l'effet, il faut : que chaque verset commenté présente une variété rapide d idées et do senti- ments, de mouvements et d'images propres à exciter un intérêt tou- jours nouveau ; qu'il n'y ait que peu de textes et que le commen- taire en soit court; autrement les auditeurs se fatigueraient de voir recommencer des discussions comme dans le corps du discours ; que le prédicateur sache se faire si bien l'interprète de tous les cœurs, que chacun, en l'entendant, retrouve le langage secret de sa conscience.

Nous terminerons ces règles de la péroraison par deux observa- lions : la première, c'est qu'on ne doit que très-rarement finir son discours d'une manière brusque et sans bénédictions : presque ja- mais ces coups de théâtre ne réussissent, et quand leur effet est manqué, ils font riie. 11 faut donc amener la fin du sermon tout na- turellement, de manière que les auditeurs puissent la prévoir, et on doit se garder de tromper leur prévoyance, en imitant ces prédica- teurs qui paraissent finir à chaque instant, puis se reprennent et re- commencent : rien ne fatigue plus Taudileur. Secondement, il faut, quoiqu'en variant la formule selon le sujet, toujours finir par l'es- pérance et le souhait de la vie éternelle, jamais par la menace et la crainte : lors même qu'on a parlé comme interprète du Dieu des vengeances, il faut à la fin s'adoucir comme un père affligé du sort qui menace ses enfants ou plutôt s'attendrir comme une mère, et ne point imiter ces prédicateurs qui laissent leurs auditeurs en enfer

PRÉDICAiiON SOLENNELLE. 38?

sans exprimer aucun désir de les en retirer. Renvoyé sous ces im- pressions, l'auditoire sort mécontent.

Pour résumé des règles propres au sermon, il ne sera peut-être pas inutile de présenter ici, sous un seul coup d'œil, le tableau des différentes parties qui le composent.

TABLEAU DES PARTIES DU SERMON

!• Exorde. i. Texte.

2. Introduction générale tirée du texte. 7). Annonce du sujet.

4. Division.

5. Invocation.

Corps du discours.

1. Introduction particulière.

2. Subdivision.

5. Première subdivision, première preuve, seconde preuve, con- clusion, application, sentiments et transition.

4. Seconde et troisième subdivision, même marche.

5. Conclusion de la première partie, mouvement oratoire.

6. Transition à la seconde partie.

7. Même marche pour la seconde partie, avec transition à la pé- roraison.

Péroraison.

1. Récapitulation des diverses parties du discours.

2. Fruit pour la pratique.

5. Exhortation et mouvements pathétiques.

A. Invocation.

5. Conclusion propre au sujet.

ARTICLE 2.

EST-IL EXribUvNT PK PllKCIIER SOUVENT DES SEÎIMONS?

Par cela même que le sermon est la prédication la plus solen- nelle de la parole de Dieu, il doit être rare, réservé pour les grandes fêtes, pour les grands événements, les stations d avent ou de carême, les missions ou k's retraites. Dans ces circonstances extraordinaires,

384 TRAITE DE LA PRÉDICATION.

un sermon bien préparé, plein de force, d'onction et de mouvements, débité avec zèle et chaleur, produira d'utiles impressions, réveil- lera la foi des auditeurs el les fera rentrer en eux-mêmes. Mais si l'on employait trop souvent ce genre, il en résulterait deu.x graves inconvénients : le premier, c'est que les auditeurs trop habitMês à ce mode d'instruction, finiraient par y être tout à faits indifférents et insensibles comme des gens blasés. Le second, c'est qu'il s'en faut que ce genre de prédication soit le plus utile ; le peuple a be- soin d'un mode plus simple, d'un langage plus commun, d'une sorte de catéchisme raisonné, d'explications à Taide d'exemples, de comparaisons et de détails que ne comporte pas le sermon. Aussi voyons-nous que les saints Pères n'ont pas prêché à la manière de Bourdaloue et de Massillon, que le peuple des villes l'on donne beaucoup de sermons est mférieur ('.ans la science de la rehgion au peuple des campagnes un pasteur zélé fait régulièrement des instructions simples et famihères, et qu'enfin un bon missionnaire, avec son genre populaire, convertit plus d'âmes que nos grands pré- dicateurs de stations d'avont et. de carême, avec leurs éloquents discours.

Telles sont les réflexions que nous avions à faire sur le sermon. Il ne nous reste plus qu'à dire quelques mots de nos principaux ser- monaires français : les trois princes de la chaire sont Bossuet, Bour- daloue el Massillon. Bossuet nous donne les pensées les plus hautes sur la rehgion et les mystères, rien n'égale la magnilicence de ses vues; Bourdaloue développe les vérités chrétiennes avec exactitude et précision, et les appuie d'invincibles raisonnements ; il est partout solide et logicien rigoureux. Massillon, enfin, apprend à sentir et à rendre avec une grâce parfaite la pensée, le raisonnement et le sen- timent. La réunion du génie de ces grands hommes serait la perfec- tion idéale de l'éloquence de la chaire. Après eux, mais à une grande distance, viennent le P. Cheminais, remarquable par l'onc- tion et la douceur ; Fléchier, que distingue la grâce des pensées et de l'expression; le P. Ségaud, que recommandent un grand fonds d'instruction, beaucoup d'énergie et d'élégance; Cambacérès, qui a quelque chose de la force de Bourdaloue et de la grâce de Massil- Ion; le P. de Larue, l'on trouve une méthode et un style toujours convenables; le P. Giroust, sage et solide; M. Joly, évêque d'Agen, tendre et pathétique. On pourrait encore citer avec honneur le P. de Neuville, le P. Elysée, le P. Bretonneau, MaroUes, le P. de Ligny, le P. MacCarlhy et M. Borderies, évêque de Versailles.

COURS SUIVI D'INSTRUCTIONS. 585

CHAPITRE II

Da cours suivi d'instructioiifs sur la doctrine chrétienne *.

On entend par ce cours une suite méthodique d'instructions coor- données et enchaînées ensemble, dans lesquelles on développerait aux fidèles : 1 ° l'historique de la religion depuis sa première ébauche <^f^'^ dans le paradis terrestre jusqu'à sa dernière perfection par Jésus- Christ; ce que nous devons croire (le symbole) ; ce que nous de- vons pratiquer (les commandements de Dieu et de l'Église); ce que nous devons éviter (les péchés capitaux); ce que nous de- vons recevoir (les sacrements) ; ce que nous devons demander (l'oraison dominicale) ; et, en parcourant ce plan, on trouverait faci- lement l'occasion de traiter le saint sacrifice de la messe, les prin- cipales cérémonies de l'Église, les pratiques de piété les plus utiles, tout ce qu'il est convenable d'enseigner aux fidèles.

Cette notion ainsi précisée, nous traiterons T de l'importance d'un pareil cours ; de la manière de le faire.

ARTICLE 1".

DE l'impoutance de ce cours.

De fous les genres de prédication ce cours est sans contredit le plus utile, le plus nécessaire et le plus intéressant.

Le plus utile : c'était l'avis de M. de la Motte, évoque d'Amiens ; rcxpôriencc le lui avait appris. Pendant plusieurs années, lorsqu'il était théologal de Carpentras, il avait suivi dans ses prédications la marche que nous venons d'indiquer, et en avait recueilli des fruits si abondants, que, lorsqu'il futévèque, il conseillait à tous ses curés de suivre celte méthode comme la meilleure qu'il connût. M. Joly, évêquc d'Agon, reconnnandait la niênie pratique à tous les pasteurs de son diocèse; l'ieury en démontre au long les avantages dans la préface de son Catéchisme historique ; et Fénelon exprime avec cha-

* Voyez Collet, Devoirs d'iui [lu.steiu", ji. '210-'271.

*386 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

leur le vœu qu'elle soit adoptée partout. « Il n'y a, dit il, ni art ni « science dans le monde que les maîtres n'enseignent d'une ma- « nière suivie, par principes et avec méthode : il n'y a que la reli- « gion qu'on n'enseigne point de cette manière aux fidèles : on leur « donne dans l'enfance un petit catéchisme sec qu'ils apprennent « par cœur sans en comprendre le sens, après quoi ils n'ont plus « pour inslruction que des sermons vagues et détachés. Je voudrais « qu'on enseignât aux chrétiens les premiers éléments de la religion « et qu'on les menât avec ordre jusqu'aux plus hauts mystères. » Et, en effet, ce cours suivi d'instructions aurait l'avantage défaire connaî- tre aux fidèles, avec un ordre parfait, le magnifique ensemble de la religion, son histoire, ses dogmes, sa morale ; et par de les mettre en état de comprendre toutes les instructions, de se rendre compte des motifs et de l'objet de leur croyance, d'expliquer et de défendre leur foi. Par encore on retrancherait une des plus gran- des difficultés du saint tribunal, qui est le peu d'instruction des pénitents, et l'on ferait facilement entrer dans toutes les âmes de vifs sentiments d'admiration et d'amour pour une religion dont toutes les vérités forment un corps de doctrine si parfait, un ensem- ble si bien lié, si bien coordonné, qu'on ne peut le contempler sans en être ravi,

Ce cours est le genre de prédication le plus nécessaire. C'est là, en effet, le seul moyen d'enseigner la religion comme il faut, et de former un peuple véritablement et solidement instruit. Car ce n'est pas savoir la religion que d'en connaître seulement des lambeaux dé- cousus et sans ordre : il faut en posséder l'ensemble, discerner les rapports qu'ont entre elles ses différentes parties, et connaître la liaison qui en fait un tout parfaitement coordonné : autrement on n'entendra pas le corps de la doctrine chrétienne et la suite des desseins de Dieu sur nous. Or, jamais on n'arrivera à ce but par des prédications sur des sujets détachés et sans suite. Que dirait-on d'un professeur qui, voulant enseigner à ses élèves la théologie dogmati- que et morale, leur ferait des dissertations savantes aujourd'hui sur l'incarnation, demain sur la restitution, une autre fois sur l'orgueil, puis sur la grâce, un autre jour sur la Trinité, puis sur les contrats ou les sacrements? Évidemment ce maître étrange n'apprendrait jamais la théologie à ses élèves, parce que la religion, comme foutes les sciences, ne peut bien s'enseigner qu'en mettant de l'or- dre dans les leçons qu'on en donne, qu'en disposant chaque ques- tion à sa place et s'attachant à suivre le fil et la génération des idées.

COURS SUIVI DINSTP.UCÏIONS. 587

ïl en est de même du pasteur qui, au lieu de suivre \m cours d'in- struclions, traite chaque dimanche des queslioi^.s isolées : ou l'en- tendrait pendant vingt ans qu'on ne saurait pas la religion comme on la doit savoir. Car, indépendannnent du défaut de suite dans son enseignement, il est impossible que, prenant les sujets sans ordre et comme ils se présentent, il n'oublie pas de traiter, quelrpiefois pendant de longues années, plusieurs vérités importantes, les unes de nécessité de précepte, les autres de nécessité de moyen. L'expé- rience ne le prouve que trop : combien de paroisses l'on a laissé écouler dix et vingt ans sans expliquer une seule fois aux peuples les mystères de la Trinité et de l'Incarnation, les sacrements d'ex- trême-onclion et de mariage, les actes de foi, d'espérance et de charité, l'oraison dominicale et autres sujets non moins essentiels, dont le pasteur doit l'explication fréquente à son peuple, sous peine de péché mortel ! On se borne à prendre un texte de l'Évangile du jour et à dire à ce propos tout ce qui vient dans l'esprit, excepté les explications de la doctrine chrétienne, dafts lesquelles on trouve qu'on n'a pas le temps de descendre ou qu'on juge peu compatibles avec le langage élevé de l'éloquence. De vient que tant de iîdèles, même les plus assidus aux instructions de chaque dimanche, igno- rent encore les premiers éléments du christianisme, et l'essentiel de la religion. S'ils ne savent pas d'ailleurs le catéchisme, impossible que les instructions, telles qu'elles se font habituellement, le leur apprennent. De vient que tant de sermons et de prônes sont sans fruit, parce qu'ils présupposent dans les auditeurs des connaissances qui leur manquent, faute du cours suivi dont nous parlons. De enfin le dégoût de la parole sainle, parce que l'absence de ces con- naissances leur rend inintelligible, et par conséquent ennuyeuse, une grande partie des instruclions.

Le coui's suivi n'est pas seulement le plus nécessaire ; il est encore le plus intéressant de tous les genres de prédication. Dans un temps l'instruction religieuse est si rare, soit parmi le i)eu|de, soit parmi les honnnes du monde de la classe élevée, parmi même les fidèles assidus à l'église, ce genre d'instru(;tion est de nature à charmer infailliblement les auditeurs : comme il aura dans leur esprit le mérite do la nouveauté, il excitera vivement leur curiosité et provoquera toute leur attention. Puis l'ensemble de la religion leur apparaissant pour la première fois, et h; récit des faits si beaux .•sur lesquels notre croyance est fondée ou dont elle se compose, se déroulant devant eux dans un ordre pai'fail, foi'uii'ront des tableaux

388 THAITE DE LA PREDICATION.

d'un tout autre intérêt que des prônes détachés, le plus souvent il n'y a de saillant que les reproches désagréables qu'on adresse à Taudiloire. Enfin, toutes les instructions se faisant suite, l'une fera désirer l'autre, et on viendra avec plaisir entendre la continuation de ce qui aura si vivement intéressé.

ARTICLE 2.

DK LA MANIÈRE DE FAIRE UN COUnS SUIVI d'iNSTRUCTIONS SUR LA DOCTRINE CIir.ÉTIEiSNE.

Ce cours suivi existe déjà presque tout fait dans le Catéchisme du concile de Trente, et en abrégé dans la Doctrine chrétienne de Lhomond, dont chaque leçon fournit une matière si intéressante d'instruction. Pour développer ces deux auteurs, on a les Instruc- tions familières de Guillet, Lambert, Bonnardel, les Catéchismes de M. de Lantages et de Couturier, de Montpellier et de Bourges. Avec de pareilles ressources, rien de plus facile que la composition de ce cours ; il ne faut qu'un peu d'étude, un esprit droit et du zèle.

L'ordre et la clarté sont les deux caractères dominants de ce genre d'instruction : il faut de l'ordre pour disposer chaque question à sa place, enchaîner les matières les unes avec les autres, procéder tou- jours méthodiquement et dans le fond et dans la forme, et montrer aux fidèles la suite merveilleuse de nos mystères, l'ensemble de toutes les vérités dont la religion se compose. Il faut de la clarté pour se mettre à la portée de son auditoire et se faire parfaitement com- prendre à tous. Si l'on est bien compris, si l'on éclaircit tout ce qu'on dit par une grande netteté d'expressions, une parfaite lucidité de pensées, et, au besoin, par des comparaisons et des exemples, on est sûr d'intéresser au plus haut point et d'être très-utile

Le seul exorde que demande ce genre de prédication est de rap- peler ce qu'on a dit dans les instructions précédentes, pour en mon- trer la connexionavec ce qu'onva dire, et faire ainsi saisir l'ensemble. Dans le cours de l'instruction, il faut entremêler, toutes les fois qu'on en trouve l'occasion, des réflexions propres à nourrir la piété, à ranimer la foi, à réformer les mœurs, mais brièvement et sans trop les étendre pour ne pas rompre le fil du discours; et à la fin on termine par une péroraison animée et pathétique, contenant des résolutions d'une vie nouvelle analogues au sujet traité.

11 est louable d'interrompre ce cours dans les grandes solennités^ pour faire un sermon sur la fête ou le mystère, ainsi que dans les

4" €<9-^^

DE L'HOMELIE. 589

temps d'avent et de carême, pour traiter avec force les principales vérités de la religion, et frapper les grands coups qui touchent et convertissent. Des grâces particulières sont attachées à ces jours de salut. Ce doit être pour les peuples comme un temps de mission ou de retraite ; et un curé zélé sait en profiter pour remuer sa pa- roisse. L'interruption aura même ce grand avantage qu'on ne se blasera pas avec le cours, et que la reprise fera chaque fois un plaisir nouveau.

CHAPITRE m

De l'filoniélie *.

L'homélie est une explication simple et pieuse, une sorte de para- phrase de l'Évangile ou de l'Épitre, d'où l'on tire des réflexions morales pour l'édificalion des auditeurs. Cette méthode d'instruire, qui est la plus simple, est aussi la plus ancienne dans l'Église. Dans les premiers siècles, le lecteur lisait d'abord pendant un certain temps les divines Écritures; Tévêque ensuite prenait la parole, commentait la lecture qu'on venait de faire, puis en déduisait des instructions pratiques, accompagnées de détails de mœurs pleins d'intérêt et de sorties éloquentes contre les vices du temps. Tantôt un seul verset lui suffisait, tantôt il en prenait davantage, plus ou moins selon que les vérités qui y sont contenues lui semblaient demander plus ou moins de développement; et, pour mettre de la suite dans ces instructions, il reprenait toujours la fois suivante il en était resté, et ne quittait point un livre de l'Kcriturc sainte qu'il ne l'eût entièrement expliqué.

Telle était la méthode des anciens, et ils la préféraient à tout autre genre. Eu effet, elle demande moins de travail ; et la composition de sermons, tels qu'ils sont en usage aujourd'hui, eût été incompatible

* Voyez lo P. AHjcit, III» partie, c. viii, ix et x. Mélliode de Desaiiçon, t. II, p. 8ri. Grenade, liv. iV, c. vi. Pastoral de I.imojies, t. 11, II" ])artie, tit. II, c. VII. Devoirs d'un pasteur, p. '.!(>!). L';i]jl)i; Aiij^er, prolucc sur «aiut Jean Clirysostoine, p. (i8 et suiv

390 TRAITE DE LA PREDICATION.

avec le laborieux ministère des évêques de ces temps anciens : d'ail- 'eurs l'homélie, se prêtant facilement à la variété des réflexions, permet d'embrasser, dans une seule instruction, les différents besoins des aufiiteurs, bien mieux que le sermon essentiellement restreint dans une ou deux vérités, souvent sans intérêt, sans appli- cation pour plusieurs; puis ces enseignements, immédiatement appuyés sur la parole de Dieu qu'on suit pas à pas, ont une tout autre autorité que les raisonnements du prédicateur, qui dominent dans les autres genres d'instruction, sans compter que l'homélie souffre des détails pratiques que ne comporte guère le genre élevé du ser- mon, et que, comme elle se compose souvent de vérités indépen- dantes les unes des autres, les distractions inévitables à la faiblesse humaine qui surviennent pendant l'instruction, n'empêchent pas de profite;r des morceaux isolés qu'on entend; tandis que, dans le sermon, une distraction fait souvent perdre le fil, l'intérêt et le fruit de tout le discours. Aussi voyons-nous que les auditeurs goûtent plus en général une bonne homélie qu'un sermon ; ils suivent avec intérêt celui qui leur explique bien l'Évangile, qui leur en fait remarquer les endroits saillants, qui en tire des réflexions et des applications utiles ; et ils aiment à apprendre ainsi à la fois leur religion, leurs devoirs et les plus beaux endroits de l'Écriture sainte : ils sont même très-faciles à contenter dans ce genre. Dés qu'on leur expUque passa- blement l'Évangile, ils sont satisfaits. On peut donc très -utilement adopter le mode de l'homélie lorsqu'on voit la paroisse bien instruite par le cours suivi dont nous avons démontré l'importance au chapitre précédent.

Quoiqu'il faille moins de préparation pour l'homélie que pour le discours relevé, cependant il en faut toujours, sous peine de ne faire que des homélies froides et insipides, languissantes et infructueuses; et voici quelle doit être cette préparation : il faut commencer par étudier avec soin le texte qu'on doit exphquer, le bien méditer, s'en pénétrer et choisir avec discernement les endroits sur lesquels il faudra insister; car on ne doit pas s'arrêter à toutes les circonstances, ni prétendre épuiser son sujet; l homélie deviendrait d'une longueur ennuyeuse. Dans cette étude, il faut observer quatre choses : le sens littéral, le sens moral et spirituel, les applications pratiques et les exhortations analogues. Four l'explication du sens littéral, il faut indiquer le temps, l'occasion et les autres circonstances des faits ou des maximes contenues dans le texte, expliquer les paroles qui ne sont pas claires par elles-mêmes, et, s'il y a lieu, les usages de l'an-

DE L'HOMÉLIE. 391

cienne loi dont la connai.-sanœ serait nécessaire à l'intelligence du passage, enfin ne rien laisser d'oljscur sans l'éclaircir. Si c'est une parabole, il faut n'en développer la lettre que pour en expliquer l'esprit, et en faire ressortir le dessein plutôt que les circonstances historiques, dont plusieurs ne sont quelquefois qu'un accessoire en. dehors du sujet. Si le texte y prête, on peut joindre des réllexions dogmatiques, rarement des considérations physiques, jamais de discussions critiques, à moins qu'elles ne naissent du sujet et ne soient utiles aux auditeurs. 2'' Pour l'explication du sens moral et spi- rituel, il faut choisir les considérations les plus .simples et les plus naturelles, les plus pieuses et les plus adaptées aux besoins de la paroisse, et éviter les interprétations forcées, les allégories poussées trop loin, comme on en trouve dans saint Grégoire pape et dans saint Augustin; c'était le goût du siècle de ces grands hommes: vivant de nos jours, ils parleraient autrement. 3" Pour les applica- tio/is pratiques, il faut se conformer à ce que nous avons dit à ce sujet dans la première partie du premier livre sur la manière d'a- dapter la prédication aux besoins des auditeurs. 4'' Quant aux exhor- tations analogues au sujet, elles doivent être vives, pressantes, pathé- tiques, accompagnées d'affections et de pieux mouvements.

Mais en quelles formes convient-il de présenter ces homélies? On peut distinguer ici quaire manières :

La première serait de réduire tout l'Évangile du jour à un seul sujet et à une division régulière, lorsqu'on le peut sans forcer le sens. AJnsi, dans l'Évangile de l'Enfant prodigue, on pourrait montrer ; 1'' le rnallieur du p*W;heur qui a abandonné Lieu ; 2'' les sentiments dans lesqu'.-ls il faut revenir à Dieu ; 5'' la bonlé de Dieu envers le pécheur qui se convertit. On peut de même considérer dans l'Évan- ;^ile de la Magdeleine : son péché, sa pénitence, sa parfaite réconci- liation avec Dieu; dans la Cananée : les motifs de priwr, les qualités de la prière, les fruits de la prière ; dans la Samaritaine : ce que fait Jésus pour elle, ce qu'elle fait pour Jésus ; dans le Mauvais riche : ses péchés, qui consistent à être vain, fastueux, sensuel, et son châti- ment ; dans 1 Évangile du Pharisien et du Publicain ; les effets de l'orgued et de l'humilité; dans la Parabole de la semence : la néces- sité et l'utilité de la parole de Dieu, les obstacles qui en empêchent l>: fruit, et ce qu'il faut faire pour en profiter.

La seconde manière est de prendre deux ou trois traits de lÉvan- gile relatifs à une vertu ou à un vice, de le« traiter l'un après l'autre quoique disparates et incapables de former entre eux une division

592 TRAITE DE LA PRÉDICATION,

juste, et de les développer selon ce que nous avons dit de la manière de traiter les vertus et les vices.

La troisième manière est d'expliquer, dans un premier point, 'Évangile du jour tout entier, et d'en déduire, dans un second point, les conséquences morales et pratiques : c'est la méthode de saint Jean Chrysostome.

La quatrième manière, c'est d'expliquer toutes les phrases de l'Évangile, et de tirer de chacune d'elles, à mesure qu'on l'explique, les affections et les moralités qui en découlent : changeant ainsi de matières presqu'à chaque verset, on a lieu d'attaquer plusieurs vices, d'enseigner plusieurs vertus, de recommander plusieurs pratiques utiles, et, par cette variété, chacun trouve dans l'instruction un secours à ses besoins, un remède à ses faiblesses. D'un autre côté, cependant, cette méthode a son inconvénient, c'est qu'en voulant tout expliquer il est difficile de rien approfondir, de remuer et de toucher les cœurs. On n'a guère que le temps d'effleurer les matières.

Si, à raison de lalongueur des offices ou de quelque aulre obstacle, on ne peut pas faire, certains dimanches, une longue instruction, on pourrait exposer brièvement l'Évangile, et en tirer, pendant cinq à six minutes, une ou deux réflexions intéressantes. Si elles étaient proposées d'une manière claire et touchante, les auditeurs les écou- teraient sans en rien perdre, et en profiteraient plus quelquefois que d'un long discours.

Les modèles les plus parfails d'homélies sont, parmi les Pères latins, saint Ambroise et saint Grégoire le Grand; parmi les Pères grecs, saint Chrysostome sur saint Matthieu. Dans ce dernier, l'ho- mélie a toute la force, toute la grandeur, tout le sublime d'un dis- cours chrétien. On y trouve des tours d'éloquence qui saisissent, des portraits du cœur humain frappants de vérité, des peintures du vice, des mœurs et des scandales de son siècle, qui montrent tout le zèle d'un homme apostolique, enfin,, un style noble, élevé, brillant, ingé- nieux, véhément, qui ravit et entraîne les lecteurs. Parmi les mo- dernes, mais à une grande dislance, brille au premier rang le car- dinal de La Luzerne, dans son Explication des Evangiles, puis l'abbé de Monmorel, M. Godeau, évêque de Grasse, le P. Maimbourg, Lam- bert et Lachétardie.

Un pasteur se composerait facilement à lui-même d'excellentes homélies en notant, à mesure que les pensées se présentent dans ses lectures ou ses réflexions, ce que les évangiles des dimanches et fêtes offrent de plus remarquable, de plus pieux et de plus utile.

DU PRONE. 393

CHAPITRE lY

Du Prône *.

Le mot prône vient du grec Trpôvaov (en avant du temple ou du sanctuaire), et s'appliquait autrefois à l'instruction qu'on donnait dans la nef de l'église aux catéchumènes et aux chrétiens réunis. Aujourd'hui ce mot a différents sens : il signifie, le prône qui se trouve imprimé dans tous les rituels, et dont tous les évêques pres- crivent la lecture à certains jours ; 2' il se prend souvent comme terme générique pour signifier toute espèce d'instruction qui se donne à la messe paroissiale; pris dans son sens propre et strict, il désigne une instruction courte et simple qui se fait le Dimanche pendant la messe de paroisse, sur un sujet de dogme ou de morale. Ainsi le prône diffère de l'homélie en ce qu'il ne s'attache jamais qu'à un sujet détaché, sans se proposer la paraphrase de l'Écriture sainte; et il diffère du sermon en ce qu'il ne s'asservit pas aux régies que donne la rhétorique pour le discours oratoire : c'est le langage plus simple d'un père à ses enfants, d'un maître à ses disciples : l'artifice de la rhétorique est la chose du monde à laquelle il pense le moins.

Le prône, ainsi entendu, est souvent plus utile que le sermon, en ce que son genre étant plus simple, il est plus à la portée des ou- vriers, des pauvres, des esprits non cultivés, et plus propre à répan- dre l'instruction parmi le peuple : souvent aussi il est plus utile que l'homélie, en ce que, ne partageant point l'attention sur plusieurs ohjcls, il peut mieux mettre dans tout son jour le sujet détaché qu'il traite, en tirer des conséquences et en faire des applications pra- tiques, réfuter les ohjcclions et poursuivre les contradicteurs dans tous leurs retranchenieiils. Le se(;ret pour prendre une place est de réunir toutes ses forces sur un seul point plutôt que de les éparpiller de manière à attaquer faiblement sur plusieurs points à la fois.

Pour obtenir ces heureux résultats du prône, voici les règles qu'il y faut observer.

1" Il faut préparer son prône avec soin et plusieurs jours d'avance.

* Voyez Pastoral de Limoffcs, t. II, II* partie, lit. n, c. vnr.

594 Tr.AlTK DK LA rilÉDICATION.

C\"sl une g-raiulo illusion de croire qu'il sul'lil d'y i)onsor la veille ; la darlé de l'inslruelion, les détails de mœurs, l'oMclioii de la [)iété, lie s'improvisent j:uère; et la prédication sans préparation n'acquitte pas la conscience du pasteur, parce que, connue nous l'avons déve- loppé ailleurs, au lieu d'avoir cet intérêt, cette force, celte clarté propres à instruire et à loucher, elle n'a le plus souvent d'autre effet que de dé^dûter de la parole de Dieu.

La matière des prônes embrasse tous les devoirs de la vie chré- tieime; et il est important de les passer successivement en revue dans le! cours de chaque année. Mais il faut s'attacher surtout à in- culquer forteuicnt et à rappeler souvent certains points essentiels, savoir : les lins dernières, la folie de l'homme qui ne s'inquiète pas de son éternité, la haine du péché et le bonheur que donne la vertu, qui est la source des vraies joies, un remède à tous les maux, une consolation à toutes les peines ; 2 " la fuite des occasions qui exposent l'imiocence, connne les compagnies dangereuses, les paroles li- bres, etc. ; o" l'usage fréquent des sacrements de pénitence et d'eu- charistie, et les dispositions qu'ils exigent, matières qu'il est important de rappeler chaque année à l'époque du carême : la charité envers le prochain, d'où l'on infère le pardon des injures, le support des défauts, la paix dans les ménages, la douceur des rapports entre les parents et les enfants, les maîtres et les serviteurs, la cessation des médisances, des injustices, des jurements, des emportements et des querelles; la relation de toutes ses actions à une fin surnaturelle, la dévotion au Saint-Sacrement et à la sainte Vierge, le souvenir de la présence de Dieu ; 6" la réforme des vices les plus communs, des abus ou des désordres principaux et la pratique des vertus les plus négligées ; et l'on ne doit pas craindre d'insister sur ce point avec une sorte d'importunilé, parce que les remèdes doivent se continuer aussi longtemps que dure la maladie: c'est ainsi que le pratiquaient les Pères. Saint Ambroise a fait plusieurs discours de suite contre l'usure ; saint Chrysostome ne se lassait point d'invectiver contre la colère et d'exhorter à l'aumône*; saint Augustin poursuivait les abus tant qu'il en restait un seul vestige. Mais pour ne pas indisposer les auditeurs par des redites ennuyeuses, il faut diversifier l'entrée, le tour, les détails et la conclusion de son discours, de telle sorte qu'il paraisse toujours queUpie chose de nouveau, quoique le fond soit le même. II est essentiel que les auditeurs ne puissent pas dire ni

* Voyez on particulier son homélie xv, sur l'Épître aux Romains, vrai chef- d'œuvre.

DES AVIS. 595

même penser que tous les dimanches on leur répète la même chose.

S** Quant à la manière de faire le prône, on ne requiert ni texte, ni exorde, ni préambule : on aborde tout simplement son sujet après la lecture de l'Évangile; les divisions peuvent y être tolérées, mais n'y sont point nécessaires. Les raisonnements élevés y seraient dé- placés : il ne faut que des preuves simples, mais cependant toujours solides, beaucoup de comparaisons et d'exemples : les grands mou- vements oratoires n'y sont pas de mise : il faut, en leur place, des explications claires, des exhortations pressantes à se corriger, des détails de mœurs dans lesquels chacun se reconnaisse ; il ne faut ni un style négligé et trivial, ni un style recherché et magnifique, mais un style coulant, naturel, qui rende la vérité si clairement, que les plus ignorants ne puissent pas ne point la comprendre, et une élo- quence tout à fait populaire, quoique toujours digne de la majesté de la chaire. On termine le prône en indiquant certaines pratiques de piété, certains actes de vertu pour la sanctification de la semaine et en invitant les auditeurs à réfléchir souvent d'un Dimanche à l'autre sur le sujet traité et à s'en rendre compte en famille. Le prône est comme la nourriture distribuée au troupeau pour toute la semaine, afin que celui-ci la rumine et s'en alimente chaque jour. Le pasteur doit ensuite, dans les visites qu'il a occasion de faire, s'as- surer par des interrogations discrètes si on l'a bien compris, et si l'on a été fidèle aux pratiques indiquées.

Les meilleurs prônes que nous ayons sont ceux de Lambert, do .loly, de Henry, de Billot, de Guillet, les instructions de Toul et les quatre années pastorales de Badoire. Ce dernier ouvrage, publié par M. Mignc en 1 vol. m-4% contient, pour tous les dimanches et fêtes, deux ou trois instructions courtes, solides, nourries d'Écriture sainte, semées de détails pratiques ; on y trouve l'ordre, la clarté et un langage plein de foi et de piété. ç>ît/. â«4^ S/-';C-y ./ ClJ^^ yj

CHAPITRE V

Des Avis*.

Des avis judicieux, donnés avec zèle et à propos par un pasteur attentif à profiter de tout pour le salut de ses paroissiens, sont \\\\ * Voyez Métliotlc de Besançon, t. II.

306 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

puissant moyon de faire le bien. Ils produisent souvent plus d'impres- sion que les sermons et les prônes; on les écoute avec plus d'atten- tion, on en est plus touché, on les retient mieux et l'on aime à s'en entretenir liors de l'église et dans la famille. Tous ces avantages font qu'ils peuvent tenir lieu du prône quand ils ont duré un certain temps; et alors on peut les conclure en disant que, pour ne pas retenir trop longtemps les auditeurs, on se bornera ce jour-là à quel- ques courtes réflexions sur l'Évangile.

Pour que les avis produisent ces heureux fruits, il faut, avant de les donner, y bien réfléchir et se demander : 1" si la chose en vaut la peine: car un avis donné sur des minuties est tourné en ridicule; 2" s'il y a lieu d'espérer que cet avis sera bien reçu : car s'il n'y a pas de fruit à en attendre, il vaut mieux se taire ; comment on mesurera ses expressions pour que l'avis soit juste, exact et clair: car si l'avis manque de justesse et d'exactitude, on ne songera qu'à le critiquer; et s'il manque de clarté, on ne le comprendra pas, on le dénaturera, et il en résultera plus de mal que de bien ; A" enfin, comment, si nous étions à la place des auditeurs, il faudrait nous parler, pour que nous reçussions cet avis avec plaisir et fruit. Celte question, pour peu que nous connaissions les mœurs et la conduite des gens du monde, nous apprendra à accompagner toutes nos pa- roles de ce tact et de cette prudence qui les feront toujours bien re- cevoir, comme nous l'avons observé ailleurs. Telles sont les quatre questions qu'il faut se faire à soi-même avant de donner un avis ; et de nous pouvons tirer une conclusion de la plus haute impor- tance: c'est qu'il ne faut jamais donner d'avis dans un premier mo- ment d'émotion, mais attendre toujours le calme et la maturité de la réflexion.

Après avoir bien réfléchi sur les avis qu'on a à donner et bien prié Dieu de les bénir, on peut monter en chaire et parler avec con- fiance. On commence par demander avec autorité et bonté l'atten- tion des auditeurs, leur disant par exemple : « J'ai quelques avis « irnportanis à vous donner ; je vous prie de les écouter avec grande « attention, de les recevoir avec docilité, comme je vous les donne « avec affection et dans vos plus chers intérêts, d'en faire part à « ceux qui ne sont pas à l'église, etc. J'ai la confiance que vous en « profiterez, etc.. » Après ce préambule ou un autre semblable, on dit ce qu'on a à dire, mais sans trop l'étendre: la prolixité en diminuerait la force; ni sans trop l'abréger: on n'aurait pas le temps de faire impression. On l'appuie de raisons solides, sans y mêler ni

DES AVIS. 397

reproches, ni paroles piquantes qui sentent l'humeur, ni menaces, ni invectives, et l'on s'atîache à rappeler aux auditeurs ce qu'ils doivent à Dieu, au public, à eux-mêmes ; on les excite par la vue de la récompense, on les effraye par la pensée de la mort, du ju- gement, de l'enfer, présentée avec bonté, en tempérant toujours ce que le reproche a d'amer par la douceur et la tendresse de la cha- rité.

Lorsque l'avis a été goûté et suivi de son effet, il faut en féliciter les auditeurs, leur témoigner son contentement et sa grande con- solation: ces paroles d'encouragement leur font plaisir, les disposent à la docilité pour une autre fois, et resserrent les liens entre le pas- teur et le troupeau. Si, au contraire, l'avis n"a pas réussi, il faut, après beaucoup de prières adressées à Dieu, le réitérer avec patience et douceur, à la première occasion favorable; le rappeler en parti- culier au saint tribunal, dans les visites, dans les conversations, et prouver ainsi qu'on ne perd pas de vue le bien entrepris, qu'on le poursuit avec modération, mais avec constance.

Il ne faut jamais donner d'avis , ni pour ses intérêts personnels, ni sur des matières qui pourraient tourner à la diffamation de quel- que personne en particuher, ni contre des désordres secrets dont la révélation serait un scandale ou donnerait lieu à des jugements ou soupçons téméraires ; ni pour censurer tout ce qu'on a appris s'être passé de peu régulier dans la semaine, soit entre particuliers, soit dans le secret des familles. Quand même le scandale serait public, ce n'est pas toujours une raison d'en parler publiquement. Il faut voir aupa- ravant si un pareil remède n'aigrira pas au lieu de coriiger ; et sup- posé qu'on croie prudent d'en venir là, il faut se défier delà vivacité et de l'indignation du zèle qui pourraient laisser échapper quelque parole imprudente, exagérer le mal et parler avec humeur: c'est le cas de préparer, aux pieds du crucifix ou de l'autel, ce qu'il convient de dire, et encore alors serait-il bon de prendre conseil d'un con- frère sage et expéiimenté.

Les avis ne doivent pas être trop fréquents, assueta vilescunt; et, pour les donner, il faut choisir les temps convenables, c'est-à-dire le temps il est probable qu'on les recevra le mieux ; le temps l'on peut les mettre en prati(iue hic et mine ; enfin les occasions qui y prêtent, par exemple une mort subite, une maladie contagieuse, un temps d'afflictions ou de calamités, le nouvel an, l'approche du carnaval, l'ouverture du carême et du temiis pascal, lo. dimanche des Rameaux pour instruire sur la semaine sainte, les dimanches d'a\ant

r.VS TRAITE DE I-A PUEIMCATION.

los Roirnlions cl la FiMe-Dieu, l'ôpoqiie des foins, dos moissons et des V(Mid:inL;(\s , rentrée de Tliivor ponr prévenir les dangers des soirées, (pielqne grande sdieiniité, la fêle du jialroii ou d'un autre saint dont on citera quchpies traits touchants. On trouveiM tous ces avis dans 1m .Vélliode de iiesanyon et dans la Théologie de Sœlller, t. V, p. i;ic».

CHAPITRE YI

B5«>«* Conférences *.

La conférence est une instruction dans laquelle un ecclésiastique propose au prédicateur des questions sur la religion, et celui-ci y répond. Cette manière d'enseigner, qui nous vient de la nature, a été usitée dés les premiers siècles-. Les évoques interrogeaient le peuple et en étaient interrogés ; les religieux surtout en faisaient un fréquent usage, comme on le voit parles écrits de Cassien et de saint Basile. Aujourd'hui les conférences sont moins en vogue; mais ce- pendant leur utilité est incontestable : le peuple y accourt avec plaisir, les entend avec charme, les suit avec d'autant plus de faci- lité que les demandes qui entrecoupent l'instruclion réveillent son intérêt et soutiennent son attention. Elles donnent lieu d'expliquer la doctrine d'une manière familière et à la portée de tout le monde, de développer les vérités pratiques et de descendre à des détails qui n'ii-aieut que difficilement dans un autre genre d'instiuclion, d'ou- vrir les yeux aux pécheurs sur les vices de leurs confessions, sur des obligations de restituer ou de réconcilier qu'ils se dissimulaient à eux-mêmes, et d'instruire tous les fidèles sur des points importants auxfpu.'ls ils n'avaient jamais pensé. Elles ont encore un aulre avan- tage, elles servent même à toucher les pécheurs et à les convertir, parce qu'on y fait venir à son gré l'occasion de parler avec force et chaleur des grandes vérités de la religion et des fins dernières. Enfin, elles sont utiles pour varier le mode d'instruction et ôter le dégoût de ce qui est toujours le même.

* Voyez rnstoral do I.iumjjcs, t. II, IP parlic, t. II, c. i.\. - Hiclitmiiaire ae Trévoux, art. lloiuclic.

DES CONFÉRENCES. 399

Les conférences ont leurs règles, comme tous les autres genres de prédication ; et si l'on n'y était fidèle, elles tourneraient au déi^hon- neur de la parole de Dieu, au détriment de la religion et à la perte des âmes.

Il faut s'y interdire la plaisanterie, les expressions puériles, basses ou qui portent à rire. Le caractère de la chaire doit être tou- jours grave et sérieux; la plaisanterie doit en être bannie ; elle ôte- rait au prédicateur l'autorité et l'onction, à l'auditeur le recueille- ment et la piété. Ce n'est pas qu'on ne puisse rabattre quelque chose de la gravité du sermon à raison des détails il est bon d'entrer , mais ces détails doivent toujours être accompagnés de réserve et tendre à l'édification.

Il ne faut pas y proposer certaines objections contre la religion qu'il serait dangereux de développer au peuple, soit parce qu'il ne serait pas en élat d'en saisir la réfutation, soit parce que, très-atten- tif à l'objection, il pourrait être distrait à la réponse, et ne rem- porter de la conférence qu'une arme contre la religion, une ten- tation pour la foi. Les matières les plus propres aux conférences sont les préceptes que la cupidité oppose au devoir, tout le détail du Dôcalogue et spécialement les matières de justice, de restitution et de contrats, toutes les parties du sacrement de pénitence, les actions ordinaires de la journée, et enfin les questions morales ou cas de conscience.

Le prédicateur qui ouvre la conférence doit commencer par un texte de l'Écriture sainte, relatif aux questions qu'il veut traiter, le développer comme dans les exordes ordinaires, de manière à ame- ner le sujet, à moins que la conférence ne fit suite à d'autres confé- rences antérieures ; dans lequel cas il se bornerait h reprendre en peu de mots ce qui aurait été dit, pour lier l'instruction dernière avec la présente. 11 propose ensuite son sujet, en fait sentir l'utilité et l'impoi tance, afin d'exciter l'attention, et le divise en deux ou trois questions principales; par exemple, s'il traite la confession générale, il annonce qu'il examinera si elle est utile à tout le monde; si elle est nécessaire à plusieurs; si elle n'est impossible à personne. Après cet cxorde, il dit quelques mots pour entrer en maliéic, puis annonce que pour mieux éelaircir la chose, il va prier son interlocuteur de lui adresser en toute libellé des questions sur ce sujet. Alors commence le dialogue, et voici les devoirs de l'inter- locuteur : 1" Il ne doit proposer que les demandes convenues aupa- ravant ; en agir autrement, ce serait exposer la vérité à être mal

400 TRAITK DE L\ PRËDICATJON.

di''ftMi(]iio. '•2" Il no doit point se bornera des demandes conrtcs et sèches, mais résumer, en l'approuvant, ce qu'a dit le prédicateur dans l'exorde ou la réi)onse, et mettre ensuite sa demande dans tout son jour pour qu'on puisse mieux saisir la réponse. 3" Il doit pro- poser SCS demandes autant que possible par forme de cas de con- science on de la manière que les auditeurs les proposeraient en sa place, de sorte que, contents de voir faire ces questions, ils en at- tendent la solution avec avidité. A" Il doit manifester et reproduire souvent le désir de s'instruire, de connaître la vérité et de la mettre en pratique, et après une réponse, dire qu'il l'a bien comprise, la réiiéter brièvement, s'avouer vaincu en louant l'érudition du prédi- cateur, sa clarté dans l'exposé, sa solidité dans les preuves, le re- mercier de sa jiatience pour l'instruire, et exprimer les bons senti- ments et les résolutions que lui a inspirés l'instruction, selon qu'il présume que les auditeurs sont affectés. 11 doit ne faire ces ques- tions qu'à propos, selon qu'elles sont amenées par le sujet, et les lier entre elles, de sorte (jue l'une conduise à l'autre, et qu'ensemble elles fassent un tout ou un sermon suivi. 11 lui est permis d'assai- sonner ses demandes de quelques traits d'esprit, afin de réveiller l'attention des assistants, qui s'attendent à trouver dans le rôle de l'interlocuteur de quoi piquer leur curiosité. Maintenant, voici les devoirs du prédicateur conférencier : 1'^ 11 doit répéter exacte- ment la question proposée, et l'expliquer aux auditeurs s'il présume qu'ils ne l'aient pas bien comprise; il donne ensuite sa réponse, mais une réponse toujours claire, victorieuse et péremptoire : il vaudrait mille lois mieux ne pas se faire proposer une question que de la rèsoudi'e imparfaitement. 11 explique celle réponse avec beau- coup de netlelé et de précision, la piouve par l'Ecriture elles Pères, la raison, les similitudes et les exemples; il y joint de saintes affec- tions et de pieux mouvements, mais des mouvements vifs et conçus en peu de paroles: une courte morale, pressée avec solidité et force, fait souv( lU alors plus d'impression que les plus beaux sermons. 2" La réponse terminée, il demande à son interlocuteur s'il a bien compris, loue son intelligence et l'encourage à faire de nouvelles questions. 7)° Il répond toujours dans un style soutenu, moins fami- lier que le calèchisirie, moins élevé que le sermon, jamais négligé. A" Pour conclusion de la conférence, il recueille des questions trai- tées qiu'lques pialiques chrétiennes, en démontre l'obligation aux fidèles, les invite à rentrer en eux-mêmes pourvoir comment ils s'en sont acquittés, les exhorte à mieux faire désormais, et leur en

DES ALLOCUTIONS. 401

inspire le ferme-propos dans une péroraison vive et animée.

¥ Il ne faut pas faire un usage habituel des conférences : trop fréquentes, elles n'exciteraient plus l'intérêt. Il faut les réserver pour certains temps, comme le jubilé, une mission, une retraite, le ca- rême. On les fait ordinairement à vêpres ; ou, quand il y a trois ser- mons dans un jour, on met la conférence entre deux.

Les meilleures conférences sont: 1" les conférences de Chevassu, en k volumes, sur le symbole, les sacrements et les commande- ments: 2" les conférences du P. Daniel de Paris, capucin, sur l'orai- son dominicale, les sacrements et les commandements.

CHAPITRE YIl

Toutes les allocutions ont ceci de commun, qu'il n'y faut ni exorde, ni division, ni péroraison ; qu'elles ne souffrent ni longs raisonne- ments, ni grandes périodes, ni mouvements violents, ni figures véhémentes et vives apostrophes : le temps qu'elles durent est trop court pour qu'il y ait place à toutes ces choses. Mais chacune d'elles, selon son objet, doit avoir un genre spécial et une couleur parti- cuhère.

Si elle a pour objet de complimenter un évêque à son entrée dans l'église de la paroisse qu'il visite, le style doit être soigné, poli, gracieux, délicat, toutefois sans affccLation; le discours doit être court, il faut se borner à un petit nombre d'idées vives et frap- pantes : la louange doit être ménagée, soit parce qu'il n'est rien de si difficile que de louer comme il faut, et que la louange maladroite est du plus mauvais goût, soil parce qu'on doit craindre d'olfenser la modestie ou d'éveiller la critique. Le fond du discours doit con- tenir : l'expression de la joie que tous éprouvent en recevant un père vénéré , le représcnlant de Jésus-Christ dans le diocèse, le dispensateur des grâces allachées au caractère de successeur des apôtres ; l'exposé de l'état religieux de la paroisse et de la ma- nière édifiante dont on s'est pré[)aré :i recevoir la visite du itremier pasteur ; o" l'insinualion des abus à coriiger, du mal à réformer,

26

402 TRAITÉ DE L.\ PRÉDICATION.

mais présentée avec une adresse qui ménage toutes les suscoptibi- lités et ne puisse offenser personne. Si, au lieu de l'évêque diocé- sain, on avait à complimenter quelque grand personnage, il faudrait ennoblir l'éloge en l'associant avec courage et prudence à quelque grande et utile vérité, faire sortir l'instruction de la louange elle- même, et être court pour éviter de se perdre dans des généralités ou des louanges déplacées.

Si l'allocution a pour objet d'exhorter les fidèles à entrer dans les dispositions que requiert une cérémonie, la célébration d'une fête, la réception d'un sacrement, ou de les porter à bien rejnplir quelque devoir, à prendre part à quelque bonne oeuvre, il faut parler au cœur, dire peu et bien : ce doit être le langage d'un père à ses enfants, langage tendre, vif et animé, facile et naturel, plein de force et d'onction. Le fond du discours doit contenir: l'exposé des motifs qui démontre la nécessité, l'importance et les avantages de la chose qu'on recommande ; l'indication des moyens ou de la ma- nière de la bien faire.

Si l'allocution a pour objet de féliciter ses auditeurs de quelque bonne œuvre, de quelque acte de vertu ou de religion, il faut y mettre beaucoup d'âme, de chaleur, d'épanchement de cœur et une sorte d'enthousiasme. On doit, les louer du bien qu'ils ont fait : « Honneur à ces homnies de cœur et de courage, qui osent se mon- « trer hautement chrétiens ! La religion les bénit, le ciel leur ap- « plaudil. Dieu les récompensera. » On doit, tirer des motifs d'es- pérance d'un bien plus grand encore qu'on attend d'eux et de toute la paroisse encouragée par un si bel exemple.

Si l'allocution a pour objet d'expliquer ou de développer quel- que point de la religion, comme une cérémonie de l'Église, l'examen de conscience, une prière, un verset de cantique, il faut alors beau- coup plus de simplicité et d'abandon : ce doit être comme une con- versation noble et simple, parfaitement claire, abaissée, quand il le faut, aux détails les plus familiers, pour mettre les choses à la portée de tous les espri!s, mais en même temps vive, animée, touchante selon le sujet, et par-dessus tout, toujours courte pour ne pas en- nuyer par des longueurs.

5" Si l'allocution a pour objet de reprendre et de corriger, il faut appliquer les règles que nous avons données pour les avis.

DES LECTURES PUBLIQUES, 403

CHAPITRE YIII

Des liCctures publiques.

Les lectures publiques sont un moyen d'instruire et d'exhorter (rès-précieux, qui réunit plusieurs grands avantages. Elles peuvent d'abord suppléer à la prédication dans bien des occasions les tra- vaux et les sollicitudes du ministère, le détail du gouvernement et les soins mêmes que demande le prône de chaque dimanche ne laissent pas le temps de préparer une instruction ou une exhortation convenable, par exemple, aux prières du soir pendant l'avent et le carême ; puis elles mettent de la variété dans l'instruction, préviennent le dégoût qu'engendre l'habitude d'entendre toujours la même per- sonne, et sont un remède à cette sorte d'insensibilité que trouve trop souvent en nous une voix avec laquelle nous sommes familiarisés ; enfin elles ont plus d'autorité que les discours sur les gens du peuple : quand un pasteur leur fait envisager que ce n'est pas lui qui con- damne tel abus, que c'est le livre même, et un livre composé par des hommes d'esprit et de mérite, un livre approuvé par les évoques, cette considération frappe singulièrement ces esprits grossiers, et ils ne voient rien à répliquer.

Mais pour que ces Lctures soient utiles, il y a plusieurs règles â observer.

Il faut choisir des lectures claires, simples, adaptées aux be- soins des auditeurs et proportionnées à leur intelUgence. Pour cela, il faut préparer d'avance ce qu'on doit lire, et omettre, sans le lais- ser apercevoir, ce qui ne convient pas, par exemple certains raison- nements trop subtils, certains détails trop diffus, certaines expres- sions obscures ou un peu libres, certains développements bons pour des riches et des gens du grand monde, mais qui ne s'appHquent pas à des gens de la campagne, à des ouvriers, des pauvres et autres personnes du peuple.

2"" Il faut faire ces lectures d'un Ion de voix naturel, en articulant bien distinctement, en prononçant pusément, gravement et avec 1 intérêt d'un honnne qui sent ce qu'il lit. Une lectiu'e faite froide- ment et avec un air d'insouciance ne peut pas intéresser; le cœur n'entend que le langage du cœur. 11 y aurait le même inconvénient

401 trahi; de l\ rr.F.mrATioN.

à pieiulro un ton |K''ii(.''!r('' (It's I'oiivcmIuic du livre on danslcs choses ([i;i ir;iui;ii(".it rien de lonclianf. I.a sensibilité .simulée refroidit aii- taiil ou pluscpie riiis'Msihilité iiiêiiie.

7)" Il faut l'aire rassortir ce ([u'il y a de plus utile uu de plus sail- lant dans les leiiures, pai- des relierions courtes, mais bien prè- s(>ntées, et par des applications pratitiues aux auditeuis. Ces ré- flexions et ces applications doivent avoir été prévues; car si on ne disait (pu^ des clioses vagues et faiblement présentées, ou ferait plus de m,il tpie de bien, on énerverait l'effet de la lecture au lieu de le corrolioi'er.

i' Il faut éviter I(>s lectures trop longues qui fatigueraient les audi- teurs, et faiie en sorte (pi'elles finisseiit toujours par quelque pensée frappante, quelque trait qui aille au cœur. Quand on rencontre de ces morceaux" heureux, il faut terminer la lecture, dût-elle être beaucoup moins longue ; mieux vaut s'arrêter que d'affaiblir, en continuant, une salutaire impression produite.

Les meilleurs livres à lire sont l'Instruction des pauvres, par le P. lluby; le Trésor des pauvres, par madame le Prince de Ceaumont; le Catéiîhisme de Couturier disposé en forme de lectures , par Mgr Morlot, archevêque de Paris; les quatre Années pastorales, par lîadoire ; les Pensées de Ilumbert, la Doctrine chrétienne de Lho- mond, rinstructiou de la jeunesse, l'Ame sanctifiée ou la lieligion pralifiue, jtar Baudî'and.

CHAPITRE IX

B>cs ,'^3î>»sîons et ReiraîJi'.s '.

*.\ous plaçons ces deux exercices sous un même titre, parce

* qu'une mission n'est qu'une grande retraite, et que d'ailleurs le

* nom de mission sonnant mal à Poreillc de bien des gens i)révenus,

* on le déguise souvent aujourd'hui sous le nom de retraite. Que la

' Voyez .'■aint Litriiori, rie VlUUitâ. des mmions et de la rnitahie manière de, prî'cher à l'aposloliquc, 1 vol iii-12. Le mC-iue, Iiislruclion pratique pour les exercices de la mission, 1 vol. in-l'i.

DES MISSIONS ET RETRAITES. 405

* retraite proprement dite soit souverainement importante pour

* retirer une âme du péché ou ranimer sa ferveur si elle est dans la

* justice, c'est une vérité si rebattue qu'il serait déplacé autant

* que superflu d'y insister; mais il n'en est pas de môme des mis-

* sions, et ces saints exercices trouvent des contradicteurs jusque

* dans le sanctuaire ; il est donc important d'en démontrer ici l'im-

* mense utilité. Nous pouvons l'établir par l'autorité et par la

* raison.

* Depuis l'origine du christianisme, il s'est toujours fait des mis-

* sions dans lÉglise : les apôtres n'étaient que des missionnaires,

* leur nom seul le dit; et après eux, qui a converti successivement

* toutes les nations à l'Évangile, qui les convertit encore aujour-

* d'hui, sinon des missionnaires ? Qu'ont voulu et qu'ont fait depuis

* leur naissance les ordres si illustres de Saint-Dominique et de.

* Saint- François? Ils ne se sont employés, en grande partie, qu'à

* donner des missions. Saint Vincent de Paul n'a formé que pour

* cette œuvre une congrégation de prêtres, comme l'indique le nom

* qu'ils portent, de prêtres de la mission. Saint Liguori croyait ne

* pouvoir jamais trop multiplier les missions dans son diocèse, et

* les réitérait le plus possible dans toutes les paroisses, sans excep-

* tion. M. de" la Motte, évêque d'Amiens, faisait de même; aidé des

* Jésuites qu'il appelait à son secours, il y travaillait en personne ;

* et, l'expérience lui démontrant toujours de plus en plus l'cxcel-

* ience de cette œuvre, il y consacrait encore jusque dans tes der-

* nieras années tout ce que la nature affaiblie lui laissait de forces.

* On pourrait joindre à ces illustres exemples, saint François de

* Sales, Bossuct, Fénelon, et presque tous les évêques de la catlio-

* licite qui ont eu à cœur de faire donner dans leurs diocèses les

* saints exercices de la mission. Or, quel prêtre pourrait sans témé-

* rite penser autrement que ces grands hommes et tous ces saints

* personnages.

* Une pareille présomption serait d'autant plus coupable que le

* sentiment de ces hommes éminenls repose sur les raisons les plus

* évidenles : car, 1" si le jtasleur ordinaire peut entretenir, par ses

* instructions, le bien qui existe dans sa paroisse, il est sans em-

* pire sur les pécheurs qui ne vieimenl point à l'église ; et même il

* a peu d'influence pour convertir ceux qui y viennent, ou pour ra-

* nimer les tièdes (lui sont ])aituut en si grand nombre;, parce

* qu'habitué, comme on l'est, à entendre toujours sa voix, on y est dev(!nu insensible; or, la mission a l'avantage de faire venir à

40 > TRAITÉ DE LA PHÉDICATION.

* réj2;l!se ceux qui n'y venaient pas, défaire entendre à tous des voix

* étrangères qu'on écoule d'abord avec l'intérêt de la curiosité, et

* qui peu à peu s'emparent des âmes et les gagn.-'nt à Jésus-Christ.

* Il y a dans les missions une multiplicité d'instructions et d'exer-

* cices qui fait au moins apprendre la religion à ceux qui l'ignorent et

* réveille les consciences endormies; il y a une sorte d'entraînement

* général qui emporte les volontés et détermine à fouler aux pieds

* le respect humain, à restituer au prochain ce qui lui est dû, à se

* réconcilier avec ses ennemis, enfin, à se convertir entièrement

* et franchement; c'est ce qu'atteste une expérience journalière.

* 5" Il est bien des fautes qu'on n'oserait jamais avouer à un prêtre

* du lieu et qui tiennent ainsi les coupables éloignés des sacrements;

* il est bien des confessions que le confesseur ordinaire croit bonnes

* et que la honte de lui dire certains péchés rend sacrilèges depuis

* longues années : or, dans une mission, tout cela se répare ; là, il

* n'y a plus lieu à la mauvaise honte ; on fait volontiers les aveux les

* plus pénibles à un prêtre étranger dont on n'est point connu et

* qu'on ne i evcrra plus. 11 est donc vrai de dire que les missions

* produisent des biens immenses, soit pour l'instruction des igno-

* rants et la conversion des pécheurs, soit pour le renouvellement

* entier d'une paroisse.

* Mais, ol)jecte-t-on, les missions ne produisent que des fruits

* éphémères ; les pécheurs, faute d'avoir été éprouvés, retombent

* aussitôt après, et leurs confessions sont un travail à refaire. A cela

* nous répondrons : que ces fruits, fussent-ils éphémères, sont

* d'un très-grand prix ; ce n'est pas une petite chose d'empêcher un

* grand nombre de péchés mortels par la suspension des mauvaises

* habitudes, au moins pendant quelque temps, de faire cesser le

* respect humain, ne fût-ce que quelques semaines, et d'arrêter la

* prescription de l'esprit irréligieux qui tient tant d'hommes éloi-

* gnés de la fréquentation des sacrements; 2** toute mission produit

* des fruits qui ne sont point aussi éphémères qu'on le dit, savoir

* une plus grande connaissance de la religion, de ses dogmes et de

* ses préceptes, la réparation des confessions sacrilèges, et la per-

* sévérance, au moins de quelques-uns, plus ou moins nombreux

* en proportion du zèle qu'apporte le pasteur à entretenir les fruits

* de la mission. Quant à ceux qui ne persévèrent pas, le souvenir

* de la mission et la connaissance plus grande qu'ils ont acquise de

* la religion feront naître en eux des remords que certaines cir- ■* constances pourront plus tard rendre efficaces; mais, quoi qu'il

DES MISSIONS ET RETRAITES. 407

* ea soit, on ne peut conclure de leurs rechutes, ni qu'ils aient reçu ■* indignement l'absolution ; le sacrement de pénitence ne rend pas

* impeccable ; ni qu'ils n'aient pas été assez éprouvés; l'action de

* la grâce qui touche les cœurs donne quelquefois une garantie plus

* grande des bonnes dispositions actuelles du pénitent que la durée

* de l'épreuve ; et cela est vrai surtout dans une mission il se

* fait comme un ébranlement général au fond des âmes. il n'est

* pas rare de trouver dans les pénitents des signes non équivoques

* d'un changement de cœur opéré par la grâce, changement qui

* peut-être no sera pas durable dans un grand nombre, mais qui

* n'en est pas moins réel pour le moment présent; et c'en est assez

* pour la validité de l'absolulion, qui dès lors, à moins de preuves

* du contraire, pourra être un point de départ pour une nouvelle

* confession, quand ce pénitent retombé reviendra à Dieu.

Pour réussir dans les missions et les retraites, il est plusieurs rè- gles à observer. Il faut : 1" prier beaucoup pour attirer les béné- dictions de Dieu sur ses travaux : tout ce que nous avons dit ailleurs sur la nécessité de la prière pour le succès de la prédication s'appli- que éminemment ici. Un missionnaire doit être par excellence un homme de prière, à l'exemple des apôlres, ces grands mission- naires qui n'ont converti le monde qu'à force de prier et de prêcher tout ensemble : Nos vtrb orationi et ministerio verbi insUuites erimus.

11 faut beaucoup édifier les peuples qu'on veut évangéliser. On s'attend à trouver dans les missionnaires des liommes de Dieu, pleins de foi et de dévouement, disposés à s'immoler, à donner jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour la conversion dos pécheurs : si quelque chose en eux trompait celte attente, ce serait un scan- dale, et la mission serait mnnquée. Ils doivent donc donner partout de saints exemples, ne point aller manger ou jouer en ville, se montrer toujours prêts à confesser ceux qui se présentent, toujours modestes, réservés et pieux dans leur conduite, toujours courageux et même joyeux parmi les plus grandes fatigues de ce pénible mi- nistère.

Les prédications de missions ou de retraites ne doivent point avoir pour objet des vérités isolées, mais bien un système complet des grandes vérités de la religion, afin que, se soutenant l'une par l'autre et se prêtant mutuellement force, toutes ces instructions, di- rigées vers un même but, composent comme nu corps (rarniéebien ordonné et bien serré poXu' livrer assaut au pécheur et vaincre la ré-

408 TR.Vlïi: DE L\ IMIKMCATION

sislnnco dos prissions. On (:onnii('n(;e \n\v exposer riinportance de la nn'ssion ou de la retraite, et la manière d'en proliler; puis on Iraile l'iinportance du saluf, la néccssilé d'une sincère conversion et en quoi elle consiste, le pèclié, sa malice et ses cflels, les quatre tins dernières, les dispositions pour la confession, savoir : l'examen, la contrition, le l'ernie-propos, rintégritê de la confession et la mau- vaise iionte qui n'a pas le courage de la iranchise, la confession gé- nérale, la tuile des occasions, le délai de la conversion ; de passant aux vertus et aux vices, on traite l'amour de Dieu, la charité envers le prochain, l'amour des ennemis, le pardon des injures, la restitution, la patience dans les croix, puis les vices les plus com- muns dans la paroisse, comme le jurement, Tivrognerie, etc.. On traite ensuite les moyens de se soutenir dans la piété, qui sont : la prière, la fréquentation des sacrements, la dévotioii à la sainte Vierge ; enfin, on expose les dangers et le crime de la rechute, les moyens de la prévenir ou de la réparer, et l'on finit par la persé- vérance dont on expose l'obligation et les moyens. Tel est à peu pi'ès le système de prédications dont se compose une mission ou une retraite.

A" Quant à la manière de traiter ces vérités, il faut les avoir médi- tées et en être fortement pénétré, parler un langage que tout le monde puisse bien comprendre, être solide dans les preuves et les raisons, fort et véhément dans les mouvements. Le pathétique est de mise dasis tons les discours de mission : les grandes images, les figures à effet, comme la supposition, l'apostrophe, l'interrogation à laquelle on répond soi-même, en un mot, tout ce qui peut réveiller Tattcntion, irapper l'imagination, toucher le cœur, trouve sa place dans ce genre de discoui's. On peut y être simple, plein d'abandon, moins soigné dans son style : on }»asse à un missionnaire bien des négligences dans l'expression, à raison de ses grands travaux et de son zèle.

f)" 11 faut joindre aux prédications divers exercices qui font ordi- nairement, (piand ils sont bien dirigés, de salutaires impressions : ces exercices sont 1" les conférences sur les preuves de la religion, sur l'examen de conscience, sur les devoirs d'état, sur les vices les plus connnuns dans la paroisse ; nous avons dit plus haut la manière de les faire; 2" le chant des cantiques avant le sermon ou la confé- fénMice : après avoir glosé un peu sur les couplets qui prêtent le plus aux senliments, on les entonne avec âme et chaleni-, et le peu- ple, qui en a bien saisi le sens, les reprend avec enthousiasme. Sou-

DU CATUCHISME. 409

vent ces cantiques font plus d'olfet qu'un sermon, et ont en outre l'avantage de fournir matière aux chants du peuple pendant ses Ira- vaux et de bannir ainsi l'usage des mauvaises chansons; certaines cérémonies d'éclat, comme la réparation dos injures faites au Saint- Sacrement, la rénovation des promesses du baptême, la consécra- tion à la sainte Vierge, la plantation de la croix : tout cela, fait avec intelligence et goût, sagesse et prudence, produit d'heureux effets dans les âmes.

6'' Il faut joindre à tous ces moyens de succès des avis donnés à propos: ainsi, si l'on prêche une retraite dans une communauté, il faut insister dès le principe et revenir, autant qu'il est besoin, sur le silence et la règle, deux moyens essentiels pour les fruits de la retraite. Si c'est dans une mission, il faut recommander l'assiduité et la ponctualité aux exercices, le recueillement dans l'église, etc.. Les circonstances font connaître les autres avis qu'il est plus utile de donner.

7" Un an après la mission, il serait à désirer qu'on pût donner une retraite de huit jours dans la paroisse, pour ranimer ceux qui se relâchent, rappeler ceux qui dé.h se sont égarés et soutenir les bons. Il serait même très-utile d'y prêcher régulièrement une retraite annuelle, et tous les cinq ans une nouvelle mission pour donner un nouvel élan à toutes les âmes. Quiconque connaît la facilité de l'homme à se relâcher comprendra l'importance de ces moyens de salut,

Les viesdu P. Eudes et du P. Brydaine et les sermons de ce der- nier feront connaître, mieux que nous pourrions le dire, le genre missionnaire, ses movens et ses effets.

CHAPITIIE X

Du Cutféchisnic

Nous voilà arrivés à la partie la plus essentielle d(! notre cours, et pour lui domuT tous les développements qu'elle réclame, nous traiterons : 1" de la définition du catéchisme; 2" de son imporlaiice

410 TRAITÉ DE U PRÉDICATION.

toute spéciale; des qualités requises dans celui qui en est chargé; i" de ce qu'il faut y enseigner ; de la pré|)aration qu'il exige ; de la manière de le faire ; des différentes espèces de caté- chisme.

* ARTICLE 1".

* DE LA DÉFINITION DU CATÉCHISME.

* Le mot catéchisme vient de deux mots grecs, zarà ^/ov, secun-

* dhm sonum, et signifie instruction de vive voix, parce que, dans

* la primitive Église, il y avait une loi, dite la loi du secret, qui dé-

* fendait d'écrire les instructions sur nos sacrements et nos mys-

* tores de peur qu'elles ne tombassent entre les mains des païens,

* qui en auraient abusé. En vertu de cette loi, la doctrine chrétienne

* ne se transmettait guère que par la tradition orale ; et les inslruc-

* lions aux catéchumènes se faisaient toutes de vive voix, jamais par

* écrit, à très-peu d'exceptions près. De le nom qui leur a été

* donné de catéchisme ou catéchèses. Le catéchisme est donc une

* instruction familière sur les éléments de la doctrine chrétienne,

* laquelle se fait ordinairement par forme de dialogue entre le caté-

* chiste et ses auditeurs.

* On appelle encore catéchisme un livre qui contient, dans la

* forme la plus succincte, les vérités élémentaires de la religion,

* disposées avec ordre par demandes et par réponses, et mises, au-

* tant que possible, à la portée des enfants, auxquels on le fait ap-

* prendre par cœur. L'usage d'un livre de ce genre pour l'enseigne-

* ment de la religion remonte à environ trois cents ans, époque à

* laquelle saint Ignace et ses disciples firent revivre la coutume de

* catéchiser les enfants. On ne saurait dire les fruits immenses qui

* on sont résultés; et quelque ignorance qui règne parmi les chré-

* tiens, elle n'est pas comparable à celle qui désolait la face de l'É-

* glise avant cette époque.

* Mais maintenant que toute la doctrine chrétienne est recueillie

* dans un abrégé authentique, que faut-il entendre par l'expression

* [aire le catéchisme, et quel est le sens que l'Éylise y attache?

* Kst-ce se borner à faire apprendre et réciter ce livre élémentaire ? ■* Nullement; et le pasteur qui l'entendrait ainsi aurait la plus fausse

* idée de son ministère. Dans le sens de l'Église, faire le catéchisme,

* c'est l'expliquer aux enfants et leur en donner l'intelligence. Que ■* leur servirait en effet de savoir le catéchisme par cœur, s'ils ne le

DU GATECIÎISME. 411

^coniprenaien! pas? La foi qui sauve n est pas un acte delà mémoire,

* mais de Tcntendement ; elle ne consiste pas à retenir des mots,

* mais à connaître et à croire des doctrines; et peut-on dire qu'on

* croit une doctrine quand on ne s'en fait aucune idée, et qu'on a

* seulement la mémoire chargée de mois aussi peu compris que ceux ' d'une langue inconnue ? Ceux-là seulement savent donc le caté-

* chisme d'une manière utile au salut, qui en comprennent assez bien

* le sens pour pouvoir le traduire et le rendre exactement dans leur

* manière habituelle de parler. Or un enfant ne peut arriver jusque-

* sans le secours d^un catéchiste qui lui explique en détail et les

* mots et les choses, et qui ait la patience de lui répéter ces expli-

* cations, de les lui redire sous mille formes, jusqu'à ce qu'on se

* soit assuré, en l'interrogeant, qu'il a bien compris. Car, quelque

* clair et simple que puisse être le catéchisme, il diffère essentielle-

* ment, dans ses expressions et ses tournures, du langage que par-

* lent les enfants; ils n'y trouvent presque aucun des termes qui

* eur sont famUi ers, ou, s'ils en trouvent quelques-uns, le plus sou-

* vent ils n'y donnent pas le même sens. D'ailleurs, en supposant

* qu'ils comprissent la lettre de ce livre élémentaire, la doctrine

* s'effacerait bientôt de leur jeune et mobile intelligence, si elle n'y

* était gravée par une explication nette et frappante, propre à pro-

* duire sur eux une impression durable. Faire le catéchisme, ce n'est

* donc pas seulement le faire apprendre et réciter, c'est encore

* l'expliquer et faire comprendre.

* En vain objecterait-on que le catéchisme, entendu dans ce sens,

* serait une fonction impossible, que les enfants et les gens grossiers,

* (jui sont en grand nombre parmi le peuple, ne peuvent apprendre

* que des mots, qu'il n'y a aucun moyen de faire entrer dans leur

* âme des idées spirituelles et l'intelligence des vérités chrétiennes.

* Nous convenons sans peine que la chose est souvent difficile, qu'elle

* demande beaucoup d'industrie, de patience et de douceur ; mais

* qu'elle soit impossible, nous le nions, excepté tout au plus pour

* ct'rtains êtres slupides dont la raison est encore en enfance. Car

* quiconque est capable de pécher doit être capable d'acquérir la foi

* sans laquelle on ne peut recouvrer la justice perdue ; autrement le

* salut lui serait impossible. Or c'est un fait incontesté que ceux

* (|u'on nous représente comme trop bornés pour coinprendre le

* catéchisme sont capables de pécher et souvent pèchent tous les

* jours en bien des manières, I)'où je conclus, par une conséquence

* rigoureuse qu'ils sont capables d'acquèiir la foi; et, pai' une antre

412 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* conséquence qni dérive de la première, qu'ils sont susceptibles de

* comprendre le caléchisme. El, en effet, qu'on étudie de près ces

* gens grossiers, on verra qu'ils ne sont point aussi dépourvus d'in-

* lelligence qu'ils le paraissent, qu'ils savent bien supputer exacte-

* ment ce qui leur est ou ce que doit leur rapporter telle entre-

* prise, qu'ils ont même souvent beaucoup de finesse pour tromper *ceux avec qui ils trafiquent, pour se procurer du profit ou s'épar-

* gner de la perte. 11 ne faut donc jamais se décourager ni désespérer

* du sucdès, mais se souvenir qu'il y a très-peu d'enfants ou d'igno-

* raiîts qui ne soient susceptibles d'être solidement instruits si l'on

* se met à leur portée, et si l'on emploie les bonnes méthodes que

* nous tâcherons d'exposer plus bas.

* De ces observations il suit que si un curé veut se décharger sur

* un autre, par exemple, sur le maître et la maiiresse d'école, de la

* peine de faire apprendre le catéchisme, il doit toujours, par lui- •* même ou par quelque ecclésiastique, en donner l'explication et ne

* rien néghger pour en faire parfaitement comprendre le sens. C'est

* une fonction essentiellement sacerdotale, qu'il ne peut aban-

* donner à aucun laïque. Giézi eut beau appliquer sur l'enfant mort

* de la Sunaniite le bâton du prophète, non surrexit puer : il fallut

* qu'Elisée vînt en personne, et l'enfant ne recouvra la vie que lors-

* que le prophète, se rapetissant à sa taille, eut appliqué sa bouche

* à sa bouche, ses mains à ses mains, ses yeux à ses yeu.K^ Image

* touchante du prêtre qui doit par lui-même, et non par un minis-

* tère étranger, donner comme une nouvelle vie aux enfants en les

* instruisant et se rapetissant jusqu'à eux.

ARTICLE !2.

DE L IMPOr.TASCE DU CATÉCHISME.

Trois considérations nous feront sentir l'importance des caté- chismes : leur excellence; 2" leur nécessité; 5" leurs avantages.

* 8 1er. " De Texcellence des catéchismes.

* C'est une erreur grossière de regarder la fonction de catéchiste

* comme une fonction b^sse, peu honorable et peu digne d'un homme

« IV Reg., IV.

DU CATÉCHISME. 415

* dotaient : rien, au contraire, dans tout le ministère ecclésiaslique,

* de plus excellent, rien dont un prêtre doive se tenir plus honoré.

* Les plus illustres exemples et les plus fortes raisons nous en four-

* niront la preuve.

* Qu'y a-t-il, en effet, do plus excellent qu'une fonction qui a été

* celle de Jésus-Christ pendant sa vie publique, celle des apôtres et

* de tous les hommes apostoliques, celle des plus grands docteurs

* et des plus saints évêques? or telle a été la fonction de catéchiste.

* Jésus-Christ est descendu du ciel en terre, non pour faire des dis-

* cours oratoires, mais pour faire des catéchismes : il a catéchisé ses

* apôtres, il a catéchisé les Juifs, il a catéchisé les petits enfants.

* L'Evangile nous raconte comment il aimait à être entouré d'eux, à

* les serrer dans ses bras et à les bénir : Sinite panndos venire ad

* me, et ne proliibueritis eos... et complexans eos, et nianus imponens

* super illos, benedicehat eis. Sur quoi le chanceher Gerson fait ce

* pieux commentaire : 0 piissimc Jesu, quis ultra post te verecunda-

* bituresse Jiumilis ad parvulos? quis elatus de sud maguitiidijïe vel

* scientiâ, parvitatem parvidorum, ignorantiam vel inibecillitatem

* audebit aspernaj-i, quando tu qui es Deus benedictus in sxcula, in

* qiio simt omnes thesauri sapietitix et scientix abscoiiditi, nsqtiead

* castissimos parvuloruni amplexus heata brachia mansuetus inclinas

* atque circumtigas ! . . . eos sapientias verbis exhortabor, ut, si quis

* jMrvuhis est, veniat ad me. Les apôtres, à l'exemple de leur ado-

* rable Maître, ont catéchisé l'univers. Car, s'ils ont converti le ■* monde, ce n'a pas été par de grands discours, non in sublimitate

* serynonis, non in persuasibilibus iLumanx sapientix verbis, mais ■* par des catéchismes sur les éléments de la religion nouvelle qu'ils

* prêchaient ; ils se rapetissaient au milieu des peuples pour leur

* expliquer ces leçons élémentaires, ainsi qu'à de petits enfants :

* Facti sumus pa7vuli in medio veslrûni tanqnùm si niitrix forent

* [ilios sucs. A l'exemple des apôtres, les plus beaux génies et les

* plus grands évoques se sont fait honneur de la fonction de caté-

* chistes : saint Cyrille de Jérusalem, saint Grégoire de Nysse, saint

* Augu^-lin, ont, non-seulement fait le catéchisme, mais écrit sur ce

* ministère des ouvrages remarquables. Saint Jérôme, jusque dans

* sa dernière vieillesse, s'offre à enseigner le catéchisme au fils de

* LaHa, datn(! romaine : Ipse me magislnnn spondeo, dit-il, et baihn-

* tientia senex verba forjnabo. Ou peut même dire que pendant bien

* des siècles l'enseignement par forme de catéchisme fut la manière ■* d'instruire qu'employaien't ordinairement et les évoques cl les pas-

414 TIlAIli: Iti: TA l'ni'.DIC.VTION.

* leurs. Dans dos lenips pins rapprochés de nous, nous voyous saint

* Ignace appeler autour de lui des troupes d'oul'ants pour leur onsoi- *p:nor le calérhisuie; et connue pour l'en détourner on lui disait

* (ju'ils Ut' viendraient pas renlendre : « Ouand il n'en viendrait

* (pi'nu, ré|)ondit-d, ce serait toujours un assez taraud auditoire. »

* i\ous lo voyons, lorsqu'il fut nommé général de sa compagnie, com-

* mcnccr l'exercice de sa charge par aller faire le catéchisme dans

* une église de lîome pendant quarante-six jours, et s'obliger par

* vani, ainsi (|iu' ses compagnons, à cet important ministère. iNous

* vovoiis sain! Vincent Feirier, saint François Xavier, saint François

* Régis, parcourir les provinces et les royaumes en y expliquant le

* catéchisme, le cardinal Dellarmin renq)l!r lui-même cette fonction

* dans sa métropole de Capoue et dans les autres paroisses de son

* diocèse, il allait mémo souvent tout exprés; nous voyons Clé-

* ment XI s'arréler dans les rues de Rome pour interroger sur le

* catécl'.isme les enfaals qu'il y rencontrait et distribuer des mé-

* dailles on des chapelets à ceux qui avaient le mieux répondu; saint

* François de Sales enfin faire ses délices de catéchiser les enfants

* tous les dimanches ^ et, quand des occupations indispensables

* l'en empêchaient, ne vouloir se décharger de cette fonction que

* sur les dignitaires de sa cathédrale ou les personnes les plus ca- *pal)les de son clergé. A ces graves autorités nous ajouterons encore

* l'exemple du pieux Gerson. Ce grand docteur, chancelier de l'Uni-

* versité de Paris, et la plus éclatante lumière de son siècle, jugeant "* l'œuvre des caléchismes plus excellente que l'enseignement de la

* théologie dans la première chaire de la capitale, se retira à Lyon

* pour y consacrer le reste do ses jours à catécliiser les enfants ; et

* comme une pareille conduite lui attirait des crili({ues, il composa

* pour son a|)()log!e le traité De jiarmdis ad Chrislum trahendis,

* qu'on ne peut lire sans attendrissement. Vous ressemblez, dit-il à

* ses censeurs, aux disciples qui voulaient éloigner du Sauveur les

* petits enfants, comme si c'était une chose indigne d'un si grand

* Maitre de ieui' donner ses soins ; mais méditez bien ce que dit l'É-

* «Cet aiinaLlc et vraiment bon père, » disent les liistoriens dosa vie (le P. de La Iîivièi-(% p. "(i'2, cl Au-usle de Sales, p. '2."j cl 'i8i'i, « étail assis sur un « h'ôiic (Mcvè di' '|uclqiie cii;(| dc.mi's; imile l'année ™i:iMliiie l'environnait. a c'élait nn crmlcnii'inriit noii]iar{'il d'ouïr coniliien fiimilii'rcMnent il exposait les « rudiments do noire toi: à cluuine projios, les riches comparaisons lui nais- « saient en la jjonclie; il regardait son pelit monde, et son petit monde le regar- « dail; il se niidail enl'anl. avec eux jnnu' i'oi'iiier en eux riiunuiie intérieur et « riioinmc parfait selon Jésus-Christ, u

DD CATECHISME. 415

* vangile : Jésus en fut indigné, indigné tulit. Et, en effet, ajoute le

* pieux docteur, je ne connais rien de plus grand dans l'Église de ■* Dieu : Nescio pror&îis an qiddqnam majiis esse possit quàm taies par-

* vulorum animas quasi plantare aut rigare,partem non indignam

* horti ecdesiastici, uteis det incrementum Chrishis . . .porlio Ecde-

* six non vilis est puerorum cœtus... talixmi est enim regnnm cœlo- *riim; et comme on lui objectait qu'il pourrait travailler au salut

* des âmes avec plus d'éclat dans les prédications solennelles ; Oui,

* répondit-il, je pourrais y travailler avec plus d'éclat, mais non pas

* avec plus de fruit, forte pomposiîis, sed non efjicaciiis nequefriic-

* tuosiiis: réponse bien digne de l'esprit de foi qui animait ce grand

* homme. Conformément à ces beaux exemples, de toutes parts,

* aujourd'hui comme dans les temps anciens, les pasteurs les plus *recommandables se consacrent avec zèle à l'œuvre des caté-

* chismes, de sorte qu'il est vrai de dire que depuis l'origine du

* christianisme jusqu'à nos jours, l'amour de Jésus-Christ pour l'en-

* fance n'a point cessé de vivre au cœur de l'Église et de ses pasteurs ;

* dans tous les siècles, le prêtre qui a compris son ministère a

* mis sa plus douce gloire à être l'apôtre et le précepteur de l'en-

* fance.

* Spectacle touchant, mais que nous explique surabondamment la

* raison éclairée par la foi : car, 1" qui n'estimerait honorable la

* fonction d'instruire le fils d'un roi et d'élever l'héritier présomptif

* de la couronne? Or que fait le catéchiste, s:non instruire les enfants

* de Dieu et élever les héritiers du royaume des cieux? C'est là,

* disait Gerson à ses adversaires, une fonction grande, noble, sublime,

* qui Jie {leut que rehausser la dignité de chancelier de l'Université.

* Se peut-il rien de plus excellent que de tracer dans l'âme simple

* des enfants les premiers traits de la religion chrétienne, d'enrichir

* leur intelligence naissante de la doctrine céleste de Jésus-Christ,

* de faire goûtera leur cœur les choses de Dieu et de l'éternité, et

* par de maintenir dans l'innocence des âmes puies que le souffle

* du péclié n'a pas encore flétries, de conserver à l'Espril-Saint ces

* sanctuaires il se plaît à habiter, de préparer pour la communion

* ces temples neufs dont .\otre-Seigneur aime à avoir les prémices,

* et que la pureté baptismale rend si propres à la piété, à toutes les

* vertus? 11 est vrai qu'ils ne sont pas tous dans cet état d'innocence;

* mallieurcusement plusieurs en sont déchus ; mais ceux-là mémos

* ohi-ent nn autre genre d'intérêt : car, comme les arbres qui ont " pris une mauvaise direction se redressent i)lus facilement quand ils

416 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* sont jeunes encore, le temps de l'enfance on de la prennère jeu-

* nesse est précisément le moment favorable pour corriger les

* mauvaises habitudes; si on les laisse s'enraciner et vieillir, le mal

* sera presque incurable. 5" L'excellence d'une fonction s'accroît en

* proportion de la sublimité et de l'utilité de son objet ; or quoi de

* plus sublime et de plus utile que l'enseignement du catéchisme?

* Par on met à la portée des plus humbles esprits les plus hautes

* vérités ; on les leur apprend en peu de temps avec une entière cer-

* titude, et l'on rend populaire la plus sublime sagesse. Le petit " enfant dont la raison vient à peine d'éclore connaît déjà Dieu et sa

* loi, la religion et ses mystères, le vice et sa vertu, les sacrements

* et les dispositions qu'ils demandent, les peines et les récompenses

* de la vie future ; et, en sachant une seule page de son catéchisme,

* il sait plus de vérités que n'en contiennent tous les ouvrages des

* philosophes ensemble ; d'où l'on peut conclure combien cet ensei-

* gaement de la religion, quelque humble et modeste qu'il paraisse

* aux yeux du monde, est plus excellent que toutes les écoles de l'an-

* tiquité les plus vantées, que les doctes leçons des plus grands

* maîtres dans les sciences humaines.

De la nécessité des catéchismes.

Pour comprendre l'immense nécessité des catéchismes, il suffit de savoir que l'Eglise les prescrit, que la charité les commande, que la justice en fait un devoir à tous ceux qui ont charge d'âmes.

L'Eglise les prescrit. Le concile de Trente, dans sa xxiv" session, chapitre iv, impose aux évoques l'obligation de veiller à ce que les pasteurs fassent le catéchisme aux enfants au moins tous les diman- ches et jours de fête, et de les y contraindre au besoin par les cen- sures ecclésiastiques : Episcopi saltem dominicis et aliis festivis diebus piieros in singidis parocJiiis fidei rudimenta diligenter ab us ad qiios spectabit doceri curabunt... et si opus sit, etiam peiyensuras ecdesiasticas compellent. Et, pour prévenir les fausses interpréta- tions que la négligence pourrait donner à ces paroles, Clément XI fit rendre, en 1715, par la congrégation du concile, un décret défen- dant expressément toutes vacances pour les catéchismes, et même l'interruption d'un seul Dimanche dans l'année. La même congréga- tion renouvela le même décret sous Benoît XIV, en 4744, ajoutant que, quand il ne viendrait qu'un seul enfant au catéchisme, il fau-

DU CATÉCniSME 417

di'ait le faire également, etiamsi nidbis nisi unns ad audiendiim accédât. Suivant un autre décret de celle congrégation, un curé ne peul pas mêine envoyer les enfants de sa paroisse au caléchisme des paroisses voisines, quelque rapprochées qu'elles soient ; il est obligé de le faire dans son église, ou par lui, ou par ses vicaires. C'est ainsi que la congrégation a interprété les paroles du concile de Trente; elles évéques ne les ont pas entendues dans un sens moins rigoureux. Saint Charles, dans ses célèbres conciles de Milan, ne se conlente pas de rappeler souvent à tous les pasteurs l'obligation du catéchisme ; il veut encore que, lorsque les enfants, à raison de la distance des lieux, ou de la difficulté des chemins, ou de l'intem- périe des saisons, ne peuvent venir à l'église, le curé ou son vicaire aille îeur faire un catéchisme à part dans quelque village plus rap- proché de leur demeure, il rassemblera tous les enfants des envi- rons. Benoit XIV, encore archevêque de Bologne, publia trois lettres pastorales sur cette importante obligation, et, devenu pape, il donna sur la même matière denx encycliques où, rappelant celles de plu- sieurs de ses prédécesseurs, il recommande avec les plus vives instances à tous les ministres de l'Eglise de se donner sans réserve à une œuvre de zélé aussi essentielle. Clément XI, dés son élévation au pontificat, rassembla tous les curés de Bome pour leur rappeler que le premier de leurs devoirs était de catéchiser exactement les enfants. Enfin, les statuts de tous les diocèses en font une loi rigou- reuse ; plnsieuis même portent suspense, ipso facto, contre tout pasteur qui manquerait deux Dimanches dans un mois de faire le catéchisme; et, s'ils permettent l'interruption de quelques Diman- ches au temps des moissons ou des vendanges, contrairement au décret de la congrégation du concile de Trente, ils font compenser ceiiB I.'umne par les catéchismes sur semaine qu'ils prescrivent avant la prenjière communion.

2" Ce que l'Eglise prescrit si sévèrement, la charilè seule le com- mande. N'est-ce pas, en effet, un devoir de charité de venir au secours d'un enfant qui est prés d'être entraîné par un torrent cl englouti dans un abime? Or telle est la position des enfants piivés d'instruction religieuse : abandonnés à la séduction des mauvais exemples qui les entourent, des mauvais discours qu'ils entendent, des mauvaises compagnies qu'ils fréquentent, de leur propre cœur, connnenccnt à fermenter les passions naissantes, leur perte est inévitable, si, volant à leur secours, on ne fait entrer dans leur âme les vérités de la loi pour servir de digue au torrent (|ui les menace.

27

418 THAITH DE LA rRÉDICATION.

Quoi ! dit le pieux Gersnn, si un bœuf, si un âne tombe dans un fossé, on se bâte de l'en retirer, et on ne tendrait pas une main secou- rable à ces pauvres enfants qui sont sur le bord du précipice! serait la cbarité? Si un incendie éclate, menace de porter au loin ses rava;:res, on croit que c'est un devoir de ti'availler à l'éteindre, c'esl-à-dire à sauver quelques maisons de pierre et de bois ; et les âmes des enfints, ces temples du Dieu vivant, ces sanctuaires du Saint-Ksprit, on les verrait en proie aux feux des passions que les démons et le monde cbercbent de toutes parts à alknner dans leur cœur, en danger d'être atteints par les flammes de l'enfer, et un ministre de Jésus-Cbrist douterait si c'est pour lui un devoir de tra- vailler à éteindre cet incendie dont les conséquences sont à la fois éternelles et si affreuses! Er.core une fois, serait la cbarité? Mais ce n'est pas seulement ici un devoir de cbarité, c'est encore un devoir de jnslicc pour tout pasteur des âmes.

En effet, tout pasteur est chargé en justice de donner à son trou- peau l'instruction religieuse nécessaire au salut : or ce n'est que par les catécbismes qu'il peut donner cette instruction ; aucune autre prédication n'en peut tenir lieu. Les prédications ordinaires n'expli- quent point les vérités élémentaires et les faits qui sont les fonde- ments de nos dogmes; elles supposent tout cela connu des auditeurs; et, en conséquence, elles n'en parlent pas, ou ne le font qu'en pas- sant, d'une manière sommaire et abrégée, incapable d'instruire ceux qui les ignorent. Puis traitant cbaque fois des vérités détachées, elles ne montrent jamais l'ensemble de la religion ; ce n'est que dans les catéchismes qu'on voit cette suite et ce bel ordre de vérité qui s'enchaînent l'une à l'autre. Ajoutez à cela que, ne disant les choses qu'une fois, sans les répéter sous diverses formes jusqu'à ce qu'on le? comprenne, sans interroger pour s'assurer si l'on comprend réelle- ment, et sans rien faire apprendre, elles sont tout à fait insuffisantes pour enseigner la religion à ceux qui ne la connaissent pas. Il faut donc des catécbismes, et il les faut, remarquons-le bien, dans le premier âge de la vie, soit parce que le pasteur est redevable de l'in- struction religieuse à cet âge comme aux autres, soit parce que, s l'on arrive à une jeunesse avancée sans connaître la religion, il n'est pas probal)le qu'on s'applique alors à l'étudier. L'ignorance fera qu'on n'en comprendra ni l'importance ni la nécessité ; puis, à un certain âge, les travaux et les occupations de la vie n'en laissent guère le loisir ; on a honte de redevenir enfant, le respect humain arrête; enfin, on n'a plus la même mémoire qu'autrefois, et l'on

•Kvv.n

LU CATÉCHISME. 419

n'apprend qu'avec une extrême difficulté. On ne saura doncjamais sa religion si on ne l'a apprise dans l'enfance par des caléchisnies bien faits ; el de quelles conséquences terribles dont le pasteur négli- gent portera la responsabilité devant Dieu ! De point de prière, on n'en connaît ni la nécessité, ni les conditions, ni les formules ; de les passions sans frein, les devoirs sans motif; quand on ne connaît d'autres biens et d'autres maux que ceux de la vie présente, on est capable de tous les crimes ; de toutes les prédications sans fruit, toutes les exhortations à la vertu sans intérêt comme sans effet; de tout le ministère du prêtre paralysé et toutes ses fonctions stériles ; au saint tribunal, on ne sait ni les vérités nécessaires pour la validité de l'absolution, ni la manière de s'accuser, ni la nature de la contribution; au lit de mort ou dans ki maladie, on n'entend rien ni aux actes de foi, d'espérance, de charité et de contrition que le prêtre suggère, ni aux vertus de patience et de résignation qu'il cherche à inspirer, aux dispositions que demandent les derniers sacrements, et l'on meurt sans espérance comme sans crainte. Voilà les maux que produit le catéchisme mal fait ou omis : qu'on juge de couibien est grave pour un pasteur l'obligation de le faire et de le bien faire ^

* Nous convenons cependant qu'il est des cas un pasteur ne

* peut pas remplir cette obligation, aussi souvent du moins que le

* prescrivent les lois de l'Église ou les statuts des diocèses : tantôt

* c'est la mauvaise disposition des peuples, qui ne veulent pas en- ■* voyer les enfants au catéchisme ; tantôt c'est la faible santé du

* pasteur, la charge de plusieurs paroisses, ou quelque autre ob-

* Elles sont donc bien vraies, les éloquentes paroles de Massillon aux pasteurs qui négligent le catéchisme : « Ces entants que vous laissez croître dans l'igno- « rance de nos mystères, ce sont des plantes que vous laissez sécher dès leur «naissance. Vous aurez beau les arroser, les cultiver dans la suilc; le mal est « Kans remède. . . Vous n'avez donné, ce scndjle, à ces innocentes victimes la vie « de la grâce par le baptême que pour la leur ravir elles étoulïer dès le berceau « en ne les nourrissant pas du lait de la doctrine sainte. Ils porteront devant « Dieu le titre auguste et ineffaçable du christianisme; mais ce titre sera le titre « terrible de voire condamnation, bien plus que de la leur ; il s'élèvera contre « vous et. demandera vengeance de la profanation et de l'avilissement vous « l'avez laissé après en avoir embelli leur âme. . . Et en qu'il y a de triste, c'est a (|ue vous préparez à vos successeurs le même scandale; vous laisserez en « mourant, au milieu de votre peuple, une jilaie leur zélé ne jiourra peut- « être jamais trouver de remèdes, car quel fruit pourra faire après vous un « saint prêtre dans une paroisse il ne trouvera aucune connaissance de la « religion, il faudrait ramener aux instructions de l'enfance dis lidéks (pie « leur âge ou leurs occupations en rendront désormais incaiiablcs? x

420 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* slacle : mais alors il faut en référer à l'évêque et s'en tenir à ses

* prescriptions.

* Nous convenons encore qu'il est ennuyeux, pour un homme

* d'un esprit vif et d'un caractère ardent, d'enseigner les premiers

* éléments de la religion à des enfants qui manquent souvent ou

* d'ouverture ou d'attention. Mais le sentiment du devoir ne doit -il

* pas l'emporter sur tous les ennuis et les dégoûts? Mais n'a-t-il pas

* fallu qu'on ait eu la même patience à notre égard, pour nous en-

* seigner à nous-mêmes le catéchisme, pour nous faire connaître

* les lettres, épeler les syllabes et joindre les mots? Et pourquoi

* n'anrions-nous pas pour les autres la patience dont il a fallu qu'on

* usât envers nous ? Si un ami ne se lasse point de montrer et d'ex-

* pliquer à des amis venus d'un pays lointain tout ce qu'offre de re-

* marquahle le lieu de sa demeure, quoiqu'il voie ces choses tous

* les jours et qu'il les ait déjà montrées et expliquées cent fois à

* d'autres, si la douceur de l'amitié répand même un charme secret

* sur ces actes d'obligeance, que sans cela l'on trouverait souverai-

* nement ennuyeux, comment la charité pastorale prendrait-elle à

* dégoût la mission si belle de redire aux enfants les éléments de la

* foi, et de leur montrer Dieu, Jésus-Christ et ses mystères ? « Si un

* « père, dit saint Augustin', met sa joie à balbutier des demi-mots

* « avec son fils pour lui apprendre à parler, si une mère goûte plus ■" « de plaisir à verser dans la bouche de son enfant un aliment pro-

* « portionné à sa faiblesse qu'à le prendre elle-même, si une poule

* « couvre de ses plumes traînantes ses petits encore tendres, et les

* u appelle d'une voix entrecoupée sous ses ailes pour les mettre à

* (t couvert de l'oiseau de proie qui voudrait les enlever, avec quel

* « bonheur le prêtre doit-il se rapetisser à la portée des enfants

* « et surmonter, à force d'amour, les peines inséparables de leur

* « instruction, lui en qui la charité doit avoir mis des entrailles de

* « père, de mère, les entrailles même de Jésus-Christ, cet ado-

* « rable ami des enfants, qui a tant fait et tant souffert pour le salut

* « de leur âme? »

Des avanlaf;ps du catéchisinô.

Le catéchisme est la source des plus précieux avantages, et pour les paroissiens et pour le catéchiste lui-même.

* Do cntccliis. rudibus, c. x etxiii.

DU CATÉCHISME. i2l

* SECTION P«.

* Avniil.igt's (lu catt'chisme pour les paroissiens.

* On ne saurait dire tous les avantages que le catéchisme bien fait

* procure à ime paroisse. Aucune prédication ne lui est comparal)le,

* et c'est évidemment la meilleure manière d'apprendre la religion,

* je ne dis pas seulement aux enfants, mais aux personnes de tout

* âge et aux peuples entiers qui ont le malheur de l'ignorer, lorsqu'on

* peut les attirera cet exercice ou que la prudence permet de le siib-

* slituer au prône du Dimanche, lui effet, les autres genres d'in-

* slruclion ne comportent ni certaines expressions trop communes,

* ni certaines tournures trop familières et cependant si utiles pour

* se faire comprendre, ni certains détails ou certaines ré[iétitions

* qui dégoûteraient et ennuieraient la masse des auditeurs, et dont

* cependant les intelligences bornées auraient besoin. Dans le calé-

* chisme, au contraire, on parle familièrement comme dans la con-

* vcrsation ; on emploie, quand cela est utile, les expressions popu-

* laires et le patois même du pays, on peut même répéter plusieurs

* fois la même chose sans inspirer de dégoût, parce que ces répéti-

* tiens, au lieu de se faire par la même personne, se font avec une

* agréable variété, par divers enfants qui répondent aux questions

* qu'on leur adresse. Les autres genres d'instruction exigent une

* fatigue de l'esprit pour soutenir son attention, un travail de l'in-

* telligence dont ])eaucoup même ne sont pas capables pour suivre la

* ra[»idilé du discours et les raisonnements du prédicateur; et, d'un

* autre côté, celui-ci ne peut s'assurer ni si on l'a compris, ni môme

* si Ton a été attentif ; dans le catécliisme, au contraire, le dis-

* cours est coupé par des quet-tions et des réponses, Tatlenlion si

* soutient sans peine ; tout y est plus clair, plus net, plus à la poitée

* des esprits bornés; l'on peut s'assurer par des interrogations se

* l'on a été bien compris, é(;laircir jusqu'aux derniers restes d'obs-

* curilé qui seraient demeurés dans les esprits ; et tout cela sans

* fatigue pour les auditeurs, auxquels le catéchisme offre plutôt une

* récréation pieuse et utile par le vif intérêt qu'inspirent les réponses

* des enfants, les traits d'histoire entremêlés et toutes les industries

* qu'on emploie pour captiver l'attention. Knfin Jes sermons sont

* conune ces grandes {)luies (pii, entiainées par leur propre violence,

* ne pénètrent que les terres déjà cultivées, et coulent sur les autres;

* tandis que les catéchismes sont connne ces pluies douces, mais

422 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* rêiltTiVs, qui s'infiltrent insensiblement même dans les terres sans

* culture, et les disposent à porter des fruits : l'esprit des auditeurs

* s'y remplit, suavement et sans effort, des vérités saintes,, et leur

* cœur s'y forme aux maximes de l'Évangile. La justesse de ces re-

* marques est confirmée, du reste, par l'expérience : c'est un fait

* reconnu qu'un bon catéchiste est plus utile à une paroisse qu'un

* grand prédicateur, et que les personnes du monde profitent plus

* en assislantà un bon catéchisme qu'en entendant plusieurs beaux

* sermons.

* Toutefois ce n'est encore qu'un premier avantage du caté-

* chisme, avantage dont le pasteur ne peut pas même toujours faire

* jouir son peuple : car combien de paroisses l'on essayerait vai-

* nement d'attirer les grandes personnes au catéchisme, et l'on

* éloignerait le peuple des saints offices, si l'on y intercalait cet

* exercice ! Mais alors le catéchisme offre un autre avantage, celui

* de régénérer la paroisse par les enfants. C'est même la seule

* ressource qui reste dans bien des paroisses règne une épou- *vantable ignorance en matière de religion, où, par conséquent, la

* foi a disparu et toutes les passions sont sans frein, l'on n'attache

* plus aucun intérêt au culte divin, aux sacrements, à l'éternité,

* l'on vit et l'on meurt comme la brute : le catéchisme, voilà pour

* un pasteur le dernier espoir de son âme affligée , comme ce

* doit être sa première sollicitude. En s'atlachant aux enfants, il

* créera par eux une génération nouvelle et chrétienne ; ces enfants

* donneront le bon exemple dans l'intérieur et au dehors de la fa-

* mille; leur conduite seule sera une censure tacite et souvent effî-

* cace de la dissolution des autres : au moins ils seront plus tard

* des pères de famille chrétiens; il aimeront la religion, ses cérè-

* monies et ses prêtres, élèveront leurs enfants dans la piété, et la

* paroisse se trouvera ainsi renouvelée au bout d'un temps plus

* ou moins long. En continuant les catéchismes, on verra le bien

* s'accroître de plus en plus, la science de Dieu et l'amour de la

* religion se perpétuer, la vertu prendre racine dans les familles,

* les abus et les désordres disparaître; le vrai christianisme s'éta- *blira dans tous les cœurs, et Dieu sera servi en esprit et en vérité.

* C'est ainsi que toute l'Église a été renouvelée aux seizième et dix-

* septième siècles par les catéchismes auxquels se dévouèrent les

* plus grands évêques et les plus saints prêtres, saint Cbarles, dom

* Barthélémy des Martyrs, saint François de Sales, saint Vincent de

* Paul et M. Olier ; et c'est ainsi encore anjourd'hui qu'on sanctifiera

DU CATÉCHISME. 423

* les paroisses ; la piélé y régnera, les vertus solides y fleuriront en

* propoiiion du plus ou moins de perfection et de zèle avec lequel

* on fera le catéchisme : l'un est la mesure de l'autre, et le sera

* toujours.

* Souvent même on ramènera les parents par les enfants. Les

* soins qu'on donne à ceux-ci, l'amitié qu'on leur témoigne, Tinté-

* rêt qu'on leur porte, les petites récompenses qu'on leur distribue,

* concilient au pasteur l'affection et la confiance des parents ; et ces

* dispositions favorables sont déjà un grand acheminement vers la

* conversion. Puis le changement que le catéchisme opère dans les

* enfants, leur docilité, leur modestie, leur piété, leur application à *bien remplir tous leurs devoirs, font comprendre aux parents

* l'empire de la religion, leur en inspirent l'estime et l'amour avec

* le remords de l'avoir abandonnée, et de résulte une nouvelle

* impulsion vers le retour. Enfin, l'enfant parle dans la maison pa-

* ternelle de ce qu'on lui a enseigné au catéchisme ; il y récite sa

* leçon, il raconte les histoires édifiantes qu'il a retenues, et rem-

* plit ainsi dans la famille les fonctions de catéchiste : s'il est pieux

* et zélé, il fait plus encore, il parle exphcitement à ses parents de

* l'obligation de se confesser, du bonheur qu'il aurait d'aller avec

* eux à la sainte table le jour de la première communion : il presse,

* il sollicite, il prie, il conjure, et souvent ce petit apôtre gagne les

* volontés qui étaient d'abord les plus rebelles. Tel fut le moyen

* par lequel saint François Xavier commença la conversion des

* Indes : tous les jours il parcourait les rues de Goa, la clochette à la *main, pour appeler les enfants au catéchisme, et ceux-ci, gagnés

* au christianisme, y déterminaient leurs parents par leurs exemples

* comme par leurs discours.

*l\lais les enfants n'obtinssent-ils pas toujours ce consolant ré-

* sullat, au moins il remporteront du catéchisme l'inestimable avan- *tage de s'être préparé pour eux-mêmes l'assurance du salut la

* mieux fondée qu'ils puissent avoir en ce monde. Le catéchisme

* jette la semence de toutes les vertus dans le cœur des enfants et y

* fait germer la vraie piété avant que le vice y ait pris racine. Si

* ensuite il se laisse entraîner par les passions du jeune âge, l'expé-

* rioncû démontre que ces premières impressions vcilueuses rc-

* prennent lot ou tard le dessus ; l'âge des passions passé, il suffit

* (pi'ils éprouvent quelque maladie grave, quebiuc grande adversité,

* et, les illusions du monde venant à disparaître, ils se rappellent les

* leçons reçues au catéchisme, comprennent ([u'il n'y a rien de so-

*2i TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

*li(lo ici-bas que le salut, et reviennent à la vertu. Presque jamais

* il n'arrive qu'après avoir été bien instruit de la religion dans sa

* première enfance on meure impénitent, au lieu qu'il est trè.s-diffi-

* cile et presque impossible que ceux qui n'ont pas été formés par

* de bons catécbismes rentrent dans la bonne voie, même à la

* mort. Leur ignorance fait qu'ils n'attachent aucun intérêt à tout ce

* qu'on peut leur dire, et ainsi ils sont dans un état presque déses"

* péré. aucun fondement n'a été jeté, on ne peut élever que

* des ruines.

* Heureuses donc les paroisses instruites par de bons caté-

* ciiismos! Toutes les fonctions du ministère y sont faciles et pro-

* )Uables. Toutes les prédications y sont comprises, et la semence de

* la divine parole, tombant sur une terre bien préparée, produit au

* centuple. Le ministère du tribunal perd ses plus grandes difficul-

* tés : les pénitents se sont bien examinés, s'accusent comme il faut,

* coimaissent les dispositions requises ; et le confesseur n'a qu'à leur

* rappe'er ce qu'ils savent, qu'à les presser de se l'appliquer à eux-

* mômes. La visite des malades n'est pas moins facile -, leur foi éclai-

* rée les dispose à entrer volontiers dans les sentiments de contrition

* et de pénitence, de confiance et d'amour, d'abandon et de sacrifice

* qu'on leur suggère ; et, quand même ce seraient des pécheurs qui

* auraient croupi dans le désordre, il est toujours aisé, dés qu'ils

* sont instruits, de les rappeler à la religion : s'il est des exceptions

* à ce principe, elles sont rares.

* De toutes ces observations nous sommes autorisés à conclure

* (pie le catéchisme est pour les paroissiens la source des plus pré- ' cieux avantages ; il l'est encore pour le catéchiste lui-même : c'est

* ce qui nous reste à démontrer.

* SECTION 2.

* Avantages d'i catéchisme pour le catéchiste lui-même.

"* Le premier avantage que le catéchiste relire de sa fonction bien "remplie, c'est de se former au ministère de la chaire. En catéchi-

* sant, on s'enhardit à parler en public, on s'habitue à rendre ses "* pensées avec naturel et onction, à gesticuler sans contrainte, à

* improviser au besoin ; plus lard, exercé que l'on est à discourir

* sur toutes les matières de la religion, on compose sans peine des

* sermons et des prônes ; et comme on ne craint pas que la mémoire

DU CATÉCHISME. 425

* vienne à manquer, parce qu'on a la facilité d'y suppléer, on dé-

* bile avec aisance ; on n'est point esclave du mol à mot de son ma-

* luiscril, et l'on peut se livrer aux inspirations du moment, à ces

* élans heureux d'une âme pénétrée qui vont droit au cœur des au-

* ditt'urs.

* En même temps que le catéchiste acquiert la facilité de parler

* en public, il gagne dans l'esprit des peuples l'estime et la con-

* fiance nécessaire au succès de sa parole. Caries fidèles ne peuvent

* voir un prêtre, surtout un prêtre dont ils apprécient d'ailleurs

* I(^ mérite, s'appliquer avec assiduité aux catéchismes, sans admi-

* rer son humilité, sa modestie, sa foi, son zèle et la pureté de ses

* intentions. Comme ses fonctions sans éclat n'ont rien l'amour-

* propre puisse se complaire, c'est à leurs yeux une preuve non équi-

* voque que ce prêtre est un homme de Dieu, et ils lui donnent toute

* leur estime et leur confiance'.

* Mais outre ces avantages, il en est de plus précieux encore

* comme intéressant directement la sanctification du catéchiste lui-

* môme : d'un côté, il n'y a point à craindre la vanité qui enlève

* quelquefois aux prédicateurs une partie de leur mérite, quand ce

* n'est pas leur mérite tout entier ; et de l'autre, il y a tout à gagner.

* Indépendamment des indulgences précieuses que le saint-siège y

* a attachées^, on y gagne des mérites proportionnés aux peines de

* cette fonction, aux dégoûts qui l'accompagnent, et au peu de con- ■* siilèration que lui accorde le monde, on y gagne les magnifiques

* récompenses promises à ceux qui instruisent les autres dans la

* justice : Qui ad justilinm erudmnt mnltos, fulgebunt quasi slellx

* in perpétuas xternitates^ , on y gagne l'expiation de ses pé(;hés,

* conformément à ces paroles de saint Jacques : Qui converti fecerit

* peccatorem ah errore vise, snx, operiet muUitudinem peccatorum'',

* paroles riches de consolation et d'espérance pour le catéchiste,

* qui, par les soins qu'il donne aux enfants, retire les uns de l'état

* (lu péché, en préserve les autres, ouvre à fous la voie du salut. On

* y gagne les grâces attachées à la miséricorde spirituelle la plus ex-

* cellcute, puiï-qu'ici s'appliquent dans toute leur énergie littérale les paroles de Jésus-Christ : Qui susceperit unum parvulum talein

* in nomine meo me siiscipit^ QuandiU fecistis uni ex his fratri-

Voyoz la loUrc de saint François Xavirr au I'. Darzoe, en 15i!), g 0, dans le Guide de ceux qui aniioncoul la parole de Dieu, p. 002. - licnoîl MV accorde sept ans ol srpl (piarantaincs cIkuiik; (ois, et une iudul^'^cncc iili'uicre ciiaiiue mois. * Daniel, xii. '». * .iacnli, v, 20. * Matlh., xvui, 5.

426 TRAITÉ DE L\ PRÉDICATION.

* bus meis minimis, mihi fecistis^. Enfin on y gagne los grâces

* spéciales qu'obliemient les prières des enfants pour celui qui les

* instruit.

* « Chers enfants, disait le pieux Gerson, venez à moi ; nous nous

* « communiquerons mutuellement les biens spirituels; je vous

* « donnerai le lait de la doctrine, et vous, vous m'ouvrirez le ciel

* « par vos prières, vous intéresserez en ma faveur vos bons anges,

* « qui voient toujours la face du Père céleste ; vous me gagnerez le

* « cœur de Jésus-Clirist, qui aime tant les petits enfants et ceux qui

* « en prennent soin. » Les espérances du fervent catéchiste ne fu-

* rent point trompées ; et ce fut un touchant spectacle de voir, pendant

* sa dernière maladie, les enfants se rendre dans l'église il leur

* avait fait tous les jours le catéchisme, et là, à genoux devant le

* saint sacrement, redire plusieurs fois la prière qu'il leur avait re-

* commandée : Mo7i Dieu, mon Créateur, ayez pitié de voire pauvre

* serviteur Jean Gerson.

ARTICLE 3.

DES QUALITÉS REQUISES POUR BIEN FAIRE LE CATÉCHISME.

C'est un fait d'expérience que tel est le catéchiste, tels sont les enfants : s'il est mou et lent, tout est endormi ; s'il est ferme et vi- gilant, tout est attentif et sur ses gardes ; s'il est vif et actif, tout est riant; s'il est négligent, tout est désordre ; s'il ne se montre pas le maître, les enfants le gouvernent ; s'il est impérieux, ils le raillent. Aussi est-il moins facile qu'on le pense ordinairement de bien faire le catéchisme ; c'est un talent rare, peut-être même plus rare que celui delà prédication, et on ne saurait trop le demander à Dieu, qui seul peut le donner. 11 faut pour cela cinq choses, science, piété, douceur, zèle et prudence : ces différentes qualités du bon caté- chiste feront ia sujet des développements suivants.

* 8 4".

De la science requise pour bien faire le catéchisme.

* Sans doute, il n'est pas nécessaire qu'un catéchiste ait la

* science profonde d'un habile théologien ; mais il doit avoir une

* instruction solide, des idées claires, sûres et exactes sur les parties

* Matth., XXV, 40.

DU CATECHISME. 427

* essentielles du dogme et de la morale, c'est-à-dire sur le symbole,

* les sacrements, les commandements de Dieu et de l'Église, les vi-

* ces. et les vertus. Car son ministère lui impose le devoir d'expli-

* quer toutes ces matières avec ordre, justesse et précision, de

* proportionner ses explications à la capacité des enfants et des

* simples et de varier ses expressions et ses tournures sans altérer

* ou obscurcir le fond de la doctrine. Or ceci demande plus que des

* connaissances superficielles, et celui-là seul en est capable qui a

* fait une étude suivie et sérieuse de la religion, acquis un fond solide *de théologie dogmatique et morale, joint à l'habitude de la jus-

* tesse et de la netteté dans les idées. Encore faut-il de plus qu'il se

* rende actuellement ces matières présentes et familières, tant par

* de mûres réflexions sur les vérités à expliquer que par la lecture

* des ouvrages elles sont le mieux traitées ; qu'il sache s'énoncer

* avec aisance et clarté, et qu'il possède même assez de connaissan-

* ces variées pour pouvoir intéresser les enfants par des histoires et

* des comparaisons, des rapprochements et des exemples. Le caté-

* chiste qui n'a pas cette mesure de science fera nécessairement

* de très- grandes fautes. 11 enseignera des erreurs et des hérésies

* sans même s'en douter ; il altérera le dépôt de la foi et donnera

* aux enfants des idées fausses qu'ils conserveront peut-être jusqu'à

* la mort. Lors même qu'il ne leur enseignerait pas d'erreurs, ses

* explications inexactes ou tout à fait insuffisantes donneront lieu à

* des doutes qui ébranleront ou détruiront peut-être entièrement leur

* foi. Les inconvénients que nous signalons pour le dogme se repro-

* duiront pour la morale. Ses décisions hasardées, tantôt trop sévères,

* tantôt trop relâchées, fausseront les consciences, et seront cause

* d'un nomijre incalculable de péchés mortels. Puis, ne sach<ant pas

* discerner les points sur lesquels il faut insister, il perdra un temps

* précieux à des questions inutiles ou ridicules, il ne saura pas pré-

* senter la religion de manière à en doinier une idée grande et éle-

* vée, à en inspirer l'estime et l'amour; il n'aura ni ces vues neltes

* que l'esprit saisit avec facilité et retient avec plaisir, parce qu'elles

* sont paifaitement claires, ni ces mots propres, ces expressions

* justes qui les rendent avec précision, ni cet ordre qui suit la pro-

* grcssion naturelle des idées, et classe chaque chose à sa place; de

* sorte qu'on ne remportera de son catéchisme que des notions im-

* parfaites ou confuses, peu de connaissances solides et diu'ables;

* et il ne formera qu'une génération mal instruite et peut-être ■* sans religion. Ces courtes considérations sont sans doute plus que

4^8 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* ï^uffisanlcs poiu' l'aire sentir la nécessité de la science dans le caté-

* chisme.

* § 2.

* De la piélé requise pour bien faire le calccliisme.

* Si la science peut former des enfants instruits, à la piété seule

* il appartient de les rendre vertueux ; seule elle en connaît le secret

* et sait l'employer. Que faut-il, en effet, pour arracher l'homme à

* ses penchants et lui faire emhrasser la vertu pour laquelle il a

* naturellement peu de goût? il faut autre chose que la parole hu-

* maine ; il faut la grâce de Dieu, qui, seul, tenant les cœurs dans sa

* main, sait les façonner à son gré, leur donnerdes penchants vertueux

* et le goût de la piélé. Or, cette grâce, si nécessaire, on ne l'ohtient

* qu'autant qu'on la demande par une prière fervente, et que, se

* flépouillant de son propre esprit, on s'unit à l'esprit de Dieu pour

* être animé et dirigé par lui ; toutes choses que ne fait point le caté-

* chiste qui n'est pas pieux. N'attendant rien que de lui-même, il ne

* prie pas ou il prie mal pour le succès de son ministère, il remplit sa

* céleste fonction d'une manière tout humaine et fait son catéchisme

* comme un professeur fait sa classe, sans union avec Dieu, sans vue

* de Dieu. Le catéchiste pieux, au contraire, n'attendant rien que

* de la grâce, prie avec zèle et persévérance. Il prie pour lui, afin

* d'ohtenir les lumières, la charité, le zèle, la patience, toutes les "* vertus que requiert sa fonction ; et il prie pour ceux qu'il caté-

* chise, afin de leur ohtenir un esprit et un cœur dociles, c'est-à-

* dire ratlenlion et l'intelligence, la honne volonté et le courage

* de la vertu. Avant le catéchisme, il va se prosterner devant le

* saint-sacrement, et là, se confessant incapable autant qu'indigne

* de remplir dignement un si grand ministère, il implore le secours

* de Dieu, se met entre ses mains comme un organe, un instrument,

* pour ne rien dire et ne rien faire que par son mouvement et sa

* conduite ; il se recommande à la sainte Vierge, aux patrons et aux

* anges gardiens des enfants, et récite avec piété le Veni Sancte et VAve

* Maria. De là, se rendant au lieu du catéchisme, il salue, dès l'en-

* trée, avec un grand respect intérieur, l'ange gardien de chaque

* enfant et commence avec joie sa belle et aimable fonction. Pen-

* dant le catéchisme, il envisage tous les enfants, tanqiiàm Christum

* membratim divisiim, selon la touchante pensée de saint Âugus-

* tin; et son cœur s'élève souvent vers le ciel par de courtes aspi-

DU CATECHISME. J-iO

* rations, pour appeler l'esprit de Dîeu à son aide et s'unir à lui. Il

* prie de même après le catéchisme, fait prier les âmes ferventes;

* et par tous ces moyens il attire les bénédictions célestes sur ses

* travaux : première raison qui démontre la nécessité de la piété

* dans le catéchiste.

* Une autre raison non moins décisive, c'est que le catéchiste qui

* n'est pas pieux n'a pas grâce pour toucher les cœurs ; il parle de

* Dieu et de nos mystères d'une manière sèche et froide, comme de

* choses indifférenles ; il a beau crier et s'agiter, tous les enfants

* n'en reconnaissent pas moins qu'il n'est point touché, et dès lors

* impossible qu'il touche. C'est bien pire encore lorsqu'il donne des

* signes d'ennui et de dégoût, s'impatiente et se met eu colère,

* laisse échapper des mots et des gestes peu édifiants, peu dignes

* de son caractère. Rien de tout cela n'échappe à l'oeil extrêmement

* perçant des enfants; ils prononcent par instinct que c'est mal, et

* dès lors leur cœur se ferme à l'action de sa parole. Il en est bien

* autrement du catéchiste pieux ; il ne parle qu'après s'être bien pé- *nétré aux pieds du crucifix ou dans la ferveur de l'oraison; tout ce

* qu'il dit est accompagné d'une onction céleste qui indique l'homme

* de Dieu ; et de son âme brûlante s'échappent des paroles de feu

* qui pénètrent et échauffent les âmes. Tout en lui fait impression,

* tout émeut, son ton, son geste, son maintien, son regard, son style,

* qui part du cœur et va droit au cœur. Point d'enfant qui ne com-

* prenne ce langage. Profitant de l'empire que sa piété lui donne

* sur les cœurs, il les forme à la vertu par des pratiques propres â

* leur en inculquer l'estime et l'amour; troisième raison qui établit

* la nécessité de la piété dans le caléchisle. C'est un fait d'expérience

* que les pratiques extérieures sont nécessaires à l'homme, plus

* encore à l'enfant, pour faire naître dans son âme, y développer et

* entretenir le sentiment de la vertu ; elles fixent la mobilité de ses

* pensées, donnent un aliment à ses affections, et lui inspirent des

* dispositions auxquelles il n'aurait pas même songé. Mais ces prali-

* ques, le catéchiste pieux peut seul les lui incuhpier. Lui seul sait

* par expérience celles qui peuvent le mieux foiiner et nourrir la

* piété. Lui seul a le tact, l'iiidusliie, la nianiêie intéressante et ai.

* niable propres à les faire goût(!r aux enlanls et à les leur l'aire

* accepter avec un cmpiessemenL saintement joyeux! Voyez-le, le

* catéchiste pieux : avec «piel ait il s'empare de ces âmes neuves,

* de ces cœurs, qui à un âge au^si tendre, sont encoïc, ci»iiiiiie

* la cire molle, susceptibles de prendre toutes les iinuii'ssio.is 1

430 TRAITÉ DE L.\ TRÈDICATION.

* Comme il les façonne à la modestie et à l'obéissance, leur inspire

* l'amour de Dieu et de la Irès-sainte Vierge, leur en suggère les

* pratiques les plus propres à leur âge ! Tantôt c'est à la vue de la

* croix un acte d'amour de Dieu ou de détestation du péché, de

* désir du paradis à la vue du ciel, d'adoration en passant devant

* une église, d'offrande de son cœur à Dieu au son de l'horloge, de "* contrilion avant de s'endormir, tantôt ce sont différentes pratiques

* à l'époque des fêtes pour honorer les mystères ou les saints; et à ■* l'aide de ces exercices, petits si l'on veut aux yeux du monde.

* mais grands par leurs résultats, il forme et nourrit dans les cœurs

* l'esprit de prière, l'amour de Notre-Seigneur et delà sainte Vierge,

* les vertus chrétiennes et la vraie dévotion. Voilà le bien que fait le

* catéchiste pieux ; mais celui qui ne l'est pas ne fera rien de toutes

* ces choses ou les tentera sans succès : la piété seule en inspire le

* goût et donne le tact nécessaire pour y réussir.

* De ces observations nous pouvons conclure combien la piété est

* essentielle au catéchiste ; elle peut suppléer le talent, mais le ta-

* lent ne peut la suppléer. On se demande quelquefois d'où vient

* qu'en certains catéchismes, malgré les qualités brillantes et les

* soins de celui qui les dirige, tout languit, ce n'est que froideur et

* dissipation ; tandis que dans d'autres, sous un catéchiste à talents ■* très médiocres, tout réussit et prospère. La raison de cette diffé-

* rence n'est autre, pour l'ordinaire, que le défaut de piété : on ne

* touche pas, parce qu'on n'est pas touché ; on n'embrase pas,

* parce qu'on n'est pas embrasé; on ne convertit pas, parce qu'on

* ne prie pas ; dans les saints tout le contraire arrive.

* De la douceur requise pour bien faire le calécliisme.

* Saint Paul recommande d'instruire le prochain dans un esprit de

* douceur : Instruite in spiritu Ienitatis\ et lui-même traitait les

* fidèles avec la douceur d'une nourrice pour son enfant, tanqufim

* si mitrix foveat jiUos suos^. Le cœur humain veut être traité ainsi;

* on n'en peut rien faire qu'en le maniant doucement et cordiale-

* ment. Saint Augustin nous apprend qu'il n'a été attiré lui-même à

* la rehgion que par là, et qu'il dut le principe de sa conversion aux

* bontés de saint Ambroise à son égard : Cœpi amare hominem,

» Galat., VI, 1 2 I Thess., n, 7.

DU CATÉCHISME. 431

* dit-il. non 7it doctorem veritatis , seduthenevolumin me^. Mais si les "* hommes faits ne se gagnent que par douceur, à plus forte raison

* les enfants. Aussi Notre-Seigneur a-t-il voulu nous donner l'exemple

* en ceci comme en tout le reste : Et complexans evs et ijnponens

* mamis super ilios, benedicebat eis^. Sur quoi Gerson s'écrie : « 0

* « bon Jésus ! quand je vous vois étendre vos bras pour serrer avec

* « tant de tendresse sur votre poitrine ces petits enfants, je me sens

* « ému jusqu'au fond de l'âme. Oh ! je veux aimer ceux que vous

* « aimez tant, je veux imiter votre bonté, et, comme vous, avoir

* « pour eux des entrailles maternelles. » Tel est, en effet, le seul

* moyen de réussir ; il faut commencer par gagner le cœur des en-

* fnnts et s'en faire aimer. Si l'on se borne à se faire craindre, ils ne

* viendront qu'avec répugnance au catéchisme, comme à un exer-

* cice odieux, s'en absenteront le plus souvent qu'ils pourront, et

* quand ils ne le pourront pas, ils écouleront sans intérêt, unique-

* ment pour ne pas être punis ; ils useront de dissimulation et le "* cœur ne se laissera point manier, toucher et changer. Il est donc

* essentiel de se faire aimer. Or, on ne parvient à être aiuié qu'en ai-

* mant soi-même d'un amour plein de douceur. La douceur de la

* charité est la clef des cœurs, c'est elle qui les ouvre, elle en est

* l'aimant, c'est elle qui vous les attache. La rigueur les intimide et

* les trouble, la dureté les rebute; le ton sévère, Fatr sombre, les

* manières brusques, l'humeur qui s'emporte, les expressions dures,

* les termes injurieux ou ironiques, et plus encore les mauvais trai-

* tements, les aigrissent et leur font perdre toute confiance, sans

* compter que les parents s'en offensent et que les paroissiens s'en

* scandalisent. On perd donc tout dés qu'on manque à la douceur,

* et si Ton prétend se faire respecter en coinmandant avec empire,

* en reprenant avec aigreur, en se fâchant à tout propos, on se

* trompe ; on se lait seulement haïr. Si l'on veut imposer aux enfants

* ce doit être par l'ascendant de son ministère, de ses vertus et

* d'une fermeté sans humeur, dont encore il ne faut faire usage que

* lorsqu'elle est nécessaire ; car on ne doit emf)loyer l'autorité qui

* intimide que rarement, avec discrétion et seulement comme un

* moyen pour passer de à l'amonr qui gagne les cœurs: Discile,

* disait saint Bernard, matres esse, non dominos, omrxm ostendentes

* inansuetudinem ad ornnes^. Nemini vis adhlbeuda, disait dans le

* même sens saint François Xavier, nisiamoris ctcarUalis, nec is sit

* (catechiita) qui timeri magis quant aman velit.

* Confess., lib. V. » Marc, x. IG. » Scrm. ii, iu &iit.

i32 TI'.AITE DE LA PREDICATION,

* Mais, d'un autre côté, il ne faut pas faire consister la douceur dans

* une molle eondescendance qui flatte les défauts des enfants au lieu

* de les corriger, qui leur accorde tout ce qu'ils demandent, leur

* permette tout ce qui leur plaît, et les laisse se familiariser avec ce-

* lui qu'ils devraient respecter; car de il résulte que, n'étant plus

* contenus par la crainte, ils se dissipent, ils se relâchent, ilsman-

* quent d'égards et en viennent souvent jusqu'au mépris, fruit trop

* ordinaire de la familiarité. Il ne faut pas confondre non plus ladou-

* ceur avec cette tendresse de cœur, cette affection tout humaine

* pour ceux que distinguent un extérieur agréable, la naissance, la

* fortune, l'esprit, la sympathie d'humeur et de caractère. Le caté-

* chiste ne saurait trop se tenir en garde contre un tel sentiment la

* nature a beaucoup plus de part que la grâce, ni trop éviter toute

* liberté, toute caresse ou manifestation d'un attachement trop hu-

* main.

* La vraie douceur a des caractères bien différents des deux défauts

* que nous venons de signaler : pleine du souvenir de Jésus-Christ,

* si tendre envers les enfants, et touchée uniquement des vues delà

* foi, elle s'annonce au dehors par la sérénité du visage, une affabi-

* lité noble, une certaine suavité dans la voix et les manières qui

* gagnent le cœur; elle parle le langage de la bonté, se rapetisse

* avec les petits et dépose tout air de hauteur et de majesté, con-

* vaincue de la vérité de cette parole du poêle :

Non benè conveniimt nec eûdem sede moranlur Majeslas et amor

* Elle s'intéresse comme une mère à tout ce qui regarde ses en-

* fants bien-aimés, compatit à toutes leurs peines, tâche d'adoucir

* les sujets d'amertume qu'ils rencontrent et leur dit à propos des

* paroles de consolation et d'encouragement. Après avoir ainsi ga-

* gnè leur cœur, elle profite de cet état d'aisance elle les a mis

* pour exercer leur intelligence par des questions sur le catéchisme,

* leur inspirer le désir de savoir, et les stimuler par les moyens d'é-

* mulation dont nous parlerons plus bas. Pour y mieux réussir,

* elle s'abstient soigneusement de tout ce qui pourrait leur être

* désagréable, comme de leur donner des sobriquets, de leur

* demander plus ipi'ils ne peuvent savoir, de les couvrir de confu-

* sion pour leur ignorance ou leur incapacité, de les reprendre pu-

* bliquement quand la laule n'est pas publique ; et, alln d'avoir à les

* punir le moins possible, elle s'attache à prévenir les fautes par

DU CATÉCHISME. 433

* toutes les précautions que la charité inspire, par un regard jeté à

* propos, un avis bien placé, un mot d'encouragement, etc.. Si mal-

* gré tout cela, les enfants ne sont pas sages, elle est indulgente au-

* tant qu'elle le peut sans inconvénient, corrige d'un ton ferme "* quand il le faut, mais sans aigreur et sans dureté ; punit au besoin,

* mais sans jamais frapper, toujours avec modération et sang-froid,

* en laissant espérer au coupable d'être encore aimé s'il devient plus

* sage, et faisant agir sur tous la religion et les sentiments, bien plus

* que la terreur et les menaces.

* §4.

* Du zèle requis pour bien faire le catéchisme.

* On entend par zélé un désir ardent de faire connaître et aimer ^

* l>ieu par les enfants, et de sauver leur âme, quoi qu'il en doive

* coûter .)Si cette flamme sacrée de la charité ne brûle pas au fond ■* (lu cœur, le peu d'éclat qui accompagne la fonction de catéchiste,

* l'ennui attaché à la répétition continuelle des mèîues choses, la lé-

* gèreté, l'indocihté, souvent même la grossièreté des enfants, fe-

* l'ont prendre leur instruction à dégoût, et l'on ne s'y prêtera plus

* qu'avec répugnance, sans intérêt, sans préparation, comme un

* homme rebuté. De on entrera facilement, et pour la moindre

* contradiction, en mauvaise humeur ; on perdra l'esprit de dou-

* ceur, si nécessaire à ce ministère, et l'on ne fera de catéchismes

* que le moins qu'on pourra, s'en déchargeant sur d'autres, s'il est

* p'ossible, dussent-ils s'en acquitter mal. Mais, au contraire, si une

* loi vive, si une charité ardente allume dans le cœur un grand désir

* de sauver ces chers enfants, de leur faire connaître et aimer

* Jésus-Christ, celte disposition de zèle soutiendra le courage parmi

* les difficultés et les contradictions, triomphera, par la patience,

* des ennuis et des dégoûts, portera à préparer avec grand soin clia-

* que catéchisme, à ne rien négliger pour y donner cet intéiét qui

* tient les esprits toujours attentifs; et, si quelques-uns ont besoin

* de leçons particulières, on ne craindra pas d'ajouter, par un gé-

* néreux dévouement, de nouveaux travaux aux hçons [)ubliques.

* Ce zèle embrassera tous les enfants sans exception ni distiuc-

* tion, parce qu'aux yeux de la foi les âmes valent toutes le même

* prix; ce qui n'empêchera pas cependant la tendresse et la snllici- ■* lude du catéchiste d'entourer d'un intérêt tout spécial trois classes

* particulières du petit troupeau confié à ses soins, savoir : l°los

28

JJC^".-!^^

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434 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

* enfants encore innocents, sanctuaire de la divinité qu'il est si inté-

* ressaut de conserver purs; les pauvres, qui sont si cliers au

* cœur de Notre-Seignour, et dont il est juste d'honorer la condition

* si sublime aux yeux de la foi, sans cependant négliger les riches

* et encore moins les choquer; 3" les enfants qui ont eu le malheur

* de naître de parents sans mœurs et sans foi, d'être élevés dans

* une ignorance profonde de la religion, de sucer, avec le lait, l'ha-

* bitude du vice, de ne voir que mal autour d'eux, de n'entendre

* que blasphèmes ou railleries sur la piété et nos mystères. Ne dût-

* on sauver qu'un seul de ces pauvres enfants dont la position est si

* à plaindre, on devrait estimer bien employé tout le temps qu'on

* leur consacre; et dussent-ils résister à tous les efforts du zèle, il

* faudrait encore les leur prodiguer par l'espoir qu'après avoir tra-

* versé l'âge des passions, ils se rappelleront les leçons de l'enfance

* et reviendront à Dieu, surtout s'ils ont le bonheur d'éprouver

* quelque grand revers.

* De la prudence requise pour bien faire le caléchisme.

* En vain on aurait du zèle, si la prudence ne l'accompagne : loin

* d'être utile au bien, il serait la source de ])eaucoup de maux; et

* pour le concevoir, il suffit de parcourir les divers objets sur lesquels

* doit s'exercer la prudence.

* Il faut une grande prudence pour se modérer, se régler et se

* gouverner soi-même. Si on se laisse dominer par son imagination, *par un zèle impérieux, roide et opiniâtre, qui prend toutes ses

* pensées pour des volontés du ciel, on perdra tout; plus d'une fois

* une seule saillie de ce faux zèle a suffi pour aliéner des enfants

* sans retour. Le zèle prudent n'agit jamais dans un premier mouve-

* ment, ou dans un moment d'émotion ; il attend qu'on soit calme

* et qu'on se possède; il réfléchit, prie et consulte avant de se dèter-

* miner, calcule les conséquence de telle mesure avant de la prendre,

* ou de telle parole avant de la dire, et ne se laisse jamais emporter

* par l'empressement naturel ou par le caractère.

* La prudence n'est pas moins nécessaire pour varier sa conduite

* selon les personnes. 11 est des caractères qu'il faut attendre, d'au-

* très qu'il faut presser, des circonstances il faut être doux, con-

* soler et encourager, d'autres il faut être sévère, menacer et

* corriger. Dans les rappoi ts avec les garçons, il faut ôlre ferme

DU CATECHISME. 455

* quand on leur parle à tous en général, doux et tendre quand on

* leur parle en particulier. C'est le contraire pour les personnes du *sexe; il faut un grand fond de douceur quand on leur parle en

* général, et une grande réserve dans les rapports privés. On voitpar

* ces courtes indfcations comment l'esprit de discrétion et de pru-

* dence varie ses moyens : c'est une affaire de tact dans laquelle

* le bon sens devine plus que les régies ne peuvent prescrire.

* ô" 11 faut la prudence pour ne laisser soupçonner aux enfants

* aucune acception de personnes. Si l'on témoigne plus d'affection

* à l'un d'entre eux qui est bien vêtu qu'à un autre qui est pauvre, si

* on lui parle souvent, d'un ton plus honnête, et qu'on le loue ou

* qu'on le récompense davantage, ils l'auront bientôt remarqué, et,

* dés lors, se croyant méprisés, ils regarderont le catéchiste comme

* un homme injuste, lui retireront à la fois leur respect et leur con-

* fiance; et leurs parents, partageant les mêmes sentiments, écla-

* teront en murniures contre une manière de faire qui les humilie.

* Pour prévenir de tels inconvénients, il faut traiter si également les

* uns et les autres, que personne n'ait sujet de se plaindre; et après

* avoir loué ou récompensé un enfant riche, il faut louer ou récom-

* penser quelque enfant pauvre qui le mérite ; après avoir parlé à

* celui-ci, parler à celui-là ; et que les règles de bienséance envers

* les riches soient compensées par les égards de bonté envers les

* pauvres.

* llne grande prudence est nécessaire pour discerner la portée

* d'esprit, le caractère et le cœur de chaque enfant, et jutrcr d'après

* cela ce qu'on doit lui dire, et la manière de le dire. Car on doit

* varier, selon les circonstances, ses discours et son genre; il ne faut

* pas entrer dans les mêmes développements avec les enfants de huit

* à dix ans qu'avec ceux de douze à quinze; il ne faut pas parler à un

* enfant tinnde comme à un enfant vain et présomptueux; on peut

* même dire que chaque catéchisme, comme chaque enfant, a sa

* nuance particulière qu'il faut observer en parlant, si on veut être

* compris et goûté.

* Il faut surtout une prudence céleste pour traiter ce qui a

* rapport à la sainte et aimable vertu. On ne peut point passer sous

* silence le sixième précepte ouïe troisième péché ca[)ital, parce que

* les enfants demanderaient raison de celte omission ; et d'un autre

* côté, quand on en parle, il faut en dire assez peu pour que ceux

* qui ignorent le mal ne rappreinient ni ne le ^-oupçonm-nt, et que

* ceux qui le savent n'en aient pas limaginalion blessée; et toute-

436 TRAITÉ DE LA PnÉDICATION.

* fois il faut en dire assez pour inspirer à tous l'horreur de l'impu-

* relé, pour en retirer ceux qui y sont tombés, pour en préserver ceux

* qui sont innocents sans leur laisser soupçonner qu'il y a quelque

* chose de plus à savoir là-dessus; ce qui exciterait leur curiosité à

* des recherches et à des questions dangereuses. Nous indiquerons

* phis tard la manière de procéder à ce sujet ; mais quoi que nous "* puissions dire, il restera toujours une part immense, uniquement

* du ressort de la prudence, ne fût-ce que pour répondre aux inter-

* rogations que font par simplicité ou curiosité certains enfants sur

* cette matière, demandant par exemple ce que c'est que la pureté,

* la luxure, l'œuvre de la chair, etc.. On conseille dans ces cas, ou

* de ne pas paraître entendre, ou de mépriser la question comme

* peu importante, et de parler d'autre chose, ou de répondre en

* termes vagues par exemple, que la pureté consiste à être sage, la

* luxure à n'être pas sage, sans affecter un air de mystère qui, irri-

* tant la curiosité, provoquerait de nouvelles questions. Si l'on savait

* que l'interrogation est faite par malice, il faudrait répondre par un

* regard foudroyant, par un mot d'indignation, par exemple, ce «'est

* pas de cela qu'il s agit, et reprendre aussitôt son sang-froid ordi-

* naire, pour qu'on n'aperçoive que le moins possible la portée de la

* question.

ARTICLE 4.

DE CE qu'il faut ENSEIGNER AD CATÉCHISME.

Tout ce que nous avons dit dans le troisième chapitre du premier livre sur la matière de la prédication, s'applique ici en très-grande partie, de sorte que nous nous bornerons à quelques courtes obser- vations.

l" On doit ne traiter au catéchisme que ce qui regarde la foi et les mœurs, s'abstenir des questions subtiles ou de pure curiosité qui ne sont point essentielles au salut, des opinions problématiques qu'il importe fort peu aux enfants de connaître, et des objections contre la religion, à moins que ce ne soient des objections vulgaires et con- nues de tous.

Il faut enseigner avec un soin particulier les premières vérités

et surtout les trois principaux mystères, les répéter souvent pour

les imprimer d'une manière durable dans l'esprit des enfants, et leur

faire produire non moins souvent les actes de foi, d'espérance et de

harité, avecl'ènoncé bien clair et bien compris du motif de chaque

DU CATECHISME. 437

acte. Par exemple, après qu'un enfant a dit : Je crois tout ce que Dieu a révélé à son Église, il faut lui demander pourquoi il le croit et lui faire répondre que c'est parce que Dieu est la vérité môme qui ne peut ni se tromper ni nous tromper. Après qu'il a dit : J'espère la vie éternelle et la possession de Dieu dans le ciel, il faut lui faire dire qu'il l'espère parce que Dieu lui en a promis les moyens, et que Dieu ne peut manquer à sa promesse. Après qu'il a dit : J'aime Dieu de tout mon cœur, il faut lui faire dire qu'il l'aime, parce que Dieu est en lui-même infiniment aimable, infiniment bon : sans ces motifs compris par l'esprit et sentis par le cœur, il n'y a point d'actes des vertus théologales.

5" 11 faut expliquer toutes les vérités dont la connaissance est de nécessité de précepte, comme les sacrements, les commandements de Dieu et de l'Église, la manière de baptiser, les obligations du chrétien en faisant remarquer combien elles sont raisonnables, fa- ciles et avantageuses, même pour la vie présente, les péchés inté- rieurs qui se commettent par pensées, par désirs, par résolutions, par intentions, par dispositions du cœur, en agissant contre sa conscience ; et pour prévenir les illusions si communes sur tous ces points, il est essentiel de faire bien comprendre que souvent on pèche quoiqu'il n'y ait aucun acte extérieur, que l'acte extérieur lui- même est plus ou moins grave en raison des dispositions intérieures avec lesquelles on le fait, et qu'en conséquence ils doivent se de- mander souvent : quel est le motif qui me fait désirer, dire ou faire telle chose ? D'où vient le plaisir que j'ai à penser à ceci, ou à dire cela?

4" 11 faut bien expliquer en quoi consistent les vertus chrétiennes: rien n'est moins connu dans le monde, même parmi les personnes qui font profession de piété. On croit que tout consiste à éviter le péché ; et les vertus chrétiennes, ces vertus si belles, l'iiormeur du christianisme, l'ornement de l'Église, ces vertus qu'un Dieu est venu nous enseigner par ses exemples et ses leçons, on les ignore, on ne sait pas en quoi elles consistent ; qu'on juge de en est la pra- tique. C'est ainsi que la religion est privée d'une de ses gloires, les âmes d'une des connaissances les plus précieuses : et quelle en est la cause, sinon le prêtre qui n'a pas instruit l'enfance sur un sujet si utile au salut? Qu'on interroge les enfants qui ont le mieux suivi tout le cours des catéchismes : en est-il un (jui sache ce que c'est que l'humilité, l'abnégation, l'esprit de foi, le recueillement, etc.? Il a obligation rigoureuse de ne plus laisser une pareille lacune dans

438 TRAITÉ DE LA TRÉDICATION

l'enseignement de la religion, et de se rappeler que la morale chré- tienne a deux parties : Déclina à malo et fac bonum.

Il faut se faire une loi d'une exactitude parfaite dans la doc- trine, sans jamais se permettre la moindre exagération. C'est un zèle fort mal entendu de présenter comme péché mortel ce qui ne l'est pas, afin d'en inspirer plus d'horreur aux enfants : le désir du bien fait souvent donner dans cet excès sans en calculer les conséquences; par exemple lorsqu'on présente comme quelque chose d'énorme le mensonge, la gourmandise, la désobéissance, la non-assistance à Vêpres ou à une classe. Par ces exagérations, on est cause que les enfants se formant une fausse conscience, pèchent mortellement il n'y a en soi que péché véniel. D'un autre côté cependant il faut prendre garde de les enhardir au mal par une manière maladroite de leur exposer la vraie doctrine, comme ferait celui qui leur dirait en riant ou d'un air indifférent qu'il n'y a pas grand mal à cela, que ce n'est que péché véniel. La prudence veut qu'on ne parle de ces fautes que d'une manière grave et propre à leur en inspirer de l'éloignement, qu'on les en détourne, non pas, doit-on leur dire , qu'elles soient péché mortel, mais parce quelles déplaisent à Dieu, elles l'offensent, il les punira sévèrement dans le purgatoire, et quoique vénielles, elles disposent au péché mortel et mettent le salirt en péril.

ARTICLE 5.

DE LA PRÉPARATION QU'eXIGE LE CATECHISME.

Le catéchisme, pour être utile, demande une préparation sérieuse, beaucoup plus soignée qu'on ne le pense ordinairement ; et qui- conque méditera la manière de le bien faire, telle que nous l'expo- serons ci-après, comprendra que ce n'est pas un exercice qui s'improvise. On peut même dire que celui qui habituellement ne le prépare pas, on ne le prépare que par manière d'acquit, n'est pas exempt de faute grave : car c'est un fait d.'e\périence qu'alors il y a dans l'instruction des inutilités et des redites, des omissions et des inexactitudes, des décisions hasardées, des choses vagues, des di- gressions déplacées : on parle beaucoup et on instruit peu. Alors ij y a obscurité dans la manière de présenter les choses; il est impos- sible d'avoir l'idée nette et l'expression juste quand auparavant on ne s'est pas rendu compte à soi-même de ce qu'on doit dire et de la manière de le dire ; on parle au hasard, on est long, diffus ou trop relevé; et n'eût-on pas tous ces défauts, on aurait au moins celui de

DU CATÉCHISME. 439

ne point se faire comprendre : car les enfants, et on en peut dire autant des esprits bornés, ont leur manière à eux de concevoir les choses et de rendre leurs conceptions ; et ce qui est clair pour le commun des hommes ne l'est nullement pour eux. Si l'on veut en être compris, il faut, dans une préparation sérieuse, étudier le petit cercle de leurs connaissances, prendre le point de départ, la règle de ses explications et la manière de les conduire pas à pas avec ordre et méthode, à magis noto ad minm notiim; il faut réflé- chir sur le sens qu'ils attachent aux mots, sur la manière dont ils expriment leurs pensées dans le langage ordinaire, et d'après ces diverses données, se tracer son plan d'instruction et en combiner tout le détail ; autant de choses qui demandent une forte prépara- tion. Mais ce n'est pas tout: lorsqu'on a négligé de se préparer, on ne rend pas le catéchisme agréable et intéressant, et les enfants, dé- goûtés, sont distraits et inaltentifs ; on n'y porte pas soi-même d'in- térêt, parce qu'on sent au fond de sa conscience qu'on s'acquitte mal de son devoir, et surtout parce qu'on ne possède pas son sujet, faute de s'en être bien rempli auparavant: quand on n'est pas maître de sa matière, on est froid, languissant, incertain de ce qu'on va dire, et gêné dans sa marche. On s'aperçoit que les enfants ne com- prennent point, mais on ne sait pas s'énoncer autrement : l'occasion se présente de dire des choses très-utiles relatives au sujet, mais on est incapable de les dire ; les enfants adressent des questions impré- vues, et l'on est embarrassé pour y répondre.

Il faut donc se préparer avec soin ; et voici en quoi consiste celte préparation :

Il faut bien étudier la lettre ou le texte du catéchisme, afin d'être en état d'en expliquer clairement tous les mots, et de déter- miner les points sur lequels il faudra insister et ceux qu'il suffira d'exposer.

Il faut lire les meilleurs auteurs sur la leçon à expliquer, par exemple, le Catéchisme du concile de Trente, les Catéchismes de Constance (4 vol.), de Montpellier (édition de Charency, 0 vol.), de Couturier (4 vol.), de Bourges, par M. de la Chétardic (2 vol.), do CoUot, (1 vol.), de Fleury (1 vol.), de Nantes (l vol.); le Catéchisme de Bellarmin, que Clément XI, Benoit XIV et plusieurs autres papes ont si vivement recommandé, en exprimant le désir qu'il fût le soûl enseigné dans toute l'Kglise catholique ; l'Explication du catéchisme de Genève, par Duclot (7 vol.); la Science pratique du catéchiste, par M. Cossart (1 vol. in-8'); le Catéchisme expliqué par 400 tiailsd'his-

440 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION. ^^'^\,..^.

toire, par M. Guillois, ancien curé du Mans ; mais surtout le Caté- chisme de la foi et des mœurs, par M. de Lantages, réimprimé au Puy en 1845 (1 vol.), et enfin les auteurs même de théologie. En faisant ces lectures, on extrait, sur un cahier à part, ce qu'on trouve de plus utile ; on le résume ensuite, on le met en ordre en se rappro- chant le plus possihle de la leçon à expliquer, et on tâche de s'en bien pénéirer.

Après qu'on a ainsi préparé ce qu'on doit dire, il faut préparer la manière de le dire, en recherchant les moyens de rendre ses pen- sées assez clairement pour instruire, assez pieusement pour toucher, assez agréablement pour intéresser, et choisissant d'avance les com- paraisons, les exemples, les histoires propres à ce triple but, quel- quefois même jusqu'aux expressions et aux tournures qu'on em- ploiera pour se mettre à la portée des enfants.

4" Avant, pendant et après celte préparation, il faut demander par des prières ferventes la grâce de remplir dignement un si saint mi- nistère, se pénéirer d'un vif désir d'y procurer le bien des âmes et la plus grande gloire de Dieu, et tenir son intention dirigée imique- ment vers cette noble fin. Cela fait, on pourra aller avec confiance faire le catéchisme ; Dieu le bénira.

ARTICLE 6.

DK LA MANIÈRE DE FAIRE LE CATECHISME.

Nous abordons ici une matière sur laquelle l'expérience seule peut donner des leçons utiles ; toutes les théoiies seraient suspectes et nous pardonneiions de n'y avoir pas confiance. Aussi, est-ce de l'expérience seule que nous avons pris conseil pour traiter tout cet article : nous n'y disons rien qui n'ait été mis en pratique pendant près de deux siècles dans les catéchismes si justement célèbres de Saint-Sulpice de Paris, et qui ne s'observe encore maintenant, non- seulement dans cette paroisse, mais dans un grand nombre de pa- roisses de France. Toutes les règles que nous donnons ont été prouvées bonnes et utiles parles résultats, et d'éclatants succès en garantissent la sagesse : nous avons donc droit à être cru dans l'ex- posé que nous allons donner de la manière de faire le catéchisme.

Pour remplir dignement ce saint ministère, trois choses sont essentielles. 11 faut : 1" établir dans le catéchisme une discipline exacte ; bien instruire les enfants ; 3" travailler à leur sanctifi- cation,

DU CATÉCHISME. i'A

Des moyens d'établir une discipline exacte dans le catéchisme.

La première condition pour bien faire le catéchisme, c'est de savoir maîtriser les enfants, et les tenir dans le silence et le recueillement. Souvent ils sont pétulants et volages, ne pensent qu'à s'amuser, ne sentent point le prix de l'instruction, et n'assistent au catéchisme qu'à contre-cœur. Si on ne sait pas les contenir, ils mettent le trouble, n'écoutent pas et empêchent les autres d'écouter : on passe soi-même la moitié du temps en avertissements et en réprimandes; on interrompt à chaque instant le fil de l'instruction pour gronder celui-ci, châtier celui-là ; on crie beaucoup et l'on fait peu de fruit. Plusieurs moyens concourent à maintenir l'ordre et la disciphne dans le catéchisme. Ces moyens sont : un local convenable et un placement bien fait ; un bon règlement à l'observation duquel on tienne la main ; 5" une manière d'interroger et de parler qui inté- resse les enfants et les tienne toujours en haleine; -4° l'émulation ex'citée et les récompenses données à propos ; les punitions infli- gées avec discrétion; quelques exercices ou cérémonies extraor- dinaires sagement ménagés ; la bonne tenue des registres du caté- chisme.

SECTION l".

Du local et du placement

La nef de l'église, à moins qu'elle ne soit petite, ne convient pas pour le catéchisme, soit parce qu'on ne pouirait, sans se fati- guer beaucoup, s'y faire entendre assez et soutenir le ton de voix facile et naturel qui convient, soit parce que les enfants y seraient distrails pardes allants et venants et tout ce qui se passe dans l'église, soit enfin parce que les étrangers qui entreraient pouriaient les inti- mider et nuire à celte aisance dont ils ont besoin pour bien s'expli- quer. 11 faut donc, si la cliose est possible, choisir une chapelle retirée et disposée de manière (lu'ils puissent s'enlendre les uns et les autres quand ils répondront, et (ju'on puisse surtout soi-même se faire enteiuire lacilemeiit de tous, les avoir Ions sous les yeux et les surveiller sans (changer de position.

En face des enfants, il doit y avoir, autant (|ue possible, ni. ar.tei avec une statue ou un tableau propre à les édifier, à fixer Iciu* légè.

442 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

reté et à recueillir leur esprit dans la prière. A côté de l'autel doit être une chaire pour le catéchiste, parce que de il surveille mieux et est écouté avec plus de respect et d'attention. Au défaut de chaire, il faut au moins une estrade un peu élevée, d'où il domine tous les enfants, afin de contenir continuellement tout Tandiloire par son regard. Enlin, s'il ne peut avoir d'estrade, il doit au moins éviter de parler en marchant et de changer trop facilement de place.

Les chaises ne conviennent pas pour faire asseoir les enfants; un siège si mobile rendrait trop difficiles l'ordre, le calme et le silence : il faut des bancs qui soient sans dossier, pour ne gêner ni la circulation ni la surveillance, et d'une hauteur proportionnelle à la taille des enfants, afin que, quand ils seront assis, ils n'aient les pieds ni suspendus en l'air ni étendus sous le siège de leurs voisins. Ces bancs doivent être établis parallèlement les uns aux autres, et à une distance réciproque telle, que les enfants puissent sortir hbre- ment de leurs places. Si le catéchisme est nombreux, il est bon de le diviser en quartiers, et de laisser entre chaque quartier un passage pour la circulation.

Le local ainsi préparé, il ne reste plus qu'à y attirer et à y placer convenablement les enfants. Pour cela il faut annoncer au prône, quinze jours d'avance, l'ouverture des catéchismes, et pendant ces quinze jours s'informer avec soin des enfants en état d'y venir, s'en- tendre avec leurs parents ou leurs maîtres pour qu'ils les y envoient, leur parler à eux-mêmes avec une bonté paternelle, et leur faire pro- mettre de s'y rendre. A la première réunion, ils se placent dans l'ordre ils entrent, le visage tourné vers l'autel, les garçons d'un côté ou par devant, les filles de l'autre ou par derrière, à moins qu'on ne pût faire un catéchisme séparé pour les garçons et pour les filles, ce qui serait incomparablement mieux. A la fin de cette première réunion, on inscrit exactement sur un registre les noms et prénoms des enfants, leur domicile, leur âge, leur mesure d'instruction ou le temps depuis lequel ils fréquentent le catéchisme ; mais on ne fait encore aucun placement définitif; on le réserve pour le catéchisme suivant, afin d'avoir le temps de prendre des renseignements sur chaque enfant. Dans ce placement, duquel dépend en grande partie le bon ordre, il faut : séparer ceux qui savent lire et ceux qui ne le savent pas, ceux qui ont l'âge de se préparer à la pi^emière com- munion et ceux qui ne l'ont pas ; placer bien en vue les plus dis- sipés et les plus volages, en ayant soin cependant de les entremêler avec ceux sur la sagesse desquels on peut le mieux compter ; 3" ne

DU CATÉCHISME. 4i3

pas placer un enfant riche à côté d'un enfant en haillons, ce qui pourrait fâcher l'amour-propre des parents, mais mettre ceux d'une condilion aisée à côté de la classe moyenne et ceux-ci à côté des plus indigents, en variant de telle sorte sur chaque banc le placement de ces trois conditions, que cela ne puisse pas être trop remarqué. Après cette opération, il faut recommander aux enfants d^ ne pas changer de place et y tenir la main.

SECTION 2. Du règlement du catéchisme.

Il est très-utile de faire et même dinscriresurune pancarte propre et décorée un règlement de catéchisme qu'on explique au commen cément et au milieu de l'année, et qui demeure afliché dans l'endroit se fait le catéchisme, si cet endroit est une chapelle particulière. Cette pratique inspire aux enfants plus de respect pour les prescrip- tions qu'on a à leur faire, et empêche qu'ils ne les attribuent au caprice. On pourrait même, pour les confirmer encore dans ce sen- timent, faire signer ce règlement par l'évêque ou un grand vicaire, et y faire apposer le sceau de l'évêché. Voici les principaux articles de ce règlement, avec leurs commentaires qui expliquent la manière de les faire observer.

Art. 1". Tous les enfants devront être arrivés à V heure précise pour l'ouverture du catéchisme.

Pour obtenir cette exactitude, il faut d'alîord en donner l'exemple en commençant toujours à la môme heure, n'y eùt-il qu'un petit nombre d'enfants arrivés; il faut leur en expliquer les avantages, qui sont de faire tous ensemble la prière en commun, de ne pas dis- traire et troubler les autres, comme cela a lieu quand on arrive tard, de ne pas se faire une réputation de paresseux, mais au contraire d'édifier tout le monde par son empressement à venir entendre la parole de Dieu; enfin, il faut exiger que les enfants viennent s'ex_ cuscr quand ils n'arrivent pas à temps, et leur faire sentir ensuite leur faute dans le cours du catéchisme, en disant par exemple à un enfant retardataire qu'on voit attentif : « Paul, vous écoutez bien, je « suis content de vous; si vous étiez venu à r heure, je vous aurais donné a un bon point; vous auriez eu telle récompense, telle charge, etc.,.

4ii TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

« Je demanderais telle réponse à Pierre, mais il est arrivé tard. » Il est surtout nécessaire de prévenir les absences totales, et, pour cela, il faut montrer avec énergie aux enfants le tort quel- quefois irréparable qu'ils se font en manquant un catéchisme, per- dant l'instruction qui s'y donne et les grâces que Dieu y attache. Si, malgré ces remontrances, quelques-uns s'absentent, il faut les me- nacer de ne point leur donner de récompenses, de les remettre à une autre année pour la première communion, etc. Si ces moyens sont sans effet et qu'ils s'absentent encore, on les place sur un banc à part qu'on appelle banc d'ignominie, d'où ils ne peuvent plus sortir qu'après avoir réparé leur faute par une ponctualité parfaite au moins dans cinq catéchismes consécutifs.

Akt. 2. A un signal donné, tous les enfants entreront dans la cha- pelle du catéchisme, les garçons les premiers et les filles ensuite, et se rendront deux à deux, avec modestie, chacun à sa place, sans précipitation et sans passer par-dessus les bancs. Au signal donné^ on se mettra à genoux sans bruit : on suivra la prière avec piété ^ et on attendra de nouveau le signal pour se relever.

Cette entrée du catéchisme est de la plus grande importance, parce que, si elle se fait d'une manière tumultueuse et dissipée, on ne pourra plus ramener les enfants au recueillement. Il serait même à. désirer qu'on pût leur assigner un certain endroit de l'égUse oii ils attendraient en silence et en prières l'ouverture du catéchisme. Pendant l'entrée générale, on doit exercer la plus grande vigilance pour maintenir l'ordre, prévenir la dissipation; et, quand les enfants sont assis à leur place, il faut, après avoir rappelé par quelques mots, le respect avec lequel se doit faire la prière, leur donner un premier signal pour se lever, un autre pour saluer l'autel, un troi- sième pour se mettre à genoux, faire ensuite réciter par l'un d'eux, posément et ti haute voix : Notre Père, Je vous salue, Je crois en Dieu, Je me confesse, les commandements de Dieu et de l'Église; et lors- qu'à un nouveau signal ils se sont relevés et assis, on entonne ou l'on fait entonner un cantique, après lequel on interroge sur la ieçon assignée.

DU CATÉCHISME. 445

Art. 3. On observera, pendant toute la durée du catéchisme, la modestie et le silence.

Cette modestie consiste à rester tranquille à sa place, sans tour- ner la tète de côté et d'autre et sans déranger ses voisins; à avoir les yeux fixés sur celui qui parle, à tenir les bras croisés si ce sont les garçons et les mains jointes si ce sont les filles, excepté les mo- ments où il leur est permis, soit d'avoir un livre entre les mains pour chanter un cantique ou marquer la leçon, soit d'écrire pour prendre des notes sur l'instruction. Le silence consiste à s'interdire toute parole, même dite à voix basse, et toute espèce de signe. C'est l'article essentiel ; et pour l'obtenir des enfants, il faut leur dé- clarer d'un ton ferme et qui annonce une volonté forte, qu'on veut un silence parfait et leur en dire la raison; il faut leur en donner l'exemple en s'abstenant de parler toutes les fois qu'un signe ou un regard peut rendre la pensée, en faisant faire tous les mouvements et toutes les évolutions au signal d'un livre ou d'un claquoir, en par- lant le plus bas possible quand il y a nécessité de le faire, et souf- frant même quelquefois un petit désordre plutôt que de rompre le silence pour y remédier ; il faut enfin éviter de reprendre souvent, de crier et d'éclater en reproclies quand un enfant cause et se dis- sipe, mais parler peu, à propos, et surtout parler le langage de la religion et du sentiment. Une première fois on se contente de re- garder cet enfant en continuant le catéchisme; une seconde fois on s'interrompt en l'envisageant d'un œil fixe, mais sans rien dire; une troisième fois on dit : J'aperçois un enfant qui n'écoute pas ; s'il re- commence, il aura l'affront d'être nommé devant tout le monde. Une quatrième enfin : Pierre, il faut donc vous faire connaître à tous comme un enfant désobéissant ! Ou bien : Pierre a envie de parler, à ce qu'il paraît; eh bien, faisons-le parler, et on lui fait plusieurs ques- tions. Une autn; fois: Dieu vous voit, mon enfant; ne craignez-vous donc pas de l'offenser? Ou bien : Vous avez déjà oublié; je vous au- rais cru plus docile. Ou bien encore : Pierre, de quoi vient on de par- ler ? et s'il ne répond rien ou s'il répond mal : Voilà ce que c'est que de ne pas écouter. Voyons Jean, il écoute bien; je suis sûr qu'il ré- pondra à merveille. D'autres fois on fait semblant de n'avoir i)as vu; et ensuite en particulier on avertit l'enfant en ajoutant que;, pai- at- tachement pour lui, on lui a épargné la honte d'être repiis publi- quement, qu'on attend de son bon cœur qu'il ne vous fei a plus celle

446 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

peine, qu'autrement, on serait obligé d'en venir à des châtiments sévères. Par tous ces petits moyens on ol)tient le silence des enfants, sans recourir presque jamais aux punitions, pourvu qu'on sache leur témoigner de l'intérêt et entremêler à propos la douceur et la fer- meté.

Art. 4. On saura toujours parfaitement sa leçon, et si on ne la sait pas, on en préviendra avant le catéchisme et l'on en dira la raison.

Chaque enfant doit savoir si parfaitement sa leçon avant d'entrer au catéchisme, qu'il n'ait plus besoin de regarder dans son livre. C'est pourquoi il est prescrit de tenir son livre fermé pendant tout le temps, excepté le moment il faut marquer la leçon pour la fois suivante. Sans cette précaution, on verrait les paresseux s'occuper à apprendre au heu d'écouter les explications.

Art. 5. Lorsqu'on sera appelé pour réciter le catéchisme, on com- mencera et on finira par le signe de croix; et l'on répondra à voix haute et posée, de manière à être entendu distinctement de tous.

Le catéchiste examinera comment on fait le signe de croix et tiendra la main à ce que tous les enfants le fassent comme il faut. Il veillera aussi à ce que tous se fassent bien entendre : cela est impor- tant pour soutenir l'attention générale ; et lui-même doit en donner l'exemple en parlant toujours si posément et si distinctement, qu'on ne puisse rien perdre de ce qu'il dit.

Art. 6. On écoutera avec attention tous ceux qui répondront, et on ne se moquera point des fautes qui pourraient leur échapper.

Le catéchiste doit encore ici donner l'exemple, ne pas rire ou se moquer de ce qu'un enfant pourrait dire de ridicule ou d'absurde, et éviter même de l'humilier, à moins que son ignorance ne vienne de paresse ou de dissipation, et qu'on ne soit fondé à croire que cette humiliation lui sera utile.

Art. 7.— Bans le chant des cantiques qui aura lieu au commen- cement^ au milieu et à la fin du catéchisme, on s'appliquera à

DU CATECHISME. 447

prendre Vair qui sera donné et à suivre le ton gcnéral sans aller plus ou moins vite, sans crier plus ou moins fort.

Ce chant des cantiques est très-important : pour en introduire l'usage dans les familles, les ateliers et réunions, à la place des •chansons licencieuses qui s'y chantent trop souvent; 2" pour délasser les enfants, qui ont besoin de variété et ne sont pas capables d'un sérieux trop continu ; pour les instruire agréablement et les édi- fier par les pensées pieuses ou les bons sentiments dont ces cantiques sont remplis; pour cacher ou couvrir le bruit qui se fait inévita- blement, soit dans le passage d'un exercice à un autre, soit au mo- ment du départ, et éviter par aux enfants qui croient que le caté- chisme est toujours calme et recueilli, la tentation de se dissiper. Mais pour obtenir ces résultats, il faut que le catéchiste forme par lui-même ou par d'autres un chœur d'enfants qui aient du goût et de la voix; que ceux-ci chantent d'abord seuls pour enseigner l'air aux autres, puis alternativement avec le catéchisme quand la majorité des enfants sait assez l'air pour qu'il n'y ait plus de cacophonie à craindre; il faut ensuite que ces chanteurs connaissent et aient mar- qué d'avance les cantiques qu'ils doivent chanter, afin qu'au moment même oîi le catéchiste le dit, ils entonnent sans aucun retard. Le temps qu'ils mettraient à chercher le cantique dans leur livre ferait une lacune pendant laquelle les enfants se dissiperaient. Enfin, il faut que les paroles du chant soient à la portée des enfants, sans toutefois avoir rien de bas et de trivial; que les airs soient faciles à retenir qu'on chante posément, avec ensemble, peu à la lois : trois ou quatre strophes au plus suffisent pour délasser les enfants et re- nouveler leur courage. Il est à désirer que le cantique ait quelque rapport avec la matière du catéchisme ou avec la fête du jour. Quant au cantiqui' de l'ouverture et au cantique de la fin, ils peuvent être habituellement les mômes et doivent être fort courts.

Art. 8. On terminera le catéchisme par la prière suivie du chant d'un cantique pendant lequel on se retirera en ordre et en silence.

Le catécliisme fini, on donne le signal pour que les enfants se met- tent à genoux, et on appelle successivement quatre d'entre eux, dési- gnés au catéchisme précédent, pour réciter les actes de foi, d'espé- rance, de charité et de contrition : ils prononcent de leur place chacun un acte ù haute voix et sans précipitation. Après la prière,

4i8 TR.MTÈ DE LA PRÉDICATION.

on fait asseoir It'seiiroiils, le chœur entonne le cantique, et, après la première strophe, on doinie le signal pour le premier banc, qui se lève et (lèfile en ordre ; innnédiatement après, et sans laisser de lacune, le signal pour le second banc, et ainsi de suite, veillant à ce que les enfants s'abstiennent de courir, de se précipiter ou de passer par-dessus les bancs.

Art. 9. Les en finit s qui scfrépareniù la ■première communion se confesseront tous les mois, et les autres au plus tard tous les deux mois.

Nous dirons plus tard les avantages de cette pratique. Si on ne confesse pas les enfants soi-même, il faut e.xiger un billet de confes- sion, pour s'assurer que tous sont exacts.

SECTION 3.

De la mnnière d'interroger et de tenir toujours les enfants en haleine pendant le catéchisme.

Après que les enfants ont chanté deux ou trois strophes du canti- que indiqué pour le commencement, on donne, à Tinslant même 011 ils achèvent la dernière strophe, quelques petits coups de claquoir jiour indiquer que c'est la fin du chant, et aussitôt, sans aucune lacune, commence l'interrogation ou la récitation de la lettre du catéchisme. Pour cela, on appelle l'enfant par son nom et son pré- nom, en évitant de défigurer le nom, ce qui dissiperait l'auditoire et humilierait l'enfant; et si le nom par lui-même était ridicule, il fau- drait s'abstenir de le prononcer publiquement, mais interroger le voisin et dire ensuite : Voyons le suivant. Si l'enfant est timide, il faut l'encourager, l'aider au besoin en lui disant le premier mot de la réponse ; lui faire, s'il le faut, une demande très-simple à laquelle il n'ait à répondre que oui ou non, ou à laquelle aient déjà répondu deux ou trois des plus savants, et louer modérément sa réponse en faisant valoir le peu qu'il a dit. Si, au contraire, il est vain et pré- somptueux, orgueilleux et dissipé, il faut, s'il répond mal, le repren. dre un peu sévèrement ou s'adresser à un autre qui soit en état de mieux répondre et qui l'humilie par le contraste : s'il répond bien, il est bon de temps en temps de lui faire sur-le-champ une question à laquelle il ne puisse pas répondre, et de lui dire ensuite qu'il y a

DU CATECHISME. 443

bien des choses qu'il ne sait pas encore et qu'il pourra apprendre s'il est attentif et appliqué.

Quant au commun des enfants qui ne sont remarquables ni par leur timidité ni par leur présomption, on leur rendra l'interrogation pleine d'intérêt, et on les tiendra toujours en haleine, en observant les six avis suivants : Il ne faut suivre, en interrogeant, ni l'ordre alphabétique ni l'ordre des placements, mais passer subitement d'un quartier à un autre, d'un banc à un autre, de sorte que chaque enfant s'attende, à tout moment, à être interrogé, même celui qui l'a été au dernier catéchisme. 2<* L'interrogation doit être vive, rapide, animée; il faut qu'il y ait toujours quelqu'un qui parle, soit le catéchiste qui interroge, soit l'enfant qui répond; et pour cela le catéchiste doit savoir les demandes par cœur et prévoir, pendant les réponses, le nom qu'il va appeler ensuite. Si l'enfant ne répond i ;^s, on passe promptement à un autre sans répéter la demande, en mar- quant d'une mauvaise note celui qui n'a pas su, et ne souffrant pas qu'il s'excuse ou qu'il réplique. On ne dojt mêler à l'interrogation ni réflexions sur le catéchisme, ni commentaires : cela ferait langui-r la récitation et par suite l'attention. Il faut viser à interroger le plus grand nombre possible d'enfants, et pour cela ne pas faire plus de deux ou trois demandes à chacun, ni interroger trop souvent les mêmes, à moins qu'on n'ait à proposer aux plus habiles quelques demandes difficiles afin d'engager les autres, par cette distinction, à se rendre dignes du même honneur. On inscrit sur le registre du catéchisme, à côté du nom de chaque enfant, une note indiquant la manière dont il a répondu, savoir : le 5 à celui qui a récité par- faitement, 4 à celui qui récite bien, quoique d'une manière moins remarquable que le premier, 5 à celui qui récite médiocrement, 2 à celui qui récite mal, 1 à celui qui récite très-mal, et zéro à celui qui ne sait pas du tout. On n'accorde le n" 5 que très-rarement et pouz' des réponses longues et difficiles ; on le fait beaucoup valoir aupara- vant, et, lorsqu'on l'a donné, on en parle avec empha.se, de manière que les enfants regardent comme un triomphe d'en avoir obtenu un. Qiielqu(,'fois, cependant, on en peut gratifier, par indulgence, un enfant qui a besoin d'être encouiagé ou ménagé, pourvu que les autres ne puissent pas soupçonner la faveur. G" Il est Irès-ulile, pour provoquer plus fortement l'intérêt, d'entremêler dans l'inleri ogation des à-propes courts, vifs et pi(iuants; par exemple: C'est bien, Ijmiv mais Jacques va mieux savoir encore. Voilà un enfaiihini fait honneur à ses parents, à sa classe, à sa pension. —S'il ne sait pas, il

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«0 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

paraît que cet enfant ne veut pas faire sa première communion. Il a mal fait son signe de croix, il n'est pas étonnant qu'il ne sache pas, etc. D'autres fois, ces à-propos peuvent avoir pour objet d'éta- blir une rivalité entre les garçons et les filles, entre les enfants de différents quartiers, et de faire des défis à qui répondra le mieux.

Après que la lettre du catéchisme a été ainsi récitée, on indique la leçon pour le catéchisme suivant, et, afin que persoinie ne prétexte ignoraiice, on demande successivement à deux enfants quelle est la leçon qu'on vient de donner, et on les oblige à parler assez haut pour que tous entendent.

Coia fait, on passe à un autre genre d'interrogation qui a pour obj^'t de rappeler les explications données aux catéchismes précé- dents, afin de les graver dans la mémoire des enfants et de les lier avec ce qu'on va dire. Pour cela, le catéchiste doit avoir analysé ^J'avance ces explications et les avoir réduites sous la forme d'une série de questions claires, précises, enchaînées l'une à l'autre* Il les propose ensuite successivement d'une manière .vive, animée et par une sorte de défi, à l'un des enfants qui ont mérhé le 4 ou 5 : cette espèce de combat entre l'interrogateur et l'enfant savant excite l'intérêt des auditeurs, qui prennent parti, redoublent d'attention et sont comme en suspens dans l'incertitude de la victoire. Le prix de la victoire est un bon point S et trois bons points valent une gravure. D'autres fois, pour mettre de la variété et accroître l'intérêt, on éta- blit la lutte entre plusieurs enfants : ainsi, après avoir interrogé un des forts et obtenu une bonne réponse, on réitère la même question à un plus faible, comme si le fort avait mal répondu ; on demande ensuite à un troisième lequel des deux a raison, et, après qu'il a répondu que c'est le premier, on leur propose à eux deux, alterna- tivement, des questions jusqu'à ce que l'un d'eux vienne à répondre mal : et la victoire et le bon point demeurent à celui qui a toujours bien répondu. Par ce moyen on fait redire sans dégoût plusieurs fois les mêmes choses, et on les grave ainsi dans la mémoire. Mais, pour bien réussir dans cet exercice, il est plusieurs règles à observer : 11 faut bien se posséder et avoir une grande liberté d'esprit, soit pour tourner ses demandes d'une manière piquante en rapport avec les réponses, soit pour pousser les enfants, soit pour apprécier ce qu'ils disent de bon et le faire valoir, ou pour suppléer adroite- ment à ce qui manque à leurs réponses, de sorte qu'ils soient con-

Nous dirons plus bas ce qu'il faut entendre par un bon point.

DU CATÉCHISME. 451

tenls. Il ne faut demander aux enfants que ce qui leur a été dit, répété et clairement expliqué dans le catéchisme précédent, de ma- nière que ce soient les mêmes définitions, les mêmes preuves et presque toujours les mêmes mots. Par ils s'habituent au langage doctrinal, et répondent avec facilité, hardiesse et plaisir; au lieu que si l'on varie les définitions, les preuves et la manière de rendre la même pensée, leurs idées se troublent, leur mémoire s'embrouille, ils ne savent plus à quoi s'en tenir, se chagrinent de ne pas paraître savants et de ne pouvoir comprendre ce qu'on exige d'eux, o" Il faut éviter les questions vagues ou trop générales, obscures ou embarras- santes, subtiles ou trop relevées, et ne faire jamais aux enfants que des demandes qui soient à leur portée, de telle sorte que, s'ils ne savent pas, ce soit leur faute. En agir autrement, c'es! les décourager et les dégoûter. Ainsi, après avoir interrogé un enfant sur hi pre- mière qualité de la contrition, je ne demanderai pas un autre : Quelle est la seconde? mais bien : Quelle est la seconde qualité de la contrition'^ Et si je veux interroger Pierre sur la même qucï-tion que je viens de proposer à Philippe, je ne dirai pas : Et vous, Merre? mais je reprendrai la question en entier. 4" Pour s'assurer qu'on comprend et inculquer fortement les vérités importantes, il est utile de reproduire certaines questions sous différentes formes : par exemple, un enfant vient de dire que le baptême nous fait enfants de Dieu et de lÉglise; demandez à un autre : Quel est le sacrement qui nous fait enfants de Dieu et de V Église? il répondra : C'est le baftéme. Ajoutez : Ava}it le baiitéîne, sommes-nous enfants de Dieu et de l' Église? il répondra: Non. Demandez: Par quel sacrement devenons-nous enfants de Dieu et de l'Église? Autre exemple : un enfant a répondu que la contrition doit être intérieure, c'est-à-dire dans le cœur ; demandez-lui : Ne suffit-il pas de lire l'acte de contri- tion qui est dans le catêciiisme ? Pourquoi la contrition doit-elle être dans le cœur et non pus seulement sur les lèvres ? C'est, mes enfants^ que c'est le cœur gui a péché; c'est donc le cœur qui doit se repentir. La contrition est le remède du péché ; si le péché est dans le cœur, elle doit donc y être aussi ; le remède pour une blessxire faite au pied s'applique au pied et non pas à la main. Kn reproduisant ainsi les questions, on les grave dans l'esprit des enfants, h" Lorsque les en- fants sont partagés de sentiments sur une réponse, il ne faut pas se hâter de donner la solution ; il vaut mieux les tenir quil((ne temps en suspens; ils Pôcontent ensuite avec plus d'intéiét et la retiennent mieux. G" 11 faut faire parler beaucoup les enfants, et parler peu soi-

4;.2 TIlAlTK DE I.A l'HÉDICATION.

iiiriii? : ils s'i'-coiilcnl, volontiers lt\s uns les mitres mais, si le caté- cliiste lenr parle trop, ils s'ennuient el ne sonj^ent plus (pi'à s'amuser et se (lis^-ip(M". Leur cerveau, dit rénelou, est connue une bougie allumée au vent : sa lumière vacille toujours. L'eul';int voit une inouclie, il suit sa marclie, ses mouvenienls, sou vol, et n'écoute plus. 11 faut donc le tenir en haleine en lui faisant craindre d'être interrogé à chaque nionieut, eu réveillant sou attention et pi(iuanl sa curiosité par le désir d'entendre ce que disent ses camarades.

Après ces diverses interrogations, on rend compte, comme nous le dirons à la section suivante, des analyses ou résumés écrits de I instiuction précédente, quand on peut en obtenir ; et, après ce coui|)te rendu, on indi(iue un cantique que les chanteurs entonnent aussitôt. Ce cantique iini, on fait l'inslructiou, c'est-à-dire qu'on explique la K'çon de catéchisme qui a été récitée : c'est l'exercice priiieip.d, essentiel et londamenlal. Connue nous en ti ailerons dans un paragi-iiphe .' paît, nous observerons seulement ici que, pourcaptiver l'attention des enfants et maintenir une exacte disci[)line, il faut leur montrer un visage ouvert et aisé, éviter le ton et le style suivi du prédicateur, prendre au contraire le langage de la conversation à phrases courtes et très-coupées, interroger fréquemment el varier les formules d'interrogation, surprendre et récréer par des tournures pi(|uaiiles, des saillies modestes, des reparties inattendues et des mots pour rire, proposer de [lelits cas de conscience dans la solution desquels on se trompe à dessein pour se faire redresser par les en- fants.

Celte instruction finie, on fait réciter l'évangile du jour à ceux (pii l'ont apitris, et qui ont en avertir par un billet remis en en- trant au catéchisme, et on leur marque, sur un registre ad hoc, un bon numéro s'ils l'ont bien su. Le devoir du catéchiste est d'encou- rager celte récitation le plus possible, en louant beaucoup ceux qui y sont fidèles, en promettant un prix à la fm de l'année; et si, mal- gré ces exhortations, personne ne récite l'Évangile, il le lit lui-même. I/évaufrile récité ou lu, il y ajoute une homélie de six à sept minutes, qui doit être claire, forte, pressante et touchante. Nous dirons plus lard connrieiit la faire.

Après 1 homélie, on nomme trois ou quatre enfants qui se sont fait remarquer par leur modestie et leur application, el on leur donne à chaci;n un bon point. Viennent ensuite les avis qui consistent à rap- peler les articles du règlement sur lestjuels on se relâche, à parler aux enfants de leur assiduité ou de leurs absences, de leurs progrès

DU CATÉCHISME. 453

€l de la consolation qu'ils donnent ; à leur annoncer le jour et Tlieure du catéchisme suivant, les fêtes de la semaine, les jours d'abstinence el de jeûne, etc.. Et, après cet avis, on termine comme il a été dit à l'article 8 du règlement.

Nous observerons seulement en finissant que, toutes les fois qu'on parle aux enfants, il faut toujours prononcer posément, distinctement, en appuyant sur les mots et prenant le ton, l'air, le maintien qui conviennent aux circonstances.

SECTION 4.

Des moyens d'exciter l'émulation.

Rien de plus important que d'intéresser les enfants au catéchisme par des moyens d'émulation et d'encouragement. Gf's moyens sont nécessaires comme contre-poids à la légèreté du jeune âge, à l'éloi- gnement naturel qu'on éprouve alors pour l'étude, l'applicalion et le sérieux de la réflexion; et en même temps ils ont l'avantage de hâter les progrès dans la science et la piété, sui tout de faire aimer le ca- téchisme, chose de la plus grande importance : car si cet exercice est pour les enfants comme une partie de plaisir, ils y viendront volontiers, écouteront avec intérêt et aimeront la religion qui leur procure des jouissances si pures et si douces; si, au contraire, cet exercice n'a rien qui les flatte, qui les intéresse et les amuse ; s'il leur est triste et désagréable ; si le temps qu'on y passe, au lieu d'êli^e compté parmi les moments heureux de la vie, est pour eux un mo- ment de contrainte et d'ennui, ils concevront, peut-être pour tou- jours, un préjugé fâcheux contre le catéchisme, et par contre-coup, contre la religion, qui ne leur apparaîtra plus que comme quelque chose de dur et d'ennuyeux, contre la vertu même, dont ils se se- ront fait dès lors une idée triste et sombre^

L'expérience a démontré l'utilité des moyens suivants pour exciter l'émulation et l'encouragement, savoir : i" les louanges; les dis- tinctions honorificpies ; les bonnes notes et les bons points; i" la classification des enfants en plusieurs divisions, selon le mérite ; 5" les rivalités et provocations; l'usage des analyses; 7" les récom- penses. Nous allons expliijuer les avantages de ces divers moyens, et la manière de les employer.

* Voyez le (lêveloppeineiit do celte vérité dans le Catccliisme Iiistori(itic de rieury, discours préliniiiiaircs, el dans i-éiiolon, Education des lillts, c. v.

454 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

1" MOYEN. Les louanges.

Parmi les motifs propres à loucher une âme raisomiable, il n'y en a guère de plus efficaces que l'honneur et la honte ; et quand on sait y rendre les enfants sensibles, on peut tout obtenir d'eux. Avec une louange donnée à propos, on les élecliise, on les remplit d'ar- deur, on les rend sages et studieux. Il faut donc intéresser leur amour-propre au succès, les louer du peu qu'ils font afin d'en ob- tenir davantage, et joindre même aux éloges, si on le croit utile, quelques témoignages extérieurs d'estime et de confiance, quoique toujours avec la réserve voulue. Si on nous objectait que les louanges sont dangereuses pour la vanité, nous répondrions que saint Paul et tous les saints ne se sont pas fait scrupule de les employer pour en- courager les faibles et leur faire mieux goûter ce qu'ils avaient à leur dire, qu'à plus forte raison on peut se les permettre à Tégard des enfants; que d'ailleurs il y a un moyen d'obvier, au moins en partie, au péril : c'est de leur bien faire comprendre que toute gloire doit être rapportée à Dieu seul comme source unique de tout bien; et ce sera une leçon utile pour toute la vie,

2'= îioYEN. Les distinctions honorifiques.

Nous nous bornerons ici à en indiquer deux, qui peuvent être établies partout : la première, c'est le titre de dignitaires du caté- chisme, titre en vertu duquel on est placé sur un banc particulier, qu'on appelle le hanc d'honneur. On fixe certaines conditions pour y être admis, par exemple d'avoir toujours parfaitement répondu et été parfaitement sage pendant deux mois; et si on ne persévère pas, on passe aux bancs ordinaires. La deuxième distinction honorifique, c'est d'être le premier de son banc : cet honneur s'accorde au con- cours parmi ceux du même banc, sauf les premières fois, l'on n'occupe la place que provisoirement.

On ne saurait dire combien ces distinctions inspirent d'intérêt pour le cîitéchisme aux parents, qui sont flattés de la distinction ac- cordée à leurs enfants, et combien elles sont utiles aux enfants eux- mêmes : elles leur font aimer le catéchisme, elles excitent leur émulation, elles les encouragent à la piété et à la science.

DU CATÉCHISME. 455

o^ MOYEN. Les bonnes notes et les bons points.

Les notes consistent dans les chiffres 5, 4, 5, 2, d, 0, qui se tra- duisent par très-bien, bien, médiocre, mal, très-mal, nul. On les proclame tous les mois, et les deux qui ont eu le plus de bonnes noies ont un prix à la fni de l'année. La chose se décide par laddi^ tion de tous les chiffres obtenus, et c'est le total le jilus élevé qui l'emporte; d'où l'on peut conclure le tort que font les mauvaises notes à celui qui en aurait eu de très-bonnes.

Les bons points consistent en une petite carte ou feuille de papier sur laquelle on empreint, avec un cachet, un chiffre quelconque, ou sur laquelle on éciit tout simplement le mot Bon point. Les enfants qui en ont gagné trois et les dignitaires qui en ont gagné deux ont droit à une gravure que le catéchiste leur donue en échange.

4* MOYEN. La classification des enfants en 'plusieurs divisions selon

le mérite.

Ce moyen est très-simple ; il consiste à ériger dans le catéchisme trois ou quatre divisions, selon le nomljre des enfants. On annonce, un mois d'avance, que la manière dont ils se conduiront et dont ils répondront pendant ce mois décidera à quelle division ils appar- tiendront. La classification une fois faite, on avertit les enfants qui sont dans une division inférieure qu'il dépend d'eux de monter à la division supérieure : ils n'ont qu'à s'en rendre dignes par leur appli- cation et leur bonne conduite ; comme aussi ceux qui sont dans une division supérieure passeront à la division inférieure, si leur science et leur piété ne satisfont pleinement. Au premier catéchisme de chaque mois, on accomplit ces promesses ou ces menaces, et on fait monter ou descendre selon le mérite. Ce moyen a une vertu merveil- leuse pour réveiller le zèle et l'ardeur des enfants.

MOYF.N. Les rivalités et provocations.

Cela peut se faire de deux manières : 1" quand on veut interroger un enfant, on en charge un autre d'être son émule, c'est-à-dire de répondie à sa place toutes les fois qu'il ne saura pas répondre, ou de le reprendre quand il répondra mal. Si l'émule réussit, il gagne une bonne note ou un bon point auxdépens de l'autre qui le perd; et s'il

4o6 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

lie sail pns répondre ou reprendre, on s'adresse à un troisième, à un qualriènie, jusqu'à ce qu'on ait obtenu la vraie réponse, et celui qui la donne g:a<^ne autant de bonnes notes qu'il y en a eu qui n'ont pas pu répondre. On peut diviser les enfants en deux partis, sous deux cbt'is eboisis parmi les plus babiles, et cbacun a son émule dans le parti opposé. A certains jours, les deux partis se projiosent réc'proquement un même nombre de questions, soit sur la lettre, soit sur l'explication des catécbismes précédents; et on donne pour récompense aux vainqueurs des bons points ou une gi avure,

G* MOYEN. Les analyses.

Les analyses conçistent à rédiger l'instruction donnée par le cafè- cbiste. C'est un des plus puissants moyens d'intéresser les enfants à ce que l'on dit et d'obtenir d'eux une sagesse parfaite. Jaloux de bien rpire leur rédaction, ils sont silencieux, attentifs, tout occupés à pren- dre des notes sur l'instruction et à la graver dans leur mémoire pour la reproduire sur le papier. De plus, liors du catéchisme, ce travail les occupe utilement, les force à se rappeler ce qu'on leur a dit et à s'en rendre un compte détaillé, nourrit en eux les Sciintes pensées, l'amour de la vertu, et diminue l'affection au péché ; puis cela les habitue non-seulement à saisir, mais à retenir les divisions et les plans (ie^ discours qu'ils entendent. Enfin, ces analyses se lisent dans les familles et y répandent la connaissance et l'amour de la religion ; on les relit soi-même avec plaisir à un âge plus avancé, et ces sou- venirs produisent des impressions de vertu.

On ne saurait donc trop encourager les enfants qui en sont capa- bles à faire ces analyses ; et pour les y exciter, il faut leur promettre en récompense les plus beaux prix à la fin de l'année, louer beau- eoup, en se p'aignanl du petit nombre, le zèle de ceux qui en font, lire avec soin en son particulier et corriger chaque analyse, lui don- ner une noie proporlionnée à son mérite, choisir la meilleure, à la- quelle on donne le numéro 6 et dont on se fait remettre une copie pour relier ensemble, à la fin de l'année, tous ces petits chefs-d'œu- vre; enfin, il faut rendre compte publiquement de ce qu'il y a de mieux dans ces rédactions, lisant même quelquefois les passages les plus saillants et reprenant en peu de mots ce qui a été présenté d'une manière inexacte. 11 esta propos de commencer ces comptes rendus par les plus faibles qu'on encourage, et de faire croître l'intérêt et

DU CATECHISME. 457

l'altention à mesure qu'on approche du 6. Si un enfant avait copié dans un livre, il ne faudrait ni le nommer ni lui donner de note, mais l'avertir en particulier.

Ces analyses doivent toujours se terminer par une résolution et une prière; mais quand on en rend compte, on ne nomme jamais les enfants.

Si on ne peut pas obtenir d'analyse, il faut au moins engager les parents ou autres pieux laïques à interroger les enfants pen- dant la semaine sur ce qu'ils ont entendu au catéchisme. Cet usage grave les vérités dans l'esprit des enfants et les rappelle à la mémoire des parents : c'est une sorte d'apostolat exercé dans la famille.

1^ MOYEN. Les récompenses.

Les récompenses gagnent le cœur des enfants, les excitent à bien faire, leur font aimer le catéchisme et le travail. Aussi saint Fran- çois de Sales S le cardinal Bellarmin*, César de Bus, dom Mabillon% Clément XI et autres saints et grands personnages illustres par leur zélé pour les catéchismes, tenaient à distribuer des récompenses aux enfants; les conciles eux-mêmes recommandent cette pratique* et disent que, comme l'argent est le nerf de la guerre, les récom- penses sont le nerf du catéchisme *, qu'on ne peut mieux employer qu'à cette dépense ses propres revenus ou l'argent des fabriques*; et que si ces deux ressources ne suffisent pas, il faut faire le Di- manche dans l'église des quêtes à cette intention. On peut donner pour récompense des médailles ou des chapelets; mais ce que les

* « Toutrs fnis et quantos, dit Auguste de Sales, que les enfanis répondaient « bien, il leur donnait des images, des médailles bénites, des cliapelets, de « petits livres de prières, et autres choses qu'il portait toujours avec soi pour « les récompenser. » (Vie de saint François de Sales.)

- Voyez sa vie. par >"icolas Frizon, p. 205.

' Vie de Jlabillon, par dom lUiinart.

■» Synod. Drixicns., an. ICOl, p. 5J7 MunuscuUs juvcntutis stud'ia excilare nîlaniur. Constit. Synodal diœc. Constantien., an. lOOi), p. 188. Fidei riidi- menla, udhibitis eliain mnnuscidis Iradant. Synod. Antuerp., an. OlO. Eman- tur prxmia ad piieros exciiandos.

'■> Const. did'c. Sedunens., an. 1G2G, p. Ô75. Sicut nervus bdli est pccunia, ilà eliam cati'clti.smi .sttnt mimusculn.

6 Con.^t Synodal, diœc. Con^t. ubi siiprà Dans l'éiat actuel, on ne pourrait guére, sans inconvénient, employer aux prix l'arpnt de la lalirique : en tout ca.-, on ne pinurait le l'aire (|u'auiant que celte dépense aurait été volée dans le budget et ap[/rouvée par l'évêque.

458 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

enfants aiment le mieux, ce sont des images ou des livres. La distri- bution des images se fait tous les mois et celle des livres à la fin de l'année. Chacune a ses règles propres.

DE LA DISTRIBUTION DES IMAGES.

La distribution ne s'en fait qu'à la fin du mois, après le caté- chisme. Au jour fixé, on en distribue à chaque enfant, en propor- tion dt's bons points qu'il a obtenus pendant le mois. 11 y a deux manières de faire cette cérémonie : la première est d'écrire sur une grande feuille un programme dont le titre est plus ou moins solen- nel, par exemple : Fête du catéchisme de la parois>^e de***, présidée far M. *** Témoignages d'Iionneur accordés aux enfants qui se sont distingués par leur zèle, leur piété, leur modestie et leur constante application. Ou plus simplement : Distribution de gravures présidée

par M. ***, le du mois de Première nomination: Pierre,

Louis, Jacques, etc On en nomme cinq ou six, et aussitôt on

chante une slrophe de cantique pendant laquelle les enfants vien- nent chercher leurs gravures. Deuxième nomination : Patd, Phi- lippe, etc..., et on continue ainsi jusqu'à la fin, en obligeant les enfants, de retour à leur place, à tenir leur image sur la poitrine, de sorte qu'on n'en voie que l'envers. La deuxième manière con- siste à hive une sorte de loterie : on inscrit le nom de chaque en- fant sur un billet à part contenant l'énoncé de la récompense ou du reproche qu'il a mérité, et tous ces billets étant mêlés ensemble, on appelle un enfant : Tirez un billet et lisez à haute voix. Il tire, il lit : A Pierre une gravure de la sainte Vierge, et retourne à sa place. Pierre se présente : Tene%, Pierre, baisez-la chaque jour. A vous de tirer un billet II tire, il lit : A Paul une gravure de saint Joseph, et retourne à sa place. Paul arrive : Très-bien, Paul; à voire tour, tirez et lisez. Il tire, et lit : A Rodolphe, rien. bien, mon pauvre Rodolphe, reprend le catéchiste, je vous avais averti, vous ne voulez donc pas de récompense ; allons, mettez-vous-y, ce sera pour la pro- chaine fois. Le même tire encore : A Jacques, reproche de dissipa- tion et de légèreté, etc...

DISTRIBUTION DES PRIX.

Cette cérémonie se fait pour la clôture des catéchismes, et c'est un des stimulants les plus puissants sur l'esprit des enfants : avec

DU CATÉCHISME. 459

l'espérance d'un prix on les tient en haleine pendant l'année en- tière : et il est peu de prêtres qui ne puissent faire face à cette dépense ; car la chose est très-peu coûteuse. La bibliothèque catho- lique de Lille, fondée par M. Lefort, se compose de plus de oOO vo- lumes, à 30 centimes le volume, et de 50 autres volumes coûtant en- semble 2 fr. 40 c, tous bons ouvrages faits dans le meilleur esprit.

Pour que celte distribulion produise plus d'effet, il faut lui don- ner toute la pompe possible, décorer le heu elle doit se faire, entourer les livres d'un ruban, les placer sur une table drapée, lire le programme et la liste sur le ton le plus sofnnel, à la suite d'un petit discours de circonstance, entre chaque prix faire chanter une strophe de cantique.

On peut distinguer les prix en prix d'honneur, qui est le premier de tous, prix de sagesse, prix de science, prix d'analyses et prix d'é- vangiles. On peut donner des seconds prix et des accessits, mais rarement donner deux prix à un même enfant, afm d'en récompenser un plus grand nombre.

SECTION 5. Des punitions.

Nous avons ici deux questions à traiter : dans la première, nous traiterons des précautions à prendre pour rendre les punitions utiles; dans la seconde, nous traiterons des punitions elles-mêmes.

1" QUESTION. Des précautions à prendre pour rendre les punitions utiles

i" Les punitions, pour être utiles, doivent être rares ; trop fré- quentes, elles ne feraient plus d'impression ou habitueraient les en- fants à ne se conduire que par crainte, ce qui serait un Irès-gtand mal ; il faut au contraire que la confiance et la joie soient leur état habituel; autrement, dit Fénelon, on obscurcit leur esprit, on abat leur courage. S ils sont vifs, on les irrite; sils sont mous, on les rend slupides. « Il faut beaucoup soulirir des enfants lorsqu'ils « sont en bas âge, disait saint François de Sales, et, bien que quel- « quefois ils mordent le sein qui les nourrit, il ne faut par pourtant « le leur ôler. »

On n'en doit venir aux punitions qu'à regret, et le faire remar-

400 TRAITE DE LA PRKDT CATION.

quoi" aux tMifanîs, tifm de les rendre plus sensibles à celles qu'on est obligé de leur iuiposer. Il faul toujours éviler les punitions gè- )iêrales qui lonibenl sur les innocents comme sur les coupables, fiiire semblant quelquefois de n'avoir pas vu la faute, sauf à montrer en pailiculier à Teufant qu'on l'a aperçue, ou à faire sentir, quand on pun't publiiiueinent la récidive, que rien n'écbappe et qu'on avait déjà auparavant remarqué le coupable, quoiqu'on n'en ait rien dit. La justice veut qu'on use d'indulgence pour les fautes d'é- tourderie ou de vivacité et qu'on ne les confonde pas avec les fautes réfléchies.

7)" Il faut savoir prendre son temps pour punir utilement. Si l'en- fant est en colère et ne paraît pas disposé à obéir, il faut remettre la punition à un autre moment il ait l'esprit assez libre pour avouer sa faute et sentir la justice de la peine ; et en attendant on se borne à lui dire d'un ton sévère : Pierre, vous aurez à faire à moi plus tard. La correction donnée à contre-temps ne lui serait pas pro- fitable, et de plus l'incerlilude du châtiment qui lui est réservé de- vient souvent elle seule un premier chcàliment. Si l'on est ému soi- même, il faut encore différer l'imposition de la pénitence; on ne la fixerait pas avec sagesse dans le moment de l'émotion , l'enfant lui-même reconnaîtrait qu'on agit par humeur et passion et non par raison et amitié, et dès lors on perdrait sur lui toute autorité: il faut, par sa patience, lui montrer toujours qu'on se possède.

Avant de punir ou de reprendre publiquement un enfant, il faut l'averlir ou le faire avertir en particulier, afin qu'il soit bien con- vaincu qu'on a à cœur de lui éviter la honte d'une réprimande pu- bhque, et que si on en vient là, ce sera à grand regret. Si, nonobstant cet avis, il donne lieu de le punir ou de le reprendre publiquement, il faut le faire d'un ton de voix (pii n'annonce pas l'humeur, lui dire, apiès le catéchisme, quelques paroles de bonté pour lui prouver <|u'on ne lui en veut pas, et ne point le laisser dans le chagrin et le découragement. Si la faute est scandaleuse et exige une réprimande prompte et sévère, il faut reprendre le coupable sur-le-champ par un mot ferme et laconique, un regard menaçant, un ton de voix austère, puis continuer le catéchisme sans témoigner d'autre sensi- bilité que celle de l'offense de Dieu.

5" Si l'enfant paraît se moquer ou ricaner en subissant sa péni- tence ou en recevant la correction, il ne faut pas entreprendre de le réduire à la raison en plein catéchisme. Il en résulterait une lutte plus scandaleuse que la faute et qui pourrait faire perdre toute auto-

DU CATÉCHISME. 46Î

rite au catéchisle. Il faut donc dissimuler, interrompre la pénitence et lui dire qu'on se réserve de le punir plus tard ; puis, après le caté- chisme, le prendre en particulier, lui témoignei' de l'amitié, lui faire sentir la grandeur de sa faute. S'il se montre touché, s'il pleure, on l'embrasse en lui disant qu'on oublie le passé, à condition qu'il le réparera. S'il écoute froidement et impatiemment la remontrance, on lui fait envisager les suites de sa conduite, son expulsion du caté- chisme, la honte publique, point de première communion, son saluî éternel compromis ; et on lui dit, on le traitant toujours avec amitié, qu'on espère qu'il ne retombera plus. S'il ne se rend pas à tout cela, on revient à la charge quelques jours après, en le traitant toujours avec bonté et mêlant aux marques d'affection la crainte des châti- ments de Dieu et de sa réprobation future.

6'' Quand on a déclaré que pour telle faute il y aurait telle peine, on doit, le cas échéant, tenir parole, au moins pour l'ordinaire ; mais il faut prendre garde de s'exposer à avoir le des>ous dans les pénitences qu'on inflige. Si, par exemple, on dirait à Piiul qu'il res- tera à genoux jusqu'à ce qu'il ait fait telle chose, et qu'il aimât mieux, par entêtement, rester à genoux que de faire la chose, le ca- téchisle verrait son autorité compromise par suite d'une parole avancée imprudemment.

2^ QUESTION. Des pimitions à imposer.

Les punitions doivent être légères en elles-mêmes, mais ac- compagnées de circonstances propres h inspirer aux onltuits la honte et le remords. Jamais on ne doit les frapper, même lé^i^è- rement.

2" Les punitions les plus usitées sont: \' les mauvais points; après trois mauvais points, on est renvoyé du catéchisme ; mais quand on se corrige et qu'on se conduit bien, on obtient la grâce d'en faire effacer un ou deux ; 2" le tal)lcau d'ignominie : c'est un ta- bleau noir dont on fait une grande frayeur aux enfants ; on y inscrit sur une feuille de papier, en gros caractères, le nom de l'enfant qui mérite celte flétrissure, et on le laisse suspendu à la vue di; tout le catéchisme ; l'obligation de se tenir à genoux ou debout, d'èciirc ou de rapprendre les leçons mal sues ; le renvoi du catéchisme ; mais il n'en faut venir qu'à la dernière extrémité et après avoir épuisé en vain tous les autres moyens. Si, la chose bien pesée de- vant Dieu, on croit devoir le faire, voici la manière de procéder:

462 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

i^si ce sont des enfants qu'on sait ne devoir pas résister, on les renvoie pul)liqucment pour intimider les autres ; si l'on doute de la docilité du coupable, on l'appelle au milieu du catéchisme, et on lui dit d'un !on ferme : Jusqu'à présent on vous a souffert dans ce catéchisme, malgré votre dissipation ; vous ne méritez- pas d'y être souffert plus longtemps : sortez et ne paraissez' plus ; et alors l'en- fant, se voyant seul, humilié en présence de tous, sera interdit et se retirera; 5" si ce sont de grandes filles ou de grands garçons, il faut leur dire eh particulier qu'on est obligé de les exclure, mais ne pas les renvoyer publiquement ; cela les déshonorerait trop, les aigrirait et irriterait peut-être jusqu'à leurs parents ; si ce sont des enfants hautains et insolents, qui résisteraient et s'obstineraient à ne pas ï^ortir, il faut les faire rester après le catéchisme, sous prétexte qu'on a quelque chose à leur dire, et leur signifier l'arrêt d'expulsion. S'ils se présentaient de nouveau, il faudrait, immédiatement avant le cantique de départ, proclamer l'arrêt d'expulsion, et s'ils reve- naient encore, les menacer du suisse ou du bedeau, et enfin, au be- soin, y recourir pour les expulser de vive force, mais jamais ne s'en mêler soi-même. L'enfant ainsi renvoyé ne doit plus être reçu au catéchisme qu à la condition que ses parents viendront solliciter sa grâce, en promettant une obéissance parfaite, et qu'il se placera sur un banc isolé, soit pour éprouver la sincérité de son change- ment, soit pour réparer aux yeux de tous le scandale de sa con- duite passée et porter, par cette pénitence, tous les autres à la sagesse.

SECTION 6.

Des cérémonies et exercices propres à inlétesser les enfants au caléchisme.

Comme les enfants ir aiment rien tant que ce qui est extraordi- naire et que la monotonie finit par les ennuyer, il est bon d'avoir à offrir de temps en temps à leur curiosité certains exercices propres à les intéresser ; nous en signalerons cinq dont l'expérience a dé- montré les heureux effets: ce sont les fêtes, les dialogues, les con- férences, les processions et la récitation des billets.

Des fêtes de catéchisme.

On fe-n peut établir quatre ou cinq pour toute l'année, par exemple une fête de la sainte Vierge, une de saint Louis de Gonzague, une

de saint Stanislas Kobtka, une de sainte Philomèle, etc On fait

désirer cette fête longtemps d'avance comme une chose qui sera

DU CATECHISME. 463

magnifique, sans dire cependant tout ce qui aura lieu ; on y prépare les esprits en leur racontant quelques traits édifiants propres à leur inspirer de la piété pour cette fête; et, le jour arrivé, on pare le mieux possible la chapelle du catéchisme avec tentures, guirlandes, vases de fleurs, arbustes , grand nombre de bougies ; on y fait quelques dialogues ou conférences, processions ou récitations de billets ; puis une distribution de gravures avec le plus de solennité possible.

Des dialogues.

On entend par ces dialogues une sorte de conversation en public sur un sujet de piété, de dogme ou de morale entre deux enfants dont l'un joue le rôle d'enfant sage, et l'autre celui d'enfant dissipé. Le catéchiste fait quelque temps d'avance cette petite composition sur la matière qu'il juge la plus utile, y mettant le plus de naturel et de simplicité qu'il peut, l'assaisonnant d'histoires édifiantes, de reparties vives, de traits d'esprit sagement ménagés pour piquer la curiosité; en un mot, tâchant d'en faire une conversation aimable, spirituelle et intércijsarite. Son dialogue fini, il choisit pour le pro- noncer deux enfants d'une mémoire heureuse, qui sachent se pré- senter avec une assurance modeste, débiter d'une manière jiaturelle, et faire des gestes en rapport avec ce qu'ils disent ; il le leur fait ap- prendre très-parfailement, les exerce au débit plusieurs jours d'a- vance ; et le jour venu, il les place dans le catéchisme de manière que tous les enfants puissent les voir sans regarder en arrière, l'un vis-à-vis de l'autre, mais cependant à une certaine distance, celui qui remplit le personnage d'enfïmt sage et vertueux au lieu le plus apparent, et tous \vs deux ayant à leur côté un sounieur intelligent et exercé qu'on cache aux regards le plus possible.

Rien n'intéresse autant que ces petits dialogues quand ils sont bien faits et bien débités ; les deux interlocuteurs sont ravis de paraî- tre en public, les parents Irés-flattés, les enfants et tous les assistants joyeux de ce spectacle, plus joyeux encore de ce que leur offrent d'amusant le débit et les choses débitées.

Des conférences.

Los conférences, autre exercice qui plaît singulièrement, sont un dialogue non plus entre les enfants, mais entre le caléchi-le et un iiitei locuteur. Nous en avons exposé les régies aillours^ et il ne

* Liv. H, partie II, ch. ti.

464 TliAlTÉ DE LA PRÉDICATION.

nous reste rien à y ajouter, sinon qu'il faut, plus encore devant les enfants que devant le peuple, s'abstenir des questions subtiles, s'interdire les objections difficiles, et quant à celles qu'on croit utile de traiter, ne les présenter jamais sur le ton affirmatif, mais uniquement comme une difficulté dont on demande Texpli- tion.

Des processions.

Un autre moyen d'exciter rémulation des enfants, c'est l'honneur de faire partie des processions de la Fête-Dieu ou autres, en usage dans la paroisse, et de marcher sous une bannière particulière. C'est une dislinction qu'on fait envier et qu'on propose comme la ré- compense de ceux qui auront le mieux su leur catéchisme pendant un temps fixé, et qui se seront conduits le plus sagement. Ce temps écoulé, on fait le choix, en avertissant les élus que, s'ils se négli- geaient, on serait obligé de les éliminer, et les autres, que, s'ils se conduisent bien, ils pourront être admis au même honneur. On as- signe ensuite à chacun son rang dans la procession, et l'on nomme chaque fois ceux qui doivent porter la bannière et en tenir les cor- dons, afin qu'ils puissent tour à tour participera ce privilège. Tous chantent des cantiques qu'on a également déterminés à l'avance, en choisissant de préférence ceux qui ont des refrains.

De la récitation des billets.

On entend par billets des réflexions courtes sur la fête du jour, écrites d'un style clair, simple, facile et pieux ; ils ne doivent jamais avoir plus d'une demi-page de longueur, ni répondre à plus d'une question. Par exemple, pour la fête de Noël, un billet portera : Quelle fête célèbre- t-on aiijoiird'lud dansée catéchisme? l'enfant ré- ^po^^d^a : Monsieur, nous célébrons aujourd'hui, etc.. et il fera l'histoire ou l'e.xposé dumystére; un autre billet portera : Quelexem- ple d'humilité notis donne Jésus-Christ dans ce mystère? Un autre : Quel exemple de délacliement? Un autre : Quel exemple d'obéis- sance^? etc.. Le catéchiste, après avoir composé ces billets, s'occupe du choix des enfants qui doivent les réciter; il fait envisager à tout le catéchisme comme une grande récompense l'honneur d'être choisi pour cette fonction, et les excite par à bien apprendre et à bien se conduire. Toutefois, dans son choix, il a soin de ne prendre que

' M, Giiillois, curé du Mans, auteur dn Catéchisme expliqué par quatre cent» traits (l'histoire, a fait imprimer un recueil de dialogues, conférences et bil- lets pour les calécliisnies.

DU CATÉCIlISMh. 4G3

fies enfants qui ne se laissent pas intimider, qu» puissent se bien faire entendre, et qui récitent d'un ton naturel et pieux, sans affec- tation. 11 leur remet une copie de ces billets, et, quand ils les savent imperturbablement, il leur fait une répétition avant la céiénio." pour les former à bien débiter. On invite, si l'on peut, un ecclésii;;;- tique étranger à présider celte rccit;ition, et on lui donne, (|uelque temps auparavant, une copie des billets, pour qu'il les médite et prépare les réflexions qu'il est à propos d'y ajouter. Arrivé au caté- chisme, il fait la demande indiquée sur le billet ; aussitôt l'enfant se lève et répond : Monsieur, etc.. Et, quand il a fmi, l'ecclésiastique reprend la réponse, la développe brièvement, et en tire des conclu- sions morales et des résolutions pratiques.

Voilà en quoi consiste la récitation des billets. Cet exercice inté- resse beaucoup les enfants, et leur fait connaître lliistoire, l'esprit et le fruit de chaque fête, d'une manière aussi instructive, aussi pieuse qu'agréable. Il ne doit jamais y avoir plus de six billets dans un même jour, et l'explication en doit être courte; autrement on lasserait et on dégoûterait les enfants.

SECTION 7. De la tenue des registres du catéchisme.

La tenue des registres est de la plus haute importance. Si on ne lient pas un compte exact des bons points et autres litres aux récom- penses ou aux éloges, les enfants crieront à l'injustice, s'exaspére- ront et quitteront peut-être entièrement le catéchisme : pareille chose arrivera si, par négligence dans la tenue de ces registres, on leur impute des fautes qu'ils n'ont pas commises, ou si on attribue à l'un les torts de l'autre. De même, si on ne tient pas un compte cxiict des absences, des mauvais points ou des châtiments encourus, ils s'en feront un jeu, et, (juaiul on voudra les leur imputer, ils sou- tiendront qu'on se trompe. Enfin, il ne faut souvent qu'une erreur légère en soi pour occasionner dans le catéchisme beaucoup d'em- barras, de confusion et de désordre. 11 est donc important d'entrer dans les plus petits déluils, de tenir tout en oi'dre, de marquer tout avec la dernière précision, sans craindre la peine qu'il faut si> don- ner pour faire et refaire des listes.

On peut avoir plusieurs registres ou n'en avoir qu'un seul. Si on n'en a (pi'un, il doit renfermer dix colonnes, suivant le modèle ci- après.

50

466

TRAITE DE LA PRÉDICATION.

KOMS

ET PRÉNOMS.

DATE

DE l'entrée AU CaTCCUISME.

AGE

DE l'eNFAM

ET SACREMENTS

nECUS.

AOM

DD CONFESSEUR.

liILLLTS

DE CONFESSION

POUR CIIAOLE MOIS.

DU CATÉCHISME.

467

DEMEURE

DES ENFAMS.

ABSENCES

DD CATÉCHISME.

OBSERVATIONS.

EVANGILES

ANALYSES.

468 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

A la i'^* colonne, il faut avoir soin do bien orthographier les noms des enfants; à la 2% marquer le jour, le mois et Tannée ; à la 3% constaler si l'enfant a été baptisé, et marquer dans les catéchismes de persévérance s'il s'est approché de la sainte Table depuis sa pre- mière communion, et s'il a été confirmé.

A la 4'', 5'', 6'' et 7% rien à observer. A la 8*, on doit marquer les bons points', afin de ne pas les donner toujours aux mêmes, les billets ou dialogues récités, les charges exercées, les récompenses obtenues ou les peines encourues.

A la et la lO", ajouter la note qu'on a méritée.

Tels sont les moyens divers par lesquels un zèle industrieux a réussi à mettre dans les catéchismes le bon ordre et une exacte dis- cipline, l'intérêt et l'émulation. Nous convenons qu'il est des pa- roisses où quelques-uns de ces moyens seraient peu praticables; où, par exemple, on obtiendrait difficilement des analyses, des billets et des dialogues, des récitations d'évangile, des directeurs de chant et des secrétaires; mais, à ces exceptions près, qu'on peut laisser aux catéchismes des villes et des campagnes plus instruites, est-il une seule paroisse l'on ne puisse employer tous les autres moyens, faire les placements comme nous l'avons dit, établir le règlement que nous avons tracé, créer des titres honorifiques d'intendant et d'inten- dante, d'assistants, d'aspirants et de premiers de banc, partager le catéchisme en trois ou quatre divisions, et faire envisager comme un grand honneur d'être dans les premières ; introduire des rivalités ou provocations, assigner dans certaines processions, comme celles de la Fête-Dieu, une place distinguée aux enfants les plus sages, enfin leur donner des bons points, de bonnes notes, des images chaque mois et quelques petits livres à la fin de l'année? Ce n'est pas que nous voulions qu'on établisse tout cela à la fois et dès le premier jou" «a précipitation gâte les meilleures choses, et le bien solide ne se fait pas si vite. Nous voulons au contraire que le catéchiste, après avoir posé en principe qu'il lui faut à tout prix faire régner parmi les enfiints l'ordre et la discipline, l'intérêt et l'émulation, essaye d'abord un moyen d'atteindre ce but, puis un autre quand il verra les esprits disposés à en profiler, et qu'ainsi peu à peu il amène Te bien à sa perfection. En suivant celte marche et ne précipitant rien, il ira très-loin, et peut-être, à force d'industrie et de zèle, obtiendra- t-il, même au fond des campagnes, ce qui ne semblait, au premier

Voyez dernier alinéa de la page 452.

DU CATÉCHISME. 4G>

abord, que du ressort des villes Si donc on veut se décider à faire des essais, nous espérons tout; l'expéiience du passé nous garantit l'avenir. Ce que nous redoutons, c'est la routine qui ne veut point sortir de son ornière, qui, toujours stationnaire, ne veut croire à la possibilité d'aucun prourès ni d'aucune amélioration, qui, faisant depuis longtemps un catéchisme sec et ennuyeux pour l'enfance, ne veut pas essayer une autre voie, par la raison seule que telle est sa manière; ce que nous redoutons, c est le découragement qui, après avoir lu l'exposé que nous venons de faire des moyens de rendre le catéchisme intéressant, fermerait ici le livre en se disant : Tout cela n'est pas praticable dans ma paroisse, par conséquent ce livre n'est pas fait pour moi et je n'ai aucun profit à en tirer. Déplorable so- phisme, assez semblable à celui d'un homme qui se voyant devant une table chargée de mets, se dirait : Je ne puis manger tous ces mets, par conséquent je n'en puis goûter aucun. Vous ne pouvez, catéchistes de la jeunesse, mettre en usage quelques-uns des moyens indiqués; eh bien! laissez-les décote, on ne vous en fait pas un crime; mais au moins essayez ceux qui sont possibles : ceux-là ne perdent rien de leur mérite pour se trouver dans la compagnie des moyens qui ne sont praticables que dans les paroisses plus cultivées ou moins arriérées. Si vous les négligez, vous demeurerez responsa- bles devant Dieu du peu d'intérêt que les enfants apporteront au catéchisme et du peu de progrés qu'ils y feront^ Vous en porterez la peine dès cette vie même, par la privation d'une des plus douces jouissances du ministère pastoral, celle qu'offre à un bon prêtre un catéchisme bien dirigé.

§2.

De la manière de faire l'instruction.

Nous parlerons : i" des qualités de l'instruction; des diverses manières de la proposer aux enfants.

SECTION 1'*. Des qualités de Tinstruclion.

L'instruction du catéchisme doit être courte, claire, solide, entre- mêlée de comparaisons, de paraboles, d'exemples et d'histoires.

« Voyez la Méthode générale du catéchisme, par M. Dupanlou]), t. II, p. Tjî) et GO.

470 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

i'^ QUALITÉ DE l'insïructiojs. La brièveté.

Il faut dire peu de choses à la fois aux enfants, si l'on veut qu'ils le retiennent. Il en est de leur esprit, dit Quinlilien*, comme d'un vase dont l'ouverture est étroite, rien n'entre si on y verse la liqueur avec précipitation et en grande abondance, mais qu'on rem- plit peu à peu si l'on y verse celte même liqueur doucement et goutte à goutte. Plus on est long, moins ils retiennent, et plus on est court, plus ils profitent. C'est ici surtout que s'applique le mot déjà cité de saint François de Sales, qu'on éteint les lampes quand on y met trop d'huile, qu'on suffoque les plantes en les arrosant trop, et que, quan.d la vigne produit beaucoup de bois, c'est alors qu'elle porte moins de fruits^. «Il faut écrire dans la tête des enfants, dit Fénelon^, « non beaucoup de choses, car un réservoir si petit et si précieux « n'en pont contenir qu'un petit nombre, mais des choses exquises : « on ne doit, à cet âge, veiser dans les esprits que ce qu'on souhaite « qui y demeure toute la vie. » Mais pour atteindre cette brièveté si désirable, pour élaguer tout ce qui n'est pas nécessaire, il faut, avant de parler, avoir bien médité sa matière, bien pesé ce qu'il faut dire et ce qu'il faut taire ; autrement, si l'on parle sans préparation, on s'étendra au delà des bornes, on omettra des points essentiels et l'on en traitera de superflus; on sera vague et dilfus; on parlera beau- coup et on dira très-peu de choses.

2^^ QUALITÉ DE l'instruction. La clarté.

Le catéchiste ne doit rien négliger pour arriver à la plus grande clarié possible : les enfants ne savent point s'appliquei', et ils ne comprennent qu'autant que les choses apparaissent d'elles-mêmes à leur intelligence sans réflexion et sans effort, comme le soleil ap- paraît en plein midi aux regards qui ne le recherchent pas. Il faut donc que le caléchiste se proportiomie à leur faiblesse, qu'il des- cende jusiîu'à eux, puisqu'ils sont incapables de s'élever jusqu'à lui, qu'il articule bien toutes ses syllabes sans en précipiter aucune, qu'il parie peu et fasse beaucoup parler, quil répète ce qu'il a déjà dit et le répète dans les mêmes termes, auL 1 qu'il le faut pour que tous saisissent, quil s'assure par des interrogations s'il a été com- pris, qu'il supporte avec une grande patience, qu'il aide avec une

1 Lib. I, c. m, de publicis Scholis. « Le Guide de ceux qui annoncent la parole de Dieu, p. 81. s De l'!:ducat.ion des lilies.

LU CATECillSllE. 471

miséricordieuse compassion ceux qui ont l'intelligence lente et tar- dive : Nimis tardus misericorditer succurrendus est, dit saint Au- gustin'. 11 faut surtout, de sa part, clarté dans la pensée, clarté dans l'expression, clarté dans la méthode.

Clarté dans la pensée. Rien n'est si commun que les gens à idées obscures, embrouillées et sans précision; et de le défaut de clarté dans tout ce qu'ils disent. Ceux-là seuls sont clairs qui se ren- dent bien compte à eux-mêmes de ce qu'ils veulent dire, qui s'en forment une idée nette, précise, exacte, et qui ensuite, se mettant à la place de l'auditeur, se représentant sa manière de concevoir en raison de son âge, de son éducation, de son instruction, s'attachent à présenter chaque pensée dételle manière, qu'elle soit saisie comme forcément par son esprit.

2'^ A la clarté dans la pensée doit se joindre la clarté dans l'ex- pression ; car en vain la pensée serait claire, si la parole qui l'exprime n'était pas proportionnée à la portée des enfants. C'est pourquoi il faut, 1" éviter les expressions figurées, comme la lumière de la foi, l'édifice de la perfection, l'ivresse des passions, etc. ; les expressions propres au langage de l'école, comme principe, essence, etc. ; enfin toute expression qui ne réveille pas un sens net et précis dans l'esprit de l'enfance, comme intentions, distractions, pensées, désirs, donner son cœur à Dieu, faire tout pour Dieu, etc. Oii doit n'employer ces mots qu'après les avoir expliqués et s'être assuré que les enfants les comprennent ; et en attendant on doit user des circonlocutions qui en expliquent clairement le sens. On ne doit pas craindre d'employer les expi essions populaires, celles môme que la pureté de la langue désavoue, quand elles sont plus propres à donner aux enfants l'in- telligence des choses. Mais il faut s'abstenir des périphrases comme de dire le prince des apôtres, pour désigner saint Pierre; l'apôtre des nations, pour signifier saint Paul ; des pronoms il, elle ; on est mieux compris en redisant le nom de la chose ; plus encore, des phrases longues ou composées dont on ne peut avoir le sens complet qu'en soutenant son atlention pour en lier ensemble tontes les parties; l'esprit des enfants n'est [loint capable de celle application : il leur faut des phrases coupées, dont le sens se saisisse en un instant et sans effort. 2" Il faut tonjours faire répétiT la demande dans la ré- ponse!, parce que l'esprit des enfants ne saurait suppléer les mots sous-entendus. Ainsi, à la demande : Combien y a-l-il de personnes

* De Caicchis Rudibus c x

472 TRAITÉ DE LA PREDICATION.

^n Dieu ? il ne faut pas l'airo répondro : // y en n trois, mais bien : Il y a trois personnes en Dieu. A la demande : Pourquoi Dieu nous a-t-il créés ? il ne i'aul pas l'aire répondre : Pour le connaître, Vaimer et le servir, mais bien : Dieu nous a créés pour le connaître, V aimer et le servir. 5" Enfin, il faut éludii'r le langage des enfants, la ma- nière dont ils rendent leurs idées, le sons cpi'ils attachent à certains mois, et partir de ce sens une fois conim pour expliquer les termes qu'ds ne conipiennent pas, en évilant toutefois les expressions qui auraient quelque chose de choquant et d'ignoble, de bas et de ra- valé ; car on doit toujours conserver à la religion sa majesté, à la parole de Dieu sa dignité. Il serait même mieux de faire paitir son explicalion, autant que possible, d'un fait sensible et public, parce qu'alors on est entièrement sûr que le point d'où l'on paît est com- pris. Ainsi, je veux expliquer aux enfants ce que c'est que le salut ; je prends pour point fie départ les morts qu'ils voient souvent porter au cimetière et je demande : Ces morts sont-ils dans le tombeau? Oui. Aucun d'eux n'est donc en Paradis? Pardonnez-moi, les bons sont en paradis. Comment sont-ils dans le tombeau et dans le pa- radis en même temps? Leur âme est en paradis et leur corps en terre. Leur âme n'est donc pas morte? Non, elle vivra toujours dn)is le ciel. lis sont donc sauvés ? Oui. Qu'est-ce que se sauver? C'est que lame va en paradis quand on est mort. Et la mort, qu'eirt-ce? Cest que l'ûme quitte le corps et le corps s'en va en pous- sière, (jn sent combien cette marche est plus propre que des défini- tions à faire comprendre les choses aux enfants.

5" (Jiianil la clarté règne dans la pensée et l'expression, il ne reste plus qu'à l'introduire dans la méthode. Une instruction qui n'est pas mélhodique ne laisse que confusion dans l'esprit, quelques beautés qu'elle renferme d'ailleurs, et l'analyse en est presque impossible ; tandis qu'une instruction méthodique se comprend sans peine, se retient facilement et fait toujours plaisir. Le moyen d atteindre ce mérite est de commencer toujours par récapituler en peu de mots l'instruction précédente, pour la liei' aux questions qu'on va trailei"; puis on énonce son sujet, on le divise en termes clairs, précis et aisés à retenir; on fait répètei' sa di\isioii à un ou deux enfants pour s'as- surer qu'elle a été saisie, et, entrant ensuite dans le corps de l'in- struction, ou procède const.imment à mnqis noto ad minus notum^ pailant toujours de choses pnr.'ailement ( onnnes des enfants, et de leur lai-ant tii'er à (nx-inèini's les c(tn^è(|UtMices ipii doivent les ine:i;".' à c:- iju'ils ne comiai^seiil pas. (','i>>-î me M'i^ie tondee su»*

DU CATEniISME 473

le bon sens et par conséquent admise de tout le monde ; mais tous ne l'appliquent pas de la même manière : les uns commencent par définir et expliquent ensuite les termes de la détinition à l'aide de la règle indiquée; les autres, prenant cette règle dans toute sa rigueur, commencent par expliquer tout ce qui doit entrer dans la dèfniition et ne présentent celle-ci qu'à la fin, comme conséquence et résumé de tout ce qui a été dit. Ainsi, je veux enseigner à un enfant la ré- ponse à cette question : Qu'est-ce que Dieu? Suivant la première méthode, je donnerai aus^itôt la définition de Dieu : Dieu est un esprit immense^ très-parfait, créateur tt maître de toutes choses, et j'en expliquerai ensuite tous les mots. Suivant la seconde méthode, je commencerai par demander à l'enfant : « Louis, cette maison « s'est-elle bâtie toute seule et les pierres se sont-elles taillées, por- « tées, placées vous les voyez? Non, monsieur, répondra-t-il « surpris de^la question, ce sont les maçons qui Vont bâtie. Et « voire habit, s'est-il fait tout seul? Non, monsieur, c'est le tail- « leur qui l'a fait. Mais le ciel, la terre, le monde entier, est-ce (f quelque chose de mieux fait et de plus difficile à faire que cette « maison, que votre habit? Oh ! oui, monsieur. Mais si celte « maison, si votre habit n'ont pu se faire tout seuls, le ciel, la terre, « le monde entier, qui sont quelque chose de mieux fait et de plus « difficile à faire, comme vous l'avez très-bien dit, ne se sont donc « pas faits seuls? il y a dcnc quelqu'un qui les a faits. Oui. cest « Dieu qui a fait tout ce qui existe. Mais avec quoi l'a-t-il fait Si l'enfant embarrassé ne peut répondre, on lui dira qu il l'a fait avec rien, puisque auparavant rien n'existait que Dieu, et que pour cela on l'appelle Créateur. « Les hommes, mes enfants, ne font rien avec « rien. 11 faut de l'étoffe à un tailleur pour faire un habit, et il en est « de même de tous les autres ouvrages des hommes. C'est pour cela « qu'ils ne sont pas créateurs : ils ne font qu'arranger ce qui existe. « Dieu seul donne l'existence à ce qui n'est p.is. Il n'y a donc que « lui qai soit créateur. Ainsi, retenez-le bien, mes enfants, créer, « c'est faire quelque chose avec rien. » On leur fait encore répéter ceci, et de on conclut que Dieu est créateur de tout ce qui existe. « Muis si Dieu a tuut fait [lar lui-même, tout lui appartient donc, « il est donc le maître de tout ce qui e.xiste ï Oui, monsieur. tt Mais ce Dieu, crcaleur et maîlieduciel et delà terre, a-t-il un corps « comme nous, une bouche, des yeux, des mains? mange- l-il, hnit-il « comme nous? Non, mes entants, c'est pour cela qu'on dil qu'il est « un esprit. Un esprit, c'est ce qui n'a point de coi ps. Par exemple.

474 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

« ceux qui meurent laissent ici-bas leur corps qu'on met en terre ; « mais leur esprit, leur âme, va recevoir dans l'autre vie la récora- « pense de leurs vertus ou la peine de leurs péchés ; ils sont alors, « comme Dieu, de purs esprits. Voyons, Pierre, qu'esl-ce qu'un '( esprit? Cest ce qui n'a point de. corps. Dieu est-il un esprit? « Oui, monsieur, parce qiiil n'a point de corps. Mais cet esprit, « oij esl-il? est-il au ciel? est-il par toute la tnrre ?—Oîu', il estpar- « tout. Être partout, comment cela s'appelle^-il? » L'enfant hésite, il ne sait pas. « Être partout, mes enfants, retenez-le bien, c'est ce « qu'on appelle être immense. Ainsi, être immense, ou être partout « c'est la même chose. Voyons, Philippe, avez-vous bien compris? « Qu'est-ce qu'être immense? Cest être partout. Êles-vous ft immense, vous? Non, parce que je ne suis pas partout, je ne « suis qu'en un endroit à la fois. Mais ce Dieu qui esl partout, « sait-il tout? y a-t-il des choses qu'il ro connaisse pas? Norif « Dieu connaît tout. Est-il tout-puissant? y a-t-il des choses qu'il « ne puisse pas faire? ~ Non, Dieu peut tout. Dieu est-il juste? « esl-il bon, est-il saint? y a-t-il quelques défauts en lui? Non, il « n'y a aucun défaut en Dieu. iNon, mes enfants, il n'y a aucun « défaut en Dieu ; il sait tout jusqu'à nos plus secrètes pensées ; il est « tout-puissant, il est juste, il est bon, il est saint, c'est-à-dire pour « tout renfermer en un seul mot, remarquez-le bien, Dieu est très- « parfait. Maintenant, Louis, pourriez-vous me dire ce que c'est que « Dieu ; faites bien attention. Dieu est-il un esprit? Oui, Dieu est «un esprit. Dieu est-il immense? Oui, Dieu est immense. « Est-il très-parfait? Oui, Dieu est très-parfait. Est-il ciéateur « et maître de toutes choses ? 0/«, Dieu est créateur et maître de « toutes choses, Qu'est-ce donc que Dieu?» L'enfant répond sans hésiter : Dieu est un esprit immense., très-parfait, créAiteur et maître de toutes choses, et il sera glorieux d'avoir su réunir tous ces mots pour en composer la définition de Dieu ; en la composant, il l'aura comprise, son esprit sera éclairé et souvent son cœur touché. Cette méthode semble donc bien préférable à la première, et le catéchiste fera sagement de l'employer le plus souvent qu'il pourra.

5* QUALITÉ DE L'iNSTr.ucTio.N. La soUdité.

Ce serait une grande erreur de croire que fout est bon pour les QJifants, et qu'il importe peu que ce qu'on leur dit soit rigoureuse-

DU CATÉCHISME. iîS

lïjent vrai, oxîict et solide : le catéchisme est la parole de Dieu ; c'est assez pour que le prêtre ue doive rien s'y permettre qui ne soit vrai et qui même ne puisse se soutenir devant les hommes les plus savants et les plus sensés. Il se fait en public et à la face des autels ; en faut- il davantage pour prouver qu'on n'y doit rien dire qui ne soit digne de la majesté de la religion? Mais indépendamment de ces raisons, si les enseignements du catéchisme ne sont pas exacts et solides, les enfants devenus hommes les mépriseront, parce qu'ils en verront la fausseté; et ils comprendront peut-être dans ce mépris la religion tout entière; du moins leur foi ne tiendra pas contre les doutes que le développement de leur raison, les suggestions du démon et les discours du monde pourront plus tard faire naître dans leur esprit. Aujourd'hui ils croient sur la parole du catéchiste ; mais il viendra un temps cette parole perdra pour eux son autorité ; où, par con- séquent, leur foi chancellera, si l'on ne leur a fait apprécier de bonne heure hs fondements inébranlables sur lesquels elle repose, si, par des instructions solides, on ne leur a appris à croire, non plus sur la parole d'un homme, mais sur des preuves irréfragables, à la parole même de Dieu, et de l'Église son infaillible interpréîe.

Il est donc essentiel de ne donner au catéchisme qu'un enseigne- ment solide, conforme aux règles de cette rigoureuse logique qui n'admet que des définitions exactes, des divisions justes, des raison- nements invincibles. Tout bon catéchiste doit donc être bon logicien; car celui qui ne l'est pas est défectueux dans' ses définitions comme dans ses divisions, et plus encore dans ses raisonnements; il ne sait pas lier les conséquences avec les principes, et donne pour preuve, tantôt la chose même à prouver, énoncée en d'autres termes, tantôt des raisons qui n'ont aucune solidité : ce seront des sens mystiques de l'Écriiure qu'il présentera comme des preuves incontestables ; des passages des Pérès dont il n'aura examiné ni les antécédents ni les conséquents, et qu'il alléguera au hasard.

Pour établir solidement la doctrine dans l'esprit des enfants, il faut être très-sobre des passages de l'Écriture et des Pères, n'en citer que certains textes frappants et d'une grande importauce, comme celui-ci : Ta es Pierre, et sur cette pierre, etc.. On comme ces sen- tences courtes et fortes de saint Augustin : Dieu qui vous a fuit sans vous, ne vous sauvera pas sans vous; Dieu promet le pardon, mais non pas le lendemain, au pécheur qui veut se repentir. Les prtuivcs de raison sont les principales que doive employer le catéchiste; en- core doit-ii éviter les longs raisonnements ; les enfants en sont inca-

476 TRAITÉ DE LA Pr.ÉDICATION.

pablos ; il ne leur faut que des itiisons saillantes, qui en'.èvent la convietion par le simple exposé, dds raisons tirées siirlont de com- paraisons, d'exemples et de faits sensibles : de là, la nécessité de la quatrième qualité de l'instruction.

4^ QUALITÉ DE l'instruction. Elle doit être entremêlée de comparaisons, de paraboles, d'exemples et d'histoires.

i' DES COMPARAISONS.

Les comparaisons tirées du petit cercle d'idées qu'ont déjà les enfants, ou des objets sensibles qui les ont frappés, sont un des moyens les plus assurés de se faire écouter et comprendre. L'objet pris pour point de comparaison excite leur intérêt, parle à leur ima- gination, arrête la mobilité de leur esprit, et l'usage qu'on veut en faire pique la curiosité si naturelle à leur âge; de sorte que, quand on vient à aiiplication, l'émotion qui éclate sur tous les visages fait connaître leur surprise et leur joie. Aussi voyons-nous que Jésus- Christ, évangélisant les pauvres dont l'esprit inculte a souvent beau- coup de I apport avec celui des enfants, ne disait presque rien sans l'expliquer par quelque comparaison familière tirée des choses les plus communes, tantôt d'un père de famille, d'un fds, d'un serviteur ; tantôt d'un repas, d'un peu de farine, d'un flambeau, d'un champ, d'un arbre, d'une fleur, d'un passereau. L'historien de saint François de Sales rapporte également que lorsque ce saint prélat exposait aux enfants les éléments de la foi, les riches comparaisons lui naissaient à tout propos dans la bouche, et ainsi ont fait les bons catéchistes de tous les temps.

Toutefois il faut prendre garde de trop les multiplier ou de les pré- senter comme objet principal, ce qui ne ferait que distraire l'esprit de la vérité qu'on veut expliquer. Il faut de plus n'employer que des comparaisons tirées d'objets bien connus des enfants, et qui aient un rapport manifeste avec la chose à éclaircir ; et en les présentant, le catéchiste doit observer deux règles, la première de les proposer brièvement, sans toutefois celte concision qui les rendrait obscures; la seconde, de varier ses tours de phrase, employant tantût lespar- iicu]es, comme, de même que; tantôt ces façons déparier : Figurez- vous, représentez-voîLs , c'est ce que nous voyons dans, etc.;... d'autres fois cette interrogation : Qui ne sait pas, qui ne voit pas? etc..

DU CATECHISME. 477

DES PARABOLES.

Les paraboles sont des comparaisons qu'on déguise sous la forme d'une fiction historique pour éclaircir une vérité morale : c'était la pratique de Jé&us-Christ, eltout le monde connaît les touchantes pa- raboles de l'Enfant prodigue, du bon Pasteur, etc.. A l'exemple du divin Maître, les Pérès ont (juelquefois employé ce mode d'instruire: saint Bernard, voulant faire comprendre l'ingratitude des hommes en- vers la passion du Sauveur, fait celle parabole : '( Un homme avait été « condamné à mort pour ses crnnes : le fils du roi l'apprend et obtient « de son père de mourir pour le coupable : le coupable est relâché « et s'en va jouer sur la place publique. Pendant qu'il s'amuse, on « lui annonce que le fils du prince est conduit au supplice ; et il ne 1 s'en émeut pas, il ne veut pas même y penser, et il continue son « jeu. Quelle ingratitude, quelle monstruosité dans ce coupable? Eh ! « mes fiéies, savez-vous quel U est ce grand coupable? C'est vous : « Jésus-Christ, le Fils du Pioi des rois, meurt à votre place, et vous y « êtes insensibles, et vous n'y pensez pas.,.. » On sent combien une telle parabole est propre à toucher.

La parabole est encore souvent très-utile pour faire comprendre les définitions, qui sont ordinairement ce que les enfants saisissent le moins : par exemple, on pourrait faire comprendre aux enfants les moins intelligents la différence entre la contrition parfaite, la contri- tion imparfaite et la crainte purement servile, par la parabole sui- vante : « Un père avait trois enfants auxquels il avait confié la garde « de trois petits agneaux qui paissaient dans une prairie : un jour ils <( s'endormirent, et pendant leur sommeil , des loups sortirent de la « forêt voisine et emportèrent le petit troupeau. Les enfants éveillés « par les bêlements plaintifs de Lurs agneaux, voyant au loin les « loups qui les emportaient, se mirent à pleurer. Hélas! disait le a plus âgé, mon père va me battre pour avoir laissé emporter mon « agneau. Le second disait : Pour moi, je pb ure, non pas scMlement « à cause des pénitences qu'il va me donner, mais aussi à cause du a chagrin que cela va lui causer. Le plus jeune, qui pleurait plus (T amèrement que les autres, disait : Ah! pour moi, je ne m'inqiuèle « pas des pénitences, je ne pense qu'à la peine (jue mon bon pèie va I en éprouver : oui, j'aimerais mieux demeurer toute ma vie en pé- « nitence que de lui avoir causé un tel chagrin. » On fera ensuite l'application de celle parabole au sujet indiqué, et ou sent qu'on

478 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

sera aisément compris des enTaiits. Si on désire s'épargner la peine de composer soi-même des paraboles, on en trouvera pour toutes sortes de sujets dans le Catéchisme de Constance et dans le petit ou- vrage intitulé les Paraboles du P. Donaventure Giraudeau^ ,

3 DES EXEMPLES.

Les exemples, dans le sens que nous attachons ici à ce mot, sont des cas de 'conscience qui se résolvent par l'application des prin- cipes exposés dans l'instruction. On propose le cas aux enfants, on leur en demande la décision ; et par cette pratique sagement em- ployée on vient à bout de leur donner une parfaite intelligence des règles do la morale, et surtout de leur faire comprendre en quoi consistent les péchés de pensée, de désir, de volonté, de complai- sance ou délectation morose. En voici un exemple. Je suppose que je leur aie exposé biièvement et clairement la doctrine sur les pé- chés intérieurs ; j'ajoute: « Peut-être, mes enfants, vous ne saisissez « pas parfaitement ce que je vous dis ; mais un exemple vous le fera « comprendre: Pierre entre chez Jacques, son voisin, pour lui sou- « haiter le bonsoir; il ne l'y trouve pas, et se voyant seul, il conçoit « le dessein de prendre la montre de Jacques : Personne ne m'a vu « entrer, se dit-il, on ne saura pas que c'est moi. Déjà il s'approche « pour la saisir ; mais tout à coup le voisin Jacques rentre. Pierre « ne fait semblant de rien, salue Jacques, cause avec lui et s'en re- « tourne fâché d'avoir manqué son coup. Eh bien ! répondez-moi, « Philippe, Pierre a-t-il péché? Oui. Pourquoi cela : il n'a rien volé. « Il a ] éch(% parce qiiil a eu la volonté de voler. Vous dites bien , (( c'en est assez pour être coupable devant Dieu. Mais si Pierre s'était « contenté de dire: Oh! si je pouvais prendre cette montre ! mais « je ne veux pas, on me découvrirait et on me mettrait en prison, « aurait-il péché? Oui. Pourquoi? Parce qu'il aurait eu le désir de « voler. Oui, mon enfant, on pèche sans faire la mauvaise action, si « on a seulement le désir de la faire. Mais £4 Pierre, au premier mo- « ment qu'il a eu la pensée de voler, s'était dit à lui-même : Non, je «tie le ferai pas. Dieu me le défend; aurait-il péché? Non. Et si (i cette pensée lui était resiée longfemps dans l'esprit, quoique tou- « jours il la renvoyât, aurait-il péché? Non. On ne pèche par pensée « que lorsqu'il y a ou volonté ou désir de faire le mal, ou plaisir à

* Chez René, à Paris, édition de 18i5-

DU CATÉCHISME. 479

« y penser. » Qui ne voit combien des cas de conscience présentés à peu près en cette sorte sont plus propres que toutes les explications à faire saisir les choses ?

4' DES HISTOIRES.

Les histoires édifiantes réunissent au plus haut point les avan- tages de la comparaison, de la parabole et de l'exemple; elles rendent le catéchisme agréable aux enfants, révei'lent leur atten- tion, et les ramènent au recueillement ; elles se gravent dans leur mémoire, touchent leur cœur et y laissent des impressions durables de vertu. Souvent même la promesse de leur raconter une histoire curieuse s'ils sont sages, suffit pour les contenir pendant tout le ca- téchisîîie.

Il est certaines règles à observer dans le choix et le récit de ces histoires : l'histoire citée doit être vraie ; nous en avons dit la raison plus haut, p. 218. L'histoire doit être grave : si elle n'a- vait pour but que de faire rire, ello dissiperait les enfants et leur ferait perdre le respect pour la parole de Dieu. Elle doit être re- marquable ou par le fond des choses, ou parce qu'elle s'est passée dans le pays même, ou parce que les personnages qu'on donne comme modèles n'ont trouvé, ni dans leur condition ni dans leur sexe, l'énergie de la vertu que nous admirons en eux, et souvent ils n'ont pas eu les mêmes grâces que nous. Il faut, en la racontant, rep.dre les faits sensibles par la représentation vive de leurs circon- stances et de la manière dont les choses se sont passées, faire parler les personnes en leur prêtant des colloques courts, au moins très- vraisemblables, si ce ne sont pas les discours mômes rapportés eu substance par les historiens, et faire en sorte que les enfants cioient les voir et les entendre. Il faut fixer sur le point principal l'atten- tion des enfants qui souvent se porte sur des détails accessoires, et ne pas couper son récit en leur adressant des questions. 0" Il faut ne citer qu'avec beaucoup de réserve les exemples de l'histoire profane, s'altaclier à donner aux enfants plus.de goût pour les histoires saintes que pour les autres, et, en conséquence, leur raconter le plus pos- sible les traits frappants des vies des saiiits, mais surtout les histoires tirées de l'Écriture sainte ^ Celles-ci ont l'avantage non-seulement d'intéresser la curiosité des enfants par ce qu'elles ont de singulier

* Voyez Fihielon, Educathn des fiHcs, c. vi.

480 TRAITÉ DE LA rRÉDIGATION.

de mervcilloux et de louchant, mais encore de leur faire comprendra la religion, de leur en découvrir l'origine, les fondements et la sub- stance. Car la religion est tout historique ; c'est par un tissu de faits merveilleux que se prouve son établissement, sa perpétuité el tout ce qui doit nous la faire pratiquer et croire. Dieu l'a voulu amsi, afin qu'elle fût accessible aux petits et aux simples par les faits po- pulaires sur lesquels elle repose, et qu'on pût par leur faire con- cevoir et retenir les mystères.

Qu'on parie à des enfants des mots Mystères, Trinité, IncarrM- tion. Rédemption, Nature, Personne, Pédié originel et autres sem- blables, et qu'on les leur explique par une définition, ils en saisiront très-difficilement le sens, ou plutôt ils ne les comprendront aucune- ment; mais qu'on emploie la méthode historique, et tous ces mots s'éclairciroiit dans leur esprit. Par exemple, qu'on commence par les entretenir de la beauté du ciel, du soleil, des astres, de la terre, et qu'on ajoute : « Il a fallu un bien grand esprit pour faire de si « belles choses; il n'y a qu'un Dieu qui ait pu faire tant de mer- « veilles ; c'est le Dieu unique, et il ne peut y en avoir plusieurs, m Qu'on passe de à Thisloire de la création de l'homme, en faisant remarquer que le corps vient de la terre et l'âme du ciel. « L'homme « devait être heureux, etc. Mais, Adam ayant désobéi à Dieu et « voulu se lendre égal à lui, Dieu le chassa du paradis et le con- « damna, avec tous ses descendants, à être malheureux sur la tern a et réprouvé dans l'enfer, comme un roi chasse de son royaume ur « sujet rebelle avec tous ses enfants. C'en était fait de nous tous, s: « Dieu le Fils, égal à son Père, n'eût pris un corps et une âme « comme nous et ne fût mort pour nous sauver. » Ici on raconte l'hisloire de Jésus-Christ, en faisant remarquer les miracles qui prou- vent sa divinité ; puis la descente du Saint-Esprit au jour de la Pen- tecôte, en faisant observer tous les miracles que cet Esprit divir opéra par les apôtres, d'où l'on conclut également qu'il est Dieu; el comme l'enfant sait d'ailleurs qu'il n'y a qu'un seul Dieu, il saisira sans peine la distinction des trois personnes en une seule nature; el si l'on ajoute que ce Dieu en trois personnes ou ces trois personnes en un seul Dieu sont ce qu'on appelle la sainte Trinité, il compren- dra tout le sens de ce mot, autant qu'il est donné à l'homme de le comprendre. Qu'on lui demande ensuite s'il comprend comment ces trois personnes ne font qu'un seul Dieu, il répondra que non. « Je « ne le comprends pas non plus, reprendra le catéchiste, et voilà « pourquoi nous l'appelons le mystère de la sainte Trinité. Car un

DU CATECHISME. 481

<s mystère, c'est une vérité qu'on no pont comprendre. » Il sera fa- cile d'extraire également de l'histoire précédente le sens des mots incarnation, rédemption, nature, personne, péché oiiginel ; et, cette explication terminée, on demandera aux enfants comment se sou- venir de tout ce qu'on leur a raconté : ne serait-il pas bon d'en avoir un petit abrégé qu'on apprendrait par cœur? a Mes enfants, peut-on « leur dire alors, cet abrégé est fait depuis longtemps et par des « hommes bien savants, puisque le Saint-Esfirit lui-même les avait « instruits : savez-vous il est? C'est le Symbole des apôtres. » On le récite aussitôt en leur faisant remarquer, article par article, que tout ce qu'on leur a dit s'y trouve : on leur fait de même repasser les chapitres du catéchisme relatifs au Symbole, et on leur fait ob- server le rapport de chaque réponse à chaque partie de l'histoire de la religion qu'on leur a racontée.

Fleury estimait cette méthode si propre à enseigner la religion aux enfants, qu'il a composé dans cette vue son Catéchisme histo- rique ; Fénelon et RoUin la recommandent comme la meilleure de toutes, et même comme la seule bonne; un grand nombre de pas, teurs en ont fait l'expérience et proclamé l'excellence ; enfin Bos- suet lui-même, dans son Catéchisme, indique en tète de chaque chapitre une histoire par il veut qu'on commence. On doit tou- tefois observer que cette méthode ne s'applique guère qu'au Sym- bole, et est peu praticable pour les sacrements, les commandements de Dieu et de l'Église, les péchés, les vertus théologales, la grâce, la prière, le culte des saints, etc.. Il faut, pour ces matières, avoir recours aux histoires des saints, aux comparaisons, aux exemples, aux paraboles, etc.

SECTION 2.

Des diverses manières de présenter Pinslruction aux enfants.

Il y a trois manières de présenter l'instruction aux enfants : la pre- mière est de procéder par voie de discours suivi ; mais cette méthode est peu propre à soutenir l'attention et l'intérêt d'un âge aussi lé- ger. La seconde est de faire répéter aux enfants ciiaque explication et chaque preuve aussitôt après qu'on l'a exposée. Cette méthode les force à être attentifs et leur fait entendre deux fois l'instruction sans qu'ils s'en doutent ; mais il faut avoir soin de rendre la répéti- tion vive et intéressante, sans quoi le catéchisme languirait. La troisièjne manière, qui paraît préférable, est de réduire les preuves

31

482 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

en questions et de les faire donner aux enfants eux-mêmes parles de- mandes qu'on leur adresse, en rectifant ensuite et développant leurs réponses. Ce moyen est celui qui les oblige le plus à écouter, qui fait le mieux voir s'ils comprennent, qui excite davantage leur émulation et met dans un plus grand jour leur intelligence et leurs progrès.

Dans cttc instruction par questions, il faut. observer la plu- part des règles que nous avons données au paragraphe précédent, sur la manière de faire rendre compte aux enfants des instructions qu'ils ont entendues.

il faut s'abstenir des questions oiseuses, aussi bien que de celles qui pourraient foire naître dans l'esprit des enfants des idées dan- gereuses ou peu dignes des choses saintes, comme si, après que l'en- fant a répondu que Dieu est partout, on lui demandait s'il est dans sa poche.

Il faut varier la manière de proposer les questions ; autrement on ennuie, et le catéchisme perd son intérêt : Identitas est mater txdii. Il faut de même couper les questions en autant de portions que possible, pour faire remarquer la portée de tous les mots de la réponse; ainsi, après qu'un enfant a dit pourquoi Dieu nous a créés et mis au monde, il faut lui faire dire pour combien de raisons Dieu nous a créés, quelle est la première, quelle est la seconde, la troi- sième, la quatrième raison.

4' 11 fau! encourager les enfants à chercher eux-mêmes les ré- ponses, en prenant l'air d'un homme qui veut s'instruire, paraissant vouloir apprendre d'eux ce qu'on veut leur enseigner, ne leur de- mandant rien au-dessus de leur portée, leur disant que la réponse est facile, la leur insinuant, les mettant sur la voie et y applaudis- sant lorsqu'elle est passable. Alors, animés par ces petits succès, et se croyant capables de résoudre les questions qu'on leur propose, ils s'appliquent à réfléchir, à exercer leur intelligence, et font tra- vailler leur jugement pour trouver la solution des difficultés ; tandis que si les questions sont mal présentées ou au-dessus de leur portée, ils se dégoûtent, se découragent et ne s'appliquent plus. Cette règle souffre cependant quelques exceptions ; on peut, pour les rendre at- tentifs à une explication importante, leur proposer de temps en temps des questions auquelles on sait qu'ils ne répondront pas, et aussitôt on ajoute qu'il n'est pas étonnant qu'ils ne sachent pas une chose si difficile, mais qu'en écoutant bien ils la sauront désormais. On peut même quelquefois, dans ce cas, leur adresser une sorte de

DU CATECHISME. 483

défi : « Voyons qui d'entre vous pourra saisir la réponse à celte dif- « ficulté. » On se propose ensuite à soi-même ia question, on y fait les réponses les plus claires qu'il est possible, à l'aide de compa- raisons et d'exemples, puis on interroge les enfants pour voir s'ils ont saisi.

5" Il faut bien observer, à chaque question, si les enfants com- prennent et si ce qu'on dit leur fait impression. On le connaîtra faci- lement au ton, à l'air, aux traits du visage, à l'attitude. Si l'on voit qu'ils ont compris, il faut passer outre pour ne pas les ennuyer; et, s'ils n'ont pas compris, il faut reprendre ce qu'on a dit et iàcher de le redire plus clairement et plus simplement.

Lorsqu'on raconte des faits ou qu'on veut exciter l'admiration par un récit dont l'effet dépend de l'ensemble, il faut y entremêler très-peu de questions; et, quand on en fait rendre compte aux enfants, on doit toujours les rappeler à l'ensemble, les ramener à l'idée principale, à l'objet essentiel pour empêcher qu'ils ne s'atta- chent à l'accessoire, comme cela leur arrive souvent. Si l'on aperçoit que la manière imparfaite dont ils rendent ce qu'on leur a dit affai- blit l'impression qu'on avait produite en parlant, on y supplée en relevant leur réponse et la comnîentant de manière à renouveler l'impression.

7" Dans les explications ou interrogations, on ne doit se régler ni sur les plus inteUigents ni sur les plus bornés, mais se proportionner à la majorité du catéchisme. C'est elle qui doit faire loi, et c'est d'après sa portée que le catéchiste doit graduer son langage et ses développements. S'il y a une réponse difficile à demander, il ne faut pas la faire donner tout à coup par les plus forts, parce que las esprils, n'y étant point préparés, ne la saisiraient pas ou en sei'aient moins frappés; mais il faut faire des questions préliminaires qui conduisent l'intelligence à cotte vérité comme pas à pas et par degrés; on la comprendra et on la retiendra beaucoup mieux.

En traitant les questions de morale, on ne doit pas se borner à énoncer la doctrine, il faut encore l'expliquer pratiquement, c'est-à- dire montrer et mettre sous les yeux la manière dont oji doit y con- former sa conduite. Par exemple, si je veux apprendre aux enfauîs à s'e.xamiiier pour se confesser, je leur dirai : « Voici, mes enfants, « connnent il faut faire : d'abord, je me retirerais dans un endroit « je serais tranquille et seul; là, je me mettrais à genoux et je « dirais de tout mou cœur » {Ici le cnlcchi^te prend le maintien d'un homme qui prie avec allenliun et ferveur., les mains jointes, les yeux

484 TRAITÉ DE LA PREDICATION.

bais.sés) : « Mon Dieu, je voudrais bien connaître mes péchés, mais « vous savez que souvent je ne me rappelle pas le soir ce que j'ai « fait le matin; aidez-moi donc, mon Dieu, je vous en prie, je vous « en conjure, à connaître le mal que j'ai fait. Eh bien! Pierre, « fais-je bien? puis-je espérer que le bon Dieu me fera connaître mes « péchés? Alors je commencerais mon examen... » {Là le caté- chiste continuant le jjersonnage d'un homme qui se prépare comme il faut, parcourt le premier commandement, en y observant les fautes ordinaires aux enfants.) « Je ferais de même pour les autres com- « mandements, pour les sept péchés capitaux, pour mes devoirs « d'écolier ou de fils obéissant : puis je ferais un bon acte de contri- « tion. » {Le faire pieusement et avec ferveur.) Le catéchiste dit ensuite comment il se conduirait en allant à l'église, comment il se tiendrait et s'occuperait en attendant le moment de se confesser, comment et avec quels sentiments il approcherait du saint tribunal, et comment il se conduirait après la confession. Il pourrait entre- couper cette représentation par des questions fort courtes ou par des interpellations aux enfants sur les fautes qu'ils commettent. Par exemple : « Que diriez-vous, Jacques, si je faisais un acte de contri- « tion de celte manière {le faire machinalement, froidement), ou si, « en attendant mon tour au confessionnal, je faisais, comme on fait « quelquefois {regarder de côté et d'autre, avoir l'air de ne -penser à « rien.) » On sent combien cette explication pratique sera mieux comprise des enfants que si Ton se bornait à leur dire : Il faut faire telle ou telle chose,

9" Si l'on à exphquer le sixième précepte, il faut se rappeler ce que nous avons dit en traitant de la prudence du catéchiste, et commencer, sans avoir l'air mystérieux ni embarrassé, par citer le sixième et le neuvième commandement, en faisant remarquer qu'on va les expliquer ensemble, parce qu'ils sont sur le même sujet. On ajoute que ces commandements regardent tout le monde, grands et petits : « Us vous ordonnent, mes enfants, peut-on leur dire, de « conserver vos corps toujours purs et toujours saints, de les res- « pecter comme les membres vivants de Jésus-Christ et les temples « du Saint-Esprit, de les tenir, par cette raison, dons l'innocence, « l'honnêteté et la modestie, vous souvenant que partout les regards « de Dieu sont fixés sur vous et vous observent, seuls comme en « public, la nuit comme le jour. Nos corps, mes enfants, sont saints « comme les vases sacrés, puisque, comme eux, ils sont destinés à « recevoir le corps de Jésus-Christ et le reçoivent en effet par la

DU CATÉCHISME. «.SS

« sainte communion. Il faut donc les traiter saintement; eî, conr.'.ie fi il est défendu de découvrir et de toucher sans raison le sail^t « ciboire, ainsi, sous certains rapports, il nous est défendu de « découvrir et de toucher nos corps sans raison : le faire seul ou « devant ses parents même serait mal; le faire devant d'autres serait « encore un plus grand péché. Ces commandements vous défendent « en outre de penser, de dire ou de faire des choses qui neconvien- « nent pas à des enfants sages, et qui indiqueraient des enfants sans « crainte de Dieu, des enfants mal élevés, de petWspolissons. Lorsqu'on « a fait, dit ou regardé de ces polissonneries, de ces choses malhon- « nêtes, ou qu'on a seulement pensé à de vilaines choses, comme « font des enfants mal élevés, il faut avoir soin de le dire à confesse. « Le démon cherche à faire croire qu'il n'y a point de mal et engage « à n'en point parler ; mais il faut lui répondre : S'il n'y a point de « péché, pourquoi aurais-je honte de le déclarer? s'il n'y a point de « mal, mon confesseur me le dira, et j'aurai la conscience tranquille. « Si, au contraire, je ne le disais pas, je serais toujours inquiet et « m'exposerais à commettre un nouveau péché, celui de ne pas « déclarer une faute qui devait être accusée. Mes enfants, peut-on « leur dire, il n'y a que les imbéciles qui cachent leurs péchés à « confesse, et il faut n'avoir pas d'esprit pour cela : car, si on ne les i( déclare pas, on perd son temps et sa peine à se confesser. Les « péchés ne seront point pardonnes, la confession sera un sacrilège « de plus ; au jugement dernier, on sera confondu devant tout l'uni- « vers qui le saura, et toute l'éternité on brûlera dans l'enfer, lllaut « donc n'avoir point d'esprit pour cacher ses péchés à confesse. » Voilà à peu près le fond de l'instruction à faire sur celte matière délicate, et il faudra bien se garder de faire rendre compte aux enfants de l'explication donnée, excepté ce qui regarde l'obligation de tout déclarer à confesse.

De la sanctification des enfants '.

Le catéchiste qui se bornerait à instruire les enfants sans s'occuper à les rendre meilleurs ne remplirait que la moitié de son devoir. En môme temps qti'il éclaire l'esfjrit, il doit travailler à convertir le cœur et à le former au bien : car c'est une chose à la fois triste et bien digne

' MêtliodrMlc I5osaiiçori, t. II, c. m, art. 'i.

486 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

de remarque que l'enfant, dès îcs premières lueurs de sa raison, est rempli de vices naissants. On trouve en lui : l'orgueil : il rap- porte tout à soi; il veut que rien ne résiste à ses volontés; le moindre refus ou délai l'irrite et le fait pleurer; il s'excuse par des mensonges qu'il soutient quelquefois avec obstination; il rejette ses fautes sur d'autres ; il reclierclie les applaudissements et les caresses ; 2" l'ava rice : il lienl à ce qui lui plail et n'entend pas en être privé ; l'envie . il veut tout ce qu'il voit de beau chez les autres ; 4" la gourmandise : il mange sans mesure et sans discrétion, dérobe pour satisfaire ses appétits déréglés, dévore des yeux tout ce qu'il voit sur une table, pleure si on lui refuse ce qui lui ferait mal, et, rassasié, il dit qu'il a encore faim pour obtenir ce qu'il convoite; la colère : il se fâche facilement, rend les coups qu'il reçoit ou en donne le premier, et est content quand il croit avoir blessé; la paresse : il ne veut se gêner en rien, ne conisaît d'autres règles que la légèreté, l'incon- stance, le caprice, l'humeur, l'enlêtement, la curiosité, et use de combinaisons, de détours et d'artifices pour s'épargner la gêne, la contradiction, la douleur, et satisfaire ses petites passions. Or seraient le zèle et la charité du catéchiste si, voyant le cœur de ces enfants si malade, il ne travaillait à le guérir?

Sa négligence, en ce point, serait d'autant plus coupable, que plus tard le mal deviendrait presque incurable. On ariache facilement un jeune arbrisseau, mais, lorsqu'il est devenu un gros arbre, qui envoie au loin sous terre les racines qui l'attachent au sol, des milliers de bras ne l'ébranleraient pas. De même, si l'on ne s'oppose de bonne heure au développement de ces vices naissants, ils se fortifient, s'en- racinent, se changent en habitude, deviennent comme une seconde nature, et, à moins d'un miracle de la grâce, on ne peut plus les arracher du cœur ils ont fixé leur empire. De les désordres de la jeunesse, l'absence de tout sentiment honnête et vertueux, l'amour du vice jusque dans l'âge viril, l'endurcissement et l'impénitence finale dans la vieillesse : Adcô à teneris assnescere malum est!

L'enfant, sans doute, devrait résister par lui-même aux atteintes des passions ; mais il est, par son âge, si léger, si faible, si irréfléchi que, s'il n'est aidé dans cette guerre contre son propre cœur, s'il n'est dii'igé et encouragé, il n'en viendra jamais à bout ; il pé- chera d'abord par faiblesse parce qu'on ne lui a pas appris à se vaincre; puis, bientôt, il deviendra passionné pour le mal, et on ne pourra plus le faire passer des mauvaises mœurs aux actes généreux des vertus.

DU CATÉCHISME 487

Il faut donc venir au secours de ces pauvres enfants si diirnes de compassion : le catéchiste qui aura le zèle de cette bonne œuvre auia la consolation de les trouver, au moins pour la plupart suscep- tibles de toutes les bonnes et saintes impressions; il sèmera dans leur âme le germe de la vertu, qui croîtra, se développera, produira des fruits et étouffera le germe contraire du vice. L'habitude du bien, une fois contraclée, leur rendra, par la suite, la vertu aisée; le sentiment delà pudeur, fortement enraciné, leur donnera de l'a- version pour tout ce qui est mal ; ils n'auront qu'à suivre la pente des premières impressions reçues, à faire par choix, par principe de foi, ce qu'auparavant ils faisaient par coutume, et ainsi le salut leur sera facile ; le catéchiste en aura déposé dans leur âme la plus forte comme la plus douce garantie.

Mais quels moyens employer pour procurer la sanctification de ces enfants? C'tst ce qu'il s'agit maintenant d'exposer.

Il faut, avant tout, être un saint soi-même, et surtout posséder, dans un haut dearé, le zèle, la piété, la douceur; sans cela, on tra- vaillerait en pure perte, 11 faut ensuite édifier les enfants par la ma- nière dont on leur parle de la rehgion, et se montrer si vivement pénétré de ce qu'on leur enseigne, qu'ils demeurent tous persuadés qu'on ne h'iir dit rien dont on n'ait une foi intime, une conviction profonde. Cet extérieur pieux les rend pieux eux-mêmes, parce qu'à cet âge surtout l'on n'a point d'habitude qui rende l'imitation difficile, on se plaît naturellement à imiter ce qu'on voit faire aux autres. Ces dehors de sainteté les rendent dociles à tout ce qu'on leur dit, parce que les paroles d'un catéchiste édifiant leur semblent des oracles. Comprenant fort bien qu'ils sont incapables déjuger par eux-mêmes du fond des choses, les enfants jugent plus par ce qu'ils voient faire que par ce qu'ils entendent dire. Si le catéchiste leurpaile de nos mystères sèchement et froidement, comme on parle de choses indifférentes ou ennuyeuses ; si le ton de la voix, les traits du visage, les gestes ou les paroles décèlent quelque chose qui s'accorde mal avec ce qu'il dit ou avec la sainteté de son carac- tère ; s'il se permet certaines railleries peu convenables sur des pra- tiques pieuses, sur la dévotion de quelques esprits simples, les enfants l'ain^ont bientôt remarqué, et ne veiTont plus peut-être dans la religion qu'une cérémonie, qu'une affaire il ne faut pas pren- dre tout au sérieux; du moins certainement ne seront-ils pas tou- chés de ce qui touche si peu celui qui leur parle. Si, au contraire, le catéchiste paraît fortement pénétré de ce qu'il enseigne, si les en-

488 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

fanls ne l'enlendent jamais parler de Dieu, de sa grandeur adorable, de toutes ses perfections et de toutes ses œuvres qu'avec une grande vivacité de foi et le profond respect qui en est la consé- quence, ils partageront ce religieux sentiment. Il en sera de même pour l'espérance, si, quand il leur en parle, levant les yeux et les mains au cie!, il paraît pénétré du désir du paradis et en raconte avec âme le bonheur et la gloire ; de même pour la charité, s'ils le voient peindre avec intérêt les amabilités infinies de Dieu et dé- crire avec attendrissemeut ce que l'amour a fait faire ou souffrir à Jésus-Christ pour nous. En un mot, que le catéchiste soit touché, il touchera; le moyen est infaillible.

A l'édification il faut joindre le pieux usage de tirer de tous les sujets qu'on traite des réflexions morales qui tendent à rendre riiomme meilleur. Ces réflexions frappent les enfants, leur tou- chent le cœur, les habituent à ne pas se contenter d'une croyance spéculative ; et comme elles sont liées aux vérités qu'on leur en- seigne, l'impression s'en renouvelle toutes les fois que celles-ci se représentent à l'esprit. Pour que ces réflexions morales produisent les effets de grâce et de vertu qu'on a droit d'en attendre, il faut qu'elles soient préparées au pied du crucifix, qu'elles soient clai- res, à la portée des enfants, vi\es et courtes; si elles étaient trop longues, les enfants ne les suivraient pas. En voici quelques exem- ples, qui pourront diriger le catéchiste pour les autres cas.

l^"* Exemple. Je suppose que j'ai expliqué les effets déplora- bles du péché; je demande à un enfant : « Quel mal devons-nous « craindre sur la terre? » Il lêpondra : Cest le péché. « Mais, ajou- « terai-je, recevoir un coup de poignard, être empoisonné, ne sont- « ce pas des choses plus à craindre que le péché? » 11 répondra : Non. Pourquoi cela? et on lui fait répondre : Parce que le poignard ou le poison ne fait mourir que le corps, et que le péché domine la mort à lame, et précipite le corps et l'âme dans l'enfer,

2* Exemple. Je suppose que j'ai expliqué le commandement : Tes père et mère honoreras, etc., j'ajouterai : <( Un enfant doit donc « à ses père et mère, maîtres et supérieurs, l'obéissance et l'amour, « le respect et les services; et voilà, mes enfants, un grand sujet <{ d'examen pour chacun de vous ; que chacun se dise, en ce mo- « ment, à lui-môme : Comment ai-je rempli, jusqu'à ce jour, les « devoirs que m'impose ce commandement? Ai-je obéi prompte- « ment, de bonne grâce et sans murmurer? N'a-t-il pas fallu me « réitérer l'ordre plusieurs fois? N'ai-je pas fait fâcher contre moi

DU CATECHISME. 489

« mes parents ou mes maîtres par ma lenteur à obéir? N'ai-je pas « excité mes frères et sœurs à la même indocilité ? Voilà bien des « manquements à me reprocher; eh bien! je veux les réparer au « plus tôt, m'en repentir devant Dieu, m'en accuser dans une bonne « confession, donner désormais à mes frères et sœurs l'exemple « d'une parfaite obéissance. » Il est aisé de voir toute l'utilité d'un tel examen.

Exemple, qui montre quel parti on peut tirer pour la piété des diverses leçons de la doctrine chrélie^ine. Je suppose que j'aie expliqué aux enfants le péché originel, j'en infère aussitôt : « Voyez, « mes enfants, combien nous devons remercier Dieu d'avoir établi « le sacrement de baptême pour laver en nous la tache de ce péché, « pour nous rendre nos droits au ciel et nous faire ses enfants. « Mais n'oublions pas que si nous devons imiter Adam et Eve dans « leur espérance du bonheur éternel, nous devons les imiter aussi « dans leur pénifence. » Je suppose que j'aie expliqué le mystère de la Rédemption, je dirai : « Toutes les fois, mes enfants, que vous « verrez une croix dans votre maison ou ailleurs, souvenez-vous « que le Fils de Dieu est mort pour vous racheter, et dites-lui du « fond du cœur : Mon Dieu, je vous remercie d'être mort pour mon « salut; ne permettez pas que je me rende inutiles les mérites de « votre sainte passion, h Si j'ai expliqué le dogme de la présence réelle, je donnerai pour pratique de dire en passant devant une église: « Soyez béni, mon Dieu, qui voulez bien demeurer avec « nous. » A la suite de la leçon sur le paradis, je conseillerai de se dire souvent en voyant le ciel : « Beau ciel, quand te posséde- « rai-je? » Après la leçon sur l'enfer, je proposerai de dire intérieu- rement à la vue du feu : « 0 Dieu ! préservez-moi du péché qui « conduit les âmes à l'enfer. » Je ferai de même pour toutes les au- tres parties du catéchisme, saisissant toutes les occasions d'accou- tumer les enfants à ne jamais prononcer le nom de Dieu qu'avec une profonde vénération, à ne jamais parler des sacrements ou des mystères qu'avec beaucoup de respect, et des fins dernières qu'avec une sainte frayeur; m'appliquant plus encore à leur faire goûter et aimer la religion, à écarter tout ce qui leur en donnerait une idée triste et sombre, et à la leur montrer sous un jour si beau qu'elle leur paralyse digne de tout leur amour comme de tout leur res- pect; et pour une parole qui leur fasse craindre la justice de Dieu, j'en dirai mille qui leur fassent adorer sa grandeur, aimer sa bonté, bénir ses uiiséricordes : je les formerai surtout à regarder la vie de

490 TRAITE DE LA PRÉDICATION.

Jésus-Chrisl comme le modèle sur lequel ils doivent répler leiu* conduite, à se rappeler ses travaux journaliers à i\^izarelh,Morsque le travail les fatigue ou les rebute, sa douceur quand ils sont ten- tés de se fâcher, sa modestie et son recueillement lorsqu'ils se laissent emporter à la dissipation et à la légèreté, sa prière pour ses bourreaux lorsfiu'ils sont portés à l'aigreur ou au ressentiment contre ceux dont ils croient avoir à se plaindre, ses souffrances lorsqu'ils éprouvent quelque douleur, ou que la passion les entraîne à la recheiclie du plaiïir, les opprobres du Calvaire dans les tenta- tions de vanité ou d'orgueil. Je les babituerai enfin à se demander souvent ce que Jésus-Christ penserait et dirait de leurs conversa- tions, de leurs amusements, de leurs occupations les plus sérieuses, s'il apparaissait au milieu d'eux. Avec ces pratiques et autres semblables, on est sûr de former les enfants à une vraie et solide piété ; mais il faut avoir soin de ne leur donner qu'une pratique à la fois, de la proposer à la fin de chaque catéchisme comme fruit de rinslruclioii, de la faire répéter pour la fixer dans leur mémoire, et de leur recommander d'être fidèles à l'observer, à se la rappe- ler souvent jusqu'au caiècbisme suivant, on la fera redire encore pour s'assui'er qu'ils ne l'ont point oubliée. Le moyen qu'ils s'en souviennent, c'est de ne leur donner que des praticjues faciles, dé- duites naturellement du sujet traité, et fixées à certains lemî*s, à certains objets ou signes sensibles propres à en rappeler le souvenir et à en faciliter l'usage.

Toutefois, quelque excellentes que soient ces prati(}ues, le caté- chiste ne doit pas se borner là. 11 doit inspirer aux enfants l'estime et l'amour des saints exercices qui seront plus tard les soutiens de leur persévérance et leur en faire sentir la nécessité. Ces exercices sont : chaque matin la prière bien faite, suivie de l'examen de prévoyance dans lei|uel on règle la manière de faire saiutement les actions de la journée, et d'éviter les occasions de péché qu'on est exposé à rencontrer; chaque jour une lecture réfléchie accom- pagnée de résolutions pratiques ; 3" la prière du soir avec l'examen de conscience et l'acte de contrition; 4" l'assistance à la sainte messe, le plus souvent qu'on le peut ; 5'^ la comnmnion aux prin- cipales fêtes, ou même une fois le muis ; 6" l'assiduité au catéchisme de persévérance et à l'association de ceux ou celles qui ont fait la première communion. Il faut recommander aux enfants de faire exactement dès maintenant ceux de ces exercices qui leur sort pos- sibles, et d'avoir une volonté ferme de les faire tous dans le suite.

DU CATÉCHISME. 401

Mais surtout il faut leur taire sentir l'importance de se confesser au plus tard tous les mois, et plus souvent si l'état de leur conscience l'exige. De tous les moyens de sanctification , celui-ci est le plus efficace et souvent le plus nécessaire : c'est la confession qui apprend aux enfants à connaitre leur défaut dominant, à prévenir et à éviter les occasions dangereuses; c'est elle qui les affermil dans la vertu ou qui, les retirant de l'état du péché, empêche le mal de se tourner en habitude, les vices naissants de s'enraciner dans leur cœur. Rien donc de plus essentiel que de leur redire souvent les avantages de la confession fréquente et de les presser d'y être fidèles : cela est d'au- tant plus nécessaire, qu'il y a obUgation grave pour ceux d'entre eux qui ont commis quelque faute mortelle de se mettre en état de rece- voir l'absolution dans l'année, et pour le confesseur de les y disposer partons les moyens possibles, puis de les absoudre dès qu'il voit en eux les dispositions strictement suffisantes. Afin de prévenir toute négligence dans une matière si importante, le catéchiste doit exiger des billets de confession tous les mois pour les enfants ordinaires, et tous les deux mois pour les plus petits, tenir note exacte de ces billets, avertir les retardataires tantôt en général, tantôt nommé- ment, quelquefois en public, d'autres fois en particulier, et au besoin les punir par la privation d'une gravure ou d'une récompense à la- quelle ils auraient droit, ou les menacer même de les renvoyer du catéchisme s'ils n'apportent un billet de confession.

A tous les moyens de sanctifu^ation que nous venons d'exposer il faut ajouter encore des avis selon les temps et selon les circon- stances. Ces avis doivent être tantôt généraux, tanlôt particuliers : les avis généraux ont pour objet de corriger les abus qui tendent à s'introduire, d'exhorter à bien célébrer une fête, à ne pas fréquenter de mauvaises compagnies, à être exacts au catéchisme, etc.. On les donne ordinairement à la fin du calèchisme, mais on peut choisir un autre moment, selon qu'on le juge plus convenable; par exemple, après un cantique, avant ou après l'instruction, à propos de quelque accident imprévu arrivé au catéchisme. Mais comme ces avis géné- raux ne peuvent être proportionnés aux besoins personnels de chacun, il est nécessaire d'en donner de particuliers à certains en- fants qui ont besoin d'être les uns repris, les autres encourngés, d'autres dirigés ou avertis. Le catéchiste ne doit point regretter le temps (ju il met à donner ces avis : il ne peut l'employer plus utile- ment. Quand on a la confiance des enfants, c'est le nioyeii de faire un bien immense.

492 TRAITÉ DE LA PREDICATION.

Mais pour que ces avis soient goûtés, on doit : les donner avec une grande bonté, sans avoir jamais l'air mécontent, froid ou af- fairé; 2° les accommoder à la position des enfants, tantôt gâtés par une molle indulgence, tantôt témoins de mauvais exemples ou de mauvais discours ; mais cependant ne jamais compromettre les pa- rents dans leur esprit ; les proportionner aux tempéraments : il faut exciter par les vérités aimables et attrayantes les tempéraments flegmaliqucs dont le caractère est d'être tièdes et sans énergie, et ne point se lasser de leur répéter les mêmes avis ; il faut convaincre par des raisons claires les tempéraments mélancoliques dont le ca- ractère est d'être soupçonneux et entêtés, mais attentifs, retenus et constants; il faut traiter avec beaucoup de douceur, former à la mo- dération et à la réflexion les tempéraments bilieux, lesquels sont ordinairement durs, colères, orgueilleux et précipités, mais géné- reux et ardents; enfm, il faut exciter par l'émulation, par la louange et les paroles d'encouragement, les tempéraments sanguins, dont le caractère est d'être vifs, emportés, sensuels, querelleurs, mais en général d'avoir bon courage et bon cœur.

Enfin, il est un dernier moyen de procurer la sanctification des enfants, c'est l'homélie sur l'Évangile : sorte d'exhortation dans la- quelle on les presse, par tout ce que la piété a de plus touchant, d'éviter le péché, de surmonter les défauts ou penchants vicieux de leur âge, et d'embrasser la vertu. Si l'on veut bien réussir dans cette homélie , il faut, i°se tracer un plan pour toute l'année, soit afin de ne pas se répéter, soit afin de n'omettre aucun des devoirs essen- tiels qu'il importe d'inculquer aux enfants. II faut, 2' énoncer claire- ment son sujet, l'appuyer de raisons évidentes, exprimées briève- ment, mais fortement et vigoureusement, en faire l'application aux enfants par des détails ils voient, comme dans un miroir, et leurs fautes et leurs penchants, et leurs pensées et leur désirs déréglés, enfin les toucher et les enflammer par des paroles brûlantes. 11 faut, pro- noncer cette homélie avec beaucoup de naturel, d'onction et de piété.

AUTIGLE 7.

DES DIFFÉRENTES ESPÈCES DE CATÉCHISMES.

On peut distinguer sept espèces de catéchismes : le catéchisme des petits ; le catéchisme de la première communion ; le caté- chisme de persévérance; le catéchisme du peuple; le caté- chisme des écoles ; le catéchisme des adultes ignorants ; le

DU CATECHISME. 493

catéchisme de ceux qui ne peuvent pas apprendre la lettre du caté- chisme. Quoique la phipart des règles données jusqu'à présent con- viennent à tous ces catéchismes, il nous reste des observations parti- culières à faire sur chacun.

8 1^''

Du catéchisme des petits.

Une des institutions les plus utiles que puisse faire un pasteur dans sa paroisse, c'est d'établir un catéchisme < pour les petits enfants qui sont loin encore de l'âge de la première communion. Les parents y consentiront volontiers, puisqu'à cet âge ils n'en peuvent attendre aucun service; et, d'un autre côlé, on fera par contracter de bonne heure aux enfants le goût de la piété, l'amour de la religion, l'éloignement du vice. Leur cœur, tourné ainsi vers Dieu, dès les premiers moments il est capable d'aimer, aura bien plus de dispositions pour la vertu et perdra difficilement des iuipressions de grâce qui auront commencé avec la raison. Par aussi on les mettra en état de faire la première communion dans un état d'innocence parfaite et avant l'âge des passions, ce qui est un avantage inappréciable. Sans ce petit catéchisme, au con- traire, les enfants, n'ayant point pris dès le bas âge le goût de l'instruction religieuse , ne s'y appliqueront plus tard qu'avec ré- pugnance; la religion, ne se présentant qu'après le monde pour prendre possession de leur esprit et de leur cœur, n'y sera point la bienvenue : et la légèreté, la dissipation, peut-être même déjà les passions, les rendront ou inattentifs ou mdociles à des leçons trop tardives.

Pour bien faire ce petit catéchisme, il faut, y mettre beaucoup de bouté, d'aménité, de douceur, de gaieté même, en la tempérant cependant toujours par la modestie et la décence sacerdotale : c'est qu'il faut être éminemment une mère par la charité : Tanqxiùm si niitrix foveat filios suos. Car un tel catè(;liisme ne peut être utile ni môme se soutenir qu'autant que les enfants y viennent avec joie, s'y plaisent et s'en retournent contents avec le désir d'y revenir encore. Or, si on ne les traite avec une tendresse de mère, si on ne les met tout à fait à l'aise, le catécliisme n'anra pour eux ni attrait ni pl.ii.sir^ et dés lors ils n'y viendront pas ou ils n'y vieiulront qu'avec dégoût, et n'y prendront aucun inlérêt.

•^o 11 faut abaisser son langage à leur portée et leur parler leur

494 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

propre langue, (|ui est beaucoup plus bornée qu'on ne le croit coni- mi.iiément. Ainsi, par exemple, à la demande : Qu'est-ce que Dieu ? il ne faut pas répondre que Dieu est un èlre éternel, immense, infini : ce langage serait incompréhensible pour eux, mais il faut répondre que Dieu est celui qui a fait ce beau ciel qui est an-dessus de nous, le soleil, la terre, enfin toutes choses. Et cette mt;thode doit s'appli- quer à toutes les autres réponses du catéchisme ; partout on doit s'étudier à apporter la même simplicité de langage et à ne pas dire un mot que l'enfinit ne comprenne; partout on doit faire les deman- des et les réponses aussi courtes que possible, afin qu'elles soient plus faciles à retenir, les énoncer lentement en prononçant distincte- ment chaque mot, chaque syllabe, et conserver avec soin les mêmes termes et l'ordre même des termes chaque fois qu'on répète la de- mande ou la réponse. Ce n'est que quand les enfants possèdent parfaitement la lettre des réponses, qu'on peut et qu'on doit chan- ger la tournure ou la forme des questions : ainsi, par exemple, quand ils sauront bien répondre à ces questions : est Dieu ^i Dieu voit-il tout ? on pourra les interroger d'une autre façon : Dieu est-il dans les champs, dans les forets, dans votre maison? Dieu voit-il pendant la nuit'i Quand on pense à quelque chose de mal. Dieu le voit-il? Dieu est donc aussi en nous? etc..

11 faut commencer par exposer en peu de mots les principales questions qu'on va traiter, en relever l'importance, dire aux enfants comme il sera beau de savoir, à leur âge, répondre à tout cela, et intéresser ainsi la curiosité et l'amour-propre qui leur sont si natu- rels. On reprend ensuite les questions l'une après l'autre, en y joi- gnant la réponse qu'on répète deux ou trois fois et dont ensuite on explique les termes autant qu'il faut et pas plus qu il ne faut pour en bien faire comprendre le sens. Après ces explications, on répète en- core la réponse, puis l'on assure par des interrogations s'ils ont bien saisi et bien retenu. On passe ensuite aux demandes suivantes; et quand tout est fini, on revient sur toutes les questions et on fait répéter toutes les réponses. Au catéchisme suivant on les fait redire encore, et c'est toujours par qu'il faut commencer.

4" On sent que la méthode historique, l'usage des paraboles et des exemples, convient surtout à cette classe d'auditeurs. Un pelit en- fant est si curieux d'entendre raconter une histoire ; il faut profiler de cette disposition pour lui enseigner la religion.

5" Enfin, il faut moins tendre à multiplier les connaissances de ces petits enfants qu'à graver en traits ineffaçables, dans leur esprit

DU CATÉCHISME. 485

et dans leur cœur, les points de croyance les plus nécessaires au sa- lut et les principaux devoirs de la vie chrétieinie.

§2.

Du catéchisme de la première communion *.

Autre doit être l'instruction des petits enfants, autre l'instruction de ceux qui ont déjà quelque connaissance do la religion et qu'on prépare prochainement à la première communion. Si l'on confon- dait ces deux classes d'enfants dans un seul catécliisine, on ennuie- rait les uns par des explications au-dessus de leur portée, et les autres par des répélilions inutiles de ce qu'ils savent déjà. D'ailleurs le catéchisme de la première communion demande un intérêt tout spécial, un ensemble de soins tout particuliers, puisqu'il s'agit de préparer prochainement à la réception de l'Eucharistie ceux qui le composent, et que de la manière dont ils feront cette grande action dépend en grande partie tout leur avenir, pour le temps et pour l'é- ternité. Il ne suffit pas, pour ceux-là comme pour les petits, d'ap- prendre les points principaux de la religion, mais il faut qu'ils sachent et comprennent tout le catéchisme de manière à rendre compte et à prouver qu'ils l'entendent; il faut surtout qu'ils soient spécialement instruits sur la Pénitence et l'Kuchari.'-tie, le Baptême et la Confirmation, qu'ils connaissent les dispositions qu'exigent ces sacrements, les fruits qu'ils produisent et les obligations qu'ils im- posent. 11 faut donc un catéchisme particulier pour la première communion. Le bonheur d'en faire partie doit être proposé de loin aux enfants comme la récompense de leur bonne conduite et de leur assiduité au petit catéchisme. Le bonheur plus grand encore de la première communion doit leur être moniré dès le plus bas âge comme la jouissance la plus grande que le cœur de l'homme puisse goûter après les joies du ciel, et l'honneur le plus insigne qu'il puisse recevoir; c'est de qu'il faut déduire pour eux l'obligation d'être sages, pieux, obéissants, d'édifier l'église parleur modestie et leur exactitude, de corriger tous leurs défauts, de se confesser sou- vent et de bien apprendre leurs leçons.

On admet à ce catéchisme les enfants de dix à onze ans, dont il y a lieu d'esi)érer qu'ils pourront faire la première communion dans Tannée : on ne saurait trop tôt faire participer à une grâce si pré-

1 JléUiode de Besançon, t. II, c. m, art. i, § 3.

496 TUAITi: DE LA IT.KDICATION.

cicii?c los enfants qu'on y penl prôpai er. C'est parmi les prémices (le foi et (l'amour de ces eœiu's innocents que Jésus-Christ se fait le mieux sentir et j::oûter dans son sacrement; et, d un autre C(Jté, il y ain-ait un inconvénient grave à trop différer la communion, à la re- mettre, par exemple, au delà de quatorze ans, parce qu'à cet âge rinuocen(;e connnence à se flétrir ausoulfle des passions ; des ha- bitudes déjà formées peuvent mettre obstacle à l'approche de la table sainte, et oljliger d'attendre un temps indéfini : cependant les années s'avancent, on rougit de demeurer encore au rang des enfants, on renonce à faire la première communion, et dès ce moment c'en est à peu prés fait pour toujours ; il est très-probable que toute la vie se passera dans l'éloignement des sacrements.

Ce catéchisme se conmience ordinairement six mois avant la pre- mière communion : dés les premières réunions, on tâche d'inspirer aux enfants une haute idée de la grande action à laquelle ils se pré- parent, en faisant ressoitir : la grandeur et la majesté de Celui qu'ils doivent recevoir : Opus grande est ; neque enim homini prx- IKiratiir Iinhiialio, scdDeo^, 2" les admirables effets d'une commu- nion bien laite : In me manet, et ego in eo... Qui manducut me, et ipse vivet proptev me... Et ego resuscitabo eum in novissimo die^ ; le mallieui' d'une première comnnmion mal faite : Judas fit mal sa première connnunion ; depuis près de deux mille ans il est dans les enfers ; jamais il n'eu sortira : Bonum eral ei si natus noji fuisset homo ille''. Ici on pourrait expliquer les fins dernières, en montrant qu'elles dépendent souvent de la manière dont on fait la première communion, et consacrer à cette explication les premiers catéchis- mes : par on pénétrerait profondément les enfants de l'importance de se bien préparer ; et, une fois qu'on les en verrait bien pénétrés, on leur enseignerait ensuite la manière de le faire : elle consiste : \" à venir régulièrement au catéchisme, à bien apprendre ses leçons, à écouter attentivement et mettre en pratique les conseils qu'on re- çoit. Klle consiste : 2" à remplir fidèlement tous les devoirs de sa position envers Dieu, envers ses père et mère, maîtres ou maîtresses; 5" à quitter le péché si l'on a le malheur d'y être tombé. « Oui, mes (( enfants, faut-il leur redire souvent, la grande disposition à la (( communion, celle sans laquelle toutes les autres seraient insuffi- (( sautes, c'est le renoncement au péché, c'est la pureté du cœur, « c'est la sainteté... Connnencez donc dès aujourd'hui à vous cor-

1 1 i'aral., xxi\. - Joaiiii., vi. ^ Mattli., xxvi

DU CATECHISME. 497

« riger de vos mauvaises habitudes, et travaillez-y tous les jours : <( corrigez même celles qui, né'tant pas mortelles, vous privent ce- « pendant de beaucoup de grâces et peuvent vous conduire au péché « mortel. »

Pour aider les enfants dans cette grande entreprise, il est essen- tiel de leur faire commencer leurs confessions peu après l'ouverture des catéchismes : par on pourra connaître, assez à temps pour y remédier, l'état de leur âme, leur faire sentir le danger de leurs plaies, en poursuivre la complète guérison, et former leurs cœurs à la piété, à la pratique des vertus. Après ces premières confessions, il suffira de tenir la mahi à ce qu'ils se confessent au plus tard une fois par mois.

Cependant le catéchiste, de son côté, devra étudier leurs disposi- tions, leurs habitudes, la manière dont ils se tiennent dans leurs prières, à l'église, au catéchisme, leurs discours, leur conduite, leur caractère, en un mot, tout l'ensemble de leur vie; il devra en con- verser avec les parents, les maîtres ou maîtresses, combiner ces ren- seignements avec ses propres observations, et d'après cela dresser, un mois d'avance, la liste définitive de ceux qui feront leur première communion et prononcer l'exclusion des autres. Dans un choix aussi important, il devra tenir un juste milieu entre l'indulgence et la sévérité, et se contenter de l'essentiel, sans vouloir qu'un enfant soit parfait, et lorsqu'il verra un vrai désir de se corriger, des efforts réels qui prouvent qu'on sent la grandeur de l'action, fermer les yeux sur un peu de paresse ou de dissipation, de pétulance ou d'en- têtement qui sont l'effet du tempérament, du caractère, de la légèreté de l'âge. En voulant être trop sévère, il s'exiioserait à décourager les enfants et les parents, et à faire manquer peut-être pour toujours la première commujiion.

La liste ainsi faite, il s'assurera si tous ont été baptisés ; puis il leur fera commencer, sans aucun retard, la confession générale. Pen- dant les jours destinés à cette action si importante, il leur adressera les instructions les plus véhémentes sur les confessions sacrilèges, sur la contrition, sur la nécessité de tout avouer à son confesseur, de renoncer aux habitudes pour toujours et de ne pas se contenter de les interrompre pour les jours qui précèdent la communion. A mesure (pa'approchera le moment solennel, il redoublera do zèle, rendra les instructions plus fréquentes et [ilus forles, mais surtout il aura soin de faire passer en retraite les trois jours qui précédent. Les exercices de cette reliaite consisteront d'abord dans la prière du

498 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION

malin, suivie d'une méditation courte et pieuse, le chant des canti- ques, l'assistance à la sainte messe ; puis, vers l'après-midi, la réci- tation du chapelet, la visite au Saint-Sacrement, qu'il fera lui-même à haute voix, et enfin deux sermons chaque jour.

La veille de la retraite, il parlera sur l'importance de la première communion et de la retraite qui y prépare ; le premier jour au malin, sur la communion sacrilège, au soir, sur le jugement dernier; le second jour au matin, sur l'enfer, au soir, sur l'amour de Jésus- Christ dans l'Eucharistie : le troisième jour au matin, sur les disposi- tions à la communion, et il les exercera ensuite aux cérémonies du lendemain ; le soir, il leur fera une exhorlalion vive et pathétique sur les motifs de contrition ; et, aussitôt après, les enfants iront se con- fesser pour recevoir l'absolution. 11 est des paroisses l'on expose sur les degrés du grand autel pour les garçons, et sur les degrés de l'aulel de la sainte Vierge pour les filles, un crucifix étendu sur un coussin : les enfants viennent à genoux successivement y prier deux à deux ; les deux premiers, après avoir baisé les plaies de Jésus mou- rant pour leurs péchés, vont de au confessionnal pour en recevoir l'absolution. Pendant qu'ils se confessent, les deux suivants vont se prosterner à leur tour devant le crucifix et le baisent de temps en temps avec amour, en faisant des actes de contrition, jusqu'au mo- ment d'aller se confesser. Tous les autres viennent également à leur rang et font de même. Cette pratique produit un très-bon effet.

Le jour de la première communion on ne conseille pas de faire réciter des actes aux enfants, parce que cela les préoccupe et les distrait ; le prêtre doit les leur suggérer lui-même, dans une allocu- tion brûlante avant et après la communion. Le soir, aux vêpres, on fait un discours sur les promesses du baptême et on les leur fait renouveler solennellement, chacun à son tour, la main sur le saint Evangile placé avec honneur aux marches du sanctuaire, sur une table richement drapée ; de là, on se rend en procession à l'autel de la sainte Vierge, on y prononce l'acte de consécration de tous les cœurs à l'auguste Mère de Dieu. Le lendemain matin, tous les enfants viennent entendre la messe d'actions de grâces ; on y fait une in- struction sur les moyens de conserver la grâce qu'ils ont reçue; on les presse d'assister tous au catéchisme de persévérance et de s'as- socier aux congrégations instituées pour les soutenir dans leurs bonnes dispositions.

DU CATÉCHISME 499

Du catéchisme de persévérance.

L'expérience démontre que les enfants abandonnés à eux seuls après la première communion ne se soutiennent pas et se laissent promptement entraîner par les mauvaises corapai^nies , par le monde et par leurs propi-es passions. L'institution d'un catéchisme de persévérance, auquel on tâche de donner Kout l'intérêt pos- sible pour les y attirer , est l'unique moyen de les conserver dans la piété. On y observe à peu près les mêmes régies que dans les catéchismes ordinaires ; voici seulement ce qu'il y a de parti- culier.

Comme ces catéchismes sont volontaires, on doit traiter les en- fants avec beaucoup d'égards et de ménagements, sans cenendaut laisser enfreindre les règles ; on les félicite de leur assiduité, on leur en fait honneur en les encourageant à continuer.

On fait des instructions plus fortes et plus nourries, afin que les enfants, même les mieux instruits, aient le plaisir d'y apprendre toujours quelque chose ; et en même temps on s'applique à inté- resser l'auditoire par la clarté de l'expression et de la méihode, par des traits piquants, des comparaisons et des histoires, de sorte que les enfants s'en retournent toujours contents d'avoir appris de si belles choses. On y traite les objections qu'ils sont exposés à en- tendre dans le monde, en ayant la sage précaution de ne les propo- ser qu'après qu'on a donné, comme preuve en faveur de sa thèse, le principe de solution, de sorte que la réponse s'offre à l'esprit au même instant l'objection s'y présente. Telles doivent être les in- structions du catéchisme de persévérance ; il faut, du reste, y éviter les arguments théologiques, les preuves trop scientifiques ou trop raisoimécs, les choses trop difficiles et trop relevées qui seraient plus propres à cmbariasser ou à dégoûter hs enfants qu'à les inté- resser. On trouve des modèles de ce genre d'instruction d ins un ouvrage périodique qui a pour litre : Association de persévn-ance an grand Séminaire de Langres, et auciuel on peut souscrire moyennant six francs par an, en s'adressant à M. le directeur de l'Association. Cet ouvrage contient des conférences sur l'iiistoire sainte, avec des billets sur le dogme, la morale et In liturgie.

La communion gênérah! chaque mois est une belle pratique du catéchisme de persévérance ; elle a de grands avantages ; mais

500 TRAITE DE LA PREDICATION.

aussi, si on ne prend des précautions, elle aurait les plus graves inconvénients. Il faut qu'on persuade bien aux enfants que cette communion est pleinement libre, qu'on n'estime pas moins ceux qui ne communient pas que ceux qui communient ; et, pour qu'au- cun amour-propre n'ait à souffrir, il faut faire en sorte, autant que possible, qu'il y en ait toujours un certain nombre qui ne commu- nient pas.

Lorsque les enfants ont fréquenté deux ans le catéchisme de persévérance, il *st bon de les faire passer à une association qui prend le titre de Saint-Sacrement ou de la sainte Vierge, suivant qu'on le juge plus à propos, afin d'épargner l'amour-propre que le mot de catéchisme pourrait faire souffrir. On les réunit une fois le mois, et on leur confie différentes bonnes œuvres : l'instruction des ignorants , la visite de quelques malades, la surveillance de quelques enfants dont on les constitue comme les anges gardiens, le soin des pauvres, etc.. On peut y établir des dignitaires ; par exemple, une présidente qui veille sur l'association des assistantes qui aident la présidente, une surveillante qui visite les malades, leur porte les consolations de la religion et a soin qu'ils ne meurent pas sans recevoir les sacrements; une zélatrice qui est chargée de faire instruire ou d'instruire par elle-même les filles les moins avancées ; une secrétaire qui rédige le procès-verbal de chaque assemblée et tient toutes les écritures relatives à l'association; une trésorière qui recueille les aumônes pour les pauvres ; une bibliothécaire pour l'œuvre des bons livres, et une sacristine pour la décoration de l'autel.

Telles sont les principales précautions à prendre pour conserver les enfants après la première communion; et si quelqu'un trouvait que c'est trop d'embarras et de sollicitudes, qu'après la communion on peut abandonner chaque enfant à sa propre faiblesse, nous le prierons de méditer ces paroles de saint Charles dans son troisième discours à son clergé : Proh dolor! quàmmulti parochi pariunt in nonnullis Christum et statim eorum curam omittunt! et qux hxc impietas est! nec bestix hoc faciunt, quxpartus suos lactant, fovent, nutriunt et ah adversis quibuscumque tutantur... et tu tenelhim sic deseris! quandà magis itisiidasse oportiierat, otio tepescis l ... magna culpa, fratres, et hxc magna segnities, imà magna sxvities... non dormit^ fratres, non dormit dxmon , sed insidiatur continua... Ideo nos continua sollicitudine angi debemus et quod peperimus custodire.

DU CATÉCHISME 501

Du catéchisme du peuple.

11 est beaucoup de paroisses où, comme nous lavons observé ailleurs, non-seulement le peuple, mais encore les personnes au- dessus du commun, même les hommes lettrés et habiles dans les sciences n'ont que des connaissances très-imparfaites ou des idées fausses sur les vérités élémentaires de la religion et sur nos prin- cipaux mystères ; à ce point que, par le fait seul de celte ignorance, ils sont hors de la voie du salut ; paroisses malheureuses, dont les habitants ou n'ont jamais su ces vérités comme il faut, ou les ont oubliées. C'est surtout que trouvent leur application ces paroles de Benoît XIV, si dignes de la méditation de tous les pasteurs des âmes : Affcrmamus magnam eoriim partem qui xternis suppliciis danman- tur eam calamitatem perpétua subire ob ignorantiam mysteriorum fidei qux scire et credere necessarià debejit : mulli enim laborant ignoranliâ crassà articulorum fidei quos explicité scire et credere ienentur seqnè ac sacramentorum. Or que peut faire le pasteur préposé à une telle paroisse et qui est responsable devant Dieu du salut de tous ses habitants? Il peut bien, sans doute, selon l'avis du même pape Benoit XIV *, recommander aux parents d'accompagner leurs enfants au catéchisme, essayer toutes les industries du zèle pour y attirer les grandes personnes, au moins le dimanche, ou même leur imposer cette assistance comme pénitence sacramentelle; mais cela suffira-t-il ? il est difficile de le croire. Ce ne sera jamais qu'un très-petit nombre qui voudra s'associer aux enfants ou paraître avoir besoin de la même instruction ; et la majorité des paroissiens demeurera, par son ignorance, en voie de damnation. 11 faut donc que le pasteur fasse quelque chose de plus, c'c^^t-à-dire (ju'il fasse le catéchisme tous les dimanches à la messe de paroisse, ou du moins à vêpres, supposé que le peuple y assiste. C'était l'avis de Bossuet : « Il faut faire le catéchisme non-soub-ment aux enfants, « mais principalement aux pères de familles, » dit-il dans la préface de son catéchisme.

11 y a dilférontes manières de faire ce catéchisme du pciiidc: la première, qui est la plus simple et (pj'on peut employer (juaiul on n'a point à craindre que l'amour-propredes paroissiens s'en offense,

' liiSt. IX, et Encyclique de 1742.

002 Tr.AlTi: I)K LA IM'.KmCATlON.

c'cs-l de prendre en iriain son caléchisnie, de lire la demande et de dovelo['per la réponse selon les règles exposées plus liant, puis d'in- terroûM'i' quchpies enliuils des plus instruits qui soient en état de bien l'épondre. Ce (pi'ils diront sera écouté avec intérêt, mieux re- tenu que la parole uiénie du [tasteur, à laquelle on est habitué ; et ces interrogations donneront lieu de l'aire entendre plusieurs fois les mêmes choses sans ennui. Il est même des paroisses simples et do- ciles on le pasteur pourrait se permettre d'interroger les grandes personnes sans distinctioi!, en commençant par les âmes pieuses et instruites ({u'un sentiment de zélé aurait fait consentir à répondre afm d'enbardir les autres.

La seconde manière qu'il faut employer les paroissiens s'of- fenserait'ut d'être catéchisés comme des enfants, c'est de l'etrancher les demandes et d'expliquer le catéchisme sous forme d'instruction ordinaire en présentant la chose comme explication du symbole, des connnandements, des sacrements, des actes, etc.

La troisième manière est d'avoir recours aux conférences, en char- geant un interlocuteur de faire le personnage d un lidéle qui a eu le niallu'Ui' (le ne pas recevoir d'instruction religieuse liansson enfance ou de l'avoir oitbliéc, et qui maintenant délire connailie et rem- plir les d'voirs du christianisme.

Entin, une quatiiémemanière, c'est de faire immédiatement, avant et après les vêpres, un catéchisme plus court qu'à l'ordinaire, l'on conjure tout le monde d'assister, et sur le([U''l on s'étudie à répandi'e un intérêt qui picpie la curiosité, captive Tattention géné- rale et prévient tout ennui ou dégoût : par on instruit tous les âges en insliuisant l'enfance.

..iais, quel <]ue soit le mode qu'on emploie, il faut exhorter forte- ment les auditeurs à repasser en eux-mêmes, pendant, la semaine, les vérités qu'où leur a expliquées, à se les redii'e entre eux, à ren- dre compte de l'uisti uction à ceux de leur famille qui n'ont pu y assister, à leur rapporter les traits d'histoire qu'on a racontés et à leur couniiuni({uer la pieuse pratique qu'on a indiquée en tcrmmant le catéchisme.

§ 5.

Du caléchisme des écoles '.

Le pasteur de charpie paroisse étant, d'après la loi civile, membre du comité d'instruction primaire, a par cela même droit de visiter les * .M<'tljoiie (lo licsaiiçoii, t. 11, c. m, art. T),

DU C.VTÉCnlSME. 503

écoles de l'un et de l'autre sexe et de s'assurer si les maîtres et maî- tresses y observent les règlements qui les concernent. Entie ces règlements, il en est un qui doit fixer son attention : c'est celui qui oblige les maîtres et les maîtresses à faire apprendre le catéchisme aux enfants. Le pnsteur manquerait à son devoir s'il n'usait avec zèle du droil que la loi lui reconnaît à ce sujet; et voici les règles qu'il doit suivre dans l'exercice de ce droit.

Il doit veiller à ce que le maître ou la maîtresse d'école fasse réciter par cœur, plusieurs fois chaque semaine, le texte du caté- chisme, et s'assurer lui-même, par des interrogations, de ce que les enfants ont appris. Si l'on répond d'une manière satisfaisante, il doit féliciter le maître et les enfants, et même de temps en temps donner à ceux-ci quelque petite récompense : si au contraire on répond mal, il témoignera son mécontentement et son espoir qu'on répondra mieux la prochaine fois qu'il reviendra. Si, à une seconde visite, on ne répond pas mieux, il se plaindra en particulier au maître de l'école, l'exhortera, par tous les moyens de douceur etd'insinua'ion, à bien faire apprendre le catéchisme, et lui fera entrevoir qu'il y va de sa réputation, de son intérêt... Â une troisième visite aussi peu satisfaisante que les deux premières, il lui dira, mais toujours en par- ticulier, que, s'il ne remplit pas mieux son devoir, on sera obligé de le dénoncer au comité; et, si une quatrième visite démontre qu'il ne profite point de cet avis, il faudra le dénoncer en effet.

On ne doit point lui permettre d'expliquer la doctrine du caté- chi.sme, de peur qu'il n'enseigne des erreurs ou des inexactitudes, faute d'instruction suffisante; il doit se borner tout au plus à expli- quer le sens des mots quand les enfants l'interrogent.

Après avoir fait réciter aux enfants quelques parties du caté- chisme, le pasteur doit ajouter des explications courtes sur les choses qu'il voit n'être pas compiises, et ternn'ner sa visite par quel- ques maximes fondamentales de la piété chrétienne, qu'il leur recom- mandera de bien graver dans leur esprit; et à la visite suivante il s'en Çvr,\ rendre compte : c'est un excellent moyen de les imprimer dans l'àme des enfants.

6-

Du cat('T,liisinc ilcs afliiltes ignorants.

Tous les différents catéchismes dt)nl nous avons parlé ne suffisent pas encore pour acquitter la conscience d'un pasteur des ànics. Dans

504 TRAITÉ DE LA PRÉDICATION.

la plupart des paroisses, il est une classe de malheureux de toute profession arrivés à un âge avancé sans aucune instruction religieuse, souvent même sans avoir encore fait la première communion ; et ces infortunés ne peuvent tirer aucune lumière des prédications publiques les plus simples et les plus catécliistiques, soit parce qu'ils ne peuvent y assister, soit surtout parce que leur ignorance est s* profonde, leur esprit si grossier pour tout ce qui tient aux idées spirituelles, qu'ils n'y peuvent rien comprendre. L'unique ressource de salut qui lui reste est donc dans la charité du bon prêtre qui ira les chercher, qui les attirera à lui par sa douceur 6t son aménité, qui s'accommodera à leurs heures et leur donnera en parliculier, au presbytère, l'instruction dont ils sont dépourvus, en accompagnant ses leçons de tout ce qui peut les intéresser, et surtout d'une palience invincible qui ne laisse jamais entrevoir le moindre mécontentement de leur lenteur à comprendre.

Si ce sont des ouvriers ou des marins qui, absorbés tout le jour par leurs travaux, n'ont de moments libres que le temps de la nuit, on les invite à venir au presbytère passer les heures de la veillée ; on leur procure, s'il le faut, pour les y attirer, quelque jeu ou récréation innocente, on les catéchise ensuite pendant une heure, et on les ren- voie après leur avoir fait la prière du soir.

Si ce sont des bergers qui ne peuvent quitter leurs troupeaux, on tâche de les réunir par bandes et on les catéchise au milieu de leurs bergeries.

Enfin, si ce sont des mendiants ou des pauvres dans le besoin, on les réunit facilement par l'appât d'une aumône ; ou, si la chose ne leur est pas trop pénible, on exige d'eux qu'ils assistent au caté- chisme. On peut encore, chaque fois qu'on leur fait l'aumône, leur expliquer avec bonté quelques parties du catéchisme, et s'assurer par des demandes de la mesure de leur science.

Lorsque par toutes les industries du zèle on a catéchisé un certain nombre d'adultes, et qu'ils savent assez la religion pour être admis à la sainte table, il faut, après les avoir également préparés par la con- fession, les réunir un même jour dans le plus grand nombre possible pour la communion. Cette cérémonie touchante aura un double avan- tage, le premier d'édifier les paroissiens et d'éveiller peut-être le re- mords ou le sentiment de la foi dans quelques âmes endormies du sommeil de l'indifférence ou des passions ; le second de diminuer la tentation du respect humain, de soutenir les pieux communiants l'un par l'autre et de donner à leur relour à Dieu quelque chose

DU CATÉCHISME. 505

de solennel, de frappant, qui en rende l'impression plus durable.

Du catéchisme de ceux qui ne peuvent pas apprendre la lettre du catécliisme.

Il est des personnes qui ont si peu de mémoire, qu'elles semblent incapables de rien retenir, si peu d'intelligence pour les choses de la religion, que, quand même on réussirait à leur faire apprendre le catéchisme, elles ne sauraient que des mots qui n'offriraient aucun sens à leur esprit, el il serait presque impossible de les leur faire comprendre. Après qu'on leur a dit cent fois qu'il n'y a qu'un Dieu, si on leur demande ensuite combien il y en a, on en reçoit pour ré- ponse qu'il y en a trois : il en est de même pour tout le reste, de sorte qu'on ne sait à quoi se résoudre quand il s'agit de leur admi- nistrer les sacrements. Il est évident qu'il faut encore pour ces gens- un catéchisme tout parliculier, et le curé de la paroisse le leur doit comme l'unique moyen de salut qu'il y ait pour eux. Voici les règles de ce catéchisme spécial^ :

On ne doit essayer de leur apprendre que ce qui est absolument nécessaire pour le salut : vouloir chai^ger d'autres choses leur mé- moire et leur intelligence, ce serait les écraser, et on n'en obtien- drait rien.

2* Il ne faut point les instruire par demandes et par réponses, mais uniquement par voie d'acquiescement; par exemple, on leur dit: « Mon enfant, ne croyez-vous pas bien qu'il n'y a qu'un Dieu? « Oui, monsieur. Ne croyez-vous pas qu'il y a trois personnes « en un seul Dieu? Oui, monsieur, je suis prêt à donner ma vie « pour soutenir cette vérité. N'êtes-vous pas bien fâché d'avoir « offensé Dieu parce qu'il est bon? Oui, monsieur, et de tout mon « cœur je voudrais ne l'avoir point offensé, parce qu'il est bon. » On fait de même acquiescer aux autres vérités de la foi, et on n'exige pas que ces gens répondent d'une manière suivie, puisqu'ils n'en sont pas capables.

3* Pour leur faire comprendre les vérités de la religion autant qu'il est possible, on peut essayer quatre moyens : le premier de lem* parler d'objets matériels qu'ils connaissent, de l'église, d'un enter- rement, d'un confessionnal, de la table de communion, des fonfls baptismaux, du crucifix, de leur en expliquer l'usage; et cette e\[)li- cation devient l'explication même des dogmes principaux de la reli- gion. Le second moyen est de leur montrer des imageâ ou des ta-

' Yoy»ï la Mélliodc générale du caléchisnip, par M. Diipanloui), t. Il, p. &'J.

S06 TRAITÉ DE U rRÉDICATION.

bleaux qui représentent la mort, le jugement, l'enfer, le paradis, les circonstances principales de la vie de Noire-Seigneur, et de déduire de l'explication de la doc^trine. Ce mode d'instruclion, se rattachant à des choses sensibles qu'ils ont sous les yeux, fera mieux comprendre, mieux retenir, et excitera leur intérêt. Bossuet, Fénelon, Fleury et beaucoup d'autres, regardent ce moyen d'enseigner la religion au peuple comme le plus efficace, et c'est la même opinion qui a inspiré au moyen âge les peintures des vitraux de nos vieilles églises. Le troisième moyen, c'est de parcourir les fêtes de l'année, dont les plus grossiers connaissent au moins le nom, de leur en expliquer le sens ; et celte explication devient encore l'explication même de toute la religion. Enfin, le quatrième moyen est de tirer de la profession de chacun, et des positions il s'est trouvé, les explications et les preuves des vérités de la religion. Tels sont les quatre moyens qu'emploie monseigneur Dévie, évêque de Belley, dans la méthode qu'il a mise au jour sur la manière d'enseigner le catéchisme aux esprits bornés et sans intelligence.

Avant de traiter les mystères, il faut faire ressortir, par les mi- racles de la vie et delà mort de Jésus-Christ, l'autorité de la révéla- lion qu'il nous en a faite ; et, en les traitant, il faut faire remarquer avec soin tout ce qu'ils renferment de propre à exciter la recon- naissance et l'amour. Les miracles disposent à croire et l'amour ouvre rinlelligence des plus bornés ; et ce que le cœur goûle, l'esprit le saisit et le relient mieux.

Quoique ces hommes grossiers soient incapables de s'exprimer, on n'en doit pas conclure qu'ils soient incapables d'apprendre : il y en a certainement plusieurs parmi eux qui, dans leur entendement, conçoivent fort bien ce qu'on leur dit, et qui cependant répondent faux quand on les interroge. On peut s'en convaincre par leurs affaires temporelles, qu'ils entendent souvent fort bien, et sur les- quelles ils s'expliquent fort mal et à contre-sens. On ne doit donc point conclure de leurs mauvaises réponses qu'ils sont indignes des sacrements; mais, après qu'on leur a expliqué et répété plusieurs fois les vérités essentielles, après qu'on leur a fait donner leur acquies- cement à ces vérités, il faut abandonner la chose à la miséricorde de Dieu, et les admettre aux sacrements, au moins à Pâques et à la mort.

FIN.

TABLE DES MATIÈRES.

Avant-propos v

Nécessité d'un cours de prédication dans les séminaires v

Kécessilé d'un livre ad hoc '^'i

Qualités que doit avoir ce livre ^'"

Exercices pour la classe ^'"i

Indication des auteurs à consulter 'x

TRAITÉ DE LA PREDICATION.

Définition de la prédication l

Obligation d'en étudier les règles '^

Gravité de cette obligation 't

lilTRE PRE3IIER. De la prédication en général.

Division de ce livre 7

Pkemièue PAUTiE. Quelle idée il l'aut se faire du ministère de la prédi- cation 9

Chap. I. De son excellence 10

On la démontre : Par la sublimité de la mission du prédicateur. . . 11

Par la majesté de sa parole 12

Par la grandeur des sujets qu'il a à raiter 14

Par la Un de la prédication 15

5"* Par ses elfeis 16

Par les avantages qu'en retire la société 49

> Par le bien qui en revient au prédicateur '20

Chap. II. De sa nécessité 22

Art. -j . Obligation de prêcher imposée à tout pasteur des âmes 22

Obligation plus pressante aujourd'hui que jamais 2S

Art. 2. Etendue de celte obligation 50

Art. 3. Rélutalion des prétextes allégués pour s'en dispenser 55

\o Pré ex les piis du côté du peuple 56

^"Prétexte. Les prédications ne produisent pas de fruit 56

Prétexte. On vient jieu les entendre 57

Prétexte. Cela ennuie ei dégoûte le peuple 38

2" Prélexles pris du côté du pasteur 59

l" Prétexte. On n'a pas le temps de se pr'^parer 59

2" Prétexte. On ne se sent pas capable de bien prêcher 40

j" Prétexte. Ou est trop âgé 45

Prétexte. On fait des lectures 43

3"" pré.exies pris du côté des supérieurs ou des confrères 4i

l" Prétexte. Les supérieurs laissent en place des pasteurs qui ne pré-

clieni pas 4i

2* Prétexte. Des pasteurs estimables ne se croient pas obligés à prc-

ciiir si souvent 45

Art. 4. Ju-cpj'à quel point les prêtres qui n'ont [las cliurgc d'àiues sont

tenus de prêciier 45

CflAp. III. Des matières de la prédication 47

Art. 1. Ce qu'il laut traiter en tiiaire 48

Les vérités fondamentales 48

Les fins dernières 50

T»" Les faits de la religion 51

Le dogme 52

La m. .raie 55

6" Los cf'réinonios, prières et pratiques pieuses 5t

Art. 2. Ce dont il faut s'alistenir eu chaiie 5ft

Des inexactitudes de doctrine 50

508 TABLE DES MATIÈRES.

2" De la discussion des objections inconnues aux auditeurs , 58

Des questions douteuses et controversées 58

Des nouveautés 60

Des questions relevées et subtiles 61

De tout ce qui n'a ] as rapport au salut 62

CiiAp. IV. Des qualités de la prédication 6."i

Art. 1. Elle doit être adaptée au prédicateur 64

Art. 'l. Elle doit être appropriée aux auditeurs 68

§ 1. Elle doit être mise à leur portée 69

Combien est couiiable le prédicateur qui ne parle pas de manièi^e

à se faire comprendre de son auditoire 69

Comment se l'aire comprendre 70

Choix du genre et du sujet 77

Disposition du discours 78

Nécessité d'une clarté parfaite 78

Po'jr l'niteindre, règles concernant l'emploi des mots 79

rèii les concernant la tournure des phrases 80

règles concernant la marche générale du discours. . 82 ^ règles à obsei'ver avant, pendant et après la com- position. 83

§ 2. La prédication doit être appropriée aux besoins des auiiieurs. . 84

1" Combien cela est essentiel 84

Manière de le faire 86

Il faut ci>nnaitre son auditoire 86

11 faut embras^er les besoins des diverses classes d'auditeurs 89

Il faut attaquer les passions dominantes, les abus principaux de la pa- roisse 90

Règles à observer en attaquant les désordres 91

Règles à observer en décrivant les vices 92

Éviter les peisonnalités 95

§ 3. La prédication doit être adaptée aux dispositions des auditeurs. . 94

Combien cela est nécessaire 94

Manière de le faire ~ . 96

Des bienséances oratoires 97

Des précautions oratuires 99

l'iègles qu'il y faut observer 100

Ari. 5. La préd!c;ition doit être instructive 107

§ 1. Nécessité d'instruire 107

Cela est nécessaire sous le rapport même oratoire et sous le rapport

de la foi 108

§ 2. Manière d'instruire 112

d'expliquer la doctrine chrétienne 113

de prouver 114

de réluer 118

Art. 4. La prédit ation doit plaire 123

g 1. Nécessité de plaire 123

Les trois sens du mot plaire; combien dans les deux premiers

sens cela est nécessaire 123

2" Quant au troisième sens, on ne doit point chercher à plaire par

le bel esprit et l'élégance afiectée 125

iNi par le romantisme 131

On doit chercher à jilaire par la vraie et solide éloquence. . . . 136

Réfutation des oljections qu'on oppose à cette doctrine 141

§ 2. Comment plaire par ses mœurs 142

par le fond des choses que l'on dit 145

par la manière de les dire 143

Règles pour les mois 144

pour la consiruction des phrases 144

pour l'éloculion 148

pour le style loi

pour la manière de présenter le sujet 152

Art. 5. La prédication doit toucher 154

§ 1. Nécessité de toucher 154

Ce (pi'il faut entendre ici par toucher 154

Combien ce caractère est essentiel à la prédication 156

TABLE DES MATIÈRES. 509

§ 2. De la manière de toucher 158

Conditions requises pour produire les mouvements oratoires. . . 159

Prier et édilier 159

Etudier les dispositions des auviiteurs 159

Etre touché soi-même 159

D'où il suit combien la sensibilité est nécessaire pour être bon orateur. 161

Bien peindre les émotions qu'on éprouve lfj'2

A l'aide de l'imafrination I'i2

de la rhétorique. 163

du f;oût 1(34

2" Manière de diriger les mouvements oratoires 164

Six règles à ce sujet. . 164

Observations sur les trois articles précédents 107

Art. 6. La prédicaii. n doit être conforme au principe d'unité 109

§ 1. Combien cela est nécessaire 109

Détinition de l'unité 109

Preuves de sa nécessité IK)

§ 2. Manière de donner de l'unité à la prédication 171

11 faut se prop ser une fin bien précise - . . 171

se tracer un plan propre à l'atteindre 172

tantôt négliger la métiiode de la division, tantôt l'employer. . 175

Règles de la division 174

Qualités du plan sans division 176

Le plan une fois tracé, il faut y diriger clairement toutes ses pensées. 177

les coordonner entre elles 178

les lier ensemble par des transitions 179

Chap. V. Des qualités du prédicateur 179

Art. 1. De la mission légitime 180

Art. 2. De la pureté d'intention 181

Sa nécessité 181

Les moyens de l'obtenir 187

Art. 3. De la vie sainte et exemplaire 188

Sa nécessité 188

Conséquence qu'il en faut déduire 195

.\rt. 4. Du zèle. 193

Sa nécessité 195

Moyens de l'acquérir 196

Art. 5. De l'esprit d'oraison 197

Sa nécessité 197

Sa pratique 199

Art. 6. Du talent de la chaire 202

Quel en est le caractère dominant 202

Nécessité de le cultiver 215

Art. 7. De la science 205

Nécessi:é de Tacquérir avant de se lancer dans la carrière 204

§ 1. Des sciences profanes nécessaires au prédicateur 205

§. 2 Des sciences sacrées 208

De l'Ecriture sainte 209

Manière de s'en servir 212

Des saints Pères 215

Manière de s'en servir 216

3o De l'histoire ecclésiastique 217

■4» De la théologie 219

De la science de la vie spirituelle 220

Idée du parfait pri'dicateur réalisée au plus haut degré dans S. Paul. 221 Dedxième PARTIE. Dc la préparation que demande le ministère de la pré- dication 233

CiiAP. I. De la préparation éloignée 254

Art. 1. Des lecuires 25i

Hègles pour lire avec fruit et se fermer le goût 2."pi

Art. 2. Des recueils. . 257

Leur néces.<!ité 257

La manière de les faire 258

Art. 3. Des essais de composition 2"'9

Divers modes d'essais 2i0

510 TAP.I-E DES MATIÈllES.

Chat. II. Do la préparation pi-m-Iiaiiie 2i2

Art. 1. De la préparation procliaino en gi'nrral, et do ses diflérenles

espèces '2i2

§ 1. 01)1 galion (le jjréiiarer ses instructions '2i2

g '2. Dos ditiérenles nianièros de se préparer '2i6

1" Faut-il écrire ses serinons? '2i7

'2° Faut-il les déiuler selon le mot-à-mot du manuscrit? .... 248

l'eut -on se coiUeriter de les écrire sommairement? '2ôO

Penl-iiu se contenter d'écrire un simple canevas ? 252

Peut-on se lontenter de réilécliir (juolijues instants avant de

monter en ciiaire? 252

Oue p'-nsor d(> crnix qui prêchent les sermons d'autrui? . . . 2r)3

Art. 2. De la manière dr composer 255

S5 1. Du choix (lu sujet 255

^ 2. De la nié<lilalioii du sujet. 257

liè^îles à oiiservrr ihms cette méditation 258

§ 5. Du dévol:>p]ienieut du sujrt 2t)0

r.èç,des pour dr>vcloi>per 2t)5

g i. De la rédaction 26ti

ii 5. De la nAisiou du discours 208

Art. 3. Delà m'^cessitè et de la manière d'apprendre ses instructions. . 271

Tr.oiMÈJir PAnxii:. De la manière de prècber ou de l'action oiatoire. . , 275

CiiAi'. I. De l'aclioii en g'éné'ral 276

Ari. 1. De son importance 276

Art. 2. De ses qualités 27'J

Elle doit être naturelle 270

édiliaute 2X1

variée 282

expressive 2<Si>

appro|)riée au sujet 284

a|>pro"riée aux auditeurs 284

Art. :>. De ses ohsiarles 285

Chai'. II. Des ditréi'eiitos parties dont l'action se compose 286

Art. 1. De la prononciation 28(:!

t:;!. Ses qualités 227

Elle doit être clare et distincte 287

p'ii'.' ri correcte 287

biensé'nnte 2.S8

apjn'opriée an\ pensées et aux senlimeuls 288

§ 2. De la manière de réyler la voix 289

lièiiles pour les diverses parties du discours 289

poui- les divers sujets 290

jiour les appuis 292

pour les rejios 295

g 5. De la manière; d'améliorer et de conserver sa voix 297

An. 2. De la contenance du corps 298

Art. 3. Du jiestcdes inauis 299

Art. 4. Du mouvement d^s yeux , .'')0I

.Art. 5. Des traits du vi.-auc 302

Art. 6. !)(,■ la position de 'la léle ri03

Ce que doit taire le pi'édicaleur après son discours 503

I..aVKHO SK4®:%B». EJes UiSfércnl.^ ^senrc* tl'in.striiclion.

PnKMn";nF. partie. Des divers sujets qu'on peut traiter dans les chaires

chrétiennes 507

Ciî.u'. I. De hi manière de traiter les vérités chrétiennes 507

Deux points de viir sous lesipuds on peut les traiter 507

Art. 1. l'>èf,'lcs à suivre dans l'exposé doj;iiiatique des vérités chrétiennes. 5l 9

Art. 2. P.èiiles à suivre dans l'exposé moral de ces mêmes vérités. . . . 514

g 1. De la prédication sur Dieu et ses perfections 514

S:; 2. De la prédication sur les bicnlaiis de Dieu ^•16

g 3. Delà prédication sur les lins dernières 518

sur lo snluL. 519

TADLE DES MATIERES. 511

De la prédication sur la mort 520

sur le jugement 32 2

sur l'enfer 523

sur le ciel 5"-!5

Chap. II. De la manière de traiter les mystères .525

Art. \. De la manière de les faire connaître 527

Art. 2. De la manière de les faire honorer »j530

Art. 5. De la manière de faire participer les fidèles à la grâce des'

mysières 530

Art. 4. De la division ou'du plan des instructions sur les mystères. . . 531

Chap. III. De la manière de prêcher sur les vertus et les vices. . . . 552 Art. 1. Comment expliquer en quoi consiste la vertu ou le vice dont on

purle 555

Art. 2. Des motifs d'embrasser la vertu ou de fuir le vice 555

Art. 5. Des moyens d'acquérir la vertu ou de corriger le vice 357

Art. 4. Comment diviser les instructions sur les vertus et les vices. . 558

Chap. IS. Delà manière de prêcher sur les sacrements 3i2

Art. 1. Considératicms générales qu'on peut faire sur les sacrements. 542

§ 1. En démontrer l'excellence. 542

§ 2. En di'montier la nécessité 5i5

§ 3. En dém mtrer les avantages 544

§ 4. Hxplii|uer les dispositions (ju'ils exigent 545

§ 5. Expliquer h'S obligations qu'ils imposent 546

§ 6. E\[ilii|uer les cérémonies par lesquelles ils se confèrent. . . . '546

Art. 2. Forme à donner aux instructions sur ces sujets 547

§ 1. Des instructions pulliques sur les sacrements. . . , 547

§ 2. Des iiistruciions aux particuliers , 548

Dans ladininistration du baptême. 3i9

du mariage 559

de la pénitence 550

A une première communion , 550

En administrant le viatique 550

En administrant l'extrême-onction 550

Chap. V. De la manière de prêcher sur la prière 551

Art. 1. De la prière en général 552

§ 1. Ses motifs 552

§ 2. Son obj.t 553

§ 3. Ses conditions 3ô5

Art. 2. Des prières particulières 554

Chap. VI. Des (lanégyriques des saints 554

Art. 1. Sources d se tire l'éioge des saints . 55()

Art. 2. Do la manièr'e de présenter ces sortes de sujets 559

Art. 3. Des oriumouis que comporte ce genre de discours 5(j2

Chap. VU. Des discours pour vôtures et professions religieuses. . . . 5(35

Chap. VUI. Des oraisons funèbres 5tl5

DEuxiÈMii PAiiTiE. Des divers genres de prédication 567

Chap. I. Du la prédication solennelle 567

Art. 1. r.ègles [iropi'cs au sermon 568

§ 1. Du texte 568

g. 2. I) l'exorde 5i)9

Ses qualdés 569

Il doit être court 369

siinpli.' 5'îO

clair. 571

exact 571

adapté aux dispositions des auditeurs 571

adapté au sujet 372

Manière de le présenter et de le conduire 373

De VAve Maria. 573

Des conijiiiments qui se font quelquefois à la fin de l'exordo 573

Deux evcmples d'exorde 574

g 5. Du coi[)s du discours 578

tj ■'(. De la prr(irai-;on 5/9

♦es dii:(h-('iiis pai'tics 580

Art. 2. Est-il expédient de prêcher souvent des sermons? 383

512 TAr.LE DES MATIERES.

CiiAp II. Du cours suivi d'insiructions sur la doctrine chrétienne. . . . ô'-î.i

Art. 1. De i'imporlancc de ce cours 5.S;>

Art. 2. De la manière de le faire 088

Chap. III. De l'homélie ô89

CiiAP. IV. Du prône 395

Chap. V. Des avis 595

Chap. VI. Des conférences , Ti'lS

Chap. Vil. Des allocutions 401

Chap.VIII. Des lectures publiques 405

Chap. IX. Des missions et retraites 404

Leiu- nécessité 405

La manière de les prêcher 407

Chap. X. Du catéchisme 4u9

Art. 1. De sa délinilion 410

.\rt. 2. De son imporiance . . . * 412

§ 1. De son excellence 412

g 2. De sa nécessité 41t>

^ 5. De ses avantages 420

Art. 5. Des qualités requises pour le Lien faire 42G

§ 1. De la science 426

§ 2. De la piété. 428

g 5. De la douceur .... 430

§ 4 Du zèle 433

§ 5. De la prudence 43 i

Art. 4. De ce qu'il faut enseigner au catéchisme i'-d

Art. 5. De la préparation qu'il exige 458

Art. G. Ue la manière de le faire 440

§ 1 Ue la discipline à y établir 441

1" Du local et du placement 4il

Du règlement 4't3

De la manière d'interroger et de parler 448

De l'émulation et des récompenses 453

Des punitions 451)

De quelques exercices ou cérémonies 462

Da la tenue des registres 465

§ 2. De la manière de faire l'instruction 469

Des qualités de l'instruction 469

Elle doit être courte 470

clnire 470

solide. 474

accompagnée de comparaisons 476

de paraboles 477

d'exemples 478

d'histoires 479

Des diverses manières de la présenter aux enfants 481

§ 3. De la sanctification des enfants 485

iion importance 4><6

Ses moyens 487

Art. 7. Des différentes espèces de catéchisme 492

§ 1. Du catéchisme des petits 495

§ 2. Du catéchisme de la première communion 495

J5 5. Du catéchisme de persévérance 499

g 4. Du catéchisme du peuple 506

§ 5. Du catéchisme des écoles 502

g 6. Du catéchisme des adultes ignorants 503

§ 7. Du catéchisme de ceux qui ne peuvent pas apprendre la lettre du

catéchisme 505

Fl:4 I)B LA TAULE DES MATIÈRES

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Hamon, André Jean Marie, 1795-1874. Traite de^la

prédication à l'usage

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