I * <*: : % 5k /#%■ ■ ■ •V*v*' ~*Àl M. J. Halloran, élève en médecine, tme d'AssasrHHH. &û& mmm^mm* mi - à '^m c % ,J-, (/^Û^cu^ 7 ■ TRAITÉ PATHOLOGIE INTERNE THÉRAPEUTIQUE PARIS. — IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2, TRAITÉ PATHOLOGIE INTERNE THÉRAPEUTIQUE F. DE NIEMEYER PROFESSEUR DE PATHOLOGIE ET DE CLINIQUE MÉDICALE A L'UNIVERSITÉ DE TURIN OU E HUITIEME i;DlTIO.V Nouvelle édition française faite sur la huitième et dernière édition de l'ouvrage allemand modifie et augmenté Seule traduction de la dernière édition allemande TOME SECOND PARIS Al WEREYNS, LIBRAIRE-EDITEUR RUE CASIM1K-DELAVI6NE. 2 1872 Tons droits réserv Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from Boston Library Consortium Member Libraries http://www.archive.org/details/traitdepatholo02niem TRAITE DE PATHOLOGIE INTERNE ET DE THÉRAPEUTIQUE MALADIES DES ORGANES URINAIRES PREMIÈRE SECTION MALADIES DES REINS CHAPITRE PREMIER Hypcrémie tics reins. L'hypérémie des reins et ses conséquences ne doivent pas être con- fondues avec les modifications inflammatoires, bien qu'un certain nombre de symptômes, tels que la présence dans l'urine de sang, d'albumine, d'éléments microscopiques spéciaux (qu'on désigne généralement par le nom de « cylindres fibrineux », quoiqu'ils ne se composent pas de fibrine, ou au moins pas de fibrine pure, mais en grande partie de mucus) soient communs aux deux maladies et que la distinction entre la simple bypé- rémie et les modifications inflammatoires soit^quelquefois impossible à l'aire pendant la vie. niemeyer. il — * MALADIES DES ORGANES URINA1RES. § 1. Pathogénie et étiologie 11 est absolument nécessaire d'avoir une idée claire des conditions nor- males de la circulation dans les reins, si l'on veut bien comprendre, au point de vue physiologique, non-seulement les symptômes mais encore la pathogénie et l' étiologie de l'hypéréinie rénale. C'est à Yirchow que re- vient le mérite d'avoir rectifié et complété les opinions qu'on avait avant lui sur ce sujet. D'après ses recherches, une partie seulement des artères ré- nales, c'est-à-dire celles qui appartiennent aux portions moyenne et externe de la substance corticale, donne des ramifications qui forment exclusive- ment des vaisseaux afférents et comme tels entrent dans les capsules de Malpighi, s'y subdivisent pour former les vaisseaux des glomérules, sortent ensuite, comme vaisseaux efférents, des capsules de Malpighi, puis se ra- mifient de nouveau et se réunissent enfin pour constituer les veines rénales. A la limite de la substance corticale et des pyramides, il existe un « terrain neutre » ; on y observe des rameaux artériels qui donnent naissance en partie à des vaisseaux afférents, à des glomérules et à des vaisseaux effé- rents dont les ramifications très-allongées se distribuent dans les substances corticale et médullaire, mais en partie aussi à des vaisseaux directement nourriciers de la substance médullaire. Enfin, il existe des branches termi- nales des artères rénales qui ne forment pas de glomérules, mais unique- ment des vaisseaux nourriciers de la substance médullaire. Le sang qui doit traverser les glomérules rencontre sur son chemin une résistance beaucoup plus grande que celui qui passe directement des ar- tères dans les capillaires. La pression du sang dans l'artère rénale est déjà très-considérable dans les conditions normales, parce que son trajet est court et que son calibre est proportionnellement fort. Si la pression du sang est augmentée dans les artères rénales, l'hypérémie se développera de préfé- rence dans les parties du rein où le sang rencontre le plus grand obstacle, c'est-à-dire dans la substance corticale et principalement dans les glomé- rules. Là où la résistance est moindre, c'est-à-dire dans la substance médul- laire, la circulation est, il est vrai, plus rapide, mais la quantité de sang renfermée dans les vaisseaux, à un moment donné, n'est pas sensiblement plus forte. — Il doit en être tout autrement, lorsque le sang rencontre des obstacles pour sortir des veines rénales. Dans ces cas, le contenu sanguin des veines et des capillaires augmentera; par contre, la stase s'étendra difficile- ment au delà des vaisseaux efférents si étroits jusque sur les glomérules ;: et comme dans la plupart des états morbides où il y a obstacle à l'écoule- ment du sang des veines rénales, surtout dans les maladies du cœur et du poumon, les artères renferment une trop faible quantité de sang, on s'ex^ HYPEREMIE DES REINS. 3 plique facilement pourquoi nous trouvons les glomérules faiblement rem- plis et, par conséquent, la sécrétion urinaire diminuée, dans les cas même où l'hypérémie par stase est très-considérable dans les reins. — Peut-être aussi les nerfs exercent-ils une certaine influence sur ces états, car il est possible que les reins se comportent comme d'autres organes, et que les vaisseaux artériels des différents réseaux vasculaires soient soumis à une innervation différente. Parmi les conditions étiologiques qui donnent lieu à des fluxions vers le rein, il faut citer : 1° La pléthore passagère que détermine toute ingestion considérable de boissons. Cette hypérémie est le plus prononcée dans la portion du rein spécialement chargée de la sécrétion urinaire, et la trans- sudation abondante qui se fait clans les glomérules surchargés est la cause la plus importante de la disparition de la pléthore générale. 2° A cette forme de l'hypérémie rénale se rattache celle qui se présente dans l'hypertrophie du cœur gauche; elle est également limitée au système artériel, y compris les glomérules. — Comme fluxion collatérale du rein nous devons citer : 3° la forme d'hypérémie rénale qui est due à la compression de l'aorte abdo- minale ou des artères iliaques par des tumeurs ou par l'utérus gravide, et celle qui se développe dans le stade de froid de la fièvre intermittente par suite du trouble apporté à la circulation dans les capillaires de la peau. Dans la deuxième période de la maladie de Bright, les vaisseaux de la substance corticale, comprimés par les canalicules urinifères distendus, donnent lieu à une fluxion collatérale vers la substance médullaire. (Virchovv.) — k" La dilatation des vaisseaux afférents à la suite d'une paralysie de leurs éléments musculaires paraît être la cause de l'hypérémie artérielle des reins qui se remarque dans les états spasmodiques et qui se trahit par la sécrétion abon- dante d'une urine très-claire (urina spastica). — Nous trouvons, 5° des hy- pérémies fluxionnaires au pourtour des foyers inflammatoires et des produits hétéroplastiques ; antérieurement déjà, en parlant de conditions analogues dans d'autres organes, nous avons cherché à expliquer cette forme par le relâchement du tissu et la dilatation des capillaires mal contenus par ce tissu relâché. — A cette catégorie se rattachent, 6° les bypérémies rénales qui compliquent les affections inflammatoires des voies unnaires, surtout des bassinets. — Delà même manière semblent se produire, 7° les bypéré- mies rénales qui se développent quelquefois après l'usage des cantharides, du baume de copahu et de substances analogues, de même que les hypérémies qui accompagnent certaines maladies infectieuses, surtout la fièvre scarlatine. la rougeole, la fièvre typhoïde, le choléra. — Cependant on ne peut pas ra- mener à une simple hypérémie toutes les affections rénales qui se- présen- tent dans le cours des maladies susnommées ; beaucoup de ces affections appartiennent à la forme morbide que nous décrirons dans le chapitre VII sous le nom de « dégénérescence parenchymateuse des reins », et qui cer- 4 MALADIES DES ORGANES URINAIRES. tainement peut se développer en dehors de toute hypérémie, La même observation s'api :lique à l'affection des reins qui se rencontre très-souvent dans le cours de la grossesse. Les stases dans les reins dépendent des mêmes causes qui donnent lieu aux stases dans le foie (voy. vol. I); pour cette raison, elles accompagnent d'ordinaire ces dernières, cependant les conditions spéciales de la circula- tion dans le t'oie, conditions que nous avons exposées antérieurement, expliquent facilement pourquoi les stases se montrent bien plus tôt dans cet organe et y atteignent un degré plus élevé que dans les reins. Les stases dans les reins s'observent : 1° dans les anomalies valvulaires, non compensées, du cœur; 2° dans les affections du tissu propre du cœur, quand ces affections diminuent le travail de cet organe ; 3° dans l'affaiblissement de V action du cœur tel qu'on l'observe dans les états de marasme; U° dans les affections du poumon qui conduisent à la compression ou à Y imperméabilité des capillaires pulmonaires; 5° dans les états où Y aspiration du sang dans le thorax est abolie; 6° rarement les rétrécissements ou les occlusions de la veine cave ou des veines rénales provenant d'une compression ou d'une thrombose donnent lieu à des stases dans les reins; cependant ce sont précisément les hypérémies dues a cette cause qui atteignent un degré très-élevé. § 2. Anatomie pathologique. Le rein hypérémie est, dans les cas récents, d'un rouge plus ou moins foncé ; en même temps il est augmenté de volume, et cette augmentation est due en partie à la dilatation vasculaire et en partie à l'imbibition sé- reuse. L'oedème du parenchyme et du tissu conjontif sous-capsulaire donne lieu en même temps à une humidité el à une mollesse anormales de l'organe hypérémie, ce qui rend la capsule (enveloppe fibreuse) plus facile à déta- cher. Dans les cas où les vaisseaux des glomérules sont très-gorgés de sang, on remarque très-distinctement sur la surface de section les glomérules fie Malpighi sous forme de points d'un rouge foncé. Lorsque les hypérémies ont une longue durée, surtout à la suite des stases habituelles, telles qu'elles sont produites par des affections du cœur et du poumon, on rencontre d'autres troubles de la nutrition. Dans ces cas, le rein est peu augmenté de volume, ou bien ses dimensions sont normales, ou même plus faibles; sa consistance est augmentée, sa couleur d'un rouge uniforme. — A l'examen microscopique, on rencontre, comme modifica- tion la plus remarquable, une hyperplasie du tissu conjonctif interstitiel, qui renferme quelquefois un grand nombre d'éléments ressemblant à "des corpuscules lymphatiques. Parfois on observe également par-ci par-là une desquamation des cellules épithélialcs dégénérées; après l'élimination de IIYPEREMIE DES REINS. 5 ces dernières, les .canalicules correspondants s'affaissent et la surface du rein devient inégale et présente des enfoncements tantôt superficiels, tantôt profonds. — La différence qui existe entre ces états et la dégénéres- cence observée dans l'inflammation chronique des reins, que nous décri- rons dans le chapitre IV sous le nom de maladie de Bright chronique, a surtout été établie par Traube etBeckmann. En même temps que se présentent les modifications indiquées dans les cellules épithéliales de la substance corticale, on trouve ordinairement les tubes droits de la substance médullaire remplis de masses tantôt transpa- rentes et pâles, tantôt un peu jaunâtres, et en exerçant une pression mo- dérée sur les pyramides on voit sortir par les papilles une grande, quantité d un liquide trouble, crémeux, qui renferme de nombreux épithéliums et quelques cylindres homogènes, transparents, assez résistants, qui se sont moulés sur ces tubes. .§ 3. Symptômes et marche. Le rein lui-même est si pauvre en nerfs sensibles et son enveloppe est si extensible, que le gonflement hypérémique de cet organe n'est jamais accompagné d'une sensation douloureuse. — La sécrétion urinaire, dont l'intensité dépend principalement du degré de pression latérale dans les vaisseaux des glomérules , doit nécessairement devenir plus abondante dans les formes d'hypérémies rénales qui intéressent le système artériel y compris les pelotes vasculaires des capsules de Malpighi. Ce phénomène est le plus souvent le seul symptôme des fluxions rénales, dues à l'ingestion abondante de liquide, à l'hypertrophie du cœur gauche, à la compression de l'aorte abdominale ou des artères iliaques, de môme que de la fluxion dépendant d'une dilatation des aiières rénales. L'urine qui est excrétée en grande quantité, est peu concentrée, elle a un faible poids spécifique et une couleur pâle. Presque jamais dans ces cas la pression du sang ne devient assez con- sidérable pour que l'albumine transsude, ou que la paroi vasculaire se dé- chire et que le sang s'épanche dans les capsules de Malpighi. Cette obser- vation s'accorde avec l'expérience physiologique suivante : en liant l'aorte abdominale au-dessous de l'origine des artères rénales, on ne voit nulle- ment se développer l'albuminurie malgré l'augmentation de pression qui se produit dans les artères rénales parle fait de cette ligature. Le tableau de la maladie est tout à fait autre, lorsqu'il s'agit d'une stase un peu considérable, dans les reins. Nous venons de montrer que lorsque le sang des veines rénales rencontre un obstacle à son écoulement, presque toujours il existe en même temps une tension très-faible dans les artères rénales; par conséquent, la sécrétion urinaire n'esl pas augmentée, niais 6 MALADIES DES ORGANES URINAIRES. diminuée. Par contre, la pression latérale monte à une hauteur très-consi- dérable dans les capillaires; en effet, ces derniers ne peuvent verser leur contenu dans les veines trop gorgées de sang que lorsque la tension de leurs parois devient plus forte que la tension des veines rénales. Voilà pourquoi non-seulement le plasma sanguin passe très-facilement des capillaires dans les canalicules urinifères, de sorte que Yurine rare, saturée et foncée renferme de l'albumine et des cylindres fibrineux, ou mieux, des cylindres a" exsudât; mais les minces parois des capillaires se déchirent assez souvent sous la forte pression à laquelle elles sont exposées, et l'on trouve encore, à côté des éléments cités, des globules sanguins dans l'urine. D'après les récentes observations de Liebermeister, lorsque l'hypérémie par stase est assez consi- dérable pour donner lieu à une exsudation d'albumine, l'apparition simul- tanée du sang dans l'urine est si fréquente, que l'existence d'albumine dans l'urine sans trace de sang permet d'exclure avec vraisemblance une simple hypérémie par stase, et tend à faire admettre un trouble inflammatoire de la nutrition. Ce fait pathologique, qu'on constate presque dans chaque affec- tion du cœur de longue durée et qu'on peut y poursuivre dans ses diffé- rentes phases, répond également au résultat d'une expérimentation physio- logique : après la ligature de la veine rénale, ou de la veine cave au-dessus de l'embouchure de la veine rénale, on observe constamment de l'albu- minurie et de l'hématurie. La pénétration du plasma sanguin des capil- laires rénaux dans les canalicules urinifères lors des stases considérables dans les reins est analogue à la sortie du plasma sanguin des capillaires pulmonaires dans les alvéoles sous l'influence des stases considérables du poumon, qu'on décrit sous le nom d'hypostases. Certes, la pneumonie qu'on a appelée hypostatique simple dépend tout aussi peu de processus inflammatoires proprement dits, que les modifications des reins dont il s'agit ici. Enfin, la forme d' hypérémie rénale qui dépend probablement d'un relâ- chement du tissu rénal et d'une dilatation consécutive des capillaires, ne donne évidemment lieu ni à une augmentation ni à une diminution de la sé- crétion urinaire. Par contre, elle est suivie d'uue transsudation plus ou moins abondante du plasma sanguin, de même que d'une élimination exagérée et probablement d'une formation exagérée des cellules renfermées dans les canalicules urinifères. Si, par conséquent, après l'abus de diurétiques irri- tants ou dans le cours des maladies qui se compliquent souvent de cette forme d'hypérémie rénale (voy. plus haut), on trouve une urine albumi- neuse qui renferme de nombreux cylindres, couverts complètement de cel- lules épithéliales, on est en droit de poser le diagnostic d'un catarrhe des reins. Ce nom, que la plupart des pathologistes modernes ont adopté pour l'hypé- rémie rénale en question, n'est pas tout à fait correct, parce que les canali- eules urinifères ne sont pas pourvus d'une muqueuse et qu'au fond l'exprès- HYPEREMIE DES REINS. 7 ■sion de catarrhe désigne une affection déterminée des muqueuses; cepen- dant si l'on aie droit déparier d'une pneumonie catarrhalc (voy. vol. I), on peut aussi se permettre le terme de néphrite catarrhale. La marche de la plupart des hypérémies actives et passives des reins est favorable, lorsque la cause qui les a produites n'est que passagère, et pro- bablement cette affection ne conduit jamais à la mort par elle-même. Bien que les degrés les plus élevés de l'hypérémie rénale se développent ordi- nairement chez des individus affectés d'une maladie de cœur, pendant les dernières semaines de leur vie, ce n'est cependant pas cette hypérémie qui amène la mort, mais les troubles de la respiration, l'hydropisie et d'autres phénomènes qui dépendent directement de l'affection du cœur. Nous ne voulons pas dire par là, que l'épuisement ne soit pas augmenté par l'albu- minurie, et que cette complication ne favorise pas l'hydrémie et l'hydro- pisie. — Le catarrhe des reins également prend, en général, une marche favorable et se termine presque toujours par le rétablissement complet, ■dans les cas où la maladie principale est susceptible de guérison. Beaucoup plus rarement on voit le catarrhe des reins devenir le point de départ d'une inflammation parenchymatcuse diffuse. (Voy. chap. IV.) § h- Traitement. Les mesures exigées par l'indication causale se déduisent naturellement des causes de l'hypérémie rénale, indiquées dans le paragraphe 1; en même temps il ressort de ce qui a été exposé à cette occasion, que ces mesures sont dirigées ordinairement contre des troubles plus importants et non contre l'hypérémie rénale, lorsque cette hypérémie n'est qu'une manifesta- tion locale de troubles graves et généraux. Si la fluxion vers les reins est «lue à l'abus de diurétiques irritants, non-seulement il faut en cesser l'usage et éviter l'emploi des vésicatoires ou le pansement des plaies en suppura- lion avec des pommades épispastiques (cause fréquente de fluxion vers les reins), mais il faut en même temps introduire dans le corps de grandes quantités de boissons, pour diluer autant que possible les substances acres, sécrétées par les reins. La meilleure boisson dans ces cas, c'est l'eau pure ou les eaux minérales acidulés. Ce n'est plus de notre époque «pie d'attri- buer une action spéciale aux liquides mucilagineux et huileux qui, comme réitîque. § 1. Pathogénie et étiologie. Déjà dans les tubes droits des papilles rénales il se forme des précipités granuleux auxquels on a donné le nom d'infarctus uriques quand ils sont composés d'urates, d'infarctus calcaires quand ils sont composés de carbonate ou de phosphate de chaux, enfin d'infarctus hé?norrhagico-pi la vessie, surtout quand ce dernier coïncide avec un obstacle à l'évacuation de l'urine, la muqueuse s'avance entre les faisceaux musculaires qui s'écartent les uns des autres et il se forme des diverticulums. Petits et arrondis au début, ces diverticulums se dilatent plus tard au point de former des poches ayant la forme d'une bouteille et attei- gnent le volume du poing d'un homme et même plus. Leur communication avec la vessie consiste d'abord en une fente assez étroite qui s'arrondit plus tard et prend la forme d'un sphincter. L'évacuation souvent incomplète de ces diverticulums en fait quelquefois le siège de dépôts urineux et de calculs enkystés. § 3. Symptômes et marche. Le catarrhe aigu de la vessie est quelquefois accompagné de phénomènes fébriles ; mais le plus souvent il n'y a ni augmentation de la température ni accélération du pouls. Dans les cas tout à fait récents les malades accusent des douleurs vagues dans la région hypogastrique et au périnée, douleurs '|ui remontent vers le rein et s'irradient le long de F urèthre jusque dans Le gland. Une pression exercée sur la région de la vessie cause également des douleurs dans les formes les plus violentes du catarrhe vésical. La mu- queuse hypérémiée et irritée montre très-peu de tolérance pour son contenu. Il suffit que quelques gouttes se soient réunies dans la vessie pour que les malades sentent immédiatement le besoin de les expulser ; ou bien le sphincter de la vessie se trouve dans un état de spasme continu, et de. celle manière il se produit un ténesme vésical tout à l'ait analogue au 72 MALADIES DES ORGANES URINAIRES. tériésme du rectum que nous observons dans la proctite catarrhale. Les malades ont presque continuellement le vase à la main, la miction elle- même est très-douloureuse et les quelques gouttes d'urine qu'ils laissent échapper à de courts intervalles leur occasionnent une sensation qu'ils comparent à celle de plomb fondu coulant le long de l'urèthre. Au commen- cement la sécrétion muqueuse est rare comme dans tous les catarrhes récents, de sorte que l'urine n'en contient que quelques flocons isolés ; plus tard, l'urine rendue se trouble et dépose un sédiment muqueux plus ou moins abondant. La maladie peut arriver à son terme en peu de jours et guérir complètement, et la forme déterminée par l'usage de la bière jeune peut même être guérie au bout de quelques heures. Dans d'autres cas la maladie se prolonge et passe à la forme chronique. —Quelquefois la contraction spasmodique du sphincter détermine une rétention d'urine complète dans le cours de la cystite catarrhale aiguë. Plus souvent .il se développe, surtout chez les personnes âgées, dans le cours du catarrhe vésical une paralysie myopathique des fibres longitudinales, autrement dit du détrusor, qui entraine également une rétention d'urine et qui est due à une affection secondaire, telle qu œdème, dégénérescence graisseuse du tissu musculaire de la vessie. C'est cette circonstance qui fait du simple cataiThe de la vessie une maladie dangereuse chez les vieillards. Dans le catarrhe chronique de la vessie les douleurs cessent, il est vrai, au bout d'un certain temps ; mais la réaction de l'organe contre son contenu et le besoin continuel d'uriner persistent. La quantité du mucus rendue avec l'urine augmente. Au commencement une couche muqueuse assez trans- parente se dépose lentement au fond du vase ; plus tard l'urine devient épaisse et trouble, le dépôt perd sa transparence, devient blanc ou jaune. Si l'urine passe déjà dans l'intérieur de la vessie à la fermentation dite alcaline (voy. plus bas), la sécrétion de la muqueuse malade, riche en cellules purulentes et en épithéliums désagrégés, subit une transformation spéciale (dont nous avons déjà fait mention en parlant de la pyélite) et se change en une masse cohérente, gélatiniforme, et en transvasant l'urine le dépôt muqueux, cohérent se tire en longs fils. Dans les éditions précédentes de ce livre j'ai dit que le mucus sécrété en grande abondance agissait dans beaucoup de cas à la manière d'un ferment sur l'urine, et en déterminait la fermentation alcaline. Dans cette fermentation l'urée serait transformée en carbonate d'ammoniaque et il se formerait des combinaisons ammoniacales, surtout de l'urate d'ammoniaque et du phosphate ammoniaco-magnésien. J'avais soin d'ajouter que le mucus mêlé à l'urine était loin d'agir toujours en qualité de ferment, et que, dans beaucoup de cas de catarrhe vésical chronique et traîné en longueur, j'avais trouvé l'urine constamment acide. Dans le cours des dernières années une observation de Traube et des observations et expériences faites par moi- CATARRHE DE LA VESSIE, CYSTITE CATARRIIALIÎ. 73 même et publiées par le docteur Teuffel dans Berliner klinische Wochmschrift m'ont donné la conviction que la fermentation alcaline de l'urine séjournant dans la vessie n'était pas produite par le mucus vésical, mais par des orga- nismes inférieurs qui probablement arrivent le plus souvent dans la vessie par l'application de sondes mal nettoyées. La preuve la plus frappante de la justesse de cette opinion m'a été fournie par l'observation très-intéressante d'une fille admise à ma clinique pour une paralysie de la vessie. Chez cette malade qui., pendant des semaines entières, avait été sondée avec un in- strument malpropre, il s'était développé une fermentation alcaline très- prononcée de l'urine renfermée dans la vessie ; le liquide rendu par la malade avait une odeur fortement ammoniacale et contenait des cristaux d'urate d'ammoniaque caractérisés par leur forme de pomme épineuse et de grands cristaux de phosphate ammoniaco-magnésien semblables à des cou- vercles de cercueil; on y voyait en outre de nombreux vibrions et des cryptogames d'une organisation tout à fait rudimentaire; ■ — mais il n'y avait ni mucus ni éléments cellulaires en grande abondance. De plus, des renseignements anamnestiques recueillis avec le plus grand soin nous apprenaient que jamais la m'alade n'avait accusé les symptômes d'un •catarrhe de la vessie. — Le catarrhe chronique de la vessie traîne pendant des semaines, des mois et même pendant des années. Un fait extraordinaire et qui n'est pas suffisamment expliqué, c'est qu'en général il est accompagné d'anorexie et de troubles de la digestion ; plus la maladie se prolonge, moins il y a de chance d'en obtenir la guérison complète. La formation d'ulcères dans la muqueuse vésicale doit être soupçonnée quand le sédiment devient de plus en plus purulent, que de temps à autre il part du sang avec l'urine et qu'enfin il se développe une fièvre lente épuisant et consumant le malade. Les malades finissent alors par succomber à une phthisic vésicale, surtout si des abcès se développent aux environs de la vessie et que des trajets fistuleux entretiennent une suppuration de longue durée. Lorsque l'inflammation catarrhale de la muqueuse vésicale se termine par gangrène diffuse, les malades s'affaissent, leur face se décompose, leur pouls devient petit et filiforme et leur peau se refroidit; l'urine prend un mauvais aspect, elle devient brune ou noirâtre, contient des lambeaux de muqueuse et répand une odeur putride. Au bout de peu de jours les ma- lades meurent d'une paralysie générale, même avant que la paroi vésicale soit complètement détruite et avant qu'une péritonite mortelle, due à la pénétration du contenu de la vessie dans la cavité abdominale, ait eu le temps de se déclarer. L'épaississement delà paroi vésicale par hypertrophie des faisceaux muscu- laires se trahit, quand la vessie est en même temps dilatée, par le dévelop- pement d'une tumeur dure au-dessus de La symphyse et qui peut s'élever là MALADIES DES ORGANES URINAIRES. jusqu'au nombril et quelquefois plus haut, tumeur que chez les femmes on confond facilement avec l'utérus distendu. Ordinairement les malades ne sont pas en état de vider la vessie ainsi épaissie et dilatée, en supposant même que cette évacuation ne soit empêchée ni par une occlusion du sphincter ni par une occlusion de l'urèthre. Il n'y a que la quantité d'urine qui dans la vessie énormément distendue ne trouve pour ainsi dire plus de place que les malades rendent volontairement, ou involontairement s'il y a paralysie du sphincter. De cette manière il peut arriver que les malades rendent dans l'espace de 24 heures une quantité d'urine normale et n'en retiennent pas moins de 1 à 3 kilog. et même davantage dans la vessie et que ce surplus ne peut être retiré qu'à l'aide de la sonde, — Dans l'hyper- trophie concentrique de la vessie on sent cette dernière par le rectum ou le vagin à l'état de tumeur dure qui donne lieu à bien des confusions. La vessie n'étant dans ces cas susceptible d'aucune distension, le malade éprouve un besoin continuel d'uriner qui ne lui laisse pas une minute de repos ou bien, s'il y a en même temps paralysie du sphincter, l'urine s'écoule goutte à goutte sans interruption. § h. Traitement. L'indication causale exige avant tout que la muqueuse vésicale soit mise à l'abri des causes d'irritation qui ont provoqué la maladie. Ce but peut au moins être rempli dans les cas où un cathétérisme fait avec maladresse ou des injections poussées trop loin dans l'urèthre ont occasionné le catarrhe de la vessie ; il en est de même lorsque ce catarrhe est dû à l'administration des cantharides, à l'usage prolongé des vésicatoires et de l'onguent épispas- tique ou bien lorsque la rétention et la décomposition de l'urine ont déter- miné une irritation de la muqueuse vésicale. Si cette irritation est le résultat d'une inflammation qui de l'urèthre ou de l'utérus s'est propagée à la vessie, il y a lieu d'appliquer des sangsues au périnée ou au col de la matrice; si au contraire la maladie est due à un refroidissement, on doit instituer un traitement diaphorétique. Pour répondre à Y indication de la maladie on n'emploiera les saignées- locales que dans les cas très-récents et accompagnés de symptômes très- intenses, et on aura soin de faire appliquer les sangsues au périnée plutôt qu'au-dessus de la symphise. Dans la plupart des cas il suffit, dans la cystite catarrhale, de quelques cataplasmes chauds sur le ventre et de quelques grands bains pour apaiser les souffrances et hâter la guérison de la maladie. En outre, il faut avoir soin de faire arriver dans la vessie une urine aussi diluée que possible; mais il est encore inutile dans.ee cas d'ajouter aux liquides que le malade doit boire des substances mucilagineuses ou huileuses; CATARRHE DE LA VESSIE, CYSTITE CATARRHALE. 75 ce qui importe le plus c'est de lui défendre sévèrement tout ce qui est salé ou épicé. Les boissons qui conviennent le mieux sont les eaux acidulées artificielles ou naturelles, telles que l'eau de Setters, de Wildungen, de Fachingen, de Gailnau, Sulzmatt, l'eau de soude carbonatée artificielle ; on prescrit aussi l'eau de chaux avec parties égales de lait. On a encore beau- coup vanté pour le traitement du catarrhe aigu de la vessie les semences de lycopode (15 grammes mêlés avec 45 grammes de miel sous forme d'élec- tuaire, une cuillerée à café toutes les deux heures) et le camphre, surtout contre le catarrhe du aux cantharides (30 centigrammes de camphre trituré dans une émulsion d'amandes de 180 grammes). Un moyen tout aussi inoffensif qu'utile contre les douleurs et le ténesme vésical, c'est l'opium donné, par petites doses soit sous forme de poudre de Dower, le soir avant le coucher, soit sous forme de teinture thébaïque à dose réfractée. — A mesure que les douleurs se dissipent et que les corpuscules de mucus et de pus se multiplient dans l'urine, il devient plus urgent d'employer les astringents. Le plus répandu est une décoction de feuilles à'uva ursi (20 grammes sur 200 grammes de liquide, une cuillerée à bouche toutes les deux heures). Ce qui est encore plus utile, c'est l'usage longtemps continué du tannin, qui m'a rendu les meilleurs services dans quelques cas presque désespérés. — Dans les périodes ultérieures du catarrhe aigu de la vessie et plus encore dans la forme chronique de la maladie les balsamiques et les résineux qui exercent une influence si éminemment favorable sur les écoulements muqueux' de l'urèthre sont souvent d'une très-grande efficacité. Tels sont l'essence de térébenthine, l'eau de goudron, le baume du Pérou et avant tout le baume de copahu, que l'on peut donner en capsules gélatineuses. — Si les moyens indiqués restent inefficaces, il faut appliquer un traitement local. Des injec- tions d'eau tiède dont on abaisse graduellement la température jusqu'à 10° cent., ont été employées plusieurs fois par moi surtout chez des femmes, d'après la prescription de Civiale, et je ne puis assez me louer des résultats de ce traitement. 11 faut user avec plus de circonspection des injections astringentes pour lesquelles on a préconisé les solutions de nitrate d'argent, de sulfate de zinc, d'acide lannique ; il en est de même des injeclions faites avec une émulsion de baume de copahu (U grammes sur 180 grammes), dont plusieurs médecins vantent les résultats. — La présence bien constatée d'ulcères dans la vessie ne peut rien modifier à ce traitement. — La fonte gangreneuse de la muqueuse vésicalc n'est pas accessible à nos moyens d'action. — En cas d'hypertrophie excentrique de la vessie il faut vider régulièrement ce réservoir toutes les huit à douze heures à l'aide de la sonde et appliquer au malade une ceinture élastique autour du ventre, lin cas d'hypertrophie concentrique, il faut au contraire engager le malade à garder l'urine aussi longtemps que possible dans la vessie en vue de la. dilater progressivement. On a proposé également de laisser à demeure dans 76 xMALADIES DES ORGANES URINAIRES. la vessie une sonde élastique et d'en fermer l'orifice au moyen d'un bou- chon que l'on n'enlève que toutes les deux ou trois heures pour vider l'organe. CHAPITRE II. Cystite croupale et uiphtliéi-itique. L'inflammation croupale et diphthéritique de la vessie se montre presque exclusivement dans le cours de maladies infectieuses graves, telles que la «septicémie, la fièvre typhoïde, la variole, la scarlatine, en même temps que des inflammations analogues sur d'autres muqueuses. Elle suit beaucoup plus rarement l'abus des cantharides, les accouchements difficiles ou une irritation très-intense de la vessie par une urine décomposée. Dans cette forme inflammatoire il se produit des exsudats qui se coagulent et qui varient de consistance et d'épaisseur. Ces exsudats sont tantôt déposés sur la surface libre de la vessie, tantôt le tissu de cette dernière en est infiltré. Le processus s'étend rarement à toute la vessie, plus souvent il reste limité à quelques endroits sous forme de taches rondes ou allongées. Après l'élimination des eschares diphthéritiques il reste des pertes de substance dans la muqueuse. — La maladie ne peut être reconnue que quand des coagulums blanchâtres et membraneux sont expulsés avec l'urine au milieu d'un ténesme violent. Dans la cystite croupale qui se développe parfois après l'abus des cantha- rides ou après des accouchements au forceps on a vu s'échapper avec l'urine de grandes pseudo-membranes cohérentes. — Le traitement de la cystite croupale et diphthéritique réclame les mêmes mesures que nous avons pré- conisées contre les cas aigus et violents de cystite catarrhale. CHAPITRE III. Péricystïte. Outre les inflammations provenant de perforations de la vessie, d'ulcères et d'abcès de la paroi vésicale il se développe quelquefois dans le tissu cel- lulaire qui enveloppe la vessie et l'unit aux parties voisines, des phlegmons indépendants auxquels on a donné le nom de péricystite. Ils sont beaucoup moins fréquents que les inflammations qui se montrent aux environs du rectum, et s'observent presque exclusivement dans le cours des maladies in- fectieuses, de la fièvre typhoïde, des exanthèmes aigus, de la septicémie. Dans les cas les plus rares ils se développent spontanément chez des indi- vidus sains d'ailleurs et sans cause connue. .L'inflammation montre une TUBERCULOSE ET CARCINOME DE LA VESSIE. 77 grande tendance à passer à la suppuration et à la fonte gangreneuse des tis- sus enflammés, elle s'étend facilement au tissu conjonctif qui unit entre eux les organes du bassin et les fixe à la paroi pelvienne. Le pus peut finalement se frayer un chemin par la vessie, par le rectum, par le vagin ou par le périnée. — En outre, il n'est pas rare que le catharre chronique de la vessie et les ulcères de cet organe soient accompagnés d'une péricystite chronique qui entraine l'induration calleuse du tissu conjonctif environnant et l'adhé- rence intime et. solide de la vessie avec les parties circonvoisines, mais qui, dans quelques cas, est aussi suivie d'abcès. La maladie est difficile à reconnaître dans la plupart des cas. Un ténesme fatigant de la vessie, une douleur sourde, continue dans le bassin, des fris- sons répétés, la rétention complète de l'urine quand les uretères ou l'urèthre sont fermés par l'abcès, tous ces symptômes ne sauraient fournir des points de repère suffisants au diagnostic. Uniquement dans les cas où un abcès si- tué sur la face antérieure de la vessie proémine au-dessus de la symphyse et forme une saillie arrondie qui ne s'efface pas quand on a vidé la vessie, et tout au plus encore quand on sent une tumeur fluctuante au périnée ou par le rectum et le vagin, uniquement clans ces cas, disons-nous, le diagnostic offre un caractère de certitude. — Le traitement de la péricystite est exclu- sivement chirurgical. CHAPITRE IV Tuberculose et carcinome de la vessie. La tuberculose de la vessie forme ordinairement une complication de la tuberculose des uretères, des bassinets et des reins. Dans la vessie on trouve également, soit des tubercules discrets et agglomérés qui, par leur ramol- lissement, donnent des ulcères ronds et irrégulièrement échancrés, soit une dégénération caséeuse diffuse de la muqueuse qui est détruite dans une grande étendue ; cependant cette dernière forme est ici plus rare que clans les uretères et les bassinels. Les symptômes de la tuberculose vésicale ressemblent extrêmement à ceiiv du catarrhe chronique et de l'ulcération catharrhale de la muqueuse vésicale. La présence de nombreux corpuscules de mucus et de pus dans l'urine, souvent décomposée et fortement ammoniacale, des hémorrhagies vésicales survenant de temps à autre, un besoin fatigant d'uriner, les signes d'une hypertrophie excentrique ou concentrique de la vessie, tels sont les phénomènes qui accompagnent aussi la tuberculose de cet organe. Mais il n'y a que la dégénération des testicules et de la prostate et la présence dans L'urine de fibres élastiques ou de parcelles de tissu considérables de la paroi 78 MALADIES DES ORGANES URINA1RES. vésicale, permettant de conclure à un processus destructeur dans l'intérieur de cette dernière, qui éclairent positivement le diagnostic différentiel. Chez une femme atteinte de tuberculose de la vessie, des voies urinaires et des reins, j'ai observé un ulcère à bords irréguliers et à fond grisâtre dans la vulve qui entourait l'orifice de l'urèthre. Le traitement de la tuberculose vésicale se confond avec celui du catarrhe chronique de la vessie, mais ne- conduit généralement à aucun résultat. Les carcinomes de la vessie ne sont pas communs. Ils se déclarent soit pri- mitivement dans la vessie soit secondairement, ou comme simple continua- tion d'une affection cancéreuse de l'utérus ou du rectum. Parmi les diverses formes du cancer, celles que l'on rencontre sont le squirrhe, plus souvent l'eneéphaloïde, et plus souvent que tous les autres le cancer villeux. Les deux .premiers donnent lieu soit à des dégénérescences diffuses de la paroi vésicale, dont la destruction peut avoir pour effet des communications avec le vagin, l'utérus, le rectum, soit à des tumeurs circonscrites ou même pé- diculées. Le cancer villeux forme des tumeurs molles, consistant en excrois- sances fines, délicates, villeuses, qui flottent dans l'eau et qui se détachent souvent pendant la vie et entraînent par là des hémorrhagïes. Dans les carcinomes de la vessie les symptômes prédominants sont égale- ment ceux d'un catarrhe chronique de cet organe. On y trouve des hémor- rhagies plus souvent encore que dans la tuberculose. Le diagnostic se base sur l'opiniâtreté et l'aggravation progressive de ces symptômes, sur la ca- chexie grave survenant de bonne heure, sur la présence constatée de carci- nomes clans d'autres organes, surtout dans les organes voisins, mais avant tout sur l'examen microscopique des parcelles du néoplasme qui se sont dé- tachées et qui ont été expulsées avec l'urine. — Le traitement est impuis- sant et doit se borner à combattre les hémorrhagies, à faire disparaître la rétention d'urine, si elle s'est produite, et d'autres accidents graves qui pour- raient survenir. CHAPITRE V flémorrliagie «le la vessie. — Elématuric vésicale. Une perte de sang par les vaisseaux de la vessie est dans beaucoup de cas d'origine traumatique. Le plus souvent ce sont des calculs à arêtes vives ou des corps étrangers ayant pénétré dans la vessie qui donnent lieu k cette forme d'hémorrhagie. Chez les femmes hystériques il faut s'attendre aux actes les plus incompréhensibles. Assez souvent il leur arrive de s'introduire dans le vagin ou dans l'urèthre des corps étrangers qui peuvent devenir une cause d'hématurie. — Dans d'autres cas ce sont des ulcérations de la vessie HEMORRHAGIE DE LA VESSIE. — HEMATURIE VESICALE. 70 qui attaquent les vaisseaux et produisent ainsi l'héniorrhagie. — Nous avons vu que ces hémorrhagies peuvent aussi être déterminées par des néoplasmes, par exemple, des tubercules et des carcinomes, surtout le cancer villeux. — Il est très-rare que l'hémorrhagie vésicale soit le résultat d'un abus de can- tharides (hématurie toxique) ou d'une diathèse hémorrbagique. Enfin des dilatations excessives et un état variqueux des vaisseaux peuvent déterminer des ruptures suivies d'épanchements sanguins. Cependant ce mode de pro- duction des hémorrhagies vésicales est très-rare, quoique le public se montre toujours très-disposé à attribuer à des « hémorrhoïdes vésicales » toute sorte d'hématuries. Les conditions qui président aux stases sanguines et aux dila- tations vasculaires se rencontrent bien moins dans la vessie que dans le rec- tum et on doit s'imposer la règle de ne songer à cette dernière forme que quand on a pu exclure les autres genres d' hémorrhagies vésicales en analy- sant scrupuleusement les phénomènes morbides. En cas d'épanchement sanguin dans la vessie, il est vrai qu'ordinaire- ment le mélange de sang et d'urine est moins intime qu'en cas d'hémor- rhagie des uretères, des bassinets ou des reins. De plus, il se forme dans le premier genre d'hémorrhagiedes coagulums plus étendus que dans les der- niers. Cependant les deux signes peuvent tromper, et pour cette raison le diagnostic du siège de l'hémorrhagie offre souvent de grandes difficultés. Le point de repère le plus sûr pour cette appréciation nous est fourni par les phénomènes concomitants. Presque toujours l'hématurie vésicale coïncide avec des signes d'une modification de texture de la vessie; en dehors des époques où les malades rendent du sang par les urines, celles-ci contien- nent du mucus et des corpuscules de pus, il y a dysurie, etc. Combattre la maladie première, tel est le point le plus essentiel dans le traitement de l'hémorrhagie vésicale. Dans les cas graves on appliquera des compresses froides sur la région de la vessie et on administrera de fortes •doses de tannin à l'intérieur. Si l'hémorrhagie menace d'épuiser le malade, il faut faire des injections d'eau froide ou de solutions d'alun, de sulfate de' zinc ou de nitrate d'argent. Des lavements froids, souvent répétés, ont géné- ralement beaucoup de succès, surtout dans les hémorrhoïdes de la vessie, de même que dans d'autres hémorrhagies vésicales. 80 MALADIES DES ORGANES URINAIRES. CHAPITRE Vi. Cunerétûins jjjej'reisses Sa vessie. § 1 . PaTIIOGÉNIE ET ÉTIOLOGIE-. Le mode de production des calculs rénaux et vésicaux est encore très- obscur. Aucune des explications courantes n'est d'une exactitude bien dé- montrée ni complètement à l'abri d'objections sérieuses. Cette observation s'applique surtout à l'opinion d'après laquelle la pro- duction de ces concrétions dépendrait d'une anomalie particulière de la nu- trition, d'une diathèse par l'effet de laquelle de l'acide urique, de l'acide oxalique, des phosphates, etc., se produiraient en si grande abondance dans le corps et arriveraient en si grande quantité par le sang dans les urines qu'il s'en formerait des précipités dans les voies urinaires. L'explication de Scherer est séduisante sous plusieurs rapports. D'après cet auteur, les substances qui se déposent dans les voies urinaires et s'y transforment en calculs ne seraient pas excrétées toutes formées par les reins; elles ne seraient que le résultat des décompositions que l'urine subit pendant son séjour dans les voies urinaires. Ces décompositions seraient identiques à celles qui s'observent dans l'urine évacuée, longtemps exposée à l'air. D'abord il se produirait une fermentation acide; les matières colo- rantes et extractives de l'urine se transformeraient en acide lactique et celui-ci décomposerait les combinaisons solubles de l'acide urique et préci- piterait ce dernier. — A la fermentation acide succéderait la fermentation alcaline; l'urée se transformerait en carbonate d'ammoniaque et la combi- ■naison de l'ammoniaque avec le phosphate de magnésie contenu dans l'urine produirait le phosphate ammoniaco-magnésien. Le ferment qui détermine- rait cette modification de l'urine dans l'intérieur des voies urinaires serait le mucus sécrété dans les catarrhes de ces organes. Mais le mucus joue, d'après Scherer, encore un autre rôle important dans la production des calculs uri- naires en constituant une sorte de ciment qui unit les sédiments et en for- mant par sa coagulation les noyaux sur lesquels ces sédiments se précipitent. La composition des calculs qui consistent en une couche périphérique for- mée de phosphates, enveloppant un noyau central d'acide urique, est expli- quée par Scherer de la manière suivante : Tant qu'a duré la fermentation acide de l'urine, il s'est précipité de l'acide urique ; mais une fois que sous l'influence de la durée plus longue du catarrhe, et peut-être aussi à la suite de son aggravation par l'action irritante des calculs urinaires, la fermenta- CONCRETIONS PIERREUSES DANS LA VESSIE. 81 tion acide était remplacée par la fermentation alcaline, il s'est précipité des phosphates. Selon l'hypothèse ingénieuse de Meckel, la formation de précipités ne serait nullement nécessaire à la production des calculs urinaires. Presque tous ces calculs consisteraient au commencement en oxalate de chaux et se formeraient de la manière suivante • la muqueuse des voies urinaires de- viendrait le siège d'un catarrhe spécifique appelé par Meckel « catarrhe lithogène. » Ce catarrhe donnerait lieu à la sécrétion d'un mucus cohérent, visqueux, doué de la tendance à entrer en fermentation acide, et dans lequel cette fermentation produirait de l'oxalate de chaux. Au commencement ce mucus aurait une consistance gélatineuse, mais peu à peu il se chargerait de plus en plus d'éléments d'oxalate de chaux tirés de l'urine en voie de dé- composition ; de cette manière, il deviendrait de plus en plus compacte et finirait par devenir un calcul. Tant que l'urine resterait fortement acide, le calcul serait agrandi par de nouveaux dépôts de mucus chargés d'oxalate de chaux, qui viendraient s'y attacher et se pétrifier comme les premiers. Une fois l'urine devenue alcaline,, le calcul n'augmenterait plus par apposition, mais par intussusception; avec cette dernière coïnciderait un « métamor- phisme, » c'est-à-dire qu'à l'oxalate de chaux se substitueraient d'abord de l'urée, de l'urate d'ammoniaque, et plus tard des phosphates. De cette ma- nière, le calcul, composé primitivement d'oxalate de chaux, deviendrait par la suite un calcul composé de phosphate. Je me laisserais entraîner trop loin si je voulais signaler toutes les lacunes que présentent ces deux théories et les objections qu'elles soulèvent. — Ainsi la disposition héréditaire à la production des calculs reste toujours inexpli- quée. On a même observé que la même espèce de calcul s'est présentée chez plusieurs générations successives de la même famille. — Les hommes sont plus souvent atteints de calculs que les femmes; les enfants n'en sont pas épargnés; au contraire, les calculs et la gravelle se produisent assez souvent chez eux. — Dans certains pays, par exemple, en Angleterre, la maladie est beaucoup plus commune que dans d'autres. — L'eau potable chargée d'éléments calcaires paraît n'avoir aucune influence sur la produc- tion des calculs; il n'en est plus de même des liquides fermentes et renfer- mant de l'acide carbonique, au moins pour ce qui concerne les calculs for- més d'oxalate de chaux. Enfin tous les agents nuisibles qui irritent les voies urinaires et en déterminent le catarrhe peuvent être une cause d'affections calculeuses; mais on ne sait pas pourquoi bien des catarrhes durent très- longtemps sans donner lieu à des calculs, tandis que d'autres en font naître de très-bonne heure. h. — c 82 MALADIES DES ORGANES UR1NAIRES. § 2. Anatomie pathologique. La grandeur, le nombre, la forme et la composition chimique des calculs urinaires sont très-variés. On appelle gravelle les plus petits, qui ordinai- rement se rencontrent en très-grand nombre. Leur forme et leur couleur dépendent essentiellement des éléments qui entrent dans leur composition. D'après celle-ci on distingue les espèces suivantes : 1° Calculs composés principalement d'acte urique et d'urates. Ils sont ronds ou ovales, ordinairement d'un rouge brun, très-durs et pesants, à surface lisse ou bosselée. 2° Calculs composés d'oxalate de chaux. Ils présentent généralement une surface mamelonnée, grenue, et on leur donne pour cette raison le nom de calculs muraux; ils sont très-durs, d'une couleur brun foncé ou noirâtre.,, due à un mélange de matière colorante du sang plus ou moins altérée; cet pendant il existe aussi de petits calculs d'oxalate de chaux d'une teinte pâle, et dont la forme ressemble à celle des graines de chènevis. 3° Calculs composés de phosphate ammoniaco-magnésien et de phosphate de chaux. Ils sont de couleur blanche ou grise, de forme ronde ou ovale, d'un' poids assez faible et d'une consistance grumeleuse ou crayeuse. U° Les calculs composés de cystine sont rares; ils ont ordinairement une couleur blanc jaune et une surface lisse, rarement bosselée. 5° Les calculs composés de xanthine sont encore plus rares que les calculs de cystine; ils sont très-durs, d'une couleur jaune-rouge et leur surface est ordinairement polie. 6° Très-souvent on trouve des calculs formés de plusieurs couches de corn- position différente. Quelquefois l'acide urique forme le noyau, l'oxalate de chaux l'enveloppe ; il est rare que l'inverse ait lieu. Le plus souvent on voit de ces calculs stratifiés dont le noyau est formé d'urate ou d'oxalate de chaux et la coque de phosphates, ou bien d'autres sur lesquels ces deux espèces de substances se sont déposées par couches successives et alternant entre elles. Les calculs sont souvent libres dans la vessie et changent de place selon la position prise par le corps; quelquefois ils sont fixés dans des évasements et des diverticulums de la paroi vésicale. La muqueuse vésicale présente les altérations du catarrhe ou de l'ulcération catarrhale. La musculeuse est le plus souvent hypertrophiée; toutefois ces phénomènes peuvent faire défaut quand les concrétions sont polies et légères. CONCRÉTIONS PIERREUSES DANS LA VESSIE. &3 g 3. Symptômes et marche. Quelquefois, mais non souvent, il arrive que les malades atteints de cal- culs vésicaux sentent distinctement dans leur vessie la pre'sence d'un corps étranger qui change de place à mesure qu'ils changent eux-mêmes de posi- tion. Un symptôme plus important et plus constant c'est une douleur dans la région de la vessie, douleur qui augmente quand les individus se tiennent debout, quand ils marchent, vont à cheval ou en voiture, et diminue dans le décubitus dorsal. Les douleurs descendent le long du pénis jusque dans le gland et poussent surtout les enfants à se tirailler le prépuce, ce qui fait que chez eux un gonflement œdémateux du prépuce et une longueur anor- male de la verge constituent des signes, sinon caractéristiques, au moins très-suspects d'un calcul vésical. Pendant la miction le jet est souvent brus- quement interrompu, le calcul venant se placer au-devant du col de la ves- sie; si le malade change alors de position, il peut souvent uriner de nou- veau. Dans les cas même où les premières quantités d'urine sont émises facilement et sans douleur, les plus vives souffrances accompagnent ordinai- rement la fin de la miction. A ces douleurs s'en joignent d'autres dans les testicules, dans les cuisses et dans la région rénale, des contractions spas- modiques de l'anus et même des phénomènes réflexes généraux. Toutefois tous ces symptômes, aussi bien que le catarrhe vésical et l'hématurie surve- nant de temps en temps ne suffisent nullement pour le diagnostic, et l'on doit s'imposer la règle de ne se prononcer définitivement qu'après avoir acquis une certitude absolue au moyen de la sonde. § h. Traitement. La possibilité de dissoudre au moyen de remèdes internes des calculs d'un certain volume est admise en théorie, mais jusqu'à présent un succès de ce genre reste encore à prouver. Selon la composition chimique des calculs vésicaux on a préconisé des médicaments destinés à rendre l'urine alcaline ou à augmenter sa réaction acide. Le premier de ces deux buts est, comme on sait, plus facile à atteindre que le dernier, attendu que les carbonates alcalins et les sels alcalins formés par des acides végétaux et introduits dans le corps, sont toujours rendus avec les urines à l'état de carbonates, tandis que très-difficilement on parvient à augmenter l'acidité de l'urine. L'admi- nistration de l'acide benzoïque, qui passe dans l'urine sous forme d'acide hippurique peut se justifier théoriquement lorsqu'il s'agit de dissoudre des calculs composés de phosphates. Cependant l'usage longtemps continué de 84 MALADIES DES ORGANES URINAIRES. ce médicament, pris à haute dose, est défendu par l'action fâcheuse que l'acide benzoïque exerce sur l'appareil digestif. L'emploi de l'acide tartrique et de l'acide citrique pourrait également exercer une action favorable sur la dissolution des calculs composés de phosphates. Cependant ces médicaments i noffensifs, du reste, n'ont trouvé aucun accès dans la pratique et on a l'ha- bitude, après avoir diagnostiqué la présence de calculs dans les voies uri- naires, d'administrer, sans se préoccuper de leur composition chimique, des carbonates alcalins et d'envoyer les malades aisés à Vichy ou à Carlsbad, ces eaux jouissant d'une réputation universelle contre la lithiase. Peut-être l'effet favorable de cette médication dépend-il de l'influence qu'elle exerce sur le catarrhe des voies urinaires, cette cause essentielle de la lithiase. D'après la théorie de Meckel, l'ingestion de carbonates alcalins ou de sels alcalins formés par des acides végétaux serait indiquée pour la raison que par là l'urine serait rendue alcaline et que le métamorphisme des calculs formés d'oxalate de chaux et d'acide urique, se transformant en phosphates plus mous et d'une] désagrégation plus facile, serait ainsi favorisé. — Quoi qu'il en soit, pour le moment, les praticiens feront très-bien de s'en tenir à la médication ancienne et de ne pas fonder de nouveaux modes de traite- ment sur des raisonnements faits a priori. Outre les carbonates alcalins, et le phosphate de soude basique, dont on administre environ 8 grammes dans la journée, on recommande depuis un certain temps le carbonate de lithine auquel on accorde une efficacité toute particulière contre la lithiase. Je n'attacherais aucune importance à cette recommandation, si elle ne se fon- dait que sur ce raisonnement théorique, que le pouvoir de dissoudre l'acide urique est pour le carbonate de lithine environ six fois plus grand que pour le bicarbonate de soude. Mais comme, abstraction faite de ce raisonnement, nous possédons des observations publiées par des médecins dignes de foi qui parlent en faveur de ce remède après l'avoir essayé au lit du malade, je crois devoir donner le conseil de continuer ces expériences et d'administrer le carbonate de lithine à la dose de 5 à 25 centigr., répétée trois fois par jour. Rien n'empêche de faire boire en même temps de l'eau de Wildungen, de Vichy ou de Carlsbad. Nous avons exposé précédemment le traitement du catarrhe et des hémor- rhagies de la vessie, que les calculs vésicaux occasionnent assez souvent. Les opérations que réclament les calculs vésicaux sont du domaine de la chirurgie. NÉVROSES DE LA VESSIE. 85 CHAPITRE VII. Névroses de la vessie. La physiologie n'a pas encore dit son dernier mot sur l'innervation de la vessie et sur les faits qui se passent dans la miction. Le fait si connu qu'un homme sain qu'on invite à uriner, souvent ne peut y réussir en présence d'un étranger qui veut observer l'acte, et cet autre, que la plupart des indi- vidus qui veulent uriner par la portière d'une voiture ou sans descendre de cheval, n'y réussissent que difficilement au premier essai et le font facile- ment avec un peu d'habitude, ce double fait ne peut être expliqué suffi- samment quant à présent. Malgré ces desiderata, l'étude des anomalie d'innervation de la vessie deviendra plus facile, si nous distinguons encore ici des névroses de la sensibilité et de la motilité, divisées, les premières, en hyperesthésies et en anesthésies, et, les secondes, en hyperkinésies et en akinésies. ARTICLE PREMIER. Hyperesthésie de la vessie. L'hyperesthésie de la vessie s'observe de préférence chez les individus qui se sont adonnés aux excès génitaux et surtout à l'onanisme. Chez eux, il suffit d'une faible quantité d'urine dans la vessie pour provoquer un fort besoin d'uriner (castus raro mirigit). Si l'occasion ne leur est pas fournie de satisfaire immédiatement le besoin, ils éprouvent des douleurs dans la région de la vessie et le long du pénis. Le pouvoir de retenir leurs urines n'est généralement pas diminué chez ces personnes, elles sont donc atteintes d'une hyperesthésie pure, non accompagnée de troubles de la motilité. Mais quelquefois cette excitabilité de la vessie coïncide avec une diminution d'énergie des fibres longitudinales, du détrusor, et ce n'est pas tout à fait sans raison qu'un jet vigoureux passe, aux yeux des personnes étrangères à la médecine, pour un signe de chasteté et un écoulement lent et par gouttes pour le signe du contraire. Des degrés très-élevés d'hyperes- thésie de la vessie s'observent quelquefois après des blennorrhagies. On voit de ces individus qui sont devenus tout à fait incapables de continuer leur profession, parce qu'ils peuvent à peine retenir pendant plus d'un quart d'heure leurs urines et qui, pour cette raison, s'abandonnent à un véritable désespoir. Cette forme de l'hyperesthésie est sans doute constamment 86 MALADIES DES ORGANES URINAIRES. accompagnée d'un léger catarrhe vésical; mais dans tous les cas l'intolé- rance de la vessie pour l'action irritante de son contenu est le symptôme prédominant de ce catarrhe, et jamais je ne l'ai vu accompagné d'une forte production muqueuse. Pour combattre les formes légères de l'hyperesthésie vésicale, telles qu'on les observe chez les individus débauchés et les onanistes, on fait bien d'employer les bains, de mer ou de rivière, les bains de siège froids et les douches froides. — Les formes graves qui suivent les gonorrhées et qui avaient résisté aux traitements hydrothérapiques, aux injections vésicales et à d'autres moyens énergiques, je les ai vues disparaître quelquefois très- rapidement et sans laisser de traces après l'emploi du baume de copahu à haute dose. Nous ne possédons pour le moment aucune observation bien constatée de nèwalgie vésicale proprement dite, c'est-à-dire d'excitation douloureuse des nerfs sensibles de cet organe, indépendante d'une action irritante sur les terminaisons périphériques de ces nerfs. ARTICLE II. Anesthésie de la vessie. Il y a des individus qui, sans éprouver de besoin d'uriner, supportent des accumulations très-considérables d'urine dans la vessie, et que nous ne pouvons cependant pas considérer comme malades. Par contre, il me semble juste d'attribuer l'incontinence nocturne de l'urine à une anesthésie incom- plète des nerfs sensibles de la vessie, à un affaiblissement de l'excitabilité de ces nerfs. Ce mal si triste qui expose parfois ses victimes aux traitements les plus barbares et qui détruit le bonheur de bien des familles lorsque des enfants en sont atteints, est généralement rapporté à un état paralytique de la vessie. Mais si nombreux que soient les cas d'incontinence nocturne ob- servés par moi, jamais je n'ai pu m'apercevoir que, dans le cours de la journée, le sphincter de la vessie refusât le service, que les enfants lais- sassent échapper l'urine par gouttes, ni qu'ils fussent pressés pour gagner le vase en sentant le besoin d'uriner. Il n'y a donc que deux explications possibles pour l'incontinence nocturne : ou bien la sensation provoquée par l'accumulation de l'urine existe, mais n'est p assez forte pour réveiller les enfants d'un sommeil normal ; ou bien la sensation est d'une force normale, mais le sommeil est extraordinairement profond. Dans ce dernier cas^ il en serait de l'incontinence nocturne comme des chutes que les enfants font quelquefois hors de leur lit sans s'éveiller. Chez les malades observés par moi, surtout chez les malades adultes, il m'a été impossible de constater un NEVROSES DE LA VESSIE. 87 sommeil extraordinairement profond. Heureusement il est rare que l'incon- tinence nocturne, qui se rencontre surtout chez les enfants et persiste sou- vent jusqu'à L'âge de la puberté, dure au delà de la vingtième année. Il est essentiel que l'on connaisse cette circonstance ; car c'est en ouvrant cette perspective que l'on accorde la meilleure consolation aux malades déses- pérés et à leur famille. Quand un enfant est atteint d'incontinence nocturne on évite ordinaire- ment de le laisser boire dans la soirée et de prendre des aliments liquides, en outre on le réveille une ou deux fois la nuit pour l'engager à uriner. Il n'y a rien à objecter contre ces mesures quoiqu'elles ne conduisent presque jamais au but. Mais je proteste avec la plus grande énergie contre la cruauté de battre les malades ou de sévir d'une autre manière, toutes les fois que l'habitude de pisser au lit ne peut être attribuée à la paresse. Dans les familles et plus encore dans les pensions et les orphelinats, dans les hospices et dans les prisons on inflige ordinairement pendant des années entières et sans aucun résultat des punitions aux individus atteints de cette infirmité ; et, si l'on se donne la peine d'écouter l'histoire de certains individus appar- tenant aux classes inférieures et atteints d'incontinence nocturne, on se con- vaincra que certainement ce n'est pas le trop de mansuétude qui a été cause de l'insuccès de la méthode employée. Sans vouloir essayer d'expliquer la chose, je me contenterai de rappeler le fait connu, que souvent la crainte de s'endormir fait qu'on s'endort, et que le désir de s'endormir produit un effet contraire; que, lorsqu'on veut se lever à une certaine heure, la crainte de se réveiller trop tard fait que précisément cet accident nous arrive et, qu'au contraire, la confiance dans le réveil au temps voulu est une garantie. D'une façon tout à fait analogue, on remarque que des individus rudement châtiés la veille, et qui s'endorment avec la crainte d'une nouvelle correction, trouvent leur lit inondé en s' éveillant; si l'on parvient au contraire, peut- être en administrant un médicament tout à fait indifférent et dont on exalte beaucoup la vertu, à ramener la confiance dans l'esprit des malades, si, en un mot, les enfants s'endorment pleins d'espoir au lieu d'être tourmentés par la crainte, ils seront guéris temporairement ou définitivement de leur maladie. De temps à autre les journaux vantent des remèdes secrets contre l'incontinence nocturne et publient des certificats à l'appui de l'efficacité de ces remèdes ; bien certainement ces certificats ne sont pas tous mensongers; mais il est tout aussi positif que le succès est dû bien plus à l'influence mo- rale de la promesse qu'à l'action médicamenteuse de la substance employée. Un ne doit jamais se lasser d'éveiller de nouvelles espérances, de prescrire des substances indifférentes dont on promet l'efficacité. Même chez les petits entants, et plus encore chez les adultes, j'ai vu cette manière d'agir suivie d'effets d'abord passagers et plus tard durables, au grand élonnement des malades et de leur famille. D'habitude je prescrivais de petites doses de bi- 88 MALADIES DES ORGANES URINAIRES. carbonate de soude et tout récemment, d'après le conseil de Trousseau, 1 à 2 centigrammes de poudre d'herbe de belladone avec parties égales d'ex- trait, à prendre le soir. Des remèdes énergiques tels que la strychnine, les cantharides, le sirop d'iodure de fer à haute dose, ainsi que les injections de liquides irritants dans la vessie sont à rejeter. Cependant il importe de se préoccuper de toutes les autres indications qui peuvent ressortir de l'état des malades. ARTICLE IH. Hyperkinésie de la vessie. — Spasme de la vessie. Des contractions violentes des muscles de la vessie se produisent très- souvent à la suite de l'irritation qu'exercent sur la paroi interne de l'organe des corps étrangers, surtout des calculs; elles accompagnent en outre la plupart des maladies organiques de la vessie. Mais nous n'avons pas l'habi- tude de compter parmi les névroses les états d'excitation anormale des nerfs moteurs d'un organe, lorsque ces états ne sont que des phénomènes réflexes survenant à la suite d'une excitation des nerfs sensibles du même organe, atteint d'une lésion organique ; il ne nous est donc pas permis de désigner du nom de spasme vésical les contractions purement symptomatiques des muscles vésicaux, et nous devons réserver ce nom aux états d'excitation anormale des nerfs moteurs de la vessie qui se manifestent en dehors de toute altération de texture appréciable de la paroi vésicale. Romberg admet, comme causes du spasme de la vessie, des influences cérébrales, spinales et réflectives. Pour ce qui concerne les premières, je rappellerai le fait connu que si les excitations du grand sympathique sont soustraites à l'empire de la volonté, elles ne sont nullement indépendantes de l'excitation des fibres et des ganglions cérébraux. Les passions exercent une influence manifeste sur l'excitation des filets du grand sympathique, et, tout comme sous l'influence de la crainte et de la frayeur nous voyons se contracter les fibres musculaires de la peau, se produire, en un mot, le phé- nomène connu sous le nom de chair de poule, nous observons aussi sous la même influence une contraction du plan musculaire de la vessie et un fort besoin d'uriner. En cas d'irritation inflammatoire de la moelle épinière et de maladies organiques du cerveau, il se produirait également, d'après Romberg, des contractions spasmodiques du détrusor, phénomène qui sem- ble difficile à expliquer vu que ce plan musculaire est innervé par le grand sympathique, mais qui trouve au moins une analogie dans les spasmes vési- caux provoqués par les passions. La plupart des spasmes vésicaux naissen par voie réflexe. Chez les individus très-irritables il suffit de l'excitation des NÉVROSES DE LA VESSIE. 89 nerfs sensibles de l'urèthre par l'introduction de la sonde pour déterminer des contractions du sphincter de la vessie ; dans d'autres cas, les spasmes vésicaux sont produits par l'irritation du rectum et surtout par celle de l'utérus. Ajoutons enfin le spasme vésical, qui n'est qu'un symptôme local de névroses plus étendues et qui dépend d'une excitabilité morbide de tout l'ensemble du système nerveux, connue généralement sous le nom d'hys_ térie. Les symptômes du spasme de la vessie diffèrent selon que la contraction musculaire intéresse les fibres du détrusor ou celles du sphincter. Dans le premier cas, un fort besoin d'uriner se déclare aussitôt qu'une faible quan- tité d'urine s'est réunie dans la vessie; ce n'est pas sans peine que les ma- lades parviennent à empêcher, parla contraction du sphincter, l'écoulement continuel de l'urine, ou bien il leur est absolument impossible de retenir l'urine qui s'écoule d'une manière continue, état auquel on a donné le nom d'incontinence spasmodique (ennresis spastica). Si ce sont, au contraire, les fibres musculaires du sphincter qui sont affectées de contraction spasmo- dique, les malades n'arrivent qu'avec grand'peine à laisser écouler l'urine goutte à goutte ou à l'expulser par un jet très-mince; c'est alors ce que l'on appelle une dysurie spasmodique (dysuria spastica) ; ou bien enfin l'occlusion de la vessie est complète, il y a rétention absolue, ischurie spasmodique. Lorsque enfin les deux antagonistes, le sphincter et le détrusor sont égale- ment affectés de spasme, il se produit un état éminemment pénible, violent besoin d'uriner d'une part, et impossibilité plus ou moins complète de satis- faire ce besoin d'autre part. Dans ce cas l'affection spasmodique peut aussi s'étendre à d'autres organes, surtout à des organes voisins, et il peut se pro- duire un ténesme rectal, un tremblement de tout le corps, des convulsions générales. Un fait caractéristique pour le spasme de la vessie, ce sont les alternatives d'intervalles libres et de paroxysmes violents; souvent ces der- niers ne durent que quelques minutes, d'autres fois ils se prolongent pen- dant une demi-heure et plus. Ils se répètent par intervalles plus ou moins longs et disparaissent ordinairement aussi rapidement qu'ils sont venus. Le diagnostic du spasme vésical proprement dit doit être fait avec réserve, la maladie n'étant pas très-fréquente et étant souvent difficile à distinguer d'autres états morbides de la vessie. Uniquement, lorsqu'à l'aide d'un exa- men attentif de l'urine et de tous les phénomènes concomittants, on peut exclure sûrement ces derniers et que, par un cathétérisme répété, on s'est assuré de l'absence de corps étrangers, il est permis de songer à une hyper- kynésie pure de la vessie. Dans le traitement du spasme vésical, il faut avant tout songer à remplir l'indication causale. Ainsi il peut devenir nécessaire de guérir des fissures à l'anus ou de faire disparaître des hypérémies et des inflammations chroniques de l'utérus, et les moyens employés en vue d'atteindre ces résultais peuvent 90 MALADIES DES ORGANES URINA1RES. être les plus sûrs ou les seuls efficaces contre le spasme de la vessie. Dans d'autres cas ce dernier disparait, quand on parvient à modifier la nutrition et la constitution du malade et à faire disparaître l'excitabilité morbide du système nerveux par un changement profond imprimé aux conditions exté- rieures qui entourent le malade. — Pendant la durée des paroxysmes, on prescrira des bains chauds, des bains de siège, des lavements de camomille ou de valériane additionnés de substances narcotiques et avant tout l'usage interne des préparations opiacées. Pitha recommande en outre très-forte- ment d'introduire avec douceur et précaution des bougies molles en cire dans la vessie. ARTICLE IV. Akinésie de la vessie. — Paralysie de la vessie. — Cystoplégie. La paralysie de la vessie peut frapper le sphincter ou le détrusor seul, ou les deux antagonistes à la fois. Les contractions du détrusor ne dépendent pas de l'influence de la volonté, mais se font réflectivement par l'action excitante de l'urine accumulée dans la vessie. Les contractions du sphincter sont au contraire soumises à l'empire de la volonté. La simple tonicité du muscle constricteur suffit jusqu'à un certain moment pour résister aux contractions du détrusor qui exercent une pression sur le contenu de la vessie et tendent à en di- later l'orifice. Mais dès que ce moment est venu et que la quantité d'urine réu- nie dans le réservoir est devenue plus considérable, la tonicité est vaincue et il faut alors que la volonté intervienne pour contracter le sphincter et pré- venir l'écoulement de l'urine. — Ces faits physiologiques jettent un certain jour sur les causes de la paralysie de la vessie. Tout d'abord on s'explique faci- lement que les maladies organiques du cerveau aussi bien que les maladies fé- briles graves qui ont pour effet de troubler l'exercice des fonctions cérébrales occasionnent très-fréquemment une paralysie du sphincter et beaucoup plus rarement celle du détrusor. Le nombre d'individus atteints d'apoplexie et de fièvre typhoïde qui rendent l'urine involontairement est beaucoup plus considérable que celui des individus atteints de ces mêmes maladies, que l'on est forcé de sonder. Si la paralysie finit par s'étendre du système céré- bro-spinal au grand sympathique, si les mouvements involontaires sont ar- rêtés de leur côté, si le malade ne peut plus avaler, si le ventre est ballonné par l'effet de la paralysie des muscles intestinaux, alors le détrusor prend part à la paralysie et la vessie s'élève au-dessus de la symphyse. Mais ce qui contribue essentiellement à la production d'une incontinence d'urine dans les états que nous venons de mentionner, c'est cette circonstance que la ré- NÉVROSES DE LA VESSIE. 91 plétion et le regorgement de la vessie, de même qu'un grand nombre d'autres états anormaux des organes périphériques n'arrivent pas à la con- science du malade et que, par conséquent, la volonté ne peut donner aucune impulsion pour contracter le sphincter et fermer la vessie. Enfin nous n'o- mettrons pas défaire remarquer que dans certains cas d'apoplexie, de fièvre typhoïde grave, etc., la paralysie du détrusor se manifeste de très-bonne heure et avant les symptômes de la paralysie générale, phénomène que nous ne pouvons expliquer d'aucune manière. — Dans les maladies de la moelle épinière nous observons également, et pour la même raison physio- logique que dans les maladies que nous venons de mentionner, beaucoup plus souvent une paralysie du sphincter qu'une paralysie du détrusor. La plupart des individus atteints de paraplégie à la suite de l'interruption du pouvoir conducteur de leur moelle épinière sont forcés de faire usage d'un urinai pour parer aux inconvénients de l'incontinence ; au contraire, il est excessivement rare qu'on soit obligé de les sonder à cause d'une paralysie du détrusor. Si ce dernier accident se présente néanmoins quelquefois chez ees individus, cela tient peut-être souvent au siège de la lésion. Il paraît que ce sont les ganglions de la moelle épinière qui transmettent l'excitation des nerfs sensibles de la vessie à ses nerfs moteurs; il n'est donc pas impossible que si l'endroit de la moelle épinière où cette transmission a lieu est dé- truite, le détrusor soit paralysé, et que par contre, en cas de lésion de la moelle au-dessus de. cet endroit, l'excitation cesse d'être transmise, il est vrai, du cerveau au sphincter, mais que la conduction de l'excitation des nerfs sensibles de la vessie aux nerfs moteurs du détrusor continue d'avoir lieu. Dans un grand nombre de cas que j'ai eu l'occasion d'étudier et de comparer sous ce rapport dans les dernières années, cette supposition s'est parfaitement vérifiée. — A ces formes de paralysie de la vessie dont la cause est d'origine centrale, s'en ajoutent d'autres dans lesquelles les terminaisons périphériques des nerfs subissent des changements qui anéantissent leur exci- tabilité; ordinairement, il est vrai, nous ne sommes pas en état de fournir la preuve anatomique de ces changements. Enfin il nous reste à mentionner les paralysies myopathiques de la vessie, déterminées par une altération de texture intime des fibres musculaires et des terminaisons nerveuses qui s'y trouvent renfermées. Les causes les plus communes de cette forme de pa- ralysie de la vessie sont les forts tiraillements des muscles vésicaux et leur participation aux affections de la muqueuse. Ainsi une distension excessive de la vessie, ne s' étant peut-être produite qu'une seule fois cl provoquée soit par un obstacle mécanique à l'évacuation de l'urine, soit par une con- trainte excessive qu'un individu a pu être dans le cas de s'imposer, peut être suivie d'une paralysie durable de la vessie. De même le catarrhe de fa ves- sie, surtout chez les vieillards, peut, en étendant son influence sur les muscles de l'-organe, avoir polir résultat cette paralysie. 92 MALADIES DES ORGANES URINAIRES. Les symptômes de la paralysie de la vessie diffèrent selon le siège de la paralysie. Si cette dernière reste bornée au sphincter, mais est complète, l'urine s'écoule involontairement, aussitôt que la vessie est arrivée à un degré de plénitude trop élevé pour que la simple tonicité du muscle constricteur suffise à maintenir l'orifice fermé. Si la paralysie du sphincter est incomplète, les malades parviennent, il est vrai, à résister momentanément au besoin quand la vessie est un peu plus remplie, mais il faut qu'ils se hâtent d'uri- ner, parce que, pour peu qu'ils hésitent et que la pression de l'urine aug- mente, le sphincter refuse le service. C'est précisément cette paralysie incomplète du sphincter que l'on rencontre extrêmement souvent dans les affections de la moelle épinière, en même temps qu'une paralysie incom- plète des extrémités inférieures; et elle trouve son explication dans une in- terruption non totale, mais partielle, de la conduction spinale. Dans laparalysie du détrusor, une collection d'urine suffisante pour vaincre, sous l'influence des contractions de ce muscle, la tonicité normale du sphinc- ter, ne suffit plus pour amener ce résultat. La vessie se distend outre me- sure si on ne la vide pas artificiellement, et ce n'est que par une tension excessive de la paroi vésicale ou par l'action des muscles abdominaux, quand ces derniers ne prennent pas part à la paralysie, qu'une partie du contenu de la vessie est expulsée. S'il n'y a pas de complication, si le détrusor est seul paralysé, le malade peut retarder et interrompre l'émission. — Lorsque la paralysie du détrusor est incomplète, la vessie ne se distend pas à un degré aussi élevé avant l'émission de l'urine que dans le cas contraire; mais pen- dant l'émission les malades cherchent à seconder l'action du détrusor en mettant en activité les muscles abdominaux, de sorte que souvent en urinant ils laissent échapper des gaz par l'anus; malgré les plus grands efforts, ils ne rendent pas l'urine par un jet vigoureux, mais l'urine leur tombe verti- calement et goutte à goutte entre les jambes. Cette forme incomplète de la paralysie du détrusor se rencontre de préférence chez les individus épuisés et affaiblis par des excès génitaux. Enfin, chez les malades atteints à la fois de paralysie du sphincter et du détrusor, la vessie est continuellement distendue outre mesure, la tonicité du sphincter étant vaincue plus tard que dans les conditions normales. Mais toute augmentation plus considérable du contenu de la vessie provoque l'écoulement d'une quantité d'urine correspondante et le malade n'est pas en état d'empêcher ou d'interrompre cet écoulement. Ordinairement les malades ne s'aperçoivent pas de la plénitude de leur vessie, ils ne réclament le secours de l'art que pour être guéris de l'incontinence perpétuelle de l'u- rine et se montrent généralement très-étonnés quand, au moyen de la sonde, on retire de leur vessie une quantité d'urine souvent énorme. Dans le traitement de la paralysie de la vessie il est rare que l'on soit en NEVROSES DE LA VESSIE. 93 état de remplir l'indication causale. Cette remarque s'applique principale- ment aux formes provoquées par les maladies du cerveau ou de la moelle épinière. Dans les paralysies provenant d'une distension excessive de la vessie, il importe d'appliquer très-souvent la sonde, d'une part pour préve- nir une dilatation plus grande de la vessie, qui aurait pour effet une para- lysie plus considérable de l'organe, d'autre part pour stimuler, par l'excita- tion de la sonde, le détrusor à des contractions plus énergiques. En cas de paralysie incomplète, Pitha recommande d'introduire dans le col de la vessie une bougie pleine, au lieu d'une sonde creuse, parce que selon lui la sonde creuse dispenserait la musculeuse vésicale de tout effort et favoriserait ainsi son atonie. — L'indication de la maladie peut être remplie par l'application du froid sous forme de lotions froides, de douches froides et de lavements froids. Si ces moyens ne donnent aucun résultat et si la cause de la paralysie est d'origine périphérique, on fait bien de recourir à des injections d'eau dans la vessie, d'abord tièdes et ensuite de plus en plus froides. Si ces in- jections restent encore sans effet, l'emploi de l'électricité, préconisé par Duchenne, ne donnera probablement pas de meilleurs résultats. Nous ne pen- sons pas non plus qu'il y ait un cas de guérison bien constaté de paralysie de la vessie par la strychnine, dont on a également conseillé l'emploi. QUATRIEME SECTION MALADIES DE L'URÈTHRE. CHAPITRE PREMIER. Catarrhe virulent de l'urèthre chez l'hAinine. — Sîlennori'hagÊe. Gonori'hée. — Chaudepisse. Dans cette section, pour rester fidèle à notre plan, nous passerons sous si- lence toutes les maladies du canal de l'urèthre, qui rentrent dans le domaine de la chirurgie et qui sont exposées in extenso dans les traités de pathologie externe. Nous n'aurons donc à nous occuper ici que des inflammations de ce canal. § 1. Pathogénie et étiologie. Dans cette affection, la muqueuse de l'urèthre ne subit aucune modifica- tion spécifique; les phénomènes qu'on y rencontre sont les mêmes que ceux que l'on observe sur d'autres muqueuses sous l'influence des causes morbi- fiques les plus diverses et que l'on a désignés du nom de catarrhe ou de blennorrhée. Néanmoins, la chaudepisse est une maladie spécifique : sa marche la distingue essentiellement de tous les autres catarrhes qui se dé- veloppent soit sur la muqueuse de l'urèthre elle-même, soit sur d'autres muqueuses; mais c'est sous le rapport étiologique que la différence est le plus marquée; car jamais une chaudepisse ne se développe autrement que par contagion, et cela malgré les assertions contraires et persistantes de quelques autorités et les dénégations mensongères de quelques malades hon- teux d'avouer leur écart. — Le principe infectant, le virus blennorrhagique, nous est aussi inconnu que lé virus de la variole et d'autres principes qui infectent l'économie; mais nous savons que ce virus exerce une action spé- cifique sur le corps, qu'il produit toujours une blennorrhagie, jamais une autre maladie et entre autres jamais un chancre ou ulcère syphilitique. Sur la question de savoir si une blennorrhagie peut entraîner des accidents. CATARRHE VIRULENT DE L'URETHRE, BLENNORRHAGIE, GONORRHÉE. 95 secondaires et une affection générale du corps, les avis sont, il est vrai, tou- jours partagés, mais les auteurs même qui croient aux métastases blennor- rhagiques et à une infection générale du corps par cette maladie sont au- jourd'hui assez généralement d'accord que ces affections secondaires se distinguent essentiellement des suites d'une affection syphilitique et n'ont rien de commun avec la syphilis constitutionnelle. Le contagium blennor- rhagique est un contagium 'fixe; son véhicule, c'est la sécrétion de la mu- queuse malade, et il n'y a que le contact avec cette sécrétion d'une muqueuse apte à la contagion qui soit suivi de la transmission de la maladie d'un indi- vidu à un autre ou, chez le même individu, de la muqueuse d'un organe à celle d'un autre. — Entre le moment où l'individu a été contaminé et l'in- vasion de la maladie, il s'écoule, comme pour d'autres maladies contagieuses, un laps de temps que l'on appelle la période d'incubation de la chaudepisse. La durée de l'incubation varie entre trois et huit jours ; si la chaudepisse se déclare beaucoup plus tôt, par exemple vingt-quatre heures après un coït impur, ou beaucoup plus tard, par exemple au bout de trois ou quatre se- maines, ce sont des faits qui, si réellement ils existent (Simon), doivent être considérés comme des exceptions infiniment rares. Si l'on est crédule on rencontre des cas où l'incubation a été encore bien plus longue. Tout mé- decin habitué à voir beaucoup d'individus atteints de blennorrhagie, surtout des malades appartenant aux classes supérieures, fera la remarque qu'un individu se décidera plus facilement à avouer un excès rommis depuis plu- sieurs semaines qu'un fait plus récent de ce genre; plus le malade est hon- teux, plus il esttenté de reculer la date de sa faute. Les gens mariés méritent sous ce rapport le moins de confiance et on aurait tort de s'y fier quand ils affirment qu'ils avoueraient tout aussi volontiers un écart commis il y a quelques jours qu'une faute plus ancienne. Il n'arrive pas toujours que le contact d'une muqueuse avec le virus blen- norrhagique soit suivi de contagion ; la prédisposition varie au contraire sous ce rapport beaucoup selon les individus. L'expérience journalière nous apprend que de deux hommes qui ont vu la même femme atteinte de vagi- nite virulente, l'un peut gagner une chaudepisse et l'autre rester indemne. Nous ignorons les causes de cette prédisposition plus ou moins prononcée à l'infection blennorrhagique ; ni l'excitation plus ou moins grande pendant le coït, ni l'introduction plus ou moins complète de la verge, ni une accou- tumance plus ou moins grande de l'organisme exposé à l'organisme infectant ne rendent suffisamment compte de ces différences. Il n'y a pas lieu de se perdre dans les hypothèses sans fondement pour expliquer un fait aussi sin- gulier; et, en effet, nous ne savons même pas pourquoi des diverses mu- queuses du corps humain il n'y a que celle de l'urèthre, des parties génitales de la femme, la conjonctive et jusqu'à un certain point celle du rectum, qui soient prédisposées à l'inflammation gonorrhéique, taudis que toutesles 96 MALADIES DES ORGANES URINAIRES. autres montrent une immunité complète à l'égard de cette infection. Même les diverses sections d'une seule et même muqueuse ont une prédisposition différente à l'inflammation gonorrhéique ; tandis que, par exemple, le pro- duit infectant agit de préférence sur l'orifice de l'urèthre, la chaudepisse se développe tout d'abord et de préférence dans la fosse naviculaire. § 2. Anatomie pathologique. On a rarement l'occasion de faire l'autopsie d'un individu atteint de blen- norrhagie, et il a fallu même un temps assez long pour nous donner la cer- titude que cette maladie a réellement son siège dans l'urèthre. Dans les go- norrhées récentes, la muqueuse de l'urèthre est rougie, injectée, tuméfiée et couverte d'une sécrétion puriforme. Il importe de savoir, pour le pronostic et le traitement de la gonorrhée, que ces modifications ne se montrent, pendant le premier et le second septénaires, que dans la partie antérieure du canal de l'urèthre et surtout dans la fosse naviculaire, si amplement pourvue de glandes, et que plus tard seulement elles s'étendent de là aux portions membraneuse et prostatique. Dans les formes très-violentes de la blennorrhagie, les inflammations de la muqueuse sont parfois compliquées d'inflammations et d'infiltrations des corps caverneux ayant pour effet de rétrécir d'une part l'urèthre et d'empêcher d'autre part le gonflement xini- forme du pénis pendant l'érection. Il arrive beaucoup plus rarement que dans les blennorrhagies violentes il se développe des abcès dans le tissu sous-muqueux et, ce qui est beaucoup plus grave, une inflammation et une fonte suppurée de la prostate. Les vaisseaux lymphatiques du pénis peuvent également prendre part à l'inflammation et un gonflement sympathique des ganglions de l'aine forme une complication assez commune de la gonorrhée, quoique la suppuration de ces ganglions soit dans ces circonstances un fait des plus exceptionnels. Comme complications très-fréquentes delà chaudepisse, nous signalerons enfin l'inflammation de l'épididyme et l'inflammation catarrhale de la vessie; l'une et l'autre ne se développent ordinairement qu'à la fin du premier ou du second septénaire, c'est-à-dire à une époque où l'inflammation s'est déjà étendue à la portion prostatique du canal et a, par conséquent, pu se pro- pager sur les canaux déférents et le col de la vessie. Dans les gonorrhées chroniques, on trouve la muqueuse boursouflée et couverte par-ci par-là de végétations fongueuses ; ses follicules sont augmen- tés de volume; la sécrétion est devenue plus muqueuse. Dans beaucoup de cas, le tissu sous-muqueux est hypertrophié, plus serré et intimement uni avec la muqueuse dans une étendue plus ou moins grande; ces modifica- tions sont la cause de la plupart des rétrécissements de l'urèthre. CATARRHE VIRULENT DE L'URETHRE, BLENNORRHAGIE, GONORRHÉE. 97 S 3. Symptômes et marche. Le début de la chaudepisse est ordinairement marqué par une sensation de chatouillement, encore exempte de douleur, accompa- gnée de la sécrétion d'un mucus rare et transparent. Le méat uri- naire est légèrement rougi et ses lèvres sont ordinairement agglutinées par la sécrétion desséchée dont une lamelle mince couvre aussi le sommet du gland. Le besoin d'uriner augmente, les malades ont souvent des pollutions nocturnes et de fréquentes érections pendant le jour, qui les poussent quelquefois à de nouveaux excès. — Peu à peu, et ordinairement déjà après un jour ou deux, la démangeaison est remplacée par une douleur brûlante qui s'étend de l'orifice de l'urèthre jusqu'à la fosse naviculaire. Les douleurs augmentent et arrivent, pendant la miction, à un degré très- élevé. Le besoin d'uriner devient encore plus fréquent qu'au début de la maladie, mais il ne part, à chaque miction, que quelques gouttes d'urine au milieu des plus vives douleurs. Le produit de la sécrétion, d'abord rare, visqueux et transparent, devient de plus en plus abondant, plus épais, plus purulent et laisse dans le linge des taches jaunes et roides; les lèvres du méat sont rouges et tuméfiées; la verge, surtout le gland, est plus ou moins enflée; l'urèthre est sensible à la pression extérieure dans toute sa longueur. Irrité par le produit qui s'écoule continuellement, ou bien par le simple fait d'une extension de l'inflammation, le prépuce s'excorie souvent à ce mo- ment et devient œdémateux; à la sécrétion qui s'écoule de l'urèthre, se mêle le produit d'une balanite (blennorrhagie du gland)! Si l'ouverture du pré- puce est étroite, il se produit facilement un phimosis et, si les malades retirent imprudemment le prépuce derrière le gland, un paraphimosis. Les érections sont encore plus fréquentes à cette période qu'au début de la ma- ladie; mais la tension à laquelle l'urèthre enflammé est soumis pendant l'érection occasionne aux malades les plus vives douleurs, les prive du repos de la nuit et les engage souvent à recourir aux moyens les plus étranges pour échapper à ces tourments. — Tous ces phénomènes, les douleurs en minant, l'écoulement d'un pus jaune verdàtre, la rougeur et le gonflement de l'urèthre, le priapisme douloureux, augmentent en général en intensité pendant huit à quinze jours. Après avoir atteint au bout de ce temps leur point culminant, les douleurs en urinant diminuent peu à peu, la rougeur et le gonflement de l'orifice de l'urèthre commencent à se perdre, les érec- tions deviennent plus rares et moins douloureuses; mais c'est précisémenl à ce moment que l'écoulement est souvent le plus abondant, ce qui l'ail que les gens du monde attachent à ce symptôme une signification favorable cl HIEMEYER. " — 7 98 MALADIES DES ORGANES UR1NA1RES. s'imaginent qu'il « faut faire couler la chaudepisse » pour trouver du sou- lagement. Au bout de huit à quinze jours, l'écoulement commence à devenir plus rare, reprend son caractère muqueux et peut enfin disparaître dans le cin- quième ou le sixième septénaire sans aucune intervention de Fart, comme cela est suffisamment démontré par les résultats du traitement homœopa- thique. Mais beaucoup plus souvent un écoulement muqueux très-peu abon- dant persiste un temps très-long, par exemple pendant des mois et même des années. Pendant le jour ce produit colle ensemble les bords du méat urinaire, si des intervalles d'une certaine longueur ont existé entre les émis- sions d'urine; le matin, au réveil, il s'est formé ordinairement une plus grosse goutte qui s'échappe après que les bords agglutinés de l'orifice se sont séparés. Les taches roides que cet écoulement forme dans le linge ont une teinte grise; mais ordinairement on trouve dans leur milieu de petites places jaunes. Un pareil écoulement s'appelle chaude'pisse chronique ou goutte militaire. Si pendant sa durée les malades s'exposent à des influences nui- sibles, une recrudescence s'opère assez souvent dans la gonorrhée; les dou- leurs, il est vrai, ne reviennent pas, mais l'écoulement redevient plus abondant et plus purulent. Les excès in Baccho et Venere exercent sous ce rapport l'action la plus fâcheuse, mais même les refroidissements et de trop grandes fatigues paraissent produire le même effet. Les symptômes et la marche de la gonorrhée montrent bien des différences. Celles-ci peuvent se rapporter d'abord au degré et à la durée des phéno- mènes inflammatoires, de la douleur, de la rougeur et de la tuméfaction de la muqueuse uréthrale. On a voulu baser sur ces différences une classifica- tion de la chaudepisse en diverses espèces, et on est allé jusqu'à distinguer une forme érysipélateuse, synochale, éréthique et torpide, divisions qui n'offrent aucune utilité pratique. Ordinairement les phénomènes inflamma- toires qui accompagnent la première chaudepisse sont beaucoup plus vio- lents que ceux de la seconde ou de la troisième chez le même individu ; cependant il y a sous ce rapport des exceptions. Si la gonorrhée est très- intense et accompagnée d'une forte hypérémie de la muqueuse, il se fait assez souvent des ruptures de petits vaisseaux et des hémorrhagies, aux- quelles la sécrétion blennorrhagique emprunte une coloration rougeâtre ou brunâtre. Le public attache à cette coloration une signification très-grave, mais les hémorrhagies d'où elle résulte n'ont rien de dangereux. — Un fait plus sérieux, ce sont les flexions que le pénis montre quelquefois pendant l'érection et que l'on a désignées du nom de corde (chaudepisse. cordée). Les flexions tiennent à ce fait qu'une portion enflammée des corps caver- neux a perdu son extensibilité et ne prend pas part au gonflement du pénis. Il peut arriver que cette partie enflammée devienne à jamais imperméable et qu'à la suite de cet accident le pénis prenne toujours une fausse direction CATARRHE VIRULENT DE L'URÈTHRE, BLENNORRHAGIE, GONORRHÉE. 99 pendant l'érection, ou bien, si les corps caverneux sont devenus en un endroit imperméables dans toute leur circonférence, que le pénis ne puisse se tuméfier par la suite que depuis sa racine jusqu'à cet endroit. — Parmi les accidents peu sérieux qui peuvent survenir dans le cours d'une gonorrhée, il faut encore compter la formation de petits abcès au pourtour de l'urèthre. Les symptômes caractéristiques de ces abcès sont des douleurs plus intenses, s' exaspérant à la pression, et des gonflements durs dans quelques endroits limités du trajet de ce canal. La marche de ces abcès est presque toujours bénigne, qu'ils s'ouvrent à l'extérieur ou dans l'urèthre. — Une complica- tion beaucoup plus grave, mais aussi plus rare, de la gonorrhée, c'est l'in- flammation et la fonte suppurée de la prostate. Il survient assez souvent un gonflement hypérémique dans la prostate, sous l'influence de la blennor- rhagie, c'est ce qui ressort clairement de la sensation de pression désagréable au périnée qu'accusent la plupart des individus atteints de cette affection, comme aussi des tuméfactions et indurations si fréquentes de la prostate, que l'on rencontre chez des vieillards qui ont eu des chaudepisses pendant leur jeunesse. Si la prostate devient le siège d'une inflammation violente, il se déclare des douleurs très-pénibles au périnée, que les malades comparent à une pression, à un tiraillement ou à des battements douloureux et qui s'irradient vers la vessie et le rectum, où elles atteignent une intensité extra- ordinaire pendant la défécation et la miction. Une tumeur plus ou moins étendue se sent aussi bien par le périnée que par le rectum. L'émission de l'urine devient de plus en plus difficile et la dysurie peut s'exaspérer jusqu'à devenir une rétention complète de l'urine. Si l'inflammation passe à la sup- puration, il se forme des abcès qui s'ouvrent en dehors ou en dedans et qui donnent lieu aux accidents les plus graves et les plus variés, et dont nous abandonnons la description aux traités de chirurgie. — La lymphangite et la lymphadénite blennorrhagiques n'offrent rien de particulier; la résolu- tion est la terminaison ordinaire des bubons blennorrhagiques, leur suppu- ration est si éminemment rare que dans les cas tant soit peu douteux cet accident prouve d'une manière positive l'existence d'un chancre glandulaire. — Enfin, l'inflammation blennorrhagique du testicule, la plus commune des complications de la gonorrhée, provient manifestement de l'extension de l'inflammation de l'urèthre aux vésicules séminales et au canal déférent. Vu commencement, les douleurs ne sont pas très-violentes dans le cordon spermatique, dans l'épididyme et dans le testicule, et le malade n'accuse qu'une sensation de pesanteur dans le testicule; mais bientôt les douleurs augmentent et l'épididyme, où l'inflammation a son siège principal, devient excessivement sensible à la plus légère pression. Au gonflement dur et ir- régulier, formé par l'épididyme enflammé, s'ajoute bientôt un épanchement aigu dans la tunique vaginale du testicule, par suite de laquelle cet organe acquiert en peu de jours le volume d'un œuf d'oie ou du poing. Le testi- 100 MALADIES DES ORGANES URINA1RES. cule agrandi est assez peu mobile, parce que le cordon spermatique épaissi et induré cède moins qu'à l'état normal. Plus l'épanchement dans la tunique vaginale est considérable, plus la sensibilité à la pression du testicule tuméfié se limite à la région de Fépididyme. Dans la plupart des cas, la maladie se termine par résolution, mais presque toujours une induration légère de Fépididyme persiste pendant plus ou moins longtemps, quelque- fois pendant la vie entière et devient pour quelques malades une source de soucis hypochondriaques que rien ne justifie. Quelquefois, surtout chez les malades atteints de varicocèle, l'inflammation blennorrhagique du testicule récidive une ou plusieurs fois. Presque toujours l'écoulement par l'urèthre se perd pendant la durée de l'inflammation, mais presque toujours aussi cet écoulement revient, une fois que l'inflammation du testicule est dissipée. Les terminaisons par fonte suppurée, par dégénérescence tuberculeuse ou par induration du testicule, sont beaucoup plus rares. Sous le nom de métastases blennorrhagiques on a désigné pendant un cer- tain temps les états morbides les plus variés, lorsqu'ils survenaient chez des individus qui avaient traversé des gonorrhées. Il est impossible, pour la plupart de ces états, de constater un rapport de causalité entre eux et la blennorrhagie, et il n'y a que la blennorrhagie oculaire et les inflammations articulaires connues sous le nom de rhumatisme ou d'arthrite blennorrha- gique, qui méritent jusqu'à un certain point le nom de métastases blennor- rhagiques. La première provient de la transmission directe du virus sur la conjonctive, et représente une des plus terribles conséquences de la chaude- pisse. J'ai vu un mari atteint de blennorrhagie et qui s'abstenait de tout rapport sexuel avec sa femme, communiquer à celle-ci et à son enfant une blennorrhagie oculaire qui rendit aveugles la mère et l'enfant tandis que le mari lui-même resta épargné. — L'existence d'un lien de causalité entre les inflammations mentionnées des articulations et la blennorrhagie ressort pour nous de ce fait qu'elles se présentent chez des individus qui ne se sont exposés à aucune autre cause morbifique appréciable, qu'elles n'épargnent pas les individus qui jamais auparavant n'avaient été atteints d'accidents semblables et qui à l'avenir même en resteront exempts, et qu'enfin chez certains individus elles se répètent à chaque nouvelle blennorrhagie, pour disparaître ensuite avec elle. Ces inflammations articulaires n'exercent aucune influence sur la marche de la blennorrhagie et ne se distinguent non plus par rien de particulier sous le rapport des modifications anatomiques des articulations malades, de la marche et des terminaisons de l'affection. C'est l'articulation du genou qui est presque exclusivement atteinte d'inflammation gonorrhéique, celles du pied et de la hanche le sont beaucoup plus rarement et celles des extrémités supérieures jamais. CATARRHE VIRULENT DE LURÈTHRE, BLENNORRHAGIE, GONORRHÉE. 101 § k. Traitement. La seule mesure prophylactique qu'il y ait lieu de recommander contre la blennorrhagie, la seule qui soit d'une efficacité absolue, est le soin de fuir toute occasion qui expose à la contagion. Notre mission n'est pas d'ajouter à ce conseil d'autres à l'usage des libertins qui veulent commettre des excès impunément. Nous nous dispenserons d'énumérer en détail les remèdes et les mé- thodes mis en usage contre la blennorrhagïe, et nous nous bornerons en- core ici à relater ce qu'il y a de plus utile et de plus digne de recommanda- tion. — Une chaudepisse tout à fait récente et dont les phénomènes inflam- matoires ne sont pas arrivés encore à un bien haut degré, est celle qui promet les résultats thérapeutiques de beaucoup les plus favorables : dans la plupart des cas on parvient à en délivrer radicalement les malades au bout de très-peu de jours. Pour être à même de traiter en plus grand nombre ces sortes de cas, qui en général ne se présentent que très-excep- tionnellement à l'observation du médecin, il importe de faire observer à tout individu atteint que la maladie augmente journellement d'intensité et d'étendue, que par conséquent chaque jour de retard tend à rendre le pro- nostic plus mauvais. De pareilles déclarations faites par les médecins qui jouissent de la confiance de cette partie du public que son genre de vie expose particulièrement à contracter des gonorrhées, sont suivies du meil- leur effet. On se figure à peine le sans-gêne et le cynisme avec lesquels ce public s'entretient de ses excès et de leurs conséquences, combien par con- séquent certaines personnes étrangères à la médecine se montrent versées dans la matière et combien nous autres médecins nous pouvons même apprendre à cette école. À Magdebourg, par exemple, les nombreux commis- voyageurs des maisons de commerce de cette ville se réunissent régulière- ment, vers la fin de l'année, à l'expiration des engagements, dans les diffé- rents hôtels; là on se raconte chez qui la syphilis a récidivé, qui est resté exempt de récidive, quelles sont les injections qui ont le mieux réussi contre les gonorrhées, etc. Pendant mon séjour dans cette localité j'avais prescrit des injections avec une solution de tannin contre des gonorrhées de date récente et avant que les douleurs eussent atteint un haut degré; ce traite- ment ayant produit des résultats extrêmement favorables, le nombre de personnes venant chercher des secours contre des blennorrhagies très-ré- centes augmenta très-rapidement. Je prescrivais ordinairement trois paquets contenant chacun 2 grammes de tannin. J'en faisais dissoudre un dans 200 grammes de vin ronge et le malade employait cette solution pour in- jections. Si le succès se faisait attendre ou s'il était incomplet, je faisais 102 MALADIES DES ORGANES URINAIRES. dissoudre les deux paquets restants dans la même quantité de vin rouge et' le malade recommençait les injections avec cette solution deux fois plus forte. En agissant ainsi il m'est maintes fois arrivé que le malade atteint d'une chaudepisse récente auquel j'allais prescrire ces paquets en tirait un de sa poche qui lui avait été cédé par une personne de sa connaissance, me demandant s'il pouvait d'abord en faire usage. — Si l'on veut que cette in- jection conduise au but, il faut la faire une ou deux fois soi-même ou la faire exécuter par un aide habile. Car si l'on néglige cette précaution, il arrive souvent que le liquide n'arrive pas dans l'urèthre, mais qu'il est sim- plement injecté sous le prépuce ou qu'il reflue le long de la seringue. Les seringues à injection uréthrale doivent être assez petites pour ne pas contenir plus de liquide que le canal peut en contenir; il est inutile alors de com- primer l'urèthre à son extrémité postérieure pour empêcher le liquide de pénétrer dans la vessie. Avec l'injection de tannin j'ai coupé un grand nombre de gonorrhées récentes en deux ou trois jours. Même dans les cas où la maladie n'était pas tout à fait récente, mais où les phénomènes in- flammatoires n'étaient pas très-violents, j'ai souvent employé les injections de tannin et obtenu par ce moyen, dans la plupart des cas, des résultats favorables, quoique moins rapides. Il ne me vient pas à l'esprit de revendi- quer pour le tannin des vertus et des avantages particuliers; tout ce que je puis dire c'est que j'ai opéré avec ce remède plus souvent qu'avec le nitrate d'argent, le sulfate de zinc, l'acétate de plomb et autres astringents. Quant aux solutions concentrées de nitrate d'argent (50 à 75 centigrammes sur 30 grammes d'eau) que l'on a préconisées pour couper les gonorrhées, je n'ai pas jugé utile de les employer attendu que leurs résultats ne peuvent guère être meilleurs que ceux que l'on obtient avec les solutions de tanninr et que de l'aveu même de leurs partisans elles occasionnent parfois des accidents violents et dangereux qu'avec mon traitement je n'ai jamais observés. — S'il y a des phénomènes inflammatoires violents, on fait bien d'attendre qu'ils se soient apaisés avant d'en venir aux injections. Une res- triction du régime qui cependant ne doit pas être exagérée, un fort purgatif composé de calomel et de jalap sont très-utiles dans ces sortes de cas. La prescription usuelle du lait d'amande affiche le malade sans lui être de la moindre utilité. Les émissions sanguines sont le plus souvent superflues. Ce n'est qu'autant que l'urèthre est extrêmement sensible à la pression exté- rieure que l'on fait bien d'appliquer 10 à 15 sangsues au périnée. L'appli- cation du froid est avantageuse, mais il faut qu'elle soit continue, il faut renouveler les compresses froides très-fréquemment ou il faut laisser séjourner le malade longtemps dans le bain de siège. Des compresses qui restent en place assez longtemps pour s'échauffer et de même des bains de siège de courte durée augmentent la tendance aux érections et rendent les douleurs plus intenses. Si l'inflammation est apaisée, il faut encore dans ces CATARRHE VIRULENT DE L'URÈTHRE, BLENNORRHAGIE, GONORRHÉE. J103 cas recourir aux injections de tannin. Si, dans cette période, elles sont moins actives, cela tient sans doute à ce que l'affection, après une durée plus longue, ne reste plus limitée aux parties antérieures et plus accessibles de l'urèthre, mais s'étend à des parties plus difficiles à atteindre par l'in- jection. Dans les cas traînés en longueur où les injections de tannin m'ont souvent refusé le service, j'ai employé sans plus de succès des injections avec les autres astringents mentionnés plus haut, surtout avec des solutions de nitrate d'argent ou de sulfate de zinc. — Lorsque les injections astrin- gentes sont restées inefficaces, il est temps d'en venir à l'emploi du cubèbe et du baume de copahu. Il est hors de doute que ces remèdes agissent éga- lement dans les périodes antérieures et qu'en les employant à fortes doses on enraye plus d'une blennorrhagie ; mais si l'on réussit sans avoir besoin d'y recourir, cela n'en vaut que mieux, car il ne faut pas sans nécessité charger l'estomac et l'intestin de substances aussi offensives. Il n'est pas du tout rare que des catarrhes gastro-intestinaux persistent pendant un temps assez long après l'abus de la poudre de cubèbe et du baume de copahu. Ajoutez à cela que l'effet de ces médicaments n'est que passager dans un grand nombre de cas et, d'après ce que j'ai pu remarquer, cet effet pas- sager du copahu et du cubèbe s'observe plus souvent qu'un résultat sem- blable des injections, qu'en un mot, les individus qui se croyaient guéris de leur chaudepisse avaient au bout de peu de jours un écoulement aussi fort qu'avant d'avoir pris du copahu ou du cubèbe. L'opinion d'après laquelle l'emploi des injections serait suivi plus souvent de rétrécissements de l'urèthre que celui des remèdes internes, est erronée. 11 est très-vrai qu'au- trefois beaucoup de malades traités par les injections conservaient des ré- trécissements; mais cela tenait à ce que les injections n'étaient mises en usage que contre les blennorrhagies invétérées, tandis que dans les [cas ré- cents on donnait du cubèbe et du copahu. C'est la longue durée de la chau- depisse qui est la cause la plus fréquente des rétrécissements. Si l'on emploie les injections de bonne heure et qu'on arrête l' écoulement, on prévient le mieux la formation des rétrécissements, tout comme on ne peut rien faire de mieux pour prévenir des boursouflements persistants de la conjonctive que d'y appliquer de bonne heure des astringents énergiques. Si l'on veut mettre en usage le baume de copahu et le cubèbe, il faut prescrire de fortes doses qu'on ne doit pas laisser continuer trop longtemps, c'est-à-dire pas plus de trois à quatre jours après la suppression de l'écoulement. Donnés à fortes doses et pendant un temps assez court, ces remèdes sont mieux sup- portés que si ou les fait prendre longtemps à des doses plus faibles. Ces dernières, même continuées pendant plusieurs semaines, ne conduisent d'ailleurs pas plus sûrement au but. Le cubèbe seul se prend très-facile me ni si «m le délaye, finement pulvérisé, dans de l'eau gazeuse. On peut en faire prendre h à 5 cuilleréesà café bien remplies par jour. Le baume de copahu 104 MALADIES DES ORGANES UR1NAIRES. s'administre le mieux enfermé dans des capsules de gélatine dont on fait prendre h, 6 ou 8 par jour. Si l'on veut associer les deux médicaments, on peut prescrire des pilules selon la formule suivante : Pr. cubèbe, 16 grammes; baume de copahu, 8 grammes; cire blanche, q. s.; pour 120 pilules. On en fera user environ trois fois cette quantité, en faisant prendre 10 trois fois par jour au commencement et quatre fois par jour plus tard; je recommande également des capsules de gélatine contenant un mélange de baume de co- pahu et d'extrait de cubèbe. S'il survient de fortes diarrhées, une violente brûlure à l'anus et une éruption de roséole à la face et sur le corps, acci- dent qui est très-commun, il faut immédiatement suspendre Pusage du remède. Autant le traitement d'une gonorrhée récente donne de résultats satisfai- sants, autant la tâche devient ingrate lorsqu'il s'agit d'une gonorrhée chro- nique bien enracinée; plus il y a de temps que la maladie dure, plus le pronostic devient mauvais. Avant tout on doit s'assurer dans ces cas, par l'introduction de la sonde, s'il existe un rétrécissement de l'urèthre. Si cela est, l'inflammation persiste souvent dans toute la partie du canal située der- rière le rétrécissement et on ne doit compter sur l'effet des injections, qui arrivent difficilement jusqu'à l'endroit encore malade, qu'après avoir vaincu le rétrécissement par des bougies. S'il n'existe pas de rétrécissement ou bien si l'on est parvenu à le dilater, on fait bien d'injecter des solutions de tannin ou bien des solutions un peu concentrées de nitrate d'argent; si ces injections ne donnent aucun résultat, on peut introduire dans l'urèthre une bougie enduite de pommade au nitrate d'argent; on peut employer à cet effet la pommade ophthalmique de Guthrie (nitrate d'argent, 10 à 50 centi- grammes; onguent au spermaceti , h grammes; sous-acétate de plomb liquide, 15 gouttes). Parmi les accidents mentionnés plus haut, comme pouvant survenir dans le cours de la blennorrhagie, les hémorrhagies ne réclament pour ainsi dire jamais de mesures spéciales. Si, par exception, elles deviennent exces- sivement abondantes, il faut employer énergiquement le froid ou chercher à arrêter l'hémorrhagie en comprimant la place saignante. — Pour pré- server les malades des érections douloureuses, qui se présentent surtout pendant la nuit, il faut leur recommander de manger peu et surtout de boire peu le soir. Si malgré cela le repos de la nuit est troublé et si les remèdes domestiques usuels (marcher pieds nus dans la chambre ou sauter pieds nus en bas d'une chaise) restent également sans effet, on fait bien de faire prendre le soir une poudre de Dower de 50 centigrammes. Je ne possède aucune expérience personnelle sur la lupuline, que Pon a également pres- crite dans ce but. S'il s'est développé une chaudepisse cordée, il faut appli- quer des sangsues au périnée, et non au pénis môme et administrer égale- ment de l'opium le soir. — Les abcès sur le trajet de l'urèthre exigent CATARRHE VIRULENT DE L'URETHRE, BLENNORRHAGIE, GONORRHEE. 105 l'emploi de cataplasmes et les endroits qui présentent de la fluctuation seront ouverts de bonne heure. — Aux premiers signes d'une inflamma- tion de la prostate, il faut appliquer un grand nombre de sangsues au pé- rinée et entretenu' l'écoulement du sang le plus longtemps possible par l'application de cataplasmes. En cas de besoin, on renouvellera l'emploi de ce moyen. A l'intérieur, on prescrit ordinairement le calomel et l'opium à dose réfractée. Cette prescription est-elle réellement utile, c'est ce que je n'oserais affirmer. Il faut aussi introduire la sonde avec la plus grande pré- caution et quelquefois la laisser à demeure. En cas de rétention absolue de l'urine, on peut être forcé de faire la ponction de la vessie. Les abcès du pé- rinée qui présentent de la fluctuation sont à ouvrir de bonne heure ; pour ce qui concerne du reste le traitement de l'inflammation de la prostate, nous renvoyons le lecteur aux traités de chirurgie. — La lymphangite et la lym- phadénite se perdent rapidement si les malades restent tranquillement cou- chés; si après la disparition complète de la blennorrhagie les ganglions de l'aine restent gonflés pendant un temps plus ou moins long, on peut em- ployer la compression qui est souvent appliquée à tort contre les bubons syphilitiques. Si les malades sont forcés de circuler, on peut leur faire porter un bandage herniaire à large pelote; s'ils restent au lit, le meilleur moyen de compression dont ils puissent faire usage est une bourse remplie de plombs de chasse, qui ne doit pas être trop pleine afin qu'elle exerce une pression plus égale sur les tumeurs. — Pour prévenir l'orchite blennorrha- gique, on doit engager tous les individus atteints de chaudepisseà porter un suspensoir, auquel il est du reste facile d'adapter des pièces de pansement qui garantissent le linge des taches provenant de l'écoulement. Cette der- nière considération a encore son importance, parce que l'enveloppement de la verge dans des linges, fixés au moyen de rubans, pourrait avoir des suites fâcheuses. Le médecin fait bien de choisir et d'appliquer lui-même le sus- pensoir pour s'assurer qu'il n'exerce pas dépression; en effet, des suspen- soirs incommodes sont plus nuisibles qu'utiles. Aussitôt que les premiers symptômes d'une inflammation du testicule se sont manifestés, il faut que le malade garde le lit et qu'il mette entre les jambes un coussin conique sur lequel les bourses reposent sans exercer la moindre traction sur le cor- don spermatique; en outre, on appliquera sur ce dernier un certain nombre de sangsues, que l'on fera longtemps saigner. Presque toujours les douleurs diminuent après cette saignée locale; on appliquera ensuite, nuit et jour, des cataplasmes chauds autour du scrotum et on reviendra aux sangsues s'il se présente de nouvelles exacerbations douloureuses. Pour l'usage interne, ou a également l'babitude de prescrire contre cette affection le calomel associé à l'opium. La compression du testicule, qui procure dans quelques cas une diminution des souffrances et une rapide détumescence, est une me- sure qui, bien souvent, ne réussit pas et dont on peut, selon mon expé- rience, se passer dans la plupart des cas. 106 MALADIES DES ORGANES URINAIRES. CHAPITRE II Catarrhe non virulent de l'urèthre. Le catarrhe simple, non virulent, de l'urèthre est une maladie assez rare; une irritation locale de l'urèthre par des corps étrangers ou des injections irritantes, des excès génitaux, surtout le coït exécuté pendant la menstrua- tion, telles sont les causes qui le provoquent ordinairement. En outre, un catarrhe symptomatique accompagne les ulcères, surtout les chancres de l'urèthre. Dans d'autres cas, enfin, l'inflammation d'un organe voisin, sur- tout de la vessie ou de la prostate, se transmet à [l'urèthre. Les symptômes du catarrhe non virulent de l'urèthre sont le gonflement et la rougeur du méat, une sensation de brûlure douloureuse le long de l'urèthre, surtout pendant la miction, et l'écoulement d'une sécrétion rare et muqueuse. Ces accidents se dissipent généralement en peu de jours, sans l'intervention du médecin. Il n'y a que le catarrhe plus intense et plus pro- longé qui accompagne les ulcères syphilitiques de l'urèthre qui soit accom- pagné d'un écoulement purulent facile à confondre avec celui de la blen- norrhagie. Quand il sera question du chancre de l'urèthre, nous nous occu- perons du diagnostic différentiel des deux maladies. Il suffit d'éviter, pour tout traitement, l'influence des causes qui ont pro- voqué la maladie et d'éloigner les conditions qui tendent à l'entretenir. On voit quelquefois, dans le catarrhe simple de l'urèthre, les bords du méat urinaire agglutinés tous les matins ; le malade tourmenté par l'idée d'être atteint d'une blennorrhagie chronique, réussit à force de pression et de ti- raillement du pénis à faire sortir du canal un !peu de mucus. Cet état qui peut persister très-longtemps se guérit quelquefois en peu de temps, si l'on attire l'attention du malade sur la cause du mal et si on lui défend d'en- tretenir par ses manipulations le canal de l'urèthre dans un état d'irrita- tion continue. MALADIES DES ORGANES GÉNITAUX A.— MALADIES DES ORGANES GÉNITAUX DE L'HOMME Nous ne traiterons dans cette section que de la spermatorrhée et de l'im- puissance, renvoyant pour les autres maladies des organes génitaux de l'homme aux traités de chirurgie. CHAPITRE PREMIER Pollutions nocturnes et diurnes. — Spermatorrhée. Chez la plupart des hommes, depuis le développement de la puberté jus- qu'à l'extinction de l'activité sexuelle, on voit se produire de temps en temps des pollutions nocturnes, sans qu'on puisse dire que ce soit un phénomène morbide. Si les pollutions reviennent à des intervalles trop rapprochés, si elles ne sont pas accompagnées de rêves voluptueux, si elles sont précédées d'érections incomplètes, ou si elles ont lieu à l'état de veille (pollutions diurnes), on a affaire à des états pathologiques. Avant tout ce sont des jeunes gens de l'âge de dix-sept à vingt ou vingt- cinq ans, qui viennent consulter le médecin pour leurs pollutions. Ils se plaignent de ce qu'ils ont une ou plusieurs fois par semaine des pertes sé- minales pendant la nuit, qu'ils ont perdu leurs forces, qu'ils sont surtout très-affaiblis et abattus le lendemain de la pollution. On ne doit pas ajouter une foi entière au récit de pareils malades, ou plutôt on doit soupçonner qu'ils se taisent sur bien des choses qu'il importe de savoir. On n'a qu'à re- garder ces jeunes ^ens embarrassés et timides pour voir que la plupart d'entre eux ont une mauvaise conscience; dans beaucoup de cas on pression d;ins l'apoplexie, les tumeurs, les diverses formes 196 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. d'hydrocéphale et dans les autres affections ayant pour effet une diminution de l'espace intracrànien, ne doivent pas être considérés comme déri- vant immédiatement de la pression éprouvée par la substance cérébrale, mais de l'anémie déterminée par la compression. Encore d'autres observa- teurs, tels que Traube et Leyden, se sont récemment rattachés à ma manière de voir. Comme ce n'est pas la présence du sang en général dans les vaisseaux du cerveau, mais la présence du sang artériel, riche en oxygène, qui constitue la condition indispensable pour le fonctionnement normal du cerveau, on conçoit facilement que dans les états pathologiques où la masse absolue du sang renfermée dans le cei'veau n'est pas diminuée, mais où la circu- lation et la distribution du sang sont modifiées de telle sorte que les artères amènent peu de sang et que les veines en laissent écouler une faible quantité, les symptômes devront être les mêmes que ceux de l'anémie la mieux prononcée. Et, en effet, nous savons par l'expérience des pathologistes que dans les dégénérations de la substance musculaire du cœur, dans les rétrécissements non compensés des orifices et dans d'au- tres maladies où l'activité de cet organe est affaiblie, où le sang s'ac- cumule dans les veines aux dépens du contenu des artères et où la circulation est considérablement ralentie , les symptômes produits sont identiques avec ceux de l'anémie cérébrale, et ces faits trouvent en outre une confirmation éclatante dans les expériences physiologiques de Kussmaul et Tenner, expériences qui permirent de constater que les mêmes accidents qui surgissent dans les hémorrhagies ou bien après la ligature des artères du cerveau succèdent également à une interruption très-subite de la respi- ration et partant de l'oxygénation du sang. Nous rappellerons enfin qu'indépendamment même de toute diminution de la masse du sang dans le cerveau et quand le sang est normalement dis- tribué dans les veines et les artères, il se présente des phénomènes très- analogues à ceux de l'anémie si le sang devient trop pauvre en corpuscules rouges. L'explication est encore trouvée pour ce dernier phénomène; car on sait que les corpuscules rouges sont les véhicules de l'oxygène. S'il en est ainsi, il faut bien qu'une diminution des corpuscules rouges produise, au point de vue de l'oxygénation, sur le cerveau le même effet qu'une diminu- tion dans l'arrivée du sang artériel. § 2. Anatomie pathologique. La substance cérébrale est décolorée, la substance grise paraît plus pâle et se rapproche par son aspect extérieur de la substance blanche. Cette der- nière est d'un blanc remarquablement laiteux et brillant. Sur une surface ANEMIE DU CERVEAU ET DE SES MEMBRANES. 197 de section, on remarque très-peu de points sanguins ou l'absence complète de ces points. Les vaisseaux des méninges cérébrales sont vides et affaissés. Il n'est pas toujours possible d'apercevoir, dans les espaces sous-araehnoï- diens, une plus grande quantité de liquide cérébro-spinal. Kussmaul et Tenner ne parvenaient pas non plus, dans leurs expériences, à constater par l'observation directe la présence d'une plus grande quantité de liquide céré- bro-spinal, qu'ils admettaient théoriquement. § 3. Symptômes et marche. Les symptômes d'une anémie cérébrale qui se développe subitement et atteint immédiatement un haut degré différent de ceux qui accompagnent une ané- mie cérébrale à développement lent et arrivant à une moindre intensité. Dans le premier cas, les malades sont pris de vertige, leur vue s'obscurcit, ils deviennent insensibles aux excitations du dehors et incapables d'exécuter des mouvements; les pupilles se dilatent, la respiration se ralentit, et, tout en perdant connaissance, ils se laissent tomber à terre, ordinairement en faisant quelques légers mouvements convulsifs. Dans la plupart des cas, les malades reviennent à eux en peu de temps ; dans d'autres cas, désignés du nom d'apoplexie nerveuse, le malade ne reprend pas connaissance et la syncope se termine par la mort. L'anémie aiguë du cerveau que l'on pro- duit artificiellement chez les animaux en les saignant à mort ou en liant toutes les artères qui conduisent le sang au cerveau, offre des phénomènes absolument semblables ; seulement les convulsions deviennent ordinairement plus vives et plus prédominantes que chez les hommes dont le cerveau est devenu subitement anémique. L'explication des phénomènes de paralysie, dans l'anémie subite du cerveau, est plus facile que celle des convuLions. Les premiers dépendent évidemment de l'interruption subite de l'arrivée de l'oxygène au cerveau. On sait que la ligature de l'aorte abdominale est éga- lement suivie d'une paralysie immédiate des extrémités inférieures, dont les nerfs cessent d'être excités par le sang artériel. Mais quelle explication donner aux phénomènes convulsifs? Henle croit que dans l'anémie du cer- veau le sang des plexus veineux de la moelle épinière et le liquide cérébro- spinal du canal rachidien affluent vers le cerveau et irritent de la sorte le bulbe rachidien et la base du cerveau. Cependant kussmaul et Tenner ont trouvé qu'après la ligature des artères afférentes, non-seulement les grands hémisphères, mais encore la moelle .allongée étaient privés de sang; les convulsions ne dépendent donc évidemment pas d'une congestion de la moelle allongée. Mais une hypothèse tout aussi singulière et en opposition avec toutes les autres observations est qu'une anémie absolue donnerait lieu à une excitation exagérée des filtres nerveuses et des cellules ganglionnaires et 198 MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. conduirait ainsi à des convulsions. Si Kussmaul et Tenner disent formel- lement qu'en faisant l'autopsie d'animaux dont ils avaient lié les artères cérébrales ils avaient trouvé une « faible quantité de sang » dans les vais- seaux situés à la base du cerveau, tandis que tous les autres vaisseaux étaient « absolument vides » , cette observation nous fournit peut-être un faible moyen d'expliquer le phénomène. On pourrait supposer en effet que la ligature de ces vaisseaux déterminât une anémie absolue dans les grands hémisphères et par conséquent leur paralysie, tandis que dans les parties situées à la base du cerveau, la ligature ne produirait (à cause des anastomoses des artères du cerveau avec celles de la moelle épinière) qu'une oligoémie et, par conséquent, une excitation morbide de ces parties. Dans l'anémie cérébrale à développement lent, on observe en général, comme dans l'hypérémie, d'abord des phénomènes d'irritation et plus tard des phénomènes de paralysie. Pour expliquer cette concordance entre les symptômes, on a émis l'hypothèse que, pour l'activité normale du cerveau, il faut une tension déterminée de ses molécules et qu'une augmentation ou une diminution de cette tension telle qu'elle résulte d'une turgescence, soit trop grande soit trop faible des vaisseaux, affecte l'excitabilité du cerveau de la même manière. J'ai déjà reconnu le caractère hypothétique de cette explication, et j'avoue que j'ai de la peine à croire que, dans l'anémie céré- brale, les phénomènes d'irritation dépendent d'une diminution faible et les phénomènes de paralysie d'une diminution plus considérable de la pression que, dans les conditions normales, le cerveau subit de la part des vaisseaux* Par contre, un fait établi en physiologie, c'est que l'excitabilité d'un nerf, peu de temps avant de s'éteindre, est généralement exagérée et que cette excitabilité, si elle est fortement augmentée, n'est pas le signe d'une nutri- tion normale, mais au contraire celui d'une nutrition affaiblie. Nous ne sa- vons pas, il est vrai, nous expliquer ce phénomène ; mais sa réalité nous fait paraître moins étrange que, dans une anémie cérébrale à développementlent, les phénomènes de paralysie soient généralement précédés de phénomènes d'irritation et que dans les anémies cérébrales peu intenses on observe même exclusivement des phénomènes d'irritation. Quelquefois les symptômes de l'anémie cérébrale consistent principale- ment ou uniquement en troubles de la sensibilité. Les malades accusent de violents maux de tête ayant leur siège dans le front, et quelquefois jusque dans la nuque, ils ont de la photophobie, sont affectés péniblement par le moindre bruit, ont des scintillements devant les yeux, des bourdonnements d'oreilles, des accès de vertige, etc. Ce tableau devient surtout frappant de vérité pour l'anémie cérébrale consécutive à de fortes métrorrhagies et à d'autres pertes de sang très-considérables, et souvent il n'y a que l'étio- logie, l'état du pouls, la coloration de la peau et des lèvres et les sym- ptômes de l'anémie dans d'autres organes qui permettent de juger que ANÉMIE DU CERVEAU ET DE SES MEMBRANES. 199 l'on est en présence d'une anémie et non d'une hypérémie "cérébrale. Kans d'autres cas d'anémie cérébrale, surtout chez les enfants, ce sont les troubles de la motilité qui deviennent prédominants. Le tableau clinique d'une anémie cérébrale, déterminée chez les enfants par une diarrhée épuisante ou d'autres causes débilitantes, en d'autres termes, de la maladie connue sous le nom à'hydrocèphaloïâe, offre souvent une telle ressemblance avec celui de l'hydrocéphale aiguë, qu'il peut devenir très difficile d'en établir le diagnostic différentiel. Marshall-Hall distingue deux périodes dane cette affection, une période d'irritation et une période de torpeur. Dans la première, les enfants sont inquiets et acariâtres, ils s'agitent dans leur lit, sont secoués par des frayeurs subites, jettent des cris dans le sommeil et grincent des dents, la face devient ordinairement rouge, le pouls fréquent, la température plus élevée. Presque toujours on remarque de légers mou- vements convulsifs dans quelques membres, quelquefois aussi des convul- sions générales. Dans la seconde période, les enfants s'affaissent, tombent dans une stupeur complète, ne fixent plus les objets qu'on leur met devant les yeux ; les paupières sont à demi fermées, les pupilles insensibles à la lumière ; la respiratiou devient irrégulière et râlante ; finalement la mort arrive au milieu de phénomènes comateux. Pour nous, qui attribuons à la compression des capillaires et à l'obstacle qui s'oppose à l'arrivée du sang artériel aux éléments nerveux du cerveau, les phénomènes dits de pression, dans les maladies du cerveau et de ses membranes déterminent une dimi- nution de l'espace intra-crânien, parmi lesquelles comptent également les épanchements dans les ventricules, nous ne trouvons rien d'étonnant à la grande ressemblance qui existe entre les symptômes de l'hydrocéphaloïde et ceux de l'hydrocéphale aiguë. Il ne s'agit, en effet, selon notre manière de voir, dans les deux maladies, quelle que soit la différence de leur origine, que d'un seul et même trouble pathologique, l'anémie capillaire du <-'i-veau. Enfin, on observe quelquefois dans l'anémie cérébrale une prédominance de phénomènes morbides rentrant dans la sphère des fonctions psychiques : insomnie, grande agitation, délires, etc. Cet état s'exalte parfois jusqu'à dégénérer en paroxysmes de fureur et en accès de manie bien caractérisés. Ces derniers s'observent chez les individus qui ont été longtemps privés de nourriture et de boissons, mais il n'est pas rare non plus de les rencontrer chez des malades faibles et pauvres en sang, quand cet appauvrissement a été porté à un degré extrême par des maladies débilitantes et des émissions sanguines. 20Ô MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. h- Traitement. Quand l'anémie cérébrale dépend d'une anémie générale, il faut agir contre cette dernière en cherchant à restreindre la consomption, et en faisant prendre des aliments convenables en plus grande abondance. Les indications spéciales à remplir ressortent de l'étiologie et des autres condi- tions individuelles. — Quand de fortes hémorrhagies sont suivies de syncopes longues et profondes, de convulsions et d'autres signes d'anémie intense du cerveau, on peut même être obligé de recourir à la transfusion. — Dans le traitement des diarrhées épuisantes des enfants, on songera à temps au danger de l'hydrocéphaloïde, dont on cherchera à prévenir l'invasion par l' administration de la viande crue, du vin, etc. Si les phénomènes signalés plus haut se présentent néanmoins, une fausse apréciation devient fort dangereuse. Si l'on se laisse aller à faire appliquer des sangsues, et en général à instituer un traitement débilitant, les enfants succombent dans la plupart des cas. Si au contraire on reconnaît la position de l'enfant et sir malgré [l'agitation, les secousses nerveuses et l'assoupissement consécutif, on donne du bouillon concentré et des excitants tels que le camphre etl'éther, et surtout du vin généreux à dose assez élevée, on arrive souvent aux résultats les plus heureux et les plus surprenants. Mais dans la forme de l'anémie cérébrale qui dépend d'une anémie générale il importe aussi au plus haut point qu'en attendant le rétablissement de la quantité et de la qualité normales du sang, on ait soin de ne pas laisser arriver au cœur en trop faible quantité le sang encore existant et qu'on cherche à combattre des états d'affaiblissement passagers du cœur, pendant lesquels cet organe, chasse son contenu avec trop peu d'énergie dans les artères. Il meurt beau- coup de malades anémiques et de convalescents pour la seule raison que le médecin a négligé de leur ordonner le décubitus horizontal qu'ils doivent garder à tout prix. Si l'on permet à un malade épuisé de se mettre sur la chaise percée ou de quitter trop tôt le lit, le sang s'accumule dans les jambes, il en arrive trop peu au cœur et partant aussi trop peu au cerveau ; la syncope a lieu et trop souvent elle emporte les malades. Sous ce rapport, j'ai fait dans la clientèle une bien triste expérience, et je me rappellerai à tout jamais qu'il ne faut pas laisser les convalescents trop tôt quitter leur lit* Pour prévenir l'autre danger que peuvent courir les individus anémiques,, et qui consiste dans une diminution passagère de l'énergie du cœur, on fait bien d'ordonner, indépendamment de la position horizontale, des médi- caments stimulants à respirer par le nez aussi bien que pour l'usage interne. Les malades ne doivent pas faire de ces remèdes un usage continuel, mais s'en servir exclusivement dans les moments où ils ont un commencement ANÉMIE PARTIELLE ET MORTIFICATION PARTIELLE DU CERVEAU. 201 de syncope. Il peut être indispensable d'avoir sous la main de l'eau de Cologne ou de la liqueur de Hoffmann, pour l'employer immédiatement quand un état pareil se présente. — Contre l'anémie due à un rétrécis- sement de l'espace intracrànien il n'y a quelquefois pas d'autre moyen que la trépanation ; cependant on a restreint cette dernière de nos jours, avec raison, aux rétrécissements de la cavité crânienne provenant d'une dépres- sion de la voûte. Si paradoxal que puisse paraître, à une observation super- ficielle, le conseil que nous allons donner, nous n'hésiterons cependant pas à déclarer qu'une saignée exerce souvent l'influence la plus favorable sur la marche de Tanémie cérébrale, due à un rétrécissement de l'espace intracrànien. Au chapitre de l'apoplexie, nous insisterons sur les raisons que nous pouvons donner à l'appui de cette proposition et nous nous conten- terons pour le moment de rappeler que la saignée hâte l'écoulement du sang veineux et favorise par cela même, l'arrivée du sang artériel au cerveau. CHAPITRE IV Anémie partielle et mortification ou nécrose partielle (ramollissement nécrosique) du cerveau. — Thrombose et embolie des artères céré- brales. § 1. Pathogénie et étiologie. L'anémie partielle du cerveau se développe : 1° quand l'afflux du sang à quelque partie de l'organe est suspendu par l'oblitération des vaisseaux afférents ; 2° quand un œdème collatéral se produit dans le voisinage de foyers apoplectiques, de foyers d'inflammation et de ramollissement, de néoplasmes, etc.: 3° quand les capillaires d'une partie limitée du cerveau sont comprimés par des extravasats sanguins, des tumeurs, ou par d'autres foyers pathologiques qui ont pour effet de diminuer la capacité du crâne. Relativement à la pathogénie de la première forme de l'anémie partielle du cerveau, celle qui se développe dans le domaine des artères oblitérées, nous aurons à appeler l'attention sur les points suivants. Chez les lapins, les signes d'anémie cérébrale ne se manifestent qu'après la ligature des deux carotides et des deux artères vertébrales. Si l'on n'a pas soin de lier tous ces vaisseaux, ceux qui sont restés intacts fournissent assez de sang et les nombreuses anastomoses entre les artères du cerveau empêchent même que l'anémie se déclare dans les parties du cerveau qui reçoivent la plus grande partie de leur sang des vaisseaux liés. — ( liiez 202 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. l'homme, les choses se passent un peu différemment. Ici on remarque quelquefois, immédiatement après la ligature de l'une des carotides, un phénomène que l'on peut attribuer sûrement à une anémie unilatérale du cerveau, nous voulons parler de la paralysie du côté opposé du corps. Dans d'autres cas de ligature de la carotide chez l'homme, ce phénomène fait défaut, ce qui prouve que dans ces cas l'hémisphère correspondant est suffisamment pourvu de sang par les branches collatérales et en parti- culier par celles du cercle artériel de Willis. On ne connaît pas bien la raison de ces différences. Hasse croit que, dans le premier cas, l'extension des thrombus, depuis la ligature jusqu'au delà du cercle de Willis, empêche la formation d'une circulation collatérale. L'occlusion de la carotide interne, de l'artère vertébrale d'un côté seulement ou des deux côtés à la fois, et celle de l'artère basilaire, ne sont ordinairement suivies d'aucune anémie partielle du cerveau, parce que la circulation collatérale s'établit rapide- ment par l'intermédiaire des vaisseaux du cercle artériel de Willis. Par contre, l'occlusion d'une artère qui prend naissance au delà du cercle artériel de Willis, par exemple de l'artère cérébrale moyenne, entraine presque constamment l'anémie dans la région qui avait reçu son sang du vaisseau oblitéré, parce qu'ici les conditions sont beaucoup plus défavorables au développement d'une circulation collatérale. Les processus pathologiques, particulièrement suivis d'une oblitération d'artères cérébrales, sont daus quelques cas la compression de ces vaisseaux par des tumeurs, et le plus souvent leur obstruction par des thrombus formés sur place, ou des emboles qui ont pénétré dans leur intérieur. Ce n'est que d'une manière tout à fait exceptionnelle que le sang se coagule dans les artères du cerveau ayant des parois saines (thrombose par marasme). En général les thrombus se forment à des endroits où par l'effet d'une endartérite chronique ou, comme on dit ordinairement, d'une dégéné- rescence athéromateuse, le calibre des vaisseaux a été rétréci et où des rugosités se sont formées sur leur paroi interne. Les emboles qui viennent obstruer des vaisseaux cérébraux sont presque toujours des fragments arrachés et entraînés dans le torrent de la circu- lation, et qui proviennent de caillots fibrineux déposés, dans l'endocardite ou dans les maladies valvulaires du cœur, sur les endroits rugueux des valvules malades ; quelquefois aussi ce sont des fragments détachés des valvules elles-mêmes. 11 est rare qu'ils proviennent de foyers grangréneux du poumon ou de thrombus formés dans les veines pulmonaires. Dans un cas très-instructif, relaté par Esmarch, un embole qui obstruait la carotide interne, provenait d'un anévrysme de la carotide primitive, d'où il avait été chassé par des manœuvres faites en vue d'examiner la tumeur. Quant à l'éliologie de la forme en question de l'anémie cérébrale, il nous reste bien peu de chose à ajouter. Le processus athéromateux, qui provoque ANÉMIE PARTIELLE ET MORTIFICATION PARTIELLE DU CERVEAU. 203 le plus souvent la thrombose des vaisseaux cérébraux, se rencontrant de pré- férence à un âge avancé, c'est presque exclusivement chez les vieillards qu'on observe l'oblitération des artères cérébrales par des thrombus, et cet accident joue un rôle important parmi les maladies de la vieillesse. Il en est autrement de l'embolie des artères cérébrales; celle-ci s'observe également chez les jeunes gens, parce que l'endocardite et les maladies valvulaires se rencontrent à tout âge. La pathogénie de la mortification partielle, qui se développe dans beau- coup de cas de thrombose et d'embolie des artères cérébrales, est en général assez facile à comprendre. Cette forme du ramollissement cérébral offre une grande analogie avec la gangrène des extrémités déterminée par oblitéra- tion vasculaire. La mort locale est, dans les deux états, le résultat de la soustraction du liquide nourricier; toutefois, dans l'intérieur du crâne, les parties mortifiées, mises à l'abri du contact de l'air, ne subissent presque jamais la décomposition putride. Cela n'arrive que dans le cas où des em- boles qui viennent obstruer les vaisseaux proviennent de foyers gangreneux et portent ainsi en eux-mêmes le germe d'une décomposition ultérieure. L'obstruction des vaisseaux produit d'autant plus facilement la mort locale, la nécrose des tislus, que la circulation collatérale a plus de peine à s'éta- blir. Quand la dégénérescence des parois artérielles qui a déterminé une thrombose des artères cérébrales est très-étendue, les branches collatérales, dont les parois malades ont perdu leur élasticité, ne peuvent pas suffisam- ment se dilater si les troncs artériels obstrués sont volumineux, l'anémie partielle provenant de l'oblitération vasculaire ne s'efface que d'une manière incomplète et la région anémiée est envahie par le ramollissement nécro- sique. — La question de savoir si l'obstruction des artères cérébrales par un embole est suivie ou non d'un ramollissement nécrosique dépend, dans cette forme, où les parois vasculaires sont en général saines et extensibles, principalement du siège de l'obstruction. Si une oblitération vasculaire d'ori- gine embolique a eu lieu en deçà du cercle artériel de Willis et qu'elle ait, par exception, donné lieu à une anémie dans la région située dans le do- maine du vaisseau oblitéré, cette anémie s'efface presque toujours d'assez bonne heure et il ne se fait pas de nécrose; si le vaisseau oblitéré par l' em- bole est au contraire situé au delà du cercle artériel de Willis, la terminaison de l'anémie partielle par la nécrose est la règle générale. La seconde forme dé l'anémie partielle du cerveau, celle qui doit son ori- gine au développement d'un œdème collatéral aux environs d'un foyer apoplec- tique, inflammatoire, un d'un ramollissement, d'un néoplasme, etc., a été désignée antérieurement déjà comme étant une terminaison assez fré- quente d'iiypérémies fluxionnaires intenses. Nous y reviendrons en parlant des différentes affections du cerveau restreintes à des foyers limités. La troisième forme de l'anémie partielle du cerveau, admise par nous, et 204 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. qui n'est que la conséquence de la compression des capillaires d'une partie- quelconque du cerveau par des extravasats sanguins, des tumeurs et d'autres foyers pathologiques rétrécissant l'espace intracrànien, a été trop peu ap- préciée jusqu'à présent. Moi-même, d'accord avec les meilleures autorités,, je niais autrefois la possibilité d'une compression partielle du cerveau. Le fait que le cerveau est incompressible et entouré d'une capsule inextensible, me faisait autrefois supposer que toute pression agissant sur une partie quelconque du cerveau, devait se répandre uniformément sur la totalité de l'organe. A l'appui de cette opinion, je citais l'exemple connu d'une bouteille qui, lorsqu'on chasse avec trop de force le bouchon dans le goulot, n'éclate pas plus souvent à côté de ce dernier qu'à un endroit plus ou moins éloigné de celui sur lequel agit la force extérieure, et qui ordinairement est un point offrant naturellement moins de résistance. Toutefois, une série d'observa- tions qui ont mis hors de doute que les parties du cerveau dans lesquelles- se trouvaient des foyers pathologiques rétrécissant l'espace intracrànien T étaient beaucoup plus exsangues que le reste du cerveau, et une apprécia- tion plus exacte de la situation des parties dans l'intérieur du crâne, m'ont montré qu'en faisant ce raisonnement, j'avais perdu de vue une circonstance essentielle et que j'étais arrivé, en la négligeant, à un faux résultat. En effet, malgré l'incompressibilité du cerveau et la présence d'une capsule inextensible qui l'entoure, une pression partielle peut avoir lieu pour la raison très-simple que l'espace intracrànien est partagé en quelque sorte en trois chambres distinctes par deux membranes fortement tendues, qu'en un mot la faux du cerveau et la tente du cervelet mettent jusqu'à un certain point à l'abri de la pression agissant sur les organes situés d'un côté de ses cloisons, ceux qui sont situés du côté opposé. Il est très-vrai que les trois chambres ou compartiments de la cavité crâ- nienne communiquent entre eux, et si la substance cérébrale était un corps ' liquide, une pression agissant sur un endroit quelconque du cerveau se communiquerait à tout l'organe malgré les cloisons tendues dans l'intérieur du crâne; mais la consistance et la ténacité de. la pulpe cérébrale, qui em- pêchent les parties du cerveau pressées contre le bord inférieur de la faux ou l'échancrure de la tente du cervelet de s'engager bien loin dans le com- partiment opposé, sont cause que, malgré les lacunes dans les cloisons et surtout la grande lacune de la faux, les parties du cerveau situées dans un compartiment sont mises jusqu'à un certain point à l'abri de pression agis- sant sur celles qui sont renfermées dans un des deux autres. La protection qu'assure la tente du cervelet est plus grande que celle que peut procurer la faux du cerveau, et les lobes postérieurs des grands hémisphères sont beau- coup mieux protégés contre une pression agissant sur l'hémisphère opposé que les lobes frontaux, pour la raison très-simple que la faux est beaucoup, plus large en arrière et descend plus bas qu'en avant. Dans les chapitres ANEMIE PARTIELLE ET MORTIFICATION PARTIELLE DU CERVEAU. 205 suivants nous reviendrons encore plusieurs fois sur ces conditions, et je crois avoir fait ressortir le premier leur grande importance au point de vue de l'intelligence des maladies du cerveau accompagnées d'un rétrécissement de l'espace intracrànien. § 2- Anatomie pathologique. L'anémie partielle du cerveau est loin de pouvoir toujours être sûrement constatée sur le cadavre. La distribution du sang après la mort est autre que pendant la vie ; et, avant tout, les endroits qui pendant la vie se distinguaient par une vascularisation surabondante, sont après la mort souvent aussi evsangsues que d'autres moins vascularisés. Sur la peau, où l'occasion nous est fournie d'établir des comparaisons, nous pouvons journellement vérifier ce fait; dans le cerveau, les choses ne se passent pas autrement. Un fait remarquable, c'est que les emboles se rencontrent presque toujours dans l'artère sylvienne gauche. Peut-être cela provient-il de ce que la carotide gauche se sépare de la crosse de l'aorte presque complètement dans la di- rection du courant sanguin, tandis que le tronc innommé forme avec ce dernier un angle assez considérable (Rûhle.) La mortification qui se développe à la suite d'une oblitération vasculaire quand la circulation collatérale a de la peine à s'établir, amène le relâche- ment et le ramollissement de la substance cérébrale; c'est ce qui fait que la mortification due à l'anémie est envisagée comme une espèce particulière de ramollissement connue sous le nom de ramollissement simple ou jaune. Les foyers ramollis ont leur siège ordinaire dans les grands hémisphères et principalement dans la substance blanche qui en forme le centre. Leur volume varie entre les dimensions d'une fève et celles d'un œuf de poule. Le degré du ramollissement diffère. Dans les degrés les plus élevés, on trouve la substance cérébrale des parties ramollies transformée en une bouillie tremblotante analogue à une gelée. La coloration de la partie ra- mollie est tantôt blanche ou gris blanc, tantôt jaune. Dans le premier cas, on trouve ordinairement à la circonférence une teinte rosée qui est déter- minée en partie par la dilatation et en partie par la déchirure des capillaires et l'épanchemeht sanguin qui en est la conséquence. Précisément dans la première des trois formes de l'anémie partielle du cerveau admises par nous, celle qui est due à une thrombose ou à une embolie des artères céré- bniles, la sphère d'épanouissement de l'artère oblitérée est loin d'être tou- jours pâle, mais au contraire assez souvent parsemée de petites hémorrha- gies capillaires, surtout àla périphérie. Cette donnée nécroscopique s'accorde parfaitement avec les modifications observées dans d'autres organes en cas d'oblitération des vaisseaux par des thrombus et des emboles, mais elle est 206 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. difficile à expliquer, comme nous l'avons longuement exposé à l'occasion des infarctus hémorrhagiques du poumon (voy. vol. I, p. 180). A cause de la difficulté qu'on éprouve à juger si une partie du cerveau a été anémiée ou non pendant la vie, on doit s'imposer la règle, toutes les fois qu'un indi- vidu a succombé à une affection chronique ou aiguë du cerveau et ayant commencé par l'invasion subite d'une hémiplégie et que l'autopsie ne fournit pas d'éclaircissements suffisants pour l'interprétation des symptômes, de rechercher avec le plus grand soin s'il n'y a pas eu une oblitération des artères cérébrales et surtout de l'artère sylvienne. Avant que l'attention fût appelée sur l'existence de cette anomalie, souvent l'autopsie ne faisait dé- couvrir aucune cause anatomique d'affections cérébrales graves, accompa- gnées d'hémiplégie. On était réduit à admettre une apoplexie intravasculaire qui n'expliquait en rien le développement de l'hémiplégie. La coloration, souvent jaune du foyer, provient de ces petites hémorrhagies capillaires et dépend de l'imbibition de la substance cérébrale, désorganisée par la ma tière colorante du sang épanchée et modifiée. Après une durée plus ou moins longue du processus, on trouve enfin le foyer pathologique transformé eu un tissu réticulé dont les mailles sont remplies d'un liquide analogue à un lait de chaux (infiltration celluleuse de Durand-Fardel). En examinant au microscope les parties mortifiées du cerveau, on ne trouve ordinairement que des débris de fibres nerveuses, des cellules remplies de granulations qui correspondent aux cellules ganglionnaires ou aux noyaux de la névroglie ayant subi la dégénérescence adipeuse, enfin des masses de matière colo- rante et de détritus, h' anémie partielle du cerveau, due à un œdème collatéral, qui s'est développé autour de foyers pathologiques limités, se reconnaît quelquefois à l'autopsie par le brillant humide et la résistance diminuée de la partie anémiée, et parce qu'en divisant le cerveau par une incision on voit cette partie s'élever un peu, sur la coupe, au-dessus du niveau des parties environnantes. Dans les degrés élevés, la substance cérébrale perd de plus en plus sa consistance sous l'influence de la transsudation interstitielle, et il peut finalement se développer un état qu'on a l'habitude de désigner sous le nom de ramollis- sement blanc ou hydrocéphalique. Du reste, on rencontre très-fréquemment aux environs des tumeurs et des abcès de petits extravasats capillaires à côté d'un œdème collatéral. V anémie partielle du cerveau, la plus facile à reconnaître à l'autopsie, est celle qui se produit aux environs de foyers pathologiques diminuant Vespace intracrànien. La pression exercée par de grands extravasats sanguins et des tumeurs volumineuses est tellement considérable, que non-seulement les capillaires et les fines artères et veines de la substance cérébrale, mais en- core les gros vaisseaux des méninges, sont comprimés et privés de sang dans toute l'étendue de la compression. Si le foyer a son siège dans un des hé- ANÉMIE PARTIELLE ET MORTIFICATION PARTIELLE DU CERVEAU. 207 inisphères cérébraux, cet hémisphère fait une saillie plus forte après l'ou- verture du crâne, de sorte que la dure-mère semble plus fortement tendue du côté malade que du côté opposé. Après avoir ouvert également et ra- battu sur les côtés la dure-mère, on s'aperçoit que la surface de l'hémi- sphère malade est très-unie, qu'il n'y a que très-peu ou point de liquide dans l'espace sous-arachnoïdien, que les circonvolutions sont plus plates, les sillons moins profonds, les vaisseaux de la pie-mère moins turgescents ou complètement exsangues. Enfin, il existe le plus souvent une différence manifeste entre les surfaces de section des deux hémisphères, tant sous le rapport de leur couleur que sous celui du nombre des points sanguins qui se montrent de côté et d'autre. La preuve certaine d'une compression absolue des capillaires de la partie du cerveau qui est le siège du foyer pa- thologique, nous la voyons dans les cas où la faux du cerveau ou la tente du cervelet a cédé, jusqu'à un certain point, à la pression transmise à l'un ou à l'autre de ces deux replis, où la faux présente une convexité du côté de l'hémisphère sain, et la tente du cervelet un applatissement ou bien, si le foyer diminuant l'espace intracrànien a son siège dans la fosse postérieure du crâne, une plus forte saillie. Mais cet état de choses montre en même temps que l'anémie n'est pas restée limitée à la partie du cerveau qui a été atteinte la première et qu'elle s'est étendue par la suite, quoiqu'à un faible degré, à d'autres parties. - § 3. Symptômes et marche. L'anémie limitée à une partie déterminée du cerveau entraîne les sym- ptômes dits «de foyer» (voy. p. 192). Ces symptômes consistent, lorsque l'anémie est absolue, dans les phénomènes provenant de l'extinction de l'excitabilité de la portion anémiée du cerveau; lorsque l'anémie n'est pas absolue, les symptômes sont ceux d'une excitabilité augmentée ou d'une excitation pathologique de la portion malade. Autour de la région exsangue, et quelquefois dans tout le cerveau, la circulation du sang est troublée, de sorte qu'aux symptômes directs de l'anémie partielle s'ajoutent encore ceux des troubles secondaires plus ou moins étendus de la circulation. Cepen- dant, ni les symptômes de foyer ni ceux d'un trouble secondaire de la cir- Bulation cérébrale ni de la combinaison des uns et des autres ne sont pathognomûniques de l'anémie partielle du cerveau; nous devons au contraire insister d'une façoap toute particulière sur ce l'ail que les mêmes Bymptôtnes de foyerj les mêmes symptômes d'un trouble secondaire de la circulation et les menus combinaisons entre les uns cl les autres se rencon- trent encore dans beaucoup d'autres affections restreintes à un foyer limité. Si dans un assez grand nombre de cas il nous est possible de diagnostiquer 208 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. l'une ou l'autre forme d'anémie partielle du cerveau et d'exclure d'autres affections à foyer limité, ce sont les conditions étiologiques, la succession des phénomènes, la présence de certains symptômes qui peuvent être rapportés au siège particulièrement fréquent de telle ou telle forme morbide dans telle ou telle partie du cerveau, et enfin la marche de la mcdadie, qui éclairent le dia- gnostic. Nous chercherons d'abord à esquisser le tableau clinique qui correspond h Y anémie partielle du cerveau provenant d'une oblitération vascidaire, et nous montrerons qu'en tenant compte des conditions que nous venons de men- tionner, il devient assez souvent possible de diagnostiquer cette forme de l'anémie partielle du cerveau avec une certitude approchante ou même absolue. Toutefois l'étiologie de la thrombose des vaisseaux cérébraux est autre que celle de l'embolie, et même les autres données qui concourent à éclairer le diagnostic ne sont pas les mêmes pour la thrombose et l'embolie des vaisseaux cérébraux, de sorte que nous aurons à exposer séparé- ment les deux états. La thrombose des vaisseaux cérébraux dérivant, dans la grande majorité des cas, en dernier ressort d'une dégénérescence athéromateuse des pa- rois vasculaires, et cette dernière se rencontrant de préférence à un âge avancé, il est beaucoup plus rationnel d'admettre l'existence d'une throm- bose des artères cérébrales et de la forme du ramollissement qui en est la conséquence, lorsque les symptômes d'une affection grave du cerveau se rencontrent chez un sujet vieux et décrépit, que lorsque des symptômes de ce genre s'observent chez un sujet jeune et vigoureux. Si les artères péri- phériques sont rigides et sinueuses, la présomption d'une dégénération ana- logue des artères cérébrales et d'un rapport de causalité entre les phéno- mènes existants et cette dégénérescence des artères cérébrales devient encore plus fondée. Toutefois l'état des artères périphériques est loin de nous autoriser à une conclusion certaine sur l'état des artères cérébrales. Dans bien des cas, la dégénération reste limitée, à ces dernières; dans d'autres plus rares, une dégénérescence très-étendue des artères périphé- riques existe sans qu'il y ait rien d'analogue dans les artères cérébrales ; en outre, l'anémie partielle du cerveau et le ramollissement cérébral pro- voqué par la mortification des parties anémiées ne constituent pas l'unique maladie du cerveau ayant pour cause une dégénérescence athéromateuse des artères cérébrales. — La dégénérescence athéromateuse des parois vasculaires entraîne, comme on sait, ordinairement une dilatation des grands troncs vasculaires et au contraire un rétrécissement des petites ar- tères. Ainsi les artères cérébrales, devenues le siège d'une dégénérescence athéromateuse, sont d'un calibre plus étroit quelque temps avant d'être fermées définitivement par des thrombus. Il résulte de là que les symptômes de la thrombose ou plutôt de l'anémie partielle et de la mortification par- ANÉMIE PARTIELLE ET MORTIFICATION PARTIELLE DU CERVEAU. 209 tielle du cerveau qui en sont la conséquence, sont presque toujours précé- dés de prodromes : ces derniers sont tantôt constitués par les symptômes des troubles de la circulation qu'entraîne le rétrécissement de quelques vais- seaux cérébraux, tantôt par ceux de l'atrophie sénile du cerveau, dont le développement est favorisé et hâté par la dégénérescence des vaisseaux céré- braux. Les malades accusent des maux de tête, des vertiges, des bour- donnements d'oreilles, des éblouissements, une diminution de la mé- moire et du jugement ; ils deviennent indifférents et apathiques, montrent une grande propension au sommeil, mais ce sommeil est troublé par des rêves alarmants. — D'ordinaire ce ne sont que de très-petites artères qui s'obstruent au commencement, soit que le processus athéromateux en amène l'oblitération complète, soit que les thrombus en obturent entière- ment le calibre déjà rétréci. L'anémie provenant d'une obstruction d'aussi petits vaisseaux est très-peu étendue et peut par conséquent être facile- ment réparée par un afflux plus considérable du sang des vaisseaux voisins. C'est à ces sortes d'accidents qu'il faut songer lorsque, chez un individu épuisé qui, pendant un temps plus ou moins long, a présenté les phéno- mènes cérébraux dans lesquels nous avons reconnu des prodromes, il se dé- veloppe des symptômes de foyer limités à un domaine très-étroit et disparaissant de nouveau après une courte durée. Tels sont l'oubli de certains mots, l'oubli des noms, des nombres, de l'existence de douleurs ou une sensation d'en- gourdissement, de fourmillement dans un seul membre, quelquefois dans un seul doigt ou orteil, des contractures et des paralysies, qui égale- ment restent confinées dans une extrémité et quelquefois dans un doigt ou un orteil. Différents auteurs ont voulu voir dans le retour alternatif des symptômes, surtout dans l'apparition et la disparition, rapide des paraly- sies, un phénomène caractéristique du ramollissement cérébral. Ainsi formulée, cette assertion est erronée. Si, dans les cas où les symptômes avaient offert ces alternatives, on trouve à l'autopsie un ramollissement cé- rébral, le foyer de ramollissement ne date pas de l'époque où les symptômes alternaient, mais d'une époque ultérieure où ils sont restés constants. Par contre, l'apparition et la disparition successives de paralysies limitées à de petites régions, caractérisent, il est vrai, jusqu'à un certain point l'anémie partielle du cerveau1, qui est due à la dégénérescence athéromateuse et à la thrombose de petites artères cérébrales, et qui est ensuite rapidement réparée par des courants collatéraux. Si une artère plus grosse ou un grand nombre de petites artères se ra- mifiant dans la même portion du cerveau sont fermées par une thrombose, 1 L'apparition et la disparition successives de paralysies limitées ne permettent ce- pendant pas de conclure sûrement à une thrombose de petites artères cérébrales ; le même phénomène s'observe également pour les petits extravasats sanguins. V. chap. V. MEMF.YER. ». — H 210 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. il ne peut se développer aucune circulation collatérale, comme nous l'avons dit au § 1 , et cela principalement dans les cas où la dégénérescence des parois vasculaires est déjà assez étendue ; alors la partie malade du cerveau est à jamais hors d'état de fonctionner. Il y a certaines régions du cerveau, par exemple la substance blanche au centre des hémisphères, qui peuvent être détruites sans que l'on puisse s'apercevoir qu'elles cessent de fonction- ner. Ce fait, constaté par de nombreuses observations, nous explique l'exis- tence de ces ramollissements cérébraux clans le cours desquels jamais on n'avait observé des phénomènes de paralysie. Il faut qu'on les connaisse pour comprendre qu'il est quelquefois impossible de distinguer un ramol- lissement cérébral» d'une atrophie sénile simple, parce que le point de re- père le plus important pour le diagnostic différentiel vient précisément à manquer. Cependant les effets de la thrombose d'artères plus volumineuses ou d'un grand nombre de petites artères s'étendent bien plus souvent à des parties du cerveau dont l'anéantissement donne lieu à des phénomènes de paralysie, et entre autres à une hémiplégie marquée ; tels sont le corps strié, la couche optique. Ce sont précisément les artères qui fournissent le sang aux grands hémisphères et à ces grands ganglions renfermés dans leur in- térieur, que la thombose vient obliter le plus souvent; et même, en sup- posant que l'anémie provenant directement de l'oblitération vasculaire ne se soit pas étendue jusqu'au corps strié et à la couche optique, ces organes n'en sont pas moins facilement mis hors d'état de fonctionner par l'œdème collatéral qui se développe autour du foyer de ramollissement ou bien par la compression que les capillaires de tout l'hémisphère subissent de la part de ce foyer. Si un vaisseau d'un certain calibre est fermé par un thrombus développé sur place et croissant lentement, ou bien si un grand nombre d'artères plus petites sont obstruées successivement par rétrécissement ou throm- bose, la paralysie débute lentement et n'atteint qu'à la longue un degré bien élevé. Les cas qui suivent cet évolution sont les plus faciles à reconnaître; car bien que l'on observe dans beaucoup d'autres affections cérébrales des paralysies se développant et croissant lentement, nous devons cependant, si nous observons ce phénomène chez un vieillard épuisé, qui a présenté les phénomènes cérébraux décrits jusqu'à présent, songer en premier lieu à une thrombose des vaisseaux cérébraux et à la forme du ramollissement cérébral dont il est ici question. A mesure que les phénomènes de para- lysie auxquels s'ajoutent très-souvent, et sans que nous puissions nous rendre compte de cette coïncidence, des contractures des parties paralysées, augmentent lentement et s'étendent de plus en plus loin, les malades de- viennent de plus en plus apathiques, tombent dans un état de démence, ne retiennent plus leurs excréments, sont atteints d'eschares de décubitus et finissent par succomber dans le marasme et le coma. — La marche n'est ANÉMIE PARTIELLE ET MORTIFICATION PARTIELLE DU CERVEAU. 211 •plus la même quand des artères volumineuses ou un grand nombre de petites artères sont obstruées rapidement par des thrombus. En effet, dans ces cas l'hémiplégie survient d'une manière subite, et il peut se produire un tableau qui devient fort analogue ou même identique à celui de l'hémor- rhagie cérébrale. Cette concordance de symptômes est facile à comprendre. En effet, dans les hémorrhagies cérébrales., ce sont' également le corps strié et la couche optique qui sont le plus souvent soit broyés, soit simplement mis hors d'état de fonctionner par l'effet de la compression que les grands extravasats sanguins font subir aux capillaires de tout un hémisphère. Dans les hémorrhagies cérébrales, l'hémiplégie est également subite dans le plus grand nombre de cas. Ajoutons à ces faits que la rupture des artères cérébrales est encore'un accident survenant de préférence chez les vieillards, et que le plus souvent la maladie des parois vasculaires, qui est la cause la plus fréquente de la thrombose, détermine aussi la rupture des ar- tères cérébrales. Nous nous abstenons d'énumérer tous les symptômes sur lesquels on a voulu asseoir le diagnostic différentiel, et nous rappellerons seulement un aveu de Bamberger, dont la science doit savoir gré à une au- torité aussi incontestable en matière de diagnostic. Bamberger déclare en effet que, dans son recueil d'observations, il trouve sept cas de diagnostic erroné, où la maladie n'avait été reconnue qu'à l'autopsie ; il croit qu'il est impossible d'éviter cette erreur et avoue qu'il se permet rarement, en pré- sence d'une attaque d'apoplexie, de prononcer avec une certitude absolue le diagnostic d'une hémorrhagie cérébrale. Vanémie et la mortification partielles du cerveau dues à une embolie sont presque constamment précédées de prodromes caractéristiques. Mais ici les prodromes ne consistent pas, comme dans la forme de l'anémie cérébrale mentionnée jusqu'à présent, en phénomènes morbides ayant pour siège le cerveau, mais dans les symptômes des maladies qui presque seules donnent lieu à la pénétration des embolesdans les artères cérébrales : telles sont les maladies xalvulaires: l'endocardite ou un processus destructeur grave dans le poumon. La question de savoir si de pareils prodomes ont existé et si l'examen du malade fait reconnaître la présence d'une maladie valvulaire, d'une endocardite ou d'un de ces processus destructeurs du poumon, est d'un poids si énorme, lorsqu'on est appelé à décider s'il s'agit d'une obs- truction embolique d'une artère cérébrale ou d'une autre maladie du cer- veau, que placé en présence d'un même ensemble de symptômes nous prononcerions en toute assurance le diagnostic d'une embolie, si les mala- dies en question avaient existé, et nous rejetterions ce diagnostic avec la même assurance, dans le cas contraire. — La privation subite de sang arté- riel, quesubitla partie du cerveau alimentée jusque-là par l'artère obstruée, met cette partie immédiatement hors d'étal de fonctionner. Comme, d'après •evpérience [faite jusqu'à présent, c'est presque toujours l'artère cérébrale 212 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. moyenne et en particulier celle du côté gauche qui a été trouvée obstruée par des eniboles, et comme l'obstruction de ce vaisseau important est suivie d'une anémie intense de l'hémisphère correspondant, on conçoit facilement qu'une hémiplégie subite, occupant ordinairement le côté droit, constitue le sym- ptôme le plus important d'où il soit permis de conclure à une embolie céré- brale chez un malade atteint de maladie valvulaire, etc. Un fait plus difficile à expliquer que l'hémiplégie, c'est la perte complète de connaissance, Yinsultus apoplectique qui accompagne généralement l'invasion de l'hémi- plégie en cas d'oblitération embolique de l'artère sylvienne. Ce qui me paraît le plus probable, c'est que ce phénomène a sa raison d'être dan?, le gonflement considérable de l'hémisphère malade par un œdème collatéral et dans la protection insuffisante que la faux du cerveau, dont la résistance ne va pas au delà d'une certaine limite, procure à l'hémisphère sain contre la pression de l'hémisphère malade et tuméfié, ainsi que cela arrive également pour les grands extravasats sanguins. Toujours est-il que dans les embolies des artères périphériques, j'ai observé constamment autour du vaisseau oblitéré un œdème très-considérable et très-étendu, et dans les embolies des artères de la rate, un gonflement très-marqué de ce dernier organe. Tout le monde comprend combien il est facile de confondre une embolie avec uqe hémorrhagie cérébrale, lorsqu'on voit un malade atteint d'une hémiplégie subite, débutant par un insultus apoplectique. Dans quelques cas, il est vrai, l'âge du malade établit une certaine probabilité en faveur de l'un ou de l'autre état. En effet, les hémorrhagies surviennent, sinon ex- clusivement, au moins de préférence à un âge avancé, les embolies au con- traire à tout âge; chez un individu jeune la présomption est donc plus grande en faveur d'une obstruction "vasculaire d'origine embolique qu'en faveur d'un épanchement sanguin. Cependant, le seul moyen d'éviter l'er- reur est d'examiner attentivement le cœur et le poumon. La certitude, qu'acquiert le diagnostic par la constatation d'une maladie valvulaire, etc., devient plus grande encore si l'on parvient à démontrer en même temps l'existence d'embolies dans des artères périphériques ou dans des artères d'autres organes internes, surtout de la rate ou des reins. — Dans la plupart des cas la mort arrive plus ou moins longtemps après l'accès, au milieu des symptômes d'une paralysie générale; dans d'autres cas, les malades repren- nent connaissance au bout d'un certain temps. Il est rare que lesphénomènes de paralysie se dissipent à leur tour, et il ne peut guère en être autrement si l'on se rappelle ce que nous avons dit § 1, au sujet de la difficulté de l'établissement d'une circulation collatérale. L'anémie partielle du cerveau, "provenant d'un œdème collatéral qui s'est déve- loppé aux environs d'abcès, de tumeurs et d'autres foyers pathologiques, se trahit, selon le degré de l'anémie, par des phénomènes d'irritation ou de paralysie, venant compliquer les symptômes émanant directement du foyer ANÉMIE PARTIELLE ET MORTIFICATION PARTIELLE DU CERVEAU. 213 atteint, et ayant leur raison d'être dans les troubles fonctionnels des parties du cerveau situées en dehors du foyer proprement dit de la maladie. A l'au- topsie, il est en général très-difficile ou même impossible de distinguer si> aux environs d'un abcès, d'un néoplasme, etc., il existe un œdème et une anémie capillaire, et jusqu'où ces lésions s'étendent. Mais il nous est permis d'admettre que les parties qui environnent ces foyers pathologiques se com- portent dans le cerveau de la même manière que dans d'autres organes accessibles à l'observation directe, et nous sommes d'autant plus en droit de faire cette supposition, que depuis longtemps les bons observateurs ont re- marqué que bien des affections partielles du cerveau sont accompagnées de symptômes qu'il est impossible d'attribuer à la modification palpable de la structure cérébrale, telle qu'on la découvre à l'autopsie, et qu'il faut rap- porter ces symptômes à une participation non appréciable d'autres parties du cerveau situées aux environs du foyer pathologique. Ce qui tend à nous faire admettre que cette participation consiste dans un trouble de la circula- tion capillaire, dans l'existence d'un œdème, c'est que ces anomalies très- souvent ne laissent pas davantage de traces de leur passage dans d'autres parties du corps. Quelquefois les symptômes observés sur le vivant nous éclairent mieux sur l'extension des troubles secondaires de la circulation et des œdèmes collatéraux qui en dépendent que l'autopsie. Si, par exemple, un foyer pathologique, non accompagné d'une diminution de l'espace intra- crànien, est situé dans la substance corticale et dans les couches médullaires des hémisphères cérébraux dont la destruction ne provoque ni convulsions, ni paralysie, et qu'on observe néanmoins ces accidents, cette circonstance prouve que l'anomalie en question s'est étendue jusque dans les parties du cerveau situées beaucoup plus profondément. Si de nombreuses observations ont permis de constater que toute une moitié du cervelet peut être détruite sans produire une hémiplégie, ce symptôme, lorsqu'on l'observe dans une maladie organique limitée au cervelet, ne doit pas être directement attribué à l'affection de ce dernier, mais à l'extension de l'œdème collatéral à des parties du cerveau dont le manque de fonctionnement est suivi d'hémi- plégie. L'expérience, en apparence assez singulière, qu'en cas de maladie unilatérale du cervelet, l'hémiplégie manque dans certains cas et se pré- sente dans d'autres du côté correspondant, et dans d'autres encore du côté opposé à la partie atteinte, cette expérience s'explique très-simplement par ce fait que, dans les cas nommés en dernier lieu, un œdème collatéral s'est ■étendu le long des pédoncules moyens du cervelet, jusque dans les régions latérales de la protubérance, 'que, d'autre part, dans les cas où la paralysie frappe le côté correspondant à l'affection du cervelet, l'extension de l'œdème collatéral s'est faite le long des pédoncules inférieurs du cervelet jusqu'aux cordons latéraux du bulbe racbidien, et qu'enfin dans les cas où il n'y a pas d'hémiplégie du tout, L'œdème collatéral ne s'étend, ni dans un sens, 214 MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. ni dans l'autre, à des régions dont le manque de fonctionnement entraîner rait l'hémiplégie. Ces exemples suffiront pour montrer l'importance du rôle que joue l'anémie partielle du cerveau, provenant d'un œdème collatéral, dans la symptomatologie des affections cérébrales limitées à des foyers isolés. J'ai déjà mentionné plus haut que les alternatives dans les symptômes, l'amélioration et l'aggravation passagères qui s'observent dans le cours de plusieurs maladies cérébrales dépendent en grande partie de l'augmentation et de la diminution de l'œdème collatéral aux environs du foyer patho- logique, La troisième forme de l'anémie partielle du cerveau, c'est-à-dire l'effet de la compression que subissent les capillaires de quelque partie du cerveau de la part d'un foyer pathologique rétrécissant l'espace intracrânien, produit un en- semble de symptômes constants et caractéristiques, qui évidemment diffère selon que l'anémie a son siège dans l'un ou l'autre hémisphère cérébral ou dans les parties situées au-dessous de la tente du cervelet. Si les capillaires d'un hémisphère cérébral sont comprimés par un extravasat sanguin, par une tumeur ou par une autre affection de foyer, ayant pour effet un rétré- cissement de l'espace intracrânien, il se produit une hémiplégie, quel que soit l'endroit où le foyer pathologique rétrécissant la capacité du crâne ait son siège. Cette hémiplégie est limitée à la moitié inférieure de la face et aux deux extrémités du côté opposé. On a regardé comme extraordinaire que bien souvent des foyers pathologiques, situés au-dessus ou au dessous d'un hémisphère du cerveau, aussi bien que les lésions situées dans son intérieur, entraînent l'hémiplégie, tandis que, dans d'autres cas, des foyers- situés à la base, à la convexité et dans les couches de substance blanche occupant le centre d'un des hémisphères cérébraux, ne donnent lieu à aucune hémiplégie, et l'on a même dressé des tableaux pour faciliter l'a- perçu de ces manques de concordance. Je considère ces tableaux comme tout à fait dépourvus d'intérêt, s'ils ne mettent pas en lumière l'espèce de maladie dont il s'agit, et je crois qu'il importe avant tout de bien distinguer l'un de l'autre deux genres de foyers pathologiques dont l'effet diffère com- plètement : j'entends ceux qui occupent plus de place que les fibres céré- brales et les cellules ganglionnaires auxquelles ils se sont substitués, et ceux qui ne se trouvent pas dans ces conditions. Des foyers pathologiques occupant la base, la convexité, le centre des hémisphères cérébraux n'entraînent l'hémi- plégie, qu'autant qu'ils tendent à diminuer l'espace intracrânien; dans d'autres cas il n'en résulte pas d'hémiplégie, à moins qu'un œdème collatéral se développant autour d'eux ne s'étende jusque sur la couche optique et le corps strié. 11 y a cependant des exceptions où des affections de l'un ou de l'autre hémisphère cérébral ne sont suivies d'aucune hémiplégie, quoique leurs produits rétrécissent l'espace intracrânien. Lorsqu'une tumeur prend un accroissement très-lent, la substance cérébrale subit une certaine atro ANEMIE PARTIELLE ET MORTIFICATION PARTIELLE DU CERVEAU. 215 phie qui peut être eu proportion avec l'accroissement de la tumeur, dont l'effet compressif est ainsi neutralisé. Dans ces cas, il n'y a pas d'anémie de l'hémisphère correspondant par compression de capillaires, et par consé- quent pas d'hémiplégie, à moins que la tumeur n'ait son siège dans les régions du corps strié et de la couche optique. En outre, nous avons à rappeler la large communication qui existe entre les deux compartiments supérieurs de la cavité crânienne dans leur partie antérieure. 11 est clair qu'en cet endroit, une pression qui s'exerce sur un hémisphère peut se communiquer à l'autre beaucoup plus facilement qu'ailleurs. Mais plus la pression peut se distribuer également, plus ses effets deviennent faibles, et ces conditions nous permettent d'admettre que, si une affection d'un lobe, antérieur ne diminue pas trop l'espace intracrânien, c'est-à-dire, ne met pas trop le cerveau à l'étroit, les capillaires de l'hémisphère malade ne su- bissent pas une compression absolue, de sorte qu'il n'y a pas d'hémiplégie du tout ou une hémiplégie à peine marquée, tandis que si la pression se communique à l'autre hémisphère, il se manifeste des troubles psychiques. qui manquent en général clans les affections bornées à un seul hémisphère cérébral. Il n'est pas impossible que l'aphasie qui s'observe dans les affec- tions unilatérales des lobes frontaux et avec une fréquence toute particu- lière (mais non toujours) dans les affections du lobe antérieur gauche, s'ex- plique jusqu'à un certain point par cette circonstance que, dans les régions des lobes frontaux, une pression qui agit sur un côté se communique facile- ment au côté opposé. La symétrie qui existe entre les deux hémisphères cérébraux ne permet guère d'admettre que clans l'un d'eux il puisse exister un organe qui ne soit pas représenté dans l'autre, comme il faudrait l'ad- mettre si une lésion, limitée à la troisième circonvolution du lobe antérieur gauche, pouvait entraîner seule l'aphasie, si, par conséquent, cette circon- volution était seule le siège du langage articulé (Broca). Un ensemble de symptômes encore plus caractéristique et plus constant est celui qui accompagne la compression des capillaires appartenant aux; organes situés dans la fosse postérieure du crâne. Cela tient, sans douter à cette circonstance que la tente du cervelet peut opposer une plus forte résis- tance à une pression qui s'exerce sur elle que la faux du cerveau, et que d'un autre côté la communication entre le compartiment postérieur et inférieur de la cavité crânienne, limité par la tente du cervelet et l'os occipital, avec les deux compartiments supérieurs est beaucoup moins large que celle qui existe entre ces deux derniers. On sait qu'il est facile de commettre une erreur, lorsqu'il s'agit d'établir le diagnostic d'une maladie du cerveau ; mais je ne me souviens pas de m'ètre trompé une seule lois quand j'avais diagnostiqué un loyer pathologique mettant à l'étroit les parties situées dans la fosse postérieure du crâne.' Plusieurs de mes anciens élèyes m'ont assuré également que l'expérience faite par eux dans leur clientèle 216 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. leur permetait de déclarer facile le diagnostic d'un foyer pathologique, mettant à l'étroit les organes contenus dans cette- région, et qu'ils avaient pu établir plusieurs fois, d'après mes préceptes, ce diagnostic que l'autopsie était venue confirmer plus tard. Le groupe des symptômes qui nous permet de conclure à l'existence d'une compression des capillaires appartenant aux organes contenus dans la fosse postérieure du crâne est le suivant : douleurs clans la région occipitale, vomissement sympathique, une espèce particulière de vertige, affaiblissement de la sensibilité et de la motilitè assez uniformément répartis sur le corps entier ; mais ni paralysie, ni anesthésie complète; articulation des mots et déglutition plus difficiles. Les dculeurs occipitales ont sans doute leur siège dans les fibres du trijumeau qui rampent dans la tente du cervelet fortement tendue et tiraillée. Le vomissement sympathique, qui se rencontre dans les maladies cérébrales les plus diverses, n'a pas à lui seul une valeur diagnostique; mais, réuni aux autres symptômes, il contribue essentiellement à caractériser la maladie. — Le vertige, en cas de foyers pathologiques mettant à l'étroit les organes contenus dans la fosse posté- rieure du crâne, n'est pas une hallucination, c'est-à-dire la sensation subjective d'un mouvement du corps ou des objets environnants, n'existant pas en réalité. Il ne survient pas non plus, comme cette forme beaucoup plus fréquente du vertige dépendant d'une hallucination, quand les malades sont couchés ou assis tranquillement, mais uniquement quand leur corps exécute certainsmouvements.il faut s'imposer la règle, toutes les fois qu'un malade se plaint dé vertiges, de lui demander si les accès vertigineux le prennent pendant le repos ou seulement quand il marche ou se redresse ; car si cette dernière condition existe, on possède déjà un élément de dia- gnostic très-précieux. Le vertige qu'on observe dans les affections qui dimi- nuent la capacité de la fosse postérieure du crâne, dépend, comme cela a été démontré positivement par Immermann, d'oscillations réelles du tronCi dont le malade ne se rend pas compte et qui ne troublent chez lui que le sentiment d'équilibre. Chez les individus bien portants, le tronc décrirait également des oscillations de pendule pendant la marche ou l'action de se redresser, si ces oscillations n'étaient pas arrêtées parles contractions des muscles qui tendent la colonne vertébrale et l'inclinent de côté. Chez un individu qui marche droit et roide, l'action de ces muscles, qui par la longue habitude s'exerce sans que l'individu en ait conscience, peut facilement être contrôlée par la forte saillie de leur portion charnue. Cette facilité d'arrêter par l'action musculaire des mouvements et des oscillations mécaniquement communiqués au tronc est amoindrie à un haut degré chez les individus atteints d'affections qui tendent à diminuer la capacité de la fosse posté- rieure du crâne, circonstance qui semble confirmer l'opinion d'après laquelle le cervelet présiderait à l'innervation du tronc et au soutien de la colonne vertébrale (Griesinger). — L'affaiblissement de la sensibilité et de ANÉMIE PARTIELLE ET MORTIFICATION PARTIELLE DU CERVEAU. 217 la rnotilité, qui rend les malades maladroits et peu surs de leurs mouve- ments, sans s'élever jusqu'au degré d'une anesthésie et d'une paralysie complète, trouve une explication toute simple dans ce fait que les fibres nerveuses qui sortent du cerveau par le trou occipital supérieur, pour entrer dans la fosse postérieure du crâne, et quittent de nouveau cette dernière par le trou occipital inférieur, éprouvent sur ce trajet une com- pression par laquelle la transmission de l'excitation centrale, allant du cerveau aux nerfs moteurs, et la transmission de l'excitation périphérique des nerfs sensibles au cerveau sont troublées. — La difficulté du langage, comme il est facile de s'en assurer, ne dépend pas d'un affaiblissement de l'intel- ligence ni de la difficulté de trouver des mots pour exprimer les idées, mais simplement de l'embarras et de la difficulté que le malade éprouve à exécuter les mouvements nécessaires pour parler couramment et intelli- giblement. — Les malades rapportent quelquefois à une cause matérielle l'embarras de la déglutition ; en général, ils avalent simplement un peu de travers en buvant. Je ne chercherai pas à approfondir si ces embarras du langage et de la déglutition proviennent d'une compression exercée par un foyer pathologique sur l'origine de l'hypoglosse et du glosso-pharyngien ou sur le trajet de ces nei'fs dans la fosse postérieure du crâne. — Aux symptômes indiqués s'ajoutent en général des symptômes de foyer, les signes dépendant de la lésion de quelques nerfs et d'une hydrocéphale chronique, quand l'embouchure de la grande veine de Galien dans le sinus droit est comprimée, et qu'ainsi l'écoulement du sang des ventricules se trouve arrêté. Il sera question de cette dernière complication à l'occasion des tumeurs et abcès du cervelet, du pont de Yarole, de la moelle allongée et à l'occasion de l'hydrocéphale chronique. Ici il importait de mentionner les phénomènes qui dans les maladies mettant à l'étroit les organes compris dans la fosse postérieure du crâne, se montrent toujours avec une remar- quable uniformité, quelle que soit du reste la nature de ces maladies et quel que soit leur siège dans la fosse postérieure. — Mes élèves m'ont fourni la preuve que l'intérêt qui s'attache à l'étude des maladies du cerveau «'accroît rapidement uue fois que Ton est arrivé à la conviction que, bien souvent, un diagnostic positif n'est possible que dans de certaines limites. Il n'est pas rare que l'on soit forcé dans son diagnostic de s'arrêter a la déclaration, qu'il existe un foyer pathologique exerçant une compression sur l'un ou L'autre hémisphère ou bien sur les organes compris dans la fosse postérieure du crâne. Dans les chapitres suivants, nous nous proposons de Caire voir dans quelles circonstances on peut aller plus loin et de quelle manière on peut arriver dans d'autres casa un diagnostic certain, concernant la nature du loyer pathologique et sa localisation plus précise. 218 MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. § h. Traitement. Le traitement dé l'anémie et de la mortification partielles du cerveau promet naturellement très-peu de résultats. L'obstacle à l'afflux du sang, créé par la thrombose et l'embolie des artères cérébrales, ne peut être écarté par une intervention thérapeutique. Il faudrait donc autant que possible favoriser le développement d'une circulation collatérale, sans exposer le malade à de nouveaux dangers par le fait d'une fluxion collatérale trop intense. Il est difficile de remplir ces conditions et oïl s'expose fort à faire plus de mal que de bien en poursuivant cette tâche. Plus les phénomènes de paralysie partielle restent purs, plus ils persistent avec opiniâtreté et sans se compliquer de phénomènes d'irritation, plus aussi une médication forti- fiante et stimulante est formellement indiquée. C'est pourquoi tous ceux qui se sont occupés du traitement du ramollissement cérébral ont préconisé l'emploi des stimulants. Si au contraire les phénomènes d'irritation, pro- voqués par une hypérémie fluxionnaire, tels que maux de tête violents, contractures, etc., deviennent prédominants, il faut recourir à l'emploi du froid et aux applications répétées de sangsues derrière les oreilles. Il faut user de la saignée générale avec beaucoup de prudence, parce qu'elle est facilement suivie de collapsus. Tout ce que nous venons de dire prouve qu'il est difficile de formuler des principes généraux et que le traitement doit varier selon les exigences du cas particulier. — - Le traitement de l'anémie partielle, due à un œdème collatéral et à la compression des capillaires, sera discuté à l'occasion des affections locales qui se compliquent ordinairement de ces formes d'anémie partielle. CHAPITRE Y Hémorrliagie cérébrale. — Apoplexie sanguine. On donne, d'après l'étymologie du mot, le nom d'apoplexie à tout arrêt subit et complet des fonctions du cerveau. Selon que la paralysie du cerveau est provoquée par un extravasat sanguin ou un épanchement séreux, ou selon qu'on peut constater ou non des modifications de texture comme cause de cette paralysie, on distingue différentes formes d'apoplexie, par exemple une apoplexie sanguine, séreuse, nerveuse, etc. Nous traitons dans le chapitre présent la lésion du cerveau caractérisée par la déchirure vascu- laire et l'extravasation sanguine, que celte lésion donne lieu ou non aux symptômes d'une paralysie subite du cerveau. HÉMORRHAGIE CÉRÉBRALE. — APOPLEXIE SANGUINE. 219 § 1. Pathogénie et étioeogie. Les hémorrliagies cérébrales se font presque toujours par les petites ar- tères ou les capillaires du cerveau, et doivent être attribuées soit à des ma- ladies de texture des parois vasculaires, soit à un état anormal de la substance cérébrale qui entoure les vaisseaux, soit à une augmentation de la pression du sang contre la paroi vasculaire. Le plus souvent l'hémorrhagie a lieu sous l'influence simultanée de plusieurs de ces causes. Les modifications de texture des parois vasculaires, d'où dépend dans la plu- part des cas la friabilité anormale de ces vaisseaux, sont les terminaisons de l'endartérite déformante que nous avons décrites dans le premier volume. C'est ce qui explique la fréquence des apoplexies chez les individus ayant dépassé la quarantaine, remarque déjà faite par Hippocrate. — En second lieu, la dégénérescence graisseuse simple des parois artérielles, qui ne dé- pend pas de processus inflammatoires, mais qui se rencontre chez des indi- vidus mal nourris, cachectiques et chlorotiques, conduit également à la fria- bilité exagérée, et à la rupture des vaisseaux cérébraux ; cependant nous sommes obligés d'avouer qu'on rencontre beaucoup plus souvent la dégéné- rescence graisseuse des petites artères du cerveau, qu'on ne devrait s'y at- tendre d'après la rareté relativement grande des apoplexies. Quelquefois la rupture de toute la paroi est précédée de la rupture des tuniques interne et moyenne, tandis que la tunique externe résiste encore à la déchirure. Dans ces cas, le sang pénètre entre l'adventice et la tunique moyenne, et il se forme de petits anévrysmes disséquants. Enfin, il existe des cas, où l'on est forcé d'admettre une friabilité anormale des vaisseaux cérébraux, sans qu'on puisse en donner les preuves. Ce sont les hémorrliagies cérébrales qu'on observe chez les convalescents de fièvre typhoïde et d'autres maladies infec- tieuses ou dans le cours du scorbut, qui rentrent dans cette catégorie, assez rare du reste. Nous avons déjà mentionné dans le chapitre précédent que, dans le ra- mollissement nécrosique du cerveau, il se produit assez souvent des hémor- rliagies capillaires sur les limites du foyer de ramollissement. Très-souvent Yatrophîe lente de la substance cérébrale donne lieu à la dilatation et finale- ment à la déchirure des vaisseaux. La disparition delà substance cérébrale ne peut pas être suivie d'un vide dans le crâne; l'augmentation du liquide cérébro-spinal et la dilatation des vaisseaux sont donc la conséquence néces- saire de l'atrophie sénile aussi bien que de l'atrophié du cerveau qui succède si souvent aux troubles les plus divers de lanutrition. Peut-êtrela fréquence des apoplexies dans la vieillesse tient-elle, au moins en partie, à celle même circonstance, et sans aucun doute l'atrophie cérébrale qui, dans beaucoup 220 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. de cas, est provoquée par la première attaque d'apoplexie, est une des causes de la récidive fréquente des apoplexies. Une augmentation de la pression du sang sur les parois vasculaires, assez considérable pour donner lieu à la déchirure de ces dernières, peut dépen- dre de toutes les conditions que nous avons considérées, dans le premier et le second chapitre, comme causes de l'hypérémie du cerveau. La fréquence des attaques d'apoplexie pendant les repas longs et copieux nous fait admet- tre que l'hypérémie cérébrale, produite par une pléthore momentanée, est une des formes les plus dangereuses. En outre, dans les ruptures des vaisseaux cérébraux, les hypertrophies du ventricule gauche, surtout celle qui se déve- loppe à la suite de toute endartérite déformante étendue, jouent un rôle important. Dans cette dernière se rencontrent deux conditions dangereuses, la friabilité morbide des parois vasculaires et la pression augmentée du sang- sur ces parois. Ajoutez à cela que les petites artères, dans lesquelles le mou- vement du courant sanguin est constant à l'état normal et dont les parois conservent à peu près une égale tension pendant la systole et la diastole du cœur, présentent des battements dans la dégénérescence athéromateuse étendue et que leurs parois subissent, à chaque systole du cœur, une aug- mentation considérable de la tension moyenne normale. On comprend faci- lement que cette circonstance doit favoriser également la rupture des vais- seauxmalades. — Les hémorrhagies cérébrales dépendent si souvent delà com- plication en question que dans les cas douteux l'existence d'une hypertrophie du ventricule gauche et d'une dégénérescence athéromateuse des parois ar- térielles, peut avoir une certaine importance pour le diagnostic. Les apoplexies s'observent à toutes les époques de l'année ; quelquefois les cas se multiplient d'une façon étonnante sans cause connue. Les apo- plexies s'observent également à toutes les heures de la journée; on a même dressé des tableaux sur leur fréquence aux heures de la matinée, du milieu du jour et de la soirée. Quoique l'âge avancé fournisse le contingent le plus considérable, on observe cependant des apoplexies même chez les enfants. Les hommes y sont plus sujets que les femmes. Il n'y a pas de constitution apoplectique, caractérisée par le cou court et les épaules larges. Selon que l'hémorrhagie consiste en un grand nombre de petits épanche- ments, très-rapprochés les uns des autres, ou en une collection très-consi- dérable, on distingue des hémorrhagies capillaires ou des foyers hémorrha- giques. Dans les hémorrhagies capillaires, la substance cérébrale se montre tache- tée de rouge foncé, sur une étendue plus ou moins grande, par des extra- HEMORRHAGIE CEREBRALE. — APOPLEXIE SANGUINE. 221 vasats pointillés ; la substance cérébrale qui se trouve entre ces petits épan- chenients, ou bien a conservé sa couleur et sa consistance normales, ou bien elle a pris une teinte rougeàtre ou jaune plus ou moins intense par suite de l'imbibition, elle est relâchée et humide, ou bien, enfin, elle a été écrasée par les extravasats et transformée en une bouillie rouge (ramollis- sement rouge). Ce n'est que dans les petits foyers hémorrhagiques :'què les fibres cérébrales sont quelquefois simplement écartées ; dans les extravasats considérables, elles sont détruites et mêlées au sang épanché ; dans le premier cas, le foyer a quelquefois une forme allongée, correspondant à la direction des fibres ; dans le dernier, il a une forme plus arrondie ou irrégulière. Les parois du foyer sont jusqu'à un certain point lisses, dans le premier cas; dans le der- nier, qui est beaucoup plus fréquent, elles ont un aspect déchiqueté et sont entourées d'une masse cérébrale imbibée de sang et transformée en une bouillie renfermant souvent des lambeaux de tissu sur une épaisseur de plusieurs lignes. ■ — Les dimensions du foyer varient entre le volume d'une graine de pavot et celui du poing. Lorsque le foyer est situé près d'un ven- tricule, il en rompt quelquefois la paroi et le sang s'épanche dans le ven- tricule. Les foyers hémorrhagiques qui sont situés près de la surface du cer- veau, traversent assez souvent la substance corticale et la pie-mère, de sorte que le sang arrive dans les espaces sous-arachnoïdiens. — Le plus souvent il n'existe qu'un foyer hémorrhagique dans le cerveau, rarement un plus grand nombre. Les sièges les plus fréquents de ce foyer sont le corps strié, la couche optique et le centre ovale de Vi°ussens; on le trouve moins sou- vent dans la substance corticale du cerveau, dans le cervelet et dans le pont de Varole; on rencontre très-rarement des apoplexies dans les tubercules quadri jumeaux et la moelle allongée ; presque jamais on ne les trouve dans le corps calleux et dans la voûte. — Le contenu d'un foyer apoplectique récent consiste en sang et en matière cérébrale broyée. Le sang est encore liquide, ou bien en partie coagulé, et dans ce dernier cas la fibrine est quel- quefois précipitée à la périphérie, tandis que le milieu du foyer consiste en sang liquide. — Après un temps court le contenu et les parois du foyer commencent à subir des modifications. La fibrine du sang et les fragments de matière cérébrale mêlés à l'épanchement se réduisent en détritus, le contenu devient plus liquide, la couleur rouge foncé devient brune et plus tard jaune safran. L'hématine se transforme en un pigment granuleux et souvent en cristaux d'hématoïdine. En même temps, il se fait dans le voisi- nage immédiat du foyer une formation nouvelle de tissu conjonctif partant de la uévroglie, et de cette façon il se produit une couche plus dense, cal- leuse qui enkyste le foyer. De même, on observe à la surface interne du foyer une formation nouvelle d'un tissu cellulaire très-délicat, qui, coloré en jaune par le pigmenl et imbibé par la sérosité, tapisse les parois et Ira- 222 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. verse le foyer sous forme d'une trame fine. Après que les éléments de l' épan- chement sanguin sont tombés en détritus, le foyer se remplit de sérosité à mesure que ces résidus disparaissent, et l'on trouve alors dans le cerveau une cavité remplie d'un liquide transparent, entourée d'une substance calleuse,, tapissée et traversée par un tissu conjonctif délicat et pigmenté en jaune, c'est-à-dire un kyste apoplectique. Ce kyste persiste le plus souvent pendant toute la vie. Quelquefois cependant la sérosité est résorbée, les parois se rap- prochent et, à la fin, elles ne sont plus séparées que par une couche de pigment. Ces places calleuses, renfermant une strie pigmentée, portent le nom de cicatrices apoplectiques. — La cicatrisation d'un foyer hémorrhagique de la substance corticale se fait d'une manière un peu différente. Les épan- chements sanguins sous la pie-mère, ordinairement peu épais mais étendus sur une large surface, subissent les mêmes modifications que le contenu des foyers centraux. La bouillie rouge se transforme peu à peu en une masse rouge-brun, plus tard jaune safran, grumeleuse, qui est limitée en bas par la substance cérébrale devenue d'une dureté calleuse, en haut par la pie- mère. Finalement, on trouve une plaque pigmentée un peu enfoncée, au- dessus de laquelle se trouve un épanchement séreux qui occupe le vide laissé par cet enfoncement. — L'issue de l'hémorrhagie que nous venons de décrire, doit être considérée comme la plus favorable; car, dans quelques cas, la réaction inflammatoire à l'entour de l'endroit détruit du cerveau ne se borne pas à une formation nouvelle du tissu conjonctif, mais on voit survenir une destruction étendue par suite du ïamollissement inflammatoire, ou bien la suppuration et la transformation du foyer apoplectique en un abcès cérébral. — Les parties épargnées par l'hémorrhagie sont exsangues, lorsque l' épanchement est quelque peu considérable, et elles le sont d'au- tant plus que les extravasats sont plus grands ; de petits épanchements capil- laires n'exercent aucune influence sur la distribution du sang dans le reste du cerveau. L'hémisphère qui est le siège du foyer se montre surtout exsan- gue, lorsque l' épanchement est considérable. Les espaces sous-arachnoï- diens sont vides, les circonvolutions sont aplaties et les sillons effacés. Comme l'aspect inégal de la surface du cerveau est dû principalement à la présence du liquide céphalo-rachidien et de vaisseaux remplis de sang entre, les cir- convolutions cérébrales, la surface de cet organe est remarquablement lisse et unie lorsqu'il existe de grands extravasats. — Le cerveau ne supporte que très-rarement la lésion qu'il éprouve par le fait de l'apoplexie, sans que l'ensemble de sa nutrition soit en souffrance. A la diminution progressive des facultés intellectuelles correspond une atrophie générale du cerveau, à laquelle s'ajxite, d'après les recherches du Tùrk, une dégénération des faisceaux nerveux qui sont en connexion avec le foyer hémorrhagique, dégé- nération qui s'étend bien avant dans la moelle épinière. HÉMORRHAGIE CEREBRALE. — APOPLEXIE SANGUINE. 223 § 3. Symptômes et marche. L'apoplexie se présente dans quelques cas d'une manière inattendue chez des personnes qui s'étaient senties parfaitement bien portantes jusqu'à cette époque; dans d'autres cas, elle est précédée de prodt ornes qui inspirent au médecin et souvent même au public la crainte de l'imminence d'un coup d'apoplexie. Les malades se plaignent de céphalalgie, ou de pesanteur et d'embarras de la tête, de bourdonnements d'oreille, d'éblouissements, ils ont des accès de vertige, dorment mal, sont agités et de mauvaise humeur; à cela s'ajoutent de temps en temps, comme symptômes particulièrement funestes, le sentiment de fourmillement et d'engourdissement dans quelques membres, la perte momentanée de la mémoire pour quelques mots ou quelques chiffres, ou bien des paralysies passagères, limitées à certains groupes musculaires. Les prodromes de l'apoplexie sont, par conséquent, constitués par les mêmes phénomènes que nous avons indiqués, dans les chapitres précédents, comme symptômes de i'hypérémie générale et par- tielle, et comme symptômes de l'anémie partielle du cerveau, due à la dégénérescence des parois vasculaires, ce qui concorde parfaitement avec ce que nous avons dit dans l'étiologie sur la dépendance très-fréquente des hémorrhagies cérébrales, soit d'une augmentation de la pression latérale dans les vaisseaux cérébraux, soit de la dégénérescence de leurs parois. Du reste, on ne peut pas toujours dire dans le cas spécial, si les anesthésies et les paralysies partielles et passagères qui précèdent les attaques d'apoplexie dépendent de thromboses de petits vaisseaux ou bien de petites hémorrhagies capillaires. Évidemment dans ce dernier cas on ne doit plus les compter parmi les prodromes. La destruction des fibres cérébrales, que ces dernières soient broyées par de grands cxtravasats ou ramollies par de petits épanchements capillaires, ne peut pas avoir d'autres conséquences directes, qu'une paralysie partielle. — Comme la destruction de certaines portions du cerveau, surtout dans les centres médullaires des hémisphères, n'est suivie d'aucun troublé fonction- nel accessible à notre observation, on s'explique facilement que de petites hémorrhagies, de même que d'autres maladies de ces régions, quelquefois ne sont pas reconnues pendant la vie. Nous avons dit que le siège le plus fréquent des hémorrhagies était le corps strié et les couches optiques; une destruction de ces parties ou des pé- doncules cérébraux donne lieu à une paralysie de la moitié opposée du corps. On peut facilement prouver que la paralysie qui se développe à la suite de la destruction des parties indiquées, est due uniquement à l'interruption des voies de communication qui existent entre les organes préposés aux actes 224 MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX, de l'intelligence et de la volonté et entre les nerfs moteurs et les muscles ; la faculté de penser et de vouloir n'est pas troublée. Si, après la disparition de l'insultus apoplectique, pendant lequel la connaissance est complètement perdue (voy. plus bas), nous engageons les malades à nous donner la main paralysée, ils s'aident de l'autre main, dont les nerfs et les muscles obéissent à leur volonté par suite de l'intégrité de la conduction; c'est là un signe certain qu'il y a intention de leur part d'exécuter l'acte demandé. D'un autre côté, dans les cas récents, chaque nerf moteur du côté paralysé, sur lequel nous faisons agir un courant d'induction, fait entrer en contraction les muscles auxquels il se distribue. Par conséquent, une seule chose manque, c'est la communication entre l'appareil incitateur central et les nerfs mo- teurs. — Cette interruption de la conduction n'a aucune influence sur les mouvements du côté paralysé qui se font par voie réflexe et sans l'interven- tion de la volonté; car les malades, qui, à la suite d'une apoplexie dans l'hémisphère cérébral gauche, ne peuvent pas mouvoir le bras droit, ni la jambe droite, meuvent pendant la respiration la moitié droite du thorax tout aussi bien que la moitié gauche. De même, la communication des nerfs moteurs avec les fibres nerveuses et les cellules ganglionnaires qui sont mises dans un état d'excitation par suite de certaines dispositions d'esprit et de certaines passions, n'est pas toujours supprimée en même temps que l'interruption de la conduction dont nous parlons. Ce qui le prouve, c'est que quelques-uns de ces malades qui ne sont pas en état de contracter la moitié de la face paralysée pour rire ou pour pleurer, lorsque nous les y en- gageons, la meuvent comme d'habitude, quand l'acte de rire ou de pleurer n'est plus un acte volontaire, mais se produit sous l'influence de l'émotion. De même, l'interruption de la conduction entre les parties centrales, exci- tées dans les déterminations de la volonté, et les fibres motrices, n'implique pas nécessairement que la communication de ces dernières avec les fibres sensibles et avec d'autres fibres motrices soit également interrompue. Au contraire, nous trouvons que dans les parties paralysées les mouvements réflexes et les mouvements sympathiques se produisent quelquefois norma- lement, et même plus facilement que d'habitude, de sorte qu'il semble que l'excitation des fibres motrices par action réflexe se produit plus facilement dans ces cas que lorsqu'elle est sous la dépendance de la volonté. — Un point caractéristique de l'hémiplégie qui succède à la destruction du corps strié et de la couche optique d'un des hémisphères, c'est que la paralysie est limitée aux muscles des extrémités, à ceux des muscles de la face qui se rendent à la commissure des lèvres et au nez, et aux muscles qui font sortir la langue hors la bouche. Presque toujours les malades peuvent mâcher d'une manière normale, rider le front, ouvrir et fermer les paupières, exé- cuter tous les mouvements avec les yeux, etc., du côté paralysé. Par contre, les malades ne sont souvent pas en état de soulever, à la hauteur d'un cen- HÉMORRHAGIE CÉRÉBRALE. — APOPLEXIE SANGUINE. 225 timètre, le bras et la jambe paralysés ; sur le côté malade l'angle de la boucbe est pendant, la narine est rétrécie, quelquefois la joue est distendue à chaque expiration, tandis que du côté sain, l'angle de la bouche est relevé et la narine dilatée. Lorsque le malade sort la langue, la pointe est déviée du côté paralysé, parce que les muscles du côté opposé projettent seuls la base de la langue en avant et allongent cet organe. — Dans la plupart des cas on observe, en même temps que la paralysie unilatérale, une anesthésie du même côté, mais cette dernière disparait d'ordinaire complètement, ou au moins en grande partie, après quelque temps. Cette marche de l' anes- thésie, jointe à l'expérience que les animaux ne manifestent aucune dou- leur, quand on leur détruit le corps strié et la couche optique, et que la faculté de sentir les douleurs périphériques persiste encore après leur avoir enlevé ces parties du cerveau, semble prouver que l'anesthésie passagère de la moitié paralysée du corps, ne dépend pas directement de la destruction du corps strié et de la couche optique, mais de la compression des capil- laires, produite à la suite de l'épanchement sanguin dans les parties du cer- veau situées au dessous de ces organes. Les symptômes identiques avec ceux qui se développent à la suite d'épan- chements sanguins dans la couche optique et le corps strié, sont produits par des épanchements sanguins, situés à d'autres endroits des hémisphères cérébraux, lorsque ces collections sont tellement considérables, qu'elles com- priment les capillaires du corps strié et de la couche optique. D'après ce que nous avons dit dans le chapitre précédent de l'anémie partielle du cer- veau et de l'influence qu'elle exerce sur les fonctions cérébrales, cette simi- litude dans les symptômes ne doit pas nous surprendre, elle doit même nous paraître évidente et forcée. La seule différence est la suivante : un grand foyer apoplectique, qui a détruit le corps strié et la couche optique, laisse après lui une hémiplégie qui ne disparait plus jamais ; seuls les tout petits foyers dans ces parties, par lesquels les fibres et les ganglions nerveux ne sont pas détruits, mais simplement écartés, donnent lieu quelquefois à des paralysies passagères. Nous pouvons conclure de ce fait d'expérience, que l'appareil existant sans aucun doute dans le cerveau, qui met les nerfs moteurs en excitation, après avoir été mis lui-même en excitation par les organes de la volition, a son siège dans la région du corps strié et de la couche optique. Par contre, des foyers apoplectiques considérables, qui ont leur siège à d'autres endroits des hémisphères cérébraux, laissent assez souvent après eux des paralysies qui disparaissent de nouveau, après un temps plus ou moins long. Cette marche nous permet d'admettre que les capillaires du foyer moteur central, délivrés de la pression à la suite de la résorption partielle de l'extravasat, sont devenus de nouveau accessibles au sang, ou bien que [l'œdème collatéral qui s'était formé autour de l'endroit détruit du cerveau, et qui s'était étendu jusqu'au siège du foyer NIEMEYER. II — 15 226 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. moteur central, a disparu avec la cicatrisation du foyer apoplectique- Dans les épanchements sanguins qui ont leur siège dans la substance cor- ticale des hémisphères cérébraux, et qui sont presque toujours accompagnés d'hémorrhagies dans le tissu de la pie-mère, on observe l'hémiplégie dans quelques cas, mais non dans tous. Cette différence dépend sans doute de ce que les suites de l'hémorrhagie, si souvent citées, la compression des ca- pillaires où l'œdème collatéral, s'étendent plus ou moins loin vers l'inté- rieur du cerveau, de ce qu'elles atteignent ou non la région du corps strié et de la couche optique. En outre, lorsque l'hémorrhagie occupe ce siège, on observe quelquefois des convulsions générales et, dans la plupart des cas, des troubles graves dans les fonctions psychiques. L'expérience nous- apprend que des individus atteints de dégénérescences ou d'atrophies très- avancées et très-étendues de la substance corticale, ne présentent souvent aucun trouble psychique, lorsque ces modifications n'existent que d'un seul côté ; on peut donc s'expliquer la fréquence de ces troubles dans les apo- plexies unilatérales de la substance corticale par le fait que les hémorrha- gies et principalement les processus inflammatoires de la pie-mère, qui se rattachent à ces dernières, et qui ont une grande tendance à s'étendre sur de larges surfaces, gagnent facilement l'autre hémisphère. Les hémorrhagies dans le pont de Varole, lorsqu'elles ont une étendue un peu considérable et Jes hémorrhagies de la moelle allongée, même lors- qu'elles sont très-limitées, conduisent en général rapidement à la mort. Quand de petits épanchements sanguins se produisent dans les parties laté- rales du pont de Varole, on observe une anesthésie et une paralysie du côté opposé, et quand de petits épanchements se font au milieu de la protubé- rance, il y a paralysie des deux côtés. En cas d'hémorrhagie du cervelet, on trouve souvent le côté opposé para- lysé. Cependant cette hémiplégie ne dépend certes pas directement de- l'affection du cervelet, parce que souvent les destructions étendues de cet organe ne sont suivies d'aucune paralysie. Si l'on observe des hémorrhagies à des endroits très-divers du cerveau, il ne faut pas croire pour cela que, dans les paralysies dépendant d'hémor- rhagies cérébrales, les différents cas offrent d'ordinaire des différences très-marquées dans les symptômes. Au contraire, la grande majorité des cas se distinguent par une similitude remarquable, en ce qu'ils présentent presque tous l'hémiplégie décrite plus haut. Il est d'une grande importance pour la pratique de connaître ce fait, qui s'explique naturellement, si l'on sait que d'après les relevés statistiques sept huitièmes de toutes les hémorrha- gies cérébrales ont leur siège dans les hémisphères du cerveau et surtout à proxi- mité du corps strié et de la couche optique. — 11 existe quelques exceptions très-remarquables où les hémorrhagies des hémisphères cérébraux n'étaient pas accompagnées d'hémiplégie, et d'autres où cette hémiplégie n'existait HEMORRHAGIE CEREBRALE. — APOPLEXIE SANGUINE. 227 pas du côté opposé à l'hémorrhagie ; nous ne sommes pas en état de donner, pour le moment, une explication suffisante de ces cas. Cependant nous de- vons ajouter que de nos jours, où l'on examine avec le plus grand soin toutes les anomalies qui peuvent exister à côté de l'hémorrhagie, et surtout les obturations des artères cérébrales, et où on les met en ligne de compte pour expliquer les symptômes observés, les publications de ces cas excep- tionnels sont devenues beaucoup plus rares. Une autre série de symptômes, qu'on désigne sous le nom d'insiiltus apo- plectique et qui ne fait défaut que dans les petits épanchements sanguins, ne dépend pas directement de la lésion locale du cerveau, mais de l'in- fluence de cette lésion sur le reste du cerveau. Nous montrerons plus tard que l'insultus apoplectique ouvre, il est vrai, la scène dans la plupart des cas; mais que, dans certains cas, il ne vient s'ajouter que plus tard aux phénomènes de paralysie dont nous avons parlé. Il est rare que l'insul- tus apoplectique se développe peu à peu, et ce n'est probablement que lorsque l'hémorragie se fait lentement; dans la plupart des cas il se montre subitement, de sorte que les malades tombent comme foudroyés, souvent en poussant un cri. La conscience est totalement abolie pendant l'attaque, la faculté de sentir et de se mouvoir est complètement anéantie. Le plus souvent, les sphincters sont également paralysés, de sorte que les selles et les urines sont involontaires. Il n'y a que les mouvements respiratoires dé- pendant de la moelle allongée, qui sont encore exécutés par le malade ; mais les respirations se font à de longs intervalles : elles sont bruyantes, ronflantes, parce que le voile du palais paralysé et abaissé vers la langue est mis en vibration par l'air. Les joues flasques, qui se distendent à chaque expiration, donnent aux malades un aspect particulier. Souvent on voit sur- venir des vomissements au début de l'attaque ; le pouls est extrêmement lent, les pupilles sont resserrées. On admet ordinairement que l'insultus apoplectique est une conséquence de la pression, de la contusion qu'éprouvent les fibres nerveuses et les cel- lules ganglionnaires de tout l'encéphale de la part de l'extravasat ; cepen- dant il est de toute évidence que cette pression ne peut jamais devenir plus forte que la pression du sang dans les artères cérébrales ; car, dès que la tension est aussi forte dans les parties qui entourent les vaisseaux que la tension du sang dans les vaisseaux eux-mêmes, le sang ne peut plus sortir de ces derniers. Mais une pareille pression n'est pas, à beaucoup près, assez forte pour détruire l'excitabilité des fibres nerveuses, c'est ce qui est hoi> de doute après les expériences que nous avons occasion de faire sur les nerfs périphériques. Voici une autre raison encore qu'on peut opposer à la jus- tesse de cette explication : si les symptômes de paralysie dépendaient de la pression que subissent les fibres cérébrales pendant les apoplexies, la sai- gnée ferait disparaître ces symptômes de paralysie, non-seulement dans 228 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. quelques cas, mais clans tous, en supposant évidemment qu'on retirât assez de sang pour diminuer notablement la pression dans tout le système san- guin et surtout dans les artères. Hyrtl, qui se prononce également de la manière la plus formelle contre cette dépendance des phénomènes para- lytiques d'une pression cérébrale, croit que les accidents, attribués à la compression du cerveau, proviennent d'un léger degré de commotion; mais, abstraction faite de ce qu'il ne peut en général être question d'une pareille commotion lorsqu'il s'agit d'extravasats qui ne sont pas d'origine traumatique, on ne constate aucune modification anatomique qui puisse être rapportée à une pareille cause. Nous attribuons l'insultus apoplectique à la compression subite des capillaires, à Yanémie de la substance cérébrale. Non-seulement cette anémie peut être constatée positivement après la mort, à la suite de toutes les grandes hémorrhagies, mais elle se trahit déjà pen- dant la vie par un symptôme très-important et généralement mal inter- prété : nous voulons parler du battement extraordinaire des carotides. Ce sym- ptôme est presque généralement considéré comme le signe d'un « raptus sanguin vers la tête, » (quoique chacun puisse produire le même phéno- mène et à tout instant dans les artères du doigt en serrant fortement un fil autour du bout du doigt) et en réalité il signifie simplement que l'entrée du sang dans la cavité crânienne rencontre des obstacles. Toutes les mala- dies du cerveau et de ses enveloppes, qui rétrécissent l'espace intracrânien au point que l'arrivée du sang par les vaisseaux afférents est considérable- ment diminuée, sont accompagnées d'un battement exagéré des carotides; ainsi, ce sont non-seulement les grands épanchements sanguins, mais aussi les exsudats et les transsudats abondants, les tumeurs volumineuses, etc., qui donnent lieu à ce symptôme. Si l'on rencontre ce battement sans que le ventricule gauche soit hypertrophié et sans que des pulsations exagérées s'observent, en même temps dans d'autres artères, ce symptôme peut faci- liter, dans les cas douteux, le diagnostic d'une affection cérébrale qui rétrécit l'espace intracrânien. Mes élèves ont eu souvent l'occasion de reconnaître à ma clinique la justesse de cette interprétation et de se convaincre de la grande valeur diagnostique du phénomène en question. — Si nous réflé- chissons aux conditions physiques, nous trouverons que l'anémie, et sur- tout l'anémie artérielle du cerveau, ne peut jamais être la conséquence d'une déchirure de vaisseaux capillaires ; en effet, l'écoulement du sang par les capillaires déchirés ne peut se faire que jusqu'au moment où la tension du contenu intracrânien devient égale à la tension du sang dans les capillaires. Ce raisonnement est confirmé par le fait que dans les hémor- rhagies capillaires Vinsultus apoplectique fait défaut. — Si, par contre, un vaisseau artériel est rompu et si l'hémorrhagie n'est pas arrêtée préma- turément par d'autres causes, la tension dans le parenchyme environnant finit par devenir aussi considérable que la tension du sang dans l'intérieur HÉMORRHAGIE CEREBRALE. — APOPLEXIE SANGUINE. 229 des artères, et comme celle-ci est plus forte que la tension du sang dans les capillaires, ces derniers vaisseaux seront nécessairement comprimés et de- viendront imperméables pour le sang artériel. C'est pour cette raison que l'insultus apoplectique s'observe presque constamment clans les hémorrhagies artérielles qui donnent lieu à un foyer sanguin considérable. Si l'on analyse les symptômes décrits de l'insultus apoplectique, on trouve que, pendant sa durée, les fonctions des deux hémisphères cérébraux sont anéantis. Les malades ne sentent plus, même à- la suite des plus fortes irritations péri- phériques ; ils ne sont plus en état d'exécuter le moindre mouvement; la conscience est abolie. Par contre, le fonctionnement persiste dans les sec- tions du cerveau qui président aux actes indispensables à la conservation de la vie, notamment à la respiration. La cause évidente de ce fait, c'est que la faux protège, d'une manière beaucoup moins complète, l'hémi- sphère opposé contre la compression des capillaires par l'extravasat, que ne le fait la tente pour la moelle allongée. Les épanchements sanguins même peu considérables, qui sont situés au-dessous de la tente, sont dangereux, parce que cette barrière protectrice de la moelle allongée devient sans in- fluence, de sorte que cet organe est facilement mis hors d'état de fonc- tionner par suite de la compression de ses capillaires. Je n'examinerai pas si le ralentissement de l'activité cardiaque, la diminution des mouvements respiratoires, le rétiécissement de la pupille qu'on oberve à la suite des épanchements sanguins au-dessus de la tente, pendant l'insultus apo- plectique, sont dus à ce que le nerf vague et l'oculo-moteur se trouvent dans un état d'excitation exagérée à la suite de la pression, modérée par la tente, qui continue de s'exercer sur eux. Si le malade ne meurt pas pendant l'insultus apoplectique, s'il reprend ses sens, on voit se développer, après quelques jours, les signes d'une en- céphalite plus ou moins violente. Celle-ci dépend de la lésion que le cer- veau a subie par le fait de l'iiémorrhagie et doit, par conséquent, être con- Mclérée comme de nature traumatique. Lorsqu'elle n'atteint pas une intensité considérable et qu'elle ne conduit qu'à une formation nouvelle de tissu conjonctif dans le voisinage du foyer, les symptômes qu'on observe sont les symptômes du pouls et d'autres phénomènes fébriles : la cépha- lalgie, les éblouissements, le délire, quelquefois aussi des spasmes et des contractures dans les parties paralysées. Après quelque temps, ces phéno- mènes réactifs diminuent et finissent par disparaître, et le malade peut être considéré comme guéri, sauf la paralysie qui persiste. Mais, si l'inflamma- tion au pourtour du foyer atteint une intensité considérable et si elle donne lieu à un ramollissement inflammatoire étendu, les symptômes que nous avons décrits se compliquent d'une paralysie générale et le malade suc- combe à la violence trop forte des phénomènes réactifs. On observe des différences très-considérables dans la marche d'une liémor- 230 MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX, rhagie cérébrale, selon le volume et le nombre des foyers hémorrhagiqucs, selon leur siège, selon la rapidité plus ou moins considérable avec laquelle l'hémorrhagie s'est faite et selon la violence plus ou moins gi ande de l'inflam- mation qui s'est développée dans la masse cérébrale environnante. Nous ne citerons que les plus importantes de ces modifications. Un tableau de maladie qu'on rencontre assez souvent et qui répond à un épanchement considérable à développement rapide ou à la production simultanée d'un grand nombre d'hémorrhagies, est le suivant : après que des prodromes ont précédé, ou bien aussi sans eux, on voit survenir subitement un insultus apoplectique ; le malade ne revient plus à lui, la paralysie s'étend égale- ment a la moelle allongée, la respiration devient irrégulière, le pouls inter- mittent et petit, la pupille se dilate et la mort survient après quelques minutes déjà (apoplexie foudroyante) ou seulement après quelques heures. Dans un deuxième tableau, qu'on observe le plus souvent et qui répond également à un épanchement sanguin à développement rapide, mais probable- ment moins considérable et occupant le siège habituel, on remarque également en premier lieu un insultus apoplectique ; on reconnaît déjà pendant la durée de l'état d'insensibilité, par la face tirée, par la flaccidité toute particulière des muscles d'un côté du corps, quelquefois aussi par la dilatation d'une des pupilles, de quel côté siège la paralysie. Après quelques minutes ou après quelques heures, quelquefois le jour suivant seulement, le malade se réveille peu à peu de son coma ; mais il parle d'une manière indistincte et l'on constate alors facilement l'hémiplégie avec tous les caractères que nous avons décrits antérieurement. Le second ou le troisième jour on voit se développer la fièvre et les autres symptômes de l'encéphalite traumatique. Après la disparition de cette dernière, le malade reste hémiplégique pour le reste de sa vie, quoique la partie de la paralysie qui dépend de l'œdème entourant le foyer apoplectique, puisse disparaître avec le temps. Dans d'autres cas et probablement lorsque Yhémorrhagie, après avoir cessé pendant un court espace de temps, revient et se continue à un degré modéré, la maladie débute par l'insultus apoplectique,[d'où le malade se réveille après quelque temps. On remarque, il est vrai, une hémiplégie, mais on espère que pour cette fois le malade en réchappera avec la vie. Mais, après quelques heures, il commence de nouveau à perdre connaissance, ses facultés s'étei- gnent complètement, il ne revient plus à lui et succombe dans le coma. Une hémorrhagie qui se produit lentement, mais qui finit par devenir très- abon- dante, semble donner lieu au tableau suivant : Ce n'est pas l'insultus apo- plectique qui ouvre la scène, mais une hémiplégie, à laquelle ne vient ajouter que plus tard la perte de connaissance et la paralysie générale du s cerveau Nous serions entraînés trop loin, si nous voulions ajouter encore d'autres tableaux et surtout décrire en détail les modifications qui se développent HÉxMORRHAGIE CEREBRALE. — APOPLEXIE SANGUINE. 231 par suite de l'intensité différente de l'inflammation réactive au pourtour du foyer et par suite des différents degrés de l'atrophie consécutive du cerveau. § h- Traitement. Pour la prophylaxie de l'apoplexie, nous pouvons renvoyer aux chapitres I et IV de cette section; car la prophylaxie des hémorrhagies cérébrales réclame les mesures que nous avons déjà exposées à l'occasion du traitement . de l'hypérémie cérébrale et des troubles de la circulation dus à une maladie artérielle. Lorsqu'un malade a traversé une première attaque d'apoplexie, il faut qu'il prenne les plus grandes précautions et qu'il évite tout ce qui tend à trop remplir les vaisseaux cérébraux et à en augmenter la tension; avant tout il doit éviter les repas long et copieux_et avoir soin de se procurer toujours des selles régulières. Une hémorrhagie cérébrale est-elle survenue, "notre tâche serait d'empê- cher sa durée, de favoriser la résorption de l' exsudât et la formation d'une cicatrice apoplectique. Mais il ne faut pas que nous nous fassions illusion sur la puissance de nos moyens d'action, et nous sommes forcés d'avouer que nous ne possédons ni un moyen capable d'arrêter l'hémorrhagie ni un .moyen capable d'amener la résorption et la formation d'une cicatrice. Dans le traitement de l'hémorrhagie cérébrale nous sommes réduits à combattre autant que possible les symptômes les plus menaçants. Bon nombre de malades se relèvent de l'insultus apoplectique pendant la durée d'une saignée au point de reprendre connaissance, et il semble effectivement qu'assez souvent nous puissions empêcher, au moyen de la saignée, la paralysie de s'étendre des grands hémisphères jusqu'à la moelle allongée, dont l'inté- grité est si indispensable pour la continuation de la vie, et sauver ainsi le malade. Mais d'un autre côté il est tout aussi évident que dans bien des cas •nous ne faisons que précipiter la mort en pratiquant une saignée pendant la durée de l'insultus apoplectique: un collapsus général suit immédia- tement la perte de sang et le malade ne revient plus à lui. Nous avons dit précédemment qu'une saignée devrait être utile dans tous les cas, si les s\ mptômes que l'on a assignés à la compression cérébrale étaient réellement produits par la pression que le cerveau subit de la part de l'extravasat, et ■nous avons eu l'occasion de dire que les insuccès si fréquents de la saignée tendent à prouver la fausseté de cette explication. L'interprétation que nous avons donnée de l'insultus apoplectique explique parfaitement que la saignée doit, dans certaines circonstances, être un moyen très-utile, dans d'autres très-dangereux, cl. en même temps elle nous permet d'établir assez rigoureusement les indications et les contre-indications de son emploi. Afin que le sang artériel afflue en aussi grande quantité que possible dans le 232 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. cerveau, il faut que nous cherchions à faciliter le départ du sang veineux: sans cependant par trop diminuer la force de propulsion du cœur. Si le choc du cœur est énergique, si les bruits de l'organe sont bien marqués, le pouls régulier, et s'il n'y a pas encore de signes d'un commencement d'oedème pulmonaire, il ne faut pas perdre de temps, mais prescrire immédiatement une saignée ou plutôt la pratiquer soi-même pour pouvoir contrôler l'in- fluence de la perte de sang. Une application de sangsues derrière les oreilles ou aux tempes, ou bien des ventouses scarifiées dans la nuque, ne peuvent pas remplacer la saignée, mais ces moyens conviennent pour la seconder. Si, par contre, l'impulsion du cœur est faible, le pouls irrégulier, si déjà on entend des râles trachéaux, on peut être presque sûr que la saignée fera du mal plutôt que du bien, en affaiblissant encore plus l'activité du cœur déjà trop peu énergique et en diminuant ainsi la quantité du sang artériel qui arrive au cerveau. Quand l'état mentionné en dernier lieu se présente, l'indication symptomatique réclame une conduite tout opposée quoique la maladie première soit la même et qu'elle soit due aux mêmes causes. Il faut que l'on fasse tout ce qu'il est possible de faire pour prévenir la paralysie du cœur et que l'on donne dans ce but des stimulants. Si Tonne parvient pas à administrer intérieurement au malade des remèdes excitants tels que vin, éther, musc, etc., on doit appliquer de grands sinapismes sur la poitrine et sur les mollets, faire brosser et frotter la peau, asperger la poitrine d'eau froide ou y faire tomber quelques gouttes de cire à cacheter fondue. Si le malade est sorti de l'insultus apoplectique et qu'il ait repris connais- sance, il faut se borner à prescrire un régime doux, peu échauffant, à tenir le ventre libre et à couvrir la tête de compresses froides après avoir fait couper les cheveux très-court; par ces moyens on cherche autant que pos- sible à prévenir une inflammation réactive par trop vive. Selon le degré d'intensité des symptômes inflammatoires qui ne manqueront cependant ras de se produire, on continuera avec ces simples moyens et on donnera tout au plus un laxatif plus fort, ou on prescrira une ou plusieurs applica- tions de sangsues derrière les oreilles. La saignée est superflue et même nuisible dans cette période. Par contre il y a lieu de produire, surtout si les; phénomènes fébriles sont modérés, une révulsion dans la nuque par des: vésicatoires ou par la pommade stibiée, moyens qui plus tard ne sont plus- indiqués. Si la période de réaction inflammatoire s'est passée heureusement et que le malade soit dans un état supportable à la paralysie près, qu'on se dispense de lui prescrire de la strychnine et d'autres remèdes dont l'efficacité n'est ni vraisemblable en théorie ni confirmée par la pratique, mais qu'on règle- son régime, ses selles, et qu'en général on le mette dans les conditions extérieures les plus favorables possibles. Les malades aisés doivent être en- HÉMORRHAGIE DES MÉNINGES CÉRÉBRALES, APOPLEXIE MÉNINGÉE. 233 voyés à "Wildbad, à Gastein, à Pfaefers, à Ragatz. On ne doit pas s'attendre à régénérer les fibres détruites du cerveau par l'usage de ces eaux thermales, mais l'expérience nous apprend que dans ces localités les paralysies céré- brales aussi bien que les paralysies spinales sont' souvent améliorées, et il est probable que cette amélioration est due à l'influence heureuse que les eaux thermales exercent sur l'inflammation des parties qui environnent le loyer et sur la part qui revient à cette inflammation dans la production de la paralysie. Enfin, on ne saurait contester que les paralysies apoplectiques s'améliorent aussi par l'emploi de l'électricité par induction. Ce résultat ne trouve son explication que dans ce fait que la faradisation localisée est un des meilleurs moyens de gymnastique médicale. Le degré d'une paralysie de longue durée dépend presque toujours en partie de la diminution de l'excitabilité des nerfs et de l'atrophie commençante des muscles, qui sont la conséquence de la longue inaction de ces organes. L'excitation méthodique des nerfs par l'appareil à induction, est certainement le remède qui convient le mieux pour combattre ces deux états, et mérite clans tous les cas la préférence sur toute espèce de teintures, liniments et onguents irritants. CHAPITRE VI Hémorrliagie des méninges cérébrales. — Apoplexie méningée. Hématome «le la dure-mère. § 1. Pathogénie et étiologie. Si nous faisons abstraction des hémorrhagies traumatiques, parmi les- quelles il faut aussi compter celles qui se produisent pendant la naissance, les hémorrhagies des méninges sont rares. Les épanchements sanguins dans les espaces sous-arachnoïdiens, ou bien entre la dure-mère et l'arachnoïde, sont le plus souvent dues à une hémorrhagie cérébrale qui s'est frayée un passage jusque-là. En outre, il y a quelquefois des ruptures d'anévrysmes ou d'artères dégénérées qui sont cause d' hémorrhagies des méninges; dans d'autres cas, il est impossible de reconnaître la cause des hémorrhagies. Les vastes collections sanguines enkystées que l'on rencontre parfois aux autopsies à la surface inférieure de la dure-mère, ne doivent pas être prises, ainsi que cela a été si bien démontre par les recherches de Vircbow, pour de simples extravasats sanguins, à la périphérie desquels la fibrine du sang evtravasé se serait précipitée, et en aurait enkisté la partie liquide ; mais il s'agit dans ce cas du résidu d'une inflammation chronique de la dure-mère, 234 MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. d'une pachyméningite avec exsudât hemorrhagique. Virchow donne à ces poches sanguines le nom d'hématome de la dure-mère. Le sang qui les rem- plit provient des nombreux capillaires, larges et à parois minces, qui, dans ■cette inflammation chronique, se sont formés dans les pseudo-membranes de la dure-mère, et se trouve épanché entre les couches de ces pseudo- membranes qui s'écartent les unes des autres. Les causes qui produisent la pachyméningite chronique à exsudât hemorrhagique ne sont pas bien con- nues. La maladie se montre de préférence à un âge avancé et principale- ment chez les aliénés et les ivrognes. Elle paraît se développer, soit comme affection idiopathique, soit comme maladie secondaire dépendant de quel- que lésion du front. Dans ce dernier cas,, il paraît que des années entières peuvent s'écouler entre l'accident et les premiers symptômes de l'héma- tome. (Griesinger.) § 2. Anatomie pathologique. Lorsque le sang est épanché dans les espaces sous-arachnoïdiens, il est ordinairement étendu en nappe plus ou moins épaisse sur une très-grande partie de la surface uu cerveau et du cervelet. Tant que l'arachnoïde est intacte, on ne peut évidemment pas faire disparaître l'extravasat sous un filet d'eau. Ordinairement une partie de l'extravasat a en même temps pé- nétré dans les ventricules, et on trouve dans ces derniers une quantité de sang plus ou moins considérable. — Si le sang est épanché entre la dure- mère et l'arachnoïde, l'extravasat est ordinairement accumulé en masses très-considérables sur latente du cervelet et à la base du crâne, et a pénétré de là jusque dans le canal vertébral. Mais sur la conveiité des hémisphères on trouve également des masses sanglantes, que l'on peut facilement éloi- gner en exprimant une éponge au-dessus d'elles. Dans les deux formes de l'hémorrhagie, il n'y a qu'un simple aplatissement des circonvolutions et un état d'anémie de la substance cérébrale, ou bien les couches de substance cérébrale les plus rapprochées du foyer de l'hémorrhagie sont le siège d'une suffusion sanguine et sont ramollies. V hématome de la dure-mère occupe ordinairement un des côtés de la su- ture sagittale et représente une poche ovale et plate, pouvant prendre dans certains cas une extension considérable, et arriver à une longueur de h à 5 pouces à une largeur de 2 à 3 pouces et à une épaisseur d'un demi-pouce. Les parois du! sac sont colorées en brun rouillé par de l'hématine modifiée, le contenu du sac consiste en sang frais et liquide et en sang coagulé, dans lequel on reconnaît quelques caillots d'origine ancienne, qui se distinguent par leur couleur brun rouge. Le grand hémisphère correspondant est aplati ou même un peu enfoncé. Assez souvent l'hématome existe sur les deux HÉMORRHAGIE DES MÉNINGES CÉRÉBRALES, APOPLEXIE MÉNINGÉE. 235 côtés. On a souvent l'occasion d'observer la pachyméningite hémorrhagique à son début. On trouve, en effet, dans certaines autopsies, à la surface in- terne de la dure-mère, une couche délicate de tissu conjonctif coloré par du pigment jaune ou brun et adhérant intimement à cette surface. § 3. Symptômes et marche. Les hémorrhagies qui ont lieu dans les espaces sous-arachnoîdiens ou sur la surface libre de V arachnoïde ne rentrent pas dans les « maladies de foyer » , mais dans les «maladies diffuses » du cerveau. On ne trouve, par conséquent, non plus dans ces hémorrhagies, à moins de complication par une hémor- rhagie cérébrale, les symptômes de foyer caractéristiques de cette dernière, notamment l'hémiplégie ; par contre, l'insultus apoplectique est extrême- ment intense, attendu que généralement rhémorrhagie est fort abondante et étendue aux deux hémisphères. Très-souvent l'attaque d'apoplexie arrive subitement et sans aucune espèce de prodrome, et les malades succombent •au milieu des symptômes précédemments décrits de l'apoplexie foudroyante. Lorsque la maladie prend une marche semblable, on peut tout au plus se permettre un diagnostic de probabilité, diagnostic qui ne peut s'appuyer que sur l'absence des indices d'une hémiplégie, indices qui se rencontrent ordi- nairement dans les formes même les plus graves dé l'insultus apoplectique. Dans d'autres cas, de violents maux de tête et quelquefois des convulsions générales précèdent l'insultus apoplectique. Ces phénomènes, surtout les derniers, ne s'observant que rarement dans les hémorrhagies cérébrales, mais très-fréquemment dans les maladies étendues de la surface convexe des hémisphères, leur présence, si elle coïncide avec l'absence de toute trace d'hémiplégie, permet de conclure avec une sûreté plus grande à l'existence d'une hémorrhagie des méninges, plutôt que d'une hémorrhagie cérébrale. Vhématome de la dure-mère, dans un grand nombre de cas, donne lieu à des symptômes si peu caractéristiques qu'il n'est pas possible de reconnaître •sûrement la maladie, et si cette dernière se manifeste, comme cela arrive si souvent, dans le cours d'une maladie mentale, on ne peut même pas porter un diagnostic de probabilité. Dans d'autres cas les faits suivants, sur les- quels Griesinger a plus particulièrement appelé l'attention, nous permettent de prononcer avec plus ou moins de certitude le diagnostic d'un hématome de la dure-mère : Si des maux de tête s' exaspérant lentement à un degré de violence très-considérable et limités à la région du sommet de la tête et du front, forment le premier et pendant quelque temps l'unique symptôme accusé par les malades, et si entre la première manifestation de ces dou- leurs et le développenienl d'autres phénomènes cérébraux graves il s est écoulé un intervalle qui n'est pas aussi courl que dans les maladies aiguës 236 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. du cerveau et de ses membranes, mais, d'un autre côté, b eaucoup plus- court que dans la plupart des maladies chroniques de cet organe, surtout des tumeurs, on doit songer avant tout à une inflammation des méninges, et comme l'inflammation de l'arachnoïde et de la pie-mère, à raison de leur tendance à s'étendre à de grandes surfaces, provoque ordinairement des douleurs diffuses et non circonscrites, on s'arrêtera surtout au diagnostic d'une inflammation de la dure-mère. On est d'autant plus fondé à tirer cette conclusion que l'inflammation de la dure-mère, dont il est ici question, a précisément son siège dans la région où les malades accusent de la douleur. Si l'individu malade a été aliéné ou adonné aux liqueurs fortes avant le commencement des maux de tête, ou s'il est possible de démontrer qu'il a .été atteint d'une lésion traumatique, surtout dans la région du front à une époque plus ou moins reculée, la supposition que nous avons affaire à une pachyméningite reçoit une confirmation de plus. Mais nous savons en outre que la forme de la méningite dont il est ici question entraîne ordinaire- ment un extravasat sanguin très-abondant, rétrécissant fortement l'espace intracrànien, et qu'ensuite l'extravasat est enkysté sur l'un ou l'autre côté ou sur les deux côtés de la suture sagittale. Si, par conséquent, aux maux de tête, il s'ajoute plus tard des symptômes de compression des capillaires des grands hémisphères cérébraux, c'est-à-dire des troubles psychiques, tels que affaiblissement de la mémoire, diminution de la netteté du jugementr propension croissante au sommeil, s' élevant finalement jusqu'au coma et une hémiplégie faisant des progrès lents et qui ordinairement n'est pas très-pure, il faut, parmi les maladies du cerveau qui pourraient à la ri- gueur être rattachées à cet ensemble de symptômes, songer en première ligne à l'hématome de la dure-mère. Comme dans l'hématome de la dure- mère il peut se faire une résorption de l'extravasat et par ce fait une cessa- tion de la pression qui pèse sur le cerveau, une marche favorable de la maladie et finalement même la guérison sont encore à considérer, dans les cas douteux, comme un argument en faveur de l'hématome. — Si l'épan- chement sanguin, au lieu de se faire lentement comme dans les cas où la maladie suit la marche décrite jusqu'à présent, se fait d'une manière subite, si cet épanchement est très-abondant et limité à un seul côté, la maladie prend les mêmes allures qu'une forte hémorrhagie dans l'un ou l'autre hémisphère cérébral. — A un examen superficiel il peut paraître surpre- nant que, dans les hématomes unilatéraux même d'un grand volume, il n'y a pas toujours une hémiplégie ou que l'hémiplégie, si elle existe, est in- complète ; cependant il faut considérer que le siège de l'hématome est pré- cisément l'endroit où la pression exagérée qui frappe un hémisphère peut s'étendre très-facilement à l'autre moyennant la large communication qui, dans la partie antérieure de la cavité crânienne, existe entre les deux com- partiments latéraux formés par la faux du cerveau et que cette extension de INFLAMMATIONS DU CERVEAU ET DE SES MEMBRANES. 237 la pression se fait surtout quand l'hémorrhagie se produit lentement. Grie- singer attache encore une grande importance au rétrécissement de la pu- pille, et il est disposé à considérer ce symptôme comme un phénomène d'irritation partant de la surface. J'ai donné dans le chapitre précédent une autre explication également hypothétique, il est vrai, du rétrécissement de la pupille dans les maladies diminuant l'espace intracrànien au-dessus de la tente du cervelet. § h. Traitement. Pour le traitement des hémorrhagies des méninges, nous devons suivre les mêmes principes que nous avons établis pour celui des hémorrhagies céré- brales, et nous pouvons d'autant mieux renvoyer le lecteur au chapitre pré- cédent que, dans bien des cas, la distinction entre les deux états que nous venons de décrire et l'hémorrhagie cérébrale n'est pas possible. Si l'on croit pouvoir prononcer le diagnostic d'un hématome de la dure-mère, on doit prescrire, dans les cas récents, une application de sangsues derrière les oreilles, de compresses glacées sur la tète et administrer de temps en temps un fort purgatif. Dans les périodes ultérieures de la maladie, il con- vient de faire des révulsions dans la nuque au moyen de vésicatoires ou de pommade stibiée. Par ce traitement, j'ai obtenu deux fois des résultats très- favorables ; et cependant, malgré les symptômes qui précisément dans ces deux cas paraissaient très-caractéristiques, une erreur de diagnostic a bien pu être commise. CHAPITRE VII. Inflammations du cerveau et de ses membranes. Dans les articles qui composent ce chapitre, nous décrirons : 1° l'inflam- mation de la dure-mère et de ses sinus ; 2° l'inflammation de la pie-mère avec exsudât purulent et fibrineux ; 3° l'inflammation tuberculeuse de la pic- mère y compris l'hydrocéphale aiguë ; h° la méningite cérébro-spinale épidermique, et 5° l'inflammation de la substance cérébrale. — L'inflam- mation de l'arachnoïde ne pouvant être séparée de celle de la pie-mère, nous ne décrirons pas l'arachnoïdite à part. 238 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. ARTICLE PREMIER Inflammation de la dure-mère. — Inflammation et thrombose des sinus de la dure-mère. Dans le chapitre précédent il a déjà été question d'une forme de pachy- méningite que nous avons dû rattacher aux hémorrhagies des méninges, à raison de l'hémorrhagie qu'elle entraîne et du tableau clinique qui en résulte. Il ne nous reste plus qu'à décrire la forme à laquelle on a donné le nom de pachy méningite externe, depuis les travaux de Virchow sur l'héma- tome de la dure-mère. § 1. Pathogénie et étiologie. Il est fort douteux que la pachy 'méningite externe puisse se développer, comme maladie primitive et idiopathique, à la suite de refroidissements et d'autres influences nuisibles. Toujours est-il que généralement elle se pré- sente comme une affection secondaire et que comme telle elle vient com- pliquer les fissures, les fractures, et surtout la carie des os crâniens et en par- ticulier celle du rocher et de l'ethmoïde, enfin la carie des premières vertèbres cervicales. Dans la pèriostite de la surface externe du crâne il se développe également de temps à autre une pachyméningite sans que l'on puisse constater une modification de la voûte crânienne établissant la continuité entre les deux processus. L'inflammation des sinus de la dure-mère suivie de thrombose ou bien la thrombose des sinus à laquelle l'inflammation des parois ne vient s'ajouter que plus tard, est un accident assez commun, qui se rencontre principale- ment dans les sinus qui s'appuient contre le rocher, c'est-à-dire le sinus transverse et les sinus pétreux. La fréquence de cet accident s'explique facilement par ce fait que l'inflammation et la thrombose des sinus de la dure-mère procèdent, dans la grande majorité des cas, d'une carie du rocher qui s'est avancée jusqu'à la base du crâne. Les nombreux malades atteinte d'otorrhées opiniâtres et de carie du rocher, consécutives à une otite in- terne, ont toujours cette épée de Damoclès, l'inflammation ou la throm- bose de ces sinus, suspendues sur leur tête. — Assez souvent il se produit une fonte purulente ou ichoreuse des thrombus et, par la pénétration de quelques parcelles de ces thrombus dans les veines émanant des sinus, des embolies et des inflammations métastatiques. INFLAMMATIONS DU CERVEAU ET DE SES MEMBRANES. 239 § 2. Anatomie pathologique. Les modifications anatomiques se bornent, dans les cas légers et chro- niques de pachyméningite externe, à un épaississement lent de la dure-mère, provenant d'une prolifération du tissu conjonctif à sa surface externe. Par cette prolifération, la dure-mère est fixée solidement à la voûte crânienne, et plus tard les couches nouvelles de tissu conjonctif s'ossifient en partie. — Dans les cas aigus et graves, la dure-mère est ordinairement rougie par une injection vasculaire et par de petites ecchymoses à un endroit circon- scrit, correspondant à la lésion traumatique ou à la carie des os du crâne ; elle est de plus épaissie et imbibée: plus tard elle prend un mauvais as- pect, son tissu se relâche et se ramollit, enfin la suppuration se produit, et si le pus s'accumule entre la dure-mère et la paroi osseuse, la partie enflammée de la méninge se détache de l'os correspondaut. Dans ce der- nier cas, l'inflammation s'empare presque, toujours en môme temps de la pie-mère, qui est affectée dans une grande étendue. Même à l'autopsie il est souvent difficile de juger si Inflammation de la paroi du sinus a précédé la thrombose ou bien si c'est la thrombose qui a pré- cédé l'inflammation. Tant que les thrombus ne sont pas désagrégés, ils adhèrent solidement à la surface interne rugueuse et boursouflée de la paroi épaissie des sinus et s'étendent, suivant les observations de Lebert, qui du reste a fait beaucoup avancer l'étude de cette maladie, quelquefois en ar- rière jusqu'au pressoir d'Hérophile et d'autres fois en bas, jusqu'à la jugu- laire interne. Plus fréquemment on trouve à l'autopsie le thrombus dejcà désagrégé et le sinus enflammé rempli d'un liquide purulent ou'ichoreux, quelquefois gris verdâtre, fétide et mêlé de flocons. En même temps que ces modifications, on trouve ordinairement celles d'une otite interne t et d'une carie étendue du rocher : destruction du tympan, absence des osse- lets de l'ouïe, végétation polypeuse de la muqueuse, accumulation [de pus dans la caisse du tympan et infiltration purulente du labyrinthe, du limaçon et des cellules de l'apophyse mastoïde. § 3. Symptômes et marche. La pachyméningite chronique qui a pour résultats un épaississement de la dure-mère, l'adhérence solide de cette membrane avec la paroi osseuse du crâne et l'ossification des couches de formation nouvelle, peut bien être accompagnée de maux de tête et d'autres symptômes; niais ces symptômes n'ont rien de caractéristique et ne permettent pas de reconnaître la ma- ladie. — Les symptômes et la marche de la pachyméningite aiguë sont 240 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. presque toujours modifiés de tant de manières par les symptômes de la maladie première, par la complication d'une inflammation étendue de la pie-mère et par la propagation de l'inflammation aux sinus de la dure-mère avec ses conséquences, qu'il n'est pas possible de tracer un tableau bien net de la maladie. Lorsqu'à une lésion traumatique du crâne et, avant tout, à une otorrhée dépendant d'une carie du rocher s'ajoutent des douleurs extraordinairement vives et étendues aux environs de l'affection osseuse, des phénomènes fébriles, des vomissements, des verliges, des bourdonnements d'oreilles, des secousses nerveuses, du délire et d'autres phénomènes d'irri- 'tation cérébrale suivis plus tard de phénomènes de dépression, et, finale- ment, d'une paralysie générale, on peut admettre que l'affection des os du crâne a entraîné d'abord une inflammation de la dure-mère et plus tard une inflammation diffuse de la pie-mère. Souvent la première période est très- courte et peu marquée, et on trouve les malades, dès la première visite ou dès leur admission à l'hôpital, plongés dans un coma profond; mais, dans ces cas encore, le diagnostic peut être établi avec une probabilité approchant de la certitude, si l'on peut constater l'existence d'une lésion du crâne et surtout celle d'une otorrhée de longue durée et s'il est impossible de dé- couvrir d'autres causes de maladie cérébrale. Les phénomènes morbides, provoqués par l'inflammation et la thrombose des sinus de la dure-mèrè, sont toujours accompagnés des symptômes de la méningite que nous venons de mentionner. En outre, les symptômes d'une encéphalite s'y ajoutent encore très-fréquemment ; il me parait donc ra- tionnel de me borner à indiquer dans quelles conditions on doit soupçonner la complication d'une inflammation ou d'une thrombose des sinus de la dure-mère, lorsque les symptômes d'une méningite ou d'une encéphalite se sont ajoutés à une carie du rocher. Je pense qu'à raison de la grande fréquence de la complication dont il est ici question, on doit toujours se rappeler qu'elle est possible et même probable, même en l'absence d'indices qui n'ont absolument rien de constant. Si un symptôme, que Gerhardt attri- bue avec une très-grande sagacité à la thrombose du sinus transverse, à savoir une turgescence plus faible de celle des veines jugulaires qui reçoit son sang du sinus oblitéré, venait à être positivement constaté, on pourrait se prononcer avec une certitude plus grande. Il en serait de même si un symptôme qui n'a été observé, il est vrai, qu'une seule fois par Griesinger, à savoir un œdème douloureux et circonscrit derrière l'oreille, était ren- contré, quoique clans la carie de l'apophyse mastoïde, cet œdème, appelé par Griesinger une phlegmasie blanche en miniature, puisse se produire , encore autrement que par une propagation de la thrombose par le trajet de la veine émissaire qui, dans la fosse sigmoïde, se rend à la surface externe du crâne. Dans la plupart des cas, le développement de frissons et les signes de foyers métastatiques dans le poumon suffisent pour démontrer INFLAMMATIONS DU CERVEAU ET DE SES MEMBRANES. 241 avec certitude qu'une carie du rocher a donné lieu, non-seulement à la méningite et à l'encéphalite, mais encore à une formation de thrombus dans les sinus de la dure-mère. § k. Traitement. Aux premiers signes annonçant, ou faisant soupçonner une inflammation de la dure-mère, il faut instituer un traitement antiphlogistique d'une cer- taine énergie consistant en applications de sangsues répétées. De plus, si une otorrhée a précédé les accidents, on fera des injections tièdes dans l'oreille malade, que l'on couvrira en même temps de cataplasmes. Il faut, en outre, donner de forts drastiques et opérer une révulsion sur la nuque par de grands vésicatoires. Pour le reste, le traitement de la pachyménin- gite se confond avec celui de l'inflammation de la pie-mère. ARTICLE II. Inflammation de la pie-mère avec exsudât purulent fibrineux. — Méningite de la convexité. — Méningite simple. § 1. Pathogénie et étiologie. Dans la méningite aiguë, un exsudât, riche en cellules de pus, est versé -dans les espaces sous-arachnoïdiens ; dans la méningite chronique, la pie-mère et l'arachnoïde éprouvent un trouble diffus, une compacité et un volume plus considérables, dus à une prolifération du tissu conjonctif. La méningite aiguë, avec exsudât purulent-fibrineux, est, dans beaucoup -de cas, une maladie secondaire et s'ajoute, comme telle, aux lésions trau- matiques et aux maladies du crâne et de la dure-mère ou bien aux inflam- mations et aux autres affections du cerveau. Comme maladie indépendante, on la rencontre, sauf la forme épidémique dont il sera question à l'article 1, très-rarement chez les individus sains, un peu plus souvent chez les sujets cachectiques et épuisés par de longues maladies. Ainsi, on l'observe pen- dant la convalescence de la pneumonie et de la pleurésie, ou des exanthèmes aigus et d'autres maladies infectieuses, en outre, après des diarrhées longues et épuisantes, et avant tout, dans le cours de la maladie de Bright, etc. Bien que, dans ces cas, souvent aucune cause, morbifique nouvelle n'ait agi sur le corps, ce n'est pas une raison pour appeler celle inflammation de la pie-mère une inflammation métaslalique ou seulement secondaire. — En fait d'agents extérieurs, pouvant être envisagés comme causes détermi- MEMEYER. I! - 10 242 MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. nantes de la méningite, on cite l'action des rayons solaires et celle d'une température très-élevée ou très-basse sur la tête, les refroidissements du corps, l'influence de l'humidité, l'abus des spiritueux. Toutefois, il n'y a que cette dernière cause dont on sache à peu près sûrement qu'elle peut produire une méningite. — Tout récemment, Griesinger a appelé l'atten- tion sur une forme de la méningite qui n'est qu'un symptôme de syphilis constitutionnelle, et moi-même j'ai observé, dans la clinique de Greifswald, un cas de ce genre, qui a été longuement décrit par le professeur Ziemssen» mon ancien chef de clinique. § 2. Anatomie pathologique. La méningite, avec exsudât purulent et fibrineux, a son siège de prédi- lection à la convexité des grands hémisphères*. Dans la forme aiguë, on trouve les petits vaisseaux de la pie-mère plus ou moins manifestement in- jectés et un exsudât jaunâtre, ordinairement assez consistant, répandu dans les espaces sous-arachnoïdiens, surtout entre les circonvolutions et autour des grands vaisseaux ; cet exsudât est composé de corpuscules de pus et de fibrine finement granulée. Dans les degrés plus légers de la maladie, on trouve l'exsudat logé principalement dans les espaces péri-vasculaires. Quelquefois l'arachnoïde est couverte en même temps d'un enduit plus ou moins fibrineux ou plus ou moins purulent. La substance corticale du cer- veau est tantôt de consistance normale, tantôt le siège d'un ramollissement inflammatoire. Les ventricules, qui dans la méningite tuberculeuse de la base du cerveau sont presque toujours remplis de liquide, sont presque con- stamment vides dans la méningite purulente de la convexité. — Dans la méningite chronique, on trouve ordinairement l'arachnoïde adhérente à la dure-mère, tantôt par points isolés, tantôt dans une étendue plus ou moins- grande, la pie-mère plus épaisse et troublée, les espaces sous-arachnoïdiens remplis d'un liquide trouble ; quelquefois on trouve aussi la pie-mère trans- formée en une membrane dense, fortement hypertrophiée, qu'on ne peut détacher du cerveau sans déchirer cet organe. § 3. Symptômes et marche. L'inflammation aiguë de la pie-mère est accompagnée, pendant son évo- lution, de phénomènes fébriles violents, surtout d'une extrême fréquence du pouls et débute parfois, comme les inflammations aiguës et étendues d'au- tres organes, par un frisson initial. Un état fébrile aussi violent ne se rencontre presque dans aucune autre maladie du cerveau, et, par consé- INFLAMMATIONS DU CERVEAU ET DE SES MEMBRANES. 243 qucnt, cette fièvre a une très-haute signification pour le diagnostic de la méningite. Si, après que la maladie a duré un certain temps, la grande fréquence du pouls se perd, si, au lieu de cent vingt à cent quarante pulsa- tions à la minute, il n'y en a plus que soixante à quatre-vingts, tandis que les autres phénomènes fébriles et le trouble des fonctions cérébrales vont en augmentant, cette circonstance parle encore plus en faveur de l'existence d'une méningite. Les autres symptômes de la maladie sont des maux de tête et les troubles fonctionnels, déjà plusieurs fois mentionnés, du cerveau, ayant tantôt le caractère de l'irritation, tantôt celui de la dépression ou de la paralysie complète. La céphalalgie atteint un degré très-élevé dans la méningite aiguë : les malades s'en plaignent, non-seulement tant qu'ils sont en pleine connaissance, mais il leur arrive souvent, quand déjà leur intelligence est troublée, de porter la main à la tète avec un léger gémisse- ment, qui permet de supposer que, même alors, ils ressentent encore des douleurs. Dans presque tous les cas, des troubles psychiques se montrent dès le commencement de la maladie, probablement à cause de la proximité de la substance corticale : les malades sont très-agités et très-inquiets, le plus souvent entièrement privés de sommeil, et ils commencent de bonne heure à délirer. Dans la sphère de la sensibilité, on découvre également un haut degré d'irritabilité; ainsi les malades ont delà photophobie, ils deviennent sen- sibles au bruit et même au plus léger attouchement. Il faut ajouter à cela des bourdonnements cl' oreilles, du scintillement, deY agitation du corps, des grincements de dents, des secousses nerveuses et souvent le rétrécissement de la pupille et le vomissement. — Tous ces phénomènes, nous avons dû les mentionner égale- ment comme appartenant à l'hypérémie cérébrale simple et à l'hydrocépha- loïde; et, en effet, il n'y a pas de signe pathognomonique n'appartenant qu'à la méningite et faisant défaut dans d'autres maladies cérébrales. Il est vrai que les conditions étiologiques, le degré élevé de la fièvre, surtout la grande fré- quence du pouls et les maux de tête, si violents, doivent quelquefois faire soup- çonner, dès cette époque déjà, qu'il ne s'agit là ni d'une hypérémie simple ni d'une anémie cérébrale; mais souvent il ne faut rien moins que l'observation delà marche ultérieure, les accidents graves qui la caractérisent, l'insuccès des remèdes employés et la terminaison le plus souvent fatale, pour éclairer le diagnostic. Si, dans la première période, l'un ou l'autre des indices qui permettent d'établir la distinction vient à manquer, on doit se prononcer avec la plus grande réserve. Trop souvent il arrive que ce n'est qu'après le résultat favorable ou l'inefficacité d'un purgatif et d'une saignée locale que l'on peut se prononcer pour l'hypérémie ou pour la méningite. — Une attaque de convulsions, qui est précédée ordinairement d'une roideur de la nuque, déterminée par la contraction permanente des muscles de cette ré- gion, marque, dans beaucoup de. cas, le passage à la seconde période. Dans celle-ci, les malades tombent dans un profond assoupissement, deviennent 2M MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. insensibles aux irritations venant du dehors, ne sont plus en état de remuer leurs membres, tandis que toujours encore certains muscles, principalement ceux de la nuque, se tronvent dans un état de contraction tonique permanente et que généralement des accès de convulsions générales se répètent encore de temps à autre. Les pupilles, jusque-là ordinairement rétrécies, sont à cette époque souvent, mais non constamment, dilatées ; de même, le pouls est ordinairement ralenti, sans cependant l'être toujours. Sous l'influence des progrès du coma et de la paralysie générale, les malades succombent, en o-énéral, au bout de quelques jours, rarement dans le second ou le troisième septénaire. Ces périodes de la marche clinique, entre lesquelles se trouve parfois intercalée une courte amélioration, plus apparente que réelle, ne peuvent nullement être ramenées à des périodes appréciables dans la mar- che des lésions anatomiques, de telle sorte que, par exemple, la première période de la maladie correspondrait à l'hypérémie des méninges et la seconde à l'exsudation dans les espaces sous-arachnoïdiens. Nous ne devons pas non plus passer sous silence que dans des cas qui ne sont pas très-rares, surtout quand la méningite s'ajoute à une carie du rocher ou à une affec- tion du cerveau, la première période est peu prononcée ou passe complète- ment inaperçue. Dans ces cas, les phénomènes commencent par un accès de convulsions qui se répète plusieurs fois et qui est suivi d'un coma pro- fond et d'une paralysie générale, ordinairement accompagnée de contrac- tures de quelques muscles. — La terminaison la plus fréquente de la mé- ningite aio'uë, c'est la mort. Les observations d'issue favorable, et surtout de prompte guérison de la maladie, doivent éveiller le soupçon d'une erreur de diagnostic, que peut faire naître si facilement, surtout chez les enfants, la similitude entre les symptômes de la méningite et ceux de l'hypérémie simple du cerveau. Les symptômes de la méningite chronique ne sont rien moins qu'exacte- ment connus, quelle que soit la fréquence avec laquelle on rencontre à l'autopsie les lésions qui correspondent à cette affection, surtout chez les ivrognes et les aliénés. Cela s'applique avant tout au début de la maladie. Il est probable que ce début est accompagné de maux de tête et de troubles fonctionnels du cerveau ayant le caractère de l'irritation ; mais dans un cas donné on sera presque toujours dans le doute, par exemple chez les ivrognes, si les symptômes appartiennent à une affection inflammatoire des méninges ou à un empoisonnement par l'alcool. Il est beaucoup plus facile de recon- naître les degrés avancés de la maladie. Si, chez un malade soumis aux influences étiologiques mentionnées plus haut, et chez lequel on peut ex- clure d'autres maladies cérébrales, surtout l'atrophie simple, on trouve une diminution sensible de la mémoire, un affaiblissement marqué de l'intelli- gence une extrême propension à verser des larmes; si à cela s'ajoutent un tremblement général des membres, une démarche chancelante et d'autres INFLAMMATIONS DU CERVEAU ET DE SES MEMBRANES. 245 signes d'une paralysie lentement progressive, il est permis de diagnostiquer une méningite chronique. § U. Traitement. Dans la méningite aiguë, à exsudât purulent et fibrineux, on obtient incontestablement parfois des résultats favorables par un traitement éner- gique. La saignée n'est généralement pas indiquée, mais il en est autrement des applications de sangsues faites une ou, si les forces du malade le per- mettent, plusieurs fois au front et derrière les oreilles. En outre, il convient de couvrir la tête, préalablement rasée, de compresses glacées et d'admi- nistrer un purgatif énergique, composé de calomel et de jalap. Dans les périodes ultérieures de la maladie, lorsqu'un état comateux et d'autres signes de paralysie cérébrale se manifestent malgré ces prescriptions, on peut appliquer un grand vésicatoire couvrant la nuque entière, ou bien frictionner la tête avec une pommade au tartre stibié. Un moyen qui pro- duit encore plus d'effet que ces dérivatifs, ce sont les douches, les affusions froides sur la tête, qu'on fait tomber d'une certaine hauteur, en versant sur le malade un seau d'eau froide. Presque toujours les malades reviennent à eux pendant l'affusion, mais il faut la répéter à des intervalles assez courts, ne dépassant pas quelques heures, si l'on veut obtenir un résultat durable; au besoin on augmente à chaque affusion suivante le nombre des seaux à verser sur la tête du malade. Je ne terminerai pas sans rappeler que l'on fait aussi un grand usage de frictions mercurielles dans la nuque et de pe- tites doses de calomel, longtemps continuées, à l'intérieur. Même contre la méningite chronique, Krukenberg faisait employer dans sa clinique les affu- sions froides, qu'il considérait comme le moyen le plus efficace de tous. Il se plaisait surtout à raconter le rétablissement d'un vieux fonctionnaire atteint de méningite chronique, auquel il avait fait verser journellement jusqu'à cinquante seaux d'eau froide sur la tête. ARTICLE III. Méningite de La base du cerveau. — Inflammation tuberculeuse et tuberculose miliaire simple de la pie-mère. — Hydrocéphale aiguë. § 1. Pathogénie et étiologie. Dans la méningite de la base ù les enfants essayent d'avancer en se traînant à terre, un raccourcisse- ment permanent de ceux des muscles qui sont capables de se contracter jusqu'à un certain point et dont l'action n'est pas contre-balancée par celle de leurs antagonistes. Ainsi se produisent les diverses espèces de pieds- 404 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. équins et de pieds-bots, les contractures de la hanche et la difformité connue du genou qui a reçu le nom de genu valgum. Dans les cas avancés de la maladie, la contractilité électrique des muscles atrophiés et dégénérés est éteinte. Cette condition ne nous permet pas de ttrer une conclusion sur telle ou telle origine de la maladie, attendu qu'on la rencontre dans toute espèce de paralysie, même dans les formes cérébrales, si la paralysie a duré assez longtemps pour entraîner la dégénération des nerfs et des muscles. L'état général se maintient ordinairement intact dans la paralysie essen- tielle ; beaucoup de ces malades arrivent à un âge avancé, et ceux d'entre eux qui appartiennent à la basse classe cherchent à exciter sur les routes la pitié des passants par le spectacle de leur infortune. § 3. Traitement. C'est tout au plus dans les cas tout à fait récents de paralysie essentielle que l'on peut espérer un résultat de saignées locales faites sur les côtés de la colonne vertébrale et de révulsifs appliqués au même endroit. Dans les cas traînés en longueur, il y a tout aussi peu d'espoir d'amener à résolution, par ce procédé, les résidus d'un processus qui depuis longtemps a terminé son évolution dans la moelle épinière, qu'il est permis d'espérer, après une apoplexie, de ramener à son état normal l'endroit du cerveau où s'est foi niée une cicatrice apoplectique et de guérir de la sorte une hémiplégie. Dans les cas où la contractilité électrique est éteinte et où les nerfs et les muscles sont déjà dégénérés, même le retour à l'état normal des parties malades de la moelle épinière ne pourrait modifier en aucune manière la paralysie. N'étant ainsi presque jamais en état de remplir dans le traitement de la paralysie essentielle l'indication causale, ni l'indication de la maladie, on a obtenu au contraire des résultats relativement favorables par le traitement symptomatique de cette affection. Tant que quelques muscles ont encore conservé la moindre trace de contractilité, il y a lieu d'appliquer avec éner- gie et persévérance le courant d'induction, vu que par ce moyen on conserve et on augmente le plus sûrement ce qui reste d'excitabilité et qu'ainsi on met un terme aux progrès de l'atrophie et de la dégénérescence musculaire. Mais ce qui prouve que dans les cas en apparence les plus désespérés le sort des malheureux malades peut encore être amélioré par la ténotomie et par les autres ressources d'une orthopédie rationnelle, ce sont les succès que Heine a obtenus dans son établissement. QUATRIÈME SECTION NÉVROSES GÉNÉRALISÉES SANS BASE ANATOMIQUE CONNUE CHAPITRE PREMIER Cuorée. — Danse de Saint-ttuy. § 1. Pathogénie et étiologie. On peut considérer la ehorée comme une névrose de pure motilité, car tous ses symptômes se laissent ramener à une excitation des nerfs moteurs, tandis que la sensibilité et les fonctions psychiques ne présentent aucune anomalie ou du moins aucune anomalie constante. La pathogénie de la ehorée est obscure. Ni les recherches anatomiques faites jusqu'à présent, ni l'analyse des symptômes ne nous- fournissent des renseignements positifs à cet égard et nous ignorons même quel est le point de départ de l'excitation anormale des nerfs moteurs dans cette maladie. Les autopsies, assez rares d'ailleurs, d'individus atteints de ehorée ont fourni des résultats soit négatifs soit si peu concordants, que les lésions découvertes dans les organes centraux du système nerveux: doivent être rapportées, non à la ehorée, mais à l'affection terminale ou à des complications accidentelles. L'extension de l'excitation pathologique à la plus grande partie des nerfs moteurs cérébro-spinaux ne permet évidemment pas de faire remonter la maladie à quelque modification dans le trajet périphérique des nerfs. La parfaite intégrité des autres fonctions cérébrales fait supposer que les mou- vements de la ehorée ne sont pas déterminés par une excitation ayant son point de départ dans le cerveau. Par contre, différentes circonstances, entre autres la pause qui se produit dans l'agitation musculaire pendant le som- meil et sous l'influence du chloroforme, tendent à faire placer le point de départ des impulsions motrices plutôt dans le cerveau que dans la moelle épinière. Les hypothèses en vertu desquelles la danse de Saint-Guj devrai I être attribuée à une disproportion entre les dimensions du canal vertébral 406 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. et le volume de la moelle épinière, à une affection inflammatoire des ver- tèbres, à une irritation spinale, ne s'appuient sur aucune base solide, attendu que nous ignorons môme s'il faut chercher dans la moelle épinière le foyer de la maladie. En ce qui concerne l'étiologie, on est tout d'abord frappé de la grande fréquence de cette maladie à l'époque de la seconde dentition et pendant le développement de la puberté. Assez souvent il arrive que le même individu est atteint pendant ces deux périodes d'une danse de Saint-Guy qui disparaît dans l'intervalle ; c'est là ce qui fait croire au public que la danse de Saint- Guy revient tous les sept ans. Avant la sixième année, la maladie est rare, elle l'est de même à partir de la quinzième. Cependant même l'âge avancé n'est pas absolument indemne et lorsque la maladie se déclare dans cette période de la vie, elle se distingue par une opiniâtreté toute particulière. — Le sexe féminin montre une prédisposition beaucoup plus grande pour la chorée que le sexe masculin. Un certain nombre d'observations met en évidence une prédisposition héréditaire. En outre, l'anémie et Yhydrémie et surtout les affections rhumatismales semblent apporter une plus grande pré- disposition à la chorée. C'est aller évidemment trop loin que de considérer comme constant le rapport qui existe entre le rhumatisme, mais il est incon- testable qu'un nombre infini de choréiques ont été atteints auparavant de rhumastisme articulaire aigu ou chronique ou qu'ils sont atteints soit pen- dant la durée de leur chorée, soit après son évolution, de quelque affection rhumatismale. De même l'expérience nousapprend que chez les choréiques on entend extrêmement souvent des bruits anormaux dons la région du cœur, et s'il est. vrai que ces bruits dépendent souvent de l'anémie ou de troubles de l'innervation et qu'il faut alors les ranger dans la catégorie des bruits dits sanguins, le nombre de ceux qui proviennent incontestablement de lésions valvulaires est toujours encore assez grand pour nous permettre de conclure à l'extrême fréquence d'antécédents rhumatismaux compliqués d'endocardite. Les deux cas de chorée les plus graves que j'aie observés concernaient, le premier une jeune fille de 15 ans dont toutes les articula- tions furent gonflées daus le cours de la maladie, le second une fille de 20 ans atteinte d'une maladie organique grave du cœur. — Parmi les causes de la chorée on cite encore l'instinct d'imitation, les émotions, surtout la frayeur, en outre l'irritation de l'intestin par des helminthes, enfin l'onanisme, la grossesse, etc. On conçoit que dans un cas donné on aura beaucoup de peine, à constater le lien de causalité entre ces influences, qui existent si souvent sans causer un dommage appréciable, et une chorée. L'influence de l'instinct d'imitation qui, dans la grande chorée, la chorea Germanorum, joue le rôle le plus important ne paraît non plus étranger à la production de la danse de Saint-Guy, comme le prouve la manifestation parfois épidémique de cette maladie dans les pensionnats ; l'influence de la grossesse est prouvée par CHORÉE, DANSE DE SAINT-GUY. 407 «cette circonstance que, parmi les malades adultes, on trouve un nombre très-considérable de femmes enceintes. Il est rare que pendant la grossesse la chorée se déclare avant la fin du deuxième mois, et il est tout aussi rare qu'elle se déclare dans la seconde moitié de la grossesse. Une fois déve- loppée elle se maintient ordinairement jusqu'à la délivrance. § 2. Symptômes et marche. La danse de Saint-Guy est caractérisée par des mouvements exécutés par les muscles soumis à l'empire de la volonté, mouvements qui dans cette maladie se produisent sans que la volonté les commande et au milieu de l'intégrité la plus parfaite des facultés intellectuelles. Les mouvements s'exé- cutent malgré les malades, aussi bien dans les moments où ils voudraient conserver le repos que dans ceux où ils ont l'intention de faire un mou- vement. Comme dans ces derniers cas les mouvements étrangers à la volonté compliquent les mouvements voulus, l'acte résolu par le malade échoue complètement ou s'exécute d'une manière défectueuse ou inhabile. Les contractions musculaires involontaires de la chorée se distinguent des con- tractions musculaires plus uniformes plus simples, plus franchement con- vulsives des attaques d'épilepsie ou d'hystérie par leur variabilité et par certaines combinaisons qui donnent à ces mouvements pour ainsi dire un •cachet d'oppportunité. Aussi les mouvements de la chorée peuvent-ils bien plus facilement que ceux de l'épilepsie ou de l'hystérie échappera une obser- vation superficielle et de courte durée. Dans la plupart des cas la maladie se développe très-lentement et passe inaperçue pendant un temps plus ou moins long. On remarque, il est vrai, que l'enfant malade casse et laisse tomber bien des objets, qu'il ne reste pas assis tranquillement, qu'il écrit plus mal ou qu'en jouant du piano il fait plus de fausses notes qu'auparavant, mais on le gronde ou on le punit pour l'habituer à faire plus attention et à se corriger de sa maladresse. Le pauvre enfant souvent ne sait plus où il en est et les reproches immérités le rendent triste et abattu ou bien irascible et récalcitrant. Mais l'agitation devient de plus en plus grande et manifeste, les maladresses se renouvellent sans cesse et deviennent plus fortes, l'enfant fait passer la main à côté du verre en voulant le saisir, il se pique avec sa fourchette et commence à grimacer d'une façon étrange. Souvent, sans qu'il y ait eu un changement essentiel dans l'état de l'enfant, les parents comprennent subitement que leur enfant est malade. — Il est bien plus rare que le mal se développe rapidenienl et offre dès le principe les symptômes étranges qui caractérisent là danse de Saint-Guy dans ses périodes ultérieures. Lorsque la chorée a pris tout son développement les mouvements les plus 408 MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. variés se succèdent d'une manière si irrégulière et si baroque que le nom donné à la maladie par les Anglais « folie musculaire, insanity of muscles » paraît très-bien choisi. Dans la face les sourcils se rapprochent et s'éloignent alternativement avec une extrême rapidité, le front se ride et se déride, les paupières s'ouvrent et se ferment rapidement plusieurs fois de suite ou bien restent pendant quelques instants convulsivement serrées l'une contre l'autre, les yeux roulent à droite et à gauche, les lèvres se réunissent tantôt en pointe, tantôt s'aplatissent et se serrent l'une contre l'autre, la bouche s'ouvre ou se ferme subitement comme pour happer un objet, et se con- tracte tantôt pour rire tantôt pour pleurer ; la langue est souvent subitement projetée en avant ; la tête elle-même tantôt tourne sur son axe tantôt se jette en avant, en arrière ou de côté; l'épaule s'élève et s'abaisse, les extrémités supérieures exécutent des mouvements de projection ; dans les articulations du coude, de la main et des doigts la flexion alterne avec l'extension, la pronation avec la supination, l'abduction avec l'adduction. Des mouvement» analogues, mais en général moins violents, se présentent dans les extré- mités inférieures : même les muscles du tronc prennent part à l'agitation, de sorte que la colonne vertébrale s'incline tantôt en avant, tantôt en arrière, tantôt de côté et tourne sur son axe tantôt dans un sens tantôt dans un autre. Si les malades sont couchés, ils sont souvent subitement lancés en l'air et jetés au pied ou même hors du lit. Dans les degrés élevés de la chorée, les malades ne peuvent pas non plus se tenir assis sur une chaise et se laissent glisser à terre quand ils essayent de s'asseoir. La mobilité morbide aug- mente d'intensité et d'étendue quand les malades s'observent, et plus encore quand ils ne savent observés par d'autres. Quelquefois cette mobilité est plus grande d'un côté que de l'autre ou bien elle affecte plus particulièrement tel ou tel membre. Il est très-rare qu'elle s'étende aux muscles du larynx et à ceux de la respiration, jamais à ceux du pharynx et des sphincters. L'agi- tation continuelle retarde le sommeil, mais une fois que les malades sont parvenus à s'endormir, tout le désordre cesse. Quelques exceptions à cette règle sont généralement, depuis Marshall Hall, attribuées à des rêves ayant pour objet des idées de mouvement. Presque tous les mouvements, excepté ceux de la respiration et de la déglutition, sont gravement altérés par le jeu désordonné des muscles. La parole devient indistincte, parce qu'aux mouvements résolus de la langue ef des lèvres s'en ajoutent d'autres involontaires. A table, le malade fait passer la fourchette à côté de la bouche et répand le liquide qu'il veut boire ; souvent on est forcé de lui porter les aliments à la bouche. Quelques-uns parviennent à peine à donner la main et n'y arrivent que. par des détours, d'autres ne sont pas en état de s'habiller et de se déshabiller eux-mêmes. Des ouvrages mannels délicats ne peuvent être exécutés même dans les cas- légers. En marchant, si toutefois cela leur est possible, les malades ne CHORÉE, DANSE DE SAINT-GUY. 40» touchent la terre du pied qu'après bien des détours, et tout leur corps exécute des mouvements superflus et gênants, qui donnent à leur démarche un caractère bizarre et caractéristique. Les autres fonctions et l'état général sont relativement peu troublés. Si l'humeur des malades s'altère peu à peu, s'ils devienent maussades, suscep- tibles récalcitrants, cela ne peut évidemment provenir que de l'impossibi- lité à laquelle ils sont réduits pendant des semaines entières de se rendre maîtres de leurs mouvements et des moqueries auxquelles les expose sans cesse l'insuccès de leurs tentatives. Il n'est pas rare que les malades dont les grimaces sont en contradiction avec les dispositions actuelles de leur esprit ou avec l'objet de la conversation, produisent une impression de niai- serie ou d'imbécillité malgré l'intégrité de leurs fonctions psychiques. Tou- tefois, lorque la maladie traîne en longueur la rectitude du jugement parait quelquefois en souffrir et d'autres troubles intellectuels peuvent encore en être la conséquence. Quelques malades accusent des maux de tête et des douleurs dans le dos, mais ces accidents n'ont rien de constant. Tandis que, chose assez singulière, une fatigue proprement dite des muscles n'est pas ressentie, les articulations constamment tiraillées et mises en mouvement quelquefois enflent et deviennent douloureuses. La fièvre manque quand il n'y a pas de complications, bien que le pouls soit ordinairement accéléré. L'appétit, la digestion, les sécrétions et les excrétions n'offrent pas d'ano- malies constantes. Lorsque la durée de la maladie se prolonge, le manque de repos met la nutrition en souffrance, les malades deviennent anémiques et maigrissent. La marche de la chorée est chronique. Il est rare que la maladie arrive à son terme avant le sixième ou le huitième septénaire ; souvent elle traîne pendant trois à quatre mois. Dans quelques cas très-exceptionnels, elle devient habituelle et persiste pendant la vie eutière. Dans sa marche on remarque des exacerbations et des rémissions, ou bien la maladie va pro- gressivement en augmentant juspu'à ce qu'elle soit arrivée à son point cul- minant, là elle se maintient pendant un certain temps et diminue ensuite progressivement comme elle a augmenté. La terminaison la plus fréquente de la maladie est la guérison. Les cas dans lesquels la chorée devient habi- tuelle sont à compter parmi les exceptions; mais souvent des indices de la maladie se montrent pendant des aminées dans certains mouvements et il reste une prédispositiou aux récidives. La terminaison par aliénation men- tale permanente est également rare. La mort, lorsqu'elle arrive, est presque toujours l'effet d'une complication. Toutefois on connaît quelques cas dans lesquels elle a été le résultat delà maladie elle-même; les contractions musculaires étaient alors arrivées rapidement à un degré extraordinaire de violence et d'étendue; puis survenaient subitement le collapsus et le coma qui emportaient les malades. 410 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. S <*• Traitement. Le peu que nous savons sur l'étiologie de la chorée ne nous permet guère de songer à remplir l'indication causale. Si la maladie a été précédée de signes d'anémie et d'hydrémie, on choisira dans le grand nombre des remèdes vantés contre la danse de Saint-Guy les préparations ferrugineuses. Le carbonate de fer (à la dose de 25 à 50 centigr.) et le cyanure de fer (à la dose de 10 à 15 centigr.) qui ont été le plus préconisés, méritent-ils une préférence sur d'autres préparations, c'est ce que nous nous abstiendrons de discuter. Si contre la chorée d'individus anémiques il y a lieu d'admi- nistrer du fer, les bains sulfureux (16 à 30 grammes de sulfure de potasse par 100 litres d'eau), recommandés surtout par Baudelocque, et dans les- quels on laisse séjourner les malades pendant environ une heure, convien- nent principalement contre la chorée d'individus atteints autrefois d'affec- tions rhumatismales. Si l'on a découvert la présence de vers dans le canal intestinal, on peut commencer le traitement par l'administration de la santonine ou d'autres anthelminthiques. Le nombre des remèdes préconisés pour satisfaire à l'indication de la maladie est très-considérable. Mais comme le mal cesse de lui-même au bout de six à huit semaines et comme on parvient rarement, en employant un de ces remèdes, à l'enrayer plus tôt, on est ordinairement dans le doute5 pour peu que l'on veuille apprécier avec une entière bonne foi le résultat obtenu dans un cas donné, sur la question de savoir si la chorée a disparu sous l'influence des remèdes employés pendant six semaines consécutives ou bien si elle a disparu d'elle-même. Heureusement ces remèdes, employés avec précaution, ne sont généralement pas nuisibles. Cette remarque s'ap- plique particulièrement aux préparations de zinc, surtout à l'oxyde de zinc que l'on fait prendre à dose croissante jusqu'à concurrence de 50 et même' de 75 centigrammes. Des remèdes plus offensifs, mais sans être pour cela plus surs dans leurs effets, sont le sulfate, le valérianate et le cyanure de zinc, le sulfate d'ammoniaque et de cuivre, le nitrate d'argent. L'arsenic a pour lui la grande autorité de Romberg, et si l'on fait tant que de vouloir employer un des antispasmodiques métalliques, la solution arsenicale de Fowler (3 à 5 gouttes trois fois par jour) nous semble mériter la préférence sur d'autres. — Dans le traitement de la chorée on peut en général se passer de l'emploi des narcotiques ; du reste, ces remèdes sont ordinaire- ment mal supportés par les malades, de sorte qu'après avoir prescrit le soir, pour assurer le repos de la nuit, de la poudre de Dower ou un peu de mor- phine, on a ordinairement lieu de le regretter le lendemain. Mon expérience sur l'effet des narcotiques est toutefois en contradiction avec une des plus CHOREK, DANSE DE SAINT-GUY. 411 grandes autorités en matière de thérapeutique. Trousseau, en effet, recom- mande avec instance d'administrer la morphine à doses élevées et il s'ap- plique surtout à faire ressortir que ces choses sont remarquablement bien supportées. Par contre, l'administration delà strychnine, remède également fort recommandé par Trousseau contre la chorée, et que, d'après sa pres- cription, on doit donner à doses d'abord très-minimes et progressivement plus élevées jusqu'à production de quelques légers symptômes d'intoxica- tion, a trouvé peu de partisans en Allemagne. Les rapports de Trousseau lui-même qui ne font nullement entrevoir un succès immédiat ni même rapide, ne nous encouragent pas à recourir à une médication aussi offensive. La même remarque s'applique à l'emploi sous-cutané du curare que l'on a également préconisé. Encore ce remède ne nous promet pas un succès assez certain pour que nous exposions les malades aux graves conséquences que pourrait entraîner la plus légère transgression de la dose. — Dans les cas où les vertèbres sont très-sensibles à la pression, il peut être utile d'appliquer quelques sangsues ou des ventouses et plus tard des révulsifs le long de la colonne vertébrale. Toutefois on se gardera de défigurer sans nécessité le cou des jeunes filles par des cicatrices et, par conséquent, on s'abstiendra de prescrire des frictions de pommade stibiée. Des affusions froides sur le dos, qui sont à considérer comme le révulsif cutané le plus énergique, paraissent être d'une utilité incontestable dans quelques cas, surtout quand le mal a traîné en longueur, tandis que dans d'autres cas elles n'ont fait qu'aggraver la maladie. — Un excellent palliatif, dans les formes graves de la chorée, consiste dans les inhalations de chloroforme. Des observations ultérieures devront nous apprendre si ces inhalations renouvelées pendant longtemps d'une manière régulière et sans être poussées jusqu'au nar- cotisme complet, ont également pour effet d'abréger la durée de la maladie. — La contention forcée des enfants par des liens et d'autres moyens, qui a été conseillée par plusieurs auteurs, devra être soumise à une épreuve rigoureuse avant d'être conseillée comme un moyen à employer sur une vaste échelle. Benedikt déclare « que dans plus de vingt [cas de chorée traités par lui à l'aide du courant constant depuis l'époque où il avait fait la première application de cette méthode, il n'avait pas enregistré un seul insuccès. » Il se sert de courants tellement faibles que les malades en ont à peine la sensation distincte et il galvanise en remontant la colonne verté- brale. Des courants qui occasionnent de la douleur ne feraient qu'exagérer, selon lui, les symptômes de la maladie. Pendant la convalescence, on essayera, en agissant avec douceur et persévérance sur le moral des enfants, de les habituer à opposer une volonté énergique aux mou\ements involon- taires. Al 2 MALADIES DU SYSTEME NERVEl'X. CHAPITRE II Tétanos. § 1. Pathogénie et étiologie. Le tétanos est une névrose de motilité aussi bien que la chorée. Les symptômes de la maladie se laissent ramener à une excitation morbide des nerfs moteurs, à laquelle les nerfs sensibles ne participent que d'une manière très-limitée et purement secondaire. Mais pour le tétanos, nous savons beaucoup plus positivement que pour la chorée que l'excitation mor- bide des nerfs moteurs part de la moelle épinière. L'absence de lésions appréciables de la moelle épinière dans les autopsies faites sur les individus morts de tétanos et l'absence de phénomènes tétaniques proprement dits chez les individus atteints d'affections graves de la moelle épinière, loin d'être des arguments contraires à cette supposition, ne font que la confirmer. En effet, une fois que la moelle épinière est réduite en détritus ou que ses éléments sont dégénérés et désorganisés d'une autre manière, il n'est plus possible qu'elle donne lieu à des impulsions motrices, tandis qu'au contraire toutes les observations recueillies juspu'à ce jour nous apprennent que les modifications qui donnent à ces impulsions une exagération morbide se dérobent entièrement à l'étude anatomique. Au début de la maladie les spasmes tétaniques prennent surtout naissance quand la moelle épinière est mise dans un état d'excitation exagérée par des irritations faibles, mais- appréciables, qui agissent sur les divisions périphériques des nerfs sensibles, et l'on peut donner aux spasmes qui appartiennent à cette période le nom de spasmes réflexes, bien que l'extension et la violence plus grandes et la durée plus longue des contractions musculaires les distinguent d'autres phé- nomènes réflexes. Mais dans les périodes ultérieures de la maladie ces causes extérieures ne sont plus nécessaires pour provoquer les spasmes; au contraire, la moelle épinière est continuellement, et sans être touchée par des irritations extraordinaires venant de la périphérie, dans un état qui suffit pour provoquer dans les nerfs moteurs une excitation intense et per- manente. Quant à l'étiologie de la maladie, nous pouvons énumérer toute une série d'influences nuisibles, dont on sait positivement qu'elles mettent la moelle dans l'état d'excitation morbide qui forme la base des phénomènes téta- niques. Parmi celles-ci nous citerons d'abord les plaies, et en particulier, les déchirures, les plaies par armes à feu, par instrument pointu et celles qui sont compliquées par la présence d'un corps étranger dans l'épaisseur TÉTANOS. 413 des tissus. Quand ces lésions existent aux extrémités, elles offrent plus de danger qu'aux autres parties du corps; mais dans de certaines conditions, dont quelques-unes sont connues, comme par exemple un rapide change- ment de température, des journées chaudes suivies de nuits froides, et dont les autres sont encore inconnues, elles provoquent plus particulièrement le tétanos. Bardeleben formule très-judicieusement ces conditions de la manière suivante : le traumatisme est la cause prédisposante, le refroidissement la cause déterminante du tétanos. Nous ignorons quels sont les modifications qui se produisent dans les nerfs lésés, et de quelle manière ces modifications se propagent à la moelle épinière quand une plaie se complique de tétanos. L'injection et le gonflement constatés par quelques observateurs dans le trajet des nerfs, depuis la plaie jusqu'à la moelle épinière, ne constituent pas une lésion constante. — Dans d'autres cas, le tétanos se développe sans avoir été précédé de plaie, à la suite d'une refroidissement violent, par exemple, chez les individus qui se sont endormis sur la terre humide, ou qui ont été fortement mouillés leur corps étant échauffé. Cette forme, connue sous le nom de tétanos rhumatismal, est beaucoup plus rare que le tétanos traùmatique. Nous sommes également dépourvus de renseignements sur les modifications subies dans le tétanos rhumatismal par les nerfs cuta- nés et sur la manière dont ces modifications se transmettent à la moelle épinière. — Le tétanos observé chez les enfants nouveau-nés est considéré comme une troisième forme ; toutefois il semble qu'on doive le ratta- cher à la forme traùmatique. Le tétanos des nouveau-nés se manifeste en effet que du premier au cinquième jour après la chute du cordon ombilical. 11 a donc toujours été précédé d'un traumatisme, à savoir la ligature et la .section du cordon ombilical. Il n'y a pas lieu d'objecter que, si dans beau- coup de cas de tétanos des nouveau-nés on peut constater la présence d'in- flammations du nombril, il en existe d'autres où ces inflammations font défaut; car on observe aussi que les plaies qui, chez les personnes adultes, entraînent le tétanos, offrent, il est vrai, le plus souvent des phénomènes inflammatoires violents et d'autres particularités, mais que, dans d'autres cas, elles se trouvent dans un état tout à fait satisfaisant, et sont en voie de cica- trisation ou déjà cicatrisées. Du reste, même dans le tétanos des nouveau- nés on n'aura à considérer la ligature et la section du cordon ombilical que Cijrnme une cause prédisposante, et des refroidissements ou d'autres condi- tions inconnues et léguant parfois, à ce qu'il parait, épidémiquemenf, comme les causes déterminantes. — Enfin l'empoisonnement par les alca- loïdes de la famille des strychnées provoque un état morbide de la moelle épinière, qui se traduit par des symptômes identiques à ceux du tétanos traùmatique, ce qui fait que les phénomènes d'intoxication provoqués par la strychnine et la brucine onl reçu le nom de tétanos toxique. Le tétanos traùmatique et le tétanos rhumatismal sont beaucoup plus k\k MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. communs chez les hommes que chez les femmes. — Les constitutions ro- bustes sont plus exposées que les constitutions délicates. Dans la zone tro- picale, la maladie se rencontre plus souvent que dans notre zone tempérée r et il paraît que dans les pays tropicaux certaines races, surtout les nègres, contractent le tétanos plus facilement que les Européens qui habitent ces- contrées. § 2. Symptômes et marche. Le tétanos est caractérisé par des spasmes continus, toniques, qui s'em- parent surtout des muscles du tronc et des muscles masticateurs, et qui s'élèvent à un degré extraordinaire dans des paroxysmes séparés. Ordinairement la maladie est précédée de prodromes consistant en un malaise général accompagné d'une fièvre qui n'est pas très-vive, de douleurs et de roideur dans la nuque, et pouvant par conséquent être assez facilement confondue avec .les symptômes d'un rhumatisme peu intense. Si ces phéno- mènes viennent à être observés à la suite d'une blessure du genre de celles que nous avons indiquées plus haut, et si leur apparition coïncide avec des modifications extraordinaires dans la plaie, si par exemple cette dernière de- vient sèche et l'ecommence à être douloureuse, on peut quelquefois soupçon- ner, dès ce moment, le grand danger que court le malade. — Lorsque la ma- ladie se confirme, elle commence presque toujours par la tête qui est immo- bilisée et réclinée en arrière par les contractions toniques des muscles de la nuque ; des spasmes analogues dans les muscles de la mastication serrent les mâchoires l'une contre l'autre, phénomène connu sous le nom de tris- mus; en même temps, la déglutition est rendue difficile ou empêchée par des spasmes du pharynx. Partant de la nuque, le spasme s'étend aux muscles du dos, le corps entier est recourbé en arrière, et prend la forme d'un arc; les muscles de la poitrine et de l'abdomen participent à leur tour au spasme. C'est ce qui fait que l'abdomen devient tendu, rétracté et dur comme une planche, et qu'à l'épigastre il se produit une sensation de constriction dou- loureuse. Il arrive plus rarement que les muscles des extrémités, surtout ceux des avant-bras et des jambes, ceux des mains et des pieds, sont égale- ment envahis par le spasme. Selon que le spasme prédomine, comme nous l'avons dit, dans les muscles de la nuque et du dos et recourbe le corps en arrière, ou que les muscles antérieurs du cou et du tronc, ou enfin les muscles d'un côté prennent le dessus et tirent le corps dans le premier cas en avant, dans le second sur le côté, on distingue un opisthotonos, un em- prosthotonos ou un pleurosthotonos. Si aucun de ces efforts musculaires ne l'emporte, si le corps est étendu droit et rigide, comme une statue, on donne à cet état le nom d'orthotonos. De toutes ces formes, l'opislhotonos est de TETANOS. 415 beaucoup la plus fréquente : les autres variétés sont assez rares. Les muscles contractures restent tendus pendant toute la durée de la maladie ; mais de temps à autre surviennent des accès pendant lesquels les contractions spas- modiques arrivent à un si haut degré que les fibres musculaires trop tendues peuvent se déchirer. Dans un accès pareil, la partie moyenne du corps est subitement lancée en l'air, au point qu'il n'y a plus que la tète et les talons qui touchent le lit. Les muscles sont d'une dureté de pierre et le siège d'hor- ribles douleurs, pouvant ordinairement être comparées à celles d'une vio- lente crampe des mollets. Les contours des muscles temporaux et masséters forment de fortes saillies et communiquent à la face une expression singu- lière. Ce qui contribue encore plus à défigurer le visage, c'est la contraction ordinairement simultanée des muscles mimiques de la face : le front est [disse, les sourcils froncés; les yeux fixes, immobiles sont retirés dans le fond de l'orbite, l'angle de la bouche est tiré en dehors, les lèvres écartées, les rangées de dents pressées l'une contre l'autre, les narines sont dilatées. L'aspect de ces malades excite une certaine horreur , en même temps qu'une profonde pitié. Au début de la maladie, les accès ne viennent pas spontanément, mais les causes les plus légères suffisent pour les provoquer. De même qu'il suffit de frapper sur la table qui supporte une grenouille empoisonnée par la strychnine pour provoquer aussitôt des convulsions téta- niques chez l'animal, un léger attouchement de la peau, un petit courant d'air, un ébranlement du lit, le bruit d'une porte qui se ferme avec violence, chaque mouvement que le malade veut exécuter, des essais de mastication et de déglutition et jusqu'à la simple idée de ces choses suffisent pour pro- voquer un nouveau paroxysme. L'impossibilité d'avaler et l'explosion de spasmes, toutes les fois que le malade essaye de boire, donnent au tétanos une certaine ressemblance avec l'hydrophobie. Les accès sont d'une durée variable. Ordinairement courts au commencement, ils peuvent, au sum- mum de l'affection, se prolonger pendant un quart d'heure, et même pen- dant une heure avant qu'une rémission se produise. Cette horrible maladie laisse ordinairement ses victimes en pleine connaissance et conservant l'in- tégrité de leurs sens jusqu'à la mort. La plupart des autres fonctions n'é- prouvent que des troubles insignifiants. Les malheureux souffrent de la faim et de la soif, sans pouvoir en satisfaire les besoins. Tout comme dans les autres fortes actions musculaires, la peau est dans le tétanos couverte de sueur, le pouls petit et fréquent. Un fait très-intéres- sant, et qui pour la première fois a été constaté par Wunderlicli, c'est l'é- norme élévation de la température du corps. On a vu dans quelques cas la température aller jusqu'à /i/i°, et s'élever immédiatement après la mort jusqu'à Zur>°. 11 était tout naturel d'attribuer ces phénomènes à l'extrême production de la chaleur due à la rapidité plus grande des échanges orga- niques dans les muscles télaniquemenl contractés. Celle hypothèse a été 416 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. pleinement confirmée par les expériences de Leyden et autres, qui obser- vèrent également cette élévation de température sur des chiens, chez les- quels ils avaient provoqué artificiellement le tétanos. Les selles sont ordi- nairement un peu retardées, le sommeil si ardemment désiré par le malade lui est refusé. Un autre tourment et le plus grand danger couru par les ma- lades, résulte des troubles de la respiration. Il n'y a pas d'obstacle à la péné- tration de l'air dans les voies respiratoires ; mais le thorax est, comme le dit fort justement Watson, comme serré dans un étau. Les mouvements respi- ratoires sont gênés au plus haut degré par les muscles rigides. S'il y a des exemples d'individus, qui, au bout de peu d'heures déjà ou même encore plus tôt, ont succombé à la maladie, ce sont ceux chez lesquels les contrac- tions spasmodiques des muscles de la respiration auxquelles participe égale- ment le diaphragme, arrivaient rapidement à un degré tel que les mou- vements respiratoires ne pouvaient plus s'exécuter et que les malades mouraient de suffocation. Ordinairement ces infortunés ne sont pas aussi promptement délivrés de leurs souffrances. Pendant trois à quatre jours les crampes avec les douleurs horribles et le sentiment de suffocation qui les accompagnent, se répètent de plus en plus fréquemment, durent de plus en plus longtemps, les rémissions deviennent de plus en plus incomplètes jus- qu'à ce que les malades finissent par succomber à l'empoisonnement lent par l'acide carbonique, dû à l'insuffisance de la respiration et à la combus- tion exagérée, ou qu'ils meurent dans un accès très-violent, asphyxiés par une interruption subite et absolue de la respiration. Dans quelques cas, la respiration n'est pas troublée au point qu'elle entraîne la mort par son in- suffisance. Dans ces cas, la maladie peut traîner pendant des romaines, avant que les malades épuisés et condamnés à mourir de faim par l'impos- sibilité d'ingérer des aliments meurent dans un état de maigreur extrême. — La terminaison par la guérison est très-rare. On ne doit pas s'en laisser imposer par des rémissions passagères, en admettant même que, pendant leur durée, les malades jouissent d'un court sommeil réparateur. Le plus souvent les crampes recommencent après ces pauses avec leur première violence, quelquefois même avec une violence plus grande. Uniquement lorsque les accès deviennent pendant un temps assez long de plus en plus courts et reviennent de plus en plus rarement, et qu'en outre les malades peuvent de nouveau boire et manger, il est permis d'espérer une guérison. Cette dernière est toujours très-lente dans les cas même les plus heureux, et il se passe ordinairement des semaines avant que les muscles aient perdu toute leur tension et que les malades soient complètement rétablis. Le tableau clinique du tétanos des nouveau-nés est très-peu modifié par l'individualité de l'organisme infantile. Encore ici l'invasion de la maladie est ordinairement précédée de quelques prodromes peu distincts; l'enfant jette souvent des cris en dormant, il a des cercles bleus autour des yeux et TETANOS. 417 des lèvres et quitte brusquement le mamelon, un instant après l'avoir saisi avec acidité. La mère reconnaît presque toujours pour la première fois l'in- vasion de la maladie en s'apercevant qu'elle ne plus introduire le mamelon ou le doigt dans la bouche de l'enfant. Les mâchoires sont écartées de quel- ques lignes, mais il est impossible de les séparer davantage. La maladie fait de rapides progrès, les muscles masticateurs forment des bourrelets durs. Les muscles de la face sont également spasmodiquement contractés. Le front est ridé, les paupières sont fortement serrées l'une contre l'autre et entou- rées de plis convergents. Les ailes du nez sont relevées, les lèvres contrac- tées et réunies en pointe, la langue est ordinairement placée entre les mâ- choires. A ces phénomènes s'ajoute l'opisthotonos; la tête est réclinée en arrière, la colonne vertébrale recourbée en arc de cercle. Des attouche- ments, des mouvements du corps, des essais de déglutition provoquent de violents accès, mais les rémissions sont ordinairement plus complètes que dans le tétanos des adultes. La fixité du thorax et la tension des muscles abdominaux empêchent la respiration pendant les accès. Il se produit des suffocations auxquelles les enfants succombent rapidement, souvent déjà après douze ou vingt-quatre heures. Dans d'autres cas la respiration ne de- vient insuffisante que peu à peu et les enfants meurent plus lentement, ce- pendant dans ces cas encore la durée de la maladie ne dépasse pas un petit nombre de jours pendant lesquels ils ont maigri considérablement, et ont présenté les symptômes de l'empoisonnement du sang par l'acide carboni- que. La guérison du tétanos des nouveau-nés est également un fait assez rare. § 3. Traitement. Pour remplir l'indication causale, on a proposé et pratiqué contre le téta- nos traumatique une série d'opérations chirurgicales, et dans le nombre même l'amputation du membre lésé; cependant les résultats de ces opéra- tions ne répondaient nullement à l'attente de ceux qui les avaient imagi- nées, et on en est généralement revenu dans les temps modernes. Le rôle important que les refroidissements jouent, sans aucun doute, dans la pro- duction du tétanos rhumatismal aussi bien que du tétanos traumatique, a fait songer tout naturellement à prescrire des bains chauds et irritants ainsi que des bains de vapeur russes, pour répondre à l'indication causale. La crainte de voir pendant l'emploi de ces bains les accès s'exagérer sous l'in- fluence des manœuvres qu'ils exigent, ne s'est réalisée dans deux cas, traités par Hasse, qu'au premier attouchement des malades, et non pendant la suite des manœuvres. Cette observation et le soulagement que les bains ont procurés aux malades doivent nous engager sérieusement à employer ce moyen. N'.EMEYER. "• _ '-7 418 MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. Pour répondre à l'indication de la maladie, on employait beaucoup autre- fois, dans la supposition que le tétanos dépendait d'une affection inflam- matoire de la moelle, les saignées générales et locales et le calomel, jusqu'à production de salivation. Cependant on est encore généralement revenu de nos jours de cette médication. Malheureusement nous ne possédons aucun moyen capable de ramener à son état normal l'excitation morbide de la moelle épinière ; même les narcotiques ne produisent pas cet effet, quoi- qu'ils soient indispensables pour rendre les souffrances des malades plus supportables. On est forcé de les administrer à hautes doses, si l'on veut obtenir ce résultat, et l'on peut par conséquent hâter la catastrophe, si l'on ne surveille pas attentivement l'effet physiologique qui se produit. Lorsque les malades ne sont pas en état d'avaler, on peut employer la morphine en injections sous-cutanées ou donner des lavements de vingt ou trente gouttes de teinture d'opium. Les lavements de tabac ne produisent guère plus d'effet et entraînent, si on ne surveille pas attentivement les doses, plus facilement encore que les lavements d'opium, un collapsus dangereux. Les anesthésiques rendent plus de services dans le traitement du tétanos que les narcotiques; mais malheureusement ils ne produisent également qu'un effet purement palliatif. Encore ici, il faut se garder de commettre des abus. Il n'est pas permis de maintenir le malade dans un narcotisme chlorofor- mique continu. Les médecins anglais recommandent surtout les excitants, tels que le carbonate d'ammoniaque, le vin, l' eau-de-vie, et ils prétendent avoir obtenu par ces moyens plus de succès que par les émissions sanguines et les narcotiques. Quelques observateurs dignes de foi ont obtenu des ré- sultats très-favorables, en traitant le tétanos par les injections sous-cutanées de solutions de curare. Toujours est-il que ce mode de traitement mérite d'être soumis à des épreuves ultérieures. Cependant, à raison de la compo- sition si inégale de cette préparation, il faut, avant de s'en servir, s'être assuré par des expériences faites sur des individus sains ou sur des animaux, jusqu'à quel point on peut en élever la dose; si cet essai n'a pas été fait, il faut commencer par de très-faibles doses que Ton élève progressivement. Ainsi on pourra commencer par 6 à 8 milligrammes, et aller successive- ment jusqu'à 2, 5 et 7 centigrammes. Démine conseille d'employer des solutions de 5 à 10 centigrammes sur 100 gouttes d'eau et d'injecter chaque fois 10 gouttes de ce mélange. L'effet du curare se continue, d'après Demme, pendant quatre à cinq heures et commence ensuite à diminuer, condition qu'il faut bien avoir présente à l'esprit, pour répéter en temps opportun l'application du remède. Le plus essentiel est de transporter le malade dans un appartement éloigné de tout bruit, d'y maintenir l'air un peu humide et à une température égale et de mettre le malade à l'abri d'une lumière trop vive. ÉPILEPSIE, MORBUS SACER, HAUT MAL. 4-19 Contre le tétanos des nouveau-nés, on prescrit des bains de camomille, des lavements avec une goutte de teinture d'opium ; si le spasme est très- violent, on peut faire respirer avec beaucoup de précaution un peu de chlo- roforme. CHAPITRE III Épilepsie. — Morbus sacer. — liant mal. § 1. Patiiogénie et étiologie. V épilepsie ne saurait être considérée, ainsi que le tétanos et la chorée, -comme une névrose de pure motilité ; car, pour constituer une attaque d' épilepsie, il faut la suppression du sentiment et de la conscience, aussi bien que les convulsions. Si l'un ou l'autre de ces phénomènes vient à manquer, l'attaque est incomplète. Nous pouvons considérer comme positif que dans l'attaque d'épilepsie l'excitation des nerfs moteurs, qui se trahit par la convulsion, part de la moelle allongée et de la base du cerveau. Les preuves à l'appui de ce fait sont les suivantes : 1° l'interruption des fonctions des grands hémisphères -coïncidant avec les convulsions : il n'est pas à supposer que des hémisphères puissent partir des impulsions motrices pendant que l'excitabilité des cel- lules ganglionnaires et fibres nerveuses d'un autre ordre y est éteinte; 2° des spasmes qui ressemblent aux convulsions épileptiques peuvent être provoqués au moyen de l'appareil d'induction par une irritation prolongée des parties situées à la base du cerveau, tandis que cet effet ne se produit pas lorsqu'on irrite de la même manière les diverses parties des grands hémisphères; 3° dans leurs expériences plusieurs fois mentionnées, Kuss- maul et Tenner pouvaient provoquer chez les animaux des convulsions ab- solument semblables aux convulsions épileptiques, même après avoir extirpé les deux hémisphères ) k° enfin Schrœder vander Kolk a trouvé sur tous les cadavres d'individus épileptiques, après une durée plus ou moins longue de la maladie, à côté d'autres modifications inconstantes, une dilatation des capillaires artériels de la moelle allongée et un épaississement de leurs pa- rois. — L'état de la moelle allongée dans lequel elle provoque l'excitation la plus violente des nerfs moteurs qui en partent ou qui la parcourent, et que nous appellerons simplement un état d'irritation, doit probablement son origine à des influences de nature diverse. Les expériences faites par Kuss- jnaul et Tenner prouvent, il est vrai, qu'en empêchant l'afflux du sang ar- tériel au cerveau, on peut provoquer des accès d'épilepsie : mais elles ne prouvent pas que l'anémie artérielle du cerveau soil Yîmique cause des cou- 420 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. vulsions épileptiques. Schrœder van der Kolk se croit en droit d'admettre que les convulsions épileptiques dépendent essentiellement d'une exagéra- tion de l'afflux sanguin vers la moelle allongée. De plus, il se produit incon- testablement dans la moelle allongée, sans que son contenu sanguin soit augmenté ou diminué, et par le seul fait d'une altération des matériaux de la nutrition, du mélange de certaines substances avec le sang, un état d'ir- ritabilité morbide qui . provoque les convulsions épileptiques. De même, nous sommes forcés d'admettre que la moelle allongée peut aussi être mise dans cet état d'irritation morbide par la transmission d'un état d'excitation anormale provenant d'une région nerveuse éloignée, centrale ou périphé- rique. On sait que des névromes et des cicatrices ou des tumeurs, qui com- primaient des nerfs périphériques, ont entraîné l'épilepsie dans quelques cas à la vérité assez rares, et que l'épilepsie cessait aussitôt qu'on avait fait disparaître ces anomalies ou divisé les nerfs lésés. Peut-être les tumeurs cé- rébrales et d'autres maladies du cerveau peuvent-elles, d'une manière ana- logue, provoquer des accès d'épilepsie par la propagation lente de l'excita- tion morbide jusqu'à la moelle allongée. Cette supposition s'appuie sur des expériences très-importantes, faites dans ces derniers temps par Brown- Séquard, et d'après lesquelles, chez des chiens dont on avait lésé la moelle épinière, des accès d'épilepsie se déclaraient non immédiatement, mais quelque temps après la lésion. — Un fait difficile à expliquer, c'est qu'au lieu d'une excitation continue des nerfs moteurs, il ne se produit dans l'épi- lepsie que des paroxysmes séparés par des intervalles libres, qui sont souvent de longue durée. Ce phénomène aurait-il sa raison d'être dans une irritation qui n'atteindrait que par moments la moelle allongée? et serait-il un argu- ment en faveur de l'opinion en vertu de laquelle il faudrait voir la cause des accès épileptiques dans un spasme passager des muscles vasculaires et dans l'anémie artérielle qui en est la conséquence? Les empoisonnements du sang, l'irritation provenant de tumeurs éloignées et d'autres causes qui produisent l'épilepsie ne déterminent-elles alors les accès qu'en provoquant par mo- ments ce spasme des muscles vasculaires? Devons-nous comparer avec Schrœder van der Kolk les ganglions de la moelle allongée à une bouteille de Leyde ou à l'appareil électrique de certains poissons ? L'attaque d'épi- lepsie ressemble-t-elle à l'étincelle électrique jaillissant de la bouteille de Leyde ou à la décharge de l'appareil électrique de ces poissons, et les ganglions se chargent-ils en quelque sorte dans les intervalles pour des explosions nouvelles? Ou bien, enfin, la moelle allongée est-elle dans un état morbide continu, mais qui, pour donner lieu à l'attaque d'épilepsie, a besoin d'être exagéré par de nouvelles irritations passagères, se transmet- tant à la moelle et provenant de parties éloignées, du cerveau, de la moelle épinière des nerfs de la périphérie ou des nerfs viscéraux? Pour le moment ces faits ne peuvent être compris en aucune manière, et il serait parfaitement ÉPILEPSIE, MORBUS SACER, HAUT MAL. 421 oiseux de citer encore d'autres hypothèses imaginées pour les expliquer. Un fait tout aussi inexplicable et que nous avons déjà mentionné plus haut, c'est la complication constante de cet état d'irritation de la moelle al- longée par un état de paralysie des grands hémisphères. On a quelquefois pris la suppression du sentiment et de la conscience pour un état secondaire, provoqué par les convulsions. Les uns attribuaient cette suppression à une stase veineuse dans le cerveau, développée à la suite de la compression des veines du cou par les muscles contractés, d'autres la faisaient dépendre de l'accumulation de l'acide carbonique dans le sang, due à l'occlusion spas- modique de la glotte. Le fait que l'extinction du sentiment et de la con- science coïncide presque toujours avec l'apparition du spasme, que souvent, même elle précède ce dernier et que dans certains cas d'épilepsie incom- plète elle constitue l'unique signe de l'accès, suffit pour infirmer les deux hypothèses. De même, on doit considérer comme dénuée de preuves une autre explication donnée par Schrœder van der Kolk, et d'après laquelle, dans l'attaque d'épilepsie, les cellules ganglionnaires de la moelle allongée provoqueraient, en même temps que le spasme des nerfs cérébro-spinaux, un spasme des nerfs vaso-moteurs du cerveau, donnant lieu à l'anémie ar- térielle et à la paralysie de cet organe. La même remarque s'applique à la théorie de Henle qui admet une forme pléthorique et une forme anémique de l'épilepsie, et prétend que dans la première, à une hypérémie intense des grands hémisphères, entraînant des phénomènes de paralysie, correspond un degré d'hypérémie moindre de la moelle allongée, déterminant des phénomènes d'irritation, et que dans la forme anémique précisément le faible contenu des vaisseaux cérébraux provoque une congestion de la moelle allongée et le degré de turgescence vasculaire nécessaire pour pro- duire des phénomènes d'irritation. — Encore ici nous renoncerons à citer toutes les hypothèses que l'on a pu imaginer, et nous aimons mieux avouer que V antagonisme qui, dans les accès d'épilepsie, se révèle entre les grands hé- misphères et les parties du cerveau situées à la base, est absolument incompré- hensible. Notre ignorance sur la pathogénie de l'épilepsie ne donne qu'une valeur très-secondaire aux nombreux documents statistiques sur les causes prédis- posantes et déterminantes de l'épilepsie. Et en effet, nous ne connaissons pas une seule condition étiologique dont nous puissions dire d'avance avec certi- tude, qu'en exerçant son action sur le corps, elle aura pour conséquence l'épilepsie; nous sommes, au contraire, forcés de convenir que toutes les causes citées dans l'étiologie de l'épilepsie ne suffisent pas à elles seules à provoquer la maladie, et que ces causes n'ont leur effet qu'autant qu'une autre condition, encore inconnue, vient ajouter son action à la leur. — Les documents statistiques nous aprenncnl que l'épilepsie est une maladie très- r.'pandue, que, sur 1,000 individus, il \ a environ 6 épileptiques. — Los 422 MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. femmes y sont un peu plus sujettes que les hommes. — Aucun âge de la vie n'est complètement à l'abri de la maladie; dans la haute vieillesse l'épi- lepsie se développe rarement ; de même elle est rarement congénitale ou acquise dans les premiers mois de l'existence. — La prédisposition innée joue un rôle incontestablement très-considérable dans le développement de l'épi- lepsie. Cette prédisposition innée peut être constatée chez presque un tiers des malades. On la rencontre principalement chez les individus qui descendent de parents et surtout de mères épileptiques, mais aussi chez ceux dont les parents ont été atteints d'aliénation mentale ou adonnés à l'ivrognerie. Dans certaines familles plusieurs membres appartenant à des générations suc- cessives sont atteints d'épilepsie. Quelquefois le mal saute une génération et ce ne sont pas les enfants des parents épileptiques, mais les petits-enfants, qui contractent la maladie. Les individus cachectiques, les ivrogues, les masturbateurs deviennent plus souvent épileptiques que les individus sains et vigoureux, quoique ces derniers ne soient pas non plus toujours épargnés. — Parmi les causes occasionnelles, nous avons à nommer avant tout les émotions psychiques violentes, surtout la frayeur, la peur, la vue d'un accès d'épilep- sie. Dans plus d'un tiers des cas connus, la première attaque s'est déclarée immédiatement après une vive frayeur. — Les maladies de texture les plus fréquentes du crâne et du cerveau qui, de même que les émotions psychi- ques, entraînent F épilepsie, non constamment, mais avec le concours des- certaines conditions encore inconnues, sont l'asymétrie, le développement incomplet, les épaississements diffus et les exostoses du crâne, les épaississe- ments, les adhérences, les ossifications de la dure-mère, les tumeurs céré- brales, les foyers encéphalitiques, l'hydrocéphale chronique, l'hypertrophie du cerveau. Les modifications dans la glande pituitaire, que Wenzel consi- dérait comme constantes dans l'épilepsie, manquent dans la plupart des cas. — Les maladies de texture de la moelle épinière ont été trouvées plus rarement chez les épileptiques que les maladies du cerveau, sans doute parce que l'on a examiné la moelle épinière moins attentivement que le cerveau. — Les névromes, les tumeurs et les cicatrices, qui entraînent quelquefois l'épi" lepsie par la pression qu'ils exercent sur les nerfs périphériques, ont été mentionnés plus haut. — ■ D'une manière analogue, des états d'excitation anormale des nerfs sensibles, provoqués par une irritation plus ou moins forte de leurs terminaisons périphériques, peuvent également entraîner l'épi- lepsie. Selon que l'irritation porte sur les terminaisons nerveuses des organes thoraciques, des organes digestifs ou des organes génito-urinaires, on a dis- tingué diverses formes de l'épilepsie, une épilepsie cardiaque, pulmonaire, abdominale, néphrétique et utérine. On comprend facilement combien il est facile de se tromper quand on veut faire remonter l'épilepsie à un état d'irri- tation des organes que nous venons de nommer. La moins douteuse de toutes est l'épilepsie utérine, attendu qu'on remarque des transitions insen- ÉPILEPSIE, MORBUS SACER, HAUT MAL. 423 sibles de l'hystérie à l'épilepsie, et que certaines femmes deviennent épilep- tiques la première fois qu'elles se livrent au coït. Les vers intestinaux sont également, dans certains cas, une cause très-évidente d'épilepsie. § 2. Symptômes et marche. L'épilepsie est une maladie chronique, caractérisée par des accès con- vulsifs, accompagnés de perte de connaissance et séparés par des intervalles libres d'une durée variable et quelquefois fort longue. La perte de connais- sance, pendant l'attaque, implique l'insensibilité et l'impossibilité d'exécuter des mouvements volontaires. — Dans l'épilepsie incomplète, le petit mal des auteurs français, l'accès se passe ordinairement sans convulsions, ou ces dernières sont à peine marquées par quelques secousses isolées. Il ne peut évidemment être question d'épilepsie incomplète qu'autant que ces accès rudimentaires alternent avec des accès complets, ou se sont développés à la suite de ces derniers, ou que dans le cours de la maladie les accès rudimen- taires se sont transformés peu à peu en accès complets. Chez certains malades Y attaque d'épilepsie est régulièrement ou au moins le plus souvent annoncée par une aura. Ce phénomène doit son nom à la sensation d'un souftle qui, remontant des extrémités vers la tête, se trans- forme en accès. Toutefois cette sensation d'un souffle est accusée par le plus petit nombre comme le prodrome de l'accès. Bien plus souvent les malades accusent d'autres sensations : un fourmillement, une chaleur, un engourdissement ou une douleur particulière, aux endroits les plus variés, et qui, se propageant de là au cerveau, préparent l'accès et reçoivent le nomd'aura épileptique. Au lieu de ces « signaux sensibles, » il va quelque- fois des spasmes partiels ou des paralysies partielles qui précèdent l'accès, phénomène que, pour le distinguer de l'aura sensible dont il vient d'être question, on a appelé aura motrice. Enfin, dans d'autres cas encore, l'accès est précédé de phénomènes anormaux dans les organes des sens : halluci- nations, vue d'étincelles etde couleurs, bourdonnements d'oreilles, sensation d'une détonation ou d'autres bruits, quelquefois même la vue de fantômes plus ou moins bizarres qui viennent visiter le malade régulièrement avant chaque accès. Cette forme, l'aura sensoriale et psychique, ne prouve nul- lement que l'épilepsie soit d'origine centrale, en ce sens qu'elle aurait été provoquée par des modifications appréciables du cerveau, absolument comme l'apparition d'une aura aux extrémités ne peut être considérée comme une preuve de l'origine périphérique de la maladie. Un fait étonnant, c'est que l'on parvient quelquefois à prévenir l'attaque d'épilepsie en isolant en quel- que sorte l'endroit où se déclare l'aura par un lien solidement appliqué au- ik-ssus; les expériences mentionnées plus haut, de Brown-Séqùard, prou- 424 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. vent, jusqu'à un certain point, que ce n'est pas là non plus un argument à citer en faveur de l'origine périphérique de l'épilepsie; en effet, dans ces expériences on s'est assuré que chez les chiens que l'on avait rendus artifi- ciellement épileptiques par la lésion de la moelle épinière, on pouvait pro- voquer une attaque d'épilepsie toutes les fois que l'on irritait la peau dans le domaine de certaines ramifications du nerf trijumeau : on ne peut pas savoir si chez ces chiens l'accès était précédé d'une aura, mais on peut en tirer la conclusion certaine que même dans les cas où chaque accès particulier procède d'une excitation périphérique, la maladie elle-même peut être due à des modifications de texture appréciables des organes centraux. L'explosion de l'accès, précédé ou non d'une aura, est ordinairement signalée par un cri perçant. Au même instant le malade tombe à terre, sans mouvement, ordinairement en arrière ou sur le côté. Il n'a presque jamais le temps de se choisir un endroit convenable mais tombe sans se garantir le moins du monde, souvent aux endroits les plus dangereux, contre un four- neau, sur une arête vive, du haut d'un escalier. Il est peu d' épileptiques qui après une durée plus ou moins longue de leur maladie ne portent des traces de lésions plus ou moins fortes. Après la chute il se produit ordinai- rement d'abord des contractions ayant un caractère tonique, par lesquelles le corps et les extrémités sont tendus, la tête tirée en arrière ou de côté, la bouche convulsivement fermée, les ye.ux largement ouverts, roulés en haut ou en dedans, le thorax immobilisé et les mouvements respiratoires com- plètement arrêtés. Déjà au bout de quelques instants, pendant lesquels les veines jugulaires euflent et la face devient bleuâtre, les spasmes toniques se transforment en spasmes cloniques ; ceux-ci s'étendent rapidement à tout le corps. La face, tout à l'heure encore immobile, exécute les mouvements les plus variés, les commissures des lèvres sont tiraillées de côté et d'autre, le front et les sourcils sont agités par des secousses, l'œil s'ouvre et se ferme alternativement, les mâchoires sont tantôt pressées convulsivement l'une contre l'autre, tantôt tirées de côté et d'autre; on entend le grincement des dents. 11 n'est pas rare que des dents soient cassées, la langue mordue, quelquefois même il se produit une luxation de la mâchoire inférieure. Devant les lèvres se présente la salive battue en écume par les mouvements continuels de la bouche et souvent mêlée d'un sang provenant des lésions de la langue et des joues. La tête est tirée par secousses à droite, à gauche, en avant et en arrière. Les contractions spasmodiques des muscles du tronc jettent le corps dans divers sens. Dans les extrémités, surtout les extrémités supérieures, il se produit alternativement des mouvements violents, comme si le malade voulait pousser ou frapper quelqu'un, ou bien des secousses, des torsions tellement fortes qu'il peiU en résulter des luxations ou des fractures. Les doigts sont ordinairement fléchis et le pouce recouvert par les quatre doigts, qui le fixent convulsivement clans la paume de la main, phénomène ÉP1LEPSIE, MORBUS SACER, HAUT MAL. 425 considéré à tort comme pathognomonique par les personnes étrangères à la médecine. — Pendant la durée de l'accès il semble quelquefois que la vio- lence des spasmes diminue et que l'attaque va cesser ; mais bientôt à cette rémission succède une aggravation nouvelle et c'est alors seulement que les secousses atteignent leur plus grande violence. De même il arrive quel- quefois qu'un état tétanique pareil à celui qui ouvre l'attaque vient inter- rompre pendant quelques moments les convulsions. — Pendant toute la durée de l'attaque la respiration est fortement en souffrance à raison de l'obstacle que les spasmes toniques et cloniques des muscles de l'appareil respiratoire opposent à la dilatation et au retrait régulier du thorax. Cela est encore bien plus le cas quand la glotte se trouve fermée par le spasme des muscles intrinsèques du larynx. Le choc du cœur est accéléré comme pendant d'autres actions musculaires extraordinaires, le pouls ordinaire- ment petit, quelquefois même irrégulier, la peau couverte de sueur. Souvent le malade évacue involontairement les selles et l'urine, plus rarement il se produit des érections et des pollutions. La conscience est si complètement éteinte pendant toute la durée des convulsions que le malade, même s'il tombe contre un fourneau rouge ou dans le feu, au point que ses membres se carbonisent, ne revient pas à lui et ne trahit aucune douleur. — Les avis sont partagés sur l'état de l'activité réflexe pendant la durée de l'accès. J'avoue que danslesaccès violents il me semble très- difficile de s'en assurer. Dans les accès qui sont faibles dès le commencement et pendant le déclin d'accès violents, mes propres observations se sont trouvées parfaitement d'accord avec celles deRomberg, qui a vu les phénomènes réflexes persister pendant l'accès. Les malades fermaient vivement les yeux quand on touchait la conjonctive, ils frémissaient quand on leur aspergeait la face avec de l'eau froide. Une remarque très-étrange et très-difficile à expliquer est celle de Hasse qui a trouvé chez un malade la contractilité électrique éteinte, pen- dant l'accès, dans les muscles du thorax et des extrémités. — Après avoir duré d'une à dix minutes, un quart d'heure au plus, espace qui, à la vérité, paraît beaucoup plus long à ceux qui entourent le malade, l'accès s'éteint peu à peu, les secousses deviennent de plus en plus faibles et finissent par cesser entièrement; ou bien il se fait un arrêt brusque et un relâchement complet succède soudainement aux contractions spasmodiques des muscles. Très- souvent l'accès se termine par une expiration longue et suspirieuse, plus rarement par des vomissements, des renvois, par une expulsion de vents ou une selle copieuse. 11 est très-rare qu'un bien-être parfait succède immédiatement à une forte attaque d'épilepsie ; ordinairement les malades tombent après l'attaque dans un profond sommeil avec respiration lente et stertoreuse, dont <>n "<' peut les tirer qu'en les secouant violemment. Si on les réveille de cette ma- nière, ils jettent autour d'eux un regard étonné, hébété ou inquiet; ils 426 MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. ignorent absolument ce qui vient de se passer et ont de la peine à concevoir qu'ils se trouvent dans un appartement étranger, au lit, ou blessés. Ils ne demandent qu'une chose, qu'on les laisse dormir. Le lendemain matin ils sont encore un peu fatigués, tristes ou de mauvaise humeur, ils se plaignent qu'ils ont la tête embarrassée, mais ils peuvent dès ce moment retourner à leurs affaires et le reste de la maladie dont nous venons de parler se perd dans le courant de la journée. De nombreuses modifications se produisent dans le cours de l'attaque en quelque sorte normale que nous venons de décrire, modifications qui se rapportent à la durée, à la violence et à l'étendue des convulsions. Mais des modifications plus importantes sont celles qui concernent les suites immédiates de l'accès. Tandis que c'est la règle que, dès le lendemain de l'attaque les malades peuvent reprendre leurs occupations, il en est cependant plusieurs qui conservent soit après chaque accès, soit après des accès particulièrement violents et souvent répétés des dérangements intellectuels et des troubles de l'innervation de diverse nature. Les premiers peuvent consister en véritables accès de manie. On est alors forcé d'appliquer la camisole de force, soit pour le protéger lui-même, soil pour mettre son entourage à l'abri de ses violences ; quelquefois même on est forcé de recourir au pénible et cruel expédient de le faire détenir dans une maison d'aliénés, même dans les intervalles libres, uniquement parce que l'on sait qu'à l'attaque suivante la manie furieuse recommencera. Dans d'autres cas l'accès est suivi d'un état qu'on désigne ordinairement sous le nom de manie incomplète, se tradui- sant par exemple par un besoin irrésistible de courir. Dans d'autres cas encore on ne remarque chez le malade qu'un état d'excitabilité anormale qu'on ne lui connaît pas dans d'autres moments et qui le fait entrer en fureur à la plus légère occasion. Enfin il peut arriver qu'après chaque accès la mémoire soit affaiblie pendant quelques jours "et que le malade ait, pen- dant ce temps, les idées moins nettes et moins pénétrantes. — Mentionnons encore que quelques observateurs ont trouvé un état tout opposé à celui que nous venons de nommer, c'est-à-dire une intelligence plus pénétrante et plus lucide. — Parmi les troubles de l'innervation nous avons déjà mentionné antérieurement cette paralysie passagère ou permanente des extrémités qui peut-être se laisse expliquer par l'épuisement de l'excitabilité nerveuse con- sécutif à l'excitation exagérée. En outre l'accès est parfois suivi d'aphonie, de disphagie, d'accès d'asthme. En fait d'épilepsie incomplète on distingue, surtout en France, deux formes, suivant que l'abolition de la conscience est encore accompagnée de quelques vestiges de convulsions ou que ceux-là même font défaut. Dans la première forme, le petit mal, le malade est souvent saisi de vertige au milieu d'une occupation ou d'une conversation, mais il lui reste le temps de s'asseoir ou bien il se met à chanceler et se laisse tomber à terre, lentement et sans ÉPILEPSIE, MORBUS SACER, HAUT MAL. 427 pousser un cri. La face est pâle, ses yeux fixes, quelques légers spasmes lui parcourent le visage. Les extrémités, surtout les extrémités supérieures se mettent à trembler légèrement. Au bout de peu d'instants déjà le malade se remet, jette un regard étonné autour de lui, ne se rappelle rien de ce qui xient de se passer et prononce souvent quelques paroles confuses, enfin, au bout de trois ou quatre minutes ces troubles se dissipent à leur tour et le malade peut reprendre ses occupations sans avoir passé par un état sopo- reux. — Dans la seconde forme, encore plus légère et plus rudimentaire, le vertige épileptique, le malade ne tombe pas à terre ; son intelligence seule s'obnubile, son regard devient fixe, sa face pâle, il n'a pas de secousses, mais laisse tomber ce qu'il tient dans la main et s'arrête court au milieu de sa conversation. Au bout de quelques secondes l'accès est passé et le malade continue, comme si rien n'était arrivé, son travail ou la conversation com- mencée. — Bien des formes de transition existent entre le vertige épilep- tique, le petit mal et l'attaque complète d'épilepsie, transitions que nous renonçons à décrire. Quant à la marche d'ensemble de la maladie et à l'état des individus en dehors des attaques, il est difficile d'en donner une description abrégée. Plus haut, nous avons appelé l'épilepsie une maladie chronique. De là il résulte que les cas dans lesquels le premier accès n'est pas plus tard suivi d'accès nouveaux ne peuvent guère être considérés comme des cas d'épi- lepsie, qu'il faut au contraire les considérer comme appartenant à l'éclampsie, c'est-à-dire à une forme morbide qui ne se distingue de l'épilepsie que par sa marche aiguë. Les pauses entre les divers accès diffèrent beaucoup selon les individus. Chez quelques malades il se passe une et même plusieurs années, chez d'autres des mois et des semaines avant l'explosion d'un accès nouveau; enfin, chez d'autres, il se produit un et même plusieurs accès par jour. Très-souvent, après un repos d'un mois à six semaines, il ne se pro- duit pas un accès unique, mais un groupe de petits accès séparés par de courts intervalles. En général, il y a une certaine uniformité dans la lon- gueur des intervalles chez un seul et même individu, quoiqu'à la vérité dans le cours de la maladie les accès tendent à se rapprocher, surtout chez les jeunes sujets. Un type absolument régulier dans la succession des atta- ques ne s'observe jamais ou seulement d'une manière très-passagère. Un l\pe approchant de la régularité s'observe chez les femmes qui n'ont d'accès qu'à l'époque des règles. Chez certains individus les attaques survicnncnl pendant le jour, chez d'autres plutôt pendant la nuit, et l'épilepsie nocturne passe pour être particulièrement maligne et opiniâtre. Pour la plupart des accès il est impossible de trouver des causes occasionnelles qui auraient pu les provoquer. Cependant, à côté des attaques spontanées, il y en a toujours encore d'autres qui sont manifestement provoquées par des émotions pa- cifiques, surtout des frayeurs, en outre par L'onanisme, le coït cl, comme 428 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. nous l'avons dit plus haut, par la menstruation. Quelquefois on s'aperçoit au changement d'humeur des malades, à la pesanteur qu'ils accusent dans les membres, à leurs maux de tète et à leurs vertiges que sous peu ils auront un accès. Au début de la maladie les accès qui surviennent sont ordinairement des accès complets, plus tard, et surtout dans les formes invé- térées, des accès incomplets alternent avec des accès complets. Plus rare- ment des accès incomplets se montrent au commencement et ne se trans- forment en accès complets que par la suite. — Nous avons vu que dans quelques cas les accès isolés entraînent des troubles passagers de l'intelli- gence, mais bien plus souvent encore il se développe dans le cours d'épilep- sies de longve durée, des maladies mentales continues et incurables, telles que les diverses formes de la manie, la démence. Mais en faisant même abstraction du grand nombre d'épileptiques qui terminent leur existence dans les maisons d'aliénés, l'habitus psychique et physique est plus ou moins modifié à la longue chez tous par ce morbus sacer que les anciens faisaient dépendre de la colère des dieux. La rectitude du jugement s'altère, la mémoire et l'imagination diminuent, les sentiments doux et généreux s'effacent de plus en plus, et à leur place surgissent des passions désordon- nées, des appétits féroces, la luxure, la voracité qui trop souvent entraînent les malades à des actes violents et criminels. Souvent l'épileptique se retire du commerce des hommes, son humeur devient bizarre et capricieuse, et un rien suffit pour le faire entrer dans une colère effrénée. De même, après une longue durée, l'épilepsie modifie souvent l'aspect extérieur des ma- lades. Esquirol appelle l'attention sur les traits grossiers, les paupières gon- flées, les lèvres épaisses, le regard incertain et les formes massives des épileptiques, et il accuse la maladie de rendre laid le plus beau visage. Parmi les terminaisons de l'épilepsie, la guérison est rare quoi qu'en disent quelques observateurs, entre autres Herpin. Plus l'épilepsie dépend manifestement d'une prédisposition congénitale ou coïncide avec des mala- dies de texture graves du cerveau, plus la durée de la maladie a été longue, plus les accès sont violents, plus ils se répètent souvent, plus le trouble qu'elles laissent à leur suite est profond, moins il y a de chances de gué- rison. Chez les femmes, cette terminaison paraît être un peu plus fréquente que chez les hommes, de même la maladie peut guérir plus facilement chez les enfants et les vieillards que chez les individus d'âge moyen. Il faut se garder de fonder des espérances trop hardies sur une longue absence d'attaques, attendu qu'il est rare que la maladie s'éteigne subitement avec un dernier et violent accès. On peut espérer davantage quand on s'aperçoit que les attaques deviennent non-seulement plus rares, mais encore plus faibles, et qu'un changement notable s'est produit dans l'état physique et psychique du malade. Chez quelques femmes, mais non chez toutes, les attaques cessent tant qu'elles sont enceintes. Presque constamment une ÉPILEPSIE, MORBUS SACER, HAUT MAL. 429 pause semblable s'observe pendant la durée des pyrexies aiguës. Dans quel- ques cas, une maladie intercurrente aiguë, la première apparition ou la cessation des règles, des émotions psychiques violentes ont arrêté la maladie et amené une guérison définitive. Une influence semblable paraît quelque- ibis pouvoir être produite par l'éruption d'un exanthème ou par la réouver- ture d'un ulcère guéri. — Mais s'il est vrai que les épileptiques sont rarement guéris de leur maladie et si en moyenne ils n'arrivent pas à un âge bien avancé, il en est cependant trèsq>eu qui meurent, au milieu de l'accès, de l'arrêt de la respiration ou d'une hémorrhagie cérébrale, ou bien, pendant l'état comateux qui suit l'accès, d'une paralysie générale. Le plus souvent les malades succombent finalement aux progrès de la ma- ladie cérébrale qui a donné naissance à l'épilepsie ou bien aux lésions qu'ils se sont attirées pendant leurs attaques, et avant tout à des maladies aiguës et chroniques qui n'ont aucun rapport avec l'épilepsie. En parlant de l'hystérie, nous insisterons sur la différence qui existe entre les convulsions épileptiques et les convulsions hystériques. — Selon ma conviction, il n'est pas possible de tirer une ligne de démarcation bien nette entre l'éclampsie et l'épilepsie. En effet, on a bien vu quelques au- teurs attribuer à l'éclampsie les convulsions qui se produisent dans l'intoxi- cation urémique traînée en longueur, tandis que d'autres les attribuent à l'épilepsie. — Il est facile de démasquer les individus qui simulent la ma- ladie. L'insensibilité, il est vrai, est souvent feinte assez habilement, et il ne faut pas s'imaginer que tous les imposteurs vont contracter le visage aussitôt qu'on les pique, brûle ou pince; mais il est rare qu'une réaction de ce genre se fasse attendre lorsqu'on leur cause inopinément une vive douleur. Un moyen aussi pratique qu'original est celui de Watson, qui con- siste à ordonner à haute voix à l'infirmier de verser de l'eau chaude sur les pieds du malade après avoir donné l'ordre secret de substituer à l'eau chaude de l'eau glacée. Presque tous les individus qui simulent prolongent trop l'accès, et ils mettent un soin et une précipitation, qui frappent immé- diatement, lorsqu'on les observe de près, à imiter certains phénomènes qui passent pour pathognomoniques, tels que la flexion du pouce dans le creux de la main, la conversion de la salive en écume et l'expulsion de cette der- nière de la bouche. On doit tenir pour très-suspect un individu qui prétend être depuis longtemps épileptique et chez lequel on ne trouve ni à la langue ni sur le corps la moindre trace de lésion. Très-souvent la simulation se reconnaît à la manière inexacte dont ils décrivent l'aura, que la plupart de ces individus veulent faire rentrer dans leur comédie, parce qu'ils la con- sidèrent comme devant nécessairement faire partie intégrante de l'attaque d'épilepsie; en voulant reproduire ce phénomène, ils nous rendent souvent témoins des choses les plus curieuses. La preuve la plus certaine que l'accès n'est pas simulé, c'est la dilatation de la pupille, malgré le contact d'une Û30 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. vive lumière; aucun imposteur ne peut produire artificiellement ce phé- nomène. § 3. Traitement. Comme mesure ipr-ophy,lçtfitique contre l'épilepsie, Romberg recommande d'empêcher les mariages entre individus appartenant à des familles dans lesquelles l'épilepsie est héréditaire. Jamais non plus, d'après lui, une mère épileptique ne devrait allaiter elle-même son enfant, mais le confier à une nourrice vigoureuse. Dans le traitement de l'épilepsie il est particulièrement difficile de rem- plir l'indication clausale. Abstraction faite des cas où les anamnestiques ne nous fournissent aucun renseignement sur l'étiologie, nous ne connaissons, même dans les cas où ces renseignements sont relativement très-complets, que quelques faits étiologiques d'une valeur secondaire et il n'est nullement • commun de voir disparaître l'épilepsie après l'éloignement de ces causes. Le plus souvent une épilepsie dont l'invasion a été manifestement provo- quée par des parasites intestinaux ou par un névrome persiste même après l'expulsion des vers ou l'extirpation du névrome, de même qu'une épilepsie qui a pris naissance après une vive frayeur persiste presque toujours dans les cas même où de nouvelles frayeurs sont épargnées au malade. Cepen- dant ces faibles chances de succès ne doivent pas nous empêcher de tenir avant tout compte, dans le traitement de l'épilepsie, de toutes les conditions qui peuvent avoir joué un rôle, quelque minime qu'il fût, dans la produc- tion de la maladie. L'expérience nous apprend qu'une telle manière d'agir peut conduire, rarement il est vrai, à des résultats heureux. Le peu de sûreté de tous les remèdes préconisés contre l'épilepsie fait que ces cas exceptionnels ont leur importance et doivent guider notre manière d'agir. Il est de notre devoir, quand nous nous chargeons de traiter un épileptique, de régler, avant de recourir aux prétendus spécifiques, les conditions exté- rieures du malade, ses habitudes, son état physique de telle façon que toute condition pouvant seulement être soupçonnée de contribuer au développe- ment de l'épilepsie, soit tenue rigoureusement éloignée de lui. Ainsi, entre autres, comme les individus faibles et cachectiques sont plutôt prédisposés à l'épilepsie que les individus sains et robustes, il y a lieu d'interdire aux malades un travail intellectuel exagéré et épuisant, et de leur recomman- der plutôt une activité modérée qui n'exclut pas les exercices musculaires. Il ne faut pas que des enfants épileptiques passent six heures de la journée sur les bancs de l'école; il faut au contraire les faire vivre, autant que pos- sible, à la campagne, les laisser passer la plus grande partie de la journée à l'air et leur faire" prendre des bains froids sous une surveillance active. — ÉPILEPSIE, MORBUS SAGER, HAUT MAL. 431 il faut encore s'assurer si les malades n'abusent pas des jouissances sexuelles, «'ils ne s'adonnent pas à la masturbation, à l'ivrognerie, et, quand on dé- couvre un vice de cette nature, le combattre avec une inexorable sévérité. — Si les malades présentent des symptômes d'hydrémie et d'anémie, il y a lieu de prescrire du vin et des préparations ferrugineuses en même temps ■qu'un régime fortifiant et le séjour à l'air. — Si l'appauvrissement du sang et la cachexie dépendent d'une diathèse scrofuleuse ou rachitique, ou d'une syphilis tertiaire, il faut qu'on soumette ces maladies à un traitement rationnel. — Si l'on soupçonne une pléthore, il faut restreindre l'alimen- tation, prescrire un régime plus particulièrement végétal, faire boire de l'eau aux malades et leur recommander de se donner le plus de mouve- ment possible; les saignées doivent au contraire être évitées, parce que les épileptiques, tout en supportant bien la plupart des médicaments, surtout les vomitifs, se trouvent mal des émissions sanguines. — Si l'on découvre des cicatrices, des tumeurs, des corps étrangers, qui exercent une pression sur un nerf périphérique, ou bien des névromes, il y a lieu de recourir à des opérations chirurgicales. 11 est surtout nécessaire d'opérer quand une aura a pour point de départ les endroits qui correspondent à ces lésions ner- veuses. L'expérience que bien souvent des névromes et des tumeurs ont été extirpés dans ces conditions, sans qu'il en résultât un changement quel- conque dans les allures de l'épilepsie, ne doit pas nous empêcher d'opérer, vu les résultats très-positifs obtenus dans d'autres cas par les moyens chi- rurgicaux. — ■ Contre les formes de l'épilepsie qui dépendent d'une maladie organique du cerveau et du crâne, on a beaucoup vanté l'application de sé- tons ou de moxas et les frictions avec de la pommade stibiée, faites dans la nuque. On a encore recommandé dans ces cas les mêmes frictions sur le cuir chevelu et même la trépanation. Nous reviendrons, en parlant de l'in- dication de la maladie, sur ces moyens et sur les principes qui doivent nous guider dans leur emploi. On peut s'expliquer, dans le cas où une tumeur, une esquille osseuse, une exostose ou quelque autre affection a rétréci l'es- pace intracrànien, l'influence utile que doit avoir la trépanation, non-seule- ment sur la maladie elle-même, mais encore sur les attaques d'épilepsie qui en dépendent, en songeant que la trépanation fait en quelque sorte de la place au cerveau et à ses vaisseaux. — Lorsqu'on soupçonne une épi- lepsie abdominale duc à la présence de vers intestinaux, il faut administrer des anthelmintiques; toutefois on se gardera de donner un encouragement trop absolu aux espérances de guérison déjà trop vives que les malades con- çoivent aussitôt qu'ils découvrent des fragments de taenia dans leurs selles. Il n'est pas impossible que d'autres formes d'épilepsie abdominale soient guéries par l'usage des eaux de Karlsbad, Maricnbad, etc. (Ronibcrg.) — S'il y a épilepsic utérine, il faut traiter, d'après les principes antérieurement <5mis, l'infarctus chronique de l'utérus et les excoriations à l'orifice de la 432 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. matrice. C'est précisément dans cette forme que le traitement causal sem- ble procurer les résultats relativement les plus favorables. Pour remplir l'indication de la maladie, Schrœder van der Kolk recom- mande avec instance des émissions sanguines répétées au moyen de ven- touses et de sangsues, et plus tard l'application de vésicatoires, de cautères et de sétons à la nuque. Cet observateur considère les moyens que nous venons de nommer comme les seuls rationnels, parce qu'il les croit seuls capables de modérer l'irritabilité de la moelle allongée et d'en prévenir les congestions. Tous les autres remèdes ne peuvent servir d'après lui qu'à seconder le traitement, en agissant sur les causes éloignées, sur les états pathologiques qui existent dans les viscères abdominaux ou dans le cerveau. Qu'on se rallie à cette théorie ou non, il n'en est pas moins vrai que les succès obtenus par Schrœder van der Kolk avec son traitement doivent nous inviter fortement à en faire l'essai. Dans deux cas graves, mais encore assez récents d'épilepsie, dansjesquels je faisais par intervalles de quinze jours à un mois appliquer quatre sangsues à la nuque et entretenir l'écoulement à l'aide de ventouses élastiques, l'influence favorable de ce moyen sur le nombre et la violence des accès était si frappante que je ne pouvais pas me décider à abandonner les émissions sanguines pour en venir aux révulsifs et aux remèdes internes. Si les mesures dont il a été question à l'occasion de l'indication causale et le moyen que nous venons de recommander restent sans effet, il n'y a plus qu'à en venir à l'usage des remèdes que l'on a recommandés à titre de spécifiques contre l'épilepsie. Ce serait se montrer par trop pessimiste, si l'on voulait nier que la recommandation de ces remèdes s'appuie sur un nombre plus ou moins considérable de succès obte- nus par leur administration ; mais par malheur nous sommes forcés d'avouer que nous ignorons absolument dans quelles conditions tel spécifique doit être pré- féré à tel autre. Le médecin le plus instruit et le plus expérimenté n'est pas plus avancé sous ce rapport que celui qui fait les premiers pas dans la car- rière médicale ; toujours on est forcé de tenter un essai avec un de ces remèdes et d'en employer un autre si le premier n'a pas réussi ; jamais nous ne devons, en face d'une maladie aussi terrible, renoncer à la lutte par pur raisonnement. Pour ce qui concerne l'emploi des anesthésiques et des nar- cotiques, nous pouvons, en exceptant toutefois l'atropine, nous rallier à l'opinion de Schrœder van der Kolk qui les rejette, et aux raisons qu'il donne à l'appui de cette opinion : « Il ne s'agit pas, dit-il, chez les épilep- tiques, de faire disparaître une sensibilité exagérée ou une douleur, mais de diminuer l'excitabilité réflexe exagérée et par cela même les mouvements convulsifs ; or les médicaments narcotiques ne font qu'exagérer l'excitabilité réflexe, et cela est tellement vrai, qu'administrés à doses élevées, ils pro- voquent même les convulsions. Même le chloroforme suspend, il est vrai, le sentiment, mais généralement il exalte l'excitabilité réflexe ; un individu ÉPILEPSIE, MORBUS SACER, HAUT MAL. 433 soumis à son influence ressemble à une grenouille décapitée, privée de sentiment, mais présentant par contre une activité réflexe d'autant plus énergique. » — L'atropine est une substance très-offensive, mais dans les cas même les plus enracinés d'épilepsie, elle paraît exercer pour ainsi dire constamment une influence heureuse sur le nombre et la violence des accès. — Dans les cas invétérés je n'ai pas obtenu une guérison complète ; dans les cas récents je n'ai pas encore employé l'atropine. D'ailleurs, quel- ques-uns de mes malades accusaient déjà à la dose de 1 milligramme, non- seulement des troubles visuels, qui les empêchaient d'entreprendre l'ou- vrage manuel le plus simple, mais encore une sécheresse dans la gorge qui durait plusieurs heures et ne leur permettait pas, pendant ce temps, de prendre des aliments solides. Trousseau, qui considère l'atropine comme le remède le plus efficace contre l'épilepsie, donne, avec la profondeur et la précision qui le distinguent, les prescriptions suivantes : on fait préparer 100 pilules contenant chacune 1 centigramme d'extrait et 1 centigramme de poudre de feuilles de belladone. Pendant un mois le malade prend chaque jour une de ces pilules : le matin, si les accès ont lieu surtout dans la journée, le soir, si les accidents surviennent particulièrement la nuit. Chaque mois, on donne une pilule de plus, et l'on arrive ainsi à donner 5, 10, 15, 20 pilules et au delà. Quelle que soit la dose, toujours elle doit être administrée en une fois. Lorsque la névrose paraît heureusement se modifier, on maintient d'abord la dose administrée en dernier lieu ; puis on descend suivant une progression inverse. La première condition du succès est la patience de la part du médecin aussi bien que du malade. A la place des pilules on peut aussi employer, d'après Trousseau, une solution d'atro- pine (5 centigrammes) dans eau-de-vie blanche (5 grammes), dont une goutte correspond à une des pilules citées plus haut. On commence donc par une goutte, et on va en augmentant jusqu'à 20 gouttes, comme pour les pilules. — Parmi les modificateurs métalliques du système nerveux les préparations de zinc sont celles qui jouissent de la plus grande vogue. Dans ces derniers temps on a substitué à l'oxyde de zinc qui s'administrait autre- fois à des doses énormes, jusqu'à 8 grammes par jour les sels de zinc, sur- tout le valérianate, le cyanure, et avant tout l'acétate de zinc. Au commen- cement on administre ce dernier à la dose de 60 centigrammes par jour, plus tard on augmente la dose ; c'est dans les cas récents, chez les individus jeunes et dans l'épilepsie dite abdominale ou utérine, que ce remède est réputé le plus efficace. — En faveur du nitrate d'argent, nous citerons l'au- torité de Heim et de Romberg; on administre ce remède à des doses s'éle- vant successivement à 10 et même à 20 centigrammes par jour, maison aura, soin de ne pas continuer jusqu'à production d'argyrie, cette coloration particulière de la peau qui est l'effet de l'administration longtemps conti- nuée du nitrate d'argent. Le sulfate de cuivre ammoniacal s'emploie, de nos RIEMEYEIt. U. — 28 434 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. jours, rarement contre l'épilepsie, de même q*ue l'arsenic. — En fait d'an- tispasmodiques végétaux on a particulièrement vanté l'armoise vulgaire et la valériane. La première se donne à la dose de 25 à 50 centigrammes, sous forme de poudre, ou bien infusée dans delà bière à la dose de k à S grammes. La valériane se donne d'abord à la dose de h grammes, et plus tard,, en augmentant progressivement, à la dose de 15 grammes en poudre ou en électuaire. — Le remède qui, de nos jours, a été le plus souvent employé contre l'épilepsie, est le bromure de potassium. Plusieurs observa- teurs dignes de foi assurent avoir obtenu des résultats surprenants par l'em- ploi longtemps continué de cette substance ; cependant il ne manque pas non plus d'observateurs qui disent que ce médicament a complètement échoué entre leurs mains. Mes expériences sur l'efficacité du bromure de potassium contre l'épilepsie se sont considérablement accrues dans ces der- niers temps, et je puis me prononcer à ce sujet d'une manière beaucoup plus catégorique qu'à l'époque où je rédigeais la septième édition de cet ouvrage. Yoici les circonstances qui m'engageaient à employer ce remède aussi souvent que possible et à en contrôler les effets : J'avais appris que deux cas d'épilepsie invétérée, que j'avais observés pendant des années et traité sans aucun succès, avaient été complètement guéris par un soi-disant spécialiste, dont on pouvait lire les annonces non-seulement à la quatrième page des grands journaux, mais encore dans la plupart des petites feuilles de province, te suivais la chose de plus près, et chez une des malades, sur l'état de laquelle sa gouvernante tenait depuis des années un journal exact et que depuis cette époque je n'ai pas perdue de vue, je pouvais constater rigoureusement que les accès ne se sont pas déclarés pendant un grand nombre de mois et que l'état général, qui était très-niauvais, s'est sensi- blement amélioré. Gomme ce médecin spécialiste ne voulait pas céder aux prières répétées de ses malades de diminuer le prix élevé de son remède pour les malades pauvres ou d>'en communiquer la recette, je priai mon collègue Hoppe-Seyler d'analyser une bouteille de ce remède. Il trouva que cette mixture bleue consistait en une solution de bromure de potassium (6,00 sur 180,00), colorée par un peu d'indigo. La dose que mes deux malades avaient prise de ce remède était très-considérable. Au début, elles ne pre- naient, il est vrai, que deux cuillerées par jour; mais après dix jours elles en prenaient quatre, et après dix autres jours, six; plus tard on augmentait la dose moins rapidement, mais cependant ces malades arrivaient peu à peu à prendre dix, quinze, vingt cuillerées par jour. De cette façon on a pu voir que dans ce cas encore, comme du reste dans presque tous ceux où des médecins soi-disant spécialistes atteignent des succès avec leurs remèdes secrets, ce n'est pas la nature du remède, mais son mode d'emploi qui constitue le secret ; et je me crois en droit de supposer que la contra- diction manifeste qui existe entre les diverses opinions sur l'action du bro- ÉPILEPSIE, MORBUS SAGER, HAUT MAL. 435 mure de potassium, dépend en grande partie, de ce que cette substance n'a [tas été employée par les différents expérimentateurs avec la même persis- tance, ni aux mêmes doses. Je me suis décidé alors à employer le bromure de potassium dans des cas aussi nombreux que possible et cela exactement d'après les recommandations données par ce spécialiste à ses malades, et j'ai engagé d'autres médecins à suivre exactement le même procédé dans leur clientèle. Aujourd'hui déjà, après un petit nombre d'années consacrées à cette expérience, je suis convaincu que le bromure de potassium continué pendant longtemps et à fortes doses, ne guérit pas, il est vrai, tous les cas d'épilepsie, mais que dans un grand nombre de cas il supprime pour long- temps les accès, et que dans quelques cas il fait même disparaître les troubles déjà assez avancés des fonctions psychiques. Pendant ces dernières années, j^. n'ai remarqué ni dans mes propres observations ni dans celles qui m'ont été transmises, des cas d'insuccès absolu, c'est-à-dire des cas où les intervalles entre les accès ne soient pas devenus plus longs. Même dans ceux où le bromure de potassium n'a été d'aucune utilité pendant un trai- tement extérieur, l'amélioration se fit sentir dès que les malades prenaient huit à dix cuillerées par jour de la solution indiquée plus haut. Plusieurs fois j'ai observé uni exanthème papuleux à la suite de l'usage longtemps continué du bromure de potassium, dans un cas c'était une furonculose étendue, qui disparut après la suspension du traitement et qui revint plus tard, alors que le malade avait* repris pendant quelque temps du bromure. Quelques malades- se plaignaient, après l'usage longtemps continué de grandes doses, de perte d'appétit, de lourdeur de tête et de phénomènes catarrhaux dans les organes respiratoires, symptômes semblables à ceux qui suivaient l'usage longtemps continué des préparations iodées. Enfin, dans deux cas on observa de légers troubles psychiques, se trahissant par une grand inquié- tude et par une diminution de la productivité de l'esprit. Dans la majorité des cas, tous ces effets secondaires désagréables firent défaut, et je me crois, par conséquent, en droit d'engager vivement les médecins à continuer l'essai du bromure de potassium dans l'épilepsie et surtout à donner pendant longtemps de fortes doses. — A ces spécifiques qui sont les plus usités s'en ajoute un grand nombre d'autres moins généralement employés, mais dont les vertus ont été également plus ou moins exaltées. De ce nombre, sont : l'asa foetida, les feuilles d'oranger, la racine de pivoine, le gui de chêne, l'huile essentielle de térébenthine, l'huile animale de Dippel, l'indigo et autres. Il faut, dans l'emploi des spécifiques, suivre le principe de les adminis- trer exactement sous la forme et à la dose prescrites, et de ne pas passer trop rapidement de l'un à Vautre ; d'un autre côté, il faut se l'appeler que soin eut les moyens les plus divers agissent favorablement pendant un certain tennis cl refusent ensuite le service quand le corps s'y est accoutumé. L'indication symptomatique exige que l'on préserve les malades des lésions 436 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. qu'ils s'attirent facilement pendant leurs accès. Ainsi, quand les circon- stances le permettent, il ne faut jamais laisser les épileptiqùes sans surveil- lance. Cette mesure est la plus importante et la plus sure. Il est bon de faire coucher les malades dans des lits à bords élevés comme les lits d'enfants, mais cela ne dispense pas d'exercer une surveillance; car c'est précisément dans ces lits que les malades, s'ils viennent à être couchés sur la face pen- dant les accès, peuvent facilement être suffoqués. Il faut détendre aux per- sonnes qui entourent le malade de le lier pendant les accès, de le contenir violemment, de lui ouvrir les pouces. Beacoup de personnes étrangères à la médecine s'imaginent que, ce dernier résultat obtenu, l'accès va se passer rapidement. Ordinairement les malades se trouvent bien mieux après l'accès quand on l'a laissé se déchaîner librement. — A l'indication sym- ptomatique correspondent en outre les procédés par lesquels on se propose de prévenir l'explosion de l'accès et de l'enrayer quand il est commencé. La compression du membre d'où part l'aura, en supposant même que l'on parvienne par ce moyen à prévenir l'accès, n'est, en général, pas très- recommandable ; d'une part, parce que les malades se trouvent en général plus mal quand on est parvenu à faire avorter un accès que quand on l'a laissé se développer librement ; d'autre part, parce qu'un accès avorté est ordinairement suivi d'un autre beaucoup plus violent. On peut en dire autant de l'administration des forts vomitifs au début de l'aura. — Dans quelques cas on parvient à faire avorter l'accès par la compression des caro- tides. Cependant cette manœuvre est difficile à exécuter pendant les convul- sions et peut même faire du mal si elle est faite avec maladresse ; il n'y a donc pas lieu de la recommander. CHAPITRE IV Éclampsic des enfants. L'éclampsie des femmes en travail et des femmes en couches dépend très- souvent de modifications pathologiques de l'utérus gravide, de la rétention de quelques débris de placenta après l'accouchement et d'autres anomalies de la grossesse et des couches, dont quelques-unes sont encore inconnues. Nous abandonnons donc la description de l'éclampsie des femmes en travail et des femmes en couches aux traités d'accouchements comme nous avons fait pour les affections puerpérales de l'utérus, des ovaires et du vagin. ÉCLAMPSIE DES ENFANTS. A37 Dans ce qui précède nous avons déjà envisagé l'éclampsie comme une épilepsie aiguë. Car elle est caractérisée comme celle-ci par des accès con- vulsifs séparés, accompagnés de perte de connaissance. Mais ces accès ne se répètent pas, comme dans l'épilepsie, pendant des mois et des années, par intervalles plus au moins longs, mais ils se bornent à quelques heures ou à ■ quelques jours, et au bout de ce temps l'éclampsie se termine par la guérison ou la mort. Tout ce que nous avons dit de la pathogénie des attaques d' épilepsie s'ap- plique également à celle des attaques d'éclampsie. Les raisons longuement développées dans le chapitre de Y Épilepsie nous permettent de considérer comme certain que dans l'éclampsie l'excitation morbide des nerfs moteurs, qui se trahit par les convulsions a pour point de départ la moelle allongée et les parties situées à la base du cerveau. De même il paraît hors de doute que des conditions analogues à celles qui déterminent un état d'irritation habi- tuelle de la moelle allongée, et par cela même une épilepsie, provoquent assez souvent, surtout pendant l'enfance, une irritation aiguë passagère du même organe, donnant lieu à une simple éclampsie. Telle est, avant tout, l'anémie du cerveau. Les animaux sur lesquels Kussmaul et Tenner faisaient leurs expériences mouraient en définitive d'éclampsie et non d' épilepsie. — Il est plus que probable que des états d'irritation aiguë de la moelle allongée, suivis d'attaques d'éclampsie, peuvent aussi être dus à des congestions. — Quelquefois ces attaques sont produites par le mélange de substances étran- gères avec le sang, comme par exemple les convulsions à issue rapidement mortelle dans quelques cas d'urémie et dans les empoisonnements par les substances narcotiques. Telles sont encore les convulsions qui sont si souvent provoquées, surtout chez les enfants, par une infection d'origine miasma- tique ou contagieuse, par exemple celles qui accompagnent l'invasion de la scarlatine, de la rougeole, de la variole, enfin celles qui sont dues à la cha- leur et à la crase fébriles et qui marquent assez souvent le début de la pneu- monie chez les enfants. — Les attaques convulsives produites par des affec- tions aiguës du cerveau et de la moelle épinière et qui offrent une grande analogie avec la forme de l'épilepsie due à des tumeurs et à d'autres mala- dies chroniques du cerveau et de la moelle épinière, ne sont généralement pas comprises dans l'éclampsie, ou du moins on les considère comme une forme symptomatique qui doit être séparée de l'éclampsie proprement dite. Par contre, on considère, comme appartenant à l'éclampsie idiopathique vraie, les accès convulsifs qui sont dus à l'excitation des ganglions cérébraux par la frayeur et par d'autres émotions et à la transmission de cette excita- tion à la moelle allongée. — Enfin, l'état d'irritation morbide passagère dé la même famille contractent des attaques d'éclampsie. Nous ne savons pas quelles sont les maladies et les anomalies de constitution des parents qui entraînent chez les enfants une prédisposition congénitale à l'éclampsie. L'éclampsie s'ob- serve aussi bien chez les enfants vigoureux et pleins de sève que chez ceux qui sont délicats et anémiques. Chez les garçons elle paraît être aussi fré- quente ou même un peu plus fréquente que chez les filles. Outre les causes occasionnelles, déjà mentionnées dans l'exposé de la pathogénie, on cite encore la prise du sein par l'enfant immédiatement après un violent accès de colère de la mère ou de la nourrice. Il serait imprudent et injustifiable de braver cette opinion, quelle que soit la difficulté qu'on éprouve à ex- pliquer le fait, et on aura toujours soin de se conformer au précepte usité qui consiste à faire exprimer le premier lait de la nourrice qui vient d'avoir un accès de colère, avant de lui permettre de donner le sein à l'enfant. ÉCLAMPSIE DES ENFANTS. 439 § 2. Symptômes et marche. La seule forme de l'éclampsie qui ordinairement se déclare subitement et sans avoir été précédée de prodromes, est celle qui se montre assez sou- vent chez les enfants à la place du frisson initial, et comme premier sym- ptôme de la pneumonie des exanthèmes aigus et d'autres maladies inflamma- toires. Dans toutes les autres formes de l'éclampsie l'accès est généralement précédé de prodromes. Les enfants ont pendant quelques jours le sommeil inquiet, ils ne ferment qu'à demi les paupières en dormant, font de temps à autres quelques contorsions avecda bouche, grincent des dents, sont agités par une secousse générale dès qu'on les touche. Même étant éveillés il y a quelque chose de changé dans leur manière d'être. Ils sont récalcitrants, peu disposés à jouer, pleurent beaucoup et changent subitement de couleur. — La description de l'attaque d'éclampsie se confond entièrement avec celle d'une attaque d'épilepsie. Ordinairement l'attaque d'éclampsie débute tout comme l'attaque d'épilepsie par des spasmes toniques qui durent quelques instants et pendant lesquels la tête et le corps sont réclinés en arrière, les extrémités tendues, les yeux convulsés et les mouvements respiratoires arrê- tés. Puis viennent des spasmes cloniques qui s'étendent aux muscles de la face, de la tête, du tronc et des extrémités et qui agitent le corps entier, plus rarement la moitié seulement du corps, de mouvements saccadés. La violence des convulsions est la même que dans l'épilepsie. Pendant leur durée la face devient rouge, voire même cyanosée, la salive convertie en écume se montre devant les lèvres, la peau se couvre de sueur, le ventre est météorisé par l'air avalé, la respiration est gravement compromise, le pouls petit et fréquent. La conscience pendant ce temps est complètement abolie et avec elle la sensibilité pour les irritations même les plus fortes. Un accès de cette nature se passe rarement avec la même rapidité qu'un accès d'épilepsie, mais dure le plus souvent un quart d'heure, une demi- heure et même plus longtemps. En -ville on a bien plus souvent l'occasion d'observer des attaques d'éclampsie que des attaques d'épilepsie, et cela pour la raison très-simple que les premières durent encore quand le médecin arrive chez le malade, tandis que les autres sont passées avant même -que la personne chargée de l'appeler soit arrivée auprès de lui. Il y a quelques années, j'ai observé chez un enfant une attaque d'éclampsie qui se prolon- geait sans interruption, quoique en offrant quelques rémissions, pendant vingt-quatre beures consécutives. C'est ordinairement une expiration pro- longée, suspirieuse, souvent aussi une selle copieuse qui termine l'accès. Il est rare que cela arrive subitement, au summum de l'accès, mais ordinaire- ment quand déjà l'orage s'est un peu calmé. Ensuite l'enfant tombe dans un sommeil profond et si on vu le voir le lendemain, après les premières MO MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. heures de la matinée, on le trouve occupé à jouer comme si rien n'était ar- rivé. — Mais il s'en faut que tout se borne constamment à un seul accès ; souvent il en arrive une série à de courts intervalles ; on peut prévoir que les accès se répéteront quand le sommeil qui gagne l'enfant après le pre- mier accès n'est pas profond, quand pendant ce sommeil l'enfant s'agite et grince des dents et quand des secousses isolées lui parcourent de temps en temps les membres. Ces attaques ultérieures se comportent essentiellement comme la première et ne s'en distinguent en en général que par plus ou moins de violence ou par une durée plus ou moins longue. — Beaucoup d'enfants ne sont atteints qu'une seule fois d'attaques d'éclampsie; chez d'autres, la maladie se renouvelle de temps à autre. Plus il est évident qu'à ces retours président chaque fois des influences nuisibles dûment constatées, plus on peut être assuré qu'on se trouve en présence d'une éclampsie et non d'une épilepsie. Moins, au contraire, il est possible de faire remonter à une cause occasionnelle le retour des accès convulsifs, plus on est en droit de se demander si l'on se trouve en présence de l'une ou de l'autre de ces deux maladies. Une première attaque ne permet presque jamais de décider la question, parce que trop souvent il arrive que les causes occasionnelles se dérobent à l'observation. — La mort peut survenir pendant la durée même de l'accès, par l'effet du trouble de la respiration et de l'empoisonnement aigu du sang par l'acide carbonique, aussi bien que pendant le coma consé- cutif à l'accès, par l'effet de l'épuisement. Pendant les premiers mois de l'existence l'éclampsie est très-dangereuse pour les enfants et la plupart de ceux qui en sont atteints dans ces conditions en succombent. Au contraire chez les enfants plus âgés, l'éclampsie se termine en général d'une manière heureuse et la guérison en est l'issue la plus commune. On comprend faci- lement que beaucoup de malades, pendant l'enfance aussi bien qu'à un âge plus avancé, succombent lorsque dans le cours de quelque maladie aiguë du cerveau ou de la moelle épinière il survient chez eux des convul- sions accompagnées de perte de connaissance. Cependant il n'est guère permis de dire que ces individus sont morts d'une attaque d'éclampsie. il en est de même des maladies dites consécutives à l'éclampsie. Lorsque de attaques convulsives laissent à leur suite l'imbécillité, le strabisme, des pa- ralysies et d'autres troubles graves, il est sans doute plus que probable que ces accidents dépendent, comme les convulsions elles-mêmes, de troubles de la nutrition dans les organes centraux. ECLAMPSIE DES ENFANTS. 441 § 3. Traitement. Je crois qu'il est difficile et souvent impossible de juger dans un cas donné, si chez un enfant une attaque convulsive accompagnée de perte de connaissance dépend d'une hypérémie ou d'une anémie du cerveau, ou bien si l'accès s'est produit en dehors de tout trouble de la circulation céré- brale. Pour cette raison je crois qu'il y a lieu, lorsque l'enfant s'est parfai- tement bien porté jusque-là et qu'il parait vigoureux et plein de sève, de lui faire administrer pendant la durée même de l'accès un lavement froid composé d'un quart de vinaigre sur trois quarts d'eau, de lui faire couvrir la tête de compresses glacées et si, par ces moyens, les convulsions ne se dissipent pas rapidement, de faire appliquer un nombre de sangsues pro- portionné a l'âge de l'enfant à la tête et derrière les oreilles. Il est impos- sible d'administrer des remèdes internes pendant la durée de l'accès. Lorsque celui-ci est terminé et que l'on en. craint le retour, on fait bien d'administrer un laxatif composé de calomel et de jalap ou bien quelques doses de calomel additionnées d'oxyde de zinc. — Si au contraire l'enfant est chétif et affaibli par une longue maladie, il faut administrer un lave- ment composé d'une infusion de valériane ou de camomille avec quelques gouttes de teinture de castoréum, et, si celui-ci reste sans effet, un lave- ment fait avec une émulsion d'asa fœtida (0,50 à 1 gramme sur 120 grammes) que l'on a fait préparer en attendant; en outre on applique des sinapismes aux mollets et on prescrit un bain chaud. Seulement après la fin complète de l'attaque on peut faire d'autres prescriptions. En faisant abstraction des cas dans lesquels l'éclampsie est le symptôme d'une affection cérébrale ou d'une intoxication urémique ou le symptôme initial d'une maladie aiguë, tout dépend, cela se conçoit, de la question de savoir de quelle région du système nerveux est partie l'irritation qui, transmise à la moelle allongée, a provoqué l'excitation pathologique de celte dernière; car c'est la solution de cette question qui nous déterminera à prescrire un purgatif, un vomitif, un absorbant ou un vermifuge, ou bien à recourir à quelque autre médica- tion. Administrer indistinctement à tous les enfants qui ont traversé une attaque d'éclampsie du calomel et de l'oxyde de zinc, pour prévenir le retour de l'accès, c'est selon moi une mesure difficile à justifier. — Si l'ac- cès est suivi d'un coma grave, il y a lieu de prescrire des affusions froides; si au contraire il survient un collapsus menaçant, on doit donner des stimu- lants tels que le vin, le camphre, le musc. 442 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. CHAPITRE V Hystérie. § 1. Pathogénie et étiologie. L'hystérie rentre bien moins encore que l'épilepsie et l'éclampsie dans une catégorie déterminée des maladies nerveuses. Dans cette maladie, ,-si variée dans ses formes, on observe presque toujours simultanément des troubles de la sensibilité, de la motilité, des fonctions psychiques et des désordres dans le domaine des nerfs vaso-moteurs et trophiques. C'est tantôt tel groupe de symptômes tantôt tel autre qui prédomine, et assez souvent une exaltation morbide de l'excitabilité dans certaines régions du système nerveux, se traduisant par l'hyperesthésie et des -convulsions, se complique dune suppression de l'excitabilité dans d'autres régions, caractérisée par l'anesthésie et la paralysie. La question de savoir si les modifications maté- rielles positives, quoique non palpables, des éléments nerveux qui forment la base des nombreux troubles de l'innervation dans l'hystérie, intéressent les organes centraux ou les nerfs périphériques, n'a pas encore reçu jus- qu'à présent une solution satisfaisante. Si, par exemple, les malades sont pour la plupart très-sensibles aux irritations du dehors, cela peut tout aussi bien être mis sur le compte d'une excitabilité exagérée des nerfs périphéri- ques que d'une excitabilité exagérée des parties du cerveau qui donnent la conscience des sensations. Mais ce qui constitue un argument contre la première hypothèse, c'est la grande extension de l'hyperesthésie et l'alté- ration simultanée des fonctions psychiques.; par contre, la seconde 'hypo- thèse est en contradiction avec la grande surexcitation de l'activité réflexe qui coïncide avec l'hyperesthésie. Cette grande activité réflexe ne peut s'expliquer que par une excitabilité anormale des nerfs périphériques ou par une excitabilité exagérée des ganglions spinaux eux-mêmes, qui coexiste avec la première. La théorie la plus acceptable de l'hystérie et à laquelle Hasse, entre autres, se rallie, est donc celle qui fait dépendre la maladie d'un trouble de la nutrition du système nerveux dans sa totalité, c'est- à-dire des appareils centraux aussi bien que périphériques. Le fait que l'hystérie se 1 encontre presque exclusivement chez les femmes,, et en particulier depuis le développement de la puberté jusqu'à l'extinction de l'activité sexuelle, et en outre l'observation que dans un grand nombre de cas des états morbides de l'appareil génital accompagnent l'hystérie, ont fait supposer que l'hystérie est une maladie de tout r ensemble du système ner- veux, ayant pour point de départ les nerfs des organes sexuels. Cette interpré- HYSTERIE. 443 tation, si elle a le tort d'être trop exclusive, est cependant applicable à beaucoup de cas d'hystérie. De nombreux phénomènes exposés dans les chapitres antérieurs nous ont permis de conclure qu'assez souvent des états morbides pouvaient être transmis des nerfs atteints à d'autres nerfs et aux organes centraux, et par analogie il nous est permis d'admettre que des états morbides peuvent aussi se transmettre des nerfs des organes sexuels à ceux du reste du corps et aux organes centraux. Les troubles ilégei s de l'in- nervation, l'hyperesthésie, l'augmentation de l'activité réflexe, l'altération du moral, qui chez beaucoup de femmes saines se manifestent à l'époque des règles, semblent dépendre de faits de ce genre et forment en quelque sorte le pendant physiologique de l'hystérie, qui est due à des états patho- logiques des organes sexuels. Dans plusieurs cas d'hystérie ce mode de pro- duction ne peut être mis en doute. Si, chez une femme saine auparavant, il se développe à la suite d'un avorteraient ou d'un accouchement laborieux un infarctus utérin et avec celui-ci une hystérie modèle, si l'hystérie per- siste aussi longtemps que l'infarctus, et disparait aussitôt que l'on est par- venu à faire disparaître ce dernier, alors il est Clair que la maladie utérine a seule déterminé les troubles étendus et variés de l'innervation que nous connaissons sous le nom d'hystérie. Les maladies de l'utérus et des ovaires n'ont pas tous la même influence sur l'origine de l'hystérie. Parmi les ma- ladies de l'utérus, ce sont, outre l'infarctus, les ulcères à l'orifice et les flexions qui entraînent le plus souvent l'hystérie, tandis que les néoplasmes de mauvaise nature et les processus destructeurs sont bien plus rarement accompagnés d'accidents hystériques. Parmi les maladies des ovaires, les kystes dermoïdes de dimensions modérées font naître l'hystérie beaucoup plus fréquemment que les poches volumineuses produites par une néoplasie eystoïde. — Il n'est pas impossible que dans certains cas une irritation des organes génitaux, provoquée par un coït trop souvent répété, ou incomplet, ou par l'onanisme, voire même par les simples désirs vénériens, suffise pour exercer sur le système nerveux une influence identique a\ ec celle des maladies organiques sus-mentionnées des organes sexuels. Mais c'est faire preuve d'un esprit étroit et frivole et se montrer bien peu au courant de tout ce qui concerne la nature de la femme, que d'attribuer immédiate- ment tous les cas d'hystérie où il est impossible de constate]- des maladies de texture des organes génitaux à une exaltation de l'instinct génital ou à une satisfaction anormale donnée à cet instinct. Je me sens certainement libre d'optimisme, et je penche plutôt vers une manière de voir opposée, mais jamais je ne croirai que toutes les veuves et toutes les vieilles filles atteintes d'hystérie bien prononcée, et chez lesquelles on ne peut trouver aucune maladie de texture des organes génitaux, soient malades unique- mciit parce qu'elles sont forcées de réfréner leur lubricité, ou parce qu'elles la contentent d'une façon anormale. kkk MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. En cas de prédisposition prononcée à l'hystérie cette maladie peut aussi avoir pour point de départ n'importe quel autre organe malade. J'ai observé des degrés très-élevés d'hystérie chez de jeunes filles atteintes de maladies de l'estomac traînées en longueur, et chez lesquelles les fonctions sexuelles s'accomplissaient avec une parfaite régularité. Je pense qu'il y a lieu de partager entièrement l'opinion de Hasse, qui expose l'étiologie de l'hystérie avec une sagacité exquise et dans un langage plein de dignité. Or, d'après lui, la fréquence de l'hystérie chez les femmes privées d'enfants, chez les veuves, chez les vieilles filles appartenant aux classes supérieures de la société, doit être attribuée à des influences psychiques plutôt que physiques. L'effet produit sur l'activité de tout le système ner- veux par des influences psychiques agissant avec une grande violence se manifeste assez clairement, même chez les sujets bien portants. Ne voyons- nous pas en effet des individus s'arrêter en quelque sorte foudroyés et inca- pables de faire un pas en avant sous le coup d'une violente frayeur, n'en voyons-nous pas d'autres, sous l'influence de la colère, serrer les poings, se mordre les lèvres, s'agiter dans tous les sens, sans que leur volonté soit mise en jeu? Ne voyons-nous pas, en outre, sous l'influence de la peur ou d'un violent chagrin, se produire une anesthésie complète, et, d'un autre côté, se développer une grande hyperesthésie après un travail intellectuel exagéré? N'avons-nOus pas enfin tous les jours l'occasion de remarquer que les émotions exercent une influence sur l'état d'excitation des nerfs vaso- moteurs et trophiques, qu'elles font rougir ou pâlir les joues, qu'elles met- tent dans un état de contraction ou de relâchement les muscles de la peau, qu'elles stimulent la sécrétion lacrymale ou salivaire? Si des troubles aussi variés et aussi étendus de l'innervation peuvent être provoqués par des in- fluences psychiques passagères, il est tout simple d'admettre que des trou- bles durables de l'innervation et des changements dans la texture des nerfs peuvent résulter des émotions psychiques continues qu'éprouve une femme qui se voit trompée dans ses espérances, qui croit avoir manqué sa A'ocation et qui, constamment obsédée de pareils sentiments, est incapable de relever son moral et de chasser ses soucis réels ou imaginaires. Je conviens que la manière dont cette action continue des influences psychiques modifie la nutrition du système nerveux et entraîne l'hystérie, est enveloppée d'obscu- rité ; mais il ne faut pas se figurer que nous possédions des notions plus précises sur la manière dont l'état morbide des nerfs de l'appareil génital se propage au reste du système nerveux. L'état moral qui conduit à l'hystérie dépend non-seulement des événements extérieurs, mais encore bien plus de l'appréciation individuelle de ces événements. Les mêmes faits qui glis- sent en quelque sorte sur tel ou tel individu sans laisser de traces, peuvent devenir pour tel autre la source du plus long et du plus profond décourage- ment. Je partage pleinement l'avis de Hasse qui pense que l'hystérie, si elle HYSTERIE. 445 ne résulte que trop souvent d'unions contractées avec des individus impuis- sants, peut tout aussi bien avoir sa source dans le sentiment vague ou même dans la conviction décourageante d'une existence manquée , conviction qui s'impose quand la femme ne trouve pas dans le mariage ce retour de sentiments affectueux auquel elle a droit, mais aussi quand l'union con- tractée ne répond pas aux prétentions sentimentales ou à l'idéal fantastique d'une jeune fille exaltée. Les troubles de la nutrition du système nerveux qui forment la base de l'hystérie peuvent aussi avoir pour cause un état anormal des matériaux de la nutrition. C'est ce que nous voyons dans l'anémie, et la chlorose maladies qui par elles-mêmes conduisent très-souvent à l'hystérie, et sans qu'on puisse le moins du monde accuser des maladies des organes génitaux, des excita- tions génitales, l'onanisme et les influences psychiques mentionnées plus haut d'avoir contribué au développement de l'hystérie. La prédisposition à l'hystérie est très-inégale. Il s'en faut que les femmes atteintes d'infarctus et de flexions de la matrice, d'ulcères à l'orifice, les vieilles filles qui croient avoir manqué leur vocation et les jeunes filles chlorotiques deviennent toutes hystériques. Au contraire, je ne crains pas d'affirmer qu'une prédisposition congénitale ou acquise joue dans le développe- ment de l'hystérie un rôle bien plus essentiel que toutes les causes indiquées jusqu'à présent. Il est facile de démontrer la justesse de cette assertion : ceux qui sont appelés à examiner un grand nombre de femmes trouveront que les érosions à l'orifice utérin, les infarctus modérés et les flexions légères de l'utérus sont si communs qu'il faudrait qu'il y eût presque autant de femmes hystériques que de femmes exemptes de cette maladie, si les anomalies que nous venons de nommer suffisaient à elles seules pour provoquer l'hystérie, indépendamment de toute prédisposition individuelle. — Avant l'âge de 12 à 15 ans, il est rare que l'on trouve des traces d'hystérie bien marquées. Dans la vieillesse, la maladie est également rare; mais il arrive assez souvent qu'elle se prolonge au delà de la ménopause et persiste à un degré modéré pendant quelques années après cette époque. — Assez souvent la prédispo- sition à l'hystérie est manifestement congénitale, quoique le fait d'être la fille d'une femme hystérique, qui elle-même peut avoir eu une mère hys- térique, ne prouve pas précisément une prédisposition héréditaire à l'hys- térie, mais peut tout aussi bien être le résultat d'une éducation vicieuse qui s'est propagée dans les familles de génération en génération. La constitution et le tempérament n'ont pas une influence bien marquée sur la prédispo- sition plus ou moins grande aux affections hystériques. Par contre, une influence majeure est celle qu'exercent la manière de vivre et l'éducation. Ne pas habituer les enfants à se maîtriser, mettre un sot empressement à remplir leurs moindres désirs, leur permettre de s'abandonner à un cha- grin immodéré à l'occasion d'un jouet brisé, et reculer devant les corrections 446 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. manuelles ' lorsqu'à la moindre contrariété ou après le refus de leur accor- der ce qu'ils demandent ils se livrent à des transports de rage et de déses- poir, qu'ils se mettent à trépigner et à se rouler à terre, c'est les exposer à devenir hystériques à un âge plus avancé. — Que l'on donne aux enfants des habitudes de travail, qu'on cherche à les rendre consciencieux, qu'on les exerce à se maîtriser, qu'on'iie laisse pas les jeunes filles passer des journées entières à broder et à faire d'autres ouvrages insignitiants qui n'occupent pas leur esprit et permettent de se livrer sans réserve à leurs pensées et à leurs rêveries, qu'on les préserve des mauvaises lectures qui exaltent leur imagination, et l'on aura ainsi pris les mesures les plus efficaces de toutes pour détourner d'elles le danger de l'hystérie. — Les hommes sont rarement sujets à devenir hystériques. Chez eux la maladie se confond également le plus souvent avec quelque anomalie de l'appareil sexuel; mais il faut encore qu'il y ait une prédisposition congénitale ou héréditaire pour que des accès vénériens^ l'onanisme, la spermatorrhée, etc., conduisent au développe- ment de l'hystérie chez les hommes. § 2. Symptômes et^ marche. La grande complication des symptômes de l'hystérie et la diversité de sa marche ne permettent pas d'en résumer la description dans un tableau gé- néral. Il faut donc que nous fassions ici une exception et qu'au lieu d'expo- ser les symptômes tels qu'ils se lient les uns aux autres, nous les exposions isolément et en les classant par ordre de fonctions. Les troubles de la sensibilité sont les phénomènes morbides les plus fré- quents de l'hystérie et ne manquent pour ainsi dire jamais. Parmi ceux-ci nous mentionnerons d'abord V hyperesthésie générale, appelée généralement faiblesse des nerfs par les gens du monde et persistant souvent à elle seule pendant bien des années sans être compliquée d'autres désordres. Quelque- fois l'hyperesthésie se traduit par une exquise délicatesse des sens: plus d'une malade sait apprécier au toucher les moindres différences de poids, de température, de- surface., et sait ainsi distinguer, en tenant les yeux ler- més> des objets dont les différences échapperaient à d'autres individus placés dans la même condition. On conçoit facilement que cette propriété doit pro- duire sur les masses l'impression du merveilleux et qu'elle sert souvent à faire des dupes-. D'autres malades ont l'odorat aussi fin que certains animaux. Elles distinguent d^une manière fort remarquable, par, l'odorat seul, des objets et des personnes. Ilenestqui entendent et reconnaissent la démarche 1 On ne m'accusera pas pour cela, j'espère, d'être un partisan delà méthode de Tivoli ou de miss Bowyer. HYSTERIE. Util d'un individu encore fort éloigne'. On rapporte aussi des faits de délicatesse semblable pour le sens du goût. Heureusement il est rare que l'hyperesthésie des femmes hystériques se manifeste par une finesse trop exquise des sens, sans quoi le nombre des femmes clairvoyantes serait encore plus considé- rable qu'il ne l'est déjà. — Bien plus souvent l'hyperesthésie des individus hystériques se trahit par le malaise qu'une excitation faible des nerfs des sens spéciaux suffit déjà pour leur occasionner. Tandis que chez les individus sains les sens ne sont offensés que par des bruits très-éelatants, par des odeurs extraoïdinairement pénétrantes, par des substances très-amères ou très-àcres, par une lumière très-éblouissante ou des couleurs très-vives, les hystériques se plaignent de ne pas pouvoir supporter même le bruit d'une conversation faite à voix élevée et demandent qu'on leur adresse la parole presque en chuchotant ; elles n'admettent aucune fleur dans leur apparte- ment, ne pouvant pas en supporter Fodeur, ou bien elles refusent un mets pour peu qu'il soit assaisonné. Il y a des femmes hystériques que la clarté du jour suffit pour incommoder et qui, pour cette raison, tiennent continuelle- ment leurs persiennes fermées ; d'autres ne supportent pas la couleur rouge et ne permettent à personne de s'approcher d'elles sans avoir déposé tout ruban, tout objet de toilette ayant cette couleur. À cette grande sensibilité pour des excitations assez faibles s'ajoutent fréquemment des idïosyncmsies. Certaines excitations qui impressionnent désagréablement les individus sains, non par leur force, mais par leur qualité, occasionnent au contraire aux hystériques une sensation agréable, et réciproquement dés excitations, qui par leur qualité sont agréables à dès individus bien portants, affectent assez souvent péniblement les personnes atteintes d'hystérie. Un phénomène très- connu, c'est la prédilection debeaucoup de personnes hystériques pour l'odeur des plumes brûlées, pour le goût de l'asafœtida, et leur répugnance pour l'odeur des violettes, des jacinthes et pour d'autres parfums qui plaisent à la plupart des autres individus. — Indépendamment des signes d'une exagé- ration morbide.de l'excitabilité des nerfs sensibles, on rencontre encore dans le domaine de ces nerfs des signes d'excitation morbide qu'il ne faut pas con- fondre avec les premiers. Tels sont premièrement des névralgies, surtout la névralgie faciale, la migraine, la mastodynie, la sciatique, qui toutes s'ob- servent assez communément chez les personnes hystériques. A ces névralgies se rattache la douleur fort violente qui, limitée à une petite place de la tète, située ordinairement sur un dès côtés de la suture sagittale, a reçu le nom de clou hystérique, et qui se rencontre chez beaucoup d'individus atteints d'hystéiie ; ensuite la douleur dorsale qui ne fait presque jamais défaut et qui est augmentée par la pression ; enfin le mal articulaire si remarquable qui a reçu le nom d'arthropathie hystérique, qui consiste dans un endolo- rissement souvent énorme de l'articulation atteinte, et qu'à raison de sa vio- lence on peut facilement confondre avec une grave inflammation articu- Ù48 MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. laire. Dans les nerfs de la sensibilité spéciale on remarque également des états d'excitation morbide qui ne correspondent à aucun objet extérieur. Certaines malades ne perdent jamais une odeur ou un goût déterminé, quelques-unes accusent des bourdonnements d'oreille et des éblouisse- ments. — 11 est fort étonnant qu'à côté des phénomènes d'excitabilité exa- gérée et d'excitation morbide des nerfs sensibles, que nous venons d'énu- mérer, il se produise également des anesthésies qui s'étendent à des parties plus ou moins grandes de la surface du corps. On peut se demander si ces anesthésies sont dues à l'extinction de la sensibilité dans les nerfs périphé- riques ou dans quelques centres nerveux. Pour ma part, je crois qu'il est très-difficile de s'assurer si une femme hystérique peut en général être atteinte d'anesthésie ou si elle a seulement le caprice de ne manifester aucune sensation de douleur l'orsqu'on la pique, pince ou brûle à des endroits dé- terminés. Il est hors de doute que rien n'est plus commun que ces sortes de caprices chez les femmes hystériques. Si ces malades savaient .que ces anes- thésies sont précisément pour nous un phénomène très-obscur et très-in- téressant, le nombre des anesthésies hystériques serait encore bien plus grand qu'il ne l'est déjà. J'ai observé une malade qui ne contractait pas un trait pendant qu'on lui tirait sur le dos deux raies avec le fer rouge, et ce- pendant il n'y avait aucune raison pour soupçonner chez cette malade une anesthésie du dos. — Tous les troubles de la sensibilité, mentionnés jusqu'à présent, se rapportaient à des états d'excitation morbide des nerfs de la peau et des nerfs de la sensibilité spéciale. A ces troubles se rattache une série de sensations anormales des organes internes. Tandis que dans les conditions régu- lières nous n'avons aucune sensation ou du moins des sensations très-obs- cures de l'état de nos viscères, tant que ces derniers resient sains, tandis que, par exemple, nous ne nous apercevons pas des battements de notre cœur à moins d'y poser la main, tandis que nous faisons des inspirations et des expirations sans avoir conscience du besoin de respirer, tandis qu'enfin nous n'apercevons rien du fonctionnement régulier de l'estomac, de l'in- testin, des reins, les femmes hystériques ont au contraire les sensations les plus variées et les plus étranges de l'état de leurs viscères et delà manière dont ils fonctionnent. Presque toutes les malades se plaignent de battements de cœur, beaucoup même des pulsations fatigantes de leurs artères. Si l'on examine l'impulsion du cœur et l'état du pouls, on arrive bien vite à se con- vaincre qu'il ne s'agit ordinairement que de sensations subjectives et qu'il n'y a ni renforcement du choc cardiaque ni plénitude et dureté extraordinaires du pouls. Il en est de même du besoin de respirer. Les malades accusent quel- quefois l'opression la plus violente ; elles respirent vite et profondément mais par l'exclusion successive de toutes les modifications dans les voies respiratoires, daus la circulation, dans la composition du sang, dans la nu- trition, qui pourraient expliquer le besoin augmenté de respirer, on arrive à HYSTERIE. 449 reconnaître qu'il s'agit d'une hypéresthésie ou au moins d'une sensation anormale. Presque toutes les personnes hystériques accusent en outre, même dans les cas ou leurs digestions s'accomplissent très-régulièrement, une sen- sation de pression et de trop-plein dans la région de l'estomac ou des car- dialgies, et racontent, abstraction faite des coliques dont elles sont parfois atteintes, les choses les plus extraordinaires sur les sensations qu'elles éprou- vent dans le ventre. Un phénomène qui semble encore rentrer dans cette catégorie, c'est la soif des femmes hystériques; il en est de même du besoin d'uriner qui se fait sentir chez elles à de courts intervalles et pour peu qu'il y ait d'urine dans la vessie, tandis que des sensations anormales dans les or- ganes sexuels sont beaucoup plus rares que l'on ne devrait le supposer et que plusieurs observateurs ne le prétendent. Les maris des femmes hystériques se plaignent souvent delà répugnance de leurs femmes pour le coït et de l'in- sensibilité dont elles font preuve pendant cet acte ; il est bien rare qu'ils se plaignent du contraire. Même chez des prostituées hystériques je n'ai observé qu'exceptionnellement des indices de nymphomanie. Par contre, le coït est très-douloureux pour quelques-unes de ces malades, même en l'absence de toute modification matérielle des organes sexuels. Les troubles de la motilité sont chez les hystériques presque aussi variés et aussi nombreux que ceux de la sensibilité. Ils consistent le plus souvent en convulsions hystériques. Il est hors de doute que l'excitation morbide des nerfs moteurs qui forme la base des convulsions hystériques a son point de départ dans la moelle épinière et dans le bulbe rachidien. Un signe patho- gnomonique des convulsions hystériques, c'est que jamais elles ne sont accompagnées de perte de connaissance. On admet généralement que les convulsions hystériques sont d'origine réflexe, de sorte que la moelle épi- nière ne ferait que transmettre aux nerfs moteurs les irritations qui lui viendraient des nerfs sensibles. Les convulsions étant très-souvent provoquées par des irritations qui agissent sur les nerfs tactiles ou sur ceux des sens spéciaux, et succédant dans d'autres cas directement à des excitations psychiques, sans l'entremise de la volonté, cette hypothèse parait justifiée, et alors les cas dans lesquels les convulsions se montrent en apparence sponta- nément ne peuvent s'expliquer que par une irritation qui se serait soustraite à l'observation. Dans quelques cas les convulsions hystériques ne consistent qu'en secousses de quelques membres, surtout des bras. Souvent ces secousses, se répétant pendant quelques temps à de cours intervalles, sur- viennent aussitôt que les malades sont sous le coup d'une émotion ou qu'une irritation même modérée agit sur les nerfs de la sensibilité générale ou spéciale. Dans d'autres cas les convulsions s'étendent plus ou moins à tous les muscles du corps, elles donnent alors lieu à des paroxysmes violents et peuvent présenter l'aspect de convulsions tétaniques et surtout épileptiques. Très-souvent on a l'occasion d'observer chez les femmes hystériques l'opistho- MEMEYEIl. II. — 29 450 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. tonos, le pleurothotonos, l'orthotonos ou bien des convulsions cloniques qui agitent la face, le tronc et les extrémités par des mouvements saccadés. Souvent même l'écume se présente devant la bouche des malades, les pouces sont fléchis dans le creux de la main et il n'y a pour ainsi dire que l'intégrité de l'intelligence, pendant l'accès, qui permette de distinguer l'at- taque d'hystérie de l'attaque d'épilepsie. Très-souvent les groupes muscu- laires mis en activité dans certains actes compliqués tels que le rire, l'action de pleurer, de bâiller, entrent dans une excitation convulsive sans que l'état psychique qui, chez les individus sains, préside à l'un ou à l'autre de ces actes, existe chez la malade. De cette manière naissent le rire, les pleurs, les bâillements convulsifs. De la même manière des mouvements convulsifs d'expiration, joints à un rétrécissement spasmodique de la glotte et à la tension spasmodique des ligaments de cette dernière, donnent lieu à la toux hystérique, si opiniâtre, et aux modifications de cette toux, qui produisent des bruits étranges d'aboiement et de hurlement. Des contractions spasmo- ctiques de l' œsophage, qui s'étendent de bas en haut, provoquent chez les malades la sensation d'une boule remontant de Tépigastre à la gorge : c'est le phénomène connu sous le nom de globe hystérique. Très-souvent les femmes hystériques ont pendant un quart d'heure ou, plus longtemps, des renvois qui se succèdent à de courts intervalles et qui expulsent ordinaire- ment avec grand bruit des gaz insipides et inodores. Lorsqu'on examine attentivement les malades dans ces moments, on voit par les mouvements de leur bouche et de leur gorge qu'elles commencent toujours par avaler de l'air. Or comme les individus sains restent pour la plupart eux-mêmes sans s'apercevoir qu'ils avalent de l'air, quand, par exemple, pendant de vio- lents efforts pour vomir ils exécutent des mouvements de mastication et de déglutition, je ne crois pas non plus que les femmes hystériques aient conscience de ce fait et qu'elles avalent l'air à dessein, et j'ai dû par ce motif ranger le phénomène en question parmi les troubles de la motilité. De même que, dans la sphère de la sensibilité, on observe à côté des hyper- esthésies des anesthésies, on rencontre aussi parmi les troubles de la motilité des paralysies hystériques à côté des spasmes hystériques. Tantôt ces paralysies n'intéressent qu'une seule extrémité, tantôt elles affectent la forme de l'hémiplégie. Le fait du maintien de la contractilité électrique dans les muscles des parties paralysées est un argument positif contre l'ori- gine périphérique de la paralysie hystérique. Si les nerfs périphériques étaient malades, si leur nutrition avait subi une atteinte qui leur aurait fait perdre leur excitabilité, l'électricité ne les mettrait pas plus en mouvement que la volonté. Or, comme dans la paralysie hystérique nous pouvons mettre dans un état de contraction chaque muscle qui n'obéit plus à la volonté des malades, en appliquant les électrodes sur les nerfs correspon- dants, il faut bien que la paralysie soit d'origine centrale. D'un autre HYSTERIE. 451 côté, les changements rapides qui s'accomplissent souvent dans le cours des paralysies hystériques et avant tout leur disparition subite prouvent que ce ne sont pas de graves altérations de texture des centres de la volonté, comme on les rencontre dans les paralysies apoplectiques, mais des troubles légers, faciles à réparer, qui président à ces paralysies. Dans plusieurs cas une pusillanimité extrême, un manque d'énergie qui empêche la malade de prendre la résolution de mouvoir le membre affecté, parait être la cause de la paralysie hystérique. Je ne doute pas que n'importe quel individu, tant qu'il est pénétre de l'intime conviction qu'il ne pourra pas exécuter un mouvement déterminé, ne soit réellement incapable de donner à ses mus- cles l'impulsion nécessaire pour exécuter ce mouvement. Puisque dans ces cas la paralysie dépend d'une imagination maladive, il faudrait à la rigueur compter ces faits faits parmi les troubles psychiques. J'ai observé, il y a quelques années, une malade atteinte d'une hémiplégie qui existait depuis plusieurs mois ; par les renseignements anamnestiques j'appris que quel- ques années auparavant la malade avait été atteinte d'une paralysie sem- blable et que cette paralysie avait disparu à de certaines époques et reparu à d'autres. Cette marche et d'autres symptômes d'hystérie ne permettaient aucun doute sur la nature de la paralysie. Depuis longtemps la malade avait reçu de diverses personnes l'assurance qu'elle pouvait être guérie par l'em- ploi de l'électricité ; son admission à la clinique ayant été retardée, son esprit était vivement préoccupé des effets de ce traitement. La main fermée depuis bien des semaines ayant été ouverte par l'application des électrodes, elle en fut fortement impressionnée, la paralysie s'améliora sur l'heure et cette amélioration fit des progrès tels que la guérison fut complète au bout de quelques semaines. Sans doute tout autre moyen qui aurait inspiré à là malade la même confiance aurait eu un résultat semblable. Parmi les troubles dans le domaine des nerfs vaso-moteurs et trophiques, on remarque premièrement la distribution inégale et changeante du sang dans les parties périphériques. La plupart des malades ont continuellement les mains et les pieds froids, tandis que dans la face la couleur naturelle est souvent remplacée subitement et sans cause connue par une rougeur écla- tante, accompagnée d'une sensation de brûlure pénible. La sécrétion sali- vaire, la sécrétion du suc gastrique et intestinal sont-elles également modifiées par un rétrécissement spasniodique ou une dilatation paralytique des vaisseaux, c'est là une question qui reste à résoudre. Par contre, il est bien certain que les fluxions du rein, déterminées par des troubles de l'in- nervation dans les parois vasculaires de cet organe (voy. p. 3), sont la cause de la sécrétion urinaire profuse que l'on remarque si souvent chez les indi- vidus hystériques. L'urine émise eu grande quantité est pauvre en éléments solides, très-limpide et connue sous le nom d'urine hystérique. Il est très-difficile de donner un aperçu court et fidèle des troubles psy- ,452 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. chiques qui se rencontrent chez les femmes hystériques. Au début de la maladie on est avant tout frappé par les brusques changements d'humeur, par le passage subit d'une gaieté folle à la tristesse la plus profonde. — Ce phénomène s'explique en partie par l'hyperesthésie physique dont nous avons parlé plus haut et en partie par l'hyperesthésie psychique qui l'ac- compagne. Tout comme les impressions sensoriales exercent une influence extraordinaire sur la disposition d'esprit des malades, une idée qui n'exer- cerait aucune influence sur l'humeur d'individus sains, fait naître chez les personnes hystériques un sentiment de malaise et de déplaisir ou, ce qui arrive beaucoup plus rarement, de bien-être et de joie. Tant que la maladie est récente, on parvient presque toujours, par une conversation habilement conduite, à faire alternativement rire et pleurer la malade dans l'espace de quelques minutes. Il paraît qu'à côté de l'hyperesthésie psychique il existe aussi chez les hystériques des idiosyncrasies psychiques et que c'est à ces dernières qu'il faut attribuer la disposition morale si inexplicable et si bizarre que l'on remarque souvent chez ces malades. Mais, comme chez ces malades il y a prédominance des perceptions et des idées qui provoquent le sentiment du malaise et du déplaisir, il se développe chez elles par la suite une dépression morale de plus en plus grande. Les malades sont sans cesse tristes et abattues et désespèrent de leur destinée, lors môme que tout ce qui devrait les rendre heureuses est à leur disposition. Ces pleurs et ces lamentations, qu'en apparence rien ne justifie, finissent par fatiguer l'intérêt des personnes qui les entourent ; la famille devient de plus en plus indiffé- rente, on ne fait plus attention aux plaintes des malades ou on leur fait sentir qu'on est molesté. Malheureusement les femmes hystériques ne sont que trop souvent un objet de raillerie pour les jeunes médecins. Le peu d'intérêt qu'on témoigne à ces malades et le manque d'attention de plus en plus prononcé pour leurs maux expliquent de la manière la plus simple cette tendance à les exagérer et à jouer la comédie, tendance quifinit par se développer chez presque toutes les hystériques et qui, quoique étant égale- ment un symptôme de maladie, les prive encore du dernier reste de pitié qu'on avait eu jusque-là pour elles. Il n'est rien moins qu'extraordinaire que pour attirer de nouveau l'attention et la commisération qu'on leur a refusée, ces malades se soumettent aux opérations les plus douloureuses. Kruken- berg racontait dans sa clinique l'histoire d'une fille hystérique, qui avail tourmenté une plaie cutanée si longtemps par des substances irritantes qu'il fallut en venir à l'amputation et qui, en voyant la plaie d'amputation s'apprêter à guérir, recommença sur cette plaie la même manœuvre. Le talent de ces malades d'inventer des états par lesquels elles espèrent exciter l'intérêt ou faire sensation touche à l'incroyable. Souvent il est bien diffi- cile de démêler le faux du vrai. Si l'on est crédule on est souvent dupé et il faut s'imposer la règle d'accueillir avec une extrême défiance toute décla- HYSTERIE. 453 ration extraordinaire, comme par exemple qu'elles ne prennent plus aucune nourriture, qu'elles ne rendent ni selles ni urines, qu'elles ont vomi du sang ou des vers ou d'autres objets étranges. Rien de plus commun, que de rencontrer des hystériques qui prétendent qu'elles ne peuvent plus uriner et se font sonder régulièrement deux fois par jour, d'autres qui restent des mois et des années entières au lit sous prétexte qu'il leur est impossible de se lever. On conçoit facilement que pour les femmes hystériques le magné- tisme animal soit devenu une mine féconde, qu'elles se livrent avec empres- sement aux manœuvres des magnétiseurs, qu'à partir du moment où un rapport magnétique s'est établi entre elles et un autre individu et où elles ont commencé à faire toute sorte de miracles, elles renoncent à d'autres genres de comédie et — « soient guéries par le magnétisme animal des plus étranges maladies. » Selon mon opinion il suffit de trouver le vrai homme (comme le tailleur magique du Mûnchhausen d'Immermaun) pour faire de toute femme atteinte d'hystérie prononcée une possédée, une somnambule ou une clairvoyante. 11 faut ajouter à cela que les fanatiques exaltés, qui sont convaincus de leurs dons miraculeux et qui sont confirmés dans cette conviction par l'expérience faite sur des femmes hystériques, obtiennent beaucoup plus de résultats que les individus qui spéculent sur le magnétisme animal et qui ne sont que de vulgaires escrocs. — La faculté de penser proprement dite n'est ordinairement pas en souffrance chez les femmes hystériques; elles peuvent, comme tout le monde, associer des idées et tirer des conclusions justes bien que, livrées tout entières au senti- ment de leurs souffrances, elles n'aient aucun désir de s'occuper d'autre chose. — Une particularité frappante, chez les femmes hystériques, c'est le peu d'empire de leur volonté sur les mouvements du corps. Je crois qu'il faut encore attribuer ce phénomène à la domination presque absolue de l'exaltation sentimentale. Même les individus sains, en proie à une forte émotion, font peu attention aux mouvements de leurs membres et ne cher- chent pas à arrêter par l'intervention de la volonté les mouvements réflexes qui se produisent pendant la durée de l'émotion. Malgré l'autorité de Rom- berg, je ne saurais m'associer à l'opinion d'après laquelle la faiblesse de volonté des femmes hystériques ne serait qu'une suite de l'activité réflexe exagérée, qui l'emporterait sur les intentions de l'esprit. Il me semble que cette proposition doit être renversée. Dans la clinique j'ai presque toujours pu parvenir à provoquer un accès de convulsions hystériques ou à rendre plus violent un accès léger, soit en témoignant à la malade de la pitié, soit en lui déclarant que l'accès serait très-violent ; en effet, de cette manière j'émotionnais la malade et je l'empêchais en quelque sorte de faire inter- venir la volonté pour maîtriser les mouvements du corps. Lorsqu'au con- traire; je traitais les malades avec dureté pendant leur accès, que je leur projetais successivement plusieurs verres d'eau froide dans la face en les 454 MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX. menaçant de continuer jusqu'à la cessation de l'accès, je parvenais presque toujours à éveiller chez elles une forte réaction de la volonté, qui mettait fin aux mouvements involontaires. Un spectateur d'un esprit peu cultivé ou un observateur superficiel concevra, il est vrai, facilement contre la malade, à la vue de l'influence si évidente du moral sur les accès hystériques, d'in- justes soupçons de simulation. Du reste, la marche indiquée des accès est en parfaite harmonie avec les faits physiologiques concernant les mouve- ments réflexes et avec l'influence bien constatée de la volonté sur ces mou- vements. La marche, la durée et les terminaisons de l'hystérie varient extrêmement. Dans la plupart des cas la maladie se développe lentement. Au commence- ment les signes d'hyperesthésie physique et morale avec leurs conséquences constituent les seuls phénomènes morbides et seulement plus tard (quel- quefois jamais) il s'y ajoute des attaques convulsives et les autres symptômes de l'hystérie, en nombre plus ou moins considérable et avec une intensité plus ou moins grande. Il est rare qu'un accès de convulsions hystériques ouvre la scène et la maladie suit alors une marche aiguë ou bien il ne sur- vient que plus tard d'autres phénomènes morbides qui complètent le tableau de la maladie. Chez presque toutes les malades les symptômes de l'hystérie s'exaspèrent avant et pendant la menstruation, et chez beaucoup d'entre elles les attaques convulsives ont lieu exclusivement pendant la période menstruelle. — La durée de l'hystérie n'est soumise à aucune règle. Ainsi la maladie peut persister pendant des années ou des dizaines d'années avec, une violence plus ou moins grande, tout en diminuant généralement d'in- tensité à l'âge cr. tique. — Parmi les terminaisons de l'hystérie, la guérison est assez commune et l'art médical fête ici bien des triomphes. 11 est vrai qu'il y a bien des cas qui résistent à n'importe quel traitement, qui ne sont jamais guéris et qui peuvent tout au plus être passagèrement améliorés. Quelquefois l'hystérie passe à l'aliénation mentale et à l'épilepsie. La ter- minaison mortelle est un fait rare. On ne connaît que quelques cas peu nombreux où la mort est survenue au milieu de violents accès convulsifs, sans doute par l'arrêt de la respiration. § 3. Traitement. Ce que nous avons dit au paragraphe 1er, de l'influence que l'éducation et le genre de vie exercent sur le développement de l'hystérie implique en même temps les préceptes prophylactiques qu'il est inutile de formuler ici d'une manière spéciale. L'indication causale exige, dans les cas où l'état morbide du système ner- veux doit être attribué positivement à des maladies des organes génitaux. HYSTERIE. 455 qu'on soumette à un traitement approprié les infarctus, les ulcères, les flexions et autres maladies de l'utérus ou des ovaires. À ce sujet nous ren- voyons le lecteur à la seconde section de ce volume. — Quand l'hystérie a été provoquée par des influences psychiques et que, malgré cela, on force la malade à se soumettre aux opérations qui lui répugnent au plus haut degré, telles qu'application de sangsues et de nitrate d'argent à l'orifice utérin, la maladie est presque toujours aggravée. Nous nous sommes encore longuement expliqué sur ce sujet dans les chapitres correspondants. Dans les hôpitaux il n'est généralement pas possible de remplir dans ces sortes de cas l'indication causale. Par contre, dans la clientèle privée, le médecin qui possède la confiance entière de ses clients et pour lequel la vie intime de la famille n'a rien de caché, peut exercer l'influence la plus heureuse précisément dans celte forme de l'hystérie. 11 est impossible de soumettre sa .manière d'agir à des règles générales. — Lorsque l'hystérie dépend d'un appauvrissement du sang et d'une chlorose, l'indication causale exige que Ton cherche à améliorer la composition du sang par des préparations ferru- gineuses et un régime approprié. Le plus souvent ce traitement conduit rapidement au but et l'hystérie disparaît avec le retour des joues rouges, *ans que l'on soit forcé de recourir aux remèdes antihystériques. Le traite- ment des cas d'hystérie dans lesquels on peut positivement constater l'exis- tence d'un appauvrissement du sang, est suivi des meilleurs résultats. L'indication de la maladie exige que l'on cherche à réparer les anomalies de nutrition du système nerveux d'où dépendent les phénomènes hysté- riques. Il ne faut pas s'attendre à ce que le traitement soit achevé et la malade rétablie, dès que l'on a obtenu la guérison d'une érosion à l'orifice, en admettant même que l'hystérie ait eu le mal local pour point de départ. Un résultat aussi prompt peut quelquefois être obtenu, mais ce n'est pas la règle générale. 11 faut, pour réussir, soit des traitements qui modifient éner- giquement l'ensemble de la nutrition, soit l'emploi de remèdes qui parais- sent avoir une influence spéciale sur la nutrition du système nerveux, autrement dit des modificateurs de ce système (nervina). Les résultats, dont les hydropathes se vantent avec raison dans le traitement de l'hystérie, s'expliquent par l'influence que les cures bydrothérapiques exercent sur l'ensemble de la nutrition. Si l'on a rempli l'indication causale sans avoir pu améliorer l'état des malades ou bien s il est impossible d'éloigner la cause de l'hystérie, le traitement hydrolbérapique rend dans beaucoup de cas d'excellents services. Mais il faut d'avance avertir les malades que le traitement ne. peut guère être suivi du résultat \oulu au bout de quelques semaines déjà et que par conséquent elles devront se résigner à passer plu- sieurs mois dans rétablissement. Il ne convient pas non plus de faire suivre aux malades un traitement hydrothérapique à domicile, parce qu'il importe avant tout de ne pas se conteuter de demi-mesures. Aux traitements hydro- 456 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. thérapiques se ' rattache l'usage si bienfaisant des bains de mer. Chez les individus robustes et bien nourris les eaux minérales de Maiienbad, de Fran- zensbad, de Kissirigen, prises à l'intérieur et sur les lieux même, rendent souvent d'excellents services. Les effets de ces traitements doivent encore être mis sur le compte de la modification qu'ils impriment à la nutrition . Parmi les antispasmodiques on vante principalement contre l'hystérie le castoréum, la valériane, l'asa fœtida, le sel volatil de corne de cerf et encore d'autres substances d'une odeur et d'une saveur nauséabondes. Avec tout le scepticisme possible, on ne peut nier qu'une tasse d'infusion de valériane, quelques gouttes de teinture de valériane ou de teinture de castoréum prises à l'intérieur ou des lavements composés d'une infusion de valériane ou d'une émulsion d'asa fœtida ne soient, dans beaucoup de cas, d'une utilité palliative très-évidente. Mais jamais une guérison radicale n'a été obtenue à l'aide de ces substances. J'ai appris à connaître par le fait du plus pur hasard un antispasmodique très-utile contre l'hystérie, et j'en ai obtenu les succès les plus remarquables dans beaucoup de cas où il ne s'agissait pas d'opposer un traitement local à quelque affection utérine, et dans d'autres où l'hystérie persistait après la guérison de la maladie utérine par le traitement local; ce remède est le chlorure d'or et de sodium. Je venais de lire qu'un Dr Martini, à Biberach, préconisait ce médicament comme extrêmement efficace contre les maladies les plus diverses de l'utérus et des ovaires. Comme les maladies, que ce médecin très-estimé dans sa contrée prétend avoir guéries, doivent être comptées en grande partie au nombre de celles qui ne sont susceptibles d'aucune évolution régressive, et qui sont incurables dans la vraie signification du mot, et comme, d'un autre côté, je n'avais aucune raison pour mettre en suspicion la bonne foi du Dr Martini, il était évident pour moi qu'il s'agissait là de faits mal interprétés. Ma supposition, que le chlorure d'or et de sodium devait être, comme d'autres préparations métalliques, un modificateur du système nerveux, et que l'amélioration des malades traités par le Dr Martini pouvait bien être due à cette propriété du remède, a été pleinement justifiée paroles résultats obtenus. Après avoir employé pendant plusieurs années ce remède dans un grand nombre de cas et l'avoir recommandé à mes élèves comme un des plus puissants modifi- cateurs de l'innervation pour le traitement de l'hystérie, j'appris que le chlorure d'or avait été reconnu comme un réactif excellent du tissu nerveux, et qu'on en faisait un grand usage dans les recherches histologiques. 11 est probable qu'une communication de ce genre ne m'aurait jamais décidé à employer cette substance ; cependant j'y attachais une grande importance, parce que je voyais ainsi confirmée la justesse de ma manière d'interpréter les succès expérimentalement constatés du nouveau remède. Je prescris le chlorure d'or et de sodium sous forme de pilules (pr. chlorure d'or et de sodium, 25 centig. ; gomme adragante, k gram. ; sucre blanc, q. s. , pour HYSTÉRIE. 457 hO pilules). Je fais prendre de ces pilules, d'abord une, plus tard deux, une heure après chacun des deux repas de la journée et j'élève successivement la dose jusqu'à 8 pilules par jour. Dans quelques cas d'hystérie grave, dans lesquels on n'arrivait pas au but désiré tout en satisfaisant à l'indication causale, ou bien dans lesquels le point -de départ de troubles nerveux étendus et de nature hystérique ne pouvait être découvert ni dans l'appareil génital ni dans d'autres organes, l'usage suivi du bromure de potassium à dose progressive, dont j'ai parlé longuement au chapitre du traitement de l'épilepsie, m'a rendu des services signalés, tandis que dans d'autres cas ce remède a complètement échoué. J'apprends également qu'un de mes confrères, très-estimé et qui voit beau- coup de monde dans son cabinet de consultation, a très-souvent recours à ce remède, certainement très-efficace, mais dont les limites d'action ne sont malheureusement pas suffisamment connues, et qu'il l'emploie sur- tout, quand il ne parvient pas à rapporter des symptômes morbides graves du système nerveux à des troubles matériels dans les organes centraux ou dans les nerfs périphériques. Un traitement qui dans l'hystérie est toujours d'une haute importance, que la maladie soit due à une cause ou à l'autre, c'est le traitement psy- chique. Romberg dit avec raison : l'indication psychique est d'une impor- tance telle que si l'on néglige de la remplir tous les autres traitements échouent nécessairement. Le principal est d'exercer les malades à opposer l'impulsion de leur volonté à l'impulsion réflexe. C'est naturellement de l'individualité des malades que dépendra le choix des moyens à employer dans un cas donné. Dans les hôpitaux cette éducation morale des malades est très-difficile à faire. Quelquefois j'ai obtenu d'excellents résultats avec des malades pleines de docilité et de bonne volonté et ayant une confiaflce absolue dans mes ordonnances, en leur faisant administrer deux douches par jour, et en les engageant à supporter l'action de la douche aussi long- temps que cela leur était possible en déployant toute la force de volonté dont elles se sentaient capables. Dans la clientèle privée, si l'on sait con- server la confiance et le respect des malades, et surtout si les intentions des médecins sont secondées par une mère intelligente, on obtient des résultats encore plus complets et l'on peut recourir à des moyens plus doux et plus humains que l'emploi de la douche froide, répétée deux fois par jour, que mes malades supportaient du reste, avec un peu d'exercice, pendant dix minutes et même plus longtemps. 458 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. CHAPITRE VI Catalepsie. § 1. Pathogénie et étiologie. La catalepsie rentre dans la catégorie, établie par Blasius, des névroses de stabilité. Pendant l'attaque de catalepsie les membres restent dans la position qui leur a été donnée par la volonté du malade avant l'attaque, ou bien dans la position dans laquelle une main étrangère les a mis pen- dant l'attaque elle-même. Ils n'obéissent pas à la pesanteur et ne peuvent pas non plus être mis dans une autre position par la volonté du malade. La résistance que les membres opposent à la pesanteur prouve que les muscles sont contractés jusqu'à un certain point. Dans tous les états où il y a relâ- chement complet des muscles, dans la syncope, la mort, les membres,, lors- qu'on les abandonne à eux-mêmes, après les avoir soulevés, retombent en obéissant à la pesanteur. Le plus simple serait d'expliquer la position dans laquelle les membres persistent pendant l'attaque de catalepsie par la per- sistance de l'excitation des nerfs qui président aux contractions musculaires nécessaires pour garder la position prise. Cette explication est toutefois en contradiction avec ce phénomène que les membres, quand on les change de place, conservent la nouvelle position aussi bien qu'ils avaient conservé l'ancienne. Toutes nos observations nous défendent d'admettre que le chan- gement de position imprimé à un membre par une main étrangère, puisse faire cesser l'excitation de certains nerfs et provoquer celle d'autres nerfs. Les cas de catalepsie n'étant pas assez nombreux pour nous permettre de prononcer à cet égard un jugement définitif, ce qui pour le moment nous semble le plus probable c'est que dans la catalepsie tous les nerfs moteurs se trouvent dans un état d'excitation moyenne, et que par l'effet de cette excitation tous les muscles du corps sont contractés à un degré suffisant pour leur permettre de résister à la pesanteur. La facilité avec laquelle la posi- tion des membres peut être modifiée (flexibilitas cerea) et cette circonstance que les membres restent fléchis si on les a mis dans la flexion, et étendus si on les a mis dans l'extension, nous permettent en outre de supposer que l'état de contraction des muscles antagonistes s'équilibre parfaitement. L'hj- pothèse que l'excitation moyenne des nerfs moteurs, qui forme la base de cet état, part de la moelle épinière est la plus admissible et la plus répan- due de toutes. — L'incapacité des malades de modifier par l'influence de la volonté l'état d'excitation de leurs nerfs moteurs et l'état de contraction de leurs muscles prouve l'existence simultanée d'une anomalie du cerveau. CATALEPSIE. Û59 Dans les cas de catalepsie, où la conscience est complètement abolie, la vo- lonté ne peut intervenir; dans les cas où la conscience reste intacte, les malades veulent se mouvoir, mais ne peuvent pas y parvenir, parce que l'appareil spécial du cerveau, destiné à transmettre aux nerfs moteurs l'ex- citation des foyers centraux des idées et des intentions est mis hors d'état de fonctionner. Les accès de catalepsie ne sont rien moins que rares chez les aliénés, principalement chez ceux qui sont atteints de mélancolie avec stupeur. On les observe aussi chez les hystériques comme symptômes prémonitoires des attaques convulsives. De même, dans la grande chorée (chorea Germano- rum), le tarantisme et dans d'autres formes convulsives plus ou moins com- pliquées, soit épidémiques soit endémiques, et qui ont été très justement désignées par Romberg du nom de convulsions psychiques, parce qu'elles ont leur raison d'être dans un état particulier de l'intelligence, on observe également des attaques de catalepsie à côté des convulsions. Il est très-rare que la catalepsie se rencontre comme maladie idiopathique chez des indivi- dus sains du reste. Comme causes occasionnelles de la catalepsie on cite principalement les émotions, sous l'influence desquelles nous voyons aussi chez les individus sains se développer de faibles indices de cet état morbide. Ainsi rien de plus commun que de voir les individus saisis d'une consterna- tion ou d'une frayeur subite s'arrêter brusquement, comme pétrifiés, et baisser en l'air la main levée pendant toute la durée de l'émotion. § 2. Symptômes et marche. Pour la description des symptômes et de la marche de la catalepsie comme maladie indépendante, je suis forcé de m'en rapporter exclusive- ment à des rapports étrangers, car tous les cas soumis à mon observation personnelle ont éveillé en moi le soupçon de la simulation. — Comme pro- dromes des attaques de catalepsie on cite des maux de tête, du vertige, des bourdonnements d'oreille, un sommeil agité, une grande irritabilité et d'autres troubles de l'innervation. — L'attaque elle-même vient subitement. Le malade s'arrête immobile, comme une statue, dans la position qu'il oc- cupait au moment où l'accès est venu le surprendre ; les membres se lais- sent, avec quelques efforts au commencement et plus tard très-facilement, mettre dans n'importe quelle position et conservent celle position beaucoup plus longtemps qu'il ne serait possible à un homme sain de s'y maintenir. Pendant l'accès la conscience et a\ec elle la sensibilité pour les excitations venant du dehors sont complètement abolies, ou la conscience reste au contraire intacte, les irritations venant du dehors sonl perçues, mais les malades ne sont pas en étal d'indiquer par des paroles ou des mouvements 460 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. que leur conscience n'est pas altérée. Les mouvements respiratoires, l'im- pulsion cardiaque et le pouls sont quelquefois d'une faiblesse telle qu'on s'en aperçoit à peine. L'émission des selles et des urines est ordinairement arrêtée, la déglutition s'accomplit librement si l'on a soin de pousser le bol alimentaire bien loin en arrière dans le pharynx. Un accès de ce genre dure ordinairement quelques minutes, mais dans quelques cas rares il se pro- longe pendant quelques heures et même pendant plusieurs jours. Les ma- lades bâillent et soupirent quand l'accès arrive à sa fin et produisent abso- lument l'impression d'un individu qui se réveille d'un profond sommeil. Si l'accès passe rapidement et si pendant sa durée le malade a perdu con- naissance, il ignore souvent qu'il vient de lui arriver quelque chose d'extra- ordinaire et il reprend tranquillement son occupation au point où il l'avait laissée avant le début de l'accès. Dans d'autres cas les malades restent fati- gués pendant quelque temps après l'accès, ils se sentent pris de vertige et d'embarras de la tête. Souvent il n'y a qu'un seul accès; dans des cas plus rares plusieurs accès se succèdent à des intervalles plus ou moins longs. L'état général des individus n'est troublé dans ces intervalles que lorsqu'il existe des complications. — L'issue la plus fréquente de la catalepsie simple est la guérison. La crainte de voir enterrer vivants des individus dans un accès de catalepsie n'est plus justifiée de nos jours. Dans quelques cas de catalepsie le retour fréquent et la longue durée des accès paraissent avoir entraîné un marasme général et même une terminaison mortelle par épui- sement et insuffisance de l'alimentation. Toutefois , il est probable que dans ces cas il ne s'agissait pas de simples catalepsies, mais de maladies compliquées. § 3. Traitement. Malgré le précepte de s'abstenir d'une intervention énergique dans les attaques de catalepsie, je n'hésiterais pas de projeter pendant l'attaque de l'eau froide sur le malade, d'employer énergiqucment l'électricité et d'ad- ministrer même un vomitif si les mouvements respiratoires et le pouls n'étaient pas trop faibles. Quand l'attaque se prolonge, il peut devenir né- cessaire d'alimenter les malades à l'aide de la sonde œsophagienne. Quant aux moyens à employer dans l'intervalle des accès, il n'est pas possible d'indiquer des règles déterminées, parce que le traitement doit être dirigé contre la maladie première, s'il en existe une, contre les anomalies de la nutrition ou contre les phénomènes concomitants, qui peuvent varier selon les cas particuliers. HYP0CH0NDR1E. Û61 CHAPITRE VII. Hypochondrie. § 1. Pathogénie et étiologie. L'hypocondrie est à vrai dire une maladie mentale et dans les traités de psychiatrie on la rattache ordinairement à la mélancolie, à la lypémanie, à la phrénalgie, par conséquent aux formes morbides dans lesquelles le moi intellectuel est sous le coup d'une passion triste et dépressive, comme cela est d'ailleurs indiqué par les noms seuls que nous venons de citer. L'hypochondriaque est constamment tourmenté par le souci d'être malade ou d'être menacé d'une maladie. Guislain croit par conséquent que le nom qui conviendrait le mieux pour l'hypochondrie serait celui de pathophobie ou de mono-pathophobie. Cependant nous n'appelons pas hypochondriaque tout individu tourmenté ou dominé par le souci d'être malade, et nous ré- servons ce nom pour ceux chez lesquels cette disposition d'esprit constitue par elle-même un symptôme de maladie. Un père de famille à qui son mé- decin vient de déclarer qu'il est atteint d'une maladie incurable perd peut- être également à partir de ce moment sa liberté d'esprit, se trouve conti- jiuellement sous le coup d'un souci navrant, observe les fonctions de son corps avec la même attention et la même inquiétude qu'un hypochondria- que et prend absolument les mêmes allures que ce dernier; et malgré cela cet individu n'est pas un hypochondriaque, parce que son changement d'humeur et de caractère correspond à un changement de situation et n'est pas en contradiction avec la personnalité psychique de l'individu telle qu'elle existait avant la révélation susmentionnée. La disposition morbide de l'esprit, dans l'hypochondrie, dépend, comme tous les symptômes des maladies psychiques, de troubles nutritifs de l'or- gane qui est le centre de toute activité psychique. De même que dans pres- que toutes les autres maladies mentales nous ne sommes pas en état de constater les troubles nutritifs du cerveau d'où nous sommes forcés de faire dériver les troubles fonctionnels, de même il nous est impossible de rap- porter, dans l' hypochondrie, la disposition morbide de l'esprit à des modifi- cations déterminées du cerveau. Lorsque la prédisposition pour l'hypochon- drie existe, la maladie est provoquée tantôt par des causes psychiques tantôt par des influences matérielles. On peut appeler, si l'on veut, la pre- mière forme hypochondrie sine materia, la seconde hypochondrie cum ma- teria, mais il ne faut pas attacher à ces appellations un autre sens que L'indication de cette simple différence d'origine. 462 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. La prédisposition à l'hypochondrie n'existe pas pendant l'enfance et se trouve être beaucoup plus faible chez les femmes que chez les hommes. C'est entre 20 et dO ans qu'elle est la plus marquée. Souvent la prédisposi- tion à l'hypochondrie est congénitale. Dans d'autres cas elle paraît provo- quée principalement par des causes débilitantes, par des excès génitaux, l'onanisme, des troubles de la digestion, le manque d'air frais, une vie inac- tive, l'abus et le dégoût des jouissances, les regrets continuels causés par des espérances trompées, des spéculations manquées, une vie mal em- ployée. Parmi les causes occasionnelles de l'hypochondrie nous aurons à signaler d'abord les maladies du corps. Certains états morbides conduisent plus faci- lement à l'hypochondrie que d'autres ou, pour nous exprimer plus correcte- ment, ils déterminent plus facilement les changements matériels du cerveau qui forment la base de l'hypochondrie. De ce nombre sont avant tout les maladies des organes abdominaux, surtout le catarrhe gastro-intestinal chro- nique, ensuite certains états morbides de l'appareil génito-urinaire, enfin la blennorrhagie et la syphilis. Toutefois, dans ces deux dernières, l'effet moral produit par la maladie est à prendre en considération peut-être au- tant que les causes physiques. Si les maladies que nous venons de nommer suffisaient à elles seules pour provoquer l'hypochondrie, les hypochondria- ques fourmilleraient de parle monde. Mais comme il ne faut y voir que des causes occasionnelles, qui font éclater l'hypochondrie en cas de prédispo- sition individuelle très-prononcée, la disproportion entre la fréquence des catarrhes gastro-intestinaux, de la syphilis, de la blennorrhagie d'une part et celle de l'hypochondrie, d'autre part, ne saurait nous étonner. — Il en est de même des influences psychiques, parmi lesquelles le rôle le plus im- portant est peut-être dévolu à la lecture de ces opuscules dits de médecine populaire et entre autres surtout de ce livre détestable intitulé « la Préser- vation personnelle » qui est répandu dans tous les pays en un immense nombre d'exemplaires. Encore cette lecture, si elle favorise manifestement l'invasion de l'hypochondrie chez un grand nombre d'individus, reste sans effet sur ceux qui n'ont pas une prédisposition marquée à l'hypochondrie. Une influence analogue à celle qu'exerce la lecture des ouvrages de méde- cine populaire consiste dans la préoccupation exclusive de l'esprit par les récits de maladies et de cas de mort qui à l'époque d'une épidémie régnante sont ordinairement dans la bouche de tous les habitants de la localité at- teinte. La plupart des individus ne ressentent aucune influence fâcheuse de cette circonstance ; mais pour un certain nombre d'habitants elle devient une cause d'hypochondrie. Enfin, on conçoit facilement que la fréquentation d'individus hypochondriaques ne soit pas sans danger pour les personnes qui ont elles-mêmes une prédisposition à contracter celte maladie. HYPOCHONDRIE. 46- Symptômes et marche. Ordinairement l'hypoehondrie se développe lentement. Au commence- ment les individus ont un sentiment vague de maladie qui les inquiète et les fatigue sans fausser encore à ce moment leur jugement et dominer toute leur personne. En outre, l'inauiétude et le malaise ne sont pas permanents au commencement, mais disparaissent dans certains moments pour repa- raître dans d'autres et prendre, ensuite une plus grande intensité. Plus l'hy- pochondrie prend racine, plus aussi le malade s'efforce de rechercher la cause du sentiment de maladie qui l'obsède. Il examine sa langue, son urine, ses excréments ; il compte son pouls, palpe son abdomen ; la moindre irrégularité qu'il aperçoit, un léger échauffement, un petit enduit sur la langue, une colique passagère, un petit accès de toux deviennent à ses yeux, de graves événements, non parce qu'il est incommodé plus que d'autres individus par ces sortes d'accidents, mais parce qu'il s'imagine qu'ils met- tent au jour la maladie grave et obscure dont il se croit atteint. Aujourd'hui il se croit menacé d'une attaque d'apoplexie, demain il se figurera qu'il est atteint d'un ulcère de l'estomac, à d'autres moments d'une maladie orga- nique du cœur, d'une phthisie pulmonaire ou de quelque autre maladie, mais toujours d'une maladie grave, en harmonie avec ce sentiment intime d'at- teinte profonde de l'organisme qui le tourmente. Il étudie avec soin tous les ouvrages de médecine populaire qui lui tombent sous la main, mais au lieu d'y trouver de la consolation et du secours il apprend à connaître des ma- ladies nouvelles dont il n'avait pas soupçonné l'existence jusque-là et dont il se croit également atteint depuis qu'il a appris leur existence. Plus la ma- ladie fait de progrès, plus le jugement du malade sur l'état de son corps devient faux et exclusif. Aucun raisonnement ne pouvant enlever à l'hypo- chondriaque son sentiment de maladie, on épuise en vain auprès de lui tous les raisonnements possibles. Ainsi, on vient de le quitter il y a quelques heures n'ayant épargné ni temps ni peine pour lui démontrer que son état n'offre aucun danger et déjà il vous arrive un nouveau messager ou une longue lettre écrite par le malade lui-même pour vous supplier de vous rendre immédiatement auprès de lui, qu'il vient de se produire dans son état tel ou tel changement important et que sa position est devenue des plus graves. Dans d'autres cas, principalement dans ceux où un organe quelcon- que est réellement le siège d'une affection insignifiante, l'hypochondriaque ne varie pas autant dans l'indication des affections par lesquelles il croit pouvoir expliquer le sentiment de maladie qui le tourmente; mais il reste attaché à une maladie déterminée dont il persiste invariablement à se croire atteint. L'hypochondriaque ne se contentera pas de se plaindre, comme 464 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. d'autres malades, qu'il a de la fièvre, de l'oppression, des douleurs; en effet, il se sent d'une part réellement plus malade que d'autres, et, d'autre part, il a acquis la conviction que le médecin attache peu d'importance à ses plaintes. Aussi, dès ce moment il commence à exagérer et développe souvent la plus grande éloquence dans la peinture de ses souffrances inouïes. Ce sentiment d'atteinte profonde de l'organisme n'exclut cependant pas chez l'hypochondriaque un faible espoir de guérison; voilà pourquoi il est rare que ces malades attentent à leur vie et pourquoi ils ne se lassent jamais de consulter de nouveaux médecins et d'essayer de nouveaux traitements. A de certaines époques l'espoir de guérir prend même le dessus, et comme il ne peut y avoir pour l'hypochondriaque de plus grand motif de joie, il peut, tout en continuant de se sentir malade, être passagèrement très-gai et plein de confiance. Cependant ces intervalles sont ordinairement très-courts et coïncident le plus souvent avec un changement' de médecin ou avec l'essai d'un nouveau traitement : bientôt le malade retombe dans son ancien dé- sespoir. — La fausse interprétation des sensations, les jugements erronés sur l'état de leur corps, comme nous les trouvons chez les hypochondria- ques, sont de vrais délires : ils se fondent, comme les idées délirantes dans d'autres maladies mentales, sur l'altération de l'état moral, et doivent être en- visagés comme une sorte d'essai tenté pour expliquer cette altération. (Grie- singer.) Même des hallucinations, « ces sensations produites dans le for intérieur et reportées en dehors » sont provoquées chez les hypochondria- ques par le sentiment de maladie qui les tourmente et les efforts faits pour l'expliquer. Ainsi l'idée que le cœur cesse de battre, que les membres se dessèchent, que le corps entre en putréfaction, tout en ne correspondant pas à une sensation réelle, quoique peut-être mal interprétée, peut devenir tellement vivace que les malades ne peuvent plus la distinguer des idées les plus vivaces de toutes, c'est-à-dire de celles qui sont les produits immé- diats des perceptions de nos sens, qu'ils croient au contraire sentir positive- ment l'arrêt de leur cœur, la sécheresse de leur peau, les émanations de leur corps en putréfaction. — Malgré l'altération de leur moral et les con- ceptions maladives qui en sont la conséquence la plupart des individus hypo- chondriaques continuent de s'occuper de leurs affaires, de prendre soin de leurs intérêts et de leur famille, et c'est là le motif qui fait qu'ordinaire- ment on ne range pas l'hypochondiïe parmi les maladies mentales, mais qu'on la compte parmi les maladies nerveuses, habitude à laquelle nous avons cru devoir également nous conformer. Dans les degrés les plus élevés de la maladie, les individus perdent tout intérêt pour tout ce qui ne se rap- porte pas directement à leur santé. Le malade devient distrait, oublieux, néglige ses affaires, ne s'occupe plus de sa famille et reste souvent couché dans son lit pendant plusieurs années dans une complète inactivité. — La nutrition du malade se conserve souvent pendant longtemps en bon état. A HYPOCHONDRIE. 465 la fin cependant, surtout dans les degrés élevés de la maladie, il maigrit et prend un air cachectique ; il se développe des troubles digestifs et des ano- malies dans les sécrétions. On n'est pas en droit de chercher l'explication de l'amaigrissement et des autres troubles de la nutrition qui s'observent chez les hypochondriaques dans un fonctionnement irrégulier des divers organes, dû aux sensations anormales dont ils sont le siège. Nous voyons en effet le même amaigrissement, les mêmes troubles de la nutrition se développer chez des individus que les conditions extérieures et non une maladie psy- chique ont jetés dans un état de découragement continu et qui n'éprouvent aucune sensation anormale dans les organes appelés à devenir malades plus tard. Du reste la manière de vivre si irrationnelle des hypochondriaques et l'abus des médicaments contribuent beaucoup au développement de la cachexie. La marche de l'hypochondrie est toujours chronique; car le souci passa- ger d'un individu naturellement craintif et doué d'une imagination vive, qui pour des raisons particulières s'imagine qu'il est malade ou qu'il est menacé d'une maladie, ne peut être envisagé comme une hypochondrie proprement dite. — Assez souvent l'hypochondrie se termine par la guéri- son, mais plus souvent encore elle persiste pendant la vie entière avec une intensité variable. L'issue mortelle est un fait exceptionnel ; néanmoins il y a des cas où l'épuisement et le marasme arrivent à un degré assez élevé pour amener la mort. § 3. Traitement. Quand il s'agit de traiter un hypochondriaque, il ne sert à rien de dis- puter avec le malade et de chercher à lui démontrer la fausseté de ses idées. Ce n'est qu'en les délivrant du sentiment de maladie que l'on peut guérir les hypochondriaques. Il faut donc qu'avant tout on cherche à éloigner toutes les anomalies physiques que nous avons signalées comme étant des causes occasionnelles fréquentes d'hypochondrie et qui même chez les individus sains d'esprit provoquent un sentiment de maladie. Le traitement qu'il faut instituer dans ce but diffère selon le cas particulier. Si les eaux minérales de Karlsbad, de Marienbad, de Kissingen rendent souvent d'excellents ser- vices contre l'hypochondrie, cela tient sans doute principalement à l'effet favorable que ces sources produisent sur les états morbides des organes abdominaux, c'est-à-dire sur les causes occasionnelles les plus fréquentes de l'hypochondrie. Dans d'autres cas il y a lieu d'administrer du fer et les cures d'eaux minérales que nous venons de nommer ne peuvent faire que du mal; dans d'autres cas encore il faut prescrire des bains de mer et des bains de rivière. Quant aux purgatifs drastiques, dont on peut rarement se passer tout à fait dans l'hypochondrie, il faut en user avec de grandes pré- MEMEYI'.R. n. — 30 466 MALADIES DU SYSTEME NERVEUX. cautions malgré le soulagement momentané qu'ils procurent ordinairement aux malades, et il faut surtout leur recommander expressément de ne pas dépasser arbitrairement la dose prescrite comme ils n'ont que trop de ten- dance à le faire. 11 en est de môme de l'emploi des carminatifs que les ma- lades réclament presque toujours avec instance. — « La tâche du traitement psychique consiste, ainsi que Romberg le dit avec beaucoup de justesse à détourner l'attention du malade de la sphère sensible sur la sphère intellec- tuelle et la sphère motrice. Chez les malades instruits ce but n'est pas atteint par le conseil usuel de faire de fréquentes promenades, de scier du bois, de faire de la gymnastique et de se livrer à d'autres occupations mécani- ques, parce qu'une activité de ce genre ne détourne pas l'attention du ma- lade de la sphère sensible : un négociant hypochondriaque qui scie du bois est sans doute constamment préoccupé pendant ce temps de l'idée qu'il se livre à cette occupation parce qu'il est malade. Mais malgré cela ces pres- criptions, surtout celle des exercices gymnastiques énergiques, ont leur grande utilité, parce que de même que les bains froids, ils modifient pro- fondément la nutrition et rendent au malade le sentiment de ses moyens physiques. Les distractions ont rarement un effet durable parce que le charme en est bientôt usé. Il vaut mieux recommander des voyages pour un but déterminé, ou bien l'étude d'objets attrayants. Il est évident que l'on ne peut indiquer des règles générales pour remplir la tâche dont il est ici ques- tion ; car dans un cas donné les prescriptions doivent être conçues en vue des aptitudes du malade, de son éducation et de son état de fortune. MALADIES DE LA PEAU Les modifications que la peau subit dans les maladies infectieuses aiguës «t chroniques ne seront pas passées en revue dans les chapitres qui suivent; il convient de les décrire en même temps que les autres symptômes de la rougeole, de la scarlatine, de la variole, des maladies typhiques, de la syphilis, en un mot parmi les maladies infectieuses, attendu qu'elles ne constituent qu'un des nombreux troubles de la nutrition que l'infection produit dans ces maladies. Nous classons les maladies de la peau comme celles de tous les autres organes, d'après les modifications anatomiques qu'entraînent les processus morbides ; on retrouvera donc, dans cette section comme dans les autres, l'hypertrophie et l'atrophie, l'hypérémie et l'anémie, les hémorrhagies et les inflammations, les néoplasmes et les parasites. Mais, comme nous sommes en état d'observer plus exactement dans la peau qu'ailleurs les différences d'intensité et d'extension des modifications pathologiques, et, comme en outre nous pouvons constater ici directement certaines anomalies de sécrétion, non accompagnées de modifications de texture appréciables, nous sommes naturellement forcés d'admettre pour les maladies de la peau des divisions beaucoup plus nombreuses que pour celles d'autres organes. — Quant à l'habitude de désigner les maladies de la peau sous d'autres noms que ceux que l'on donne aux troubles analogues de la nutrition dans d'autres organes, nous sommes obligé de nous y conformer jusqu'à un cer- tain point en ajoutant le nom usuel à la dénomination analoino-patholo- pque. Nous ne mentionnerons qu'en passant la séparation si peu pratique et souvent si illogique des différentes formes morbides en innombrables- sous-divisions. 468 MALADIES DE LA PEAU. I. — HYPERTROPHIE DE LA PEAU Une hypertrophie de la peau, dans laquelle tous les éléments de cet organe : le tissu conjonctif, les vaisseaux, les nerfs, l'épidémie, les poils et les glandes, montrent un développement hypertrophique, se rencontre, limitée à quelques endroits déterminés du corps, à l'état d'anomalie congénitale. A cette catégorie appartiennent la plupart des nœvi materni qui dépassent le niveau des parties environnantes et les verrues molles. Cependant dans ces deux produits l'hypertrophie n'atteint pas à un degré également élevé tous les tissus de la peau : dans la plupart des nsevi proéminents et des verrues- molles il y a au contraire prédominence de pigment et de poils, ce qui fait qu'ils se distinguent principalement par leur coloration brune ou noire et par les poils forts et abondants qui les recouvrent. Très-fréquemment nous trouvons dans quelques endroits du corps une accumulation excessive de cellules épidermiques cornées. A cette anomalie appartiennent les durillons ou callosités, les cors et les cornes cutanées ou excroissances cornées de la peau. — Les durillons représentent des proémi- nences peu élevées, de nature cornée, qui s'aplatissent insensiblement vers la périphérie et qui sont de forme ronde ou irrégulière. La peau qu'ils cou- vrent est normale ou légèrement hypérémiée. Les durillons se forment principalement aux endroits exposés à une pression exagérée ; on les ren- contre donc de préférence aux talons et sous la plante des pieds chez la plu" part des individus, en outre dans le creux de la main chez les forgerons, les serruriers et autres ouvriers, à l'index chez les tailleurs et les coutu- rières. — Les cors sont des callosités coniques peu étendues, mais très-dures et très-épaisses, qui, imprimées par les chaussures dans le derme, y provo- quent une atrophie circonscrite. — Dans les cornes cutanées, l'hypertrophie de l' épidémie atteint une hauteur excessive à un endroit limité ; cependant il y a des cornes cutanées qui ne sont pas implantées sur le corps papillaire, mais qui se développent dans des follicules pileux dilatés et représentent des poils monstrueux. — Nous décrirons plus longuement une sorte d'hyper- trophie diffuse de l'épiderme qui se rattache à un développement hypertro- phique du corps papillaire, et dont les degrés légers constituent le pityriasis, les degrés plus élevés Yichthyose. Le teint brun, qui est congénital chez certains individus, dépend d'une formation abondante de pigment dans les cellules du réseau de Malpighi. — Une anomalie également congénitale que l'on- observe chez beaucoup d'in- HYPERTROPHIE DE LA PEAU. 469 dividus, c'est une formation surabondante de pigment à des endroits cir- conscrits du réseau de Malpighi, produisant des taches brunes ou noires (cliloasma et mélasma). Lorsque ces taches sont d'une certaine grandeur, on les appelle des nœvi pigmentaires (naevus spilus) ; quand elles ne dépas- sent pas l'étendue d'une lentille, on les appelle taches hépatiques ou lentigo. Même les nœvi pigmentaires et taches hépatiques non accompagnés d'une hypertrophie de la peau et ne dépassant par conséquent pas le niveau des parties environnantes sont souvent couverts de poils épais et abondants. — Chez la plupart des individus, la formation du pigment, dans le réseau de Malpighi, est augmentée par l'influence de la lumière et de la chaleur du soleil, par celle du vent et de l'humidité ; aussi les parties découvertes de la peau prennent-elles ordinairement chez les soldats, chez les cultivateurs et surtout chez les marins, une teinte d'un brun uniforme. 11 est surprenant que chez certains individus les influences que nous venons de nommer augmentent peu ou point la formation pigmentaire et que, par conséquent, ■ces individus ne sont pas hàlés ou le sont très-peu. — Un autre fait difficile à expliquer, c'est que, chez certains individus, surtout chez les blonds et les roux, dont le teint se distingue par sa blancheur, l'influence de la lumière et de la chaleur du soleil, de l'humidité et du vent ne produit sur les parties découvertes de la peau que des accumulations de pigment circon- scrites à des endroits isolés et de faible étendue. Ces personnes, tout en se garantissant par le chapeau et l'ombrelle de l'action directe des rayons solaires, contractent sur la face, sur les mains et sur les bras des taches arrondies, plus ou moins foncées en couleur, qu'on appelle taches de rousseur ou éphélides. De même que la peau brunie du marin se décolore plus ou moins lorsque, pendant l'hiver, il garde la chambre, de même les éphé- lides pâlissent pendant la saison froide ou disparaissent complètement. On peut faire passer les éphélides à l'aide de remèdes qui favorisent la chute de l'épidémie, y compris les couches profondes, lesquelles renferment le pigment; mais il suffit de quelques semaines pour les faire revenir si la peau est exposée de nouveau aux influences nuisibles, mentionnées plus haut. La lilionèse, si souvent employée, n'est qu'un palliatif de même que les compresses imbibées d'une solution de sublimé (25 centigr. sur 30 gram. • d'eau'), qui ont été préconisées par Hébra. — Chez les femmes enceintes • aussi bien que chez celles qui sont atteintes de maladies des organes sexuels, il se forme souvent des taches brunâtres dans la face, principalement sur le front et sur la lèvre supérieure (chloasmas utérins), qui disparaissent chez la 1 On ne doit employer ces compresses que pendant quelques heures, et il faut Caire en sorte qu'elles n'aient point de plis. Si la peau est fortement enflammée après ces applications, on la recouvre de compresses imbibées d'huile. Les taches de rousseur disparaissent alors en peu de jours pendant que l'épidémie se desquame. 470 MALADIES DE LA PEAU. plupart des femmes après les couches, tandis que chez d'autres elles per- sistent plus ou moins longtemps ou même toujours. Ce phénomène est tout aussi inexplicable que l'augmentation du pigment qui, pendant la grossesse,. s'observe presque constamment dans le réseau de Malpighi de l'auréole du mamelon et dans la peau qui correspond à la ligne blanche de l'ab- domen. En dehors de l'hypertrophie diffuse du corps papillaire, dans l'ichthyose, on observe très-fréquemment l'hypertrophie de quelques papilles, coïnci- dant avec l'hyperplasie de l'épidémie qui les recouvre. Cette hypertrophie détermine la formation des verrues et des condtjlomes. Les verrues sont dues à l'allongement d'un petit nombre de papilles cutanées réunies en faisceau. Elles sont couvertes d'une couche d' épidémie très-dure et très-épaisse. Si les diverses papilles dont se compose la verrue sont revêtues séparément de cette couche d'épidémie, la verrue paraît fissurée et fibreuse, Les causes de la formation des verrues sont obscures. La malpropreté n'y joue évidem- ment qu'un rôle secondaire ; car, chez les individus même les plus propres, il arrive souvent que la peau se couvre en très-peu de temps de verrues, surtout aux mains. Un fait tout aussi inexplicable, c'est la disparition sou- vent très-rapide de cette hypertrophie papillaire. Le public attribue ordinai- rement la disparition des verrues à l'effet de remèdes sympathiques. — Les condylomes se distinguent des verrues ordinaires en ce que, non-seulement il y a prolongement des papilles, mais formation de rejetons latéraux sur ces dernières, le tout couvert d'une couche épidermique moins épaisse et moins dense. On distingue des condylomes pointus et des condylomes- larges (pustules plates). Les premiers se rencontrent sur les muqueuses de l'urèthre et du vagin aussi bien qu'aux endroits de la peau extérieure qui sont mouillés par la sécrétion blennorrhagique de l'urèthre et du vagin. Ils offrent ordinairement un aspect de mure ou de chou-fleur, ou bien, lors- qu'ils sont exposés à nne compression latérale, de crête de coq. Ils exigent un traitement exclusivement local. Les condylomes larges ou pustules plates ont une structure fort analogue à celle des condylomes pointus, mais ils se distinguent le plus souvent par leur proéminence peu considérable et mon- trent ordinairement une forte tendance à s'ulcérer superficiellement. Le siège ordinaire des condylomes larges est aux grandes lèvres, au scrotum et entre les fesses. Il est plus rare de les observer aux lèvres et entre les deux orteils. Comme ils dépendent d'une maladie générale, ils exigent, non un traitement local, mais un traitement antisyphilitique. Une hypertrophie circonscrite du tissu conjonctif qui constitue le derme, donne lieu à la formation des polypes cutanés et aux tumeurs fermes, parfois pédiculées, qui sont connues sous le nom de molluscum simplex (fibroma mol- hiscum, Wirchow). — Une forme particulière d'hypertrophie partielle de la peau constituant des tumeurs irrégulières, d'une structure analogue h celle HYPERTROPHIE DE LA PEAU. 471 du tissu cicatriciel, c'est l'affection connue sous le nom de kèloide. — C'est d'une hypertrophie diffuse de la peau et du tissu conjonctif sous-cutané que dépend la pachydermie ou Y éléphantiasis des Arabes, dont nous parlerons plus longuement au second chapitre. Le développement hypertrophique des capillaires cutanés, auquel correspond parfois une hypertrophie du tissu conjonctif, donne lieu à des taches et à des tumeurs d'une couleur rouge ou bleu rouge, qui ont reçu le nom de téléangiectasies. Elles sont tantôt congénitales (narvi vasculaires), tantôt ac- quises peu de temps après la naissance. Il y a lieu de distinguer deux for- mes de téléangiectasies : celles qui restent stationnaires après avoir atteint une certaine dimension, et celles qui s'étendent de plus en plus loin et qui entraînent d'abondantes hémorrhagies par la déchirure des capillaires, qui finissent par se dilater à un point extraordinaire. Le développement hypertrophique des poils et des follicules cutanés, à des endroits circonscrits de la surface du corps, complique d'une manière pres- que constante les anomalies de nutrition qui forment la base de la plupart des nœvi materai. Le développement extraordinairement précoce des poils de la barbe et des parties génitales, et l'état velu du corps entier ou de quel- ques-unes de ses parties ordinairement dépourvues de poils, sans complica- tion d'autres anomalies, sont à compter parmi les curiosités de la nature. — L'hypertrophie et la dilatation des follicules pileux et l'accumulation, dans leur intérieur, de plaques épithéliales et de corpuscules ronds ayant le brillant de la graisse, donnent lieu à l'affection connue sous le nom de molluscum contagiosum (epithelioma molluscum, Virchow). Les tumeurs cou- vertes au commencement d'une peau normale, ayant à peine l'épaisseur d'un pois, grandissent plus tard, tandis que la peau qui les recouvre est tendue, rougie et rétractée en entonnoir par le milieu. Tout autour, il se développe de nouvelles nodosités ; de telle sorte que de grandes surfaces cutanées finissent souvent par être couvertes de tumeurs de molluscum. Cette marche progressive et la transmission bien constatée de la maladie d'individu à individu prouvent que l'affection est contagieuse de sa nature. Ce sont les globules d'apparence graisseuse que nous avons mentionnés plus haut qui paraissent être les véhicules du contagium. 472 MALADIES DE LA PEAU. CHAPITRE PREMIER Hypertrophie diffuse du corps pnpillaire et de l'épidémie. Ichthyose. § 1. Pathogénie et étioi.ogie. Il a été dit plus haut que la formation exagérée de l'épidémie dans l'ichthyose dépend du développement anormal du corps papillaire, qui est la matrice de l'épidémie. Bserensprung, dont nous utiliserons les excellents travaux sur les maladies de la peau, chaque fois que nous en aurons l'oc- casion, distingue l'ichthyose congénitale, dans un sens restreint, de l'ich- thyose vraie. Dans la première, les enfants naissent avec une carapace cor- née, dure et épaisse; ils viennent morts au monde, ou meurent peu de temps après la naissance, et l'on reconnaît que la carapace qui les couvre a dû se développer à une période antérieure de la vie intra-utérine, proba- blement par la transformation de l'enduit sébacé, composé de cellules épi- dermiques et de sébum, en une masse cornée dure. En effet, il est manifeste que cette enveloppe dure et résistante n'a pas pu suivre la croissance du fœtus ; elle s'est réduite en fragments et en écailles et s'est opposée au dé- veloppement du nez, des lèvres, des cartilages de l'oreille, des doigts et des orteils restés difformes et rabougris. — Mais l'hypertrophie papillaire, qui forme la base de l'ichthyose vraie, paraît également être une anomalie con- génitale et héréditaire. Si la maladie passe presque toujours inaperçue dans la première année de l'existence, ce fait trouve son explication dans les soins qu'à cette époque on donne généralement à la peau. La généalogie. des individus atteints d' ichthyose prouve, dans beaucoup de cas, que d'au- tres membres de la famille, un frère ou une sœur, un des parents ou des grands -parents, ou d'autres consanguins, ont été atteints de la même maladie. Indépendamment de l'ichthyose congénitale vraie, ordinairement répan- due sur la plus grande partie de la surface du corps, il y a encore une ichthyose acquise, plus légère, qui, limitée à quelques parties de la surface cutanée, complique généralement la pachydermic. § 2. Symptômes et marche. Au lieu de présenter cet aspect lisse qui la distingue chez l'homme sain, la peau montre, dans les degrés légers de la maladie dont il est ici ques- tion, une certaine rudesse et se couvre de squames fines et blanches C'est 1CHTHY0SE. 473 à ces degrés légers de la maladie que l'on a donné également le nom de pityriasis simple. Mais, dans cette espèce de pityriasis, il faut bien se rap- peler que la desquamation dépend d'une formation exagérée de l'épiderme, et non d'autres anomalies; la preuve qu'il en est ainsi, nous la trouvons dans le fait qu'il s'agit ici d'un état habituel, dans l'absence de phénomènes congestifs et inflammatoires ou d'un trouble de la sécrétion des glandes cu- tanées et sébacées. La desquamation de l'épidémie de la tète, reconnaissa- ble par de petites écailles blanches qui adhèrent aux cheveux et couvrent le collet de l'habit, dépend le plus souvent d'une dermatite superficielle et non d'uue hyperplasie épidermique. Il en est de même de la desquamation qui s'observe à la plante des pieds et dans la paume des mains, et dont il sera plus longuement question à l'occasion de l'eczéma. Dans l'ichthyose proprement dite, la desquamation de l'épi derme se fait par écailles plus ou moins épaisses, plus ou moins grandes, ordinairement foncées en couleur par le mélange de pigment et la malpropreté. Lorsque la maladie fait des progrès, F épidémie représente des plaques cornées, voire même des émi- nences verruqueuses et des piquants. Aussi a-ton cru devoir distinguer une ichthyosis simplex., cornea, ht/strix (homme porc-épic), et même on a établi un nombre encore plus grand de sous-divisions qui correspondent, non à des formes, mais simplement à des degrés différents de la même maladie. Certains endroits du corps, la face, la paume des mains, la plante des pieds, le creux de l'aisselle, le pli du coude, le jarret, le pli de l'aine et les parties génitales restent en général épargnées, tandis que les faces dorsales des extrémités, surtout les régions du genou et du coude, sont particulièrement sujettes à être couvertes d'ichthyose. Si chez les enfants nouveau-nés on ne remarque pas l'ichthyose dont ils peuvent être atteints, ce fait trouve, d'après Hebra, son explication dans cette circonstance que, dans le sein de leur mère, les enfants sont continuellement plongés dans un bain chaud ■qui macère les squames épideraiiques. De même, cet auteur explique par les bains et lavages répétés auxquels on a l'habitude de soumettre les en- fants si peu propres à cet âge, ce fait que dans la première année de leur •existence les squames épidermiques ne s'accumulent pas sur leurs corps, et •que la maladie reste ordinairement ignorée à cette époque. § 3. Traitement. 11 est impossible de guérir la maladie, attendu que nous ne connaissons aucun remède capable de faire rétrograder l'hypertrophie du corps papil- laire. Les observations faites sur l'inefficacité de l'arsenic, des antimoniaux, du goudron et d'autres médicaments employés, tant à l'intérieur qu'à l'ex- térieur, sont trop multipliées [tour nous permettre de tenter de nouvelles hlh MALADIES DE LA PEAU. recherches sur l'action de ces remèdes. L'usage fréquent, journalier, au- tant que possible, des bains chauds, avec ou sans addition d'alcalins, et les frictions avec des corps gras, sont à recommander aux malades, parce que, par ces moyens, on prévient l'accumulation trop forte des cellules épider- miques détachées. CHAPITRE II Hypertrophie diffuse de la peau et du tissu conjonetif sous-cutané- Pachydcriiiïe. — Élcphantiasis des Arabes. § 1. Pathogénie et étiologie. Des inflammations répétées de la peau, et avant tout l'oblitération répé- tée et continue de ses veines ou de ses vaisseaux lymphatiques entraînent parfois une hypergénèse énorme du tissu conjonetif du derme, du tissu sous-cutané et intermusculaire, et même du périoste qui recouvre les os appartenant à la partie atteinte. C'est là l'état auquel on a donné le nom de pachydermie ou d'éléphantiasis des Arabes, à raison de l'aspect grossier et difforme des parties atteintes. Cette maladie n'a rien de commun avec l'éléphantiasis des Grecs, connu sous le nom de lèpre ou speclalskhed. Nous ne savons pas pourquoi la dermatite répétée, la phlébite et la thrombose primitive des veines ou l'oblitération des vaisseaux lymphatiques n'engen- drent que dans quelque cas la pachydermie, tandis que cet effet ne se re- produit pas dans d'autres cas; et nous ne pouvons nous expliquer en aucune manière pourquoi ces processus se rencontrent plus fréquemment dans cer- taines contrées, et avant tout dans la zone torride (jambe des Barbades), et y entraînent la pachydermie plus fréquemment que chez nous. § 2. Anatcmie pathologique. C'est la jambe qui est le siège le plus fréquent de la maladie. Son volume est souvent augmenté du double ou du triple, tantôt d'une manière uni- forme, tantôt d'une manière inégale, irrégulière. La peau est adhérente aux parties sous-jacentes, et dans le cas où le corps papillaire prend part à l'hypertrophie, elle est couverte d'épaisses plaques épidermiques. Le derme et le pannicule adipeux sont transformés en une masse lardacée, ferme et dure, qui, examinée au microscope, se montre composée d'éléments de tissu conjonetif jeunes et anciens ; les muscles, condamnés à l'inaction et comprimés par le tissu conjonetif, également épaissi, qui les entoure, sont PACHYDERMIE. — ELEPHANTIAS1S DES ARABES. 475 atrophiés et atteints de dégénérescence graisseuse. Souvent on trouve des oblitérations veineuses ou lymphatiques et des dilatations variqueuses au- dessous des endroits oblitérés. Des modifications anatomiques identiques s'observent aux extrémités supérieures, quand elles sont de leur cote le siège de l'affection, ou bien au scrotum (éléphantiasis scrotal, hernie char- nue), au pénis, aux grandes lèvres. § 3. Symptômes et marche. La maladie débute par les phénomènes d'une inflammation érysipéla- teuse de la peau, d'une lymphangite ou d'une phlébite. La fièvre violente que plusieurs observateurs prétendent avoir observée, et qui, d'après eux, précède toujours les symptômes locaux, ne peut être considérée comme un symptôme caractéristique, attendu qu'il existe bien d'autres inflammations dans lesquelles l'état fébrile domine les autres symptômes et se fait remar- quer avant les troubles fonctionnels de l'organe malade. A la fin du proces- sus inflammatoire la partie tuméfiée ne revient pas à son volume normal, mais reste modérément enflée et conserve une consistance molle et pâteuse. Après un temps assez court, ordinairement au bout de quelques mois, il se produit une inflammation nouvelle qui suit la même marche que la pre- mière et laisse à sa suite une tuméfaction encore plus considérable de la partie atteinte. Plus ces accès se répètent et plus les intervalles qui les sé- parent sont de courte durée, plus le membre malade devient lourd et dif- forme; peu à peu l'état pâteux, qui dépend d'une infiltration œdémateuse, est remplacé par une dureté qui rappelle celle du bois et qui est due à la formation d'un tissu conjonctif dense et serré. A mesure que les accès que nous venons de décrire se répètent, la pachydermie s'étend de la partie atteinte en premier lieu aux parties environnantes, et la même extrémité peut alors montrer à la fois diverses phases du même processus. En dehors des accès inflammatoires', les malades n'accusent aucune douleur dans les parties tuméfiées. Souvent ces parties sont le siège d'une inflammation cu- tanée superficielle, accompagnée d'une exsudation liquide sous l'épidémie et à la surface libre (inflammation eczémateuse). La mobilité des extrémités atteintes est tout naturellement fort diminuée. S L\. Traitement. Lorsque la pachydermie des extrémités n'est pas encore trop enracinée, un traitement rationnel peut conduire à une amélioration notable et même à une guérïson complète'. Pendant les accès inflammatoires qui donnenl lieu au développement de la maladie, il faut donner au membre une posi- 476 MALADIES DE LA PEAU. tion élevée dans laquelle on le maintiendra encore quelque temps après la disparition de l'inflammation. En même temps, on emploiera le froid et les frictions d'onguent mercuriel, qui conviennent tout particulièrement pour ces sortes de cas. Lorsque l'inflammation est arrivée à son terme, il faut procéder à une compression méthodique et énergique du membre. D'après le précepte de Hébra, on doit se servir, pour envelopper le membre, de bandes de coton bien mouillées. On les appliquera à partir des orteils, de telle sorte que chaque circulaire couvre la plus grande partie de celle qui précède. On peut serrer les bandes sans inconvénient, parce que les ma- lades peuvent supporter très-bien une forte pression, et qu'une bande, même fortement appliquée, se relâche toujours au bout de quelques heures. Ce traitement si simple, lorsqu'il est suivi exactement et avec persévérance, donne souvent des résultats surprenants. L'éléphantiasis du scrotum, dans lequel les parties dégénérées descendent quelquefois jusqu'au-dessous du genou, et l'éléphantiasis des grandes lèvres ne peuvent être guéris que par l'ablation de la tumeur à l'aide du bistouri. ïï. — ATROPHIE DE LA PEAU L'atrophie de la peau constitue, premièrement, un symptôme dépendant du marasme général, aussi bien du marasme sénile que de celui qui résulte de maladies débilitantes. Si chez un individu de ce genre on fait un pli à la peau ou qu'on la divise à l'autopsie, on est souvent frappé de la diminu- tion de son épaisseur. Si l'on trouve en même temps la peau de pareils su- jets couverte de squames épidermiques, cela ne tient nullement à une hy- pertrophie de l' épidémie coïncidant avec l'atrophie des autres tissus, mais uniquement à la diminution de la sécrétion des glandes cutanées, destinée à rendre l'épiderme plus souple, et permettant, par conséquent, son élimi- nation insensible chez les individus sains ; or, ces glandes sont atrophiées chez les individus épuisés, et par conséquent leurs fonctions sont également diminuées. En d'autres termes, dans le pityriasis tabescentium, les cellules épidermiques ne sont pas formées en plus grande abondance, mais elles sont éliminées d'une manière plus visible que chez les autres individus. — Une pression continue agissant sur la peau, de dehors en dedans ou de dedans en dehors, en détermine également l'atrophie. Déjà nous avons dit qu'un cor pouvait entraîner l'atrophie partielle du derme ; un effet semblable est produit par les croûtes de favus, et quelquefois par des eschares qui adhè- rent longtemps à- la surface cutanée. Comme une pression agissant de dehors en dedans met quelquefois en souffrance le corps papillaire, le pro- ATROPHIE DE LA PEAU. 477 duit de ce dernier, c'est-à-dire les cellules épidermiques, est formé en plus •faible quantité, et l' épidémie est extrêmement mince aux endroits qui ont subi la pression. — Il en est tout autrement quand une pression agit sur la peau de dedans en dehors, par exemple en cas de distension excessive du venti'3 par la grossesse ou par des épanchements hydropiques, ou bien en cas de tuméfaction considérable d'autres parties couvertes parla peau. Dans ces cas, ce sont plutôt les couches profondes du derme et les éléments glan- dulaires qui sont en souffrance, tandis que la production de l'épidémie n'est nullement troublée. Je suis convaincu que le pityriasis qui se montre à l'abdomen et aux extrémités après des grossesses répétées et après une hy- dropisie intense, doit être attribué, aussi bien que le pityriasis tabescentium, à l'atrophie des couches profondes du derme et des glandes cutanées et à la trop grande sécheresse de l'épidémie. L'absence du pigment dans le réseau de Malpighi, lorsqu'elle est congénitale et étendue à toute la surface cutanée, constitue l'anomalie connue sous le nom d'albinisme. — Quelquefois, sous l'influence de causes inconnues, le pigment disparait en certains endroits de la surface cutanée. Ces endroits deviennent d'un blanc laiteux et forment un contraste d'autant plus frap- pant avec le tissu environnant, que cette anomalie, connue sous le nom de vitiligo ou à'achroma, se rencontre principalement chez les individus ayant le teint très-brun. Très-souvent il se produit une atrophie des follicules pileux, surtout de ceux du cuir chevelu. La conséquence forcée de cet état est la chute des cheveux. Si l'atrophie de^ follicules ne va pas jusqu'à la destruction complète, la formation des cheveux ne cesse pas entièrement ; mais à la place des cheveux épais qui sont tombés, les follicules atrophiés ne produi- sent plus qu'un duvet fin et laineux. La découverte de ce duvet éveille assez souvent de trompeuses espérances chez les individus chauves, surtout quand peu de temps auparavant ils ont fait usage d'eau de Lob ou de graisse de lion et qu'ils ont ajouté foi aux réclames qui exaltent la vertu de ces remèdes. L'absence de cheveux, due à l'atrophie des follicules pileux a reçu le nom de calvitie ou de calvitie sénile, parce que c'est chez les vieil- lards qu'on la rencontre de préférence. Cependant il n'est pas très-rare de rencontrer cette infirmité chez de jeunes individus, et c'est la disposition héréditaire qui parait être la cause la plus fréquente de ce phénomène. Les travaux intellectuels trop assidus, les soucis prolongés et les excès génitaux que l'on a accusés d'amener cette calvitie prématurée sont des causes fort sujettes à caution. Bien des individus tourmentés de soucis continuels et bien des libertins se distinguent par le luxe de leur chevelure, tandis que d'autres qui réfléchissent peu, qui n'ont aucun chagrin et ;is trompé dans le diagnostic et qu'en effet il s'agit d'un literpès et non d'un chancre Dans les cas récents, le diagnostic est facile, [tarée que la réunion, par groupes, de vésicules nombreuses est caractéristique pour 496 MALADIES DE LA PEAU. l'herpès, et parce que les excoriations qui restent immédiatement après la rupture montrent par leur forme qu'elles proviennent d'un groupe de vési- cules plus ou moins nombreuses. Mais quand les excoriations ont duré plus longtemps, et surtout quand le patient, inquiet, les a touchées avec le ni- trate d'argent, le diagnostic devient plus difficile, et il faut l'observation de la marche de la maladie pour le fixer d'une manière définitive. Si les exco- riations guérissent en peu de jours, ou du moins dans l'espace d'une se- maine, sans autre remède que d'interposer une ou deux fois par jour, entre le gland et le prépuce, un simple linge fin imbibé d'eau, on peut exclura le chancre en toute certitude. CHAPITRE IV. Derniatite superficielle aiguë, avec formation de plaques. Urticaire. — Fièvre ortiée. § 1. Pathogénie et étiologie. Dans l'urticaire il se forme, par une infiltration séreuse du corps papil- laire et à ce qu'il paraît aussi par le gonflement et l'imbibition des cellules du réseau de Malpighi, des élevures plates et circonscrites de la peau, beau- coup plus larges que hautes et qui ont reçu le nom de plaques ou pornphus. La rapidité avec laquelle naît et disparaît l'infiltration qui donne lieu aux plaques nous engagerait à ne pas compter l'urticaire parmi les inflamma- tions, mais à la considérer comme un œdème partiel de la peau ayant, il est vrai, une extension et une délimitation tout à fait caractéristiques, si dans cette section le mot dermatite ne devait servir à désigner tous les pro- cessus exsudatifs qui se produisent dans la peau, qu'ils débutent et se déve- loppent ou non avec des phénomènes inflammatoires bien sensibles. Si nous comptons l'urticaire parmi les inflammations aiguës de la peau, bien qu'il y ait des malades chez lesquels cette affection se prolonge pendant des an- nées, c'est uniquement parce que, même dans ces derniers cas, il ne s'agit pas, à vrai dire, d'un processus chronique, mais de récidives d'une maladie à marche aiguë très -nombreuses et se répétant à de très-courts intervalles. Les causes de cette formation de plaques sont très-variées. On ne les con- naît qu'en partie. D'après les causes qui président à la production de l'ur- ticaire, on en distingue différentes espèces. Ainsi il y a 1° l'urticaire par irritation externe. Elle prend naissance au contact de la peau avec les orties, avec les feuilles du rhus toxicodendron (sumac vénéneux), avec les soies de quelques espèces de chenilles, avec certains mollusques. Telle est encore URTICAIRE. — FIEVRE 0RT1ÉE. 497 l'urticaire déterminée par la piqûre des puces et des mouches, et enfin celle qui se développe chez certains individus quand ils se grattent la peau avec les ongles; 2° l'urticaire ab ingestis. Cette forme se produit chez certains in- dividus immédiatement après qu'ils ont mangé des fraises ou bien des écre- visses, des moules, des champignons ou quelques autres aliments peu ha- bituels. C'est une pure hypothèse que de supposer que dans ces cas une substance acre se mêle au sang, et donne lieu, par cette voie, à une irrita- tion de la peau. On ne s'explique en aucune manière pourquoi les aliments que nous venons de nommer ne. provoquent l'urticaire que chez un très- petit nombre d'individus, et cela chaque fois qu'ils en font usage. À l'urti- caire ab ingestis se rattache encore la formation de plaques qui suit quel- quefois l'administration du copahu à hautes doses; 3° l'urticaire fébrile ou fièvre ortiée. Les causes de cette forme, accompagnée d'une fièvre violente et de troubles gastriques et qui dans son invasion et sa marche offre la plus grande analogie avec les exanthèmes aigus, sont inconnues; k° l'urticaire chronique. Nous ne connaissons pas non plus les causes de cette, forme qui n'est pas très-commune. Elle paraît dépendre dans quelques cas d'une dis- position héréditaire; 5° enfin Hebra mentionne une forme d'urticaire qui se rattache étroitement à certains états d'irritation de V utérus, et qui s'observe chez quelques femmes pendant la grossesse , chez d'autres pendant la menstruation, et chez d'autres encore pendant les maladies de l'utérus ou après l'introduction d'un pessaire. § 2. Symptômes et marche. Les plaques d'urticaire s'élèvent toujours sur une base rougie par l'hypé- rémie. Mais souvent elles sont elles-mêmes blanches et c'est ce qui arrive peut-être dans les cas où le produit de l'infiltration séreuse comprime les vaisseaux du corps papillaire (urticaria alba ou porcellana). Elles sont tantôt isolées, tantôt tellement rapprochées que quelques-unes se confondent (urti- caria conferta). Quelquefois la durée d'une seule et même plaque est très- courte {urticaria evanida); d'autres fois, une fois formées, les plaques per- sistent plus ou moins longtemps (urticaria perstans). Si les plaques sont grandes et dures, l'urticaire est dite tubéreuse; si au contraire elles sont petites, c'est une urticaire papuleuse (lichen ortie); si dans quelques endroits un épanchement simultané à la surface libre soulève l'épidémie en petites vésicules, c'est une urticaire vésiculeuse. Toutes les plaques produisent une démangeaison très-désagréable qui excite les individus à se gratter. Cette démangeaison et les signes objectifs que présente la peau sont les seuls symptômes de toutes les formes d'urticaire, excepté de la fièvre ortiée. La durée de la maladie est ordinairement d'un ou de très-peu de jours. Il n'y NIEMEYER. II — 32 498 MALADIES DE LA PEAU. a que l'urticaire dite chronique, qui se répète à de courts intervalles pen- dant des semaines, des mois et des années, parce qu'il se forme à tout instant de nouvelles éruptions de plaques, sans que chacune en particulier persiste très-longtemps. La fièvre qui accompagne et quelquefois précède la fièvre orliée peut atteindre un degré très-élevé, à un tel point que la langue devient sèche, le sommeil agité et que même il se produit des dé- lires. Si à cette fièvre: s'ajoutent de violents vomissements et une forte diar- rhée, faits qui semblent annoncer une affection de la muqueuse gastro-in- testinale, analogue à celle de la peau, le tableau clinique est celui d'une maladie grave. Cependant l'exanthème disparaît au bout de peu de jours, ainsi que la fièvre et les phénomènes gastriques, et le mal est guéri après une courte convalescence. § 3. Traitement. Bien que l'urticaire aiguë disparaisse d'elle-même après une courte du- rée il n'en est pas moins vrai que ce serait faire un grand bien au malade que de le débarrasser des démangeaisons qui le tourmentent sans cesse et le privent souvent de repos et de sommeil. Malheureusement les palliatifs recommandés dans ce but restent souvent sans effet, et entre autres les lotions de la peau avec des acides très- étendus et des frictions faites avec des tranches de citron, moyen dont on a surtout exalté l'efficacité. Contre l'urticaire chronique, nous ne possédons pas non plus de remèdes efficaces. - Il faut donc que nous nous bornions à rétablir par des moyens hygiéniques et médicamenteux les troubles qui peuvent s'être déclarés dans l'état géné- ral, que nous cherchions à remédier aux embarras de la digestion et que nous défendions l'usage de ces aliments qui, d'après l'expérience, provo- quent l'urticaire chez certains individus. CHAPITRE V lïeranatïte superficielle diffuse avec exsudation séreuse sur Sa surface libre et à marche non typique. — Eczéma. § 1. Pathogénie et étiologie. L'eczéma est la forme de beaucoup la plus commune de la dermatite. Il se rapproche de l'herpès en ce sens que les troubles inflammatoires qui le caractérisent sont limités aux couches superficielles du derme, et qu'il ECZÉMA. 499 donne lieu à une exsudation séreuse à la surface libre de ce dernier. Mais ce qui distingue l'eczéma des différentes espèces d'herpès, c'est, d'une part, la tendance à s'étendre en largeur, qui s'observe même pour les eczémas les moins étendus; et, d'autre part, la marche non typique, c'est-à-dire non liée à une période déterminée, comme elle existe pour les éruptions herpétiques. On peut comparer les eczémas aux catarrhes. De môme que l'eczéma est l'affection la plus fréquente de la peau extérieure, de même le catarrhe est la maladie la plus commune des muqueuses. Dans les catarrhes, il s'agit également d'une affection bornée à la surface plutôt que d'une maladie du parenchyme; ils sont également accompagnés d'une abondante exsudation séreuse à la surface libre et occupent, comme l'eczéma, un assez grand espace, ou montrent, s'ils sont peu étendus, une tendance à s'éten~ dre en largeur. Si nous appelons l'eczéma une dermatite diffuse, accompagnée d'une exsudation séreuse à la surface libre, on comprend facilement que dans cette affection il doit se développer très-souvent des vésicules sur la peau ; mais un fait tout aussi évident, c'est que la formation des vésicules n'est nullement un symptôme constant ni une condition nécessaire. Si l' exsudât déposé à la surface libre est assez abondant pour former des gouttelettes, et si l'épidémie est assez résistant pour ne pas être immédiatement rompu par l'exsudat, il se forme des vésicules et on voit se produire cette forme de l'eczéma qui a reçu le nom d'eczéma simple ou vésiculeux. — Si le contenu de quelques vésicules devient trouble, jaune et puriforme par un abondant mélange de jeunes cellules, dont, du reste, un certain nombre est contenu dans toutes les vésicules, et si par ce fait quelques-unes de ces dernières se transforment en pustules, l'eczéma reçoit le nom d'eczéma impétigincux. Si l'exsudat n'est pas assez copieux pour former des gouttes et soulever l' épi- derme, il se dessèche ordinairement en peu de temps; l'épidémie, décollé par l'exsudat du corps papillaire, est éliminé plus tard, et l'on ne voit alors, au lieu de vésicules ou de pustules, que des squames sèches qui se déta- chent de la peau rougie, état que l'on désignait autrefois sous le nom de pityriasis rubra, mais qui, de nos jours, est appelé presque généralement eczéma squameux1. Lorsqu'enfin l'exsudat détache l'épidémie, et qu'à la suite de cet accident la surface rouge du derme, humide, privée de sa cou- 1 Au point de vue anatomo-pathologique, je ne puis considérer le pityriasis rnbra que Hebra distingue de l'eczéma squameux, que comme un eczéma pouvant devenir dangereux par sa grande extension. En ellct, d'après la description même de Hebra, il ne s'agit, dans cette maladie, que d'une dermatite superficielle, dans laquelle l'exsudat très-rare versé à la surface se dessèche en squames avec l 'épidémie, et qui présente du danger à raison de son extension sur le corps entier, comme tous les exanthèmes qui occupent toute la surface cutanée. 500 MALADIES DE LA PEAU. che protectrice, est mise à nu, on donne à la maladie le nom d'eczéma ru- brum. Très-souvent les exsudats déposés à la surface libre, après l'élimina- tion de l'épidémie, se dessèchent en croûtes plus ou moins épaisses, qui faisaient désigner autrefois ces eczémas humides sous les noms de teigne muqueuse, granulée, croûtes laiteuses, serpigineuses, etc. Hebra compte aussi parmi les eczémas la plupart des formes éruptives qui se manifestent sous formes de papules solides, et que l'on désigne ordinairement du nom de lichen ; il rattache ainsi aux quatre formes d'eczéma que nous venons de nommer une cinquième, Y eczéma papuleux. Comme dans les papules, il se dépose également un exsudât séreux qui fait gonfler les cellules du réseau de Malpighi, sans qu'il soit assez abondant toutefois pour déborder sur la surface libre et soulever la couche cornée de l'épiderme en une vésicule, on peut, si l'on veut, compter le lichen parmi les eczémas ; mais alors je ne puis admettre que l'on fasse une exception pour quelques espèces de lichen et qu'on les oppose aux eczémas comme une. forme particulière. (Voy. chap. XI.) Les inflammations eczémateuses de la peau naissent : 1° A la suite d'irri- tations directes venant frapper la peau. Sous l'influence d'une température trop élevée de l'air, dépassant la température normale du corps, se déve- loppe Y eczéma caloricum, qui sans doute se confond avec les calori des Ita- liens, et probablement aussi avec le lichen des tropiques; l'action directe des rayons solaires donne lieu à Yeczema solare; les bains d'eau chaude sim- ple ou minérale produisent les eczémas connus sous le nom de poussée des eaux; l'irritation de la peau par les compresses et les douches froides don- nent lieu à l'éruption « critique» des hydropathes; les frictions avec l'on- guent mercuriel, à l'eczéma mercuriel. On pourrait encore de beaucoup augmenter le nombre de ces espèces, si l'on voulait donner des noms parti- culiers à d'autres eczémas provoqués par des irritants végétaux et minéraux, par des parasites, par des pressions ou des frottements. La dermatite ordi- nairement eczémateuse, qui est due à la présence de Yacarus scabiei, autre- ment dit la gale, sera l'objet d'un chapitre spécial. La miliaire rouge, pro- venant d'une transpiration trop abondante, compte également parmi les eczémas, le contenu des vésicules étant un exsudât inflammatoire à réac- tion alcaline et non de la sueur, à réaction acide, comme clans la miliaire blanche. 2° Les eczémas sont provoqués par un obstacle au retour du sang veineux. De pareils troubles de la circulation se rencontrant de préférence aux extré- mités inférieures, ce sont elles aussi qui, le plus souvent, sont le siège de ces inflammations eczémateuses que l'on peut comparer aux catarrhes de l'estomac dus à la compression de la veine porte et aux catarrhes du rec- tum dus à la stase sanguine dans les veines hémorrhoïdales. 3° Dans beaucoup de cas, l'eczéma est d'origine constitutionnelle. La pré- ECZEMA. 501 disposition constitutionnelle à l'eczéma et à d'autres maladies cutanées s'appelle ordinairement dyscrasie ou diathèse herpétique. L'expression dyscrasie herpétique se fonde sur la supposition que la composition du sang et des humeurs a subi des changements quantitatifs ou qualitatifs chez les individus atteints d'eczémas constitutionnels. Or, la justesse de cette hypo- thèse, non seulement n'est pas prouvée, mais elle est invraisemblable au plus haut point. On observe des eczémas dont l'origine constitutionnelle ne peut faire l'objet du moindre doute, et ces eczémas sont aussi communs chez les individus pléthoriques que chez les personnes anémiques, chez les individus cachectiques que chez ceux qui jouissent de la santé la plus flo- rissante et dont les humeurs ne sont à coup sûr pas altérées. Contre l'ex- pression « diathèse herpétique, » il n'y a rien à objecter, parce qu'elle tient compte des faits et qu'elle ne préjuge rien sur la question de savoir si la prédisposition constitutionnelle aux eczémas et à d'autres maladies cuta- nées, qui existe de fait, dépend d'anomalies de la nutrition ou d'autres ano- malies. — La diathèse herpéthique est assez souvent congénitale, et dans beaucoup de cas même, transmise petr hérédité, comme cela a surtout été constaté par Veiel à Canstatt. Il faut bien que l'on admette une prédisposi- tion congénitale quand dans une famille la plupart des frères et sœurs, ou tous sans exception, sont atteints d'eczémas, et une prédisposition hérédi- taire quand les parents et les grands-parents eux-mêmes ont été atteints de cette maladie. On conçoit facilement que la diathèse herpétique n'est pas transmise constamment des parents aux enfants, pas plus que n'importe quelle autre maladie héréditaire. — Une prédisposition constitutionnelle bien prononcée aux eczémas, et en particulier à l'eczéma impétigineux, se rencontre chez les individus scrofuleux et rachitiques. Certains eczémas sont dans un rapport de causalité avec des dyspepsies chroniques, d'autres avec des troubles de la menstruation. Dans ces cas on réussit, il est vrai, assez souvent, à guérir l'eczéma à l'aide d'un traitement local ; mais les récidives de cette affection ne cessent que quand les anomalies d'où elle dépend sont dissipées. Beaucoup plus souvent il est impossible de démon- trer l'existence d'uu lien de causalité quelconque entre une diathèse herpé- tique existante et des troubles de la nutrition en général, ou quelque ma- ladie de tel ou tel organe en particulier, et, dans ces cas, l'unique signe d'une anomalie de la constitution consiste dans la manifestation de l'ec- zéma en dehors de toute influence nuisible ayant agi sur la peau, et plus encore dans le retour fréquent de cette affection, malgré le soin pris pour éviter ces influences nuisibles. 502 MALADIES DE LA PEAU. § 2. Symptômes et marche. Les symptômes subjectifs de l'eczéma consistent dans la sensation de dé- mangeaison et dans le besoin irrésistible de se gratter, symptômes qui ap- partiennent en commun à toutes les maladies de la peau dans lesquelles le corps papillaire est en souffrance. — Les symptômes objectifs ont déjà été mentionnés dans le paragraphe précédent. Nous avons vu que l'endroit de la peau qui est le siège de la dermatite superficielle diffuse, non typique, que nous appelons eczéma, est occupé tantôt par de petites vésicules, tantôt par des vésicules mêlées de pustules, tantôt par des squames, que dans d'autres cas il représente une surface rouge humide, dénudée de son épi- derme, et que dans d'autres cas encore il est couvert de croûtes plus ou moins épaisses. Ordinairement, outre l'eczéma simple, squameux, rouge et impétigineux, on distingue encore un eczéma chronique. Cependant, abstration faite de ce qu'il y a d'illogique d'ajouter aux eczémas, nommés en premier lieu, une espèce fondée sur la marche, par conséquent sur un tout autre principe de classification, la pratique nous montre encore que cette division offre les plus grands inconvénients. L'eczéma chronique, auquel il n'est permis d'op- poser que l'eczéma aigu, affecte, comme ce dernier, tantôt les caractères de l'eczéma simple, tantôt ceux de l'eczéma rubrum, squameux ou impéti- gineux. Dans les cas très-prolongés, qui ordinairement se présentent sous la forme de l'eczéma rubrum, il se joint quelquefois aux symptômes super- ficiels des modifications dans le parenchyme du derme. Ces modifications consistent le plus souvent en une hypertrophie inflammatoire de ce dernier, hypertrophie fort analogue aux épaississements des muqueuses stomacale et bronchique dans les catarrhes chroniques de Festomac et des bronches, beaucoup plus rarement en une atrophie de ce tissu, occasionnée par la pression des croûtes qui le couvrent. Une troisième division des eczémas, beaucoup plus importante que celle qui se fonde sur leur forme et leur durée, est celle qui a pour base les dif- férences d'extension de la maladie sur la surface du corps. On distingue premièrement un eczéma général et un eczéma partiel; cependant il ne faut pas prendre à la lettre le premier terme, parce que l'eczéma général est répandu, il est vrai, sur une grande partie de la surface cutanée, mais oc- cupe rarement cette surface tout entière. — L'eczéma général s'observe beaucoup plus rarement que l'eczéma partiel. Il se manifeste d'une ma- nière aiguë et affecte alors dans sa marche le caractère de l'eczéma simple ou de l'eczéma squameux, plus rarement celui de l'eczéma rubrum, ou bien il représente une maladie chronique et affecte alors, aux différentes régions, des formes diverses, mais principalement celle de l'eczéma rubrum, ECZEMA. 503 de sorte que l'on trouve le plus souvent des surfaces humides dépourvues d'épidémie et des croûtes étendues. L'eczéma général chronique est tou- jours un mal très-fatigant et très-opiniâtre, tout en ne menaçant pas préci- sément la vie et tout en n'altérant même pas toujours l'état général delà nutrition chez les individus atteints. Les eczémas partiels ont tiès-fréquemment leur siège sur le cuir chevelu. Même dans les cas où au commencement de la maladie ces parties se cou- vrent de vésicules, ces dernières passent facilement inaperçues et sont dé- truites de bonne heure par le peigne et les ongles. Si l'eczéma du cuir che- velu présente les caractères de l'eczéma impétigineux ou de Y eczéma rubrum, l'éruption devient très-humide; les cheveux se collent et il se forme sur la tête des croûtes tantôt plates et molles, tantôt épaisses et dures (teigne), appelées autrefois teigne faveuse, granulée, etc. Une tête ainsi couverte de teigne est pour les poux un séjour favori et très-propre à leur multiplication. Très-souvent, dans les exanthèmes humides de la tète, il y a gonflement et même suppuration des ganglions cervicaux. Le tableau devient tout autre quand F exsudât est assez rare pour ne pas former de vésicules et ne pas rompre l'épidémie. Dans-ces cas, l'eczéma du cuir chevelu prend la forme de l'eczéma squameux, et on trouve non-seulement sur la peau rouge de la tête, mais encore entre les cheveux et sur le collet de l'habit, un grand nombre de petites écailles blanches, détachées de l'épidémie. C'est ce qu'on appelait autrefois tinea furfuracea, ou bien, quand les squames épi- dermiques, mêlées d' exsudât desséché, formaient des couches épaisses ayant le brillant de l'amiante, tinea amiantacea. — Dans la face, l'eczéma se mon- tre très-fréquemment et sous toutes les formes. Chez les enfants, on observe de préférence l'eczéma impétigineux et l'eczéma rubrum. Sans épargner les autres parties, l'eczéma des enfants atteint principalement les joues et le menton, dont la surface prend un aspect rouge et brillant et se couvre d'un liquide jaune et clair après l'éclosion et la rupture de quelques vésicules et pustules. Plus tard ce liquide se dessèche en croûtes jaunâtres ; si on les éloigne avant que le processus ait terminé son évolution, on trouve au- dessous, non le jeune épidémie, mais le derme dénudé et humide. L'eczéma impétigineux et l'eczéma rubrum de laface étaient autrefois connus sous les noms de porrigo larvalis, teigne de la face, croûte laiteuse, croûte serpigi- neuse, etc. 11 n'est pas rare que l'eczéma gagne le conduit auditif, et plus souvent encore il se complique de coryza, d'ophthalmic, de gonflements ganglionnaires sous le menton et au cou. — Dans des cas très-nombreux, l'eczéma est limité aux oreilles, aux sourcils, aux paupières, surtout aux angles de ces dernières, et avant tout aux lèvres. Ces endroits sont tantôt couverts de vésicules, tantôt dépourvus d'épiderme et couverts d'un produit de sé- crétion liquide ou de croûtes, tantôt enfin ils sont le siège d'un eczéma squa- meux circonscrit. — Autour du mamelon on observe, principalement chez 504 MALADIES DE LA PEAU. les nourrices, mais quelquefois aussi chez les femmes qui n'allaitent pas, et même chez les enfants, un eczéma rubrumfort opiniâtre. — De même, un eczéma partiel chronique se remarque au pourtour du nombril, surtout chez les personnes obèses. — Une forme très-importante est représentée par Y eczéma des parties génitales, qui, chez les hommes, occupe le pénis et le scrotum, chez les femmes les grandes lèvres. Il suit tantôt une marche aiguë et prend alors ordinairement les caractères de l'eczéma simple, tantôt une marche chronique, etreprésente dans ce cas un eczéma rubrum fort humide. La démangeaison insupportable qui l'accompagne fait le désespoir des ma- lades. — Il en est de même de l'eczéma à Vanus, qui occupe le pourtour de l'anus et le périnée, mais qui sécrète moins que l'eczéma des parties géni- tales. — Sous le nom à! eczéma marginatum, Hebra décrit une forme qui s'observe surtout chez les cordonniers et les cavaliers, et qui a pour point de départ l'endroit où le scrotum touche la face interne des cuisses, mais qui de là s'étend plus loin et finit par occuper, au bout d'un certain temps, l'en- droit symétrique de la cuisse opposée. — L'eczéma des extrémités frappe le plus souvent les jambes, où il occupe de grandes surfaces rouges, sécrétant abondamment ou couvertes de croûtes plus ou moins épaisses. — Lorsque l'eczéma occupe les plis articulaires, on trouve ces derniers généralement couverts d'une couche épidermique rude, épaissie par un exsudât assez rare qui s'y dessèche. Cette couche épidermique se déchire assez facilement sous l'influence des mouvements et produit alors des crevasses douloureuses. Ce- pendant on trouve aussi dans les plis articulaires des eczémas humides. — Un fait remarquable, c'est que l'eczéma envahit presque toujours simulta- nément les mains et les peids. Si, dans ces cas, c'est la face dorsale qui est atteinte de préférence, la maladie affecte les caractères de l'eczéma simple avec formation de vésicules et peut facilement être confondue avec la gale. A la face palmaire, les vésicules se produisent plus rarement, le derme rougi y est au contraire couvert d'une couche dure, souvent assez épaisse, d'un exsudât desséché, mêlé d'épidémie, et comme cette couche se détache cons- tamment de la peau des mains et de la plante des pieds sous formes d'écaillés blanches, on appelle souvent à tort cet eczéma de la paume des mains ou de la plante des pieds psoriasis ou pityriasis palmaire ou plantaire. § 3. Traitement. Dans le traitement de l'eczéma, comme dans celui des maladies cutanées en général, on pèche ordinairement dans une double direction. Les uns sont imbus du préjugé que tout traitement exclusivement local d'un exan- thème est une faute grave, parce que, disent-ils, on ne peut jamais savoir si la suppression de l'éruption n'entraînera pas à sa suite des résultats dange- ECZEMA. 505 reux. Dans la crainte, certes le plus souvent mal fondée, que la suppression de l'éruption par un traitement local n'ait des suites fâcheuses pour le malade, ils prescrivent trop souvent des médicaments internes, qui font indu- bitablement du mal. Une autre partie des médecins se range aveuglément sous la bannière d'Hebra, considéra comme superflu tout traitement interne et traite tous les exanthèmes sans exception, même ceux dont l'apparition à coïncidé avec la disparition de maladies graves d'organes internes, par des remèdes locaux. Les succès d'Hebra ne permettent pas de douter que dans beaucoup de cas les individus atteints d'affections cutanées se trouvent mieux du traitement direct de la peau malade. Par cette méthode, non-seulement on remédie presque toujours le plus sûrement et le plus promptement aux troubles de la nutrition qui se produisent dans la peau, mais encore ce trai- tement externe fait souvent beaucoup moins de mal aux malades que le traitement si fort en usage autrefois par les purgatifs énergiques, par les médicaments métalliques et par d'autres remèdes offensifs. Enfin, si l'on exepte quelques cas assez rares, c'est un préjugé mal fondé de croire que l'on provoquera des maladies d'une autre espèce en guérissant la peau par des remèdes locaux. Mais, d'un autre côté, on ne peut pas non plus contester que les exanthèmes traités localement récidivent très-facilement (voy. § 1), et qu'il existe positivement quelques cas d'exanthèmes où la crainte de provoquer, à la suite d'une guérison obtenue par des moyens locaux, d'autres maladies d'organes internes, n'est pas sans fondement. Parmi les eczémas qui me semblent devoir exclure un traitement local énergique, il faut compter : 1° les eczémas humides du cuir chevelu et de la face chez les enfants. Le fait qu'après la disparition de ces affections il se développe souvent très-rapidement des catharres bronchiques, un croup, une hydrocéphale, etc., et que, d'un autre côté, quelquefois l'apparition de ces exanthèmes coïncide avec la disparition de catharrhes bronchiques traînés en longueur, etc., ne peut être nié. Cela ne prouve pas, il est vrai, que ces maladies internes se soient déclarées, parce que les exanthèmes avaient disparu, ni, réciproquement, que des maladies d'organes internes aient disparu, parce que les exanthèmes étaient survenus; mais le contraire n'a pas non plus été prouvé, et la simple possibilité du lien de causalité dont il vient d'être question suffit pour contre -indiquer le traitement local des eczémas humides du cuir chevelu et de la face chez les enfants. Si l'on ob- jecte à cette manière de voir que pendant longtemps des opinions semblables ont eu cours sur les dangers du traitement externe de la gale, opinions qui plus tard on été reconnues pour de simples préjugés, je réponds qu'il est fort possible que l'avenir mette un jour à néant, comme mal fondée, la crainte de traiter les exanthèmes en question par des remèdes locaux; niais dans l'état actuel de nos connaissances cette crainte est fondée, et le fait que d'autres exanthèmes peinent être guéris impunément par. un traitement 506 MALADIES DE LA PEAU. exclusivement local ne prouve rien pour la forme dont il est ici question, attendu que malgré leur ressemblance extérieure les exanthèmes peuvent certainement offrir des différences radicales, quant à leurs rapports avec la nutrition générale du corps. — 2° Parmi les eczémas qui contre-indiquent le traitement local, il faut compter tous les eczémas d'individus adultes qui semblent s'être produits en remplacement d'autres affections ayant disparu pendant le développement de l'exanthème. Hebra dit, il est vrai, expressé- ment avoir guéri même ces eczémas par des remèdes purement locaux, sans avoir causé le moindre dommage aux individus. Mais malgré cette autorité, je n'ai pas le courage de traiter localement des eczémas dont le développe- ment coïncide avec la disparition d'une ophthalmie, d'un trouble chronique de la digestion ou d'une autre maladie sérieuse. — 3° Un traitement local ou du moins exclusivement local doit en outre être déconseillé dans les eczémas qui dépendent manifestement d'une affection constitutionnelle. Pour les médecins qui font dépendre d'une « dyscrasie » tous les exanthèmes dont ils ne peuvent pas découvrir la cause, il resterait à ce compte bien peu d'é- ruptions qu'ils se permettraient de traiter localement. Mais un grand progrès, réalisé de nos jours dans la thérapeutique des maladies cutanées, consiste précisément à n'attribuer à des anomalies constitutionnelles et à ne soumettre à un traitement antidyscrasique que les eczémas dans lesquels d'autres con- ditions que le simple exanthème semblent annoncer une* affection constitu- tionnelle. Pour les exanthèmes syphilitiques l'inutilité du traitement local est universellement reconnue ; mais encore pour les eczémas des individus scrofuleux et rachitiques, comme pour ceux qui se déclarent chez les jeunes filles chlorotiques et qui s'ajoutent à des maladies de l'appareil sexuel, il n'y a pas lieu d'employer un traitement exclusivement local; les topiques ne sont pas nuisibles, cela est vrai ; mais ils ne doivent être employés que pour seconder le traitement général mis en usage contre la maladie principale. Nous ferons remarquer cependant qu'assez souvent des exanthèmes qui sont manifestement dus à une affection constitutionnelle et qui persistent en quelque sorte idiopathiquement, après la disparition de cette dernière, ne disparaissent qu'après l'emploi d'un traitement local énergique. Cela est même vrai pour les exanthèmes de provenance syphilitique. J'ai connu à Magdebourg un négociant chez lequel, à côté d'autres affections syphili- tiques, s'était développé un exanthème très-vilain occupant la face et la tête et qui persistait depuis bien des années, après que tous les autres symptômes de la syphilis avaient depuis longtemps disparu. Ce malade, après avoir consulté les médecins les plus célèbres et s'être soumis sans aucun résulat à toute une série de traitements antisyphilitiques, fut guéri définitivement et en peu de semaines par un chirurgien de seconde classe, à l'aide d'une pommade composée de précipité blanc et de carbonate de plomb. Les eczémas humides de la tête chez les enfants, les eczémas en appa- ECZEMA. 507 rence supplémentaires et ceux dont on peut démontrer l'origine constitu- tionnelle, sont du reste bien peu nombreux comparativement à ceux qui peuvent sans inconvénient être soumis à un traitement local et qui fournis- sent un éclatant témoignage de l'excellence de cette méthode. Parmi les remèdes locaux, je citerai en première ligne le précipité blanc sous forme de pommade (précipité blanc, k grammes ; axonge, 30 grammes) et le su- blimé corrosif en solution étendue (bichlorure de mercure, 5 à 40 centi- grammes; eau distillée, 30 grammes), parce que ces remèdes fatiguent beaucoup moins les malades que les pommades au goudron, le savon noir et d'autres substances, et parce que dans un grand nombre de cas ils suffi- sent parfaitement pour guérir en peu de temps les eczémas, même les plus opiniâtres. Je ne suis pas en état, il est vrai, d'expliquer d'une manière un tant soit peu plausible l'influence favorable du précipité blanc et du sublimé sur la dermatite eczémateuse, et je me contenterai de rappeler que la pom- made au précipité rouge ou au précipité blanc compte depuis très-longtemps parmi les remèdes les plus efficaces contre la conjonctivite. Les eczémas contre lesquels j'ai de préférence employé la pommade au précipité blanc, étaient des eczémas de la face et du cuir chevelu n'ayant pas une trop grande étendue et n'ayant surtout pas encore amené un notable épaisisse- ment du derme. Dans ces cas ce traitement m'a presque constamment réussi à l'hôpital aussi bien qu'en ville, et j'ai vu disparaître sous son in- fluence, en très-peu de semaines, non-seulement des eczémas qui avaient une ou plusieurs années d'existence, mais encore des affections qui du- raient depuis dix-huit et vingt ans, De peur de provoquer le mercurialisme, j'ai hésité moi-même d'employer la pommade au précipité blanc contre les eczémas très-étendus; et cependant j'ai eu l'occasion de m' assurer, dans une circonstance toute particulière, que même dans ces cas cette pommade rend des services excellents et qu'elle est supportée sans préjudice. J'avais guéri en peu de semaines la femme d'un pasteur des environs de Greifswald, par la pommade au précipité blanc, d'un eczéma des oreilles et du cuir chevelu qui existait depuis plusieurs années. Au bout d'un certain temps, cette dame, qui s'occupait avec une grande charité des pauvres de sa pa- roisse et leur administrait des remèdes homœopathiques (!) quand ils tom- baient malades, me dit qu'elle ne pouvait assez me remercier de mon or- donnance, vu qu'elle avait guéri radicalement par ce moyen, et en très-peu de temps, une foule de dartres humides très-opiniâtres et très-étendues; les malades n'avaient pas été le moins du monde incommodés par ce trai- tement rapide, et aucun d'eux n'avait eu de la salivation. L'emploi de la pommade au précipité blanc ne met nullement à l'abri des récidives, et l'on fait bien d'avertir les malades de la probabilité de cet accident et de les engager à recommencer immédiatement le traitement à la première apparition d'une nouvelle éruption. L'eczéma sera guéri d'autant plus faci- 508 MALADIES DE LA PEAU. lement et plus rapidement par l'emploi local du précipité, qu'il sera plus récent et moins étendu; il importe donc de conseiller aux malades de bien surveiller les premières traces de son apparition. A l'appui de ce fait, je puis encore citer un exemple frappant. Chez la femme d'un officier de Magdebourg, j'avais fait disparaître à l'aide du précipité blanc, en moins de quinze jours, un eczéma chronique de la face contre lequel elle avait em- ployé, sans succès et à diverses reprises, la décoction de Zittmann, l'arse- nic, l'iodure de potassium, les préparations mercurielles et les eaux minéra- les, tant à l'intérieur qu'en bains. Cet eczéma montrait une grande tendance à récidiver. Quand le mari de la malade séjournait à Magdebourg, il exami- nait journellement à la loupe le visage de sa femme, couvrait la moindre place suspecte avec la pommade; et prévenait ainsi sûrement l'extension du mal. Lorsqu'au contraire le mari était absent de Magdebourg pour les ma- nœuvres d'automne, l'eczéma prenait quelquefois une extension plus grande, ne cédait ensuite que lentement à l'emploi du précipité blanc, ou me forçait moi-même à employer, au lieu de ce dernier, la solution du sublimé. — Une friction de l'endroit malade avec la pommade au précipité blanc, répétée deux à trois fois par jour, ou bien un badigeonnage avec une solution de sublimé, répété le même nombre de fois, suffit le plus sou- vent. Il est évident qu'il faut commencer par ramollir et faire tomber les croûtes qui couvrent l'endroit malade et bien essuyer la place avant de faire les frictions ou le badigeonnage. J'ai remarqué plusieurs fois que mes anciens élèves, quand ils revenaient de leurs voyages et après avoir suivi ailleurs des cours sur les maladies de la peau, commençaient, sous l'im- pression des idées nouvelles qu'ils rapportaient des facultés étrangères, par traiter tous les eczémas qui leur tombaient sous la main avec des frictions de savon noir, d'huile de cade, d'huile de foie de morue, etc.; mais au bout de quelques années , ils renonçaient à cette méthode ou essayaient au moins, avant d'y avoir recours, si le traitement par la pommade au préci- pité blanc qu'ils avaient appris à connaître dans ma clinique et qui dans tous les cas a l'avantage d'être beaucoup plus commode et plus simple, ne les conduirait pas au même but. — Au précipité blanc et au sublimé se rattachent les préparations de zinc et de plomb, qui conviennent également pour le traitement d'eczémas peu étendus et n'ayant pas encore amené un épaississement hypertrophique du derme. On prescrit surtout des solutions de sulfate de zinc (2 grammes sur 180 grammes d'eau) et des pommades à l'oxyde de zinc et au carbonate de plomb (U grammes sur 30 grammes d'axonge), ou bien lorsque les malades ne supportent pas les frictions avec les pommades, des pâtes composées de glycérine et de fleurs de zinc, ou bien des poudres composées de fleurs de zinc et d'amidon ou de semence de lycopode (fleurs de zinc, k grammes; amidon, 30 grammes). Contre les eczémas très-humides, surtout aux oreilles, dans les jarrets, entre les doigts ECZÉMA. 509 et les orteils, le traitement de Hebra par l'onguent de diaehylon rend d'ex- cellents services. On prépare cet onguent en faisant fondre à une douce chaleur l'emplâtre de diaehylon; puis on y ajoute, à poids égal, de l'huile de lin et on fait bien remuer le mélange après refroidissement. On peut aussi faire la prescription suivante. Prenez : huile d'olives fine, 150 gram- mes; litharge, /i0 grammes. Faites cuire jusqu'à consistance molle; puis ajoutez : essence de lavande, 2 grammes, pour faire un onguent. On fait avec l'onguent de diaehylon deux ou trois frictions par jour sur l'endroit malade, ou bien on en enduit, ce qui est préférable, de petits linges avec ^squels on couvre la partie malade. Un moyen fort à recommander contre les eczémas très-étendus, accompagnés d'une forte démangeaison, c'est la douche en pluie ou en arrosoir. Il y a des malades qui ne supportent absolu- ment pas les remèdes irritants que nous mentionnerons plus loin. D'après la prescription de Hebra, il faut leur appliquer la douche en arrosoir au moins deux à trois fois par jour, dans un local chauffé, et chaque fois pen- dant au moins dix à quinze minutes. On guérit assez souvent de cette ma- nière, quoiqu'en général il faille continuer longtemps l'emploi de la dou- che, les eczémas les plus opiniâtres qui jusque-là avaient résisté à tout autre mode de traitement. Un appareil convenable pour les douches peut être construit à peu de frais. Au lieu de la douche froide, on peut employer des compresses froides pour les eczémas partiels qui ne supportent pas les moyens irritants, surtout lorsque ces eczémas sont récents. — Si l'eczéma est invétéré, et avant tout si le parenchyme du derme a pris part à l'affec- tion de la surface, si la peau a une consistance ferme et s'il est difficile de la soulever et de former un pli, on est souvent forcé d'employer les remè- des qui, à raison de la modification énergique qu'ils impriment à la nutri- tion de la peau, jouent un grand rôle dans le traitement de presque toutes les affections cutanées invétérées. L'expérience nous apprend que, parmi ces remèdes, les préparations sulfureuses sont ceux qui conviennent le moins, qu'elles ne sont utiles que dans quelques cas rares (d'après Hebra, surtout dans l'eczéma marginatum), et que le plus souvent elles sont directement nuisibles. Par contre, le savon noir, le goudron et la potasse caustique rendent des services excellents dans les eczémas anciens, accompagnés d'une forte infiltration du derme ; nous rapporterons donc en résumé les prescriptions données par Hebra sur la manière d'employer ces remèdes. Avec le savon noir, on frictionne une'ou deux fois par jour la partie malade, ou bien on en enduit de petites pièces de flanelle avec lesquelles on couvre l'eczéma, en ayant soin de renouveler ces applications deux fois par jour. On continue ainsi pendant 'trois à six jours; ensuite on arrête, mais sans éloigner de la peau la pommade qui reste de la dernière friction ou les compresses. Encore trois jours plus tard on prescrit aux malades un bain et on suspend alors le traitement pendant un jour. On répète ce procédé jusqu'à ce que toute 510 MALADIES DE LA PEAU. infiltration ait disparu et que la sécrétion soit arrêtée. A ce moment, c'est- à-dire quand l'eczéma humide s'est transformé en un eczéma sec et squa- meux, Hebra fait remplacer le savon noir par le goudron. Parmi les diffé- rentes espèces de goudron, Hebra préfère le goudron tiré du bouleau (oleum Busci) qui, de toutes, a l'odeur la moins désagréable, et l'huile de cade, qu'on retire du bois de juniperus oxycedrus, au goudron ordinaire, retiré du pin et du sapin, et qui est aussi connu sous le nom de poix li- quide. Depuis des années, j'emploie au lieu de goudron pur ou de pomma- des au goudron, une solution de goudron dans l'alcool (goudron, alcool : ââ; ou bien : goudron, savon noir : âà 15 grammes, alcool, 30 grammes). Cette solution répond à tous les besoins, est beaucoup plus commode à em- ployer que le goudron pur ou les pommades goudronnées et se laisse enle- ver bien plus facilement de la peau que ces dernières. Les frictions avec la solution de goudron doivent être répétées une fois par jour jusqu'au mo- ment où l'enduit brun qui se forme n'est plus éliminé peu de temps après, mais adhère pendant plusieurs jours, et laisse apercevoir après sa chute, au lieu d'une tache rouge, la coloration normale de la peau. Tant que l'en- duit de (goudron se détache rapidement et que la peau se montre rouge au-dessous , le processus pathologique n'est pas arrivé à son terme. Si l'usage externe du goudron est généralement bien supporté, il n'en est pas moins vrai que chez quelques malades il se produit dès les premières fric- tions des inflammations intenses de la peau qui rendent impossible la con- tinuation du traitement. Plus souvent encore, il arrive qu'après des frictions longtemps continuées de goudron sur de vastes surfaces cutanées l'inter- ruption du traitement est rendue nécessaire par les symptômes d'une irri- tation violente du canal intestinal et des reins : vomissements, diarrhée, émission d'une urine noirâtre ayant une odeur de goudron très-prononcée, qui se manifeste surtout après l'addition [de quelques gouttes d'acide sulfu- rique, fièvre, embarras de la tête, etc. — S'il y a des eczémas qui ne per- mettent pas l'emploi du savon noir et du goudron, il y en a d'autres dans lesquels ce traitement, quoique supporté par les malades, ne conduit pas au résultat voulu. C'est dans ce cas qu'il y a lieu de cautériser la surface malade avec une solution concentrée de potasse caustique (U grammes sur 8 grammes d'eau). Les cautérisations ne doivent être faites qu'une -fois par semaine. Pour les faire, on passe rapidement un pinceau de charpie im- bibé de la solution sur la surface malade, que l'on fait ensuite couvrir de compresses froides pour apaiser les très-fortes douleurs que cette opération fait naitre. Les eczémas, même les plus invétérés, guérissent ordinairement après la cinquième ou la sixième application de cette solution caustique. On se demande finalement si dans les cas où le traitement local délivre les malades de leur affection, sans les mettre toutefois à l'abri des récidives, on doit se borner exclusivement à ce traitement, ou bien si l'on doit join- ECZEMA. 511 dre dans ces cas au traitement local un traitement général, en supposant même qu'on n'ait pu découvrir ni anomalie de constitution, ni scrofulose, ni rachitisme, ni maladie consécutive à de longues dyspepsies ou à des troubles menstruels. Hebra se prononce énergiquement contre une telle manière d'agir; mais Veiel, qui attache au traitement local tout autant d'importance que Hebra, y joint, même en l'absence d'une anomalie de constitution bien évidente, l'administration de tisanes purgatives et d'iodure de potassium à doses croissantes. Les résultats obtenus dans l'établissement de Veiel sont très-brillants. Ajoutez à cela que le chef d'une maison de santé a l'occasion de suivre ses malades et de contrôler leur état ultérieur, parce que la plupart d'entre eux retournent au même établissement en cas de récidive. Pour ma part, je crois qu'il est non-seulement permis, 'mais indiqué d'urgence, dans tous les cas où, malgré toutes les précautions prises pour évi- ter les moindres causes d'irritation cutanée, un eczéma récidive sans cesse, d'as- socier un traitement général au traitement local. Il y a bien peu de profit poul- ies malades à être renvoyés guéris de l'hôpital pour y retourner peu de se- maines après avec le même mal. On n'a pas besoin de chercher longtemps pour trouver des exemples innombrables d'individus qui, tout en s'étant soumis au traitement des médecins les plus renommés et connaissant par- faitement les nouvelles méthodes de traitement des maladies cutanées, ont passé cependant bien des années tantôt à souffrir d'un eczéma, tantôt à suivre un traitement, et qui souvent n'ont été délivrés de leur affection que pour un temps assez court pendant cette longue période. Pour le traitement général de ces eczémas qui dépendent d'une diathèse herpétique, il est im- possible de donner des règles applicables à tous les cas ; mais dans un cas donné, il n'est pas toujours bien difficile de trouver un traitement conve- nable, parce que l'individualité, l'état de la nutrition, la manière de vivre des malades fournissent des points de repère qui permettent de trouver les moyens à employer pour modifier la constitution d'une manière efficace et sans faire du mal. 11 serait fort à regretter que la conviction d'une utilité purement palliative de la méthode de Hebra, telle qu'on a pu la constater chez beaucoup de malades, ramenât le? hommes de l'art à la vieille routine, qui consistait à traiter tous les eczémas par l'administration méthodique de forts purgatifs; mais je ne crains pas de dire que je considère comme abso- lument fausse l'assertion de Hebra que, « dans les eczémas chroniques, l'administration exclusive des purgatifs n'est jamais utile et fait souvent du mal. » Si l'on a affaire à un eczéma chronique chez un malade qui se dis- tingue par un fort embonpoint, qui mange et boit plus que l'usure modérée de son corps ne l'exige, et qui a une préférence pour les aliments gras et pour ceuv qui sont riches en substances produisant de la graisse, on guérira eel individu plus rapidement, et l;i jmérison sera plus stable, si on le sou- 512 MALADIES DE LA PEAU. met à un traitement méthodique par les purgatifs et si on règle convena- blement son régime, que si l'on se borne à un traitement purement local, sans s'inquiéter du régime suivi par le malade pendant et après le traite- ment. Chez ces personnes, j'emploie même assez souvent, si l'eczéma est très-étendu, la décoction de Zittmann, malgré l'absurde composition de ce remède, et j'agis ainsi parce que les malades suivent avec une ponctualité presque superstitieuse les préceptes qui se rattachent à son emploi. — Mais les eczémas habituels se rencontrent également chez des personnes dont l'individualité est précisément l'opposé de celle que nous venons de décrire, et qui, sans être véritablement malades, sont mal nourries et excessivement maigres. Si l'on voulait prescrire à ces personnes des purgatifs et restrein- dre leur alimentation, on ne ferait qu'empirer le mal. A ces individus il convient de prescrire un régime qui augmente l'apport et diminue la dé- pense, et, en fait de médicaments, l'huile de foie de morue et autres re- mèdes analogues. — Ces indications peuvent suffire. Je me laisserais en- traîner trop loin si j'allais examiner au long toutes les indications ressortant de l'individualité du malade quant au traitement interne qui doit être asso- cié au traitement externe. CHAPITRE VI. Uermatite superficielle diffuse avec ioi-mation de petites pustules. Impétigo. § 1. Pathogénie et ëtiologie. Dans l'impétigo il y a, comme dans l'eczéma, sécrétion d'un exsudât sé- reux à la surface du derme; en même temps de jeunes cellules se produi- sent en grande quantité et se mêlent au sérum. Le contenu des petites vésicules qui se forment dans la dermatite impétigineuse n'est par consé- quent pas liquide et transparent comme dans l'eczéma, mais trouble et jaunâtre ; et, quand la couche épidermique se rompt, elle donne issue à un liquide purulent se desséchant plus tard en croûtes jaunâtres et verdàtres. Nous avons vu que dans l'eczéma aussi, un petit nombre de jeunes cellules est toujours mêlé au contenu séreux des vésicules, et que dans l'eczéma impétigineux, le contenu de quelques vésicules paraît même jaune et puri- forme par un mélange plus abondant de ces jeunes cellules; on comprend donc facilement qu'entre l'eczéma et l'impétigo il est impossible de tracer une limite bien tranchée, qu'il existe au contraire des formes de transition que l'on peut faire rentrer avec autant de droit dans l'eczéma que dans l'impé- IMPETIGO. 513 tigo. Cela s'applique entre autres aux éruptions humides, si souvent men- tionnées, de la tète et de la face des enfants, éruptions décrites tantôt sous le nom d'eczéma, tantôt sous celui d'impétigo (ou porrigo) de la tête et de la face. ■ — Parmi les causes de l'impétigo, nous nommerons d'abord les ir- ritants externes agissant directement sur la peau. Plus la peau est vulnéra- ble, plus des irritants même insignifiants déterminent facilement une exsu- dation et une formation de cellules à la surface. Chez certains individus il suffit de l'application d'un emplâtre résineux ou de cataplasmes chauds, pour provoquer en très-peu de temps une éclosion de pustules d'impétigo. Cette vulnérabilité de la peau se rencontre principalement chez les indivi- dus à épidémie mince et à teint clair, mais avant tout chez les scrofuleux. — Chez ces derniers, l'impétigo se rencontre très-fréquemment, même en l'absence de toute irritation appréciable de la peau, et doit être compté, ainsi que les catarrhes chroniques et les gonflements ganglionnaires, parmi les symptômes les plus importants de la scrofulose. — Enfin on observe l'impétigo, surtout chez les enfants, sans diathèse scrofuleuse et sans au- cune autre cause connue. Dans les cas de ce genre, qui ne sont rien moins que rares, on suppose ordinairement qu'une nourriture trop fortifiante, surtout le lait trop gras de la mère ou une « âcreté » du sang, a provoqué l'éruption; on ne peut donner aucune raison plausible en faveur de cette dernière hypothèse. § 2. Symptômes et marche. L'inflammation du corps papillaire, d'où l'exsudation part dans l'impé- tigo, est accompagnée d'une sensation de démangeaison et d'un besoin de se gratter. Ces phénomènes subjectifs et l'existence de petites pustules pointues (psydracia) sur un fond rouge ou de croûtes jaunes ou verdcàtres forment souvent les seuls symptômes de l'impétigo. Rarement et exclusive- ment quand l'éruption s'élève à un degré de violence extraordinaire et que sa marche est très-aiguë, la dermatite impétigineuse est accompagnée d'une, fièvre peu intense et d'un léger trouble de l'état général. Selon que l'érup- tion de pustules d'impétigo reste bornée à un petit espace ou s'étend à des surfaces plus grandes, on distingue l'impétigo figurata et l'impétigo sparsa. La première forme se rencontre le plus souvent à la face, piùncipalement sur les joues, les lèvres, le nez et le cuir chevelu, mais assez souvent aussi sur le tronc et les extrémités. Au commencement on remarque des taches rouges rondes, ovales ou irrégulières, de différente grandeur, séparées les unes des autres ou confluentes. Si la rougeur est très-intense, la peau ten- due et brillante, et s'il existe de la fièvre, il se produit une forme d'impétigo à laquelle Willan a donné le nom d' impétigo erysipelatodes. Sur la base NIEMEYER. II. 33 514 MALADIES DE LA PEAU. rouge se montrent ensuite de petits points jaunes qui atteignent bientôt le volume d'une lentille et s'élèvent un peu au-dessus du niveau des parties environnantes. Au bout de quelques jours ou un peu plus tôt les pustules se rompent et vident leur contenu qui se dessèche en croûtes jaunes. Sous ces croûtes, un liquide jaune continue d'être sécrété, et ainsi les croûtes deviennent de plus en plus épaisses, tandis que tout autour de nouvelles pustules se produisent. Si l'on éloigne les croûtes, qui atteignent parfois une grande épaisseur (impétigo scabida), on trouve au-dessous d'elles, au début, le derme nu, couvert d'une sécrétion séro-purulente, et vers la fin de la maladie une couche mince d' épidémie nouvellement formée, sous laquelle on voit par transparence le derme rouge, et qui se fendille légère- ment sous Pinfluence des mouvements des parties malades. La marche de l'impétigo figurata est ordinairement subaiguë et tout le processus se ter- mine au bout de deux à trois semaines par la chute des croûtes. Cependant on rencontre aussi des cas d'impétigo figurata chronique, qui traînent pen- dant plusieurs mois ou même, ce qui est plus rare, pendant plusieurs an- nées. Dans ces derniers cas , le parenchyme du derme prend part au processus comme dans l'eczéma chronique et subit un épaississement ac- compagné d'induration. — L'impétigo sparsa atteint de préférence les ex- trémités, et s'étend souvent à des membres entiers et quelquefois à toute la surface du corps. La rougeur de la peau, accompagnée de fortes déman- geaisons, le développement et la rupture des pustules, la formation de croûtes et leur épaississement progressif, en même temps que des pustules nouvelles se forment aux environs des premières, enfin la chute des croû- tes : tous ces phénomènes se passent comme dans la forme précédente, avec cette seule différence que l'impétigo sparsa suit plus souvent une mar- che chronique et détermine plus fréquemment aussi une ulcération super- ficielle, parce que l'hyperplasie cellulaire ne reste pas ici bornée à la sur- face du derme, mais se continue même dans l'épaisseur de son tissu. § 3. Traitement. Pour beaucoup de cas d'impétigo, il n'est pas besoin d'une intervention thérapeutique,'parce qu'en très-peu de semaines ils guérissent spontanément. Dans les cas récents, on peut donc se borner à ramollir de temps en temps les croûtes, devenues trop dures et trop épaisses, avec du beurre frais ou un autre corps gras et en favoriser ensuite la chute par des compresses humides. Si au contraire la maladie s'est prolongée pendant des semaines et des mois, il faut une médication plus active et il y a lieu d'examiner si l'on doit insti- tuer, selon les principes émis au chapitre précédent, une médication gêné- ECTHYMA. 515 raie ou simplement locale. La première est plus souvent indiquée dans l'im- pétigo que dans l'eczéma, attendu que précisément la forme impétigineuse de la dermatite dépend dans un grand nombre de cas d'une anomalie géné- rale de la nutrition. Pour le traitement local de l'impétigo, il y a lieu d'em- ployer, en général, les mêmes remèdes que pour celui de l'eczéma ; mais l'intensité plus grande de l'inflammation, qui se trahit déjà par la produc- tion du pus, fait que les remèdes irritants sont supportés dans l'impétigo encore bien plus difficilement que dans l'eczéma. Le précipité blanc, l'oxyde et le sulfate de zinc, des cautérisations légères avec le nitrate d'argent, sont à préférer dans la plupart des cas aux préparations de soufre, au savon noir et au goudron. CHAPITRE VII Dermatite avec formation de grandes pustules isolées. Ecthyma. § 1. Pathogénie et étiologie. Les pustules d'ecthyma s'élèvent toujours, il est vrai, sur une base d'un rouge vif et gonflée par l'infiltration; mais, malgré le degré plus élevé de l'infiltration, la formation des cellules de pus reste ordinairement bornée dans cette forme de la dermatite à la surface du derme et n'empiète pas facilement sur le parenchyme de ce dernier. Uniquement dans le cas où le parenchyme est atteint, l'ecthyma entraîne l'ulcération de la peau laissant à sa suite des cicatrices, parce que la perte de substance qui en résulte est. comblée plus tard par un tissu conjonctif de formation nouvelle, qui se rétracte. — L'ecthyma est, premièrement, très-souvent le résultat d'irrita- tions agissant directement sur la peau. Telle est l'éruption pustuleuse pro- voquée par lapommade stibiée (ecthyma antimonial); il en est de même des pustules larges sur les mains et les bras des maçons, des forgerons et des serruriers, et qui proviennent de la chaux ou des éclats de fer incandescent; enfin et avant tout, il faut compter dans cette espèce les pustules qui se produisent chez les individus atteints de maladies parasitaires ou prurigi- neuses, lorsque ces individus se grattent violemment. — Dans d'autres cas l'ecthyma se montre dans le cours de maladies fébriles aiguës, sans avoir été précédé d'aucune irritation appréciable de la peau ; cette forme offre une grande analogie avec l'herpès connu sous le nomd'hydroa febrilis. — Enfin on observe encore l'ecthyma chez les individus qui ont été affaiblis par la misère ou qui sont devenus cachectiques sous l'influence d'autres causes, telles que: pertes d'humeurs, maladies graves ou de longue durée, séjour 516 MALADIES DE LA PEAU. clans les prisons ou dans les logements insalubres, enfin chez les buveurs et chez les individus atteints de scorbut (ecthyma cachectique). Quant à l'ee- thyma syphilitique, il en sera question plus loin. § 2. Symptômes et marche. L'inflammation et l'infiltration qui précèdent et accompagnent la forma- tion des pustules d'ecthyma donnent ordinairement lieu à des douleurs pongitives et, chez les individus irritables, même à un état fébrile. Les pus- tules ne sont presque jamais très-nombreuses ; elles sont isolées, entourées d'une large auréole rouge et siégeant le plus souvent aux extrémités, aux fesses, à la poitrine, au cou, beaucoup plus rarement à la face. La grandeur d'une pareille pustule hémisphérique, s'élevant manifestement au-dessus du niveau des parties environnantes (pustule phlyzaciée), dépasse quelquefois la dimension d'un pois. Le contenu des pustules consiste en un liquide jaune et purulent, souvent coloré en rouge par un mélange de sang. Au bout de quelques jours, le contenu des pustules se dessèche et il se forme des croûtes rondes, brunâtres qui restent plates et tombent en peu de temps, ou s'épais- sissent peu à peu et adhèrent plus longtemps à la peau lorsqu' au-dessous d'elles le pus continue à se former. Dans le premier cas la croûte, en tom- bant, laisse à sa suite une tache rouge, couverte d'un jeune épidémie ; dans le dernier il se produit un ulcère ordinairement superficiel, mais quelque- fois aussi un ulcère qui entame les couches profondes du derme. — La marche de l'ecthyma est tantôt aiguë, tantôt chronique. En cas de marche aiguë, telle qu'on l'observe pour les formes dues à une cause extérieure, et pour la forme symptomalique qui se manifeste dans le cours des maladies fébriles, le tout se borne généralement à une seule éruption de pustules; les diverses pustules n'ont qu'une courte durée, et les croûtes, qui tombent de bonne heure, ne laissent pas d'ulcères à leur suite, ou, s'il s'en produit, ils ne sont que superficiels. Si la marche de l'affection est chronique, comme on l'ob- serve particulièrement pour l'ecthyma cachectique, les éruptions pustuleu- ses se répètent par intervalles plus ou moins rapprochés, la rougeur de l'auréole inflammatoire est souvent livide, le contenu des pustules rougeâtre ou d'une teinte sale (ecthyma luridum) ; sous les croûtes épaisses, qui se for- ment lentement et tombent tard, il se développe quelquefois des ulcérations gangreneuses d'une grande opiniâtreté et pénétrant profondément dans le derme. PEMPHIGUS, POMPHOLYX. 517 § 3. Traitement. Il n'y aque l'ecthyma cachectique qui, à raison de sa marche chronique et de sa tendance à ulcérer la peau, exige des mesures thérapeutiques éner- giques. Il faut avant tout avoir soin de faire disparaître la cachexie en fai- sant respirer au malade un air pur, en lui prescrivant une nourriture forti- fiante, du vin ou de la bière forte, des préparations de fer et de quinquina. Au début de la maladie et tant qu'il se présente de violents phénomènes inflammatoires, il y a lieu d'appliquer des cataplasmes chauds ; plus tard, quand des ulcères atoniques se sont produits, il/faut un traitement plus irritant, surtout la cautérisation avec le crayon de nitrate d'argent. CHAPITRE VIII Dcriiiatite superficielle avec formation de grandes bulles isolées. Pemohigus. — Pompbolyx. § 1. Pathogénie et étiologie. Dans le pemphigus il se produit, sur une base faiblement rougie, non infiltrée, des bulles rondes, fortement tendues, remplies d'un liquide clair, et semblables à celles qui prennent naissance après l'application de vési- catoires ou après une brûlure au second degré. Nous ne pouvons nous expli- quer en aucune manière ce processus extraordinaire. Le pemphigus des nouveau-nés est souvent, mais non toujours d'origine syphilitique. Les enfants sont plus souvent atteints de pemphigus que les adultes. Quelques malades présentent, avant l'invasion du pemphigus, les signes d'une cachexie géné- rale; d'autres, au contraire, ont un aspect florissant et le conservent, ainsi qu'un bien-être parfait, même pendant la durée de la maladie, s'ils ne sont pas épuisés par des éruptions constamment renouvelées, par l'insomnie, etc. Quelquefois le pemphigus frappe à la fois un grand nombre d'individus et constitue une sorte d'épidémie. § 2. Symptômes et marche. Les premières modifications que l'on observe parfois sur la peau consis- tent en taches rouges, circulaires, qui occasionnent en naissant une sen- sation de brûlure et de démangeaison et occupent principalement le dos, le ventre et les extrémités. Au bout de quelques heures il se montre dans 518 MALADIES DE LA PEAU. le centre de ces taches une petite vésicule limpide qui grandit rapidement., couvre en peu de temps la tache entière ou n'en laisse persister qu'une bordure étroite. Les bulles sont rondes ou ovales, de la grandeur d'un pois, d'une cerise,, quelquefois d'une noix : leur contenu est d'abord transparent, plus tard il devient trouble et laiteux. Après trois ou quatre jours, les bulles se rompent et laissent à leur suite une place excoriée. Celle-ci sécrète pen- dant quelques jours de la sérosité et se couvre ensuite d'une croûte mince sous laquelle se forme un nouvel épidémie. A la place occupée par la bulle, reste une tache pigmentée. Mais avant que les premières bulles aient eu le temps de guérir il s'en forme de nouvelles; à celles-ci en succèdent d'autres et ainsi les éruptions se renouvellent continuellement, de sorte que, sur la peau d'un individu atteint de pemphigus, on peut ordinairement étudier toutes les périodes de la maladie. Dans quelques cas, cet état de choses ne dure que quelques semaines, au bout desquelles le mal est guéri. Mais rarement le tout se borne à un seul accès ; ordinairement, tout le processus se répète après quelques semaines ou quelques mois, et dans cette récidive la maladie suit la même marche que la première fois, et sa durée est également la même. Il n'est pas rare du tout que l'on observe trois, quatre récidives, et même davantage. — Dans d'autres cas, l'éruption de nouvelles bulles ne s'arrête pas après trois ou quatre semaines, mais persiste pendant des mois et des années. En supposant même qu'au commencement de la maladie l'état général ait été satisfaisant, les individus n'en deviennent pas moins pâles, maigres et faibles, par la suite, soit que la perte d'humeurs les épuise, soit que la cause inconnue du pemphigus exerce aussi une influence fâcheuse sur la nutrition. La maigreur et l'aspect pâle et cachectique font des progrès plus rapides, quand le repos de la nuit est également troublé par une dé- mangeaison coïncidant avec l'éruption huileuse. A peu près tous les malades atteints de pemphigus chronique finissent par succomber au marasme. — Il s'est élevé dé vifs débats sur la question de savoir si le pemphigus est toujours une maladie chronique ou s'il existe également un pemphigus aigu. 11 me semble qu'il ne s'agit là que d'une question de mots.^ Quand l'éruption des biilles du pemphigus se borne à un espace de trois à quatre semaines,, on est certainement en droit d'appeler cela une marche aiguë ; mais si l'on considère comme des périodes d'état latent les intervalles se prolongeant des mois entiers, pendant lesquels il ne se forme pas de bulles et pendant lesquels les malades se portent tout aussi bien qu'avant la première appa^ rition delà maladie, on est en droit d'appeler chronique le pemphigus à' récidives fréquentes. Une forme vraiment hideuse, c'est le pemphigus foliacé décrit par Caze- nave et Hebra. Dans cette forme, il ne se produit qu'un petit nombre de bulles, ou même une bulle unique, moins tendue que d'autres bulles de pemphigus, mais s' élargissant .indéfiniment. Dans le pemphigus foliacé, le RUPIA. 519 liquide s'avance continuellement sous l'épidémie, jusqu'à ce que finalement toute la peau soit comme écorchée ou couverte en partie d'une couenne mince d'un jaune brun. Ordinairement le processus n'a pris d'aussi vastes proportions que dans l'espace d'environ une année. Dans l'intervalle, quel- ques endroits de la surface cutanée peuvent guérir d'une manière passagère pour être plus tard atteints de nouveau. La maladie se termine toujours par la mort. § 3. Traitement. Le traitement du pemphigusne peut être que symptomatique, attendu que nous ignorons les causes de la maladie, aussi bien que la cachexie ou la dys- crasie qui sert de base à l'affection cutanée, quel que soit d'ailleurs le mérite du travail de Bamberger, qui a trouvé chez un individu atteint de pemphi- gus de l'ammoniaque dans l'urine récemment émise, dans le sang etdans le contenu des bulles. Il faut que nous nous bornions à soutenir les forces jus- qu'au moment où la maladie s'éteint d'elle-même ou que nous essayions au moins de retarder l'épuisement final et la mort autant que possible. Il est inutile d'entrer dans le détail des prescriptions hygiéniques et médicinales qui se recommandent à ce point de vue. Il faut, en un mot, comme dans tous les cas semblables, faire éviter tout ce qui hâte l'usure organique, et donner au contraire en abondance tout ce qui peut remplacer les pertes subies et ralentir l'usure. Pour ce qui concerne le traitement externe, Hebra déconseille tout aussi énergiquement l'emploi des bains et des pommades, qu'il rejette pour le traitement interne l'usage de n'importe quel spécifique. Par contre, il recommande de saupoudrer les endroits humides avec une poudre végétale sèche, telle que la poudre de lycopode. CHAPITRE IX Dermatite avec formation de nulles plates, isolées, donnant lieu a des croûtes d'une forme particulière. — Kupia. § 1. Pathogénie et étiologie. La formation de bulles isolées est commune au pemphigus et au rupia. Mais tandis que les bulles du pemphigus se rompent de bonne heure, celles du rupia se maintiennent, plus longtemps. Leur contenu devient purulent, souvent sanguinolent, et se dessèche au bout d'un certain temps en une croûte. De nouvelles exsudations dans la profondeur, et ordinairement aussi 520 ■ MALADIES DE LA PEAU. une ulcération de la peau dont les produits se dessèchent également, ren- dent la croûte formée de plus en plus épaisse, en même temps qu'à sa cir- conférence il se forme une sorte de bordure bulleuse dont le contenu se dessèche comme celui de la bulle primitive. La partie périphérique de la croûte qui se produit de cette manière étant plus plate que la partie centrale for- mée la première, les croûtes du rupia sont épaisses au milieu, minces sur les bords et offrent une certaine ressemblance avec les écailles d'huître. Dans la plupart des cas, mais non dans tous, le rupia est un des symptômes de la syphilis constitutionnelle. Les causes du rupia non syphilitique sont obscures; la maladie s'observe, comme l'ecthyma cachectique, le plus fréquemment chez les individus épuisés et misérables. § 2. Symptômes et marche. Le siège ordinaire du rupia non syphilitique est aux extrémités; les bulles, qui s'élèvent sur une base rouge, sont isolées, peu tendues; leur contenu, d'abord limpide, devient bientôt jaune sale ou rougeâtre. Les croûtes qui en résultent sont de couleur foncée et prennent au bout d'un certain temps l'aspect décrit plus haut. Selon le plus ou moins d'épaisseur des croûtes, on distingue un rupia proéminent ou un rupia simple. Après avoir fait tomber les croûtes, on trouve une plaie simplement excoriée ou un ulcère profond qui se couvre bientôt d'une nouvelle croûte. Quelquefois, au lieu d'une simple ulcération, il se produit une destruction gangreneuse de la base des bulles (rupia gangreneux ou escharotique). Le contenu des bulles est dans ce cas terne et noirâtre. Sous les bulles ou sous les croûtes on trouve le derme détruit et transformé en un ulcère gangreneux couvert de lambeaux de tissu et guérissant difficilement. — Tandis que le rupia simple et le rupia proéminent se terminent ordinairement par la guérison en laissant à leur suite une cicatrice plate, souvent pigmentée, le rupia gangreneux peut conduire à la mort par épuisement ou hâter la fin du malade déjà affaibli par une maladie antérieure. § 3. Traitement. Combattre l'anomalie de constitution qui existe, c'est l'indication la plus essentielle dans le traitement du rupia. Si l'on parvient à la remplir, un épidémie nouveau se produit bientôt sous les croûtes et les endroits ma- lades se cicatrisent. Si au contraire on ne réussit pas à améliorer la consti- tution, le traitement local reste également le plus souvent inefficace. Pour seconder le traitement général, on peut faire tomber les croûtes en y appli- PSORIASIS. 521 quant des cataplasmes. Les ulcères qu'elles laissent à leur suite réclament un traitement excitant , surtout la cautérisation répétée avec la pierre infernale. CHAPITRE X Dermatite chronique avec infiltration du tienne et formation anormale de l'épidémie. — Psoriasis. § 1. Pathogénie et étiologie. Dans le psoriasis il ne se forme pas à la surface du derme un épanche- ment assez considérable pour soulever l'épidémie en vésicules; il ne se fait au contraire dans cette forme de la dermatite, invariablement chronique, qu'une hypérémie et une infiltration de la peau,, sous l'influence de laquelle le corps papillaire produit un épidémie malade qui, mêlé d'un exsudât peu abondant et desséché, se détache en écailles assez grandes. — L' étiologie du psoriasis est très-obscure. Cette maladie, qui se rencontre très-fréquem- ment dans toutes les classes de la société, ne peut être considérée comme la manifestation extérieure d'une dyscrasie, vu qu'elle frappe des individus tout à fait sains, et ceux-là même de préférence, tandis que des individus malades et décrépits en restent ordinairement épargnés. Dans quelques fa- milles, le psoriasis constitue une maladie héréditaire. Les hommes et les femmes y sont également sujets; les enfants qui n'ont pas dépassé les pre- mières années de l'existence et les personnes très-âgées en sont rarement atteints. § 2. Symptômes et marche. La maladie débute toujours par places rondes, peu étendues, de la peau. Ces places sont rouges, proéminent légèrement au-dessus du niveau des parties environnantes; elles sont lisses immédiatement après la naissance de la maladie, et font quelquefois le même effet que si l'épidémie qui les couvre avait été soulevé autrefois par un épanchement séreux et s'était en- suite affaissé après l'évacuation du liquide. Bientôt les petites places rondes et infiltrées de la peau se couvrent de squammes blanches et sèches. De cette forme du psoriasis, le psoriasis guttata, naissent, d'après l'exposé si simple et si vrai de Hebra, toutes les autres espèces admises du psoriasis, soit par l'extension de la maladie en largeur, soit par son évolution régres- sive aux endroits atteints les premiers. Le psoriasis guttata donne , par 522 MALADIES DE LA PEAU. l'agrandissement de l'endroit malade, le psoriasis nwnmularis, et ce dernier , lorsque dans les parties moyennes, plus anciennes, du foyer morbide le processus subit une évolution régressive, à la suite de laquelle les écailles deviennent plus minces et tombent, se transforme en psoriasis scutellata ; enfin, de ce dernier résulte le psoriasis annulata (lèpre vulgaire, Willan), quand la rougeur même a disparu du centre et que la peau y présente l'as- pect de la peau saine. Si des anneaux pareils se rencontrent, ils sont inter- rompus aux points de contact, et il ne reste plus à la fin que quelques seg- ments de cercle isolés représentant la forme du psoriasis à laquelle on a * donné le nom de psoriasis gyrata. Enfin, les psoriasis conferta et diffusa doi- vent leur origine à la confluence d'éruptions nombreuses. — Les lieux de prédilection du psoriasis sont les surfaces des extrémités qui correspondent aux extenseurs, mais avant tout les genoux et les coudes. Dans un grand nombre de cas, la maladie reste limitée à ces endroits, et sur tout le reste du corps on n'en découvre pas une trace. Dans ces cas aussi bien que dans ceux où le psoriasis est répandu au loin, on observe fréquemment une distribution remarquablement symétrique de l'éruption sur les deux moitiés du corps, distribution qui du reste se remarque aussi dans d'autres maladies de la peau, telles que l'eczéma. Très-rarement, le psoriasis reste limité aux pau- pières, aux lèvres, au prépuce, au scrotum, aux grandes lèvres, et l'on peut appeler, si l'on veut, ces formes psoriasis des paupières, des lèvres, du prépuce, du scrotum, des parties génitales. Par contre, la forme diffuse, aussi bien que la forme circonscrite de l'éruption appelée psoriasis de la paume des mains et de la plante des pieds, ne rentre pas dans cette caté- gorie. La forme diffuse, dans laquelle la paume des mains ou la plante des pieds rougie et infiltrée est couverte d'écaillés sèches, a déjà été comprise par nous parmi les variétés de l'eczéma; quant à la forme circonscrite, elle est toujours d'origine syphilitique et sera décrite plus loin. — Cette cir- constance que le processus qui constitue le psoriasis ne s'arrête ordinaire- ment pas longtemps à l'endroit une fois atteint, est, comme nous l'avons fait remarquer plus haut, non-seulement la cause de la configuration par- ticulière des efflorescences, mais elle explique encore le fait que le psoriasis entraîne" rarement une dégénération plus profonde du derme. Les cas exceptionnels dans lesquels le processus, au lieu de s'épuiser de bonne heure, persiste et rend la peau épaisse, rigide et crevassée, ont reçu le nom de psoriasis invétéré. Ils correspondent surtout aux formes diffuses et à l'extension irrégulière de la maladie. PSORIASIS. 523 Traitement. S'il esl vrai que l'on réussit rarement à obtenir la guérison définitive du psoriasis, on parvient cependant facilement à le faire disparaître temporai- rement. Les considérations qui s'opposent au traitement local de quelques eczémas et de quelques formes de l'impétigo n'ont aucune raison d'être pour le psoriasis, cette maladie n'étant jamais d'origine dyscrasique et né se montrant jamais en remplacement d'autres maladies. Ajoutez à cela qu'un traitement local énergique se supporte bien mieux dans le psoriasis que dans les maladies de la peau dont il a été question jusqu'à présent. Tout psoriasis exige un traitement local %>ar des moyens énergiques. Au lieu de la pommade au précipité blanc, des préparations de zinc et de plomb qui suffisent si souvent pour faire justice de l'eczéma et de l'impétigo, et qui tout aussi souvent sont les seuls remèdes qu'il soit permis d'employer, il faut mettre en usage contre le psoriasis le savon noir, le goudron, les pré- parations sulfureuses. On fait bien de commencer le traitement par quel- ques bains de vapeur pendant lesquels on fait débarrasser autant que pos- sible avec du savon et avec une brosse peu rude les endroits malades des squames qui les couvrent. Si l'on n'a pas à sa disposition les appareils né- cessaires pour bains de vapeur, on peut faire la même opération dans un bain d'eau chaude prolongé. Après que les écailles ont été enlevées, on fait faire pendant trois à six jours des frictions ou bien de simples applications de savon noir, à renouveler deux fois par jour; ce qui convient le mieux, c'est de recommander au malade de garder le lit pendant ce temps, dans une chambre bien chauffée, et bien enveloppé de couvertures de laine. En- suite on suspend le traitement pendant trois jours, pendant lesquels on in- terrompt les frictions ou on laisse les compresses sur place sans les enduire à nouveau de savon. Après cet intervalle, on fait prendre un bain de va- peur ou un bain d'eau chaude prolongé. Si l'infiltration de la peau n'est pas encore dissipée, on recommence le même traitement; mais si l'on trouve les endroits malades partout mous et souples, on peut passer à l'usage du goudron et des pommades goudronnées (voy. p. 510). Précédem- ment, nous avons déjà eu l'occasion de dire que nous donnons à la solution de goudron et de savon noir (ââ 30 grammes dans alcool 60 grammes) la préférence sur le goudron pur et les pommades goudronnées. Si dès le com- mencement il n'existe qu'une infiltration modérée du derme, on peut im- médiatement, après l'emploi des bains et l'enlèvement des squames, en- duire deux à trois fois par jour les places malades avec la solution que nous venons de nommer, et cette méthode aussi conduit ordinairement au but désiré dans l'espace de peu de semaines. Les mêmes résultats ont été obte- 524 MALADIES DE LA PEAU. nus avec une pommade au proto-iodure de mercure, avec le savon soufré ou un savon à l'iodure de soufre. Je n'ai cependant pas expérimenté moi- même ces moyens. Pendant un certain temps, Hebra recommandait vive- ment l'emploi d'une solution assez concentrée au sulfure de chaux (pr. : soufre, 1 kilogramme; chaux vive, 500 grammes. Faites bouillir dans eau commune, 12 kilogrammes, et réduire à 6 kilogrammes. Filtrez le liquide refroidi). Hebra fait faire des frictions énergiques avec une pièce de flanelle imbibée de cette solution sur chaque endroit atteint, jusqu'à ce que les squames soient toutes enlevées et que le corps papillàire soit mis à nu. En- suite, on place le malade dans un bain chaud où on le maintient pendant une heure. Après le bain on fait frictionner les endroits malades avec un corps gras, entre autres l'huile de foie de morue, ou avec la pommade au goudron. — Tandis que les modes de traitement décrits jusqu'à présent conviennent surtout pour les éruptions étendues de psoriasis, nous possé- dons dans le badigeonnage des endroits malades avec une solution de su- blimé (U grammes sur 30 grammes d'alcool) un excellent moyen pour le traitement des petites efflorescences. Ces badigeonnages offrent l'avantage d'être beaucoup moins embarrassants, mais ils causent des douleurs telle- ment vives qu'on ne peut pas songer à les employer en cas d'extension con- sidérable de l'exanthème. — S'il est vrai que par le traitement local on se rend le plus promptement et le plus sûrement maître du psoriasis, on ne peut cependant pas nier qu'avec l'administration interne de l'arsenic on peut également atteindre ce but. A raison de ce fait et sachant que le traitement décrit jusqu'à présent est loin de mettre à l'abri des récidives du psoriasis, enfin, en considération de l'innocuité notoire d'un traitement arsenical di- rigé avec prudence, nous croyons que ce serait se placer à un point de vue étroitement systématique et agir contre l'intérêt des malades que de suivre seulement l'une ou l'autre méthode, au lieu de les associer l'une à l'autre. L'arsenic se prescrit ordinairement sous forme de liqueur arsenicale de Fowler; on commence par donner six gouttes dans la journée et on aug- mente progressivement cette dose d'une goutte tous les cinq jours, jusqu'à ce que l'on soit arrivé à faire prendre environ trente gouttes par jour. Veiel emploie presque exclusivement les pilules asiatiques, parce que sous cette forme on peut, selon lui, beaucoup mieux contrôler la dose de l'arsenic qu'en administrant ce dernier par gouttes. Il fait faire une masse pilulaire composée d'acide arsénieux dissous dans de l'eau bouillante et d'un mélange de mie de pain et de poivre, dans des proportions telles que trente pilules contiennent 5 centigrammes d'acide arsénieux. Il commence par faire pren- dre journellement trois de ces pilules, et va peu à peu en augmentant jus- qu'à concurrence de huit à neuf pilules, par conséquent 15 milligrammes d'arsenic par jour. Dès qu'il se présente une pression à l'épigastre ou du larmoiement, on suspend le traitement pendant quelques jours. Les cantha- LICHEN. 525 rides, les préparations stibiées, l'anthracocali, les pilules de goudron et d'autres remèdes usités dans le temps ont été abandonnés de nos jours parce qu'on a reconnu qu'ils étaient insuffisants contre le psoriasis. Par contre, on peut prescrire aux individus bien nourris et vigoureux, concurremment avec le traitement médicinal, un régime plus ou moins sévère et des tisanes purgatives, parce que cette prescription qui, poussée très-loin, peut suffire à elle seule pour guérir le psoriasis, ainsi que cela est démontré par l'ex- périence, seconde énergiquement le traitement. CHAPITRE XI Dermatite avec formation de nodosités coniques, ordinaire nient réunies en groupes. — Diielien. § 1. Pathogénie et étiologie. Dans le lichen on observe sur la peau, non des vésicules remplies d'un liquide, mais des nodosités solides, des papules. L' exsudât qui se produit dans la forme de la dermatite dont il est ici question infiltre le derme et détermine un gonflement circonscrit de son parenchyme, tandis que sur la surface libre le liquide n'est exsudé qu'en quantité suffisante pour faire gonfler les cellules du réseau de Malpighi et pour rendre moins intime l'adhérence de la couche cornée qui les couvre. C'est cette dernière cir- constance qui nous explique pourquoi les nodosités du lichen se terminent par desquamation. — Il n'y a que quelques cas rares de lichen où l'on peut attribuer le mal à des irritations externes d'une faible intensité, par exem- ple à des morsures de parasites, au frottement de la peau par du linge rude, à la malpropreté, à l'influence d'une température trop élevée. Dans le plus grand nombre des cas, nous ne parvenons pas à découvrir les conditions qui mettent de nombreux petits endroits circonscrits de la peau dans cet état morbide qui fait naître les papules du lichen tout en laissant parfaite- ment indemnes les parties environnantes. C'est chez les individus scrofuleux que le lichen se rencontre avec une fréquence toute particulière. § 2. Symptômes et marche. Les nodosités coniques, tfyant à peu près la grosseur d'un grain de millet, qui caractérisent le lichen, sont d'une teinte rougeàtre tirant sur le jaune, ou d'une couleur normale, quelquefois même plus pâles que les parties voi- 526 MALADIES DE LA PEAU. sines; peut-être dans ce dernier cas les vaisseaux, par où l'exsudation s'est faite primitivement, sont-ils comprimés plus tard par l' exsudât. Ces nodo- sités sont ordinairement réunies par groupes et sont ou limitées à quelques régions peu étendues ou répandues sur de grandes surfaces. Dans les formes légères (lichen simple), les nodosités provoquent une démangeaison légère ou ne causent aucune souffrance et sont ordinairement de courte durée ; elles disparaissent dans huit à quinze jours, et, après la desquamation de la couche épidermique, la maladie est ordinairement arrivée à son terme. 11 arrive plus rarement que le lichen simple suit une marche chronique, c'est- à-dire que les nodosités, produites les premières, sont suivies d'éruptions nouvelles qui se répètent à plusieurs reprises. — Dans les formes plus sé- rieuses (lichen agrius), l'éruption des nodosités est quelquefois accompagnée de fièvre et d'un trouble de l'état général. Les nodosités sont alors souvent étroitement serrées les unes contre les "autres, elles s'élèvent sur une base rouge, sont elles-mêmes très-rouges et causent un prurit violent. Très-faci- lement il arrive que l'inflammation augmente et alors le lichen agrius se transforme au bout de peu de jours en un eczéma rubrum. Encore cette forme peut suivre une marche aiguë et se terminer par la guérison au bout de huit à quinze jours; mais plus souvent elle devient chronique. Sous le nom de lichen rouge, Hebra, qui ne compte parmi les lichens que les exanthèmes dans lesquels les efflorescences conservent pendant toute leur durée la forme de nodosités solides et ne se transforment pas en vési- cules ou en pustules, décrit une forme morbide qui dans sa marche ulté- rieure présente une certaine analogie avec le psoriasis. Elle se caractérise par de petites nodosités rouges de la grosseur d'un grain de millet, isolées au commencement, couvertes de squames minces ne donnant pas de déman- geaison et ne montrant pas d'accroissement périphérique. Par des éruptions répétées, ces nodosités deviennent de plus en plus nombreuses; les inter- valles qui les séparent deviennent de plus en plus rares, jusqu'à ce que les petites papules finissent par se toucher par leurs bords et produisent alors des plaques étendues, rouges, infiltrées de sérosité. Finalement toute la surface cutanée peut devenir le siège de nodosités semblables et de l'infiltra- tion diffuse qui en est le résultat, état qui, de même que tous les exanthèmes généralisés, exerce une influence fâcheuse sur la nutrition des malades, dont la plupart succombent dans le marasme. § 3. Traitement. Il n'est besoin d'aucun traitement pour les formes légères du lichen à mar- che aiguë. Dans les cas prolongés, il convient d'employer la même méthode que nous avons recommandée pour le traitement des eczémas chroniques. PRURIGO. 527 Dans les cas particulièrement opiniâtres, on peut en venir à l'administration de l'arsenic. Veiel considère ce dernier comme particulièrement efficace dans toutes les maladies cutanées accompagnées d'une infiltration de la peau, tandis que dans d'autres formes il dit en avoir obtenu beaucoup moins de résultats. Dans le lichen agrius le froid convient parfaitement pour les cas récents, et au besoin les laxatifs. Par contre, les évacuations sanguines gé- nérales et locales, que l'on a également conseillées, sont à rejeter. Les cas chroniques de lichen agrius résistent souvent aux traitements les plus éner- giques. Les remèdes qui conviennent le plus contre ces formes sont les bains, le savon noir, le goudron, les préparations sulfureuses et surtout l'usage in- terne de l'arsenic. CHAPITRE XIÏ Deruiatitc avec formation de petites nodosités disséminées, accompagnées de forte démangeaison. — Prurigo. § 1. Pathogénie et étiologie. Les petites nodosités plates qui appartiennent au prurigo ont la couleur de la peau environnante. Elles laissent échapper ordinairement à la ponction une gouttelette d'un liquide transparent, tandis que les nodosités du lichen donnent issue à une gouttelette de sang. Si l'on comprime une papule de prurigo par les côtés, on remarque que l'épidémie se tend, devient trans- parent, et qu'il se présente un liquide parfaitement limpide. Cette particula- rité des papules et les résultats du traitement font supposer à Hebra que dans cette maladie il s'agit d'un épanchement de liquide dans les couches profondes de 1'épiderme, liquide dont la quantité serait ordinairement in- suffisante pour former une vésicule et suffirait seulement pour produire une petite papule plate, sensible au toucher et plus tard aussi à la vue. Cette hypothèse, dont la justesse ne peut être constatée, il est vrai, par des obser- vations anatomo-pathologiques directes, vu que les modifications en question disparaissent après la mort, s'accorde aussi avec les symptômes subjectifs qui accompagnent le prurigo, notamment avec la démangeaison insuppor- table et la marche de la maladie. On a l'habitude de séparer le prurigo pro- voqué par des poux, par l'acarus, par des poussières irritantes et par d'au- tres influences extérieures appréciables, des formes qui se développent sans cause connue, et qui sont tellement opiniâtres qu'elles persistent souvent pendant la vie entière, en un mot, du prurigo vrai, quoique du reste les phénomènes soient les mêmes pour l'une et l'autre forme. Le prurigo Mai est beaucoup plus répandu parmi les pauvres que parmi les personnes ai- 528 MALADIES DE LA PEAU. sées; il faut donc admettre que le défaut de soins de propreté et une nour- riture insuffisante jouent un rôle important dans le développement du pru- rigo. Si l'on excepte les premières années de l'enfance, la maladie se présente à tout âge ; les hommes y sont plus sujets que les femmes. § 2. Symptômes et marche. Ce ne sont pas les papules plates, disséminées, souvent assez difficiles à reconnaître, et déterminant par l'irritation qu'elles exercent sur les papilles cutanées une démangeaison tout aussi insupportable que les morsures de parasites ou le léger passage de l'extrémité des doigts ou de corps étrangers sur la surface cutanée, qui forment les signes objectifs les plus saillants du prurigo; ce sont, au contraire, les modifications que la pean éprouve sous l'influence des frottements violents exercés par le malade. En se grattant avec les ongles, ce dernier arrache la couche épidermique des nodosités; de là résultent de petites hémorrbagies, le sang épanché se dessèche en croûtes, et ce sont ces innombrables petites croûtes sanguines, persistant après la disparition des papules, qui forment le symptôme le plus saillant offert par la peau des individus atteints de prurigo. Des papules et des exco- riations dues au grattement se développant également à la suite des mor- sures de parasites, il faut, avant tout, lorsqu'on se trouve en présence de ces symptômes, s'assurer s'il s'agit de poux, ou d'acarus, ou de prurigo pro- prement dit. Des erreurs grossières, et surtout la confusion de la gale avec le prurigo chez des individus que l'on ne suppose pas susceptibles de con- tracter la gale, se commettent journellement. Le point de repère le plus essentiel pour le diagnostic différentiel nous est fourni par la région où les papules et les excoriations se rencontrent en plus grand nombre. Dans le prurigo, on ne les trouve pas, comme chez les individus ayant des poux de corps, principalement aux endroits où la chemise forme des plis, au cou, à la ceinture, etc., et tout aussi peu au siège de prédilection de l'acarus, c'est- à-dire dans les plis articulaires, entre les doigts, à l'abdomen. On rencontre au contraire, dans le prurigo, le plus grand nombre des papules et excoria- tions sur la peau qui recouvre les extenseurs des membres, principalement à la jambe, et, chose qui ne s'obsei've jamais dans la gale, au moins autant sur le dos que sur le ventre. Un signe plus important encore que les diffé- rences dans la distribution des nodosités et des excoriations à la surface du corps consiste, pour la gale et le prurigo pédiculaire, dans la présence de sillons ou d'acarus, de poux, ou d'œufs de poux. Mais, en admettant même que ces signes soient découverts, il y a lieu de songer à la possibilité d'une complication quand la durée de la maladie se prolonge et que la déman- geaison est excessivement étendue, et cela d'autant plus que les mêmes in- PRURIGO. 529 dividus qui sont le plus sujets au prurigo ont aussi plus souvent que d'autres la gale ou des poux. La pigmentation foncée de la peau que l'on trouve chez les individus atteints de prurigo quand la maladie existe depuis long- temps, resuite du grattement et ne peut être utilisée pour le diagnostic, attendu qu'elle se rencontre aussi presque toujours sur la peau d'individus qui ont été longtemps couverts de vermine. On a désigné du nom de pru- rigo mitis les degrés légers de la maladie ; du nom de prurigo formicans, les degrés plus élevés dans lesquels la sensation éprouvée offre de la ressem- blance avec le prurit insupportable que déterminerait une quantité innom- brale de fourmis. Le prurigo uni, qui est borné aux environs de l'anus, et le prurigo pudendorum, qui chez les femmes occupe les grandes lèvres et la vulve, et chez les hommes le pénis et le scrotum, forment des transitions aux eczémas. — Cette maladie, qui, comme nous l'avons déjà dit, est fort opiniâtre, peut persister avec la même violence pendant des mois et des années, mais ordinairement elle s'aggrave à l'automne et en hiver, et offre des rémissions au printemps et en été. Les démangeaisons deviennent sur- tout insupportables le soir et dans la nuit. L'agitation, le tourment conti- nuel, la privation de sommeil jettent quelques individus dans un véritable désespoir et les poussent même au suicide; chez d'autres il se développe des désordres intellectuels. Par contre, la nutrition générale le plus souvent n'est pas en souffrance ou souffre tard, et le marasme précoce qu'on ren- contre chez quelques-uns dépend beaucoup plus souvent de complications ou de l'existence misérable du malade (cachexie des pauvres) que du pru- rigo lui-même. § 3. Traitement. La guérison radicale du prurigo est une tâche difficile que l'on parvient rarement à remplir. Par contre, on réussit presque toujours à amener un soulagement temporaire ou même un bien-être complet mais toujours pas- sager, si par des moyens irritants on provoque une élimination plus rapide et par cela même aussi une régénération plus rapide de 1'épiderme. Des bains et des lotions avec des solutions de sel de cuisine, de potasse ou de sublimé, avec de l'eau de chaux, avec des acides étendus, et les frictions avec le savon noir et la pommade de goudron, méritent donc la préférence sur les bains d'eau tiède, les bains de son ou de lait, et les bains gélatineux qu'on a également conseillés. Un moyen infaillible, mais qui n'est encore qu'un palliatif, consiste dans une friction énergique, continuée pendant une demi-heure, avec une flanelle imbibée de la solution de sulfure de chaux de Yleminckx (voy. p. 52û). Après la friction, le malade prend un bain dans lequel il doit séjourner pendant au moins une heure. Il est rationnel IUEMEYER. H. — 3/j 530 MALADIES DE LA PEAU. d'appliquer après le bain une douche en arrosoir et de frotter le corps avec de l'huile. Déjà après le premier bain le malade sent un grand soulagement, et après huit jours de traitement toute démangeaison a disparu. Malheu- reusement ce traitement ne met pas non plus à l'abri de récidives qui for- cent d'y revenir. — Il faut combattre les complications qui peuvent surve- nir par des médicaments externes et un régime convenable et rétablir autant que possible la nutrition si elle est en souffrance. En outre, Veiel considère l'arsenic comme le vrai spécifique du prurigo, et prétend ne l'avoir jamais employé sans résultat. CHAPITRE XIII Inflammation et suppuration des follicules sébacés oblitérés. Acné. — Acné vulgaris. — Acné disseminata. § 1. Pathogénie et étiologie. L'inflammation avec ulcération des glandes sébacées a été rapprochée par Baerensprung, à juste titre, des inflammations et ulcérations des folli- cules muqueux; et, en effet, ce même phénomène, l'oblitération du con- duit excréteur, l'inflammation des parois et la rupture de la paroi supérieure du follicule, provoque sur la peau l'acné, et sur la muqueuse l'ulcère fol- liculaire. Nous reviendrons plus loin sur l'oblitération des follicules sébacés par du sébum épaissi, accident qui produit ce qu'on appelle les comédons- Un comédon n'est pas encore une acné, et ne le devient que quand le fol- licule oblitéré s'enflamme. Dans la plupart des cas, cette inflammation con- duit à la suppuration, d'où résultent alors les pustules d'acné. Cependant il arrive aussi que l'inflammation se résont, d'autres fois qu'elle n'entraîne qu'une infiltration de longue durée et un épaississement de la paroi follicu- laire, autrement dit un tubercule d'acné. — Peu d'individus restent complè- tement épargnés par l'acne vulgaris ; mais la plupart ne souffrent qu'à l'époque du développement de la puberté de degrés légers de cette affec- tion, et même chez ceux qui pendant' une série d'années plus ou moins longue sont atteints de degrés élevés d'acne vulgaris, le mal n'a jamais débuté dès l'enfance, mais seulement vers l'âge de la puberté; il dépasse alors, il est vrai, l'âge de l'adolescence, mais persisté rarement jusqu'à l'âge viril avancé. Le sexe masculin est plus sujet à l'acné que le sexe fémi- nin; cependant, au grand effroi des mères vaniteuses et au moment où elles songent à produire leurs filles dans le monde, il se développe souvent chez ces dernières un « teint impur, » euphémisme habituellement employé ACNÉ. 531 pour désigner l'acné et les comédons. — Il n'est donc guère possible de nier un certain rapport de causalité entre le développement de l'acné et les phénomènes qui se produisent dans la sphère sexuelle. Le public va plus loin, et, selon que les individus ont des tendances pessimistes ou opti- mistes, ils font dépendre l'acné d'excès vénériens et d'onanisme, ou d'une vie trop chaste et trop retenue (!). Le siège le plus fréquent de l'acné est la face; en outre, elle occupe le dos, la poitrine, les fesses et les bras. Le processus commence par une rou- geur et un gonflement de l'endroit circonscrit de la peau au centre duquel se trouve un point noir, le comédon (acné punctata). Le gonflement et la rougeur atteignent lentement un degré quelquefois assez considérable, et la douleur qui l'accompagne est faible ou nulle (acné indurata). Si l'inflam- mation entre en résolution, la nodosité dégonfle, l'épidémie, dont l'adhé- rence est détruite, se desquame, et il reste pour quelque temps encore une tache rouge, un peu indurée et qui finit par disparaître à son tour. Si l'in- flammation passe à la suppuration, il se forme au sommet du tubercule une petite pustule qui crève au bout d'un certain temps et laisse à sa suite une croûte jaune. Il est rare que la petite nodosité qui supporte la pustule dis- paraisse bientôt après la formation de cette dernière ou après sa rupture. Ordinairement elle ne s'efface que lentement et graduellement. Enfin, il n'est pas rare que le derme prend une part plus forte à l'inflammation aux environs du follicule enflammé, qu'il s'infiltre d' exsudât, gonfle, s'indure et devient rouge foncé. L'inflammation de la peau, qui prend naissance dans ces circonstances, offre une grande ressemblance avec la dermatite furon- culeuse. Elle peut se terminer par résolution, et, dans ce cas, les larges élevures rondes et plates dans lesquelles les petits tubercules d'acné se sont transformés désenflent peu à peu, se desquament et pâlissent lentement. Mais souvent cette inflammation passe aussi à la suppuration, et, dans ces cas, le follicule détaché dans toute sa circonférence est éliminé comme le bourbillon d'un furoncle et laisse une cicatrice à sa suite. § 3. Traitement. L'acné ne dépend pas d'impuretés du sang, comme beaucoup de per- sonnes se l'imaginent, et les boissons dites dépuratives, en supposant même que ce nom leur soit bien appliqué, ne conviendraient dans tous les cas pas plus pour le traitement de l'acné que les purgatifs que l'on a prescrits dans 532 MALADIES DE LA PEAU. la même supposition. Mais il ne suffit pas que le médecin ne prescrive pas lui-même ces remèdes, il faut encore qu'il recommande à ses clients, trop disposés à les employer à son insu, de ne pas commettre cet abus. Il faut, en général, renoncer à toute médication interne, parce que ces remèdes, quels qu'ils soient, ne servent à rien, et qu'un traitement local suffit par- faitement pour combattre l'acné avec succès. Des lotions faites sur les tu- bercules d'acné avec une solution de potasse caustique ou de sublimé, avec de la teinture de benjoin, rendent souvent de bons services. Un traitement très-efficace est celui de Yeiel, qui consiste à frotter énergiquement les tu- bercules d'acné avec une brosse à dents imbibée de savon à la potasse. Le moyen le plus recommandable consiste dans l'emploi des préparations sul- fureuses; on en fait un usage très-étendu, et l'eau de Kummerfeld (pr. : soufre précipité, 8 grammes; camphre, 50 centigrammes; gomme arabi- que, A grammes; eau de chaux, eau de roses, àà 60 grammes) jouit d'une réputation méritée parmi les gens du monde. La manière de s'en servir est la suivante : le soir, avant de se coucher, on applique le liquide, après avoir bien agité le flacon, sur les endroits malades, et le lendemain matin on essuie avec un linge sec le soufre qui adhère à la peau. Hebra fait mélanger le lait de soufre avec parties égales d'alcool, de carbonate de potasse, d'eau de laurier- cerise et de glycérine, pour en faire une pâte avec laquelle il fait frotter les tubercules d'acné, bien lavés auparavant avec un mélange d'eau et de savon. Encore ce procédé doit être mis en usage le soir, et la pâte rester appliquée pendant la nuit sur les tubercules. Cependant les per- sonnes qui en ont le temps peuvent aussi faire ces frictions soir et matin, et laisser la pâte continuellement en contact avec les parties malades. S'il s'est formé du pus, il faut l'évacuer par de légères ponctions. En cas d'inflam- mation intense, on fait bien d'appliquer des cataplasmes chauds. CHAPITRE XIV Inflammation et suppuration des follicules sébacés et pileux de la barbe. — Mentagre. — Sycosis. § l. PATHOGÉNIK ET ÉTIOLOGIIi. Dans le sycosis, les follicules sébacés et les follicules profonds des poils épais de la barbe sont enflammés, mais le tissu du derme, dans les environs immédiats de ces follicules, prend également part à l'inflammation, comme le démontrent l'hypérémie intense, l'infiltration, le gonflement et la sup- puration. Chez les femmes et les enfants, et, en général, chez les individus SYCOSIS. 533 imberbes, la maladie ne se rencontre presque jamais ; elle ne s'observe que chez les hommes adultes, et encore chez eux seulement à l'époque où les poils de la barbe ont pris une certaine épaisseur. Un rasoir qui coupe mal, de la maladresse en se rasant, l'usage d'un savon irritant, le tabac à priser et la malpropreté semblent avoir quelquefois provoqué le mal ou au moins la prédisposition à le contracter. Dans la plupart des cas il est impossible d'en découvrir les causes. Le fait annoncé par plusieurs auteurs que quel- ques cas de mentagre seraient dus à la pénétration du champignon qui est la cause de l'herpès tondens et de l'herpès circinatus, dans les grands et profonds follicules pileux de la barbe, est conforme à mes observations per- sonnelles. Ainsi, j'ai observé entre autres un individu qui, après avoir été atteint d'herpès tonsurant au contact d'une vache malade, eut, quelques semaines plus tard, une mentagre. Ce qu'il y avait surtout de caractéristi- que dans ce cas, c'est que l'éruption, dont une moitié occupait la barbe, l'autre la peau environnante, offrait sur cette dernière les caractères de l'herpès circiné, dans la barbe ceux de la mentagre. § 2. Symptômes et marche. Au début de la maladie, il se forme entre les poils de la barbe, aux lè- vres, au menton, aux joues et dans quelques cas rares même entre les poils des sourcils et de l'aisselle, de petites nodosités rouges et infiltrées, ayant les dimensions d'une lentille ou d'un pois. Au bout d'un certain temps, il se forme au sommet de ces nodosités des pustules constamment traversées par un poil. Après quelques jours, ces pustules se rompent et laissent écou- ler leur contenu, qui se dessèche aussitôt en croûtes brunâtres. Sous les croûtes, les nodosités persistent, et même après que les croûtes sont tom- bées, ces nodosités ne diminuent que lentement ou conservent leur volume antérieur. Os éruptions, rares et clair-semées au début, deviennent plus serrées par de nouvelles poussées, et finalement les nodosités, pressées les unes contre les autres, et leurs interstices infiltrés donnent aux endroits ma- lades cet aspect caractéristique de figue sèche auquel le sycosis doit son nom. Quelquefois la maladie reste bornée à quelques places de peu d'étendue ; dans d'autres cas toutes les régions de la face où se trouvent des poils sont couvertes de tubercules d'un rouge foncé, de pustules et de croûtes. La ma- ladie a une durée indéterminée et persiste souvent pendant de longues an- nées, sans s'éteindre et sans conduire à des dégénérescences d'une autre nature. Si la maladie guérit, les endroits autrefois malades, d'ordinaire ne se couvrent plus de poils, parce que les follicules pileux: sont détruits, et le visage est marqué de cicatrices. 5D4 MALADIES DE LA PEAU. § 3. Traitement. Je considérais autrefois le sycosis comme une maladie des plus opiniâtres et résistant généralement à n'importe quel traitement, quel que fût le nom- bre des remèdes recommandés pour la combattre. Dans ces dernières an- nées, pendant lesquelles je me suis attaché scrupuleusement au traitement préconisé par Hebra dans le traité de Virchow, je suis revenu de cette opi- nion et ne puis que recommander la méthode suivante : on commence le traitement en ramollissant et détachant les croûtes par des frictions hui- leuses et l'application d'un linge bien imbibé d'huile; ensuite on recom- mande au malade qu'il se fasse raser tous les jours, quelle que soit la répu- gnance qu'il éprouve à se soumettre à cette nécessité. On ouvrira par une incision avec un fin scalpel toutes les pustules qui se produiront après cette opération, et si plusieurs pustules sont confondues, on les fendra par une incision unique. Ces scarifications qui, de même que le passage du rasoir sur l'endroit malade, sont infiniment moins douloureuses qu'on ne devrait le supposer, doivent également être répétées tous les jours s'il y a lieu. Si le mal est très-opiniâtre, il faut toucher les pustules ouvertes avec de l'acide acétique concentré ou avec une solution de sublimé (1 partie sur 2 parties d'alcool). Dans la plupart des cas, il suffit de couvrir pendant la nuit la partie malade d'un petit linge enduit de pommade au précipité blanc ou d'une pâte composée de parties égales de lait de soufre, de glycérine et d'alcool. CHAPITRE XV Inflammation chronique des follicules sébacés «le la peau avec dilata- tion vaseulaire et 'prolifération du tissu conjonctif environnant. — • Acné rosacea. — Gutta rosacea. — Couperose. § 1. Pathogënie et ëtiologie. Dans l'acne rosacea les follicules sébacés de la face, surtout ceux du nez, sont le siège d'une inflammation chronique. Cette inflammation montre beaucoup moins de tendance à passer à la suppuration que l'inflammation des follicules sébacés dans l'acné vulgaire et dans le sycosis ; par contre, elle est constamment compliquée d'une hypertrophie inflammatoire du tissu conjonctif, et surtout d'une dilatation considérable des vaisseaux aux environs des follicules malades. — L'acne rosacea se développe, il est vrai, de pré- férence chez les buveurs, surtout chez les buveurs de vin et d'eau-de-vie; ACNE ROSAGEA, GUTTA ROSACEA, COUPEROSE. 535 cependant cette coïncidence est loin d'être assez générale pour que ie déve- loppement de la couperose nous autorise d'emblée à conclure que l'individu qui en est atteint est nécessairement adonné à l'ivrognerie. Très-souvent les femmes sont atteintes, vers l'âge de retour, et sans avoir jamais goûté ni vin, ni bière, ni eau-de-vie, de cette infirmité que les préjugés régnants rendent doublement désagréable. Même les jeunes femmes sont quel- quefois atteintes d'acne rosacea quand elles sont sujettes à des désordres menstruels. § 2. Symptômes et marche. La maladie débute par une rougeur foncée, cuivrée, de quelques places circonscrites du visage ; cette rougeur est produite par une dilatation vari- queuse des petits vaisseaux. Sur ces places d'un rouge bleu se développent plus tard des tubercules d'acné qui n'ont aucune tendance à diminuer, en supposant même qu'une pustule se forme à leur sommet ; ils deviennent au contraire de plus en plus volumineux. Les nouveaux tubercules qui s'y ajoutent et la forte hypergénèse qui se développe dans le tissu conjonctif du derme font naître des difformités très-vilaines. Le nez gonflé, informe, •ce siège ordinaire de la couperose, est coloré en rouge bleu dans les degrés élevés du mal et couvert de bosses et de tumeurs plus ou moins grandes. Souvent le front et les joues présentent le même aspect, et dans quelques •cas le processus se répand même sur la face entière. § 3. Traitement. Aux premiers signes de l'acne rosacea, il faut interdire formellement l'usage des spiritueux ; si, chez les femmes, il y a des troubles de la mens- truation, il y a lieu de les traiter selon les principes antérieurement émis. En même temps, et pour obtenir une compression des vaisseaux dilatés, il convient d'appliquer du collodion sur les endroits rouges. Dans les cas où •ces applications ne sont pas supportées, Veiel a employé avec succès l'eau saturnée concentrée, additionnée de terre bolaire blanche et d'un peu de camphre. S'il s'est développé de petits tubercules d'acné, les préparations sulfureuses conviennent également contre l'acne rosacea; toutefois, au lieu de la pâte conseillée pour le traitement de l'acne vulgaris et du sycosis, il vaut mieux se servir de l'eau de Kummerfeld ou d'un mélange de lait de soufre et d'eau ou d'alcool. Dans les cas invétérés, tout traitement est le plus •souvent inutile. 536 MALADIES DE LA PEAU. V. — HÉMORRHAGIES DE LA PEAU. — PURPUBA. § 1. Pathogénie et étiologie. Toute hémorrhagie de la peau est le résultat d'une solution de continuité des parois vasculaires; jamais le sang ne transsude à travers les parois intactes d'un vaisseau. Si le sang se déverse dans le parenchyme du derme de manière à remplir les interstices qui séparent les éléments de son tissu, sans que la peau soit gonflée par l'épanchement sanguin, il se produit des taches rouges, bleuâtres ou noirâtres, autrement dit des taches de purpura. Si ces taches de purpura sont petites et arrondies, on les appelle ordinaire- ment pétéchies; si elles sont allongées et sous forme de stries: vergetures ou vibiccs ; si elles sont diffuses et irrégulièrement configurées, c'est le nom d' ecchymomes qu'on leur applique. Lorsqu'un épanchement circonscrit d'une quantité de sang un peu plus forte produit un renflement de la peau sous forme de petites nodosités, on a le lichen livide (Willan) ou le purpura papu- leux (Hebra)j lorsque des épanchements de sang diffus donnent lieu à des gonflements plus larges et plats de la peau, ayant de la ressemblance avec des plaques, c'est le purpura urticans. Dans quelques cas un épanchement sanguin détache l'épidémie du corps papillaire et le soulève en bulle (purpura bullosa) ; dans d'autres cas encore le sang extravasé rompt l'épi" derme et s'écoule librement au dehors. — Dans ce que l'on a appelé sueur de sang, il est vrai que le sang sort par les pores de la peau, mais comme il n'est pas mêlé de sueur et que du reste cette hémorrhagie n'a rien de com- mun avec la sécrétion de la sueur, la dénomination sueur de sang ou trans- piration sanguine n'est pas bien choisie. Les hémorrhagies cutanées résultent: 1° de lésions traumatiques. Parmi les hémorrhagies traumatiques, celles qui proviennent de morsures de puces ont leur importance en ce sens que des médecins inexpérimentés en sont quelquefois induits en erreur et croient à l'existence d'une maladie grave du sang. Immédiatement après la morsure on remarque une tache de roséole ou une plaque d'urticaire dont le centre laisse apercevoir la petite plaie d'un rouge foncé, appelée aussi le stigma. Mais chez les individus dont le sang est pauvre en fibrine, il se forme en outre autour de la plaie une petite hémor- rhagie dans le tissu du derme, analogue à l' hémorrhagie beaucoup plus considérable qui chez les mêmes individus se produit autour des morsures de sangsues. Les petites hémorrhagies que les morsures de puces laissent à leur suite sont encore visibles quand la plaie n'est plus reconnaissable, de sorte que le stigma peut bien servir à distinguer la roséole et l'urticaire puli- HÉMORRHAGIES DE LA PEAU, PURPURA. 537 eaires d'autres formes de roséole et d'urticaire, mais non le purpura puli- eaire d'autres espèces de pétéchies. Outre la présence des puces elles-mêmes ou de morsures récentes il n'y a souvent que l'endroit où l'on trouve ces hémorrhagies qui nous permette de bien fairela distinction. Les puces aiment à séjourner aux endroits où elles peuvent se cacher entre les plis de la che- mise. Si donc on trouve la région du cou et des épaules, et chez les femmes les places qui correspondent à la ceinture, couvertes de pétéchies, et que tous les autres endroits, surtout ceux qui restent habituellement à nu, ne laissent apercevoir que peu ou point de taches de ce genre, on peut présu- mer que l'on se trouve en présence de morsures de puces. 2° Les hémor- rhagies de la peau peuvent être le résultat de la rupture de vaisseaux trop rem- plis. Ainsi il n'est pas rare qu'après des efforts de toux violents ou de forts vomissements la face se couvre de taches de purpura, ou bien que des pété- chies se. montrent aux extrémités inférieures, en même temps que la dila- tation variqueuse des veines, quand un obstacle s'y oppose au retour du sang veineux. Même des fluxions intenses pai*aissent quelquefois entraîner des ruptures vasculaires dans la peau ; aussi les médecins anglais décrivent- ils sous le nom de purpura simple une forme qui, chez les individusjeunes, d'ailleurs sains et robustes, se produit surtout quand ils ont fait abus de boissons alcooliques. 3° Enfin les hémorrhagies de la peau dépendent le plus souvent d'un trouble de la nutrition des parois vasculaires. Dans ce nombre il faut compter le purpura senilis, qui n'est qu'un des symptômes du marasme sénile, ensuite le purpura qui se manifeste dans le cours de graves maladies générales, telles que le typhus et la fièvre typhoïde, la variole, la rougeole, le scorbut et cette espèce de purpura qui constitue le symptôme le plus im- portant de la maladie de Werlhof. Probablement il faut encore compter dans cette catégorie le purpura compliqué de douleurs rhumatismales, qui ne s'observe qu'aux extrémités inférieures et qui est connu sous le nom de péliose rhumatismale. § 2. Symptômes et marche. Les taches rouges d'origine hémorrhagique se distinguent de celles qui sont dues à une hyperémie en ce qu'une pression exercée sur elles avec le doigt ne les fait pas pâlir et disparaître comme ces dernières. Leur durée est plus ou moins longue, et elles montrent même sous le rapport du siège et de la grandeur diverses modifications qui, de même que les phénomènes subjectifs dont elles sont accompagnées, doivent surtout être attribuées à la maladie première ou aux complications qui peuvent se présenter. H faut donc (pue, pour la syniptomatologie détaillée de la plupart des hémorrhagies, lions renvoyions le lecteur aux chapitres consacrés au typhus, à la variole, à 538 MALADIES DE LA PEAU. la rougeole, au scorbut, à la maladie de Werlhof, et nous nous contenterons d'ajouter ici quelques mots sur la péliose rhumatismale. — Cette maladie, pour la première fois bien observée et reconnue pour une affection particu- lière par Schoenlein, se rencontre de préférence chez les jeunes sujets ayant la peau délicate et ayant auparavant déjà été atteints de maladies rhnmatis- males. Elle est ordinairement accompagnée de fièvre. Des douleurs dans les extrémités inférieures, principalement dans les jambes, appellent pour la première fois l'attention des malades sur leur mal. En examinant les endroits douloureux on les trouve modérément tuméfiés par de l'œdème, et parse- més de petites taches dont la grandeur varie entre celle d'un grain de millet et celle d'une lentille. Les taches sont d'un rouge clair au commencement, disparaissent sous la pression du doigt, et dépendent par conséquent à ce moment d'une hypérémie partielle. Plus tard leur teinte devient d'un brun sale et la pression ne les fait plus disparaître, ce qui prouve qu'alors le sang est sorti des vaisseaux et s'est épanché dans le tissu cutané. Ordinairement des éruptions analogues se répètent par poussées à plusieurs reprises, ce qui donne à la maladie une durée de plusieurs semaines, bien que les taches produites les premières se dissipent au bout de quatre à huit jours quandles malades conservent le décubitus horizontal. Dans quelques cas, les récidives se répètent avec une fréquence telle que la maladie se prolonge pendant, plusieurs mois consécutifs. § 3. Traitement. Dans le traitement des hémorrhagies cutanées il faut tenir compte, avant tout, des anomalies constitutionnelles qui peuvent exister. En outre, on prescrit ordinairement, comme pour presque toutes les autres hémorrhagies, l'usage interne d'acides minéraux et végétaux, et on fait laver les taches de- purpura avec des acides étendus, surtout avec un mélange d'eau et de vi- naigre. L'efficacité de ces prescriptions est fort problématique. Pour le trai- tement de la péliose rhumatismale, il importe de maintenir les malades au lit, jusqu'à la disparition des taches et même quelque temps après, et de leur faire conserver sans interruption la position horizontale. LUPUS, DARTRE RONGEANTE. 539 VI. — NÉOPLASMES DE LA PEAU Nous abandonnons aux ouvrages de chirurgie la description de la plupart . refroidissements ou d'influences atmosphériques. S'il est vrai que les refroidissements et les influences atmosphériques conduisent souvent au rhumatisme, il n'est cependant pas prouvé qu'ils soient l'unique cause de cette affection ; mais dans la pratique on appelle rhumatismales toutes les affections inflammatoires et douloureuses des tissus susnommés, lorsqu'elles ne sont pas secondaires ou sympathiques, mais primitives et idiopathiques, et qu'elles ne sont pas d'origine traumatique, peu importe qu'on puisse constater ou non un refroidissement comme cause de lamaladie. Parmi les caractères d'une affection rhumatismale on compte généralement encore la disproportion entre les phénomènes subjectifs souvent très-graves et les modifications anatomiques souvent minimes, de même que la tendance de la maladie à passer de son siège primitif à d'autres parties de structure et de fonctions analogues. Cependant l'intensité relativement considérable des douleurs rhumatismales semble due moins à la nature du mal qu'à son siège; au moins, les inflammations traumatiques, goutteuses et autres, même- modérées, sont-elles également accompagnées de douleurs très-vives lorsque ces inflammations ont pour siège les tissus fibreux ; et, quant à la mobilité des affections rhumatismales, à leur tendance de sauter d'un endroit à l'autre, ce n'est encore pas là un signe caractéristique, car personne n'hésitera à compter parmi les affections rhumatismales une maladie articulaire idiopa- thique et douloureuse, qui ne présente pas cette mobilité et qui peut-être reste localisée pendant des années sur une seule et même articulation. ARTICLE PREMIER. Rhumatisme articulaire aigu. — Arthrite rhumatismale aiguë. § 1 . Pathogénie et étiologie. Dans le rhumatisme articulaire aigu, les capsules synoviales d'un plus ou moins grand nombre d'articulations deviennent le siège de troubles inflam- matoires de la nutrition. Le simple nom de polyarthrite aiguë suffirait par- faitement pour désigner la maladie en question, s'il n'existait pas une poly- RHUMATISME. 565 arthrite aiguë secondaire qui se développe dans le cours des maladies infec- tieuses et dont il faut distinguer le rhumatisme articulaire aigu comme étant une polyarthrite aiguë rhumatismale ou idiopathique. Dans la plupart des cas, l'inflammation des capsules synoviales n'atteint pas un haut degré dans le rhumatisme articulaire aigu. Le plus souvent l'exsudat déposé dans les cavités articulaires n'est ni très-considérable, ni très-riche en fibrine, et il ne renferme pas de grandes quantités de cellules purulentes. Le gonflement extérieur des parties atteintes dépend en majeure.partie de l'œdème inflam- matoire d'un tissu conjonctif qui entoure l'articulation. Cependant ce faible degré de l'inflammation et la nature indiquée de l'exsudat ne constituent nullement un caractère constant de la polyarthrite rhumatismale aiguë ; au contraire, il existe un certain nombre de cas où l'inflammation atteint un degré bien plus élevé, et où il se dépose un exsudât riche en fibrine ou pu- rulent. La prédisposition au rhumatisme articulaire aigu est très-différente chez les différents individus, sans que nous connaissions la cause de cette inégalité. Chez certains individus cette plus grande disposition à contracter un rhu- tisme articulaire aigu paraît être innée. C'est surtout chez les sujets qui ont déjà été atteints une ou plusieurs fois de cette affection qu'elle se déclare facilement. Dans la première enfance et chez les vieillards, le rhumatisme articulaire aigu est rare ; on l'observe le plus souvent entre quinze et qua- rante ans. Le nombre des hommes atteints est égal à celui des femmes, ou même un peu plus grand. Chez les individus robustes et bien nourris, la prédisposition paraît être plus grande que chez les individus faibles et ané- miques. — Parmi les causes occasionnelles, les refroidissements passagers jouent incontestablement un rôle important, soit que le corps échauffé ait été subitement mouillé, soit qu'il se trouve exposé à un courant d'air sec ou qu'il soit soumis pendant longtemps à l'influence d'un logement ou d'un atelier humide. C'est précisément pour cette raison que les individus appar- tenant à la classe ouvrière, qui est principalement exposée à ces causes morbifiques, sont plus souvent atteints du rhumatisme articulaire aigu que ceux qui vivent dans l'aisance. Dans la plupart des cas, les causes détermi- nantes ne se laissent pas constater. La maladie est répandue sur toute la terre, mais elle se rencontre plus fréquemment dans la zone tempérée que dans les régions polaires etvéquatoriales. A de certaines époques, surtout pendant l'hiver et le printemps, ces affections se rencontrent en plus grand nombre, de sorte qu'elles présentent quelquefois le caractère d'une véritable épidémie. Pendant l'été et l'automne la maladie ne se montre le plus sou- vent que d'une manière isolée. 566 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. § 2. Anatomie pathologique. On n'a pas souvent l'occasion de faire l'autopsie d'individus morts pendant la durée d'un rhumatisme articulaire. Les modifications des articulations observées dans ces cas sont très-souvent insignifiantes, et se bornent à une hypérémie modérée delà capsule synoviale, à une faible augmentation et à un trouble léger, floconneux, de la synovie. Dans quelques cas on voit même manquer ces résidus du processus inflammatoire qui a existé indubitablement pendant la vie, et le résultat de l'examen microscopique estaussi négatif que dans la plupart des cas de dermatite érysipélateuse. D'un autre côté, on trouve quelquefois à l'autopsie les capsules synoviales de quelques articulations d'un rouge foncé, par suite d'une hypérémie considérable et d'un grand nombre d'ecchymoses; leur tissu est relâché et gonflé, la cavité articulaire est dilatée et remplie d'un liquide purulent, même les extrémités osseuses sont injectées et parsemées d'extravasats sanguins. Le sang renfermé dans le cœur et les gros vaisseaux présente dans tous les cas récents des caillots fibrineux très-gros. En outre, on rencontre très-souvent les modifications anatomiques qui appartiennent aux différentes complications du rhuma- tisme articulaire, surtout à la péricardite, à l'endocardite et à la myocar- dite. § 3. Symptômes et marche. Dans quelques cas le début de la maladie est précédé pendant quelques jours de prodromes, qui consistent en un malaise général, en un brisement douloureux des membres. Dans d'autres cas ces prodromes font défaut et la maladie débute subitement et d'une manière inattendue. — Il n'est pas très- fréquent de voir la maladie commencer par un violent frisson , tel que nous l'avons vu se montrer, comme symptôme initial, dans la pneumonie et dans d'autres maladies inflammatoires. Quelquefois on n'observe qu'un frissonnement léger qui pendant les premiers jours se répète souvent ; dans d'autres cas, ce symptôme manque également et la maladie débute par une sensation subjective de chaleur qui d'ordinaire ne vient qu'après les frissons. — En même temps que les symptômes fébriles se déclarent ou bientôt après, les malades se plaignent de douleurs dans une ou, ce qui est plus fréquent, dans plusieurs articulations, douleurs qui au début sont mo- dérées, mais qui augmentent rapidement d'intensité et atteignent en peu de temps un degré élevé. Tant que les malades n'essayent pas de mouvoir les articulations malades et qu'on ne touche pas ces dernières, la douleur est supportable ; mais toute tentative de remuer l'articulation affectée, toute RHUMATISME. 567 pression, quelque faible qu'elle soit, qu'on exerce sur cette dernière, et, dans les cas graves, le seul poids d'un duvet le'ger augmentent les douleurs au point que les malades souvent gémissent et se lamentent, jusqu'à ce qu'ils aient passé de nouveau quelque temps dans une position tranquille et com- mode et à l'abri de toute irritation. En examinant les articulations atteintes, on les trouve gonflées tantôt modérément, tantôt considérablement. La tu- méfaction, qui, comme nous venons de le dire, ne dépend qu'en partie de l'épanchement intra-articulaire, et en partie de l'œdème de la peau et du tissu sous-cutané, s'étend ordinairement encore un peu sur les parties voi- sines de l'articulation, et à un examen superficiel on pourrait croire que les extrémités des os sont gonflées. La peau qui recouvre les articulations ma- lades a ou bien conservé sa teinte normale, ou bien elle est légèrement injectée, exceptionnellement elle est d'un rouge foncé. Le degré du gonfle- ment et la violence des douleurs ne sont pas toujours en rapport direct: souvent les douleurs sont très-violentes, tandis que le gonflement est à peine marqué. Les grandes articulation, surtout celles du genou, du pied, de la main, du coude et de l'épaule, sont atteintes le plus souvent ; cependant les petites articulations, notamment celles des doigts, l'articulation sterno-clavi- culaire, les articulations de la colonne vertébrale, ne sont nullement exemptes de cette affection. Ce n'est que par exception que les articulations des orteils sont prises. Quelquefois la symphyse du pubis est également atteinte. Assez souvent le processus s'étend aussi aux muscles et aux aponé- vroses qui environnent les articulations malades. — Le nombre des articu- lations atteintes est variable. Il est rare que, même au début, il n'y ait qu'une seule articulation de malade; beaucoup plus souvent le processus se déve- loppe en même temps dans deux ou trois et quelquefois même dans un plus grand nombre d'articulations. Dans une période plus avancée de la maladie on voit généralement se prendre de nouvelles articulations qui au début étaient restées saines, et les phénomènes morbides y arrivent à leur point culminant quand dans les articulations atteintes en premier lieu ils dimi- nuent ou ont déjà complètement disparu. Si dans celles-ci les douleurs et la tuméfaction ne disparaissent que lentement, en même temps qu'elles appa- raissent dans d'autres, le nombre des articulations atteintes à la fois peut de- venir très-considérable et les malades peuvent se trouver dans une position très-pénible ; quelquefois ils ne sont pas en état d'exécuter le moindre mou- vement. Ils ne peuvent pas changer à leur gré laposition qu'ils ont prise ou qu'on leur a fait prendre ; ils ont peur de tout mouvement passif, quelque grandes que soient les précautions qu'on prenne pour les changer de place, lorsqu'ils ont besoin d'uriner ou d'aller à la selle, ou lorsqu'on veut leur donner à boire ou à manger. Même le plus léger ébranlement du lit aug- mente leurs douleurs et leur fait pousser des plaintes et des cris. Cependant cette grande extension et ce degré de violence des pbénomènes ne se ren- 568 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. contrent pas fréquemment. Dans la plupart des cas, il n'y a que deux ou trois articulations ou au moins un petit nombre qui sont simultanément le siège de très-vives douleurs, tandis que les autres articulations sont libres ou sont encore un peu roides et ne sont douloureuses qu'en exécutant des mouve- ments étendus dans lequel cas elles présentent quelquefois de la crépi- tation. — Presque toujours la fièvre accompagne le début de la maladie, quelquefois elle précède les manifestations locales, et ce n'est qu'exception- nellement qu'elle s'y ajoute plus tard; son intensité correspond ordinaire- ment à la violence et à l'extension des phénomènes locaux, et elle a tous les caractères d'une fièvre inflammatoire sthénique. La température du corps n'atteint pas habituellement le degré élevé que nous observons dans les maladies infectieuses, elle ne dépasse dans la plupart des cas que d'un ou deux degrés la température normale, exceptionnellement cependant elle peut arriver à 60 et 60°, 5 centigrades et même plus haut. La fréquence du pouls est augmentée, ordinairement on compte de 90 à 100 pulsations à la minute et le plus souvent le pouls est plein et mou. Ce n'est que dans les cas où la température atteint une élévation extraordinaire que la fréquence du pouls devient très-considérable et qu'on compte de 120 à 130 pulsations à la minute. En auscultant le cœur on entend dans un grand nombre de cas, même dans ceux où l'endocardite ne complique pas le rhumatisme, des bruits de souffle, ce qu'on a appelé des bruits sanguins. La respiration est plus fréquente, la peau presque toujours couverte de sueurs très-profuses, répandant une odeur fortement acide, et auxquelles il ne faudrait nullement attribuer une valeur critique, car elles sont aussi abondantes dans la période d'augment et d'état que dans la période de déclin. Très-souvent on trouve la peau des malades couverte de miliaire rouge. Nous avons montré précé- demment que cet exanthème appartient aux eczémas et qu'il est la consé- quence d'une forte irritation de la peau au niveau des orifices des glandes sudoripares, irritation due à la transpiration exagérée. A côté de vésicules remplies d'un liquide trouble, lactescent, on observe souvent aussi des érup- tions qui représentent des papules rouges, et dans lesquelles, par conséquent, l' exsudât n'a pas été assez abondant pour soulever l'épidémie sous forme de vésicule. Plus rarement on remarque sur la peau des sudamina, c'est-à-dire la miliaire blanche (voy. p. 558). La perte d'eau très-abondante que subit le corps, soit par la perspiration considérablement augmentée sous l'influence de la fièvre violente, soit par la transpiration profuse, explique non-seule- ment la soif violente des malades, mais encore la diminution très-sensible des urines. Souvent il n'y a que 300 à 600 centimètres cubes d'urine ex- crétés dans les 1k heures. Comme la production d'urée n'est pas diminuée, qu'au contraire elle est augmentée par suite de la désassimilation exagérée, l'urine concentrée présente un poids spécifique très-élevé ; et comme la quan- tité d'eau qu'elle contient ne suffit pas pour maintenir les urates en disso- RHUMATISME. 569 îution à une température un peu basse, ces sels forment des sédiments très- abondants dès que l'urine se refroidit. Ces sédiments se montrent d'un rouge plus foncé encore que d'habitude, parce que la matière colorante que ren- ferment les urines et qui se précipite en même temps que les sels se trouve également en quantité beaucoup plus considérable dans ce liquide. Un dépôt très-abondant d'urates ne permet pas d'avancer, pour tous les cas, que la quantité d'acide urique éliminée dans les 24 heures soit augmentée ; du moins, l'acide urique ne dépassait pas la quantité normale chez deux mala- des de la clinique de Greifswald atteints de rhumatisme articulaire aigu et dont l'urine, examinée par Hoppe-Seylcr, était excessivement épaisse et présentait un dépôt très-considérable. On considère très-souvent une urine semblable comme un signe presque pathognomonique du rhumatisme arti- culaire aigu, et l'on y est jusqu'à un certain point autorisé, car il n'y a pres- que pas de maladie où, à côté d'une perspiration considérable, la perte d'eau par exagération de la sécrétion sudorale soit aussi abondante et," par consé- quent, l'urine aussi concentrée que dans le rhumatisme articulaire aigu. — Parmi les complications de cette maladie, il faut citer surtout la péricardite, l'endocardite et la myocardite. En parlant des affections du cœur (vol*. I), nous avons montré que la fréquence de ces complications a été beaucoup exagérée, surtout par Bouillaud. Il parait que Bouillaud a rattaché également à des troubles inflammatoires les «bruits sanguins» que nous avons men- tionnés plus haut, et qui probablement doivent être attribués à une tension anormale des valvules et des parois vasculaires, à la suite de laquelle se produiraient des vibrations irrégulières. Nous avons dit, d'après les relevés de Bamberger, que sur 100 individus atteints de rhumatisme articulaire aigu, l'endocardite s'observait à peu près 20 fois, la péricardite 14 fois, tandis que la myocardite étatt beaucoup plus rare. D'après le même auteur, le danger d'une complication par l'inflammation du cœur et du péricarde est d'autant plus grand que le nombre des articulations atteintes est plus considérable. Il est évident que dans les cas en question, il s'agit de véritables complications, et non de métastases ; en effet, l'affection des articulations ordinairement n'est pas modifiée dans sa marche lorsqu'une des formes de la cardite se développe. Quant aux symptômes et à la marche des inflam- mations du cœur, nous renvoyons également à ce qui a été dit précédem- ment; qu'il nous suffise d'attirer encore une fois l'attention sur ce fait: que, dans un grand nombre de cas, tous les symptômes subjectifs manquent et que les complications ne peuvent être reconnues que par l'examen physique. Beaucoup plus rarement que les différentes formes de cardite, on rencontre, comme complication du rhumatisme articulaire aigu, la pleunte, la pneu- monie, et plus rarement encore la méningite cérébrale et la méningite spi- nale. Dans les cas qui traînent en longueur, la fonte icliorcuse des articula- tions peut conduire à la pyéinie; cependant ces cas sont excessivement rares, 570 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. parce que la fonte ichoreuse ne se rencontre qu'exceptionnellement dans l'arthrite idiopathique. La maladie n'a pas de marche cyclique, et dure, en variant d'intensité, de huit à quinze jours dans les cas légers, et bien des semaines dans les cas graves. Dans la matinée, les douleurs et la fièvre présentent ordinairement une rémission, et s'exaspèrent vers le soir; cependant ces oscillations ne se rapprochent pas d'un type régulier. Il arrive souvent que des cas qui, au début de la maladie, étaient très-légers et bénins, se distinguent plus tard par leur grande ténacité et leur grande malignité ; on observe de même qu'au milieu d'une amélioration sensible, qui faisait espérer une guérison prochaine, la fièvre et les phénomènes locaux s'exaspèrent de nouveau et prennent une gravité qu'ils n'avaient pas encore atteinte jusque-là. Quant aux terminaisons du rhumatisme articulaire aigu, il faut considérer avant tout que non-seulement les cas légers, dans lesquels un petit nombre d'articulations est pris et dans lesquels l'intensité des phénomènes locaux et la fièvre n'atteignent pas un degré élevé, peuvent se terminer par la gué- rison complète, mais que cette terminaison est également la règle pour les cas'graves, ou un grand nombre d'articulations est atteint, où les douleurs et le gonflement de ces articulations atteignent un haut degré et où la vio- lence des phénomènes locaux est accompagnée d'une fièvre correspondante. Mais, même dans le cas le plus heureux, la guérison ne s'établit pas par la cessation subite des phénomènes morbides, mais par une diminution lente et qui n'est pas toujours continue. Malgré la marche insidieuse de cette ma- ladie et malgré la fréquence de ses complications par des inflammations des organes les plus importants, la terminaison par la mort s'observe rarement. Cette dernière ne se présente que dans les cas où les inflammations conco- mitantes du cœur sont de nature très-compliquée, d'une violence extrême et accompagnées d'inflammation du poumon et de la plèvre, quoique dans ces cas encore la guérison puisse s'établir, souvent contre toute attente. Outre ces cas, la mort survient quelquefois, sans complications, au milieu des phé- nomènes d'un collapsus subit, et après avoir été précédée pendant peu de temps de délire ou de coma, et d'autres symptômes d'un trouble grave de l'innervation. A l'autopsie de pareils cas, on ne découvre généralement pas de modifications dans les organes centraux du système nerveux, et l'on a admis pour cette raison qu'ils dépendent d'une intoxication du sang qui, il est vrai, n'a pas encore été constatée. Cependant, tant qu'on n'aura pas prouvé par des mensurations thermométriques exactes que dans les cas en question la terminaison fatale n'a pas été amenée par la fièvre et l'aug- mentation de la température du corps, arrivées à un degré incompatible avec la vie, cette hypothèse ne me paraît pas admissible, d'autant plus qu'on a constaté que dans le rhumatisme articulaire aigu la température du corps, ordinairement peu augmentée, monte, dans des rares cas, à un degré très- RHUMATISME. 571 élevé. Du reste, dans quelques cas, les symptômes cérébraux graves qui se présentent dans le cours du rhumatisme articulaire aigu dépendent de trou- bles inflammatoires dans les méninges, c'est-à-dire de modifications ana- logues à celles des articulations. Moi-même, je n'ai observé qu'un malade chez lequel l'augmentation modérée de la température du corps, l'existence de délire au début et, plus tard, le développement d'un état comateux, ac- compagné d'un ralentissement excessif du pouls et de vomissements répétés, ne laissèrent aucun doute sur la nature du mal. Ce cas se termina par la guérison, de sorte que le diagnostic ne put être confirmé par l'autopsie ; mais dans la thèse du docteur Flamm, intitulée : Des symptômes méningitiques dans le rhumatisme aigu, et soutenue sous la présidence de mon collègue Kœhler, on cite aussi des cas où l'on a pu constater à l'autopsie l'existence d'une affection inflammatoire des méninges. — On ne sait pas encore si le trouble cérébral chronique qui persiste quelquefois après le rhumatisme arti- culaire aigu se lie à des modifications anatomiques appréciables. Griesinger en parle dans les termes suivants: «Le trouble cérébral grave, [dû au rhuma- tisme articulaire aigu, et qui persiste quelquefois pendant des mois et plus, se manifeste comme une folie apyrétique avec le caractère de la dépression, souvent comme une mélancolie prononcée, avec stupeur. Des états d'excita- tion peuvent lui succéder et alterner avec elle ; quelquefois ce trouble est accompagné de mouvements convulsifs choréiformes ; le pronostic est, en général, favorable ; la guérison paraît se faire le plus rapidement et le plus sûrement dans les cas où, pendant le cours du trouble cérébral, les articula- tions deviennent de nouveau le siège de l'affection rhumatismale. » — Une terminaison très-fréquente du rhumatisme articulaire aigu, est celle par guérison incomplète. Dans des cas nombreux, on voit disparaître, il est vrai, la fièvre, les douleurs violentes et le gonflement de la plupart des articula- tions ; mais dans quelques-unes de celles-ci il reste un rhumatisme chroni- que qui montre une grande opiniâtreté, et qui souvent ne disparaît plus complètement. 11 arrive plus souvent encore que les malades traversent, il est vrai, le rhumatisme articulaire aigu et ses complications, mais qu'ils contractent pendant la maladie des anomalies valvulaires qui ne guérissent jamais et auxquelles ils succombent de bonne heure. Si la durée de la mala- die a été longue, surtout si la fièvre a été violente, les convalescents sont géné- ralement très-anémiques, et l'on entend chez eux des bruits anormaux au cœur et dans les gros vaisseaux, qui peuvent faire croire à l'existence de lésions valvulaires lorsqu'on n'examine pas exactement et qu'on ne tient pas un compte suffisant de l'état général. 572 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. § 4. Traitement. On a dirigé contre le rhumatisme articulaire aigu toute la batterie des moyens antiphlogistiques, surtout les saignées générales et locales, les ni- trates de potasse et de soude, le tartre stibié à dose réfractée, et l'on a pré- tendu qu'on était en état d'abréger la durée de la maladie et d'en prévenir les complications par un traitement antiphlogistique énergique. Il résulte de ce que nous avons dit sur la marche très-irrégulière et sur la durée très-variable de la maladie, qu'il serait bien difficile de fournir les preuves suffisantes à l'appui de ces assertions. D'un autre côté, on a vu trop souvent que, malgré ce traitement, la maladie traînait pendant des semaines, et que les complications du côté du cœur n'étaient pas prévenues. L'infaillibilité du traitement antiphlogistique énergique ne peut donc plus être défendue, en admettant même que cette méthode ait eu une influence favorable dans quelques cas. C'est donc avec raison qu'on a abandonné de nos jours, dans le traitement du rhumatisme articulaire aigu, les saignées coup sur coup, l'administration des doses très-fortes et même dangereuses de nitre autre- fois en usage, de même que l'emploi systématique du tartre stibié, et l'on se sert d'autres remèdes qui, peut-être aussi incertains, présentent dans tous les cas l'avantage d'être moins dangereux. Le nitrate de soude à dose modérée (8 grammes sur 180; à prendre une cuillerée toutes les deux heures) est resté seul en faveur dans le traitement du rhumatisme articu- laire aigu, et est prescrit par la plupart des médecins, sans qu'ils en atten- dent, du reste, des effets merveilleux, au début de cette affection, de même que dans presque tous les cas de pneumonie et d'autres inflammations ac- compagnées de fièvre. Comme le nitre cubique (azotate de soude), donné à petites doses ne peut guère être nuisible, comme son action antiphlogistique n'a été nullement réfutée, et qu'elle n'est nullement invraisemblable, enfin, comme nous ne connaissons aucun autre remède qui puisse arrêter le rhu- matisme articulaire aigu dans sa marche ou en abréger la durée, on ne peut élever aucune objection contre l'emploi de ce médicament. Peut-être même a-t-on eu tort d'imiter Rademacher et d'employer, au lieu du nitrate dépotasse, le nitrate de soude qui, s'il est beaucoup plus innocent, est aussi, à ce qu'il paraît, beaucoup moins actif. Dans ces derniers temps, des voix autorisées se sont élevées pour engager vivement les médecins à abandon- ner le nitre cubique pour revenir au nitre ordinaire (Ko hier). Les remèdes les plus usités après le nitre sont le colchique (teinture ou vin de semence de colchique, 15 grammes; laudanum de Sydenham, 2 grammes; à pren- dre de 15 à 20 gouttes toutes les trois heures), le jus de citron (15 grammes trois fois par jour), l'iodure de potassium (2 à h grammes en dissolution dans 90 à 120 grammes d'eau; à prendre dans la journée), la quinine et RHUMATISME. 573 les narcotiques, surtout l'opium et la morphine. D'après les expériences faites jusqu'ici, il n'a pas été possible de trouver des indications spéciales à l'administration du colchique, du jus de citron et de l'iodure de potassium, qui paraissent exercer une influence favorable dans certains cas, mais qui, dans la grande majorité, sont positivement sans influence sur la marche de la maladie. Dans les cas très-opiniâtres, à récidives fréquentes, on aura également recours à ces moyens, quelque faibles que soient les chances de succès. — Quant à la quinine, elle est tout aussi peu, il est vrai, un spécifi- que contre le rhumatisme articulaire aign, que contre la pneumonie, la fièvre typhoïde et un grand nombre d'autres maladies, dans le traitement desquelles elle n'en joue pas moins un rôle important. Mais elle est un des antipyrétiques les plus puissants, et- mérite d'être employée également contre le rhumatisme articulaire aigu dans les cas où la fièvre atteint un degré élevé. D'ordinaire on fait prendre aux malades 1 à 2 grammes de quinine par jour, et l'on a raison de prescrire d'aussi fortes doses; car, d'après mes expériences aussi, on ne peut s'attendre à. une influence marquée sur la température du corps et la fréquence du pouls qu'en employant ce remède à haute dose. D'après les expériences de Weber et de Billroth, on ne peut guère mettre en doute la possibilité que la composition du sang des fébrici- tants ne favorise essentiellement la formation de troubles nutritifs inflam- matoires. S'il en est ainsi, le traitement antipyrétique aurait également un effet antiphlogistique, et la quinine, de même que les autres remèdes anti- pyrétiques, remplirait non-seulement l'indication symptomatique, mais en- core l'indication de la maladie, surtout dans le rhumatisme articulaire aigu, dans lequel de nouvelles articulations s'enflamment sans cesse pendant la durée de la fièvre. En tout cas, le traitement du rhumatisme articulaire aigu par la quinine, lorsque la température du corps est tant soit peu élevée, mérite d'être pris en sérieuse considération. — Quant aux narcotiques, on peut certainement se passer de la plupart d'entre eux; par contre, l'opium et la morphine sont non-seulement des remèdes indispensables pour modérer les douleurs des malades, mais il paraît aussi qu'à la suite de leur adminis- tration les phénomènes inflammatoires atteignent une moindre intensité dans les articulations prises. Je n'ose pas prétendre que ces remèdes abrè- gent la durée de la maladie, comme cela a été soutenu par plusieurs ob- servateurs; mais, ce que je puis certifier, c'est que de fortes doses d'opium ou de morphine sont bien supportées, même lorsque la fièvre est violente. Dans tous les cas où les douleurs troublent le repos de la nuit, il convient de faire prendre au malade 5 centigrammes d'opium ou 1 centigramme de morphine le soir, et dans les cas où les douleurs montrent une violence extraordinaire, on peut donner une pareille dose toutes les deux heures, jusqu'à ce qu'il y ait du soulagement. Je me contente dans la plupart des cas de rhumatisme articulaire de prescrire de la quinine et des préparations 574 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. opiacées. — Parmi les remèdes externes, on a recommandé les compresses chaudes et froides, les sangsues, les vésicatoires, de même qu'un grand nombre de lotions et de frictions narcotiques et irritantes. Ces remèdes, si souvent employés, ont rendu beaucoup moins de services que ne le préten- dent ceux qui les ont prônés; du reste, leur grand nombre permettrait déjà de tirer cette conclusion ; nous devons donc avouer que les remèdes exter- nes sont d'ordinaire également sans influence sur la marche de la maladie, et qu'ils ont tout au plus un effet palliatif. Aucun médecin occupé ne niera que, trop souvent, des cas de rhumatisme articulaire aigu, qui ont été trai- tés dès le début, résistent pendant trois et six semaines, et plus longtemps encore, à tout traitement externe, comme à tout traitement interne. Dans les cas d'intensité moyenne, il convient d'entourer d'ouate les ar- ticulations malades ; lorsque les douleurs sont très-vives, on fera faire des frictions avec des substances qui, par leur évaporation rapide, abaissent la température sur le lieu d'application, d'autant plus que les compresses à la glace et à l'eau froide ont la réputation dans le public d'être de mauvais « antirhumatismaux », et que, pour cette raison, elles sont facilement em- ployées d'une manière irrégulière. Le chlorure d'hydrogène bicarboné (liqueur des Hollandais), recommandé par Wunderlich, est un palliatif ex- cellent (2 à k grammes, en frictions légères) ; cependant les frictions avec de l'éther, que j'ai employées à la clinique de Greifswald par raison d'éco- nomie à la place du chlorure d'hydrogène bicarboné, rendent les mêmes services. Les saignées locales ne doivent être employées que dans les cas où une seule articulation reste pendant longtemps considérablement gonflée et douloureuse. Si, après des évacuations sanguines répétées, les douleurs et la tuméfaction ne disparaissent pas, si elles restent concentrées dans cette seule articulation après avoir abonné toutes les autres, on la couvrira de vésicatoires ou on badigeonnera la peau avec de la teinture d'iode. — Quant au régime du malade, il faut penser à temps à l'épuisement qui ré- sulte de la fièvre. Il faut défendre les boissons chaudes, parce qu'elles aug- mentent inutilement la sécrétion de la sueur. La chambre ne doit pas non plus être trop chaude, mais on aura soin d'y maintenir la température à un niveau toujours égal. — Les complications doivent être traitées d'après les règles établies ailleurs. Si, dans le cours de la maladie, il survient de gra- ves phénomènes cérébraux, il faut examiner s'ils dépendent d'une augmen- tation excessive de la température du corps, ou d'une affection inflamma- toire des méninges. Dans le premier cas, il faut faire des soustractions énergiques de chaleur, soit en enveloppant tout le corps de draps mouillés, soit en mettant le malade dans un bain froid. Ces deux moyens doivent être répétés aussi souvent que la température menace de monter à un degré excessif. Si la température n'est pas considérablement augmentée au début de ces phénomènes cérébraux graves, on appliquera des sangsues à la tête et l'on couvrira cette dernière de compresses glacées. RHUMATISME. 575 ARTICLE II. Rhumatisme articulaire chronique. — Arthrite rhumatismale chronique. § 1. Pathogénie et ëtiologie. Sous le nom de rhumatisme articulaire chronique, on désigne une in- flammation idiopathique et chronique, qui, le plus souvent, n'atteint qu'une seule articulation ou qu'un petit nombre, qui saute, beaucoup plus rarement que le rhumatisme articulaire aigu, d'une articulation à l'autre, et qui, malgré sa longue durée, ne donne lieu qu'à des modifications anatomiques relativement peu considérables. Lorsque les inflammations articulaires chro- niques conduisent à la suppuration de l'articulation et à la carie des extré- mités osseuses qui la forment, on a généralement l'habitude de les séparer du rhumatisme articulaire chronique, de les désigner par le nom d'arthrite chronique par excellence, et de les classer parmi les affections chirurgicales, aussi bien que l'arthrocace et la tumeur blanche. Quant à l'arthrite chro- nique déformante, nous en parlerons dans l'article suivant. — Le rhuma- tisme articulaire chronique se développe dans beaucoup de cas à la suite d'un rhumatisme aigu, de telle sorte qu'une ou plusieurs articulations ne reviennent plus à l'état normal après que la maladie s'est épuisée dans les autres, mais deviennent le siège de troubles persistants. Dans d'autres cas il se montre de prime abord avec les caractères d'une affection chronique. — Très-souvent la prédisposition au rhumatisme articulaire chronique est congénitale ; d'un autre côté, il existe un grand nombre de cas où cette prédisposition est évidemment acquise. Parmi les causes prédisposantes il faut citer avant tout les accès antérieurs de rhumatisme articulaire aigu, car après ces accès il reste fréquemment une prédisposition prononcée au rhumatisme articulaire chronique, prédisposition qui n'existait pas aupara- vant. Il en est de même d'un accès de rhumatisme articulaire chronique, et à plus forte raison de plusieurs accès, car ils laissent ordinairement à leur suite ce qu'on a appelé une diathèse rhumatismale. Les causes occa- sionnelles les plus fréquentes sont les refroidissements, surtout le séjour continu dans des endroits froids, humides et exposés aux courants d'air. C'est ainsi, par exemple, que presque* toutes les vieilles laveuses sont affec- tées de rhumatisme articulaire chronique. Dans beaucoup de cas on ne peut pas découvrir de cause occasionnelle. 576 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. § 2. ÀNATOMIE PATHOLOGIQUE. Dans les cas relativement rares où l'on a l'occasion de disséquer des arti- culations qui étaient le siège d'un rhumatisme articulaire chronique, on trouve ordinairement la capsule synoviale et l'appareil ligamenteux des ar- ticulations épaissis, les franges synoviales hypertrophiées et souvent dégé- nérées par infiltration graisseuse, les cartilages articulaires relâchés et à l'état feutré, la synovie plus ou moins abondante, d'un aspect louche. § 3. Symptômes et marche. Le rhumatisme articulaire chronique se présente sous deux formes diffé- rentes. Dans la première forme, quelques articulations sont pendant long- temps, souvent pendant plusieurs mois ou plusieurs années, le siège de douleurs continues. Celles-ci s'exaspèrent considérablement par la pression sur les articulations malades, mais surtout par les mouvements actifs ou passifs. A côté de ces douleurs, il existe encore des paroxysmes violents qui se montrent en apparence spontanément, surtout vers le soir. Lorsqu'on ap- plique la main sur les articulations pendant qu'on les meut, on sent souvent un craquement ou une crépitation manifeste. Quelquefois les articulations sont considérablement gonflées; mais ce gonflement ne dépend pas, comme dans le rhumatisme articulaire aigu, en partie d'un œdème inflammatoire du tissu cellulaire sous-cutané, mais exclusivement d'une augmentation de la synovie dans l'intérieur de l'articulation et de l'épaississement de la cap- sule synoviale et de l'appareil ligamenteux. Dans d'autres cas, le gonflement manque, parce qu'il n'y a pas d'épanchement sensible dans la cavité arti- culaire, ou bien le gonflement de l'articulation n'est qu'apparent : l'articu- lation semble faire une saillie plus considérable, parce que les muscles si- tués le long des diaphyses des membres malades ont été atrophiés par le repos continu. Lorsque cette forme de l'affection existe depuis longtemps, il se développe facilement des ankyloses fausses, incomplètes ; par contre, elle donne rarement lieu au développement d'une tumeur blanche ou d'une arthrocace. — La deuxième forme du rhumatisme articulaire chronique consiste au fond en une série d'accès légers de rhumatisme articulaire aigu, qui reviennent très-souvent et à de très-courts intervalles, et dans lesquels il n'y a chaque fois que quelques articulations d'atteintes. Les individus qui sont affectés de cette forme vague du rhumatisme articulaire chronique ressentent à tout instant des douleurs, souvent après chaque changement de temps, après chaque courant d'air auquel ils s'exposent, et tout aussi RHUMATISME. 577 > souvent, sans qu'on puisse constater une cause semblable. Tantôt telle arti- culation est prise, tantôt telle autre ; l'articulation malade est légèrement gonflée, très-sensible à la pression, mais surtout très-douloureuse quand on lui imprime des mouvements. La fièu ' modérée, qui existe presque tou- jours, se trahit par la fréquence persistante du pouls, par la transpiration continue, par l'urine plus épaisse, souvent sédimenteuse, enfin par l'affai- blissement et l'amaigrissement progressifs des malades. Cette forme du rhu- matisme articulaire chronique est également très-tenace et, une fois en- racinée, elle persiste souvent pendant toute la vie. Très-fréquemment elle se complique de rhumatisme musculaire, et souvent aussi de ces formes de névralgies et de paralysies qu'on nomme ordinairement rhumatismales. § L\. Traitement. La forme du rhumatisme articulaire chronique qui est fixée sur un petit nombre d'articulations, exige principalement un traitement local, tandis que le rhumatisme chronique vague demande de préférence un traitement général. — Dans les cas récents, le traitement local doit consister avant tout en émissions sanguines locales, soit par des sangsues, soit par des vencouses scarifiées. Si l'on veut arriver à un résultat satisfaisant, il faut les employer plusieurs fois et à d'assez courts intervalles; mais alors elles rendent aussi les meilleurs services et ne peuvent être remplaceras par aucun autre re- mède. Même dans les cas invétérés, on fait bien de commencer le traite- ment par une application de sangsues ou de ventouses scarifiées, à moins que ces émissions sanguines soient contre-indiquées par l'état général du malade. C'est le résultat de cette première soustraction de sang qui nous déterminera à y revenir, même dans ces cas chroniques, ou bien à passer aux dérivatifs. Parmi ces derniers, ceux qui rougissent la peau et y déter- minent une inflammation superficielle, doivent être préférés à ceux qui, par leur volatilité, sont très-sensibles à la muqueuse du nez, mais ne pro- voquent sur la peau ni modification visible ni sensation particulière. Tout en nous exposant à nous voir jeter la pierre, nous ne pouvons nous empê- cher de dire que l'opodeldocb, Le Uniment volatil, l'alcool camphré et, parmi les remèdes d'une odeur moins détestable, la mixture oléo-balsami- que, doivent principalement leur efficacité à l'action mécanique de la fric- tion, dans les cas où ces remèdes ont été suivis d'un résultat favorable. Cette opinion s'appuie, entre autres, sur le l'ait que ces moyens, que dans le temps on croyait être obligé d'employer clans toutes les affections de na- ture rhumatismale, ont été abandonnés par le public même et ont été remplacés par une dissolution de sel dans du cognac. L'application de sina- pismes et les frictions avec l'essence de moutarde, qui rougissent momen- NtKMKYF.K. II — 37 578 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. tanéinenl la peau, exercent dans quelques cas un eft'et palliatif incontesta- ble et peuvent même amener une amélioration persistante lorsqu'on les emploie d'une manière suivie. Les frictions avec la vératrine et avec le chloroforme donnent lieu, en tout cas, à des sensations particulières dans la peau, et qui;, jusqu'à un certain point, parlent en faveur de leur action dérivative. Dans les cas légers, j'ai employé très-souvent une solution de vératrine (30 à 50 centigrammes) dans un mélange de chloroforme (15 grammes) et de mixture oléo- balsamique (60 grammes), remède qui me parait avoir exercé une influence très-favorable. Des moyens beaucoup plus actifs que les rubéfiants, ce sont les vésicants, auxquels on peut ratta- cher le badigeonnage de la peau avec la teinture d'iode, puisque cette der- nière produit également un renouvellement de l'épidémie et très -souvent des ampoules, lorsqu'elle n'a pas été diluée. Dans les cas très-rebelles, les parties dénudées de la peau doivent être maintenues en suppuration pen- dant quelque temps, si l'on veut arriver à un résultat satisfaisant. Le déri- vatif le plus puissant, préférable même au fer rouge et au moxa, qu'on a également recommandé dans le rhumatisme articulaire fixe, c'est une forte douche appliquée sur la peau qui recouvre l'articulation malade. On peut facilement se convaincre qu'une douche énergique est suivie d'une hypé- Jémie cutanée qui persiste pendant quelques heures. En ce qui concerne la douche de vapeur, je n'ai aucune expérience personnelle sur son effet En dehors des moyens locaux cités jusqu'à présent et auxquels se rattachent l'emploi très-fréquent d'emplâtres résineux et narcotiques, l'application de papier antirhumatismal, de peaux d'animaux, d'ouate, de laine brute et d'autres remèdes au moyen desquels on cherche à obtenir, soit une déri* vation sur la peau, soit le maintien d'une température uniforme, on em- ploie encore localement certaines substances qu'il s'agit de faire résorber, afin qu'elles agissent d'une manière favorable sur la marche du processus rhumatismal. Parmi ces remèdes, je citerai principalement les pommades iodées et mercurielles. Je suis loin de vouloir prôner les frictions mercu- rielles dans ces affections en général; cependant dans les cas invétérés de rhumatisme articulaire fixe, contre lesquels les émissions sanguines et les dérivatifs ont été employés sans succès, je conseille vivement les frictions longtemps continuées avec l'onguent d'iodufe de potassium ou avec l'on- guent gris additionné d'iodure de potassium (1 gtaiîime sur 15). Avec cette dernière pommade on produit en même temps Une légère dérivation sur la peau, car après quelques jours il se développe une inflammation eczéma- teuse à l'endroit frictionné. Le badigeonnage, répété une ou deux fois par jour, avec la solution de Lugol (iode pur, 50 centigrammes ; iodufe de po- tassium, 2 grammes; eau distillée, 30 à 60 grammes), rend des services excellents. Un des modes de traitement les plus efficaces, c'est l'emploi du courant constant. Mes expériences propres sur les résultats de ce moyen ne RHUMATISME. 579 sont pas très-nombreuses., il est vrai, mais elles 'confirment pleinement les observations de Remak et d'Erb, d'après lesquelles des cas même très- opi- niâtres de rhumatisme articulaire chronique sont généralement guéris au bout d'un petit nombre de séances. Je fais passer des courants assez forts par l'articulation malade, et au lieu de me servir des électrodes ordinaires, de forme olivaire, j'applique de minces plaques de métal sur les côtés op- posés de l'articulation. Lorsque les douleurs qui se développent au lieu d'application de l'électrode négatif deviennent trop fortes pour le malade, je change les électrodes. Les résultats éminemment favorables du courant constant dans le rhumatisme articulaire chronique me confirment dans l'opinion que les succès obtenus par le courant constant clans les névralgies et les paralysies dépendent également d'un effet catalytique. Quant au traitement général qui, dans la forme vague du rhumatisme chronique, doit jouer le rôle principal, et, dans la forme fixe, doit secon- der le traitement local, l'emploi systématique des bains chauds mérite le plus de confiance. Un fait qu'aucun médecin ayant une certaine expérience ne peut nier, c'est que de nombreuses personnes ont été complètement guéries de leurs douleurs rhumatismales après avoir passé une ou plusieurs saisons à Wildbad, à Gastein, à Pfseffèrs, à Ragaz, Tœpliz, Wiesbaden, Itehnie. Le fait que des eaux thermales de composition chimique très-dif- férente et des eaux thermales qui se distinguent précisément par le faible contenu d'éléments minéralisateurs, jouissent d'une égale réputation pour le traitement du rhumatisme chronique, ce fait prouve suffisamment qu'il s'agit moins- dans cette maladie de prendre des bains de telle ou telle solu- tion saline, que de prendre simplement des bains chauds. Dans des hôpi- taux bien aménagés, renfermant des établissements de bains appropriés, on obtient dans le rhumatisme articulaire chronique des résultats aussi favo- rables qu'à Aix-la-Chapelle, à Tœplitz et à Wildbad, opinion à l'appui de laquelle je pourrais citer des exemples recueillis dans la clinique de Greifs- Wald, qui, s'ils ne sont pas très-nombreux, sont au moins très-frappanls. Dans la pratique privée, il est très-difficile de faire l'aire à domicile une cure de bain avec les précautions et les soins nécessaires, et l'on fait générale- ment mieux d'envoyer ces sortes de malades^ pour peu que leur état de fortune le permette, dans une des stations citées plus haut. — Lue tempé- rature de 28 à 30° Réauinur suffit et est peut-être préférable à des tempéra- tures très- élevées ; du moins, d'après mes expériences, les bains de vapeur russes donnent dans le rhumatisme chronique dc^ résultats beaucoup moins favorables que des bains d'eau chaude* Dans d'autres localités on a fait éga- lement des observations semblables. L'établissement d'un bain de vapeur russe à un endroit où il n'en existait pas auparavant rapporte ordinaire- ment beaucoup dans la première cl la deuxième année, parce «pie presque tons les malades affectés de rhumatisme chronique recherchent ces bains 580 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. de vapeur et en attendent la giiérison; mais dans la troisième et la qua- trième année, le nombre des visiteurs diminue d'ordinaire considérablement, et certes ce n'est pas parce que dans cet espace de temps les rhumatisants ont été guéris, mais parce qu'ils ont été trompés dans leur attente. Il pa- rait convenable, au moins d'après les expériences faites à \Vildbad, à Leuk et dans d'autres localités, de prolonger peu à peu la durée de chaque bain, et de. laisser, vers la fin de la cure, séjourner les malades pendant une heure et plus dans le bain. 11 est de la plus haute importance de garantir soigneu- sement les malades après le bain de tout refroidissement, et il convient de les faire transpirer ensuite, enveloppés dans des couvertures de laine. D'or- dinaire on ne fait prendre à la suite que 28 à 30 bains chauds, et il paraît, en effet, qu'il ne faut pas dépasser considérablement ce nombre, mais qu'il vaut mieux, si le succès n'est pas complet, de faire recommencer quelques mois plus tard le même traitement. Dans les établissements hydrothérapi- ques on ne guérit ordinairement pas le rhumatisme chronique , surtout quand il n'est plus récent et quand il a eu le temps de s'enraciner. Je con- nais un nombre assez considérable de malades de ce genre qui, après avoir passé plusieurs mois consécutifs dans un établissement hydrothérapique, l'ont quitté plus malades qu'avant d'y entrer. Dans les cas récents, l'hydro- thérapie paraît au contraire avoir rendu parfois de bons services. — En fait de remèdes antirhumatismaux, celui qui jouit de la plus grande faveur, c'est la teinture de semences de colchique (15 grammes) additionnée d'ex- trait d'aconit (2 grammes) et de teinture d'opium (U grammes), 15 à 20 gouttes U fois par jour, et c'est aussi la formule le plus souvent prescrite contre le rhumatisme articulaire chronique. Malheureusement nous igno- rons jusqu'à présent dans quels cas le colchique, auquel on ne peut certes pas refuser toute efficacité, est indiqué et dans quels cas il ne faut rien en espérer. La teinture de gaïac volatile ou ammoniacale, obtenue en faisant digérer la résine de gaïac dans un mélange d'une partie d'ammoniaque caustique et de deux parties d'alcool, et les antimoniaux qui autrefois jouis- saient également de la réputation d'être de bons remèdes antirhumatis- maux, sont rarement employés de nos jours. Dans quelques cas de rhuma- tisme articulaire chronique, et, à ce qu'il parait, principalement dans ceu\ où l'appareil ligamenteux est affecté de préférence, l'iodure de potassium à haute dose (1 à 4 grammes par jour) rend d'excellents services. L'améliora- tion coïncide ordinairement avec le développement d'une légère intoxica- tion iodée, et l'on fait bien d'augmenter la dose jusqu'à production d'un co- ryza ou d'un exanthème iodique. — Dans les cas récents et chez les jeunes sujets, le régime à prescrire est tout autre que dans les cas invétérés et chez les individus d'un âge avancé : tandis que chez les premiers il convient surtout, après avoir obtenu une amélioration, d'endurcir le corps par des lotions froides, faites avec précaution,, par des bains de rivière et des bains RHUMATISME. 581 de mer, par des promenades régulières qui doivent être faites par n'importe quel temps, il faut, au contraire, que l'on mette les seconds à l'abri de tout refroidissement, qu'on leur défende l'usage des bains de rivière et des bains de mer et qu'on leur fasse porter de la flanelle sur le corps. On ne peut assez recommander aux malades de choisir pour chambre à coucher la pièce la mieux aérée et la plus sèche de l'appartement, ARTICLE III. Arthrite déformante . — Arthrite noueuse. — Arthrite des pauvres, Arthrite chronique sèche. § 1. Patbogénie et étiolôgie. Sous le nom d'arthrite déformante, on désigne cette forme de l'inflam- mation articulaire, dans laquelle non-seulement la capsule synoviale et l'appareil ligamenteux des articulations offrent les symptômes d'une in- flammation chronique, n'ayant aucune tendance à la suppuration, mais dans laquelle il se produit en même temps des modifications particulières des cartilages articulaires et des surfaces articulaires des os, modifications tout à fait caractéristiques pour cette forme de l'arthrophlogose. Ces modi- fications consistent essentiellement en une sorte d'usure des cartilages arti- culaires et des surfaces articulaires osseuses et en une ostéoporose centrale des épiphyses, coïncidant avec une hypergenèse osseuse à leur périphérie. — L'arthrite déformante est envisagée par plusieurs auteurs comme une forme particulière du rhumatisme articulaire chronique, par d'autres elle est séparée rigoureusement des affections rhumatismales. La grande élasti- cité du sens qu'il faut attacher au mot « rhumatisme » justifie l'une de ces deux manières de voir autant que l'autre. Le fait qu'on ne peut pas toujours constater pour causes de l'affection des refroidissements ou le séjour dans des locaux humides, exposés aux courants d'air, existe dans tous les cas pour l'arthrite déformante aussi bien que pour la forme décrite au chapitre précédent, que tout le monde considère cependant comme une maladie rhumatismale. L'enfance jouit d'une immunité presque absolue à l'égard de l'arthrite déformante. Quelques cas cependant ont été observés dès l'âge de la pu- berté. C'est entre l'âge de vingt et de quarante ans que la maladie se ren- contre le plus fréquemment; cependant on l'observe encore plus tard et même dans la vieillesse avancée. Les femmes sont plus sujettes à l'arthrite déformante que les hommes. Chez les pauvres, l'affection esl si commune 582 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. comparativement à ce qui existe dans la classe riche, qu'on lui a donné pour cette raison aussi le nom A'arthritis paaperiim, arthrite des pauvres. Cette différence tient elle aux logements bas et humides, au manque de bonne nourriture ou à d'autres conditions fâcheuses qui pèsent plus sur la classe pauvre que sur la classe aisée? C'est ce qui ne peut être décidé pour le moment, § 2. Anatomie pathologique. En examinant les articulations gonflées et difformes, on trouve la capsule articulaire considérablement épaissie et couverte de végétations villeuses. La cavité articulaire renferme une très-petite quantité de synovie, d'où le nom d'arthrite chronique sèche. Les cartilages articulaires sont désagrégés et réduits en faisceaux fibreux, quelquefois ossifiés et, dans les cas avancés, ils ont entièrement disparu par une usure lente, au point que les extré- mités des os se touchent et présentent des surfaces polies par le frottement. Les parties centrales des épiphyses se montrent poreuses par suite d'une atrophie inflammatoire, tandis que sous l'influence d'un développement d 'ostéophytes, leur pourtour est agrandi, soit d'une manière assez uniforme, soit inégalement, sous forme de saillies papillaires et anguleuses, de stalac- tites osseuses, S 3. Symptômes et marche. L'arthrite déformante est bien plus rarement que l'inflammation articu- laire chronique, décrite au chapitre précédent, une terminaison du rhuma- tisme articulaire aigu; elle se développe, au contraire, dans la plupart des cas, insensiblement et arrive lentement à son point culminant. Dans sa mar- che, elle peut bien offrir des temps d'arrêt, mais jamais une évolution ré- gressive ou la disparition des difformités acquises. Au début de la maladie, les individus accusent des douleurs dans les articulations malades, douleurs ordinairement peu intenses, quelquefois cependant elles sont tellemenf violentes qu'elles privent les malades de sommeil. Les douleurs sont aug- mentées par la pression extérieure et plus encore par les mouvements des articulations, pendant lesquels on sent presque toujours, à l'imposition de la main, une crépitation manifeste. Les modifications décrites envahissent le plus souvent les articulations des mains et des pieds, principalement celles des doigts, des orteils, des os métacarpiens et métatarsiens, mais peuvent aussi envahir toutes les autres articulations du corps, voire même celles de la colonne vertébrale. Des cas de ce genre, dans lesquels les malades finis- sent souvent par rester couchés dans leur lit, presque sans mouvement, ou RHUMATISME. 583 restent assis le jour sur un fauteuil et se font reporter le soir dans leur lif , se rencontrent dans presque tous les grands hospices des pauvres. C'est ce que les gens du monde appellent être perclus. Un fait très-curieux, c'est la symétrie que montrent si souvent le début et les progrès de la maladie sur les deux moitiés du corps. Presque jamais il n'arrive qu'au commencement il n'y ait qu'une main d'atteinte et plus tard seulement l'autre ; le processus commence, au contraire, ordinairement aux deux mains à la fois, se jette également à la fois sur les deux pieds, etc. Aux articulations malades, sur- tout aux articulations des doigts, il se forme dans presque tous les cas des subluxations très-caractéristiques qui ne trouvent guère une explication suf- fisante dans l'élargissement des épiphyses sur lesquelles passent les tendons, dans la destruction des cartilages articulaires et dans l'usure des surfaces articulaires osseuses. Les phalanges sont presque toujours, non-seulement fléchies sur les métacarpiens, mais en même temps déjetées vers le bord cubital, et les doigts se trouvent ainsi appliqués, à la manière des tuiles, les uns sur les autres. Aux articulations des phalanges elles-mêmes, il arrive quelquefois que des subluxations dans le sens de l'extension alternent les unes avec les autres. Dans celte maladie, extrêmement longue, les malades peuvent arriver à la plus haute vieillesse. Un fait singulier, c'est que, mal- gré la longue durée de la maladie, il se produit bien rarement des ankyloses complètes. — Le processus que nous venons de décrire se rencontre aussi borné exclusivement à l'articulation de la hanche et entraine alors, soit une usure très-considérable de la tète articulaire, soit la formation de. stalactites osseuses très-abondantes autour d'elle. Cette maladie, qui porte le nom de malum coxœ sentie, est du domaine de la chirurgie. § h. Traitement. Quoiqu'il n'y ait pas lieu d'espérer de faire rétrograder, par un traitement quelconque, les difformités une fois produites, je ne puis pourtant pas par- tager l'opinion de ces auteurs qui considèrent le traitement de l'arthrite déformante comme n'offrant aucune chance de succès. Les troubles de la rnotilité sont ordinairement loin de dépendre exclusivement des difformités, mais sont liés pour une bonne part aussi au processus inflammatoire encore existant. Or ce dernier est modifié, au moins dans un grand nombre de cas, d'une manière fort avantageuse par les remèdes que nous avons recom- mandés en première ligne contre le rhumatisme articulaire chronique, à savoir les bains chauds et les applications de teinture d'iode. A Tnqùitz et à Wildbad, j'ai vu à chaque saison (et sans doute cela arrive encore aux autres stations thermales nommées au chapitre précédent) quelques malades at_ feints d'arthrite déformante éprouver une amélioration si considérable, qu il< 584 MALADIES DES OKGANES DIT MOUVEMENT. pouvaient quitter la chaise à roulettes et se trouvaient quelquefois en état, à la fin de leur séjour, de pousser celle d'autres malades pour les conduire au bain. ARTICLE IV. Rhumatisme musculaire. § 1. Pathogénie et étiologie. Par rhumatisme musculaire on entend généralement, non-seulement les affections rhumatismales des muscles eux-mêmes, mais encore celles des aponévroses, du périoste et d'autres organes fibreux, à l'exception toutefois des appareils articulaires. Les modifications que subissent les organes que nous venons de nommer dans les affections rhumatismales ne sont pas exac- tement connues. Le résultat négatif de la plupart des autopsies semble an- noncer que ces modifications anatomiques sont ordinairement de celles qui laissent très-peu de traces sur le cadavre et sont difficiles à constater, qu'elles consistent, en un mot, en simples hypérémies et en exsudations séreuses peu abondantes. Dans quelques cas, cependant, le processus rhumatismal ne parait pas s'arrêter à ce degré, mais conduire à des proliférations inflam- matoires du tissu conjonctif. Frerichs et Virchow ont trouvé dans les mus- cles des places où les faisceaux musculaires étaient remplacés par du tissu conjonctif calleux (callosités rhumatismales), et Vogel a observé dans plu- sieurs cas de rhumatisme chronique des épaississements et des adhérences du névrilème des nerfs qui correspondaient aux parties affectées de rhuma- tisme. Ces cas sont tellement rares comparativement à ceux où il est impos- sible de constater des modifications quelconques, que l'on ne peut guère se permettre de les prendre pour bases d'une définition de l'affection rhuma- tismale. En supposant même qu'une hypérémie et des exsudations séreuses et, dans les cas graves, même une prolifération inflammatoire du tissu con- jonctif existent dans les maladies rhumatismales, on ne peut pourtant pas savoir si les nerfs sensibles qui parcourent les muscles sont mis dans un état d'excitation morbide par les modifications qui se produisent dans les fibres musculaires et le sarcolemme ou par une modification qui se fait en même temps dans leur névrilème. Dans ce dernier cas, le rhumatisme mus- culaire ne serait que ce qu'on est convenu d'appeler une névralgie rhuma- tismale des petits filets nerveux qui se distribuent dans le muscle. Pour l'é- tiologie du rhumatisme musculaire nous pouvons renvoyer à ce qui a été dit del'étiologie du rhumatisme articulaire aigu et chronique, d'autant plus RHUMATISME. 585 que le rhumatisme musculaire se complique très-souvent de rhumatisme, articulaire. Les refroidissements sont certainement la cause la plus commune du rhumatisme musculaire ; mais l'invasion subite de certaines formes, telles que le lumbago, rend très-probable qu'indépendamment du refroidissement la maladie peut encore être due à d'autres causes, telles qu'un tiraillement ou une fatigue musculaire. g 2. Symptômes et marche. Le symptôme le plus essentiel, et ordinairement l'unique symptôme du rhumatisme musculaire, consiste en douleurs ayant le caractère du tiraille- ment ou de l'arrachement. Des mouvements exécutés par les parties atteintes ou des déplacements de leurs fibres par glissement exagèrent ces douleurs, tandis qu'une pression uniforme les modère le plus souvent. Aux douleurs s'ajoute quelquefois l'impossibilité de contracter les muscles malades et de leur faire exécuter des mouvements actifs. La peau qui couvre les parties atteintes de rhumatisme n'est ni rouge, ni tuméfiée, ni plus chaude que la peau environnante. Le soir les souffrances s'exaspèrent, dans la matinée elles diminuent le plus souvent. Le froid et l'humidité ont ordinairement une action fâcheuse, tandis que la chaleur sèche produit de bons effets. Ce- pendant il arrive quelquefois que la chaleur du lit augmente les douleurs rhumatismales. Tantôt le rhumatisme musculaire est vague, c'est-à-dire que les douleurs disparaissent à un endroit pour se montrer à un autre ; tantôt il est fixe et reste limité à des muscles, à des aponévroses, etc., déterminés. Dans la plupart des cas, le rhumatisme musculaire constitue une affection aiguë qui, après une courte durée, disparait sans laisser de traces ; quelque- fois cependant il représente un mal chronique et ce caractère de chronicité peut appartenir aussi bien au rhumatisme vague qu'au rhumatisme fixe, absolument comme le rhumatisme articulaire vague peut devenir chronique aussi bien que le rhumatisme articulaire fixe. — Selon les différences de localisation du rhumatisme, on distingue des formes nombreuses de rhuma- tisme musculaire dont quelques-unes ont reçu des noms particuliers. Lors- que l'affection rhumatismale occupe les muscles frontal, occipital, temporal, l'aponévrose épicrànienne et le pûricràne, la maladie reçoit le nom de céphal- algie rhumatismale. 11 faut que l'on s'impose la règle sévère de ne pas abu- ser de ce nom et, dans un cas donné, avant de diagnostiquer une céphalalgie rhumatismale, de chercher à bien s'assurer si réellement les parties que nous venons de nommer sont le siège de la douleur, si un déplacement de leurs fibres ou une contraction de leurs fibrilles musculaires augmente cette douleur, enfin si l'affection est primitive et idiopathique. C'est avec les né- vralgies et la pérîostite syphilitique que l'on peut confondre le plus facile- 58fi MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. ment le rhumatisme de la tête. C'est une mauvaise habitude très-répandue que d'attribuer à une affection rhumatismale de la tête les nombreux cas de céphalalgie violente et opiniâtre dont il est impossible de découvrir la cause véritable. Les personnes étrangères à la médecine qui n'établissent pas une grande différence entre le rhumatisme et la goutte ont l'habitude d'appeler goutte de tête tous les maux de tête opiniâtres. — Lorsque les muscles du cou et de la nuque sont affectés de rhumatisme, les mouvements de la tête deviennent très-douloureux; les malades les craignent et les évitent, et il se développe une roideur de la nuque, affection souvent compliquée d'une angine gutturale. Lorsque le* muscles du cou et de la nuque ne sont affectés de rhumatisme que d'un seul côté, la tète est inclinée continuellement de ce côté, il se produit un torticolis rhumatismal. Cette affection ordinairement légère, qui se dissipe au bout de quelques jours, traîne en longueur dans un certain nombre de cas, qu'il est toutefois bien difficile de distinguer de la forme spasmodique du torticolis dont il a déjà été question, et peut alors être suivie d'un raccourcissement définitif des muscles. — Le rhumatisme de la poitrine ou la pleurodijnie rhumatismale a principalement son siège dans le muscle grand pectoral et dans les intercostaux. Dans le premier cas, la douleur se fait surtout sentir pendant les mouvements du bras en avant el quand on déplace les fibres musculaires atteintes ; dans le second cas, ce sont les mouvements respiratoires, surtout la toux et l'éternument et l'incli- naison latérale du thorax qui occasionnent de la douleur. Le plus souvent l'obstacle à la respiration fait croire à ces malades que les douleurs siègent plus profondément et que le mal est dans les poumons ou la plèvre ; et comme le déplacement du fascia superficialis et des fibres musculaires du grand pectoral n'augmente pas les douleurs, le médecin lui-même pourrait être trompé si en déplaçant les muscles intercostaux avec les extrémités de doigts dans la direction d'avant en arrière, on n'exaspérait pas les douleurs à un degré intolérable, tandis qu'une pression uniforme faite avec le plat de la main les calme le plus souvent, et si l'absence de la toux et avant tout l'examen physique de la poitrine ne venaient pas suffisamment éclairer le diagnostic. — Le rhumatisme du dos et principalement le rhumatisme de l'épaule, Yomodynie rhuniatvsmate, comptent parmi les formes les plus fré- quentes du rhumatisme musculaire ; on les reconnaît facilement à la gêne des mouvements de l'omoplate et du bras, ainsi qu'aux fortes douleurs qu'on fait naître en déplaçant les fibres du trapèze, du grand dorsal, du deltoïde, ou bien, quand ce sont les couches profondes des muscles du dos qui sont en souffrance, à l'attitude roide des malades et aux douleurs qu'ils éprouvent en voulant se baisser. — Des affections douloureuses des muscles abdominaux s'observent principalement quand les individus ont fait de grands efforts de toux, et peuvent facilement éveiller le soupçon d'une ma- ladie plus grave, à raison de leur grande intensité. Le meilleur moyen RHUMATISME. 587 d'éviter l' erreur est encore ici de s'assurer si les douleurs diminuent sous une pression uniforme de la main appliquée à plat et si elles augmentent lorsqu'on se contente de déplacer les fibres musculaires avec l'extrémité des doigts. — Un rhumatisme qui se distingue par sa violence et par la ra- pidité souvent si surprenante de son développement, c'est le rhumatisme des muscles lombaires et de l'aponévrose lombo-dorsale, autrement dit le lumbago rhumatismal. Assez souvent il arrive qu'un malade qui, peu de mi- nutes auparavant, exécutait librement et sans aucune gêne n'importe quel mouvement, tout à coup ne peut plus se lever de sa chaise ou ne peut se lever qu'en éprouvant les plus vives douleurs. De même, en voulant se coucher ou sortir du lit, ou seulement se mettre sur leur séant et même en cherchant à exécuter quelque autre mouvement qui exige le concours de la moitié inférieure de la colonne vertébrale, ils contractent douloureuse- ment les traits, poussent des cris et font toute sorte de manœuvres plus ou moins singulières pour ménager les parties malades et atteindre leur but sans intéresser ces parties. Yoilà pourquoi les individus atteints de lumbago excitent, non-seulement la pitié, mais quelquefois aussi le rire. — Enfin tous les muscles des extrémités peuvent être pris de rhumatisme, soit iso- lément, soit par groupes; ce qui fait que tantôt tel mouvement, tantôt tel autre devient douloureux ou impossible. § 3. Traitement. Pour le traitement du rhumatisme musculaire, les principes sont les mêmes que pour celui du rhumatisme articulaire chronique, c'est-à-dire que la forme fixe doit être combattue par un traitement plus particulière- ment local et la forme vague par un traitement plutôt général. Mais comme le rhumatisme musculaire est ordinairement une maladie plus légère et moins opiniâtre que le rhumatisme articulaire, on n'a pas besoin d'em- ployer, pour en triompher, des moyens aussi énergiques. Pour le traitement local , ce qui convient le mieux ce sont les saignées locales , et parmi celles-ci, autant que possible les ventouses scarifiées. Un effet tout à fait semblable à celui des ventouses scarifiées est celui de l'instrument connu sous le nom d'evxitateur, dont les effets sur les affections rhumatismales ont été ridiculement surfaits il y a quelque temps, même par des médecins. Quant aux frictions irritantes, aux sinapismes, aux vésicatoires, aux emplâ- tres, au papier antirhumatismal, aux peaux d'animaux, moyens dont on l'ail un si large usage dans le rhumatisme musculaire, tout ce que nous avons dit de leur efficacité dans le rhumatisme articulaire chronique s'ap- plique également à leur emploi dans le rhumatisme musculaire. Lu des rubéfiants les plus efficaces, niais ;iiissi un 1er, ce n'est qu'en cherchant à remplir la tâche sus-indiquée que l'on peut espérer l'amélioration et la guérison de la maladie. — On conçoit d'après cela que dans le traitement de la goutte il faut reléguer au second plan la prescription des substances médicamenteuses et que tout dépend ici de la réglementation du régime. Avant tout il importe de prescrire au malade, d'une manière très-précise, la quantité et la qualité des aliments dont il doit faire usage. Un goutteux doit savoir exactement ce qu'il lui est permis de manger et combien il lui est permis de manger; car, quoique dans ces con- ditions, il commette encore assez souvent des infractions à la règle, ses écarts ne seront pourtant pas aussi grossiers que s'il pouvait s'excuser par le prétexte d'avoir ignoré retendue des restrictions à imposer à son régime. Combien n'y a-t-il pas de malades qui, après avoir agi contrairement aux prescrip- tions de leur médecin, s'inquiètent beaucoup plus des reproches que ce dernier va leur adresser que des conséquences fâcheuses de leur imprudence ! Il faut interdire ans. individus goutteux toute participation à des banquets on à de grands dîners, malgré leur promesse de s'y conduire avec une 398 MALADIES DES ORGANES DlT MOUVEMENT. extrême sobriété. Leurs repas doivent se composer principalement de sub- stances végétales, de potages, de légumes, de fruits, etc. , et ils ne doivent se permettre l'usage de la viande qu'une fois par jour. Le vin et la bière ralen- tissent le renouvellement organique et nuisent pour cette raison aux gout- teux. Chacun peut remarquer sur lui-même qu'il a besoin de prendre beau- coup moins de nourriture quand il boit du vin ou de la bière, en mangeant, et qu'en usant modérément de ces liquides il supporte mieux les grandes fatigues. Les individus un tant soit peu prédisposés à l'obésité se chargent de graisse en buvant régulièrement de fortes quantités de vin ou de bière, et la plupart d'entre eux ont la face colorée, et une forte turgescence veineuse jusqu'au moment où leurs digestions se troublent et où d'autres conséquences fâcheuses pour l'économie viennent à se déclarer chez eux. Cette considé- ration et le fait que chez les individus qui ne boivent ni vin ni bière le développement de la goutte est excessivement rare exigent la défense de. ces liquides ou au moins le conseil de s'en déshabituer peu à peu (voy. plus bas). La même remarque s'applique au thé et au café. Bien que ces liquides ren- ferment très-peu d'éléments nutritifs et que par conséquent on ne puisse pas en considérer l'usage comme étant une cause d'augmentation sensible de l'apport, il est cependant incontestable que le thé et le café exercent sur l'usure organique la même influence que le vin et la bière, qu'ils conservent les forces, diminuent le besoin de nourriture, restreignent les pertes de l'or- ganisme et sont par conséquent nuisibles aux goutteux. — A l'opposition du vin, de la bière, du café et du thé, l'ingestion de l'eau bue en grande quan- tité favorise la désassimilation. Personne ne sent après l'ingestion de fortes quantités d'eau un moindre besoin d'alimentation, personne n'est rendu par ce moyen plus apte à supporter de grandes fatigues, et on ne gagne pas non plus un gros ventre ni une face rouge en buvant pendant longtemps de l'eau en abondance ; par contre, on a reconnu que la quantité d'urée rendue dans les vingt-quatre heures est plus grande chez les individus qui boivent beaucoup d'eau que chez ceux qui, toutes choses égales d'ailleurs, en boi- vent peu ; et comme chez les premiers cette augmentation de la quantité d'urée rendue s'observe non passagèrement, mais d'une manière durable, nous sommes en droit de conclure que l'habitude de boire de l'eau augmente l'usure organique et est utile aux goutteux autant que l'habitude de boire du vin, delà bière, du café et du thé leur est nuisible. — Comme enfin l'activité musculaire accélère, également.le mouvement de désassimilation et d'usure organique, on comprend facilement qu'une vie commode et indolente fasse du tort aux goutteux et que l'exercice pris régulièrement joue un grand rôle dans la thérapeutique de la goutte. Nous ne serions pas entré dans tous ces raisonnements théoriques si, précisément dans le traitement de la maladie qui nous occupe, la théorie n'était en parfait accord avec la pratique. Les règles, pour le traitement de la goutte, que nous avons pu déduire des effets connus jusqu'à présent de certaines substances sur le renouvellement de Ih GOUTTE. PODAGRE. ARTHR1TIS> 599 matière organique, ont reçu depuis longtemps la sanction de la pratique. — Un moyen qui forme en quelque sorte la transition entre les prescriptions diététiques et les prescriptions médicamenteuses, ce sont les cures d'eaux minérales prises à l'intérieur, qui jouissent d'une faveur plus grande pour le traitement de la goutte que pour celui de n'importe quelle autre maladie. Les sources antiarthritiques par excellence sont celles de Vichy., Karlsbad, Mariem» bad, Kissingen, Hombourg, etc. L'effet favorable de ces eaux paraît dépendre aussi de leur efficacité contre la pléthore qui se développe en cas de dispro- portion entre l'usure et l'apport organiques, soit que cette pléthore dépende exclusivement d'une hypertrophie du sang, c'est-à-dire d'une augmentation de ses éléments cellulaires et d'une densité, plus grande de la substance intercellulaire, autrement dit du sérum sanguin, soit qu'elle consiste en une augmentation absolue du sang contenu dans le corps. Un fait très-inté- ressant, c'est que l'influence salutaire, depuis longtemps constatée, de ces solutions salines naturelles sur les états pléthoriques, influence qui l'em- porte de beaucoup sur l'efficacité de l'eau simple, s'accorde parfaitement avec les observations de C. Schmidt et deVogel, d'après lesquelles la richesse du sérum sanguin en albumine et sa richesse en sels sont en raison inverse l'une de l'autre. Je n'ose pas décider quelle est celle des sources que nous venons de nommer qui, pour le traitement de la goutte, mérite la préfé- rence sur les autres, si par exemple la solution saline qui constitue l'eau de Kissingen et de Hombourg fait disparaître la pléthore plus vite et plus com- plètement que l'eau de Karlsbad et de Marienbad, ou bien si c'est l'inverse qui a lieu. De même, je m'abstiens de tout jugement sur la question de savoir si l'ingestion de ces solutions salines a une action favorable, non- seulement sur la pléthore, mais encore sur cette anomalie de la nutrition qui, chez certains individus pléthoriques, engendre précisément la diathèse goutteuse (urique). Enfin, la question de savoir si, dans un cas donné, telle particularité doit faire opter en faveur d'une cure d'eau minérale à Kissin- gen, telle autre en faveur d'une cure à Karlsbad, à Wiesbaden, à Hombourg ou à Vichy, et quelle est la circonstance qui commande telle cure plutôt que telle autre : cette question, disons-nous, n'a pas non plus trouvé de solution dans l'état actuel de la science. Il est incontestable que, dans ces derniers temps même, l'emploi régulier du sel dit de Bullrich, mélange de bicarbo- nate de soude et de sulfate de soude, fait une concurrence très-heureuse aux cures célèbres revendiquées par les stations que nous venons de nom- mer, el c'est là un fait qui fournit un argument très-puissant contre les pré- tendues vertus cachées des solutions salines naturelles. Quels que soient les services rendus dans les cas récents de goutte régulière par la méthode dont il a été question jusqu'à présent, lorsqu'elle est instituée avec prudence fil précaution, il n'en es! pas moins vrai que la restriction exagérée de l'ali- mentation. L'abstinence subite et complète des spiritueux bus régulièrement depuis nombre d'années et toutes les autres mesures débilitantes employées 600 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. imprudemment et avec précipitation, sont souvent suivies des plus graves conséquences. Une exagération et une précipitation semblables quelquefois délivrent, il est vrai, le malade de la goutte aiguë, mais le font tomber dans la goutte irrégulière, chronique ou atonique, échange auquel il n'a certes rien à gagner. Dès que les signes d'une cachexie générale commencent à se manifester chez les goutteux, leur maladie est aggravée par la continuation d'une méthode curative débilitante ; il faut alors leur prescrire un régime nutritif et leur permettre même l'usage d'un peu de vin; mais il faut égale- ment éviter les exagérations en ce qui concerne la méthode roborante indi- quée-dans ce cas. S'il est vrai qu'arrivé à cette période de la maladie le goutteux ne doit plus être soumis à un régime trop sévère, il convient cependant, toujours encore, de venir prudemment en aide à la désassimila- tion. Sous aucun prétexte, les malades ne doivent s'abandonner à un lâche repos ; toujours ils doivent prendre autant d'exercice que leurs forces le permettent ; il ne faut pas leur accorder non plus des quantités de vin allant au delà de ce qui est nécessaire pour les réconforter légèrement, et l'on fait toujours mieux encore de les envoyer aux eaux alcalino-salines et alcalino-muriatiques légèrement ferrugineuses, telles que Eger, Kissingen, Hombourg, plutôt qu'aux sources ferrugineuses pures, plutôt que de leur prescrire simplement des préparations ferrugineuses. Lorsque rien ne semble indiquer l'usage des solutions salines, on fait toujours bien de leur recommander de boire de grandes quantités d'eau. Afin que cette prescription soit bien suivie, il faut indiquer d'une manière précise la quantité d'eau que le malade doit boire dans la journée. Il suffit de la simple probabilité de ce fait que la rétention de l'acide urique dans les canalicules urinifères et l'oblitération de ces derniers provoquent l'attaque de goutte, pour que l'on considère comme très-rationnel de maintenir à un certain niveau la pression secrétaire dans le rein et de diluer l'urine, attendu que les urates ne se dis- solvent que dans de fortes quantités d'eau. — Dans les périodes avancées de la maladie, l'usage des eaux acrato-thermales rend d'excellents services. Telles sont Wildbad, Gastein, Pfaeffers, etc. On fait bien de joindre dans ces stations l'usage interne de l'eau minérale aux bains, peut-être que le pre- mier moyen entraîne, par une sorte de lavage, les infarctus qui oblitèrent les canalicules rénaux, tandis que le second exerce l'influence la plus favo- rable sur l'inflammation articulaire. Pour l'indication de la maladie, nous ne saurions donner de règle précise, attendu que la goutte, maladie sui generis et encore très-peu connue, ne peut être guérie directement ni par une médication dite rationnelle, ni par un remède spécifique. Il est vrai que quelques médecins ont fait au colchique la réputation d'être le spécifique de la goutte ; cependant son effet paraît être simplement palliatif. On est revenu de plus en plus de l'habitude de aire prendre le colchique d'une manière continue, et l'on se contente GOUTTE, PODAGRE. ARTHR1T1S. 601 aujourd'hui de l'administrer pendant les accès de goutte aiguë. La plupart des médecins du dernier siècle, qui avaient en général une haute opinion des résultats de l'intervention thérapeutique, considéraient la goutte comme un noli me tangere, et aujourd'hui encore on ne saurait assez se prémunir contre l'emploi intempestif et préjudiciable des médicaments dans le traitement de la goutte. La tâche de ^indication symptomatique consiste avant tout à abréger l'atta- que et à la rendre aussi supportable que possible pour les malades, car l'opi- nion que l'attaque doit être respectée comme exerçant sur l'organisme une influence dépurative et bienfaisante, a été abandonnée avec raison de nos jours. L'expérience nous a appris que dans l'inflammation goutteuse les remèdes antiphlogistiques ne peuvent ni diminuer notablement les douleurs, ni abréger la durée de l'accès ; mais ce qui a surtout été constaté, c'est qu'une médication de ce genre, principalement les saignées générales et locales et les forts purgatifs salins, tend à transformer la goutte aiguë régu- lière en goutte chronique irrégulière et atonique. Il y a lieu de déconseiller aussi l'application du froid, ainsi que les fomentations chaudes et narcoti- ques sur les articulations endolories ; par contre, l'usage interne des narco- tiques, et avant tout du colchique, mérite un emploi très-étendu contre les accès de goutte aiguë aussi bien que chronique. On n'a pas pu découvrir jusqu'à présent sur quelle propriété se fonde l'efficacité du colchique contre les attaques de goutte. L'opinion en vertu de laquelle cette efficacité serait due principalement à son action diurétique, tendant à éloigner l'acide ini- que du corps, a été réfutée par Garrod. Ordinairement on prescrit 20 à 30 gouttes de teinture ou de vin de semences de colchique à prendre quatre fois par jour. Des doses plus fortes provoquent des coliques et de la diarrhée et ne font pas plus d'effet que les doses modérées que nous venons de citer. Pendant l'attaque, il y a lieu de faire boire en outre de fortes quantités d'eau acidulé; peut-être l'influence favorable de cette prescription consiste-t-elle, comme je l'ai déjà dit plus haut, en ce que l'urine devient plus diluée et que la pression secrétaire en est augmentée dans le rein. La théorie que nous avons émise s'accorde également avec la méthode de Cadet de Vaux, qui consiste à faire boire tous les quarts d'heure un verre d'eau de 180 gram- mes, aussi chaude que le malade peut la supporter. Il parait réellement que quelques résultats excellents ont été obtenus à l'aide de ce remède ; cepen- dant il n'est pas tout à fait sans danger. — Pendant l'attaque, il faut mettre le membre malade dans une position élevée, le couvrir d'ouate ou de laine et soumettre le malade à un régime assez sévère. — Si une gêne dans les mouvements persiste après les attaques, il y a lieu d'envoyer les malades à Wildbad, à Tœplitz, à Wiesbaden. — Si des abcès se forment aux articula- tions atteintes de goutte, il faut les couvrir de cataplasmes, et si les abcès entraînent des ulcères, on continue les cataplasmes jusqu'à la guérison de 602 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. ces derniers. — Pour le traitement de la goutte anomale interne, il est impossible de donner des règles générales. L'emploi des émissions sanguines entraîne facilement un collapsus dangereux, et une médication stimulante convient généralement mieux à cause du danger de la paralysie. Si la dispa- rition d'une affection périphérique coïncide avec une ,. atteinte du cerveau, de l'estomac, du cœur, on fait toujours bien de couvrir la partie auparavant malade de topiques irritants et vésicants, quoique certainement le succès réponde bien rarement à l'emploi d'un moyen pareil. CHAPITRE 111. Rachltis ou i-ncliitisme. i . § 1. Pathogénie et ktiolocue. Les modifications essentielles subies par les os dans le rachitisme sont : 1° l'extension morbide de l'hypergenèse des cartilages épiphysaires et du périoste, qui détermine la croissance normale des os en longueur et en épaisseur; 2° l'ossification plus tardive et plus incomplète que dans l'ostéo- génie normale des tissus cartilagineux et fibreux provenant de cette hyper- genèse. Il ne s'agit donc pas, dans le rachitisme, d'un ramollissement mor- bide de tissus auparavant durs, comme on l'admettait autrefois, mais d'une mollesse persistante de tissus qui, dans des conditions normales, seraient de- venus durs par un dépôt de sels calcaires. Le fait que les os rachitiques se courbent et se rompent avec plus de facilité qu'avant la naissance de la ma- ladie, n'est nullement en contradiction avec cette proposition. Le canal mé- dullaire s'agrandit dans les os rachitiques de la même manière que dans les os sains; mais tandis que dans les os sains la néoplasie périphérique d'une substance osseuse solide l'emporte sur la résorption de cette même sub- stance dans l'intérieur, de sorte que malgré cette résorption l'os devient plus résistant, le contraire arrive pour les os rachitiques, où la résorption de la substance compacte du centre n'est pas compensée par une néoplasie correspondante de substance compacte à la périphérie, et par ce fait la force de résistance des os rachitiques doit nécessairement diminuer. — L'hyperge- nèse excessive des cartilages épiphysaires et du périoste, par laquelle le rachi- tisme commence, est considérée par plusieurs auteurs comme un trouble nutritif de nature inflammatoire. La grande richesse en sang et l'imbibi- tion remarquable des parties malades, les douleurs qui accompagnent la première période de la maladie et les analogies nombreuses que. cette hy- pergenèse offre avec d'autres troubles nutritifs notoirement inflammatoires yiennent h l'appui de cette interprétation; mais, d'un autre côté, les condi- RACHIT1S OU RACHITISME. 603 tions étiologiques, la marche et la terminaison constante du rachitisme sont en contradiction avec elle. — Beaucoup d'auteurs ont cherché à s'expliquer le retard de l'ossification des éléments cartilagineux nouvellement formés et de la néoplasie fibreuse du périoste, en supposant que chez les enfants rachi- tiques les sels calcaires absorbés avec les aliments ne peuvent pas se déposer dans les couches d'ossifications terminales et périphériques des os, parce qu'ils sont maintenus en dissolution par l'acide lactique contenu dans le sang et éliminés du corps avec l'urine. Une partie des analyses de l'urine faites jusqu'à présent est favorable à cette explication, en démontrant que l'urine des enfants rachitiques est assez souvent extrêmement riche en acide lactique et contient quatre ou six fois plus de phosphate de chaux que l'urine normale des enfants. De même, le fait que ce sont surtout les enfants at- teints de dyspepsies de longue durée qui contractent le rachitisme, peut être invoqué en faveur de cette hypothèse. Dans les décompositions qui s'opèrent avec une activité extraordinaire dans l'estomac de ces enfants, il se produil d'énormes quantités de matières acides, et avant tout de l'acide lactique, et il n'est pas impossible que la résorption de ce dernier et sa présence dans le sang maintiennent le phosphate de chaux en dissolution, que, par conséquent, son élimination avec l'urine enlève au sang les matériaux nécessaires pour la production de la substance osseuse. Toutefois, c'est encore là une hypo- thèse qui ne résiste pas à la discussion ; l'augmentation de l'acide lactique et du phosphate de chaux dans l'urine des enfants rachitiques n'est pas con- stante. Assez souvent le rachitisme se développe sans avoir été précédé de troubles de la digestion et d'une formation d'acides, et l'hypergenèse des cartilages épiphysaires et du périoste, qui, dans le développement du rachi- tisme joue un rôle tout aussi important que le retard apporté à la précipita- tion des sels calcaires, ne peut s'expliquer par l'élimination du phosphate de chaux avec l'urine. Virchow, à qui nous devons les éclaircissements les plus importants sur l'histologie des os rachitiques et sur la pathogénie du rachi- tisme, fait remarquer qu'une diminution dans l'apport des éléments cal- caires semble être une cause encore plus probable du retard de l'ossification que leur élimination trop abondante par les reins. Il rappelle les éloges que l'on fait toujours encore du carbonate et du phosphate de chaux comme re- mèdes contre le rachitisme, et il relève surtout ce fait que dans la dyspepsie des enfants, qui précède ordinairement le rachitisme, la diminution dans l'absorption des albuminates coïncide ordinairement avec une diminution dans l'absorption des sels terreux nécessaires pour la croissance normale des os, attendu que ces derniers pénètrent en grande partie dans l'organisme comme parties intégrantes des albuminates. Virchow lui-même ne se dissi- mule pas que c'est encore là une manière de voir hypothétique. Elle laisse, en effet, inexpliqué pourquoi le trouble apporté à l'absorption des éléments de la nutrition se l'ail plutôt sentir sur les os que sur les autres tissus; un 604 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. fait qui est encore en contradiction avec cette manière de voir, c'est que le rachitisme ne s'observe pas exclusivement chez les enfants qui ont été at- teints de dyspepsie, mais qu'on le rencontre aussi chez des enfants bien nour- ris. Enfin, tout le monde conviendra qu'un trouble dans l'absorption des éléments nutritifs ne suffit pas pour expliquer l'hypergenèse des cartilages épiphysaires et du périoste. Après cet exposé, l'opinion des auteurs qui con- sidèrent, comme formant la base du rachitisme, un trouble nutritif des carti- lages épiphysaires et du périoste se rapprochant des troubles inflammatoires, me paraît la plus admissible de toutes. Dans d'autres tissus, par exemple dans la peau, dans les muqueuses, etc., nous remarquons également fort souvent des troubles diffus de la nutrition (exanthèmes, catarrhes), dont nous ne pouvons découvrir les causes prochaines. Ces troubles se rencontrent, comme le rachitisme, de préférence, mais non exclusivement, chez les individus cachectiques et mal nourris, et sont en outre très-souvent compliqués de rachitisme. Le fait qu'au point culminant de la maladie les troubles circu- latoires dans les tissus devenus le siège d'une hypergenèse pathologique empêchent les sels calcaires de s'y déposer, n'a rien d'étonnant si l'on se rappelle, comme Yirchow le fait remarquer très-judicieusement, ce qui se passe dans la périostite. Enfin, l'élimination de quantités surabondantes de phosphate de chaux par l'urine peut être la conséquence aussi bien que la cause du manque de précipitation des sels calcaires dans les tissus ostéoïdes. • — Le rachitisme est une maladie de l'enfance, et l'on peut se demander si les cas rares qui ont été décrits comme rachitisme des adultes et comme ra- chitisme du fœtus doivent être considérés comme étant réellement des cas de rachitisme. Le plus souvent on observe la maladie entre làge de six mois et l'époque de la seconde dentition ; pendant les premiers mois de l'existence et après la septième année elle s'observe plus rarement. Dans quelques fa- milles la prédisposition au rachitisme paraît héréditaire. La cause occasion- nelle la plus fréquente est sans contredit une alimentation irrationnelle, et il est également hors de doute pour moi que les catarrhes gastro-intestinaux qui se développent sous l'influence de cette alimentation irrationnelle favo- risent très-notablement le développement du rachitisme, quoique je ne considère nullement comme un fait prouvé que ce développement soit lié à la résorption de l'acide lactique. L'existence du rachitisme chez les enfants bien nourris et dont les digestions se font régulièrement, prouve qu'outre les causes occasionnelles du rachitisme que nous venons de citer, il y en a encore d'autres qui nous sont inconnues. RACH1TIS OU RACHITISME. 1505 § 2. Anatomie pathologique. Pour les détails histologiques qui rëssortent de l'étude des os afi'ectés de rachitisme, nous renvoyons aux: travaux de Yirchow, de Kolliker et d'H. Mayer. Yirchow résume les modifications observées dans le cours du rachitisme sur les cartilages épiphysaires de la manière suivante : 1° ligne d'ossification restée en arrière, tandis que la ligne de prolifération prépara- toire du cartilage subit un agrandissement relatif; 2° formation d'espaces médullaires s' avançant jusque dans la ligne d'ossification, et môme au delà, en même temps que la prolifération cartilagineuse continue de s'accomplir; 3° formation d'espaces médullaires fibreux, transformation ostéoïde du tissu environnant et de parties plus éloignées, sans incrustation calcaire. — Les modifications observées sur les diaphyses dans le cours de la maladie ont été résumées par Yirchow ainsi qu'il suit : 1° épaisseur plus grande de la proli- fération périostique, la substance continuant d'être séparée en aréoles et en réseau de trabécules ; 2° ossification incomplète des réseaux trabéculaires avec persistance de la couche profonde de l'écorce compacte ; 3° formation partielle de tissu cartilagineux dans les aréoles. La conformation massive des os rachitiques et le gonflement des épiphyses s'expliquent suffisamment par la prolifération du périoste et des cartilages épiphysaires. Si les épiphyses sont simplement plus épaisses sans être en même temps plus longues, cela ne provient pas, d'après Yirchow, d'une prolifération s'accomplissant simplement dans le sens de la largeur, mais de la compression qu'éprouve la couche molle de formation nouvelle de la part des parties supérieures qui pèsent sur elle et de la part des contractions musculaires, et de cette façon ce produit mou subirait une sorte d'écartement latéral. Les déviations des os rachitiques dépendent en partie de courbures et en partie de fractures incomplètes de ces os. Les courbures se remarquent surtout aux épiphyses et aux points de jonction cartilagineux des os dépour- vus d'épiphyses proprement dites, les fractures incomplètes occupent plutôt un point de la diaphyse. Les os longs des extrémités présentent souvent un aspect qui fait croire que les épiphyses ont éprouvé une sorte de glissement sur la diaphyse . La courbure des extrémités postérieures des côtes d'un seul côté donne assez souvent lieu à une asymétrie, à une obliquité du tho- rax. Dans beaucoup de cas, les points de jonction des extrémités antérieures des côtes avec les cartilages costaux s'infléchissent eu dedans en même temps que le sternum avec l'extrémité sternale des cartilages costaux forme une saillie en avant. Cette difformité, connue sous le nom de poitrine en carène, trouve son explication dans Ja mollesse des parties (pie nous venons de nom- mer, mollesse qui les met dans l'impossibilité de résister à la pression de J'ait extérieur pendant la dilatation inspiratoire du thorax. Tout point des 606 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. côtes où un ligament flexible serait substitué à la rigidité osseuse s'affaisserait forcément pendant l'inspiration. L'incurvation des extrémités supérieure et inférieure de chaque vertèbre fait naître des déviations de la colonne verté- brale, celle des os du bassin à leurs points de jonction des difformités du bassin, et, parmi ces dernières, surtout la forme dite rachitique, qui se carac- térise par le raccourcissement du diamètre antéro-postérieur, mais quelque- fois aussi la forme dite en cœur de carte quand les incurvations, au lieu d'exister aux points de jonction du sacrum avec l'os iliaque, occupent les points de réunion du pubis avec l'ischion et l'os iliaque. En cas de fracture incomplète, il y a simple courbure de l'os du .côté de la convexité et fracture véritable du côté de la concavité. Le canal médullaire d'un os ainsi fracturé à demi ressemble à la cavité d'un tuyau de plume que l'on aurait plié en deux ; il présente un fort rétrécissement à l'endroit qui correspond à la rup- ture, et plus tard il y est complètement oblitéré par la formation d'un cal. On rencontre aussi des fractures totales d'os rachitiques qui se distinguent cependant des fractures des os sains en ce qu'elles ne sont presque jamais accompagnées de lésions du périoste, ce dernier étant séparé de la sub- stance osseuse fracturée par une couche molle incomplètement ossifiée. — Les sutures du crâne, qui correspondent aux épiphyses des os longs, s'ossi- fient excessivement tard chez les enfants rachitiques, et il n'est pas rare de trouver chez eux, à l'âge de deux ou trois ans, les sutures encore ou- vertes et tellement grandes, que l'on est tenté de croire à l'existence d'une hydrocéphale chronique. Les os du crâne et de la face qui correspondeni aux diaphyses des os longs subissent des modifications analogues à celles de Ces derniers; il s'y forme, surtout près des bords, des proliférations du pé- rioste qui s'ossifient incomplètement et donnent à la face et au crâne un aspect difforme. Mais, indépendamment de ces épaississements, on trouve aussi dans le rachitisme un amincissement partiel des os crâniens (occipuî mou d'Elsaesser, cràniotabes). Cet amincissement, par l'effet duquel la dure- mère et le péricrâne peuvent finir par se toucher, est le résultat de l'atro- phie lente de la paroi osseuse sous la pression du cerveau qui continue de s'accroître, sans qu'une production de substance osseuse compacte à la sur- face du crâne marche de pair avec cet accroissement. Ces lacunes membra- neuses dans les os crâniens s'observent le plus souvent à l'os occipital, plu* rarement aux pariétaux et à Tos frontal ; on les trouve de préférence au* endroits où, dans les conditions nqrmales, existent les impressions digitales qui correspondent aux circonvolutions cérébrales. — Un phénomène ana- logue aux cràniotabes s'observe également au maxillaire inférieur, où l'on voit souvent les parois antérieures des alvéoles perforées par les dents de lait. — Quand le rachitisme vient à guérir, les extrémités articulaires tumé- fiées désenflent, les os deviennent solides, mais les courbures des extrémité?* ne s'effacent que d'une manière très-incomplète ; l'Ossification du tissu car- »_ RAGHIT1S OU RACHITISME. 607 tilagineux nouvellement formé des épiphyses se fait souvent, après l'évolu- tion de la maladie, plus rapidement et plus complètement que cela n'est à souhaiter pour l'accroissement des os en longueur, lequel ne peut avoir lieu qu'autant que les épiphyses ont conservé leur état cartilagineux. Voilà pour- quoi les individus qui ont été atteints d'un rachitisme étendu restent ordi- nairement très-petits et conservent même parfois une taille de nain. Si quelques os seulement ont été affectés de rachitisme et que les autres soient restés sains, l'inégalité de croissance des différents os donne lieu, après l'é- volution de la maladie, à des disproportions choquantes. Un fait plus impor- tant pour l'organisme que le défaut de longueur des extrémités, c'est le développement insuffisant du thorax et du bassin , accident qui dépend également d'un ralentissement clans la croissance des os thoraciques et pel- viens, après l'évolution du rachitisme. Comme les sutures et les fontanelles du crâne restent très-longtemps ouvertes, et comme l'accroissement du cer- veau, tant que les sutures ne sont pas fermées, rend impossible un arrêt de développement du crâne, ce dernier ne reste pas en retard, et nous obser- vons souvent, pour cette raison, chez les individus autrefois atteints de rachi- tisme, une difformité très-laide, qui consiste en ce qu'un crâne, démesuré- ment volumineux comparativement au rabougrissement du reste du corps, offre un singulier contraste avec la petitesse de la face. S o. Symptômes et marche. Quand le rachitisme se développe dans les premiers mois de l'existence, ses symptômes sont précédés si souvent des phénomènes d'un catarrhe chronique de l'intestin avec évacuations d'abord vertes et muqueuses, plus tard copieuses et aqueuses (vol. 1), que l'on est presque en droit de compter cette forme de catarrhe intestinal chronique, la diarrhée du sevrage ou diarrhée de fermentation des enfants, parmi les prodromes du rachitisme^ Cependant la circonstance que, dans beaucoup de cas, ce catarrhe chro- nique de l'intestin n'entraîne pas le rachitisme et ne donne lieu à aucune coniplicatiun ou fait naître d'autres troubles de la nutrition, cette circon- stance, disons-nous, ne. nous permet guère d'envisager ainsi les choses et nous éloigné encore plus de l'opinion de Stiehe.l, d'après laquelle la caco- Wophie serait le premier, L'atrophie musculaire le second, et le mal osseux li' troisième Stade du rachitisme. Si, après une durée (dus ou moins longue des deux premiers états, on ne peut constater, ni sur le vivant ni à l'autop- sie, des modifications osseuses, il est évidemment impdssible de donner le iiom de rachitisme à la maladie que l'on a sons les \en\. Le premier s\ni ptôme <|ui trahit La complication parle rachitisme de la diarrhée de sevrage1 «■I de pédathrophie, qui en est la conséquence, consiste dans les douleurs 608 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. que les entants ressentent manifestement quaud ils essayent eux-mêmes de remuer leurs membres ou quand d'autres leur impriment des mouvements. Stiebel dresse un tableau très-fidèle de l'état de ces enfants, qui auparavant éprouvaient le plus grand plaisir à remuer leurs membres et à s'introduire même les orteils dans la bouche, et qui maintenant restent immobiles, leurs jambes amincies étendues droit devant eux, n'osant évidemment tenter le moindre mouvement, jetant des cris dès qu'on essaye de les retourner, se mettant même à pleurer dès qu'ils voient approcher des personnes dont la vue leur avait fait plaisir auparavant, uniquement parce qu'ils craignent qu'on ne veuille les faire sortir du lit et les porter sur les bras. A ces phé- nomènes s'ajoute le gonflement des épiphyses que l'on remarque surtout aux articulations couvertes de parties molles peu épaisses, et ne formant pas, comme le genou et le coude, de fortes saillies même dans les conditions normales. Ainsi, ce gonflement épiphysaire s'aperçoit à l'extrémité du ra- dius et du cubitus, aux points de jonction des côtes avec les cartilages cos- taux. On appelle chapelet rachitique cette série de gonflements du bout sternal des côtes. Si le rachitisme vient s'ajouter, de la manière indiquée, à une diarrhée de sevrage, si, par conséquent, son début correspond à une époque où les enfants ne font pas encore d'essais pour marcher, ils restent très-souvent épargnés de toute déviation des extrémités en supposant même que la maladie se prolonge pendant des années. Ce fait suffit déjà pour prouver que les courbures et fractures incomplètes des os rachitiques sont surtout produites par la pression du corps qui pèse sur ces os et par la contraction des muscles. Pour le développement de la poitrine en carène, nous avons donné une explication différente, et le fait que des enfants qui, dans la première année de leur vie, deviennent rachitiques et conservent néanmoins les jambes droites, contractent très-souvent une poitrine en ca- rène, n'est nullement en contradiction avec l'explication donnée pour la déviation des jambes. Les enfants affectés de rachitisme pendant la première année de leur existence sont aussi ceux chez lesquels se développe le plus souvent le cràniotabes, probablement à cause de la pression que pendant le long décubilus dorsal le cerveau exerce sur la face interne du crâne, et sans doute aussi à cause de la pression exercée par le lit sur sa face externe. Il reste à savoir si les mouvements de rotation de la tête, l'atrophie des che- veux de la région occipitale, le sommeil agité, les accès de spasme de la glotte, d'éclampsie et d'autres phénomènes d'anomalie fonctionnelle du cerveau, comme on les observe chez ces enfants, doivent être envisagés comme les conséquences du cràniotabes ou comme de simples phénomènes concomitants. Une pression faite avec précaution sur les endroits mous de la tête est bien supportée par beaucoup d'enfants, mais provoque chez d'autres des attaques convulsives. Nous devons rappeler en outre que le ca- tarrhe chronique des bronches est la complication la plus fréquente du ra- RAGHITIS OU RACHITISME. 609 chitisnie dans la première année de l'existence, à tel point que l'absence de ce catarrhe doit être considérée comme un fait exceptionnel (vol. I). Chez ces enfants, les dents percent presque toujours très-tard et souvent aussi d'une manière irrégulière, et il arrive assez souvent que les enfants ont dé- passé la première année avant qu'on remarque une dent dans leur bouche. — Enfin, il est positif que les enfants rachitiques qui ont contracté leur ma- ladie pendant les premiers mois de l'existence, se distinguent ordinairement d'autres enfants du même âge par la justesse de leurs réponses et la préco- cité de leur intelligence. Cependant, nous ne pensons pas, malgré le fort volume de la tète, que cette précocité doive être attribuée à une hypertro- phie du cerveau, car nous la remarquons aussi chez d'autres enfants forcés de garder le lit par un mal quelconque et n'ayant de rapports qu'avec des personnes âgées et raisonnables, parce que la fréquentation d'autres enfants et les jeux de leur âge leur sont interdits ; d'ailleurs, dans ce qu'on appelle hypertrophie du cerveau, il ne s'agit pas d'une augmentation des éléments nerveux, mais d'un développement exagéré de la névroglie. Ajoutez à cela que le contraste entre l'immobilité physique et le développement intellec- tuel fait paraître ce dernier plus avancé qu'il n'est en réalité, et que l'on prend ordinairement les enfants qui, dans la troisième année, ne savent pas encore marcher, pour plus jeunes qu'ils ne sont. — ■ Lorsque le rachitisme tend à guérir, ou s'en aperçoit généralement d'abord à la diminution de la maigreur, qui est souvent excessive dans cette maladie. La peau qui ballo- tait autour des membres se garnit de nouveau, la face ridée, semblable à celle d'un vieillard, redevient lisse, en même temps que le ventre ballonné perd de son volume. Peu à peu les enfants commencent à se tenir assis dans leur lit et s'occupent de nouveau à jouer. Mais c'est précisément à cette époque qu'ils courent le plus grand danger d'avoir une incurvation des extrémités supérieures et inférieures des vertèbres, et par cela même une déviation permanente de la colonne vertébrale. De même, c'est précisé- ment pendant la. convalescence, si les enfants essaient trop tôt de quitter le lit et courent dans la chambre en s'appuyant contre les meubles, qu'il se produit le plus souvent des courbures et des fractures incomplètes des extré- mités. — Le rachitisme diffère sous quelques rapports de la forme que nous venons de décrire, lorsqu'il se manifeste chez des enfants plus âgés. Chez ceux-ci, les phénomènes rachitiques ne sont nullement précédés des symptômes d'un catarrhe chronique de l'intestin et d'un amaigrissement général ; les enfants ont souvent des digestions d'apparence normale et sont bien nourris au moment où la maladie vient à se développer. De même, ils n'éprouvent ordinairement pas ces douleurs (]ui, chez les enfants plus pe- tits, sont provoquées par tous les mouvements actifs et passifs. Ils n'accusent de douleurs qu'en faisant un faux pas et se sentent fatigués au moindre effort. Enfin, chez les enfants qui, dans la seconde ou la. troisième année di> NIF.MF.YF.il. "• _ 39 610 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. leur existence, ou plus tard encore, sont affectés de rachitisme, les côtes et les vertèbres restent ordinairement épargnées au commencement et les dif- formités ijùi se développent les premières sont celles des extrémités. C'est là qu'il se produit des courbures et des fractures incomplètes, dont la direction n'est pas toujours la même. Tantôt ces lésions représentent une exagération de la courbure normale des os, tantôt elles se font dans une direction tout opposée, variétés dont les causes ne peuvent ordinairement pas être saisies. Assez souvent, les fémurs sont courbés en dehors et les os des jambes en de- dans ; les enfants prennent une démarche lourde et vacillante. Il se passe ordinairement un temps assez long, souvent bien des années, avant que la maladie ait envahi tout le squelette. Lorsque cela arrive, on remarque fré- quemment, mais non d'une manière aussi constante que cela a été affirmé par Guérin, que l'extension du mal se fait avec une certaine régularité ; que, par exemple, le rachitisme débute par les jambes et gagne de là les cuisses, puis les avant-bras, les bras et, en dernier lien, les os du tronc— Même dans les cas où l'on est parvenu à arrêter de bonne heure les progrès de la ma- ladie, la stature carrée, la conformation grossière des membres et les cour- bures légères qui sont restées, surtout aux extrémités inférieures, rap- pellent pendant la vie entière la maladie traversée dans le premier âge ; dans les cas .graves, il persiste des courbures et des raccourcissements osseux très-difformes et souvent préjudiciables pour les fonctions du corps. § h. Traitement. L'indication causale réclame, dans les cas où le rachitisme a été précédé d'un catarrhe chronique de l'intestin et d'une pédatrophie, les mesures pré- cédemment mentionnées (vol. 1). Nous avons dit à cette occasion combien il était difficile d'arrêter le cours de ces décompositions tumultueuses qui s'accomplissent dans le canal intestinal des enfants et provoquent la diar- rhée, et cette, circonstance que souvent nous ne parvenons pas ou ne parve- nons que très-tard à guérir ces diarrhées, nous devons la considère]' égale* ment comme la cause essentielle des résultats thérapeutiques souvent si longs à obtenir et si incomplets dans le rachitisme. Si l'on parvient à guérir le catarrhe intestinal de bonne heure et complètement et à améliorer la nutrition de l'enfant, les phénomènes vachitiques qui se sont dé- veloppés sous l'influence de ces troubles disparaissent à leur tour presque toujours en très-peu de temps, et si la maladie a été reconnue de bonne heure les enfants restent préservés des suites permanentes du rachi- tisme. Dans le traitement des diarrhées de sevrage compliquées de rachi- tisme, on a l'habitude de tenir compte de la faible proportion des sels cal- caires qui se déposent dans les tissus ostéoïdes en préférant, parmi les RACHIT1S OU RACHITISME. 611 absorbants usuels., le carbonate de chaux au carbonate de potasse où de soude que l'on emploie dans d'autres circonstances. — Dans les cas où le rachitisme se déclare sans que nous puissions faire remonter la maladie à un catarrhe chronique de l'intestin ou à quelque autre trouble de la nu- trition, nous sommes hors d'état de remplir l'indication causale. On ne répond pas à l'indication de la maladie, en administrant du carbo- nate et du phosphate de chaux : car l'absence des sels de chaux dans les os n'est pas l'anomalie essentielle dans le rachitisme. Aussitôt que le trouble de la nutrition dans les cartilages épiphysaires et dans le périoste est arrivé à son terme, l'ossification des produits de formation nouvelle ne tarde pas à se faire et devient au contraire trop souvent excessive, en supposant même qu'il n'y ait d'autres matériaux d'ossification qneles sels calcaires qui entrent dans la composition des aliments ordinaires. Les médicaments amers et toniques^ de même que la garance, n'ont pas non plus répondu aux espérances que* dans des vues théoriques, on avait attachées à leur emploi, et ces substances ont été effacées principalement par l'huile de foie de morue, qui rend les services les plus excellents dans presque tous les cas où elle est supportée^ ce qui arrive le plus souvent. Xous ignorons quelle est la propriété de l'huile de foie de morue d'où dépend son action en quelque sorte spécifique sur le rachitisme. Les bains salins mit également une action évidemment favorable' sur la marche du rachitisme el méritent d'être employés surtout dans les cas; où les enfants rachitiques se trouvent dans un étal, satisfaisant de nutri- tion et se distinguent même par un certain embonpoint. Le régime auquel on astreint généralement les enfants dans le traitement de Ja scrofulose et qui consiste en une nourriture principalement composée de substances ani- males, avec défense de manger beaucoup d'aliments végétaux, est égale ment d'une haute importance lorsqu'il s'agit de traiter avec succès le rachi- tisme. Avant tout il y a lieu d'administrer deux fois par jour de petites portions de viande de bœuf crue, finement râpée, accompagnées chaque l'ois d'une cuillerée à dessert de vin de Malaga ou de vin de Tokay. Enfin il faut veillera ce que les enfants rachitiques ne séjournent pas dans des pièces humides et mal aérées, mais qu'ils rcspirenl autant que possible l'air libre de la campagne^ La lâche de V indication symptomatique consiste à préserver les enfants ra- chitiques de la courbure des os et à redresser les courbures qui se sont déjà établies. Le premier de ces deux buts est beaucoup plus facile à atteindre que le second; les mesures par lesquelles on peul j arriver consistent^ d'a- près ce que nous avons dil sur l'origine de ces courbures cl fractures incom- plètes, à préserver les os mous cl peu résistants de la pression du corps qui pè$e sur eux, de l'action trop forte des muscles et des violences provenant du dehors Les enfants rachitiques ne doivenl pas reposer sur des lits de phuiii-s. mais mu un matelas. Les matières premières qui entrenl dans la 612 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. confection du matelas sont d'une importance bien moindre que le soin avec lequel il est rembourré et la parfaite égalité de sa surface. 11 faut dé- fendre les gros oreillers. On fera porter à l'air les petits enfants dans un pa- nier plat, ceux qui sont plus âgés seront conduits dehors dans une voiture commode, pourvue d'un matelas. Il faut défendre sévèrement que les enfants restent longtemps assis dans leur lit, tant que les os ne sont pas consolidés, et plus encore qu'ils se lèvent et courent sur leurs jambes flexibles et fra- giles. Si malgré ces précautions des déviations ont pu se produire, on fait bien de les mettre dans un établissement Orthopédique digne de confiance, c'est-à-dire un établissement où les succès réels, constatés à la fin du traite- ment répondent aux promesses faites avant le traitement et aux rapports adressés aux parents pendant sa durée. Les établissements dans lesquels on ne s'attacbe pas exclusivement ou avec une prédilection particulière à suivre telle ou telle idée moderne, dans lesquels toutes les ressources de l'ortho- pédie sont mises à profit et dans lesquels on se préoccupe surtout aussi avec une attention suffisante de l'état général des malades, méritent évidemment la préférence sur les autres. CHAPITRE IV. (Mtéomalacie. £ 1. Pathogénie kt étiologie. Dans l'ostéomalacie les os, de ducs qu'ils étaient, deviennent mous parce que les sels calcaires, auxquels ils devaient leur dureté, sont dissous et résorbés. Cette définition de l'osléomalacie suffit déjà pour faire saisir la différence qui existe entre elle et le rachitisme, dans lequel les sels calcaires, au lieu de disparaître de l'os, ne pénètrent pas dans son tissu. — Les causes pre- mières de la dissolution et de la résorption des sels calcaires dans l'ostéo- malacie sont enveloppées d'obscurilé. L'hypothèse d'après laquelle ces phénomènes auraient pour cause le développement d'un acide dans le tissu osseux; acide qui dissoudrait le phosphate de chaux, est mise à néant par Virchow qui trouva la gélatine écoulée d'os frais, atteints d'ostéomalacie, d'une réaction franchement alcaline. L'hypothèse de Virchow, en vertu de laquelle on devrait peut-être compter l'ostéomalacie au nombre de ces in- flammations parenehymateuses, où il ne se dépose pas d'exsudat interstitiel et où les troubles inflammatoires de la nutrition se produisent sur les élé- ments parenchymateux eux-mêmes qui constituent l'organe malade, semble admissible sous bien des rapports. La raréfaction, l'état poreux, spongieux 0STE0MALAC1K. 613 ou arëolaire des os malades-, qui sont parfaitement analogues aux: modifica- tions subies par les os dans l'ostéite la mieux prononcée, le développement si fréquent de l'ostéomalacie dans l'état puerpéral, son point de départ ordi- naire du bassin plus ou moins lésé pendant l'accouchement, enfin les dou- leurs violentes qui l'accompagnent, vpilà autant de raisons qui tendent à établir la nature inflammatoire de cette maladie. — L'ostéomalacie est une maladie rare ; elle a été observée jusqu'à présent presque exclusivement sur les femmes. Ses causes occasionnelles sont inconnues ; tout ce que nous savons, c'est que ses premiers symptômes sont ordinairement observés quel- que temps après les couches, de sorte que la grossesse, l'accouchement ou l'état puerpéral jouent indubitablement un rôle important dans 1'ériolo.gie de l'ostéomalacie. £ 2. Anatomig pathologique, Les os frappés d'ostéomalacie présentent un très-haut degré d'ostéopo- rose ; dans la substance spongieuse, le tissu trabéculaire devient rare et disparait, les espaces médullaires se confondent et contribuent, dans les os longs, à agrandir le canal médullaire; même dans la substance corticale compacte les canaux vasculaires s'agrandissent, forment des aréoles qui de- viennent confluentes et transforment également cette substance corticale en un tissu spongieux à larges mailles. Dans les degrés les plus élevés de la maladie l'os mou, flexible, facile à inciser, n'est plus composé que de pé- rioste, de moelle et de quelques rares et fines trabécules osseuses. La moelle osseuse se montre dans les cas récents d'ostéomalacie d'une coloration brun rouge foncé; dans les périodes ultérieures, elle est jaune et extrêmement riche en graisse; — llya des cas d'ostéomalacie où l'affection reste bornée à quelques os, surtout aux os du bassin et aux vertèbres; dans d'autres cas elle s'étend presque sur tout le squelette, mais épargne même alors presque constamment les os du crâne. La mollesse et la flexibilité des os frappés d'ostéomalacie donnent lieu à des déformations du tronc et des membres qui s'élèvent quelquefois à un degré vraiment horrible. Par le poids de la tête la portion cervicale de la colonne vertébrale est quelquefois pliée en deux, au point de former un angle très-aigu ; la déformation, souvent très- considérable de la colonne dorsale et des côtes, peut, non-seulement pro- duire une grande difformité du thorax, mais encore en réduire notablement la capacité. Le bassin est presque toujours comprimé latéralement par les fémurs, et souvent à un point tel que les branches horizontales du pubis se touchent et proéminent sous forme de bec d'oiseau. Le sacrum, de son côté, s'enfonce ordinairement dans la cavité du bassin. Les déformations des extrémités ont atteint, dans quelques cas, un degré tel, que les pieds ont fini •il 4 MALADIES DKS ORGANES DU MOUVEMENT. par être dirigés en haul. Enfin, on a \u le raccqurcissenienl constant fie la taille devenir quelquefois si énorme, que des femmes d'une belle stature se sont vues transformées à la fin en véritables naines. $ 3. Symptômes iîî m.-uschk. Les premiers symptômes de l'ostéomalacie consistent -en douleurs téré- brantes et lancinantes, dont les malades rapportent souvent elles-mêmes le siège à l'épaisseur des os. Le repos diminue souvent ces douleurs, les mou- vements les augmentent. Dans quelques cas, mais non dans tous, ces dou- leurs, que l'on prend ordinairement au commencement pour des douleurs rhumatismales, sont accompagnées d'une fièvre rémittente ou intermittente. Dans l'urine des malades il se formerait, d'après l'observation faite par plu- sieurs auteurs, des sédiments abondants de phosphate de chaux, et dans le cas où ces sédiments viendraient à manquer, on trouverait, après la mort, des calculs rénaux:, composés de phosphate de chaux. De même, des sels calcaires seraient éliminés aussi par les glandes salivaires et la peau. Peu à peu la marche des malades devient incertaine et vacillante, et, après un certain temps, tout mouvement devient douloureux à un tel point que. la plu- part craignent de quitter le lit. Aux douleurs s'ajoutent les courbures et les difformités du tronc et des membres, dont il a été question plus haut, et qui se produisent combinées et modifiées de bien des manières, souvent sous l'influence de causes purement accidentelles. Quelquefois l'état satis- faisant de la nutrition forme pendant longtemps un singulier contraste avec les douleurs et les difformités ; dans d'autres cas, au contraire, l'état géné- ral s'altère de bonne heure, et les malades présentent un aspect cachec- tique et misérable. Dans presque tous les cas publiés jusqu'à présent, la maladie a été incurable ; mais généralement la mort n'est survenue qu'a- près bien des années de souffrances, à la suite de l'épuisement ou des troubles de la respiration et de la circulation. § k. Traitement. Les remèdes théoriquement préconisés contre l'ostéomalacie, le caloniel associé à l'opium, l'acide phosphorique, l'eau de chaux, l'huile de foie de morue, le fer, n'ont montré aucune utilité pratique, et nous sommes pour le moment, en face de cette maladie incurable, réduits exclusivement à prévenir les difformités trop monstrueuses, ATROPHIE MUSCULAIRE, 015 CHAPITRE V vu on h ir musculaire progressive. — Paralysie musculaire progressive atrophique. 5; 1. P.VTH0GÉ_\'IE ET KTIOLO&IE. Les opinions étaient divisées sur la question de savoir si dans L'atrophie musculaire progressive il s'agissait d'une maladie des racines des nerfs avec atrophie consécutive des muscles paralysés ou d'une maladie primitive des muscles. Ce qui avait surtout amené cette divergence d'opinions, c'est que quelques observateurs avaient trouvé, en faisant l'autopsie d'individus morU d'atrophie musculaire progressive, des modifications anatomiques très-évi- dentes dans les racines antérieures des nerfs rachidiens, tandis que d'autres observateurs n'avaient trouvé, aucune anomalie, ni dans les organes centraux, ni dans les nerfs périphériques. Il est donc fort supposante que jusque dans ces derniers temps on confondait sous le nom commun d'atrophie muscu- laire progressive des formes morbides, qui, malgré une certaine similitude extérieure, ne devaient pas être réunies parce qu'elles étaient d'origine très- différente. Mais depuis que l'on est presque généralement tombé d'accord sur ce lait que la persistance de l'excitabilité dans les muscles atrophiés, tant qu'ils renferment encore des éléments musculaires, doit être envisagée comme le signe pathognomonique de l'atrophie musculaire progressive, cet inconvénient a cessé d'exister, et le débat sur la nature de la maladie a été jugé dans un sens favorable à l'opinion des auteurs qui considèrent l'a- trophie musculaire progressive comme une affection primitive des muscles. En effet, dans toute dégénération des nerfs périphériques, l'excitabilité de ces nerfs s'éteint, comme nous l'axons \u précédemment, de très-bonne heure, et comme, envisagés, à ce point de \uc, les nerfs sont périphériques à partir du point où ils sortent du cerveau ou de la moelle épinière, l'atro- phie musculaire progressive, dans laquelle les nerfs et les muscles conse.i venl leur excitabilité tant que le muscle n'est pas entièrement détruit, ne peut évidemment pas dépendre d'une dégénération des racines antérieures des nerfs rachidiens. La persistance de L'excitabilité contractile des muscles en eoie de dégénérescence pourrait faire croire plutôt à une altération centrale ilu cerveau ou de la moelle épinière, bornée à des foyers d'une faible éten- due, comme cause première de l'atrophie musculaire progressive ; toutefois. le degré même de l'atrophie qui, dans aucune autre paralysie cérébrale on spinale, ne se développe avec une rapidité et une intensité aussi grandes, DCUl encore cire considéré comme un argument suffisant conlrc une sein 616 MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. blable manière devoir. Les documents statistiques compulsés jusqu'à présent prouvent que l'atrophie musculaire progressive se rencontre dans toutes les conditions sociales, qu'elle frappe les hommes plus souvent que les femmes, que la prédisposition à contracter cette maladie est parfois congénitale, enfin, que dans quelques cas la maladie parait s'être développée à la suite d'efforts musculaires exagérés, dans d'autres, à la suite de refroidissements, mais que le plus souvent il est impossible de constater une cause occasion- nelle quelconque. § 2. Anatomie pathologique. Les faisceaux musculaires atrophiés ont non-seulement considérablement diminué de volume, mais paraissent également pâles et jaunâtres. Dans les cas un tant soit peu récents, on trouve dans le même muscle des faisceaux atrophiés et dégénérés, à côté d'autres qui ont conservé leur volume et leur aspect normal; par contre, dans les périodes ultérieures de la maladie, l'a- trophie et la dégénération graisseuse sont souvent étendues à tout le muscle. A l'examen microscopique, on reconnaît que le processus commence par une certaine pâleur des fibrilles musculaires et la disparition de leurs stries transversales, que plus tard de fines gouttelettes de graisse se montrent au centre des fibrilles, et qu'enfin, après la destruction des fibrilles, le sarco- lemme vide s'affaisse et ne renferme que de loin en loin des gouttelettes de graisse isolées. § 3. Symptômes et marche. Le premier symptôme de l'atrophie musculaire progressive consiste en un sentiment de faiblesse, qui n'est accompagné d'aucune douleur, ni en géné- ral d'aucun genre de souffrance et qui se développe lentement dans quelques muscles ou dans quelques groupes musculaires. Avec cet affaiblissement pro- gressif coïncide un amaigrissement visible et également progressif des muscles affectés. Tous lesmuscles ne deviennent pas, avec une fréquence égale, le point de départ de la maladie; le plus souvent, le mal envahit d'abord les muscles d'une main ou d'une épaule, quelquefois aussi ceux du cou et de la nuque, rarement ceux de la face. La force et le volume des muscles, dont la diminu- tion continue de se faire parallèlement, même dans les périodes ultérieures de la maladie, finissent par être réduits à un degré tel que les mouvements qui dépendent des muscles malades deviennent complètement impossibles ou ne peuvent être exécutés que dans une mesure extrêmement faible, et qu'aux endroits où se dessinait auparavant une portion charnue saillante, on reniai- ATROPHIE MUSCULAIRE. 617 que plus tard un endroit tout à fait plat ou même un enfoncement. Les phé- nomènes les plus frappants sont la disparition de remmenée thénar, l'enfon- cement des espaces interosseux, l'aplatissement du moignon de l'épaule : enfin, quand les muscles du cou et de la nuque sont atrophiés, la saillie des apophyses épineuses de la colonne vertébrale. Dans les muscles faibles et atrophiés, on remarque constamment, surtout quand on souffle sur la peaii qui les couvre ou quand on les expose de quelque autre manière à l'action momentanée du froid, un frémissement fibrillaire particulier qui n'a pas d'influence sur les points d'insertion des muscles et ne produit, par consé- quent, aucun mouvement dans les articulations correspondantes. Ordinai- rement, on prétend que l'excitabilité des nerfs sensibles de la peau est normale et que celle des nerfs sensibles des muscles (la sensibilité électro- musculaire des éleetro-thérapeutistes) est seule diminuée. J'ai toutefois observé plusieurs cas, que tous les autres symptômes devaient faire ranger dans l'atrophie musculaire progressive, et dans lesquels l'excitabilité des nerfs cutanés-était considérablement affaiblie. Un symptôme très-important et pathognomonique, c'est la manière dont les muscles malades et les nerfs moteurs qui y pénètrent se comportent à l'égard du courant induit : ce n'est qu'après la disparition complète d'un muscle que l'on ne parvient plus à le mettre en état de contraction. Jusque-là, il s'opère des contractions dont l'énergie est entièrement proportionnée à la force du courant et à la quan- tité de substance musculaire encore intacte. Dans quelques cas, l'atrophie musculaire progressive reste limitée à quelques régions du corps; dans d'au- tres elle gagne lentement la plus grande partie de tous les muscles pourvus de nerfs cérébro-spinaux, mais épargne sans exception les muscles du cœur, du tube gastro-intestinal et de la vessie. Cette dernière forme est une ma- ladie horrible ; ses malheureuses victimes, tout en conservant l'appétit, des digestions régulières, l'intégrité des sens et des facultés psychiques, ce qui jeur permet de comprendre et de mesurer l'immensité de leur malheur, perdent l'usage d'un membre après l'autre. Quand la maladie est avancée, ils ne peuvent plus ni marcher, ni même changer de position; on est obligé de leur porter les aliments à la bouche, parce que les bras pendent sans mouvement le long du corps. Le jeu de la physionomie a cessé, la salive leur découle de la bouche, la parole est indistincte, la langue ne peut même plus pousser dans le pharynx le bol alimentaire introduit dans la bouche. Enfin, après des années de souffrances, les malades succombent, parce qu'à la fin même les muscles qui président à la déglutition et à la respiration sont atrophiés et refusent le service. Une maladie intercurrente, quelquefois insignifiante par elle-même, des organes de la respiration, est très-dange- reuse pour ces malades et hâte leur fin, parce que la paralysie des muscles abdominaux les met dans l'impossibilité d'éloigner par la toux le produit des sécrétions accumulé dans les bronches. OIS MALADIES DES ORGANES DU MOUVEMENT. g 6. Traitement, Dans la forme de l'atrophie musculaire progressive qui se déclare ordi- nairement à la suite d'efforts exagérés, et qui reste limitée à quelques ré- gions du corps, on réussit assez souvent à arrêter les progrès de la maladie par l'emploi méthodique du courant induit ou constant; même la nutrition des muscles amaigris est quelquefois améliorée par ce moyen. Mais il faut une grande persévérance et une patience infatigable si l'on veut que ce but soit atteint, Quant à la forme qui envahit les muscles successivement les uns après les autres, tous les moyens employés jusqu'à présent, même l'emploi méthodique de l'électricité, ont été impuissants à en arrêter les progrès, CHAPITRE VI Paralysie musculaire progressive dépendant de l'hypertrophie du tissu graisseux interstitiel. — Atrophie musculaire graisseuse progressive Dans ces dernières années, on a publié une série de cas très-remar- quables de paralysie musculaire progressive, dans lesquels le volume des muscles paralysés n'était pas diminué comme dans la forme de paralysie myopathique décrite au chapitre précédent, mais au contraire considéra- blement augmenté. A l'examen des muscles malades qui, dans plusieurs cas, a pu être fait du vivant même des individus au moyen de l'excision de petites parcelles mus- culaires, on a trouvé des modifications qui étaient même appréciables à l'œil nu. Ainsi, ces muscles n'avaient pas la couleur rouge du tissu muscu- laire sain, mais ils étaient pâles, d'un blanc jaunâtre et ressemblaient beau- coup plus au tissu d'un lipome qu'au tissu musculaire. L'examen microsco- pique permettait de constater un développement considérable du tissu graisseux interstitiel dont la masse l'emportait de beaucoup sur celle du tissu musculaire: dans plusieurs endroits ce dernier était complètement effacé par la graisse; les fibres musculaires encore existantes étaient atrophiées, pâles, étroites, mais non envahies par la métamorphose graisseuse. Il s'agit donc dans la maladie qui nous occupe d'une prolifération du tissu graisseux interstitiel, prolifération qui entraîne probablement une atrophie simple des li brilles musculaires par la pression exercée sur elles. La maladie a été observée à différentes reprises chez plusieurs enfants d'une même famille, et, chose singulière, jusqu'à présent exclusivement chez des enfants du sexe masculin, Quelquefois les individus paraissent PARALYSIE MUSCULAIRE AVEC HYPERTROPHIE. 619 apporter au monde la prédisposition à l'affection. Toujours est-il que chez un malade observé à ma clinique, dont l'histoire a été rapportée au long par mon ancien chef de clinique, le docteur Siegmund, dans sa dis- sertation inaugurale (Archiv far klinische Meclicin, vol. 1), et chez lui malade observé par Griesinger, on a pu constater qu'ils avaient appris à marcher très-tard et avaient toujours été assez gênés dans leurs mouvements. Naturellement le tableau de la maladie change selon les groupes muscu- laires atteints. Chez mon malade, l'affection a eu son point de départ dans les muscles fessiers. Tant que ces muscles étaient atteints seuls ou presque seuls, l'individu ne pouvait marcher qu'après avoir donné, à l'aide des bras, à sa tète et à ses épaules une position qui plaçait le centre de gravité der- rière le bassin, Aussitôt qu'il sortait de cette attitude, les hanches pliaient, el la partie supérieure du corps tombait en avant. A présent, la maladie est étendue à tous les muscles des extrémités inférieures ; le malade ne peut plus quitter le lit et ne peut changer de position qu'en faisant de grands efforts avec ses bras, Un fait extrêmement frappant, c'est le contraste entre l'augmentation de volume des muscles et la diminution de leur force de contraction, Chez mon malade, on dirait la tête et le tronc d'un faible enfant placés sur le bassin et les cuisses d'un homme robuste, La peau, au-dessus des muscles malades, est d'un rouge marbré et plus froide au toucher qu'à d'autres endroits. La contraetilité électrique des muscles malades est dimi- nuée comme dans toutes les paralysies musculaires, mais non abolie, Sauf Benedikt, qui dans trois cas prétend avoir obtenu des résultats posi- tifs moyennant le traitement électrique, je ne connais pas d'auteur qui ait publié des cas d'amélioration ou de guérison. Chez mes malades, qui avaient été longtemps traités par le galvanisme, d'après le précepte de .Benedikt, qui recommande d'appliquer le pôle négatif sur le ganglion cervical inférieur et le pôle positif, au moyen d'une large plaque, sur le côté de la colonne lombaire, cette méthode fut tout aussi inefficace que la faradisation long- temps continuée des muscles malades, MALADIES CONSTITUTIONNELLES J'ai donné aux maladies qui feront l'objet des sections suivantes le nom de maladies constitutionnelles, pour les distinguer des maladies d'organes décrites jusqu'à présent. Si j'ai choisi ce nom, c'est qu'il m'a semblé mériter, à raison de sa signification plus générale, la préférence sur celui dedyscrasies et de cachexies ou de maladies du sang que. j'avais eu d'abord l'intention d'adopter. — Je décrirai d'abord les maladies infectieuses aiguës, ensuite les maladies infectieuses chroniques, et finalement les anomalies générales de la nutrition indépendantes de toute infection, et je nie bornerai à parler des mala- dies qui se rencontrent dans nos contrées. Pour ce qui concerne les mala- dies exotiques, que je ne connais pas pour les avoir observées moi-même et pour l'histoire desquelles j'aurais par conséquent été forcé de m'en rapporter exclusivement aux descriptions données par d'autres auteurs, je renvoie aux excellents travaux de Griesinger et de Hirsch, qui donnent un exposé aussi succinct que complet de ces maladies. PREMIÈRE SECTION MALADIES INFECTIEUSES AIGUËS CHAPITRE PREMIER Rougeole. — >lorl»illi. — Rubeoltt. § 1. Pathogénie et étiologie. La.i'ddgeolë est Une maladie purement contagieuse. Il est positivement établi que jamais un individu ne contracte la rougeole sans avoir été infecté l>ar un individu atteint lui-même de cette maladie. On a objecté, il est vrai, que la rougeole n'a pas pu se développer par voie de contagion lors de sa première apparition, attendu qu'à cette époque il n'y avait pas encore d'in- dividu atteint de rougeole qui aurait pu en infecter d'autres, et l'on a prétendu que la rougeole ayant eu un caractère autocbthone au commencement, il n'y avait pas de raison pour nier la possibilité d'une manifestation autoçh- thone se renouvelant encore aujourd'hui. Ces raisonnements n'ont rien de sérieux. Nous ne savons rien sur l'origine de la rougeole, et ce fait qui aujourd'hui se laisse constater partout où il y a possibilité de bien poursuivre l'apparition et la propagation d'une maladie, à savoir, que jamais la rou- geole ne se présente sans avoir été importée, ce fait nous autorise à conclure qu'il doit en être de même dans les cas où il est impossible de prouver que les choses se soient passées de la sorte. La même remarque s'applique à la syphilis : nous savons que cette maladie ne se propage aujourd'hui que par une transmission directe d'individu à individu : la question de savoir de quelle manière le premier cas de syphilis a pris naissance se trouve placée en dehors du cercle des investigations scientifiques. — La substance infec- tante qui produit la rougeole, le virus morbilleux, n'a pu être constatée ni chimiquement ni microscopiquement. Nous ne savons même pas positive- ment si c'est une substance organisée ou non organisée, et l'hypothèse que la contagion dépend de la transmission d'organismes végétaux assez petits pour se soustraire à l'observation directe, ne mérite la préférence sur toutes ROUGEOLE, MORBILLI, RLBEOLÀ. 623 les autres hypothèses que pour cette seule raison qu'elle s'accorde mieux qu'elle avec les faits. Je me contenterai de citer quelques-unes des raisons que Ton a mises en avant pour appùvér cette hypothèse. La durée de l'in- cubation, c'est-à-dire les jours ou les semaines qui s'écoulent entre la con- tagion et l'invasion de la maladie, semble prouver que ce n'est pas une sub- stance hostile à l'organisme par ses propriétés physiques ou chimiques qui détermine la contagion. Si la transmission d'une substance de ce genre se taisait d'un corps à l'autre, ses effets fâcheux se manifesteraient immédiate- ment ou pour le moins après un temps très-court, et le corps infecté ne pourrait pas rester pendant huit à quinze jours sans présenter les signes d'un trouble qui, au bout de ce temps seulement, éclaterait subitement avec une grande violence. Mais si c'est par des organismes microscopiques qu'un indi- vidu atteint de rougeole infecte un individu sain, l'incubation est beaucoup plus facile à comprendre ; car on conclut tout naturellement que ces organismes se transmettent en trop petit nombre pour faire du tort à l'économie, mais qu'ils se reproduisent et se multiplient dans le corps infecté et manifestent leur influence nuisible immédiatement après que ce processus est arrivé à son terme, ce qui a lieu dans un temps déterminé, qu'on appelle la période d'incubation. Une autre cir- constance qui prouve que le virus de la rougeole est une substance orga- nisée, c'est sa reproduction dans le corps du malade infecté. Ainsi, par exem- ple, dans l'épidémie observée par Panuin sur les îles Faroër, l'importation d'un seul cas de rougeole fut suivie d'abord de l'infection delà famille du malade qui communiqua la maladie à d'autres habitants, si bien que dans l'espace de sept mois 6000 habitants sur 7782 furenl atteints de rougeole* Si les observations de Hallier venaient à se confirmer, on serait parvenu à constater dans ces derniers temps le contagium de la rougeole. Hallier a trouvé dans le sang et dans les crachats d'individus atteints de rougeole des cellules d'un champignon, qui germaient sur différents éléments et pro- duisaient-toujours un seul et même champignon, le mucor ■ fnucedo (ueras) Eres. — Jl est positivement établi que le sang, les larmes et la sécrétion des \ oies aériennes sont les véhicules du contagjum de la rougeole; car les ino- culations faites avec ces liquides ont fait éclore dans un grand nombre de cas la rougeole chez des individus jusqu'alors parfaitement bien portants. Mais la plupart des cas de maladie s'observanl chez des personnes <|ui n'ont été mises en contact direct ni avec le sang ni avec les produits de sécrétion d'un individu alleinl de rougeole et se sont simplement trouvées dans le voisinage de ce malade, il est hors de doute que le contagium est également contenu dans les émanations de la peau et du poumon d'individus atteints de rougeole. Quelques observations très-frappantes dePanum onl établi que ce contagium, contenu dans l'air, peut être transporté par les corps el les vêtements <\c> personnes saines qui ont séjourné dans le voisinage d'indi 624 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. vidus atteints de rougeole sans contracter elles-mêmes la maladie, et que ce transport peut s'effectuer à de grandes distances et à travers le vent et la pluie sans que le virus perde quelque chose de son activité. — La durée de l'incubation est de dix à quatorze jours. Dans une épidémie de rougeole exactement observée par moi, et sur laquelle le docteur Pfeilsticker a fourni des renseignements très-intéressants dans une thèse soutenue sous ma pré- sidence, les premiers sujets atteints n'étaient que des enfants fréquentant l'école, et juste dix.jours plus tard, ceux-ci étant retenus chez eux, la mala- die se déclara chez un nombre assez considérable d'enfants plus jeunes infectés par leurs aines. Dans quelques cas, surtout lorsque les individus infectés sont déjà atteints d'une autre maladie, l'incubation paraît se prolon- ger davantage. — La question de savoir à quelle période la rougeole se communique a reçu, d'après les observations faites jusqu'à présent, la solu- tion suivante : la maladie possède le caractère contagieux au plus haut degré pendant la durée de l'éruption, aucune contagion ne s'opère proba- blement pendant la desquamation, mais de nombreux faits tendent à établir la possibilité de la contagion même pendant la période prodromale. L'opi- nion répandue dans le public, d'après laquelle la rougeole serait surtout contagieuse pendant la période de desquamation, tient à cette circonstance que l'on ne tient pas compte de la durée de l'incubation. Chez l'enfant infecté par son frère ou sa sœur, la maladie se déclare, il est vrai, pendant que le premier atteint est en voie de desquamation ; mais la contagion remonte à la période d'état de l'éruption, ou peut-être même plus haut, à la période prodromale. Ce qui prouve la contagion pendant l'époque prodromale, c'est l'énorme extension que prend la rougeole par les écoles. On veille ordinairement avec beaucoup de soin à ce que les enfants dont la desquamation n'est pas achevée et à ce que ceux qui présentent un exanthème suspect soient tenus éloignés de l'école, mais on permet que des enfants atteints de toux et de coryza restent assis sur les bancs à côté d'enfants sains. Si les premiers transmettaient seuls la maladie, on ne s'expliquerait pas pourquoi, pendant le règne d'une épidémie, souvent une école est entièrement dépeuplée, tandis que les enfants fréquentant d'autres écoles restent complètement épargnés par la rougeole. — La prédis- position à cette maladie est très-répandue. Presque tout le monde est atteint une fois de rougeole dans le cours de la vie; mais aussi la première atteinte fait disparaître presque sans exception, pour tout le reste de la vie, la pré- disposition aune atteinte ultérieure. Comme dans les contrées très-peuplées, les épidémies de rougeole régnent assez souvent, la plupart des hommes con- tractent la maladie dès leur enfance, et, arrivés à un âge plus avancé, en ont totalement perdu la prédisposition. C'est uniquement dans ce sens qu'il faut appeler la rougeole une maladie de l'enfance. Sur 196 enfants de moins de quatorze ans, non encore atteints de rougeole, qui existaient dans un petit ROUGEOLE, MORBILLI, RUBEOLA. 625 village écarté des grandes routes, dans les environs de Tubingue, 4 85 con- tractèrent la maladie pendant l'épidémie observée par le docteur Pfeilsticker, il n'en resta donc que 11 d'épargnés. Dans les contrées isolées de toute communication, et pour cette raison rarement visitées par la rougeole, il est facile de s'assurer que la prédisposition à contracter cette maladie n'est pas plus forte chez, les enfants que chez les adultes. L'épidémie susmentionnée observée par Panum sur les îlesFaroër était depuis soixante-cinq ans la pre- mière qui se fût présentée sur ces îles reculées; aussi presque tous les habi- tants qui n'avaient pas dépassé l'âge de soixante-cinq ans ou qui n'avaient pas eu la maladie à l'étranger en furent-ils atteints sans distinction d'âge. Les enfants de moins de six mois restent souvent épargnés pendant les épidémies de rougeole. Dans celle que nous venons de mentionner aucun enfant ne tomba malade au-dessous de l'âge de cinq mois; par contre, à partir du sixième mois, ils furent atteints presque sans exception. Chez les individus déjà arrivés à la vieillesse, la rougeole est également assez rare. Les mala- dies aiguës et chroniques ne mettent pas à l'abii de la rougeole, pas plus que la grossesse et les couches; cependant, pour la raison déjà indiquée plus haut, on remarque assez" souvent que la rougeole n'éclate que quand une maladie aiguë, dans le cours de laquelle la contagion a eu lieu, a ter- miné son évolution. — La rougeole se montre par épidémies plus ou moins vastes; l'extension de l'épidémie, le nombre des sujets atteints dépendent principalement du laps de temps qui s'est écoulé depuis la dernière épidémie, et par conséquent du nombre d'individus qui jusque-là ont dû échapper à l'infection. C'est encore là un fait dont la maladie observée sur les îlesFaroër nous fournit un exemple bien concluant. Mais l'extension des épidémies parait aussi être influencée, jusqu'à un certain point, par les conditions atmosphériques ; car les épidémies de rougeole les plus nombreuses et les plus vastes tombent dans les mois d'hiver ou d'automne ou dans les étés froids ou humides. A l'extension plus grande de la maladie correspond également une intensité plus grande des cas particuliers, et les cas les plus malins se présentent ordinairement quand l'épidémie est arrivée à son apogée. § 2. Anatomie pathologique. L'exanthème normal de la rougeole a disparu après la mort, et il n'y a que les hémorrhagies dans le tissu du derme dont cet exanthème est parfois accompagné, qui laissent encore des traces sur le cadavre. Les modifications anatomiques qui pendant la vie s'aperçoivent sur la peau des individus atteints de rougeole, consistent en taches rouges très-nombreuses, arrondies, ayant la dimension d'une lentille, proéminant un peu au-dessus du niveau des parties environnantes et dont le centre est ordinairement occupé par tWEMEYER. lli — ftO 626 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. une petite papule. En quelques endroits, plusieurs taches se réunissent et forment des plaques irrégulières se rapprochant de la forme semi-lunaire, dans d'autres endroits les taches restent isolées. Entre les taches, le derme conserve sa couleur normale; à la face, il montre ordinairement un gonfle- ment œdémateux modéré. Les papules qui couvrent les taches de rougeole, quoiqu'elles siègent principalement à des endroits qui correspondent à des poils sortant de la peau, ne sont pas, d'après Simon, le résultat d'un gonfle- ment des follicules pileux ou sébacés, mais proviennent de petites collections d'un exsudât inflammatoire, qui se font dans des endroits circonscrits de la peau. — Quelquefois les taches de rougeole montrent une tendance extra- ordinaire à confluer (morbilli confluentes) ; cependant, même dans ces cas, la rougeur diffuse n'est pas uniforme, mais conserve un aspect inégal et ta- cheté. — Ce qui semble prouver que dans la plupart des taches de rougeole qui persistent pendant un certain temps, un très-petit épanchement sanguin dans le derme vient compliquer l'hypérémie, c'est que ces taches ne s'ef- facent que lentement et incomplètement sous la pression du doigt et laissent ordinairement pour quelque temps, à leur suite, des places colo- rées en brun sale. Dans quelques cas un extravasat plus abondant, déposé dans le derme, communique aux taches de rougeole une teinte foncée, d'un rouge sanguin, et l'on remarque alors parfois aussi des pétéchies entre les taches (rougeole pétéchiale, rougeole noire). La terminaison mortelle de la rougeole étant amenée, dans un grand nombre de cas, par des complications de laryngite croupale, de bronchite pu de pneumonie, on trouve souvent dans le cadavre d'individus morts de cette maladie, des modifications anatomiques qui appartiennent aux inflam- mations que nous venons de nommer. Lorsque la mort est amenée par la laryngite, c'est par une laryngite croupale. Cependant, dans ce croup secondaire, on trouve plus rarement que dans le croup ordinaire ou idiopa- thique des pseudo-membranes cohérentes. Par contre, l'exsudation infiltre ordinairement la couche la plus superficielle de la muqueuse, ce qui fait que le processus se rapproche plutôt de l'inflammation diphthéritique des muqueuses. Les lésions que l'on rencontre plus souvent que toutes les autres dans les cadavres d'enfants morts de la rougeole sont celles d'une bronchite capillaire ayant entraîné soit une dilatation inspiratoire perma- nente des alvéoles pulmonaires confondue avec l'emphysème vésiculaire par la plupart des auteurs (voy. vol. I, p. 83), soit le collapsus pulmonaire de la pneumonie catarrhale (voy. vol. I, p. 223). Le sang ne montre pas de modifications caractéristiques, mais il est, comme dans d'autres maladies infectueuses, pauvre en fibrine, liquide et d'une teinte foncée. ROUGEOLE, MORB1LLI, RUBEOLA. 627 §3. Symptômes et marche. Pendant V incubation, il n'y a aucun signe d'infection. A la période d'incu- bation se rattache la première période de la rougeole, autrement dit la pé- riode prodromale. Débutant rarement par un frisson marqué, plus souvent par de petits frissons répétés et accompagnée de tous les symptômes d'un violent catarrhe fébrile de la conjonctive et des voies aériennes,, cette pé- riode ne peut être bien appréciée que par le fait même de l'épidémie ré- gnante. Tant que l'on ignore l'existence de cas de rougeole dans la localité habitée par les malades ou dans les environs, le médecin même le plus habile ne pourra guère reconnaître la période prodromale de la rougeole dans la fièvre catarrhale qu'il aura sous les yeux. La fréquence augmentée du pouls, l'élévation de la température du corps, le trouble de l'état général, les maux de tête et les douleurs articulaires, la dyspepsie, les nausées, les vomissements, le sommeil agité, et, chez les enfants très-excitables, même le délire : voilà autant de symptômes qui se présentent aussi dans le cours de catarrhes simples, dus à des refroidissements. Les phénomènes locaux sont le plus souvent d'une intensité très -grande; les yeux brûlants et rouges craignent le contact de la lumière et sont continuellement remplis de lar- mes, le front est douloureux, le nez enchifrené; il s'en écoule une sécrétion salée, limpide et abondante, les enfants éternuent à de très-courts inter- valles, quelquefois pendant des heures entières, presque sans interruption ; quelquefois il se produit même des épistaxis, la voix est ordinairement en- rouée, la toux, sèche et pénible, est rauque et aboyante; pendant la nuit, la famille est très-souvent effrayée par les phénomènes précédemment dé- crits du pseudo-croup (vol. I, p. 8). L'affection catarrhale paraît débuter ordinairement dans le nez et s'étendre de là en haut vers la muqueuse des sinus frontaux et la conjonctive, et en bas vers la muqueuse du larynx et de la tranchée. Généralement, la période prodromale, pendant laquelle les phénomènes que nous venons de décrire montrent une intensité plus ou moins grande, a une durée de trois jours. Cependant, il y a des cas dans lesquels elle se prolonge pendant une semaine ou plus longtemps, et d'autres où elle n'est représentée que par quelques indices insignifiants qui passent facilement inaperçus. Même dans les épidémies malignes, la fièvre qui pré- cède l'apparition de l'exanthème atteint rarement une intensité telle que la vie en soit menacée, comme c'est le cas pour la fièvre d'éruption de la scarlatine. De même, les phénomènes locaux de la période prodromale de la rougeole, quelque fatigants qu'ils puissent être et quelles que soient les inquiétudes que souvent ils inspirent à la famille du malade, comme cela est surtout le cas pour la toux crdupale et les accès de dyspnée nocturne, n'ont généralement encore rien de dangereux dans cette période. Le vrai 628 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. croup est rare à ce moment. Les recherches faites par Pfeilsticker sur la marche de la fièvre pendant la période prodromale, prouvent que la plus haute température correspond au premier jour de cette période, et que les jours suivants la température baisse progressivement jusqu'au moment de l'éruption. Ziemssen et Rehn rapportent même des cas où la température du corps, après être montée le premier jour à un niveau très-élevé, devint tout à fait normale les jours suivants, pour ne se relever rapidement qu'avec l'apparition de l'éruption. Rehn observa pendant la période prodromale des taches d'un rouge pâle, un peu effacées, sur la muqueuse de la joue, des gencives, des lèvres et du palais, et considère l'élévation considérable de la température au début de la période prodromale, comme la fièvre d'érup- tion de cet exanthème. La seconde période de la rougeole, la période d'éruption, est signalée par une exacerbation de la fièvre; la fréquence du pouls augmente, la tempé- rature du corps atteint le degré le plus élevé; dans quelque cas, il survient des accès convulsifs. En même temps apparaît l'exanthème décrit au para- graphe premier, d'abord à la face, surtout autour de la bouche et des yeux. L'exanthème descend de là vers le cou et la poitrine; déjà, au bout de vingt-quatre heures, il est généralement arrivé jusqu'aux pieds, de sorte que tout le corps est couvert de taches de rougeole. Les émanations du ma- lade ont pris vers cette époque une odeur singulière dont la prétendue res- semblance avec celle d'oies fraîchement plumées, m'a cependant échappé. — Dans quelques cas rares, qui se distinguent ordinairement aussi par d'autres anomalies, l'exanthème, au lieu de descendre de la face aux extré- mités, commence par se montrer aux bras et aux jambes, et ne gagne que plus tard d'autres endroits. Plus rarement encore, il arrive que l'exan'.Liènie reste limité à quelques régions du corps, ou qu'au moins il n'y a que des taches isolées qui annoncent sa présence sur le reste de la surface cutanée. — A ces cas se rattache la rougeole sans exanthème (morbilli sine exanthe- mate), due incontestablement à l'infection par le virus morbilleux, mais of- frant depuis le commencement jusqu'à la fin les phénomènes d'une fièvre calarrhale extraordinairement violente, sans production d'exanthème. Enfin, nous avons à mentionner des cas dans lesquels l'exanthème se développe avec une lenteur telle, que la période d'éruption n'est pas terminée en vingt-quatre ou trente-six heures, mais se prolonge jusqu'au troisième ou au quatrième jour. Dans ces cas, les dernières taches de rougeole souvent ne se montrent qu'au moment où les premières commencent à pâlir. Dans le cours de la période d'éruption, le trouble de l'état général et les phéno- mènes catâVrhaux deviennent ordinairement plus considérables et attei- gnent leur summum d'intensité, quand l'exanthème a pris tout son déve- loppement. La période d'état (stàdium florescentiœ) ne peut être bien nettement séparée ROUGEOLE, MOR ILLI, RUBEOLA. 629 de la période d'éruption ; car dans la plupart des cas l'exanthème est le plus intense précisément au moment où son éruption est terminée, et le plus souvent il se met à pâlir lentement déjà au bout de vingt-quatre heures. La fièvre qui, en général, est arrivée à son summum d'intensité, aussitôt que l'éruption est arrivée à son terme, se modère promptement et se perd quel- quefois si complètement pendant la période d'état, que les parents ont de la peine à retenir au lit les petits patients encore couverts de taches rouges, qui se sentent fort à l'aise et reprennent déjà leur ancienne pétulance. Les phénomènes catarrhaux persistent, il est vrai, pendant la période d'état; mais leur intensité est déjà fort diminuée; la photophobie est moindre, la sécrétion de la muqueuse nasale plus rare et plus épaisse, l'éternument se répète moins souvent, la voix est moins rauque, la toux plus grasse, et les enfants d'un certain âge, qui n'avalent plus leurs crachats, rejettent des quantités plus ou moins grandes de matières muco-purulentes (crachats cuits). Le troisième ou le quatrième jour après leur apparition, les taches de rougeole, surtout celles qui se sont développées les premières, ont géné- ralement déjà pâli d'une manière fort évidente; les jours suivants, les taches qui se sont montrées plus tard pâlissent à leur tour et s'effacent en laissant à leur suite une teinte jaune clair de la peau, qui ne se dissipe qu'après un temps plus ou moins long. La quatrième période de la rougeole, la période de desquamation, succède, dans les cas bénins, ordinairement vers le huitième ou le neuvième jour de la maladie, à la période d'état. A cette époque, les taches de rougeole sont en général complètement dissipées, et aux endroits où elles avaient leur siège, on remarque une desquamation furfuracée de l'épidémie. Dans les cas où une moiteur continue a pour effet de ramollir et de macérer les la- melles détachées de l'épidémie, cette desquamation n'est pas aussi appa- rente que lorsque la peau est sèche ; voilà pourquoi on l'aperçoit moins aux endroits maintenus sous les couvertures qu'à la face, au cou et aux mains. La fièvre a presque toujours disparu dans la période de desquamation ; le catarrhe, à son tour, disparaît peu à peu, et vers le quatorzième jour de la maladie ou un peu plus tard la desquamation est terminée et avec elle le processus morbilleux a parcouru ses périodes. Dans un grand nombre de cas, la maladie suit la marche que nous venons de décrire, sauf quelques modifications insignifiantes. Les cas dans lesquels on n'observe rien qui s'écarte d'une manière essentielle de la marche à peu près normale delà maladie, dans lesquels aucun phénomène extraordinaire n'accompagne les différentes périodes de la rougeole, sont généralement désignés sous le nom de rougeole vulgaire, simple ou éréthique. bans d'autres cas, connus sous les noms de rougeole inflammatoire ou srjno- chale, l'apparition de l'exanthème est signalée par des symptômes violents; les taches, serrées les unes contre les' autres et confluant entre elles, ne 630 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. commencent pas à pâlir dès les premières vingt-quatre heures, mais prennent au bout de ce temps une teinte plus foncée et restent apparentes pendant cinq à six jours. Quelquefois l'exanthème prend une couleur -violette ou bleuâtre et ne disparaît pas sous la pression du doigt. Ce phénomène dépend d'une déchirure partielle des capillaires gorgés de sang et peut être comparé aux hémorrhagies qui se produisent également dans d'autres affections in- flammatoires. Ce qui prouve la justesse de cette manière de voir, c'est que la forme de la rougeole hémorrhagique dont il est ici question se distingue ordinairement par une marche bénigne et ne se complique nullement des symptômes d'une dissolution du sang. Les phénomènes fébriles qui accom- pagnent la rougeole dite inflammatoire ou synochale ont, en effet, de la ressemblance avec les phénomènes fébriles que l'on observe ordinairement dans le cours des inflammations aiguës. L'activité du cœur est augmentée, les carotides battent avec force, le pouls est fort et plein, sa fréquence est augmentée, mais non excessive, la température du corps s'élève peu au delà de U0°. De mênle que l'exanthème, les phénomènes qui se produisent sur les muqueuses se distinguent dans la rougeole synochale par une inten- sité et une extension plus grandes. Tant que l'exanthème est en pleine efflo- rescence, la photophobie, le coryza et la toux se maintiennent également au même niveau. C'est encore dans cette forme que l'on voit surtout la laryn- gite croupale se manifester au lieu de la laryngite catarrhale, l'inflammation des voies aériennes se propager jusque sur les alvéoles pulmonaires, et quelquefois même la muqueuse gastro-intestinale être envahie par le ca- tarrhe (rougeole gastrique). Si une toux rauque et aboyante et la dyspnée qui caractérise la laryngite croupale se déclarent dans la période d'état de la rougeole, l'état des malades est loin d'offrir aussi peu de danger que si les mêmes symptômes accompagnent la période prodromale de cette affection ; au contraire, la maladie prend très-facilement dans ces cas une tonrnure fâcheuse, la dyspnée augmente, la respiration devient incomplète, les en- fants s'affaissent, l'exanthème disparaît en même temps que la turgescence de la peau, ou bien il n'en reste que des taches bleues, ne disparaissant pas sous la pression du doigt, si des hémorrhagies dans le tissu du derme coïn- cidaient avec l'éruption. Quant aux modifications que l'extension du catarrhe aux dernières ramifications bronchiques imprime au tableau de la rougeole synochale, nous renvoyons le lecteur au premier volume, où nous avons décrit les symptômes de la bronchite capillaire et signalé les dangers de cette complication, surtout chez les enfants. — De même, les symptômes du col- lapsus pulmonaire et de la pneumonie catarrhale, tels que nous les avons également décrits au premier volume, nous permettront de juger dans quels cas nous devons croire à une complication de la rougeole par ces maladies. C'est précisément aux nombreuses observations de collapsus pulmonaire et de pneumonie catarrhale qui se présentent dans les vastes épidémies de ROUGEOLE, MORBILLI, RUBEOLA. 631 rougeole que nous devons nos connaissances plus approfondies sur l'anato- mie pathologique et la symptomatologie de ces deux affections. — Une maladie qui vient compliquer la rougeole synoehale beaucoup plus rare- ment que la pneumonie catarrhale, c'est la pneumonie farineuse, qui ne frappe ordinairement qu'un seul côte, tandis que la pneumonie catarrhale est presque toujours double ; de plus, la fièvre qui accompagne la pneumo- nie fibrineuse se distingue par l'uniformité de sa marche et de sa durée et sa brusque disparition, tandis que celle qui accompagne la pneumonie ca- tarrhale prend ordinairement une marche traînante et se perd insensible- ment. Les complications que nous venons de nommer modifient d'une ma- nière notable la marche de la fièvre qui accompagne la rougeole. C'est ce qui s'applique avant tout aux processus pneumoniques. Tandis que dans la rougeole non compliquée la fièvre, arrivée au point culminant qu'elle atteint au summum de l'éruption, décroît régulièrement et souvent avec une très- grande rapidité, elle peut atteindre son plus haut niveau beaucoup plus tard, lorsqu'il y a complication de pneumonie catarrhale ou eroupale. — Lorsque, dans une rougeole compliquée d'affection grave des organes respiratoires, l'insuffisance de la respiration ou l'exagération de la fièvre entraîne l'affais- sement des malades, l'éruption pâlit et peut disparaître entièrement en très-peu de temps. Ce phénomène est souvent mal interprété, la rétrocession de l'éruption étant considérée comme la cause et non comme la conséquence de la grave atteinte de l'état général et des phénomènes dangereux offerts par les organes respiratoires. On cite enfin une troisième forme, la rougeole asthéniquc, typhique ou septique. Dans cette forme, éminemment maligne, de la maladie, le danger ne consiste pas dans l'extension de l'affection sur les petites bronches ou dans des complications fâcheuses, mais dans l'influence pernicieuse que l'intoxi- cation morbilleuse exerce sur l'ensemble de l'organisme. La rougeole a cela de commun avec la plupart des autres maladies infectieuses aiguës, que les épidémies qui se produisent à différentes époques diffèrent extrêmement sous le rapport des troubles que l'infection fait subir à l'état général. Un mé- decin qui n'a observé que des épidémies de rougeole éréthique ou synoehale, telles qu'en Allemagne au moins elles ont exclusivement régné dans ces dix dernières années, peut facilement se laisser aller à croire qu'une intoxication morbilleuse altère peu l'ensemble de l'organisme. Mais cette opinion ne résistera pas à la première observation de cas de rougeole asthénique ou septique. Déjà, pendant la période prodromale, le pouls, d'abord plein et vigoureux, peut devenir petit, faible et d'une fréquence extraordinaire -, l'affaissement des malades peut devenir extrême, le sensorium s'embarrasser, La langue devenir sèche et croùteuse, cl même il peut arriver que les ma- lades succombent aux progrès de la prostration, quelquefois interrompue par des attaques d'éclampsie, avant même que l'exanthème soit devenu bien 632 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. apparent. Dans d'autres cas, cet ensemble de phénomènes typhoïdes, auquel s'ajoutent souvent des épistaxis fréquentes, ne se déclare qu'après l'éruption de l'exanthème ou n'atteint qu'à ce moment un niveau dangereux. L'exan- thème, dont l'apparition se fait ordinairement d'une manière irrégulière, est tantôt d'un rouge pâle, tantôt d'un violet bleuâtre par l'effet de l'hémor- rhagie qui se fait en même temps dans le tissu du derme ; quelquefois des pétéchies se montrent entre les taches de rougeole proprement dites, ou bien il reste des tâches bleuâtres après que l'exanthème a rapidement disparu. Chez la plupart des malades, le pouls devient petit et très-difficile à compter, les extrémités se refroidissent malgré la chaleur brûlante du tronc, et ils meurent au milieu des phénomènes soporeux accompagnés ou non de con- vulsions générales. — Les observations faites jusqu'à présent ne permettent pas de décider sûrement siPadynamie et la paralysie générale qui se décla- rent dans le cours de la rougeole, et qui donnent lieu à la forme dite asthé- nique, typhique ou septique de cette maladie, sont la conséquence directe de l'intoxication du sang, ou bien si elles dépendent de l'extrême élévation de température qui se produit à la suite de l'infection. Ce qui parle en faveur de cette dernière hypothèse, c'est que dans le cours de maladies non infec- tieuses, le pouls devient également petit et faible aussitôt que la température du corps a dépassé un certain niveau, et que dans ces conditions on voit aussi apparaître les mêmes phénomènes typhoïdes. Un deuxième fait, éga- lement favorable à l'hypothèse en question, c'est que les remèdes qui abaissent la température du corps exercent une influence notoirement favo- rable sur ces phénomènes. La toux, lorsqu'elle persiste pendant la période de desquamation, forme une transition aux maladies consécutives à la rougeole ; il n'est pas rare, en effet, que cette toux persiste encore pendant des semaines et des mois après le renouvellement de 1'épiderme et que les causes les plus insignifiantes suf- fisent pour l'exaspérer. Dans beaucoup de cas cette toux paraît dépendre d'un simple catarrhe bronchique, et ce qui en fait l'opiniâtreté et les exarcer- batioris temporaires, c'est la vulnérabilité plus grande- de la muqueuse bron- chique ou la sensibilité exagérée de la peau extérieure, qui peuvent survivre à la rougeole ; mais dans d'autres cas cette toux est d'une signification plus fâcheuse et dépend d'une grave maladie pulmonaire. Il est parfaitement constaté aujourd'hui que la rougeole laisse très-souvent à sa suite une phthisie pulmonaire, et qu'à raison de ce fait, après une épidémie étendue de rou- geole, la mortalité parmi les enfants est généralement plus grande pendant un certain nombre d'années qu'à d'autres époques. Par contre, je considère comme très-sujette à caution l'opinion ordinaire d'après laquelle la phthisie pulmonaire chronique, dont la rougeole est si souvent le point de départ, serait due constamment ou principalement à un dépôt de tubercules qui se ferait dans le poumon ou au ramollissement de tubercules existant déjà dans ROUGEOLE. MORBILLI, RUREOLA. 633 le poumon. La plupart des cas de phthisie pulmonaire chez les enfants ne sont pas dus, en effet, au dépôt ni au ramollissement de tubercules miliaires, mais à la transformation caséeuse et à la fonte de foyers pneumoniques lo- bulaires, ordinairement compliqués d'une dégénération caséeuse des glandes bronchiques. Or, comme les pneumonies lobulaires comptent parmi les complications les plus fréquentes de la rougeole, il semble très-naturel d'at- tribuer la fréquence de la phthisie pulmonaire, comme maladie consécutive à la rougeole, aux métamorphoses ultérieures de ces foyers inflammatoires non résorbés. Je n'entends nullement dire par là qu'une tuberculose pul- monaire proprement dite ne puisse jamais figurer parmi les maladies consé- cutives à la rougeole, et cela d'autant moins que j'ai vu moi-même plusieurs fois une tuberculose miliaire aiguë succéder immédiatement à la rougeole, mais je veux seulement dire que, dans la grande majorité des cas, la phthi- sie pulmonaire consécutive à la rougeole dépend d'une pneumonie chro- nique destructive. Outre le catarrhe chronique des bronches et la phthisie pulmonaire simple, nous aurons à mentionner parmi les maladies consécu- tives à la rougeole toute la série des affections scrofuleuses, telles qu'ophthal- mies, otorrhée, rhinite chronique, gonflements ganglionnaires, inflam- mations chroniques du périoste et des articulations. Toujours est-il que fort souvent des enfants, qui n'avaient présenté aucun symptôme de scrofulose, mettent de longues années à traverser les différentes phases de cette ano- malie chronique de la nutrition, une fois qu'ils ont contracté la rougeole. Parmi les maladies heureusement assez rares qui peuvent succédera la rou- geole, il nous reste à mentionner la gangrène des grandes lèvres et la gan- grène de la bouche, le noma, qui se montre déjà dans la période de desqua- mation , et la diphthérite de la muqueuse buccale , autrement dit la stomacace. § lx. Traitement. En fait de mesures prophylactiques, la seule efficace consiste à isoler sé- vèrement les individus sains et n'ayant jamais encore eu la maladie de ceux chez lesquels la rougeole a déjà éclaté, aussi bien que de ceux que l'on soupçonne simplement de se trouver dans la période prodromale. Si l'on veut préserver les enfants de la contagion, il est indispensable de les tenir éloi- gnés de l'école ; ce qui vaut encore mieux, c'est de leur faire quitter la loca- lité infectée pour tout le temps que dure l'épidémie. Évidemment, on n'a recours à ces mesures que lorsqu'il s'agit d'une de ce ces épidémies rares qui se distinguent par leur malignité et leur mortalité extraordinaires; si les épidémies sont bénignes, on se dispensera de les employer pour la raison très-simple que presque tous les hommes contractent tôt ou tard la rou- geole. — La rougeole inoculée n'étant pas plus bénigne que la rougeole 634 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. spontanée, et les épidémies malignes régnant fort rarement, l'inoculation de la rougeole pendant le règne d'épidémies bénignes n'a pas trouvé de parti- sans. Lorsque la rougeole a éclaté chez un individu, on doit se rappeler que nous ne possédons aucun moyen qui nous permette d'abréger la durée de la maladie, et, en outre., que les remèdes à l'aide desquels on a l'habitude de combattre les différents symptômes de la rougeole sont, non-seulement peu sûrs, mais exercent souvent aussi une influence fâcheuse sur la marche de la maladie, — enfin, que la rougeole guérit complètement dans l'immense majorité des cas sans aucune espèce de traitement. Si l'on est bien pénétré de ces faits, on s'abstiendra de prescrire des remèdes inutiles et souvent nui- sibles : à beaucoup d'individus atteintsde rougeole, et peut-être à la plupart d'entre eux, on ne prescrira aucun médicament, et l'on se contentera de leur recommander un régime convenable, se réservant d'agir avec énergie quand un véritable danger viendra menacer le malade. 11 faut avant tout maintenir autour de l'enfant, pendant toute la durée de la rougeole, une température égale, pas trop élevée. Le médecin doit exiger que la tempéra- ture de l'appartement soit réglée au thermomètre et non d'aprèsla sensation de chaleur toute subjectivedes personnes qui entourent le malade. Cette tem- pérature doit être de 13 à 15° Réaumur. — Il faut, en outre, aérer jour- nellement la chambre du malade, en ayant soin de lui couvrir pendant cette opération la tête et la face d'un drap léger et d'entourer le lit d'un paravent. — L'usage, fort répandu autrefois, de laisser les individus atteints de rou- geole, pendant au moins quinze jours, sans les laver et sans renouveler leur linge, a été avec raison abandonné de nos jours, parce que l'on est arrivé à se convaincre que quelquefois l'exanthème rentre malgré ce manque de soins de propreté, mais que le plus souvent une toilette minutieusement re- nouvelée tous les jours ne le fait pas rentrer. Cependant, un tort tout aussi grave que les exagérations dont nous venons de parler serait de négliger les précautions indispensables pour laver le malade et renouveler son linge de corps. Ces deux opérations doivent être faites rapidement et sans que le ma- lade soit découvert plus qu'il ne faut. L'eau tiède doit être préférée à l'eau froide ou trop chaude pour le laver. Le linge de corps et les draps ne doivent pas être mis en contact avec la peau du malade en sortant de l'armoire ; mais on aura soin d'abord de les chauffer et de les bassiner convenablement, ou mieux encore de les donner en usage pour une nuit à une personne saine avant de s'en servir pour le malade. — La clarté de l'appartement doit être modérément diminuée à raison de la conjonctivite et la photophobie. Si l'on pousse cette précaution à l'excès en mettant aux fenêtres d'épais rideaux verts, on fait empirer l'affection des yeux ; car, dans ce cas, les malades sont éblouis et péniblement affectés toutes les fois que la porte s'ouvre et que la lumière pénètre dans l'appartement. — Dans la période prodromale, aussi bien que pendant la période d'éruption, il y a lieu de soumettre le malade ROUGEOLE, MORBILLI, RUBEOLA. 635 à la diète absolue : tout au plus pourra-t-on permettre un peu de soupe maigre, un peu de pain de gruau et quelques fruits cuits en cas de consti- pation. Si la fièvre se perd dans la période d'état, on peut accorder du bouillon et du lait, et revenir peu à peu au régime habituel pendant la pé- riode de desquamation. Comme boisson, on peut donner sans inconvénient de l'eau pure qu'on a laissée séjourner pendant quelque temps dans la chambre ; car jamais cette permission n'a été suivie du moindre accident, jamais les différents symptômes de la maladie n'en ont été, ne serait-ce que temporairement, aggravés. Il est, au contraire, cruel et même nuisible de refuser aux malades consumés par la fièvre et la soif le seul soulagement qu'ils réclament et de les forcer à boire au lieu d'eau fraîche de l'eau chaude ou des infusions chaudes. Les boissons édulcoréessont parfaitement inutiles; car elles répugnent bientôt au malade et ne modèrent nullement la toux comme bien des personnes se l'imaginent. — Le temps que les malades doivent passer au lit ou dans la chambre ne peut être fixé, comme on a l'ha- bitude de faire, à un nombre de jours ou de semaines déterminé ; il faut, au contraire, insister à maintenir les individus au lit aussi longtemps qu'existe le plus léger symptôme de fièvre, pendant toute la durée de la desqua- mation, et tant que le catarrhe morbilleux n'est pas entièrement passé, que les quinze jours et les six semaines ordinairement de rigueur, les premiers pour le séjour au lit, les secondes pour le séjour dans l'appartement soient passés ou non. Même lorsque les malades sont complètement guéris, le mé- decin doit les surveiller pendant plusieurs semaines et combattre avec la plus grande sollicitude la toux la plus légère et la plus insignifiante en appa- rence. Parmi les accidents qui, dans le cours de la rougeole, réclament une intervention énergique, la plupart des auteurs citent toujours encore en première ligne la rétrocession de l'exanthème dont le rappel est considéré par eux comme la tâche la plus importante de la thérapeutique. Nous n'hé~ sitons pas, pour notre part, à déclarer que, formuler une indication pa- reille, c'est tenir une conduite aussi peu scientifique que dangereuse pour le malade. Le danger consiste ici dans la facilité avec laquelle on se laisse aller à des mesures qui ont une influence fâcheuse sur la marche de la maladie. La prétendue rétrocession de l'exanthème est, d'après ce que nous avons eu l'occasion de dire antérieurement, non la cause, mais l'effet d'une aggra- vation survenue dans le cours de la maladie, et ce qui l'amène, c'est le collapsus général du malade, auquel la peau prend part comme le reste de l'organisme ; or cette aggravatiou a généralement sa raison d'être, comme cela a été dit également plus haut, dans le développement de complications, surtout de pneumonies lobulaires. Si l'on ignore ces faits, qu'on frotte la peau avec des teintures et des liniments irritants, qu'on plonge le sujet dans un bain chaud additionné de farine de moutarde ou de potasse caustique, OU qu'on l'enveloppe de draps imbibés d'une décoction chaude de farine de 636 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. moutarde pour rappeler l'éruption, on fera souvent beaucoup de mal, en supposant même que ce but soit momentanémeni atteint, et cela pour la raison très-simple que les procédés qui viennent d'être mentionnés ont une influence fâcheuse sur la pneumonie et la plupart des autres complications et qu'elles exagèrent la fièvre. — Parmi les symptômes de la période pro- dromale, les accès d'enrouement, d'aphonie et de dyspnée intense, qui surviennent principalement pendant le sommeil, réclament les mêmes pres- criptions que nous avons recommandées pour ces accès, loisqu'ils se pré- sentent chez les enfants dans le cours de catarrhes laryngés simples, à savoir avant tout : des vomitifs, des éponges trempées dans l'eau chaude qu'on fait appliquer sur le cou et des boissons chaudes prises en abondance (vol. 1). Si la toux est extraordinairement violente et opiniâtre, on fait bien de donner 25 à 50 centigrammes de poudre Dower le soir aux adultes, et de donner aux enfants, pour lesquels les préparations opiacées sont dangereuses, surtout quand ils ont de la fièvre, de petites doses d'extrait de laitue vireuse ou une infusion faible d'ipécacuanha (20 centigrammes sur 120 grammes d'eau, avec 15 grammes de sirop). — Si la fièvre montre dans la période d'éruption et dans la période d'état un caractère synochal, il n'y a pas d'objections à faire contre l'administration du nitrate de soude, quoique certainement on parvienne rarement à prévenir par cette prescription des complications in- flammatoires. Un remède qui demande de plus grandes précautions, c'est l'administration du tartre stibié, parce que de forts vomissements et une diarrhée abondante sont nuisibles pour les enfants atteints de rougeole, et entraînent facilement un affaissement subit qui peut même se produire, chez les individus atteints de rougeole dite inflammatoire. — La laryngite et la pneumonie qui compliquent la rougeole sont à traiter selon les règles expo- sées pour le traitement des formes primitives de ces inflammations, quoique ici les chances de succès soient beaucoup moindres ; il en est de même des autres complications de la rougeole. Les prescriptions les plus usuelles contre la rougeole asthénique, typhoïde etseptique sont les décoctions de quinquina, les acides minéraux et les médicaments stimulants. Dans ces derniers temps, je n'ai pas eu l'occasion d'observer cette forme de rougeole maligne ; mais si l'on venait à découvrir que la température du corps atteint dans son cours un niveau extraordinaire, l'expérience que j'ai acquise dans les formes ana- logues d'autres maladies infectieuses, ne me permettrait pas d'hésiter d'en- velopper les malades, même dans la rougeole, de draps humides et froids, en ayant soin de renouveler ces applications à de courts intervalles, et d'ad- ministrer la quinine à haute dose. FIEVRE SCARLATINE. 637 CHAPITRE II Fièvre scarlatine. § 1. Pathogénie et étiologie. La fièvre scarlatine est une maladie contagieuse, fait qui, sans compter quelques essais d'inoculation couronnés de succès, a été prouvé par les cas nombreux et notoires d'importation de la maladie d'un endroit à un autre. On ne peut pas affirmer d'une manière aussi positive que la transmission de la maladie par voie de contagion soit le seul mode de propagation de la fièvre scarlatine, et que le virus scarlatineux ne se développe jamais sur place. Toujours est-il que dans les localités où la propagation d'une maladie est facile à contrôler, on a observé la manifestation d'épidémies scarlati- neuses dont l'importation n'était ni prouvée ni même probable. — Nous connaissons aussi peu le virus de la scarlatine que le virus de la rougeole. — La contagion d'individus qui ont séjourné dans le voisinage de personnes atteintes de scarlatine, sans avoir été en contact immédiat avec elles, semble prouver que le virus est contenu dans les émanations du malade et se trouve mêlé à l'air ambiant. De même, il résulte de faits positivement établis que la contagion peut être transporté au loin par des personnes intermédiaires qui restent elles-mêmes épargnées de la maladie tout en la communiquant à d'autres. Les expériences faites jusqu'à présent ne permettent pas de dé- cider si le sang et les sécrétions peuvent également devenir les véhicules de la fièvre scarlatine. — La durée de l'incubation parait être plus courte pour la scarlatine que pour la rougeole et ne pas aller au delà de huit à neuf jours. A raison de la difficulté qu'on éprouve à constater le moment bien précis où l'infection a eu lieu, cette évaluation n'a cependant aucun caractère de certitude, et pour la même raison il n'est pas possible de dire positivement dans quelle période la fièvre scarlatine est contagieuse. La prédisposition à la fièvre scarlatine est beaucoup moins répandue que la prédisposition à la rougeole ; bien des individus restent épargnés de cette affection pendant leur vie entière. -- Les individus qui ont traversé une première fois la scarlatine peident sans exception la prédisposition à des attaques ultérieures. — Les enfants à la mamelle restent souvent épargnés pendant les épidémies; les enfants qui ont dépassé l'âge de deux ans apportent la prédisposition la plus prononcée à contracter la maladie. Tou- tefois, il arrive également que des individus qui, pendant leur enfance, ont échappe à la scarlatine, la contractent à l'âge adulte, et même pendant la vieillesse on ohserve quelques cas de cette affection. — Dans les grandes villes, 638 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. il parait que la fièvre scarlatine ne s'éteint jamais complètement; les causes qui président aux envahissements temporaires de la maladie et transforment subitement une manifestation longtemps sporadique de cette affection en véritable épidémie, sont encore inconnues. Il en est de même des causes de ces grandes différences qui existent entre les épidémies sous le rapport de leur bénignité ou de leur malignité relative. Les épidémies de scarla- tine régnent principalement, mais non exclusivement, en automne et au printemps : elles se suivent à des intervalles plus ou moins longs et sont d'une durée très-variable. § 2. Anatomie pathologique. Les modifications anatomiques qui. pendant la vie, se manifestent dans la peau sont celles d'une inflammation érythémateuse très- étendue ; car elles consistent en une hypérémie intense et en un œdème inflammatoire des couches superficielles du derme. La rougeur de la peau due à l'hypérémie commence par petits points très-nombreux et extrêmement rapprochés, qui deviennent bientôt confluents et forment alors une surface d'un rouge uni- forme (scarlatina lœvigata). La rougeur de la peau reste limitée bien plus rarement à des endroits isolés, de grandeur différente, de forme irrégulière, ou bien on aperçoit des taches d'un rouge plus foncé sur un fond rouge pâle (scarlatina variegata). Plus rarement que dans la rougeole on voit se former une collection de l'exsudat inflammatoire, dans quelques endroits circonscrits du tissu cutané, et donner lieu à de petites papules (scarlatina papulosa). Par contre, l'exsudat versé à la surface soulève assez souvent l' épidémie en nom- breuses petites vésicules (scarlatina miliaris ou vesicularis) ou en bulles plus grandes, remplies d'un liquide limpide ou trouble et coloré en jaune (scar- latina pémphigoïdea ou pustulosa). Dans les cas malins, l'hypérémie du derme se complique quelquefois d'hémorrhagies plus ou moins étendues, donnant lieu à des pétéchies et à de vastes ecchymoses. — Si la mort est survenue au point culminant de la maladie, la peau des cadavres paraît quelquefois de- venue plus épaisse et plus ferme par l'infiltration, et assez souvent on y trouve de petites vésicules desséchées et des pétéchies d'une teinte noirâtre^ qui n'ont pas pu disparaître après la mort comme l'hypérémie. L'infection par le virus scarlatineux conduit à l'inflammation de la mu- queuse pharyngienne tout aussi constamment qu'à celle de la peau. La forme la plus ordinaire de l'angine scarlatineuse est la forme catarrhale (vol. ï)j dans laquelle la muqueuse du voile du palais, des amygdales et du pharynx se montre d'un rouge foncé, tuméfiée, d'abord sèche et plus tard couverte d'abondantes mucosités. Dans les épidémies malignes, la fièvre scarlatine se localise assez souvent sur la muqueuse pharyngienne sous la forme d'une FIÈVRE SCARLATINE^ 639 inflammation diphthéritiqûe ; le voile du palais et le pharynx sont couverts., dans ces cas, de plaques grisâtres, qui, au commencement, ne se laissent pas détacher de la muqueuse parce qu'elles sont dues à l'infiltration du tissu de cette dernière par un exsudât fibrineux. Au bout de peu de temps, les parties de la muqueuse pharyngienne qui ont été mortifiées par suite de cette infiltration se détachent sous forme d'eschares ternes et fétides et laissent à leur suite des pertes de substance irrégulières, couvertes de dé- bris de tissus désorganisés et d'une sanie ichoreuse. Dans beaucoup de cas, ce processus se propage par les narines postérieures jusque dans la cavité nasale, condition qui donne naissance à ce coryza scarlatineux si justement redouté. De même, l'inflammation diphthéritiqûe s'étend quelquefois à la bouche et aux lèvres, surtout aux commissures, mais envahit rarement le larynx. Enfin, l'angine scarlatineuse affecte, dans un certain nombre de cas, les caractères de l'angine parenchymateuse et entraîne un gonflement considérable et plus tard la fonte suppurée des amygdales. A côté de la forme maligne de l'angine, ou même sans elle, on voit sou- vent naître dans la scarlatine une inflammation des parotides, des ganglions lymphatiques et du tissu conjonctif de la région cervicale, inflammation qui se termine rarement par résolution et donne bien plus souvent lieu à une fonte suppurée ou gangreneuse, précédée pendant plus ou moins longtemps d'une tuméfaction considérable des parties enflammées dont la dureté peut devenir comparable h celle du bois. Le processus scarlatineux se localise dans les reins d'une façon tout aussi constante que sur la peau et la muqueuse pharyngienne. La forme la plus ordinaire de cette localisation consiste en une hypérémie intense, accompa- gnée d'un catarrhe des canalicules uiïnifères, avec chute des cellules épi- thélialcs: mais dans beaucoup de cas et, dans certaines épidémies même presque constamment, il se produit sous l'influence de l'infection scarlati- neuse, au lieu de l'hypérémie simple, une inflammation croapale des cana- licules. La maladie de Bright aiguë ne doit pas plus être comptée parmi les complications de la scarlatine que l'angine diphtéritique; car s'il en était ainsi, l'inflammation de la peau, l'inflammation catarrhale du pharnyx et l'hypérémie des reins devraient également être considérées comme des complications et non comme des symptômes de la fièvre scarlatine. Il en est peut-être de même des inflammations des articulations,- de la plèvre, du péricarde, de l'inflammation de l'oreille interne, de la kératite et d'autres troubles rares de la nutrition qui s'observent dans le cours de la fièvre scarlatine ; dans tous les cas, rien ne prouve que dans les cas où ces affec- tions se manifestent chez les individus atteints de scarlatine une nouvelle cause rnorbiliquc ;iit agi sur le malade en dehors de l'infection scarlatineuse était provoqué ces afleclions comme complications du processus scarlatineux. Il eBl pour le moins aussi vraisemblable que l'infection qui, dans la plupart 640 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. des cas, ne provoque de modifications palpables que dans la peau, le pha- rynx et les reins, modifie toujours considérablement l'état de la nutrition dans tout le reste de l'économie et provoque, dans des conditions qui échappent à notre appréciation, des lésions graves, et par cela même ana- tomiquement saisissables dans les autres organes que nous venons de nommer. Il nous reste enfin à mentionner que dans les cadavres d'individus atteints de scarlatine on trouve ordinairement le sang pauvre en fibrine, plus fluide et plus foncé ; quelquefois aussi la rate est tuméfiée, ainsi que les follicules intestinaux. § 3. Symptômes et marche. On entend par fièvre scarlatine simple, normale ou bénigne, les cas de cette maladie dans lesquels la fièvre conserve le caractère synochal et dans les- quels les localisations appréciables du processus scarlatineux ne consistent que dans l'exanthème, dans une angine catarrhale intense et dans une hy- pérémie simple des reins. Nous commencerons par décrire les syptômes et la marche de cette forme simple, qui, cependant, représente toujours une maladie grave, et nous exposerons plus loin, le plus succintement possible, les modifications qui se produisent dans les symptômes et dans la marche de la maladie et qui sont dues, soit au caractère asthénique de la fièvre, dépendant probablement lui-même de l'excessive élévation de température, soit à une extension et à une multiplicité trop grandes des localisations. Dans la période d'incubation, quelques malades se plaignent de lassitude, de prostration et d'un sentiment vague de maladie ; chez le plus grand nombre, la santé ne parait nullement dérangée. Là période prodromale débute par de petits frissons répétés, plus rarement par un violent frisson unique. A ce phénomène succèdent une sensation de chaleur brûlante, des nausées ou même des vomissements, une sensation d'abattement considérable, un endolorissement général des membres et la série souvent mentionnée des autres symptômes qui accompagnent presque chaque fièvre intense. Le pouls montre déjà à ce moment une fréquence de 120 à 130 battements à la minute, et la température du corps s'élè\e quel- quefois à £i0 ou à M0 et au delà. Une fréquence du pouls aussi considérable et une aussi forte élévation de température ne se rencontrent guère au com- mencement d'autres maladies, même d'inflammations étendues d'organes importants ; ces phénomènes suffisent donc pour faire naître la supposition qu'il s'agit d'une maladie d'infection. Comme en outre les symptômes sub- jectifs et objectifs de l'angine se manifestent en même temps que la fièvre, on peut ordinairement, dès cette époque, déjà considérer comme à peu près FIÈVRE SCARLATINE. 641 certaine l'existence d'une scarlatine commençante, et exclure la rougeole, la variole et d'autres maladies infectieuses. Les malades accusent, dans la gorge, une sensation de sécheresse et de brûlure et des douleurs qui sont augmentées parles mouvements de déglutition. A l'inspection de l' arrière- bouche on trouve la muqueuse des amygdales et du voile du palais d'un rouge foncé et tuméfiée. La langue est également parfois très rouge sur ses bords, dès ce moment. — La période prodromale quelquefois ne dure que quelques heures, ou bien Irruption de l'exanthème coïncide presque avec le début de la fièvre d'invasion, de sorte qu'une période prodromale propre- ment dite fait défaut. Dans la plupart des cas, cependant, la période prodro- male dure un ou deux jours et se prolonge rarement au delà. Aussi bien que sous le rapport de leur durée, les symptômes prodromaux montrent, dans les cas particuliers, des différences sous le rapport de leur intensité, différences qui dépendent, soit de l'individualité des malades, soit d'autres influences inconnues. Quelques malades sont très-agités ou délirent; chez d'autres, le sensorium est atteint et ils sont étendus dans leur lit dans un état de stupeur et d'indifférence complète pour tout ce qui les entoure. Beaucoup d'entre eux sont atteints de convulsions passagères, telles qu'elles se présentent aussi dans beaucoup d'autres maladies fébriles. D'un autre côté, il y a des sujets qui supportent beaucoup plus facilement la période prodromale de la fièvre scarlatine et qui, pendant sa durée, présentent à peine l'aspect d'individus sérieusement malades. La période d'éruption est presque toujours inaugurée par une exacerba- lion de la fièvre. A leur tour, les phénomènes qui accompagnent cette der- nière, la céphalalgie, la prostration, l'agitation ou la stupeur des malades s'exagèrent, et c'est précisément à ce moment qu'on observe le plus sou- vent chez les enfants des accès convulsifs. L'exanthème scarlatineux ne se montre pas, comme celui de la rougeole, d'abord à la face, mais il com- mence au cou et s'étend de là au reste du corps. Ordinairement, toute la surface cutanée est couverte de rougeur scarlatineuse dans l'espace de. vingt-quatre ou de trente-six heures. A la face, cependant, la rougeur n'existe ordinairement que sur les joues, et c'est pourquoi, dans cette ré- gion, l'exanthème est plus difficile à reconnaître qu'ailleurs. La rougeur la plus foncée se montre généralement au cou, aux extrémités, sur la peau <|ui couvre les extenseurs, aux articulations, aux mains et aux pieds. L'odeur répandue par les malades a été comparée à celle du fromage moisi ou à celle que répandent les cages des bêtes fauves dans les ménageries. Avec l'éruption de l'exanthème coïncide une aggravation de l'angine, la rougeur de la gorge devient plus intense, la langue montre, non-seulement sur les bords, mais encore sur le dos, d'où L'enduit, qui avait existé au commence- ment, a disparu, une couleur de framboise très-foncée ; les papilles, tumé- fiées et érigées, rendent sa surface rugueuse et la foui ressembler, jusqu'à NIEMEVF.n. II. — *i\ 642 MALAD1KS CONSTITUTIONNELLES. un certain point, à une langue de chat. — Dans la période d'éruption, on observe également des différences dans les symptômes que nous venons de décrire, sans que ces différences exercent une influence bien notable sur la marche de la maladie. Ainsi, l'exanthème s'étend quelquefois avec une rapidité extraordinaire à toute la surface cutanée : dans quelques cas, la rougeur est plus claire , dans d'autres extraordinairement foncée ; dans d'autres encore, l'exanthème offre les caractères de la scarlatine miliaire. De môme aussi, les phénomènes de l'angine montrent une intensité tantôt très-grande, tantôt très-faible, et il arrive, dans quelques cas assez rares, qu'il s'y joint un catarrhe du larvnx, de la trachée et des bronches. Dans la période d'état, qui dure ordinairement de quatre à cinq jours, la fièvre s'exaspère d'abord et arrive à son point culminant vers le second jour. A la même époque, l'exanthème a pris également son plus grand dé- Aeloppement, ainsi que les phénomènes angineux. L'urine contient des cel- lules épithéliales en grande abondance, et souvent des traces d'albumine, l'état général est également le plus fortement atteint à cette époque. — Mais, à partir de ce moment, tous les phénomènes morbides commencent à dé- croître lentement, la fréquence du pouls et la température du corps dimi- nuent, l'exanthème pâlit, l'embarras de la déglutition devient moindre, l'état général s'améliore. — Encore dans la période d'état, les cas particu- liers montrent des différences essentielles qui, précisément dans cette pé- riode, sont produites par l'exagération excessive de la fièvre ou par des lo- calisations très-étendues ou très-exceptionnelles de la maladie ; quelquefois l'exanthème se maintient beaucoup plus longtemps sur la peau ; d'autres fois il pâlit et disparaît au contraire plus tôt : il en est de même des modifi- cations de la muqueuse du pharynx et des symptômes de la fièvre. Ordinairement, le cinquième jour après l'éruption de l'exanthème, le malade entre dans la période de desquamation. Tandis qu'aux extrémités, surtout aux environs des articulations , la rougeur persiste encore à un degré modéré, elle a disparu au cou et l'on s'aperçoit d'abord dans cette ré- gion que la peau devient sèche et rugueuse, que la couche épidermique se l'end dans beaucoup d'endroits et se détache par petits lambeaux. Quelques jours après, il n'y a plus de rougeur aux extrémités et la desquamation s'y fait à son tour. Cette dernière ne se fait cependant pas de la même manière aux extrémités qu'au cou, par l'élimination de petites parcelles semblables à des écailles, mais il se détache, surtout des mains, de grands lambeaux cohérents que le malade arrache souvent lui-même. Dans la période de des- quamation qui dure de huit à quinze jours^ les dernières traces de la fièvre et de l'angine disparaissent et la maladie se termine, en supposant que sa marche soit normale et bénigne, par une guérison complète dans le cour? du troisième ou quatrième septénaire; Parmi les cas simples et toujours bénins, il faut compter les formes ruai- FIEVRE SCARLATINE. 643 mentaires (scarlatine fruste de Trousseau) de la maladie, telles que la scar- latine sans exanthème et la scarlatine sans angine. On ne peut distinguer la scarlatine sans exanthème de l'angine simple qu'en tenant compte de l'épi- démie régnante, du haut degré de la fièvre, de la grave atteinte de l'état général et de l'existence d'une période prodromale bien prononcée. Dans la scarlatine sans angine, les phénomènes fébriles et l'exanthème servent à caractériser la maladie ; mais la localisation du processus scarlatineux sur la muqueuse pharyngienne fait complètement défaut ou bien elle est à peine marquée par de légers embarras de déglutition et une faible rougeur du gosier. Il faut poser avec beaucoup de circonspection le diagnostic de la scarlatine sans angine, surtout dans les cas où il est impossible de constater que les individus malades ont été en contact avec des personnel» atteintes de scarlatine. Souvent on ne peut distinguer la scarlatine sans angine de vastes érythèmes ou de certaines formes de roséole, surtout de la roséole çib in- gestis, qu'en tenant compte des conditions étiologïques, l'exanthème se res- semblant extrêmement dans ces différentes affections. La fièvre scarlatine peut, comme la rougeole, exercer une influence fu- neste sur l'organisme sans qu'elle se localise dans tel ou tel organe sous forme d'un trouble dangereux de la nutrition, et les malades peuvent suc- comber à cette influence funeste avant que les localisations ordinaires du processus scarlatineux aient même eu le temps de se développer sur la peau et la muqueuse pharyngienne ; les malades meurent dans ces cas d'une paralysie du cœur, précédée des phénomènes d'une adynamie intense. Ici, nous renonçons à juger, absolument comme nous avons fait pour la rou- geole maligne, si c'est la modification dans la composition du sang qui exerce une influence directement paralysante sur le système nerveux, et principalement sur les nerfs du cœur, ou bien si cette influence délétère doit être attribuée au degré élevé de la fièvre, à l'excessive élévation de la température du corps. Toutefois, comme la température du corps atteint déjà un degré excessivement élevé dans la scarlatine simple, bénigne, et comme une élévation de température encore plus grande rend impossible la continuation de la vie, d'après les expériences physiologiques et patholo- giques dont il a été question antérieurement, nous considérons comme parfaitement justifiée L'hypothèse en vertu de laquelle c'est l'excessive éléva- tion de la température du corpsqui, dans la scarlatine maligne, dans la scàrklr Hue asthénique nu typhoïde, entraîne la paralysie du cœur. Les symptômes de la scarlatine aslhénique ou typhoïde ressemblent extrêmement à ceux delà rougeole asthénique ou typhoïde et aux formes asthéniques et hphoïdes d'autres maladies, surtout d'autres maladies d'infection. Déjà, dans la pé- riode prodromale, les malades sont abattus au dernier degré; ils sont éten* dus dans une stupeur complète j no pduvaul faire aucun effort intellectuel, répondant à peine aux questions qîu'on leur adresse, cl finissent par tomber 644 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. dans un coma absolu. La pupille est généralement dilatée. Assez souvent on aperçoit de légères secousses nerveuses, et, surtout chez les entants, des convulsions générales ; la langue devient sèche, le pouls très-petit et pou- vant à peine être compté ; souvent le tronc est brûlant et les extrémités froides. Au milieu des symptômes d'un collapsus extrême, auquel s'ajoute finalement un œdème pulmonaire, les malades peuvent succomber même avant que l'exanthème ait eu le temps de se produire. L'inflammation scar- latineuse du pharynx qui, dans ces cas, passe facilement inaperçue, à cause de la grave atteinte de l'état général, est souvent de nature diphthéritique. Si les malades ne meurent pas dans la période prodromale, l'exanthème se développe ordinairement d'une manière lente et irrégulière ; il est d'une couleur pâle et livide, ne se maintient que pendant très-peu de temps sur la peau et est accompagné de pétéchies qui persistent après sa disparition. L'é- ruption de l'exanthème ne détermine aucune modification favorable dans l'état du malade; au contraire, la fièvre intense persiste, le pouls devient de plus en plus petit et la prostration augmente. Souvent il s'y ajoute des selles en diarrhée et du météorisme, la langue et les gencives se couvrent d'un enduit noir. La plupart de ces malades succombent dans cette période, et, du petit nombre de ceux qui atteignent la période de desquamation, la ma- jorité est enlevée plus tard par les maladies consécutives. Si l'infection peut immédiatement ou médiatement, par l'intensité de la fièvre, déterminer une paralysie générale et imprimer ainsi un caractère grave à la maladie, la même chose peut arriver lorsqu'il se déclare une an- gine maligne, une infiltration et une destruction gangreneuse des ganglions lym- phatiques ou Vautres troubles de la nutrition, dangereux -par eux-mêmes. Nous ne pouvons qu'indiquer sommairement les tableaux morbides si variés sous lesquels s'offrent les localisations malignes du processus scarlatineux, attendu qu'un exposé un tant soit peu étendu de ces formes morbides ne saurait rentrer dans les limites étroites que nous avons fixées à cet ouvrage. — L'an- gine maligne se manifeste assez souvent dans le cours d'une scarlatine d'ap- parence bénigne, dans ce qu'on appelle la scarlatine normale, et elle est loin d'être toujours accompagnée, dans sa première période déjà, de phéno- mènes menaçants ; la dysphagie ne s'élève à un degré extraordinaire que dans les cas, .à la vérité assez nombreux, où une inflammation parenchy- mateuse concomitante des amygdales oppose des difficultés plus ou moins grandes, quelquefois insurmontables, à la déglutition. La participation de la cavité nasale à l'inflammation diphthéritique delà gorge est tellement con- stante que l'apparition d'un coryza donnant issue à un produit de sécrétion liquide, paraissant au commencement de bonne nature et n'ayant aucune odeur bien prononcée, est un symptôme très-suspect et presque toujours fort alarmant. Il est rare que ce coryza complique la forme catarrhale de l'an- o'ine scarlatineuse, et l'on doit par conséquent détruire l'illusion des parents FIEVRE SCARLATINE. 645 qui ordinairement se réjouissent extrêmement de cet écoulement et espè- rent que la tète embarrassée de l'enfant en deviendra plus libre. L'examen du pharynx donne seul, pendant les premières périodes, des renseignements positifs pour le diagnostic de l'angine diphthéritique ; on découvre alors sur la muqueuse fortement rougie les plaques d'un blanc sale, solidement adhé- rentes, dont il a été question plus haut. Cependant, au bout de quelques jours déjà, le tableau de la maladie change et prend un aspect fort perni- cieux; l'exanthème, il est vrai, n'offre rien de bien remarquable au com- mencement, mais on sent, en approchant du malade, une odeur très-fétide, cadavéreuse, qu'il répand par la bouche et le nez. A la gorge adhèrent des eschares transformées en lambeaux sales, ou bien des ulcères d'un mauvais aspect se montrent à la place de ces lambeaux éliminés. Par les narines s'écoule un produit de sécrétion jaunâtre et fétide, qui baigne les joues et corrode souvent les parties de la peau avec lesquelles il entre en contact; les ganglions cervicaux sont également fort enflés et forment sur les deux côtés du cou des paquets informes et durs. Les malades sont ordinairement éten- dus, la tète un peu réclinée, dans un état semi-comateux ou entièrement privés de connaissance ; le pouls, qui avait été fort au commencement, est petit et d'une fréquence qui s'élève à 1^0 et jusqu'à 160 pulsations à la mi- nute, la température du corps est montée à Zi0° ou môme au delà. Par con- séquent, dans ces cas, comme dans la rougeole compliquée de pneumonie lobulaire, la fièvre, d'abord provoquée par l'infection scarlatineuse elle- même, a pris, sous l'influence de l'inflammation concomitante de l'arrière- bouche, un développement extraordinaire, et la température du corps s'est élevée à un degré tel que les signes d'adynamie et de paralysie, ne peuvent manquer de se produire. Une laryngite, qui parfois complique cette forme de l'angine et qui se distingue plus par l'enrouement et la grande dyspnée que par la toux croupale, hâte l'issue mortelle. Si les malades survivent à la période d'état, la desquamation de la peau se fait souvent d'une manière normale, mais il se passe, dans les cas même les plus favorables, beaucoup de temps avant que les ulcères de l' arrière-bouche soient guéris et que le coryza de mauvaise nature ait cessé. Assez souvent l'inflammation se propage le long de la trompe jusqu'à la caisse du tympan, d'où résulte une otite in- terne qui conduit à la perforation du tympan et souvent môme à la carie du rocher. Bien des malades conservent, par conséquent, à la suite de la scar- latine, pour bien des années, une otorrhée, et, pour la vie entière, une sur- dité plus ou moins prononcée. Si le processus diphthéritique s'est également propagé à la cavité buccale el aux lèvres, les ulcères, surtout ceux qui se pro- duisent aux commissures des lèvres, guérissent avec une extrême lenteur. Un grand danger résulte pour les malades, dans la période de desqua- mation et dans la convalescence de la scarlatine, de l'infiltration inflamma- toire des ganglions lymphatiques el du tissu conjonctif sous-cutand de la «46 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. région cervicale. Il est bien rare que cette infiltration se termine par réso- lution ; mais la fonte suppurée se fait également avec lenteur, et au milieu de phénomènes fébriles continuels qui finissent souvent par consumer les malades. Encore six, et même huit semaines après la scarlatine, j'ai vu suc- comber des malades à la fonte suppurée de ces paquets glandulaires. — L'in- filtration inflammatoire des ganglions cervicaux se présente aussi, du reste, indépendamment de toute angine maligne, et entraîne dans ces cas une exa- gération considérable de la fièvre, et par cela même un état typhoïde. Le degré élevé de la fièvre explique les symptômes cérébraux qui souvent ac- compagnent ces affections glandulaires bien mieux qu'un trouble de la cir- culation cérébrale que l'on suppose produit par une compression des vais- seaux du cou. — Il ne faut pas que l'on confonde avec les inflammations et suppurations des ganglions lymphatiques dont il vient d'être question la pa- rotidite qui quelquefois, de même que dans la fièvre typhoïde et le choléra typhoïde, se développe dans le cours de la fièvre scarlatine, surtout pendant la période de desquamation. — C'est surtout dans cette période que l'on voit aussi naître parfois des inflammations des membranes synoviales, de la plèvre, du péricarde, accompagnées d'abondants exsudats purulents. Dans la néphrite croupale ou fibrineu'se, nous avons appris à connaître une des localisations fréquentes et importantes de l'intoxication scarlatineuse du sang. Cette circonstance que Yhydropisie scarlatineuse qui, dans la plupart des cas, dépend de cette localisation, ne se présente ordinairement que dans la période de desquamation, a fait naître une erreur encore fort répandue de nos jours, d'après laquelle l'hydropisie et l'affection rénale seraient la suite de refroidissements auxquels les malades auraient été exposés pendant la période d'état de l'exanthème ou pendant la desquamation. Le fait, que dans certaines épidémies on n'observe presque jamais, et dans d'autres presque régulièrement, chez tous lesmalades, l'albuminurie et l'hydropisie, prouve à l'évidence combien cette manière de voir est erronée, bien que nous ne sachions encore nous expliquer les différences que présentent les diverses épidémies sous le rapport de la fréquence de la néphrite, de l'an- gine maligne et d'autres localisations. Au commencement de ce volume, nous avons exposé m extenso les symptômes et la marche de la néphrite croupale, et nous pouvons ici d'autant mieux renvoyer à ce chapitre que la plupart des cas de néphrite croupale qui ont servi de base à la description que nous avons donnée de cette maladie, concernaient des enfants atteints de scarla- tine et entrés dans la période de desquamation. — Tandis qu'une partie seu- lement des malades atteints de cette forme de l'hydropisie scarlatineuse, qui ne constitue que l'un des symptômes d'une inflammation aiguë des reins, guérit, et que d'autres succombent aux symptômes d'une intoxication uré- mique ou bien à ceux d'une pneumonie, d'une pleurite, d'une péricardite intercurrentes, la seconde forme de l'hydropisie scarlatineuse, celle qui n'es,t FIEVRE SCARLATINE. 647 pas liée à une albuminurie, constitue une affection secondaire aussi peu dan- gereuse qu'inexpliquée jusqu'à présent. Elle se développe lentement; peut atteindre un degré très-élevé, se borne au tissu conjonctif sous-cutané ei ne s'étend qu'exceptionnellement aux cavités séreuses. Dans quelques cas très- intenses d'hydropisie scarlatineuse sans albuminurie, que j'ai eu l'occasion d'observer, la guérison s'est effectuée en très-peu de temps. § U. Traitement. Par mesure de prophylaxie, il faut isoler les individus sains des individus malades et des personnes qui communiquent avec eesderniers. Cette mesure est la seule qui promette un résultat ; il faut donc la recommander avec instance pendant le règne d'une épidémie maligne de fièvre scarlatine. La belladone (extr. de belladone, 15 centigrammes; eau distillée, 30 grammes; journellement deux fois autant de gouttes que l'enfant compte d'années) jouit, il est vrai, de la réputation d'être un prophylactique contre la scarla- tine, parmi les médecins aussi bien que parmi les homœopathes; mais l'expérience nous a appris que l'administration de la belladone, même conti- nuée pendant bien des semaines, n'offre aucune garantie contre cette ma- ladie. Il en est de même de tous les autres remèdes, tant internes qu'externes, que Ton a recommandés comme prophylactiques contre la scarlatine. Les principes émis pour le traitement de la rougeole trouvent encore leur application pour celui de la fièvre scarlatine confirmée. Avant de se de- mander quelle est la prescription à faire, il faut mûrement peser la question de savoir si, en général, il est nécessaire ou seulement permis d'interrompre par une mesure violente la marche cyclique de la maladie. — Que l'on ail. donc soin de maintenir la température de la chambre à un niveau toujours égal et ne dépassant pas 10 à 12° Réaumur ; que l'on défende sévèrement d'entasser sur le malade de lourdes couvertures, qu'on renouvelle de temps à autre l'air de l'appartement en ouvrant une fenêtre avec précaution et qu'on permette de laver le malade journellement avec les ménagements nécessaires. Pour boisson, ce qui convient le mieux, c'est Peau froide ou une limonade acidulé ; pour nourriture, on donnera au commencement une soupe à l'eau, du pain blanc, des fruits cuits; dans les périodes ulté- rieures, du bouillon, du lait, etc. En cas de constipation, ou prescrira des lavements simples à l'eau tiède et seulement en cas de nécessité de faibles laxatifs. C'est une ancienne habitude de retenir au lit les individus atteints de scarlatine jusqu'à la tin de la desquamation, et l'on fait bien de rester tidèle à cette habitude, sans se laisser influencer par ce fait que les per- sonnes atteintes de scarlatine qui, pendant la période de la desquamation, uni laissé de côté uetie précaution, sorç| loin d'èiir toujours punies de leur 648 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. négligence. Même après la fin de la desquamation, il faut que les malades soient mis à l'abri des refroidissements et qu'ils gardent la chambre dans la saison d'hiver, pendant au moins quinze jours. Pendant ce temps, on fait bien de prescrire quelques bains tièdes. Cette conduite expectante est par- faitement suffisante dans la scarlatine bénigne et mérite la préférence, aussi bien sur n'importe quel traitement médicamenteux que sur l'emploi intem- pestif des procédés hydrothérapiques et autres. Mais, dans le cours de la fièvre scarlatine, il arrive très-souvent des acci- dents qui réclament impérieusement des mesures thérapeutiques et qui souvent peuvent être combattus avec succès à l'aide d'un traitement éner- gique. Au nombre de ces accidents, il faut compter avant tout l'excessive élévation de la température du corps et les phénomènes d'adynamie et de paralysie imminente. Dans ces sortes de cas, on employait autrefois généra- lement les stimulants énergiques qui, à ce qu'il parait, avaient quelquefois pour résultat de prévenir la paralysie générale, mais la plupart des malades n'en succombaient pas moins à cette forme de la scarlatine, malgré l'admi- histration du carbonate d'ammoniaque, qui avait la réputation d'être le spécifique de la scarlatine maligne. Dans ces derniers temps, le fait que les liydropathes traitent la scarlatine avec un bonheur extraordinaire, a fait introduire, pour le traitement de la scarlatine asthénique ou typhoïde, de plus en plus l'usage des enveloppements du corps dans des draps mouillés et des allusions froides que Currie et d'autres médecins avaient déjà prati- quées sur une grande échelle. En effet, cette méthode est l'acquisition la plus importante parmi les remèdes à employer contre la scarlatine maligne, et elle rend des services éclatants toutes les fois qu'il s'agit d'une scarlatine maligne simple, sans localisation dangereuse par elle-même. Les frictions de ïard faites sur le corps entier, d'après la méthode de Schneemann, deux fois par jour pendant les trois premières semaines et une fois dans la qua- trième, ne peuvent remplacer ni les enveloppements dans des draps mouil- lés, ni les allusions, quoique le procédé de Schneemann procure un certain bien-être à la plupart des malades. Faut-il donner la préférence aux affu- sions faites avec de l'eau froide sur le corps placé dans une baignoire vide, ou bien aux enveloppements du corps nu dans des draps mouillés, c'est ce que je ne me permettrais pas de décider. Mais, dans tous les cas, il faut répéter les soustractions de chaleur énergiques faites de l'une ou de l'autre manière, aussi souvent que la température du corps remonte à un degré excessif et que de nouveaux phénomènes d'adynamie se présentent. Les en- veloppements dans les draps mouillés doivent être renouvelés trois à six fois de suite, en laissant entre chaque enveloppement un intervalle de dix mi- nutes à un quart d'heure ; ensuite on remet le malade au lit et on le laisse couché tranquillement jusqu'à ce que l'on soit forcé de revenir au même, moyen. — Les succès obtenus par les hydropathes étant déjà assez connus FIEVRE SCARLATINE. 649 du public, il est rare que l'on rencontre une résistance sérieuse, lorsqu'on veut mettre en usage ce procédé, même en dehors de l'hôpital. Si toutefois la famille du malade opposait un refus absolu à l'emploi de ces moyens, le remède qui mériterait le plus de confiance serait l'administration de la qui- nine à haute dose, bien que je ne puisse appuyer la recommandation de ce remède contre la scarlatine asthéniquesur aucun fait tiré de mon expéiùence personnelle, qui me permet au contraire de me prononcer vivement en fa- veur des soustractions de chaleur. Dans les cas désespérés, si le procédé que nous venons de recommander a échoué, on peut essayer d'arrêter la para- lysie commençante par de forts excitants : carbonate d'ammoniaque, cam- phre, musc. — Le développement d'une angine maligne n'est pas arrêté par des émissions sanguines et l'application locale du froid; mais l'adminis- tration de pilules de glace, que les malades laissent fondre dans la bouche, produit des effets palliatifs favorables dans cette forme de l'angine scarlati- neuse, comme dans d'autres formes intenses de cette angine. Aussitôt que les eschares sont tombées et qu'il s'est développé dans l'arrière-bouche des ulcères d'un mauvais aspect, il y a lieu de procéder à un traitement local énergique. Ainsi on touchera journellement les ulcères avec une petite éponge fixée à une baleine et trempée dans une solution de nitrate d'ar- gent (4 grammes sur 60 grammes d'eau), et pour combattre le coryza, qui presque toujours existe en même temps, on injectera dans les deux na- rines une solution plus faible du même sel (25 à 50 centigrammes sur 60 grammes d'eau). J'ai vu dans plusieurs cas ce traitement exercer un effet manifestement favorable sur la marche de l'angine maligne, et j'ai pu m'as- surer en même temps que des enfants un peu âgés se soumettent bientôt et sans trop de répugnance à cette opération fatigante, parce qu'elle leur pro- cure un soulagement évident. — Lorsque l'angine maligne est compliquée par une laryngite croupale, il faut administrer un vomitif et toucher l'ou- verture de la glotte avec une solution de nitrate d'argent. — Nous sommes presque réduits à l'impuissance vis-à-vis de l'infiltration inflammatoire du tissu conjonctif sous-cutané et des ganglions lymphatiques de la région cer- vicale. Les émissions sanguines, le froid, les frictions irritantes et résolutives, les cataplasmes restent, d'après mon expérience, sans produire le moindre effet sur ces tumeurs dures, indolentes, couvertes d'une peau normale. Plus lard seulement, lorsqu'il s'y montre une tendance à la suppuration et que la peau qui les couvre devient rouge, il faut mettre en usage les cataplasmes. — Dès que la fluctuation se déclare il faut procurer une issue au pus, pour prévenir la gangrène diffuse des tissus infiltrés, qui ne peut être que hâtée par la pression du pus. — Le traitement de la néphrite croupale a été lon- guement exposé à l'occasion des maladies du rein et nous pouvons égale- ment renvoyer pour le traitement del'hy/dropisie scarlatineuse, accompagnée d'albuminurie, ;| tout ce qui en a été dit antérieurement. D'après mon expé- 650 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. rience un traitement légèrement diaphorétique suffit parfaitement pour faire justice de l'hydropisie scarlatineuse simple, non accompagnée d'albu- minurie. CHAPITRE III Roséole rébrile. — Kubeola, Cannstatt donne là définition suivante, fort judicieuse, à mon avis, de la roséole : C'est un exanthème à taches rouges dont on ne sait, en comparant les phénomènes généraux, et les symptômes qui se montrent du côté des muqueuses, s'il faut le faire rentrer dans la scarlatine, dans la rougeole, dans l'urticaire ou dans l'érythème, attendu qu'il offre de la ressemblance sous plusieurs rapports avec l'une ou l'autre de ces maladies et qu'il s'en écarte sous d'autres. La roséole épidémique, d'origine infectieuse, la seule dont nous ayons à nous occuper ici, représente des formes de la scarlatine ou de là rougeole, modifiées par des causes inconnues. Par roséole scarlati- neuse, on entend une fièvre scarlatine, dont l'exanthème offre de la ressem- blance avec celui de la rougeole, tandis que la fièvre intense, l'affection de la gorge et l'hydropisie qui survient parfois, correspondent à la scarlatine. Par roséole morbilleuse, on entend une forme de la rougeole dans laquelle l'exanthème est confluent et fort analogue à l'exanthème de la scarlatine, tandis que l'atteinte de la muqueuse respiratoire et l'immunité de la mu- queuse de l'arrière-bouche ne laissent pas subsister de doute sur la nature morbilleuse de la maladie. CHAPITRE IV \ Viii-iolc. — l»e<>ul de quelques heures par un épanchement séreux abondant entre le derme et l' épiderme en petites vésicules limpides, dont la 672 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. grosseur varie entre celle d'une lentille et celle d'un pois. Ces vésicules n'ont ni dépression centrale, ni structure cloisonnée; leur contenu devient lactes- cent au bout d'un certain temps, mais ne se transforme jamais en pus véri- table. Par la dessiccation, les vésicules se transforment en petites croûtes qui tombent au bout de quelques jours sans laisser de cicatrices. On distingue, suivant l'a forme des vésicules., une varicelle globulaire, ovalaire, lenticu- laire, coniforme, acuminée. — Très-souvent on observe, surtout lorsque l'éruption est très-étendue, qu'à côté de nombreuses vésicules de varicelle qui suivent l'évolution ordinaire, quelques-unes se remplissent de pus (varicelle pustuleuse), et laissent même des cicatrices à leur suite. La forme des pustules varioliques n'ayant absolument rien de spécifique et offrant surtout une ressemblance absolue avec la forme de certaines pustules d'ecthyma, on ne doit attacher aucune importance à cette ressemblance extérieure qui peut exister entre quelques efflorescences de variicelle et les efflorescences de variole, ni s'appuyer sur ce fait pour admettre l'identité , entre les deux formes morbides. § 3. Symptômes et marche. Dans quelques cas l'éclosion des vésicules est le premier symptôme qui trahisse la maladie. Les mères même les plus attentives et les plus craintives ne remarquent souvent aucune trace d'une période prodromale et assurent que leur enfant a été très-gai et bien portant pendant les jours qui précé- daient ré-uption. Plus rarement il arrive que l'exanthème est précédé pen- dant un ou plusieurs jours d'une fièvre légère, d'un malaise général, d'une altération d'humeur, de manque d'appétit et de maux de tête. La varicelle se répand sur le corps sans aucune régularité. C'est sur le dos et la poitrine que l'on voit généralement le plus de boutons. La face reste quelquefois entièrement épargnée. Les vésicules sont arrivées au terme de leur dévelop- pement au bout de six à douze heures; dès le second jour, leur contenu se trouble et le quatrième jour il se dessèche. Comme la maladie se borne rarement à une éruption unique et que de nouvelles vésicules se montrent ordinairement pendant plusieurs jours consécutifs, la maladie se prolonge souvent pendant quinze jours et même plus longtemps, et dans ses périodes avancées on trouve souvent des vésicules toutes récentes à côté d'autres déjà desséchées. Dans quelques cas rares, il se montre également sur la muqueuse de la bouche et du jmarynx quelques vésicules qui se trans- forment bientôt en petits ulcères ronds. L'état général des malades n'est ordinairement troublé en aucune manière. TYPHUS EXANTHÉMATIQUE, TYPHUS, FIÈVRE PÉTÉCH1AEE, ETC. 673 § h. Traitement. Il ne peut guère être question d'un traitement de la varicelle, la maladie n'offrant aucun danger, ne causant pas de vives souffrances et se terminant régulièrement par la guérison après huit à quinze jours de durée. Toujours il convient de mettre les individus, pendant la durée de la maladie, à l'abri de toute influence nuisible, de leur faire garder la chambre et de les soumettre à un régime. CHAPITRE Vil Typhus csanthéniatfque. — Typhut». — Fièvre pétéchiale. Typhus fever. § 1. Pathogénie et étiologie. Le typhus exanthématique — morbus acutus, febrilis, contagiosus, exan- themate propriu ac eminenti systematis nervosi passione stipatus (Hildenbrand), se rattache, par son extrême contagiosité et par la localisation qui se produit sur la peau sous forme d'un exanthème étendu, on ne peut plus étroitement, aux maladies infectieuses décrites jusqu'à présent, mais il montre, sous d'autres rapports, dans ses symptômes, une telle analogie avec le typhus abdominal ou fièvre typhoïde, que des auteurs d'une grande autorité le con- sidèrent comme une simple variété de cette dernière. Le caractère contagieux du typhus ne peut être révoqué en doute que par des observateurs qui n'ont eu l'occasion de l'observer que dans des épidémies étendues. Lorsqu'une maladie épidémique a étendu ses ravages sur la population d'une grande ville ou sur une agglomération encore plus étendue, il est presque toujours impossible de constater si la maladie a été transmise d'individu à individu, ou bien si les différents individus sont tombés malades indépendamment les uns des autres et uniquement pour avoir été exposés à des causes morbi- fiques identiques. Il en est tout autrement lorsqu'une maladie se manifeste et s'étend dans de petites localités qui en avaient été exemptes jusque-là et où il est possible d'en poursuivre exactement les progrès. Dans ces conditions, l'occasion de décider la question si la maladie est contagieuse ou non, devient beaucoup plus favorable. Tous les observateurs qui ont pu étudier le typhus exanthématique dans ces conditions, s'accordent à reconnaître qu'il n'y a peut-être pas une maladie dont le caractère contagieux saute plus aux yeux que celui du typhus exanthématique. Parmi les nombreuses observations qui MEMEYER. II — 43 674 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. démontrent la contagiosité du typhus, je veux en citer deux qui me sont propres et qui me paraissent on ne peut plus concluantes. En 185i, on fit entrer à l'hôpital de Magdebourg deux malades atteints de typhus exanthé- matique, qui avaient été extraits de la maison de force., alors très-encombrée. Depuis plusieurs mois, il ne s'était présenté dans le service que je dirigeais alors dans cet hôpital que des cas isolés de fièvre typhoïde, pas un seul cas de typhus. Or, huit jours après l'admission de ces deux malades, deux autres individus couchés tout près d'eux et dont l'un était en traitement pour une fièvre intermittente, l'autre pour une épilepsie, contractèrent le typhus ; peu de temps après, l'infirmier et l'infirmière qui avaient donné des soins à ces quatre malades furent atteints du typhus à leur tour. Ces individus ayant été isolés, tous les autres habitants de l'hôpital restèrent épargnés et il n'y eut pas non plus de cas de typhus en ville. — En mars 1855, un marchand de Heilignsetadt, qui avait contracté le typhus exanthématique en voyage, fut reçu dans mes salles, où depuis toute une- année on n'avait plus observé aucun cas de typhus. Or, huit jours après l'admission de cet individu, un forgeron et un manœuvre, dont les lits étaient placés en face du sien, furent atteints de la même maladie. Les malades ayant été isolés, mon interne, une laveuse et tous les individus qui s'étaient chargés de leur donner des soins et dont quelques-uns avaient été choisis parmi les malades de l'hôpital, eurent le typhus à leur tour. Ce n'est qu'à partir du moment où un homme, convalescent lui-même du typhus exanthématique, avait été seul préposé à la garde des malades, qu'aucun nouveau cas de cette maladie ne fut plus observé, ni à l'hôpital, ni en ville. Le contagium est répandu dans l'atmosphère qui entoure les malades et adhère à leurs vêtements, à leurs lits, à leur linge et à tous leurs effets. Pour cette raison, il y a beaucoup plus de danger à traiter et à garder les malades atteints de typhus que les cholériques et les individus atteints de fièvre typhoïde. La maladie peut être transportée au loin par des personnes inter- médiaires qui en restent épargnées elles-mêmes, absolument comme cela est le cas pour la rougeole. Plus les malades sont accumulés les uns sur les autres, plus le contagium est intense, et c'est là un fait qui s'accorde parfai- tement avec l'hypothèse presque généralement admise aujourd'hui d'un con- tagium vivant. Un local de grandeur déterminée, dans lequel les germes morbides sont reproduits par un grand nombre d'individus atteints, contien- dra ces germes en nombre plus considérable que si leur production n'avait lieu que dans le corps d'un seul individu. La question de savoir si le typhus exanthématique se propage exclusive- ment par un contagium ou bien si indépendamment de ce mode de propaga- tion dont l'existence est hors de doute, il y a encore une propagation mim* viatique, cette question ne me paraît nullement vidée, quoique la plupart des auteurs modernes soient d'une opinion contraire. Des assertions dans le genre TYHHUS EXANTHÉMAT1QUE, TYPHUS, FIÈVRE PÉTÉCH1ALE, ETC. 675 de celle qu'une maladie est purement miasmatique ou purement contagieuse ne reposent sur aucune base solide, etne sont même pas toujours invariable- ment soutenues par ceux-là même qui les ont émises. Si l'on accorde que le germe du choléra se développe peut-être originairement dans l'Inde sur du riz malade et qu'il est transporté de là jusque chez nous par les choléri- ques et leurs déjections, on n'est pas non plus en droit de contester la pos- sibilité ni même la probabilité que, sous certaines conditions favorables à son développement, le germe morbide des maladies contagieuses répandues parmi nous puisse également prendre naissance et se développer dans nos contrées en dehors de l'organisme humain. L'hypothèse d'une naissance spontanée des maladies d'infection, en ce sens que leur cause immédiate, serait un agent nouveau produit par des influences nuisibles, doit être reje- tée, à la vérité, parce que cette hypothèse nous replacerait au point de vue de la génération spontanée dont les travaux modernes ont fait justice ; mais une hypothèse qui n'est nullement réfutée est celle qui admet qu'à côté de maladies purement miasmatiques, dont les germes se développent en dehors de l'organisme et ne se reproduisent pas dans le corps du malade qui en est infecté, il y a aussi des maladies miasmatiques et contagieuses dont les germes se développeut en dehors de l'organisme, mais se reproduisent dans le corps de l'individu qui en est infecté et quelquefois dans ses déjec- tions. Toute une série de faits s'accorde beaucoup mieux avec cette hypo- thèse qui, à mon avis, n'a pas été sérieusement réfutée, qu'avec l'assertion, qui jusqu'à présent n'est nullement justifiée, qu'il n'y a pas de maladies miasmatiques et contagieuses. Car nous voyons précisément le typhus exan- thématique se manifester quelquefois dans des conditions qui rendent très- peu probable une importation de cette maladie, par exemple, surles navires en pleine mer (typhus des navires), dans des prisons bien isolées (typhus des prisons). D'un autre côté, dans de certaines conditions qui semblent particu- lièrement favorables au développement d'organismes inférieurs et à leur pénétration dans l'organisme, par exemple, dans les années de famine, quand les populations se nourrissent d'aliments de mauvaise qualité et cor- rompus (typhus de la faim), et dans les hôpitaux encombrés, où l'air est im- prégné d'émanations provenant des produits excrémentitiels des malades (typhus nosocomial), le typhus exanthématique se manifeste avec une fré- quence telle, que partout où régnent ces conditions on peut prédire presque avec certitude l'apparition de cette maladie. Cela ne veut pas dire évidem- ment que le corps d'un individu infecté par la pénétration de ces germes morbides ne puisse être pour leur développement et leur reproduction un milieu encore plus favorable (pie, par exemple, les matières animales en putréfaction ou l'air d'un hôpital chargé de matières excrémenlitielles, ni que d'un autre côté, la maladie ne puisse, non-seulement persister, mai! encore étendre ses ravages au loin, quand les conditions qui ont favorisé la 676 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. naissance et le développement du germe morbide en dehors de l'organisme ont depuis longtemps disparu. Si la supposition mentionnée plus haut, d'a- près laquelle le germe du choléra se développerait primitivement sur du riz desséché venait à se confirmer, il deviendrait également plus vraisemblable que' le germe du typhus exanthématique put se développer en dehors du corps humain, sur des matières animales en putréfaction, et se multiplier à des époques où il trouve des conditions particulièrement favorables à son développement, au point de devenir dangereux pour l'humanité. — La ré- ceptivité pour le miasme ou le contagium du typhus est très-répandue ; il n'y a que la première enfance et la vieillesse qui restent ordinairement épar- gnées. Les deux sexes y sont également prédisposés, les individus sains et robustes contractent la maladie tout aussi souvent que les personnes mala- dives et faibles. Des fatigues extraordinaires et d'autres causes débilitantes paraissent augmenter la prédisposition au typhus. Une première atteinte paraît mettre à l'abri d'atteintes ultérieures. Quant à l'extension géographique du typhus exanthématique en Europe, il résulte des travaux de Griesinger et de Hirsch que le typhus exanthéma- tique était, du commencement du seizième jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, répandu sur tous les pays de l'Europe comme la forme la plus ordi- naire des maladies typhiques; pendant les guerres qui eurent lieu au com- mencement de notre siècle, il atteignit sa plus grande extension. Après cette époque, il devint tellement rare sur le continent que quelques auteurs ont pu soutenir qu'il n'existait pas de typhus sans ulcères intestinaux. Depuis une vingtaine d'années les épidémies meurtrières de la haute Silésie, celles qui ont régné pendant la guerre de Crimée, et tout récemment l'épidémie de la Prusse orientale, etc., ont permis de reconnaître la fausseté de cette opinion. Sur les Iles Britanniques et sur quelques points de l'Europe cen- trale, le typhus exanthématique est devenu la forme endémique des mala- dies typhiques. Dans l'Europe méridionale, dans le sud de l'Italie, en Orient, en Hongrie, le typhus exanthématique paraît se rencontrer souvent soit seul, soit mêlé avec d'autres formes typhiques. — De petites épidémies de cette maladie s'observent presque partout à certaines époques et dépendent le plus souvent, mais non toujours, d'une importation de la maladie. § 2. Anatomîë pathologique, L'exanthème caractéristique du typhus exanthématique, la roséole typhi- que, se reconnaît aussi peu sur le cadavre que l'exanthème de la rougeole et de la scarlatine ; car, après la mort, les hypérémies circonscrites du derme qui constituent la roséole pâlissent en même temps que le reste du tégument cutané. Quelquefois, il est vrai, ces hypéréi*ies circonscrites de la peau ont TYPHUS EXANTHÉMAT1QUE, TYPHUS, FIÈVRE PÉTÉCH1ALE, ETC. 677 aussi entraîné dos ruptures vasculair.es et de petites hémorrhagies dans le tissu du derme, et l'on trouve alors la peau des cadavres couverte de pété- chies plus ou moins nombreuses et plus ou moins larges ; mais ce résultat est loin d'être constant, et il faut bien se garder de considérer les pétéchies comme le signe pathognomonique de la « fièvre pétéchiale. » Les taches de roséole qu'on observe pendant la vie sur la peau des malades et dont nous faisons rentrer la description, comme celle des exanthèmes morbilleuv, scarlatineux et variolique dans l'exposé des lésions anatomiques, offrent de la ressemblance avec les taches de rougeole dont elles ont à peu près la gran- deur, la forme et la couleur ; quelquefois aussi ces taches sont par endroits devenues confluentes et forment des figures irrégulières, en se réunissant ; mais elles ne sont pas, comme les taches de rougeole, couvertes de petites papules. Tantôt elles sont au niveau de la peau environnante, tantôt elles s'élèvent légèrement au-dessus. Tandis que dans la fièvre typhoïde on est quelquefois forcé de rechercher avec attention sur le ventre et la poitrine du malade les taches de roséole le plus souvent très-rares et n'existant même pas dans tous les cas, les taches de roséole du typhus exanthématique ne sont nullement bornées aux régions que nous venons de nommer, mais couvrent, le plus souvent en très-grand #nombre, tout le tronc et les extré- mités et deviennent tellement apparentes que, même à un examen super- ficiel, il n'est guère possible de ne pas les voir. Dans la face, la roséole se montre très-rarement, et cette circonstance suffit pour empêcher toute con- fusion avec l'exanthème de la rougeole et celui du typhus. Le reste des lésions anatomiques est également très-analogue à celles qui s'observent dans les exanthèmes aigus. Si la mort arrive de bonne heure, les cadavres montrent ordinairement peu de maigreur, mais ils présentent une grande rigidité cadavérique et beaucoup de lividité aux endroits déclives. Les muscles sont de couleur foncée, le cœur et les gros vaisseaux contien- nent un sang rouge cerise. La muqueuse bronchique est constamment fort injectée et couverte d'une mucosité visqueuse. Dans le tissu pulmonaire, on trouve souvent des hépatisations flasques plus ou moins étendues et des en- droits atélectasiés. Les glandes bronchiques sont tuméfiées, mais il n'y a pas d'infiltration médullaire. Dans le canal intestinal etlesganglions mésen- tériques on ne trouve aucune modification constante ni essentielle. — La rate est augmentée de volume et de consistance molle. — Si la mort n'est arrivée qu'à une période plus avancée de la maladie, la rigidité cadavérique est plus faible et se dissipe de bonne heure ; les cadavres sont plus maigres; les ailes du nez sont comme couvertes de noir de fumée, les dents et les gencives présentent un enduil fuligineux; le sang ne dépose de la fibrine qu'exceptionnellement, il est poisseux, très-foncé ou tire sur le rouge cerise ; Les parois vasculaires en sont fortement imbibées. Dans le poumon, on trouve ordinairement deshypostases étendues ; la rate est très-gonflée; elle présente 678 MALADIES CONSTITUTIONNELLES, quelquefois des infarctus hémorrhagiques ou de petits abcès. Dans l'estomac et le canal intestinal, on ne trouve pas d'anomalies constantes, mais tout au plus un léger gonflement des glandes solitaires et des plaques de Peyer, comme on l'observe également dans les exanthèmes aigus. Les autres organes ne montrent également aucune anomalie caractéristique ni constante. — Dans les cas rares où la mort est arrivée encore plus tard, à la suite de ma- ladies secondaires, on trouve à l'autopsie les anomalies les plus variées : tumeurs parotidiennes suppurées, résidus de processus croupaux ou diph- théritiques, mortifications étendues du tissu cellulaire, eschares de décu- bitus, gangrène des extrémités, etc. § 3. Symptômes et marche, 11 n'existe pas beaucoup de maladies qui, sous le rapport des symptômes, montrent une identité aussi complète dans les différents cas qui se présentent et dont la marche soit aussi invariablement la même que celle du typhus exanthématique. La 'période d'incubation, qui paraît durer de huit à neuf jours, rarement plus longtemps, n'est ordinairement pas exempte de phénomènes morbides ; mais ces phénomènes consistent en petits frissons, manque de sommeil et d'appétit, en un sentiment de lassitude, d'abattement et de malaise, bref, en symptômes qui précèdent également l'invasion d'autres affections, et qui, par conséquent, ne nous fournissent aucun renseignement sur le genre de la maladie qui va survenir. C'est seulement aux époques où le typhus exan- thématique règne épidémiquement que les phénomènes morbides que nous venons de nommer nous permettent de croire l'individu qui les présente infecté par le virus typhique, supposition qui devient de plus en plus fondée quand on constate en môme temps des symptômes de catarrhe, toux, coryza, et les yeux brûlants. Dans les deux premiers cas que j'ai observés à l'hôpital de Magdebourg, je croyais n'avoir affaire, pendant la période d'incubation, qu'à une simple fièvre catarrhale. L'intensité de ces prodromes varie : ainsi, pendant leur durée, quelques individus vaquent à leurs affaires, et d'autres sont déjà forcés de garder le lit à cette époque. La période d'invasion du typhus exanthématique commence par un frisson unique d'une grande violence et d'une longue durée, ou bien par des fris- sons répétés suivis d'une sensation de chaleur forte et prolongée. Presque toujours les malades ne sont plus en état de quitter le lit dès le premier fris- son, ils se sentent faibles et abattus au dernier degré, se plaignent de pesan- teur et d'embarras de la tête, quelquefois aussi d'une céphalalgie violente, qu'assez souvent des saignements de nez viennent passagèrement soulager, il faut ajouter à cela des vertiges, des éblouissements, des bourdonnements TYPHUS EXANTHÉMATIQUE, TYHPUS, FIÈVRE PÉTÉCHIALE, ETC. 679 d'oreilles, de la surdité, des sensations douloureuses dans les muscles, des tremblements pendant les mouvements des extrémités; les malades sont le plus souvent déjà dans un état de stupeur, murmurent des mots inintelli- gibles en dormant et ont môme de la mussitation étant éveillés. D'autres sont agités et inquiets, leur délire a un caractère de frayeur ou de fureur, et l'on peut à peine les retenir au lit. A ma première visite, je trouvai le premier malade, qui de la maison de force avait été dirigé sur l'hôpital, vêtu de la camisole de force. — Outre ces symptômes d'un trouble de l'innervation, la période d'invasion du typhus exanthématique se distingue presque toujours par des signes de catarrhe intense : les yeux craignent la lumière et sont fortement rougis, la sécrétion lacrymale est augmentée, le nez est sec et bouché, ou sécrète un produit d'abord liquide, plus tard épais et se dessé- chant en croûtes; la déglutition elle-même est souvent embarrassée et dou- loureuse, la langue couverte d'un enduit blanc, le goût pâteux; quelquefois il y a des nausées et des vomissements, et assez souvent quelques selles en diarrhée. Un symptôme plus constant que ceux-ci, qui dans quelques cas manquent ou sont à peine marqués, consiste en une toux fatigante, souvent rauque, faisant expectorer de petites quantités d'une mucosité visqueuse, parfois mêlée de sang. A l'auscultation, on entend beaucoup de rhonchus. - — Sur le degré et la marche de la fièvre, nous possédons un petit nombre d'observations exactes que nous devons pour la plupart à Wunderlich. D'après ces observations, la température s'élèverait, dès les premiers jours déjà, à txO ou à k\ degrés; le pouls est ordinairement large, plein, mou, rarement dicrote, et montre une fréquence d'environ 100 pulsations à la minute. A raison de la perte d'eau considérable que la température élevée et l'évaporation augmentée font subir au corps du m'alade, la soif est fort augmentée, l'urine rare et saturée. Dès cette période déjà, on peut enfin constater dans la plupart des cas un agrandissement de la rate à la percus- sion. ■ Avec la première apparition des taches de roséole, qui tombe dans la seconde moitié du premier septénaire, ordinairement entre le troisième et le cinquième jour, et ne correspond que rarement au septième jour de la ma- ladie, commence la période d'éruption et d'état, si nous nous en tenons à l'analogie entre le typhus exanthématique et les exanthèmes aigus, analogie qui, il est vrai, n'existe qu'au commencement de la maladie pour s'effacer plus tard. Les taches sont rares au commencement et ne se montrent qu'au tronc, mais bientôt elles augmentent, se répandent sur le cou et les extré- mités, jusqu'à ce que finalement elles couvrent le corps entier, à l'exception de la face. Dans quelques endroits, elles sont plus serrées qu'ailleurs ; ce n'est que par exception que l'éruption est partout clair-semée; mais, même dans ces cas, elle est toujours encore plus abondante que l'éruption de roséole de la fièvre typhoïde, La durée de l' exanthème est [dus longue que 680 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. celle de l'exanthème morbilleux et scarlatineux, car les taches de roséole ne s'effacent que vers la fin du second septénaire, en coïncidence avec la défer- vescence de la fièvre et des autres phénomènes morbides. Plus les taches de roséole se maintiennent longtemps, plus leur coloration, d'abord d'un rouge vif, est remplacée par une teinte livide; elles ne disparaissent alors qu'in- complètement sous la pression du doigt; souvent une partie d'entre elles se transforme en pétéchies bien prononcées. — Les phénomènes généraux ne s'amendent pas avec l'éruption de l'exanthème. Les malades se plaignent moins, il est vrai, de maux de tête et de douleurs articulaires, mais cela pro- vient uniquement de ce que leur sensorium est plus embarrassé; ils n'ont plus les idées bien nettes, ne répondent que lentement et incomplètement aux questions qu'on leur adresse, et ne conservent presque jamais après leur guérison le souvenir de cette période pendant laquelle ils sont en proie à un délire tantôt tranquille, tantôt violent et bruyant, et font souvent des efforts continuels pour sauter hors du lit et s'enfuir. La surdité arrive quel- quefois à un degré très-élevé. La langue, est sèche et couverte d'un enduit brun, la conjonctive est injectée; la toux aie plus souvent diminué, mais la respiration est plus haute et accélérée , les rhonchus sont plus nombreux et le son de la percussion assez souvent étouffé aux endroits déclives du thorax. Les selles sont retardées dans plusieurs cas, dans d'autres il y a une diar- rhée plus ou moins profuse, l'urine s'échappe souvent dans le lit. — D'après Wunderlich, la fièvre se maintient, dans les cas légers, jusqu'à la fin du premier septénaire, au niveau qu'elle avait atteint le troisième ou le qua- trième jour de la maladie, ou bien on remarque à la fin de ce premier sep- ténaire une légère diminution de la température, et le septième ou le hui- tième jour une rémission marquée. Dans les cas graves, la température poursuit, au contraire, son mouvement ascensionnel dans la seconde moitié du premier septénaire et la rémission du septième jour fait défaut. La fré- quence du pouls, souvent à cette époque déjà fort mou et petit, correspond au moins approximativement à l'élévation de la température, de sorte que, dans les cas légers, le nombre des pulsations est de 1 00 et, dans les cas graves, de 120 et au delà à la minute. La rate est ordinairement déjà consi- dérablement tuméfiée vers la fin du premier septénaire. — Dans le second, pendant que l'exanthème prend un aspect de plus en plus livide, tous les phénomènes morbides s'exaspèrent et arrivent ordinairement, vers le milieu ou la tin de cette semaine, à leur summum d'intensité. Les malades alors conservent presque continuellement le décubitus dorsal, les yeux à demi- fermés, les genoux écartés et retombant sur le lit, les mains entre les cuisses, plongés dans une stupeur profonde, d'où il est à peine possible de les réveiller. De temps en temps ils murmurent des paroles inintelligibles, font des grimaces, gesticulent, tiraillent la couverture, cherchent à se re- dresser, essayent de mettre les pieds hors du lit, et presque toujours il est TYPHUS EXANTHÉMATIQUE, TYPHUS, FIÈVRE PÉTÉCHIALE, ETC. G81 facile de s'assurer que, tout en ayant perdu tout sentiment de honte et de décence, et tandis que le monde extérieur réel n'existe plus pour eux, ils n'en continuent pas moins à vivre dans un monde fantastique qui occupe plus ou moins vivement leur esprit. Ils n'accusent aucune soif, quoique leur langue soit desséchée et couverte d'une croûte dure et noirâtre ; mais, lors- qu'on approche un verre d'eau de leurs lèvres, ils essayent de boire avec avidité; souvent cet essai échoue, parce que leur langue tremble ou est rigide et immobile, et parce qu'ils ont également de la peine à avaler. Les ailes du nez présentent ordinairement un enduit fuligineux, les dents et les gencives sont couvertes d'un dépôt visqueux dont la décomposition donne lieu à une odeur désagréable. Chez beaucoup de malades, la peau est cou- verte vers cette époque de pétéchies et de sudamina ; quelques-uns présen- tent des symptômes de pneumonie et d'atélectasie étendue, d'autres enfin des symptômes de parotidite. Assez souvent l'urine contient de l'albumine. Les phénomènes décrits d'un état général gravement atteint et d'une per- turbation profonde de l'innervation, ainsi que la pneumonie, le collapsus pulmonaire, la parotidite, s'observent même dans les cas de typhus exanthé- matique gui suivent une marche favorable, fait qu'il importe de connaître pour ne pas s'en exagérer le danger. — La fièvre s'exagère dans tous les cas au commencement du second septénaire, qu'une rémission se soit pro- duite le septième jour ou non. Dans les cas légers, cette exacerbation ne dure que peu de jours et n'atteint pas un degré très-élevé; mais dans les cas graves l'augmentation de la fièvre dure jusqu'à la fin du second septénaire ou même jusqu'au seizième ou au dix-septième jour, et le thermomètre marque les températures les plus élevées, !\1 degrés et au delà. Le cœur est pendant ce temps non-seulement suragité au dernier degré, mais son action est encore souvent d'une extrême faiblesse; les bruits ne s'entendent que très-indistinctement, le pouls devient petit et à peine marqué, la circulation est ralentie à un si haut degré que, dans les parties éloignées du cœur, la température de la peau tend à se mettre au niveau de celle du milieu envi- ronnant, et que les mains et les pieds paraissent froids, tandis qu'une cha- leur mordicante existe au tronc. La troisième période du typhus exanthématique, que tous les auteurs appellent avec raison la période critique, commence presque régulièrement pendant les derniers jours du second, et exceptionnellement, dans quelques cas très-graves, pendant les premiers jours du troisième septénaire. Avant d'avoir soi-même observé la maladie, on s'imagine à peine l'étonnant chan- gement qui, dans l'espace d'une seule nuit, se produit, au début de la pé- riode critique, dans les phénomènes morbides du typhus exanthématique. Un revirement aussi subit ne se remarque dans aucune autre maladie, dans aucune les malades ne passent avec une rapidité aussi grande d'un étal pa- raissant désespéré à un véritable état de bien-être. Après une exacerbation 682 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. extraordinairement violente de l'ensemble des phénomènes morbides, les malades tombent dans un sommeil calme, profond et prolongé, d'où ils se réveillent avec le sensoiïum plus libre, mais ayant généralement perdu tout souvenir de ce qui leur est arrivé dans les derniers jours et les dernières semaines. Pendant ce sommeil critique, la température du corps a souvent baissé de 2 degrés, la fréquence du pouls de 20 à 30 pulsations; la chaleur mordicante a quitté la peau et a cédé la place à une sueur halitueuse; les taches de roséole ont pâli. — Dans les cas favorables, les malades entrent immédiatement, après cette défervescence, dans une convalescence fort lente, il est vrai. Les malades dorment beaucoup, leur conscience est de moins en moins troublée au réveil, quoiqu'ils continuent de présenter en- core pendant des semaines entières un certain degré de stupeur. L'enduit sale qui couvre les dents et les gencives se détache, la langue redevient hu- mide, l'appétit revient. La toux devient grasse et détache des crachats cuits, la peau, d'où les taches de roséole ont disparu, commence à se desquamer, les pétéchies, s'il en existe, pâlissent, la température du corps et la fré- quence du pouls retombent à l'état normal ou même au-dessous, la rate diminue de volume. Cependant, dans les cas même les plus favorables, il se passe des semaines avant que les malades soient en état de quitter le lit et de se promener dans la chambre. Dans la plupart des cas soumis à mon ob- servation, les malades ont repris possession de toutes leurs facultés intellec~ tuelles bien après le retour des forces physiques. Il n'arrive pas toujours que la période critique passe ainsi sans autres troubles à la convalescence ; très-souvent il se rattache au processus typhi- que proprement dit des maladies secondaires ayant, à ce qu'il paraît, leur point de départ dans la fièvre intense, dans les troubles de la respiration, dans l'abstinence continue, dans la résorption d'exsudats et dans d'autres condi- tions inconnues et hostiles à l'organisme, qui ont pu se développer dans le cours du typhus. Une circonstance qui semble favorable jusqu'à un certain point à cette manière d'envisager les maladies secondaires du typhus exan- thématique, c'est que ces maladies sont les mêmes que celles qui se pro- duisent également après l'évolution du typhus abdominal, de la fièvre puer- pérale, du choléra et de plusieurs processus morbides, qui portent une grave atteinte à l'économie. Quelques malades retombent, sans que l'on puisse con- stater des inflammations d'organes importants ou d'autres causes maté- rielles dans un état de fièvre à laquelle ils succombent quelquefois en pré- sentant les symptômes de l'épuisement le plus complet, parce que leurs , forces déjà trop diminuées en sont rapidement consumées. Chez d'autres malades il se développe après l'évolution du processus typhique des inflam- mations et des suppurations de la parotide, encore chez d'autres des pneu- monies, des pleurésies, des inflammations diphthéritiques et folliculaires de l'intestin; enfin, chez d'autres encore, des furoncles nombreux, des pus- TYPHUS EXANTHEMATIQUE, TYPHUS, FIÈVRE, PÉTÉGHIALE, ETC. C83 tules d'ecthyma ou de grands abcès dans le tissu sous-cutané et intermuscu- laire. Pour beaucoup de malades, les eschares de décubitus, si longues à guérir, deviennent dangereuses, soit par la perte d'humeurs, soit par la résorption de produits ichoreux. Enfin,, il n'est pas rare de voir se produire des coagulations spontanées dans les veines crurales avec leurs consé- quences. La terminaison de beaucoup la plus fréquente du typhus exanthématique est la guérison, c'est du moins ce que l'on a pu constater dans la plupart des épidémies, et surtout dans celles qui ont pris peu d'extension. Cette obser- vation, qu'une issue mortelle est plus rare que le tableau si grave, qu'offre la maladie, ne devrait le faire supposer au premier abord, trouve sans d jii'e son explication dans ce fait que le processus enfermé dans des limites-: déter- minées est en somme d'une durée assez courte. Une fièvre aussi intense que celle du typhus exanthématique ne. saurait être longtemps supportée sans consumer l'organisme. L'hypothèse souvent exprimée que ce qui fait le prin- cipal danger de ces maladies infectieuses, c'est l'élévation de la température qu'elles portent à un niveau tel qu'une paralysie générale doit en être le résultat et la continuation de la vie devenirimpossible, est puissamment cor- roborée par les observations qu'une petite épidémie de typhus permit à Wunderlich de faire dans sa clinique. Non-seulement la mort survenait presque toujours, dans les cas funestes, au moment où la fièvre était à son apogée, mais encore tous les individus chez lesquels la température s'éleva à L\.1° et au delà succombèrent, et, sur quatorze individus qui moururent en tout, cette élévation extraordinaire de la température fut observée cinq fois, par conséquent chez plus du tiers de ces individus. Parmi les malades dont la température ne dépassait jamais 40°, 5 pas un seul ne succomba. Indépendamment des degrés élevés de la fièvre, ce qui menace encore les malades, c'est la bronchite capillaire, la pneu- monie, l'atélectasie. D'autres succombent à des maladies secondaires. Les hémorrhagies épuisantes, la gangrène de la pointe du nez, des doigts et des orteils, la gangrène du poumon et d'autres phénomènes par lesquels les formes particulièrement malignes du typhus, connues sous le nom de fièvre putride, exerçaient autrefois de grands ravages, ont été observées, il est vrai, plus rarement dans les temps modernes ; mais dans les épidémies graves, telles qu'elles régnaient surtout pendant la guerre de Crimée, et qui ne sau- raient être comparées, sous le raport du danger, à celles que nous avons mentionnées plus haut, il n'en est pas moins mort à peu près la moitié des individus. Pour terminer, je ne veux pas passer sous silence une forme abortire, peu connue, du typhus exanthématique, dont j'ai observé quelques cas à l'hôpi- tal de Magdebourg, cas qui s'accordent parfaitement avec les observations plus nombreuses faites pendant les épidémies de Prague en 1843 el 1848, Les 684 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. malades qui, clans les cas observés par moi, avaient toujours été en rapport direct avec les individus affectés de typhus (entre autres, la garde-malade de mon interne), se plaignaient de petits frissons, d'une grande faiblesse, d'em- barras de latête, de céphalalgie frontale, d'abattement des membres, de man- que d'appétit et d'autres phénomènes comme on les observe pendant la pé- riode d'incubation du typhus exanthématique. Au bout d'un certain temps, il survenait des frissons plus forts, suivis d'une sensation de chaleur continue, d'une fréquence considérable du pouls, de stupeur et d'un sommeil agité par des rêves. Quelques malades tombaient même dans un délire tranquille. A cela s'ajoutaient des phénomènes de catarrhe : les yeux injectés étaient très-sensibles à la lumière, la muqueuse nasale gonflée et sèche, le nez en- chifrené ; mais le symptôme le plus remarquable était une toux fatigante donnant issue aune sécrétion rare et visqueuse. De jour en jour nous atten- dions l'éruption de l'exanthème et l'agrandissement de la rate, parce que nous ne pouvions douter qu'il ne s'agit là d'un typhus commençant, mais ces deux symptômes firent défaut; vers la fin du premier septénaire, l'état général s'améliora, le catarrhe et la fièvre se dissipèrent et les malades en- trèrent en convalescence; il leur fallut cependant beaucoup de temps pour se remettre complètement, et, seulement vers la fin du deuxième septénaire, la plupart d'entre eux furent en état de quitter le lit. § ù. Traitement. Nous ne possédons aucun moyen qui nous permette d'abréger la durée du typhus exanthématique; nous sommes donc, en ce qui concerne son trai- tement, exclusivement réduits à une médication symptomatique. Cette mé- dication devant être dirigée de préférence contre les phénomènes morbides qui menacent l'existence du malade, par conséquent avant tout contre la fièvre, et le soin de combattre cette dernière formant également la tâche la plus importante dans le traitement du typhus abdominal, nous renvoyons, pour cette indication, au chapitre suivant. Nous pouvons également ren- voyer à ce chapitre pour les mesures nécessitées par un embarras dangereux de la respiration, par un collapsus intense, par le décubitus et par d'autres phénomènes dangereux. Car tous ces dangers se présentent également dans le typhus abdominal et réclament par conséquent les mêmes remèdes pour être combattus. TYPHUS ABDOMINAL, 1LEOTYPHUS, FIEVRE TYPHOÏDE, ETC. C85 CHAPITRE VIII Typhus abdominal. — Iléotyphus. — Fièvre typhoïde. Dothiénentérie. § 1. Pathogénie et étiologie. L'opinion d'après laquelle le typhus exanthématique représenterait la forme simple et le typhus abdominal ou fièvre typhoïde, la forme plus com- pliquée d'une seule et même maladie, de telle sorte qu'aux modifications que le sang subit dans le premier, il s'ajouterait encore dan; le second des modifications dans les organes qui concourent directement à la formation du sang, c'est-à-dire dans les glandes mésentériques et intestinales, cette opinion n'a, selon nous, rien de fondé. Nous convenons volontiers que les phénomènes morbides de la fièvre typhoïde et du typhus offrent entre eux une certaine ressemblance, mais nous croyons que cette ressemblance, qui est loin d'être une complète identité et qui n'est guère plus grande que celle qui existe entre les symptômes du typhus exanthématique et ceux de la rou- geole typhoïde, ne nous autorise nullement à croire que les modifications du sang soient les mêmes pour les deux formes du typhus ni que le même virus puisse provoquer les deux maladies. Il est tout à fait inadmissible que l'on représente le typhus exanthématique comme le degré inférieur et le typhus abdominal comme le degré supérieur de l'infection typhique, attendu que l'on a vu des épidémies de typhus exanthématique qui étaient beaucoup plus meurtrières que les épidémies de fièvre typhoïde, et que même dans les épidémies bénignes de typhus exanthématique, l'intensité des phénomènes morbides, surtout de la fièvre, est presque toujours plus grande que dans la plupart des cas de typhus abdominal. iNous avons vu, il est vrai, que des ma- lades atteints de varioloïde transmettaient très-souvent à d'autres, par voie de contagion, la variole, et réciproquement que des varioles communiquaient à d'autres la varioloïde, et nous avons reconnu dans cette réciprocité la preuve de l'identité du virus de la variole et de la varioloïde. Mais il en est tout au- trement du typhus exanthématique et de la fièvre typhoïde : jamais l'une de ces deux maladies ne peut communiquer l'autre par voie de contagion, le typhus reproduisant invariablement le typhus, la lièvre typhoïde invariablement la lièvre typhoïde. Il j a donc ici deux virus distincts, et les deux maladies, quoiqu'elles se ressemblent dans quelques uns de leurs symptômes, n'en diffèrent pas inoins essentiellement l'une et l'autre. Si la ressemblance entre la rougeole et la scarlatine était plus grande qu'elle n'est en réalité, ce seul fait que l'infection par le \irus morbilleu.v n'engendre jamais la scarlatine, 686 Maladies constitutionnelles. suffirait complètement pour prouver que les deux maladies ne sont pas identiques et qu'il y a plus qu'une simple différence d'intensité qui les sépare. Toutefois, nous n'irons pas jusqu'à nier la possibilité, ni même la probabilité d'une parenté plus étroite entre les deux virus typhiques qu'entre les virus morbilleux et scarlatinique, et nous ne comparerons pas la prédo- minance de l'une ou de l'autre forme typhique à certaines époques et dans certaines localités au règne d'épidémies de rougeole, se reproduisant coup sur coup dans certains moments et dans certains endroits, et d'épidémies de scarlatine régnant presque exclusivement clans d'autres moments et dans d'autres endroits. Car la parenté, ou pour tenir un langage plus général, l'analogie entre les deux virus est prouvée, non-seulement par la similitude de leurs effets, c'est-à-dire des phénomènes morbides, mais encore parla ressemblance entre les conditions qui président au développement de l'un ou de l'autre virus. L'évidence de cette ressemblance ressortira des considé- rations suivantes. Pour le typhus abdominal, je considère comme plus probable encore que pour le tiphus exanthématique, qu'il peut se répandre par contagion aussi bien que par miasme, ou — pour me servir d'une expression qui rende mieux ma manière d'interpréter les faits concernant l'origine contagieuse ou miasmatique des maladies — que le germe morbide formant la base du typhus abdominal peut se développer et se reproduire aussi, bien dans l'or- ganisme d'un individu atteint de la maladie qu'en dehors de cet organisme, s'il rencontre des conditions favorables à son développement et à sa multi- plication» Je ne puis donner, il est vrai, de preuves positives à l'appui de cette opinion ; mais je me vois forcé de contester que la contagion soit le seul mode de propagation de la fièvre typhoïde, comme beaucoup d'auteurs l'ont prétendu dans ces derniers temps, ou qu'elle paraisse seule probable d'après l'analyse des faits soumis à notre observation. Le contagium de la fièvre typhoïde n'est pas aussi actif que celui du typhus. Il est hors de doute qu'il adhère principalement aux déjections des malades, et que les personnes qui s'exposent le plus à être infectées sont celles qui reçoivent les émanations des selles typhiques. Pal* contre, je doute fort que l'exhalation de la peau et l'air expiré par le malade qui sont certai- nement les véhicules du contagium du typhus exanthématique, mais qui sûrement ne renferment pas le contagium cholérique, puissent transmettre le typhus abdominal. Il est rare que le garde-malade ou le médecin d'indi- vidus atteints de fièvre typhoïde gagne la maladie par voie de contagion; et, quand la contagion a lieu, il reste toujours à se demander si elle résulte des émanations provenant du malade lui-même ou de ses déjections. Dans tous les cas, l'usage des vases de 'nuit, chaises percées et latrines, qui ont reçu les déjections des individus atteints de typhus abdominal paraît plus dangereux que les rapports avec les malades eux-mêmes. TYPHUS ABDOMINAL, 1LÉOTVPHUS, FIÈVRE TYPHOÏDE, ETC. 687 L'origine miasmatique de la maladie se montre dans toute son évidence dans les cas où la fièvre typhoïde visite des localités éloignées de toute com- munication, où depuis des années il ne s'est plus présenté aucun cas de fièvre typhoïde et où il est impossible de croire à une importation du conta- gium. Si l'on ne considère pas comme un axiome qu'une maladie miasma- tique ne peut jamais devenir contagieuse, on n'a pas besoin, pour expliquer ces cas, de recourir à des hypothèses hasardées. L'explication la plus simple et la plus vraisemblable est que les organismes inférieurs que nous considé- rons comme le germe du typhus abdominal se montrent, non-seulement dans le corps des malades et dans leurs déjections, mais encore en dehors de l'économie, et qu'ils peuvent, s'ils rencontrent des conditions favorables, se multiplier à l'infini. — Les conditions qui favorisent ce développement et cette multiplication des germes morbides du typhus abdominal, nous les connaissons au moins en partie ; car il est possible de démontrer que cette affection se montre sporadiquement, et par épidémies à foyers restreints, principalement dans les locaux où des quantités considérables de matières animales se trouvent en voie de décomposition. L'absorption des germes parait se faire principalement par l'intermédiaire du poumon ; toutefois, on connaît aussi quelques exemples où tous les individus qui avaient bu de l'eau provenant d'un même puits, en communication avec une fosse d'ai- sance, ont contracté la fièvre typhoïde. Les germes du typhus abdominal peuvent-ils également pénétrer dans l'organisme par l'usage de viande cor- rompue? c'est ce que je ne saurais affirmer. L'épidémie si connue d'An- delfingen, que l'on a souvent citée comme exemple à l'appui de ce genre d'infection, n'était certainement pas, comme Liebermeister l'a démontré contradictoirement àGriesinger, un typhus abdominal, mais elle n'était pas davantage, comme Griesinger l'a démontré contradictoirement à Lieber- meister, une épidémie de trichines. Dans les grandes villes très-peuplées, il est bien rare que l'on soit en étal de s'assurer si les cas de fièvre typhoïde, qui ne cessent pour ainsi dire jamais de s'y présenter, sont de nature miasmatique ou contagieuse. Dans tous les cas, les conditions sont très-favorables dans ces localités pour le développement et la multiplication des germes morbides autochthones, aussi bien que des germes importés avec les déjections des individus atteints de typhus, attendu que le sol des grandes villes contient en général d'é- normes quantités de matières animales en voie de décomposition et de putréfaction. Pcttenkofer a calculé qu'à Munich il faudrait cent cinquante voitures par jour pour emporter les excréments de la population, mais qu'en moyenne il n'en sort que dix, de sorte que plus des sept huitièmes de ces matières resteraient dans la ville et y seraient absorbées par le sol. — Ndus verrons plus loin que, dans les pays où régnent les miasmes palu- déens, le nombre des fièvres intermittentes augmente et diminue à mesure 688 xMALADIES CONSTITUTIONNELLES. que le niveau de l'eau des marais s'abaisse ou s'élève, pour la raison que ces changements de niveau favorisent la putréfaction des matières végétales d'où dépend le développement du germe morbide des fièvres intermittentes, du miasme paludéen. De même, nous savons par l'expérience que le nom- bre des cas de fièvre typhoïde diminue et augmente dans les contrées où règne cette maladie avec l'augmentation et la diminution de l'humidité du sol, condition qui s'explique d'une manière très-simple par ce fait que des conditions données d'humidité du sol sont favorables ou défavorables à la décomposition des matières animales d'où dépend le développement des germes typhiques. On a souvent fait l'observation que le dessèchement subit d'un sol humide auparavant, ou, comme on dit peut-être à tort, l'a- baissement subit du niveau des eaux souterraines, coïncidait avec une augmen- tation du nombre des cas de fièvre typhoïde. Ce phénomène est facile à comprendre si l'on se rappelle l'explication que nous avons donnée. Mais encore, les exceptions, c'est-à-dire les cas dans lesquels l'augmentation de l'humidité d'un sol jusque-là très-sec, ou, si l'on veut, l'élévation subite du niveau des eaux souterraines, coïncidait avec une augmentation des cas de maladie, n'ont rien d'étonnant ; il en est de même des cas où, à niveau égal des eaux souterraines, le nombre des cas de maladie présentait de fortes oscillations. En effet, il n'y a pas seulement le degré d'humidité du sol, mais encore beaucoup d'autres conditions qui favorisent ou empêchent la putréfaction des matières animales et avec elle le développement des germes typhiques. La réceptivité pour le virus' typhique est très-inégale chez les divers indi- vidus. Un fait tout d'abord intéressant, et qui se produit aussi pour d'autres maladies infectieuses, c'est que les individus qui, pendant longtemps, ont séjourné dans des localités particulièrement dangereuses à habiter (par exemple, à Munich) sans être atteints de la fièvre typhoïde, sont moins ex- posés, quand une épidémie vient à y éclater, que les personnes nouvelle- ment arrivées. Il n'est guère admissible que ce phénomène provienne d'une prédisposition de prime abord moins prononcée chez les premiers à con- tracter la maladie régnante, et cela pour la raison très-simple qu'après une absence prolongée, ils sont à leur retour tout aussi exposés que les nou- veaux venus ; mais il s'agit sans doute ici d'une accoutumance fort difficile à expliquer, du reste, pour le virus typhique. — Les relevés statistiques sur l'influence qu'exercent l'âge, le sexe, la manière de vivre, les conditions d'existence, les constitutions sur la prédisposition à contracter la fièvre ty- phoïde prouvent que les nourrissons et les vieillards en sont atteints très- rarement, que l'âge moyen y est particulièrement sujet, que les hommes payent à la maladie un tribut un peu plus fort que les femmes, que les individus robustes et bien nourris sont frappés beaucoup plus facilement que les individus faibles et mal nourris, que dans les classes pauvres la ma- TYPHUS ABDOMINAL. ILÉOTYPHUS, FIÈVRE TYPHOÏDE, ETC. 689 ladie est relativement plus commune que dans la classe aisée. L'antago- nisme tant soutenu autrefois entre la fièvre typhoïde et la tuberculose n'a rien d'absolu : cependant il est vrai que les individus tuberculeux contrac- tent rarement la fièvre typhoïde. On peut en dire autant des individus atteints de cancer, de maladies du cœur ou d'autres affections chroniques ou aiguës, enfin des femmes enceintes et des nourrices. L'état puerpéral pro- cure une immunité presque absolue pour le typhus abdominal. Une pre- mière atteinte de la maladie fait disparaître, à quelques rares exceptions près, la prédisposition à des atteintes nouvelles. Depuis la seconde et la troi- sième décade de ce siècle, le typhus exanthématique étant devenu plus rare, la fièvre typhoïde a pris une extension très-considérable. Sur le conti- nent européen elle constitue la forme ordinaire du typhus, sauf les contrées nommées au chapitre précédent. Ainsi, nous la rencontrons dans l'extrême nord, en Russie, en Danemark, dans l'Europe centrale, en Allemagne, en France, dans les Pays-Bas, en Suisse, enfin elle n'est pas rare non plus dans le midi, en Italie, en Syrie dans la Turquie d'Europe. Sur les Iles Britan- niques; le typhus exanthématique est à la vérité la tonne prédominante ; cependant on rencontre aussi à côté de lui le typhus abdominal, surtout dans les petites villes et dans les parties du littoral d'Angleterre peu visitées par les Irlandais. (Hirsch, Griesinger.) § 2. Anatomie pathologique. À l'exemple de Hammernik, nous décrirons d'abord les lésions anato- miques que l'on découvre sur les cadavres d'individus morts pendant les premières semaines de la maladie, avant que le processus typhique, propre- ment dit, ait achevé son évolution. Ensuite nous parlerons des modifica- tions qu'offrent les cadavres, quand la mort a eu heu plus lard, pendant l'évolution régressive des lésions occasionnées par le processus hphique. Les cadavres d'individus morts pendant les premières semaines de la fièvre typhoïde ne'montrcnt pas à l'aspect extérieur un amaigrissement bien consi- dérable; la rigidité cadavérique est très-prononcée, aux endroits déclives on trouve une forte lividité cadavérique et, dans la région du sacrum, quel- qu< fois les premiers indices du décubitus. Très-souvent les narines parais- sent comme enfumées, et les dents et les gencives couvertes d'un enduit fuligineux. La peau est couverte de nombreux sudamina. A l'ouverture des cadavres on est frappé par l'aspect rouge foncé, par la consistance ferme et la sécheresse des muscles. — Le sang contenu dans le cœur et dans les vais- seaux représente un liquide épais, foncé, ne contenant que très-peu de caillois mous, noirâtres, rarement quelques dépôts Sbrineux décolorés. Les analyses chimiques cl microscopiques du sang des individus atteints de NlFMKYV.lt. U. — M 690 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. typhus abdominal n'ont donné jusqu'à présent que des résultats négatifs, quant aux anomalies essentielles, c'est-à-dire celles qui pourraient dépendre directement de l'infection typhique. La diminution de la fibrine se ren- contre également dans d'autres maladies infectieuses, l'augmentation des corpuscules sanguins, d'où dépend principalement la couleur foncée du sang, parait être purement relative et due à l'épaississement que le sang subit par l'effet de l'évaporation plus considérable et de la perte d'eau occa- sionnée par les diarrhées profuses. Lorsque le processus typhique se pro- longe, il consume le sang et le rend plus pauvre en albumine et en corpus cules sanguins. — Le cerveau et la moelle épinière ne laissent apercevoir aucune modification anatomique constanle qui soit en rapport avec les troubles fonctionnels graves que ces organes ont présenté pendant la vie. Leur contenu sanguin est tantôt grand, tantôt faible, et leur consistance paraît quelquefois augmentée, mais quelquefois aussi diminuée. — Tou- jours on trouve des modifications dans les organes respiratoires; l'ulcère typhique du larynx, dont il a été question au premier volume, est une lé- sion assez fréquente, surtout dans certaines épidémies. Un phénomène constant, c'est le catarrhe répandu jusque dans les bronches les plus fines, avec rougeur foncée de la muqueuse et sécrétion rare et visqueuse. Les poumons montrent aux endroits déclives une hypostase plus ou moins éten- due, consistant tantôt en une simple hypérémie hypostatique et en un épaississement du tissu pulmonaire produit par le gonflement des parois alvéolaires (splénisation), tantôt en un œdème hypostatique, tantôt en une pneumonie dite hypostatique (vol. I). En outre, il existe assez; souvent un état d'affaissement et d'atélectasie s' étendant à des portions plus ou moins considérables du tissu pulmonaire, où les bronches sont devenues imper- méables par le gonflement de la muqueuse et l'accumulation du produit de sécrétion. D'un autre côté, on trouve dans certains cas, déjà au point cul- minant du processus typhique, des pneumonies fibrineuses lobulaires et lobaires qui n'occupent pas les points les plus déclives du poumon et ne dé- pendent pas d'une hypostase ; toutefois ces lésions s'observent beaucoup plus souvent après l'évolution du typhus. Les glandes bronchiques sont tu- méfiées, riches en sang et montrent quelquefois un aspect médullaire, comme nous le décrirons pour les glandes mésentériques. — Le cœur est ordinairement flasque, sa substance musculaire tantôt pâle, tantôt d'un rouge sale, l'endocarde et la tunique interne des troncs vasculaires sont for- tement imbibés, rouges et d'un mauvais aspect. — La rate est fortement augmentée de volume ; elle atteint le double et même le sextuple de la grandeur normale ; son enveloppe est tendue, son parenchyme ramolli en une sorte de bouillie d'un violet foncé ou d'un rouge noir. Dans quelques cas excessivement rares, sa capsule est déchirée, et du sang s'est écoulé dans la cavité péritonéakj à travers la déchirure. — Dans le grand cul-de- TYPHUS ABDOMINAL. ILEOTYPHES. FIEVRE TYPHOÏDE, ETC. 6&-1 sac de 1 estomac, on ne voit tantôt qu'un engorgement des grosses veines, tantôt une rougeur foncée et un relâchement de tonte la muqueuse par l'effet de l'injection des petits vaisseaux et d'une imbibition qui s'est faite après la mort. — Les modifications anatomiques les plus importantes, celles auxquelles l'iléotyphus doit son «nom, se rencontrent dans l'intestin grêle. Hokitansky, dont l'incomparable description du processus typhique sur la muqueuse de l'iléon servira de base à la nôtre, distingue quatre périodes-. Dans la première, dite période de congestion, la muqueuse de l'intestin grêle est le siège d'une hypérémie veineuse intense. Elle se montre tumé- fiée, relâchée, trouble, couverte du mucosités et de masses épithéliales. Cet état est répandu, à la vérité, sur la muqueuse entière de l'intestin grêle, mais il est bien marqué, surtout à sa partie inférieure, dans le voisinage de la valvule iléo-cœcale. Les ganglions mésentériques sont modérément tu- méfiés, mous, gorgés d'un sang de couleur foncée. Dans la seconde période, dite de l'infiltration typhique, la rougeur et la tuméfaction générales de là muqueuse diminuent et se concentrent aux environs des glandes solitaires et des plaques de Peyer. dans la partie inférieure de l'iléon. Dans cette région il se produit des modifications très-caractéristiques et pathognomoniques pour la lièvre typhoïde. En effet, les glandes et les amas de glandes enfle ni fortement et en nombre plus ou moins considérable, au point de dépasser d'une demi-ligne ou d'une ligne ou même davantage le niveau de la mu- queuse environnante. Les proéminences, ordinairement assez fermes et qui laissent apercevoir à travers la muqueuse un reflet gris ou rouge jaunâtre. ont ries bords plats ou taillés à pic. Elles s'implantent sur la tunique muscu- laire sans glisser sur elle et sont intimement soudées à la muqueuse qui les recouvre. Le volume des glandes solitaires tuméfiées varie entre celui d'un grain de millet et celui d'un pois. Les glandes agminées, ou glandes de Peyer, forment par contre des plaques dont l'étendue varie entre celle d'une pièce de 50 centimes et celle d'une pièce de 5 francs ; elles ont une forme généralement ovalaire et se réunissent ordinairement dans le voisi- nage de la valvule au point d'y occuper souvent toute la surface interne d'une portion d'intestin de plusieurs pouces de largeur. A la coupe, la glande malade parait infiltrée d'une masse molle, gris blanc ou rouge pâle, et, quoiqu'on ait reconnu dans ces derniers temps que, dans l'affection ty- pbique des glandes intestinales, il ne s'agit nullement d'une infiltration par un exsudai amorphe, mais d'une multiplication excessive des éléments cellulaires qui s'\ trouvent même dans les conditions normales, on n'en il pas moins presque universellement conservé, pour désigner cet état, l'ex- pression si caractéristique d'infiltration médullaire. Quelquefois la dégéné- ration \a au delà des limites de L'appareil folliculaire, et il se produit aussi dans le lissu conjonclif circmivoisin de la muqueuse une infiltration uiy queux', autrement dil une uéoplasie cellulaire avant son point de départ 692 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. daiis les corpuscules du tissu conjonctif (Virchôw). Les ganglions mésenté- riques ont pris à cette période le développement d'une lève ou d'une noi- sette; ils sont d'une couleur gris rouge et assez résistants. Dans la troisième période, appelée par Rokitansky la période de relâchement, de ramollisse- ment et d'élimination, les modifications qui se produisent dans les glandes malades offrent de grandes différences selon les divers cas de maladie. Assez souvent le processus subit une évolution régressive sans qu'il se produise des destructions dans la paroi des follicules et dans la muqueuse qui les couvre; les ganglions désenflent, leur contenu étant absorbé après que les éléments cellulaires ont subi une métamorphose graisseuse. Tels sont les cas qui paraissent correspondre principalement au typhus dit abortif. Dans d'autres cas, la paroi supérieure des follicules est transformée en une eschare sèche, granuleuse, colorée en jaune par les masses fécales, et cette transformation s'étend, tantôt à toute la surface de la plaque, de sorte que la forme et la grandeur de l' eschare correspondent exactement à la forme et à la grandeur de la plaque, tantôt elle reste limitée à une partie de la surface, et l' eschare prend alors une forme irrégulière, angulaire ou arrondie. Dans d'autres cas enfin, les différentes glandes dont se compose la plaque de Peyer se rompent sans que leur paroi supérieure se mortifie et vident leur contenu dans l'intestin. Cet accident communique à la surface des plaques un aspect caractéristique, troué ou réticulé (plaques à surface réticulée des auteurs français). C'est dans cette période que les ganglions mésentériques atteignent leur plus grand développement; quelques-uns d'entre eux arrivent à la grosseur d'un œuf de pigeon ou même d'un œuf de poule. Leur enveloppe a ordinairement une teinte bleuâtre ou rouge brun, tandis qne leur parenchyme présente un aspect gris rouge et médullaire, Dans la quatrième période, celle de l'ulcération, les eschares qui couvrent les plaques ou les glandes solitaires sont éliminées, tantôt en entier et tout d'une pièce, tantôt après avoir subi d'abord une sorte de désagrégation, et il reste à leur place une perte de substance, un ulcère typhique. Les carac- tères les plus importants de l'ulcère typhique sont, d'après Rokitansky, les suivants : la forme de l'ulcère est ronde ou elliptique, selon qu'il provient d'un follicule solitaire ou d'une plaque de Peyer, et, dans les cas où l' es- chare n'avait couvert qu'une partie de la plaque, l'ulcère est irrégulière- ment sinueux ; la dimension de ces ulcères varie entre celle d'une graine de chènevis ou d'un pois et celle d'une pièce de 5 francs, leur siège est la partie inférieure de l'intestin grêle, et les ulcères occupant les plaques de Peyer sont naturellement placés en face de l'insertion du mésentère. Le diamètre longitudinal des ulcères elliptiques correspond à l'axe longitudi- nal de l'intestin, le bord des ulcères est formé par un limbe dépendant de la muqueuse, large d'environ une ligne, décollé, se laissant déplacer au- dessus de la surface de l'ulcère, dont la couleur, d'abord bleu rougeàtre, TYPHUS ABDOMINAL, ILÉOTVPHUS, FIÈVRE TYPHOÏDE, ETC. 693 devient plus tard gris ardoisé. La base des ulcères est formée par une couche mince du tissu conjonctif sous-muqueux, qui recouvre la tunique muscu- laire. Les ganglions mésentériques commencent à dégonfler immédiatement après l'élimination des eschares, maiscontinuent, pendant longtemps encore d'être plus grands et plus riches en sang qu'à l'état normal. — Cette évolu- tion, en quelque sorte normale, qui se passe sur la muqueuse de l'intestin , est sujette à diverses modifications dont nous allons relater brièvement les plus importantes. Quelquefois l'hypérémie de la muqueuse, au niveau et autour des glandes tuméfiées, s'élève à un degré extraordinaire dans la seconde et la troisième période. La muqueuse est d'un rouge foncé, cou- verte d'ecchymoses, les plaques offrent l'aspect d'excroissances fongueuses, polypeuses, riches en sang, et au contenu de l'intestin se trouve souvent mêlée une forte quantité de sang. Un accident très-dangereux de la troi- sième période, période qui correspond à la formation des eschares, c'est la perforation de l'intestin, qui a lieu lorsque la mortification se produit non- seulement dans la paroi supérieure des follicules formée par la muqueuse, mais encore dans la partie correspondante des tuniques musculaire et sé- reuse. La perforation est suivie d'une péritonite grave. Une inflammation légère du péritoine peut avoir lieu même sans perforation. Très-variées sont les modifications que le processus typhique offre dans le canal intestinal sous le rapport de son extension; tantôt il n'y a d'atteints que quelques glandes de Peyer et des follicules solitaires peu nombreux, tantôt l'iléon est comme parsemé de ces lésions. Dans ce dernier cas on trouve presque tou- jours le processus plus avancé du côté de la valvule que dans les parties supérieures de l'intestin, et quelquefois la différence entre les périodes de développement de ces foyers morbides est si frappante qu'on est forcé de croire à des poussées successives. Dans des cas assez fréquents le côlon lui- même prend part à la maladie (colo-typhus), et alors les glandes solitaires du côlon subissent les mêmes modifications que celles de l'intestin grêle. Il arrive beaucoup plus rarement que le processus se propage au jéjunum et même à la portion pylorique de l'estomac (gastro-typhus) ; dans ces cas, les modifications caractéristiques du typhus abdominal s'observent également dans ces régions, soit sur les glandes solitaires, soit sur quelques portions de la muqueuse qui correspondent ordinairement aux plis de cette mem- brane. Dans les cas où la mort est arrivée après l'évolution du processus typhique proprement dit, pendant la formation régressive des ulcères et autres pro- duits de ce processus, les lésions anatomiques diffèrent sous bien des rapports de celles que nous avonr. décrites jusqu'à présent, et nous ne devons pas nous borner àdécrire purement et simplement les phénomènes qui précèdent la guérison des ulcères, mais il nous reste à jeter également un coup d'oeil sur l'état des autres organes, d'autant plus que ces derniers offrent quelque- 694 MALADIES CONSTITUTIONNELLES: ibis, dans cette période, des modifications anatomiques qui, pendant les pre- mières semaines, ne s'observent pas du tout ou ne s'observent que très-excep- tionnellement. Les cadavres d'individus morts dans le troisième ou le quatrième septénaire du typhus ou plus tard encore montrent un amaigrissement plus ou moins considérable, des téguments pâles, une rigidité cadavérique modé- rée, et, dans les cas où l'anémie est bien prononcée, peu de lividité cada- vérique. Les dents et les gencives sont dans beaucoup de cas couvertes d'un . enduit noirâtre. Dans la région du sacrum, des trochanters, aux coudes, on trouve ordinairement le décubitus sous forme d'une destruction plus ou moins étendue de la peau et des autres parties molles, destruction qui avance quelquefois jusqu'aux os. Aux extrémités inférieures, on trouve sur beaucoup de cadavres un léger œdème, et, dans les cas où l'une ou l'autre veine crurale est oblitérée par un thrombus, un gonflement œdémateux très- considérable de l'extrémité correspondante. Souvent, enfin, on trouve sur la peau des pétéchies, des vésicules miliaires, des pustules d'ecthyma, dans quelques cas des abcès du tissu sous-cutané et intermusculaire et des tumeurs parotidiennes suppurées. — A l'ouverture du cadavre, les muscles ne paraissent plus rouges et secs, mais pâles et humides. Le sang contenu dans le cœur et dans les gros vaisseaux a perdu sa couleur foncée, est fluide et renferme assez souvent des précipités fibrineux abondants, surtout lorsqu'il s'y est ajouté des inflammations de quelque organe important. — Le cerveau est ordinairement pâle, humide, les points sanguins qui se montrent sur la surface de section sont plus clairs et. tranchent moins que dans les périodes antérieures de la maladie sur la substance blancbe*tlu cerveau. — Dans les poumons, on trouve très-souvent, outre l'hypostase étendue, des pneumo- nies lobaires et lobulaires, dans les plèvres quelquefois des exsudats inflam- matoires ; s'il existe des ulcères typhiques du larynx ils pénètrent dans les parties profondes, et ont atteint le périchondre, qui peut même être entamé. Dans quelques cas rares, on trouve une périchondrite laryngée sans ulcères de la muqueuse (vol. 1). — Le cœur est extraordinairement flasque, l'endo- carde et la tunique interne des vaisseaux sont fortement imbibés. — La rate est dégonflée, son enveloppe est souvent ridée, son tissu flasque et pâle, quelquefois elle contient des infractus hémorrhagiques. — L'engorgement des gros vaisseaux etl'hypérémie capillaire du grand cul-de-sac de l'estomac ont disparu en même temps que le gonflement de la rate. — Les ulcères de l'intestin grêle sont en voie de guérison ou déjà cicatrisés, surtout dans les cas où la mort a eu lieu à la suite d'autres troubles. Rokitansky donne la description suivante du processus curatif et de la cicatrisation des ulcèi'es typhiques. Le limbe décollé de la muqueuse qui forme le bord de l'ulcère s'applique peu à peu, à partir de la périphérie, à la base de l'ulcère, et se confond avec elle en même temps qu'il devient plus pâle et diminue d'épais- seur. La couche mince de tissu conjonctif qui couvre la tunique musculaire TYPHUS ABDOMINAL, 1LÉOTVPHUS, FIÈVRE TYPHOÏDE, ETC. (595 du fond de l'ulcère, devient blanchâtre, s'épaissit un peu et finit par se transformer en une plaque séreuse, se confondant insensiblement avec le limbe périphérique qui va en s' amincissant de dehors en dedans et se soude avec la plaque centrale. Petit à petit la muqueuse avance au-dessus de cette plaque séreuse vers le centre de l'ulcère, tout en devenant plus mince par l'effet de la tension qu'elle éprouve. Lorsque les bords de la muqueuse arrivent à se toucher et à se confondre, la guérison est achevée. La cica- trice forme une dépression légère due à l'amincissement de la muqueuse, elle est souvent un peu pigmentée, paraît plus lisse que les parties environ- nantes et laisse apercevoir quelques rares villosités. Jamais l'ulcère typliique, en se cicatrisant, n'entraîne un rétrécissement de l'intestin. Pendant la gué- rison des ulcères intestinaux, les ganglions mésentériques reviennent à leur volume normal et se ratatinent assez souvent en petits corps solides d'un gris ardoisé. Quelques-uns d'entre eux subissent une métamorphose oaséeuse et s'incrustent plus tard de matières calcaires. La guérison des ulcères typhiques ne se fait pas toujours de la manière que nous venons d'indiquer. Quelquefois elle est retardée et finit néanmoins par se produire. Dans d'autres cas, il se forme sur les bords et à la base des ulcères un processus d'ulcéra- tion qui peut s'étendre sur les parois des vaisseaux et entraîner par là d'a- bondantes hémorrhagies intestinales ou perforer la paroi de l'intestin. Il esl difficile de savoir si, dans ces ulcères typhiques à marche lente, la perfora- tion finale de la séreuse est déterminée par une formation de pus dans son tissu, par une mortification plus étendue, ou bien, après la destruction de la musculeuse, par la simple rupture de sa mince paroi. Cette circonstance qu'assez souvent des écarts de régime et des causes agissant mécanique- ment, telles que la compression du contenu de l'abdomen pendant le vomis- sement, précèdent la perforation, tend à prouver que la perforation de la séreuse se fait dans un grand nombre de cas d'une manière purement mécanique. Indépendamment des résidus du processus typhique, propre- ment dit, on trouve quelquefois dans le canal intestinal, surtout dans le gros intestin, quand la mort a eu lieu à une période ultérieure de la maladie, les modifications anatomiques d'une inflammation eroupale et diphtbéritique de la muqueuse, qui, dans quelques cas très-exceptionnels, se rencontre même dans la vésicule biliaire. Enfin, il nous reste à mentionner parmi les modifi- cations anatomiques une néphrite plus ou moins étendue, une thrombose vei- neuse, lésions que l'on trouve assez souvenl dans les cadavres après l'évolu- tion du processus typliique proprement dit. 69t> MALADIES CONSTITUTIONNELLES. § 3. Symptômes et marche. Dans un très-grand nombre de cas le début de la maladie est précédé, pendant des jours ou des semaines, de prodromes vagues qui ne permettent pas encore de reconnaître positivement la nature de l'affection à venir, mais qui prennent quelquefois une signification pathognomonique plus tard, après l'invasion de la maladie, parce qu'ils peuvent contribuer à faire distin- guer, en cas de doute, la fièvre typhoïde d'autre processus débutant le plus souvent brusquement et sans prodromes. Ces prodromes consistent en malaise général, changement d'humeur, grande lassitude et grande pros- tration, anorexie, troubles de la digestion, sommeil agité et tourmenté par des rêves, maux de tête, vertiges, douleurs vagues et erratiques dans les membres, prises ordinairement pour des douleurs rhumatismales, assez souvent enfin, en épistaxis répétées. La durée des prodromes varie entre quelques jours et plusieurs semaines. Comme vrai début de la maladie, on considère le moment où, pendant la durée des prodromes, il se présente pour la première fois un frisson plus ou moins violent, ou bien, s'il n'y a pas eu de prodromes, un frisson survenant en pleine santé, qui apprend aux individus qu'ils vont être malades. Il est rare cependant que ce frisson soit aussi violent et aussi long que ceux qui inaugurent le paroxysme fébrile d'une fièvre intermittente ou d'une pneu- monie; ordinairement il n'y a ni tremblements ni claquements de dents. Souvent le frisson ne reste pas unique, mais il s'en produit successivement plusieurs ; enfin il y a des cas dans lesquels ce symptôme manque complète- ment. De là il résulte que, surtout chez les malades qui s'observent peu, on est loin d'obtenir toujours des renseignements commémoratifs exacts sur le moment de l'invasion de la maladie, ni de reconnaître si cette dernière est arrivée au septième ou au huitième, au treizième ou au quatorzième jour de sa durée... Aux périodes anatomo-pathologiques que le processus typhique parcourt sur la muqueuse intestinale ne correspondent nullement des périodes cli- niques bien marquées, qui nous permettent de bien séparer les uns des autres les phénomènes morbides appartenant à la congestion, à l'infiltration typhique, à la production d'eschares, à l'ulcération et de tracer un tableau clinique pour chacune des phases de ce processus. Le temps qui s'est écoulé depuis le premier frisson ne donne pas non plus un point de repère positif pour la phase anatomo-pathologique où est entré le processus typhique sur la muqueuse intestinale ; par contre, on peut soutenir qu'à la fin du troi- sième et au plus tard du quatrième septénaire, le processus typhique, pro- prement dit, est arrivé à son terme et que les phénomènes morbides qui TYPHUS ABDOMINAL. 1LEOTÏPHIÎS, FILTRE TYPHOÏDE, ETC. 697 peuvent encore s'observer à ce moment n'appartiennent qu'aux résidus de ce processus et h la série des maladies secondaires qui se sont développées a la suite des modifications primitives du sang et des différents organes, provo- quées par l'infection typhique elle-même. C'est ce qui a engagé Hammernik à distinguer une « première et une deuxième période de la crase sanguine typhique; » Vogel, se plaçant au même point de vue, parle, dans son rap- port sur la clinique de Pfeuffer, de deux groupes de symptômes, « les sym- ptômes d'intoxication et les symptômes de réaction, » enfin Griesinger dis- tingue une première et une seconde période de la maladie. A notre tour, nous diviserons en deux catégories l'ensemble des symptômes de la maladie, et nous exposerons d'abord les symptômes du processus typhique lui-même, ensuite ceux des états consécutifs à ce processus. Les premiers correspondent, comme nous l'avons dit plus haut , aux trois ou quatre premiers septé- naires, les seconds aux périodes ultérieures de la maladie. Dès le premier septénaire, la faiblesse et l'abattement des malades arri- vent déjà à un très-haut degré ; il en est très-peu qui conservent assez de force pour quitter momentanément le lit pendant les premiers jours ; eu même temps, ils accusent une céphalalgie plus ou moins violente, ayant son siège principal au front, des douleurs vagues dans les extrémités, des bour- donnements d'oreille, des éblouissements, des vertiges qui augmentent sur- tout lorsqu'ils se mettent sur leur séant ou essayent de faire quelque pas. Le sommeil est inquiet et interrompu par des rêves alarmants, pendant lesquels les malades prononcent souvent à haute voix quelques paroles incohérentes ou des phrases entières. A l'état de veille, ils conservent presque toujours leur connaissance entière pendant la première semaine de la fièvre typhoïde, tout en se montrant fort indifférents et en répondant lentement et avec humeur aux questions qu'on leur adresse. La soif est très-vive, l'appétit nul, la bouche pâteuse ou amère ; beaucoup de malades demandent qu'on leur prescrive un vomitif, s'imaginant qu'ils ont l'estomac dérangé ; les selles sont quelquefois en diarrhée, mais le plus souvent elles sont retardées pen- dant les premiers jours, et ce n'est que sur la fin de la semaine qu'il y a plu- sieurs fois par jour des évacuations molles ou déjàliquides; dans d'autres cas encore, les selles sont retardées pendant la semaine entière, ce qui engage quelques médecins imprudents à prescrire des laxatifs. Si l'on a fait une pareille prescription, ou bien si l'on a ordonné un vomitif au commence- ment de la maladie, il survient presque toujours de bonne heure une diar- rhée violente, difficile à arrêter. Les selles diarrhéiques des individus atteints de fièvre typhoïde ne sont presque jamais accompagnées de fortes coliques. Très-souvent il se produit dans la première semaine des saignements de nez répétés, qui généralement ne deviennent pas très-abondants et font dimi- nuer la céphalalgie. Dans la plupart des cas, mais non constamment, la lou\ cl l'expectoration trahissent le catarrhe bronchique qui presque tou- 698 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. jours peut déjà être physiquement constaté dans le premier septénaire. — Parmi les phénomènes objectifs, le premier qui frappe l'attention, c'est l'altération des traits du malade. Tant qu'il garde la position horizontale, la face, surtout aux joues, est rouge; lorsqu'il est au contraire sorti du lit, il parait pâle et défait. Même pendant les premiers jours, il est rare que la langue soit couverte d'un enduit épais, qu'elle soit humide, large et laissant apercevoir l'empreinte des dents sur ses bords ; elle montre encore un enduit épithélial mince et blanchâtre, marqué de points rouges par quelques papilles proéminentes ; en même temps elle est couverte d'une mucosité visqueuse et paraît étroite et pointue. Ordinairement le mince enduit épi- thélial se détache peu à peu et la langue se montre alors, d'après l'excellente description de Vogel, humide, polie, comme couverte d'une peau de bau- druche, déjà disposée à être sèche, et d'un rouge éclatant. Lorsqu'au com- mencement il y a un enduit plus épais, plus fortement adhérent, l'élimina- tion de cet enduit se fait ordinairement en allant de la pointe en arrière et des bords vers le centre, ce qui fait paraître l'enduit blanc jaunâtre encadré de bords rouges devenant de plus en plus larges ; mais dans certains cas, cette élimination débute aussi par le centre, de sorte que sur la ligne mé- diane on voit apparaître une strie longitudinale rouge, plus ou moins large, ayant une tendance marquée à devenir sèche, et sur les côtés deux bandes d'un blanc jaune, humides et visqueuses. Souvent la strie centrale s'élargit en avant et s'efface en arrière, de sorte qu'à la pointe de l'organe on aper- çoit dans l'enduit blanc un triangle rouge dont le sommet est dirigé en arrière. Malgré ce trouble singulier de la nutrition à la surface de la langue et la diminution de la sécrétion dans l'intérieur de la bouche, Vogel n'a rien pu trouver de particulier à l'examen microscopique de l'enduit de la langue. La palpation et la percussion ne laissent apercevoir aucune anomalie du cœur et des poumons, à l'auscultation on entend dans la poitrine, déjà pendant les premiers et très-constamment pendant les derniers jours du premier septénaire, une sibilance plus ou moins étendue qui doit son origine au catarrhe des petites ramifications bronchiques. — L'abdomen est ordinairement dès les premiers jours déjà un peu ballonné et tendu, une pression profonde que l'on exerce sur lui est sensible pour la plupart des malades, et cette sensibilité à la pression se montre non-seulement dans la région iléo-csecale, mais encore aux environs du nombril et à l'épigastre. En comprimant la fosse iliaque droite on entend, surtout dans les cas où de fortes diarrhées se sont déjà produites, un gargouillement particulier dont on exagérait beaucoup autrefois la valeur séméiologique, le bruit iléo-cœcal. L'augmentation de volume de la rate est très-prononcée vers la fin du pre- mier septénaire. La rate agrandie a ordinairement une position se rappro- chant de la position horizontale ; elle dépasse rarement le rebord des côtes et se trouve déplacée en haut et en arrière, du côté de la colonne vertébrale, TYPHUS ABDOMINAL. ILÉOTYPHUS, FIÈVRE TYPHOÏDE, ETC. 699 par les intestins distendus. La tumeur splénique du typhus abdominal est donc très-exceptionnellement accessible à la palpation, et encore sa mol- lesse ne permet-elle pas de circonscrire toujours exactement les contours de son bord inférieur. Si l'on fait coucher, au contraire, les malades sur le coté droit en leur disant de mettre la main gauche sur la tête, on trouve, en per- cutant les cotes inférieures, à gauche, une matité ayant jusqu'à 17 centi- mètres de longueur sur 10 à 11 centimètres de largeur et qui, correspon- dant à la huitième, à la neuvième et à la dixième côte, atteint en arrière presque la colonne vertébrale et en avant le bord antérieur des côtes qu'elle peut même dépasser. Une augmentation ou une diminution de la rate qui ne va pas au delà d'un centimètre, voire même d'un demi-centimètre, ne peut être reconnue à la percussion, quoi qu'en disent les coryphées de la plessimétrie. En supposant même que positivement la matité ait subi une petite diminution ou augmentation, il faut encore songer que cela peut dé- pendre non-seulement d'une diminution ou d'un agrandissement de la rate, mais encore d'un changement de position de cet organe. Une rate fortement luméflée peut donner très-peu de matité, lorsqu'elle est poussée par le météorisme des intestins dans l'excavation du diaphragme, de manière à ne toucher la paroi thoracique que par une surface peu étendue. Sur l'épi- gastre et les parties avoisinantes du ventre et de la poitrine on trouve sou- vent, en y regardant de près, déjà pendant les derniers jours du premier septénaire des taches de roséole d'un rouge pâle, ayant à peu près l'é- tendue d'une lentille et proéminant légèrement au-dessus du niveau de la peau environnante. Les symptômes objectifs les plus importants sont enfin ceux de la fièvre. La température du corps s'élève, suivant un type assez régulier, presque pathognomonique pour le typhus abdominal (voyez plus has). Pendant la première semaine, la température du soir est d'environ un degré plus élevée que celle du matin, la température matinale du lende- main dépasse d'environ un demi-degré celle de la soirée précédente. Ainsi, un malade qui ce soir aura une température de ZiO degrés, aura demain matin une température de 39°, 5, demain soir de £i0°,5. Vers la fin du pre- mier septénaire quelquefois la température du soir ne subit pas une nou- \ elle augmentation, mais alors encore celle du matin a presque toujours un demi-degré de moins que celle du soir (Wunderlich). La fréquence du pouls s'élève pendant le premier septénaire, ordinairement à 90 ou à 100 pulsa- lions, et souvent plàs haut. Le maximum de cette fréquence est loin de tou- jours correspondre au maximum de l'élévation de température, attendu qu'indépendamment de la température il y a encore d'autres causes dont on ne peut pas toujours se rendre compte et qui exercent une influence sur l'action du cœur. Entre autres, le nombre des pulsations que l'on avait comptées pendant que le malade ('-tait couché tranquillement dans son lil augmente de 20 à 30 à la minute quand il est resté assis pendanl uti certain 700 MALADIES GOJSSTITUTJJpNN ELLES, temps, qu'il a fait un effort ou qu'il a été agité par un événement quel- conque. Quant à la qualité du pouls, l'onde sanguine est ordinairement assez grande, mais l'artère reste molle pendant sa diastole, et très-souvent on sent que le premier soulèvement de l'artère est suivi d'un second plus faible, qu'en un mot, le pouls est dicrote ou redoublé. Ce dicrotisme, qui est loin d'appartenir exclusivement au typhus abdominal, mais qui dans aucune autre maladie ne s'observe aussi fréquemment que dans celle-ci, et qui par conséquent n'est pas dépourvu de toute valeur séméiologique, provient peut-être de ce que les éléments contractiles de la paroi artérielle sont peu actifs et se trouvent, pour employer le langage habituel, clans un état semi- paralytique. Toujours est-il permis d'admettre que, si la paroi artérielle ne contenait aucune fibre contractile et n'était composée que d'éléments élas- tiques, le premier battement, produit par l'onde sanguine, serait suivi d'un battement secondaire parfaitement apparent. — L'urine est très-concentrée dans la première semaine de la maladie, foncée en couleur et d'un poids spécifique plus élevé (1020 et au delà), comme c£la existe d'ailleurs dans toutes les fièvres violentes. La quantité absolue de l'urine n'est pas diminuée, d'après les recherches de Vogel, quand les individus remplacent, en buvant copieusement, la perte d'eau que leur occasionnent l'évaporation plus abon- dante et la diarrhée. La forte augmentation de la production d'urée, com- parativement à la nourriture prise par le malade, augmentation constatée pour la première fois par l'auteur que nous venons de nommer, est en rap- port avec l'élévation de la température, élévation qui elle-même dépend de l'activité plus grande de l'usure organique. A une époque ultérieure, quand la fièvre disparaît, l'augmentation de la production d'urée disparait à son tour et tombe souvent au-dessous des proportions normales, de même, que la température. Les chlorures alcalins sont diminués dans l'urine des individus atteints de fièvre typhoïde. L'explication de ce phénomène est moins simple que celle de l'augmentation de l'urée. Il dépend, d'une part, de la faible alimentation, et par conséquent aussi de la faible quantité de sel de cuisine introduite dans le corps avec les aliments ; d'autre part, de la diarrhée qui tend à éliminer les chlorures alcalins en plus grande abon- dance et peut-être aussi de ce que le sang privé d'albumine tient en disso- lution de plus fortes quantités de sels. Dans tous les cas, ni l'augmentation de la quantité d'urée, ni la diminution des chlorures alcalins, ni enfin le faible degré d'albuminurie qui s'observe également dans la fièvre typhoïde ne constituent des modifications de l'urine qui soient pathognomoniques pour le typhus abdominal, attendu qu'on les rencontre également dans d'autres maladies accompagnées de fièvre violente et d'exsudations. Dans le second septénaire de la fièvre typhoïde, les malades n'accusent plus de maux de tête, ni de douleurs dans les membres, mais le vertige augmente d'intensité, et aux bourdonnements d'oreille s'ajoute presque toujours un TYPHUS ABDOMINAL, 1LÉOTYPHUS, FIÈVRE TYPHOÏDE, ETC. 701 certain degré de surdité, qui toutefois ne dépend pas d'un trouble del'inner- \ation, mais d'une propagation du catarrhe typhique de la bouche et de l'arrière-bouche à la trompe d'Eustache et à la caisse du tympan. L'exprès" sion de la face devient plus stupide, l'indifférence des malades pour leur entourage augmente ; l'intelligence, généralement intacte dans le premier septénaire, se trouble, et les malades tombent peu à peu dans un état de somnolence et de stupeur, d'où on a de la peine à les tirer même pour uu court instant. Malgré la sécheresse de la bouche, ils ne témoignent aucune envie de boire, mais ils boivent avec une grande avidité quand on approche de leurs lèvres un verre rempli d'eau. Pour leur faire comprendre qu'ils doivent tirer la langue, il faut souvent le leur demander à plusieurs reprises et insister énergiquement et lorsqu'à la fin, après plusieurs efforts inutiles, ils sont parvenus à faire sortir de la bouche la langue agitée de tremble- ments, ils oublient quelquefois de la retirer, et il faut encore les exciter à cet acte, en les secouant et en leur criant à l'oreille. Les selles et les urines vont très-souvent dans le lit, surtout vers la fin du second septénaire, parce que les malades n'ont pas conscience du besoin de vider le rectum ou la vessie trop remplis, ou bien parce qu'ils négligent de contracter leurs sphincters par une impulsion énergique de la volonté. Beaucoup de ces malades restent couchés continuellement sur le dos, presque sans faire de mouvements; si on les couche sur le côté, le tronc et les membres obéis- sent à la pesanteur, sans que les malades essayent de changer une position même incommode. Par moments seulement, le tremblement des lèvres ou quelques paroles inintelligibles murmurées par les malades laissent aperce- voir que leurs fonctions psychiques ne sont pas absolument éteintes Çfebris nervosa stupida). D'autres malades, tout aussi insensibles pour le monde extérieur, qui se découvrent sans retenue, ne donnent aucune réponse aux questions qu'on leur adresse, et réagissent à peine contre les plus fortes excitations, laissent apercevoir, par toute leur manière d'être, qu'ils sont continuellement agités par des rêves : ils sont toujours en mouvement, jet- tent la couverture toutes les fois qu'on l' étend sur eux, mettent tantôt un pied, tantôt l'autre hors du lit, essayent de se lever et de s'échapper, pro- noncent à voix haute ou à voix basse des paroles qui ont un sens, gesticulent, font évidemment la conversation avec des personnes imaginaires, se mettent en colère quand on les arrête ou qu'on oppose une résistance quelconque à leur volonté (febris nervosa versatilis, fièvre ataxique). On est étonné de l'énergie et de la persistance avec lesquelles ce; malades poursuivent sou- vent le but de l'excitation anormale de leur volonté. Quelquefois ils tournent pendant toute la durée de leur maladie dans un cercle déterminée d'idées délirantes ; ils s'attachent à la poursuite d'un but qu'ils ne peuvent atteindre, sont tourmentés par quelque souci qui les préoccupe continuellement etc.; dans d'autres cas, les suggestions du délire vaiïenl ;'i l'infini, el les idées se 702 MALADIES CONSTITUTIONNELLE^. confondent et se suivent sans lien et sans ordre. L'inquiétude et l'agitation deviennent ordinairement plus considérable le soir et pendant la nuit, et le calme se rétablit au matin et dans la journée. Le revirement est quelque- fois si complet, que pendant le jour on voit naître le tableau de la fièvre nerveuse, accompagnée de stupeur (stupida), et pendant la nuit celui de la fièvre nerveuse ataxique (versatilis). — H y a des cas dans lesquels les ma- lades restent constipés, même pendant le deuxième septénaire du typhus abdominal ; mais, en général, il se produit vers cette époque plusieurs selles liquides par jour. Leur nombre, d'où il n'est pas permis de tirer une conclu- sion sur le nombre et l'extension des ulcères typbiques, attendu que la diarrhée ne dépend pas des ulcères, mais du catarrhe plus ou moins intense et plus ou moins étendu qui les accompagne, varie entre trois et six selles par jour, mais peut s'élever jusqu'à vingt et au delà dans l'espace de vingt- quatre heures; ces derniers cas forment cependant l'exception, et les plus ordinaires sont ceux où la diarrhée .se répète trois à quatre fois par jour. Les déjections présentent la couleur et l'aspect d'une purée de pois mal cuite, dans laquelle la farine de pois, au lieu d'être bien liée, se serait déposée au fond du liquide. Elles ont une réaction alcaline, contiennent des traces d'albumine, et ne présentent ni éléments figurés, ni élé- ments chimiques d'une certaine importance pour le diagnostic. La cou- che aqueuse qui surnage contient principalement des sels, et doit à sa richesse en carbonate d'ammoniaque une réaction fortement alcaline. La partie épaisse du fond se compose de restes d'aliments, de détritus, de cellules épithéliales, de corpuscules muqueux, de nombreux cristaux de phosphate ammoniaco-magnésien, de petits flocons et globules jau- nâtres sur l'origine et la nature desquels on n'a aucune notion bien précise. La respiration est accélérée et superficielle. Dans quelques cas, la toux et l'expectoration manquent absolument, malgré la grande extension du catar- rhe ; dans d'autres cas, les malades toussent beaucoup et expectorent une mucosité visqueuse et abondante. — Les signes objectifs ont. également silhi plusieurs changements dans le second septénaire de la fièvre, typhoïde. Les joues ont à cette époque une teinte d'un rouge brun ou bleuâtre, les pau- pières sont à demi fermées, leurs angles sont agglutinés par un mucus des- séché, la conjonctive est injectée, les narines comme enfumées. Aux gencives et aux dents adhère un enduit brunâtre, épais, fuligineux; la langue est couverte d'une croûte brune qui se colore peu à peu en noir par un mélange de sang provenant de petites crevasses de l'a muqueuse. Une décomposition putride, subie par l'enduit qui couvre la langue et les dents, occasionne une odeur très-pénétrante et désagréable; la mobilité de la langue est très- afïaiblie, de sorte que le malade peut à peine articuler une parole, qu'il lui est souvent impossible de mâcher des substances dures, et qu'il boit même avec difficulté. — L'examen physique du thorax fait constater presque inva- TYPHUS ABDOMINAL, 1LKOÏVPHUS, FIÈVRE TYPHOÏDE, ETC. 70S lisiblement une condensation plus ou moins étendue des parties déclives du poumon ; le son de la percussion est plus ou moins étouffé des deux côtés de la colonne vertébrale; à l'auscultation, on entend sur le dos un bruit vési- culaire faible, ou un bruit respiratoire indéterminé, et des râles à bulles fines, rarement une respiration bronchique; aux autres endroits du thorax des rhonchus et des râles sibilants bruyants et nombreux. — L'abdomen est ordinairement fort ballonné par le météorisme intense des intestins, méteo- risme qui jusqu'à présent échappe à toute explication. La sensibilité du ventre à la pression continue, le bruit iléo-esecal ordinairement de même. Le gonflement de la rate a augmenté ; cet organe est poussé plus loin en arrière et en haut par les intestins météorisés. Les taches de roséole sont devenues assez nombreuses dans un certain nombre de cas, et se sont répandues de l'épigastre et de la moitié inférieure du thorax jusque sur le dos; très -souvent on voit des sudamina. Quant aux phénomènes objectifs de la fièvre , la température du soir s'élève ordinairement à -'i0°,5 et même à M0, 5 alternant avec une faible rémission dans la matinée (voyez plus bas). Le pouls, moins plein, mou, presque tou- jours dicrole, atteint souvent une fréquence de 110 à 120 pulsations et plus à la minute. L'urine contient dans bon nombre de cas des traces d'albumine. Dans le troisième septénaire de la fièvre typhoïde, la faiblesse des malades devient excessive; ils ne sont plus en état de se mettre sur leur séant; la plupart d'entre eux se laissent glisser vers le pied du lit chaque fois qu'on le? a remis en place, pour peu que le lit soit en pente. Sur les muscles flasques des membres, on voit et l'on sent souvent se contracter des faisceaux isolés, phénomène connu sous le nom de soubresaut des tendons. La somnolence et la stupeur arrivent au plus haut degré; le délire bruyant cesse, et l'agitation des périodes antérieures est remplacée par un coma de plus en plus pro- noncé; quelques malades font des mouvements automatiques avec les main* ou tiraillent la couverture;' les selles et les urines vont presque toujours dans le lit. Quelquefois le plan musculaire de la vessie se paralyse, et ce réservoir se distend outre mesure. L'enduit qui couvre la langue et les dents devient plus épais, plus fuligineux et plus fétide; les quelques mots balbuties par le malade sont tout à fait incompréhensibles; il ne boit qu'avec des dif- ficultés extrêmes. De même les phénomènes du côté de la poitrine, du bas- ventre, la fréquence de la respiration, les rhonchus, la sibilance, les râles, la matité du dos, la diarrhée, le météorisme, prennent de fortes proportions. La rate n'augmente plus de volume; elle commence, au contraire, souvent à désenfler dès celle époque. Les taches de roséole commencent égalèmenl a pâlir dans la troisième semaine, landis que les sudamina augmentent, et que même il se produit, dans certains cas, des pétéchies. Chez la plupart des malades, il se forme dans la troisième semaine du typhus abdominal un 704 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. érythèmeau niveau du sacrum, et bientôt après, par l'élimination de l'épi- démie et le dessèchement ârz derme dénudé, une eschare qui s'étend en largeur et en profondeur. Pour la température du corps et la fréquence du pouls, on remarque également plutôt une augmentation qu'une diminution au commencement de la troisième semaine. Les rémissions du matin sont peu distinctes. La plupart des individus qui succombent à la fièvre typhoïde meurent dans le cours du troisième septénaire ; à moins d'incidents particu- liers, la mort a lieu au milieu des symptômes d'un œdème pulmonaire, après que la prostration, la faiblesse, la température, la fréquence du pouls, sont arrivées à un degré extrême. Plus la respiration est en souffrance, plus la paralysie du cœur se fait facilement et rapidement. Dans les cas à termi- naison heureuse, les phénomènes morbides commencent à s'amender vers le milieu de la troisième semaine. A l'état de stupeur profonde dans lequel les malades, comme nous l'avons vu plus haut, n'en sont pas moins agités par des rêves, succède un sommeil naturel. A l'état de veille, la physiono- mie du malade laisse de nouveau apercevoir un certain intérêt pour les choses qui se passent autour de lui, intérêt qui n'existait pas au fort de la maladie; il commence à reconnaître les personnes qui lui donnent des soins. Le premier regard qui exprime un retour d'affection ou de reconnais- sance est à considérer comme un progrès, bien qu'alors le danger ne soit pas encore passé, et que trop souvent les espérances fondées sur ce phéno- mène et sur d'autres signes d'amélioration soient déçues. Plus le sommeil est calme et prolongé, plus la lucidité d'esprit devient grande après le réveil. Les malades commencent à se plaindre du décubitus et à se coucher sur le côté sans y être engagés, pour éviter la pression du lit sur les endroits écorchés. Ils ne rendent plus involontairement les selles et les urines, et réclament au contraire le vase quand une selle se prépare ou que la vessie est remplie . La fréquence de la respiration diminue, les malades toussent plus souvent et avec plus de force, et expectorent assez facilement les muco- sités moins visqueuses et ordinairement colorées en jaune qui se sont accu- mulées dans les bronches. Les selles diarrhéiques deviennent plus rares et renferment quelques masses solides. L'aspect bleuâtre et la bouffissure de la face se perdent, le visage devient pâle. La langue commence à devenir hu- mide sur les bords et à la pointe, l'enduit qui la couvre &î détache petit à petit; le langage devient plus intelligible, la difficulté pourboire diminue. Dans la poitrine on entend des râles humides, la matitc sur les côtés de la colonne vertébrale se perd, le bruit respiratoire s'entend distinctement, même dans ces endroits; le météorisme, la matité splénique, diminuent; les taches de roséole s'effacent. A mesure que les autres phénomènes morbides s'améliorent, la différence entre la température du matin et celle du soir devient plus sensible ; tandis que le thermomètre, appliqué dans le creux de l'aisselle, marque encore dans la soirée de kO à /|1 degrés, il n'en marque TYPHUS ABDOMINAL, 1LÉOTYPHUS, FIÈVRE TYPHOÏDE, ETC. 705 souvent que 38 et 39'ou même moins dans la matinée. Plus tard seulement, des degrés inférieurs s'observent également pendant les heures de la soi- rée1. A la diminution de la" température du corps correspond aussi la dimi- 1 Wunderlich, qui a fait un très-grand nombre d'observations thermométriques sur des individus atteints de fièvre typhoïde, formule à peu près de la manière suivante les résultats les plus importants de ces observations : La marche de la fièvre est typi- que et tout à fait caractéristique; elle distingue le typhus abdominal de n'importe quelle autre maladie. En dehors des cas qui suivent exactement le type caractéristique, il y en a d'autres qui s'en écartent et qui constituent des cas irréguliers. Les causes des irrégularités ne peuvent pas toujours être rec^ ues dans un cas donné. — La mar- che de la fièvre montre deux périodes bien distinctes, correspondant l'une h\& pro- duction, l'autre à l'évolution régressive des infiltrats et des exsudats. Ces périodes sont chacune d'une durée limitée, dont le terme correspond, dans les cas réguliers ou à peu près réguliers, à la fin ou au milieu d'un des septénaires de la maladie. — Dans les cas bénins, la première période est d'une semaine à une semaine et demie, et la durée totale de maladie, jusqu'à la convalescence, est de 3 à k semaines; dans les cas graves, la première période est de 2, de 3 ou de 3 semaines 1/2, la maladie entière de 5 à 6, quelquefois de 8 à 10 semaines. Dans le premier septénaire, c'est une règle tellement générale que la température s'élève d'un degré du matin au soir et retombe d'un demi-degré du soir au lendemain matin, que l'on peut exclure un typhus abdominal, toutes les fois que la tempéra- ture s'élève à 40 degrés dès le premier ou le second jour, de môme lorsque, entre le quatrième et le sixième jour, elle ne s'élève pas dans la soirée à 39°, 5, et de même enfin lorsque vers le milieu du premier septénaire la température du soir recommence déjà à baisser. — Une ascension considérable de la température dans le cours du premier septénaire est généralement un signe défavorable, une ascension faible, un signe favorable. Dans le second septénaire, on peut exclure le typhus abdominal, lorsque, entre le huitième et le onzième jour, la température du soir reste pendant un ou deux jours .au-dessous de 39°, 5, et réciproquement on ne voit pour ainsi dire dans aucune autre maladie aiguë la température du soir s'élever dans le second septénaire, pendant plu- sieurs jours de suite, au delà de 39°, 5. — Si la marche est favorable dans le second septénaire, on peut conclure avec beaucoup de vraisemblance à un troisième septé- naire encore plus favorable, et réciproquement un second septénaire fâcheux et grave doit faire craindre une gravité plus grande pour les périodes ultérieures de la maladie. Dans le second septénaire, on peut considérer comme, favorables les circonstances suivantes: température du soir, comprise entre 39°, 5 et 40°; tempéra- ture du matin plus basse d'un demi-degré ou d'un degré entier; exacerbations retardées (après dix heures du matin), rémission avancée (avant minuit), diminution modérée et uniformément progressive de la température du jour précédent. Comme circon- stances défavorables, on doit, au contraire, considérer les suivantes : température i\u matin se maintenant à un niveau élevé, élévation de la température du soir à 40°,5 et au delà, exacerbations journalières survenant de bonne heure, retard dans l'arrivée des rémissions, et, en général, une température très-élevée. Pendant le troisième septénaire^ on voit apparaître, dans les cas bénins, de plus NIEMEYER. M — &3 706 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. nution de la fréquence du pouls, sans cependant que celle-ci descende aussi; rapidement que la première. En même temps le pouls se relève et perd son dicrotisme. — Cette amélioration générale, qui souvent ne se manifeste que dans la. quatrième semaine, l'intensité des phénomènes morbides étant restée la même ou ayant fait même des progrès jusqu'à la fin du troisième septé- naire, passe quelquefois directement à la convalescence, et il n'y a que la lenteur de celle-ci qui montre qu'il y a encore des résidus du processus typhique, notamment des ulcères intestinaux; dans d'autres cas, l'améliora- tion n'est que passagère, les phénomènes morbides reprennent une nouvelle intensité, et les malades périssent au milieu des symptômes d'une paralysie du cœur et d'un catarrhe suffocant; dans quelques cas enfin, aux symptômes décrits se rattachent ceux d'une guérison trop lente des lésions locales et des affections consécutives (voy. plus loin). Un phénomène qui peut entraîner des conséquences funestes pour les malades indociles, ou pour ceux qui sont tombés entre les mains d'un médecin imprudent, c'est la faim dévorante qui se manifeste souvent dans la convalescence. Nous reviendrons plus loin sur les dangers qu'offre ce symptôme. Presque tous les convalescents per- dent les cheveux. Mais les follicules pileux n'ayant subi aucun trouble défi- nitif de leur nutrition, de nouveaux cheveux viennent bientôt remplacer ceux qui sont tombés pendant la maladie. Nous avons essayé de résumer dans une description succincte, mais com- plète, les phénomènes d'une fièvre typhoïde grave. Mais nous serions en- traîné trop loin si nous voulions entrer dans les mêmes développements pour la description des anomalies nombreuses et variées que le tableau de la maladie peut offrir dans les différents cas particuliers. Nous nous borner rons donc à exposer brièvement les modifications les plus remarquables de la marche et les accidents les plus importants et les plus dangereux qui peuvent venir l'interrompre. Il y a d'abord bien des cas qui, dans le premier septénaire, ne se distin- fortes rémissions matinales, au point que la température du matin est de 1 1/2 à 2 de- grés plus basse que la température du soir, et descend au niveau normal vers la fin de ce septénaire. Ordinairement, vers le milieu de cette semaine, la température du soir baisse également. Dans les cas graves, la température baisse, au contraire, très- peu pendant le troisième septénaire, ou bien elle se maintient au même niveau, ou va même en augmentant. Dans ce dernier cas, on peut prévoir presque avec certitude, une mauvaise quatrième semaine et l'amélioration définitive reculée jusque dans le cinquième septénaire. L'approche de l'agonie est à prévoir, quand la température est continuellement éle- vée au-dessus de 41°, 2, quand elle monte rapidement à 41°, 5 et à 42, ou bien, au contraire, quand la température baisse subitement dans de fortes proportions, par exemple, à 34°. — Une convalescence franche n'existe qu'à partir du moment où la température est normale même pendant les beures de la soirée. TYPHUS ABDOMINAL, ILÉOTYPHUS, FIÈVRE TYPHOÏDE, ETC. 707 guent ni par une intensité plus faible des phénomènes morbides, ni par d'autres particularités, mais dans lesquels, pendant le second septénaire, les phénomènes morbides, au lieu de s'aggraver et d'atteindre un niveau dan- gereux, comme dans le typhus normal, diminuent pour disparaître complè- tement vers la fin du second ou dans le cours du troisième septénaire ; le nom de typhus, àbortif proposé pour ces sortes de cas par Lebert me paraît mériter la préférence sur d'autres, tels que febricula, febris typhoïdes, parce qu'il exprime bien que dans les cas dont il est ici question, il ne s'agit que d'une simple modification clans la marche de la maladie, devenue extrême- ment courte et bénigne, et non d'une espèce morbide particulière. Retracer le tableau du typhus aborlif dans le premier septénaire, ce serait, d'après ce que nous venons de dire, une répétition inutile; nous nous contenterons donc de rappeler que bien des cas de maladie rangés par les médecins de la génération précédente parmi les fièvres gastriques ou muqueuses doivent être comptés parmi les typhus abortifs. L'opinion fort répandue dans le temps, qu'il fallait attendre jusqu'au neuvième jour pour savoir si l'on avait affaire à une fièvre gastrique ou à une fièvre nerveuse, était parfaitement justifiée et l'est encore aujourd'hui. L'idée que le public attache aux mots fièvre gastrique et fièvre nerveuse correspond exactement à celle que les méde- cins modernes attachent aux mots typhus abortif et typhus abdominal ou fièvre typhoïde, et, comme nous n'avons pas à nous préoccuper vis-à-vis du public du choix d'une expression parfaitement scientifique, on fait bien de conserver dans le monde les dénominations traditionnelles. — Le thermo- mètre, qui dans le premier septénaire a été le meilleur moyen de distinguer une fièvre typhoïde commençante d'un catarrhe gastro-intestinal simple (vol. I), constitue dans le second septénaire le meilleur guide pour recon- naître si la maladie sera un simple typhus abortif ou non; les autres phéno- mènes trompent bien plus facilement. Si, vers le huitième ou le neuvième jour de la maladie, on s'aperçoit que. la température, au lieu de continuer à monter, va lentement en descendant, et si l'on reconnaît avant tout que, dès ce moment, il se produit déjà de fortes rémissions matinales, on peut juger presque à coup sûr qu'on se trouve en présence d'un typhus abortif. Les cas dans lesquels, vers la fin du second septénaire, la température s'élève de nouveau et dans lesquels la marche ultérieure correspond au tableau de la maladie tel que nous l'avons tracé plus haut, sont à compter parmi les exceptions. Dans le typhus abortif, le sommeil des malades est à la vérité également inquiet et tourmenté par des rêves pénibles dans le cours du deuxième septénaire, et la plupart des malades parlent en dormant; mais à l'état de veille l'intelligence est nette, et il n'y a qu'une apathie plus ou moins prononcée qui rappelle le coma-vigil des formes graves du typhus. Les phénomènes du catarrhe bronchique restent à un niveau modéré; le nombre de selles diarrhéiques qui se produisent tous les jours est faible, ou 708 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. la diarrhée manque entièrement. L'aspect des malades est plutôt pâle et fati- gué que bleuâtre et bouffi. La langue montre une certaine tendance à de- venir sèche, mais ne se couvre pas d'une croûte solide. La surdité fait défaut ou son degré peu élevé correspond au faible degré de l'affection de la bouche et de l'arrière-bouche. L'abdomen est mou et peu ballonné. Le bruit iléo-cœcal et la sensibilité du ventre à la pression font souvent défaut. La matité splénique est peu agrandie. C'est d'une manière tout à fait excep- tionnelle qu'on aperçoit quelques taches de roséole à l'épigastre. Aux heures de la matinée et quand le malade est couché, la fréquence du pouls est peu augmentée. — Dans le troisième septénaire ou vers la fin du second, la température du corps est ordinairement normale pendant les heures de la matinée, et l'on ne constate plus qu'une légère élévation dans la soirée; la langue reste humide, l'appétit commence à venir. Les phénomènes mor- bides du côté de la poitrine et de l'abdomen ont disparu, et la diarrhée sur- tout a cessé. Beaucoup de malades manifestent déjà le désir de se lever, mais ordinairement, en essayant de se tenir debout et de marcher dans la chambre, ils sont surpris par la grande faiblesse dont ils n'avaient pas con- science au lit. Les forces reviennent avec une grande lenteur, et cette longue convalescence est une preuve de la gravité de la maladie qu'ils viennent de traverser. — La supposition émise plus haut, que, dans le typhus abortif, les glandes malades de l'intestin ne se convertissent pas en eschares, ne s'ap- puie sur aucune autopsie, la marche favorable de la maladie ne fournissant pas l'occasion d'en faire, mais sur la disparition rapide de la diarrhée et sur l'absence des états secondaires qui s'observent si fréquemment quand le typhus a suivi une marche longue et maligne, états secondaires qui dépen- dent principalement d'un retard dans la guérison des ulcères intestinaux et d'un processus ulcératif qui s'empare de ces derniers. Une deuxième modification de la marche du typhus abdominal, modifi- cation bien différente de celle que nous venons de décrire, c'est la forme con- nue sous le nom de typhus ambulatorius (fièvre typhoïde latente). Il n'est rien moins que rare de voir des individus qui n'avaient été atteints que de fai- blesse, et d'abattement, qui avaient perdu l'appétit et avaient eu un peu de diarrhée, mais qui pendant ce temps avaient vaqué à leurs affaires ou entre- pris un voyage, de voir succomber disons-nous, ces individus au milieu des symptômes d'une perforation intestinale ou d'une hémorrhagie alvine sura- bondante, et de trouver, à l'autopsie, de nombreux ulcèr.es intestinaux en même temps que des plaques gangreneuses et des ganglions mésentériques devenus le siège d'une infiltration médullaire, en un mot, les lésions anatomiques d'une affection typhique avancée de l'intestin. La seule ma- nière d'expliquer ces singuliers cas de maladie est d'admettre que l'in- fection par le virus typhique peut quelquefois déterminer des lésions locales tout en provoquant une altération tellement faible du sang et TYPHUS ABDOMINAL, ILEOTYPHUS, FIEVRE TYPHOÏDE, ETC. 709 de la nutrition, qu'il n'en résulte aucun trouble essentiel des fonctions. Tandis que, dans la fièvre typhoïde latente, le trouble de l'état général et la fièvre sont si insignifiants qu'il passent pour ainsi dire inaperçus, il y a d'autres cas de typhus abdominal qui se distinguent par la grave atteinte de l'état général et surtout par l'élévation excessive de la fièvre. Dans ces cas, la maladie suit une évolution excessivement tumultueuse et "précipitée. Dès le premier septénaire la température s'élève à h\° et au delà, la fréquence du pouls à 120 et même à 130 pulsations à la minute. Les malades sont assoupis et plongés dans une stupeur profonde pendant le jour et sont tour- mentés pendant la nuit par des délires tellement violents qu'il est à peine possible de les maintenir au lit. De bonne heure, on observe chez eux des soubresauts tendineux et de la carphologie, quelquefois aussi des phéno- mènes convulsifs. Ordinairement l'intensité des phénomènes locaux corres- pond à l'intensité de la maladie générale. La langue devient sèche et fuli- gineuse de bonne heure, les symptômes de la bronchite, ceux d'une imper- méabilité du tissu pulmonaire, le météorisme, la diarrhée, le gonflement de la rate arrivent dès la première semaine déjà, à un degré aussi élevé que dans les cas ordinaires pendant le second septénaire. La plus grande prostra- tion, le glissement du malade sur la pente du lit, le pouls petit et irrégulier, la respiration accélérée et superficielle se montrent vers la fin du premier ou au commencement du second septénaire. Ces malades succombent de bonne heure, à la paralysie du cœur et à l'œdème pulmonaire. — Chez d'autres individus, les phénomènes se modèrent après que la maladie a suivi une marche précipitée pendant le premier septénaire, et le second et le troisième septénaire ne se distinguent chez ces personnes par aucune anomalie bien remarquable. — Entre le typhus abdominal très-intense et à marche précipitée et le typhus à intensité modérée, et entre ce dernier et la fièvre typhoïde latente, il y a des transitions fort nombreuses, que nous devons renoncer à décrire en détail. Bien des cas, qui, pendant des semaines, ont été traitées sous le nom de fièvre gastrique ou de fièvre muqueuse, et qui finalement guérissent, sans que le sensorium ait été atta- qué ou la langue desséchée, ne sont en définitive que des fièvres typhoïdes légères; mais il est incontestable que l'on est allé trop loin en voulant rayer complètement du cadre nosologiquela catégorie des fièvres gastriques et des fièvres muqueuses. Pour décider la question, si dans un cas donné, il s'a- git d'une fièvre typhoïde, par conséquent d'une maladie infectieuse, ou d'un simple catarrhe intestinal, il faut se préoccuper de l'élévation de la tempé- rature bien plus que des taches rosées et du gonflement de la rate, qui sont des symptômes beaucoup moins importants que le premier, ainsi que nous l'avons fait remarquer précédemment. Une modification du tableau de la maladie se produit encore lorsque l'af- fection typhique de l'intestin est très-peu intense ou, pour nous servir du '710 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. terme usuel, lorsque le typhus ne se localise pas, ou ne se localise que très- Peu dans l'intestin, et que tout se borne à l'altération du sang. Comme, dans *e premier septénaire, on s'appuie principalement sur les lésions intestinales, pour distinguer le typhus abdominal d'autres maladies infectieuses aiguës, un diagnostic certain peut devenir dans ces cas complètement impossible, et l'on est quelquefois forcé de se contenter d'un diagnostic de probabilité par l'exclusion d'autres infections. — Lorsque les phénomènes intestinaux manquent complètement ou n'existent qu'à l'état rudimentaire, tandis que la bronchite est très-violente et se complique de bonne heure d'un collapsus pulmonaire et de phénomènes hypostatiques ou de symptômes pneumo- niques bien prononcés, il en résulte un tableau désigné du nom de pneumo- typhus ou de broncho-typhus, surtout dans les cas où l'autopsie a permis de constater, après la mort, l'infiltration médullaire des ganglions bronchiques. On conçoit facilement que les cas de ce genre, dans lesquels on est déjà frappé par l'aspect cyanose et la respiraton précipitée et pénible desmalades, sont à compter parmi les formes malignes. Pendant que la fièvre violente élève à un degré excessif la production de l'acide carbonique, l'affection des bronches et du poumon rend plus difficile Félimination de ce gaz délétère, produit en quantité excessive. — La formation d'ulcères typhiques du larynx n'est ordinairement pas accompagnée de symptômes caractéristiques et modifie si peu le tableau de la maladie qu'on est encore bien moins autorisé à admettre comme forme particulière un laryngo-typhus qu'un broncho- typhus ou un pneumo-typhus. Mais tandis que généralement pendant les premières semaines de la maladie, l'ulcère typhique du larynx n'est pas reconnu, et ne se présente à l'autopsie d'individus morts dans cette' période que comme une lésion purement accidentelle, il joue un rôle important parmi les affections consécutives au typhus, surtout à raison delà lenteur de sa guérison. Parmi les accidents qui interrrompent pendant les premiers septénaires la marche normale du typhus, les plus importants sont les perforations intesti- nales, les hémorrhagies intestinales et les épistaxis abondantes qui parfois se montrent dans le second et le troisième septénaire. Les perforations intestinales sont dues, dans les premières semaines de la ma- ladie, à ce que non-seulement le tégument muqueux des plaques malades, mais encore les couches musculaire et séreuse se transforment en eschares à l'endroit correspondant ; il en résulte unepéiïtonite intense; mais comme il s'est quelquefois formé, avant la perforation, une inflammation adhésive du péritoine ayant pour effet la réunion de quelques anses intestinales, cette péritonite n'est pas toujours totale dès le début, mais seulement partielle. Le premier signe de la perforation est une douleur extrêmement vive dans le ventre, qui ordinairement réveille les malades même de la stupeur la plus profonde et qui, à la plus légère pression sur l'abdomen, s'exaspère à TYPHUS ABDOMINAL, ILÉOTYPHUS, FIÈVRE TYPHOÏDE, ETC. 71 i un degré intolérable; en même temps les malades s'affaissent subitement, leur physionomie s'altère, le pouls devient petit, les extrémités froides, et, le plus souvent, au bout de vingt-quatre ou de trente-six heures, la mor arrive au milieu des symptômes déjà décrits à l'occasion de la péritonite ■par perforation intestinale (vol. I). Le point de repère le plus important pour le diagnostic de la perforation intestinale nous est fourni par la péné- tration de l'air dans la cavitépéritonéale, accident qui a pour effet d'éloigner le foie de la paroi abdominale, et par conséquent de faire disparaître la ma- tité hépatique. En l'absence de ce symptôme, il reste toujours encore un peu d'espoir que la péritonite soit due à une autre cause que la perforation intestinale. Les hémorrhagies intestinales résultent, dans le premier septénaire de la fièvre typhoïde, soit d'une ulcération des vaisseaux pendant l'élimination des eschares, soit de la rupture des capillaires trop remplis qui rampen* dans les fongosités de la muqueuse au-dessus des plaques et qui ont été décrites au paragraphe 2. Lorsqu'elles sont abondantes, ces hémorrhagies se trahissent, avant même que l'on ait eu le temps d'apercevoir du sang dans les déjections, par le collapsus des malades coïncidant avec un abaisse- ment subit de la température du corps, et quelquefois avec le retour de l'intelligence. La perte de sang est souvent extrêmement abondante, il est très-rare que les malades en meurent immédiatement ; ordinairement l'hé- morrhagie cesse avant d'avoir pu entraîner la mort, la fièvre typhoïde pour- suit son évolution, mais les forces des malades ne suffisent pas pour leur permettre de traverser heureusement la maladie, et la plupart d'entre eux succombent, plus ou moins longtemps après l'hémorrhagie, à l'épuisement devenu complet par la fièvre et la diarrhée. Un accident beaucoup moins dangereux que les hémorrhagies intes- tinales, ce sont les hémorrhagies abondantes par le nez, qui surviennent dans le second et le troisième septénaire du typhus, et doivent leur origine à une diathèse hémorrhagique aiguë, telle que nous la voyons souvent se produire dans les états morbides accompagnés d'un grand affaiblissement. Ces épis- taxis peuvent devenir tellement violentes que l'on est forcé d'avoir recours au tamponnement; elles épuisent alors à un haut degré les forces des ma- lades et retardent au moins toujours la convalescence. — Il n'est pas rare que, chez les femmes, il se présente des hémorrhagies par les parties géni- tales, qui sont loin de correspondre toujours à l'époque menstruelle. Consi- dérées ordinairement par le public comme un symptôme favorable, ces pertes sont au contraire le plus souvent de mauvais augure, alors même que l'bémorrhagie n'est pas abondante. Si la plupart des individus convalescents de lièvre typhoïde se remettent avec une extrême lenteur, en supposant même que les ulcères intestinaux -aient commencé à se cicatriser immédiatement après l'évolution de la ma- 712 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. ladie, que la fièvre ait disparu et que l'appétit soit revenu, et si, même dans ce cas, il faut cinq à six semaines aux malades pour le retour complet de leurs forces, on comprend aisément qu'un retard dans la guérison des ulcères intestinaux et la persistance d'une fièvre même modérée, dépendant de l'affection intestinale, fera naître pour le malade les plus grands dangers. Dans les cas de ce genre, nous voyons la fièvre typhoïde proprement dite suivie pendant des semaines^de tous les phénomènes d'une fièvre asthénique ou d'une fièvre telle qu'elle se développe chez les individus épuisés et ané- miques. Le sensorium reste embarrassé, quoique ordinairement le délire violent disparaisse; la faiblesse des malades augmente, il leur arrive plus souvent encore qu'auparavant de se laisser glisser sur la pente du lit. La langue reste sèche ou le redevient après avoir recommencé à devenir humide, les symptômes de la bronchite se dissipent, mais l'hypostase est plus étendue ; la tuméfaction de la rate et les taches de roséole se sont effa- cées, mais le météorisme et la diarrhée persistent à un degré plus ou moins «levé. Les eschares du sacrum s'agrandissent, deviennent plus profondes et entraînent de hideuses destructions. Le décubitus se développe également aux trochanters, aux coudes, et, lorsque le malade est couché sur le ventre, même aux genoux. Sur différentes parties du corps, notamment sur celles qui supportent une pression passagère, il se produit des pétéchies et des ecchymoses. L'amaigrissement devient extrême ; la peau pâle est constam- ment baignée de sueur, même les muqueuses apparentes deviennent pâles et exsangues. Souvent il se forme de légers œdèmes aux extrémités infé- rieures ou un œdème intense à l'une ou à l'autre, par suite d'une thrombose de la veine crurale. Un grand nombre de malades succombent dans la cin- quième ou la sixième semaine, presque réduits à l'état de squelettes, à ces formes traînantes du typhus abdominal. — Dans d'autres cas, la diarrhée s'arrête, les ulcères guérissent, mais le dècubitus suffit pour amener un épuisement mortel; du moins n'est-il pas rare de trouver pour unique lésion cadavérique, en cas de mort tardive, des destructions profondes des parties molles avec mise à nu des os, et des ulcères intestinaux récemment guéris. — Les pneumonies, les pleurésies, les fontes suppurées de la paro- tide, les inflammations diphthéritiques de l'intestin, la néphrite et les autres états pathologiques consécutifs au typhus, dont il a été question au paragraphe 2, se trahissent ordinairement, comme chez d'autres individus très-affaiblis, bien plus par des signes objectifs que par les souffrances qu'ac- cusent les malades. Des frissons et une nouvelle élévation de la température doivent éveiller le soupçon d'une de ces affections consécutives, et nous engager à examiner attentivement le malade. — Des frissons répétés, une- température très- élevée, un collapsus rapide dépendent dans la plupart des cas d'une pyohémie déterminée par la résorption des liquides ichoreux qui proviennent de la fonte gangreneuse des eschares de décubitus. — L appa- TYPHUS ABDOMINAL, JLÉOTYPHUS, FIÈVRE TYPHOÏDE, ETC. 713 rition de douleurs violentes dans le larynx, l'enrouement, l'aphonie et les signes d'une laryngo-sténose aiguë annoncent une périchondrite laryngienne qui peut être provoquée par des ulcères typhiques très-profonds du larynx, mais qui peut aussi se développer comme maladie secondaire et en l'ab- sence de toute ulcération du larynx. Il nous reste à mentionner que, dans quelques cas, des perforations intestinales suivies d'une prompte mort peuvent encore survenir dans le cinquième ou le sixième septénaire, non-seulement pendant un état de faiblesse et de fièvre entretenu par des ulcères typhiques traînés en lon- gueur, mais encore pendant une convalescence dont rien ne semble trou- bler le cours régulier. — Il arrive bien plus rarement qu'à cette époque des ulcères typhiques à cicatrisation lente donnent encore lieu à des hémor- rhagies. La terminaison la plus fréquente du typhus est la guérison; "on la rencontre dans environ les trois quarts des cas observés ; cependant il y a des épidé- mies beaucoup plus malignes, et d'autres dont la mortalité est plus faible. La mort arrive le plus souvent dans le second et le troisième septénaire, à l'apogée de la maladie ; mais nous avons déjà eu l'occasion de dire qu'en cas de marche précipitée, elle peut déjà survenir pendant le premier septé- naire, et que, dans les cas traînés en longueur, elle arrive quelquefois encore dans la cinquième et la sixième semaine et même plus tard. Quant aux causes de la mort, nous les avons fait suffisamment connaître dans la description des symptômes et de la marche. Dans quelques cas, la fièvre typhoïde se termine par guérison incom- plète; il reste des affections secondaires, surtout des troubles de l'innervation, tels que névralgies, paralysies partielles, anesthésies partielles ou troubles psychiques; quelquefois la fièvre typhoïde laisse à sa suite une consomption qui n'est pas suffisamment expliquée et une anémie et hydrémie persis- tantes. Les recherches anatomiques faites jusqu'à présent n'ont pas permis de constater des altérations matérielles d'où pourraient dépendre ces trou- bles de l'innervation. L'hypothèse qui tend à attribuer la cachexie et la san- guification incomplète à la destruction des glandes intestinales et à l'obli- tération des ganglions mésentériquesest erronée. Assez souvent une phthisie pulmonaire se développe pendant la convalescence d'une fièvre typhoïde grave. § h. Traitement. Lu prophylaxie exige dans les grandes villes, où la fièvre typhoïde règne endémiquement, des mesures de police sanitaire tendant à empêcher ou ;i diminuer L'imbibition du sol par des produits de décomposition putride. 714 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. Dans ces derniers temps on a aussi fait la proposition de faire disparaître dans les villes par le drainage l'humidité du sol qui joue un si grand rôle dans la putréfaction des matières animales, et par conséquent dans le déve- loppement des germes typhiques et cholériques. Si ce dessèchement du sol des grandes villes venait à réussir, et qu'à l'aide de ce moyen on parvînt à diminuer le nombre des cas de typhus et de choléra, comme on est parvenu à diminuer le nombre des cas de fièvre intermittente par le dessèchement des marais, ce serait un grand triomphe pour la science encore si jeune de l'hygiène. Il y a des médecins qui élèvent toujours des doutes sur le carac- tère contagieux de la fièvre typhoïde, ou qui du moins ne considèrent pas encore ce caractère comme définitivement prouvé. Il ne faut cependant pas régler sur des doutes de ce genre sa. conduite devant le lit du malade ; là il doit nous suffire que le caractère non contagieux du typhus abdominal n'a jamais été prouvé, pour que nous agissions comme si la contagion était un fait certain. Il faut donc isoler les malades des individus sains et ne permettre qu'aux membres de la famille chargés de soigner un malade de séjourner auprès de lui. Il n'est pas moins utile, toutes les fois que cette mesure peut être prise, d'éloigner d'un local où un ou plusieurs individus ont été in- fectés, toutes les personnes saines dont la présence n'est pas nécessaire. Dans les dernières années, j'ai eu connaissance de plusieurs cas bien malheureux arrivés dans les provinces Rhénanes, où le tort d'avoir négligé cette précaution a fait succomber successivement tous les membres d'une famille aux ravages de la fièvre typhoïde. Enfin, il faut avoir soin d'empê- cher que les déjections des malades soient vidées clans les lieux d'aisance qui servent à d'autres individus. — Nous ne connaissons aucune substance médicamenteuse qui possède la vertu de neutraliser le pouvoir infectant du virus typhique. Une fois que la fièvre typhoïde a éclaté, on peut quelquefois essayer d'en enrayer les progrés. Tout le monde sait aujourd'hui que ce résultat ne peut être obtenu ni par l'administration de vomitifs, ni par des saignées que l'on avait recommandées pendant quelque temps dans ce but, et que ces moyens exercent, au contraire, presque constamment une influence fâcheuse sur la marche de la fièvre typhoïde. Uniquement dans le cas où l'estomac ren- ferme incontestablement des aliments non digérés, on peut prescrire un vomitif composé d'ipécacuanha; dans toute autre circonstance, il faut oppo- ser une résistance inflexible aux instances si déraisonnables et souvent si fatigantes du public pour obtenir la prescription d'un vomitif. Il en est tout autrement de l'administration de quelques fortes doses de calomel. Les ob- servations si exactes de Wunderlich permettent à peine de douter, qu'on ne soit parvenu, rarement, il est vrai, à couper la fièvre typhoïde à l'aide de ce remède (d'après Wunderlich, une à deux doses, chacune de 25 centi- grammes, pourraient suffire) ; mais ce qui est certain, c'est que, dans la TYPHUS ABDOMINAL, 1LEOTYPHUS, FIÈVRE TYPHOÏDE, ETC. 715 grande majorité des cas, si cette prescription est faite dans le cours du pre- mier septénaire et avant que de fortes diarrhées aient eu le temps de se pro- duire, la maladie suivra une marche plus bénigne et durera moins long- temps. Les observations faites dans la clinique de Pfeuffer, aussi bien que les miennes, s'accordent avec celles de Wunderlich. Nous ne chercherons pas à décider si le calomel agit favorablement sur l'affection typhique de l'intestin en s'opposant à la formation des eschares et des ulcères, et si, pour cette raison, il ne faut attendre un effet utile de ce remède que dans la première semaine de la maladie, pendant laquelle ces modifications n'exis- tent pas encore. Willebrand a préconisé récemment l'iode comme spécifique ns- 746 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. tule provoquée dans la peau par des frictions faites avec la pommade au tartre stibié, comme une bulle de pemphigus peut présenter le même aspect qu'une bulle produite par une brûlure circonscrite, et cependant personne ne songera à prétendre que dans ces troubles de la nutrition cutanée pou- vant à peine être distingués les uns des autres, il s'agisse de maladies iden- tiques. — Dans les reins, on trouve dans environ la moitié des cas, la dégé- nération parenchymateuse longuement décrite précédemment. La rate est ordinairement tuméfiée et d'une consistance molle. — ■ Les modifications anatomiques des centres nerveux ou des nerfs périphériques, d'où dépendent les paralysies diphthéritiques (voy. § 3) n'ont pas pu être découvertes jusqu'à présent. — Le sang ne présente pas plus d'anomalies dans la diphthérite que dans les autres maladies infectieuses. § 3. Symptômes et marche. La maladie débute presque toujours par des phénomènes insignifiants et peu inquiétants en apparence. Dans quelques cas, l'état général est troublé plusieurs jours avant l'invasion de la maladie, l'appétit diminué ; les malades se plaignent de lassitude, d'abattement, d'horripilations. Plus rarement il arrive que la maladie débute par un violent frisson, auquel s'ajoutent par- fois des nausées et des vomissements. En même temps les malades commen- cent à accuser des embarras de déglutition; mais, dans la plupart des cas, cette dysphagie n'est pas plus violente qu'elle l'est ordinairement dans le cours d'une simple angine catarrhale. Si l' arrière-bouche n'est pas encore couverte de fausses membranes et se montre seulement rougie et tuméfiée à différents degrés, on ne peut reconnaître ni soupçonner la maladie pen- dant cette période, à moins que la diphthérie ne règne épidémiquement, ou que des individus ayant fait partie de l'entourage du malade ne soient atteints de diphthérie, ou n'en aient été atteints. Un symptôme très-suspect et survenant ordinairement de bonne heure, c'est l'induration et la tumé- faction des ganglions lymphatiques situés près de la bifurcation de la caro- tide, et qui, comme Luschka le fait tout particulièrement remarquer, com- muniquent directement avec les vaisseaux lymphatiques du voile du palais. 11 n'est pas rare que l'attention des parents du malade soit appelée pour la première fois sur la maladie par le gonflement de ces ganglions, parce qu'on a laissé passer inaperçu un léger embarras de déglutition. Il arrive beaucoup plus souvent qu'au lieu de pouvoir observer le gosier au début de la diph- thérie, et avant la production des fausses membranes, on trouve la mu- queuse couverte, dès le premier examen, de plaques grisâtres plus ou moins étendues. Alors on ne peut plus se dissimuler quel ennemi dangereux et insidieux l'on est appelé à combattre. Même dans les cas où la maladie a D1PHTHÉRIE, ANGINE MALIGNE. 747 débuté sans frisson, où la fièvre est faible ou manque complètement, où l'état général ne laisse rien à désirer, au point que les malades consentent à peine à rester au lit, où la dysphagie est très-insignifiante, où les dépôts pseudo-membraneux sont très-peu étendus et se détachent sans putrescence •et en laissant à leur suite une perte de substance à peine appréciable, on n'est nullement assuré que la maladie prendra une évolution heureuse, que les accidents dangereux dont nous parlerons plus loin ne se présenteront pas et que les phénomènes de paralysie feront défaut pendant la convales- cence. Le fait que, même dans ces cas que je viens de décrire et en l'ab- sence de toute fièvre, les urines peuvent contenir de l'albumine, comme je l'ai constaté à différentes reprises,- ce fait prouve que dans la diphthérie la dégénérescence parenchymateuse des reins n'est pas le résultat de l'extrême ■élévation de la température, mais une conséquence immédiate de l'infection par le virus diphthéritique. Si la diphthérie a débuté d'une manière brusque et violente, si un frisson et des vomissements répétés ont ouvert la scène, la marche ultérieure de la maladie est également beaucoup plus grave. L'embarras de la déglutition reste en général, il est vrai, assez modéré, et même la fièvre ne s'élève pas à un degré extraordinaire, mais le teint des malades pâlit, les yeux devien- nent ternes, le pouls petit et ordinairement très-fréquent, dans quelques cas exceptionnels, plus lent; les malades sont excessivement prostrés et apa- thiques. Chez beaucoup d'entre eux, la putrescence des pseudo-membranes communique à l'haleine une odeur fétide. Lorsque la muqueuse nasale par- ticipe à la maladie, un liquide terne, également fétide, s'écoule des narines rougies et érodées. Le gonflement des ganglions cervicaux devient plus marqué, ces ganglions tuméfiés sont très-durs et résistants, sans tendance à la suppuration. L'analyse de l'urine fait découvrir, dans près de la moitié des cas, de fortes proportions d'albumine. Au bout de quelques jours déjà, la mort peut arriver au milieu des symptômes d'une paralysie générale, ré- gulièrement progressive, et ordinairement les malades conservent l'intelli- gence nette et claire jusqu'au dernier moment. Un fait singulier et qui jusqu'à présent n'a pas été suffisamment expliqué, c'est que souvent on voit mourir, d'une manière inattendue, et au milieu d'un collapsus subit, des individus dont l'état n'avait pas encore inspiré de sérieuses inquiétudes, et quelquefois même des personnes dont l'état général avait paru jusque-là très-satisfaisant. Il peut arriver également des attaques répétées de syncope profonde, que le malade traverse heureusement jusqu'à ce qu'une dernière syncope, plus grave que les autres, vienne l'enlever. La maladie peut aussi se terminer heureusement, tout en suivant la marche grave que nous venons de mentionner. Dans ces cas, les fausses membranes se détachent sans qu'il s'en forme de nouvelles; les pertes de snbstance ulcéreuse qu'elles laissent à leur suite se nettoient et se cicatrisent. En même temps rembarras de la 748 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. déglutition se dissipe, les tumeurs ganglionnaires désenflent, la prostration se perd, et les malades entrent au bout de quinze jours ou de trois semaines en pleine convalescence, à moins de maladies consécutives; mais il leur faut ordinairement beaucoup de temps pour se remettre complètement. Le tableau de la maladie que nous venons de décrire éprouve une modi- fication essentielle, lorsqu'une inflammation croupale du larynx et de la trachée vient s'ajouter à l'inflammation diphthéritique de l' arrière-bouche; car, dans ce cas, les symptômes que nous venons d'énumérer sont compli- qués par l'enrouement, l'aphonie, une dyspnée intense et par les autres phénomènes morbides longuement décrits à l'occasion de la laryngite crou- pale franche et primitive. Cette complication se rencontre aussi bien dans les cas légers que dans les cas graves. Souvent il n'y a que l'inspection de l' arrière-bouche et le règne épidémique de la diphthérie qui permettent de distinguer si l'on a affaire à l'une ou à l'autre forme de la laryngite crou- pale. Même ces cas peuvent se terminer heureusement; mais la plupart des malades succombent soit au milieu des symptômes du collapsus, soit en pré- sentant les symptômes de la respiration insuffisante et de l'empoisonnement du sang par l'acide carbonique. Même dans les cas où la maladie semble se terminer par la guérison, elle est bien souvent suivie de paralysies. Le développement assez fréquent de paralysies diphthéritiques, après des cas très-légers, d'une part, et cette circonstance incompréhensible, d'autre part, que jamais les paralysies ne se rattachent directement à la maladie, mais ne commencent que quinze jours pu un mois après, quand le malade paraît complètement guéri, expliquent suffisamment qu'on ait pu longtemps méconnaître le lien de causalité qui existe entre les paralysies et la diphthérie. La paralysie diphthéritique la plus fréquente, et qui précède presque toujours les autres, c'est la paralysie du voile du palais et du pharynx; quand le voile du palais est paralysé, les malades prennent un langage nasonnant; s'ils veulent avaler des liquides ils les font régurgiter par le nez. Quand le pharynx est également paralysé, l'acte de la déglutition est rendu extrêmement pénible, et l'on est forcé dans certains cas de recourir à la sonde œsophagienne pour nourrir artifi- ciellement le malade. A cette paralysie des muscles situés dans le domaine de l'inflammation diphthéritique s'ajoutent le plus souvent des paralysies- des muscles de l'œil, paralysies qui font perdre à cet organe son pouvoir d'accommodation et conduisent au strabisme. A leur tour, les extrémités, surtout les pieds, sont pris quelquefois d'une paralysie plus ou moins com- plète. Dans une petite épidémie, j'ai observé deux cas de paralysie totale des quatre extrémités. Le pronostic des paralysies diphthéritiques est générale- ment favorable. Presque tous les cas se terminent par la guérison après une durée plus ou moins longue. Les explications que plusieurs auteurs ont D1PHTHÉRIE, ANGINE MALIGNE. 749 •essayé de donner des paralysies diphthéritiques sont insuffisantes. Nous ne savons même pas positivement s'il s'agit ici de paralysies périphériques ou de paralysies centrales. On a prétendu que les paralysies qui succèdent à la diphthérie étaient analogues à celles qui restent quelquefois à la suite d'autres maladies graves, surtout de fièvres typhoïdes graves. Toutefois, la grande fréquence des paralysies diphthéritiques, comparativement à celles qui se montrent à la suite d'autres maladies, et la disproportion frappante •entre l'intensité de la maladie et la fréquence des paralysies qui lui suc- cèdent, disproportion par laquelle les paralysies diphthéritiques se distinguent de celles qui restent à la suite d'autres maladies, s'opposent à cette manière ■de voir. § h. Traitement. La prophylaxie exige que le médecin se mette lui-même, autant que possible, à l'abri du contact des fausses membranes et débris de tissu rejetés par la toux, et qu'il avertisse les personnes chargées de la garde des malades du danger de ce contact. Pour peu que les circonstances le permettent, il faut éloigner de la chambre du malade ceux des membres île sa famille qui ne sont pas chargés de lui donner des soins ou de veiller auprès de lui. La plupart des remèdes tant internes qu'externes, que l'on a préconisés contre la diphthérie, ont été essayés pendant les dernières périodes des épi- démies, périodes où toujours les cas ont été plus bénins et les guérisons plus fréquentes. Presque tous les médecins qui possèdent une expérience étendue sur le traitement de la diphthérie, s'accordent à dire que, dans les cas graves, les moyens les plus vantés n'ont jamais produit le moindre effet. Dans les cas récents, je crois qu'il convient d'éloigner avec soin les fausses membranes et de toucher les endroits secs avec le nitrate d'argent, l'acide •chlorhydrique concentré ou avec le perchlorure de fer liquide, mais de ne pas revenir sur ce procédé plus d'une ou deux fois par jour et de ne pas le •continuer trop longtemps. En outre, tant que la muqueuse est encore forte- ment rougïe et tuméfiée, je fais avaler lentement de petits morceaux de glace, et je prescris, pour l'usage interne, une solution de chlorate de potasse [h grammes sur 180) à prendre par cuillerées à bouche toutes les deux heures. Le malade ne doit avaler ce liquide qu'après avoir laissé le plus longtemps possible chaque cuillerée en contact avec les parois de l' arrière- bouche. Je n'ai fait aucune expérience personnelle sur le degré d'efficacité de l'eau chlorurée, des solutions d'hyposuliite de soude (h grammes sur 30) •et d'hypermanganate dépotasse (U grammes sur 30), remèdes qui, employés localement, feraient disparaître, non-seulement l'odeur fétide, mais s'op- 750 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. poseraient même aux progrès de la putréfaction. A cause des dangers du collapsus, il faut éviter tout ce qui tend à diminuer les forces des malades, surtout les émissions sanguines ; on cherchera, au contraire, dès le principe, à relever les forces par une méthode roborante, par l'administration 'du quinquina et des préparations ferrugineuses, par une nourriture fortifiante et l'usage du vin. Si, malgré cela, le collapsus arrive, il faut prescrire des analeptiques, le camphre, le musc et avant tout de fortes doses d'un vin généreux. La laryngite croupale qui se manifeste dans le cours de la maladie réclame un traitement à peu près identique à celui que nous avons préco- nisé dans le premier volume contre le croup idiopathique, sauf l'application des vésicatoires qui doivent être absolument rejetés dans le traitement de la diphthérie qui, comme nous l'avons dit plus haut, peut aussi se jeter sur les endroits dénudés de la peau et notamment sur la surface d'un vésicatoire qu'elle convertit, d'après l'observation de Trousseau, en une plaie hideuse, pouvant prendre une extension énorme et contribuer ainsi à hâter la fin du malade; je n'emploiepasnonplus contre le croup diphthéritique les émissions sanguines ni le calomel, en supposant même que le cas soit récent. Il ne faut pas trop attendre pour faire la trachéotomie si l'on veut obtenir un résultat, malheureusement trop rare, de cette opération. Les remèdes qui jouissent du plus grand crédit contre les paralysies diph- théritiques sont les lotions rapides à l'eau froide et surtout les affusions froides et les bains de mer. On a également recommandé contre ces para- lysies l'emploi du courant induit et du courant constant. J'ai soumis plu- sieurs cas, sans le moindre résultat, à un traitement électrique régulière- ment employé. Dans un de ces cas, la malade complètement paralysée aux quatre extrémités, et qui avait été pendant quatre semaines consé- cutives électrisée, sans le moindre succès, à ma clinique, guérit complète- ment, quelque temps après avoir quitté l'hôpital, sans faire usage d'aucun remède. FIÈVRES PALUDÉENNES OU PALUSTRES, FIÈVRES DE MALARIA. 751 CHAPITRE XII. Fièvres paludéennes ou palustres. — Fièvres de malaria. ARTICLE PREMIER Fièvres intermittentes. § 1. Pathogénie et étiologie. Les fièvres intermittentes sont dues à l'infection du corps par une substance délétère, qu'on appelle miasme paludéen ou malaria. La malaria n'est pas un produit de décomposition (voyez plus bas) ; mais la décomposition des substances végétales joue indubitablement un rôle très-important dans le développement de ce poison ou dans son augmentation très-considérable. — A l'appui de cette opinion, je me contenterai de citer les faits suivants : les fièvres de malaria sont endémiques de préférence dans les contrées maréca- geuses; et, dans ces contrées, le nombre des malades augmente ou diminue selon que les conditions sont favorables ou défavorables à la décomposition des végétaux morts, renfermés dans les marais. Si un froid intense survient, de sorte qu'une couche de glace recouvre les marais, les fièvres intermit- tentes cessent de se produire. Lé même fait a lieu lorsque, dans les années arides, les marécages se dessèchent complètement, ou lorsque, dans les années très-humides, une couche épaisse d'eau protège le fond bourbeux des marais contre l'influence de la chaleur et de l'air. Réciproquement, dans les contrées marécageuses, les années et les saisons chaudes et pas trop sèches, pendant lesquelles les rayons solaires peuvent librement exercer leur influence sur le fond découvert, mais toujours humide du marais, se distinguent par le grand nombre de fièvres intermittentes. Nous ne savons pas si la décomposition de végétaux spéciaux ou la nature particulière de l'eau peut favoriser le développement de la malaria. Le mélange de l'eau de mer avec l'eau de source ou de pluie, mélange qui se fait dans les marécages situés au bord de la mer, à la suite des tempêtes ou de la marée haute, ne me paraît exercer une influence aussi pernicieuse que parce que les plantes d'eau douce et les plantes d'eau de mer, réunies dans ce mélange, ne peuvent y vivre ni les unes ni les autres et s'y décomposent. — De môme que dans les contrées marécageuses on observe les fièvres intermittentes d'une manière endémique dans les bas-fonds situés à proximité des fleuves et exposés tous les ans à des inondations. Nous n'avons pas besoin d'entrer dans des détails pour expliquer que les inondations entraînent également la 752 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. mort d'un grand nombre de végétaux et sont suivies d'une putréfaction très- étendue, surtout s'il survient des chaleurs très-fortes. — Dans les endroits où le sol, pendant longtemps négligé et abandonné à lui-même, est de nou- veau remué, ou bien dans ceux où de grandes étendues de terrain, incultes jusque-là, ont été défrichées, on rencontre fréquemment des fièvres inter- mittentes ; ici, encore, il y a de l'analogie avec ce qui se passe dans les con- trées marécageuses et basses; car, dans ces circonstances encore, on met au jour des débris de végétaux accumulés en grande quantité, on les expose à la décomposition putride. — Enfin, pour de certaines contrées où les fièvres intermittentes se présentent dans des conditions en apparence opposées, surtout pendant une grande sécheresse, on a trouvé que le sol était très- riche en eau souterraine, et que sous une croûte sèche, poreuse et fissurée par la chaleur solaire, il existait de véritables marais. — Cependant ces caractères, communs à la plupart des contrées où régnent les fièvres de malaria, ne nous autorisent nullement à admettre que la malaria soit un corps chimique, un produit organique ou inorganique, solide ou gazeux, qui se formerait par la décomposition des matières végétales; au contraire, l'absence des fièvres intermittentes dans certaines contrées très-maréca- geuses et l'existence de fièvres intermittentes dans d'autres qui ne sont nul- lement un foyer de décomposition considérable ou spécilique, semblenl prouver que les conditions spéciales dans lesquelles se trouvent les contrées basses et marécageuses, etc., sont, il est vrai, favorables au développement de la malaria, mais qu'elles ne sont pas absolument nécessaires, ni qu'elles suffisent à elles seules pour produire ce miasme. Un faiL plus probant encore, c'est que des individus qui boivent de l'eau d'un marais déterminé sont quelquefois tous atteints de fièvre intermittente, tandis que feau de beau- coup d'autres marais ne donne pas lieu au même effet. Si l'agent morbi- lique était simplement le produit d'une décomposition chimique, ces diffé- rences seraient tout à fait inexplicables. Je n'hésite pas d'avancer que le miasme paludéen, la malaria, doit consister en végétaux d'une organisation infé- rieure, dont le développement est surtout favorisé par la putréfaction de substances végétales. On n'a pas encore pu donner, il est vrai, la preuve directe de l'exis- tence de ces organismes inférieurs; personne n'a vu le « champignon delà malaria »; mais les faits indiqués plus haut, de même que beaucoup d'autres raisons, nous forcent d'admettre que les substances délétères qu'exhalenl les marécages sont constituées par des êtres organisés, vivants, tout comme le virus qui environne un malade atteint de rougeole. Cependant il existe une différence capitale entre le miasme vivant, qui est la cause spécilique de la fièvre intermittente, et le contagium vivant au moyen duquel se pro- pagent les exanthèmes aigus, le typhus exanthématique et d'autres maladies contagieuses. Le contagium vivant se reproduit dans l'organisme infecté ; la malaria, au contraire, ne se reproduit pas dans le corps des malades FIÈVRES PALUDEENNES OU PALUSTRES, FIEVRES DE MALARTA. 753 affectés de fièvre intermittente. Elle ne rencontre pas dans l'organisme humain un terrain favorable à sa multiplication. Jamais la fièvre paludéenne n'est transportée à d'autres endroits par des personnes qui avaient contracté cette affection dans des contrées marécageuses. Souvent un séjour de courte durée dans un pays marécageux suffit pour contracter la maladie, tandis que dans un hôpital qui est situé loin d'une contrée marécageuse, on peut sans danger séjourner dans la même chambre avec un grand nombre de malades atteints de fièvre intermittente. Pour cette raison, on désigne les fièvres de malaria sous le nom de maladies « miasmatiques pures » , en oppo- sition avec les maladies « contagieuses » et « miasmatiques contagieuses. » Il existe de vastes contrées où l'on rencontre partout les conditions né- cessaires à la formation de la malaria et où l'on trouve partout aussi des fièvres intermittentes ; mais il existe aussi de petits foyers circonscrits de malaria, où l'on observe tous les ans, pendant le printemps etl'été^ un grand nombre de cas de fièvre intermittente, tandis que tout le reste de la contrée en est exempt. Dans les foyers restreints que nous venons de citer, dans les villages situés à proximité d'un marais, dans certains quartiers ou rues où les fièvres intermittentes régnent d'une manière endémique, on a fait des observations intéressantes sur le mode d'extension de la malaria; on a con- staté entre autres que le miasme se propage plus facilement dans la direc- tion horizontale que dans la direction verticale ; que souvent il est arrêté par des obstacles insignifiants, par exemple, un groupe d'arbres, un mur, etc., qu'il ne franchit que rarement, quelquefois sous l'influence de certains cou- rants d'air. Un phénomène remarquable, ce sont les épidémies étendues de fièvre inter- mittente, qui se montrent de temps en temps. Pendant de pareilles épidé- mies, non-seulement le nombre des cas de fièvre paludéenne devient exces- sivement considérable dans les contrées où cette maladie existe à l'état endémique, mais cette dernière atteint également un grand nombre d'indi- vidus dans les contrées où elle n'avait plus paru depuis des années, même des dizaines d'années, et où l'on a observé tout au plus quelques cas spora- diques. Ces épidémies ne se rencontrent pas toujours dans les années à la fois très-chaudes et très-humides ; s'il en était ainsi, on pourrait dire que ces épidémies sont ducs à la réunion de circonstances très-favorables à la décomposition putride des substances végétales et, par conséquent, à la for- mation de la malaria, et que ces conditions favorables n'ont fait que s'étendre des endroits où elles existent toujours à ceux où elles font généralement défaut; ces épidémies paraissent, au contraire, dépendre d'autres causes encore inconnues, qui favorisent ('■gaiement la formation de la malaria, ou bien elles doivent être attribuées au transport du principe délétère par des courants d'air à des endroits éloignés du point d'origine. De grandes épidé- mies de fièvre intermittente ont précédé à plusieurs reprises des épidémies NIEMEYEH 48 754 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. de choléra asiatique, sans que nous puissions expliquer cette coïncidence. Dans les pays chauds, on voit souvent régner simultanément le choléra et la fièvre intermittente, et, plus souvent encore, la dysenterie et la fièvre inter- mittente. (Voy. les chapitres suivants.) Ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est l'existence de cas de fièvres inter- mittentes sporadiques. Il ne faut pas compter parmi ceux-ci les cas dans les- quels des individus infectés par la maladie viennent habiter des endroits où il ne règne pas de malaria et y présentent encore pendant quelque temps les symptômes de l'infection. Mais on rencontre également dans les villes et à la campagne des cas isolés de fièvre intermittente, sans que les individus atteints aient pu être infectés ailleurs. Pour expliquer ces cas, il faudrait admettre l'existence de foyers miasmatiques très-limités, qui n'exerceraient aucune action sur ceux qui vivent en dehors de ces foyers, ou bien l'existence d'un miasme très-faible, qui n'agirait que sur quelques individus particuliè- rement prédisposés. — L'hypothèse que, dans certaines circonstances, la fièvre intermittente puisse se développer par d'autres causes que par une infection de malaria doit être complètement rejetée. Tout âge, tout sexe, toute constitution, est disposé à contracter la fièvre intermittente ; et si cette disposition est plus grande chez les uns que chez les autres, cela ne tient pas aux dispositions générales que nous avons indi- quées, mais à des causes individuelles qui ne nous sont connues qu'en par- tie. Les efforts exagérés et d'autres causes débilitantes, les écarts de régime, mais surtout les refroidissements, augmentent la prédisposition à un tel degré, que beaucoup d'individus, qui pendant longtemps s'étaient exposés impuné- ment à la malaria, ne sont atteints de fièvre intermittente que lorsqu'ils ont subi l'influence d'une des causes morbifiques indiquées. On doit s'expli- quer de la même manière le fait que, des individus qui sont restés indemnes dans une contrée marécageuse ne tombent malade de la fièvre intermit- tente qu'après avoir quitté la contrée. Dans ces cas, l'infection a évidem- ment eu lieu antérieurement ; mais elle ne s'est pas manifestée dans le corps peu prédisposé à la maladie, et elle ne donne lieu à des conséquences fâcheuses que lorsque l'organisme acquiert la disposition nécessaire à la production des accès par l'action d'autres causes nuisibles. — Parmi les causes qui augmentent la prédisposition à contracter la fièvre intermittente, il faut compter avant tout une ou plusieurs atteintes antérieures de la mala- die; c'est là un fait qui est directement opposé à ce qu'on rencontre dans les exanthèmes aigus et la fièvre typhoïde. L'organisme ne s'habitue pas à ce poison, à moins qu'on ne veuille compter parmi les cas d'accoutumance ceux où des individus, exposés pendant- longtemps à l'intoxication palu- déenne, ne sont pas atteints de véritable fièvre intermittente, mais d'un état de langueur sans fièvre, accompagné d'une augmentation de la rate. — La distribution géographique de la fièvre intermittente est excessivement éten- FIEVRES PALUDEENNES OU PALUSTRES, FIEVRES DE MALARIA. 755 due : dans les climats chauds la maladie est particulièrement fréquente et règne dans la plupart des endroits qui ne se distinguent pas par leur séche- resse; dans la zone tempérée, elle se rencontre surtout dans des districts déterminés, plus ou moins étendus ; dans la zone glaciale proprement dite, la fièvre intermittente n'existe pas. Ici encore nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage de Griesinger et à celui de Hirsch ; dans ce dernier la partie qui traite de la distribution géographique de la fièvre intermittente est surtout très-étendue. § 2. Anatomie pathologique. On a rarement l'occasion de faire l'autopsie d'individus qui sont morts d'une fièvre intermittente simple. En dehors des modifications dont nous avons parlé antérieurement (voy. vol. I, Maladies de la rate), on ne trouve rien de caractéristique. Dans le cas où l'infection par la malaria donne lieu à une fièvre intermittente simple, les recherches chimiques et microsco- piques n'ont pas permis de découvrir jusqu'ici des anomalies du sang qui dépendent directement de l'infection. L'appauvrissement du sang en glo- bules sanguins et en albumine, appauvrissement qui se montre constam- ment à la suite des fièvres intermittentes de longue durée, est une con- séquence de la consomption par la fièvre considérable et peut-être par la dégénérescence du foie. — A l'autopsie d'individus morts de fièvre intermit- tente pernicieuse, on rencontre fréquemment les signes de la mélanémie (voy. vol. I), et quelquefois les résidus d'inflammations, d'épanchements sanguins ou d'hypérémies considérables dans les organes les plus variés. § 3. Symptômes et marche. 1. Fièvre intermittente simple. — La période d'incubation, dans l'infection paludéenne, n'est pas exactement connue. Il est probable qu'il se passe tout au plus quinze jours depuis l'absorption des miasmes jusqu'à la mani- festation des premiers symptômes ; dans quelques cas, les premiers sym- ptômes morbides semblent succéder immédiatement à l'action du miasme. Avant que le caractère intermittent, auquel la maladie doit son nom, se montre clairement dans le cours de la fièvre intermittente, avant que des accès de fièvre (paroxysmes) alternent avec des intervalles libres (apyrexies), l'infection par la malaria se manifeste assez souvent par un trouble de l'état général et des diverses fonctions, trouble continu qui présente des rémis- sions et des exacerbalions plus ou moins distinctes. Cet état, auquel on a donné le nom de période prodromale de la fièvre intermittente, n'offre pas 756 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. de particularités caractéristiques, et il ne peut être interprété exactement et distingué de la période prodromale d'autres maladies infectieuses, que si l'on a é<*ard aux conditions endémiques et épidémiques dans lesquelles le malade est placé. Le premier paroxysme se déclare après une durée de plusieurs jours de ces phénomènes prodromaux, et, dans d'autres cas, sans avoir été précédé de symptômes morbides. Le 'paroxysme d'une fièvre intermittente se compose de trois stades : le stade de froid, le stade de chaleur et le stade du sueur. — Le stade de froid débute par un sentiment de faiblesse et de grande lassitude ; les malades bâillent souvent et sentent le besoin d'étendre les membres. Bientôt on voit s'ajouter à ces symptômes une sensation subjective de froid, consistant, d'abord, en une horripilation qui se répète de temps en temps, plus tard, en un froid continu, au point que les malades expriment vivement le désir de se couvrir aussi chaudement que possible. Lorsque le frisson augmente, les membres sont pris d'un tremblement involontaire, les lèvres s'agitent, les dents claquent, souvent le corps entier est jeté de côté et d'autre dans le lit. Avec le début du frisson proprement dit, il se présente une cépbalalgie plus ou moins intense, un sentiment d'oppression de la poitrine et une augmen- tation des mouvements respiratoires ; la parole devient indistincte et entre- coupée, par suite delà fréquence de la respiration et parle tremblement des lèvres- souvent on voit survenir des vomissements, surtout si le malade a mangé peu de temps auparavant. A l'examen objectif, ce qui frappe avant tout, c'est l'expression des traits du malade; on dirait voir un homme qui est exposé à un froid intense sans être suffisamment couvert et qui grelotte. Le volume du corps semble avoir diminué, la face est grippée, le nez pointu, les bagues sont trop larges pour les doigts. Comme l'afflux du sang artériel à la peau est diminué, cette dernière est très-pâle, et comme le sang s'accu- mule dans les veines et les capillaires veineux, on voit surtout les lèvres et l'extrémité des doigts et • des orteils prendre un aspect bleuâtre. Souvent, l'afflux du sang dans les doigts est complètement suspendu : ils prennent un aspect de cire, deviennent insensibles et les piqûres n'y donnent plus de sang. En même temps, la peau des extrémités et du tronc présente le phé- nomène connu sous le nom de peau ansèrine. Le pouls est très-fréquent, très-petit et dur ; la sécrétion urinaire est le plus souvent augmentée, l'urine évacuée est claire et d'un faible poids spécifique. A l'examen physique, on constate ordinairement une augmentation de la rate. Pendant que, dans le stade de froid, la température à la périphérie du corps tend de plus en plus à se mettre en équilibre avec lia température ambiante, par suite de l'ob- stacle à l'arrivée du sang chaud ,< et descend en effet de plusieurs degrés, on voit la température du sang et des organes internes augmenter rapi- dement. Cette augmentation, qui commence déjà avant le début du frisson, est de deux à trois degrés et plus considérable encore dans les cas graves. — FIÈVRES PALUDÉENNES OU PALUSTRES, FIÈVRES DE MALARIA. 757 Les, symptômes décrits s'expliquent en grande partie par le fait, que dans le stade de froid, les muscles de la peau et des artères périphériques se trouvent dans un état de contraction spasmodique. Les conséquences immédiates de ce spasme sont la peau ansérine, la petitesse et la dureté du pouls, l'insensi- bilité des doigts. La contraction des muscles de la peau et des artères péri- phériques donne lieu encore à la diminution apparente du volume du corps, à la sécheresse et à la pâleur de la peau, à l'accumulation du sang dans les veines, à l'abaissement de la température à la surface du corps. La sensation de froid éprouvée par le malade est trop considérable pour qu'on puisse l'at- tribuer uniquement à l'abaissement de la température à la périphérie; par contre, le froid persistant de la surface de la peau même sous d'épais duvets-" et qui frappe surtout, parce que la surface étant plus froide, cède moins de chaleur aux objets environnants, dépend dans tous les cas de ce que, dans le stade de froid de la fièvre intermittente, la surface du corps reçoit moins de sang et, par conséquent, moins de chaleur. Enfin, par suite du trouble porté dans la circulation périphérique, la pression latérale est augmentée dans les vaisseaux des organes internes. Mais comme nous ignorons si le spasme des muscles vasculaires reste limité aux artères périphériques, ou s'il s'étend également aux artères de l'intérieur du corps, nous ne pouvons pas affirmer que la ce phalalgie, l'oppression, la fréquence de la respiration, le vomissement, l'augmentation de la sécrétion uiïnaire, le gonflement delà rate dépendent positivement d'une fluxion collatérale vers les organes qui sont le siège de ces phénomènes. Dans tous les cas, comme nous l'avons déjà dit, la fluxion collatérale vers la rate n'est pas l'unique cause du gon- flement de cet organe. — La durée du stade de froid varie entre une demi- heure et trois heures; dans les premiers accès, ce stade est ordinairement moins long, et le frisson moins intense que dans les accès subséquents; lorsque la maladie persiste longtemps, l'intensité et la durée du frisson diminuent généralement. — Le stade de chaleur ne se montre pas subitement, mais se développe d'une manière insensible ; le frisson est interrompu au début par des bouffées de chaleur passagères, et ce n'est que peu à peu que la chaleur devient continue. En même temps, la céphalalgie devient plus violente; les malades sont très-agités, et souvent même ils ont du subdélire ou tombent dans un état de stupeur légère ; le sentiment d'oppression sur la poitrine augmente également, tandis que les mouvements respiratoires deviennent presque toujours plus profonds, plus libres et plus lents. La soif est beaucoup plus forte. En même temps l'aspect du malade est changé. Le volume du corps semble augmenter, la turgescence de la peau revient et devient beaucoup plus forte, l'aspect pale, livide, la peau ansérine, la cyanose des lèvres et des extrémités digitales disparaissent; la face devient rouge foncé, souvent on voit des vésicules berpétiques se montrer aux lèvres; le pouls, auparavant petit et opprimé, devient plein et large, les carotides 75S MALADIES CONSTITUTIONNELLES. battent fortement, l'urine sécrétée est plus saturée, le gonflement de la rate augmente. Dans la période de chaleur, la température du corps est aussi plus élevée à la périphérie; l'augmentation de la température du sang atteint son maximum au commencement de ce stade, elle reste pendant assez long- temps à ce degré élevé, et ce n'est que vers la fin du stade de chaleur qu'elle baisse lentement. — Tous ces symptômes prouvent que le spasme des muscles de la peau et des vaisseaux a disparu, et a été remplacé par un état semi-paralytique de ces muscles. Le relâchement du tissu de la peau et des parois vasculaires explique suffisamment l'afflux plus considérable du sang vers des parties auparavant anémiées, et, par cela même, la turges- cence et la chaleur plus fortes. La céphalalgie considérable, le sentiment d'oppression sur la poitrine, qui se complique assez souvent de symptômes catarrhaux, enfin, le gonflement croissant de la rate permettent de supposer que les artères du cerveau, des bronches, de la rate, se trouvent dans le même état que les artères périphériques. La durée du stade de chaleur varie d'individu à individu : quelquefois elle n'est que de quelques heures ou de moins encore; dans des cas, plus graves, la chaleur sèche persiste pendant six, huit et douze heures, avant qu'une transpiration bienfaisante se montre sur la peau. — Le stade de sueur débute par une moiteur de la peau dans le creux axillaire et au front; mais bientôt la transpiration, d'abord modérée, plus tard très- abondante, se répand sur tout le corps. Les malades se sentent considérablement soulagés, la céphalalgie diminue et cesse peu à peu com- plètement, le sensorium devient libre, l'oppression disparaît, la profondeur et la fréquence des mouvements respiratoires reviennent à l'état normal, la soif est moins forte, le pouls est plein et mou, sa fréquence diminue. L'urine foncée laisse ordinairement déposer d'abondants sédiments d'urates : ce phé- nomène dépend de la forte concentration due à la perte d'eau considérable que le corps a éprouvée par la perspiration et la production de sueur; il fait défaut, lorsque les malades remplacent la perte d'eau par l'absorption d'une grande quantité de boissons. La température s'abaisse petit à petit pendant le stade de sueur, et, vers la fin de ce stade, elle arrive presque à l'état nor- mal; Le paroxysme est passé et l'apyrexie commence. La plupart des malades tombent dans un sommeil paisible et, lorsqu'ils se réveillent, ils se sentent, il est vrai, très-faibles et abattus, mais éprouvent un bien-être relatif. — Lorsque tous les stades de l'accès de fièvre sont bien prononcés, la fièvre intermittente est appelée complète, lorsque l'un ou l'autre stade manque ou n'est que faiblement indiqué elle est dite incomplète. On prétend que, dans quelques cas rares, les différents stades de la fièvre ne suivent pas l'ordre normal, et que, par exemple, le stade de froid termine l'accès au lieu de le commencer (type inverse) . L'apyrexie n'est que rarement absolument franche, dès les premiers accès. Les malades n'ont, il est vrai, aucune fièvre, dans beaucoup de cas même la FIÈVRES PALUDÉENNES OU PALUSTRES, FIÈVRES DE MALARIA. 759 température du corps est remarquablement basse et le pouls très-lent ; mais l'appétit est souvent diminué ; la langue est chargée, la digestion irrégu- lière ; les malades sont sensibles aux changements de température et se plaignent d'un malaise indéterminé. Après quelques accès, ces troubles dis- paraissent ordinairement, et l'on n'observe pendant, l'apyrexie d'autres phé- nomènes morbides qu'une faiblesse progressive et un appauvrissement du sang qui va toujours en augmentant. Si la fièvre intermittente persiste long- temps, souvent les apyrexies perdent de nouveau leur caractère franc, et le type intermittent se rapproche du type rémittent (fièvre intermittente subcontinue). Selon le rhythme dans lequel les accès de fièvre se succèdent, on distingue d'abord une fièvre intermittente quotidienne, tierce et quarte. Dans la fièvre quotidienne, le prochain accès se présente approximativement ou exactement au bout de vingt-quatre heures, dans la fièvre tierce après deux fois vingt- quatre heures, dans la fièvre quarte après trois fois vingt-quatre heures. Existe-t-il des formes où Taccès revient périodiquement après cinq, six et sept jours ou à des intervalles plus éloignés encore? c'est ce qui est moins sûrement constaté. Les types les plus fréquents sont les types tierce et quo- tidien. Si l'accès se montre à une heure plus avancée que le dernier, la fièvre est dite anteponente, dans le cas contraire, postponente. L'acccès peut successivement être tellement avancé ou retardé que le rhythme en est changé, et qu'une fièvre tierce se transforme en fièvre quotidienne et vice versa. Si l'accès de fièvre dure assez longtemps pour que sa fin se confonde presque avec le commencement de l'accès suivant, on a affaire à une fièvre intermittente subintrante. Par fièvre intermittente doublée on entend une fièvre intermittente, dans laquelle l'apyrexie d'une fièvre quotidienne, d'une fièvre tierce ou d'une fièvre quarte est interrompue par un accès de fièvre plus faible, plus court, et survenant souvent à une autre époque de la journée. Dans la quotidienne doublée, il arrive tous les jours deux accès, un fort et un faible; dans la tierce doublée, il y a tous les jours un accès, mais un accès fort aux jours pairs et un accès faible aux jours impairs; dans la fièvre quarte doublée il y a un accès de fièvre pendant deux jours de suite, mais le troi- sième jour reste libre. — On peut dire que jamais une fièvre intermittente ne commence sous la forme d'une intermittente doublée ; ordinairement ce rhythme ne se développe qu'après une durée plus ou moins longue, et sur- tout après de fréquentes récidives de la maladie. La marche de la fièvre intermittente est si souvent modifiée par des inter- ventions médicamenteuses, surtout par l'administration de la quinine, qu'il y a bien peu de médecins qui connaissent, pour l'avoir personnellement observée, la marche d'une fièvre intermittente abandonnée à elle-même, ou, pour employer le terme usuel, la marche normale de la fièvre intermit- tente. Encore, sous ce rapport, nous devons plus d'un enseignement utile 760 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. aux homœopathes. — Il est d'abord hors de doute que le retour alternatif de paroxysmes fébriles et d'apyrexies, par lequel se distingue l'infection palustre, se maintient toujours encore pendant un certain temps, même après que les malades ont été soustraits à V action ultérieure du poison. J'ai appris, entre autres, d'un jeune marin, atteint de fièvre intermittente à Greifswald, qu'un mois après le dernier accès il avait eu une récidive en pleine mer. Il est en outre bien établi que les symptômes de l'intoxication paludéenne se dissipent presque toujours sans intervention de l'art, s'ils surviennent plus ou moins longtemps après l'action du miasme. Pour éviter toute illusion, il faut savoir que, non-seulement les individus qui fuient les contrées infestées de miasmes paludéens après avoir contracté une fièvre intermittente, mais encore ceux qui restent sur place, jusqu'à ce que le miasme y soit éteint, finissent par être soustraits à l'influence du poison. A une époque où dans une localité, ordinairement infestée de fièvres intermittentes, on n'observe pas de cas nouveaux, il serait puéril de considérer la guérison finale d'une fièvre intermittente traitée jusque-là sans succès, comme une preuve de Inefficacité du dernier remède employé. L'influence du miasme paludéen étant bornée à quelques mois dans nos contrées, le nombre des guérisons spontanées est certainement beaucoup plus considérable que généralement on ne l'admet. — Une autre question est de savoir s'il peut arriver que, par Y action prolongée du miasme sur l'organisme, ce dernier s'y accoutume telle- ment à la longue, que les phénomènes d'intoxication finissent par dispa- raître. Toujours est-il que ces cas semblent former l'exception et sont plus rares que ceux dans lesquels l'action prolongée du miasme a pour effet une simple modification des phénomènes d'intoxication et transforme l'intermit- tente pure en fièvre intermittente sous-continue ou bien en une cachexie paludéenne chronique et apyrétique. — La plupart des fièvres intermittentes commencent, comme cela a déjà été dit pour chaque paroxysme et pour chaque apyrexie en particulier, après une période prodromale peu caracté- ristique, sous le type d'une fièvre intermittente tierce ou quotidienne, avec apyrexies peu franches au commencement, mais devenant très-franches après un petit nombre d'accès. Peu de temps déjà après le commencement de la maladie, les individus deviennent, en général, très-pàles et prennent un aspect cachectique; ce changement se montre d'autant plus vite et d'une manière d'autant plus marquée que le gonflement de la rate est plus consi- dérable. Si la rate reste peu volumineuse, parce que sa capsule est rigide et inextensible, ou bien parce que d'autres causes inconnues s'opposent à son gonflement, le teint des malades ne prend que plus tard cet aspect pâle et maladif. De ce fait qui, dans la plupart des cas récents de fièvre intermit- tente, est facile à constater, et de cet autre fait que le teint frais revient bien vite, si l'on parvient à diminuer rapidement le volume de l'organe, nous avons antérieurement déjà conclu que la pâleur remarquable de la peau, FIÈVRES PULUDÉENNES OU PALUSTRES, FIÈVRES DE MALARIA. 761 après les premiers accès de fièvre intermittente, ne dépend pas exclusivement de l'anémie générale, mais principalement de l'anémie cutanée, que doit nécessairement entraîner la forte accumulation du sang dans la rate. Quand •on applique la botte de Junod à l'une ou à l'autre extrémité, on y provoque une forte hypérémie, qui entraîne de son côté une olygoémie de tout le reste du corps; aussitôt que l'on a retiré la botte, la distribution normale du sang est bien vite rétablie. — Ces remarques, cependant, n'impliquent nullement que. la fièvre intermittente se comporte, sous le rapport de la consomption du corps, d'une autre façon que n'importe quelle autre fièvre; au contraire, si, entre les différents accès fébriles, il n'y avait pas ces pauses que la continuité de l'infection rend tout à fait inexplicables, c'est-à-dire les apyrexies, pendant lesquelles la consomption est interrompue et pendant lesquelles il est possible d'alimenter les individus et de réparer, plus que dans n'importe quelle autre maladie fébrile, les pertes subies par l'orga- nisme, la fièvre intermittente serait, sans aucun doute, une des maladies les plus dangereuses. L'usure organique est très-considérable dans cette maladie, à cause de la haute température qui s'observe pendant les accès (41 degrés et plus). Cette usure est prouvée, non-seulement par l'exagéra- tion de la production d'urée, mais encore par l'amaigrissement et l'hydré- mie qui accompagnent toute fièvre intermittente ayant une certaine durée. Il est hors de doute que la production de l'urée n'est augmentée que pendant l'accès, et que pendant l'apyrexie cette substance est produite en quantité normale ; par contre, il m'a été impossible de constater, dans deux cas de fièvre quarte, que Y excrétion de l'urée était augmentée même pendant l'apyrexie, en d'autres termes, que l'excès d'urée produit pendant le paroxysme n'était éliminé que pendant l'apyrexie consécutive à ce paroxysme. Si les accès ne sont pas temporairement ou définitivement enrayés par l'ad- ministration du sulfate de quinine, ou bien si les accès ne cessent pas bientôt d'eux-mêmes, l'hydrémie finit par s'élever à un degré tel que, dans beaucoup de cas, il se développe unehydropisie plus ou moins considérable, pendant laquelle la sécrétion urinaire n'est nullement diminuée et l'urine ne contient qu'exceptionnellement de l'albumine. Cette hydropisie peut être comparée à celles qui se rencontrent encore dans le cours d'autres mala- dies épuisantes, bien qu'il soit probable que, dans les fièvres intermittentes de longue durée, les désordres matériels et fonctionnels de la rate qui s'y produisent contribuent également, pour leur part, au développement d'une hydrémie plus intense et à la fréquence plus grande del'hydropisie. l'ius la fièvre intermittente se prolonge, plus il y a lieu de craindre qu'il ne se forme' des altérations définitives dans la rate, dans Je foie, dans les reins, altérations qui, ordinairement, affectent Je caractère de la dégénérescence lardacée, accompagnée de dépôts pigmentaires, et enlrainen! à leur suite une cachexie irréparable. De plus, il n'est pas rare qu'une fièvre internait- 762 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. tente de longue durée conduise au développement d'une néphrite paren- chymateuse chronique et quelquefois à une diathèse hémorrhagique. — Ces suites graves de la fièvre intermittente simple sont prévenues, dans la plupart des cas, par un traitement rationnel, et c'est d'une manière tout à fait exceptionnelle que, même dans les contrées où le miasme paludéen règne endémiquement, on voit un individu, soumis à un traitement conve- nable, contracter une dégénérescence lardacée des organes glandulaires de l'abdomen, une hydropisie intense et une cachexie irréparable. — Tl est vrai que ni la quinine, ni aucun autre médicament connu ne peut être con- sidéré comme un antidote certain contre l'intoxication paludéenne, c'est-à- dire comme un remède ayant pour effet, une fois administré, de couper court à tout le processus morbide; mais l'effet de la quinine contre le sym- ptôme le plus important et le plus dangereux de l'intoxication paludéenne, la fièvre, est presque infaillible. Après avoir administré la quinine à dose convenable, on verra, presque sans exception, une série d'accès de fièvre faire défaut; or, comme la cachexie et l'appauvrissement du sang, peut-être aussi en partie la maladie de la rate, dépendent principalement delà fièvre, les malades, non-seulement ne s'épuisent pas davantage pendant l'adminis- tration de la quinine, mais ils reprennent des forces et leur état s'améliore, alors même que la maladie n'est pasarrivéeàson terme. — Rien n'empêche de désigner, pour s'exprimer dans un langage plus court, du nom de réci- dives ces accès de fièvre qui se reproduisent si souvent quelque temps après que l'on a suspendu l'administration de la quinine; à la rigueur, on n'a pas le droit de leur donner ce nom, attendu que les cas dans lesquels ces pré- tendues récidives se montrent même après un changement de domicile, quand le malade est allé habiter une contrée exempte de miasmes palu- déens, prouvent de la manière la plus évidente que ce n'est pas la maladie elle-même, mais seulement un de ses symptômes quia disparu. Les homœo- pathes prétendent que leur traitement met à l'abri des récidives ; il y a quelque chose de vrai au fond de cette assertion ; lorsque, avec un traitement homœopathique, les accès de fièvre ont cessé, on peut être sûr que la mala- die est éteinte. Cette circonstance qu'après l'administration de quantités suffisantes de quinine, il n'y a souvent plus de récidive, semble prouver jusqu'à un certain point qu'à côté de son action palliative sur les accès, la quinine exerce encore une action favorable sur l'ensemble du processus pathologique provoqué par l'infection paludéenne; cependant il se peut encore que, dans ces cas, l'effet palliatif dure jusqu'à l'extinction spontanée du processus morbide! Dans les cas où l'action de la quinine est purement palliative (et ces cas forment incontestablement la majorité), il arrive ordi- nairement que 7, 14 ou 21 accès de fièvre viennent à manquer, et le pro- chain accès survient au bout d'environ quinze jours, de trois semaines ou d'un mois, rarement plus tôt. D'après mes observations, on a exagéré en FIÈVRES PALUDÉENNES OU PALUSTRES, FIÈVRES DE MALARIA. 763 prétendant que la récidive se faisait presque régulièrement le 14e, le 21e ou le 28e jour; il m'est arrivé beaucoup plus souvent d'observer des récidives quelques jours avant ou après ces termes. Il n'est rien moins que rare que les récidives se présentent trois, quatre fois et même plus souvent, avant que la maladie, qui alors se prolonge pendant des mois entiers avec des interruptions, ait complètement terminé son évolution. — Je crois avoir bien fait de décrire dans la symptomatologie les modifications que l'admi- nistration de la quinine imprime à la marche de la fièvre intermittente, attendu que, comme déjà je l'ai dit plus haut, la plupart des médecins ne trouvent guère l'occasion d'observer une fièvre intermittente dont la marhe ne soit modifiée de cette manière. Bien des indications fournies dans les ouvrages de pathologie sur la marche de la fièvre intermittente, et notam- ment sur ces récidives, ne correspondent certainement pas au tableau de la maladie abandonnée à elle-même. II. Fièvre intermittente •pernicieuse (febris eomitata). — Pour les enfants, poul- ies personnes très-âgées et très-épuisées, un accès de fièvre intermittente peut devenir dangereux sans qu'il se distingue par une intensité extraordi- naire, par une trop longue durée ou par des complications. Les enfants dis- posés aux congestions, ont assez souvent pendant le stade de froid une attaque épileptiforme, comme elle peut aussi survenir chez eux à titre de phénomène initial de quelque maladie inflammatoire. Ordinairement ces attaques n'ont rien de dangereux, mais quelquefois elles se transforment en une paralysie générale, se terminant par la mort. Chez les personnes très- âgées ou très-affaiblies le danger de l'accès de fièvre intermittente simple réside principalement dans l'épuisement imminent et complet du peu de forces qui restent encore au malade. — Ces sortes de cas, qui ne prennent une issue funeste qu'à raison des dispositions individuelles de la personne atteinte, ne sont généralement pas comptés parmi les fièvres intermittentes pernicieuses. Quelques fièvres intermittentes deviennent pernicieuses, parce que les phénomènes ordinaires de la maladie prennent une intensité extraordinaire ou durent extrêmement longtemps. De ce nombre sont, par exemple, les cas dans lesquels le gonflement hypérémique de la rate devient tel qu'il se produit une rupture de l'enveloppe de cet organe, ou bien ceux dans lesquels le frisson devient tellement intense qu'il en résulte un arrêt dangereux de la circulation, enfin les cas dans lesquels l'accès de fièvre ne cesse pas au bout de six ou de dix heures, mais seulement après vingt-quatre heures ou encore plus tard et laisse à sa suite un épuisement très-considérable, ou ceux dans lesquels il n'y a qu'un stade ou l'autre qui se prolonge bien au delà de sa durée ordinaire. Il me semble extrêmement probable, que l'on devrait aussi comprendre dans cette catégorie quelques-unes des formes, dites compli- 764 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. quées, de la fièvre intermittente, attendu qu'il est à supposer que pour ces formes encore, il ne s'agit pas d'une complication véritable, mais d'une forte exagération des symptômes ordinaires de la maladie. Déjà, dans la fièvre intermittente normale, on remarque une élévation de la température, comme on ne l'observe guère dans aucune autre maladie ; et il n'y a que la courte durée de cette élévation extrême, qui nous explique pourquoi elle est ordinairement supportée sans grand danger par le malade. Dans toutes les maladies où la température du corps dépasse la limite excessive ou, sans aller jusque-là, se maintient simplement pendant un certain temps à un niveau élevé, il se manifeste des symptômes d'adynamie extrême et finale- ment de paralysie du cœur, et ce sont ces symptômes qui forment égale- ment les phénomènes les plus saillants de quelques-unes des formes de la fièvre intermittente, dite compliquée {intermittens comitata). Ainsi le coma profond dans lequel tombent les individus atteints de la fièvre intermittente comateuse, et les délires qui précèdent ce coma, rappellent exactement les phénomènes observés dans le typhus grave, dans la rougeole maligne et dans d'autres maladies infectieuses accompagnées d'une fièvre excessive. Dans la plupart de ces cas on ne trouve à l'autopsie, lorsqu'ils se sont ter- minés par la mort, aucune lésion anatomique du cerveau. Dans la fièvre algide l'action du cœur devient de plus en plus faible, le pouls de plus en plus petit, le sang s'accumule dans les veines, il se produit une cyanose, la température de la périphérie se met presque entièrement au niveau de la température du milieu ambiant, parce que l'arrêt de la circulation empêche que la perte de chaleur soit réparée par l'arrivée d'un sang chaud; les ma- lades se refroidissent : en un mot, il s'agit ici des phénomènes d'une para- lysie aiguë du cœur, qui, en dehors de toute complication, peut résulter uniquement de l'intensité de la fièvre. Il est hors de doute que, précisément dans ces formes graves de la fièvre intermittente, on trouve souvent une forte accumulation de pigment dans le sang; mais la coïncidence de la mé- lanémie avec la marche grave de la fièvre, ne nous autorise pas à voir dans cette gravité une suite de la mélanémie. Frerichs rapporte plusieurs cas dans lesquels on avait trouvé, àl'autopsie d'individus atteints de fièvres inter- mittentes, et qui étaient morts avec de graves symptômes cérébraux, des traces de mélanémie, il est vrai, mais une absence complète de pigment dans les capillaires du cerveau, où, cependant, on devait s'attendre à ren- contrer cette substance; moi-même j'ai observé un cas semblable. Parmi les fièvres intermittentes pernicieuses, compliquées dans un sens res- treint, il faut compter les cas dans lesquels la maladie emprunte son carac- tère de malignité à des hypérémies, à des épanchements sanguins, à des inflammations et, peut-être aussi, à des troubles de la circulation déterminés dans divers organes par des masses pigmentaires qui oblitèrent les capil- laires. Il est probable que ce sont de pareils troubles de la nutrition et de la FIÈVRES PALUDÉENNES OU PALUSTRES, FIÈVRES DE MALARIA. 765 circulation des centres nerveux, qui forment la base des accès maniaques, apoplectiformes, épileptiformes et tétaniques qui compliquent parfois les paroxysmes fébriles et qui ont fait admettre une fièvre intermittente perni- cieuse maniacale, apoplectique, épileptique et tétanique. — Une bronchite catarrhale assez violente qui s'exaspère à chaque paroxysme fébrile et diminue à chaque apyrexie, forme une complication très-fréquente, mais ordinairement peu dangereuse, de la fièvre intermittente. On rencontre rarement des fièvres pernicieuses pneumoniques et pleurétiques, ou bien une hémoptysie à retour périodique comme le retour des autres phéno- mènes morbides. Dans beaucoup de cas de fièvre intermittente compliquée il se développe un ictère. — Du côté du canal intestinal, des transsudations aqueuses surabondantes, des vomissements violents et des diarrhées profuses peuvent être suivis d'un épaississement du sang et imprimer au paroxysme fébrile une grande ressemblance avec la période algide du choléra asiatique. Dans quelques cas il se forme aussi des hémorrhagies intestinales intermit- tentes (sur cinquante et un cas de fièvre intermittente pernicieuse, observés par Frerichs, il y avait dix -sept cas de diarrhée profuse et trois cas d'hé- morrhagie intestinale). Les transsudations séreuses et les hémorrhagies pro- fuses qui se produisent dans le canal intestinal, sont-elles dues à une stase sanguine très-intense, qui se forme dans les vaisseaux de l'intestin en cas d'oblitération des capillaires du foie par des masses pigmentaires? C'est ce qui n'a pas pu être démontré dans tous les cas où ces accidents ont eu lieu. Il nous reste, enfin, à nommer les complications de la fièvre intermittente ■par une affection des reins. Elles se manifestent par l'albuminurie, l'héma- turie et, dans les cas les plus graves, par la suppression de l'urine. (Dans les cinquante et un cas mentionnés plus haut, Frerichs a constaté vingt fois l'albuminurie et cinq fois la suppression d'urine.) Les fièvres intermittentes pernicieuses se rencontrent, il est vrai, de pré- férence dans les contrées tropicales, infestées par la fièvre, mais elles ne sont pas non plus rares chez nous dans les pays où régnent des miasmes paludéens intenses, et on en observe quelques cas dans toutes les grandes épidémies de fièvre intermittente. Le caractère malin de la maladie se manifeste, soit dès le début, soit seulement au second ou au troisième accès ou encore plus tard. Souvent les apyrexies deviennent si peu franches après que des phénomènes pernicieux se sont présentés, que le diagnostic devient très-difficile, voire même impossible. La plupart des malades observés par Frerichs avaient été envoyés à l'hôpital par des médecins qui les croyaient atteints de fièvre typhoïde. III. Fièvres intermittentes larvées. — Tandis que, dans les cas ordinaires, l'infection paludéenne détermine une fièvre intermittente, il arrive dans des cas exceptionnels, qui ne sont pas excessivement rares, que la même cause 766 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. provoque une névralgie, au lieu de l'ensemble des symptômes du paroxysme fébrile, et que les accès de cette névralgie sont séparés par des intermit- tences régulières, qui correspondent aux apyrexies d'une fièvre intermittente ordinaire. Ces anomalies sont tout à fait inexplicables, il est vrai; mais il en est de même de la fièvre intermittente simple et régulière, dont les symptômes échappent jusqu'à présent à toute interprétation. Les névralgies intermittentes nées sous l'influence de l'infection paludéenne, et qui portent le nom de fièvres intermittentes larvées, occupent le plus souvent la branche frontale, plus rarement les autres branches du trijumeau ou d'autres trajets nerveux. Nous renonçons à faire la description de ces accès, qui ne se dis- tinguent pas essentiellement d'accès névralgiques d'une autre origine. Il paraît du reste qu'ils sont accompagnés le plus souvent d'une fièvre légère, au moins thermométriquement appréciable. — Dans des cas très-rares, il paraît qu'il se produit encore d'autres excitations anomales des nerfs cérébro- spinaux et vaso-moteurs sous l'influence du miasme paludéen. Tels sont des anesthésies, des paralysies, des convulsions intermittentes, des troubles psychiques intermittents, des hypérémies ou des œdèmes de différents organes, ayant également un caractère intermittent. § h. Traitement. La prophylaxie exige que l'État cherche à faire disparaître par des mesures d'hygiène publique, qui ne sont pas de notre ressort, les causes morbifiques qui favorisent notoirement le développement du miasme palu- déen, qu'il fasse dessécher les marais aux environs desquels les fièvres intermittentes régnent endémiquement, qu'il protège par des digues les terrains bas exposés à des inondations annuelles, etc. En outre, les indi- vidus qui sont forcés de s'arrêter passagèrement, ou pendant plus ou moins longtemps, au milieu des miasmes paludéens, doivent se conformer à cer- tains préceptes qui, mieux que n'importe quel médicament prophylactique, les garantissent contre l'influence fâcheuse du miasme. Hauschka qui, dans son Compendium de pathologie et de thérapeutique spéciales, formule des règles très-précises et très-pratiques sur la manière de vivre dans les contrées infestées par le miasme paludéen, recommande : 1° qu'aussitôt après être arrivé dans une de ces contrées, on adopte la manière de vivre des habitants du pays : que sur les bords de la Yistule on boive de F eau-de-vie de grains, dans le Banat du slilowitz (eau-de-vie faite avec des noyaux de prunes), qu'en Hongrie on ne mange les melons et les concombres qu'assaisonnés de beaucoup de paprika (piment hongrois), qu'en Italie on boive beaucoup de limonade et qu'on y prenne du café noir en abondance, qu'on y renonce à l'habitude de souper, et qu'aux différents endroits on se serve aussi des FIÈVRES PALUDÉENNES OU PALUSTRES, FIÈVRES DE MALARIA. 767 moyens consacrés par l'usage pour améliorer l'eau potable ; 2° qu'on change de vêtements, suivant la température des différents moments de la journée, que surtout on se garantisse contre l'air frais du soir par des vêtements plus chauds, et que pendant la nuit on tienne les fenêtres de la chambre à coucher fermées; 3° qu'on cherche à habiter un logement situé sur une hauteur, bien sec, autant que possible éloigné des marais ; W que l'on évite d'avoir le corps mouillé par la pluie, de commettre des écarts de régime, ou d'autres excès, afin qu'on ne s'attire pas une autre maladie qui augmente la prédisposition à l'infection paludéenne; 5° qu'on renonce à certaines choses, telles que les fruits, le lait, qu'on évite de se baigner dans les rivières et les lacs, surtout après le coucher du soleil, et qu'on ne fasse pas de prome- nades trop longues autour des marais. Ce qui parait le plus dangereux, c'est de dormir en plein air. Le traitement de l'accès peut se borner dans presque tous les cas à la surveillance du régime. Aussitôt que les premiers indices du stade de froid se font sentir, le malade doit se coucher. Mais il faut bien recommander aux personnes qui l'entourent de ne pas mettre trop de couvertures sur lui, attendu que par là on ne réchauffe pas la peau et qu'on ne peut qu'apporter une gêne plus grande à la circulation déjà trop difficile dans les parties périphériques et à la respiration embarrassée du malade. Si le frisson est très-intense, on peut faire frotter la peau avec des draps de laine chauffés et faire bassiner le lit. L'ingestion de boissons chaudes ne diminue pas la sen- sation subjective du froid et n'élève pas non plus la température dans les parties périphériques, qui a baissé malgré la forte élévation de la tempé- rature du sang; cependant on peut céder aux instances presque toujours fort vives du malade en lui accordant quelques tasses d'une infusion chaude, pourvu que la mesure ne soit pas dépassée. Si de forts vomissements se manifestent pendant le stade de froid, on fait bien d'ordonner de la poudre aérophore, et, si ce moyen ne fait pas d'effet, quelques gouttes de teinture d'opium. Si pendant le frisson le malade s'affaisse d'une manière inquié- tante, on doit administrer des analeptiques, une infusion de café concentré, du vin généreux, du camphre, de l'éther additionné d'opium; de plus, on fera frictionner longtemps et énergiquement la peau, et l'on appliquera des sinapismcs. — Dans le stade de chaleur, on cherchera à procurer au malade un peu de fraîcheur; ainsi on le couvrira légèrement, on lui permettra déboire souvent des boissons froides, par petites quantités à la fois, et, en cas de forte congestion au cerveau, on fera couvrir la tête de compresses froides ou glacées, et l'on prescrira au besoin une saignée locale. Ce n'est qu'en cas d'extrême nécessité qu'on se décidera à ouvrir la veine, attendu qu'il en résulte rarement du bien et que la saignée est souvent suivie d'un collapsus dangereux. La médication qui, jointe aux saignées locales et aux fortes déri- vations sur l'intestin, s'est montrée la plus utile pendant les accès de lièvre 768 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. intermittente pernicieuse, c'est l'administration des préparations opiacées. — Le stade de sueur doit être passé au lit. Il n'y a pas lieu d'employer des mesures particulières pour favoriser la transpiration, attendu que des sueurs profuses ne sont d'aucune utilité. Ce n'est qu'après la fin du stade de sueur que l'on peut permettre aux malades de changer de linge. Le traitement de fapyrexie a pour tâche d'empêcher, par l'administration de la quinine, le retour des accès, à moins que des considérations particu- lières défendent, non la suppression des accès, mais l'administration delà quinine. L'opinion, autrefois fort répandue, qu'il y avait avantage pour le malade à laisser passer un certain nombre d'accès et à ne couper la fièvre qu'après le troisième, le cinquième ou même après le septième accès, se fondait sur des idées fausses. Plus le malade est rapidement délivré de ses accès de lièvre, mieux cela vaut pour lui. — Par contre, un état morbide de la muqueuse stomacale, tel qu'il se rencontre parfois après les premiers accès de fièvre intermittente, peut contre ^indiquer l'administration du sulfate de quinine; toujours est-il qu'en cas de fièvre intermittente simple et bénigne on fait bien de dissiper cet état morbide avant de prescrire le sel de quinine qui est mal supporté par l'estomac. Souvent, dans le traitement de la fièvre intermittente, on prononce avec trop de légèreté le diagnostic d'un embarras gastrique ou catarrhe de l'estomac, et l'on fait abus de vomitifs. Certains médecins considèrent comme une règle indiscutable d'inaugurer le traite- ment par un vomitif; d'autres prescrivent le sel ammoniac, jusqu'à ce que la langue soit couverte d'un enduit épais, et n'administrent le vomitif que plus tard, pour préparer le corps à l'administration de la quinine. En dehors des indications bien positives que nous avons formulées antérieurement pour l'administration des vomitifs dans les catarrhes de l'estomac,, nous croyons qu'il est pour le moins inutile de commencer par l'administration d'un remède de ce genre le traitement de la fièvre intermittente. Lorsque, au contraire, les malades ont commis de grossiers écarts de régime au début de la fièvre intermittente, et surtout lorsque, peu avant le début de l'accès de fièvre, ils se sont remplis l'estomac d'aliments restés sans être digérés et irritant la muqueuse par leur décomposition, alors il y a tout lieu de prescrire un vomitif. La distinction entre le catarrhe de l'estomac dû à une indigestion et la dyspepsie légère qui accompagne la plupart des maladies fébriles, dyspepsie qui ne réclame aucun vomitif et ne saurait nous empêcher d'ad- ministrer immédiatement de la quinine, a été longuement discutée dans le premier volume. —Depuis que Pfeuffer a donné le conseil d'administrer en une seule fois une dose un peu forte de quinine, on s'abstient avec raison de prescrire cette substance par petites doses réparties sur toute la durée de l'apyrexie. Il suffit, en effet, pour les adultes, d'administrer en une fois 50 centigrammes de sulfate de quinine pour couper les accès; 25 centi- grammes suffisent pour les enfants, et 10 à 15 centigrammes pour les tout FIEVRES PALUDEENNES OU PALUSTRES, FIEVRES DE MALARIA. 7G9 petits enfants. Souvent il se produit encore un faible accès rudimentaire, et il n'y a que le second accès qui est supprimé complètement. Il convient de ne pas faire prendre la dose de quinine immédiatement, mais plusieurs heures avant l'accès attendu, afin que l'on soit sur que le remède aura le temps d'agir encore pendant l'apyrexie. Ce n'est que dans le cas où de fortes doses de quinine sont rejetées par le vomissement, qu'il y a lieu d'admi- nistrer de faibles doses plusieurs fois répétées ; dans ces cas, on fait prendre 10 centigrammes de sulfate de quinine toutes les deux heures, jusqu'à concurrence de 60 à 75 centigrammes dans une apyrexie. C'est sous forme de poudre ou de pilules qu'on prescrit ce sel le plus souvent. (Pr. : sulfate 4e quinine, 50 centigrammes ; extrait de gentiane, q. s. pour k pilules.) Une solution de sulfate acide de quinine (sulfate de quinine, 50 centigrammes; eau de mélisse, 90 grammes; acide sulfurique dilué, 60 centigrammes; sirop, 15 grammes) passe pour être très-efficace; mais elle est très difficile à avaler, surtout lorsqu'il s'agit d'en prendre de fortes quantités. Si l'estomac refuse absolument la quinine, on peut la faire prendre sous forme de lave- ments, son action étant tout aussi sûre par le rectum. Les autres sels de quinine n'offrent aucun avantage sur le sulfate ; la quinoïdine et la teinture de quinoïdine se recommandent, à raison de leur bas prix, pour la clientèle des pauvres; on fait prendre la dernière, pendant l'apyrexie, à la dose de 12 à 15 gouttes, toutes les deux heures, ou bien on en donne une cuillerée à café en une fois peu de temps avant l'accès attendu. D'après les observa- tions de Wunderlich, la quinoïdine n'est pas moins efficace que la quinine. — Si un premier accès a été supprimé par le traitement que nous venons de nommer, le second et le troisième et toute une série d'autres seront ■également supprimés presque sans exception ; cependant il est bon, surtout lorsque la rate ne désenfle pas régulièrement, de faire prendre encore pen- dant quelques jours de plus petites doses de quinine. Plus la rate revient complètement à son volume normal, plus il y a lieu d'espérer qu'il n'y aura pas de récidive. Déjà, dans le paragraphe précédent, je me suis exprimé •contre l'habitude trop répandue de répéter l'administration de la quinine immédiatement avant le 7e, le l&e, le 21e et le 28e jour. Très-souvent, lorsqu'on se propose de suivre cette méthode, la récidive arrive précisément le jour qui précède celui où le malade doit prendre le remède. Je considère comme bien plus rationnel d'avertir le malade que, très-probablement, s'il doit avoir une récidive, elle arrivera à la fin du second, du troisième ou du quatrième septénaire, et de lui recommander qu'à ces époques il s'observe avec le plus grand soin pour reconnaître immédiatement les phénomènes prodromaux qui pourraient se présenter, et qu'il prenne une forte dose de quinine aussitôt qu'il a la moindre raison pour soupçonner le retour d'un nouvel accès. Lapluparl des malades un tant soil peu intelligents savent se mettre à l'abri de la récidive complète en portanl toute leur attention sur SÏITMEÏF.n. "• — 49 770 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. l'accès rudinientaire qui la précède pour ainsi dire sans exception. L'opinion qu'il faut donner, contre les récidives de la fièvre, la teinture d'écorce de quinquina, à 30 grammes par jour> au lieu de la quinine, n'est plus admise aujourd'hui. Indépendamment de l'administration, au besoin répétée, de la quinine, il faut encore recommander au malade de se conformer rigoureu- sement à tous les préceptes dont il a été question à l'occasion de la prophy- laxie. Lorsque la position du malade le permet, on fait même bien d'exiger qu'il quitte pour six à huit semaines la contrée infectée. Plus haut nou avons déjà fait voir que cette mesure de précaution rie le dispense pas de prendre de la quinine. Lorsqu'il se développe une cachexie paludéenne, il y a lieu de recomman- der un régime nourrissant et fortifiant, et de faire prendre, deux fois par jour, un demi-verre d'un vin de quinquina préparé selon la formule sui- vante : Teinture d'écorce de quinquina jaune royal, 30 grammes: teinture de cannelle, h grammes; eau de Rabel, 8 grammes, le tout dans une bou- teille de vin du Rhin. On peut encore faire prendre trois ou quatre fois par jour une cuillerée à café de teinture de quinquina composée ou élixir roborant de Whytt. A ces remèdes on joindra la prescription des ferrugineux à haute dose. Ce traitement rend les services les plus évidents dans la plupart des cas, à tel point qu'une hydropisie, même avancée, disparaît au bout de peu de temps, sans que l'on ait besoin de recourir à un moyen diurétique quelcon- que: si, contrairement à toute attente, ce traitement reste inefficace, il faut insister irrévocablement sur un changement temporaire de séjour, quelles que soient, du reste, les difficultés qui s'opposent à cette mesure ou les sa- crifices qu'elle impose. Les moyens thérapeutiques énumérés jusqu'à présent suffisent presque toujours contre la fièvre intermittente simple. Les expériences faites avec les succédanés de la quinine, tels que salicine, pipérine, sel de cui- sine, etc., ont donné des résultats négatifs ou douteux1. Le seul fébri- fuge qui mérite quelque confiance à côté de l'écorce de quinquina et de ses préparations, c'est l'arsenic, prescrit sous forme de solution arsenicale de Fovrier [k à 6 gouttes trois fois par jour, pendant l'apyrexie). Selon moi, l'ad- ministration de l'arsenic à titre de fébrifuge ne peut se justifier, vu l'effet beaucoup plus sûr et moins dangereux de la quinine, que dans les cas si rares où cette dernière, même administrée à hautes doses, ne donne, aucun résultat. Dans la fièvre intermittente pernicieuse, il importe avant tout de prévenir le retour de l'accès qui va suivre. Dans cette forme, il faut recourir aux mesures i D'intéressantes études sont faites en ce moment sur V Eucalyptus globulus, entre autres par le professeur Gublcr. de Paris, qui lui reconnaît des propriétés fébrifuges évidentes. FIÈVRES PALUDÉENNES OU PALUSTRES, FIÈVRES DE MALARIA. 771 thérapeutiques réclamées par les phénomènes graves pendant la durée même de l'accès,, mais il ne faut pas s'attendre à voir se développer une in- termittence complète tant que l'on n'a pas donné la quinine. Il faut donc administrer cette dernière aussitôt qu'on a constaté une faible diminution des symptômes, à doses élevées, telles que 1 à 2 grammes et au delà; et si les malades ne peuvent pas avaler le remède, il faut le leur administrer par lavements. Contre les fièvres intermittentes larvées, la quinine rend presque les mêmes services que contre les fièvres intermittentes simples; cependant, même dans ce cas, l'effet du remède paraît n'être que palliatif et symptomatique, vu qu'il ne met nullement à l'abri des récidives. ARTICLE II. Fièvres paludéennes rémittentes et continues. § 1. Pathogénie et étiologie. Les fièvres paludéennes rémittentes se rencontrent, il est vrai, de préfé- rence dans les pays tropicaux; mais on en observe aussi chez nous quelques cas isolés dans les contrées où les affections paludéennes régnent endémi- quement et même dans d'autres endroits en temps d'épidémie de fièvre in- termittente. Je ne puis donc pas compter les fièvres paludéennes rémittentes parmi les maladies exotiques et les passer comme telles sous silence; mais n'ayant pas eu l'occasion de faire beaucoup d'observations personnelles sur ces maladies, je prendrai presque exclusivement pour base de la courte des- cription qui va suivre l'excellent travail de Griesinger. Ce qui prouve que les fièvres rémittentes sont dues àl'infectionpaludéennc, c'est d'abord cette circonstance qu'on les rencontre exclusivement dans les contrées où la constitution du sol et du climat, aussi bien que la fréquence des cas de fièvre intermittente, permet d'admettre comme chose certaine l'existence d'un miasme paludéen intense. Une autre preuve non moins évi- dente de l'origine paludéenne de ces maladies nous est fournie par les nom- breuses observations de fièvres rémittentes transformées en fièvres internrit- tentes. Sont-ce des modifications du miasme qui déterminent ce cliangemcnl dans le tableau de la maladie, et quelles sont ces modifications? C'est ce qu'il est impossible de savoir. Plus les cas de fièvre intermittente sont grâces, plus on rencontre de fièvres rémittentes à côté de ces cas graves de fièvre intermit- tente. 772 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. § 2. Anatomie pathologique. A l'autopsie d'individus qui ont succombé à la fièvre rémittente, on ren- contre la mélanémie absolument comme dans les cadavres d'individus morts de fièvre intermittente pernicieuse. Toujours est-il qu'aux autopsies peu nombreuses faites dans les contrées où les fièvres rémittentes régnent endé- miquement, on a presque toujours été frappé par la pigmentation foncée, couleur de cendre, de la substance grise du cerveau, et par la couleur noi- râtre de la rate et du foie. Outre ces modifications qui, du reste, ne sont pas tout à fait constantes, on trouve dans les cadavres très-souvent les traces d'un ictère plus ou moins intense, avec ou sans oblitération des voies biliaires, ainsi que les résidus de processus catarrhaux et diphthéritiques dans l'intes- tin, plus rarement des épanchements sanguins dans l'estomac, des infarctus hémorrhagiques des poumons, des pneunomies lobulaires. § 3. Symptômes et marche. Griesinger distingue trois formes de fièvre rémittente. La première, qui est la plus légère, commence, d'après la description de cet observateur, par un malaise profond, survenant rapidement, par une fièvre violente et un em- barras gastrique, ïl s'y ajoute bientôt un gonflement de la rate, un ictère lé- ger, des selles irrégulières, souvent incolores, un herpès labial. La faiblesse des malades, les douleurs qu'ils ressentent dans la tête et dans les membres, le vertige, le bourdonnement d'oreilles, les épistaxis, les phénomènes de bronchite souvent observés, rappellent le tableau d'une fièvre typhoïde commençante; mais la fièvre montre dès le début un caractère remarqua- blement rémittent. A des exacerbations, d'abord irrégulières, plus tard ré- gulières, suivant ordinairement lerhythme quotidien, succèdent des rémis- sions manifestes. Celles-ci, à mesure qu'elles sont accompagnées de plus fortes sueurs et d'un plus grand bien-être, se transforment peu à peu en in- termittences complètes, et la fièvre rémittente devient une fièvre intermit- tente simple. Dans d'autres cas, la maladie est guérie par la diminution progressive des phénomènes morbiles et sans avoir été transformée en fièvre intermittente. La durée de la maladie varie entre quelques jours et trois semaines. Dans les formes plus graves, la fièvre est très-violente, les rémissions ne sont bien marquées qu'au commencement de la maladie, l'état général rap- pelle celui d'une fièvre typhoïde grave, les malades tombent dans la stupeur et le délire, la langue se dessèche, la rate enfle. A cela s'ajoutent ordinaire- FIÈVRES PALUDÉENNES OU PALUSTRES, FIÈVRES DE MALARIA. 773 ment, mais non toujours, des phénomènes ictériques, dans d'autres cas, les symptômes d'une pneumonie concomitante, d'une dysenterie, etc.; dans d'autres cas encore, des indices d'accidents dits pernicieux. La maladie dure ordinairement de huit à quinze jours. Si elle doit guérir, elle se transforme généralement d'abord en fièvre intermittente. La mort peut arriver subite- ment au milieu des symptômes d'une fièvre intermittente pernicieuse. Les formes les plus graves présentent les phénomènes d'une fièvre à exa- cerbations et à rémissions indistinctes et irrégulières, et accompagnée d'une adynarnie très-intense. Les malades s'affaissent très-rapidement et tombent de très-bonne heure dans une stupeur profonde. Il faut ajouter cà cela des troubles très-divei'S, mais non constants, dans la nutrition et les fonctions de presque tous les organes, ce qui donne lieu à des tableaux morbides extrême- ment variés. Beaucoup de malades deviennent ictériques. Souvent il se pré- sente des épistaxis, des hématémèses, de l'hématurie; dans d'autres cas, de l'albuminurie ou une suppression d'urine; dans d'autres cas encore, des phénomènes cholériques et dysentériques; la rate et le foie enflent fortement et deviennent souvent le siège d'une inflammation et d'une fonte suppurée. Dans les membranes séreuses et dans les poumons il n'est pas rare non plus de trouver des exsudats inflammatoires, en même temps que dans la peau extérieure il se produit des pétéchies, du décubitus, de la gangrène. Ordinai- rement, la mort arrive, dans ces cas, au milieu de phénomènes comateux ou convulsifs, ou précédée des symptômes d'une fièvre algide. § h- Traitement. Dans les fièvres rémittentes légères, on doit, d'après Griesinger, combat- tre avant tout par un régime sévère, par des acides et quelquefois par des vomitifs et des purgatifs, la maladie aiguë de la muqueuse gastro-intestinale. La quinine doit être employée aussitôt que les rémissions et les exacerbations sont nettement accusées et que ces dernières débutent par un frisson. Il faut se préoccuper spécialement des complications qui peuvent survenir, parce qu'elles ne cèdent pas à l'emploi exclusif du sulfate de quinine. Dans les deux formes plus graves, il faut s'attacher surtout à donner le plus tôt possi- ble la quinine à haute dose et à en continuer l'emploi jusqu'à ce qu'il y ail une amélioration bien évidente dans l'état du malade. En même temps, on combattra symptomatiquement les phénomènes pernicieux, comme dans la fièvre intermittente pernicieuse. 774 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. CHAPITRE XIII Choléra asiatique. § 1. Pathogénie et êtiologie. Il est possible et même probable que dans les pays où il existe à l'état en- démique, le choléra est dû à un miasme. Que ce miasme, ou germe du cho- léra, se développe aux Indes sur du riz malade ou non, et que la maladie fasse ou non ses plus grands ravages dans ce pays pendant les années dans lesquelles les parasites végétaux, attachés au sol de ces contrées, trouvent les conditions les plus favorables de développement et de multiplication, tou- jours est-il que chez nous le germe du choléra n'est pas endémique. Les épidémies de choléra, observées chez nous, dépendent, au contraire, toutes d'une importation du parasite exotique jusque dans nos pays par des indi- vidus atteints de choléra, et de cette autre circonstance que le parasite a pu trouver temporairement chez nous un terrain favorable à son développement et à sa multiplication. Jamais le choléra n'a eu en Europe une origine mias- matique *. A la rigueur il faudrait, si l'on voulait s'attacher strictement au sens du mot contagion, refuser la caractère contagieux au choléra ; car on ne voit pas un homme sain contracter le choléra, en s' exposant simplement au contact d'individus atteints de cette maladie2. Cependant, comme on emploie généralement le mot contagion en ce sens que l'on appelle contagieuses les maladies qui d'une manière quelconque sont transmises des individus ma- lades aux individus sains, et comme cela est certainement le cas pour le choléra, on compte, à ce titre, le choléra au nombre des maladies conta- gieuses. Le véhicule du contagium cholérique n'est pas, comme pour les exanthèmes aigus et le typhus exanthématique, l'exhalation de la peau et du poumon, mais il est contenu dans les déjections des individus atteints de 1 Quant à la question de savoir si Hallier et Klob, qui ont démontré l'existence de nombreux spores de champignon dans le tube intestinal et dans les déjections des cholériques, ont trouvé ou non le véritable germe cholérique, je suis obligé de la laisser sans réponse, attendu que je ne me sens pas en mesure de prononcer un ju- gement à cet égard. 2 Les observations faites par moi dans la première épidémie de choléra, pendant la- quelle avais enveloppé moi-même beaucoup de malades nus dans des couvertures de laine et souvent tenu pendant quelque temps dans les bras, avaient fait de moi un anticontagioniste bien déclaré ; c'est aussi dans ce sens que je me suis prononcé dans le premier travail que j'ai publié il y a vingt ans. CHOLÉRA ASIATIQUE. 775 choléra. Il est constaté que dans beaucoup de localités, jusque-là épargnées, des épidémies meurtrières ont subitement éclaté, parce qu'un voyageur portant dans son canal intestinal le germe cholérique, y était venu le dépo- ser dans un cabinet d'aisances, ou bien parce que l'on avait vidé dans les lieux d'aisances servant à d'autres personnes Tes déjections d'un cholérique. En 1848, un transport de recrues vint de Stettin, ville ravagée par le cho- léra, à Magdebourg ; deux de ces hommes tombèrent malades du choléra dans la première nuit de leur séjour. Ils furent évacués immédiatement sur l'hôpital militaire fort éloigné des maisons où ils étaient logés, sans avoir eu le moindre contact avec les habitants de ces maisons. Or, peu de jours après, le choléra éclata dans la maison et dans la rue où ils avaient passé la nuit, et, seulement au bout de quelques semaines, une épidémie s'étendit égale- ment au reste de la ville. Dans les grandes villes où la population est très- agglomérée, et lorsqu'un grand nombre d'individus sont atteints à la fois, l'extension d'une épidémie est plus difficile à poursuivre que dans des villes plus petites, dont les constructions sont très-étendues comparativement au nombre des habitants, et dans lesquelles peu d'individus sont atteints à la fois. Une occasion, 'particulièrement favorable pour faire des observations exactes sur l'extension du choléra, m'a été offerte par une petite épidémie de choléra à Greifswald. Je pouvais constater, presque pour chaque nouveau cas, que l'individu atteint était entré dans le cabinet d'une maison où il y avait des cholériques, ou qu'il avait été dans un cabinet dont la fosse était contiguë à celle d'une maison infectée, ou bien, enfin, qu'il s'était rencon- tré dans d'autres lieux d'aisances avec des individus atteints de diarrhée, et •qui habitaient une de ces maisons infectées. — Depuis que l'on sait que le choléra ne se transmet aux individus sains que par les déjections de ses vic- times, une série d'observations jusque-là inexpliqua blcs, et en apparence ■contradictoires sur le mode de propagation du choléra, ont trouvé une explication suffisante. Aujourd'hui on comprend facilement que, depuis que les hommes voyagent plus rapidement, depuis qu'il y a des bateaux à vapeur et des chemins de fer, le choléra arrive beaucoup plus rapidement qu'au- trefois d'un endroit à un autre. Il n'y a plus à s'étonner que dans ses mi- grations le choléra suive toujours les grandes voies de communication, allant tantôt avec le vent, tantôt contre le vent, et tantôt de l'est à l'ouest, tantôt de l'ouest à l'est. Les sauts extrêmes que font souvent les épidémies de choléra s'expliquent par cette simple circonstance qu'un cholérique en voyage n'in- fecte que les localités où il laisse des déjections, tandis que toutes les stations intermédiaires restent épargnées. Si le germe cholérique n'était contenu que •dans les déjections des malades atteints de la forme la plus grave de la ma- ladie; du choléra asphyxique, ces sauts par les épidémies ne pourraient se produire, vu l'impossibilité dans laquelle se trouvent ces malades de voyager, qu'autant que des individus infectés entreprendraient un voyage pendant la 776 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. durée de l'incubation, et que la maladie Tiendrait à éclater dans un lieu éloi- gné de leur séjour habituel. Mais, en dehors de ces cas, parmi lesquels il faut compter l'exemple cité plus haut que j'ai eu l'occasion d'observer à Magdebourg, on a la preuve qu'un individu atteint d'une simple diarrhée cholérique, qui ne se sent pas très-malade actuellement, et qui même, parla suite, ne souffrira pas d'une des formes graves du choléra, loge en lui le germe cholérique au point de pouvoir infecter un cabinet d'aisances et provoquer l'invasion d'une épidémie. Contre l'opinion que le choléra est propagé par les évacuations des mala- des, on a objecté entre autres que quelques personnes, qui avaient eu le courage d'avaler des déjections cholériques, étaient restées épargnées de la maladie, et qu'on n'avait presque jamais pu réussir à produire des symptômes- cholériques chez les animaux, en leur ingérant soit le contenu intestinal d'individus morts de choléra, soit les déjections des malades. Ces faits ne sauraient être contestés. Mais pour les mettre d'accord avec les faits tout aussi sûrement constatés que nous avons relatés plus haut, on a émis l'hypothèse que les déjections récentes des individus atteints du choléra ne contenaient pas encore le germe cholérique dans la période de développement néces- saire, ou ne le contenaient pas encore en suffisante quantité pour infecter les individus sains, qu'en d'autres termes, lesdéjections ne devenaient dangereuses qu'après que le germe morbide avait été placé, par son mélange avec des. substances animales en putréfaction, dans des conditions favorables à son développement et à sa multiplication ultérieure. Cette hypothèse est effecti- vement très-séduisante, et a réuni presque tous les suffrages, parce qu'elle s'appuie sur des faits nombreux. Tandis que, d'après les observations de Thiersch, des déjections cholériques récentes ne faisaient aucun mal aux animaux, des déjections plus anciennes, lorsqu'on les introduisait dans leur estomac, provoquaient chez eux les phénomènes du choléra. L'expérience a appris que les personnes qui lavent le linge sali par les cholériques, après l'avoir laissé reposer pendant quelque temps, ou celles qui retirent les draps des lits quelque temps après la mort des individus, sont plus facilement in- fectées que celles qui mettent les malades sur le bassin, ou qui remplacent leurs draps mouillés'par des draps frais. Le plus grand danger menace les ha- bitants de la maison, quand les matières évacuées par les malades sont vidées dans des latrines remplies d'excréments, dans des fosses ou sur des las de fumier. C'est dans ces endroits que le germe cholérique paraît trouver les meilleurs aliments pour son développement et les conditions les plus fa- vorables à sa multiplication. Il peut arriver que dans une localité où le choléra a été importé, les seules personnes qui tombent malades soient celles qui habitent la même maison ou qui se servent des mêmes latrines que l'individu qui a importé la maladie. On a même remarqué que, dans quelques villes, le choléra, plu- CHOLERA ASIATIQUE. 777 sieurs fois importé, était toujours resté concentré dans quelques foyers sem- blables. Dans d'autres circonstances, le choléra s'étend rapidement de la maison où il a été transporté à des rues voisines, à des quartiers entiers ou même à toute la localité. Ceci arrive soit toutes les fois que le choléra vient visiter la localité, soit seulement dans quelques épidémies, tandis quele mal reste plus limité dans d'autres: Pettenkofer a eu le grand mérite de démontrer qu'un état poreux du sol, qui laisse filtrer facilement le contenu, mêlé de germes cholériques, des fosses d'aisances et des fumiers, et permet ainsi une imbibition de larges surfaces de terrain par ce mélange dangereux, contribue beaucoup à une vaste et rapide extension du choléra, et qu'au contraire, une constitution opposée du sol met jusqu'à un certain point la localité atteinte à l'abri d'une extension semblable. Un autre mérite de Pet- tenkofer est d'avoir prouvé que la prédisposition temporaire d'une localité pour une grande extension du choléra, dépend des conditions plus ou moins favorables à la décomposition putride des matières excrémentitielles, mêlées de germes cholériques, dont le sol est imbibé. Parmi ces conditions, une de celles qui jouent un rôle important, est un certain degré d'humidité du sol, dont il a déjà été question à l'occasion du typhus abdominal; mais cette condition n'est pas la seule qui soit à prendre en considération. Il est bien évident que la décomposition putride rencontre des conditions particulière- ment favorables quand un sol auparavant très-humide se dessèche tout à coup à un tel point que les quantités encore présentes d'eau et l'air qui a pénétré dans le sol se trouvent dans des proportions déterminées, et l'on ne pourra contester les faits nombreux qui prouvent qu'un abais- sement subit du niveau des eaux qui imbibent le sol peut devenir un grand danger au point du vue des envahissements du choléra. Les faits qui sont en opposition avec ceux que nous venons de citer, et qui ne sont pas moins sûrement constatés, prouvent que le nombre des cas de choléra peut augmenter indépendamment de cet abaissement rapide du niveau des eaux souterraines, et montrent qu'on va trop loin en considérant cet abaissement comme l'unique condition pouvant favoriser la putréfaction des matières excrémentitielles mêlées de germes cholériques, qui imprègnent le sol. Ce n'est que d'une manière exceptionnelle que la pénétration du germe cholérique dans le corps se fait par l'usage de l'eau potable qui peut le contenir. Généralement, il arrive manifestement avec Voir respiré par le nez et la bouche, et se trouve avalé avec la salive. La fréquentation de lieux d'aisances infectés est si dangereuse, parce que dans les cabinets les germes cholériques séjournent, et que le courant qui s'établit dans les conduits des latrines fait monter continuellement avec les gaz des particules pulvéru- lentes. Des latrines, le poison arrive dans les maisons, où il se mêle à L'air intérieur, et nous sommes forcé de donner raison à Biermer, qui dit <|iu' 778 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. les habitations sont plus contagieuses que les habitants eux-mêmes. Abstrac- tion faite de l'infiltration du sol par la substance infectante, la maladie paraît encore principalement se propager d'une maison à l'autre par les éviers et les égouts. La réceptivité pour le germe cholérique est très-répandue. Aucun âge, aucun sexe, aucune constitution n'échappe à son influence. Aux époques où le virus cholérique est répandu sur une ville entière, presque tous les habitants, même ceux qui restent épargnés des formes graves de la maladie, souffrent de malaises qui dépendent probablement de l'action faible du poison. Quelques influences paraissent augmenter la prédisposition aux formes graves du choléra, ou diminuer la force de résistance de l'organisme contre l'influence du poison. Tels sont avant tout les écarts de régime, l'usage de vomitifs et de purgatifs, les refroidissements et d'autres causes débilitantes et morbifiques. Les personnes légères cherchent, il est vrai, à excuser les excès qu'elles commettent en temps d'épidémie cholérique, en prétendant que la manière de vivre ne peut exercer aucune influence sur la disposition à contracter le choléra, puisque même les individus qui mènent la vie la plus régulière peuvent en être atteints et mourir. Ces raisonne- ments n'ont pas besoin d'être réfutés, en supposant même qu'ils soient pris au sérieux par ceux qui les mettent en avant. Quiconque est en danger d'être infecté, ou est peut-être déjà infecté par un virus dont l'action tue beaucoup d'individus, tandis que d'autres lui échappent heureusement, commet cer- tainement un acte insensé et impardonnable en exposant son corps à des influences qui rendent les chances heureuses plus faibles, quoique évidem- ment le soin d'éviter ces influences ne lui offre aucune garantie pour une issue favorable. Dans les hôpitaux de Paris, il paraît que le nombre des cho- lériques admis le lundi a dépassé d'un huitième celui des individus admis les autres jours de la semaine. Aux épidémies de Magdebourg, le commen- cement d'une foire, donnant lieu à des excès de tout genre, avait fait sentir à plusieurs reprises son influence funeste sur le nombre des cas de maladie et des décès. Pour ce qui concerne les documents historiques et géographiques si nom- breux et si importants, qui ont été recueillis sur le choléra depuis qu'en 1830 cette maladie a fait sa première apparition en Europe, je renvoie le lecteur aux monographies dans lesquelles les migrations dévastatrices des épidémies cholériques ont été longuement décrites, un extrait incomplet de ces travaux ne pouvant offrir qu'un faible intérêt. CHOLÉRA ASIATIQUE. 779 § 2. Anatomie pathologique. Les cadavres des individus morts du choléra conservent très-longtemps la chaleur; dans quelques cas on a même observé une augmentation de la température après la mort. Un autre phénomène très-remarquable qu'offrent les cadavres des cholériques;, c'est la contraction de quelques muscles qui s'effectue souvent encore plusieurs heures après la mort, contraction qui imprime un mouvement aux: extrémités, surtout aux doigts, et change la position qu'ils avaient occupée immédiatement après la mort. J'avoue que je n'ai jamais pu me défendre d'une impression très-pénible en voyant s'accomplir sous mes yeux la flexion des doigts ou en rencontrant les cadavres dans une autre position peu d'heures après les avoir quittés. Si la mort est survenue au fort de la maladie, le simple aspect extérieur des cadavres présente déjà quelque chose de caractéristique. On les trouve ordinairement dans une attitude que les poings fermés, les membres plies en divers sens, les muscles saillants, font ressembler à une attitude de menace ou de combat. La forte rigidité cadavérique est difficile à vaincre. La face est souvent défigurée à un tel point qu'on a de la peine à la recon- naître. Les yeux sont profondément enfoncés dans les orbites et entourés de cercles bleus; les paupières sont à demi fermées, les parties découvertes du globe de l'œil sont d'une sécheresse parcheminée ; le nez est effilé en pointe et préomine fortement sur les joues creuses. Les lèvres ont une teinte bleuâtre, quelquefois d'un bleu foncé. Le reste delà surface cutanée présente également un aspect plus ou moins cyanose. Cet aspect est surtout prononce aux dernières phalanges des doigts et des orteils et aux ongles correspon- dants. La peau des doigts est souvent ridée comme chez les laveuses qui ont passé la journée à travailler dans l'eau de savon ou dans une lessive concen- trée. — A l'ouverture des cadavres, on est tout d'abord frappé par l'état ferme et sec du tissu conjonctif sous-cutané et des muscles colorés en rouge foncé. — Le sang représente un liquide épais, ayant la couleur du jus de myrtilles, et contient quelques rares caillots mous et noirâtres. Tout le sang qui reste dans le corps est accumulé dans le cœur droit et dans les veines, qui en sont gorgées, tandis que les artères et souvent même le cœur gauche sont absolument vides. Les sinus de la dure-mère et les \eines des méninges cérébrales sont gorgés d'un sang foncé; la substance cérébrale est sèche et ferme. Le péricarde ne contient aucune trace de sérum; sa surface interne est visqueuse au loucher et souvent couverte d'ecchymoses; la substance musculaire du cœur est contractée, ferme, d'une couleur rouge sale. Les feuillets de la plèvre sont couverts d'une couche visqueuse comme le péri- carde et les autres membranes séreuses. Souvent on \ Irouve également de 780 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. nombreuses petites ecchymoses. — lies poumons s'affaissent, à l'ouverture du thorax, très-rapidement et très-complètement, évidemment parce que dans les bronches, vides et sèches, l'échappement de l'air contenu dans les alvéoles ne rencontre aucun obstacle. En faisant une incision dans le poumon, on est frappé par la sécheresse de cet organe et par l'absence de toute trace d'hypostase et d'oedème, absence qui est rarement aussi complète chez des individus morts d'autres maladies. Les anses flasques et tremblotantes de l'intestin grêle présentent à l'extérieur déjà un aspect rosé caractéristique, tandis que le gros intestin est d'une couleur normale. A l'ouverture de l'in- testin, il s'en écoule souvent une quantité énorme d'un liquide tout à fait incolore ou très-faiblement coloré et mêlé de flocons blancs, qui est tout à fait identique avec les selles riziformes dont il sera question plus loin. Les plus grandes quantités de ce liquide transsudé dans l'intestin, je les ai trouvées dans les cas de choléra sec (voy. plus loin). La muqueuse de l'intestin grêle est le siège d'une injectiun fine et serrée, qui est surtout prononcée aux environs de la valvule et diminue peu à peu en remontant. Quelquefois l'engorgement vasculaire coïncide avec un épanchement de sang plus ou moins considérable dans le tissu et à la surface libre de la muqueuse. Cette dernière montre alors des ecchymoses nombreuses et souvent fort étendues, et le contenu de l'intestin paraît d'un rouge plus ou moins foncé, dû au mélange du sang. Dans quelques cas, l'intestin grêle est pâle et l'on ne peut y découvrir ni turgescence vasculaire ni ecchymoses; cependant, comme on trouve même dans ces cas une forte quantité de liquide aqueux accumulé dans l'intestin, et comme la transsudation profuse s'est sans doute faite par des vaisseaux remplis de sang et non par des vaisseaux vides, on ne peut considérer la pâleur de la muqueuse que comme un phénomène cadavé- rique. L'aspect pâle que présentent après la mort des muqueuses qui, pen- dant la vie, étaient hypérémiées au plus haut degré et sécrétaient profu- sément, est un phénomène qui s'observe journellement sur les muqueuses apparentes. Par suite d'une imbibition œdémateuse, la muqueuse et toute la paroi intestinale sont tuméfiées et relâchées. Les glandes solitaires et de Peyer sont aussi en général très-gonflées et engorgées. Les différents folli- cules dont se composent ces glandes peuvent atteindre chacun le volume d'une graine de chènevis. Par suite de ce gonflement des glandes intesti- nales, la surface interne de l'intestin paraît criblée de protubérances granu- leuses, les unes isolées, les autres agglomérées. Quelquefois des follicules isolés des plaques ont éclaté, et leur surface montre alors un aspect troué et réticulé (plaques à surface réticulée). La lésion la plus importante de l'in- testin consiste clans Y élimination surabondante des cellules épithéliales. Les vil- losités intestinales sont privées de leur couche protectrice; quelquefois cette couche épithéliale est, par endroits, simplement soulevée par un épanche- ment séreux et adhère encore lâchement aux villosités, mais dans la plupart CHOLERA ASIATIQUE. 781 des endroits cette couche épithéliale est détachée et simplement superposée à la paroi sous forme de lambeaux muqueux, ou bien elle forme les flocons blanchâtres déjà mentionnés qui nagent dans le liquide transsudé. La com- paraison d'un intestin cholérique avec une portion de peau dont l'épidémie a été soulevé par un vésicatoire ou par de l'eau bouillante est parfaitement juste, et si l'on considère que la surface écorchée a une très-grande étendue, on conçoit à peine que quelques observateurs puissent encore parler d'une disproportion entre les lésions anatomiques du canal intestinal et les phé- nomènes graves observés sur le vivant. Le gros intestin ne montre aucune modification constante. Dans le jéjunum, le processus cholérique est rare- ment bien développé. La muqueuse de l'estomac est plus ou moins rougie par l'hypérémie et l'épanchement sanguin; son tissu est gonflé et relâché par une infiltration séreuse. — Le foie est de consistance normale, mais pâle; par une incision on n'en fait écouler qu'une faible quantité d'un sang épais, couleur de myrtilles, qui sort lentement des gros vaisseaux et baigne la surface de section. La vésicule biliaire est presque toujours gorgée d'une bile très-liquide, brunâtre ou verdàtre. — La rate n'offre pas de modifi- cations constantes. — Les reins semblent dans leur état normal pendant la première période du choléra, sauf une forte hypéiémie veineuse; dans d'autres ca; on voit, dès ce moment déjà, quelques endroits qui présentent une teinte blanchâtre, surtout dans les pyramides, et, à l'examen microsco- pique, on y trouve les canalicules urinifères remplis de cellules épithé- liales troubles et gonflées et d'un exsudât fibrineux. La muqueuse des voies urinaires est couverte de niasses muqueuses et épithéliales, la vessie con- tractée est presque toujours complètement vide. Les modifications caracté- ristiques que l'on rencontre dans les cadavres des cholériques, quand la mort a eu lieu au plus fort de la maladie, consistent donc essentiellement dans les résidus d'un catarrhe étendu, accompagné d'une élimination de cellules épithéliales et d'une transsudation profuse dans l'intérieur de l'intestin, dans un épaissis- sement considérable de la masse sanguine et dans une hypérémie veineuse' intense des reins. Les lésions anatomiques ne sont plus les mêmes quand la mort a eu lieu pendant la période de réaction ou pendant l'état connu sous le nom de choléra typhoïde. — Les membres ne présentent pas, dans ces cas, aussi constamment ces flexions dont nous avons parlé plus haut, la rigidité cada- vérique est plus faible; les dents et les gencives sont souvent couvertes d'un enduit sec et sale, la cyanose est dissipée ou à peine marquée. Le tissu cel- lulaire sous-cutané et les muscles sont plus h mu ides; le sang est plus fluide et moins foncé. — Les méninges cérébrales sont, le plus souvent, le siège d'une injection fine; dans les mailles delà pie-mère el dans les ventricules Latéraux il n'est pas rare de trouver une assez grande quantité de liquide, là substance cérébrale elle-même esl plus humide, Le coeur droil presque tou- 782 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. jours encore gorgé de sang, l'endocarde et la tunique interne des gros vais- seaux sont fortement imbibés. Les poumons ne sont plus secs dans cette période, mais riches en sang et souvent le siège d'hypostases et d' œdèmes, et assez souvent même de pneumonies lobulaires, ou lobaires, ou d'infarctus hémorrhagïques. — La surface externe de l'intestin grêle a perdu sa teinte rosée ; son contenu montre une coloration bilieuse. — Dans quelques cas, l'épithélium est reproduit, et Tonne peut découvrir aucun trouble nutritif dans la muqueuse ; mais souvent on y trouve, outre les plaques enflées, une inflammation diphthéritique très-marquée, par laquelle la muqueuse est transformée sur des surfaces plus ou moins étendues en eschares sèches, jaunes ou brunâtres. Cette diphthérite secondaire existe non-seulement dans l'intestin grêle, mais elle est souvent répandue sur le gros intestin. Même dans la vésicule biliaire, dans la vulve et dans le vagin, on rencontre des processus diphthéritiques analogues. — Le foie et la rate ne sont pas con- stamment modifiés, mais ils présentent ordinairement une hypérémie in- tense. Dans quelques cas rares, on a observé des ruptures de la rate. — Les reins sont également riches en sang et montrent, dans beaucoup de cas, les signes d'une inflammation croupale aiguë. La vessie est plus ou moins rem- plie d'une urine ordinairement albumineuse. § h. Traitement. Presque tous les individus qui se trouvent dans les limites de l'infection cholérique se plaignent d'une pression légère dans la région précordiale, de borborygrnes dans le ventre et d'une sensation de diarrhée imminente. Ces phénomènes d'indigestion légère, « d'une turgescence gastrique par le bas » , dus manifestement à l'action du virus sur l'organisme, ne paraissent prendre les proportions d'une maladie plus ou moins grave que dans le cas où l'infection est d'une certaine intensité, ou bien lorsque l'organisme s'y prête plus ou moins facilement. On a aussi voulu faire dépendre de l'action du virus cholérique ces accès d'inquiétude vague, ces syncopes, ces crampes des mollets et d'autres troubles de l'innervation qu'on observe si souvent en temps d'épidémie cholérique ; et dans le public l'idée que la crainte du cho- léra est très-dangereuse ou forme même le commencement de la maladie est tellement enracinée que, pendant le règne d'une épidémie, on trouve des personnes qui ont peur de la peur du choléra. Je considère cette opinion comme erronée, et je crois que les symptômes dont il vient d'être question sont exclusivement le résultat de l'impression psychique que produisent sur les esprits faciles à émouvoir l'horrible épidémie, les. rapports faits sur ses ravages, les cas de mort nombreux et inattendus. Sans doute on observe des phénomènes identiques ou au moins très-analogues parmi les habitants CHOLERA ASIATIQUE. 783 d'une ville exposée à un bombardement ; et si les individus peureux ne jouissent pas d'une immunité pour le choléra, il n'en est pas moins vrai qu'ils n'en sont pas plus souvent atteints que les personnes intrépides. Ja- mais je n'ai vu un accès de choléra débuter par un sentiment d'angoisse, par une syncope, par des crampes dans les mollets, quoique assez souvent le malade ne se décide à faire appeler le médecin que lorsqu'il éprouve ces symptômes. Si l'on examine bien dans ces cas les individus, on reconnaît tou- jours qu'une diarrhée, à laquelle le malade n'avait attaché aucune impor- tance, a précédé d'un temps plus ou moins long les phénomènes en ques- tion. La durée de l'incubation est estimée à un ou deux jours par quelques observateurs; d'après d'autres, elle serait de huit à quinze jours. L'occasion de soumettre à un contrôle rigoureux le temps qui s'est écoulé entre l'action du virus et l'invasion delà maladie ne s'offre pas très-souvent. Dans quelques cas que j'ai observés moi-même en 1859, à Greifswald, et dans d'autres où le docteur Grùttner, alors médecin en second de la polyclinique de cette ville, avait pu déterminer assez rigoureusement le terme de l'infection, la durée de l'incubation n'était certainement pas au-dessous de trente-six heures et ne dépassait pas trois jours. La forme la plus légère sous laquelle le choléra se manifeste, est celie d'une diarrhée simple qui n'est accompagnée ni de coliques ni de ténesme, et qui, sauf un léger degré de lassitude et d'abattement, ne donne lieu à au- cun dérangement de l'état général et des diverses fonctions. Les évacuations se suivent par intervalles plus ou moins longs, les masses évacuées sont, excessivement copieuses, de consistance aqueuse, mais ni incolores ni ino- dores. Ces cas ne figurent pas, il est vrai, sur les listes officielles des cas de choléra, mais il faut qu'au point de vue scientifique nous les rangions parmi les cas de choléra, quoique l'administration ne les comprenne pas comme tels dans ses rapports. Ce qui prouve qu'il en est ainsi, c'est : 1° le grand nombre de diarrhées qui s'observent en temps de choléra, malgré les soins pris par toutes les personnes raisonnables pour éviter des écarts de régime. des refroidissements et autres influences nuisibles ; 2° la grande opiniâtreté de ces diarrhées elle peu d'efficacité des préparations opiacées contre elles: 3° l'importation notoire du choléra en d'autres lieux par les individus atteints de ces-diarrhées ; /i° les casnombreux (et c'estlàla meilleure preuve) de tran- sition d'une simple diarrhée cholérique aux formes les plus graves de la ma- ladie. Beaucoup de malades, surtout des classes pauvres, qui à midi étaient allés chez le médecin pour lui demander une prescription contre une simple diarrhée, qui ne voulait pas céder aux remèdes domestiques, sont couchés dans leur lit le même soir, froids, sans pouls, cyanoses et dans un étal presque désespéré. Les recherches, d'ailleurs très-méritoires et précieuses, qui, pendant les dernières épidémies, mit été faites surtout dans les hôpitaux, 784 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. ont valu quelques partisans à des idées fausses sur l'importance delà maladie intestinale dans le choléra, idées que j'avais déjà combattues, il y a vingt ans. On a encore une fois perdu de vue qu'un très-grand nombre de cholé- riques, qui, à la vérité, ne cherchent pas de refuge dans les hôpitaux, n'offrent pas d'autres phénomènes morbides que ceux d'une diarrhée profuse. Je considère comme bien plus essentiel de constater la fréquence des tran- sitions insensibles de la simple diarrhée cholérique à la cholérine et au choléra asphyxique et l'identité de nature de ces trois formes, que d'aller à la recherche de signes pathognomoniques pour le choléra asphyxique. La transition des formes les plus légères du choléra aux plus graves, est formée par les cas dans lesquels des vomissements violents se joignent à la diarrhée, dans lesquels les déjections prennent un aspect caractéristique et représentent ces selles riziformes, si connues, sans toutefois qu'il se déve- loppe une parésie du cœur et un épaississement notable du sang, phéno- mènes qui produisent le tableau horrible du choléra asphyxique. Cette forme encore bénigne ou plutôt ce degré encore inférieur de la maladie, qui, il est vrai, monte souvent rapidement au degré le plus élevé, a reçu le nom de forme éréthique du choléra ou de cholérine, et a été distingué, comme tel, de la simple diarrhée cholérique d'une part, et du choléra asphyxique d'autre part. L'état incolore des déjections dépend principalement ou uniquement de l'énorme quantité de liquide transsudé dans l'intestin, qui tend à les diluer outre mesure; plus, par conséquent, les selles diarrhéiques sont copieuses et se succèdent rapidement, plus la coloration brune et l'odeur fécale des masses évacuées se perdent complètement et promptement. Quelquefois, tout le contenu de l'intestin est vidé à la première selle diarrhéique. Dans ce cas, la seconde selle déjà ne se compose plus que d'un liquide presque sans couleur et sans odeur, dans lequel des flocons blancs sont suspendus en quantité plus ou moins grande. De l'état incolore des déjections, il n'est nullement permis de conclure que la formation de la bile et son excrétion dans l'intestin aient cessé ; car la bile, même produite et versée dans l'in- testin en quantité normale, ne peut guère exercer une influence sensible sur la coloration d'une quantité de liquide aussi considérable. L'examen chi- mique et microscopique des selles cholériques a montré que le sérum trans- sudé par les capillaires intestinaux est très-pauvre en albumine, mais par contre assez riche en sels, surtout en chlorure de sodium, et que les flocons blancs qui nagent dans le sérum sont rarement composés d'épithélium cylin- drique encore intact, plus souvent des résidus de cet épithélium, sous forme de petits noyaux: libres, mêlés de granulations plus ou moins fines et logés dans une substance fondamentale de la muqueuse, enfin de cellules rondes, à noyaux et à granulations plus ou moins fines (Bruberger). En outre, on trouve dans les selles cholériques des éléments non essentiels et moins con- stants, tels que cristaux de phosphate ammoniaco-magnésien, restes d'ali- CHOLERA ASIATIQUE. 7S5 ments, parasites, vibrions et champignons. Souvent, enfin, on trouve dans les déjections des corpuscules sanguins, et dans ce cas le liquide est un peu plus riche en albumine, qui a passé avec les corpuscules à travers les capil- laires lésés. — Cet état des selles cholériques que tous les auteurs consi- dèrent comme pathognomonique, rend parfaitement compte de tous les autres symptômes du choléra. On est en droit de comparer les phénomènes provoqués dans l'intestin, par l'infection cholérique, a ceux qui, sur la peau extérieure, naissent à la suite de l'application d'un vésicatoire. Dans l'un et l'autre cas, la couche protectrice est enlevée en même temps qu'une trans- sudation profuse se fait par les capillaires. Il dépend exclusivement de l'in- tensité et surtout de l'étendue de ce processus, s'il y a des phénomènes de paralysie du cœur, et si la perte d'eau subie par le sang arrive à un degré dangereux. Les cas dans lesquels l'action du cœur est peu affaiblie, et la perte d'eau subie par le sang en quelque sorte compensée par l'eau bue par le malade, sont ceux qui correspondent au tableau clinique de la cholérine. — En même temps que se présentent les selles caractéristiques du choléra, la soif qui déjà se fait sentir dans la simple diarrhée choléiique, est forte- ment augmentée. Ce cruel symptôme n'a pas besoin d'une explication par- ticulière, vu qu'on le rencontre dans tous les cas où l'eau est soustraite au sang, soit que dans les maladies fébriles il y ait augmentation de laperspira- tion insensible, soit que l'augmentation existe du côté de la production de la sueur et de la sécrétion urinaire. Dans la cholérine, la perte d'eau subie par le sang est plus considérable, et, par conséquent, la soif plus ardente que dans la simple diarrhée cholérique. Aux évacuations caractéristiques, à la soif ardente, à l'abattement et à la prostration s'ajoute le plus souvent encore un phénomène des plus pénibles pour le malade, et qui, jusqu'à présent, n'a pas pu être suffisamment expliqué : nous voulons parler de ces contractions spasmodiques, de ces crampes qui se produisent à des intervalles plus ou moins longs dans cei*tains muscles, surtout dans les muscles des mollets, et qui se prolongent quelquefois pendant une demi-minute ou une minute entière et donnent lieu aux plus vives douleurs. Ces crampes, du reste, n'ont rien de pathognomonique pour le choléra asiatique, et on les rencontre tout aussi bien dans les accès violents de choléra nostras. Dans les cas qui doi- vent se terminer heureusement, les évacuations deviennent de plus en plus rares et moins copieuses; la bile versée dans l'intestin suffit de nouveau pour communiquer au transsudat intestinal une teinte d'abord pâle, plus tard foncée; enfin la diarrhée cesse et le malade entre en convalescence; mais celle-ci est toujours fort longue ; dans d'autres cas il y a des recrudescences, quand déjà la maladie semblait en bonne voie, et les symptômes reprennent un caractère menaçant. Dans d'autres cas encore, aucune amélioration ne se déclare, et la cholérine se transforme rapidement ou lentement en cho- léra asphyxique. NIF.MKYER. Il — ,")0 786 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. La forme asphyxique du choléra représente l'exagération la plus forte du processus cholérique dans l'intestin. Toujours est-il que tous les symptômes qui caractérisent cette forme se laissent déduire naturellement et simplement de l'affection grave et étendue de la muqueuse intestinale et de la transsu- dation excessive par les capillaires de l'intestin. Les cas d'individus qui, dans une épidémie cholérique, auraient succombé sans pouls, froids comme des reptiles, cyanoses, etc., mais qui n'auraient eu ni diarrhée ni vomissements, et dont l'intestin n'aurait offert à l'autopsie aucune lésion caractéristique ; ces cas ont été rapportés de plus en plus rarement dans les dernières épidé- mies, et aujourd'hui presque tous les médecins instruits nient l'existence de ce prétendu choléra sec, que l'on avait assez généralement admis dans les premières épidémies cholériques. Il n'en est plus de même des manières de voir sur les autres symptômes du choléra asphyxique et de leur dépendance de l'affection intestinale. Beaucoup de médecins qui considèrent, cependant, cette dernière comme constante, n'en font nullement dépendre les autres symptômes du choléra et pensent que, dans le choléra asiatique, l'affection du canal intestinal n'a pas une importance plus grande, au point de vue de l'ensemble des symptômes que, par exemple, l'affection typhique de l'intes- tin, au point de vue de l'ensemble des symptômes de la fièvre typhoïde. Nous reviendrons plus loin sur la fausseté de cette opinion. — Le choléra asphyxique peut avoir pour point de départ, dans un grand nombre de cas, une diarrhée cholérique ou une cholérine qui a eu plusieurs jours de durée; mais, pour le moins aussi fréquemment, les phénomènes auxquels cette forme doit son développement se montrent déjà quelques heures après la première selle cholérique. Dans cette selle l'intestin paraît avoir vidé tout son contenu; les malades sont étonnés d'avoir presque rempli le vase, mais la plupart d'entre eux sont loin de soupçonner l'énorme danger qu'ils cou- rent, et négligent de chercher du secours contre une diarrhée aussi simple et accompagnée d'aussi peu de douleur, tandis qu'auparavant ils avaient peut-être importuné leur médecin pour la colique la plus insignifiante. La première selle diarrhéique est bientôt suivie d'une seconde, celle-ci d'une troisième, et ainsi elles se répètent à de courts intervalles et en grand nom- bre. Les matières évacuées sont excessivement copieuses, très-liquides et prennent bientôt, en devenant incolores et en perdant l'odeur fécale, le caractère des selles riziformes. Déjà, à la seconde ou à la troisième, beau- coup de malades sont pris d'une sensation de faiblesse et d'abattement extrêmes, ou même d'une syncope légère qui les empêche de remonter d'e la chaise percée au lit sans le secours d'un aide ; de plus les contractions douloureuses dans les mollets se montrent ordinairement dès ce moment, de même qu'un besoin impérieux de boire qui augmente à chaque nouvelle évacuation. Plus les malades boivent, plus les vomissements se joignent de bonne heure à la diarrhée, vomissements qui donnent issue, d'abord, au CHOLERA ASIATIQUE. 787 contenu accidentel de l'estomac, plus tard, à de grandes quantités d'un li- quide faiblement coloré en jaune. La faiblesse du malade augmente rapide- ment, la ^oiv devient aphone (voix cholérique), les selles deviennent invo- lontaires, la sécrétion urinaire s'arrête, les crampes douloureuses deviennent plus fortes et reviennent plus souvent; la soif ardente ne peut être éteinte, et à ces phénomènes se joignent une angoisse et une oppression extrêmes, qui forment avec les crampes dans les mollets les symptômes les plus péni- bles du choléra. Pendant ce temps, l'aspect du malade a subi un changement vraiment effrayant : les yeux sont enfoncés dans leurs orbites, le nez s'est affilé en pointe, les joues sont devenues creuses (faciès cholérique) ; la peau •des mains forme des rides comme chez les laveuses qui ont passé la jour- née à laver; si l'on soulève la peau des mains en un pli, ce dernier se main- tient pendant quelque temps, puis s'efface lentement. Les lèvres, les extré- mités, les parties génitales sont plus ou moins colorées en bleu, souvent toute la surface cutanée a pris un aspect bleuâtre ou gris. Le pouls radial, qui diminue immédiatement après les premières selles diarrhéiques, chez beaucoup de malades, ne peut plus être senti une heure déjà après le début de l'attaque de choléra. Enfin, le pouls disparait même aux carotides, l'im- pulsion et les bruits du cœur deviennent indistincts, et pendant que la circu- lation devient de plus en plus incomplète, pendant qu'un sang de moins en moins chaud arrive à la surface du corps, la température de cette dernière descend, surtout aux endroits découverts, au niveau de la température d'un cadavre (période algide). Il est rare que les malades accusent des maux de tète; plus souvent ils disent que leur vue s'obscurcit, qu'ils ont des bour- donnements d'oreille et des vertiges. La conscience n'est pas troublée, mais la plupart des malades sont dans un état d'apathie extraordinaire, ils accu- sent des douleurs et de l'oppression, mais se montrent indifférents pour le danger et répondent lentement et d'un ton d'ennui aux questions qu'on leur adresse. L'activité réflexe est diminuée ; dans les cas graves, même les vapeurs irritantes ne provoquent ni toux ni éternuments ; les malades ne clignent pas des yeux, quand on leur met le doigt devant la conjonctive, et ils n'éprouvent aucune secousse quand on leur projette de l'eau sur le corps. — Il n'y a pas lieu de s'étonner si, dans les premières épidémies choléri- ques, même les médecins qui considéraient les selles riziformes comme le signe caractéristique du choléra, qui prescrivaient à leurs clients le régime antidiarrhéique le plus sévère et combattaient énergiquement la moindre diarrhée, il n'y a pas lieu de s'étonner, dis-je, si ces médecins n'ont pas fait nu pas de plus et considéré le mal intestinal comme le point de départ des autres symptômes et comme la véritable source du danger. La rapidité ex- traordinaire avec laquelle mi voyait les malades se modifier, les troubles graves de presque toutes les fonctions, la disparition du pouls, le froid, l;i suppression de l'urine, la voix cholérique, le faciès cholérique, le pli persfc- 788 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. tant de la peau et, enfin, cette circonstance qu'on recevait dans les hôpitaux bien des malades qui n'y présentaient ni vomissements ni diarrhée, et dont on ne pouvait pas toujours savoir si, avant leur admission, ils avaient eu des évacuations profuses, tout cela pouvait bien entraîner les premiers observa- teurs à d'insoutenables hypothèses. On accordait, il est vrai, le fait que le virus cholérique entraine une affection du tube digestif, mais on l'accusait en même temps d'exercer une influence pernicieuse sur le sang, le système nerveux et plus ou moins sur tous les organes et tissus, influence que l'on croyait directe, et pouvant quelquefois même ne pas atteindre le canal intes- tinal. Les cas dans lesquels la période algide se développe an bout de quel- ques heures sont, il est vrai, moins favorables pour l'intelligence de ce lien de causalité qui existe entre la maladie intestinale et tout l'ensemble des- symptômes du choléra, lien de causalité qui s'aperçoit beaucoup mieux dans les cas où la période algide se développe lentement, au bout de plusieurs jours. Cependant, l'identité du tableau clinique qui se produit à la fin ne permet pas de douter que les cas à évolution rapide ne doivent être inter- prétés de la même manière. — La conséquence immédiate du catarrhe aigu de l'intestin, de la transsudation profuse par les capillaires intestinaux et de l'obstacle à l'absorption des boissons ingérées, c'est l'épaississement du sang, l'appauvrissement aigu de ce liquide en eau et en sels. Tant que la maladie ne dépasse pas une certaine mesure, elle reste, comme nous l'avons déjà dit, sans exercer une influence bien notable sur la circulation et sur la dis- tribution du sang dans le corps; la soif seule est augmentée et la sécrétion urinaire diminuée. Mais de même qu'une brûlure au second degré, qui est sans danger tant qu'elle n'occupe qu'une partie limitée de la surface cuta- née, devient au contraire très-dangereuse lorsqu'elle s'étend à de grandes surfaces, et, de même qu'on n'oserait pas dépouiller toute la surface du corps par des vésicatoires de sa couche épidermique protectrice, de même aussi ce n'est qu'à une affection étendue et intense du canal intestinal que nous voyons s'ajouter les phénomènes graves et dangereux qui caractérisent la période algide. L'action du cœur est paralysée, le sang, privé de son eau, boit avidement les liquides qui remplissent les interstices de tous les tissus. Il en résulte que tous ces tissus deviennent secs et se réduisent à un moin- dre volume; voilà pourquoi le nez s'effile, les joues se creusent et les yeux s'enfoncent plus profondément dans leur orbite, voilà pourquoi la peau des doigts se ride, pourquoi on voit persister un pli formé avec la peau sèche, privée de toute turgescence. Même les liquides pathologiquement accumulés et qui, jusque-là, avaient résisté à toutes les ressources de la thérapeutique, les épanchements dans les plèvres, dans les cavités articulaires, etc., se résorbent. Les exanthèmes humides et les ulcères finissent par avoir une surface sèche et comme parcheminée. Malgré les grandes quantités de li- quides que le malade boit à tout instant, les pertes l'emportent à un tel CHOLERA ASIATIQUE. 789 point sur l'apport, que dans l'espace de peu d'heures les individus peuvent perdre jusqu'à un cinquième de leur poids. Si la résorption des liquides in- terstitiels trouve une explication facile dans l'épaississement intense du sang, il en est de même de l'arrêt de toutes les sécrétions, salive, larmes, sueur, urine ; le sang est, en effet, privé des matériaux nécessaires pour ces sécré- tions. Dans la suppression de l'urine, l'arrêt de la circulation (voyez plus loin) joue, cependant, également un rôle important. — L'affaiblissement considérable de l'action du cœur, d'où dépendent la faiblesse et l'obscurcis- sement du choc et des bruits du cœur, la petitesse du pouls aux artères ra- diales et même aux carotides, semble provenir essentiellement de l'influencé déprimante que toute maladie grave arrivant subitement, et avant tout les mala- dies des organes abdominaux, exercent sur le système nerveux de la vie organique et principalement sur les nerfs du cœur. A différentes reprises, j'ai observé, immédiatement après la perforation d'un ulcère de l'estomac, la disparition du pouls, une cyanose intense et un froid de marbre des extrémités, et dans un cas de perforation du duodénum, j'ai vu diagnostiquer un choléra sec. Des cas de ce genre, qui ne permettent aucunement de croire à une infec tion, prouvent que l'hypothèse en vertu de laquelle le virus cholérique exercerait une action directement paralysante sur le nerf grand sympathique n'a rien de fondé. D'un autre côté, il n'est pas invraisemblable que l'arrêt de la circulation dans les capillaires de la substance cardiaque contribue à la parésie du cœur. iNous savons que le sang ne peut circuler librement dans les capillaires que quand les différents corpuscules sanguins sont séparés les uns des autres par une suffisante quantité de substance intercellulaire. Une perte aqueuse, telle que le sang la subit dans le choléra grave, doit donc rendre plus difficile ou même impossible la circulation du sang dans les ca- pillaires ; et si le sang est arrêté dans les capillaires de la substance muscu- laire du cœur, la parésie du cœur en est, d'après toutes les expériences phy- siologiques et pathologiques, l'inévitable conséquence. — La cyanose qui se produit dans la période algide du choléra dépend de la même cause que la cyanose qui a lieu dans le cours d'autres maladies, c'est-à-dire d'une distri- bution anormale du sang; les artères qui ne reçoivent plus de sang du cœur, se contractent et expriment leur contenu dans les capillaires et les veines. L'accumulation du sang dans cette section du système vasculaire entraine dans le choléra une cyanose d'une intensité toute particulière, le sang étant très-concentré et, par cela même, très-riche en globules rouges, et le liquide ayant, en outre, à cause du ralentissement de la circulation, pris, au plus haut degré, les caractères du sang veineux et, par conséquent, une colora- tion très-foncée. Si l'on essaye de pratiquer une saignée dans la période al- gide, comme on l'avait fait très-souvent dans les premières épidémies de choléra, la veine tendue laisse échapper un jet de sang noir et épais : mais bientôt ce jel s'arrête el l'on ne peut qu'à force dépressions et de frottements 790 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. faire sortir encore quelques gouttes de sang par l'ouverture de la veine. A mesure que la circulation se rétablit, la cyanose se dissipe rapidement, quoi- que le sang ait toujours encore à ce moment une couleur très- foncée, i ap- pelant celle du jus de myrtilles. Déjà, en 1848, j'ai cherché à démontrer dans mon petit travail intitulé Le traitement symptomatique du choléra que la cyanose et l'asphyxie ne dépendent pas uniquement de l'épaississement du sang, mais pour la plus grande partie de l'action paralysante de la maladie si étendue de l'intestin sur le nerf grand sympathique. La justesse de cette opinion me semble surtout démontrée par la disparition souvent si rapide de la cyanose et de l'asphyxie, à une époque où l'épaississement du sang ne peut pas encore être effacé par l'absorption des liquides introduits dans le corps. — L'arrêt de la circulation capillaire dans les poumons, déterminé par la paralysie du cœur et l'épaississement du sang, explique un phénomène dont je ne pouvais pas encore donner l'explication en 1848; je veux parler de ce sentiment d'angoisse et d'oppression qui ne manque presque jamais dans la période algide. Le renouvellement du sang dans les capillaires pul- monaires est, pour l'acte respiratoire, un besoin tout aussi indispensable que le renouvellement de l'air dans les vésicules pulmonaires, et un arrêt de la circulation engendre la soif d'air et un sentiment de suffocation, tout aussi bien que des obstacles qui, dans les bronches ou dans les alvéoles, s'oppo- seraient à l'entrée et à la sortie de l'air. La preuve que, malgré la liberté des mouvements du thorax et la pénétration de l'air jusque dans les vési- cules pulmonaires, l'acte respiratoire se fait d'une manière incomplète chez les cholériques, nous la trouvons dans la faible proportion de l'acide carbo- nique, contenu dans l'air expiré par ces malades. — Enfin, on peut s'expli- quer facilement la suppression complète, pendant la période algide, de la sécrétion mnnaire, déjà diminuée dans la cholérine et même dans la simple, diarrhée cholérique. Nous savons que la quantité de l'urine sécrétée dépend principalement du degré de pression dans les glomérules des capsules de Malpighi ; et nous avons déjà fait voir précédemment que dans les maladies du cœur et du poumon, ayant pour effet une diminution du sang contenu dans le cœur gauche et le système artériel, la sécrétion urinaire est considé- rablement diminuée ; il n'y a donc pas lieu de s'étonner que, dans la pé- riode algide du choléra, dans laquelle l'action du cœur est réduite à uni minimum, et le pouls devenu insensible même dans les grandes artères, la sécrétion urinaire soit supprimée. L'abaissement de la température des parties périphériques du corps parait dû, et à la diminution de la production de chaleur, et à l'arrivée d'une moindre quantité de sang chaud à la peau, par suite de l'affaiblissement de l'activité cardiaque. La marche du choléra asphyxique est très-aiguë. Beaucoup de malades succombent dans l'espace de six, de douze ou de vingt-quatre heures. Il est rare que la période algide dépasse deux jours. Souvent les évacuations CHOLERA ASIATIQUE. 791 cessent quelque temps avant la mort, et il faut se garder de voir un signe favorable dans ce phénomène qui, loin de dépendre d'une cessation de la transsudation, ne tient qu'à la paralysie des muscles intestinaux. Au con- traire, les malades qui continuent d'évacuer guérissent plus souvent que ceux dont les évacuations cessent brusquement. Il serait fort irrationnel de conclure de ce fait qu'une transsudation surabondante et prolongée dans l'intestin exerçât une influence favorable sur la marche de la maladie, ou du moins qu'elle eût peu d'importance. Il paraît beaucoup plus simple d'admettre que, dans le choléra, le fait d'une paralysie intestinale est un des symptômes les plus défavorables., tandis que la continuation des évacua- tions prouve que l'intestin n'est pas encore paralysé, et nous autorise à poser un diagnostic plus favorable. La mort des cholériques ressemble à une extinction progressive ; on remarque surtout, pendant l'agonie, l'absence du râle trachéal, qui se montre dans presque toutes les autres maladies peu de temps avant la mort. — Dans les cas heureux, les selles diarrhéiques deviennent plus rares et moins copieuses, et les liquides introduits dans l'estomac ne sont plus immédiatement rejetés par le vomissement. A ces premiers signes d'amélioration qui, dans tous les cas, inaugurent tout revi- rement heureux, s' opérant dans la marche de l'affection, succèdent bientôt des phénomènes qui prouvent qu'une partie des liquides bus est absorbée, et que, par suite de cette absorption, l'épaississement du sang commence à diminuer. La circulation capillaire se rétablit, le pouls reparaît d'abord aux carotides et bientôt aux artères radiales; la cyanose disparaît, la turgescence normale de la peau se rétablit, l'altération des traits diminue ; — la maladie, en un mot, sort de la période algide pour entrer dans la période de réaction. Quelquefois cette période offre à peine encore quelques symptômes moi- bides particuliers, et forme déjà le commencement de la convalescence; il se présente alors, quand les phénomènes asphyxiques ont cessé, encore quelques selles diarrhéiques qui expulsent de grandes quantités de matières normalement colorées et ayant une odeur fécale bien prononcée. Dès le second ou le troisième jour, les selles deviennent molles ou même moulées, ou bien il se produit un état de constipation. Tout annonce que la couche épithéliale éliminée est régénérée. On peut à bon droit comparer ces cas à ceux dans lesquels la dermatite superficielle, provoquée par un vésicatoirc, est parfaitement effacée au bout de quelques jours par la régénération de l'épidémie. L'arrêt de la circulation capillaire, qui existe dans la période algide, n'a pas non plus entraîné des troubles nutritifs bien notables dans les différents organes, si La période de réaction forme le commencement de la convalescence; il u'\ a que les premières urines rendues parle malade qui, par suite de la stase dans les veines et dans les capillaires \cincux (vol. Il, p.' 6), dont le rétablissement de la circulation normale est précédé, con- tiennent régulièrement de l'albumine. — Dans d'autres cas, où la lésion de la 792 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. muqueuse intestinale est moins complètement et moins promptement répa- rée, les évacuations profuses s'arrêtent, il est vrai, dans la période de réac- tion, mais une diarrhée modérée, laissant toujours encore échapper des matières liquides, très-fétides et colorées en vert, continue d'exister; le pouls reste petit; la température des extrémités se maintient basse, et les malades sont fort exposés à mourir d'épuisement par suite d'une nouvelle exacerbation de la maladie intestinale. Ordinairement, on ne remarque pas dans ces cas un retour de la période algide avec disparition complète du pouls, cyanose et froid glacial. Très-souvent cette réaction incomplète passe à l'état de choléra typhoïde; mais souvent aussi elle se termine par une con- valescence traînée en longueur, après que la diarrhée a cessé. — Le tableau de la maladie prend encore un aspect différent, lorsque, après la disparition de la période algide, le pouls, non -seulement revient, mais revient avec une force et une ampleur extraordinaires, lorsque la température, basse aupa- ravant, s'élève à un niveau supérieur, que les joues deviennent rouge pourpre, que les yeux s'injectent et qu'il se développe des signes d'hypéré- mie fluxionnaire du côté du cerveau et d'autres organes. Ces phénomènes de réaction tumultueuse sont difficiles à interpréter. Ce qui me parait le plus probable, c'est qu'ils dépendent, au moins en partie, du rétablissement incomplet de la crase sanguine et des embarras de la circulation capillaire qui en résultent. Encore ces phénomènes de réaction tumultueuse passent souvent d'une manière insensible au choléra typhoïde et, dans d'autres cas, à la convalescence. La supposition que la température du corps n'est dimi- nuée chez les cholériques qu'à la périphérie, et qu'à l'intérieur elle est plus élevée, supposition que l'observation de la première épidémie cholérique, m'avait suggérée, s'est généralement confirmée. Jùterbogk, après avoir noté avec soin la température chez un grand nombre de cholériques, est arrivé aux résultats suivants : 1° Dans la période algide du choléra il se produit un refroidissement sensible des parties du corps qui s'attachent au tronc (tête et extrémités), refroidissement comme on ne le rencontre guère dans aucune autre maladie. 2° Dans la période algide du choléra, la tem- pérature des cavités du tronc (vagin, rectum) représente la plus haute température appréciable du corps et la seule qui puisse servir à fixer le degré de la température moyenne de l'organisme. 3° Dans la période algide du choléra, peu importe que la maladie se termine par la mort ou la gué- rison, la température du corps est dans la plupart des cas exagérée, plus rarement normale et plus rarement encore au-dessous de la température normale, sans que, jusqu'à présent, les phénomènes pathologiques observés sur le vivant ou les données nécroscopiques aient permis d'apprécier les causes de ces différences. k° Dans la période algide, la température géné- rale du corps monte ordinairement aux approches et jusqu'au moment de la mort; après la mort, la température ne paraît pas s'élever davantage. CHOLÉRA ASIATIQUE. 793 Cependant on rencontre aussi des cas où l'agonie ne détermine aucune élévation de température, sans qu'il soit possible de trouver la raison de cette anomalie. 5° Au début de la réaction simple ne correspond aucune élévation de température, mais, au contraire, plutôt un refroidissement des parties internes du corps, tandis que les parties inférieures se réchauf- fent. 6° Dans les cas de réaction languissante (asphyxie prolongée), la tem- pérature du corps entier tombe au-dessous de la mesure normale. 7° Les maladies consécutives inflammatoires provoquent, sinon toujours, au moins dans la grande majorité des cas, une élévation marquée de la température générale. 8° Pendant la convalescence franche, on observe souvent une température trop élevée, sans qu'on puisse expliquer ce fait par une condi- tion pathologique. Sous la dénomination commune de choléra typhoïde, on a désigné les affections secondaires qui, dans beaucoup de cas, succèdent à l'attaque cho- lérique proprement dite. Le fait que ces maladies secondaires se rattachent presque exclusivement au choléra asphyxique, jamais à la simple diarrhée cholérique et très-rarement à la cholérine, mais qu'elles sont loin de suc- céder consomment à tous les accès de la forme asphyxique ; ce fait nous permet de conclure que ces maladies ne dépendent pas immédiatement de l'infection par le virus cholérique, mais qu'elles n'ont leur raison d'être que dans les différents processus pathologiques qui se développent pendant un accès de choléra, et surtout pendant un accès de choléra asphyxique. Dans la fièvre typhoïde, nous avons appris à connaître des conditions sem- blables en ce que les phénomènes d'intoxication proprement dits y sont également très-souvent, mais non toujours, suivis des symptômes apparte- nant aux diverses affections secondaires provoquées par le processus typhique. On comprend facilement que l'arrêt du sang épaissi dans les capillaires et l'interruption du renouvellement organique qui en est la conséquence, doivent exercer, lorsqu'ils se prolongent une journée entière ou même plus longtemps, une influence souverainement dangereuse sur l'état de la nu- trition et les fonctions des organes ; et nous avons, en effet, énuméré au paragraphe 2 une série de processus inflammatoires dont les résidus se ren- contrent dans les cadavres d'individus qui ne sont morts qu'après l'évolution de l'accès cholérique proprement dit. Cette manière de voir sur l'origine des maladies secondaires, autrement dit, du choléra typhoïde, se trouve aussi corroborée par ce fait que ces maladies se rencontrent le plus souvent quand la période algide a été très-prononcée et a eu une très-longue durée. Le fait que les inflammations secondaires restent plus ou moins latentes et souvent ne se trahissent que par les symptômes d'une adynamic intense phénomènes typhoïdes), ce fait, disons-nnus, est une particularité que d'autres inflammations montrent également, quand elles attaquent des indi- vidus épuisés. Rappelons seulement que chez les individus très-âgés eldécre- 794 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. pits, la pneumonie est très-souvent confondue, si l'on néglige l'examen physique, avec une fièvre muqueuse, une grippe nerveuse, une fièvre typhoïde, etc. ; confusion que la ressemblance extérieure du tableau mor- bide avec ces affections et l'absence de tout symptôme subjectif du côté du poumon malade rendent très-facile. — D'après mon expérience, la néphrite croupale aiguë et la rétention d'urine, déterminée par l'oblitération des cana- licules urinifères qui en résulte, constituent, il est vrai, la maladie secondaire la plus fréquente du choléra asphyxique, mais nullement, comme on l'a pré- tendu trop souvent, la cause constante du choléra typhoïde. Lorsque la sécrétion urinaire reste supprimée après la disparition des phénomènes asphyxiques, ou bien lorsque l'urine, émise en très-petite quantité, contient, pendant plusieurs jours de suite, beaucoup d'albumine et de nombreux cylindres fibrineux ; lorsque le malade recommence à vomir, qu'il accuse de violents maux de tête, qu'il tombe plus tard dans le coma ou dans des- convulsions épileptiformes, il y a lieu de diagnostiquer une néphrite croupale aiguë et une intoxication dite urémique. Dans ces cas, on a parfois vu la peau incrustée d'urée cristallisée. — Beaucoup de malades rendent, le premier ou le second jour après la cessation des phénomènes asphyxiques, des quantités d'urine normales, et, s'ils boivent beaucoup, même des quan- tités très-grandes de ce liquide; en outre, l'albumine que l'urine contenait au commencement a disparu ordinairement chez eux au bout de quelques jours; mais ils n'en tombent pas moins dans un état de stupeur prononcée, avec embarras du sensorium, mussitation, langue sèche et fuligineuse, fré- quence et dicrotisme du pouls, élévation de la température; ils se laissent glisser sur la pente du lit, et l'aspect de la maladie ressemble tellement à celui d'un typhus grave, que le nom de choléra typhoïde a dû tout natu- rellement être donné à tous ces cas. Ordinairement, avec l'ensemble symptomatique que nous venons de décrire coïncide une diarrhée donnant issue à des matières très-fétides, mêlées de lambeaux d'épithélium; et tandis qu'on parvient à peine à réveiller les malades de leur coma en leur criant à l'oreille ou en les irritant d'une manière quelconque, il suffit d'une pression sur l'abdomen pour qu'ils contractent les traits, ou reviennent à eux et accusent des douleui-s. Dans ces cas, on se trouve en présence d'une inflammation diphthéritique de l'intestin, se rattachant souvent à l'entérite catarrhale qui appartient au processus cholérique proprement dit. Cette in- flammation diphthéritique est peut-être provoquée par l'irritation que le contenu de l'intestin exerce sur sa muqueuse, en quelque sorte écorchée; la plupart des malades qui tombent dans cet état y succombent au milieu des phénomènes d'un épuisement extrême. Lorsque, au lieu de l'inflam- mation diphthéritique de l'intestin, il se développe une inflammation diph- théritique des parties génitales, une pneumonie, une pleurésie ou une autre maladie inflammatoire consécutive au choléra, le tableau extérieur de l'af- CHOLERA ASIATIQUE. 795 fection ne diffère pas essentiellement, comme déjà cela a été dit plus haut, de celui que nous venons de tracer. Les phénomènes typhoïdes dépendant de la fièvre prédominent et les symptômes subjectifs de la maladie locale s'effacent d'une manière plus ou moins complète. Dans quelques cas enfin, on ne trouve, ni pendant la vie, ni à l'autopsie, une lésion locale d'où il soit possible de faire dépendre la fièvre épuisante à laquelle succombent un grand nombre de malades, après l'évolution de l'attaque cholérique pro- prement dite. — On a attaché une importance toute particulière à un exan- thème tantôt simplement maculé, tantôt papuleux, tantôt érythémateux, qui s'observe pendant le choléra typhoïde, et l'on a même été jusqu'à mettre cet exanthème dit cholérique en parallèle avec l'exanthème typhique, et à voir dans .la présence de ce symptôme une preuve de l'identité de nature ou au moins d'une certaine parenté entre le typhus et le choléra typhoïde. Toutefois cet exanthème cholérique n'est pas un symptôme constant du cho- léra typhoïde; il n'en est pas le signe pathognomonique, et se présente, d'après mes observations, de préférence, dans les cas, à la vérité fort nom- breux, dans lesquels on avait appliqué pendant la période algide, soit coup sur coup, soit d'une manière continue, des sinapismes sur les extrémités, ou fait des frictions énergiques. L'exanthème, qui attaque de préférence les extrémités et s'étend souvent au tronc, me paraît représenter un trouble nutritif de la peau, provoqué, comme les autres affections secondaires du choléra, par l'arrêt prolongé de la circulation et la suspension du renou- vellement organique, et dont le développement se trouve favorisé par les irritations antécédentes de la peau. Du reste, on s'est aperçu dans ces der- niers temps que l'on avait également accordé une trop grande valeur à la signification pathognomonique de l'exanthème typhique, et que, dans beau- coup d'autres maladies fébriles, on rencontre également des taches isolées de roséole et des érvthèmes. § 4. Traitement. Nous n'entrerons pas dans le développement des mesures de police sani- taire à l'aide desquelles on peut espérer opposer un frein à l'extension des épidémies cholériques, et nous rappellerons seulement que, dans l'épidémie duMccklembourg, en 1859, il a démontré à l'évidence que les quarantaines et isolements, mesures déclarées complètement inefficaces, après les obser- vations faites pendanl les premières épidémies cholériques, offrent, au con- traire, les garanties les plus sérieuses, pourvu qu'on les poursuive avec la fermeté et l'énergie nécessaires. Comme un individu atteint dune simple diarrhée, fort inoffensive en apparence, peut transporter Le virus cholérique dans une localité jusque-là épargnée et y faire naître une épidémie meur- 796 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. trière, il faut que toute communication avec le dehors soit interceptée dans les localités qui veulent se mettre à l'abri du choléra. Ce serait un grand bien- fait si les projets de dessèchement, au moyen de drainages, du sol imprégné de matières putrides des grandes villes, et une disposition plus convenable des latrines, avaient pour résultat une diminution de la prédisposition que ces localités ont montré jusqu'à présent pour de vastes épidémies cholé- riques. >Tous nous laisserions également- entraîner trop loin si nous voulions expo- ser au long les mesures hygiéniques que les médecins doivent réclamer des autorités dans les localités où le choléra a réellement éclaté ; et ici encore, nous devons nous borner à quelques simples remarque- Comme les latrines, les fosses à fumier, les rigoles mal récurées favorisent le développement du virus cholérique, on doit insister avec la plus grande énergie sur le nettoyage et la désinfection de ces foyers pestilentiels. Jamais on ne doit verser les déjec- tions des cholériques dans les latrines communes. Un de mes élèves, le docteur Reich, à cette époque encore étudiant à Greifswald, obtint, lorsqu'il fut ap- pelé, en 1859, comme médecin des cholériques, àTribsees, petite ville sur la frontière du Mecklembourg, que la police de l'endroit fit vider toutes les latrines et y verser une certaine quantité de sulfate de fer en dissolution. De grandes cuves remplies de ce liquide furent conduites devant la porte de chaque maison, pour faciliter aux habitants cette mesure dont l'exécution était rigoureusement contrôlée. Il n'est, du reste, rien moins que démontré, et, au contraire, fort douteux, d'après les observations faites récemment par des autorités compétentes, que le sulfate de fer qui, d'après ce que l'on sait, excelle pour chasser l'odeur fétide des lieux d'aisances, oppose également un obstable au développement et à la reproduction du germe cholérique. Le comité des épidémies de la Société de médecine de Berlin recommande, pour la désinfection du linge de corps et de literie, la chaleur de l'ébullition de l'eau; pour la désinfection des latrines situées en dehors des habitations, le chlorure de chaux (sur 100 parties d'excréments, 10 parties de cholure de chaux en dissolution) ; pour la désinfection des bassins plats, chaises per- cées, etc., un mélange composé de 2 parties d'hypermanganate de soude, Zi5 parties de sulfate acide de fer et 53 parties d'eau (sur 100 parties d'excré- ments, 10 parties de ce mélange, ou la contenance d'un verre à bordeaux par personne); pour la désinfection des appartements où il y eu des cholé- riques, le chlore gazeux. Il faut en outre que les médecins demandent aux autorités la création de lazarets assez grands et convenablement disposés, où il soit possible de séparer les individus atteints de diarrhée suspecte des per- sonnes atteintes de choléra grave, et qu'à ces établissements soit attaché un nombre suffisant d'infirmiers; il faut aussi insister sur la nécessité de procu- rer à la classe pauvre une alimentation hygiénique, par des distributions de soupe et d'autres aliments, et prévenir les habitants, par des publications CHOLÉRA ASIATIQUE. 797 faites dans un langage ferme et dépouillé d'artifice., du danger qu'ils courent en négligeant une diarrhée même simple et exempte de douleur. Partout où la chose est possible, on devrait enfin procurer des logements provisoires aux habitants des maisons dans lesquelles il y a eu des cas de choléra. Les mesures prophylactiques que les médecins doivent conseiller à cha- cun de leurs clients, après l'invasion d'une épidémie de choléra, sont les suivantes : comme on court un bien plus grand danger d'être infecté par le virus cholérique dans une ville, et à plus forte raison dans une maison où règne le choléra que partout ailleurs, il n'est pas irrationnel de conseiller aux individus qui, sans s'imposer de trop lourds sacrifices, peuvent entre- prendre de longs voyages, de fuir le danger. A ces personnes, il y a lieu de recommander expressément: 1° de partir dans le plus bref délai; 2° d'aller le plus loin possible; 3° de ne pas revenir avant l'extinction complète de l'épi- démie. Quant aux clients forcés de continuer à résider dans lalocalité infectée, on leur défendra, avec la plus grande sévérité, d'entrer dans un cabinet d'ai- sances étrange?\ Il va lieu d'être étonné que ce précepte si important, et cer- tainement si utile à rappeler, ne soit pas mentionné dans l'instruction sur les précautions à prendre contre le choléra, qui a été rédigée par Griesinger, Pettenkofer.et Wunderlich. Pour ma part, si j'avais à rédiger une instruction pareille, je commencerais, avant de parler de la désinfection des fosses d'ai- sances, par donner le conseil de ne pas se fier aux résultats de la désinfection et de ne pas entrer dans un cabinet, même désinfecté avec le plus grand soin, s'il servait en même temps à des personnes étrangères. Bien des pères de famille ne reculent pas devant l'ennui de se procurer pour eux et les leurs une chaise percée, dont ils se servent exclusivement pendant le règne d'une épidémie de choléra. On aura soin de prescrire en outre à ses clients un régime prudent, consistant à éviter tout aliment difficile à digérer, ainsi que tout aliment et toute, boisson qui, d'après l'expérience générale et indi- viduelle, prédisposent à la diarrhée. Il n'y a pas lieu de conseiller un chan- gement de régime subit et absolu, et surtout on fera bien de permettre l'usage modéré d'un vin rouge de bonne qualité et d'une bière ni trop jeune ni ai- grie. Mais on défendra sévèrement le moindre excès. Quant à la sutte objec- tion que ces mesures doivent être inutiles, puisque bien des personnes qui s'astreignent à un régime sévère tombent malades, et que d'autres, qui ne prennent aucune précaution, restent épargnées, il faut lui opposer des argu- ments solides et faire observer aux personnes accessibles à un raisonnement quelconque que personne ne peut savoir si déjà il n'est infecté par le virus cholérique, et que certainement l'accès dont on peut être menacé suivra une marche plus grave si, outre le virus cholérique, on fait agir encore une au- tre cause morbifique sur son canal intestinal. Enfin, je considère comme rationnel d'avertir ses clients qu'ils fassent chercher le médecin immédiate- ment, dès qu'ils se sentent atteints d'une diarrhée, de se coucher en atten- 798 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. clant l'arrivée du médecin, de boire quelques tasses d'une infusion de café ou de menthe poivrée bien chaude, et de prendre quelques gouttes de la « li- queur anticholérique » qu'on a eu soin de leur prescrire à l'avance. 11 est in- contestable qu'une diaphorèse énergique peut quelquefois faire avorter une attaque de choléra. Du moins observe-t-on dans toute épidémie cholérique quelques individus atteints de diarrhée profuse, d'une prostration extrême, de crampes dans les mollets et même de vomissements, et qui, ayant bu aussi- tôt après avoir ressenti ces symptômes, de fortes quantités de liquides chauds (ordinairement du café avec du rhum), se trouvent quelques heures après profondément enfoncés sous les couvertures et inondés de sueur, mais, en même temps, délivrés de la diarrhée qui souvent avait déjà donné issue à des matières décolorées, tirant sur l'eau de riz, aussi bien que des vomissements. L'expérience nous apprend en outre que si, dans ces cas, on interrompt trop tôt la diaphorèse, il se déclare souvent un vrai accès de choléra, et qu'on fait bien de ne permettre à aucun malade qu'il quitte le lit avant d'avoir rendu la première selle moulée. La liqueur anticholérique qui, à l'époque d'une épidémie de choléra, est ordinairement débitée dans les pharmacies sans prescription et sous le nom de quelque médecin en renom, consiste en tein- ture d'opium additionnée le plus souvent de quelques teintures éthérées su- perflues et pouvant même affaiblir l'efficacité du remède. L'emploi de ce médicament, sans prescription particulière de la part du médecin, doit être permis, parce que l'opium, comme nous le verrons plus loin, est un des re- mèdes les plus actifs contre la diarrhée cholérique, et parce que le succès de cette médication est d'autant plus assuré que le cas est plus récent. On vante surtout les gouttes russes anticholériques : pr. teinture éthérée de valériane, 8 grammes; vin d'ipéca, k grammes; laudanum liquide de Sydenham, 1 gramme; huile essentielle de menthe poivrée, 5 gouttes. Mêlez. S. : 20 à 25 gouttes toutes les deux heures. Si, trop souvent, la prophylayie même la mieux observée reste sans résul- tat, nous sommes encore bien moins en état de satisfaire, une fois que l'accès a éclaté, Y indication causale ou Y indication de la maladie.ïl est très-vrai que dans toute épidémie cholérique, et toujours vers la fin, quand la malignité de la maladie a diminué, et que le nombre des cas de guéiïson commence à devenir plus grand que celui des cas de mort, certains médecins, aussi bien que des charlatans, exaltent la vertu de quelques remèdes comme spé- cifiques du choléra. Mais jamais la' réputation de ces remèdes n'a survécu aux premiers septénaires de l'épidémie suivante. Ainsi, ce n'est pas sans rai- son qu'on a laissé tomber dans l'oubli la racine de sumbul, le trichlorure de carbone et autres remèdes secrets ou patents, réputés infaillibles contre le choléra. — Nous avons donc à nous borner à remplir dans le choléra Y indi- cation symptomatique, et les succès d'un traitement ainsi conçu seront d'au- tant plus grands que nous nous appliquerons davantage à bien apprécier et à CHOLÉRA ASIATIQUE. 799 combattre avec la plus grande énergie possible ceux des phénomènes d'où dépendent tous les autres. Certainement, on s'était trompé en faisant con- sister le traitement symptomatique, pendant les premières épidémies, à chercher à relever avant tout par des bains de Tapeur la température abais- sée de la peau, à faire boire, pour la même raison, pendant la période al- gide, des infusions chaudes, et à refuser aux malades la moindre goutte d'eau fraîche; enfin, à chercher à tirer à tout prix du sang, dans presque tous les cas de choléra asphyxique, etc. L'abaissement de la température de la peau n' apparaît, dans la série des phénomènes déterminés par l'infection, qu'à la suite d'autres plus importants; l'infusion chaude que les malades re- jettent plus facilement que tout autre liquide, est beaucoup moins utile que l'eau fraîche bue par petites quantités à la fois; enfin, les saignées ne peu- vent pas remédier à la faiblesse de l'activité cardiaque, d'où dépend l'accu= mulation du sang dans les veines. — Le traitement symptomatique du cho- léra doit viser avant tout à combattre la maladie intestinale; son but doit être d'arrêter le catarrhe aigu de l'intestin et la transsudation surabondante du sérum par les capillaires intestinaux, ces sources de tous les autres sym- ptômes et de tout danger. Une deuxième tâche de l'indication symptomatique consiste à réparer la perte aqueuse subie par le sang. (Si l'on parvenait à faire transpirer un individu atteint de choléra asphyxique, tout en laissant pei'sister la transsudation intestinale, on ne pourrait que lui nuire par cette soustraction augmentée des éléments aqueux.) La troisième tâche, enfin, et qu'il faut conserver présente à l'esprit, dès le commencement, à côté des deux autres, consiste à s'opposer à la paralysie imminente du cœur. De quelle manière l'opium, le remède le plus souvent employé contre le catarrhe non infectieux de l'intestin, et le dernier refuge contre toute autre espèce de diarrhée, agit-il pour arrêter ce symptôme? A-t-ilpour effet, non-seulement de ralentir les mouvements intestinaux, mais encore de diminuer la sécré- tion de la muqueuse intestinale et la transsudation par les capillaires intesti- naux? C'est là une question que nous nous abstiendrons de discuter; tou- jours est-il que c'est à son action antidiarrhéique qu'il doit l'usage étendu que l'on en fait également contre le choléra. Presque tous les médecins, même après avoir acquis la conviction que, dans bien des cas, l'opium n'a pas pu arrêter la diarrhée cholérique, n'hésitent pas de recourir encore à ce remède, lorsque de nouveaux cas de choléra leur arrivent, et cela, parce que l'expérience leur a appris que, dans un certain nombre de cas, il arrête incontestablement aussi la diarrhée cholérique. Je ne puis que m'as- socier à cette manière d'agir, et je prescris également contre la diarrhée cholérique l'opium, avant de passer à n'importe quel autre traitement. Seu- lement, je ne le donne pas sous la formule des gouttes anticholériques, mais sous celle de la poudre de Dower ou bien à l'état de teinture, dans un vébi- cule mucilagineux et sans addition de substances volatiles. Lorsqu'un ma- 800 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. lade a pris dans l'espace de quelques heures plusieurs doses d'opium (de deux centigrammes et demi à cinq centigrammes), et que sa diarrhée en a été améliorée, il convient de continuer l'administration de l'opium à dose plus faible, jusqu'à ce que la production d'une selle normale fournisse la preuve que la transsudation surabondante de l'intestin a cessé. Si, au contraire, mal- gré l'administration répétée de l'opium, la diarrhée poursuit son cours ou aug- mente, si, en même temps, le malade s'affaisse visiblement, si sa peau se re- froidit et si les déjections perdent leur couleur naturelle, je considère la continuation de l'opium comme contre-indiquée, et c'est précisément dans ces cas que des compresses froides, appliquées coup sur coup sur le ventre et l'administration du calomel (cinq centigrammes), par heure, m'ont rendu les meilleurs services. Quant à l'impression favorable que cette manière d'agir, surtout l'application des compresses froides sur l'abdomen produit immédiate- ment sur presque tous les malades, quant à l'effet de ce moyen sur la marche générale de la maladie et, enfin, quant aux principes qui m'ont guidé dans son emploi, je renvoie à la brochure susmentionnée : Le traitement symptomati- que du choléra, Magdebourg, 1848, et je mécontenterai de rappeler que Pfeuf- fer, lorsqu'il fut chargé, en 1854, de donner des instructions aux médecins bavarois sur le traitement du choléra qui approchait des frontières de la Ba- vière, leur recommanda mon traitement comme étant, d'après ses propres observations, le plus efficace de tous. Le nitrate d'argent, préconisé par d'au- tres, surtout par Levy à Breslau, et que j'ai essayé plusieurs fois de pres- crire à la place du calomel, parce qu'à priori j'étais prévenu en sa faveur, ne m'a rendu aucun service. La seconde tâche, celle qui consiste à réparer la perte aqueuse du sang par l'ingestion d'eau, sera le mieux remplie , si l'on fait avaler par les malades, à de courts intervalles, de très-petites portions d'eau glacée ou de petits morceaux de glace. Des quantités de liquide plus considérables, notamment des boissons chaudes, sont immédiatement reje- tées par le malade. Dans tous les cas, on peut affirmer que les cholériques, depuis qu'on leur permet généralement de boire de l'eau froide, souffrent beaucoup moins qu'à l'époque où, malgré leur soif ardente, on leur refusai! toute boisson et où on leur accordait tout au plus quelques gorgées d'une in- fusion chaude. — Avec la disparition de la paralysie du cœur, avec la cessa- tion de la transsudation par les capillaires intestinaux et le rétablissement de l'activité absorbante de la muqueuse gastro-intestinale, la circulation normale est à la vérité, en général, bientôt rétablie, et l'on voit même très-souvenl l'activité cardiaque, réduite à un minimum pendant la période algide, dé- passer les proportions normales au bout de quelques heures; mais de ce fait, il n'est nullement permis de conclure que l'emploi de stimulants (à l'admi- nistration desquels on s'était borné, pour ainsi dire, exclusivement dans les épidémies antérieures), soit inutile et superflu dans le traitement du choléra. Il y a, au contraire, indication urgente, aussitôt que le pouls devient très- CHOLÉRA ASIATIQUE. 801 petit et que les malades s'affaissent visiblement, d'administrer de. temps en temps un stimulant pour préserver, s'il est possible, le cœur d'une paralysie aiguë pendant la durée du pi'ocessus suraigu qui se passe dans le canal intes- tinal. En fait de stimulants, le Champagne frappé à la glace mérite la préfé- rence sur tous les autres, notamment sur les huiles essentielles, sur le car- bonate d'ammoniaque et autres substances plus ou moins acres, parce que, tout en exerçant son action stimulante sur le système nerveux, il n'irrite pas la muqueuse gastro-intestinale. Pour la clientèle des pauvres, le remède qui convient le mieux, c'est le rhum étendu d'eau. Un moyen très-utile encore consiste à interrompre de temps en temps l'administration de la glace et de l'eau glacée par l'ingestion de quelques tasses de café fort et très-chaud. 11 est très-vrai qu'ordinairement ce liquide est promptement rejeté par le vomisse- ment, mais souvent ce vomissement n'a lieu qu'après que le pouls et la tem- pérature de la surface du corps ont eu le temps de se relever plus ou moins. Lorsque les évacuations par haut et par bas ont cessé, et qu'en même temps la persistance des phénomènes asphyxiques prouve que c'est la paralysie des muscles intestinaux et non la cessation de la transsudation qui a opéré ce revirement de la maladie, c'est le traitement stimulant qui mérite la préfé- rence, et le retour des évacuations est le signe le plus certain de l'efficacité de ce traitement. — Contre les crampes douloureuses des muscles, les fric- tions de la peau avec de l'essence de moutarde, dissoute dans l'esprit de vin, ont ordinairement une certaine utilité palliative; par contre, je rejette l'appli- cation si souvent usitée des sinapismes. J'ai vu souvent que ces derniers, même en restant appliqués pendant longtemps, ne provoquaient pas de manifestations de douleur et que la famille, consternée par les horribles symptômes de la maladie, oubliait les sinapismes et les laissait en place, quelquefois pendant toute une demi-journée, ce qui donnait lieu à d'opiniâtres et cruelles inflam- mations de la peau pendant la convalescence. Donner de la nourriture aux cholériques pendant l'accès proprement dit, c'est une chose qui se défend de soi-même; mais même après la fin de l'accès et quand la réaction est re- venue, il faut accorder les aliments avec une extrême prudence, pour pré- server de toute irritation l'intestin malade et comme écorché; on permettra donc tout au plus un peu de lait étendu d'eau, du bouillon et un peu de bis- cuit. Seulement après le retour d'une selle molle et moulée, on peut accor- der des aliments plus nourrissants et plus compactes. S'écarter de ces mesures de précaution, c'est s'exposer à un cruel revers. Aucune règle générale ne se laisse tracer pour le traitement de la période de réaction, ni encore moins pour celui des maladies secondaires, comprises sous le nom de choléra typhoïde, attendu que, dans chaque cas particulier, le traitement à instituer doit être fondé sur une analyse exacte des phéno- mènes morbides. L'habitude, autrefois si répandue, de pratiquer la saignée contre les phénomènes de réaction trop intense est à rejeter. S'il y a des NIEMEYER. II. — 51 , 802 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. phénomènes de fluxion intense vers le cerveau, il y a lieu d'appliquer de la glace sur la tête et des sangsues derrière les oreilles. Qu'on se garde cepen- dant de confondre l'hydrocéphaloïde, qui succède si souvent chez les en- fants à l'accès cholérique, avec une hypérémie cérébrale et un œdème du cerveau. Lorsque les phénomènes graves du choléra typhoïde dépendent d'une intoxication urémique, il faut, malgré les faibles chances de succès, employer le traitement indiqué à l'occasion de cette affection. Si l'accès cho- lérique est suivi d'une fièvre asthénique à réaction typhoïde, avec ballon- nement et endolorissement du ventre et évacuations de matières liquides, mais colorées et fétides, qui se suivent de temps à autre, on doit couvrir le ventre de cataplasmes et prescrire de faibles doses de calomel et d'opium. De même, on se préoccupera des inflammations qui se sont développées dans différents organes, quand l'attaque de choléra est arrivée à son terme, tout en tenant compte du grand épuisement des forces. CHAPITRE XIV Dysenterie. § 1. Pathogénie et étiologie. La dysenterie est une maladie infectieuse ' ; mais elle se distingue du typhus et d'autres maladies infectieuses, en ce que l'infection par le virus dysentérique ne détermine que dans le canal intestinal des modifications pathologiques appréciables. Les anomalies qui, dans le cours de la dysen- terie, s'observent dans d'autres organes et dans le sang, ainsi que la fièvre, plus ou moins intense, qui accompagne la maladie, constituent des phéno- mènes secondaires, provoqués par la maladie intestinale. La dysenterie se rattache donc très-étroitement au choléra, dans lequel l'infection commence également par provoquer une affection grave de la muqueuse intestinale, et n'engendre qu'en seconde ligne, consécutivement à cette maladie primitive, des modifications dans la crase sanguine, dans la circulation et dans l'état de la nutrition des différents organes. Sans doute, l'affection intestinale de la dysenterie est autre que celle du choléra, et, par cela même, l'influence que la dysenterie exerce sur la crase sanguine, etc., diffère essentiellement de l'influence du choléra. Pour le virus dysentérique pas plus que pour les virus qui forment la base des autres maladies infectieuses, on n'a pu fournir la preuve directe qu'il se J II a été question dans le premier volume, à l'occasion îles maladies du canal intes- tinal, de la dysenterie catarrhale non infectieuse. DYSENTERIE. 803 •compose d'une substance organique vivante; mais les raisons plusieurs fois mentionnées, surtout à l'occasion du typhus et du choléra, nous décident à faire dériver également la dysenterie d'une infection du corps par une espèce particulière d'organismes végétaux inférieurs, et d'admettre l'exis- tence d'un germe dysentérique comme nous avons admis un germe typhique et un germe cholérique. En nous plaçant à ce point de vue, nous nous ren- dons jusqu'à un certain point compte des faits qu'une étude approfondie sur le mode d'extension de la dysenterie a permis de constater jusqu'à présent. La dysenterie est due, non exclusivement, il est vrai, à un miasme ; en d'autres termes, le germe dysentérique croît, se développe et se multiplie en dehors de l'organisme humain, et les personnes qui séjournent au milieu de son foyer de production courent le danger de contracter la dysenterie- Les conditions les plus favorables pour le développement et la multiplication du germe dysentérique, parmi lesquelles une température très-élevée et un un certain degré d'humidité jouent un rôle important, se rencontrent dans la zone torride et sous des latitudes approchantes ; c'est là que la dysenterie règne endémiquement sur de vastes territoires. En Europe, ce n'est que dans les pointes les plus méridionales du continent et dans les îles qui les avoi- sinent, que l'on trouve, d'après le travail classique de Hirsch, des conditions constamment assez favorables au développement du germe dysentérique, pour que la maladie y règne également d'une manière endémique- Mais, dans presque toute l'étendue de l'Europe, les conditions pour le développe- ment et la multiplication du germe dysentérique peuvent devenir assez favorables, surtout à la fin de l'été, pour que la maladie s'y montre d'une manière épidémique. Cette circonstance, que la dysenterie ne se montre pas endémiquement ou épidémiquement dans toutes les contrées où régnent, soit continuellement, soit passagèrement, de fortes chaleurs et une grande humidité, nous autorise à conclure ou que ces deux conditions ne sont pas les seules qui président au développement du germe de la maladie, ou que le germe dysentérique n'est pas assez répandu pour se rencontrer partout où il rencontre des conditions favorables à son développement. D'après les tra- vaux récents de Hirsch, l'existence simultanée, soit épidémique, soit endé- mique de la dysenterie et de la fièvre intermittente, s'observe, il est vrai, très-fréquemment, mais n'est rien moins que constante. Ainsi la dysenterie se rencontre dans des contrées qui n'offrent aucune des conditions favorables au développement du miasme paludéen, sol marécageux, etc. Elle règne plus souvent dans les campagnes que dans les villes. 11 parait que le germe dysentérique se reproduit, soit toujours, soit sous certaines conditions particulièrement favorables, dans le corps de l'individu infecté, et que les déjections des individus dysentériques renferment le con- tagium produit de celle manière, ou tout formé ou dans une phase anté- rieure de développement; car, tandis qu'il n'est pas démontré que la 804 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. dysenterie se communique d'homme à homme, il est plus que probable que la maladie peut être transmise à des personnes saines par les déjections des malades, par l'emploi de chaises percées, de vases, de seringues qui ont servi à leur usage. Par ces faits, la dysenterie se rattache au choléra, tandis que la parenté si souvent soutenue entre le virus dysentérique et le miasme paludéen en devient moins probable. Pourquoi, en effet, des influences identiques ou semblables, telles qu'une température élevée et l'humidité ne favoriseraient-elles pas le développement d'organismes inférieurs, ayant entre eux une différence spécifique, quand nous voyons les mêmes influences favoriser le développement d'espèces différentes parmi les plantes et les animaux d'un ordre supérieur ? On a encore accusé les refroidissements, les averses reçues sur le corps, l'usage des fruits verts et d'autres causes nuisibles, d'occasionner la dysen- terie, et il est incontestable que les individus exposés à l'action des causes que nous venons de nommer, contractent la maladie plus facilement que d'autres. Néanmoins, l'infection par le virus spécifique est l'unique cause de la maladie dont il est ici question, et le rôle joué par ces agents nuisibles dans l'étiologie de la dysenterie est exclusivement celui de rendre l'orga- nisme plus accessible à l'action du virus, en d'autres termes d'augmenter la prédisposition à la dysenterie. § 2. ÀNATOMIE PATHOLOGIQUE. Les modifications anatomiques que l'on trouve dans l'intestin cà l'autopsie d'individus morts de dysenterie, offrent le prototype de l'inflammation diph- Ihéritique. Les endroits malades de la muqueuse sont infiltrés d'un exsudai riche en fibrine, mortifiés et convertis en eschares par l'effet de la com- pression que les vaisseaux nourriciers de la muqueuse ont subie de la pari de l'exsudat. Lorsque l'eschare est détachée, on trouve à l'endroit correspon- dant une perte de substance dans la muqueuse. Selon que cette perte de substance est superficielle et de peu d'étendue, ou qu'elle pénètre dans la profondeur et s'étend à de grandes surfaces, les destructions produites par le ]>rocessus dysentérique sont susceptibles ou non d'une réparation complète. Dans le premier cas seulement l'intestin peut revenir à son état antérieur, dans le second cas, il reste à la place de la muqueuse détruite un tissu cicatriciel calleux, produisant assez souvent une constriction de l'intestin. Dans les degrés les plus légers de la dysenterie, on trouve la muqueuse du gros intestin d'un rouge foncé, surtout au sommet des plis qui s'avancent vers l'intérieur. Outre cette rougeur, due à des injections et à des ecchymoses, on trouve une infiltration de la muqueuse par un exsudât mou, gris blanc, DYSENTERIE. 805 englobant la couche épithéliale. La muqueuse parait couverte, dans ces cas, d'un enduit furfuracé aux endroits malades: mais, lorsqu'on enlève cet enduit avec le manche du scalpel, il reste une perte de substance super- ficielle, qui prouve que l'exsudat n'a pas été simplement superposé à la muqueuse, mais qu'il a pénétré jusque dans son tissu. Le tissu conjonctif sous-muqueux est infiltré de sérosité et tuméfié. La séreuse parait trouble et privée de son brillant par l'œdème. Cette modification se rencontre de pré- férence et ordinairemenfexclusivement dans le gros intestin, et c'est, en général, un fait exceptionnel, que le processus dysentérique se propage éga- lement sur la section inférieure de l'intestin grêle. — Dans le second degré de la dysenterie, on voit des surfaces étendues de la paroi interne couvertes de couches d'un gris blanc, tantôt simplement glutineuses, tantôt plus con- sistantes et membraneuses; ces couches ne se laissent que difficilement détacher et entraînent avec elles la muqueuse. Lorsqu'elles sont éliminées, le tissu conjonctif sous-muqueux se montre à découvert. Toute la paroi in- testinale se montre fortement épaissie par l'œdème intense du tissu sous- muqueux, de la tunique musculaire et de la séreuse, mais il y a surtout quelques endroits, correspondant aux îlots et bandes formés par l'exsudat, qui se montrent boursouflés à un tel point qu'ils forment des saillies bosse- lées à la surface interne de l'intestin. L'enveloppe séreuse du gros intestin prend ordinairement part à l'inflammation, se montre couverte d'une couche mince de fibrine et se trouve ainsi accolée aux parties circonvoi- sines. L'intestin malade est considérablement dilaté et rempli de masses épithéliales, de lambeaux d'exsudat et d'un liquide très-riche en albumine, plus ou moins mêlé de sang; il ne renferme ordinairement pas de matières J'écales. — Dans le troisième degré, le plus grave de tous, la muqueuse est, d'après Rokitansky, dégénérée sur une grande étendue en une masse noire, friable, facile à déchirer, comme carbonisée, qui, assez souvent, s'élimine plus tard et est expulsée sous forme de lambeaux tubulés; le tissu .sous-muqueux se montre imbibé d'une masse de sang carbonisé et d'un liquide séro-sanguinolent, ou il est, au contraire, devenu plus pâle, et le sang contenu dans ses vaisseaux est transformé en une masse noire, com- pacte et pulvérulente, mais, plus tard, ce tissu est le siège d'une infiltration purulente, par l'effet d'une réaction inflammatoire qui s'est développée dans les couches saines situées plus profondément, et qui tend à éliminer les parties mortifiées. L'enveloppe péritonéale présente une couleur grisâtre, absolument dépourvue de brillant, elle est injectée de loin en loin de vais- seaux capillaires très-dilatés et tapissée d'un exsudât ordinairement brunâtre qui se fond en un liquide ichoreux. La portion malade de l'intestin qui contient un liquide brun-noir, semblable au marc de café, d'une fétidité horrible, est, ou dans un état de dilatation passive, ou affaissée sur elle- même, et, après une durée; un peu longue du processus, la tunique mus- 806 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. culaire se montre ratatinée, pâle, d'une couleur terreuse et facile à dé- chirer. Les glandes du mésocôlon appartenant à la portion malade de l'intestin, sont plus ou moins riches en sang, tuméfiées et relâchées. Le foie est hypé- rémié et, dans la dysenterie grave des pays chauds, assez souvent le siège d'inflammations suppurées, qui trouvent sans doute leur explication dans la sanie ichoreuse et les emboles que les veines de l'intestin conduisent de l'endroit malade au foie. Si la mort n'est pas arrivée au point culminant de la maladie, le processus dysentérique s'éteint ou il reste une inflammation lente (dysenterie chroni- que), qui enlève encore tardivement un assez grand nombre d'individus. Dans le premier cas, les bords des pertes de substance sont rapprochés les uns des autres par le tissu conjonctif qui se forme à leur base et qui se ré- tracte peu à peu, jusqu'à ce que ces bords finissent par se toucher, ce qui arrive toutes les fois que la perte de substance n'est pas trop grande. Tantôt il se produit alors, comme dans la guérison des ulcères de l'estomac, des ré- trécissements de l'intestin, tantôt le diamètre de ce tube reste conservé. Lorsque la perte de substance est très-grande ses bords ne se rencontrent pas ; et l'on trouve des places plus ou moins étendues où la surface interne de l'intestin est couverte, non par la muqueuse, mais par le tissu cicatriciel et calleux qui est venu la remplacer. Ce dernier forme souvent, d'après l'ex- cellente description de Rokitansky, des brides et des bandes fibreuses, con- stituant dans l'intérieur de l'intestin des rebords saillants, qui se croisent dans divers sens les uns des autres, et s'avancent souvent dans l'intestin sous forme de replis valvulaires ou annulaires, ce qui donne lieu à un rétrécisse- ment du côlon, d'une espèce toute particulière. — Lorsque l'affection intes- tinale suit une marche chronique, sans tendre à la guérison, les pertes de substance se transforment en ulcères chroniques, et il se développe, en outre, dans l'intestin, cette modification que nous avons décrite antérieure- ment sous le nom d'ulcération folliculaire. Ainsi, dans la muqueuse épais- sie, fortement pigmentée, les follicules enflammés forment des ulcères d'a- bord ronds, plus tard anfractueux ; quelquefois il se produit aussi dans le tissu sous-muqueux, épaissi, des abcès et des trajets fistuleux, qui finissent par perforer la musculeuse et entraîner une péritonite ou des abcès au pour- tour du rectum. § 3. Symptômes et marche. L'invasion de la maladie est quelquefois précédée de prodromes, qui' durent plusieurs jours et qui consistent en un trouble vague de l'état général et en un dérangement de la digestion, se traduisant par l'inappétence, la DYSENTERIE. 807 soif, de légères coliques et une disposition à la diarrhée. — Rarement, le début de la maladie est marqué par un frisson, et il n'est même pas très- commun d'observer au commencement des horripilations et d'autres phéno- mènes fébriles. Dans la plupart des cas, la dysenterie débute, au contraire, par une diarrhée très-innocente en appai-ence, donnant issue à des matières fécales, sans caractère suspect, et n'étant pas encore accompagnée de ce ténesme qui constitue par la suite un symptôme si pénible, ou n'en offrant encore que de légers indices. Mais à mesure que les selles diarrhéiques se répètent et se suivent de plus près, les coliques (tormina ventris), ces dou- leurs abdominales qui commencent quelque temps avant chaque évacuation et s'exaspèrent à un degré insupportable un instant avant l'expulsion des matières, deviennent plus violentes et plus tenaces. L'évacuation elle-même est accompagnée d'une pression extraordinairement pénible et douloureuse sur le rectum, à laquelle se joint fréquemment un ténesme vésical. Malgré la violence et la longue durée de ces épreintes, les malades ne rendent que de faibles quantités de matières, non plus fécales, mais muqueuses, grisâ- tres (dysenterie blanche), ou muco-sanguinolentes (dysenterie rouge), quel- quefois même du sang pur. Dans quelques cas, il part de temps à autre des scybales dures en même temps que ces matières muqueuses ou muco-san- guinolentes. Immédiatement après les avoir expulsées, le malade se sent soulagé et ne ressent de la douleur que quand on exerce une forte pression sur le ventre, et surtout dans la région du côlon ; mais bientôt, souvent au bout de quelques minutes, déjà les coliques recommencent; le malade se tord et gémit, et quand les douleurs sont arrivées à leur summum d'inten- sité, le ténesme anal se montre de nouveau, et se termine encore par des déjections dysentériques d'une odeur fade et peu copieuses. Cette scène peut se renouveler vingt à trente fois et même encore plus souvent dans l'espace de vingt-quatre heures. Dans le cours de la maladie, des phénomènes fé- briles qui ont quelquefois manqué au début, s'ajoutent constamment aux autres symptômes. — Si l'affection intestinale est d'une intensité modérée, la fièvre a un caractère éréthique ou synochal; le pouls est d'une fréquence modérée, plein et dur. Mais, dans les degrés les plus élevés de la maladie, la fièvre prend de bonne heure un caractère asthénique, le pouls devient petit et sa fréquence arrive à un degré considérable. Selon la nature de la fièvre on a distingué une dysenterie inflammatoire, adynamique, putride ou typhoïde. Ces catégories correspondent assez exactement aux différents degrés de la dysenterie, tels que nous les avons décrits au paragraphe 2. Même dans le premier degré de la dysenterie, c'est-à-dire dans les cas les plus légers, les malades sont fort épuisés par la forte perte d'albumine, par les douleurs et par L'insomnie; ils prennent un aspect pâle, le pouls d'abord plein devient petit, le moral s'affecte, la lassitude et l'abattement s'élèvent à un très-haut degré. Si l'on filtre les'déjectioiis et qu'on traite le liquide 808 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. filtré par l'acide nitrique, on reconnaît, même dans les cas où les déjections ne montrent qu'un reflet jaune et ne laissent apercevoir sous le microscope que de rares globules sanguins, que le liquide filtré contient de l'albumine en si grande quantité, que presque tout le contenu du verre à réactif se solidifie. C'est aussi cette forte perte d'albumine qui explique pourquoi dans les cas même où la maladie suit la marche la plus heureuse, où, dans l'es- pace de quatre ou de huit jours, les coliques et le ténesme diminuent et disparaissent lentement, où l'on voit, enfin, dès la fin du premier ou au commencement du second septénaire, les matières évacuées reprendre leur caractère fécal, pourquoi, disons-nous, même dans ces cas, la convales- cence est presque toujours fort longue. La composition du sang d'un individu convalescent de dysenterie est, comme Schmidt le fait remarquer avec beaucoup de raison, très-analogue à celle d'un individu atteint de maladie de Bright, et mon expérience personnelle me permet de confirmer les observations d'après lesquellesune hydropisie générale se développe plus faci- lementpendantla convalescence de légers accès de dysenterie qu'après d'autres maladies de même durée. Dans le second degré de la dysenterie, les évacua- tions se succèdent à de très-courts intervalles; les coliques ne cessent pour ainsi pas et s'exaspèrent par moment à un degré insupportable, le ventre est sensible même à une pression légère. Le ténesme, à son tour, est plus opi- niâtre et plus fatigant que dans les degrés les plus légers de la maladie. Les déjections contiennent beaucoup de sang, de nombreux flocons et lambeaux, et quelquefois des masses cohérentes assez étendues. Dans beaucoup de cas, il part aussi du sang pur en quantité plus ou moins grande. Le pouls est ac- céléré et plein pendant les premiers jours de la maladie; dans les périodes ultérieures, sa fréquence arrive à un degré très-élevé, tandis que son am- pleur diminue, en général, très-rapidement. Il faut ajouter à cela une per- turbation grave de l'état général, une inappétence complète, une langue sèche, une profonde dépression physique et morale, souvent un embarras du sensorium et de légers délires. — Si la maladie doit se terminer heureu- sement, les souffrances diminuent lentement, les intervalles entre les diffé- rentes évacuations deviennent plus grands, les déjections reprennent une coloration brune et une odeur fécale; les débris d'épithélium et d'exsudat continuent d'y être mêlés encore plus ou moins longtemps, et leur contenu sanguin diminue; le pouls se relève, la langue devient plus humide, le sen- sorium plus libre; mais toujours la convalescence est très-longue et, dans les cas même les plus favorables, il se passe des semaines avant que le ma- lade soit en état de quitter le lit. — Lorsque la maladie doit se terminer par la mort, le pouls devient de plus en plus petit, l'apathie augmente, la cons- cience se perd, les malades n'accusent plus ni douleurs ni ténesme, les selles deviennent involontaires et le malade succombe, comme après d'autres ma- ladies promptement épuisantes, au milieu des phénomènes d'une paralysie DYSENTERIE. 809 généiale. — Lorsque la maladie passe de la forme aiguë à la forme chro- nique, cas très-ordinaire dans les degrés élevés de la dysenterie, la fièvre se perd et l'on voit se produire le tableau morbide qui correspond à l'ulcéra- tion folliculaire de l'intestin. Ordinairement la diarrhée alterne avec la con- stipation; quelquefois il part des matières normales, auxquelles adhèrent des matières muco-sanguinolentes ou purulentes, à d'autres moments le malade ne rend qu'un liquide puriforme, le produit de la muqueuse ulcérée; les individus maigrissent au plus haut degré et finissent par succomber dans un état de cachexie, qui a duré des mois entiers, réduits au marasme et ordi- nairement atteints d'hydropisie. Enfin, dans les cas où les pertes de sub- stance de la muqueuse guérissent en laissant à leur suite un rétrécissement cicatriciel, les symptômes du rétrécissement intestinal succèdent à ceux de la dysenterie chronique. Le malade souffre pour le restant de sa vie d'une constipation habituelle et de troubles variés, qui, ordinairement, se ratta- chent à cette anomalie. En recherchant attentivement les conditions écolo- giques qui forment la base d'une affection abdominale très-opiniâtre et de très-longue durée, il n'est pas rare que l'on soit forcé de remonter à une dy- senterie grave, traversée depuis des années ou des dizaines d'années. — Dans le troisième degré de la dysenterie, forme putride, septique des auteurs, le dé- but de la maladie correspond au tableau tracé plus haut, mais bientôt les déjections prennent un aspect brun-rouge ou noirâtre et répandent une odeur cadavéreuse; assez souvent, d'assez grands lambeaux noirs et gangrenés de la muqueuse s'y trouvent mêlés. Le pouls devient de bonne heure très-petit et très-fréquent, les extrémités se refroidissent, tandis que le tronc est d'une chaleur brûlante ; les malades s'affaissent, leur face s'altère, la langue et les gencives se couvrent d'une croûte sèche, le seusorium se trouble profon- dément. Les coliques et les épreintes cessent dès les premiers jours, les matières grisâtres, très-liquides et fétides s'écoulent involontairement, à cause du relâchement du sphincter, et érodent les parties avec lesquelles elles entrent en contact. Souvent, dans ces cas, on voit s'ajouter aux sym- ptômes de l'adynaniic ceux d'une diathèse hémorrhagique aiguë, des sai- gnements de nez, despétéchies, etc. Les malades peuvent, dans les premiers jours déjà, succomber à la dysenterie septique, et la terminaison par gué- rison de cette forme de la maladie, qui règne épidémkjueinenL dans les camps, dans les villes assiégées ou bien dans d'autres conditions défavora- bles, doit être comptée parmi les exceptions les plus rares. Quelquefois, mais pas très-souvent, on a vu des individus atteints de dysenterie du second et du troisième degré succomber à une péritonite ou à nue pyémic; dans les pays chauds, il est probable qu'un nombre assez notable de malades meurent tardivement d'abcès du foie, qui se sont développés pendant la maladie. 810 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. § h. Traitement. La pi'ophylaxie demande, avant tout, que l'on fasse disparaître autant que possible les conditions qui, d'après l'expérience acquise jusqu'à présent, favorisent la formation et la reproduction du virus dysentérique ; les mesures qui peuvent conduire à ce résultat, sont, d'après les faits mentionnés au paragraphe 1, soit celles dont il a été question à l'occasion de la prophylaxie de la fièvre intermittente, soit celles que nous avons mentionnées, en par- lant de la prophylaxie du typhus et du choléra. — Comme ce sont proba- blement les déjections des individus dysentériques, qui représentent les- véhicules du virus reproduit dans l'organisme infecté, la prophylaxie exige, en outre, que les vases, les seringues à lavements, etc., qui ont servi aux dysentériques ne soient jamais employés pour d'autres individus, et qu'on ne verse pas non plus les déjections des individus dysentériques dans les latrines communes, mais dans des fosses particulières, et qu'on les désin- fecte avec du sulfate de fer. — Enfin, la prophylaxie veut que toutes les influences nuisibles qui augmentent la prédisposition à la dysenterie, en rendant le corps plus accessible à l'action du virus, soient évitées avec soin. S'il est vrai que personne ne contracte la dysenterie en mangeant des fruits verts, en se couchant sur la terre humide, etc., à moins de s'exposer en même temps à l'action du virus dysentérique, il n'est pas moins certain que, pendant le règne d'une épidémie de dysenterie, ces imprudences favorisent, le développement de la maladie. Nous ne saurions répondre, dans le traitement de la dysenterie, ni à l'indication causale ni à l'indication de la maladie, attendu que nous ne con- naissons aucun remède spécifique, pouvant paralyser, comme antidote, l'action du virus. On est, avec raison, revenu de l'idée de couper la dysen- terie par des mesures violentes telles que saignées, vomitifs, purgatifs éner- giques, opium à hautes doses, etc., et tous les efforts tendent aujourd'hui à remplir Y indication symptomatique. Or le traitement symptomatique de la dysenterie ne permet d'espérer d'heureux résultats qu'autant que l'on reste bien convaincu que la diarrhée, les coliques, le ténesme et tous les autres phénomènes morbides dépendent de l'inflammation diphthéritique de la muqueuse intestinale. Si l'on perd de vue cet état de choses, si, par exem- ple, on donne des préparations opiacées en vue d'arrêter la diarrhée, même dans les cas où des masses fécales dures sont accumulées au-dessus de la partie enflammée de l'intestin on ne fait qu'aggraver le mal, attendu que des masses fécales accumulées et en voie de décomposition suffisent à elles seules pour provoquer une inflammation diphthéritique de l'intestin. Dans les degrés légers delà dysenterie, il convient de commencer le traitement par DYSENTERIE. 811 l'administration d'un laxatif doux, tel qu'huile de ricin ou décoction de tamarin, et de revenir à cette prescription toutes les fois que les déjections sont restées un ou deux jours sans contenir des matières fécales. La raison de cette matière d'agir ressort de ce que nous avons dit plus haut. Unique- ment dans les cas où l'estomac est rempli d'aliments non digérés, il est bon de prescrire au commencement de la maladie un vomitif composé d'ipéca- cuanha sans mélange de tartre stibié. Dans les degrés même les plus légers de la dysenterie, le malade doit continuellement garder le lit, s'abstenir de tout aliment solide et prendre pour unique nourriture des potages. S'il est robuste et plein de sève, un potage maigre et mucilagineux peut suffire: s'il est, au contraire, faible et anémique, on fait bien de viser, avant tout, à la conservation des forces et de conseiller l'usage du bouillon concentré. Presque tous les malades se sentent soulagés par l'application de cataplasmes chauds sur l'abdomen. Si les coliques sont très-violentes et ne cèdent pas aux cataplasmes, ou bien si le ventre est extraordinairement sensible à la pression, une application de sangsues au bas-ventre (dix à vingt pour les adultes) rend d'excellents services, surtout lorsqu'on a soin de faire saigner pendant quelque temps les morsures sous le cataplasme. A l'intérieur, on donne une émulsion et le soir une dose modérée d'opium. Pour beaucoup de cas de dysenterie légère ce traitement suffit, mais, dans d'autres, la diarrhée augmente malgré le traitement, qui n'empêche pas non plus les coliques et le ténesme de devenir plus violents ni la fièvre de prendre une intensité plus grande. Dans ces cas, comme aussi dans le second degré de la dysenterie, dans lequel les saignées locales sont presque toujours indiquées, le remède qui mérite la plus grande confiance est le calomel associé à l'opium. On donne ordinairement toutes les deux heures 5 centigrammes de calomel avec un centigramme et demi d'opium, et je crois que ce mode d'administration, surtout lorsqu'on donne en outre le soir 25 à 50 centi- grammes de poudre de Dower, mérite la préférence sur les fortes doses de calomel (50 à 60 centigrammes), que l'on a également recommandées. Si l'usage continué du calomel provoque la salivation, il faut en suspendre l'usage et prescrire l'opium seul, le mieux sous forme de teinture, dans un véhicule mucilagineux, ou dans une infusion d'ipécacuanha. C'est aussi précisément pour ces cas que l'on a vanté une combinaison d'opium et d'acétate de plomb. Mais toujours je juge utile de faire prendre, outre les petites doses d'opium réparties sur la journée, une plus forte dose le soir. Si ce traitement reste inefficace, il faut espérer encore bien moins de l'admi- nistration interne du nitrate d'argent et des astringents végétaux, surtout du tannin. A l'administration de ces deux derniers remèdes sous forme de lavements, dont beaucoup d'auteurs font l'éloge, s'opposent, d'après mon expérience, le ténesme violent et la grande difficulté qui en résulte, de faire pénétrer l'injection, ainsi que l'influence (Vu-lieuse qu'exercent sur ce 812 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. ténesme l'irritation de l'instrument, quel que soit le ménagement qu'on ait employé pour l'introduire, et le médicament injecté lui-même. 11 faut, en outre, que les lavements soient copieux, si l'on veut que le médicament entre en .contact avec toute l'étendue de la surface malade ; le contenu d'une seringue à lavement ordinaire ne va pas beaucoup au delà du rectum. — Dans la dysenterie du troisième degré, tout traitement échoue le plus souvent. La grande prostration des malades, l'imminence de la paralysie générale défendent les émissions sanguines aussi bien que le calomel associé à l'opium, et l'on doit se borner à chercher, autant que possible, à soutenir par des médicaments toniques et stimulants les forces des malades et à pré- venir la paralysie générale. — Contre la dysenterie chronique, le remède qui mérite le plus de confiance, surtout après que le ténesme a diminué, ce sont des lavements composés d'une solution de nitrate d'argent ou de sulfate de zinc. S'il n'y a pas d'accumulation de matières fécales au-dessus de la partie malade, ou bien si des matières fécales liquides sont évacuées en même temps que les matières muqueuses ou muco sanguinolentes, on peut aussi administrer les astringents à l'intérieur, et je fais prendre dans ces cas le cachou (10 grammes sur 100 grammes d'eau et 20 grammes de gomme arabique; une cuillerée à bouche toutes les deux heures), que je préfère au tannin et au nitrate d'argent, dont il est fort douteux qu'ils parviennent sous une forme efficace dans le gros intestin. — Si la dysenterie laisse à sa suite des rétrécissements intestinaux, il faut qu'on les traite d'après les règles indiquées précédemment. CHAPITRE XV Maladies des trichines. — Trichinose. On peut se demander dans quelle division de la pathologie spéciale il faut ranger la trichinose : s'il faut en parler à l'occasion des maladies des organes gastro-intestinaux qui sont le siège primitif de la maladie, ou bien à l'occasion des maladies des organes du mouvement et, en particulier, des muscles, où les trichines immigrent après avoir quitté le canal intestinal, ou bien, enfin, à l'occasion des maladies infectieuses. Je me suis décidé à classer, déjà dans la précédente édition de ce livre, la trichinose parmi les maladies infectieuses, parce que je m'y suis prononcé encore plus positive- ment que dans les éditions précédentes en faveur d'une pénétration d'orga- nismes inférieurs dans l'économie, comme cause première de ces maladies. Pour ce qui concerne la trichinose, personne ne peut douter que la maladie ne soit due à l'influence d'un conlagium vivant. Les symptômes de la ma- MALADIE DES TRICHINES, TRICHINOSE. 813 ladie offrent la plus grande ressemblance avec ceux des maladies infectieuses, et cette analogie s'étend même jusqu'à la période d'incubation, que la tri- chinose partage avec elles. On peut même faire un pas de plus et dire que le nom de maladie infectieuse revient avec bien plus de droit à la trichinose qu'à n'importe quelle autre maladie. § 1. Patiiogknie et étiologie. Il y a plus de vingt ans déjà que, aux autopsies de certains individus, on rencontrait de temps en temps dans les muscles de petits points blancs en quantité innombrable, qui, sous le microscope, se montraient formés de petits kystes contenant dans leur intérieur un petit ver filiforme, roulé en spirale. Sur ce ver, la trichina spiralis, il était impossible de découvrir des organes sexuels et l'on ignorait absolument d'où il provenait, de quelle manière il avait pénétré dans les muscles, et s'il était susceptible d'un développement ultérieur. Nous avons eu l'occasion de dire, au premier volume (voy. le cha- pitre Helminthiase), que l'opinion d'après laquelle la trichine musculaire ne représenterait que la première phase de développement du trichocephalus dispar, avait été bientôt reconnue erronée. Des essais faits par différents observateurs, notamment par Virehow et Leuckart, qui nourrissaient des animaux avec de la chair chargée de trichines, ont prouvé que les trichines musculaires deviennent libres dans l'estomac et l'intestin de ces animaux pendant la digestion de la chair dans laquelle elles étaient renfermées, qu'elles atteignent alors en peu de jours une longueur de trois à quatre millimètres et se transforment en trichines intestinales, mâles et femelles, ayant le sexe bien marqué. Dans le corps des femelles, qui sont beaucoup plus nombreuses et des deux tiers plus grandes que les mâles, il se forme des œufs en quantité innombrable, et, dans ceux-ci, des jeunes qui com- mencent déjà au bout de cinq à huit jours à s'échapper vivants du corps de la mère et à se mouvoir librement dans les mucosités intestinales. Bientôt la jeune couvée des trichines intestinales perce la paroi de 1 intestin et arrive en partie dans la cavité péritonéale, tandis qu'une autre partie, s'acheminant entre les feuillets du mésentère, parvient jusqu'à la colonne vertébrale, delà dans le diaphragme, dans les muscles de l'abdomen et, en suivant les bandes de tissus conjonctif intermusculaire, dans tous les autres muscles du corps. Le nombre des trichines qui accomplissent cette migration est énorme. C'est à l'extrémité de la portion charnue du muscle, là où commencent les tendons, qu'on les trouve accumulées en plus grand nombre, probablement, parce que dans ces endroits ils ne peuvent pas continuer leur chemin avec autant de facilité. Les trichines aiment surtout à pénétrer dans les muscles des lombes, dans le diaphragme, dans les muscles intercostaux, dans les 814 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. muscles du cou, ainsi que dans ceux de l'oeil et du larynx. Pour les extré- mités, on peut admettre, comme loi générale, que plus on s'éloigne du tronc, moins il y a de trichines dans les muscles (Reny). Jamais, chez l'homme du moins, les trichines ne paraissent pénétrer dans les muscles cardiaques. La migration des trichines provoque une myosite parenchymateuse et inter- stitielle. Les trichines libres, en voie de migration, qui finissent par atteindre une longueur d'environ un tiers de ligne, ne sont pas visibles à l'œil nu. A l'endroit où elles se fixent définitivement, l'irritation qu'elles exercent sur les tissus environnants détermine une hypergenèse du sarcolemme, donnant lieu à la production d'une capsule ayant la forme d'un œuf ou plutôt celle d'un citron. Cette capsule se condense par la suite, il s'y dépose des sels calcaires, et ce sont les trichines musculaires, ainsi enfermées dans une capsule incrustée de sels calcaires, que l'on peut reconnaître à l'œil nu. La formation d'une capsule complète ne peut s'achever en moins de deux mois. Uétiologie de la trichinose chez les animaux est très-obscure. Il serait très-utile et très-intéressant, pour la pratique, de savoir d'où viennent les trichines des porcs. Il est probable que ces animaux se les attirent principa- lement ou exclusivement en mangeant des rats infectés de trichines. Tout le monde sait que, très-souvent, des rats morts ou vivants sont dévorés par les porcs, et un fait également positif, c'est que les rats, non-seulement sont souvent atteints de trichinose, mais qu'ils succombent même à cette maladie. Chez l'homme, la trichinose résulte uniquement de l'usage de la viande de porc contenant des trichines. Le plus grand danger menace les individus qui mangent cette viande à l'état cru; ainsi nous voyons la maladie se manifester chez eux plus fréquemment, et sous des formes plus graves que chez d'autres. Il arrive plus souvent que, sans être crue, la viande de porc se consomme apprêtée d'une manière qui ne suffit pas pour tuer les trichines qu'elle renferme. Il est très-vrai, par exemple, qu'une viande cuite ou rôtie à fond, qui, traversée par une incision, ne laisse échapper d'aucun point de la surface de section un jus rouge et sanguinolent et que la pointe de la fourchette peut traverser partout, sans donner cette sensation de craquement particulier qui caractérise la viande imparfaitement cuite, qu'une telle viande, disons-nous, ne contient plus de trichines vivantes. Mais ces animaux peuvent très-bien être renfermés dans un rôti de porc, dont les couches extérieures ont été seules exposées à une température suffisamment élevée pour tuer sûrement les trichines (70° centigrades), tandis que les parties intérieures n'ont pas été exposées à une température aussi élevée, et ont conservé un aspect saignant ainsi qu'une dureté et une consistance particu- lières. De même, il arrive que dans de petits morceaux de viande apprêtés sur le gril et dans les différentes espèces de saucisson, exposés pendant peu de temps à une température élevée, les trichines éloignées de la surface restent MALADIE DES TRICHINES, TRICHINOSE. 815 vivantes. C'est surtout après l'usage de la viande hachée, des saucissons, des boudins, des boulettes de viande et d'autres préparations analogues, qu'on a souvent observé l'empoisonnement par les trichines. Une salaison prolongée de la viande de porc, sans addition d'eau, tue toutes les trichines même dans des pièces de viande d'un gros volume; par contre, dans la viande salée qui n'a séjourné que peu de temps dans une solution de sel de cuisine peu concentrée, de nombreuses trichines peuvent être restées en vie. Toutes les méthodes du fumage ne tuent que les trichines assez rappro- chées de la surface du morceau fumé. Le fumage qui offre le moins de garantie, c'est le fumage dit accéléré, consistant à arroser les jambons d'acide pyroligneux, ou à les enduire de créosote, pour ne les exposer ensuite que pendant un temps très-court à la fumée, ou même se dispenser de les fumer. Très-souvent on a observé des empoisonnements par les tri- chines chez des individus qui avaient mangé du jambon cru ou les différentes espèces de saucisson fumé, préparées avec de la viande crue. Si l'on a vu plusieurs fois des individus manger, sans inconvénient, de la viande fumée qui renfermait des trichines, c'est que cette viande avait été soumise à une salaison prolongée et faite avec soin, de sorte que les trichines étaient tuées avant le fumage ou que la viande avait été longtemps conservée et complè- tement desséchée, ce qui fait également périr les trichines. Si, jusqu'à pré- sent, on n'a observé en France et dans le sud de l'Allemagne que très-peu de trichines capsulées et pas un seul cas d'empoisonnement aigu par les tri- chines, cela provient simplement de ce que, dans ces contrées, on éprouve une aversion pour la viande crue, môme salée et fumée. Comme les individus qui s'introduisent dans le corps des trichines vivantes ne tombent pas tous également malades, et comme le degré de l'affection est loin de correspondre toujours au nombre des trichines avalées, on peut dire qu'il y a chez les individus une prédisposition plus ou moins grande à la tri- chinose. Toutefois, les conditions d'où dépend cette disposition morbide plus ou moins prononcée ne sont pas connues jusqu'à présent. Tout ce qu'il est permis d'affirmer, c'est qu'elle doit dépendre de l'état de la muqueuse gastro-intestinale ou de la nature des matières contenues dans l'estomac et dans l'intestin, comme aussi qu'une diarrhée violente, succédant à l'usage de viande trichineuse et expulsant rapidement les fragments de cette viande non digérés, avec les trichines qu'ils renferment, doit être considérée comme une condition favorable. L'enfance jouit d'une certaine immunité à l'égard des trichines. Toujours est-il que les enfants résistent à l'empoisonnement par les trichines, dont, à la vérité, ils ne restent pas épargnés, bien plus facilement que les personnes adultes, peut-être exclusivement parce qu'une partie de la viande qu'ils mit mangée traverse leur tube digestif sans être digérée. 816 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. § 2. Anatomie pathologique. En faisant l'autopsie d'animaux morts spontanément, ou tués dans les premières semaines qui suivent l'empoisonnement par les trichines, on trouve souvent, indépendamment de nombreuses trichines intestinales et de jeunes trichines musculaires déjà immigrées dans les muscles, les lésions appartenant à l'entérite et à la péritonite. Au contraire, chez l'homme mort dans les premières semaines qui ont suivi un empoisonnement par les tri- chines, on ne trouve jamais d'exsudats dans l'intestin ni dans le péritoine, mais exclusivement les signes d'un catarrhe intestinal plus ou moins intense, et un gonflement plus ou moins considérable des ganglions mésentériques. Cette différence trouve peut-être son explication dans ce fait, qu'en cher- chant à empoisonner un animal par les trichines, on lui ingère ordinaire- ment ces animalcules en quantité beaucoup plus considérable qu'ils ne sont avalés par l'homme qui s empoisonne accidentellement, que, par consé- quent, la migration des jeunes trichines s'accomplit chez cet animal dans de bien plus vastes proportions et qu'il en résulte une lésion bien plus intense de la paroi intestinale que chez l'homme accidentellement empoisonné. A partir de la cinquième semaine, on découvre dans les muscles les signes évidents de l'inflammation interstitielle et parenchymateuse, provoquée par la présence des trichines, sous forme de stries fines d'un gris tirant sur le rouge. L'examen microscopique de ces endroits prouve que les fibrilles mus- culaires y sont réduites en un détritus granuleux, tandis que le tissu con- jonctif interstitiel se trouve augmenté par une hypergenèse récente. Le nombre des trichines musculaires est d'autant plus grand et leur extension d'autant plus vaste, que la maladie a duré plus longtemps. Dans les cas traînés en longueur, on trouve également les muscles des extrémités peu plés de trichines. Cette circonstance et le fait d'expérience que, même dans la septième et la huitième semaine, on trouve encore des trichines intesti- nales vivantes, remplies d'oeufs et d'embryons, font supposer que les tri- chines intestinales font, non-seulement une, mais plusieurs couvées succes- sives, et que, par conséquent, il se fait aussi plusieurs émigrations dans les muscles. Les autres modifications que l'on trouve dans les cadavres d'individus morts de trichinose n'ont rien de pathognomonique, mais ressemblent à celles que l'on rencontre également après d'autres maladies, accompagnées de fièvre intense et d'un dépérissement rapide. Même les muscles n'ont, d'après Cohn- heim, rien de constant ni de caractéristique, sauf les anomalies déjà men- tionnées et un état ferme et tenace; ils se comportent, au contraire, bien diversement, tant sous le rapport de la coloration que sous celui de l'humi- dité dont ils sont imprégnés, comme d'ailleurs cela s'observe aussi chez les MALADIE DES TRICHINES, TRICHINOSE. 817 individus morts du typhus. Souvent on trouve dans les bronches les signés d'une bronchite étendue; dans le poumon, des hypostases ou des infiltrations pneumoniques; dans quelques veines, des thrombus. Enfin, lorsque la mala- die a duré très-longtemps et que la fièvre a été très-intense, on trouve dans quelques cadavres les dégénérations parenchymateuses, plusieurs fois men- tionnées, du foie, des reins, de la substance cardiaque. § 3. Symptômes et marche. Depuis que Zenker a fait, en 1860, l'importante découverte que la péné- tration des trichines dans le corps humain provoque une maladie grave et même mortelle, plusieurs épidémies meurtrières de trichinose ont été ob- servées et décrites avec un tel soin que la symptomatologie de cette maladie nouvellement découverte est déjà aussi complète que celle de la plupart des autres maladies, depuis longtemps connues. Tant que les trichines arrivées dans l'estomac ne sont pas devenues libres par la digestion de la viande qui les renferme , les individus ne sentent aucun malaise. Dans quelques cas désignés par Renz sous le nom de trichinose latente, il manque, même à l'époque où les trichines sont de- venues libres, s'accouplent, se reproduisent, et où la jeune couvée perce la paroi intestinale, tout signe de maladie intestinale. Ces malades conservent un bon appétit, des selles régulières; ils sont à la vérité un peu fatigués et abattus, et accusent des douleurs erratiques et une certaine raideur dans les membres, mais ils peuvent sortir et vaquer à leurs affaires. Peu à peu les douleurs vagues se localisent dans quelques muscles qui enflent, deviennent durs et rigides; il se produit des œdèmes, de la fièvre et d'autres symptômes qui caractérisent la myositc trichineuse. Une évolution semblable donne certainement lieu à supposer qu'il n'y a qu'un petit nombre de Inchines qui est arrivé dans l'estomac, ou qui y a été retenu; que, par conséquent, le dévetoppement de trichines intestinales et l'émigration de la jeune couvée a peu troublé les fonctions de l'estomac et de l'intestin, mais que la géné- ration et t'émigration répétées des jeunes trichines ont élevé l'affection tri- chineuse des muscles à un très-haut degré. Un fait difficile à interpréter, c'est la transition, quelquefois très-brusque, de la trichinose latente à des formes graves, à moins que cette transition ne dépende de l'arrivée d'une très-nombreuse génération de jeunes trichines dans les muscles respi- ratoires. Un fait offrant un singulier contraste avec ce début latent de la maladie et le manque ahsolu de troubles gastro-intestinaux, c'est l'invasion de violents symptômes intestinaux, qui ont marqué dans d'autres cas le début de la tri- chinose. Les premiers cas de la rameuse épidémie de Hedersleben avaient NIEMEYF.H. H — 52 818 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. été pris pour des cas de choléra, les malades ayant été atteints de vomisse- ments violents, incoercibles et d'une diarrhée profuse. Trois d'entre eux moururent déjà le sixième jour après l'infection, en présentant des symptômes de paralysie et d'épaississemènt du sang. Pour la distinction, souvent si difficile, entre le choléra trichineux et le choléra asiatique, Kratz et Rup- precht attachent une importance particulière à une douleur musculaire^ donnant une sensation de tension et ayant son principal siège dans les fléchisseurs des extrémités, et que les mouvements aussi bien que la pression tendent à exagérer. Le début, du reste assez rare, de la trichinose par des- symptômes cholériformes fait supposer que , dans ces cas, un nombre extrêmement considérable de trichines vivantes est parvenu dans l'estomac, et que, par ce fait, la muqueuse gastro-intestinale a subi une lésion plus forte que dans d'autres cas. Une observation qui vient à l'appui de cette hypothèse, c'est que, jusqu'à présent, des symptômes cholériformes n'ont été observés que dans les empoisonnements par la viande crue. Cependant, l'absence de tout phénomène intestinal, aussi bien qu'une violente attaque de vomissement et de diarrhée, ne s'observe qu'exception- nellement après l'usage de la viande chargée de trichines. La grande majorité des malades éprouvent quelques heures après l'empoisonnement, ou seulement quelques jours après l'éclosion des jeunes trichines, quand elles commencent à percer la paroi de l'estomac et de l'intestin, une forte pression sur l'estomac, des nausées et des vomissements accompagnés de lassitude. Ordinairement, il y a plusieurs Ahurissements, donnant issue à des matières muqueuses et bilieuses. Presque toujours il se développe une diarrhée avec expulsion de matières, d'abord brunâtres, plus tard jaunes et liquides et, chaque fois, précédée de coliques plus ou moins vives. De bonne heure, nous voyons s'ajouter à ces symptômes gastro-intestinaux ceux de la pénétration des trichines dans les muscles sous forme de douleurs vagues, d'une sensation de roideur et d'un œdème particulier de la face, qui est surtout prononcé aux paupières, et auquel la conjonctive prend quelquefois part à son tour, ce qui donne lieu à un chémosis. Bientôt les mouvements des malades deviennent excessivement difficiles, d'une part, parce que leurs muscles deviennent de plus en plus roides et inextensibles, d'autre part, parce que le moindre essai fait pour les tendre est aussitôt suivi des plus vives douleurs. La portion charnue des différents muscles enfle considé- rablement, devient dure et d'une résistance analogue à celle du caoutchouc, comme dans la rigidité cadavérique. D'après la description de Cohnheim, l'attitude si constante et si caractéristique des individus atteints de trichi- nose grave est la suivante : « Décubitus dorsal continuel, avec contracture, à angle aigu, des articulations de l'épaule et du coude, et flexion légère de la main; flexion très-légère ou extension presque complète dans l'articula- tion de la hanche et du genou, de telle sorte que le soulèvement du bras et MALADIE DES TRICHINES, TRICHINOSE. 819 l'extension de F avant-bras d'une part, la position assise et la flexion du genou, d'autre part, deviennent impossibles pour ces pauvres malades. » Cohnheim explique, sans doute avec raison, cette attitude prise par les malades par leur tendance à choisir une position, dans laquelle les différents groupes musculaires éprouvent le moins de tension possible. Avec le gonflement des muscles coïncide un œdème qui s'avance progressivement des bras aux mains et des cuisses aux pieds, mais qui respecte toujours le scrotum ou les grandes lèvres. Aux symptômes décrits jusqu'à présent s'ajoutent assez souvent entre le troisième et le cinquième septénaire de la maladie des accès de dyspnée extrême, qui dépendent sans doute de l'affection trichi- neuse des muscles de la respiration, et qui, ordinairement, se perdent de nouveau dans la sixième semaine. L'affection trichineuse des muscles de la glotte fait perdre la voix à certains malades ; chez quelques-uns l'atteinte des masséters produit le trismus, celle des muscles de la langue et du pha- rynx, une immobilité plus ou moins grande de la langue et la dysphagie. — La trichinose est accompagnée d'une fièvre continue, intense, avec faibles rémissions matinales. Quoique cette fièvre ne dépende d'aucun phénomène zymotique, mais exclusivement de l'inflammation étendue des muscles, et soit à considérer comme une fièvre inflammatoire symptomatique, elle offre, cependant, la plus grande ressemblance avec la fièvre qui s'observe dans le cours du typhus et d'autres maladies infectieuses, et les courbes thermométriques des individus atteints de fièvre typhoïde peuvent souvent à peine être distinguées de celles des individus atteints de trichinose. La température du soir monte quelquefois jusqu'à M0, celle du matin reste toujours un peu plus basse. Très-tard, quelquefois seulement après la sixième ou la septième semaine, la température du corps redevient normale. La fréquence du pouls coïncide avec l'élévation de température et monte, dans les cas graves, jusqu'à 120 ou 140 pulsations à la minute. Une condi- tion jusqu'à un certain point caractéristique pour la fièvre qui accompagne la trichinose, c'est la transpiration abondante, assez souvent accompagnée d'une éruption de vésicules miliaires. L'influence que la fièvre trichineuse, exerce sur l'état général, sur le sensorium et sur les autres fonctions du corps, s'accorde avec celle qu'une forte élévation de la température du corps manifeste également dans d'autres maladies. Le pouls devient petit et faible, la soif ardente, la langue sèche, les malades tombent dans la stupeur ou dans de faibles délires, quelquefois il se produit de petites secousses et un tremblement de quelques petits groupes musculaires ; des eschares se forment au sacrum, et ces phénomènes typhoïdes peuvent complélemcnl épuiser les malades. Lorsqu'une bronchite étendue, des phénomènes hypo- statiques viennent compliquer la maladie, le tableau clinique en est plus ou moins modifié ; cependant, il n'y a guère que les infiltrations pneumoniques, dont on rencontre, à la vérité, d'assez fréquents exemples, qui, indépen- 820 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. damaient des phénomènes objectifs, se trahissent encore par des symptômes subjectifs, tels que douleurs pongitives dans le côté, toux, dyspnée, etc. — Lorsque la maladie doit se terminer heureusement, ce qui, même dans les cas graves, arrive assez souvent, les muscles deviennent peu à peu moins rigides et moins douloureux; la température du corps et la fréquence du pouls diminuent; les sueurs deviennent moins profuses, la soif moins ardente, l'appétit revient; mais les malades amaigris au dernier point gardent encore longtemps le lit et se rétablissent avec une extrême lenteur. Quelquefois il survient pendant la convalescence, comme après d'autres maladies graves, des œdèmes qui ne respectent pas, comme ceux dont il a été question plus haut, le scrotum et les grandes lèvres. § h. Traitement. Prophxjlaxie. Si la viande de porc a été examinée avec soin au microscope et si cet examen n'a fait découvrir aucune trace de trichines, on peut, sans courir aucun danger, la consommer même à l'état cru. Il est hors de doute que si l'on parvenait à introduire une inspection microscopique de la viande, faite par des personnes expérimentées, chargées d'examiner la viande de tous les porcs tués, de nouvelles épidémies de trichines seraient sûrement prévenues. Je crois aussi qu'il ne serait pas du tout difficile de trouver dans les villes aussi bien qu'à la campagne des personnes que l'on pourrait assez instruire par quelques leçons de microscopie et un enseignement théorique populaire pour les mettre à même de distinguer sûrement si la viande sou- mise à leur examen contient des trichines ou non. Mon frère a donné, par son Catéchisme de la trichinose et ses cours pratiques de microscopie, à beaucoup de personnes étrangères à la médecine, une instruction parfaitement suffi- sante pour les mettre à même de découvrir les trichines dans la viande de porc. Néanmoins je me vois forcé de déclarer, contrairement à l'opinion de plusieurs médecins en renom, que je n'hésiterai pas à voir dans l'introduction d'une inspection microscopique obligatoire de la viande aucune garantie contre le retour de nouvelles épidémies de trichinose. En effet, je n'ai pas dans la conscience des personnes auxquelles on pourrait confier, surtout à la campagne, le soin d'examiner la viande au microscope, une confiance assez grande pour croire qu'après avoir recherché inutilement des trichines pen- dant un certain nombre d'années, elles continueront toujours de consacrer les mêmes soins à cet examen. Bien plus, cette inspection officielle, si elle n'est pas faite aussi scrupuleusement que possible, sera plus dangereuse qu'utile, à raison même de la confiance qu'elle inspirera aux populations qui croiront pouvoir manger impunément de la viande de porc crue. La seule garantie absolue contre l'empoisonnement par les trichines est de MALADIE DES TRICHINES, TRICHINOSE. 821 s'abstenir de manger toute viande de porc n'ayant pas subi une de ces pré- parations dont on peut être sûr qu'elles tuent infailliblement les trichines que cette viande a pu renfermer. Toute personne qui veut manger du lard fumé, du jambon cru fumé, du saucisson fumé, etc., doit se procurer aupa- ravant la certitude que l'animal d'où proviennent ces produits n'était pas infecté de trichines. Je recommande à mes élèves de tenir leurs clients en garde contre l'usage de tout mets composé de viande de porc et signalé comme dangereux au § 1, même dans les localités où l'inspection de Ta viande est établie. Traitement de la maladie. D'après ce que nous avons dit au paragraphe. 1 de la force de résistance vitale que possèdent les trichines musculaires, il n'y a guère lieu d'espérer qu'on finisse par trouver un moyen capable de tuer les trichines immigrées dans les muscles, sans faire courir de danger à l'homme qui en est infecté. Le conseil donné par Friedreich d'employer contre la trichinose le picro-nitrate de potasse, ce sel si amer qui traverse, il est vrai, tous les tissus du corps, mais dont l'action anthelminthique est encore assez contestée, n'a pas reçu la sanction de la pratique. De même, il est fort douteux que la benzine préconisée par Mosler ait une action quel- conque sur les trichines musculaires. Il est bien plutôt permis d'espérer qu'on finira par trouver un moyen qui tue les trichines intestinales ou les chasse, de l'intestin. Cette indication existe, non-seulement dans les cas très-récents, mais encore dans les périodes ultérieures de la maladie, attendu qu'il a été constaté que, même après des semaines, on peut encore rencontrer dans l'intestin des trichines vivantes, remplies d'embryons, et que, par consé- quent, il est à supposer que, même au bout de ce temps, il peut encore se faire de nouvelles immigrations de trichines dans le tissu musculaire. Même en cas de diarrhée, on n'hésitera pas de commencer le traitement par quelques doses de calomel, médicament conseillé par Rupprecht, ou par quelques cuillerées d'huile de ricin et de revenir au besoin un certain nom- bre de fois sur l'administration de ce remède. D'un autre côté, il ne nie semble nullement démontré que la benzine que Mosler prescrit en capsules de gélatine, à la dose de h à 8 grammes par jour, soit inefficace contre les trichines intestinales, et que, par conséquent, il faille renoncer à des essais ultérieurs avec ce remède. Pour le reste, le traitement doit être symptoma- tique. Contre la fièvre, on prescrira la quinine, contre une prostration exa- gérée des excitants, contre l'anémie que la maladie laisse à sa suite, les préparations ferrugineuses. Le moyen le plus efficace contre le gonflement douloureux des muscles consiste, d'après Mosler, dans l'usage de bains chauds prolongés. DEUXIÈME SECTION MALADIES INFECTIEUSES CHRONIQUES CHAPITRE PREMIER Syphilis. La doctrine des affections syphilitiques a éprouvé dans ces derniers temps une révolution complète, et les opinions nouvelles ont été acceptées avec une étonnante rapidité par tous les syphiliographes en renom, sans en excepter même ceux qui en étaient, il y a quelques années encore, les ad- versaires déclarés. Dans les précédentes éditions de ce livre, j'ai bien fait ressortir l'invraisemblance de l'ancienne doctrine, d'après laquelle ce serait la contagion par un seul et même virus syphilitique qui tantôt ne provoque- rait qu'une affection locale, tantôt, indépendamment de celle-ci, une infec- tion et une maladie de tout l'organisme, et j'ai penché pour la nouvelle doctrine qui fait remonter la différence des effets à une différence des causes et admet l'existence de deux virus, dont l'un ne provoque jamais qu'une affection locale, à savoir un ulcère qui se développe à l'endroit même sur lequel a porté son action et quelquefois une inflammation et une fonte suppurée des ganglions lymphatiques voisins, tandis que l'autre entraîne constamment, outre la lésion locale, une affection constitutionnelle et des troubles étendus de la nutrition. Mais, à cette époque, je ne m'étais pas rallié aussi franchement qu'aujourd'hui à cette doctrine du « dualisme » du virus syphilitique, pour me servir de l'expression généralement acceptée aujourd'hui. Je crois qu'il serait dans l'intérêt de mes lecteurs de leur exposer en peu de mots les idées qui, jusque dans ces derniers temps, ont eu généralement «ours sur le rapport que l'on croyait exister entre le chancre ou ulcère syphilitique primitif et la syphilis constitutionnelle ou vérole. On supposait le produit de sécrétion d'un chancre doué de propriétés virulentes par les- quelles, arrivant sur une place dénudée de la peau ou pénétrant à travers une mince couche épidermique, il provoquerait au point d'application une SYPHILIS. 823 «dermatite spécifique et un ulcère syphilitique primitif ou chancre mou. Dans heaucoup de cas, l'influence fâcheuse du virus serait ainsi épuisée. Si l'on parvenait surtout à détruire ou à guérir l'ulcère avant qu'il eût produit un empoisonnement du corps entier, la maladie pouvait rester locale; mais •si cet essai échouait, le mal local, primitif, entraînait, par l'infection de toute l'économie, qui en était le résultat, une série de. troubles nutritifs à •des endroits éloignés, autrement dit des affections syphilitiques secondaires et ■tertiaires. S'il se produisait une induration sur le bord ou la base de l'ulcère primitif, c'était un signe de mauvais augure, parce que c'était une preuve presque certaine d'une infection prochaine ou déjà accomplie de l'organisme. •On conçoit facilement, d'après cela, qu'on ait généralement cherché à dé- truire les ulcères récents, non encore indurés, par des caustiques éner- giques, et que, par contre, on ait opposé aux ulcères anciens et indurés des remèdes antidyscrasiques, surtout le mercure, qui était presque universelle- ment considéré comme l'antidote du virus syphilitique. Enfin, la plupart des syphiliologues admettaient avec Ricord que la syphilis ne pouvait être propagée que par des affections primitives, c'est-à-dire des chancres, ou, en d'autres ternies, que la sécrétion du chancre était l'unique véhicule du con- tagium syphilitique et que ce dernier n'était renfermé ni dans les produits ■de sécrétion des affections secondaires, ni dans le sang, ni dans les sécré- tions normales des individus atteints de syphilis, opinion qui n'a jamais été partagée, il est vrai, bien franchement par le commun des médecins. Nous nous laisserions entraîner trop loin, si nous allions suivre les vicissitudes de •cette doctrine et faire voir comment chacune de ces propositions a été ■d'abord mise en doute, puis renversée, jusqu^à ce que l'on eût fini par reconnaître que toute la doctrine reposait sur des erreurs ou sur des faits mal interprétés. Dans l'exposé de la doctrine nouvelle, nous signalerons brièvement quelques-unes de ces interprétations erronées. Dans ce chapitre, nous décrirons premièrement le chancre et le chancre ganglionnaire ou bubon aigu. Ensuite nous ferons l'histoire de la. syphilis con- stitutionnelle, dont nous voyons la première manifestation dans l'induration syphilitique primitive et l'ulcère syphilitique primitif. Quant à ce dernier, nous ne lui donnerons plus désormais le nom de chancre, nous conformant en cela à l'usage établi par la plupart des auteurs modernes1. 1 On aurait, à la rigueur, le droit do séparer le chancre, pris dans le sens que nous venons d'indiquer, complètement de la syphilis et de le décrire, par exemple, à côté de la blennorrhagie, parmi les maladies des organes génitaux; mais quoique plus vraie en théorie, cette séparation ne me parait pas utile en pratique, ne serait-ce qu'à cause de la coïncidence si fréquente du chancre et de l'induration syphilitique. 824 xMALADIES CONSTITUTIONNELLES. A. — LE CHANCRE La lésion que nous appelons chancre porte aussi le nom de chancre mou, en opposition avec l'ulcère syphilitique primitif, autrement dit le chancre dur ou induré ; quelques auteurs l'appellent chancroïde et conservent le nom de chancre pour l'ulcère syphilitique primitif. Enfin quelques syphilio- graphes appellent le chancre ulcère virulent, et l'ulcère syphilitique primi- tif, ulcère infectieux. Il est fort à désirer que l'on tombe le plus tôt possible d'accord sur l'appellation des deux maladies, pour faire cesser les malen- tendus occasionnés par ces différences de nomenclature. § 1. Patiiogénie et étiologie. Nous ne nous occuperons pas de la question insoluble de l'origine pre- mière du virus chancreux; ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui ce virus ne prend jamais un développement autochthone et que, pour contracter un chancre, il faut, de nos jours, être infecté par le virus chancreux. Le chan- cre doit donc être compté parmi les maladies purement contagieuses, et nous sommes parfaitement en droit de nous servir de la dénomination de contagiuui chancreux, au lieu de celle de virus chancreux. Le contagium chancreux n'est pas volatil comme le contagium morbilleux, variolique ou scarlatinique, au point de pénétrer dans l'atmosphère des ma- lades et d'infecter les individus qui séjournent dans cette atmosphère, mais il est fixe et lié à la sécrétion des ulcères chancreux et des chancres gan- glionnaires ou bubons. Dans ces véhicules, le virus ne se laisse découvrir ni parle microscope, ni par l'analyse chimique. Le pus qui couvre un ulcère chancreux ou qui forme le contenu d'un chancre ganglionnaire aies mêmes propriétés morphologiques et chimiques que la sécrétion purulente d'autres ulcères ou le contenu purulent d'autres abcès ganglionnaires. La. prédisposition au chancre est très-répandue, peut-être plus répandue que la prédisposition à n'importe quelle autre maladie. Ni l'âge, ni le sexe> ni la constitution ne semblent exercer la moindre influence sur le plus ou moins de réceptivité pour le virus chancreux. Si les individus arrivés à la fleur de l'âge contractent le chancre plus souvent que les enfants et les vieil- lards, les hommes plus souvent que les femmes, les personnes saines et robustes plus souvent que les personnes malades et faibles, cela provient uniquement de ce que les premiers s'exposent plus que les derniers au dan- ger de la contagion et nullement d'une prédisposition plus marquée chez les uns que chez les autres. Les individus dont l'épiderme est mince sont SYPHILIS. S25 atteints plus facilement que d'autres, sans doute, parce qu'une cause plus légère suffît pour produire dans cet épidémie une solution de continuité qui permet au virus d'agir directement sur le derme. Les résultats de la syphili- sation, c'est-à-dire de la production d'ulcères chancreux multiples par voie d'inoculation, semblent prouver que la transmission souvent répétée du pus chancreux en épuise l'action contagieuse. La cause infiniment la plus fréquente de la transmission du chancre, c'est le coït avec un individu atteint de cette affection. Il est vrai que la conta- gion peut aussi se faire par des baisers, par des attouchements, par la fré- quentation de lieux d'aisance, par des pipes, des verres à boire et d'autres objets imprégnés de virus chancreux; il peut arriver aussi que des médecins et des sages-femmes contractent un chancre parle toucher vaginal ou, réci- proquement, le communiquent par cette voie ; mais toutes ces causes occa- sionnelles du chancre et d'autres plus ou moins analogues, quoiqu'à tout instant prétextées par les malades, sont infiniment rares, comparativement à la contagion par un coït impur. Une excoriation de l'épidémie ou del'épi- I hélium, se produisant pendant le coït aux endroits des parties génitales mises en contact avec le virus, favorise, il est vrai, la transmission ; mais rien ne prouve qu'une lésion de ce genre soit absolument nécessaire pour que la transmission soit possible. Au contraire, il n'est pas rare du tout qu'il se produise des chancres à des endroits des parties génitales où Tonne découvre après le coït aucune solution de continuité de l'épidémie, malgré les recher- ches les plus minutieuses. Encore à d'autres endroits revêtus d'un épidémie mince tels que les lèvres, les mamelons, le chancre paraît pouvoir se com- muniquer sans lésion de l'épidémie, tandis qu'aux mains et à d'autres endroits, couverts d'une couche épaisse, le contact du virus reste sans effet, lorsqu'il n'existe pas de lésion. D'après cela, le siège le plus fréquent du chancre sont les parties génitales ; bien plus rarement la maladie, occupe l'anus, l'espace compris entre les mamelles, la bouche, les mains. § 2. Symptômes et marche; La durée de l'incubation du virus chancreux est excessivement courte d'après l'avis unanime de tous les observateurs. Hicord a même prétendu qu'il n'y avait pas d'incubation du tout, qu'il se produisait, au contraire, des modifications au lieu d'application du virus immédiatement après son contact avec la peau de l'individu contaminé, cl que ces modifications pas- saient le plus souvent inaperçues uniquement à cause de leur peu d'intensité. Marche duchancre inoculé. Si l'on fait pénétrer le produit de sécrétion d'un chancre sous l'épidémie, à l'aide d'une [(onction faite avec la lancette, on ne remarque aucune modification au lieu d'inoculation pendant les pre- 826 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. mières vingt-quatre heures. Au bout d'environ trente-six heures, on observe une faible rougeur, et, au bout de quarante-huit heures, une tache très- apparente d'un rouge clair. Dans le cours de la troisième journée la tache s'élève en papule et, le quatrième jour déjà, l'épidémie se soulève et donne ainsi lieu à une petite vésicule entourée d'une auréole rouge. Pendant les jours suivants, le contenu de cette vésicule devient jaune et puriforme, de sorte que la vésicule se transforme en une pustule dont la paroi supérieure est rompue par le liquide entre le cinquième et le huitième jour, ou se des- sèche avec ce liquide, en croûte solide. Après la rupture de la paroi ou l'élimination de la croûte, on remarque un ulcère dont la grandeur varie entre celle d'une tête d'épingle et celle d'une lentille; cet ulcère est presque circulaire et pénètre très-profondément dans le derme; le bord de l'ulcère paraît en quelque sorte resserré par un œdème inflammatoire qui l'entoure. Pendant les jours suivants, l'ulcère s'agrandit en môme temps que ses bords et son fond sont envahis par un processus diphthéritique. L'aspect grisâtre, lardacé du fond de l'ulcère dépend de la destruction des éléments du tissu, qui se sont réduits en détritus. La fonte dyphthéritique se faisant d'une ma- nière irrégulière à la périphérie, l'ulcère prend une forme en quelque sorte rongée et déchiquetée. Si l'on détruit, pendant les quatre premiers jours, l'endroit où siège le chancre inoculé par l'application d'un caustique, on parvient en général à couper le processus destructeur provoqué par te virus chancreux; le quatrième jour écoulé, on n'arrive généralement plus à ce résultat. Le chancre contracté accidentellement procède soit d'une tache ou d'une pa- pule, sur laquelle l'épidémie s'exfolie à plusieurs reprises jusqu'à production d'une excoriation ou d'une perte de substance, soit d'une vésicule ou pustule qui se rompt, soit enfin, ce qui arrive le plus seuvent, d'une petite excoria- tion ou crevasse infectée, dont les bords ne s'unissent pas, mais se couvrent d'un exsudât grisâtre. L'ulcère produit de cette manière est loin de présenter toujours des propriétés assez caractéristiques pour qu'on ne puisse pas le confondre avec d'autres ulcères. Dans les cas douteux, il est donc fort utile d'inoculer le produit de sécrétion de l'ulcère sur la cuisse de l'individu qui en est atteint et de couvrir les deux ou trois petites plaies ainsi produites avec un verre à montre fixé à l'aide de bandelettes de sparadrap. Nous ver- rons, en effet, plus tard que l'inoculation faite avec la sécrétion d'ulcères syphilitiques ne donne aucun résultat chez les individus atteints d'ulcères de cette espèce. Lorsque, au contraire, l'inoculation est suivie d'un résultat et qu'à son siège on voit apparaître les modifications décrites plus haut, on ne peut plus douter de l'existence d'un chancre. Mous allons décrire en peu de mots les formes les plus communes des ulcères chancreux simples, non compliqués, et nous nous réservons d'insister plus tard, quand nous aurons exposé la marche des ulcères syphilitiques SYPHILIS. 827 primitifs, sur les modifications de l'ulcère çhancreux dues à la complication •de cet ulcère par une induration syphilitique. Chancre vulgaire (diphthéritique). Cette forme est caractérisée par le bord déchiqueté, taillé à pic, et le fond lardacé. On dirait que la perte de substance a été enlevée à l'emporte-pièce. Chez les hommes, le feuillet extérieur du prépuce et la peau qui recouvre la verge sont plus rarement le siège de l'ulcère que le feuillet intérieur du prépuce, le gland, l'endroit où le prépuce s'attache au gland et surtout le frein ; si le chancre occupe le frein il se développe presque toujours des ulcères profonds, difficiles à guérir. et des perforations du frein. Si l'ulcère occupe l'endroit où le prépuce se réfléchit sur le gland, il s'étend facilement, par inoculation spontanée, à une grande partie de la couronne du gland. Si l'ulcère devient profond en cet endroit, le tissu sous-cutané lâche s'infiltre quelquefois du produit de sécrétion du chancre et il se produit un abcès virulent. Si le chancre occupe le gland, il pénètre en général plus profondément que lorsqu'il occupe le prépuce ; cependant des perforations, allant jusque dans l'urèthre et donnant lieu à des fistules uréthrales, sont assez rares. Le chancre uréthral n'est pas très- fréquent ; ordinairement il commence déjà au méat urinaire, dont les lèvres gonflées et d'un rouge foncé laissent apercevoir une petite perte de substance s' élargissant de dehors en dedans. Dans d'autre cas, le chancre uréthral est situé plus profondément et ne se trahit que par un écoulement purulent et par des douleurs qui se font sentir à un endroit déterminé de ce canal et qui augmentent pendant la miction et sous une pression extérieure. Lorsque le chancre, complètement caché dans l'urèthre, n'est pas compliqué par une chaudepisse, il est facile de le reconnaître à raison de la petite quantité de pus qui s'écoule de l'urèthre et qui empêche toute confusion avec la blennorrhagïe; mais pour avoir un diagnostic certain, il faut inoculer le produit de sécrétion et s'assurer si cette inoculation est suivie d'un résul- tat. Si, au contraire, la muqueuse uréthrale est en même temps le siège d'une blennorrhagïe, le chancre passe à peu près toujours inaperçu, parce que l'écoulement abondant et l'absence d'autres phénomènes remarquables sont cause que l'inoculation est presque constamment négligée. Chez les femmes, le siège le plus ordinaire du chancre vulgaire est la vulve, surtout la commissure postérieure et l'entrée du vagin ; il est extrêmement rare qu'on l'observe dans l'intérieur même du vagin et au col de l'utérus. Lorsque le chancre vulgaire se dispose à guérir, la formation du détritus cesse à sa base, l'aspect lardacé de cette dernière disparait, le chancre, comme on a l'habitude de le dire, se nettoie, et à la base et sur les bords de l'ulcère il se développe des granulations qui finissent par combler la perte de substance. Selon son étendue et sa profondeur, le chancre laisse à sa suite une cica- trice rayonnée plus ou moins apparente. Le moment où la guérison com- mence à s'opérer est extrêmement variable. Il y a des chancres qui, au 828 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. bout de huit à quinze jours, commencent déjà à se nettoyer, se couvrent de granulations et se transforment en ulcères simples, ne sécrétant plus de pus inoculable, tandis que d'autres s'agrandissent pendant plusieurs mois consécutifs, conservent leur aspect caractéristique, c'est-à-dire des bords déchiquetés et un fond lardacé, et sécrètent un pus inoculable. Le chancre superficiel s'observe chez l'homme le plus souvent au gland et au prépuce, chez la femme entre les grandes et les petites lèvres, à l'entrée du vagin, au col de l'utérus, et chez les deux sexes sur la peau extérieure. Lorsqu'il occupe le gland, on trouve ordinairement à la face interne du prépuce un chancre qui semble exactement moulé sur le chancre du gland. La forme de l'ulcère est irrégulière, l'aspect de sa surface est tel que la couche épithélialc paraît comme enlevée par une brûlure à l'eau chaude. A la périphérie, on trouve un liséré blanc. Jamais la destruction n'avance en profondeur. Lorsque le chancre superficiel occupe l'ouverture du pré- puce, il se forme dans les plis de ce dernier des crevasses qui occasionnent de fortes douleurs quand on veut tirer ce repli en arrière pour découvrir le gland. Très-souvent le chancre superficiel entraîne un phimosis et un para- phimosis. Dans le premier cas, il n'y a guère que l'inoculation qui permette de le distinguer de la balanite. — Lorsque le chancre superficiel occupe la peau extérieure, la sécrétion rare qui couvre l'endroit excorié se dessèche en une croûte mince, et ce n'est qu'après avoir enlevé cette croûte par un pansement approprié que l'on découvre une piaie jaune rougeàtre, excoriée et couverte d'une sécrétion rare. Le chancre folliculaire se développe dans un follicule sébacé, il a une très- petite surface et une grande profondeur. Il conserve très-longtemps sa forme régulièrement arrondie. Le chancre phagédénique procède ordinairement du chancre vulgaire. 11 sécrète un liquide ténu, ichoreux, très-fétide, se distingue par une forme irrégulière, un fond inégal, gris blanc ou verdàtre, composé de tissu mortifié et d'infiltrat, par des bords déchiquetés et livides, est entouré d'une auréole d'un rouge cuivré, envahit rapidement le tissu circonvoisin et détruit, chez les hommes, quelquefois dans une vaste étendue, le prépuce, le gland, la peau de la verge, le scrotum, chez les femmes, les grandes lèvres, le périnée, le pourtour de l'anus. Le chancre phagédénique ne s'observe que chez les individus épuisés et cachectiques, et perd son caractère malin lorsque la constitution devient meilleure. Dans ces cas, la destruction se limite, la fausse membrane qui couvre le fond de l'ulcère s'élimine, il se forme des granulations saines, et l'ulcère rongeant, de mauvaise nature, est ainsi transformé en ulcère simple, avec tendance à la cicatrisation. Si l'on n'a pas soin de relever la constitution du malade, ou si on la détériore davantage par des influences nuisibles, surtout par l'emploi du mercure, le processus SYPHILIS. 829 destructeur fait des progrès incessants et finit par se compliquer d'une fièvre lente, qui consume le malade. Le chancre gangreneux représente tantôt une modification du chancre phagédénique, tantôt il procède d'un chancre vulgaire ; alors, le fond et le pourtour de l'une ou de l'autre forme ulcéreuse se transforment en une eschare insensible, humide, d'une couleur plombée et plus tard noire. Tout autour de la partie gangrenée, on trouve nn cercle d'un rouge foncé et plus loin un œdème considérable. Par l'envahissement de la gangrène une grande partie du pénis ou des grandes lèvres et du périnée peut être détruite, et par la grave atteinte de l'état général qui accompagne la destruction gan- greneuse, la vie du malade peut être mise en danger. Dans d'autres cas, cette destruction gangreneuse se limite plus tôt; il se forme une ligne de démarcation, les parties mortifiées sont éliminées, et le processus guérit en laissant à sa suite une perte de substance plus ou moins considérable. Les causes de la destruction gangreneuse des ulcères chancreux sont assez ob- scures. A certaines époques, sous l'influence de causes inconnues, les chancres gangreneux s'observent beaucoup plus souvent qu'à d'autres. Cependant, dans beaucoup de cas, on peut citer comme causes de la gangrène, soit des conditions mécaniques, telles que tiraillement et tension des parties enflam- mées, surtout en cas de complication par le phimosis ou le paraphimosis, soit des conditions chimiques, telles que la décomposition de produits de sé- crétion accumulés, venant irriter les ulcères. § 3. Traitement. A mesure que l'on s'est pénétré davantage de cette conviction, que jamais le chancre n'entraîne à sa suite la syphilis constitutionnelle, l'abus qui con- sistait à prescrire des préparations mercurielles aux individus atteints d'ul- cères chancreux, est devenu de plus en plus rare. Les progrès de la science ont conduit promptement, s'ous ce rapport, à des résultats pratiques, dont on ne saurait assez apprécier la valeur. 11 suffira pour cela de se rappeler que, jusque dans ces dernières années, au moins la moitié des médecins, partant -de la supposition erronée qu'il fallait prévenir la syphilis constitutionnelle et empêcher l'induration de l'ulcère, soumettaient indistinctement tous les individus atteints d'ulcères chancreux à des traitements mereuriels systé- matiquement conduits, et détruisaient trop souvent la santé de leurs malades par un poison si hostile à l'organisme. Un médecin qui, aujourd'hui encore, voudrait prescrire un traitement mercuricl à un malade atteint d'un chancre simple, commettrait une lourde faute. — D'un autre côté, je crois (pie l'on aurait tort de se borner, pour le traitement du chancre, à une cure exclusi- vement locale. Le chancre guérit d'autant plus vite qu'on place les individus 830 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. qui en sont atteints dans des conditions hygiéniques plus favorables el qu'on? les met plus soigneusement à L'abri de toute cause morbifique pendant la durée de la maladie. Lorsque les circonstances le permettent, on fait bien de faire garder aux malades la chambre, ou de leur défendre au moins les courses inutiles. Comme, en outre, la plupart des individus atteints de cette affection sont jeunes et robustes, ayant plus ou moins l'habitude de bien vivre, de boire du vin, etc., on fait bien de leur prescrire un régime sévère (soupe à l'eau, soir et matin, bouillon et un peu de viande à midi), de leur défendre le café, le vin, la bière et autres spiritueux et de leur administrer de petites doses d'un sel purgatif, par exemple, un ou deux verres d'eau de Friedrichshall ou de Pullna, le matin à jeun. Si, sous l'influence de ce trai- tement, le chancre guérit en général beaucoup plus vite que lorsqu'on né- glige de sévères prescriptions hygiéniques, cela tient principalement, comme nous l'avons dit plus haut, à l'individualité et à la manière de vivre de la plupart des personnes qui se sont exposées à la contagion par le virus chan- creux; mais ces prescriptions ne conviennent nullement et peuvent, au contraire, être nuisibles et retarder la guérison, si on les fait à des individus mal nourris et cachectiques; à ces derniers, il convient, au contraire, d'or- donner un régime fortifiant et de leur permettre un peu de vin ou de bière, si l'on veut exercer une influence favorable sur la guérison du chancre. — ■ Le traitement local du chancre doit être dirigé selon les principes admis poul- ie traitement des ulcères atoniques, dont le prototype est l'ulcère chancreux. Jusqu'au quatrième ou au septième jour, il convient de détruire l'ulcère par un caustique. Ceux qui remplissent le mieux ce but, sont la potasse caustique fondue, la pâte de Vienne (cinq parties de chaux vive sur six parties de po- tasse caustique), ou bien le chlorure de zinc, qui produit une oschare sèche. (Pr. chlorure de zinc, beurre d'antimoine, ana huit grammes, faire avec poudre de guimauve une pâte molle.) Après le septième jour, on ne doit plus cautériser, parce qu'alors la cautérisation retarde la guérison plutôt que de l'avancer. En général, on ne doit pas se servir de pommades; on pansera les ulcères avec une infusion de camomille chaude ou un liquide légèrement irritant. Le plus souvent, on emploie pour pansement le vin aromatique, l'eau phagédénique noire (calomel 2 grammes, eau de chaux 60 grammes), l'eau phagédénique jaune (sublimé 5 centigrammes, eau de chaux 60 grammes). Un moyen fort à recommander, consiste dans la solution de sulfate de cuivre, presque exclusivement employée par Bgerensprung (1 0 centigrammes sur 60 grammes d'eau). Si le chancre est très-douloureux et s'il sécrète beaucoup, il faut appliquer des compresses d'eau blanche et faire prendre des bains de siège froids. — En général, il suffit de renouveler le pansement deux fois par jour, après avoir auparavant lavé l'ulcère ou em- ployé un bain local d'infusion de camomille chaude. Un renouvellement trop fréquent du pansement est nuisible. — Si, pendant remploi de ce trai- SYPHILIS. 83i tement, le fond de l'ulcère conserve un aspect lardacé, on fait bien de le. saupoudrer de temps à autre avec un peu de pondre de précipité rouge. Si l'ulcère a perdu ses propriétés spécifiques, et si, malgré cela, sa guérison est retardée, on peut le toucher légèrement avec le crayon de nitrate d'ar- gent et le panser avec une solulion de sulfate de zinc ou d'acétate de plomb. Si le filet de la verge est perforé, il faut fendre de bonne heure le pont qui reste. Si le pansement du chancre est empêché par un phimosis, il faut faire régulièrement des injections sous le prépuce, pour éloigner la sécré- tion qui tend à s'y accumuler. Quelquefois même, on peut être forcé de recourir à l'opération du phimosis, qui, cependant, ne doit être faite qu'en cas d'extrême nécessité, parce que ordinairement, toute la surface de section se transforme en un ulcère chancreuv. Dans le traitement du chancre phogédéniquc, il faut avant tout se préoccu- per de l'état général. Au lieu d'un traitement débilitant, il faut avoir recours ici à une méthode roboiante : ainsi on ordonnera un régime nourrissant, et souvent du vin, du quinquina, des préparations ferrugineuses. En même temps, on tiendra la plaie aussi propre que possible. Comme topiques, on fait bien d'employer des compresses de sous-acélate de plomb étendu ou d'une solution de chlorure de chaux (15 à 30 grammes sur 180 grammes d'eau). Pour le traitement du chancre gangreneux, les règles sont à peu près les mêmes, et l'on aura soin de se conformer aux préceptes indiqués dans les traités de chirurgie pour le traitement de la gangrène. 832 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. APPENDICE LE CHANCRE GANGLIONNAIRE OU BUBON VIRULENT AIGU § 1. Pathogénie et ktiologie. Nous avons vu que le virus, quoique nous ne puissions pas l'isoler, est sûrement contenu dans le produit de sécrétion du chancre, que, de là, il se laisse transporter à d'autres endroits du corps, pour provoquer à son lieu d'application une inflammation et une ulcération; mais ce même virus peut aussi très-souvent être résorbé par les vaisseaux lymphatiques, qui le con- duisent aux ganglions lymphatiques voisins où il provoque également une inflammation et une ulcération spécifiques. On appelle bubon aigu, virulent, ou mieux chancre ganglionnaire, un ganglion ainsi enflammé et suppuré à la suite de la résorption du virus chancreux. Les ulcères chancreux n'en- traînent pas tous avec une égale facilité cette adénite virulente : ce sont les chancres du frein qui en sont compliqués le plus souvent. Le manque de propreté et un traitement trop irritant paraissent favoriser la résorption du virus et la production de chancres ganglionnaires. Dans quelques cas assez rares, à la vérité, il parait que le virus chancreux, après avoir pénétré à travers 1'épiderme sur le derme, ne provoque aucun trouble de la nutrition à son lieu d'application, mais que, ensuite résorbé par un vaisseau lympha- tique et conduit dans un ganglion voisin, il y détermine une inflammation et une ulcération spécifiques. Un bubon de ce genre qui n'a pas été précédé d'un ulcère chancreux, porte le nom de bubon d'emblée. § 2. Symptômes et marche. L'adénite virulente se développe le plus souvent dans le cours du second, du troisième ou du quatrième septénaire, plus rarement dans le cours du cinquième et du sixième, et quelquefois déjà dans les premiers jours qui suivent la naissance du chancre. Le premier symptôme de cette complica- tion, si pénible, consiste en une sensation douloureuse occupant un endroil circonscrit, peu éloigné des parties génitales, dans le pli de l'aine. En exami- nant le malade, on remarque en cet endroit une petite tumeur très-sensible à la pression même la plus légère, et qui correspond à un ganglion inguinal plus ou moins augmenté de volume. La douleur fort vive, comparativemenl au faible gonflement, la situation de la tumeur fort rapprochée des parties génitales, enfin cette circonstance que toujours le gonflement ne s'empare SYPHILIS. 833 que d'un seul ou de très-peu de ganglions à la lois, jamais d'un grand nombre : tels sont les signes qui permettent de reconnaître de bonne heure que l'on se trouve en présence d'un bubon virulent aigu, et non d'un de ces bubons dits consensuels, ni d'un gonflement ganglionnaire syphilitique, comme nous apprendrons à le connaître plus tard. La marche ultérieure du bubon aigu varie. Il est très-rare que l'inflammation entre en résolution; dans ces cas, le gonflement et la douleur se dissipent peu à peu dans le ganglion malade. Il est à supposer qu'alors l'inflammation seule s'est étendue de l'en- droit atteint des parties génitales jusqu'aux ganglions lymphatiques, en sui- vant le trajet des vaisseaux lymphatiques, et, sans que le virus lui-même ait suivi cette voie, en d'autres termes, qu'on se trouve en présence d'un bubon consensuel. Même en cas d'ulcération bénigne, non virulente de la peau, il n'est pas rare que l'on observe le processus que nous venons de décrire, c'est-à-dire l'extension d'une inflammation aux ganglions voisins, par l'inter- médiaire des vaisseaux lymphatiques. — Il arrive infiniment plus souvent et probablement toujours, en cas de bubons virulents, qu'il se forme du pus dans le ganglion lymphatique enflammé. Ce pus rompt, dans les cas bénins, de bonne heure l'enveloppe de la glande ainsi que la peau qui la recouvre et qui est devenue adhérente. Mais, dans d'autres cas, le tissu conjonctif envi- ronnant devient, dans une grande étendue, le siège d'une infiltration inflam- matoire. La tumeur atteint un volume considérable et ne se laisse plus déplacer. La marche devient très-pénible pour les malades. On s'aperçoit qu'ils ménagent la jambe du côté atteint, quelle que soit la peine qu'ils se donnent pour s'en cacher. Chez les individus prédisposés à la fièvre, il s'y ajoute une élévation de température, une accélération du pouls, une pertur- bation de l'état général et d'autres symptômes fébriles. Ainsi, il se passe un temps assez long avant que la peau rougisse et que la fluctuation se fasse sentir dans une faible étendue. Si l'on fait à cet endroit une ponction, ou bien si le pus s'écoule spontanément, après que la peau est devenue d'un rouge foncé et s'est de plus en plus amincie, la tumeur, qui a souvent le volume du poing et qui a pris une forme irrégulièrement bosselée, ne s'affaisse qu'en partie. Plus tard, la fluctuation et la perforation se font éga- lement sur d'autres points de la tumeur; mais il se passe des semaines et des mois avant que cetle dernière diminue de volume, malgré le grand nombre d'abcès développés dans son intérieur. La marche du bubon aigu est tout aussi longue et opiniâtre, lorsque le pus du ganglion enflammé s'est déversé dans les tissus environnants et y a produit des fusées et des clapiers, ou bien lorsque le pus accumulé dans le ganglion ne rompt son enveloppe que tar- divement, quand l'inflammation plilegmoneuse du tissu circonvoisin est déjà entrée en suppuration à plusieurs endroits. Après la rupture du ganglion enflammé et l'évacuation du pus qu'il renferme, l'ulcère qui reste se com- porte comme un chancre et fournit un produit de sécrétion inoculable. Il a NIEMEYER. il — 53 834 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. des bords irréguliers d'un rouge bleu, ordinairement un peu décollés, un fond lardacé et ne se montre que très-tard disposé à guérir. Le chancre qui a eu pour point de départ un bubon suppuré peut même affecter les carac- tères du chancre phagédénique ou gangreneux et conduire, dans ces cas, à des destructions étendues, à l'ulcération des vaisseaux fémoraux, à la péri- tonite. § 3. Traitement. Lorsqu'une adénite virulente s'ajoute à un chancre ou bien lorsqu'elle se produit sans que l'on aperçoive un ulcère chancreux, il y a si peu* d'espoir que l'inflammation de la glande n'entre pas en suppuration, qu'on fait bien de s'épargner à soi-même aussi bien qu'au malade la prescription de sang- sues, de frictions mercurielles, l'application d'un appareil compressif et d'autres mesures thérapeutiques, destinées à faire entrer le bubon en réso- lution. Je fais couvrir un bubon aigu avec un emplâtre simple, ordinaire- ment avec l'emplâtre de minium camphré ou emplâtre de Nuremberg, et je fixe l'emplâtre par un spica de l'aine. Dans quelques cas, le bubon se résout sous l'influnce de ce traitement aussi bien que sous l'influence de ceux que nous venons de citer; dans d'autres cas, il passe à la suppuration sans que les malades soient fortement incommodés. Si, à un endroit qui, mani- festement, correspond à la glande elle-même, il se produit de bonne heure une fluctuation, je vide immédiatement le pus par une ou plusieurs ponctions; si, au contraire, le tissu conjonctif qui environne la glande est déjà le siège d'une inflammation phlegmoneuse et si la fluctuation se mani- feste à un endroit qui correspond évidemment à un abcès phlegmoneux et non à la glande suppurée elle-même, je ne m'empresse pas d'ouvrir l'abcès et je préfère attendre que les parties qui entourent l'endroit ramolli entrent en suppuration à leur tour ou que leur dureté ait disparu sous la pression du pus. Lorsque ce résultat est atteint et que la peau qui couvre l'endroit fluc- tuant est considérablement amincie, je transforme toute la paroi supérieure de l'abcès en une eschare par des badigeonnages longtemps continués avec de la potasse caustique. En employant ce procédé, que j'ai appris à connaître à l'hôpital de Hambourg, il faut préserver les parties voisines du contact de la potasse qui se liquéfie pendant l'application; ce procédé est à la vérité fort douloureux, mais il offre le grand avantage qu'il ne se forme pas de fusées purulentes ni de décollement des bords, et que, dès le lendemain de l'élimi- nation de la paroi supérieure, le fond de l'abcès présente l'aspect d'un ulcère bien préparé pour la guérison. Sous l'influence de ce traitement, la guérison s'obtient, d'après mon expérience, en beaucoup moins de temps que si l'on fait une nouvelle ponction à chaque endroit où une nouvelle fluctuation se fait sentir, qu'on divise avec le scalpel les fusées purulentes qui se produisent SYPHILIS. 835 ■et qu'on excise les bords décollés. Dans ces derniers temps, j'ai employé plu- sieurs fois, avec un succès remarquable, un autre traitement du bubon viru- lent. Je couvre la tumeur par un vésicatoire; j'ouvre avec précaution l'am- poule ainsi produite, et je laisse un nouvel épidémie se reproduire sous un pansement simple. Aussitôt que cette reproduction est opérée, j'applique un nouveau vésicatoire et je continue de la sorte jusqu'à ce que l'infiltration du pourtour de la glande, qui ordinairement commence déjà à diminuer à la première application, soit dissipée. Si, à ce moment, on aperçoit une fluctuation, on fait une ponction ou bien on détruit la paroi de l'abcès avec une pâte caustique. Dans aucun des cas traités par moi d'après cette méthode, je n'ai observé ni fusées purulentes ni clapiers. B. — SYPHILIS CONSTITUTIONNELLE § 1. Pathogénie et étiologie. La question de l'origine première du virus syphilitique est tout aussi inso- luble que celle de l'origine du virus chancreux. La syphilis de nos jours est une maladie exclusivement contagieuse. Le virus syphilitique se reproduit dans l'organisme qui en est infecté et la transmission du virus ainsi reproduit à un autre individu est l'unique mode de propagation de la syphilis. Le virus syphilitique ou, comme nous pouvons dire avec le même droit, le contagium syphilitique, dont l'essence nous est inconnue, attendu que nous ne sommes pas en état de l'isoler pour en examiner les qualités physiques et chimiques, est de nature fixe tout comme le virus chancreux ; il ne se mêle pas à l'atmosphère qui entoure un malade atteint de syphilis; cependant il est loin d'être lié exclusivement au produit de sécrétion des ulcères syphili- tiques et au contenu des tumeurs syphilitiques ; mais il est renfermé en même temps dans le sang des malades. Il paraît qu'il ne passe pas dans les sécrétions naturelles, telles que la salive, l'urine, etc., pas plus que dans les exsudats pathologiques qui appartiennent à une maladie intercurrente. Si l'on vaccine un enfant sain avec le contenu pur d'une pustule vaccinale emprunté à un enfant syphilitique, l'enfant vacciné ne contracte pas la syphilis; si, au contraire, le vaccin se trouve mêlé d'un peu de sang, si, par conséquent, il contient un des véhicules du virus syphilitique, l'enfant vac- ciné contracte la syphilis en même temps que la vaccine. Jusqu'à présent on ne sait pas si le lait des femmes atteintes de syphilis renferme le virus syphi- litique. La transmission fréquente de la syphilis au nourrisson par le sein d'une femme atteinte de cette maladie pcul. s'expliquer par les crevasses 836 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. saignantes qui existent aux mamelons de beaucoup de femmes qui allaitent. Quant à la propagation de la syphilis par l'acte générateur, il en sera ques- tion au chapitre suivant. La prédisposition à la syphilis est si répandue qu'une immunité pour le virus syphilitique, si toutefois elle existe, doit certainement être comptée parmi les faits les plus rares. Si les adultes, les individus sains, les hommes, contractent la syphilis plus souvent que les enfants, les individus malingres et les femmes, cela tient exclusivement à ce que les premiers s'exposent en général plus souvent que les seconds au danger de la contagion. Si l'épi- démie est épais et résistant, la contagion par le virus syphilitique aussi bien que par le virus chancreux se fait moins facilement que dans le cas con- traire, circonstance qui tend à prouver l'utilité de la circoncision. Si les parties génitales sont fortement développées, la contagion se fait plus faci- lement que si elles sont dans un état rudimentaire. Les eczémas. du gland et du prépuce augmentent le danger à un haut degré. Quelque répandue que soit la prédisposition au virus syphilitique, il n'en paraît pas moins vrai qu'il suffit d'en avoir été infecté une fois pour être à l'abri de toute contagion nouvelle par ce virus. Ce fait si intéressant offre une grande analogie avec ce qui se passe pour les virus morbilleux, scarlatinique et variolique, qui procurent aussi une immunité absolue aux individus une fois atteints de ces maladies. Si l'on inocule à un individu actuellement ou antérieurement atteint d'un ulcère syphilitique primitif le produit d'un ulcère syphilitique ou un autre véhicule du virus syphilitique, on arrive à un résultat négatif. C'est cette circonstance qui avait entraîné de graves erreurs. Ainsi, pendant longtemps, on n'avait fait d'essais d'inoculation que sur des individus déjà syphilitiques, et l'on se croyait autorisé à conclure, d'après les résultats négatifs qui se produisaient, lorsqu'on avait inoculé du sang ou le produit de sécrétion d'ulcères secondaires, que le sang et la sécrétion des affections secondaires n'avaient aucun caractère contagieux. Ce n'est qu'après avoir osé trans- porter ces véhicules du virus syphilitique sur des individus sains ou exempts de vérole que l'on a acquis la conviction que la non-réussite des essais d'ino- culation dépendait exclusivement de l'immunité des individus déjà atteints de syphilis pour une contagion nouvelle, et que le sang des individus syphi- litiques et la sécrétion des ulcères secondaires étaient tout aussi contagieux que la sécrétion des ulcères primitifs. Les cas qui semblaient former une exception à la règle étaient ceux où l'inoculation faite avec la sécrétion d'un ulcère primitif réussissait sur le porteur de cet ulcère et provoquait une ulcération. Mais aujourd'hui on est généralement d'accord que, dans ces cas, il s'agit d'une complication de l'ulcère syphilitique par le chancre. L'ulcère provoqué par l'inoculation n'est pas un ulcère syphilitique, mais un ulcère chancreux, et l'infection par le virus syphilitique ne procure aucune immunité pour la contagion par le virus chancreux , pas plus qu'un ou plusieurs SYPHILIS. 837 chancres ne mettent ceux qui en sont porteurs à l'abri de chancres nouveaux. ■ — Comme les individus sont déjà à l'abri d'une, nouvelle infection par le virus syphilitique à l'époque où ils n'ont encore qu'une induration ou un ulcère syphilitique primitif, sans aucune affection secondaire, nous sommes en droit de considérer l'induration et l'ulcère primitif comme un signe d'in- fection et comme le premier symptôme de la syphilis constitutionnelle. Mais comme ces lésions ouvrent toujours la série des troubles nutritifs et comme le premier symptôme de la maladie constitutionnelle se manifeste invaria- blement au point d'application du virus, sous forme d'induration et d'ulcère, nous considérons les dénominations d'induration primitive et d'ulcère pri- mitif comme parfaitement rationnelles. — L'immunité que l'infection par le virus syphilitique procure contre toute contagion nouvelle explique le fait si intéressant, et autrefois inexplicable, que l'enfant à la mamelle est bien plus souvent infecté par une nourrice syphilitique que par sa propre mère atteinte de syphilis. En effet, l'enfant qui prend le sein d'une nourrice syphi- litique, le plus souvent n'a pas encore la vérole et est par conséquent sus- ceptible d'en être infecté; par contre, chez l'enfant qui boit au sein de sa mère atteinte de syphilis, l'infection est presque toujours un fait accompli, et une nouvelle contagion ne peut plus avoir lieu. Parmi les causes occasionnelles de la syphilis constitutionnelle, le coït exercé avec un individu atteint de syphilis est de beaucoup la plus fréquente ; cependant il ne manque pas de cas sûrement constatés où la contagion a été déterminée par les mains des médecins et des sage-femmes, par l'usage de pipes et de verres à boire et par des lieux d'aisance souillés par le virus syphilitique. La transmission de la syphilis par la vaccination a été également plusieurs fois constatée d'une manière positive (voyez plus haut); enfin on connaît un certain nombre de cas où la syphilis avait été propagée par des lancettes, des phlébotomes ou des scarificateurs mal nettoyés. § 2. Symptômes et marche. I. — Induration syphilitique et ulcère syphilitique primitifs. La durée de l'incubation du virus syphilitique est de trois à quatre semaines. Ce fait n'a été bien reconnu que dans ces derniers temps. Avant d'avoir acquis cette notion, en inoculant le virus syphilitique à des individus sains, on ne comprenait pas pourquoi, dans un grand nombre de cas, il se for- mait, an bout de quelques semaines seulement, une induration du fond et des bords d'un chancre; et c'est cette observation qui a conduit à L'opinion erronée que le chancre mou prenait un caractère malin en se transformant en chancre induré. L'expérience avait appris que le chancre induré» était 838 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. .presque toujours Pavant-coureur de phénomènes secondaires. Or la vraie interprétation de l'observation que nous venons de signaler est la suivante : les deux virus, le virus chancreux et le virus syphilitique agissent sur le même endroit; — peu de jours après le contact, il se produit un ulcère chancreux, parce que le temps d'incubation du virus chancreux est très- court; — ■ trois à quatre semaines plus tard, l'induration syphilitique se développe à la base et dans les bords de l'ulcère chancreux, parce qu'à cette époque l'incubation du virus syphilitique est seulement arrivée à son terme. Il peut arriver qu'au moment où l'incubation du virus syphilitique est terminée, le chancre soit déjà cicatrisé, et alors l'induration se fait clans la cicatrice de ce dernier. Enfin, il peut aussi arriver qu'une induration syphilitique soit transformée en un ulcère chancreux par l'action ultérieure du virus chancreux. Après l'inoculation ou la transmission accidentelle du virus syphilitique sur un individu prédisposé à son action, c'est-à-dire sur un individu qui n'est pas atteint et qui n'a jamais été atteint de syphilis, il se produit, au terme de la période d'incubation, non une vésicule ou une pustule qui éclate et laisse à sa suite un ulcère, comme cela arrive après l'inoculation ou la transmission accidentelle du virus chancreux, mais une papule ou une nodosité dure, plus ou moins volumineuse. Les petites indurations syphili- tiques ont la dimension d'une lentille ou d'un pois ; les grandes indurations celle d'une fève ou même d'une petite noisette. L'examen microscopique montre que l'induration est due à une prolifération abondante de cellules et de noyaux sans propriétés caractéristiques et qui se trouvent logés entre les éléments du tissu normal et dans un tissu conjonctif assez rare. L'épi- derme ou l'épithélium qui recouvre cette infiltration dure ne montre au commencement aucun changement. Mais bientôt la couche épithéliale com- mence à s'exfolier ; la nouvelle couche devient plus mince, la surface se montre d'un rouge sale, d'un brillant particulier; après des exfoliations répétées, il ne se forme plus de nouvelle couche épithéliale ; la surface reste excoriée et sécrète un liquide rare et ténu. Dans d'autres cas, la sur- face se transforme en eschare dont l'élimination est suivie d'un ulcère à base dure. On peut désigner aussi l'ulcère syphilitique primitif sous le nom d'induration syphilitique ulcérante. Son siège le plus fréquent est aux parties génitales ; chez l'homme : à la face externe du prépuce et au col du gland ; chez la femme : entre les petites lèvres, à la commissure postérieure, à l'en- trée du vagin; cependant on l'observe aussi aux mamelons, aux commissures des lèvres, à la langue, et assez souvent aux doigts. Aucun endroit du corps ne possède une immunité; partout où le virus syphilitique arrive sur un endroit privé d'épiderme ou couvert d'une couche épidermique très-mince, il se développe une induration syphilitique primitive. Seulement, les en- droits mentionnés plus haut comme étant les sièges les plus fréquents de SYPHILIS. 839 cette affection, sont ceux qui se trouvent placés dans les conditions les plu;- favorables pour le développement de l'infection. Si un follicule sébacé unique est infecté, l'induration prend la forme d'un cylindre droit; si, au contraire, l'infection s'opère sur une série de follicules juxtaposés, par exemple à la base du gland, ces indurations devenues confluentes forment un bourrelet dur. Lorsque les lèvres du méat urinaire sont devenues le siège d'une indu- ration syphilitique, l'orifice de l'urèthre forme un entonnoir dur, d'une consistance cartilagineuse. Assez souvent, il se produit sur le bord libre d'un prépuce un peu étroit quelques fissures pendant le coït. Si ces fissures s'in- durent à la suite d'une infection syphilitique, le prépuce ne peut plus être ramené en arrière parce que son ouverture est transformée en un anneau dur. Le phimosis ainsi produit disparait de nouveau quand l'induration se dissipe. V ulcère syphilitique primitif n'a ni fond lardacé ni bords déchiquetés et ne montre aucune tendance à envahir les tissus circonvoisins ; il ne possède, en un mot, aucune de ces propriétés qui caractérisent le chancre. En outre, l'ulcère syphilitique n'est pas douloureux comme le chancre, mais ordinai- rement très-indolent. Déplus, il est généralement solitaire; ce n'est que par exception et quand plusieurs endroits ont été infectés à la fois que l'on trouve plusieurs ulcères syphilitiques. Très-souvent l'induration passe ina- perçue tant qu'elle n'est pas ulcérée, et c'est uniquement quand elle a donné lieu à un ulcère que Le malade et le médecin sont rendus atteîitifs au mal. Dans quelques cas l'induration est insignifiante, à un tel point qu'on peut confondre la lésion avec un ulcère chancreux. Dans ce cas, le doute est levé par l'inoculation. Les formes les plus importantes de l'ulcère syphilitique primitif qu'on a l'habitude de décrire séparément, sont : L'ulcère syphilitique superficiel (chancre parcheminé de Ricord). Ici l'indu- duration consiste en une plaque mince. Si l'on essaye de soulever en pli une plaque de ce genre, il semble qu'une mince feuille de parchemin se soit glissée sous l'ulcère. La surface sécrète un liquide ténu, très-peu copieux, dans lequel on n'aperçoit sous le microscope aucun corpuscule de pus, mais exclusivement un détritus granulé. La guérison se fait souvent rapidement, mais les phénomènes secondaires se manifestent après cette forme tout aussi constamment et aussi promptement qu'après d'autres. — L'ulcère syphili- tique proéminent (ulcus elevatum) laisse apercevoir sur un fond calleux plus ou moins épais et proéminent au-dessus du niveau des parties environnantes une surface excoriée, sécrétant très-peu et presque sèche. De temps en temps cette surface se couvre d'une couche mince d'épithélium qui bientôt s'exfolie par minces lamelles, jusqu'à ce qu'une nouvelle excoriation se soit produite. — L'ulcère huntèrien (ulcus vallatum) a, non-seulement une plaque dure pour base, mais il est en outre entouré d'un bord relevé, dur et calleux, 840 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. ce qui rend l'ulcère plus profond au milieu qu'à la périphérie. Sa guérison se l'ait rarement avant la cinquième ou la sixième semaine. Les diverses formes de l'ulcère syphilitique peuvent quelquefois devenir phagédéniques, c'est-à-dire devenir le siège d'un processus diphtéritique étendant prompte- ment ses ravages. Dans ces cas, la fonte ulcéreuse s'étend souvent au delà des limites de l'ulcération sur des portions étendues de peau ou de muqueuse. Si l'induration syphilitique s'ajoute à un ulcère chancreux, parce que les deux virus ont concentré leur action sur le même endroit, il se développe, dans la plupart des cas, une modification de l'ulcère huntérien, c'est-à- dire que le bord de l'ulcère chancreux prend une consistance dure et cal- leuse et entoure le chancre comme un rempart. Plus tard on remarque aussi une induration au fond du chancre. La durée de l'induration syphilitique primitive et des ulcères syphilitiques primitifs varie. Presque toujours il se passe trois mois avant que l'endroit induré ait repris sa résistance normale. Très-souvent l'induration se prolonge pendant six mois et même plus longtemps. Un fait remarquable, c'est qu'avec l'apparition des phénomènes secondaires l'induration commence à céder et disparait ensuite promptement, en laissant à sa place un endroit pigmenté d'un rouge brun. La pigmentation persiste assez longtemps à l'en- droit primitivement malade. Lorsqu'elle a fini par disparaître, l'endroit cor- respondant devient plus blanc que la peau environnante, absolument comme un tissu cicatriciel, produit d'une formation nouvelle. Si l'endroit induré n'a pas été en même temps occupé par un chancre, il ne reste pas d'enfoncement. II. — Bubons indolents et affection syphilitique diffuse des ganglions lymphatiques. Tout comme dans beaucoup de maladies infectieuses aiguës il se produit un gonflement aigu des ganglions lymphatiques, on voit constamment aussi dans la syphilis, ce prototype des maladies infectieuses chroniques, ces gan- glions prendre part aux troubles nutritifs que détermine l'infection de l'or- ganisme parle virus vénérien. Les modifications qu'éprouvent les ganglions lymphatiques consistent en une hyperplasie cellulaire ; rarement ils deviennent le siège d'une inflammation proprement dite et d'une fonte sup- purée. Plus souvent il arrive, surtout lorsque cette hyperplasie dure long- temps, que, dans le^s ganglions tuméfiés, quelques foyers subissent la méta- morphose caséeuse et s'incrustent plus tard d'éléments calcaires. L'induration syphilitique primitive entraîne constamment à sa suite, peu de jours après son développement, un gonflement indolent ou au moins très-peu douloureux des ganglions lymphatiques du voisinage, autrement dit des bubons indolents. L'augmentation de volume des glandes, qui participent SYPHILIS. 84-1 toujours en assez grand nombre à cette hypertrophie n'est ordinairement pas très-considérable. Chaque glande tuméfiée n'atteint généralement que le volume d'une fève ou d'une amande, et c'est d'une manière tout à fait excep- tionnelle, et principalement chez les individus scrofuleux, que ces glandes s'élèvent au volume d'une noix. Le tissu conjonctif circonvoisin ne prend aucune part au processus, les ganglions restent isolés et même, dans les cas où le gonflement considérable d'un grand nombre de ganglions donne lieu à une tumeur volumineuse, cette dernière conserve une consistance irrégulière et bosselée, et on peut reconnaître parfaitement qu'elle se compose d'une agglomération de ganglions isolés. Quelquefois on trouve entre l'ulcère primitif et les bubons indolents un cordon épaissi et induré de vaisseaux lymphatiques. Dans les cas rares où les bubons indolents passent à la suppuration, la peau s'unit intimement aux ganglions sous-jacents, rougit peu à peu et la tumeur devient douloureuse ; mais il se passe beau- coup de temps avant que la fluctuation se fasse sentir. Lorsque finalement le contenu purulent s'est vidé spontanément ou qu'on a ouvert l'abcès par une ponction, il se produit des ulcères anfractueux et fistuleux de longue durée. — La résolution des bubons indolents s'opère avec beaucoup de len- teur. Toujours il se passe plusieurs mois avant que les ganglions tuméfiés diminuent, et souvent il faut des années pour faire disparaître les dernières traces du gonflement. Si une fonte caséeuse et une incrustation calcaire se sont produites dans quelques foyers, de petites bosselures indurées persistent pendant la vie entière. — A raison du siège ordinaire de l'induration primi- tive aux parties génitales les bubons indolents se rencontrent dans la région inguinale bien plus souvent que partout ailleurs, et presque sans exception ce ne sont que les ganglions lymphatiques situés au-dessus du fascia lata du côté correspondant à l'induration qui tombent malades. Si c'est la bouche qui est devenue le siège d'une affection primitive, le gonflement s'empare des ganglions sous-maxillaires; si au contraire l'induration siège aux doigts, c'est la glande cubitale et les glandes axillaires qui se tuméfient. Cinq à six semaines environ après la naissance des bubons indolents, on remarque à un examen attentif une tuméfaction de nombreux: ganglions lymphatiques situés loin du lieu d'infection et des bubons indolents, dans les régions les plus diverses du corps. Les ganglions lymphatiques qui enflent le plus fortement et le plus souvent sont les ganglions cervicaux:, les gan- glions axillaires, les ganglions de l'aine du côté opposé, le ganglion cubital et les ganglions sous-maxillaires. Le volume de ces organes varie entre les dimensions d'un pois et celles d'une fève ou d'une noisette; ils sont complè- tement indolents et même aussi insensibles à la pression que n'importe quelle autre région de la peau. Souvent ces gonflements diffus des ganglions lym- phatiques persistent pendant bien des années; tant qu'ils durent, la syphilis n'est pas éteinte, en admettant même nue, pour le moment, il n \ ail pas 842 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. d'autres manifestations de la vérole. L'inflammation et la fonte suppurée de ce genre de gonflement ganglionnaire ne se rencontrent que d'une manière très-exceptionnelle et sont alors toujours le résultat d'une complication. III. — Condylomes. — Plaques muqueuses. Il n'y a que les condylomes larges, couverts d'une mince couche épider- mique, devenus ordinairement, lorsqu'ils occupent la peau extérieure, le siège [d'une ulcération superficielle et couverts alors d'une sécrétion mu- queuse répandant une mauvaise odeur, qui soient d'origine syphilitique. Les condylomes secs., pointus, couverts d'un épidémie épais, sont le résultat de causes locales et se produisent surtout aux endroits baignés par la sécrétion blennorrhagique. Les condylomes syphilitiques sont presque les plus com- muns parmi les phénomènes de l'infection générale; il est bien rare qu'ils manquent dans la série des processus morbides qui se développent peu à peu sous l'influence de l'infecion syphilitique. Ce sont généralement aussi les condylomes qui les premiers succèdent aux affections primitives et au gonflement des ganglions lymphatiques et qui ouvrent la série des troubles nutritifs. Antérieurement nous avons déjà décrit la forme extérieure et la structure histologique des condylomes. Les condylomes mous qui occupent la peau extérieure siègent ordinairement entre les fesses; chez les femmes, aux grandes lèvres ; chez les hommes, au scrotum et sur la peau de la verge ; quelquefois ils s'étendent jusque sur la face interne des cuisses. Assez sou- vent on rencontre des condylomes syphilitiques à l'angle de la bouche, plus rarement aux commissures des paupières, entre les orteils, aux mamelons et sous des mamelles pendantes. Souvent les condylomes se crevassent, sur- tout lorsque en se réunissant ils forment des excroissances étendues, et donnent alors lieu à des ulcères douloureux et opiniâtres. Autour des con- dylomes, il se produit assez souvent dans la peau des gerçures ou rhagades accompagnées de vives douleurs et guérissant lentement. Parmi les condy- lomes syphilitiques qui se rencontrent sur les membranes muqueuses- claques muqueuses), nous avons décrit au premier volume ceux de la cavité buccale et pharyngienne et les végétations condylomateuses qui accom- pagnent ordinairement l'ulcère syphilitique du larynx. IV. ■ — Affections syphilitiques de la peau. — Syphilides. — Exanthèmes syphilitiques. Les affections syphilitiques de la peau consistent tantôt en hypérémies et en processus exsudatifs, tantôt en tumeurs gommeuses (syphilomas noueux) avec leurs métamorphoses. Dans le premier cas, l'exsudat tantôt n'est SYPHILIS. 843 déposé que dans le tissu du derme, tantôt en même temps à sa surface libre, tantôt aux deux endroits à la fois. Les modifications qui en résultent et les différences de siège et d'étendue de ces efflorescences servent de base à la division des syphilides en espèces nombreuses. Mais comme la division de toutes les hypérémies et inflammations non syphilitiques de la peau est également fondée sur ces principes, nous pourrons résumer la description des syphilides en peu de mots et nous borner à signaler les différences qui distinguent les exanthèmes syphilitiques des exanthèmes non syphilitiques. Parmi les caractères distinctifs appartenant en commun aux exanthèmes syphilitiques, c'est à la couleur que l'on a attaché de tout temps une impor- tance toute particulière. En effet, tous les exanthèmes syphilitiques, ou du moins ceux qui durent depuis un certain temps, se distinguent par une teinte cuivrée sut generis, et les exanthèmes chroniques qui n'ont pas cette coloration ne doivent pas être attribués à la syphilis, en supposant même qu'ils se rencontrent sur des personnes notoirement syphilitiques. Cette pro- position ne peut pas être renversée. Les exanthèmes qui présentent cette teinte cuivrée sont loin d'être tous d'origine syphilitique, comme cela est prouvé à l'évidence par le psoriasis et avant tout par l'acné rosacea ou cou- perose. La coloration cuivrée provient de ce que la teinte rouge due à l'hy- pérémie capillaire est mêlée de bleu, de jaune ou de brun, teintes qui doivent leur origine à de petits extravasats sanguins et aux modifications de l'héma- tine du sang extravasé. Les exanthèmes syphilitiques très-récents ne présen- tent pas cette teinte cuivrée, soit que les extravasats n'aient pas encore eu le temps de se produire, soit que la couleur du sang extravasé n'ait pas encore été modifiée. Une autre particularité des exanthèmes syphilitiques et qui se rattache étroitement à celle que nous venons de signaler, vu qu'elle dépend également de la transformation lente de la matière colorante extravasée en pigment, consiste en ce que les exanthèmes guéris laissent presque toujours à leur suite des endroits pigmentés. Les exanthèmes syphilitiques se dis- tinguent en outre des exanthèmes non spécifiques en ce que les différentes formes s'y confondent bien plus encore que dans ces derniers. Presque tou- jours on rencontre sur le même individu des éruptions appartenant à diffé- rentes espèces et même quelques efflorescences au sujet desquelles on est dans le doute, s'il faut les ranger dans telle catégorie ou dans telle autre. Ainsi l'on trouve, par exemple, souvent des taches rouges qu'on hésite à considérer comme des taches de roséole, parce qu'elles sont couvertes de squames épidermiques et que l'on ne peut pas non plus confondre avec le pso- riasis, parce que la couche formée par ces squames épidermiques est beaucoup moins épaisse que dans le psoriasis non syphilitique. Une condition tout aussi importante pour la distinction des exanthèmes syphilitiques et non syphili- tiques, c'est le siège de ces éruptions. En effet, les exanthèmes syphilitiques s'observent le plus souvent aux endroits de la peau qui sont exposés à l'air et à 844 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. ceux qui couvrent immédiatement le périoste. On doit se méfier d'un exan- thème qui, ayant ordinairement une prédilection marquée pour un endroit déterminé, comme, par exemple, le psoriasis pour les genoux et les coudes, épargne ces endroits et se montre là où l'on n'est pas habitué à le voir, comme, par exemple, le psoriasis dans la paume de la main. Une autre particularité des exanthèmes syphilitiques, c'est que les différentes efflorescences affectent presque toujours dans leur groupement une configuration en cercle ou en segments de cercle. 11 faut bien remarquer que la seule forme circulaire qui soit caractéristique pour les exanthèmes syphilitiques est celle qui résulte d'un pareil groupement et non celle qui provient de ce que le processus guérit au milieu tout en faisant des progrès à la périphérie. 11 nous reste enfin à rappeler que les exanthèmes syphilitiques ne donnent presque jamais de démangeaison. Dans les cas douteux, il importe, pour pouvoir dis- tinguer si un exanthème est d'origine syphilitique ou non, de savoir s'il a été précédé d'un ulcère primitif ou si d'autres affections syphilitiques coexistent avec lui. Les croûtes qui se rencontrent chez les individus atteints de syphilis se distinguent en ce que généralement elles sont beaucoup plus épaisses que celles qui se développent chez les individus non atteints de cette maladie. Cette particularité provient de ce que, sous le contenu purulent desséché des pustules syphilitiques, il existe le plus souvent une ulcération dont les produits se dessèchent également en croûtes. Une forme en quelque sorte caractéristique pour les ulcères syphilitiques de la peau, c'est la forme en rognon ou en fer à cheval. Elle provient de ce qu'une extrémité de l'ul- cère se met à guérir pendant qu'à l'autre extrémité le processus fait des progrès. La forme la plus fréquente des affections syphilitiques de la peau, con- siste en un exanthème maculé, la roséole syphilitique. L'éruption des petites taches de roséole irrégulièrement arrondies et confluentes en plusieurs endroits, est souvent précédée d'un état fébrile. Cet exanthème occupe de préférence le ventre, les parties latérales de la poitrine, les aines; la face reste presque toujours épargnée, sauf à la limite du cuir chevelu. Les taches sont d'abord d'un rouge clair, mais deviennent plus tard livides et d'un rouge cuivré ; elles sont tantôt au niveau de la peau, tantôt élevées au-des- sus de ce niveau. Dans le dernier cas, elles ressemblent aux plaques d'urti- caire, sans être cependant, comme celles-ci, accompagnées d'un sentiment de démangeaison. Après une certaine durée, les taches de roséole prennent un aspect rouge brun, et laissent finalement à leur suite des taches d'un gris brunâtre. Dans un certain nombre de cas, l'exanthème s'étend au gland de la verge. Dans cette région, la couche épidermique qui couvre les efflo- rescences se détache ordinairement et il se forme des éi-osions d'un rouge vif, humides, légèrement saignantes, qu'il ne faut pas confondre avec des chancres superficiels. La roséole syphilitique est un des symptômes de la SYPHILIS. 845 syphilis constitutionnelle, qui succèdent le plus promptement à l'infection. On ne l'observe jamais dans la syphilis invétérée. Sous l'influence d'un trai- tement mercuriel, l'exanthème se perd ordinairement dans l'espace de quelques semaines: si l'on a négligé de le combattre, il se produit des formes de transition entre la roséole et les syphilides papuleuses, squa- meuses et pustuleuses. La syphilide papuleusc (le lichen syphilitique) se distingue par sa coloration cuivrée devenant souvent brun-rouge, après une durée plus ou moins lon- gue. Les papules ont tantôt la dimension d'un grain de millet, tantôt celle d'une lentille (papules lenticulaires); elles sont tantôt isolées, tantôt réunies par groupes. Dans le dernier cas, elles représentent ordinairement des cer- cles ou des segments de cercle. Le siège le plus commun des syphilides papuleuses est la limite qui sépare le front du cuir chevelu; cependant, on les observe aussi au tronc et aux. extrémités. Après une durée plus ou moins longue, on trouve les papules généralement couvertes de squames épider- miques détachées. Si, au lieu de cela, il se forme au sommet des nodosités de petites pustules, on donne à cet exanthème ordinairement le. nom d'acné syphilitique. La syphilide papuleuse appartient, comme la syphilide macu- leuse,aux exanthèmes syphilitiques observés dans les premiers temps qui suivent l'infection, cependant on l'observe encore parfois dans les périodes ultérieures de la syphilis. Dans ces cas, les efflorescence sont moins nom- breuses et montrent une tendance encore plus grande à former des cercles et des segments de cercle. La syphilide papuleuse est plus opiniâtre que la syphilide maculeuse, et il se passe généralement plusieurs semaines avant qu'elle cède même à un traitement énergique. L'éruption syphilitique squameuse (le psoriasis syphilitique) procède sou- vent d'une roséole ou d'un lichen syphilitique ; rarement les diverses taches atteignent une grande étendue, mais elles peuvent devenir très-nombreuses. La couleur du psoriasis syphilitique est plus foncée que celle du psoriasis non syphilitique. La couche squameuse est ordinairement très-mince. Assez souvent, il se forme dans la peau infiltrée des crevasses d'où résultent des ulcérations. Comme déjà nous l'avons dit plus haut, les genoux et les coudes restent presque toujours épargnés du psoriasis syphilitique. Le psoriasis palmaire et plantaire, qui est invariablement d'origine syphilitique, commence par la formation de petites taches rondes et ovales d'une couleur rouge pâle ou jaunâtre et d'une consistance calleuse. Après que l'épidémie, devenu très-épais dans ces endroits, s'est détaché spontanément ou qu'il a été arraché par le malade, le derme d'un rouge cuivré et infiltré se montre à nu et entouré de cercles concentriques d'épidémie desséché ef en voie.de desquamation. Cette couronne s'agrandit pendant que le. centre commence quelquefois à guérir ou se couvre de nouveau d'une couche épiderinique cornée. D;ins quelques eus, les efflorescences d'abord isolées deviennent 846 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. confluentes, et il se produit des épaississements étendus de l' épidémie qui se fendillent facilement et entraînent par là des crevasses ou rhagades très- douloureuses. La syphilide pustuleuse porte le nom d'impétigo syphilitique ou à'ecthyma syphilitique, selon qu'elle forme des pustules petites et pointues ou larges et plates. Les pustules sont tantôt isolées, tantôt réunies par groupes, et se montrent aussi bien à la face et au cuir chevelu qu'au tronc et aux extré- mités; elles sont entourées d'une auréole cuivrée et se dessèchent en croûtes, qui gênent surtout quand elles siègent sur la tête, parce que là elles sont facilement arrachées par le peigne. Sous les croûtes formées par les pustules d'ecthyma et plus rarement sous celles formées par les pustules d'impétigo, on trouve des ulcérations qui pénètrent plus ou moins profondé- ment dans le tissu du derme. Les cicatrices qui persistent constamment après la guérison de l'ecthyma syphilitique ont une teinte d'abord cuivrée, plus tard remarquablement blanche. L'impétigo et surtout l'ecthyma syphi- litiques sont des maladies cutanées plus graves et appartenant à une période plus avancée de la syphilis que les exanthèmes décrits jusqu'à présent. Malgré le traitement le plus énergique, il se passe souvent plusieurs mois avant qu'ils guérissent et ces syphilides pustuleuses peuvent même résister plus longtemps que tous les autres symptômes de la syphilis. Sous le nom de varicelle syphilitique, on désigne un exanthème qui pos- sède effectivement une grande ressemblance avec la varicelle. Son éruption est presque toujours précédée d'un état fébrile. Les vésicules, le plus sou- vent très-nombreuses et plus ou moins répandues sur tout le corps, s'élè- vent sur des taches rouges. Elles sont remplies d'un liquide peu troublé au commencement et plus tard purulent, et finissent par se dessécher en croûtes rondes et noirâtres. Après la chute des croûtes, il reste des taches brunes. C'est encore là une forme opiniâtre, que des poussées successives tendent à prolonger pendant des semaines et des mois. Le rupia syphilitique dépend de même que l'ecthyma syphilitique d'une dermatite destructive. Son mode de développement est le suivant : sur des endroits de la peau ayant l'étendue d'un pois ou d'une fève et dont la cou- leur est d'un rouge livide, il s'élève des bulles flasques qui sont remplies d'un liquide trouble, quelquefois sanguinolent. Le contenu des bulles se dessèche en croûtes, que le produit de l'ulcération qui persiste dans la pro- fondeur tend à rendre de plus en plus épaisses, en même temps que de nouveaux anneaux de vésicules, occupant la périphérie et dont le contenu se dessèche également, font grandir les croûtes en largeur. Si l'on fait tomber les croûtes ainsi produites et qui ressemblent à des écailles d'huître, on trouve au-dessous d'elles des surfaces ulcéreuses d'un aspect sale, qui sécrè- tent un liquide ichoreux. Quelquefois on trouve de grandes surfaces du corps couvertes de nombreuses croûtes de rupia, en partie confluentes; dans SYPHILIS. 847 d'autres cas, il n'y a que des croûtes isole'es, mais alors très-grandes. Le rupia fait partie, comme l'ecthyma, des maladies cutanées graves et ne se manifestant, en général, que dans la période avancée de la syphilis. Sa guérison se fait avec une grande lenteur. Assez souvent, il ne guérit qu'un côté de l'ulcère caché sous les croûtes de rupia, tandis que, du côté opposé, l'ulcération s'étend plus loin. De là résultent des ulcères en forme de rognon ou de fer à cheval. Les cicatrices, qui persistent constamment après la guérison du rupia, ressemblent beaucoup aux cicatriees de l'ecthyma, mais sont plus grandes que ces dernières. Tandis que les maladies syphilitiques décrites jusqu'à présent sont les résultats de processus irritatifs et inflammatoires, le lupus syphilitique dé- pend du développement et de la fonte d'un néoplasme, appartenant en propre à la syphilis et, qui, affectant la forme de nodosités, tubercules syphi- litiques, se montre, non-seulement dans la peau, mais encore dans les organes les plus divers. Les tubercules syphilitiques, appelés par Virchow tumeurs gommeuses ou gommes, même quand elles ont une consistance dure et la conservent pendant toute leur durée, et par Wagner, syphilomes noueux, n'ont rien de commun avec les tubercules dans le sens habituel de ce mot. Virchow les compte parmi les tumeurs à granulation, c'est-à-dire parmi celles qui, même arrivées à leur plus grand développement, ne ren- ferment pas une substance conjonctive achevée ni rien d'analogue, mais se composent exclusivement d'éléments de nature transitoire, et qui, réguliè- rement et nécessairement, se terminent par la fonte, la destruction, le ramollissement et l'ulcération. Les tubercules syphilitiques, n'importe où ils se rencontrent, se composent d'amas de cellules excessivement nombreuses, mais très-petiteset pourvues de noyaux volumineux ; ces amas de cellules sont logés dans les interstices des tissus et sont issus d'une prolifération sur- abondante des éléments cellulaires de ces derniers. Les nodosités récentes ont une teinte gris rouge, elles sont molles et imbibées d'un suc rare et muqueux. Quand les nodosités existent depuis un temps plus ou moins long, elles se ramollissent et s'ulcèrent ou subissent une métamorphose graisseuse, incomplète, souvent casécuse. — Le siège le plus fréquent des tubercules syphilitiques de la peau est la face, surtout le front (couronne de Vénus), ensuite lu région de l'omoplate et, aux extrémités, le côté des extenseurs. Les nodosités sont placées tantôt superficiellement, tantôt dans la profon- deur. Les nodosités superficielles sont plus petites que les profonde?. Au commencement, on remarque dans la pean une petite tumeur mobile, un peu douloureuse à la pression, l'eu à peu la peau rougit au-dessus de cette tumeur et se soulevé eu nodosité hémisphérique d'un rouge foncé, ayant une certaine ressemldanee a.\ec un furoncle. Dans quelques cas, la paroi su - prrieure u bien, si l'os a été perforé, une lacune osseuse à bords lisses. La carie et la nécrose s'observent, chez les individus syphilitiques, infiniment plus souvent aux os de lu face et du crâne qu'aux os du tronc el des extrémités, sans toutefois que ceux-ci, surtout Ift Sternum, le tibia, la clavicule, restent absolument indemnes. Les destrur- lions les plus hideuses SOnl celles que la syphilis produit dans les os du npfl et dans la voûte palatine. Le plus souvent, la dcslruction porte d'al)ord sur 852 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. le vomer et la lame perpendiculaire del'ethmoïde, ce qui fait communiquer entre elles les deux cavités nasales par des lacunes plus ou moins considé- rables. Plus tard, la cloison osseuse disparait complètement ainsi que les cornets, les parois des cellules ethmoïdales et de l'antre d'Highmore, les os propres du nez et les os lacrymaux ; le nez perd son point d'appui et s'affaisse derrière la pointe, celle-ci se dirige en haut. Si le processus envahit le plan- cher de la cavité nasale, il se produit souvent une perforation de la voûte palatine et une communication entre la bouche et le nez, par suite de la- quelle en mangeant et en buvant le malade fait pénétrer des aliments et des liquides dans ce dernier. Il est plus rare que la destruction de la voûte osseuse du palais ait pour point de départ des lésions de. la bouche ; cepen- dant, il m'est arrivé d'observer à la face inférieure du palais osseux, l'élimi- nation d'un séquestre de la dimension d'une pièce de 2 francs, sans ozène syphilitique. — Si la carie et la nécrose des os du nez ont lieu à la suite d'ulcères de la muqueuse, qui pénètrent dans la profondeur et détruisent le périoste, les malades ont, pendant un temps plus ou moins long, un écou- lement ichoreux, fétide, souvent sanguinolent, auquel se mêlent plus tard de petits fragments osseux d'une couleur noirâtre. Souvent la cloison du nez est perforée dans ces cas, sans que le tégument cutané de l'organe montre des modifications particulières. Si, au contraire, la destruction des os du nez a été précédée d'une périostite syphilitique, la peau extérieure rougit de bonne heure ; la moitié correspondante de la face devient œdémateuse ; les parties molles extérieures sont quelquefois perforées par le pus et les fragments osseux et il reste des ouvertures fistuleuses au dos du nez. L'ozène syphilitique peut guérir complètement après une destruction plus ou moins étendue des os du nez. J'ai constaté, il y a quelque temps, à l'autopsie d'un individu qui avait été atteint de syphilis, en coïncidence avec une anostose excentrique, étendue et récente (voy. plus loin), une disparition complète de la cloison osseuse, de tous les cornets et de la paroi interne du sinus maxillaire, mais nulle part l'os n'était mis à nu : la cavité spacieuse qui représentait le nez était tapissée d'une membrane cicatricielle lisse. Indépendamment de la carie et de la nécrose, on trouve, dans la syphilis invétérée, une troisième affection osseuse destructive, décrite exactement pour la première fois par Bruns, mais signalée en premier lieu par Virchow comme une affection qui dépend très-souvent de l'infection syphilitique; Bruns définit cette espèce particulière de fonte osseuse, qu'il appelle anostose excentrique, de la manière suivante : c'est une dissolution et liquéfaction excentrique de la masse osseuse, ayant son point de départ à la surface in- terne des canalicules d'Havers et des cellules médullaires, accompagnée de gonflement et de rougeur du tissu qui traverse ces cavités, mais ne donnant jamais lieu à une formation de pus; cette dissolution et cette liquéfaction ont d'abord pour effet d'agrandir les espaces médullaires aux dépens de SYPHILIS. 85», leurs parois et les progrès de la résorption les font confluer plus tard en cavités irrégulières. L'endroit affecté de l'os prend, à la suite de ce processus, l'aspect poreux, spongieux des os carieux, et il est impossible, d'après Bruns, de distinguer sur les os macérés si la destruction est le résultat de la carie ou de l'anostose excentrique. Si l'anostose excentrique a pour point de dé- part la paroi externe des os crâniens, celle-ci prend d'abord à la surface un aspect rugueux, et parait rongée, tout comme dans la carie superficielle ; mais, plus tard, la perte de substance devient de plus en plus profonde et peut même entraîner, dans quelques endroits, la perforation de la paroi crânienne. La face interne du péricràne est rongée, boursouflée, granulée, dans les limites de l'affection ; le tissu médullaire qui traverse les parties osseuses malades est transformé en une masse rouge très-vasculaire et en connexion intime avec le péricràne; nulle part il n'existe une trace de sécré-- tion purulente; la substance osseuse circonvoisine reste intacte, ou bien il se produit une néoplasie de tissu osseux sur la limite de l'endroit malade, qui est ainsi entouré d'un rebord saillant ; de même il peut arriver, lorsque ce processus existe à la surface externe du crâne, qu'une néoplasie osseuse étendue s'opère à la surface interne de la voûte crânienne. Cette description de l'anostose excentrique, empruntée presque mot à mot au manuel de Bruns, s'accorde si complètement avec la description donnée par Virchow de la carie sèche ou de l'atrophie inflammatoire de la substance corticale des os chez les individus atteints de syphilis, qu'il est hors de doute que ces deux observateurs ont décrit une seule et même maladie. — En examinant au microscope le tissu mou et les masses plus solides et résistantes, renfermant dans leurs sommités une substance blanc jaunâtre, très-sèche que, dans d'autres cas, il avait trouvée dans les lacunes des os frappés de syphilis, Vir- chow est arrivé à se convaincre que le contenu cylindrique ou conique des lacunes, d'où part la fonte de l'os, est constitué par le néoplasme syphili- tique, spécifique, appelé par lui gomme, même dans les cas où il ne forme pas de tumeur et où il n'a aucune mollesse, et quia reçu de Wagner le noin de syphiloine. VIII. — Sarcoccle syphilitique. Sous l'influence de l'infection syphilitique, il se développe quelquefois une affection inflammatoire du testicule, qui se distingue des autres formes de l'orchite par certaines particularités, notamment par son siège et sa marche longue. L'affection a pour point de départ la tunique albuginée et ses pro- longements, et entraîne une prolifération inflammatoire de jeunes cellules et de jeune tissu conjonctif à la face interne de l'albuginée et entre les canali- cules séniinifères. Sous la pression de ce néoplasme, qui plus tard £.e 954 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. , rétracte et prend une consistance ferme et calleuse, la substance glandulaire proprement dite s'atrophie. Indépendamment de cette orchite syphilitique simple, il existe une deuxième forme qui se distingue par des nodosités dures, sèches, d'un blanc jaunâtre et de structure homogène, qui se déve- loppent dans le testicule malade à côté de cette végétation de la tunique albuginée. Yirchow appelle la première forme l' orchite syphilitique simple, la seconde l'orchite gommeuse. Wagner croit que le syphilome noueux qui correspond aux tumeurs gommeuses ne diffère pas essentiellement du syphi- lome diffus. D'après sa manière de voir, la première forme représente le syphilome infiltré, la seconde, le syphilome noueux du testicule. — Les symptômes du sarcocèle syphilitique sont un agrandissement lentement progressif de l'un ou de l'autre testicule, agrandissement qui se développe sans donner lieu à aucune douleur ou qui occasionne de temps en temps des douleurs lancinantes. Le testicule prend alors une dureté remarquable, perd sa forme régulière et peut acquérir le volume du poing. Assez souvent, le sarcocèle se complique d'un épanchement séreux dans la tunique vaginale. Dans quelques cas, le processus, après avoir fait de grands progrès dans un testicule, envahit également l'autre. — Enfin, Virchow distingue encore une périorchite syphilitique; celle-ci peut, d'après lui, se manifester sous la forme d'une hydrocèle, mais provoque ordinairement bientôt des épaississe- ments de la tunique albuginée et de la tunique vaginale, et des adhérences ou des synéchies complètes de ces membranes. IX. — Affections syphilitiques du tissu conjonctif, des muscles et des viscères. Dans le tissu conjonctif sous-cutané et sous-muqueux, ainsi que dans les interstices des muscles, on trouve, en cas de syphilis invétérée, des tumeurs qui offrent les particularités antérieurement décrites du tubercule ou gomme syphilitique (Yirchow). Ces tumeurs subissent quelquefois une évo- lution régressive, lorsqu'elles sont soumises à un traitement convenable; dans d'autres cas, elles passent à la suppuration et entraînent des abcès et des ulcères opiniâtres. A leur tour, les muscles, surtout ceux des extrémités supérieures, du cou et de la nuque, deviennent parfois le siège de troubles nutritifs de nature syphilitique. Virchow distingue une forme simple et une forme gommeuse de l'inflammation syphilitique des muscles. La première dépend d'une hyperplasie du tissu interstitiel, donnant lieu au développement d'un tissu conjonctif induré,, pendant que les faisceaux musculaires primitifs dispa- raissent par une sorte d'atrophie. Dans la dernière, il se produit dans les muscles des tumeurs d'un volume souvent considérable et qui, sur une sur- face de section, présentent l'aspect de foyers blancs, tirant sur le rouge ou SYPHILIS. 855 ïe jaune, légèrement striés, ordinairement un peu humides. L'examen mi- croscopique révèle un état granuleux du tissu conjonctif intramusculaire, ■dû au développement de cellules fines, subissant bientôt la dégénérescence graisseuse, par l'effet de laquelle les cellules périssent et ne. laissent à leur suite qu'une masse finement granulée, très-riche en graisse et d'apparence amorphe. — Des foyers semblables se rencontrent quelquefois dans les muscles du cœur ; il n'est pas impossible que certains cas de dégénérescence calleuse, partielle, de la chair cardiaque, ne soient que les résidus d'une myocardite gommeuse d'origine syphilitique. En fait d'affections syphilitiques des organes internes, nous avons longue- ment décrit l'hépatite syphilitique. — Wagner et d'autres observateurs ont trouvé des affections syphilitiques en tout point semblables à celles du foie et entraînant, soit des épaississements de l'enveloppe, soit des indurations dif- fuses du tissu, dans la rate, dans les reins et même dans le pancréas. Déjà Dittrich avait observé le développement d'affections syphilitiques du poumon •sous forme d' épaississements tubéreux, d'une consistance très-ferme et -d'une couleur blanche ou bien noirâtre par l'effet d'un dépôt de pigment, •épaississements qui renferment des foyers secs et caséeux. Indépendamment ■de ces pneumonies gommeuses, il paraît qu'il existe encore des pneumonies interstitielles syphilitiques simples, n'entraînant que des indurations. La question de savoir si une affection pulmonaire est de nature syphilitique ou non peut être très-difficile et même impossible à résoudre. — Les encéphalo- pathies syphilitiques consistent parfois en inflammations chroniques des mé- ninges, pouvant envahir soit la dure-mère sous forme de pachyméningite •externe (endocranitis) ou interne, soit l'arachnoïde, soit enfin la pie-mère, et qui tantôt circonscrites, tantôt diffuses, peuvent entraîner entre autres sym- ptômes la paralysie de tel ou tel nerf cérébral. Quelquefois aussi ce sont des affections syphilitiques limitées à un foyer cérébral et que l'on avait confondues autrefois avec des collections purulentes épaissies et surtout avec des tuber- cules caséeux (voy. Les maladies du cerveau). Il résulte de cette courte énumération des affections syphilitiques des dif- férents tissus et organes que la localisation de la syphilis constitutionnelle •est beaucoup plus variée qu'on ne l'avait autrefois supposé, et que l'opinion -exprimée par Wagner, d'après laquelle le syphilome se rencontrerait dans tous les tissus et organes parcourus par des vaisseaux, est pleinement justifiée. X. — Marche générale de Ifi syphilis. Il est très-extraordinaire que l'infection par le virus syphilitique pro- \oque à certaines époques des symptômes très-saillants, et qu'à d'autres époques aucun symptôme, si ce n'est le gonflement des ganglions lympha- 856 MALADIES CONSTITUTIONNEL!, ES. tiques, ne trahisse la continuation de l'infection. Après la guérison de l'ul- cère primitif, il se passe ordinairement au moins quelques semaines avant peau qui, à mon avis, devaient en résulter, ne fussent des inconvénients beaucoup plus considé- rables que les quelques avantages que la méthode paraissait offrir ; même j'étais à me demander si ces inflammations et mortifications de la peau ne devaient pas contrarier ou rendre complètement impossible l'absorption du sublimé; mais l'expérience est venue m'apprendre bien vite que mes craintes n'avaient rien de fondé. Les douleurs, pour peu qu'on se serve de solutions suffisamment étendues, sont très-supportables et de peu de durée.- SYPHILIS. 863 De même il suffit d'étendre convenablement la solution pour empêcher le développement d'inflammations intenses et de nécroses de la peau. L'absorp- tion du sublimé injecté sous la peau paraît se faire aussi vite que celle de la morphine; en un mot, les avantages du procédé l'emportent tellement sur ses inconvénients, que tout médecin qui voudra soumettre ses malades à ce trai- tement se convaincra bien vite queLenoir a bien mérité de l'art en l'introdui- sant dans la thérapeutique. Au commencement, je me servais dans ma cli- nique, de la seringue si commode et si peu coûteuse de Leiter qui contient 72 centigrammes de liquide/et j'injectais avec cette seringue 1 2 gouttes d'une solution aqueuse de sublimé dans la proportion de 6 centigrammes sur h grammes d'eau. Plus tard je me suis servi de la seringue de Paikrt, qui contient 2 grammes de liquide, et j'ai employé une solution de 6 centi- grammes sur 15 grammes, par conséquent quatre fois plus faible que la première ; le sublimé étendu de la sorte fut injecté une à deux fois par jour à la dose de 75 milligrammes. Cette seringue, également construite par Leiter de Vienne, avait l'inconvénient d'être munie d'une canule trop épaisse dont les piqûres faisaient souffrir et saignaient facilement; aussi j'ai rem- placé cette canule par une autre ayant les mêmes dimensions que celles des seringues ordinaires. Le remède interne que j'ai employé le plus souvent contre l'induration primitive et l'ulcère primitif est le caloijiel. De toutes les préparations mer- curielles, le calomel est celle qui mérite le moins le reproche d'offenser sérieusement la muqueuse intestinale, pour peu qu'on l'administre à doses modérées. Si le calomel avait une influence de ce genre, son emploi, du reste si répandu, surtout dans la clientèle des enfants, aurait les plus grands inconvénients pour un grand nombre d'individus. Qu'il me suffise de rap- peler que la poudre de Plummer dans les ophthalniies et autres affections scrofuleuses, les petites doses de calomel dans la diarrhée des enfants les doses plus fortes et continuées jusqu'à la salivation dans le croup, dans la pleurésie et dans d'autres maladies inflammatoires, comptent encore aujour- d'hui parmi les prescriptions les plus répandues et qu'on les employait encore plus fréquemment il y a dix ou vingt ans. Une expérience excessive- ment étendue a appris qu'un nombre infini d'individus qui, en dehors de. tout traitement antisyphilitique, ont pris du calomel pendant plus ou moins longtemps, n'en ont éprouvé,aucun dommage durable pour leurs digestions ou leur santé générale, et que cette dernière, après l'usage de ce remède est restée aussi bonne qu'auparavant. Si. malgré cela, le calomel ne jouit pas d'une grande réputation comme médicament antisyphilitique, au moins en Allemagne, et si la pluparl îles praticiens lui préfèrent toujours encore le sublimé toutes les l'ois qu'il s'agit de prescrire une préparation mercu- rielle contre uni1 induration primitive on un symptôme secondaire, c'est qu'on accuse le ralomcl, d'abord de provoquer souvent la diarrhée el, en 804 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. second lieu, d'amener de bonne heure la salivation. Je proteste contre l'un et l'autre reproche; d'abord, mes observations ne prouvent nullement que la diarrhée qui se manifeste ordinairement au début d'un traitement par le calomel, diarrhée qui, d'ailleurs, cesse pour ainsi dire constamment au bout de quelques jours, fasse un tort notable au traitement; et comme mal- gré la diarrhée la salivation arrive de bonne heure, nous pouvons conclure en toute certitude que tout le calomel n'est pas évacué, que l'intestin en absorbe au contraire une certaine quantité qui se mêle au sang. Mais pour ce qui concerne le second reproche, la manifestation précoce de la saliva- tion, elle me semble, pour les raisons mises en avant plus haut, un avan- tage et non un inconvénient. J'avoue que précisément dans les cas où, par suite de particularités individuelles, la salivation se manifeste plus tard que je ne m'y attendais ou manque même complètement, je crains d'introduire dans le corps une trop forte quantité de mercure, parce que je suis privé d'un point de repère précieux qui m'annonce qu'il est temps de suspendre l'emploi du médicament. Aux adultes, je donne deux fois par jour 5 centi- grammes ou trois fois par jour 2 1/2 centigrammes de calomel. Quand je prescris le calomel en poudre, je le fais envelopper dans du pain azyme pour gararîtir la muqueuse buccale du contact de ce médicament. Mais ordi- nairement je fais incorporer le calomel avec poudre et extrait de réglisse dans des pilules contenant chacune 2 i/2 centigrammes. — La préparation qu'après le calomel j'ai le plus souvent employée est le proto-iodure de mercure. Je ne connais à cette substance aucun avantage qui doive lui faire accorder la préférence sur le calomel, mais, dans la plupart des cas, j'ai vu son emploi suivi de fortes coliques qui n'accompagnent presque jamais la diarrhée suscitée par le calomel. A raison de ce symptôme pénible, Ricord, à l'autorité duquel le proto-iodure doit sa réputation et la grande faveur dont il jouit, y associe des narcotiques; mais tout en adoptant la formule de Ricord (Pr. : proto-iodure de mercure, thridace ana 3 grammes, extrait thébaïque 1 gramme, extrait de ciguë 6 grammes, F. S. A. 60 pilules) je me suis vu souvent forcé de prescrire aux individus de l'opium à part contre leurs coliques, ce qui m'a finalement fait renoncer au proto-iodure de mer- cure. Parmi les autres préparations mercurielles, je mentionnerai seulement encore le sublimé ; car, quoique moi-même je ne compte nullement parmi les partisans de ce remède et que je le place bien au-dessous des prépara- lions mercurielles mentionnées plus haut, le sublimé n'en est pas moins le médicament le plus souvent employé contre la syphilis. Les propriétés cor- rosives du sublimé défendent son emploi à hautes doses. Une élévation gra- duelle de la dose du médicament me paraît complètement irrationnelle. Espère-t-on par là habituer l'estomac à l'action du sublimé et le rendre apte à tolérer plus tard des doses plus fortes sans être cautérisé ? ou dans quel autre but donne-t-on une dose plus élevée qu'au commencement de la SYPHILIS. 865 cure à une époque où il s'agit de trouver le moment convenable pour cesser le traitement, afin que le corps ne reçoive pas plus de mercure qu'il n'est nécessaire ? On fait surtout l'éloge du sublimé, parce qu'il provoque la sali- vation très-tard, et que, par la cure au sublimé, le corps reçoit moins de mercure que dans l'autre traitement. Il m'est impossible cependant de con- sidérer comme un avantage que les propriétés chimiques du sublimé nous forcent de l'administrer à des doses qui ne permettent que lentement d'ar- river au but que l'on se propose, d'introduire dans le sang une. suffisante quantité de mercure, et je ne puis admettre qu'en administrant le calomel et en interrompant le traitement aux premiers symptômes de salivation, on introduise dans le sang de bien plus fortes quantités de mercure qu'en fai- sant prendre du sublimé, que l'on ne cesse également de donner qu'après la manifestation de la salivation. — Je n'entends nullement contester pour cela que beaucoup d'individus soient guéris de leur syphilis par le sublimé et entre autres même par la méthode si irrationnelle de Dzondi. Si l'on veut employer le sublimé, il ne faut pas le faire prendre au moment où l'estomac est vide ; on le donnera sous forme de pilules qui ne seront pas préparées, comme le veut la formule de Dzondi, avec de la mie de pain et du sucre, mais avec la poudre et l'extrait de réglisse, et l'on n'élèvera pas, comme dans le traitement de Dzondi, la dose de 1 centigramme cà 7 1/2 cen- tigrammes ; mais on fera prendre journellement environ 3 à k centigrammes par doses fractionnées. Pour préserver la muqueuse de l'estomac de l'action corrosive du sublimé, on a proposé d'administrer au lieu du sublimé Yalbu- minate de mercure, c'est-à-dire la combinaison qui, pendant l'usage du su- blimé pur ne se forme que dans l'estomac, aux dépens de la muqueuse stomacale, et l'on sait effectivement par expérience que, dans cette combi- naison, la double dose peut être supportée sans aucun inconvénient. Si je n'étais pas si satisfait de l'effet des remèdes cités en premier lieu, j'aurais recours à l'albuminate. Bserensprung préconise pour ce remède la formule suivante: Pr. : sublimé corrosif 10 centigrammes, œuf n° 1, eau distillée 180 grammes, muriatc d'ammoniaque h grammes. Mêlez exactement. Fil- Irez. S. Une cuillerée à bouche toutes les deux heures. — Les prescriptions diététiques que l'on est obligé de faire pour seconder les traitements mcrcu- riels internes doivent être appropriées à l'individualité du malade. En géné- ral, il convient de restreindre le régime, sans faire précisément jeûner le malade ; par contre, dan:; les conditions qui, dans le traitement du chancre, commandent la même manière d'agir, il y a lieu de conseiller un régime fortifiant. La prescription fort en usage de fortes doses de décoction de bois sudorifiques est inutile. Enfin, pour ne pas exposer le malade, pendant que nous le soumettons à une médication aussi énergique, à d'autres causes morbifjques, nous sommes forcés de bien régler toute sa manière de vivre el de bien surveiller sou état général. Cette raison suffit déjà pour faire N'SMEYER. H. — 55 866 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. garder la chambre aux malades syphilitiques soumis à un traitement mer- curiel, surtout en hiver, et pour les visiter journellement. Si, plus haut, nous avons dit que l'induration primitive et l'ulcère primi- tif, peuvent aussi guérir sans mercure, mais que, avec un traitement non mercuriel, cette guérison est plus lente qu'avec un traitement mercuriel et que, après le premier, les symptômes secondaires se présentent plus fré- quemment et plus promptement qu'après le second, cette règle ne souffre pas d'exception pour les traitements dits débilitants, la cura famis, l'emploi méthodique des sels purgatifs, de la décoction de Zittmann et d'autres breuvages composés, à l'aide desquels on se propose d'exciter à la fois l'activité de la peau, des reins et de l'intestin, en même temps qu'on réduit à un minimum l'alimentation du malade. Si l'on poursuit ces traitements avec une grande énergie, si, par exemple, on réduit le plus possible la nutrition du corps par une cure de Zittmann, simple ou même double, suivie avec toute la rigueur possible, on réussit, il est vrai, quelquefois à hâter la guérison d'une affec- tion primitive, mais souvent, au moment où les malades commencent à se remettre, après onze ou vingt-deux jours déjeune, de leurs transpirations et de leurs purgations, on voit déjà se développer les premiers symptômes- secondaires. L'administration des préparations iodées est tout à fait inefficace contre les affections primitives; mais elle inspire une grande confiance à certains mé- decins qui n'exercent qu'à la campagne ou dans les petites villes, qui, par- conséquent, ont rarement l'occasion de traiter la syphilis et redoutent, outre mesure, les effets du mercure. Je me souviens de plusieurs cas qui se sont présentés dans ma clientèle de Magdebourg, où il s'agissait de voyageurs qui, ayant visité de petites villes et consulté les médecins de ces localités pour un ulcère induré, se présentaient à moi avec des exanthèmes iodiques comme jamais je ne les ai plus revus depuis; les ordonnances apportées par ces individus prouvaient souvent d'une manière évidente que le médecin avait pris l'exanthème iodique pour un exanthème syphilitique; en effet, plus l'exanthème avait gagné d'extension, plus on avait forcé les doses de Viodure de potassium. Les accidents secondaires et tertiaires de la syphilis exigent le traitement le plus prévoyant et le plus circonspect, parce qu'il n'y a peut-être pas de maladie où les erreurs thérapeutiques fassent autant de mal que dans la syphilis constitutionnelle. Les traitements mercuriels rendent presque tou- jours des services éclatants contre les affections secondaires et tertiaires; ils amènent, non-seulement l'amélioration et la guérison des symptômes exis- tants, mais dans quelques cas aussi, un rétablissement complet et durable : mais si, dans les cas où leur emploi est contre-indiqué, on ne cesse d'y reve- nir, ils n'éteignent pas la syphilis et lui communiquent, au contraire, un caractère malin, ayant pour effet de détruire les os, d'amener la dégéné- SYPHILIS. 867 rescence d'organes internes et menaçant même la vie du malade. Si, dans les derniers temps, les formes horribles de la syphilis sont devenues plus rares qu'autrefois, ce fait dépend, sans doute, en partie du discrédit dans lequel sont tombées la grande cure par les frictions et tant d'autres exagéra- rations, et de l'usage, en général, plus restreint et plus circonspect que l'on fait aujourd'hui des préparations mercurielles. — L'indication du mercure pour le traitement de la syphilis constitutionnelle a souvent été formulée en ce sens que les symptômes secondaires exigeraient seuls l'emploi des prépa- rations mercurielles, tandis que les symptômes tertiaires réclameraient l'em- ploi de l'iode. Quoique peu précise, cette proposition est pourtant vraie au fond : dans les affections qui rentrent incontestablement dans la série des phénomènes secondaires, les mercuriaux sont le plus souvent indiqués, et dans celles qui indubitablement, constituent des accidents tertiaires, ces préparations sont le plus souvent contre-indiquées. Mais on fait bien d'ajou- ter à la proposition mentionnée plus haut que, même dans les affections secondaires, lorsqu'on les a, à plusieurs reprises, traitées par le mercure sans résultat suffisant, il n'y a pas lieu de revenir sur ce traitement. — Ce que j'ai dit antérieurement sur la marche de la syphilis suffira, j'espère, pour faire comprendre les principes par lesquels je me laisse guider moi-même pour l'emploi des mercuriaux dans la syphilis constitutionnelle, et l'on com- prendra pourquoi j'ai appelé la manière d'en formuler les indications dont il a été question plus haut, juste au fond, mais manquant de précision. Lorsque, plus ou moins longtemps après la guérison d'un ulcère induré, un individu est atteint de condylomes, d'un exanthème ou d'autres signes d'infection syphilitique, j'institue, sans hésiter, un traitement mercuriel, que l'ulcère induré ait été traité ou non par le mercure, et je prescris, dans ces cas, le^ injections sous-cutanées de sublimé ou l'usage interne du calomel, à moins que je me trouve en présence des cas, si rares, où, soit l'état général du malade, soit la forme de l'affection syphilitique (affection osseuse ou lupus syphilitique), soit les deux causes réunies, annoncent que déjà la constitu- tion du malade a été gravement altérée par la syphilis elle-même, ou parle traitement mercuriel employé contre l'affection primitive. Uniquement dans ces cas exceptionnels, la prescription d'un traitement mercuriel me paraîl contre-indiquée dès la première manifestation d'une infection générale, et cela pour la raison que, si l'on ne réussit pas à faire disparaître la syphilis par le mercure, on peut être presque sur que la récidive prochaine aura un caractère excessivement pernicieux. — Par contre, les heureux résultats du traitement mercuriel contrôles accidents secondaires, chez un individu dont la constitution n'est pas encore affaiblie, sont, comme nous l'avons dit plus haut, des plu* frappants. Les condylomes, les exanthèmes, 'l'angine, etc., se mettent ordinairement à guérir bien plus vite encore qu'un ulcère induré traité par le mercure, et il y a bien des cas où le traitement, non-seule- 8<38 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. ment dissipe les accidents qui existent, mais guérit même radicalement la syphilis. — A côté de ces cas, il y en a, à la vérité, d'autres où la maladie- est devenue seulement latente par le traitement, sans s'éteindre complète- ment, des cas où quelque temps après la disparition des derniers accidents il se présente de nouveaux symptômes de syphilis, ou, comme on s'exprime ordinairement, des récidives. Ces récidives exigent, selon le cas particulier, des traitements bien différents. Si elles consistent en accidents peu graves, par exemple, en plaques muqueuses sur la langue ou en quelques petites pustules sur la tête, si elles sont manifestement plus bénignes que les affec- tions précédentes, il n'y a pas lieu d'instituer un nouveau traitement mercu- riel. La syphilis est loin de toujours s'éteindre subitement; bien plus souvent elle se perd lentement et progressivement, et il nous est permis de compter sur cette extinction progressive toutes les fois que les nouveaux symptômes sont plus bénins que les anciens. Si, dans les cas mentionnés en dernier lieu,, les traite- ments mercuriels ne me paraissent pas indiqués, je donne cependant le conseil de bien surveiller ces sortes de malades, de les soumettre à un régime sévère et de les mettre autant que possible à l'abri de toute influence nuisible, jusqu'à disparition des derniers symptômes syphilitiques. Il convient entre autres de soumettre ces malades à un traitement débilitant, de leur faire prendre au besoin la décoction de Zittmann. Tandis que ces moyens n'ont qu'une efficacité tout au plus palliative tant que la maladie n'est pas arrivée à son déclin, ils paraissent positivement hâter la guérison une fois que cette période est arrivée. — Si les récidives prouvent au contraire que la maladie n'a nullement pris un caractère bénin, si les nouveaux troubles de la nutrition sont tout aussi intenses ou même plus intenses que les précédents, mais s'ils doivent encore être comptés parmi les accidents secondaires et si, ce qui arrive ordi- nairement, la constitution du malade n'a pas encore subi d'altération sérieuse, je prescris un nouveau traitement mercuriel, et souvent même, par exemple en cas d'ulcères du pharynx qui s'étendent rapidement et se compliquent d'une laryngite syphilitique, même un traitement plus énergique qu'auparavant : ainsi je fais faire journellement une friction avec k grammes d'onguent mer- curiel double, ou je donne, d'après la méthode de Weinhold, tous les deux jours ou même tous les jours, deux doses de calomel de 50 centigrammes chacune. Si daus ces derniers temps, on a souvent prétendu que la méthode de Weinhold était tout à fait inefficace, qu'elle devait toujours être considérée comme un simple traitement laxatif, qu'elle ne provoquait pas de salivation et qu'elle n'avançait en rien la guérison des accidents syphilitiques, ce sont là des opinions conçues a priori, et que mes nombreuses expériences faites sur l'administration régulière du calomel à la dose de 50 centigrammes tendent à mettre complètement à néant. — Enfin, dans les cas où les réci- , dives comptent indubitablement parmi les symptômes tertiaires ou seule- ment parmi les formes de transition entre les symptômes secondaires et les SYPHILIS. 869 symptômes tertiaires, et dans lesquels, en même temps, la constitution des malades a été manifestement altérée, soit parla syphilis elle-même, soit par les traitements mercuriels mis en usage, il n'y a plus lieu d'administrer le mercure, qui peut même devenir dangereux. Même dans les cas où l'on ne se trouve en présence que d'une seule de ces deux conditions, soit de a forme du trouble nutritif, soit de la constitution manifestement altérée du malade, je n'emploie pas un atome de mercure et je suis intimement con- vaincu que, par cette précaution, on peut sûrement prévenir les suites fâcheuses du traitement mercuriel. Je puis résumer en peu de mots l'énumération des cas dans lesquels il y a heu de traiter la syphilis parles préparations iodées; en effet, toutes les fois que l'on ne peut espérer une prochaine extinction spontanée de la syphilis, et lorsque, en même temps, les traitements mercuriels sont contre- indiqués, d'après ce qui a été dit plus haut, l'administration des prépara- tions iodées est indiquée d'urgence et rend les services les plus éclatants. Si l'on restreint l'administration de l'iode à ces cas, mais si alors on en pour- suit l'emploi avec la même énergie que l'emploi du mercure dans les cas cités plus haut, on arrivera bientôt à se convaincre que l'efficacité de l'iode contre la syphilis n'est pas moindre que celle du mercure. — La préparation iodée que l'on emploie le plus souvent dans le traitement de la syphilis est l'iodure de potassium. On l'administre ordinairement en solution aqueuse à la dose de 1 à 2 grammes par jour. Quelques médecins prescrivent des doses plus fortes ou ils renforcent la solution d'iodure de potassium par une addi- tion de 5 à 10 centigrammes d'iode sans que, à ce qu'il parait, l'effet du remède en devienne beaucoup plus puissant. L'iodure de fer est également, d'après mon observation, une préparation très-active et très-digne d'être recommandée en cas d'anémie prononcée, quoi qu'en dise Bœrensprung, qui prétend le contraire. Je le prescris ordinairement sous forme de sirop (Pr. : sirop d'iodure de fer, 8 grammes, sirop simple, 60 grammes. Mêlez. S. une cuillerée à café toutes les deux heures) et j'ai vu naître sous l'influence de ce remède plusieurs fois un catarrhe et des exanthèmes iodiques. Ces symptômes, lorsqu'ils se présentent, exigent que l'on suspende la médica- tion, absolument comme la manifestation d'une salivation exige la suspen- sion du traitement mercuriel. Lorsque l'interruption est suivie d'un temps d'arrêt dans la guérison, il faut recommencer le traitement après la cessa- tion du catarrhe et la disparition de l'exanthème. — Ce n'est pas le traite- ment iodé lui-même, mais l'état de la nutrition du malade par lequel ce traitement est indiqué, qui exige dans presque tous les cas que le régime ne soit pas restreint, mais qu'au contraire le malade prenne une nourriture forte et substantielle et qu'en 'même temps il boive un peu de vin ou de bière. Aux malades très épuisés, je prescris même assez souvent, outre l'iode, des préparations de fer et de quinquina ou de l'huile de foie de morue, 870 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. Le traitement local des affections secondaires et tertiaires peut se borner : à l'extirpation de condylomes de longue durée, vu que ces derniers, tout en séchant constamment sous l'influence d'un traitement mercuriel, ne dispa- raissent pas toujours complètement; à l'emploi de l'atropine et des saignées locales dans l'iritis; enfin, à quelques opérations chirurgicales rendues nécessaires par les inflammations destructives de la peau, par la carie et la nécrose, etc. — La plupart, des formes secondaires et tertiaires n'exigent aucun traitement local. La syphilisation qui, dans les dernières années, a surtout été exaltée par Auzias Turenne, Sperino et Bœckh comme un moyen certain d'éteindre la syphilis et de procurer au corps une immunité contre toute infection nou- velle a, dès à présent, perdu presque tout crédit et n'est plus guère mise en usage que par les fondateurs de la nouvelle doctrine et par quelques disci- ples entêtés ou fanatiques. Pour la syphilisation, la méthode à employer consiste à provoquer sur la peau d'un individu atteint de syphilis constitu- tionnelle des chancres par voie d'inoculation, jusqu'à ce que l'inoculation finisse par ne plus donner de résultat. Abstraction faite de ce que certains individus n'ont obtenu aucune immunité contre une nouvelle atteinte du virus chancreux par l'inoculation de quelques centaines, voire même de mille ou de deux mille chancres, il faut encore considérer que, chez les in- dividus qui ont fini par être inoculés sans résultat, on a été loin d'observer constamment la guérison d'affections syphilitiques existantes, ce qui prouve que, même dans les cas où la guérison a fini par arriver, il est plus que douteux que cette guérison ait été le résultat de la syphilisation. CHAPITRE II Syphilis congénitale ou héréditaire. § 1. Pathogénie et ktiologie. Dans ce qui suit, nous ne nous occuperons pas de ces formes de syphilis des nouveaux-nés, qui se produisent lorsqu'un enfant est contaminé au mo- ment de la naissance par des ulcères syphilitiques qui existent aux parties génitales de la mère, ou bien lorsqu'un enfant à la mamelle est infecté par des ulcères syphilitiques aux mamelons, aux lèvres et à d'autres parties du corps de sa mère ou de sa nourrice. En effet, dans ces conditions, les acci- dents de l'enfant ne diffèrent pas sous le rapport de l'origine, aussi bien que de la marche, de la syphilis des adultes. Sous le nom de syphilis congénitale héréditaire, la seule dont nous parlerons ici, on entend cette forme de la syphilis des nouveau-nés qui a été déposée en germe dans le corps de l'em- SYPHILIS CONGENITALE OU HEREDITAIRE. 871 -bryon, soit parla syphilis constitutionnelle du père, pendant la fécondation, .soit par celle de la mère pendant la grossesse. La manière dont la maladie du père ou de la mère se transmet à l'embryon est enveloppée, d'obscurité, •et nous nous bornerons, pour cette raison, à énuinérer purement et simplement les faits connus et bien constatés sans chercher à les expliquer. Si une femme devient enceinte pendant qu'elle est atteinte de syphilis constitutionnelle, le fœtus meurt presque toujours de bonne heure et est ■expulsé par un avortement ou un accouchement prématuré. La putréfaction •avancée du fœtus empêche ordinairement dans ces cas de reconnaître s'il porte des traces de syphilis ou non. Même dans le cas où une femme, bien portante au moment de la conception, a contracté une syphilis secondaire •pendant sa grossesse, il y a généralement avortement ou accouche- ment prématuré et expulsion d'un fœtus déjà en putréfaction. Dans d'autres cas le fœtus arrive bien à terme, mais meurt peu de temps avant la naissance ou en naissant, et Ton remarque sur son corps •misérable, soit des signes évidents de syphilis, soit, pour toute anomalie, un fort amaigrissement. 11 est rare que l'enfant naisse vivant et conserve la vie plus ou moins longtemps. Dans ces cas, on voit des symptômes syphilitiques -aussitôt après la naissance ou, au contraire, la syphilis est encore à l'état •latent et ses symptômes ne se manifestent qu'après des semaines ou des mois. Si donc la syphilis constitutionnelle de la mère exerce une influence tellement pernicieuse sur le fœtus, que beaucoup d'enfants de mères syphi- litiques meurent déjà avant ou pendant la naissance, on comprend facile- ment que la plupart des cas de syphilis congénitale qui tombent sous l'ob - servation clinique et deviennent l'objet d'un traitement médical concernen ; des enfants originaires d'un père syphilitique. Un fait très-extraordinaire, mais sûrement constaté, c'est que, dans ces cas, la syphilis peut se trans- mettre du père à l'enfant sans infecter l'organisme de la mère dans l'utérus ■de laquelle séjourne l'enfant atteint' de syphilis. La syphilis héréditaire pro- venant d'un père syphilitique se trahit également dans quelques cas immé- diatement après la naissance par des signes évidents, tandis que, dans d'autres cas, c'est seulement plus tard que l'on voit apparaître des troubles nutritifs caractéristiques. § 2. Symptômj.s et marche. Les symptômes de la syphilis congénitale consistent principalement en affections de la peau et des muqueuses ; rarement et seulement dans les cas où la maladie traîne longtemps avant que l'on parvienne à l'éteindre ou avant qu'elle enlève les enfants malades, les os se prennent à leur tour. — 872 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. Les cas dans lesquels les enfants sont venus au monde avec des signes de syphilis ou en ont été atteints très-peu de jours après la naissance, sont or- dinairement plus malins que ceux dans lesquels la maladie reste latente pendant plusieurs semaines. Les premiers de ces cas, dans lesquels la maladie ne se trahit en général que par une syphilide huileuse ou pustuleuse, et quelquefois aussi par un coryza syphilitique (voy. plus bas), ont été longtemps mal interprétés et décrits sous le nom de pemphigus des nouveau-nés. L'éruption de l'exan- thème, si les enfants ne l'apportent pas en naissant, commence ordinaire- ment à la plante des pieds et à la paume des mains, et ne gagne que plus tard les bras et les jambes, le tronc et quelquefois la face. Au commence- ment, on remarque des taches arrondies dont la grandeur varie entre celle d'un pois et celle d'une fève, et qui sont d'une couleur rougeàtre. Après un temps assez court, la couche épidermique qui les couvre est soulevée en bulle par un liquide trouble. Les bulles qui se sont développées les premières éclatent et laissent à leur suite des endroits excoriés, humides Ai la peau qui ne se disposent pas à guérir, en même temps de nouvelles bulles se montrent, surtout aux doigts et à l'extrémité des orteils. Assez fréquemment quelques ongles se détachent. Les bulles qui naissent plus tard suivent la même évolution que les premières, et comme de jour en jour il se produit de nouvelles bulles, le malheureux finit par être écorché à des places in- nombrables. Même dans la bouche et le nez, j'ai observé de ces bulles. La maladie dure huit à quinze jours, plus rarement trois à quatre semaines, et se termine invariablement par la mort. Quelques cas de pemphigus syphili- tique que j'ai observés dans ma clientèle privée m'ont laissé une impression ineffaçable : c'étaient des mères qui, sans se douter que l'horrible maladie fût le fruit du libertinage du mari, lavaient elles-mêmes tous les jours leur enfant avec une patience touchante et pansaient chaque doigt, chaque orteil. Le tableau de la maladie n'est plus le'même quand la syphilis congénitale reste latente pendant les premières semaines. (La syphilide bulleuse com- mence toujours dès la première semaine de l'existence.) Les enfants vien- nent ordinairement au monde dans un état de nutrition satisfaisant et ne se distinguent en aucune manière d'autres enfants non atteints de syphilis. Environ quinze jours après la naissance, dans d'autres cas, seulement dans la quatrième ou la huitième semaine, on s'aperçoit que les enfants devien- nent inquiets, maigrissent et prennent un teint remarquablement sale. En même temps la peau devient flasque, sèche et rugueuse ; la paume des mains et la plante des pieds semblent entre autres souvent couvertes d'une mince pelure d'oignon. Bientôt les enfants éprouvent des difficultés à prendre le sein, parce que la muqueuse nasale est gonflée et le nez constamment rempli d'une sécrétion liquide : ce gonflement de la muqueuse nasale et son SYPHILIS CONGÉNITALE OU HÉRÉDITAIRE. 873 abondante sécrétion produisent un ronflement particulier presque pathogno- mique pour la syphilis congénitale, ce qui fait que l'on ne risque guère de se tromper si l'on se base sur ce symptôme et sur l'état particulier de la peau pour poser le diagnostic d'une syphilis congénitale, en supposant même que les autres symptômes fassent encore défaut. Dans la plupart des cas, il se joint au coryza bientôt un exanthème qui, partant le plus souvent du pour- tour de l'anus, s'étend aux parties génitales, aux cuisses, aux fesses et au sacrum, mais qui peut aussi envahir d'autres régions, par exemple, la face. Cet exanthème montre des transitions insensibles de la forme maculée à la forme populeuse et squameuse. Les différentes taches, dont la grandeur varie entre celle d'une lentille et celle d'une fève, sont arrondies, d'une teinte cuivrée ou rouge tirant sur le jaune, elles deviennent tout à fait jaunes sous la pression du doigt, et sont disséminées ou confluentes. Au commencement elles ne dépassent pas le niveau de la peau environnante, plus tard, elles le dépassent un peu, mais ne sont ordinairement pas bombées dans ce dernier cas, mais aplaties et comme pourvues d'une facette supérieure. Au fur et à mesure que la maladie fait des progrès, on les trouve souvent couvertes, soit de squames épidermiques, soit d'une petite plaque cohérente qui se détache comme une pelure mince ; enfin, aux endroits exposés au contact des ma- tières fécales et de l'urine, elles sont transformées en excoriations. Un sym- ptôme presque constant de la syphilis congénitale, c'est, en outre, la produc- tion de rhogades aux points de transition entre la peau extérieure et les muqueuses, surtout à la bouche et à Yanus. Souvent on s'aperçoit très-bien que les enfants craignent de se servir de leurs lèvres gercées et saignant au moindre effort pour teter, et qu'ils ne peuvent les contracter ni pour rire ni pour pleurer. Les profondes fissures qui entourent l'anus rendent aussi la défécation très-douloureuse, et les enfants pleurent et se lamentent à chaque évacuation. Aux rhagades à l'anus s'ajoutent assez souvent des condylomes, et dans les cas négligés il se produit entre les fesses et quelquefois même dans le pli de l'aine et à d'autres endroits du corps, où l'intertrigo se mani- feste chez les enfants sains, de vastes ulcères plats d'une forme particuliè- rement irrégulière et anguleuse ; les ulcères ne sécrètent qu'un produit rare qui se dessèche en une croûte mince, colorée en brun rouge par un mélange de sang. — Comme nous l'avons dit plus haut, il est rare, que la syphilis congénitale se jette sur les os ; cependant on cite quelques cas où les ulcères généralement superficiels de la muqueuse nasale oui envahi tes tissus profonds et ont amené déjà dans la première année la destruction des os du nez et l'affaissement de cet organe. Dans d'autres cas, également rares, la syphilis passe inaperçue dans le cours de la première année ou devient latente à la suite du traitement employé et seulement vers l'époque de la puberté elle éclate sons la forme maligne du lupus syphilitique ou des ma- ladies osseuses syphilitiques. — A l'autopsie d'enfants qui oui succombé ^ 874 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. la syphilis congénitale ou qui, nés de mères syphilitiques sont venus morts au monde, on trouve quelquefois des troubles caractéristiques de la nutri- tion dans les organes internes, surtout dans le foie et le poumon, rarement dans le cerveau; les troubles se bornent, dans le foie, ordinairement à une induration diffuse et uniforme, formant la terminaison d'une hépatite sim- ple, non gommeuse. Dans le poumon, on observe des nodosités dont la grosseur varie entre celle d'un pois et celle d'une noix, à centre caséeux, aussi bien qu'un épaississement diffus décrit pour la première fois par "Virchow sous le nomd'hépatisation blanche, et qui dépend d'une accumulation, dans les alvéoles, de cellules épithéliales très-abondantes, ayant en partie subi la dégénérescence graisseuse. Dans le cerveau, Schott a trouvé, dans un cas de syphilis congénitale, des tumeurs gélatiniformes, ayant les dimensions d'une noisette, et dont le siège était à la face inférieure des deux lobes antérieurs du cerveau. Enfin, on a vu, dans un certain nombre de cas, des abcès dans le thymus considérablement augmenté de volume. § 3. Traitement. Tous les remèdes ont échoué jusqu'à présent contre la syphilide bulleuse des enfants nouveau-nés. — Dans la seconde forme de la syphilis congéni- tale, que nous avons décrite, on obtient, au contraire, sous l'influence d'un traitement rationnel, des résultats très -favorables. Les moyens les plus re- commandables et le plus souvent mis en usage, consistent dans l'adminis- tration de petites doses de calomel (un demi-centigramme soir et matin), et en frictions avec de l'onguent mercuriel (journellement ou tous les deux jours 30 à 50 centigrammes). Il n'est pas permis d'attendre le commence- ment de la salivation, il faut au contraire suspendre le traitement aussitôt que Fou remarque une amélioration notable des phénomènes morbides, et recommencer le traitement dès que cette amélioration semble subir un temps •d'arrêt. Un fait très-important, c'est de chercher à soutenir les forces de l'enfant par une nourriture aussi fortifiante que possible; mais on ne peut guère songera mettre l'enfant au sein d'une nourrice, parce que. l'on expose cette dernière au danger de la contagion. — Le fait si souvent observé qu'un enfant atteint de syphilis congénitale infecte rarement sa mère, mais sou- vent sa nourrice, trouve une explication toute simple dans cette circon- stance, qu'ordinairement la mère est déjà atteinte de syphilis, ce qui la met h l'abri d'une infection nouvelle. APPENDICE MALADIES INFECTIEUSES TRANSPORTÉES DES ANIMAUX A L'HOMME Nous ne parlerons ici que de la morve et de la rage. Quoique le charbon et la pustule maligne appartiennent également aux maladies infectieuses qui sont transmises des animaux à l'homme, nous en abandonnons la des- cription aux ouvrages de pathologie externe, parce ^que ces affections sont principalement chirurgicales. CHAPITRE PREMIER !a morve chez l'homme. § 1. Pathogénie et étiologie. Chez les solipcdes, surtout chez le cheval, l'âne et le mulet, on observe une maladie infectieuse qui porte le nom de morve ou celui de farcin, selon le siège qu'affectent les troubles nutritifs développés sous l'influence du virus. Le virus de la morve, identique à celui du farcin, se reproduit dans l'organisme qui en est infecté, et la transmission de ce virus, reproduit dans l'individu malade, à un autre individu, est le mode de propagation le plus fréquent et proprement le seul mode de propagation delà maladie ; ou, en d'autres termes : la morve appartient aux maladies contagieuses, et probable- ment aux maladies purement contagieuses. Lecontagium morveux que nous ne pouvons isoler, ni par le microscope, ni par l'analyse chimique, pas plus que n'importe quel autre contagium, et dont l'existence ne nous est révélée que par ses effets, est renfermé dans le contenu des tubercules morveux que nous décrirons plus tard, dans l'écoulement nasal, de même que dans le sang et (Viborg) dans les produits de sécrétion, l'urine, la salive, la sueur. Il est douteux qu'il soit de nature volatile et qu'il puisse se communiquer 876 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. aux émanations gazéiformes de l'individu malade. Le fait que la maladie est contagieuse à la distance de dix à douze pas,, pourrait dépendre de ce que des particules du mucus nasal sont lancées par les chevaux à cette dis- tance, ou de ce que le liquide virulent, expulsé par les nasaux, forme de petites bulles qui se maintiennent pendant quelque temps dans l'air et sont entraînées au loin par le plus faible courant. La morve des chevaux, des ânes, des mulets et des mules est susceptible de se transmettre à quelques autres mammifères. L'homme aussi^est très-apte à contracter la morve, c'est pourquoi il n'est pas rare d'observer cette maladie chez les cochers, les palefreniers, les soldats de cavalerie, les vétérinaires, les équarrisseurs et autres individus qut sont souvent en contact avec les animaux malades. Dans quelques cas rares, et sans doute, uniquement par les autopsies, on a vu le virus morveux être transmis d'un homme à un autre. — Le virus morveux semble pouvoir traverser l'épidémie et la couche épithéliale des muqueuses, puisque la plupart des cas de contagion se produisent indépendamment de toute lésion de la peau. § 2. Anatomie pathologique. Les troubles nutritifs qui se produisent sous l'influence de l'infection mor- veuse, consistent en un développement de nodosités particulières dans la muqueuse du nez, dans les ganglions lymphatiques de la peau, dans les muscles, le poumon, et dans d'autres organes, nodosités qui sont d'abord dures, mais qui se ramollissent bientôt, se désagrègent et se transforment en abcès et en ulcères. D'après Yirchow, dont la description nous sert prin- cipalement de modèle, ces nodosités ou tubercules ont pour point de départ une hyperplasie cellulaire. Dans les tubercules récents, on rencontre des cellules jeunes, petites et délicates et des noyaux libres en grand nombre : dans les tubercules plus grands et plus âgés, on trouve des cellules plus grandes, à noyaux manifestes, qui sont serrées les unes contre les autres et forment presque toute la masse du tubercule. A une période plus avancée, les cellules les plus âgées subissent une évolution régressive, se remplissent en partie de granulations graisseuses, perdent la netteté de leurs contours et se désagrègent, de sorte qu'à la fin le tubercule ne renferme plus que des masses de détritus et quelques éléments isolés. Virchow attire l'atten- tion sur la similitude qui existe entre l'évolution des nodosités de la morve et du farcin et celle des tubercules, mais il fait remarquer en même temps que cette similitude ne permet de tirer aucune conclusion sur l'essence du processus, puisque la même marche, surtout la formation des niasses caséeuses aux dépens d'un tissu à cellules, se remarque non-seulement dans le tubercule, mais dans le pus, le cancer, le sarcome. LA MORVE CHEZ L'HOMME. 877 Chez les chevaux, les ânes, etc., les boutons qui se développent sur la mu- queuse nasale et qui constituent la morve par excellence, ont la grosseur d'un grain de ehènevis ou d'un pois. Les ulcères qui se forment après leur rupture sont d'abord isolés ou réunis par groupes, mais peu à peu ils con- fluent, de sorte que la muqueuse prend un aspect particulier, comme rongé. Par suite du développement et de la rupture de nouvelles nodosités dans les bords, au fond et dans le pourtour des ulcères, et par suite de la fonte gan- greneuse des surfaces plus étendues, la destruction s'étend et gagne aussi en profondeur, finalement les cartilages et les os sont mis à nu, se nécrosent et sont éliminés. L'éruption des petites nodosités est accompagnée d'un ca- tarrhe de la muqueuse nasale, qui montre une grande intensité à l' en- tour de ces produits et qui est accompagné d'une sécrétion d'abord ténue et transparente. Plus tard, ce liquide devient épais, visqueux, purulent et, si l'ulcération est arrivée à une période avancée, il prend un mauvais aspect ou devient rougeàtre par un mélange de sang, répand une ordeur nauséa- bonde, pénétrante, et renferme des détritus de tissus mortifiés. Les tumeurs qui se forment chez les solipèdes dans les ganglions lymphatiques, dans la peau, etc., et qui constituent le farcin, sont plus volumineuses que les bou- tons morveux proprement dits, renferment une plus grande quantité de masse caséeuse, sont isolées ou réunies par groupes et forment des cordons en forme de chapelet. Après leur rupture, il se développe des ulcères arron- dis, inégaux, à bords élevés ou renversés, à fond sale et bosselé, et fournis- sant une sécrétion abondante, ichoreuse, qui agglutine souvent les poils des environs et, en se desséchant, forme avec eux des croûtes dures. Chez l'homme, on observe aussi bien la morve que le farcin; cependant la dernière forme l'emporte ordinairement, atteint de préférence la peau et y donne lieu à des éruptions qui sont plus nombreuses et plus étendues que celles qu'on a l'habitude d'observer chez les animaux. Les lésions delà mu- queuse nasale sont exactement les mêmes que celles qu'on observe chez les chevaux. Les foyers développés dans la peau, le tissu cellulaire sous-cutané, les muscles et les poumons sont ordinairement de nature plutôt purulente que caséeuse de sorte que, dans la peau, on les prend facilement pour des pustules, et que dans le tissu cellulaire sous-cutané, dans les muscles, dans les poumons, ils offrent la plus grande ressemblance avec des abcès métas- tatiques. Chez l'homme également, les vaisseaux et les ganglions lympha- tiques prennent très-souvent part à la maladie sous forme de lymphangite et de hinphadénite, et, dans quelques cas, il se développe, comme chez le cheval, de véritables chapelets farcineux. Des parois des vaisseaux lymphati- ques l'inflammation s'étend assez souvent à la peau environnante, qui devient par là le siège d'un érysipèle malin, disposé à se transformer en gangrène. 878 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. § 3. Symptômes et marche. La période d'incubation de la morve etdufarcin est d'une durée très-varia- ble. Si le virus morveux a été déposé sur une plaie, les premiers phéno- mènes morbides peuvent déjà se présenter au bout de trois ou quatre jours;, si, par contre, l'infection a eu lieu sans lésion de la peau (peut-être au moyen delà respiration), la maladie ne se déclare souvent qu'après des mois. — L'extension et la marche de l'affection varient également dans l'un et l'autre cas. Lorsque le virus a agi sur une plaie, d'ordinaire on voit se dé- velopper d'abord des phénomènes locaux : la plaie s'enflamme, les vaisseaux lymphatiques qui y aboutissent forment des cordons noueux; les ganglions lymphatiques correspondants se transforment en tumeurs douloureuses ; l'inflammation qui existe autour de la plaie prend un caractère érysipéla- teux; il se développe un œdème considérable, la peau se couvre de bulles et de pustules contenant un liquide sale, ichoreux, ou même de véritables bulles gangreneuses; souvent, on voit se former des abcès dans le voisinage des vaisseaux lymphatiques enflammés ou même des destructions phleg- moneuses considérables. Il paraît que dans quelques cas la maladie n'a- vance pas plus loin et se borne aux troubles nutritifs que nous avons signalés àl'entour de la plaie envenimée et à une fièvre qui correspond à l'intensité des troubles. Mais souvent des symptômes d'une affection générale viennent s'ajouter à ces phénomènes locaux. Dans le cas où le virus n'est pas entré par une plaie, les symptômes généraux ouvrent la scène. On donne généralement le nom de période prodromaïe ou de période d'in- vasion au temps pendant lequel l'infection générale se trahit par la fièvre,, par une perturbation de l'état général et par quelques phénomènes mor- bides, surtout de nature subjective, mais pendant lequel on voit encore' manquer les troubles nutritifs caractéristiques de la morve et du farcin. L'intensité de la fièvre est variable ; dans quelques cas, on n'observe qu'au début un frisson unique et violent; dans d'autres, les accès de frisson se ré- pètent plusieurs fois. La peau devient chaude, la soif augmente, le pouls s'accélère, les malades se sentent faibles et abattus, se plaignent de maux de tête, dorment mal, ont perdu l'appétit, en un mot ils présentent des phéno- mènes analogues à ceux qui accompagnent d'autres maladies infectieuses et' même des affections locales compliquées de fièvre. Cependant, à ces sym- tômes vient s'ajouter un phénomène constant et pour ainsi dire caractéris- tique ; nous voulons parler de violentes douleurs articulaires et musculaires. Ces douleurs ont principalement leur siège dans le voisinage des grandes articulations; elles augmentent par la pression et les mouvements, et sont accompagnées, quelquefois, mais non toujours, d'un gonflement modéré des endroits douloureux. Si, d'un côté, ces douleurs musculaires et articu- LA MORVE CHEZ L'HOMME. 879 laires peuvent souvent faire prendre la maladie pour un rhumatisme, elles peuvent, d'un autre coté, lorsqu'on les rattache à des commémoratifs sus- pects, permettre de saisir de honne heure la vraie signification de l'état général. Après que la première période a duré plus ou moins longtemps, assez souvent trois à quatre semaines et même au delà, ces symptômes ayant pré- senté, soit une exacerbalion continue, soit une diminution de plus en plus marquée, jusqu'à disparaître presque complètement, la maladie entre dans la seconde période, période de localisation morbide ou d'éruption. Dans cette seconde période, le tableau de la maladie présente diverses modifications, suivant que cette dernière se localise dans telle ou telle partie. Si, à l'état de morve, dans un sens restreint, elle envahit de préférence la muqueuse nasale, il se développe sur la peau du nez et de ses environs une inflammation érysipélateuse ; le nez, les paupières, le front enflent, deviennent d'un rouge foncé, se couvrent de bulles ou de taches bleuâtres, signes avant- coureurs d'une gangrène cutanée. Les malades, pendant ce temps, ne peu- vent pas respirer par le nez, et il s'écoule par les narines d'abord un liquide rare, ténu et mêlé de stries de sang, plus tard une sanie fétide; si le malade est couché sur le dos, la sécrétion se rend par les fosses nasales postérieures dans le pharynx et excite le malade à expectorer et à tousser. La muqueuse buccale, le voile du palais, les amygdales sont également attaqués par la salive et se montrent d'un rouge foncé et couverts d'eschares ou d'ulcères. — A côté de ces phénomènes de la morve ou bien, si la muqueuse nasale reste épargnée, sans eux, on observe le plus souvent des modifications ca- ractéristiques dans la peau, que l'on considérait autrefois comme un exan- thème pustuleux, jusqu'à ce que Yirchow eût démontré que dans les pus- tules morveuses il ne s'agit pas d'un soulèvement bulleux de f épidémie par un exsudât déposé à la surface du derme, mais d'une destruction circon- scrite de ce dernier, au-dessus de laquelle l'épidémie reste intact pendant un certain temps. Au commencement, les endroits malades de la peau sont, d'après Yirchow, fortement rougis et très-petits, presque comme des mor- sures de puces, plus tard, ils se transforment en papules : plus tard encore les petites élevures prennent un aspect pustuleux et l'on trouve sous l'épi- démie un liquide jaune, assez consistant, qui comble une lacune du derme. Le contenu des pustules morveuses, qui se rencontrent souvent en nombre immense sur la peau, devient quelquefois sanguinolent et se dessèche plus tard en petites croûtes brunes ou noirâtres. — Outre ces éruptions dissémi- nées, Yirchow décrit des agglomérations plus grandes de boulons farcineux, situés plus profondément dans la peau cl correspondant à des gonflements plus grands, plais, durs et rouges, uu-dessus desquels l'épidémie se soulè\e plus tard en bulles bleuâtres, dues à un épanchemenl hémorrhagique. Mèine la couche supérieure du derme qui couvre ces agglomérations s'infiltre 880 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. d'un exsudai h émorrhagique interstitiel et se réduit plus tard eu un détritus pulpeux. — Les boutons farcineux du tissu sous-cutané et des muscles sont tantôt accompagnés d'une infiltration inflammatoire étendue du tissu envi- ronnant et donnant alors lieu aux phénomènes d'un phlegmon diffus, tantôt ils représentent des tumeurs circonscrites fermes ou pâteuses, n'occasion- nant aucune douleur, et pouvant se développer d'une manière tout à fait latente. Quelquefois, le contenu de ces boutons se résorbe, plus souvent la peau qui les couvre s'ulcère ou subit une espèce de fonte gangreneuse et il se forme des destructions étendues allant en profondeur jusqu'à l'os. — La participation du poumon et de la muqueuse bronchique à l'affection se trahit par la dyspnée, la toux et des râles. La petitesse des foyers ne permet pas de les découvrir à l'examen physique. Plus les phénomènes morbides que nous venons d'énuinérer se développent simultanément en grand nombre et plus ils font de progrès rapides , plus le malade , présentant les signes d'une adynamie extrême et d'un état typhoïde ou d'une fièvre putride, succombe promptement à cette maladie qui, jusqu'à présent, s'est constamment terminée par la mort. La mort peut survenir déjà au bout de quelques jours, tandis que, dans d'autres cas, la maladie traîne jusque dans le troisième septénaire. Dans la morve et le farcin chroniques les troubles nutritifs sus-mentionnés de la muqueuse nasale, du tissu conjonctif sous-cutané et des muscles se développent plus lentement et en plus petit nombre que dans les formes aiguës que l'on rencontre beaucoup plus fréquemment. La peau reste ordinairement épargnée; par contre, le poumon et la muqueuse bronchi- que s'affectent de bonne heure. Assez souvent il arrive que l'éruption se fait par poussées, séparées par des intervalles libres, et l'on considère la maladie comme éteinte jusqu'au moment ou un abcès froid ou une autre éruption se reproduit. La plupart des malades succombent encore, dans un état de marasme à la morve et au farcin chroniques, et l'on n'a rapporté qu'un bien petit nombre de cas où la maladie se serait terminée par la guérison. § L\. Traitement. Une des lâches les plus importantes de la police sanitaire consiste à restreindre autant que possible, par des arrêtés sévères, les chances de transmission du virus d'animaux morveux ou farcineux à l'homme. Cette prophylaxie, qui n'est pas de notre ressort, peut seule donner des résul- tats certains, tandis que dans les cas où la légèreté et l'égoïsme font éluder les prescriptions d'hygiène publique souvent les plus grandes précautions sont impuissantes à prévenir un malheur. — Ce n'est qu'immédiatement après RAGE, HYDROPHOBIE, LYSSA. 881 l'action du virus sur une plaie, que l'on peut espérer prévenir l'infection générale en cautérisant énergiquement le lieu d'inoculation. — Les re- mèdes proposés contre la morve et le farcin confirmés, le calomel à haute dose, les préparations iodées, la solution arsenicale de Fowler, les injec- tions d'une solution concentrée de créosote dans le nez ou un traitement hydrothérapique énergique, sont restés sans effet d'après l'expérience faite jusqu'à présent. Ce qui convient le mieux, c'est un traitement symptoma- tique qui doit avoir en vue aussi bien les troubles locaux que la fièvre et l'état des forces du malade. CHAPITRE II Rage. — Hydrophobie. — I.yssa. § 1. Pathogéxie et étiologie. La question si embarrassante de l'essence de la rage et de la place qui doit lui être assignée dans le cadre nosologique n'a pas encore trouvé de solution. Le fait que le viras, dont l'absorption provoque la maladie, se re- produit dans le corps du malade, fait pencher fortement la balance vers l'opinion de ceux qui voient dans la rage une maladie infectieuse. Les phé- nomènes morbides qui s'observent dans certaines classes d'animaux sont également favorables à cette hypothèse, et les deux formes principales que la maladie affecte chez les chiens, la rage mue et la rage furieuse, ne rap- pellent-elles pas ces deux formes de la fièvre typhoïde décrites par les an- ciens sous les noms de fibris nervosa stiqrida et de fibres nervosa versatilis ? D'un autre côté, cependant, il existe quelques raisons qui s'opposent jus- qu'à un certain point à l'idée de ranger la rage dans la même catégorie que les typhus, les exanthèmes aigus et d'autres maladies infectieuses, et ici je rappellerai avant tout les différences bien constatées dans la durée de l'incubation de la rage chez les différents individus. Nous sommes loin de connaître pour toutes les maladies infectieuses aiguës le temps qui s'écoule entre l'action du contagium et l'invasion de la maladie, mais nous admet- tons que pour une infection donnée les différences dans la durée de l'incu- bation sont très-peu considérables chez ces divers individus. Dans la rage, au contraire, la durée de l'incubation, abstraction l'aile de certaines exagé- rations, varie entre des semaines et des mois entiers, lui outre, l;i fièvre dont l'intensité et la marche n'ont été, il es( vrai, bien constatées que dans un petit nombre de cas parmi lesquels je compte un exemple observé dans R1EHEYER. II. — 5G 882 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. ma clinique et décrit par le docteur Wiesner$ présente des particularités tout autres que celles qui distinguent les maladies infectieuses aiguës. Dans la rage, les symptômes qui prédominent sont ceux qui s'observent dans cer- taines parties du système nerveux, condition qui n'offre qu'une bien faible analogie avec les névralgies, que dans l'infection palustre on rencontre quelquefois à la place des symptômes fébriles. — La plus grande ressem- blance est celle que les symptômes de la rage humaine offrent avec les symptômes du tétanos, bien qu'il me soit impossible de comprendre com- ment on a pu nier l'existence de la rage comme maladie particulière pour la confondre avec le tétanos. Dans aucun des cas bien observés on n'a si- gnalé ni une tension continue des muscles du dos ni des douleurs dans les muscles contractures, phénomènes qui ne manquent jamais dans le tétanos proprement dit. La différence entre la rage et le tétanos consiste en ce que les spasmes, que Ton peut appeler tétaniques si l'on veut, ne se manifestent dans la rage que par paroxysmes isolés et qu'ils restent limités à certaines parties du système nerveux, qui précisément sont loin d'être atteintes de préférence dans le tétanos rhumatismal ou traumatique. Romberg, en appe- pant la rage une toxonenrose, dit à peu près tout ce que nous savons de l'essence de cette maladie. Si l'on ne savait par l'expérience que le virus est produit dans le corps de l'individu malade, l'opinion la plus admissible serait celle d'une névrose toxique, ou, pour parler en termes plus généraux, d'une névropathie toxique qui, d'un nerf périphérique exposé à l'action directe du virus, se propagerait à la moelle allongée et de là au cerveau; comme, d'un autre côté, des modifications de la plaie ou de la cicatrice précèdent dans beau- coup de cas l'invasion de la maladie et que le temps qui s'écoule entre l'ap- parition de ces modifications et l'explosion de la maladie est très-court, le plus simple serait d'admettre un état latent de l'intoxication qui resterait d'abord limitée à l'endroit lésé, et qui, cet état latent étant arrivé à son terme, se propagerait ensuite très-rapidement en suivant une direction cen- tripète. Cet état latent se rapprocherait le plus de celui de la syphilis qui interrompt les diverses manifestations de la maladie. Tous ces raisonne- ments sont cependant dépourvus d'une base solide sur laquelle on puisse fonder des assertions positives. Nous ne chercherons pas à approfondir la question de savoir si la rage des animaux appartenant au genre chien, laquelle incontestablement se transmet d'un animal à un autre par voie de contagion, ne se propage que de cette manière ou si dans des cas donnés elle peut aussi naître spontané- ment. La rage des autres animaux et la rage humaine sont exclusivement contagieuses. Le virus contenu dans la salive, et le sang peut-être aussi dans d'autres liquides des animaux atteints, n'est pas de nature volatile, mais fixe ; il ne pénètre pas à travers î'épiderme intact et n'a, par conséquent, RAGE, HYDROPHOBIE, LVSSA. 883 jamais de suites fâcheuses quand il n'agit pas sur un endroit de la peau dé- pouillé de son épidémie. La morsure d'un chien enragé est la cause la plus fréquente de la rage humaine. Il est plus rare que la maladie soit due à la morsure d'autres animaux atteints de rage, tels que loups, chats, renards, botes à cornes, etc. La possibilité de la contagion d'un homme sain par la morsure d'un autre homme atteint de rage n'est pas sûrement constatée; par contre, on a pu transmettre plusieurs fois la maladie par inoculation de l'homme aux ani- maux. Aux endroits découverts du corps, la morsure d'un animal enragé est bien plus dangeièuse qu'aux endroits couverts de vêtements , parce que •dans ce dernier cas la salive empoisonnée ne pénètre pas aussi facilement jusque dans la plaie, mais se trouve essuyée par les vêtements. D'après ce que nous avons dit plus haut, il n'y a aucun danger à être simplement léché par un animal atteint de rage ou à exposer la peau d'une autre ma- nière au contact de sa salive,, de son sang, etc.,, à moins qu'à l'endroit exposé il ne se trouve par hasard une fente de l' épidémie ou quelque autre lésion de ce genre. Il faut une certaine prédisposition à la maladie, qui heureusement n'est pas très-répandue pour que le virus agissant sur un endroit dénudé de la peau entraine le développement de la rage. L'inoculation faite par Hert- wig avec la salive d'animaux enragés n'a eu de résultats que dans la pro- portion d'environ 23 pour 100. Sur 100 animaux inoculés, 77 sont donc restés indemnes et, d'après les rapports statistiques de Faber, sur l/i,*> in- dividus mordus dans le Wurtemberg par des chiens enragés il n'y en a eu •que 28 qui aient contracté la maladie. § 2. Anatomie pathologique. Dans les cadavres des individus morts de rage, on ne trouve aucune lé- sion caractéristique. Les modifications les plus fréquentes sont: une rigidité cadavérique interne, des lividités étendues, une putréfaction très-rapide au point que peu de temps après la mort on trouve déjà des bulles de gaz dans les vaisseaux, dans le cœur et dans le tissu conjonctif ; une forte imbi- bition de l'endocarde et des parois vasculaires, une bypérémie et des exsu- dations séreuses dans le cerveau et ses enveloppes, dans la moelle épinière, dans quelques ganglions du grand sympathique et dans quelques nerfs; une hypérémie, un gonflement et une accumulation de mucosité visqueuse dans la ca\ité bucco-pharyngienne ; une bypostase et un œdème des parties postérieures du poumon; un engorgement sanguin des parois de l'estomac et des grands viscères glanduleux de l'abdomen. Toutes ces modi- fications, surtout l'injection des centres nerveux el des nerfs, ;'i laquelle on 884 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. a parfois attaché de l'importance pour l'explication de la maladie, ne sont cependant rien moins que constantes et paraissent se produire, pour la plu- part, peu de temps avant la mort à la suite des troubles subis par la respi- ration et la circulation dans les accès que nous décrirons au paragraphe suivant. — -Dans le cas soumis à mon ohservation, l'autopsie a montré un gonflement manifeste des amygdales et de l'appareil folliculaire du dos de la langue et de la paroi postérieure du pharynx, observation qui se trouve être en parfaite harmonie avec celles de Virchow. § 3. Symptômes et marche. La plupart des cas de rage bien observés et bien décrits offrent entre eux une frappante analogie. Dans le cas soumis à mon observation, le tableau horrible qui se déroulait sous nos yeux s'accordait également, pour tous les traits caractéristiques, avec la description magistrale que Romberg a puisée dans ses observations personnelles aussi bien que dans des observations étrangères. Comme on admet généralement que les processus morbides dus à Faction d'un virus spécifique ne diffèrent entre eux qu'autant que cela peut s'expliquer par les différences qui existent entre les individualités atteintes et entre les degrés de l'intensité avec laquelle le virus a pu exercer son action, il y a lieu d'accueillir avec une certaine méfiance certaines observations de rage humaine d'après lesquelles le tableau de la maladie aurait différé essentiellement du nôtre, et dans lesquelles les phénomènes les plus caractéristiques et la succession tout aussi caractéristique de ces phénomènes ont été passés sous silence ou ont positivement manqué. Ces observations, en effet, nous paraissent soit incomplètes, soit erronées. Plus loin, nous reviendrons d'ailleurs sur ces erreurs de diagnostic et la confu- sion d'autres maladies avec la rage humaine. Quant à la durée de l'incubation, les opinions diffèrent. Les rapports d'après lesquels la maladie n'aurait éclaté que vingt à trente ans après la- morsure d'un chien, enragé, aussi bien que ceux d'après lesquels la rage aurait éclaté dès le second ou le troisième jour après la morsure se fondent évidemment sur des faits mal observés. L'incubation la plus courte paraît être de huit à dix jours, la plus longue de douze à treize mois. Dans la plupart des cas, la maladie éclate entre le quinzième et le quarante-cin- quième jour après la morsure. On ne se rend pas compte des causes de ces inégalités dans la durée de l'incubation. — Le fait annoncé par Marochetti de vésicules qui pendant l'incubation se formeraient sous la langue, et dont la destruction préviendrait l'explosion de la maladie ne s'est pas confirmé; par contre, on observe dans beaucoup de cas vers la fin de l'incubation, environ deux à trois jours avant l'invasion de la rage, des modifications par- RAGE, HYDROPHOBIE, LYSSA. 885 ticùlières clans la plaie, ou bien si celle-ci, comme cela arrive ordinaire- ment, est guérie, dans la cicatrice : la plaie prend un aspect livide, doulou- reux et sécrète un liquide ténu et ichoreux; la cicatrice, qui, ordinairement, s'est fermée rapidement et sans phénomènes extraordinaires, devient rouge bleuâtre, enfle et parfois se rouvre. En môme temps, certains malades accusent des sensations douloureuses qui partent de la plaie ou de la cica- trice et suivent une direction centripète, ou bien une sensation d'engour- dissement dans le membre mordu. Dans beaucoup de cas, ces phénomènes manquent au point d'application du virus. Dans la première période de la maladie, la période prodromale, les indi- vidus accusent une certaine lassitude,- de l'abattement, de l'insomnie, de l'inappétence, parfois surviennent des vomissements; tous ces phénomènes n'ont rien de caractéristique et s'observent tout aussi bien dans la période prodromale d'autres maladies ; la dépression morale que l'on rencontre ordinairement chez ces malades a fait donner à cette période le nom de pé- riode de mélancolie. Mais très-souvent aussi, comme cela a eu lieu chez mon malade, homme très-grossier et en même temps très-intrépide, la dépres- sion psychique ne va pas au delà de ce qu'elle est dans n'importe quelle autre perturbation de l'état général. Si chez d'autres malades la crainte de la rage atteint un degré extraordinaire avant l'explosion de la maladie, et à l'époque où se produit un sentiment de malaise général, nous ne devons certainement pas confondre cette mélancolie, trop justement motivée, avec un état morbide de l'âme. Les cas, rien moins que rares, dans lesquels l'in- fluence morale exercée par la morsure d'un chien sain, mais suspect de- rage, entraine une mélancolie grave chez des individus prédisposés à un état semblable ne doivent pas être confondus avec la rage. — Quelques malades accusent déjà pendant la période prodromale une pression dans la région précordiale et font de temps à autre des inspirations profondes, suspirieuses, sous l'influence desquelles le diaphragme s'abaisse fortement et chasse l'épigastre en avant; en même temps les muscles angulaires, fortement contractés, le trapèze, etc., relèvent les épaules; les mouvements, inspirations énergiques et involontaires, sont les premiers indices des spasmes toxiques des muscles inspirateurs, qui, dans la seconde période, préparent de si affreux tourments aux malades. Après que la période de mélancolie a duré environ deux ou trois jours, commence la seconde période, période de rage confirmée, d'Jujdrophobie, période convulsive. Cette période commence par un accès de suffocation qui éclate subitement quand le malade essaie de boire et qui le met dans l'im- possibilité d'avaler une seule goutte de Liquide. Au moment même où le liquide est arrivé dans la bronche et provoque un mouvement de déglutition, il se produit des mouvements d'inspiration convulsifs; le thorax se soulève par saccades et reste arrêté finalement pendant dix à vingt secondes dans ta 886 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. position inspiratoire la plus profonde. Pendant ce temps l'angoisse et la ter- reur se peignent daus les traits du malade; il ouvre largement les veux, rejette la tête et les épaules en arrière, puis vient une expiration qui met lin à l'accès. Je me suis parfaitement assuré que les muscles inspirateurs- participent aussi bien que ceux du pharynx à ces accès convulsifs. On sait que cette combinaison de contractions spasmodiques dans les deux appareils que nous venons de nommer est un phénomène des plus communs; elle se pro- duit constamment dans les efforts inutiles qui précèdent le vomissement; la même chose arrive dans les efforts qui succèdent aux irritations du pha- rynx par le doigt, par le laryngoscope, etc. Tout effort de vomissement est accompagné d'une sensation de- suffocation due à la contraction des muscles inspirateurs, qui accompagne les contractions spasmodiques du pharynx, et tout nous autorise à considérer les spasmes en question qui forment le symptôme pathognomonique de la rage, et dont la description se rencontre dans trente observations bien faites, comme de violents spasmes vomitifs. La crainte des liquides, V hydrophobie n'est que le résultat des terribles expé- riences faites par le malade à chaque essai de boire. Ainsi les choses se sont passées non-seulement dans le cas soumis à mon observation, et dans lequel le malade, individu très-énergique et très-courageux avait fait des efforts répétés pour boire même sans y être invité, avant d'en venir à repousser avec horrreur le verre chaque fois qu'on le lui présentait, mais il en est de même dans tous les cas de rage bien observés et bien décrits. Les rapports- qui tendent à représenter l'hydrophobie comme un mal primordial et indé- pendant ne méritent aucune créance. — Plus les accès se répètent, plus les- malades s'en effrayent. Alors la simple invitation à boire, la présentation d'un verre rempli d'eau leur occasionnent la plus grande inquiétude. Enfin la simple vue d'un verre ou d'un objet luisant qui leur rappelle l'eau les épouvante et leur cause un désespoir semblable à celui du malheureux condamné qui voit les instruments de son supplice. Un fait remarquable, c'est qu'au commencement les aliments solides peuvent être avalés sans chaque fois provoquer ces violents spasmes réflexes ; par contre, à mesure que la maladie fait des progrès, d'autres causes encore peuvent les provo- quer. Un simple courant d'air venant toucher la peau, le contact de celle-ci avec un objet froid, l'irritation subite des yeux par une lumière éclatante, même des excitations soudaines des centres psychiques, la vue d'un objet courant, une surprise, un étonnement suffisent pour provoquer des accès. D'après mes observations, lorsque les spasmes réflexes sont dus à l'excitation d'autres organes que la bouche et pharynx, les muscles du pharynx restent épargnés. Quand on touchait inopinément mon malade, il ouvrait largement la bouche, rejetait la tête en arrière et soulevait le thorax au point de lui donner la même position que dans l'inspiration la plus profonde ; en même RAGE, HYDROPHOBIE, LYSSA, 887 temps l'épigastre était fortement bombé en avant: mais il n'y avait pas de véritables efforts pour vomir. Au summum de la maladie les accès semblent parfois se produire sans aucune cause extérieure : mais je crois que même ces attaques, spontanées en apparence, doivent être assimilées à des spasmes réflexes et qu'elles sont provoquées par une accumulation de mucosité vis- queuse dans le pharynx ou par la salive qui tend à y descendre. Cette sup- position se fonde sur la précipitation et l'absence de toute retenue avec laquelle les malades rejettent la salive et les mucosités, et sur l'essai qu'ils font d'enfoncer les doigts profondément dans la gorge pour en retirer la moinde trace de salive ou de mucosité. Différents auteurs relatent, dans la symp.tomatologie de la rage, des spasmes tétaniques ou épileptiformes; ce- pendant en étudiant avec soin les observations connues il m'a été impossible de découvrir un seul cas où une description minutieuse des spasmes pût me convaincre qu'il s'agissait là de véritables attaques de tétanos ou d'éclampsie. Il n'est dit nulle part que les muscles du dos étaient tendus, même en dehors des accès ; pas davantage, que le malade avait perdu connaissance pendant les convulsions générales. Chez mon malade il y avait également de l'opisthotonos, il se débattait avec les bras et les jambes et s'agitait si fiévreusement dans son lit qu'il tomba à terre à plusieurs reprises. Mais ces phénomènes rappelaient bien plutôt les spasmes hystériques ou la conduite d'un individu torturé en proie au plus affreux désespoir. Aux symptômes que nous venons de décrire s'ajoutent bientôt des accès de fureur indomptable dans lesquels les malades détruisent tout ce qui se trouve devant eux, frappent, piétinent, grattent, mordent lorsqu'on veut les retenir et attentent souvent à leur propre existence si on ne les surveille pas avec l'attention nécessaire. Le fait de mordre et de pousser des sons inarti- culés qui rappellent le hurlement au l'aboiement, ne se rencontre pas plus fréquemment dans les accès maniaques de l'hydrophobie que dans ceux qui s'observent dans le cours des maladies mentales chroniques '. Il n'est pas rare que dans l'intervalle de leurs accès qui, rarement, durent plus d'un quart-d'heure ou d'une demi-heure les malades prient leur entourage de se mettre en garde contre leur fureur, qu'ils demandent pardon du mal qu'ils ont pu faire et mettent ordre à leurs affaires dans la prévision d'une mort prochaine. Après que les spasmes et les accès de rage sont revenus de plus en plus souvent pendant deux à trois jours, leur intensité diminue en 1 L'ingénieux Romberg l'ail même la remarque on ne peut plus juste qu'une certaine disposition à mordre doit être comptée parmi les circonstances qui, jointes à l'absence des spasmes réflexes caractéristiques, inel à l'abri d'une confusion de la rage véritable avec certains étals hypdchondriaques el maniaques que provoquent souvent chez les individus mordus la simple crainte de la rage. Rien ne s'oppose à ce que des étals semblables soient désignés sous le nom de Lyssophobic ou d'hydrophobiei 888 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. raison de la faiblesse croissante du malade; rarement la mort arrive, au point culminant de la maladie, dans un accès de suffocation produit par une attaque plus intense et plus prolongée que les autres. Ordinairement l'épuisement des malades augmente d'heure en heure, la voix devient faible et enrouée, la respiration haute, le pouls petit, irrégulier et très-fréquent, et la mort arrive au milieu des phénomènes d'une paralysie générale, quel- quefois précédée d'une trompeuse amélioration. On pourrait supposer que les accès de fureur qui surviennent dans le cours de la maladie sont un simple effet du désespoir; qu'un homme, qui sans être atteint de rage, aurait à supporter pendant un à deux jours et à de courts intervalles, les tourments de la suffocation, devrait également tomber dans un état de désespoir et de fureur. Un jour je voyais un malade atteint d'une violente pharyngite, qui, lorsque je l'invitais à essayer de boire un peu d'eau me fit tomber le verre de la main d'un coup violent et se comporta comme un forcené. Quelque chose d'analogue s'observe aussi chez les individus atteints de croup ou d'oedème de la glotte. Ce qui semblerait parler encore en faveur de cette hypothèse, c'est qu'il y a des individus doués d'un naturel particulièrement calme et paisible et qui atteints de rage n'entrent pas dans cet état de manie furieuse. Toutefois ce sont là des exceptions des plus rares, et parmi les raisons qui tendent à faire rejeter l'opinion de ceux qui ne voient dans la manie rabique qu'un simple effet du désespoir, il faut citer précisément la manifestation presque constante de cet état chez les indivi- dus, même les plus paisibles, aussi bien que le degré extraordinaire de la manie chez les individus atteints de rage. Il nous paraît donc plus juste d'admettre que dans cette maladie les causes de la manie furieuse sont autres que des causes morales, et que cet état est plutôt dû à une trans- mission de l'excitabilité réflexe, pathologiquement exagérée, qui des cen- tres moteurs des nerfs pharyngiens et des nerfs inspirateurs se jette sur les organes centraux des fonctions psychiques. Les symptômes de la manie offrent de nombreuses analogies avec les spasmes réflexes. Des explosions de fureur, des actes violents sont provoqués chez les maniaques par des causes psychiques insignifiantes aussi bien que les plus violents spasmes réflexes succèdent, dans le tétanos, aux plus faibles excitations de l'enve- loppe cutanée. § l\. Traitement. Pour ce qui concerne les mesures de police sanitaire par lesquelles l'État doit mettre les habitants autant que possible à l'abri du danger provenant des animaux enragés, nous nous bornerons aux courtes observations suivantes: le moyen prophylactique le plus sûr et même le seul qui offre des garanties, RAGE, HYDROPHOBIE, LYSSA. 889 est (renfermer les chiens et de veiller avec la plus grande rigueur à l'exé- cution de cette mesure. On n'aura aucune espèce d'égard pour les ama- teurs de la race canine, et je voudrais que tout individu pris d'une pitié dé- placée pour « ces pauvres victimes », qui fait des pétitions contre leur séquestration ou le port des muselières fût condamné à n'observer que pen- dant une demi-heure un homme atteint de rage ; certes, il ne lui en fau- drait pas davantage pour être guéri de ses scrupules. La plupart des muse- lières qu'on a l'habitude d'appliquer aux chiens ne les empêchent nullement de mordre, et aussi ce moyen n'est efficace qu'autant que ces appareils sont soumis au contrôle le plus sévère. Un point très-important est de ne pas tuer immédiatement les chiens suspects de rage, mais de les faire enfermer et rigoureusement surveiller. La mort spontanée qui bientôt met fin à l'exis- tence des chiens enragés et les phénomènes qui la précèdent permettent bien mieux de juger si l'animal a été enragé ou non que si l'on s'en rap- porte à l'autopsie. Celle-ci, en effet, surtout si l'animal a été tué violem- ment, ne permet nullement d'affirmer d'une manière positive que le chien a été ou non enragé, et des affirmations téméraires de cette nature ont déjà causé bien des malheurs. On peut dire tout au plus qu'un résultat négatif, lorsqu'aucun organe d'un chien suspect de rage ne montre des altérations qui expliquent les phénomènes morbides et la mort spontanée de l'animal, offre un solide appui au diagnostic de la rage posé pendant sa vie, et ce dia- gnostic approche de la certitude lorsque l'on trouve dans l'estomac certaines substances, telles que cheveux, paille, chiffons, etc., qui ne sent guère ava- lées par les chiens bien portants, mais très-souvent par les chiens enragés. Quand un homme a été mordu par un chien suspect de rage, la prophy- laxie exige que l'endroit qui est entré en contact avec le virus soit détruit; et ici nous rappellerons que l'on fera bien de soupçonner la rage chez n'im- porte quel chien qui, sans provocation ou sans avoir antérieurement mani- festé une tendance à mordre, aura mordu un individu. La prophylaxie locale consiste, d'après cela, dans l'excision de la plaie ou de la cicatrice suivie d'une application énergique du fer rouge ou d'un caustique très-diffusible, tel que potasse caustique, chlorure d'antimoine, etc. En outre, il y a lieu de ne pas laisser trop tôt se fermer la plaie qui reste après l'élimination de l'eschare, mais de l'entretenir en suppuration, s'il est possible, pendant des mois entiers. Ces mesures promettront d'autant plus de succès qu'on les aura mises en usage plus tôt, mais il n'est pas permis de les négliger, même alors que des semaines entières se sont écoulées depuis la morsure. D'autres moyens prophylactiques sont l'emploi des préparations mercurielles jusqu'à salivation, puis l'administration de la belladone à hautes doses, enfin une série d'autres remèdes dits antirabiques. 11 est fort douteux; que jamais l'explosion de la rage ait été empêchée par l'un ou l'autre de ces remèdes, et l'on se demande si les cas dans lesquels après l'emploi du mou- 890 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. ron [AnagalUs arvensis), de la croisette [Gentianu cruciata), de la rose pâle (Rosa cunina), du genêt des teinturiers (Genista lateotînctoria), des cantharides et des vers de mai la rage n'a pas éclaté, sont à compter parmi les 77 pour 100 des individus mordus, chez lesquels il n'y avait pas de prédisposition à la contagion et, par conséquent, pas de rage. Comme ces remèdes n'ont pas la moindre utilité palliative après l'invasion de la maladie, leur vertu pro- phylactique est également très-douteuse et, pour cette raison, je crois qu'il n'est nullement indiqué d'exposer un homme mordu par un animal enragé aux effets fâcheux d'un traitement mercuriel, tandis que, sans hésiter, j'em- ploierais n'importe quel moyen dangereux si des faits d'observation positive en établissaient l'utilité. Une fois la maladie éclatée, l'espoir de la guérir ou de diminuer seulement les souffrances du malade est des plus faibles, attendu que jusqu'à présent nous ne connaissons pas un seul cas de rage sûrement constaté, qui se soit terminé autrement que par une mort cruelle. Le simple soin de garder ces malheureux doit déjà être compté parmi les tâches les plus difficiles et ne doit être confié qu'à des personnes éprouvées pour être aussi humaines que courageuses et énergiques. On évitera avec le plus grand soin tout ce qui menace de provoquer le retour des spasmes, et plus tard des paroxysmes de fureur. Pour calmer la soif des malades on leur fera administrer par inter- valles de petits lavements à l'eau froide qui dans le cas soumis à mon obser- vation étaient bien supportés et promptement absorbés. Dans les cas récents, si les malades sont jeunes et robustes on pratiquera une large saignée, moyen qui, dans quelques cas connus, a été d'une utilité palliative incontes- table. En outre, si le malade les supporte, on lui fera faire de temps à autre quelques inhalations de chloroforme, et on lui fera des injections sous-cuta- nées avec une solution concentrée de morphine. Les effets favorables obtenus dans quelques cas de tétanos avec le curare me décidèrent à essayer égale- ment l'emploi de ce remède dans le cas de rage soumis à mon observation. Je fis donc des injections sous-cutanées avec une solution de curare qui aupa- ravant avait été soigneusement éprouvé, à la dose de 5 miligrammes au commencement, et plus tard d'un centigramme, et ces injections furent répétées à trois heures d'intervalle. Tout en jugeant le résultat obtenu avec une réserve extrême je ne pus cependant me dissimuler que ce traitement était d'une utilité palliative évidente et qu'il procurait au malade bien plus de soulagement que les solutions concentrées de morphine qui furent égale- ment employées. Le malade insistait continuellement sur l'application des injections de curare parce qu'il avait lui-même gagné la conviction qu'elles lui procuraient du soulagement. Cette expérience suffit pour recommander instamment l'emploi de ce moyen dans chaque nouveau cas de rage humaine qui pourra se présenter, et comme il n'y a rien à compromettre, d'user au besoin de doses encore plus élevées que les miennes. TROISIEME SECTION ANOMALIES GÉNÉRALES DE LA NUTRITION SANS INFECTION CHAPITRE PREMIER Chlorose. — Pâles couleur.*. § 1, Patiiogénie et étiologie. L'histoire de l'anémie et de lTrydrémie rentre dans le domaine de la pa- thologie générale, attendu que ces anomalies de la quantité et de la compo- sition du sang ne constituent pas des maladies indépendantes, mais ne se développent que dans le cours et à la suite d'autres maladies. Il n'en est plus de même de. la chlorose. — La crase sanguine qui appartient à la chlo- rose proprement dite, est toute autre que la ci'ase hydrëmique. Dans la chlorose, il y a simplement diminution des éléments cellulaires du sang, tandis que le contenu du sérum en albumine et en sels reste ordinairement normal ; dans l'hydrémie, au contraire, le sang est non-seulement pauvre en cellules sanguines, mais encore le sérum est plus pauvre en albumine et probablement plus riche en sels. La crase sanguine de la chlorose (oligo- cythémie, Vogel) se développe dans beaucoup de cas d'une manière indé- pendante ou, pour parler plus correctement, elle se développe Irès-souvent sans que nous soyons en étal, comme cela est ordinairement le cas pour l'anémie et l'hydrémie, de l'attribuera des états morbides ayant pour effet une usure plus forte du sang ou une diminution dans la production de ce liquide. Dans ce chapitre nous n'aurons à nous occuper que de cette olygo- cythémie idiopathique ou chlorose proprement dite, tandis que les cas rares d'olygo-cythérnie syinptoinalique, qui se développent dans le cours d'une maladie déterminée, seront passés sous silence. 892 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. La chlorose est, chez les femmes, une des maladies les plus fréquentes de l'âge de quatorze à vingt-quatre ans ; il est donc naturel d'attribuer aux phé- nomènes qui se produisent dans l'organisme de la femme pendant le déve- loppement delà puberté, une influence majeure sur la production de cette maladie ; mais nous ne connaissons pas la signification physiologique de ce rapport. De même, nous ignorons en grande partie les conditions qui favo- risent le développement de la chlorose à l'époque de la puberté, car si, dans beaucoup de cas, il n'est pas improbable que le séjour dans un air vicié, la privation de mouvements, une mauvaise alimentation, l'agitation psychi- que, les mauvaises lectures, l'onanisme et, en général, toutes les influences antihygiéniques ont contribué au développement de cette maladie, on la rencontre cependant encore assez souvent chez des jeunes filles qui se trou- vent dans des conditions diamétralement opposées : qui travaillent à l'air toute la journée, qui se nourrissent convenablement, ne lisent pas de ro- mans et n'ont pas de vices secrets. Je me contenterai de dire en passant que j'ai vu se développer une chlorose opiniâtre chez toutes les jeunes filles qui, dès la douzième ou la treizième année, étaient menstruées, sans qu'aupa- ravant les signes extérieurs de la puberté (gonflement des mamelles et poils au pubis), se fussent développés. — Beaucoup plus rarement la chlorose, ou olygo-cythémie sans cause connue, se montre chez les enfants, chez les femmes enceintes ou arrivées à l'âge critique ou enfin chez les hommes; cependant les exemples d'individus placés dans ces conditions et qui ont contracté la chlorose sont encore assez nombreux. § 2. ÀNATOMIE PATHOLOGIQUE. Les altérations du tissu caractéristiques de la chlorose concernent princi- palement le sang, que l'on est en droit d'appeler avec Virchow un tissu composé de cellules et d'une substance intercellulaire liquide. Comme déjà nous l'avons fait remarquer, la substance intercellulaire, le sérum, n'offre pas d'anomalies constantes. Sa composition est ordinairement normale; dans quelques cas rares le contenu en albumine est diminué, ce qui rapproche- rait la crase chlorotique de la crase hydrémiquc; dans d'autres cas encore, la proportion d'albumine parait augmentée dans le sérum et une. hyperal- buminose coexiste alors avec l'olygo-cythémie. Dans les deux premiers cas, la quantité absolue du sang est sans doute toujours un peu diminuée; mais, dans le dernier cas, on ne saurait contester la possibilité d'une augmentation de la quantité absolue du sang, malgré la diminution des corpuscules san- guins, en un mot d'une pléthore, c'est-à-dire d'une pléthore séreuse coexis- tant avec l'olygo-cythémie. — La diminution des corpuscules sanguins, dans la chlorose prononcée, est si grande que sur 1000 parties de sang, au lieu CHLOROSE, PALES COULEURS. 893 de la moyenne normale de 130 parties de corpuscules secs, on n'en trouve plus que 60 ou aO. A l'autopsie d'individus chlorotiques, morts d'une ma- ladie intercurrente, on trouve les organes internes remarquablement pâles. Dans quelques cas, on constate dans la tunique interne des gros vaisseaux les signes d'une dégénérescence graisseuse simple (vol. I). § 3. Symptômes et marche. Le symptôme le plus frappant de la chlorose est l'état pâle de la peau et des muqueuses visibles. Chez les femmes blondes, dont la peau contient géné- ralement peu de pigment, la surface du corps est [d'un blanc pur; chez les brunes, dont la peau est ordinairement plus fortement pigmentée, on re- marque, au contraire, un teint sale, gris ou jaunâtre. C'est aux oreilles que la couleur pâle est souvent le plus fortement prononcée, et parmi les mu- queuses, celles qui se distinguent le plus par leur décolaration, sont la con- jonctive et la muqueuse gingivale. La cause de cette altération de couleur est facile à saisir : le nombre des corpuscules rouges du sang auxquels ce liquide doit sa couleur propre et les tissus dans lesquels il circule, leur re- flet rouge, est, d'après ce que nous avons dit au paragraphe 2, descendu à moitié, au tiers ou même encore plus bas. — L'exception à la règle, c'est-à- dire la teinte constamment rouge des joues, que l'on a observée clans quel- ques cas de chlorose, est également facile à saisir si l'on se rappelle que les conditions d'où dépend la coloration des joues, sont d'abord la couleur du sang et en second lieu la turgescence et la distension des capillaires. Or, de même qu'il y a des individus qui, malgré la teinte foncée de leur sang, ont des joues pâles, parce que les capillaires de leurs joues sont faiblement rem- plis, de même aussi, on voit des individus chlorotiques qui, malgré la couleur claire de leur sang, ont constamment les joues rouges, parce que les capil- laires de leurs joues sont toujours gorgés de sang ou dans un état variqueux. Le fait, sur lequel d'ailleurs nous reviendrons plus loin, que presque toutes les filles chlorotiques rougissent momentanément au moindre échauffement ou à la moindre émotion, s'explique également par un engorgement mo- mentané des capillaires. La graisse du tissu conjonctif sous-cutané est souvent normalement, quel- quefois même extraordinaircment développée clic/ le; chlorotiques. Ce phénomène est d'une grande valeur pour le diagnostic différentiel de la chlorose et de l'anémie chronique qui, souvent, se développe dans le cours d'uni travail de consomption latent ou de quelque maladie non encore re- connue qui met obstacle à la formation du sang. Dans celle anémie ou hydréniie symptomatique, qui souvent a été confondue avec la chlorose, h- 894 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. pannieule graisseux disparait ordinairement de bonne heure, en même temps que la coloration de l'enveloppe cutanée. — Les épanchements œdé- mateux dans le tissu conjonctif sous-cutané sont rares dans la chlorose. Si, par conséquent, un œdème des pieds se montre en coïncidence avec une pâleur peu intense de la peau, on doit soupçonner, non l'existence d'une chlorose, mais celle d'une hydrémie, et réciproquement, si à côté d'une pâleur extraordinaire des joues, des oreilles et des lèvres, on n'aperçoit pas la moindre trace d' œdème, il est infiniment probable que le sérum sanguin a sa composition normale, qu'on se trouve en présence d'une oligo-cythé- mie pure et non 'd'une hydrémie. La respiration est notablement gênée par la crase chlorotique, attendu que dans cette dernière le sang est souvent privé de plus de moitié des élé- ments qui absorbent l'oxygène et cèdent l'acide carbonique. Le nombre ordinaire des mouvements respiratoires ne suffit plus pour opérer l'échange des gaz dans le poumon dans une mesure suffisante pour les besoins du corps. A chaque effort corporel, exagérant la désassimilation et la produc- tion d'acide carbonique, le besoin de respirer et le nombre des inspirations s'élèvent à un degré fatigant pour le malade. Pour cette raison aussi, pres- que toutes les malades se plaignent d'être essoufflées dès qu'elles marchent vite, qu'elles montent un escalier, etc. — La diminution de l'échange des gaz dans le poumon et surtout celle ds l'oxygène absorbé par le sang, expli- quent une nouvelle série de symptômes caractéristiques delà ehorose. Avant tout les muscles, qui, pour agir vigoureusement ont besoin d'un sang bien oxygéné, ont perdu une partie de leur énergie ; les malades se fatiguent facilement, se plaignent de pesanteur dans les jambes, et souvent de légers efforts suffisent déjà pour occasionner ces douleurs musculaires pseudo- rhumatismales, qui, chez les personnes pourvues d'un sang normal, ne se manifestent ordinairement qu'après des effort immodérés et extraordinaires. — Si, pour le fontionnement normal des muscles, il est essentiel qu'un sang riche en oxygène les traverse, il n'est pas moins nécessaire, pour le fonctionnement normal des nerfs, qu'ils soient nourris par un sang bien oxygéné. Pour presque toutes les névroses, nous avons donc dû mentionner au paragraphe de l'étiologie la crase chlorotique. Le plus souvent les femmes chlorotiques souffrent de névralgies et, parmi les névralgies périphériques, ordinairement de celle du trijumeau, parmi les affections névralgiques d'or- ganes internes, de cardialgies. Les anesthésies, les spasmes et les paralysies sont plus rares chez les chlorotiques et s'observent principalement dans les cas où il se développe, comme quelquefois cela arrive, une hystérie pro- noncée dans le cours de la maladie. — Quelques traces d'hystérie, se tra- hissant par une hvperesthésie générale, physique et psychique, par une humeur sombre et facile à irriter, par une disposition à pleurer et, souvent, par des envies particulières, comme, par exemple, de manger des fèves de CHLOROSE, PALES COULEURS. 895 café, de ronger des crayons, des ardoises, etc., se rencontrent chez presque toutes les filles chlorotiques. Les organes de la circulation offrent dans la chlorose des anomalies fonc- tionnelles nombreuses et caractéristiques. Les malades se plaignent presque toutesdebattementsdecœur. Antérieurement déjànousnous sommes exprimé en ce sens que ces plaintes ne reposent qu'en partie sur un renforcement ou une accélération de l'activité cardiaque et qu'elles dépendent tout autant de l'hypéresthésie générale, par suite de laquelle l'impulsion du cœur, dont la plupart des hommes n'ont pas conscience, même lorsqu'elle est considéra- blement renforcée par l'effet d'une hypertrophie prononcée, se fait sentir de la manière la plus pénible (vol. I). A l'auscultation du thorax, on entend souvent du côté du cœur et des grandes artères les bruits de souffle souvent mentionnés, auxquels on a donné, pour les distinguer des bruits anormaux déterminés par des altérations de texture, le nom de bruits san- guins. L'origine de ces bruits est assez obscure. Le nom qu'ils portent leur a été donné à tort en ce sens qu'ils sont loin de dépendre directement de la modification subie par la composition du sang. Ce qui paraît le plus pro- bable, c'est qu'ils ont leur raison d'être dans une tension anormale des val- vules et des parois artérielles. Il arrive encore bien plus souvent qu'on entend dans la veine jugulaire interne un bourdonnement particulier connu sous le nom de bruit de diable i. Ce bruit est généralement plus fort du côté droit que du côté gauche et disparaît, quand on fait prendre à la ma- lade la position horizontale ou qu'on lui fait faire une expiration forcée. Le mode de production du bruit de diable parait être le suivant. La partie infé- rieure de la jugulaire interne, qui est située derrière l'articulation sterno- claviculaire, est fixée de tous côtés contre les parties environnantes, ce qui l'empêche de s'affaisser comme d'autres veines, lorsque le sang y pénètre en moiudre quantité. Si un jet de sang mince se rend des veines du cou dans ce large espace, il ne peut le remplir qu'autant qu'il exécute, en le traversant, un mouvement giratoire. Ce courant giratoire fait entrer en vibrations sonores la paroi veineuse. Pendant un mouvement de rotation du cou du côté opposé, mouvement qui fait éprouver une compression aux veines de cette région de la part du muscle omo-hyoïdien et des aponé- vroses cervicales, le bruit de diable s'entend même chez laplupart des individus sains et pléthoriques. Lorsqu'on l'entend même en l'absence de cette rotation du cou et qu'il est très -fort, il signifie toujours que l'individu en question a des veines faiblement remplies et qu'il souffre d'un appauvrissement du sang. — L'excitabilité augmentée du système nerveux nourri par un sang pauvre 1 Ce bruit doit son nom à un jouet d'enfant que l'on appelle diable eu France ei nonne dans plusieurs parties de L'Allemagne, «l'on ]<■ nom de bruil de nonne, par lequel les Allemands désignent te même phénomène,. 896 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. en oxygène s'étend, aussi aux nerfs vaso-moteurs et devient cause de la faci- lité avec laquelle les chlorotiques rougissent et pâlissent. — Dans les organes de la digestion il se produit pendant la chorose, outre les cardialgies déjà mentionnées, des troubles importants qui, si on ne les observe pas exacte- ment et d'une manière suivie, peuvent donner lieu à de dangereuses erreurs. L'appétit est presque toujours diminué. Après le repas, il se produit une pression et un état de trop-plein k l'épigastre, des renvois acides et d'autres phénomènes dyspepsiques qui, chez la plupart des malades, dépendent d'une faiblesse atonique de la digestion (vol. 1) et qui s'amendent aussitôt que la crase du sang est devenue meilleure. Indépendamment de cette ano- malie cligestive peu grave et disparaissant facilement sous un traitement rationnel, on rencontre chez les chlorotiques, assez fréquemment et mal- heureusement trop souvent sans le reconnaître, l'ulcère chronique de l'esto- mac. Dans le traitement d'une fille chlorotique on ne doit jamais perdre de vue l'idée que lacardialgie et la dyspepsie pourraient dépendre de cette impor- tante question de la paroi stomacale et l'on doit mettre à profit toutes les ressources du diagnostic pour bien juger le cas. Si l'on néglige ce précepte, il arrive facilement qu'on n'apprend à connaître la triste vérité qu'au pre- mier vomissement de sang et quelquefois, hélas ! seulement aux signes d'une perforation de la paroi stomacale. L'urine des chlorotiques, lorsqu'elles n'ont pas de fièvre intercurrente, est extrêmement légère et limpide. Le faible poids spécifique de l'urine dépend principalement de la petite proportion d'urée, la teinte claire, de la petite proportion de matière colorante. La diminution que subit l'ab- sorption d'oxygène dans la chlorose explique suffisamment la faiblesse de la désassimilation et par cela même la diminution de la production d'urée; si, d'un autre côté, nous avons très-peu de notions sur le mode de produc- tion de la matière colorante de l'urine, il ne nous est cependant guère permis de douter qu'elle ne dérive de la matière colorante du sang et, par conséquent, il doit paraître tout naturel que du moment que les corpuscules sanguins qui contiennent la matière colorante du sang, diminuent, la matière colorante de l'urine doit, toutes choses égales d'ailleurs, diminuer à son tour. Dans presque tous les cas de chlorose, les fonctions sexuelles souffrent le plus souvent sous la forme de l'aménorrhée, plus rarement sous celle de la menstruation trop abondante ou de la menstruation difficile. L'aménorrhée des filles chlorotiques semble presque toujours dépendre de la non-matura- tion des ovules, attendu que chez la plupart des malades, non-seulement l'hémorrhagie, mais encore les autres phénomènes qui accompagnent la maturation des ovules et leur expulsion viennent à manquer. Dans le public et même chez plusieurs médecins, l'aménorrhée est considérée à tort comme un signe constant de chlorose, erreur qui cause le plus grand préjudice à CHLOROSE, PALES COULEURS. 897 certaines malades. En effet, la menstruation continuant d'avoir lieu ou apparaissant dans le cours du traitement, on néglige d'instituer la médica- tion indiquée d'urgence ou on en suspend trop tôt l'usage. Il n'est même rien moins que rare qu'à cause de cette opinion erronée, que la chlorose est constamment accompagnée d'aménorrhée, les filles chlorotiques atteintes de menstruation abondante ou de menstruation difficile et qui se plaignent beaucoup de maux de tête et de battements de cœur, soient considérées comme pléthoriques et traitées par les saignées ou les purgatifs. Enfin, chez beaucoup de malades chlorotiques on trouve, à côté de l'anomalie mens- truelle, un catarrhe de l'utérus et du vagin (vol. II). La marche de la chlorose, si elle n'est pas abrégée par des mesures thé- rapeutiques, est presque toujours longue et traînante. Des chloroses mécon- nues ou traitées par les homœopathes durent assez souvent pendant bien des mois et même pendant plusieurs années. La guérison est la terminaison la plus fréquente de la chlorose, quoique, chez les individus très-jeunes, il se présente souvent une et même plusieurs récidives. Il est plus rare que la chlorose se transforme en d'autres maladies, par exemple en tuberculose ; elle ne menace la vie que par une complication, surtout par l'ulcère chro- nique de l'estomac, qui l'accompahne si souvent. Les cas de chlorose aiguë, fébrile, se terminant par la mort, que l'on a rapportés, doivent être mis sur le compte de quelques erreurs de diagnostic ; par contre, il est positif que des maladies fébriles, ayant très-peu d'importance par elle-mêmes, sont souvent accompagnées, chez des individus chlorotiques, de phénomènes dits nerveux, qui leur communiquent une certaine gravité. § k. Traitement. Il est rare qu'on parvienne à exercer une influence essentielle sur la marche de la chlorose en cherchant à remplir l'indication causale. C'est pré- cisément ce qui prouve que les causes nuisibles que l'on accuse ordinaire- ment de favoriser le développement de la chlorose, ne doivent jouer qu'un faible rôle dans la production de cette maladie. Souvent on rétablit dans l'espace de quelques semaines des filles chlorotiques en remplissant l'indication de la maladie, après avoir pris auparavant, pendant bien longtemps un soin aussi minutieux qu'inutile à les préserver de ces causes nuisibles, après les avoir fait séjourner pendant plusieurs mois à la campagne, leur avoir pres- crit le régime le plus nourrissant, leur avoir fait faire journellement des promenades et même de la gymnastique sans que, pour cela leurs joues et leurs lèvres se fussent colorées, sans que leur essoufflement ou leurs batte- ments de coeur eussent diminué on (pic leur humeur irritable cl larmoyante se fût dissipée. La réputation que l'on a faite aux prescriptions hygiéniques ME.MEVEl!. M 898 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. contre la chlorose, est due surtout à cette circonstance que, non-seulement l'oligo-cythémie pure, mais encore les états d'anémie les plus variés, qui exigent impérieusement de pareilles mesures et dans le traitement desquels le fer ne joue qu'un rôle subordonné, ont été désignés sous le nom de chlo- rose ou confondus avec cette maladie. On peut tous les jours faire l'expé- rience que la chlorose vraie se laisse guérir au milieu des conditions extérieures les plus défavorables. L'indication de la maladie exige l'adminisiratton des préparations ferrugi- neuses. Si jamais un médicament a mérité le nom de spécifique, c'est bien le fer qu'il convient d'appeler le spécifique de la chlorose. Plus le diagnostic est sûr, plus il y a lieu d'espérer du succès; si ce dernier ne répond pas à l'attente, on doit toujours soupçonner qu'il ne s'agisse d'une anémie sym- ptomatique, dépendant d'un mal non encore reconnu ou non encore incon- naissable, et nullement d'une simple chlorose. Très-souvent une chlorose traitée sans succès chez une jeune fille à l'époque du développement de la puberté, est reconnue par la suite pour avoir été simplement la période ini- tiale d'une tuberculose ou une anémie provoquée et entretenue par un ulcère chronique de l'estomac. — La manière dont les ferrugineux améliorent dans la chlorose la crase viciée du sang nous est encore inconnue. Ce n'est pas le fer qui manque aux corpuscules sanguins encore présents, mais ce sont les corpuscules sanguins eux-mêmes qui font défaut et le fer n'entre que pour une part bien minime dans la composition chimique de ces cor- puscules. Il est possible que dans les organes où se produisent les corpuscules sanguins, le fer provoque une activité plus grande ou qu'il régularise la digestion et active ainsi l'arrivée des matériaux nécessaires pour la formation des corpuscules sanguins. Aucune de ces hypothèses, dont il serait facile d'augmenter le nombre, ne repose sur une base solide. — Les opinions les plus opposées ont cours sur la forme et la dose qu'il convient d'adopter pour l'administration des préparations ferrugineuses. Des praticiene renommés et heureux ont élevé au premier rang la limaille de fer; mais d'autres prati- ciens tout aussi renommés et tout aussi heureux emploient presque exclusi- vement, comme agissant plus sûrement et comme étant mieux toléré que d'autres, tel ou tel sel de fer. D'autres encore commencent par les prépara- tions ferrugineuses les plus anodines, par exemple le malate et le lactate de fer et passent ensuite à des compositions plus énergiques, tels que le chlo- rure de fer et le sulfate de fer, et ne passent qu'cà la fin du traitement à la limaille. Parmi les préparations ferrugineuses qui s'administrent le plus souvent contre la chlorose, il faut compter, outre la limaille de fer, que l'on prescrit à la dose de 15 ou de 30 centigrammes, ordinairement additionnée de poudre de cannelle, la teinture de malate de fer (à la dose de 15 à 30 gouttes), le lactate de fer ( 10 à 25 centigrammes), le saccharure de car- bonate de fer (20 à 50 centigrammes), la teinture de chlorure de fer (10 à CHLOROSE, PALES COULEURS. 899 30 gouttes), le sulfate de fer (5 à 20 centigrammes). Ces éloges, accordés par des autorités éprouvées aux préparations ferrugineuses les plus diverses et le fait que chaque praticien, pour ainsi dire, a sa préparation de prédi- lection qu'il emploie dans la plupart des cas de chlorose, ou môme dans tous les cas, nous permettent de conclure : 1° que l'efficacité du fer contre la chlorose, ne dépend pas delà forme sous laquelle on l'administre; 2° que la plupart des préparations ferrugineuses sont bien tolérées par les individus chlorotiques; 3° que les indications pour l'administration de l'un ou de l'autre de ces médicaments ne se laissent pas encore fixer pour le moment. Depuis passé vingt ans, je prescris contre la chlorose presque exclusivement les pilules de Blaud, et j'ai obtenu de cette prescription dans un très-grand nombre de cas des succès tellement éclatants, que, jusqu'à présent, je n'ai eu aucune raison de faire des expériences avec d'autres préparations, Au lieu des quarante-huit bols qui, d'après la formule primitive, doivent être •préparés aA^ecla masse pilulaire de Blaud (Pr. : sulfate de fer pulvérisé, car- bonate de potasse sec ana 5 grammes, gomme adragant q. s. pour une masse pilulaire), je fais diviser cette masse en 96 pilules. Je ne suis pas non plus avec une scrupuleuse exactitude la progression proposée par Blaud pour l'augmentation des doses; mais je fais d'abord prendre, pendant quelques jours, trois fois par jour, 3 pilules, et si, comme cela arrive presque toujours, cette dose est bien supportée, j'élève la dose à k ou 5 pilules à prendre trois fois dans la journée. Trois boîtes de pilules de Blaud, chacune de 96 pilules, suffisent presque toujours pour guérir la chlorose, même la plus opiniâtre. — A Magdebourg et à Greisfwald j'ai dû souvent envoyer au loin la recette des pilules de Blaud, parce que mes succès contre la chlorose, auxquels — soit dit en passant — je devais principalement le prompt accroissement de ma clientèle, m'avaient donné la réputation de posséder un remède d'une efficacité extraordinaire contre les a pâles couleurs » . Je suis loin de croire que les pilules de Blaud possèdent une efficacité plus grande contre la chlorose que les autres préparations ferrugineuses; j'ai pu me convaincre, au contraire, que ceux de mes confrères qui pré- fèrent d'autres préparations arrivent aux mêmes résultats, pourvu que ces ■préparations soient administrées à doses assez élevées; mais, ce que je crois pouvoir affirmer, c'est que les pilules de Blaud ne sont surpassées en effica- cité par aucune autre prescription, précisément parce que l'on peut les ad- ministrer à doses fort élevées, sans qu'elles incommodent les malades. Il y a une dizaine d'années, j'ai eu l'occasion de me convaincre jusqu'il quel point les pilules de Blaud possèdent cet avantage. Un confrère m'ayant de- mandé « ma recette », je le renvoyai d'abord au manuel de Cannstatt, dans lequel il devait trouver la formule connue des pilules de Blaud. Mais comme il ne possédait pas ce livre, je lui communiquai la formule en question en lui disant que je commençais par trois bols et que j'élevais la dose d'un bol 900 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. tous les trois jours. Au bout d'un certain temps, le confrère m'exprima ses remercîments, se loua de l'excellent effet du remède, et me raconta que la malade le supportait parfaitement; et cependant ce confrère m'avait mal compris; car au lieu d'augmenter la dose d'un bol tous les trois jours, il l'avait augmentée d'un bol à chaque prise du médicament. — On a pré- tendu, il est vrai, qu'il ne fallait pas de fortes doses de fer pour guérir la chlorose; que la quantité de fer qui manquait au sang était faible; qu'en administrant même de petites doses de fer, on en retrouvait toujours encore une partie excédante dans les selles, et qu'enfin l'efficacité des sources ferrugineuses contre la chlorose prouvait bien que des doses minimes pou- vaient suffire. Sans me laisser entraîner à des discussions théoriques dé- pourvues d'une base solide, je ne nierai pas que dans beaucoup de cas la chlorose ne puisse être guérie avec des préparations ferrugineuses adminis- trées à faible dose, et que, souvent, l'usage prolongé d'une eau ferrugi- neuse acidulé ne puisse avoir le même résultat; mais le nombre de malades que j'ai vus guérir en peu de semaines par l'usage des pilules de Blaud, et, dans la clientèle de mes confrères, par l'usage de fortes doses de saccharure de carbonate de fer ou de lactate de fer, après avoir employé sans résultat positif, pendant bien des années, des teintures ferrugineuses ou du vin chalybé à faibles doses et avoir fait plusieurs saisons à Pyrmont, à Dri- bourg, etc., est encore assez considérable pour justifier l'assertion : que la chlorose est guérie le plus rapidement et le plus sûrement avec les préparations ferrugineuses qui se laissent administrer à haute dose, et parmi ces prépara- tions ferrugineuses, la masse pilulaire de Blaud occupe un des premiers rangs. Une faute qui se commet souvent dans le traitement de la chlorose, consiste à vouloir relever l'éréthisme, la faiblesse digestive et d'autres anomalies qui dépendent de la crase chlorotique par des acides minéraux, des amers et d'autres remèdes avant de passer aux préparations ferrugi- neuses, qui seules ou au moins plus que n'importe quel autre remède font espérer du succès. De semblables cures préparatoires retardent presque toujours inutilement la guérison. Je dirai, pour terminer, que tant que les malades chlorotiques sont faibles, peu disposées à marcher et manquent d'appétit, je les dispense le plus souvent, à leur grande joie, des prome- nades forcées et des repas substantiels, mais qu'en revanche je me fais pro- mettre qu'elles se donneront beaucoup de mouvement aussitôt qu'elles se sentiront la force et le désir de marcher et qu'elles réclameront delà nour- riture toutes les fois qu'elles sentiront revenir leur appétit, ce qui manque rarement d'arriver au bout d'assez peu de temps. Plus haut déjà, j'ai eu soin de dire que ma méthode ne met pas à l'abri des récidives, surtout dans les cas où la chlorose s'est déjà développée au commencement de la puberté. Aussi ai-je toujours pris la précaution d'avertir d'avance de la pos- sibilité et même de la probabilité d'une récidive, et j'ai remarqué souvent SCORBUT. 901 que les malades et leurs parents acceptaient cette perspective sans trop de regret, du moment que je pouvais leur promettre qu'une récidive serait guérie tout aussi rapidement que la première attaque. — Si, d'après ce qui précède, je crois que l'on peut se dispenser de l'usage des eaux acidulés ferrugineuses dans le traitement de la chlorose, et si je les considère comme moins efficaces que les médicaments ferrugineux pris à haute dose, je con- seillerai cependant les cures d'eau minérale à Pyrmont, à Drihourg, à Cudowa, à Altwasser, à Saint-Maurice en Suisse, à Imnau, aux malades que l'on croit exposées à des récidives après la guérison de la chlorose. CHAPITRE II Scorbut. § 1. Pathogénie et étiologie. Si, dans la chlorose, l'analyse chimique et microscopique nous a permis de constater les anomalies de la crase sanguine qui distinguent cette ma- ladie, rien de semblable n'existe pour le scorbut. On a prétendu, il est vrai, que dans le sang scorbutique la fibrine était diminuée, ou avait perdu sa coagulabilité; d'autres ont soutenu que dans le sang scorbutique les sels de soude avaient subi une augmentation anormale et les sels de potasse une diminution anormale : mais ni l'une ni l'autre assertion n'a été confirmée par les analyses répétées du sang des individus atteints de scorbut. Malgré cela, l'opinion généralement admise, qui tend à considérer le scorbut comme une anomalie particulière de la nutrition dépendant d'un trouble survenu dans la crase sanguine, me semble justifiée. En effet, sans compter que le scorbut se développe dans des conditions défavorables à la formation d'un sang normal, nous verrons dans la description des sym- ptômes que la maladie dépend d'un état morbide des parois capillaires, et que cet état morbide s'étend à des surfaces tellement étendues du corps que nous devons encore voir dans cette circonstance une preuve de la nutrition incomplète des parois capillaires par un sang altéré, nutrition incomplète qui forme le point de départ des phénomènes morbides. Pour Vétiologie du scorbut, nous devons nous borner à énumérer simple- ment les influences fâcheuses qui, d'après l'expérience, favorisent le déve- loppement de la maladie , tout raisonnement théorique sur le rapport intime qui peut exister entre ces influences nuisibles et la crase sanguine du scorbut ne pouvant conduire à aucun résultat tant que cette crase nous est inconnue. — Le scorbut se développe si souvent pendant les longs voyages sur mer (scorbut de nier) pendant lesquels l'équipage se nourrit 902 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. presque exclusivement de biscuit et de viande salée et se trouve complète- ment privé de pommes de terre et de légumes, qu'on a accusé tantôt l'usage excessif du sel de cuisine, tantôt la privation de viande fraîche et de végétaux frais, tantôt les deux causes à la fois, d'occasionner le scorbut. D'ailleurs, l'hypothèse d'un excédant des sels de soude sur les sels de po- tasse dans le sang scorbutique, les végétaux frais étant riches en sels de potasse, paraissait singulièrement fortifié par la fréquence du scorbut chez les marins privés de végétaux, mais absorbant, par contre, de fortes quan- tités de sel de cuisine. Toutefois, s'il est impossible de contester que la manière de vivre des gens de mer , pendant les longs voyages, est à compter parmi les influences qui favorisent le développement du scorbut, il n'est cependant nullement permis de considérer cette manière de vivre comme l'unique cause de cette maladie. On a vu le scorbut éclater de très- bonne heure et affecter un caractère très-malin sur les navires dont l'équi- page était exposé à de grands froids et surtout à des froids humides, et d'un, autre côté aussi sur les navires qui avaient été longtemps arrêtés par un calme plat sous l'équateur. De môme, on a observé que les trop grandes fatigues et la tristesse ou le découragement favorisaient l'invasion du scor- but, tandis qu'au contraire un travail modéré, la gaieté et le courage pré- servaient longtemps l'équipage, quel que fut son genre de nourriture. Un fait qui plus encore que ces dernières conditions prouve que le scorbut ne dépend pas exclusivement de l'usage de la viande salée et du manque de viande fraîche et de légumes frais, et qui par conséquent met à néant l'hy- pothèse de l'excédant des sels de soude sur les sels de potasse dans le sang scorbutique, c'est l'apparition de la maladie chez des individus réduits pour ainsi dire exclusivement à l'usage des légumes et des pommes de terre, mais vivant en même temps dans un état de misère et habitant des caves froides et humides, comme cela arrive surtout dans les pays septentrionaux, et parti- culièrement en Russie (scorbut de terre). — Un fait singulier et qu'il n'esj. pas toujours possible de mettre sur le compte des conditions citées en der- nier lieu, c'est la manifestation plusieurs fois observée du scorbut parmi les soldats d'une garnison, les habitants d'une prison ou d'un établissement analogue, même bien tenu et ne laissant rien à désirer sous le rapport des soins et du régime. § 2. Anatomie pathologique. Les cadavres des individus morts de scorbut montrent, lorsque la ma- ladie a duré longtemps, un grand amaigrissement et un œdème mo- déré, surtout aux extrémités inférieures. Les téguments externes ont une teinte sale, blafarde, et sont le plus souvent couverts de squames épider- SCORBUT. 903 miques sèches et détachées. Par endroits plus ou moins nombreux, on remarque dans le tissu du derme, ainsi que dans le tissu conjonctif sous- cutané et intermusculaire, des extravasats d'une étendue variée. Outre les épanchements sanguins liquides, on trouve presque toujours sous la peau et entre les muscles, plus rarement dans les muscles eux-mêmes et sous le périoste, des infiltrations fermes, coagulées, colorées en rouge par un mélange de sang. Le sang est très- liquide et d'une couleur foncée. L'endocarde, les parois vasculaires et les tissus qui environnent les vaisseaux sont fortement imbibés. Dans les plèvres, dans le péri- carde, la poitrine, les capsules articulaires, on trouve presque constamment des épanchements séreux ou séro-fibrineux mêlés de plus ou moins de sang extravasé. Le poumon est comprimé à divers degrés par des épanchements dans les cavités pleurales, tandis que les endroits non comprimés sont deve- nus le siège d'un œdème sanguinolent. Le foie, la rate, les reins sont cou- verts d'ecchymoses et se montrent flasques, riches en sang et imbibés d'un sang épanché. Entre les tuniques séreuses et musculaires de l'intestin, on voit également des ecchymoses, la muqueuse de l'intestin est ordinairement rougie, tuméfiée et relâchée, quelquefois même à l'état d'ulcération follicu- laire. § 3. Symptômes et marche. Les premiers symptômes du scorbut sont ordinairement ceux d'une ca- chexie générale. Les malades accusent une grande lassitude et une grande faiblesse, surtout une pesanteur extrême dans les extrémités inférieures. Leur moral est profondément déprimé ; bientôt le plus léger travail leur est devenu insupportable et ils sont pusillanimes et découragés au plus haut degré. En même temps la face perd sa couleur naturelle, le teint devient sale et pâlit, les lèvres prennent un aspect bleuâtre, livide, les yeux s'affais- sent dans leur orbite et s'entourent d'un cercle bleu. Il faut ajouter à cela des douleurs déchirantes ou lancinantes qui se déclarent dans les membres et les articulations et qui sont facilement confondues avec des douleurs rhuma- tismales. Ordinairement, c'est seulement après que ce stade précurseur a duré plusieurs jours et quelquefois même plusieurs semaines, que l'on remarqueles signes des troubles locaux de la nutrition qui caractérisent le scorbut. Ce- pendant, d'après les observations de Cejka, il n'est pas rare non plus que ces troubles locaux ouvrent la scène, et que les signes d'une cachexie générale ne se montrent qu'après l'affection des gencives et quand déjà le corps s'est couvert de lâches scorbutiques. L'affection scorbutique de la bouche a été longuement décrite au premier volume. Elle est la plus fréquente, et dans la plupart des cas, la première 904 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. parmi les affections scorbutiques locales. Cependant, c'est encore là une règle qui souffre des exceptions. Ainsi Cejka rapporte des cas dans lesquels les sugillations, l'œdème ferme des jambes, et l'infiltration dure et doulou- reuse du tissu conjonctif avaient précédé le relâchement sanguinolent et œdémateux des gencives. — Les êpanchements sanguins dans le tissu du derme, dont il a été question au paragraphe 2, forment de petites pétéchies rondes, des vergettures ou des ecchymoses étendues. Ils commencent presque toujours par se manifester aux extrémités inférieures, et se répandent plus tard sur le reste du corps. Mais avant tout, ce sont les endroits exposés à des lésions insignifiantes d'origine mécanique, qui deviennent le siège de larges ecchy- moses. Dans l'épidémie observée dans la prison de Prague, et décrite par Cejka, l'influence de ces causes mécaniques s'est fait sutout bien remarquer. Ainsi chez la plupart des malades, les ecchymoses s'observaient de préfé- rence aux extrémités inférieures, surtout aux jarrets : au contraire, chez les fendeurs de bois et ceux qui tournaient une roue à filer, au bras droit, chez les cardeurs de laine et les laveuses aux deux extrémités supérieures, et en général, chez les femmes, à l'endroit de la peau où s'appliquent les jarre- tières, etc. Les taches d'abord violettes, et presque d'un brun noirâtre, pro- duisent, à mesure qu'elles disparaissent, les différentes nuances de couleur du sang épanché, passant au bleu, au vert et au jaune. Si, au moment où quelques taches sont en voie de disparition, il s'en produit de nouvelles, on trouve souvent sur la peau des malades en même temps des taches d'un bleu foncé et d'un jaune verdàtre. Quelquefois des épanchements sanguins circonscrits soulèvent l'épidémie en bulles remplies d'un liquide sanguino- lent (purpura bulleux, pemphigus scorbutique), qui, lorsqu'elles éclatent, et qu'on ne les traite pas avec les soins nécessaires, peuvent laisser à leur suite des ulcères opiniâtres. Ces derniers se forment aussi chez quelques malades après deslésions insignifiantes. Ils se distinguent principalement par les granulations flasques, fongueuses, saignantes qui couvrent leur base. Les infiltrations fermes du tissu conjonctif sous-cutané et intermusculaire forment, d'une part, des tumeurs arrondies siégeant sous la peau, d'un volume qui varie entre celui d'une noisette et celui du poing, et qui occupent ordinai- rement les extrémités inférieures, plus rarement, les extrémités supérieures et l'abdomen, le cou et les joues, occasionnent plus ou moins de douleurs et sont couvertes d'un derme coloré normalement ou infiltré de sang ; d'autre part, elles se montrent à l'état d'indurations diffuses et étendues qui occupent surtout le jarret, le mollet, la face interne des cuisses, pré- sentent la dureté du bois et rendent impossible tout mouvement des mem- bres malades par la pression qu'elles exercent sur les muscles. Le derme que couvre cette induration diffuse ne se. laisse pas déplacer et présente une suffusion sanguine ou un aspect normal. La résolution de ces infiltrations se fait avec une lenteur extrême. — Indépendamment des hémorrhagies des SCORBUT. 905 gencives qui, sans devenir très-violentes, font rarement défaut, il se produit chez quelques malades des hémorrhagies d'autres muqueuses, surtout du nez, des bronches, de l'intestin, enfin des métrorrhagies. On observe aussi dans quelques cas des ecchymose de la conjonctive, des épanchements sanguins dans les chambres de l'œil et des ophthalmies graves. Les inflammations des organes internes, surtout la pleurite et la péricardite scorbutiques n'offrent dans leurs symptômes aucune anomalie caractéristique, permettant de les distinguer des inflammations primitives des mêmes organes. Souvent il se dépose dans un temps très-court des exsudats fort copieux, faisant courir aux malades le danger d'une suffocation ; cependant, j'ai vu chez les malades atteints de scorbut de grands épanchements dans le péricarde et dans les plèvres se résorber avec une étonnante rapidité. A raison de la variété et de l'irrégularité dans la combinaison et la succession des symptômes décrits, le scorbut offre un tableau qui diffère extrêmement pour chaque cas parti- culier. La marche du scorbut est chronique et, si les influences nuisibles aux- quelles il doit son origine continuent d'agir, souvent fort longue. Dans ces cas traînés en longueur, l'affaissement des malades atteint un degré extraor- dinaire : quelquefois ils tombent en syncope au moindre essai de se redres- ser; ils se plaignent de battements de cœur très-pénibles et d'une grande dyspnée ; les contractions du cœur deviennent très-faibles et très-accélérées; dans le tissu conjonctif sous-cutané, il se développe des œdèmes étendus en même temps que les affections des gencives, les ecchymoses, les infiltrations fermes du tissu conjonctif et d'autres affections scorbutiques locales pren- nent une intensité et une extension fort considérables. — Un fait remar- quable, c'est le revirement presque subit qui s'opère souvent dans la maladie, lebien-être relatif qui dans un temps très-court succède à l'état le plus déso- lant et forme souvent le commencement d'une convalescence parfaite, quand ces malades se trouvent arrachés tout à coup aux influences nuisibles et se trouvent placés dans des conditions plus favorables. Il est très-vrai que même dans ces cas ils ne se remettent qu'avec une extrême lenteur et con- servent après la guérison une grande tendance aux récidives. L'issue mor- telle du scorbut n'a lieu que très-tard au milieu des symptômes d'un épui- sement extrême et d'une hydropisie générale où elle est amenée de bonne heure, avant que l'affaiblissement ait atteint un degré extrême, par une pleurite, une péricardite, des diarrhées sanglantes profuses ou par d'autres incidents et complications. § U. Traitement. Le scorbut de mer est devenu plus rare dans ces derniers temps grâce à la durée plus courte des voyages et au meilleur approvisionnement des na- 906 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. vires, surtout en jus de citron, en choucroute et en légumes frais conserve'» dans des boites hermétiquement fermées. Le scorbut de terre, qui autrefois se rencontrait beaucoup plus fréquemment, est également devenu dans nos- pays une maladie rare, grâce aux habitations plus saines et aux aliments de meilleure qualité dont la classe pauvre est redevable aux progrès de la civili- sation ; il ne peut donc plus guère être question d'une prophylaxie du scorbut de terre. C'est seulement lorsque^dans une caserne, une prison ou dans un établissement analogue il s'est présenté plnsieurs cas de scorbut faisant craindre une extension épidémique de la maladie, que l'on doit prendre de sérieuses mesures de prophylaxie. Ces mesures consistent dans le soin d'en- tretenir la propreté la plus minutieuse, de procurer aux individus des vêle- ments chauds et des chambres bien aérées, de les habituer à se donner du mouvement en plein air, de leur donner de fortes rations alimentaires, enfin dans le soin de leur procurer des aliments de bonne qualité qui doivent surtout se composer de viande fraîche, et autant que possible de légumes frais et de salade. Il faut aussi donner de la bière de bonne qualité et, si l'on ne peut pas s'en procurer, la remplacer par un mélange d'eau et d'eau-de-vie. Les frais occasionnés par ce régime [seront largement couverts si l'on parvient à mettre un frein à l'extension de la maladie. Contre le scorbut confirmé le moyen le plus efficace consiste en sucs fraî- chement exprimés de plantes appartenant à la famille des crucifères, telles que cresson, choux, moutarde, raves, raifort, cochléaria, etc. ; par contre, les extraits de ces plantes ne sont d'aucune utilité. On fait prendre de 80 à 120 grammes par jour de ces sucs de plantes fraîchement exprimés. L'in- fluence des végétaux frais sur le scorbut est beaucoup mieux démontrée que la dépendance de la maladie du manque de ces végétaux frais. Un moyen qui agit encore très-avantageusement, c'est Le suc de fruits acidulés, surtout de citron, d'orange, mais aussi le suc de cerises, de groseilles, de pommes et d'autres fruits analogues. Les acides minéraux ne sont au contraire d'au- cune utilité. Les médicaments amers et aromatiques sont également d'une utilité douteuse et dans tous les cas secondaire. Enfin, un remède particu- lièrement renommé contre le scorbut, c'est la levure de bière, que l'on fait prendre à la dose de 180 à 300 grammes par jour. — Il importe beaucoup de régler avec le plus grand soin le régime et l'hygiène des malades d'après tous les principes exposés à l'occasion de la prophylaxie. — Le traitement local de l'affection scorbutique de la bouche a été exposé antérieurement. — Contre les ecchymoses et les infiltrations on prescrit des fomentations et des lotions avec du vinaigre aromatique, de l'alcool camphré, etc. On trai- tera les hémorrhagies et les inflammations d'organes internes d'après les règles ordinaires, sauf à tenir compte de la grande faiblesse du malade. MALADIE DE WERLHOF, PURPURA ELEMORRHAG1CA. 907 CHAPITRE III. ; 3BalacHc de WerBhof. — l'tirpura hœmon-hagica. § 1. Pathogénie et étiologie. La maladie de Werlhof se rattache au scorbut en ce sens que les phéno- mènes qui la caractérisent dépendent également d'un épanchement de sang par les capillaires de la peau et des muqueuses; par contre, les hémor- rhagies capillaires ne sont accompagnées, dans la maladie de Werlhof, ni de l'affection particulière de la bouche ni des exsudations caractéristiques dans le tissu sous-cutané et intermusculaire, ni des inflammations hémorrha- giques des membranes séreuses, qui constituent, comme nous l'avons vu, les autres symptômes du scorbut. Les causes de ia fragilité des capillaires, dans la maladie de Werlhof, sont obscures. L'extension des hémorrhagïes capillaires aux différentes régions du corps et la fréquence de la maladie chez les individus faibles, chez les convalescents de maladies graves, chez les individus qui habitent des logements bas et humides et qui vivent en général dans de mauvaises conditions, font supposer, il est vrai, que l'état morbide des parois capil- laires dépend de leur nutrition défectueuse par des matériaux insuffisants ou défectueux ; mais d'un autre côté nous voyons aussi que des individus robustes et bien constitués, qui vivent dans les conditions les plus favorables et chez lesquels rien ne peut faire soupçouner une anomalie, quelconque de la crase sanguine, peuvent également contracter cette affection. § 2. Symptômes et marche. Dans un certain nombre de cas, l'apparition de nombreuses taches de purpura sur la peau est le premier symptôme de la maladie de Werlhof; dans d'autres cas, les hémorrhagies de la peau sont précédées, pendant quelques jours ou quelques semaines, de légers troubles digestifs, d'un dérangement de l'état général, de faiblesse et d'abattement, mais jamais de ces signes de cachexie grave qui se manifestent quelquefois au début du scorbut. Les taches du purpura sont ordinairement petites, mais très-nom- breuses. Leur siège le plus commun est aux extrémités et au tronc; cepen- dant la face peut également être couverte de pétéchics nombreuses. A mesure que les premières taches deviennent vertes et jaunes, il en vient de nouvelles d'un rouge sanguin. Dans quelques cas, il se produit des hémor- 908 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. rhagies par la surface libre, phénomène que l'on ne peut cependant pas appeler une sueur de sang. Sur les muqueuses visibles, surtout de la bouche et du pharynx, on remarque également très-souvent de petites ecchymoses pointillées. Beaucoup plus souvent que dans le scorbut, on observe des épistaxis abondantes, des vomissements de sang, des hémorrha- gies alvines, des hématuries. Lorsque la maladie attaque des individus auparavant sains et robustes, que les pertes sanguines par les muqueuses ne se répètent pas trop souvent, l'état général, souvent parfaitement intact des malades, offre un singulier contraste avec les signes objectifs. Des hémorrhagies très-abondantes, qui se répètent fréquemment, peuvent être suivies d'une anémie intense, d'une tendance aux syncopes, d'hydropisie et même de mort. Toutefois, cette terminaison est rare chez les individus qui n'ont pas été malades auparavant. Le plus souvent, la maladie se ter- mine par la guérison après quinze jours, un mois au plus. § 3. Traitement. Le traitement généralement mis en usage contre le purpura hœmor- rhagica, consiste dans l'administration, déjà recommandée par Werlhof lui-même, de l'acide sulfuiïque et des préparations de quinquina. Bien qu'il ne soit pas prouvé que ce traitement exerce une influence bien essen- tielle sur la marche de la maladie, il n'en est pas moins vrai que l'on fait bien de ne pas pousser le scepticisme trop loin, mais de prescrire, pendant les premiers jours de la maladie, l'acide sulfurique dilué ou l'élixir acide de Haller, dix à douze gouttes toutes les deux heures, dans un véhicule mucilagineux, et plus tard une décoction de quinquina additionnée d'acide sulfurique. S'il survient une épistaxis abondante, et qu'on ne parvienne pas promptement à l'arrêter par l'emploi du froid, on ne doit pas hésiter à pra- tiquer le tamponnement, parce que ordinairement l'hémorrhagie devient d'autant plus opiniâtre qu'elle est plus prolongée. Contre l'hématémèse on prescrira des pilules de glace, le petit-lait à l'alun et les compresses froides sur le ventre, contre l'hématurie le tannin à haute dose. Si le malade a perdu beaucoup de sang, il faut le maintenir constamment dans le décubitus horizontal pour lui éviter les syncopes. HEMOPHILIE, HEMORRHAPH1LIE. 909 CHAPITRE IV. Hémophilie. — némorrhapkiiic. § 1. Pathogénie et étioj.ogie. Sous ce nom, on désigne une diathèse hémorrhagïque congénitale qui se trahit, soit par l'opiniâtreté extraordinaire des hémorrhagies traumatiques, soit par la grande tendance aux hémorrhagies spontanées abondantes. — On n'est pas arrivé jusqu'à présent à trouver dans le sang ni dans les parois vasculaires de ces individus, des anomalies qui donnent l'explication de ces singuliers phénomènes. Dans quelques cas seulement, on a trouvé les parois vasculaires très-minces et délicates. Dans la plupart des cas d'hémophilie connus jusqu'à présent, il s'agissait d'une anomalie héréditaire, c'est-à-dire que les malades étaient originaires d'une famille dans laquelle un ou deux membres, appartenant à des géné- rations antérieures, avaient déjà été atteints d'hémophilie. On connaît des exemples d'hémophilie, se transmettant à trois ou quatre générations suc- cessives d'une même famille, d'autres où le mal avait sauté une génération, de sorte que ce n'étaient pas les enfants, mais les petits-enfants qui con- tractaient la maladie des grands-parents. Il est rare que tous les membres d'une famille héritent cette dangereuse affection ; les filles surtout en res- tent exemptes, à de rares exceptions près. Des observations, dûment consta- tées, mettent hors de doute que, outre l'hémophilie héréditaire, il existe encore une hémophilie, également congénitale, mais ne dépendant d'aucune prédisposition héréditaire. § 2. Symptômes et marche. Tant qu'une lésion insignifiante n'est pas venue entraîner une hémor- rhagie presque incoercible, et mettant la vie en danger, l'hémophilie ne se trahit par aucun symptôme, et rien ne peut faire soupçonner le danger que courent les malades. Quelques observateurs mentionnent, il est vrai, un teint remarquablement délicat, des veines superficiellement placées et très- apparenles, des cheveux blonds, des yeux bleus, comme étant des particula- rités qui distinguent les hémophiles ; moi-même j'ai constaté dans une famille de ma connaissance, dont plusieurs membres sont atteints d'hémo- philie, la réunion de tous ces signes, qui se rencontrent, il est vrai, égale- 910 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. ment chez les filles dont aucune n'est atteinte de la maladie; toutefois d'autres observateurs rapportent positivement que l'extérieur de leurs malades ne se distinguait par aucune particularité. — Les lésions qui en- traînent le plus souvent des hémorrhagies dangereuses sont : l'avulsion d'une dent, une piqûre, une petite incision ou déchirure, et il semble presque que ces lésions de peu d'importance offrent plus de dangers pour ces individus que des blessures plus sérieuses. Le sang s'écoule de la plaie comme d'une éponge, sans que l'on aperçoive dans son intérieur aucun vaisseau saignant. Tous les essais tentés pour arrêter le sang échouent ; l'hémorrhagie persiste pendant plusieurs jours consécutifs. Le sang foncé, se coagulant ordinairement d'une manière normale au commencement, devient de plus en plus fluide et aqueux, et ne forme plus que des caillots rares et mous. A la fin les malades deviennent de plus en plus pâles, leurs lèvres se décolorent, ils ont des syncopes et d'autres signes d'hémorrhagie grave et peuvent succomber déjà à cette première atteinte. — Plus souvent il arrive que l'hémorrhagie s'arrête plus tôt et que les malades épuisés à l'extrême se remettent lentement de la perte de sang énorme, s'élevant quelquefois à plusieurs kilogrammes, en attendant qu'une nouvelle lésion les expose à de nouveaux dangers. Indépendamment de ces hémorrhagies externes considérables, il se produit chez les hémophiles, après d'insigni- fiantes contusions, de vastes épanchements dans le tissu du derme et dans le tissu conjonctif sous-cutané. Ainsi, Wunderlich raconte le cas d'un jeune garçon qui, à la suite d'une correction, rentra de l'école couvert d'ecchy- moses et dans un si piteux état, qu'une plainte fut dressée contre l'institu- teur à cause du traitement barbare qu'il était censé avoir infligé à cet enfant, qui fut plus tard reconnu atteint d'hémophilie. — Des hémorrhagies spon- tanées ou survenant sans cause appréciable, ne se produisent ordinairement dans l'hémophilie qu'après des hémorrhagies traumatiques répétées. Elles se font le plus souvent par le nez; cependant on a aussi constaté des hémor- rhagies bronchiques, stomacales, intestinales et rénales, ainsi que des hémorrhagies spontanées dans le tissu du derme et dans le tissu conjonctif sous-cutané. Les hémorrhagies sont quelquefois précédées d'avant-coureurs (molimens), tels que battements de cœur, oppression, signes de congestion vers la tête, douleurs dans les membres et, dans quelques cas, gonflements douloureux des articulations, surtout des articulations du genou et du pied. La marche de l'hémophilie varie. Il y a des cas où Ton ne parvient même pas à arrêter le sang des vaisseaux ombilicaux; plus souvent ce n'est qu'à l'époque de la dentition ou même encore plus tard que l'on voit survenir les premières hémorrhagies dangereuses, qui trahissent la diathèse mor- bide. La plupart des hémophiles meurent jeunes; bien peu d'entre eux sur- vivent à l'âge de l'enfance. Cependant on a rapporté quelques cas d'indivi- dus qui ont atteint un âge très-avancé, la disposition aux hémorrhagies SCROFULOSE. 911 ayant diminué chez eux, ou s' étant complètement éteinte avec les progrès de l'âge. 8 3. Traitement. Nous ne connaissons aucun remède qui promette un succès contre la dia- thèse hémorrhagique congénitale, et nous devons nous borner à faire en sorte que par une réglementation convenable de la manière de vivre, et par le soin d'éviter toute influence nuisible, la nutrition générale soit amélio- rée, la constitution rendue plus forte, et qu'ainsi la diathèse dangereuse finisse également par disparaître. Évidemment il faut que les individus évitent avec le plus grand soin toute occasion de se blesser. — Si malgré cela il survient une hémorrhagie traumatique ou spontanée, on ordonnera, indépendamment des moyens hémostatiques externes, parmi lesquels une compression longtemps continuée et le cautère actuel sont les plus recom- mandâmes, le sel de Glauber à doses légèrement laxatives et, dans les cas où l'hémorrhagie devient menaçante, le seigle ergoté à la dose de 10 à 25 centigrammes toutes les demi-heures. Ces deux prescriptions ont donné dans un certain nombre de cas des résultats très^favorables. CHAPITRE V Scrofulose. § 1. Pathogénie et étiologie. Sous le nom de scrofulose, on désigne un état morbide (cachexie) de l'organisme, qui se manifeste par une grande prédisposition à certains trou- bles nutritifs de la peau, des muqueuses, des articulations, des os, des organes des sens et, avant tout, des ganglions hjmphatiques. On est même en droit d'appeler scrofuleux tout individu auquel on reconnaît la disposition morbide à ces troubles de la nutrition, lors même que pour le moment il n'est affecté d'aucun d'eux. On est revenu presque généralement de l'hy- pothèse, d'après laquelle la scrofulose dépendrait d'une composition anor- male du sang (dyscrasie), et les troubles nutritifs, observés chez les indivi- dus scrofuleux, du dépôt, dans les tissus, d'une « matière scrofuleuse » en circulation dans le sang. Les modifications que subissent la peau, les mu- queuses, les articulations, les os, les organes des sens chez les sujets scrofu- leux, consistent en processus inflammatoires qui ne se distinguent des inflammations chez des individus non scrofuleux que par une opiniâtreté 912 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. plus grande et une durée plus longue. 11 est impossible d'assigner des carac- tères spéciaux à l'exanthème serofuleux, à l'affection articulaire scrofuleuse et de les différencier d'un exanthème,, d'une affection articulaire chronique, non scrofuleuse. Même la transformation caséeuse, que subissent très- souvent les produits inflammatoires, ne constitue nullement un signe patho- guomonique des troubles nutritifs serofuleux, mais elle forme un caractère commun à tous les troubles nutritifs qui prennent une marche traînante et qui présentent une faible tendance à la destruction aussi bien qu'à la réso- lution. Quoique la lésion d'un organe, considérée à elle seule, ne présente pas de signe caractéristique qui puisse nous en faire reconnaître la nature scrofuleuse, cependant, dans un cas spécial, nous sommes rarement dans l'incertitude si nous devons qualifier une affection de scrofuleuse ou non. Si la cause morbifique qui l'a provoquée est si insignifiante qu'elle a passé inaperçue, si nous entendons que le mal s'est « développé spontanément », si la même affection ou une autre semblable s'est déjà montrée à plusieurs reprises sans cause appréciable, si elle est compliquée d'une série d'autres troubles de la nutrition, surtout d'inflammations chroniques et de gonfle- ments opiniâtres des ganglions lymphatiques (voy. § 2), on a affaire à une affection scrofuleuse. Si, au contraire, on a constaté des causes extérieures, dont l'influence sur l'organisme explique suffisamment le développement et l'opiniâtreté du mal, sans que l'on soit forcé d'admettre une disposition mor- bide -particulière, si cette affection existe seule et n'est pas accompagnée de lésions chroniques des ganglions lymphatiques, on dira que l'affection n'est pas scrofuleuse, malgré la plus grande ressemblance, malgré l'identité complète même de ses caractères extérieurs avec ceux d'une maladie scro- fuleuse. La scrofulose est peut-être aussi souvent congénitale qu acquise. La scrofulose congénitale se rencontre surtout chez des enfants nés de pa- rents serofuleux. Il y a des familles où tous, ou presque tous les enfants héritent cette maladie de leurs parents. A cette forme « héréditaire », prise dans le sens restreint, se rattache la scrofulose des enfants dont les parents étaient affectés à l'époque de la conception, ou la mère, pendant la gesta- tion, de tuberculose, de carcinome, de syphilis tertiaire, ou d'une autre affection chronique et débilitante; il en est de même de la scrofulose des enfants dont les parents étaient déjà à un âge avancé lors de la conception. Comme nous voyons beaucoup de particularités physiques et intellectuelles passer des parents aux enfants, il n'est pas étonnant que des enfants qui proviennent de parents faibles et maladifs naissent avec des dispositions plus fortes à être malades que des enfants nés de parents sains et robustes. Par contre, nous manquons absolument de données pour expliquer le fait, que la scrofulose congénitale est très- fréquente chez les enfants dont le père et la mère étaient parents à un degré rapproché. — Cependant nous devons ajouter à ce qu'il SCROFULOSE. 913 \ient d'être dit, que les enfants de parents scrofuleux, maladifs, faibles, âgés ou unis par les liens de la parenté, ne sont pas tous atteints de scrofu- lose congénitale, qu'il y en a même un assez grand nombre qui viennent au monde sains et sans prédisposition morbide prononcée ; d'un autre côté, on voit assez souvent des enfants être affectés de scrofulose congénitale, dont les parents ne présentent aucune des causes morbifiques susmentionnées. La scrofulose acquise se développe principalement sous l'influence de causes morbifiques qui entravent le développement normal de l'organisme pendant les premières années. Parmi ces causes, il faut citer avant tout une mauvaise alimentation, et la nourriture qui, à bon droit, est réputée la plus mauvaise est celle qui renferme peu de substance nutritive sous un fort volume. L'enfant est d'autant plus exposé à devenir scrofuleux que cette mauvaise alimentation a été commencée plus tôt, et les enfants, élevés à la bouillie, fournissent pour cette raison un contingent très-notable à la masse des individus scrofuleux. Le manque de mouvement et la privation de l'air frais exercent une influence aussi préjudiciable que la mauvaise alimenta- tion. Hirsch a réuni un grand nombre de faits qui prouvent que dans les maisons d'enfants trouvés, dans les orphelinats, les pensions, les fabriques et autres établissements du même genre le séjour prolongé dans une atmo- sphère mal renouvelée, chargée de vapeurs d'eau et corrompue par les exhalaisons et les produits de décomposition animale, favorise le développe- ment de la scrofulose, et l'expérience qu'on a faite dans les établissements où un régime convenable, les bons vêtements et la propreté ne faisaient pas défaut, prouve que l'influence des causes morbifiques que nous venons de citer suffit à elle seule pour provoquer la scrofulose. — Le plus souvent la scrofulose se développe sous l'influence de plusieurs de ces causes anti- hygiéniques réunies. Si plus haut nous avons désigné, comme cause princi- pale de la scrufulose, les influences nuisibles qui entravent le développe- ment normal de l'organisme pendant l'enfance, nous devons encore ajouter que, d'après les faits observés dans les prisons, les hospices et les ateliers, k scrofulose se montre souvent aussi chez les adultes, quand ils sont sous l'influence d'une alimentation irrationnelle et en même temps privés d'air pur et exposés à d'autres causes malsaines. Enfin, il arrive assez souvent que des maladies aiguës et chroniques soient suivies du développement ou de la recrudescence de la scrofulose, et ce cas est d'autant plus fréquent que les individus sont plus jeunes et moins développés au moment où ils sont atteints d'une maladie plus ou moins longue. Parmi les maladies de l'en- fonce, c'est surtout la rougeole qui exerce cette influence pernicieuse. 58 914 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. § 2. Anatomie pathologique. Puisque, dans le paragraphe 1 nous avons refusé aux inflammations scrofuleuses tout signe caractéristique, il serait inconséquent de vouloir décrire dans ce paragraphe les modifications anatomiques de la peau et des muqueuses appartenant aux exanthèmes, aux catarrhes scrofuleux, etc. En effet, nous pouvons nous en rapporter complètement à ce qui a été dit dans le chapitre des maladies de la peau sur les modifications anatomiques de la peau, et, dans différents autres passages, sur les modifications anatomiques des muqueuses; qu'il nous suffise d'ajouter que chez les individus scrofuleux les produits inflammatoires sont le plus souvent très-riches en jeunes cellules, et c'est là ce qui explique la grande tendance de ces produits à la méta- morphose caséeuse. — Quant aux modifications anatomiques que subissent, chez les individus scrofuleux, les os, les articulations, les organes des sens et surtout les yeux, et qui, elles aussi, ne se distinguent par aucun caractère particulier, leur description appartient aux ouvrages de chirurgie et d'ocu- listique. Les oculistes ont même reconnu, les premiers, ce qu'il y avait d'illusoire dans les caractères, si souvent décrits, de l'ophthalmie scrofu- leuse. — ■ Par contre, nous devons entrer dans des détails plus circonstan- ciés sur les modifications anatomiques que subissent dans la scrofulose les ganglions lymphatiques : d'un côté, parce que jusqu'ici nous n'avons parlé des maladies des ganglions lymphatiques qu'incidemment et que nous ne leur avons pas consacré un article spécial; d'un autre côté, parce que les ganglions lymphatiques sont si souvent malades chez les individus scrofu- leux, que dans l'esprit du public scrofulose devient presque synonyme d'en- gorgement ganglionnaire. D'abord, chez les individus scrofuleux on remar- que plus souvent que chez les non-scrofuleux que les ganglions lymphatiques, situés dans le voisinage d'affections inflammatoires de la peau et des mu- queuses, deviennent le siège d'une inflammation qui s'étend depuis ces foyers inflammatoires le long des vaisseaux lymphatiques jusqu'aux gan- glions. Ensuite, le tissu conjonctif environnant participe à l'inflammation du parenchyme glandulaire, il se forme des abcès et des ulcères qui, comme tous les abcès et ulcères glandulaires, sont très-opiniâtres et souvent ne guérissent qu'en laissant une cicatrice irrégulière, rayonnée, difforme. Parmi les ganglions lymphatiques, ceux du cou sont le plus souvent pris d'inflammation et de fonte suppurée, à cause de la fréquence des éruptions scrofuleuses sur le cuir chevelu et la face et des otorrhées scrofuleuses. — En outre, on remarque si fréquemment chez les individus scrofuleux des engorgements chroniques non inflammatoires des ganglions lymphatiques, qu'on pourrait presque les considérer comme un signe pathognomonique ; ces SCROFULIDE. 915 engorgements atteignent souvent un volume considérable, et quand plu- sieurs de ces ganglions tuméfiés se succèdent ou sont réunis en masse, ils forment des cordons noueux ou des paquets informes. Chaque tumeur glan- dulaire, prise isolément, a une forme régulière, une résistance considérable et une surface lisse. A l'examen microscopique, on ne peut y constater aucun élément hétérogène. Ces tumeurs dépendent donc d'une hypertro- phie ou plutôt d'une hyperplasie cellulaire, parce que ce n'est pas le stroma qui est devenu plus volumineux, mais seulement les éléments cellulaires des ganglions lymphatiques qui sont multipliés. Comme, dans les condi- tions normales, le contenu des ganglions lymphatiques en éléments cellu- laires est variable, il n'est pas étonnant que les ganglions énormément développés des individus scrofuleux, dont l'augmentation est uniquement due à une accumulation excessive de ces éléments cellulaires, reviennent assez souvent à leur volume primitif. Cependant la diminution successive des tumeurs et le retour final des ganglions à leur volume normal ne sont pas l'unique terminaison de l'affection glandulaire en question. • — Dans quelques cas, les ganglions lymphatiques dont l'augmentation de volume n'était due primitivement qu'à l'hyperplasie, deviennent tôt ou tard le siège de processus inflammatoires. Le tissu conjonctif environnant y participe ; on ne parvient plus alors à reconnaître distinctement chaque glande dans ces paquets volumineux ; la peau contracte des adhérences avec la tumeur et ne peut plus ghsser sur elle ; d'ordinaire l'inflammation de la glande ne passe que lentement à la suppuration et à la formation d'abcès, et c'est bien tard que la peau, souvent excessivement amincie, est rompue par le pus ; il reste alors un ulcère sinueux, à bords décollés. Dans d'autres cas, l'inflammation et la suppuration ne se déclarent qu'à un endroit circonscrit du ganglion hypertrophié ; cependant, le pus, formé dans ce foyer, ne tra- verse pas l'enveloppe du ganglion, mais s'épaissit et subit la métamorphose caséeuse. Si, dans ces cas, le ganglion tuméfié se dégonfle, le foyer caséeux forme une saillie dure à la surface du ganglion et le rend irrégulier. Le ganglion, gonflé par l'hyperplasie, peut aussi arriver à la métamorphose caséeuse, partielle ou totale, sans avoir passé par l'inflammation et la sup- puration ; dans ce cas, les éléments accumulés se dessèchent et subissent là « nécrose anémique » (nécrobiose). Si ce processus se montre à des endroits circonscrits, on voit en même temps la forme du ganglion devenir irrégu- lière et anguleuse. Le foyer caséeux peut plus tard se crétifier, mais il peut aussi se faire que bien tard encore cefoyer donne lieu à des inflammations et à des suppurations de longue durée, en faisant office de corps étranger dans le ganglion. Autrefois on appelait tuberculose ganglionnaire infiltrée les cas où tout le ganglion avait subi la métamorphose caséeuse; lorsque, par con- tre, la transformation caséeuse s'était limitée à quelques foyers isolés, on admettait une tuberculose [rniliaire des ganglions, lors même qu'on ne 916 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. pouvait découvrir de tubercules miliaires à aucun endroit des ganglions malades. De même que les inflammations, les gonflements des ganglions lymphatiques, dépendant de Phyperplasie, ont, chez les individus scrofu- leux, leur siège de prédilection au cou, surtout derrière l'oreille et au- dessous de la mâchoire inférieure, et s'étendent de là jusqu'à l'épaule. Très- souvent les ganglions bronchiques et mésentériques deviennent aussi chez eux le siège d'une hyperplasie, qui peut se terminer de la même façon que l'hyperplasie des ganglions du cou. On est parfaitement en droit d'appeler scrofuleux les catarrhes des bronches et de l'intestin qui se compliquent de gonflements opiniâtres, de dégénération caséeuse des ganglions bronchiques et mésentériques. § 3. Symptômes et marche. Avant que la présence de troubles nombreux et opiniâtres de la nutrition, développés sous l'influence de causes extérieures insignifiantes, et pour cette raison, ordinairement inaperçues, ne vienne démontrer la prédisposition mor- bide exagérée (diathèse) , la cachexie scrofuleuse se trahit dans beaucoup de cas par l'habitus du malade, qui éveille déjà le soupçon de la faiblesse, du peu de force de résistance. En effet, un signe caractéristique de l'habitus scrofu- leux, c'est le manque de sang et le mauvais état de la nutrition des tissus importants et d'une organisation supérieure, conditions auxquelles vient se joindre, dans quelques cas, une production exagérée de graisse et une accu- mulation de graisse dans certaines parties du corps, surtout à la lèvre supé- rieure et au nez. Dans les cas où le mauvais état de la nutrition est accom- pagné d'une production exagérée de graisse, les échanges organiques paraissent se faire avec une extrême lenteur; dans les cas, par contre, où non-seulement la peau et les muscles, mais aussi le pannicule adipeux, pré- sentent un manque de développement, l'échange organique est peut-être anormalement accéléré. C'est sur cette différence qui se prononce dans l'habitus des malades, que se base la division de la scrofulose en forme torpide et en forme éréthique. Canstatt retrace l'habitus de la scrofulose torpide d'une manière très-fidèle dans la description suivante : « Tête extraordinairement volumineuse, traits grossiers, nez et lèvre supérieure gonflés, mâchoires larges, ventre ballonné, gonflement ganglionnaire au cou, chairs flasques et spongieuses ; » l'habitus de la scrofulose éréthique est retracé par lui sousles traits suivants : « Peau excessivement blanche, rougissant très-facilement, et à travers laquelle on aperçoit les veines sous-cutanées de couleur rose ou bleuâtre, rougeur intense des lèvres et des joues, teinte bleue de la scléro- tique mince et translucide, ce qui donne aux yeux un aspect humide et langoureux ; les muscles de ces individus sont minces et mous, le poids de SCROFULOSE. 917 leur corps est faible comparativement à leur taille, ce qui indique la légèreté de leurs os; les dents sont belles et d'un reflet bleuâtre, mais étroites et longues, les cheveux sont souples. » Les deux formes ne manquent pas d'exemples qui puissent servir de prototype à ces descriptions, et, en admet- tant même que tous les cas ne puissent pas être rangés exactement dans l'une ou l'autre catégorie, il est cependant utile, pour la pratique, de con- server cette division de la scrofulose entorpideet en éréthique, parce que cette division fournit, comme nous le verrons plus tard, des points de repère importants pour les indications thérapeutiques. La scrofulose, quoique étant principalement une maladie de l'enfance, se trahit à peine pendant la première année par de légers indices. Vers l'époque de la puberté, les troubles scrofuleux nutritifs disparaissent dans la plupart des cas, et même l'habitus scrofuleux se perd plus ou moins com- plètement. Plus rarement on voit des influences fâcheuses, qui viennent s'exercer sur le corps vers cette époque, donner lieu à une recrudescence de la scrofulose sur le point de guérir, ou même à la réapparition d'affections scrofuleuses disparues depuis des années. Enfin, dans le paragraphe 1er, nous avons déjà mentionné que, dans ces circonstances, la scrofulose peut encore atteindre à un âge avancé des individus qui n'en présentaient pas de trace pendant leur enfance. Il est impossible de donner un aperçu général de la scrofulose, parce que les différents troubles de la nutrition se combinent de la manière la plus variée, que dans un cas tel groupe de phénomènes se trouve au premier plan, dans un autre tel autre groupe, que beaucoup de malades, malgré la durée très-longue de leur maladie, restent constamment épargnés de phéno- mènes qui chez d'autres jouent le principal rôle dès le début. — Quoiqu'il soit hors de doute que la différence de localisation de la scrofulose (s'il est permis de se servir de cette expression), dépend ou de l'action de causes morbifiques spécialement nuisibles aux organes atteints, ou de la résistance particulièrement faible présentée par ces organes contre les causes morbi- fiques générales, cependant, on ne peut découvrir que rarement pourquoi, dans un cas, ce sont les exanthèmes scrofuleux, dans un autre les ophthal- mies, dans un troisième, les affections osseuses qui prédominent; de même, nous ne comprenons pas pourquoi, dans un cas, les inflammations et les hyperplasies des ganglions lymphatiques sont beaucoup plus étendues et plus rebelles que dans un autre. On ne sait même pas 'positivement si chez les individus scrofuleux il existe aussi des gonflements primitifs des gan- glions lymphatiques, ou bien si l'hyperplasie cellulaire, de même que l'in- flammation de ces ganglions, dépend toujours d'une irritation propagée d'un foyer inflammatoire voisin aux ganglions lymphatiques et représente constamment une affection secondaire. Comme nous sommes en état de con- stater, dans la majorité des cas, ce dernier mode de production, il est pro- 918 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. bable que dans ceux ou nous ne découvrons pas de lésions dans le domaine des vaisseaux lymphatiques correspondants, cette lésion est déjà guérie au moment où le malade se présente à notre observation ; car il est de règle que la maladie des ganglions lymphatiques persiste beaucoup plus longtemps que le trouble nutritif qui l'a produite. Les exanthèmes qui constituent les phénomènes morbides les plus fréquents et souvent les premiers chez les individus scrofuleux, ont ordinairement leur siège à la face et au cuir chevelu ; ils appartiennent en majeure partie à ces formes de dermatite superficielle, dans lesquelles un exsudât plus ou moins riche en cellules est déposé à la surface libre du derme et qu'on appelle aujourd'hui eczéma, impétigo, après les avoir désignées dans le temps sous le nom de teigne, porrigo, etc. Ce n'est que dans une période plus avancée de la scrofulose qu'on peut voir apparaître aussi des affections destructives de la peau, telles que les différentes formes du lupus. Les inflammations scrofuleuses des muqueuses se montrent de préférence aux environs des ouvertures naturelles et se communiquent très-facilement à la peau environnante, surtout si cette dernière est humectée par la sécré- tion morbide. C'est ainsi que le coryza scrofuleux se complique ordinaire- ment d'un eczéma de la lèvre supérieure, l'inflammation catarrhale du con- duit auditif d'un eczéma de la région auriculaire, la conjonctivite catarrhale d'un eczéma des joues. Réciproquement, les exanthèmes du pourtour des •ouvertures naturelles se propagent aussi très-souvent aux muqueuses et donnent lieu, de cette façon, au coryza, à l'otorrhée, à la conjonctivite catar- rhale et aux ulcérations de la cornée. — Les catarrhes des bronches et de l'intestin, et ceux, plus rares, des organes génito-urinaires font craindre, par leur ténacité, chez les individus scrofuleux, un processus destructeur de nature maligne. Il est vrai, du reste, que les catarrhes bronchiques scrofu- leux donnent assez souvent lieu à la phthisie pulmonaire par leur propaga- tion aux alvéoles, par la métamorphose caséeuse et la fonte des foyers pneumoniques. Outre cela, il n'est pas rare d'observer que des ganglions bronchiques gonflés et caséeux se ramollissent et tombent en deliquium et que les vomiques, ainsi formées, versent leur contenu dans les bronches. — Les ulcères scrofuleux de l'intestin ont été décrits en détail. (Voy. vol. I.) Les inflammations scrofuleuses des articulations se présentent tantôt sous la forme d'une hydarthrose simple, tantôt sous celle de la tumeur blanche, mais d'autres fois aussi sous celle d'une arthrocace maligne, conduisant à la sup- puration des articulations, à la carie des extrémités articulaires, aux fusées purulentes et à la formation des fistules. — Les maladies scrofuleuses des os partent tantôt du périoste, tantôt de l'os lui-même et présentent quelquefois les caractères de la périostite ou de l'ostéite, d'autres fois ceux de la carie, de la nécrose ou de la carie nécrosique. — Aussi longtemps qu'on considé- SCROFULIDE. 919 Tait l'existence de masses caséeuses comme le signe caractéristique de la nature tuberculeuse d'un trouble nutritif, on était forcé de rattacher une grande partie des inflammations articulaires et osseuses, survenues chez les individus scrofuleux, à une complication de la scrofulose parla tuberculose. Parmi les organes des sens, ce sont principalement les yeux et surtout leurs parties superficielles, les glandes de Meibomius, la conjonctive palpébrale, la conjonctive oculaire, la cornée, qui deviennent le siège d'inflammations opiniâtres. On considère même, d'habitude dans les cas douteux, les cicatrices et les troubles de la cornée comme un signe important d'une scrofulose traversée pendant la jeunesse. — ■ Le nez n'est généralement affecté que d'un coryza tenace, qui ne fait défaut chez presque aucun scrofuleux ; cependant, dans quelques cas rares, cet organe peut être détruit par un lupus. ■ — Quant aux oreilles, outre l'inflammation, déjà mentionnée, du conduit auditif externe, -on rencontre assez souvent des destructions carieuses du rocher, avec leur marche insidieuse. Les symptômes objectifs des affections ganglionnaires, chez les scrofuleux, découlent de ce que nous avons dit dans le paragraphe précédent. Les in- flammations des ganglions lymphatiques et les inflammations phlegmoneuses •des tissus qui les entourent peuvent devenir très-douloureuses; et, quand elles ont pris beaucoup d'extension, elles sont presque toujours accompa- gnées d'une fièvre plus ou moins intense avec exacerbation du soir. Par suite, non-seulement l'état général des malades est en souffrance, mais lorsque ces inflammations et la fièvre qui les accompagne durent pendant •des semaines ou des mois, ce qui se rencontre assez fréquemment, les forces ■ des malades sont consumées et ils maigrissent beaucoup. Si les abcès ainsi formés se sont ouverts ou ont été ouverts par le bistouri, et si, pendant ce temps, de nouveaux foyers inflammatoires ne se sont pas montrés, la fièvre se perd bientôt, les forces des malades reviennent peu à peu et leur état de maigreur disparaît souvent déjà vers une époque où les ulcères ne montrent pas encore de tendance à guérir et sécrètent journellement des quantités considérables de pus. Les tumeurs ganglionnaires dépendant d'une hyper- plasie cellulaire ne sont accompagnées ni de douleurs ni de phénomènes fébriles; mais lorsqu'elles atteignent un volume considérable au cou, non- seulement elles défigurent les malades à un haut degré, mais elles entravent les mouvements de la tête. On ne sait pas encore si ces tumeurs ganglion- naires exercent une influence fâcheuse sur la composition du sang, si les éléments cellulaires, destinés au sang, sont retenus dans les ganglions ma- lades, ou si les tumeurs scrofuleuses modifient la composition du sang de la même manière, qnoiqu'à un degré beaucoup plus faible, que les tumeurs leukémiqucs des ganglions. La marche de la scrofulose est longue et insidieuse. Des améliorations périodiques alternent presque toujours avec des aggravations périodiques. 920 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. Ou bien c'est un seul et même groupe de phénomènes qui revient sans cesse avec une nouvelle violence, ou bien, lorsque les premiers symptômes se sont améliorés ou ont disparu, d'autres commencent à se montrer. Quant aux terminaisons de [la scrofulose, la guérison complète est très- fréquente, surtout si l'on compte parmi les cas de guérison ceux où per- sistent des taches superficielles de la cornée, des cicatrices difformes et d'autres anomalies qui ne troublent pas la santé. — La mort n'est que rare- ment la conséquence de ces troubles nutritifs qu'on désigne généralement sous le nom de scrofuleux. Parmi ceux-ci, il n'y a guère que les affections articulaires et osseuses de longue durée et la suppuration des ganglions bronchiques qui menacent la vie. Il est vrai, d'un autre côté, qu'un grand nombre d'enfants scrofuleux meurent de croup, d'hydrocéphale et d'autres maladies aiguës, pour lesquelles ces enfants offrent une prédisposition aussi marquée que pour les maladies qu'on a l'habitude d'appeler scrofuleuses. Enfin, il faut noter que dans le cours de la scrofulose et tout particulière- ment dans le cours des suppurations et affections osseuses de longue durée, il se développe dans certains cas des dégénérescences lardacées du foie (tu- meur scrofuleuse du foie, Budd.), de la rate et des reins. Quant au rapport qui existe entre la scrofulose et la tuberculose, nous avons déjà dit (vol. T), que les enfants scrofuleux deviennent, il est vrai, plus tard assez souvent tuber- culeux, mais aussi qu'un très-grand nombre de ces enfants, surtout ceux chez lesquels on voit disparaître avec le temps la faiblesse de la constitution, d'où dépend la scrofulose, et avant tout, ceux chez lesquels il n'est pas resté de foyers caséeux, comme résidus des affections scrofuleuses, ne sont jamais atteints de tuberculose. § h. Traitement. La prophylaxie de la scrofulose congénitale est presque complètement en dehors de la sphère d'action du médecin. Nous pouvons désirer vivement que les individus scrofuleux, tuberculeux, faibles ou âgés ne se marient pas et que des individus sains et robustes ne contractent pas d'union avec de proches parents; mais en représentant même à ces individus que des en- fants scrofuleux pourraient naître d'un pareil mariage, on n'arrivera que rarement à les détourner de leurs projets. — Par contre, une tâche qui, pour le médecin, est aussi urgente que féconde en bons résultats, c'est d'empêcher par des mesures prophylactiques la scrofulose acquise de s'étendre. Ce qu'il y a à faire pour remplir cette tâche ressort de ce que nous avons dit sur les causes de la scrofulose acquise. Il faut bien se péné- trer du fait que ce n'est pas une influence fâcheuse isolée qui favorise le développement de la scrofulose, mais que ce sont toutes les conditions anti SGROFULOSE. 921 hygiéniques, auxquelles les individus sont exposés, surtout dans le jeune kge, qui amènent cette maladie. 11 arrive trop souvent qu'à partir du mo- ment où se manifestent les premiers signes de la serofulose, ou du moment où l'on commence à craindre le développement de cette affection, on refuse soigneusement aux enfants les tartines de beurre, les pommes de terre et on leur donne par précaution de grandes doses d'huile de foie de morue, tandis qu'on permet qu'ils passent toute la journée à la maison, dans une chambre mal aérée ou sur les bancs d'une école encombrée d'élèves. Le séjour à l'air libre et un exercice musculaire convenable sont exigés par la prophylaxie tout autant que la régularisation du régime. Quant à ce der- nier, nous revenons ici encore une fois sur une erreur que nous avons déjà mentionnée en parlant des mesures prophylactiques contre la phthisie pul- monaire : cette erreur consiste à accuser l'usage du pain et des pommes de terre de favoriser le développement de la serofulose et de la tuberculose et à refuser complètement ces aliments aux enfants, tandis que l'insuffisance d'un régime animal est la cause principale de cette influence fâcheuse et que les pommes de terre et autres substances peu nutritives, eu égard à leur masse, ne sont nuisibles qu'autant qu'on en fait un usage exclusif ou au moins prédominant. Cette erreur est tellement répandue que bien des mères passent la nuit sans sommeil lorsqu'elles découvrent que leurs en- fants ont mangé une pomme de terre en cachette, et que bien des enfants sont envoyés au lit le soir sans être rassasiés. Le traitement de la serofulose confirmée, qu'elle se soit déclarée malgré les mesures prophylactiques ou que ces dernières aient été négligées, con- siste avant tout encore dans la régularisation scrupuleuse de tout le régime d'après les principes établis. On ne souffrira pas qu'on essaye l'allaitement artificiel chez les enfants atteints de serofulose congénitale, mais on cher- chera avec le plus grand soin une bonne nourrice, lorsque la mère n'a pas assez de lait, ou qu'elle est maladive et faible, et que dans l'intérêt de la mère et de l'enfant on est obligé de défendre à la première de nourrir. Le lait de la mère ou d'une nourrice ne peut être remplacé par autre chose, et la première année est peut-être la plus importante pour la constitution que l'enfant aura pendant le reste de sa vie. Si l'enfant est plus âgé, on donnera les indications les plus précises tant sous le rapport du régime que de la manière de vivre en général. Il est peu convenable de prescrire d'une ma- nière vague que l'enfant doit manger « peu » de pain, mais prendre « beau- coup » de lait, de bouillon, de viande, etc., qu'il ne doit pas travailler d'une manière « trop asssiduc » et doit se donner « beaucoup de mouve- ment » à l'air libre. Si l'on veut arriver à des résultats favorables, il faut prescrire exactement la quantité de chaque aliment et le nombre d'heures à consacrer à l'une ou à l'autre occupation. Parmi les médicaments antiscrofoleux, l'huile de foie de morue jouit à 922 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. juste titre d'une réputation toute spéciale, et il y a des cas nombreux où elle a rendu des services excellents. Mais, d'un autre côté, il n'y a peut- être pas de remède dont on ait tant abusé que de l'huile de foie de morue. Croire qu'un gros nez, qu'une lèvre supérieure excoriée, qu'un chapelet de ganglions engorgés, au cou, suffisent pour justifier la prescription de cette huile, c'est risquer de n'arriver dans beaucoup de cas à aucun résultat et de faire dans d'autres plus de mal que de bien. L'expérience journalière nous apprend que ce préjugé est très-répandu, et ce n'est pas se battre contre des moulins à vent que de l'attaquer. Qu'on demande aux malades, dont la scro- fulose s'est prolongée au delà de l'enfance et qui ont passé d'un médecin à l'autre, combien de fois on leur a prescrit l'huile de foie de morue malgré l'insuccès d'un premier traitement par cette substance, pendant combien de mois et combien d'années de leur vie ils en ont pris et quelle peut en être la quantité totale, et l'on sera très-étonné de leur réponse. Et malgré cela ces sortes de malades sont toujours encore exposés à se voir prescrire l'huile de foie de morue par tout nouveau médecin qu'ils consultent. — Un point de repère, très-utile pour distinguer les cas où l'huile de foie de morue est indiquée de ceux où elle ne donne pas de résultats, est fourni par le carac- tère torpide et éréthique de la scrofulose. Si la constitution grêle du malade, l'absence de graisse dans le tissu cellulaire sous-cutané, les battements un peu accélérés du cœur, l'excitabilité augmentée du système nerveux per- mettent de supposer que la désassimilation est augmentée, l'huile de foie de morue rend le plus souvent d'excellents services. Pendant le traitement le corps prend de l'embonpoint, la vulnérabilité générale et les phénomènes morbides qui s'y rattachent disparaissent souvent en peu de temps. C'est à ces cas que l'huile de foie de morue est redevable de sa réputation comme antiscrofuleuse. Si, par contre, on rencontre chez un individu scrofuleux un corps massif et bouffi, si non-seulement le nez et la lèvre supérieure sont gonflés, mais que dans le reste du corps aussi le pannicule adipeux soit for- tement développé, si l'activité du corps est plutôt ralentie qu'accélérée, si l'excitabilité du système nerveux est remarquablement faible, en un mot, si l'on est conduit à admettre que le mouvement nutritif et l'usure des élé- ments du corps sont plutôt diminués qu'augmentés, on ne doit pas espérer que la scrofulose cède à l'administration de l'huile de foie de morue. Or, ce sont précisément de pareils malades qui ont pris pendant leur vie des quan- tités vraiment exorbitantes d'huile de foie de morue sans aucun succès. — On a l'habitude de faire prendre aux malades, à côté de l'huile de foie de morue et en quelque sorte pour seconder ce traitement, des médicaments renfermant un peu de tannin, surtout les glands torréfiés (café de glands) ou les feuilles de noyer sous forme d'infusion. Cette prescription ne peut qu'être utile dans les cas où un catarrhe chronique de l'intestin entrave la diges- tion ou l'absorption du chyle et s'oppose à la nutrition du malade, et où l'on SCROFULOSE. 923 craint que l'usage de l'huile de foie de morue n'aggrave l'état morbide de la muqueuse intestinale. L'huile de foie de morue, le café de glands et l'in- fusion de feuilles de noyer, dont nous apprécions beaucoup la vertu anti- scrofuleuse, lorsqu'ils sont employés dans les cas appropriés, mais dont nous critiquons l'emploi inconsidéré quand on veut les appliquer à tous les cas, doivent être continués pendant assez longtemps pour arriver à un bon résultat ; il faut donc recommander certaines précautions en prescrivant ces remèdes. Les enfants perdent ordinairement très-vite la répugnance contre l'huile de foie de morue, répugnance qui esL souvent tout à fait invincible chez les adultes, ils ne se débattent plus alors pour prendre la dose ordi- naire de deux cuillers à café par jour, ils la demandent même spontané- ment quand le moment de la prendre est venu. Mais si l'on en continue l'usage pendant des mois, sans interrompre de temps en temps le traite- ment, on voit survenir aussi chez les enfants une répugnance invincible et souvent persistante contre ce remède désagréable et quelquefois même des vomissements toutes les fois qu'on veut le leur faire jprendre de force. Ce contre-temps fâcheux; qui peut rendre impossible la continuation du traite- ment est presque toujours évité si l'on fait tous les quatre ou six semaines une pause de huit à quinze jours. Pour que les enfants prennent le café de gland avec autant de plaisir que le café ordinaire, il suffit d'ajouter aux glands, avant de les torréfier, quelques grains de café. Il est bien plus difficile de formuler des indications précises pour l'usage des bains salins, qui jouissent, comme remède antiscrofuleux, d'une répu- tation presque aussi considérable que l'huile de foie de morue. Nous con- naissons trop peu le mode d'action des bains salins, l'influence qu'ils exercent sur les échanges organiques, les avantages qu'ils peuvent pré- senter sur les bains simples, par leur contenu en chlorure de sodium, en bromures et en iodures, pour pouvoir déterminer a priori, dans quels cas ils sont indiqués, et dans quels autres nous ne devons rien en espérer. Jus- qu'à présent, nous ne possédons pas d'analyse impartiale des résultats positifs et négatifs obtenus chez les individus scrofuleux par les bains salins, analyse qui offrirait le meilleur point de repère pour établir des indications déterminées, et les médecins des eaux, qui devraient cependant connaître le mieux l'étendue et les limites de la vertu curative de leurs sources, ne renvoient presque jamais les malades scrofuleux aux eaux salines, comme impropres à ce genre de traitement. Dans cet état de choses, il ne reste d'autre parti à prendre que d'envoyer les individus qui ont pris pendant assez longtemps, sans succès, de l'huile de foie de morue et d'autres anti- scrofuleux, à Kreuznach, Ischl, Koescn, Wittekind, ou à un bain analogue, ou de leur faire prendre des bains salins à domicile, si les conditions de fortune ne permettent pas ce voyage, dans l'espoir que ces individus appartiennent à la catégorie de ceux chez lesquels les bains salins pro- 924 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. duiront leurs effets antiscrofuleux qui, certes, ne sont pas complètement illusoires. De nos jours, les cures hydrothérapiques ont acquis une très-grande impu- tation dans la scrofulose, et en effet, il existe un grand nombre de cas où elles ont amené des guérisons complètes et définitives, après que tous les autres remèdes et cures ont été employés inutilement. On peut positivement affirmer que les cures d'huile de foie de morue ne peuvent remplacer les cures hydrothérapiques, ni les cures hydrothérapiques le traitement par l'huile de foie de morue ; mais on peut encore aller, plus loin et prétendre que, pour les cas où une cure énergique d'eau froide est indiquée, l'huile de foie de morue est peut-être non-seulement inutile, mais même nuisible et réciproquement. Si l'on songe que dans le temps les infusions sudori- fiques, les tisanes purgatives, les préparations mercurielles et antimoniales et d'autres remMes par lesquels on comptait augmenter l'activité des émonctoires naturels, étaient d'un usage très-fréquent dans la scrofulose, et que, lorsqu'on parvenait par ces remèdes à provoquer pendant des semaines une sécrétion sudorifique et urinaire abondante, et à purger les malades continuellement, on arrivait parfois à des résultat'; très-favorables, il est évident que ces procédés, par lesquels l'échange organique a été accéléré, et l'usure des éléments du corps augmentée à un très-haut degré, n'étaient utiles qu'aux malades chez lesquels la nutrition était anormalement ra- lentie, et la désassimilation diminuée. — Les cures d'eau froide dont les succès éclatants m'ont été prouvés dans des cas nombreux de scrofules torpides, c'est-à-dire dans la forme contre laquelle l'huile de foie de morue ne peut rien, ont un effet semblable, mais beaucoup moins dangereux que les cures indiquées plus haut. Les préparations iodées et mercurielles ont également la réputation d'être des remèdes antiscrofuleux très-actifs. 11 est impossible de se rallier à cette opinion, si l'on considère la scrofulose comme une cachexie quf se mani- feste par une prédisposition morbide très-prononcée à un grand nombre de troubles nutritifs, car il est difficile d'admettre que, par l'usage des prépa- rations iodées et mercurielles, la résistance de l'organisme contre les in- fluences nuisibles soit augmentée.. Je crois qu'il est irrationnel de prescrire des préparations iodées et mercurielles contre la scrofulose en elle-même; ces remèdes ne devraient être employés chez les individus scrofuleux que sur des indications déterminées, résultant d'unemaladie déterminée de l'un ou de l'autre organe. D'un autre côté, j'avoue parfaitement que les cas où les préparations mercurielles et surtout iodées sont indiquées chez des in- dividus scrofuleux sont assez nombreux; je renvoie sur ce sujet à la patho- logie locale de même qu'à la chirurgie et à l'ophthalmologie, et je me contente de rappeler l'influence très-favorable que l'usage interne et externe des préparations iodées exerce sur les hyperplasies chroniques des ganglions DIABETE SUCRÉ, GLYCOSURIE, MELITUR1E. 925 lymphatiques. C'est surtout dans les cas, où des gonflements torpides chro- niques des ganglions lymphatiques persistent comme seuls résidus des troubles de la nutrition, que l'usage de l'iodure de potassium, de la source d'Adel- heid, de l'eau de Ivrankenheil rend des services surprenants. CHAPITRE VI Diabète sucré. — Glycosurie. — lUelïturic. § 1. Patiiogénie et étiologie. La pathogénie du diabète sucré est, toujours encore enveloppée d'ob- scurité ; la découverte faite par les physiologistes de la présence du sucre dans l'urine d'animaux auxquels on a lésé par une piqûre le plancher du quatrième ventricule cérébral n'a pas suffi jusqu'à présent pour dissiper cette obscurité. Nous savons, il est vrai, que la présence du sucre dans l'urine, à laquelle la maladie doit son nom de glycosurie ou de méliturie, ne dépend pas d'un fonctionnement anormal des reins, que le sucre n'est pas élaboré dans les reins, mais qu'il y est simplement éliminé du sang; mais nous igno- rons en vertu de quelle anomalie de l'organisme le sang qui circule dans les reins contient du sucre chez les diabétiques et n'en renferme pas une trace chez les individus sains. Parmi les nombreuses hypothèses que l'on a faites pour expliquer le diabète, nous nous contenterons d'en rapporter quelques- unes qui sont plus répandues, mais tout aussi dépourvues de valeur pratique que les autres. On a d'abord fait dépendre le diabète d'un arrêt dans la trans- formation du sucre absorbé par les vaisseaux sanguins. En effet, si le sucre pro- venant de la transformation des substances amylacées, dont se composent en partie nos aliments, et le sucre élaboré dans le foie circulaient dans le sang sans autre modification, et ne disparaissaient pas en arrivant dans le poumon, le sucre ferait partie des éléments normaux de l'urine. Par consé- quent, on ne peut nier la possibilité que parfois la présence pathologique du sucre dans l'urine ne dépende de l'absence des conditions qui permettent la transformation ultérieure du sucre. Toutefois, aussi longtemps que nous ne connaîtrons pas ces conditions, l'hypothèse que, de leur absence, dépend le diabète, ne pourra guère nous avancer. L'opinion que le manque d'éléments alcalins dans le sang des diabétiques s'oppose à la transformation du sucre, est reconnue fausse; et la supposition que dans le sang des diabétiques il y a absence d'un ferment encore inconnu qui existerait dans le sang des indivi- dus sains, et y déterminerait les transformations du sucre, ne repose sur 926 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. aucune base solide. — On a voulu ensuite faire dépendre le diabète d'une transformation exagérée et trop rapide des substances amylacées en sucre, trans- formation qui aurait sa source dans un état pathologique des sucs digestifs. Cette théorie soulève des objections encore plus sérieuses que la première. Il parait, en effet, que même chez les individus sains, les amylacés ingérés- avec les aliments se transforment complètement en sucre * et, cependant, nous voyons que, même après l'ingestion de fortes quantités de substances amylacées et de fortes proportions de sucre, l'urine des individus sains ne montre aucune trace de sucre. Mais ce sont avant tout les résultats de la méthode curative que l'on a fondée sur cette hypothèse qui prouvent com- bien elle résiste peu à l'examen. En effet, si le diabète dépendait d'une transformation trop forte et trop accélérée des amylacés en sucre, il fau- drait que la maladie cessât aussitôt que les amylacés ne seraient plus intro- duits dans le corps. Or l'expérience a démontré le contraire : même en faisant continuer pendant des semaines et des mois un régime exclusivement animal, on fait rarement disparaître le sucre de l'urine diabétique. — Enfin, depuis la découverte de Claude Bernard que le foie produit une substance glycogène et par le fait, du sucre, l'hypothèse que le diabète dépend d'une affection du foie, quoiqu'elle ne s'appuie sur aucune observation clinique, ni anatomo-pathologique, a trouvé beaucoup de partisans. Claude Bernard lui- même est d'avis que le diabète, artificiellement produit chez les animaux par la piqûre, dépend d'un trouble de l'innervation du foie provoqué par cette opération. A la suite de ce trouble de l'innervation, le foie produirait en plus grande abondance la substance glycogène qui elle-même se transfor- merait plus rapidement en sucre. Claude Bernard ne doute pas que chez l'homme le diabète sucré ne dépende d'une activité exagérée des nerfs qui renforcent le fonctionnement du foie, et il suppose que si l'on possédait le moyen de galvaniser le grand sympathique, ce serait là le meilleur traite- ment symptomatique du diabète, car d'après lui ce serait ce nerf qui serait affaibli dans le diabète par l'activité exagérée d'un antagoniste. On ne sau- rait nier la possibilité d'une production de sucre plus forte dans le foie d'un individu diabétique, que dans le foie d'un individu sain; mais il n'est ni prouvé, ni probable que cette anomalie constitue la seule ou la principale anomalie du diabète. Il n'est certainement pas admissible que le demi-kilo- gramme de sucre que quelques diabétiques évacuent dans les vingt-quatre heures avec leur urine, ne constitue qu'une petite proportion du sucre qu'ils produisent, et qu'une autre partie plus considérable subisse dans leur sang- les transformations que, d'après l'expérience, dans les conditions normales, de bien fortes proportions de sucre doivent y subir avant qu'une partie reste 1 Trommer a démontré que cette transformation s'opère même chez les oies mises, à l'engrais. DIABÈTE SUCRÉ, GLYCOSURIE, MÉL1TURIE. 927 sans être décomposée et passe comme telle dans les urines. — Je terminerai en citant une hypothèse fort séduisante en ce qu'elle explique mieux que toute autre le développement du diabète. D'après Tscherinoff, ce ne serait pas la substance glycogène qui, dans le foie, se transformerait en sucre, mais bien au contraire, le sucre arrivant dans le foie s'y transformerait en sub- stance glycogène. Cette dernière ne devrait donc pas être appelée glycogène, mais glycophthinium « substance qui détruit, qui use le sucre ». Ainsi le foie ayant perdu la faculté de détruire le sucre, de le transformer en glycoph- thinium, le sucre resterait contenu dans le sang et produirait ainsi le diabète. Pour Y êtiologie du diabète nous sommes également dans l'ignorance la plus complète ; car s'il est vrai que les observations des maladies nous ont révélé un grand nombre de conditions dont l'influence a eu tôt ou tard pour con- séquence le développement du diabète, ces conditions sont cependant telle- ment répandues et agissent si souvent sur l'organisme sans que le diabète "vienne à en résulter, que l'on est fort en droit de se demander s'il faut leur attribuer une influence quelconque sur le développement de cette maladie. Griesinger est arrivé aux résultats suivants par la comparaison d'un grand nombre d'observations faites par lui-même ou empruntées à d'autres auteurs : le diabète est beaucoup plus fréquent chez les hommes que chez les femmes; la proportion est environ de 3 à 1. Dans l'enfance et la vieillesse la maladie est plus rare que dans la force de l'âge ; chez les hommes, la plus grande fréquence tombe entre trente et quarante ans, chez les femmes entre dix et trenteans. Dans quelques-uns des cas rapportés la maladie semble avoir eupour base une disposition héréditaire. Comme causes occasionnelles on cite le plus souvent les refroidissements, les fortes pluies reçues sur le corps, les vio- lences extérieures, surtout celles qui ont produit une commotion de tout le corps plutôt que les violences dont l'effet a été simplement une lésion du cerveau et de la moelle épinière, l'usage immodéré du sucre, du vin jeune, du cidre, le travail intellectuel exagéré, les chagrins, les excès ba- chiques. § 2. Anatomie pathologique. A l'autopsie d'individus morts de diabète sucré on ne trouve pas de lésions constantes. Voici ce qui s'observe le plus souvent : Je corps est extrêmement amaigri ; le tégument cutané présente parfois des traces de décubitus, de furoncles et d'anthrax, de destructions gangreneuses; dans le cerveau, pas de modifications frappantes; dans le poumon presque toujours des dégéné- rations tuberculeuses ou caséeuses de date plus ou moins récente, assez sou- vent aussi des destructions pneumoniques ou gangreneuses; le cœur flasque, et atrophié; le foie ordinairement normal, quelquefois hypérémié; le pan- 928 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. créas très-souvent atrophié, mais rarement le siège d'une altération patho- logique ; les parois de l'estomac modérément épaissies par une hypertrophie de la musculeuse, due probablement aux repas copieux ; les reins gonflés par une hypérémie et quelquefois à l'état d'inflammation parenchymateuse chronique (maladie de Bright). S 3. Symptômes et marche. Le symptôme le plus important et le plus frappant du diabète, c'est l'évacua- tion de quantités énormes d'une urine pâle, dont le poids spécifique fort élevé, offrant un singulier contraste avec sa pâleur, et le goût douceâtre suffisent souvent à eux seuls pour fixer le diagnostic. Il n'est pas rare du tout qu'un diabétique rende en vingt-quatre heures de 5 à 10 litres d'urine. Dans quel- ques cas la proportion de l'urine émise dans les vingt-quatre heures a pu s'élever encore bien plus haut. Cependant il n'y a pas lieu d'ajouter foi aux rapports d'après lesquels des individus diabétiques auraient rendu jusqu'à six et même huit fois cette quantité et même davantage. On a souvent pré- tendu que la proportion de l'urine excrétée avait quelquefois de beaucoup dépassé celle des liquides ingérés avec les aliments et les boissons. Un pareil état de choses nous forcerait d'admettre, si le poids du corps n'avait pas diminué en pro- portion, que les malades, au lieu de céder du liquide par la peau et le pou- mon, en eussent absorbé par ces voies aux dépens de l'air ambiant. Une pareille hypothèse étant en opposition avec toutes les lois physiques, tant que la température du corps est plus élevée que celle du milieu environnant, il me semble fort probable que les observations d'après lesquelles les diabé- tiques auraient, pendant un temps plus ou moins long, perdu un poids d'u- rine et d'excréments plus considérable que le poids des aliments et des liquides ingérés dans leur corps, sans qu'en même temps le poids de ce dernier diminuât d'une manière proportionnelle, il me semble fori probable, dis-je, que ces ob- servations reposent sur des erreurs. Tout médecin qui s'occupe d'observations et d'expériences pathologiques et thérapeutiques sur le diabète doit lutter contre la forte tendance des malades à tromper l'observateur et à cacher une partie des liquides ingérés par eux. Les observations et expériences faites sur le diabète par Liebermeister et Reich dans la clinique de Greifswald et qui ont été publiées dans la dissertation du docteur Reich, semblaient éga- lement prouver au commencement que les deux malades, qui formaient l'objet des recherches, dépensaient plus par les excréments et l'urine qu'ils ne recevaient par les aliments et les boissons. Mais à partir du moment où la surveillance qui avait paru suffisante au commencement avait été renfor- cée à un tel point, qu'ils ne restaient plus un instant seuls et soustraits à DIABÈTE SUCRÉ, GLYCOSURIE, MELITURIE. 929 l'observation directe, on a pu s'assurer que les matériaux ingérés l'empor- taient sur la somme des dépenses en excréments et en urine. Pour ce qui concerne la cause delà forte exagération de la sécrétion urinaire dans le diabète sucré, Liebermeister et Reich ont prouvé par leurs recher- ches que l'augmentation, à la vérité très-considérable du liquide bu par les malades, ne suffît pas à elle seule pour expliquer ce phénomène. Ainsi ils pesèrent pendant plusieurs jours de suite avec la plus grande exactitude des rations parfaitement identiques d'aliments et de boissons pour deux malades atteints de diabète et un homme parfaitement bien portant et de bonne foi, l'étudiant en médecine Hoffmann, et ils pesèrent avec la même exactitude les quantités d'urine rendues dans les vingt-quatre heures parles malades et par l'homme sain. Cette expérience fit reconnaître que chez l'étudiant Hoff- mann l'ingestion fort augmentée de liquides à laquelle il se soumettait dans l'intérêt de la science faisait, à la vérité, beaucoup augmenter la sécrétion urinaire, mais que la proportion d'urine évacuée par lui dans les vingt- quatre heures restait beaucoup au-dessous de celle qu'évacuaient les malades dans le même laps de temps. Tandis que Hoffmann ne rendait dans les vingt- quatre heures que 5 à 6 litres d'urine les malades en rendaient pendant ce tempsde 7 àl 0 litres. Il est possible que le sucre contenu dans le sérum sanguin augmente la rapidité avec laquelle l'urine filtre par les glomérules de Mal- pighi et qu'ainsi la sécrétion urinaire se trouve augmentée. Toutefois, cette explication de la polyurie dans le diabète sucré est hypothétique et superflue, et l'explication beaucoup plus simple donnée par Vogel dans son travail classique sur le diabète nous semble parfaitement suffisante. «Quelle que soit, dit-il, la source du sucre contenu dans le sang des individus diabétiques, la conséquence forcée du fait est la suivante : le sérum chargé de sucre pompe avec avidité, par voie d'endosmose, l'élément aqueux de tous les li- quides parenchymateux ainsi que des boissons et aliments liquides introduits dans l'estomac et l'intestin. Plus le sang attire d'eau, plus son volume aug- mente, d'où il résulte que les vaisseaux sanguins s'engorgent et qu'une pres- sion exagérée s'établit dans l'intérieur du système vasculaire. Or la pression augmentée dans les glomérules de Malpighi entraîne la polyurie. » Le poids spécifique élevé de l'urine des diabétiques, qui dans les cas légers est de 1,020 à 1 ,030 et dans les cas graves de 1,030 à 1,050 et même encore plus élevé, dépend presque exclusivement de la proportion du sucre contenu dans l'urine ; car bien que le fait souvent avancé d'une diminution de la quantité absolue de l'urée et des sels contenus dans l'urine des diabétiques ne soit pas confirmé, l'énorme sécrétion aqueuse est cependant cause que la quantité relative d'urée et d'autres éléments solides contenus dans l'urine est devenue très-faible. Liebersmeister et Reich ont trouvé que l'urée était non-seulement produite en plus forte proportion chez les diabétiques soumis à leuis observations que chez les individus sains se nourrissant modérément NIEMEYEIU II — 59 930 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. d'aliments variés, mais que ce principe se reproduisait même chez les dia- bétiques en plus forte quantité que chez un individu sain dont les repas étaient les mêmes que les leurs. En effet, la proportion d'urée produite en vingt-quatre heures par les malades était de 32 à 35 grammes, tandis qu'elle n'était que de 29 à 32 grammes chez l'individu sain. . Si déjà l'abondance, l'élévation du poids spécifique, le goût douceâtre de l'u- rine excrétée indiquent sûrement que ce liquide contient du sucre, il est encore facile d'en' acquérir la certitude à l'aide d'une des nombreuses épreuves proposées. Quoiqu'il importe de choisir le procédé le plus délicat et le plus sûr lorsqu'il s'agit de retrouver de très-petites quantités de sucre, et que proba- blement les observations d'après lesquelles des proportions infiniment petites de sucre feraient partie des éléments normaux de l'urine, ou s'y rencontre- raient au inoins dans beaucoup d'états physiologiques et pathologiques, dé-, pendent en partie d'une confusion du sucre avec d'autres substances douées de réactions analogues, il n'en est pas moins vrai que, vu les grandes quan- tités de sucre qui se rencontrent dans l'urine diabétique, le procédé de Trommer, entre autres, suffit parfaitement pour fixer définitivement le dia- gnostic. On verse dans une portion d'urine une grande quantité d'une so- lution de potasse caustique, puis on ajoute au mélange une solution faible de sulfate de cuivre jusqu'à ce que le précipité qui se forme d'abord soit redissous en remuant ; ensuite, on filtre et on fait chauffer la liqueur fil- trée, qui prend une teinte bleue si elle renferme du sucre. Si, pendant qu'on le fait chauffer, le liquide dépose de l'oxyde rouge de cuivre encore avant d'arriver au point d'ébulktion, on a la preuve certaine de la présence du sucre. L'albuniine, qui pourrait se rencontrer en même temps que le sucre doit être, avant la recherche de ce dernier, précipitée par l'ébullition et recueillie sur un filtre. — Une autre épreuve plus simple consiste à ajouter simplement à l'urine une solution de potasse caustique et à échauffer en- suite le mélange. S'il y a du sucre, il se produit une coloration jaune, passant au brun et ensuite au brun noir. Si ce changement de couleur l'ait défaut, on peut être sûr que le liquide ne contient pas de sucre; si au contraire il se produit, il est bon de faire encore une contre-épreuve par le procédé de Trommer. — Pom' le procédé, un peu compliqué, par la fermentation alcoolique ainsi que pour d'autres épreuves, nous renvoyons aux traités de chimie organique. — Dansla liqueur titrée deFehling, on possède un moyen sûr de connaître la proportion au centième du sucre renfermé dansl'urine et par conséquent, sil'on mesure en même temps la quantité d'urine rendue dans les vingt-quatre heures, la quan- tité de sucre éliminé clans le même laps de temps. Liebermeister et Reich , qui, dans leurs nombreuses observations examinaient toujours l'urine, chacun iso- lément, et ne notaient comme positivement acquis que les résultats concor- dants, ne se voyaient presque jamais forcés, après peu de jours de pratique, de répéter l'épreuve sur la même proportion d'urine. — Un procède DIABÈTE SUCRÉ, GLYCOSURIE, MÉLITURIE. 931 infiniment pins commode et plus prompt que l'emploi des liqueurs titrées, consiste à examiner l'urine avec l'appareil polarisateur de Soleil- Wentzke, lorsqu'il s'agit d'obtenir des résultats certains sur la proportion du sucre renfermé dans l'urine. L'appareil beaucoup moins coûteux de Robi- quet peut encore être employé dans le même but, quoique sa précision ne soit pas aussi grande. Dans les degrés inférieurs de la maladie, l'urine ne renferme quelquefois qu'un ou deux pour cent de sucre ; dans les degrés plus élevés assez souvent de six à dix pour cent et même davantage. La tota- lité du sucre journellement éliminé peut dépasser 500 grammes dans les vingt-quatre heures. La proportion du sucre est sujette à bien des oscillations dans le cours de la maladie et même dans le cours de chaque journée. Les causes de ces oscillations, nous les ignorons en grande partie et nous con- naissons seulement quelques-unes des conditions qui augmentent ou dimi- nuent la proportion du sucre renfermé dans l'urine. Parmi les premières, il faut compter l'habitude de boire et de manger beaucoup, et avant tout l'inges- tion de fortes quantités de sucre et de substances amylacées : parmi les der- nières, la restriction des boissons et des aliments, et avant tout l'abstinence de substances amalycées et de tout aliment renfermant du sucre. L'influence des repas sur l'augmentation du sucre éliminé avec l'urine se prolonge pen- dant plusieurs heures et diminue ensuite dans de fortes proportions. AI. le docteur Maurice Traube s'est cru autorisé à conclure, delà diminution con- sidérable du sucre après un jeûne de plusieurs heures, qu'à une période donnée du diabète la sécrétion du sucre devait être complètement inter- rompue pendant la nuit. Si M. Traube avait jugé nécessaire de vérifier l'exactitude de cette assertion par une observation directe, s'il s'était donné une seule fois la peine d'examiner séparément l'urine excrétée pendant les dernières heures de la nuit et qu'il prétendait ne contenir aucune trace de sucre (il a la franchise d'avouer que cela n'a jamais été fait par lui), il se se- rait probablement convaincu de son erreur. Dans les cas observés à ma cli- nique, dont l'un était très-récent et concernait un homme encore robuste et apte au travail, ainsi que dans les quatorze cas observés par Seegen à Carls- bad, l'urine émise pendant les dernières heures de la nuit et les premières heures de la njatinée contenait régulièrement du sucre. Tant qu'une obser- vation directe ne viendra pas démontrer qu'il y a réellement des cas dans lesquels les faits se passent comme l'annonce AI. Traube, la « loi » qu'il prétend avoir découverte ne mérite pas d'être prise en considération. La soif pénible qui tourmente jour et nuit les malades est facile à expli- quer depuis que l'on sait que la polyurie des diabétiques ne provient pas simplement de la quantité augmentée des liquides qu'ils boivent, mais qu'au contraire les malades boivent beaucoup parce qu'ils perdent trop d'eau par les reins. Claude Bernard fait dépendre la soif des diabétiques de la température plus élevée du l'oie, « d'où résulterait sans doute une plus forte 932 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. absorption dans le canal intestinal». Cette hypothèse est inutile comme plusieurs autres. De même que l'homme qui sue abondamment, que le fébricitant qui fait évaporer de fortes quantités d'eau, que le cholérique qui perd beaucoup d'eau par les capillaires de l'intestin, de même le diabé- tique qui perd encore plus d'eau par les reins a soif parce que son sang s'épaissit. Il faut ajouter à cela une seconde raison, à savoir que le dessè- chement de tous les tissus par le fait du fort courant d'endosmose, qui des parenchymes se dirige vers les vaisseaux. On sait en effet que ce n'est pas seulement avec du sel, mais encore avec du sucre, que l'on peut produire une dessiccation complète de la viande que Ton veut conserver. Il n'est pas rare du tout que des malades boivent de 10 à 15 litres d'eau en vingt-quatre heures. C'est quelques heures après le repas, par conséquent au moment où la production du sucre se fait le plus activement et où le malade rend le plus d'urine, que la soif est le plus vive. La perte d'eau considérable par les reins explique en outre la cessation complète de la production des sueurs qui s'observe chez presque tous les dia- bétiques, ainsi que la forte diminution de la perspiration insensible, que j'ai constatée à ma clinique. L'antagonisme entre la sécrétion cutanée et la sécrétion rénale se manifeste aussi clairement par la sécheresse de la peau des individus diabétiques que par la diminution de la diurèse, qui s'observe en cas de transpiration abondante. Les sueurs qui exceptionnellement se produisent dans le cours du diabète contiennent du sucre. Griesinger a observé chez un de ses malades une alternance remarquable entre la quan- tité de sucre renfermé dans l'urine, et celle que contenait la sueur; chez ce malade, en effet, la proportion du sucre renfermé dans l'urine était réduite de moitié toutes les fois qu'il sécrétait une sueur fortement chargée de sucre. Dans les expériences déjà mentionnées de Reich et de Lieber- meister, on s'est assuré qu'un diabétique cède par la peau et le poumon à peine le tiers des éléments aqueux qu'un individu sain perd par ces voies. — Enfin, les essais de Kunde et Kœhnhorn, qui ont provoqué chez des grenouilles et des mammifères un trouble du cristallin par une soustrac- tion artificielle des parties aqueuses, font supposer que les cataractes qui s'observent assez fréquemment dans le cours du diabète sont également utte conséquence de la forte perte d'eau que subissent les diabétiques, quoique les ophthalmologistes élèvent plus d'une objection contre cette explication. Un phénomène qui accompagne le diabète presque aussi constamment que la soif ardente, c'est la faim souvent insatiable des malades. On s'ima- gine à peine quelle énorme quantité d'aliments, quelquefois sans égard à la qualité, un diabétique peut consommer par jour. Cette grande faim et l'amaigrissement continu, qui souvent arrive à un degré extraordinaire, dépendent surtout de ce qu'une grande quantité des alimenta consommés ne profite pas au corps, parce qu'au lieu de servir à la réparation des élé- DIABÈTE SUCRÉ, GLYCOSURIE, MÉLITURIE. 933 ments usés dans l'organisme, ils sont de nouveau éliminés. 11 faut ajouter à cela que l'usure des éléments azotés du corps est beaucoup exagérée chez les diabétiques, comme cela ressort de l'augmentation de la production d'urée. On comprend que la température du corps ne peut pas en être augmentée, parce qu'une grande quantité des matériaux de la combustion deviennent inutiles et sont perdus pour le corps. — Probablement l'impuis- sance qui presque toujours s'observe dans le cours du diabète dépend de l'affaiblissement général et du mauvais état de la nutrition ; cependant, cette impuissance des diabétiques a peut-être aussi sa source dans le taris- sement de la [sécrétion séminale, par suite du manque d'eau ou bien dans le mélange du sucre avec le sperme, mélange qui pourrait faire perdre à ce liquide ses propriétés excitatrices. Il nous reste à mentionner une série de phénomènes morbides qui, quoique moins constants que les phénomènes décrits jusqu'à présent, s'y ajoutent au moins très-souvent et complètent ainsi le tableau clinique du diabète. Chez la plupart des malades les dents se carient de bonne heure. Ce phénomène s'explique, d'après Falk, par ce fait que les dents du diabétique sont exposées à l'action de l'acide libre, qui se forme pendant la décomposition delà sécrétion buccale chargée de sucre. Des accidents très- pénibles pour ces malades sont en outre le phimosis et les excoriations qui se forment au prépuce et au gland, ou bien, chez les femmes, les excoriations gui entourent l'orifice de l'urèthre, et qui, dans beaucoup de cas, se développent probablement à la suite du contact répété de ces parties avec l'urine sucrée. — Enfin, nous avons à mentionner la grande tendance aux inflammations, se terminant par mortification et gangrène, tendance qui se montre dans le cours du diabète et se traduit par l'apparition si fréquente de furoncles et d'anthrav, de gangrène spontanée des extrémités, de pneumonies lobu- laires, d'abcès et de gangrène du poumon. Comme phénomène terminal nous voyons se développer chez un grand nombre de diabétiques la phthisie pulmonaire. D'après Griesinger la moitié des malades succombent à cette complication. — Dans quelques cas la mélilurie se complique aussi d'albuminurie qui ne fait qu'augmenter l'épui- sement et hâter la fin. 11 n'est pas tout à fait improbable que la néphrite parenchymateuse chronique d'où dépend l'albuminerie soit le résultat de l'irritation prolongée des reins par la sécrétion saecharifère et qu'elle con- stitue ainsi un fait analogue à la balanite. La marche du diabète est presque toujours chronique et se prolonge pen- dant des mois et des années. 11 n'y a qu'un petit nombre de cas connus où la maladie ait pris une marche aiguë et se soit terminée par la mort au bout de quelques semaines déjà ou même encore plus tôt. Il n'y a guère d'obser- vations dignes de confiance sur le début de la maladie : le traitement de presque tous les malades ne commence qu'à l'époque où L'évacuation de 934 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. fortes quantités d'urine, la soif ardente, la faim insatiable coïncidant avec un amaigrissement progressif ont déjà éveillé le soupçon d'une maladie grave, et ils ne savent presque jamais exactement indiquer à quelle époque ces symptômes se sont manifestés pour la première fois, ou quels phéno- mènes les ont précédés. Encore dans les cas peu fréquents où la maladie s'est développée rapidement, l' augmentation de la soif, de la faim et de la diurèse étaient les premiers symptômes qui attiraient l'attention des ma- lades et de leur famille. — La durée ordinaire du diabète est le plus sou- vent de un à trois ans. Plus de 60 pour 100 des cas recueillis par Griesinger s'étaient terminés par la mort dans ce laps de temps. 11 faut cependant con- sidérer que la statistique enregistre principalement les cas traités dans les hôpitaux tandis que la plus grande partie des cas traités dans la clientèle privée ne sont pas publiés. Incontestablement le diabète dure ordinaire- ment plus longtemps chez les individus qui vivent dans des conditions heu- reuses et qui possèdent les moyens de se bien soigner que chez les indivi- dus forcés de chercher un refuge dans les hôpitaux. — Parmi les terminaisons du diabète la guérison complète et définitive, si toutefois elle a lieu, est très-rare; par contre, on connaît des exemples nombreux où la marche de la maladie a subi des temps d'arrêt plus ou moins longs. Dans les cas où la mort n'a pas été amenée prématurément par des complications, elle arrive au milieu des symptômes d'un marasme extrême. Quelquefois on observe peu de temps avant la mort des symptômes du côté du système nerveux qui rappellent ceux de l'intoxication urémique. § U. Traitement. On a préconisé contre le diabète sucré un grand nombre de remèdes et de méthodes curatives ; cependant la plupart de ces moyens n'ont été re- commandés que d'après des suppositions purement théoriques sur l'essence de la maladie et l'effet des remèdes, et il n'y en a qu'un petit nombre qui s'appuient sur des faits positivement établis par l'expérience. Nous passerons sous silence les prescriptions ayant eu pour point de départ l'idée qu'il fal- lait administrer des acides pour rendre plus difficile la transformation de la fécule en sucre, ou des préparations ammoniacales pour introduire de l'azote dans le corps, ou de l'opium pour diminuer l'irritabilité des reins, ou du fiel de bœuf et les sels formés avec ses acides pour agir sur le foie, ainsi qu'une série d'autres remèdes d'invention purement théorique comme ceux que nous venons de nommer. A Griesinger revient le mérite d'avoir con- staté l'inefficacité et quelquefois le danger de quelques autres médicaments de même genre, tels que les alcooliques, la présure, la levure de bière, le DIABÈTE SUCRÉ, GLYCOSURIE, MÉL1TURIE. 935 sucre proposé pour remplacer la perte de cette substance subie par l'éco- nomie. L'expérience a d'abord établi l'influence favorable de certaines prescrip- tions diététiques que le raisonnement théorique avait, il est vrai, fait égale- ment introduire dans la thérapeutique du diabète. Il est de la plus haute importance que les repas des diabétiques se composent essentiellement de substances animales, qu'ils prennent le moins possible d'aliments composés d'amidon et de sucre. — Quant à la défense absolue des aliments féculents, on en est presque entièrement revenu dans ces derniers temps, d'abord, parce que l'expérience a appris que par cette défense on diminue, il est vrai, passagèrement la proportion du sucre contenu dans l'urine, mais sans pour cela guérir le diabète, et en second lieu, parce que l'on s'est assuré qu'il y a très-peu de malades qui supportent pendant des années un régime exclusivement formé de viande, d'œufs, de poissons, d'huîtres, d'écrevisses, de légumes verts et de salade et du pain de gluten introduit par Bouchardat. La permission de manger tous les jours une certaine quantité de pain facilite extrêmement aux malades l'observance des autres prescriptions et ne leur cause pas par elle-même un grand préjudice. Si on ne leur accorde pas cette permission, on risque de les voir se lasser au bout de peu de temps déjà des ligueurs excessives du régime, de refuser l'obéissance et de se dédommager largement par l'usage immodéré de pain et de fruits, dont ils sont presque toujours très-avides. Outre la viande on doit permettre aux diabétiques les végétaux qui ne contiennent ni fécule ni sucre ou qui n'en contiennent du moins que des quantités fort minimes. Bouchardat a fait rénumération des aliments que les diabétiques peuvent manger sans inconvénient, et il a fait voir ainsi que leur régime comporte une assez grande variété. La liste des aliments permis est à peu près la suivante : toute espèce de viande, rôtie, bouillie, même fortement épicée, mais sans qu'il entre de la farine dans la préparation — poisson de mer et d'eau douce, le besoin de manger du pain se faisant moins sentir avec le poisson qu'avec la viande de boucherie — huîtres, moules, homard, écrevisses, etc. — œufs préparés d'après n'importe quelle recette culinaire — pas de lait, mais de la crème douce ; — en fait de légumes : épinards, artichauts, asperges, haricots verts et les différentes espèces de choux; — en fait de salades: cresson, endive, laitue, doucette; — en fait de fruits: fraises et pêches. — Bien que les liquides bus en abondance augmentent l'élimination du sucre et que le contraire ait lieu quand les malades s'imposent sous ce rapport des restrictions, on ne peut cependant pas défendre aux malades d'étancher leur soif. Griesinger qui a l'ait encore des expériences à ce sujet a pu constater qu'une diminution rapide et considérable dans l'élimination du sucre n'était obtenue qu'au prix d'une soif très-vive, qui du reste était accompagnée d'un malaise géné- ral et il conseille, comme une soif pareille ne peut être supportée que pen- 936 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. dant peu de temps, de permettre aux malades de boire juste ce qu'il faut pour apaiser leur soif. Outre l'eau simple on peut permettre aux malades de boire de l'eau gazeuse, du café, de la bière bien fermentée, du vin qui ne soit pas trop jeune, surtout du vin rouge. — - Comme enfin les diabé- tiques se refroidissent facilement et sont fort sujets aux pneumonies, etc., il faut encore leur faire des prescriptions précises sur la manière de se vêtir et leur recommander surtout de porter des camisoles ou des chemises de flanelle. Indépendamment de ces prescriptions diététiques, dont l'exécution seru-* puleuse ne conduit pas à la guérison du diabète, mais permet souvent, comme cela est prouvé par bon nombre d'exemples dûment constatés, de le supporter pendant longtemps sans de graves inconvénients, il existe encore quelques prescriptions médicamenteuses, h l'aide desquelles le diabète a été combattu avec un avantage incontestable. L'affirmation pure et simple qu'un remède a amélioré ou guéri le diabète, ne doit pas être prise en con- sidération clans la clientèle privée, surtout lorsqu'en même temps des obser- vations positives établissent l'inefficacité du remède. Par contre, les médecins doivent expressément recommander à leurs clients l'emploide remèdes dont l'action favorable sur la marche du diabète, si faible qu'elle soit, a été sûre- ment constatée à la suite d'un contrôle rigoureux et longtemps continué de la quantité d'urine rendue dans les vingt-quatre heures, delà proportion du sucre évacué dans le même laps de temps, et enfin des variations subies par le poids du corps. Jusqu'à présent, cependant, nous ne possédons de ces observations positives que sur les carbonates alcalins, observations qui établis- sent sûrement l'influence favorable de ces substances sur la marche du diabète. Dans les cas observés à la clinique de Griesinger, une amélioration évidente, quoique faible, a été obtenue par l'administration du bicarbonate de soude. Mais des succès plus prononcés sont ceux qui sont obtenus à Vichy et surtout à Carlsbad. L'ancienne réputation des eaux thermales de Carlsbad contre le diabète a surtout été confirmée par les observations de Seegen. D'après ces obsei'vations, il n'y a pas de doute qu'une cure de plu- sieurs semaines à Carlsbad ne fasse diminuer dans beaucoup de cas de dia- bète la soif et la sécrétion urinaire, augmenter le poids du corps et dispa- raître Je sucre de l'urine. Que ce succès soit durable ou passager, toujours est-il que dans l'état actuel de la science, la prescription qui, dans le traite- ment du diabète sucré, mérite le plus de confiance, est une cure d'eau minérale à Carlsbad. DIABETE NON SUCRE, POLYURIE. 937 CHAPITRE VII Diabète non sucré, — Polyurie* § 1. Pathogénie et étiologie. Le diabète non sucré et le diabète sucré constituent deux maladies com- plètement distinctes, malgré l'identité de leurs symptômes les plus saillants, la polyurie et la soif immodérée. Dans le diabète non sucré, le sang et l'urine ne renferment aucune substance étrangère, dont la présence saurait expli- quer ces symptômes. Il est très-vrai que Mosler a constaté, il n'y a pas long- temps, dans l'urine d'un malade atteint de diabète non sucré la présence de l'inosite, par conséquent d'un corps qui ne l'ait pas partie des éléments normaux de l'urine, et cette circonstance l'a conduit à supposer que dans le diabète non sucré, Vinosurie, comme il l'appelle, l'inosile joue un rôle analogue à celui de la glycose dans le diabète sucré ou glycosurie. Déjà la faible quantité de l'inosite excrétée avec l'urine dans le cas observé par Mosler, devait faire paraître peu admissible cette hypothèse qui a été victo- rieusement réfutée par un de mes élèves, le docteur Strauss, dans son excellent travail sur le diabète non sucré. Après avoir constaté la présence de l'inosite dans l'urine de deux malades atteints de polyurie (0sr,l/i74 d'inosite, sur 6700 centimètres cubes d'urine chez l'un, et lgr,508 sur 9600 centimètres cubes chez l'autre), Strauss fit boire de très-fortes quantités d'eau, environ dix litres dans vingt-quatre heures à trois individus sains dans l'urine desquels un n'avait pu constater aucune trace d'inosite; aussitôt après on trouva chez tous les trois de l'inosite dans l'urine, à peu près dans les mêmes proportions que dans l'urine des individus atteints de polyurie. Ces belles observations prouvent de la manière la plus évidente qu'un corps qui, normalement, se rencontre, il est vrai, dans les reins, dans le foie, dans les poumons et les muscles,' mais qui ne se montre pas dans l'urine normale, sans doute parce que dans l'organisme il subit des transformations ultérieures, peut être séparé des tissus par de fortes quantités de liquide et être éliminé au moins en partie par les reins. De toutes les hypothèses mises en avant sur la pathogénie du diabète non sucré, celle qui réunit le plus de probabilités en sa faveur., est l'opinion qui lait dépendre la polyurie d'un trouble de l'innervation des \ aisseaux rénaux. Si les vaisseaux afférents des capsules de Malpighi sont dilatés à la suite d'une paralysie de leurs parois, la pression sur les parois internes des glomérules devient plus grande; il eu est de même de la rapidité avec laquelle filtre L'urine et il en résulte une- 'polyurie. Au premier désordre s'en ajoute secondairement un autre, la polydipsie, Si, par l'augmentation 938 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. de la sécrétion urinaire, de fortes quantités d'eau sont soustraites au sang, ce liquide devient plus concentré, comme après une forte transpiration, après une diarrhée séreuse, etc. ; il pompe avidement les liquides intersti- tiels, ce qui produit la sécheresse des tissus, et fait naître un plus grand hesoin d'introduire dans le corps des liquides, en d'autres termes, le senti- ment prononcé de la soif. — Bien que cette explication me paraisse juste, et que du reste elle trouve un nouvel appui dans la découverte de Claude Bernard, qui a provoqué chez les animaux une polyurie simple, en faisant une piqûre dans la moelle allongée un peu au-dessus de l'endroit dont la lésion produit la méliturie, je suis cependant bien loin de prétendre qu'elle soit à l'abri de toute objection. Pour ce qui concerne l'étiologie assez obscure du diabète non sucré, nous devons nous borner à rappeler les faits suivants. La maladie est plus commune chez les hommes que chez les femmes ; on l'a observée plus sou- vent chez les jeunes gens qu'à l'âge moyen. Je proteste contre l'assertion d'après laquelle l'âge avancé serait complètement à l'abri de cette mala- die, attendu que je l'ai observée sur un homme de cinquante ans. Comme causes occasionnelles du diabète non sucré, on cite les chagrins, l'ingestion de fortes quantités d'eau froide, le corps étant échauffé, les refroidissements, de grandes fatigues musculaires, l'abus des spiritueux et d'autres influences nuisibles si variées et .si fréquentes, que l'on est forcé d'élever les doutes les plus sérieux sur la réalité du rôle qu'on a voulu leur faire jouer dans le développement de la maladie. Il en est autrement des observations assez nombreuses d'après lesquelles le diabète non sucré s'est déclaré à la suite de lésions traumatiques du crâne et dans le cours d'affections aiguës et chroniques du cerveau. Ces cas offrent un intérêt tout particulier lorsqu'on les rapproche des expériences de Claude Bernard, dont il a été question plus haut. § 2. Anatomie pathologique. Les résultats des autopsies très-rares d'individus morts de diabète non sucré, s'accordent si peu entre eux, qu'il est impossible d'avancer quelque chose de certain sur les lésions anatomiques qui forment la base de cette maladie. Ainsi, dans un cas publié par Neuffer, on avait trouvé les reins extrêmement petits et atrophiés, tandis que dans un cas cité par Lebert, ils étaient agrandis et hypertrophiés. DIABÈTE NON SUCRÉ, POLYUR1E. 939 § 3. Symptômes et marche. La quantité d'urine, émise dans le diabète non sucré, est quelquefois tout aussi grande et même plus grande que dans le diabète sucré. Elle s'élève assez souvent dans les vingt-quatre heures à 10 ou à 15 litres et même au delà. Une tille de dix ans atteinte de diabète non sucré, qui du reste était fort en retard pour son développement et ne pesait que 23 livres] rendait journellement, pendant son séjour à la clinique de Tubingue, de si fortes quantités d'urine que le poids de cette dernière égalait le tiers du poids de son corps. — L'urine est extrêmement claire et limpide et, contrairement à ce qui s'observe pour l'urine méliturique, d'un poids spécifique très-bas, qui dépasse rarement 1005 et descend souvent encore bien plus bas, par exemple à 1001 et même à 10 005. La proportion relative de l'urée et des sels contenus dans l'urine est assez faible ; par contre, la quantité absolue de l'urée rendue dans les vingt-quatre heures dépasse, à ce qu'il paraît, dans la plupart des cas la production normale. Dans un cas que j'ai observé personnellement, le malade qui se nourrissait modérément d'aliments azotés, évacuait en moyenne dans les vingt-quatre heures 9 litres d'urine conte- nant environ 38 grammes d'urée. Il est rare que la proportion de l'urée excrétée dans les vingt-quatre heures se trouve diminuée. Ainsi, dans un des cas de ma clinique publiés par Strauss, le malade dont le corps était Dien nourri pesait en moyenne /i8 kilogr. et demi et ne rendait dans les vingt-quatre heures qu'environ 23gr,&2 d'urée '. Les éliminations qui ont lieu par la peau et le poumon paraissent fortement diminuées d'après les comparaisons faites entre la quantité des liquides ingérés et celle de l'urine évacuée. Les docteurs Schmidtlein et Spseth qui, pendant quelques jours, ont pris à ma clinique exactement les mêmes ali- ments et les mêmes boissons et les mêmes quantités de ces aliments et bois- sons qu'un individu atteint do diabète non sucré, cédèrent, par la peau et 1 Dans quelques cas de diabète non sucré l'urine montrerait, d'après ce que l'on rapporte, un poids spécifique très-élevé et renfermerait des proportions très-lbrtes d'urée. Dans cette forme morbide sur laquelle nous ne possédons que des observations rares et incomplètes, la maladie principale consisterait en une fonte exagérée des tissus; l'augmentation de la soif et de la sécrétion urinaire, comparée à ce grave trouble constitutionnel, ne constituerait qu'un symptôme d'une signification inférieure et trous erait, comme dans le diabète sucré, son explication dans ce fait que le sérum sanguin anormalement concentré, pomperait, d'après les lois de l'endosmose, des élé- ments aqueux dans les tissus. Nous n'insisterons pas davantage sur cette forme obscure et problématique du diabète non sucré. 940 MALADIES CONSTITUTIONNELLES, les poumons de 2000 à 2600 grammes, tandis que le diabétique ne perdit par cette voie que 5i0 à 6i0 grammes de son poids. , Les observations de Strauss donnèrent également pour résultat qu'en bu- vant la même quantité de liquides que les individus sains les malades éva- cuaient généralement un demi-litre à 2 litres de plus que ces derniers, tandis que chez ceux-ci la diminution de poids par la perspiration insensi- ble était comparativement plus considérable. Dans ce fait, Strauss a bien raison de voir une nouvelle preuve que la polydipsie n'est pas la cause de la polyurie, mais que c'est le contraire qui a lieu. 11 s'exprime de la manière suivante ; « Quelle raison plausible et admissible pourrait-on citer, en effet, en faveur d'une différence dansl'évaporatjon cutanée et pulmonaire de l'in- dividu polydipsique et de l'individu sain s'ingérant volontairement de fortes quantités de liquides? Si nous supposons, au contraire, une polyurie suivie d'une concentration du sang, d'un appauvrissement des tissus en éléments aqueux, une diminution dans l'élimination aqueuse gazéiforme par la peau et le poumon n'a plus rien d'étonnant. De même que dans les cas soumis à notre observation, on trouve aussi dans la plupart des observations faites par d'autres médecins, au nombre des symptômes signalés, la sécheresse et la rudesse de la peau, tandis que nulle part on ne mentionne un seul cas de sueurs profuses. » La quantité des liquides journellement bus par les malades et des liquides faisant partie des aliments paraît avoir été dans quelques cas de 30 à ^0 litres. 11 est évident que cette quantité ne peut jamais rester pendant longtemps au-dessous de la quantité d! urine sécrétée dans le même laps de temps sans que le poids du corps subisse une diminution correspondante. Tous les rapports d'après lesquels la quantité de l'urine excrétée aurait dé- passé pendant longtemps la quantité des liquides introduits dans le corps s'appuient sur des faits mal observés. Dans un certain nombre de cas le sentiment de la faim était singulière- ment exagéré. Entre autres, Trousseau raconte l'histoire d'un malade qui s'ingurgitait d'énormes quantités d'aliments et auquel on avait offert de l'argent dans un restaurant où le pain se donnait à discrétion pour le dé- cider à ne plus revenir. Dans le diabète non sucré il n'arrive pas comme dans le diabète sucré, qu'une partie des éléments ingérés, au lieu de servir à remplacer les éléments usés de l'organisme, soit éliminée sans avoir été utilisée ; la faim qu'on observe dans cette maladie et qui du reste est loin d'être un de ses symptômes constants, ne peut donc s'expliquer que par l'usure exagérée des éléments azotés de l'organisme, déterminée par l'in- gestion et l'élimination augmentées d'éléments aqueux. Il s'agit ici de la loi en vertu de laquelle tout courant exagéré des liquides parenchymateux à travers les organes est accompagné d'une plus forte combustion d'éléments, albumineux, DIABÈTE NON SUCRÉ. POLYURIE. 941 L'état général et les forces se maintiennent assez longtemps chez cer- tains malades. Une fille de vingt ans, atteinte d'une polyurie très-intense et que j'ai pu longtemps observer à ma clinique avait un aspect florissant et exécutait, sans trop se fatiguer, même les plus rudes travaux. Lorsque cinq ans plus tard, s' étant mariée dans l'intervalle, elle fut de nouveau admise à la clinique, elle se plaignit seulement de se sentir excessivement fatiguée après avoir souffert pendant un certain temps de la soif et d'avoir alors la voix plus faible, comme aussi d'être devenue excessivement sensible au froid. Au sujet de cette disposition à se plaindre du froid, et en général de l'abaissement réel de la température du corps de ces malades, Strauss s'ex- prime très-judicieusement dans sa monographie de la manière suivante : « Ces phénomènes ne sauraient nous étonner si nous songeons que les ma- lades se trouvent en quelque sorte perpétuellement dans un milieu réfrigé- rant, vu qu'ils doivent élever les quantités souvent énormes de liquides qui traversent leurs corps de la température de l'eau froide à celle du corps lui- même. Ainsi, par exemple, la malade L..., pour élever 12 828 centimètres cubes d'urine de la température des boissons (10°C) à celle de son corps (36,5°C) devait céder 339 9/i2 calories, ce qui fait plus du dixième de la quantité de calorique produite dans les vingt-quatre heures à l'état normal. » Chez d'autres malades, il se présente de bonne heure des troubles de la diges- tion, des douleurs cardialgiques, des vomissements, des selles irrégulières, de l'amaigrissement et un sentiment de faiblesse qui ne peut pas très-bien s'expliquer. Dans le cas publié par Neuffer, le malade succomba au milieu de phénomènes de ce genre, sans qu'à l'autopsie on pût en découvrir la cause anatomique. La marche et la durée de la maladie sont variables. Dans quelques cas elle se développe lentement, dans d'autres elle se manifeste subitement. Assez souvent ou observe des améliorations passagères* 11 arrive aussi qu'une maladie intermittente ramène aux proportions normales la quantité d'urine rendue dans les vingt-quatre heures et qu'après la guérisonde cette maladie la polyurie reprend le dessus. — La maladie se prolonge ordinairement pendant bien des années sans menacer l'existence. Seulement, dans quel- ques cas rares, parmi lesquels compte le cas déjà cité de Neuffer., la mort paraît en résulter sans qu'il y ait complication d'autres maladies. Mais une guérison complète et durable constitue également un fait exceptionnel» § h. Tiuri'KMrcNï. <>n doit toujours se méfier lorsque de nombreux remèdes smil préconises contre une maladie ; dans ces cas généralement aucun d'eux n'exerce une influence réelle sur la marche et les terminaisons de l'affection qu'il s'agit 942 MALADIES CONSTITUTIONNELLES. de combattre. Ceci s'applique au nitre administré sous la forme du sel de- Prunelle, à la valériane, à la belladone, à l'opium, à l'ergotine, à la créosote et à d'autres substances employées contre le diabète non sucré. L'adminis- tration de ces remèdes ne s'appuie sur aucun fait d'expérience, mais sui- de purs raisonnements théoriques. Moi-même je n'ai employé aucun de ces médicaments d'une façon régulière et avec énergie, parce que générale- ment mes malades supportaient leur affection si aisément qu'il n'y avait pas lieu de les soumettre à un traitement plus ou moins héroïque. Je conseil- lerai, en général, de se borner dans le traitement de la polyurie simple, à prévenir les suites fâcheuses que peut entraîner la maladie et, si ces suites se sont déjà présentées, à les combattre. Dans ces cas, on se préoccupera tout particulièrement des troubles digestifs qui se présentent assez souvent et de l'état de la nutrition du malade. Ainsi l'état de la petite fille men- tionnée plus haut, dont la mort prochaine était redoutée par les parents et par nous-même , fut amélioré sensiblement et sans qu'il y eût en même temps une diminution dans la soif et la sécrétion d'urine, sous l'influence d'un régime rationnel combiné avec l'administration de l'huile de foie de morue, de l'extrait de malt et des préparations ferrugineuses. Nous pûmes la renvoyer de la clinique dans un état d'amélioration très-sensible et qui se traduisait, entre, autres, par une augmentation notable du poids du corps. FIN DU TOME SECOND TABLE DES MATIÈRES MALADIES DES ORGANES URINAIRES PREMIERE SECTION Maladies des reins. Chapitre I Hypérémie des reins. \ — II Hémorrhagies rénales 8 — III Maladie de Bright aiguë (néphrite croupale) 12 — IV Maladie de Bright chronique (néphrite parenchymateuse) 17 — V Néphrite vraie. '— Néphrite interstitielle. — Abcès des reins. — Foyers métastatiques dans les reins 35 — VI- Périnéphrite . . 39 — VII Dégénérescence amyloïde des reins. — Néphrite parenchyma- teuse avec dégénérescence amyloïde 41 — VIII Dégénérescence parenchymateuse des reins 43 — IX Cancer des reins 45 — X Tuberculose des reins 46 — XI Parasites des reins '. 47 — XII Vices de conformation des reins, anomalies de forme et de situation , 48 APPENDICE ACX MALADIES DES REINS Chapitre unique. — Maladie de la capsule surrénale. — Maladie d'Addison. — Maladie bronzée. — Rronzed-Skin 50 DEUXIÈME SECTION Maladies des bassinets et des uretères. Chap. 1 Dilatation des bassinets avec atrophie de la substance rénale. — Hydronépbrose , 56 — I! Inflammation des bassinets. — l'yélite 58 III Concrétions pierreuses : v XT^faeL aiii V mMÈmîM > mm. Wï&mm mr]&* - ^ ...fe^^'x ■V- RS ^§Sç\T'^ V *WÉ lP f ': * V ^ r iiA > t ^ -r 2&m ■<, u~ 'y . r-. .JE v M»l -v ••>> ' -. 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