- ■■: £M 9 «4» 4»<^ ' ^»: ',' r Y f#i ^4J! » ^ *>*& M. J. Halloran, élève en médecine, tut TA Ji^pJwfaïaA >K ' 1 1 '*\ \ *■, ISft f P M, ^* tw -y W® sv^v" 7 *-/* ^•> * n "j fe^f ?::;! «i ■■ri- •« «se >f3 1 ^ySfe >:"°H *$£^w L/H,/f> vîtll+Mû^ (/ TRAITÉ PATHOLOGIE INTERNE THÉRAPEUTIQUE PARIS. — IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, TRAITÉ PATHOLOGIE INTERNE THÉRAPEUTIQUE F. DE NIEMEYER PROFESSEUR DE PATHOLOGIE ET DE CLINIQUE MÉDICALE A L' UNIVERSITÉ DE TUBINGUE HUITIEME EDITION Nouvelle édition française faite sur la dernière et huitième édition de l'ouvrage allemand modifié et augmenté Seule traduction de la dernière édition allemande TOME PREMIER PARIS H. LAUWEREYNS, LIBRAIRE-ÉDITEUR Rl!E CASIM1R-DELAV1GNE, 2 1872 Tous droits réservé? PREFACE DE L'ÉDITION PRÉCÉDENTE L'accueil fait en France à la cinquième édition de ce livre, tra- duite sous le nom d'Éléments de pathologie interne et de théra- peutique, l'intérêt qui, parmi les médecins et les élèves, s'est attaché aux idées que je professe et à la manière dont je les ai exposées dans les limites étroites d'un ouvrage d'enseignement sco- laire, m'imposent le devoir d'exprimer ici bien hautement ma reconnaissance pour tant de bienveillants témoignages. Mais si dans sa forme antérieure mon travail a été jugé favorablement par les lecteurs appartenant à ces grandes écoles françaises dont je n'ai jamais, quoi qu'on ait pu dire, déprécié les glorieux travaux, j'a- vais d'autant plus à cœur de le soumettre à leur appréciation sous sa forme actuelle, c'est-à-dire remanié, presque refait à nouveau, considérablement augmenté et mis au niveau de la science contem- poraine. C'est M. Lauwereyns qui aujourd'hui me fournit l'occasion (et je l'en remercie très-cordialement) de publier une traduction française de celte dernière édition, traduction faite sous ma direc- tion et réunissant, comme d'ailleurs la première, toutes les garan- ties de fidélité, mais différant d'elle en ce sens qu'ayant été faite, vt PRÉFACE. comme je viens de le dire, sous ma propre direction, elle n'est accompagnée d'aucune note ni addition étrangère. En effet, il n'est pas dans l'esprit de mon livre de suivre les tendances de telle ou telle école, de discuter des questions de doctrine ; mais m'étant renfermé avant tout dans l'étude de faits consciencieusement observés, et n'ayant jamais hasardé d'autres conclusions que celles qui découlent légitimement de cette étude, il n'y avait pas lieu de concilier des opinions dites allemandes avec des opinions censées appartenir exclu- sivement à des observateurs français. La médecine est une science d'observation, et comme telle elle n'admet pas ce partage, elle est une de sa nature quel que soit le pays où l'on en cultive l'étude. C'est à ce point de vue que j'ai accepté seul la responsabilité de mon livre et que je le publie en France tel qu'il vient de sortir de mes mains. J'ai dit plus haut que cette nouvelle édition a été profondément modifiée ; et, en effet, bien peu de chapitres sont restés tels que je les avais écrits pour les éditions antérieures ; j'en ai ajouté de nou- veaux, j'en ai transformé d'autres si complètement, qu'ils ne parta- gent pour ainsi dire plus que le titre avec ceux de l'ancienne édition française; enfin presque partout j'ai ajouté, retranché, modifié. Parmi ces changements, je citerai ceux que le laryngoscope a fait subir à l'histoire des maladies du larynx et les longs développements que j'ai donnés, en général, à l'étude des symptômes physiques des maladies. Des chapitres entièrement refaits à nouveau sont, entre autres, ceux de l'emphysème, des hémorrhagies bronchiques, de l'infarctus hémorrhagique, de la phthisie pulmonaire, de l'ictère. Toute la pathologie du cerveau et de la moelle épinière a été pro- fondément modifiée ; j'ai ajouté de grands développements à l'his- toire des maladies de la peau ; l'étude des maladies infectieuses est également devenue plus complète et plus étendue. Enfin, dans tout le cours de l'ouvrage, je me suis attaché avec un soin tout particu- PRÉFACE. vu lier aux importantes recherches qui, dans ces derniers temps, ont été entreprises dans le domaine de la thérapeutique, et j'ai voulu en consigner les résultats, d'une part pour justifier l'honorable con- fiance que mon livre a surtout inspirée aux médecins praticiens ; d'autre part, parce que je considère l'heureux essor pris par la thé- rapeutique comme un des plus beaux privilèges de l'époque contem- poraine. Cet essor, je l'attribue à l'heureuse circonstance, que, dans ces dernières années, quelques observateurs ont aperçu le seul chemin qui pouvait conduire la thérapeutique au progrès et qu'ils se sont engagés dans ce chemin 'avec un rare bonheur. Ainsi se confirme ce que j'ai publiquement exprimé il y a sept ans. J'ai dit à cette époque qu'il serait absurde d'attendre, pour prescrire des médica- ments, que nos connaissances sur leur mode d'action et sur les pro- cessus pathologiques fussent assez avancées pour que le traitement médical en découlât naturellement; ce but idéal, dis-je, ne sera jamais atteint, et c'est en vain qu'on espère arriver à la prescription médicale, comme on arrive au résultat d'un calcul fait avec des données connues. J'exprimai le regret que certains médecins, au lieu de mettre eux-mêmes la main à l'œuvre pour faire avancer la thérapeutique, missent toute leur confiance dans les travaux des sociétés de physiologie ou de pathologie, ou dans les révélations des laboratoires de chimie. De là ont pu sortir quelques conseils bien- veillants, mais jamais rien qui pût être directement utilisé pour le traitement de l'homme malade. Je crois, de plus, avoir démontré que l'expérimentation des médicaments sur les animaux et sur l'homme sain, quelle qu'en fût la valeur scientifique, n'a donné jusqu'à présent aucun résultat immédiatement applicable en théra- peutique, et que la continuation de ces expériences ne permet pas d'espérer un pareil résultat pour l'avenir. Enfin, je n'ai pas craint d'affirmer que même les progrès éclatants de la pathologie avaient vin PRÉFACE. peu profité à la thérapeutique ; que, malgré ces progrès, les résul- tats obtenus au lit du malade n'étaient guère meilleurs qu'il y a cinquante ans et qu'à l'avenir même les études pathologiques devaient rester stériles pour la thérapeutique, si elles n'entraient pas dans une voie plus conforme au but suprême des sciences médi- cales, qui est la guérison des maladies. Après avoir ainsi fait voir que la thérapeutique ne pouvait at- tendre aucun secours direct de quelque autre science et qu'il était urgent de l'étudier pour elle-même et comme science indépen- dante, après avoir désigné la méthode empirique comme la seule applicable et rationnelle pour son étude comme pour celle de toute autre science naturelle, j'ai exposé longuement quels éléments nous possédions pour ériger la thérapeutique en science empirique indé- pendante, quels éléments nous avions encore à nous procurer et de quelle manière nous pouvions entrer en possession de ce qui nous manquait. J'ai fait observer qu'une science empirique devait s'ap- puyer avant tout sur la connaissance exacte et complète des faits, que plus les observations étaient rigoureuses, plus les conclusions devenaient justes, que par contre des observations inexactes et in- complètes ne pouvaient amener que la confusion et l'erreur en thé- rapeutique comme ailleurs ; que si les lois thérapeutiques de l'an- cienne médecine, empruntées en partie à l'expérience de plusieurs siècles, étaient reconnues fausses, ce fait n'avait d'autre raison que le manque de précision des observations, que l'impression vague de l'utilité ou du danger de tel ou tel médicament n'avait aucune valeur scientifique. Que des données empiriques dont ont pût déduire des lois dignes de confiance et utiles à l'art de guérir ne pouvaient être obtenues qu'avec des observations laites exclusive- ment en vue de la question à résoudre, à savoir X effet thérapeutique des médicaments. Que seulement à ce prix, c'est-à-dire, si les cli- niciens et les médecins, surtout ceux qui se maintiennent à la hau- PRÉFACE. ix teur de la science et qui sont familiarisés avec toutes les ressources de l'art du diagnostic, arrivaient à se convaincre que le principal objet de leurs études doit être l'analyse la plus scrupuleuse et la plus sincère des phénomènes morbides observés avant et après l'emploi d'un médicament ou d'une méthode curative et la compa- raison entre les uns et les autres, que seulement à ce prix on pouvait espérer donner une base solide à l'édifice thérapeutique. Que ce genre de recherches, du reste, extrêmement laborieuses, avait été jusqu'à ce jour entièrement négligé, parce qu'on n'en avait espéré aucun résultat. Mais que ce point de vue pessimiste fournissait par lui-même la preuve du peu de cas que l'on avait fait des progrès éclatants réalisés dans les dernières années par l'art du diagnostic, appuyé sur les symptômes physiques, par l'anatomie patholo- gique, par la chimie physiologique et pathologique. Que si aucune de ces sciences ne pouvait faire progresser immédia- tement et directement la thérapeutique, toute nouvelle découverte, faite dans leur domaine, n'en profitait pas moins indirectement à l'art de guérir, parce que, d'une part, il en résultait une connais* sance plus exacte de l'objet même dont il s'agissait de poursuivre la guérison, et que, d'autre part, ces découvertes nous apprenaient à mieux connaître l'effet obtenu par nos remèdes, Que selon ma con* viction, et au point où la science était arrivée de nos jours, les no- tions plus approfondies sur le développement et l'enchaînement des phénomènes morbides, la connaissance plus exacte de la marche naturelle des maladies et les moyens mis à notre disposition pour poursuivre cette marche dans toutes ses phases et jusque dans ses moindres modifications, nous donnaient le droit non-seulement d'espérer, mais d'attendre même avec une certitude absolue des faits thérapeutiques, sûrement constatés à l'aide d'un contrôle rigoureux exercé sur les résultats obtenus. Ce discours, mon discours de réception à l'Université de Tu- x PRÉFACE. bingue, je le terminai il y a sept ans par les paroles suivantes : « Le travail est lourd, les difficultés sont grandes, mais quand vous aurez reconnu que c'est là l'unique chemin qui pourra vous conduire au but tant désiré et que le moindre fait thérapeutique sûrement constaté peut avoir la plus vaste portée, vous poursuivrez vos inves- tigations avec cette persévérance qui seule peut élever la thérapeu- tique au rang d'une science exacte, digne d'entrer en ligne avec ses congénères, les autres sciences naturelles. » Je puis dire aujour- d'hui que mon attente a été presque dépassée. Un grand nombre d'excellents cliniciens et de praticiens consommés, dont je compte plusieurs avec un légitime orgueil parmi mes anciens élèves, se sont soumis à ces recherches laborieuses avec une persévérance et une exac- titude qui devaient être couronnées de succès. Les travaux nouveaux et précieux dans le domaine de la thérapeutique, science qui pen- dant longtemps avait été pour ainsi dire complètement négligée, ont définitivement fixé nos connaissances sur les effets curatifs de plusieurs médicaments très-importants, sur lesquels on ne possédait auparavant que des notions confuses. Partout ces travaux ont été appréciés à leur juste valeur, et l'on peut dire qu'ils ont porté le der- nier coup au nihilisme désolant de nos devanciers. Les résultats obtenus, parmi lesquels je ne citerai comme exemple que la consta- tation de l'effet antipyrétique de la quinine dans la fièvre typhoïde et la pneumonie, la fixation des indications de la digitale dans les maladies du cœur, ont donné une nouvelle impulsion à ce genre de recherches. Dans la juste supposition que même le grossier empi- risme d'individus étrangers à la science médicale et prônant comme panacées infaillibles, soit les cures à l'eau froide, soit le traitement de la diète sèche, pouvait s'appuyer sur quelques effets positifs, on a soumis également à l'analyse la plus sévère les effets curatifs des procédés hydrothérapiques et ceux d'une restriction longtemps con- tinuée de la quantité d'eau introduite dans l'organisme. Cette louable PRÉFACE. xi abnégation d'un sot orgueil de caste a eu sa récompense. Nous lui devons, entre autres, la connaissance exacte de l'influence qu'une soustraction de chaleur énergique exerce sur la température du corps dans les maladies fébriles. N'en aurions- nous gagné que ce seul avantage, il y aurait déjà lieu de s'en féliciter. Car une arme efficace contre des dangers redoutables a passé des mains d'individus étrangers à la médecine, qui souvent en faisaient un usage désastreux, dans celles de médecins érudits et expérimentés qui, connaissant sa portée et sachant en mesurer les effets, l'ont fait entrer définitivement dans le fonds commun des connaissances médicales. Un heureux signe du temps est encore le déclin de la doctrine de Rademacher, ce produit étrange d'une intelligence par- faite des défauts et de l'insuffisance des lois de la thérapeutique traditionnelle et d'un culte aveugle des principes vermoulus de Paracelse; un signe encore plus heureux, c'est la diminution, parmi les médecins instruits, du nombre des homœopathes sincères et croyants, et qui, pleins de confiance dans les remèdes et les doses homœopathiques, ne consentiraient à aucun prix à utiliser les découvertes que nous venons de mentionner. Puissent ces paroles et le contenu de mon livre contribuer à pousser les recherches cli- niques de plus en plus dans la voie qui peut seule les conduire à leur but le plus immédiat et le plus essentiel, c'est-à-dire à la constatation positive des faits thérapeutiques. Tubingue, le 1er juin 1868. F. NIEMEYER. TRAITE DE PATHOLOGIE INTERNE ET DE THÉRAPEUTIQUE MALADIES DE3 ORGANES DE LA RESPIRATION PREMIÈRE SECTION MALADIES DU LARYNX CHAPITRE PREMIER Hypérémle et catarrhe de la muqueuse du Barynx § 1. Pathogénie et étiologie. Partout où les vaisseaux des muqueuses sont gorgés de sang il se pro- duit un catarrhe, en d'autres termes, une sécrétion anormale, une turges- cence et une imbibition du tissu, accompagnées d'une formation plus ou moins exagérée de jeunes cellules. Même les hypérémies mécaniques des muqueuses donnent lieu au catarrhe. Les catarrhes gastro-intestinaux pro- viennent assez fréquemment d'une compression de la veine porte, et le catarrhe bronchique est le résultat d'un obstacle au retour du sang des veines bronchiques et [pulmonaires dans le cœur malade. On est donc par- faitement en droit de confondre dans un même chapitre la description de IUEMEYER. I — ± 2 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. l'hypérémie et du catarrhe du larynx, des bronches, etc., pourvu que l'on n'attache pas au mot catarrhe le sens vulgaire, et qu'on ne donne pas ce nom exclusivement aux inflammations des muqueuses qui sont dues à des refroidissements, et contre lesquelles on doit mettre en usage les infusions de sureau et les gilets de flanelle. Nous observons que les différents individus, quoique soumis aux mêmes influences nuisibles, montrent une prédisposition inégale au catarrhe, et, de plus, que l'action de causes identiques provoque, selon les dispositions individuelles, tantôt le catarrhe d'une surface muqueuse, tantôt celui d'une autre. La prédisposition aux catarrhes en général paraît, dans certains cas, coïncider avec la finesse de l'épidémie et la tendance aux transpirations. Tout individu sujet à transpirer peut se trouver dans le cas d'avoir la peau subitement refroidie par l'évaporation de la sueur. Les individus mal nourris, cachectiques, qui sont généralement moins capables de résister aux in- fluences fâcheuses, sont plutôt disposés aux catarrhes que les personnes pleines de sève et de vigueur. Dans la plupart des cas, rien ne nous ex- plique cette prédisposition extraordinaire aux catarrhes. Une vie molle semble devoir l'exagérer ; dans tous les cas, nous voyons les gens de la cam- pagne, les bergers, etc., qui s'exposent constamment aux variations de tem- pérature et aux injures du temps, être bien moins sujets à ces accidents que les hommes de cabinet qui s'exposent rarement aux influences atmo- sphériques. — Le plus souvent aussi nous ne pouvons nous rendre compte pourquoi les mêmes influences provoquent de préférence chez les uns le catarrhe du larynx, chez les autres le coryza, le catarrhe bronchique, les diarrhées catarrhales. Nous ne pouvons affirmer qu'un fait, c'est qu'après des catarrhes répétés la muqueuse du larynx est devenue plus vulnérable, qu'elle est en quelque sorte une partie faible, et qu'il suffit alors de causes légères pour l'exposer à de nouvelles atteintes. Parmi les causes déterminantes, nous compterons d'abord les agents lo- caux qui irritent la muqueuse laryngienne et en provoquent le catarrhe. Dans le nombre nous citerons l'inspiration d'un air froid, de poussières, de va- peurs acres; d'autre part, les cris, le commandement militaire, le chant, une toux violente. Dans ces derniers cas, l'air est chassé avec une grande violence à travers la glotte rétrécie, il se produit un frottement rude sur ses bords libres, ce qui donne lieu à une irritation aussi directe que celle des agents mentionnés plus haut. Si des liquides irritants, de l'eau très-chaude, pénètrent dans le larynx, cet accident donne lieu aux formes les plus vio- lentes de la laryngite catarrhale. En second lieu, nous voyons les refroidissements de la peau, surtout des pieds, du cou, occasionner des catarrhes du larynx. Le fait qu'un individu qui quitte aujourd'hui son cache-nez ou ses bas de laine souffrira demain d'un catarrhe du larynx, s'observe tous les jours. On ne saurait contester le HYPÉRÉMIE ET CATARRHE DE LA MUQUEUSE DU LARYNX. 3 lien de causalité qui existe entre ces deux circonstances, quoiqu'il soit bien difficile d'en donner une explication physiologique satisfaisante. En troisième lieu, il n'est pas rare que le catarrhe se propage des organes voisins sur la muqueuse laryngienne. Très-souvent, les catarrhes du nez et des bronches offrent cette particularité, sans qu'une nouvelle cause mor- bifique ait ajouté son action à celles qui ont provoqué le catarrhe primitif. Dans d'autres cas, c'est le catarrhe du pharynx qui envahit la muqueuse laryngienne; cela est surtout le cas pour la pharyngite catarrhale que dé- termine l'abus des spiritueux en irritant directement la muqueuse de l'ar- rière-bouche. Nous voyons les symptômes d'un catarrhe aigu du larynx, surtout l'enrouement, se déclarer à la suite d'excès bachiques, même sans que les individus aient beaucoup crié ou chanté. Les buveurs d'habitude souffrent presque toujours d'un catarrhe chronique du pharynx qui envahit aussi la muqueuse du larynx. Quatrièmement, le catarrhe du larynx est assez souvent le symptôme d'une maladie constitutionnelle due à l'infection de l'économie par un miasme ou un principe contagieux. Parmi les maladies infectieuses aiguës, ce sont, avant tout, la rougeole et le typhus exanthémati que; parmi les maladies infectueuses chroniques, la syphilis, qui se localisent sur la mu- queuse du larynx sous la forme d'un catarrhe laryngien. L'intelligence du rapport physiologique qui existe entre les troubles de la nutrition observés dans ces affections sur la peau et les muqueuses, et les modifica- tions du sang qui forment la base de ces maladies, nous fait défaut jusqu'à présent. Nous rattacherons, cinquièmement, à cette catégorie le catarrhe laryngien qui, dans la grippe ou influenza, s'observe à côté d'autres catarrhes in- tenses et étendus. Cette maladie épidémique ressemble beaucoup aux exan- thèmes aigus par son invasion, son extension et la grave atteinte de l'état général qui l'accompagne. Les catarrhes de la grippe doivent également être considérés comme les symptômes d'une affection constitutionnelle peut- être infectieuse. Enfin, sixièmement, le catarrhe du larynx accompagne les ulcères et les néoplasmes du larynx. Ce catarrhe, que l'on peut appeler symptomatique, et qui, de même que l'hypérémie autour des ulcères et des carcinomes de la peau, offre tantôt des exacerbations, tantôt des rémissions, est d'une grande importance pour l'explication des symptômes et avant tout pour l'in- telligence des alternatives que présentent les phénomènes en cas d'ulcères et de néoplasmes du larynx. 4 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. § 2. Anatomie pathologique. Dans le catarrhe aigu du larynx, la muqueuse ne montre pas toujours sur le cadavre le degré de rougeur et de turgescence vasculaire auquel on semblait devoir s'attendre en raison de l'intensité des symptômes, et que l'examen laryngoscopique avait permis de constater pendant la vie. Cette circonstance dépend de la richesse de la muqueuse du larynx en fibres élastiques, maintenues pendant la vie dans un état de distension par l'im- pulsion de l'onde sanguine, et pouvant, après la mort, se contracter et par le fait expulser le sang des capillaires. En cas de catarrhe très-violent, il survient fréquemment, il est vrai, de petites apoplexies, des ecchymoses dans le tissu de la muqueuse qui peut, après la mort, présenter une colo- ration d'un rouge uniforme ou tacheté. La surface de la muqueuse est. en partie, privée des cellules épithéliales cylindriques, garnies de cils vibratiles et qui forment la première des couches épithéliales du larynx. Par contre, nous rencontrons, dans le produit de sécrétion peu troublé qui est déposé sur la muqueuse, de nombreuses cellules transparentes, pour la plupart à noyau unique, de jeunes cellules épithéliales détachées des couches profondes ou des cellules épithéliales des glandes muqueuses, connues sous le nom de corpuscules muqueux. Le tissu de la muqueuse elle-même est gonflé, plus humide, relâché ; le tissu sous-muqueux est, dans quelques cas rares, le siège d'une infiltration séreuse considérable, état que nous décrirons plus loin et séparément, sous le nom d'oedème de la glotte. Dans le catarrhe chronique du, larynx, la teinte de la muqueuse est plus ou moins foncée, d'un rouge Adolacé ou brunâtre (cette dernière coloration est due à un dépôt de pigment provenant d'ecchymoses antérieures). Les vaisseaux sont parfois le siège d'une dilatation variqueuse, et gorgés de sang, la muqueuse relâchée ayant perdu son élasticité. Le tissu de la mu- queuse est ordinairement plus épais, plus ferme, hypertrophié. La surface paraît, clans quelques cas, inégale et granulée par le gonflement et l'engor- gement des innombrables follicules muqueux qui se trouvent dans le larynx. Elle est couverte tantôt d'un mucus glaireux peu abondant, tantôt d'un produit de sécrétion jaune et copieux. Les jeunes cellules épithéliales qui, mêlées en grand nombre à cet exsudât mùco-purulent, en déterminent le trouble et la coloration jaune, sont plus opaques, granulées et renfer- ment souvent un noyau divisé ; elles sont tout à fait analogues aux jeunes cellules que l'on observe dans les abcès ; dans cet état on ne les appelle plus corpuscules muqueux, mais corpuscules de pus, bien que, dans un cas donné, il ne soit pas toujours possible d'établir la distinction entre l'un et l'autre produit. HYPÉRÉMIE ET CATARRHE DE LA MUQUEUSE DU LARYNX. 5 L'examen laryngoscopique qui, d'après ce que nous avons dit plus haut, nous permet de constater les modifications anatomiques de la muqueuse laryngienne pendant la vie, beaucoup plus exactement que cela ne peut être t'ait par l'autopsie, a prouvé que le catarrhe du larynx ne s'étend pas tou- jours à toute la surface de la muqueuse, mais que souvent il reste limité à quelques endroits. Ainsi on rencontre des catarrhes du larynx qui restent bornés à l'enveloppe muqueuse soit de l'épiglotte, soit des replis aryténo- épiglottiques, soit des cartilages aryténoïdes, soit des cordes vocales supé- rieures ou inférieures. Un fait très-intéressant, c'est le gonflement catar- rhal circonscrit de la muqueuse entre les cartilages aryténoïdes et un peu au-dessous, gonflement dans lequel Lewin a reconnu, surtout chez les officiers qui ont beaucoup commandé, une cause fréquente d'enrouement chronique. Indépendamment des ulcères catarrhaux et des végétations polypeuses dont il sera question dans des chapitres spéciaux, le catarrhe chronique du larynx, surtout celui qui accompagne les ulcères syphilitiques et tuberculeux, en- gendre quelquefois un épaississement et une induration du tissu sous- muqueux. La transformation de ce tissu en une masse fibro-lardacée, qui donne souvent lieu à un rétrécissement du larynx, à la roideur et à l'immo- bilité des cordes vocales, se rencontre d'un façon tout à fait analogue dans le catarrhe chronique d'autres organes, surtout de l'estomac. 11 ne s'agit là, comme cela vient d'être dit, que d'une simple hypertrophie du tissu con- jonctif, et qui n'a rien de commun avec la dégénérescence dite lardacée ou amyloïde d'autres organes. § 3. Symptômes et marche. Le catarrhe aigu du larynx débute rarement par de petits frissons ; dans la plupart des cas où il ne s'étend pas à la muqueuse bronchique, la fièvre ■qu'on a l'habitude d'appeler la fièvre catarrhàle manque même pendant les périodes ultérieures. L'état général se maintient dans de bonnes conditions et les symptômes de la maladie ne dépendent que du trouble fonctionnel de l'organe affecté. Les malades accusent d'abord une sensation de chatouillement, et, dans les cas intenses, de brûlure ou d'écorchure dans l'intérieur du cou, sensa- tion qui augmente sous l'influence de la parole, de la toux, etc. La sensi- bilité de la muqueuse respiratoire ne s'éteint que dans les bronches de se- cond ordre. Si le revêtement de l'épiglotte, des cartilages aryténoïdes ou des ligaments aryténo-épiglottiques devient le siège d'un catarrhe intense, la déglutition devient également douloureuse. A cela se joint un symptôme pathognomonique des maladies du larynx, à savoir l'altération de la voix; elle devient plus grave, moins pure, raùque, 6 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION, et finit quelquefois par devenir aphone. On sait que la voix se forme exclu- sivement dans le larynx, qui représente un instrument à anche, à languettes membraneuses. Les cordes vocales inférieures se rapprochent tellement pendant l'action de parler qu'elles proéminent dans le larynx sous forme de membranes vibrantes. Lorsque la colonne d'air fortement expiré les met en vibration, elles produisent un son dont la hauteur dépend chez le même individu, c'est-à-dire à égalité de longueur des cordes vocales, du degré de tension auquel ces cordes sont soumises. Au § 2 nous avons vu que dans le catarrhe du larynx, la muqueuse se tuméfie et se relâche, et qu'elle se couvre d'un produit de sécrétion plus ou moins abondant; si cet épaississement se développe dans les cordes vocales, la tension que peuvent leur communiquer les muscles du larynx ne suffit pas pour donner lieu à des vibrations assez nombreuses pour produire la hauteur du son que pro- duisaient à tension égale les cordes vocales non tuméfiées ; la voix devient plus grave. Le gonflement plus fort à un point qu'à un autre, les mucosités qui couvrent les cordes vocales et rendent leur surface inégale, altèrent le timbre de la voix et voilent le son ; la voix devient enrouée à peu près comme la corde d'un violon rendrait un son impur si on l'enduisait de substances visqueuses. Enfin, le relâchement et l' épaississement des cordes vocales peuvent devenir tellement considérables que la plus forte tension qui peut leur être communiquée par les muscles du larynx devient insuffi- sante pour produire des vibrations sonores; la voix devient aphone, éteinte. L'extinction de la voix peut encore dépendre du gonflement considérable des cordes vocales supérieures par l'effet duquel celles-ci, ens' appuyant contre les cordes vocales inférieures, empêchent la vibration de ces dernières. La voix enrouée des malades passe parfois subitement au fausset le plus aigu ; cela arrive lorsque les cordes vocales tuméfiées et couvertes d'un produit de sécrétion se touchent par instants, ce qui donne lieu à des nœuds de vibra- tion, augmente considérablement le nombre de ces vibrations, et par consé- quent rend les sons plus aigus. A la sensation de chatouillement, de brûlure, etc., et à l'enrouement se joint en outre une toux violente. Une vive irritation venant frapper la mu- queuse saine du larynx, par exemple la pénétration d'un corps étranger, produit par action réflexe de violents accès de toux. Lorsque la muqueuse laryngienne est devenue le siège d'une irritation catarrhale, des accès de toux tout à fait analogues se produisent sous l'influence de la cause la plus futile, passant souvent inaperçue, et d'une façon en apparence spontanée. Quelquefois les muscles de la glotte sont mis pendant ces quintes dans une tension tétanique si considérable que pendant l'inspiration par laquelle l'ac- cès commence l'air ne pénètre que lentement et avec un bruit de siffle- ment à travers la glotte rétrécie. Au contraire, l'expiration convulsive qui suit cette inspiration lente et sonore ne peut que momentanément ouvrir la HYPEREMIE ET CATARRHE DE LA MUQUEUSE DU LARYNX. 7 glotte rétrécie, ce qui produit les secousses rapides et bruyantes de la toux. Les grands efforts d'expiration pendant ce rétrécissement de la glotte ont pour effet de comprimer le contenu du thorax, de rendre plus difficile le retour du sang veineux dans cette cavité, comme cela arrive pendant les efforts pour aller à la selle, ou quand on joue d'un instrument à vent; la face des individus qui toussent devient rouge, même bleuâtre, les veines ju- gulaires deviennent saillantes. Dans d'autres cas, surtout quand la maladie dure depuis un certain temps, le son de la toux devient plus grave par l'épaississement des cordes vocales, et rauque et enroué par l'inégalité de cet. épaississement. Il n'est pas rare non plus que les cordes vocales épaissies, lorsqu'une forte secousse d'expiration les pousse en haut et les bombe, entrent momentanément dans une tension plus considérable; alors la toux rauque devient aboyante, ou bien elle prend subitement le timbre du fausset si les cordes vocales se touchent pendant l'expiration. L'expectoration est rare tant que le catarrhe reste borné au larynx. Au début de la maladie elle fait complètement défaut, ou bien elle est limpide et glaireuse. Le crachat muqueux, le crachat cru des anciens, contient rarement des cellules détachées d'épithélium vibratile ; bien plus souvent on y rencontre une certaine quantité déjeunes cellules provenant des couches profondes de l'épithélium ou des glandes mucipares, c'est-à-dire de corpus- cules mu queux. Dans les périodes ultérieures de la maladie et surtout quand l'amélioration se fait sentir, l'expectoration devient plus épaisse, jaunâtre, plus riche en jeunes cellules, et ces dernières tendent à prendre les carac- tères des corpuscules purulents. Cette forme de l'expectoration, l'expectoration muco-purùlente, correspond aux crachats cuits des anciens médecins. Comme le gonflement et l'infiltration du tissu sous-muqueux sont rarement fort considérables, le catarrhe aigu simple du larynx ne produit qu'excep- tionnellement de la dyspnée chez les adultes. Chez eux, la glotte, surtout dans son tiers postérieur, la partie respiratoire de Longet, qui, limitée parla base des cartilages aryténoïdes, forme un espace triangulaire assez spacieux, ne peut devenir inaccessible à l'air par le gonflement seul de la muqueuse. Mais encore chez les enfants un simple catarrhe du larynx ne produit que rarement une dyspnée opiniâtre. Bien que. leur glotte soit plus rétrécie et forme dans toute son étendue une fente étroite, les cordes vocales sont généralement maintenues chez eux assez à distance pour n'opposer aucun obstacle à l'entrée de l'air, si les muscles crico-aryténoïdiens postérieurs, qui entrent en action à chaque inspiration, fonctionnent librement. Il suffit de jeter un regard dans le laryngoscope pour s'assurer que pendant le fonc- tionnement régulier des muscles de la glotte, celle-ci s'ouvre si largement qu'un gonflement modéré de la muqueuse ne saurait beaucoup gêner l'en- trée de l'air, ni par conséquent provoquer des symptômes de dyspnée. Tou- tefois, dans certains cas bien constatés de laryngite catarrhale intense, la 8 , MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. muqueuse des cordes vocales inférieures ou bien celle des cordes supé- rieures, qui ne peuvent être maintenues écartées les unes des autres par action musculaire, était tellement gonflée, que les malades étaient menacés de suffocation. Assez souvent on remarque que des enfants, qui pendant le jour ont toussé et ont été enroués, sans s'être trouvés malades, se réveillent tout à coup pendant 1a nuit avec un accès de dyspnée pénible. L'inspiration est longue, suspirieuse ; les enfants, dans un état d'agitation extrême, se jettent dans leur lit de côté et d'autre, ou se lèvent brusquement et portent, pleins d'anxiété, la main au cou; leur toux est rauque et aboyante. Ces accès, que l'on a souvent confondus avec le croup et qui ont été décrits sous le nom de pseudo-croup, disparaissent ordinairement au bout de très-peu d'heures sans laisser de traces. C'est à eux que le lait chaud, les éponges chaudes appli- quées sur le cou, les vomitifs « administrés à temps » doivent la réputation d'être des panacées contre le croup et de l'arrêter sûrement pourvu qu'on ait employé ces moyens sans retard. On peut admettre que ces accidents sont déterminés par un gonflement extraordinaire, mais passager, de la muqueuse, ayant pour effet un rétrécissement également passager de la glotte, rétrécis- sement que l'action musculaire ne suffirait pas à vaincre, tout comme dans le coryza nous observons souvent l'occlusion subite et absolue de l'une ou de l'autre narine, ou bien encore qu'une occlusion spasmodique de la glotte, comme nous la décrirons séparément sous le nom de spasme de la glotte, vient, à titre de phénomène réflexe, s'ajouter à l'irritation inflammatoire de la muqueuse. Mais une autre explication nous paraît plus plausible : ces accès se manifestent presque exclusivement pendant le sommeil; ils se dissipent quand l'enfant a été éveillé depuis un certain temps, qu'il a crié, toussé, vomi, et se déclarent de nouveau quand il est retombé dans un profond sommeil. Il paraît d'après cela que c'est avant tout l'accumulation d'un mu- cus visqueux dans la glotte, peut-être aussi son dessèchement et une agglu- tination des bords de l'orifice, qui donne lieu à ces accès de dyspnée; dans tous les cas cette explication nous rend parfaitement compte de l'efficacité des remèdes mentionnés plus haut et vantés à juste titre. Il n'est pas rare que ces sortes d'accès se reproduisent pendant plusieurs nuits de suite, tan- dis que le jour les enfants jouent gaiement et paraissent, à un léger enroue- ment près, parfaitement bien portants. Quant à la marche, à la durée et aux terminaisons du catarrhe aigu du larynx, voici ordinairement ce qui se passe : au bout de peu de jours la sen- sibilité du larynx, l'enrouement, la toux cessent en même temps qu'appa- raissent les crachats cuits, et la maladie se termine par la guérison après une durée d'à peine huit jours. Dans d'autres cas, elle traîne pendant plu- sieurs semaines; pendant le jour le malade est légèrement enroué, mais bien portant du reste. Ce n'est que le matin ou le soir qu'il est tourmenté par HYPEREMIE ET CATARRHE DE LA MUQUEUSE DU LARYNX. 9 des accès de toux violents et de longue durée; les crachats restent crus, jusqu'à ce qu'enfin dans ces cas encore, la maladie cède, souvent sous l'in- fluence d'un changement atmosphérique. Enfin, il peut arriver, surtout après plusieurs récidives, qu'il reste un catarrhe chronique du larynx. — Il est très-rare que la maladie se termine par la mort sans qu'une complication soit intervenue. Catarrhe chronique du larynx. Si déjà dans le catarrhe aigu la sensibilité de la muqueuse laryngienne diminue à l'apparition des crachats cuits, à plus forte raison ne trouverons-nous pour ainsi dire jamais les sensations anor- males de chatouillement, de brûlure et d'écorchure du larynx dans le catarrhe chronique de cet organe. Par contre, il est évident que l'hyper- trophie de la muqueuse et l'épaississement permanent des cordes vocales décrits au § 2 devront avoir pour conséquence une altération durable de la voix qui deviendra grave et enrouée. Dans les cas mentionnés plus haut, où , la muqueuse est gonflée et épaissie à la paroi postérieure du larynx, immé- diatement au-dessous des cordes vocales, l'enrouement est dû à cette circon- stance, que, quand l'individu parle haut, un pli de la muqueuse vient s'engager entre les insertions postérieures des cordes vocales, ce qui s'oppose à un rétrécissement suffisant de la glotte. Cet enrouement chronique qui persiste après des catarrhes aigus répétés forme le signe le plus essentiel et souvent unique du catarrhe chronique du larynx. Chez ces malades, atteints d'un enrouement qui dure de longues années, nous remarquons également le passage momentané de la voix ordinaire au fausset le plus aigu. Une faible, aggravation, une irritation aiguë intercurrente de la muqueuse laryngienne ■épaissit les cordes vocales à un tel degré que les malades parlent de temps à autre d'une voix presque éteinte ou même sans voix. Ajoutez à cela, dans un certain nombre de cas, une toux spasmodique à retours périodiques telle que nous l'avons décrite également parmi les symptômes du catarrhe aigu; toutefois, dans le catarrhe chronique, les accès semblent plutôt provenir de l'accumulation du produit de sécrétion dans les ventricules du larynx et se dissiper aussitôt après le rejet de faibles quantités d'un mucus pelotonné et jaunâtre. Encore ici les raisons déjà indiquées peuvent communiquer à la toux un son rauque, devenant par moments strident et semblable à un aboiement. Une inspiration et une expiration sifflantes, venant s'ajouter aux sym- ptômes mentionnés du catarrhe chronique du larynx, prouvent l'existence d'une complication, attendu que ce symptôme ne dépend à coup sûr pas exclusivement d'un gonflement et d'une hypertrophie de la muqueuse : il s'agit ou de l'épaississement et de l'induration décrits plus haut du tissu sous-muqueux ou d'un néoplasme rétrécissant la lumière du larynx, ou d'une laryngite syphilitique. Le plus souvent il n'y a guère que l'examen laryngoscopique qui puisse nous apprendre sûrement laquelle de ces trois espèces essentielles de laryngosténose nous avons sous les yeux. 10 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. Si, par contre, aux symptômes du catarrhe chronique du larynx, viennent s'ajouter de la fièvre, de V amaigrissement et des sueurs nocturnes, ces phéno- mènes, vu l'extrême rareté d'une phthisie catarrhale indépendante du larynx, éveillent le soupçon d'une phthisie pulmonaire qui a passé inaperçue et doivent nous inviter à un examen attentif et répété de la poitrine. La marche de la laryngite catarrhale chronique est ordinairement très- lente ; ce n'est qu'au prix de beaucoup de persévérance et de circonspection dans le traitement que l'on parvient enfin à rétablir le malade, mais encore dans ce cas il lui reste d'habitude une grande tendance aux récidives. § 4. Diagnostic. Il est facile de distinguer le catarrhe du larynx des catarrhes du nez et du pharynx, qui peuvent également modifier la voix. Dans ces derniers, c'est la résonnance de la voix dans les cavités nasale et buccale rétrécies, son timbre, qui se trouve modifié ; le langage devient nasonnant, guttural. Dans la laryngite le son lui-même est modifié, la voix devient plus grave, fausse et enrouée. Une confusion plus fréquente est celle qui a lieu entre le catarrhe aigu du larynx et V inflammation croupale de la muqueuse laryngienne; pour les mères inquiètes, l'enrouement, la toux aboyante, même quand les enfants se portent bien du reste, constituent les symptômes redoutés de cette der- nière maladie. Si des accès de dyspnée nocturne viennent s'y ajouter, il arrive même que les médecins croient souvent à la forme croupale de l'inflam- mation, et c'est ainsi que nous pouvons nous expliquer qu'on entende journellement parler d'enfants qui auraient traversé le croup, huit, dix fois et même plus souvent. Le croup n'est une maladie ni assez commune ni assez bénigne pour nous permettre de croire à ces nombreuses guérisons, et presque toujours on a commis dans ces cas une erreur de diagnostic. Pour le diagnostic de ces deux formes inflammatoires de la muqueuse nous renvoyons, le lecteur au chapitre du croup et nous n'appellerons ici l'attention que sur un seul point, auquel le public attache d'habitude une signification plus grande que les médecins eux-mêmes. Un catarrhe simultané de la muqueuse nasale indique presque aussi sûrement la forme catarrhale de l'inflammation du larynx que la présence des fausses membranes dans l'arrière-bouche permet de conclure à l'existence d'une inflammation croupale de la muqueuse laryngienne. Aussi les mères ont-elles bien raison de se réjouir en voyant couler le nez de leurs enfants, et la rareté de la complication d'un simple catarrhe par d'autres maladies graves a motivé les félicitations populaires s' adressant aux individus qui éternuent. Il sera question plus tard de la différence qui existe entre le simple ca- tarrhe chronique et les ulcères et néoplasmes du larynx. HYPEREMIE ET CATARRHE DE LA MUQUEUSE DU LARYNX. 11 § 5. Pronostic. Le pronostic du catarrhe [laryngien aigu ou chronique ressort de la des- cription de la marche de la maladie. Presque jamais elle n'entraîne par elle- même la mort. Le pronostic, au point de vue du rétablissement complet, est favorable dans le catarrhe aigu, bien qu'il reste une tendance aux réci- dives. Dans le catarrhe chronique, il est plus défavorable. L'induration du tissu sous-muqueux ne rétrograde jamais. § 6. Thérapeutique. Prophylaxie. Le soin de s'habituer avec prudence aux influences qui pro- voquent le catarrhe du larynx, est plus utile que cet excès de précautions qui rend le corps assez sensible pour contracter des maladies aux moindres occasions. Que l'on s'abstienne donc d'enfermer dans les appartements les petits enfants, même s'ils ont déjà été atteints de catarrhes laryngiens, qu'on les envoie journellement à l'air libre, qu'on les habille chaudement par les temps froids, mais qu'on ne leur tienne pas le cou chaud en l'enveloppant d'épais cache-nez, de châles, etc. Si une prédisposition au catarrhe existe déjà, on fait bien de faire laver le cou à l'eau froide et de faire prendre des bains froids de rivière ou de mer; ce sont là les meilleurs moyens prophy- lactiques. Seulement, on aura soin de faire des prescriptions claires et pré- cises, on déterminera rigoureusement le moment, la durée, la température de ces bains. Plus les prescriptions seront précises, plus les malades les sui- vront avec exactitude. Indication causale. Si c'est une irritation directe qui est venue frapper la muqueuse laryngienne et provoquer le catarrhe, on doit mettre le malade à l'abri de cette influence. Pour détourner de la muqueuse affectée toute irritation, on aura soin de confiner le malade dans son appartement et d'y maintenir une température égale, réglée au thermomètre. On lui défendra les conversations soutenues à voix haute et le chant, et on lui recomman- dera surtout de lutter contre le besoin de tousser. S'il est vrai que cela ne peut pas toujours réussir, la ferme volonté du patient en triomphe cependant assez souvent. Qu'on ne cède pas aux paroles du malade quand il se dit forcé de tousser, et qu'on lui répète sans cesse qu'il ne lui est pas permis de tousser. Les sirops chauds et les potions au soufre doré d'antimoine qu'on a l'habitude de prescrire, restent sans effet contre les quintes de toux violentes qui, tout en étant une conséquence du catarrhe, deviennent aussi la cause de sa persistance. Si les mesures indiquées plus haut ne suffisent pas, on aura recours aux narcotiques. Chez les enfants, on doit, à la vérité, admi 12 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. n'strer ces remèdes avec ménagement, mais, chez les adultes, on est loin de les prescrire assez fréquemment et à doses assez élevées. Il est beaucoup plus rationnel et plus utile de prescrire aux individus atteints de catarrhe laryn- gien et toussant fréquemment 50 centigrammes de poudre de Dower à pren- dre le soir, ou de leur administrer de temps à autre de petites doses de mor- phine (5 centigrammes dans 10 grammes d'eau de laurier-cerise, 10 gouttes toutes les trois heures), que de les gorger de pâtes pectorales, de jus de ré- glisse, de soufre doré et de muriate d'ammoniaque. Si le catarrhe du larynx est dû à un refroidissement de la peau des pieds ou du cou, l'indication causale exige une médication diaphorétique. Le meilleur moyen de provoquer la sueur consistera dans l'administration d'une infusion de sureau combinée avec la chaleur du lit. On pourra encore faire prendre des bains de pieds chauds, envelopper le cou d'une pièce de laine, appliquer un sinapisme que l'on répétera de temps en temps, ou un cata- plasme chaud qu'on aura soin de ne pas laisser refroidir. L'emmaillotte- ment du corps dans des draps froids et mouillés, mais bien tordus, l'emploi de bains de pieds froids peu prolongés, l'application de compresses froides sur le cou, qui, restant en demeure, y développent de la chaleur, sont suivis d'un effet tout à fait semblable à celui des moyens qui augmentent directe- ment la chaleur, et doivent être considérés comme réchauffant et excitant la peau. Les hydropathes se sont exagéré les avantages de cette méthode. Cependant, on peut en faire usage chez les personnes qui savent l'employer avec habileté, qui en ont l'habitude et qui sont généralement aussi très- enthousiastes de ce traitement. L'indication causale exige enfin, pour les cas où le catarrhe s'est propagé du pharynx au larynx, l'emploi de gargarismes astringents ou le badigeon- nage du gosier avec une solution de nitrate d'argent ou d'alun. Vindication de la maladie ne réclame presque jamais la saignée générale ou locale dans le catarrhe aigu du larynx, à moins qu'il ne soit compliqué d'œdème de la glotte. Il en est ainsi quel que soit le développement dans lequel entrent les manuels au sujet des émissions sanguines. Le plus sou- vent il suffit de provoquer surla peau une fluxion au moyen des remèdes déjà mentionnés, pour modérer l'hypérémie de la muqueuse ; bien plus, la maladie tend généralement à guérir sans aucun traitement, et souvent malgré le traitement employé. La teinture d'anis (tinctura iiimpinellce) , que l'on a vantée comme spécifique, peut être employée, mais il n'y a pas lieu de fonder sur elle de grandes espérances. Pour boisson on donne ordinaire- ment de l'eau de Seltz seule ou mêlée avec du lait chaud à parties égales. Il est un fait d'observation populaire que les substances grasses exercent sur le catarrhe aigu du larynx une influence nuisible, et que l'influence des sub- stances salées est au contraire favorable. Un hareng salé passe pour un re- mède très-utile, et produit peut-être une révulsion aussi énergique sur HYPÉRÉMIE ET CATARRHE DE LA MUQUEUSE DU LARYNX. 13 la muqueuse du pharynx que celle d'un sinapisme sur la surface cutanée. Autrefois, on vantait comme spécifique contre le catarrhe chronique du larynx les poudres de Plummer (calomel et soufre doré), combinées avec la belladone et la jusquiame. L'addition de ces dernières substances peut, avoir son utilité en modérant l'intensité de la toux ; mais rien ne prouve qu'elles soient plus utiles que les préparations opiacées. Le soufre doré est superflu et le calomel est à rejeter dans l'inflammation catarrhale. Au lieu des révulsifs légers, tels que sinapismes, etc., qui trouvent leur emploi dans le catarrhe aigu du larynx, on choisit contre le catarrhe chronique des révulsifs plus énergiques. Le plus usité de tous est l'huile de croton, soif seule, soit associée à l'essence de térébenthine, dans la proportion de 1 sur o. On en frictionne plusieurs fois par jour la peau qui recouvre le larynx jus- qu'à production de vésicules et de pustules. L'application de petits vésica- toires sur les côtés du cartilage thyréoïde est un moyen plus doux et tout aussi efficace (Tobold). Dans beaucoup de cas qui, malheureusement, à l'heure qu'il est, ne sau- raient être bien spécifiés, la marche du catarrhe chronique du larynx est très-favorablement modifiée par l'usage des eaux acidulés alcalines et chlon- rées. Le mieux est d'envoyer les malades à Ems, à Obersalzbrunn, à Glei- chenberg, et seulement dans les cas où les circonstances ne le permettent pas, on fera prendre à domicile et méthodiquement de l'eau de Selters, ou bien une des eaux minérales que nous venons de nommer. Le Kesselbrunnen et le Kraehnchen d'Ems, dont la température s'élève, pour le premier, à 37 degrés, pour le second, à 23°, 6 R., ainsi que la source Victoria d'Ems (22°, 3 R.), que j'ai prescrite très-souvent et avec beaucoup de succès dans ces derniers temps, peuvent être bus sur place sans addition de lait ou de petit-lait chaud. Par contre, l'Obersalzbrunnen, l'eau de Selters et les eaux d'Ems en cruchons, doivent être mêlés avec parties égales de lait chaud. Les avantages du petit-lait avec lequel on a l'habitude de couper ces eaux bien plus 'souvent qu'avec le lait ordinaire sont fort contestables. Le petit-lait « bien préparé » , servi ordinairement dans les "endroits renommés par un Suisse, autant que possible par un individu d'Appenzell en costume national, et dont on fait tant de bruit dans les journaux et dans les annonces d'eaux minérales, à tel point qu'en bien des endroits on en fait plus de cas que des eaux elles-mêmes ; ce petit-lait, disons-nous, est purement et simplement du lait privé de caséine, et il n'est pas à supposer qu'il rende plus de services que le lait qui renferme encore ce principe. Uniquement dans les cas, très- peu fréquents d'ailleurs, dans lesquels le malade ne supporte pas le lait et se trouve, au contraire, bien ou mieux de l'usage du petit-lait, je fais ajouter ce dernier de préférence à l'eau minérale. On a émis diverses hypothèses sur le mode d'action des eaux minérales acidulés alcalines et chlorurées. Le fait que les cendres du mucus sont plus 14 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. riches en chlorure de sodium que les cendres du sang, et que l'addition du sel rend le mucus moins visqueux, semble prouver à la vérité que le sel de cuisine joue un certain rôle dans la production du mucus; mais ce double fait ne nous autorise nullement à conclure que l'usage du sel de cuisine ait pour effet une guérison ou seulement une plus grande rapidité dans la marche du processus catarrhal. D'autre part (Spengler), on a attaché la plus grande importance à la richesse de ces eaux acidulés alcalines et chlorurées en carbonates alcalins, et l'on a cru devoir se fonder sur l'observation de Virchow, d'après laquelle des solutions alcalines très-étendues peuvent exci- ter le mouvement vibratile, pour attribuer l'action favorable des eaux miné- rales dont il est ici question, au rétablissement du mouvement vibratile éteint ou suspendu. On peut encore élever des objections bien sérieuses contre cette interprétation des effets favorables obtenus par les eaux acidulés alcalines et chlorurées, et nous devons nous contenter pour le moment du fait empirique, à savoir que les eaux d'Ems, d'Obersalzbrunn et de Selters améliorent dans beaucoup de cas le catarrhe chronique du larynx et souvent le guérissent. On recommande encore à juste titre contre le catarrhe chro- nique du larynx les eaux sulfureuses froides, surtout celles de Weilbach, dans le duché de Nassau , d'Eilsen, dans la principauté de Schaumbourg- Lippe, de Langenbrûcken, dans le grand-duché de Bade, qu'on a l'habitude de faire boire comme celles d'Obersalzbrunn et de Selters mêlées à du lait ou du petit-lait chauffé, ainsi que les eaux sulfureuses thermales des Pyrénées et avant tout celles d'Eaux-Bonnes. Nous ne pouvons également nous livrer qu'à de vagues conjectures sur la manière d'agir de ces eaux sulfureuses, et un fait bien plus regrettable encore que l'absence d'une explication de leur manière d'agir, c'est que nous soyons complètement dépourvus d'un point de repère suffisant pour juger d'avance les cas dans lesquels ces eaux peuvent être utiles et ceux dans lesquels leur efficacité est nulle. Dans les cas opiniâtres et invétérés, le traitement local de la muqueuse laryn- gienne mérite une large application. Depuis un temps très-long déjà, on a essayé d'insuffler des médicaments dans le larynx ou de les faire aspirer par les malades sous forme de poudre. On se sert, à cet effet, d'un long tuyau de plume ou d'un tube de 8 à 10 pouces de longueur et large de quelques lignes, par l'extrémité duquel on introduit à peu près 20 centigrammes de la poudre médicamenteuse. On fait entrer l'autre extrémité aussi loin que possible dans la bouche du malade, et on l'engage, en lui pinçant le nez, à faire une inspiration aussi profonde que possible en serrant fortement les lèvres autour du tuyau, ou bien on insuffle soi-même la poussière par l'ouverture extérieure du tuyau. Si ce procédé excite de forts accès de toux, on peut supposer qu'il en est entré au moins une partie dans le larynx; la plus grande quantité, il est vrai, est retenue par le voile du palais et le pharynx. Les médicaments que Trousseau HYPÉREMIE ET CATARRHE DE LA MUQUEUSE DU LARYNX. 15 emploie le plus fréquemment de cette manière sont le nitrate d'argent (5 à 10 centigrammes sur 10 grammes de sucre), le calomel (50 centigrammes à 1 gramme, sur 10 grammes de sucre), l'alun (2 à 4 grammes sur 10 grammes de sucre). Aujourd'hui, le laryngoscope permet, à l'aide d'un tube recourbé que l'on fait avancer jusqu'à l'ouverture du larynx, d'insuffler presque toute la poudre dans cet organe. Un autre procédé, le plus sûr de tous et celui que les spécialistes les plus expérimentés emploient le plus fréquemment, consiste à imbiber une petite éponge fixée sur une baleine d'une solution de nitrate d'argent (2 sur 50) et à l'exprimer au-dessus de l'entrée du larynx. Le succès de ce traitement est souvent instantané et brillant, et présente une analogie frappante avec les heureux résultats de l'application du nitrate d'argent dans la conjonctivite catarrhale. Ceux qui savent se servir du laryngoscope ont le grand avantage de pouvoir s'assurer par l'inspection directe de l'arrivée de l'éponge derrière l'épiglotte. Un procédé plus moderne pour porter les substances médicamenteuses directement sur la muqueuse laryngienne, procédé qui semblait beaucoup promettre au premier abord, mais qui, d'après les expériences les plus récentes, ne donne pas de si grands résultats, consiste à faire aspirer la solution, convertie en un brouillard, une poussière humide. C'est pourquoi on a donné aux appareils dont on se sert dans ce but le nom de néphogènes, pulvérisateurs, appareils à inhalation. On peut les distinguer en deux caté- gories. Dans la première, un mince filet du liquide qui doit être aspiré est poussé avec une grande force contre un petit disque convexe qui le réduit en poussière; tel est l'appareil de Sales-Girons, modifié par Waldenburg, Lewin et Schnitzler; dans la seconde catégorie le liquide médicamenteux est pulvérisé au contact d'une colonne d'air comprimé, tels sont le néphogène de Matthieu et l'hydroconion de Bergson, appareil plus simple et moins coûteux dont je me servais autrefois dans ma clinique. Siegle a eu l'heureuse idée de modifier l'appareil de Bergson, en faisant servir, au lieu de l'air comprimé, la vapeur d'eau soumise aune certaine tension, à la pulvérisation des liquides médicamenteux. Les appareils très-peu coûteux de. Siegle et leurs nombreuses modifications, consistant principalement à substituer, pour développer la vapeur, un réservoir en cuivre aux faibles réservoirs en verre de Siegle, l'emportent tellement sur tous les autres appareils inhalateurs, qu'ils sont, pour ainsi dire, exclusivement employés aujourd'hui. Dans ma clinique, je ne me sers plus d'autres instruments que d'appareils construits d'après le principe de Siegle. La discussion qui s'était élevée sur la question de savoir si réellement les liquides aspirés pénètrent, ne serait-ce qu'en petite quantité, dans les voies aériennes, est aujourd'hui résolue dans le sens de l'affirmative. Contre les catarrhes encore récents et accompagnés d'une sécrétion rare et visqueuse, on fait faire des inhalations avec une solution de 46 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. sel ammoniac (50 centigrammes à 1 gramme sur 30) ; contre les catarrhes plus anciens dont la sécrétion est plus abondante et de nature muco-puru- lente, on emploie les solutions d'alun (25 à 50 centigrammes sur 30 grammes d'eau), de tannin (de 10 à 50 centigrammes sur 30 grammes d'eau), de nitrate d'argent (de 5 à 50 centigrammes sur 30 grammes); quand on em- ploie ce dernier sel, il faut faire porter un masque aux malades pour éviter de leur noircir le visage, à moins que les appareils, comme cela existe pour ceux dont nous nous servons ordinairement, ne soient munis d'un écran qui protège la face. Je ne saurais dire, d'après ma propre expérience, si les inhalations narcotiques d'acétate de morphine (5 milligrammes à 2 centi- grammes sur 30 grammes), de teinture d'opium (10 à 20 centigrammes sur 30 grammes), d'extrait de jusquiame (2 1/2 à 5 centigrammes sur 30 grammes) sont d'une grande efficacité pour combattre les violents accès de toux. — Les éloges exagérés qui ont été accordés au traitement par les inhalations ont été plutôt nuisibles qu'utiles à cette précieuse découverte, qui, auprès de bien des médecins calmes et circonspects, a été discréditée parce que les pompeux succès qu'on lui avait attribués dans les maladies les plus diverses, n'ont pas été confirmés; ce n'est cependant pas une raison pour tout nier. Pour notre part, nous ne pensons pas non plus que l'introduction dans la pratique des appareils inhalateurs marque une ère nouvelle dans la théra- peutique ; mais nous sommes forcé de convenir que précisément dans les catarrhes opiniâtres et invétérés du pharynx et du larynx, nous avons souvent obtenu une guérison radicale en faisant aspirer régulièrement des solutions d'alun et de nitrate d'argent. Quelques individus très-irritables ne supportent pas l'inhalation des substances astringentes; ainsi l'on a vu se présenter chez eux des hémoptysies, soit pendant, soit immédiatement après l'inha- lation. Dans plusieurs localités de bains renommées, on a organisé dans ces der- niers temps des bains d'eau pulvérisée et des salles d'inhalation. Cela existe surtout près des sources d'eaux salines. Les bains d'eau saline pulvérisée les plus simples sont les promenades et les galeries le long des bâtiments de graduation à Kreuznach, à Koesen, à Elmen, à Reichenhall. L'air qu'on y respire contient de nombreuses parcelles d'une solution faible de sel de cuisine. A Kreuznach et à Reichenhall, on pulvérise en outre dans des cabi- nets spéciaux l'eau salée, d'après le principe pulvérisateur de Sales-Girons. A Rheme (Oeynhausen), où sont des eaux salines thermales, on a établi un excellent bain d'eau saline pulvérisée. Outre la poussière d'eau salée, on fait encore respirer à Kreuznach, à Reichenhall, [à Ischl, etc., les vapeurs chaudes qui se dégagent pendant l'ébullition de l'eau salée. Ces vapeurs contiennent moins de sel que la poussière humide des bâtiments de gradua- tion et des salles d'inhalation. On ne sait pas encore positivement si les inha- lations de poussière et de vapeur d'eau salée exercent une influence favorable HYPEREMIE ET CATARRHE DE LA MUQUEUSE DU LARYNX. 17 sur le catarrhe du larynx, ni quel est leur mode d'action. Quelques per- sonnes se plaignent, surtout aux salles d'inhalation, de douleurs dans les yeux, et contractent, sous l'influence du même agent qui doit leur procurer la guérison d'une laryngite ou d'une bronchite catarrhale, une conjonctivite de même nature. C'est du reste là un phénomène qui trouverait son analogie dans d'autres semblables, si de nouvelles expériences venaient à prouver l'efficacité de la poussière d'eau salée contre le catarrhe chronique du larynx. En préconisant l'inhalation de l'eau salée, on s'est aussi préoccupé de son contenu en iode et en brome. Le soulagement momentané que le malade éprouve souvent pendant et après les inhalations trouve une explication toute simple dans ce fait, que le mucus contenu dans les voies aériennes est rendu plus fluide par la poussière d'eau respirée, et se détache, par consé- quent, avec plus de facilité quand le malade tousse. Le régime du catarrhe chronique du larynx doit être le même que celui du catarrhe aigu; même ici les substances salées, surtout la laitance de hareng prise à jeun, jouissent d'une réputation encore plus grande, comme remèdes spécifiques, qu'employées contre le catarrhe aigu. L'indication symptomatique réclame, indépendamment des efforts faits pour conjurer la toux, avant tout une intervention énergique contre les paroxysmes déjà mentionnés de dyspnée subite, survenant le plus souvent pendant la nuit. L'application de sangsues au cou, à laquelle on recourt si souvent, est inutile. L'application d'une éponge trempée dans l'eau chaude, répétée jusqu'à ce que la peau soit devenue rouge, les boissons chaudes prises en abondance, et avant tout l'administration d'un vomitif, voilà ce qui est indiqué dans beaucoup de cas, et agit souvent avec une étonnante rapidité. Comme vomitif, on emploie dans ce cas l'ipécacuanha et le tartre stibié, et non le sulfate de cuivre. On donne ces remèdes à doses élevées pour agir sûrement, le mieux sous la forme de la mixture vomitive de Hufeland. (Pr. : poudre déracine d'ipécacuanha, 1 gramme; tartre stibié, 5 centigrammes ; oxymel scillitique, 10 grammes; eau distillée, ko gram- mes. M. s. a. Bien agiter le flacon et prendre toutes les dix minutes une petite cuillerée jusqu'à effet vomitif.) Si l'accès se répète, on revient sur le vomitif. On fait bien de ne pas lais- ser les enfants s'endormir trop profondément, mais de les relever de temps à autre pour les faire boire. Ils font alors quelques efforts de toux, et par là on empêche que le produit de sécrétion se dépose de nouveau et se dessèche sur les bords de la glotte. K1EMEYER. I — 2 ■18 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. CHAPITRE lï Croup, î&sjgâne coueiincnse, laryngite croupale. § 1. Pathogénie et étiologie. L'inflammation croupale est constituée par une modification inflamma- toire des tissus, dans laquelle un exsudât, riche en fibrine, se coagulant rapi- dement et n'englobant que la couche épithéliale, est déposé sur la surface libre des muqueuses. Si la membrane croupale qui résulte de cette exsuda- tion Aient à être éliminée, les cellules épithéliales se régénèrent prompte- ment; il n'y a pas, dans ce cas, de perte de substance de la muqueuse elle- même; le processus croupalne laisse à sa suite aucune cicatrice. Le proces- sus diphthéritique est également caractérisé par l'exsudation d'un produit riche en fibrine et se coagulant rapidement, à cette différence près qu'ici F exsudât ne se dépose pas exclusivement sur la muqueuse, mais encore dans son inté- rieur. La compression des vaisseaux par F exsudât interstitiel ou par les élé- ments gonflés des tissus eux-mêmes a pour conséquence la mortification des parties enflammées de la muqueuse, qui se transforment en une sorte d'eschare diphthéritique. Après l'élimination de cette eschare, il reste une perte de substance et plus tard une cicatrice. De ces deux formes inflamma- toires, dont la différence fondamentale a été, du reste, beaucoup contestée dans ces derniers temps, la forme croupale est celle qui se présente, pour ainsi dire, exclusivement sur la muqueuse respiratoire. Seul, le croup secon- daire n'est que le symptôme d'une affection constitutionnelle générale, d'une infection aiguë, et qui accompagne parfois la rougeole, la variole, le typhus, la fièvre scarlatine, la diphthérite épidémique, ce croup secondaire seul, disons-nous, montre dans quelques cas, fort rares du reste, une transition à la forme diphthéritique de l'inflammation de la muqueuse. Il arrive beau- coup plus souvent, presque constamment, que même, dans ces cas, la mu- queuse du larynx, alors même que celle du pharynx serait le siège d'une inflammation diphthéritique des plus marquées, présente les caractères de l'inflammation exclusivement croupale. (Voy. le chap. Diphthérite, du second volume.) L'inflammation croupale qui, sur les autres muqueuses, se rencontre bien plus rarement que sur la muqueuse respiratoire, frappe pendant l'enfance, pour ainsi dire exclusivement, le larynx et la trachée, rarement les vési- cules pulmonaires, tandis qu'au contraire la pneumonie croupale, fibrineuse, vrai croup des vésicules, constitue une des maladies les plus fréquentes des adultes, chez lesquels le larynx et la trachée ne deviennent presque jamais le siège d'un croup primitif. CROUP, ANGINE COUENNEUSE, LARYNGITE GROUPALE. 19 Bien que la laryngite croupale appartienne presque exclusivement à l'en- fance, la prédisposition à contracter la maladie est cependant assez faible pen- dant la période de l'allaitement; de même encore la maladie devient plus rare après la seconde dentition, de sorte que la plus forte prédisposition au croup tombe entre la deuxième et la septième année de l'existence. Les gar- çons contractent le croup plus souvent que les filles; mais on se trompe si l'on considère les enfants robustes, bien nourris, florissants en un mot, comme plus particulièrement sujets à cette affection; au contraire, elle se montre tout .aussi fréquemment chez les enfants faibles et délicats, originaires de parents scrofuleux, mal nourris, ayant la peau pâle et les veines appa- rentes (un signe auquel le public attache également de l'importance), et dis- posés aux exanthèmes humides, aux engorgements ganglionnaires, à l'hydro- céphale aiguë. Un fait journalier, c'est que dans certaines familles frappées par une grande mortalité, une partie des enfants succombe à l'hydrocéphale une autre au croup, tandis que, chez les survivants, il se développe plus tard une phthisie pulmonaire. (Voy. le chap. Tuberculose pulmonaire.) Il n'est pas rare que le croup se montre peu de temps après la disparition d'un exan- thème humide de la tête ou de la face. Le croup est plus fréquent dans les localités situées au nord, près du bord de l'eau et exposées aux vents, que dans les contrées plus chaudes du Midi, et mieux abritées. Il n'est pas rare que la maladie prenne un caractère épidé- mique ; alors les enfants tombent malades en grand nombre, même dans les petites localités, et souvent plusieurs enfants sont atteints dans la même famille en très-peu de temps et sous les formes les plus intenses et les plus pernicieuses. C'est précisément ce croup épidémique du larynx qui paraît le plus souvent être accompagné d'une inflammation croupale du pharynx. Dans certaines épidémies de croup, on a observé des faits qui semblent prou- ver l'extension contagieuse de la maladie. Cependant on peut se demander si, dans ces cas, il ne s'agissait pas plutôt d'une diphthérite épidémique, cette maladie si éminemment contagieuse, dans laquelle, comme nous le verrons plus tard, le croup secondaire s'ajoute très-fréquemment à l'inflammation diphthéritique des parois du pharynx. Dans la plupart des cas, il est impossible de constater les causes occasion- nelles de la laryngite croupale; dans quelques cas cependant, une irritation, qui atteint directement la muqueuse du larynx, ou des refroidissements semblent l'avoir provoquée. C'est surtout un vent fort, venant du nord ou du nord-est, que l'on a accusé d'amener le croup. — Il sera question plus loin du rapport qui existe entre le croup secondaire et les maladies infectieuses. 20 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. § 2. Anatomie pathologique. La muqueuse malade montre différents degrés de rougeur, provenant soit d'injection vasculaire, soit d'épanchements sanguins. On prétend que la rougeur diminue à mesure que l'exsudat augmente, et l'on a été jusqu'à fon- der sur l'absence de la rougeur inflammatoire dans le croup, l'hypothèse que cette affection représente une inflammation particulière, exempte d'hy- pérémie. Nous avons déjà indiqué plus haut (p. k) que la pâleur, après la mort, des muqueuses qui pendant la vie étaient hypérémiées, dépendait surtout de leur richesse en fibres élastiques. La muqueuse est privée de sa couche épithéliale, tuméfiée et relâchée, de même que le tissu sous-muqueux ; même les muscles intrinsèques du larynx apparaissent humides, pâles eimous. Très-souvent, mais cela n'arrive certai- nement pas toujours, la surface de la muqueuse est encore, sur le cadavre, couverte d'un exsudât fibrineux. L'absence de la membrane croupale sur les. cadavres de beaucoup d'individus morts après avoir présenté les symptômes du croup -a donné lieu à une distinction erronée entre le vrai et le faux croup, et bien des médecins prétendent encore aujourd'hui que, dans les cas où l'autopsie ne laissait apercevoir aucune pseudo-membrane dans le larynx, le malade n'avait pas succombé au vrai croup. On conçoit que, dans le croup, le plasma exsudé est d'abord liquide et ne se coagule qu'après coup. S'il est rejeté avant la mort, soit à l'état liquide, soit coagulé, on n'en trouvera aucune trace à l'autopsie; mais la maladie n'en aura pas moins été la même que dans les cas où l'autopsie aura révélé un exsudât coagulé, recouvrant encore la surface de la muqueuse. L'exsudat croupal a tantôt la consistance d'une crème visqueuse, tantôt il forme des membranes denses et cohérentes, tantôt il représente une pellicule non interrompue qui tapisse la surface interne du larynx, se continue dans la trachée et les bronches, sous forme de coagulations tubulées et ramifiées, tantôt enfin il ne donne lieu qu'à des flo- cons ou à de petits lambeaux qui adhèrent par endroits isolés à la muqueuse. — Les pseudo-membranes les plus molles et les plus minces se laissent ordi- nairement détacher facilement de la muqueuse, les membranes plus fortes et plus cohérentes adhèrent plus solidement. Sur la face externe de ces pseudo-membranes fermes, solides, ayant souvent plus d'une ligne d'épais- seur, on voit fréquemment de nombreuses stries rouges et des points formés par un peu de sang qui y adhère et qui correspond à de petites places sai- gnantes de la muqueuse, dont la couche fibreuse est ici en contact direct avec l'exsudat. Après être restées en place plus ou moins longtemps, les oseudo-menbranes sont détachées peu à peu par une exsudation séreuse qui part de la surface de la muqueuse, et enfin rejetées à l'état de tubes non inter- CROUP, ANGINE COUENNEUSE, LARYNGITE CROUPALE. 21 rompus, de membranes,, et quelquefois de petits lambeaux et de flocons. Si la terminaison est favorable, l'épithélium est bientôt reproduit, et la mu- queuse du larynx retourne à son état normal. Dans d'autres cas, l'élimina- tion de la fausse membrane produite en premier lieu est suivie d'une forma- tion d'exsudations nouvelles, et de cette façon le processus peut se renouveler assez souvent, jusqu'à ce qu'il finisse par s'éteindre ou que le malade en suc- combe. La membrane croupale, examinée sous le microscope, se montre com- posée de fibrine amorphe ou finement striée, dans laquelle sont englobées de nombreuses jeunes cellules qui se sont mêlées à l' exsudât pendant sa formation. Un fait très-important, autant pour le diagnostic de la maladie que pour l'explication physiologique de ses symptômes, c'est sa complication fréquente par le croup du pharynx. On a été jusqu'à refuser le nom de vrai croup à la maladie quand cette complication ne pouvait être constatée. Cependant toute fréquente qu'elle est, elle est loin d'exister toujours, et l'exsudation pseudo- membraneuse peut avoir son siège unique dans le larynx. Presque toujours on trouve dans les cadavres des enfants morts de croup une hypérémie intense de la muqueuse bronchique et des poumons, un catarrhe bronchique accompagné d'une sécrétion abondante, un œdème pulmonaire, souvent aussi le croup des bronches, des foyers pneumoniques, des atélectasies, un emphysème vésiculaire et interstitiel. Nous verrons plus tard que ces états pathologiques sont en grande partie les suites nécessaires du croup du larynx. § 3. Symptômes et marche. ' - Dans beaucoup de cas l'invasion de la maladie est précédée de prodromes ; les enfants sont maussades, ont un peu de fièvre, ils sont enroués et leur toux a un s'on suspect. Ces symptômes peuvent appartenir tout aussi bien à un léger catarrhe du larynx, être par conséquent insignifiants, qu'ils peuvent constituer les avant-coureurs d'une des plus pernicieuses maladies de l'enfance. Mais un médecin attentif saura le plus souvent, dès ce moment déjà, établir la distinction. On examinera toujours immédiatement Varrière- bouche, même dans le cas où les enfants ne se plaindraient pas de difficultés dans la déglutition. Si l'on y trouve de la rougeur, un gonflement des amyg- dales, et si sur ces dernières on voit appliquées par endroits de petites plaques blanches et solides, cela constitue un signe tout aussi pathognomonique du croup commençant, qu'un éternument répété et un écoulement abondant par le nez le seraient d'un catarrhe du larynx, en supposant que les symptômes fussent du reste les mêmes dans l'un et l'autre cas. Ce qui nous met encore sur la voie du diagnostic entre le catarrhe du larynx et les prodromes du 22 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. croup, ce sont les dispositions morbides de l'individu. Si un enfant a été pris d'enrouement au moindre refroidissement, que sa toux ait pris le son aboyant sans que jamais le croup se soit déclaré à la suite de ces symptômes, si d'un autre côté les frères et sœurs de cet enfant n'ont jamais montré aucune prédisposition pour cette affection, on peut être plus rassuré que dans le cas où l'enfant malade aurait antérieurement déjà traversé des attaques croupales dangereuses, ou aurait eu des frères ou sœurs morts de cette maladie. Ces prodromes peuvent précéder d'un ou de plusieurs jours l'accès de croup proprement dit ; mais il arrive presque aussi souvent que les signes précurseurs manquent et que la maladie éclate subitement sous son plus horrible aspect. Ordinairement tard dans la soirée ou au milieu de la nuit, les enfants s'éveillent ayant la voix rauque, enrouée ou déjà complètement éteinte. Les cordes vocales, gonflées, couvertes d' exsudât, se touchent momen- tanément pendant que les enfants parlent, et l'on entend encore dans ces cas la voix passer subitement d'un ton bas et grave à un ton aigu et discordant. La toux, d'abord brève et stridente, devient bientôt enrouée, et ce n'est que pendant les quintes violentes, quand l'impulsion de l'air soulève et tend les cordes vocales, qu'elle ressemble à un aboiement; enfin la toux perd égale- ment tout timbre, on voit les enfants tousser et parler, mais on ne les entend plus. A ces symptômes, qui sont produits parle relâchement etl'épaississement des cordes vocales, par le commencement de paralysie des muscles qui les tendent (voy. plus bas) et par l'exsudat qui les recouvre, symptômes qui sont exactement et nécessairement les mêmes que ceux que nous avons décrits pour le catarrhe du larynx, vient s'ajouter la dyspnée, dyspnée persistante qui fait tout le danger de la maladie et qui est pathognomonique pour le croup, tandis que, dans le catarrhe du larynx, elle ne se montre que rarement et d'une manière passagère. Cette dyspnée, due au rétrécissement de la glotte et dont nous indiquerons les causes pour les cas où les fausses membranes viennent à manquer, est tout à fait sui generis et difficile à confondre avec les autres embarras de la respiration. La respiration est premièrement très- pénible : on voit les efforts auxquels l'enfant se livre pour attirer l'air dans sa poitrine. Tous les muscles accessoires, dilatateurs du thorax, sont en action; l'enfant se redresse, tend la colonne vertébrale pour donner à la dilatation du thorax un plus grand développement par le soulèvement des côtes. — Mais malgré ces efforts pénibles l'air ne peut passer que lentement à travers la fente rétrécie de la glotte ; les inspirations sont très-longues et par cela même moins fréquentes que dans d'autres états accompagnés de dyspnée, par exemple dans la pneumonie, où les muscles inspirateurs n'ont pas à vaincre une résistance anormale. — Enfin la pénétration forcée de l'air par la glotte rétrécie donne lieu à un bruit très-caractéristique de sifflement, ou rap- GROUP, ANGINE COUENNEUSE, LARYNGITE CROUPALE. 23 pelant le grincement d'une scie, et qu'il suffit d'avoir entendu une seule ibis pour ne plus jamais s'y tromper. Pendant les inspirations pénibles et fatigantes, les muscles élévateurs de l'aile du nez se contractent et dilatent les narines (sans cette action musculaire instinctive les narines se fermeraient parce que l'air contenu dans la cavité nasale est rapidement raréfié) ; toutefois ce battement des ailes du nez ne peut être considéré comme pathognomonique de la dyspnée croupale. Mais indépendamment de ces symptômes, nous en remarquons encore un qui frappe même les personnes étrangères à la médecine, et qui dépend de la raréfaction de l'air dans le thorax, raréfaction qui se produit lorsque cette cavité se dilate pendant le rétrécissement de la glotte. Nous voyons en effet qu'à chaque inspiration, l'épigastre, au lieu d'être bombé, se retire fortement en dedans. A cause de la raréfaction de l'air dans le thorax la résistance du diaphragme est vaincue par la pression atmosphérique, quoique ce muscle se trouve en état de contraction, et sa face pectorale ayant à supporter une pression beaucoup moindre que sa face abdominale, le diaphragme est violemment tiré en haut; de même, la poche d'un soufflet se renverse en dedans si on l'ouvre plus rapidement que l'aime peut entrer parla soupape. En même temps, l'appendice xiphoïde du sternum et les cartilages des clei- nières côtes sont fortement attirés en dedans. C'est encore là un phénomène facile à comprendre pour peu que l'on se rende compte du mécanisme de la respiration dans des conditions normales. Si l'air arrive librement dans les voies aériennes, la contraction musculaire du diaphragme ne sera pas suivie d'une rétraction en dedans du rebord costal, il n'y aura qu'un abaissement de la partie tendineuse du diaphragme ; car la résistance que le rebord des côtes oppose à la rétraction en dedans est beaucoup plus grande que celle qui est opposée à l'abaissement du diaphragme par l'élasticité du poumon et la pression facile à vaincre des viscères abdominaux. Mais s'il arrive que le centre tendineux soit soulevé par la raréfaction de l'air dans le poumon, ou qu'il soit simplement fixé dans sa position, empêché de descendre, les contractions musculaires du diaphragme qui accompagnent l'inspiration attireront forcément en dedans le rebord costal. Le besoin d'avoir de l'air, les efforts faits pour atteindre ce but, et enfin le désespoir que produit l'inutilité de ces efforts, tel est le spectacle qui nous frappe à la vue d'un enfant atteint du croup. Il demande à sortir du lit, à être porté par sa mère ou sa garde-malade, réclame de nouveau le lit; l'angoisse la plus horrible se peint dans ses traits; il s'agite, se jette de côté et d'autre, saisit son cou, sa langue, pour enlever l'obstacle qui l'empêche de respirer; son visage est couvert de sueur et défiguré. Rien de plus triste et de plus cruel que l'aspect d'un enfant qui se débat dans ces tortures. Cette circonstance, que les enfants meurent souvent du croup et ne pré- sentent à l'autopsie ni fausse membrane, ni gonflement considérable de la 24 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. muqueuse et du tissu sous-muqueux, a fait naître l'opinion que, dans les cas de ce genre, une contraction spasmodique des muscles du larynx a rétréci l'orifice de ce canal ; cependant, cette hypothèse est en contradiction avec les lois de la physiologie pathologique : partout où se déclare une inflammation intense des membranes muqueuses ou séreuses, nous trouvons un état d'im- bibition, d'infiltration séreuse et de pâleur, non-seulement dans le tissu sous- muqueux ou sous-séreux, mais encore dans les muscles tapissés par les membranes enflammées. A priori, on se refusera déjà à admettre que dans cet état les muscles soient capables d'entrer en contraction spasmodique, ef Rokitansky, même au point de vue anatomo-pathologique, s'exprime en ce sens que, dans les inflammations croupales, le tissu musculaire, infiltré, pâli, relâché, se paralyse. Mais ce qui prouve à l'évidence que les muscles réduits à cet état perdent la faculté de se contracter, c'est le fait que nous observons dans la pleurésie sur les muscles intercostaux, qui forment une saillie en avant parce qu'ils sont paralysés. Un fait analogue s'observe sur les fibres- musculaires intestinales dans la péritonite et la dysenterie, maladies dans lesquelles les mouvements péristaltiques des parties de l'intestin dont la membrane séreuse ou muqueuse est enflammée sont abolis, parce que les fibres musculaires recouvertes par la membrane enflammée sont paralysées. Ces observations et d'autres analogues rendent peu probable que les muscles du larynx, quand ils sont recouverts par une muqueuse devenue le siège d'une inflammation intense, soient contractés spasmodiquement plutôt que paralysés. Or, la possibilité d'une dyspnée produite par la paralysie des muscles du larynx est prouvée à l'évidence par la section des nerfs pneumo- gastriques faite sur de jeunes animaux en vue d'observations d'un ordre tout différent; et la dyspnée qu'on a observée à la suite de cette expérience a une ressemblance frappante avec la dyspnée croupale que nous venons de décrire; elle reproduit à un tel point les inspirations sifflantes et prolongées de cette dernière, que l'analogie entre les deux états doit paraître évidente à l'observateur même le moins attentif. L'examen anatomique de la glotte chez les enfants ne peut d'ailleurs pas non plus nous laisser dans le doute à cet égard, et nous montre que cette ouverture doit se resserrer et se fermer pendant les inspirations énergiques, toutes les fois qu'elle n'est pas dilatée activement par la contraction musculaire. Les enfants n'ont pas cet espace triangulaire, la partie respiratoire de Longet, limitée par la base des car- tilages aryténoïdes, se prolongeant en avant et en dedans jusqu'aux points d'attache des cordes vocales. La base des cartilages aryténoïdes n'a chez eux aucune étendue, et leur glotte forme d'avant en arrière une fente étroite, limitée par les replis membraneux qui constituent les cordes vocales. Or, ces membranes étant inclinées l'une vers l'autre, la fente sera rétrécie et même fermée si l'air est raréfié dans la trachée par une forte inspiration, sans qu'en même temps l'action musculaire vienne dilater la glotte. Sur un GROUP, ANGINE COUENNEUSE, LARYNGITE CROUPALE. 25 larynx enlevé du corps d'un enfant, on peut toujours fermer la glotte en faisant une forte aspiration sur la trachée. — Comme il est très-essentiel pour le traitement du croup de savoir si la dyspnée est produite par des fausses membranes qui oblitèrent l'orifice, ou par une paralysie des muscles intrinsèques du larynx provenant de leur infiltration œdémateuse, on doit s'assurer si l'inspiration et l'expiration sont également pénibles, ou bien si l'inspiration se fait avec difficulté et avec un bruit de sifflement, et l'expi- ration avec facilité. Dans le premier cas, à la vérité le plus fréquent, ce sont des pseudo-membranes qui rétrécissent la glotte et qui gênent l'entrée aussi bien que la sortie de l'air; dans le dernier cas, c'est la paralysie musculaire qui forme la principale cause de la dyspnée ; pendant l'inspi- ration, la colonne d'air venant de la cavité nasale et buccale ferme la glotte en comprimant ses bords si la pression est diminuée dans la trachée, mais l'expiration se fait librement parce que l'air expiré écarte les cordés vocales, sans qu'il faille pour cela le concours de l'action musculaire. Enfin, nous rapellerons que les muscles crico-aryténoïdiens postérieurs qui dilatent la glotte, se paralysent le plus facilement quand la muqueuse pharyngienne qui les recouvre participe à l'inflammation. On comprendra donc que les cas de croup désignés par quelques auteurs exclusivement du nom de croup vrai, c'est-à-dire ceux dans lesquels les membranes croupales se découvrent aussi sur la muqueuse du pharynx, doivent être beaucoup plus dangereux que tous les autres. Ma confiance dans la justesse de ma théorie a été considérablement affer- mie par l'écartement extrême des bords de la glotte pendant l'inspiration, quand les muscles du larynx fonctionnent régulièrement, et j'ai pu me con- vaincre de ce fait par l'examen laryngoscopique , depuis l'époque où, le premier, j'ai reconnu dans la paralysie des muscles de la glotte une cause essentielle de la dyspnée croupale. Il n'est pas facile de décider si une véritable douleur laryngienne vient s'ajouter aux symptômes que nous venons de décrire. Si les enfants portent la main à leur cou, cela peut provenir de ce qu'ils cherchent instinctivement à se débarrasser de l'obstacle à la respiration qu'ils savent exister en cet en- droit. Au début de la maladie, l'expectoration, généralement assez rare, renferme rarement des lambeaux ou des membranes cohérentes. Le pouls est à cette époque plein, dur et assez fréquent; la face est rouge et la tem- pérature du corps plus élevée qu'à l'état normal. Dans beaucoup de cas, le croup montre dans la matinée et dans le courant de la journée des rémissions considérables devenant presque des intermit- tences. (Aussi les homœopathes ne manquent-ils pas de promettre que leurs remèdes ne feront merveille qu'au bout de quelques heures.) Vers le matin, la respiration devient plus libre, la voix revient, la toux est plus rare, encore enrouée, mais non aphone, la fièvre diminue, l'état général paraît presque 26 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. normal, et il ne reste plus qu'un sifflement presque imperceptible et le son toujours suspect de la toux pour rappeler les angoisses de la nuit précédente. Qu'on se garde de fonder de grandes espérances sur ces rémissions, la nuit suivante peut ramener les mêmes accidents et mettre la vie des enfants dans le plus grand danger. La persistance d'une fièvre, même modérée, et avant tout la présence des pseudo-membranes dans le pharynx, doivent éveiller les plus grandes inquiétudes. Quelquefois le croup montre pendant toute sa durée cette marche rhyth- mique; à des journées passables succèdent des nuits mauvaises; enfin, dans le cas où la maladie doit se terminer par la mort, les rémissions deviennent plus incomplètes et plus courtes, et les exacerbations nocturnes amènent de nouveaux dangers. Dans d'autres cas, et ce sont les plus dangereux de tous, les symptômes du croup n'éprouvent dans leur évolution aucune interrup- tion. La rémission attendue aux heures de la matinée fait défaut, et dans le courant du second ou du troisième jour, la maladie peut déjà se terminer par la mort. Si l'affection, comme cela arrive malheureusement trop souvent dans la laryngite croupale, au lieu de tendre vers une issue favorable, marche au contraire vers une terminaison fatale, le tableau que nous venons d'esquis- ser se modifie. La face rouge de l'enfant devient pâle, les lèvres se déco- lorent, l'œil, qui tout à l'heure exprimait l'inquiétude, devient apathique et somnolent; il n'est pas rare qu'il arrive des Aboutissements spontanés, tandis que les vomitifs restent sans effet et que l'enfant se montre indifférent pour les sinapismes et les autres irritants de la peau. Les mouvements respira- toires ne soulèvent plus la poitrine et souvent alors même le sifflement res- piratoire disparaît; l'enfant est épuisé et plongé dans un état soporeux, les symptômes de la maladie paraissent dissipés, l'enfant semble débarrassé de la gêne respiratoire; quand, tout à coup, en s' éveillant, ou après avoir toussé, il cherche à respirer un peu plus profondément. Alors la glotte se referme, l'enfant est menacé de suffocation, se lève en sursaut, s'appuie sur ses mains, jette un regard de désespoir autour de lui, fait de nouveaux efforts d'inspi- ration et retombe enfin dans l'épuisement et le demi-sommeil. (Des phéno- mènes absolument semblables s'observent chez les jeunes animaux après qu'on leur a coupé les nerfs pneumo-gastriques : une respiration presque libre quand elle est peu profonde, mais très-difficile au moment où ils cher- chent à faire de fortes inspirations, et c'est là un phénomène dont les expli- cations précédentes rendent facilement compte.) Ces modifications qui arrivent dans l'état de l'enfant à mesure que la maladie fait des progrès, proviennent de l'empoisonnement lent du sang par l'acide carbonique, et c'est l'abondance de ce gaz dans le sang qui fait le prin- cipal danger de la maladie. Ce n'est nullement l'accumulation du sans dans le cerveau ou les mé- CROUP, ANGINE COUENNEUSE, LARYNGITE GROUPALE. 27 muges, comme on l'admet généralement, qui explique les phénomènes que nous venons de décrire. De même la difficulté de ^inspiration à elle seule ne suffit pas pour donner aux enfants atteints du croup un aspect cyanose, à moins qu'en même temps ils ne toussent et n'empêchent la déplétion des veines jugulaires en comprimant les organes contenus dans le thorax. Tout enfant atteint du croup doit être pâle dans cette période, et l'est effective- ment jusqu'au moment où la paralysie commençante du cœur rend les al- tères de plus en plus vides et tend à engorger davantage les veines, ce qui communique aux lèvres une teinte livide. Si le sang renfermé dans les veines du thorax est sous une pression moindre que celui des veines situées en dehors du thorax, parce que le poumon, en vertu de son élasticité, tend à occuper un moindre volume et à dilater en quelque sorte les vaisseaux qui le limitent ; si à chaque inspiration profonde cette force d'aspiration devient plus grande, parce que l'attraction du sang vers le cœur augmente à mesure que le pou- mon se dilate davantage, elle arrivera à son plus haut degré et le sang sera précipité avec la plus grande énergie des veines situées en dehors du thorax dans les veines renfermées dans son intérieur toutes les fois qu'un individu cherchera à faire une inspiration profonde avec une glotte rétrécie et que. par là il raréfiera l'air dans son poumon. Jamais, dans ces conditions, il n'\ aura cyanose ou déplétion imparfaite des veines cérébrales ; le contraire de- vra toujours avoir lieu. Il en est tout autrement quand l'inspiration et l 'expiration sont également difficiles. Si les pseudo-membranes rétrécissent l'entrée du larynx à un tel point que très-peu d'air pénètre dans le poumon et qu'il en sort aussi très- peu, l'inspiration et l'expiration mettent en jeu tous les agents mis à leur service, et comme nous pouvons plus fortement expirer qu'inspirer, l'influence de l'expiration forcée doit l'emporter dans ces conditions sur celle de l'inspi- ration forcée, en ce qui concerne l'arrivée du sang dans le thorax, et il doit se produire une cyanose considérable. Si la trachéotomie est exécutée dans ces conditions, l'engorgement des veines du cou rend l'opération très- difficile. Comme l'échange des gaz dans le poumon dépend principalement du re- nouvellement de l'air dans les vésicules, et comme le sang ne se dépouille de l'acide carbonique et n'absorbe l'oxygène qu'à condition que l'air des vési- cules soit plus pauvre en acide carbonique et plus riche en oxygène que le sang du réseau capillaire qui les entoure, une conséquence naturelle de la respiration incomplète du croup, du renouvellement insuffisant de l'air dans les vésicules, est que l'acide carbonique constamment reproduit dans le sang ne s'en dégagera pas pour se mêler à l'air des vésicules déjà saturé d'acide carbonique. Les phénomènes décrits ressemblent exactement à ceux qui surviennent quand un individu respire de l'acide carbonique. Dans le croup, il est empoisonné par l'acide carbonique produit dans le corps lui- 28 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. même, tandis que dans l'autre cas le poison est respiré avec l'air extérieur. Le plus souvent, la terminaison fatale arrive à la suite d'une paralysie gé- nérale que l'empoisonnement du sang par l'acide carbonique a développée lentement^ et les cas dans lesquels une membrane détachée vient tout à coup boucher la glotte et complètement intercepter l'air, par conséquent amener la mort par suffocation rapide, forment l'exception. Si le croup tend vers une terminaison heureuse, l'amélioration se fait lentement : l'enfant rejette de temps à autre, en toussant, un produit vis- queux plus ou moins mêlé de flocons coagulés ; sa toux devient moins pé- nible, sa voix plus claire; les symptômes du narcotisme se dissipent, la res- piration étant devenue plus libre et plus complète. Mais, dans d'autres cas qui ne sont pas à beaucoup près aussi fréquents qu'on a l'habitude de le croire, de grandes quantités de fausses membranes, souvent même des concrétions tubulées, sont rejetées ou milieu de grands efforts de toux, souvent accompagnés d'efforts pour vomir ou de vomisse- ments ; la respiration, tout à l'heure si difficile, devient subitement libre, et les enfants ont échappé au danger de mort, à moins qu'une nouvelle exsuda- tion ne vienne encore oblitérer la glotte ou qu'une nouvelle exacerbation inflammatoire ne provoque un nouvel œdème des muscles du larynx. Après que le processus croupal a terminé son évolution dans le larynx, surtout s'il a été de longue durée, les enfants succombent souvent à une hypérémie et à un œdème pulmonaires, ou bien à un catarrhe bronchique intense. L'insuccès de la trachéotomie dans le croup traîné en longueur dé- pend uniquement de cette complication, dont la fréquence est une consé- quence forcée de la maladie. Si le thorax se dilate, si les alvéoles pulmonaires deviennent plus amples sans que l'air puisse y pénétrer en même temps, l'air renfermé dans les bronches et les alvéoles sera nécessairement dilaté, raréfié ; la muqueuse bronchique et la paroi interne des alvéoles se compor- teront donc dans le croup comme la peau extérieure quand on y applique une ventouse : l'hypérémie et une transsudation augmentée seront l'inévitable conséquence de l'abolition ou de la grande diminution de la pression que subissent les parois capillaires. Cette circonstance, signalée dans deux travaux remarquables sur le croup par Bohn et Gerhart, qui sous ce rapport ont été entièrement d'accord, à savoir que la laryngite croupale, rétrécissant le larynx, se complique constamment et sans exception au bout de très-peu de temps d'un catarrhe bronchique, cette circonstance, disons-nous, semble prouver qu'il existe un lien de causalité entre les deux processus. Il en est tout autrement de. la bronchite croupale et de la pneumonie croupale ou fibrineuse qui, dans certains cas, compliquent le croup du larynx. En effet, c'est exclusivement de l'inflammation catarrhale que j'ai pu dire dans la première phrase de ce livre : Elle se produit partout où les vaisseaux des mu- queuses sont gorgés de sang par une cause quelconque. Je n'ai par consé- CROUP, ANGINE COUENNEUSE, LARYNGITE GROUPALE. 29 quent aucune objection sérieuse à élever contre la manière de voir des au- teurs qui ne comprennent pas le catarrhe parmi les inflammations et l'appellent simplement une anomalie de sécrétion accompagnée de gonfle- ment, d'imbibition du tissu de la muqueuse. Je reviendrai encore plus d'une l'ois sur l'erreur qui consiste à voir également dans les autres formes inflam- matoires une exagération ou une conséquence d'hypérémies simples. C'est évidemment forcer les choses que de prétendre avec Bohn que clans le vrai croup la mort est constamment le résultat de la bronchite ou de la broncho- pneumonie, quoique nous devions convenir que le danger de la laryngite croupale est beaucoup augmenté par le catarrhe bronchique. Quant aux symptômes du croup secondaire, tel qu'il survient dans le cours de la rougeole, de la scarlatine, de la variole et d'autres maladies infectieuses, parmi lesquelles nous comprenons aussi la diphthérite épidémique, il en sera question dans les chapitres qui traitent de ces diverses maladies. eût* tâtZw'Uui/ *ifr%%!a£ § h. Diagnostic. Déjà, en parlant des symptômes et de la marche de la maladie dont il est ici question, nous avons fait ressortir les points de ressemblance qui existent nécessairement entre le croup et le catarrhe du larynx, de même que nous avons dû signaler les différences qui séparent les deux affections, autant sous le rapport des symptômes que sous celui de la marche. Pour le moment, nous nous bornerons à ajouter que l'existence de pseudo-mem- branes sur la muqueuse du pharynx a presque autant de valeur pour le diagnostic que les concrétions membraneuses rejetées par la toux et le vomissement; que la dyspnée n'est observée que rarement et passagère- ment dans le catarrhe du larynx, enfin que dans la plupart des cas la pre- mière de ces deux maladies n'est pas accompagnée de fièvre, tandis que dans la seconde la fièvre existe. § 5. Pronostic. Les enfants qui ont passé l'âge de sept ans peuvent traverser heureu- sement môme les formes intenses de la laryngite croupale. A un âge plus tendre, la maladie compte parmi les plus dangereuses de toutes. Plus haut, nous avons déjà exprimé l'opinion que les brillants résultats attribués par certains médecins à leur manière de traiter le croup doivent être accueillis avec méfiance, et que très-souvent il s'agissait là d'une confusion. Il est incontestable que si la maladie prend un caractère épidémique, le pronostic en devient encore plus mauvais. D'un autre côté, si l'on va évidemment trop loin en considérant comme absolument mortels tous les cas de laryngite 30 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. croupale, accompagnés de croup du pharynx, il n'en est pas moins vrai que cette complication rend la maladie plus grave. Parmi les symptômes, l'anxiété, l'agitation, la plénitude du pouls, la rou- geur de la face, l'enrouement ou l'aphonie sont d'une signification beaucoup moins grave que les premiers signes d'empoisonnement du sang : si la face pâlit, si les lèvres se décolorent, si l'enfant tombe dans la somnolence, si la tête est obnubilée et si l'administration d'un vomitif reste sans effet, tandis que des vomissements spontanés se déclarent, il est très-rare que la maladie se termine heureusement. § 6. Traitement. La prophylaxie de la laryngite croupale réclame les mesures que nous avons déjà recommandées pour prévenir le catarrhe du larynx. Qu'on se garde d'enfermer constamment dans une chambre les enfants qui ont heu- reusement traversé le croup une première fois, ou de les amollir par des vêtements trop chauds. Que cependant on apprenne à la mère à ne pas se fier exclusivement aux rayons du soleil et à ne pas faire promener ses enfants sans s'occuper de la direction du vent; qu'on recommande au contraire de consulter, en cas de prédisposition marquée pour le croup, les girouettes, et qu'on préserve ainsi les enfants de l'influence fâcheuse d'un vent soufflant du nord ou du nord-est. De même, il est utile de faire rentrer ces enfants à la maison après le coucher du soleil. Enfin, un excellent moyen prophylac- tique, en cas de prédisposition marquée pour la maladie, consiste à faire laver le cou et la poitrine à l'eau froide, en ayant soin de faire bien essuyer la peau après ces lotions. Les véritables causes du croup étant enveloppées d'une grande obscurité, il est ordinairement impossible de satisfaire à l'indication causale. Le public, il est Arrai, considère le croup comme provenant à coup sûr d'un refroidis- sement. Avec un véritable fanatisme, on ingurgite aux enfants, dès qu'ils sont enroués, d'incroyables quantités de lait chaud que l'on préfère dans ce cas à l'infusion de sureau. Une fois la transpiration venue, on croit l'enfant sauvé et l'ennemi supposé chassé de la place. Les instituteurs, les savants de village, qui font de l'hydrothérapie, attribuent des succès semblables àl'em- maillottement du corps dans des draps mouillés, croyant obtenir par là, dans beaucoup de cas, les plus brillants résultats qu'ils mettent sur le compte de l'activité cutanée, un instant supprimée et rétablie par leur procédé. En admettant même que très-souvent le croup ait été provoqué par un refroi- dissement de la peau, il n'en est pas moins vrai que ce processus n'est pas assez simple pour permettre que la grave altération de la nutrition subie par la muqueuse, du larynx puisse être réparée par le simple fait d'une entrée en transpiration. Il peut en être autrement du catarrhe; si l'hypérémie seule CROUP, ANGINE COUENNEUSE, LARYNGITE CROUPALE. 31 suffit pour produire le gonflement de la muqueuse, etc., il se peut qu'en activant la circulation périphérique on provoque une déplétion des mu- queuses, et qu'ainsi on fasse disparaître la cause du catarrhe. Or, comme il est difficile, voire même impossible, pour les personnes étrangères à la mé- decine, de distinguer la laryngite croupâle de la laryngite catarrhale, comme le médecin lui-même, appelé la nuit auprès d'un enfant qui est enroué, et chez lequel des accès de dyspnée sont venus subitement se joindre à une toux rauque et aboyante, souvent ne saura distinguer l'une de l'autre les deux formes morbides qu'en observant attentivement les progrès de la marche, on fait bien de recommander à ses clients d'administrer, en atten- dant l'arrivée du médecin, aux enfants qui présentent de pareils symptômes, des boissons chaudes, de les couvrir chaudement et de leur appliquer à plusieurs reprises sur le cou des éponges trempées dans l'eau chaude et bien exprimées. Dans quelques cas, surtout de croup épidémique, l'inflammation paraît se propager, ainsi que je l'ai déjà dit, de la muqueuse du pharynx à celle du larynx. Ici, l'indication causale exige une intervention énergique de la part du médecin, aussitôt que les petites plaques se sont montrées sur les ton- silles : qu'on ne perde donc pas son temps à appliquer quelques sangsues au cou, ce procédé étant d'un succès fort douteux; qu'on éloigne plutôt les membranes croupales, et qu'on touche énergiquement la muqueuse malade avec du nitrate d'argent, moyen beaucoup plus sûr et constituant peut-être le meilleur antiphlogistique, vu l'action astringente du nitrate d'argent. Pour ce qui concerne l'indication de la maladie, beaucoup de médecins, surtout à la campagne, ont l'habitude de prescrire à l'avance des sangsues et des vomitifs, et de faire mettre immédiatement en usage les deux remèdes on l'un d'eux, dès que les premiers signes du croup se sont manifestés. Les sangsues sont censées modérer l'inflammation, les vomitifs ont pour but d'éloigner les pseudo-membranes, et personne n'a le courage de faire en face du croup de la médecine expectante, jusqu'au moment où des accidents particuliers réclament des mesures spéciales. Nous savons par expérience que les enfants atteints du croup peuvent être guéris sans sangsues et sans vomitifs, et c'est encore à l'homœopathie que nous sommes principalement redevables de cette expérience. Les sangsues que l'on fait appliquer à la four- chette du sternum ou au cou, au nombre de une ou de deux pour les enfants au-dessous d'un an, et en nombre plus considérable à mesure que les enfants sont plus avancés en âge, sont d'une efficacité fort douteuse; dans la grande majorité des cas elles sont directement nuisibles. Le conseil d'employer ce remède s'appuie en grande partie sur l'opinion erronée que l'hypérémie et l'inflammation se rencontrent parallèlement sur le même individu, et que par conséquent l'inflammation doit céder après une évacuation sanguine. Le processus inflammatoire proprement dit n'est pas interrompu parles sous- 32 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. tractions sanguines, mais ces dernières peuvent modérer l'hypérémie colla- térale concomitante. Qu'il y ait stase sanguine dans les vaisseaux de la mu- queuse laryngienne, que le cours du sang y soit interrompu, alors ce liquide afflue plus énergiquement dans les vaisseaux des tissus voisins, y produit une transsudation exagérée, du gonflement et de l'œdème. C'est à ce dernier que nous avons en partie attribué le danger inhérent au croup; si, par conséquent, nous avons affaire à des enfants pleins de sève et de vigueur, mais uniquement dans ce cas, il n'y a pas d'inconvénient à appliquer quelques sangsues à la fourchette du sternum. Jamais on ne les posera sur le larynx lui-même, attendu qu'en cet endroit le sang est trop difficile à arrêter; on fera donc toujours l'application soi-même ou on la confiera à une personne expérimentée, sachant arrêter le sang. Chez les enfants délicats, mal nourris, les émissions sanguines sont contre-indiquées; il est éminemment dangereux de priver un enfant des forces dont il aura tant besoin plus tard pour expec- torer énergiquement. Les émissions sanguines ne sauraient prévenir la for- mation de l' exsudât. Quant aux vomitifs, l'action révulsive par laquelle ils sont censés modifier le croup est on ne peut plus problématique; on attendra encore moins de leur action 'diaphorétique. Ils ne sont indiqués que dans le cas où les pseudo- membranes qui oblitèrent le larynx jouent un rôle essentiel clans la production de la dyspnée, et dans lesquels les efforts de toux faits par V 'enfant ne suffisent pas pour lever l'obstacle. Dans la description des symptômes, nous avons déjà fait ressortir qu'une difficulté égale à l'expiration permettait de conclure avec une grande vraisemblance au rétrécissement de la glotte par des fausses mem- branes, et nous voyons dans ce fait une condition essentielle pour l'indi- cation des vomitifs. Les fausses membranes pouvant se former de très-bonne heure, on peut aussi, clans les circonstances mentionnées, administrer de bonne heure un vomitif. Dans le traitement du croup on donne, avec raison, selon mon avis, la préférence au sulfate de cuivre sur l'ipécacuanha et le tartre stibié, lorsqu'il s'agit de faire vomir; mais que l'on se garde bien de donner ce remède à de trop faibles doses, attendu que dans ce cas il agit beaucoup moins sûrement et produit plus facilement des symptômes d'em- poisonnement qu'administré à doses plus élevées. On prescrira 50 à 75 cen- tigrammes de sulfate de cuivre dissous dans 60 grammes d'eau, et l'on fera prendre toutes les cinq minutes une cuillerée à dessert de ce remède jusqu'à effet vomitif. Plus la rémission qui se produira après le vomissement sera complète, et plus les membranes seront rejetées avec abondance, plus aussi on se hâtera de revenir sur le vomitif si la dyspnée se reproduit et montre de nouveau la particularité notée plus haut. Si la rémission n'a pas lieu, si aucune fausse membrane n'est expulsée', et si l'expiration se fait librement, la répétition du vomitif est contre-indiquée. On néglige beaucoup ce prin- cipe dans la pratique. Que de fois ne voyons-nous pas gorger les enfants de CROUP, ANGINE COUENNEUSE, LARYNGITE CROUPALE. 33 ce remède héroïque, même quand ils ne Vomissent plus, et quand, par conséquent, le remède reste sans effet! On les voit baignés jusque sous les bras dans ce liquide bleu, qui, mêlé à du lait coagulé, est rendu par les selles; c'est en vain qu'ils détournent la tête et repoussent la cuiller remplie de ce médicament, objet de leur dégoût et qui leur cause des coliques et des nausées. Un moyen qui mérite encore d'être largement appliqué, c'est le froid sous forme de compresses souvent renouvelées, que l'on applique sur le coude l'en- fant, aussitôt que l'on aperçoit les premiers symptômes de la laryngite crou- pale. Dans les familles où l'emploi de ce moyen n'est pas refusé, on aura des succès beaucoup plus nombreux que dans celles où l'on ne parvient pas à vaincre le préjugé qui s'oppose à ce traitement. Il paraît, en effet, que l'appli- cation du froid sur la peau en cas d'inflammation d'organes internes, comme elle a été recommandée pour la première fois par Kiwisch contre la périto- nite puerpérale, est d'un effet directement antiphlogistique, bien qu'il soit difficile de se rendre compte comment cet effet peut se produire, sur les organes malades, à travers la peau, les muscles, etc.; dans ces cas, l'expé- rience a plus de valeur que le raisonnement physiologique. (Voyez le traite- ment de la pneumonie.) Les idées exclusives des hydropathes de profession qui se décident difficilement à appliquer le froid localement sur les organes enflammés sans mettre simultanément en usage d'autres manœuvres hydro- thérapiques, ont fait plus de mal que de bien à leur méthode. Nous avons recommandé l'application du nitrate d'argent sur la muqueuse du pharynx comme un antiphlogistique direct, et notre propre expérience nous force d'insister vivement sur le conseil de faire l'essai d'appliquer ce re- mède sur la muqueuse du larynx, ainsi que cela se pratique en France et trop rarement chez nous. Bretonneau, l'inventeur de ce traitement local du croup, se servait d'une baleine recourbée, dont l'extrémité inférieure sup- porte une petite éponge. On trempe cette dernière dans une solution con- centrée de nitrate d'argent (1 : Zi); on abaisse la langue et l'on fait arriver l'éponge à l'entrée de la glotte; là, les contractions musculaires qui se pro- duisent immédiatement, expriment l'éponge, et il doit arriver certainement dans le larynx une partie du liquide si petite qu'elle soit. Le calomel a-t-il réellement une action antiphlogistique ou même spéci- fique sur le croup? c'est ce qui reste à prouver; mais il est incontestable que des hommes d'un grand mérite se sont prononcés en faveur de ce remède dans le traitement du croup. Je le prescris, pour ma part, en faible dose dans la plupart des cas de croup (2 à 3 centigrammes toutes les deux heures), tandis que mon expérience me permet de rejeter l'emploi assez répandu de faibles doses de tartre stibié (5 centigrammes sur 30 grammes d'eau, toutes les deux heures une cuillerée à café) et de sulfate de cuivre (10 centigrammes sur 60 grammes d'eau, une cuillerée à café de demi- NIEMEYER. I — 3 34 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. heure en demi-heure, d'heure en heure ou de deux heures en deux heures). Le sulfure de potasse (pr. : sulfure de potasse, 50 centigrammes à 1 gramme ; eau distillée, sirop simple ââ30 grammes ; mêlez ; une cuillerée à café toutes les deux heures) n'a jamais eu une grande vogue, quoiqu'il fût préconisé par de hautes capacités médicales, telles que Rilliet et Barthez, et il est tombé, dans ces derniers temps, dans un oubli presque complet. La recommandation du bicarbonate de soude à hautes doses ne s'appuie sur aucun suces réellement constaté, mais uniquement sur des raisonnements théoriques, et ne mérite, pour cette raison, aucune confiance. En admi- nistrant ce médicament, on s'est laissé guider par l'idée de dissoudre les pseudo-membranes, de prévenir la coagulation d'exsudats nouveaux, ou de modifier la crase viciée du sang. „ Le chlorate de potasse, un des remèdes les plus usités contre la diphthérite épidémique du pharynx et le croup secondaire du larynx qui complique très- fréquemment cette maladie, est préconisé également contre le croup franc et idiopathique par les médecins qui ne séparent pas cette maladie de la laryngite croupale secondaire, due à une infection. Moi-même, je ne possède aucune expérience sur l'efficacité de ce remède dans la maladie dont il est exclusivement question dans ce chapitre. Si l'on est appelé auprès d'un enfant atteint d'un croup récent, on ne doit pas se figurer que cet enfant va mourir au bout de quelques heures, à moins d'une intervention immédiate et énergique. On n'appliquera quelques sang- sues que dans les circonstances indiquées plus haut, et l'on aura soin de faire en sorte que les morsures ne coulent pas trop longtemps. Dans la plu- part des cas, on se bornera à l'application du froid, et le médecin n'hésitera pas à poser lui-même les premières compresses jusqu'à ce que les parents s'aperçoivent que l'enfant est soulagé par ce moyen. En même temps, s'il y a constipation, on fera donner un lavement pour laisser plus de jeu au dia- phragme; ce lavement pourra être composé de 3 parties d'eau froide et de 1 partie de vinaigre. Si la dyspnée fait des progrès et que l'expiration soit gênée en même temps que l'inspiration, on doit administrer un vomitif à forte dose, sans pour cela cesser d'appliquer les compresses. Dans les condi- tions signalées plus haut, on fera vomir de nouveau; mais si l'administration du remède n'est suivie d'aucune rémission, on fait bien d'appliquer la solu- tion de nitrate d'argent sur l'ouverture de la glotte à plusieurs reprises et à quelques heures d'intervalle. On ne doit pas oublier pendant la nuit que les premières heures de la matinée amènent ordinairement une rémission, comme on ne perdra pas de vue non plus, dans le courant de la journée suivante, que, malgré l'amélioration survenue, la nuit prochaine pourra ramener de grands dangers. Quel que soit e bien-être de l'enfant, il ne doit pas quitter le lit; la température de l'appartement doit être réglée CROUP, ANGINE COUENNEUSE, LARYNGITE CROUPALE. 35 au thermomètre et maintenue au même niveau; il faut entretenir une cer- taine humidité de l'atmosphère, en plaçant dans la chambre des vases décou- verts remplis d'eau. On donnera toutes les deux heures 2 centigrammes 1/2 de calomel, on fera changer moins souvent les compresses qu'on recouvrira d'une pièce d'étoffe de laine; enfin, on continuera l'emploi de la solution de nitrate d'argent, mais à de plus longs intervalles. Si la nuit suivante amène une aggravation des symptômes, on doit employer les mêmes mesures. Si ce traitement n'est suivi d'aucun succès, si, au bout de dix à douze heures, il n'y a pas d'amélioration, on ne doit pas perdre son temps à appli- quer des vésicatoires, à prescrire le sulfure de potasse, le bicarbonate de soude, le chlorate de potasse ou le polygala sénéga, ou d'autres expecto- rants; mais on procédera, sans plus tarder, à la trachéotomie. Plus on se hâtera delà faire, plus il y aura lieu d'espérer que le pronostic de l'opéra- tion ne sera pas aggravé par un catarrhe bronchique, une hypérémie et un œdème pulmonaires. (Voy. plus haut.) Si nombreux que soient les in- succès, il n'est pas un seul cas dans lequel il nous soit permis de nous abstenir d'opérer après que d'autres remèdes se sont montrés inefficaces. La mort même, si elle arrive, se présente, après l'opération, sous un aspect beaucoup moins cruel, tant pour l'enfant que pour la famille, que quand on s'est abstenu d'opérer. L'indication symptomatique exige, outre les prescriptions dont il a été ques- tion à l'occasion de la dyspnée et de l'indication de la maladie, que l'on tienne compte des symptômes de paralysie que nous avons envisagés comme les conséquences d'un empoisonnement du sang par l'acide carbonique. Le stimulant le plus énergique que l'on puisse employer dans ce cas et qui est également très en faveur quand il s'agit de combattre les empoisonnements par la vapeur de charbon, consiste à faire des aff usions d'eau froide sur la tête de l'enfant assis dans un bain d'eau chaude. On ne doit jamais négliger ce moyen quand l'enfant montre de la somnolence, que sa tête est obnubi- lée, que sa peau devient fraîche et que les vomitifs, dont l'administration est plus que jamais indiquée dans ces circonstances, restent sans produire d'effet. Quelques litres d'eau froide versés d'une certaine hauteur sur la tête, la nuque et le dos de l'enfant, le font presque toujours revenir à lui, le font tousser plus énergiquement et quelquefois rejeter des pseudo-membranes immédiatement après le bain. D'autres excitants, beaucoup moins efficaces et mii ne méritent d'être employés que dans les cas ou d'invincibles préjugés s'opposent aux affusions, sont le camphre, le musc, dont il faut prescrire, dans ces cas, de fortes doses, surtout si l'on veut en faire suivre l'emploi par l'administration d'un vomitif. (Pr. : camphre, 50 centigrammes; éther acé- tique, 12 grammes; mêlez. Prendre, tous les quarts d'heure, 10 gouttes dans de l'eau sucrée. — Pr. : musc, 20 centigrammes; sucre, k grammes. Mêlez exactement, divisez en six parties égales. A mettre dans du papier ciré. S ; 36 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. Faire prendre une poudre de demi-heure en demi-heure ou d'heure en heure.) L'application de sinapismes aux mollets ou aux plantes des pieds, les bains répétés des mains et des avant-bras dans de l'eau aussi chaude que les enfants peuvent la supporter, l'emploi de vésicatoires volants posés sur la région de la poitrine ou de la nuque, tout cela est recommandé, soit pour fortifier l'action des excitants administrés à l'intérieur, soit pour détourner le mal du larynx vers la peau extérieure. Bien que nous n'ayons pas une grande confiance dans l'efficacité des révulsifs cutanés contre le croup, nous les mettons cependant en usage, faute de mieux, lorsque la maladie traîne en longueur, qu'elle va tantôt en s' améliorant, tantôt en empirant, que nous ne sommes pas très-satisfaits du résultat obtenu avec les médicaments jusque-là prescrits et que nous hésitons cependant à recourir à la trachéo- tomie. Pour hâter l'effet du vésicatoire volant, Bretonneau donne le conseil de répandre sur l'emplâtre une couche d'huile ayant la propriété de dissoudre la cantharidine, et de couvrir ensuite l'emplâtre d'une couche de papier bu- vard avant de l'appliquer. CHAPITRE III. Ulcères caâarrliaux du larynx. § 1. Pathogénie et étiologie. Si la prolifération cellulaire qui, dans les catarrhes aigus et chroniques, a lieu à la surface de la muqueuse, se communique au tissu même de cette membrane et détermine la fonte de la substance intercellulaire, il se produit une perte de substance superficielle : l'ulcère catarrhal simple ou l'érosion catarrhale. La pathogénie en est facile à comprendre, si l'on se représente un processus très-analogue sur la peau extérieure. Lorsque l'épiderme a été soulevé par un vésicatoire, de jeunes cellules se mêlent bientôt au contenu de l'ampoule et en troublent la transparence. Ces cellules sont produites à la surface du derme par la prolifération des cellules épidermiques situées plus profondément; le tissu du derme lui-même est intact. Mais qu'on panse après l'évacuation du liquide l'endroit dénudé de la peau avec une pommade irri- tante, alors la prolifération cellulaire superficielle se transmettra au tissu du derme lui-même, en déterminera la fonte et fera naître un ulcère superficiel de la peau, qui offrira une analogie parfaite avec l'ulcère catarrhal simple des membranes muqueuses. — Dans d'autres cas, quelques-unes des nombreuses glandes muqueuses qui se rencontrent dans le larynx deviennent le siège d'une production cellulaire extraordinaire, ce qui dépend en partie d'une oblitération de leur canal excréteur par le gonflement et l'hypérémiede la ULCERES GATARRHAUX DU LARYNX. 37 muqueuse affectée de catarrhe et d'une irritation par le produit de sécrétion retenu dans ces conditions; ces glandes gonflent considérablement, enfin leur paroi supérieure se rompt, leur contenu se vide, et il se produit à la place de la glande une perte de substance ronde, en entonnoir. C'est ce qui constitue la seconde forme de l'ulcère catafrhal, c'est-à-dire Y ulcère folliculaire. Les ulcères catarrhaux se produisent assez rarement dans le cours d'un ca- tarrhe aigu du larynx. ■ — Parmi les catarrhes chroniques, c'est surtout le ca- tarrhe folliculaire, assez commun chez les prédicateurs, les chanteurs, les avocats, mais, aussi chez les fumeurs et les buveurs, qui montre une grande tendance à l'ulcération. Cette tendance est encore plus marquée dans le ca- tarrhe chronique du larynx qui, indépendamment de toute affection tuber- culeuse de l'organe, accompagne presque toujours la phthisie pulmonaire. Enfin, nous devons ajouter que Tûrk a plusieurs fois observé des ulcères catarrhaux du larynx aux environs desquels on pouvait à peine constater quelques traces d'affection catarrhale. La grande fréquence des ulcères catarrhaux à des endroits déterminés de la muqueuse laryngienne, notamment à la paroi postérieure, aux ligaments aryténo-épiglottiques, aux extrémités antérieures et postérieures des cordes vocales, à l'épiglotte, à l'endroit correspondant à l'apophyse antérieure du •cartilage aryténoïde, peut être expliquée par quelques conditions écolo- giques. Les endroits que nous avons cités les premiers sont particulièrement riches en glandes muqueuses, et le tissu de la muqueuse y est plus lâche, parce qu'il n'y a pas autant de fibres élastiques qu'ailleurs. A l'endroit cité •en de'rnier lieu, la cause de l'ulcération paraît être plutôt une cause méca- nique; quand on parle haut, les cordes vocales se . rapprochent l'une de l'autre, au point que leurs extrémités viennent presque à se toucher. Si leur revêtement membraneux est le siège d'un gonflement catarrhal, il se pro- duit, pendant que l'individu parle, un frottement continuel qui peut entraî- ner des excoriations et des ulcérations. (Lewin.) § 2. Anatomie pathologique. Les érosions catarrhales ont ordinairement, au début, une forme arrondie ou bien allongée, correspondant à la direction des fibres élastiques; mais plus tard elles se réunissent en pertes de substance étendues et à configura- tion irrégulière. Les ulcères folliculaires conservent en général leur forme arrondie, même lorsqu'ils existent depuis un temps assez long, et montrent beaucoup moins de tendance à s'étendre en surface qu'en profondeur. Ils entraînent facilement le cartilage sous-jacent dans le processus patholo- gique, et ce n'est que par exception qu'on voit plusieurs de ces ulcères se confondre entre eux et déterminer une destruction étendue de la muqueuse, une phthisie catarrhale du larvnx. 38 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. Les ulcères catarrhaux des cordes vocales ont ordinairement pour points de départ les extrémités antérieures ou postérieures de ces replis membra- neux et s'étendent de là, dans le sens de la longueur, sur la plus grande partie de l'une et plus souvent encore des deux cordes vocales. Dans quelques cas, la perte de substance est tellement superficielle, que les cordes vocales semblent en quelque sorte usées à la surface; dans d'autres cas, la destruc- tion est plus grande. Lewin décrit des ulcères catarrhaux de la face inférieure des cordes vocales dont on ne pouvait apercevoir pendant la vie que le re- bord extérieur, sous forme d'un mince repli muqueux qui semblait inséré sous le niveau de la face supérieure des cordes vocales. On rencontre si fré- quemment, chez les malades atteints de phthisie pulmonaire, des ulcéra- tions catarrhales, souvent entourées de petites excroissances et qui ont pour siège l'endroit de la muqueuse qui recouvre les apophyses antérieures des cartilages aryténoïdes, qu'on peut considérer comme pathognomonique de la phthisie pulmonaire cette altération laryngoscopique qui ne se rencontre jamais chez les individus dont les poumons sont intacts. § 3. Symptômes et marche. Le tableau offert par le catarrhe chronique du larynx n'est pas essentiel- lement modifié lorsque cette maladie est compliquée par des ulcères catar- rhaux. On peut, à la vérité, soupçonner cette complication quand les ma- lades atteints d'un enrouement, allant par intervalles jusqu'à l'aphonie complète, et d'une toux rauque et aboyante qui dure depuis un certain temps déjà, se plaignent en même temps d'une sensation de brûlure et d'écorchure dans l'intérieur du larynx, surtout en parlant et en toussant. Mais ce symptôme, qui devient parfois si gênant, [que les malades osent à peine parler et cherchent à éviter instinctivement la douleur en parlant sans semuer les cordes vocales, c'est-à-dire en chuchotant, manque encore assez rouvent, même en cas d'ulcérations catarrhales étendues du larynx. La probabilité d'une ulcération catarrhale devient plus grande quand les sym- ptômes de dysphagie viennent s'ajouter à ceux du catarrhe chronique du larynx ; du moins ce symptôme ne manque pour ainsi dire jamais en cas d'ulcères à l'épiglotte, aux ligaments aryténo-épiglottiques et aux cartilages aryténoïdes; toutefois, comme on l'observe aussi dans certains catarrhes simples, mais internes, ayant leur siège aux endroits que nous venons de nommer, on ne peut pas non plus conclure de là positivement à l'existence d'ulcères du larynx. — Le meilleur point de repère pour le diagnostic des ulcères catarrhaux du larynx consiste, abstraction faite de la révélation directe au laryngoscope, dans la présence d'une certaine quantité de sang sous forme de petites stries au milieu des crachats, assez rares du reste. — Parmi les symptômes objectifs, l'état de l'isthme du gosier et du pharynx est ULCERES GATARRHAUX DU LARYNX. 39 déjà d'une grande signification au point de vue du diagnostic. L'expérience nous apprend que souvent des ulcères folliculaires du pharynx coïncident avec des ulcères de même nature dans le larynx. Si, par conséquent, chez les individus qui présentent un enrouement chronique et d'autres symptômes d'un catarrhe du larynx, on trouve sur la muqueuse rougie du voile du palais et de la paroi postérieure du pharynx une certaine quantité de petits ulcères ronds et jaunâtres, il y a lieu de supposer que le catarrhe chro- nique du larynx, dont l'existence est démontrée, a provoqué une forma- tion d'ulcères folliculaires sur la muqueuse de cet organe. — La plupart des ulcères catarrhaux du larynx peuvent être vus au laryngoscope ; cela est surtout facile pour ceux qui ont leur siège à l'épiglotte, aux cartilages aryténoïdes, aux replis aryténo-épiglottiques, aux cordes vocales supérieures et inférieures. § h. Traitement. Le traitement des ulcères catarrhaux se confond presque entièrement avec celui des catarrhes simples du larynx, de même que dans les catarrhes des autres muqueuses nous ne modifions pas essentiellement notre traitement quand des ulcères catarrhaux viennent compliquer le simple catarrhe. Toutefois il est incontestable que la guérison des ulcères catarrhaux du larynx se fait un peu plus rapidement quand les médicaments, au lieu d'être ap- pliqués sur toute la surface de la muqueuse, le sont sous une forme plus con- centrée directement et exclusivement sur la surface ulcérée. Par conséquent le médecin qui a su acquérir assez d'expérience en laryngoscopie pour savoir toucher les ulcères du larynx sans trop de difficulté avec le crayon de nitrate d'argent, fera bien d'employer ce traitement à la place de l'autre trai- tement local conseillé dans le premier chapitre, et en particulier à la place des inhalations de nitrate d'argent ou d'alun. Qu'on se garde cependant de négliger pendant le traitement local par les caustiques et les inhalations les prescriptions hygiéniques et médicamenteuses que nous avons recom- mandées contre le catarrhe du larynx. Une manière de voir aussi étroite, qui n'est que trop dans les habitudes des spécialistes, est non-seulement nuisible au malade, mais elle tend encore à discréditer le traitement. Si par l'usage de l'eau d'Ems et le soin de ménager la muqueuse du larynx, par exemple, en ordonnant un silence absolu pendant des semaines entières, on parvient à amener la guérison d'un ulcère catarrhal du larynx qui jusque- là avait résisté au traitement local dirigé par un spécialiste dans de nom- breuses séances, la raison en est que le malade ne comptait pour son réta- blissement que sur le succès de ce traitement local et qu'en dehors de ce traitement sa manière de vivre à été irrégulière et imprudente. 40 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. CHAPITRE IV. Ulcères typhiques et vai-ïoliques «lu larynx. § 1 . Pathogénie et étiologie. Il n'y a pas longtemps encore, on admettait, avec Rokitansky, que Y ulcère typhique du larynx était dû à une infiltration pulpeuse des glandes muqueuses du larynx, suivie d'une formation d'eschare gangreneuse, et que l'on devait par conséquent le considérer comme parfaitement analogue à l'ulcère ty- phique de l'intestin, dû à une altération semblable des glandes isolées ou des glandes de Peyer dans l'intestin. Cependant cette origine de l'ulcère typhique du larynx, si tant est qu'elle existe, est loin d'être la seule, ni même la plus commune. Rokitansky lui-même fait dériver dans la dernière édition de son Anatomie pathologique l'ulcère typhique du larynx d'une infiltration diphthéri- tique de la muqueuse ; et, en effet, ce qui tend à confirmer cette manière de voir, c'est le développement d'ulcères typhiques aux endroits déclives du larynx où il se produit facilement des hypérémies hypostatiques telles qu'on les ren- contre aux parties déclives des poumons et dans la peau du dos et des lombes ; il en est de même du développement de ces ulcères aux endroits les plus ex- posés à une pression ou à un tiraillement. Mais ce qu'il y a déplus concluant, ce sont les observations de Rûhle, qui a vu des ulcères du larynx se produire également dans le typhus exanthématique, maladie entièrement distincte de la fièvre typhoïde et dans laquelle les glandes intestinales ne sont le siège d'aucune infiltration pulpeuse. Les ulcères du larynx observés dans cette maladie en même temps que des affections catarrhales, croupales et diphthé- ritiquesfort étendues, ressemblaient en tout point à ceux que l'on rencontre dans la fièvre typhoïde. Tandis que l'infection par le virus de la rougeole est suivie d'une laryngite catarrhale et, dans quelques cas rares, d'une laryngite croupale, et tandis que l'infection parle virus scarlatinique ne se localise (suivant l'expression usuelle) qu'exceptionnellement dans le larynx par propagation de l'inflammation diphthéritique de la muqueuse du pharynx à celle du larynx, l'infection par le virus de la variole entraîne dans la plupart des cas une inflammation pustuleuse de la muqueuse laryngienne. Uidcère variolique est dû à une pro- pagation de l'exanthème de la peau et de la muqueuse bucco-pharyngienne à la muqueuse du larynx. Nous avons affaire ici à une éruption de pustules varioliques dans le larynx, éruption qui se complique en général d'une inflammation croupale diffuse, d'un croup secondaire. ULCÈRES TYPHIQUES ET VARIOLIQUES DU" LARYNX. ûl § 2. Anatomie pathologique. L'ulcère typhique est représenté par une perte de substance de la mu- queuse,'entourée de bords flasques et blafards. Son siège le plus fréquent est la paroi postérieure du larynx, au-dessus du muscle transverse et sur les bords latéraux del'épiglotte. En général sa largeur ne dépasse pas quelques lignes; dans quelques cas, cependant, il s'étend en surface, au point que tout le bord libre de l'épiglotte paraît rongé par l'ulcération; dans d'autres cas, il se dirige plutôt vers les parties profondes, et peut conduire à la péri- chondrite laryngée, à la dénudation et, par conséquent, à la nécrose du cartilage. L'itlcère variolique commence par une formation de pustules plates, molles, non ombiliquées, qui se rompent en très-peu de temps et laissent à leur suite des ulcères superficiels, ronds et guérissant facilement. — L' exsudât croupal qui, chez les individus atteints de variole, se rencontre dans le larynx à côté de l'éruption pustuleuse et souvent même, d'après Rùhle, à l'exclu- sion de cette dernière, recouvre sous forme d'une membrane ordinairement mince la muqueuse qui est très-rouge et très-gonflée au commencement, mais qui plus tard perd cette double propriété. Après l'élimination de la pseudo-membrane, qui ordinairement envahit aussi la trachée, jusqu'à sa bifurcation, la muqueuse paraît saine, à quelques légères érosions près. § 3. Symptômes et marche. Si l'ulcère typhique du larynx n'entraîne pas un gonflement et un relâ- chement des cordes vocales, il peut, à raison du siège qu'il occupe d'habi- tude, ne pas altérer sensiblement la voix. La douleur ou d'autres sensations anormales sont faibles et peuvent même manquer complètement; dans tous les cas, les malades plongés dans la somnolence n'ont pas l'habitude de s'en plaindre. De là il résulte que l'ulcère typhique du larynx souvent n'est pas reconnu et ne peut même pas être, reconnu sur le vivant et que c'est seu- lement à l'autopsie que le hasard le fait découvrir. On ne négligera donc jamais d'examiner le larynx des individus morts du typhus, même dans les cas où pendant la vie on n'avait pu constater aucun symptôme du côté de cet organe. Dans d'autres cas, à la vérité, le relâchement et le boursouflement des cordes vocales sont tellement considérables que la voix devient enrouée, et s'il y a peu de stupeur, il peut même se produire de fortes quintes de toux ou une toux enrouée, aphone. Bien que ce ne soient pas là des symptômes pathognomoniques de l'ulcère typhique du larynx, mais simplement des symptômes d'une affection de la muqueuse des cordes vocales occasionnée par l'ulcère, il n'en est pas moins permis, du moment qu'ils se manifestent 42 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. dans le second ou le troisième septénaire d'une fièvre typhoïde, de diagnos- tiquer cette variété de la maladie connue sous le nom de laryngo-typhus. Si l'ulcère typhique par lui-même est ordinairement un mal insignifiant, il peut cependant mettre le malade en danger en se compliquant d'un œdème de la glotte, d'une périchondrite laryngée, d'une paralysie ou d'une adhé- rence partielle des cordes vocales. Les ulcères varioliques doivent produire absolument les mêmes symptômes que le catarrhe primitif du larynx. Si l'exanthème de la peau, les pustules de la bouche et du pharynx n'offraient pas un point de repère certain, il serait impossible de distinguer les deux affections l'une de l'autre. — Le croup secondaire de la variole provoque, comme le croup idiopathique, de l'en- rouement et de l'aphonie. La toux est ordinairement assez modérée et peut même manquer absolument. De même il est rare que l'on observe la dyspnée intense et caractéristique qui accompagne le croup idiopathique; la rareté de ce symptôme peut tenir soit au peu d'épaisseur des pseudo-membranes qui ne rétrécissent pas considérablement l'ouverture du larynx, soit à l'ab- sence de l'œdème et de la paralysie des muscles de la glotte, œdème et para- lysie que nous avons vus produire en partie la dyspnée croupale (voy. p. 2U). § U. Traitement. Les ulcères typhiques et varioliques guérissent en général en même temps que la maladie principale, et n'ont besoin d'aucun traitement particulier, à moins qu'ils ne se compliquent d'oedème de la glotte, de périchondrite laryngée, d'adhérence ou de paralysie des cordes vocales. CHAPITRE V. Affections syphilitiques du larynx. § 1. Pathogénie et étiologie. La syphilographie du larynx s'est accrue, depuis l'introduction du laryn- goscope, de beaucoup de faits nouveaux, et a subi une réforme complète. Ce sont surtout Gerhardt et Roth qui ont démontré que les affections syphi- litiques du larynx sont beaucoup plus fréquentes qu'on se le figurait jusqu'à présent. Ils ont trouvé, en effet, en examinant au laryngoscope un grand nombre d'individus atteints de syphilis, qui souvent même n'avaient accusé aucun symptôme du côté du larynx, qu'outre les troubles de nutrition graves et destructeurs qu'on a l'habitude de compter parmi les formes tertiaires de la syphilis (voy. vol. II, chap. Syphilis), et qui étaient déjà connus aupara- AFFECTIONS SYPHILITIQUES DU LARYNX. 43 vant, on rencontrait aussi fort souvent dans le larynx les formes dites se- condaires, telles que catarrhes, condylomes (plaques muqueuses), ulcères simples. Quelques malades faisant remonter leur affection à un refroidisse- ment, les médecins que nous venons de nommer et dont nous utiliserons de préférence le travail pour notre exposé des affections syphilitiques du larynx, considèrent comme probable que la localisation de la syphilis dans cet organe soit en partie déterminée par un catarrhe accidentel du larynx. § 2. Anatomie pathologique. Les altérations anatomiques que la syphilis provoque dans le larynx con- sistent quelquefois dans celles d'un simple catarrhe, offrant une analogie parfaite avec l'angine syphilitique simple. — Bien que le catarrhe syphili- tique du larynx ne se distingue par aucune propriété anatomique apprécia- ble d'autres catarrhes laryngiens, il n'en est pas moins vrai que le moment de son apparition après un ulcère syphilitique primitif, sa durée, sa dispari- tion à la suite d'un traitement mercuriel, parlent en faveur de sa nature spé- cifique et semblent prouver qu'il est sous la dépendance d'une infection sy- philitique. On rencontre bien plus fréquemment dans le larynx des condylomes ou plaques muqueuses. Ils forment des saillies plates et rougeâtres et présen- tent quelquefois à leur surface un épaississement et un boursouflement blan- châtres de l'épithélium, tels qu'on les rencontre aussi sur les condylomes de la cavité bucco-pharyngienne. Les cordes vocales sont le siège le plus fréquent des plaques muqueuses; cependant on en trouve aussi à d'autres endroits, par exemple à la paroi postérieure du larynx, aux cartilages aryté- noïdes, aux replis aryténo-épiglottiques. Les ulcères syphilitiques simples (secondaires) sont assez rares ; aucun des cas de condylomes du larynx relatés par Gerhardt et Roth ne coïncidait avec des ulcères. Les auteurs que nous venons de nommer déclarent que le diagnostic de ce genre d'ulcères n'est ni sûr ni précis, attendu que l'en- duit jaunâtre du fond, aussi bien que les végétations du pourtour, s'obser- vent, suivant eux, tout aussi souvent dans d'autres formes d'ulcères. Les ulcères syphilitiques simples du larynx se rencontrent aux endroits les plus variés de cet organe, à l'épiglotte, aux ligaments thyréo:aryténoïdiens su- périeurs et inférieurs, dans le fond du larynx. Ils sont loin d'être toujours accompagnés d'ulcères syphilitiques du pharynx, et cette complication n'est pas même fréquente. Enfin, nous devons faire mention des idcérations très-étendues en surface et en profondeur (tertiaires) que l'on connaît depuis longtemps, et qui se rap- prochent des destructions de la peau par le lupus syphilitique, et proviennent kk MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. sans doute, comme ces dernières, de la fonte suppurée de tubercules sy- philitiques (syphilomes noueux, gommes). Ces ulcérations débutent presque toujours à l'épiglotte ; elles en détruisent des parties plus ou moins considé- rables, et envahissent souvent, en partant de là, tout le larynx. Les ulcères ont généralement une forme sinueuse ou dentelée, un fond lisse, couvert d'un enduit jaune, et montrent une tendance à se cicatriser aux endroits envahis les premiers, pendant que la destruction se porte plus loin. Une lé- sion très-caractéristique est celle qui se compose des végétations papillaires très-nombreuses, renflées en massue, qui entourent les ulcères et les cica- trices fortement rétractées. § 3. Symptômes et marche. Le catarrhe syphilitique simple et les plaques muqueuses du larynx comptent parmi les formes les plus précoces de la syphilis constitutionnelle. Si, par conséquent, un individu atteint, il y a quelques mois, d'accidents syphili- tiques primitifs accuse, sans cause occasionnelle appréciable, une sensation de chatouillement dans la gorge, si sa voix devient grave et enrouée, s'il lui survient une toux stridente et aboyante, et si ces phénomènes se prolongent malgré la conduite prudente du malade, ou bien si l'enrouement s'élève gra- duellement jusqu'à l'aphonie, alors nous sommes en droit de supposer que les symptômes en question ne dépendent pas d'un catarrhe franc, mais d'un catarrhe syphilitique du larynx ou d'un développement de condylomes dans cette cavité. Il ressort de ce que nous avons dit dans les premiers chapitres sur l'origine de l'enrouement, de l'aphonie, de la toux rauque et aboyante, que le catarrhe syphilitique aussi bien que le catarrhe franc, et les condy- lomes aussi bien que le gonflement catarrhal et l'enduit muqueux des cordes vocales, modifient le son de la voix et de la toux et peuvent rendre impos- sible la production de vibrations sonores. De même il est inutile d'insister sur ce fait que les condylomes qui existent à des endroits où ils ne gênent en rien les vibrations des cordes Arocales, ne produisent ni enrouement, ni aphonie. — Comme, dans presque tous les cas relatés par Gerhardt et Roth, les condy- lomes du larynx étaient compliqués de condylomes situés à d'autres endroits, surtout dans la bouche et dans le pharynx, on soupçonnera, en présence des symptômes décrits plus haut, l'existence de condylomes laryngiens, si ces productions se trouvent encore ailleurs, et l'on supposera par contre un simple catarrhe si les cavités voisines sont exemptes de condylomes. Toutefois, l'exa- men laryngoscopique donnera seul au diagnostic le caractère de la certitude. Les ulcères syphilitiques simples ou secondaires semblent appartenir à une période un peu plus avancée de la syphilis, et notamment leur apparition ne coïncide ordinairement pas avec celle des ulcères syphilitiques simples du pharynx. On doit soupçonner l'existence de ces ulcères lorsque chez un ma- AFFECTIONS SYPHILITIQUES DU LARYNX. 45 lade il se produit, une ou plusieurs années après qu'il a été contaminé et à la suite d'autres formes de la syphilis constitutionnelle, des signes d'une affec- tion chronique du larynx ne rétrécissant en aucune façon l'ouverture de cette cavité, et lorsque d'autres affections laryngiennes paraissent peu pro- bables. — Le laryngoscope fournit encore ici le meilleur moyen d'arriver à un diagnostic certain. Les ulcérations les plus faciles à reconnaître sont les ulcérations étendues en surf ace et en "profondeur [lacérations tertiaires). Elles constituent une des lésions tardives de la syphilis et frappent presque exclusivement des individus qui depuis des années ont été atteints tantôt de telle affection syphilitique, tantôt de telle autre, et qui ont déjà suivi plusieurs traitements, surtout des traite- ments mercuriels. Les malades sont enroués ou aphones et sont atteints d'une toux rauque qui donne lieu à une expectoration abondante, souvent mêlée de sang, et à ce symptôme s'ajoute constamment une dyspnée plus ou moins intense. On observe chez eux les inspirations caractéristiques de la laryngo- sténose, c'est-à-dire des inspirations longues, pénibles et bruyantes. Le rétré- cissement du larynx peut, sous l'influence du progrès de la rétraction cica- tricielle et de l'augmentation des excroissances aux environs des cicatrices et des ulcères, prendre un développement tel que la respiration devient insuffi- sante et qu'il se présente des symptômes d'empoisonnement du sang par l'acide carbonique. Dans d'autres cas, la dyspnée arrive rapidement et inopinément à un degré extrême, sous l'influence d'un œdème de la glotte qui est venu compliquer la lésion. — Le fait que l'ulcération a ordinairement pourpoint de départ le pharynx et la racine de la langue et vient de là envahir le larynx où elle produit d'abord une destruction plus ou moins étendue de l'épiglotte, nous prouve suffisamment que chez les individus qui présentent des sym- ptômes de laryngo-sténose, on doit avant tout examiner les différentes parties du pharynx et faire avancer le doigt indicateur jusque sur l'épiglotte, pour s'assurer si cet organe présente des pertes de substance ou non. En effet, le résultat positif ou négatif de cette investigation suffit déjà pour nous fournir un point de repère presque certain, relativement à l'existence ou à l'absence de la maladie en question, quoique cependant l'examen laryngoscopique nous mette seul en état d'apprécier l'étendue du processus. Les condylomes et les catarrhes simples permettent un pronostic favorable. Le pronostic des ulcères secondaires simples l'est moins; car c'est cette affec- tion qui, par lesprogrès de son développement, donne lieu dans certains cas aux formes graves que nous venons de décrire. Dans ces dernières le pronos- tic est extrêmement mauvais, et la plupart des malades meurent dans le ma- rasme, en supposant même que la respiration reste suffisante ou qu'elle ait été rétablie par la trachéotomie. Cependant, même dans cette forme, on compte quelques guérisons au moins relatives. Ainsi, dans un cas fort avancé où la famille attendait avec certitude la mort prochaine de la malade, j'ai 46 k . MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. observé une guérison presque complète ; un léger bruit, quand elle respire vite, et une perte de substance dans le palais rappellent seuls chez cette femme, actuellement d'une santé florissante, la grave maladie qu'elle avait traversée et qui l'avait amaigrie au dernier point, l'avait rendue aphone et avait provoqué une toux fatigante, accompagnée d'une expectoration abon- dante, mêlée de sang, et une dyspnée intense, symptômes qui pendant bien des semaines avaient détruit tout espoir de guérison. § h. Traitement. Le traitement des affections syphilitiques du larynx se fait selon les règles que nous établirons dans le second volume pour le traitement de la syphilis dans son ensemble. En cas de rétrécissement considérable, il faut avoir re- cours à la trachéotomie. CHAPITRE VI. Tuberculose du larynx, phthisie laryngée. § 1. Pathogénie et étiologie. Quelques auteurs en renom nient complètement l'existence d'une phthisie tuberculeuse du larynx et attribuent les ulcères qu'on observe si souvent dans cet organe; chez les malades atteints de phthisie pulmonaire, aux érosions produites sur la muqueuse par l'àcreté des crachats qui traversent le larynx. Virchow est d'une opinion contraire et recommande précisément l'étude du larynx à tous ceux qui veulent connaître le vrai tubercule. Cette circon- stance que les tubercules de la muqueuse laryngienne ont un siège très-su- perficiel et qu'à raison des causes de destruction qui les atteignent du dehors, ils se désagrègent souvent à partir de leur surface, qu'ils laissent à leur suite de petits ulcères peu profonds et jamais ne deviennent caséeux, ni occa- sionnent de tuméfaction appréciable ; cette circonstance, disons-nous, a, se- lon Virchow, été cause qu'on a pu méconnaître l'origine tuberculeuse des ulcères dont il est question dans ce chapitre. La phthisie tuberculeuse du larynx se rencontre rarement à l'état de ma- ladie primitive et idiopathique, mais elle constitue une des complications les plus fréquentes de la phthisie pulmonaire. Elle s'ajoute non-seulement à la forme tuberculeuse, mais tout aussi souvent et peut-être même encore plus souvent à cette autre forme de la phthisie pulmonaire que nous considérons comme une terminaison d'accidents inflammatoires (voyez le chapitre de la phthisie pulmonaire). Depuis qu'un grand nombre d'expérimentateurs sont TUBERCULOSE DU LARYNX, PHTHISIE LARYNGEE. M parvenus à provoquer artificiellement des tubercules sur les animaux en leur inoculant des matières caséeuses, nous ne pouvons plus nous étonner de voir la tuberculose du larynx s'ajouter si souvent à une phthisie pulmonaire non tuberculeuse. Chez les individus phthisiques, le larynx peut souvent devenir le siège d'une inoculation semblable pour la raison très-simple que sa mu- queuse éprouve, d'une façon toute mécanique, pendant les efforts de toux, de petites solutions de continuité et qu'ainsi elle est exposée au contact infi- niment répété des produits caséeux qui passent par le larynx. § 2. Anatomie pathologique. Le siège le plus ordinaire de la tuberculose laryngée est l'endroit de la muqueuse qui couvre les muscles transverses; mais il n'est pas rare que le processus débute encore ailleurs, surtout à la paroi postérieure de l'épiglotte et sur la partie de la membrane qui couvre les cartilages aryténoïdes. Au début, on remarque aux endroits que nous venons de nommer, et sur un fond rouge et tuméfié ou bien aussi sur un fond pâle et uni, de petites éle- vures d'un gris mat. De bonne heure la désagrégation de ces nodosités donne lieu à de petites pertes de substance arrondies qui sont entourées d'un re- bord dur et saillant. A mesure que dans les environs des premières nodosités, d'autres se produisent et se désagrègent à leur tour et que plusieurs des petits ulcères ainsi formés se réunissent entre eux, il se fait une perte de substance irrégulièrement configurée. La muqueuse qui environne les ulcères pré- sente divers degrés de rougeur et de gonflement; très-souvent elle est le siège d'excroissances papillaires, avec production exagérée de cellules épithéliales. De la paroi postérieure du larynx la destruction envahit souvent les cordes vocales dont les bords se montrent alors érodés et comme rongés par de pe- tites ulcérations superficielles. Une destruction plus profonde va quelquefois jusqu'à détacher complètement l'insertion postérieure de ces replis. Il est arrivé que l'ulcération s'était répandue finalement sur la presque totalité du larynx et avait envahi même le voile du palais et la racine de la langue. Les ulcères tuberculeux de la paroi postérieure de l'épiglotte perforent dans quelques cas rares toute l'épaisseur de cette soupape, et quand cela ar- rive, contrairement à ce qui s'observe dans les ulcérations syphilitiques, les contours de l'épiglotte restent ordinairement intacts. Avec la tuberculose du larynx coïncide très-souvent une ossification des cartilages. Si l'ulcération s'étend jusqu'aux cartilages et que ces derniers soient envahis par la carie ou la nécrose, il n'est pas rare que des séquestres ossifiés soient éliminés. — Il peut arriver aussi que les ulcères tuberculeux perforent la paroi du larynx et entraînent un emphysème cutané et des fis- tules laryngiennes. 48 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. §3. Symptômes et marche. Si les symptômes d'une tuberculose pulmonaire de longue date se compli- quent d'un enrouement, on peut admettre comme très-probable qu'il s'est développé une tuberculose dans le larynx *. Encore, dans ce cas, l'enroue- ment le plus souvent n'est pas une conséquence immédiate des ulcères tuber- culeux, ces derniers ayant, comme nous l'avons vu, leur siège ordinaire à la paroi postérieure du larynx et à l'épiglotte, mais il est produit par le relâ- chement et l'épaississement des cordes vocales et par la sécrétion qui les couvre. C'est ainsi que l'on s'explique pourquoi l'enrouement vient et dispa- rait de nouveau tandis que les ulcères persistent et prennent de l'accroisse- ment. La muqueuse du larynx malade est plus vulnérable que celle du larynx sain : il suffit de causes morbifiques beaucoup plus insignifiantes pour y dé- velopper une affection catarrhale, et de même que le pourtour d'un ulcère chronique de la peau devient par moments, sans cause connue, plus riche en sang, enfle davantage et devient plus sensible, de même aussi la muqueuse du larynx se tuméfie et se détuméfie par intervalles quand elle est le siège d'un ulcère chronique. Plus la destruction se rapproche des cordes vocales, plus l'enrouement est opiniâtre et tenace. Lorsqu'enfin les progrès de l'ulcé- ration détruisent l'insertion postérieure de ces ligaments, ils ne peuvent plus être tendus ni par conséquent produire des vibrations sonores : la voix s'éteint tout à fait, la parole devient chuchotante, aphone. Dans d'autres cas, particulièrement dans ceux où le processus est plus aigu, on remarque, en outre, les symptômes d'une hyperesthésie qui est caractérisée par une grande irritabilité et des phénomènes réflexes intenses; les quintes de toux les plus fatigantes, provoquées par des causes insigni- fiantes, souvent inaperçues, des accès de toux suffocants, se terminant sou- vent par des nausées et des vomissements, et, de plus, une voix enrouée, aphone, voilà des accidents assez pénibles et assez saillants pour masquer les symptômes de la phthisie pulmonaire, surtout si cette dernière n'est pas en- core fort avancée. Les individus prétendent être «sains de poitrine »; ils haussent les épaules quand on le* percute et ausculte. La phthisie laryngée est l'unique mal dont ils se croient atteints ou menacés. Ce n'est que dans quelques cas rares que les malades se plaignent spontanément d'une dou- leur cuisante dans le larynx; l'organe est aussi, en général, peu sensible à la pression extérieure, même si on le presse contre la colonne verté- brale. La sensation de crépitation qu'on éprouve en exerçant cette pression 1 II se présente des cas où l'enrouement des individus tuberculeux ne dépend pas d'une maladie organique de la muqueuse, mais d'une paralysie des muscles de la glotte sur laquelle nous reviendrons plus loin. TUBERCULOSE DU LARYNX, PHTHISIE LARYNGEE. d9 s'obtient également quand on comprime le larynx des personnes saines et n'a aucune signification pathognomonique. Enfin l'expectoration, à moins que le malade ne rejette des fragments de cartilages, n'a aucune valeur sémiotique, attendu que les matières expectorées ne proviennent qu'en fai- ble partie du larynx. La dyspnée, la fièvre hectique, les sueurs nocturnes, l'amaigrissement, sont également des phénomènes appartenant à la phthisie pulmonaire concomitante. Dans un seul cas de phthisie laryngée, j'ai ob- servé, à côté des phénomènes décrits, les symptômes d'une laryngo-sténose intense, lentement progressive. Le malade mourut quelques semaines après avoir subi l'opération de la trachéotomie, qui lui avait procuré un soulage- ment notable. A l'autopsie, on trouva dans le larynx des ulcères étendus, et, comme cause du rétrécissement chronique, Tépaississement et l'induration déjà décrits du tissu sous-muqueux (p. U). Presque toujours l'examen du pharynx montre, dans cette cavité, la pré- sence du catarrhe chronique : on y trouve les vaisseaux dans un état de dila- tation variqueuse, et l'on aperçoit de petites vésicules jaunâtres, des phlyc- tènes ou de petites érosions plates et arrondies; les malades font de fré- quents efforts d'expectoration, la déglutition devient difficile. Souvent enfin les malades ne peuvent pas prendre de liquides sans avaler de travers, tan- dis que les aliments solides passent plus facilement. Dans ces cas, l'occlusion de la glotte se fait d'une manière incomplète. Les symptômes que nous venons de nommer ne permettent nullement de diagnostiquer une tuberculose du larynx, tant quel'onne peut pas démontrer l'existence de la même affection dans le poumon; ils peuvent tous être pro- voqués par d'autres affections de l'organe atteint. On a donc bien raison de faire, toutes les fois qu'on est en présence d'une affection chronique du larynx, un examen physique aussi exact que possible de la poitrine, et de ne prononcer un diagnostic positif que lorsqu'on peut l'asseoir sur les résultats de la percussion et de l'auscultation. Les phénomènes subjectifs font sou- vent défaut, parce qu'ils sont effacés par les symptômes laryngiens, comme cela a été dit plus haut; seules, la fièvre hectique et la maigreur peuvent rendre le diagnostic presque certain, à défaut même des preuves physiques dé la phthisie pulmonaire. A l'examen laryngoscopique, on peut facilement reconnaître les ulcères tuberculeux de l'épiglotte et des cartilages aryté- noïdes. Quant aux ulcères de la paroi postérieure, au-dessus du muscle ary- ténoïdien transverse, on peut, en général, en apercevoir au moins le bord supérieur sous forme d'un limbe blanchâtre et festonné (Tùrk). Du reste, les ulcères tuberculeux n'offrent, à l'examen laryngoscopique, aucun signe caractéristique qui permette de les distinguer d'ulcères d'une autre espèce (Bruns.) Les cas de guérison de la phthisie laryngée que l'on a cités et l'éloge donné à certains remèdes prétendus spécifiques, se ramènent, il est vrai, ÎUEMEYER. I — k 50 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. pour la plupart, à une erreur de diagnostic; mais, d'un autre côté, un petit nombre de guérisons a été positivement constaté. La mort est le plus souvent le résultat de l'épuisement, et arrive au milieu des phénomènes de con- somption que nous aurons à décrire plus longuement quand il sera question de la tuberculose pulmonaire. Dans d'autres cas plus rares, il se développe un œdème de la glotte qui emporte le malade au bout de très-peu de temps. (Voy. chapitre VIII.) § k. Traitement. Dans le traitement de la tuberculose du larynx, nous ne pouvons satisfaire ni à Y indication causale ni à Y indication de la maladie. Par V indication sympto- matique, nous nous proposons avant tout de combattre les pénibles accès de toux et de suffocation qui privent trop souvent le malade du repos de la nuit. Ati fond, le traitement doit être le même que celui du catarrhe chroni- que du larynx, quelque faibles que soient les résultats que nous ayons le droit d'attendre. L'eau d'Obersalzbrunn, celle du Kraehnchen d'Ems, mê- lées avec parties égales de lait chaud, qu'on boit le matin à jeun ou dans le courant de la journée, semblent modérer jusqu'à un certain point le besoin de tousser. Il n'y a pas lieu de s'opposer à ce que les malades mangent le matin à jeun une laitance de hareng, et l'on fait bien de leur laisser l'espoir qu'ils fondent sur cette prescription. Si le pharynx est d'un rouge plus intense, si ses vaisseaux sont dans un état variqueux et s'il est couvert de phlyctènes et d'ulcères, on doit le badigeonner avec une solution concen- trée de tannin ou de nitrate d'argent; enfin, on prescrira au malade de se gargariser fréquemment avec une solution d'alun. Par là, on prévient le mieux les trop fréquents efforts d'expectoration et l'on fait disparaître au moins une des causes des pénibles quintes de toux. L'insufflation de pierre infernale pulvérisée, l'expression d'une éponge imbibée de la solution .de nitrate d'argent au-dessus de l'ouverture de la glotte, sont quelquefois sui- vies d'un effet palliatif, attendu que, employées à plusieurs reprises, elles modèrent le besoin de tousser; dans quelques cas rares, dans lesquels la phthisie pulmonaire vient elle-même à rétrograder, ce traitement peut même être suivi d'une guérison radicale. Encore ici nous devons accorder un£ certaine préférence à l'application directe et exclusive de la solution de nitrate d'argent ou du nitrate d'argent fondu sur la surface ulcérée, pourvu qu'elle soit exécutée par une main habile et exercée. Les médicaments qui rendent le plus de services dans le traitement de la tuberculose laryngienne sont les narcotiques. En effet, si les ulcères ne peu- vent être guéris par l'emploi de ces substances, elles n'en sont pas moins utiles à titre de palliatifs lorsqu'il s'agit d'atténuer les pénibles symptômes NEOPLASMES DU LARYNX. 51 au moins très-fréquem- ment. Chez beaucoup d'individus atteints d'emphysème, nous voyons en effet le changement de texture du poumon se compliquer d'une dégénération des cartilages costaux, sur laquelle Freund a appelé le premier l'attention dans un travail très-remarquable. Cette dégénération consiste en une hy- pertrophie par laquelle les cartilages augmentent de volume dans tous les sens, tout en devenant plus fermes, plus durs et plus rigides. L'allongement des cartilages costaux tend non-seulement à éloigner davantage le sternum de l'extrémité antérieure des côtes osseuses et à pousser cet os en avant r mais il en résulte pour les côtes un mouvement par en haut et en dehors, et une rotation autour de leur axe longitudinal absolument comme elle est produite par l'effort des muscles inspirateurs pendant l'inspiration. Or, les cartilages hypertrophiés des côtes ayant pris une consistance rigide, le thorax ne peut plus quitter cet état d'ectasie inspiratoire qui peut être beaucoup plus considérable que la plus grande dilatation normale dont il est suscep- tible pendant l'inspiration, pour revenir dans la position qu'il doit occuper pendant l'expiration. Il se développe un état que Freund a^très-bien désigné du nom de dilatation rigide de la cage thoracique. Je crois que Freund va trop loin en considérant pour tous les cas d'emphysème la dégénération des cartilages costaux comme la maladie primitive, et l'altération de texture du poumon comme l'affection secondaire. C'est tout au plus pour quelques cas exceptionnels d'emphysème pulmonaire, qu'une filiation semblable des phénomènes me semble pouvoir être admise (voy. § 1). Le plus souvent il s'agit là évidemment d'une complication qui, à la vérité, n'est pas pure- ment accidentelle. Il semble, au contraire, que les mêmes causes morbi- fiques qui produisent le changement de texture du poumon, développent aussi l'hypertrophie et la dégénération des cartilages costaux. Par analogie avec les hypertrophies et dégénérations d'autres parties, surtout des parois artérielles , hypertrophies et dégénérations d'origine inflammatoire ou dépendant au moins de processus qui se rapprochent du processus inflam- matoire, il nous est permis d'admettre que la dégénération des cartilages EMPHYSÈME DU POUMON. 139 costaux dont il est ici question, se développe également à la suite d'irritations répétées provenant de la tension forcée et des tiraillements auxquels ces cartilages sont soumis. Que l'emphysème soit la conséquence d'inspirations forcées, ou d'expirations forcées coïncidant avec un rétrécissement de la glotte, de quintes de toux violentes, de l'habitude de jouer d'un instrument à vent, toujours la même cause agira également sur les côtes qui subiront une tension forcée, un tiraillement ayant pour effet les modifications de structure dont il a été question plus haut. Si l'emphysème a été provoqué par des inspirations forcées, la dégénération des cartilages costaux s'étend à la totalité des côtes ; s'il a été provoqué par des expirations forcées avec rétrécissement de la glotte, la dégénération reste bornée aux cartilages des côtes supérieures. Enfin, si l'emphysème ne se développe qu'à un âge avancé, quand les cartilages sont déjà ossifiés en partie, l'hypertrophie des cartilages costaux et la dilatation rigide de la cage thoracique ne se produisent pas. La preuve du rôle important que la dilatation rigide .du thorax joue dans beau- coup de cas d'emphysème nous est fournie entre autres par ce fait qu'assez souvent on rencontre des malades dont la dyspnée diminue quand ils se couchent sur le ventre et compriment ainsi le thorax, et d'autres dont la gêne respiratoire est sensiblement diminuée quand on exerce une pression latérale sur la région inférieure du thorax. Chez ces malades, j'ai pu sou- vent me convaincre qu'ils contractaient pendant l'expiration, pour rétrécir leur thorax, le triangulaire du sternum et les parties supérieures du muscle transverse de l'abdomen, et qu'à l'autopsie ils présentaient les sillons expi- ratoires du foie, décrits pour la première fois avec détail par Liebermeister. Si, par conséquent, la dilatation rigide du thorax vient s'ajouter aux alté- rations de texture du poumon, elle constitue une troisième cause de dyspnée pour les emphysémateux. Tout l'habitus des malades trahit la gêne respiratoire : l'oppression, la dyspnée, la soif d'air; ils mettent en jeu tous leurs moyens d'action pour dilater le thorax ; les ailes du nez battent, les parties inférieures du cou s'élargissent et durcissent à chaque inspiration sous l'influence des contrac- tions énergiques des muscles scalènes ; souvent, et principalement dans les cas où les cartilages costaux sont ossifiés et leurs articulations ankylosées, les contours des muscles sterno-cléido-mastoïdiens se dessinent pendant l'inspi- ration et forment des cordons durs et saillants. Enfin, c'est à Toxydation et à la décarbonisation incomplètes du sang , qu'il faut attribuer la faiblesse musculaire, la lassitude, l'apathie que l'on observe chez ces malades. Qu'à ces causes constantes de dyspnée il vienne s'en ajouter une nouvelle, que les bronches surtout soient considérablement rétrécies par l'exacerbation du catarrhe, alors l'oppression s'élève à un degré extrême ; les malades passent des nuits entières sur leur fauteuil, parce qu'ils se croient menacés de suffo- cation dans le lit : leur teint devient sale, blafard ; leurs yeux expriment 140 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. l'abattement; leur cerveau s'obnubile; le pouls et les battements du cœur deviennent petits et irréguliers ; les extrémités se refroidissent; les phéno- mènes qui annoncent un excès d'acide carbonique dans le sang deviennent plus prononcés et finissent par passer à ceux d'une intoxication aiguë par ce gaz pernicieux. Des accès de ce genre qui se répètent plus ou moins souvent et avec plus ou moins de violence chez tout individu emphysémateux, ont été ordinairement confondus avant Laennec avec l'asthme nerveux et décrits sous ce nom. Une deuxième série de symptômes consiste dans les troubles de la circu- lation, dus aux modifications anatomiques du parenchyme pulmonaire des individus emphysémateux. La disparition des cloisons interalvéolaires et la destruction d'un grand nombre de vaisseaux capillaires diminuent le nombre des débouchés pour le cœur droit. De là il résulte d'abord que, dans les parties libres d'emphysème , c'est-à-dire ordinairement dans les portions inférieures du poumon, la pression du sang est augmentée, qu'elles sont le siège d'une hypérémie collatérale intense, que sur la muqueuse bronchique il se développe un catarrhe chronique, et qu'en outre les vésicules devien- nent souvent le siège d'un œdème chronique. — On devrait supposer d'après cela que le nombre des capillaires restés intacts ne suffit plus pour recevoir le contenu du ventricule droit, que ce dernier ainsi que l'oreillette droite et les veines de la grande circulation seront gorgés d'un excès de sang, et que, par conséquent, l'hydropisie et la cyanose se joindront à tout emphysème intense. Cependant le plus souvent les emphysémateux restent bien long- temps sans présenter le moindre indice de tous ces symptômes ; et si de temps à autre une exacerbation du catarrhe bronchique amène réellement de l'œdème et de ia cyanose, ces symptômes cependant disparaissent de nouveau aussitôt que le catarrhe se dissipe, preuve que les troubles de la circulation dépendent de l'aggravation passagère du catarrhe. La cause de l'absence souvent prolongée des troubles de la grande circulation dans l'em- physème pulmonaire étendu est identique avec celle qui, dans les anomalies valvulaires de la mitrale, empêche si longtemps la cyanose et l'hydropisie de se produire. Pendant le développement de la gêne circulatoire le cœur droit devient le siège d'une complication qui produit un effet contraire et qui contre-balance l'obstacle, le compense en quelque sorte, — nous voulons parler de l'hypertrophie du ventricule droit. Alors seulement qu'une dégéné- rescence lente et progressive de la paroi hypertrophiée, surtout une dégéné- rescence graisseuse des fibrilles musculaires, diminue l'effet compensateur, les symptômes de l'emphysème, décrits jusqu'à présent, se compliquent des phénomènes qui annoncent un trouble dans le domaine de veines caves inférieure et supérieure. Les veines jugulaires enflent et présentent quel- quefois à chaoue systole ventriculaire un mouvement d'ondulation, parce que les vibrations qui se produisent pendant la systole dans la valvule tri- EMPHYSÈME DU POUMON. 1M cuspide se communiquent à la colonne sanguine qui pèse sur cette valvule. (Voy. le chapitre : Insuffisance de la mitrale.) La face devient cyanosée, les lèvres enflent et bleuissent, les joues et les ailes du nez sont sillonnées de veinules variqueuses; la déplétion incomplète des veines cérébrales pro- voque des vertiges et des maux de tête. Tous ces phénomènes arrivent à un degré extrême quand les malades se mettent à tousser. — Dans le domaine de la veine cave inférieure il se produit également des phénomènes de stase sanguine; le foie se tuméfie parce que le sang ne peut plus s'en écouler, et la stase s'étend bien au delà du système de la veine porte, sur les veines de l'estomac et de l'intestin, pour produire des catarrhes gastro-intesti- naux. De même il n'est pas rare que les veines du rectum se tuméfient et forment des varices (hémorrhoïdes borgnes). Ce dernier accident cause presque toujours une grande joie aux malades ; dès ce moment ils croient avoir découvert le foyer véritable, la cause première de leur maladie, et ils se figurent qu'un flux hémorrhoïdal critique va leur procurer une guérison certaine de tous leurs maux, comme d'autre part le catarrhe de l'estomac et le manque d'appétit qui en est la conséquence les portent à considérer l'estomac comme la source de leurs maux et à voir dans leur toux, une toux « venant de l'estomac ». Dans les périodes ultérieures de l'emphysème, la cyanose arrive souvent à un degré très-élevé. Les joues, les oreilles, les lèvres, la langue des ma- lades, prennent une teinte bleu foncé. Une cyanose aussi prononcée ne s'observe, en dehors de l'emphysème, que dans les maladies ordinairement congénitales du cœur droit, et ne se rencontre surtout jamais dans les- lésions valvulaires du ventricule gauche. Dans ce dernier genre d'affection, les lèvres et les joues des malades prennent également, il est vrai, une teinte bleuâtre, mais le visage reste en général pâle, et la teinte bleue ne devient jamais aussi intense que chez les malades atteints d'emphysème ou d'affections congénitales du cœur droit. Ce fait, trop peu remarqué jusqu'à présent, est facile à expliquer. Dans les lésions valvulaires du cœur gauche le sang est accumulé clans la petite circulation, tandis que dans les vaisseaux de la grande il circule trop peu de sang ; dans l'emphysème, au contraire, par lequel de nombreux capillaires pulmonaires ont été détruits, et dans les maladies congénitales du cœur droit, qui sont généralement accompagnées d'une diminution de capacité du ventricule et d'un rétrécissement des ori- fices, la grande circulation contient du sang en excès et la petite en contient trop peu. Avec la déplétion incomplète des gros troncs veineux coïncide une d'éplé- tion incomplète du canal thoracique. Si la veine sous-clavière est gorgée de sang, l'écoulement de la lymphe et du chyle deviendra aussi difficile que l'écoulement du sang de toute veine qui se jette dans la sous-clavière; et s'il est vrai que la lymphe est la source de la fibrine du sang, si elle amène 142 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. dans le torrent de la circulation la matière fibrinogène, on s'explique tout naturellement pourquoi le sang des emphysémateux est pauvre en fibrine, et pourquoi « la crase veineuse exclut l'hypérinose, autrement dit l'aug- mentation de la fibrine dans le sang » . — L'obstacle à l'arrivée du chyle doit en outre entraver la nutrition du sang et de tout l'organisme; elle explique, avec le concours d'autres causes qui doivent y contribuer, l' amai- grissement général, le marasme prématuré des emphysémateux, peut-être aussi la diminution de l'albumine dans le sérum sanguin, diminution qui favorise le développement des phénomènes hydropiques. Dès que la compensation du trouble circulatoire devient insuffisante on observe, outre les symptômes de la stase veineuse, ceux d'un afflux sanguin insuffisant au cœur gauche. Cette insuffisance du contenu sanguin du cœur gauche produit la petitesse du pouls et de plus une diminution manifeste de la sécrétion urinaire, vu que la quantité de l'urine sécrétée dépend principa- lement du degré de tension de l'artère rénale et des glomérulesdeMalpighi. L'urine sécrétée en faible quantité est concentrée, épaisse, foncée en cou- leur ; les urates, qui ne sont solubles que dans une grande quantité d'eau, s'y précipitent facilement et forment un dépôt analogue à de la brique pilée. Mais la précipitation des urates ne dépend pas exclusivement d'une concen- tration de l'urine et de leur augmentation relative ; ces sels peuvent être augmentés dans l'urine d'une manière absolue, et il peut se développer de l'acide urique aux dépens de l'urée, si l'oxygène absorbé en trop faible quantité, au lieu de transformer les produits azotés du corps en urée,- ne les transforme qu'en acide urique, c'est-à-dire en un principe moins oxydé que l'urée. — Tous les autres symptômes attribués à l'emphysème n'appar- tiennent qu'aux complications de cette maladie, entre autres surtout la toux, qui est un symptôme de la bronchite chronique, et qui peut dispa- raître complètement en été, tandis que l'emphysème persiste. L'examen physique est loin de fournir constamment des signes positifs d'emphysème pulmonaire, et dans le cas où la lésion est peu étendue, elle ne peut être physiquement constatée. L'aspect extérieur peut donner un résultat négatif quant à la conformation du thorax, même en cas d'emphysème intense. Il n'est pas rare que les individus porteurs d'un thorax plat et allongé, dit paralytique, soient atteints d'un emphysème très-étendu. Cet état de choses ne saurait étonner si l'on se rappelle que l'emphysème n'altère ni l'amplification inspiratoire ni le rétré- cissement expiratoire de la cage thoracique proprement dite. Dans quelques cas,' le thorax montre, à la vérité, des anomalies caractéristiques sur les- quelles on s'est fondé pour admettre une forme particulière du thorax à laquelle on a donné le nom de thorax emphysémateux. Un thorax ainsi conformé se distingue par une augmentation notable de la circonférence, principalement du diamètre antéro-postérieur, surtout dans sa partie supé- EMPHYSEME DU POUMON. 143 rieure et moyenne : le sternum ne représente plus une ligne brisée, mais un segment de cercle; les cartilages costaux supérieurs ont une courbure anormale, ils sont bombés en dehors, le thorax prend la forme d'un sphé- roïde ou d'un tonneau. Il est remarquable que des idées généralement erronées soient répandues sur le mécanisme de la formation du thorax emphysémateux, et que cependant rien ne soit plus simple et plus clair que la manière dont cette conformation se produit. Il faut convenir, à la vérité, que ce n'est pas le poumon emphysémateux qui produit la difformité du thorax, mais que cette dernière est due aux mêmes causes qui amènent l'emphysème. Or, la forme en question ne se rencontre que dans l'espèce d'emphysème provoquée par l'expiration forcée coïncidant avec un rétrécis- sement de la glotte, comme, par exemple, par la toux, le jeu des instruments à vent, etc. On sait que pendant ces actes le diaphragme est énergiquement poussé en haut par la pression des muscles du bas-ventre sur les viscères abdominaux, et qu'en même temps l'air contenu dans le poumon est forte- ment comprimé parce qu'il ne peut s'échapper librement au dehors. Tant que les cartilages costaux peuvent céder, le thorax doit, d'après les plus simples lois de la physique, s'arrondir et se rapprocher de la forme sphé- rique comme toute paroi flexible d'un espace creux quand une pression exagérée s'exerce sur sa surface interne. La partie inférieure du thorax à laquelle s'attachent les muscles abdominaux étant immobilisée, elle ne peut prendre part à l'arrondissement des portions moyennes et supérieures. De cette manière on peut s' expliquer pourquoi le thorax emphysémateux affecte plutôt la forme d'un tonneau qu'une forme régulièrement sphérique. Par des inspirations aussi profondes que possible nous pouvons bien passagère- ment dilater le thorax, mais au summum de l'inspiration cette cage est autrement conformée chez un homme sain que le thorax dit emphyséma- teux. On peut donner momentanément cette dernière forme à son propre thorax en faisant une expiration aussi forte que possible, tout en se tenant la bouche et le nez fermés. Si le thorax des individus emphysémateux con- serve cette forme, cela tient uniquement à l'hypertrophie et à la dégénéra- tion déjà mentionnées des cartilages costaux. — Mais la forme proprement dite du thorax emphysémateux n'est à beaucoup près pas la seule qui soit observée chez les individus atteints d'emphysème. Dans les cas où l'emphy- sème se développe à la suite d'inspirations forcées longtemps continuées, on ne trouve plus cette forme airondie des parties supérieures et moyennes du thorax que n'affecte pas la région inférieure, mais cette dernière est également dilatée et le thorax se trouve dans la position de l'inspiration permanente. Ce qui peut contribuer jusqu'à un certain point à cette persis- tance de la dilatation inspiratoire, c'est peut-être la tonicité exagérée des muscles inspirateurs hypertrophiés, mais elle doit dépendre encore plus de la dégénération si souvent mentionnée des cartilages costaux. 144 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. Dans quelques cas d'emphysème l'aspect extérieur nous montre en outre, à chaque secousse de toux violente, une tumeur qui semble se dessiner au- dessus de l'ouverture supérieure du thorax de chaque côté du cou, tumeur qui disparaît aussitôt que la toux a cessé. Cette tumeur n'appartient, comme j'ai pu tout récemment encore m'en convaincre, que dans quelques cas rares au sommet du poumon qui, chassant la plèvre devant lui, s'engage dans l'intervalle qui existe entre la première côte et le cou, quand le diaphragme violemment refoulé en haut rend la cavité thoracique en quelque sorte trop étroite pour le poumon. Dans la grande majorité des cas ces tumeurs sont formées par les sinus énormément dilatés de la veine jugulaire, qui se remplissent pendant les efforts de la toux et se vident de nouveau quand ces efforts se calment. Enfin on remarque, déjà à l'aspect extérieur, mais plus encore à la palpa- tion, une commotion de l'épigastre, isochrone au pouls et se transmettant à la partie inférieure du sternum et aux cartilages costaux les plus rapprochés. On a souvent prétendu que cette commotion était produite par la pointe du cœur déjetée vers la ligne médiane; je dois cependant partager l'opinion de Bamberger, suivant laquelle un déplacement de ce genre n'est ni prouvé par l'observation directe des faits, ni même physiquement possible. L'ébran- lement de l'épigastre ne dépend pas directement de l'emphysème, mais de l'hypertrophie du coeur droit qui complique cet état, et on le rencontre même en dehors- de l'emphysème partout où le cœur, surtout le cœur droit, est considérablement dilaté. (Voyez le chapitre : Hypertrophie du cœur.) — Le choc produit par la pointe du cœur ne peut généralement pas être senti chez les emphysémateux, en supposant même que leur cœur soit considéra- blement augmenté de volume, parce que le poumon s'est placé entre la pointe du cœur et la paroi thoracique ; quelquefois cependant on sent en même temps que l'ébranlement de l'épigastre, le choc affaibli du cœur à un endroit situé trop bas et trop en dehors. Le déplacement de la pointe du cœur par en bas s'explique, parce que le diaphragme sur lequel la pointe du cœur s'appuie est trop bas. Mais le déplacement de la pointe du cœur par en dehors, que je ne considérais pas comme constant autrefois et que j'attrt- buais, toutes les fois que je le rencontrais, à une hypertrophie du cœur, est également une conséquence de cette position anormale du diaphragme. Le diaphragme supporte directement non-seulement la pointe mais encore la base du cœur, et cette dernière repose précisément sur la partie du muscle qui, lorsqu'il est abaissé, descend le plus bas, plus bas même que celle qui supporte la pointe. L'abaissement du diaphragme dans l'emphysème a donc cette conséquence physique inévitable que la direction oblique du cœur tend à devenir horizontale et que la pointe de l'organe se déjette en dehors. Dans l'emphysème ■ étendu , la percussion fournit des données presque EMPHYSEME DU POUMON. 145 certaines au diagnostic. Cependant on ne doit pas s'attendre à trouver dans tous les cas d'emphysème un son excessivement "plein ou clair à la percussion, attendu qu'une augmentation de résistance de la paroi thoracique, eh sup- posant même que la quantité d'air renfermé dans le poumon soit augmentée, ne permet pas à cette paroi de vibrer suffisamment pour produire un son très-clair et très-plein. — De même, l'emphysème pulmonaire ne rendra pas le son tympanitique, à moins qu'il n'existe des complications qui privent le tissu pulmonaire de toute son élasticité. Ce sont les vibrations régulières qui donnent le son tympanitique. Si l'on percute une vessie dont on a fortement tendu les parois en y insufflant beaucoup d'air, on ne produira pas un son tympanitique en la percutant. La compression de l'air, à tout instant aug- mentée ou diminuée par les vibrations de la paroi, empêche la production de vibrations régulières. La même chose arrive pour le poumon qui est à considérer ici comme un assemblage de vessies tendues. La tension des parois alvéolaires sur leur contenu reste ordinairement assez considérable, même en cas d'emphysème intense, pour empêcher la production de vibrations régulières. Le seul phénomène de percussion caractéristique de l'emphy- sème pulmonaire est Y étendue anormale du son clair du poumon, étendue qui prouve Y abaissement .du diaphragme, dans lequel nous avons reconnu plus haut la conséquence forcée de toute affection emphysémateuse diffuse du poumon. Tandis que dans les conditions normales la sonorité du poumon droit s'étend, sur la ligne mamillaire droite, jusqu'à la sixième côte, où commence la matité appartenant au foie, qui touche en cet endroit la paroi thoracique : dans l'emphysème intense du poumon droit, la limite supé- rieure de la matité hépatique peut descendre notablement et la sonorité pul- monaire arriver jusqu'au rebord des côtes. A gauche, où la matité du cœur commence, dans les conditions normales, au niveau du quatrième cartilage costal, cette matité ne se fait sentir, en cas d'emphysème étendu du poumon gauche, qu'à la hauteur du sixième cartilage, et dans les cas les plus intenses le cœur est si complètement recouvert par le poumon, qu'il n'y a plus de matité précordiale. A Y auscultation il faut bien distinguer les phénomènes qui appartiennent à l'emphysème de ceux qui appartiennent à la bronchite concomitante. On dit généralement que dans l'emphysème pulmonaire il y a un contraste frap- pant entre la faiblesse ou l'absence du bruit vésiculaire et la grande sonorité à la percussion; mais cette proposition n'est vraie qu'autant que l'emphy- sème est accompagné, comme cela arrive ordinairement, d'un catarrhe des petites bronches. Aux endroits où cette complication existe, il est très-vrai que généralement on n'entend que de la sibilance et des râles fins et tout au plus un bruit respiratoire extrêmement faible ; par contre, aux endroits où n'existe pas de catarrhe, où l'air passe librement des bronches aux alvéoles dilatées, on entend un bruit respiratoire très-sonore et caractérisé par .NIEMEYER. I — 10 146 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. une espèce de sifflement. Très-fréquemment on entend au niveau du lobe inférieur du poumon presque exclusivement des rhonchus et des râles humides, et à la paroi antérieure de la poitrine, surtout dans le voisinage du sternum, cette respiration sonore et sifflante qui forme un contraste frap- pant avec les phénomènes observés à la paroi postérieure. Seitz (de Giessen) donne à ce phénomène que nous avons attribué à l'œdème collatéral des parties inférieures du poumon, ordinairement exemptes d'emphysème, l'explication suivante : La sécrétion des bronches obéissant à la loi de la pesanteur, descendrait naturellement vers les parties déclives des voies aériennes. Cette explication paraît très-judicieuse. — Quand il sera question des dégénérescences du cœur, je reviendrai sur les bruits anormaux que l'on perçoit à l'auscultation de cet organe et qui ne sont quelquefois accom- pagnés d'aucune altération valvulaire. Mais dès à présent je puis confirmer une observation de Seitz, d'après laquelle, chez les emphysémateux, les bruits normaux du cœur sont entendus très-faiblement au niveau de la troi- sième et de la quatrième côte où le cœur est largement couvert par le pou- mon, tandis qu'à l'épigastre ces bruits s'entendent avec une force remar- quable. Ce phénomène s'explique tout naturellement. Quant à la marche de la maladie, cette dernière peut avoir pris naissance pendant l'enfance et durer pendant la vie entière; beaucoup d'emphyséma- teux arrivent même à un âge très-avancé, bien que leurs souffrances aug- mentent avec les années, que la dyspnée devienne plus grande et les accès de suffocation plus violents et plus fréquents ; jamais ces malades ne gué- rissent entièrement. S'ils se trouvent mieux en été, cela tient à la rémission des catarrhes concomitants et à la diminution de la dyspnée, en tant qu'elle dépend de cette complication. La part que prend le catarrhe chronique, non-seulement à la dyspnée, mais encore à la cyanose et à l'hydropisie des individus emphysémateux, est très-considérable, comme cela a été plusieurs fois répété. La mort finit par arriver au milieu de l'épuisement ou d'une hydropisie générale, à moins que les malades ne succombent à une. maladie intercur- rente : rarement ils meurent dans un accès de suffocation. § h. Diagnostic. Un emphysème peu étendu ne peut être reconnu avec sûreté. — Les formes très-étendues, donnant lieu à une forte dyspnée et à la cyanose, sont faciles à distinguer par l' examen physique d'autres états morbides don- nant également lieu à ces phénomènes. — Le diagnostic différentiel de l'em- physème et du pneumothorax sera donné plus loin. Pour établir le diagnostic différentiel de l'emphysème supplémentaire et de l'emphysème idiopathique, nous pouvons nous appuyer, au moins dans EMPHYSEME DU POUMON. 147 quelques cas, sur les renseignements commémoratifs et sur les signes phy- siques. Si l'emphysème s'est développé à la suite d'une pneumonie ou d'une pleurésie, s'il n'a pas été précédé d'une toux violente, ou si les malades affirment que la dyspnée a existé avant la toux, on peut admettre comme vraisemblable que certains endroits du poumon sont devenus imperméables, ou que les feuillets pleuraux forment entre eux des adhérences, et qu'à la suite de ces lésions un emphysème supplémentaire s'est développé dans les parties du poumon restées accessibles à l'air, c'est-à-dire dans les bords infé- rieurs et antérieurs de l'organe, ou bien que l'emphysème dépend d'une anomalie de structure primitive du poumon, avec imperméabilité des parties malades. Si, au contraire, on trouve l'emphysème chez d'anciens musiciens ou chez des postillons qui se vantent d'avoir bien donné du cor et d'avoir surtout bien soutenu les notes, ou bien si la dyspnée s'est développée à. la suite d'une coqueluche ou d'un catarrhe de longue durée, accompagné d'une toux violente, il y a lieu de présumer qu'il s'agit là d'un emphysème idiopathique. De même la position inspiratoire permanente du thorax annonce de préférence la première forme de l'emphysème, le thorax en tonneau la seconde. § 5. Pronostic. Le pronostic, au point de vue de la conservation de l'existence, est en géné- ral favorable ; il est rare que la maladie se termine par la mort, et si elle se termine de cette manière, cela arrive ordinairement très-tard ; même on ne saurait nier que l'emphysème procure une certaine immunité contre la tuberculose, immunité qui dépend de l'anémie du poumon, surtout du som- met. — Si un individu emphysémateux est atteint de pneumonie, cas qui ne se présente pas très-fréquemment, on doit craindre que l' exsudât pneumo- nique, au lieu de se résorber, ne se dessèche et ne soit désorganisé plus tard avec les parois alvéolaires, après avoir subi la métamorphose caséeuse. (Voyez le chapitre Pneumonie fibrineuse.) Le pronostic, au point de vue du rétablissement complet, est très-défavorable, et il suffit pour le comprendre de se rappeler ce que nous avons dit de la marche, § 3. § 6. Traitement. L'indication causale exige le traitement rationnel de la maladie primitive, si elle existe encore, afin que les progrès de l'emphysème soient au moins arrêtés, s'il est impossible de le faire rétrograder. Elle se confond, surtout en ce qui concerne le catarrhe bronchique, avec l'indication symptomatique. Par le mauvais temps et pendant les froids de l'hiver, on fera garder la chambre aux individus emphysémateux. Les malades attentifs savent quel- 148 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. quefois fort bien quel est le degré du froid qui peut leur être nuisible et qui leur défend de sortir. Pour remplir l'indication de la maladie, on a recommandé d'administrer périodiquement des vomitifs. Par ce moyen, on s'est proposé d'utiliser la pression énergique que les efforts pour vomir font subir au poumon pour exprimer en quelque sorte les alvéoles trop remplis, et l'on on compté sur l'emploi répété de ce moyen pour amener un rétrécissement progressif des alvéoles. — D'autre part, on a préconisé des remèdes toniques pour rendre le tissu relâché du poumon plus roide et les alvéoles pulmonaires plus étroits. Ces prescriptions et méthodes curatives, et d'autres tout aussi naïves et par- tant de tout aussi faux points de vue, ne méritent aucune confiance et ne peuvent en aucune manière amener la guérison de l'emphysème. Les ano- malies de nutrition du tissu pulmonaire, d'où dépend l'emphysème, sont irréparables, et nous sommes par conséquent hors d'état de remplir dans le traitement l'indication de la maladie. L'indication symptomatique exige avant tout le traitement rationnel du catarrhe bronchique qui accompagne presque constamment l'emphysème et augmente les souffrances des malades à un degré extraordinaire. Si la pres- cription de porter de la flanelle sur la poitrine, d'y appliquer des révulsifs, si les bains d'eau chaude et les bains de vapeur, l'usage des eaux alcalines chlorurées, surtout des eaux d'Ems, et d'autres traitements analogues rendent souvent d'excellents services aux emphysémateux et diminuent pour quelque temps notablement leurs souffrances, cela provient exclusivement de l'effet favorable que ces remèdes et traitements employés à temps produisent sur le catarrhe sec, la complication la plus pénible de l'emphysème. L'indication symptomatique demande en outre qu'on cherche à modérer* la dyspnée habituelle des malades et les accès violents de suffocation auxquels ils sont sujets. — Pour satisfaire autant que possible le besoin de respirer* toujours exagéré de ces malades, on doit les envoyer en été dans les forêts de sapins, surtout aux endroits où la rosée est très-forte: ils ne peuvent assez vanter le bien-être qu'ils éprouvent dans cette atmosphère chargée d'oxy- gène. Les expériences faites dans plusieurs stations avec des appareils qui permettent de faire respirer de l'air comprimé ont été extrêmement favo- rables à ce moyen malheureusement encore trop coûteux, mais qui produit des. effets excellents, quoique palliatifs, sur la gêne respiratoire, sur la soif d'air et sur l'état général des emphysémateux. Beaucoup de malades croient renaître à la vie pendant leur séjour dans l'appareil. L'explication de ce bien- être est facile à donner. Nous nous sommes étendu plus haut sur la cause la plus importante d'où dépend, selon nous, l'effet favorable de la respiration d'un air comprimé. Pour prévenir les accès de suffocation, il importe de recommander aux malades de suivre un régime prudent, d'éviter les aliments venteux, de APNEUMATOSE, ATÉLEGTASIE, COLLAPSUS, COMPRESSION DU POUMON. 149 manger peu le soir, et d'avoir soin de se tenir constamment le ventre libre. Pour répondre à cette dernière indication, on peut encore ici faire usage de la poudre de réglisse composée qui représente un purgatif à la fois doux et sûr. Pendant l'accès, on se gardera d'attribuer l'obnubilation du sensorium et d'autres phénomènes cérébraux, purement et simplement à la trop grande abondance du sang veineux dans le cerveau, et de saigner les individus dans cette supposition. Les phénomènes d'intoxication commençante par l'acide carbonique ne peuvent être qu'exaspérés par les émissions sanguines. De même, on n'emploiera contre les accès de suffocation qu'avec une grande prudence les narcotiques, surtout les préparations opiacées, à moins que ces médicaments ne soient réclamés par un spasme des bronches. Il faut donner, au contraire, en même temps que les vomitifs, qui plus que jamais sont indi- qués dans cette circonstance, des médicaments stimulants : le camphre, le musc, le benjoin et le vin de Porto à hautes doses (30 à 45 grammes toutes les trois heures), dont Waters fait un cas tout particulier dans ces conditions ; si ces remèdes ne produisent aucun effet, on peut donner l'essence de téré- benthine (U à 15 grammes toutes les trois heures) dans un véhicule aroma- tique. Contre Yhydropisie des empfajséniateux, j'ai employé souvent avec beaucoup de succès une diaphorèse énergique dans les cas où cette hydropisie était liée à une bronchite capillaire concomitante. — Dans les périodes ulté- rieures, quand l'hydropisie dépend de la compensation incomplète de l'ob- stacle à la circulation pulmonaire, on obtient quelquefois, comme dans l'hy- dropisie des lésions valvulaires du cœur, une amélioration passagère par l'usage de la digitale (50 centigrammes à 1 gramme en infusion sur 150 grammes d'eau). Dans les cas où la digitale, ne produisait rien, j'ai sou- vent obtenu un résultat surprenant, mais également passager, avec la scille, sous forme d'une saturation du vinaigre scillitique. (Pr.: vinaigre scillitique, 30 grammes; carbonate de potasse, q. s. pour une saturation parfaite; eau distillée, 150 grammes. S.: une cuillerée toutes les deux heures.) CHAPITRE IV. Diminution de capacité des alvéoles. — Apneumatosc. — Atclectasie, Collapsus, compression du poumon. § 1. Pathogénie et étiologie. Il existe des états dans lesquels les alvéoles contiennent très-peu d'air ou n'en contiennent même aucune trace, de sorte que leurs parois viennent à se toucher. Ce dernier état, qui chez le fœtus est l'état normal, peut dans quel- 150 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. ques portions du poumon persister après la naissance; c'est alors une atélec- tasie congénitale. Dans d'autres cas, l'air d'une certaine quantité d'alvéoles est résorbé ultérieurement, et ces alvéoles s'affaissent. Cette résorption suppose que l'air contenu dans les alvéoles se trouve dans un état de tension exces- sive; que, par conséquent, à l'expiration, il ne peut s'échapper, soit parce que les bronches sont oblitérées par des mucosités, état qui représente Yaté- lectasie acquise ou collapsus pulmonaire, soit parce qu'une pression excessive provenant du voisinage a fermé mécaniquement les dernières ramifications bronchiques, ce qui constitue l'état connu sous le nom de compression du poumon. V atélectasie congénitale se rencontre le plus fréquemment chez les enfants faibles, surtout chez ceux qui sont venus au monde avant terme ou dans un état d'asphyxie après une couche laborieuse. Il semble que si l'air ne pénètre pas dans les alvéolés immédiatement après la naissance, il y arrive plus diffi- cilement par la suite, et c'est ainsi que les enfants qui n'ont pas crié pendant les premières heures après être venus au monde et n'ont, par conséquent, pas fait d'inspirations profondes, sont précisément ceux qui sont le plus sou- vent atteints d' atélectasie. Dans d'autres cas, un catarrhe congénital ou acquis pendant les premières heures paraît avoir rétréci ou oblitéré quelques bronches et empêché l'air d'arriver aux alvéoles correspondants, ce qui a donné lieu à une atélectasie. Le collapsus pulmonaire, Yatélectasie acquise, se lie invariablement à un catarrhe bronchique aigu ou chronique, et se rencontre très-fréquemment chez les enfants dont les bronches sont étroites et facilement obstruées, sur- tout dans le cours de la rougeole et de la coqueluche. Chez les adultes, l'état en question complique principalement ce catarrhe bronchique, qui compte parmi les symptômes constants de la fièvre typhoïde. La compression du poumon est produite par une accumulation de liquides ou d'air dans la cavité pleurale, plus rarement par des tumeurs, par des épanchements dans le péricarde, par des anévrysmes, des déviations de la colonne vertébrale, par un développement incomplet du thorax, enfin par de vastes épanchements dans la cavité péritonéale, avec refoulement du dia- phragme. § 2. Anatomie pathologique. Dans Yatélectasie congénitale, on trouve, ordinairement à des endroits cir- conscrits du poumon, rarement dans l'étendue de la moitié d'un lobe ou d'un lobe entier, un affaissement du parenchyme au-dessous du niveau des par- ties environnantes, restées saines. Ces endroits sont d'un bleu foncé, durs, ne font entendre aucune crépitation quand on les incise, et la surface de section est lisse et gorgée de sang. Si l'enfant a succombé rapidement, on APNEUMATOSE, ATELEGTASIE, COLLAPSUS, COMPRESSION DU POUMON. 151 peut les insuffler facilement; si la vie s'est prolongée, ils deviennent plus fermes, moins riches en sang, et alors on ne parvient quelquefois plus à les insuffler, les parois alvéolaires paraissent se toucher plus intimement ou adhèrent entre elles. Les modifications du parenchyme dans Y atélectasie acquise sont essentielle- ment les mêmes que celles qui viennent d'être mentionnées. Rokitansky les a décrites autrefois sous le nom de pneumonie catarrhale. Les parties bleues, affaissées, vides d'air, tranchent ici encore plus sur le parenchyme pulmo- naire environnant, le plus souvent emphysémateux; si l'on incise les parties atélectasiées, on trouve ordinairement un bouchon muco-purulent assez gros qui obstrue la bronche en communication avec elles. Si l' atélectasie a duré un certain temps, d'autres changements se produisent encore dans les parties affaissées du poumon, changements qui appartiennent à la pneumo- nie catarrhale, cette terminaison si commune du collapsus pulmonaire, et dont il sera question plus amplement dans un chapitre consacré à cette ma- ladie. Quant à la compression du poumon, on aperçoit dans les degrés légers une augmentation de densité, une consistance plus grande, un état plus serré du parenchyme, qui cependant n'est pas encore entièrement privé d'air. A un degré de compression plus élevé l'air a été résorbé dans les bronches et les alvéoles, mais la compression n'a pas été assez forte pour rapprocher en même temps les parois des vaisseaux et en chasser le sang : le poumon condensé est rouge, gorgé de sang, humide, semblable à la chair muscu- laire; aussi le nomme-t-on carniflé. Dans les degrés les plus élevés, les vaisseaux sont également comprimés, le poumon est exsangue, sec, gris, blafard, souvent transformé en une feuille mince et coriace qui ressemble h un lambeau de cuir. § 3. Symptômes et marche. Les symptômes de Y atélectasie congénitale sont avant tout ceux de la res- piration insuffisante, dont il a été question si souvent, de la décarbonisation incomplète du sang : les enfants respirent vite et superficiellement, ils dor- ment beaucoup et ne peuvent pas crier; ils ne font que gémir d'une voix faible et ne tettent pas vigoureusement ; enfin ils deviennent pâles, se refroi- dissent, leur nez s'effile, leurs lèvres prennent une teinte livide, blafarde, et ils meurent ordinairement pendant les premiers jours de leur existence, mais quelquefois seulement dans la troisième ou la quatrième semaine. Il est rare que la mort arrive dans un accès de convulsions ; le plus souvent elle survient au milieu des symptômes d'une faiblesse croissante et d'une para- lysie générale. Ordinairement on ne parvient pas à découvrir à la percussion 152 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. la condensation du parenchyme pulmonaire, parce que les parties atélecta- siées ont rarement une grande étendue. Si le coUapsus pulmonaire s'ajoute à la bronchite capillaire des petits enfants, il ne peut pas toujours être sûrement reconnu. Quand il a été question de cette dernière maladie, nous avons vu que les enfants peuvent» même en l'absence de tout affaissement des alvéoles, offrir les symptômes de la respiration insuffisante et de l'empoisonnement par l'acide carbonique, par le seul fait de l'occlusion d'un grand nombre de petits ramuscules bronchiques. Mais lorsque ces phénomènes se manifestent dans le cours d'une bronchite capillaire, on n'est fondé à diagnostiquer une atélectasie acquise qu'autant que l'on peut constater une matité plus ou moins étendue du son de la percussion. En général, les parties collabées ne sont pas assez volumineuses pour produire une matité sensible à la percussion. Le plus souvent c'est clans le cours de la rougeole que l'on constate une matité symétrique des deux côtés de la colonne vertébrale et qui est due à un col- lapsus étendu des deux lobes inférieurs du poumon. Les symptômes de la compression sont difficiles à distinguer de ceux des processus qui amènent cette dernière. Aux phénomènes de la respiration insuffisante s'ajoutent, si les vaisseaux du poumon sont en même temps comprimés, des troubles de la circulation analogues à ceux que nous avons- décrits pour l'emphysème : engorgement, dilatation, hypertrophie du cœur- droit, plus tard engorgement des veines de la grande circulation, cyanose, stases veineuses dans le cerveau, dans le foie, dans les reins. De même, le cœur gauche, qui n'est alimenté que par les capillaires non comprimés,, reçoit trop peu de sang : le pouls devient petit, la peau pâlit et la sécrétion urinaire est diminuée. Une compression intense du poumon finit également par entraîner la mort au milieu des symptômes de l'hydropisie. — La com- pression d'une partie volumineuse du poumon exerce une influence très- considérable sur la distribution du sang dans les parties non comprimées. Si le cœur droit ne peut déverser tout le sang qui y afflue que dans un seul poumon, la pression du sang est considérablement augmentée dans ce pou- mon sain. C'est l'œdème du poumon sain qui souvent menace le plus sérieu- sement la vie du malade. Il peut commander la saignée, etc. Si les parties inférieures du poumon sont comprimées par des épanchements dans la cavité abdominale, l'hypérémie ou fluxion collatérale des parties supérieures- du poumon qui en est la conséquence peut faire naître des dangers et réclamer la ponction. De même, les individus atteints de cyphose, si une- partie de leur thorax est rétrécie et que le poumon soit comprimé à l'en- droit rétréci, souffrent d'hypérémie, de catarrhe, d' œdème des parties non comprimées. Il est assez singulier que les bossus ne présentent des symptômes de dyspnée et de cyanose qu'après la puberté, tandis que pendant l'enfance ils- APNEUMATOSE, ATÉLECTASIE, COLLAPSUS, COMPRESSION DU POUMON. 153 respiraient librement et ne présentaient aucun trouble de la circulation. Cette observation s'explique facilement si l'on songe que les os déformés par le rachitisme restent en retard pour leur développement, même après que la maladie principale est arrivée à sa fin. Si le thorax et les vertèbres dor- sales ont été le siège principal du rachitisme, la déviation et la courbure de ces parties ne déterminaient peut-être aucun rétrécissement du thorax au moment où elles commençaient à se produire ; mais si plus tard le reste du corps suit le cours régulier de son accroissement et que celui du thorax reste stationnaire, il se produit une disproportion entre l'espace qui pouvait suffire pour le poumon d'un enfant, mais non pour celui d'un adulte, d'une part, et les dimensions du reste du corps et la masse du sang, en rapport avec ces dimensions, d'autre part. Dès ce moment, les individus atteints de cyphose prennent l'aspect et le teint des individus emphysémateux, ils sont courts d'haleine et meurent prématurément des suites de la perturbation que subissent chez eux la respiration et la circulation, mais deviennent rarement tuberculeux. § 4. Traitement. Il faut avoir soin d'exciter les enfants nouveau-nés à bien crier, de leur débarrasser la bouche des mucosités qu'elle peut renfermer, et de leur admi- nistrer, si par hasard il y avait une accumulation de mucosités dans les bronches, un vomitif composé d'ipécacuanha et d'oxymel scillitique. Si malgré cela la respiration reste insuffisante, il faut projeter de temps en temps avec une seringue de l'eau froide sur leur poitrine, pendant qu'il? sont placés dans un bain chaud. On ne doit pas laisser dormir ces enfants trop longtemps ; on les forcera, s'ils ne crient pas d'eux-mêmes, à crier de temps à autre, en leur frottant la plante des pieds avec une brosse, et s'ils ne veulent pas teter, on leur fera donner à la cuiller du lait, et autant que possible le lait retiré du sein de la mère ; enfin, on leur administrera de temps en temps quelques gouttes de vin, et s'ils montrent une tendance au refroidissement, on les fera dormir dans les bras de la mère ou de la nour- rice au lieu de les coucher dans leur berceau. Une conduite prudente et des soins persévérants sont souvent couronnés dans ces cas du plus éclatant succès. Le traitement de l'atélectasie acquise est le même que celui de la bron- chite capillaire, quand cette dernière entraîne l'obstruction de petites rami- fications bronchiques. Si l'on parvient à vaincre l'obstruction l'air finit ordinairement par revenir dans les alvéoles affaissés. La compression du poumon réclame avant tout le traitement rationnel des maladies primitives et le traitement symptomatique des troubles dangereux rie la circulation. 154 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. CHAPITRE V. Hypérémie du pounion. — Hypostase pulmonaire. «Edèmc du poumon. § 1. Pathogénie et étiologie. Les hypérémies du poumon se partagent, comme les hypérémies d'autres organes, en hypérémies actives et en hypérémies passives ; pour les premiè- res, Virchowa proposé le nom de fluxion, tandis qu'il appelle stases sanguines les secondes. Ces noms me semblent devoir être adoptés, ne serait-ce que parce que les mots « actives » et « passives » ne correspondent pas exacte- ment aux processus physiologiques qui président à l'une et à l'autre forme1. Au contraire, le mot fluxion exprime réellement un afflux augmenté et accéléré, le mot stase une déplétion diminuée et ralentie des capillaires, dont le contenu sanguin est ici principalement en cause, attendu que les fonctions et la nutrition des organes en dépendent essentiellement. I. La fluxion vers le poumon s'observe : Quand l'activité du cœur est aug- mentée. Souvent nous voyons des individus arrivés à l'âge de la puberté, surtout des sujets à poitrine étroite, élancés, se plaindre de battements de cœur après les causes les plus insignifiantes, après des fatigues légères, après avoir fait un usage modéré de liquides échauffants ; dans ces cas, nous trouvons le choc du cœur considérablement renforcé et nous voyons des symptômes d'hypérémie pulmonaire s'ajouter à ces phénomènes. Mais une hypérémie dangereuse du poumon, accompagnée de contractions plus éner- giques et plus fréquentes du cœur, peut être provoquée, même en dehors de tout éréthisme cardiaque et en l'absence de toute prédisposition individuelle, par les grands efforts, par l'abus des spiritueux, par de grandes passions, des accès de fureur, etc. Trop souvent on voit se renouveler le scandale d'un fou furieux ou d'un individu atteint de delirium tremens, attaché brutalement sur son lit par un gardien sans pitié, et qui le lendemain a été trouvé mort, la bouche remplie d'une écume sanglante, sans qu'à l'autopsie on ait pu trouver autre chose pour expliquer la mort, qu'une hypérémie et un œdème aigu du poumon. Ces accidents paraissent, au premier abord, difficiles à expliquer. Dans la plupart des organes de la grande circulation, une activité cardiaque exagérée ne suffit pas pour provoquer une hypérémie ; plus il y a 1 Que les fibres musculaires d'une petite veine viennent à se contracter, et que le rétrécissement qui en résulte, phénomène actif s'il en fût, produise un engorgement des capillaires : est-il rationnel d'appeler cette hypérémie une hypérémie passive ? HYPÉRÉMIE DU POUMON, HYPOSTASE PULMONAIRE. 155 de sang dans les artères, plus leurs parois sont tendues ; moins il y a de sang dans les veines et moins les parois de ces vaisseaux sont tendues de leur côté. Si par conséquent d'un côté le sang afflue avec plus de force dans les capil- laires, il s'en écoule d'autant plus facilement; en d'autres termes, la circula- tion est accélérée sans que, dans un moment donné, la quantité du sang- contenu dans les organes soit augmentée. Si les conditions ne sont plus les mêmes dans le poumon, si dans cet organe une exagération de l'activité cardiaque peut suffire pour produire l'hypérémie, cela provient de ce que les capillaires pulmonaires ne sont pas logés comme ceux d'autres organes dans des tissus plus ou moins résistants, mais se trouvent situés avec une grande partie de leur paroi, dans un espace contenant de l'air, et un air qui, à chaque inspiration, est même raréfié, de sorte qu'ils ne sont pas en état de résister à l'exagération quoique faible de la pression du sang, coïncidant avec une accélération de la circulation, et éprouvent, au contraire, sous cette pression, une notable dilatation. 2° Nous comprenons facilement les cas de fluxion vers le poumon pro\o qués par des irritations directes, par l'action momentanée du froid sur le tissu pulmonaire, par la respiration d'un air très-chaud ou mêlé de sub- stances acres. Ici le tissu sillonné par les capillaires semble relâché et devenu incapable d'opposer une résistance suffisante à la dilatation de ces vaisseaux. Les mêmes causes, si elles agissent sur la peau extérieure, y provoquent également des fluxions : la peau rougit si elle a été exposée pendant peu de temps à l'action du froid ; elle rougit également si nous y appliquons un cataplasme chaud ou un sinapisme. Il faut considérer comme produites de la même manière et dues à un relâchement anormal du tissu pulmonaire, ces fluxions chroniques qui accompagnent la formation et le ramollissement des néoplasmes et, en particulier, des tubercules pulmonaires. 3° On s'est occupé trop peu d'une troisième forme de fluxions vers cer- taines parties du poumon, et dont il a déjà été fait mention à l'occasion de l'emphysème et de la compression : nous voulons parler de cette hypérémie •qui, toutes les fois qu'une stase dans les capillaires met obstacle à la circu- lation, toutes les fois qu'un certain nombre de capillaires est comprimé ou rendu imperméable, doit se développer dans les parties du poumon dans les- quelles la circulation n'a subi aucune entrave. Cette fluxion collatérale, dont la nécessité physiologique est démontrée après la ligature des gros troncs vasculaires, par l'augmentation très-appréciable de la pression sanguine, dans les troncs vasculaires non ligaturés, cette fluxion collatérale nous est indispensable pour expliquer certains symptômes appartenant à la plupart des maladies du poumon; elle seule, en effet, nous permet de nous rendre compte de ces symptômes/ qu'autrement nous ne saurions nous expliquer, pas plus que l'effet de la saignée dans la pneumonie, dans les épanchements pleur étiques, etc. 156 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. U° Enfin, nous avons déjà fait voir qu'une raréfaction de l'air dans fes alvéoles provoque une fluxion vers le poumon, tout comme une ventouse ou la botte de Junod provoque une fluxion vers la peau extérieure. L'abolition ou au moins la diminution de la pression subie par les capillaires des alvéoles, quand un enfant amplifie son thorax pendant que sa glotte est rétrécie, est, comme nous l'avons vu, la cause principale des catarrhes consécutifs et de l'œdème pulmonaire dans la laryngite croupale, et des insuccès de la trachéotomie dans cette maladie. II. La stase sanguine, Yhypérémie passive, dont on sépare fort irrationnel- lement, selon moi, l'ivypérémie par cause mécanique, se produit toutes les fois que les veines pulmonaires sont trop remplies de sang et que leurs parois sont anormalement tendues. Dans ce cas, le sang s'écoule avec peine des capillaires, tandis que les artères, même si elles sont faiblement tendues, amènent toujours encore du sang parce que la tension de leurs parois est toujours plus grande que celle des parois capillaires. On sait que le sang passe encore des artères dans les capillaires quand déjà le cœur a cessé de se contracter. De là il résulte que la stase sanguine produit une dilatation beaucoup plus grande des capillaires que la fluxion, vu que, quand la circu- lation veineuse subit un arrêt considérable, les capillaires devenus, pour ainsi dire, les appendices borgnes des artères, reçoivent du sang jusqu'au moment où la tension de leurs parois s'élève au même niveau que celle des artères afférentes, ou jusqu'à ce que leur mince enveloppe, incapable de résistera une pression aussi forte, vienne à se rompre. La stase veineuse, dans les capillaires, se présente : 1° En cas de rétrécis- sement de l'orifice auriculo-ventriculaire gauche et d'insuffisance de la valvule mitrale. Ces deux maladies du cœur sont accompagnées de l'hypérémie pul- monaire la plus intense ; c'est à la rupture des capillaires dilatés que nous avons attribué la coloration brune du poumon induré et hypertrophié, alté- ration qui dépend elle-même d'une lésion de la valvule mitrale. (Voyez le chap. I.) Qu'il y ait simple arrêt du sang contenu dans l'oreillette, ou que, pendant la systole, il se fasse une régurgitation du sang vers l'oreillette, toujours est-il que la cléplétion des veines pulmonaires sera empêchée et qu'il y aura un engorgement des capillaires. 2° Tout affaiblissement dans l'activité du cœur est suivi d'une déplétion insuffisante des cavités de l'organe et par conséquent d'un arrêt dans l'écou- lement du sang veineux. La difficulté qu'éprouve le sang à passer des capil- laires dans les veines n'est pas compensée par une égale diminution de l'afflux artériel, et c'est ainsi que les fièvres asthéniques, dans lesquelles les contractions du cœur sont fréquentes mais incomplètes, telles que fièvre typhoïde, fièvre puerpérale, pyohémie, etc., sont constamment accompagnées de stases sanguines dans les capillaires du poumon. Quand l'action du cœur est affaiblie, une nouvelle cause ajoute encore son action à celles que nous HYPÉRÉMIE DU POUMON, HYPOSTASE PULMONAIRE. 157 venons de citer, pour empêcher la déplétion des capillaires dans les parties . déclives du poumon : nous voulons parler de la pesanteur. Si cet obstacle est facilement vaincu par les contractions énergiques, nous voyons, au contraire, se produire des phénomènes de congestion hypostatique, autrement dit des hypérémies dans les parties déclives quand l'activité du cœur est affaiblie. Un homme bien portant peut rester au lit pendant bien des mois sans que cette forme de l'hypérémie, cette hypostase, se développe dans les capillaires de la peau du dos et amène le décubitus, ou qu'elle provoque dans le pou- mon les différentes phases de l'hypostase pulmonaire, tandis qu'au contraire le décubitus et l'hypostase pulmonaire accompagnent constamment les fièvres typhoïdes de longue durée. Si nous avons vu dans le gonflement et l'imbibition des muqueuses et dans une sécrétion augmentée et modifiée des glandes mucipares, les consé- quences invariables de l'hypérémie des membranes muqueuses, des phéno- mènes semblables accompagnent tout aussi constamment l'hypérémie intense des vésicules pulmonaires : leurs parois se gonflent comme celles des muqueuses, elles deviennent plus humides, plus imbibées; mais la sécré- tion ou plutôt la transsudation qui se fait dans les alvéoles se distingue de celle de la muqueuse bronchique par sa fluidité plus grande, par son état séreux. Il faut se rappeler que les glandes mucipares sont déjà plus rares dans les petites bronches et que dans les alvéoles elles manquent complète- ment, que dans ces cavités un épithélium pavimenteux incomplet couvre la membrane amorphe, et l'on comprendra facilement que la sécrétion des alvéoles qui ne possèdent pas de membrane muqueuse proprement dite doit se distinguer de celle de la muqueuse bronchique. Dans les autres organes du corps on appelle œdème l'épanchement du sérum dans le tissu interstitiel ; mais par œdème pulmonaire on entend l'imbi- bition séreuse du tissu pulmonaire compliquée d'un épanchement sur la surface libre, c'est-à-dire dans les alvéoles. Toutefois l'œdème pulmonaire est loin d'être toujours le résultat d'une hypérémie intense, d'une augmentation de la pression du contenu des capil- laires sur leurs parois, mais tout comme dans d'autres organes, une faible pression peut suffire pour laisser transsuder le sérum des capillaires pulmo- naires dans le parenchyme et dans les alvéoles, si ce sérum ne représente qu'une solution d'albumine très-étendue, en d'autres termes, si une crase hy- dropique s'est développée. Quand il sera question de la maladie de Bright nous reviendrons sur ces conditions. Si une hypérémie hypostatique donne lieu à un œdème, on donne à ce dernier le nom & œdème hypostatique. Or, comme pour l'hypérémie hypo- statique nous avons appris à connaître une double cause d'engorgement vas- culaire, on comprend que surtout dans cette forme les capillaires doivent être excessivement remplis de sang et que leurs parois doivent éprouver une 158 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. distension extrême. De là., il résulte que clans ce genre d'hypérémie, il peut se développer non-seulement une transsudation d'une solution d'albumine étendue, mais il arrive même que tous les éléments du sérum sanguin, y compris la fibrine, traversent les parois capillaires, devenues poreuses ; et c'est là ce qu'on appelle une "pneumonie hypostatique, quoique, à la vérité, le processus n'ait rien de commun avec les phénomènes inflammatoires. § 2. Anatomie pathologique. Dans les degrés modérés de V hyper émie pulmonaire, l'organe est tuméfié, d'un rouge foncé, ses vaisseaux sont gorgés de sang, son tissu est imbibé, lâche, peu crépitant, la surface de section laisse dégoutter une grande quan- tité de sang, et les bronches renferment un liquide sanguinolent, écumeux. Si l'hypérémie a duré longtemps et qu'elle ait été très-intense, le parenchyme pulmonaire se montre foncé en couleur, rouge, bleu ou noirâtre ; le tissu interstitiel et les parois alvéolaires sont tellement gonflés que le parenchyme épaissi laisse à peine paraître quelques traces de sa structure celluleuse. Le poumon épaissi de la sorte offre une certaine ressemblance avec le tissu de la rate et a, par conséquent, reçu le nom de poumon splénifié. Si un œdème s'est développé dans le poumon, l'organe tuméfié ne s'affaisse pas à l'ouverture du thorax et donne au toucher la sensation d'un certain degré de fermeté. Si l'œdème existe depuis peu de temps, l'impression du doigt laisse une fossette peu sensible: après une durée plus longue de l'œdème, le parenchyme a perdu son élasticité, et le poumon conserve une empreinte plus marquée et plus persistante. Si l'œdème est la suite d'une hypérémie intense, le poumon œdémateux est coloré en rouge ; si, au con- traire, il n'est que le symptôme d'une hydropisie générale, le poumon peut paraître très-pâle. Si l'on incise les endroits œdémateux, il s'en échappe souvent une quantité énorme d'un liquide tantôt limpide, tantôt légèrement coloré et plus ou moins mêlé de sang. Ce liquide est rempli de bulles, écu- meux, mêlé de beaucoup d'air, si les alvéoles n'étaient pas entièrement remplis de sérosité et renfermaient en même temps une certaine quantité d'air. Dans d'autres cas cependant, c'est à peine si quelques bulles d'air venant des bronches d'un certain calibre sont mélangées avec le liquide; dans ces cas, le sérum a chassé tout l'air des alvéoles. Quant à Yhypostase, nous trouvons les états décrits : hypérémie intense allant jusqu'à la splénification, ou œdème avec absence d'air plus ou moins complète, ordinairement également distribués dans [les parties^poste'rieures des poumons, le long delà colonne vertébrale. Si le malade a été continuel- lement couché sur l'un ou sur l'autre côté, l'hypostase est souvent bornée à ce côté et y occupe une grande étendue, tandis que l'autre poumon paraît sain. Si le contenu des alvéoles ne peut être complètement chassé par une HYPEREMIE DU POUMON, HYPOSTASE PULMONAIRE. 159 pression exercée sur les parties épaissies du parenchyme pulmonaire, si la coupe montre une disposition confusément granuleuse, et si le liquide qui s'écoule est légèrement troublé par de très-petits coagulums fibrineux, nous avons affaire à une pneumonie hypostatique. § 3. Symptômes et marche. Les fluxions pulmonaires modérées ne provoquent aucune espèce de symptômes ; les capillaires dilatés agrandissent la surface respirante ; la cir- culation est accélérée, et avec cette accélération le renouvellement du sang dans le poumon est devenu plus, actif, double condition également favorable à l'échange des gaz. Mais lorsque la fluxion devient plus considérable, la dilatation du réseau serré des capillaires qui parcourent les parois alvéolaires suffit à elle seule déjà pour diminuer la capacité des alvéoles, et cette dimi- nution se trouve encore exagérée par une transsudation augmentée ; dès ce moment, la respiration est entravée, le poumon ne reçoit plus une quantité d'air suffisante. Ces jeunes gens ou jeunes filles à poitrine étroite dont il a été question au § 1er se plaignent par conséquent dans leurs accès de palpi- tations, de gêne respiratoire, et ils appellent avec raison ce qu'ils éprouvent sur la poitrine un sentiment de plénitude, de resserrement. Ajoutez à cela une toux brève et sèche et, dans des cas beaucoup plus rares, une expecto- ration écumeuse, mêlée de quelques stries de sang; les douleurs de poi- trine manquent; à l'examen physique, rien d'anormal. Dès à présent, nous pouvons faire remarquer que cet afflux habituel du sang vers la poitrine est quelquefois, mais moins souvent qu'on semble le croire, un phénomène précurseur des processus destructeurs d'où dépend la phthisie pulmo- naire. Les hypérémies violentes du poumon, que nous avons attribuées dans la pathogénie à une exagération excessive de l'activité cardiaque, se dévelop- pent quelquefois avec une grande rapidité et menacent subitement l'exis- tence. On leur a donné pour cette raison le nom d'apoplexies pulmonaires. La dyspnée s'élève en peu d'instants à un degré extraordinaire; la respiration devient haletante et peut à peine être comptée. Le sentiment du trop-plein et du resserrement de la poitrine va jusqu'à l'angoisse de la mort, jusqu'au sentiment d'une suffocation imminente ; au moindre accès de toux, si faible qu'il soit, la bouche est remplie d'abondants crachats sanglants et écumeux; les battements du cœur sont visibles ; le pouls radial, le soulèvement des carotides annoncent la plénitude des artères ; la face est colorée d'un rouge intense. Mais bientôt l'œdème qui s'ajoute à cette forme d'hypcrémie intense produit son effet : les alvéoles remplis de sérum ne reçoivent plus d'air, le sang est rapidement saturé d'acide carbonique, et dès ce moment le tableau de la maladie se modifie : les malades, tout à l'heure si agités, deviennent 160 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. tranquilles,, ils tombent dans un état soporeux, leur visage pâlit, les muscles des bronches, comme, ceux des autres organes, se paralysent et n'ont plus la force nécessaire pour chasser la sérosité qui s'accumule de plus en plus dans les ramifications bronchiques ; de gros râles, qui se produisent même dans la trachée, annoncent une fin prochaine, une suffocation imminente. Les symptômes de la fluxion aiguë déterminée par la respiration de ga» irritants sont modifiés par l'irritation simultanée de la muqueuse du larynx et des bronches, irritation qui se traduit par des accès de toux violents. Les hypérémies que provoquent la tuberculose, le cancer du poumon, etc., et qui entraînent principalement des hémorrhagies pulmonaires et bronchiques, feront l'objet du chapitre suivant. Les fluxions collatérales du poumon entrent pour beaucoup dans le tableau symptomatique qu'offrent la pneumonie, la pleurésie, le pneumothorax, etc. La turgescence des capillaires, le gonflement des alvéoles dans les parties non atteintes du poumon, jouent un rôle important dans la production de la dyspnée ; sans cette complication, ou plutôt sans cette conséquence du trou- ble de la circulation, les alvéoles non malades pourraient recevoir de l'air en quantité suffisante. L'autopsie des individus morts de phthisie pulmo- naire, chez lesquels la masse du sang a diminué à mesure que la maladie a fait des progrès, montre souvent, d'une façon surprenante, avec quel faible reste d'alvéoles intacts le besoin de respirer peut être satisfait, si ces alvéoles ne sont pas hypérémies. — Si la pression du sang est affaiblie par des émissions sangu:nes, la dyspnée se dissipe souvent complètement, bien que la maladie fondamentale continue d'exister : c'est la fluxion collatérale qui seule est modérée. — Si les malades meurent dans la première période d'une pneumonie, d'une pleurésie, ou peu de temps après que l'air "a pénétré dans la cavité pleurale et a comprimé un poumon, la mort est le résultat de l'hypérémie collatérale, de l'œdème collatéral. Qu'on lise les rapports né- croscopiques et l'on ne manquera pas d'y trouver consignées les traces de cette forme de l'hypérémie, quoique, en général, on ne songe pas à lui attri- buer un rôle dans l'interprétation des symptômes. La stase sanguine, alors même qu'elle n'est pas compliquée par la présence d'un œdème, produit plus de dyspnée que la fluxion pulmonaire. Les indi- vidus atteints d'insuffisance de la valvule mitrale et de rétrécissement de l'orifice correspondant, souffrent généralement d'une dyspnée fatigante, augmentée par le moindre mouvement, même quand ils n'ont aucun ca- tarrhe bronchique et que la stase sanguine des capillaires alvéolaires ne s'étend pas à leurs anastomoses, pour tuméfier la muqueuse bronchique et rétrécir les bronches. Ce phénomène s'explique facilement si l'on songe que dans la stase sanguine la circulation est ralentie autant qu'elle est accélérée dans la fluxion, que, par conséquent, dans le premier cas il y a deux raisons pour produire la dyspnée, tandis que dans le dernier il n'y en a qu'une. A IIYPÉRÉMIE DU POUMON, HYPOSTASE PULMONAIRE. 161 l' oppression. habituelle des individus atteints de maladies du cœur, oppres- sion dont nous avons fourni l'explication, s'ajoute souvent, d'une manière subite et inattendue, une dyspnée formidable, accompagnée de tous les symptômes que nous avons décrits comme appartenant à l'apoplexie pulmo- naire et au catarrhe suffocant. Dans ce cas, un épanchement intra-alvéolaire est venu compliquer le gonflement des parois, et la respiration, simplement difficile jusque-là, est devenue insuffisante. Un grand nombre d'individus atteints de maladies du cœur succombent à une stase sanguine aiguë et à un œdème aigu, sans qu'il soit toujours possible d'indiquer la cause qui a exa- géré d'une manière si subite l'obstacle à la circulation. Dans d'autres cas, à la vérité, les symptômes d'une accumulation du sérum dans les alvéoles et d'une respiration insuffisante se développent lentement chez ces malades, jusqu'à ce qu'enfin la mort en résulte. Si dans le cours d'une fièvre asthénique, soit typhoïde, soit pyohémique, la respiration devient superficielle, incomplète ; si, en outre, la percussion nous annonce un épaississement du parenchyme pulmonaire le long de la colonne vertébrale, si le malade rejette quelques crachats séreux, plus ou moins sanguinolents, nous nous trouvons en présence d'une stase sanguine dans le poumon, nous avons affaire à une hypostase ou à ses terminaisons. Séparer les symptômes de l'œdème de ceux de Yhypérémie, ce serait établir une distinction peu naturelle et par conséquent irrationnelle. Si les hypéré- mies arrivent à un degré élevé, l'œdème vient s'y ajouter comme une con- séquence toute simple. La preuve que cette terminaison naturelle et forcée a eu lieu, nous est fournie premièrement par le degré de la dyspnée qui, sous l'influence d'un simple gonflement des parois alvéolaires, ne devient jamais aussi intense que lorsqu'un œdème est venu s'y ajouter. Presque chaque fois, quand l'hypérémie a entraîné la mort, une transsudation de sérum s'est faite dans les alvéoles. Une deuxième preuve nous est fournie par les crachats caractéristiques ; rarement ou jamais la muqueuse bronchique ne sécrète des matières aussi liquides, et c'est avec raison qu'une expectoration très-liquide, transparente, plus ou moins mêlée de stries de sang et en même temps très-abondante, est considérée comme un signe de mauvais augure quand elle vient remplacer l'expectoration visqueuse et rare des individus atteints de pneumonie. L'auscultation nous renseigne également sur la présence de l'œdème pulmonaire : avec un peu d'exercice on distingue facilement un râle sec, c'est-à-dire un râle qui prend naissance dans un liquide visqueux, d'un râle humide, tel qu'il se produit dans un milieu très- liquide. Il est très-rare que dans la sécrétion de la muqueuse bronchique il se développe des râles aussi humides que ceux qui prennent naissance quand la sérosité transsudée par les alvéoles vient remplir les bronches. Dans d'autres cas, on n'entend aucun bruit respiratoire aux endroits où l'œdème remplit les alvéoles et empêche l'air d'y pénétrer : la respiration bronchique NIEMEYER. I — H 162 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. ne se fait entendre que très-rarement l. Enfin, la percussion, qui n'est pas modi- fiée par l'hypérémie simple, nous fournit quelquefois des renseignements sur l'œdème qui a pu s'ajouter à l'hypérémie. Dans les cas où l'œdème a fait perdre leur élasticité aux parois alvéolaires, peu tendues sur leur con- tenu, le son de la percussion devient parfois manifestement tympanitique. Mais si l'œdème a chassé des alvéoles tout l'air qu'ils contenaient, et si le poumon n'en renferme plus aucune trace, le son devient mat comme dans toute autre maladie ayant amené la compacité du poumon. Si les phénomènes que nous venons d'énumérer se rencontrent exclusive- ment aux endroits qui sont plus particulièrement disposés à devenir le siège de l'hypostase, c'est à cette forme d'hypérémie ou à ses terminaisons que nous avons affaire. S'il s'agissait enfin d'un œdème pulmonaire dépendant d'une hydropisie générale, ce seraient les symptômes du gonflement hydropique du tissu cellulaire sous-cutané ou des épanchements hydropiques dans les cavités séreuses qui nous éclaireraient le mieux sur la nature d'une dyspnée venant s'ajouter à ces symptômes. S'il se présente en même temps des crachats séreux, des râles humides, un son tympanitique ou mat à la percussion, on est en droit de chercher dans l'œdème pulmonaire la cause de tous ces symptômes. § 4. Diagnostic. L'hypérémie et l'œdème pulmonaires sont faciles à distinguer d'autres affections du poumon, si l'on se rappelle bien les symptômes que nous venons de décrire. Mais il peut être très-difficile, quoique cela paraisse facile en théorie, de distinguer devant le lit du malade une hypérémie active, une fluxion, d'une hypérémie passive, autrement dit d'une stase sanguine; et cependant c'est surtout ici que la confusion peut entraîner les suites les plus funestes, en nous faisant commettre des fautes qui peuvent coûter la vie au malade. La confusion arrive surtout entre les fluxions collatérales qui se développent dans le cours d'une pneumonie ou d'une pleurésie, et les hy- pérémies passives provoquées par l'affaiblissement de l'activité cardiaque et la fièvre asthénique. On voit si souvent l'hypérémie passive et l'œdème du poumon se développer dans l'épuisement final, quand le pouls devient petit, quand surviennent le délire et la sécheresse de la langue, que l'on est tenté 1 La respiration bronchique se produit quand les alvéoles, remplis de sérum, ne renferment pas d'air; mais il faut pour cela que les bronches, qui communiquent avec la partie condensée, ne soient pas à leur tour remplies d'un produit de sécrétion. On comprend facilement que cette dernière condition de la respiration bronchique, sur laquelle nous reviendrons quand il sera question de la pneumonie, manque presque toujours dans l'œdème. HYPÉRÉMIE DU POUMON, HYPOSTASE PULMONAIRE. 163 d'admettre aussi dans une pneumonie récente, si de pareils symptômes se présentent, une hypérémie passive, une stase sanguine par un commence- ment de paralysie du cœur, et qu'alors, au lieu de prescrire une saignée, on fait administrer du vin, du camphre, du musc, etc. Dans le chapitre de la pneumonie fibrineuse, nous insisterons plus particulièrement sur les hypérémies pulmonaires par fluxion ou par stase sanguine, les unes et les autres jouant un rôle essentiel dans la symptomatologie de cette maladie et ayant aussi une grande importance au point de vue du traitement. § 5. Pronostic. Le pronostic de l'hypérémie et de l'œdème pulmonaires dépend essentiel- lement des causes déterminantes. En général, les fluxions, si elles ne sont pas provoquées par des néoplasmes, sont moins graves et peuvent plutôt être guéries que les stases, dont les causes sont ordinairement difficiles à écarter. Le pronostic des diverses formes ressort de la description de leur marche. § 6. Traitement. Indication causale. — L'exagération de l'activité cardiaque constituant, ainsi que nous l'avons vu, une des causes fréquentes de l'hypérémie pulmo- naire, et les palpitations habituelles, accompagnées d'hypérémie pulmo- naire, pouvant précéder assez souvent, chez les jeunes sujets, la phthisie pul- monaire, nous devons opposer à ces états un régime sévère et un traitement rationnel. On défendra d'une manière absolue les boissons alcooliques, le café, le thé, et l'on recommandera au malade de laisser un peu refroidir ses aliments et ses boissons avant de les prendre. De même on recommandera aux individus de s'abstenir de la danse, del'équitation, et en général de tout exercice fatigant, tandis qu'on conseillera le mouvement modéré et régulier. Les malades doivent éviter autant que possible toute émotion morale. A ces préceptes se rattachent les mesures par lesquelles on doit chercher à préser- ver le poumon de toute irritation directe : on recommandera aux malades de fuir les appartements trop chauffés, les endroits où il y a beaucoup de pous- sière, les salles de fumeurs, et d'éviter la respiration d'un air froid. Pour ces sujets, conviennent tout particulièrement les boissons acidulées, les limo- nades, la crème de tartre, et ils retirent de grands avantages des cures de lait et de petit-lait, et avant tout des cures de raisin suivies à Dùrkheim (Palatinat), à Meran, sur les bords du lac de Genève, et dans d'autres endroits qui se distinguent par un climat doux et dont le raisin ne purge point ou purge très-peu. Arracher les malades, dans les périodes avancées de la phthi- sie, à leur famille et à leurs habitudes pour leur faire suivre une cure de 164 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. petit-lait ou de raisin, c'est le plus souvent précipiter leur fin, tandis que,, dans l'état dont il est ici question et que l'on ne compte pas sans raison parmi les prodromes de la phthisie, ce traitement procure souvent d'excellents résultats. Dans les formes collatérales de l'hypérémie pulmonaire, l'indication causale se confond avec le traitement de la maladie première. Dans les stases san- guines du poumon, on ne peut ordinairement pas remplir l'indication cau- sale. Dans les maladies du cœur, surtout dans le rétrécissement de l'orifice mitral, la digitale produit des effets palliatifs et doit être employée jusqu'à ce qu'on ait obtenu le ralentissement des contractions cardiaques. Plus l'action du cœur s'affaiblit dans le cours d'une fièvre asthénique, plus il y a urgence d'administrer des excitants et de donner une nourriture fortifiante. Si des^ phénomènes hypostatiques menacent de se déclarer, on fera changer de temps en temps la position des malades pour éviter la stase sanguine. Quant à Yindication de la maladie, elle exige une large saignée toutes les fois que la vie est menacée par une fluxion vers le poumon produite par l'ac- tion exagérée du cœur. Le succès de cette médication est surprenant : aussi- tôt que la masse du sang est diminuée, la pression diminue également dans les artères; car cette pression dépend d'une double cause : premièrement, de^ l'énergie des contractions du cœur, et deuxièmement, de la quantité de sang renfermée dans les cavités de cet organe. Souvent, pendant que le sang coule, les malades respirent déjà plus profondément, l'écume sanglante dis- parait de leurs crachats, et la vie menacée peut dans ce cas positivement être sauvée parle secours du médecin. Malheureusement, ces états, qu'on a désignés du nom d'apoplexie pulmonaire, sont si foudroyants, que l'homme de l'art arrive ordinairement trop tard. Les fluxions collatérales exigent également la saignée quand elles prennent des proportions dangereuses. Si, pour les raisons que nous venons d'indiquer, la saignée diminue la pression dans le cœur, elle doit affaiblir également la pression dans les artères de la partie hypérémiée du poumon, les capillaires seront moins remplis, la transsudation séreuse imminente, ou qui a déjà lieu, ne se fera pas ou cessera, et nous voyons encore, dans ce cas, les ma- lades respirer déjà plus librement et plus profondément, pendant que le sang de la veine coule encore. Mais comme, dans la plupart des cas, la saignée exerce un effet fâcheux sur la maladie fondamentale, et. comme elle aug- mente le danger de l'épuisement des forces et de l'appauvrissement du sang, on ne doit pas se laisser tenter par ces succès immédiats à saigner sans né- cessité et sans qu'il y ait péril en la demeure. Lorsque, au contraire, dans le cours d'une pneumonie, d'une pleurésie, dans un pneumothorax de date récente, des râles humides s'ajoutent à une dyspnée intense, lorsque les cra- chats deviennent séreux, alors il y a danger, et l'on ne doit pas se préoccu- per de la petitesse du pouls, mais y voir au contraire une indication de plus HYPEREM1E DU POUMON, HYPOSTASE PULMONAIRE. 165 pour la saignée. Plus le cas est récent, plus il sera facile de reconnaître la fluxion collatérale, et plus on pourra compter sur le succès. Si, dans le cours des maladies du cœur mentionnées plus haut, il se pré- sente des symptômes menaçants d' œdème pulmonaire, le danger immédiat peut également réclamer une diminution de la masse du sang, et le soulage- ment qui suit la saignée répond encore ici presque toujours à notre attente. Mais, dans ces cas encore, les émissions sanguines doivent être réservées pour les ms les plus urgents. Les individus atteints de maladies du cœur supportent mal les saignées répétées; leur sang ressemble, quand l'affection dure depuis un certain temps, à celui des emphysémateux; il est pauvre en albumine, en fibrine, et se prête plus facilement à la transsudation séreuse. La saignée, en diminuant la masse du sang, a pour conséquence une fluidité plus grande de ce liquide , car bientôt la quantité antérieure est rétablie par la résorption de liquides provenant des tissus et de l'intestin; mais la qualité n'est plus la même, le sang est plus pauvre en albumine, et, par conséquent, il y aune plus- grande tendance aux transsudations hydropiques et partant à l'œdème pulmonaire. Dans les autres formes de l'hypérémie pulmonaire que nous avons dé- crites, la saignée est directement nuisible. Cette remarque s'applique avant tout à ces hypérémies qui surviennent dans le cours des fièvres asthéniques, quelle que soit leur intensité et lors même que l'imminence d'un œdème pulmonaire menacerait la vie. Dans ces cas, il importe avant tout de relever l'énergie des fonctions cardiaques et de favoriser la déplétion du cœur, qui •seule permettra le dégorgement des veines pulmonaires ; la saignée ne ferait que diminuer l'énergie de l'organe et accroître le danger. Les cas cités en dernier lieu étant de beaucoup les plus fréquents et survenant presque tou- jours à la fin des maladies longues et débilitantes, le bouillon concentré, cet analeptique par excellence, le vin généreux, le camphre, le sucre, trouvent -une application plus fréquente dans l'hypérémie pulmonaire que les émis- sions sanguines. Nous avons parlé au § h de la difficulté qu'on peut éprouver à distinguer le commencement d'une paralysie du cœur des fluxions collaté- rales qui surviennent dans le cours d'une pneumonie et qui finissent égale- ment par affaiblir l'activité cardiaque par l'exsudation surabondante et la fièvre intense dont elles sont accompagnées. L'œdème du poumon peut encore réclamer l'administration d'un vomitif, pour les raisons que nous avons exposées antérieurement, toutes les fois que la toux ne se fait pas avec une énergie suffisante, et que les muscles paraly- sés des bronches ne contribuent pas à l'expulsion du contenu séreux de ces tuyaux. Si l'expectoration est arrêtée, si les râles continuent de se faire en- tendre même après que les malades ont toussé, on fait bien d'administrer un vomitif composé de sulfate de cuivre ou d'un mélange d'ipécacuanha et de tartre stibié ; mais on ne doit recourir à ce moyen qu'autant qu'il reste en- 166 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. core quelque espoir de sauver le malade. Traube préconise comme traite- ment très-efficace de l'œdème pulmonaire l'administration de l'acétate de plomb (5 centigr. par heure) et l'application d'un grand vésicatoire sur la poitrine (?). L'œdème pulmonaire, quand il dépend d'une hydropisie générale, ré- clame le traitement de la maladie fondamentale. Eneore, dans ces condi- tions, l'indication vitale peut rendre nécessaire l'administration d'un vomitif. CHAPITRE VI. Héniorrnagies des organes de la respiration. Dans la plupart des cas où du sang en plus ou moins grande abondance est rejeté par la toux, la source de l'hémorrhagie est à la vérité la muqueuse bronchique ; mais les hémorrhagies bronchiques accompagnant ou précédant très-souvent les affections du poumon, nous avons préféré les décrire en même temps que les hémorrhagies du parenchyme de cet organe. Nous dé- crirons, par conséquent, sous le nom d' hémorrhagies des organes de la respira- tion : l°la bronchohémorrhagie, qui est la cause de beaucoup la plus fréquente de l'hémoptysie et de la pneumorrhagie, c'est-à-dire du simple crachement de sang et de l'expulsion d'une quantité plus considérable de ce liquide : 2° Yinfarctus hémorrhagique, c'est-à-dire une hémorrhagie limitée à des foyers circonscrits du tissu pulmonaire, sans destruction de ce tissu: 3° l'apoplexie pulmonaire proprement dite, c'est-à-dire une hémorrhagie abondante du tissu pulmonaire, produite par la rupture de vaisseaux volumi- neux et accompagnée de la destruction du tissu et d'une collection sanguine apoplectique. Les hémorrhagies provenant de cavernes et celles qui suivent la rupture d'un anévrysme dans les voies respiratoires seront décrites plus tard. ARTICLE PREMIER. Hémorrhagies bronchiques. — Broncho-hémorrhagie. § 1. Pathogénie et étiologie. Les lésions traumatiques et la destruction ulcéreuse des vaisseaux de la muqueuse bronchique d'un certain r'calibre sont des faits excessivement rares. Les hémorrhagies capillaires des voies respiratoires sont aussi très- exceptionnellement d'origine traumatiquc, ou une suite de mortification ou d'ulcération de la muqueuse. Ordinairement elles dépendent d'une rupture HÉMORRHAGIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. 167 des capillaires due, soit à une trop grande accumulation de sang dans leur intérieur, soit à un état anormal de leur nutrition, à une fragilité morbide de leurs parois. C'est la première condition qui donne lieu aux hémorrhagies capillaires, ordinairement insignifiantes, qui se produisent dans la première période des catarrhes aigus des bronches., dans les fortes irritations des voies aériennes, dans les troubles circulatoires dus à des maladies organiques du cœur, tandis que la seconde préside à la plupart des hémorrhagies de la muqueuse bronchique par lesquelles de fortes quantités de sang sont versées dans les voies aériennes et rejetées par une hémoptysie ou une pneu- morrhagie. Le fait, trop peu pris en considération jusqu'à présent, que presque toutes les hémorrhagies bronchiques abondantes dépendent d'un état morbide des parois vasculaires, d'une diathèse hémorrhagique de la muqueuse bron- chique S et non d'une trop grande plénitude des vaisseaux, ce fait, disons- nous, est d'une grande valeur pratique. — La preuve de sa réalité nous est fournie non-seulement par cette circonstance que les attaques d'hé- moptysie et de pneumorrhagie ne sont généralement précédées d'aucun symptôme d'hypérémie de la muqueuse bronchique, mais avant tout pa l'observation connue que l'hémoptysie continue presque toujours d'exists et devient même souvent de plus en plus opiniâtre à mesure que les mala- des perdent plus de sang et que par conséquent la tension de leurs vais- seaux devient plus faible. Une disposition aux hémorrhagies bronchiques abondantes ou, d'après la définition que nous venons de donner, une diathèse hémorrhagique se présente, dans quelques cas rares et contrairement à toute attente : 1° Chez les personnes jeunes, d'apparence saine et de constitution robuste. Ici nous ne pouvons en aucune manière nous expliquer ce trouble de la nutrition des parois capillaires, limité ordinairement à la muqueuse bronchique, et sou- vent si désastreux dans ses conséquences. 2° La disposition dont il vient d'être question se rencontre beaucoup plus souvent chez les jeunes gens de quinze à vingt-cinq ans, d'une santé délicate et d'une constitution faible. Ce sont ordinairement des sujets qui ont perdu de bonne heure leurs parents, morts de phthisie pulmonaire, qui pendant leur enfance ont été atteints d'affections scrofuleuses et. rachitiques, ont souvent saigné du nez, se sont élancés en hauteur sans que le développe- 1 Nous ne nous servons de cette expression générale que pour désigner une fragi- lité morbide des parois vasculaires, et non une anomalie de la crase du sang, tout en étant prêt à reconnaître que celle-ci peut, de son côté, modifier la nutrition des parois vasculaires, diminuer leur résistance, et, par cela même, occasionner une diathèse hémorrhagique. 168 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. ment des divers organes et systèmes fût en harmonie avec cette croissance rapide ; leurs os sont longs et fluets, leur poitrine étroite, môme leur peau paraît plus fine et plus transparente, leurs joues se colorent facilement et des veines bleues leur sillonnent les tempes et le dos du nez. On pourrait être tenté d'attribuer la grande fréquence des hémorrhagies bronchiques abondantes qui surviennent chez ces individus à une sorte d'usure des ma- tériaux nutritifs du corps, épuisés par les maladies de l'enfance et la crois- sance rapide et ne suffisant plus pour une nutrition normale des parois ca- pillaires, tout comme on attribue à un pareil épuisement des 'matériaux nutritifs les hémorrhagies spontanées qui surviennent après de graves ma- ladies, après de longues suppurations, après de grandes pertes de sang. Cette hypothèse cependant ne suffit pas pour expliquer pourquoi, dans les premiers temps, l'hémorrhagie avait pour siège la muqueuse nasale, plus tard la muqueuse bronchique, ni pourquoi jamais on ne rencontre chez ces individus des hémorrhagies du cerveau ou d'autres organes. 3° Enfin, on trouve une très-grande disposition aux hémorrhagies capil- laires de la muqueuse bronchique chez les individus atteints de tubercu- lose et de phthisie pulmonaire. La grande fréquence des hémorrhagies bron- chiques abondantes dans toutes les périodes des maladies que nous venons de nommer, tient à ce que, d'une part, les mêmes individus qui ont une prédisposition marquée aux hémorrhagies bronchiques, sont aussi tout par- ticulièrement prédisposés à la tuberculose, à la phthisie pulmonaire, et con- tinuent d'avoir cette disposition aux hémorrhagies en question après que leurs poumons sont devenus malades, et que, d'autre part, la production des tubercules et les processus inflammatoires chroniques rendent le tissu pul- monaire et la muqueuse bronchique plus lâches ; alors les capillaires, en- tourés par ce tissu lâche, qui n'oppose aucune résistance à leur dilatation, éprouvent facilement une distension excessive et un amincissement de leurs parois qui tendent à devenir encore plus fragiles. Il faut ajouter que des masses tuberculeuses et des foyers inflamma- toires provoquent par compression des vaisseaux une hypérémie par fluxion ou par stase sanguine, qui peut également favoriser la rupture des capil- laires. L'adhésion unanime aux théories par trop exclusives de la doctrine de Laennec, et la croyance absolue à la justesse du vieil aphorisme d'Hippo- crate : liz\ aïfKXTo? l[xzrcô yQôvj xat tod 7ruoo xotTap<7t; avw (le vomissement du sang amène la phthisie et l'éjection du pus par la bouche), ont troublé le jugement des médecins sur le rapport qui existe entre les hémorrhagies bronchiques et la tuberculose du poumon, et ont été cause de bien des exa- gérations et d'idées fausses. Beaucoup de médecins n'hésitent pas à considérer comme un signe cer- tain de tuberculose confirmée ou commençante toute hémoptysie abondante. HÉMORRHAGIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. 169 précédée ou non des symptômes subjectifs et objectifs de la maladie pulmo- naire, et à déclarer, surtout dans les cas où les symptômes de la phthisie se prononcent bientôt après une hémoptysie, que cette dernière a été provo- quée par la présence ou la formation de tubercules dans le poumon. Je dois protester de toute mon énergie contre cette idée si dangereuse pour les malades et complètement erronée. Il peut, à la vérité, se rencon- trer quelques cas dans lesquels les tubercules ou les processus inflamma- toires se développent dans le poumon d'une façon tellement latente que les individus ne laissent apercevoir aucun phénomène morbide, jusqu'au moment où une hémoptysie ou une pneumorrhagie se déclare chez eux; mais bien certainement ce sont là de rares exceptions. Dans l'immense majorité des cas, quand la première hémoptysie abon- dante n'a été précédée ni de toux, ni de dyspnée, ni d'autres symptômes d'une affection pulmonaire, le poumon était indemne au moment de l'hé- morrhagie et n'était nullement le siège d'une tuberculose latente. Comme ces malades ne meurent qu'exceptionnellement pendant le cra- chement de sang, l'occasion est rarement donnée, il faut en convenir, de vérifier notre proposition par l'autopsie. Cependant, si l'on recueille les rapports nécroscopiques dispersés dans la littérature médicale et que l'on ■compare leurs résultats, on peut se convaincre qu'ils tendent à confirmer la justesse de notre opinion. Moi-même, jai fait plusieurs autopsies d'individus morts de pneumorrhagie survenue au milieu d'une santé excellente, et chez lesquels le poumon ne montrait aucune trace de tuberculose ou d'autres processus destructeurs. De même, nous voyons assez souvent des personnes qui ont traversé mie -ou plusieurs attaques de pneumorrhagie et qui sont redevenues aussi saines qu'auparavant, et ont même pu atteindre un âge avancé sans qu'à l'autopsie -on pût constater dans leurs poumons la trace d'une tuberculose éteinte ou d'un autre processus destructeur. C'est encore là une preuve que des hénior- rhagies bronchiques abondantes peuvent survenir en dehors de toute atteinte grave du parenchyme pulmonaire. Enfin, le fait que, même dans les cas où les premiers symptômes de la phthisie se montrent immédiatement après une attaque d'hémoptysie ou de pneumorrhagie, l'hémorrhagie n'en précède pas moins la maladie du pou- mon, ce fait, disons-nous, est le plus en contradiction avec la doctrine de Laennec à laquelle la plupart des médecins se rallient encore aujourd'hui. D'après l'opinion de Laennec, il n'y a qu'une espèce de phthisie, la phthisie tuberculeuse. « Comme les hémorrhagies bronchiques ne peuvent jamais entraîner une production de tubercules, tout lien de causalité entre une hémorrhagie bronchique et une phthisie pulmonaire qui peut la suivre doit être absolument contesté. Si, par conséquent, les premiers symptômes d'une phthisie pulmonaire se déclarent immédiatement après une hémoptysie ou 170 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. une pneumorrhagie, on peut admettre en toute certitude qu'il s'est formé un dépôt de tubercules dans le poumon, soit avant l'hémorrhagie, soit en même temps qu'elle. » — Ces conclusions sont logiques, mais elles sont fausses, parce qu'elles partent de la supposition erronée qu'un dépôt de tubercules doit être la base de toutes les formes de la phthisie pulmonaire. En observant exactement et sans opinion préconçue des malades qui étaient atteints d'hémoptysie ou de pneumorrhagie non précédée de prodromes et quelquefois au milieu d'une santé florissante, et qui ne se rétablissaient pas de cette attaque, mais succombaient peu de mois après à une phthisie ga- lopante, j'ai reconnu que ces malades ne meurent presque jamais de la tuberculose proprement dite, mais généralement d'une forme de phthisie pulmonaire trop peu appréciée jusqu'à présent et dérivant directement de l'hémorrhagie bronchique, et cela malgré l'opinion contraire de Laennec. Si une hémorrhagie bronchique laisse séjourner du sang coagulé dans les alvéoles, qui aspirent, pendant l'inspiration, le sang versé dans les bronches, ce sang devient un agent irritant pour les parties avec lesquelles il est en contact, tout aussi bien que le contenu coagulé d'une veine, un thrombus, irrite directement la paroi veineuse. Il me paraît d'ailleurs assez probable que dans la plupart des cas d'hémoptysie, les capillaires des alvéoles pren- nent part à l'affection, et même il n'est pas impossible qu'ils soient la source principale de l'hémorrhagie. Les processus pneumoniques, qui prennent naissance de cette manière, peuvent se terminer de différentes façons (voy. § 3). Une terminaison rien moins que rare, c'est la transformation caséeuse et la désorganisation consécutive du sang coagulé et en même temps du tissu pulmonaire enflammé. A ces faits anatomo-pathologiques correspond exactement le tableau qu'offre la' marche de la phthisie pulmonaire, quand les individus jusque-là robustes et bien portants en ont été atteints immédia- tement après une hémorrhagie bronchique et succombent en peu de mois à la maladie. Pour terminer, je dirai que même les hémorrhagies bronchiques qui se produisent dans le cours d'une phthisie confirmée, peuvent entraîner à la manière indiquée des pneumonies chroniques et une désorganisation du tissu pulmonaire, ayant pour effet la terminaison fatale. — Le fait qu'une hémoptysie survenant dans le cours d'une phthisie, constitue un accident dangereux et que souvent la maladie fait immédiatement après de rapides progrès, ce fait est généralement admis par les médecins, mais ordinaire- ment mal interprété. L'explication que l'on donne d'habitude, mais qui cer- tainement est bien rarement la vraie, est la suivante : il se serait produit une poussée de tubercules qui aurait provoqué, d'une part, l'hémorrhagie bronchique, et aurait accéléré, d'autre part,. la marche de la phthisie. Mes opinions sur le rapport qui existe entre les hémorrhagies bronchiques et la phthisie différant sous bien des rapports de celles qui ont générale- HÉMORRHAGIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. 171 ment cours aujourd'hui, je veux les résumer succinctement dans les propo- sitions suivantes : 1° Les hémorrhagies bronchiques se présentent plus fréquemment que cela n'est généralement admis chez les individus qui ne sont ni phthisiques ni destinés à le devenir. 2° Dans beaucoup de cas, des hémorrhagies abondantes de la muqueuse bronchique précèdent le début de la phthisie pulmonaire, sans qu'un lien de causalité, quelconque puisse être constaté entre l'hémorrhagie et la maladie du parenchyme. — Dans ces cas, les deux processus coulent sim- plement d'une source commune , c'est-à-dire d'une double prédisposition du malade aux hémorrhagies bronchiques, d'une part, et à la phthisie, d'autre part. 3° Les hémorrhagies de la muqueuse bronchique précèdent le dévelop- pement d'une phthisie pulmonaire, et se rattachent à cette dernière par un lien de causalité, en ce sens que l'hémorrhagie bronchique entraîne des processus inflammatoires chroniques du parenchyme pulmonaire, suivis de la destruction de ce dernier. k° Les hémorrhagies pulmonaires, plus souvent encore qu'elles ne pré- cèdent le début de la phthisie, se développent dans le cours de cette mala- die ; elles se montrent, — dans des cas rares, il est vrai, — à une époque où l'affection pulmonaire est encore latente. 5° Les hémorrhagies bronchiques qui se produisent dans le cours d'une phthisie pulmonaire peuvent hâter la terminaison funeste de cette maladie, en favorisant le développement de processus inflammatoires chroniques et destructeurs. § 2. Anatomie pathologique. Dans les cadavres d'individus morts d'hémorrhagie bronchique, on trouve les voies aériennes plus ou moins remplies de sang coagulé ou liquide. Quelquefois, la muqueuse est teintée uniformément en rouge foncé, parce que le sang est également épanché dans son tissu; elle est, en outre, tuméfiée, relâchée, et saigne à la pression. Dans d'autres cas, tout le con- tenu des capillaires semble s'être vidé, et la muqueuse est pâle et anémiée. Il est impossible de constater l'existence d'une solution de continuité méca- nique ou ulcéreuse comme source de l'hémorrhagie. Le poumon lui-même est plus ou moins coloré en rouge et en même temps plus dense et plus lourd, aux endroits où le sang est descendu jusque dans les alvéoles. Si les bronches renferment encore une quantité plus ou moins grande du sang épanché, l'air ne peut plus s'échapper des alvéoles après l'ouverture du thorax et les poumons conservent leur volume. Si la 172 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. mort a été la suite de l'hémorrhagie, on trouve dans tous les organes une forte anémie. Dans les cas où la mort est arrivée longtemps après la cessation de l'hé- morrhagie, on ne trouve aucune trace de cette dernière dans le poumon, et c'est là sans doute le cas le plus fréquent; ou on rencontre les signes d'in- flammations chroniques à différentes périodes, mais que l'on ne peut rap- porter à l'hémorrhagie qu'autant que l'on trouve en même temps, dans les bronches, des coagulums sanguins plus ou moins désorganisés et en voie de métamorphose graisseuse. J'ai fait publier dans une thèse i un cas observé dans ma clinique où l'autopsie mettait parfaitement au jour le processus entier, et où nous trouvions dans les bronches des caillots qui ressemblaient parfaitement à d'anciens thrombus veineux. § 3. Symptômes et marche. Le mélange d'une faible quantité de sang avec l'expectoration catarrhale (de petites stries de sang qui la traversent) est un symptôme aussi commun que peu dangereux. Il en est de même des quantités un peu plus fortes d'un sang tantôt pur, tantôt mêlé de mucus, et qui sont parfois rejetées après la respiration de vapeurs acres, ou bien après d'autres irritations intenses des voies aériennes , et plus souvent encore dans les fortes hypérémies par' stase sanguine qui peuvent se déclarer dans le cours des maladies du cœur. Il est rare que ces crachements de sang prennent une signification sérieuse et menacent la vie du malade. Il en est tout autrement de ces hémorrhagies capillaires surabondantes que nous avons attribuées à une diminution de résistance des parois vaseu- laires, cédant à la pression de leur contenu, et que l'on a généralement seules en vue quand on emploie, selon la quantité du sang rejeté, les ex- pressions hémoptysie ou pneumorrbagie. Ici, le médecin attentif peut sou- vent longtemps d'avance annoncer l'hémorrhagie s'il s'agit d'un malade ayant l'habitus longuement décrit au§ 1er, surtout si ce malade a eu souvent des épistaxis et s'il s'est plaint par moments de battements de cœur et d'oppression. Cependant, il n'arrive que par exception que l'accès lui-même soit précédé de prodromes proprement dits, d'un sentiment de resserrement de la poitrine. Beaucoup plus souvent le crachement redouté arrive tout à coup et surprend le malade au moment où il s'y attend le moins ; il lui semble qu'un liquide chaud lui remonte en bouillonnant derrière le sternum, il sentungoôt étrange et douceâtre dans la bouche; il expectore et s'aperçoit 1 Ueber clas Verltultniss der Bronchial- und Lungenblutungen zur Lungenschwintl- sucht (Du rapport qui existe entre les hémorrhagies bronchiques et pulmonaires et la phthisie), dissertation inaugurale du docteur Biirgcr. Tubingue, 1864. HÉMORRHAGIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. 1-73 alors qu'il crache du sang pur ou un mucus sanguinolent. Cette découverte frappe ordinairement d'un profond découragement les individus même les plus intrépides. Involontairement on songe ici à la vérité des paroles de Méphistophélès dans le Faust de Goethe : « Blut ist ein ganz besonderer Saft » (Le sang est un suc d'une vertu toute particulière). Si petite que soit la quantité de sang rejetée, on trouve ordinairement les individus pâles, tremblants, près de s'évanouir. Bientôt après que la première partie du sang a été éloignée par des efforts d'expectoration, un chatouillement se produit dans la gorge, un besoin de tousser se fait sentir, on entend quel- quefois de gros râles, une sorte de bouillonnement dans la poitrine. Puis, viennent des secousses brèves d'une toux grasse, qui amènent un sang écu- meux, rouge clair, s'échappant à la fois du nez et de la bouche. Entre les secousses delà toux, il y a de courts intervalles pendant lesquels de nouvelles quantités de sang semblent s'épancher et s'accumuler dans la poitrine, et c'est ainsi que des masses de sang très-considérables peuvent être rejetées en très-peu de temps (la quantité de sang que le malade expectore ainsi en toussant peut varier entre quelques onces et un demi-kilogramme ou davan- tage). L'attaque, telle que nous venons de la décrire, se dissipe au bout d'une demi-heure, d'autres fois plus tôt, mais quelquefois seulement aprè& plusieurs heures. Les mucosités que les malades rejettent ensuite sont tou- jours encore rouges et mêlées de sang, mais ce îvest plus du sang pur. Cependant, il est bien rare que les malades en soient quittes pour une seule attaque d'hémoptysie; presque toujours cette attaque se répète après plu- sieurs heures ou le lendemain, quoi qu'on fasse pour la conjurer; le plus souvent même, de nouvelles attaques se produisent encore au second et au troisième jour, quelquefois pendant toute une semaine, jusqu'à ce qu'enfin le malade, devenu pâle et exsangue, soit délivré de son cra- chement de sang, qui peut rester des mois ou des années sans se repro- duire. Telle est la marche ordinaire de la broncho-hémorrhagie, qu'elle se déve- loppe dans le cours d'une phthisie pulmonaire ou chez des individus dont les poumons sont exempts de tubercules ou d'autres maladies. — Il est rare qu'elle menace directement l'existence, et il est essentiel de savoir que la plupart des malades, malgré un affaissement extrême, malgré une disposi- tion aux syncopes, accompagnée d'autres symptômes faisant redouter une fin prochaine, survivent en général à l'attaque. — La mort est plus souvent le résultat de l'obstruction des bronches et de l'insuffisance de la respiration que de la perte de sang elle-même. L'examen physique de la poitrine donne le plus souvent des résultats néga- tifs, sauf quelques râles humides plus ou moins étendus, et il est imprudent et irrationnel d'agiter les malades en les percutant et en les auscultant sans ménagement à plusieurs reprises. Si le sang arrive jusque dans les alvéoles 174 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATIOiN. en quantité assez grande pour, chasser l'air d'une portion considérable du poumon, le son de la percussion devient mat au niveau de cet endroit, et le bruit respiratoire devient faible, indéterminé ou bronchique. Dans beaucoup de cas, les malades se remettent assez vite, après avoir re- jeté encore pendant un certain temps de petites quantités d'un mucus san- guinolent et de sang coagulé. Si le sang a stagné dans une bronche qui a été plus ou moins oblitérée par lui et rendue imperméable à l'air, il n'a plus sa couleur vermeille, mais une teinte foncée, noirâtre. Chez la plupart des malades, et même chez ceux qui se rétablissent promp- tement et complètement d'une hémorrhagie bronchique, on trouvera, en les examinant attentivement, pendant les premiers jours qui succèdent à une hémorrhagie bronchique, les symptômes d'une irritation inflammatoire plus ou moins vive du poumon et de la plèvre. Pour ma part, du moins, j'ai presque constamment, depuis que ces pleuro-pneumonies consécutives ont frappé mon attention, constaté deux ou trois jours après une hémoptysie, une élé- vation de température et une plus grande fréquence du pouls, une perturba- tion de l'état général, des douleurs pongitives plus ou moins intenses dans les régions latérales du thorax, et souvent un léger obscurcissement du son de la percussion ou des bruits de frottement et des râles à bulles fines. Même dans les cas où un temps assez long s'est écoulé depuis l'invasion de l'hémo- ptysie, j'ai pu le plus souvent m'assurer, en interrogeant attentivement les malades, que, pendant les jours qui suivaient le crachement de sang, il s'était produit des symptômes d'irritation plus ou moins vive des organes de la respiration. Je ne conçois pas comment l'importance de ces suites presque invariables des hémorrhagies bronchiques a pu échapper si longtemps aux observateurs, qui ne les citent presque jamais dans leurs ouvrages. La terminaison la plus commune de ces inflammations consécutives est la résolution. Souvent les symptômes se dissipent au bout de très-peu de temps, et le malade entre franchement en convalescence. Dans d'autres cas, l'élévation de la température et la fréquence du pouls durent plus longtemps; l'économie entière est dans un état de souffrance en rapport avec l'intensité de la fièvre; de même, il persiste de légères dou- leurs sur la poitrine, que les malades prennent pour des rhumatismes; la respiration conserve une grande fréquence, les malades toussent et expec-. torerit des crachats muco-purulents. Lorsqu'à côté de ces symptômes on trouve une matité du son de la percussion dans une étendue plus ou moins grande, un bruit respiratoire indéterminé et affaibli, et qu'en même temps les malades maigrissent et s'épuisent visiblement, il y a fortement lieu de soupçonner qu'un processus destructeur n'ait pris naissance dans le poumon et qu'ils ne soient destinés à mourir de phthisie pulmonaire. Cependant, même alors, on ne doit pas abandonner tout espoir. — Dans beaucoup de cas de ce genre, la fièvre se dissipe au bout de quelques semaines; il en est de HÉMORRHAGIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. 175 même des douleurs, de la dyspnée, de la toux et de l'expectoration : il semble aux malades qu'ils aient traversé une grave maladie. Ils se rétablissent rapi- dement et complètement. L'examen physique révèle un affaissement du tho- rax dans un endroit déterminé et un obscurcissement du son de la percus- sion, ainsi qu'un affaiblissement du bruit respiratoire au niveau de cet endroit. La pneumonie s'est terminée par l'imperméabilité et le ratatinement de la partie enflammée du poumon. — Dans la dissertation mentionnée plus haut, deux cas de ce genre, dont l'un concerne un de mes anciens chefs de clinique, ont été longuement décrits, et depuis cette époque des observations plus nombreuses m'ont appris que cette terminaison est très-fréquente. Si, dans le cours d'une pneumonie chronique consécutive à une hémor- rhagie bronehique abondante, on ne constate aucune amélioration, si, au contraire, les malades sont de plus en plus consumés par l'intensité de la fièvre, ses exacerbations du soir, suivies de sueurs nocturnes, si l'expectora- tion devient plus abondante et plus purulente , si de plus une formation de cavernes peut être reconnue à l'investigation physique, il y a lieu de conclure que la pneumonie chronique s'est terminée par la fonte caséeuse et la désor- ganisation du tissu pulmonaire enflammé. Je terminerai en répétant que les individus qui ont traversé une hémor- rhagie bronchique abondante sont toujours en danger de succomber plus tard à une tuberculose ou à une phthisie pulmonaire, en supposant même que l'hémorrhagie n'ait par elle-même laissé aucune suite fâcheuse, et qu'ils se soient complètement remis de cet accident. § 4. Diagnostic. On confond assez souvent l'épistaxis avec les hémorrhagies de la muqueuse bronchique, surtout si l'hémorrhagie a son siège dans les parties postérieures de la cavité nasale, ou, si le malade est couché sur le dos pendant le saigne- ment du nez. Dans ces cas, le sang coule dans le pharynx, arrive dans le larynx, d'où le malade l'expectore souvent en toussant, au grand effroi de sa famille et de lui-même. Avant l'arrivée de l'homme de l'art, on a déjà admi- nistré au malade de fortes quantités de sel de cuisine et de vinaigre, et il im- porte qu'au milieu de la consternation qui l'entoure le médecin examine tranquillement l'intérieur du nez, qu'il inspecte les gencives et le palais, et qu'il s'informe avec soin si le malade n'a pas saigné du nez la veille. Ce n'est que de cette manière qu'il pourra éviter une méprise. Quelquefois aussi le diagnostic différentiel entre l'hémoptysie et les hé- morrhagies de l'estomac peut offrir des difficultés, surtout lorsqu'il s'agit de se rendre compte de la source d'une hémorrhagie survenue il y a quelques années. Souvent il arrive que la toux qui accompagne l'hémoptysie provoque des nausées et des vomissements, ou bien le malade avale du sang qu'il 176 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. vomit plus tard ; réciproquement, une hématémèse violente est presque tou- jours accompagnée de toux, parce que de petites quantités de sang arrivent dans le larynx, et de cette manière il est impossible aux malades de toujours indiquer exactement s'ils ont expectoré ou vomi le sang. En décrivant F hé - morrhagie de l'estomac, nous examinerons à fond cette question de diagnos- tic différentiel, et nous nous bornerons pour le moment à faire remarquer qu'on doit demander si la toux est venue s'ajouter au vomissement ou bien si le vomissement s'est ajouté à la toux, et qu'en second lieu on doit bien s'in- former si des douleurs cardialgiques ont précédé ou non l'hémorrhagie. Enfin, on s'informera en troisième lieusil'hémorrhagie a été suivie de selles noires semblables au goudron, ou bien s'il y a eu les jours suivants une ex- pectoration de mucosités sanguinolentes. Si l'on a encore l'occasion d'exa- miner le sang rejeté, on doit se rappeler que celui qui" provient des voies aériennes est ordinairement vermeil (voyez plus haut), écumeux, et qu'il a une réaction alcaline; s'il forme un caillot, ce dernier est mou et d'un poids spécifique peu considérable, parce qu'il emprisonne des bulles d'air. Au con- traire, le sang rejeté par le^vomissement est foncé, même noirâtre, excepté dans les cas où une grosse artère de l'estomac a été ulcérée; il n'est pas mêlé de bulles d'air, mais de restes d'aliments; sa réaction est ordinairement acide , le caillot, s'il vient à s'en former un, est ferme et lourd. Nous ajoutons, pour terminer, quelques mots sur la distinction à établir entre les hémorrhagies capillaires de la muqueuse bronchique, et celles qui proviennent de la lésion de vaisseaux d'un certain calibre rampant dans les parois des cavernes. Plusieurs auteurs reconnaissent, il est vrai, que des hé- morrhagies modérées, comme celles qui produisent le simple crachement de sang, proviennent en général des capillaires de la muqueuse bronchique- Par contre, ils prétendent que toutes les hémorrhagies abondantes occasion- nant la pneumorrhagie proviennent de la rupture ou de l'ulcération de gros troncs vasculaires. Ils sont tellement convaincus de la justesse de cette opi- nion, qu'ils admettent que tout individu, quelle que soit son apparence de santé, doit être porteur de cavernes restées latentes jusque-là, du moment qu'il lui est survenu une pneumorrhagie. L'objection qu'une perte de sang aussi abondante ne peut guère provenir des vaisseaux capillaires de la mu- queuse bronchique n'est pas sérieuse, attendu que les hémorrhagies capil- laires de la muqueuse nasale sont souvent assez abondantes pour menacer la vie, et qu'une hémorrhagie capillaire de même abondance, de la muqueuse bronchique, peut, si elle s'étend à de grandes surfaces de cette muqueuse, très-bien fournir assez de sang pour donner lieu à une pneumorrhagie et non à une simple hémoptysie, surtout pendant l'inspiration, pendant laquelle l'air du poumon est raréfié, d'autant plus que les personnes atteintes de cra- chements de sang tombent facilement dans l'exagération et parlent de sang rendu en abondance, rejeté par demi-litres, tandis que la quantité réelle HÉMORRHÀGIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. 177 était bien inférieure à ces dires. Il est d'ailleurs très-invraisemblable que, dans tous les cas où des hémorrhagies graves et abondantes des voies respi- ratoires atteignent des individus sains en apparence, des cavernes aient pu passer inaperçues dans le poumon, et il serait très-étrange que de petites ca- vernes latentes donnassent beaucoup plus souvent lieu à des hémori'hagies que de grandes cavernes dûment constatées. Enfin, on peut même prouver directement que, dans la plupart des cas, le sang rejeté dans une pneumor- rhagie ne provient pas d'un gros vaisseau, ou du moins pas d'une branche de l'artère pulmonaire. Dans les branches de l'artère pulmonaire, qui, d'après l'exposé classique de Rokitansky, s'oblitèrent ordinairement de bonne heure dans les diverses formes de la phthisie pulmonaire, mais qui cependant, dans quelques cas, sont ouvertes, soit par l'ulcération, soit par la rupture de leurs parois, se trouve le sang le plus veineux et le plus foncé du corps entier, tandis que, dans tous les cas, non-seulement d'hémoptysie, mais encore de pneumorrhagie, le sang rejeté montre une coloration très-ver- meille. Or, on attache précisément pour le diagnostic différentiel de l'hémo- ptysie et de l'hématémèse une importance toute particulière à la coloration vermeille du sang provenant des poumons et des voies respiratoires en géné- ral. (Voyez plus haut.) C'est seulement dans les cas où le malade rejette de fortes quantités d'un sang foncé que l'on peut conclure à l'ulcération ou à la rupture d'une branche de l'artère pulmonaire ; mais ces cas, dont un exemple très-frappant observé dans ma clinique a été publié i, sont infiniment rares en comparaison de ceux dans lesquels le sang rejeté a été d'un rouge vermeil. Ce sang vermeil ne peut provenir que des capillaires des alvéoles ou de la muqueuse bronchique, ou bien encore d'une branche des artères bron- chiques ou des veines pulmonaires. § 5. Pronostic. Le pronostic, quant au danger momentané, est, comme nous venons de le voir, en somme assez favorable malgré la gravité des symptômes. Quant au rétablissement complet, le pronostic est au contraire excessi- vement défavorable. Les cas les plus graves sont ceux dans lesquels le malade n'a été placé sous l'influence d'aucune cause appréciable, qui aurait pu provoquer l'hémorrhagie. Le pronostic devient meilleur quand une lésion directe de la muqueuse bronchique, une activité cardiaque exagérée et d'autres causes sérieuses ont provoqué une hypérémie intense de la muqueuse bronchique et une rupture des capillaires, et quand il est possible de soustraire le malade à l'influence de ces causes. Une suppression des règles, une suppression d'hémorrhoïdes, ne doivent être comptées que 1 Dans la thèse citée plus haut du docteur Bûrger. A'IEMEYER. 1—12 178 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. sous toute réserve parmi ces causes morbifiques auxquelles, d'ailleurs, les malades attribuent très-volontiers leur crachement de sang, qui ne leur inspire plus aucune inquiétude si le médecin lui-même semble partager leur opinion. Dans la grande majorité des cas, la suppression des règles est l'effet et non la cause de la maladie; il en est de même du flux hémor- rhoïdal qui a pu exister avant l'attaque et qui a été supprimé pendant ou après elle. § 6. Traitement. Indication causale. Si une hyper émie intense de la muqueuse bron- chique a joué un rôle essentiel dans la production des hémorrhagies bronchiques, ou si ces dernières doivent être exclusivement attribuées à une tension exagérée des vaisseaux, alors, et uniquement alors, l'indica- tion causale peut réclamer une saignée. Le plus souvent la pression du sang sur les parois des vaisseaux ne joue qu'un faible rôle dans la pro- duction de l'hémorrhagie,- celle-ci ne cesse pas quand la pression est dimi- nuée, quand les vaisseaux sont devenus presque vicies et que le malade semble sur le point de succomber. Qu'on se rappelle ces individus atteints d'épistaxis dont on tamponne les narines pour devenir maître de l'hémor- rhagie, qu'on songe à leur teint d'une pâleur de cire, et l'on se gardera de recourir à la lancette aussitôt que l'activité du cœur sera un peu augmentée ; on réservera, au contraire, la saignée pour les cas rares dans lesquels les symptômes d'une dangereuse hypérémie pulmonaire accompagnent l'hé- morrhagie et persistent malgré elle. S'il nous a été impossible d'expliquer d'une manière plausible la minceur des parois et la fragilité des capillaires, cette cause principale des hémorrhagies bronchiques, nous sommes forcé d'avouer qu'il est ordinairement impossible de satisfaire à l'indication causale, et qu'il ne nous est pas donné d'opposer à la diathèse hémorrha- gique des remèdes rationnellement spécifiques. Dans tous les cas, il n'est guère possible, une fois que l'hémoptysie s'est déclarée, de modifier rapi- dement cet état anormal des parois capillaires ; on fait mieux de chercher h préserver les individus qui sont menacés d'hémoptysie et qui ont traversé heureusement une première attaque, de toutes les influences nuisibles, capables de troubler la nutrition. Un régime simple, nourrissant, peu échauf- fant, un exercice modéré en plein air, le soin de bien régler les fonctions intestinales, la défense absolue de tout excès bachique ou vénérien, la tranquillité d'esprit et, en cas d'appauvrissement du sang en globules rouges, l'usage des préparations ferrugineuses, des eaux de Pyrmont, de Drlbourg, dlnmau, telles sont les mesures qui répondent à cette indication ; les négliger, c'est commettre une faute grave. V indication de la maladie réclame avant tout une conduite prudente. HEMORRHAGIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. 179 D'abord il importe de tranquilliser l'esprit toujours très-agité des malades ; même il est bon de leur dire, puisque l'hémoptysie se répète presque toujours plusieurs fois, qu'il viendra encore plus de sang, mais qu'ils ne courent aucun danger de mourir d'une hémorrhagie : c'est là le meilleur moyen de les préserver d'une nouvelle épouvante au retour de l'accident. 11 est même permis dans ce cas de tromper le malade, d'attacher en appa- rence peu d'importance à l'accident, et de lui représenter au besoin l' hémorrhagie comme un événement salutaire i. Avec un peu de tact et de savoir-faire, le médecin qui tout à l'heure trouvait son malade dans la plus pénible agitation, le quitte consolé et tranquille, et c'est là un résultat dont il ne faut pas se dissimuler l'importance. On aura soin de faire entretenir une certaine fraîcheur dans l'appartement, de défendre toute boisson chaude, de faire prendre 'les aliments un peu refroidis, de condamner le malade à un silence absolu, et on lui recommandera même de combattre énergiquement le besoin de tousser. La toux est aussi nuisible à un individu qui crache du sang, qu'il est nuisible pour un indi- vidu 'atteint d'épistaxis de se moucher et de s'essuyer le nez. Il faut enfin enlever tous les vêtements qui peuvent serrer la poitrine, et recommander au malade de se tenir à demi assis dans son lit. Le moyen le plus énergique pour combattre l'hémorrhagie, c'est le froid; on se servira de com- presses froides et, si l'hémorrhagie est très -^violente, de compresses glacées2. En même temps, on fait avaler de petits morceaux de glace ou l'on donne au malade de la glace aux groseilles ou aux framboises par petites quantités. Enfin, on emploie le froid sous forme de lavements à l'eau froide, auxquels on a de tout temps ajouté un peu de vinaigre. Outre le froid, d'autres remèdes jouissent encore de la réputation d'arrêter les hémorrhagies, sans que l'on puisse donner une explication physiologique de leur manière d'agir. De ce nombre sont avant tout deux substances, le sel de cuisine et les acides, substances qui, chose singulière, prises en excès, donnent lieu à la crase scorbutique, à une mauvaise nutrition des capillaires, à des hémorrhagies. On peut toujours faire avaler par les malades, aussitôt qu'ils crachent du sang, quelques cuillerées à café ou une cueillerée à bouche de sel de cuisine finement pulvérisé et pris à sec. Ce qui vaut encore mieux, c'est l'acide sulfurique ou l'acide phosphorique : le premier sous la forme de l'élixir acide de Haller (10 gouttes toutes les deux heures, avec suffisante quantité d'eau). Il faut ajouter à ces substances 1 Je rappelle, à ce propos, l'influence de certaines pratiques superstitieuses sur le moral, et indirectement sur les hémorrhagies. 2 On remplit une bassinoire d'étain ou de cuivre de glace, de sel et d'eau; on la pose ensuite sur une compresse bien exprimée, dont les particules aqueuses sont bien vite gelées. Ces compresses sont bien préférables à une lourde vessie à glace. 180 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. d'autres médicaments hémostatiques dont l'efficacité n'est pas aussi univer- sellement reconnue que celle des acides, et qui dans tous les cas se recom- mandent moins parce qu'ils sont moins bien supportés par l'organisme. De ce nombre sont : l'acétate de plomb, exalté surtout par les médecins an- glais, qui prétendent que, pour combattre une hémorrhagie interne, il n'y a nullum simile aut secundum ; l'ergot de seigle, l'essence de térébenthine, le baume de copahu, la ratanhia, etc. Wunderlich conseille surtout de donner le seigle ergoté par doses de 25 à 50 centigrammes, jusqu'à ce que le malade sente de l'engourdissement et des picotements dans les doigts. Une formule très-estimée contre l'hémoptysie opiniâtre est la suivante : Pr. Baume de copahu, sirop balsamique, eau de menthe poivrée, alcool rectifié, aâ 30 grammes, éther nitrique, 2 grammes. S. : une demi-cuillerée à bouche foutes les deux heures. Ces substances, comme nous venons de le dire, ne doivent être employées que dans les cas dangereux, à raison de leurs pro- priétés irritantes, et l'on n'oubliera pas combien elles se montrent impuis- santes en cas d'épistaxis grave, où cependant on les met directement en contact avec la surface saignante. Dans ces derniers temps, on a préconisé comme très-utiles contre l'hémoptysie des inhalations d'une solution de perchlorure de fer (1 à k grammes sur 200 grammes d'eau). Par ce moyen, on a prétendu arrêter des hémorrhagies même dangereuses en quatre ou cinq minutes. Mes propres observations ne viennent pas à l'appui de cette promesse. Enfin, les narcotiques méritent un large emploi dans le traitement de l'hé- moptysie. Plus le malade est agité, plus sa toux est violente, plus on doit insister sur les préparations opiacées. Ainsi on donnera le soir unel poudre de Dower et on prescrira pour la journée une émulsion avec 2 grammes de laudanum ou 2 centigrammes et demi de morphine. ARTICLE II. Hémorrhagies pulmonaires sans déchirure du parenchyme. — Infarctus hémorrhagique. — Métastases du poumon. Dans les premières éditions de cet ouvrage, j'ai traité séparément les infarctus qui surviennent dans le cours des maladies de cœur, et les infarctus dits métastatiques (voy. plus loin), parce que malgré la parfaite analogie de la lésion anatoinique, les différences que ces infarctus présentent sous le rapport de la grandeur et du siège et surtout la différence d'origine que j'admettais autrefois, me semblaient motiver une description à part. Le juge- ment de Rokitansky, un excellent travail de Gerhardt et surtout une série HÉMORRHAGIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. 181 d'observations personnelles, publiées dans la dissertation du docteur Hopf1, m'ont convaincu depuis que mon ancienne opinion était erronée : que la différence de grandeur et de siège qui n'est même pas constante, ne saurait être une différence essentielle, et que le mode de production des infarctus hémorrhagiques des maladies du cœur et des infarctus métastatiques dans les thromboses veineuses et dans les ulcérations ou fontes gangreneuses périphériques, est identiquement le même. § 1 . Pathogénie et étiologie. L'infarctus hémorrhagique est le résultat d'une hémorrhagie capillaire restreinte à une petite partie du poumon parfaitement limitée et qui dans quelques cas se borne à un seul lobule : le sang est épanché en partie dans l'intérieur des alvéoles et des terminaisons bronchiques, et en partie dans les interstices et surtout entre les fibres élastiques qui enveloppent les alvéoles. — Le parenchyme pulmonaire n'est pas déchiré par l'hémorrha- gie, parce que les capillaires des alvéoles sont situés dans ces derniers très- superficiellement et en partie même complètement à nu. La- délimitation si tranchée de l'infarctus hémorrhagique a sa raison d'être dans ce fait que l'hémorrhagie a toujours pour point de départ exclusif le réseau capillaire appartenant aune branche déterminée de l'artère pulmonaire. L'étendue du district capillaire d'une artère dépend du volume de cette artère, et voilà pourquoi des infarctus hémorrhagiques qui naissent dans le réseau capil- laire appartenant à une plus grosse branche de l'artère pulmonaire sont plus volumineux que ceux qui naissent dans le réseau d'autres branches plus petites de la même artère. — Les branches principales de l'artère pulmo- naire pénétrant avec les grosses bronches dans la racine des poumons et se ramifiant de là par divisions dichotomiques de plus en plus petites, en allant vers la périphérie, jusqu'à ce qu'enfin chaque petit rameau terminal entre dans un lobule séparé, on comprend facilement pourquoi il peut y avoir dans l'intérieur du poumon des infarctus volumineux, tandis que ceux de la périphérie ont constamment et les dimensions et la forme conique des lobules situés en cet endroit. En examinant attentivement les parois des artères dans le domaine des- quelles s'est développé un infarctus hémorrhagique, on y. trouve des caillots qui les oblitèrent plus ou moins complètement. Dans les artères d'un certain volume il est facile de découvrir un caillot, dans les très-petites artères on y arrive plus difficilement. Le fait que les caillots obturateurs ne se sont pas formés sur place, mais 1 Zur Diagnose des hcBm.orrhagisch.en Infarctus. Bitugural-Dissertatibn von Dr Hopf. Tiïbingen, 1865. 182 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. proviennent d'une région éloignée du corps, que, de là, entraînés par le torrent de la circulation, ils arrivent jusque dans une branche de l'artère pulmonaire trop étroite pour les laisser passer, et y restent enclavés, ce fait est reconnu depuis longtemps pour les infarctus dits métastatiques, et c'est à Virchow que nous devons cette importante découverte. Cet illustre expéri- mentateur introduisit de petits morceaux de fibrine, de chair musculaire, de moelle de sureau dans les veines jugulaires de chiens dont il fit ensuite l'au- topsie, et dans les poumons desquels il put retrouver ces corps étrangers enclavés dans des branches de l'artère pulmonaire qu'ils avaient oblitérées, et derrière lesquelles s'étaient produits des infarctus hémorrhagiques, des pneumonies lobulaires ou de petits abcès. D'autre part, il parvint, en dissé- quant des cadavres d'individus dont les poumons renfermaient ces foyers que, depuis longtemps, on considérait comme des métastases, à démontrer directement que les artères en communication avec ces foyers étaient obli- térées par un bouchon fibrineux qui provenait incontestablement d'un thrombus en voie de désorganisation dans une veine périphérique, ou d'une parcelle de tissu, originaire d'un tissu périphérique envoie d'ulcération ou de fonte gangreneuse, qu'il s'était formé en un mot une embolie. La doctrine de la pyohémie et de la septicémie a subi des changements im- portants dans ces derniers temps, mais la doctrine de l'embolie, en vertu de laquelle les infarctus métastatiques dépendent de l'entraînement de caillots d'un certain volume ou de parcelles de tissu dans le torrent circulatoire, n'a pas été atteinte par ces changements. On comprend facilement pourquoi les infarctus métastatiques des pou- mons sont produits par des embolies provenant de thrombus veineux de la périphérie en voie de désorganisation, ou de tissus périphériques en voie d'ulcération et de fonte gangreneuse. Si une embolie de ce genre est arrachée de son lieu d'origine par l'onde sanguine, il ne rencontre aucun obstacle sur son chemin vers le cœur, parce que les veines deviennent déplus en plus spacieuses; il arrive sans difficulté dans le cœur droit, et delà dans l'artère pulmonaire ; enfin il n'est retenu et enclavé que quand il est arrivé dans une branche de cette artère d'un calibre moindre que son volume. Poul- ie même motif, il arrive en général que les embolies originaires des racines de la veine porte ou s' engageant dans ces racines après s'être détachées d'un foyer ulcéreux ou gangreneux du canal intestinal, etc., oblitèrent les bran- ches de la veine porte, qui se distribuent dans le foie et occasionnent des métastases dans cet organe ; de même il arrive que des embolies originaires du poumon ou du cœur gauche oblitèrent des artères de la rate, des reins, du cerveau, etc. S'il y a des exceptions à cette règle, si l'on observe quelque- fois des infarctus dans les organes, dans les artères desquels l'embolie ne pou- vait pénétrer qu'après avoir traversé les capillaires d'un autre organe (par exemple, les infarctus du foie dans les thromboses des veines périphériques), HÉMORRHAGIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. * 183 il est probable que dans ces cas l'embolie a été.très-petite au commencement, et que pendant sa circulation la fibrine s'est précipitée sur elle et a augmenté son volume. 0. Weber fait d'ailleurs remarquer que, dans beaucoup d'or- ganes, quelques artères communiquent avec les veines directement et sans capillaires intermédiaires. La grande fréquence des infarctus hémorrha- giques du poumon après des plaies du crâne qui ont pénétré jusqu'au diploé, tient uniquement à cette circonstance que les veines du diploé, qui ont leurs parois soudées aux tables interne et externe du crâne, ne peuvent pas s'affaisser, mais restent béantes, ce qui favorise naturellement l'introduction des caillots. Dans les infarctus hémorrhagiques qui se développent si souvent pendant les maladies du cœur, surtout en cas de lésion de la valvule mitrale, on avait également observé depuis longtemps la présence de caillots oblitérant les branches artérielles afférentes. Mais généralement on avait attribué cette complication à une compression des capillaires, due à l'épanchement du sang dans les alvéoles et dans leurs interstices, ce qui aurait empêché le sang d'arriver dans ces capillaires et occasionné la coagulation de la branche artérielle afférente à la suite de la stagnation ainsi produite. Moi-même je me suis autrefois exprimé dans ce sens, tout en ne me dissimulant pas que la stase du sang de la petite circulation, stase à laquelle j'attribuais la naissance des infarctus hémorrhagiques dans les maladies du cœur susnommées, lais- sait complètement inexpliquée la limitation de l'hémorrhagie capillaire à quelques foyers circonscrits du poumon. — Je suis aujourd'hui convaincu que les infarctus hémorrhagiques qu'on observe dans les maladies du cœur sont également dus à des embolies, ainsi que cela a été pour la première fois soutenu et démontré par Rokitansky et Gerhardt. Les embolies qui oblitèrent les ramifications de l'artère pulmonaire dans les maladies du cœur ne sont pas originaires, comme les embolies des infarctus métastatiques, de la grande circulation, mais du cœur droit, et surtout de l'oreillette droite, dans laquelle le ralentissement considérable de la circulation engendre facilement des caillots solides enchevêtrés entre les trabécules. Si l'onde sanguine arra- che et entraîne une parcelle de ces coagulums, une branche de l'artère pulmonaire en est bientôt oblitérée, et il se produit un infarctus hémorrha- gique. Les coagulums fibrineux entraînés en cas de thromboses du cœur sont ordinairement plus grands que les embolies originaires de la grande circulation. C'est ce qui explique très-naturellement pourquoi ils oblitèrent en général des branches plus considérables de l'artère pulmonaire, et pour- quoi les infarctus hémorrhagiques des maladies du cœur sont ordinairement plus volumineux que les infarctus métastatiques, comme aussi pourquoi les premiers se rencontrent souvent dans l'intérieur du poumon, dans le voisi- nage de sa racine, tandis que les derniers ont de préférence leur siège dans les parties périphériques de l'organe. Comme il se peut aussi que de petites 184 ' MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. parcelles soient arrachées des caillots du cœur droit, on comprend facile- ment pourquoi on peut rencontrer dans les maladies du cœur de petits infarctus périphériques outre les grands infarctus situés dans le voisinage de la racine. Il nous reste à exposer comment il peut se faire que l'oblitération de la branche artérielle afférente entraîne une hémorrhagie capillaire dans les parties alimentées par le vaisseau oblitéré; car c'est là un fait qui, au pre- mier abord, ne paraît pas bien facile à expliquer. L'explication donnée par Rokitansky, d'après laquelle l'oblitération des derniers ramuscules de l'ar- tère pulmonaire et des capillaires aurait pour effet une hypérémie collaté- rale suivie d' hémorrhagie et d'exsudation ne me paraît pas très-concluante - parce que l'hémorrhagie ne provient pas des capillaires circonvoisins, mai* des capillaires du vaisseau oblitéré lui-même. Virchow ne fournit pas non plus une explication qui rende suffisamment compte de l'hémorrhagie capil- laire. Il est donc d'autant plus heureux et plus digne d'intérêt que Ludwig, en exposant l'influence du rétrécissement d'une artère sur les capillaires,, nous fournit, sans avoir songé à créer une théorie pour les besoins de la cause, une explication complète et satisfaisante de ces hémorrhagies. Il s'ex- prime de la manière suivante : « La tension des artères au-dessous de l'en- droit rétréci doit diminuer, parce qu'un liquide en mouvement perd une partie plus grande de ses forces vives en passant par des tuyaux étroits qu'en passant par des tuyaux plus larges. De là on ne doit pas conclure que si un rétrécissement se produit dans les petites artères, les capillaires qui en dépendent deviendront moins pleins et les tissus traversés par ces capillaires plus pâles : dans le courant plus lent qui traverse alors le sys- tème capillaire, il doit arriver au contraire que les corpuscules sanguins plus- lourds s'amassent et se réunissent. Or, comme deux ou plusieurs corpuscules sanguins qui se touchent contractent facilement des adhérences définitives entre eux, il peut se former des thromboses qui oblitèrent les capillaires eux- mêmes; aussitôt que cela a eu lieu la tension doit de nouveau augmenter, parce que, dès ce moment, les capillaires sont devenus des appendices bor- gnes des artères. » Ajoutons que la pression qui, dès l'instant où ils sont obstrués s'élève aussi haut dans les capillaires, dont les parois sont si minces,. que dans les vaisseaux afférents , entraîne la rupture des parois dilatées et un épanchement de sang. Voici donc une explication très-simple et parfaile^ ment suffisante non-seulement du mode de production de l'hémorrhagie- elle-même, mais encore de sa limitation exacte au réseau capillaire dépens dant de l'artère oblitérée. La seule raison que l'on pourrait faire valoir contre la justesse de cette explication, c'est que la branche artérielle en communi- cation avec l'infarctus n'est pas simplement rétrécic, mais tout à fait obli- térée; cette objection n'est cependant pas fondée; car l'embolie se fixant ordinairement au point de division d'une branche artérielle, il en résulte HÉMORRHAGIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. 185 certainement, au premier abord, un simple rétrécissement, et non une oblitération complète du vaisseau. Plus tard, quand l'infarctus s'est formé,, et pour cela il ne faut sans doute pas beaucoup de temps, il se précipite delà fibrine sur l'embolie, et c'est alors seulement que le vaisseau s'oblitère complètement. Dans les conditions qui président à la formation des infarctus métasta- tiques, on trouve parfois à la place des infarctus, ou en même temps qu'eux, des infiltrations pneumoniques circonscrites et de petits abcès. Ces lésions représentent ordinairement une période ultérieure, une terminaison de l'infarctus, et nous ne pouvons trouver étonnant qu'une terminaison de ce genre se produise fréquemment et en très-peu de temps quand les em- bolies se composent de débris de tissus décomposés et gangreneux, pouvant exercer une influence inflammatoire très-pernicieuse sur les parties mise^ en contact avec elles. Ce qui semble démontrer la justesse de cette opinion, c'est que les infarctus hémorrhagiques des maladies du cœur, occasionnés par des embolies composées de simples coagulums fibrineux, qui sont infi- niment moins dangereux pour les tissus environnants, se terminent bien plus rarement par une pneumonie destructive ou une formation d'abcès. La réaction inflammatoire qui, dans ce cas, ne manque pas non plus de se produire, a un caractère nutritif plutôt que destructeur et amène fré- quemment une végétation de tissu conjonctif qui finit par enkyster l'in- farctus. Dans quelques cas cependant la formation d'abcès et la gangrène pulmo- naire concomitante, qui est une terminaison rare de l'une et de l'autre espèce d'infarctus, semblent dues à ce que l'épanchement de sang et la compression des capillaires produisent, à la manière indiquée, des coagu- lations secondaires dans les vaisseaux nourriciers du poumon, par consé- quent dans les ramifications de l'artère bronchique ; par là l'infarctus est privé de matériaux nutritifs, il se mortifie, subit une décomposition putride et tombe en gangrène. § 2. Anatomie pathologique. Il est rare qu'à l'autopsie on trouve, des infarctus assez récents pour renfermer du sang encore liquide ; le sang est généralement coagulé. Ce fait s'explique facilement si l'on songe que l'endroit où le sang est déposé rend difficile une évacuation de ce liquide, et que, par conséquent, si la vie du malade s'est prolongée pendant un certain temps, l'élément séreux a dû se résorber et les éléments susceptibles de coagulation rester ^euls dans les vaisseaux. Les secousses de la toux, les contractions des muscles bronchi- ques, enfin le mouvement vibratile peuvent facilement chasser le sang des bronches, mais les alvéoles ne sont vidés qu'incomplètement par de fortes- 186 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. expirations; car ils ne possèdent ni fibres musculaires ni épithélium vibratile. Les infarctus hémorrhagiques coïncidant avec des maladies du cœur repré- sentent en général des foyers dont les dimensions varient entre la grosseur d'une aveline et celle d'un œuf de poule; ils sont colorés en rouge brun ou en noir uniforme, complètement privés d'air et d'une consistance assez ferme, qui leur donne l'apparence de nœuds durs qu'on sent à travers le tissu sain. La surface de section présente un aspect inégal, grossièrement granulé, d'où l'on fait sortir, en la grattant avec un scalpel, une masse brune ou noirâtre. Aux environs immédiats des foyers nettement limités, le tissu pulmonaire est généralement gorgé de sang et œdématié par la fluxion collatérale. Le siège de ces infarctus est ordinairement au centre des lobes inférieurs, ou au moins dans le voisinage de la racine de l'organe, plus rarement à la périphérie, ainsi que cela a déjà été dit antérieurement. A l'examen microscopique on trouve les capillaires gorgés de corpuscules sanguins, et ces corpuscules sont accumulés aussi en dehors des capillaires, dans le tissu interstitiel. Si l'infarctus dure depuis un certain temps, il semble plus pâle et jau- nâtre, la fibrine a subi une métamorphose graisseuse, la matière colorante du sang s'est en partie décomposée et en partie répandue dans le voisinage. — A une période encore plus avancée, la fibrine, transformée en matière grasse, est résorbée; une partie de l'hématine est transformée en pigment, et comme résidu de l'infarctus on ne trouve plus qu'une place noirâtre et indurée dans le parenchyme pulmonaire. Dans les cas rares où l'infarctus s'est terminé en abcès , ce dernier peut être enkysté et son contenu épaissi et transformé en une masse caséeuse et crétacée. — Nous décrirons dans un autre chapitre la ter- minaison de l'infarctus hémorrhagique en gangrène pulmonaire cir- conscrite. Dans le paragraphe précédent nous avons dû mentionner, pour faire comprendre la pathogénie des infarctus métastatiques, le petit volume, la forme conique et le siège ordinairement périphérique de ces infarctus. La couleur, la consistance, la friabilité et l'aspect de la surface de section sont dans les infarctus métastatiques absolument les mêmes que dans les infarctus qui se produisent dans le cours des maladies du cœur. L'examen microscopique donne également les mêmes résultats. Quand les infarctus métastatiques se terminent en pneumonies ou en abcès métastatiques, on voit ordinairement d'abord le milieu du foyer se décolorer et se désagréger. Il se produit des lacunes remplies d'une masse jaune qui consiste en débris de la substance pulmonaire et en détritus molé- culaires provenant du sang ou de la fibrine épanchés et ne contenant pas de pus au commencement. Si l'on verse de l'eau sur la surface de section, HÉMORRHAGIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. 187 on voit flotter dans la lacune des rudiments du tissu pulmonaire. Petit à petit la destruction s'étend plus loin, et c'est à peine si à la périphérie de l'abcès on remarque encore une trace de l'ancien épaississement. Si les abcès sont situés immédiatement au-dessous de la plèvre, il se forme au-dessus de celle-ci des précipités fibiïneux qui soudent entre eux les feuillets pleuraux; au-dessous on reconnaît les foyers formant des saillies arrondies et noueuses, analogues à des furoncles. (Rokitansky.) §3. Symptômes et marche. Nous exposerons séparément les symptômes des infarctus hémorrhagiques coïncidant avec les maladies de cœur et des infarctus métastatiques, parce que les deux formes, malgré la parfaite analogie des modifications anatomiques, offrent cependant un tableau symptomatique qui diffère sous bien des rap- ports à raison des grandes différences qui séparent les maladies fonda- mentales. Dans quelques cas la complication d'une maladie chronique du cœur par un infarctus hémorrhagique est accompagnée de symptômes tellement marqués et tellement évidents, que cette complication peut être démontrée à coup sûr; dans d'autres cas la démonstration est difficile ou absolument impos- sible. Les symptômes caractéristiques qui permettent de juger que chez un individu atteint d'une maladie du cœur il s'est formé un ou plusieurs infarctus hémorrhagiques du poumon, consistent en une oppression subite, allant quelquefois jusqu'à la suffocation et accompagnée de toux et d'expec- toration sanguinolente; parfois on trouve les signes d'un épaississement circonscrit du poumon, et plus tard assez fréquemment des phénomènes de pneumonie ou de pleurésie. — On comprend facilement que l'oblitération d'une ou de plusieurs branches de l'artère pulmonaire doit entraîner une dyspnée intense. L'acte respiratoire ne pouvant se faire normalement qu'autant que non-seulement l'air des alvéoles mais encore le sang des capillaires pulmonaires se renouvelle régulièrement, la respiration sera de toute nécessité compromise, peu importe que ce soit l'accès de l'air ou l'afflux du sang qui soit supprimé dans une partie déterminée du poumon, que l'oblitération porte sur une bronche ou sur une division de l'artère pulmonaire d'un calibre correspondant à l'importance de cette bronche. — Les crachats rejetés dans les infarctus hémorrhagiques doivent au mélange intime du sang avec les mucosités une certaine analogie avec les crachats de la pneumonie, mais ils sont moins visqueux et presque toujours plus foncés en couleur que ces derniers, et leur expulsion a lieu ordinairement pendant beaucoup plus de temps que celle des crachats pneumoniques. Cette 183 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. expectoration peut durer huit à quinze jours. L' épaississement circonscrit da tissu pulmonaire ne peut être démontré que dans les cas assez rares où des infarctus hémorrhagiques volumineux s'étendent jusqu'à la périphérie ; les symptômes caractéristiques sont l'obscurcissement du son de la percussion et des râles crépitants accompagnés d'une respiration bronchique, le tout limité à une partie restreinte du thorax. — Enfin, les infiltrations pneumo- niques étendues ou les épanchements inflammatoires dans la plèvre, se montrant quelques jours après le commencement de la dyspnée et l'expectoration sanguinolente, prêtent un nouveau point d'appui au diagnostic de l'infarctus hémorrhagique. Car ce dernier conduit, comme on sait, assez souvent à une inflammation du tissu pulmonaire circonvoisin et plus souvent encore à une inflammation de la plèvre. Aux symptômes décrits jusqu'ici, qui dérivent directement de l'oblité- ration d'une ou de plusieurs branches de l'artère pulmonaire et de l'hémorrhagie capillaire du poumon, s'ajoutent, dans certains cas, des symptômes appartenant à la thrombose du cœur droit, et pouvant être, pour cette raison, considérés jusqu'à un certain point comme les symptômes indirects de l'infarctus hémorrhagique ; tels sont : une irrégularité subite du pouls, un agrandissement subit de la matité cardiaque, la disparition subite d'un bruit anormal ayant existé auparavant. Parmi ces symptômes, la disparition d'un ancien bruit anormal est non-seulement le plus frap- pant, mais encore celui qui prouve le plus directement l'existence de l'état dont il est ici question. Je n'ai été rendu attentif à l'interprétation exacte de ce phénomène que par le travail déjà cité de Gerhardt, mais je puis constater que ma propre expérience me permet de confirmer non-seule- ment la réalité du fait, mais encore sa valeur sémiologique. Le tableau symptomatique offert par l'infarctus hémorrhagique devient surtout frappant quand le groupe de phénomènes cité en dernier lieu vient s'ajouter aux symptômes directs que nous avons énumérés plus haut. Mais les embolies pouvant aussi être détachées de petits caillots qui ne produisent aucun phé- nomène pathognomonique, on peut en toute sûreté diagnostiquer un infarctus hémorrhagique, même dans les cas où les symptômes de la throm- bose cardiaque font défaut, où le pouls reste régulier, où la matité ne devient pas plus large, où les bruits anormaux continuent de se faire entendre, dès que dans le cours d'une maladie du cœur il se manifeste subitement des signes non équivoques d'un trouble de la circulation et d'une hémorrhagie capillaire du poumon. Si l'on songe enfin que dans les infarctus hémorrhagiques, le sang versé dans les alvéoles est loin d'être toujours rejeté en partie par l'expectoration caractéristique, qu'en outre de violents abcès de dyspnée peuvent être produits de bien des manières différentes dans le cours des maladies du cœur, et qu'enfin les infarctus hémorrha- giques situés dans la profondeur du poumon ne produisent aucun symptôme HÉMORRHAGIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. 189 physique, on comprend facilement pourquoi la maladie dont le diagnostic, dans certains cas, n'offre pas la moindre difficulté, ne peut être, dans d'autres cas, ni reconnue ni même soupçonnée, et c'est ce qui arrive surtout quand les malades étaient auparavant déjà oppressés et hydropiques à un haut degré et se trouvaient dans un état désespéré. — Il faut donc s'attendre à rencontrer à l'autopsie d'individus morts de maladies du cœur, comme lésion accidentelle, des infarctus hémorrhagiques dont on n'avait pas constaté l'existence sur le vivant. Outre les embolies, il y a presque toujours quelques produits liquides d'in- flammation ou d'ulcération qui se mêlent au sang, et, pendant que les pre- miers font naître des infarctus métastatiques, ces derniers produisent les phé- nomènes de la pyohémie ou de la septicémie, c'est-à-dire une fièvre intense, des frissons, l'inflammation purulente des membranes séreuses, etc.1. Voilà pourquoi la plupart des individus atteints d'infarctus métastatiques du pou- mon sont gravement malades, pourquoi leur sensorium est attaqué par la fièvre asthénique intense, pourquoi ils n'accusent aucune sensation doulou- reuse du côté de la poitrine, et pourquoi on ne les voit ni tousser ni sentir le besoin de tousser. Mais outre l'absence de tout symptôme subjectif d'une maladie pulmonaire, on constate encore l'absence de tout symptôme objectif de ces maladies. — C'est une règle générale, qu'à l'autopsie d'individus morts de pyohémie ou de septicémie dans le cours d'une ulcération ou d'une gangrène périphérique, on trouve des infarctus métastatiques du poumon, qui sur le vivant ne se trahissaient par aucun symptôme. Cet état latent des infarctus métastatiques se comprend facilement si l'on se représente les sym- ptômes sur lesquels se fonde le diagnostic des infarctus hémorrhagiques dans les maladies du cœur. La forte dyspnée qui, dans ces infarctus, est due à l'oc- clusion de fortes branches de l'artère pulmonaire, manque dans les infarctus métastatiques, qui sont dus généralement à l'occlusion de très-petites divi- sions artérielles. Une dyspnée peu intense n'est pas sentie par les malades, vu l'embarras du sensorium. De plus, comme il n'y a en général ni toux ni expectoration, les crachats caractéristiques font presque toujours défaut. Enfin, les infarctus métastatiques ont un volume si faible que, malgré leur siège périphérique, ils n'occasionnent jamais une matité circonscrite du son de la percussion ni une respiration bronchique dans l'étendue de la matité. — Dans des cas très-rares, les individus atteints d'infarctus métastatiques du poumon accusent des points douloureux dans une partie circonscrite du tho- 1 Les observations les plus récentes prouvent que non-seulement le passage dans la circulation des liquides décomposés, mais encore celui des produits inflammatoires li- quides non décomposés, provoque une forte fièvre et des processus inflammatoires secondaires dans des parties éloignées. Il semble, d'après cela, que la pyohémie, qui était sur le point d'être rayée du cadre nosologique, conservera sa place à côté de la septicémie. 190 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. rax et rejettent des crachats liquides, colorés en rouge brun. Si en même temps on entend un bruit de frottement à l'endroit douloureux, et si la mala- die primitive est de la nature de celles qui entraînent plus particulièrement des infarctus hémorrhagiques du poumon, comme par exemple une lésion du crâne allant jusqu'au diploé, on peut diagnostiquer un infarctus; mais je répète que ces cas sont à compter au nombre des exceptions. § h. Traitement. Le traitement des infarctus hémorrhagiques ne peut être que symptoma- tique. On se gardera, en cas d'infarctus hémorrhagique coïncidant avec une ancienne maladie du cœur, de considérer la dyspnée comme le symptôme obligé d'une hypérémie pulmonaire intense. Nous savons, en effet, qu'elle dépend principalement de l'anémie de telle ou telle partie du poumon. C'est pourquoi une saignée faite mal à propos peut, en exagérant encore le collap- sus pulmonaire qui existe ordinairement, hâter la terminaison mortelle. Uniquement dans les cas où l'oblitération de quelques branches de l'artère pulmonaire a entraîné une hypérémie collatérale considérable et un œdème collatéral des autres parties du poumon, et où la dyspnée dépend évidemment de ces accidents, il peut être indiqué de retirer du sang, soit par une saignée modérée, soit par une application de ventouses. En général, on doit se borner à administrer aux malades, en attendant que le pouls ordinairement affaibli se soit relevé et que la peau refroidie se soit réchauffée, des excitants à l'in- térieur, à leur faire appliquer des sinapismes aux pieds et aux bras, ou leur prescrire des manuluves ou des pédiluves chauds. L'expectoration san- guinolente est rarement assez abondante pour nous forcer à recourir aux moyens hémostatiques mentionnés au chapitre précédent. Les inflammations du poumon ou de la plèvre, qui à une période ultérieure viennent assez sou- vent s'ajouter à la maladie, peuvent réclamer des saignées locales, l'applica- tion du froid et d'autres moyens antiphlogistiques. ARTICLE III. Hémorrliagic pulmonaire avec déchirure du parenchyme. — Apoplexie du poumon. § 1. Pathogénie et étiologie. Dans ce genre d'hémorrhagie pulmonaire, le tissu est broyé par l'épan- chement sanguin; il se produit une cavité anormale. Presque jamais ce broiement, cette destruction du parenchyme, n'est déterminé par une hé- morrhagie capillaire; en général, il n'y a que l'ulcération ou la déchirure de INFLAMMATIONS DU POUMON. 191 vaisseaux d'un certain calibre, surtout de vaisseaux artériels, qui puisse ame- ner une destruction de ce genre. Dans quelques cas rares, c'est la dégénéra- tion athéromateuse de quelques branches de l'artère pulmonaire qui en- traîne leur dilatation anévrysmale et enfin leur rupture. Il arrive beaucoup plus fréquemment que l'apoplexie pulmonaire est déterminée par une plaie, une contusion, une commotion du thorax. § 2. Anatomie pathologique. On trouve dans le poumon une collection composée de sang coagulé et liquide, entourée de lambeaux provenant de la substance déchirée du pou- mon. Si l'apoplexie a son siège à la périphérie, la plèvre est souvent déchi- rée en même temps, et le sang a pénétré dans la cavité pleurale; ces hé- morrhagies sont probablement toujours mortelles, de sorte qu'on sait bien peu de chose sur l'évolution régressive du foyer apoplectique. § 3. Symptômes. Des crachements de sang surabondants conduisant rapidement à la mort après qu'une lésion grave a frappé le thorax; dans d'autres cas, la suffoca- tion par l'accumulation du sang dans les bronches, avant toute expectora- tion; enfin la mort subite par hémorrhagie interne, tels peuvent être les symptômes de cette maladie éminemment rare, qui, presque absolument mortelle, n'est susceptible d'aucun traitement. CHAPITRE VIL Inflammations du poumon. Les inflammations du poumon se divisent le plus naturellement en trois catégories : 1° la pneumonie croupale ou fibrineuse, qui représente dans les alvéoles pulmonaires le même processus que le croup du larynx représente sur la muqueuse de cet organe; 2° la pneumonie catarrhale, qui se rattache essentiellement aux processus que nous avons décrits sous les noms de laryn- gite, de bronchite catarrhale, en ce qu'elle est accompagnée d'une sécrétion augmentée et d'une formation abondante déjeunes cellules (corpuscules de pus), sans qu'il se produise en même temps un exsudât susceptible de coagu- lation dans les alvéoles; dans l'une et l'autre forme inflammatoire, l'exsudat se dépose, par conséquent, sur la surface libre, sans que le tissu pulmonaire éprouve lui-même des troubles essentiels dans sa nutrition ; 3° la troisième 192 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. forme, la pneumonie interstitielle, consiste, au contraire, en une inflammation qui atteint les parois des cellules pulmonaires et le tissu conjonctif situé entre les lobules. ARTICLE PREMIER. La pneumonie croupale ou fibrineuse. § 1. Pathogénie et étiologie. Nous l'envoyons, pour la pathogénie de la pneumonie croupale, à tout ce que nous avons dit au chapitre II de la première section, sur le processus inflammatoire croupal et sur les caractères qui le distinguent du processus diphthéritique. Dans la pneumonie croupale, nous voyons également se dé- poser à la surface un exsudât riche en fibrine, se coagulant rapidement, qui englobe les cellules épithéliales normales des alvéoles et de jeunes cel- lules nouvellement formées ; ici encore, la paroi alvéolaire se reconstitue intégralement après que F exsudât a été éloigné. Quelquefois la pneumonie se produit sous l'influence d'une infection aiguë, tout comme nous avons appris à connaître des processus catarrhaux des voies respiratoires parmi les symptômes de la rougeole, du typhus exan- thématique, etc. Ces pneumonies accompagnent surtout le typhus parmi les maladies infectieuses aiguës, et doivent être considérées comme des pneumo- nies secondaires, bien distinctes des formes qui ont une existence plus indé- pendante, qui représentent une affection idiopathique, autrement dit, des pneumonies primitives. Cependant, ce serait à tort que l'on désignerait du nom de pneumonie secondaire toute pneumonie qui s'ajouterait à une affec- tion chronique et viendrait accidentellement la compliquer. La prédisposition à la pneumonie croupale primitive appartient à tout âge : on rencontre la maladie même chez les vieillards ; cependant elle est rare chez les nourrissons et pendant les premières années de l'existence. Les hommes en sont plus souvent atteints que les femmes ; mais il n'est pas vrai que les individus robustes et bien nourris y soient plus particulièrement exposés; certainement il y a pas d'immunité pour eux; mais les sujets faibles et épuisés, les individus convalescents de maladies graves, ceux qui ont déjà passé par plusieurs atteintes de pneumonie, contractent la maladie plus faci- lement que les personnes vigoureuses , et l'on voit surtout la pneumonie compliquer fréquemment des maladies chroniques qui déjà ont amené l'appauvrissement du sang, l'amaigrissement et l'épuisement. Beaucoup de malades des hôpitaux qui ont souffert pendant de longues années succom- bent finalement à une pneumonie intercurrente. PNEUMONIE CROUPALE. 193 Les causes déterminantes ou occasionnelles sont, le plus souvent, inconnues. A de certaines époques, les pneumonies se produisent en grand nombre, tandis qu'en même temps régnent le croup, le rhumatisme articulaire aigu, l'érysipèle et d'autres maladies inflammatoires, sans que les individus atteints se soient exposés à des causes morbifiques évidentes. Cette accumulation de maladies inflammatoires sous l'influence de causes atmosphériques ou tel- luriques encore inconnues, a été désignée du nom de génie épidémique inflammatoire. On remarque, il est vrai, cette fréquence épidémique des pneumonies, surtout pendant les hivers longs et rigoureux, quand le vent du nord-est souffle sans interruption ; mais quelquefois elle se montre dans des conditions tout opposées. Les données statistiques qui tendent à prouver que la pneumonie se rencontre plus fréquemment dans les localités sep- tentrionales ou situées sur les hauteurs ont été attaquées dans ces derniers temps. Les irritations qui frappent directement le poumon, l'inspiration d'un air très-froid ou très-chaud, l'arrivée dans les voies aériennes de corps étran- gers qui oblitèrent une bronche, les fractures de côtes, enfin les plaies du thorax peuvent être comptées parmi les causes occasionnelles de la pneu- monie fibrineuse , quoique sur cinquante cas de pneumonie il y en ait. peut-être à peine un seul qui ait pris naissance dans ces conditions. De même, la 'pneumonie croupale se développe très-rarement dans le tissu qui entoure les néoplasmes et les infarctus hémorrhagiques. Enfin, quant à l'influence des refroidissements, il est difficile de constater, dans un cas donné, si un refroidissement plus grave que ceux auxquels le malade s'était jusque-là impunément exposé a précédé la maladie; les opi- nions diffèrent beaucoup sur le rôle qui revient à cette cause dans la pro- duction d'une pneumonie. § 2. Anatomie pathologique. La pneumonie croupale envahit presque toujours une partie assez considé- rable du poumon; elle commence le plus souvent à la racine du poumon et se jette de là : premièrement sur le lobe inférieur, et plus tard sur le lobe supérieur. Souvent l'inflammation s'empare de tout un poumon, même le processus peut se propager d'un poumon à l'autre. Il est remarquable que, chez les personnes âgées et les individus cachectiques, le processus semble marcher en sens inverse; que, chez eux, les lobes supérieurs soient pris les premiers et les lobes inférieurs les derniers. On distingue trois périodes anatomiques dans la pneumonie : 1° la période de Y engouement pulmonaire ; 2° la période de Vhêpatisation; 3° la période de l'infiltration purulente. Dans la première période, le parenchyme est rouge foncé, souvent brun NIEMEYER. I — \'i 194 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. rouge, il est devenu plus lourd, plus ferme, a perdu son élasticité et con- serve l'empreinte du doigt. A l'incision, la portion enflammée crépite très- peu, et un liquide brun et rouge, remarquablement visqueux, s'écoule le long de la surface de section. Dans la seconde période, l'air a disparu des alvéoles ; ceux-ci sont remplis de petits bouchons denses de fibrine coagulée, auxquels le sang qui s'y trouve mêlé communique une teinte rougeâtre. Une induration semblable s'est faite dans les terminaisons des bronches. Le poumon est, dans cette période, remarquablement lourd ; il descend au fond de l'eau, ne crépite pas, est ferme au toucher, mais très-friable. A la coupe, la texture du poumon parait granuleuse, surtout vue de côté. Cette disposition est très-apparente chez les individus qui ont de grands alvéoles; elle l'est beaucoup moins chez les enfants, dont les alvéoles sont très-petits. Les granulations, c'est-à-dire les petits bouchons fibrineux mentionnés plus haut, ne se laissent pas facile- ment exprimer quand on gratte la surface de section avec le scalpel, et adhèrent solidement aux parois des cellules pulmonaires. La surface de section granulée, la compacité, la friabilité, la coloration rouge du poumon épaissi, lui communiquent une certaine ressemblance avec le foie, et c'est de là qu'a pris naissance le nom généralement adopté d' hépatisation rouge. Quelquefois, la surface de section présente un aspect marbré ou granitique dû à la coloration plus claire de certains endroits, à la présence d'un pig- ment noir déposé par-ci par-là dans la substance pulmonaire, à l'ouver- ture blanche des vaisseaux et bronches divisés. Dans le cours ultérieur de la maladie, la coloration rouge tend à disparaître de plus en plus; le poumon prend un aspect gris ou jaunâtre, tout en conservant la même texture, en restant compacte et granuleux (hépatisation grise et jaune). L'examen micros- copique d'un poumon hépatisé montre dans les alvéoles, outre la fibrine amorphe, qui affecte l'apparence d'un réseau à mailles très-délicates, une production cellulaire très-abondante, ayant probablement son point de dé- part dans les cellules épithéliales de la paroi. Si la résolution se fait dans la période de l'hépatisation, la fibrine et les jeunes cellules qu'elle englobe subissent la métamorphose graisseuse et se désagrègent, sans que ce proces- sus soit accompagné, comme dans la période de l'infiltration purulente, d'une abondante formation de jeunes cellules. Les parois alvéolaires laissent transsuder un sérum albumineux; le contenu des cellules pulmonaires se liquéfie, se transforme en une sorte d'émulsion, et finit par être en partie rejeté et en partie résorbé. L'état que nous venons de décrire est légère- ment modifié dans certaines pneumonies dont l' exsudât est plus pauvre en fibrine et se coagule moins solidement. Dans ce cas, la partie hépatisée est plus molle, la coupe plus lisse, l'état granuleux moins apparent. Cette forme se rencontre ordinairement dans les pneumonies secondaires des individus atteints de fièvre typhoïde et dans les pneumonies des vieillards. PNEUMONIE CROUPALE. 195 Si la pneumonie passe à la troisième période, celle de l'infiltration puru- lente, il se fait une prolifération de jeunes cellules pendant que la fibrine disparaît de la manière que nous venons d'indiquer. L'état granuleux se perd, la surface de section paraît grise ou gris jaune ; un pus gris rouge, assez épais, s'en écoule et se laisse exprimer facilement en assez forte quantité. Le tissu est extrêmement compacte et facile à déchirer à l'impression du doigt; toutefois, la structure intime du 'poumon est intacte; le tissu pulmonaire, contrairement à ce qui arrive pour l'abcès pulmonaire, n'est pas désorganisé. Même dans ce cas, la guérison peut se faire, le contenu purulent des alvéoles pulmonaires étant expectoré ou résorbé, après avoir subi la métamorphose graisseuse. Parmi les terminaisons rares de la pneumonie on doit compter : 1° La for- mation d'abcès. La forme purement croupale de l'inflammation à laquelle nous avons' affaire ici, exclut, à vrai dire, la désorganisation du tissu en- flammé; si, par conséquent, il se produit un abcès, le processus se rapproche plutôt du processus diphthéritique ; le tissu même du poumon s'infiltre et se mortifie sous la pression de la matière fibrineuse infiltrée. De cette manière, il se forme dans le poumon de petites cavités remplies de pus et des débris de la substance pulmonaire ; ces cavités sont tantôt isolées, tantôt plus ou moins nombreuses. Les progrès de la fonte purulente peuvent donner lieu à un agrandissement du foyer, plusieurs petits foyers se réunissent, et à la fin, la plus grande partie du poumon peut être occupée par un seul et vaste abcès. Ces abcès entraînent la mort par phthisie pulmonaire ulcéreuse, ou, ce qui arrive plus rarement, ils se vident dans la plèvre. Dans d'autres cas encore, il se développe autour d'eux une pneumonie interstitielle de réaction qui enkyste l'abcès dans un tissu cicatriciel solide et lui fournit une enve- loppe polie. L'abcès reste en communication avec les bronches, son contenu se vide de temps à autre; mais bientôt une collection nouvelle, formée aux dépens de la paroi interne, remplace le pus évacué. Si la cavité se ferme, le pus peut. être converti en une bouillie caséeuse, ou bien, après la dispari- tion des substances organiques, en une bouillie calcaire ou même en une concrétion calcaire, enfermée dans une cicatrice calleuse et solide. 2° Une terminaison encore plus rare de la pneumonie, c'est la gangrène pulmonaire diffuse. Celle-ci ne paraît se développer que quand des coagula- tions étendues se sont produites dans les artères bronchiques, qui sont les vaisseaux nourriciers du poumon, et que les parties enflammées ne peuvent plus recevoir le sang qui doit les nourrir. De cette manière, la pneumonie peut déjà, dans la période de l'hépatisation rouge, se terminer par une gangrène pulmonaire, dont l'effet est de transformer l' exsudât en un liquide ichoreux, grisâtre, et le tissu pulmonaire en une bouillie noirâtre. 3° Une terminaison plus fréquente de la pneumonie croupale, c'est l'in- filtration caséeuse, ou, comme on dit malheureusement encore trop souvent, 196 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. X infiltration tuberculeuse. Si, dans la seconde ou troisième période delà pneu- monie, il se produit une métamorphose graisseuse de la fibrine exsudée et des cellules qui remplissent les alvéoles, mais que les parois des alvéoles ne laissent pas transsuder assez de sérum, parce que, pour une raison ou une autre, l'afflux du sang aux alvéoles est diminué, ces masses graisseuses se des- sechenta.va.nt qu'elles soient tout à fait liquéfiées et se transforment en une masse plus ou moins solide, jaune et caséeuse. Nous reviendrons plus loin sur les transformations ultérieures des parties du poumon qui ont subi cette infiltration caséeuse, et nous aurons alors l'occasion de faire voir combien il est irrationnel de confondre sous un nom commun qui semble les identifier jusqu'à un certain point, les processus que nous venons d'indiquer et les. granulations tuberculeuses. U° Enfin nous signalerons comme, une terminaison rare des pneumonies- traînées en longueur, Y indication, la cirrhose du poumon. Cette terminaison est due à la part que les parois alvéolaires et le tissu interstitiel prennent à l'inflammation, quand le processus a eu une longue durée, et à la proliféra- tion du tissu conjonctif qui se développe dans ces parties; nous en parlerons plus longuement à l'article III de ce chapitre. Les parties épargnées par l'inflammation sont le siège d'une forte hypé- rémie, ainsi que cela a été dit plus haut; dans beaucoup de cas, un œdème de ces parties est devenu la véritable cause de la mort. — Toutes les fois que l'inflammation s'étend jusqu'à la périphérie, la plèvre y prend part; elle montre des injections fines, arborescentes, des ecchymoses; elle est trouble, opaque, relâchée et couverte de minces couches de fibrine. Le plus souvent le cœur droit, dont la déplétion a été gênée, est gorgé de sang, et le cœur gauche, qui en recevait trop peu, est vide. De même, et pour des raisons identiques, on reconnaît une stase sanguine dans les veines jugulaires, dans les sinus de la dure-mère, dans le foie, dans les reins. Un phénomène ex- trêmement remarquable, c'est Y état particulier du sang. La plus grande partie du sang des gros vaisseaux n'est pas liquide, mais coagulée en masses jaunes et épaisses; de gros caillots fibrineux se trouvent dans le cœur, où ils sont enchevêtrés entre les colonnes charnues et sous les valvules; de toutes les artères on peut retirer des caillots longs, polypeux, fermes et cohérents. § 3. Symptômes et marche. Les symptômes des pneumonies secondaires seront exposés à l'occasion de la fièvre typhoïde, etc., parce qu'il est impossible de tracer le tableau d'une pneumonie secondaire sans décrire in extenso les symptômes de la maladie fondamentale. Le début delà, pneumonie primitive est marqué, dans presque tous les casr PNEUMONIE CROUPALE. 197 par un frisson qui peut durer une demi-heure, même plusieurs heures, et qui cède ensuite la place à une sensation de chaleur. — On sait que le froid n'est ici qu'un symptôme subjectif, et que, dans la période du frisson, la température du corps a déjà subi une augmentation qu'on peut mesurer au thermomètre. — Ce frisson est aussi important pour le diagnostic que pour le pronostic. En effet, des frissons aussi "violents ne se rencontrent guère que dans la fièvre intermittente et dans la septicémie, et dans ces maladies le frisson se répète, tandis que le frisson initial de la pneumonie le plus souvent ne se reproduit plus dans tout le cours de la maladie. C'est à partir du frisson que nous comptons les jours de la maladie. Chez les enfants, il n'est pas rare que ce frisson soit remplacé par un accès de convulsions. A l'élévation de température, qui dès le premier jour monte à 39 ou à 40 degrés centigrades, rarement plus haut, se joint une accélération du pouls, une augmentation de la soif; la face devient plus rouge, les malades accusent des maux de tête, des douleurs dans le dos et dans la région lom- baire; ils sentent un abattement douloureux des membres; ils éprouvent une prostration, une faiblesse musculaire extrêmes, leur langue se charge, leur appétit se perd, quelquefois ils vomissent. Comme ces symptômes pré- cèdent assez souvent les phénomènes locaux, on les attribuait autrefois assez généralement à l'augmentation de la fibrine dans le sang (à l'hypérinose) ; on est même allé jusqu'à accorder à la pneumonie une signification critique (Dietl), et l'on a prétendu que les troubles ne pouvaient disparaître que quand l'excès de fibrine serait déposé dans le poumon, et, par conséquent, éliminé du sang. Tous les phénomènes que nous venons de nommer appar- tiennent à la fièvre et sont plus ou moins prononcés dans toutes les maladies fébriles, que la fibrine du sang soit augmentée ou diminuée, ou qu'elle se maintienne dans les mêmes proportions. Il n'est guère besoin de chercher à démontrer que toute fièvre doit modifier la composition du sang, attendu qu'elle provoque une activité plus grande dans l'échange des matériaux et une combustion exagérée; qu'en outre, dans toute fièvre, les produits de désassimilation doivent être mêlés au sang en quantité plus grande. Cette urase fébrile et la température élevée du sang expliquent suffisamment les mo- difications de la nutrition et du fonctionnement des organes dans le cours des maladies fébriles, autrement dit l'état fébrile. Si la fièvre et les troubles généraux se montrent souvent avant les sym- ptômes pulmonaires proprement dits, la même chose arrive pour les catar- rhes accompagnés de fièvre et les inflammations fébriles d'autres organes. Nous sommes en droit de croire que, dans ces cas, les troubles inflamma- toires de la nutrition ont débuté au moins d'aussi bonne heure que la fièvre, mais qu'ils ont été un certain temps sans se manifester par des douleurs, de la toux, delà dyspnée,, etc., et qu'ainsi ils ont pu rester latents. Dans d'autres cas, les symptômes qui trahissent le désordre survenu dans les fonctions du 198 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. poumon se déclarent immédiatement après le frisson ou en même temps- que lui. De ce nombre est d'abord la dyspnée, ce symptôme constant de la pneumo- nie. Chez les adultes, on sait que le nombre normal des inspirations est de 12, 16, 20 à la minute; mais chez les individus atteints de pneumonie, ce nombre peut s'élever à ZiO, voire même à 50, et aller plus loin chez les en- fants. Il est évident, d'après cela, que la durée de chaque inspiration doit être très-courte, que la respiration est superficielle ; si le malade veut parler, il faut qu'il reprenne haleine à tout bout de phrase, son langage est entre- coupé. Comme le malade respire vite et qu'il cherche avec angoisse à faire pénétrer l'air dans sa poitrine, les muscles releveurs de l'aile du nez se con- tractent à chaque inspiration pour dilater les narines, et l'on observe le bat- tement si caractéristique des ailes du nez. La dyspnée dépend : 1° du ralen- tissement delà circulation dans la partie enflammée du poumon; 2° de la diminution de la surface respirante par l'exsudation qui a lieu dans les alvéoles et qui empêche l'air d'y pénétrer; 3° du gonflement des parois alvéolaires dans les parties non enflammées du poumon par une hypérémie collatérale intense, gonflement qui diminue la capacité des alvéoles; k" de l'inspiration en général très-superficielle des malades, qui éprouvent des douleurs en respirant profondément; 5° enfin, principalement de cette circon- stance, que ces obstacles à la respiration coïncident avec un besoin augmenté de respirer, vu que la fièvre donne lieu à une consommation plus considé- rable d'oxygène et à une production augmentée d'acide carbonique aux dé- pens de l'organisme, par suite de la combustion exagérée et de la désassimi- lation plus rapide. Nous verrons qu'avec la diminution de la fièvre coïncide une disparition presque complète de la dyspnée, quoique les obstacles à la respiration continuent d'exister. La douleur est un phénomène tellement constant de la pneumonie, qu'elle ne fait défaut que dans quelques cas exceptionnels. Le plus souvent, mais pas toujours, les malades en rapportent le siège à l'endroit où le poumon en- flammé touche le thorax; dans d'-autres cas, ils la ressentent à un endroit plus éloigné, parfois même au côté opposé. Il semble donc pour le moins douteux que le point de côté pneumonique soit dû exclusivement à la part prise par la plèvre au processus inflammatoire. Toute inspiration profonde,. et encore plus une expiration forcée, comme l'expiration qui accompagne la toux, l'éternument, etc., exagèrent la douleur; il en est de même d'une pression exercée sur le thorax et d'un déplacement des muscles intercostaux. ~ Les malades assignent ordinairement à la douleur un caractère pongitif ; bon intensité varie. Il est rare que ce symptôme persiste avec la même violence pendant longtemps; excessivement pénible au commencement, elle diminue plus tard ou disparaît même entièrement. Elle se montre très-passagèrement et manque parfois complètement dans la pneumonie des vieillards et des PNEUMONIE CROUPALE. 199 sujets affaiblis, surtout quand l'inflammation occupe le sommet du poumon et le lobe supérieur, peut-être parce que, dans ce cas, la part que le frotte- ment réciproque des feuillets de la plèvre prend à la production de la dou- leur est à peu près nulle. Il est très-important que ce fait soit bien connu. Bientôt la toux s'ajoute à la fièvre, à la dyspnée, au point de côté; elle ne peut manquer complètement que dans les cas cités en dernier lieu, c'est- à-dire dans la pneumonie des vieillards. Au commencement elle est brève, retentissante, rude; les malades cherchent à la supprimer, ils n'osent 'pas tousser et contractent douloureusement le visage quand ils ne peuvent plus s'y soustraire. Aussi il suffit d'observer la physionomie d'un enfant qui tousse pour trouver un moyen de distinction très-important entre la pneumonie et la bronchite. Presque constamment, les malades rejettent en toussant, de très-bonne heure déjà, des crachats particuliers, pathognomoniques. Ces crachats correspondent essentiellement au liquide visqueux qui, d'après ce que nous avons vu au § 2, remplit les alvéoles pendant l'engouement. Ils contiennent, de même que ce liquide, presque toujours du sang, attendu que Y exsudation pneumonique coïncide à peu près toujours avec une rupture des capillaires, avec une extravasation sanguine. Les pneumonies des vieil- lards forment seules encore ici une exception: chez eux, l' exsudât pneumo- nique n'est pas un exsudât hémorrhagique, de même que l'hépatisation est, dès le principe, non pas rouge, mais grise ou jaune. Les crachats pneumo- niques sont, au commencement de la maladie, si visqueux et si collants, qu'ils sont difficiles à éloigner de la bouche et que les malades les enlèvent avec le mouchoir; ils adhèrent tellement aux parois du vase, qu'on peut renverser ce dernier sans que son contenu s'écoule. Le sang qu'ils contien- nent y est mêlé plus intimement que cela n'arrive ordinairement quand le sang se mêle avec les mucosités bronchiques; la couleur des crachats est, selon la quantité de sang qu'ils contiennent, rouge clair, couleur de rouille, plus rarement d'un rouge briqueté ou d'un rouge brun. A l'examen micros- copique, on y trouve une multitude de corpuscules sanguins intacts, ordinai- rement faciles à reconnaître par leurs formes et leur coloration, en même temps un petit nombre déjeunes cellules; enfin on Voit parfois quelques cel- lules renfermant du pigment et qui proviennent des alvéoles pulmonaires. L'examen chimique y fait découvrir de l'albumine qui se coagule au contact de l'acide nitrique, du mucus, qui, par l'addition de l'acide acétique dilué, se coagule sous forme d'un nuage à la surface du produit de l'expectoration étendu d'eau. On ne trouve pas. dans les crachats de petits bouchons fibri- neux provenant des cellules pulmonaires ; mais on trouve, au moment où la maladie passe à la deuxième période, de petites masses d'apparence amorphe qui cependant se laissent débrouiller, et qu'on reconnaît alors, sous un faible grossissement, pour des coagulums ramifiés et dichotomiquement subdivi- sés. Ce sont les modèles fibrineux des dernières ramifications bronchiques. 200 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. Ces symptômes de la pneumonie se sont ordinairement tous développés dans l'espace de deux jours; et au bout de ce temps l'examen physique de la poitrine (voy. plus loin) ne laisse plus subsister aucun doute sur la nature de l'affection; en même temps, la fièvre, et, avec elle, l'intensité des phéno- mènes généraux ont fait des progrès. Les recherches patientes et minutieuses de Thomas, de Leipzig, ont prouvé que la fièvre n'offre jamais le type continu, mais qu'elle est rémittente ou sous-rémittente, c'est-à-dire que les différences entre les exacerbations et les rémissions qui se répètent journellement sont considérables et vont de 0°,Z|. à 1° : ou elles sont insignifiantes et ne dépassent pas 0°,2 à 0°,3. Les températures les plus basses s'observent ordinairement dans les premières heures de la matinée; les exacerbations commencent déjà dans la matinée et arrivent au soir, ou dans le courant de l'après-midi, à leur point culmi- nant qui, dans les cas graves, peut être de kl0 à 41°, 5. Dans la plupart des cas, les rémissions deviennent de plus en plus prononcées pendant les jours qui précèdent la crise ; par contre, la température arrive quelquefois, im- médiatement avant la chute de la fièvre, à un degré plus élevé que jamais auparavant. Le pouls, dont la fréquence varie ordinairement entre 90 et 120 pulsations à la minute dans une pneumonie de moyenne intensité, peut, dans les cas graves, en coïncidence avec la grande élévation de la température, atteindre une fréquence de 130 à 150 pulsations, et même aller au delà. Tandis qu'au commencement, le pouls est ordinairement large et plein, il devient plus tard petit et serré. Ce phénomène a quelquefois sa raison d'être dans ce fait que l'énergie des contractions cardiaques est diminuée par l'influence d'une très-forte élévation de la température du corps, élévation qui conduit tou- jours à l'asthénie, et que ces faibles contractions ne l'emportent que de très-peu sur la résistance qui s'oppose à l'écoulement du sang de l'aorte. Dans ces conditions, il arrive, qu'en vertu du principe d'après lequel l'effet produit est en raison directe de la grandeur de la force et en raison inverse de la grandeur des résistances, la quantité de sang chassée par le cœur est très-peu considérable, d'où résulte une ondée très-faible, un pouls petit. Dans d'autres cas, sans doute les plus nombreux, ce n'est pas de la faiblesse des contractions cardiaques, mais du faible contenu du ventricule gauche, que dépend la diminution de la quantité du sang que renferment les artères de la grande circulation, et, par cela même, la petitesse du pouls. Ce faible * contenu du ventricule gauche provient de ce que le sang ne peut plus y affluer librement. Si la pneumonie a pris une grande extension, la stase in- ilammatoire et la compression des capillaires par l' exsudât ! opposent à la 1 Les parties hépatisées du poumon laissent échapper peu de sang quand on les in- cise. La coloration rouge, au début de l'hépatisation, dépend du sang extravasé. L'ab- PNEUMONIE CROUPALE. 201 circulation un obstacle qui n'est pas complètement compensé par la circula- tion accélérée dans les capillaires des parties non enflammées du poumon ; de là il résulte que le cœur gauche reçoit trop peu de sang, tandis que le cœur droit et les veines de la grande circulation en renferment une trop grande quantité. Le trouble qui s'est produit dans la petite circulation et la déplétion in- complète du ventricule droit et des veines de la grande circulation expli- quent aussi la coloration bleuâtre des joues et des lèvres, telle qu'on l'observe dans les pneumonies graves. Par contre, nous ne pouvons nous rendre aucun eompte d'un symptôme assez commun, à savoir, une rougeur circonscrite à la joue, du côté où la pneumonie a son siège. Dans beaucoup de cas de pneumonie, il se développe, vers le second ou le troisième jour, une érup- tion herpétique sur les lèvres, plus rarement sur le nez, sur les joues, sur les paupières ; l'apparition de bulles remplies d'un liquide clair peut, vu la grande fréquence de l'herpès dans la pneumonie et son absence presque constante dans la fièvre typhoïde et autres maladies fébriles, acquérir une valeur diagnostique dans des cas douteux. La céphalalgie, qui se manifeste dès le début de la pneumonie, persiste généralement pendant toute la durée de la maladie. Presque toujours il s'y joint de l'insomnie, ou bien le sommeil est troublé par des rêves, et chez les malades un tant soit peu irritables, il survient de légers délires. Ces phé- nomènes appartiennent à la fièvre et disparaissent avec elle. Il faut se garder d'en conclure à une complication sérieuse par une maladie du cerveau, si d'autres symptômes ne viennent s'y ajouter. Même en l'absence de toute complication par une affection gastro-intesti- nale, il y a généralement manque d'appétit, la langue se couvre d'un faible en- duit blanchâtre, et montre une tendance à devenir sèche, la soif est beaucoup augmentée, et les selles sont dures et retardées. Ce sont encore là des phéno- mènes qui dépendent de la fièvre, et que l'on rencontre au même degré dans presque toutes les affections fébriles. Ce qui s'explique le plus difficile- ment, c'est l'anorexie. On devrait supposer à priori que l'usure exagérée des éléments de l'organisme qui, dans le cours d'une fièvre, servent littéra- lement à chauffer davantage le corps, dût augmenter le besoin de réparer les pertes par l'ingestion d'une quantité plus forte d'aliments, et nous ne pouvons nous expliquer en aucune manière pourquoi les malades ne sen- tent généralement pas ce besoin. Par contre, le faible enduit blanchâtre et la sécheresse de la langue (voy. le chapitre : Catarrhe de la muqueuse buccale), ainsi que l'augmentation de la soif et la dureté des excréments, s'expliquent suffisamment par la perte d'éléments aqueux qui, pendant la fièvre, a lieu à sence du sang dans les parties enflammées se remarque surtout dans l'hépatisation jaune et grise et dans l'infiltration purulente. 202 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. travers la peau, par l'état de sécheresse des tissus et la diminution de toutes les sécrétions qui en sont la conséquence. La difficulté qu'éprouve le sang à s'écouler du foie entraîne assez souvent une. augmentation sensible du volume de cet organe. Peut-être aussi le léger ictère qui survient dans le cours de la pneumonie, dépend-il quelquefois exclusivement de la stase sanguine du foie, et offre-t-il une analogie avec cet ictère qui, dans les maladies du cœur, est fréquemment provoqué par l'arrêt du sang dans cet organe. Les veines hépatiques se croisant avec les conduits bilifères, un engorgement de celles-là peut avoir pour conséquence une compression de ceux-ci et donner lieu à la stase biliaire et à la résorp- tion de la bile. Cependant, cette origine de l'ictère ne peut être soupçonnée que dans les cas où le foie est fortement augmenté de volume et où les ma- lades sont cyanoses à un haut degré. Les phénomènes ictériques qui sur- viennent dans le cours de la pneumonie dépendent bien plus fréquemment d'une complication de la maladie par un catarrhe du duodénum et des conduits excréteurs du foie,, ou bien ils proviennent d'une dissolution du sang, c'est-à-dire d'une désorganisation des corpuscules sanguins, à la suite de laquelle la matière colorante du sang, mise en liberté, est transformée en matière colorante de la bile en dehors du foie. Le processus pneumonique et la fièvre qui l'accompagne exercent une influence essentielle sur la composition de l'urine. Tant que dure la fièvre, les parties aqueuses de l'urine sont diminuées parce que la perspiration in- sensible est augmentée, les urines peu abondantes sont concentrées, plus ou moins foncées en couleur et d'un poids spécifique très-élevé. Parmi les éléments solides de l'urine, l'urée est considérablement aug- mentée. On sait que le résultat définitif de la désassimilation des tissus azotés est leur transformation en urée et en acide urique, qui sont l'un et l'autre éliminés avec l'urine. L'élévation de la température du corps, dans les ma- ladies fébriles, dépend d'une production de calorique plus forte, de la com- bustion augmentée des éléments de l'organisme, à laquelle les tissus azotés prennent part également. Une fièvre de courte durée fait diminuer le poids du corps bien plus qu'un jeûne même assez long, quand il n'y a pas de fièvre. Les malades maigrissent non-seulement parce que leur pannicule adipeux disparaît et sert à augmenter la chaleur animale, mais parce que les muscles, à leur tour, subissent une diminution notable ; et il se passe un temps assez long avant que l'individu convalescent d'une maladie fébrile se retrouve aussi robuste et aussi bien musclé qu'auparavant. Mais l'exagération de ce travail désassimilateur des éléments azotés du corps peut encore se démontrer directement par l'augmentation relative ou absolue de la quan- tité d'urée éliminée. Les malades atteints d'une pneumonie accompagnée d'une fièvre intense rendent, même en se nourrissant d'aliments qui ne contiennent pas une trace d'azote, autant et même plus d'urée par les uri- PNEUMONIE CROUPALE. 203 nés qu'un individu qui se nourrit exclusivement, ou presque exclusivement, de viande ou d'aliments préparés avec des œufs. Ainsi, j'ai vu des individus atteints de pneumonie rendre, dans les vingt-quatre heures, jusqu'à U0 grammes d'urée, tandis que quelques-uns de mes élèves, qui étaient en bonne santé et prenaient exactement la même nourriture que les malades, n'en rendaient que 13 à 15 grammes dans le même laps de temps. Très- fréquemment, l'urine se trouble en se refroidissant, parce que les urates s'y précipitent : cependant, d'après mes observations, ce phénomène dépend des faibles proportions d'éléments aqueux qui ne suffisent pas pour maintenir les sels en dissolution à une basse température, plutôt que d'une augmenta- tion directe de ces sels. Il suffit de chauffer l'urine légèrement pour les redissoudre et faire disparaître le trouble de l'urine. En même temps que les proportions d'urée dans l'urine augmentent, son contenu en sels inorganiques, surtout en chlorures alcalins, diminue, et ces derniers peuvent même disparaître complètement quand la maladie est ar- rivée à son plus grand développement. Si l'on ajoute alors à l'urine, rendue acide, quelques gouttes d'une solution de nitrate d'argent, on ne remarque pas, ou à peine, le trouble blanc très-intense que la production de chlorure d'argent forme dans l'urine d'un homme sain. Il est très-vrai que la plus grande partie du chlorure de sodium contenu dans l'urine dépend de l'usage d'aliments qui renferment du sel de cuisine, et que la diète à laquelle on soumet les individus atteints de pneumonie suffit déjà pour expliquer cette diminution des chlorures alcalins. Mais, comme on observe de faibles quan- tités de chlorures alcalins, même dans l'urine des animaux qu'on laisse mourir d'inanition, on ne saurait attribuer la disparition complète des chlo- rures alcalins de l'urine exclusivement à la diète à laquelle on soumet les malades atteints de pneumonie ; et nous sommes autorisé à croire que la partie de ces sels qui provient du travail de désassimilation est éliminée du sang avec l' exsudât pneumonique. La concentration de l'urine, l'augmentation de l'urée, la diminution des chlorures alcalins, enfin la présence dans l'urine de la matière colorante de la bile, mentionnée plus haut, dépendent essentiellement de l'état anormal des matériaux que reçoivent les reins pour élaborer l'urine. Il en est tout autrement de Y albumine que l'on rencontre si souvent dans l'urine des indi- vidus atteints de pneumonie grave. Ce phénomène dépend, dans certains cas, de la stase veineuse qui se produit dans le rein. On sait que chez les animaux il suffit de lier les veines rénales pour produire une albuminurie artificielle. L'albuminurie, dans les maladies du cœur, dépend principale- ment de l'arrêt du sang dans les veines rénales. Cependant chez les indi- vidus atteints de pneumonie on ne doit attribuer l'albuminurie à une stase sanguine des veines rénales, que dans les cas où d'autres phénomènes de stase veineuse dans la grande circulation, c'est-à-dire la cyanose, le gonfle- 204 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. ment du foie, etc., se manifestent et arrivent à un degré très-élevé. Le plus souvent cette albuminurie provient de la dégénération parenchymateuse des reins dont il sera plus amplement question au second volume, et qui consiste dans le trouble et le gonflement des cellules épithéliales du rein, suivis de la désagrégation moléculaire de ces cellules. Cette dégénération parenchymateuse des reins et l'albuminurie qui en dépend se montrent dans le cours des maladies fébriles les plus variées ; elle est une suite évi- dente de l'excessive augmentation de la température du corps ou de la crase fébrile. Plus la fièvre est intense, plus fréquemment on rencontre de l'albumine dans l'urine des individus atteints de pneumonie, et cela même dans les cas où la grande circulation montre à peine quelques indices de stase veineuse. Enfin, la peau des malades, qui, au début, est sèche et rude, devient géné- ralement moite après les premiers jours et peut même se couvrir d'une abondante sueur sans qu'il en résulte un notable soulagement. La. période d'augment de la maladie, que nous avons décrite jusqu'ici, est loin de passer insensiblement à la période de déclin, mais ce passage se fait avec une rapidité dont on ne trouve guère d'exemple dans aucune autre ma- ladie. Dans les premières éditions de ce livre, je soutenais avec une grande conviction que la crise de la pneumonie n'arrivait généralement qu'au cin- quième ou au septième et, dans quelques cas rares, au troisième jour de la maladie, et cette proposition me semblait justifiée par un grand nombre d'ob- servations. Mais j'ai fini par me convaincre que cette vieille doctrine, en vertu de laquelle la crise d'une pneumonie tomberait toujours sur un jour impair, quoique défendue de nos jours encore par des auteurs d'un mérite incontestable, n'avait rien de fondé, et que sa confirmation apparente par mes observations personnelles était le résultat d'un calcul inexact. Si en comptant les jours de la maladie on fait attention à l'heure où le frisson a débuté et à l'heure où la fièvre commence à décliner, on reconnaît que la crise d'une pneumonie tombe tout aussi souvent sur un jour pair que sur un jour impair. Une pneumonie ayant débuté, par exemple, l'après-midi du lundi par un frisson, sa crise arrivera, dans beaucoup de cas, le dimanche suivant, dans le courant de la journée, mais cette crise se présentera tout aussi souvent dans la matinée, par conséquent au sixième jour, que l'après- midi, c'est-à-dire au septième jour. Tous les symptômes de la maladie s' étant maintenus jusqu'au jour cri- tique qui ordinairement arrive à la fin, plus rarement au milieu du pre- mier septénaire, avec une intensité uniforme ou croissante, et l'état du ma- lade ayant souvent inspiré des inquiétudes par la dyspnée, la toux fatigante et la grave atteinte de l'état général, le changement favorable s'opère tout à coup, dans l'espace de quelques heures. La température du corps et la PNEUMONIE CROUPALE. 205 fréquence du pouls baissent rapidement, la dyspnée diminue, les malades se sentent plus libres, plus dégagés ; souvent en vingt-quatre heures, un bien-être complet s'est produit chez le malade qui a dormi, demande à manger et ne se plaint plus que d'une grande faiblesse. A partir de là, beau- coup de malades entrent franchement en convalescence. Pendant cette dernière, la température baisse souvent au-dessous du chiffre normal et j'ai vu tomber le pouls jusqu'à h0 pulsations à la minute sans qu'on eût donné un seul grain de digitale. L'expectoration, d'où le sang dispai'aîf tantôt lentement, tantôt subitement, devient un peu plus copieuse ; mais cette augmentation est si faible, que l'on est forcé d'admettre que la plus grande partie de l' exsudât est résorbée et une petite partie seulement expec- torée. Tout en se dépouillant de leur contenu sanguin, les crachats perdent leur viscosité et leur transparence, se dissolvent plus facilement et devien- nent jaunâtres : des crachats cuits, en un mot; leur coloration jaune dépend d'un mélange de jeunes cellules plus ou moins en voie de méta- morphose graisseuse. On y trouve des corpuscules de pus faiblement granu- lés, des cellules remplies de gouttelettes de graisse, ou cellules à granulations graisseuses, des amas de granulations, des molécules de graisse libre, et en outre des cellules pigmentées en noir, plus ou moins nombreuses. Bientôt après que l'infiltration est arrivée à son terme, commence la résorption : cependant il se passe toujours un temps plus ou moins long avant que la percussion et l'auscultation nous démontrent la disparition complète de l'ex sudat pneumonique. Quelquefois, il est vrai, la résolution se fait avec une extrême rapidité. Les conditions, pour la résorption d'un exsudât pneumo- nique, sont beaucoup plus favorables que pour celle d'un épanchement pleurétique, attendu que, dans le premier cas, chaque parcelle de l' exsudât, si minime qu'elle soit, est entourée d'un réseau capillaire distinct, tandis que, dans le dernier, une surface unique de capillaires doit servir à la résorp- tion de tout le liquide épanché. Telle est la marche de la pneumonie chez beaucoup de sujets que cette maladie est venue frapper en pleine santé; même on peut dire que sauf les maladies infectieuses il existe très-peu d'affections dont les symptômes et la marche offrent une ressemblance aussi frappante chez les divers individus. Si cette marche constante de la pneumonie n'a été bien re- marquée que dans ces derniers temps, cela tient à cette circonstance, qu'autrefois on intervenait avec beaucoup plus de violence et que l'on troublait ainsi la marche naturelle de la maladie. Le temps n'est en effet pas si loin de nous où l'on eût considéré comme un crime de traiter une pneumonie sans une et même plusieurs saignées. Dans quelques cas, la crise ne se produit pas à la fin de la première semaine, ou il se fait une courte rémission, bientôt suivie d'une aggravation nouvelle. La maladie se continue dans le second septénaire. L'infiltration 206 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. pneumonique s'étend plus loin, la température se maintient à un niveau élevé et atteint quelquefois les plus hauts degrés connus. Dans ces cas, la tempé- rature élevée du corps, l'épuisement résultant de cette production conti- nuellement exagérée du calorique et de l'exsudation considérable aux dépens du sang, exsudation que j'ai pu évaluer plusieurs fois à 1 kilo- gramme et demi en pesant comparativement un poumon sain et un pou- mon malade, font naître ordinairement les symptômes d'une adynamie très-intense. La fièvre, d'abord inflammatoire, s'est transformée en une fièvre asthénique nerveuse. Le pouls devient excessivement fréquent, petit et mou; la langue sèche est fuligineuse, le sensorium est atteint, les ma- lades ont des évacuations involontaires d'urine et de matières fécales, quel- ques-uns sont dans un état d'apathie complète et peuvent à peine répondre aux questions qu'on leur adresse; d'autres se débattent dans un délire furieux qui permet à peine de les retenir au lit. Dans beaucoup de cas, surtout quand les malades n'ont pas été affaiblis par des saignées, cet état peut également céder vers le milieu ou la fin du second septénaire, et le passage d'un état désespéré à un bien-être presque complet peut encore ici s'accomplir dans l'espace de quelques heures. La crise fait également défaut à la fin de la première semaine, quand rhépatisation passe à l'infiltration purulente, et la fièvre se prolonge alors pendant la seconde semaine avec une intensité égale ou croissante. Nous voyons encore clans ces cas le pouls devenir petit , la muqueuse buccale collante et sèche ; les malades tombent dans le délire ou la somnolence, la température augmente considérablement, surtout le soir; quelquefois aussi on observe de légers frissons. L'expectoration, généralement très-abon- dante, renferme de nombreuses cellules dégénérées en matière graisseuse. Il est évident que dans ces cas l'auscultation et la percussion peuvent. seules décider s'il s'agit d'une extension de l'hépatisation ou du passage de l'hépatisation rouge à l'infiltration purulente. Si la pneumonie frappe des vieillards ou des individus très-épuisés, la maladie n'a pas besoin de traîner en longueur ou de se terminer par infiltration purulente pour provoquer des symptômes d'adynamie. Ces derniers se pré- sentent même si promptement et se rattachent de si près au premier frisson et à l'invasion de la fièvre, que les symptômes du trouble fonctionnel du poumon s'effacent pour ainsi dire devant ceux de la fièvre asthénique. Beaucoup de ces malades ne toussent pas ou toussent très-peu, ne rejettent pas de crachats caractéristiques et n'accusent ni douleur ni dyspnée; souvent on attribue alors la fréquence de la respiration à la fièvre intense, et la mort de plus d'un malade, dont l'autopsie révélera plus tard une vaste infiltration pneumonique, est mise sur le compte d'une grippe maligne, d'une fièvre muqueuse, etc., si le médecin se laisse induire en erreur par le tableau ex- térieur de la maladie, qui, à la vérité, ressemble plus à celui d'une fièvre PNEUMONIE CROUPALE. 207 typhoïde, qu'à celui de la pneumonie des personnes robustes, et s'il négligé l'examen physique de la poitrine. Même chez les individus sains et robustes auparavant, il peut se déve- lopper de bonne heure une fièvre asthénique, si la pneumonie se complique d'un catarrhe gastro-intestinal aigu. Dans ces cas, assez communs, il n'y a pas au commencement, comme dans la pneumonie des vieillards, absence de douleur, de toux, de crachats caractéristiques; mais l'influence dépri- mante de la complication que nous venons d'indiquer et la fièvre, qui dans ces derniers cas surtout est généralement très-intense, produisent bientôt un affaissement extraordinaire et tous les autres phénomènes qui font l'effroi de la famille du malade en lui donnant la conviction que la maladie est devenue maligne, ou qu'une fièvre typhoïde est venue s'y ajou- ter. Ajoutez à cela que la langue, d'abord couverte d'un enduit épais et plus tard souvent fuligineuse, le ventre ballonné, les selles aqueuses et la colora- tion ictérique de la peau et de la sclérotique (si le catarrhe intestinal s'est propagé jusque sur le canal cholédoque) altèrent le tableau de la maladie et en rendent le diagnostic plus ou moins difficile. Encore, dans ces cas, nous ne pouvons éviter l'erreur et de cruelles déceptions à l'autopsie, qu'en insistant sur l'examen physique du malade. Un tableau tout à fait singulier est celui qu'offre la marche de la pneu- monie chez les ivrognes. Pendant les premiers jours, il semble souvent que l'on ait affaire à un delirium tremens. Les phénomènes du trouble de l'acti- vité cérébrale deviennent tellement prédominants, que ceux de la maladie pulmonaire passent inaperçus. On peut à peine maintenir les individus dans leur lit; ils sont loquaces, ne se plaignent de rien, se disent très-bien por- tants, sont de très-bonne humeur, et ont enfin ce genre d'hallucinations et de délire qui est presque pathognomonique du delirium tremens ; ils voient de petits animaux, surtout des souris et des insectes, tiraillent continuelle- ment leur couverture, ou bien ils exécutent avec les mains vides, et sans avoir aucun objet devant eux, les mouvements qu'exige leur profession. En supposant même qu'un malade de ce genre ne tousse et n'expectore en au- cune manière et qu'il n'accuse aucune douleur, on ne doit jamais manquer d'examiner attentivement sa poitrine, surtout s'il a de la fièvre. En effet, on a bien souvent diagnostiqué le delirium tremens et appliqué même la cami- sole de force à des individus qui n'avaient en définitive qu'une pneumonie étendue. La scène que nous venons de décrire change dans les périodes ultérieures de la maladie. On sait par expérience que les buveurs supportent, tout aussi mal ou même encore plus mal que les personnes âgées ou affai- blies la plus légère augmentation de la température du corps et de la pro- duction de chaleur animale ; qu'une fièvre peu intense et de courte durée suffit déjà pour exercer chez eux une influence excessivement débilitante sur l'énergie des contractions cardiaques, sur l'activité du cerveau et sur 208 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. toutes les autres fonctions. Dès les premiers jours le pouls, d'abord plein et fort, devient petit et faible ; la grande surexcitation, l'activité des malades est remplacée par une apathie profonde et une somnolence rapidement croissante, la peau est inondée de sueur (paralysie commençante des muscles de la peau) ; de gros râles se font entendre dans la poitrine (paralysie com- mençante des muscles bronchiques), et les malades meurent avec les sym- ptômes du catarrhe suffocant. Pour en venir enfin aux terminaisons de la pneumonie, déjà nous avons appris à connaître la guérison souvent si rapide dans les cas où l' exsudât est liquéfié et résorbé après la terminaison de l'hépatisation. Même dans la pé- riode de l'infiltration purulente, le rétablissement complet peut avoir lieu ; toutefois, les malades, épuisés par la longue durée de la fièvre, se rétablis- sent alors très-lentement ; on peut en dire autant de toutes les formes, dont les malades peuvent guérir malgré la fièvre asthénique qui s'était développée dans le cours d'une pneumonie traînée en longueur. La terminaison mortelle provient, dans la première et la seconde période de la maladie, essentiellement de ce fait, que Yhypérémie et l'œdème collatéral rendent impropres à la respiration même les alvéoles restés libres; elle est due bien plus rarement aux seuls progrès de l'infiltration pneumonique. La dyspnée poussée à ses dernières limites, des crachats abondants, écumeux ou liquides, des râles humides dans les parties non enflammées du poumon, l'affaissement rapide du malade, la somnolence, le vomissement, le refroi- dissement de la peau, tels sont encore, dans ce cas, les signes d'une respi- ration insuffisante, d'une intoxication imminente par l'acide carbonique. Si, dans ce moment, on ne s'empresse pas de porter secours au malade, la paralysie s'empare de lui et le malade périt avec les symptômes de l'œdème pulmonaire . et de la paralysie des bronches, en un mot, du catarrhe suf- focant. Il est beaucoup plus rare que la mort arrive dans la période de l'hépatisa- tion rouge, par déplétion incomplète des veines cérébrales et transsudation séreuse dans le cerveau. La cyanose de la face ne doit pas, à elle seule, nous faire redouter un œdème menaçant du cerveau ; la céphalalgie, le délire, ne suffisent pas non plus pour justifier cette crainte ni l'intervention thérapeu- tique qu'elle commande. Mais, si le malade tombe dans un état de somno- lence, sans que l'on puisse attribuer ce symptôme à la gêne respiratoire, s'il se plaint de fourmillements, d'engourdissement des membres, si de petites secousses convulsives surviennent par-ci par-là, alors il est bien permis de redouter un œdème cérébral qui menace la vie, et il faut se hâter de mettre fin à ces symptômes, de peur que la mort n'arrive par suite des progrès de l'état comateux. En troisième lieu, et le plus souvent, la mort est due à Y épuisement surve- nant dans la période de l'hépatisation rouge, soit qu'on ait affaire à un de PNEUMONIE CROUPALE. 209 ces individus débilites ou à un vieillard, pour lesquels une pneumonie même peu étendue constitue un mal dangereux; — soit que chez un buveur, qui a besoin d'excitants pour arrivera une innervation normale et qui trem- ble jusqu'au moment où il a bu de l'eau-de-vie, un état d'asthénie, et finale- ment de paralysie, suive la privation de cet excitant et l'affaiblissement produit par la fièvre ; — soit qu'un catarrhe gastro-intestinal et un ictère concomitant hâtent l'épuisement; — soit enfin que, chez des individus jusque-là sains et robustes, la persistance de la fièvre dans une pneumonie à longue durée et l'exsudation surabondante aient épuisé les forces. Dans tous ces cas, l'obnubilation du cerveau va jusqu'à la perte de connaissance ; le pouls devient de plus en plus misérable, la peau se couvre d'une sueur visqueuse, et les malades succombent encore ici à l'hypérémie et à l'œdème passif du poumon, au catarrhe1 suffocant. La mort arrive dans des conditions tout à fait analogues quand, dans la troisième période, celle de l'infiltration purulente, les forces ne suffisent pas pour résister à la longue durée et au degré élevé de la fièvre. Quelquefois, un ensemble de symptômes lout à fait particulier s'ajoute, dans le cours de la pneumonie, aux phénomènes si souvent mentionnés de la fièvre asthénique et nerveuse. Le pouls devient irrégulier et intermittent, il se produit un ictère léger, qui, évidemment, ne dépend pas d'une stase biliaire, l'urine devient albumineuse, les malades perdent la mémoire, ont un délire assez vif au commencement et tombent plus tard dans un coma profond. Le tableau de la maladie que nous venons d'esquisser correspond, surtout lorsque l'ictère devient plus intense, assez exactement à certaines descriptions de pneumonie bilieuse, comme on les trouve dans les anciens traités de pathologie. Selon-nous, iljs'agit, dans ces cas, d'une dégénération parenchymateuse du cœur, du foie, des reins, du cerveau, du sang. Nous traiterons en détail clans les chapitres correspondants les dégénérations pa- renchymateuses des organes que nous venons de nommer, nous verrons que ces dégénérations dépendent de l'élévation de température ou de la crase fébrile, enfin nous parlerons de la relation qui existe entre l'ictère et la dé- génération parenchymateuse du foie. Parmi les terminaisons rares de la pneumonie, dont il a été question au § 2, la terminaison en abcès peut être soupçonnée avec quelque raison, quand les légers frissons qui se présentent dans l'infiltration purulente se transfor- ment en frissons violents, et quand un produit d'expectoration gris, jaune et pigmenté, est rejeté en grande quantité. Cependant, le diagnostic ne devient certain que quand on découvre dans les crachats, à l'examen microscopique, des fibres élastiques disposées comme elles le sont dans le poumon, ou bien quand l'examen physique de la poitrine démontre l'existence d'une excava- tion plus ou moins spacieuse dans le tissu pulmonaire. — Si l'abcès pulmo- naire entraine la mort, celle-ci est précédée des mêmes phénomènes qui NIEMEYER. I — 14 210 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. peuvent aussi menacer l'existence en cas d'infiltration purulente. Si l'abcès doit guérir, l'expectoration perd de plus en plus sa coloration grise et devient jaune à mesure qu'une capsule formée par le tissu conjonctif ferme plus complètement la caverne ; et, si cette occlusion est enfin complète, l'expec- toration cesse tout à fait. S'il reste pendant un temps plus ou moins long une caverne tapissée d'une membrane pyogène et entourée d'un tissu con- jonctif calleux, elle se distinguera par les mêmes symptômes et la même marche que les cavernes bonchiectasiques dont il sera question dans l'arti- cle III de ce chapitre, et amènera aussi les mêmes dangers que ces cavernes. Il peut arriver surtout que la végétation du tissu conjonctif et la rétraction de ce tissu, dans les environs de la caverne,, aient pour effet cet enfonce- ment du thorax, que nous verrons se produire dans la dilatation sacciforme des bronches. La terminaison assez rare de la pneumonie par gangrène pulmonaire, se trahit par un collapsus poussé à un degré extrême et par une expectoration d'une fétidité horrible et d'une coloration gris noir. Encore., dans ce cas, il peut se présenter des symptômes physiques annonçant la formation d'une excavation dans le tissu pulmonaire. (Voyez, pour plus de détails, le cha- pitre VIII.) La terminaison par infiltration caséeuse se rencontre, non-seulement dans la pneumonie des personnes dont le poumon renferme d'anciens dépôts de tubercules ou d'anciens foyers caséeux, mais encore chez les sujets sains auparavant, surtout chez les emphysémateux, quand il leur arrive de con- tracter une pneumonie croupale, ce qui ne s'observe pas très-fréquemment. Dans ces cas, la fièvre ne fait que se modérer aux jours critiques, au lieu de disparaître aussi complètement qu'en cas de résolution; les malades ne se remettent pas bien, il leur reste de la toux et de la dyspnée ; vers le soir, le pouls devient plus fréquent, l'auscultation et la percussion démontrent la persistance de la condensation du parenchyme pulmonaire. Au bout d'un certain temps, l'infiltration se fond en donnant lieu à de vastes destructions du poumon, phénomène dont il sera longuement question à l'occasion de la phthisie pulmonaire. A l'article III de ce chapitre, qui traite de la cirrhose du poumon, nous exposerons la terminaison de la pneumonie croupale par induration. Symptômes physiques de la pneumonie croupale. L'aspect extérieur donne des résultats négatifs quant à la conformation du thorax. Les deux moitiés de cette cage ont leur circonférence normale, les espaces intercostaux représentent, comme chez les individus sains, des sil- lons peu profonds, condition qui est très-importante pour la distinction à PNEUMONIE CROUPALE. 211 établir entre la pneumonie et la pleurésie. Mais un changement notable est celui qu'offrent les mouvements respiratoires dont l'ampleur, du côté du malade, est considérablement diminuée au commencement de la maladie, parce que les individus ménagent ce côté à cause de la douleur que font naître les inspirations profondes, et, plus tard, parce que l'air ne peut plus pénétrer dans les alvéoles remplis d'exsudat. Souvent on reconnaît, au pre- mier coup d'œil, de quel côté la pneumonie a son siège, parce que le côté atteint reste plus ou moins en arrière pendant l'inspiration, tandis que le côté sain se soulève. Si les deux lobes inférieurs sont infiltrés, le diaphragme ne peut pas descendre, l'épigastre n'est pas bombé pendant l'inspiration, et les malades respirent uniquement en amplifiant la moitié supérieure du thorax (type costal). A la palpation, on remarque d'abord le renforcement de V impulsion du cœur, et il importe, pour distinguer la pneumonie de la pleurésie, que l'on sente le choc du cœur à sa place normale. — La palpation nous montre, en outre, pendant l'engouement et souvent pendant l'hépatisation, que le thorax, lorsque le malade parle, donne des vibrations plus apparentes et plus fortes qu'à l'ordinaire, que le frémissement pectoral est augmenté. Ce signe, si important pour le diagnostic, peut donner lieu à de graves erreurs, si l'on ignore que, chez la plupart des hommes sains, le frémissement pectoral est plus fort à droite qu'à gauche, phénomène qui sans doute a sa raison d'être, dans ce fait que la bronche droite est plus courte et plus large et se sépare presque à angle droit de la trachée, tandis que la bronche gau- che, plus longue et plus mince, forme un angle plus obtus avec elle. (Seitz.) — Le renforcement pathologique du frémissement pectoral, pendant Ven- gouemeitt, dépend de ce que le tissu pulmonaire a perdu son élasticité dans cette période. Dans les conditions normales, la propagation des ondes sono- res de la trachée et des bronches à la paroi thoracique est rendue plus difficile par la tension des parois alvéolaires élastiques; ajoutez à cela que le poumon sain exerce, en vertu de son élasticité, une sorte d'aspiration sur la face interne du thorax et gêne, de la sorte, les vibrations de la paroi. Ces deux conditions, qui, chez les individus sains, diminuent les vibrations voca- les, cessent d'exister quand l'élasticité du tissu pulmonaire est abolie. — Le renforcement du frémissement pectoral est parfois plus considérable encore pendant l'hépatisation que pendant la période de l'engouement. Ce fait trouve son explication dans cette circonstance, que le poumon héputisé a non-seulement perdu son élasticité, mais que les vibrations qui se trans- mettent des cordes vocales à l'air contenu dans la trachée et les bronches sont communiquées à la paroi thoracique, sans avoir été affaiblies par des milieux différents composés d'air, de parois alvéolaires, encore d'air et de parois alvéolaires, etc., mais après avoir traversé le milieu homogène formé par le parenchyme pulmonaire condensé et privé d'air. — 11 arrive 212 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. quelquefois qu'une oblitération passagère des bronches par le produit de sécrétion empêche la progression des ondes sonores jusqu'à la paroi thora- cique et diminue ou abolit le frémissement pectoral. Mais, outre cela, il se peut qu'en dehors de toute oblitération des bronches et de tout exsudât pneumonique, le frémissement pectoral soit diminué ou aboli au niveau d'un endroit hépatisé du poumon. Dans ces cas, on est forcé d'admettre que la paroi ne peut entrer en vibration, parce qu'elle est en contact avec une portion très-compacte du poumon infiltré. La percussion donne souvent, pendant l'engouement, un son tympanitique et grêle très-marqué. Le poumon sain se comporte, à raison de son élasti- cité, comme une vessie fortement tendue par insufflation : le son qu'il rend à la percussion ne peut donc pas être tympanitique. Le poumon engoué, dont les parois alvéolaires ont perdu leur élasticité, se comporte, au con- traire, comme un assemblage de vessies lâchement tendues, et, par consé- quent, il rend à la percussion un son tympanitique. — Le son grêle qu'on entend pendant l'engouement est dû à la diminution de la quantité d'air renfermée dans les alvéoles par suite de l'exsudation, l'effet de cette dimi- nution étant de rendre plus petit le corps vibrant. Nous croyons ces expres- sions, son plein et son grêle, faciles à comprendre et bien choisies; car le son plein est celui que produisent les vibrations d'un corps volumineux, tandis que le son grêle est produit par la vibration d'un corps peu volumineux. Ainsi, le son produit par la percussion de l'estomac se reconnaît immédiate- ment pour un son plein, celui de l'intestin grêle pour un son grêle, et ces différences sont facilement saisies, même par les commençants. De même, un examinateur encore peu exercé reconnaît facilement que le son tympani- tique de l'engouement est en même temps un son grêle, tandis que les commençants ont souvent de la peine à distinguer qu'il est également plus aigu. Fendant l'hépatisation, le son de la percussion devient mat, mais seulement dans les cas où l'endroit hépatisé touche immédiatement le thorax, et l'on sent alors en même temps, au niveau de l'endroit percuté, une résistance augmentée. Ces phénomènes dépendent de l'impossibilité qui existe, pour le poumon aussi bien que pour d'autres corps compactes et privés d'air, d'en- trer en vibration à la percussion. Plus la couche hépatisée en contact avec le thorax est épaisse et volumineuse, plus la matité et la résistance sont grandes. En cas de matité faible ou de submatité, on reconnaît générale- ment que le son de la percussion est en même temps devenu plus grêle; mais, dans ce qu'on appelle la matité absolue, il ne peut plus être question de son plein ni de son grêle. — Si le siège de la pneumonie est situé à la racine ou au centre du poumon, le son de la percussion n'est pas modifié pendant la période de l'hépatisation, en supposant même que la lésion soit très-étendue. PNEUMONIE CROUPALE. 213 L 'auscultation donne ordinairement pendant l'engouement, à la place du bruit vésiculaire, un bruit appelé par Laennec râle crépitant, et donnant une sensation analogue à celle qu'on obtiendrait en jetant du sel dans le feu ou en froissant une mèche de cheveux devant l'oreille. Cette crépitation repré- sente le râle le plus fin, parce qu'il se produit dans les espaces les plus étroits, c'est-à-dire dans les alvéoles et les terminaisons des bronches, et en même temps le plus sec, parce qu'il prend naissance dans le liquide le plus visqueux. Peut-être ce râle est-il dû à la disjonction, par l'air inspiré, des parois alvéolaires qui avaient été accolées par l' exsudât pendant l'expiration. — Aussitôt que la couche du poumon qui touche le thorax est complètement infiltrée, la respiration vésiculaire disparaît, parce que les alvéoles sont devenus inaccessibles à l'air. A s.a place on entend la respiration bronchique, c'est-à-dire un bruit que l'air inspiré et expiré produit constamment dans la trachée et les bronches, mais que le parenchyme sain, dont le pouvoir con- ducteur est diminué par le continuel changement de' milieu, air et parois alvéolaires, etc., ne laisse pas arriver jusqu'à l'oreille. Si un milieu homo- gène est interposé entre l'oreille et les bronches d'un certain volume, au lieu de ce milieu essentiellement mauvais conducteur du son, le bruit des bron- ches arrive à l'oreille, et l'on entend la respiration bronchique, en suppo- sant, bien entendu, que les bronches restent en communication avec la tra- chée, c'est-à-dire que l'air puisse y pénétrer et en sortir, ou qu'au moins l'air qu'elles renferment soit mis en mouvement et vibre à chaque inspira- tion. Ajoutez à cela que les bronches entourées d'un tissu pulmonaire épaissi représentent des tuyaux meilleurs conducteurs du son que celles qui tra- versent un tissu pulmonaire sain. Si une accumulation de mucosités vient à boucher les bronches, ainsi que cela arrive passagèrement, surtout dans la troisième période de la pneumonie, la respiration bronchique disparaît et ne se reproduit que quand le contenu muqueux a été évacué par la toux. — Les mêmes conditions qui président au développement de la respiration bron- chique donnent aussi lieu à la bronchophonie. Les vibrations des cordes vocales produites par la parole se communiquent à la colonne d'air renfermée dans les grosses bronches, mais on ne les perçoit au thorax que comme un bour- donnement confus, toutes les fois que du parenchyme pulmonaire sain, essentiellement mauvais conducteur du son, comme nous l'avons vu, se trouve interposé entre l'oreille et les bronches. Si le parenchyme est épaissi et devient ainsi meilleur conducteur, et si cet épaississement rend les bron- ches elles-mêmes meilleures conductrices du son, la voix devient plus reten- tissante au niveau du thorax; il se produit ce qu'on appelle la bronchophonie, qui est parfois articulée et prend alors le nom de pectoriloquie ; si les nerfs sensitifs de l'oreille qui ausculte reçoivent eux-mêmes la sensation dés- agréable d'un ébranlement de la paroi thoracique, il y a bronchophonie forte; celle-ci ne représente, par conséquent, qu'une exagération du frémissement 214 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. pectoral perçu par l'oreille. Quelquefois la voix perçue dans l'intérieur delà poitrine prend un caractère nasonnant, chevrotant, sans qu'on puisse donner une explication satisfaisante de ce phénomène, connu sous le nom d'égopho- nie. La bronchophonie, de même que la respiration bronchique, disparait tant que les bronches sont oblitérées par la sécrétion, tant que la communi- cation entre l'air renfermé dans les bronches et l'air de la trachée est inter- rompue. — Pendant la résolution de la pneumonie, on entend des râles; quelquefois, quand l'air rentre dans les dernières ramifications bronchiques et dans les alvéoles, ce râle est très-fin; mais, comme la sécrétion est moins visqueuse que pendant l'engouement, il paraît moins sec que la crépitation de l'engouement pulmonaire : on l'appelle râle crépitant de retour (crepitatio redux). Les râles qui naissent dans les bronches d'un certain volume peuvent, dans des conditions identiques avec celles qui engendrent la respiration bron- chique et la bronchophonie, se distinguer par une certaine résonnance qui leur a fait donner le nom de râles bronchiques, consommants (de Skoda), sonores (de Traube). Lapleurite, qui complique constamment la pneumonie, ne peut être con- statée physiquement que dans les cas où l'épanchement est très-considérable. Le bruit de frottement surtout ne s'entend presque jamais dans les premières périodes de la pneumonie, parce qu'à cette époque les feuillets de la plèvre ne frottent pas ou frottent très-peu l'un contre l'autre. Ce bruit s'entend un peu plus souvent pendant la résolution de la pneumonie, parce qu'alors il rentre de l'air dans les alvéoles et que les malades peuvent faire des inspira- tions plus fortes, ce qui donne lieu au frottement des feuillets pleuraux l'un contre l'autre. Les symptômes physiques qui démontrent la formation d'une excavation volumineuse dans le poumon, soit par abcès, soit par gangrène, sont iden- tiques avec ceux que produisent les cavernes tuberculeuses. Nous renvoyons, pour ce symptôme, au chapitre IX. § h. Diagnostic. La pneumonie, chez les individus sains et robustes, se reconnaît le plus souvent avec facilité, et il est rare qu'on la confonde avec d'autres maladies, attendu qu'indépendamment des symptômes physiques, la fièvre, la dyspnée, la douleur, la toux, les crachats, ne laissent guère subsister de doutes. — Par contre, la pneumonie est plutôt méconnue chez les enfants et chez les individus très-affaiblis, surtout chez les vieillards. Elle est méconnue chez les enfants, quand elle se manifeste avec des convulsions et que la fièvre est violente, mais accompagnée de peu de toux; la confusion est d'autant plus facile alors que les petits enfants n'expectorent pas et ne savent pas indiquer le siège de la douleur. On met alors la dyspnée sur le compte de la fièvre, et PNEUMONIE CROUPALE. 215 si les enfants ont en même temps de la diarrhée, on croit à une fièvre de dentition avec irritation inflammatoire de la muqueuse intestinale ; s'ils sont constipés, on les croit atteints d'une hydrocéphale aiguë. On ne doit jamais négliger d'ausculter attentivement et à plusieurs reprises les enfants qui ont une fièvre intense, des phénomènes cérébraux et une respiration accélérée. — Pour éviter la confusion si fréquente entre la pneumonie des individus âgés ou débilités et la fièvre typhoïde, on doit se rappeler que dans la pneu- monie il n'y a ni gonflement de la rate, ni taches rosées, ni sensibilité de la région iléo-caeeale, que la maladie débute par un frisson unique,' et procéder avant tout à un examen attentif de la poitrine. Le diagnostic différentiel de la pneumonie et de la pleurésie ne pourra être compris que quand nous aurons appris à connaître les symptômes et la marche de cette dernière maladie. Quelle que soit la valeur de l'examen physique de la poitrine pour le diagnostic de la pneumonie, il ne nous démontre cependant par lui-même qu'une infiltration et une obstruction des alvéoles; les anamnestiques peu- vent seuls nous renseigner sur la nature de l'infiltration. § 5. Pronostic. Le pronostic dépend, premièrement, de l'étendue du processus. La pneu- monie double est considérée, avec raison, comme la forme la plus dange- reuse. Mais le pronostic dépend encore bien plus du degré de la fièvre concomi- tante, attendu que l'épuisement et la faiblesse générale, déterminés par la fièvre, constituent la cause la plus fréquente de l'issue fatale. Il suffit d'une élévation delà température au delà de kl degrés, etd'une accélération du pouls dépassant 120 pulsations pour rendre le pronostic douteux. Des cas particu- lièrement dangereux sont ceux d'individus qui, ayant une température élevée, transpirent fortement, car ces malades ont plus de fièvre que ceux qui, avec une égale température, conservent la peau sèche. On commet trop souvent l'abus de n'évaluer le degré de la fièvre que d'après l'éléva- tion de la température du corps. En effet, un malade qui transpire perd par l'évaporation de la sueur une forte quantité de calorique; chez lui, la production de ce dernier sera donc bien plus élevée que chez un autre dont le corps, sans subir cette perte, présentera la même température. C'est cette grave atteinte portée à l'organisme par une fièvre même mo- dérée, qui fait de la pneumonie une maladie si dangereuse pour les vieil- lards et les buveurs. Tandis que les individus arrivés à l'âge moyen de la vie ne succombent qu'en petit nombre à la pneumonie, les vieillards meu rent dans la proportion de 60 à 70 p. 100 des individus atteints. 216 MALADIES DES ORCxANES DE LA RESPIRATION. Si la pneumonie se complique de maladie de Brigt, de tuberculose, de mala- dies du cœur, d'endocardite et depêricardite, on doit redouter une terminaison funeste. Parmi les différents symptômes conside'rés isolément, Y expectoration a une valeur pronostique. Au début de la maladie, l'absence de toute expectora- tion doit être considérée comme un mauvais signe ; il en est de même des crachats foncés, d'un rouge brun, couleur jus de pruneaux ; ces crachats annoncent une mauvaise nutrition, la fragilité des capillaires pulmonaires, et, le plus souvent, un état cachectique de l'individu malade. Des crachats très-abondants, liquides, œdémateux, sont de mauvais augure. Une expecto- ration rare, pendant la résolution de la pneumonie, est de peu d'impor- tance, si en même temps la matité disparaît. L'absence d'expectoration, coïncidant avec de gros râles dans la poitrine, annonce la paralysie des bronches, l'œdème du poumon et une fin prochaine. Le délire n'est pas d'un mauvais présage au début de la maladie ; il dépend d'une modification de la nutrition cérébrale ou de la température élevée du sang qui circule dans le cerveau. Plus tard, il accompagne souvent l'épuise- ment, de sorte que, s'il se prolonge et se maintient à un degré élevé, il devient un signe d'adynamie, et, par conséquent, d'un état grave. Il en est de même de tout cet ensemble de symptômes qui donnent à la maladie ce qu'on est convenu d'appeler son cachet de malignité; plus haut, nous avons déjà fait voir qu'un état soporeux, des spasmes ou des paralysies passagères- sont des symptômes menaçants. Le pronostic dépend enfin des terminaisons de la pneumonie. La terminai- son par infiltration purulente est beaucoup plus défavorable que la fluidifi- cation et la résorption dans la période d'hépatisation. — Les terminaisons par abcès, par infiltration caséeuse, par gangrène, sont d'un pronostic de plus en plus défavorable. § 6. Traitement. L'indication causale ne peut ordinairement pas être satisfaite, parce que 1« pneumonie est due, dans la plupart des cas, à des causes atmosphériques ou telluriques inconnues. 11 serait même très-irrationnel de se prévaloir d'un refroidissement pour soumettre un individu atteint de pneumonie à un trai- tement diaphorétique. L'expérience prouve que les cas assez communs d'in-* dividus ayant des sueurs abondantes pendant toute la durée de la maladie, se distinguent par une gravité toute particulière. {Voyez § 5.) Pour ce qui concerne l'indication de la maladie, on doit se rappeler avant tout que la pneumonie se distingue par une marche plus invariable que celle de la plupart des autres maladies, et qu'alandonnée à elle-même, elle se termine presque toujours par la guérison, si les individus atteints sont PNEUMONIE CROUPALE. 217 robustes et si la maladie n'est pas trop intense par elle-même. Il n'y a pas très-longtemps que l'on connaît ce fait, et c'est à la méthode expectante de Vienne et aux succès des homœopathes, que nous devons ce précepte essen- tiel, que la 'pneumonie exige par elle-même tout aussi peu une intervention active que l'érysipèle, la variole, la rougeole et autres maladies à marche constante, quand elles frappent des individus sains auparavant, et suivent leur cours sans complication et avec une intensité modérée. Bien plus, il est démontré qu'une intervention violente exerce une influence défavorable sur la marche de la pneumonie, à moins que des phénomènes déterminés ne justifient une in- tervention de ce genre. Cette règle s'applique avant tout à la saignée, et Dietl a raison de prétendre que les pneumonies traitées par la saignée se terminent plus souvent par la mort que celles dans lesquelles on s'était abs- tenu de saigner ; cependant Dielt n'a raison qu'autant qu'il oppose les cas dans lesquels on avait saigné à cause de la pneumonie, à ceux dans lesquels on s'était abstenu d'une façon absolue de saigner. 11 en est tout autrement si l'on oppose les cas dans lesquels on n'avait pas saigné à cause de la pneu- monie, mais malgré la pneumonie, et en tenant compte de quelques phéno- mènes dangereux ou de certaines complications, à ceux dans lesquels on n'avait par principe jamais fait de saignée. Pour ma part, j'aimerais mieux savoir une personne atteinte de pneumonie, et qui me serait chère, entre les mains d'un homœopathe, qu'entre celles d'un médecin qui croirait tenir l'issue de la maladie sur la pointe de sa lancette, et cela, nonobstant le grand cas que je fais de la saignée contre certains accidents qui peuvent se pré- senter dans le cours de la pneumonie. Un fait qui milite en. faveur de l'opinion de Louis, de Dielt et d'autres auteurs, qui ne reconnaissent pas à la saignée une vertu spécifique contre la pneumonie et qui n'admettent pas qu'elle puisse juguler la maladie, c'est le nombre même des saignées pratiquées par Bouillaud et autres partisans des saignées coup sur coup. En effet, ces messieurs saignent assez souvent et assez longtemps, pour atteindre, en saignant, le cinquième, le sixième et le septième jour, par conséquent le terme naturel du processus pneumonique. Mais, qu'on se rattache à l'une ou à l'autre des théories qui ont cours sur le processus inflammatoire, aucune n'est positivement favorable à l'efficacité spécifique de la saignée contre la pneumonie. Malheureusement on oublie trop souvent que l'hypérémie, même la plus intense, ne suffit pas à elle seule pour déterminer une pneumonie croupale, que le trop-plein et la dilatation des capillaires, comme nous les voyons se produire dans les mala- dies valvulaires du cœur gauche, peuvent bien faire naître la splénification et l'œdème, mais jamais l'inflammation croupale des cellules pulmonaires. Nous parlerons des symptômes qui réclament l'emploi de la saignée dans le cours de la pneumonie , à l'occasion de l'indication symptomatique qui comprend les indications de la saignée. 218 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. J'ai largement employé le froid dans le traitement de la pneumonie, et le grand nombre de résultats favorables que je dois à ce procédé, ne peut que m' engager à en conseiller l'application. Toujours je fais couvrir la poitrine du malade, et principalement le côté où siège l'affection, de serviettes trempées dans l'eau froide et bien tordues; ces applications sont à renouveler toutes les cinq minutes. Quelque désagréable que puisse être l'emploi de ce moyen, les malades assurent presque invariablement, dès la première heure, qu'ils se sentent soulagés ; la douleur, la dyspnée, et souvent même la fré- quence du pouls, sont diminuées; la température quelquefois baisse de tout un degré. Il n'est pas rare que mes malades conservent ce bien-être surpre- nant pendant toute la durée de la maladie, si bien qu'à les voir dans cet état on soupçonne à peine l'affection sérieuse dont ils sont atteints. Les personnes qui entourent le malade s'aperçoivent bientôt de cet heureux changement et se prêtent plus tard très-volontiers à l'emploi d'un moyen qui leur avait tant répugné au commencement. Dans quelques cas très-rares, l'application du froid ne procure pas de soulagement, et alors ce pénible procédé aug- mente à un tel point les souffrances des malades, qu'ils ne veulent pas s'y soumettre plus longtemps. Dans ces cas, je n'ai pas insisté sur la continua- tion du remède *. — N'ayant jamais pu faire avorter une pneumonie par l'action du froid, je n'attribuerais à ce remède qu'une action palliative, si, par son emploi énergique et suivi, je n'avais positivement réussi à abréger, dans beaucoup de cas, la durée de la maladie, et à hâter les progrès de la convalescence. En effet, j'ai vu rarement la crise ne s'opérer qu'au septième jour; dans beaucoup de cas observés par moi, la résolution s'est faite dès le cinquième, et fort souvent dès le troisième jour, même il m'est arrivé très- fréquemment que des individus atteints de pneumonies récentes ne vou- laient pas se laisser retenir pendant plus de huit jours à l'hôpital. Le froid compte ajuste titre parmi les antiphlogistiques les plus efficaces, toutes les fois qu'il s'agit d'une inflammation d'organes externes ; il agit en contractant directement les tissus relâchés, les capillaires dilatés. Il est plus difficile de se rendre compte de son action quand il est employé contre des inflammations d'organes séparés du lieu d'application par la peau, les mus- cles et les os ; cependant, les contractions de l'utérus et des muscles intesti- naux sous l'influence du froid appliqué sur le bas-ventre, prouvent que cet agent peut étendre ses effets jusque dans la profondeur, et depuis longtemps on vante l'application de compresses glacées dans la méningite. De nos jours, Kiwisch se loue avec raison de l'effet produit par l'application de compresses froides sur le ventre dans la péritonite. — Je ne possède aucune observation 1 A l'hôpital de Prague, on traite presque toutes les pneumonies par les applications Froides, et, d'après les rapports de Smoler, il est rare que les malades ne s'en sentent pas notablement soulagés. PNEUMONIE CROUPALE. 219 personnelle sur l'effet des enveloppements froids du corps entier, comme ils sont souvent pratiqués dans la pneumonie par les médecins hydropathes ; on peut supposer cependant que, sans avoir une influence directe plus grande sur l'inflammation locale, ils abaissent la température du corps et modèrent passagèrement la fièvre. Dans les maladies infectieuses, j'ai du moins pu constater clans un grand nombre de cas cette influence des soustractions de chaleur énergiques sur la température trop élevée du corps. Tous les autres remèdes et méthodes curatives préconisés contre la pneu- monie doivent être envisagés comme n'étant pas dirigés directement contre la maladie elle-même. . Ces moyens, au contraire, comme, par exemple, la saignée, sont dirigés contre des phénomènes déterminés et rentrent for- cément dans Yindication symptomatique. La saignée ne doit être employée que dans les trois cas suivants : 1° La pneumonie vient d'atteindre un individu jusque-là bien portant; elle est de date toute récente, la température du corps s'élève au delà deUO degrés, la fréquence du poids dépasse 120 pulsations à la minute; dans ce cas, le danger est dans la violence de la fièvre : la saignée, surtout si elle est abondante, abaisse la température et diminue la fréquence du pouls. Chez les individus débiles, dont le sang était auparavant déjà appauvri, la saignée augmente ledangev de l'épuisement par la pneumonie : en cas de fièvre modérée, la saignée n'est même pas indiquée chez les individus jusque-là sains et robustes. Elle ne saurait, en effet, couper la fièvre qui persiste, quoiqu'à un moindre degré, et le malade affaibli court plus de danger après la saignée que si, avec des forces plus grandes, il était obligé de supporter une fièvre plus considérable. 2° Un œdème collatéral dansles parties du poumon épargnées par la pneumonie menace la vie du malade : dans ce cas, la saignée a pour effet de modérer la pression du sang ; elle prévient la trop grande transsudation du sérum dans les alvéoles et, par conséquent, l'insuffisance pulmonaire et l'empoisonnement du sang par l'acide carbonique. Du moment qu au début de la pneumonie la grande fréquence de la respiration ne peut être attribuée exclusivement à la fièvre, à la douleur et à l'extension du processus pneumonique, du moment qu'à 40 ou 50 inspirations à la minute s'ajou- tent des crachats séreux, écumeux, et que les râles que l'on entend dans la poitrine ne cessent pas momentanément après la toux, on doit faire une large saignée pour diminuer la masse du sang et modérer la pression collatérale. La troisième indication de la saignée est fournie par les symptômes de la compression cérébrale, ■ qui ne consistent pas en maux de tête et en dehre, mais dans un état comateux, dans des paralysies passagères, etc. Si, pour l'une ou l'autre de ces raisons, on s'est décidé à pratiquer une saignée, on ne doit pas renoncer à ce moyen en voyant le pouls petit et faible au lieu d'être large et fort. C'est même précisément dans la « peti- tesse et l'oppression du pouls » que les anciens praticiens voyaient une indi- 220 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. cation pour la saignée, et dans beaucoup de cas on avait la satisfaction de voir le pouls se relever après la saignée ou même pendant l'écoulement du sang. Même on considérait comme une loi que pour savoir si la faiblesse était réelle ou non, on devait s'assurer si pendant la saignée le pouls deve- nait plus fort ou plus faible. Ce fait que dans beaucoup de cas le pouls se relève pendant ou après la saignée s'explique simplement de la manière suivante : l'ampleur et la force du pouls dépendent, toutes choses égales d'ailleurs, de l'énergie avec laquelle le cœur se contracte pour triompher de la résistance du sang contenu dans l'aorte. Si par l'influence débilitante d'une élévation très-forte, et chez certains individus d'une élévation même assez faible de la température du corps, l'énergie des contractions cardiaques se trouve diminuée,, tandis que la résistance dans l'aorte est restée la même, le sang est chassé du cœur en plus petite quantité et l'ondée sanguine est plus faible. Si, dans ces cas, on désemplit les vaisseaux par une saignée, on diminue la résistance dans l'intérieur de l'aorte, et l'on fait en sorte que les contractions faibles du cœur suffisent pour chasser du centre circulatoire une quantité de sang plus considérable, d'où résulte une ondée sanguine plus forte. Cet effet peut, il est vrai, ne pas se produire quand la saignée, comme quelquefois cela arrive, exerce par elle-même une influence très-débilitante sur les contractions du cœur, quand elle diminue la force expulsive en même temps que la résistance. Dans le traitement de la pneumonie, on fait avec raison un large emploi de la digitale. Ce remède est, comme la saignée, un remède antifébrile. Elle abaisse la température, diminue la fréquence du pouls sans débiliter l'orga- nisme autant que la saignée. Dans les pneumonies où la fréquence du pouls varie entre 100 et 120 pulsations à la minute, ce médicament est indiqué ; il devient inutile si le nombre des pulsations est plus faible. Le plus souvent on associe aux infusions de digitale (1 à 2 grammes sur 180 grammes d'eau) des sels neutres, le nitrate de potasse ou de soude. Si ces remèdes exercent une influence sur la marche de la pneumonie, elle ne concerne également que la fièvre,- car ils n'ont aucune vertu antiphlogistique ou anti- plastique. Aux remèdes que nous venons de nommer se rattachent les nauséeux, le tartre stibié à la dose de 20 à 25 centigrammes sur 150 grammes d'eau, pris par cuillerées d'heure en d'heure, et l'ipécacuanha, en outre le sulfate de quinine, la vératrine, et enfin les inhalations de chloroforme. Ces moyens peuvent également diminuer l'activité du cœur et la température, et, par conséquent, modérer la fièvre; mais ils n'ont pas- une influence directe sur le trouble local de la nutrition du poumon. L'emploi du tartre stibié, autrefois très en vogue, a été un peu discrédité dans ces derniers temps, mais bien des cliniciens en renom en font toujours encore le plus grand éloge. PNEUMONIE CROUPALE. 221 Pour ce qui concerne l'administration du sulfate de quinine, l'expérience que j'ai acquise dans les dernières années me permet d'en formuler l'indi- cation en ce sens que, dans le cas où le danger est une conséquence directe de l'excessive élévation de température, on doit faire prendre au malade 10 centigrammes du remède toutes les deux heures, ou mieux encore deux ■à trois doses de 50 centigrammes dans l'espace de quelques heures. D'après les observations de Biermer, la vératrine, que Vogt avait déjà •reconnue pour un antipyrétique très-efficace, doit être comptée parmi les moyens qui, chez les individus atteints de pneumonie, font baisser le plus sûrement le niveau de la température et la fréquence du pouls. Bien plus, Biermer, Kocker et autres lui reconnaissent une action directement favo- rable sur le processus pneumonique, car ils prétendent avoir coupé court à la maladie dans plusieurs cas par l'administration de la vératrine. La véra- trine a sur la digitale l'avantage d'exercer une influence plus rapide sur le pouls et la température, et d'exposer bien moins que cette dernière au danger d'un effet secondaire produit par une sorte d'accumulation des doses dans l'organisme, de ce qu'on est convenu d'appeler un effet cumulatif. Par contre, les auteurs sont généralement d'accord qu'un ralentissement du pouls et un abaissement de la température ne peuvent être obtenus que par des doses de vératrine assez considérables pour produire en même temps des phénomènes d'intoxication tels que vomissement, diarrhée, affaissement général. La vératrine pure se donne à la dose de 3 milligrammes, la résine de veratrum viride à la dose de 1 centigramme ; la préparation la plus conve- nable et la plus usitée est la teinture de veratrum viride, dont on donne U à 8 gouttes toutes les trois heures dans un véhicule mucilagineux. Les éloges accordés au traitement de la pneumonie par la vératrine ou les préparations qui la contiennent sont devenus si nombreux dans les dernières années (en France, le veratrum viride a été préconisé par Hirz et Oulmont), que l'on" fait toujours bien d'essayer l'emploi de ce moyen dans les cas récents et chez les individus robustes. Dans un grand nombre de cas, on peut se passer de tous les remèdes que nous venons de nommer et faire prendre au malade une potion indiffé- rente, par exemple une potion gommeuse par cuillerées d'heure en heure, uniquement pour le tranquilliser et ne pas avoir l'air de l'abandonner. En même temps, on fait les applications froides et cela suffît généralement pour amener une terminaison prompte et heureuse de la pneumonie. Plus on se persuade que les remèdes ne sont exigés que par des phases détermi- nées de la pneumonie, plus on sera heureux dans le traitement. Dans le cours ultérieur de la pneumonie, l'indication symptomatique réclame assez souvent des médicaments dont l'effet physiologique est entiè- rement opposé à celui des remèdes mentionnés jusqu'ici. Nous avons vu qu'une exsudation surabondante, une durée trop longue de la fièvre pneu- 222 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. monique et une constitution affaiblie avant le début de la pneumonie pou- vaient occasionner un marasme aigu, un état d'adynamie extrême, et que même la plupart des individus qui meurent de pneumonie succombaient à ce genre d'épuisement. Les contractions trop peu énergiques du cœur entraî- nent de nouveaux dangers par l'œdème passif du poumon ; la paralysie commençante des muscles bronchiques rend difficile l'évacuation des mu- cosités accumulées dans ces tuyaux, et il faut alors qu'on administre des stimulants, qu'on active les contractions du cœur, qu'on augmente la.con- tractilité des muscles bronchiques. Les stimulants, qu'on emploie si souvent en pure perte dans d'autres affections parce que leur effet est essentiellement transitoire, peuvent donner les plus heureux résultats dans la pneumonie, quand la paralysie commence à se montrer peu de temps avant la fin du processus pneumonique. Si l'on donne de fortes doses de camphre, de musc, de vin généreux, on parvient assez souvent à relever pendant vingt-quatre à trente-six heures l'activité du cœur, à empêcher pendant ce temps les pro- grès de l'œdème et à faciliter l'expectoration. Un moyen excellent pour ces sortes de cas, ce sont encore les fleurs de benjoin (25 centigrammes toutes les deux heures). Traiter, à l'exemple de Todd, tous les cas de pneumonie qui peuvent se présenter par l'alcool, c'est une méthode que nous ne sau- rions admettre. Quand la fièvre, la combustion exagérée menacent de consumer l'orga- nisme, il importe encore beaucoup plus de réparer les pertes de l'économie que d'administrer des excitants. Qu'on se garde donc de prolonger outre mesure la diète antiphlogistique, surtout chez les sujets épuisés, et qu'on donne, aussitôt qu'un état asthénique se manifeste, outre le vin, du bouillon concentré, du lait, etc. Des moyens très-utiles dans ces cas sont le quinquina et les ferrugineux à fortes doses, et je recommande surtout, comme un re- mède excellent, la teinture ferrugineuse de Rademacher (15 grammes sur 180 grammes d'eau, une cuillerée à bouche toutes les deux heures). Il n'y a pas de pneumonie qui soit, dans le sens de Rademacher, « une affection à fer de tout l'organisme », mais il arrive souvent dans le cours de la pneu- monie, un appauvrissement du sang que les préparations ferrugineuses contribuent à vaincre tout aussi efficacement que l'appauvrissement chro- nique du sang dans la chlorose. Nous n'avons pas à notre disposition une explication physiologique de l'utilité incontestable des préparations ferru- gineuses contre l'appauvrissement aigu ou chronique du sang. En tout cas, dans les états que nous venons de nommer, ce n'est pas seulement la quan- tité de fer, mais encore les substances protéiques, surtout la globuline des corpuscules sanguins, qui se trouvent diminuées dans le sang avant l'em- ploi du fer et augmentées après l'emploi de ce remède ; mais pour avoir la preuve que les préparations ferrugineuses sont tout aussi efficaces contre l'appauvrissement aigu du sang que contre l'appauvrissement chronique, PNEUMONIE CATARRHALE. 223 il suffit de donner ces préparations en quantité assez forte après les exsu- dations pneumoniques et pleurétiques épuisantes ; et tout en ne partageant pas les idées théoriques de Rademacher, on ne peut pas nier les résultats qu'il a obtenus en administrant les préparations ferrugineuses dans les ma- ladies fébriles. Malheureusement, s'il existe de la diarrhée, le fer n'est pas supporté. L'administration des stimulants, un régime analeptique, l'emploi du quinquina et du fer peuvent être indiqués dès les premiers jours dans la pneumonie des vieillards et des sujets débilités, si un état adynamique sur- vient chez eux de très-bonne heure, et un médecin qui dans une maladie se présentant sous l'aspect d'une fièvre muqueuse, d'une grippe nerveuse, aurait reconnu à l'auscultation l'existence d'une pneumonie, commettrait certainement une faute grave, si dans un cas pareil il voulait instituer un traitement antiphlogistique . Les saignées locales par des sangsues ou des ventouses doivent être em- ployées dans tous les cas où la douleur n'est pas modérée par le froid, où ce dernier n'est pas supporté ou refusé par le malade. Elles modèrent presque toujours la douleur, et comme cette dernière constitue non-seulement un symptôme fatigant, mais encore une cause de dyspnée, on peut exercer une influence favorable sur la marche de la maladie en éloignant cette cause. Quant aux révulsifs, tels que sinapisna.es ou vésicatoires, on fait mieux d'y renoncer ou de ne les employer qu'à une période avancée de la maladie, si la résolution se fait trop lentement. L'indication symptomatique peut enfin réclamer l'emploi des narcotiques si les malades sont tourmentés par le besoin de tousser, s'ils passent des nuits agitées et sans sommeil; et la fièvre même ne doit pas nous empêcher d'ad- ministrer le soir une poudre de Dower. ARTICLE II. Pneumonie catarrhale aiguë. — Broncho-pneumonie. § 1 . Pathogénie et étiologie. Le processus catarrhal est une maladie propre aux muqueuses, et comme les alvéoles pulmonaires ne sont pas tapissés d'une muqueuse avec ses glandes, etc., le nom de pneumonie catarrhale, qu'on a donné à la maladie en question, n'est pas tout à fait juste. Cependant, comme la pneumonie catarrhale ne se développe jamais sans avoir été précédée d'une bronchite catarrhale, et comme les modifications pathologiques qui caractérisent cette 224 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. affection sont tout à fait analogues à celles de la bronchite catarrhale, nous conserverons cette désignation généralement admise. — Dans certains cas, la pneumonie catarrhale est due uniquement à l'extension du processus mor- bide de la muqueuse bronchique aux alvéoles. Cependant, dans la grande ■ majorité des cas, cette affection se développe dans du tissu pulmonaire préa- lablement collabé, circonstance qui rend plus que probable que l'affaisse- ment des alvéoles favorise beaucoup le développement de la pneumonie catarrhale. Du reste, il n'est pas étonnant que les capillaires des alvéoles col- labés soient dilatés et gorgés de sang, si l'on songe que, par suite de l'affais- sement des parois dans lesquelles ils rampent, ils doivent être plus contour- nés et décrire plus de sinuosités, et qu'en outre la déplétion des capillaires par l'évaporation de l'eau, continuellement produite dans des alvéoles rem- plis d'air, ne peut avoir lieu dans les alvéoles collabés. A cette hypérémie capillaire doivent s'ajouter, en outre, une transsudation augmentée et une excessive prolifération cellulaire. Telles sont précisément les modifications qui constituent la lésion anatomique de la pneumonie catarrhale. La pneumonie catarrhale s'observe, il est vrai, le plus souvent comme complication de la rougeole et de la coqueluche; cependant la cause pro- bable de ce fait, c'est que la bronchite capillaire s'observe beaucoup plus fré- quemment dans le cours des affections que nous venons de nommer que chez les enfants sains. En dehors de la bronchite capillaire et du collapsus pulmo- naire, on ne connaît pas d'autres causes de la pneumonie catarrhale. On peut la ranger de plein droit parmi les maladies de l'enfance, car la bron- chite capillaire, et surtout sa terminaison en collapsus pulmonaire partiel, qui constituent les états précurseurs et les périodes initiales de la pneumonie catarrhale, s'observent principalement chez les enfants. § 2. Anatomie pathologique. Tandis que la pneumonie croupale s'étend en général à tout un lobe pul- monaire ou au moins à la plus grande partie d'un lobe, la pneumonie catar- rhale atteint presque toujours quelques lobules isolés; pour cette raison, on la désigne aussi sous les noms de "pneumonie lobulaire, disséminée, en opposi- tion avec là pneumonie lobaire, croupale. Si le processus s'est développé au milieu d'un tissu pulmonaire perméable, ou ectasique, on observe dans le poumon malade, aux endroits correspon- dant aux lobules enflammés, des foyers isolés, denses, le plus souvent situés à la périphérie; dans ce dernier cas, ils ont distinctement la forme conique. Leur surface se trouve au même niveau que celle du tissu pulmonaire envi- ronnant. Au début, ils ont une teinte rouge bleuâtre qui devient plus claire et se rapproche du gris, lorsque plus tard la transsudation et la végétation PNEUMONIE CATARRHALE. 225 cellulaire prennent le dessus et que l'hypérémie disparaît. La surface de section présente un aspect lisse et homogène, et l'on n'observe aucune trace des granulations si caractéristiques de la pneumonie croupale. Si l'on com- prime latéralement un foyer enflammé, on voit sourdre sur la surface de section un liquide trouble, au début sanguinolent, plus tard gris pâle, dans lequel on reconnaît sous le microscope des cellules épithéliales nombreuses en voie de prolifération et d'autres cellules qui commencent déjà à subir la transformation graisseuse. Par la suite, ces foyers inflammatoires subissent les mêmes modifications que nous décrirons en parlant des foyers renfermés dans du tissu pulmonaire collabé. La transformation successive de l'atélectasie en pneumonie catarrhale a récemment été étudiée avec beaucoup de soin par Bartels et Ziemssen. D'après la description très-concordante de ces deux auteurs, les parties collabées du poumon présentent déjà des modifications sensibles après peu de durée (dans les cas légers, l'atélectasie se borne" aux bords inférieurs tranchants et à une zone verticale large de un à deux pouces de la partie postérieure des deux poumons; dans les cas graves et de longue durée, elle occupe souvent tout le lobe inférieur et s'étend même aux parties posté- rieures et internes du lobe supérieur). En effet, si l'on essaye d'insuffler ces portions collabées, on y réussit, il est vrai, complètement, mais il faut em- ployer une plus grande force, et ces parties insufflées ne présentent pas, omme dans les premiers jours, une teinte rouge clair, mais une teinte fon- cée d'un rouge écarlate ou de cinabre ; c'est une preuve que le contenu san- guin y est augmenté. Si cet état dure plus longtemps, les parties collabées deviennent plus volumineuses et plus résistantes, et l'on observe dans leur intérieur quelques nodosités dures de forme et de grandeur variables. Si, à cette époque, on insuffle le poumon, les nodosités persistent, tandis que le tissu environnant se distend et se remplit d'air. Lorsqu'on coupe ces foyers, on trouve constamment à leur centre une petite bronche dilatée et remplie d'une sécrétion visqueuse; la surface de section présente le même caractère que celle des foyers inflammatoires de nature catarrhale qui sont situés dans du parenchyme pulmonaire perméable. (Voyez plus haut.) — Plus tard, on voit souvent confluer un grand nombre de ces petits foyers d'infiltration et donner lieu à des épaississemenls étendus, de telle sorte qu'une grande partie des sections postérieures du poumon est transformée en une infiltra- tion dense, friable, d'une couleur rouge brun, dont on ne peut exprimer qu'en faible quantité un liquide visqueux et purulent. — Si la maladie a duré plus de temps encore, on trouve que l'infiltration brun foncé s'est dé- colorée peu à peu du centre à la périphérie, de telle sorte que les parties intérieures ont pris un aspect gris blanc, et qu'en même temps leur résis- tance est diminuée considérablement. A l'examen microscopique, on trouve la dégénérescence graisseuse des cellules plus avancée, et l'on constate la NIEMEYER. 1 — 15 226 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. présence d'un grand nombre de cellules granulées et à noyaux multiples (corpuscules de pus). Les modifications que nous venons de décrire offrent une certaine analo- gie avec l'hépatisation rouge et l'infiltration purulente que nous avons appris à connaître comme des périodes de la pneumonie croupale, à cette diffé- rence près que dans la pneumonie catarrhaïe il n'existe jamais un exsudât fibrineux, mais toujours un exsudât muqueux à côté de la prolifération cel- lulaire. — On a noté, comme terminaison rare de la pneumonie catarrhaïe, la transformation de l'infiltration purulente en abcès, tandis qu'on observe le passage à l'infiltration caséeuse beaucoup plus souvent que dans la pneumonie croupale. Enfin, il paraît que la pneumonie catarrhaïe se termine assez souvent par une néoplasie de tissu conjonctif, suivie d'imperméabilité et de ratatinement du parenchyme. Du moins., dans une série de cas où la maladie a pris une marche plus chronique, Bartels a rencontré, au lieu des modifi- cations décrites jusqu'ici, des portions considérables des lobes inférieurs qui avaient un aspect pâle, exsangue, et qui étaient d'une résistance et d'une dureté remarquables. La surface de section présentait également une teinte d'un bleu pâle et un aspect homogène, lisse et sec. Les parties pulmonaires, ainsi modifiées, ne se laissaient plus insuffler. Les bronches étaient remplies de bouchons jaunes, caséeux. Le fait le plus remarquable, c'était l'augmen- tation considérable du tissu conjonctif interstitiel. Les parties indurées étaient traversées par des cordons épais et gris blanc de tissu conjonctif qui se dirigeaient dans différents sens, et qui, par leurs nombreux entrecroise- ments, formaient un véritable lacis fibreux. Cette terminaison de la pneumo- nie catarrhaïe correspond à la terminaison de la pneumonie croupale par induration. § 3. Symptômes et marche. 11 est difficile de donner un aperçu général de la pneumonie catarrhaïe. parce que cette affection n'est jamais primitive; elle s'ajoute toujours à la bronchite capillaire ou à une de ses suites, le collapsus pulmonaire, et elle modifie ainsi plus ou moins distinctement les phénomènes qui appartiennent en propre à* ces états. En dehors des signes physiques, qui même ne sont pas- toujours caractéristiques, la manière d'être de la toux et la nature de la fièvre fournissent le point de repère le plus important pour reconnaître cette complication. On atout droit de la craindre quand les enfants malades ont peur de la toux et qu'on peut reconnaître, par leurs plaintes ou, chez les enfants plus petits, par l'expression douloureuse de leurs traits pendant la quinte, que la toux les fait souffrir. En parlant de la coqueluche, nous avons déjà fait observer que la cessation des paroxysmes de longue durée et PNEUMONIE GATARRHALE. 227 leur remplacement par des accès d'une toux brève, rude et douloureuse, constituent un symptôme très^gravè; de même, il est rare que des observa- teurs attentifs ne remarquent pas cette modification de la toux dans un ea- tarrhe morbilleux et même dans une bronchite capillaire idiopalhique. Un fait constaté par Ziemssen, et qui est d'une grande valeur au point de vue du diagnostic, c'est que la température du corps monte constamment lorsque la pneumonie catarrhale vient compliquer une bronchite catarrhale. D'après les observations de Ziemssen, la température du corps n'atteint que rarement 39 degrés centigrades dans une bronchite capillaire simple, tandis qu'elle monte souvent à 40 degrés et quelquefois plus haut, et cela dans l'espace de quelques heures, lorsque la pneumonie catarrhale se développe. Le pouls devient en même temps plus fréquent, la face se colore davantage, l'enfant a des angoisses, il est très-agité, ou bien, lorsque le cas est grave, il tombe de bonne heure dans un état d'apathie et de somnolence. — Si l'on examine la poitrine d'un enfant dont la toux est devenue douloureuse dans le cours de la rougeole, de la coqueluche ou d'une bronchite catarrhale idiopathique, et chez lequel une fièvre déjà existante augmente subitement ou (lorsque la maladie a été apyrétique jusque-là) chez lequel il se développe une fièvre très-intense, il ne faut nullement s'attendre à trouver, dès le premier ou le second jour, les signes physiques caractéristiques d'une pneumonie catar- rhale. Dans les cas où les foyers pneumoniques sont entourés de parenchyme perméable et n'atteignent pas une forte dimension, il peut même arriver que, pendant toute la durée de la maladie, ni l'auscultation ni la percussion ne fournissent de données diagnostiques. Si, au contraire, la pneumonie ca- tarrhale se développe à la suite d'une atélectasie étendue, un médecin qui a l'habitude de la percussion trouvera presque constamment au bout de quel- ques jours une matité symétrique des deux côtés de la colonne vertébrale, matité qui progresse de bas en haut, et a ceci de caractéristique qu'elle ne forme qu'une bande étroite qui ne s'avance que plus tard vers les régions latérales du thorax. Comme les parties collabées du poumon ne forment au début qu'une faible couche de tissu imperméable, il faut percuter douce- ment, par de petits coups secs, pour reconnaître la matité. Le frémissement pectoral et le bruit vésiculaire ne sont pas encore modifiés à cette époque ; tout au plus les rhonchus et les râles sous-crépitants, qui appartiennent à la bronchite capillaire, s'entendent-ils moins clairement et moins distinctement dans toute l'étendue du tissu affaissé que dans les autres parties pulmonaires. — Si le collapsus s'étend et si la portion affaissée devient plus volumineuse et plus dense par suite du développement d'infiltrations pneumoniques, la matité est plus forte, s'étend davantage en dehors, le frémissement pectoral est augmenté, la respiration vésiculaire devient bronchique , les râles , s'il en existe, ont un caractère sonore; en un mot, les symptômes fournis par l'aus- cultation et la percussion sont à ce moment les mêmes que ceux de la pneu- 228 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. monie croupale dans la période de l'hépatisation. Lorsqu'on n'est appelé à voir l'enfant qu'à cette époque, il peut devenir difficile et même impossible de reconnaître si l'on a affaire à une pneumonie croupale ou à une pneumo- nie catarrhale étendue qui s'est développée dans un tissu affaissé. (Nous l'avons répété plusieurs fois déjà, jamais l'examen physique ne peut nous fournir des données sur la nature d'un épaississement pulmonaire ou d'un épanchement pleural.) Si, au contraire, on a eu l'occasion d'observer la marche de la maladie dès le début, la distinction est en général facile; car, dans le collapsus pulmonaire et la pneumonie catarrhale, l' épaississement du poumon se montre d'une manière symétrique des deux côtés, et l'étroite bande épaissie ne s'étend que plus tard vers les régions latérales ; par contre, un épaississement unilatéral dès le début et qui s'étend de prime abord au delà des limites de l'un ou de l'autre lobe pulmonaire, parle en faveur d'une pneumonie croupale. La marche suraiguë de la pneumonie catarrhale est assez rare. Dans ces cas, la maladie peut se terminer par la mort dans peu de jours, surtout si les enfants atteints sont faibles. La face, d'abord colorée, devient pâle et livide, les lèvres prennent une teinte bleuâtre, l'oeil est terne, le regard sans éclat, l'agitation cède la place à l'apathie et à une somnolence qui ne fait qu'aug- menter, et par suite du trouble grave de la respiration, on voit survenir rapidement les suites pernicieuses de l'échange incomplet des gaz et de l'acide carbonique en excès dans le sang. — Il est tout aussi rare d'observer une disparition rapide de l'infiltration pneumonique et même, lorsque cela ar- rive, on ne verra presque jamais la fièvre cesser subitement, comme c'est constamment le cas pour la pneumonie croupale; c'est ainsi que, dans les cas douteux, la terminaison de la maladie peut servir à établir la distinc- tion entre une pneumonie croupale et une pneumonie catarrhale, suivant qu'elle a lieu par une crise plus ou moins rapide. — Bien plus souvent la pneumonie catarrhale prend une marche subaiguë et même chronique. Ce sont, avant tout, les cas qui viennent s'ajouter à la coqueluche ou à une bronchite catarrhale chronique. Dans ces circonstances, non-seulement les épaississements se forment, en général, d'une manière lente et successive, mais ils restent encore très-longtemps stationnaires, souvent pendant des semaines entières; les enfants maigrissent à l'extrême, jusqu'à ce qu'enfin la mort survienne au milieu des symptômes décrits, ou bien encore qu'il se produise une résolution de l'infiltration et une guérison complète à un moment où l'on n'ose presque plus l'espérer. — Les symptômes qui appar- tiennent aux terminaisons de la pneumonie catarrhale en abcès, en infiltra- tion tuberculeuse et en induration, ne se distinguent pas de ceux qui accompagnent ces différentes terminaisons de la pneumonie croupale. PNEUMONIE INTERSTITIELLE. 229 § U. Traitement. On comprend facilement que, lorsque la bronchite capillaire s'est étendue delà muqueuse des bronches aux alvéoles et s'est transformée en pneumo- nie catarrhale, le traitement doit, en général, être le même que celui que nous avons décrit en parlant de la première de ces deux affections. Ceci s'applique surtout aux saignées locales et générales. D'après les nouvelles observations de Bartels et de Ziemssen, dans ces cas encore elles ne sont jamais d'une utilité essentielle, tandis qu'elles peuvent être très-nuisibles en diminuant les forces du malade, en affaiblissant l'énergie des inspira- tions et en favorisant ainsi l'extension du collapsus pulmonaire. — Je me contenterai de rappeler ici l'utilité, malheureusement trop souvent passa- gère, des vomitifs et leur fréquent insuccès. — J'ai vu avec satisfaction que Bartels et Ziemssen recommandent instamment dans la pneumonie catar- rhale, comme la méthode curative la plus efficace, les applications de compresses froides sur la poitrine, que j'ai recommandées dans la pneu- monie croupale. ARTICLE III. Pneumonie chronique interstitielle. — Induration du poumon. Cavernes bronchiectasiques. § 1. Pathogénie et étiologie. Le poumon à l'état sain ne renferme que peu de tissu conjonctif, qui d'un côté, contribue, avec les nombreuses fibres élastiques, à former les cellules pulmonaires; de l'autre, réunit entre eux les différents lobules pul- monaires, ou appartient aux parois des vaisseaux et des bronches. Dans un grand nombre de cas, nous trouvons, au lieu de ces vestiges de tissu conjonc- tif, des portions étendues du poumon transformées en un tissu fibreux, calleux. Cet état est la conséquence d'une pneumonie interstitielle chroni- que qui doit être rangée parmi les maladies les plus fréquentes. Dans la pneumonie chronique, il ne se forme pas d' exsudât libre dans les alvéoles ou leurs interstices (nous faisons abstraction ici de la forme, que nous décrirons à part, dans le chapitre de la phthisie pulmonaire, sous le nom d'infiltration caséeuse). Dans les pneumonies croupales et catarrhales, le tissu du poumon ne subit pas des troubles nutritifs, tandis que, dans la forme chronique en question, ce sont précisément les parois interalvéolaires et interlobulaires qui sont atteintes de troubles nutritifs inflammatoires. Ces troubles consistent en une hyperplasie du tissu conjonctif, qui produit une 230 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. augmentation de volume de la charpente aux dépens des espaces remplis d'air, un èpaississement du poumon. Le jeune tissu conjonctif, qui rend le poumon plus dense, subit par la suite les mêmes modifications que les au- tres masses conjonctives développées sous l'influence d'une végétation in- flammatoire. Tandis qu'au début il est mou et très-vasculaire, il subit plus tard un ratatinement ei est transformé en un tissu calleux dépourvu de vaisseaux, qui prend moins de place qu'auparavant le parenchyme sain. La pneumonie chronique interstitielle ne se montre presque jamais comme une maladie primitive, idiopathique; même dans les cas intéressants de cette maladie qu'on observe à la suite de la respiration de poudre de fer ou de charbon, l' èpaississement calleux du parenchyme pulmonaire n'est pas une conséquence immédiate de la respiration de ces substances irritantes, mais ne vient s'ajouter que consécutivement à la bronchite provoquée par ces causes. Nous avons appris à connaître la pneumonie interstitielle : 1° comme une complication des pneumonies croupales et catarrhales de longue durée, et nous avons montré que c'était à cette complication qu'il fallait attribuer la termi- naison de ces inflammations aiguës par induration du poumon. 2° Le collapsus pulmonaire simple paraît aussi pouvoir parfois être suivi d'une végétation inflammatoire du tissu interstitiel et de sa terminaison par induration du poumon. 3° Le dépôt de tubercules et bien plus encore le ramollissement de foyers tuberculeux, le développement du tissu cancéreux dans le poumon, l'infarctus hémorrhagique, l'apoplexie pulmonaire, l'abcès du poumon conduisent à la pneumonie interstitielle avec exsudât «nutritif ». (Virchow.) C'est cette der- nière qui donne lieu aux enveloppes fibreuses qui séparent ces produits ou les résidus de ces processus du tissu pulmonaire normal. U° La pneumonie interstitielle complique assez souvent la bronchite chro- nique; dans ces cas, elle se développe dans le voisinage immédiat des bron- ches, mais de là elle peut s'étendre plus loin et donner lieu à des épaissis- sements considérables du poumon. La formation des bronchiectasies à la suite de la pneumonie chronique interstitielle est facile à expliquer. Le vide formé dans le thorax par le rata- tinement du poumon doit disparaître sous l'influence de la pression atmos- phérique. La paroi thoracique s'affaisse autant qu'elle peut, mais, par suite de la structure du thorax, cet affaissement a des limites assez restreintes, et il se formerait un vide dans le thorax, si les bronches n'étaient pas dilatées par la pression [de l'air atmosphérique. Ordinairement on exprime ce pro- cessus par d'autres termes, en disant que le tissu pulmonaire en voie de ratatinement exerce une traction sur les parois bronchiques, dilate les bron- ches et les transforme en larges canaux ou en vastes excavations. Mais la traction que le tissu conjonctif, en voie de ratatinement, exerce PNEUMONIE INTERSTITIELLE. 231 sur la surface externe de la paroi bronchique, n'est pas l'unique cause des bronchiectasies. L'existence de dilatations diffuses et sacciformes au milieu d'un tissu pulmonaire simplement affaissé, ou même tout à fait perméable, nous force de rattacher le développement de certaines bronchiectasies à •d'autres causes. Malheureusement, les conditions en question sont très-com- pliquées, et elles sont loin d'être suffisamment éclaircies, malgré les recher- ches excellentes de Biermer sur la pathologie et l'anatomie des dilatations bronchiques. Qu'il nous suffise donc de rappeler brièvement que, dans cer- tains cas, c'est la pression d'un liquide en stagnation sur la surface interne de la paroi bronchique, surtout quand la résistance de cette dernière est diminuée, qui augmente le calibre de la bronche; que, dans d'autres cas, les bronchiectasies se montrent peut-être sous l'influence de la pression atmosphérique pendant l'inspiration, lorsque certaines parties du poumon ne peuvent pas se développer; dans ces circonstances, d'autres parties sont dilatées outre mesure par voie de compensation. Si, dans ces cas, la résis- tance des parois bronchiques est relativement moindre que celle du tissu pulmonaire, ou bien si une obturation des plus petites bronches, ou un autre obstacle, rend l'expansion des alvéoles plus difficile, il paraît que des bron- chiectasies compensatrices peuvent se développer au lieu de l'emphysème supplémentaire. — Enfin, il est possible que certaines bronchiectasies reconnaissent la cause suivante : pendant les violents accès de toux, la colonne d'air est poussée, dans une direction centripète, des alvéoles dans les bronches du lobe supérieur, elle dilate par pression les endroits les moins résistants de la paroi bronchique et produit des bronchiectasies au lieu d'un emphysème pulmonaire. § 2. Anatomie pathologique. On a rarement l'occasion d'observer la pneumonie interstitielle avant qu'elle se soit terminée par ratatinement. Dans ces cas, on trouve le paren- chyme plus dense et vide d'air, par suite du gonflement des parois alvéo- laires et du mince tissu interalvéolaire et interlobulaire; au commencement, il est rouge et hypérémié ; plus tard, il est pâle et d'une couleur bleu grisâ- tre. Dans plusieurs cas, où l'on a trouvé à la base du poumon des cavernes bronchiectasiques dans un tissu calleux, j'ai eu l'occasion d'observer au milieu du parenchyme pulmonaire perméable des bandes étendues d'une substance homogène, rouge pâle, qui consistait en jeune tissu conjonctif. Beaucoup plus souvent on trouve les lésions qui répondent aux dernières périodes de la maladie, c'est-à-dire, des traînées blanchâtres ou pigmentées de noir, dures, criant sous le scalpel, ou des masses informes de même nature, incrustées dans la substance pulmonaire ; elles entourent des tuber- cules existant depuis longtemps et déjà transformés en matière caséeuse, des 232 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. cavernes tuberculeuses, des abcès anciens, des concrétions calcaires qui se trouvent dans le poumon comme résidus de ces derniers ; lorsqu'une pneu- monie croupale s'est terminée par induration, des lobes entiers peuvent se trouver transformés en ce tissu calleux, noirâtre. A l'autopsie d'individus qui ont travaillé pendant longtemps dans les houil- lères, ou qui dans d'autres industries ont respiré de la poussière de charbon, on trouve assez souvent une coloration noir foncé du poumon et des gan- glions bronchiques. D'après des recherches modernes, il devient évident que cette coloration est due à des particules de charbon qui ont pénétré dans le tissu. En général, le tissu pulmonaire ne souffre nullement de cette pénétra- tion de poussière charbonneuse, et il y a des cas où Yanthracose, c'est-à-dire la coloration noire produite par le charbon, est la seule anomalie qu'on rencontre dans le poumon. Dans d'autres cas, la coloration noire est com- pliquée d'une pneumonie interstitielle partant des parois des bronches et s' étendant souvent au loin ; dans d'autres cas encore, on trouve dans le tissu induré des cavernes qui sont évidemment des bronehiectasies sup- puré es. Zenker a prouvé, dans son excellent ouvrage, que la respiration continue de poudre ferrugineuse donne également lieu à une affection du poumon,, qui ressemble, par ses caractères essentiels, à l'anthracose, et qui ne diffère de cette dernière que par la nature de la poussière respirée et par la colora- tion du poumon qui, au lieu d'être noir, est rouge brique. Dans un des cas de cette maladie, pour laquelle Zenker propose le nom de sidérose ou pneu- monokoniosis siderotica (!), l'oxyde de fer, pénétré dans le poumon, avait également donné lieu à une induration étendue et à la formation de cavernes. Rokitansky décrit de la manière suivante la dilatation sacciforme des bron- ches : « On trouve une bronche dilatée et transformée en un sac fusiforme ou rond ; dans cette dernière forme, la dilatation prédomine très-souvent dans une direction, et la plus grande partie du sac bronchique tombe en dehors de l'axe de la bronche. Le volume de pareilles poches peut, dans quelques rares cas, atteindre celui d'un œuf de poule, ordinairement elles peuvent contenir un haricot, une noisette ou une noix. On trouve quelque- fois l'une ou l'autre bronche dilatée en forme de sac, et le calibre normal en est conservé en deçà et au delà de la poche ; d'autres fois, toute une sec- tion de la division bronchique participe à la dilatation ; enfin, on trouve un grand nombre de sacs de différente grandeur réunis de telle sorte qu'ils forment, pour ainsi dire, une grande cavité sinueuse et à nombreuses rami- fications, cavité dont les différents compartiments sont limités et séparés les uns des autres par des replis de la paroi bronchique qui s'avaneentvers. l'intérieur sous forme de rebords ou de valvules. » La surface interne des cavités bronchiectasiques est d'abord lisse, les. PNEUMONIE INTERSTITIELLE. 233 cryptes muqueux sont devenus plus plats et ont en partie disparu sous l'in- fluence de la distension excessive de la muqueuse. Comme de cette façon la muqueuse a perdu de plus en plus son caractère et est devenue semblable à une séreuse, la sécrétion des cavernes bronchiectasiques est, au début, semblable à celle des séreuses : on y rencontre un liquide vitreux, ressem- blant à la synovie, comme c'est le cas pour la vésicule biliaire qui a subi une distension excessive et pour l'appendice vermiculaire quand l'orifice en est. bouché. Mais, plus tard, la paroi interne perd souvent son aspect lisse et le contenu de ces cavités se modifie. La sécrétion ne peut que très-difficilement être évacuée à cause de la nature calleuse du parenchyme environnant, surtout si la caverne bronchiectasique a son siège dans les lobes inférieurs. Exposée de cette façon au contact de l'air et à- une température élevée, elle commence à se putréfier, est transformée en un ichor fétide d'un jaune sale qui exerce très-souvent une action corrosive sur les parois ; ces dernières sont transformées en eschares et perdent leur aspect lisse. Lorsque ces eschares se détachent, on voit fréquemment survenir de fortes hémorrha- gies. — Dans d'autres cas, le contenu septique des cavernes bronchiectasi- ques donne lieu à des inflammations ou à la putrescence diffuse du poumon. Dans les cas les plus rares, la bronche afférente d'une caverne s'oblitère et le contenu peut s'épaissir et se transformer en une masse caséeuse ou une bouillie crétacée. § 3. Symptômes et marche. Il est presque impossible de reconnaître la pneumonie interstitielle dans sa première période. Si la résolution d'une pneumonie croupale traîne en longueur, si, après des semaines, on trouve encore de la matité, une respira- tion bronchique ou indéterminée, on peut supposer que la pneumonie crou- pale se terminera par induration, surtout lorsque le malade n'a pas de fièvre, qu'il se remet peu à peu, ce qui permet d'exclure la terminaison par infil- tration caséeuse. Ce n'est que lorsque le thorax commence à s'affaisser à l'endroit correspondant, ou que les signes de cavernes bronchiectasiques viennent à s'y ajouter, alors seulement on peut diagnostiquer la maladie avec sûreté. 11 en est de même de la pneumonie interstitielle qui accompagne la tuberculose et l'infiltration caséeuse du poumon. Comme cette complication est presque constante, on peut dire avec une grande vraisemblance qu'une matité au sommet du poumon, qui se montre dans le cours d'une phthisie, est due en partie à la forme en question de la pneumonie chronique. Si, chez un malade atteint de phthisie, les régions sus et sous-claviculaire sont affaissées, ce symptôme doit être attribué uniquement à la pneumonie interstitielle, terminée par induration, car ni le dépôt de tubercules, ni l'in- 234 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. filtration caséeuse, ni la fonte du tissu pulmonaire, ni la formation de ca- vernes ne diminuent le volume du poumon et ne produisent l'affaissement du thorax. Si ce symptôme qu'on a grcmd tort de ranger si souvent parmi les signes pathognomoniques de la phthisie, se rencontre chez beaucoup de phthisiques, c'est que les processus qui détruisent le poumon sont compli- qués, à peu près constamment, par des pneumonies chroniques qui amènent l'induration et le ratatinement du tissu pulmonaire. Si la pneumonie interstitielle se joint à la bronchite chronique et qu'en même temps il existe de l'emphysème, le thorax s'affaisse plus rarement, et dans ce cas les accès de toux et les crachats caractéristiques des cavités à parois rigides sont souvent les seuls points sur lesquels on puisse établir un diagnostic. Aux phénomènes précités viennent s'ajouter, si le processus a quelque extension, les symptômes de dilatation et d'hypertrophie du cœur droit, et, plus tard, lorsque l'hypertrophie cardiaque ne suffit plus pour compen- ser l'obstacle à la circulation, on verra survenir la teinte cyanose des lèvres, la bouffisure de la face, le gonflement du foie et enfin l'hydropisie, tous symptômes que nous avons appris à connaître comme étant également les conséquences de l'emphysème. La présence de ces phénomènes s'explique facilement : le cœur droit ne peut pas se désemplir parce qu'un grand nombre de capillaires pulmonaires sont devenus imperméables. Ce n'est que dans les indurations pulmonaires associées à la phthisie que la cyanose est rare, quoique dans ce cas il existe dans le poumon un double obstacle à la circulation ; ce fait dépend de ce que la disparition de capillaires pulmo- naires coïncide avec la diminution de la masse sanguine sous l'influence de la fièvre hectique, etc. S'il est facile, dans certains cas, de reconnaître sûrement la présence dans le poumon de cavernes bronchiectasiques, il en est d'autres où ce dia- gnostic est difficile. Les symptômes qu'on donne ordinairement comme pa- thognomoniques des cavernes bronchiectasiques ne se rapportent qu'aux cas où la maladie n'est pas compliquée par la tuberculose et l' infiltration caséeuse, et où les cavités ont leur siège dans les lobes inférieurs. Les ca- vernes bronchiectasiques qui se sont formées au sommet du poumon à côté de cavernes tuberculeuses ne peuvent pas toujours être distinguées de ces dernières à l'autopsie, à plus forte raison pendant la vie. Il est facile de se rendre compte du tableau morbide que présentent les cavernes bronchiecta- siques des lobes inférieurs, quand on réfléchit que le contenu des cavernes situées à ces endroits déclives ne peut être évacué qu'avec de grandes diffi- cultés. Tandis que le contenu liquide des cavernes siégeant au sommet du poumon peut s'écouler facilement par les bronches, dirigées obliquement vers en bas, un pareil écoulement des cavernes bronchiectasiques situées dans les lobes inférieurs ne peut pas se faire ou ne se fait que dans des posi- PNEUMONIE INTERSTITIELLE. 335 lions déterminées du corps par les bronches dirigées obliquement vers en haut. (Il y a des cas où le contenu épais, jaune verdâtre, putride des caver- nes bronchiectasiques s'écoule en grande quantité par la bouche, même avant que les malades toussent ; il suffit qu'ils se baissent ou que, couchés •dans leur lit, ils fassent pencher en bas et sur le côté la partie supérieure du corps.) L'évacuation difficile et le plus souvent incomplète des cavernes bronchi- ectasiques situées dans les lobes inférieurs, aidée par d'autres causes incon- nues encore, fait que le contenu subit souvent la décomposition putride. Les crachats putréfiés qui proviennent des cavernes bronchiectasiques répan- dent, surtout au moment où ils sont expectorés, une odeur très-pénétrante et fétide; ils sont moins visqueux que la plupart des crachats catarrhaux, renferment souvent des bouchons caséeux, dans lesquels on découvre des faisceaux de cristaux de margarine ; ils se séparent dans le crachoir en trois couches : une couche supérieure écumeuse, une moyenne terne et d'un gris blanc, et une inférieure formant un dépôt épais d'un gris verdâtre ; en un mot, ces crachats sont les mêmes que ceux qu'on rencontre dans les bron- chiectasies diffuses et dans la bronchite putride. (Voy. le chapitre : Catarrhe bronchique.) Néanmoins dans la plupart des cas il est facile de reconnaître si l'on a affaire à des cavernes bronchiectasiques ou aux états morbides que nous venons de citer. Dans ces dernières affections, la toux se montre par petits intervalles, et tous les crachats rejetés par les malades sont de même nature. Par contre, les malades atteints de cavernes bronchiectasiques vous racontent, souvent sans qu'on le leur demande, « qu'ils ont deux espèces de toux », et, en effet, il se passe souvent des heures, des journées même pen- dant lesquelles les malades ne toussent que très-peu et expectorent sans peine une faible quantité de crachats catarrhaux, puis survient un accès de toux violent pendant lequel sont rejetées en peu de temps d'énormes quan- tités de ces crachats putrides dont nous avons parlé. Si l'accès est passé, le malade est de nouveau tranquille pendant un temps assez long ; le crachoir reste vide pendant six à huit heures, ou bien son fond est couvert de quel- ques crachats muqueux, jusqu'à ce qu'un nouvel accès le remplisse jus- qu'au bord. Les parois des cavernes bronchiectasiques semblent être assez insensibles, et leur irritation par la sécrétion décomposée ne parait pas pro- voquer la toux. Ce n'est que lorsque la cavité s'est remplie et qu'une partie de son contenu arrive dans les bronches avoisinantes qui ont conservé leur sensibilité normale, que prennent naissance ces accès de toux violents. — On peut, dans tous les cas, avancer que des accès de toux violents, qui se répè- tent à des intervalles assez longs, et à la suite desquels so?it rejetées de très-grandes quantités de crachats fétides, constituent un symptôme pathognomonique des cavernes bronchiectasiques . Aux symptômes que nous avons décrits jusqu'ici s'ajoutent, dans la plu- 236 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. part des cas, des phénomènes cyanotiques prononcés et, plus tard, l'hydro- pisie. D'un autre côté, dans lesbronchiectasies existant depuis longtemps, je n'ai presque jamais vu faire défaut le gonflement en forme de massue des dernières phalanges, qui d'habitude se montre dans la cyanose de longue durée. Mais ces symptômes de stase ne dépendent pas directement de la bronchiectasie, mais de l'induration pulmonaire concomitante. (Voyez plus haut.) Voilà pourquoi on les voit manquer dans les cas, rares il est vrai, où les bronchiectasies ne sont pas accompagnées d'indurations étendues du poumon. L'examen physique donne très-souvent des résultats caractéristiques lorsque les bronchiectasies touchent la paroi thoracique. Si le tissu pulmonaire qui entoure les cavernes est épaissi et ratatiné, le thorax est devenu plus petit à l'endroit correspondant, le son de la percussion est très-mat, la résistance au doigt très-augmentée. A l'auscultation, on entend, lorsque les malades n'ont plus toussé depuis longtemps, une respiration faible, indéterminée, ou bien des râles indéterminés. Si l'on engage les malades à tousser et s'ils expectorent, à la suite des efforts qu'ils font, une énorme quantité de cra- chats, on entend souvent à la même place, ou quelques instants auparavant la respiration était faible et indéterminée, un souffle bronchique très- marqué ou des bruits caverneux. — En opposition avec ces cas, il y en a d'autres où l'examen physique ne fournit aucune donnée pour fixer le dia- gnostic, parce que les cavernes sont situées plus au centre du poumon et entourées de parenchyme pulmonaire rempli d'air ; mais malgré l'absence des signes physiques d'une caverne, il faut s'arrêter résolument à ce dia- gnostic si les malades rejettent en peu de minutes et sans qu'une grande dyspnée ait précédé, un quart et jusqu'à un demi-litre de crachats puru- lents. Ces masses énormes ne peuvent provenir que d'une grande cavité, parce que leur présence dans les bronches aurait produit une dyspnée très- considérable ou aurait même rendu la respiration impossible. § U. Diagnostic. La distinction entre une diminution et un épaississement du parenchyme pulmonaire à la suite d'une pneumonie interstitielle et entre ces mêmes états résultant d'une compression de longue durée, peut devenir très-difficile. Après les deux processus, le thorax s'affaisse, le cœur, le foie et la rate sont déplacés, et souvent les commémoratifs peuvent seuls résoudre la question. Quand on ne peut pas découvrir si c'est une pneumonie ou une pleurésie qui a précédé, le diagnostic reste souvent obscur, quoique la pneumonie interstitielle donne beaucoup plus facilement naissance à la formation de bronchiectasies qu'une compression pulmonaire de longue durée. Pour distinguer les cavernes bronchiectasiques des cavernes provenant PNEUMONIE INTERSTITIELLE. 237 d'une phthisie pulmonaire, il faut prendre en considération, en dehors de la différence du siège, les points suivants : 1° Les malades affectés de bron- chiectasies n'ont généralement pas de fièvre, et c'est à cette circonstance qu'ils doivent que leurs forces sont souvent conservées pendant longtemps dans un état satisfaisant et qu'ils ne maigrissent que faiblement; 2° chez les malades porteurs de cavernes bronchiectasiques on voit rarement se déve- lopper des affections secondaires du larynx et de l'intestin; dans les cas dou- teux, ,1' enrouement et les diarrhées parlent donc en faveur de la nature tuberculeuse de l'affection pulmonaire, qui, du reste, n'exclut pas l'exis- tence sinmltauée de bronchiectasies ; 3° les cavernes bronchiectasiques sont si fréquemment compliquées d'emphysème, que la présence d'un em- physème considérable milite pour la bronchiectasie, lorsqu'il s'agit de la différencier des cavernes dépendant de la phthisie pulmonaire. § 5. Pronostic. Comme la pneumonie interstitielle n'est presque jamais une maladie idio- pathique, le pronostic dépend essentiellement de l'affection primitive. Cela s'applique surtout aux cas où la maladie s'ajoute à la tuberculose. Souvent de grandes étendues du poumon restent imperméables à la suite des pneu- monies chroniques ou en coïncidence avec le catarrhe chronique des bron- ches et l'emphysème, sans exposer pendant longtemps la vie du malade, lors même que des cavernes bronchiectasiques se sont formées ; ce n'est que plus tard que les malades succombent au marasme et à l'hydropisie. Dans d'autres cas, la vie est mise subitement en danger par des hémorrhagies provenant de la paroi de la caverne, ou par des pneumonies, ou par une gangrène diffuse du poumon. § 6. Traitement. Lorsque la pneumonie interstitielle est arrivée à la période où l'on peut la reconnaître, il est tout aussi impossible de faire quelque chose pour la guérir, qu'il est difficile de ramollir et de résoudre un tissu cicatriciel quelconque. Nous ne pouvons pas davantage pour favoriser l'occlusion et l'imperméabilité des cavernes bronchiectasiques. — Il ne reste donc plus qu'une chose, c'est de favoriser Y évacuation de ces cavernes, pour que la sécrétion fétide ne pro- voque pas sur une grande étendue la corrosion des parois ou du parenchyme pulmonaire. Une seconde indication, c'est de diminuer la sécrétion, soit dans les cavernes bronchiectasiques elles-mêmes, soit dans les bronches qui com- muniquent avec ces dernières. Ces deux indications seront le mieux rem- plies par les inhalations d'huile de térébenthine dont nous avons déjà parlé (page 99) ; nous avons dit alors que ce procédé diminue réellement la 238 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. sécrétion; d'un autre côté, on peut se convaincre facilement que ces inha- lations sont presque toujours suivies de violents accès de toux qui vident lés bronchiectasies. Ces inhalations doivent être répétées trois ou quatre fois par jour. J'ai vu des malades qui se trouvaient dans une position déses- pérante revenir, après ce procédé, pour longtemps à un état très-satis- faisant. CHAPITRE VIII. » Gangrène pulmonaire. § 1. Pathogénie et étiologie. Jusqu'ici, nous avons appris à connaître dans le poumon des processus de mortification de différentes espèces. Ainsi, entre autres, nous avons vu la pneumonie se terminer par une formation d'abcès, l'infarctus hémorrha- gique par une désagrégation du parenchyme. La gangrène du poumon se distingue de ces formes de mortification parce que les parties mortifiées se putréfient, qu'elles se décomposent selon les lois chimiques. La putréfac- tion, la décomposition de parties mortifiées, nécrosées, se montre le plus souvent dans les organes qui sont exposés à l'accès de l'air, tels que la peau et le poumon, tandis que dans le cerveau, dans le foie, la rate, il est difficile que les parties mortifiées se décomposent, aussi longtemps qu'elles sont entourées de leurs enveloppes naturelles. Le passage de la nécrose à la gangrène est principalement favorisé par le contact avec le tissu mortifié d'un ferment qui le prédispose à la décomposition. \° Ceci explique comment Y infarctus hémorrhagique, venant compliquer les maladies du cœur, peut entraîner une gangrène circonscrite du poumon dans les cas où le sang ne peut plus arriver, même par les vaisseaux nutritifs, c'est-à-dire les artères bronchiques ; mais on comprend que cette terminai- son doit avoir lieu bien plus fréquemment lorsqu'un foyer métastatique a été produit par une embolie provenant d'un foyer gangreneux. 2° La gangrène diffuse du poumon se développe dans quelques rares cas pen- dant la pneumonie arrivée au summum d'intensité, quand la stase inflam- matoire est absolue et qu'aucun échange de sang, aucune nutrition n'a lieu dans les parties enflammées ; lorsque la stase dans les capillaires entraîne des coagulations dans les artères bronchiques, cette transformation est favo- risée. Ce sont, avant tout, les pneumonies développées à la suite de la péné- tration d'aliments ou de restes d'aliments dans les voies aériennes, qui se h-ansforment facilement en gangrène diffuse, parce que ces substances se décomposent. GANGRENE PULMONAIRE. 23-9 La gangrène diffuse est souvent due à ce que le contenu putride des bron- ehiectasies diffuses ou sacciformes corrode le parenchyme environnant et l'entraîne pour ainsi dire clans le mouvement de décomposition. Dans ces cas, la gangrène peut être précédée ou non d'inflammation du poumon. Il est difficile de s'expliquer le développement de la gangrène pulmonaire diffuse chez les buveurs et chez les individus dont la constitution a été affai- blie à l'extrême par la misère et le manque de nourriture, de même que la fréquence de cette maladie chez les aliénés, lors même qu'aucun corps étranger n'a pénétré dans les bronches ; enfin, son apparition dans le cours de fièvres asthéniques graves, dans le typhus, la rougeole, la variole. Il pa- raîtrait, en effet, que, clans les parties qui ont déjà été altérées dans leur nutrition par des troubles antérieurs, un nouveau trouble des tissus par l'inflammation serait suivi facilement de la mortification complète des par- ties malades. (Virchow.) § 2. Anatomie pathologique. On distingue depuis Laennec deux formes de gangrène pulmonaire, la gangrène circonscrite et la diffuse. 1° La gangrène circonscrite est la forme la plus fréquente. Nous trouvons à quelques endroits isolés, de l'étendue d'une noisette à celle d'une noix, le parenchyme transformé en une eschare fétide, humide, visqueuse, brun verdàtre, semblable à l'eschare produite sur la peau par la potasse caustique. Elle est nettement limitée et n'est entourée que de tissu œdémateux. Ce foyer mortifié, offrant au début encore assez de cohésion et adhérant solide- ment aux tissus avoisinants, se transforme bientôt en un liquide ichoreux qui ne contient plus qu'à son centre un bouchon dur d'un vert noirâtre, mêlé avec des restes de tissu friables et déchiquetés. Le siège de prédilection de la gangrène circonscrite est la périphérie du poumon, surtout dans les lobes inférieurs. Assez souvent une bronche s'abouche au foyer gangreneux, le liquide ichoreux s'est introduit dans ce conduit, et Tony constate le déve- loppement d'une bronchite intense. Dans quelques cas, la plèvre est également gangrenée, le tissu mortifié se ramollit, le liquide ichoreux s'écoule dans la cavité pleurale et une pieu- rite grave prend naissance ; si le foyer communique en même temps avec une bronche, on rencontre un pyopneumothorax. Quelquefois, la gangrène circonscrite donne lieu à la gangrène diffuse du poumon ; clans d'autres cas, on constate des hémorrhagies par suite de la corrosion des vaisseaux. Ce n'est qu'exceptionnellement qu'il se forme autour de l'endroit sphacélé une pneumonie interstitielle qui empêche le foyer gangrené de s'étendre; dans ces cas, les masses mortifiées sont expectorées, il se fait une cicatrisation semblable à celle que nous avons décrite en parlant de l'abcès du poumon. 240 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. 2° La gangrène diffuse frappe assez souvent tout un lobe; nous trouvons alors le parenchyme décomposé et transformé en un tissu putride, noirâtre, friable, ressemblant à l'amadou, imbibé d'un ichor gris noir ; le processus n'est pas nettement limité, comme dans le cas précédent, mais il passe in- sensiblement au parenchyme environnant qui est œdémateux ou hépatisé. Si la gangrène s'étend jusqu'à la plèvre, celle-ci est également détruite. La guérison ne s'observe pas dans ces cas, car le malade succombe à l'état général. Les deux formes de gangrène peuvent donner lieu à l'introduction de tissu mortifié dans les veines, à l'embolie, et à des abcès métastatiques dans les différents organes de la grande circulation. § 3. Symptômes et marche. Nous avons dit précédemment que les signes de l'infarctus hémorrhagique et des foyers métastatiques dans le poumon sont le plus souvent très-obscurs. Il en est de même de la gangrène pulmonaire circonscrite qui se développe à la suite d'infarctus hémorrhagiques ou de foyers métastatiques. Le plus sou- vent, on ne peut pas la diagnostiquer avant que la matière ichoreuse soit arrivée dans une bronche et expectorée. Alors, l'odeur cadavéreuse de la respiration, les crachats gris noir, liquides, également très-fétides, ne lais- sent plus de place au doute. Quelquefois, l'odeur fétide de la respiration précède de quelques jours l'expectoration caractéristique. Les crachats dans la gangrène pulmonaire se séparent bientôt, comme ceux qui proviennent des cavernes bronchiectasiques, en plusieurs couches : une couche supé- rieure écumeuse, une couche moyenne très-liquide et un fond épais. 1/ ex- pectoration est de couleur noirâtre, brunâtre, sale; elle renferme des masses semblables à l'amadou et pigmentées en noir, et souvent des bouchons blancs qui renferment des cristaux de cholestérine ; dans quelques cas rares, on y rencontre aussi des fibres élastiques. Quelquefois l'examen physique donne également des points de repère ; le son de la percussion devient tympanitique, plus rarement mat ; dans quelques cas, on entend des bruits caverneux. Certains malades sont atteints dès le début d'une grande prostration ; leur figure est décomposée, livide, leur pouls petit et très-fréquent ; ils succom- bent de bonne heure à une fièvre « asthénique, putride »; d'autres suppor- tent très-bien cette grave atteinte de l'organisme ; leur état général n'est presque pas troublé, ils se promènent, n'ont pas de fièvre, et la maladie traîne pendant des semaines. Dans ces cas, des hémorrhagies qui épuisent les malades peuvent se montrer par la suite, ou bien il se développe plus tard une fièvre asthénique qui finit par emporter le malade, après qu'il s'est trouvé pendant longtemps tantôt mieux, tantôt plus mal. — S'il guérit, ce GANGRENE PULMONAIRE. 241 qui, du reste, est rare, l'odeur des crachats disparaît, ces derniers devien- nent peu à peu jaunes, et l'expectoration peut cesser tout à fait, si le foyer gangreneux s'est enkysté et isolé. Lorsque la gangrène diffuse se développe à la suite d'une pneumonie, on observe dans le cours de cette dernière une perte subite des forces, un pouls petit et irrégulier, une figure décomposée, et bientôt viennent s'ajouter à ces symptômes une respiration fétide et des crachats noirâtres, diffluents, d'une odeur pénétrante. Si la gangrène diffuse se montre sans avoir été précédée, de pneumonie, on remarque dès le début une adynamie considérable et des symptômes tels qu'on les observe à la suite de la pénétration de substances septiques dans le sang : frissons, délire, stupeur, hoquet, etc. Dans cet état, l'expectoration cesse souvent complètement, soit que la muqueuse bron- chique ait été également atteinte de gangrène et ait perdu sa sensibilité, soit que les malades soient devenus insensibles à toute espèce d'irritation; à cette période, ils avalent souvent les crachats qui sont arrivés dans l' arrière-gorge et sont atteints parla de fortes diarrhées. L'.examen physique donne, dans la gangrène diffuse, un son le plus sou- vent tympanitique au début, plus tard le son devient mat. Pendant l'ausculta- tion, on entend une respiration indéterminée et des râles; plus tard, des bruits bronchiques ou même caverneux. § h. Traitement. Le traitement de la gangrène pulmonaire est assez impuissant. Les inha- lations de vapeurs térébenthinées, recommandées par Skoda, méritent d'être prises en considération, parce qu'elles sont prônées par une autorité qui s'est fait remarquer par son scepticisme en matière thérapeutique. Il paraît douteux qu'elles soient utiles contre les formes de gangrène pulmonaire autres que celle qui se développe dans le voisinage des cavernes bronchiecta- siques. Une nourriture fortifiante, du vin, des décoctions de quinquina, des excitants, sont quelquefois réclamés par l'état général, mais ces moyens ne peuvent rien contre la gangrène pulmonaire; il en est de même de l'acétate de plomb, de la créosote, du charbon. I — 16 242 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. CHAPITRE IX. Tuberculose du poumon. L'expression de tuberculose pulmonaire est toujours encore le terme le plus usité pour désigner la phthisie pulmonaire ; c'est une preuve que la plupart des médecins et des cliniciens de nos jours sont encore attachés à la doctrine de Laennec et n'admettent qu'une forme de phthisie pulmonaire : la phthisie tuberculeuse. Depuis longtemps je combats cette doctrine, et dans maintes occasions j'ai dû soutenir, en opposition directe avec cette théorie, que des processus inflammatoires chroniques conduisent beaucoup plus souvent que le tubercule à la fonte du tissu pulmonaire, à la formation de cavernes, à la phthisie pulmonaire. J'espère que cette nouvelle manière d'interpréter les faits finira par être admise généralement, et l'on peut facilement se con- vaincre de sa justesse si l'on veut examiner les choses sans préjugé. L'erreur dans laquelle Laennec et ses successeurs étaient tombés ne con- sistait nullement dans le fait d'avoir considéré le tubercule comme une néo- plasie, mais d'avoir regardé comme produits d'un développement tubercu- leux les indurations du tissu pulmonaire qui ont une tout autre origine. D'après la théorie actuelle, le tubercule appartient également aux néoplasies pathologiques, mais on n'admet plus qu'une espèce de tubercule, le tubercule miliaire, et qu'une forme de tuberculose, la tuberculose miliaire. Un des traits caractéristiques du tubercule, c'est qu'il ne se montre que sous la forme de petites nodosités qui ont à peine le volume d'un grain de millet, et que les différentes nodosités ne se développent jamais au point de devenir des tumeurs volumineuses. Les tubercules plus grands sont des conglomérats d'un grand nombre de petits tubercules miliaires. — Toutes les indurations et tumeurs homogènes considérables, qu'on appelait dans le temps infiltra- tions tuberculeuses ou tubercules infiltrés, ne dépendent ni d'une infiltration des tissus par de la masse tuberculeuse, ni d'une végétation tuberculeuse diffuse, mais d'autres processus non spécifiques. Dans le poumon, ce sont principalement les résidus d'inflammations chroniques ordinaires qui ont été pris par Laennec et ses élèves pour des infiltrations tuberculeuses. Cette confusion doit surtout être attribuée à ce que la transformation casceuse, que subit presque régulièrement le tubercule arrivé à une certaine période, a été considérée comme une propriété spéci- fique du tubercule et comme un signe qui permettait d'admettre la nature tuberculeuse du tissu qui était le siège de cette transformation. A ce point de vue, il était juste d'attribuer également à la tuberculose les produits des pneumonies chroniques qui se rencontrent souvent dans les poumons des phthisiques à côté des tubercules miliaires et sans en dépendre le moins du TUBERCULOSE DU POUMON. 243 monde: car en général ces produits inflammatoires sont au début également humides, translucides, de couleur grise ou gris rougeâtre, et se transforment avec le temps en une masse sèche^opaque, jaune, caséeuse, et finalement en un liquide crémeux ou séreux, mêlé de flocons (« pus tuberculeux »). Cependant, au point de vue actuel de la science, la métamorphose caséeuse ne doit plus être considérée comme un signe caractéristique de la tuberculose. On s'est convaincu que non-seulement le tubercule, mais encore un grand nombre d'autres formations qui n'ont rien de commun avec le tubercule, telles que d'anciennes tumeurs cancéreuses, des ganglions lym- phatiques tuméfiés par suite d'une hyperplasie cellulaire, des infarctus hé- morrhagiques, des dépôts purulents enkystés, etc., on s'est convaincu, dis-je, que ces différentes formations peuvent également subir la transforma- tion caséeuse; on a enfin laissé tomber l'expression de fuberculisaiiôn, qui a donné lieu à beaucoup de confusion et contre laquelle je m'élève depuis des années, et on l'a remplacée par le mot métamorphose caséeuse. Ce progrès important de l'anatomie pathologique, qui doit être attribué en grande partie aux travaux remarquables de Virchow, a sapé les bases de la doctrine de Laennec. La thèse principale de cette doctrine, c^ est-à-dire celle qui fait dépendre toute phthisie pulmonaire d'une néoplasie, et qui a exercé l'influence la plus pernicieuse sur le traitement et la prophylaxie de cette maladie, cette thèse n'a plus sa raison d'être. Il est incompréhensible que, malgré cela, la plupart des médecins de nos jours soient encore tellement attachés à la théorie de Laennec. Cependant, quoique les épaississements et les destructions du poumon dans la phthisie pulmonaire soient dus principalement à des processus pneu- moniques, on rencontre si souvent dans les poumons phthisiques des tuber- cules à côté des résidus de la pneumonie chronique, qu'on ne peut pas attri- buer leur présence à un pur hasard; il faut donc admettre un rapport de causalité entre la tuberculose et ces processus inflammatoires. D'après la doctrine généralement admise encore, ce rapport serait le suivant : le déve- loppement de tubercules serait le fait primordial dont dépendraient les pro- cessus pneumoniques qui ne viendraient s'y ajouter que secondairement. On ne peut pas nier que cette interprétation ne s'applique à de certains cas. Mais pour la grande majorité des faits, c'est l'inverse qui est vrai, c'est-à-dire le développement tuberculeux s'ajoute secondairement à des processus pneu- moniques préexistants. Il est excessivement rare qu'une tuberculose frappe un poumon qui ne renferme pas les résidus de pneumonies chroniques. Les tubercules ne se développent que lorsque les pneumonies qui ont pré- cédé se sont terminées par une infiltration caséeuse du tissu pulmonaire, et le développement de ces tubercules est également fréquent, que l'infiltration caséeuse ait succédé à une pneumonie croupale ou à une pneumonie catar- rhale aiguë ou chronique. Nous pouvons donc admettre qu'il n'existe pas 244 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. entre la tuberculose et les processus inflammatoires qui la précèdent généra- lement un rapport direct et immédiat, se rattachant à l'origine commune d'un seul et même état pathologique primordial, mais que ce rapport est indirect et qu il dépend de la métamorphose ;aséeuse des produits pneumoniques. La justesse de cette opinion se base principalement sur le fait suivant : dans les cas rares où l'on rencontre des tubercules dans un poumon auparavant sain, il existe presque sans exception des foyers caséeux dans d'autres or- ganes; d'un autre côté, l'expérience prouve que, dans une tuberculose éten- due, les tubercules les plus nombreux et les plus anciens se rencontrent toujours dans le voisinage immédiat de produits morbides caséeux. Dans le poumon, le tubercule n'est si extraordinairement fréquent que parce que, dans aucun autre organe, on n'observe aussi souvent des processus morbides dont les résidus subissent une transformation caséeuse. Nous étant ainsi prononcé pour l'existence d'un rapport de causalité entre les infiltrations caséeuses du poumon et la tuberculose pulmonaire, et nous étant suffisamment appesanti sur la grande fréquence de cette complication, nous nous croyons en droit de décrire ensemble dans le prochain article les deux processus qui jouent le rôle le plus important dans la phthisie pulmo- naire : nous voulons parler des pneumonies chroniques se terminant par infiltration caséeuse et de la tuberculose chronique. Nous traiterons dans l'article suivant de la tuberculose miliaire aiguë, qui n'est pas accompagnée de pneumonies chroniques et qui ne conduit jamais à la destruction du pou- mon, à la phthisie pulmonaire. ARTICLE PREMIER Les infiltrations caséeuses et la tuberculose chronique du poumon. Phthisie pulmonaire. § 1. Patiiogénie et étiologie. Dans la terminaison de la pneumonie par résolution, le produit inflamma- toire subit la métamorphose graisseuse, et plus tard se liquéfie et est résorbé; au contraire, dans la terminaison des processus pneumoniques par infiltra- tion caséeuse, la métamorphose graisseuse est incomplète, le produit infiltré devient sec, les éléments celluleux qu'il renferme s'atrophient, perdent leur forme ronde, se ratatinent par déperdition d'eau et prennent une forme irré- gulière. Le fait que dans le poumon les produits d'inflammations simples subissent très-souvent la métamorphose caséeuse, tandis que dans les organes compactes cette terminaison des processus inflammatoires est rare et n'a lieu qu'autant qu'il s'y forme des excavations pathologiques qui peuvent enfer- TUBERCULOSE DU POUMON. 245 mer les produits inflammatoires, ce fait trouve son explication clans cette cir- constance, que dans le poumon existent déjà des cavités physiologiques dans lesquelles le produit inflammatoire de la plupart des processus pneumoniques vient se déposer. Nous combattrons donc de toute notre énergie l'opinion de ceux qui admet- tent que les infiltrations caséeuses du poumon et leur terminaison par formation de cavernes sont le résultat d'une pneumonie particulière qui doit être distinguée des autres formes pneumoniques. Vouloir établir «une pneu- monie tuberculeuse ou caséeuse », c'est ouvrir la voie à de nouvelles confu- sions. Au contraire, on est en droit de soutenir que chaque forme de •pneumonie peut se terminer dans de certaines circonstances par infiltration caséeuse, et qu'il n'y en a aucune qui se termine uniquement et fatalement de cette manière. — Il est vrai de dire que les différentes formes de pneumonie offrent de grandes différences sous le rapport de la fréquence avec laquelle le produit inflammatoire, au lieu d'être liquéfié et résorbé, s'épaissit et se transforme en une masse caséeuse. Dans la pneumonie croupale, cette terminaison est rare ; dans la pneumonie catarrhale aiguë, on l'observe assez fréquemment; dans la pneumonie catarrhale chronique, cette terminaison est presque la règle. Le nom de pneumonie catarrhale chronique me paraît le seul convenable pour désigner le pi'ocessus morbide qui a été décrit de préférence sous le nom de tuberculose infiltrée et sous celui d'infiltration gélatineuse ou tuber- culeuse, et qui, de nos jours, a été appelé par quelques-uns d'une manière tout aussi impropre, pneumonie tuberculeuse ou caséeuse. Les infiltrations lobulaires et assez souvent lobaires du poumon, qui ont la couleur et l'éclat du frai de grenouille, dont la surface de section-jest lisse et homogène, ne doivent pas être uniquement attribuées à ce que les alvéoles sont remplis de jeunes cellules rondes et indifférentes, modifications anatomiques qui carac- térisent la pneumonie catarrhale ; mais ces infiltrations se forment égale- ment, à quelques rares exceptions près, par la propagation d'un catarrhe chronique dont la sécrétion est riche en cellules, aux plus fines terminaisons des bronches et, de là, aux alvéoles pulmonaires. Certes, je n'ajouterais pas une aussi grande importance à ce qu'on désignât la pneumonie gélatineuse sous le nom de pneumonie catarrhale chronique, si je ne croyais que ce nom, le seul vrai, pourra aider à l'intelligence de l'étiologie et de la sym- ptomatologie, même de la prophylaxie et du traitement. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi la pneumonie catarrhale chronique est suivie, dans la grande majorité des cas, d'infiltrations caséeuses du tissu pulmonaire, et pourquoi cette terminaison est beaucoup plus rare dans la pneumonie catar- rhale aiguë et dans la pneumonie croupale. La marche lente et traînante de la maladie, qui entraîne une accumulation toujours croissante de cellules dans les alvéoles, peut-être aussi une aspiration d'éléments cellulaires pro- 246 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. venant des plus petites bronches, ce qui augmente encore le nombre des cellules qui se sont formées dans les alvéoles mêmes : tout cela fait que les cellules sont pressées de plus en plus les unes contre les autres, qu'elles se gênent réciproquement et tombent en nécrobiose. L'étiologie de la phthisie pulmonaire est devenue beaucoup plus claire depuis qu'on sait que, dans la plupart des cas, ce n'est pas une néoplasie, mais des processus inflammatoires qui la déterminent; et que, même dans les cas où l'on rencontre des tubercules dans les poumons phthisiques, des processus pneumoniques ont presque toujours précédé la tuberculose et que la métamorphose caséeuse de leurs résidus a été la cause première du dé- veloppement des tubercules. De nombreux faits, qui étaient bien constatés, mais qui échappaient à toute explication aussi longtemps qu'on faisait déri- ver chaque phthisie pulmonaire d'une néoplasie, sont aujourd'hui enharmo- nie avec les lois généralement admises en pathologie. La prédisposition à la phthisie pulmonaire, ou, pour nous exprimer d'une manière plus précise, la prédisposition aux pneumonies se terminant par infiltrations caséeuses, se rencontre principalement chez les individus d'une constitution faible et vulnérable. Nous ne voulons nullement prétendre que les personnes robustes, qui offrent une résistance normale aux influences fâcheuses , possèdent une immunité contre la phthisie. La terminaison, généralement rare , de la pneumonie croupale par infiltration caséeuse et, plus tard, par fonte du tissu pulmonaire, s'observe aussi chez les individus auparavant très-sains et n'ayant jamais présenté des signes de faiblesse et de vulnérabilité. De même, les enfants les mieux venus et les plus robustes peuvent être atteints, à la suite de la coqueluche ou de la rougeole, d'une pneumonie catarrhale aiguë qui les enlève rapidement parce que le résidu de cette dernière affection subit la métamorphose caséeuse. Les nombreux cas de mort qu'on observe après les épidémies de rougeole et de coqueluche, et que jusqu'à nos jours on a attribué le plus souvent à la [tuberculose, reconnaissent en majeure partie pour cause la terminaison précitée d'une pneumonie catarrhale qui est venue se greffer sur une des maladies précédentes. Mais, même un catarrhe primitif, idiopathique, qui atteint des personnes d'une bonne santé jusque-là et d'une constitution en apparence robuste, peut s'étendre aux alvéoles. Les hommes à larges épaules ne sont nullement garantis contre une pneumonie catarrhale aiguë ou chronique qui, développée à la suite d'un refroidissement, se termine par une infiltration caséeuse et une fonte du tissu pulmonaire. Si l'on se met à notre point de vue, il n'est pas étonnant que des individus faibles et mal nourris soient beaucoup plus exposés au danger de devenir phthisiques, que les personnes robustes et bien nourries. L'expérience de tous les jours nous apprend qu'un mauvais état de nutiï- TUBERCULOSE DU POUMON. 247 tion coïncide généralement avec une faible résistance aux influences morbi- fiques. Pour cette raison, on admet que les individus mal nourris et d'une constitution faible tombent facilement malades et qu'ils guérissent lentement de leurs maladies; on dit qu'ils « sont maladifs », lors même qu'ils n'ont jamais été atteints d'aucune affection. La fréquence avec laquelle les diffé- rents organes du corps humain tombent malades varie selon les différents âges. Les personnes qui, dans leur enfance, ont été atteintes à plusieurs reprises de croup et de pseudo-croup, d'irritations des méninges, de dartres humides, etc., sont exposées, à l'âge de la puberté, et, plus tard, aux dan- gers des hémorrhagies bronchiques et des maladies inflammatoires du poumon. Mais les personnes faibles et mal nourries se distinguent des individus robustes et bien nourris, non-seulement par cette vulnérabilité qui les pré- dispose aux inflammations pulmonaires et autres, mais encore par la fré- quence avec laquelle les troubles inflammatoires qui se montrent chez elles donnent lieu à une •production surabondante de cellules indifférentes et caduques. Chez ces individus, des lésions traumatiques insignifiantes sont suivies d'une forte irritation des parties blessées et d'une production considérable de cellules de pus. Cette particularité s'explique, d'une part, par le fait que la faiblesse coïncide avec une irritabilité augmentée; d'autre part, parce que l'irritation inflammatoire d'organes mal nourris et incomplètement développés conduit plus facilement à la formation de cellules caduques qu'à la formation de cellules qui peuvent donner un tissu nouveau. Si nous résumons les points les plus importants de tout cet exposé, nous arrivons aux résultats suivants : Premièrement : Les indurations et les destructions du poumon, qui consti- tuent la base anatomique de la phthisie pulmonaire, sont en général les produits de processus pneumoniques, et une pneumonie conduit d'autant plus facilement à la phthisie que l'accumulation des éléments cellulaires dans les alvéoles est plus considérable et qu'elle psrsiste plus longtemps, attendu que ces conditions sont favorables à la métamorphose caséeuse de V infiltration inflammatoire. Deuxièmement : Les pneumonies se terminant par infiltration caséeuse se rencontrent non pas exclusivement, mais cependant préférablement chez des per- sonnes faibles de constitution et mal nourries ; ce fait dépend, en partie, de ce que de pareils individus sont particulièrement vulnérables; en partie de ce que les in- flammations montrent chez eux une tendance à la production exagérée de cellules, et par là à la métamorphose caséeuse des produits inflammatoires. Nous pouvons maintenant exposer en peu de mots notre opinion sur la question suivante, si souvent discutée : Quel mpport existe-t-il entre la scro- fulose et la phthisie pulmonaire ? C'est surtout dans l'enfance qu'on voit très-souvent les ganglions participer à la vulnérabilité plus grande, à laquelle se joignent en général une irrita- 248 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. bilité exagérée et une tendance des tissus enflammés à produire une masse énorme de cellules. Chez les sujets qui n'ont pas une pareille disposition, il faut des inflammations considérables et malignes pour que les ganglions qui reçoivent la lymphe de ces parties enflammées se gonflent, s'enflamment et .suppurent, tandis que chez les individus qui possèdent la disposition en question, de faibles irritations des ganglions lymphatiques produites par des inflammations légères et bénignes dans le domaine de leurs vaisseaux lym- phatiques, suffisent pour exciter dans ces ganglions une production exagérée de cellules. Il ne faudrait pas croire que l'inflammation et la suppuration des ganglions se montrassent dans tous les cas, ou même dans la grande majo- rité; au contraire, le processus morbide, déterminé par l'irritation, se borne, tin général, aune hyperplasie simple des cellules et à un gonflement des gan- glions par accumulation considérable des éléments cellulaires normaux. Par contre, ces gonflements ganglionnaires montrent chez eux une grande opi- niâtreté (tous les processus morbides, du reste, ne rétrogradent que lente- ment chez de pareils individus), et l'on observe dans des cas nombreux une dégénération caséeuse, partielle ou diffuse, des ganglions engorgés, dégéné- ration qui se montre d'autant plus facilement que l'accumulation des élé- ments cellulaires est plus considérable. Les individus dont les ganglions lymphatiques participent à la vulnérabilité générale et à la tendance des tissus à produire des cellules en grand nombre après des irritations inflammatoires, ces individus sont appelés scrofuleux. Nous appuyons surtout sur ce fait, que, chez les individus scrofuleux, la disposition au gonflement des ganglions par hyperplasie cellulaire est constamment liée à une disposition générale aux maladies , surtout aux maladies inflammatoires. Cette dernière est en général tellement pro- noncée dans ces cas, que les causes déterminantes des « exanthèmes scro- fuleux :> , des « ophthalmies scrofuleuses » , des « catarrhes scrofuleux » et d'autres affections qualifiées du même nom, échappent facilement à l'observation. En apparence, ces inflammations semblent se développer spontanément. Il n'existe aucun caractère anatomique qui permette de dis- tinguer un « exanthème scrofuleux», une « ophthalmie scrofuleuse », d'un exanthème et d'une ophthalmie non scrofuleux. Les seuls points de repère que nous possédions pour juger de la nature scrofuleuse de ces affections, c'est, abstraction faite de la participation des ganglions lymphatiques, l'in- signifiance de leurs causes déterminantes, leur retour fréquent et leur grande opiniâtreté. Si la faible force de résistance contre les influences nuisibles, si la vulné- rabilité des individus scrofuleux ne s'est pas perdue à l'époque où les pou- mons s'affectent de préférence et où les dartres humides, les maladies opi- niâtres de la cornée, de la conjonctive, etc., deviennent moins fréquentes, les processus pneumoniques se déclarent chez eux tout aussi facilement et TUBERCULOSE DU POUMON. 249 sous l'influence de causes aussi insignifiantes qu'autrefois les exanthèmes, les ophthalmies, etc., et ces processus pneumoniques montrent tout autant d'opiniâtreté que dans le temps les affections serofuleuses ; c'est là une cir- constance qui favorise puissamment leur terminaison par infiltrations ca- séeuses. Si nous jetons maintenant un regard sur les causes qui, d'après l'expé- rience, prédisposent à la phthisie pulmonaire, nous voyons qu'elles se ressemblent toutes en ce sens quelles arrêtent ou troublent le développement normal et la conservation de l'organisme. La prédisposition à la phthisie pulmonaire estinnée dans des cas nombreux. Si cette disposition innée reconnaît pour cause la phthisie des parents au moment de la conception, on est en droit de l'appeler héréditaire. Ce n'est pas la maladie elle-même qui, comme on le prétend souvent, s'hérite, mais la faiblesse et la vulnérabilité de la constitution, qui chez les parents déjà ont été la cause de la phthisie pulmonaire, ou qui ne se sont développées chez eux qu'à la suite de cette maladie. La faiblesse et la vulnérabilité trans- mises aux enfants peuvent dépendre chez les parents d'autres causes que la phthisie pulmonaire. Les parents qui sont affectés d'autres maladies épui- santes, dont là santé est ruinée par les débauches ou qui sont à un âge très-avancé, procréent tout aussi souvent que les parents phthisiques des enfants qui apportent en naissant une prédisposition à la phthisie pulmo- naire. Parmi les influences nuisibles qui font acquérir la disposition à la phthisie, ou qui exagèrent la disposition innée, il faut citer en premier lieu une ali- mentation insuffisante et irrationnelle. Elever les jeunes enfants avec du pain, de la bouillie, etc., au lieu de leur donner le sein, c'est déjà jeter en eux le germe de cette maladie. Souvent on continue un régime défectueux pen- dant toute l'enfance; les enfants contractent ainsi cette faiblesse de la con- stitution et cette vulnérabilité qui constituent la prédisposition à la scrofulose et à la phthisie pulmonaire. Si cette maladie se rencontre beaucoup plus fréquemment chez les pauvres que dans la classe aisée, cela dépend en grande partie de ce que les premiers ont une nourriture insuffisante et presque exclusivement végétale. C'est là ce qui explique encore pourquoi la phthisie pulmonaire est beaucoup plus fréquente dans les grandes villes et, ce qui revient au même, va en croissant avec le nombre des. prolétaires. La faim et la misère se rencontrent beaucoup moins souvent à la campagne que dans les villes. Le manque d'air libre exerce une influence aussi préjudiciable qu'une nourriture insuffisante et irrationnelle. Nous ne connaissons pas une expli- cation satisfaisante du mode d'action qu'exerce sur l'organisme le séjour prolongé dans les chambres et surtout dans les endroits humides, remplis d'effluves; mais on a constaté suffisamment que la scrofulose, aussi bien que 250 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. la phthisie pulmonaire, est beaucoup plus fréquente dans les maisons d'en- fants trouvés, dans les orphelinats, dans les dépôts de mendicité, dans les prisons, et parmi les ouvriers de fabrique qui sont occupés pendant toute la journée dans des espaces entourés de murs, que parmi les personnes qui se meuvent à l'air libre. L'objection que la fréquence de la scrofulose et de la phthisie pulmonaire dans dé pareils établissements est due à d'autres causes qu'à la privation d'air frais, et surtout qu'elle est la conséquence d'une nourriture mauvaise et insuffisante, cette objection ne peut se soutenir. La population de beaucoup de villages pauvres se nourrit en général bien plus mal, est exposée à bien plus de causes morbifiques que les individus détenus dans les prisons et les maisons de correction, et sans qu'elle soit exposée au même degré aux maladies en question. Souvent on voit se développer, chez des personnes nées avec une forte constitution et qui s'étaient bien nourries, une disposilion prononcée à la phthisie pulmonaire, lorsqu'elles sont atteintes de maladies qui empêchent la déglutition ou l'assimilation des aliments, ou qui détériorent la constitution d'une autre manière. Beaucoup de malades atteints d'ulcères de l'estomac, de rétrécissements œsophagiens, des aliénés qui pendant longtemps ont re- fusé de prendre des aliments, finissent par mourir de phthisie. De même, un grand nombre de malades atteints de diabète sucré, de chlorose prolon- gée, de syphilis tertiaire, succombent à la phthisie. Parmi les maladies aiguës, c'est particulièrement le typhus qui laisse très-facilement à sa suite une disposition à la phthisie, lorsque sa marche est traînante. A la prédisposition acquise par suite de maladie, il faut ajouter celle qui est provoquée par' des couches nombreuses, par l'allaitement prolongé, par l'ona- nisme et les excès vénériens, par des influences psychiques qui dépriment et usent l'homme, par un travail intellectuel poussé à l'excès, par des chagrins pro- longés. L'opinion presque généralement admise, d'après laquelle la phthisie pul- monaire serait indépendante de causes dites occasionnelles, et ne se dévelop- perait que sous l'influence d'une diathêse, me semble aussi peu motivée que dangereuse. Évidemment on avait compris qu'il existerait une contradiction flagrante entre la théorie réputée inébranlable et le fait d'une phthisie dé- pendant de causes extérieures/ et c'est cette contradiction qui s'est opposée à une appréciation saine et rationnelle des faits observés. L'opinion émise par Laennec et ses élèves, que les refroidissements et d'autres causes nuisibles n'exercent aucune influence sur le développement de la phthisie, qu'un « catarrhe négligé » ne donne jamais lieu à la phthisie, etc., a exercé sur la prophylaxie et le traitement de cette maladie l'influence la plus pernicieuse, et il est heureux que les gens du monde, chaque fois qu'ils supposent une disposilion à la phthisie, prennent plus de précautions qu'il ne faudrait en prendre si les idées enseignées aujourd'hui encore étaient fondées. TUBERCULOSE DU POUMON. 251 Parmi les causes occasionnelles qui peuvent provoquer le développement de la phthisie pulmonaire en cas de prédisposition plus ou moins prononcée, nous croyons devoir compter toutes les influences nuisibles entraînant à leur suite des hyper émies fluxionnaires du poumon et des catarrhes bronchiques. Nous pouvons donc renvoyer le lecteur à ce que nous avons dit précédemment sur l'étiologie des hypérémies pulmonaires et des catarrhes bronchiques. L'idée très-répandue dans le public, que souvent la phthisie se déclare chez les individus qui ont bu un liquide froid au moment où le corps est échauffée je l'avais autrefois reléguée purement et simplement parmi les fables ou au moins parmi les faits mal expliqués. Mais aujourd'hui, m' étant déplus en plus émancipé de la doctrine de Laennec, je ne peux plus envi- sager les choses au même point de vue ; je dois, au contraire, admettre qu'il n'est pas impossible qu'un refroidissement subit de l'estomac, aussi bien que de l'enveloppe cutanée, peut entraîner des processus catarrhaux et pneumo^ niques se terminant par phthisie pulmonaire. Le fait d'expérience, que, dans l'immense majorité des cas, de grandes quantités d'eau froide sont bues sans aucune suite fâcheuse par des individus qui ont le corps échauffé, ne prouve nullement que, dans certains cas, cette imprudence ne puisse entraîner une maladie sérieuse; il en est de même du refroidissement de la peau, qui n'est suivi qu'exceptionnellement d'accidents fâcheux. Comme d'ailleurs le mode d'action du refroidissement de l'enveloppe cutanée sur des organes éloignés frappés de maladie sous cette influence nous est parfaitement inconnu;, nous ne sommes nullement en droit de nier la possibilité d'un accident semblable à la suite d'un refroidissement de l'estomac. De nombreux exemples où la toux a commencé à un jour déterminé, après un violent refroidissement, et a bientôt été accompagnée des autres symptômes de la phthisie pulmonaire, ont été observés par tout médecin attentif et exercé. Les irritations du poumon et de la muqueuse bronchique par des corps étrangers jouent un rôle très-important parmi les causes occasionnelles de la phthisie pulmonaire ; la preuve se trouve dans la grande fréquence de cette maladie chez les ouvriers qui sont constamment dans une atmosphère remplie de poussière, tels que tailleurs de pierre, tailleurs de limes, chapeliers, cardeurs de laine, ouvriers des fabriques de cigares, etc. Parmi tous les corps étrangers qui entraînent la phthisie par irritation directe des parois bronchiques et du parenchyme pulmonaire, le sang retenu dans les bronches et les alvéoles à la suite d'une hémoptysie ou d'une pneumorrhagie est celui qui exerce cette influence le plus souvent. Cette cause a été traitée en détail dans le chapitre concernant les hémorrhagies bronchiques et pul- monaires (p. 175); nous n'aurons donc plus à y revenir. Après avoir exposé l'étiologie des processus pneumoniques, qui jouent le rôle de beaucoup le plus important dans la phthisie pulmonaire, nous devons 252 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. encore ajouter quelques mots sur Yétioïogie de la tuberculose pulmonaire. Le développement de tubercules dans le poumon, sans préexistence de produits morbides caséeux dans un organe quelconque du corps, se ren- contre plus rarement encore dans la tuberculose chronique, qui se com- plique de processus pneumoniques et conduit à la phthisie pulmonaire, que dans la tuberculose miliaire aiguë (voyez l'article suivant). L'étiologiede ces cas exceptionnels est complètement obscure; cependant il parait que les individus prédisposés aux inflammations avec produits caséeux sont atteints le plus souvent de cette tuberculose pulmonaire primitive prise dans le sens le plus strict du mot. Les masses caséeuses d'où dépend le développement consécutif [secondaire) de tubercules dans le poumon ont, dans la grande majorité des cas, leur siège dans le poumon lui-même et sont constitués par les résidus, devenus ca- séeux, des processus pneumoniques. Nous n'hésitons pas de dire que le plus grand danger qui menace la plupart des phthisiques est de devenir facilement tuberculeux. Nous ne savons pas pourquoi, dans beaucoup de cas, mais non dans tous, la tuberculose vient compliquer des infiltrations caséeuses et des eavernes, ni pourquoi cette complication se présente tantôt de bonne heure, tantôt tardivement; mais il paraît qu'un enkystement complet des masses caséeuses garantit jusqu'à un certain point contre la tuberculose. Après les résidus caséeux des processus pneumoniques, ce sont les exsu- dats pleurétiques et péricardiaques devenus caséeux, et les ganglions bron- chiques ayant subi la même métamorphose, qui conduisent le plus souvent à la tuberculose pulmonaire. Viennent ensuite les cas où les produits caséeux d'une inflammation ou d'une tuberculose de l'appareil génito-urinaire, de l'intestin, des ganglions mésentériques, des articulations, des os et des ganglions périphériques sont suivis d'une tuberculose pulmonaire. Dans les cas douteux, l'existence de résidus caséeux dans l'un ou l'autre des organes susnommés, peut être d'une certaine importance pour le dia- gnostic de la tuberculose pulmonaire. Nous ne considérons pas comme im- possible que, dans un temps assez rapproché, le danger de voir les résidus caséeux d'un gonflement ganglionnaire ou d'une inflammation articulaire amener une tuberculose du poumon, compte au nombre des indications favo- rables à l'extirpation des ganglions périphériques, et même à une résection ou à une amputation. Quant à la fréquence de la phthisie pulmonaire, on admet que le septième et même le cinquième de tous les cas de mort doit être attribué à cette affec- tion, et qu'on trouve dans le poumon de presque la moitié de tous les cada- vres les lésions de la phthisie pulmonaire ou de ses résidus. Pendant la vie intra-utérine et dans la première enfance, la phthisie pul- monaire est rare. Même dans la seconde enfance, les catarrhes bronchiques TUBERCULOSE DU POUMON. 253 avec gonflement et dégénération caséeuse des ganglions bronchiques, de même que la phthisie intestinale, sont beaucoup plus fréquents que la phthisie pulmonaire. Dans le chapitre consacré à la scrofulose, nous traite- rons en détail le catarrhe scrofuleux des bronches et le ramollissement des ganglions bronchiques caséeux, et nous ferons voir combien il est facile de confondre ces états avec la phthisie pulmonaire vraie. Vers l'âge de la pu- berté, et plus encore entre vingt et trente ans, la fréquence de la phthisie pulmonaire arrive au degré le plus élevé ; à partir de là elle diminue sans que la maladie disparaisse complètement à l'âge le plus avancé. — Les femmes et les hommes semblent fournir un égal contingent à cette affection. On prétendait dans le temps que la phthisie pulmonaire était plus fré- quente dans les climats froids et qu'elle se rencontrait rarement dans les cli- mats chauds; cette assertion ne s'est pas vérifiée. Dans les contrées septen- trionales, il y a des pays qui sont presque exempts de phthisie, par exemple. l'Islande. Hirsch, dans son Manuel classique de pathologie historique et géogra- phique, émet les opinions suivantes : « La température moyenne d'un lieu n'a aucune influence sur le développement et la fréquence de la phthisie pulmo- naire ; de grands et rapides changements de température et un haut degré d'hu- midité de l'air sont favorables au développement de la phthisie, tandis que cette maladie est rare dans les endroits très-élevès.-» — La rareté de la phthisie pulmonaire dans des contrées marécageuses n'est pas constante ; il est peu pro- bable que cette faible fréquence dépende de l'influence du miasme palu- déen, d'autres conditions peuvent en être la cause, surtout la population clair-semée et la culture peu étendue de bien des contrées ravagées par la fièvre paludéenne. Les individus atteints de maladies du cœur possèdent une certaine immunité contre la phthisie ; cela ne dépend pas, comme on l'admettait autrefois, d'un état veineux de leur sang, mais de ce que les produits des pneumonies aux- quelles ils sont assez sujets ont peu de tendance à la dégénération caséeuse, à cause de la richesse de leur poumon en sang et de la forte imbibition de cet organe. Les individus atteints d'emphysème chronique du poumon ne sont pas non plus fort souvent atteints de phthisie, mais ici la raison est tout autre et consiste en ce que leurs poumons anémiés et secs sont rarement atteints de processus pneumoniques; si cependant chez eux une pneumonie se dé- clare, ils sont d'autant plus exposés au danger d'une fonte caséeuse du pro- duit inflammatoire. § 2. AN ATOME PATHOLOGIQUE. A l'autopsie des malades morts phthisiques, on trouve dans le poumon des modifications de nature très-divei'se , surtout des excavations anormales (cavernes, vomiques), des infiltrations étendues et d'autres épaississements 254 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. du parenchyme, et presque toujours de nombreux petits foyers. qui, sur une section du poumon, ont l'aspect de petits tubercules miliaires. Les épaississements diffus du parenchyme pulmonaire ne présentent que dans des cas rares l'aspect granulé et les autres caractères du poumon hépa- tisé à la suite d'une pneumonie croupale. Bien plus souvent il s'agit de ces infiltrations homogènes, d'un éclat mat, à surface de section lisse, que nous avons appris à connaître comme les produits de pneumonies catarrhales aiguës et surtout chroniques. En général, les infiltrations gélatineuses ont déjà subi les modifications qui appartiennent à la métamorphose caséeuse du produit inflammatoire. Si cette métamorphose n'a pas commencé depuis longtemps, on voit sur la surface de section grise ou gris rougeâtre et d'un éclat mat, quelques incrustations jaunes et sans éclat. Si la métamorphose caséeuse est plus avancée, les endroits jaunes sont plus étendus, et l'on ren- contre ainsi tous les degrés jusqu'à celui où toute la partie indurée du pou- mon a été transformée en une masse jaune et caséeuse. — L'infiltration, devenue caséeuse, peut se désagréger immédiatement et se transformer avec le tissu en une masse crémeuse, puriforme. — De cette façon se développent des excavations, des cavernes qui sont remplies de ce qu'on a appelé pus tuberculeux, jusqu'au moment où il se forme une communication avec une bronche avoisinante, par laquelle le contenu est évacué par la toux. Les pa- rois de ces cavernes sont irrégulières et anfractueuses ; à leur pourtour le parenchyme pulmonaire est infiltré de matière caséeuse et se trouve à un degré plus ou moins avancé de ramollissement. Les infiltrations gélatineuses ou catarrhales, qui donnent lieu à l'espèce de caverne que nous venons de décrire par la métamorphose caséeuse et par la fonte du tissu infiltré de matière caséeuse, sont ordinairement au début des processus lobulaires. Si les lobules malades ont leur siège à la péri- phérie, les endroits indurés ont la forme conique, spéciale aux lobules péri- phériques. S'ils ont leur siège à l'intérieur du poumon, ils représentent des indurations rondes ou allongées; la forme allongée s'observe lorsque le pro- cessus est limité au voisinage immédiat de quelques bronches; il a alors la direction de ces bronches. Si le processus s'étend, si un grand nombre de foyers lobulaires se réunissent, tout un lobe ou même tout un poumon peut à la fin s'indurer et devenir le siège de vastes destructions. Mais l'infiltration caséeuse du tissu pulmonaire, qu'elle dérive de n'im- porte quelle forme de pneumonie, ne conduit pas toujours, ni même le plus souvent, à la désorganisation immédiate des endroits qui en sont le siège et à la formation de cavernes. Cette éventualité ne se présente, au contraire, que dans de certaines circonstances ou peut-être aussi dans les degrés particu- lièrement intenses de la maladie. Elle dépend évidemment de ce que les cellules, accumulées clans les alvéoles, non-seulement se gênent dans leur développement réciproque, mais exercent encore une pression sur les tissus TUBERCULOSE DU POUMON. 255 environnants et les vaisseaux qui les parcourent, d'où il résulte que les parois alvéolaires, privées de leur liquide nourricier, se mortifient égale- ment. Peut-être aussi l'anémie et la fonte nécrosique du tissu pulmonaire sont-elles favorisées par une hyperplasie cellulaire qui, dans les cas graves, s'étend de la surface au tissu lui-même. Si la prolifération cellulaire n'est pas assez abondante pour occasionner une compression considérable des parois alvéolaires et de leurs vaisseaux nourriciers, les masses caséeuses s'épaississent peu à peu à un degré plus considérable encore, et les cellules atrophiées, ratatinées, se réduisent en un détritus, d'où les] substances organiques disparaissent de plus en plus pour céder la place à un dépôt de sels calcaires, jusqu'à ce qu'il ne reste plus à la fin qu'une concrétion crayeuse ou analogue au mortier. Dans d'autres cas, au contraire, les cellules ratatinées se liquéfient et sont résorbées, lorsque leur métamorphose graisseuse, incomplète d'abord, s'achève plus tard. En même temps que l'une ou l'autre de ces transformations ultérieures s'accomplit dans les éléments cellulaires renfermés dans les infiltrations ca- séeuses, il se développe dans le poumon une production abondante de tissu conjonctif. Les foyers crétacés s'enkystent et les endroits d'où disparaissent les cellules qui se sont liquéfiées après avoir subi la dégénération graisseuse, se remplissent par la suite de tissu conjonctif. Le parenchyme pulmonaire ne redevient plus accessible à l'air dans ces sortes de cas, il se transforme en une masse dure et calleuse. Comme le tissu conjonctif, qui se ratatine de plus en plus, occupe beaucoup moins de place que le parenchyme sain qu'il est venu remplacer, le poumon devient plus petit, le thorax s'affaisse, et comme cet affaissement ne peut s'opérer que dans des limites assez étroites, les bronches se dilatent et forment des cavités arrondies ou allongées. Ce genre de cavernes se forme le plus fréquemment dans la phthisie pul- monaire à marche chronique. La résorption des masses caséeuses, trans- formées ultérieurement en matière adipeuse et liquéfiées, peut devenir assez complète pour qu'à l'autopsie on trouve le poumon complètement privé d'air par le seul fait de la pneumonie indurante et interstitielle, et rempli de cavernes (bronchiectasiques ), sans aucun résidu de masses caséeuses. Tandis que les sommets du poumon sont ordinairement le siège de ca- vernes plus ou moins vastes, et que les lobes supérieurs se sonit épaissis sur une grande étendue, en partie par infiltration gélatineuse et caséeuse, en partie par induration et ratatinement, on trouve, en faisant une section à travers les parties du poumon perméables à l'air, presque toujours un grand nombre de petits foyers indurés dont nous avons parlé dans le temps et qui font saillie sur la surface de section sous forme de petites tumeurs jaunes. Il faut se garder de prendre, sans examen préalable, ces petits foyers pour des 256 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. tubercules. L'expérience nous enseigne que beaucoup de produits, qui, au premier aspect, semblent être des tubercules miliaires, et qui, dans le temps, ont été généralement considérés comme tels, ne sont, en réalité, que des bronches coupées transversalement, qui renferment une matière caséeuse ou dont les parois sont épaissies et entourées d'alvéoles infiltrés de matière caséeuse. Si l'on évite une confusion de ce genre, en appréciant les résultats nécroscopiques, on arrive à se convaincre que, dans un très-grand nombre de cas, on ne rencontre pas un seul tubercule dans les poumons phthisiques, et que les épaississements et les destructions du tissu pulmo- naire sont exclusivement produits par des pneumonies indurantes et à marche destructive. Cependant, nous croyons que Virchow va beaucoup trop loin en soute- nant que la doctrine de la tuberculose miliaire du poumon repose, elle aussi, presque complètement sur des faits mal appréciés, et que les préten- dus tubercules miliaires sont presque tous des foyers d'inflammation bron- chique, péri-bronchique et pneumonique. 11 n'est pas rare du tout que les mêmes nodosités demi -transparentes qui, dans la tuberculose miliaire aiguë, sont disséminées en grand nombre clans les poumons et la plupart des organes, et dont la nature tuberculeuse ne peut guère être l'évoquée en doute, se rencontrent aussi dans les poumons des phthisiques. — Même les foyers jaunes, caséeux, du poumon, qui représentent des nodosités mi- liaires, devront être également considérés comme des tubercules, si à côté d'eux on rencontre dans le poumon les nodosités miliaires grises* dont nous avons parlé, et si l'on constate en même temps dans d'autres organes des tubercules gris et caséeux. Il est impossible de prouver que ces nodosités caséeuses soient des produits de pneumonies vésiculaires et non des tuber- cules, attendu que nous ne possédons aucun critérium qui nous permette de distinguer un tubercule caséeux d'une nodosité miliaire caséeuse d'ori- gine inflammatoire. Je répète que, en faisant abstraction de la tuberculose delà muqueuse bronchique (voy. plus bas),. un développement secondaire de tubercules dans des poumons phthisiques me paraît exister très-fréquem- ment. Jusqu'ici nous n'avons pris en considération dans notre exposé des lésions anatomiques que les formes de beaucoup les plus fréquentes de la phthisie pulmonaire, c'est-à-dire celles qui, pendant toute leur durée, sont dues uni- quement à des processus pneumoniques, ou bien celles où la tuberculose ne s'ajoute à ces processus inflammatoires qu'à une période avancée de la phthisie ; cette dernière complication présente, il est vrai, de la gravité, mais elle ne prend pas une part essentielle aux destructions du poumon. Dans la phthisie tuberculeuse, telle que nous la comprenons, c'est-à-dire dans cette forme de phthisie pulmonaire dans laquelle les destructions du poumon sont produites par la fonte de tubercules et par des processus pneu- TUBERCULOSE DU POUMON. 257 moniques secondaires dépendant de la tuberculose, le développement des tubercules a généralement son point de départ dans la muqueuse bron- chique, ainsi que Virchow l'a démontré pour la première fois. Déjà dans la trachée et les grosses bronches, on rencontre souvent dans ces cas des pla- ques granuleuses consistant en une infinité de tubercules miliaires, ou bien des ulcères qui ont les caractères des ulcères tuberculeux primitifs et secon- daires de Rokitansky ; en outre, on trouve dans les bronches d'un plus petit calibre, indépendamment des signes d'un catarrhe purulent, de petites no- dosités blanchâtres ou jaunes, et l'on peut se convaincre sur des sections réussies que le développement tuberculeux, parti de la bronche, s'est étendu aux alvéoles latéraux et terminaux de cette dernière. Suivant la direction de la coupe, les groupes de tubercules formés de cette façon prennent l'as- pect d'agglomérations rondes ou coniques, de nodosités miliaires, ce qui ne s'observe jamais, ou du moins très-rarement, dans la tuberculose miliaire aiguë, dans laquelle le développement des tubercules ne part pas de la mu- queuse bronchique. — Les processus pneumoniques qui, dans la phthisie tuberculeuse, compliquent la tuberculose, sont en général beaucoup moins étendus que dans la phthisie qui procède exclusivement de pneumonies chroniques, ou dans celle où une tuberculose secondaire ne complique qu'à une période avancée les processus indurants et destructeurs; c'est là un point qui peut avoir son importance pour le diagnostic de la phthisie tuber- culeuse. Ce n'est que par exception qu'on observe également dans cette forme des cas où une grande partie et même un lobe entier du poumon ont été épaissis par des infiltrations pneumoniques. Aussi est-il rare que les infiltrations caséeuses conduisent par la suite à l'induration et au ratatine- ment. Presque toujours l'infiltrat caséeux tombe de bonne heure en déliques- cence et il se forme des cavernes. On trouve souvent, il est vrai, dans l'un ou l'autre sommet des endroits indurés de consistance calleuse, des tumeurs de matière caséeuse épaissie, des cavernes bronchiectasiqu.es, mais on peut facilement se convaincre que ces modifications n'ont rien de commun avec la maladie terminale, qu'elles appartiennent à un processus révolu. Les bronches présentent dans les poumons des phthisiques un aspect très- variable, comme cela ressort, du reste, de tout ce que nous avons dit. Un catarrhe purulent des plus petites bronches avec agrandissement de leur calibre, accompagne les infiltrations gélatineuses et caséeuses, et les pré- cède. — La destruction ulcérative de la paroi bronchique prépare la dés- agrégation des foyers infiltrés de matière caséeuse, et leur fonte débute presque toujours dans le voisinage immédiat d'une bronche. — C'est sur la muqueuse des bronches que se fait dans la phthisie tuberculeuse l'éruption des nodosités miliaires. — La plupart des cavernes qu'on rencontre dans la phthisie pulmonaire chronique sont d'origine bronchiectasique, d'un autre côté, un grand nombre de petites bronches, renfermées dans le parenchyme NIEMEYER. I — 17 258 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. infiltré et induré, sont oblitérées. Le contenu purulent des cavernes fer- mées qui sont dues à la désagrégation d'infiltrations caséeuses, se vide après qu'une communication s'est établie entre ces cavernes et une grosse bronche. Souvent on voit plusieurs grosses bronches s'aboucher dans de pareilles cavernes par un trou tantôt rond tantôt ovale, et dans une direction plus ou moins oblique, jamais la bronche ne se continue insensiblement avec la paroi des cavernes. — Enfin, la muqueuse des bronches est le siège d'un catarrhe avec sécrétion abondante et riche en cellules, même là où elle n'a pas subi de modifications profondes. Ce catarrhe bronchique est la source principale de l'expectoration des phthisiques. Un grand nombre de vaisseaux sanguins, surtout de nombreuses branches des artères pulmonaires, s'oblitèrent ordinairement dans le tissu infiltré et induré. Dans les parois des cavernes, ces vaisseaux oblitérés forment souvent des rebords saillants, et souvent aussi ils passent d'une paroi à l'autre en forme de ponts. 11 n'est pas fréquent de voir les parois vasculaires s'ulcérer avant l'oblitération du vaisseau; dans ces cas, on voit survenir des hémor- rhagies très-abondantes et dangereuses. — A cette occasion, nous attirons l'attention sur une distribution spéciale du sang qui s'observe fréquemment dans les poumons phthisiques. Tandis qu'un grand nombre de branches de l'artère pulmonaire s'oblitèrent, les branches des artères bronchiques se dilatent et conduisent du sang artériel au poumon ; les artères intercostales envoient également dans le poumon des prolongements vasculaires de nou- velle formation qui traversent les adhérences pleurétiques. De cette façon, le poumon phthisique reçoit plus de sang artériel que le poumon sain : une partie de ce sang se rend dans les veines pulmonaires, une autre dans les veines bronchiques, une autre encore dans les veines intercostales au tra- vers des adhérences pleurétiques. Comme de cette façon le sang des veines cutanées éprouve de la difficulté à se rendre dans les veines intercostales trop remplies, elles se gorgent et se dilatent, et nous voyons des réseaux vasculaires bleuâtres se dessiner sur la peau du thorax. La plèvre est presque toujours atteinte d'inflammation chronique dès que la maladie du parenchyme pulmonaire s'approche de la périphérie. Elle s'épaissit, et les deux feuillets s'unissent. L'épaississement peut devenir si considérable, que cette membrane ressemble, surtout au sommet du pou- mon, à une couenne fibreuse épaisse et compacte, et le plus souvent on ne parvient plus à séparer les deux feuillets sans déchirer le poumon. Dans beaucoup de cas, les deux feuillets adhèrent entre eux dans toute l'étendue du poumon; la cavité pleurale n'existe plus, et si dans ces circonstances la destruction s'étendait à la plèvre, il ne pourrait pas se développer un pneumothorax. Ce n'est que dans le cas où des foyers caséeux situés à la pé- riphérie subissent une fonte rapide, que la perforation de la séreuse arrive quelquefois avant que des adhérences se soient formées, ou avant que ces TUBERCULOSE DU POUMON. 259 dernières aient eu le temps de devenir assez résistantes pour empêcher l'in- troduction de l'air et des tissus décomposés dans la plèvre. — Dans la phthi- sie tuberculeuse et dans la tuberculose secondaire, on trouve souvent des tubercules miliaires, soit sur la plèvre elle-même, soit sur les pseudo-mem- branes qui se sont développées à la suite de la pleurésie chronique. Les cavernes s'agrandissent certainement, dans les cas les plus rares, parla tonte caséeuse de poussées successives de tubercules qui se développent dans leurs parois ; ce mode d'agrandissement a été considéré dans le temps comme le plus fréquent. En général, les cavernes, quelle que soit leur ori- gine, augmentent d'étendue, parce qu'un processus diphthéritique, une infiltration, suivie de fonte, prennent naissance dans leurs parois. Nous avons traité avec détail (voy. p. 46) la complication fréquente de la phthisie pulmonaire par des affections du larynx. Quant aux complications, également très-fréquentes, de la phthisie pul- monaire par les ulcérations intestinales et la tuberculose intestinale, par le foie gras et le foie lardacé, par Y inflammation parenchymateuse et la dégénérescence amyloîde des reins, il en sera question dans les chapitres consacrés à ces affections. Dans les cas récents, on trouve généralement une hypertrophie et une dilatation du cœur droit, dont la déplétion est entravée. Dans les cas chro- niques, au contraire, où la masse du sang est considérablement diminuée, le cœur est d'ordinaire flasque, petit et atrophié. Sur la langue et le palais des cadavres, on trouve souvent des dépôts blan- châtres, ressemblant cà du lait caillé, qui, vus au microscope, sont composés de filaments et de spores (oidium albicans, muguet). Les cadavres montrent généralement un amaigrissement extrême; toute graisse a disparu. La peau, mince et remarquablement blanche, est souvent couverte de squames épidermiques [pityriasis tabescentium). Très-fréquem- ment les pieds sont œdématiés; il n'est pas rare de rencontrer l'une ou l'autre des veines crurales oblitérée par un thrombus et la jambe correspon- dante très-infiltrée. Tout le cadavre est exsangue; ce n'est que dans le cœur droit qu'on rencontre des caillots mous en assez grande quantité, et seule- ment lorsque l'agonie a été longue. § 3. Symptômes et marche. Le tableau offert par la phthisie pulmonaire diffère suivant que les sym- ptômes sont dus, du commencement à latin, à des processus pneumoniques, ou qu'une tuberculose s'y est ajoutée dans le cours de la maladie, ou qu'enfin la maladie débute par une tuberculose du poumon. Dans la plupart des cas, chacune de ces trois formes peut être reconnue presque avec certitude. 260 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. Nous commencerons par soumettre à une courte analyse les divers sym- ptômes qu'on rencontre généralement chez les malades atteints de phthisie pulmonaire, et nous examinerons à l'occasion de chaque symptôme quel est parmi les processus observés dans la phthisie pulmonaire celui auquel ce symptôme doit être rapporté. Après cela, nous essayerons de donner un aperçu général de la marche de ces trois formes principales. Une accélération des mouvements respiratoires s'observe à divers degrés dans toutes les formes de phthisie pulmonaire ; elle doit être attribuée à des causes variées. — Une augmentation peu considérable des mouvements respira- toires n'est pas toujours accompagnée du sentiment pénible qui caractérise le besoin de respirer satisfait d'une façon incomplète ou avec effort, en un mot, de la dyspnée. Très-souvent, même dans la phthisie avancée, les ma- lades ne se plaignent de dyspnée que d'une façon passagère, dans les mo- ments où le besoin de respirer a été exagéré par un échange organique plus considérable, tandis que dans l'état de repos leurs ressources ordinaires suf- fisent pour mettre sans efforts pénibles leur sang en présence d'une assez grande quantité d'oxygène et céder l'acide carbonique accumulé dans le corps. D'un autre côté, une accélération considérable et continue des mou- vements respiratoires, accompagnée de dyspnée, qui évidemment ne fera qu'augmenter par les circonstances auxquelles nous venons de faire allusion, peut devenir un des symptômes les plus pénibles de la phthisie pulmonaire. L'augmentation des mouvements respiratoires et la dyspnée des phthi- siques dépendent, soit de la diminution de la surface respirante, soit du ca- tarrhe concomitant qui rétrécit le calibre des tuyaux bronchiques, soit, ce qui arrive plus rarement, des douleurs ressenties en respirant, soit enfin et avant tout de la fièvre. En général, il n'y a dyspnée qu'autant que plusieurs de ces facteurs agissent simultanément. Ainsi, la surface respirante peut être considérablement diminuée sans que les malades éprouvent de la dyspnée et sans que la respiration soit fortement accélérée pendant le repos, pour peu qu'il n'existe en même temps ni catarrhe considérable, ni douleurs en respirant, ni fièvre. Beaucoup de malades dont les poumons ont été indurés et détruits dans une si vaste étendue qu'il reste à peine la moitié des capil- laires pulmonaires pour l'échange des gaz, présentent même le nombre nor- mal de mouvements respiratoires, s'ils se tiennent tranquillement assis ou couchés dans leur lit. Ce phénomène se comprend facilement, si l'on consi- dère que, dans les conditions ordinaires, des hommes sains ne sont obligés de mettre en exercice qu'une faible partie des moyens que la nature a mis à leur disposition pour satisfaire le besoin de respirer. D'un autre côté, il ne faut pas perdre de vue qu'en cas d'épaississement et de destruction du pou- mon, les alvéoles encore existants et accessibles à l'air sont, sous une inspi- ration de force ordinaire, plus fortement dilatés, et par conséquent laissent échapper plus d'air pendant l'expiration que les alvéoles d'un poumon sain. TUBERCULOSE DU POUMON, 261 Cet échange de gaz plus considérable dans les alvéoles existants compense, au moins en grande partie, le fonctionnement des alvéoles détruits. Les granulations tuberculeuses, qui échappent ordinairement au contrôle de l'investigation physique, compriment un grand nombre d'alvéoles dissé- minés et une grande quantité de petites bronches, ce qui tend à diminuer de beaucoup la surface respirante. Une grande fréquence des mouvements respiratoires, sans matité et sans souffle, constitue par cela même un des symptômes les plus essentiels de la phthisie tuberculeuse, prise dans un sens restreint. Lorsqu'on s'aperçoit qu'un malade, qui, tout en présentant les signes d'un épaississement et d'une destruction pulmonaires, n'a eu jusqu'à présent que peu ou point de dyspnée, vient à respirer plus fréquemment et souffre d'une dyspnée fatigante, sans que ce phénomène puisse être expliqué par une augmentation physiquement appréciable de l'induration et de la destruction du poumon, ni par une élévation de la fièvre, etc., il y a forte- ment lieu de soupçonner qu'une tuberculose est venue compliquer la phthisie déjà existante. Il y a des cas où il suffit de la disproportion entre la faible étendue de la matité et le haut degré de fréquence de la respiration pour nous permettre de croire à l'existence de cette complication. Il semble inutile d'expliquer pourquoi l'accélération de la respiration chez les phthisiques est augmentée aussi bien par les douleurs pleurétiques que parl'exacerbation et l'extension du catarrhe chronique qui accompagne la phthisie, et par des complications telles qu'épanchements pleurétiques, hydrothorax, pneumothorax, etc. On comprend également que la fièvre augmente la fréquence des mouve- ments respiratoires, car la fièvre dépend d'une production exagérée de cha- leur, élevant la température de tout le corps. Le besoin de respirer doit être accru par la fièvre comme par tout effort corporel, parce que dans l'une et l'autre condition il se développe plus d'acide carbonique et il se consomme plus d'oxygène. Si l'on compare chez les phthisiques la fréquence respira- toire avec l'élévation de la température et la fréquence du pouls, on recon- naît que l'exagération du besoin de respirer est satisfaite en partie par des inspirations plus profondes, car aux courbes rapidement ascendantes qui sont dues aux oscillations ordinairement très-considérables de la température du matin et de celle du soir, ne correspondent presque jamais des courbes éga- lement rapides des mouvements respiratoires. Il est rare que l'augmentation de ces derniers aille, aux heures du soir, au delà de six à huit respirations à la minute. Dans beaucoup de cas, elle ne dépasse pas trois à quatre, et dans certains cas on ne remarque aucune augmentation. Les douleurs sur la poitrine et dans les épaules manquent souvent pendant toute la durée de la maladie. En général, elles accompagnent plus souvent les processus pneumoniques que les processus tuberculeux. Dans les cas ou l'insuffisance des données de l'exploration physique ne nous permet pas de 262 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. juger si nous avons affaire à de petits foyers pneumoniques disséminés ou à des tubercules, les points pleurétiques peuvent être d'une certaine valeur pour le diagnostic et le pronostic, surtout lorsqu'à côté de ce symptôme on rencontre des crachats sanguinolents. La toux et l'expectoration précèdent, dans beaucoup de cas, la phthisie d'un temps plus ou moins long; elles appartiennent alors au catarrhe prodromique, qui entraîne la pneumonie catarrhale par sa propagation aux alvéoles, et la phthisie pulmonaire par la transformation caséeuse et la fonte consécutive du produit inflammatoire. Il importe de constater chez chaque malade, si la fièvre, l'amaigrissement, la pâleur générale, etc., ne se sont manifestés qu'après que les malades avaient toussé plus ou moins longtemps et rejeté des crachats abondants, ou bien si ces phénomènes se sont montrés en même temps que la toux et la dyspnée, et avant que l'expectoration soit devenue très-abondante. Dans le premier cas, qu'on avait interprété jusque-là en ce sens, que la fièvre et l'amaigrissement seraient venus tardivement s'ajouter aux autres symptômes de la tuberculose arrivée à une période avancée1, il est, toutes choses égales d'ailleurs, plus probable qu'on a affaire à des pro- cessus pneumoniques, par contre dans le dernier, qu'il s'agit d'une phthisie tuberculeuse. La durée du catarrhe prodromique est variable. Il peut arriver que dès le second ou le troisième septénaire on aperçoit déjà les signes évidents d'une propagation du processus aux alvéoles et d'une phthisie au début. Cela arrive non-seulement dans la plupart des cas où la phthisie se rattache immédiate- ment à la rougeole et à la coqueluche, mais encore dans un grand nombre de ceux où la tuberculose est censée débuter sous le masque d'une fièvre catarrhale ou d'une grippe. — D'un autre côté, il arrive qu'un catarrhe existe depuis des mois et dés années, qu'il empire en hiver, s'améliore en été, jusqu'à ce qu'il finisse par envahir les alvéoles. Dans ces cas, le médecin est souvent sans inquiétude parce que, malgré la toux et l'expectoration, le ma- lade n'a pas de fièvre, qu'il conserve ses forces et se maintient dans un bon état de nutrition ; mais tout à coup la scène change et les symptômes de la phthisie se déclarent. Le siège primitif du catarrhe qui prend cette grave tournure, varie égale- ment selon les individus. Quelquefois il existe, dès le début, un catarrhe des dernières ramifications bronchiques, mais il n'est pas rare non plus que l'affection catarrhale commence dans le larynx et la trachée et ne s'étende que plus tard à ces endroits dangereux, d'où le processus envahit alors les alvéoles. La description suivante qu'on trouve dans le quatrième volume de la Clinique médicale d'Andral, un fervent défenseur de la doctrine deLaennec, 1 D'après Louis, ce serait le cas pour les quatre cinquièmes des malades, tandis que chez un cinquième seulement la fièvre éclaterait en même temps que la toux, etc. TUBERCULOSE DU POUMON. 263 montre combien ces cas sont fréquents : « La phlegmasie des voies aériennes, dont les symptômes précèdent ceux des tubercules, n'a pas toujours son point de départ dans les petites ramifications bronchiques, ni même dans les grosses bronches. Loin de là, nous l'avons vue plus d'une fois commencer par la partie supérieure du canal aérien, et, par exemple, ne consister d'abord que dans une simple laryngite. Les individus qui sont dans ce cas, et qu'il faut d'ailleurs distinguer de ceux chez lesquels la laryngite ne sur- vient qu'à une époque plus ou moins avancée de la phthisie pulmonaire, n'ont encore présenté aucune espèce de symptôme qui puisse révéler chez eux l'existence d'une affection quelconque du poumon, lorsqu'ils sont atteints d'une angine qui ne présente d'abord rien de grave. Cependant, la voix veste enrouée ; le larynx est le siège d'un sentiment de gêne plutôt que d'une véritable douleur. Au bout d'un temps plus ou moins long, la toux revient par quintes plus fatigantes; la sensation pénible, bornée d'abord au larynx, s'étend successivement à la trachée-artère et aux bronches ; chaque quinte de toux détermine une sorte de picotement désagréable, une chaleur incom- mode, quelquefois même une véritable douleur derrière le sternum : ici on peut suivre en quelque sorte pas à pas les progrès de la phlegmasie, qui s'est successivement propagée des organes de la déglutition et de la voix à la trachée-artère, aux bronches et à leurs ramifications. Alors seulement la maladie revêt un caractère plus grave. La circulation se trouble, la nutrition commence à s'altérer, et bientôt on ne peut plus douter que des tuber- cules (!) n'aient pris naissance dans le parenchyme pulmonaire. » Chez les personnes faibles et mal nourries on a plus à craindre que le catarrhe n'envahisse les alvéoles et que l'infiltration ne subisse la transfor- mation caséeuse, que chez les personnes d'une constitution robuste et bien nourries. Les individus qui ont souvent été atteints de catarrhes et dont les catarrhes antérieurs avaient toujours duré très-longtemps, sont surtout me- nacés de la maladie en question (voy. § 1). Enfin, les crachats expectorés pendant le catarrhe prodromal fournissent souvent des caractères qui permettent de juger de la gravité de la maladie. Si l'on remarque dans les crachats des stries fines, à contours nets et de couleur jaune foncé, c'est un signe de mauvais augure, car il prouve que le catarrhe a son siège dans les dernières ramifications bronchiques et que la sécrétion est très-riche en cellules. Ce siège et cette forme du catarrhe doi- vent surtout nous faire craindre l'envahissement des alvéoles. Pour la plu- part des médecins qui ne partagent pas notre opinion sur la phthisie, mais qui font, toujours dépendre cette maladie d'une tuberculose, les « crachats striés de lignes jaunes » (Louis) ne sont pas les signes d'un catarrhe pro- dromique, mais les signes d'une phthisie ou tuberculose commençante. Pendant la maladie elle-même, la toux et ï 'expectoration font rarement défaut; cependant on voit quelques cas isolés, dans lesquels l'infiltration 264 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. pulmonaire et sa transformation caséeuse, se développent sans avoir été nï précédées ni accompagnées d'une affection de la muqueuse bronchique- Chez de pareils malades, la toux et l'expectoration font souvent complète- ment défaut au début de la maladie. Des phénomènes fébriles, des troubles de l'état général, le manque d'appétit, la faiblesse et l'amaigrissement con- stituent les symptômes saillants et difficiles à interpréter jusqu'au moment où l'examen physique de la poitrine donne l'explication de ce qu'on observe. — Lorsque pendant une phthisie intestinale concomitante il se déclare une forte diarrhée, la toux et l'expectoration peuvent diminuer ou cesser com- plètement, même à une période avancée de la phthisie pulmonaire ; ce phénomène pourrait peut-être s'expliquer par une révulsion que détermine- rait la forte irritation de la muqueuse intestinale. Une toux rauque ou aphone compte parmi les signes les plus importants de- là phthisie tuberculeuse ou de la complication d'une phthisie pulmonaire, due primitivement à des processus inflammatoires destructeurs, par une tuberculose. Les cas éminemment intéressants, dans lesquels l'altération de la voix et de la toux provient chez les phthisiques d'une paralysie des cordes vocales, due à une pression exercée sur le nerf récurrent par des dépôts fibrineux d'ori- gine pleurétique (voy. p. 65), sont infiniment rares comparativement à ceux dans lesquels des ulcères tuberculeux de la muqueuse ont provoqué le?' symptômes dont il est ici question. Lorsque la toux ne devient rauque et aphone que dans une période avancée de la phthisie, on a affaire à une tuberculose consécutive; lorsqu'au contraire elle a ce caractère dès le début, et surtout à une époque où les crachats sont encore visqueux et transparents,, et où l'examen physique de la poitrine ne révèle aucune anomalie bien mar- quée, il y a fortement lieu de soupçonner l'existence d'une phthisie tuber- culeuse primitive. — Il n'est pas rare, comme cela a été dit antérieurement, que le développement tuberculeux débute dans la trachée et le larynx et n'envahisse que plus tard les petites bronches. Les crachats expectorés dans le cours d'une phthisie pulmonaire sont, il est vrai, pour la plus grande partie, le produit du catarrhe concomitant, mais ils peuvent cependant présenter certaines particularités qui facilitent beaucoup le diagnostic. Nous sommes complètement d'accord avec Canstatt, lorsqu'il dit que des crachats, conservant pendant longtemps le caractère de crudité propre aux crachats de la bronchite aiguë et accompagnant une toux et une fièvre opiniâtres, con- stituent un symptôme fort grave et de nature à éveiller le soupçon d'une tu- berculose ; en effet, c'est précisément le développement de tubercules sur la muqueuse bronchique qui est généralement accompagné d'une toux conti- nue et fatigante et de cette expectoration rare qui, pauvre en éléments cel- lulaires, répond au sputum crudum des anciens et aux crachats purement muqueux des modernes. TUBERCULOSE DU POUMON. 265 Si l'examen microscopique révèle que les crachats parcourus de stries d'un jaune foncé et à contours nets renferment des fibres élastiques, qui par leur forme appartiennent évidemment aux parois alvéolaires, la ma- ladie que nous avons redoutée en présence des crachats cités, existe de fait. La prolifération cellulaire excessive s"est étendue de. la surface de la muqueuse bronchique à la paroi des bronches et aux tissus environnants : la présence des fibres élastiques dans les crachats est un signe certain de phthisie. Le mélange intime de sang avec des crachats muco-purulents, par lequel ces derniers prennent une couleur uniforme d'un rouge jaune, est un signe pathognomonique de la pneumonie chronique ; si on les voit survenir dans le cours d'un catarrhe chronique, nous pouvons en conclure avec une grande vraisemblance que le catarrhe s'est étendu aux alvéoles. Si des cavernes se sont formées dans le poumon, l'expectoration prend une forme spéciale que l'on considère généralement comme pathognomonique de la phthisie pulmonaire et, fort à tort, de la tuberculose pulmonaire. On trouve dans le crachoir des crachats ronds, gris, nummûlaires, qui sont sé- parés les uns des autres par une quantité plus ou moins grande d'un mucus bronchique plus clair. Si l'on recueille l'expectoration dans un verre plus profond, on voit des masses arrondies, opaques, irrégulièrement globuleu- ses et à périphérie déchirée, tomber lentement au fond. Ces sputa globosa fundum petentia des anciens médecins, sont un sig7ie presque certain de la présence de cavernes dans le poumon. Vus au microscope, ils se composent en partie de jeunes cellules granulées, présentant les signes de la métamor- phose graisseuse, en partie d'une quantité très-considérable de corps irré- gulièrement anguleux et d'amas de détritus finement granulés ; enfin ils renferment très-souvent des fibres élastiques provenant des parois alvéolai- res. L'opacité et la teinte gris verdâtre de ces crachats sont dues à ce qu'ils renferment en quantité extraordinaire des éléments morphologiques, qui se sont mêlés à eux pendant leur séjour prolongé dans les cavernes; la forme arrondie dépend de ce que les crachats ont, en général, la tendance de con- server la forme des espaces qui les contenaient dans le poumon. La tendance de tomber au fond de la sécrétion bronchique doit être attribuée à ce qu'ils se trouvent mêlés à peu d'air'dans les cavernes, tandis que la sécrétion bron- chique, agitée par l'air inspiré et expiré, renferme plus de bulles d'air et est plus légère. Les petites masses rondes, caséeuses , nauséabondes , qui se montrent quelquefois dans l'expectoration et qui sont prises, surtout par le public, poul- ies tubercules mêmes, sont presque toujours des sécrétions épaissies des amygdales; quelquefois, mais rarement, ce sont de petites eschares diphthé- ritiques provenant de la paroi des cavernes. L'examen chimique ne fournit aucune donnée pour distinguer les crachats 266 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. expectorés pendant un simple catarrhe bronchique, de ceux rejetés dans la phthisie pulmonaire. La fièvre est un des symptômes les plus constants aussi bien de la pneumo- nie chronique que de la tuberculose. Ziemssen a montré que, chez les enfants, l'envahissement des alvéoles pulmonaires par le catarrhe est accom- pagné constamment d'une élévation considérable de la température et d'une augmentation de la fréquence du pouls. Il en est de même du début de la pneumonie catarrhale chez les adultes.. L'opinion de Louis qui admet que chez la plupart des malades (|) la fièvre ne se montre qu'à une période plus ou moins avancée de la tuberculose, s'explique si l'on songe que ce savant se place au point de vue de Laennec, et rapporte pour cette raison le catarrhe prodromique aune tuberculose déjà existante. Nous avons rappelé à plusieurs reprises les conséquences dangereuses de cette erreur, et nous croyons pou- voir affirmer que si l'on soumettait à un contrôle exact la température du corps et la fréquence du pouls dans les catarrhes même les plus simples, et si l'on traitait avec la plus grande sollicitude tout malade chez lequel la fiè- vre survient dans le cours d'un catarrhe traîné en longueur, on réussirait souvent à prévenir le développement et à empêcher les progrès de la phthisie pulmonaire. Si l'apparition de la fièvre est un symptôme important de l'envahissement des alvéoles par le catarrhe de la muqueuse bronchique, sa persistance est également le signe le plus certain que les processus pneumoniques ne sont pas arrivés à leur fin. Les courbes que donne le tracé graphique de la tem- pérature des phthisiques, prise le matin et le soir, se ressemblent générale- ment d'une manière extraordinaire, et elles permettent de diagnostiquer une phthisie pulmonaire presque aussi sûrement que d'autres courbes révè- lent l'existence d'une fièvre typhoïde ou d'une pneumonie croupale aiguë. La différence entre la température du matin et celle du soir est en général de 1° à 1°,5, rarement elle est plus faible, souvent beaucoup plus grande ; on trouve bien des fois que la température approche de la normale aux heures de la matinée, tandis que l'après-midi et le soir elle s'élève jusqu'à 39° et plus. Cette marche de la température n'appartient pas à toutes les fièvres de consomption. En comparant la courbe fébrile d'un phthisique à celle d'un individu atteint d'une longue suppuration périphérique, d'une carie, etc., on trouve une grande différence, principalement sous le rap- port de la régularité des rémissions du matin et des exacerbations du soir. Nous n'avons pas encore terminé nos longues recherches sur la fièvre hec- tique des phthisiques, et principalement sur les conditions qui en troublent la marche régulière, mais, dès à présent, nous pouvons dire que dans la phthisie tuberculeuse, prise dans le sens restreint, et dans la pneumonie des- tructive compliquée par une tuberculose les différences entre la température du matin et celle du soir sont généralement beaucoup moins considérables. TUBERCULOSE DU POUMON. 267 Notre pronostic sera donc plus favorable, tant que la fièvre sera rémittente, à type presque intermittent, que lorsqu'elle se rapprochera du type con- tinu. Dans les cas où la fièvre avait suivi la première de ces deux marches, nous avons souvent réussi à la modérer ou à la faire disparaître et à relever par là très-notablement l'état des forces et de la nutrition, tandis que nous ne pouvons citer aucun résultat de ce genre chez les malades dont la fièvre n'offrait pas de rémission matinale. Lorsque les masses caséeuses sont enkystées ou ultérieurement liqué- fiées et résorbées, la fièvre peut cesser complètement, et il n'est pas rare de voir des malades, porteurs de cavernes considérables au sommet du pou- mon, totalement exempts de fièvre. Dans ces cas (où la pneumonie s'est terminée par induration), les signes physiques et les crachats pelotonnés rejetés tous les jours, surtout aux heures de la matinée, contrastent quel- quefois singulièrement avec le bien-être accusé par le malade, avec son air de fraîcheur et avec l'état de ses forces et son embonpoint. Nous avons suffisamment exposé que ces personnes, malgré la terminaison de leur maladie par guérison relative, courent néanmoins le danger d'être enlevées par la phthisie, à la suite d'une récidive des processus pneumoniques ou •d'une tuberculose consécutive, et nous recommandons, comme une mesure utile, de continuer à les peser et à examiner de temps à autre leur tempéra- ture pour s'assurer si un des accidents précités ne s'est pas présenté. — Il résulte de ce qui précède que, dans la phthisie pulmonaire, la thermomé- trie a une importance aussi grande, si ce n'est plus grande, que dans n'im- porte quelle autre maladie, tant pour le diagnostic que pour le pronostic et le traitement. h' appauvrissement du sang et l'amaigrissement, phénomènes auxquels la phthisie pulmonaire doit son nom, ne sont traités par nous qu'après la fièvre, parce qu'à nos yeux il n'y a pas de doute que la fièvre n'en soit la source principale. — Parmi les preuves à l'appui de la théorie que l'élé- vation fébrile de la température dépend d'une augmentation dans la pro- duction de chaleur, une des plus frappantes est sans contredit la diminution rapide du poids du corps après une fièvre même de courte durée. Ce sont précisément les évaluations thermométriques et les pesages innombrables faits, pendant des années, dans ma clinique sur des malades atteints de phthisie pulmonaire, qui prouvent que la diminution et l'augmentation du poids du corps sont en rapport direct avec l'aggravation ou la disparition de la fièvre. L'hypothèse qu'une fièvre continue, d'une intensité modérée, surtout quand le malade garde continuellement le lit, le consume moins qu'une fièvre dans laquelle, comme dans la fièvre hectique des phthisi- ques, la température s'élève journellement d'un niveau approchant du niveau normal à un degré considérable, a quelque chose de très-séduisant. Dans tous les cas, la production de chaleur et l'usure des éléments du corps 268 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. sont très-considérables pendant l'ascension rapide de la fièvre, ainsi que cela a été prouvé par Immermann ; mais malgré cela nous hésitons à sou- tenir la justesse de cette hypothèse. — Il est d'une importance capitale pour le traitement de la phthisie pulmonaire de savoir que c'est avant tout la fièvre qui consume les forces et les éléments matériels du corps des phthisiques. Symptômes physiques. L'aspect extérieur nous dévoile chez beaucoup de malades atteints de phthisie pulmonaire évidente ou suspects de phthisie, ce qu'on appelle l'habitus phthisique. On désigne sous ce nom une conformation particulière du corps qui dénote une nutrition et un développement incomplets ; elle se rencontre chez des personnes qui ont été sous l'influence de causes débi- litantes, arrêtant le développement normal du corps avant que ce dernier ait terminé sa croissance. Les os sont grêles chez ces personnes, leur peau est fine, leurs joues sont légèrement colorées, la sclérotique est bleuâtre, le tissu cellulaire sous-cutané est pauvre en graisse. Le système musculaire est peu développé, les muscles du cou laissent le thorax s'affaisser, de sorte que le cou paraît trop long; les muscles intercostaux permettent aux côtes de s'écarter considérablement les unes des autres, les espaces intercostaux sont plus larges, l'angle que forment les côtes avec le sternum est plus aigu, toute la cage thoracique est moins bombée et généralement plus étroite et plus longue que chez des individus robustes et bien musclés. Souvent les épaules s'affaissent en avant et en bas, et les bords internes des omoplates font une saillie considérable. De nos jours on a beaucoup exagéré, il est vrai, la valeur diagnostique et pronostique de l'habitus phthisique. Il n'y a pas de doute que bien des per- sonnes ayant cet habitus ne deviennent jamais phthisiques et peuvent arriver à un âge très-avancé. Cependant ce fait n'est nullement en contra- diction avec l'opinion que l'habitus phthisique est un signe précieux de fai- blesse et de vulnérabilité de la constitution et dénote une prédisposition à la phthisie pulmonaire. Si l'on rencontre chez un malade qui a l'habitus phthisique un catarrhe des sommets du poumon, il y a plus craindre qu'il ne s'étende aux alvéoles ou qu'il s'y soit déjà propagé, que si un pareil catarrhe existe chez un homme bien musclé et à larges épaules. L'affaissement des fosses sus- et sous-clavicidaire, soit d'un côté, soit des deux, affaissement qui a joué un rôle si important dans la symptomatologie de la tuberculose pulmonaire telle qu'on l'avait admise jusqu'ici, n'indique ni une tuberculose, ni une infiltration caséeuse, ni une destruction du tissu pulmonaire, mais toujours et uniquement la diminution de volume du sommet du poumon par induration et ratatinement, Comme ce processus seul peut TUBERCULOSE DU POUMON. 269 déterminer l'affaissement du thorax, le symptôme en question constitue même un signe important d'une des terminaisons les plus favorables, d'une guérison relative des troubles nutritifs qui sont le plus souvent le point de départ de la phthisie. Ce n'est que dans le cas où, à côté de ce symptôme, il en existe d'autres qui nous permettent d'admettre une destruction pro- gressive, que nous sommes en droit de diagnostiquer une phthisie pulmo- naire. La diminution d'ampleur des mouvements respiratoires dans les parties supé- rieures du thorax, lorsqu'elle coïncide avez un affaissement des parties correspondantes, a une signification pareille à celle que nous avons attribuée à ce dernier symptôme. Dans ce cas, le parenchyme pulmonaire, rétracté et devenu inaccessible à l'air, ne peut plus céder à la traction exercée par les muscles inspirateurs. — Si les endroits qui ne se soulèvent pas pendant l'inspiration conservent leur voussure normale et qu'en même temps le son de la percussion soit étouffé à leur niveau, nous pouvons admettre un épais- sissement étendu du parenchyme pulmonaire et, très-probablement, une infiltration pneumonique. — Des mouvements respiratoires affaiblis en un endroit où la percussion ne montre pas de matité, mais un son normal ou un peu grêle et tympanitique, doivent nous faire soupçonner l'existence de tubercules; cependant ils ne constituent pas un signe absolu, attendu que de petites pneumonies lobulaires disséminées peuvent également affaiblir l'ampleur des mouvements respiratoires, sans présenter de matité à la per- cussion. On constate souvent que le choc du cœur se perçoit sur une. très-large surface et que la pointe de cet organe est déplacée en dehors, lorsque le lobe supérieur gauche du poumon est induré et ratatiné; en effet, par suite de cette lésion, le péricarde est mis à nu sur une grande étendue et le cœur est dévié à gauche. Ce symptôme dénote, comme l'affaissement de la paroi thora- cique, la guérison relative du processus pneumonique, et nous ne pouvons déclarer de pareils malades phthisiques que dans le cas où, à côté de ces symptômes, on observe encore ceux d'une destruction pulmonaire par des processus inflammatoires ou tuberculeux, de la fièvre, une diminution du poids du corps, etc. La palpation à laquelle on a, du reste, également recours pour contrôler les excursions de la paroi thoracique et les déplacements de la pointe du cœur, nous dénote assez souvent chez les phthisiques un frémissement pecto- ral anormal. Le plus souvent, le frémissement est plus fort au niveau des grandes cavernes remplies d'air et communiquant avec une bronche libre. L'exagération de ce symptôme peut également être produite par des infil- trations lobulaires et par une tuberculose étendue qui a donné lieu au relâ- chement du tissu pulmonaire. Cependant Seitz, dont j'apprécie à un haut point les opinions, prétend que, dans la phthisie pulmonaire surtout, le 270 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. caractère des vibrations sonores ne peut que bien rarement servir à établir le diagnostic. La percussion nous fournit des données très-importantes pour le diagnostic de la phthisie pulmonaire. Depuis que Seitz a éveillé mon attention sur la facilité avec laquelle on peut déterminer la limite supérieure du poumon, je ne néglige jamais d'examiner dans cette direction les malades atteints d'affections chroniques du poumon. Cette détermination est plus aisée en avant qu'en arrière, la bouche ouverte que fermée, parce que, la bouche étant ouverte , le son tympanitique de la trachée contraste mieux avec le son non tympanitique du sommet du poumon. Je puis affirmer que la hauteur du sommet du poumon qui, dans les conditions normales, est égale des deux côtés et qui, mesurée à partir de la clavicule, compte de trois à cinq centimètres, est très-souvent beaucoup plus basse dans les affec- tions chroniques du poumon, surtout d'un côté. L'abaissement de la limite supérieure du poumon prouve, comme l'affaissement des fosses sus- et sous- claviculaires, que les sommets sont indurés et ratatinés. La matité du son de la 'percussion, lorsqu'on l'observe principalement dans les régions sus- et sous-claviculaire, sur la clavicule elle-même, dans les régions sus-scapulaire et sus-épineuse, passe même aux yeux de beau- coup de gens du monde pour un symptôme pathognomonique de la phthisie pulmonaire. La plupart des malades qui consultent un nouveau médecin, savent parfaitement lui indiquer quelle a été l'étendue de la matité lors du dernier examen. Le son mat aux endroits que nous venons de nommer si- gnifie que le parenchyme pulmonaire est infiltré sur une grande étendue ou rendu imperméable par une néoplasie de tissu conjonctif; jamais une tuberculose ne donne lieu à un épaississement assez étendu pour que le son de la percussion devienne mat. En général, il faut donc considérer comme un signe favorable, que l'étendue de la matité soit en harmonie avec les- autres symptômes, et que la matité s'étende avec les progrès de la ma- ladie. S'il en est autrement , on doit craindre qu'il ne s'agisse d'une tuber- culose. Un son non mat, mais grêle et tympanitique, peut se rencontrer dans les infiltrations lobulaires et dans la tuberculose miliaire, lorsque ces affections diminuent la masse d'air contenue dans le poumon et produisent un relâche- ment de son tissu. Bien plus souvent cependant on n'observe dans les mala- dies que. nous venons de nommer aucune déviation du son normal de la percussion. Un son nettement tympanitique s'observe le plus fréquemment au niveau de cavernes remplies d'air. Si l'acuité du son tympanitique est modifiée lorsque le malade ouvre et ferme la bouche, c'est un signe certain d'une caverne. La sonorité métallique, très-rare, du reste, dans la phthisie pulmonaire,, permet d'admettre que sous l'endroit percuté il existe une grande caverne TUBERCULOSE DU POUMON. 271 vide, à parois lisses et régulièrement bombées; mais encore faut-il être sûr qu'on n'a pas affaire à un pneumothorax. — Le bruit dépôt fêlé se produit, lors- que par la percussion on chasse l'air d'une caverne superficielle et à parois minces dans une caverne voisine ou dans une bronche, ce qui donne lieu au sifflement si caractéristique de ce bruit. L'auscultation ne fournit au début de la maladie et souvent même à une période avancée que les signes d'un catarrhe au sommet du poumon, un bruit vésiculaire affaibli, ou bien le contraire, une respiration rude et saccadée, surtout une expiration rude et prolongée, mais avant tout des râles de caractère très-varié et des craquements tout particuliers. Quelquefois les râles humides et les craquements disparaissent après que le malade a toussé fortement. Plus souvent ces bruits anormaux ne sont entendus que pendant les premiè- res respirations qui suivent une quinte. (Seitz.) Pour cette raison il est bon de faire tousser les malades de temps en temps quand on les ausculte. — Les foyers péribronchitiques et pneumoniques, aussi longtemps qu'ils n'ont pas conduit à des épaississements considérables du parenchyme, les tubercules et les conglomérats tuberculeux, les cavernes entourées de parenchyme per- méable, ne donnent pas lieu àd'autres phénomènes d'auscultation qu'à ceux d'un catarrhe, c'est là un fait d'observation qu'on comprend facilement. Mais nous devons combattre de toute notre énergie l'opinion aussi fausse et aussi répandue que dangereuse pour les malades, opinion d'après laquelle les signes d'un catarrhe au sommet du poumon sont « pathognomoniques d'une tuberculose ou d'une phthisie pulmonaire ». Nous aussi, nous consi- dérons le catarrhe du sommet comme un phénomène grave ; plus il dure, plus il y a à craindre qu'il ne conduise ou qu'il n'ait conduit à ces troubles nutritifs qui deviennent le plus souvent la cause de la phthisie pulmonaire. Mais il n'est permis de dire que le catarrhe s'est en réalité étendu aux parois bronchiques et au parenchyme pulmonaire, ou qu'on a affaire à une irri- tation de la muqueuse bronchique, symptomatique d'une tuberculose pul- monaire, que dans le cas où il existe de la fièvre, de l'amaigrissement, de la pâleur des téguments, des fibres élastiques dans l'expectoration et d'autres symptômes de phthisie à côté des symptômes de catarrhe dans le sommet du poumon. La respiration bronchique, la bronchophonie et les râles avec retentissement, ou consonnants (Skoda), s'observent pendant la phthisie pulmonaire dans les cas où des épaississements étendus du parenchyme renfermant des bronches ou des cavernes volumineuses et remplies d'air, se sont formés à la surface du poumon. Des épaississements d'une pareille étendue ne sont jamais dus uni- quement à des tubercules ou à des conglomérats tuberculeux. Pour qu'on puisse décider si ces épaississements sont dus à l'infiltration ou à l'induration, s'ils renferment des cavernes ou dés bronches contenant de l'air, il faut se baser sur d'autres symptômes. Si les cavernes ou les bronches, qui parcou- 272 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. rent des parties pulmonaires privées d'air, sont remplies de mucosités, on n'entend pas de respiration bronchique. Enfin, on perçoit quelquefois à l'auscultation des bruits qui mettent com- plètement hors de doute l'existence de cavernes dans le poumon; pour cette raison on les a appelés bruits caverneux. Parmi les bruits caverneux nous comptons : 1° des râles à grosses bulles, perçus à des endroits où il n'existe pas de larges bronches, dans lesquelles ces bulles pourraient se produire, par exemple, et surtout, au sommet du poumon; 2° le passage subit, appelé par Seitz respiration métamorphosée, d'un bruit rude, sifflant, à une respiration indéterminée ou à la respiration bronchique, ou bien à des râles indétermi- nés ou consonnants. Ce signe très-fréquent et très-caractéristique se produit probablement de la façon suivante : au début de l'inspiration l'air entre par une étroite ouverture dans une vaste caverne, et au plus fort de l'inspiration l'endroit rétréci, qui existe entre la bronche et la caverne, est dilaté par des mucosités qui se détachent ; 3° la respiration amphorique, les râles â timbre métallique et le tintement métallique, ce dernier paraît produit par l'éclat de quelques bulles avec résonnance métallique. Ces bruits différents peuvent être produits artificiellement si l'on souffle au-dessus du goulot ouvert d'une bouteille, si l'on remue la bouteille devant l'oreille après y avoir mis un liquide, ou si on y laisse tomber une goutte pendant qu'on la maintient ap- pliquée à l'oreille. Ce n'est que lorsque de pareilles conditions se rencon- trent dans le poumon, c'est-à-dire, quand des parois lisses, régulièrement excavées, d'une caverne considérable, se font face, qu'on peut observer les bruits amphoriques et métalliques qui sont dus à la réflexion uniforme des ondes sonores par les parois. Le spiromètre, par lequel on mesure la capacité du poumon, c'est-à-dire la quantité d'air qui est expirée après une inspiration aussi profonde que possible, ne trouve que dans des cas rares une application au diagnostic de la phthisie pulmonaire. Ce sont les cas où la percussion et l'auscultation donnentdes résultats négatifs chez des individus atteints d'une toux opiniâtre, et chez lesquels on soupçonne pour cette raison l'existence d'infiltrations lobulaires ou de tubercules dans le poumon. La capacité vitale du poumon est de 3,300 centimètres cubes chez des hommes adultes et sains, mais elle varie selon le sexe, l'âge, le poids du corps, la taille. En prenant la taille comme exemple, on trouve qu'entre 5 et 6 pieds, chaque pouce augmente la capacité vitale du poumon d'à peu près 130 centimètres cubes. Mais même en tenant compte de toutes ces circonstances, on trouve toujours des varia- tions très-considérables, selon qu'on opère sur des. sujets plus ou moins habiles et exercés. Il résulte de là qu'ime capacité normale ou très-grande prouve que le poumon est sain, que de faibles diminutions de la capacité vitale normale ne peuvent pas servir au diagnostic, et qu'une diminution de plusieurs centaines de centimètres cubes peut seule aider à établir le diagnostic d'une TUBERCULOSE DU POUMON. 273 phthisie commençante ; car cette dernière diminution ne peut plus être attri- buée à l'inhabileté et à la faiblesse des muscles inspirateurs, lorsque d'autres obstacles à la respiration ont pu être exclus. Nous essayerons maintenant de retracer sous leurs principaux traits le tableau qu'offrent dans leur marche les diverses formes de la phthisie pulmo- naire et, pour commencer, nous nous occuperons delà forme dans laquelle les phénomènes morbides sont dus exclusivement à des processus pneumoniques et à leurs terminaisons. Il n'est pas rare que cette forme débute par les symptômes plus ou moins violents d'une affection aiguë. Dans cette catégorie rentrent les cas dans lesquels une pneumonie croupale, au lieu de se terminer par résolution, conduit à une infiltration caséeuse et à la phthisie pulmonaire ; ensuite, ceux dans lesquels le sang, versé par une hémoptysie dans les bronches et les alvéoles et coagulé dans leur intérieur, provoque des processus pneumo- niques intenses et étendus ; enfin les cas dans lesquels un catarrhe aigu des bronches envahit les alvéoles de grandes portions du poumon. La terminaison, d'ailleurs rare, d'une pneumonie croupale par infiltration caséeuse et phthisie pulmonaire, doit être redoutée lorsqu'à la fin du premier ou au commencement du second septénaire la fièvre ne cesse pas, qu'elle s'exaspère considérablement aux heures de la soirée et offre une rémission le matin.au milieu d'une forte transpiration; lorsque la matité persiste, lors- qu'à son niveau on entend encore pendant quelque temps des râles humides, métalliques, et qu'en même temps la toux amène d'abondants crachats muco- purulents. La présence de fibres élastiques dans l'expectoration et l'existence de bruits caverneux ne laissent plus de doute sur la fonte du tissu infiltré de matière caséeuse. La plupart des malades périssent au bout d'un petit nom- bre de semaines, consumés par la fièvre intense. — Il est beaucoup plus rare qu'à une époque où déjà on s'était abandonné aux inquiétudes les plus sé- rieuses, la fièvre cesse ; les crachats deviennent alors moins abondants, les malades commencent à se remettre lentement, mais la matité persiste et le thorax s'affaisse peu à peu dans l'étendue de cette matité ; au bout d'un certain temps on trouve les signes évidents de l'induration et du rata- tinement de la portion malade du poumon et souvent ceux de cavernes bronchiectasiques . Une marche fort analogue est celle des processus pneumoniques qui se rat- tachent immédiatement à une hémoptysie ou aune pneumorrhagie, et qui, d'après notre opinion, sont provoqués par le sang épanché et coagulé dans les bronches et les alvéoles. Plus la matité qui se produit dans le cours d'une hémoptysie est étendue, plus elle persiste longtemps, plus les symptômes pleurétiques sont prononcés, plus le malade a de fièvre et plus cette fièvre se prolonge : plus aussi on a à craindre que le sang épanché et le paren- N1EMEYER. . 1—18 274 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. chyme pulmonaire enflammé n'aient subi la métamorphose caséeuse et que de vastes destructions du poumon ne menacent de se former. Cependant nous avons montré (p. 175) que dans ces cas encore la masse caséeuse peut ultérieurement être liquéfiée et résorbée ou enkystée, et que la partie ma- lade du poumon peut s'indurer et se ratatiner à la suite d'une hyperplasie du tissu conjonctif. De même, Y envahissement de nombreux alvéoles 'pulmonaires par un catarrhe aigu est quelquefois accompagné de phénomènes morbides si graves, d'une fièvre si intense, d'un épuisement si prompt des forces et d'une diminution si considérable de l'embonpoint, que le diagnostic peut offrir des difficultés au commencement. Il est pardonnable dans ces cas, si l'on s'attache pendant un certain temps (en attendant qu'on ait des points de repère plus positifs) à l'idée que le catarrhe et la fièvre intense dépendent d'une infection ou d'une tuberculose aiguë du poumon. Mais bientôt le tableau se dessine mieux : quelques crachats prennent, par leur mélange intime avec du sang, la coloration pathognomonique des crachats pneumoniques; il se présente des douleurs pleur étiques plus ou moins vives, plus ou moins étendues; le son de la percussion dans les parties supérieures du thorax devient grêle et tympanitique, et même mat si les foyers primitivement lobulaires se réunis- sent pour former des épaississements étendus; dans les mêmes conditions, les râles, indéterminés au commencement, deviennent consonnants, la res- piration devient bronchique, etc. — Il peut arriver que ces infiltrations ca- tarrhales, développées d'une manière aiguë, se résolvent complètement: mais on voit beaucoup plus fréquemment le tissu infiltré subir la métamor- phose caséeuse et se désagréger en peu de temps. La plupart des cas de phthisie galopante, où dans l'espace de quelques semaines il se forme de vastes destructions du poumon, où les malades maigrissent au milieu d'une fièvre violente et périssent rapidement, la plupart de ces cas, disons-nous, sont dus à la propagation d'un catarrhe aigu aux alvéoles de grandes portions du poumon et peuvent être envisagés comme la terminaison d'une pneumo- nie catarrhale aiguë ou subaiguë en phthisie galopante. — Si le processus en question a envahi tout un lobe du poumon, il est rare d'observer la ré- sorption ou l'enkystement de la masse caséeuse, suivi de l'induration et du ratatinement de la portion malade du poumon. Cette terminaison est beau- coup plus fréquente lorsque le processus a pris peu d'extension. — Dans un grand nombre de cas où l'on observe l'affaissement des fosses sus- et sous- claviculaire et l'abaissement de la limite supérieure du poumon, on peut ramener ces états à une pneumonie catarrhale aiguè qui a traîné en lon- gueur et s'est terminée par induration et ratatinement. Il n'est même pas rare d'observer des malades qui, après des intervalles plus ou moins longs, subissent à plusieurs reprises les atteintes du même mal, les traversent heu- reusement, mais conservent après chaque récidive une extension de la matité TUBERCULOSE DU POUMON. 275 et un enfoncement du thorax plus considérables, jusqu'à ce qu'ils soient finalement enlevés par un processus pneumonique plus grave ou par une tuberculose. Contrairement à ce que nous avons vu jusqu'ici, la propagation d'un ca- tarrhe des bronches aux alvéoles peut se faire sans symptômes violents et même d'une manière tout à fait latente. Très-souvent on rencontre à l'au- topsie des rétractions cicatricielles dans le sommet du poumon, des foyers caséeux enkystés, des indurations calleuses, comme résidus de processus pneumoniques qui se sont complètement soustraits à l'observation. — De même, on trouve chez beaucoup de personnes un enfoncement des cavités sus- et sous-claviculaire et un niveau trop bas de la limite supérieure du poumon, sans qu'on puisse découvrir à quelle époque et par quels sym- ptômes s'est manifestée la pneumonie qui a donné lieu à l'induration et au ratatinement du sommet du poumon. — Cependant, pour peu que le pro- cessus ait une certaine étendue, la pneumonie catarrhale chronique est égale- ment toujours accompagnée de fièvre. Cette fièvre lente et insidieuse passe, il est vrai, ordinairement inaperçue ou est méconnue par les malades et quelquefois même, pendant un certain temps, par le médecin, parce que les phénomènes subjectifs plus palpables, tels que frissons, sensation de cha- leur, augmentation de la soif, etc., sont peu considérables et s'effacent de- vant les suites de l'usure organique exagérée et devant l'influence fâcheuse que la fièvre exerce sur l'appétit, sur la digestion, sur l'hématose et la nutrition. Lorsqu'un malade, atteint d'un catarrhe chronique des bronches qui jus- que-là n'avait exercé aucune influence fâcheuse sur sa santé et ses forces, perd l'appétit, devient pâle et maigre et s'aperçoit d'une diminution consi- dérable de ses forces, il y a lieu de soupçonner que le catarrhe s'est étendu aux alvéoles, et il est très-urgent de s'assurer par des mensurations exactes de la température du corps et par des explorations répétées de la poitrine, s'il existe de la fièvre et si l'on peut découvrir des épaississements dans le tissu pulmonaire. — La forme chronique de la pneumonie catarrhale a une tendance marquée à se terminer par induration et ratatinement, lorsque les conditions extérieures sont favorables, mais elle a une tendance aussi grande à récidiver, lorsque les individus sont placés dans de mauvaises conditions. C'est là ce qui explique pourquoi un très-grand nombre de malades se trou- vent, pendant la saison d'été, dans un état supportable et voient leurs forces et leur embonpoint augmenter malgré des indurations calleuses considé- rables et des cavernes bronchiectasiques dans les sommets du poumon, tandis qu'en hiver, surtout s'ils travaillent et s'ils sont forcés de s'exposer à des refroidissements, ils ont de la fièvre, deviennent faibles, pâles, maigres, et contractent de nouveaux épaississements du poumon. Ces alternatives se répètent souvent pendant un grand nombre d'années. De pareils malades 276 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. fournissent un grand contingent aux hôpitaux, où ils sont généralement des hôtes peu agréables, à moins qu'ils ne présentent des symptômes physiques rares, et cela parce que la «tuberculose pulmonaire chronique (!) » est con- sidérée généralement comme une maladie peu intéressante. La grande influence qu'exercent les mesures thérapeutiques et surtout diététiques (dans le sens le plus large) contre cette forme de la phthisie, la plus fréquente de toutes, s'explique parfaitement lorsqu'on se place à notre point de vue, et fournit en quelque sorte la preuve de la justesse de notre manière de voir. Le développement d'une tuberculose dans le cours d'une phthisie pulmonaire sortie d'un processus pneumonique peut se faire d'une manière si latente qu'on ne peut pas la reconnaître, ou au moins que le diagnostic n'est pas complè- tement sûr. — Dans beaucoup d'autres cas, au contraire, surtout dans ceux où le poumon devient le siège de tubercules très-nombreux et où la tubercu- lose s'étend également à d'autres organes, le diagnostic n'offre pas de diffi- culté. — Lorsque nous trouvons qu'un individu atteint de phthisie devient très-oppressé, sans que la matité gagne en étendue, lorsque la fièvre persiste malgré le traitement, que la fièvre rémittente se transforme en fièvre conti- nue, que la diarrhée vient remplacer la tendance antérieure à la constipa- tion, que l'enrouement, l'aphonie ou les symptômes connus d'une affection des méninges à la base du cerveau viennent s'ajouter aux autres symptômes, nous pouvons dire en toute confiance que, dans le cas donné, une tubercu- lose est venue compliquer la phthisie. Chez les jeunes sujets, dont la tuber- culose a une tendance particulière à envahir les méninges cérébrales, ce sont surtout les symptômes cérébraux qui fournissent des points de repère au diagnostic, tandis que, chez les personnes âgées, ce sont les phénomènes morbides du côté de l'intestin et du larynx qui nous aident à reconnaître la complication. Enfin, le tableau offert par la phthisie tuberculeuse diffère essentiellement,, par son début et sa marche, des formes décrites jusqu'à présent ; il est le plus souvent tellement caractéristique que le diagnostic de cette forme de phthisie, assez rare du reste, est d'ordinaire facile. Ce qui la différencie d'abord, c'est l'absence du catarrhe prodromique. Ce n'est pas à l'époque où les malades rejettent d'abondants crachats muco-purulents que commencent la fièvre et la consomption, mais l'éruption tuberculeuse, surtout si elle est très-abondante, est accompagnée immédiatement d'une forte élévation de température et d'une rapide consomption du corps par la production exagé- rée de calorique. Lorsque nous apprenons qu'un malade n'a commencé à tousser et à expectorer qu'après avoir rapidement perdu les forces, pâli, maigri dans les semaines précédentes, il y a lieu de craindre qu'il ne soit atteint d'une phthisie tuberculeuse. Ce soupçon prend plus de consistance si le malade est extraordinairement court d'haleine et si l'examen physique de la poitrine donne au début des résultats négatifs; plus tard, le son de la TUBERCULOSE DU POUMON. 277 percussion peut devenir mat par des processus pneumoniques consécutifs, la respiration peut devenir bronchique, les râles consonnants, mais il est rare que les épaississements du poumon soient aussi étendus que dans les formes de la phthisie dont il a été question plus haut. Le sonde la voix et de la toux est ordinairement enroué de bonne heure, et si la dégénération tuberculeuse du larynx. devient considérable et s'étend rapidement, on voit se développer les symptômes si connus et si pénibles de la phthisie laryngée. De même aussi les signes de la tuberculose intestinale et de la phthisie tuberculeuse de l'intestin ne se font généralement pas longtemps attendre. La consomption est hâtée par une diarrhée profuse; le ventre devient sensible à la pres- sion, etc. Il est rare que la maladie dure au delà de quelques mois. La plu- part des malades succombent avant ce terme. Nous serions entraîné trop loin si nous voulions décrire dans tous leurs détails les modifications nombreuses que subissent dans leur marche les dif- férentes formes de phthisie pulmonaire, soit par l'individualité des malades, soit par les nombreuses alternatives de processus aigus ou chroniques, soit par les accidents et complications de toute sorte. Nous sommes convaincu, du reste, que notre exposition a été assez complète pour qu'on puisse ran- ger sans difficulté la plupart "des cas de phthisie pulmonaire, qu'on a obser- vés soi-même ou empruntés à des observations complètes et bien rédigées, dans l'une ou l'autre des catégories que nous venons d'établir. Il résulte de notre exposé que la mort est la terminaison la plus fréquente •de toutes les formes de phthisie pulmonaire et l'unique terminaison de la phthisie tuberculeuse, mais que dans les formes dépendant de processus pneumoniques, une amélioration et une guérison relative ne sont pas si rares qu'on l'admet ordinairement. Nous avons suffisamment fait remarquer que même les personnes chez lesquelles tous Tes signes de la phthisie pulmo- naire ont disparu, et qui se sont complètement remises de leur maladie, sont exposées plus que d'autres à succomber à des récidives de processus pneumoniques ou à la tuberculose. La mort arrive le plus souvent par une consomption lente, par phthisie, dans le sens propre. L'amaigrissement des malades finit par atteindre, dans ces cas, le plus haut degré ; la peau amincie devient trop ample, parce que la graisse qui se trouvait au-dessous d'elle a complètement disparu, et que les muscles sont atrophiés. Les os malaires font saillie au-dessus des joues enfoncées, le nez paraît plus long et plus pointu, la cavité orbitaire, dont la graisse a été résorbée, semble trop grande pour les yeux ; les ongles se re- courbent parce que le coussinet graisseux des dernières phalanges a disparu. Assez souvent les malades, qui au début sont en général maussades et entê- tés, deviennent plus tard gais et doux. Quelques-uns ont peu de temps avant la mort pleine confiance en leur guérison et meurent au milieu des projets d'avenir les plus vastes. Mais souvent aussi on voit survenir vers la fin des 278 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. accidents très-pénibles. Parmi ceux-ci il faut compter la toux incessante qui prive le malade du repos de la nuit, surtout s'il existe en même temps une phthisie laryngée; le développement du muguet dans la bouche et le pha- rynx, qui entrave la mastication et la déglutition; les eschares qui provo- quent de violentes douleurs; un œdème très-douloureux de l'un ou de l'autre pied, dû à la thrombose des veines crurales, etc. Dans ces cas, la dernière période de la maladie dure souvent trop longtemps pour le méde- cin, pour la famille et pour le malade lui-même , qui aspire à sa déli- vrance. Il est beaucoup plus rare que la mort arrive dans le cours de la phthisie pulmonaire à la suite d'une hémorrhagie. Cet accident se rencontre le plus souvent lorsqu'un vaisseau non oblitéré de la paroi d'une caverne s'ulcère, ou bien qu'il cède à la pression sanguine sur le côté qui fait face à la ca- verne et où il n'est pas entouré de tissu induré, qu'il se dilate, forme un anévrysme et éclate à la fin. A la suite des pneumorrhagies de cette nature, le malade meurt rapidement par manque de sang, ou bien il est suffoqué parce que la trachée et les bronches sont remplies de sang et que l'arrivée de l'air au poumon devient impossible. Lé pneumothorax, dont nous parlerons plus tard avec détail, la dégënéra- tion secondaire des reins, la phthisie et la tuberculose intestinales, la pneu- monie, la pleurésie ou d'autres maladies intercurrentes amènent ou hâtent la terminaison fatale plus souvent encore que les hémorrhagies. § h. Traitement. Le traitement de la phthisie pulmonaire repose sur une base beaucoup plus solide, depuis que l'on sait que dans cette maladie il ne s'agit ordinai- rement que de processus pneumoniques, et, dans quelques rares cas seule- ment, d'un néoplasme. Ce n'est pas que nous devions à cette découverte des a spécifiques infaillibles contre la phthisie » , mais au moins elle nous permet de formuler des indications plus précises dans l'emploi des moyens usuels et d'arriver, dans beaucoup de cas, par leur application méthodique et persévérante, à de meilleurs résultats que ceux qui avaient été obtenus à une époque où la phthisie pulmonaire était considérée comme étant aussi incurable qu'une affection carcinomateuse et était traitée en conséquence. La prophylaxie de la phthisie pulmonaire exige d'abord que les individus chez lesquels nous remarquons les indices d'une mauvaise nutrition et d'une constitution débile, et surtout ceux qui nous ont fourni les preuves positives d'une grande vulnérabilité et qui sont prédisposés aux affections donnant lieu à des produits caséeux, soient placés dans des conditions telles que nous puissions en espérer une amélioration de la constitution et une extinction de la disposition morbide. TUBERCULOSE DU POUMON. 279 On ne doit pas permettre que des enfants faibles, surtout ceux dont les parents sont phthisiques ou affaiblis par une autre maladie, soient allaités par leur mère; mais il est tout aussi peu permis de les élever artificiellement, il faut leur donner une bonne nourrice. Une fois sevrés, on leur donnera presque exclusivement du lait de vache au lieu des bouillies et des panades en usage; la dentition terminée, on leur fera prendre un peu de viande. Le même régime doit être suivi pendant toute l'enfance, qu'il se présente ou non des gonflements ganglionnaires, des exanthèmes humides et d'autres affections dites scrofuleuses, ou que l'enfant n'ait que l'habitus scrofuleux. Il vaut mieux prescrire exactement la quantité de lait que l'enfant doit prendre et permettre, lorsqu'il a bu cette portion de lait, qu'il mange à volonté du pain, des pommes déterre, etc., que prévenir les parents par des phrases banales, du danger auquel on expose les enfants par un usage immodéré du pain et de pommes de terre. Si l'enfant a pris une quantité suffisante de lait, il peut sans inconvénient manger de ces ali- ments. La prescription usuelle que l'enfant ne doit rien manger de sec, est irrationnelle ; il vaut mieux que le pain qu'il mange soit sec, car s'il est obligé de mâcher, l'amidon sera suffisamment imprégné de salive, il sera plus complètement transformé en sucre et l'assimilation en deviendra plus facile. D'un autre côté, si l'enfant prend du lait pur, il en boira plus que mélangé avec d'autres aliments. — Il est évident que ces prescriptions sont également applicables à l'enfant chez lequel la faiblesse de la constitution, ,se montrant souvent de bonne heure sous la forme de la scrofulose et pré- disposant à la phthisie, n'est pas congénitale, mais acquise. Il est tout aussi important d'ordonner un air pur que de régulariser le régime. Beaucoup de médecins ne tiennent pas assez compte des faits cités dans le § 1er, en ce qui concerne l'influence nuisible qu'exerce un séjour trop prolongé dans la chambre sur le développement de la scrofulose et de la phthisie. On permet très-facilement que des enfants faibles et maladifs passent journellement six heures sur les bancs d'une classe trop remplie d'élèves, qu'en outre ils fassent leurs devoirs à la maison, qu'ils prennent encore des leçons particulières, qu'ils s'exercent au piano, etc. L'usage de l'huile de foie de morue, le mois qu'on passe de temps en temps à une sta- tion d'eau saline, ne peuvent pas anéantir les conséquences fâcheuses d'un pareil régime. Dès que l'influence préjudiciable d'un séjour trop prolongé dans les salles d'école se fait sentir, il faut exiger avec énergie que les études soient restreintes ou même que l'enfant quitte complètement l'école pendant un certain temps. Evidemment on rencontre souvent une résistance obstinée à ces conseils, mais dans une série de cas où j'ai obtenu que l'instruction fût complètement laissée de côté pour un temps plus ou moins long et que les enfants fussent laissés à l'air libre pendant la plus grande partie de la jour- née, je suis arrivé à des résultats qui me surprenaient moi-même et don- 280 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. naient aux parents l'entière conviction que le succès n'était pas trop chère- ment acheté. Lorsque les parents sont dans l'aisance, on devrait les engager à passer l'hiver dans le Midi, s'ils ont de.s enfants faibles et scrofuleux, surtout si ces derniers ont eu plusieurs atteintes de croup et de bronchites ; ces enfants pourraient de cette façon passer au grand air les mois qui chez nous sont trop froids; cette mesure est surtout mise en vigueur en Russie où l'influence fâcheuse du séjour dans les appartements est bien plus évidente à raison de la longueur de l'hiver. Si chez l'adulte les signes de faiblesse et de vulnérabilité sont associés à à ceux de l'anémie, il faut recommander l'usage des préparations ferrugi- neuses et surtout de l'eau ferrugineuse de Pyrmont, Dribourg, Imnau, etc. Je crois que de pareilles cures méritent d'être employées comme mesures prophylactiques contre la phthisie pulmonaire plus qu'on ne l'a fait jusqu'à présent. Il faut faire rentrer ensuite dans la prophylaxie de la phthisie pulmonaire le soin d'éviter tout ce qui peut amener des hypérémies pulmonaires et des ca- tarrhes bronchiques, en un mot, tout ce que nous avons rangé, dans le § 1er, parmi les causes occasionnelles de la phthisie. On défendra très-sévèrement aux personnes chez lesquelles on suppose une prédisposition à la phthisie pulmonaire, la respiration d'un air chargé de poussière et de fumée, etc., d'un air trop froid ou trop chaud ; on défendra également de trop courir, chanter, danser, de même que l'usage des boissons spiritueuses et chaudes. Il faut veiller avec le même soin à ce que des refroidissements de la peau soient évités, à ce que ces personnes portent des gilets de flanelle, etc. Sous ce rapport nous n'aurions qu'à répéter les recommandations que nous avons faites en parlant de la prophylaxie des hypérémies pulmonaires et des ca- tarrhes bronchiques. Enfin, la prophylaxie de la phthisie pulmonaire exige que, lorsqu'on a le moindre soupçon d'une prédisposition à cette maladie, on traite avec le plus grand soin tout catarrhe, quelque léger qu'il paraisse, et qu'on ne cesse pas de prendre des précautions avant que le catarrhe ait complètement disparu. Un grand nombre de malades sont sacrifiés au préjugé enraciné qu'un « catarrhe négligé ne peut jamais donner lieu à la phthisie » . Les règles que nous avons tracées pour éviter la phthisie pulmonaire doi- vent être suivies avec la même rigueur lorsque la maladie s'est déjà déclarée et qu'elle a fait des progrès. Il est, par conséquent, inutile d'énumérer à part les mesures prescrites par Yindication causale, car elles sont les mêmes que celles dont nous avons parlé dans la prophylaxie. Quand un catarrhe bronchique s'est étendu aux alvéoles pulmonaires, ^indication de la maladie exige les mêmes prescriptions que nous avons re- commandées pour le traitement des inflammations chroniques en général. Avant tout il faut garantir le poumon malade, comme tout autre organe en- TUBERCULOSE DU POUMON. 281 flammé, contre toute cause morbifique nouvelle. 11 est extraordinaire combien de fois on voit pécher, par un grand nombre de médecins, contre cette pres- cription si simple et qui est si naturelle quand on se fait une juste idée de la phthisie. On voit tous les jours que des hommes dans l'aisance, qui sont atteints d'une phthisie pulmonaire avancée, ne sont pas engagés par leurs médecins avec la sévérité nécessaire, à se retirer des affaires, à ne plus fré- quenter les clubs et les cafés remplis de fumée de tabac. Trop souvent ce sont précisément ces influences nuisibles, si pernicieuses au poumon en- flammé, auxquelles le malade s'expose dans les circonstances citées, qui favorisent essentiellement l'extension de l'inflammation chronique et sa terminaison par fonte moléculaire; tandis qu'en évitant avec soin ces causes morbifiques, le malade voit, souvent avec une rapidité surprenante, se pro- duire un arrêt dans la maladie et une amélioration de son état. L'influence favorable qu'exerce sur la phthisie la protection du poumon malade contre toute influence fâcheuse, se fait sentir beaucoup plus clairement encore dans la population pauvre qui cherche un refuge dans les hôpitaux. Beaucoup de malades qui entrent dans un état si désolant qu'on attend leur fin prochaine, quittent l'hôpital après quelques semaines, sensiblement améliorés et plus forts, quelquefois même le poids de leur corps a considérablement aug- menté. Souvent, il est vrai, au bout de peu de temps les mêmes malades demandent à rentrer à l'hôpital, parce que leur état a rapidement empiré sous l'influence de l'intempérie de l'air ou d'autres causes nuisibles aux- quelles ils étaient exposés depuis leur sortie. Pour garantir les poumons contre toute nouvelle irritation, je conseille- rais à la plupart des phthisiques de garder la chambre pendant tout l'hiver et d'y maintenir une température aussi uniforme que possible, si cette me- sure n'avait pas contre elle les raisons très-sérieuses que nous avons déjà exposées. On peut éviter de nuire au malade par l'une ou l'autre manière d'agir, si on leur fait sauter l'hiver jusqu'à ce que leur santé soit rétablie, c'est-à-dire si on les envoie pendant cette saison dans des localités où ils peuvent passer en dehors des appartements la plus grande partie de la jour- née, sans risquer de se refroidir et sans respirer un air froid et rude. C'est là, d'après notre avis, le seul motif rationnel de prescrire le séjour aux sta- tions hivernales. On ne doit pas négliger d'imposer ce sacrifice à ces indivi- dus, si leurs moyens le leur permettent, mais on leur fera bien comprendre que l'air des contrées où on les envoie ne renferme pas des substances par- ticulières capables de guérir leurs poumons malades. Lorsque les malades comprennent les raisons pourquoi on leur fait passer l'hiver à Nice, à Cannes, à Menton, à Pau, à Pise, à Alger, au Caire ou à l'île Madère, ils y vivront avec les précautions qui seules promettent le succès. Dans le cas contraire, il vaudrait souvent mieux pour eux d'être restés à la maison. Si l'on veut suivre ces principes, il faut envoyer les malades avant l'entrée de 282 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. l'hiver, pendant les mois d'automne, à Soden, à Badenweiler, à Wiesbaden et surtout au lac de Genève, où ils peuvent faire en même temps une cure de raisin et où ils sont aussi bien jusqu'à l'entrée de l'hiver que chez nous pendant l'été. Ce ne sont que les malades très-intelligents et très-prudents et dont on est convaincu qu'ils resteront dans leurs appartements pendant les mauvais jours, qu'on peut envoyer passer l'hiver à Nice, à Menton, à Pise, à Pau, à Cannes, à Ajaccio. Mais il vaut toujours mieux envoyer les personnes qui en ont les moyens à Alger, au Caire, à l'île Madère. Les avan- tages que peut présenter l'une de ces localités sur les autres n'ont pas encore été suffisamment établis, et les indications particulières qu'on a voulu for- muler pour Alger, le Caire ou Madère, selon la nature et la marche de la maladie, sont si vagues et si peu positives, qu'on ne peut pas s'y fier dans la pratique. Le fait capital sera toujours que les malades, partout où ils se trou- vent, usent de toutes les précautions possibles dans leur manière de vivre j et qu'ils se laissent guider par un médecin intelligent et sévère. Les malades qui ne peuvent pas changer de climat emploient avec avan- tage un respirateur : c'est un treillage à mailles fines par lequel on respire et qui est chauffé par l'air sortant des poumons; mais un mouchoir main- tenu devant la bouche, qui lui aussi s'échauffe rapidement par l'air expiré, rend les mêmes services ; il est jusqu'à un certain point même préférable au respirateur, parce qu'il ne s'échauffe pas, comme ce dernier, au delà du besoin. Si la propagation d'un catarrhe aigu aux alvéoles, ou l'extension subite et rapide d'un processus pneumonique déjà existant, est accompagnée de phé- nomènes graves, si la fièvre atteint un degré élevé, si les crachats deviennent sanguinolents, si les malades se plaignent de points en respirant et en tous- sant, les saignées locales au moyen de sangsues ou de ventouses scarifiées sont indiquées, de même que l'application de cataplasmes sur la poitrine. A côté de cela, il faut exiger que les malades gardent sans cesse le lit, jus- qu'à ce que les symptômes cités d'une invasion aiguë ou d'une exacerbation violente de l'inflammation pulmonaire aient disparu. On a fréquemment ob- servé que les horripilations, qui, chez beaucoup de phthisiques, s'observent régulièrement vers le soir et qui peuvent se transformer en véritable frisson,, disparaissent lorsque le malade garde le lit. Une observation plus exacte en- core prouve que, dans beaucoup de cas, non-seulement le frisson qui annonce l' exacerbation fébrile du soir est sensiblement diminué, mais que tous les autres symptômes de la fièvre, et avant tout l'augmentation de la température du corps, s'amendent d'une manière extraordinaire lorsque le malade reste couché pendant quelques jours. Ce phénomène n'a rien qui doive nous étonner, si l'on considère la fièvre « hectique » des phthisiques, non comme une entité morbide, mais comme une fièvre symptomatique,, provoquée et entretenue généralement par une pneumonie chronique. Il en TUBERCULOSE DU POUMON. 283 est de la fièvre hectique des phthisiques comme de celle qui accompagne un catarrhe bronchique, une pneumonie aiguë ou l'inflammation d'un autre organe, elle augmente ou diminue avec l'exacerbation ou l'amélioration de la maladie fondamentale; si, par conséquent, le séjour dans le lit, que nous ordonnons, du reste, dans toutes les maladies inflammatoires accompagnées de fièvre, exerce une influence favorable sur les processus pneumoniques des phthisiques, ces mesures doivent également modérer la fièvre. Les eaux minérales chlorurées alcalines, dont l'usage a souvent sur les catar-' rhes simples une influence très-favorable, sont tout aussi utiles dans cer- tains cas de phthisie pulmonaire. En se plaçant à notre point de vue, on comprend aussi facilement cet effet, qui est nié par tous les médecins en- core attachés à la théorie de Laennec, que celui que ces eaux exercent sur de simples affections catarrhales non encore propagées au parenchyme pul- monaire. L'opinion, que l'usage de l'eau d'Ems, d'Obersalzbrunnen, etc., est contre-indiqué par la présence de la fièvre, rentre, comme beaucoup d'autres, dans le domaine des faits mal expliqués. Ce ne sont pas les eaux minérales qui ne se concilient pas avec la fièvre, mais ce sont les voyages pour se rendre à ces stations et les promenades réglementaires qu'on y fait. Un malade atteint d'une fièvre quelque peu considérable doit, comme nous l'avons fait voir plus haut, garder la chambre et même le lit. Le séjour prolongé à des endroits situés sur les hauteurs où l'on rencontre rarement la phthisie pulmonaire, sans qu'on puisse expliquer ce phéno- mène (voy. § 1), se recommande aux malades atteints d'une des formes de phthisie qui dépendent de processus pneumoniques. Nous nous associons complètement à l'usage répandu d'envoyer les phthisiques pendant l'été à Heiden, Gais, Weissbad, Kreuth, etc., tout en attachant peu d'importance aux cures de petit-lait qu'on y fait. Dans la phthisie tuberculeuse et dans la tuberculose secondaire, nous ne sommes pas en état de répondre à l'indication de la maladie. Indication symptomatique. — Le symptôme qui, avant tout, exige un trai- tement particulier, lorsqu'il continue à se montrer avec une certaine inten- sité, malgré les mesures thérapeutiques dirigées contre la maladie fonda- mentale, c'est la fièvre. Les remèdes anti fébriles jouent à bon droit un gra$d rôle dans le traitement de la phthisie pulmonaire. Ces remèdes exercent tout aussi peu une influence directe sur les pneumonies chroniques des phthi- siques que sur la pneumonie croupale aiguë, le typhus, et sur d'autres ma- ladies contre lesquelles ils ont été recommandés et appliqués un grand nombre de fois, souvent, il est vrai, sans qu'on ait eu une idée bien nette de ce qu'ils peuvent donner. Si l'on a reconnu que la perte en mucus et en cellules, qui est souvent beaucoup plus considérable dans le catarrhe bron- chique simple, ne peut prendre qu'une faible part à l'amaigrissement des phthisiques, que la fièvre est l'ennemi le plus dangereux de ces malades, 1 284 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. devient évident qu'il faut essayer de tous les moyens pour combattre cet en- nemi. Parmi les remèdes avec lesquels on parvient dans beaucoup de cas à diminuer la production exagérée de calorique dans le corps, malgré la per- sistance de la maladie principale, la digitale et la quinine méritent la grande réputation qu'on leur a faite. — La digitale forme la partie essentielle des pilules de Heim, si souvent employées. (Pr. : Poudre d'herbe de digitale, 60 centigrammes; poudre de racine d'ipéca, poudre d'opium pur, de chaque 25 centigrammes; extrait d'hélénium, q. s. pour 20 pilules, saupoudrées de poudre d'iris. S. une pilule trois fois par jour.) On remplacera, dans la pres- cription précédente, l'ipécacuanha par 1 gramme "de quinine si la fièvre prend une marche typique, si les exacerbations fébriles du soir sont fortes et qu'elles débutent manifestement par un frisson. Lorsque nous ne sommes pas parvenu à nous rendre maître de la fièvre des phthisiques par les moyens indiqués antérieurement, nous employons les pilules de Heim, avec ou sans addition de quinine, et cette prescription compte aujourd'hui parmi les or- donnances les plus usuelles à la clinique. Aux époques où je suis particulière- ment consulté par les phthisiques, il arrive que je prescris ces pilules trois ou quatre fois par jour. A la clinique, je fais cesser les pilules lorsqu'on note une diminution considérable de la température du corps et de la fréquence du pouls, et j'y reviens dès que leur effet ne se fait plus sentir. Chez les con- sultants, j'ai remarqué à plusieurs reprises que les malades savent assez ra- pidement apprécier eux-mêmes le moment où il faut cesser les pilules ou les reprendre. Nous rattachons immédiatement au traitement antifébrile de la phthisie pulmonaire ce qui a trait à la manière de vivre des phthisiques, pour la même raison qui nous a fait décrire parmi les symptômes l'amaigrissement immé- diatement après la fièvre. Un homme qui a la fièvre, et qui par là use rapi- dement son corps, a beaucoup plus besoin d'aliments qu'un homme qui n'a pas la fièvre. Un malade atteint de phthisie a souvent la fièvre pendant des mois, de sorte que chez lui le danger d'être épuisé et de succomber à la fièvre est beaucoup plus grand que chez un homme qui est atteint d'une maladie fébrile aiguë de courte durée. Il ressort de là que nous avons des raisons toutes spéciales pour donner aux phthisiques une nourriture aussi abondante et aussi appropriée à leur état que possible. On a souvent pré- tendu, mais nullement prouvé, que la nourriture augmentait la fièvre ; et en faisant même abstraction de ce qui se pratique en Angleterre, on ne fait suivre chez nous une diète fébrile, c'est-à-dire on ne défend au malade de prendre des substances nutritives qu'aussi longtemps que ce régime ne lui porte pas préjudice. Dès que ce régime devient dangereux, on fait complè- tement abstraction de cette loi soi-disant basée sur l'expérience, et l'on agit même dans un sens tout à fait opposé. Quant au choix des substances nutri- tives à donner aux phthisiques, les vieilles prescriptions, en partie basées TUBERCULOSE DU POUMON. 285 sur l'empirisme pur, sont complètement en harmonie avec les lois sur l'assi- milation et la nutrition reconnues en physiologie. Toutes les substances nu- tritives recommandées spécialement aux phthisiques contiennent de grandes quantités de graisse ou de matières susceptibles de se transformer en graisse., et proportionnellement peu de substances protéiques. Ce choix ré- pond au fait suivant, constaté par l'expérience, qu'une absorption abondante de substances protéiques augmente la production d'urée, c'est-à-dire la dés*- assimilation des substances quaternaires, tandis que si l'on introduit en même temps dans le corps une grande quantité de graisse ou de corps se transformant en graisse, la désassimilation et l'usure des organes et des tis- sus de beaucoup les plus importants pour l'organisme sont diminuées. C'est ainsi qu'on ne peut pas assez recommander aux phthisiques de prendre en aussi grande quantité que possible du lait (auquel les petits enfants doivent les formes rondes de leurs membres, et que les personnes corpulentes évitent avec raison). Mais il est complètement superflu et même absurde de priver le lait de son caséum et de le boire à l'état de petit-lait, à moins que les malades supportent mal le lait et supportent bien le petit-lait, ce qui certainement doit être bien rare. Si je prescris à un grand nombre de mes malades de prendre trois fois par jour un demi-litre de lait sortant du pis de la vache, je n'ai d'autre intention que celle d'empêcher que le lait ne soit écrémé, ce qui est impossible lorsqu'il vient d'être trait. Le lait des animaux qui broutent dans les montagnes, surtout le lait de chèvre et plus particuliè- rement encore le lait d'ânesse, jouissent d'une réputation toute spéciale, et il est bon d'envoyer les malades qui peuvent voyager sans danger boire le lait aux endroits où il existe des établissements de petit-lait et où l'on peut facilement se procurer du bon lait frais. Dans le cas contraire, il faut faire faire à la maison la « cure de lait » (il est bon de conserver ce nom à la prescription, afin que les malades la suivent plus scrupuleusement). J'ai traité un très-grand nombre de malades qui, sans faire de résistance, ont bu trois à quatre demi-litres de lait par jour, souvent pendant plus de six mois, surtout lorsqu'ils remarquaient que leur nutrition augmentait d'une manière sensible à la balance. L'usage de l'huile de foie de morue est très-recommandable ; on peut par- faitement l'associer au traitement lacté, lorsque les malades le supportent. Il est plus que douteux que l'huile de foie de morue, dont tous les phthisi- ques font usage, au moins chez nous, en Allemagne, exerce une influence spécifique sur la marche de la phthisie pulmonaire. La quantité d'iode qu'elle renferme est si minime, qu'on ne peut pas la porter en ligne de compte ; il est donc vraisemblable que l'effet favorable de cette substance est dû uniquement à la grande quantité de matières grasses qui sont in- troduites dans le corps. Ce qui parle en faveur de cette opinion, c'est que l'usage de la graisse de chien est un remède populaire contre la 286 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. phthisie pulmonaire, plus vieux et aussi bon que l'huile de foie de morue. Dans les dernières années j'ai employé avec le meilleur succès, à la place de l'huile de foie de morue, un extrait de malt, préparé d'après les prescriptions de Trommer. Cet extrait de malt de Trommer n'est pas, comme l'extrait tant préconisé de Hoff, une bière riche en acide carbonique et en alcool, mais un extrait véritable, renfermant, à la manière des extraits officinaux, les parties solubles du malt et la matière extractive amère du houblon; il peut être préparé par chaque pharmacien. Sur 100 parties il renferme en moyenne 76 parties de sucre de raisin ou de sucre de malt, de dextrine, de principes amers et résineux du houblon, de tannin, 7 parties de substances albuminoïdes et protéiques, 0,82 de phosphate de chaux et de magnésie, 0,18 de sels de potasse, et 16 parties d'eau. En le prescrivant à la dose de deux à trois cuillerées par jour, il est presque toujours pris et facilement bien supporté par les malades. On peut le dissoudre dans l'eau or- dinaire, dans une eau minérale, dans le lait chaud ou dans d'autres liquides. Les soupes faites avec de la farine de seigle grossièrement blutée, qui con- tiennent, outre l'amidon, une assez grande proportion de gluten, constituent un bon aliment pour les phthisiques et jouissent depuis longtemps d'une réputation particulière dans le traitement de ces malades. Nous pouvons en dire autant des soupes faites avec la farine de lentilles et de fèves (revalenta arabica), de même que de la farine de cacao, vendue sous le nom de divers chocolats, et en partie mélangée avec d'autres substances. Nous ne pouvons pas recommander au même titre les gelées, également très en usage, retirées de substances animales et végétales; telles sont les bouillons d'escargots et surtout la gelée de mousse d'Islande, si souvent employée. Quant au traitement symptomatique de la toux et de l'expectoration, nous renvoyons le lecteur à ce que nous avons dit sur le traitement du catarrhe chronique des bronches. Il est tout aussi peu sensé d'employer sans choix et sans méthode un expectorant après l'autre contre le catarrhe chronique des bronches qui accompagne la phthisie que contre n'importe quelle autre forme de catarrhe. Les substances mucilagineuses- sucrées donnent le moins de résultats. Nous avons déjà cité antérieurement les différentes conditions qui réclament tantôt les eaux minérales acidulés, tantôt le sénéga, la scille et d'autres excitants, tantôt les médicaments qui diminuent la sécrétion. Si nous nous sommes prononcé dans le temps, pour atteindre ce dernier but, en faveur des balsamiques et des résineux, nous devons maintenant encore recommander le saccharure de myrrhe et la mixture de Griffith, cependant nous ajouterons que beaucoup d'observateurs recommandent tout spéciale- ment l'acétate de plomb i contre l'état en question. Pour diminuer l'envie 1 Dans presque tous les cas où l'on prescrit l'acétate de plomb, on l'associe à l'opium, et souvent l'effet attribué au premier doit certainement être rapporté au dernier. TUBERCULOSE DU POUMON. 287 de tousser, nous recommandons avant tout les narcotiques, dont l'emploi devient tout à fait indispensable dans la phthisie. Comme nous l'avons déjà dit, ce n'est pas l'effet sédatif, soporifique que les malades exaltent le plus, au moins après les premières doses d'opium ou de morphine; ils se réjouis- sent plutôt de ce qu'ils toussent moins et plus facilement, de ce que la toux se détache mieux, et, en effet, lorsqu'on songe que la toux produit une irritation continuelle sur la muqueuse bronchique malade, siège prin- cipal de la sécrétion, on comprend facilement qu'en restreignant le besoin de tousser, on diminue en même temps la sécrétion. Néanmoins, il ne faut pas avoir recours trop tôt aux narcotiques, on commencera par de petites' doses, et au lieu d'opium on prescrira pour le début de l'extrait de laitue vireuse à la dose de 3 à 5 centigrammes sous forme de poudre ou dans un électuaire. Si l'on donne trop tôt les narcotiques, il peut facilement arriver qu'ils ne font plus d'effet plus tard, à une époque où peut-être on en aurait le plus besoin, où la toux d'une laryngophthisie ne laisse de repos au ma- lade ni jour ni nuit. Il semble aussi que dès le moment où l'on est obligé de prescrire de fortes doses d'opium, la consomption marche plus rapidement ; c'est une raison de plus de ne pas commencer trop tôt avec ce médicament qui deviendra indispensable plus tard. Si l'estomac ne tolère pas les narco- tiques, il y a lieu de les injecter par la méthode sous-cutanée. Contre les sueurs nocturnes on pourra prescrire de petites doses d'élixir acide de Haller, ou bien on fera boire vers le soir une tasse d'infusion de sauge qu'on aura laissée refroidir, si ces sueurs n'ont pas diminué par le traitement antifébrile. L'effet de ces moyens est, il est vrai, problématique ; mais il serait cruel d'avouer au malade qu'il n'existe pas de remède capable de le débarrasser de ce pénible symptôme. Quelques médecins ont recom- mandé chaudement contre les sueurs nocturnes des phthisiques l'agaric blanc (boletus laricis), un remède dont il faut se défier, car il est loin d'être anodin. Pour les mesures thérapeutiques qu'exige la complication de la phthisie pulmonaire par la phthisie laryngée et la phthisie intestinale, et pour le traite- ment nécessité parles affections secondaires du foie, des reins, etc., nous renvoyons le lecteur aux différents chapitres qui traitent des maladies de ces organes. 288 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. ARTICLE II. Tuberculose miliaire aiguë. § 1. Pathogénie et étiologie. La tuberculose miliaire aiguë, qu'il ne faut pas confondre avec la phthisie .à marche aiguë (phthisie galopante), est constituée par une éruption de tubercules dans les poumons et généralement dans la plupart des autres organes. Les symptômes qui accompagnent cette éruption sont ceux d'une maladie aiguë. Dans la grande majorité des cas, on observe cette affection chez des per- sonnes qui logent dans les poumons ou dans un autre organe d'anciens foyers caséeux. Ce fait, de même que la circonstance que les symptômes et la marche de la tuberculose miliaire aiguë offrent la plus grande ressem- blance avec les symptômes et la marche des maladies aiguës infectieuses, serait très en faveur de l'opinion de Buhl, qui admet comme cause de cette maladie l'infection du sang par des produits caséeux ; mais cette hypothèse, très-ingénieuse, est en désaccord avec un autre fait : c'est qu'on rencontre, quoique très-rarement, il est vrai, des cas où la maladie se montre sans avoir été précédée d'aucun tissu caséeux. Pour cette raison, nous nous contentons de dire que la tuberculose miliaire aiguë est, dans la plupart des cas, évidemment une affection secondaire, qui se développe, nous ne savons de quelle manière, sous l'influence préjudiciable des produits caséeux sur l'organisme, mais que, d'après des faits positifs, elle peut également être provoquée par d'autres causes que nous ne connaissons pas. § 2. Anatomie pathologique. Si nous trouvons, à une autopsie, que le poumon est parsemé d'une manière uniforme de haut en bas par des tubercules miliaires discrets, si ces nodosités miliaires présentent généralement l'aspect gris, transparent des tubercules récents, si les feuillets pleuraux sont également recouverts de tubercules miliaires, nous pourrons dire, avec toute certitude, quand même nous n'avons pas connaissance de la marche de la maladie, que le sujet était atteint d'une tuberculose miliaire aiguë. Jamais on ne rencontre dans la tuberculose chronique cette distribution uniforme des tubercules, et toujours on trouve dans cette affection, à côté des tubercules gris, des granulations jaunes, caséeuses, qui indiquent que l'éruption a été lente et successive. Dans la plupart des cas, le péritoine, le foie, la rate et les reins TUBERCULOSE DU POUMON. 289 sont également parsemés de tubercules miliaires. Enfin, on trouve souvent, surtout chez les jeunes individus, des granulations nombreuses dans la pie- mère, principalement à la base du cerveau, aux environs du pont de Varole et du chiasma des nerfs optiques, de même qu'une hydrocéphale aiguë des ventricules. Le parenchyme pulmonaire est gorgé de sang et plus ou moins infiltré d'un liquide séreux ; en dehors des résidus d'un processus ancien et révolu qu'on trouve en général au sommet des poumons (voy. § 1), il n'existe pas, dans cet organe, de troubles nutritifs inflammatoires ou autres. Les cadavres des individus morts de tuberculose miliaire aiguë ressemblent à ceux d'in- dividus qui ont succombé à des maladies infectieuses aiguës, ressemblance qui a commencé pendant la vie et se continue après la mort. Le sang est foncé et liquide, il se porte vers les endroits déclives, de sorte qu'on observe une hypostase cadavérique étendue, les muscles sont rouges, la rate même est quelquefois un peu augmentée de volume et d'une consistance molle. § 3. Symptômes et marche. Si pendant le cours d'une phthisie pulmonaire avancée, accompagnée de lièvre hectique et de sueurs nocturnes, il se développe une tuberculose miliaire aiguë, on ne pourra presque pas la diagnostiquer, car il est difficile de dire si la fièvre et l'amaigrissement rapide du malade doivent être attri- bués à la maladie principale ou â la complication. L'examen physique de la poitrine donne des résultats négatifs en ce qui concerne le dépôt récent de tubercules miliaires, car les nombreuses petites granulations , entourées partout de tissu perméable, ne peuvent modifier ni le son de la percussion, ni le bruit respiratoire ; cette circonstance même — je veux parler de la disproportion qui existe entre la dyspnée considérable et la faible extension d'un ancien épaississement constatable à la percussion — peut dans certai- nes circonstances acquérir une valeur diagnostique. La maladie présente un autre aspect, lorsqu'elle atteint des personnes saines ou des malades dont l'affection chronique du poumon s'est soustraite jnsque-là à l'observation. Dans ces cas, elle débute assez fréquemment par des frissons répétés, une grande fréquence du pouls et un état général grave, symptômes qui sont souvent difficiles à interpréter, parce qu'il ne s'y ajoute aucun signe d'une affection locale. La fréquence du pouls atteint bientôt un très-haut degré, le malade maigrit à vue d'œil d'un jour à l'autre, sa langue devient sèche, le sensorium se prend, il a du délire, ou bien il est couché dans son lit dans un état apathique, à demi soporeux. Il est vrai que ces phénomènes d'une adynamie rapidement croissante sont accompagnés de toux et de dyspnée, mais l'examen de la poitrine souvent répété ne découvre nulle part une infiltration du parenchyme pulmonaire, NIEMEÏER. 1—19 290 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. on ne peut constater que quelques rhonchus fins ou des râles peu nombreux- Les symptômes que nous venons de décrire ressemblent tellement à ceux d'une fièvre typhoïde, que les médecins les plus exercés au diagnostic avouent avoir observé des cas dans lesquels la distinction de ces deux états était tout à fait impossible, et où des malades, chez lesquels on avait diagnos- tiqué une fièvre typhoïde, sont morts d'une tuberculose miliaire aiguë, et réciproquement. La distinction est d'autant plus difficile que les symptômes du catarrhe sont moins prononcés, que l'examen de la rate fournit des don- nées moins précises, et que la marche est plus rapide. Le malade peut suc- comber à une tuberculose miliaire vers la même époque où meurent généralement les malades atteints de fièvre typhoïde, dans le troisième septénaire, rarement dans la cinquième ou la sixième semaine. Le malade est emporté par la fièvre violente, comme en général c'est également le cas dans le typhus. Le pouls devient toujours plus petit et plus fréquent, enfin les veines pulmonaires ne peuvent plus déverser leur sang dans le cœur qui peu à peu se paralyse par suite de l'augmentation continue de la température du corps et de la production de calorique, et ne se vide plus complètement ; il se produit un œdème pulmonaire , une paralysie des bronches et la mort par suffocation. La marche est modifiée et la terminaison par la mort se présente plus rapidement encore, si une méningite tuberculeuse et une hydrocéphale aiguë ( voy. les chapitres correspondants ) s'ajoutent à la tuberculose mi- liaire. § U. Diagnostic. Au début, quand les frissons se répètent avec un type presque régulier r la maladie pourrait être confondue avec une fièvre intermittente. Mais bientôt on remarquera que les rémissions ne sont pas pures, que la quinine ne pro- duit pas d'effet, que la maladie est accompagnée d'un trouble de la respira- tion qu'on ne rencontre pas d'ordinaire dans la fièvre intermittente, que la fréquence du pouls augmente constamment, et que toute la marche de la maladie est beaucoup plus pernicieuse que celle d'une simple fièvre paludéenne. Dans d'autres cas, la maladie ressemble au début à un catarrhe bronchique généralisé et accompagné de fièvre, surtout lorsque la toux est très-violente et pénible. Mais, clans ces cas encore, l'incertitude disparaît bientôt, car la violence de la fièvre, le collapsus rapide, la marche pernicieuse, et avant tout la grande dyspnée allant souvent jusqu'à l'orthopnée, qui contraste d'une manière extraordinaire avec les résultats négatifs de l'examen physi- que, fournissent des points de repère au diagnostic. Le diagnostic différentiel de la tuberculose miliaire aiquë et de la fièvre TUBERCULOSE DU POUMON. 291 typhoïde se base sur les points suivants : 1° La toux et la dyspnée se mon- trent dans la tuberculose miliaire aiguë bien plus tôt et sont bien plus in- tenses que dans la fièvre typhoïde. Dans la fièvre typhoïde exanthématique, il est vrai, on trouve également de bonne heure des symptômes violents de bronchite, mais c'est précisément dans ce cas que la distinction est facile, parce que l'éruption du typhus exanthématique est pathognomonique et passe difficilement inaperçue, tandis qu'elle manque dans la tuberculose mi- liaire. — 2° De même dans le typhus abdominal (fièvre typhoïde), il est rare qu'on ne découvre pas à un examen consciencieux et répété quelques taches de roséole dans la région abdominale supérieure, qui manquent dans la tuberculose miliaire aiguë. — 3° Dans cette dernière affection, le gonfle- ment de la rate est rare et presque jamais il n'atteint une grande étendue, tandis que dans le typhus abdominal ce gonflement se présente presque tou- jours ; l'augmentation de volume de la rate peut manquer, il est vrai, dans le typhus exanthématique, mais dans cette maladie l'éruption est si évidente qu'on n'a pas besoin de l'état de la rate pour établir le diagnostic. — Zi.°Dans le typhus abdominal, le météorisme, la diarrhée, la sensibilité de la région iléo-cœcale font rarement défaut ; dans la tuberculose miliaire aiguë, ces symptômes ne s'observent pas. — 5° La fièvre typhoïde s'ajoute rarement à une affection chronique du poumon; par contre, la tuberculose miliaire aiguë frappe presque toujours des malades atteints d'une pareille affection. Pour cette raison, lamatité dans l'un ou l'autre sommet du poumon fournit une donnée importante au diagnostic. — Wunderlich a observé que l'augmenta- tion de la température est beaucoup moins grande dans la tuberculose mi- liaire aiguë que dans la fièvre typhoïde, qu'elle atteint rarement hO degrés et n'est nullement en rapport avec la fréquence énorme du pouls. § 5. Pronostic. Le pronostic dans la tuberculose miliaire aiguë est presque absolument mortel. Il n'existe qu'un très-petit nombre d'observations (Wunderlich) qui permettent d'admettre que, dans cette maladie aussi, les tubercules formés peuvent disparaître. [Même les cas où le processus aigu cesse et se trouve remplacé par une tuberculose chronique et une phthisie, appartiennent aux faits rares. Plus, la fièvre est violente^ plus les symptômes cérébraux sont prononcés, plus aussi la mort arrive rapidement. § 6. Traitement. Il est évident que le traitement de la tuberculose miliaire aiguë ne peut être que symptomatique. Le symptôme le plus important, c'est la fièvre, 292 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. car c'est la fièvre seule qui emporte le malade dans la plupart des cas. Qu'on donne de grandes doses de quinine, surtout au début de la maladie et aussi longtemps qu'il se présente des accès de frisson, plus tard on prescrira la digitale associée au nitre, les acides, etc., mais il faut peu attendre de ce traitement. — Contre la dyspnée on emploiera les compresses froides, la toux violente sera combattue par les narcotiques, et si les symptômes permet- tent de supposer qu'il s'est développé une tuberculose méningée, on appli- quera des compresses glacées sur la tête. CHAPITRE X. Cancer du poumon. § 1. Pathogénie et étiologie. La pathogénie et F étiologie de cette maladie sont aussi obscures que celles des néoplasies malignes en général. Le carcinome du poumon est une maladie rare, on le rencontre sur- tout rarement à l'état primitif, c'est-à-dire, que les cas où le parenchyme pulmonaire est l'endroit du corps où l'affection carcinomateuse se montre en premier lieu, sont très-peu fréquents ; presque toujours le carcinome pulmonaire est précédé de carcinomes dans d'autres organes, surtout dans le sein. § 2. Anatomie pathologique. Dans le poumon on rencontre presque exclusivement le cancer médul- laire, beaucoup plus rarement le squirrhe ou le cancer alvéolaire. Tantôt il se présente sous la forme de masses arrondies, isolées, de la grosseur d'un grain de chènevis à celle du poing, formant des tumeurs cancéreuses dis- tinctes d'aspect médullaire et de consistance molle, qui, lorsqu'elles tou- chent à la plèvre, sont souvent aplaties et présentent une dépression ombi- liquée ; tantôt il se présente sous la forme du cancer infiltré. Dans cette der- nière forme, le cancer n'offre pas, comme dans la précédente, des limites bien nettes, mais il passe insensiblement au parenchyme environnant, et n'a pas non plus la forme arrondie des tumeurs cancéreuses. On est revenu de l'opinion que, dans ce dernier cas, il s'agissait de la transformation d'un infiltrat en matière cancéreuse. La formation du cancer infiltré doit plutôt être interprétée de la manière suivante : Après que quelques corpuscules du tissu conjonctif de la charpente pulmonaire ou quelques cellules épithé- liales des alvéoles se sont transformés en cellules cancéreuses, celte meta- CANCER DU POUMON. 293 morphose s'étend de proche en proche au tissu conjonctif avoisinant et aux cellules épithéliales les plus rapprochées. Par contre, le développement de tubercules cancéreux isolés dans le poumon peut être expliqué ainsi. Après que des cellules se sont développées au début dans le tissu conjonctif in- terstitiel, comme dans le cas précédent, celles-ci se mettent à proliférer sans que les tissus circonvoisins soient transformés en cancer ; dans ce cas la prolifération des premières cellules cancéreuses seules produit l'augmen- tation de volume du cancer, le parenchyme pulmonaire environnant est re- poussé, comprimé. 11 est très-rare que l'encéphaloïde du poumon se ramollisse, qu'il se dé- sagrège et conduise à la formation de cavernes. Quelquefois le cancer végète sur la plèvre et comme les deux feuillets pleuraux se soudent ra- pidement, il peut même s'étendre aux parois thoraciques et les perforer. § 3. Symptômes et marche. Dans la grande majorité des cas, il n'y a pas de symptômes caractéristiques du cancer pulmonaire, et l'on ne parvient à reconnaître la maladie avec quelque certitude que clans les cas où un sein carcinomateux a été extirpé ou dans ceux où l'on peut découvrir dans le corps la présence de nombreux cancers. Si dans ces cas il se présente des symptômes [qui font reconnaître une affection chronique du poumon : de la dyspnée, de la toux, des crache- ments de sang, des douleurs au thorax, on pourra songer à un cancer du poumon. Le diagnostic devient plus facile, lorsque la percussion et l'auscul- tation font découvrir des ^épaississements du parenchyme pulmonaire, sur- tout lorsque ces épaississements se trouvent à d'autres endroits du poumon qu'au sommet. On ne parvient que très-rarement à découvrir dans l'ex- pectoration les éléments caractéristiques du carcinome. Dans quelques cas où le cancer perfore le thorax et végète dans les téguments, le diagnostic devient positif. § k. Traitement. Évidemment il ne peut pas être question d'instituer un traitement contre le cancer pulmonaire en lui-même ; les hypérémies qui se produisent à son pourtour, l'œdème, les hémoptysies doivent être traités d'après les principes établis antérieurement. QUATRIÈME SECTION MALADIES DE LA PLÈVRE CHAPITRE PREMIER. InQammation de la plèvre. — Plenrite. — Pleurésie. § 1. Pathogénie et étiologie. Nous apprendrons à connaître, dans le paragraphe 2, deux formes de pleu- résie. La première ne conduit qu'à l'épaississement de la plèvre et à l'adhé- rence entre les feuillets pleuraux. La deuxième conduit également à l'épais- sissement de la plèvre, mais en même temps à des épanchements dans la cavité pleurale, qui sont plus ou moins riches en fibrine et en jeunes cellules. Les épaississements et les adhérences des feuillets pleuraux se forment à la suite de la prolifération du tissu conjonctif normal de la plèvre. Les épan- chements pleurétiques sont la conséquence d'une exsudation interstitielle ; les jeunes cellules mêlées à l'épanchement doivent leur origine à la prolifération des cellules épithéliales qui tapissent le sac pleural et des corpuscules de tissu conjonctif de la plèvre elle-même. Pour Y étiologie de la pleurésie, ^nous pouvons d'une manière générale ren- voyer à celle de la pneumonie. Ici encore nous devons considérer comme un abus, qu'on qualifie de secondaire toute pleurésie qui atteint, non un homme robuste et vigoureux, mais un homme faible et déjà atteint d'une autre affection. Même les pleu- résies qu'on rencontre si fréquemment dans le cours de la maladie de Bright, ne doivent pas être considérées, d'après nous, comme des affections secon- daires, dépendant de l'affection rénale, mais 'comme des complications de cette dernière. La fréquence de ces complications, comme, en général, la fréquence de la pleurésie chez les personnes faibles et misérables, chez les convalescents qui relèvent d'une maladie longue, etc., dépend de la pré- INFLAMMATION DE LA PLEVRE, PLEURITE, PLEURESIE. 295 disposition plus marquée que possèdent de pareils individus pour les affections inflammatoires en général et pour la pleurésie en particulier. Une cause insignifiante suffit chez eux pour provoquer la maladie, mais sans cette cause elle ne se développe pas. — Il en est autrement .des pleurésies qu'on observe dans le cours de la septicémie, de la fièvre puerpérale, de la scarlatine et d'autres maladies infectieuses. Elles se développent indé- pendamment de to.ute nouvelle cause morbifique et doivent être rangées parmi les troubles nutritifs qui sont dus à l'infection de l'organisme par des matières septiques, par le virus scarlatineux, etc. En général, ces pleurésies secondaires qui donnent le plus souvent lieu à un exsudât riche en cellules, puriforme, sont accompagnées de l'inflammation d'autres sé- reuses. Parmi les causes occasionnelles de la pleurésie on peut citer : 1° Les lésions des côtes et de la plèvre, de même que la pénétration dans la cavité pleurale de corps étrangers, surtout de liquides (pus, sang, contenu des cavernes) et d'air. Après ces causes on voit le plus souvent se développer la forme de pleurésie qui se caractérise par un épanchement considérable, séro-fibrineux, dans le sac pleural. 2° Très-souvent la pleurésie se développe par la propagation au tissu pleural d'une inflammation siégeant dans les organes voisins, surtout dans le poumon. Dans ces cas on n'observe en général que des exsudats peu con- sidérables, riches en fibrine, mais quelquefois aussi des épanchements séro- fibrineux très-considérables. 3° A cette dernière catégorie se rattachent les cas très-nombreux de plu- ïésie qui se développent par suite de la marche progressive des néoplas- mes, surtout des tubercules et des carcinomes, vers la plèvre. Dans ces cas, ou bien on n'observe qu'une pleurite sèche et des adhérences entre les feuillets pleuraux, ou bien il se développe des épanchements plus ou moins abondants dans la cavité pleurale, ou bien enfin, on voit se former des tubercules ou des masses cancéreuses dans les pseudo-membranes pleu- rétiques. k° Enfin, la pleurésie se montre très-souvent à la suite de refroidisse- ments ou sous l'influence de causes telluriques et atmosphériques incon- nues. Dans cette forme, qui représente une affection idiopathique et qu'on désigne généralement sous le nom de pleurésie rhumatismale, les différents cas offrent la plus grande variété sous le rapport de la quantité et de la nature de l' exsudât. § 2. Anatomie pathologique. Au début de la pleurésie la plèvre paraît rouge par suite de l'injection qu'on aperçoit dans le tissu conjonctif sous-séreux, on y constate surtout 296 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. par-ci par-là des points et des stries roses dépendant d'une injection fine, A côté de cet engorgement des capillaires on observe fréquemment de petits» extravasats sanguins, des ecchymoses, sous la forme de tachesirrégulières d'un rouge foncé, dans lesquelles on peut découvrir de petites ramifications' vasculaires. Le tissu de la plèvre est imbibé, l'épithélium est le plus sou- vent tombé; la surface, autrefois lisse et brillante, est mate, la plèvre elle- même est un peu gonflée. Peu à peu la surface libre prend un aspect ru- gueux, semblable à du feutre ; cet aspect est dû au développement de petits plis délicats et de granulations papillif ormes, dont la base est solidement fixée au tissu sous-jacent et qui ne doivent pas être confondus avec des dé- pôts fibrineux. Ces granulations, examinées au microscope, consistent en cellules nouvellement formées, indifférentes, semblables aux corpuscules lymphatiques dont les unes, à mesure qu'elles prennent du développement, deviennent fusiformes et sécrètent alors une substance intercellulaire on- dulée et très-délicate, et les autres se juxtaposent pour former des capillaires, ce qui donne lieu à un système vasculaire communiquant avec les vais- seaux de la plèvre et sillonnant, sous forme d'anses, le tissu conjonctif dé- licat et nouvellement produit. Ces modifications se rencontrent dans chaque forme de pleurite, qu'il se produise ou non un épanchement dans la cavité pleurale, que l'épan- chement soit abondant ou non, qu'il soit pauvre ou riche en fibrine, pau- vre ou riche en globules purulents ; c'est à ces modifications seules que les pseudo-membranes et les adhérences de la plèvre doivent leur origine. 1° La forme la plus fréquente de la pleurésie est celle dont les modifi- cations décrites jusqu'à présent, constituent l'unique lésion et qu'on a dési- gnée sous le "nom de •pleurite sèche. On a rarement l'occasion, il est vraiy d'examiner les lésions anatomiques de la pleurite sèche peu de temps après leur production. Lorsque le cas se présente, on ne découvre pas d'exsudat libre, mais seulement ces excroissances de la plèvre que nous venons de décrire. Cependant la circonstance, que nous trouvons souvent des adhé- rences très-étendues entre les feuillets pleuraux, qui se sont formées sans se manifester par des symptômes, parle en faveur du développement de ces adhérences sans exsudât libre; car nous voyons, d'un autre côté, que des exsudations peu considérables sont généralement accompagnées de violentes douleurs. 2° Pleurite avec exsudât peu considérable, mais très-riche en fibrine. — EhV accompagne presque constamment la pneumonie croupale, mais elle com- plique aussi des affections chroniques du poumon et s'observe enfin d'une manière idiopathique. Dans cette forme il n'y a souvent qu'un coagulum fibrineux très-mince qui recouvre, sous forme de membrane, la plèvre en- flammée et modifiée de la manière décrite plus haut ; cette dernière paraît encore plus trouble, et ce n'est que lorsqu'on a enlevé avec le manche du INFLAMMATION DE LA PLÈVRE, PLEURITE, PLEURÉSIE. 297 scalpel la mince couche, qu'on remarque l'injection et les ecchymoses de la plèvre. Dans d'autres cas l' exsudât est un peu plus abondant, on trouve alors sur la plèvre des dépôts blancs, épais de 1 millimètre et plus, assez mous et offrant une grande ressemblance avec les membranes croupales. Il s'entend de soi que, dans ces cas, F exsudât était primitivement liquide et ne s'est coagulé que plus tard, mais le plus souvent on ne parvient pas à découvrir dans le sac pleural de partie liquide à côté de la partie coagulée. Si cette forme de pleurésie guérit, les dépôts fibrineux se résorbent, après avoir subi une métamorphose graisseuse et s'être liquéfiés, les végétations de l'un et de l'autre feuillet pleural se touchent et il se produit générale- ment des adhérences. 3° Pleurite à exsudât séro-fibmieux abondant. — Les modifications du tissu de la plèvre que nous avons décrites plus haut,, sont généralement très- étendues dans cette forme, aussi bien sur la plèvre pulmonaire que sur la plèvre costale. Indépendamment de cela, il s'est fait dans la cavité pleurale un épanchement, qui va souvent à 1 ou 2 kilogrammes, mais qui peut aussi s'élever à 5 kilogrammes et plus. Cet exsudât est formé de deux éléments : d'un sérum jaune verdàtre et de masses flbrineuses coagulées. Une partie de ces dernières nage sous forme de flocons et de petits amas dans le sé- rum, une autre partie parcourt 'ce dernier sous forme d'un réseau très- lâche, enfin une troisième partie s'est précipitée sur les feuillets pleuraux qu'elle recouvre à l'instar d'une membrane. Ces masses deviennent d'autant plus dures et plus résistantes que l' épanchement persiste plus longtemps, elles finissent par passer à l'état fibreux, sans toutefois s'organiser. On trouve toujours dans le sérum et dans les dépôts fibrineux quelques corpuscules de pus, de sorte que cette forme ne se distingue de la suivante, où les corpus- cules de pus sont beaucoup plus nombreux, que par une proportion moin- dre de ces éléments. La sérosité sera d'autant plus trouble, et les dépôts plus jaunes, qu'ils seront plus riches en corpuscules de pus. La proportion entre la sérosité et la fibrine est variable, mais il n'est pas permis de considérer, comme on l'a fait dans le temps, une exsudation très-riche en fibrine comme la conséquence d'une hypérinose (augmentation de fibrine dans le sang). Il est plus probable que la pleurésie, dans laquelle il se fait une sécrétion très-considérable de fibrine dans la cavité pleurale, donne éga- lement lieu à une augmentation de fibrine dans le sang. Souvent l' épan- chement semble augmenter par poussées successives. Comme ces poussées de liquide ne sortent pas directement des vaisseaux de la plèvre, mais des capillaires à parois minces et fragiles qui rampent dans le jeune tissu con- jonctif, nous trouvons souvent dans la pleurite chronique, du sang mêlé à l' épanchement par suite de la rupture de ces capillaires; de cette façon prend naissance la pleurésie avec exsudât hémorrhagique. On trouve constam- ment sur les limites de l' épanchement soit de simples agglutinations par des 298 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. exsudats fibrineux, soit des adhérences commençantes., par lesquelles les épanchements pleurétiques sont enkyst es; c'est là un point très-important pour la symptomatologie. Les modifications du thorax et de son contenu sont, d'après la description aussi claire que concise de Rokitansky, les suivantes : « Le thorax est nota- blement dilaté, les espaces intercostaux deviennent plus larges, bombent en avant, le diaphragme est refoulé en bas, lemédiastin et le cœur sont rejetés du côté opposé, ou vers la ligne médiane lorsque la pleurésie est double. Le poumon lui-même est comprimé en raison de la quantité du liquide épanché, et si d'anciennes adhérences ne s'y opposent pas, il est refoulé en haut et en dedans vers le médiastin et la colonne vertébrale. On le trouve réduit au quart et même au huitième de son volume normal, sa surface ex- térieure, autrefois bombée, est aplatie et tout l'organe ressemble à une mince galette, le parenchyme en est rouge pâle ou brun bleuâtre, d'un gris plombé, coriace comme du cuir, vide d'air et de sang, et définitive- ment imperméable à partir de la périphérie et des bords. Il est recouvert par la pseudo-membrane qui s'étend sur lui en partant de la paroi costale. — Dans la pleurite partielle le déplacement et la compression sont limités à une section du poumon correspondant au siège et à l'étendue de l'épanche- ment. » — Le poumon du côté sain est constamment le siège d'une fluxion collatérale, et, en cas d'issue mortelle, presque toujours d'un œdème colla- téral considérable. Si la forme de pleurite en question tend vers la guérison, l' exsudât de- vient peu à peu plus concentré (ce qui fait que la résorption est beaucoup plus rapide au commencement que plus tard) ; enfin la partie liquide peut disparaître complètement, les surfaces pleurales, devenues rugueuses par les dépôts, se touchent; ces dépôts eux-mêmes subissent une métamorphose graisseuse, se liquéfient et sont résorbés, et il arrive alors en général que les feuillets épaissis de la plèvre se soudent entre eux. Entre les adhérences qui se forment ainsi, on trouve quelquefois les résidus non résorbés des précipités fibrineux et des éléments cellulaires de l'exsudat, sous forme de masses jaunes, caséeuses. Si la résorption se fait de bonne heure, le poumon comprimé peut de nouveau se remplir d'air, se 'dilater, les espaces intercostaux reviennent à leur forme normale, le médiastin et le diaphragme et avec eux le cœur et le foie déplacés reprennent leur place habituelle. Dans d'autres cas, les alvéoles, comprimés, pendant longtemps, se sont agglutinés ou soudés entre eux, de sorte que l'air »e peut y pénétrer, ou bien des dépôts fibrineux résistants, étendus sur le poumon comprimé, em- pêchent cet organe de se dilater. On ne peut pas exactement déterminer l'époque où cet état se présente. Si dans ces circonstances la résorption de l'épanchement a lieu, il se forme un vide que le thorax et les organes voi- INFLAMMATION DE LA PLEVRE, PLEUR1TE, PLEURESIE. 299 sins sont obligés de combler, ils y sont comme attirés : le côté correspondant du thorax s'affaisse, quelquefois il forme une concavité au lieu de la con- vexité naturelle, les espaces intercostaux se rétrécissent jusqu'à ce que les <;ôtes finissent par se toucher, l'épaule s'abaisse, même la colonne vertébrale se dévie et décrit une concavité du côté malade. Si la pleurésie était du côté droit, le foie qui auparavant se trouvait fortement poussé en bas, s'élève maintenant, souvent jusqu'à la troisième côte. Si la pleurésie était à gauche, la pointe du cœur, qui au début était souvent refoulée au delà du bord sternal droit, peut venir se placer plus tard dans la ligne axillaire gauche. k° Pleurite avec épanchement purulent, empyème, pyothorax. — La partie liquide de l'exsudatest dans ce cas tellement riche en cellules de pus, qu'elle représente un liquide opaque, jaune, un peu épais; les dépôts fibrineux renferment également une grande quantité de corpuscules purulents, ils sont mous et d'une teinte remarquablement jaune. Dans ces cas encore, l'exsudat peut être résorbé, la fibrine et les cellules de pus aussi bien que la partie liquide, les premières après avoir subi les métamorphoses si souvent citées. C'est principalement dans cette forme qu'on observe quelquefois une autre terminaison de la pleurésie : non-seulement il se développe des cellules de pus à la surface libre, mais encore dans l'intimité du tissu pleural ; cette membrane devient trouble, se ramollit et il s'y forme peu à peu des pertes de substance. Si la fonte du tissu s'étend dans la profondeur et si ce proces- sus se passe sur la plèvre costale, il peut y avoir perforation et communica- tion del' empyème avec l'extérieur; dans les cas les plus favorables, c'est-à- dire quand le poumon est encore susceptible de se dilater, la maladie peut alors se terminer par la guérison. De la même façon la perforation de l' empyème peut quelquefois se faire du côté du poumon et le pus se vider par les bronches. Une guérison complète est rare dans ces cas. § 3. Symptômes et marche. La pleurite sèche ne donne lieu à aucun symptôme, ou, si elle est accompa- gnée de phénomènes morbides, on ne peut du moins les distinguer des symptômes propres aux maladies qui accompagnent d'ordinaire la pleurite sèche. On rencontre des oblitérations complètes du sac pleural à l'autopsie d'individus qui n'ont jamais été gravement malades. Des adhérences résis- tantes et étendues des feuillets pleuraux empêchent le glissement de la plèvre pulmonaire sur la plèvre costale et, par conséquent, l'expansion uniforme du poumon pendant l'inspiration. Cet état donne lieu à une légère dyspnée, qui souvent ne se fait sentir que lorsque le besoin de respirer est augmenté par des efforts corporels ou d'autres causes. 300 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. La pleurite avec exsudât peu considérable, mais riche en fibrine, est accom- pagnée de douleurs vives, pongitives. Elles sont déjà provoquées rien que par le glissement faible et lent des feuillets pleuraux pendant la respiration ordi- naire, mais bien plus encore par le glissement étendu et rapide de ces mem- branes pendant les inspirations profondes. La toux et l'éternument sont particulièrement douloureux, car dans ces actes la plèvre enflammée subit une pression du dedans par l'air comprimé. De même une pression exercé? sur les côtes et les muscles intercostaux, qui se fait sentir indirectement sur la plèvre, augmente considérablement les douleurs. Les malades respirent superficiellement et avec précaution. Le plus souvent ils inclinent un peu le corps du côté affecté, car cette position diminue la tension des muscles inter- costaux et de la membrane enflammée qui les tapisse. Indépendamment des douleurs, certains malades accusent en respirant une sensation très-nette de frottement ou de grattement à un endroit plus ou moins étendu de la paroi tho- racique. — En général, la toux vient s'ajouter à ces symptômes, cependant il y a des cas où elle manque complètement, et l'on ne sait pas positivement si les irritations inflammatoires de la plèvre donnent lieu à la toux de la même manière que les irritations de la muqueuse bronchique, c'est-à-dire, par voie réflexe, ou bien si chaque toux qui se montre dans une pleurésie dépend d'une complication par des processus pneumoniques ou bronchiti- ques. — La pleurite à exsudât peu considérable et riche en fibrine parcourt ordinairement ses phases sans fièvre et sans trouble sensible de ï 'état général, à moins qu'elle ne soit accompagnée d'inflammations intenses et étendues du parenchyme pulmonaire. Beaucoup de malades ne gardent pas la chambre et se rendent à pied à la clinique ou chez le médecin. Nous avons déjà fait observer que le point de côté pleurétique, qui doit être rangé parmi les symptômes les plus pénibles de la pneumonie aiguë croupale, et qui doit sans doute son origine à la complication presque con- stante de cette maladie par la forme de la pleurite en question, que ce pointr dis-je, persiste en général moins longtemps que les autres symptômes de la pneumonie. Peut-être ce phénomène est-il dû à ce que le glissement des feuillets pleuraux cesse aussitôt que les poumons sont infiltrés dans une grande étendue. — Mais même lorsque la maladie est idiopathique ou qu'elle com- plique une affection chronique du poumon, les douleurs cessent ordinaire- rement après quelques jours , si le traitement est rationnel. Ce n'est qu'exceptionnellement "qu'elles persistent pendant des semaines, et c'est toujours là un phénomène suspect qui se rattache presque constamment à une affection grave du poumon. La pleurite à exsudât séro-fibrineux abondant débute dans un certain nom- bre de cas par des phénomènes généraux graves et par des symptômes locaux violents, comme la pneumonie croupale; c'est alors une maladie aiguë pin- son début et par sa marche. Elle commence par un frisson intense, suivi d'une INFLAMMATION DE LA PLÈVRE, PLEUR1TE, PLEURÉSIE. 301 lièvre violente avec augmentation considérable de la température du corps, pouls plein et fréquent, céphalalgie, douleurs dans le dos et les membres, manque d'appétit, soif augmentée, symptômes qui accompagnent toutes les maladies aiguës accompagnées de fièvre violente. Le frisson n'est pas tou- jours unique, souvent il se répète à plusieurs reprises, et ces retours peuvent se rapprocher tellement du type tierce, qu'il est impossible de confondre une pleurésie à son début avec une lièvre intermittente. Dans cette forme, de pleurite, de même que dans la forme précédente, qui, du reste, dans beaucoup de cas, passe insensiblement à celle-ci par l'augmentation de l' exsudât qui devient plus séreux, le début de la maladie est accompagné de fortes douleurs pongitives, siégeant ordinairement dans les régions latérales du thorax. Par la suite, les douleurs diminuent d'ordi- naire. Souvent elles disparaissent complètement, avant que l'inflammation ait atteint son plus haut degré et surtout a^ant que l'exsudation soit terminée. — La toux, qui ne manque presque jamais et qui est quelquefois très-péni- ble et très-persistante, s'explique facilement dans certains cas par l'hypéré- mie collatérale et l'œdème collatéral des sections du poumon non compri- mées. Dans d'autres cas , son mode de production est obscur. — Aux symptômes précités s'ajoute une dyspnée qui croît avec l'augmentation de r exsudât et atteint souvent un degré extrême. Il est important de savoir que la dyspnée ne dépend qu'en partie de la compression de grandes portions du poumon, que l'hypérémie et l'œdème des parties non comprimées, par les- quels le champ respiratoire est également diminué , y participent d'une manière essentielle. Du reste, la dyspnée, dans la pleurésie, comme dans la pneumonie, diminue ordinairement, et, si l'épanchement n'est pas très- considérable, disparaît même complètement, lorsque le besoin d'une respi- ration exagérée cesse avec la fièvre. Après que la maladie a augmenté d'intensité pendant six à huit jours, il peut se présenter, comme dans la pneumonie croupale, une amélioration subite dans l'état du malade; le trouble de l'état général et la dyspnée diminuent notablement ou disparaissent complètement dans l'espace de quelques heures. Ce phénomène dépend de la diminution rapide de la fièvre, de ce qu'on est convenu d'appeler la crise. Dans les cas favorables, l'épan- chement commence en même temps à se résorber et à diminuer rapide- ment. Comme nous l'avons déjà dit, la résorption est le plus rapide au début et se ralentit avec la diminution du liquide et la concentration croissante de la sérosité, de sorte qu'après des semaines on trouve encore un petit reste de l'exsudat, lorsqu en apparence le malade est déjà complètement guéri. Nous devons rattacher aux cas précédents, où l'acuité des symptômes ca- ractérise aussi bien le début que la marche de la maladie, ceux dans lesquels Y affection débute d'une manière aiguë, pour suivre ensuite une marche lente, traî- nante. A la fin du premier septénaire ou plus tard la fièvre se modère, 302 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. l'exsudat n'augmente pas, mais on attend vainement la disparition com- plète de l'état général fébrile et la résorption ; enfin l'épanchement com- mence à se résorber, des sections de poumon, auparavant comprimées, deviennent de nouveau accessibles à l'air; mais au milieu de cette perspec- tive, en apparence favorable, on trouve un beau jour le malade plus court d'haleine, il tousse plus fort, il rejette de nouveau des crachats spumeux et sanguinolents, la fièvre a également augmenté, et, si l'on examine la poi- trine, on trouve que l'exsudat, remonté de la largeur d'une main, atteint maintenant un niveau auquel il n'était pas encore jusque-là. De cette façon, la maladie, qui avait débuté d'une manière aiguë, traîne pendant des mois, en présentant des alternatives de bien et de mal, et se termine le plus sou- vent d'une manière fâcheuse. Enfin, il y a un grand nombre de malades chez lesquels cette forme de pleurésie débute d'une manière lente et souvent inaperçue, et affecte une marche également traînante. Dans ces cas, la fièvre inflammatoire fait défaut; souvent il n'existe pas de douleur, au moins pas cette douleur violente qui accompa- gnait le début des cas décrits jusqu'ici ; souvent les malades ne s'aperçoivent pasdela dyspnée relativement faible, ils ont recours aumédecin, «parce qu'ils se sont aperçus depuis quelque temps d'une diminution de leurs forces, qu'ils sont devenus pâles et maigres » ; ou bien ils se croient atteints d'une affection chronique des organes abdominaux, surtout lorsque la pleurésie est à droite et que le foie, refoulé en bas, fait proéminer l'hypochondre droit et y pro- duit une sensation de pression et de tension. Tout médecin occupé rencon- trera des cas pareils, où les malades n'ont jamais gardé la maison et ne sont pas en état de dire quand leur pleurésie a commencé, de sorte que l'examen physique seul fait découvrir dans la cavité pleurale un épanchement souvent très-considérable. La grande faiblesse et la lassitude de ces malades s'expli- quent facilement, quand on songe qu'ils sont rarement exempts de fièvre et que l'exsudat très-riche en albumine qui remplit leur plèvre peut aller à 5 et à 8 kilogrammes. Un pareil épanchement, en général, croit et décroît également d'une manière alternative, et même dans le cas le plus heureux il ne se résorbe que très-lentement. La plupart des malades finissent par succomber à la fièvre lente ou à la phthisie pulmonaire qui vient s'y ajouter. La pleurite avec exsudât purulent, l'empyéme, le pyothorax, ne peut guère être diagnostiquée autrement que par la longue durée de la maladie dans les cas où elle est consécutive à une des formes décrites précédemment et se développe par suite de l'augmentation progressive des jeunes cellules qui, du reste ne manquent jamais complètement dans les épanchements dont il a été question jusqu'ici. Les symptômes de compression, etc., sont absolument les mêmes que ceux qui accompagnent les exsudats pauvres en cellules de pus. Dans le cours de la septicémie et d'autres maladies infectieuses, il se INFLAMMATION DE LA PLÈVRE, PLEURITE, PLEURÉSIE. 303 forme souvent des épanchements pleurétiques, dans lesquels on observe de prime abord une production très-abondante de cellules. Cependant ce n'est pas cette multiplication de cellules qui fait que les malades souvent ne font entendre aucune espèce de plainte, que tout symptôme subjectif nous fait défaut et que nous sommes réduits aux seuls symptômes objectifs, mais cette absence de symptômes tient à la grave atteinte portée à l'état général et au sensorium par la maladie principale. Quant aux terminaisons de la "pleurésie, on peut dire que toutes les formes peuvent arriver à la guérison. L'existence d'adhérences entre les feuillets pleuraux, adhérences qui persistent en général après la maladie, ne peut pas être considérée comme une guérison incomplète, car les malades n'en sont nullement incommodés et peuvent même atteindre un âge élevé. Nous avons déjà dit que la résorption d' épanchements considérables, quoique ra- pide au début, se faisait plus tard avec une extrême lenteur. Il faut se garder de diagnostiquer une diminution de l' exsudât chaque fois qu'on voit descen- dre le niveau de la matité ; la diminution de la matité peut aussi dépendre de ce que la paroi thoracique et les muscles intercostaux cèdent plus facile- ment et sont plus fortement dilatés, ou de ce que le diaphragme, plus relâ- ché, descend davantage. Voilà des circonstances qu'il faut prendre en considération quand on veut avoir une idée exacte de l'état du malade. Du reste, il ne faut pas perdre trop vite courage, lorsque l'on voit des exsudats résister opiniâtrement à la résorption, car souvent elle se fait encore quanti déjà on n'osait plus s'y attendre. Comme terminaison par guérison incomplète, il faut désigner cet état dans lequel le poumon comprimé ne peut plus se dilater, parce qu'il est comme enkysté par des dépôts résistants ou parce que les alvéoles, dont les parois sont agglutinées et soudées entre elles, ne sont plus susceptibles de recevoir de l'air; dans ces circonstances, le thorax s'affaisse et les organes voisins remplissent le vide produit par la résorption de l'épanchement pleurétique. (Voy. plus bas.) Si ces sortes de malades sont sains du reste, les parties in- tactes du poumon suffisent pour amener au sang une suffisante quantité d'oxygène et pour débarrasser ce liquide de son acide carbonique, tant que les malades ne font pas de trop grands efforts ; et, quoique une partie des capillaires pulmonaires aient disparu, le cœur droit hypertrophié peut accé- lérer le mouvement du sang dans les portions intactes du poumon au point qu'il ne se produit pas de troubles dans la grande circulation. Lorsque Yempyéme tend à se frayer un passage à l'extérieur, on observe d'abord aux téguments externes un gonflement œdémateux qui ne se trouve jamais à l'endroit le plus déclive du thorax, mais ordinairement vers la quatrième ou cinquième côte ; bientôt on voit une tumeur solide et rénitente faire saillie entre les côtes ; au bout de quelque temps, elle deAdent fluc- tuante et finit par donner issue à une grande quantité de pus. Ce n'est que 304 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. dans des cas exceptionnels que cette terminaison conduit à une guérison complète, c'est-à-dire que le poumon peut de nouveau se dilater et remplir la place occupée par le pus écoulé. Beaucoup plus souvent, on voit dans ce cas un affaissement du thorax et un déplacement consécutif des organes avoisinants. Mais ce qui est surtout fréquent, c'est que l'ouverture se ferme incomplètement et qu'il reste une fistule thoracique qui donne passage, con- stamment ou de temps en temps , à de grandes quantités de pus. Les malades porteurs de ces fistules peuvent souvent vivre pendant de longues années. Lorsque la perforation de l'empyéme se fait dans le poumon, on la voit quel- quefois être précédée des symptômes d'une légère pneumonie : réapparition de légers points de côté, crachats sanguinolents, etc.; dans d'autres cas, la perforation a lieu sans ces prodromes, et le malade rejette subitement, après un accès de toux violente, des quantités souvent énormes de crachats consti- tués uniquement par du pus. Dans des cas excessivement rares, on voit en- core ici le malade guérir avec ou sans affaissement du thorax.. On observe plus souvent, dans ces circonstances, des phénomènes de suffocation ou les symptômes du pyopneumothorax. (Voy. chap. III.) La perforation de l'empyéme à travers le diaphragme ou Y irruption du pus dans les organes voisins donne lieu à une péritonite violente et aux symptô- mes de communications anormales, dans le détail desquelles nOus ne pou- vons pas entrer sans dépasser les limites du plan de cet ouvrage. La terminaison par la mort, à la suite d'une pleurésie récente, survient le plus souvent dans les cas où l'hypérémie collatérale a donné lieu à un œdème aigu considérable dans les sections pulmonaires restées saines. Il se produit des râles, des crachats spumeux, souvent sanguinolents, une grande dyspnée; bientôt les symptômes de l'empoisonnement par l'acide carbonique se manifestent, le sensorium des malades se prend, il y a collapsus général et, en même temps, affaiblissement de l'activité cardiaque, le pouls devient petit, les extrémités froides ; et les malades succombent en peu de temps. Dans d'autres cas, on observe, à la suite de la compression du poumon et de ses capillaires, que le ventricule gauche ne se remplit pas complètement et qu'il existe un trop-plein et une stase dans le ventricule droit et dans les veines de la grande circulation. La diminution du sang dans le système aor- tique donne lieu, outre la faiblesse du pouls, à une diminution souvent exces- sive et à la concentration de l'urine ; le trop-plein des veines conduit à la cya- nose et à Yhydropisie. Enfin, l'obstacle qu'éprouve le sang à sortir des veines rénales est la cause de la présence fréquente dans l'urine, de l'albumine, du sang et des cylindres fibrineux. Dans d'autres cas, la mort arrive par la perforation de l'empyéme dans le poumon, dans la cavité abdominale, etc. Dans les cas d'épanchements non résorbés, la mort doit être attribuée INFLAMMATION DE LA PLEVRE, PLEURITE, PLEURESIE. 305 bien plus souvent à la fièvre continue, quoique modérée, qui consume l'orga- nisme, et que, pour cette raison, on a appelée fièvre hectique. Les malades dont l'épanchement pleurétique se résorbe trop lentement ou incomplètement succombent, pour la plupart, à la •pneumonie chronique ou à la tuberculose qui, dans le poumon sain, se développent à la suite des hypé- rémies répétées, et, dans le poumon malade, par la stagnation de la sécré- tion catarrhale. Symptômes physiques de la pleurite. L'aspect extérieur donne, en général, des résultats négatifs, lorsqu'il y a des exsudatspeu considérables qui forment de minces membranes recouvrant les feuillets pleuraux ou qui, lorsqu'ils sont liquides, se réunissent aux en- droits les plus déclives des cavités pleurales, sans rétrécir l'espace d'une manière sensible. Ce n'est que dans le cas où la respiration est très-doulou- reuse qu'on voit les malades ménager le côté malade, et les mouvements respiratoires devenir moins étendus de ce côté que du côté sain. Dans les épanchements pleurétiques considérables, l'inspection nous révèle d'abord une série de phénomènes dépendant de ce que la surface externe de la paroi thoracique n'obéit plus, comme dans les conditions normales, à la traction du poumon élastique, mais se trouve sous l'influence de la pres- sion de l'exsudat : 1° Les espaces intercostaux correspondant à l'épanche- ment ne forment plus de légers sillons, mais se trouvent sur le même niveau que les côtes voisines, ils sont effacés, et, dans quelques rares cas, ils proémi- nent même vers l'extérieur. 2° Lorsque l'épanchement remplit toute la cavité pleurale, la moitié correspondante du thorax est dilatée dans toutes les directions, mais surtout dans le diamètre vertébro-mammaire. — Dans les épanchements moins considérables, qui sont ordinairement enkystés dans les régions inférieures et postérieures de la cavité pleurale, la dilatation du thorax est limitée à l'endroit correspondant à l'épanchement. — Beaucoup plus rarement, les exsudats pleurétiques enkystés donnent lieu à la voussure d'une autre partie de la cage thoracique. 3° Souvent on reconnaît déjà par l'examen extérieur le déplacement du cœur, lorsque l'exsudation pleuré- tique a eu lieu à gauche, et le refoulement du foie, lorsque la maladie existe à droite ; car le choc du cœur se voit trop en dedans et en bas, et, quelquefois même à la droite du sternum ; et dans le second cas, l'hypo- chondre droit présente une voussure évidente. — A côté de ces consé- quences de la pression centrifuge que l'exsudat exerce sur les organes envi- ronnants, on remarque à l'aspect extérieur que la paroi thoracique ne prend aucune part aux mouvements respiratoires dans l'étendue de l'épan- chement pleurétique. Ce phénomène s'explique en partie par l'imbibition séreuse des muscles intercostaux due à la fluxion collatérale et suivie de la NIEMEYER. I — 20 306 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. paralysie de ces muscles, et en partie, par l'impossibilité physique où se trouve le thorax de se dilater, lorsque le poumon est retenu immobile. — Si le diaphragme est tellement foulé en bas, qu'il forme dans l'intérieur de l'abdomen une proéminence convexe, et si ses fibres musculaires ne sont pas paralysées en même temps, sa convexité dirigée en bas s'aplatira à chaque expiration sous l'influence de la contraction de ses fibres muscu- laires, et l'on observe par conséquent dans ces cas, rares du reste, que, du côté correspondant à l' exsudât, l'épigastre s'affaisse un peu pendant l'inspi- ration, au lieu de se soulever. Si pendant la résorption d'un épanchement pleurétique le poumon com- primé s'est de nouveau complètement dilaté, il ne reste, en général, aucun signe extérieur de la maladie passée. Après la résorption complète, les espaces intercostaux représentent de nouveau des sillons, parce qu'ils sont de nouveau sous l'influence de la traction exercée par le poumon élastique ; la dilatation du thorax a disparu, l'anomalie de ses mouvements respira- toires n'existe plus, le cœur et le foie sont revenus à leur place normale. Ce n'est que dans quelques cas isolés que le cœur reste déplacé malgré la résorp- tion complète de l' épanchement pleurétique, à savoir, lorsqu'il est fixé par des adhérences. Si, par contre, le poumonne reprend pas so?i ancienne place pendant la résorp- tion d'un épanchement pleurétique, le thorax est rapetissé dans toutes les directions, mais il est surtout raccourci, car les côtes se sont rapprochées les unes des autres, ou elles ont même glissé les unes au-dessus des autres et sont aplaties d'avant en arrière. D'après les lois physiques, la capacité du thorax est d'autant plus petite (lors même que sa circonférence n'a pas changé) que sa forme arrondie s'est perdue davantage et que l'aplatisse- ment est devenu plus fort. Pour cette raison, nous recommandons vivement, surtout dans les cas où la résorption d'un épanchement pleurétique a com- mencé à se faire et où Fon veut contrôler les progrès de la résorption et de la dilatation pulmonaire, de mesurer de][temps en temps non-seulement la circonférence des deux moitiés du thorax, mais aussi la longueur des deux diamètres vertébro-mammaires au moyen du compas d'épaisseur, et de com- parer entre eux les résultats de ces mensurations. Il est encore plus sûr de se procurer les contours exacts de section- idéales des deux moitiés du thorax, au moyen du cyrtomètre de Woillez ; car ces deux moitiés du contour peuvent être superposées l'une à l'autre et être facilement comparées entre elles. Plus les côtes du côté malade se sont rapprochées, plus aussi l'épaule correspondante est abaissée et plus l'incurvation de la colonne vertébrale est forte. Il est loin d'être rare que l'affaissement d'une moitié du thorax, l'abaissement de l'épaule correspon- dante et la courbure latérale de la colonne vertébrale, dont la partie con- vexe est dirigée du côté sain, soient assez considérables pour donner à INFLAMMATION DE LÀ PLÈVRE, PLEURITE, PLEURÉSIE. 307 de pareils individus un extérieur très - difforme et les faire qualifier de « bossus. » Enfin, dans les cas où, à la suite de la résorption d'un épanchement pleu- rétique gauche, le poumon ne se redilate plus, on peut souvent reconnaître au simple aspect que la pointe du cœur frappe la paroi thoracique bien loin à gauche, souvent même dans la ligne axillaire. Ce phénomène s'explique facilement : en effet, le cœur qui auparavant a été poussé à droite par l'épanchement pleurétique, est attiré dans la cavité pleurale gauche lorsque le liquide se résorbe, pour remplir le vide laissé par ce dernier. Nous devons dire encore que le rétablissement de la circonférence nor- male et même qu'un rapetissement secondaire considérable d'un thorax dilaté auparavant par un exsudât pleurétique, ne prouvent nullement que tout l' exsudât ait été résorbé. Un poumon complètement comprimé prend très-peu de place, et à côté de lui il y a toujours encore assez d'espace libre pour recevoir une grande quantité d'exsudat, lors même que la cavité pleu- rale est considérablement diminuée de volume. A la palpation on sent dans beaucoup de cas de pleurite un bruit de frotte- ment. Quand il s'agira des phénomènes d'auscultation, nous parlerons des caractères de ce bruit, et de la manière de le distinguer d'autres bruits éga- lement sensibles au toucher, de même que des conditions qui président à sa production et à sa disparition. Ensuite, la palpation nous fournit des signes importants pour le diagnostic de la pleurésie avec épanchement abondant par les caractères particuliers et très-souvent pathognomoniques qu'offre le frémissement pectoral dans les épanchements pleurétiques. En général, on peut établir la règle suivante : le frémissement pectoral est considérablement affaibli ou tout à fait absent aux endroits où un épanchement pleurétique liquide est en contact avec la paroi thoracique ; par contre, il est plus intense au-dessus de l'épanchement, où le poumon rétracté touche la paroi du thorax. 11 est évident qu'un épan- chement liquide considérable empêche la propagation des ondes sonores à la paroi thoracique, et qu'en outre il s'oppose à ce que cette dernière se mette en vibration ; il est tout aussi évident que le tissu pulmonaire rétracté laisse plus facilement arriver les ondes sonores à la paroi thoracique, et trouble moins les vibrations de cette dernière que le parenchyme pulmo- naire normal, non rétracté. — Comme dans les conditions normales les vibrations de la voix sont senties plus facilement du côté droit que du côté gauche du thorax (voy. page 211), l'affaiblissement ou l'absence totale du frémissement pectoral sur le côté droit a une valeur diagnostique beaucoup plus considérable que l'existence du même phénomène sur le côté gauche. Dans les régions antérieures et latérales du thorax le passage souvent brusque de l'absence à l'exagération du frémissement pectoral fournit des données importantes pour déterminer les limites de l'exsudat. Par contre, 308 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. sur la face dorsale, l'une des sensations passe insensiblement dans l'autre- D'après des observations exactes de Seitz, le frémissement pectoral n'est que plus ou moins diminué dans les faibles exsudats ; lorsque les exsudats sont considérables, il est complètement aboli dans les couches inférieures, et n'est que diminué dans les supérieures, et cette diminution même devient moins marquée à mesure qu'on s'approche du niveau du liquide. — Chez les individus à voix faible et aiguë, chez lesquels les ondes sonores atteignent, à peine la paroi thoracique à l'état normal, nous manquons d'un élément important pour le diagnostic des épanchements pleurétiques. Enfin, nous nous servons de la palpatiohpour constater les déplacements du foie et du cœur, dont nous avons déjà parlé à propos de l'inspection, et qui sont dus à des exsudats pleurétiques ou à leur résorption. Dans les exsu- dais pleurétiques abondants du côté droit, on sent quelquefois le bord du foie à quelques travers de doigt au-dessous du rebord des côtes et même plus bas. La percussion ne peut servir à constater les exsudats peu abondants qui recouvrent les feuillets pleuraux comme de minces lamelles coagulées. De petits exsudats liquides ne modifient pas davantage le son de la percussion. Par contre, les épanchements pleurétiques considérables par lesquels le- poumon est éloigné, sur une étendue assez grande, du diaphragme et de la paroi thoracique, sont accompagnés de symptômes caractéristiques de la percussion, c'est-à-dire : 1° aux endroits où les exsudats liquides, qui empê- chent toute vibration, touchent la paroi thoracique, le son de la percussion est mat; 2° aux endroits où le parenchyme pulmonaire, réduit à un plus petit volume et par conséquent rétracté, mais encore rempli d'air, touche la paroi thoracique, le son de la percussion est grêle et tympanitique1. — Les conditions qui président à la formation du son mat, du son grêle et du son tympanitique, ont été exposées plus haut à plusieurs reprises et avec assez de détails. Aucune maladie n'est plus propre à démontrer la différence entre le son mat et le son grêle que la pleurésie avec exsudât abondant. — La matité produite par des épanchements pleurétiques s'observe généralement en premier lieu sur le dos, au-dessous de l'omoplate. Si elle monte plus haut, elle s'étend aussi en avant. Mais presque jamais la matité ne monte aussi haut à la partie antérieure du thorax que sur le dos. Dans beaucoup de cas, une matité qui s'étend bien haut dans le dos n'arrive pas du tout jusqu'à la paroi antérieure, mais seulement jusqu'à la ligne axillaire; dans d'autres cas, surtout dans ceux où l'épanchement remplit presque tout le sac pleural, la limite supérieure de la matité n'est pas beaucoup plus basse en avant qu'en arrière. La matité passe à la paroi antérieure d'une manière brusque i Les lecteurs comprennent qu'il est question ici de ce qu'on a appelé en France bruit skodique. INFLAMMATION DE LA PLÈVRE, PLEURITE, PLEURÉSIE. 309 au son non mat, grêle et tympanitique ; par contre, au dos la matité devient de plus en plus faible et indistincte, à mesure qu'on se rapproche de la limite supérieure de l' exsudât, phénomène qui a sa raison d'être dans le fait ■que, dans la forme ordinaire des exsudais, l'épaisseur des couches, d'où dé- pend la matité sur la paroi postérieure du thorax, diminue insensiblement de bas en haut. — La forme et les limites de la matité ne sont généralement pas modifiées par les changements déposition du malade; car il se forme ordinairement de bonne heure des agglutinations et des adhérences sur les limites del'épanchement. Les simples agglutinations permettent bien aux feuillets pleuraux de glisser l'un sur l'autre, mais ils opposent une certaine résistance au liquide qui tend à les séparer. A l' auscultation , on entend un bruit de frottement dans les cas où les feuillets pleuraux ont perdu leur surface lisse par suite des dépôts fibrineux ou des végétations rugueuses ; pour que ce bruit puisse se produire, il faut évidem- ment que ces feuillets se touchent et qu'ils glissent dans les mouvements respiratoires avec une vitesse suffisante l'un sur l'autre. Ordinairement, on l'entend pendant l'expiration et pendant l'inspiration; il donne distinctement l'impression d'un grattement; il rappelle aussi le bruit de cuir neuf; souvent il est interrompu et se fait entendre par saccades. On le confond le plus faci- lement avec des râles sonores qui souvent sont également perceptibles au toucher; cependant le bruit de frottement est rarement aussi clair que les rhonchus ; en second lieu, il n'est pas modifié par la toux, tandis que le râle sonore disparaît en général ou au moins est modifié par une toux énergique. Enfin, une condition jusqu'à un certain point caractéristique du bruit de ^frottement, c'est qu'il devient plus sensible lorsqu'en auscultant on presse un peu plus fortement le stéthoscope contre la paroi thoracique. — Rare- ment on entend un bruit de frottement au début de la maladie, car à cette époque les dépôts fibrineux ne sont pas assez rudes et les feuillets pleuraux ne se meuvent pas l'un sur l'autre assez rapidement, parce que les malades éprouvent encore des douleurs et respirent avec précaution. Le plus souvent on entend le bruit de frottement à l'époque où les feuillets pleuraux, séparés auparavant par le liquide, recommencent à se toucher après la résorption de l'exsudat; il en est de même après l'évacuation du liquide par la ponc- tion. Lorsque l'exsudat n'est pas très-considérable, on entend dans l'étendue de toute la partie mate un bruit vésiculaire faible, propagé des parties environ- nantes. — Si l'épanchement est très-considérable, et s'il comprime non- seulement les alvéoles, mais aussi les bronches, généralement on n'entend dans toute l'étendue de la matité aucun bruit respiratoire, ou tout au plus une respiration tout à fait faible, indéterminée. Ce n'est qu'entre l'omoplate et la colonne vertébrale, où le poumon comprimé est rapproché de la paroi thoracique, qu'on entend ordinairement une respiration bronchique faible 310 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. et une faible bronchophonie, cette dernière quelquefois avec le caractère de l'égophonie. — Dans quelques cas, surtout lorsque la dyspnée est forte, on entend, malgré la compression du poumon et quoiqu'on soit obligé d'ad- mettre que la plus grande partie des bronches est comprimée et vide d'air, une respiration bronchique forte dans tout le thorax, même aux endroits où une très-grande quantité de liquide est interposée entre l'oreille et le pou- mon comprimé, c'est-à-dire même dans les régions latérales du thorax. Dans les portions de poumon non comprimées, aussi bien du côté sain que du côté malade, on perçoit un bruit vésiculaire exagéré (puéril), quelquefois aussi, lorsque ces portions sont le siège d'une hypérémie collatérale ou d'un catarrhe, des râles sonores et humides. Il s'entend de soi que les signes physiques de la pleurésie sont modifiés de -bien des manières, si d'anciennes adhérences des feuillets pleuraux em- pêchent l'accumulation de F exsudât dans les parties déclives du thorax. Nous serions entraîné trop loin si nous voulions décrire en détail toutes ces modi- fications; qu'il nous suffise de faire remarquer que les épanchements, même très-considérables, qui se trouvent enkystés entre la base du poumon et le diaphragme, sont difficiles ou même impossibles à reconnaître. k. Diagnostic. Il n'est pas toujours facile de distinguer une pleurésie avec exsudât abon- dant d'une pneumonie; pour le diagnostic différentiel, il faut surtout prendre en considération les caractères suivants : 1° la pleurésie ne débute presque jamais par un frisson fort et unique, tandis que dans la pneumonie c'estla règle; 2° la marche de la pleurésie n'est pas aussi invariable, et le retour à la guérison n'arrive pas aussi subitement ni aussi complètement sous la forme d'une crise que dans la pneumonie; 3° dans la pleurésie, les crachats sont catarrhaux ou œdémateux, renfermant quelquefois des stries de sang, mais jamais on n'observe dans cette affection des crachats excessi- vement visqueux et uniformément colorés en jaune ou en rouge par le mé- lange intime de sang, crachats qui sont pathognomoniques de la pneumo- nie; k° parmi les signes physiques, ceux qui parlent principalement en faveur d'un épanchement pleurétique sont : la dilatation du thorax, la dis- parition des sillons intercostaux, le déplacement du cœur et du foie, l'affai- blissement ou l'absence totale du frémissement pectoral, la matité absolue du son de la percussion, l'affaiblissement ou l'absence totale du bruit respi- ratoire, tandis que dans les infiltrations pncumoniques le thorax n'est pas dilaté, les sillons intercostaux n'ont pas disparu, le cœur et le foie ne sont pas déplacés, le frémissement pectoral n'est que rarement affaibli, souvent INFLAMMATION DE LA PLÈVRE, PLEURITE, PLEURÉSIE. 311 même augmenté, la matité du son de la percussion n'est pas si absolue, le bruit respiratoire est presque toujours bronchique. Il n'est pas rare d'observer que des malades porteurs d'épanchements pleurétiques du côté droit sont considérés comme atteints d'une affection du foie, et il est important d'examiner si le foie est augmenté de volume ou simplement abaissé, lorsqu'on a constaté par la palpation et la percussion que le foie déborde le rebord des côtes et remplit l'hypochondre droit. Pour distinguer ces deux états l'un de l'autre, il faut surtout faire attention aux points suivants : 1° Il est rare que le foie hypertrophié repousse le dia- phragme en haut. Si, par conséquent, dans les cas où le foie déborde le rebord des côtes, on trouve en même temps sur le thorax une matité qui monte plus haut que la limite supérieure normale de la matité du foie, on pourra en conclure avec vraisemblance qu'il s'agit d'un épanchement dans la cavité pleurale et que le foie est refoulé. 2° Dans les cas rares où le foie agrandi (ordinairement par de grandes tumeurs d'échinocoques ou des abcès) a refoulé le diaphragme en haut et proémine trop loin dans la cavité thoracique, la matité s'étend plus haut à la paroi antérieure du thorax qu'à la paroi postérieure, tandis qu'on observe l'inverse dans presque tous les épanchements pleurétiques. 3° La matité, de même que la limite inférieure du foie, s'abaisse pendant l'inspiration et remonte pendant l'expiration lors- que le foie est augmenté de volume; ce phénomène ne se rencontre pas dans les grands épanchements pleurétiques, car par ceux-ci le diaphragme est poussé en bas et est maintenu dans un état d'inspiration permanent. U° La résistance du thorax se continue dans l'hypertrophie du foie immédia- tement avec la résistance du foie, tandis qu'en cas de déplacement du foie, on trouve le plus souvent entre cet organe et le rebord des côtes une bande étroite moins résistante. 5° Dans l'augmentation de volume du foie, les côtes inférieures sont souvent un peu déjetées en dehors; par contre, les sillons intercostaux ne sont pas effacés, excepté dans les cas rares où une grande tumeur d'échinocoques ou un abcès qui a son siège dans le foie proéminant fortement vers l'intérieur de la cavité thoracique s'appuie sur la face interne de cette cage. Pour distinguer un faible épanchement pleurétique situé sur le côté gauche d'un gonflement de la rate, il faut surtout prendre en considération les changements qui se produisent dans la limite de la matité pendant l'in- spiration et l'expiration; s'il s'agit d'un épanchement pleurétique, ces chan- gements font défaut, tandis qu'ils sont faciles à constater dans les gonfle- ments de la rate. Enfin, la persistance de la fièvre, l'amaigrissement du malade, le teint pâle de la peau peuvent éveiller le soupçon qu'il se soit développé unephthi- sie. Il ne faut pas oublier que la fièvre et l'amaigrissement peuvent dépendre uniquement d'une pleurésie latente ; mais, d'Un autre côté, il ne faut pas 312 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. perdre de vue le danger delà phthisie pulmonaire qui pourrait venir s'y ajouter, et ne pas négliger d'examiner souvent la poitrine. § 5. Pronostic La pleurite sèche est une maladie tout à fait innocente ; la pleurite avec ex- sudât fibrineux peu abondant n'entraîne pas de danger par elle-même, quoique la douleur qui l'accompagne puisse augmenter le danger de la maladie pri- mitive (pneumonie, tuberculose, etc.), parce qu'elle est une cause essentielle de dyspnée. Parmi les formes de pleurite avec exsudât séro-fibrineux abondant, celle qui débute et parcourt toutes ses phases d'une manière aiguë donne le meilleur pronostic; le pronostic est beaucoup plus grave lorsque la marche est traînante,, surtout parce que la phthisie pulmonaire se montre souvent comme maladie consécutive, lors même que la résorption est complète. Il en est de même de Yempyème, qui se développe à la suite de la forme précé- dente. Le pronostic est excessivement grave lorsque l'épanchement est puru- lent de prime abord, à cause des affections premières (septicémie, fièvre puerpérale) qui tiennent cet épanchement sous leur dépendance. Comme signe favorable, il faut considérer avant tout la diminution de l'épanchement; cependant, en constatant cette diminution, il faut se garan- tir contre les apparences trompeuses que nous avons signalées.' — Après cela, le bon état des forces est l'élément le plus important pour établir un pronostic favorable, car le danger provient, dans la plupart des cas, de la consomption. — Enfin, plus la résorption se fait de bonne heure, plus aussi on a lieu d'espérer que le poumon se dilatera de nouveau et qu'il ne restera pas de déformation du thorax. Comme signes fâcheux pour le pronostic, il faut compter au début de la maladie les symptômes d'œdème pulmonaire et de décarbonisation incom- plète du sang; en second lieu, la diminution de la sécrétion urinaire, parce que les artères sont incomplètement remplies. — Les symptômes d'un en- gorgement du système veineux, c'est-à-dire la cyanose et l'hydropisie, et la présence d'albumine et de sang dans l'urine, sont encore plus graves. — Le pronostic est d'autant plus grave que l'épanchement persiste plus longtemps. — Enfin, toutes les terminaisons autres que la résorption sont à considérer comme d'un pronostic fâcheux, quoiqu'à des degrés différents, comme cela résulte du§ 3. § 6. Traitement. L'indication causale peut le plus souvent être remplie tout aussi peu dans la pleurite que dans la pneumonie. Si même il était tout à fait évident qu'un refroidissement a été la cause de la pleurite, la transpiration serait encore INFLAMMATION DE LA PLÈVRE, PLEURITE, PLEURÉSIE. 313 directement nuisible, dans le cas où la fièvre qui accompagne la pleurite .serait très-intense. Indication de la maladie. — L'emploi de tout « l'appareil antiphlogis- ïique » : saignées locales et générales, administration de calomel, frictions avec onguent mercuriel jusqu'à salivation, plus tard révulsions par les vési- catoires, etc., qui dans le temps a été généralement employé dans le traite- ment de la pleurésie, et qui est tombé peu à peu en discrédit dans la der- nière dizaine d'années, a de nouveau été vivement recommandé par Joseph Meyer dans un travail très-consciencieux. Cependant les raisons données par cet auteur en faveur de cette méthode et contre un traitement moins éner- gique ne résistent pas à un examen sérieux. C'est ainsi qu'on appuie beau- coup sur le fait qu'un certain nombre de malades qui n'ont pas été saignés ni traités par les mercuriaux ont été reçus à la Charité de Berlin avec de grands exsudats de la plèvre, et l'on a tiré de là la conclusion que la forma- tion de ces épanchements énormes a eu lieu parce qu'on n'a pas eu recours à l'intervention énergique dont il est question. L'énumérationde pareils cas ne prouve rien, si l'on ne constate pas en même temps quel a été le nombre des cas qui n'ont pas présenté d' exsudât abondant, quoiqu'ils n'aient pas été saignés, et qui, pour cette raison, n'ont pas cherché un refuge à la Charité. Je n'ai pas été converti davantage par les observations personnelles ou em- pruntées à d'autres, que Meyer a publiées en trop petit nombre, et d'après lesquelles les cas récents de pleurite n'avaient pas présenté d' exsudât abon- dant après le traitement par les saignées copieuses, etc. Prétendre que les pleurésies qui depuis le début jusqu'à leur terminaison présentent des phé- nomènes intenses, conduisent presque toujours à des épanchements abon- dants et opiniâtres lorsqu'elles sont abandonnées à elles-mêmes, c'est, à mon avis, une grave erreur. Les formes de pleurite les plus graves et les plus dangereuses sous ce rapport sont précisément celles où la maladie débute d'une manière presque latente et affecte une marche lente. Je crois toujours encore que la saignée n'est pas indispensable dans le trai- tement delà pleurésie, excepté dans les cas où elle est réclamée par l'indica- tion symptomati que ; je suis convaincu qu'elle coupe, le processus morbide aussi peu dans la pleurésie que dans la pneumonie, qu'elle n'empêche pas la formation de l' exsudât; et je crois qu'elle offre encore plus de danger dans la pleurésie que dans la pneumonie, car la pleurésie conduit facilement à l'anémie et à la consomption par sa marche souvent longue et traînante. Par contre, je ne puis assez recommander au début de la pleurésie l'em- ploi énergique du froid et des saignées locales. Il est très-important que cette utile prescription se fasse en temps opportun ; on peut de cette façon souvent prévenir ce qui plus tard se combat difficilement. Si les malades ont peur de l'application de compresses froides, ou bien si ces dernières ne soulagent pas dans les premières heures les douleurs et la dyspnée, on fera appliquer sur 314 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. le côté malade un nombre assez considérable de sangsues ou de ventouses scarifiées, et l'on n'hésitera pas de revenir à ces saignées locales, si les dou- leurs, presque toujours calmées par ces moyens, reparaissent de nouveau? on continuera ainsi jusqu'à ce que l'amélioration persiste. A côté de cela on peut faire, en l'absence de remèdes dont l'influence favo- rable soitplus sûre, une à deux frictions par jour avec 2 grammes d'onguent gris sur le côté malade dans les premiers jours de la maladie ; mais il faut faire cesser immédiatement ces frictions, dès qu'on remarque les indices d'une affection mercurielle de la bouche. Comme les frictions d'onguent mercu- riel exercent dans certains cas une influence favorable évidente sur les inflam- mations récentes d'autres membranes séreuses, surtout des membranes syno- viales, on pourra toujours essayer de les employer dans les cas récents de pleurésie, où leur influence est, il est vrai, plus difficile à contrôler. Après m' être convaincu dans ces dernières années, soit par mes propres observations, soit par celles relatées dans l'ouvrage de Meyer, que l'applica- tion de vésicatoires n'augmentait pas sensiblement la fièvre, je retire la pro- position suivante que j'avais formulée dans le temps : On ne doit pas appliquer de vésicatoires dans la pleurite, aussi longtemps que le malade a de la fièvre. L'application de grands vésicatoires paraît en effet exercer dans certains cas une influence favorable (Gutzeit), et, si l'on a l'intention de les employer, il faut le faire dans les cas récents. Enfin, l'emploi continu de cataplasmes chauds, qui du reste ne doivent pas être trop lourds, rend quelquefois d'excellents services dans les cas chroni- ques. Les remèdes internes sont superflus dans le traitement de la pleurite, lors- qu'ils ne sont pas exigés par des symptômes déterminés. L'effet antiphlogis- tique du nitre, du tarbe stibié, du calomel, qu'on a l'habitude de prescrire, est à mon avis très-problématique. Ce dernier, qui est le plus souvent em- ployé, présente même des inconvénients, parce qu'il augmente encore le danger de l'anémie et de la consomption qui sont déjà à craindre par le fait de la maladie elle-même. Indication symptomatique. Si au début de la maladie la fièvre est très-intense,, ou si elle continue assez longtemps pour qu'il faille craindre de la voir épui- ser les forces du malade, il faut prescrire un traitement antipyrétique. A ce point de vue , l'emploi si répandu de la digitale est très-recommandable pour cei-tains cas. Mais cette substance n'a aucun effet contre la maladie elle-même. Dans les cas récents, lorsque la fièvre est forte, je prescris ordi- nairement la digitale en infusion (0 gr. 50 sur 180 grammes) ; dans les cas traînés en longueur, lorsque la fièvre est latente, je la prescris en substance. (5 centigrammes par dose, avec partie égale de quinine, sous forme de pi- lules). Une dypsnée considérable exige impérieusement la saignée, lorsqu'elle dé- INFLAMMATION DE LA PLEVRE, PLEUR1TE, PLEURESIE. 315 pend d'uns hypérémie collatérale dans les parties non comprimées du pou- mon, et surtout lorsqu'il existe déjà des signes d'un œdème collatéral com- mençant. Dans ces circonstances il m'est arrivé souvent de prescrire dans le cours d'une pleurésie trois à quatre saignées, sans me croire coupable d'une inconséquence, car ces saignées étaient dirigées non contre la pleuré- sie, mais contre l'hypérémie dangereuse qui menaçait d'envahir les sections du poumon ménagées par la pleurite. Il est beaucoup plus rare que les phénomènes de stase dans la grande circulation, c'est-à dire la cyanose et Vhydropisie, dépendant d'un trouble circulatoire de la petite circulation, deviennent assez considérables pour ré- clamer une saignée. Il faut encore prendre en sérieuse considération Y anémie qui se déclare souvent de bonne heure et qui est produite sous l'influence de l'exsudation énorme et de la consomption par la fièvre. Qu'on ne craigne pas d'employer, concurremment avec un régime fortifiant, les préparations de fer. C'est un grand préjugé que de croire qu'elles donnent lieu à des congestions ou qu'elles puissent augmenter la fièvre. Les remèdes dont on prétend qu'ils favorisent la résorption de V exsudât méritent peu de confiance. On peut même se demander si d'une manière générale nous sommes en état d'amener par des moyens thérapeutiques les conditions d'où dépend la résorption d'épanchements pleurétiques; Si après la cessation des phénomènes inflammatoires il persiste un épanchement dans la cavité pleurale, on doit rejeter absolument l'emploi des mercuriaux, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur, et l'application de vésicatoires est dans ces cas d'une utilité très-problématique. — On sait par expérience que des exsudats pleurétiques et d'autres épanchements pathologiques peuvent quel- quefois se résorber rapidement pendant une attaque de choléra dans laquelle le sang est épaissi par suite de la perte très-considérable de parties aqueu- ses ; il semble donc rationnel d'essayer de soustraire au sang des parties aqueuses par les diurétiques et les drastiques, dans l'intention de favoriser la résorption d'un épanchement pleurétique. Malheureusement les diurétiques» parmi lesquels on recommande de préférence la crème de tartre, la crème de tartre soluble, les baies de genièvre, sont d'un effet très-incertain. Il ne faut pas trop attendre de leur emploi. La prescription des drastiques éner- giques est contre-indiquée par leur influence fâcheuse sur la digestion et l'assimilation. Dans un cas que je n'ai pas traité moi-même, mais que j'ai pu suivre de près, un épanchement pleurétique qui, pendant longtemps, avait résisté à tout traitement, diminua rapidement, aussitôt que le médecin traitant eut l'idée d'épaissir le sang, non pas en le débarrassant de ses parties aqueuses, mais en diminuant la quantité de la boisson : il soumit le malade à la cure de Schroth, lui donna autant que possible des aliments secs et lui prescrivit l'abstention presque complète de boissons. Dans quelques autres 3J6 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. cas, que j'ai eu l'occasion d'observer, ce traitement ne donna aucun résultat (il est e'vident que dans cette cure on s'abstint de suivre la règle absurde de permettre au malade, à des jours déterminés, l'usage immodéré du vin). — Enfin, on peut toujours essayer l'emploi intus et extra des préparations iodées qui, comme on sait, ont la réputation de hâter la résorption. J'ai prescrit assez souvent le sirop d'iodure de fer (8 grammes) avec sirop simple (60 grammes), et en même temps j'ai fait badigeonner la moitié malade du thorax avec une faible solution de Lugol (iode pur, 2 grammes ; iodure de potassium, 8 grammes ; eau distillée, 60 grammes), et dans quelques cas j'ai observé à la suite de cette prescription une résorption si rapide, que je devais considérer l'heureuse influence de ce médicament sinon comme prou- vée, au moins comme probable. Si donc les remèdes ont une influence si peu décisive sur la résorption des épanchements pleurétiques, il faut considérer comme un grand progrès en thérapeutique la connaissance du fait que l'évacuation du liquide par voie opératoire est beaucoup moins dangereuse qu'on ne le supposait dans le temps, et l'application fréquente et faite de bonne heure de ce procédé en cas d' épanchements pleurétiques. (Trousseau.) Il est évident que chaque jour pendant lequel le poumon reste comprimé et chaque jour où F exsudât devient plus riche en jeunes cellules, diminue la chance d'une guérison complète et augmente le danger d'une issue mortelle. Nous espérons que les observations de Trousseau, de Kussmanl, de Bartels et de Ziemssen con- tribueront à faire faire une plus large application de la thoracocentèse aussi bien dans les cas d'empyème que dans ceux d' épanchements séro-fibrineux de la cavité pleurale. — Nous renvoyons aux ouvrages de chirurgie et aux travaux des auteurs que nous venons de nommer pour ce qui concerne l'in- dication plus exacte de l'opération en général et les différentes modifica- tions qu'elle peut subir, de même que les différents procédés opéra- toires. CHAPITRE II Hydrothorax. § 1. Pathogénie et étiologie. Dans l'hydrothorax nous n'avons pas affaire à un exsudât, mais à un traiis- sudat épanché dans les cavités pleurales, à une hydropisie de la plèvre. Dans la plupart des cas on peut, sans difficulté, faire remonter cette maladie à l'une ou l'autre des conditions connues, sous l'influence desquelles se for- ment des transsudations pathologiques, c'est-à-dire, à V augmentation de la HYDROTHORAX. 317 pression dans l'intérieur des vaisseaux veineux, ou bien à Y appauvrissement du sérum sanguin en albumine, à ce qu'on appelle une crase hydropique. « L'hydropisie de poitrine», qui, aux yeux du public, compte parmi les maladies les plus à craindre et qui, comme telle, joue un rôle important dans les pathologies anciennes, n'est jamais une maladie idiopathique, primitive, mais toujours secondaire; elle est la conséquence d'un processus morbide qui, pendant son évolution, a amené une des conditions qui don- nent lieu aux transsudations pathologiques. A ce point de vue, F hydrothorax mérite, tout aussi peu que l'anasarque et les épanchements hydropiques dans les autres grandes cavités du corps, le nom de maladie. C'est seule- ment par des raisons d'utilité et pour nous conformer à l'usage reçu que nous le rangeons parmi les affections de la plèvre. L' hydrothorax dû à Y augmentation de la pression latérale dans les veines de la plèvre est une complication grave et qu'on a bien raison de redouter; il s'ajoute dans des cas nombreux aux maladies du poumon qui rendent la déplétion du cœur droit plus difficile et conduisent à des stases dans les veines de la grande circulation. Mais il se développe tout aussi souvent dans le cours de certaines affections du cœur, surtout dans les affections valvu- laires et les dégénérescences de la masse charnue du cœur; nous montre- rons plus tard que ces maladies entravent également la déplétion du cœur droit et l'écoulement du sang dans les veines de la grande circulation. L'hydrothorax qui dépend d'un appauvrissement du sérum sanguin en albu- mine, et dont la pathogénie n'est pas encore bien éclaircie, comme nous le montrerons en parlant de la maladie de Bright, s'ajoute aux cachexies graves, surtout aux inflammations et aux dégénérescences chroniques des reins, accompagnées d'albuminurie, aux infections paludéennes de mauvaise nature, aux dysenteries de longue durée, etc. Que l'hydrothorax soit dû à une stase veineuse ou à une composition anor- male du sang, toujours est-il qu'il constitue une manifestation de l'hydro- pisie générale; dans la première forme, on le voit, au moins dans quelques cas, précéder les autres épanchements hydropiques, tandis que dans la der^- nière, il ne vient s'y ajouter que plus tard. § 2. Anatomie pathologique. L'hydrothorax se montre presque toujours des deux côtés, mais ordinaire- ment l'une des cavités pleurales renferme plus de liquide que l'autre, quantité peut aller de quelques onces à quelques kilogrammes ; le liquide est ordinairement libre et se déplace à chaque mouvement ; quelquefois ce- pendant on observe des épanchements enkystés par d'anciennes adhérences des feuillets pleuraux. Le transsudat renfermé dans les cavités pleurales est 318 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. un liquide clair et jaunâtre; il est composé d'eau, d'albumine et des sels renfermés dans le sérum sanguin. Il est facile à distinguer d'un épanche- ment pleurétique par l'absence de coagulations fibrineuses considérables et de modifications inflammatoires des feuillets pleuraux. Ces derniers sont mats, d'aspect laiteux et légèrement gonflés, de même que le tissu sous- séreux, par suite de l'imbibition séreuse. Lorsque les épanchements sont considérables, on trouve le poumon refoulé contre la colonne vertébrale, à moins que d'anciennes adhérences le fixent ailleurs, et de grandes parties de l'organe sont comprimées. § 3. Symptômes et marche. Les symptômes et la marche de l'hydropisie de poitrine, considérée comme maladie idiopathique, non seulement ont été décrits, depuis les temps les plus anciens jusqu'au commencement de ce siècle, d'une manière très-exacte et très-détaillée ; mais il ne manque pas non plus d'exemples où le diagnostic posé pendant la vie avait été pleinement confirmé par l'autop- sie. Ce dernier fait s'explique ainsi : la description que les anciens méde- cins donnaient de l'hydropisie de poitrine répond aux maladies du poumon et du cœur dans le cours desquelles il se développe ordinairement un hydro- thorax à côté d'autres épanchements hydropiques. L'emphysème était cer- tainement aussi fréquent dans le temps qu'aujourd'hui ; mais jusqu'à Laen- n ec il était complètement inconnu aux médecins et avait passé inaperçu aux autopsies; il est positif que c'est surtout cette affection qui a été décrite généralement par eux sous le nom d'hydropisie de poitrine. Au point où] en est la science, nous ne pouvons considérer comme signe pathognomonique de l'hydrothorax, ni une dyspnée considérable qui est augmentée par chaque mouvement du corps et qui force le malade de rester assis dans son lit, ni le réveil en sursaut pendant le sommeil, ni un gonflement œdémateux des articulations des doigts et des paupières, car ces symptômes peuvent aussi se présenter sans épanchement hydropiquedans la plèvre, et peuvent être dus à des maladies du poumon et du cœur. Mais comme nous savons que les maladies caractérisées par cet ensemble de sym- ptômes, donnent très-souvent lieu à l'hydrothorax, et que cette complication aggrave considérablement l'état du malade, nous devons, dans chaque cas de cette nature, revenir très-souvent à l'examen physique de la poitrine, pour savoir si cette complication s'est présentée ou non. De même l'hydrothorax qui se montre dans le cours d'une maladie de Bright ou d'une autre cachexie accompagnée d'hydropisie générale, ne peut être reconnu avec sûreté que par l'examen physique de la poitrine, car les symptômes de dyspnée qui accompagnent son développement et son accrois- HYDROTHORAX. 319 sèment peuvent aussi être expliqués d'une autre façon et peuvent surtout être attribués à un commencement à" œdème pulmonaire. Les symptômes physiques de l' hydrothorax ont une grande ressemblance avec ceux des épanchements pleurétiques, sans toutefois leur être iden- tiques. A l'aspect extérieur on trouve dans l'étendue du transsudat le thorax dilaté ; mais les sillons intercostaux ne sont pas effacés, car les muscles intercostaux, qui ne sont pas paralysés par un œdème collatéral, résistent à la pression du liquide. Le foie, souvent agrandi àla suite de la stase veineuse, est refoulé en bas lorsque l'épanchement est considérable ; par contre, le cœur n'est jamais sensiblement déplacé, parce qu'en général les deux côtés du médias- tin sont soumis à une pression presque égale. A la palpation, on constate que le frémissement pectoral est plus faible ou absent partout où l'épanchement touche le thorax; au-dessus du liquide, il est augmenté.' A la percussion on trouve dans l'étendue de l'épanchement un son mat, au-dessus un son grêle et tympanitique. La matité n'a pas les limites qui sont presque caractéristiques de l'épanchement pleurétique. La limite supé- rieure se trouve en avant et en arrière au même niveau, lorsque le malade est debout ou assis. Les limites et la forme de la matité changent lentement, lorsque le malade change de position. A l'auscultation on entend dans l'étendue de la matité une respiration faible, indéterminée, ou bien on ne perçoit aucun bruit respiratoire; entre l'omoplate et la colonne vertébrale il existe une légère respiration bron- chique. § k. Traitement. Le traitement de l' hydrothorax se confond avec celui de la maladie prin- cipale et n'a que rarement un résultat favorable, parce que dans la plupart des cas nous sommes impuissants contre celle-ci. — S'il existe une très-forte dyspnée et si nous voyons d'une manière évidente qu'elle dépend surtout de l'abondance du transsudat, l'évacuation de ce dernier par la ponction est indiquée. Les avantages, simplement palliatifs, il est vrai, qu'on retire de l'opération, sont souvent très-frappants dans de pareils cas. 320 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. CHAPITRE III. Pneumothorax. § 1. Pathogénie et étiologie. Il n'est pas admissible que dans de certaines circonstances des gaz soient sécrétés par les feuillets pleuraux et s'accumulent dans la cavité pleurale. Les observations d'après lesquelles on a établi ce mode de production du pneu- mothorax, ont évidemment été mal interprétées. — Je ne veux pas nier qu'un épanchement pleurétique en voie de décomposition ne puisse donner lieu, sans accès de Pair, à un développement de gaz et ne produise ainsi un pneu- mothorax ; mais ces cas doivent être très-rares. — Le mode de production de beaucoup le plus fréquent du pneumothorax est le suivant : par une ouverture de la plèvre pulmonaire ou par une ouverture dans la paroi thoracique il entre de Vair dans la cavité pleurale. La perforation de la plèvre pulmonaire peut se faire du dedans, lorsqu'un processus destructeur s'étend du poumon à la plèvre, ou du dehors, lorsqu'une blessure ou une fonte successive du tissu pénètre de la plèvre dans le pou- mon. Le premier mode de production s'observe dans les abcès du poumon? dans la gangrène du poumon et avant tout dans la phthisie pulmonaire. La plupart des observations de pneumothorax concernent des cas ou la maladie s'est montrée dans le cours de la phthisie pulmonaire (et non de la tuber- culose pulmonaire, comme c'est dit presque partout) par suite de la rupture d'une vomique et de sa communication avec la plèvre. A ce propos, il faut observer que le pneumothorax se déclare beaucoup plus rarement dans la phthisie pulmonaire lente, à marche chronique, que dans celle à marche rapide, subaiguë. Si la fonte du tissu pulmonaire se fait lentement, les feuil- lets pleuraux se soudent solidement lorsque le processus se rapproche de la superficie, de sorte qu'en cas de perforation l'air ne peut pas entrer dans la plèvre. Même assez souvent les processus pneumoniques, causes de la phthi- sie pulmonaire, n'ont existé que depuis peu de temps, on n'a pas encore observé de matité au sommet du poumon ni de souffle bronchique, les forces et l'embonpoint du malade n'ont pas encore beaucoup diminué, lorsque le pneumothorax se déclare. Un seul lobule, infiltré de matière caséeuse et situé à la périphérie, peut amener la catastrophe, quand il subit une fonte rapide. Aux cas de pneumothorax, produits à la suite d'une destruction chronique du poumon, se rattachent les cas rares, mais positivement con- statés, où un pneumothorax se forme par la rupture de vésicules pulmonaires sous-pleurales, dilatées par l'emphysème. PNEUMOTHORAX. 321 La plupart des cas de pneumothorax traumatique ne sont pas dus à ce que l'air entre dans la plèvre par la plaie pénétrante de la paroi thoracique, mais à ce que le coup d'épée ou la balle, etc., blesse en même temps la plèvre pul- monaire et que l'air du poumon pénètre dans la cavité pleurale. — Dans les fractures de côtes on observe quelquefois que la plèvre pulmonaire est déchirée par une pointe osseuse et qu'il se forme un pneumothorax, sans que la paroi thoracique soit perforée ou considérablement lésée. — Beaucoup plus fré- quemment que de cette façon aiguë par une blessure, on voit la plèvre pul- monaire être perforée petit à petit par une ulcération débutant par sa surface exté- rieure. Nous avons déjà montré antérieurement que de ce processus dépen- daient l'irruption d'un empyème dans le poumon et l'évacuation du pus par les bronches. Si, après la perforation de la plèvre pulmonaire, un accès de toux violent a chassé une certaine quantité de la collection purulente, il entre une quantité égale d'air dans la cavité pleurale, dès que le thorax est de nouveau dilaté par l'inspiration suivante. Le pyothorax est alors transformé en « pyopneumothorax » . — Dans cette forme de la maladie l'air n'est presque jamais libre dans la cavité pleurale, il se trouve renfermé dans l'espace où l' empyème se trouvait comme enkysté, et qui est limité par des adhérence solides et séparé du reste de la cavité pleurale ; nous reviendrons sur cette circonstance en parlant des symptômes. Nous avons déjà indiqué que les perforations de la paroi thoracique ne don- nent pas toutes lieu au pneumothorax. Si le trajet suivi par l'instrument vulnérant dans la paroi thoracique est assez étroit et s'il a une direction oblique, la peau forme à l'ouverture extérieure une espèce de soupape qui empêche l'entrée de l'air dans le thorax. Il en est de même des trajets fis- tuleux qui restent ordinairement après l'ouverture spontanée d'un empyème à l'extérieur : ceux-ci laissent passer d'une manière continue ou de temps en temps un liquide purulent, sans permettre pour cela à l'air d'entrer dans la plèvre vidée. Si, par contre, la paroi thoracique est percée dans une direction perpendiculaire au thorax et si l'ouverture est assez large, il se produit un pneumothorax et l'on voit l'air entrer dans la cavité pleurale pendant l'inspiration et en sortir pendant l'expiration. Nous mentionnerons en terminant les cas excessivement rares où des ulcères ou des néoplasies ulcérées soit de l'estomac, soit de l'œsophage, don- nent lieu à des communications anormales avec la cavité pleurale et déter- minent ainsi un pneumothorax. § 2. Anatomie pathologique. La dilatation énorme de l'une ou de l'autre moitié du thorax, présentant des espaces intercostaux effacés ou même bombés en avant, permet souvent ■au simple aspect du cadavre de supposer l'existence d'un pneumothorax. Si NIEMETER. 1 — 21 322 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. l'on commence l'autopsie par ouvrir la cavité abdominale, on trouve le- diaphragme proéminant en bas, le foie et la rate fortement abaissés. Si l'on enfonce un scalpel ou un trocart dans le côté dilaté du thorax, l'air s' échappe en sifflant et éteint la flamme d'une bougie tenue devant l'ouverture. Cet air est composé en grande partie d'acide carbonique et d'azote et ne renferme de l'oxygène qu'en faible proportion ; sa quantité varie, cependant elle est le plus souvent tellement considérable qu'elle explique la dilatation énorme du thorax dont nous avons parlé. Il est rare que la cavité pleurale ne renferme que de l'air; il suffit que le malade ait survécu de peu de jours au développement du pneumothorax,, pour qu'il se soit formé en même temps unepleurite, et nous trouvons dans le sac pleural à côté de l'air un exsudât séro-fibrineux ou purulent. Là quan- tité de cet épanchement liquide est variable; le plus souvent elle est d'autant plus considérable que le pneumothorax existe depuis plus de temps. L' épan- chement peut finir par remplir presque toute la cavité pleurale, tandis que la quantité d'air devient de plus en plus faible. Enfin, tout l'air peut avoir disparu de la plèvre qui ne contient plus qu'un exsudât liquide. Que la cavité pleurale soit uniquement remplie par l'air ou qu'il s'y trouve de l'air et un exsudât pleurétique, le poumon est placé à côté de la colonne vertébrale, réduit à un très-petit volume et le plus souvent complètement vide d'air; ce n'est que dans le cas où d'anciennes adhérences l'ont fixé en partie à la paroi thoracique, qu'il occupe une autre place. Dans beaucoup de cas on ne parvient qu'avec peine à découvrir l'endroit perforé, en plaçant le poumon sous l'eau et en l'y insufflant ; le plus souvent l'ouverture est bouchée par les dépôts fibrineux. Dans d'autres cas, elle est déjà cicatrisée,, surtout lorsqu'elle a été très-petite, dès le début. A côté de l'abaissement du diaphragme, on trouve le plus souvent dans le pneumothorax un refoulement latéral considérable du médiastin et du cœur. Les changements anatomiques que nous avons décrits jusqu'ici sont sensi- blement modifiés, lorsque des adhérences étendues et résistantes des feuillets pleuraux ont empêché le poumon de se rétracter dans tous les sens et d'une manière égale. Quelquefois l'air extravasé est enfermé dans des espaces peu considérables, limités de toute part par des adhérences. Dans ces cas, les portions avoisinantes du poumon sont seules comprimées, le thorax n'est dilaté que partiellement, le cœur et le foie ne sont pas déplacés. Lorsqu'un empyème s'est ouvert dans le poumon, le pneumothorax qui se forme rentre presque toujours dans cette dernière catégorie ; mais cette espèce de pneu- mothorax s'observe aussi dans quelques cas où la maladie en question a été le résultat de la rupture d'une caverne située superficiellement. PNEUMOTHORAX. 323 § 3. Symptômes et marche. On s'explique facilement les symptômes, ordinairement très-marquants et caractéristiques, du pneumothorax, si l'on réfléchit aux conséquences que doit entraîner nécessairement une perforation de la plèvre pulmonaire ou de la paroi thoracique. Dès que la cavité pleurale n'est plus fermée hermétiquement, le poumon peut céder à l'influence de ses éléments élastiques et se rétracter. La ré- traction du poumon, que nous observons à l'autopsie en ouvrant le thorax, s'effectue pendant la vie au moment où l'air peut pénétrer dans la cavité pleurale par une ouverture de la paroi ou du poumon. Même le poumon du côté sain se rétracte un peu, parce que le médiastin cède à la traction qui ne s'exerce plus sur lui que d'un seul côté. Immédiatement après la forma- tion d'un pneumothorax, la cavité pleurale ne renferme que la quantité d'air qui a été chassée du poumon sous l'influence de l'élasticité de cet organe. Si le thorax se dilate clans l'inspiration suivante, une nouvelle quan- , tité d'air entre dans la cavité pleurale. Si cette nouvelle quantité peut de nouveau s'échapper pendant l'expiration suivante, le thorax revient dans la position d'expiration et le poumon rétracté ne subit pas de compression. Si, par contre, l'âir entré dans la cavité pleurale pendant l'inspiration ne peut pas s'échapper pendant l'expiration suivante, le thorax reste dans la position d'inspiration et le poumon est comprimé. Ce phénomène se répète jusqu'à ce que le thorax ait atteint le plus haut degré de dilatation qu'il peut attein- dre- par des inspirations forcées et que le poumon soit complètement com- primé et vide d'air. Comme l'ouverture de la plèvre pulmonaire, par laquelle l'air entre dans la plupart des cas de pneumothorax dans la cavité pleurale, a le caractère d'une plaie déchirée, généralement l'air une fois entré ne peut plus s'échapper. Comme une soupape, l'ouverture est dilatée pendant l'inspiration et fermée pendant l'expiration par la pression de l'air qui, dans ce temps de la respiration, est comprimé. Si, à la fin, la tension de l'air dans la cavité pleurale a atteint un degré déterminé, la soupape reste fermée même pendant l'inspiration, et l'air n'entre plus dans la cavité pleurale, sans que pour cela l'endroit perforé soit devenu imperméable par une aggluti- nation ou une adhérence de ses bords. Dans le pneumothorax pur la dilatation de la cage thoracique ne dépasse pas une certaine limite qui est celle de la plus forte inspiration possible ; si la dilatation du thorax dans beaucoup de cas dépasse considérablement cette limite et si la tension de ses parois est souvent excessive, c'est qu'il s'est ajouté plus tard à l'air renfermé dans la cavité pleurale un exsudât liquide qui occupe également une certaine place; c'est que le pneumothorax s'est transformé en pyopneumothorax. — Dans les cas rares où l'air peut s'échapper de la plèvre aussi librement qu'il y pénètre 324 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. (par exemple, lorsqu'il existe des fistules ou des plaies larges qui perforent la paroi thoracique en droite ligne, ou bien une communication fistuleuse à large ouverture et à parois résistantes entre la cavité pleurale et une grosse bronche), on n'observe pas de distension du thorax ni de compression du poumon, qui, il est vrai, est généralement vide d'air par suite des processus antérieurs. Dans les cas où cette maladie se développe après la rupture d'une caverne et sa communication avec la cavité pleurale, les malades peuvent indiquer en général d'une manière précise le moment où la perforation a eu lieu, ils disent avoir senti quelque chose se déchirer ou éclater dans leur poitrine: Immédiatement après se déclare une dyspnée qui augmente rapidement et atteint bientôt une intensité très-considérable ; les malades ne peuvent garder dans leur lit que la position assise, ou bien ils se couchent sur le côté malade, pour permettre au côté sain de se mouvoir aussi librement que possible. Cette dyspnée dépend en partie de la compression totale du pou- mon, qui est complète en quelques secondes, en partie de l'hypérémie col- latérale, entraînant le rétrécissement des alvéoles, et de l'œdème collatéral du poumon sain, conséquences de la compression que subissent les vaisseaux du côté malade. — Dans tous les cas de pneumothorax subitement déve- loppé que j'ai eu occasion d'observer, les malades se plaignaient de bonne heure de douleurs violentes dans la région des côtes inférieures ; ce symptôme ne peut s'expliquer que par le tiraillement du diaphragme ou par une pieu- rite due à l'entrée de l'air et surtout du contenu des cavernes dans la cavité pleurale. — Lorsque les malades n'étaient pas très-anémiques avant le déve- loppement du pneumothorax, il s'ajoute aux symptômes précités les signes manifestes d'une stase sanguine au-devant du cœur droit (car la compression totale des vaisseaux d'un des poumons ferme au cœur la moitié de ses ca- naux d'écoulement) : c'est ainsi que les malades deviennent cyanoses et sou- vent on remarque dès le premier jour un gonflement hydropique des extré- mités et de la face. Le pouls est petit, la sécrétion urinaire est rare, la peau est froide, en partie parce que le cœur gauche, qui ne reçoit du sang que par un poumon, se remplit incomplètement, en partie à la suite du collapsus général qui accompagne la rupture d'une caverne dans la cavité pleurale, comme il accompagne d'autres lésions dangereuses, telles que la perforation d'un ulcère de l'estomac. Quelquefois les malades succombent déjà au bout de quelques heures, ou plus tôt encore, à la suite de la respiration insuffisante et du collapsus con- comitant. D'autres fois, la mort n'arrive qu'après quelques jours ou quel- ques semaines. Dans ces cas, le collapsus disparaît, les malades reprennent de la chaleur, mais la dyspnée continue et ne fait qu'augmenter avec les progrès de l'épanchement pleurétique qui repousse de plus en plus le médiastin et le cœur vers le poumon sain. La cyanose et les phénomènes PNEUMOTHORAX. 325 hydropiques augmentent également. Les malades finissent par succomber à un œdème pulmonaire et à la décarbonisation incomplète du sang, ou bien ils meurent consumés par la fièvre et épuisés par l'exsudation énorme qu'en- traîne la pleurite consécutive. Le pneumothorax se termine rarement par la guérison. Dans ces cas, il se transforme d'abord en un simple pyothorax, par le fait que l' exsudât liquide monte de plus en plus et que la tension de l'air renfermé dans la cavité pleurale augmente à un tel point que ce gaz disparaît par diffusion dans les vaisseaux avoisinants. Plus tard l'épanchement liquide peut être résorbé dans les circonstances favorables, et le poumon peut même se dilater de nouveau, sil'endroit perforé s'est oblitéré pendant ce temps. A Magdebourg, j'ai soigné une malade qui pendant des semaines était dans l'état le plus désolant, au point qu'on attendait chaque jour sa fin ; cependant au bout de trois mois elle se rétablit assez pour pouvoir se marier et se mettre à la tête d'un com- merce assez étendu. — Dans d'autres cas, il se forme une vaste communi- cation entre la cavité pleurale et une grosse bronche restée perméable dans }e poumon comprimé, et de temps en temps une partie du liquide contenu dans la cavité pleurale arrive dans les bronches et est rejetée par la toux. C'est ainsi que Henoch raconte avoir vu à la clinique de Romberg un malade très-intéressant qui n'expectora du liquide que dans une position déterminée du corps. Les symptômes et la marche du pneumothorax que nous venons de décrire sont complètement modifiés, lorsqu'à la suite de la perforation d'une caverne l'air est entré dans un espace limité par d'anciennes et solides adhérences, ou lorsque, après la rupture d'un empyème dans le poumon et après son évacuation partielle par les bronches, l'air est venu remplacer le liquide écoulé. Dans ces cas, surtout dans le dernier, les symptômes subjec- tifs manquent souvent complètement et on ne reconnaît la maladie que par hasard en faisant l'examen physique de la poitrine. L'examen physique donne les résultats suivants, lorsqu'une grande quan- tité d'air est accumulée dans la cavité pleurale : Aspect extérieur. Si un phthisique qu'on a quitté, il y a peu de jours, sans grande dyspnée, levé ou couché dans une position tout à fait naturelle, est trouvé à la visite suivante avec les signes de la plus forte dyspnée, couché sur un côté déterminé et évitant soigneusement tout changement de posi- tion, ce simple aspect suffit pour éveiller en nous le soupçon qu'un pneu- mothorax s'est développé, surtout si ce changement dans l'état du malade s'est fait d'une manière subite. — Au simple aspect, le moins exercé remar- que facilement que le thorax est considérablement dilaté, que les sill07is inter- costaux sont effacés, que V 'expansion respiratoire manque du côté malade ; il en est de même de l'impulsion du cœur qu'on voit souvent à la droite du ster- num, lorsque le pneumothorax se trouve à gauche. 326 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. Palpation. Le déplacement du cœur vers le côté sain et le refoulement du foie vers en bas, lorsque le pneumothorax se trouve à droite, sont encore plus manifestes à la palpation. Le frémissement pectoral est, dans tous les cas, plus faible du côté malade que du côté sain, d'ordinaire même il fait com- plètement défaut du côté malade. Percussion. Dans l'étendue du pneumothorax, on entend à la percussion un son plein, clair, tympanitique, qui dans le pneumothorax droit s'étend trop vers en bas, et dans le pneumothorax gauche trop vers en dedans. Lorsque la tension de la paroi thoracique est très-considérable, le son de la percus- sion n'est pas tympanitique à cause de la forte pression qui s'exerce sur la sur- face interne et qui empêche la production de vibrations régulières. Quelque- fois la tension de la paroi thoracique atteint un degré si élevé, que la per- cussion ne peut pas la mettre en vibration, et en percutant même avec force on n'entend qu'un son faible (mat). Dans ces derniers temps, on a ajouté une grande importance à ce que la tonalité du son de la percussion haussait ou baissait, selon que le malade se mettait sur son séant ou se couchait (Biermer), et l'on a expliqué ce phénomène de la manière suivante : V ex- sudât, dans la position assise , refoulerait le diaphragme par en bas et de cette façon le plus grand diamètre de la cavité pleurale serait augmenté. (Biermer, Gerhardt.) Je crois devoir mettre en doute l'augmentation con- stante du diamètre longitudinal de la cavité pleurale dans la position assise, et je crois même que, dans certaines circonstances, c'est-à-dire lorsque l'épanchement est un peu considérable, c'est précisément le contraire qui peut se présenter. — Enfin, on entend souvent, en percutant, un son métal- lique, surtout si pendant ce temps on applique l'oreille sur la poitrine. — Après quelques jours, le son de la percussion devient mat aux endroits déclives dans l'étendue de l'épanchement. Un symptôme caractéristique du pyopneumothorax, c'est que les limites de la matité se modifient immédia- tement, dès que le malade change déposition. Si le malade est couché sur le dos, le son de la percussion peut être plein en avant jusqu'au bord inférieur des côtes ; s'il se relève, il peut être mat jusqu'à un niveau assez élevé. Auscultation. Existe-t-il en même temps de l'air et du liquide dans la cavité pleurale, alors on peut entendre, souvent même, avant d'appliquer l'oreille sur le thorax, un bruit de fluctuation à timbre métallique, lorsqu'on secoue le malade (succussion hippocratique), ou que ce dernier change subitement de position, qu'il se lève ou se couche brusquement ; ce bruit ressemble à celui qu'on produit en secouant une bouteille à moitié remplie d'eau. — Le murmure vésiculaire ne s'entend pas, symptôme très-caracté- ristique lorsqu'il est associé au son plein de la percussion ; à sa place on per- çoit, si ce n'est toujours, au moins le plus souvent, des bruits métalliques : une respiration amphorique, mais surtout des râles métalliques et le tinte- ment métallique, bruits qui s'entendent également au niveau des grandes PNEUMOTHORAX. 327 -cavernes à parois lisses et régulièrement bombées. L'existence des bruits métalliques ne prouve nullement que l'air entre dans la cavité pleurale et en sort librement; on les perçoit également lorsque la communication anor- male est fermée, car les bruits produits dans le poumon résonnent, dans ces 'circonstances, avec un timbre métallique. Dans la plupart des cas où l'air peut circuler librement dans la cavité pleurale après la perforation d'une caverne, les symptômes décrits se pré- sentent tous et avec les caractères que nous leur avons attribués ; la maladie «st alors facile à reconnaître. Mais si le pneumothorax est enkysté, un grand nombre de ces symptômes peuvent manquer. Si l'espace dans lequel l'air se trouve renfermé est trop petit ou trop irrégulier pour pouvoir prendre une forme régulièrement bombée par suite de la pression centrifuge de l'air et de l' exsudât, on n'entendra des sons métalliques ni à la percussion ni à l'auscultation. Le signe le plus constant et le plus sûr du pneumothorax en- kysté, c'est le son plein de la percussion, associé à V absence du bruit respi- ratoire. Dans quelques cas où, après la perforation d'un empyème dans le pou- mon, l'espace renfermant l'air et l'exsudat était particulièrement irrégulier, j'ai perçu en appliquant la main sur le thorax un choc très-caractéristique du liquide contre la paroi antérieure, lorsque le malade se relevait rapide- ment et énergiquement. § h. Diagnostic. Il n'y a qu'un seul cas où l'on puisse confondre le pneumothorax avec l'emphysème, c'est lorsque le malade auprès duquel on est appelé manque tellement de respiration, qu'il ne peut donner aucun renseignement sur- son état antérieur; dans tous les autres cas, le développement très-rapide de la dyspnée dans le pneumothorax et très-lent dans l'emphysène ne permet pas le doute. Lorsqu'on est dans le doute, ce qui du reste doit être très-rare, on fera surtout attention aux signes suivants : 1° dans l'emphysème (qui le plus souvent existe des deux côtés) les deux moitiés du thorax sont dilatées ; dans le pneumothorax (presque toujours unilatéral) il n'y a qu'Un côté qui soit dilaté ; 2° dans l'emphysème les espaces intercostaux forment des sillons plats ; dans le pneumothorax ces espaces sont effacés ou bombés en dehors ; 3° dans l'emphysème, le bruit vésiculaire est faible, mais ne manque pas complètement, ou bien il est remplacé par les râles muqueux ; dans le pneu- mothorax on n'entend pas de respiration vésiculaire, mais souvent des bruits métalliques; h° dans l'emphysème, on sent le plus souvent le frémissement pectoral ; dans le pneumothorax, il manque presque toujours. Pour distinguer le pneumothorax de grandes cavernes vides et situées superficiellement, au niveau desquelles on produit un son métallique à la 328 MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. percussion et l'on entend à l'auscultation une respiration amphorique et des râles métalliques, il faut prendre en considération les points suivants : 1° au niveau de ces cavernes le thorax est ordinairement affaissé, au niveau du pneumothorax il est dilaté; 2° le frémissement pectoral existe sur les caver- nes et souvent même il y est plus fort ; dans le pneumothorax il manque d'ordinaire complètement ; 3° les râles qui se produisent dans les cavernes sont ordinairement plus forts et plus abondants que ceux qu'on observe dans le pneumothorax; h° quand il y a des cavernes, les organes avoisinants ne sont pas déplacés, dans le pneumothorax ils sont le plus souvent refoulés d'une manière très-sensible ; 5° dans les cavernes, le degré d'acuité du son tympanitique change suivant que l'on fait ouvrir ou fermer la bouche; dans le pneumothorax, ce n'est pas le cas. § 5. Traitement. Le traitement du pneumothorax ne peut être que palliatif et sympto- matique. Dans beaucoup de cas, surtout dans ceux où la masse du sang n'a pas encore été diminuée par une fièvre de longue durée, une saignée peut devenir d'une nécessité absolue au moment où le pneumothorax se déclare. Il est même possible qu'on soit obligé de revenir à la saignée lorsque le pou/- mon non comprimé est tellement hypérémié qu'il ne peut pas fonctionner convenablement. Les douleurs produites par le tiraillement du diaphragma et la pleurite commençante, seront combattues par des saignées locales et des compresses froides. Les préparations opiacées sont indispensables pour soulager le malade et lui donner quelque repos. La ponction du thorax avec un fin trocart est un moyen indispensable, mais simplement palliatif, pour diminuer la dyspnée du malade. Cette opé- ration ne modifie en rien l'état du poumon malade, mais elle est très-utile au poumon sain, lorsque le médiastin, fortement repoussé par la pression de l'air et de l' exsudât, rétrécit également d'une manière très-considérable- l'espace de la cavité pleurale non perforée. Quant au traitement des périodes ultérieures du pneumothorax, on se guidera sur les principes que nous avons établis pour le traitement de la pleurésie. CANCER DE LA PLÈVRE. 329 CHAPITRE IV. Tuberculose de la plèvre. 1° Les tubercules gris, transparents ne s'observent dans le tissu propre de la plèvre que pendant la tuberculose miliaire aiguë, à côté de tubercules ré- cents du poumon, de la rate, du foie, des méninges, etc. Dans cette affec- tion, le malade succombe, comme nous l'avons dit antérieurement, à l'intensité de la fièvre avant que les tubercules aient subi des métamorphoses ultérieures. — La tuberculose miliaire de la plèvre ne donne pas lieu à des symptômes locaux. 2° On voit beaucoup plus souvent se développer des granulations tubercu- leuses dans les pseudo-membranes de formation récente, qui se développent sur la plèvre lorsque la pleurite présente des recrudescences répétées. Nous avons montré précédemment que pendant les inflammations qui atteignent dans la pleurite récidivée, les jeunes végétations riches en capillaires larges et à parois minces, on observe, facilement des ruptures vasculaires. De cette façon, il est aisé de comprendre pourquoi la forme hémorrhagique des épanchements pleurétiques s'observe à côté de la tuberculose des pseudo- membranes. Cette dernière se montre sous la forme de proéminences nom- breuses, mamelonnées, la plupart de la grosseur d'un grain de chènevis, qui d'abord blanchâtres, deviennent plus tard jaunes. Cette tuberculose des pseudo-membranes se prête le mieux à l'observation du développement et des métamorphoses des tubercules (Virchow). Les symptômes de cette forme de tuberculose pleurale ne peuvent pas être distingués de ceux d'une pleu- rite avec exsudât hémorrhagique. CHAPITRE V. Cancer de la plèvre. Le cancer de la plèvre ne s'observe jamais à l'état primitif, mais toujours ar contre, chez les enfants à la mamelle, il peut devenir dangereux, parce que l'oblitération de leurs narines, déjà naturellement étroites, rend la suc- cion plus difficile. Si dans ces cas on ne nourrit pas l'enfant à la cuiller, la vie peut être mise enpéril si la constitution est naturellement faible. Dans le catarrhe chronique du nez, le sentiment de chatouillement, l'éter- nueinent, la céphalalgie frontale, la fièvre manquent généralement; par contre, le gonflement de la muqueuse donne ordinairement lieu à un rétré- cissement persistant des fosses nasales. La sécrétion est tantôt muqueuse , tantôt muco-purulente. Dans quelques cas, elle est peu abondante ; dans d'autres, elle est très-considérable. Ce n'est pas toujours la sécrétion abon- dante et purulente qui est le plus disposée à la décomposition putride. Au contraire, on observe quelquefois l'ozène ou punaisie dans les catarrhes chro- niques où la sécrétion est tellement faible que le catarrhe passe inaperçu et l'on a prétendu que la punaisie dépendait, dans certains cas, d'une exhalai- son fétide de la muqueuse nasale et non de l'odeur de ses sécrétions en dé- composition. Il est probable que la sécrétion se putréfie plus facilement lorsque le nez est particulièrement étroit; cette opinion pourrait s'appuyer su]1 un fait plus ou moins analogue : c'est que chez les enfants affectés d'in- tertrigo derrière les oreilles, la sécrétion de la peau excoriée se décompose très-facilement dans la fente étroite formée par l'oreille et la tête, et prend une odeur cadavéreuse. Si la sécrétion est abondante et puriforme, on voit souvent prendre naissance les croûtes très-dures et d un vert noirâtre, déjà citées, qui sont tantôt éloignées par l'acte de se moucher, tantôt aspirées dans le pharynx et expectorées. Dans quelques cas, on trouve également la paroi postérieure du pharynx couverte de croûtes semblables. — Le catarrhe chronique du nez est une maladie très-tenace, qui résiste souvent à tout trai- tement et persiste pendant de longues années en variant d'intensité. Il est souvent difficile et même impossible de dire si le catarrhe chronique a donné lieu à la formation d'ulcères dans le nez, à l'ozène pris dans le sens restreint. C'est parce que l'odeur fétide de la sécrétion n'est pas pathognomonique de l'ulcération de la muqueuse nasale, mais se rencontre également dans le coryza chronique simple, que les médecins qui appellent ozène chaque cas accompagné d'un écoulement fétide, ont été obligés d'admettre deux formes d' ozène, l'ozène ulcéreux et l'ozène non ulcéreux. Un diagnostic certain des ulcères n'est possible que dans les cas où l'on peut les voir à l'aide d'un éclairage convenable et de la dilatation des narines, ou bien les atteindre avec une sonde. Même les ulcérations superficielles du nez, qui ne s'éten- 336 APPENDICE AUX MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. dent pas jusqu'au périchondre ou au périoste, sont d'une grande opiniâtreté. Abstraction faite de l'irritation toujours répétée que produit l'acte de se mou- cher, une circonstance qui rend presque impossible le rapprochement des bords de l'ulcère, c'est que la muqueuse est solidement adhérente au carti- lage et à l'os et, de cette manière, la cicatrisation devient excessivement difficile. L'ozène syphilitique sera traité dans le second volume. Nous y parlerons également de la destruction du nez par le lupus, qu'on désigne souvent du nom d'ozène scrofuleux, en omettant toutefois ce qui peut ap- partenir au domaine de la chirurgie. Les fosses nasales sont-elles rétrécies par un gonflement diffus et une hypertrophie de la muqueuse ou par une végétation polypeuse? C'est là une question qui ordinairement ne trouve sa solution que lorsque les polypes sont accessibles à la palpation. On ne doit jamais négliger d'examiner avec beaucoup de soin les fosses nasales par l'ouverture postérieure aussi bien que par les narines , lorsque les malades se plaignent d'un enchifrènement chronique dans une ou les deux cavités nasales, surtout quand la sécrétion est plus ou moins mêlée de sang, lorsqu'ils se mouchent violemment. La manière d'examiner l'intérieur du nez et la symptomatologie des grands polypes du nez appartiennent au domaine de la chirurgie. Je passe ces der- niers sous silence, de même que je renvoie pour les autres néoplasies du nez et les maladies de ses cavités accessoires aux manuels de chirurgie et surtout à l'ouvrage classique de mon collègue Bruns. On a recommandé différentes méthodes abortives pour combattre le catarrhe aigu du nez; mais aucune n'a été jugée digne d'une application générale, ni le tamponnement des narines avec de petites éponges ou des boulettes de charpie, ni les injections dans le nez, ni le badigeonnage de la muqueuse malade avec des solutions astringentes ou narcotiques, ni l'appli- cation de narcotiques sous forme de poudre, ni l'aspiration de vapeurs d'acide acétique, ni enfin la diète, dite sèche. Il n'y a qu'une diaphorèse énergique qui coupe réellement, dans beaucoup de cas, le catarrhe aigu du nez, ou qui du moins en abrège considérablement la durée. Partout où l'on a l'occasion de faire prendre un bain de vapeur russe, on l'ordonnera aux malades atteints d'un coryza violent, en leur recommandant de prendre toutes les précautions qu'exige ce procédé énergique, si on veut le voir réussir. Dans la plupart des cas, on se bornera à conseiller au malade de garder la chambre pendant quelques jours, de prendre de temps en temps une boisson tiède, de se tenir la tête et les pieds chauds, de se servir de mouchoirs de lin et non de soie ou de coton, de les changer souvent, de HYPEREMIE ET CATARRHE DE LA MUQUEUSE NASALE. 337 mettre sur la lèvre supérieure un peu de pommade rosat pour la protéger par cette couche de graisse contre l'influence de la sécrétion irritante. Quel- ques malades se louent également de la respiration de vapeurs chaudes au début du coryza, aussi longtemps que le nez est sec. Il n'y a pas de danger, comme on le croit dans le peuple, à renifler de l'eau froide, cependant ce procédé ne donne qu'un soulagement passager et semble même prolonger quelquefois la maladie. Dans les périodes ultérieures du catarrhe aigu , lorsque l'irritabilité de la muqueuse a fait place à un état plus torpide, une promenade un peu longue à l'air et même de temps en temps une prise de tabac semblent hâter la guérison. Chez les nourrissons, qui ne peuvent pas se moucher, il est nécessaire d'éloigner la sécrétion qui bouche les narines par des injections d'eau tiède, et de leur donner le lait avec la cuiller ou le biberon, aussi longtemps que la succion est impossible. Dans le traitement du catarrhe chronique du 7iez, il faut avant tout prendre en considération les anomalies de la constitution. L'huile de foie de morue est indiquée dans certaines circonstances, que nous examinerons deplusprès en parlant de la scrofulose. Au contraire, les individus bouffis, chez lesquels il y a surabondance dans la production de graisse, on est parfois forcé de les soumettre à une diète sévère, de leur prescrire un traitement méthodique par les purgatifs et au besoin une cure à l'eau froide. Le traitement local est d'une très-grande importance dans le coryza chronique. Ce qui fait le plus d'effet, c'est le badigeonnage de la muqueuse gonflée avec une solution de nitrate d'argent (0gr,20 à 2 grammes sur 30 grammes d'eau), ou la cautéri- sation, répétée de temps en temps, avec la pierre. D'autres remèdes, qui jouissent d'une réputation toute spéciale dans le traitement du coryza chro- nique, ce sont les préparations mercurielles sous forme de poudre à priser (calomel, précipité rouge aa 0gr,60, sucre blanc 15 grammes), ou bien les solutions faibles de sublimé qu'on injecte dans le nez. L'emploi de l'alun, des préparations de zinc, de plomb , du tannin , etc., se recommandent moins. Si l'écoulement est fétide et s'il ne perd pas cette propriété à la suite des traitements précités, on essayera si des injections d'eau chlorurée, d'une faible solution iodée (iode métallique 0gr,10 à 0gr,20, iodure de potassium 0gr,20 à 0gr,40, eau distillée 180 grammes) ou d'eau créosotée, amèneront un meilleur résultat Le meilleur palliatif pour détruire la mauvaise odeur, c'est une solution faible d'hypermanganate de potasse. Les ulcères catarrhaux réclament en général le même traitement que le catarrhe chronique. Dans ces cas, le traitement local, surtout la cauté- risation des ulcères avec le nitrate d'argent, est encore plus nécessaire que dans le catarrhe simple. Il y a lieu de préférer aux injections la douche nasale à l'aide d'un instrument [fort simple dont les personnes même les moins habiles apprennent à se servir convenablement après un très-court exercice. NIEMEYER. I — 22 338 APPENDICE AUX MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. Le traitement des végétations polypeuses rentre dans le domaine de la- chirurgie. CHAPITRE IL Hémorrhagies de la muqueuse nasale. — Saignement du nez. Epistaxis. § 1. Pathogënie et étiologie. Les capillaires de la muqueuse nasale sont beaucoup plus souvent atteints de rupture que les capillaires d'autres muqueuses et d'autres organes, lors- qu'ils sont dilatés par une pression intérieure exagérée. La plupart des hommes ne sont jamais atteints d'une autre hémorrhagie spontanée que celle du nez ; chez l'un ces saignements sont plus fréquents que chez l'au- tre, mais peu d'hommes en sont complètement exempts. Si l'épistaxis est l'hémorrhagie spontanée qu'on rencontre le plus fréquemment, nous ne devons pas nous étonner que dans de certaines conditions qui augmentent la tendance aux hémorrhagies spontanées, ce soient précisément les capillaires du nez qui éprouvent préférablement ou exclusivement des solutions de continuité. Probablement l'état morbide des capillaires qui les dispose à se déchirer facilement, c'est-à-dire la diathèse hémorrhagique, s'étend plus ou moins à tous les vaisseaux du corps, mais ce n'est que dans le nez, organe dans lequel les parois capillaires possèdent naturellement une faible résis- tance, que le trouble nutritif des parois vasculaires suffit pour amener la rupture par la simple pression du sang. La. prédisposition à l'épistaxis est, en général, beaucoup plus grande chez les jeunes individus que chez les personnes d'un âge avancé ; mais d'ordi- naire, elle ne commence à se montrer qu'après la deuxième dentition, et n'existe pas encore chez les tout petits enfants. Ensuite, ce sont les constitu- tions grêles, à os minces, à muscles flasques, à peau délicate, chez lesquelles on remarque ces épistaxis plus souvent que chez les individus à os épais, à muscles développés. La nutrition des parois capillaires est particulièrement altérée par les maladies épuisantes, qu'elles aient une marche aiguë ou chronique, et nous voyons très-souvent des hémorrhagies nasales se présen- ter comme le symptôme d'un marasme aigu ou chronique dans le cours de la fièvre typhoïde, d'une fièvre intermittente de longue durée, des exanthè- mes aigus, de la pleurite, de la péritonite (surtout des inflammations latentes de l'abdomen qui ont leur point de départ dans le cœcum ou le côlon), de même nous les observons dans le cours de la tuberculose, de la carie, etc. L'opinion exprimée plus haut, que les capillaires du nez se prêtent plus à la HÉMORRHAGIES DE LA MUQUEUSE NASALE. 339 rupture que les capillaires d'autres organes, est appuyée principalement sur le phénomène que, dans les processus morbides dont il vient d'être question, et qui, certes, troublent la nutrition, non-seulement de la muqueuse na- sale, mais de tout le corps, on voit survenir neuf hémorrhagies nasales, sur une d'un autre organe. Enfin, nous devons noter que, dans la plupart des maladies de la rate, les hémorrhagies nasales sont fréquentes, et que, pour les anciens médecins, et aujourd'hui encore aux yeux du public, une épis- taxis fréquente, surtout de la narine gauche, est considérée presque comme un symptôme pathognomonique d'une affection de la rate. Mais les affections de la rate accompagnent si souvent les maladies épuisantes, et ces dernières prédisposent à leur tour si fréquemment aux hémorrhagies nasales, lors même qu'elles ne sont pas compliquées par une affection de la rate, qu'or- dinairement on est dans le doute de savoir s'il existe un rapport génétique entre l'hémorrhagie nasale et l'affection de la rate. Ceci s'applique à l'hy- pérémie, à l'hypertrophie simple, à la dégénérescence lardacée de la rate, et il n'y a qu'une affection de la rate, celle qui est la base de la leukémie, dont nous puissions dire en toute certitude que l'épistaxis dépend directement de l'affection de la rate, ou au moins du mauvais état de la nutrition géné- rale déterminée par cette dernière. Les causes occasionnelles de l'épistaxis sont, dans la plupart des cas, telle- ment insignifiantes, que souvent elles ne peuvent pas être constatées. Il est vrai qu'après des coups, ou d'autres lésions du nez, il se produit des hémor- rhagies ; de même, elles accompagnent le catarrhe, l'ulcération, les néo- plasmes des fosses nasales ; mais ces épistaxis n'atteignent pas une grande intensité chez les individus qui ne présentent pas une prédisposition mor- bide, et nécessitent rarement une intervention énergique. Par contre, chez les personnes atteintes d'une prédisposition morbide, l'état pléthorique dans lequel se trouve l'organisme, après un repas copieux, conduit souvent à des hémorrhagies du nez; dans d'autres cas, l'usage des spiritueux, du thé, du café, ou d'autres boissons chaudes, de même que les exercices violents du corps, les émotions vives et d'autres influences exci- tantes de l'activité cardiaque, donnent lieu à des épistaxis; dans d'autres cas encore, l'obstacle le plus insignifiant au départ du sang de la tête suffit pour amener une rupture des capillaires; mais, comme nous l'avons dit, dans la plupart des cas, les causes occasionnelles ne peuvent pas être constatées chez les individus prédisposés, et s'il est permis de distinguer théoriquement une épistaxis due à la pléthore, à la fluxion et à la stase, il est souvent difficile, dans un cas spécial, de dire dans laquelle de ces trois catégories il convient de la ranger. On rencontre souvent des cas où les malades, atteints d'épistaxis fréquen- tes, ne saignent toujours que par une seule narine, et chez lesquels l'intro- duction du doigt dans cette même narine donne immédiatement lieu à une 340 APPENDICE AUX MALADIES DES ORGANES DE LA RESPIRATION. forte hémorrhagie, tandis que dans l'autre cet effet ne se produit pas. Dans ces cas, il est probable que.rhémorrhagie provient toujours d'un même petit rameau vasculaire, peut-être dilaté et situé à la partie inférieure et anté- rieure du nez. Si l'on considère que la muqueuse des cornets inférieurs sur- tout, est fortement vascularisée, et qu'on y rencontre des plexus artériels et veineux, et si l'on pense que les hémorrhagies en question débutent, chez certains individus, d'une manière subite et violente, c'est-à-dire que d'un coup il sort par le nez un filet continu de sang, il est presque hors de douter malgré l'absence de la preuve anatomique, qu'une dilatation et un amincis- cissement variqueux d'un ou de plusieurs de ces rameaux vasculaires sont la raison pourquoi chez certains individus la cause la plus futile donne lieu à un écoulement sanguin par le nez. Une autre circonstance, qui prouve que la source du sang se trouve très-bas et bien en avant, c'est que dans les hémorrhagies opiniâtres il suffit souvent, pour arrêter le sang, de fermer par le tamponnement les ouvertures nasales antérieures, et que ce n'est que d'une manière exceptionnelle qu'on est obligé de tamponner également les ouvertures postérieures. (Seitz.) § 2. Anatomie pathologique. Les cadavres d'individus morts à la suite d'une hémorrhagie nasale en- trent très-rlpidement en décomposition et offrent à l'autopsie les signes de la plus grande anémie. Pour le reste, les résultats nécroscopiques sont né- gatifs, c'est-à-dire on ne réussit pas à trouver des vaisseaux béants comme ouixe positive de l'hémorrhagie, ni à constater par l'examen microscopique, dans les parois vasculaires , des modifications anatomiques auxquelles on puisse rattacher la disposition aux ruptures. § 3. Symptômes et marche. Dans quelques cas, des prodromes précèdent l' hémorrhagie. Quelquefois ils ne sont constitués que par les phénomènes qui appartiennent à l'hypéré- mie et au gonflement de la muqueuse nasale, et les malades se plaignent, quelque temps avant le début de l'hémorrhagie, d'obstruction dans le nez et d'un sentiment de pression dans la région des sinus frontaux ; d'autres fois, les prodromes se rattachent à une hypérémie du cerveau par fluxion ou par stase, ou bien à une pléthore générale. Dans l'un et l'autre cas, ces symptômes s'amendent en général bientôt après le début de l'hémorrhagie, et, comme ils sont ordinairement plus désagréables que l'épistaxis elle- même, on donne à cette dernière la qualification de critique. Les symptômes de l'hémorrhagie une fois déclarés n'ont pas besoin d'être HÉM0RRHAG1ES DE LA MUQUEUSE NASALE. 341 décrits spécialement. Le sang sort ou bien par les deux narines, ou, ce qui est plus fréquent, par une seule narine ; tantôt il tombe par goutte, tantôt il s'écoule en un filet continu plus ou moins large. Si l'hémorrhagie se montre pendant que les malades dorment sur le dos, le sang coule facilement, par l'ouverture postérieure, dans le pharynx, arrive en partie dans le larynx, y provoque la toux, et les malades, en se réveillant, s'effrayent beaucoup à la vue de ce sang, qu'ils croient provenir du poumon. Dans d'autres cas sem- blables, le sang est avalé, arrive dans l'estomac, et s'il est rejeté plus tard par le vomissement, il pourrait être confondu avec une hémorrhagie de l'estomac. Presque toujours le sang épanché au début a une couleur assez foncée et montre une grande tendance à se coaguler dans le vase où il est recueilli, ou sur les lèvres et dans le nez lui-même. Soit que cette coagula- tion produise un tamponnement naturel du nez, soit qu'elle s'étende du sang extravasé sur celui qui est renfermé dans les capillaires, dans la majo- rité des cas, elle arrête bientôt l'hémorrhagie ; dans d'autres cas, au con- traire, où le sang montre dès le début peu de tendance à se coaguler, ou bien dans ceux .où la tendance à la coagulation diminue de plus en plus avec les progrès de l'hémorrhagie, cette dernière dure plus longtemps et épuise les malades, surtout lorsqu'ils étaient déjà faibles avant l'hémorrhagie. C'est un fait d'observation journalière, qu'une épistaxis est d'autant plus difficile à arrêter qu'elle dure plus longtemps, et que souvent elle ne peut être arrê- tée que par le tamponnement si elle persiste au delà de trois ou quatre jours. Dans certains cas, on voit d'une manière évidente que la perte de sang augmente la diathèse hémorrhagique plus que d'autres causes débili- tantes, parce que des hémorrhagies sur d'autres muqueuses et des hémor- rhagies dans le tissu de la peau (pétéchies) s'ajoutent à une épistaxis épuisante existant depuis plusieurs jours. Dans les cas de saignements de nez abondants et de longue durée, que nous avons cités en dernier lieu, les mu- queuses, surtout celle des lèvres et la conjonctive, deviennent très-pàles : la peau prend une teinte d'un blanc sale, semblable à la cire, les malades sont affaiblis à l'extrême, se plaignent de douleurs dans la tête et la nuque, ■d'un sentiment d'angoisse et de palpitations de cœur; ils tombent facilement Malgré cette protestation si claire et si péremptoire, bien des auteurs comptent encore aujourd'hui la cyanose et l'hydropisie parmi les symptômes de l'hypertrophie du cœur. Si nous supposons d'abord que les deux ventricules soient hypertrophiés, il faut qu'à chaque systole le sang en soit chassé avec une énergie extraordi- naire, et si, comme cela arrive ordinairement, les ventricules sont en même temps dilatés, le sang s'accumulera dans les artères. Mais si, pendant la sys- tole, le ventricule hypertrophié se vide complètement, le retour du sang vei- neux au cœur deviendra de son côté plus facile pendant la diastole. 11 faut 1 Rokitansky et Bambcrgcr disent avoir rencontré une augmentation de volume des faisceaux primitifs. HYPERTROPHIE DU COEUR. 351 que les veines se vident pendant que les artères se remplissent', de même les ca- pillaires ne peuvent jamais éprouver une turgescence anormale ; car au fur et à mesure que la vis a tergo augmente, le sang s'en écoule plus facilement. L'effet d'une hypertrophie généralisée du cœur sera donc de rendre les artères plus pleines, de diminuer le contenu des veines et d'accélérer la circulation. Si le ventricule gauche est seul hypertrophié, son contenu doit se vider plus complètement que si ses parois étaient d'une épaisseur normale. Par cette hypertrophie, et plus encore si le ventricule gauche est en même temps dilaté, le contenu du système aortique augmente, tandis que le contenu de la petite circulation diminue. Or, la quantité de sang contenu dans les vaisseaux de la grande circulation, tout en augmentant, ne peut cependant jamais devenir considérable, au point de déterminer la cyanose et l'hydropisie par une tur- gescence trop grande des capillaires et des veines. En effet, ce résultat est empêché par le faible contenu des vaisseaux de la petite circulation. Le ven- tricule droit, quoique non hypertrophié, chasse avec une facilité extrême son sang dans les artères pulmonaires, dont la faible tension lui oppose peu de résistance. Le trop-plein de la veine cave disparaît, parce que, sous une pression augmentée, le sang de ce vaisseau s'écoule facilement dans le cœur droit, débarrassé de son contenu. De cette manière, il arrive que le ventri- cule droit, qui reçoit du sang en abondance et dont le contenu se déverse facilement dans des vaisseaux faiblement remplis, chassera bientôt autant de sang que le ventricule gauche dans lequel le sang arrive sous une pression plus faible, et qui cède difficilement son contenu à l'aorte distendue outre mesure. Il ressort de là que l'effet de l'hypertrophie, et surtout de l'hyper- trophie excentrique du ventricule gauche, sera une plénitude exagérée des vaisseaux de la grande circulation, plénitude qui ne se continue pas jusque dans les veines, dont le dégorgement est devenu plus facile; en outre, une diminution du contenu des vaisseaux de la petite circulation et une accélération de la circula- tion. Ce dernier résultat se comprend facilement si l'on songe que les deux ventricules, le gauche parce qu'il est hypertrophié, le droit parce qu'il chasse son sang dans des vaisseaux faiblement remplis, doivent mettre à chaque systole une trop grande quantité de sang en mouvement. Si le ventricule droit est seul hypertrophié, la quantité de sang est au con- traire augmentée dans la petite circulation et diminuée dans la grande. Mais il suffit que le ventricule droit ait pendant très-peu de temps expulsé plus de sang que le ventricule gauche, pour que, ici encore, son contenu se déverse plus difficilement dans l'artère pulmonaire trop remplie, tandis que le ven- tricule gauche non hypertrophié cède son contenu avec plus de facilité à l'aorte peu remplie. D'un autre côté, le sang est conduit au cœur gauche par des veines fortement chargées, au cœur droit par des veines qui le sont beaucoup moins, et bientôt les deux ventricules expulseront encore dans ce cas une égale quantité de sang, condition sans laquelle tout le sang ne tarde- 352 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. rait pas à s'accumuler dans la petite circulation. L'effet de l'hypertrophie du ventricule droit sera donc une exagération du contenu de la petite circulation et une diminution du contenu de la grande; en outre, une circulation accélérée et une déplétion plus facile des veines pulmonaires et des veines caves. 11 est facile de déduire des données précédentes qui s'accordent dans ce qu'elles ont d'essentiel avec l'exposé lucide de Frey, quels doivent être les symptômes des différents genres d'hypertrophie du cœur, et en quoi ces symptômes doivent différer entre eux suivant que l'hypertrophie intéressé le cœur entier ou seulement quelques-unes de ses parties. Cependant nous- n'avons ici en vue que les formes exemptes de complications, et qui ne sont accompagnées que de troubles de la circulation qu'elles compensent plus ou moins; quant aux hypertrophies consécutives, il ne pourra en être question qu'à l'occasion des lésions valvulaires, etc., dont elles modifient les sym- ptômes. Le plus souvent c'est l'hypertrophie excentrique totale du cœur qui se produit sans complications. Ordinairement ces sortes de malades se sentent très-bien portants, et souvent le médecin ne reconnaît la maladie que par l'examen physique de la poitrine, auquel il procède quand, par hasard, une attaque d'apoplexie est venue éveiller son attention; dans d'autres cas, l'hypertro- phie est mentionnée pour la première fois dans le rapport nécroscopique, comme ayant été la cause d'une apoplexie qui a coûté la vie au malade. Les malades ne voyaient aucun motif pour consulter le médecin, et de même le médecin n'avait pas de raison pour examiner la poitrine. C'est ainsi que les choses se sont passées dans la plupart des cas qui ont été positivement observés et non imaginés pour soutenir une théorie. Le pouls de ces malades est plein et vigoureux, les carotides battent visiblement; dans toutes les grandes artères, on entend un bruit distinct pendant la systole ventriculaire, la face est colo- rée, l'œil brillant, les fonctions s'accomplissent normalement. La respira- tion, tant que le cœur n'éprouve pas une distension excessive, n'est pas sen- siblement gênée dans l'hypertrophie pure. Mais dans les cas où le cœur est hypertrophié au point de refouler les poumons de chaque côté et d'abaisser le diaphragme, le malade peut éprouver une sensation de trop-plein dans la poitrine, de pression à Vépigastre, et un certain degré de dxjspnée. Dans quelques cas, les malades accusent des battements de cœur, surtout lorsqu'ils sont agités par quelque émotion; cependant ce symptôme n'est rien moins que constant. Souvent on est étonné qu'une impulsion cardiaque qui ébranle le thorax comme à coups de marteau incommode si peu le malade et ne soit accompagnée d'aucun symptôme subjectif. Dans le cours de l'hypertrophie excentrique totale, il arrive parfois, sur- tout dans le cas où les circonstances particulières tendent à exagérer l'acti- vité du cœur hypertrophié, que des symptômes d'hypérémie active, de fluxion, se manifestent dans les organes où la faible résistance opposée par les HYPERTROPHIE DU COEUR. 353 parois vasculaires fait naître une accumulation de sang sous l'influence de cette tension exagérée de tout le système artériel : ces organes sont avant tout le cerveau et les bronches. Les fluxions vers le cerveau, produites par la course, les boissons échauffantes, les émotions, donnent lieu à des maux de tête, à des éblouissements, à des bourdonnements d'oreilles, à des ver- tiges, etc.; les fluxions vers les artères bronchiques, provoquées par les mêmes causes, donnent lieu à des symptômes de turgescence de la mu- queuse bronchique, de dyspnée, à des rhonchus étendus, à des attaques d'asthme qui souvent se dissipent rapidement aussitôt que le malade a perdu un peu de sang, ou bien quand le sang de l'aorte thoracique se déverse avec plus de facilité dans l'aorte abdominale, par exemple lorsqu'en administrant un laxatif, on diminue la pression sur les artères de l'abdomen1. Il n'est pas rare que pendant la durée de l'hypertrophie excentrique totale survienne une apoplexie cérébrale, et nous verrons même plus tard que la plupart des ruptures de vaisseaux cérébraux observées chez de jeunes sujets reconnaît pour cause une hypertrophie du cœur soit totale, soit seulement du côté gauche. La fréquence des apoplexies cérébrales observées dans le cours des hypertrophies du cœur dépend, d'une part, de la minceur des parois des vaisseaux cérébraux qui sont plus susceptibles de se rompre que les vais- seaux d'autres organes, lorsqu'ils sont soumis à une dilatation excessive, d'autre part, de la dégénérescence athéromateuse qui s'empare facilement des parois artérielles dans le cours des hypertrophies du cœur et de la fra- gilité de ces parois, qui en est la conséquence. Le lien de causalité entre l'hypertrophie du cœur et l'athérome des artères, lien de causalité admis également par Rokitansky et Virchow, ne peut plus guère être contesté après les observations de Dittrich, suivant lesquelles l'artère pulmonaire, peu susceptible d'ailleurs de devenir athéromateuse, le devient très- fré- quemment dans l'hypertrophie du cœur droit. Si les malades ne succombent pas à une première attaque d'apoplexie ou à une attaque ultérieure, ils peuvent arriver à un âge assez avancé; dans d'autres cas, le cœur hypertrophié subit plus tard une dégénérescence, et alors le tableau de la maladie peut changer du tout au tout : il se dé- veloppe des stases dans les veines, des phénomènes d'hydropisie, symptômes dont il sera plus longuement question au chapitre des dégénérescences du cœur. Les symptômes de Y hypertrophie simple ou excentrique du cœur gauche qui, 1 On ne saurait attribuer ces attaques à une hypérémie de l'artère pulmonaire. Les symptômes, surtout les rhonchus et la sibilance étendus dans la poitrine, et le carac- tère de la dyspnée, qui offre une ressemblance frappante avec celle de l'asthme bron- chique, montrent clairement que la fluxion a lieu dans le domaine des artères bron- chiques. NIEMEYER. I — 23 354 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. après la précédente, arrive le plus fréquemment en dehors de toute compli- cation importante, doivent tout naturellement offrir une très-grande res- semblance avec ceux de l'hypertrophie totale. En effet, la circulation est, dans ce cas, également accélérée, les artères sont excessivement remplies, les stases dans les veines et les capillaires ne peuvent se produire à raison de l'arrivée plus prompte et plus facile du sang veineux au cœur droit ; le faible contenu des vaisseaux de la petite circulation n'a pas d'inconvénient pour la respiration, parce que l'influence fâcheuse que cette vacuité relative pourrait exercer sur l'échange des gaz est compensée par les avantages qu'offre une circulation accélérée. — Encore, dans ce genre d'hypertrophie, il est rare que les malades se plaignent, leur pouls est plein et vigoureux, leur teint reste frais, les fonctions suivent leur cours régulier ; la respiration est gênée encore plus rarement que dans la forme précédente parce qu'ici le cœur n'occupe généralement pas un aussi gros volume ; les palpitations, sans être rares chez ces malades, ne sont cependant rien moins que con- stantes, absolument comme dans la forme précédente ; les patients succom- bent aussi très-fréquemment à l'apoplexie. Le ventricule droit prend part très-fréquemment à l'hypertrophie excen- trique du ventricule gauche, et rien n'est plus commun que de voir l'hyper- trophie du cœur droit compliquer les troubles circulatoires du poumon et les anomalies valvulaires du cœur gauche: mais un fait extrêmement rare, c' est l' hypertrophie simple du ventricule droit, sans complication; même on peut se demander si réellement cette hypertrophie existe. Si par consé- quent nous voulions décrire les symptômes appartenant à l'hypertrophie simple du cœur droit, nous pourrions bien en tracer un tableau de pure invention, mais qui ne correspondrait nullement à des observations faites au lit du malade. Dans tous les cas, une dyspnée intense et l'œdème pulmo- naire, dont on a voulu faire les symptômes de cette hypertrophie, en dépen- dent tout aussi peu que la cyanose et l'hydropisie dépendent de l'hypertro- phie du cœur gauche ; bien plus, l'hypertrophie du cœur droit diminue, comme nous le verrons plus tard, la dyspnée produite par les maladies aux- quelles elle vient s'ajouter, tout aussi bien que celle du cœur gauche, si elle vient compliquer des anomalies valvulaires, empêche, pour un temps plus ou moins long, l'hydropisie et la cyanose. Pour ce qui concerne enfin ï hypertrophie concentrique .du cœur, la grande rareté de cette forme, révoquée même en doute par des auteurs d'une grande valeur, fait que nous manquons d'observations cliniques assez com- plètes pour en faire la symptomatologïe. Si la capacité d'un cœur devenu le siège d'une hypertrophie concentrique est notablement diminuée, il doit en résulter des symptômes qui diffèrent essentiellement de ceux décrits jusqu'à présent. Malgré l'accroissement de la substance musculaire, la quantité de sang chassé dans les artères ne peut être que faible, l'arrivée du sang voi- HYPERTROPHIE DU COEUR. 355 lieux au cœur trop étroit doit être plus difficile, et clans ces cas la cyanose et l'hydropisie pourraient bien se produire. Symptômes physiques de l'hypertrophie du cœur. Aspect extérieur. Dans l'hypertrophie excentrique intense, quand elle se montre chez de jeunes sujets, on constate parfois une voussure considérable de la région précordiale, qu'il n'est pas permis de confondre avec une diffor- mité due au rachitisme. Chez les individus âgés, dont les cartilages costaux sont ossifiés, ce symptôme manque le plus souvent, quel que soit le degré de l'hypertrophie. En outre, on remarque un ébranlement du thorax dans une plus grande étendue, et à des endroits où l'on ne voit généralement rien de semblable. Nous en parlerons plus longuement à l'occasion de -la palpation. Palpation. Chez la plupart des individus sains on voit et l'on sent pendant la systole ventriculaire que le point de la paroi thoracique qui correspond à la pointe du cœur est ébranlé, ou qu'un endroit déterminé de l'espace inter- costal correspondant forme une légère saillie en avant. Ce phénomène, autrement dit choc du cœur, provient de ce que le cœur, pendant la con- traction des ventricules, est poussé en bas et s'appuie plus fortement contre la paroi. Si les opinions des différents auteurs sont loin d'être d'accord sur les causes de l'abaissement systolique du cœur, si les uns prétendent, par exemple, que cet abaissement provient de l'allongement et de la tension des gros vaisseaux, si d'autres admettent que c'est simplement un phénomène de recul coïncidant avec l'expulsion du sang et comparable au recul qui accompagne la décharge d'une pièce d'artillerie, il n'en est pas moins vrai que tous les observateurs sont d'accord sur le fait lui-même, à savoir, que pendant la systole le cœur s'abaisse. Or, si nous nous rappelons que le cœur n'est pas librement suspendu dans la cage thoracique, mais qu'il repose sur une surface déclive en avant, le diaphragme, nous comprenons immédiate- ment qu'en s'abaissant, le cœur est en même temps poussé en avant, qu'il s'appuie plus fortement contre la paroi thoracique. Si dans ce mouvement la pointe rencontre un espace intercostal, elle y pénètre et fait saillir en avant la place atteinte, et c'est alors ce qu'on appelle le choc de la pointe; si, au -contraire, elle rencontre une côte, ou si les espaces intercostaux sont trop étroits pour permettre à la pointe de pénétrer dans l'intervalle qui sépare deux côtes, on saisit, au lieu du choc de la pointe, un léger ébranlement circonscrit des côtes ou de l'espace intercostal. On conçoit que chez les individus pourvus de larges espaces intercostaux, et chez ceux qui ont la pointe du cœur dirigée fort en dehors, on observera de préférence le choc de la pointe, tandis que chez ceux qui ont des espaces intercostaux plus étroits et la pointe du cœur plutôt dirigée en dedans, on remarquera plus 356 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. particulièrement l'ébranlement circonscrit. Si l'action du cœur est renforcée on remarque aussi, chez les individus sains, un faible ■ ébranlement non- seulement à l'endroit qui correspond à la pointe du cœur, mais encore par- tout où l'organe est en contact avec la paroi thoracique. Dans les mêmes conditions, on observe un certain ébranlement de l'épigastre, que l'on ne doit pas confondre avec ce qu'on appelle la pulsation épigastrique. Cet ébranlement de l'épigastre est produit par le lobe gauche du foie qui, à chaque systole, est entraîné un peu en bas avec le cœur. Ces conditions, qui sont celles de l'état normal, sont modifiées de diffé- rentes manières dans l'hypertrophie du cœur. Le choc du cœur est premiè- rement plus fort et plus large. Les degrés supérieurs de ce renforcement s'ob.- servent presque exclusivement dans l'hypertrophie du cœur, tandis que les degrés inférieurs se présentent aussi en cas de simple exagération des fonc- tions cardiaques. Skoda distingue deux degrés d'impulsion renforcée du cœur: premièrement, une impulsion qui ébranle la poitrine du malade, et avec elle la tête de la personne qui ausculte, sans les soulever; deuxièmement, une impulsion qui soulève très-visiblement la paroi thoracique pendant la systole ventriculaire et la laisse retomber pendant la diastole. Si le soulèvement de la paroi se fait rapidement, la tête de la personne qui ausculte est encore ébranlée dans ce cas ; si au contraire le soulèvement est lent, cet ébranle- ment n'a pas lieu. Le second degré, c'est-à-dire l'impulsion du cœur accom- pagnée d'un soulèvement visible de la paroi1, est pathognomonique pour l'hypertrophie de cet organe, et ne se rencontre dans aucune autre maladie : mais l'impulsion simplement accompagnée d'un fort ébranlement permet déjà de conclure à l'existence d'une hypertrophie, si cette impulsion n'est pas un phénomène passager, mais persistant. Quant à l'extension du choc, l'ébranlement de la paroi produit par un cœur sain ne se perçoit générale- ment pas au delà d'un ou de deux espaces intercostaux, tandis que l'ébranle- ment produit par un cœur hypertrophié se perçoit souvent dans l'étendue de plusieurs espaces intercostaux. Dans l'hypertrophie excentrique totale, l'étendue de l'impulsion est considérablement agrandie, aussi bien dans le sens de la longueur que dans le sens de la largeur. Dans l'hypertrophie excentrique du ventricule gauche, l'impulsion renforcée , ordinairement accompagnée de soulèvement, se sent le plus distinctement au niveau de la pointe de l'organe, se propage de là principalement dans le sens de la longueur et beaucoup moins dans la direction du diamètre transverse du 1 Pour permettre de conclure avec certitude à l'existence d'une hypertrophie, il faut que l'impulsion, accompagnée de. soulèvements de la paroi thoracique, soit étendue à une grande surface. En l'absence même de toute hypertrophie, la pointe du cœur, si elle rencontre un espace intercostal, en soulève l'endroit correspondant et le doigt appliqué à cet endroit. HYPERTROPHIE DU COEUR. 357 cœur. Dans l'hypertrophie excentrique du cœur droit, la paroi thoracique est ébranlée surtout entre la pointe du cœur et la partie inférieure du sternum, et cet ébranlement se communique au sternum lui-même. Toutes ces ano- malies trouvent une explication facile dans le refoulement du poumon et l'étendue du contact entre le cœur et la paroi thoracique ; selon que l'aug- mentation de volume portera sur telle ou telle partie dn cœur, on le verra refouler de préférence tantôt les bords antérieurs du poumon droit, tantôt ceux du poumon gauche. — L'examen de l'impulsion cardiaque nous révèle ■en outre, dans les hypertrophies excentriques du cœur, un déplacement de la pointe. Dans les conditions normales, la pointe du cœur bat presque tou- jours dans le cinquième espace intercostal, elle ne bat dans le quatrième •que quand les espaces intercostaux sont très-larges ou que l'abdomen a pris un grand développement; si les espaces intercostaux sont très-petits, le cœur ne bat que dans le sixième l. L'endroit où l'on sent le plus souvent la pointe du cœur dans le cinquième espace intercostal, est à 2 ou 3 centimètres au- dessous du mamelon et correspond à la ligne parasternale, que l'on suppose tirée verticalement et à distance égale entre le bord gauche du sternum et le mamelon. Quelquefois la pointe du cœur bat un peu plus en dehors, rarement plus en dedans. Si le cœur est considérablement agrandi et hyper- trophié, le choc est loin d'être produit uniquement par la pointe, le thorax étant également ébranlé par d'autres portions de l'organe, et l'on est obligé d'aller à la recherche de la pointe. Dans ce cas, on admet en principe que la place où le choc du cœur se sent le plus fortement, le plus bas et le plus en dehors, correspond à la pointe de l'organe. Dans toutes les formes de l'hy- pertrophie excentrique du cœur, totale ou partielle, la pointe du cœur peut être déplacée à gauche; dans l'hypertrophie totale ou dans l'hypertrophie gauche, elle s'abaisse en même temps et on ne la sent que. dans le sixième •ou même dans le septième espace intercostal. Cet abaissement se produit très-rarement dans l'hypertrophie intense du cœur droit et uniquement •dans les cas où le cœur droit dépasse la pointe. Avec un peu d'attention et •d'habitude, il est facile de distinguer la sensation donnée par le choc du cœur contre la paroi, sensation qui seule doit être prise en considération si l'on veut que l'étendue de l'impulsion cardiaque soit utile au diagnostic, de la distinguer, disons-nous, de celle qui résulte du simple ébranlement com- muniqué par ce choc aux parties circonvoisines. Même à l'état physiolo- gique, cet ébranlement peut s'étendre fort au loin en cas d'activité exagérée •du cœur. Percussion. La matité précordiale représente à l'état normal un triangle •qui, en dedans, est limité par le bord gauche du sternum à partir de la qua- 1 D'après Seitz, on trouve le choc du cœur, chez les enfants, plus souvent dans le -quatrième espace intercostal que dans le cinquième. 358 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. trième côte, en dehors par une ligne qu'il faut supposer tirée du bord ster- nal de la quatrième côte jusqu'au point qui correspond au choc de la pointe; en bas, la matité précordiale se confond ordinairement avec celle du lobe gauche du foie, et seulement dans les cas où ce lobe n'avance pas beaucoup à gauche, la matité précordiale est limitée en bas par la sixième côte ou le septième espace intercostal. La matité normale devient plus grande dans l'hypertrophie excentrique du cœur ; elle devient plus longue dans l'hyper- trophie gauche, plus large dans l'hypertrophie droite, enfin dans l'hyper- trophie totale, elle est agrandie aussi bien dans la direction de haut en bas, que dans celle, de gauche à droite; elle devient par conséquent à la fois plus longue et plus large. Il en résulte que dans l'hypertrophie du ventricule gauche, dans laquelle l'allongement de la matité se fait plutôt par en bas que par en haut, la recherche de la pointe du cœur a plus d'importance pour le diagnostic que la percussion, cette dernière pouvant, dans ce cas, nous laisser dans une ignorance complète. Quelques auteurs cherchent à déterminer, outre la matité produite par le cœur en contact avec la paroi thoracique, les limites du son grêle qui prend naissance quand une couche peu épaisse de tissu pulmonaire vient s'inter- poser entre la paroi et le cœur, et il s'est même élevé une discussion sur les noms à donner à ces phénomènes de percussion, matité ou son grêle pré- cordial. Nous croyons que ces subtilités , ces discussions sur de simples noms, n'ont aucune utilité pratique et ne profitent ni à la science, ni aux malades. (Voyez, à ce sujet, le Manuel de percussion et d'auscultation de mon frère P. Niemeyer, vol. I,p. 139.) Ausmltation. L'activité rhythmique du cœur produit dans les conditions normales certains sons qu'on appelle bruits normaux du cœur. Ces bruits, qu'on entend chez l'homme sain dans la région du cœur et au niveau des points d'origine des gros vaisseaux, sont dus aux vibrations régulières que le sang mis en mouvement par le cœur fait éprouver à des membranes élas- tiques. Ces membranes sont les valvules auriculo-ventriculaires, les valvules semi-lunaires et les parois des gros troncs artériels à leur sortie du cœur. Pendant la systole ventriculaire, les vahailes auriculo-ventriculaires et les parois artérielles entrent en vibration, les premières en se fermant, les secondes en étant dilatées et tendues par l'onde sanguine. Pendant la dia- stole, ce sont les valvules semi-lunaires qui, en se fermant, entrent en vibra- tion. Or, cette vibration se faisant simultanément pour les valvules auriculo- ventriculaires de l'un et de l'autre ventricule et les parois des deux troncs artériels, on n'entend qu'un seul bruit pendant la systole, bien que ce bruit ait une quadruple origine, et c'est là ce qu'on est convenu d'appeler le premier bruit du cœur. Comme les valvules semi-lunaires de l'aorte et de l'artère pulmonaire vibrent également en même temps, on n'entend encore, malgré cette double origine, qu'un bruit unique qui constitue le second HYPERTROPHIE DU COEUR. 359 bruit du cœur. Le premier bruit est produit par l'onde sanguine mise direc- tement en mouvement par le ventricule, et ne s'éteint que lentement ; le second bruit est dû au recul de l'onde sanguine, et il est très-court. C'est pourquoi le premier bruit est suivi d'un petit silence, et le second bruit d'un silence plus long. Comme ces bruits ne se perçoivent pas exclusivement à leur point d'origine, mais encore dans les régions circonvoisines, on entend ainsi, pendant la diastole, le second bruit au niveau des ventricules, quoique dans les ventricules relâchés aucune membrane n'entre en vibrations sono- res. — Les bruits du cœur ne sont jamais altérés, jamais transformés en bruits anormaux dans l'hypertrophie simple. Par contre, ils deviennent plus forts, plus retentissants, parce que l'hypertrophie des parois tend à renforcer le choc subi par la mitrale et la tricuspide et, par conséquent, à rendre les vibrations de ces valvules plus énergiques, p\arce que l'aorte et l'artère pul- monaire elles-mêmes sont plus fortement tendues et vibrent plus énergique- ment sous l'influence d'un afflux sanguin plus considérable ; enfin, parce (me l'augmentation du contenu de l'aorte et de l'artère pulmonaire rend également plus intense le choc subi par les valvules semi-lunaires. Dans l'hypertrophie considérable du cœur, il se produit quelquefois pendant la systole un bruit particulier, métallique (cliquetis métallique), qui semble dû à la vibration du thorax. § 4. Diagnostic. Si les modifications de la circulation et avec elles les symptômes subjectifs de l'hypertrophie du cœur, peuvent passer inaperçus, il peut aussi y avoir absence de symptômes physiques. Quand le poumon gauche est emphysé- mateux et s'interpose entre le cœur agrandi et la paroi thoracique, il se peut que l'impulsion du cœur non-seulement ne soit ni plus forte, ni trop étendue, mais on l'a vue même, en cas d'hypertrophie considérable, devenir très-faible et tout à fait insensible. Dans les mêmes conditions, la matité précordiale, au lieu d'être agrandie, peut au contraire être diminuée, et les bruits du cœur eux-mêmes arrivent quelquefois moins nettement à l'oreille en cas d'emphysème considérable. L'hypertrophie excentrique du ventricule gauche, dont nous avons énuméré plus haut les symptômes subjectifs, se reconnaît aux signes suivants, qui forment le résumé des symptômes objectifs : pulsation apparente des carotides, bruit systolique très-accentué dans les grosses artères, pouls plein, visible même dans les petites artères, choc renforcé, se propageant dans le sens de la longueur du cœur, niveau bas de la pointe, extension de la matité dans le sens de la lon- gueur, exagération des bruits du cœur dans le ventricule gauche et dans l'aorte, quelquefois cliquetis métallique. L'hypertrophie excentrique du cœur droit se trahit par les signes objectifs 360 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. suivants : impulsion renforcée se propageant vers le sternum et souvent même sur le lobe gauche du foie, pointe déplacée en dehors, presque jamais en bas, matité précordiale plus large, bruits du cœur renforcés dans le ventricule droit et dans l'artère pulmonaire. La différence dans la force des bruits du cœur s'apprécie le mieux dans les artères et surtout au second temps, de sorte que le renfor" cernent du second bruit dans l'artère pulmonaire constitue le symptôme le plus essentiel de l'hypertrophie du cœur droit. La somme des symptômes objectifs de l'hypertrophie gauche et droite donne les signes physiques de l'hypertrophie totale : les artères et le pouls donnent les mêmes phénomènes que dans l'hypertrophie gauche, l'impulsion est beaucoup augmentée et se propage dans le sens de la longueur aussi bien que dans celui de la largeur, la pointe du cœur est située très-bas, et en dehors, la matité précordiale est étendue dans tous les sens, tous les bruits sont ren- forcés. Comme il importe pour le diagnostic des diverses formes de l'hypertro- phie de comparer entre eux les bruits produits à l'origine des artères et ceux des orifices auriculo-ventriculaires, il faut bien connaître les endroits qui au thorax correspondent aux orifices artériels et auriculo-ventriculaires, ou du moins ceux où l'on entend le plus distinctement et de manière à pouvoir les isoler d'autres bruits, les sons qui prennent naissance près des orifices que nous venons de nommer. La règle est, dans ces cas, de chercher les bruits aortiques sur le bord droit du sternum et au niveau du troisième espace intercostal '; les bruits qui naissent dans l'artère pulmonaire, au milieu du troisième cartilage costal gauche ; les bruits de la valvule tricuspideà l'extré- mité inférieure du sternum, au niveau du quatrième espace intercostal. Il n'y a que les sons produits près de l'orifice mitral que l'on entend moins distinctement à l'endroit du thorax qui correspond à la valvule mitrale, et qui est situé dans le troisième espace intercostal à h 1/2 centimètres environ du bord gauche du sternum ; ces sons se perçoivent au contraire et se lais- sent isoler bien mieux à l'endroit qui correspond au choc de la pointe. Cette différence est due à cette circonstance que la valvule mitrale est séparée par le cœur droit de la paroi antérieure, et par le poumon de la paroi latérale ; ces milieux sont peu propres, d'un côté à isoler les sons de la mitrale de ceux qui se produisent dans le cœur droit, d'un autre côté à bien les trans- mettre à l'oreille; par contre, la pointe du cœur, qui appartient uniquement au ventricule gauche et s'applique immédiatement à la paroi thoracique, se prête le mieux à transmettre à l'oreille bien isolés et bien distincts les sons 1 A la gauche du sternum on les entend, il est vrai, ordinairement avec plus de force qu'à droite ; mais si l'on entend un bruit sur le bord gauche du [sternum, où l'artère pulmonaire est située juste au devant de l'aorte, il est difficile de reconnaître si ce bruit est originaire de l'artère pulmonaire ou de l'aorte. HYPERTROPHIE DU COEUR. 361 qui naissent près de l'orifice mitral. En cas d'élévation ou d'abaissement considérable du niveau du diaphragme, de déplacement du médiastin, et souvent sans aucune raison appréciable, les bruits normaux ou anormaux qui se produisent aux divers orifices du cœur se perçoivent mieux à d'autres endroits qu'à ceux que nous venons de nommer. Pour ne pas se laisser en- traîner par ces anomalies à des erreurs de diagnostic, il ne faut pas, quand il s'agit de reconnaître l'origine d'un bruit, se préoccuper exclusivement de l'endroit où on le perçoit le plus distinctement, mais on tiendra compte également dès signes d'agrandissement de telle ou telle partie du cœur, qui ■coexistent avec le bruit en question. En parlant des lésions valvulaires, nous insisterons plus longuement sur ce dernier point. Quant au diagnostic différentiel entre les hypertrophies du cœur et les dilatations, les épanchements du péricarde, etc., nous en parlerons, pour éviter les répétitions, quand nous aurons appris à connaître les symptômes de ces dernières maladies. § 5. Pronostic. L'hypertrophie du cœur est de toutes les maladies de cet organe celle qui permet le meilleur pronostic, si l'on attache à cette affection une significa- tion aussi restreinte que celle que nous y attachons. Dans bien des cas où l'hypertrophie vient compliquer d'autres maladies du cœur, c'est même elle qui diminue le danger de la maladie principale, qui la compense en quelque sorte. Les malades atteints d'hypertrophie simple du cœur peuvent arriver à un âge très-avancé; s'ils meurent jeunes, cela provient ordinairement de quel- que hémorrhagie du cerveau, du poumon, accident qu'on devra chercher à éviter par un traitement rationnel et un régime convenable. En outre, ce qui peut aggraver le diagnostic, c'est la fréquence d'une dégénération con- sécutive de la substance musculaire. Le passage de l'hypertrophie vraie à l'hypertrophie fausse change le tableau de la maladie et fait naître toute sorte de dangers. § 6. Traitement. On n'est certainement pas en état d'obtenir par un procédé quelconque la guérison de l'hypertrophie du cœur, quoiqu'il n'y ait pas lieu de discon- venir qu'un cœur hypertrophié puisse s'atrophier aussi bien qu'un cœur normal. Par contre, on peut faire beaucoup pour arrêter les progrès de l'hypertrophie et diminuer les dangers qu'entraîne cette maladie. Naturel- lement' il ne s'agit encore ici que des cas dans lesquels l'hypertrophie ne 362 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. complique pas une autre affection du cœur et du poumon et conserve un caractère indépendant, comme cela s'observe principalement chez les indi- vidus intempérants, etc. Le plus souvent la maladie n'est reconnue chez eux que quand le cœur hypertrophié gêne le poumon, ou quand des vertiges, des éblouissements et d'autres symptômes de fluxion cérébrale viennent à se développer, et plus souvent encore quand une attaque d'apoplexie est venue appeler l'attention sur la maladie du cœur. Si, à partir de ce mo- ment, on fait aux malades des prescriptions rigoureuses, on peut être sûr qu'ils les suivront ponctuellement, tandis qu'auparavant ils auraient proba- blement refusé d'obéir; car ces accidents et ces malaises commencent à les inquiéter sérieusement. La pathogénie nous éclaire sur la conduite à tenir, les malades se garderont donc d'être intempérants parce que cela les expo- serait à la pléthore, telle que nous la voyons survenir ordinairement, quoi- que d'une manière passagère, après tout excès de nourriture ou de boisson. Que de fois cette apoplexie, longtemps menaçante, ne survient-elle pas au milieu d'un long et fin dîner ! Ici on doit encore s'astreindre à faire des prescriptions bien précises, à indiquer rigoureusement la qualité et la quan- tité des aliments qui doivent être pris à chaque repas, et le nombre de ces repas, si l'on veut que les malades obéissent. Je rappellerai à cette occasion une habitude absurde et funeste que j'ai souvent rencontrée chez les auber- gistes et les commis voyageurs en vins : ces personnes, après leurs excès, se figurent qu'en buvant beaucoup d'eau, ils pourront neutraliser l'influence nuisible ; or, on comprend facilement qu'un individu qui, après le repas, va se gorger d'eau, ne peut qu'augmenter la pléthore. — Mais il faut en outre que les malades évitent de s'exposer à tout ce qui tend, en dehors de la pléthore, à exagérer l'action du cœur et à augmenter le contenu, déjà trop considérable, des artères. Ici, nous rappellerons l'usage des boissons échauffantes *, les émotions, les grandes fatigues musculaires, etc. Tout en faisant éviter ces causes de maladie, on se préoccupera de la libre circula- tion du sang dans l'aorte abdominale, afin que la pression soit diminuée dans les vaisseaux menacés du Cerveau et des bronches. Ainsi, on défendra les aliments venteux et l'on cherchera à procurer au malade des selles régu- lières dans le but de modérer la pression des intestins sur l'aorte abdominale et ses ramifications. Quelques auteurs français ont encore recours aux émissions sanguines sys- tématiquement répétées, recommandées par Valsalva et Albertini, en vue de guérir l'hypertrophie du cœur; mais en Allemagne on est de plus en plus revenu de cette méthode. Les émissions sanguines ne diminuent la niasse 1 Dans le nombre, il faut compter aussi l'eau chaude, et l'on ne doit pas s'étonner que l'usage interne de l'eau du Sprudcl de Carlsbad fasse tous les ans périr quelques- individus d'apoplexie cérébrale. HYPERTROPHIE DU COEUR. 363 du sang que pour peu de temps, elles entraînent facilement un certain éré- thisme du cœur et semblent favoriser la dégénération de ses parois. Cela ne veut pas dire que l'imminence d'une apoplexie, dans le cours d'une hyper- trophie du cœur, ne rende nécessaire quelquefois, comme remède sympto- matique, l'emploi d'une saignée. En Allemagne, on applique de préférence un sêton dans la région précordiale aussitôt que l'on a constaté une hyper- trophie ou même une maladie du cœur quelconque d'une certaine impor- tance. Même ce procédé, quoique recommandé par quelques auteurs dignes- de confiance, est à considérer comme inutile et dangereux. Les médications iodique et mercurielle sont évidemment tout aussi inutiles et à rejeter. L'usage du petit-lait fait ordinairement beaucoup de bien aux malades ; il en est de même des cures de raisin, pourvu qu'en même temps on restreigne la quan- tité des autres aliments. Si l'on prescrit aux malades de manger de trois à quatre livres de raisin par jour et qu'en même temps on leur permette de se nourrir comme auparavant, il se développe facilement des états dange- reux , tels qu'hypérémies cérébrales et apoplexies. J'ai vu un malade à Vevey qui, après avoir passé un mois à Marienbad et s'y être très-bien porté, consommait en guise de traitement consécutif quatre livres de raisin par jour sans diminuer en aucune manière ses autres repas, et chez lequel,' huit jours après le commencement de ce traitement, survint une nouvelle apoplexie. — La digitale n'est pas indiquée clans l'hypertrophie pure, non compliquée. Le docteur Reich a prouvé d'une manière péremptoire que le résultat des expériences faites avec ce médicament sur des chiens est en opposi- tion flagrante avec les conclusions tirées de l 'observation clinique i. La digitale,, dont l'emploi est suivi, dans un nombre infini de cas, de la disparition de la cyanose, de l'hydropisie, de l'hypérémie du foie et qui rend plus abondante la sécrétion urinaire, auparavant presque supprimée, la digitale, loin de diminuer la pression du sang dans les artères, l'augmente au contraire ; elle est indiquée dans les maladies du cœur qui se distinguent par une diminution de son activité et nullement dans celles où cette activité est augmentée. — Quelques malades se trouvent bien de l'emploi du froid sous forme d'une boîte de fer-blanc remplie d'eau glacée et portée sur le cœur. 1 Veber die Anwcndunq âer Digitalis bei Herzkrankheiten. Tùbingen, 1864. 364 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. CHAPITRE II. Dilatation du cœur. Dans l'hypertrophie excentrique du cœur, les cavités de l'organe sont agrandies, mais comme leurs parois sont en même temps épaissies par l'ac- croissement de la substance musculaire, le fonctionnement du cœur, au lieu d'être amoindri, est au contraire exagéré. Au point de vue clinique, l'hypertrophie excentrique, que les anatomo-pathologistes ont aussi désignée du nom de dilatation active, ne compte pas parmi les dilatations, et l'on n'en- tend, d'après l'usage généralement admis, sous le nom de dilatation du cœur, que les états pathologiques dans lesquels l'agrandissement des cavités de l'organe ne coïncide pas avec un accroissement simultané de la substance muscu- laire et dans lesquels l'énergie du cœur, au lieu d'être augmentée, est au ■contraire diminuée. Tels sont les états qui correspondent à la « dilatation passive » des anatomo-pathologistes. On peut admettre trois formes de dilatation du cœur, dont la première se confond cependant sans limite bien tranchée avec la seconde : 1° les cavités sont agrandies, les parois ont leur épaisseur normale et l'amincissement n'est que relatif; 2° les cavités sont agrandies et l'amincissement des parois •est absolu ; 3° les cavités sont agrandies et les parois plus épaisses; toutefois cet épaississement n'est pas dû à un accroissement de la substance muscu- laire normale, mais plutôt à ce qu'on appelle une fausse hypertrophie (voy. p. 343). § 1. Pathogénie et étiologie. La dilatation du cœur se développe : quand la paroi interne du cœur subit pendant la diastole une pression anormale à laquelle la paroi cède jusqu'à un certain point. Si le rétrécissement des orifices et d'autres obstacles à la circu- lation sont également suivis d'une dilatation des parties du cœur dont la déplétion se fait plus difficilement, cela pourrait donner à supposer qu'une pression anormale subie par la paroi interne pendant la systole fût également capable de dilater le cœur. Cependant il est évident qu'au moment où le cœur, en se contractant, chasse le sang de ses cavités, il doit vaincre la pression qui pèse sur sa surface interne et que, par conséquent, il ne peut pas céder à cette pression, et nous voyons journellement que, par exemple, le muscle biceps d'un forgeron, à la suite du soulèvement répété de lourds marteaux, bien loin de s'allonger, éprouve au contraire un raccourcisse- DILATATION DU COEUR. 365 ment durable. La dilatation des cavités du cœur derrière des orifices rétré- cis s'explique de la manière suivante : la conséquence immédiate des grand? obstacles à la circulation est la déplétion incomplète des cavités correspon- dantes. Pendant la diastole consécutive à la systole le sang qui afflue ne trouve pas les cavités vides comme à l'ordinaire, mais déjà en partie rem- plies de sang; bientôt après le début de la diastole, les cavités sont remplies au même point que dans les conditions ordinaires à la fin de la diastole. Dès ce moment, le sang y pénètre aussi longtemps que, dans les vaisseaux affé- rents, la pression des parois sur leur contenu est plus forte que la résistance des parois de la cavité correspondante du cœur. Supposons, par exemple, qu'à l'origine de l'artère pulmonaire, ou, ce qui arrive plus souvent, dans son réseau capillaire, il se développe un obstacle à la circulation, cet obsta- cle ne pourra jamais rendre impossible la contraction du ventricule droit pendant la systole, mais il pourra empêcher le ventricule droit de vider tout son contenu, et aussi longtemps que la pression à laquelle le sang est soumis dans les veines caves sera plus forte que la résistance opposée par le ventri- cule droit dont les parois sont si minces, le sang affluera dans ce dernier en quantité trop grande et le distendra. Ajoutez à cela qu'à la fin de la diastole l'oreillette droite chasse son contenu par une contraction musculaire active dans le ventricule droit. Le sang n'étant versé en général dans les cavités du cœur que par des vaisseaux veineux et sous une pression assez modérée, il va sans dire qu'en cas de rétrécissement de l'orifice artériel, les oreillettes à peine épaisses d'une ligne et le ventricule droit épais d'environ deux lignes se dilateront plus facilement que le ventricule gauche, dont les parois ont cinq lignes d'épais- seur, et, en effet, nous rencontrons alors le plus souvent la dilatation des oreillettes, un peu moins souvent celle du ventricule droit, et le plus rarement celle du ventricule gauche. Une dilatation considérable du ventricule gauche s'observe, par contre, dans l'insuffisance des valvules aortiques, une dilatation moindre dans l'insuf- fisance de la valvule mitrale. Ce fait que nous enseigne chaque manuel d'anatomie pathologique, est encore parfaitement en harmonie avec les principes que nous avons exposés plus haut. Si nous supposons d'abord que le» valvules aortiques soient insuffisantes et que, pendant la diastole, le sang reflue de l'aorte dans le ventricule gauche, la pression qui s'exerce sur la face interne de ce dernier pendant le relâchement diastolique de la paroi sera bien considérable et suffira pour vaincre la résistance de cette paroi. Bamberger a examiné attentivement cinquante cœurs atteints de lésion des valvules aortiques au point de vue de l'existence simultanée de la dilatation et de l'hypertrophie du ventricule gauche, et cet examen l'a conduit aux résultats suivants qui s'accordent parfaitement avec notre manière de voir sur la pathogénie des dilatations du cœur : il a constaté qu'en cas de rétré- 366 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. cissement simple de l'orifice aortique la dilatation du ventricule gauche était insignifiante ou faisait complètement défaut. Bien que dans ces cas la circula- tion soit gênée très-notablement, il ne se fait pas pendant la diastole une pression plus forte sur la face interne du ventricule gauche, qui peut seule en déterminer la dilatation. — Par contre, dans Y insuffisance des valvules aortiques, il existait constamment une dilatation considérable du ventricule gauche, dilatation qui l'emportait sur l'hypertrophie ; souvent le poing d'un homme pouvait être logé à l'aise dans la cavité du ventricule. Dans ces cas, la paroi ventriculaire est soumise, pendant la diastole, à une forte pression, comme cela a été démontré plus haut. — C'est dans Y insuffisance valvulaire coïncidant avec le rétrécissement, que Bamberger a rencontré la plus forte dilatation du ventricule gauche. En effet, dans ces cas on se trouve en présence des conditions les plus favorables pour la production d'une dilatation ; car, à raison du rétrécissement, le ventricule ne se vide qu'incomplètement pen- dant la systole, et à raison de l'insuffisance, le sang se précipite dans le ven- tricule, pendant la diastole, avec toute la pression qu'il supporte dans l'aorte. Mais il est tout aussi facile d'expliquer pourquoi, en cas d'insuffisance de la valvule mitrale, le ventricule gauche doit éprouver une certaine dilata- tion. Si cette valvule est insuffisante, une forte quantité de sang est rejetée du ventricule pendant la systole, de sorte que l'oreillette et la veine pul- monaire se remplissent trop" et que leurs parois sont soumises à une forte tension. Cette circonstance est cause que, pendant la diastole, le sang se précipite sous une très-forte pression dans le ventricule gauche. Peut-être aussi l'hypertrophie de l'oreillette gauche et l'énergie plus grande avec laquelle elle se contracte contribuent-elles à ce que, dans l'insuffisance de la valvule mitrale, le ventricule gauche cède jusqu'à un certain point à la ■ pression du sang veineux qui se précipite dans son intérieur. — Dans le rétrécissement de l'orifice auriculo-ventriculaire gauche, l'oreillette gauche et la veine pulmonaire sont, il est vrai, également gorgées de sang, et l'oreillette gauche est encore hypertrophiée dans ce cas. Mais dans cette affection, le surplus des forces vives est tenu en échec par l'obstacle qui s'oppose à l'arrivée du sang. On comprend d'après cela pourquoi dans l'insuffisance de la valvule mitrale le ventiicule gauche se dilate , et pourquoi cette dilatation n'a pas lieu dans le rétrécissement de l'orifice correspondant. Les dilatations produites exclusivement par la pression exagérée du sang sur la surface interne des cavités du cœur, se transforment en général bien- tôt en hypertrophies excentriques, parce que peu à peu les contractions constamment exagérées tendent à augmenter la substance musculaire de la portion dilatée du cœur. Quand il sera question des lésions val vulaircs, nous exposerons plus longuement que ce passage de la dilatation à l'hypertrophie DILATATION DU CŒUR. 367 excentrique a souvent pour effet de compenser entièrement l'obstacle que ces lésions valvulaires apportent à la circulation. 2° Une dilatation du cœur se produit lorsque la paroi a perdu une partie de sa force de résistance à la suite dune modification de texture qui la fait céder à la pression normale du sang, telle que la surface interne des cavités du cœur la sup- porte pendant la diastole. Il suffit de la simple imbibition séreuse que la sub- stance musculaire du cœur éprouve dans les différentes formes inflamma- toires, et surtout dans la péricardite, pour diminuer la résistance que les parois de l'organe peuvent opposer à la pression du sang, et de là résulte une dilatation. Dans les maladies graves ou de longue durée les muscles du cœur semblent quelquefois s'atrophier de la même manière que les autres muscles du corps, et cette circonstance peut également faire céder la paroi à la pression sanguine. — La cause la plus fréquente d'une diminution de ré- sistance de la paroi du cœur, consiste dans ladégénérationet surtout dans la dégénération graisseuse de la chair cardiaque. Après la disparition de l'œdème collatéral qui suit la terminaison d'une maladie inflammatoire du cœur, la substance musculaire de cet organe peut récupérer son ancienne force de résistance, et la dilatation peut de nouveau s'effacer. Dans d'autres cas le cœur dilaté s'hypertrophie parla suite. Géné- ralement aussi les dilatations survenues dans le cours d'une fièvre typhoïde grave, d'une chlorose, de longue durée, finissent par disparaître quand, après une convalescence parfaite, les muscles amincis du cœur retournent ainsi que les autres muscles du corps à leur état normal. Au contraire, les dilatations qui se sont développées sous l'influence d'une dégénération de la chair cardiaque, ne s'effacent jamais et tendent au contraire à devenir de plus en plus considérables. 3° La dilatation du cœur se développe .encore lorsqu'une hypertrophie excen- trique se transforme en dilatation par dégénérescence de la substance musculaire. Cette transformation est tout aussi fréquente que le passage signalé plus haut d'une dilatation à une hypertrophie excentrique, et il n'est même pas très- rare que, chez un seul et même individu, l'une et l'autre transformation s'observent à des périodes différentes. Ainsi, on peut constater dans bien des cas qu'une lésion valvulaire entraîne d'abord une dilatation, que plus tard la dilatation se transforme en une hypertrophie excentrique qui compense la lésion valvulaire, et qu'enfin la dégénération de la paroi du cœur produit de nouveau une dilatation qui remplace l'hypertrophie et qui met fin à la com- pensation. Ce retour dangereux souvent n'a lieu dans les affections valvu- laires qu'après un temps très-long; dans l'emphysème, il peut également *e passer bien des années avant que l'hypertrophie excentrique du ventricule droit, qui compense l'obstacle à la circulation dans le poumon, se transforme, au grand détriment du malade, en une dilatation (voy. p. 139). Néan- snoins il semble qu'un fonctionnement exagéré et longtemps continué du. 368 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. cœur suffît à lui seul pour amener le passage d'une hypertrophie vraie du cœur à une hypertrophie fausse, et c'est là un fait qu'on n'a pas observé dans l'hypertrophie d'autres muscles soumis à de grandes fa- tigues. — Ce qui tend à accélérer fortement la dégénération des muscles hypertrophiés du cœur, ce sont toutes les causes d'épuisement qui peu- vent atteindre les individus. Parmi les formes morbides les plus fré- quentes qu'on a observées chez les vieillards décrépits, il faut compter Y hy- pertrophie excentrique du cœur gauche provoquée par V endartérite déformante diffuse, hypertrophie qui, lorsqu'elle dure depuis longtemps, passe peu à peu à la dilatation par une dégénération lente de la substance musculaire. Ce sont là les cas que les gens du monde semblent avoir en vue quand ils considèrent la dilatation du cœur comme une des maladies les plus graves et les plus dan- gereuses de l'organe circulatoire, et comme une des affections les plus redou- tables qui puissent atteindre les vieillards. § 2. Anatomie pathologique. Il faut bien se garder de considérer comme dilaté un cœur devenu flasque par la décomposition putride et distendu par une grande quantité de sang. La putréfaction avancée de tout le cadavre, la grande facilité avec laquelle la substance musculaire se déchire, et enfin l'imbibition de cette dernière par la matière colorante du sang, tels sont les points de repère qui nous per- mettent d'établir la distinction. — Si la dilatation s'étend au cœur entier, la forme de ce dernier est modifiée de la même manière que dans l'hypertro- phie. Mais la dilatation étant simplement partielle dans la plupart des cas et occupant bien plus fréquemment le cœur droit que le cœur gauche, le cœur dilaté semble ordinairement plus large sans que sa longueur ait augmenté dans une proportion analogue. — Si la paroi du cœur dilaté semble devenue plus mince, il faut que, par des mesures exactes, on apprécie le degré de l'amincissement, parce que autrement on risquerait de se tromper. Des termes vagues, tels que : « amincissement modéré » ou « épaississcment modéré de la paroi », ne signifient rien. Si la paroi du ventricule gauche est amincie^ ce dernier s'affaisse quand on l'a incisé, ce qui n'est pas le cas pour un cœur normal. Dans les oreillettes fortement dilatées les faisceaux musculaires peu- vent s'écarter au point que les parois semblent par endroits réduites à l'état desimpies membranes. Dans la dilatation considérable des ventricules, avec usure de la substance musculaire, on trouve quelquefois des colonnes char- nues réduites à l'état de cordons tendineux, entièrement dépourvus de fibres musculaires. Si la paroi du cœur dilaté est devenue plus épaisse, la couleur et la résistance de la chair cardiaque suffisent déjà, dans certains cas, pour faire reconnaître que l'on n'est pas en présence d'une hypertrophie vraie, mais d'une hyper- DILATATION DU COEUR. 369 trophie fausse. — Dans d'autres cas, la chair cardiaque paraît, à un examen superficiel, d'une structure normale; mais l'hydropisie générale et les autres phénomènes de stase sanguine, qui ne se laissent ramener ni à une lésion valvulaire ni à un autre obstacle à la circulation, prouvent que les fibres musculaires du cœur ne peuvent pas être normalement constituées, et l'exa- men microscpique en révèle effectivement une dégénérescence consi- dérable. — Dans d'autres cas enfin, on ne trouve pas à l'examen microsco- pique une dégénération aussi avancée et aussi étendue de la paroi épaissie du cœur que le haut degré des stases veineuses donne à le supposer. Comme ces dernières nous fournissent, en l'absence d'obstacles à la circulation, la preuve certaine que l'activité fonctionnelle du cœur est diminuée, je me crois autorisé à soutenir, en m' appuyant sur un grand nombre d'observations très-exactes, qu'il existe certaines modifications des fibrilles musculaires, capables de diminuer l'activité fonctionnelle du cœur et qu'il est impossible de constater sous le microscope. L'opinion exprimée par Botkin, qu'en cas d'accroissement con- sidérable des fibres musculaires du cœur, les nerfs de cet organe sont devenus insuffisants pour son innervation normale, est une hypothèse ingénieuse. On ne peut contester qu'un muscle fatigué outre mesure, en supposant même ■que le rapport entre les fibres musculaires et nerveuses soit resté normal, peut finir par perdre une partie de sa contractilité sans qu'il y ait rien d'altéré dans sa texture. Bien que la dilatation du cœur coïncide ordinairement avec une dilatation des orifices, il n'en est pas moins vrai que les valvules suffisent en général pour fermer ces derniers, parce que les valvules, en devenant plus minces, deviennent en même temps plus grandes et que leurs cordages tendineux s'allongent. § 3 . Symptômes et marche. La dilatation rend la tâche du cœur plus difficile en ce que le cœur dilaté doit chasser une quantité de sang plus grande, sans que sa force de propulsion soit augmentée. lien résulte que l'effet de la dilatation sur la distribution du sang et sur la rapidité de la circulation est diamétralement opposé à celui de l'hypertrophie. Cependant, tout comme un cœur sain peut vaincre des ob- stacles plus grands par l'énergie plus grande de ses contractions, le cœur dilaté à son tour peut remplir sa tâche par des contractions plus énergiques, aussi longtemps que ces fibres musculaires restentsaines.il n'en est plus de même quand la dilatation coïncide avec une dégénérescence de la chair mus- culaire, parce qu'alors le cœur est incapable de déployer une grande éner- gie. Dans ces cas, il ne suffit plus à sa tâche, et les suites de cette insuffi- sance se manifestent par des désordres dans la distribution du sang et dans la circulation. Une trop faible quantité de sang étant chassée du NIEMETER. I — 24 370 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. cœur, les artères en reçoivent trop peu, leurs parois se rétractent et le diamè- tre des vaisseaux artériels diminue. — La diminution, du contenu des artères a pour conséquence une augmentation du contenu des veines; toutefois, comme le nombre des veines est plus grand que celui des artères, le contenu de chaque veine ne peut pas augmenter d'autant que le contenu de chaque artère diminue. Ajoutez à cela qu'une partie du sang qui se trouve en moins dans les artères se loge dans le cœur dilaté et incomplètement vidé. Il ressort de là que les signes de l'anémie artérielle se manifesteront plus tôt et à des degrés plus faibles de la maladie que ceux de la pléthore veineuse. — Le contenu des capillaires augmente également dans une forte mesure, parce que le sang qu'ils renferment ne peut pas s'écouler librement dans les veines trop rem- plies, tandis que d'un autre côté la tension des parois artérielles est toujours plus forte que celle des parois capillaires, ce qui permet aux artères, même faiblement remplies, de verser toujours encore du sang dans les vaisseaux capillaires. — Enfin, la quantité de sang mise en mouvement par chaque systole étant trop faible, la circulation est ralentie et le sang, qui dans le corps se charge de plus d'acide carbonique et, par contre, comme il retourne plus rarement au poumon, absorde moins d'oxygène, prend de plus en plus la composition du sang veineux. Si une dilatation partielle du cœur complique une lésion valvulaire, un emphy- sème pulmonaire ou une autre maladie du poumon ayant également pour effet de gêner la circulation, il est souvent difficile de décider si c'est de la maladie principale ou de la dilatation que dépendent le faible contenu des artères, la pléthore veineuse, le ralentissement de la circulation, la composition vei- neuse du sang, ou bien quelle est la part qui revient à chacune de ces deux causes dans la production de ces phénomènes1. Cependant cette circonstance, que, dans les lésions valvulaires, dans l'emphysème pulmonaire, etc., ces anomalies de la circulation et de la distribution du sang peuvent être préve- nues si les portions du cœur situées en deçà de l'obstacle sont le siège d'une hypertrophie excentrique et non d'une dilatation, cette circonstance, disons- nous, nous autorise à admettre que, quand ces anomalies existent à un haut degré, la dilatation ne s'est pas encore transformée en une hypertrophie ex- centrique, ou bien au contraire que l'hypertrophie excentrique a été trans- formée en dilatation à la suite d'une dégénération de la substance muscu- laire du cœur. — Il est évident que l'étendue des anomalies de circulation 1 Ainsi, par exemple, Traube n'attribue pas l'hydropisie, clans l'emphysème, à la des- truction de nombreux capillaires pulmonaires, mais uniquement à la dilatation et à la dégénérescence du cœur droit, tandis que, d'après notre manière de voir, les deux causes agissent à la fois, et que, dans l'emphysème, on doit redouter l'hydropisie à partir du moment où l'obstacle à la circulation pulmonaire n'est plus compensé entiè- rement par l'hypertrophie vraie du cœur droit. DILATATION DU COEUR. 371 qui dépendent de la dilatation partielle du cœur doit varier avec le siège de cette dilatation. Nous nous réservons d'insister plus longuement sur ces con- ditions à l'occasion des. anomalies valvulaires qui déterminent la dilatation des différentes portions du cœur, de même qu'à l'occasion de l'emphysème pulmonaire nous avons discuté l'influence que l'état du ventricule droit exerce, sur les symptômes de cette maladie. — Nous ne rappellerons ici qu'un seul symptôme qui; dans la dilatation partielle, se présente ordinaire- ment, tout aussi fréquemment que dans la dilatation totale, nous voulons parler des battements de cœur ou palpitations. 11 n'est pas rare que la sensa- tion toute subjective d'un battement pénible dans la région du cœur dispa- raisse quand la dilatation s'est transformée en une hypertrophie, pour reve- nir quand le cœur hypertrophié commence à dégénérer. Ce ne sont pas les contractions d'un cœur hypertrophié, contractions sans effort et par les- quelles la paroi thoracique semble souvent ébranlée par de véritables coups de marteau, mais bien les contractions accompagnées de grands efforts et se produisant dans un cœur non hypertrophié, qui provoquent la sensation subjective des battements de cœur. Les individus anémiques et chlorotiques accusent plus souvent des palpitations que ceux qui sont atteints de maladies du cœur, et parmi les diverses affections de cet organe ce sont surtout la dilatation et les inflammations et dégénérescences de la substance muscu- laire qui donnent lieu à ce symptôme. Dans les dilatations le plus souvent totales que produit la flaccidité morbide de la paroi dégénérée, il est également difficile de décider jusqu'à quel point les anomalies si souvent mentionnées de la circulation et de la distribution du sang sont dues à la dégénérescence de la substance musculaire et jusqu'à quel point elles résultent directement de la dilatation. Dans tous les cas, cette dernière joue un rôle essentiel dans la production de ces anomalies: car l'expérience nous apprend que les maladies de la substance musculaire du cœur non accompagnées de dilatation — maladies qui sont rien moins que rares chez les individus anémiques — sont supportées bien plus facile- ment et troublent bien moins la circulation que les maladies accompagnées de dilatation. Les premiers symptômes qui apparaissent dans cette forme de la dilatation consistent, comme déjà nous l'avons annoncé, dans un sentiment de palpita- tions, formant un contraste remarquable avec la faiblesse du choc du cœur révélée par l'observation directe; et à ces palpitations s'ajoute bientôt une légère dyspnée. Cette dernière s'explique facilement par la turgescence des veines pulmonaires et des capillaires du poumon et par le ralentissement de la circulation. La dyspnée s'exaspère quand les individus montent les esca- liers ou gravissent des côtes, ou qu'ils se soumettent à une fatigue plus ou moins analogue, et au commencement elle est à peine ressentie quand le corps est maintenu dans un repos complet. Pendant ce temps, les malades 372 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. ont un teint pâle à raison du faible contenu de leurs artères, mais la pléthore veineuse n'a pas encore atteint chez eux le degré élevé qui conduit à la cya- nose et àl'hydropisie ; tout au plus une légère teinte. livide s'ajoute-t-elle à la pâleur des lèvres. A ces symptômes il faut ajouter une certaine apathie, un état de fatigue survenant après le plus léger effort, phénomènes qui sont la conséquence de l'état veineux du sang, ainsi que cela a été dit à plusieurs reprises. — Si la maladie fait des progrès, les palpitations et surtout la dyspnée deviennent plus vives, les malades redoutent la moindre fatigue, parce que immédiatement ils perdent la respiration, les lèvres et les joues prennent une teinte manifestement livide, le foie commence à gonfler par suite de la stase veineuse toujours croissante, et un léger œdème se produit aux extrémités, surtout aux heures de la soirée. — Aux degrés les plus éle- vés de la maladie, les individus se sentent pris d'une forte dyspnée, même quand leur corps est dans un repos complet; le plus petit effort élève cette dyspnée à un degré intolérable, le pouls est petit, souvent irrégulier et inter- mittent; l'urine, extrêmement rare et concentrée, dépose pendant le refroi- dissement d'abondants sédiments d'urate de soude, son faible contenu aqueux ne suffisant pas pour maintenir ce sel en dissolution à une basse tempéra- ture. Souvent de plus ou moins grandes quantités d'albumine se montrent pendant ce temps dans l'urine, les lèvres et les joues se cyanosent fortement. L'hydropisie se propage des malléoles à la jambe et à la cuisse, au scrotum, aux téguments abdominaux. Les extrémités supérieures et la face s'œdéma- tient également, de même il se produit des épanchements hydropiques dans la cavité abdominale et dans la poitrine. Finalement les malades périssent au milieu des symptômes d'un œdème pulmonaire et d'une paralysie bron- chique. Tout médecin occupé a, plusieurs fois par an, l'occasion de rencon- trer dans sa clientèle des vieillards, hommes ou femmes, qui présentent exactement les symptômes que nous venons de nommer ou à peu de chose près et qui finissent par succomber à cette cruelle maladie. La petitesse du pouls, la rareté des urines, ont leur raison d'être dans la diminution toujours plus grande du contenu des artères; la cyanose, l'hydropisie, l'albuminurie sont la conséquence forcée de l'accumulation de plus en plus considérable du sang dans les veines. La dilatation du cœur, qui, dans V endartérite déformante diffuse, se développe à la suite d'une hypertrophie excentrique, donne lieu à des symptômes qui offrent une ressemblance frappante avec ceux de la forme que nous venons de décrire, et dans beaucoup de cas il est impossible de distinguer quelle est celle des deux à laquelle on a affaire. Ce fait ne doit pas nous étonner si nous songeons que l' endartérite déformante, tant qu'elle est accompagnée d'une hypertrophie excentrique du cœur, ne produit aucun trouble circulatoire, et que les premiers phénomènes morbides ne sont observés que quand la dégé- nération secondaire du cœur hypertrophié rend l'hypertrophie fausse et ne DILATATION DU CŒUR. 373 permet plus une compensation parfaite de l'obstacle qui tend à s'opposer à la circulation. Lorsque, chez un individu âgé atteint de cyanose et d'hydropisie, l'examen physique de la poitrine révèle une dilatation du cœur, que les artères périphériques ont chez cet individu une disposition remarquablement sinueuse, que les artères même d'un petit volume battent visiblement et que les parois artérielles sont dures et rigides au toucher, on peut considérer comme probable qu'il s'agit là d'une endartérite déformante étendue et d'une dégénérescence d'un cœur primitivement hypertrophié. Si, au contraire, les artères périphériques ne présentent pas ces symptômes, on peut supposer plutôt que la dégénérebcence de la substance musculaire du cœur a été le mal primitif et la dilatation le mal secondaire. A V examen physique, l'aspect extérieur ne montre jamais cette voussure de la région précordiale qui s'observe quelquefois dans l'hypertrophie excen- trique. La palpation nous montre, en cas d'agrandissement considérable, le choc de la pointe trop bas et trop en dehors ; souvent il paraît excessivement faible ou tout à fait insensible; dans d'autres cas, surtout quand les malades sont émus, l'impulsion du cœur peut même être exagérée et presque égaler le choc d'un cœur hypertrophié et en même temps dilaté; l'impulsion ac- compagnée de soulèvement ne se produit cependant pas dans la dilatation simple. La percussion fait reconnaître une extension de la matité précordiale identique avec celle que nous avons décrite pour l'hypertrophie, de sorte qu'en général une matité étendue avec impulsion renforcée annonce l'hy- pertrophie du cœur, une matité étendue avec impulsion diminuée une dila- tation. La dilatation isolée du ventricule gauche, qui s'ajoute au commencement à l'insuffisance des valvules aortiques, modifie le son de la percussion abso- lument de la même manière que l'hypertrophie excentrique qui se déve- loppe plus tard. On peut en dire autant de la dilatation du ventricule droit. La dilatation de l'oreillette droite fait naître une matité sous le sternum et au bord droit de cet os, depuis la deuxième côte jusqu'à la cinquième ou à la sixième. La dilatation de l'oreillette gauche ne peut être constatée à la per- cussion, parce que cette oreillette est située tout à fait en arrière. A l'auscul- tation, on entend les bruits normaux (qui dans l'hypertrophie sont générale- ment plus forts), extraordinairement faibles, mais purs, et cela provient de ce que les valvules auriculo-ventriculaires, aussi bien que les parois artérielles, donnent des vibrations peu étendues à raison de la faiblesse des contractions cardiaques. Dans d'autres cas, les bruits du cœur deviennent sourds dans les ventricules, sans doute parce que les muscles papillaires, atrophiés aussi bien que la paroi du cœur, tendent moins les valvules. Enfin, à la place des bruits normaux, on peut entendre dans le cœur dilaté des bruits anormaux qui ne permettent pas de conclure à l'existence de lésions valvulaires. Ces bruits dépendent de l'irrégularité des vibrations communiquées par le choc de la colonne sanguine aux valvules encore plus faiblement tendues que dans les 374 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. cas que nous venons de citer. Ces bruits se rattachent à ceux que nous obser- vons quelquefois en l'absence'de toute dilatation, en cas d'innervation anor- male du cœur, dans les maladies fébriles ou, dans le relâchement des muscles cardiaques, tel que l'anémie le produit dans tout l'ensemble du système musculaire. § k. Traitement. » Les principes qui doivent nous guider dans le traitement de la dilatation du cœur se laissent déduire tout naturellement de ce qui a été dit sur la pathogénie et l'étiologie de cette affection. D'une part, il faut faire en sorte que la nutrition du corps se fasse d'une manière normale, parce que c'est le meilleur moyen de prévenir le relâchement morbide des parois du cœur. D'autre part, il faut garantir les individus de tout ce qui peut rendre plus difficile le fonctionnement de cet organe. Il faut donc prescrire à ces ma- lades un régime nourrissant, mais il ne faut pas qu'ils mangent trop à la fois, mieux vaut qu'ils multiplient le nombre de leurs repas. Les œufs et la viande, et surtout le lait, leur conviennent parfaitement. Plusieurs malades se trouvent très-bien d'un régime exclusivement lacté, continué pendant un certain temps. Les préparations ferrugineuses, qui heureusement ne passent plus pour échauffer le corps, doivent être prescrites toutes les fois que l'on trouve chez un malade des signes d'anémie et d'hydrémie. Mais en même temps, il faut défendre les mouvements fatigants et restreindre l'usage des boissons alcooliques, sans les interdire absolument aux individus qui en ont contracté l'habitude. Si le foie devient volumineux, si la cyanose se montre, ou bien si l'œdème se développe autour des malléoles, il faut ordonner la digitale. Autrefois, prévenu en faveur de la doctrine de Tranbe concernant les effets de la digitale sur l'énergie des contractions cardiaques et la tension du système aortique, je considérais ce médicament comme inefficace et même dangereux dans la dilatation du cœur. Mais dans ces dernières années, un grand nombre d'observations faites par moi m'ont convaincu que la digitale est un moyen très-efficace pour renforcer tempo- rairement les contractions du cœur et dissiper par là la cyanose et l'hydro- pisie. Dans la dilatation du cœur, la digitale, combinée surtout avec le régime lacté, est un remède d'une immense valeur. Souvent on parvient, à l'aide de ce moyen, à faire disparaître plusieurs fois de suite et pour un temps plus ou moins long, des épanchements hydropiques même considé- rables. Les cliniciens et médecins devraient, pour faire marcher la théra- peutique dans la voie du progrès, s'en tenir avant tout à l'analyse rigoureuse des résultats thérapeutiques constatés sur l'homme malade, et compter un peu moins sur des expériences faites sur des chiens avec des substances médicamenteuses. Du reste, les expériences faites postérieurement par ATROPHIE DU COEUR. 375 Traube ont amené des résultats qui sont en contradiction flagrante avec ceux des expériences antérieures et s'accordent parfaitement avec les données de l'observation clinique. Ordinairement, je prescris la digitale en infusion. D'après ce que l'on sait, l'action de la digitale varie beaucoup selon l'endroit où la plante a été recueillie. Dans le Wurtemberg, des doses bien infé- rieures à celles que je prescrivais autrefois m'ont donné de graves phéno- mènes d'intoxication. Ordinairement, je prescris une infusion de 50 centigr. sur 150 grammes de véhicule, et jamais je ne fais répéter cette potion plus de deux fois. Dans les cas désespérés, je prescris à la place de l'infusion la teinture éthérée, 12 à 15 gouttes quatre fois par jour. — D'après Papillaud, les préparations antimoniales et arsenicales ont sur le cœur une action analogue à celle de la digitale et sont des remèdes très-utiles dans les maladies qui tendent à diminuer le fonctionnement de cet organe. Papillaud préconise l'acide arsénieux à la dose de 2 milligrammes par jour, et plus encore l'arsé- niate d'antimoine en pilules contenant 1 milligramme de ce sel (2 pilules par jour). CHAPITRE III. Atrophie du cœur. § 1. Pathogénie et ëtiologie. La petitesse congénitale ou originelle du cœur se rencontre, d'après Roki- tansky, principalement chez le sexe féminin et coïncide avec un arrêt de développement du corps en général, et des organes génitaux en particulier. Nous ne savons rien de bien positif sur les causes de cette affection. L'atrophie acquise se montre : 1° en cas de marasme général, tel qu'il se développe dans le cours de la phthisie, de la cachexie cancéreuse ou même dans la vieillesse; même des maladies aiguës de longue durée, une lièvre typhoïde traînée en longueur, etc., peuvent conduire à l'atrophie du cœur. Nous voyons, par conséquent, que si une alimentation trop abondante ne suffit pas à elle seule pour augmenter la substance musculaire du cœur, une alimentation insuffisante ou une usure exagérée peut par contre entraîner l'atrophie des muscles du cœur, aussi bien que l'atrophie de tout le système musculaire. 2° Le cœur s'atrophie quand il est exposé à une pression exagérée venant du dehors, de même que les muscles des extrémités s'atrophient à la longue sous la pression des bandes ou des attelles. L'atrophie du cœur est une con- séquence des grands épanchements du péricarde, des épaississements fibreux du feuillet viscéral de cette membrane, et même des dépôts graisseux qui s'accumulent quelquefois sur le cœur. 376 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. 3° Les rétrécissements des artères coronaires donnent lieu à l'atrophie du cœur en s' opposant à l'arrivée du liquide nourricier. En cas de petitesse congénitale, le cœur d'un adulte peut, d'après Rotikansky. ne pas dépasser le volume du cœur d'un enfant de cinq à six ans ; les parois sont minces, les cavités étroites, les valvules délicates. L'atrophie acquise est presque toujours concentrique, c'est-à-dire que la diminution des cavités coïncide avec l'amincissement des parois. Outre la petitesse, on remarque comme signe pathognomonique qui différencie cette atrophie d'une petitesse congénitale, la disparition de la graisse cardiaque, et l'infiltration séreuse du tissu conjonctif qui avait primitivement logé la graisse; le péricarde a une teinte mate, les taches blanches (taches tendi- neuses) que l'on rencontre si souvent sur le cœur sont ridées, les artères coronaires remarquablement sinueuses; l'endocarde a également perdu son brillant; les valvules auriculo-ventriculaires sont gonflées; la substance musculaire du cœur est généralement pâle, sa consistance diminuée, dans d'autres cas elle est ferme et foncée en couleur. Bamberger fait remarquer avec raison que dans beaucoup de cas d'atrophie concentrique du cœur on trouve une plus grande quantité de liquide dans le péricarde. Cette collection offre une certaine analogie avec l'accumulation du liquide cérébro-spinal en cas d'atrophie du cerveau, avec ce qu'on a coutume d'appeler hydrocéphale ex vacuo. On rencontre bien plus rarement Y atrophie simple du cœur. Dans ce cas le- cteur a ses dimensions normales, ses parois sont amincies; le volume normal ne peut donc provenir ici que d'une augmentation de capacité des cavités; et ainsi cette forme se rattache à celle dont il a été question dans le chapitre précédent. Cela est encore bien plus le cas pour Y atrophie excentrique qui se confond entièrement avec la dilatation passive, et le plus souvent il est même impos- sible de distinguer si les parois du cœur ne sont amincies que par une dis- tension excessive, ou si l'atrophie des éléments de la paroi a contribué à l'amincissement. L'effet de ces deux états n'est, à la vérité, pas le même-; car si le cœur dilaté a en même temps des parois excessivement minces, comme cela se rencontre parfois en cas d'accumulation de graisse sur le cœur, et surtout en cas d'épaïssissement calleux du feuillet viscéral du péri- carde, suite d'une péricardite chronique, la force de propulsion de l'organe est diminuée beaucoup plus que dans la dilatation simple. Finalement, nous devons faire remarquer que quand un rétrécissement de l'orifice auriculo-ventriculaire gauche a pour effet la diminution du con- ATROPHIE DU CŒUR. 377 tenu du ventricule correspondant, on observe souvent une diminution de volume et une atrophie très-remarquable de ce ventricule. § 3. Symptômes et marche. La petitesse congénitale du cœur occasionne, d'après Laennec, des syncopes fréquentes ; d'après Hope, la tendance aux syncopes coïnciderait, chez ces malades, avec les signes d'une mauvaise nutrition, tels que faiblesse muscu- laire considérable, battements de cœur, symptômes d'anémie et de chlorose. L'atrophie acquise du cœur diffère dans ses symptômes suivant qu'elle n'est qu'un résultat du marasme général ou qu'elle a une existence idiopathique, indépendante de tout appauvrissement du sang et de toute consomption de l'organisme. Dans la première forme, les symptômes sont peu accentués, et dans un cas donné il est même impossible de distinguer si la diminution de la force de propulsion dépend du manque d'énergie des contractions ou de l'atrophie des muscles cardiaques. Dans l'un et l'autre cas, le contenu des artères diminuera, et le sang s'accumulera dans les veines. Mais la masse entière du sang ayant subi une diminution, on ne verra pas se produire dans cette forme des symptômes de distension excessive des veines. Il arrive très- rarement, peut-être jamais, que dans l'atrophie du cœur dépendant d'un marasme général, on rencontre une hydropisie intense ou une cyanose pro- noncée; chez les vieillards, la teinte cyanosée des lèvres, les petites dilata- tions variqueuses que l'on voit sur leurs joues, les petits épanchements qui se font dans le tissu sous-cutané de leurs mains et de leurs pieds ordinaire- ment froids et légèrement colorés en bleu, ne dépendent qu'en partie de la faiblesse du cœur, et nous avons vu que les phénomènes que nous venons de nommer proviennent tout autant de l'atrophie du poumon. 11 en est tout autrement quand l'atrophie du cœur résulte de troubles locaux de la nutrition, tels qu'une compression prolongée du cœur, le rétrécissement des artères coronaires, etc. Dans ces cas, les malades commencent souvent par se plaindre de battements de cœur, symptôme qui, d'après ce que nous avons vu au chapitre précédent, s'observe le plus souvent quand le cœur ne peut suffire qu'au prix de grands efforts aux besoins de la circulation. Dans ces cas, il arrive encore que le faible contenu des artères entraîne une plé- thore veineuse excessive, et le ralentissement de la circulation augmente l'état veineux du sang et le besoin de respirer; les malades peuvent être atteints de cyanose, il se développe une hydropisie générale et une dyspnée souvent fort considérable. Si le cœur atrophié est en même temps dilaté, cette condition devient une deuxième cause de pléthore veineuse et de ralentisse- ment de la circulation, et ces phénomènes prennent un développement extraordinaire. Ils surviennent très-rapidement et s'élèvent au plus haut degré quand à ces deux causes s'en ajoute une troisième, ayant le même 378 MALADIES DES ORGANES DE LA CIRCULATION. effet et compliquant ordinairement les deux premières, à savoir, la dégéné- rescence graisseuse des muscles du cœur. Ces cas sont assez communs et, chez les individus atteints de marasme sénile, qui, sans avoir de lésions val- vulaires, présentent des phénomènes de cyanose et d'hydropisie, il s'agit généralement d'une atrophie, d'une dilatation et d'une dégénération de la substance musculaire du cœur avec ou sans endartérite déformante. L'examen physique donne quelquefois des renseignements d'une certaine valeur. Le choc du cœur est très-faible et parfois insensible tant que le malade se tient tranquille ; le pouls est extrêmement petit. La matité précor- diale a, dans certains cas, diminué d'étendue autant que le cœur, et c'est là un symptôme qui, à la vérité, n'a de valeur que si l'on peut prouver que la diminution de volume du cœur est la cause de l'emphysème supplémentaire par lequel le poumon a été distendu ; dans d'autres cas où le vide produit par la diminution du cœur est comblé par un épanchement dans le péricarde, et non par une augmentation de volume du poumon, la matité précordiale est normale ; enfin, il y a des cas où les poumons ont en même temps diminué de volume et où l' épanchement dans le péricarde est devenu tellement con- sidérable que la matité précordiale prend des proportions anormales. La même chose arrive quand l'atrophie de la paroi coïncide avec un agrandissement de la cavité. Les bruits du cœur, qui dans l'hypertrophie deviennent plus forts et plus sonores, sont faibles et indistincts ou bien sourds et voilés dans l'atrophie, enfin ces bruits peuvent être remplacés par des bruits anormaux, et ce sont là des phénomènes qui dépendent des conditions déjà mention- nées au chapitre précédent comme présidant aux modifications des bruits du cœur. § k. Traitement. Il ne peut guère être question d'un traitement de l'atrophie du cœur. Evi- demment on doit faire éviter les fatigues, prescrire un régime nourrissant et accorder l'usage modéré du vin : «. Vinum lac senum. » CHAPITRE IV. Endocardite. § 1. Pathogénie et étiologie. Pour la pathogénie, nous nous rallions à l'opinion de Yirchow, qui con- sidère comme dénuée de preuves et douteuse la production d'un exsudât libre dans l'endocardite, et qui compte parmi les inflammations parenchyma- ENDOCARDITE. 379 teuses V 'endocardite aussi bien que l'inflammation de la tunique interne des artères d'où dépend ce que l'on est convenu d'appeler l'athérome. Sous le nom d'inflammation parenchymateuse, Virchow désigne des troubles actifs des paroxysmes alternant avec des intervalles libres. Les accès se manifestent le plus souvent pendant les repas : les indi- vidus se trouvent subitement dans l'impossibilité d'avaler et ont presque tou- jours la sensation d'un corps étranger occupant l'œsophage. Si le spasme occupe l'extrémité supérieure, les substances introduites rebroussent chemin immédiatement; si au contraire il occupe l'extrémité inférieure, elles ne sont ramenées que quelque temps après la déglutition. Ordinairement il se manifeste en même temps des oppressions, des accès de suffocation et quel- quefois une contraction spasmodique des muscles du cou. Après une durée plus ou moins longue, l'accès passe généralement; dans d'autres cas il per- siste à un faible degré pendant des semaines et même des mois, constituant 554 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. alors une affection chronique, connue sous le nom de rétrécissement spas- modique. En explorant avec la sonde œsophagienne, on ne rencontre aucun obstacle pendant les intervalles; si l'on examine au contraire pendant l'accès même, le rétrécissement disparaît quelquefois pendant l'application de la sonde. — Les moyens à employer sont, outre le traitement rationnel de la maladie principale, les narcotiques, surtout la belladone et les antispasmo- diques, tels que valériane, asa fœtida, castoréum. Si le malade ne peut pas avaler, il y a lieu d'appliquer ces médicaments sous forme de lavement. Le moyen le plus efficace est l'application répétée et prudente de la sonde œso- phagienne. L'akinésie, c'est-à-dire l'abolition de l'excitabilité des nerfs moteurs de l'œsophage, s'observe assez souvent peu de temps avant la mort, en même temps que les symptômes d'une paralysie générale; dans d'autres cas, la paralysie est d'origine centrale et accompagne les maladies du cerveau ou de la portion cervicale de la moelle épinière. La déglutition est souvent impos- sible en cas de paralysie complète de l'œsophage; souvent, en voulant récon- forter un mourant, les personnes qui l'entourent s'effrayent qu'il ne puisse plus avaler et que les liquides qu'on lui présente retournent par la bouche ou entrent dans le larynx et y provoquent les symptômes de suffocation dont il a été question. Si la paralysie est incomplète le bol alimentaire n'avance plus, cependant de grosses bouchées et des substances un peu solides sont avalées plus facilement que d'autres; si le malade est debout il avale plus facile- ment, et s'il fait suivre le bol alimentaire par une gorgée de liquide, il faci- lite encore la déglutition. Cette dysphagie ne donne pas de sensation doulou- reuse, et la sonde œsophagienne ne rencontre aucun obstacle. — A cause de la malignité de la maladie principale, la thérapeutique est presque tou- jours impuissante. On a recommandé l'application répétée delà sonde œso- phagienne, l'administration de la strychnine, l'application de l'électricité, et quelques auteurs prétendent que l'emploi de ces moyens a été suivi de succès. QUATRIÈME SECTION MALADIES DE L'ESTOMAC. CHAPITRE PREMIER Inflammation catarrhale aiguë de la muqueuse stomacale. Catarrhe aigu de l'estomac. § 1. Pathogénie et étiologie. Sur la muqueuse de l'estomac, chaque digestion normale donne lieu à de& modifications que nous appellerions catarrhe si elles se présentaient sur toute autre muqueuse ; en effet, la sécrétion du suc gastrique proprement dit est toujours accompagnée d'une hypérémie considérable de la muqueuse, et cette hypérémie est suivie tout aussi constamment d'une sécrétion abon- dante de mucus et de l'élimination de nombreuses cellules épithéliales.Avec ce processus physiologique coïncide en outre, de même qu'avec les processus pathologiques analogues, un léger trouble de l'état général, la fièvre dite de digestion. Il en résulte que la définition que nous avons donnée du catarrhe des muqueuses en général ne s'applique pas au catarrhe de la muqueuse stomacale : ce qui pour les autres est pathologique, peut être normal pour celle-ci, et l'on doit réserver le nom de catarrhe de V 'estomac exclusivement à Y exagération du phénomène physiologique, allant au delà des limites normales. On comprend facilement que la limite des phénomènes normaux doit être faci- lement dépassée à raison du retour plusieurs fois répété par jour des phéno- mènes de la digestion et de la nature compliquée et souvent peu convenable de nos aliments, et que par conséquent le catarrhe aigu de l'estomac doit constituer une des affections les plus communes. — D'un autre côté, il n'est pas moins évident qu'une exagération morbide défaits normaux doit se réparer plus facilement et plus promptement que d'autres anomalies plus essentielles ; 556 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. •c' est pourquoi le catarrhe aigu de l'estomac, soumis à un traitement ration- nel, dure ordinairement moins longtemps que les catarrhes d'autres mu- queuses. La prédisposition à la maladie en question diffère selon les individus : cer- taines personnes contractent un catarrhe de l'estomac sous l'influence de causes auxquelles d'autres s'exposent impunément. Dans beaucoup de cas, une prédisposition augmentée au catarrhe dépend d'une sécrétion trop rare du suc gastrique, cette circonstance ayant pour effet de favoriser les décom- positions anormales dans l'estomac, c'est-à-dire la cause la plus fréquente du catarrhe de cet organe (voyez plus loin). Cette diminution de la sécrétion du suc gastrique est cause de la grande tendance aux affections catarrhales de l'estomac que nous rencontrons : 1° chez tous les fébricitants. On est allé trop loin en prétendant que toute fièvre était liée à un catarrhe de l'estomac: ni la langue chargée, ni le manque d'appétit des individus atteints de fièvre, ne nous autorise à émettre cette supposition. Mais comme, dans toute fièvre, l'élimination des parties aqueuses par la peau et le poumon est excessive- ment augmentée à raison de l'élévation de température, la sécrétion sali- vaire est, au contraire, diminuée, et l'on peut admettre à priori que le suc gastrique sera également sécrété en moindre quantité ; cette conclusion est justifiée non-seulement par la manière analogue dont se comportent les autres sécrétions, mais encore par l'observation directe1. Si les individus ne tiennent pas compte de cette circonstance, s'ils ne mettent pas leur régime en rapport avec la diminution de la sécrétion stomacale, les catarrhes de l'estomac les plus fâcheux pourront en résulter. Une grande partie des com- plications gastriques dans les pneumonies et les autres maladies inflamma- toires provient à coup sûr du tort que l'on a eu de négliger cette simple prescription hygiénique. 2° La prédisposition à un catarrhe aigu de l'estomac telle qu'on la ren- rencontre chez les sujets épuisés et mal nourris, semble dépendre également d'une, diminution de la sécrétion du suc gastrique ou de l'élaboration d'un suc gastrique qui ne possède pas les qualités nécessaires pour empêcher la décomposition anormale des ingesta. Si la masse du sang a subi une dimi- nution générale, il est probable que la quantité du suc gastrique est diminuée tout comme celle des autres produits de sécrétion ; et comme chez les indi- vidus épuisés toute néoplasie cellulaire physiologique est diminuée, en même temps que chez eux la vitalité de toutes les cellules est amoindrie, il n'y a guère de doute que dans les cas de ce genre une quantité donnée de salive et de suc gastrique renfermera aussi des globules salivaires et des cel- 1 II est possible que dans les maladies fébriles la composition du suc gastrique soit également modifiée; mais nous n'avons pas besoin de cette hypothèse pour expliquer les suites fâcheuses des écarts de régime, même faibles, dans ces maladies. INFLAMMATION CATARRHALE AIGUË DE LA MUQUEUSE STOMACALE. 557 Iules à pepsine moins abondants et doués d'un pouvoir de fermentation plus faible. Comme le défaut d'action de la salive et du suc gastrique laisse une partie des ingesta séjourner dans l'estomac sans les dissoudre, et par consé- quent exposés à une décomposition anormale, beaucoup de convalescents contractent un catarrhe de l'estomac à la suite d'un repas qui, dans toute autre circonstance, ne leur aurait fait aucun mal. De même il arrive que des enfants misérables, en prenant la même quantité de lait maternel que des enfants sains, ou du lait de vache en quantité égale et étendu de la même manière que le lait que l'on donne à ces derniers, contractent un catarrhe de l'estomac que ce régime n'occasionne pas chez les enfants ro- bustes du même âge. 3° Nous comprenons moins, malgré les nombreuses analogies que pré- sente ce phénomène, la disposition augmentée au catarrhe de l'estomac, que l'on observe chez les individus qui ménagent cet organe outre mesure et cher- chent à le préserver soigneusement de toute irritation anormale. Chez les indivi- dus qui ne sont pas habitués à l'usage de l'alcool, il suffit d'un léger excès pour provoquer le catarrhe de l'estomac ; de même chez les enfants dont le régime est soumis à une surveillance attentive, un écart de régime le pro- voque plus facilement que chez ceux qui sont habitués à une nourriture plus variée et plus indigeste. k° Enfin, nous observons une disposition augmentée au catarrhe de l'es- tomac, chez les individus qui en ont déjà subi de nombreuses atteintes. Les causes déterminantes du catarrhe de l'estomac sont : 1° l'ingestion de trop grandes quantités d'aliments d'ailleurs faciles à digérer. Nous avons déjà fait remarquer que, dans ces cas, le catarrhe aigu de l'estomac est provoqué bien moins par la surcharge de l'estomac, que par les produits de décom- position qui se forment quand la proportion du suc gastrique sécrété ne suffit pas pour la quantité des substances à digérer. Aussi n'est-ce pas immédiate- ment, mais généralement le lendemain d'un excès de table, que les sym- ptômes du catarrhe de l'estomac se déclarent. Il n'arrive pas facilement aux adultes raisonnables de trop manger ; cela s'observe beaucoup plus souvent chez les enfants, surtout chez ceux que Fors nourrit avec trop de parcimonie, et qui par conséquent ne connaissent pas. le sentiment de la faim satisfaite, mais profitent de chaque occasion qui leur- est offerte pour surcharger leur estomac. Les nourrissons ne connaissent pour ainsi dire pas ce sentiment ; le plus souvent ils boivent, quand ils trou- vent du lait en abondance, jusqu'à ce que leur estomac soit rempli outre mesure. S'ils vomissent facilement, l'inconvénient n'est pas grand et il ne- reste dans l'estomac que la quantité de lait qu'ils peuvent digérer ; si au con- traire ils vomissent difficilement, leur estomac reste surchargé et ils con- tractent un catarrhe de l'estomac tout en ayant reçu un aliment de la meil- leure qualité. Les sages-femmes savent très-bien que les enfants qui vomis- 558 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. sent souvent et facilement sont moins exposés à tomber malades et réus- sissent mieux que d'autres. 2° Le catarrhe de l'estomac peut être provoqué par Y usage même modéré d'aliments difficiles à digérer. Encore dans ce cas, ce ne sont pas les aliments eux-mêmes qui irritent la muqueuse de l'estomac, mais les produits de décomposition auxquels ils donnent naissance lorsqu'ils ne sont pas complè- tement digérés. Ce qui rend les aliments difficiles à digérer c'est souvent simplement leur forme. Les individus qui mangent avec une grande voracité ou ceux qui n'ont pas de dents font arriver dans leur estomac des sub- stances faciles à digérer par elles-mêmes, mais dans un état dans lequel elles présentent trop peu de surface au suc gastrique, ce qui fait qu'elles mettent beaucoup de temps à s'imbiber et deviennent indigestes. On sait que le jaune des œufs durs se digère beaucoup plus facilement que le blanc ; la raison en est que le premier est très-facilement divisé en menues parcelles dans la bouche, tandis que le second ne se laisse pas aussi bien triturer. — Très-souvent la viande grasse ou les sauces grasses qu'on ajoute à la viande donnent lieu à des catarrhes de l'estomac : ce n'est pas parce que la graisse est plus difficile à digérer par l'estomac, comme le public se l'imagine, mais uniquement parce que mêlée à la viande elle en empêche l'imbibition et la rend ainsi moins facile à digérer. — Nous nous laisserions entraîner trop loin si nous voulions énumérer toutes les substances difficiles à digérer et dont l'usage même modéré suffit déjà pour déterminer le catarrhe de l'estomac. 3° Très-souvent le catarrhe est provoqué par l'ingestion de substances déjà en voie de décomposition avant d'arriver dans l'estomac. Ainsi ce catarrhe peut être déterminé chez les adultes par la viande avariée ou par l'usage de bière dont la fermentation n'est pas achevée; mais le plus souvent il se dé- veloppe chez les enfants quand leur estomac reçoit un lait déjà en voie de fermentation lactique. C'est cette circonstance qui, surtout dans la saison chaude, pendant laquelle la décomposition du lait commence de très-bonne heure, rend l'allaitement artificiel si difficile. Si l'on ne nettoie pas conve- nablement la bouche des enfants, si pour les empêcher de crier on cherche à les contenter au moyen d'un nouet, la décomposition du lait de vache pur et même du lait maternel peut déjà commencer dans la bouche de l'enfant. (On sait combien il est nécessaire de tenir bien propres les vases dans les- quels on veut conserver le lait et combien il faut en tenir éloignée toute substance en voie "de décomposition, si l'on veut empêcher le liquide de tour- ner.) Une. fois que la décomposition du lait renfermé dans l'estomac est commencée, le lait le plus pur qu'on y introduit après coup y devient un poison, parce qu'à son tour il entre rapidement en décomposition. — Nous verrons plus loin que des substances en voie de fermentation peuvent encore après la mort détruire et dissoudre les parois de l'estomac. S'il est vrai que INFLAMMATION GATARRHALE AIGUË DE LA MUQUEUSE STOMACALE. 559 pendant la vie une destruction semblable des membranes de l'estomac est empêchée par la circulation et la l'apidité du renouvellement organique qui •se fait dans leur intérieur, il est cependant assez vraisemblable que les cel- lules épithéliales dont la nutrition est peu activeront déjà détruites pendant la vie sous l'influence du contenu en fermentation de l'estomac et que c'est précisément cette dénudation de la muqueuse, ainsi dépouillée, de sa couche protectrice, qui donne lieu à des transsudations surabondantes. — Il paraît •que'ce n'est pas le produit de la fermentation lactique, c'est-à-dire l'acide lactique, qui détermine les symptômes de la gastro-entérique cholériforme et, après la mort, le phénomène du ramollissement de l'estomac, mais que ces effets sont produits par l'acte même de la fermentation. Ce qui nous fait supposer qu'il doit en être ainsi, c'est que le lait dont la fermentation est achevée et dont tout le sucre est transformé en acide lactique, n'exerce au- cune influence fâcheuse sur la santé des petits enfants et des personnes adultes, même lorsqu'il est pris en grande quantité, et que le phénomène connu sous le nom de ramollissement de l'estomac peut être déterminé plus facilement dans l'estomac retiré du corps d'un animal, et que l'on expose à une température moyenne après l'avoir rempli de lait frais, que dans un estomac rempli d'un acide fortement dilué. k° Le catarrhe aigu de l'estomac prend en outre très-souvent naissance à la suite d'une irritation de la muqueuse, par des ingesta très-chauds ou très- froids, par certains médicaments , par l'alcool, par les épices. L'alcool peu étendu exerce l'action la plus fâcheuse. Les matières épicées et autres analogues stimulent, lorsqu'elles sont prises à faible dose, les phénomènes normaux delà digestion, et peuvent par conséquent favoriser cette dernière; prises à doses plus élevées, ces substances vont au delà du but et conduisent au ■catarrhe de l'estomac. 5° Le catarrhe aigu de l'estomac est déterminé par l'ingestion de substances qui affaiblissent la force digestive du suc gastrique ou qui ralentissent les mouve- ments de l'organe. On conçoit facilement que l'une ou l'autre influence peut entraîner la décomposition anormale des matières contenues dans l'estomac. L'abus de l'alcool rentre également dans cette catégorie d'influences nuisibles, indépendamment de l'irritation directe qu'il exerce sur la muqueuse. Parmi les matières vomies le lendemain d'une orgie, les individus malades sont souvent fort surpris de trouver presque intacts les aliments qu'ils avaient pris la veille. Les narcotiques, surtout l'opium, semblent, provoquer le catarrhe de l'estomac qu'on observe si souvent après leur administration à doses élevées, en arrêtant les mouvements de cet organe qui ne peut plus imbiber suffisamment les aliments de suc gastrique et les retient trop long- temps dans sa cavité. 6° Le catarrhe de l'estomac peut aussi être déterminé, quoique plus rare- ment que le catarrhe des organes respiratoires, par de simples refroidissements. 560 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. 7° Enfin, nous remarquons qu'à de certaines époques, sans cause connue1, des catarrhes de l'estomac se présentent avec une fréquence extraordi- naire sous l'influence d'un génie épidémique particulier, et que dans ces moments mêmes d'autres maladies se compliquent de ces catarrhes sans que les individus aient commis des écarts de régime. De ce nombre sont les catarrhes gastro-intestinaux fébriles qui régnent épidémiquement à certaines époques, et cette autre forme si violente qui se propage également sur le canal intestinal et qui est connue sous le nom de choléra nostras, ou choléra, européen. Quand il sera question des maladies infectieuses, nous aurons l'occasion de parler de ces catarrhes aigus de l'estomac qui, comme d'autres catarrhes-, ne sont que des symptômes d'infection. § 2. Anatomie pathologique. On a rarement l'occasion d'étudier sur le cadavre les lésions qui caracté- risent le catarrhe aigu de l'estomac. Si toutefois cette occasion se présente, on trouve la muqueuse de l'estomac quelquefois tachetée en rouge par une injection fine, son tissu relâché et sa surface revêtue d'une couche de muco- sités visqueuses ; bien plus fréquemment, surtout lorsqu'il s'agit d'enfants morts du choléra infantum, l'autopsie, sauf les altérations cadavériques dont nous parlerons plus loin, ne donne que des résultats négatifs. Cet état de choses n'a rien d'étonnant si l'on songe que sur les autres muqueuses les hypérémies capillaires observées pendant la vie disparaissent également après la mort sans laisser de traces, et que la diminution d'adhérence, voire, même l'élimination partielle des cellules épithéliales que nous considérons comme la cause la plus probable des transsudations profuses du choléra infantum, passent facilement inaperçues sur le cadavre et ne peuvent guère y être sûrement constatées. — Les observations directes que Beaumont a pu faire sur la muqueuse stomacale du Canadien Saint-Martin sont donc d'au- tant plus intéressantes, surtout quand ce dernier, après avoir surchargé son estomac d'aliments indigestes ou bien après avoir bu trop d'alcool, présentait les symptômes du catarrhe aigu de l'estomac. Au commencement de la ma- ladie, la muqueuse stomacale était fortement teinte en rouge, parsemée de taches aphtheuses (?) et couverte d'un mucus visqueux, entremêlé par-ci par-là d'un peu de sang. A mesure que la maladie faisait des progrès, la couche muqueuse devenait plus épaisse et la sécrétion du suc gastrique proprement dit était supprimée ; le liquide retiré de la fistule consistait en grande partie en matières muqueuses et muco-purulentes d'une réaction alcaline. Au bout de très-peu de jours, la sécrétion muqueuse se perdait ainsi que la réaction alcaline du contenu de l'estomac, et la membrane mu- queuse reprenait son aspect normal. INFLAMMATION CATARRHALE AIGUË DE LA MUQUEUSE STOMACALE. 561 Le ramollissement des parois de l'estomac tel qu'il a été trouvé à l'autopsie d'enfants morts de gastro-entérite, la gastromalacie a souvent été diagnos- tiquée pendant la vie des individus, et l'autopsie semblait alors confirmer le diagnostic posé pendant la vie. On a même dressé un tableau très-détaillé des symptômes de la gastromalacie (Jœger), et bien souvent on observe des cas de maladie qui correspondent exactement à ce tableau. Malgré cela il n'y a pas le moindre doute que la gastromalacie a toujours été un phéno- mène cadavérique (Elsaesser) : le tableau du ramollissement de l'estomac tel qu'il a été retracé par certains auteurs correspond tout aussi exactement à celui du choléra infantum, et ces diagnostics en apparence confirmés par l'autopsie s'expliquent d'une manière bien simple. Si, en effet, un enfant succombe après avoir présenté à la suite d'une fermentation anormale des matières contenues dans son estomac, les symptômes de la gastro-entérite cholériforme, la fermentation continue après la mort, à raison du refroidis- sement lent du cadavre. Comme l'estomac n'offre plus aucune résistance après la cessation de la circulation, il prend part à la décomposition et se ramollit de la même manière que l'estomac retiré du corps d'un animal se ramollit après avoir été rempli de lait et exposé pendant un temps même très-court à une température un peu élevée. Voilà pourquoi les médecins qui considèrent le ramollissement de l'estomac comme un phénomène cadavérique peuvent annoncer avec grande certitude que ce phénomène se produira toutes les fois qu'un enfant mort du choléra infantum aura pris peu ■de temps avant de mourir du lait ou autres substances entrant facilement en décomposition. Rokitansky, qui n'admet pas que le ramollissement de l'estomac soit dans tous les cas un phénomène cadavérique, en distingue deux espèces, le ramollissement gélatineux et le ramollissement noir. Le premier commence presque toujours, d'après sa description, par le grand cul-de-sac de l'estomac et s'étend lentement à la grande courbure; le ramollissement s'empare d'abord de la muqueuse, mais bientôt il gagne aussi la musculeuse, et enfin le péritoine. Toutes les membranes se transforment en une espèce de gelée transparente, gris rouge ou grise, tirant sur le jaune et traversée par quel- ques stries d'un brun noirâtre, qui correspondent aux vaisseaux sanguins, également ramollis. Une fois que les couches internés ramollies se sont déta- chées, le grand cul-de sac ne se compose plus que d'une lame péritonéaîe mince et semblable à une gaze légère et 'facile à déchirer. Ainsi ramolli, l'estomac se déchire aussitôt qu'on veut le prendre dans la main et fond pour ainsi dire entre les doigts; quelquefois on trouve des déchirures qui se sont faites spontanément et des matières épanchées dans le péritoine. Le pro- cessus ne reste pas toujours limité à l'estomac, mais il peut envahir aussi les organes voisins, surtout le diaphragme; ce dernier peut même se rompre et le contenu de l'estomac se déverser dans la plèvre gauche. Dans le ramol- NIEMEYER. 1—36 562 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. lissement noir, les parois stomacales ne sont pas transformées en une gelée transparente, mais en une bouillie .d'un brun noirâtre ou tout à fait noire, dette modification se produit lorsque les capillaires de l'estomac sont gorgés de sang pendant que le ramollissement a lieu. Les stries brunes du ramol- lissement gélatineux représentent pour les gros vaisseaux et le sang qu'ils renferment la même transformation qui, dans le ramollissement noir, atteint les capillaires et leur contenu. La preuve que la gastromalacie ne se produit qu'après la mort ou au moins très-peu de temps avant la fin du malade, quand déjà la circulation et le renouvellement organique ont presque cessé dans les parois de l'estomac, nous est fournie : 1° Par cette circonstance que le ramollissement de l'esto- mac se. rencontre presque toujours dans le grand cul-de-sac, où les matières acides se sont accumulées, et ne s'observe dans la région pylorique que quand le cadavre a été couché sur le côté droit et que le contenu de l'esto- mac s'est dirigé de ce côté en obéissant aux lois de la pesanteur; 2° une seconde preuve, nous la voyons dans ce fait que cette même gastromalacie s'observe aussi dans les cadavres d'enfants qui, pendant la vie, n'ont offert aucun symptôme d'un dérangement des fonctions stomacales, mais qui, peu avant de mourir, avaient pris du lait, de l'eau sucrée ou d'autres substances entrant facilement en fermentation; 3° une autre preuve, c'est que même dans les cas où les parois de l'estomac se montrent déchirées à l'autopsie et les matières épanchées dans l'abdomen, on n'a observé aucun symptôme de péritonite pendant la vie, pas plus qu'on n'en découvre de traces à l'au- topsie ; enfin, U° ce qui le prouve en dernier lieu, ce sont les expériences déjà mentionnées qui permettent de produire un ramollissement artificiel dans l'estomac retiré du corps d'un animal !. § 3. Symptômes et marche. Nous avons à nous occuper d'abord des symptômes du catarrhe aigu de l'estomac peu intense, accompagné de peu de fièvre et représentant par con- i Les cas dans lesquels un ramollissement de l'estomac a été vu quand l'organe était vide ne rentrent pas dans cette catégorie. On a cherché à les expliquer par la force digestive du suc gastrique, et émis l'hypothèse qu'il s'agissait là d'une diges- tion faite aux dépens de la substance même de l'estomac; ainsi, le suc gastrique, sécrété peu de temps avant la mort, aurait dissous les membranes de l'estomac aussi bien que nous le voyons dissoudre d'autres tissus membraneux. Il est cepen- dant peu probable que du suc gastrique soit sécrété par un estomac vide, et il n'est pas impossible que la décomposition du mucus, qui peut également fournir de l'acide lactique, exerce sur les parois de l'estomac la même influence que les ingesta en voie de fermentation. INFLAMMATION GATARRHALE AIGUË DE LA MUQUEUSE STOMACALE. 563 séquent une affection légère, souvent très-éphémère. Cette forme, la suite la plus commune des écarts de régime, est connue sous les noms d'embarras gastrique, gastricisme, état gastrique, gastrosis. Si déjà, à l'état physiologique, le travail de la digestion est accompagné de plus ou moins d'abattement, d'une certaine répugnance contre toute occupation physique ou intellectuelle, à plus forte raison l'hypérémie et la production muqueuse prenant les mêmes proportions d'un véritable catarrhe de l'estomac seront-elles accompagnées d'un malaise général et d'un état de souffrance qui semblent tout à fait en disproportion avec un mal aussi léger et aussi passager. Les malades se sentent faibles, sont de mauvaise humeur, se plaignent alternativement de petits frissons et de bouffées de cha- leur, ils ont la tête chaude, les extrémités froides et par-dessus tout une douleur gravative, très-pénible dans le front et qui s' étend jusqu'à l'occiput; quand ils se baissent, ils ont des éblouissements et il leur semble que leur tête va se fendre. — L'état morbide delà muqueuse de l'estomac leur cause une sensation de pression et de trop-plein à l'épigastre, sensation qui se pro- duit même lorsque cet organe est à l'état de vacuité ; l'épigastre est sensible à la pression, F appétit fait défaut et la soif est exagérée; ordinairement les individus éprouvent du dégoût pour les aliments et des envies de vomir. — En même temps se déclarent des symptômes provenant de la décomposition anormale du contenu de l'estomac ; en effet, si d'une part le catarrhe de l'estomac est souvent une suite de décompositions anormales des ingesta, il provoque à son tour ces décompositions. Bidder et Schmidt ont démontré que le suc gastrique, devenu alcalin par un mélange de mucus, n'est plus en état de dissoudre normalement les substances protéiques, que ces der- nières subissent dans ces conditions une décomposition spontanée et répan- dent une odeur putride. Cette expérience est confirmée par les faits journa- liers de la pratique. — Mais encore les substances qui ne sont pas digérées par le suc gastrique éprouvent une décomposition anormale dans le catarrhe de l'estomac. Ainsi les matières amylacées, dont la transformation a com- mencé dans la bouche, avec le mélange de la salive, ne sont changées qu'en sucre dans un estomac qui fonctionne normalement. Mais lorsque cet organe est affecté de catarrhe, le mucus sécrété en plus grande abondance fait l'office d'un ferment et transforme ultérieurement d'assez grandes quan- tités de sucre en acide lactique et souvent même en acide butyrique. — Si les individus atteints de catarrhe de l'estomac font usage de . substances fer- mentées telles que le vin ou la bière, ou si c'est l'abus de ces substances qui a déterminé le catarrhe, il se produit une fermentation acétique ; — si ces malades font usage de substances grasses, des acides gras résultent de la décomposition de ces substances. Toutes ces transformations du contenu de l'estomac, excepté la fermentation lactique, sont accompagnées d'un déga- gement de gaz. La décomposition des substances contenant de l'albumine 564 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. donne lieu à un dégagement de gaz fétides, d'hydrogène sulfuré ; la fer- mentation butyrique fournit de l'hydrogène et de l'acide carbonique; la fermentation acétique de l'acide carbonique seul. — De cette manière, on s'explique facilement pourquoi l'épigastre des individus atteints d'un ca- tarrhe aigu de l'estomac montre généralement une légère voussure, et pour- quoi il se produit de temps à autre des éructations de gaz fétides ou inodores suivant la qualité des aliments consommés par le malade. Souvent des sub- stances d'une saveur acide ou rance remontent dans la bouche en même temps que les gaz. Le catarrhe de l'estomac se compliquant ordinairement d'un catarrhe de la bouche, comme déjà nous l'avons dit plus haut, la langue se couvre d'un enduit muqueux, la bouche devient mauvaise et pâteuse et exhale une odeur plus ou moins fétide. Si dans ces conditions les malades ne commettent pas d'imprudence, s'ils jeûnent aussi longtemps que leur estomac n'est pas en état de fonctionner normalement, les symptômes que nous venons de décrire se dissipent en général assez promptement. Les produits de décomposition des substances contenues dans l'estomac arrivent par le pylore dans l'intestin; là ils sont mêlés débile, ce qui semble quelquefois arrêter le travail de décomposition, ou bien la digestion retardée est encore terminée par le suc pancréatique et intestinal qui vient les imprégner; mais le plus souvent la décomposition et le développement de gaz continuent quoique à un degré plus modéré ; la muqueuse intestinale irritée par le conctact de ces matières sécrète davan- tage, les mouvements de l'intestin sont accélérés, il se développe de la flatulence, on entend des gargouillements, des borborygmes, et de temps à autre il se déclare un pincement douloureux qui est dissipé par l'émission de quelques gaz fétides, enfin l'évacuation d'une ou de plusieurs selles molles vient mettre fin à la maladie. Si pendant la nuit suivante le malade a pu dormir, son état général s'est également relevé et il est complètement rétabli. Nous devons encore faire remarquer que pendant la maladie l'urine est riche en pigment et en urates et que souvent des vésicules d'herpès s'élèvent sur la lèvre. Lorsque la cause qui a provoqué le catarrhe aigu de l'estomac a agi avec une intensité plus grande, ou que le malade a été plus sensible, le malaise devient plus grand et il survient des nausées et des vomissements. Ces der- niers ramènent les substances contenues dans l'estomac, plus ou moins modifiées, ayant souvent une odeur et un goût fortement acides, et mêlées ordinairement de beaucoup de mucosités. Le vomissement peut se répéter par intervalles plus ou moins courts; plus cet état se prolonge, plus les masses rejetées empruntent à la bile qui se mêle avec elles un goût amer et un aspect verdâtre. A ces formes intenses de l'embarras gastrique se joint ordinairement une irritation plus forte de la muqueuse intestinale. 11 sur- INFLAMMATION GATARRHALE AIGUË DE LA MUQUEUSE STOMACALE. 565 vient une diarrhée violente qui fait expulser, avec ou sans coliques, des matières aqueuses, colorées en vert. Presque toujours le malade se sent soulagé par le vomissement et la diarrhée, et au bout de deux jours il est rétabli entièrement, sauf un petit reste d'abattement; dans d'autres cas . le vomissement et la diarrhée prennent une intensité excessive, et alors le tableau de la maladie devient celui du choléra nostras que nous allons décrire. Sous ce nom on désigne en effet cette forme du catarrhe aigu de l'esto- mac qui s'étend à l'intestin et qui se distingue par une transsudation sura- bondante d'un liquide pauvre en albumine, se faisant par la muqueuse gastro-intestinale. Ces transsudations aqueuses se rencontrent si fréquem- ment sur d'autres muqueuses pendant la période initiale des catarrhes aigus, surtout du nez, que nous n'avons aucune raison pour refuser le nom de catarrhe à l'affection gastro-intestinale d'où dérivent les symptômes du choléra nostras et une grande partie de ceux du choléra asiatique, dont il sera question plus loin, et il est certain que ce catarrhe ne doit qu'à sa grande extension un ensemble de phénomènes qui ne se rencontre pas dans les autres catarrhes. La maladie prend surtout naissance pendant les chaleurs de l'été et frappe alors souvent un grand nombre d'individus à la fois ; il arrive plus rarement qu'elle est provoquée à d'autres époques par des écarts de régime. — Rarement l'accès cholérique est précédé de prodromes; le malade est au contraire subitement, et souvent pendant la nuit, saisi d'une pression pénible à l'épigastre, pression à laquelle s'ajoutent bientôt des nausées et des vomissements. D'abord les matières expulsées par le vomissement consistent en aliments peu modifiés ; mais bientôt le vomissement se renou- velle, et alors le malade rejette en abondance un liquide faiblement coloré en jaune ou en vert et d'une saveur amère. Des quantités énormes sont expulsées en très-peu de temps ; plus l'abondance du liquide augmente, moins il est coloré; la bile, alors même qu'elle est versée en quantité nor- male dans l'intestin, ne suffisant plus pour teindre la masse du liquide transsudé. La perte aqueuse subie par le sang détermine la soif la plus ardente que les plus grandes quantités de liquides n'éteignent que passagère- ment. Le liquide ingéré est rapidement évacué par haut et par bas, aussi longtemps que la diarrhée et le vomissement se répètent de quart d'heure en quart d'heure ou même plus souvent ; le sang s'épaissit de plus en plus ; les sécrétions, surtout la sécrétion urinaire, sont diminuées ou même sup- primées, parce qu'il n'y a plus assez de liquides dans le corps ; les liquides interstitiels de tous les tisssus sont résorbés ; aussi la peau est sèche, toute turgescence est dissipée, le malade est affaissé et défiguré, le nez est pointu, les yeux sont enfoncés parce que le tissu conjonctif de l'orbite s'est des- séché et a perdu de son volume. Ajoutez à cela des contractions musculaires 566 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. très-douloureuses et difficiles à interpréter, principalement dans les mollets, tandis que les douleurs abdominales manquent presque toujours. Lorsque ces contractions se déclarent et que les évacuations des malades se com- posent exclusivement d'un liquide incolore tenant en suspension des lamelles d'épithélium intestinal qui leur communiquent un aspect d'eau de riz, le tableau du choléra nostras devient extrêmement semblable à celui du cho- léra asiatique ; toutefois on remarque rarement cette disparition complète de l'impulsion cardiaque et du pouls, cette teinte cyanosée, ce froid glacial de la peau, qui s'observent dans le stade dit asphyxique du choléra asia- tique. Si menaçants que paraissent les symptômes et quels que soient le collapsus et l'affaissement du malade, quel que soit son découragement et celui des personnes qui l'entourent, jamais le médecin ne doit se laisser intimider, pourvu qu'il ait la certitude qu'il ne s'agit pas d'un cas de choléra épidémique; car il doit savoir que le choléra nostras ne tue jamais ou presque jamais un individu adulte et parfaitement sain auparavant. Ordi- nairement au bout de quelques heures, rarement le lendemain seulement, le vomissement et la diarrhée cessent; la peau se réchauffe et reprend sa turgescence, les malades s'endorment épuisés et il ne leur reste plus qu'un grand abattement. Il arrive plus rarement que les symptômes de la fièvre _ gastrique succèdent à l'accès cholérique. Dans quelques cas tout à fait exceptionnels et uniquement chez des individus malades et débilités ou bien chez les enfants et les vieillards, la maladie se termine par la mort : alors l'intestin se paralyse, le vomissement et la diarrhée cessent malgré la con- tinuation de la transsudation ; le pouls disparaît, les mouvements du cœur faiblissent de plus en plus, le sensorium se trouble et les malades meurent épuisés. Le catarrhe aigu de l'estomac chez les enfants du -premier âge, se distingue par certaines particularités qui ont leur raison d'être dans l'alimentation presque exclusive de ces enfants par le lait maternel ou le lait de vache. Bednar, qui considère la fermentation des ingesta comme la seule cause de ces troubles de la digestion et qui nie la participation primitive aussi bien que secondaire des parois de l'estomac au processus en question, a réservé le nom de dyspepsie aux degrés les plus légers de cette maladie ; d'après l'exposé classique de cet auteur, l'extérieur des enfants en est peu modifié, ils sont tout au plus un peu pâles et ont les yeux entourés d'une ombre légère. Presque toujours des vomissements se déclarent peu de temps après que les enfants ont bu du lait, et ce dernier, au lieu d'être caillé comme à l'.Tdinaire, est rejeté à l'état liquide. Ce genre de vomissement est un symptôme important et même connu par les sages-femmes, qui savent très- bien le distinguer des évacuations salutaires d'un estomac trop rempli. L'état cailleb.tté du lait rejeté par les vomissements habituels des petits enfants n'annonce pas que le lait est devenu acide, mais uniquement que le suc INFLAMMATION CATARRHALE AIGUË DE LA MUQUEUSE STOMACALE. 567 gastrique a exercé son influence normale sur le lait en déterminant la coa- gulation de la caséine ; le manque de coagulation du lait rejeté prouve au contraire qu'une sécrétion anormale se fait dans l'estomac et doit éveiller le soupçon d'un catarrhe de l'estomac. Bientôt après l'apparition de ces vomissements ou simultanément avec eux, les évacuations alvines deviennent anormales à leur tour, même le vomissement peut manquer complètement et l'état anormal des évacuations être l'unique symptôme du catarrhe de l'estomac. Les évacuations se composent d'un liquide vert ou jaune vert à réaction très-acide et de masses blanchâtres plus ou moins solides : cet état rappelle les modifications que le lait éprouve même en dehors du corps, lorsqu'il est longtemps exposé à l'air, et prouve que le suc gastrique a été tout aussi impuissant à digérer le lait qu'à le faire promptement coaguler. Le vomissement et la diarrhée que précèdent ordinairement l'agitation, les cris, la rétraction des jambes vers le ventre, se répètent plus ou moins rapidement ; les évacuations changent souvent de consistance et de couleur. Dans beaucoup de cas le vomissement cesse après peu de jours, les éva- cuations ne renferment plus de lait non digéré, les enfants se rétablissent et prennent de l'embonpoint; mais, dans d'autres cas, ils vomissent de temps à autre des matières d'une odeur très-acide et qui se composent d'un lait en partie inaltéré et en partie réduit en caillots fermes et mêlés de muco- sités ; les selles diarrhéiques se multiplient, les évacuations alvines devien- nent liquides et très-copieuses, leur couleur devient jaune clair ou verdâtre, à la fin presque blanche ; souvent des flocons jaunes ou verdàtres nagent dans ce liquide incolore et sont retenues par les langes, tandis que la partie liquide traverse le linge et n'y laisse que de grandes taches humides et in- colores. L'odeur des déjections, aussi bien que leur réaction, est encore à ce moment très-acide. Quelquefois leur aspect change rapidement : des matières brunes ou d'apparence argileuse, ayant la consistance d'une bouillie et une odeur putride, sont évacuées tout à coup en grande abondance sans que l'on puisse s'expliquer ce phénomène. — Ces formes plus graves du catarrhe aigu de l'estomac et de l'intestin, appelées par Bednar diarrhée xolt l&yrw, épuisent promptement les enfants ; leur visage s'altère et se contracte douloureusement, il peut même se rider en très-peu de jours, les yeux sont ordinairement à moitié ouverts, enfoncés dans leur orbite, les lèvres aussi bien que les mains et les pieds deviennent souvent bleuâtres ; le reste du corps, surtout le dos, est marbré. La température est inégalement distribuée, le tronc des enfants, surtout l'abdomen, est brûlant, tandis que la face et les membres sont froids ; la diminution de la turgescence céré- brale fait perdre aux fontanelles leur tension, elles s'affaissent, même l'os frontal et l'os occipital descendent quelquefois un peu au-dessous du niveau des os pariétaux. Les mouvements des enfants deviennent faibles, même la succion les fatigue, ils quittent le sein, mais boivent avec beaucoup d'avi- 568 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. dite l'eau qu'on leur verse dans la bouche. Les cris lamentables qui précé- daient les selles se changent peu à peu en faibles vagissements; dans l'inter- valle ils sont plongés dans un état de demi-sommeil. Beaucoup de ces enfants meurent par les progrès de l'épuisement. Quelquefois des convulsions et d'autres symptômes d'anémie cérébrale (hydrocéphaloïde) se montrent peu de temps avant la mort. — Si la maladie doit se terminer heureusement, les évacuations intestinales deviennent de plus en plus rares et de plus en plus normales, le collapsus disparaît, la distribution de la température devient plus uniforme, les enfants se remettent et guérissent; néanmoins il leur reste une grande tendance aux récidives. Si les symptômes décrits se développent avec une grande rapidité, si les évacuations se suivent coup sur coup, si avant qu'il se soit produit un vé- ritable amaigrissement, un fort collapsus se prononce en très-peu d'heures, accompagné d'un abaissement notable de la température du corps, et si à ces symptômes s'ajoutent ceux de l'épaississement du sang, la maladie re- çoit le nom de choléra infantum. L'épaississement du sang se trahit par une soif inextinguible ; ainsi on voit les enfants qui ont dépassé le premier âge," quand on leur présente un verre pour boire, le suivre avec avidité des yeux et le tenir à deux mains jusqu'à ce que la dernière goutte soit vidée ; cet épaississement se trahit en outre par les progrès de la cyanose et par une dyspnée particulière dans laquelle le thorax et le diaphragme font de grandes excursions, sans qu'il soit possible de constater un autre obstacle à la respiration que la difficulté qu'éprouve le sang épaissi de traverser les capillaires pulmonaires. Les enfants peuvent succomber en peu d'heures au choléra infantum en présentant les symptômes décrits plus haut ; dans d'autres cas, l'insultus cholérique proprement dit se passe et -la maladie entre dans une phase plus légère; enfin, il se peut que les sujets se réta- blissent rapidement et complètement après avoir passé par l'état en appa- rence le plus désespéré. § k. Diagnostic. 11 sera question au chapitre X de cette section des distinctions à établir entre le catarrhe aigu de l'estomac, se manifestant sous la forme de l'em- barras gastrique, et les autres troubles de la digestion. S'il règne une épidémie de choléra asiatique, il est tout à fait impossi- ble de distinguer les cas accidentels de choléra nostras de ceux qui se dé- veloppent sous l'influence du miasme cholérique, les symptômes du choléra nostras étant non-seulement analogues mais identiques à ceux des cas lé- gers du choléra asiatique. La plus grande différence entre les deux mala- dies est que, environ la moitié des individus atteints de la dernière suc- INFLAMMATION CATARRHALE AIGUË DE LA MUQUEUSE STOMACALE. 569 combe, tandis qu'on ne meurt pour ainsi dire jamais de la première. Il arrive beaucoup plus souvent que la maladie est confondue avec un em- poisonnement; cependant le choléra nostras n'est presque jamais accom- pagné de douleurs aussi violentes que les empoisonnements par les acides et les sels métalliques, et il est rare que dans les empoisonnements les éva- cuations deviennent aussi copieuses que dans le choléra nostras. Si la ma- ladie a une très-longue durée, ou si elle présente d'autres phénomènes ex- traordinaires, il faut tenir un compte exact de toutes les circonstances qui pourraient donner à supposer l'existence d'un empoisonnement. Le catarrhe aigu de l'estomac des enfants du premier âge et la diarrhée des enfants ne peuvent guère être confondus avec d'autres maladies. § 5. Pronostic. Le pronostic du catarrhe aigu de l'estomac ressort de la description que nous avons donnée de la marche de cette affection. Les adultes, sains au- paravant, ne succombent presque jamais à cette maladie ; toutefois, des ré- cidives fréquentes peuvent donner facilement lieu au développement d'un catarrhe chronique. — Les individus affaiblis et épuisés peuvent mourir de fièvre gastrique et plus facilement encore de fièvre muqueuse. ■ — Pour les enfants le catarrhe aigu de l'estomac avec ses suites, devient une maladie des plus dangereuses, qui se termine souvent par la mort, malgré le traite- ment le mieux dirigé. § 6. Traitement. la. prophylaxie du catarrhe aigu de l'estomac, si nous voulions l'exposer avec un tant soit peu de détail, nous entraînerait trop loin, parce qu'il fau- drait passer en revue presque toutes les prescriptions diététiques. Nous sa- vons par le paragraphe 1 que, pour prévenir des catarrhes de l'estomac, il faut surveiller avec une attention toute particulière le régime de certains malades, par exemple des fébricitants et des convalescents, mais surtout celui des nouveau-nés et des nourrissons. Quant à ces derniers on doit, toutes les fois que les circonstances défendent à la mère de les allaiter elle- même ou de leur donner une bonne nourrice, user dans le choix du lait de vache, de certaines précautions qui, pour la plupart, découlent du para- graphe 1 : 1° Le lait doit être frais, même si l'on habite une ville on doit en pren- dre du frais au moins deux fois par jour. S'il y a quelques traces légères d'acidité, on doit immédiatement le faire bouillir pour arrêter la trans- formation ultérieure du sucre de lait en acide lactique; on peut aussi avec 570 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. avantage y ajouter des carbonates alcalins pour le rendre neutre ou légè- rement alcalin. 2° Il ne faut pas que le lait provienne de vaches nourries avec du tour- teau, ou, ce qui vaut encore moins, avec les résidus de la distillation de l'eau-de-vie. Dans les grandes villes on doit préférer le lait des vaches élevées par les brasseurs qui les nourrissent avec le résidu du malt, autrement dit, la drague. 3° Le lait doit être suffisamment étendu, avec deux tiers d'eau pendant les premiers trois mois, avec un tiers pendant les trois mois suivants. h° Le lait doit être donné à l'enfant par intervalles réguliers, pas trop courts. Pendant les premières semaines on peut présenter à l'enfant le biberon toutes les deux heures, plus tard toutes les trois ou quatre heures. Plus les intervalles sont courts, moins il faut donner de lait à la fois. 5° Il faut avoir soin de tenir très-propres, non-seulement les vases qui servent à faire"boire les enfants, mais encore leur bouche. — Si l'on s'écarte de l'un ou de l'autre de ces préceptes, on peut faire naître un catarrhe de l'estomac, tandis qu'en s'y conformant rigoureusement, on a au moins quel- ques chances d'en préserver les enfants. L'indication causale peut, dans les cas où le catarrhe de l'estomac est entretenu par des ingesta nuisibles ou des aliments en voie de décomposi- tion, exiger l'emploi d'un vomitif. Les uns abusent de la prescription des vomitifs dans le catarrhe aigu de l'estomac, les autres les négligent outre mesure. — Si l'on cède aux instances du malade ou si l'on conclut exclu- sivement delà sensation de pression et de plénitude à l'épigastre, de la langue chargée et de la fétidité de l'haleine, à la présence de saburres dans l'estomac, et si l'on se croit autorisé à prescrire un vomitif toutes les fois que ces conditions se présentent, on traînera la maladie en longueur en faisant agir sans nécessité un nouvel irritant sur la muqueuse déjà malade. — Mais ce qui fait tout autant de mal, c'est la crainte exagérée de l'action nuisible des vomitifs, crainte qui se fonde sur leur action simultanément purgative, sur l'inflammation pustuleuse de l'estomac qui s'observe quelque- fois après un usage prolongé du tartre stibié, et avant tout sur l'idée fausse que l'on se fait de la manière d'agir des vomitifs. On perd de vue que l'irri- tation exercée sur la muqueuse stomacale par ces substances n'est, d'après ce que nous apprend l'expérience journalière, ni très-offensive ni très-per- sistante, et l'on ignore que, d'après les belles expériences de Magendie et de Budge, l'effet vomitif du tartre stibié et de l'ipécacuanha ne dépend nul- lement de leur action irritante sur la muqueuse de l'estomac, mais de leur absorption, que notamment Magendie a pu exciter le vomissement en injec- tant du tartre stibié dans les veines d'un animal dont il avait remplacé l'estomac par une vessie. Lorsque le gonflement de l'épigastre, la percussion de la région stoma- INFLAMMATION CATARRHALE AIGUË DE LA MUQUEUSE STOMACALE. 571 cale, les renvois de gaz et de liquides rappelant par leur odeur et leur goût les aliments pris quelque temps auparavant, ne permettent plus de douter que l'estomac doit contenir des substances en voie de décomposition et qu'alors les souffrances du malade justifient une intervention qui a toujours quelque chose de violent, le vomitif est indiqué et pour agir sûrement on fait bien d'administrer un mélange d'un gramme d'ipécacuanha et de 5 à 6 centigr. de tartre stibié. Au paragraphe 3 nous avons fait voir que, même dans ces conditions, les ingesta non digérés et décomposés peuvent être ra- pidement expulsés du corps sans le secours du vomitif et sans aucune con- séquence fâcheuse; mais il s'en faut que cela arrive toujours : souvent les substances nuisibles restent longtemps clans l'estomac et provoquent, une fois qu'elles sont arrivées dans l'intestin, des troubles graves et durables. Si l'on peut délivrer l'estomac des substances nuisibles qui entretiennent dans son intérieur une irritation continue, si l'on peut préserver l'intestin de l'action de ces substances, on ne doit pas redouter l'irritation passagère que îe vomitif exerce sur la muqueuse stomacale. Si dans un cas de ce genre on reste inactif ou qu'au lieu du vomitif on prescrive une mixture à la ma- gnésie calcinée, comme on l'a souvent employée dans ces derniers temps, on peut s'exposer à prolonger inutilement la durée de la maladie, tout aussi bien que si dans d'autres circonstances on prescrivait un vomitif mal à pro- pos et sans motif légitime. Si le catarrhe de l'estomac est accompagné d'une fièvre légère, il ne faut pas voir dans ce fait une contre-indication du vomi- tif; si au contraire la fièvre est violente et qu'on ait le moindre soupçon d'un commencement de fièvre typhoïde, on ne doit jamais employer ce remède, attendu que cette maladie prend presque toujours un caractère plus grave dans les cas où des vomitifs et des laxatifs ont été administrés à son début. L'indication causale ne réclame jamais l'emploi des purgatifs dans le trai- tement du simple catarrhe aigu de l'estomac. 11 n'en est plus de même quand les ingesta nuisibles ont passé dans l'intestin et y ont déterminé la flatulence, de légères coliques, l'émission de gaz fétides et d'autres symptô- mes que l'on a l'habitude de désigner sous le nom de turgescence gastrique par le bas. Dans ces cas on peut prescrire des laxatifs doux, surtout la rhu- barbe et l'infusion de séné composée (potion laxative de Vienne) ; on peut aussi prescrire une mixture de magnésie calcinée (15 grammes sur 200 grammes d'eau; bien secouer la bouteille et prendre une cuillerée à bouche par heure ou toutes les deux heures); ce médicament convient surtout quand il se développe beaucoup d'acide dans l'estomac; il purge alors facilement tet sûrement; les sels purgatifs neutres se recommandent bien moins dans ces sortes de cas. Si un développement anormal d'acides paraît entretenir le catarrhe de l'estomac, acides provenant soit de la transformation des substances amy- lacées en acides lactique et butyrique, soit de la fermentation acétique du 572 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. vin ou de la Mère consommés par le malade, et si le malaise qui résulte de là n'est pas assez considérable pour réclamer l'emploi d'un vomitif, alors il y a lieu de satisfaire à l'indication causale par l'administration des carbonates alcalins. Le remède le plus usité est le bicarbonate de soude que l'on fait prendre en poudre ou en solution à la dose de 25 à 50 centigrammes. Si l'on yeut prescrire le bicarbonate de soude sous la forme si en vogue de l'eau de soude carbonatée (soda-water), il faut s'assurer d'abord si ce liquide tel qu'on le trouve clans les officines contient réellement du bicarbonate de soude, au lieu d'être une simple eau gazeuse comme le soda-water de Londres. Il n'est pas rare que de petites quantités de substances en voie de décom- position continuent de séjourner dans l'estomac malgré de nombreuses éva- cuations par haut et par bas. Les carbonates alcalins, si on les administre dans ces cas, neutralisent bien les acides une fois formés, mais ils ne sont pas en état d'arrêter le travail de décomposition lui-même ni la production de nouvelles acidités. Les substances arrêtées dans l'estomac et en voie de dé- composition entraînent dans leur mouvement chimique les aliments frais et inaltérés et transforment ainsi les ingesta les plus inoffensifs en substances nuisibles et dangereuses pour la muqueuse stomacale des enfants, chez les- quels ce genre d'accidents s'observe le plus fréquemment. L'indication cau- sale exige que dans ces cas on cherche à arrêter la décomposition des matières contenues dans l'estomac et continuant d'y séjourner malgré le vomissement et la diarrhée. Cette tâche est difficile à remplir et trop souvent l'art des méde- cins y échoue. Si l'on a reconnu dans la décomposition des matières gastro- intestinales la cause la plus commune des diarrhées d'enfants, on peut au moins s'expliquer les tristes résultats du traitement de ces diarrhées, résul- tats qui resteraient inexpliqués si le catarrhe gastro-intestinal était considéré comme devant former l'unique objet du traitement. — On sait que, même en dehors de l'organisme, il est difficile d'arrêter une fermentation ou toute autre décomposition une fois commencée. Mais les moyens qui peuvent être utilisés dans ce but en dehors de l'organisme sont en grande partie inappli- cables lorsqu'il s'agit de fermentations et de décompositions ayant lieu dans l'intérieur du corps. Nous ne pouvons pas soumettre à la dessiccation les ma- tières contenues dans l'estomac ni les exposer à une température assez élevée ou assez basse pour en interrompre la décomposition : certaines substances qui combattent la fermentation sont même de véritables poisons pour l'or- ganisme. Si cependant on envisage les remèdes nombreux, souvent diamé- tralement opposés quant à leurs autres propriétés, et que les médecins em- ploient tantôt en se rendant parfaitement compte de l'effet à produire, tantôt simplement au hasard et dans certains cas avec un incontestable avantage, on trouvera toujours que ce sont des substances que l'on emploie également en dehors de l'organisme pour suspendre la fermentation et d'autres décompositions. Les remèdes dont on se sert le plus souvent contre la diarrhée des enfants INFLAMMATION CATARRHALE AIGUË DE'LA MUQUEUSE STOMACALE. 573 sont les carbonates alcalins, les acides minéraux, surtout l'acide chlorhydri- que, les sels métalliques et parmi ceux-ci avant tout le calomel et le nitrate d'argent, ensuite le tannin, la créosote, la noix vomique. Il n'est pas impos- sible qu'une partie de ces remèdes, surtout le nitrate d'argent et le tannin, exercent en même temps une action favorable sur la muqueuse irritée de l'estomac et de l'intestin en modérant l'hypérémie par leurs effets astringents. Le plus grand nombre des remèdes que nous venons de nommer et avant tout le plus usité de tous, le calomel, n'exerce cependant aucune action de ce genre sur la muqueuse de l'estomac, et les résultats obtenus par leur em- ploi ne peuvent être expliqués que par leur manière d'agir dans le sens de l'indication causale, c'est-à-dire en s'opposant aux progrès delà décomposi- tion. Si un enfant est atteint d'un léger catarrhe de l'estomac, ne se trahis- sant que par le vomissement caractéristique et par le mélange d'un lait non digéré avec les déjections acides, il y a lieu de prescrire, outre la diète la plus sévère, sur laquelle nous reviendrons à l'indication de la maladie, les médicaments les moins offensifs parmi ceux qui ont été décrits plus haut, c'est-à-dire les carbonates alcalins associés à de faibles doses de rhubarbe, principalement sous la forme si connue et si répandue de la poudre de rhu- barbe et de magnésie, ou, en cas de diarrhée plus forte, de la teinture aqueuse de rhubarbe1. Une formule très-ancienne et très-répandue est la suivante : Prenez : teinture aqueuse de rhubarbe, 8 grammes; liqueur de carbonate de potasse (solution titrée d'une partie de carbonate de potasse sec dans deux parties d'eau distillée), 12 gouttes; eau distillée de fenouil 60 grammes, et sirop de sucre, 60 grammes. Si ce remède reste sans effet et que les décompositions anormales persistent, que les selles se multiplient, on fait bien de prescrire le calomel à petites doses, tel qu'on l'ordonne avec raison depuis longtemps contre les diarrhées des enfants. Je prescris en gé- néral 1 à 2 centigrammes à répéter deux ou trois fois par jour. Bednar qui, dans l'affection dont il est ici question, préfère également le calomel à tous les autres remèdes, le prescrit à doses plus élevées et plus souvent répétées et y associe de petites quantités de jalap. Sa prescription est la suivante : Pr. : calomel à la vapeur, 20 centigrammes; poudre de racine de jalap, 10 centigrammes; sucre blanc, 2 grammes. Divisez en parties égales n° 8. S. Prendre un paquet dans de l'eau toutes les deux heures. Encore ce traite- ment est loin de conduire toujours au but désiré. Souvent lés évacuations persistent malgré la diète la plus rigoureuse et la répétition des doses de calomel, et il vient un moment où l'on craint d'employer plus longtemps un 1 Faire macérer pendant vingt-quatre heures, puis filtrer le mélange suivant : rhu- barbe concassée, 48 grammes; carbonate de potasse, 12 grammes; eau de cannelle vineuse, 64 grammes; eau distillée, 384 grammes, pour obtenir la teinture aqueuse de rhubarbe de la pharmacopée prussienne. 574 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. médicament aussi offensif que les préparations mercurielles, bien que la continuation du vomissement et de la diarrhée ne permette l'absorption que de quantités infiniment petites et que pour cette raison la stomatite mercurielle s'observe avec une rareté excessive. Tout médecin occupé peut, en présence d'un état morbide analogue, se trouver dans le cas de renoncer au remède qui lui a rendu service dans la plupart des circonstances et dans lequel il a mis toute sa confiance, pour recourir à des moyens qu'il a vus réussir beaucoup plus rarement et qui lui inspirent infiniment moins de confiance. Souvent même on saute avec une sorte de désespoir d'une prescrip- tion à une autre sans aucun plan arrêté. Il est impossible de définir nette- ment et clairement les cas pour lesquels convient soit le nitrate d'argent, soit le tannin, soit l'acide chlorhydrique, soit enfin la teinture de noix vomique. Le plus généralement on emploie d'abord le médicament qui, dans le dernier cas traité, semblait avoir le mieux réussi; si ce remède reste sans effet on passe successivement aux autres. Sans attacher à ce conseil une importance exagérée, je recommande pour le cas où des vomissements surabondants et très-souvent répétés coïncident avec une soif ardente et où il se produit en même temps des évacuations alvines très-aqueuses et très-nombreuses, je recommande pour ces cas, dis-je, de fort petites doses de nitrate d'argent (Pr : nitrate d'argent, 1 1/2 centigramme, à dissoudre dans eau distillée, 60 grammes. Conservez dans un verre opaque. S. une cuillerée à café toutes les demi-heures ou toutes les heures) et de petites quantités souvent répé- tées d'eau glacée. Si le vomissement manque, mais que la diarrhée soit très- abondante, je prescris, dans le cas où le calomel ne produit rien, l'emploi du tannin : Pr : tannin, 60 centigrammes; à dissoudre dans eau distillée 100 grammes. S. une cuillerée à café toutes les deux heures. Dans les cas bénins, mais prolongés, je donne l'acide chlorhydrique dans un véhicule mu- cilagineux. Je n'ai pas expérimenté suffisamment l'efficacité de la teinture de noix vomique, de la créosote et des teintures ferrugineuses que l'on a également recommandées. Dans le catarrhe de V estomac, dû à des refroidissements, l'indication causale réclame un traitement diaphorétique. Dans le catarrhe provoqué par des causes morbifiques inconnues et régnant épidémiquement, l'indication causale ne peut être remplie. Pour remplir l'indication de la maladie, il est tout aussi indispensable de faire de sévères prescriptions diététiques, qu'il est généralement inutile de prescrire des médicaments. L'expérience nous apprend qu'une hypé- rémie allant au delà des limites normales et une production muqueuse exagérée rentrent bien vite dans leurs limites sur la muqueuse de l'estomac, quand les causes qui ont provoqué cette exagération morbide sont écartées et qu'on fait éviter avec soin toutes les influences nuisibles qui pourraient les entretenir. Or comme évidemment les aliments, même les plus faciles INFLAMMATION GATARRHALE AIGUË DE LA MUQUEUSE STOMACALE. 575 à digérer, entretiennent l'hypérémie catarrhale, il est plus sûr de soustraire toute espèce de nourriture aux individus atteints de catarrhe aigu de l'esto- mac, de les condamner à une diète absolue. Cette mesure se recommande surtout contre cette forme du catarrhe aigu qui répond à l'embarras gas- trique. Assez souvent on rencontre de l'opposition en faisant cette prescrip- tion : les mères inquiètes se décident, difficilement à refuser, même pour un temps très-court, toute nourriture à leur enfant; les adultes atteints de catarrhe aigu de l'estomac n'ont pas., à vrai dire, la sensation de la faim, mais ils désirent des aliments salés et piquants. Plus on insiste sur la néces- sité de jeûner, plus on obtiendra de bons résultats. — Si la maladie traîne en longueur, si elle est accompagnée de fièvre, ou bien si les progrès de la consomption déterminée par la fièvre ne permettent pas de faire continuer la diète absolue, au moins ne faut-il accorder que les aliments liquides, parce que ce sont eux qui irritent le moins la muqueuse stomacale. Pour le choix de ces aliments, il faut tenir compte de cette circonstance que la sécrétion stomacale est devenue alcaline par son mélange avec le mucus et qu'elle a perdu la plus grande partie de sa force digestive. Il faut donc en général défendre le lait, les œufs et la viande, qui pour être assimilés ont besoin d'un suc gastrique d'une réaction acide ; et tant que les signes d'une acidité anormale font défaut, on ne doit permettre que l'usage des aliments amy- lacés. Les soupes à l'eau constituent un aliment très-rationnel pour les indi- vidus atteints d'un catarrhe aigu de l'estomac traîné en longueur. On est surtout embarrassé pour le choix du régime, lorsqu'il s'agit d'un de ces catarrhes aigus des enfants dus à un travail de décomposition difficile à interrompre et entretenus par ce travail. Le lait, cet aliment si rationnel et si convenable pour les enfants, leur est nuisible dans ces sortes de cas, parce qu'il entre trop facilement en décomposition ; et nous devons alors nous adresser cette question à laquelle il est si difficile de répondre : Que faut- il donner à la place du lait? Quels sont les aliments qui, dans ces con- ditions, n'entrent pas en décomposition et ne se transforment pas en sub- stances nuisibles? On peut facilement se convaincre que le mucilage d'avoine et d'orge, l'arrow-root, la panade se transforment aussi rapide- ment que le lait en produits acides. Pour traiter avec succès un état de ce genre, il est de la plus haute importance de bien se pénétrer que les enfants ne meurent pas de faim pour être privés de toute nourriture pendant un ou deux jours, et pour recevoir exclusivement de l'eau fraîche non sucrée, car le sucre est également nuisible dans ces sortes de cas. Si sous l'influence de ce traitement le vomissement et la diarrhée cessent, et si le sang épaissi se charge de nouveau de parties aqueuses, on voit souvent rapidement dis- paraître le collapsus et les enfants soumis à la diète semblent en quelque sorte renaître à la vie. Dès ce moment on peut recommencer à leur rendre du lait étendu d'eau, par petites quantités à la fois. Si le lait n'est toujours 576 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. pas supporté et s'il semble dangereux de soumettre les enfants à une plus longue abstinence, on peut donner avec avantage un extrait de viande, que l'on prépare en introduisant dans une bouteille bien bouchée, et sans y ajouter de l'eau, de la viande coupée par petits morceaux et en laissant séjourner la bouteille pendant plusieurs heures dans une chaudière remplie d'eau bouillante. On donne cet extrait par cuillerées à café. Il est bien rare que l'indication de la maladie exige dans le traitement du catarrhe aigu de l'estomac l'emploi de la médication dite antiphlo- gistique. Les saignées générales aussi bien que locales sont toujours inutiles. Un remède qui mérite davantage d'être employé, surtout lorsqu'il s'agit des formes très-intenses du catarrhe, se distinguant par des vomissements vio- lents et une soif ardente, c'est le froid. Dans le choléra nostras aussi bien que dans le choléra infantum, on fait bien de faire boire de l'eau glacée et sucer de petits morceaux de glace et d'appliquer sur le ventre des com- presses froides, souvent renouvelées. Dans le traitement du catarrhe aigu de l'estomac nous pouvons rejeter le muriate d'ammoniaque, d'une façon bien plus péremptoire encore que dans celui du catarrhe bronchique. Dans le catarrhe de l'estomac il ne faut certainement pas compter sur l'action anticatarrhale de cette substance, et son usage ne peut que rendre la maladie plus grave. Un moyen qui jouit d'une grande faveur dans le traitement du catarrhe aigu de l'estomac, c'est Y acide carbonique, que l'on administre aux individus sous forme de poudre aérophore, de potion de Rivière ou d'eaux minérales acidulés. L'acide carbonique provoque immédiatement des renvois qui entraînent encore d'autres gaz séjournant dans l'estomac, d'où résulte presque toujours un soulagement momentané après les renvois ; ce qui ne veut pas dire que l'acide carbonique, qui semble toujours exercer une action irritante, modère l'hypérémie de l'estomac et contribue par lui-même à guérir plus rapidement le catarrhe. Il en est tout autrement des carbonates alcalins. Leur administration dimi- nue la viscosité du mucus sécrété et en rend l'évacuation plus facile; ils méritent donc, abstraction faite des cas où leur emploi est réclamé par l'in- dication causale, que dans les périodes ultérieures du catarrhe aigu de l'estomac on en fasse un large usage. Ajoutez à cela que les carbonates alcalins semblent favoriser la sécrétion du suc gastrique proprement dit : toujours est-il que Blondlot et Frerichs se sont assurés qu'après l'administra^ tion de carbonates alcalins il se formait une si grande quantité de suc gas- trique acide, que non-seulement l'alcali était complètement neutralisé, mais que même le contenu de l'estomac montrait immédiatement une réaction acide. Dans l'embarras gastrique on prescrit ces remèdes sous forme d'eau de soude carbonatée ou de teinture aqueuse de rhubarbe. Il est rare que Yindication symptomatique réclame des mesures spécilesa. INFLAMMATION CATARRHALE AIGUË DE LA MUQUEUSE STOMACALE. 577 Parmi les symptômes qui rendent le plus souvent une intervention néces- saire, il faut compter le vomissement et, en cas d'atteinte simultanée de l'in- testin, la diarrhée. Tandis que ces phénomènes, s'ils sont d'une intensité modérée, peuvent être considérés comme favorables et n'ont besoin d'aucun traitement particulier, ils peuvent, surtout dans le choléra infantum et dans le choléra nostras, prendre une telle violence que l'énorme perte d'eau épaissit le sang à un degré extraordinaire et met la vie en danger. Le remède le plus souvent employé contre le vomissement et la diarrhée profuse, c'est Y opium. On ne sait rien de positif sur la manière dont l'opium calme le vo- missement où arrête la diarrhée. S'il ne faisait que paralyser les mouve- ments de l'intestin et diminuer par là le nombre des évacuations sans mo- dérer en même temps la sécrétion de la muqueuse, son utilité serait illusoire; il semble au contraire que l'opium, outre l'influence qu'il exerce sur les mouvements de l'intestin et précisément à raison de cette influence, diminue en même temps la sécrétion de la muqueuse intestinale. Si par conséquent dans le choléra nostras l'eau glacée, dont nous avons rappelé plus haut l'effet favorable sur les vomissements tumultueux, reste sans effet et si les selles diarrhéiques continuent de se suivre avec une grande rapi- dité, on doit donner l'opium en poudre par doses de 2 1/2 centigrammes ou en teinture, soit seul soit associé aux toniques. Malgré les raisons qui semblent défendre l'usage de l'opium dans la clientèle des enfants et malgré la conviction que par son administration on ne remplit ni l'indication cau- sale ni celle de la maladie, on peut être forcé d'administrer l'opium à petites doses contre la trop grande fréquence des évacuations même dans le choléra infantum. A mesure que dans le choléra nostras et dans le cho- léra infantum le collapsus fait des progrès, que le pouls faiblit et que la température s'abaisse davantage, il devient nécessaire d'employer en même temps des excitants, surtout le vin, l'éther, le café à l'intérieur et les sina- pismes à l'extérieur. D'autre part une grande quantité de mucosités peut s'accumuler dans le catarrhe aigu de l'estomac malgré l'usage des alcalins, et ces mucosités, le produit du catarrhe, peuvent, en se décomposant, prolonger la durée de la maladie ou bien, après l'évolution du processus, arrêter la convalescence et troubler la digestion. Si dans les dernières périodes du catarrhe des vomituritions pénibles, expulsant de temps à autre de plus ou moins fortes quantités de mucus, l'anorexie, la lenteur du rétablissement font supposer qu'il s'agit d'un état semblable de l'estomac, l'administration d'un vomitif peut à ce moment encore, être commandée par les circonstances. I — 37 578 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. CHAPITRE II Catarrhe chronique de l'estomac . § 1. Pathogénie et étiologie. Le catarrhe chronique de l'estomac succède tantôt au catarrhe aigu, lorsque ce dernier dure trop longtemps ou récidive souvent, tantôt il se montre d'emblée comme une affection chronique. L' étiologie du catarrhe chroniqne de l'estomac est donc en grande partie la même que celle du catarrhe aigu. 1° Toutes les causes morbiftques qui provoquent ce dernier, peuvent également donner lieu au catarrhe chronique, lorsque leur influence se continue pendant longtemps ou se répète un grand nombre de fois. Nous citerons ici tout spécialement l'abus longtemps continué des spiri- tueux, qui est de beaucoup la cause la plus fréquente du catarrhe chronique de l'estomac. On a remarqué en même temps que l'influence de l'alcool est d'autant plus pernicieuse que ce liquide est plus concentré, que, par conséquent, les buveurs d'eau-de-vie sont atteints le plus facilement de cette affection. 2° Le catarrhe chronique de l'estomac dépend dans beaucoup de cas de stases dans les vaisseaux de la muqueuse gastrique. L'obstacle qui empêche le sang de s'écouler et qui provoque ces stases, peut avoir son siège dans la veine porte, et pour cette raison nous voyons que toutes les maladies du foie qui donnent lieu à une compression de la veine porte et de ses ramifica- tions, se compliquent constamment d'un catarrhe chronique de l'estomac. Cependant l'obstacle est plus souvent encore au delà du foie : Toutes les maladies du cœur, du poumon, de la plèvre qui entraînent une accumu- lation exagérée de sang dans le cœur droit et empêchent les veines caves de se vider, s'opposent également au départ du sang renfermé dans le foie et par suite à celui du sang de l'estomac; voilà pourquoi nous rencontrons dans l'emphysème, dans la cirrhose du poumon, dans les lésions valvulaires du cœur, le catarrhe chronique de l'estomac aussi fréquemment que la cyanose de la peau, car ces deux états morbides sont dus à la même cause. 3° Le catarrhe chronique de l'estomac accompagne très-souvent la jj/t£/ws26 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. dues à l'anémie, il est permis de compter également celles qu'on observe assez fréquemment chez les tuberculeux, les convalescents, les onanistes. 2° Souvent les cardialgies se rattachent aux affections de la matrice, telles que déplacements, flexions, inflammations chroniques de cet organe, ulcères catarrhaux et folliculaires de l'orifice du col; il en est de même des affec- tions des ovaires. Les cardialgies constituent un des symptômes les plus fréquents de l'hystérie. La relation entre les cardialgies et les maladies des organes génitaux de la femme s'observe le plus distinctement dans les cas où les accès se montrent exclusivement, ou au moins avec la plus grande inten- sité, aux époques menstruelles. J'ai traité une femme, affectée d'aménor- rhée avec rétroversion de l'utérus et érosions catarrhales au museau de tanche, et dont les accès cardialgiques revenaient régulièrement tous les mois et duraient chaque fois trois jours. Dans les intervalles, les crampes d'estomac ne se montraient que lorsqu'on appliquait des sangsues au col de la matrice, la douleur névralgique se manifestait dans ce cas au moment même de leur application. 3° Dans d'autres cas, la cardialgie nerveuse dépend d'une affection de la moelle épinwre ou du cerveau, et, par analogie avec d'autres névroses, il est probable, quoique non prouvé par des observations directes, que des modifi- cations matérielles du nerf vague ou du grand sympathique, telles que gonfle- ment du névrilème, compression par des tumeurs, peuvent également don- ner lieu à des cardialgies. 4° Les cardialgies peuvent dépendre de dyscrasies. Il parait que l'infection du sang par des effluves marécageux provoque quelquefois des accès de gas- tralgie au lieu d'une fièvre intermittente. Romberg attache une grande impor- tance à la goutte, et il souffrait lui-même de cardialgies violentes avant son premier accès de goutte. 5° Enfin, nous ne sommes pas souvent en état de découvrir, ni pendant la vie, ni par l'autopsie, la cause de cardialgies ^violentes qui avaient persisté pendant des années. Parmi les cardialgies nerveuses, nous devons ranger également les accès douloureux qui sont souvent provoqués par la présence dans l'estomac de certaines substances, sans que la paroi de cet organe ait subi des modi- fications de structure. De ce nombre sont les accès de gastralgie, qui se mon- trent lorsqu'il y a formation excessive d'acide, lorsque des lombrics arrivent dans l'estomac, lorsque certains médicaments y sont introduits ; quelquefois on les observe après l'ingestion de boissons froides et autres causes sem- blables. CRAMPES D'ESTOMAC, CARDIALGIE NERVEUSE, GASTRALGIE. 627 § 2. Symptômes et marche. La eardialgie nerveuse, comme la plupart des névroses, se distingue d'au- tres maladies par sa marche typique, c'est-à-dire que les paroxysmes doulou- reux les plus violents succèdent à des intervalles où le malade est libre de toute sensation pénible. Quelquefois le type devient régulier, de telle sorte que les accès reviennent tous les jours à la même heure, ou bien tous les deux ou trois jours. Il est impossible de décrire un accès cardialgique d'une manière plus exacte et plus succincte que ne le fait Romberg : « Subitement ou après avoir été précédée d'une sensation de pression, une douleur violente, constrictive, se fait sentir à l'épigastre, s'irradiant ordi- nairement jusqu'au dos ; le malade croit tomber en syncope, son visage est défait, les mains et les pieds sont froids, le pouls est petit, irrégulier. La dou- leur augmente au point qu'elle arrache des cris. L'épigastre est proéminent et forme une voussure globuleuse, ou, ce qui arrive plus souvent, il est en- foncé et les parois abdominales sont tendues. On observe fréquemment des pulsations dans la région épigastrique. La pression'extérieure est supportable, et souvent le malade lui-même presse l'épigastre contre un objet résistant ou le comprime avec les mains. On observe souvent des douleurs sympathi- ques dans la cage thoracique, sous le sternum, dans les branches œsopha- giennes du nerf vague, rarement dans les parties extérieures du corps. » L'accès dure de quelques minutes à une demi-heure; puis la douleur diminue insensiblement en laissant le malade clans un état d'épuisement considérable, ou bien elle cesse subitement par des renvois gazeux ou liqui- des, par des vomissements, par une légère transpiration, ou la sécrétion d'une urine rougeâtre. » En dehors de ces accès violents, on observe assez souvent des sensations douloureuses de nature et d'intensité diverses, qui alternent également avec des intervalles de repos, qui ne sont pas augmentées mais diminuées par la pression extérieure et par l'introduction d'aliments, et qui sont également accompagnées de douleurs sympathiques dans la poitrine et dans le dos, et •de mouvements réflexes dans les muscles abdominaux, etc. Ce sont précisé- ment ces accès plus légers, dans lesquels manque « la sensation de défail- lance et d'anéantissement imminent de la vie », que Romberg décrit comme névralgie du nerf vague, en opposition avec la névralgie cœliaque. 628 ALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. § 3. Diagnostic. La nature de la douleur ne fournit aucun point de repère pour distin- guer les accès cardialgiques qui accompagnent l'ulcère de l'estomac, de ceux qui se montrent dans les névralgies pures de cet organe. Dans les premiers, nous observons également l'irradiation de la douleur vers le dos et la poitrine, sa cessation par des éructations et des vomissements, l'influence déprimante de la douleur sur l'état général. Pour distinguer ces deux états il est important de faire attention aux deux points sui- vants : 1° Dans la plupart des cas, îles douleurs qui s'observent dans l'ulcère de l'estomac sont augmentées par la pression extérieure et par l'introduction d'aliments (pression intérieure), tandis que dans les cardialgies nerveuses la pression à l'épigastre et l'introduction d'aliments procurent le plus sou- vent du soulagement. 2° Dans l'ulcère chronique de l'estomac il existe, pendant les intervalles, des symptômes dyspepsiques et autres troubles fonctionnels de l'estomac, dans les cardialgies nerveuses ces symptômes font défaut. Pour ces raisons la nutrition est peu en souffrance dans cette dernière maladie, et lorsque l'anémie n'est pas la cause de la névralgie, les malades peuvent avoir un extérieur robuste et florissant. 3° La dysménorrhée, la métrorrhagie, la stérilité et d'autres symptômes dénotant un état pathologique des organes sexuels, de même que la chorose prononcée, permettent de supposer que la maladie est de nature névralgi- que; cependant il ne faudrait pas attacher une trop grande valeur à ce signe, car ce sont précisément ces sortes de malades chez lesquels on ren- contre souvent aussi l'ulcère de l'estomac. U° L'existence simultanée d'autres névroses parle en faveur de la nature névralgique des accès douloureux. 5° Enfin, la véritable crampe d'estomac se montre sans cause connue'ef se présente souvent l'estomac étant vide; les accès douloureux dans l'ulcère de l'estomac succèdent presque toujours au repas. § 4. Pronostic. Les cardialgies qui dépendent d'un appauvrissement du sang admettent un pronostic favorable, lorsque la cause de cet appauvrissement n'est pas un cancer, une tuberculose ou une autre maladie incurable. Il en est de même des cardialgies qui dépendent d'affections utérines; lorsque ces der- nières sont accessibles au traitement, la cardialgie disparaît avec ^la mala- CRAMPES D'ESTOMAC, CARDIALGIE NERVEUSE, GASTRALGIE. (329 die primordiale, En général, le pronostic est encore favorable, lorsque les cardialgies se sont développées sous l'influence des miasmes paludéens ou du vice goutteux. Par contre, le traitement des formes qui dépendent d'une affection du cerveau ou de la moelle épinière, ou qui doivent leur origine à des causes inconnues, n'est presque jamais suivi de succès. § 5. Traitement. L'indication causale exige que, chez les personnes chlorotiques et ané- miques, on prescrive de bonne heure de fortes doses de fer. C'est com- mettre une grave erreur dans le traitement de la chlorose que de vouloir attendre, pour administrer les préparations ferrugineuses, que l'estomac ait été préparé, que les phénomènes de dyspepsie et les accès cardialgiques aient disparu. La dyspepsie et la cardialgie des chlorotiques cèdent le plus rapidement sous l'influence du remède qui améliore la composition du sang. Les cures de Pyrmont, de Dribourg, de Cudowa, ont une influence très-favorable sur cette maladie ; parmi les préparations officinales, nous recommandons en première ligne le saccharure de carbonate de fer. Une autre prescription excellente, ce sont les pilules de Blaud (voyez le traite- ment de la chlorose). Dans les cardialgies hystériques, l'indication causale peut exiger l'application de sangsues à l'orifice de la matrice, la cautérisa- tion avec le nitrate d'argent des ulcérations du col, et d'autres mesures que nous apprendrons à connaître en parlant des affections utérines ; ces moyens ont souvent un effet surprenant. Quant aux cardialgies dues à l'infection paludéenne et à la goutte, l'indication causale exige également le traitement de la maladie principale. V indication de la maladie demande avant tout l'emploi des narcotiques, et parmi ceux-ci l'acétate ou le chlorure de morphine mérite la préférence sur les extraits de jusquiame, de belladone, etc., également recommandés. Ordinairement on associe ces remèdes aux antispasmodiques, surtout à la valériane, à l'asa fœtida, au castoréum. Dans ces derniers temps on a sou- vent employé, et quelquefois avec succès, à ce qu'il paraît, un mélange à parties égales de teinture de noix vomique et de teinture de castoréum (à prendre 12 gouttes pendant l'accès). Les remèdes métalliques, surtout le sous-nitrate de bismuth, le nitrate d'argent, le cyanure de zinc, ont égale- ment été recommandés contre les crampes d'estomac; mais comme ils ne sont presque jamais employés seuls, mais toujours en combinaison avec les narcotiques, leur effet est problématique. Enfin, Romberg recommande, comme moyen adjuvant, de couvrir l'épigastre d'un emplâtre de bella- done ou d'un emplâtre de galbanum safrané (emplastrum de galbano crocatum), ou de faire dans cette résion des frictions avec un mélange de 30 grammes 630 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. de mixture oléoso-balsamique (baume de vie de Hoffmann) avec 8 grammes de teinture d'opium simple. CHAPITRE X. Dyspepsie. Dans les chapitres précédents nous avons parlé très-souvent de phéno- mènes dyspepsiques, c'est-à-dire de signes annonçant une digestion trou- blée. Si nous consacrons à la dyspepsie un chapitre spécial, nous ne voulons parler que des troubles digestifs qui surviennent sans modification appré- ciable de la structure de l'estomac. Les différentes formes de cette dyspepsie peuvent toutes se ranger en deux catégories. La digestion est troublée ou bien parce que le suc gastrique sécrété est de composition anormale, ou bien parce que les mouvements de l'estomac sont diminués et que, par consé- quent, les ingesta ne sont pas suffisamment imprégnés de suc gastrique. Les nerfs ne peuvent avoir d'autre influence sur la digestion, qui est un acte purement chimique, que de modifier la sécrétion ou les mouvements de l'estomac, ce n'est que dans ce sens qu'il est permis de parler de dyspepsie nerveuse . Le suc gastrique peut être anormal sous le rapport de la qualité ou de la quantité. Nous savons très-peu de choses sur ses modifications qualitatives. Il peut arriver que la proportion des éléments normaux soit changée (c'est ainsi que nous savons que la propriété dissolvante du suc gastrique est dimi- nuée lorsqu'il renferme une trop faible quantité d'acide libre), ou bien que le suc gastrique soit mélangé avec des substances étrangères (comme on l'a prouvé pour l'urée à la suite de la rétention d'urine) ; ou bien que, dans de certaines circonstances, la composition du suc gastrique soit tout à fait modi- fiée, que certaines parties constituantes fassent défaut et soient remplacées par d'autres. Les symptômes déterminés par les modifications qualitatives du suc gastrique nous sont complètement inconnus, et nous connaissons en- core moins les remèdes au moyen desquels on aurait à combattre ces diffé- rents états. Quant aux modifications quantitatives du suc gastrique, on a appelé très- improprement « faiblesse atonique de la digestion » les phénomènes mor- bides qui sont dus à une sécrétion trop peu abondante du suc gastrique ou à une trop faible concentration de ce liquide. Nous avons dit dans l'étiologie du catarrhe de l'estomac qu'on rencontrait chez les individus anémiques et chlo- rotiques une sécrétion trop faible ou une composition trop fluide du suc gas- trique; nous avons exposé que cette anomalie augmentait la prédisposition au catarrhe de l'estomac, parce que les ingesta subissaient facilement des dé- DYSPEPSIE. 631 compositions anormales, dont les produits exerçaient une irritation considé- rable sur la muqueuse de l'estomac. Nous devons ajouter à ce que nous avons dit sur ce sujet, que la muqueuse gastrique est loin d'être affectée dans tous les cas où le contenu de l'estomac subit des décompositions anor- males, et qu'il faut complètement séparer les cas où la muqueuse de l'esto- mac reste saine de ceux où elle tombe malade. Les symptômes qui se déve- loppent à la suite d'une sécrétion amoindrie du suc gastrique, souvent, il est vrai, ressemblent beaucoup à ceux qui s'observent dans le catarrhe chro- nique, et même à ceux qui appartiennent à l'ulcère chronique de l'estomac. Dans cette forme de dyspepsie l'appétit est également diminué, ou bien le sentiment de satiété se prononce déjà après l'introduction d'une faible quan- tité d'aliments. L'épigastre se gonfle quelque temps après le repas, il y a des renvois de gaz ou de liquides acides et rances; les malades se plaignent de flatulence, et leur état les rend de mauvaise humeur et les inquiète. En de- hors des cardialgies nerveuses qui s'observent chez des sujets anémiques et chlorotiques, la production excessive d'acidités peut donner lieu à des dou- leurs constrictives dans la région de l'estomac (Frerichs trouva dans les ma- tières vomies par les chlorotiques de l'acide acétique et de grandes quantités d'algues de ferment); c'est précisément dans ces cas qu'on peut se tromper et. croire à un ulcère chronique de l'estomac. — Le diagnostic de la forme de dyspepsie en question doit avant tout se baser sur l'étiologie. Si les sym- ptômes décrits se rencontrent chez des jeunes filles chlorotiques, à l'âge du développement, chez des individus affaiblis par des excès vénériens, surtout par l'onanisme, chez des personnes épuisées par le chagrin et les soucis, par un travail exagéré, par des veilles, ou bien s'ils se montrent dans la conva- lescence de maladies longues et épuisantes, si, avant tout, on peut constater que la nutrition générale avait été troublée avant l'irrégularité des fonctions digestives, on doit admettre l'existence de ce qu'on a appelé faiblesse ato- nique de la digestion,, et l'on peut écarter l'idée d'une modification de struc- ture de l'estomac. — L'état de la langue fournit également un point de repère pour le diagnostic. Dans le catarrhe chronique de l'estomac on voit la langue chargée et l'on constate encore d'autres signes du catarrhe, tandis que dans la dyspepsie des sujets anémiques la langue est le plus souvent nette, le goût n'est pas modifié, et il n'y a pas de fétidité de l'haleine. — Dans beaucoup de cas le diagnostic ne peut être établi que d'après l'effet des médicaments. Les substances épicées et excitantes qui aggravent les sym- ptômes du catarrhe chronique et de l'ulcère chronique, sont bien supportées dans la faiblesse atonique de la digestion et modèrent les symptômes pénibles dont elle est accompagnée. Un genre de vie qui améliore la nutrition, l'usage de préparations ferru- gineuses, les bains de mer, toutes mesures qui n'exercent qu'une faible in- fluence sur la marche du catarrhe chronique ou de l'ulcère chronique de 632 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. l'estomac, sont d'un effet surprenant dans les dyspepsies dépendant de l'ané- mie ou de l'hydrémie. Dans quelques cas qui appartiennent à cette catégorie, surtout dans ceux où la dyspepsie est compliquée d'une grande irritabilité ou sensibilité de l'estomac, les amers purs, surtout le quassia et le houblon, rendent les meilleurs services. Ces remèdes, qui sont de forts excitants des nerfs du goût, mais qui, appliqués sur les autres muqueuses et sur la peau, ne manifestent leur présence par aucun phénomène particulier, exercent une influence évidente, quoique inconnue dans son essence, sur la muqueuse de l'estomac, et modifient souvent d'une manière très-heureuse les états dys- pepsiques. Le quassia se prescrit généralement sous la forme d'une macé- ration à froid. Le soir on fait mettre une cuillerée à café de bois de quassia, coupé en petits morceaux, dans une tasse d'eau froide, et le lendemain matin le malade retire le quassia et boit à jeun cette infusion devenue très-amère; on peut aussi se servir d'une coupe faite en bois de quassia, on la remplit d'eau froide qu'on y laisse séjourner pendant quelque temps. La matière amère du houblon se prescrit le plus souvent sous forme de bière de Bavière comme on la trouve presque partout aujourd'hui; évidemment cette bière doit provenir d'une brasserie honnête, où l'on n'emploie pas, au lieu du houblon, des succédanés nuisibles à la santé. Dans beaucoup de cas de dys- pepsie présentant les caractères de la faiblesse irritable de la digestion, on retire des avantages marqués de l'extrait de malt renfermant beaucoup de houblon, extrait dont il a été déjà question antérieurement. Quelquefois c'est presque la seule nourriture supportée par les malades. Il est probable que les préparations de noix vomique, qui ont également la réputation d'être d'excellents stomachiques, comme les remèdes susnommés, agissent prin- cipalement aussi par leur amertume. Les préparations les plus usitées dans ces états dyspepsiques sont l'extrait aqueux (2 1/2 centigrammes à 5 centi- grammes par dose), l'extrait alcoolique (1 à 3 centigrammes par dose), et la teinture de noix vomique (10 à 12 gouttes par dose). En second lieu, chez des individus dont la muqueuse gastrique a été émoussée par l'usage longtemps continué de forts irritants, on observe une sécrétion trop faible du suc gastrique et les symptômes qui en dépendent, chaque fois qu'ils modifient leur genre de vie et prennent leurs aliments sans y ajouter des irritants énergiques. Si nous ne pouvons pas nous expliquer le phénomène de l'accoutumance d'un organe à tel ou tel irritant, il n'en est pas moins vrai que ce phénomène existe. La muqueuse stomocale d'in- dividus qui prennent journellement de grandes quantités de poivre, de mou- tarde et d'autres irritants, peut très-bien être comparée à la muqueuse nasale d'individus qui ont contracté l'habitude de priser. On sait que la plus petite quantité de tabac à priser fait éternuer les individus qui ne sont pas priseurs, iandis que ces derniers peuvent se bourrer le nez de tabac sans éternuer. De même, la sécrétion du suc gastrique doit être considérée comme un phéno- DYSPEPSIE. 633 mène réflexe, provoqué par l'irritation que les ingesta exercent sur la mu- queuse stomacale. Chez les individus en question l'irritation déterminée par les aliments ordinaires ne suffit pas pour provoquer une suffisante élaboration du suc gastrique. Une partie des ingesta reste sans être dirigée, se décom- pose et donne lieu à tous les symptômes que nous avons décrits plus haut. Lorsqu'ils prennent, au contraire, des aliments fortement assaisonnés, ces individus se portent très-bien, leur nutrition s'accomplit suffisamment, et rien ne nous autorise à admettre qu'ils soient affligés d'un catarrhe de l'estomac ou d'autres lésions de cet organe, jusqu'à ce que finalement il se développe des symptômes qui prouvent que l'estomac n'a pas supporté sans incon- vénient ces irritations répétées. — Dans le traitement de ces personnes, il faut agir avec une grande prudence ; on ne doit pas leur permettre de conserver leurs mauvaises habitudes, et cependant il ne faut les leur faire perdre que petit à petit. Si l'on s'écarte de l'un ou de l'autre de ces principes, il se déve- loppe facilement des catarrhes ou d'autres affections de l'estomac. Parmi les remèdes stomachiques qui sont indiqués contre cette dernière forme de la dyspepsie, qu'on désigne également sous le nom de faiblesse torpide de la digestion, nous avons à nommer avant tout la rhubarbe. On la prescrit à l'état de poudre ou de pilules ou bien de teinture aqueuse de rhu- barbe, mais avant tout à l'état de teinture vineuse (la première à la dose d'une cuillerée à café, la seconde à la dose de 20 ou 30 gouttes). Un médi- cament qui s'est également acquis une certaine réputation contre la dyspep- sie torpide, surtout parmi les médecins anglais, c'est l'ipécacuanha (par doses de 2 à -3 centigrammes). Enfin, contre la faiblesse atonique de la digestion, on se sert également des amers, surtout de ceux qui renferment des huiles essentielles. Une des prescriptions les plus usitées estl'élixir d'oranges com- posé, à la dose de 30 à kO gouttes. La dyspepsie des vieillards semble également dépendre d'une diminution de sécrétion du suc gastrique, diminution qui peut provenir soit de l'ab- sence des matériaux nécessaires pour l'élaboration de ce liquide, soit d'une excitabilité insuffisante des nerfs de l'estomac. Il est difficile de décider quel rôle peut jouer la mauvaise nutrition des fibres musculaires de cet organe dans la production de l'une ou de l'autre forme de la dyspepsie, et qu'il nous suffise de faire encore une fois remarquer que l'arrêt des mouvements de l'es- tomac pai nutrition incomplète de ses muscles, peut avoir pour conséquence le mélange insuffisant des ingesta avec le suc gastrique, et par conséquent la dyspepsie. Une augmentation anormale de la sécrétion du suc gastrique ne détermine pas une dyspepsie proprement dite ; cependant nous essayerons de décrire les symptômes qui paraissent se produire sous l'influence d'une sécrétion trop abondante de ce liquide, surtout pendant la vacuité de l'estomac. On remarque que des irritations qui n'atteignent pas la paroi stomacale elle- 634 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. même, mais des organes voisins, surtout les uretères, le canal cholédoque, ou même des organes plus éloignés, par exemple l'utérus, sont suivies de vomissements. On fait dériver généralement ces vomissements de mouve- ments réflexes. Cependant Budd fait remarquer fort judicieusement que dans ces cas il y a en même temps surexcitation réflective des nerfs qui pré- sident à l'élaboration du suc gastrique. Ainsi, Spallanzani, en excitant sur lui-même le vomissement par la titillation de la luette pendant qu'il était à jeun, rejetait un liquide à réaction acide qui dissolvait la viande. Rudd fait remarquer en outre qu'en cas d'étranglement de calculs biliaires ou ré- naux, les matières rejetées par le vomissement sont souvent très-acides, alors même que l'estomac est complètement vide avant le vomissement, et que l'acide contenu dans ces matières a été reconnu par Prout pour de l'acide chlorhydrique. Cette circonstance et le soulagement rapide qui succède dans ces cas à l'administration des alcalins font supposer à Budd que les douleurs et même les vomissements viennent en partie du suc gastrique versé dans l'estomac vide. Toujours est-il que la recommandation pressante de Budd et de Prout, de prescrire en cas de coliques néphrétiques ou hépatiques de fortes doses de bicarbonate de soude (8 grammes sur un demi-litre d'eau chaude), mérite d'être prise en sérieuse considération. Plusieurs médecins d'un grand renom, surtout en France et en Angle- terre, partagent l'opinion que la présence de l'acide oxalique dans le sang produit, entre autres phénomènes morbides, une dyspepsie particulière, et que le seul moyen de guérir cette dyspepsie consiste à débarrasser l'orga- nisme de cette diathèse oxalique. La doctrine de la diathèse oxalique ayant aussi trouvé, dans ces derniers temps, plusieurs partisans en Allemagne et y étant vivement combattue par d'autres, je veux exposer en peu de mots ma manière devoir dans cette question litigieuse. Des traces d'oxalate de chaux se rencontrent si souvent dans l'urine des individus sains, que ce sel forme, en quelque sorte, la transition des éléments normaux aux éléments anormaux de l'urine. Des quantités plus considérables de ce sel se rencontrent dans l'urine quand les individus ont fait usage d'aliments qui renferment des oxalates, tels que certains légumes, entre autres l'oseille, les tiges de rhubarbe, etc. Enfin, d'assez fortes quantités d'oxalate de chaux peuvent encore se rencontrer passagèrement dans l'urine des individus qui viennent de boire de fortes quantités de liquides renfermant de l'acide carbonique, tels que vin de Champagne, eau gazeuse, etc. Dans tous ces cas, on n'observe aucun trouble (Je la digestion ni de l'état général. Il en est tout autrement lorsque des quantités notables d'oxalate de chaux se rencontrent dans l'urine pendant plus ou moins longtemps. Dans ces cas on observe presque toujours encore d'autres phénomènes morbides. Chez cer- tains malades, on rencontre dans l'urine, outre l'oxalate de chaux, dessper- DYSPEPSIE. 635 matozoaires et d'assez fortes quantités de mucus, condition qui fait supposer que dans ces cas l'oxalate de chaux n'a pas été éliminé par les reins, mais qu'il s'est formé dans l'urine pendant le séjour de celle-ci dans les voies urinaires. Depuis que Gallois et Hoppe-Seyler ont constaté qu'assez souvent les cristaux caractéristiques de l'oxalate de chaux (octaèdres carrés) s'agran- dissent lorsque l'urine reste exposée plus ou moins longtemps à l'air, il n'y a plus de doute que l'oxalate de chaux peut aussi se former dans l'urine sé- crétée, probablement par la décomposition du mucus. L'idée que ce sel insoluble, ne s' étant ainsi formé que dans les voies urinaires, puisse exercer une influence fâcheuse sur l'estomac et le reste de l'organisme, doit évidem- ment être repoussée et les phénomènes morbides qui se produisent clans cette forme de l'oxalurie, tels que perturbation de l'état général, humeur mélancolique, pâleur, etc., s'expliquent sans difficulté par la présence simultanée delà spermatorrhée et du catarrhe des voies urinaires. — Enfin, il existe cependant un nombre de cas assez considérable où l'oxalurie ne peut être rationnellement attribuée à une décomposition de l'urine sécrétée, où nous sommes au contraire forcés d'admettre que l'apparition de l'oxalate de chaux dans l'urine dépend d'une formation augmentée de ce sel dans le sang, d'une diathèse oxalique. Quelles sont donc les conditions d'où dépen- dent la production plus considérable de ce sel dans le sang et les quantités assez fortes que l'on en trouve dans les produits excrémentitiels du corps qui, à l'état normal, n'en laissent apercevoir que des traces? 11 n'est pas possible, pour le moment, de donner une réponse satisfaisante à cette ques- tion. Il n'en est pas moins remarquable cependant qu'en Angleterre, où l'on se nourrit plus copieusement et mieux qu'en Allemagne, l'oxalurie se ren- contre incontestablement plus fréquemment que dans ce pays, et qu'en Allemagne même elle existe, pour ainsi dire, exclusivement chez les indivi- dus appartenant aux classes supérieures de la société qui s'adonnent aux plaisirs de la table. Quoique peu amateur des hypothèses physiologiques et chimiques, je crois cependant que cette observation permet de conclure qu'il y a un lien de causalité entre la diathèse oxalique et l'oxalurie, d'une part, et cette ingestion de matériaux nutritifs disproportionnée avec les besoins du corps, d'autre part. Je ne veux pas discuter ici la question de savoir si, à raison de cette disproportion, la combustion des matériaux a dû rester incomplète et s'est arrêtée à un degré d'oxydation inférieur, ou bien si cette augmentation des produits excrémentitiels d'oxydation moins avan- cée, tels qu'acide oxalique, acide urique, etc., dépend d'autres conditions plus complexes et encore inconnues. Je crois pouvoir exprimer l'opinion qu'en général les individus qui, en s' adonnant à la bonne chère, prennent de l'obésité, restent plus sains que ceux qui, dans les mêmes conditions, produisent peu de graisse, et surtout plus sains que ceux qui, en continuant leur genre de vie, perdent leur embonpoint. Tandis qu'en général, les uns «36 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. ne se plaignent que de certains embarras qui dépendent du trop d'embon- point, les autres accusent toutes sortes de souffrances que les médecins ont l'habitude d'attribuer à des stases sanguines du système de la veine porte ou à des hémorrhoïdes, ou qu'ils font dépendre d'affections goutteuses rhuma- tismales ou catarrhales. Cette observation rend probable que, dans beaucoup de cas, lorsque la disproportion mentionnée entre l'apport et le besoin n'est pas, en quelque sorte, réparée par une augmentation de la production de graisse, les produits de désassimalation subissent des modifications, et que les souffrances mentionnées plus haut dépendent d'une altération de la nutrition des divers organes par un sang chargé de produits excrémentitiels, anormaux sous le rapport de la quantité aussi bien que sous celui de la qualité. — Après avoir, depuis un temps plus ou moins long, souffert d'hypochondrie, d'em- barras gastrique, de catarrhes du pharynx et des bronches, de douleurs arti- culaires, surtout dans les petites articulations, phénomènes morbides dont tantôt les uns tantôt les autres deviennent prédominants ou se montrent à l'exclusion des autres, les individus en question perdent les forces, pâlissent et maigrissent, et portent sur leur extérieur les traces d'une grave atteinte de l'économie. L'urine, en général concentrée et très-acide, ne montre pas toujours des modifications caractéristiques. Mais, dans la plupart des cas, elle dépose, de temps en temps, des sédiments abondants, composés d'urates. D'après mon expérience, un régime fortifiant, l'administration du vin, des préparations ferrugineuses et du quinquina, que la faiblesse, la pâleur et la maigreur des individus paraissent indiquer, sont presque toujours nuisibles dans ces cas, tandis que l'usage des eaux alcalines et salines, surtout quand on ajoute à ce traitement des lotions à l'eau froide et des douches froides (comme cela est beaucoup pratiqué par le docteur Mûller, à Hombourg), ou qu'on envoie les malades à un bain de mer pour achever le traitement, produit d'excellents résultats. — Je ne f possède pas sur l'oxalurie et sur la diathèse oxalique une expérience extrêmement étendue, mais les cas qui se sont présentés à mon observation se rattachent intimement à ceux dont je viens de retracer le tableau, sans que pour cela je prétende identifier les deux affections : mêmes conditions étiologiques, mêmes souffrances ne se rapportant exactement à aucune des formes morbides qu'on est habitué à voir figurer dans les cadres nosologiques, même affaissement, même pâ- leur, même amaigrissement. La seule différence appréciable, c'est que l'urine, également acide et fortement saturée, renferme des cristaux d'oxa- late de chaux et non des sédiments d'urates. Il me semble donc parfaite- ment rationnel de considérer comme le résultat d'une anomalie générale de la constitution la dyspepsie qui, dans la diathèse dite oxalique, fait partie du cortège des symptômes de cette affection, anomalie de constitution qui, chez les individus prédisposés, se développe sous l'influence d'un régime trop succulent. Parmi les processus si nombreux qui se passent entre l'as- DYSPEPSIE. 637 similation des matériaux nutritifs et l'élimination des éléments devenus inutiles, celui qui s'altère le premier et donne ainsi lieu à la formation de produits anormaux sous le rapport de la quantité et de la qualité, nous est encore complètement inconnu pour le moment. Le traitement de la dyspepsie, dépendant d'une diathèse oxalique, doit être le même que celui dont j'ai signalé plus haut l'utilité contre des états pathologiques analogues quoique non identiques à cette diathèse1. L'acide nitrochlorhydrique (eau régale), préconisé par les médecins anglais contre la diathèse oxalique (20 gouttes deux ou trois fois par jour), et la défense de se servir d'aliments sucrés me semblent fondés sur des suppositions théo- riques plutôt que sur les résultats de l'expérience. Je ne veux pas en finir avec la dyspepsie, sans parler d'un phénomène assez commun, mais très-singulier et difficile à comprendre ; j'entends une forme particulière du vertige, appelée par Trousseau : vertigo à stomacho lseso, vertige stomacal, parce qu'il la faisait dépendre directement d'une ano- malie digestive. Il n'y a guère de praticien ayant une clientèle tant soit peu étendue, qui ne soit à même d'y rencontrer quelques exemples se rapportant exactement à ce tableau si plein de vie et de vérité que nous a laissé le cli- nitien de l'Hôtel-Dieu. La maladie très-longue et très-opiniâtre, débute sans prodromes, d'une manière tout à fait aiguë : les malades qui, un instant au- paravant, se sentaient parfaitement à leur aise, accusent un violent vertige, il leur semble que les objets qui les entourent et eux-mêmes se mettent à tourner ou à osciller sur leur base. A cette hallucination se joignent ordinai- rement des sensations anormales dans la tête, que les malades disent expres- sément ne pas pouvoir appeler des douleurs, mais qu'ils cherchent en vain à désigner par une expression convenable. Ils diront, par exemple, que leur tête est vide ou embrouillée; d'autres parlent d'une pression, d'une pesan- teur vague, d'un nuage qui semble leur monter à la tête; à cela s'ajoutent des éblouissements, des bourdonnements d'oreilles, les malades ont peur de tomber, ils cherchent un appui, demandent à s'asseoir ou à se coucher. Cet accès, pendant lequel la peau du visage ne change pas de couleur, ou devient au contraire plus pâle, se passe ordinairement au bout de quelques minutes, pendant lesquelles les malades et leur entourage ont éprouvé les plus cruelles inquiétudes. Souvent, mais non toujours, la fin de l'accès est accompagnée de bâillements et de renvois répétés. Il n'est pas impossible que tout se borne à ce premier accès; mais beau- coup plus souvent il arrive que des accès pareils se répètent à des intervalles plus ou moins longs. Un fait très-remarquable, c'est que de nouveaux accès sont provoqués par des causes en apparence très-insignifiantes, par exemple, 1 La présence de l'oxalate de chaux dans les produits excrémentitiels constitue la seule différence, ce sel ne se rencontrant que dans la diathèse oxalique. 638 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. la marche sur un parquet bien luisant, sur un trottoir uni., le passage à côté d'une grille; d'un autre côté^ il y a lieu de s'étonner que les malades échappent, dans ces occasions,- au vertige s'ils tiennent une autre personne, même un faible enfant, à la main, ou s'ils s'appuient sur la plus légère ba- guette, ou s'ils sont occupés d'un objet qui attire à lui toute leur attention, ou bien s'ils sont sous le coup d'une émotion. J'ai connu un malade qui à aucun prix n'aurait voulu traverser seul un salon ou passer à pied sur une place, tandis qu'il dansait sans difficulté dans le même salon ou traversait sans hésiter la place sur un cheval fougueux. Plus la maladie se prolonge, plus cet état singulier absorbe toute l'attention des malades. La crainte d'avoir une maladie du cerveau les abat profondément, surtout lorsqu'ils apprennent que d'autres malades, qui ont réellement succombé à une maladie cérébrale, par exemple à un ramollissement, ce spectre redouté des gens du monde, ont également été frappés de vertiges. Les médecins eux-mêmes s'y laissent souvent tromper et prescrivent des émissions san- guines, des dérivatifs, des préparations iodées, des eaux minérales salines, en même temps qu'ils défendent l'usage du vin et de la bière et ordonnent un régime sévère. Si ce traitement reste sans effet et qu'en le suivant les ma- lades deviennent pâles et maigres, les médecins changent souvent d'avis; ils supposent alors que le vertige est dû à une anémie cérébrale, prescrivent des préparations ferrugineuses, permettent l'usage du vin et de la bière et recommandent au malade un régime nourrissant et animal. Mais ce traite- ment échoue également ; de même, les individus reviennent, sans amélio- ration, des Alpes, des établissements hydrothérapiques, des bains de mer. Trousseau, comme je l'ai dit plus haut, était d'avis que ces accès de vertige avaient pour cause un état de dyspepsie, il reconnaît cependant que les signes de dyspepsie sont très-insignifiants dans un grand nombre de cas et passent facilement inaperçus. Il cite des cas de guérison du vertige stomacal par l'administration alternative d'une macération de quassia et d'un mélange de carbonates alcalins. Encore ces remèdes ne m'ont donné aucun résultat et si je suis forcé de convenir que les premiers accès de vertige dont les individus étaient saisis se montraient en général à la suite d'une indigestion et étaient accompagnés d'accidents dyspepsiques ; il n'en est pas moins vrai que dans aucun des accès suivants, parfaitement analogues au premier, et. se répétant souvent pendant des années, on ne pouvait constater des signes évidents de troubles digestifs. Je crois que larépétitiondes accès vertigineux est d'origine psychique. Nous voyons des hommes qui sont pris de vertige toutes les fois qu'ils se trouvent au bord d'un précipice ou sur une tour élevée; et celui qui, dans une occasion semblable, a eu un premier accès en aura presque infailliblement un nouveau quand il sera placé dans les mêmes conditions; de même, un individu qui, une ou plusieurs fois, a été saisi de vertige dans sa chambre ou en passant sur une place publique, court DYSPEPSIE. 639 le plus grand danger d'éprouver le même accident dans des conditions pareilles. La crainte du vertige est une cause qui contribue beaucoup à le provoquer dans la forme morbide en question, aussi bien que chez les indi- vidus qui en sont saisis sur une hauteur 'escarpée. L'attention longtemps soutenue sur un objet, une émotion psychique, même une légère ivresse, mettent au contraire, jusqu'à un certain point, à l'abri des deux genres de vertige. Un exemple qui me semble venir entre autres à l'appui de ma ma- nière de voir, c'est l'observation d'un pasteur qui, dans son église, fut saisi d'un violent vertige au moment où il allait monter en chaire et tomba à terre. Ce malade n'a eu, dans l'espace de plusieurs années consécutives, pendant lesquelles j'ai eu l'occasion de l'observer, aucun nouvel accès assez violent pour le faire tomber à terre; mais depuis le premier vertige il n'est plus jamais monté en chaire. Car, deux ou trois fois, en l'essayant, il crut sentir les premiers signes de l'ancien accès, ce qui le détermina à y renoncer définitivement; il dut se démettre de sa charge, tout comme le gardien d'une tour ou un couvreur serait forcé de se démettre de la sienne, si un ou deux forts accès de vertige le surprenaient dans l'exercice de ses fonctions. CINQUIÈME SECTION MALADIES DU CANAL INTESTINAL CHAPITRE PREMIER Inflammation catarrhale de la muqueuse intestinale. — Entérite catarrhale. — Catarrhe intestinal. § 1. Pathogénie et étiologie. Sur la muqueuse intestinale, comme ailleurs, le catarrhe est la suite constante de toute hypérémie, que la turgescence vasculaire se soit pro- duite d'une manière purement mécanique ou sous l'influence d'autres in- fluences nuisibles. Au début de la maladie et dans les cas aigus, l' hypéré- mie détermine de préférence une transsudation surabondante d'un liquide pauvre en albumine et d'un goût salé ; aux périodes ultérieures et dans les cas chroniques, elle ne donne, au contraire, lieu qu'à une production abon- dante de mucus et de cellules. Le catarrhe aigu et surtout le catarrhe chronique de l'intestin comptent parmi les maladies les plus fréquentes. 1° Le catarrhe intestinal accompagne constamment les obstacles à la circu- lation dans le foie. L'arrivée incomplète du sang dans la veine porte doit né- cessairement donner lieu à la distension et à l'engorgement des voies in- testinales et par conséquent aussi au catarrhe de l'intestin. 2° Le catarrhe intestinal se joint souvent, mais moins constamment, aux maladies déjà mentionnées des organes de la respiration et de la circulation ayant pour effet une dêplêtion incomplète des veines caves. La stase veineuse qui, à la suite de ces états, se développe dans toute la grande circulation se produit nécessairement dans la muqueuse intestinale ; l'hypérémie et le ca- tarrhe de l'intestin représentent donc dans ces cas jusqu'à un certain point la cyanose de la muqueuse intestinale. 3° 11 est plus rare qu'un trouble de la circulation périphérique donne lieu INFLAMMATION CATARRHALE DE LA MUQUEUSE INTESTINALE. 641 à une hypérémie fluxionnaire et à un catarrhe de la muqueuse intestinale. Dans cette catégorie on doit ranger les hypérémies intenses de l'intestin qui se produisent à la suite des inflammations étendues de la peau, détermi- nées par de vastes brûlures, et ces hypérémies si subites et si passagères de l'intestin, accompagnées de transsudations séreuses abondantes, comme elles se développent sous l'influence d'une température basse venant subite- ment frapper la peau, ainsi que cela se voit, par exemple, pendant les voyages dans les hautes montagnes (Bidder et Schmidt). Nous n'oserions affirmer qu'il y eût également lieu de compter dans cette catégorie les catarrhes dus à un refroidissement des pieds et du bas-ventre, catarrhes qui durent beau- coup plus longtemps que l'action de la cause qui les a fait naître, enfin ces catarrhes chroniques de l'intestin qui se développent sous l'influence d'un climat froid et humide. k° Nous devons aussi considérer comme la conséquence d'une hypérémie fluxionnaire intense ce catarrhe si violent de la muqueuse intestinale qui souvent se développe dans la péritonite et surtout dans la péritonite puer- pérale. L'inflammation intense du revêtement séreux entraîne dans ces cas un œdème du tissu sous-séreux, de la musculeuse, du tissu sous-mu- queux et de la muqueuse intestinale elle-même. Un œdème de ce genre se rencontre toujours dans le voisinage des troubles inflammatoires de la circulation, et nous l'avons à diverses reprises désigné du nom d'œdème collatéral ou d'œdème par fluxion collatérale. Cet œdème explique facile- ment les diarrhées aqueuses qui, malgré la paralysie de la musculeuse, accompagnent si souvent la péritonite. 5° Une fluxion vers les capillaires intestinaux avec transsudation séreuse consécutive semble également être la cause des diarrhées provoquées par les émotions. Pour ces cas nous sommes forcé d'admettre que les vais- seaux afférents sont dilatés par une influence nerveuse, et cette hypothèse a au moins gagné quelque vraisemblance depuis que. Budge a vu constam- ment survenir la diarrhée chez des lapins auxquels il avait extirpé le gan- glion cœliaque. 6° Dans les cas les plus nombreux, l'hypérémie et le catarrhe de là muqueuse intestinale sont une suite d'irritations locales. Comme telles, il faut considérer la plupart des purgatifs ; car il en est bien peu qui purgent par voie d'endosmose en appelant, sans hypérémie et simplement comme solutions salines concentrées, sur la muqueuse intestinale une diffusion surabondante ■de liquides venant des vaisseaux intestinaux. — Il arrive beaucoup moins souvent qu'on l'admettait autrefois que le catarrhe de l'intestin est pro- voqué par un épanchement surabondant de bile. Il ne dépend pas non plus très-fréquemment de la présence de parasites dans l'intestin. — Il faut encore compter dans cette catégorie les catarrhes qui naissent après l'inges- tion de substances non médicamenteuses, telles que certains fruits, et avant NIEMETER. I — 4l 642 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. tout les catarrhes intestinaux provoqués par le passage de matières non digérées et en voie de décomposition de l'estomac dans l'intestin (voyez Yëtio- logie du catarrhe de l'estomac). — Extrêmement souvent les catarrhes intesti- naux sont déterminés par la rétention des matières fécales. Quand ces matières restent longtemps arrêtées à un endroit quelconque de l'intestin, elles subissent des décompositions anormales et il se forme des produits qui exercent une action très-fâcheuse et très-irritante sur la muqueuse intestinale. Yirchow est le premier qui ait appelé l'attention sur la fré- quence de la péritonite partielle et sur les changements de situation, les tiraillements et les flexions anguleuses de l'intestin qui en sont la consé- quence. Ces lésions consécutives sont dans bien des cas la cause de la con- stipation habituelle ; et plus d'un de ces malaises chroniques, que l'on se contente d'appeler un embarras chronique de l'abdomen, dépend unique- ment d'un tiraillement et d'un rétrécissement du tube intestinal, d'un dé- gagement de gaz provenant des matières fécales en décomposition, des ca- tarrhes consécutifs de l'intestin. 7° A de certaines époques les catarrhes intestinaux se multiplient sous l'influence de causes inconnues que l'on désigne, sans les connaître, sous le nom de génie épidémique gastrique. Enfin, dans un grand nombre de cas, le catarrhe de l'intestin n'est que le symptôme d'une maladie générale. On peut le provoquer artificiellement chez les animaux en leur injectant des substances en voie de putréfaction dans les veines (Stich), il accompagne constamment la fièvre typhoïde et constitue le symptôme le plus important du choléra asiatique. Cette forme symptomatique et le catarrhe qui s'ajoute aux ulcérations et aux dégéné- rescences de l'intestin seront exposés plus loin. § 2. Anatomie pathologique. Le catarrhe envahit rarement le tube intestinal dans toute sa longueur. Le plus souvent il se présente dans le gros intestin, moins souvent dans l'iléon et le plus rarement dans le jéjunum et le duodénum. — Les altéra- tions anatomiques qui correspondent au catarrhe aigu de l'intestin consistent en une rougeur de la muqueuse tantôt pâle, tantôt foncée, tantôt diffuse, tantôt bornée exclusivement aux environs des glandes solitaires ou de Peyer; en même temps la muqueuse est gonflée, relâchée, plus facile à déchirer, et le tissu sous-muqueux est infiltré de sérosité. Quelquefois l'injection a entièrement disparu après la mort et la muqueuse se montre pâle et exsangue. Une lésion presque constante du catarrhe aigu de l'intestin c'est le gon- flement de* glandes solitaires et de Peyer, qui proéminent manifestement au-dossus du niveau de la muqueuse. Ordinairement on trouve aussi une INFLAMMATION CATARRHALE DE LA MUQUEUSE INTESTINALE. 643 hypérémie et une certaine augmentation de volume des ganglions mësenté- riques. Le contenu de l'intestin consiste au commencement en un liquide séreux, abondant, mêlé de cellules épithéliales détachées et de jeunes cellules, plus tard en un mucus peu abondant, trouble, qui adhère à la paroi et qui renferme également des débris épithéliaux. Dans le catarrhe chronique la muqueuse est plutôt colorée en brun rouge ou en gris d'ardoise ; elle paraît boursouflée et forme quelquefois, surtout dans le rectum, des saillies polypeuses. Les follicules agrandis proéminent généralement sous forme de nodosités blanches, et d'une manière encore plus évidente que dans le catarrhe aigu, au-dessus de la surface couverte d'une mucosité visqueuse, grise ou puriforme. Quelquefois, quoique plus rarement que dans l'estomac, il se développe aussi dans le catarrhe chronique de l'intestin une hypertrophie de la musculeuse pouvant donner lieu à un rétrécissement analogue au rétrécissement simple du pylore. Dans quelques cas l'inflammation catarrhale offre une sorte de transition à la forme diiphthéritique. Sur la muqueuse fortement rougie, il se forme alors des eschares plates qui la font ressembler à une surface saupoudrée de son. Après l'élimination des eschares il reste des érosions superficielles, légère- ment saignantes. Ce genre d'altération, qui se rencontre presque exclusive- ment dans la partie inférieure du gros intestin et dans le rectum, et qui se développe dans ces parties sous l'influence d'une accumulation de matières fécales, correspond au tableau clinique de la dysenterie catarrhale légère. Les formes intenses du catarrhe intestinal peuvent entraîner des ulcérations; aussi trouve-t-on dans l'intestin l'ulcère catarrhal diffus aussi bien que l'ulcère folliculaire. Les ulcères catarrhaux diffus naissent à la suite d'une inflammation aiguë et plus souvent encore d'une inflammation chronique, sur laquelle est venue se greffer une inflammation aiguë. Des corps étrangers ou des matières fécales retenus dans l'intestin sont les causes les plus communes de ces ulcères. Ils se forment par conséquent le plus souvent à des endroits où les matières fécales ont le plus de tendance à s'arrêter : dans le caecum et dans le côlon ascendant (typhlite stercorale), dans l'appendice vermiculaire, ensuite dans le rectum aussi bien que dans le côlon, au-dessus des endroits rétrécis ou fortement tendus. — La muqueuse colorée en rouge foncé et tuméfiée se ramollit et se désagrège par une formation de pus dans son épaisseur; il se produit une perte de substance qui met à nu le tissu sous-muqueux ou la musculeuse. Si l'ulcère guérit à cette période la perte de substance se remplit de granulations et laisse à sa suite une cicatrice dure, rétrécissant presque toujours l'intestin. Dans d'autres cas la musculeuse et la séreuse sont détruites à leur tour et l'intestin se perfore. Pendant que la destruction avance de dedans en dehors il peut se développer une péritonite partielle qui empêche l'épanchement des matières intestinales dans la cavité de l'abdomen par les 644 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. adhérences qui se forment entre la partie malade et les anses intestinales du voisinage. Ce processus s'observe le plus souvent en cas de perforation de l'appendice vermiculaire. Un accident qui s'observe presque aussi souvent que la péritonite dans les inflammations et ulcérations du caecum et de l'appendice vermiculaire connues sous le nom de typhlite stercorale, c'est l'inflammation phlegmoneuse du tissu cellulaire lâche qui fixe le caecum et le côlon ascendant contre le fascia iliaca, inflammation à laquelle on a donné le nom de pèrityphlite. Cette affection sera l'objet d'un chapitre spécial parce qu'elle peut aussi se développer d'une manière indépendante. La deuxième forme de l'ulcération catarrhale, Yulcére folliculaire, se montre presque exclusivement dans le gros intestin et surtout dans la partie infé- rieure de ce canal. Elle y produit de vastes destructions et se distingue par la faible réaction que la muqueuse montre dans les environs de l'ulcère. D'après l'excellente description de Rokitansky cet ulcère prend naissance de la manière suivante : au commencement, les follicules sont considérablement tuméfiés et entourés d'une couronne vasculaire d'un rouge foncé, plus tard l'ulcération se déclare dans leur intérieur, le foyer purulent rompt la mince pellicule qui le recouvre, et il se montre un petit abcès folliculaire ayant des parois rouges, tapissées de petites granulations fongueuses, et une ouverture petite et à bords frangés. Pendant que le travail d ulcération est en voie de détruire tout le follicule, l'hypérémie de la muqueuse environnante se perd et cette membrane prend une teinte pâle ou ardoisée ; l'ulcère présente alors les dimensions d'une lentille, il est rond ou ovale. Bientôt l'ulcération gagne aussi la muqueuse environnante, la forme ronde de l'ulcère s'efface, il offre une grande surface irrégulière; quelquefois, dans une grande étendue de l'intestin, il ne reste plus de la muqueuse que des îlots ou des festons isolés et partout ailleurs le tissu sous-muqueux ou musculaire est mis à nu. Dans l'intestin on trouve le plus souvent des matières demi-liquides, floconneuses et grumeleuses, colorées en gris rouge et mêlées d'aliments non digérés. § 3. Symptômes et marche. Dans le catarrhe aigu de l'intestin, le mouvement péristaltique est accéléré en même temps que la transsudation séreuse s'opère. C'est pourquoi les selles sont, non-seulement plus liquides, mais encore plus fréquentes. La diarrhée, souvent précédée de bruits dans le ventre quijressemblent à un roulement et qu'on a appelés des borborygmes, est le symptôme le plus constant et souvent l'unique symptôme du catarrhe intestinal. Ainsi, les douleurs et autres symptômes peuvent manquer, les forces et la nutrition du malade peuvent rester normales si les évacuations ne sont pas trop copieuses ni trop répétées et si la diarrhée ne dure pas trop longtemps. Dans les cas de ce genre, les INFLAMMATION CATARRHALE DE LA MUQUEUSE INTESTINALE. 645 personnes étrangères à la médecine considèrent ordinairement la diarrhée comme un événement heureux dont ils attendent une sorte de purification du corps et toute sorte d'autres avantages. Les déjections consistent, au commencement, en matières fécales diluées (diarrhée stercorale). Si la transsudation séreuse et l'accélération des mouvements intestinaux persistent après que toutes les matières fécales ont été expulsées de l'intestin, les déjections perdent peu à peu leur odeur fécale caractéristique et ne consistent plus qu'en un liquide salé contenant des lamelles épithéliales (épithélium cylindrique) et de jeunes cellules ainsi que des ingesta non digérés et très-peu modifiés (diarrhée séreuse). La couleur des selles liquides est ordinairement d'un vert passant par différentes nuances ; cette coloration ne dépend nulle- ment d'une quantité de bile plus grande versée dans l'intestin, mais unique- ment de ce que la bile a été évacuée avec le liquide et la couche épithéliale de l'intestin, avant d'avoir subi ses transformations normales. Plus la trans- sudation est abondante, plus les selles deviennent pâles, le mélange de bile ne suffisant plus pour les colorer. Dans les déjections catarrhales on trouve à peine des traces d'albumine, mais assez fréquemment des cristaux de phosphate ammoniaco-magnésien dont la présence a été considérée pen- dant quelque temps comme caractéristique pour les selles typhiques, enfin, le plus souvent, d'abondantes quantités de chlorure de sodium. Ordinai- rement, après que la diarrhée a duré un ou plusieurs jours, les ingesta reprennent le cours de leurs transformations normales; les évacuations deviennent plus rares et ont de nouveau leur couleur et leur odeur sterco- rales. Généralement, la diarrhée est alors suivie d'une constipation plus ou moins opiniâtre, l'irritation morbide des muscles intestinaux entraînant à sa suite un état de parésie de ces muscles. Dans d'autres cas, des douleurs plus ou moins sensibles s'ajoutent à la diarrhée. Ces douleurs affectent la forme de pincements revenant périodi- quement, de coliques au milieu desquelles le malade devient quelquefois remarquablement pâle et froid, surtout lorsque les douleurs deviennent très-intenses. Ces coliques cessent le plus souvent quand une nouvelle selle diarrhéique se produit ou se prépare. Une sensation continue de pression et d'écorchure dans le ventre et de sensibilité de l'abdomen à la pression s'observe bien plus rarement que les accès douloureux que nous venons de décrire. — Les douleurs continues ne prennent une grande intensité que dans les cas rares où un catarrhe aigu de l'intestin se joint à une récente brûlure de la peau. Cette particularité et la présence du sang dans les déjec- tions distinguent cette forme du catarrhe intestinal de toutes les autres. Très-souvent l'abdomen montre dans le catarrhe aigu de l'intestin un léger degré de météorisme, de grandes quantités de gaz très-fétide sont expulsées en même temps que les selles. Le développement de gaz intestinaux ne peut être considéré comme un symptôme ou une conséquence du catarrhe 646 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. intestinal aigu, tant que ce dernier se trouve dans la période de transsudation surabondante et d'accélération des mouvements péristaltiques ; il dépend alors bien plutôt de la cause qui occasionne le plus souvent le catarrhe lui-même, c'est-à-dire du passage dans l'intestin des matières non digérées et en voie de décomposition. Enfin, il n'est pas rare que le catarrhe aigu de l'intestin soit accompagné de phénomènes fébriles. S'il a pris naissance à la suite d'un refroidissement, la fièvre montre ordinairement les particularités de la fièvre catarrhale ; dans d'autres cas, la fièvre est plus violente, et alors se produisent, surtout quand l'estomac a été atteint en même temps, les tableaux morbides de la fièvre gastrique, de la fièvre muqueuse ou de la fièvre bilieuse, dont nous aurons à nous occuper plus loin. Le catarrhe aigu de l'intestin suit la marche que nous venons de décrire dans les cas où il est étendu sur une grande surface ou bien lorsqu'il siège, comme cela arrive ordinairement, dans la partie inférieure de l'iléon et dans le côlon. Les catarrhes du duodénum accompagnent souvent les catarrhes de l'estomac, mais on ne peut les diagnostiquer que quand ils se -transmettent au canal cholédoque et entraînent ainsi la stase biliaire et l'ictère; dans tous les autres cas, ils modifient trop peu le tableau du catarrhe de l'estomac pour pouvoir être reconnus. Les catarrhes de l'intestin grêle peuvent exister sans diarrhée quand le contenu liquide de ce canal séjourne plus ou moins longtemps dans le gros intestin où. il est épaissi par la résorption de ses parties aqueuses. Si, par conséquent, de forts gargouillements s'ajoutent aux symptômes d'un catarrhe de l'estomac, ce qui annonce toujours que des gaz et des liquides sont conte- nus dans l'intestin et agités dans divers sens, mais que la diarrhée attendue fasse défaut, on est en droit d'admettre que le catarrhe de l'estomac a envahi l'intestin grêle, mais qu'il a épargné le gros intestin. Les catarrhes de la partie inférieure du côlon et du rectum peuvent très-bien exister sans la participation d'autres portions du canal intestinal. La grande intensité de l'inflammation, qui montre souvent des transitions de la forme catarrhale à la forme diphthéritique (voy. § 2), donne à la maladie un cachet tout particulier. Les selles sont précédées, tout comme dans la dysenterie, de pincements très-rdouloureux dans le ventre, pincements qui s'étendent de l'ombilic au sacrum. Ces pincements sont suivis de contractions spasmodiques du sphincter, d'une sensation de brûlure insupportable à l'anus, enfin, au milieu d'épreintes violentes, a lieu l'expulsion de quantités plus ou moins considérables d'une mucosité blanche, glaireuse, souvent entremêlée de sang. Ordinairement ces évacuations sont suivies d'un soulagement qui dure une heure ou même moins, puis les mêmes accidents se reproduisent. De temps à autre, le malade rend des excréments durs et repose alors plus longtemps. Soumis à un traitement rationnel, c'est-à-dire si l'on éloigne à INFLAMMATION CATARRHALE DE LA MUQUEUSE INTESTINALE. 647 temps les matières fécales retenues dans l'intestin et qui ont provoqué et entretenu la maladie, la dijsenterie catarrhale (car c'est le nom qui convient le mieux pour cette forme de catarrhe de l'intestin) se termine par une prompte guérison. Traitée d'une manière irrationnelle, elle peut traîner en longueur et amener des ulcères folliculaires. Enfin, dans le cas où le catarrhe aigu se borne au rectum, il existe égale- ment un ténesme continuel, le malade rend des mucosités pures ou mêlées de sang, sans traces de matières fécales, mais il ne sent pas dans le ventre ces douleurs caractéristiques qui précèdent les selles dans la dysenterie catarrhale. Le catarrhe chronique de l'intestin conduit rarement, chez les adultes, à une transsudation séreuse très-abondante; le plus souvent, la sécrétion de la muqueuse intestinale est rare et son produit assez épais. C'est pourquoi la diarrhée accompagne rarement ou d'une manière purement passagère le catarrhe chronique de l'intestin chez les adultes, qui sont bien plus souvent atteints de constipation. La couche de mucosités visqueuses qui couvre la surface interne de l'intestin empêche la résorption et porte atteinte à la nutrition : les malades perdent leurs forces, maigrissent et prennent un teint pâle et terreux. Les matières retenues dans l'intestin entrent bientôt en putréfaction sous l'influence de la chaleur humide constamment entre- tenue dans ce canal, et subissent des décompositions donnant lieu au déga-' gement de fortes quantités de gaz qui distendent l'intestin et occasionnent les malaises les plus fatigants : ainsi, le ventre est tendu, le diaphragme refoulé, la respiration gênée ; la compression des vaisseaux artériels [déter- mine des fluxions d'autres organes, notamment du côté du cerveau. L'expul- sion d'un vent est toujours pour ces malades un événement important dont ils se réjouissent fort. A la constipation habituelle, au trouble de la nutrition, à la flatulence avec ses suites, se joint presque toujours une altération d'hu- meur, une tristesse analogue à celle que nous avons appris à connaître parmi les symptômes du catarrhe chronique de l'estomac. Les malades s'occupent exclusivement de leur état physique et ne s'intéressent à rien d'autre, ou ils s'abandonnent à un découragement général, à un véritable désespoir. Un fait digne de remarque c'est qu'à l'autopsie d'individus atteints de folie triste ou d'individus suicidés on a rencontré, avec une fréquence extraordinaire, des flexions et des déplacements de l'intestin, cette cause si commune du catarrhe intestinal chronique. La constipation habituelle est parfois passagèrement interrompue par des coliques violentes et une diarrhée intercurrente qui donne issue à d'abondantes mucosités et à des matières fécales très-fétides. Comme cet accident a souvent lieu sans cause extérieure appréciable, il semble que la décomposition du contenu de l'intestin fournit ■de temps à autre des produits ayant une action particulièrement offensive et irritante sur la muqueuse et transformant ainsi le catarrhe chronique en 648 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. catarrhe aigu. — Les catarrhes chroniques qui suivent la marche que nous venons d'indiquer sont à compter parmi les maladies les plus fréquentes, les plus pénibles et les plus opiniâtres. Bien des malades, en voyant l'inutilité des prescriptions médicales, perdent toute confiance en notre art et tombent entre les mains des charlatans, ou bien ils s'adressent à la médecine Leroy, aux pilules de Morrisson, de Strahl et autres remèdes secrets. Nous verrons- plus loin que ces médicaments doivent à la multiplicité même des substances purgatives qui entrent dans leur composition une action évidemment favo- rable sur les souffrances qui accompagnent le catarrhe intestinal chronique, et que leur réputation de panacées universelles ne s'appuie que sur la grande fréquence de cette maladie. Quelquefois, il est vrai, le catarrhe chronique de l'intestin est accompagné d'une hypersécrétion de la muqueuse et d'une accélération des mouvements péristaltiques et affecte alors le caractère d'une diarrhée chronique. Ces cas sont toutefois assez rares chez les adultes ; une diarrhée qui dure des semaines ou des mois éveillera donc toujours le soupçon de lésions intestinales plus profondes, et ce n'est que dans les cas où il est possible d'exclure ces dernières qu'il est permis de considérer un simple catarrhe de l'intestin comme la cause d'une diarrhée chronique. Les déjections consistent, dans ces cas, en fortes quantités d'une mucosité glaireuse ou puriforme mêlée tantôt de matières fécales ramollies, tantôt, si le catarrhe occupe une grande surface, de restes d'aliments non digérés (diarrhée lientérique). Si, à de certaines époques, les individus ne rejettent que des mucosités incolores ou des liquides puriformes et, à d'autres, des scybales dures, il est permis de conclure que la maladie siège dans la région inférieure du côlon et que le catarrhe menace d'entraîner des ulcères folliculaires. Quelquefois, la diarrhée cesse pendant quelques jours, fait place à la constipation, et recommence ensuite avec une nouvelle intensité. Il y a des cas où les malades meurent épuisés par la diarrhée chronique ; cependant, on trouve alors ordinairement d'autres états consécutifs ou des lésions intestinales d'un autre genre qui ont contribué à amener la mort du malade. Les choses se passent tout différemment dans le catarrhe intestinal chronique des enfants. Ce dernier affecte presque toujours la forme d'une diarrhée opiniâtre et épuisante, et l'on doit, par conséquent, se garder de conclure immédiatement, en présence de cette diarrhée, à l'existence d'une tubercu- lose intestinale où mésentérique, ou simplement à l'existence d'ulcères catarrhaux. Dans l'intestin de la plupart des enfants succombant à une diarrhée chronique, que l'on rattache si souvent « à des ganglions abdomi- naux », terme vague et mal choisi, on ne rencontre à l'autopsie que les lésions, si faciles à méconnaître, du catarrhe chronique de l'intestin. Le plus souvent, ce catarrhe se montre chez les enfants vers la fin de la première année, peu de temps après le sevrage (diarrhœa ablactatorum) . Au commen- INFLAMMATION GATARRHALE DE LA MUQUEUSE INTESTINALE. 649 cernent, les déjections sont muqueuses et peu abondantes et montrent une réaction acide et, soit immédiatement après avoir été rendues, soit après avoir été pendant quelque temps exposées à l'air, une coloration verdâtre. Cette coloration dépend d'un mélange de bile non décomposée et d'une suroxydation de la matière colorante encore intacte de ce liquide. Plus tard, les déjections deviennent ordinairement très-copieuses, aqueuses, d'une couleur quelquefois terreuse, très-fétides et sont mêlées d'aliments non digérés. Cette diarrhée fatigue au commencement très-peu les enfants jusque-là florissants et bien nourris, mais un déplorable préjugé tend à la faire considérer comme un phénomène salutaire, préservant les enfants des convulsions dentaires et ne devant, par conséquent, pas être combattue : on attend donc, pour consulter l'homme de l'art, que l'enfant soit devenu flasque et étiolé, et alors il est souvent difficile de triompher de la maladie; la diarrhée persiste, les enfants maigrissent de plus en plus et beaucoup d'entre eux meurent dans la seconde année des suites du catarrhe chronique de l'intestin. — Chez les enfants mis en nourrice, ce catarrhe se déclare en général plus tôt et suit une marche beaucoup plus rapide. — La mère d'un de ces petits enfants, jusque-là frais et roses, et dont l'heureux aspect est la meilleure garantie qu'elle puisse offrir aux personnes qui ont besoin d'une nourrice, souvent accepte cette condition six ou huit semaines après ses couches; elle livre l'enfant à une vieille femme qui le nourrit de mauvais lait, de bouillie gâtée et lui met dans la bouche un nouet ou une croûte de pain pour l'empêcher de trop crier dans les intervalles ; bientôt vient la diarrhée, l'amaigrissement fait de rapides progrès et s'élève rapidement à un degré extrême : graisse et muscles disparaissent; la face de l'enfant se ride et ressemble bientôt à celle d'un vieillard ; la peau flasque lui ballotte autour des jambes comme un pantalon trop large, le pourtour de l'anus s'excorie et la muqueuse buccale se couvre de muguet. Pendant que l'enfant étranger prospère au sein de la nourrice, le sien meurt misérablement dès le troisième ouïe quatrième mois de son existence. Dans les grandes villes, des femmes qui reçoivent de ces enfants en nourrice en enterrent régu- lièrement trois, quatre et même plus par an. Encore, dans ces cas, on ne frouve, en général, à l'autopsie que les signes d'une consomption extrême et les lésions peu saillantes d'un catarrhe chronique de l'intestin. Ce dernier peut, de fait, être considéré dans la diarrhée due au sevrage comme une série de catarrhes aigus, se répétant journellement, et c'est le passage dans l'intestin de matières non digérées et en voie de décomposition qui constitue la cause de ces répétitions journalières. Parmi les inflammations catarrhales intenses qui entraînent l'ulcération de la muqueuse et souvent de toute la paroi intestinale nous décrirons d'abord la forme la plus commune, la typhlite ou, comme on dit ordinaire- ment, la typhlite stercorale. La maladie est quelquefois précédée de prodro- 650 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. mes, c'est-à-dire qu'avant le développement de l'inflammation intense que nous appelons typhlite, des matières fécales accumulées dans le caecum et le •côlon ascendant provoquent des coliques et des catarrhes intestinaux répétés, ce qui fait que les malades accusent de temps à autre des douleurs dans le ventre et souffrent alternativement de constipation et de diarrhée. Dans d'autres cas les prodromes font défaut et la première rétention des matières fécales dans le csecùm et dans le côlon ascendant suffit déjà pour produire l'inflammation intense et l'ulcération de la paroi intestinale. Une fois que •cet état s'est produit la musculeuse perd la faculté de se contracter, et la progression des matières intestinales se fait avec tout autant de difficulté qu'en cas de rétrécissement et d'oblitération des intestins. Il est bien vrai que de temps à autre des matières muqueuses et muco-sanguinolentes, pro- venant d'un catarrhe de la section inférieure du gros intestin, s'échappent par l'anus, mais la défécation proprement dite fait défaut. Le contenu de l'intestin grêle qui ne trouve pas d'issue par le bas est poussé en haut par les contractions des muscles intestinaux; il se produit, en un mot, des mouve- ments anti-péristaltiques. Le contenu de l'intestin grêle, arrivé dans l'es- tomac, y détermine une vive irritation et provoque des nausées et des vomis- sements qui rejettent d'abord les aliments, plus tard des matières vertes, amères, bilieuses, enfin, dans des cas plus rares, un liquide brunâtre d'une saveur repoussante et d'une odeur stercorale (iléus, miserere). Les symptômes que nous venons de décrire font reconnaître avec certitude qu'il s'est déve- loppé quelque part un obstacle à la progression des matières intestinales; dans les cas rares où les douleurs sont faibles dans la fosse iliaque droite et où il est impossible d'y constater l'existence d'une tumeur, on peut être dans le doute sur la nature de l'obstacle ; mais le plus souventla constipation est accom- pagnée de douleurs vives et il se développe une tumeur caractéristique qui, jointe aux douleurs, ne laisse subsister aucun doute. Les douleurs occupent l'hypogastre droit et donnent non-seulement lieu à des exacerbations sponta- nées, par intervalles plus ou moins longs, pendant lesquels elles sont suppor- tables, mais il suffit encore de la plus légère pression sur le côté indiqué de la région hypogastrique et du plus léger mouvement pour les exaspérer. A la palpation, que les malades redoutent extrêmement, on sent une tumeur de forme cylindrique qui s'étend de la fosse iliaque droite au rebord des côtes. Cette tumeur correspond par sa forme et sa situation si exactement au caecum et au côlon ascendant, qu'il est facile d'en comprendre la significa- tion.— Si la maladie doit se terminer heureusement, une amélioration se fait sentir dans la période que nous venons de décrire ; plusieurs selles, donnant issue à d'abondantes matières fécales d'une odeur extrêmement fétide, se répètent et sont chaque fois accompagnées de douleurs tranchantes dans l'abdomen, le vomissement disparaît, la tumeur diminue, mais s'efface len- tement, vu que le contenu des intestins ne la forme qu'en partie et que le INFLAMMATION GATARRHALE DE LA MUQUEUSE INTESTINALE. 651 gonflement des parois intestinales y contribue pour une autre partie. La ma- ladie est loin de suivre constamment une marche aussi favorable ; dans la plupart des cas l'inflammation s'étend au contraire du revêtement séreux du caecum et du côlon ascendant au péritoine qui tapisse les anses voisines de l'intestin et la paroi abdominale, au tissu conjonctif qui attache le côlon ascendant au fascia iliaca. L'extension delà péritonite rend l'endolorissement de l'abdomen plus diffus, la tumeur perd sa forme cylindrique et devient plus large, la pérityphlite, comme on appelle l'inflammation du tiers. On est donc forcé d'admettre que, dans ces cas encore, les jeunes en- tozoaires arrivent du dehors, et sans doute avec les aliments, dans l'orga- nisme. L'étiologie de l'helminthiase est entrée dans une ère nouvelle avec les découvertes des temps modernes; la plupart des causes d'où l'on faisait dé- river autrefois l'helminthiase ont été reconnues illusoires dans ces derniers temps. 11 semble même peu probable qu'il faille des modifications déter- minées de la muqueuse intestinale ou un état particulier des matières con- tenues dans l'intestin, pour permettre le développement et le séjour des vers dans ce canal. Dans bien des cas, il est possible de constater les condi- tions étiologiques qui ont favorisé le développement du tœnia solium. Kùchen- meister a trouvé de jeunes taenias dans l'intestin d'un supplicié à qui il avait fait avaler des cysticerques peu de jours avant sa mort. Parmi les animaux dont nous mangeons la chair, c'est avant tout le porc qui loge le scolex du tœnia solium. On trouve encore ce dernier dans la chair musculaire du chevreuil et, plus rarement il est vrai, dans celle du bœuf. Chez les juifs et les mahométans qui s'abstiennent de la viande de porc, on trouve bien rarement le taenia, et en Abyssinie, où presque tous les habitants sont atteints du taenia, les Pères chartreux qui ne vivent que de poissons en sont exempts. Le taenia est beaucoup plus commun dans les pays où l'on élève beaucoup de porcs que dans les pays où ces animaux sont rares. Les cysticei- ques ne résistent pas à la cuisson ni au fumage de la viande, et l'usage de la viande de porc cuite, rôtie ou fumée, ne peut jamais entraîner le dévelop- pement du ver solitaire, en supposant même que cette viande ait contenu des cysticerques. On trouve, au contraire, le taenia très-fréquemment chez les individus qui mangent ou goûtent de la viande crue ou mettent dans la bou- 712 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. che le couteau qui a été mis en contact avec les cysticerques, comme cela arrive très-souvent aux cuisiniers et aux charcutiers. Ces derniers peuvent beaucoup contribuer à l'extension du tœnia en découpant avec un couteau qui n'a pas été nettoyé le jambon ou le saucisson qu'ils débitent et qui, sorti de chez eux, n'est pas soumis à une nouvelle cuisson. — L'habitude de donner aux enfants faibles de la viande crue râpée offre quelque danger,. car il est incontestable que certains enfants ont contracté de cette manière un ver solitaire, le tœnia mediocanellata. On sait aujourd'hui que l'usage de la chair musculaire qui loge le trir china spiralis n'entraîne pas, ainsi qu'on se le figurait, le développement du trichocephalus dispar. Si l'on croit avoir remarqué que Y ascaride et l'oxyure se rencontrent le plus fréquemment chez les individus qui se nourrissent de préférence d'aliments amylacés, cette observation trouve peut-être son explication dans la découverte de Stein qui a reconnu la présence d'ento- zoaires dans le corps du ténébrion meunier. Il n'est pas impossible que l'u- sage de la farine avariée fasse arriver dans l'intestin des œufs ou des larves d'ascarides ou d'oxvures. § 2. Symptomatologie. Les phénomènes provoqués par des vers intestinaux diffèrent beaucoup- selon l'individualité de l'organisme exposé à leur influence. Dans un grand nombre de cas, la présence des helminthes ne peut être constatée avant l'expulsion de vers ou de fragments de vers par les selles. Cette remarque s'applique avant tout aux vers solitaires. Beaucoup de malades porteurs d'un, tœnia ou d'un bothriocéphale jouissent delà meilleure santé, n'accusent au- cune colique et ne présentent aucun phénomène réflexe, et ne sont rendus attentifs à leur mal que par les anneaux qui partent de temps à autre. Sou- vent il n'est pas facile au médecin de reconnaître les proglottis enveloppés dans du papier et desséchés que les malades lui apportent. — Dans d'autres cas ces derniers se plaignent de temps à autre de fortes coliques pendant lesquelles ils croient sentir un objet qui remue et se retourne dans leur ventre; mais peut-être n'accusent-ils cette sensation que quand ils savent qu'ils ont le ver solitaire ; ils se tordent, se replient sur eux-mêmes ou appuient le ventre contre un objet dur, enfin ils ont des nausées et quelquefois des vo- missements. La sécrétion salivaire est presque toujours fortement aug- mentée, au point que la salive leur coule de la bouche. Les accès que nous venons de décrire, surtout quand ils arrivent après que les individus ont mangé des harengs, des oignons, du raifort, des fruits à gros pépins,, constituent pour le public le signe évident de la présence des vers intesti- naux, et doivent même faire soupçonner au médecin l'existence d'un vec VERS INTESTINAUX, HELMINTHIASE. 713 solitaire; cependant la certitude n'est acquise que quand des anneaux de taenia sont partis spontanément ou après l'administration d'un laxatif ou d'un anthelminthique. — Dans d'autres cas l'organisme supporte plus mal la présence du parasite ; il survient de temps à autre des diarrhées , surtout après que les individus ont mangé des aliments salés et épicés ; les malades perdent leurs forces, pâlissent et maigrissent ; cela arrive le plus facilement chez les individus déjà faibles auparavant, et surtout chez les enfants et les jeunes filles. — Enfin l'irritation exercée par le ver solitaire sur les nerfs intestinaux peut être transmise par voie réflexe à d'autres trajets nerveux ; toutefois on s'est beaucoup exagéré la fréquence des accidents nerveux qui naissent de cette manière, et ces exagérations ont donné lieu à bien des erreurs. La sensation de chatouillement qui porte beaucoup d'individus à se gratter le nez et à se fouiller les narines, la dilatation des pupilles, le stra- bisme, les grincements de dents et d'autres troubles insignifiants et isolés de l'innervation sont mis plus particulièrement sur le compte des ascarides lom- bricoïdes, tandis que l'on accuse les vers solitaires de provoquer des né- vroses plus graves et plus généralisées, notamment l'épilepsie et la chorée. On peut concevoir le faible espoir qu'une épilepsie survenue sans cause connue dépend de l'irritation produite par les vers intestinaux, mais il faut bien se garder, lorsqu'un épileptique rend des anneaux de taenia, de consi- dérer comme une chose certaine que l'épilepsie est intimement liée à la présence du ver solitaire et qu'elle disparaîtra aussitôt que celui-ci sera expulsé. Les cas dans lesquels il en est réellement ainsi sont infiniment rares en comparaison de ceux dans lesquels l'épilepsie reste ce qu'elle était, après l'expulsion du ver solitaire. Pour les ascarides, l'absence de symptômes déterminés par leur présence dans l'intestin est une règle qui souffre bien peu d'exceptions. L'extension immense prise par ces entozoaires ne laisserait pas exister tant d'enfants frais et bien portants, si les ascarides lombricoïdes irritaient fortement le canal digestif et altéraient sérieusement la nutrition. Lorsque ces parasites sont réunis en grand nombre, ils peuvent se pelotonner et ces masses agglo- mérées peuvent oblitérer l'intestin comme des scybales dures, déterminer ainsi de vives coliques et amener même les symptômes de l'iléus, si elles ne parviennent pas à se débrouiller ou si l'on ne réussit pas aies chasser par des drastiques. Dans d'autres cas, des mouvements plus tumultueux des asca- rides semblent provoquer des coliques analogues à celles qui se montrent chez les individus porteurs de taenias. La cause de cette agitation des vers est inconnue et la supposition de Kûchenmeister, d'après laquelle ils de- viendraient plus turbulents pendant la copulation, ne doit pas être prise au sérieux. — Conclure d'un aspect pâle et cachectique et des névroses susmen- tionnées, lorsque ces symptômes se présentent chez les enfants, à la pré- sence d'ascarides, c'est commettre un abus qui est encore plus répandu que 714 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. la croyance au taenia quand les mêmes symptômes se présentent chez un adulte. Si chez un enfant de ce genre il part des lombrics par le rectum, on conclut trop vite à la présence des vers, on néglige un examen plus appro- fondi, et l'on reconnaît trop tard que les vers n'étaient pour rien dans les symptômes, que l'enfant était atteint d'une hydrocéphale ou de quelque autre maladie dangereuse. Il en est de même de la fièvre vermineuse. Quel- quefois les lombrics peuvent occasionner un catarrhe intestinal et de légers accidents fébriles ; mais le plus souvent les vers intestinaux qui partent du corps n'ont rien de commun avec la fièvre qu'on a l'habitude de mettre sur leur compte. — Remontés dans l'estomac, les lombrics provoquent parfois de grands malaises, de l'angoisse et des nausées. Les malades ne trouvent pas d'expression pour rendre compte des souffrances qu'ils éprouvent, et le médecin lui-même peut être embarrassé jusqu'au moment où le ver rejeté par le vomissement vient dissiper les doutes. Dans d'autres cas, l'ascension du ver dans l'estomac et l'œsophage provoque si peu de symptômes, que le parasite s'échappe de la bouche pendant le sommeil sans réveiller le ma- lade. Si en se déplaçant de la sorte le ver entre dans le larynx, il se produit un rétrécissement spasmodique de la glotte ; même on a vu étouffer les enfants à là suite de ce singulier accident. Si le lombric pénètre dans le conduit cholédoque, il peut faire naître une stase biliaire, et s'il va plus loin, jusque dans les canaux biliaires du foie, il peut en résulter une hépatite partielle ; mais bien rarement on parviendra à ramener les accidents qui se produisent de la sorte à leur source véritable en les rattachant à un lombric égaré. Pour reconnaître les ascarides, en présence de l'incertitude des prétendus symptômes vermineux énumérés plus haut, Bouchut recommande avec raison d'examiner au microscope le mucus intestinal qui couvre les excré- ments pour s'assurer s'il ne renferme pas d'œufs provenant de ces ani- maux. Les oxyures excitent par leurs mouvements continuels une démangeaison désagréable lorsqu'ils se rapprochent du fondement ou qu'ils sortent de cette ouverture. Ce malaise augmente en général le soir et empêche les individus de s'endormir. Ordinairement un besoin continuel d'aller à la selle se joint à la démangeaison. Dans les excréments expulsés, souvent mêlés de beau- coup de mucosités, les petits vers font encore longtemps des mouvements ondulés et saccadés. Quand ils rampent par-dessus le périnée du côté de la vulve et arrivent dans le vagin, ils y produisent également une démangeai- son désagréable, et peuvent déterminer nn catarrhe qui effraye les mères et les engage à consulter le médecin pour des flueurs blanches aussi précoces. Un examen local fait avec soin fournit bien vite les renseignements les plus rassurants. Le trichocephalus dispar ne donne lieu à aucun symptôme. VERS INTESTINAUX, HELMINTHIASE. 715 § 3. Traitement. . Ce que nous avons dit sur l'étiologie du tœnia solium contient déjà en sub- stance les mesures que l'on doit employer pour se mettre à l'abri de ce ver. Il ne faut pas permettre aux individus de manger de la viande de porc qui n'ait été préalablement soumise à un des divers procédés par lesquels on parvient à détruire les cvsticerques. On recommandera en outre aux mères de prendre les précautions nécessaires pour l'administration de la viande de bœuf crue dont l'usage est si répandu dans la clientèle des enfants. Ainsi les mères feront bien de râper elles-mêmes la viande pour éviter qu'un cysticerque passe dans le corps de leur enfant. On défendra aux cui- sinières de goûter le hachis de viande crue qui entre dans la composition des saucissons, ou de porter à la bouche le couteau de cuisine. Les bouchers et les charcutiers s'abstiendront de se servir du couteau avec lequel ils ont coupé la viande crue, pour découper le jambon et le saucisson qu'ils ven- dent à leurs pratiques. Il est impossible d'indiquer des mesures prophylac- tiques contre les autres helminthes, attendu que nous ignorons la manière dont ils s'introduisent dans le corps humain. Parmi les innombrables médicaments autrefois mis en usage contre le ver solitaire, on n'emploie plus guère aujourd'hui que la racine de fougère mâle, Yécorce de racine de grenadier , le kousso , et quelquefois l'essence de téré- benthine. La racine de fougère mâle paraît surtout efficace contre le bothriocé- phale, tandis qu'employée contre le tœnia solium elle reste souvent ineffi- cace. On donne l'écorce pulvérisée à la dose de 2 à 4 grammes, répétée 2 ou 3 fois le matin à jeun, ou selon d'autres prescriptions le soir avant le coucher. Quelques heures plus tard, ou bien le matin, si la poudre a été prise dans la soirée, on administre un fort purgatif composé de gomme- gutte, de scammonée et de calomel, ou bien une ou plusieurs onces d'huile de ricin. Un remède plus actif et en même temps plus facile à prendre que la poudre, c'est l'extrait éthéré de la racine de fougère mâle, que l'on ré- duit en pilules avec parties égales de racine pulvérisée et dont on fait prendre deux doses de 1 à 2 grammes chacune. — La racine de fougère mâle joue un grand rôle parmi les nombreux remèdes plus ou moins . compliqués que l'on a prescrits contre le ver solitaire et qui ont été de plus en plus aban- donnés dans les temps modernes. L'écorce déracine de grenadier paraît être, à l'état de fraîcheur, un des re- mèdes les plus sûrs contre le tœnia solium. On en fait infuser à froid de 60 à 120 grammes avec un demi-litre ou un litre d'eau, et après une macération de vingt-quatre heures on fait bouillir le mélange jusqu'à réduction de 716 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. moitié. Cette décoction (apozèmede Merat) que l'on fait prendre en trois fois le matin à jeun fournit d'excellents résultats, mais elle offre l'inconvénient d'être quelquefois rejetée par des vomissements, et donne toujours lieu à de fortes coliques qui font passer au malade plusieurs heures de pénibles souf- frances. Je recommande avec instance, avant d'en venir à l'usage de la dé- coction, d'essayer si l'on n'obtient pas le même résultat avec la simple ma- cération, dont l'effet est beaucoup moins offensif, car les malades n'en éprouvent presque aucune souffrance, et j'ai vu sous l'influence de ce re- mède partir bien des fois un ver solitaire et une fois même trois de ces ani- maux à la fois avec leurs têtes bien marquées. Si la macération ne produit aucun résultat, on peut toujours donner la décoction le lendemain, ou un des jours suivants. Ordinairement, après l'administration de ce remède, le ver part tout d'une pièce, souvent ramassé en une pelote. Si le ver n'est pas expulsé une à trois heures après la dernière dose, on fait bien de faire donner au malade 30 à 60 grammes d'huile de ricin. Kûchenmeister re- commande de préparer un extrait avec 120 à 180 grammes d'écorce de ra- cine de grenadier et de mêler cet extrait avec 180 à 250 grammes d'eau chaude, 1 ou 2 grammes d'extrait éthéréde fougère mâle et 20 à 30 centi- grammes de gomme-gutte. Selon lui deux tasses de ce mélange prises à trois quarts d'heure d'intervalle suffisent pour chasser le ver. Si ce résultat n'était pas obtenu au bout d'une heure et demie, il faudrait encore donner la troisième tasse. Le kousso, c'est-à-dire les fleurs séchées et pulvérisées du brayera anthel- minthica, remède qui nous est venu tout récemment d'Abyssinie, n'a pas ré- pondu aux espérances qu'on avait d'abord fondées sur lui; ou du moins les résultats brillants que quelques observateurs prétendent avoir obtenus avec- cette substance n'ont pas été confirmés par d'autres. On donne le médica- ment à la dose de 8 à 16 grammes, macéré dans de l'eau ou mélangé avec du miel sous forme d'électuaire, et l'on fait prendre cette dose en deux fois» à une demi-heure d'intervalle, le matin après que le malade a pris une tasse de café. S'il se déclare des nausées, on fait prendre un peu de jus de citron. Si au bout de trois heures il n'y a pas eu de selle, on prescrit un purgatif composé d'huile de ricin ou de séné. L'essence de térébenthine, quoique étant un des tsenifuges les plus sûrs, ne doit être employée qu'en cas de nécessité absolue, pour la double raison qu'elle a un goût horrible et que, prise à une dose suffisante pour chasser le ver solitaire, elle provoque facilement une irritation des voies urinaires. On fait prendre à la fois 30 à 60 grammes d'essence de térébenthine soit seule, soit mêlée avec du miel ou de l'huile de ricin, soit enfin sous forme d'émulsion, le soir avant le coucher. Tous les médicaments que nous venons d'énumérer doivent être employés aux époques où quelques anneaux ou fragments de taenia partent spontané- VERS INTESTINAUX, HELMINTHIASE. 717 ment. Par contre, il est absurbe d'attendre, pour commencer le traitement, telle ou telle phase de la lune qui, d'après certaines croyances supersti- tieuses, serait plus favorable à l'expulsion des vers intestinaux. — Enfin il n'est pas inutile de faire précéder le traitement curatif d'un traitement pré- paratoire. Ce dernier consiste à faire vivre sobrement le malade, à le purger avec de l'huile de ricin et à le nourrir pendant quelques jours exclusive- ment de hareng, de jambon, d'oignons et d'autres substances salées et pi- quantes. On peut encore recommander un autre traitement préparatoire, consistant à faire manger beaucoup de fraises de bois, de myrtilles et autres fruits analogues dont les nombreux pépins rendent le ver manifestement malade. (Kûchenmeister.) — Le traitement n'est à considérer comme ayant pleinement réussi que quand on trouve dans les déjections la tête du ver •solitaire ; cependant on ne perdra pas de vue que l'intestin peut aussi con- tenir plusieurs vers solitaires à la fois. — Dans ces derniers temps, on a encore vanté comme d'excellents tœnimges le kamala, poudre que l'on ob- tient en pilant les capsules du rottlera tinctoria (à la dose de 8 à 12 grammes mêlé avec de l'eau), Yécorce de mursenna (30 à 60 grammes avec du miel), la racine de ponna (4 à S grammes) et encore plusieurs autres substances. Mais aucun de ces remèdes n'a été reconnu d'une efficacité supérieure après avoir été soumis à des épreuves répétées. » Le médicament qui jouit d'une faveur méritée pour l'expulsion des asca- rides, c'est le semen-contra [semina cinœ seu Santonici) , fleur non épanouie de Yartemisia contra. La méthode consistant à donner sous forme d'électuaire le semen-contra pulvérisé mêlé de jalap, de valériane, de miel et d'autres sub- stances, électuaire avec lequel on tourmentait autrefois les enfants plusieurs fois par an, ainsi que l'habitude d'administrer cette substance sous forme de chocolat ou de gâteau vermifuge, est généralement abandonnée depuis que l'on possède des préparations plus sûres et plus agréables, qui sont l'extrait éthéré et surtout lasantonine. On donne aux enfants 35 à 50 centigrammes par jour du premier, et 15 à 20 centigrammes de la seconde.. Dans les phar- macies on trouve toutes préparées des tablettes d'un goût agréable et qui contiennent 2 1/2 à 5 centigrammes de santonine. Kûchenmeister recom- mande de faire dissoudre la santonine à la dose de 10 à 20 centigrammes dans 30 grammes d'huile de ricin, et de faire prendre une cuillerée à café par heure de ce mélange jusqu'à production d'effet. Des effets plus favora- bles encore ont été obtenus par lui avec le santonate de soude, prépa- ration encore beaucoup plus anodine et qu'il administrait pendant plu- sieurs jours de suite à la dose de 10 à 25 centigrammes. — 11 faut toujours donner après le semen-contra ou ses préparations un léger laxatif. Les autres anthelminthiques administrés contre les ascarides sont superflus. Pour chasser les oxyures du rectum, il suffit d'administrer des lavements. Des lavements à l'eau froide additionnée d'une certaine quantité de vinaigre 718 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. sont déjà très-efficaces; mais il importe de donner de grands lavements pour atteindre également les oxyures qui séjournent dans l'S iliaque, et il faut pendant longtemps continuer l'usage des lavements. Dans les cas opi- niâtres, on peut administrer en lavement une faible solution de sublimé (15 milligrammes sur 60 grammes 1). CHAPITRE X Fièvre gastrique, fièvre muqueuse et fièvre bilieuse. Sous la dénomination de fièvre gastrique, beaucoup de médecins, surtout de médecins allemands, décrivent des processus aigus dans lesquels un état plus ou moins fébrile n'est accompagné que de phénomènes de dyspepsie et ordinairement aussi de diarrhée, tandis qu'aucun symptôme ne permet de conclure à une affection sérieuse d'un organe important. Bien des mé- decins, d'une autorité incontestable, et surtout des cliniciens qui n'ont vu d'autres malades que des malades d'hôpital, confondent toutes les fièvres dites gastriques avec des fièvres typhoïdes légères, manière de voir contre laquelle je ne puis que m'inscrire en faux. Tout praticien suffisamment occupé a souvent l'occasion de remarquer qu'en dehors de tout soupçon d'infection, des écarts de régime bien constatés peuvent faire naître une maladie d'une durée plus ou moins longue qui correspond exactement au tableau de la fièvre gastrique. S'il en est ainsi, on ne se pressera pas d'ad- mettre une infection, même en l'absence d'un écart de régime, et l'on sera forcé d'accorder que des refroidissements, des influences atmosphériques ou telluriques et d'autres causes morbifiques peuvent aussi, de leur côté, faire maître un ensemble de symptômes de cette nature. Par là, je n'entends nul- lement prétendre que bien des fièvres typhoïdes légères n'aient été con- fondues avec lafièvre gastrique et ne présentent des symptômes absolument semblables. La fièvre gastrique débute, en général, par une série de petits frissons,, rarement par un seul et violent frisson initial. La fréquence du pouls s'élève rapidement à 100 pulsations et au delà. La température, d'après ce que nous apprennent les évaluations thermométriques peu nombreuses qui ont été faites, subit dans quelques cas une augmentation modérée, dans d'au- 1 La maladie des trichines, que, dans la dernière édition de mon livre, j'avais dé- crite à la suite des vers intestinaux, figurera, dans celle-ci, parmi les maladies d'in- fection (vol. II). Les motifs qui m'ont déterminé à ce changement seront exposés dans l'étiologie et la pathogénie de la trichiniase. FIÈVRE GASTRIQUE, FIÈVRE MUQUEUSE ET FIÈVRE BILIEUSE. 719 très cas, au contraire, une augmentation très-considérable. Elle peut s'élever à 39 et même à 40 degrés. L'état général est gravement atteint. L'abattement est si grand, que les malades restent généralement couchés; les membres, surtout les articulations, font éprouver des souffrances comme s'ils étaient rompus. Une céphalalgie, déjà insupportable par elle-même, est encore exagérée par le contact des oreillers ; les malades peuvent ordinairement la soulager en serrant un bandeau fortement autour de leur tête. Le sommeil fait défaut, ou bien il est dérangé par des rêves pénibles. Les phénomènes morbides du côté de l'estomac et de l'intestin sont d'une intensité variée. Généralement, l'appétit manque, la langue est chargée, la bouche est pâ- teuse ou amère, et l'haleine fétide ;. les malades accusent une sensation de pression ou de plénitude à l'épigastre et éprouvent de la douleur quand on comprime cette région. Il faut ajouter à cela des renvois de gaz et de liqui- des, ordinairement acides, provenant d'une digestion troublée. Quelquefois il survient aussi des vomissements répétés. Au commencement, les selles sont en général retardées, tandis que plus tard, surtout quand la maladie traîne en longueur, elles sont en diarrhée et précédées de coliques plus ou moins violentes ; les déjections consistent alors en matières liquides, colorées en vert par delà bile non décomposée, et souvent en mucosités plus ou moins abondantes. Quelquefois, cet ensemble de symptômes se passe très-rapidement et le malade, hier encore dans un état presque désolant, est, aujourd'hui, tout à fait rétabli (fièvre éphémère). Si à ces symptômes s'ajoute réclusion de quelques vésicules d'herpès aux lèvres, il ne faut pas voir dans ce fait la preuve d'une forme morbide particulière, d'une prétendue fièvre her- pétique. Un herpès labialis accompagne la fièvre gastrique tout aussi fré- quemment, peut-être même plus fréquemment, que la fièvre pneumo- nique et la fièvre intermittente, et sa signification dans la première est certainement la même que dans les deux dernières. Il s'en faut cependant que la maladie soit toujours terminée en un seul jour ; souvent elle dure plusieurs jours, mais rarement plus longtemps qu'une semaine. Chez les in- dividus qui supportent mal l'augmentation fébrile de la température ou la consomption par la production de calorique exagérée — et nous avons ex- primé à plusieurs reprises que sous ce rapport il y a de grandes différences individuelles — l'affaissement prend de grandes proportions, le sensorium s'obnubile, le délire remplace les rêves agités, et si la langue a alors une tendance à devenir sèche, la ressemblance avec la fièvre typhoïde devient très-grande. Il peut arriver que du sixième au huitième jour seulement une amélioration subite, suivie d'une prompte convalescence, vient dissiper nos doutes. La difficulté du diagnostic différentiel de la fièvre gastrique et de la fièvre typhoïde commençante est si grande, qu'il est prudent de réserver le dia- 720 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. gnostic, aussi bien que le pronostic, pendant le premier septénaire. La répu- tation d'un médecin pourrait, du reste, être sérieusement compromise si la maladie qu'il a positivement déclarée être une fièvre gastrique et dont il a annoncé la guérison prochaine, se développait dans le cours du second ou du troisième septénaire avec toutes ses terreurs. D'un autre côté, il n'est pas moins compromettant pour la réputation d'un médecin que la prétendue fièvre typhoïde soit guérie au bout de la première semaine, et que peu de jours après le malade fasse des promenades. Même les gens du monde ne croient plus qu'une fièvre gastrique puisse, dans des circonstances données, se transformer en fièvre typhoïde, car ils savent très-bien que les deux affec- tions sont de nature essentiellement différente. Pour établir le diagnostic différentiel dès la première semaine, il est d'abord très-important de prendre en considération les conditions étiologiques. Si la maladie a été précédée d'influences nuisibles occasionnant ordinairement des catarrhes de l'estomac et de l'intestin, ce fait établit, en cas de doute, une pré- somption en faveur de la fièvre gastrique. Si, au contraire, des cas de fièvre typhoïde plus ou moins nombreux se sont présentés dans la ville ou dans les environs, et si l'on ne peut constater aucun écai't de régime qui aurait pu occasionner la maladie, il y a lieu de craindre que la maladie que l'on a sous les yeux ne soit une fièvre typhoïde commençante. — En second lieu, l'élévation de la température ne montre pas dans la fièvre gastrique cette marche régulière qui, d'après ce que nous verrons plus tard, peut être con- sidérée comme pathognomonique de la fièvre typhoïde. — Troisièmement, un catarrhe des petites bronches, se trahissant par la toux et la sibilance, parle plutôt en faveur d'une fièvre typhoïde qu'en faveur d'une fièvre gas- trique, quoique dans cette dernière les catarrhes bronchiques puissent éga- lement se développer; ce sont alors les cas que l'on a l'habitude de désigner sous le nom de fièvre gastrique catarrhale. — Quatrièmement, une éclosion de vésicules herpétiques autour de la bouche permet d'exclure la fièvre typhoïde presque avec certitude. — Enfin, cinquièmement, un agrandisse- ment appréciable de la rate et la présence de taches de roséole dans la ré- gion épigastrique, survenant à la fin du premier septénaire, parlent en faveur de la fièvre typhoïde plutôt que de la fièvre gastrique. Il y a des cas où les phénomènes gastriques s'effacent à un tel point de- vant la grave atteinte de l'état général, qu'on peut se demander si réellement le tube digestif est le point de départ de l'affection, et si la fièvre et les phé- nomènes qu'elle entraîne à sa suite sont bien à considérer comme étant les symptômes d'un catarrhe gastro-intestinal. Tels sont les cas qui ont fait ad- mettre une fièvre essentielle simple, ou fièvre simple continue, ou synoque. Il me semble, pour ma part, difficile d'admettre que l'action d'une cause morbifique sur le corps ait pour unique effet la fièvre, et il me semble beaucoup plus probable que, dans ces cas, il se produit, dans un organe FIÈVRE GASTRIQUE, FIEVRE MUQUEUSE ET FIEVRE BILIEUSE. 721 quelconque, des modifications de structure intimes qui se dérobent à l'ob- servation. Ce qui me donne le droit d'émettre cette supposition, c'est le fait -d'observation si connu que, dans beaucoup de cas de pneumonie, d'érysipèle ou de catarrhes intenses de la muqueuse nasale ou bronchique, la fièvre et la perturbation de l'état général s'observent plus tôt que les phénomènes locaux. Il me répugne absolument de croire que dans ces cas il y ait eu éga- lement d'abord une fièvre essentielle, compliquée plus tard seulement d'une affection locale, d'autant plus, qu'à partir du jour oùles phénomènes locaux se sont présentés, la fièvre marche de front avec eux et disparait à mesure que le processus arrive à son terme. Si la modification de texture n'atteint pas un degré suffisant pour donner lieu à des désordres fonctionnels appa- rents, alors, d'après ma manière de voir, il se développe un état que l'on a l'habitude de désigner sous le nom de fièvre essentielle. Une dyspepsie légère ne manque dans aucune fièvre, et le manque d'appétit, un enduit mince sur la langue, etc., ne suffisent pas pour faire donnera une affection fébrile le nom de fièvre gastrique. L'affection plus rare, mais donnant lieu à des phénomènes très-constants et très-caractéristiques que l'on a l'habitude de désigner sous le nom de Jiewe muqueuse, febris pituitosa, %av' iÇoyfrj, serait, d'après Griesinger, bien plus positivement encore que la fièvre gastrique, une simple variété de la fièvre typhoïde, variété qui, à la vérité, se distinguerait par une évolution très-remarquable et très-extraordinaire. J'ignore si Griesinger a fait lui- même l'autopsie d'un grand nombre d'individus morts de cette affection et, dans le cas contraire, où il a pu trouver la confirmation de ce qu'il avance, à savoir que, « l'on trouve toujours, dans ces cas, des ulcères intestinaux traînés en longueur ou déjà en voie de guérison ». La longue durée de la maladie, le faible degré de la fièvre, la grande extension des catarrhes, la production muqueuse énorme et d'autres conditions encore me déterminent, pour ma part, à mettre en doute la proposition de Griesinger, tant que je n'aurai pas appris à mieux connaître les faits sur lesquels cette proposition s'appuie. La description suivante des symptômes et delà marche delà fièvre muqueuse, je l'emprunte, d'une part, à mes propres observations, et, d'autre part, à l'excellent exposé fait par Schœnlein, dans ses leçons cliniques, ex- posé qui, du reste, s'accorde parfaitement avec mes observations person- nelles. La maladie ne débute pas avec cette grande fréquence du pouls, ces douleurs articulaires, cette céphalalgie violente, cette agitation qui caracté- risent le début de la fièvre gastrique; le pouls n'est, au contraire, que peu accéléré, la température peu augmentée, mais les malades se sentent ex- trêmement faibles et abattus, ils sont indifférents à tout ce qui les entoure, continuellement disposés à dormir et montrent la plus grande répugnance NIEMEYER. I _ iQ 722 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. contre toute nourriture. Lorsqu'on les force à accepter quelque chose, ils se sentent bientôt gonflés, éprouvent des nausées qui se terminent enfin par des vomissements mettant au jour les aliments enveloppés de grandes quan- tités d'une mucosité visqueuse. Le catarrhe concomitant de la bouche et du pharynx présente également quelques particularités : ainsi l'enduit de la langue est d'abord jaunâtre et épais; les dents et les gencives, le voile du palais et le pharynx sont couverts d'une mucosité visqueuse; plus tard, la langue se dépouille souvent de toute sa couche épithéliale et se montre rouge comme un morceau de viande crue , ou bien elle paraît couverte d'une sorte de vernis. C'est surtout pendant les heures de la matinée que les malades rejettent avec de grands efforts d'expectoration, et avec des vo- mituritions répétées, un mucus visqueux et filant tellement abondant que le crachoir suffit à peine pour le contenir; les selles, qui sont rarement en diarrhée, consistent en restes d'aliments non digérés, mêlés également de mucosités très-abondantes, et même l'urine laisse déposer un sédiment mu- queux. La fièvre est ordinairement assez modérée pendant tout le cours de la maladie et montre un type tantôt rémittent, tantôt continu. Les malades s'affaissent de plus en plus, leur apathie fait des progrès à un tel point que, quand ils ne dorment pas, ils restent là dans un état d'indifférence com- plète et ne s'occupent ni d'eux-mêmes ni de leur entourage. Quand à la fin, souvent dans la troisième ou la quatrième semaine seulement, la maladie entre en voie d'amélioration, la production muqueuse ne diminue que très- lentement, l'appétit est très-long à revenir, le pouls devient très-lent et les malades, épuisés à un degré extraordinaire, ne se rétablissent qu'après un temps fort long. La moindre occasion suffit pour provoquer une rechute, le processus se répète alors, et ainsi il peut se passer plusieurs mois jusqu'à la guérison du malade, qui peut même succomber si c'est un sujet faible et décrépit. Il est difficile de déterminer exactement quel genre d'état morbide les an- ciens médecins entendaient par le mot : fièvre bilieuse. Je crois cependant que les observations que j'ai recueillies dans ces dernières années sur les affections fébriles accompagnées de phénomènes ictériques m'ont permis d'approcher plus qu'autrefois delà solution de cette question. Je ne crois plus, comme dans le temps, qu'au fond de cet ictère il y ait une polycholie, c'est-à-dire, un état dans lequel la production de la bile va au delà de ce qui peut être évacué par les conduits bilifères et dans lequel, par Conséquent^ une partie de la bile sécrétée doit être résorbée. Je considère, au contraire, l'ictère qui se montre dans le cours des fièvres intenses comme hématogène,, c'est-à-dire dû à la destruction des corpuscules sanguins et à la transforma- tion de la matière colorante du sang, devenue libre, en matière colorante de la bile. A l'occasion des maladies du foie, je reviendrai sur ces faits, et FIÈVRE GASTRIQUE, FIÈVRE MUQUEUSE ET FIÈVRE BILIEUSE. 723 me borne, pour le moment, aux remarques suivantes. Dans la pyohémie, dans la fièvre puerpérale et dans d'autres maladies infectieuses, il arrive parfois, probablement à la suite d'une élévation excessive de la température ducorps, des dégénérations parenchymateuses des organes les plus divers, dégénéra- tions auxquelles le sang prend part lui-même. Dans le cours d'affections in- flammatoires, par exemple de pneumonies, il est plus rare d'observer une dissolution du sang, qui paraît' du reste avoir été entrevue par les anciens, et, à la suite de cette dissolution, un ictère hématogène. Enfin il n'y a pas jusqu'aux affections catarrhales envahissant la muqueuse gastro-intestinale et bronchique, qui ne puissent entraîner des dégénérescences parenchyma- teuses du foie, du cœur, des reins et du sang. Dans ces dernières années, j'ai vu succomber plusieurs malades avec de simples catarrhes des bronches et de l'intestin, et qui avaient présenté des symptômes graves du système nerveux accompagnés de phénomènes ictériques, d'un gonflement modéré du foie, de battements de cœur irréguliers et intermittents, d'albumi- nurie, etc., sans qu'il pût y avoir le moindre soupçon d'infection. Des cas semblables qui, de même, que les pneumonies bilieuses, s'observent en nombre assez considérable à de certaines époques et qui, dans certaines contrées, surtout dans les pays tropicaux, paraissent se rencontrer plus sou- vent qu'ailleurs, semblent correspondre à une grande partie des fièvres bi- lieuses des anciens dont, sans doute, une autre partie n'était composée que de pyohémies et d'autres maladies d'infection. Dans le traitement de la fièvre gastrique, on aime à employer l'acide chlor- hydrique. Une prescription très-répandue dont nous ne garantissons toute- fois pas l'efficacité, est la suivante : 2 grammes d'acide chlorhydrique con- centré dans un véhicule mucilagineux de 200 grammes ou bien dans une infusion faible d'ipécacuanha (50 centigrammes sur 200 grammes). Les ma- lades aiment à prendre ce médicament, la soif en est modérée ; et il ne faut pas perdre de vue que, par cette prescription favorite, on tend à rendre à la sécrétion stomacale l'acide qui, d'après l'expérience physiologique, en augmente considérablement la force digestive. Dans la fièvre muqueuse, on prescrira les carbonates alcalins, surtout la teinture aqueuse de rhubarbe. J'ai administré ce médicament exactement d'après la prescription de Schœnlein, à des doses assez fortes, c'est-à-dire une cuillerée à café toutes les deux heures, et les résultats que j'en ai ob- tenus étaient si excellents, que je ne puis que partager l'opinion de ceux qui élèvent ce remède presque au rang d'un spécifique de la fièvre pitui- teuse. J'ai remarqué, en outre, que les malades supportent mal les potages que l'on a l'habitude de leur donner, et qu'ils se trouvent bien mieux de petites tranches de pain noir rassis, saupoudré de sel, qu'on leur donne de temps à autre dans le courant de la journée. 724 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. Dans la fièvre bilieuse on a surtout recours aux acides minéraux. Une mé- dication qui vaut peut-être encore mieux, c'est la médication antipyrétique et surtout l'administration du sulfate de quinine à haute dose, ainsi que les soustractions de chaleur énergiques à l'aide de bains frais ou d'emmaillotte- ments du corps dans des draps mouillés. SIXIÈME SECTION MALADIES DU PÉRITOINE CHAPITRE PREMIER. Inflammation du péritoine. — Péritonite. § 1. Pathogénie et étiologie. La pathogénie de la péritonite est la même que celle de la plemïte et de la péricardite. Les altérations que nous avons appris à connaître sur la plèvre et le péricarde dans ces dernières maladies, nous les voyons ici se produire sur le péritoine : en même temps qu'une néoplasie de jeune tissu conjonctif, une prolifération a lieu dans le tissu du péritoine , un exsudât contenant de la fibrine et de jeunes cellules ou corpuscules de pus en quantité plus ou moins grande se déverse sur la surface de la séreuse. Cependant, dans plu- sieurs cas de péritonite chronique, le processus inflammatoire paraît se borner à la prolifération du tissu conjonctif péritonéal, sans production d'un épanchement liquide. C'est de cette manière que se forment, selon toute probabilité, ces épaississements et adhérences du péritoine qui sont de même nature que les épaississements et adhérences de la plèvre, et ne se décèlent par aucun symptôme, absolument comme ces derniers. La prédisposition à la péritonite n'est pas grande chez les individus sains et robustes, au moins pour ce'qui concerne la forme aiguë et diffuse de la maladie. Des causes morbifiques de peu d'importance, telles que nous les voyons déterminer si souvent l'inflammation d'autres membranes séreuses et des membranes muqueuses, ne provoquent presque jamais la péritonite. Il faut donc s'imposer la règle, lorsqu'un homme jusqu'alors sain est atteint d'une péritonite, de songer immédiatement à l'action d'une des causes graves dont il sera question plus loin, et ce ne sera qu'après avoir pu les exclure à la suite d'un examen consciencieux, chose qui n'est pas toujours rès-facile, que l'on admettra la possibilité d'une péritonite dite rhumatis- 726 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. maie. — Chez les individus atteints de tuberculose, de maladie de Biïght et d'autres maladies débilitantes, ainsi, que chez les femmes à l'époque de leurs règles, la prédisposition à la péritonite est beaucoup plus grande que chez les individus sains et bien portants. Chez les premiers, il suffit, en effet, très-souvent d'une cause morbifique de peu d'importance pour amener une péritonite. A plusieurs reprises nous avons exposé les motifs qui nous empêchent de compter ces cas de péritonite, ainsi que les pneumonies et pleurésies, qui souvent se présentent dans des conditions analogues, parmi les inflammations secondaires. Enfin, dans des cas assez nombreux, la péri- tonite est la conséquence immédiate d'une infection et doit être mise alors sur la même ligne que les inflammations cutanées dans les exanthèmes aigus. Cette même forme rentre dans la description de la fièvre puerpérale et d'autres maladies d'infection qui se localisent sur le péritoine. Comme causes déterminantes de la péritonite, il y a lieu de citer : 1° Les contusions graves et les plaies pénétrantes de l'abdomen. Parmi les opérations chirurgicales, la paracentèse n'amène que rarement une inflam- mation diffuse du péritoine, l'opération de la hernie étranglée la détermine plus souvent, la gastrotomie toujours. 2° A ces causes se rattachent la rupture et la perforation des organes tapissés par le péritoine et l'épanchement de substances hétérogènes dans la cavité abdominale, qui en est la conséquence. Ainsi la maladie peut être déter- minée par des ulcères perforants ou le cancer de l'estomac, par des ulcéra- tions de l'appendice vermiculaire ou du caecum, par des ulcères typhiques ou scrofuleux de l'intestin, par la perforation de la vessie ou de la vésicule biliaire, par la rupture d'un abcès du foie ou de la rate, et par d'autres acci- dents analogues. Dans tous ces cas l'inflammation s'étend ordinairement avec rapidité à tout le péritoine. Rarement elle est limitée par des adhé- rences anciennes ou récentes entre les intestins, adhérences qui protègent le reste du péritoine contre le contact des matières épanchées. 3° La péritonite peut être le résultat de la propagation d'une inflammation ayunt son point de départ dans un organe voisin. Le péritoine prend part aux inflammations des organes qu'il tapisse aussi souvent que la plèvre participe aux inflammations du poumon. Dans cette catégorie rentrent les cas où la péritonite vient compliquer la typhlite stercorale, les hernies étranglées, les étranglements internes, les volvulus et les invaginations. Très-souvent l'in*-, flammation se propage des organes génitaux de la femme- au péritoine. De même, une péritonite peut être occasionnée par les inflammations du foie ou de la rate. Dans ces cas, l'inflammation du péritoine est en général cir- conscrite au commencement; dans beaucoup de cas, elle le reste même par la suite ; dans d'autres, surtout quand la maladie provient d'un étrangle- ment herniaire ou d'autres accidents analogues, elle devient diffuse plus tard. INFLAMMATION DU PERITOINE. — PERITONITE. 727 U° Rarement, et comme nous l'avons vu plus haut, presque jamais chez des individus sains auparavant, la péritonite est une suite de refroidissements ou d'influences atmosphériques inconnues ; cette dernière forme est connue sous le nom de péritonite rhumatismale. § 2. Anatomie pathologique. ÎNous nous occuperons d'abord des modifications anatomiques de la péri- tonite diffuse aiguë. Au début, le péritoine est rougi et par l'hypérémie capillaire et par un épanchement de sang dans le tissu. Cependant, pour découvrir cette rou- geur, il faut généralement d'abord enlever les dépôts qui recouvrent le pé- ritoine et dont il sera question plus loin. A mesure que la maladie fait des progrès, la rougeur s'efface, les capillaires étant, à ce qu'il parait, com- primés par l'œdème qui se développe dans le tissu du péritoine. De bonne heure la surface est troublée par la chute de l'épithéliuni, et bientôt elle offre cet aspect velouté qui dépend, de même que dans la pleurite, d'une prolifération du tissu conjonctif qui compose le péritoine. Un fait beaucoup plus remarquable que ces modifications de texture du péritoine lui-même, ce sont les exsudats que l'on retrouve toujours, même après une très-courte durée de la maladie. Ces exsudats diffèrent beaucoup sous le rapport de leur nature et de leur quantité. Quelquefois il n'y a qu'une couche mince et transparente de fibrine coagulée, se laissant enlever comme une pellicule assez fine, qui couvre [le péritoine enflammé et forme de lâches adhérences entre les anses intestinales, sans que l'on puisse décou- vrir la moindre trace d'un exsudât liquide. Dans d'autres cas la couche fibrineuse est plus épaisse, plus opaque., plus jaune, semblable à une mem- brane croupale, et dans les endroits déclives de la cavité abdominale on trouve une sérosité trouble, floconneuse, en quantité assez modérée. Dans d'autres cas encore, l' exsudât épanché est très-abondant; l'abdomen ouvert laisse écouler une quantité souvent énorme d'une sérosité trouble et flo- conneuse, dont une grande partie est encore retenue entre les intestins, dans le petit bassin et sur les côtés de la colonne vertébrale. Outre les cou- ches membraneuses étendues sur le péritoine, on trouve encore de nom- breux amas jaunes de fibrine coagulée, dont les uns nagent dans le liquide, tandis que les autres se sont déposés au fond et accumulés dans les endroits déclives. Un exsudât race, très-riche en fibrine, se trouve principalement dans la péritonite d'origine traumatique ou due à l'extension d'une inflammation venant d'un organe voisin. Les épanchements abondants, séro-fibrineux,. se rencontrent par contre plus fréquemment dans les péritonites ayant pour 728 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. point de départ une perforation et'dans celles qui proviennent d'une infec- tion, surtout les péritonites puerpérales, enfin, dans les cas si rares de péri- tonite dite rhumatismale. Toutes les tuniques de l'intestin sont, principalement dans la péritonite avec exsudât abondant, le siège d'un œdème collatéral. La paroi intestinale en est devenue plus épaisse; l'œdème delà muqueuse a, de son côté, eu pour résultat une transsudation séreuse dans l'intérieur de l'intestin , l'œdème et la paralysie de la muqueuse'une accumulation souvent énorme de gaz intestinaux. Les couches superficielles du foie, de la rate, de la paroi abdominale sont, de leur côté, infiltrées de sérosité et décolorées. Enfin nous devons insister tout particulièrement sur une lésion qui explique, jus- qu'à un certain point, la rapidité de la mort, à savoir : le refoulement du diaphragme jusqu'au niveau de la troisième et même de la deuxième côte par l'effet de l'exsudat et plus encore de la distension des intestins, refoule- ment qui peut donner lieu à la compression d'une grande partie de l'un et de l'autre poumon. Si le malade ne succombe pas au moment où l'inflammation est arrivée h son plus haut degré, les lésions anatomiques ne sont plus les mêmes. Dans le cas le plus favorable, la partie liquide de l'exsudat se résorbe rapidement. Plus tard, les masses coagulées aussi bien que les corpuscules de pus, dont les uns sont englobés dans ces masses et les autres suspendus dans le liquide^ disparaissent après avoir éprouvé une métamorphose graisseuse qui les a liquéfiées et rendues aptes à être résorbées; mais toujours il reste, à la suite des lésions, des épaississements partiels et des adhérences du péritoine. Dans les cas moins favorables, la résorption de l'exsudat liquide est incom- plète. Les globules de pus qui, au commencement, n'étaient mêlés qu'en petite quantité à l'exsudat, deviennent plus nombreux, communiquent au liquide un aspect purulent et rendent même les dépôts pseudo-membraneux plus jaunes et plus mous. En plusieurs endroits, les intestins contractent des adhérences assez solides, et le liquide, qui devient de moins en moins libre de se mouvoir, se trouve finalement enfermé dans des foyers circonscrits. — Si les malades survivent encore à cette période que l'on rencontre ordinal rement chez les personnes qui ont succombé à la péritonite entre le troi- sième et le sixième septénaire, le liquide purulent enkysté peut enfin être résorbé ou condensé et transformé en une masse jaune, caséeuse ou même crayeuse qui, entourée d'un tissu conjonctif calleux, reste déposée dans la cavité abdominale. Dans d'autres cas, la prolifération cellulaire qui a lieu sur la surface libre du péritoine se fait également dans son épaisseur; il se fait une ulcération et une perforation du péritoine, et l'exsudat enkysté pé- nètre, suivant le lieu delà perforation, dans l'intestin, dans la vessie, ou bien- il traverse la paroi abdominale ou fuse dans le tissu cellulaire du bassin et se fraye un chemin au dehors par un point plus déclive. INFLAMMATION DU PÉRITOINE. — PÉRITONITE. 729 Dans la 'péritonite partielle aiguë, les modifications décrites sont limitées à l'enveloppe séreuse du foie, de la rate, d'une portion d'intestin ou de quel- ques anses voisines et aux environs immédiats de ces parties. Si Fexsudat est rare et riche en fibrine, le processus se termine ordinairement par l'adhérence réciproque des parties enflammées. Si l' exsudât est plus abon- dant et séro-fibrineux, il peut se former, comme dans la péritonite diffuse, des foyers isolés entre les parties enflammées, foyers qui donneront lieu à une des terminaisons signalées plus haut. Sous le nom de péritonite chronique, on entend, premièrement, une l'orme qui, débutant comme péritonite diffuse aiguë, traîne ensuite en longueur et donne ainsi lieu à la formation des foyers purulents que nous venons de décrire. — Mais, outre cette forme, on trouve encore, surtout chez les enfants, et combinés avec une scrofulose intestinale et mésenté- rique, des processus inflammatoires du péritoine qui , dès le principe , prennent un développement chronique et s'étendent à tout le péritoine ou au moins à sa plus grande partie. Cette forme se distingue par l'hypergenèse excessive du tissu conjonctif péritonéal, sous l'influence de laquelle se pro- duisent des épaississements tantôt gélatineux, tantôt calleux, du péritoine. Les intestins sont réunis par les adhérences en conglomérats informes et entre les diverses anses intestinales rétrécies et comme brisées; en plusieurs endroits il existe des foyers remplis d'un liquide tantôt séreux, tantôt puru- lent, tantôt sanguinolent. Le mélange de sang dépend de ruptures vascu- laires comme elles se produisent toutes les fois qu'une inflammation chro- nique passe par des recrudescences successives, attendu que dans ces cas l'inflammation nouvelle n'envahit pas seulement le tissu primitif, mais encore le tissu conjonctif riche en capillaires larges et à parois minces qui, dans les inflammations antérieures, s'était élevé au-dessus du premier. Très-souvent, et surtout en cas d'exsudat hémorrhagique, on trouve dans ces cas des tubercules sur le péritoine épaissi. (Voy. chapitre III.) — Enfin, troisièmement, on rencontre très-fréquemment une péritonite partielle chronique que nous connaissons mieux dans ses terminaisons que dans ses premières périodes. Elle se développe dans les inflammations et dégéné- rescences chroniques des organes du bas-ventre, et a pour conséquence des troubles et des épaississements partiels du péritoine, des adhérences réci- proques entre les organes voisins, des tiraillements et des flexions anguleuses des intestins. § 3. Symptômes et marche. Le tableau de la -péritonite diffuse aiguë, au début, varie suivant les causes qui l'ont provoquée. Le premier symptôme de la péritonite traumatique est ordinairement une vive douleur qui s'étend de l'endroit lésé à tout le 730 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. bas-ventre. — Dans la péritonite due à une perforation, le premier sym- ptôme, lorsque cette dernière arrive subitement, et que des substances offensives se déversent dans la cavité abdominale, est également une douleur énorme occupant tout le bas-ventre. Au commencement, il s'ajoute à cette douleur des signes de dépression profonde, une forte fièvre ne vient que plus tard. — Si la perforation se fait lentement et que les matières qui s'épanchent dans la cavité abdominale soient peu abondantes et peu offen- sives, les symptômes de la péritonite générale sont souvent précédés de ceux de la péritonite partielle, qui seront exposés plus loin. — Le début d'une péritonite diffuse aiguë s'annonce d'une façon beaucoup moins brusque* dans les cas où l'inflammation de quelque organe voisin se transmet au péritoine. Les douleurs qui existaient déjà auparavant s'exaspèrent peu à peu , sont limitées au commencement à l'endroit où est situé l'organe enflammé et gagnent lentement toute l'étendue de l'abdomen. — Un violent frisson et une fièvre intense, qui accompagnent l'invasion d'autres inflammations graves, ne semblent marquer le début de la maladie, que. lorsqu'il s'agit de la péritonite rhumatismale ou de la forme provenant d'une infection. Que la maladie débute d'une manière ou d'une autre, que la fièvre existe dès le principe ou qu'elle s'y ajoute simplement plus tard, toujours est-il que le symptôme le plus pénible et en même temps le plus carac- téristique c'est la douleur. La plus légère pression sur le ventre suffit pour l'augmenter, quelquefois les malades ne supportent même pas le poids de leur couverture. — Ils ne se jettent pas clans leur lit de côté et d'autre, mais se tiennent tranquillement couchés sur le dos, les cuisses fléchies sur le bassin et redoutent le moindre changement de position. Au moindre accès de toux, la douleur leur fait contracter le visage ; ils parlent bas et avec précaution et n'osent pas respirer profondément pour éviter la pression occasionnée par la descente du diaphragme. — Dès les premières périodes de la maladie, le ventre commence à être tendu et ballonné. Au commen- cement, la présence de l'exsudat dans la cavité abdominale entre pour très-peu dans la production de ce météorisme, qui dépend beaucoup plus de la distension des intestins par des gaz. On ne s'explique pas très-bien la raison de cette accumulation de gaz intestinaux ; il est peu probable que ces derniers soient produits en quantité exagérée, car il. est impossible de constater une cause de décomposition plus rapide des matières contenues dans l'intestin ; d'un autre côté, il est tout aussi inadmissible que dans la péritonite il y ait une exhalation d'air par la paroi intestinale. Ainsi, le météorisme paraît dépendre en partie de l'expansion des gaz déterminée par le relâchement des parois intestinales, mais bien plus encore de l'obstacle qui s'oppose au départ de ces gaz et qui provient de la paralysie de la membrane musculaire. Le ballonnement peut bien vite atteindre un très- INFLAMMATION LU PÉRITOINE. — PÉRITONITE. 731 haut degré. Mais- il est évident que l' exsudât et les intestins distendus exerceront contre le diaphragme la même pression que contre les parois du ventre, et de là résultent bientôt les symptômes qui sont les plus pénibles après les douleurs et qui sont en même temps la source des plus grands dangers. La compression , que le diaphragme, refoulé bien haut, fait éprouver aux lobes inférieurs du poumon et l'hypérémie intense qui se développe dans les parties non comprimées de cet organe (par suite de l'arrêt de la circulation dans les parties comprimées) occasionnent une forte dyspnée et une fréquence de respiration qui peut aller de UQ à 60 inspirations à la minute. L'arrêt de la circulation pulmonaire peut étendre ses effets au delà du cœur droit, sur les veines de la grande circulation, ce qui commu- nique aux malades un aspect légèrement cyanose. — Dans la plupart des cas de péritonite diffuse aiguë, il existe une constipation opiniâtre, phéno- mène qui trouve son explication dans la paralysie de la membrane muscu- laire, due à l'œdème collatéral. Ce n'est que dans la péritonite puerpérale que l'on trouve ordinairement des selles liquides, attendu que dans cette forme l'œdème gagne même la membrane muqueuse et provoque une forte transsudation par la surface interne de l'intestin, transsudation dont le pro- duit s'écoule, lorsqu'il s'accumule jusqu'à un certain point, malgré la paralysie de la musculeuse. Si l'on fait mettre ces malades sur leur séant ou qu'on exerce une certaine pression sur la surface de leur abdomen, des matières liquides, faiblement colorées, s'échappent de leur anus; — Aux symptômes mentionnés s'ajoutent très-souvent des vomissements, dans les cas, bien entendu, où la péritonite n'est pas le résultat de la perforation d'un ulcère chronique de l'estomac. Au commencement, les individus rejettent des matières muqueuses, incolores, plus tard des matières plus aqueuses, verdâtres ou même fortement colorées en vert. Les causes du vomissement et les conditions dans lesquelles il fait défaut, sont obscures. Car cette différence ne s'explique pas par une participation de l'enveloppe péritonéale de l'estomac à l'inflammation ou l'absence de cette parti- cipation. — Si l'inflammation se communique à l'enveloppe péritonéale de la vessie il se produit un continuel besoin d'uriner et une sensation de plénitude de cet organe. Lorsqu'un médecin inexpérimenté s'en laisse imposer et cède aux instances des malades qui réclament l'introduction de la sonde, il ne s'échappe ordinairement que quelques gouttes rares d'une urine concentrée et foncée en couleur. — Enfin, au tableau morbide de la péritonite diffuse aiguë, il faut ajouter la fièvre qui se déclare de bonne heure même dans les cas où elle n'a pas ouvert la scène. La fréquence du pouls est très-considérable, l'onde sanguine très-petite, la température du corps s'élève à Z|0 degrés et au delà. L'état général est gravement atteint comme dans toute fièvre intense, le sensorium est libre dans la plupart des cas. 732 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. Lorsque la maladie suit une marche grave, les symptômes décrits s'élè- vent en peu de jours à un degré considérable. Il n'y a que les douleurs qui, excessives au commencement, diminuent un peu par la suite. Le ventre est ballonné comme un tambour, le foie et la pointe du cœur sont souvent refoulés jusqu'au niveau de la troisième côte. A la percussion, qui, au début de la maladie, donnait un son plein et tympanitique, on constate aux endroits déclives, si l'exsudat est devenu très-abondant, une matité manifeste, mais presque jamais absolue. L'anxiété des malades devient terrible, ils implorent du secours, leur regard exprime le désespoir. Si l'on n'a pas retiré beaucoup de sang et si la masse de ce liquide n'a pas été fortement diminuée par de très-abondantes exsudations, le visage peut offrir un aspect fortement cyanose. Enfin le sensorium se trouble, les malades tombent dans la stupeur, commencent à délirer, le pouls devient de plus en plus petit et fréquent, la peau se couvre d'une sueur froide, et les malades succombent à leurs souffrances quelquefois dès le troisième ou le quatrième jour, mais plus souvent à la fin du premier septénaire. Lorsque la maladie suit une marche favorable, ce qui ne peut arriver que dans les cas où l'on parvient à écarter les causes déterminantes ou bien quand elle est moins maligne de sa nature, la douleur, le météorisme et la fièvre diminuent peu à peu, la respiration devient plus libre et le malade peut se rétablir en peu de temps, mais très-souvent il lui reste, par suite des adhérences et des flexions de l'intestin, pour la vie entière une constipation habituelle , et quelquefois des coliques qui précèdent régulièrement les selles. Si le malade ne succombe pas dans la première semaine, et si pendant ce temps il ne se produit pas non plus une amélioration évidente, le tableau de la maladie change, elle affecte une marche chronique. La douleur devient plus modérée, l'abdomen ne conserve de la sensibilité que sous une pression profonde, le météorisme diminue sans disparaître tout à fait. Si lf malade a été jusque-là constipé, les selles se rétablissent; si, au contraire, une transsudation abondante dans l'intestin avait été une cause de diarrhée, cette dernière se dissipe ou bien la constipation alterne avec la diarrhée. La fréquence du pouls et la température du corps baissent également jusqu'à un certain point, sans cependant revenir à leur état normal. A mesure que le météorisme diminue, la matité devient plus sensible aux endroits déclives, et l'on aperçoit en outre à ces endroits une rénitence de plus en plus con- sidérable ; le ventre finit par perdre sa forme symétrique, il devient bosselé et les exsudais enkystés prennent l'aspect de tumeurs irrégulières. La fièvre qui persiste, quoique à un degré plus modéré et offre de temps à autre des exaccrbations, consume de plus en plus non-seulement les forces du malade, mais encore son sang et ses tissus. La graisse disparaît, les muscles s'atro- phient et deviennent flasques, la peau devient sèche et rude, assez souvent INFLAMMATION DU PÉRITOINE. — PÉRITONITE. 733 un œdème envahit les jambes, et dans le quatrième, le cinquième ou le sixième septénaire, les malades succombent presque toujours dans un état d'épuisement extrême. — Si, contrairement à toute attente, il se fait une résorption de l' exsudât, la convalescence est très-longue et les symptômes de rétrécissement et de tiraillement intestinal qui persistent à la suite de ces cas, d'une manière bien plus constante encore qu'à la suite d'une résorption plus rapide de l' exsudât, deviennent une source de longues et de cruelles souffrances. — S'il se développe une ulcération et une perforation du péritoine, la fièvre fait des progrès, les douleurs augmentent et les parois abdominales sont infiltrées, rougies dans une étendue limitée et enfin perforées par le pus, ou bien il se développe des abcès par congestion qui se montrent en divers endroits, ou bien enfin le pus se fait jour dans l'in- térieur de l'intestin et se trouve ainsi évacué par les selles, et c'est là l'issue la plus favorable. Mais ordinairement les individus succombent même dans ce cas parle progrès de l'épuisement, et il en est bien peu qui se rétablissent après une longue convalescence. La péritonite partielle, aiguë est ordinairement précédée de prodromes, c'est-à-dire de symptômes appartenant à la maladie de l'organe d'où l'inflam- mation s'est étendue au péritoine. Ainsi, par exemple, la péritonite partielle aiguë qui se manifeste primitivement dans la fosse iliaque droite, est ordi- nairement précédée de symptômes de typhlite; si l'affection commence dans la région hypogastrique ou bien à l'épigastre ou dans la région du foie, elle est précédée de symptômes appartenant soit à des ulcères intestinaux, soit à des ulcères de l'estomac, soit enfin à des abcès du foie, etc. Dans cette forme, la maladie elle-même s'annonce, il est vrai, également par une douleur qui s'étend à tout l'abdomen; cependant la grande sensibilité des parois du ventre à la pression extérieure et qui est presque pathognomonique pour la péritonite, reste ici limitée à un endroit déterminé de l'abdomen. Le mé- téorisme manque ou bien il est également partiel, la fièvre est plus modérée que dans la forme diffuse. — Si F exsudât n'est pas très-abondant, les sym- ptômes mentionnés se dissipent en général très-rapidement, et la maladie se termine par une guérison parfaite, à moins qu'il se produise des adhé- rences qui gênent les mouvements intestinaux ou que la maladie primitive conduise à une autre issue. — La marche de la péritonite partielle aiguë devient tout autre quand elle fournit un exsudât plus abondant. Dans ce cas, le son de la percussion devient ordinairement plus grêle au niveau des par- lies enflammées, la résistance des parois abdominales devient plus grande jusqu'à ce que finalement on sente encore dans ce cas une tumeur dans la cavité abdominale. Ces sortes de foyers se rencontrent rarement après la perforation d'ulcères de l'estomac, plus souvent à la suite d'une perforation lente d'un ulcère tuberculeux de l'intestin et en cas d'ulcération du caecum et de l'appendice vermiculaire. La marche ultérieure de ces abcès est la 734 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. même que celle des foyers enkystés qui se produisent dans la péritonite dif- fuse traînée en longueur. La péritonite chronique, qui se rencontre principalement chez les enfants concurremment avec les affections scrofuleuses et tuberculeuses de l'intestin et du mésentère, a été parfaitement décrite dans la « clinique des maladies de Fabdomen » par Henoch. Les enfants qui en sont atteints sont générale- ment,, dit-il, des individus délicats, scrofuleux, qui, par des coliques surve- nant de temps à autre, par une diarrhée alternant avec la constipation, par un amaigrissement toujours croissant, éveillent le soupçon d'une affection vermineuse ou d'une phthisie mésentérique. En examinant attentivement l'abdomen, examen dans lequel il faut se garder de confondre la manifesta- tion de l'ennui causé par cette exploration avec l'expression d'une véritable douleur, on s'aperçoit que le ventre est en différents endroits très-sensible * à la pression ; il arrive même que la simple activité des muscles abdominaux suffit déjà pour exciter la douleur, et que les enfants se mettent à pleurer aussitôt qu'ils se livrent à quelques efforts pour aller à la selle. L'amaigris- sement fait de rapides progrès et arrive en peu de mois à un degré très- élevé, la fièvre se déclare régulièrement tous les soirs, l'abdomen des en- fants devient de plus en plus saillant et finit par prendre une, forme sphé- roïdale. Enfin les téguments abdominaux sont fortement tendus, même lui- sants et sont souvent parcourus par des veines dilatées. En exerçant sur le ventre une pression, qui continue d'être douloureuse, on rencontre une résistance élastique. A la percussion, les résultats sont variés. D'abord il est rare qu'une matité aux endroits déclives, matité qui change de place selon la position du malade, permette de constater la présence d'un exsudât libre dans la cavité abdominale. Plus souvent il arrive que tout l'abdomen rend un son grêle à la percussion, les intestins étant attirés vers la colonne verté- brale par la rétraction du mésentère, et F exsudât étant ainsi en contact avec la paroi abdominale. Dans la plupart des cas, le son est plein et tym- panitique à quelques endroits où sont situées des portions d'intestin, et mat à d'autres où se trouvent des exsudats liquides. — On ne méconnaîtra pas facilement la maladie qui n'est pas très-commune et qui se termine toujours par la mort, soit par elle-même, soit par ses complications, si l'on a bien présents à l'esprit les traits du tableau esquissé par Henoch. La péritonite partielle chronique, dont nous trouvons les résidus dans le cadavre sous forme d'épaississements, d'adhérences et de rétractions cicatri- cielles du péritoine presque aussi souvent que l'on rencontre des épaississe- ments et des adhérences de la plèvre, se développe d'une manière tout aussi latente que la pleurite qui donne lieu à ces dernières lésions, et nous ne sommes pas en état de tracer un tableau clinique appartenant à cette forme de la péritonite. INFLAMMATION DU PERITOINE. — PÉRITONITE. 735 § h. Diagnostic. Il n'est pas facile de confondre la péritonite avec d'autres affections, la grande sensibilité du ventre à la plus légère pression, le météorisme et la lièvre, dans la forme aiguë, permettant presque toujours de fixer le dia- gnostic. Une forme qui peut offrir quelques difficultés sous le rapport du dia- gnostic, c'est celle qui prend naissance à la suite d'une perforation d'ulcères de l'estomac ou du duodénum, avant que ces ulcères aient été reconnus. La décomposition du visage, la fraîcheur de la peau, la petitesse du pouls, la rétraction du ventre et d'autres symptômes d'une dépression générale grave rappellent le tableau d'une colique plutôt que celui d'une violente inflam- mation. Si l'on se rappelle combien peuvent être insignifiants les symptômes des ulcères de l'estomac et du duodénum, et si l'on tient compte de l'ex- trême sensibilité du ventre à la pression, sensibilité qui se développe encore immédiatement dans cette forme de la péritonite, on évitera facilement la confusion. D'un autre côté, on peut se tromper en prenant des coliques et l'étran- glement de calculs biliaires ou rénaux pour une péritonite ; toutefois la dis- tinction ne souffre de difficultés que dans les cas où, par exemple, chez les femmes hystériques une névralgie mésentérique se complique d'une hyper- esthésie des téguments abdominaux, ou bien lorsque, dans une colique dite rhumatismale, et dans les coliques hépatiques, l'hypochondre droit montre une grande sensibilité à la pression. Dans ces cas, il peut être nécessaire d'attendre les progrès de la marche avant de se prononcer d'une façon dé- finitive. Dans tous les autres cas, l'insensibilité du ventre à la pression et plus encore le soulagement que cette pression fait éprouver aux malades, nous renseignent positivement dès le commencement. § 5. Pronostic. Si la plupart des individus atteints de péritonite succombent à cette ma- ladie, cela ne provient nullement d'une disposition particulière de l'orga- nisme à mal supporter l'inflammation du péritoine, mais purement et sim- plement de ce que la maladie dépend presque toujours de lésions graves ou de maladies graves de sang, ou bien encore de ce qu'elle se présente chez des individus qui,Ndéjà malades auparavant, sont doués de très-peu de force de résistance. Si la péritonite se développe sous l'influence d'une de ces causes qui président à la plupart des cas de pleurésie, le pronostic est incon- testablement meilleur que celui delà pleurésie. Ainsi, nous voyons très-sou- 736 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. vent se terminer par la guérison la péritonite rhumatismale qui se montre exceptionnellement chez des individus sains, surtout chez les femmes à l'époque des règles, ainsi que la péritonite qui s'ajoute aux rétentions de matières fécales, à la typhlite et même celle qui complique les hernies étranglées, pourvu que l'on parvienne à éloigner d'assez bonne heure les causes qui ont provoqué la maladie. Une forme encore moins dangereuse, c'est la péritonite chronique circonscrite qui complique les inflammations chroniques et les dégénérescences des organes abdominaux. S'il était per- mis de croire à un effort intelligent de la nature, on pourrait voir dans ces affections un effort de ce genre pour prévenir le mal. Parmi les symptômes qui décident du pronostic d'un cas donné, il faut avant tout tenir compte, au commencement de la maladie, du météorisme et des phénomènes de dyspnée qui en sont la conséquence immédiate : plus la dyspnée est grande, plus le danger augmente. Dans les périodes ultérieures, surtout quand la maladie traîne en longueur, la violence de la fièvre, le degré des forces et l'état de la nutrition qui dépendent directement de la fièvre, sont d'une importance beaucoup plus grande pour le pronostic que la plupart des autres symptômes. § 6. Traitement. Lorsqu'une rétention de matières fécales et une ulcération consécutive de l'intestin, surtout une typhlite stercorale, ou bien une hernie étranglée, a entraîné la péritonite, l'indication causale peut être remplie par le traitement antérieurement mentionné de la maladie principale et, en cas de hernie, par la kélotomie. Dans aucun autre cas, nous ne pouvons remplir cette indi- cation. Il convient cependant de parler ici du traitement des perforations par l'opium à hautes doses souvent répétées, ce traitement ayant pour but de suspendre autant que possible les mouvements péristaltiques, de prévenir ainsi le contact des matières épanchées avec de grandes surfaces périto- néales et d'empêcher surtout, lorsque ces substances sont isolées du reste de la cavité péritonéale par des agglutinations et des adhérences, qu'il se pro- duise une rupture de ces dernières. Les documents statistiques témoignent en faveur de cette méthode, et dans le cas où, au lieu d'y avoir recours, on s'était borné à combattre simplement les symptômes et. à administrer contre la constipation des lavements et des purgatifs, j'ai pu constater, à plusieurs reprises, qu'immédiatement après l'emploi de ces moyens la péritonite qui jusque-là n'avait été que circonscrite et qui peut-être serait restée telle, s'étendait rapidement sur tout le péritoine. On donne l'opium à la dose de 2 à 5 centigrammes d'abord, de demi-heure en demi-heure, et à des inter- valles plus longs par la suite. INFLAMMATION DU PERITOINE. — PERITONITE. 737 Les opinions se sont notablement modifiées dans ces derniers temps sur l'indication de la maladie. Autrefois, on retirait à chaque malade qu'il s'agis- sait de traiter selon le s[ principe s de l'art, plusieurs livres desangpar des sai- gnées générales; ensuite, on couvrait le ventre de sangsues, on administrait 5 à 10 centigrammes decalomel à l'intérieur toutes les deux heures, et l'on frictionnait en même temps la peau du ventre et des cuisses, en ménageant ou en ne ménageant pas les plaies des sangsues, avec une grande quantité d'onguent mercuriel. « Tel fut le remède, les patients mouraient — et per- sonne n'est venu demander s'il y avait eu des guérisons 1. » Certes, la mé- thode en faveur ne brille pas non plus par ses résultats, mais il est facile de prouver que la médication ancienne était aussi irrationnelle que pernicieuse. Il suffit d'examiner le cadavre d'un individu qui, sans avoir été saigné, a succombé à une péritonite accompagnée d'épanchements abondants, poul- ie trouver généralement très-anémié par l'effet de l'exsudation surabon- dante. Mais si l'on fait l'autopsie d'individus morts d'une péritonite traitée suivant la routine, on trouve ordinairement le cœur et les vaisseaux telle- ment exsangues que l'on est tenté de mettre la mort bien plutôt sur le compte du traitement que sur celui de la maladie elle-même. Si nous ajou- tons, en outre, que, selon l'expérience de tous les jours, une grande perte de sang pendant l'accouchement n'offre aucune garantie contre la fièvre puerpérale régnante, et que toutes les influences nuisibles qui déterminent généralement la péritonite provoquent la maladie tout aussi bien chez les individus affaiblis et anémiques que chez les personnes robustes et bien nourries, nous pouvons nous dispenser de citer d'autres raisons contre la saignée générale. (Plus loin, nous verrons que nous pouvons néanmoins' être forcés de recourir parfois à ce moyen pour répondre à l'indication symptoma- tique.) — Aujourd'hui, on ne croit plus guère à l'action antiphlogistique et antiplastique des mercuriaux, et pour notre part, nous n'hésitons pas non plus à déclarer que le calomel à petite dose et l'onguent mercuriel nous pa- raissent pour le moins superflus dans le traitement de la péritonite et que le calomel à doses purgatives nous paraît directement nuisible. — Il n'en est plus de même des saignées locales qui offrent beaucoup moins d'inconvé- nients que la saignée générale et dont l'effet favorable sur les douleurs des malades ne saurait être un instant contesté, d'autant plus que cet effet ne manque pas de se produire même dans les cas où la péritonite est due à la perforation d'un ulcère de l'estomac. — Le froid exerce une action tout à fait semblable et peut-être encore plus favorable sur l'inflammation elle-même. Si les malades supportent l'emploi de ce moyen, ce qui malheureusement n'est pas toujours le cas, on couvrira tout l'abdomen de compresses froides que l'on renouvellera régulièrement par intervalles de dix minutes. Ce trai- 1 Paroles du Faust de Gœthe. NIEMEYER. !• — 47 738 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. tement, préconisé par Abercrombie, Kiwisch et autres, m'a fourni d'excel- lents résultats dans les cas d'ailleurs susceptibles d'être traités, mais je suis forcé de convenir que l'emploi de cataplasmes chauds, pas trop lourds, est mieux supporté par beaucoup de malades que l'application des compresses froides. — De nos jours, les bons effets de l'opium dans la péritonite prove- nant d'une perforation, et la conviction que les parties enflammées ont, avant tout, besoin de repos, ont mis de plus en plus l'opium en faveur clans le traitement de n'importe quelle forme de la péritonite. Nous sommes, pour notre part, de l'avis de ceux qui considèrent une ou plusieurs applications de sangsues sur le ventre, l'emploi du froid et l'usage interne de l'opium comme le traitement le plus efficace de la péritonite. — Si la maladie traîne en longueur, s'il se produit des foyers purulents enkystés, nous recomman- dons avec instance l'application continue de cataplasmes et d'ouvrir de bonne heure les abcès qui se reconnaissent à la fluctuation. Le même traitement est indiqué dans la péritonite chronique, contre laquelle on peut également recommander l'usage interne des préparations iodées et le badigeonnage du ventre avec la teinture d'iode. Enfin, pour ce qui concerne l'indication symptomatique, une cyanose con- sidérable, survenant de bonne heure, et plus encore une dyspnée intense compliquée de symptômes d'œdème dans les lobes supérieurs du poumon, réclament la saignée générale. Cette dernière n'écarte, il est vrai, que d'une façon momentanée le danger qui menace l'existence, cependant nous ne possédons aucun moyen qui remplisse mieux cette pressante indication. L'usage interne de l'essence de térébenthine, préconisé par des médecins anglais, ne rend pas plus de services contre la cause première de la dyspnée, le météorisme, que les absorbants et d'autres remèdes par lesquels on s'était proposé de fixer ou de chasser le gaz. La ponction de l'abdomen à l'aide d'un trocart fin ne mérite aucune confiance, mais on fera toujours bien d'essayer de procurer une issue aux gaz à l'aide d'une sonde introduite dans le rec- tum. (Bamberger.) — De petits morceaux de glace avalés par le malade sont le remède le plus efficace contre les vomissemeuts. Contre la constipation, il n'est permis d'agir qu'après la cessation de l'inflammation, en adminis- trant les laxatifs les plus doux ; enfin, la diarrhée qui dépend d'un œdème de la muqueuse résiste ordinairement, à l'opium aussi bien qu'aux astrin- gents. — Dans les cas où la maladie traîne en longueur, et qui deviennent dangereux parla consomption fébrile, on fait bien d'administrer aux malades de fortes doses de sulfate de quinine et en outre de faibles quantités de vin, mais par-dessus tout on prescrira un régime fortifiant et facile à di- gérer. HYDROPISIE DU PERITOINE, ASGITE. 739 CHAPITRE II Hydropisic du péritoine. — Ascite. § 1. Pathogénie et étiologie. Dans l'hydropisie du péritoine, autrement dit l'ascite, nous avons affaire à un produit de transsudation épanché dans la cavité abdominale et qui, sous le rapport de sa composition-, se rattache aux produits de transsudation normaux du corps. Les conditions sous lesquelles l'ascite se développe sont les mêmes que celles qui président à une transsudation exagérée dans d'au- tres endroits du corps et peuvent être rapportées soit à une pression exagérée sur la paroi interne des vaisseaux, soit à une diminution de l'albumine dans le sérum sanguin, soit enfin à une dégénérescence du péritoine. 1° L'ascite est très-souvent une manifestation partielle de l'hydropisie géné- rale, que cette dernière dépende d'une affection du cœur et du poumon s' opposant à l'écoulement du sang veineux du corps ou qu'elle dépende d'une dégénérescence des reins, de la rate ou d'autres maladies ayant pour conséquence un appauvrissement du sang. Dans tous ces cas, l'ascite est un des phénomènes tardifs de l'hydropisie et ne se rencontre en général que quand des épanchements hydropiques dans le tissu cellulaire sous-cutané (anasarque) des extrémités, de la face, etc., existent depuis un temps plus ou moins long. 2° Dans d'autres cas l'ascite n'est que le résultat d'une stase sanguine limitée aux vaisseaux du péritoine. Une stase sanguine de ce genre ne pouvant se dé- velopper que sous l'influence d'un obstacle à la circulation de la veine porte, on conçoit facilement que l'ascite existe indépendamment de tout phénomène hydropique de quelque autre organe et qu'elle accompagne, comme telle, certaines maladies du foie et des vaisseaux du foie. 3° Enfin l'ascite vient compliquer assez souvent certaines dégénérescences étendues du péritoine, telles que les néoplasmes carcinomateux et tubercu- leux. Parmi les diverses formes du cancer, il n'y a cependant que le cancer alvéolaire du péritoine qui semble constamment lié à une ascite intense. § 2. Anatomie pathologique. La quantité de sérum épanché dans la cavité abdominale varie. Dans quelques cas elle ne va pas au delà de 1 kilogramme, dans d'autres elle 740 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. s'élève à 20 kilogrammes et plus. Le liquide est tantôt limpide, tantôt légè- rement troublé par un mélange de cellules épithéliales détachées et dégé- nérées en matière graisseuse ; il est ordinairement d'un jaune citrin, riche en albumine et en sels, et renferme rarement quelques flocons de fibrine coagulée. Dans le liquide qui se déverse dans la cavité abdominale, surtout en cas de dégénérescence du péritoine, il se forme quelquefois, lorsque ce liquide est exposé à l'air pendant plusieurs jours de suite, des dépôts de fibrine qui se coagulent lentement. (Voyez Cancer de la irtèvre.) Le péritoine lui-même semble ordinairement dépourvu de brillant et un peu blanchâtre ; les couches superficielles des parenchymes hépathique et splénique sont légèrement décolorées. Sous la pression d'épanchements considérables, le foie, la rate, les reins peuvent devenir exsangues et dimi- nuer de volume. Enfin le diaphragme est parfois refoulé jusqu'à la troisième, voire même jusqu'à la seconde côte, par la collection liquide. § 3. Symptômss et marche. Il n'est guère possible de tracer un tableau clinique de l'ascite, attendu que cette maladie ne constitue jamais une affection à part et que les sym- ptômes qui lui appartiennent ne peuvent être séparés de la maladie principale que par une division purement artificielle. Lorsque l'ascite vient s'ajouter à une hydropisie générale., les symptômes subjectifs de la nouvelle affection sont ordinairement trop insignifiants, au commencement, comparativement aux autres souffrances du malade, pour attirer l'attention sur l'ascite. Le plus souvent c'est alors l'examen physique, provoqué par le soupçon d'un développement d'ascite, qui nous fournit les premiers renseignements. — Il en est autrement de l'ascite qui s'ajoute à des troubles circulatoires dans le domaine de la veine porte ou à des dégé- nérescences du péritoine. Dans ces cas, le développement d'une cirrhose du foie ou d'un cancer du péritoine peut être tellement latent que les souf- frances lentement croissantes déterminées par l'ascite sont peut-être les premières anomalies appréciables et celles qui éveillent le soupçon de la maladie principale. Tant que la quantité de liquide épanché dans le ventre est modérée, les malades n'accusent qu'une sensation de plénitude, ils se sentent gênés par des vêtements autrefois d'une ampleur suffisante et ils éprouvent un léger embarras en respirant profondément. Lorsque la quan- tité du liquide augmente, la sensation du trop-plein s'exaspère au point de devenir celle d'une tension douloureuse, et le léger embarras respira- toire devient une dyspnée pénible. La pression exercée parle liquide sur le rectum peut entraîner la constipation et la flatulence que celle-ci détermine HYDROPISIE DU PÉRITOINE, ASCITE. 741 à son tour peut exagérer la dyspnée. Il arrive encore plus souvent que la sécrétion urinaire est diminuée par la pression du liquide sur les reins ou sur les vaisseaux de ces organes. D'après une ancienne croyance, les diurétiques, après avoir perdu leur efficacité, la retrouveraient après la pa- racentèse. Cette hypothèse repose évidemment sur l'interprétation erronée d'un fait très-simple, à savoir que le développement de l'ascite ajoute un nouvel obstacle à celui qui s'oppose déjà à la sécrétion urinaire, et que ce nouvel obstacle étant levé, le trouble diminue. — La pression éprouvée en cas d'épanchement très-abondant par la veine cave et les veines iliaques, a [jour effet un arrêt de la circulation veineuse des jambes, des parties géni- taies externes et des téguments abdominaux. C'est ce qui explique les dila- tations veineuses de ces parties et les épanchements hydropiques du tissu cel- lulaire sous-cutané, qui peuvent devenir très-considérables et donner lieu facilement à une fausse interprétation de la maladie. On ne négligera donc jamais de s'informer si le gonflement s'était montré en premier lieu aux jambes et au scrotum, ou bien à l'abdomen. Presque tous les individus atteints d'ascite courent de grands dangers ; mais la plupart d'entre eux succombent non à l'ascite elle-même, mais à la maladie première. La gêne respiratoire ou bien les excoriations et la gangrène superficielle qui se développent parfois aux parties génitales et aux cuisses, à la suite de l'extrême tension de la peau, peuvent hâter la fin des malades. L'examen physique du bas-ventre est de la plus haute importance pour le diagnostic de l'ascite. A l'aspect extérieur on est premièrement frappé par la distension et la forme particulière du ventre. Tant que l'épanchement est modéré, l'abdomen change de forme selon les diverses positions du corps. Si l'on examine le malade étant debout, la moitié inférieure du ventre paraît bombée ; si on le fait coucher, le ventre devient extrêmement large. Mais si l'exsudat est très-copieux, le ventre est distendu de tout côté jusqu'aux côtes inférieures et les fausses côtes elles-mêmes sont soulevées et repoussées en dehors. La forme du ventre reste alors la même dans toutes les positions possibles. Presque toujours l'aspect extérieur permet, en outre de constater dans les téguments amincis de l'abdomen d'épais réseaux veineux. Le nombril est saillant et l'écartement des fibres du derme donne lieu à ces stries d'un blanc bleuâtre visibles à travers l'épidémie et qui se produisent également dans la grossesse quand le ventre est fortement distendu. — Lorsque le niveau du liquide s'élève au-dessus du petit bassin, on nt la fluctuation en appuyant une main à piaf sur un côté du ventre et en frappant d'un petit coup sec avec la pointe des doigts de l'autre main le côté opposé. — Enfin, le son de la percussion est d'une matité absolue dans toute l'étendue du contact entre le liquide et la paroi abdominale. Il est remarquable en même temps que, sauf les cas où toute la face extérieure 742 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. du ventre rend un son maf à la percussion, les limites de la matité chan- gent avec la position prise par le malade, attendu que le liquide occupe toujours l'endroit le plus déclive dans la cavité abdominale. § h. Diagnostic. Pour le diagnostic différentiel de Fhydropisie libre et de l'hydropisie de l'ovaire il faut absolument que par un examen très-attentif du malade on se procure des renseignements anamnestiques exacts et qu'on attache la plus grande importance aux conditions étiologiques qui ressortent de cet examen. Les conditions étiologiques de l'hydropisie de l'ovaire sont peu connues, et nous ne savons qu'une chose, c'est que souvent elle se présente chez des femmes d'une apparence saine, et sans complication d'autres maladies. Il en est tout autrement de l'ascite. Si l'on peut s'assurer qu'au- cune des anomalies de composition et de distribution du sang dont il a été question au § \, n'a précédé l'accumulation du liquide dans le ventre et qu'il n'existe pas non plus une dégénérescence du péritoine, ce fait parle dans les cas douteux contre l'ascite et rend l'hypothèse d'une hydropisie de l'ovaire beaucoup plus plausible. Il existe des cas où le diagnostic diffé- rentiel de l'une et de l'autre forme morbide se fonde exclusivement sur les conditions que nous venons de mentionner, l'examen physique ne fournis- nissant aucun renseignement. En cas de kyste de l'ovaire d'un petit volume, il est vrai que la forme caractéristique et la situation de la poche, la déviation latérale de l'orifice de la matrice, les résultats identiques de la percussion quelle que soit la position prise par le malade, permettent d'établir facilement la distinction entre l'hydropisie de l'ovaire et l'ascite. Mais lorsque les kystes sont d'un fort volume, leur forme caractéristique se perd, ils sont placés au milieu du ventre, l'utérus est poussé en bas par le poids de la poche, et non déplacé latéralement ; le son de la percussion est mat dans toute l'étendue de la paroi antérieure du ventre, absolument comme dans l'ascite intense. Bamberger conseille d'examiner dans ces cas l'espace compris entre la crête iliaque et la douzième côte, parce que dans ces endroits on trouve presque toujours, dit-il, le son clair du gros intestin, même en cas de tumeur ovarienne très-volumineuse, chose qui n'existe pas en cas d'ascite. Il accorde cependant que même ce signe fait quelquefois défaut. Le point le plus essentiel, une fois que l'ascite a été reconnue, est d'en connaître la cause. Déjà, nous avons rappelé que l'ascite dépendant d'une hydropisie générale n'est jamais le premier symptôme de l'hydropisie. Si, par conséquent, l'ascite se développe chez un individu qui n'a pas d'oedème, elle dépend, soit d'une stase dans le système de la veine porte, soit d'une HYDROPISIE DU PERITOINE, ASCITE. 743 dégénérescence du péritoine. Souvent, il est difficile de savoir quel est celui des deux états qui existe en réalité. En général, on peut dire que l'appa- rition simultanée de phénomènes de stase sanguine dans d'autres racine^ de la veine porte et les signes d'un trouble dans les fonctions du foievparleni en faveur de la première forme, que, par contre, une cachexie prononcée, des signes de cancer et de tuberculose dans d'autres organes, et avant tout la manifestation de tumeurs dans l'intérieur du ventre, parlent en faveur de la seconde. Un fait très-important pour le diagnostic différentiel, c'est la couleur de l'urine. En effet, dans les maladies du foie qui conduisent à l'ascite, l'urine contient généralement ou des traces de matière colorante de la bile, ou des pigments anormaux; dans les dégénérescences du péri- toine, la couleur de l'urine est, au contraire, presque toujours normale. § 5. Traitement. V indication causale réclame, dans les cas où l'ascite n'est qu'une mani- festation de l'hydropisie générale et dépend d'une déplétion incomplète des veines caves, le traitement des maladies si souvent mentionnées du cœur et du poumon ; lorsqu'elle est, au contraire, le résultat d'une hydrémie intense, il est nécessaire de soumettre à un traitement convenable la maladie primitive épuisante, et d'améliorer la composition du sang. En général, il n'est pas en notre pouvoir d'accomplir la première de ces deux tâches ; quant à la dernière, nous pouvons la remplir avec un grand succès dans Thydropisie provenant d'une fièvre intermittente, d'une maladie de Bright et dans celle qui se manifeste pendant la convalescence des maladies graves, et cette manière d'agir peut être infiniment plus utile que la vieille routine d'administrer les remèdes dits hydragogues. — Jamais nous ne sommes en état de rétablir la circulation dans la veine porte ou la veine hépatique lorsque ces vaisseaux sont comprimés ou oblitérés, ou de dilater de nouveau le parenchyme hépatique ratatiné qui dans la cirrhose du foie resserre les vaisseaux de cet organe. — Dans l'ascite due à la tuberculose ou au cancer, il nous est tout aussi impossible de remplir l'indication causale. L'indication de la maladie exige l'évacuation du liquide accumulé dans le ventre. On prescrit, il est vrai, des diurétiques à presque tous les malades atteints d'ascite : mais ceux qui ont été rétablis sous l'influence de ces remèdes sont en bien petit nombre. Lorsque l'ascite dépend d'une hydro- pisie générale, l'emploi des diurétiques peut, jusqu'à un certain point, se justifier : mais lorsqu'elle est le résultat d'une oblitération de la veine porte, cette prescription n'a pas plus de sens que si l'on voulait donner des diu- rétiques contre une thrombose de la veine crurale pour faire disparaître l'œdème de la jambe. Il n'en est plus de même de l'usage des drastiques. 744 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. Ces derniers, non-seulement sont préférés depuis longtemps par les pra- ticiens aux diurétiques dans le traitement de l'ascite dépendant d'une hydropisie générale, mais on conçoit encore facilement leur efficacité dans l'oblitération de la veine porte, attendu qu'ils favorisent la déplétion des racines de ce vaisseau, et diminuent ainsi la pression sur les parois vascu- laires, cette cause immédiate de l'ascite. Dans le traitement de l'ascite, on a l'habitude de choisir les drastiques les plus énergiques et, parmi les nom- breuses combinaisons de ces agents, réputés hydragogues, mentionnons au moins la formule la plus connue, celle des pilules de Heim qui contiennent de la gomme-gutte associée à la scille et au soufre doré d'antimoine. Tant que l'état des forces et du canal intestinal permet l'emploi des dras- tiques, on peut en recommander l'usage ; mais, lorsque les forces sont sensiblement diminuées, ou qu'il survient des symptômes d'irritation vio- lente de l'intestin, il y a lieu de suspendre l'administration de ces remèdes. — La ponction est une opération presque toujours exempte de dangers et elle éloigne plus sûrement que n'importe quelle autre méthode curative le liquide de la cavité abdominale. Mais plus l'absence d'un danger immédiat et la certitude de l'effet parlent en faveur de la paracentèse, plus il est urgent de bien se pénétrer des conséquences fâcheuses que cette opération traîne à sa suite dans le cours ultérieur de la maladie. On ne perdra jamais de vue que ce n'est pas de l'eau, mais une solution d'albumine que l'on retire de l'abdomen, et que le liquide évacué est presque toujours rem- placé en très-peu de temps par une collection nouvelle. Celle-ci consume les forces et le sang du malade, et l'expérience journalière nous apprend qu'à partir de la première ponction l'amaigrissement fait des progrès beau- coup plus rapides qu'auparavant. Il ressort de ce que nous venons de dire qu'il ne faut entreprendre la paracentèse en cas d'ascite, que quand la vie est prochainement menacée, soit par l'arrêt de la respiration, soit par l'immi- ïaence d'une gangrène de la peau. (Voy. plus haut.) CHAPITRE III. Tuberculose et cancer du péritoine. La tuberculose du péritoine ne se présente, pour ainsi dire, jamais à l'état primitif, mais s'ajoute, soit à une tuberculose du poumon ou de l'intestin, c'est-à-dire à des inflammations avec productions caséeuses dans les organes en question, soit à une tuberculose des organes génito-urinaires. Dans d'au- tres cas, elle fait partie des symptômes de la tuberculose miliaire aiguë. TUBERCULOSE ET CANCER DU PERITOINE. 745 dette dernière forme n'offre aucun intérêt clinique, attendu que les nodo- sités peu nombreuses et très-petites qui se déposent dans le tissu du péri- toine ne déterminent aucun symptôme et n'exercent aucune influence appréciable sur la marche de la tuberculose miliaire aiguë. — Les petites nodosités blanches isolées , que l'on rencontre dans la séreuse épaissie au-dessus des ulcères scrofuleux de l'intestin, offrent également un plus grand intérêt anatomo-pathologique que clinique. — 11 y a lieu d'attacher plus d'importance à une accumulation de tubercules blanchâtres et d'un plus gros volume dont le péritoine est parfois parsemé dans toute son étendue. Le pourtour de chacune de ses nodosités est le siège d'une suf- fusion sanguine, ou bien l'hématine du sang extravasé est transformée en pigment, et les tubercules blancs sont entourés d'une auréole noire. Ordi- nairement l'épiploon est enroulé sur lui-même de bas en haut et tout farci de tubercules; il forme ainsi un bourrelet bosselé et cylindrique. L'épais- sissement du péritoine, que l'on remarque dans cette forme, n'est pas seulement déterminé par les tubercules, mais encore par une néoplasie inflammatoire, et la séreuse contient, dans sa cavité, une assez grande quantité d'un liquide parfois sanguinolent. Le cancer du péritoine est également rare à l'état primitif. Il se propage, au contraire, dans presque tous les cas connus, de quelque organe du voisinage, tel que le foie, l'estomac, les organes génitaux de la femme, plus rarement l'intestin, au péritoine. Le squirrhe et le cancer médullaire se montrent, en général, sous la forme de granulations et de nodosités nombreuses, ayant à peine le volume "d'un pois, et répandues sur tout le péritoine, ou bien sous la forme d'une dégénérescence diffuse et plate du tissu péritonéal. Le cancer alvéolaire forme quelquefois des tumeurs d'un volume monstrueux. Mais, indépendamment de ces tumeurs, ayant ordi- nairement leur siège dans l'épiploon, on trouve aussi presque tous les organes du bas-ventre, ainsi que le feuillet pariétal du péritoine, couverts de nombreuses petites grappes et d'élevures d'apparence gélatineuse. Sou- vent, dans le cancer alvéolaire, les intestins sont en partie agglutinés entre eux et le liquide contenu dans la poche péritonéale se trouve enkysté de cette manière. Les phénomènes qui accompagnent la tuberculose et le cancer du péri- toine ressemblent beaucoup à ceux de l'ascite simple. Le symptôme le plus important consiste en une distension progressive du ventre par le fait de l'accroissement de la collection liquide. Il n'y a que la sensibilité extraor- dinaire du ventre à la pression, sensibilité qui manque clans les autres formes de l'ascite, la cachexie survenant très-rapidement, enfin l'absence de toute autre cause pouvant expliquer l'accumulation d'une collection liquide dans l'abdomen, qui permettent de conclure à la probabilité d'une dégénérescence du péritoine. Pour la reconnaître avec certitude, il faut la 746 MALADIES DES ORGANES DE LA DIGESTION. présence de tumeurs. La forme et le volume de ces dernières, l'âge des malades, l'apparition simultanée de tubercules ou de cancers dans d'autres organes, telles sont les conditions qui fixent le diagnostic de l'une ou de l'autre dégénérescence. MALADIES FOIE ET DES VOIES BILIAIRES PREMIÈRE SECTION MALADIES DU FOIE CHAPITRE PREMIER Hypérémïe du foie. 1. Pathogénie et ëtiologie. Le contenu sanguin du foie peut être augmenté par une exagération de l'afflux aussi bien que par un obstacle au départ du liquide. L'hypérémie déterminée par l'exagération de l'afflux s'appelle fluxion, celle qui est dé- terminée par l'obstacle au départ s'appelle stase. La fluxion vers le foie prend naissance : 1° à la suite d'une pression plus considérable du sang sur les parois de la veine porte. Pendant chaque di- gestion il se produit, dans les conditions normales, une fluxion vers le foie. La diffusion des liquides intestinaux dans les capillaires de l'intestin aug- mente le contenu des veines intestinales ; ce sang se trouve ainsi soumis' à une pression plus forte et est chassé avec plus d'énergie dans le foie. Chez les personnes qui mangent et boivent trop, cette fluxion, en _ quelque sorte physiologique, dépasse la mesure, devient plus prolongée, se répète souvent et peut, comme d'autres hypérémies souvent répétées, avoir pour résultat une dilatation permanente des vaisseaux. 2° La fluxion du foie est déterminée par le relâchement du parenchyme qui servait d'appui aux capillaires dans des conditions normales et qui, pai son relâchement, leur permet de se dilater et d'opposer une trop faible ré- 748 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. sistance à la poussée du sang clans leur intérieur. De cette manière, pa- raissent se produire les hypérémies du foie qui se développent à la suite de lésions traumatiques du foie et dans le voisinage des inflammations et des for- mations nouvelles. Peut-être faut-il aussi compter dans cette catégorie les hypérémies déterminées par l'abus des spiritueux. Dans tous ces cas, nous avons affaire à une irritation du foie, car l'alcool lui-même arrive d'abord dans cette glande par le canal de la veine porte; — le premier effet d'une irritation paraît consister dans une modification du parenchyme de l'organe irrité, modification ordinairement liée à une diminution de résistance, de ce parenchyme. Une diminution semblable doit avoir pour effet une dila- tation des capillaires et une augmentation de l'afflux sanguin. Cette expli- cation de l'ancien adage : Ubi irritatio ibi affluxus, adage qui , dans l'ac- tion de la chaleur sur la surface cutanée trouve une confirmation pour ainsi dire visible, est à la vérité très-hypothétique, mais dans tous les cas, celle qui semble le plus en harmonie avec les idées scientifiques du moment. 3° La question de savoir si les hypérémies du foie dues à une infection du sang par des miasmes, surtout le miasme paludéen, et celles que l'on ren- contre si fréquemment dans les pays tropicaux, sont également produites par un relâchement du parenchyme hépatique, ou bien, si elles sont le résultat d'une paralysie des fibres musculaires des vaisseaux afférents ou d'une maladie de texture des parois vasculaires ou de quelque autre cause, cette question, disons-nous, est tout aussi obscure que la pathogénie des hypérémies et modifications de texture dans les maladies d'infection en général. — Parmi les hypérémies évidemment fluxionnaires du foie que nous ne sommes pas en état d'expliquer d'une manière satisfaisante, il faut encore compter celle qui chez certaines femmes se présente immédiate- ment avant les règles et qui devient surtout très-intense quand les règles se font attendre. Les stases sanguines se rencontrent dans le foie bien plus fréquemment que les fluxions. Tout le sang qui se rend du foie dans la veine hépatique est forcé de parcourir un double système capillaire i ; de là il résulte que la pression sur les parois des veines hépatiques est très-faible. Mais la veine hépatique se jette dans la veine cave, à un endroit où, dans les conditions normales, l'écoulement du sang ne rencontre pour ainsi dire aucune rési- stance, le sang pouvant librement se déverser dans l'oreillette vidée, et 1 Cela s'applique aussi au sang amené au foie par l'artère hépatique. Les capillaires, qui naissent de l'artère hépatique, et qui se répandent dans l'enveloppe séreuse du l'oie entre les vaisseaux et les conduits biliaires, et dans les parois de ces derniers, etc., se réunissent en petits troncs veineux qui, au lieu de se rendre dans les veines hépa- tiques, se rendent dans les branches de la veine porte et se subdivisent de nouveau en capillaires avec ces dernières. HYPEREMIE DU FOIE. 749 une aspiration du sang vers le thorax ayant lieu à chaque inspiration. Lors- que ces conditions éminemment favorables au départ du sang éprouvent une modification, lorsque la résistance que le sang de la veine hépatique rencontre dans la veine cave est augmentée, le sang s'accumule dans le foie. 11 n'est pas nécessaire que l'obstacle soit bien considérable, attendu que la pression sur les parois de la veine hépatique est si faible, qu'elle est im- puissante à vaincre même la plus faible résistance. Il résulte de ce que nous venons de dire, que les conditions dans lesquelles se développent des stases dans le foie doivent être de la nature de celles qui s'opposent à la déplétion de l'oreillette droite. Ainsi les hypérémies du foie par stase sanguine se produisent : 1° Dans toutes les maladies valvulaires du cœur. Elles se développent sur- tout de très-bonne heure dans les maladies valvulaires du cœur droit, plusy tard dans les maladies de la mitrale, et plus tard encore dans celles des valvules aortiques. L'apparition plus ou moins tardive de l'hypérémie du foie, dans les maladies valvulaires, dépend, comme cela a été dit explicite- ment à l'occasion des maladies du cœur, du développement plus ou moins complet et de la durée plus ou moins longue d'une hypertrophie compen- satrice du cœur. 2° On s'explique facilement les hypérémies par stase sanguine qui s'ajou- tent à toutes les maladies de texture du cœur et du péricarde ayant pour effet la déplétion moins complète des veines du corps. 3° A ces hypérémies se rattachent les stases dans le foie qui? sans alté- ration de texture appréciable du cœur, sont déterminées uniquement par un affaiblissement de l'action de cet organe dans les périodes avancées des maladies aiguës débilitantes aussi bien que dans le marasme chronique. L'effet sur la distribution du sang, dans une paralysie du cœur commençante, est le même que dans les dégénérescences de la substance cardiaque. 6° Très-souvent les maladies aiguës et chroniques du poumon, dans les- quelles un certain nombre de capillaires pulmonaires est comprimé ou rendu définitivement imperméable et dans lesquelles le cœur droit et les veines caves sont gorgés de-sang,' telles que l'emphysème, la'pneumonie intersti- tielle, les épanchements pleurétiques, etc., ont pour effet une hypérémie du foie. 5° Enfin, dans quelques cas rares, on a observé une hypérémie intense du foie, à la suite d' 'une compression de la veine cave par des tumeurs, surtout par des anévrvsmes de l'aorte. 750 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. § 2. ÀNATOMIE PATHOLOGIQUE. Le foie est plus ou moins tuméfié,, selon le degré de l'hypérémie, et cette tuméfaction est quelquefois très-considérable ; sa forme ne subit au- cune modification, seulement l'épaisseur de l'organe est plus fortement aug- mentée que la longueur. Lorsque le gonflement est considérable, l'enveloppe péritonéale est lisse, brillante, fortement tendue et la résistance du foie est augmentée. En incisant l'organe on voit le sang s'écouler en abondance de la surface de section. Cette dernière présente, soit une teinte foncée uni- forme, soit un aspect tacheté, surtout en cas d'hypérémie par stase sanguine ayant duré plus ou moms longtemps. En effet, dans ce dernier cas, des en- droits plus foncés, qui correspondent à la dilatation des veines centrales, racines des veines hépatiques, et qui forment des dessins plus ou moins variés selon la direction de la surface de section, alternent avec des en- droits moins riches en sang, d'une teinte plus claire, qui correspondent aux divisions terminales de la veine porte. L'aspect tacheté, qui a donné lieu à la dénomination de foie muscade dont on a tant abusé, se montre d'une façon encore plus évidente quand les endroits moins riches en sang, aux environs des veines centrales dilatées, sont fortement colorés en jaune par une stase biliaire. Cette stase biliaire peut être la conséquence d'un catarrhe des voies biliaires, déterminé par l'hypérémie de leur muqueuse, et peut également être provoquée par la pression que les vaisseaux dilatés exercent sur les petits canaux bilifères, pression qui s'oppose à l'évacuation de la bile; enfin elle peut dépendre d'un catarrhe gastro-duodénal dû aux mêmes causes que l'hypérémie du foie. Le foie primitivement agrandi peut diminuer à mesure que la maladie fait des progrès et prendre un aspect granulé, ce qui fait qu'à première vue on peut le confondre avec le foie granulé par excellence, autrement dit avec la cirrhose. On a l'habitude de désigner cette forme de l'atrophie du foie sous le nom de form,e atrophique du foie muscade. L'atrophie et l'aspect granulé proviennent, d'après Frerichs, « de ce que les veines cen- trales des lobules et les capillaires qui s'y rendent se dilatent sous la forte pression du sang arrêté dans sa marche et provoquent ainsi l'atrophie des cellules hépatiques comprises dans leurs mailles. Les cellules situées au milieu des lobules s'atrophient et sont remplacées par un tissu mou, riche en sang,, qui consiste en capillaires dilatés et en tissu conjonctif de forma- tion nouvelle». Cette explication n'est pas tout à fait juste, ou du moins elle n'est pas complète. Si les cellules hépatiques sont remplacées par du tissu conjonctif et des vaisseaux dilatés, ce n'est pas une raison pour que le foie diminue de volume. Cette diminution n'a lieu que quand le tissu nou- HYPEREMIE DU FOIE. 751 vellement formé se ratatine et se réduit ainsi à un plus petit volume. D'après Liebermeister, du reste, l'opinion selon laquelle, dans les hypéré- mies du foie par stase sanguine, la néoplasie de tissu conjonctif se déve- lopperait de préférence dans les environs des veines centrales, se fonderait exclusivement sur un raisonnement ■ théorique et nullement sur des faits d'observation positive. Liebermeister s'est au contraire assuré que dans la forme atrophique du foie muscade, aussi bien que dans la cirrhose, la for- mation nouvelle a lieu de préférence aux environs des veines interlobu- laires et entraîne dans certains cas le développement manifeste d'un tissu interlobulaire, dont nous savons qu'il n'existe guère de traces dans le foie d'un homme sain. § 3. Symptômes et marche. Tant que l'hypérémie du foie n'est pas parvenue à un degré três-élevé et que par conséquent le volume de l'organe n'a pas subi une augmen- tation notable, la maladie ne se distingue par aucun symptôme subjectif ou objectif. — Un gonflement considérable du foie donne aux malades la sensation très-réelle d'un trop-plein dans l'hypochondre droit, et cette sensation s'exagère souvent au point d'être celle d'une tension désagréable qui, .partant de l'hypochondre droit, fait le tour de la partie supérieure du ventre. La pression dans l'hypochondre droit ou la sensation d'un cercle solide entourant le corps est souvent la principale souffrance accusée par les individus atteints d'une maladie du cœur. Les souffrances des individus emphysémateux et des personnes atteintes de pneumonie interstitielle ou de cyphose prononcée sont également beaucoup augmentées quand le foie devient plus volumineux. Des vêtements serrant étroitement la taille sont insupportables pour les malades atteints d'un fort gonflement hypérémique du foie parce qu'ils rendent impossibles les inspirations profondes. — Si, sous l'influence des causes indiquées au paragraphe précédent, une faible stase biliaire s'ajoute à l'hypérémie du foie, un léger ictère se développe et le teint des malades devenant en même temps un peu bleuâtre à cause de l'obstacle qui s'oppose à la déplétion veineuse, cette double influence donne lieu à une teinte verdâtre toute particulière et pour ainsi dire caractéristique chez les individus atteints de maladies du cœur et sur le point de mourir. — A ces symptômes et aux signes physiques d'un agrandissement du foie ne s'ajoutent pas, dans l'hypérémie simple, des symptômes annonçant un trouble fonctionnel de l'organe. Du reste, une augmentation ou une di- minution légère de la sécrétion biliaire se déroberait non-seulement pen- dant lavie!à notre observation, mais Frerichs ne l'a pas constatée non plus sur le cadavre, même en cas d'hypérémie intense : par stase ^sanguine. Ce 752 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. n'est que dans quelques cas exceptionnels que cet observateur a rencon- tré de l'albumine dans la bile. Les malades atteints d'hypérémie du foie accusent, il est vrai, encore quelques autres symptômes; ils se plaignent de maux de tête, d'embarras de la digestion, d'irrégularité des selles, d'hé- morrhoïdes, etc. Mais ces souffrances ne sont pas les suites directes de l'bypérémie du foie, elles dépendent au contraire le plus souvent de la même cause que cette dernière, ou elles n'ont rien de commun avec l'hy- pérémie et coïncident simplement avec elle. Ainsi les maladies du cœur entraînent non-seulement l'hypérémie du foie, mais encore le catarrhe de l'estomac et de l'intestin ; il en est de même de la gourmandise et de l'ivro- gnerie qui provoquent l'hypérémie du foie, mais outre et même avant celle-ci, des catarrhes gastro-intestinaux. Il paraît qu'il en est autrement des hypérémies du foie qui se développent souvent dans les pays tropi- caux, probablement sous l'influence des effluves paludéens. Ces hypérémies sont accompagnées d'une atteinte profonde de l'état général, de violents maux de tête, d'évacuations bilieuses par haut et par bas et souvent de selles muco-sanguinolentes. Les symptômes mentionnés de ces états mor- bides, encore peu connus, prouvent à l'évidence qu'il ne s'agit pas là d'une hypérémie simple, mais d'une anomalie de sécrétion coïncidant avec l'hy- pérémie et indépendante de cette dernière ou bien de la période initiale d'une altération de texture grave du foie, altération qui, en effet, vient souvent à se développer. Toutefois il se peut aussi que, dans les états mor- bides en question, l'hypérémie du foie ne soit qu'un phénomène partiel d'une affection répandue sur tous les organes abdominaux et en particulier sur le canal intestinal, affection qui, pour l'interprétation de l'état général et des autres symptômes mentionnés, a bien plus de valeur que l'hypérémie du foie. L'examen physique permet de reconnaître parfaitement le gonflement de l'organe quand l'hypérémie arrive à un degré élevé. Comme nous nous occupons ici, pour la première fois, des signes physiques de l'augmentation de volume de cet organe, il faut que, pour rester fidèle à notre plan, nous fassions d'abord un court exposé de ces signes. Pour reconnaître un agrandissement du foie, nous avons à notre dispo- sition, en fait de moyens physiques, l'aspect extérieur, la palpation et la percussion. Vaspect extérieur montre, dans les forts gonflements du foie, une saillie de l'hypochondre droit, qui s'étend plus ou moins loin à gauche et s'efface graduellement vers le bas. En même temps, le côté droit du thorax qui, à l'état normal, mesure de 1 centimètre et demi à 3 centimètres de circonfé- rence de plus que le côté gauche, est plus dilaté dans sa partie inférieure. Enfin les côtes inférieures peuvent être relevées par le foie tuméfié, rappro- chées les unes des autres, et leur bord inférieur peut être dirigé en avant. HYPEREMIE DU FOIE. 753 La palpation est rendue difficile par les contractions des muscles abdomi- naux, contractions qui se produisent toutes les fois que l'on ne procède pas à cet examen avec le calme et les ménagements nécessaires. Des explora- teurs peu exercés s'y laissent tromper facilement par les contractions par- tielles de quelques segments du muscle di'oit de l'abdomen, limitées par les intersections aponévrotiques, et confondent ces segments contractés avec des tumeurs du foie. Jamais il ne faut examiner le malade pendant qu'il est •debout ou assis, il faut, au contraire, lui recommander de se coucher et de iléchir légèrement les cuisses sur le bassin. En même temps, il faut l'en- gager à respirer d'une manière égale et détourner son attention de l'examen, ■en lui adressant des questions indifférentes. Dans beaucoup de cas de gon- flement du foie, qui peuvent être sûrement constatés par la percussion, on trouve, il est vrai, à la palpation une résistance augmentée dans l'hypo- chondre droit, mais on ne sent pas distinctement le bord du foie. Cela arrive principalement dans les cas où la dureté du foie tuméfié n'est pas augmentée et plus encore quand elle est diminuée. Dans d'autres cas, et d'autant plus sûrement que le foie tuméfié est plus ferme, la palpation fournit les meil- leurs renseignements, non-seulement sur le degré de l'agrandissement, mais encore sur la forme du bord et de la surface de l'organe. La percussion est le moyen physique le plus important pour le diagnostic des gonflements du foie. Pour déterminer l'étendue de la partie supérieure de l'organe, on ne s'appuie généralement pas sur la submatité du son de la percussion, comme on l'observe aux endroits où une couche mince de pa- renchyme pulmonaire est interposée entre le foie et la paroi thoracique, mais sur la matité absolue qui se déclare aux endroits où le foie touche di- rectement la paroi thoracique. Quand il sera question plus loin de la limite supérieure du foie, nous entendrons par là toujours la limite de la matité absolue. Celle-ci est dépassée d'environ 3 centimètres par le point le plus élevé du foie. Dans les conditions normales, la limite supérieure se trouve, sur la ligne mamillaire, ordinairement au bord inférieur de la sixième côte, et descend pendant les inspirations profondes jusqu'à la septième côte, tandis qu'à la fin d'une expiration complète elle remonte jusqu'à la cin- quième. Dans la ligne axillaire, la limite supérieure du foie se trouve à peu près au niveau de la huitième et, près de la colonne vertébrale, au niveau de la onzième côte ; sur la ligne médiane, la limite supérieure du foie, qui y est situé au niveau de la réunion de l'appendice xiphoïde avec le corps du sternum, ne peut, en général, pas être déterminée par la percussion, parce que la matité du foie se confond, en cet endroit, avec celle du cœur. La limite inférieure du foie, mesurée sur la ligne mamillaire, se trouve, dans les conditions normales, au niveau du rebord des côtes ou un peu plus bas ; mesurée sur la ligne médiane elle se trouve à peu près à égale distance de l'appendice xiphoïde et du nombril; aux environs de la colonne vertébrale, NIEMEYER. J. — 48 754 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. il est impossible de la déterminer. Chez les femmes et les enfants, la limite- inférieure du foie est située un peu plus bas que le rebord des côtes, parce que leur thorax est plus court. Ni le bord tranchant du foie, lorsqu'il dé- passe de quelques centimètres le rebord des côtes, ni le lobe gauche du foie, lorsqu'il n'est pas augmenté de volume, ne détermine une matité sensible du son de la percussion. Dans A9 observations, faites par Frerichs sur des individus âgés de 20 à k0 ans, la distance entre la limite supérieure et la limite inférieure du foie était, en moyenne, sur la ligne mainillaire de 9' cenS 5, dans la ligne axillaire de 9 t'ent-, 36, sur la ligne sternaïe d& 5 ccnS 82 k Si le foie augmente de volume, la matité gagne de l'étendue dans llïypo- chondre droit et dansl'épigastre. La matité devient déjà moins distincte ou iisparaît complètement dès qu'on approche du bord antérieur du foie, cir- constance qu'il faut connaître pour ne pas croire le foie plus petit qu'il l'est en réalité. Avant de prononcer le diagnostic d'un gonflement du foie appuyé sur une matité plus étendue dans l'hypochondre droit, on doit, s'assurer que- l'organe n'a pas été déplacé par en bas. Antérieurement, nous nous sommes- longuement étendu sur les signes différentiels les plus importants de l'agran- dissement et du déplacement du foie. De plus, sans être agrandi, le foie peut, toucher par une plus grande surface, la paroi abdominale, parce qu'une- pression sur la partie inférieure de la cage thoracique ou un relâchement du parenchyme de l'organe (Frerichs) l'a fait descendre, on bien encore parce que sa forme est irrégulière. Parmi les irrégularités de forme, les plus fréquentes sont celles qui se montrent chez les femmes habituées à trop serrer leur corset, ou, ce qui est encore plus fâcheux, à trop serrer les cordons de leurs jupons. Le foie peut, sous l'influence d'une pareille pres- sion agissant continuellement sur lui, être, considérablement aplati et, sans avoir augmenté de volume, être allongé à un tel point qu'il dépasse de plu- sieurs travers de doigt le rebord des côtes et descend, dans quelques cas rares, jusqu'à la crête iliaque. Il faut tenir compte de ces anomalies de forme et de situation du foie, si l'on veut tirer un bon parti des données de l'examen physique. Pour nous occuper plus spécialement des gonflements hypérémiques du foie, il est rare qu'on les reconnaisse au simple aspect extérieur. A la percus- sion, on trouve, à raison de la forte augmentation de l'épaisseur de l'organe, une matité très-considérable qui peut s'étendre de l'hypochondre droit à 1 Ces chiffres diffèrent très-sensiblement de ceux donnés par lîamberger, qui, sur 30 mensurations faites sur des adultes, a trouvé, en moyenne, dans la ligne mamillain; 9 centimètres chez les femmes, 11 chez les hommes; dans la ligne axillaire, 10,5 chez les femmes, 12 chez les hommes; et de 3 centimètres à la droite de la ligne médiane, 8,5 chez les femmes, 11 chez les hommes. HYPEREMIE DU FOIE. 755 lïiypochondre gauche, et par en bas jusqu'au nombril et encore plus loin. La résistance du foie étant augmentée cà son tour, on peut, le plus souvent, sentir distinctement le bord du foie à la palpation et s'assurer de la forme normale de l'organe et de l'égalité de sa surface. Un fait caractéristique et facile à concevoir pour la tuméfaction hypérémique du foie, c'est qu'elle peut croître et décroître plus rapidement que n'importe quelle autre turné faction de cet organe. 11 est à remarquer que le tableau clinique du foie muscade atrophique n'a été bien tracé que dans ces derniers temps et en particulier par Lieber- meister. Les phénomènes morbides étant très-caractéristiques il est facile d'esquisser ce tableau en quelques traits rapides. Les malades en question sont atteints d'une maladie du cœur, d'un emphysème ou d'une autre ma- ladie du poumon mettant obstacle à l'écoulement du sang dans le cœur droit. Cet obstacle avait eu pour eflet le gonflement du foie, la cyanose et l'hydropisie générale. Les phénomènes hydropiques s'étaient d'abord ma- nifestés aux extrémités inférieures, comme cela arrive régulièrement dans les maladies du cœur et du poumon, et ne s'étaient étendus qu'ultérieure- ment aux cavités séreuses. Avec les progrès de la maladie, cet état s'est mo- difié : on reconnaît à présent que l'ascite est plus considérable que l'ana- sarque, ou que l'ascite persiste quand, par des moyens appropriés, on est parvenu à dissiper pour quelque temps les autres phénomènes hydropi- ques. Si l'on examine le foie, on trouve que son volume n'est plus aussi considérable qu'auparavant, que son bord inférieur est de quelques travers de doigt plus haut qu'on ne l'avait trouvé quelques semaines ou quelques mois auparavant. 11 n'est pas du tout rare qu'un œdème très-modéré coïn- cide avec une ascite tellement considérable que l'on est forcé de recourir à la paracentèse. Dans les cas soumis à mon observation, où dans le cours d'une maladie du cœur et du poumon, cette disproportion entre l'ascite et l'anasarque et la diminution appréciable du gonflement du foie me permet- taient de prononcer le diagnostic d'un foie muscade atrophique, je n'ai trouvé aucune augmentation du volume de la rate. — L'explication du fait mentionné n'offre aucune difficulté si l'on se rend bien compte de ce qui se passe dans la maladie connue sous le nom de foie muscade atrophique. En effet, le tissu conjonctif du foie comprime, en se rétractant, les vaisseaux. L'écoulement du sang des veines du péritoine est donc doublement arrêté : d'une part, parla maladie du cœur ou du poumon, d'autre part, par la com- pression des vaisseaux hépatiques. Il n'y a que l'absence d'un agrandisse- ment de la rate qui puisse paraître extraordinaire, attendu que la compres- sion des vaisseaux du foie a également pour effet un arrêt dans l'écoulement du sang provenant de la rate, et que dans la cirrhose du foie, où régnent des conditions analogues, la rate est presque toujours augmentée de volume, augmentation qu'on a l'habitude d'attribuer à la stase sanguine dans la 756 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. veine liénale. Je me réserve d'insister plus longuement sur cette contra- diction apparente en parlant de la cirrhose du foie et des hypérémies de la rate. § k. Traitement. V indication causale demande qu'on éloigne les conditions d'où dépend la fluxion ou la stase sanguine dans l'intérieur de cet organe. Dans les fluxions déterminées par des accès de table, il faut régler le régime ; dans celles qui proviennent de l'abus des spiritueux, il faut défendre l'usage de l'alcool. De même, il peut y avoir nécessité de conseiller un changement de séjour quand des individus habitant des pays chauds ou des contrées marécageuses ont éprouvé plusieurs atteintes d'hypérémie du foie. Lorsqu' enfin de fortes fluxions vers le foie se montrent avant l'arrivée des règles, ou après leur suppression, au moment où l'on s'attend à les voir reparaître, l'indication causale exige l'application de sangsues au col de la matrice ou de ventouses à la face interne des cuisses. Dans les stases sanguines du foie nous ne som- mes pas en état de remplir l'indication causale, ou bien, lorsque cette indi- cation peut être remplie, ce sont presque toujours d'autres désordres et non l'hypérémie du foie, qui nous déterminent à intervenir. Lorsque, par exem- ple, dans une pneumonie, nous saignons et que nous modérons par là une stase hépatique, ce n'est pas cette dernière, mais une stase dans le cerveau ou d'autres raisons qui ont réclamé la saignée. Pour remplir Y indication causale on a souvent ordonné des saignées locales dans la région du foie; mais cette pratique est aussi irrationnelle qu'ineffi- cace, et Henoch dit fort judicieusement qu'il n'y a pas plus de raison pour po- ser les sangsues sur l'hypochondre droit que sur les poignets ou les malléoles. Par contre, l'application de sangsues au pourtour de l'anus, si les souffrances du malade sont assez vives pour justifier une intervention de ce genre, mé- rite d'être fortement recommandée. Appliquées là, les sangsues retirent le sang des anastomoses des racines de la veine porte, modèrent la pression sur les parois internes de ce vaisseau et diminuent par conséquent la quantité du sang qui se rend au foie. Une influence semblable est celle des laxatifs, surtout des sels neutres qui, en retirant de l'eau du sang, déterminent éga- lement une déplétion des veines intestinales et diminuent ainsi la pression dans la veine porte. Les malades atteints d'hypérémie habituelle du foie tirent surtout de grands avantages d'une saison à Hombourg, à Kissingen, à Marienbad, attendu que pris sous cette forme, les sels peuvent être introduits dans le corps pendant longtemps et sans inconvénients. INFLAMMATIONS DU FOIE. 757 CHAPITRE II. Inflammations du ïoïi*. Pour la facilité de l'aperçu, il faut distinguer cinq formes d'inflammation du foie, dont nous allons examiner chacune en détail : 1° l'hépatite suppu- rative ; 2° Yhépatite interstitielle chronique, connue dans ses périodes ulté- rieures sous le nom de cirrhose du foie ; 3° Y hépatite syphilitique; h" la pyléphlébite ; enfin 5° Y atrophie jaune aiguë du foie que la plupart des pathologistes modernes comptent parmi les inflammations de cet organe. Nous ne parlerons de cette affection que plus tard, quand nous aurons appris à connaître les autres affections du foie, accompagnées d'ictère et qui sont d'une intelligence plus facile. ARTICLE PREMIER. Hépatite suppurative. § 1. Patqogénie et étiologie. Selon Yirchow, les modifications qui dans la forme de l'hépatite dont il est ici question, s'observent dans le parenchyme du foie, ont pour point de départ les cellules hépatiques elles-mêmes. Au commencement ces cellules se gonflent et se pénètrent d'une substance albuminoïde ; plus tard, elles se désorganisent ainsi que tout le parenchyme ; enfin il se produit dans le foie des lacunes remplies des éléments désorganisés de son tissu. Liebermeister croit, au contraire, que ses recherches lui permettent d'affirmer que, dans l'hépatite suppurative, le processus a pour point de départ le tissu interstitiel et que la fonte des cellules hépatiques n'est que secondaire. L' étiologie de l'hépatite suppurative est du reste obscure. Dans les climats tempérés, la maladie est très-rare ; dans la zone torride, surtout aux Indes, on la rencontre plus souvent, quoique les anciens rapports sur sa fréquence dans ces pays soient exagérés. Parmi les causes déterminantes nous mentionnerons : 1° Les plaies et les contusions du foie; toutefois Budd, sur soixante cas soit observés par lui-même, soit recueillis dans des observations étrangères, n'a pu constater qu'un seul cas de lésion traumatique, comme cause de la maladie. 758 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. 2° L'étranglement de concrétions anguleuses dans les voies biliaires; mais c'est encore là une cause assez rare. 3° L'hépatite suppurative se développe plus fréquemment à la suite d'ulcérations ou d'autres processus destructeurs dans les organes abdominaux. On a vu la maladie compliquer des ulcères de l'estomac, de l'intestin, de la vésicule biliaire, et dans quelques cas rares des abcès'du foie ont succédé à des kélotomies ou à des opérations [exécutées sur le rectum. On songe tout naturellement, dans ces cas, à une embolie des branches de la veine porte ou à la pénétration, dans le foie, de substances nuisibles, irritantes, avec le sang de la veine porte; cependant il n'a pas été possible jusqu'à présent de prouver positivement que ces suppositions fussent fondées. Budd et avec lui la plupart des auteurs sont d'avis qu'il faut rattacher également à cette espèce l'hépatite des pays tropicaux. En effet, on a encore reconnu que cette forme ne se manifeste pour ainsi dire jamais d'une manière primitive, mais qu'elle se joint presque toujours secondairement à la dysenterie endé- mique des pays chauds; mais, pour ce|genre d'hépatite, on ne peut pas non plus fournir la preuve que ce soit le passage dans le foie de quelque parcelle mortifiée de la muqueuse ou d'un liquide putride, venant du gros intestin, qui provoque l'inflammation du foie et bien moins encore que la dysenterie soit l'unique cause de l'hépatite dans les pays tropicaux. Cette circonstance, que dans nos contrées la dysenterie épidémique n'est presque jamais compliquée par une hépatite, bien qu'ici nous observions également une mortification étendue de la muqueuse du gros intestin et la décomposition putride de son contenu, cette circonstance, disons-nous, est même en con- tradiction avec l'opinion de Budd. k° Enfin, il nous reste à citer au nombre des causes déterminantes de l'hépatite suppurative, des lésions traumatiques, des fontes gangreneuses, des thromboses et des phlébites occupant la périphérie du corps. L'explication de cette forme, que l'on désigne du nom d'hépatite métastatique, ainsi que la forme précédente, offre des difficultés particulières. Nous avons exposé les opinions qui ont cours aujourd'hui sur 4' origine des métastases du poumon. La présence de métastases dans le foie, provenant d'un foyer périphérique, nous forcerait d'admettre, d'après l'explication donnée précédemment, que des embolies ayant traversé les capillaires du poumon pussent oblitérer des branches de l'artère hépatique. Qu'il nous suffise d'avoir mentionné le fait et d'avoir appelé l'attention sur la difficulté de son explication. — La sym- pathie entre la tète et le foie, dont on a tant parlé autrefois, ne peut être entendue qu'en ce sens que des plaies du crâne qui pénètrent jusqu'au diploé produisent, avec une facilité toute particulière, des métastases et par conséquent aussi des métastases du foie. INFLAMMATIONS DU FOIE. ?59 § 2. Anatomie pathologique. L'hépatite suppurativc ne constitue jamais une inflammation totale, c'est- à-dire étendue à tout l'organe, mais se montre toujours par loyers isolés. Ceux-ci sont plus ou moins grands; souvent il n'y en a qu'un seul, dans d'autres cas, au contraire, le foie est criblé de foyers nombreux. On est rarement dans le cas d'examiner anatomiquement la période ini- tiale de la maladie. La description des parties enflammées, que l'on repré- sente comme constituant des endroits d'un rouge foncé, résistants, proé- minant légèrement au-dessus de la surface d'une section faite dans le foie gorgé de sang, est plutôt imaginée d'après l'analogie qu'empruntée à une observation positive des faits. Par contre , on rencontre dans l'hépatite commençante, au milieu du foie hypérémié, des endroits décolorés, jau- nâtres et remarquablement mous, que l'on confond, avant de les inciser, facilement avec des abcès, lorsqu'ils sont situés superficiellement. En exa- minant ces endroits au microscope, Virchow trouva, selon le degré de la décoloration et du ramollissement, un simple trouble et un état granulé de cellules hépatiques ou une diminution de leur nombre et la présence d'une tuasse libre, consistant en granulations fines et répandues dans les interstices des cellules encore intactes, enfin, aux endroits les plus décolorés et les plus ramollis, une disparition complète des cellules hépatiques et leur rem- placement par le détritus finement granulé. il arrive beaucoup plus fréquemment que l'hépatite parenchymateuse n'arrive à être examinée qu'à une période ultérieure de son développe- ment. On trouve alors dans le foie des abcès dont le volume varie entre la grosseur d'un pois et celle d'un œuf de poule ; quand plusieurs de ces abcès se sont réunis ou que la destruction s'est étendue plus loin, ces abcè< forment des foyers irréguliers, anfractueux et d'un volume souvent énorme, lié; sont entourés par le parenchyme décoloré et en voie de des- truction et renferment un pus crémeux, devenu souvent verdâtre par son mélange avec la bile. Les abcès du foie peuvent devenir perforants quand la destruction s'est avancée jusqu'à la surface. La perforation se fait dans la cavité abdominale ou en dehors quand elle a été précédée d'une formation d'adhérences avec la paroi du ventre ; dans d'autres cas, une adhérence s'est formée entre ie foie et le diaphragme et le pus se déverse dans la plèvre ou dans le poumon adhérent à la plèvre costale ; dans quelques cas rares on a vu l'abcès du foie se vider dans le péricarde, dans l'estomac, dans l'intestin, dans la vési- cule biliaire, voire même dans la veine porte et dans la veine cave infé- rieure. 760 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. Si le malade survit à la perforation d'un abcès du foie, les parois de l'abcès peuvent, dans les cas les plus favorables, se rapprocher ; il se déve- loppe alors une prolifération du tissu cellulaire, et enfin il se produit une cicatrice calleuse qui renferme souvent des masses purulentes épaissies et transformées en une bouillie crayeuse. — Même dans les cas où il n'y a pas de perforation, il se fait ordinairement une hypergenèse du tissu conjonctif dans les parois et dans les environs de l'abcès, si ce dernier a une longue durée ; sa surface interne se polit, le pus s'enkyste et s'épaissit peu à peu par la résorption de sa partie liquide. Le ratatinement du tissu conjonctif envi- ronnant peut avoir pour conséquence une diminution du volume de l'abcès, jusqu'à ce que finalement il ne reste plus qu'une enveloppe calleuse renfer- mant une bouillie crayeuse. Symptômes et marche. Le tableau pittoresque, que l'on a l'habitude de tracer de l'hépatite parenchymateuse, ne correspond, suivant la juste observation de Budd, qu'à l'hépatite traumatique et peut-être encore à celle qui est produite par l'étranglement de calculs biliaires ; or nous avons fait voir, au paragraphe 1. que ce sont précisément là les formes les plus rares de la maladie. Si, après un coup ou quelque autre violence, ayant agi sur la région du foie, il se produit, dans cette dernière, une forte douleur, si le foie gonfle, et si cet ensemble de symptômes est accompagné d'une fièvre intense et, par con- séquent, d'une grave atteinte de l'état général, le diagnostic de la maladie ne peut offrir aucune difficulté. Il en est tout autrement lorsqu'une hépatite vient compliquer une maladie du bas-ventre, accompagnée de processus destructeurs, telle que la dysen terie, ou bien lorsqu'elle se développe en cas de gangrène périphérique, après quelque lésion traumatique de la tête, après de grandes opérations chirurgicales, etc. Les observations publiées par Budd et Andral fournissent un riche contingent de cas, dans lesquels les abcès du foie ainsi produits n'étaient pas reconnus du tout ou ne l'étaient que très-tard. — Dans le cours d'ulcérations chroniques de l'intestin , de pérityphlite et d'aulres affections analogues, comme aussi, après des opérations faites au rectum ou à l'abdomen, nous pouvons songer au développement d'une hépatite quand nous observons des frissons, quand le foie gonfle et devient douloureux^, quand enfin un ictère s'ajoute à ces symptômes. Mais il n'en est pas un seul1 qui soit constant et les cas dans lesquels les phénomènes locaux d'une affec- tion du foie manquent lorsqu'il se produit une métastase partant des organes abdominaux, sont certainement aussi fréquents que les métastases du pou- INFLAMMATIONS DU FOIE. 761 mon exemptes de douleurs dans la poitrine et d'expectoration sanguinolente. Les frissons et la fièvre admettent ordinairement une explication différente et ne sauraient être considérés par eux-mêmes comme des signes certains d'hépatite secondaire. Il est pliïs difficile encore de reconnaître l'hépatite quand elle est venue compliquer un cas de dysenterie épidémique. En effet, dans cette maladie, le foie est souvent enflé et douloureux, même sans qu'un processus inflammatoire s'y soit développé ; l'existence de la lièvre ne fournit aucun renseignement, parce que la dysenterie elle-même est accompagnée d'une fièvre violente ; l'ictère manque dans beaucoup de cas et ne constitue pas un signe certain d'hépatite quand il existe. L'hé- patite suppurative la plus difficile à diagnostiquer est celle qui se développe dans une gangrène périphérique ou bien à la suite d'une opération chirur- gicale et qui n'est qu'un phénomène dépendant de la maladie connue sous le nom de pyohémie. Dans ces sortes d'états morbides, on ne doit pas s'at- lendre à ce que les malades gravement atteints, ayant le sensorium plus ou moins embarrassé, accusent des douleurs dans la région du foie ; les fris- sons, la fièvre violente et même l'ictère le plus intense sont loin d'annoncer sûrement l'existence d'une affection du foie. Si nous ajoutons à ce qui vient d'être dit, que l'agrandissement des abcès du foie, qui se sont développés sous l'influence d'une des maladies que nous venons de nommer, se fait presque toujours lentement et sans être accom- pagné de douleurs bien marquées, on comprend facilement que souvent il se passe un temps très-long avant qu'un état de langueur qui persiste, joint aux symptômes que nous allons décrire, éveille le soupçon ou donne la. certitude que. les états morbides en question étaient accompagnés d'une hépatite. Le tableau clinique qui résulte des abcès du foie qui se sont formés et s'agrandissent progressivement est assez varié. Presque toujours il existe une douleur sourde dans l'hypochondre droit, douleur qui est augmentée par une pression exercée sur cette région. Il faut y ajouter une douleur dite sympathique, dans l'épaule droite, et dont on a autrefois beaucoup exagéré la fréquence et la valeur sémiologique. — Le foie déborde presque constam- ment le rebord des côtes, et dans les cas où les abcès sont grands et nom- breux, ou dans lesquels l'hypérémie de l'organe arrive à un haut degré, le foie, augmenté du double, peut distendre le côté droit de la cage thoracique, produire une voussure de l'hypochondre et descendre bien bas dans l'abdo- men. — Quand les abcès du foie ont leur siège près de la surface convexe de l'organe et en dépassent le niveau on rencontre quelquefois, en palpant avec soin, de légères proéminences mamelonnées, et il peut même arriver qu'à travers les téguments on sente la fluctuation. — L'ictère est loin d'être un symptôme constant des abcès du foie et même il manque dans la plupart des cas. La stase et la résorption biliaires d'où dépend l'ictère, quand il existe, 762 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. sont dues soit à la compression des voies biliaires, soit à leur obstruction par des coagulations albumineuses et fibrineuses (Rokitansky). Les grands abcès du foie peuvent comprimer les ramifications de la veine porte, et ceux qui proéminent sur la face concave peuvent îiiême comprimer le tronc de ce vaisseau. Dans les cas de ce genre il se fait ordinairement, outre les sym- ptômes décrits, un gonflement de la rate et un épanchement séreux dans la cavité abdominale. — Tant que les abcès sont petits la fièvre concomitante est peu intense ou manque complètement, et pendant ce temps l'état géné- ral est souvent peu troublé, les forces se soutiennent et les malades peuvent ainsi pendant plusieurs années consécutives se trouver dans un état de santé assez satisfaisant. Mais aussitôt que les abcès ont pris un plus grand volume, la fièvre devient plus violente, il se présente de temps à autre des frissons, comme nous les observons d'ailleurs dans d'autres suppurations chroniques, les forces et la nutrition des malades sont en souffrance, leur aspect devient cachectique et ils meurent pour la plupart dans un état de maigreur extrême, épuisés et présentant des symptômes d'hydropisie. Cet état a été désigné du nom de phthisie hépatique. Si l'abcès s'ouvre dans la cavité abdominale, il se développe rapidement des symptômes de péritonite qui enlèvent les malades en peu de temps. — Si l'abcès du foie contracte des adhérences avec la paroi antérieure de l'ab- domen, les téguments s'œdématient tout d'abord et deviennent plus tard le siège d'une infiltration inflammatoire. A la suite de cet accident, la fluctua- tion primitivement sentie dans le foie devient indistincte, mais, par contre, il se développe peu à peu une fluctuation superficielle dans les parois abdo- minales qui finissent par être perforées par le pus. — Si la perforation se fait à travers le diaphragme, il se déclare des signes de pleurite, ou, comme il arrive encore plus souvent à raison de l'adhérence entre les feuillets pleuraux, les malades rejettent subitement des matières purulentes d'un rouge foncé ou brun rouge, qui, d'après ce qu'affirme Budd, lui auraient suffi plus d'une fois à diagnostiquer un abcès du foie. Lorsque la per- foration se fait dans le péricarde, il se développe une péricardite qui se termine rapidement par la mort; lorsqu'elle se fait dans l'estomac, les mala- des vomissent les matières purulentes d'un aspect particulier, dont il ;i été question plus haut. Si l'abcès s'ouvre dans l'intestin, il se produit des selles purulentes. Que l'abcès se vide en dehors, dans l'estomac, dans l'intestin et même dans les bronches et que de là il soit rejeté par la toux, toujours est-il que le malade éprouve un soulagement momentané; toutefois il est rare que cette amélioration ait une longue durée, et même cela n'arrive, que dans les cas oii l'abcès avait un petit volume et n'existait que depuis un temps fort court. Dans un seul cas, Budd a observé après l'évacuation du pus l'oblitération de la cavité suivie de la guérison du malade. Le plus souvent la sécrétion des INFLAMMATIONS DU FOIE. 763 parois de l'abcès continue et les malades, épuisés par la fièvre et la suppu- ration, succombent après un temps plus ou moins long. — La guérison par l'enkystement et la diminution progressive de l'abcès, avec épaississement de son contenu, est un fait rare, et il n'est guère possible de constater sur le vivant une terminaison de ce genre. § h. Traitement. Ce n'est que dans les cas rares d'une hépatite traumatique, que l'on peut essayer d'amener la résolution de l'inflammation par l'emploi des compresses froides et l'application de sangsues à l'anus. Pour les périodes ultérieures, on a beaucoup recommandé l'application de vésicatoires dans la région du foie et l'administration interne du calomel, et cependant la faveur dont jouis- sent ces remèdes ne parait pas justifiée. Dans toutes les autres formes de l'hépatite suppurative, nous sommes forcés de nous borner à une médication symptomatique, d'autant plus que presque jamais on ne reconnaît ces formes avant le développement des abcès. Heureusement pour les malades, on n'en est plus, aujourd'hui,, à espérer la résorption du pus par l'emploi interne et externe des mercuriaux, et nous pouvons nous féliciter de ce retour, quoique l'on eût prétendu que précisément les individus .atteints de maladies du foie pouvaient impuné- ment user des plus fortes doses de mercure. — Tant qu'il est impossible de sentir la fluctuation, que par conséquent on ne peut encore songer à ou\ rir l'abcès, on doit se borner à maintenir les forces du malade par un régime approprié, par le vin et les préparations ferrugineuses. — Contre les frissons il y a lieu de prescrire la quinine, dont l'action antipériodique se manifeste souvent d'une manière éclatante, même dans cette maladie. — L'expérience nous ayant appris que les abcès qui guérissent le plus facilement sont ceux; d'où s'écoule un pus mêlé de sang et de parenchyme hépatique désorganisé, tandis que ceux qui donnent issue à un pus normalement constitué ne gué- rissent presque jamais, il faut s'astreindre à ouvrir les abcès le plus tôt pos- sible et avant qu'ils soient entourés d'une membrane dite pyogénique. La chirurgie nous apprend qu'il faut user de précautions toutes particulières pour ouvrir les abcès du foie, et que dans les cas où il n'est pas possible de s'assurer si le foie adhère à la paroi abdominale on ne doit pas, pour ouvrir l'abcès, se servir du bistouri, mais d'une pâte caustique. 764 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. ARTICLE II. Hépatite interstitielle chronique. — Cirrhose du foie. — Foie granulé. § 1. Pathogé.nie et étiologie. L'enveloppe fibreuse du foie et le tissu conjonctif rare qui, formantla con- tinuation de la capsule de Glisson, accompagnent les vaisseaux hépatiques et parcourent le parenchyme du l'oie, sont le siège de la maladie connue sous le nom d'hépatite interstitielle. Dans cette forme inflammatoire il ne se produit ni exsudât libre ni suppuration ou abcès dans le foie ; le processus inflammatoire ne consiste au contraire qu'en une prolifération du tissu que nous venons de nommer, prolifération qui donne lieu à une formation d'éléments de tissus nouveaux, issus des anciens. Pendant que le tissu con- jonctif augmente dans le foie., le parenchyme proprement dit s'efface de plus en plus. — Dans les périodes ultérieures de la maladie, le tissu nou- vellement formé devient le siège d'une rétraction cicatricielle ayant pour effet une constriction et une destruction partielle du parenchyme hépatique, - les vaisseaux et les voies biliaires s'obstruent souvent dans une grande étendue, et une grande partie des cellules hépatiques s'atrophie et disparaît. L'agent irritant qui provoque l'hépatite interstitielle dans la plupart des- cas est l'alcool. Les médecins anglais désignent le foie granulé simplement du nom de foie des ivrognes [gindrinker's liver). La différence que présente la fréquence de l'ivrognerie, selon les sexes et les âges, est sans doute cause que la maladie est infiniment plus commune chez les hommes que chez les femmes et qu'elle est très-rare chez les enfants. Même les exceptions apparentes confirment cette règle. Ainsi Wunderlich a observé deux cas modèles de cirrhose chez deux enfants nés des mêmes parents et qui étaient âgés l'un de onze, l'autre de douze ans ; mais, en s'informant de leurs habi- tudes, il apprit qu'ils avaient l'un et l'autre consommé de fortes quantités d'alcool. Les abus alcooliques ne sont cependant pas l'unique cause de l'hépatite interstitielle, et il n'est pas permis d'accuser tous lesindividus atteints de cir- rhose, qui nient être des buveurs d'habitude, de s'enivrer en cachette. Si l'on a souvent accusé la simple hypérémiepar stase sanguine, telle qu'on la ren- contre dans les maladies du cœur, d'avoir pour couséquence une inflamma- tion interstitielle du foie, cela tient, d'après les nombreuses observations de Bamberger, très-probablement à une erreur et avant tout à la confusion entre le foie granulé et la forme atroptiique du « foie muscade ». Les autres INFLAMMATIONS DU FOIE. 765 causes do l'hépatite interstitielle ne nous sont pas connues ; Budd, dans un passage cité également par Bamberger et Henoch, s'exprime en ce sens que « parmi les substances innombrables qui arrivent journellement dans l'es- tomac, comme aussi parmi les produits d'une digestion vicieuse, il peut bien se rencontrer des principes dont l'absorption détermine la maladie aussi bien que l'absorption de l'alcool. » Budd lui-même considère, du reste, cette supposition comme hypothétique. J'ai observé, pour ma part, un cas dans lequel la cause irritante qui avait entraîné une hépatite interstitielle chro- nique était un développement de calculs biliaires. La plupart des voies bi- liaires du sujet de cette observation, publiée par Liebermeister, et dont le foie présentait tous les caractères les plus prononcés de la cirrhose, étaient remplies de concrétions pierreuses. § 2. Anatomie pathologique. Dans la première période, qui s'offre rarement à l'observation anatomiquc, le foie est agrandi, surtout dans le sens de l'épaisseur; son enveloppe périto- néale est légèrement épaissie et troublée ; sa surface, sauf quelques proémi- nences peu élevées, est encore lisse et unie. A la coupe, le parenchyme parait infiltré d'une substance riche en sang, humide, gris rouge, qui com- munique au foie, un aspect charnu et qui, examinée au microscope, se montre composée de traînées délicates de tissu conjonctif avec des cellules fusifbrmes. Dans les mailles de ce tissu, le parenchyme primitif du foie appa- raît sous forme de granulations assez grandes et peu proéminentes. La seconde période, à laquelle la première passe insensiblement, a été très- bien décrite par Rokitansky. Dans les cas très-prononcés, le foie, d'après cette description, est beaucoup plus petit qu'à l'état normal. Sa forme est changée de telle manière, que ses bords paraissent amincis et transformés, à leur extrémité, en une lisière calleuse qui ne renferme plus aucune trace de parenchyme hépatique. Le diamètre transversal, surtout celui du lobe •droit, est, au contraire, relativement plus grand. Finalement, tout le paren- chyme souvent ne consiste plus qu'en une masse arrondie qui représente le lobe droit, auquel le lobe gauche adhère sous forme d'un petit appendice plat. A la surface du foie, on remarque dans cette période de petites émi- nences ou granulations auxquelles la maladie doit son nom de foie granulé. Si les granulations ont toutes la même grosseur, par exemple celle d'un grain de chènevis, la surface parait également mamelonnée ; elle l'est iné- galement, quand la grosseur des granulations varie. Entre les proéminences, l'enveloppe séreuse est blanchâtre, plus épaisse, analogue à une aponévrose, ratatinée et retirée en dedans ; si des portions assez étendues du foie sont sé- parées les unes des autres par des plis plus profonds, l'organe est lobé. En 766 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. niêriie temps, l'enveloppe séreuse est alors fixée par des adhérences courtes et roides et par des espèces de brides cicatricielles contre les parties environ- nantes et surtout contre le diaphragme. — La substance du foie affecté de- cirrhose est remarquablement ferme, dure et coriace comme le cuir. En fai- sant une incision, on trouve souvent une résistance pareille à celle d'urt sqiïirrhe et l'on rencontre dans l'intérieur du foie les mêmes granulations qu'à sa surface. Ces granulations sont logées dans une gangue composée d'un tissu blanc sale, très-compacte et pauvre en vaisseaux. En quelques en- droits, le parenchyme du foie a complètement disparu et il ne reste plus que le tissu calleux. — A l'examen microscopique, on ne voit plus à cette pé- riode les premiers éléments du jeune tissu conjonctif, mais du tissu con- jonctif tout développé qui, le plus souvent, enferme par couches concentriques des groupes de cellules hépatiques (les granulations). Les cellules hépatiques encore existantes sont les unes envoie de régression graisseuse, les autres fortement colorées en vert jaune, par suite de la stase biliaire, déterminée par la compression des conduits biliaires. La métamorphose graisseuse des cellules hépatiques et plus encore le pigment qu'elles renferment communi- quent à tout le foie, mais surtout aux granulations, la coloration jaunâtre qui a fait donner à la maladie le nom de cirrhose. § 3. SïMETÔMES ET MARCHE. Les symptômes de la première, période de l'hépatite interstitielle, ressem- blent extrêmement à ceux de l'hypérémie simple du foie; les processus in- flammatoires dans l'intérieur du foie et dans son enveloppe sont accom- pagnés généralement de douleurs assez faibles, bien qu'une pression sur la région du foie soit plus sensible pour ces sortes de malades que pour ceux qui ne sont atteints que d'une shvdo hypérémie du foie. Dans quelques cas cependant, la sensation de plénitude de l'hypochondre droit s'exaspère au point de devenir une tension douloureuse et même une douleur brûlante. Outre ces symptômes, les malades accusent plusieurs sortes de malaises dans la première période de l'hépatite interstitielle. Ainsi ils se plaignent d'inappé- tence, d'une sensation de pression et de trop-plein aprèsle repas, ils souffrent deflatulence et de constipation. Même la nutrition peut être altérée etie teint avoir pris un aspect cachectique. Cependant on peut dire de ces phénomènes ce qui a déjà été dit de plusieurs phénomènes appartenant à l'hypérémie simple du foie, à savoir qu'ils accompagnent bien la maladie, mais qu'ils n'en constituent pas à vrai dire les symptômes. L'abus de l'alcool entraîne presque toujours le catarrhe chronique de l'estomac, et c'est de ce dernier, et non de l'hépatite interstitielle, que dépendent les accidents auxquels nous venons de faire allusion. INFLAMMATIONS DU FOIE. 7G7 Les symptômes de la seconde 'période se laissent ramener, pour la plu- part, à des conditions toutes mécaniques. La compression des branches de la veine porte détermine forcément des phénomènes de stase sanguine dans les organes dont elle conduit le sang au foie ; d'un autre côté, la compres- sion des voies biliaires doit amener la résorption de la bile et l'ictère tant que les cellules hépatiques, auxquelles elles correspondent, élaborent encore de la bile. Le plus souvent, et parmi les premiers, on observe des phénomènes de stase sanguine dans la muqueuse de l'estomac et de l'intestin. Le catarrhe chronique de l'estomac qui accompagne la seconde période de l'hépatite interstitielle, n'est pas, comme dans la première période, une complication, mais une conséquence forcée de la maladie. Nous avons longuement décrit les symptômes de ce catarrhe dans le chapitre qui le concerne. Le catarrhe de l'intestin, qui accompagne tout aussi constamment la cirrhose du foie, entraîne rarement une transsudation surabondante de liquides par la muqueuse intestinale, mais il détermine, comme la plupart des catarrhes chroniques , une production exagérée de cellules et la sécrétion d'une mucosité visqueuse. Parmi les symptômes de cette forme du catarrhe chro- nique de l'intestin, nous avons appris à connaître la constipation, le météo- risme, l'aspect cachectique, et par conséquent nous comprenons facilement que ces symptômes doivent également jouer un rôle important parmi les symptômes delà cirrhose. Il n'est pas rare que la turgescence des capillaires de la muqueuse gastro-intestinale devienne assez forte pour amener la rupture de quelques-uns de ces vaisseaux. Nous avons dû, par conséquent, citer la cirrhose du foie comme étant la cause la plus fréquente des hémor- rhagies de l'estomac et de l'intestin, après l'ulcère de l'estomac. De même, nous avons dû mentionner parmi les causes des hémorrhotdes la déplétion incomplète de la veine porte, comme déterminant un engorgement de la veine mésentérique inférieure et des plexus hémorrhoïdaux, et nous avons déjà eu l'occasion de dire que cet accident était un des symptômes les plus communs de la cirrhose. Comme la veine porte reçoit entre autres le sang de la veine liénale, la compression des branches du premier de ces deux vaisseaux gêne également la déplétion du second, et les phénomènes de stase sanguine, dans la rate, s'ajoutent à ceux qui s'observent dans l'estomac et l'intestin. On trouve si fréquemment la rate augmentée du double ou du triple et encore davantage dans les périodes ultérieures de l'hépatite interstitielle, que Oppolzer, Bam- berger et autres ont considéré l'hypertrophie de cet organe comme un des symptômes les plus importants de la cirrhose du foie. Frerichs a trouvé sur 36 cas de cirrhose 18 fois la rate augmentée de volume. Cependant nous hésitons à attribuer l'augmentation de la rate exclusivement à la stase san- guine : d'une part, parce que cette augmentation se montre de très-bonne 768 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. heure dans quelques cas et très-tard dans d'autres, sans que l'apparition des autres phénomènes de stase sanguine soit en rapport avec ces diffé- rences ; d'autre part, parce que, dans quelques cas de cirrhose et dans tous les cas de foie muscade atrophique observés par nous, le gonflement de la rate, malgré une compression très-forte des vaisseaux du foie, était nul ou très-peu considérable. Il est probable que le gonflement de la rate dépend, au moins en partie, d'un processus analogue à celui qui s'est développé dans le foie. Cependant la preuve que la stase sanguine joue également un rôle dans l'augmentation de volume de la rate nous est fournie par ce fait, qu'après une hématémèse provenant d'une rupture de quelques vaisseaux; capillaires de l'estomac, la rate se dégonfle constamment à raison de la facilité plus grande apportée au dégorgement de cet organe. Comme les veines du péritoine, surtout celles de son feuillet viscéral, se jettent également dans la veine porte, on comprend aussi très-facilement le développement de l'ascite qui constitue le symptôme le plus frappant de la cirrhose. Nous pouvons renvoyer ici à l' avant-dernier chapitre de la der- nière section, dans lequel une. augmentation de pression sur les parois internes des veines du péritoine a été signalée comme étant la cause la plus importante d'une transsudation séreuse dans la cavité abdominale. Dans quelques cas, le produit de transsudation se trouve mélangé de petites quantités de sang, parce que dans le péritoine il s'est fait également par-ci par-là une rupture de capillaires. Dans d'autres cas, des flocons de fibrine nagent dans le liquide, flocons qui prouvent que quelquefois le travail inflammatoire dans l'enveloppe fibreuse du foie et dans ses environs donne aussi lieu à la production d'un exsudât libre en faible quantité. L'ascite, .symptôme de la cirrhose du foie, devient particulièrement intense ; aussi voit-on se développer plus souvent que dans n'importe quelle autre forme d'ascite, à la suite de la compression subie par la veine cave et les veines iliaques, les réseaux veineux bleus qui sillonnent la peau du ventre, l'œdème des extrémités inférieures, des parties génitales et des téguments abdo- minaux, enfin la gangrène superficielle de ces parties, dont il a été question au chapitre de l'ascite. Si nous avons envisagé le catarrhe chronique et les hémorrhagics de l'estomac et de l'intestin, les hémorrhoïdes, l'hypertrophie de la rate, enfin l'ascite comme les symptômes les plus constants de la cirrhose, el comme les résultats mécaniques de la compression des branches de la veine porte, on se demande ensuite quelle interprétation il y a lieu de donner aux cas exceptionnels dans lesquels ces symptômes [manquent ou sont à peine accentués. A cet égard, nous ferons remarquer d'abord que les bran- ches de la veine porte, malgré une cirrhose avancée, restent quelquefois assez libres, ce qui fait que, d'après les observations de Fôrster, on parvie.nl quelquefois à les poursuivre encore très-loin sur le cadavre. Ajoutez à cela INFLAMMATIONS DV FOIE. 769 que l'écoulement du sang de l'estomac, de l'intestin, de la rate, du péritoine est rendu plus facile par une circulation collatérale qui empêche la stase sanguine dans les organes indiqués, en faisant suivre au sang d'autres tra- jets pour contourner l'obstacle. Une circulation collatérale devient possible : 1° Par la communication qui s'établit entre la veine mésentérique inférieure et la veine hypogastrique, par l'intermédiaire des plexus hémor- rhoïdaux ; 2° Par les anastomoses entre certaines branches.de la veine porte et les veines de l'enveloppe séreuse du foie qui se rendent aux veines diaphrag- matiques et œsophagiennes ; 3° Par des vaisseaux nouvellement formés dans les adhérences qui unis- sent le foie au diaphragme. U° Indépendamment de ces voies de communication , et d'autres qui peuvent quelquefois se faire d'une manière anormale entre les branches de la veine porte et la veine cave, sans l'intermédiaire de la veine hépa- tique, il se forme, dans quelques cas, un genre de circulation collatérale très-remarquable et qui pendant la vie se fait déjà reconnaître par des symptômes très-manifestes. C'est cette circulation collatérale dont on croyait autrefois qu'elle ne pouvait se produire que quand la veine ombilicale s'était incomplètement fermée après la naissance, anomalie qui aurait laissé subsister pour la suite un canal très-mince dans le ligament de cette veine. On croyait que si dans ces cas il se formait une stase sanguine intense dans le foie, ce mince canal finirait par être distendu par l'afflux du sang, au point d'être mis en état de conduire le sang jusque dans la paroi antérieure de l'abdomen où il se déverserait dans les ramifications de la veine mammaire interne. L'engorgement de la veine mammaire produit de cette manière gênerait la déplétion des veines cutanées qui subiraient une dilatation colossale et entoureraient sous forme de bourrelets bleus le nom- bril. La difformité dont il est ici question, et qui est connue sous le nom de tête de méduse, est cependant autrement expliquée par Sappey. En effet, d'après cet anatomiste, elle n'est pas due à la dilatation de la veine ombili- cale, incomplètement oblitérée, mais à celle des branches de la veine porte qui rampent entre les deux feuillets du ligament falciforme, et se rendent du foie à la paroi antérieure de l'abdomen ; ce sont en effet ces branches qui forment des anastomoses avec les racines de la mammaire interne et de la veine épigastrique. Un fait plus difficile à expliquer que l'absence des phénomènes de stase sanguine dans leur ensemble, c'est l'absence de quelques-uns et la présence des autres. Nous ne savons qu'en partie (voyez plus haut) pourquoi la rate, que Bamberger a trouvée agrandie 58 fois sur 6& et Frerichs 18 fois sur 36, conserve ses dimensions ordinaires dans un certain nombre de cas, et pour- quoi chez certains malades il y a des accès répétés d'hématémèse, tandis NIEMEYER. I- — *9 770 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. que chez d'autres cet accident ne se montre jamais pendant toute la durée de la maladie, et nous n'essayerons même pas d'expliquer ces différences. Quoique dans la cirrhose du foie, les conduits biliaires subissent la même pression que les branches de la veine porte, il s'y développe cependant bien rarement une stase biliaire bien intense. La plupart des malades ont, il est vrai, un teint jaunâtre, une coloration également jaunâtre de la sclérotique, une urine d'une couleur foncée ; mais un ictère intense n'est rien moins qu'un des symptômes fréquents de la cirrhose. Ce phénomène s'explique facilement par la physiologie de la sécrétion biliaire. Le sang qui se rend au foie ne contient pas de bile ; ce n'est que dans les cellules hépatiques que cette dernière est élaborée aux dépens des matériaux que le sang y transporte. Le fait d'une stase et d'une résorption biliaires suppose donc toujours l'intégrité et le fonctionnement normal d'une partie des cellules hépatiques. Or, dans la cirrhose du foie, il y a, d'une part, compression d'un certain nombre de conduits biliaires, c'est-à-dire la condition qui entraîne le plus souvent la stase et la résorption biliaires, d'autre part, destruction d'un grand nombre de cellules hépatiques ; ce qui doit avoir pour effet de restreindre essentiellement l'élaboration de la bile. De là on peut conclure facilement que dans la cirrhose, l'ictère ne fait presque jamais défaut, mais que d'un autre côté aussi cet ictère ne devient presque jamais très-intense. Dans un cas donné, un léger degré d'ictère prouverait, dans une cirrhose avancée, que l'une des deux conditions, la destruction des cellules hépatiques, est prédominante, tandis qu'un ictère intense prou- verait la prédominance de l'autre condition, c'est-à-dire la compression des canaux biliaires, ou bien l'existence de complications qui seraient venues opposer un nouvel obstacle à l'écoulement de la bile. Ces complications, surtout le catarrhe des voies biliaires ou leur oblitération par des calculs, viennent assez souvent s'ajouter à la cirrhose. Quand l'écoulement de la bile est complètement supprimé, il suffit même de la petite quantité de ce liquide, élaborée dans les cellules encore intactes, pour provoquer un ictère. — C'est de la compression des canaux biliaires que dépend aussi pour la plus grande partie la coloration claire et grisâtre des selles. La compression des canaux biliaires n'en amenant jamais l'oblitération complète, on ne trouve pas dans la cirrhose simple des selles argileuses et complétemenl décolorées comme on les trouve dans d'autres formes de l'ictère. — L'urine renferme ordinairement des traces de pigment biliaire, mais elle se distingue encore bien plus par sa richesse en urates et en matières colorantes parti- culières, sur laquelle nous reviendrons plus tard. Aux symptômes qui appartiennent à la compression des branches de la veine porte et des voies biliaires s'en ajoutent d'autres qui ont leur raison d'être dans la destruction du grand nombre de cellules hépatiques. En par- lant des phénomènes ictériques nous avons déjà rappelé que la production INFLAMMATIONS DU FOIE. 771 ]\ e chez les individus atteints de cancer, et qui a de la valeur pour la dis- tinction à établir entre les dégénérescences carcinomateuses et d'autres maladies, ne signifie rien lorsqu'il s'agit de distinguer la dégénérescence carcinomateuse du péritoine de la cirrhose , attendu que dans cette der- nière le teint est également d'un jaune sale et très-analogue au teint cancé- reux. § 5. Traitement. Dans les cas rares où l'on peut reconnaître ou soupçonner l'hépatite interstitielle, à. sa. première période, il faut chercher à empêcher les progrès de la maladie par la défense absolue des spiritueux. En même temps il con- vient d'appliquer le traitement conseillé contre l'hypérémie du foie et, avant tout, de faire poser de temps à autre des sangsues au pourtour de l'anus et de prescrire des purgatifs salins. Ces derniers se prennent le mieux sous la forme des eaux minérales naturelles ou artificielles de Karlsbad, de Ma- rienbad, de Tarasp, etc., qui sont mieux tolérées que les sels purgatifs non additionnés d'acide carbonique et de carbonates alcalins. Une fois que la nu- trition des malades a subi une atteinte plus grave, on préfère les sources qui, telles que le Franzensbrunnen d'Egerel leRagoczy cleKissingen, renferment en même temps quelques éléments ferrugineux. Dans la seconde période, même reconnue à son début, on ne peut plus espérer que l'on parviendra à arrêter les progrès de la maladie. De même que le tissu de formation nouvelle qui comble une perte de substance de la peau se rétracte jusqu'au moment où une cicatrice solide a pu se former, le tissu conjonctif nouvellement formé dans le foie se contracte, de son côté, jusqu'au moment où apparaissent les suites fâcheuses dont il a été question au paragraphe 3. C'est alors surtout qu'une guérison radicale est devenue impossible, le tissu cicatriciel ne se laissant plus jamais distendre. — Le traitement de la cirrhose ne peut donc être qu'un traitement purement symptomatique. Parmi les phénomènes de stase sanguine, c'est avant tout le catarrhe gastro-intestinal qui doit attirer l'attention , attendu que ce double catarrhe ne peut que hâter l'amaigrissement et l'épuisement des malades. D'après les principes exprimés antérieurement , c'est précisément dans cette forme du catarrhe gastro-intestinal que les carbonates alcalins, rendent le plus de services; leur administration semble modérer la viscosité du mucus et débarrasser plus facilement la muqueuse gastro-intestinale de 776 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. la couche muqueuse qui y adhère. Les hémorrhagies gastro-intestinales et les hémorrhoïdes seront également traitées suivant les règles antérieure- ment données, quelque faibles que soient les chances de succès. — Quant à l'ascite, il faut se rappeler que la ponction ne doit être faite qu'en cas d'ex- trême nécessité , par la raison que l'ascite, provenant de stases dans le domaine de la veine porte, a une tendance toute particulière à se repro- duire aussitôt que la pression qui met obstacle à une transsudation nouvelle est levée. Si, malgré cela, on a été forcé de faire la ponction, il y a lieu d'espérer, surlout dans ces cas, une reproduction plus lente de la collection par une compression bien faite à l'aide de linges convenablement appliqués. De même, c'est principalement à cette forme de l'ascite que s'applique la proposition émise antérieurement, que l'emploi des diurétiques est aussi inefficace qu'irrationnel. — Dans le traitement de la cirrhose il faut avant tout se pénétrer de la nécessité de relever les forces et la nutrition du ma- lade. Autant que le permet l'état des organes de la digestion, on ordonnera au malade un régime fortifiant, on lui prescrira des préparations ferrugi- neuses qui, assez souvent, sont bien tolérées et produisent d'excellents résultats. Chez un individu atteint de cirrhose du foie, et enlevé plus tard par une hématémèse, j'ai vu à plusieurs reprises, sous l'influence des pré- parations ferrugineuses administrées à haute dose et d'un régime composé principalement d'œufs et de lait, la quantité de liquide accumulé dans le ventre subir une diminution pour faire ensuite de nouveaux progrès quand le malade, renvoyé de l'hôpital, ne recevait plus les mêmes soins, ou bien quand une hémorrhagie de l'estomac était survenue. ARTICLE III. Hépatite syphilitique. — Syphilome du foie (Wagner). § 1. Pathogënie et étiologie. Parmi les organes situés dans l'intérieur du corps, le foie paraît être celui qui est le plus souvent atteint de syphilis constitutionnelle. Toujours est-il que l'hépatite syphilitique, le syphilome du foie, est de toutes les affec- tions syphilitiques d'organes internes celle qui, la première, a été bien étudiée. Cette lésion se rencontre assez fréquemment dans les cadavres d'enfants atteints de syphilis congénitale. Dans la série des troubles de la nutrition qui se développent à la suite d'une contagion syphilitique, l'hépatite se mani- feste assez tardivement, ce qui fait qu'assez généralement elle est comptée INFLAMMATIONS DU FOIE. W parmi les symptômes tertiaires et non parmi les symptômes secondaires de la syphilis. § 2. An'ATOMIK PATHOLOGIQUE. De nombreuses recherches microscopiques faites sur dés organes atteints de syphilis ont appris, il est vrai, à Wagner, que non-seulement les dégénéres- cences syphilitiques qui se manifestent sous forme de foyers circonscrits, c'est-à-dire les tumeurs gommeuses de Virchow, mais encore les dégéné- rescences syphilitiques diffuses de nos organes ont pour base un néoplasme spécifique, le syphilome ; toutefois, vu à l'œil nu, un foie dans lequel la syphilis constitutionnelle a déterminé des modifications de structure peut présenter, selon les divers cas, des différences tellement notables qu'il sem- ble que l'on ait toujours encore le droit d'établir plusieurs formes d'hépatite syphilitique. On peut distinguer une périhépatite syphilitique, une hépatite syphilitique interstitielle simple, entraînant une induration diffuse et, enfin, une troisième forme à laquelle Virchow a donné le nom d'hépatite gom- meuse. Cette dernière, dont la nature syphilitique a été constatée depuis longtemps par Dittrich, est la plus facile à reconnaître et à distinguer d'autres états morbides du foie. Dans cette forme on trouve au milieu de la substance hépatique des foyers dont la grosseur varie entre celle d'une graine de chè- nevis, d'une noisette et d'une noix, et qui, lorsqu'ils sont récents, présentent un aspect et une consistance médullaires et, lorsqu'ils existent depuis un temps plus long, représentent des masses jaunes, caséeuses. Ces foyers, qu'avant Dittrich on avait pris pour des carcinomes en voie de guérison, avec lesquels ils offrent une grande ressemblance, sont entourés d'un tissu induré et envoient dans diverses directions, jusqu'à la surface de l'organe, des traî- nées de tissu conjonctif également induré. A la surface même on remarque de profonds sillons qui communiquent au foie un aspect particulièrement lobé et qui sont dus à des destructions partielles du parenchyme hépatique et à son remplacement par du tissu conjonctif qui se rétracte. — En cas d'induration syphilitique diffuse du foie, on trouve des parties plus ou moins étendues de l'organe malade transformées en un tissu ferme et compacte. La substance glandulaire est en grande partie détruite et remplacée par du tissu conjonctif. Il n'y a pour ainsi dire que l'existence simultanée des foyers décrits plus haut qui mette à l'abri d'une confusion entre l'induration syphi- litique diffuse et la cirrhose ; cependant l'aspect plus uni, plus homogène de la coupe, l'absence des granulations qui, dans la cirrhose, ne font pres- que jamais défaut, facilitent aussi jusqu'à un certain point la distinction. La périhépatite syphilitique, sans compter qu'elle complique ordinairement les altérations du parenchyme que nous venons de décrire, a encore cela de 773 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. caractéristique, que les épaississements de l'enveloppe séreuse du foie déterminés par elle sont plus considérables que dans les autres formes de périhépatite et qu'ils ont une consistance. particulièrement ferme et cal- leuse. § 3. Symptômes et marche. Dans bien des cas l'hépatite syphilitique ne peut être reconnue ni même soupçonnée pendant la vie. Quelquefois la forme particulière du foie, aug- menté de volume, dont la surface laisse apercevoir des proéminences et des enfoncements, jointe à d'autres signes concomitants de syphilis constitu- tionnelle, permet d'établir le diagnostic d'une hépatite syphilitique. -Chez, une malade de Greifswald, qui s'était plainte d'accidents de péritonite chro- nique, la forme particulière du foie m'avait permis de soupçonner fortement l'existence d'une hépatite syphilitique bien avant que la malade, m'eût avoué qu'elle avait été infectée de vérole et avant l'examen de Farrière-bouche qui fît voir une perte de substance très-considérable de chaque côté du voile du palais. — Cette malade a succombé à sa maladie depuis mon départ de Greifswald, mais une note que j'ai trouvée dans Greifswalder medicinische Beitràge m'a appris que l'autopsie avait confirmé mon diagnostic. — Dans- les éditions antérieures de ce livre, j'ai dit que selon toute probabilité, en cas de grande extension du processus, la compression des branches de la veine porte et des canaux biliaires pouvait donner lieu à un tableau clinique fort analogue à celui delà cirrhose. J'ajoutais alors que dans les cas publiés jusque-là on n'avait observé qu'une seule fois une ascite modérée et jamais un ictère. Depuis cette époque, j'ai eu l'occasion d'observer un cas qui a pleinement justifié ma supposition; un malade, qui prétendait n'avoir ja- mais été atteint de syphilis, fut admis à la clinique avec un ictère, une ascite intense, qui exigea des ponctions répétées, et une urine très-foncée et très-riche en matières colorantes anormales. Le foie était augmenté de vo- lume et l'on sentait à sa surface des protubérances globuleuses, n'ayant pas l'apparence de bourrelets ou de rebords saillants. L'autopsie ne vint pas con- tinuer le diagnostic émis d'un carcinome du foie avec oblitération consécu- tive de la veine porte. Le foie était manifestement lobé, son enveloppe con- sidérablement épaissie en plusieurs endroits et le parenchyme était dan.> une grande étendue à l'état d'induration diffuse ; dans la profondeur du lobe droit, il |y avait trois ou quatre tumeurs gommcuses encore fraîches et d'apparence [médullaire. INFLAMMATIONS DU FOIE. 779 § h. Traitement. 11 ne peut guère être question d'un traitement de l'hépatite syphilitique, attendu que même dans les cas où la maladie a été reconnue sur le vivant, il ne s'agissait que de sa période terminale. Nous ne pouvons espérer rendre de la souplesse au tissu conjonctif ratatiné ni amener la résorption de ce tissu en administrant de l'iode ou du mercure et, par conséquent, il ne nous reste qu'à combattre les symptômes. ARTICLE IV. Inflammation de la veine porte. — Pyléphlébitc. § 1. Pathogénie et étiologie. Par pyléphlébite, nous entendons non-seulement un état dans lequel une inflammation de la paroi veineuse entraine une coagulation du sang dans l'intérieur de la veine porte, mais encore la coagulation du con- tenu de ce vaisseau indépendante de tout travail inflammatoire dans ses pa- rois. La première de ces deux formes, la phlébite primitive, est beaucoup plus rare que la dernière. Ses causes déterminantes sont ou des lésions trauma- tiques de la veine porte, ou des inflammations des parties circonvoisines, qui envahissent le vaisseau. La phlébite secondaire ou, comme on dit aujourd'hui, la thrombose de la veine- porte, ne peut pas toujours être ramenée à des causes appréciables, Quel- quefois elle est déterminée : 1° Par une compression du tronc de la veine porte provenant de ganglions lymphatiques caséeux ou cancéreux, d'autres genres de tumeurs ou bien d'un épaississement et d'une rétraction cicatri- cielle du péritoine. — 2° Dans d'autres cas, une compression des branches de la veine porte, par exemple en cas de cirrhose du foie, est suivie d'un ralentissement si considérable de la circulation que des coagulations se pro- duisent dans le tronc ou dans les ramifications du vaisseau. — 3° La throm- bose delà veine porte semble due encore plus souvent à l'agrandissement ei à l'extension progressifs d'un caillot qui s'est formé dans une des racines de ce vaisseau. D'une façon tout à fait analogue, nous voyons que, dans les thromboses de l'une ou de l'autre veine crurale, il se produit non-seulement une coagulation dans les veines de la jambe correspondante, mais que la thrombose remonte parfois plus haut, jusque dans la veine cave et même 780 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. jusque dans les veines rénales. Dans la veine porte et ses ramifications il s'agit, dans ces sortes de cas, d'une thrombose primitive, même en admet- tant que la coagulation ait été déterminée en premier lieu par une inflam- mation de la paroi de telle ou telle racine du vaisseau. C'est ainsi que s'ex- pliquent le plus facilement les thromboses de la veine porte consécutives à des ulcérations ou à des fontes ichoreuses d'organes abdominaux, à des inflammations de la veine ombilicale des enfants nouveau-nés, à des abcès de la rate, à des ulcères de l'estomac, à des tumeurs hémorrhoïdales enflam- mées et suppurées et à d'autres accidents semblables. — 4° On ne sait pas encore jusqu'à présent si des embolies, provenant de foyers ichoreux et s' in- troduisant dans le foie, peuvent conduire à une coagulation d'abord circon- scrite et plus tard diffuse du contenu de la veine porte. § 2. Anatomie pathologique. L'altération la plus constante de la pyléphlébite à sa première période est, pour l'une et l'autre forme, la coagulation du contenu veineux. Il importe de bien connaître ce fait pour ne pas commettre l'erreur de croire que la phlébite suppurative (voyez plus bas) commence par une formation de pus dans la veine. Le coagulum adhère solidement à la paroi veineuse. Cette dernière, en cas de phlébite primitive, est devenue plus épaisse dès le début et se montre imbibée de sérosité ; de plus, on aperçoit un trouble de la tu- nique interne et une injection de l'externe. Dans la thrombose, la paroi vei- neuse est normale au commencement, mais bientôt elle se modifie égale- ment de la manière indiquée. La coagulation du contenu de la veine porte peut être limitée à quelques branches de ce vaisseau ; dans d'autres cas, elld s'étend à son tronc, à ses racines et à ses ramifications. Les terminaisons de la pyléphlébite diffèrent, et selon ces différences, on admet une forme adhésive et une forme suppurative de la maladie. Dans la pyléphlébite adhésive le ratatinement lent du caillot, sa dégéné- rescence graisseuse et sa résorption partielle ou totale sont accompagnés d'une hypergenèse inflammatoire de la paroi veineuse, qui se termine par l'oblitération dû. vaisseau sans que nous puissions poursuivre les différentes phases de ce processus. Si l'on examine un foie qui a été le siège d'une pyléphlébite adhésive, on trouve à sa surface des endroits enfoncés par rétraction cicatricielle et dans son intérieur, correspondant aux enfonce- ments, un tissu calleux au milieu duquel on peut encore reconnaître les branches dégénérées et imperméables de la veine porte. Quelquefois ces branches renferment des restes de caillots dégénérés en matière graisseuse et plus ou moins colorés en jaune par dé l'hématine. Dans la pyléphlébite suppurative, le thrombus, au lieu.de se ratatiner INFLAMMATIONS DU FOIE. 781 lentement,, se résout en un liquide puriforme. Ce dernier consiste, pour la plus grande partie, en un détritus finement granulé et ne contient qu'un petit nombre de cellules arrondies qui peuvent être tout aussi bien des corpuscules sanguins incolores, restés intacts, que des globules de pus nouvellement formés. Il est rare que le thrombus se désagrège ainsi partout à la fois. Souvent le tronc du vaisseau contient encore un coagulum solide tandis que les branches et les racines renferment un liquide purulent. Mais, plus souvent encore, il arrive que, précisément dans les ramifications les plus fines de la veine porte, il n'y a pas de fonte moléculaire, de sorte que les coagulums qui s'y maintiennent empêchent le détritus purulent d'arriver dans la veine hépatique et plus loin dans la petite circulation : j'ai pu constater bien positivement dans deux cas de pyléphlébite suppurée cette séquestration du détritus; elle explique d'une manière bien simple l'absence si fréquente d'affections secondaires du poumon, affections qui ne pourraient manquer de se produire si les ramifications terminales de la veine porte n'étaient pas oblitérées. — Mais, tout comme dans une phlébite péri- phérique, l'inflammation de la tunique externe gagne les tissus circonvoi- sins et y provoque une suppuration et une formation d'abcès, la pyléphlébite suppurative est à son tour bientôt suivie d'une inflammation du parenchyme hépatique terminée par une formation d'abcès du foie, On trouve alors dans cet organe de nombreux foyers remplis de masses purulentes, qui entourent la veine porte et souvent communiquent avec elle. § 3. Symptômes et marche. Lorsque la pyléphlébite adhésive reste limitée à quelques branches de la veine porte, elle poursuit son évolution sans se trahir par des symptômes pendant la vie. — Les branches non oblitérées du vaisseau suffisent pour conduire le sang des organes abdominaux dans la veine hépatique. — Si l'oblitération porte sur le tronc ou sur toutes les branches ou au moins sur leur plus grand nombre, il se produit un tableau qui offre la plus grande analogie avec celui de la cirrhose. L'arrêt du sang dans les racines de la veine porte entraîne dans les deux maladies des catarrhes de la muqueuse gastro-intestinale, des hémorrhagies de cette muqueuse, des hémorrhoïdes. l'augmentation de volume de la rate, qui cependant n'est pas constante, enfin l'ascite. La compression des canaux biliaires détermine plus souvent la stase biliaire et l'ictère dans la pyléphlébite adhésive que dans la cirrhose, parce qu'un plus grand nombre de cellules hépatiques aptes à élaborer de la bile reste conservé. La persistance de la sécrétion biliaire et le développe- ment de l'ictère, dans la pyléphlébite, semblent prouver que non-seulement ha veine porte, mais eneore l'artère hépatique, apportent aux cellules hépa- 782 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. tiques les matériaux nécessaires pour la formation de la bile. La marche de la maladie est chronique. La guérison est impossible, mais il se passe sou- vent des mois avant que la mort arrive, précédée de symptômes identiques à ceux de la cirrhose. 11 résulte de là que la maladie ne peut être reconnue et distinguée de la cirrhose qu'à l'aide des renseignements anamnestiqucs. Si l'on s'est assuré qu'un malade n'a pas fait usage d'eau-de-vie^ si d'un autre côté l'ensemble symptomatique que nous venons de décrire a été pré- cédé de processus inflammatoires et suppuratifs dans l'abdomen, on a de fortes raisons pour croire à l'existence d'une pyléphlébite adhésive, dans les cas surtout où l'évolution de la maladie est plus rapide que celle de la cirrhose. La pyléphlébite suppurative n'a été reconnue jusqu'à présent que bien rarement sur le vivant. Les symptômes sont des douleurs dans la région du foie, un gonflement de cet organe, une grande sensibilité à la pression, des frissons qui se répètent par intervalles irréguliers, une fièvre violente et presque toujours l'ictère. Lorsque ces symptômes s'ajoutent à uneinflamniH- tion, à une ulcération dans les organes de l'abdomen, on peut admettre avec une certaine probabilité qu'il s'est développé une inflammation aiguë du t'oie, mais on ignore si c'est le parenchyme ou la veine porte qui a été enflammé. On ne peut admettre l'affection de cette dernière qu'autant qu'aux symptômes mentionnés s'ajoutent les signes connus d'une obstruc- tion de la veine porte, qu'il se déclare un gonflement de la rate , une ascite légère et qu'il survient des hémorrhagies de l'estomac ou de l'in- testin. — Schœnlein a reconnu le premier, en s'appuyant sur les sym- ptômes que nous venons de nommer, un cas de pyléphlébite suppurative sur le vivant , et a ainsi fourni la preuve , non-seulement d'une sagacité extraordinaire, mais encore d'une tendance franchement anatomo-physin- logique. § U. Traitement. Tout ce que nous avons dit du traitement de la cirhose s'applique à celui delà pyléphlébite adhésive; le traitement de la pyléphlébite suppun itive se confond, au contraire, avec celui de l'hépatite suppurative. F01K GRAS. 783 CHAPITRE III. Foie gras. § 1. Pathogénie et étiologie. Il y a lieu de distinguer deux formes de foie gras. Dans la première un excédant de graisse, provenant du sang de la veine porte, se dépose dans les •cellules hépatiques; dans la seconde ces cellules, dont la nutrition est troublée par des processus pathologiques du parenchyme de l'organe, su- bissent une métamorphose régressive, pendant laquelle des granulations adipeuses se développent dans leur intérieur, comme cela arrive du reste encore dans d'autres cellules et dans d'autres tissus, soiis les mêmes condi- tions. Cette seconde forme, autrement dit la dégénérescence graisseuse, est un accident commun à bien des altérations de texture du foie, accident que déjà nous avons appris à connaître dans la cirbose et sur lequel nous revien- drons encore plus d'une fois. Pour le moment, nous ne nous occuperons que de la première forme, du foie gras dans un sens restreint, ou bien, comme on pourrait l'appeler avec Frerichs , de Y infiltration graisseuse du foie. Les conditions qui piésident au développement du foie gras paraissent très-contradictoires à première vue. En effet, d'une part nous voyons le foie gras se développer concurremment avec une production surabondante de graisse dans le corps entier, lorsque l'apport des matériaux de la nutrition est exagéré et la dépense diminuée ; d'autre part cette affection se déclare, au milieu d'un amaigrissement extrême et d'une dépense organique exa- gérée. Ce contraste n'est cependant qu'apparent, la première et la seconde ■condition ayant pour effet l'une et l'autre une trop forte proportion de graisse dans le sang. Dans le premier cas la graisse ou les substances qui servent à la produire sont amenées du dehors, dans le second la graisse du tissu cellulaire sous-cutané et d'autres parties du corps qui en renferment *m grande abondance, est résorbée et mêlée au sang. Si nous examinons de plus près le premier mode de développement du foie gras, nous reconnaissons que cette anomalie se rencontre de préfé- rence chez les individus qui se donnent peu de mouvement, tout en man- geant et en buvant copieusement. Les conditions dans lesquelles ces indi- vidus se placent sont tout à fait analogues à celles des animaux que l'on veut engraisser : ainsi on ne laisse pas travailler ces derniers, on les tient enfermés dans l'étable et on les nourrit avec de grandes quantités d'aliments composés 784 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. essentiellement d'hydrates de carbone. Mais de même que tel animal soumis à ce régime engraisse rapidement et facilement, et tel autre très-tard, ou reste maigre, de même aussi parmi les hommes qui se nourrissent d'aliments pareils, les uns deviennent obèses et contractent un foie gras, les autres restent maigres et conservent un foie sain. Nous ignorons les causes de cette prédisposition individuelle qui, chez certains sujets, paraît être congénitale et héréditaire comme aussi les causes de l'immunité que présentent d'autres individus contre l'obésité et le foie gras. Ces causes peuvent consister aussi bien en une assimilation plus ou moins facile des aliments que dans le re- nouvellement plus ou moins rapide de la substance organique. S'il existe une prédisposition bien prononcée, un régime ordinaire paraît pouvoir développer la maladie pour peu que les individus mangent plus qu'il ne faut pour réparer les pertes organiques ; si la disposition à l'obésité est faible, la maladie ne se développe qu'autant que les individus consomment des quan- tités immodérées de corps gras, d'hydrates de carbone et surtout d'alcool. Il est probable que ce dernier agit principalement en ralentissant la nutrition, cependant le fait n'est pas encore suffisamment prouvé. Depuis longtemps on a été frappé de la fréquence du foie gras dans la tuberculose pulmonaire. On a cherché à expliquer le rapport entre ces deux maladies par l'obstacle à la respiration qui aurait pour effet une oxydation incomplète des hydrates de carbone et leur transformation en graisse. Comme cependant le foie, gras se rencontre rarement dans d'autres maladies pulmonaires où la respiration est également en souffrance, et comme d'un autre côté, la tuberculose des os, de l'intestin et les processus cancéreux et autres qui font maigrir les individus, sont souvent suivis de foie gras, l'ob- stacle à la respiration ne saurait être l'unique cause du développement du foie «ras dans la tuberculose pulmonaire. L'opinion exprimée pour la pre- mière fois par Larrey, d'après laquelle le foie gras résulterait de l'augmen- tation des proportions de graisse du sang, augmentation qui serait le résultai de l'amaigrissement et de la résorption de la graisse des autres organes, est partagée par Budd et Frerichs. — L'huile de foie de morue, dont la plu- part des malades tuberculeux consomment de fortes quantités, n'est peut- être pas sans influence sur le degré du foie gras. § 2. Anatomie pathologique. L'infiltration graisseuse, quand elle ne dépasse pas un faible degré, ne modifie ni le volume ni l'aspect du foie et ne peut être reconnue qu'à l'aide du microscope. — Dans les degrés plus élevés, le foie est augmenté de vo- lume mais d'ordinaire il a une forme aplatie. L'augmentation de volume et de poids est dans beaucoup de cas très-faible, dans quelques-uns elle est FOIE GRAS. 785 très-considérable. Le feuillet péritonéal qui recouvre le foie gras est trans- parent, lisse et brillant ; quelquefois il est parcouru par des vaisseaux vari- queux. I^a couleur de la surface du foie est, selon le degré de l'infiltration graisseuse, d'un rouge jaunâtre ou d'un jaune franc. On observe souvent que la coloration jaune est interrompue par des taches et des dessins rou- geàtres qui répondent au pourtour des veines centrales. La consistance du foie est diminuée : elle est pâteuse au toucher et la pression du doigt laisse facilement une fossette persistante. La résistance qu'offre cet organe à l'inci- sion, est faible ; il reste un enduit graisseux sur la lame du scalpel si l'on a eu soin de la chauffer légèrement. La surface de section, qui ne laisse écouler que peu de sang, est également jaune rougeàtre ou jaune et pré- sente souvent les taches et les dessins rouges, dont nous avons parlé plus haut. A l'examen microscopique, les cellules hépatiques, agrandies et le plus souvent un peu arrondies, présentent, selon le degré de la maladie, l'aspect suivant : ou bien elles sont remplies de fines gouttelettes graisseuses, ou bien ces gouttelettes se sont réunies en quelques gouttes plus grosses, ou bien, enfin, quelques cellules hépatiques sont remplies entièrement ou en grande partie par une seule et grosse goutte de graissse. — L'infiltration débute toujours à la périphérie des îlots hépatiques, c'est-à-dire dans le voisinage des veines interlobulaires, ramifications terminales de la veine porte; ce n'est que dans quelques rares cas qu'elle s'étend jusque près des veines centrales (l'intégrité de cette partie du parenchyme donne lieu aux taches rouges au milieu du foie jaune), et dans ces cas même les cellule» hépatiques situées au centre sont, le plus souvent, moins infiltrées que celles de la périphérie. L'examen chimique du parenchyme hépatique y fait découvrir une pro- portion de graisse souvent énorme. Vauquelin a trouvé dans un foie gras arrivé à un degré avancé de la maladie /i5 pour 100 de graisse, Frerichs dans un cas Zi3 pour 100 et 78 pour 100 dans la substance hépatique privée de son eau. — La graisse est composée, d'après Frerichs, d'oléine et de mar- garine en pi'oportions variables, avec destraces.de cholestérine. Une variété de foie gras est la forme que Home et Rokitansky appellent foie cireux. L'organe présente la même modification de texture, mais se dis- tingue par une sécheresse semblable à celle de la cire, par un reflet spécial et par une couleur jaune intense. Dans la plupart des cas de foie gras les symptômes subjectifs font défaut, et même l'examen objectif ne permet de reconnaître que les degrés élevés JHEMEYEK. I — 50 786 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. de la maladie. Chez les individus atteints d'obésité générale, ou chez des malades affectés de phthisie pulmonaire, etc., il faut examiner de temps en temps la région hépatique, même sans qu'ils se plaignent de symptômes pénibles du côté du foie. Si l'on rencontre chez eux une augmentation de volume de cet organe, qu'il est d'autant plus facile de constater que le foie est ordinairement allongé, qu'il a des bords épaissis et s'étend bien bas à cause de la flaccidité de son parenchyme (Frerichs), si le foie hypertrophié est en même temps indolent, sa surface lisse, sa résistance faible, de sorte qu'on ne peut pas reconnaître distinctement le bord inférieur, cela suffit pour établir le diagnostic du foie gras, vu la coïncidence très- fréquente de cette maladie avec les états susnommés. Dans les degrés très-élevés de foie gras, comme on les rencontre prin- cipalement chez les individus qui commettent des excès de table et de bois- son, le malade accuse quelquefois une sensation de trop-plein dans l'hypo- chondre droit, ce qui, du reste, s'observe dans toute augmentation considé- rable du volume du foie. Si les parois de l'abdomen, l'épiploon, le mésentère sont également le siège d'un dépôt considérable de graisse, la réplétion du ventre et la tension de sa paroi peuvent gêner les mouvements du dia- phragme et rendre la respiration pénible. Chez ces individus la sécrétion des glandes sébacées est, d'ordinaire, augmentée au point que leur peau est luisante, comme couverte d'une couche de graisse, et que, lorsqu'ils trans- pirent, la sueur tombe à grosses gouttes de leur peau huileuse ; cet état du tégument externe, qui provient de la même cause que le foie gras, a été considéré souvent comme un symptôme caractéristique de la maladie en question. Puisque le foie gras ne donne presque jamais lieu à des symptômes pénibles, que dans la plupart des autopsies, la bile semble avoir été ren- contrée en quantité normale et de composition normale, que les foies gras se laissent le plus souvent bien injecter, que les signes de stase dans les organes abdominaux font presque toujours défaut, on s'est de plus en plus habitué à croire que l'infiltration graisseuse ne trouble pas les fonctions de l'organe et n'en entrave pas la circulation. Cependant cette opinion ne paraît être vraie que pour les degrés faibles et moyens de foie gras. Dans les de- grés très-élevés, souvent on ne trouve après la mort que de faibles quantités de bile dans les voies biliaires et des matières fécales faiblement colorées dans les intestins. Pendant la vie même, la faible constitution de pareils malades, et surtout le fait reconnu de leur peu de tolérance pour les émis- sions sanguines parlent en faveur d'un trouble fonctionnel du foie. La preuve que la compression des vaisseaux sanguins donne lieu à une légère stase avant leur entrée dans le foie, Frerichs la trouve déjà dans les varico- sités qui se rencontrent assez souvent sur l'enveloppe de cet organe. Il est vrai que cette stase n'est pas assez considérable pour donner lieu à une FOIE GRAS. 787 tuméfaction de la rate ni à une ascite, cependant les catarrhes de l'estomac et de l'intestin, chez ces malades, semblent dépendre, au moins en partie, de cette cause. Rilliet et Barthez croient pouvoir rattacher même les diarrhées profuses qui se rencontrent chez les phthisiques affectés de foie gras, à cette dernière complication, toutes les fois que l'intestin ne présente à l'autopsie aucune modification de texture. La même opinion est soutenue par Schœn- lein et par Frerichs. Moi-même j'ai obser\é des diarrhées opiniâtres chez des malades non phthisiques, et la seule anomalie que j'ai rencontrée à l'autopsie dans les organes abdominaux, c'étaient des foies gras arrivés à une période avancée. §4. Traitement. L'indication causale exige un changement complet dans la manière de vivre, lorsque le foie gras est le résultat d'excès de nourriture et de boisson. Des recommandations faites d'une manière générale ne servent à rien, car le malade ne les suit pas. Il faut prescrire à ces sortes de malades le nombre d'heures pendant lesquelles ils doivent se promener, il faut leur défendre absolument de dormir après le dîner, il faut leur indiquer exactement les mets qu'ils peuvent prendre, et leur défendre avant tout les sauces et, en général, toutes les substances grasses ; pour le souper, on ne leur accordera qu'une soupe à l'eau et des fruits cuits en faible quantité. Il faut restreindre l'usage du café et du thé, et interdire absolument les spiritueux. Quant au foie gras qui complique les maladies de consomption, surtout la phthisie pulmonaire , nous ne sommes jamais en état de remplir l'indication causale. En ce qui concerne l'indication de la maladie , il y a longtemps qu'on croyait devoir y répondre par des remèdes ayant pour effet d'augmenter la sécrétion de la bile. Même dans l'état actuel de la physiologie, nous devons admettre que si l'on réussissait à exagérer cette sécrétion, on exercerait l'influence la plus salutaire sur le foie gras. On trouve dans la veine hépa- tique moins de graisse que dans la veine porte. Frerichs observa qu'en même temps que le contenu graisseux des cellules hépatiques augmentait, les produits de l'activité sécrétante y diminuaient ; il est, par conséquent, presque sûr que dans les conditions normales la graisse amenée au foie est employée à produire de la bile et que le surplus de la graisse , enfermé dans les cellules hépatiques, doit disparaître lorsque la sécrétion biliaire est augmentée. Cependant si l'on comprend, d'un côté, toute l'importance de cette indication, on comprendra, de l'autre, combien il est difficile d'y satis- faire. Il ne nous est plus permis d'espérer qu'un extrait végétal indifférent augmente d'une manière sensible la sécrétion biliairer aujourd'hui que nous 783 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. n'attribuons plus à la bile un rôle actif dans la digestion, ou que ce rôle nous paraît au moins très-secondaire, mais que nous la considérons comme un produit dont la quantité et la qualité sont modifiées selon l'accélération ou le ralentissement de la nutrition ou selon d'autres modifications du renouvellement organique. 11 est possible que les sucs frais de pissenlit, de -chélidoine, etc., exercent un effet favorable lorsqu'on les emploie à titre de cure printanière pendant laquelle les malades se lèvent de bonne heure, vivent sobrement et se donnent beaucoup de mouvement ; mais il est pro- bable que cette heureuse influence dépend en grande partie du changement dans la manière de vivre. Il en est autrement des cures d'eau minérale de Karlsbad, Marienbad, Hombourg, Kissingen, etc. Tout en admettant que le genre de vie, si rationnel , qu'on est obligé de suivre dans ces stations doive également avoir sa part aux succès qu'on y obtient, cependant l'in- fluence qu'exerce sur les échanges organiques l'ingestion abondante et con- tinue de ces solutions salines, si actives, paraît être d'une importance non -moins grande. 11 est suffisamment connu que, par l'usage de ces eaux miné- rales, l'excédant de la graisse accumulée dans le corps disparaît en peu de temps, que la plupart des malades, après avoir passé un mois à Karlsbad, en reviennent beaucoup plus sveltes qu'ils y sont arrivés. De simples voyages à pied, combinés avec un régime très-sobre, n'exercent pas à beaucoup près la même influence. On a établi par-ci par-là des hypothèses très-grossières sur l'effet des eaux alcalines salées; on est allé jusqu'à comparer le corps d'un malade prenant les eaux de Karlsbad à une savonnerie et à considérer les selles caractéristiques connues, comme un savon qui serait formé par la combinaison des sels de soude, renfermés dans l'eau, avec la graisse du corps. Nous n'attendrons pas une meilleure explication pour envoyer nos malades, après comme avant, à ces stations, lorsqu'ils seront atteints d'obé- sité générale avec infiltration graisseuse du foie. — Malheureusement il arrive quelquefois qu'on y envoie également des personnes dont le foie gras est la conséquence d'un amaigrissement considérable, et c'est là une faute grave qui provient de ce que les malades ou leurs médecins méconnaissaient la signification de l'effection hépatique. — Les contre-indications des eaux alcalines salées sont évidentes. — S'il y a anémie, on essayera avec précau- tion si le Franzensbrunnen d'Eger ou le Ragoc^y de Kissingen est supporté ; dans le cas contraire, on se bornera à régler le régime et le genre de vie. On est également réduit à ces mesures, lorsque les malades atteints de foie gras sont disposés aux diarrhées. FOIE LARDACE, DEGENERATION AMYLOIDE DU FOIE. 789 CHAPITRE IV Foie lardacé. — Dégénération amyloïde du foie. (Virchow.) § 1. Pathogénie et étiologie. La dégénération lardacée du foie résulte du dépôt dans les cellules hépa- tiques et dans les parois des vaisseaux hépatiques (Wagner) d'une substance dont nous ne connaissons pas encore la nature, mais qui offre une certaine ressemblance avec l'amidon et la cellulose par ses réactions avec l'iode et l'acide sulfurique. On s'est fondé sur cette ressemblance qui, peut-être, n'est qu'accidentelle, pour adopter presque universellement de nos jours le nom de « dégénénération amyloïde » par lequel on désigne des états patholo- giques qu'on avait appelés autrefois « dégénération lardacée » à cause de leur ressemblance extérieure, mais surtout à cause de leur reflet parti- culier. Le foie lardacé ne s'observe jamais chez des individus jouissant du reste d'une bonne santé ; il se rencontre toujours dans des états cachectiques avancés, surtout dans ceux qui reconnaissent pour cause des affections scro- fuleuses, rachitiques, syphilitiques, le mercurialisme, les suppurations et les caries osseuses de longue durée. On observe quelquefois encore le foie lardacé chez des malades atteints de phthisie pulmonaire. Dans quelques cas la cachexie paludéenne conduit à cette dégénération du foie. § 2. Anatomie pathologique. Le foie lardacé montre le plus souvent une augmentation considérable de volume et de poids et présente une forme analogue au foie gras, en ce qu'il est principalement allongé , aplati et épaissi sur les bords. L'enveloppe péritonéale est lisse et fortement tendue, la résistance de l'organe est d'une dureté comparable à celle d'une planche. La surface de section est excessi- vement sèche et exsangue, lisse, presque tout à fait homogène, d'une cou- leur grisâtre et d'un reflet semblable à celui du lard. Ce n'est que lorsqu'il existe en même temps une dégénération graisseuse, qu'il reste sur la lame du scalpel un léger enduit gras. Presque toujours on rencontre une dégé- nération semblable de la rate et assez souvent des reins. A l'examen microscopique on trouve les cellules polygonales du foie sin- gulièrement arrondies et augmentées de volume; le contenu finement gra- 790 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. mile, et le plus souvent même les noyaux, ont disparu et les cellules sont remplies d'une substance transparente , homogène. S'il existe en même temps une dégénération graisseuse, on observe dans les cellules dégénérées, surtout dans celles qui occupent la périphérie des îlots hépatiques, de petites gouttes de graisse discrètes. Après l'addition d'une solution iodée la prépa- ration prend une teinte, non d'un jaune brun, mais d'un rouge brun tout spécial; après l'addition d'acide sulfurique la coloration devient violette, et plus tard bleue. § 3. Symptômes et marche. Le gonflement du foie, qui se produit très-lentement, n'est accompagné d'aucune douleur, et le plus souvent l'attention des malades n'est éveillée que lorsque l'organe , considérablement agrandi, remplit l'hypochondre droit et provoque de cette façon une sensation de pression et de tension. Budd considère l'ascite comme un symptôme constant du foie lardacé et l'attribue à la compression des branches de la veine porte. 11 croit qu'un gonflement indolent du foie, accompagné d'ascite suffit pour diagnostiquer cette maladie, surtout lorsqu'il s'agit d'enfants qui ont été affaiblis par des ganglions scrofuleux et des affections osseuses. Bamberger prétend que l'as- cite concomitante du foie lardacé n'est pas due à la stase, et la juste raison qu'il en donne c'est que les mêmes phénomènes de stase devraient se remarquer également dans les autres organes de l'abdomen, ce qu'on n'ob- serve jamais. Il est beaucoup plus naturel d'attribuer l'ascite à la cachexie générale et à l'hydrémie dont tous les malades affectés du foie lardacé sont atteints. Dans les cas observés par Bamberger, l'œdème des jambes précé- dait toujours l'ascite, et dans les observations de Budd on ne trouve pas non plus que l'ascite ait existé avant l'infiltration des extrémités. — Nous venons de voir que les cellules agrandies du foie ne compriment pas les vaisseaux sanguins ; elles compriment tout aussi peu les voies biliaires, et l'absence de l'ictère doit être considérée comme la règle. Cependant il peut y avoir des complications, parmi lesquelles nous devons compter la dégénération lar- dacée des ganglions lymphatiques situés entre les éminences portes, qui donnent lieu à un ictère léger ou même intense ; pour cette raison Frerichs prévient que l'absence de l'ictère ne doit pas être considérée comme la preuve de l'existence d'un foie lardacé. — Les matières fécales sont faible- ment colorées, parce que les cellules hépatiques dégénérées ne fonctionnent plus normalement. Il est difficile de dire quelle part revient à la dégénéra- tion du foie dans le mauvais état de la nutrition, la teinte pâle de la peau et des muqueuses, l'hydrémie et l'hydropisie, puisque le foie lardacé ne se montre que chez des individus déjà cachectiques et que la rate, et souvent CANCER DU FOIE. 791 même les reins, sont presque toujours malades en même temps. — Pour le diagnostic du foie lardacé, on fera surtout attention à l'étiologie, à la dureté du foie tuméfié, qui devient pour cette raison très-accessible à la palpation, à la tumeur splénique qui s'observe généralement en même temps, enfin à l'albuminurie, si elle existe. Les degrés avancés de la maladie se recon- naissent assez facilement avec ces données. § U. Traitement. Il n'est ni prouvé, ni probable que la dégénération lardacée soit sscuep- tible de régression et si l'on prétend avoir observé que des foies lardacés ont diminué de volume et sont revenus à l'état normal, ces assertions ont besoin d'être confirmées avant qu'on puisse y ajouter foi. Les frictions longtemps continuées avec une pommade iodée dans la région hépatique méritent donc peu de confiance quoiqu'elles aient été vivement recommandées par Budd. Les préparations iodées, surtout le sirop d'iodure de fer, ensuite les bains salins, les préparations ferrugineuses trouvent une large application dans le foie lardacé. Quoiqu'il ne soit pas permis d'espérer que ces remèdes modifient avantageusement l'affection du foie, ils peuvent au moins contri- buer à en arrêter les progrès. L'iode jouit à bon droit de la réputation d'être un spécifique contre les affections syphilitiques tertiaires et même dans d'autres affections dyscrasiques, son effet favorable est suffisamment dé- montré ; les préparations ferrugineuses sont indiquées par l'anémie consi- dérable. Les particularités du cas spécial indiquent facilement lequel de ces remèdes il faut employer. CHAPITRE V Cancer du foie* § 1. Pathogénie et ètiologie. Le foie est si fréquemment atteint de cancer que, d'après les observations de Rokitansky, sur cinq cas de dégénérescence carcinomateuse dans les dif- férents organes il y a à peu près un cas qui revient au foie, et qu'Oppolzer a trouvé sur 4000 cadavres 53 fois cette affection, c'est-à-dire dans la pro- portion de 1 sur 80. — Dans beaucoup de cas, le cancer du foie est pri- mitif; dans d'autres, il est précédé d'un cancer de l'estomac, du rectum ou d'autres organes ; il se développe surtout fréquemment après l'extirpation des tumeurs cancéreuses périphériques. 792 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. Les causes du carcinome du foie sont tout aussi obscures que les causes de ce néoplasme en général. Les malades sont, il est vrai, rarement embar- rassés, lorsqu'on les questionne sur la cause de leur maladie, mais leurs indications ne nous éclairent nullement sur la véritable étiologie du cancer du foie. § 2. Anatomie pathologique. Parmi les différentes formes de cancer, le cancer médullaire (encéphaloïde) s'observe le plus fréquemment dans le foie. 11 forme tantôt des tumeurs cir- conscrites, parfaitement limitées; tantôt il s'étend d'une manière diffuse entre les cellules hépatiques et sans qu'il existe des limites bien tranchées entre le néoplasme et le parenchyme sain. Dans le premier cas, on observe dans le foie des tumeurs arrondies ou plus ou moins mamelonnées et lobées ; ces tumeurs sont entourées d'un kyste tendre et très-vasculaire de tissu cellulaire ; aux endroits où elles touchent le péritoine, on remarque souvent un aplatissement ou une légère dépres- sion, une « ombilication cancéreuse. » Leur volume et leur nombre varient: on les rencontre depuis la grosseur d'un pois jusqu'à celle d'une tête d'en- fant, tantôt en petit nombre, tantôt en quantité très-considérable. Si elles sont rapprochées de la périphérie du foie, cet organe présente des protubé- rances bosselées. La consistance des tumeurs cancéreuses varie depuis celle d'un lard ferme jusqu'à celle d'une masse cérébrale ramollie. Les cancers mous fournissent à la pression un suc plus abondant que les cancers durs. Enfin la couleur des tumeurs est d'un blanc de lait ou rougeâtre, selon qu'elles sont plus ou moins pauvres en vaisseaux ; elles peuvent aussi être colorées en rouge foncé par des épanchements sanguins, ou en noir par un dépôt de pigment. — Dans le parenchyme hépatique, respecté par le néo- plasme, on trouve le plus souvent une hypérémie considérable, qui con- tribue beaucoup à donner à cet organe un volume parfois énorme. Souvent ce parenchyme est d'un jaune intense, par suite de la compression des voies biliaires et de la stase de la bile. Dans le voisinage immédiat des tumeurs cancéreuses, les cellules hépatiques ont le plus souvent subi une dégéné- rescence graisseuse. Au-dessus des tumeurs cancéreuses, l'enveloppe sé- reuse devient presque toujours de bonne heure le siège d'une péritonite chronique partielle, cette membrane s'épaissit et contracte des adhérences avec les organes voisins : dans d'autres cas, il s'y développe des masses can- céreuses qui s'éteu eut à tout le péritoine. — La formation de la dépression ombiliquée résulte dans le cancer du foie comme dans d'autres cancers, d'une atrophie des portions les plus anciennes du néoplasme, dont les cel- lules subissent la dégénérescence graisseuse et se ratatinent ; quelquefois CANCER DU FOIE. 793 cependant on observe aussi des cas de cancer hépatique où cette marche régressive s'étend à toute la tumeur, de sorte qu'à la fin il ne reste de cette dernière qu'une masse jaune grumeleuse, renfermée dans un tissu cicatri- ciel rétracté (le stroma du cancer). Si à côté de ces masses cicatricielles on trouve dans le foie des cancers de formation récente, on ne peut pas rester dans le doute sur la nature de ces cicatrices ; mais il n'en est pas ainsi, il est difficile de dire s'il s'agit réellement de cancers guéris ou de résidus d'autres processus. — Il arrive très-rarement que l'encéphaloïde se ramollit et conduit par sa fonte à une péritonite aiguë ou à des hémorrhagies dan- gereuses dans la cavité abdominale. Dans la deuxième forme, que Rokitansky désigne par le nom de cancer infiltré, on trouve de grandes portions de foie transformées en une masse cancéreuse blanche. Les vaisseaux et les conduits biliaires oblitérés, dans le voisinage immédiat desquels on trouve encore des rudiments de cellules hé- patiques atrophiées, ayant subi la dégénérescence graisseuse et colorées par du pigment, traversent souvent ces masses blanches, à la manière d'une / charpente grossière, jaunâtre. A la périphérie du néoplasme, le cancer in- filtré passe insensiblement au parenchyme normal, de sorte qu'on trouve des endroits où prédominent les masses cancéreuses, d'autres où prédomi- nent les cellules hépatiques. Le cancer alvéolaire ou colloïde , qui siège presque exclusivement clans l'es- tomac, l'intestin et le péritoine, s'étend, dans quelques cas rares, de ces or- ganes au parenchyme hépatique. Dans un cas, observé par Luschka, presque tout le foie était transformé en une masse informe ayant la structure du cancer alvéolaire. Il est encore plus rare d'observer dans le foie de petites nodosités isolées, offrant la structure du cancer épithélial. Quelquefois on voit s'ajouter au cancer du foie le cancer de la veine porte ; dans ces cas le tronc, les origines et les branches de cette veine sont remplis par un thrombus d'une structure molle et consistant en tissu cancéreux. Dans un cas que j'ai observé, l'inverse s'est présenté : un pareil cancer de la veine porte est venu compliquer en premier lieu un cancer de l'estomac, et le cancer du foie, constaté à l'autopsie, était évidemment dû à l'extension de la dégénérescence de la veine porte au tissu hépatique. § 3. Symptômes et marche. Les symptômes du cancer du foie sont toujours obscurs au début; plus tard, la maladie est ordinairement facile à reconnaître ; cependant il y a des cas où, jusqu'à la mort, le diagnostic ne peut être posé d'une manière cer- taine. — Dans le cancer hépatique, le malade commence à se plaindre le 794 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. plus souvent d'une sensation de pression et de plénitude dans l'hypochondre droit, sensation commune à tous les gonflements du foie qui se produisent rapidement et deviennent considérables. Lorsque les tumeurs ont leur siège à proximité de la surface hépatique, et que par conséquent elles donnent lieu de bonne heure à une péritonite partielle, on voit, au début déjà, se montrer dans la région du foie des sensations douloureuses qui s'irradient fréquemment vers l'épaule droite. Le plus souvent la région hépatique est plus sensible à la pression dès le début que dans toutes les autres affections du foie, décrites jusqu'à présent, à l'exception de l'hépatite suppurative. Après quelque temps, les malades remarquent souvent eux-mêmes que leur côté droit devient proéminent et qu'il existe dans l'hypochondre droit une tumeur dure. — Si les masses cancéreuses compriment des branches un peu volumineuses de la veine porte, il se produit une légère ascite ; mais si les tumeurs, situées à la concavité du foie, compriment la veine porte elle- même, l'ascite devient considérable ; d'autres fois cet épanchement fait dé- faut. Cependant ces cas sont rares, car, abstraction faite de la déplétion incomplète des vaisseaux, Paffection consécutive du péritoine est suivie d'ascite. — Comme conséquence de la stase sanguine, il faut encore consi- dérer les catarrhes de l'estomac et de l'intestin, qui compliquent très-fré- quemment le cancer du foie, sans que ces organes soient le siège d'une dégénérescence carcinomateuse. La rate est rarement augmentée de vo- lume, peut-être parce que l'hydrémie favorise le développement précoce de l'ascite et que la pression du liquide épanché s'oppose au gonflement de la rate. — Il en est de l'ictère comme de l'ascite. Lorsque des conduits biliaires d'un certain calibre sont comprimés, on observe une stase partielle de la bile et un ictère peu intense ; cependant les conduits biliaires non compri- més laissent écouler assez de bile dans le duodénum pour donner aux ma- tières fécales leur couleur normale. Si, par contre, le conduit cholédoque est comprimé, la stase biliaire est absolue, l'ictère devient très-intense, et les matières fécales sont décolorées. Enfin, l'ictère et la décoloration des selles dépendent quelquefois du catarrhe des voies biliaires. (Voy. le cha- pitre correspondant.) Dans plus de la moitié des cas l'ictère manque com- plètement. Comme dans la plupart des maladies de texture du foie il n'y a pas d'ictère, la présence de ce symptôme parle en faveur du carcinome, lorsqu'il s'agit de spécifier la nature d'une augmentation de volume du foie; mais l'absence de l'ictère ne doit pas être considérée comme une preuve de la non-existence du cancer. Dans les carcinomes étendus du foie, l'urine présente l'aspect que nous avons déjà décrit antérieurement, elle est d'un rouge spécial ou bleuâtre, par suite de la présence des matières colo- rantes anormales, résultat de la fonte d'un grand nombre de cellules hépa- tiques. Pendant que les symptômes décrits se manifestent peu à peu, l'habitus CANCER DU FOIE. 795 extérieur des malades, leur aspect cachectique, leur maigreur, la flaccidité de leur peau, le léger œdème autour des malléoles permettent de soupçonner, dans la plupart des cas, la nature carcinomateuse de l'affection. Chez cer- tains individus, la cachexie cancéreuse ne se présente que très-tard; et lors même qu'on sent dans le foie de grandes tumeurs, ils sont aussi bien nourris et présentent un aspect aussi frais que certaines malades affectées d'un cancer du sein très-étendu, mais non encore ulcéré. Cependant chez ces individus également le bien-être général et la nutrition finissent par subir l'influence préjudiciable du néoplasme , quoiqu'il soit difficile de com- prendre cette influence lorsque le cancer ne s'ulcère pas. Peu à peu ils tombent dans le marasme, et lorsque l'amaigrissement et l'épuisement ont atteint leur dernière limite, ils succombent le plus souvent au milieu des phénomènes hydropiques. Comme symptômes ultimes, on a noté assez sou- vent des thromboses des veines crurales, des catarrhes folliculaires du gros intestin, et fréquemment on voit se développer, peu de temps avant la mort, le muguet dans la cavité buccale. L'examen physique fournit des données très-importantes dans les cas où de grosses tumeurs existent dans le foie. Dans aucune des affections décrites jusqu'à présent, cet organe n'arrive au 'volume qu'il peut atteindre dans la dégénérescence cancéreuse. C'est précisément cette affection du foie qui soulève le plus souvent les côtes inférieures, les pousse en dehors et foi'me à l'abdomen une voussure sensible à la vue, voussure qui permet souvent de reconnaître la forme du foie et qui peut s'étendre depuis l'hypochondre droit jusqu'au-dessous de l'ombilic et jusque dans l'hypochondre gauche. A la palpation on sent le plus souvent distinctement les limites de l'organe durci et sur sa surface des protubérances plus ou moins élevées qui consti- tuent presque un signe pathognomonique de la maladie. Si le feuillet périto- néal qui recouvre les tumeurs est le siège d'une inflammation récente, on sent et l'on entend même quelquefois un frottement manifeste pendant les mouvements que la respiration imprime au foie. S'il existe une ascite con- sidérable, elle peut rendre plus difficile l'examen exact de la surface du foie; mais si l'on repousse la couche de liquide en enfonçant rapidement les doigts, on peut au moins reconnaître d'une manière positive l'agrandis- sement et l'augmentation de consistance du foie. Dans la plupart des cas, les symptômes et la marche que nous venons de retracer permettent d'établir avec facilité le diagnostic du. cancer du foie; quelquefois cependant, nous l'avons dit plus haut, ce diagnostic devient dif- ficile ou même impossible. Lorsque le cancer est infiltré ou que les tumeurs sont peu volumineuses , peu nombreuses et situées dans la profondeur de l'organe , le foie n'est souvent que peu augmenté de volume, et même lorsqu'il dépasse les côtes, on ne trouve pas à la palpation les caractères par- ticuliers de sa surface. La douleur manque ou est peu sensible, parce que le 796 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. feuillet séreux est rarement enflammé. Il en est de même de l'ascite et de l'ictère qui font le plus souvent défaut, parce que ni les branches de la veine porte ni les conduits biliaires ne sont sensiblement comprimés. Dans ces cas il n'est souvent possible de penser avec quelque raison à l'existence de cette maladie que lorsqu'on voit se développer une cachexie de plus en plus intense dont on ne peut trouver l'explication (vu l'intégrité complète de toutes les fonctions de l'organisme), et lorsqu'on peut exclure le carci- nome de l'utérus, de l'estomac et d'autres organes dont la dégénérescence se laisse plus facilement reconnaître. Cette supposition devient plus vrai- semblable encore, lorsque le marasme suspect s'est développé après l'opé- ration d'un cancer périphérique. — Si, avec un cancer hépatique qui ne s'accompagne pas d'une augmentation considérable de volume , d'une grande sensibilité du foie, d'un ictère ou d'une ascite, coïncident un cancer de l'estomac, une maladie de Brightou d'autres affections qui, à elles seules, suffisent pour expliquer le marasme, il peut arriver qu'on ne soupçonne pas même l'existence d'un carcinome du foie. § h. TRAITEMENT. Dans le traitement du cancer du foie, il ne peut pas être question de remèdes efficaces et radicaux. Le plus souvent, il faut se borner à conserver aussi longtemps que possible les forces du malade par un régime conve- nable. Si le foie devient très-douloureux par suite d'une périhépatite in- tense, on appliquera quelques sangsues et l'on couvrira la région du foie de cataplasmes chauds; après ce traitement on voit presque toujours les douleurs disparaître ou, au moins, diminuer. Dans les circonstances graves, dont nous avons parlé antérieurement, l'ascite qui complique le cancer du foie peut exiger la ponction. CHAPITRE VI Tuberculose du foie. La tuberculose du foie n'est jamais primitive, elle s'ajoute toujours à une tuberculose déjà existante dans d'autres organes, ou bien elle n'est qu'un phénomène dépendant de la tuberculose miliaire aiguë. Dans ce dernier cas on ne trouve que des granulations demi-transparentes, grisâtres, de la grosseur d'un grain de semoule, surtout à la surface du foie; par contre, lorsqu'il existe une tuberculose avancée de l'intestin et du poumon , on trouve quelquefois dans le foie des masses tuberculeuses jaunes, caséeuses. ÉCHINOCOQUES (HYDATIDES) DU FOIE. 797 de la grosseur d'un grain de chènevis à celle d'un pois et au delà. On n'ob- serve que rarement la désagrégation de ces tubercules et leur transforma- tion en petites vomiques, remplies d'un pus tuberculeux. Mais ces tuber- cules compriment souvent des conduits biliaires capillaires et donnent lieu à la dilatation derrière l'endroit rétréci. De cette façon se développent des cavités de la grosseur d'un grain de millet à celle d'un pois qui renferment un mucus mélangé de bile, et qu'il ne faut pas confondre avec des cavernes tuberculeuses. — Pendant la vie on ne peut pas reconnaître la tuberculose, du foie. CHAPITRE Vil Échinocoques (hydatides) du foie. § 1. Pathogéniiï et ÉTIOLOGIE. Les échinocoques sont au taenia echinococcus (Siebold) ce que le cysti- cercus cellulosae est au taenia solium; c'est-à-dire, ce sont les jeunes pro- duits agames de ce tœnia arrivé à maturité. On a fait des expériences sur les animaux en mélangeant à leur nourriture des échinocoques provenant de l'homme, mais elles n'ont pas donné de résultat satisfaisant; cependant on est parvenu à retrouver le taenia echinococcus dans les intestins d'ani- maux , qu'on a nourris avec des échinocoques provenant d'autres ani- maux. La manière dont les œufs et les embryons du taenia echinococcus arrivent dans le foie humain pour s'y développer et former les vessies d' échino- coques, est obscure. En Islande les échinocoques sont tellement répandus, -que, d'après les rapports des médecins de cette île, un huitième de tous les cas de maladie doit être attribué à cet entozoaire et qu'un individu sur sept loge des échinocoques dans son intérieur. (Kûchenmeister.) D'après l'ana- logie, on peut admettre que leur immigration se fait de la manière suivante : les animaux porteurs du taenia échinocoque, expulsent de temps en temps avec les selles des anneaux mûrs ; les œufs ou les embryons qui y sont ren- fermés, arrivent d'une manière quelconque dans l'eau potable ou sont mis -en contact avec les aliments qui sont mangés à l'état cru. Arrivés de cette 4açon dans le canal intestinal, les embryons se fixent avec leurs six crochets dans la paroi stomacale ou intestinale, s'avancent peu à peu plus loin, jus- qu'à ce qu'ils arrivent dans le foie. C'est là que l'embryon de taille micro- scopique se gonfle et se transforme en une grande vessie, sur la paroi inté- rieure de laquelle s'élève toute une colonie de jeunes taenias, non mûrs, -c'est-à-dire des scolex. Dans la plupart des cas oxi voit, en dehors des scolex, 798 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. se développer dans la vessie mère ou nourrice des vessies filles, et dans celles-ci une nouvelle génération de vessies dont la paroi interne est égale- ment couverte de scolex. Kûchenmeister attribue l'existence endémique des échinocoques en Islande à la grande quantité de chiens qu'on y élève et à la température tiède de l'eau de rivière qu'on emploie souvent comme boisson. Les chiens avaient probablement les vessies rejetées par la bouche, évacuées par les selles, ou provenant de poches suppurées, qu'on n'a pas la précaution de détruire. La température tiède de l'eau de rivière est favorable aux em- bryons des échinocoques, comme à tous les êtres inférieurs. Kûchenmeister est tenté de croire que les vers vésiculaires se développent en taenias lors- qu'ils arrivent dans l'intestin de l'individu qui les loge, et réciproquement, que les embryons qui éclosent dans l'intestin des individus porteurs d'un tœnia peuvent se transformer chez eux en vers vésiculaires. § 2. ANATOMIE^ PATHOLOGIQUE. Les poches d' échinocoques se trouvent tantôt isolées, tantôt en grand nombre dans le foie, et plus souvent dans le lobe droit que dans le lobe gauche. Leur volume varie depuis celui d'un pois jusqu'à celui d'un poing ou d'une tête d'enfant. Si elles sont grandes et nombreuses, les dimensions du foie sont d'ordinaire considérablement augmentées. Les poches situées dans la profondeur de l'organe et entourées de parenchyme modifient peu la forme du foie. Mais les poches très-grandes ou celles qui^ont situées à la périphérie dépassent ordinairement plus ou moins le niveau de la surface hépatique et donnent lieu à de fortes difformités de l'organe. Le feuillet péritonéal, qui recouvre les kystes situés à la périphérie, est d'ordinaire considérablement épaissi et a contracté des adhérences solides avec les or- ganes voisins. Le parenchyme est refoulé par les parasites, et si ces derniers sont volumineux et nombreux, il a complètement disparu sur une grande étendue ; le parenchyme encore conservé est souvent fortement hypérémié par suite de stases partielles. La vessie d' échinocoques proprement dite, est entourée d'une enveloppe fibreuse, dense qui est le résultat d'une hyperge- nèse du tissu conjonctif; cependant la vessie se laisse facilement énucléer. — La membrane qui constitue la vessie d'échinocoques est mince, demi- transparente, semblable à du blanc d'œuf coagulé ; examinée sous le mi- croscope, on voit qu'elle se compose d'un certain nombre de fines lamelles, disposées concentriquement. Si l'on ouvre la vessie, il s'écoule un liquide séreux, clair, dans lequel nagent presque toujours un grand nombre de vessies filles. Le liquide ne renferme qu'environ 15 pour 1000 d'éléments solides, on n'y constate pas d'albumine, mais principalement des sels, sur- ÉCHINOCOQUES (HYDATIDES) DU FOIE. 799 tout du chlorure de sodium et, d'après Heintz, à peu près 3 pour 1000 de succinate de soude. Les vessies filles ou secondaires ont la même structure que les vessies mères, leur grosseur varie entre celle d'un grain de millet et celle d'une grande noisette; les plus grosses nagent librement dans la vessie mère, les plus petites sont fixées à la paroi interne de cette dernière. Lés vessies tertiaires, qui ne se rencontrent que dans les vessies filles les plus grosses, ont généralement le volume d'une tète d'épingle. Sur la surface interne de ces trois générations de vessies on découvre, en y regardant de plus près, une légère couche blanchâtre d'aspect granuleux, et à l'examen microscopique on voit qu'elle est constituée par une colonie de jeunes taenias non mûrs ou scolex. Chacun de ces animaux est long d'à peu près un quart de millimètre et large de un huitième de millimètre, ils ont une grosse tête, garnie de quatre ventouses et d'une trompe qui est entourée d'une double rangée de crochets. La tête est séparée par une rainure du tronc qui est court; ce dernier renferme un grand nombre de concrétions cal- caires rondes et ovales. Ordinairement la tête est rentrée dans le corps; ces êtres ont alors une forme arrondie ou en cœur et la couronne de crochets en occupe le centre. A l'extrémité postérieure de l'abdomen s'insère un court pédicule qui fixe l'animal à la paroi de la vessie, jusqu'à ce qu'il s'en détache plus tard et nage librement dans le liquide. Souvent les échinocoques meurent. La vessie mère et les vessies filles s'affaissent, leur contenu devient trouble, onctueux, et à la fin il se trans- forme en une masse poisseuse ou semblable au mastic. Cette masse se com- pose de sels de chaux, de graisse, de cholestérine , et quelques .crochets isolés provenant des échinocoques morts, crochets que Budd compare aux dents et aux os qui marquent le passage d'animaux supérieurs, trahissent seuls encore l'origine de ces produits. Dans d'autres cas, la poche d' échinocoques se distend de plus en plus, jusqu'à ce qu'elle finisse par se rompre. Si le feuillet péritonéal distendu et aminci se déchire en même temps, le contenu pénètre dans la cavité péri- tonéale et il se développe une péritonite violente. Lorsque la poche a contracté des adhérences avec les organes voisins, elle peut se vider dans l'estomae, l'intestin, les voies biliaires, les vaisseaux avoisinants, ou bien dans la cavité pleurale, si le diaphragme a été peu à peu aminci et enfin perforé par la pression du kyste, ou encore dans le poumon, si ce dernier est intimement uni à la plèvre par des adhérences. — Dans d'autres cas enfin, la poche d' échinocoques provoque une inflammation intense dans les tissus avoisi- nants et, avant tout, dans l'enveloppe fibreuse du sac, qui appartient au foie. Il semble que cette complication se présente de préférence dans les cas où la poche se rompt dans l'intérieur du foie, son contenu donnant alors lieu à une violente irritation par son contact immédiat avec le parenchyme. Dans des cas semblables, le kyste renferme, à côté des lambeaux de la vessie 800 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. mère et quelquefois, à côté de quelques vessies filles encore intactes, des masses purulentes colorées par la bile. Il est évident que dans ces cas on n'a pas affaire à une poche d'échinocoques enflammée, c'est-à-dire à l'inflam- mation de la nourrice d'un taenia, mais |que le pus a pénétré du dehors. L'abcès du foie développé de cette façon peut prendre toutes les terminai- sons que nous avons décrites dans le chapitre II. S'il s'ouvre à l'exté- rieur, on trouve dans le pus qui s'écoule des restes de vessies d'échino- coques: § 3. Symptômes et marche. En général, les échinocoques vivent depuis des années dans le foie avant d'attirer l'attention et avant qu'il soit possible de soupçonner même leur présence. La croissance lente des échinocoques explique suffisamment l'ab- sence de symptômes ou leur apparition tardive. Dans la plupart [des cas où la maladie a été diagnostiquée, ce ne sont pas les symptômes subjectifs qui ont fait reconnaître cette affection, mais c'est par hasard que le médecin ou les malades se sont aperçus d'une voussure dans l'hypochondre droit et de la présence d'une tumeur. Cependant, si les poches d'échinocoques et avec eux le foie atteignent des dimensions très-considérables, le malade perçoit quelquefois sur le côté droit la sensation si souvent citée de pression et de tension. Le diaphragme, refoulé en haut, peut alors être gêné dans ses fonctions, la compression du lobe inférieur droit du poumon et l'hypérémie collatérale dans les sections de poumon non comprimées peuvent être sui- vies de dyspnée et de catarrhe bronchique; de la même façon, une ascite et un ictère d'intensité variable, peuvent se produire sous l'influence de la compression de la veine porte, ou de ses ramifications, du canal cholédoque ou des conduits biliaires ; mais tous ces symptômes s'observent exception- nellement. L'élément de diagnostic le plus important et, dans la majorité des cas, le seul, c'est Y examen physique. Les poches d'échinocoques volumineuses et multiples , de même que les carcinomes considérables et nombreux , se reconnaissent souvent au simple aspect. Dans ces cas encore, on observe dans l'hypochondre droit jusqu'au-dessus de l'ombilic et jusque dans l'hypo- chondre gauche une voussure considérable, et tandis que la tumeur rappelle dans son ensemble la forme du foie, on observe sur sa surface des protubé- rances aplaties de différente grandeur. En même temps le côté droit du thorax peut être dilaté et les côtes inférieures peuvent être soulevées et dé- jetées en dehors. — A la palpation on reconnaît encore plus distinctement l'augmentation de volume du foie, et l'état bosselé de sa surface. Les protu- bérances cèdent plus facilement à la pression que les tumeurs formées par ÉCHINOCOQUES (HYDATIDESJ DU FOIE. 801 le cancer le plus mou; quelquefois on perçoit une fluctuation évidente. — A la percussion on constate une matité absolue dans toute l'étendue du foie agrandi; en percutant les poches mêmes, on sent dans quelques cas un tremblement particulier (frémissement hydatique de Piorry), semblable à celui qu'on perçoit en frappant du doigt une gelée assez épaisse. Quant aux terminaisons de la maladie, nous ne pouvons pas indiquer les symptômes qui accompagnent la disparition lente de la poche ; car cette terminaison ne s'observe que pour les petits kystes, qui ne sont pas acces- sibles au diagnostic. — Si là poche d'échinocoques s'ouvre dans la cavité abdominale, on voit se développer des symptômes identiques à ceux qui accompagnent la perforation d'un ulcère de l'estomac- Si à ce moment on n'avait pas encore reconnu la présence des échinocoques, on ne pourrait pas savoir quelles sont les substances qui sont entrées dans la cavité périto- néale. Les malades succombent en peu de jours à la péritonite suraiguë. — La perforation dans l'estomac, l'intestin ou les poumons ne peut être reconnue que lorsque des fragments de vessies d'échinocoques sont rejetés par le vo- missement, évacués avec les selles ou expectorés par la toux. — Si la poche d'échinocoques provoque une inflammation autour d'elle, le gonflement hépatique, qui jusqu'à ce moment était indolent, devient très-douloureux et surtout très-sensible à la pression. On voit survenir des frissons et une fièvre violente, et de cette manière se développe le tableau de l'hépatite suppura- tive et de ses terminaisons, tel que nous l'avons tracé dans le chapitre II. Si l'abcès du foie s'ouvre à l'extérieur, on trouve quelquefois dans le pus des restes de membranes caractérisées par leur disposition stratifiée ou bien quelques crochets pi-o venant des couronnes. § U- Traitement. On a recommandé contre les échinocoques du foie des fomentations avec une solution concentrée de sel de cuisine dans la région hépatique, et Budd pense qu'à "raison de la force d'attraction et de l'affinité particulière des poches d'échinocoques pour le chlorure de sodium, l'accumulation consi- dérable de ce sel dans le liquide, obtenue par le procédé en question, serait peut-être capable de prévenir le développement et la multiplication des échinocoques ou de détruire ces derniers. D'autre part, on a recommandé les préparations iodées, de même que les mercuriaux, ces derniers à cause de leur action « parasiticide » et, dans le même but, les anthelminthiques. Ces remèdes méritent peu de confiance, car leur recommandation se base sur des raisonnements a priori et non sur des succès réels. Si l'on veut les employer, on choisira au moins ceux qui sont le moins préjudiciables à l'organisme. — Il paraît qu'en Islande on est très-hardi pour ouvrir ^les NIEMEYER. I — 51 802 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. poches d'échinocoques ; chez nous on a vu cette opération suivie d'accidents très-fâcheux, lorsqu'elle a été faite d'une manière imprudente, et si l'on se décide à ouvrir ces kystes, il faut employer toutes les précautions qu'exige l'ouverture des abcès du foie. CHAPITRE VIII. Tumeur «Téehinocoques multïloculaire. § i. Pathogénie et étiologie. Dans ces derniers temps on a rencontré plusieurs fois aux autopsies des portions étendues du foie transformées en une tumeur d'un caractère tout particulier; cette tumeur se composait d'un stroma de tissu conjonctif et d'alvéoles de grandeur diverse qui étaient remplies d'une matière gélati- neuse. Les premiers observateurs prenaient ces mmeurs pour des cancers alvéolaires; cependant des recherches [microscopiques plus exactes ont montré que le contenu gélatiniforme des alvéoles se composait des éléments caractéristiques des échinocoques et ont prouvé ainsi qu'il s'agissait d'une immigration de ces cestoïdes. Il est difficile de dire quel est le mode de développement de ces tumeurs, qu'on appelle, d'après Virchow, tumeurs d'éehinocoques multiloculaires : cependant il est plus que probable qu'il ne s'agit pas ici d'une espèce parti- culière de ce parasite, mais d'un mode particulier d'immigration, de siège ou de croissance. Virchow croit que la maladie en question est due à l'in- troduction des embryons d'échinocoques dans les vaisseaux lymphatiques du foie et que les poches se développent à l'intérieur des vaisseaux lympha- tiques; Leukart localise ce processus dans les vaisseaux sanguins et Friedreich dans les voies biliaires, parce que, dans le cas soumis à son observation, ce dernier a trouvé le conduit hépatique complètement rempli d'échinocoques. Kùchenmeister m'a communiqué dans une lettre l'explication suivante, qui est très-simple et qui me paraît être très-juste : « Après l'immigration d'un embryon d'échinocoque, on voit se développer, au lieu de la forme mor- bide ordinaire, une tumeur d'échinocoques multiloculairç, s'il ne se forme pas d'enveloppe fibreuse autour de l'embryon, ou si cette enveloppe est per- forée par le parasite, avant qu'elle soit assez épaisse et résistante. Comme l'absence de cette barrière permet à l'éehinocoque de se développer libre- ment dans toutes les directions, il s'étend principalement du côté où il ren- contre le moins de résistance. Si pendant son passage dans le foie, il est arrivé dans un des nombreux canaux qui parcourent cet organe, ou si plus tard il a perforé la paroi d'un pareil canal, il s'étend de plus en plus dans TUMEUR D'ÉCHINOCOQUES MULTILOCULA1RE. 803 son intérieur et peut finir par remplir tout le système des canaux atteints. Virchow, Laukart et Friedreich sont arrivés à des résultats divergents dans leurs recherches, certainement très-dignes de foi, parce que chacun des auteurs cités a trouvé des échinocoques dans un autre système de canaux de l'organe hépatique; nous nous croyons donc en droit d'admettre que l'immigration ou l'irruption des parasites peut se faire aussi bien dans les vaisseaux lymphatiques que dans les vaisseaux sanguins et les canaux biliaires, et que, d'un autre côté, chacun de ces systèmes de canaux peut être respecté par ces processus. » § 2. Anatomie pathologique. Les tumeurs d' échinocoques multiloculaires ont presque toujours leur siège dans le lobe droit du foie. Dans un seul des trois cas soumis à mon observation, le lobe gauche était également atteint. Leur volume peut atteindre celui d'une tête et même le dépasser de beaucoup. Daus le stroma de tissu conjonctif on reconnaît, en règle générale, une métamorphose grais- seuse très-avancée. Les alvéoles, ouvertes par une coupe, rappellent d'une manière frappante les lacunes qu'on observe sur la surface de section d'un pain noir bien cuit. A l'examen microscopique des niasses gélatineuses que renferment ces alvéoles, on reconnaît immédiatement les membranes carac- téristiques des échinocoques qui sont parsemées de nombreuses concrétions calcaires de grandeur variable. Par contre, on ne réussit le plus souvent •qu'après de longues recherches à découvrir des couronnes de crochets ou des crochets isolés, et rarement on voit des scolex complets. Dans un seul des cas que j'ai observés on trouva, à la périphérie de la tumeur, des ves- sies du volume d'une cerise, dont la paroi interne était complètement tapissée d'une colonie de scolex bien conservés. Dans tous les cas connus jusqu'ici, à l'exception de celui dont je viens de parler, le centre de la tumeur était ramolli; la cavité résultant de ce ramollissement renfermait un liquide sale, de couleur brun gris qui consistait principalement en détritus, en concré- tions calcaires, en gouttelettes graisseuses et en cristaux de cholestérine. La paroi de cette cavité, rendue inégale par de nombreuses petites fossettes (alvéoles ouvertes), laissait voir à beaucoup d'endroits un dépôt ocreux dans lequel on trouva à l'examen microscopique de beaux cristaux d'héma- toïdine. 804 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. § 3. Symptômes et marche. Les symptômes de la tumeur d'échinocoques multiloculaire doivent natu- rellement être très-différents, selon que l'un ou l'autre système de canaux est libre ou rempli d'échinocoques. C'est là ce qui explique pourquoi la symptomatologie établie par Friedreich se retrouve si exactement dans cer- tains cas, que cette maladie a pu, en effet, être diagnostiquée plusieurs fois d'après cette description, tandis que dans d'autres cas c'était précisément les traits les plus saillants du tableau, tracé par Friedreich, qui faisaient défaut. L'exposé suivant s'appuie et sur mes propres observations relativement nom- breuses et sur une analyse exacte des quelques cas publiés par d'autres mé- decins. La maladie débute probablement toujours d'une manière latente et les premiers symptômes ne se remarquent en général que lorsqu'elle a déjà l'ait des progrès considérables. Certains malades sont rendus attentifs à leur affection par un sentiment de pression et de trop-plein dans l'hypochondre droit, ou par la découverte fortuite d'une tumeur dans l'abdomen. En dehors de cette sensation, ils ne se plaignent de rien, l'appétit est bon, la digestion se fait bien, les forces et l'état de la nutrition ne laissent rien à désirer, l'ictère et les phénomènes de stase dans le système de la veine porte font défaut. A l'examen de l'abdomen on trouve dans l'hypochondre droit une tumeur considérable qui appartient évidemment au foie; tantôt cet organe a conservé sa forme normale, tantôt il présente à sa surface des bosses peu élevées, semblables à celles qu'on observe dans les affections carcinoma- teuses ou syphilitiques" de cette glande. Même dans les cas de ramollissement très-étendu du centre, la résistance de la tumeur hépatique est très-considé- rable; on n'a noté de la fluctuation que dans un cas observé par Grie- singer. Si la maladie se montre et se développe delà façon décrite, on ne peut pas la reconnaître avec sûreté, ni la distinguer d'autres affections du foie, sur- tout des carcinomes et des syphilomes. Dans le premier cas soumis à mon observation, où le foie m'a été envoyé sous le nom d'un cancer hépatique co- lossal et ramolli, le malade était mort d'une apoplexie. Le médecin traitant ne pouvait pas se rendre un compte exact de la nature de cette tumeur bos- selée et dure comme la pierre, dont il avait suivi la croissance depuis nombre d'années. Dans les dernières années de sa vie, ce malade n'avait pas présenté de phénomènes ictériques ; il n'avait été atteint qu'une fois d'un ictère léger et de courte durée, c'était dix ans avant sa mort. Dans un second cas qui a été observé exactement à ma clinique pendant un grand nombre de mois, l'albuminurie et l'hydropisie générale vinrent s'ajouter aux: sym- TUMEUR D'ECHINOCOQUES MULTILOCULAIRE. 805 ptômes décrits ; on diagnostiqua un syphilome du foie et une dégénération amyloïde des reins. Le malade mourut et il n'y a que la seconde moitié du diagnostic qui fut confirmée par l'autopsie. Le foie renferma, au lieu d'un syphilome, une tumeur d'échinocoques multiloculaire du volume d'une tète. Ce malade n'avait jamais eu d'ictère. Chez les deux les voies biliaires et les conduits excréteurs de la bile étaient parfaitement libres. Ces observations réfutent non-seulement l'opinion de Friedreich, qui prétend que l'ictère intense est un des symptômes les plus constants des tu- meurs en question, mais elles prouvent également que, dans les cas où les voies biliaires ne sont pas obstruées par des masses d'échinocoques, et où, par conséquent, il n'y a pas de stase ni de résorption de la bile, l'état des malades peut être pendant longtemps aussi supportable que dans la forme ordinaire des échinocoques. Ce n'est que tard que le ramollissement pro- gressif de la tumeur et la fièvre qui l'accompagne semblent mettre la nu- trition en souffrance ; il se développe une cachexie à laquelle les malades finissent par succomber, lorsqu'ils ne sont pas emportés par une affection intercurrente. Dans le second cas soumis à mon observation, la mort fut hâtée par l'affection secondaire des reins, dont l'existence, comme compli- cation des tumeurs d'échinocoques multiloculaires, a été niée d'une manière positive par Friedreich. Les symptômes et la marche de l'affection sont tout autres si, après l'im- migration des embryons ou après l'irruption des vessies d'échinocoques dans les voies biliaires, la lumière de ces dernières et bientôt aussi celle des ca- naux excréteurs sont bouchées par l'extension du parasite. Dans ce cas, le tableau de la maladie présente souvent, au moins dans les dernières périodes de l'affection, des traits si caractéristiques qu'on peut établir le diagnostic avec une certitude approximative ou même complète. La série des phéno- mènes morbides débute par un ictère en apparence très-bénin ; mais ce dernier augmente sans cesse. Tous les moyens dirigés contre lui restent sans succès, et il atteint bientôt un degré excessif. D'ordinaire on voit de bonne heure les selles se décolorer d'une manière complète, preuve que toutes les voies biliaires ou que les conduits excréteurs sont obturés. Comme il n'existe aucun symptôme de dyspepsie, et comme l'ictère n'a pas été précédé de vio- lents paroxysmes de douleur, on peut exclure comme très-peu probable le catarrhe des canaux excréteurs de même que leur obturation par des con- crétions pierreuses ; mais la cause véritable de l'obturation est tout à fait obscure au début. Dans un cas, où le diagnostic devint- à la fin tout à fait évident, j'ai dû me contenter de dire, pendant les premières consultations « qu'on était en présence d'une occlusion des canaux excréteurs de la bile dont la cause m'était inconnue. » A l'examen de l'abdomen, on rencontre de bonne heure une augmentation de volume du foie ; mais ce symptôme encore ne peut pas être utilisé pour le diagnostic tant que cette augmen- 806 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. tation n'a pas atteint un haut degré, que la résistance du foie n'est pas très- considérable et que sa surface est lisse. En présence de la décoloration des matières fécales et de l'ictère intense, on est plutôt porté à rattacher le gon- flement du foie à la stase biliaire. Par contre, on est en droit de soupçonner l'existence d'une tumeur d'échinocoques multiloculaire, lorsque, à côté d'un ictère intense et opiniâtre et d'une décoloration complète des matières fé- cales, le foie est augmenté de volume sans que la vésicule biliaire soit dis- tendue en même temps. En effet, cet ensemble de symptômes permet de dire que ce n'est pas le canal cholédoque, mais le canal hépatique qui est obturé ; car lorsque le canal cholédoque est oblitéré, la vésicule biliaire est ordinairement distendue par l'accumulation de la bile- Mais l'occlusion du canal hépatique, qui en général est rare, s'observe peut-être le plus souvent dans les échinocoques multiloculaires, et pour cette raison il faut penser d'abord à cette maladie, lorsque cette occlusion peut être constatée d'une manière positive. Le soupçon de l'existence d'une tumeur d'échinocoques multiloculaire prend plus de consistance et devient une certitude quand, à côté des symptômes décrits, le foie devient plus tard inégal et bosselé. Dès ce moment on peut exclure le gonflement du foie par simple stase biliaire ; il ne peut plus être question que de l'une des affections hépatiques dans les- quelles la forme de l'organe gonflé est modifiée de la manière indiquée, c'est-à-dire d'une cirrhose, d'une affection syphilitique, ou carcinomateuse, ou d'échinocoques. Mais, parmi ces maladies, les échinocoques multilocu- laires sont très-souvent accompagnés d'une décoloration complète des matières fécales, d'une stase biliaire très-considérable et très-opiniâtre à laquelle la vésicule biliaire ne prend aucune part, tandis que les autres ma- ladies ne présentent presque jamais ces symptômes. Si, par conséquent, on rencontre à côté de ces symptômes un gonflement dur et bosselé du foie, on est en droit de poser le diagnostic d'une tumeur d'échinocoques multilo- culaire. Dans beaucoup de cas on voit survenir, dans le cours de la maladie, l'ascite, le gonflement de la rate, des hémorrhagies de l'estomac et de l'in- testin, quelquefois aussi des hémorrhagies par d'autres muqueuses, de même que des épanchements sanguins dans le tissu de la peau. Cependant tous ces symptômes ne sont pas pathognomoniques de la tumeur d'échinocoques multiloculaire ; ils sont la conséquence de la stase biliaire considérable et de la résorption biliaire, et se rencontrent, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, tout aussi souvent dans d'autres formes de stase et de résor- ption biliaires opiniâtres. STASE BILIAIRE DANS LE FOIE. 807 § h. Traitement. La thérapeutique est complètement impuissante contre les tumeurs d'éehinocoquesmultilociuaires; quelquefois même l'insuccès des remèdes employés contre l'ictère peut contribuer à fixer le diagnostic. Évidemment on ne peut arriver ni à diminuer la tumeur, ni à modérer l'ictère et les sym- ptômes qui l'accompagnent, ni à soutenir pour longtemps les forces et l'état de nutrition du malade. Même la ponction, essayée dans le cas de Griesinger, ne doit pas être imitée. CHAPITRE IX. I.a stase biliaire dans le foie et l'ictère qui ea dépend. Ictère hépatogène. § 1. Pathogénie et étiologie. Les voies biliaires ne possèdent pas d'éléments contractiles qui leur per- mettent de chasser leur contenu. Nous sommes donc obligés d'admettre que la force qui fait avancer la bile dans les voies biliaires est la même que celle qui la fait entrer dans ce système de canaux, c'est-à-dire la pression exercée par la sécrétion. La compression que subit le foie pendant l'inspiration par la descente du diaphragme contribue également, il est vrai, à vider les voies biliaires ; mais il ne faut pas que nous attachions trop d'importance à l'in- Huence de cette compression, car la vésicule biliaire, qui est plus exposée à cette pression que le foie rigide, peut se remplir complètement de bile malgré la continuité des mouvements respiratoires. En tout cas, les forces qui font avancer la bile dans les voies biliaires sont si faibles que la moindre i-ésistance de la part de ces canaux est vaincue difficilement, et qu'un ob- stacle insignifiant suffit pour provoquer dans le foie une accumulation de la bile, c'est-à-dire une stase biliaire. Si l'accumulation de ce liquide dans les voies biliaires et les cellules hépa- tiques devient considérable, et si la pression latérale atteint un certain degré dans ces canaux, une grande partie de leur contenu passe (par infiltration) dans les vaisseaux sanguins et lymphatiques. C'est là la cause la plus fré- quente de l'ictère. Les recherches modernes ont établi d'une manière positive que, dans l'ictère dû à la stase et à la résorption biliaires, ictère que nous appelons ictère par résorption ou ictère hépatogène (en opposition avec Yictere 808 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. hématogène dont nous parlerons plus loin), le sang reçoit non-seulement la matière colorante de la bile, mais aussi les autres éléments de ce liquide, et surtout les acides biliaires. Les acides possèdent au plus haut degré, comme le prouvent de nombreuses expériences, la faculté de dissoudre les globules rouges du sang. Si, sur des animaux, on injecte dans le sang de faibles solu- tions de ces acides, on produit un ictère que nous appelons hématogène, car la matière colorante du sang, devenue libre, se transforme en matière colorante de la bile. Ces deux faits sont donc établis, c'est-à-dire que, dans les stases biliaires, les acides de la bile entrent également dans le sang, et que, par suite de la présence dans le sang des acides de la bile, la matière colorante du sang devient libre et se transforme en matière colorante de la bile. Nous pouvons donc avancer hardiment que l'ictère hématogène s'ajoute bientôt à tout ictère hépatogène, ou plus exactement, que tout ictère hépato- gène donne lieu à un ictère hématogène. Parmi les maladies du foie que nous avons décrites jusqu'ici, quelques- unes ne s'accompagnent jamais d'ictère, surtout le foie gras et le foie lardacé, parce qu'elles ne donnent jamais lieu à la compression des voies biliaires. Dans d'autres, telles que la cirrhose, le cancer, les échinocoques, il se produit tantôt une stase biliaire et un ictère et tantôt ces complications manquent. Dans les cas où quelques canaux bilifères sont comprimés, la stase biliaire n'est que partielle, la résorption de ce liquide et l'ictère n'at- teignent pas un haut degré, les matières fécales conservent une faible colo- ration, parce que les voies biliaires non comprimées peuvent déverser libre- ment leur produit de sécrétion dans l'intestin. 11 en est autrement lorsque des tumeurs du foie compriment le canal hépatique ou le canal cholédoque, ou que ces derniers sont remplis par des masses d' échinocoques ; dans ces cas, la stase biliaire est générale, l'ictère est très-intense ; les matières fécales sont complètement décolorées. Cette stase générale de la bile avec ses conséquences s'observe beaucoup plus fréquemment dans les maladies des canaux excréteurs de la Me et à la suite de leur compression par des tumeurs, que dans les affections du foie lui- même. Ces états des conduits excréteurs nous occuperont dans la section suivante ; nous ne traiterons dans ce chapitre que les modifications que subit le foie par la stase biliaire et les conséquences de cette stase. § 2. Anatomie pathologique. Une stase biliaire générale et considérable peut augmenter les dimensions du foie tout aussi bien qu'une forte stase sanguine; cependant cette tuméfaction diminue très-rapidement, dès que l'obstacle à l'écoulement de la bile est levé. La forme de l'organe n'est pas modifiée par cette augmentation de volume. STASE BILIAIRE DANS LE FOIE. 809 Les voies biliaires de toute dimension sont dilatées et gorgées de bile dans les degrés élevés de la maladie. La couleur du foie est d'un jaune intense et dans les degrés les plus élevés d'un vert d'olive; ordinairement la teinte n'est pas uniforme, mais tachetée. A l'examen microscopique, on trouve, d'après la description de Frerichs, tantôt tout le contenu des cellules hépatiques coloré en jaune pâle, tantôt un pigment finement granulé, placé principalement alentour du noyau. Si la maladie a eu une longue durée, les cellules hépa- tiques renferment des dépôts pigmentaires plus considérables, sous la forme de bâtonnets, de globules ou de fragments anguleux d'une couleur jaune, brun rouge ou verte. Les cellules pigmentées se trouvent placées principa- lement autour des veines centrales. Lors même que l'obstacle à l'excrétion biliaire n'est pas levé, le foie, d'abord sensiblement agrandi, peut diminuer et se réduire à un volume très-faible. En même temps cet organe, ainsi rapetissé, prend une teinte d'un vert très-foncé ou même noire, perd sa consistance et devient mou. Dans ces cas, la nutrition des cellules hépatiques a souffert par suite de la compression des vaisseaux sanguins et sous la pression des voies biliaires dis- tendues, peut-être aussi sous la pression de la bile accumulée dans les cellules elles-mêmes. A l'examen microscopique, on trouve, à côté d'un petit nombre de cellules encore conservées et très-riches en pigment, la plus grande partie de ces dernières transformées en un détritus finement granulé. , Dans presque tous les organes et liquides du corps on peut facilement constater, à l'autopsie des individus ictériques, l'accumulation du pigment biliaire. Abstraction faite de la teinte caractéristique de la peau, de la con- jonctive, de l'urine, etc., dont nous nous occuperons plus spécialement, dans le paragraphe suivant en décrivant les symptômes objectifs de la ma- ladie, on est frappé à l'ouverture du cadavre par la coloration jaune citron de la graisse du tissu cellulaire sous-cutané de l'épiploon, du péricarde et d'autres endroits. Les caillots fibrineux renfermés dans le cœur et dans les vaisseaux, la sérosité contenue dans le péricarde et les produits de transsu- dation et d'exsudation qui peuvent exister dans le péricarde, la plèvre, le péritoine, ont une couleur manifestement ictérique. Cette coloration patho- logique est d'autant plus marquée que les différents tissus s'éloignent da- vantage de la couleur rouge à l'état normal; c'est ainsi qu'elle est plus intense sur les membranes séreuses et fibreuses, sur les parois vasculaires, les os et les cartilages, que, par exemple, sur les muscles et la rate. Il n'y a que le cerveau, la moelle épinière et les nerfs qui font exception; on n'y observe que rarement une légère teinte ictérique. Frerichs confirme les observations de ses prédécesseurs, d'après lesquelles les sécrétions propre- ment dites, telles que la salive, les larmes, le mucus, ne renferment pas de pigment biliaire, tandis que les exsudats riches en albumine et en fibrine 810 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. en contiennent beaucoup. Ce qui présente encore un très-grand intérêt, ce sont les modifications qui se passent dans les reins et que eet auteur a dé- crites et représentées le premier avec exactitude. Dans les formes anciennes et intenses de l'ictère, il a trouvé les reins d'une teinte vert olive et quel- ques conduits urinifères remplis de dépôts bruns ou noire. En examinant de plus près, il a vu dans les canalicules les plus pâles les cellules épithéhales, dont la couche était rarement complète, colorées en brun par du pigment, tandis que les canalicules de couleur foncée étaient remplis d'une masse très-noire, dure et cassante. La pigmentation des cellules épithéliales com- mençait déjà dans les capsules deMalpighi, devenait plus foi te dans les tubes flexueux, tandis que dans les tubes droits il rencontrait principalement les masses noires, semblables au charbon. 3. Symptômes et marche. Les signes caractéristiques de la stase biliaire sont presque toujours pré- cédés de prodromes. Ces derniers se sont autres que les symptômes de l'affection qui conduit au rétrécissement et à l'occlusion des voies biliaires, et comme, dans la majorité des cas, la cause de ce rétrécissement est un catarrhe du duodénum, on rencontre le plus souvent, comme prodromes, les signes d'un catarrhe gastro-duodénal. Si ces signes ont existé plus ou moins de temps, l'extension du catarrhe duodénal au canal cholédoque ou l'oblitération des voies biliaires survenue d'une autre manière, se manifeste presque toujours en premier lieu par la coloration particulièrement foncée de l'urine et la teinte claire des matières fécales. Mais d'ordinaire cène sont pas ces symptômes qui engagent le malade à consulter le médecin, mais la coloration jaune de la peau et des yeux. La peau ne présente tantôt qu'une légère teinte jaune, tantôt une coloration d'un jaune safran intense, plus tard et dans les plus hauts degrés de l'ictère, qu'on appelle mélanictère (ictère noir), elle peut devenir verdâtre et même couleur acajou. Sur les parties du corps où l'épidémie est mince, et où, par conséquent, les couches profondes du réseau de Malpighi, siège du pigment, s'aperçoivent plus faci- lement à travers les couches superficielles, la coloration est le plus intense : ainsi au front, aux ailes du nez, au pli du coude, sur la poitrine. Un signe caractéristique de l'ictère, très-important pour distinguer la teinte ictérique de la peau d'autres formes de forte pigmentation, c'est la coloration jaune de la sclérotique, qui peut également devenir assez intense et foncée. La teinte jaune de la peau et de la sclérotique disparaît complètement à la lumière d'une lampe ou d'une bougie, de sorte qu'on ne peut pas la recon- naître le soir. Les muqueuses visibles à l'extérieur sont également colorées STASE BILIAIRE DANS LE FOIE. 811 en jaune; c'est ce qu'on reconnaît en chassant par la pression du doigt le sang des lèvres ou de la gencive chez un ictérique; on ohserve alors non une tache blanche,, mais une tache jaune. L'urine tantôt n'a qu'une teinte légèrement brunâtre, comme la bière légère, tantôt elle est d'un brun foncé, comme le porter; exposée à l'air, elle se colore presque toujours en vert. Si l'on agite l'urine ictérique, la mousse est manifestement jaune ; de même une bande de toile blanche ou de papier blanc qu'on imprègne de cette urine prend une coloration jaune ; ce procédé suffit souvent pour dis- tinguer la matière colorante biliaire d'autres matières colorantes de l'urine. l[ne épreuve beaucoup plus sûre, c'est celle qui se fait avec l'acide nitrique renfermant un peu d'acide nitreux. En ajoutant ce réactif, la matière colo- rante biliaire, naturellement brune, passe successivement au vert, au bleu, au violet, au rouge et enfin au jaune pâle. Pour bien voir ces changements, de coloration, on met l'urine à examiner dans un verre à Champagne ou dans une éprouvette, et on laisse couler avec précaution le long du verre une certaine quantité d'acide; cet acide tend à gagner le fond et son mé- lange avec l'urine ne se produit que d'une manière très-lente. On laisse reposer le liquide pendant quelques instants, et s'il renferme de la matière colorante de la bile, on voit les couches situées immédiatement au-dessus de l'acide nitrique présenter différentes colorations, qui se suivent de haut en bas dans l'ordre que nous avons indiqué et qui offrent la série entière ou seulement une partie des couleurs citées. La réaction peut être incom- plète ou même manquer complètement, si l'urine a séjourné longtemps à l'air et a déjà pris une teinte verdâtre. D'après Frerichs, le contraire peut avoir lieu, c'est-à-dire que la réaction indiquée ne se produit pas avec l'u- rine fraîche et ne se montre que si ce liquide est resté exposé à l'air pen- dant un temps assez long. — La présence des acides de la bile dans l'urine des ictères a été niée jusque dans ces derniers temps par des autorités en renom. La méthode de Pettenkofer permet de constater de très-faibles quan- tités d'acides de la bile par la coloration pourpre qui se manifeste, si l'on ajoute à une solution de ces acides une petite quantité de sucre et qu'ensuite on y verse peu à peu de l'acide sulfurique concentré. Cependant cette mé- thode offre des difficultés particulières lorsqu'on veut l'appliquer à l'examen de l'urine des ictériques. Cette épreuve n'est pas directement applicable, s- dans le liquide à examiner, comme c'est le cas pour l'urine, il existe en même temps des substances qui se colorent par l'addition d'acide sulfurique. Hoppe-Seyler a montré, par ses recherches remarquables, que l'urine des ictériques renfermait non-seulement la matière colorante de la bile, mais aussi les acides de la bile, et il l'a prouvé d'une manière évidente par un procédé compliqué, mais tout à fait sûr. La présence du pigment biliaire est également constante dans la sueur f de sorte que le linge de corps est coloré en jaune, surtout aux endroits où 812 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. les malades transpirent le plus. De même on a constaté la couleur jaune du lait chez les nourrices ictériques. La modification la plus frappante qu'offrent les matières fécales, lorsque la bile ne peut pas s'écouler librement dans l'intestin, c'est leur décoloration plus ou moins complète. Lorsque les conduits excréteurs de la bile sont incomplètement obturés ou lorsque la stase biliaire est partielle, elles ont la couleur de la terre glaise; si l'occlusion du canal hépatique ou du canal cholédoque est complète, elles ont une couleur beaucoup plus claire. — Comme on évalue à environ 1 kilogramme la quantité de bile versée dans l'intestin pendant vingt-quatre heures, on comprend facilement que les ma- tières fécales décolorées sont presque toujours très-sèches. — D'un autre côté, si la bile ne peut plus arriver dans l'intestin, l'absorption des graisses, d'après les principes admis en physiologie, est sinon complètement inter- rompue, du moins très-limitée ; c'est là ce qui nous rend compte du fait, depuis longtemps connu, que les matières fécales d'individus ictériques renferment beaucoup plus de graisse que celles d'individus sains. M. le pro- fesseur Trommer a examiné les selles de deux de mes élèves qui se nourris- saient exactement de la même quantité de pain, de beurre et de rôti froid, mais dont l'un était ictérique et l'autre parfaitement bien portant : il a trouvé dans les selles du premier beaucoup plus de graisse que dans celles du se- cond. — Enfin, la bile paraît s'opposer aux décompositions putrides du con- tenu intestinal ; voilà pourquoi les malades dont l'intestin ne reçoit plus de bile sont ordinairement affectés de flatulence , et les gaz qui s'échappent, de même que les matières fécales, présentent une odeur très-pénétrante et putride. En même temps que la coloration anormale de la peau, de la sclérotique, de l'urine, de la sueur et du lait, que la décoloration des selles et des trou- bles dépendant de l'absence de la bile dans l'intestin, on remarque que presque tous les malades affectés d'un ictère dû à la stase biliaire maigrissent rapidement et sont très-mous et endormis. Comme les substances amylacées et les substances protéiques peuvent se digérer sans que la bile arrive dans l'intestin, l'amaigrissement ne peut être expliqué que par l'absorption in- complète des corps gras, à moins qu'il n'existe en même temps un catarrhe de l'estomac ou de l'intestin. Nous avons déjà cité les expériences de Biscboff, d'après lesquelles l'introduction abondante de graisse dans le corps diminue l'usure des éléments organiques. Il est donc probable que la soustraction de la graisse a un effet opposé et conduit surtout à l'usure de la graisse accu- mulée dans le corps. Même les exceptions, c'est-à-dire les cas où certains malades ictériques conservent leur embonpoint, quoique la bile n'arrive pas dans l'intestin, ne contredisent pas cette explication. En effet, on a observé que, parmi les chiens sur lesquels on avait établi des fistules biliaires, quelques-uns, au lieu de maigrir considérablement, comme c'est la règle, STASE BILIAIRE DANS LE FOIE. 813 se conservaient dans un état de nutrition parfait, et ce sont précisément ceux qui mangent démesurément ; de même on a remarqué chez les hommes que ceux qui, pendant leur ictère, ont un excellent appétit et une digestion parfaite, ne maigrissent pas. De là on peut naturellement tirer la conclusion que le manque d'absorption de la graisse peut être remplacé par une inges- tion plus abondante d'hydrates de carbone et rie substances protéiques. — Depuis qu'on a prouvé que, pendant l'ictère, les acides de la bile sont éga- lement absorbés et que leur contact avec le sang donne lieu à la fonte des globules rouges, nous possédons une nouvelle explication de l'appauvrisse- ment du sang, de l'amaigrissement et de la cachexie, souvent extrême, des malades affectés d'un ictère de longue durée. Même l'apathie et la grande tendance au sommeil ne semblent pas dépendre uniquement de la nutrition défectueuse, mais en grande partie de l'influence toxique exercée par les acides de la bile sur les nerfs et les muscles. Le ralentissement du pouls des ictériques semblait se rattacher intimement à l'amaigrissement et à l'affaiblissement. On croyait ne pas avoir besoin de subordonner ce symptôme à l'introduction des éléments biliaires dans le sang et d'assimiler l'influence de ces éléments à celle de la digitale, parce qu'on avait observé le même ralentissement du pouls pendant la cura famis et dans la convalescence des maladies graves, après la cessation de la fièvre: cependant il résulte des expériences de Rôhrig qu'en effet le ralentissement du pouls chez les ictériques dépend en majeure partie de la présence dans le sang des acides de la bile. Il en est de même de la démangeaison désagréable qui se remarque chez beaucoup d'ictériques. On a essayé de la rattacher à la nature sèche et rude de la peau chez les malades affectés d'ictère, parce que cette démangeaison s'observe également dans le marasme sénile. Cependant la fréquence de ce symptôme chez les ictériques et sa rareté dans le marasme permettent d'ad- mettre que cette démangeaison dépend d'une irritation des nerfs cutanés par les éléments de la bile déposés dans le réseau de Malpighi. Il est vrai que ce symptôme fait souvent défaut dans les degrés les plus élevés de l'ictère, tandis qu'il peut devenir insupportable dans les degrés modérés ; d'un autre côté, il se présente presque toujours d'une manière périodique : ce sont là des particularités qui se laissent difficilement expliquer, si le sym- ptôme en question dépend de l'irritation exercée par les acides de la bile ou par le pigment biliaire. La xanthopsie, c'est-à-dire le trouble de la vue qui fait voir les objets en jaune, s'observe très-rarement dans l'ictère. On se demande si elle dépend de la coloration jaune des milieux transparents de l'œil, ou si elle se rat- tache à une innervation anormale et appartient aux premiers symptômes de l'acholie, dont nous nous occuperons à l'instant. La marche et les terminaisons de la maladie varient selon que les obstacles 814 MALADIES DU FQffi ET DES VOIES BILIAIRES. à l'évacuation de la bile peuvent être levés plus ou moins tôt ou qu'ils per- sistent indéfiniment. Dans le premier cas, les symptômes de la stase biliaire disparaissent assez rapidement, dès que la cause obturatrice est éloignée, et la maladie se termine par la guèrison. On remarque d'abord que les selles deviennent plus colorées; bientôt on voit disparaître également la couleur foncée de l'urine et les phénomènes qui dépendent de l'imbibition des tissus par le liquide nourricier pigmenté. La coloration de la peau se dissipe le plus tard, surtout si l'épidémie est épais. Si l'on a pu constater une aug- mentation de volume du foie pendant que la bile était arrêtée dans son écoulement, ce symptôme disparait également bientôt après que l'obstacle est écarté. Il en est de même des forces et de l'état de îa nutrition, qui re- viennent px-omptement. Puisque dans l'ictère, dû à l'occlusion des canaux excréteurs de la bile, le retour de la coloration normale des selles est presque toujours le premier signe de l'amélioration, les médecins, et souvent aussi les malades, attendent ce symptôme avec impatience. Cependant il arrive quelquefois que les selles se colorent légèrement en jaune, sans que les conduits excréteurs soient redevenus perméables. Ce phénomène reconnaît pour cause le mélange de sérum sanguin içtérique ou de produits inflammatoires ictériques avec les matières intestinales. (Les mucosités de l'intestin ne renferment pas de ma- tière colorante de la bile, même dans les degrés élevés de l'ictère, car s'il en était ainsi, les selles ne perdraient jamais complètement leur couleur.) Les petites hémorrhagies intestinales, qui se rencontrent assez souvent pen- dant une occlusion de longue durée des canaux excréteurs de la bile (voy. plus bas), donnent le plus souvent lieu à des erreurs, d'autant plus qu'une très-faible quantité de sang mêlée aux selles ne leur donne pas de teinte caractéristique, surtout si le sérum sanguin est içtérique. Si la stase biliaire persiste longtemps, ou si elle dépend d'obstacles qui ne peuvent être éloignés, l'ictère arrive au plus haut degré, et la nutrition des malades peut être tellement en souffrance qu'à la fin ils deviennent hydro- piques et meurent dans le marasme. Dans quelques cas rares, la terminaison fatale est hâtée par des hémor- rhagies de l'estomac et de V intestin. Ces hémorrhagies sont dues aux mêmes causes que celles qui se déclarent dans le cours de la cirrhose et de la pilé- phlébite. La compression des capillaires du foie, produite par les voies biliaires distendues, s'oppose à l'écoulement du sang dés vaisseaux gastriques et intestinaux, comme dans les maladies précédentes, la compression des vaisseaux hépatiques par le tissu conjonctif rétracté ou l'obturation de la veine porte. Cependant, en dehors des obstacles mécaniques qui entravent la circulation, il faut encore prendre en considération, pour expliquer ces hémorrhagies, le trouble de la nutrition dans les capillaires de l'estomac et •de l'intestin, d'autant plus que dans le cours de l'ictère, on observe égale- STASE BILIAIRE DANS LE FOIE. 815 ment des hérnorrhagies dans d'autres organes, surtout dans la peau, sou? forme de pétéchies. Nous avons déjà dit à plusieurs reprises que la disposi- tion aux hérnorrhagies, c'est-à-dire la diathèse hémorrhagique, ne peut s'expliquer que par un trouble dans la nutrition des parois vasculaires, el que ce trouble s'observe très-fréquemment dans l'anémie et la cachexie avancées. Si, pendant le cours de l'ictère, il se présente des troubles graves dans le système nerveux, l'état du malade est encore bien plus dangereux. Rarement ils commencent par des délires ou des convulsions, le plus souvent le début est marqué par des phénomènes de dépression, de paralysie. Les malades tombent dans une somnolence invincible et finissent par mourir dans un état comateux. Henoch fait remarquer qu'Hippocrate connaissait déjà le mauvais pronostic de ces accidents, lorsqu'il dit : Ex morbo regio fatuitas aut stupiditas mala est. On a établi les hypothèses les plus variées sur les causes de ces symptômes cérébraux et nerveux. De nos jours, l'opinion la plus accré- ditée est que ces phénomènes dépendent d'un empoisonnement par les aci- des de la bile, parce que, en injectant ces acides dans le sang des animaux, on a observé également des symptômes d'intoxication qui se rattachent à une paralysie do système nerveux. On a objecté à cela que, dans chaque ictère, les acides de la bile entraient dans le sang, et que cependant ces troubles graves de l'innervation se montraient très-rarement ; Leyden cher- che à répondre à cette objection en appelant Fattention sur l' élimination continue des acides delà bile par les reins, qui empêcherait l'accumulation trop considérable de ces acides dans le sang et préviendrait de cette façon ,les conséquences les plus fâcheuses. Ce qui semble parler en faveur de cette explication, c'est qu'on observe une lassitude remarquable dans presque chaque ictère, quelque faible qu'il soit, et d'un autre côté, que la suppression ou la diminution de la sécrétion urinaire a de tout temps été considérée comme un événement fâcheux dans le cours de l'ictère. Par contre, cette explication est combattue par le fait que dans l'ictère hématogène on observe les mêmes symptômes graves du côté du système nerveux, et même beaucoup plus fréquemment que dans l'ictère hépatogène, quoique dans la première forme d'ictère il y ait absence d'acides biliaires dans l'urine, absence qui, d'après Leyden même, est un point très-important pour la dis- tinction de ces deux formes. Le dernier mot n'est pas encore dit sur cette question. Les troubles graves de l'innervation, relativement assez communs dans des cas où il n'existe qu'un léger degré d'ictère, mais une dégénératiou grave et étendue du foie, s'expliquent beaucoup plus facilement par l'hypo- thèse de Frerichs, indiquée page 771, que par l'empoisonnement, égale- ment hypothétique, par les acides de la bile. En outre, l'explication d'après laquelle l'accumulation trop considérable des acides biliaires dans le sang et les tissus serait empêchée par l'élimination continue de ces acides par 816 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. les reins, cette explication est combattue parle fait que l'accumulation exa- gérée du pigment biliaire n'est nullement empêchée, malgré son élimi- nation continue et très-considérable par les reins. Si les choses se passaient aussi simplement que Leyden le suppose, il faudrait que la fréquence des phénomènes d'intoxication fût en rapport avec l'intensité de l'ictère, ce, qui n'est nullement le cas. AY examen physique, on ne constate pas de gonflement du foie dans les degrés faibles de la stase biliaire. Par contre, dans les degrés élevés, tels qu'on les observe lorsque le canal hépatique ou cholédoque est complètement obstrué, on peut reconnaître, à la palpation et à la percussion, une augmentation sou- vent très-considérable du foie. La surface de cet organe se montre lisse, et comme sa consistance est augmentée, son bord inférieur se sent très-distinc- tement. Si c'est le conduit cholédoque qui est fermé, on sent en général la distension de la vésicule biliaire en même temps que l'engorgement hépa- tique. — Si l'étendue de la matité du foie devient plus petite, sans que l'ic- tère diminue, c'est un mauvais signe qui indique une atrophie consécutive du foie. § 4. Traitement. Dans la stase biliaire, nous ne pouvons obtenir de résultats favorables que lorsque nous sommes en état de remplir l'indication causale. Par conséquent, nous sommes impuissants à guérir les stases biliaires produites par la plupart des affections du foie, surtout par les échinocoques, le cancer et la cirrhose,. tandis que les stases dues à des obstacles dans les voies biliaires sont souvent traitées avec succès. Les remèdes qui ont la réputation d'être des spécifiques contre l'ictère sont les substances qui exercent une influence favorable sur les maladies des voies biliaires, dont nous parlerons dans la section suivante. Ce que nous venons de dire s'applique avant tout aux eaux de Karlsbad qui jouissent d'une réputation universelle pour leur efficacité dans l'ictère. Beaucoup de malades qui sont allés à Karlsbad avec l'ictère le plus intense, en reviennent au bout de quelques semaines complètement guéris, mais ce ne sont que ceux dont l'ictère dépend d'un catarrhe des voies biliaires ou de leur obturation par des calculs biliaires. Si des malades ictériques, affectés d'une oblitération des voies biliaires, se rendent à Karlsbad, leur maladie n'est nullement améliorée par l'usage de ces eaux minérales; au contraire, la cure ne fait que hâter la terminaison fatale, parce que l'augmentation de la sécrétion biliaire ne peut qu'exagérer la stase et hâter la colliquation des cellules hépatiques. Les preuves de cette assertion existent en grand nombre. — L'eau régale employée à l'intérieur et à l'extérieur, le calomel, les extraits amers et résolutifs, les vomitifs et les purgatifs n'exercent pas une LA STASE BILIAIRE DANS LE FOIE ET L'ICTERE QUI EN DEPEND. 817 influence plus favorable sur la guérison de l'ictère que les eaux de Karlsbad, s'ils ne remplissent pas l'indication causale. Si l'on réussit à éloigner l'obstacle qui s'oppose à l'excrétion biliaire, l'indication de la maladie ne réclame pas de nouvelles mesures ; si l'on n'y réussit pas, nous ne sommes pas en état de remplir cette indication. L'indication symptomatique exige avant tout que l'on tienne compte du mauvais état de la nutrition produit par la stase biliaire, et que l'on prescrive un régime convenable. Nous recommandons les viandes, surtout le rôti froid, de bons potages ; par contre, comme les graisses ne sont presque pas absorbées, lorsque la bile n'arrive pas dans l'intestin, et comme, pour cette raison, elles sont difficilement supportées, les sauces grasses, le beurre, etc., ne sont pas moins défendus lorsque les malades restent chez eux, que lors- qu'ils sont à Karlsbad, où l'usage de ces substances est considéré comme une infraction grave aux prescriptions de l'hygiène thermale. — Ensuite, il faut combattre la constipation, dont souffrent la plupart des malades atteints de stase biliaire, et qui dépend en partie de la sécheresse des matières féca- les, et en partie de l'absence de l'irritation exercée par la bile sur la mu- queuse intestinale ; cependant il faut éviter les purgatifs salins et prescrire à leur place de légers drastiques, surtout l'infusion de séné composée (potion laxative de Yienne), Télectuaire lénitif et au besoin l'extrait de rhubarbe composée qui renferme de l'aloès. — Comme de grandes quantités de pig- ment biliaire sont éliminées par l'urine, on peut, pour hâter autant que possible la disparition de l'ictère, employer les diurétiques, surtout la crème de tartre, la crème de tartre soluble, l'acétate de potasse et le carbonate de potasse. L'indication de ces remèdes est pressante, lorsque la diurèse est ar- rêtée, car l'obturation des canalicules urinifères par le pigment, sur laquelle Frerichs a attiré le premier l'attention, peut être suivie de rétention des élé- ments de l'urine, et une augmentation de la sécrétion urinaire entraînera peut-être les masses obturatrices. — Contre la démangeaison fatigante et pour éloigner aussi rapidement que possible la teinte ictérique de la peau qui reste après la disparition de la stase biliaire, on recommandera des bains tièdes, des bains de vapeur, de savon, de potasse, dans le but de hâter la chute de l'épidémie . - 52 818 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. CHAPITRE X. Ictère sans résorption de bile. — Ictère liématogène. • § 1 . Pathogénie et étiologie. Depuis longtemps les médecins se sont aperçus qu'il y a des cas d'ictère qui ne peuvent pas être rattachés à la stase et à la résorption biliaires. L'hypothèse d'après laquelle les éléments de la bile s'accumuleraient dans le sang pendant les dégénérescences graves et étendues du foie, parce que ces éléments ne seraient pas éliminés par l'organe malade, n'est plus admissible, depuis que l'on sait que la bile et ses éléments ne sont nulle- ment préformés dans le sang et simplement éliminés par le foie, mais que la bile est un produit élaboré par cet organe. On a essayé également de rapporter à un spasme des conduits excréteurs certains cas d'ictère où l'on ne pouvait constater à l'autopsie aucun obstacle à l'écoulement de la bile. Comme les conduits excréteurs renferment des éléments musculeux, on ne peut nier la possibilité d'une occlusion passa- gère sous l'influence d'une contraction spasmodique ; mais il est très-peu probable qu'un pareil spasme puisse durer le temps suffisant (établi par les expérimentations physiologiques) pour provoquer le degré de stase biliaire nécessaire au passage de la bile des voies biliaires dans les vaisseaux sanguins et lymphatiques, et pour donner lieu à des symptômes ictériques. L'existence de l'ictère spasmodique est plus que douteuse. Enfin, il est très-peu vraisemblable que, dans de certaines circonstances, le foie élabore plus de bile que les voies biliaires et les conduits excréteurs ne peuvent en laisser passer, et qu'une pareille polycholie donne lieu à l'ictère, parce qu'une partie de la bile sécrétée en excès entre dans les vais- seaux lymphatiques et sanguins. Frerichs a établi une nouvelle théorie pour expliquer quelques-unes des formes d'ictère en question ; il admet que la filtration de la bile à travers les voies biliaires et son introduction dans les vaisseaux sanguins se produisent non-seulement lorsque les voies biliaires sont trop gorgées de bile, mais en- core lorsque les vaisseaux sanguins sont trop peu remplis. L'auteur explique par ce dernier mécanisme l'ictère qui s'observe assez souvent à la suite d'une thrombose de la veine porte ; dans ce cas le sang n'arrive au foie que par l'artère hépatique, et le contenu des veines hépatiques et des capillaires du foie est considérablement diminué ; certains cas d'ictère des nouveau-nés se produiraient à raison de la cessation subite de l'arrivée du sang au foie ICTERE SANS RESORPTION DE BILE. 819 par les veines ombilicales ; il en serait de môme de l'ictère dans la fièvre jaune, qui serait dû à la déplétion des racines de la veine porte par des hé- morrhagies intestinales abondantes. La doctrine du développement de l'ictère sans stase et sans résorption de bile est entrée dans une nouvelle phase, depuis que de récentes recherches, surtout celles de Virchow, Kûhne et Hoppe-Seyler, ont prouvé que la ma- lière colorante de la bile peut se former sans l'intervention du foie, aux dépens de la matière colorante du sang devenue libre, et que sur les ani- maux on peut produire artificiellement l'ictère, en leur injectant des sub- stances qui dissolvent les corpuscules sanguins. il est aujourd'hui hors de doute que certaines formes d'ictère, dont autre- lois on ne pouvait comprendre le mode de production, se développent à la suite de la fonte des corpuscules sanguins et de la transformation de la ma» Hère colorante du sang, circulant librement dans ce liquide, en matière colorante de la bile. Cela s'applique surtout à l'ictère qui s'observe quelque- fois après les empoisonnements parl'étherou le chloroforme, parce que ces sub- stances possèdent, d'après les résultats de l'expérimentation, la propriété de dissoudre les globules sanguins. Le léger ictère qu'on remarque dans les degrés élevés cVhyclrèmie, et dont on n'a pas même cherché autrefois à expliquer l'origine, dépend également, sans nul doute, de ce que les glo- bules sanguins périssent par la trop grande quantité d'eau renfermée dans le sang. Pour d'autres cas d'ictère, ce mode de production est, sinon prouvé, du moins très-probable. Cela s'applique avant tout à l'ictère consécutif, aux morsures de serpent, puis à l'ictère qu'on observe constamment dans la fièvre jaune, assez souvent dans le cours de la fièvre ■Récurrente, de la septicémie' et de la fièvre puerpérale , plus rarement dans les autres maladies d'infection et dans d'autres affections aiguës, accompagnées d'une forte fièvre. Il est remarquable que les anciens médecins parlaient déjà d'une « dissolutio sanguinis », lors- que les affections nommées en dernier lieu prenaient une marche très-per- nicieuse, que la fièvre atteignait une hauteur excessive, et qu'il se présen- tait une grande prostration, des phénomènes morbides graves du côté du système nerveux, et une teinte ictérique de la peau et de la conjonctive. Passons sur la question de savoir si la fonte des globules sanguins dans les maladies mentionnées est la conséquence de la température très-élevée du sang, ou si dans le cours des fièvres intenses il se forme, par suite du mou- vement nutritif arrivé au plus haut degré, des produits qui dissolvent les globules sanguins. Enfin je reviens sur ce que j'ai déjà dit antérieurement, à savoir que chaque ictère hépatogène conduit à un ictère hématogène par suite de la résorption des acides de la bile. L'ictère dans la pyléphlébite et même certains cas d'ictère qui accompa- 820 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. gnent les abcès du foie appartiennent aux formes hématogènes. Il n'y a pas longtemps, j'ai eu l'occasion d'observer un malade atteint d'un grand abcès du foie , qui présentait des symptômes ictériqucs aussi longtemps qu'il existait une fièvre intense à marche intermittente et accompagnée de frissons violents ; avec la cessation de la fièvre disparurent de l'urine la matière colorante biliaire et l'albumine qui s'était montrée en même temps que cette dernière, et bientôt après on vit se perdre également la teinte ictéri- que de la peau et de la conjonctive. L'ictère qui accompagne quelquefois l'endocardite ulcéreuse paraît être aussi un ictère hématogène ; par contre, il me semble fort douteux qu'on puisse ranger dans cette catégorie certains cas d'ictère des nouveau-nés. § 2. Anatomie pathologique. L'ictère qui n'est pas produit par la stase et la résorption biliaires atteint rarement un degré élevé ; on ne trouve, en général, à l'autopsie qu'une faible teinte jaune des téguments, de la graisse et des autres tissus. Ce qui est plus important pour le diagnostic anatomique de l'ictère hématogène et pour sa distinction de l'ictère hépatogène, c'est que dans le premier le foie n'est pas plus vivement coloré que les autres tissus, tandis que dans le second les signes de la résorption biliaire sont toujours le plus prononcés- dans le foie. La teinte normale du contenu intestinal, surtout la coloration verdâtre des matières renfermées dans le duodénum, de même que la per- méabilité complète des voies biliaires et des canaux excréteurs de la bile, ne permettent pas de douter qu'il s'agit d'un ictère hématogène. Mais il faut prendre des précautions pour ne pas se tromper sur la perméabilité des voies biliaires. Si par une pression sur la vésicule biliaire on parvient à faire couler quelques gouttes de bile du canal cholédoque dans le duodénum, ce n'est nullement une preuve que pendant la vie le passage ait été complè- tement libre ; cette manœuvre réussit assez souvent même dans les cas où l'on trouve dans la portion intestinale du canal cholédoque un bouchon gri- sâtre, composé de mucus et de masses épithéliales, où les matières intesti- nales sont complètement décolorées, où, par conséquent, on est évidemment en présence d'un catarrhe du canal cholédoque et d'un ictère hépatogène. Buhl et Liebermeister ont le mérite d'avoir attiré l'attention sur les modifi- cations qu'on rencontre dans le foie et dans d'autres organes chez les indi- vidus affectés d'ictère hématogène. Les modifications des cellules hépatiques et des cellules épithéliales qui tapissent les tubes urinifères consistent quel- quefois, d'après Liebermeister, « en une accumulation considérable de gout- telettes de graisse très-petites, ou d'une matière trouble, probablement de nature albumineuse, dans l'intérieur de ces cellules » : dans d'autres cas. ICTÈRE SANS RÉSORPTION DE BILE. 821 « les cellules sont tombées en détritus et en même temps on constate un grand nombre de granulations graisseuses; des modifications analogues s'observent également dans les fibres musculaires du cœur ». Ces dégénéres- cences parenchymateuses (Liebermeister) du foie, des reins et du cœur prou- vent que les mêmes causes morbifiques qui donnent lieu à la fonte des globules sanguins — c'est-à-dire à une dégénérescence parencbymateuse du sang — exercent une influence analogue sur les tissus solides du corps. § 3. Symptômes et marche. L'ictère hématogène, comme nous l'avons montré au paragraphe 1er, n'est qu'un phénomène isolé qui se rattache à des troubles étendus. Il est donc difficile d'en présenter les symptômes et la marche, comme s'il s'agis- sait d'une maladie complète, et nous devons nous borner à nous appesantir sur les points qui nous permettent de décider dans un cas donné s'il s'agit d'un ictère par résorption ou d'un ictère dû à la transformation de la ma- tière colorante du sang en matière colorante de la bile dans le courant san- guin même. Les données étiologiques nous fournissent déjà des points de repère im- portants. Si cet ictère se développe à la suite des causes morbifiques indi- quées dans le paragraphe 1er, ou pendant le cours des maladies que nous y avons énumérées, on peut présumer qu'il s'agit d'un ictère hématogène. — Cette opinion acquiert plus de consistance, si les selles ont une couleur nor- male, et, à plus forte raison, si elles sont très-foncées. — Si avec le début des phénomènes ictériques la pulsation du cœur et des artères devient irré- gulière et intermittente, si l'on constate dans l'urine de l'albumine, en même temps que la matière colorante de la bile, si des troubles graves du côté du système nerveux viennent s'ajouter à ces symptômes, je crois que le diagnostic de l'ictère hématogène est assez sûr. — Leyden compte égale- ment parmi les signes confirmatifs de cette affection la coloration très-faible de l'urine relativement à la teinte ictérique de la peau, et surtout l'absence des acides biliaires dans l'urine. S'il devait se confirmer que les acides de la bile pussent être retrouvés constamment et avec une certitude complète même dans les degrés légers de l'ictère hépatogène, l'absence de ces acides dans l'urine constituerait , en effet , un signe infaillible de l'ictère héma- togène. 822 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. § h. Traitement." L'ictère hématogène n'exige pas de traitement spécial; il disparaît si l'o» parvient à se rendre maître de la maladie principale. Mais malheureuse- ment nous sommes en général assez impuissants sous ce rapport; dans l'ictère hématogène qui se déclare dans le cours de fièvres très-intenses, c'est encore sur le traitement antipyrétique qu'on peut fonder le plus d'espoir. CHAPITRE XL Atrophie jaune aiguë du foie. § 1. Pathogénie et étiologie. Dans l'atrophie jaune aiguë du foie, maladie très-obscure et qui n'offre guère d'analogie avec les autres maladies connues, le foie devient en peu de temps plus petit, prend une consistance molasse, et à l'examen microsco- pique de cet organe rapetissé et ramolli on constate que les cellules hépa- tiques ont disparu en majeure partie. Nous savons que le foie, gonflé sous l'influence d'une stase biliaire long- temps continuée, diminue quelquefois de volume et se ramollit, et que, dans cette forme d'atrophie, on rencontre aussi les cellules hépatiques ré- duites en détritus; on s'est basé sur ce fait pour rapporter l'atrophie jaune, aiguë du foie à une stase biliaire dans les voies biliaires les plus fines. Mais il y a deux objections à faire à cette hypothèse : d'abord, dans l'atrophie jaune aiguë, les voies biliaiïes sont en général vides ou elles ne sont remplies que de mucus; ensuite, on ne constate dans les voies biliaires aucun obstacle qui puisse s'opposer à l'écoulement de la bile. D'autres observateurs prétendent que la destruction des cellules hépa- tiques est, à la vérité, la conséquence d'une pression qu'elles ont subie elles-mêmes ou leurs vaisseaux nourriciers, et que cette pression est exercée par les voies biliaires distendues; mais ils croient que l'engorgement et la distension des voies biliaires ne dépendent pas d'une siase de leur contenu, mais d'une formation exagérée de bile, d'une polycholie. Cependant, comme il n'existe dans l'intestin aucun signe d'une excrétion augmentée de la bile ni avant le début de l'atrophie jaune aiguë, ni pendant la période initiale de cette affection, le fait d'une formation exagérée de bile, comme cause de la maladie en question, n'est ni prouvé ni probable. ATROPHIE JAUNE AIGUË DU FOIE. 823 La plupart des pathologistes modernes considèrent l'atrophie jaune aiguë du foie mme la terminaison d'une forme particulière d'hépatite, et, en effet, la marche aiguë et la destruction rapide et étendue de cellules hépatiques parlent le plus en faveur d'un processus inflammatoire. En outre, Frerichs prétend avoir trouvé à plusieurs reprises un exsudât libre entourant les îlots hépatiques dans les portions du foie où le processus était encore peu avancé. Si nous faisons abstraction de cette exsudation interstitielle, qui probable- ment n'est pas constante, l'atrophie jaune du foie devra être comptée parmi les inflammations parenchymateuses, c'est-à-dire parmi ces formes inflamma- toires dans lesquelles aucun exsudât libre n'est déposé entre les éléments, mais où les éléments mêmes du parenchyme se gonflent par l'absorption d'une substance probablement albumineuse et se transforment plus tard en un détritus en partie moléculaire, en partie graisseux. La seule objection qu'on puisse faire, à la rigueur, à cette théorie, établie surtout par Liebermeister ou au moins formulée d'abord par lui d'une manière précise, c'est que la marche des inflammations parenchymateuses dans d'autres organes, surtout dans les reins, est tout à fait différente, et qu'il n'existe aucune inflamma- tion parenchymateuse où les éléments de l'organe atteint, en s'atrophiant et en se ramollissant rapidement, disparaissent en aussi peu de temps que dans l'atrophie jaune aiguë du foie. L'atrophie jaune aiguë du foie n'est évidemment pas une affection primi- tive et idiopathique, mais la conséquence d'une maladie constitutionnelle grave, que la fonte subie par les cellules du parenchyme hépatique soit ou ne soit pas d'origine inflammatoire. Cette maladie constitutionnelle est-elle due à l'influence d'une substance toxique, miasmatique, c'est-à-dire qui est absorbée par le sang, repose-t-elle en un mot sur une infection? C'est ce qu'on ne saurait décider pour le moment, quoique sa manifestation épidé- riiique, qu'on a observée quelquefois, soit favorable à cette opinion. La com- paraison qu'on a voulu établir entre l'atrophie jaune aiguë et le foie gras consécutif à l'empoisonnement par le phosphore, n'est pas exacte et a con- duit à bien des confusions. Dans l'empoisonnement par le phosphore, il s'agit d'une infiltration graisseuse ; dans l'atrophie jaune aiguë, d'une dégé- nérescence graisseuse des cellules hépatiques, c'est-à-dire de deux formes morbides essentiellement différentes. L'idée de vouloir rapporter l'atrophie jaune aiguë du foie à un empoisonnement par les acides de la bile, ne peut pas, à mon avis, se justifier. Le faible degré de l'ictère qu'on observe dans la plupart des cas suffit déjà pour réfuter cette hypothèse. On doit admettre forcément que l'intensité plus ou moins grande de l'ictère donne le meil- leur point de repère, quand il s'agit de décider si beaucoup ou peu de bile a été résorbé ; car lors même que le degré de la teinte ictérique ne nous autorise à porter un jugement que sur la quantité de la matière colorante bi- liaire introduite dans la circulation, cette dernière peut nous servir de me- 824 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. sure pour apprécier la quantité d'acides biliaires qui ont été résorbés. Leyden a essayé, il est vrai, d'expliquer l'absence fréquente des symptômes d'em- poisonnement par les acides de la bile dans l'ictère intense et de longue durée, en disant que l'accumulation des acides biliaires dans le sang était prévenue le plus souvent par leur élimination au moyen des reins. Mais cette explication est dénuée de tout fondement. L'observation journalière nous apprend que, dans l'oblitération des conduits excréteurs de la bile, l'ictère ne fait qu'augmenter [pendant tout le temps que dure cette oblitération, quoique de très-grandes quantités de pigment biliaire soient sans cesse éli- minées par les reins. De quel droit peut-on [dire des acides de la bile, que leur absorption par le sang est compensée par leur élimination au moyen des reins, lorsque la matière colorante biliaire fournit la preuve la plus évidente qu'une pareille compensation n'a pas lieu? Cette maladie est en général rare; elle ne s'observe jamais pendant l'en- fance. Elle se présente plus fréquemment chez les femmes que chez les hommes, et le plus souvent pendant la grossesse. Jl est remarquable que la grossesse, qui présente une prédisposition^ si marquée aux inflammations parenchymateuses des reins, entraîne également une prédisposition à une affection analogue du foie, c'est-à-dire à l'atrophie jaune aiguë de cet organe. § 2. Anatohie pathologique. Dans les degrés élevés de l'atrophie jaune aiguë du foie, cet organe est considérablement diminué de volume, quelquefois de plus de moitié. Il est plus aplati, parce que c'est dans le diamètre vertical que cette atrophie est le plus sensible. Son enveloppe séreuse est faiblement tendue, souvent même elle offre des plis. Le parenchyme est mou et flétri, et le foie est affaissé contre la paroi postérieure de la cavité abdominale. La couleur de l'organe est d'un jaune intense, sa consistance est diminuée, la structure acineuse ne peut plus être reconnue. A l'examen microscopique, on trouve, à la place des cellules normales du foie, des masses de détritus, des globules de graisse et des corpuscules de pigment. Dans un cas où les altérations étaient moins prononcées dans le lobe droit, Frerichs a trouvé § 1. Pathogénie et étiologie. Le plus souvent les conduits excréteurs de la bile sont rétrécis et obturés par le gonflement catarrhal de leur muqueuse et par l'accumulation de mucus. Parmi les autres causes qui peuvent entraîner à leur suite un rétré- cissement et une occlusion des conduits excréteurs de la bile et une dilata- tion consécutive des voies biliaires au-dessus de l'endroit rétréci, il faut citer : 1° Les tumeurs qui compriment les conduits excréteurs ou dont les végétations s'avancent dans leur intérieur. Tantôt ce sont des carcinomes qui ont leur point de départ dans le {pie, le pancréas, l'estomac, le duodé- num ; tantôt des ganglions lymphatiques devenus caséeux ou dégénérés d'une autre manière ; tantôt des abcès ; dans quelques cas, des poches d'échinocoques, des anévrysmes ou le côlon distendu par des matières fécales durcies ; dans des cas rares enfin, des échinocoques multiloculaires qui sont immigrés dans les voies biliaires ou qui y ont pénétré après en avoir rompu les parois et se sont avancés jusque dans le canal hépatique. 2° Quel- quefois l'occlusion plus ou moins complète des canaux cholédoque, hépa- tique ou cystique est due à des cicatrices rétractées, résidus d'ulcères guéris des conduits excréteurs de la bile ou du duodénum ; d'autres fois cette occlusion est produite par l'épaississement et le ratatinement du péritoine, consécutifs à l'inflammation de cette séreuse, surtout si, en même temps, ce processus a donné lieu à la déviation et à la flexion anguleuse des conduits excréteurs de la bile. Enfin, 3° des corps étrangers, surtout des concrétions pierreuses peuvent rétrécir ou obstruer ces conduits excréteurs. La dilatation consécutive des voies biliaires se borne aux voies biliaires du foie, lorsque le conduit hépatique est rétréci ou obstrué. — Si, par contre, c'est le conduit cholédoque qui est imperméable, le canal hépatique, le canal cystique et la vésicule biliaire sont distendus en même temps. — = Si, enfin, le cernai cystique est seul fermé, la bile, il est vrai, ne peut pas plus entrer dans la vésicule biliaire qu'elle ne peut en sortir, mais la muqueuse sécrète du mucus après comme avant, et ce produit ne pouvant être éliminé, NIEMEYER. .. — 53 834 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. la vésicule biliaire est distendue déplus en plus par la sécrétion accumulée. Cet état porte le nom d'hydropisie de la vêsicide biliaire. § 2. ÀNATOMIE PATHOLOGIQUE. Selon que l'une ou l'autre des causes énumérées dans le paragraphe pré- cédent se rencontre sur le cadavre, les lésions anatomiques, sauf le résultat commun du rétrécissement et de l'oblitération des conduits excréteurs de la bile, sont si variées, que nous devons renoncer à en donner une description détaillée. Le canal cholédoque, quand son orifice est fermé, peut atteindre le calibre de l'intestin grêle et la dilatation s'étend le long du canal hépa- tique et de ses ramifications jusqu'aux voies biliaires capillaires. La vésicule est également distendue, mais cette distension n'atteint pas un degré relati- vement aussi élevé que celle des voies biliaires, car le canal cystique qui forme un angle aigu avec le canal cholédoque est comprimé par ce dernier lorsqu'il est très-dilaté. Le foie offre les modifications que nous avons décrites comme caractérisant les degrés les plus élevés de la stase biliaire : il est d'abord augmenté de volume, et les voies biliaires distendues ressem- blent sur la surface de section à de grands kystes remplis de bile ; plus tard le foie peut retomber au-dessous du volume normal par suite de l'atrophie des cellules hépatiques. — Dans l'hydropisie de la vésicule biliaire, cette der- nière est transformée en un kyste transparent, à parois fortement tendues, qui varie entre la grosseur du poing et celle d'une tête d'enfant ; elle ren- ferme un liquide séreux, semblable à la synovie. Les fibres musculaires sont écartées les unes des autres et atrophiées ; la muqueuse a perdu sa texture normale et est devenue semblable à une membrane séreuse. — Dans quel- ques cas, l'obstruction du canal cystique conduit à l'affaissement de la vési- cule biliaire: le contenu muqueux et biliaire s'épaissit et se transforme en une masse crétacée, tandis que les parois de la vésicule s'hypertrophient sous l'influence d'une inflammation chronique et se ratatinent. Finalement il ne reste plus qu'une tumeur dure, ayant à peine le volume d'un œuf di pigeon et remplie d'une masse semblable à une bouillie crétacée. §3. Symptômes et marche. Les symptômes de la stase biliaire la plus considérable, non compliqués par ceux du catarrhe gastro-duodénal, mais quelquefois par les symptômes propres aux néoplasmes et à d'autres tumeurs de l'abdomen ou par une péritonite chronique, ou des calculs biliaires, etc., voilà le tableau qu'offre le rétrécissement ou l'obstruction des conduits he'patique et cholédoque. CALCULS BILIAIRES ET LEURS SUITES. — CHOLELITHIASE. 835 L'ictère est plus considérable, les matières fécales sont décolorées d'une manière plus complète que dans n'importe quelle autre forme de stase biliaire. Ordinairement on parvient à constater une augmentation de volume du foie et, lorsque le canal cholédoque est fermé, à sentir en même temps la vésicule biliaire remplie et dilatée. Souvent on peut reconnaître égale- ment, aune période plus avancée de la maladie, la diminution consécutive du volume du foie. — S'il existe dans l'abdomen des tumeurs cancéreuses reconnaissables au toucher, si des coliques hépatiques ont précédé, ou si d'autres symptômes nous renseignent sur le mode de production de l'ob- struction, le diagnostic gagne en précision. Dans la plupart des cas, on peut bien constater l'occlusion, mais non ses causes. Vhydropisie de la vésicule biliaire est facile à reconnaître lorsqu'elle est simple, qu'elle n'est pas compliquée de rétrécissements et d'occlusion des canaux cholédoque ou hépatique. Si l'on trouve, chez un malade qui n'est pas ictérique, une tumeur piriforme, commençant à la fossette de la vési- cule biliaire, arrondie par en bas, assez mobile, quelquefois fluctuante, il est permis de diagnostiquer une occlusion du canal cystique et une dilata- tion de la vésicule biliaire par une sécrétion muqueuse, en d'autres termes, une hydropisie de la vésicule biliaire. Comme nous ne sommes presque jamais en état d'écarter la cause du rétrécissement ou de l'occlusion des voies biliaires, il est impossible d'insti- tuer un traitement. CHAPITRE IV. Calculs biliaires et leurs suites. — Cholélithïase. § 1. Pathogénie et étiologie. La formation des calculs est encore obscure, malgré les nombreux tra- vaux qui ont été entrepris sur ce sujet. Des particules de mucus ou (ce qui est beaucoup plus rare) des corps étrangers dans les voies biliaires, qu'on rencontre comme noyau de presque toutes ces concrétions, semblent jouer pour cette raison un rôle important dans la formation des calculs, ou ser- vent, au moins, de points sur lesquels les substances solides de la bile vien- nent se précipiter facilement. Mais on ne saurait dire si ces précipités peu- vent se faire dans une bile normale, ou bien s'il faut que ce liquide soit plus concentré ou d'une composition anormale. — Comme le noyau dont nous avons parlé est presque toujours entouré d'abord d'une combinaison de chaux et de pigment biliaire, et comme cette combinaison se rencontre dans la plupart des calculs en plus ou moins grande quantité, on croit que la 836 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. richesse de la bile en chaux, dépendant d'une eau potable très-calcaire, con- tribue à la formation des calculs. Mais, en outre, il est probable que la bile aux dépens de laquelle se forment les calculs riches en cholestérine possède un faible pouvoir dissolvant à l'égard de ce principe, et comme on a trouvé que cette substance, de même que le pigment calcaire, est dissoute par l'acide taurocholique et le taurocholate de soude, il n'est pas impossible qu'une trop faible proportion d'acide taurocholique dans la bile ou une décomposition de cet acide dans la vésicule soit la cause de la formation des calculs. Les calculs biliaires s'observent plus fréquemment chez les femmes que chez les hommes, chez les individus âgés que chez les individus jeunes, et, chose étonnante, très-souvent chez les malades affectés de cancer de l'es- tomac ou du foie, sans que nous puissions donner une explication satis- faisante de ce fait. Peut-être le catarrhe des voies biliaires, qui, comme nous l'avons fait remarquer au chapitre premier, accompagne souvent le cancer du foie, joue-t-il un rôle dans la production des calculs. § 2. Anatomie pathologique. Le volume des calculs biliaires varie entre celui d'un grain de millet et celui d'un œuf de poule. Les plus petites concrétions ont été distinguées sous le nom de « gravier biliaire » des calculs proprement dits. Quelquefois la vésicule, dans laquelle ces concrétions pierreuses se rencontrent le plus fréquemment, ne renferme qu'un seul calcul, dans d'autres cas, elle en contient un très-grand nombre. Le calcul isolé est le plus souvent rond ou ovoïde, ou bien il a exactement la forme de la vésicule biliaire. Sa surface est tantôt lisse, tantôt rugueuse et mamelonnée. S'il existe plusiem-s cal- culs dans la vésicule, ils se sont presque toujours usés réciproquement et présentent une forme polyédrique avec des arêtes, des angles et des surfaces planes ; ou bien on y observe des facettes concaves et convexes qui leur donnent souvent une forme singulière. Les calculs biliaires ont un poids spécifique très-faible, ils se laissent facilement écraser entre les doigts, au moment où on les sort de la vésicule. La couleur de ces calculs est très-va- riable ; il y en a qui sont blanchâtres ou légèrement colorés en jaune par l'imbibition d'un peu de bile, d'autres sont d'un brun foncé, d'autres encore sont verdâtres ou noirâtres. Très-souvent ces calculs sont composés de diffé- rentes couches, et fréquemment les couches claires alternent avec celles d'une teinte foncée. Ceux qui sont principalement composés de cholestérine montrent une disposition cristalline rayonnée très-manifeste, tandis que ceux qui se composent principalement de chaux pigmentée, présentent une cassure terreuse, pulvérulente. — Quant à la composition chimique, la plu- CALCULS BILIAIRES ET LEURS SUITES. — -CHOLELITHIASE. 837 part des calculs biliaires consistent presque entièrement en eholestérine et ne renferment de faibles quantités de chaux pigmentée qu'à l'entour du noyau. D'autres se composent d'un mélange de eholestérine et de chaux pigmentée, et tantôt cette dernière est répandue uniformément dans la concrétion, tantôt des couches de eholestérine alternent avec des cou- ches de chaux pigmentée. — Rarement on 'trouve des calculs qui ne ren- ferment pas de eholestérine, et qui ne se composent que d'une combinaison de pigment biliaire avec la chaux ou de carbonates et de phosphates de chaux. (Lehmann.) Dans la plupart des cas on ne rencontre pas de modification de texture dans les membranes de la vésicule biliaire, même quand elle renferme des calculs très-nombreux et à vives arêtes. Quelquefois, cependant, on trouve, surtout dans le fond de la vésicule, une injection et un gonflement considé- rables de la muqueuse, ou bien, par suite d'un travail ulcératif, il s'y est produit une perte de substance d'une étendue et d'une profondeur plus ou moins grandes. Cette ulcération peut donner lieu à une perforation . Si la vésicule est perforée avant qu'elle ait contracté des adhérences avec les organes voisins, son contenu entre dans la cavité abdominale, et il se déve- loppe une péritonite généralisée. Si, au contraire, la vésicule se perfore, après avoir contracté des adhérences solides avec les tissus avoisinants, il peut s'établir des communications avec l'intestin ou avec l'extérieur par une perforation de la paroi abdominale. — Dans quelques cas, l'inflam- mation de la vésicule biliaire, produite par des calculs, a un caractère moins destructeur. Les parois de la vésicule s'épaississent et se rétractent plus tard; son contenu se dessèche et se crétifie. Finalement on trouve, dans ces cas, les calculs enfermés dans la masse crétacée et entourés intimement par la vésicule ratatinée et privée de bile. Dans les voies biliaires du foie, les calculs peuvent donner lieu à l'hé- patite suppurative. De grands calculs, enclavés dans les conduits excréteurs, donnent lieu à des ulcérations et à des perforations ou à une occlusion complète des conduits excréteurs, de sorte qu'on voit se développer les états décrits dans le chapitre III, c'est-à-dire une stase considérable de la bile ou l'hydropisie de la vésicule biliaire, lorsque le canal cystique est fermé. Dans quelques cas, les conduits excréteurs sont tellement distendus par la bile qui s'accumule derrière l'obstacle, que ce liquide passe à côté des calculs ou même que des calculs relativement volumineux arrivent dans le duodénum. 838 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. § 3. Symptômes et marche. En faisant des autopsies on trouve très-souvent clans la vésicule biliaire de grands calculs ou de petites concrétions nombreuses, qui pendant la vie n'avaient altéré en aucune façon la santé des individus ; on peut même pré- tendre que c'est une exception, si des calculs de la vésicule biliaire incom- modent les malades et se manifestent par des symptômes positifs. Bien plus, des concrétions pierreuses d'un volume assez considérable peuvent traverser les canaux cystique et cholédoque sans provoquer des douleurs ou d'autres symptômes. Les expériences, faites aux stations thermales où, comme à Karlsbad, on examine avec beaucoup de soin les déjections des malades dans le but d'y constater la présence des calculs biliaires, fournissent des preuves nombreuses de ce fait. Parmi les maladies qui, d'après le paragraphe 2, peuvent, dans d'autres cas, se présenter à la suite des calculs biliaires, nous avons déjà parlé de Y hépatite suppurative et de Yocclusion des canaux excréteurs de la bile; nous pouvons donc nous borner à décrire l'ensemble des symptômes qui se mani- festent quelquefois pendant le passage de gros calculs à travers les conduits excréteurs et pendant leur enclavement passager, c'est-à-dire, la colique hé- patique, de même que les symptômes observés dans les inflammations et les ulcérations de la vésicule biliaire et des conduits excréteurs de la bile, qui sont produites dans quelques cas rares par des calculs biliaires. La colique hépatique débute brusquement, au moment où une concrétion de la vésicule biliaire vient de pénétrer dans le canal cystique et s'y enclave. Les malades sont surpris par une douleur térébrante ou un pincement insupportables, qui part del'hypochondre droit et s'étend à tout l'abdomen, souvent aussi à la moitié droite du thorax et jusqu'à l'épaule droite. Les muscles abdominaux se contractent spasmodiquement et sont très-sensibles à la pression ; les malades se lamentent et gémissent, se tordent et se rou- lent dans leur lit ou sur le plancher. — La fièvre fait complètement défaut, mais une série d'autres symptômes vient s'ajouter à ces douleurs. Le pouls devient petit, la peau froide, la face pâle et défaite; quelquefois il y a de véritables syncopes. Dans certains cas les malades sont pris de tremblements nerveux ou de frissons ; dans d'autres, on voit survenir des convulsions générales ou limitées au côté droit. Le plus souvent on note des vomisse- ments sympathiques d'une grande opiniâtreté. Au bout de quelques heures, et dans les cas graves après un jour ou plus tard encore, les douleurs devien- nent un peu plus supportables et les troubles de l'état général cessent. Cette rémission, pendant laquelle les malades du reste souffrent encore beaucoup et continuent d'avoir un pouls petit, la peau pâle et froide, semble corres- CALCULS BILIAIRES ET LEURS SUITES. — CHOLÉLITHIASE. 839 pondre au passage de la concrétion dans le canal cholédoque et à son encla- vement dans ce conduit qui est un peu plus large, excepté dans sa portion intestinale. Ce n'est que lorsque la concrétion a traversé tout le canal cholé- doque et qu'elle est tombée dans le duodénum que la scène change complè- tement. Les malades se sentent alors délivrés de toute douleur et de tout malaise ; le pouls se relève, la chaleur revient à la peau, l'altération des traits disparaît. Ce passage des tourments les plus cruels à un bien-être com- plet se fait souvent dans un temps très-court, et le contraste est alors très- frappant. Dans d'autres cas les douleurs ne cessent pas subitement, mais peu à peu, ce qui est probablement dû à ce que les nerfs irrités du canal ne revien- nent que lentement à leur état normal, semblables en cela à un œil qui, après avoir été irrité par un corps étranger, reste encore pendant un certain temps, après l'éloignement de ce corps, dans un état d'irritation. — La ter- minaison de la colique hépatique par la mort, survenant au milieu des phé- nomènes d'une syncope grave qui se transforme en véritable paralysie du cœur, est un fait très-rare. — Il arrive plus fréquemment que les sym- ptômes d'une occlusion permanente ou d'une inflammation et d'une ulcé- ration des conduits excréteurs de la bile succèdent aux accès de coliques hépatiques. L'ictère n'est nullement un symptôme constant de la colique hépatique. L'enclavement du calcul dans le canal cystique ne peut pas donner lieu à la stase et à la résorption biliaires ; mais même une occlusion passagère du canal cholédoque n'est pas suivie d'ictère, comme nous l'avons déjà dit. Ordinairement on n'observe qu'après la cessation des phénomènes d'encla- vement un léger ictère qui passe très-rapidement si le calcul ne séjourne pas très-longtemps dans le canal cholédoque. — Les calculs qui arrivent dans le duodénum sont rarement rendus par le vomissement ; beaucoup plus souvent ils partent avec les selles et ce départ n'est accompagné qu'ex- ceptionnellement de coliques et de diarrhée muco-sanguinolente. Presque toujours ils sont évacués facilement et sans provoquer des symptômes parti- culiers, de sorte qu'on ne peut les retrouver qu'en soumettant les matières fécales à un examen minutieux. Très-fréquemment on ne trouve pas de calculs après que l'accès est passé, lors même qu'on met les fèces sur un tamis et qu'on les lave avec soin par un filet d'eau. Dans ces cas il faut admettre que les concrétions enclavées sont retournées du canal cystique dans la vésicule biliaire. Il reste encore quelques points obscurs dans l'histoire des coliques hépa- tiques. Ainsi un fait remarquable et jusqu'ici non expliqué, c'est que chez certains individus les calculs renfermés dans la vésicule biliaire ne mon- trent pendant toute la vie aucune tendance à quitter leur place, tandis que chez d'autres la migration des calculs à travers les canaux biliaires est un événement qui se répète très-souvent. — Même la manière dont les calculs 840 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. sont chassés de la vésicule dans le canal cystique n'est pas bien connue, quoiqu'il paraisse très-vraisemblable que les calculs sont pour ainsi dire en- traînés ar la bile pendant' les contractions énergiques de la vésicule. En faveur de cette opinion on peut citer entre autres le fait que les coliques hépatiques débutent de préférence pendant la digestion. — Enfin, on serait tenté d'admettre dans le cours de la colique hépatique trois périodes se dis- tinguant entre elles par une modification dans l'intensité des symptômes ; la première répondrait à l'enclavement du calcul dans l'étroit canal cystique, la deuxième au passage du calcul dans le canal cholédoque un peu plus large, la troisième répondrait à son enclavement dans la portion intestinale de ce canal, qui y devient de nouveau très-étroit ; mais on n'observe ordi- dinairement rien qui puisse se rapporter à ces trois phases. V inflammation et l'ulcération de la vésicule biliaire, produites par des calculs, ne manifestent leur existence que si le péritoine participe à l'inflammation. On remarque alors les symptômes, déjà décrits, d'une péritonite partielle chronique et quelquefois aiguë. Le siège des douleurs dans la région de la vésicule biliaire, les accès de colique hépatique qui ont précédé la manifes- tation des douleurs, et, dans des cas excessivement rares, l'existence d'une dilatation de la vésicule par des calculs, qu'on sent à la palpation (Oppolzer), peuvent éveiller le soupçon que les parois de la vésicule biliaire sont en- flammées et ulcérées par les concrétions. S'il y a perforation, avant que la vésicule biliaire ait contracté des adhérences avec les organes circonvoisins, il se développe cet ensemble de symptômes que nous avons si souvent cité et qui est presque pathognomonique de la pénétration de substances étran- gères dans la cavité péritonéale, et les malades succombent en peu de jours à une péritonite diffuse. Si les organes voisins adhèrent à la vésicule au moment de sa perforation, les douleurs restent plus ou moins limitées à la région de la vésicule ; les symptômes d'un trouble dans les fonctions intes- tinales viennent s'y ajouter, et souvent la maladie reste obscure, jusqu'au moment où l'expulsion d'un gros calcul, qui ne pouvait, de toute impos- sibilité, avoir traversé le canal cholédoque, éclaire le diagnostic. Les con- crétions qui arrivent dans l'intestin par les communications anormales entre ce dernier et ïa vésicule biliaire peuvent avoir des dimensions si considé- rables, qu'elles ne peuvent même traverser qu'avec peine le tube intestinal et donnent quelquefois lieu aux symptômes décrits du rétrécissement et de l'occlusion de ce tube. Je possède un calcul de cholestérine dépassant le volume d'un œuf de pigeon, qui m'a été donné sous le nom d'un calcul intestinal ; il provenait d'une dame qui l'avait rendu par les selles au milieu de vives douleurs, et « après avoir eu, disait-on, plusieurs accès d'hépatite. » — Si la vésicule enflammée contracte des adhérences avec la paroi abdomi- nale antérieure, on la sent quelquefois sous forme d'une tumeur dure, cir- conscrite ; plus tard la paroi abdominale s'enflamme elle-même, il s'y forme CALCULS BILIAIRES ET LEURS SUITES. — CH0LEL1TIIIASE. 841 un abcès d'où s'échappent, après l'ouverture, du pus, de la bile et des cal- culs biliaires souvent en grande quantité. L'abcès ne s'ouvre pas toujours à l'endroit de la paroi abdominale qui correspond à la vésicule, mais quel- quefois à une assez grande distance de ce point, après que des trajets fislu- leux se sont formés dans la paroi abdominale. 11 est rare' que la fistule se ferme peu de temps après l'expulsion d'une ou de plusieurs concrétions; plus souvent elle persiste longtemps ou même toujours, et il s'écoule con- stamment ou par intervalles de la bile, ou bien un liquide clair, si le canal cystique est oblitéré. V inflammation et l'ulcération des conduits excréteurs de la bile par des concré- tions pierreuses sont précédées par les symptômes d'une colique hépatique ; cependant cette dernière ne se termine pas, comme à l'ordinaire, par un retour complet à la santé, mais elle laisse à sa suite des douleurs dans la région hépatique et une grande sensibilité de cette région à la pression. Si le siège de cet enclavement persistant et de l'inflammation qui en dépend se trouve dans le canal cholédoque, on voit bientôt se développer un ictère intense et les autres symptômes d'une stase biliaire considérable. 11 est bien plus rare que le calcul, à cause de sa forme anguleuse, n'obstrue le canal que d'une manière incomplète, de sorte que de faibles quantités de bile continuent d'arriver dans l'intestin. Dans ces cas les fèces ne sont pas com- plètement décolorées et l'ictère atteint un degré moins élevé. Ici encore il peut se produire finalement une perforation et une péritonite consécutive. (Andral.) Mais les malades succombent plus souvent aux conséquences de la stase biliaire et au milieu des symptômes du marasme ou de l'acholie. § k. Traitement. Lorsqu'un malade a eu un ou plusieurs accès de colique hépatique, il faut chercher à le préserver de nouveaux accès et des autres conséquences des cal- culs biliaires. Plus les accès ont été fréquents et plus les angles, les arêtes et les facettes des calculs partis autorisent à admettre que d'autres calculs sont encore restés dans la vésicule, plus aussi l'indication de ces mesures préven- tives est pressante. L'expérience apprend que pendant l'usage des eaux de Karlsbad, il part souvent des quantités considérables de calculs biliaires, et même sans fortes douleurs. Il en est de même des autres sources alcalines, telles que Vichy, Marienbad, Kissingen, etc. Nous ne sommes pas en état de donner une explication de ce fait. Leur efficacité repose-t-elle uniquement sur la formation abondante d'une bile très-liquide qui entraînerait facile- ment les calculs, ou bien l'usage de ces eaux rend-il la bile si fortement alcaline qu'elle dissout la chaux pigmentée et la cholestérine, c'est ce que nous ne savons pas ; mais dans ces cas encore nous ne pouvons pas différer 842 MALADIES DU FOIE ET DES VOIES BILIAIRES. l'emploi du traitement jusqu'au moment où nous serons à même d'en expli- quer les effets. — Ensuite, c'est le remède de Durande qui jouit d'une répu- tation spéciale dans le traitement des accidents provoqués par les calculs biliaires; il se compose d'éther (12 grammes) et d'essence de térébenthine (8 grammes). D'après la prescription primitive, on doit en donner 2 grammes le matin et augmenter progressivement la dose, jusqu'à ce que le malade en ait pris à peu près 500 grammes. Le fait que l'éther et la térébenthine dissolvent les calculs biliaires qu'on met dans ce mélange ne nous permet nullement d'espérer que ces substances, introduites dans l'es- tomac, dissoudront les concrétions qui se trouvent dans la vésicule^biliaire. Si donc le remède de Durande exerce une influence favorable sur les acci- dents provoqués par les calculs biliaires, ce que, du reste, nous sommes forcés d'admettre, eu égard à sa recommandation par des observateurs nombreux et consciencieux, son mode d'action doit évidemment être diffé- rent de celui que nous venons d'indiquer. Dans ces derniers temps on a recommandé plusieurs succédanés du remède de Durande et ce dernier a été donné à des doses qui s'éloignent de la prescriptien primitive. C'est ainsi qu'on emploie souvent un mélange d'essence de térébenthine (2 grammes) et de liqueur d'Hoffmann (4 grammes), qui a été prescrit par Rademacher et ses élèves, par gouttes, non-seulement contre les calculs biliaires, mais encore contre toutes les affections possibles du foie, connues ou inconnues. Quant au traitement des coliques hépatiques, l'emploi hardi des opiacés mérite le plus de confiance. On prescrira la teinture d'opium simple à la dose de 12 gouttes ou l'acétate de morphine à la dose de 1 centigramme qu'on fera prendre toutes les heures ou toutes les deux heures jusqu'à pro- duction d'un léger narcotisme. Lorsque les malades vomissent sans cesse et -que, par conséquent, ils ne peuvent pas prendre de remèdes à l'intérieur, on fera des injections sous-cutanées avec une forte solution de morphine, on donnera des lavements opiacés, ou bien on leur fera respirer avec pré- caution du chloroforme. Les bains tièdes, les fomentations chaudes et nar- cotiques sur la région du foie paraissent également modérer quelquefois les douleurs et abréger l'accès. Si, malgré ce traitement, ce dernier se pro- longe et si la région hépatique devient très-sensible à la pression, on fera poser dans l'hypochondre droit un nombre assez considérable de sangsues qui exercent d'ordinaire une influence favorable, sans qu'on puisse se l'ex- pliquer. — Assez souvent le collapsus des malades devient si considérable qu'on est obligé de prescrire des analeptiques, concurremment avec les remèdes indiqués jusqu'ici. Les vomissements violents et quelquefois très- opiniàtres sont le mieux combattus par les pilules de glace. Les vomitifs et les purgatifs donnes pendant l'accès augmentent les douleurs et doivent être donnés d'autant moins qu'ils ne sont pas sans danger. Par contre, il est bon CALCULS BILIAIRES ET LEURS SUITES. — CHOLELITHIASE. 843 de faire prendre au malade, après l'accès, des laxatifs doux, pour que les concrétions arrivées dans l'intestin en soient chassées aussi vite que pos- sible. Dans le traitement des inflammations et des ulcérations des canaux biliaires •provoquées par des calcids, nous devons nous borner à une médication sym- ptomatique, parce que nous ne sommes pas en état d'éloigner la cause per- sistante de l'inflammation. Les abcès des parois abdominales qui présentent de la fluctuation doivent être ouverts de bonne heure ; s'il restait des fis- tules, il faudrait les traiter selon les règles de la chirurgie. Les obstructions du canal intestinal par des calculs biliaires considérables demandent les mesures indiquées antérieurement ; les douleurs très-vives et épuisantes réclament l'emploi des narcotiques. MALADIES DE LA RATE CHAPITRE PREMIER Hypérémie «le la rate. — Tuméfaction aiguë de la rate» § 1. Pathogénie et étiologie. La quantité de sang renfermée dans un organe peut présenter des varia- tions d'autant plus considérables que le parenchyme et l'enveloppe y sont plus extensibles et que les vaisseaux y sont plus nombreux et leurs parois plus minces. La rate possède une capsule très-extensible, ses nombreux vaisseaux ont des parois très-minces et paraissent communiquer avec de vastes cavités dans l'intérieur de l'organe. C'est ce qui explique pourquoi on peut distendre la rate d'une manière énorme, soit en y injectant de l'eau, soit en l'insufflant (Fick), et pourquoi cet organe peut quelquefois recevoir pendant la vie des quantités exagérées de sang, et par suite augmenter con- sidérablement de volume. Plus l'élasticité que possèdent l'enveloppe et les parois vasculaires d'un organe est faible, plus lentement disparaît aussi la dilatation de cet organe développée sous l'influence d'une cause passagère. Figurons-nous un or- gane dont l'enveloppe et les parois vasculaires ne possèdent aucune élasticité ; il resterait agrandi pour toujours, s'il avait éprouvé un gonflement par suite d'un afflux sanguin momentanément augmenté ou d'une déplé- tion momentanément arrêtée; il en serait comme d'un tuyau de cire qui serait parcouru par un liquide ; si la pression sur sa paroi a été momenta- nément augmentée, au point que son calibre en soit agrandi, il conservera cette forme d'une manière permanente. De même que l'enveloppe fibreuse,, les trabécules, les parois vasculaires de la rate ne peuvent opposer une grande résistance à l'agrandissement, de même elles ne peuvent faire dis- HYPÉRÉMIE DE LA RATE, TUMÉFACTION AIGUË DE LA RATE. 845 paraître que lentement un gonflement de cet organe, à cause de leur faible élasticité. Si la rate augmente de volume pendant un accès de fièvre inter- mittente, elle reste après l'abcès plus longtemps, agrandie que les autres organes qui ont également été gonflés pendant l'abcès, mais qui sont plus riches en éléments élastiques et qui possèdent surtout des vaisseaux plus élastiques que les vaisseaux et les sinus de la rate. Nous montrerons plus tard que la détumescence de la rate agrandie se fait probablement en grande partie par les éléments contractiles de cet organe. Nous avons à distinguer dans la rate, comme dans les autres organes, deux formes d'hypérémie : la fluxion et la stase : L'hypérémie due à la fluxion s'observe : 1° Dans les maladies infectieuses aiguës : dans la fièvre typhoïde, la fièvre intermittente, dans le cours des exanthèmes aigus de la fièvre puerpérale, de la septicémie, etc. Nous ne savons pas si l'afflux exagéré du sang vers la rate pendant ces maladies dépend d'un relâchement du tissu splénique, déjà naturellement peu résistant, ou d'une paralysie des éléments musculaires des parois vasculaires et des trabécules (1). Une question tout aussi obscure, est de savoir de quelle façon le sang infecté peut altérer l'élasticité du tissu splénique ou la contractilité de ses éléments musculaires. On cherche éga- lement à expliquer le gonflement de la rate, pendant un accès de fièvre intermittente, par le trouble considérable de la circulation à la périphérie du corps pendant le stade du froid ; d'après cette hypothèse, le sang se por- terait, à la suite de l'ischémie de la peau, vers les organes internes, et sur- tout vers la rate, qui est le plus extensible. Cependant ces conditions n'ont qu'une influence secondaire : la preuve en est que la grandeur du gonfle- ment delà rate n'est nullement en rapport avec la violence du frisson, que la rate enfle également pendant le stade de chaleur et qu'enfin les tuméfac- tions spléniques s'observent dans les infections paludéennes qui ne sont pas accompagnées de fièvre. 2° Dans les anomalies de la menstruation, et nous pouvons appliquer à cette forme tout ce qui a été dit sur le développement de l'hypérémie et de l'hémorrhagïe de la muqueuse gastrique à la suite des anomalies menstruelles. 3° Les hypérémies fluxionnaires peuvent être dues à des lésions trauma- tiques, à des inflammations et à des néoplasmes de la rate. Cette forme d'hypé- rémie, dont nous avons déjà exposé à plusieurs reprises le mode de forma- tion, peut le mieux s'étudier dans les infarctus hémorrhagiques de la rate. (Voy. chapitre IV.) * Jaschkowitz a observé, après la section des branches du grand sympathique qui se rendent à la rate, un agrandissement considérable de cet organe et une hypérémie ex- cessive. S'il ne coupait que quelques nerfs, l'hypérémie était limitée aux parties de la rate auxquelles ces nerfs coupés se rendaient. 846 MALADIES DE LA RATE. Une stase physiologique s'observe dans la rate quelques heures après chaque repas, c'est-à-dire au moment où la pression latérale dans la veine porte est augmentée par un afflux plus considérable de sang provenant des veines intestinales gorgées et où le départ du sang de la veine liénale ren- contre des obstacles. Les stases pathologiques peuvent être dues à des rétré- cissements et à des occlusions de là veine porte, qui se rencontrent, comme nous l'avons vu, dans beaucoup d'affections du foie, telles que cirrhose, pylé- phlébite et autres. Comme la plupart de ces maladies ont une durée assez longue, nous trouvons ordinairement, outre l'hypérémie de la rate, les états consécutifs à cette hypérémie, que nous décrirons dans le chapitre suivant. — Les hypérémies de la rate par stase sont beaucoup moins constantes et moins considérables dans les maladies du cœur et des poumons, qui entravent la circulation dans les veines caves, et qui exercent cette même influence à travers le système veineux du foie jusque sur la veine liénale. — Il est dif- ficile d'expliquer pourquoi on trouve très-souvent la rate d'un volume normal et sans hypérémie bien intense dans les maladies du cœur et du poumon, malgré une cyanose considérable et une hydropisie générale. Il est encore plus extraordinaire que, dans la forme atrophique du jïoie mus- cade, le gonflement hypérémique de la rate fasse même généralement défaut. § 2. Anatomie pathologique. A l'exception des cas où l'enveloppe fibreuse de la rate est devenue épaisse et inextensible, on trouve la rate hypérémiée beaucoup plus volumineuse et plus pesante qu'une rate normale. L'augmentation de volume et de poids peut atteindre un degré si élevé que cet organe est quatre à six fois plus gros et plus lourd qu'à l'état normal. La rate normale d'un adulte bien por- tant a une longueur de 13. à 16 centimètres, une largeur de 10 à 13 centi- mètres, une épaisseur de 3 à 4 centimètres; elle pèse environ 250 grammes. La rate hypérémiée conserve sa forme normale; son enveloppe fibreuse est. d'ordinaire fortement tendue et lisse, et ce n'est que dans les cas où le gon- flement a déjà diminué qu'elle est quelquefois flasque et ridée; la consis- tance de cet organe est diminuée. Ceci s'applique également à la tumé- faction splénique, due aux affections paludéennes, aussi longtemps que cette tuméfaction est récente et que d'autres anomalies de texture, dont il sera question plus tard, ne sont pas venues s'y ajouter. La rate, chez les indi- vidus morts de fièvre typhoïde, de fièvre puerpérale, de septicémie, etc., est souvent si molle que le parenchyme s'écoule comme une bouillie lors- qu'on l'incise. Dans l'appréciation de la consistance de ces tuméfactions, il faut cependant tenir compte de la putréfaction rapide de ces sortes de ca- HYPÉRÉMIE DE LA RATE, TUMÉFACTION AIGUË DE LA RATE. 847 davres. La couleur de la rate est d'autant plus foncée que l'hypérémie est plus considérable et de date plus récente. Dans les cas très-récents et dans les degrés les plus élevés de l'hypérémie, le parenchyme ressemble sou- vent à un caillot sanguin d'un rouge noir; à une période plus avancée, il présente une teinte plus claire, ou bien sa couleur est grisâtre par suite du mélange de pigment. A l'examen microscopique, on ne trouve, à côté des cellules normales de la pulpe splénique et de nombreux globules sanguins, aucun élémenl étranger, de sorte qu'on n'est pas en droit de rapporter le gonflement splé- nique en question à un travail inflammatoire et exsudatif. La tuméfaction aiguë de la rate paraît plutôt dépendre, soit uniquement d'une augmenta- tion du contenu sanguin et d'une imbibition séreuse du tissu de la rate, soit en même temps d'une augmentation passagère de la pulpe splé- nique , L'augmentation de la pulpe splénique devient évidente lorsque les hypé- rémies ont duré pendant longtemps ; l'aspect et la consistance de la rate sont considérablement modifiés par cette augmentation; l'organe reste agrandi, et il se développe un état qu'on désigne ordinairement sous le nom de « tuméfaction chronique de la rate » ou d'hypertrophie de la rate^ et dont nous parlerons dans le chapitre prochain. § o. Symptômes et marche. Le gonflement hypérémique de la rate se forme presque toujours sans que les malades accusent des douleurs. Il n'y a qu'une pression profonde sur l'hypochondre gauche qui fasse naître une sensation pénible. Cette obser- vation rentre dans la règle générale, que le tiraillement des tissus très- extensibles éveille peu de douleur, tandis que le tiraillement de membranes, de ligaments, etc., qui se laissent difficilement distendre, provoque des dou- leurs violentes. Si les malades, dans le cours d'une fièvre intermittente, d'une fièvre typhoïde ou d'états analogues, se plaignent spontanément de douleurs dans la région splénique, cela peut dépendre ou bien de ce que l'enveloppe fibreuse est devenue plus épaisse et plus rigide par des affections antérieures, ou bien de ce que des processus inflammatoires, qui peuvent également se développer pendant les maladies en question, ont pris nais- sance dans la rate ou son enveloppe. Dans la plupart des cas, d'autres symptômes subjectifs font également défaut, ceux du moins qui peuvent être attribuéspositivement à l'hypérémie splénique et non à la maladie primitive. L'hypérémie de la rate passerait donc presque toujours inaperçue, si le médecin ne savait pas qu'elle se montre pour ainsi dire constamment dans certaines maladies, et si, dans un cas donné, il 848 MALADIES DE LA RATE. ne cherchait pas à découvrir par lapalpation et la percussion l'existence de cette tuméfaction. J'attire l'attention sur un symptôme de l'hypérémie con- sidérable de la rate qui, à mon avis, s'explique facilement et peut être ra- mené à des conditions mécaniques. L'expérience apprend que certains malades, affectés de fièvre intermittente, deviennent très-pâles et anémiques dès les premiers accès, et que la pâleur de leur peau et de leurs muqueuses disparaît au bout de quelques jours, lorsque les accès ont cessé après l'ad- ministration de quelques doses de quinine. Il est impossible que ce phéno- mène dépende de la consomption rapide du sang et d'une régénération tout aussi rapide. Nous savons que la température peut s'élever considérablement pendant un accès de fièvre intermittente, et que toute fièvre violente est accompagnée d'une consomption considérable et rapide du sang; cepen- dant nous ne voyons dans aucune autre maladie où la température du corps atteint la même élévation et y persiste même plus longtemps que dans la fièvre intermittente, les malades devenir anémiques en si peu de temps que dans cette dernière affection. D'un autre côté, lorsqu'une fièvre longue et intense a donné lieu à l'appauvrissement du sang, les signes de cette anémie se perdent beaucoup plus lentement que la pâleur des malades qui s'est dé- veloppée après quelques accès de fièvre intermittente. Nos observations propres et celles d'autres médecins, surtout de Griesinger, nous ont conduit à ce résultat, que la rapidité avec laquelle se développent les symptômes de l'anémie et le degré qu'ils atteignent dépendent de la vitesse avec laquelle la rate se gonfle et du degré que ce gonflement atteint; que surtout les enfants, chez lesquels la tuméfaction splénique atteint d'ordinaire un vo- lume relativement très-considérable, après un petit nombre d'accès déjà, présentent de très-bonne heure les signes menaçants d'une anémie excessive, mais que ces signes disparaissent aussi rapidement qu'ils se sont montrés, - lorsque les accès et la tuméfaction n'existent plus; il ne peut donc y avoir de doute que l'apparition et la disparition de ces phénomènes anémiques ne coïncide avec l'apparition et la disparition de l'hypérémie splénique. — D'un autre côté, il n'est pas vraisemblable que l'anémie excessive qui se développe en peu de jours, pendant la fièvre intermittente, puisse être mise sur le compte du trouble fonctionnel de la rate, dû à l'hypérémie de cet or- gane, quoique dans les maladies graves de la rate on voie se développer peu à peu un appauvrissement du sang, qui, en effet, semble dépendre du trouble que subit l'influence de la rate sur la formation du sang. Par contre, de ce que nous venons d'exposer on peut conclure, sinon avec une certi- tude absolue, du moins avec une grande vraisemblance, que l'accumulation considérable du sang dans la rate donne lieu à une oligoémie dans le reste du corps; que, par conséquent, la pâleur des malades dépend moins d'un appauvrissement du sang que d'une distribution anormale de ce liquide. On peut comparer l'effet que produit sur l'organisme une accumulation HYPÉRÉM1E DE LA RATE, TUMEFACTION AIGUË DE LA RATE. 84!) exagérée du sang dans la rate à celui qu'exerce surluiungrandanévrysme, rempli de sang, ou la botte de Junod appliquée sur l'une des extrémités. — Si, après la cessation spontanée des accès de fièvre ou après l'administra- tion des préparations quiniques, la rate revient à son état normal par le fait de son élasticité ou de la contraction de ses éléments irritables, l'anomalie de la distribution sanguine cesse. De cette façon, on comprend facilement pourquoi la rougueur de la peau et des lèvres, disparue dans le cours de la fièvre intermittente, peut revenir au bout de peu de jours. L'hypérémie splénique, qui se développe dans le cours de la fièvre typhoïde et d'autres maladies analogues, disparaît ordinairement avec la maladie principale, sans laisser à sa suite de modifications de texture. Il en est au- trement de l'hypérémie splénique dans la fièvre intermittente et des autres hypérémies par fluxion et par stase, quand leur durée se prolonge sous l'in- fluence persistante des causes déterminantes. Nous essayerons, dans le cha- pitre suivant, de prouver que l'état connu sous le nom d'hypertrophie de la rate est une conséquence forcée des hypérémies de longue durée, — Dans des cas très-rares l'hypérémie splénique se termine par la mort, la cause di- recte de cette issue est la rupture de la rate distendue. Cet accident a été observé dans quelques accès de fièvre intermittente, aussi bien que dans le typhus et le choléra typhoïde. La mort survient alors au milieu des sym- ptômes d'une hémorrhagie interne, soit immédiatement après la déchirure de la rate, soit au bout de quelques heures ou même de quelques jours. . L' examen physique fournit au diagnostic de l'hypérémie splénique le signe le plus important et souvent l'unique signe qui existe. Ici encore nous allons faire précéder l'exposé des signes physiques, dont il sera question dans le gonflement hypérémique de la rate, de quelques mots sur le diagnostic physique des maladies de la rate en général. La partie supérieure de la rate se trouve dans la voûte du diaphragme et est couverte par le bord inférieur du poumon gauche ; la partie inférieure qui touche immédiatement la paroi thoracique ne s'étend pas, dans les con- ditions normales, jusqu'au rebord des côtes. La percussion est souvent le seul moyen de découvrir une augmentation de volume de la rate, puisque des tuméfactions, même considérables de cet organe, souvent ne dépassent pas le rebord des côtes. La matité normale s'étend du bord supérieur de la onzième côte jusqu'à la neuvième côte; en avant, elle est limitée par une ligne qui, partant de l'extrémité antérieure de la onzième côte, se dirige vers le mamelon; en arrière, la matité delà rate se confond avec la matité donnée par le rein gauche. Son plus grand diamètre mesure à peu près 5 centimètres. Si la rate augmente de volume, la matité s'étend d'un côté, en avant et en bas, de l'autre, en haut, en refoulant le diaphragme, mais rarement elle dépasse la cinquième côte. Lorsque les intestins sont gonflés par des gaz et que les parois abdominales sont tendues, la matité s'étend da- NlEMEyER. i — 54 850 MALADIES DE LA RATE. vantage en haut; lorsque les intestins sont vides et les parois abdominales flasques, elle se propage plus en avant et en bas. La matité de la rate change de place pendant la respiration; par une inspiration profonde elle descend presque de deux centimètres et demi, par une expiration complète elle remonte à peu près d'autant. Par le décubitus latéral droit la matité splé- nique devient plus petite; on fera donc bien d'examiner le malade dans différentes positions, et lorsqu'on veut contrôler si la matité augmente ou diminue, il faut noter exactement dans quelle position du corps on a dessiné la dernière matité. Les tuméfactions de la rate, qui dépassent le rebord des côtes et qui ne sont pas trop molles, peuvent facilement être reconnues à la palpation et distinguées d'autres tumeurs. Tant que leur dimension n'est pas très- grande, on ne les sent souvent que pendant une inspiration profonde, tandis qu'elles disparaissent sous le rebord des côtes pendant l'expiration. Lorsque l'accrois- sement de la tumeur est plus considérable, elle s'étend peu à peu, en ligne oblique, de l'hypochondre gauche vers l'ombilic. Dans ces cas, on recon- naît presque toujours d'une manière distincte la forme caractéristique de la rate, surtout les échancrures peu profondes du bord antérieur mousse. La tumeur suit les mouvements du diaphragme, se laisse facilement déplacer et change de situation dans les différentes positions du corps. Les tumeurs de la rate d'une étendue colossale prenant souvent, au lieu de la direction oblique, une direction verticale, finissent par prendre un point d'appui solide dans le bassin, deviennent par là moins mobiles et ne suivent plus les mouvements ascendants et descendants du diaphragme. Par suite de l'allon- gement que subit le ligament phrénico-liénal tiraillé par des tumeurs très-lourdes et très-grandes, la matité splénique, au thorax, peut dispa- raître. Dans certains cas l'augmentation de volume de la rate se reconnaît déjà à l'aspect extérieur par une voussure de l'hypochondre gauche et de la moitié gauche de l'abdomen, dans laquelle on voit quelquefois se dessiner les con- tours de la rate agrandie. La rate gonflée par l'hypérémie est loin de dépasser toujours le rebord des côtes, et même dans certains cas où elle le dépasse, elle ne peut pas être sentie à la palpation, lorsqu'elle est d'Une consistance très-molle. Si l'hypérémie de la rate accompagne la fièvre typhoïde, on constate ordinairement à la percussion que la matité s'étend plus en arrière vers la colonne vertébrale, à cause du météorisme des intestins; si, par contre, elle accompagne une fièvre intermittente, la matité occupe plutôt la région axillaire et s'étend vers l'hypochondre gauche. HYPERTROPHIE DE LA RATE, TUMÉFACTION CHRONIQUE DE LA RATE. 851 § k. Traitement. L'hypérémie de la rate, d'après ce que nous avons dit de sa marche, ne devient que rarement l'objet d'un traitement. Si l'on réussit à écarter la maladie principale, l'hypérémie disparaît presque toujours en peu de temps, sans notre intervention. Nous possédons un remède très-efficace contre la forme qui ne disparait pas spontanément, c'est-à-dire contre l'hypérémie splénique développée sous l'influence de l'infection paludéenne. En faisant même abstraction de toutes les exagérations et en ne consultant que les observations dignes de foi, on peut dire en toute assurance que dans toute la matière médicale il existe bien peu de remèdes qui exercent une action aussi sûre sur certains états morbides que celle du quinquina et de ses pré- parations sur l'hypérémie de la rate, développée sous l'influence du miasme paludéen. Nous ne savons pas si le quinquina détermine directement la contraction des éléments musculaires de la rate, ou si, comme antidote du miasme paludéen, il agit selon le principe : sublata causa, tollitur effectus, ou s'il écarte d'une autre manière l'hypérémie de la rate; mais ce que nous savons, c'est que, si après la disparition des accès de fièvre, la rate reste agrandie ou ne diminue que lentement de volume, on détermine ou l'on hâte la détumescence de cet organe par de fortes doses de quinine. Certai- nement l'influence que ce. médicament exerce sur l'hypérémie de la rat^ ne s'explique pas uniquement par le fait qu'il coupe la fièvre. D'après les observations de Fleury la rate tuméfiée diminue de quelques centimètres pendant l'application de la douche froide. Fleury invoque a l'appui de ce qu'il avance le témoignage de Piorry et d'Andral qui auraient contrôlé ces observations. Ce procédé mérite d'être pris en considération dans le traitement de l'hypérémie splénique, lorsque les circonstances le permettent. CHAPITRE il. Hypertrophie de la rate. — Tuméfaction chronique de la rate. Anémie et cachexie spléiiiuues, § 1. Pathogénie et étiologie. Je crois que le nom d'hypertrophie de la rate est le plus convenable pour désigner la forme d'agrandissement qui se caractérise par une augmenta- tion de volume et de poids de cet organe, sans modification de texture. Ce- 852 MALADIES DE LA RATE. pendant, dans les tuméfactions spléniques dont il s'agit, le développement du tissu trabéculaire est insignifiant en comparaison de l'augmentation bien plus considérable de la pulpe; cette dernière augmentation est la cause principale de l'hypertrophie. L'augmentation de la pulpe splénique dépend-elle d'une formation exa- gérée, d'une « hyperplasie» de ses éléments cellulaires, ou d'une accumula- tion anormale de ces derniers par suite d'un obsbacle à leur départ? C'est là une question à laquelle on ne peut pas répondre d'une manière satisfaisante dans l'état actuel de la science. L'opinion que les espaces intertrabéculaires, espaces qui renferment la pulpe, communiquent d'une manière quelconque avec les vaisseaux, a été admise presque généralement. Si cette opinion est fondée, si par conséquent le sang parcourt ces espaces et que le courant sanguin en entraîne constamment des éléments cellulaires, semblable au courant lymphatique qui traverse les alvéoles des ganglions lymphatiques et entraîne des éléments cellulaires de ces derniers, il est permis d'admettre qu'un ralentissement considérable du courant sanguin dans la rate doit donner lieu à une accumulation de la pulpe splénique dont les cellules arrivent alors en petit nombre dans le sang. La largeur plus grande du courant, produite dans le gonflement hypérémique par la dilatation des vaisseaux et plus en- core par celle des espaces intertrabéculaires, donne lieu à un ralentissement très-considérable de la circulation ; et comme une hypérémie prolongée de la rate conduit toujours à l'hypertrophie, on peut au moins admettre, pour ces formes de l'hypertrophie, qu'elles sont dues à, une rétention de la pulpe splénique et non à une formation exagérée de cette substance. En parlant de la leukémie (voy. l'appendice à ce chapitre), nous ferons connaître une dégénération de la rate qui, anatomiquement, ne se distingue pas de celle dont il est ici question, mais qui doit en être séparée parce que les modifications qu'elle entraîne dans la composition du sang sont si remarquables qu'il faut en inférer une différence fonctionnelle essentielle. Plus loin nous ferons voir que dans la leukémie la tuméfaction de la rate ne dépend pas d'une rétention des éléments cellulaires, mais d'une production exagérée de ces éléments. Parmi les diverses formes d'hypérémie fluxionnaire , celles qui pro- viennent & infection paludéenne entraînent le plus fréquemment l'hypertro- phie de la rate, et cette hypertrophie nous la trouvons non-seulement dans les cas où l'infection paludéenne se montre sous la forme d'une fièvre inter- mittente, mais encore lorsque, sous son influence, il se développe une fièvre rémittente ou une cachexie exempte de paroxysmes. Dans les con- trées où l'infection palustre est un mal endémique, on rencontre un grand nombre de personnes atteintes de tumeurs spléniques colossales, et il semble même que, dans ces contrées, ce sont précisément les individus exempts HYPERTROPHIE DE LA RATE, TUMÉFACTION CHRONIQUE DE LA RATE. 853 d'accès de fièvre à retour périodique qui présentent les hypertrophies les plus considérables. Parmi les hypérémies par stase sanguine, celles qui se développent dans la cirrhose du foie et dans l'oblitération de la veine porte sont le plus souvent suivies d'hypertrophie de la rate, et cette origine de la maladie démontre le mieux qu'elle se développe d'une façon toute mécanique, par une réten- tion des éléments cellulaires. Dans ces derniers temps, on a observé et décrit des hypertrophies très- considérables de la rate qui avaient pris naissance sans cause appréciable. Comme les conditions anatomiques de ces hypertrophies idiopathiques semblent parfaitement identiques à celles des hypertrophies leukémiques dont il sera question plus tard, et comme, d'un autre côté, les symptômes observés pendant la vie, excepté toutefois l'augmentation des corpuscules sanguins incolores, montraient la plus grande analogie avec ceux de la leu- kémie, on a proposé, pour les états morbides en question, le nomdepseudo- leukémie, tandis que d'autres observateurs leur ont donné les noms d'ané- mie ou de cachexie splénique. A l'affection de la rate correspond presque toujours, dans la pseudo-leukémie, une affection analogue des ganglions lymphatiques, c'est-à-dire un gonflement considérable dû à une simple augmentation de leurs éléments cellulaires normaux. Dans certains cas, c'est l'affection de la rate qui prédomine (forme liénale), dans d'autres, celle des ganglions lymphatiques (forme lymphatique). § 2. ÀNATOMIE PATHOLOGIQUE. Par l'effet de l'hypertrophie, la rate peut atteindre un volume tellement énorme que son diamètre longitudinal arrive à 35, voire même à 50 centi- mètres, son diamètre transversal à 17 ou 18 centimètres et son diamètre d'épaisseur à 12 centimètres. L'augmentation du poids de la rate peut de- venir telle que l'organe pèse 6 kilogrammes et au delà. La forme de la rate n'est pas modifiée, mais sa résistance est augmentée, quelquefois au point que la tumeur paraît dure comme le bois. La couleur du parenchyme est d'un rouge brun foncé dans les cas récents; dans les cas plus anciens, elle se rapproche de celle de la chair musculaire, ou bien elle est d'un rouge pâle. Si l'hypertrophie s'est développée sous l'influence d'un miasme palustre, la surface de section pâle, homogène et sèche montre une teinte légèrement grisâtre ou bien on y rencontre quelques taches noirâtres. — Dans le chapitre de la mélanémie, nous insisterons sur les grands dépôts pigmentaires qui persistent quelquefois dans la rate à la suite des fièvres intermittentes pernicieuses. La capsule de la rate hypertrophiée est ordi- nairement épaissie, trouble et assez souvent adhérente aux organes circon- 854 MALADIES DE LA RATE. voisins. Les trabécules épaissies et rigides sont représentées par des stries blanchâtres traversant, en divers sens, la surface de section. L'examen microscopique ne montre aucune formation hétérogène à côté des éléments normaux de la pulpe étroitement serrés les uns contre les autres, et des taches pigmentaires, dont le tissu est parsemé. Dans l'hyper- trophie idiopathique, il n'est pas rare de trouver, comme dans la tuméfac- tion leukémique de la rate, des foyers coniques qui ne sont autres que les infarctus hémorrhagiques dont il sera question au chapitre IV. § 3. Symptômes et marche. Il n'est pas rare de trouver accidentellement chez des individus "autrefois sains et florissants, que l'on examine en vue d'une maladie aiguë, une grande hypertrophie de la rate. Ces cas prouvent ou qu'une rate malade et augmentée de volume est en état de remplir ses fonctions, ou bien que d'autres organes peuvent y suppléer. Ce qui semble militer en faveur de cette dernière hypothèse, c'est le fait connu de chiens auxquels on avait extirpé la rate et qui sont restés en vie pendant un temps assez long, se sont maintenus dans un état de nutrition assez satisfaisant, se sont repro- duits, etc. Le bien-être relatif ou même absolu, que Ton observe chez beaucoup d'individus atteints d'anciennes hypertrophies de la rate, offre une analogie frappante avec le bien-être également complet et l'aspect souvent florissant d'individus porteurs, depuis des années, de grands paquets de ganglions lymphatiques tuméfiés, au cou ou dans d'autres régions du corps. Si l'on prend des renseignements commémoratifs bien précis, on apprend qu'à l'époque à laquelle le gonflement de la rate a pris naissance, ou bien à laquelle les ganglions se sont tuméfiés, la santé a été loin d'être aussi satis- faisante qu'au moment actuel, qu'au contraire il s'était produit alors des signes non équivoques d'anémie et de cachexie. — Cette apparition de phé- nomènes anémiques au moment où les gonflements en question de la rate et des ganglions lymphatiques prennent naissance, et la disparition de l'anémie, qui s'observe plus tard malgré la persistance du gonflement, s'ac- cordent parfaitement avec la doctrine en vertu de laquelle la rate et. les ganglions lymphatiques sont les lieux de production des corpuscules san- guins. En effet, de toute évidence, les faits se passent de la manière sui- vante. Si les cellules formées dans les espaces intertrabéculaires de la rate ou dans les alvéoles des ganglions lymphatiques sont retenues par un obstacle quelconque et ne sont pas entraînées normalement par le courant sanguin ou lymphatique, elles s'accumulent dans ces espaces; la rate ou les ganglions lymphatiques enflent, le sang, dont les corpuscules ne sont HYPERTROPHIE DE LA RATE, TUMÉFACTION CHRONIQUE DE LA RATE. 855 plus suffisamment renouvelés, s'appauvrit. Aussitôt que l'obstacle au départ des jeunes cellules cesse d'exister dans la circulation, les tumeurs spléniques et lymphatiques cessent de s'accroître, et la composition du sang se réta- blit peu à peu par l'arrivée de jeunes cellules, même dans les cas où la rate ou les ganglions tuméfiés ne dégonflent pas, mais restent augmentés de volume. Si le gonflement de la rate fait pendant longtemps des progrès, l'appau- vrissement du sang atteint un degré très-considérable. Les malades s'affai- blissent et s'épuisent de plus en plus, leur teint rappelle la pâleur de la cire, et chez les individus bruns il prend un aspect terreux. Les lèvres et les mu- queuses visibles deviennent également très-pâles et exsangues. Le nombre des corpuscules sanguins, par l'intermédiaire desquels se fait l'échange des gaz dans les poumons étant diminué, le nombre ordinaire d'inspirations ne suffit pas pour apporter au sang une suffisante proportion d'oxygène et pour le dépouiller de l'acide carbonique produit dans le corps. De là résulte une respiration plus courte et plus précipitée et une véritable dyspnée, toutes les fois que le besoin de respirer est augmenté par des efforts corporels et d'autres causes analogues. — Même la nutrition des parois des vaisseaux capillaires s'altère par suite de l'appauvrissement du sang, ces vaisseaux se déchirent plus facilement, et de là résulte une diathèse hémorrhagique. Sans cause appréciable et d'une manière en apparence spontanée, il se fait des hémorrhagies capillaires, surtout des épistaxis abondantes, et des pété- chies par le fait d'hémorrhagies dans le tissu de la peau. L'assertion souvent répétée que F épistaxis des individus atteints de maladies de la rate se fait de préférence par la narine gauche est fausse. — L'anémie ou, pour mieux dire, l'hypérémie prend les proportions d'une véritable crase hydropique quand la maladie continue de faire des progrès ; il se déclare des œdèmes, le plus souvent aux extrémités inférieures" et, dans les cas graves, une hy- dropisie générale. Lorsque le tableau que nous venons d'esquisser s'observe chez un malade dont l'hypertrophie splénique s'est développée à la suite d'une infection paludéenne ou comme complication d'une cirrhose du foie, il peut devenir difficile de décider quelle est la part qui, dans la production des symptômes que l'on a sous les yeux, revient à l'affection de la rate et quelle est celle qui revient à la maladie première ; cependant le fait qu'il existe un certain rapport entre le degré de l'hydrémie et le volume de la tumeur splénique, même en cas d'infection paludéenne du foie, ce fait nous autorise à accorder encore dans ces cas à l'affection splénique une influence sur l'appauvrisse- ment du sang. Il est très-vrai que cette influence devient beaucoup plus manifeste dans les cas où l'hypertrophie de la rate se développe sous forme d'une maladie primitive et idiopathique, indépendante de toute autre affection. Je serais 856 MALADIES DE LA RATE. très-embarrassé si je devais indiquer exactement la différence qui existe entre cette pseudo-leukémie, terme très-mal choisi à mon avis, et les affec- tions spléniques connues et très-bien décrites depuis les temps les plus re- culés. Un appauvrissement du sang allant régulièrement en augmentant, une pâleur extrême de la peau et des muqueuses visibles , une diathèse hémorrhagique et, dans les cas graves, des phénomènes hydropiques, tels sont, outre l'agrandissement souvent considérable de la rate, les symptômes de la maladie prétendue nouvelle. Si, dans les hypertrophies idiopathiques de la rate, ces symptômes généralement considérés comme pathognomo- niques des affections spléniques arrivent à un degré très-élevé et finissent par emporter le malade, cela tient d'abord à cette circonstance que rarement, et peut-être jamais, on ne parvient à arrêter l'accroissement continu de la tumeur, et en second lieu, à ce que, dans bien des cas, l'affection de la rate se complique d'une affection analogue des ganglions lymphatiques. Sur sept cas d'hypertrophie idiopathique de la rate, observés par moi et publiés par mon chef de. clinique, M. le docteur Mûller, dans Berhner klinische Wochenschrift, presque tous présentaient, outre le gonflement de la rate, une tuméfaction très-considérable de nombreux ganglions lymphatiques. Après ce que nous avons dit antérieurement à ce sujet, on trouvera très- naturel que l'affection simultanée de la rate et des ganglions lymphatiques, qui jouent également un rôle dans la production des corpuscules sanguins, constitue une complication fort dangereuse qui entraîne l'appauvrissement le plus extrême du sang. L'extrême développement que prend la rate hypertrophiée permet ordi- nairement de reconnaître l'agrandissement de l'organe par l'examen phy- sique, au simple aspect extérieur aussi bien qu'à la palpation et à la percussion. La tumeur montre les formes caractéristiques de la rate ; sa résistance est augmentée, quoiqu'à un moindre degré que celle de la rate lardacée qui forme l'objet du chapitre suivant. § h. Traitement. Les hypertrophies récentes de la rate, qui ont pris naissance à la suite d'une infection paludéenne, réclament les mêmes mesures que les hypé- rémies chroniques décrites au chapitre précédent. Les changements de séjour et l'usage des préparations de quinquina, surtout de la quinine, ren- dent ordinairement d'excellents services ; seulement il importe que les ma- lades ne retournent pas trop vite au lieu infecté de miasmes paludéens et que le quinquina soit pris avec persévérance pendant un temps assez long. Même en cas d'hypertrophie déjà ancienne, il faut essayer si ces moyens auront du succès, — * Parmi les nombreuses révulsions vers la peau, que RATE LARDACÉE, DÉGÉNÉRESCENCE AMYL01DE DE LA RATE. 857 l'on a recommandées contre l'hypertrophie de la rate, nous ne recomman- dons que la douche froide; car les vésicatoires, les cautères, les applications de points de feu dans la région splénique promettent fort peu de résultats. — On fait avec raison un grand usage des préparations ferrugineuses dans le traitement de l'hypertrophie delà rate, et parmi celles-ci avant tout du chlorure de fer ammoniacal et de l'iodurc de fer. Ces médicaments agissent- ils en diminuant le volume de la rate ou hien en remédiant simplement à l'appauvrissement du sang, c'est ce que nous n'oserions décider. Ce qui me semble le plus rationnel, c'est d'associer l'emploi du fer à celui du quin- quina, ou bien d'envoyer les malades prendre une eau minérale ferrugi- neuse dans un lieu élevé, et de leur prescrire en même temps l'usage longtemps continué du quinquina. — La thérapeutique est impuissante contre l'hypertrophie de la rate due à la cirrhose, à la pyléphlébite, e'tc, CHAPITRE III. Rate lardacée. — - Dégénérescence amyloïile «le la rate. § 1. Pathogénie et ëtiologie. Dans la rate lardacée les parois des vaisseaux spléniques et les éléments cellulaires de la pulpe de l'organe subissent une dégénérescence identique avec celle des cellules du foie dans le foie lardacé. — Plus rarement il arrive, comme dans la rate sagou, que la pulpe splénique reste épargnée et que la dégénération amyloïde ne s'étend pas au delà des cellules et noyaux des corps de Malpighi. Pour l'étiologie de la rate lardacée, nous pouvons renvoyer à tout ce que nous avons dit auparavant de l'étiologie du foie lardacé. Ce sont les dyscra- sies déjà mentionnées à cette occasion, la scrofulose, le rachitisme, la syphilis tertiaire, le mercurialisme qui provoquent aussi la dégénération lardacée de la rate. La rate lardacée ne complique la tuberculose que d'une manière tout à fait exceptionnelle ; par contre, il arrive assez souvent qu'on la rencontre dans les maladies paludéennes, quoique moins fréquemment que l'hypertrophie simple. § 2. Anatomie pathologique. La dégénérescence lardacée peut donner lieu à des tumeurs aussi volu- mineuses que l'hypertrophie décrite au chapitre précédent. La rate lardacée est extrêmement lourde et compacte ; si on essaye de la courber, on 858 MALADIES DE LA RATE. reconnaît qu'indépendamment de sa compacité elle est encore devenue plus cassante. La couleur de la rate dégénérée est ordinairement d'un rouge pâle tirant sur le violet ; le sang rare qu'elle contient est devenu aqueux ; la surface de section est très-homogène, lisse, sèche et possède un reflet ana- logue à celui du lard ou de la cire. A l'examen microscopique, on trouve les éléments cellulaires de la pulpe splénique devenus plus volumineux, d'un reflet mat et contenant une matière pâle et homogène. Ces éléments, traités par une solution d'iode, se colorent en jaune rouge et ensuite en violet et en bleu si Ton ajoute une solution d'acide sulfurique. Si la dégénérescence reste bornée aux corps de Malpighi l'organe est ordi- nairement moins volumineux. Sur la surface de section on trouve alors des granulations arrondies, ayant un brillant analogue à celui de la gélatine et ressemblant jusqu'à un certain point à des grains de sagou gonflés. Ces granulations sont disséminées dans le parenchyme dont la compacité est assez modérée. L'examen microscopique fait voir que les cellules et les noyaux des corps de Malpighi ont subi la modification décrite plus haut pour la pulpe splénique. § 3. Symptômes et marche. Les malades atteints de dégénérescence amyloïde de la rate sont anémi- ques et cachectiques au plus haut degré. La rate lardacée entraîne plus souvent que l'hypertrophie simple des épistaxis, des pétéchies et l'hydropisie. Cependant dans cette forme de tuméfaction splénique, il est encore plus difficile que dans celles qui précèdent de décider jus'juà quel point les sym- ptômes dépendent de la maladie première et jusqu'à quel point ils dépen- dent de la dégénérescence de la rate. Ajoutez à cela qu'outre la dégénéres- cence de la rate on observe, en général, une dégénérescence analogue du foie et même des reins et que cette extension du processus contribue pour sa part à l'appauvrissement du sang. — L'examen physique permet de con- stater également dans la dégénération amyloïde de la rate un agrandisse- ment souvent énorme de l'organe. Malgré l'analogie des symptômes il est généralement facile de distinguer l'un de l'autre les deux genres de tuméfaction chonique de la rate. L'appa- rition d'une hypertrophie de cet organe dans le cours des dyscrasies sus- nommées, l'affection simultanée du foie et des reins, l'accroissement non interrompu de la tumeur qui n'est susceptible d'aucune évolution régressive, enfin sa résistance inaccoutumée parlent en faveur de la rate lardacée et contre l'hypertrophie simple, INFARCTUS HÉMORRHAGIQUE ET INFLAMMATION DE LA RATE. 859 § k. Traitement, Aucun traitement ne réussit contre la dégénérescence lardacée de la rate. L'iodure de fer jouit, il est vrai, d'une certaine réputation et il est possible que par son emploirappauvrissement du sang et la dyscrasie qui a été l'origine de la rate lardacée soient améliorés ; mais en admettant même qu'il en soit ainsi, il n'est pas à supposer que la rate soit diminuée de volume et puisse jamais reprendre sa texture normale. CHAPITRE IV Infarctus hémon-lia&ique et inflammation de la rate. Splénite. § 1. Pathogénie et étiologie. L'infarctus hémorrhagique ne se rencontre dans aucun organe aussi fré- quemment que dans la rate, et dans la plupart des cas il provient manifes- tement d'une obstruction de petites artères spléniques par des emboles entraînés dans le torrent de la circulation. Le large calibre de l'artère splé - nique et la rapidité du courant dans son intérieur — suite inévitable du peu de résistance que le sang rencontre dans la rate — expliquent pourquoi les emboles provenant de l'aorte sont, le plus facilement entraînés dans l'artère splénique. Les emboles proviennent en général du cœur gauche et sont des coagulums flbrineux qui se sont précipités sur les rugosités des valvules, dans l'endocardite et dans les maladies valvulaires, et qui ont été plus tard arra- chées par le torrent circulatoire. Il arrive rarement que dans la rate on ne rencontre pas des infarctus plus ou moins anciens, quand à l'autopsie on a constaté l'existence d'anomalies valvulaires considérables avec rudesse ou déchirure des valvules et des fils tendineux. Bien plus rarement les emboles sont originaires de foyers gangreneux du poumon et arrivent dans l'aorte et dans y artère splénique après avoir traversé les veines pulmonaires et le cœur gauche. En outre, dans le cours des maladies qui ordinairement n'occasionnent qu'une hypérémie intense de la rate, on rencontré par exception des infar- ctus hémorrhagiques de cet organe. Les infarctus se rencontrent aussi bien dans les infections paludéennes que dans la fièvre typhoïde, la septicémie et les exanthèmes aigus. Jaschkowitz, après avoir divisé quelques filets nerveux de la rate, trouvait quelquefois dans les endroits correspondants de l'organe 860 MALADIES DE LA RATE. les modifications pathologiques que l'on désigne du nom d'infarctus hémor- rhagiqùe. Comme il est douteux que dans la rate il existe un parenchyme ui dans les conditions normales se trouve séparé du courant sanguin par des parois vasculaires, on se demande si Finfarctus hémorrhagique de la rate dépend d'une extravasion sanguine, ou s'il ne provient pas tout simplement d'une coagulation du sang dans les vaisseaux et dans les espaces intertrabéculaires. L'infarctus hémorrhagique de la rate représenterait donc jusqu'à un certain point la thrombose de ces espaces et serait, comme d'autres thromboses, l'effet d'un ralentissement du courant sanguin. L'inflammation primitive de la rate est une maladie excessivement rare. Même les causes traumatiques déterminent plutôt une rupture qu une inflammation de l'organe. Plus fréquemment il arrive que les infarctus hémorrhagiques, surtout ceux qui se sont développés dans le cours des ma- ladies d'infection, entraînent une inflammation consécutive et une fonte purulente de la rate. Si l'infarctus est le résultat d'une coagulation primitive dans les vaisseaux et dans les espaces intertrabéculaires (ce qui est pour le moins aussi vraisemblable que le contraire), l'inflammation de la rate doit être à l'infarctus ce que la phlébite est à la thrombose veineuse, § 2. Anatomie pathologique. Les infarctus hémorrhagiques de la rate forment des foyers arrondis et plus souvent coniques, la base dirigée en dehors, la pointe en dedans, et dont la grosseur varie entre celle d'un pois et celle d'un œuf de poule. Au commen- cement, ces foyers sont d'un brun foncé ou brun rouge et de consistance assez ferme. Toute la rate est enflée par une hypérémie fluxionnairé ; l'en- velo'ppe péritonéale, au niveau des infarctus, est le siège d'une inflammation récente. Plus tard les foyers se décolorent à partir du centre et prennent une teinte jaune sale. La terminaison varie : ou bien il se fait une résor- ption des masses dégénérées en matière graisseuse, et il se produit à l'en- droit qui correspond à l'infarctus une cicatrice rétractée et calleuse ; ou bien il reste dans la rate un foyer jaune, caséeux, qui peut se transformer plus tard en une masse crétacée, ou bien enfin l'infarctus se ramollit et donne lieu à un abcès rempli de détritus dans lequel se montrent plus tard aussi des corpuscules de pus. Cette dernière évolution est celle que suivent de préférence les infarctus hémorrhagiques d'un faible volume, qui se forment souvent en grand nombre dans le cours de la fièvre typhoïde et d'autres maladies analogues. Les modifications anatomiques qui appartiennent à la splénite primitive, nous ne les connaissons qu'une fois arrivées à la période où se produisent INFARCTUS HÉM0RRHAG1QUE ET INFLAMMATION DE LA RATE. 861 les abcès. Quelquefois l'abcès de la rate est entouré d'une capsule de tissu conjonctif; dans d'autres cas il est entouré de tissu conjonctif en voie de désagrégation, ou bien la rate entière est ramollie, sauf la capsule qui repré- sente alors une poche énorme, remplie d'un liquide purulent. Enfin l'enve- loppe fibreuse de la rate est perforée et le contenu de l'abcès arrive soit dans la cavité abdominale, soit dans les organes circonvoisins, si la capsule a eu le temps de contracter des adhérences avant sa perforation. On a décrit des cas dans lesquels le pus d'un abcès de la rate était arrivé dans l'estomac, dans le côlon, dans la cavité pleurale, à travers le diaphragme, ou bien au dehors à travers les parois abdominales. — Ce n'est que dans les cas les plus rares que l'abcès de la rate s'isole par l'épaississement de son contenu et la transformation de ce dernier en une masse crayeuse, ou qu'il se cica- trise après avoir perforé la capsule splénique et s'être vidé en dehors. § 3. Symptômes et marche. Dans presque tous les cas où l'infarctus hémorrhagique se développe dans le cours d'une maladie d'infection, on ne le découvre qu'à l'autopsie. Par contre, s'il vient compliquer une maladie du cœur, il n'est pas rare qu'on le reconnaisse déjà sur le vivant. Si chez un malade on a diagnostiqué une endocardite ou une lésion valvulaire, et que le malade accuse des douleurs dans l'hypochondre gauche, douleurs qui augmentent à la pression, si en même temps surviennent des vomissements, et qu'à l'examen physique on constate un agrandissement de la rate qui n'avait pas existé peu de jours auparavant, alors on peut prononcer le diagnostic d'un infarctus hémorrha- gique de la rate. Les douleurs dépendent de la péritonite partielle qui com- plique presque toujours l'infarctus. Le vomissement est un phénomène sympathique. Enfin l'augmentation de la rate est la conséquence d'une hypérémie fluxionnaire. Dans presque tous les cas observés par moi, l'en- semble des symptômes que nous venons d'énumérer était précédé d'un frisson qui se répétait plusieurs fois par la suite. Auparavant déjà nous avons montré qu'il n'est nullement permis de voir dans ces frissons un signe d'in- fection septicémique. La plupart des cas d'abcès de la rate qui ont été décrits se sont passés d'une manière latente et n'ont pas été reconnus pendant la vie.. Les frissons, la fièvre hectique, le teint cachectique, un rapide amaigrissement, des phé- nomènes hydropiques trahissaient bien une grave affection, mais il était im- possible d'en soupçonner le siège et la nature. Si à ces phénomènes il s'ajou- tait des douleurs dans l'hypochondre gauche, et si l'on pouvait constater l'existence d'un gonflement de la rate, il était quelquefois possible de porter un diagnostic de probabilité. Dans quelques cas rares une fluctuation manifeste 862 MALADIES DE LA RATE. faisait reconnaître avec certitude un abcès de la rate. — Si l'abcès perfore la capsule et si son contenu se vide dans la cavité abdominale, les symptômes sont ceux d'une péritonite diffuse, ou bien ceux d'une péritonite partielle, si l'épanchement se fait dans une partie de la cavité circonscrite par des adhérences; si le contenu de l'abcès se déverse dans l'estomac ou dans le côlon, un pus mêlé de sang est rendu par les vomissements ou les selles. Si la perforation se fait dans la cavité pleurale, dans le poumon ou en dehors, il se produit des phénomènes analogues à ceux que nous avons décrits pour la perforation d'abcès du foie dans ces diverses directions. § k- Traitement. La thérapeutique est impuissante contre l'infarctus hémorrhagique aussi bien que contre la splénite suppurative. Nous sommes réduits exclusivement à combattre les symptômes les plus menaçants par un traitement palliatif. Si les douleurs deviennent assez intenses, il y a lieu de prescrire des sai- gnées locales et des cataplasmes ; contre les vomissements sympathiques on emploiera les carbonates et les bicarbonates alcalins et, au besoin, les nar- cotiques ; les abcès qui offrent de la fluctuation seront ouverts de bonne heure et avec les mêmes précautions que les abcès du foie. CHAPITRE V Tuberculose, carcinome et cchinocoques de la rate. La tuberculose de la rate se montre tantôt sous la forme de tubercules miliaires gris très-nombreux et comme un des accidents de la tuberculose miliaire ; tantôt elle complique la tuberculose de l'intestin et des 'ganglions mésentériques sous forme de conglomérats tuberculeux, jaunes et caséeux, atteignant rarement le volume d'une noisette et ne se ramollissant qu'ex- ceptionnellement pour former des vomiques. La tuberculose de la rate ne peut être reconnue pendant la vie, et par conséquent il ne peut être question de soumettre cette affection à un traitement. Le carcinome se retrouve également d'une manière très-exceptionnelle dans la rate. Parmi ses diverses formes, le cancer médullaire semble seul s'y rencontrer. Dans presque tous les cas décrits jusqu'à présent le carci- nome de la rate ne s'est pas déclaré primitivement, mais est venu compli- quer le cancer de l'estomac, du foie ou des ganglions rétro-péritonéaux* De grandes tumeurs cancéreuses peuvent communiquer à la rate un aspect irrégulièrement bosselé. — La très-grande rareté du cancer de la rate fait TUBERCULOSE, CARCINOME ET ÉCHINOCOQUES DE LA RATE. 863 que quand il s'agit de déterminer la nature d'une tumeur splénique, c'est à la dégénérescence carcinomateuse que l'on doit songer en dernier lieu. Uni- quement dansl es cas où la tumeur n'a pas conservé la forme caractéristique de l'organe, mais laisse apercevoir sur sa surface des inégalités et des émi- nences, on peut se permettre de prononcer le diagnostic d'un carcinome de la rate; encore faut-il que la présence de cancers puisse être constatée en même temps dans l'estomac ou dans le foie. Des poches à'échinocoqiies de grandeur et de nombres variés sont égale- ment très-rares dans la rate et s'y rencontrent presque exclusivement en coïncidence avec les tumeurs analogues du foie. On ne peut les reconnaître sur le vivant qu'autant que l'on parvient à sentir sur la rate agrandie des protubérances globuleuses, ayant les propriétés antérieurement décrites des poches à'échinocoques. APPENDICE AUX MALADIES DE LA RATE Au lieu de renvoyer l'histoire de la leukémie et de la mélanémie au second volume, parmi les maladies du sang, nous aimons mieux la ratta- cher aux affections de la rate, pour la raison très-simple que dans la majo- rité des cas ces affections dépendent d'une maladie de cet organe. Mais comme il existe des cas de leukémie et même quelques cas de mélanémie, dans lesquels l'anomalie du sang ne peut être ramenée à une affection de la rate, nous avons dû comprendre la dpscription de ces maladies dans un appendice séparé. CHAPITRE PREMIER Leukémie (leucoeythémie, Benne tt). § 1. Pathogénie et étiologie. Une augmentation passagère des corpuscules sanguins incolores se ren- contre dans une série d'états physiologiques et pathologiques, par exemple pendant la grossesse, dans les maladies inflammatoires, après des pertes de sang considérables. Cette anomalie dans la composition du sang est tout aussi peu une maladie idiopathique que'l'hypérinose et l'hypinose, que l'anémie ou l'hydrémie, mais simplement une conséquence **■*,*£ k«* • w v H •**6#r ■ 1 1 't*^4^ S * '"tPj"'»- Br^^k., ''"S,