COLUMBIA LIBRARIES OFFSITE ..^^l.fLTH SCIENCES STANDARD HX00022810 «??. •-fes^. '^^ 'ii^ À, /' / If y V i U t y ^r^\^ / y L r >^ - ^ TRAITÉ DE PHYSIOLOGIE COMPARÉE DES ANIMAUX PARIS. — IMPRIMERIE E. CAPIOMONT ET V. RENAULT 6, RUE DES POITEVINS, 6 TRAITÉ DE PHYSIOLOGIE COMPAIIÉK DES ANIMAUX CONSIDÉRÉE DANS SES RAl'POUTS AVEC LES SCIENCES NATURELLES, LA MÉDECINE, LA ZOOTECHNIE ET L'ÉCONOMIE RURALE PAR G. COLIN PROFF.SSEUR A L'kCOLE VÉTÉRINAIRE D'aLFORT MEMBRE DE L'aCADÉMIE DE MÉDECINE << Sans les animaux la nalure de l'homuie serait encore plus incoiupréhensibie. » (Buffon.) TROISIÈME EDITION CONSIDERABLEMENT AUGMENTEE TOME PREMIER Avec i3i figures intercalées dans le texte PARIS ' LIBRAIRIE J.-B. BAILLIÈRE et FILS 19, rue Hautefeuille, près du boulevard Saint-Germain 1886 Tous droits réservés ^?3A V. Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from Open Knowledge Gommons http://www.archive.org/details/traitdephysiol01coli PREFACE Cotlo troisième cdilioii a été revue avec le plus grand soin. J'ai (lu y faire entrer, avec les résultats de mes travaux dans ces dernières années, ce ({ue compoi'taient les progrès récents et réels de la science. Les additions sont principalement relatives aux fonctions des centres nerveux, aux actes de la digestion, à un grand nombi'e de particularités de l'absorption, à différents points de la circulation et de la respiration, aux effets de la pression atmosphérique, aux divers modes d'asphyxie, aux caractères des sécrétions, au déve- loppement des os, à la chaleur animale, etc. Je les ai, cà mon grand regret , extrêmement restreintes, pour éviter de donner à mon livre des proportions trop considérables. TRAITE DIS PHYSIOLOGIE COMPARÉE DES ANIMAUX INTRODUCTION 11 n'est pas de science plus pleine de merveilles et de mystères que la plnsio- logie. Cette science de la vie, de ses manifestations et de ses actes, est peut-être celle dont le domaine comprend les phénomènes de l'ordre le plus élevé et le plus complexe, phénomènes dont l'étude ne peut être abdrdée sans le secours de connaissances anatomiques, pliysiques et chimiques assez étendues. La physiologie, qu'elle soit étudiée pour elle-même, ou en vue de ses applica- tions et des lumières qu'elle peut jeter sur la plupart des branches de la médecine, doit prendre un rang honorable dans la grande société des sciences. En posses- sion d'une méthode sévère d'investigations, riche des enseignements qu'elle tire de l'observation patiente des faits, de l'expérimentation habilement dirigée, éclai- rée par les brillantes découvertes de la chimie moderne, elle se constitue solide- ment, en préparant des assises durables à la pathologie, à l'hygiène et à la théra- peutique. En outre, par la connaissance qu'elle nous donne de la nature physique, intellectuelle de l'homme et des animaux, elle jette quelque clarté dans les dédales de la philosophie comme sur plusieurs points des sciences sociales (jui, trop sou- vent, dans leurs systèmes, ne tiennent pas assez compte des instincts, des facultés et des besoins de la nature humaine. Avant d'en venir à l'examen des difTérentes parties de cette science, jetons un coup d'oeil sur l'ensemble de son domaine, sur l'organisation animale dont elle dévoile le mécanisme, sur la vie dont elle analyse les phénomènes, sur les moyens qu'elle emploie pour développer ses connaissances et multiplier ses découvertes. Ce coup d'œil d'ensemble, ou à distance, fera l'objet de notre introduction. I. — De rorgranisatioii on jscénéral, de se» Tovmo» et (le ^eN Ioi!>i* L'organisation ou l'ensemble des parties qui constituent l'être animé est, en réalité, une machine qui recèle en elle le principe de son mouvement. C'est un G. coi.i.N, — Physiol. conip. 3' étiil. I — 1 '1 INTRODUCTION. agrégat malériel de tonne déterminée, de structure plus ou moins complexe, jouissant d'une activité propre, intrinsèque, réglée et limitée. Cette organisation se présente sous une inlinité de formes inégalement com- pliquées. Faut-il, pour s'en l'aire une idée claire, l'envisager réduite à sa plus simple expression ou arrivée à son maximum de complication? Sera-t-elle plus intelligible avec un petit nombre de rouages peu distincts et rudimentaires que sous la forme appartenant aux mammifères et à l'homme? Au premier abord il semble que les principes de la construction des êtres ani- més doivent être d'autant plus saisissables qu'ils sont étudiés dans les types les plus simples ou les plus élémentaires. Le physiologiste porte instinctivement les regards vers les êtres appelés imparfaits, quand il veut se faire une idée nette de ce qu'il étudie avec peine aux degrés les plus élevés de l'échelle zoologique. Or, que voit-il dans les régions inlimes de l'animalité ? Un être presque informe, homogène, souvent microscopique. Mais cet être naît de parents semblables à lui ; il se nourrit, s'accroît, se reproduit et meurt; il sent, se meut, digère, absorbe, sécrète sans posséder d'organes spéciaux propres à l'exécution de ces derniers actes. Il sent quoique dépourvu de système nerveux ; il se meut sans appareil musculaire, respire sans branchies ni poumons, digère sans estomac ni intestins, absorbe sans vaisseaux, sécrète sans glandes. Tous les éléments des organes sont confondus en lui, ces organes n'existent même pas encore en tant qu'instruments séparés et, cependant, déjà les fonctions de chacun s'exécutent avec une certaine perfection. Un tel spectacle n'est pas de nature à l'éclairer beaucoup. Il faut qu'il envisage autrement l'organisation animale. Si cette organisation est, à son point de départ, une sorte de chaos où tout est confondu, ce chaos ne tarde pas à se débrouiller. Les éléments, d'abord mêlés, se séparent et commencent à se dessiner; les organes se façonnent, s'isolent, se mettent à leur place, s'agencent dans un certain ordre, et, peu à peu, par des perfectionnements gradués, ils arrivent à constituer des organismes de plus en |)lus parfaits. C'est en assistant à ce démêlement du chaos animé, en considérant ces formes successives d'organisation, en les comparant entre elles, les plus élé- mentaires aux plus compliquées, que le physiologiste arrive à bien concevoir l'être vivant en général. Mais quel ordre suivra-t-il danscetexamen comparatif ?Celui,s'ilpeutle trouver, que la nature a suivi elle-même dans la formation et le perfectionnement des êtres. 11 n'est pas douteux, poui' quiconcjue considère un peu philosophiquement les merveilles de la nature, (|uc les êtres vivants n'aient été façonnés d'après un plan arrêté et en vue d'une destination déterminée. L'intelligence créatrice a, fout à la fois, conçu ce plan et trouvé les moyens de le réaliser. D'abord, il est évident que la nature a voulu établir des degrés dans la compli- cation, ou, ce qui est la même chose, dans le perfectionnement des êtres aniniéSj et clic y a été contrainte, indépendamment de tous autres motifs, par la nécessité d'approprier ces êtres à leurs conditions d'existence. L'infusoire, le coquillage, l'insecte, le mammifère, l'homme, examinés comparativement, montrent assez cette gradation pour qu'elle ne soit niée de personne. Il y a incontestablement des êtres imparfaits et des êtres supérieurs. DE L ORGANISATION EN GENERAL, DE SES FORMES ET DE SES LOIS. M Le premier moyen deperfectionneinenl (|ii(.' la nature emploie, dans ia constitu- tion des êtres, c'est la séparation des organes d'où résulte la division du travail fthysiologique, pour me servir d"une expression fort juste de M. Miluc Krlwards'. En effet, dans les organisations infimes, la plupart des éléments sont confondus, lomme nous l'avons dit tout à l'heure. Il y a des fibres sensitives disséminées, mais il n'y a pas encore de système nerveux; il y a des libres confrartiles, mais pas df muscles ; il y a des lacunes où se meuvent les lUiides nutritifs, mais point de cœur ni de vaisseaux. Bien qu'il y ait une respiration, une élaboration des matières nutriti- ves, les organes respiratoires et digestifs ne sont pas encore constitués. Peu à peu les parties douées de piopriétés dilféreiites et alfectées à un rùle spécial s'isolent. L'élément nerveux se sépare de l'élément contractile, — la peau, de la muqueuse, — la branchie ou le poumon, de l'intestin, — le vaisseau, de la glande, etc. La séparation des éléments, la formation des organes, la spécialisation de leurs fonc- tions, constituent le moyen le plus général de perfectionnement des êtres animés- Ainsi, dans le principe, lorsque la cavité digestive apparaît, elle sert à la respira- tion en même temps qu'à la digestion. Bientôt la cavité qui digère se sépare de celle f|ui respire; la première se partage même en jdusieurs fractions dont l'une élabore les aliments, tandis qu'une autre en absorbe les principes assimilables, et qu'une troisième en élimine le résidu. En suivant, dans ce sens, chaque système, chaque appareil, chaque organe, on voit s'effectuer, des animaux intérieui's vers les supé- rieurs, un isolement, une spécialisation, qui deviennent de plus en plus accentués. iVest en cela que se résume le premier et le plus général des principes du perfec- tionnement des machines animées, car, en effet, un instrument quelconque remplit d'autant mieux son office, (pi'il est façonné plus exclusivement, pour une seule destination, au lieu que s'il doit servir en même temps ou successivement àdivers usages, il est moins bien ap|>roprié à chacun d'eux en particulier. L'organisme envisagé à ce point de vue ressemble à un atelier où tous les travaux sont exécu- tés d'abord par le même ouvrier, puis par une infinité d'ouvriers diflérents ayant chacun des attributions déterminées et plus ou moins restreintes. Cependant, il ne faudrait pas croire que la nature multiplie indéfiniment les rôles et les instruments qui en sont chargés. Loin de là, elle sait les restreindre dans des limites qu'il est facile de reconnaître, sans que son but soit manqué. Pour passer du poisson au reptile, du re|)tile à l'oiseau, de celui-ci au mammifère, elle n'a qu'un petit nombre de parties nouvelles à créer. Le mammifère n'a guère [dus de muscles que le vertébré le moins parlait ; il en a même moins, paraît-il, (pie le ver à soie ou la chenille du saule, et pourtant ses mouvements ont une précision, une variété, des résultats que n'atteignent pas les mouvements d'une larve d'insecte. Tous les perfectionnements de l'organisation ne peuvent être donnés parla sépa- ration des organes et l'isolement des rôles, si loin qu'ils soient poussés. C'est par d'autres moyens, c'est par de nouvelles combinaisons qu'ils s'obtiennent, et parti- culièrement par une série de modilicationsdans les j)roportions, la forme, la struc- ture des parties, modilications qui les approprient, qui les adaptent de mieux en l. M. Edwards, Leçons sur l'inatomie el la Physiologie comparées, t. I* . Paris. 1857, p. 16. 4 INTRODUCTION. mieux à leur destination. Elles sont en nombre inlini, comme nous le montre l'anatomie comparée, même la plus superlicielle. Ainsi, sinous considérons l'appareil digestif nous le verrons. du polype à l'homme, apparaître sous les formes les plus variées. D'abord il sera un simple sac à une seule ouverture, puis le sac s'ouvrira à ses deux extrémités ; sa partie antérieure se dilatera pour tenir en réserve l'aliment, elle deviendra un estomac qui pourra se subdiviser en deux, trois, quatre poches de structure et d'attributions différentes ; sa partie postérieure constituera un intestin qui se fractionnera aussi en plusieurs régions diversement coniigurées : à l'entrée de cet appareil se placeront des organes de trituration, un organe d'exploration et de gustation, des glandes pour humecter et ramollir les aliments ; plus loin un foie, un pancréas, etc. En vertu d'autres mo- difications accessoires, cet appareil ne pourra admettre ici que des liquides, là que des matières animales, et plus loin il sera apte, grâce à des annexes de trituration, à digérer les aliments les plus réfractaires. Il en est de même de l'appareil respiratoire. Par quelle série de modifications ne passe-t-il pas avant d'arriver à la forme qu'il conserve chez les vertébrés les plus parfaits. A son point de départ, c'est une simple surface qui absorbe l'oxygène comme elle absorbe l'eau et la matière nutritive, puis il devient instrument distinct. S'il doit fonctionner dans l'eau, la nature en fait une branchie qu'elle isole ; elle lui donne la forme d'un pinceau, d'une houppe, d'un panache, d'une lamelle, d'un groupe de feuillets ; elle la laisse libre ou l'enferme dans une cavité protectrice ; elle la place au voisinage des appendices qui peuvent amener et renouveler l'eau à sa surface ; plus tard elle insère cet organe sur des arcs osseux auxquels elle donne des muscles spéciaux, et elle le protège par un opercule compliqué. Si ce même appareil respiratoire doit fonctionner dans l'air elle le dispose sous forme de tubes ramifiés qui vont porter par tout le corps le fluide aérien, ou elle lui laisse encore la forme d'un simple sac à parois lisses, qu'elle divise bientôt en compartiments, et qu'elle creuse de diverticules. Plus tard, pour en accroître la surface dans d'énormes proportions, elle en fait une masse spongieuse dont les cavités deviennent micros- copiques. Si elle met le sac ou l'éponge àl'intérieur, elle y amène l'air par un tubeà l'extrémité duquel elle façonne un larynx mobile, à ouverture variable, dont elle fait parfois un instrument musical. Primitivement, c'est par des moyens simples qu'elle y appelle et y renouvelle l'air; plus tard, c'est avec l'aide de la déglutition, des muscles abdominaux et même des appendices locomoteurs qu'elle arrive à ce but. Finalement elle enveloppe rorgane,rinstaUe dans une cage spéciale pourvue de mus- cles propres, cage dont le jeu règle l'introduction et l'expulsion de l'air, et, quand elle veut faire plus encore, elle crible le [)Oumon d'ouvertures, elle y adapte des tubes qui vont se renfler en larges vésicules dans le thorax et l'abdomen ou se terminer dans les vacuoles des os et des plumes qu'elle convertit en annexes de l'appareil respiratoire, tout en augmentant leur légèreté spécifique. [1 est donc, évident que la nature, pour perfectionner l'organisation, la com- l)lique, et qu'en la romplifpiant elle la diversifie. Elle complique pour mieux adapter l'organe à son rôle, pour rendre ce rôle plus étendu, plus précis, ou plus varié; elle diversifie pour mieux mettre en rapport l'animal avec le milieu où il doit vivre, ou avec ce (pTon appelle ses cundilions (re\istenc(,'. DE [/organisation EN GÉNÉRAL, DE SES FORMES ET DE SES LOIS. ."i C'est surtout dans un nirnie groupe, dans une niênie classe qu'(;lle suit trou\er, sans s'écarter de son plan l'ondaniental, des ressources inlinies pour ap|)roprier les animaux à leurs conditions d'existence. Lorsque, par exeni[)le, elle veut d'un maïu- mifère faire un animal aquatique qu'elle jette au milieu des mers, elle n'a pas recours à une création nouvelle d'organes, elle se contente de modilier ceux qui existent déjà dans le sens des combinaisons, qu'elle a réalisées chez les poissons. Klle prend donc ce mammifère, l'étiré, l'allonge, lui donne la forme iclitliyoïde la plus convenable pour l'équilibre et les mouvements au sein des eaux; elle lui atrophie les membres, les efface, les noie dans les masses musculaires, les cache sous la peau et n'en laisse sortir que ce qu'il faut pour en faire des nageoires : elle agrandit la tète, la creuse d'énormes sinus, transforme la bouche en un goulfre où la proie arrive d'elle-même, substitue à l'appareil de la mastication devenu inutile un système de pièges pour retenir cette proie; elle déplace les narines, y met des sphincters pour les fermer quand l'animal veut plonger; enlin elle façonne le larynx, les sinus veineux, etc., en vue des modilications fonction- nelles que réclame le genre de vie du cétacé ou du phoque. Si, au lieu de cela, d'un mammifère elle veut faire un animal aérien, elle regarde encore en arrière, et, sans rétrograder dans la voie des perfectionnements organiques, elle imite, sans les reproduire, les combinaisons qui lui ont déjà réussi. Elle choisit une espèce de petite taille, lui prend la main, lui allonge les doigts, insère dans les espaces interdigités une membrane qu'elle étale plus ou moins, de manière à faire un éventail ou une aile, l'our donner à cette aile des mouvements précis et un solide point d'appui, elle immobilise l'un sur l'autre les deux os de l'avant-bras, et réunit l'épaule au tronc par de fortes clavicules. Pour en rendre le jeu étendu et puissant, elle épaissit les muscles pectoraux ^ puis, à l'aide de quelques modilications accessoires dans les membres, la queue, les replis de la peau, les productions pileuses, elle parvient à douer le quadru- pède de la locomotion et du genre de vie de l'oiseau. Ce n'est pas seulement par des modifications d'ensemble que la nature perfec- tionne et diversifie ; elle emploie encore mille moyens de détail pour arriver à des progrès partiels. Ses combinaisons sont infinies en ce qui touche la locomotion, les sensations, toutes les fonctions de relation. Ainsi, elle change mille fois les dimensions et les proportions relatives des membres ; elle fait de ces appendices tantôt des colonnes massives, presque droites, tantôt des supports grêles, angu- leux ; elle les dégage outre mesure, ou les cache et les atrophie: elle les api)roprie à la station bipède ou (piadrupède, à la progression lente sur le sol, à la repta- tion, au saut, à la natation ou au vol. En séparant, ou en réunissant les doigts, en les terminant, soit par des ongles ou des grifles, soit par d'épais sabots, elle fait des mains ou pieds exclusivement pro|tres à la progression ou, en outre, aptes à la préhension et à la division des aliments. Les parties les plus accessoires ne subissent pas de moins nombreuses modifica- tions pour passer d'un rôl(> insignifiant à une série de destinations plus importantes. La (pieue, par exemple, d'appendice presque inutile, de simple ornement ou d'or- gane d'expression, devient un instrument à chasser les insectes, un parachute, un arc-boutant pour le saut, une main prenante comme dans quelques singes ; elle [\ INTRODUCTION. est convertie en truelle chez le castor, en gouvernail, en nageoire, chez les espèces aquatiques ; elle est atrophiée ou supprimée dès qu'elle cesse d'avoir une desti- nation. La nature perfectionne et diversifie encore par d'autres moyens plus simples qu'elle associe souvent aux précédents. Il lui suffit de grandir ou de restreindre les masses pour obtenir des effets considérables au point de vue de la destination et du rôle des êtres. En multipliant des millions de fois la masse d'un mollusque microscopique, tel que la polycistine, elle arrive à constituer celle de la tridacne, comme en additionnant peut-être cent mille fois la masse de la musaraigne, elle arrive à la masse de l'éléphant. Pour obtenir des nuances infinies dans les proportions, elle n'a besoin que do changer celles des parties et d'associer diversement ces modifications. Pour rac- courcir le cou de l'éléphant, au point de ne plus pouvoir amener la tête au con- tact du sol, elle ne supprime pas une seule vertèbre cervicale ; elle n'en ajoute pas pour étirer celui de la girafe. Dans les deux cas, elle ne fait que changer les dimensions des pièces existantes; ainsi encore pour le corps et pour les membres. Enfin, après avoir réalisé ces combinaisons variées, et tout en les réalisant, elle diversifie encore, comme par fantaisie. Ici elle semble chercher les belles formes, l'harmonie, la légèreté, la grâce, les ornements, les vives couleurs ; là elle tombe dans les proportions défectueuses, bizarres, elle alourdit ou enlaidit, fait des êtres informes et monstrueux. Ainsi, la nature, après avoir perfectionné les organes en les isolant, perfectionne en les compliquant, en les diversifiant, et elle les diversifie pour les adapter aux conditions dans lesquelles doivent vivre les animaux. En tout cela elle est prodigue d'effets, de résultats, mais se montre économe de moyens, comme le remarque judicieusement M. Milne Edwards ; elle se sert longlemps des mêmes parties pour arriver à son but, et n'en crée de nouvelles qu'après avoir obtenu des anciennes tous les résultats qu'elle peut en tirer. D'ailleurs, ce qu'il y a de particulièrement remarquable dans l'ensemble de ces perfectionnements successifs, c'est que la nature les obtient à l'aide de parties élémentaires très simples. Elle n'a besoin, en définitive, que d'une vésicule, d'une cellule microscopique pour réaliser toutes les complications imaginables. Aux dépens de la matière granuleuse de l'œuf qu'elle divise en plusieurs petites sphères, elle produit des cellules qui s'assimilent leur contenu, puis se segmentent pour en donner de nouvelles. Elle fait de ces cellules l'embryon, avec tous ses organes. Elle doue les cellules de propriétés diverses, suivant l'effet qu'elle veut obtenir; elle les convertit en fibres sensilives, contractiles, etc. 11 ne lui faut pas autre chose: partout et toujours cet élément lui suffit pour réaliser les méca- nismes les plus compliqués et achever les êtres les plus parfaits. Mais, suivant quels principes, suivant quelles lois s'opère le perfectionnement de l'organisation animale? Ce perfectionnement s'elfectue-t-il régulièrement et en ligne de l'animal le plus simple au mammifère et à l'homme? En d'autres termes, y a-t-il unité ou diversité de [»lan dans la création des êtres animés? Grave question résolue en plusieurs sens parles plussavantsnaturalistesmodernes. Depuis les temps les plus anciens jusqu'à nos jours, d'habiles observateurs ont ME l'ORC.ANISATION EN GKNKRAI-, DE SES FORMES ET DE SES LOIS. 7 été frappés de l'analogie qui existe entre les différentes espèces animales : Aristote, BulTon, Camper, Vicq d'Azyr, ont entrevu et développé, du moins en partie, le principe de Vunitù de composition organhine si savamment défendu parGeolTroy Saint-Hilaire. D'après ce principe, envisai^é dans le sens le plus étendu, tous les animaux seraient organisés suivant le même plan, c'est-à-dire suivant un type constant, invariable : ce qui existe chez l'un devrait se retrouver chez tous les autres, avec quehpies variantes de formes ou de dévelo|ipement: en un mot, il y aurait dans tous un nombre é|,^al d(; parties essentielles disposées dans le même ordre. Ce système, fort séduisant, mais très vulnérable, a eu pour adversaire G. Cuvier, qui a soutenu, avec l'autorité du génie et de la science des détails, que l'uniformité du plan, dans la création des animaux, n'est qu'une liction, et, en mille endroits de ses ouvrages, l'illustre naturaliste s'est attaché à démontrer la pluralité des types d'organisation : ses idées sont aujourd'hui partagées par la plupart des zoologistes. 11 y a bien, il est vrai, entre tous les animaux une certaine ressemblance de structure, mais cette ressemblance ne va pas loin et se trouve fondée plus encore sur le caractère des fonctions que sur la forme des organes : passé cela, les dis- semblances apparaissent. « Le polype, qui n'a pas un seul organe distinct» dit Flourens, le polype, dont l'estomac n'est qu'une simple cavité creusée dans la substance commune et homogène de son corps, n"a pas la structure du mol- lusque, lequel a des organes, des sens, des yeux, des oreilles, un système nerveux, une circulation complète, des artères, des veines, plusieurs cœurs, des glandes sécrétoires, etc. De même celui-ci n'a pas la structure du vertébrée » Du reste, il n"(!st pas nécessaire, pour se convaincre que les animaux ne sont pas cons- truits d'après le même plan, d'examiner comparativement tous leurs appareils organiques. Il suflit d'en considérer quelques-uns et les plus essentiels. Que l'on compare le système nerveux de l'animal rayonné avec celui du vertébré, le sys- tème de ces deux types avec celui des types intermédiaires, et l'on verra, du premier coup d'œil, qu'ils n'ont point la même forme. Qu'y a-t-il de commun entre la couronne de ganglions placée autour de la bouche de l'astérie et le cer- veau, la moelle épinière du poisson ou du mammilère? 11 n'y a pas analogie de form.e, il n'y a pas davantage analogie de situation : le système nerveux est autour de la bouche dans l'astérie, il est sous l'appareil digesti f dans l'articulé ; il est au-dessus de cet appareil dans le vertébré. Une comparaison générale des autres appareils, des autres organes, conduit au même résultat, c'est-à-dire à la négation de l'uni- lormité du plan de composition organique. Ainsi, il n'y a pas dans tous les ani- maux, même nombre de parties, même forme, même structure, mêmes rapports de ces diverses parties. Or, s'il y a pluralité des types dans l'organisation animale, combien y en a-t-il et (piels sont leurs caractères? Cuvier en adnu^t quatre : 1° le type des rayonnes : 1° celui des articulés ; 3° le type des mollusques ; 4" enfin celui des vertébrés. Les rayonnes ont un corps dont toutes les parties sont disposées symétrique- ment autour d'un point central, un système nerveux très simple, souvent peu dis- 1. Flourens. Histoire des travaux de Cuvier. 2' édit., p. 273. s INTRODUCTION. tinct. Ils inaiiqueul de cœur et de circulation complète. Ils ont des organes de respiration, de sécrétion à l'état rudimentaire. En un mot, toute leur organisation offre la plus grande simplicité et la plus grande confusion, du moins en apparence. Les articulés ont un système nerveux formé de deux séries de renflements ganglionnaires réunis par des tilels intermédiaires. Ces renflements, à l'exception du premier, sont situés au-dessous du canal digestif. Leur corps symétrique est divisé en segments transversaux. Ils sont souvent recouverts de pièces solides, articulées, qui constituent une sorte de squelette extérieur. Ils ont des organes de circulation, de respiration et de sécrétion encore très simples. Les mollusques n'ont point de squelette. Ils possèdent un système nerveux placé en grande partie au-dessous de l'appareil digestif et dépourvu de moelle épinière. Ils manquent de grand sympathique bien caractérisé, et souvent de plusieurs organes de sens. Mais ils ont déjà une double circulation, des organes respiratoires et des glandes. Les vertébrés sont les animaux les plus parfaits. Ils ont un système nerveux composé d'un cerveau et d'une moelle épinière enfermés dans une enveloppe solide et de nerfs disséminés dans toutes les parties. Ils ont un squelette inté- rieur articulé, osseux ou cartilagineux, un cœur, une double circulation, des organes des sens, des sexes séparés. Bien que les êtres qui entrent dans ces quatre embranchements aient une orga- nisation qui va, en se compliquant, de l'inférieur vers le plus parfait, ils ne paraissent cependant pas susceptibles d'être disposés sur une même ligne, une même série, de manière à former une chaîne non interrompue. Dès l'instant qu'ils ne sont pas construits d'après un même plan qui irait graduellement en se per- fectionnant, ils ne peuvent être mis les uns à la suite des autres ; les êtres d'un embranchement ne se lient à ceux de l'embranchement voisin par aucun inter- médiaire, et l'on ne voit pas de modilications profondes à chaque point extrême pour amener la fusion avec celui qui précède ou qui suit. Il y a donc des solu- tions de continuité dans ce qu'on appelle la série animale. Avant que l'histoire naturelle fut perfectionnée comme elle l'est aujourd'hui, avant surtout que l'anatomie com|»aréc l'eût éclairée de ses lumières, on pensait que les animaux formaient une chaîne non interrompue qui se liait même à celle des plantes, et si intimement, qu'il paraissait difficile d'établir une démarcation nette entre les deux règnes. Ce fut Bonnet qui mit en relief cette idée. « Il ran- gea, dit Flourens, les êtres sur unes seule ligne, en allant du plus simple au plus compliqué, et il voulut que cette ligne fut part(jut continue, c'est-à-dire qu'elle n'offrît iiull(! part dos interi'uptions ou des hiatus » De Blainville donna à cette même idée un caractèr(î plus scientilitpie, en tii'ant un grand parti des espèces fossiles pour remplir les vides d(; la série et établir une liaison entre les types voisins, mais isolés l(!s uns des autres. Néanmoins, la plujxirt des naturalistes sont à p(.'U près d'accord sur ce point, que 1(!S êtres vivants, et spécialement les animaux, ne peuvent pas être disposés en série continue, puisque l'ensemble de l'organisme ne se développe et ne se perfectionne pas graduellement. Une série, si bien établie qu'elh; puisse être, prés de 1. Cuvier, Analomie comparée, t. I, p. 30. lu INTRODUCTION. la peau ou de la paroi du sac digestif. Qu'elle se distingue ensuite de celle qui digère; qu'elle se difl'érencie des téguments: qu'elle soit formée par des bran- chies, des trachées ou des poumons, ce sont encore là des accessoires. L'appareil circulatoire, à son point de départ, est un simple canal ou un ensemble de canaux dans lesquels sont enfermés et mis en mouvement les liquides : il n'a pas d'autres caractères permanents : que ces canaux aient ou n'aient pas de parois propres, qu'ils soient tous semblables, ou bien que les uns constituent des artères et des veines, les autres des capillaires et des lymphatiques ; qu'il n'y ait point de cœur, ou bien qu'il y en ait un et même plusieurs ; que ce cœur ait un ou plusieurs ventricules, une ou plusieurs oreillettes ; qu'il soit sur le trajet du sang veineux ou sur celui du sang artériel, ou encore au point de jonction des deux sangs, toutes ces dispositions sont des variantes. Si, au lieu de considérer les appareils, on se borne aux organes, on voit que ce qui est constant dans chacun n'est aussi que très peu de chose. Comparez le cerveau du mammifère à celui de l'oiseau ; le cerveau des deux premiers à celui du reptile ou du poisson ; l'estomac du cheval à celui du bœuf; le cœur du ver- tébré à sang chaud à celui du vertébré à sang froid, et vous verrez que la somme des différences est bien plus grande que celle des dispositions invariables. Ainsi, il y a, dans chaque organe ou chaque appareil, des choses toujours sem- blables, ce sont les dispositions essentielles; d'autres, très variables dans les divers groupes, ce sont les dispositions accessoires. Il faut donc admettre, en principe, que les modilications dans la forme et la structure des organes son! presque infmieSjl'anatomie comparée le démontre; mais elles ne sont pas toutes susceptibles de s'alliej' entre elles : il en est qui s'appellent; il en est d'autres qui s'excluent, pour me servir des expressions du grand naturaliste; en un mot, '< il y a des combinaisons obligées et des combinaisons impossibles. » Les lois des rapports entre les organes sont fondées sur cette dépendance réci- proque des fonctions. Gomme ces rapports et cette dépendance sont invariables, les lois qui les régissent n'ont pas moins de ligueur, d'après Cuvier, que les lois métaphysiques et mathématiques. On peut les appeler les lois d'harmonie; elles sont susceptibles de se réduire à deux : la première, celle des corrélations orga- niques ; la seconde, celle de la subordinaiion des organes. Quelques exemples suffiront pour les mettre en évidence. Toutes les fois que la respiration est circonscrite ou localisée, il faut un cœur pour lancer le sang vers le milieu où il doit se mettre en contact avec l'air, des vaisseaux pour l'y apporter, d'autres canaux pour le ramener dans toutes les parties ; il faut, en un mot, une ciiculation com|)lète. La localisation de la fonc- tion rcspiratoiie rend donc la circulation indispensable, et si celle-ci n'existe |ioint, il lie [x'iit y avoir qu'une respiration disséminée ; car, dès l'instant que le lUiidi^ nulritif ne |)eut aller chercher l'air, il faut que l'air vienne le trouver : or, comme dans ce dernier cas le lluide nulritif est partout, il est de toute néces- sité que l'air aille partout. C'est ce qui arrive chez les insectes : ils n'ont qu'une circulation iiufiarfaitc, leur fluide noui'ricier baigne toutes les parties, l'air va se mettre, en rapport avec lui \m- des trachées ou des canaux ramifiés à l'infini. Jja respiration et la circulation iniluent sur le système nerveux et surlaloco- UR l'organisation en tiKNKUAI,, 1)1^ SES FOHMRS I-.T DE SKS LOIS. 11 motion. Plus la respiration est étendue et complète, plus les mouvements soiil prompts et énergiques, plus les sensations sont vives. C'est surloul chez les ani- maux supérieurs que la relation est intime et nécessaire. La cessation de la cir- culation ou la suspension de l'iiémalose anéantissent presque instantanément l'action nerveuse. Ces deux fonctions sont, à leur tour, dépendantes du système nerveux, puisque le cœur ne se contract(> que par l'intervention des nerfs, et que les organes nécessaires à raccomplisscment des actes mécaniques de la respira- tion, ne peuvent agir en dehors de la même intervention. La digestion a des rapports encore assez évidents avec la respiration et la circu- lation ; elle est rapide chez les animaux à sang chaud, dont les repas sont très rap- prochés ; elle est lente, difficile, chez les animaux à sang froid, dont l'hématose est f'aihle et incomplète. Cette fonction, en apparence si indépendante des actes exté- rieurs ou de relation, est néanmoins liée intimement à la locomotion et aux actions nerveuses. Cuvier' a formulé avec son génie supérieur ces rapports qu'il n'est [las possible de mieux rendre que par ces admirables expressions : « Si, dit-il, les intestins d'un animal sont organisés de manière à ne digérer que de la chair, et de la chair récente, il faut aussi que ses mâchoires soient construites pour dévorer uîic proie, ses griffes pour la saisir et la déchirer, ses dents pour la couper et la divi- ser, le système entier de ses organes du mouvement pour la poursuivre et l'at- teindre, ses organes des sens pour l'apercevoir de loin ; il faut même que la nature ait placé dans son cerveau l'instinct nécessaire pour savoir se cacher et tendre des pièges à ses victimes En effet, pour que la mâchoire puisse saisir, il lui faut une certaine forme de condyle, un certain rapport entre sa position et la résistance, et celle de la puissance avec le point d'appui, un certain volume dans le muscle crotaphite, qui exige une certaine étendue dans la fosse qui le reçoit, et une cer- taine convexité de l'arcade zygomatique sous laquelle il passe; cette arcade zygo- matique doit aussi avoir une certaine force pour donner appui au muscle masséter. « Pour que l'animal puisse emporter sa proie, il lui faut une certaine vigueur dans les muscles qui soulèvent la tête, d'où résulte une forme déterminée dans les vertèbres où ces muscles ont leurs attaches, et dans l'occiput où ils siusèrent. « Pour que les dents puissent couper la chair, il faut qu'elles soient tranchantes, ot qu'elles le soient plus ou moins, selon qu'elles auront plus ou moins exclusive- ment de la chair à couper. Leur base devra être d'autant plus solide, qu'elles au- ront plus d'os, et de plus gros os à briser. Toutes ces circonstances inilueront aussi sur le développement de toutes les parties qui servent à mouvoir la mâchoire. « Pour que les griffes puissent saisir cette proie, il faudra une certaine mobilité dans les doigts, une certaine force dans les ongles, d'où résulteront des formes déterminées dans toutes les phalanges, et des distributions nécessaires de muscles et de tendons ; il faudra que l'avant-bras ait une certaine facilité à se tourner, d'où résulteront encore des formes déterminées dans les os qui le composent, etc. « Il est aisé de voir que l'on peut tirer des conclusions semblables pour les extrémités postérieures, qui contribuent à la rapidité des mouvements; pour la composition du tronc et la forme des vertèbres, qui inMiient sur la facilité, la 1 . Cuvier, Disroum sur hs rérolulùnis du {lUbe, p. CL 1-2 INTRODUCTION. nt'\ibilitt'' de ces mouvements.; pour les lormes des os du nez, de l'orbite, de Toreille, dont les rapports avec la perfection des sens de l'odorat, de la vue, de l'ouïe, sont évidents. En un mot, la forme de la dent entraîne la forme du con- dyle, celle de l'omoplate, celle des ongles, tout comme l'équation d'une courbe entraîne toutes ses propriétés. » Ainsi, de quelque côté qu'on porte ses regards, on voit qu'il y a rapport, har- monie entre les divers appareils de l'économie, comme entre les divers organes d'un même appareil. De même que telle forme de respiration commande telle forme de circulation, telle forme de système digestif, telle autre de système loco- moteur, de même aussi une forme donnée dans les organes de la mastication détermine celle de l'estomac, de l'intestin, etc. La loi de corrélation organique est donc une loi partout évidente. On pourrait l'appeler la loi des rapports ou la grande loi d'harmonie ; elle renferme implicitement toutes les autres. Cette har- monie une fois établie, l'organisation animale pouvait être variée dans ses mille détails secondaires : aussi « la nature, en demeurant toujours, dit G. Cuvier\ dans les bornes que les conditions nécessaires de l'existence prescrivaient, s'est abandonnée à toute sa fécondité dans ce que ces conditions ne limitaient pas; et, sans sortir jamais du petit nombre des combinaisons possibles, entre les modifi- cations essentielles des organes importants, elle semble s'être jouée à l'infini dans toutes les parties accessoires. y> Voilà la raison de toutes ces variétés si singulières qui diversifient les nombreuses espèces du règne animal, de toutes ces formes bizarres, singulières, plutôt destinées à rompre une uniformité monotone qu'à satisfaire à des nécessités fonctionnelles : il semble qu'elles soient l'œuvre d'une main devenant capricieuse, une fois qu'elle peut se passer d'une logique inflexible. L'organisation des animaux est donc régie par des lois rigoureuses quel'obser- vation et l'interprétation des faits nous font découvrir. Elle est, elle-même, mise en rapport ou en relation avec les besoins de chaque espèce et avec ses conditions d'existence; on pourrait même ajouter qu'elle détermine ces dernières au moins danscequ'elles ont de fondamental. Déjànous avons vu clairement, par lesexpres- sions si éloquentes de Cuvier, comment, chez les carnassiers, la disposition de l'appareil digestif, des organes des sens et de la locomotion, se trouve en rapport avec le régime, les mœurs, les habitudes de ces animaux. Celte nouvelle corrélation d'un ordre supérieur à celui qui existe entre les divers appareils de l'économie et entre les divers organes d'un même appareil devient évidente partout, parmi les herbivores comme parmi les carnassiers, chez les oiseaux aussi bien que chez les mammifères. Ainsi l'organisation de l'herbivore serait manifestement absurde si (;lle était semblable à celle du lion ou du tigre. Cet herbivore doit vivre d'herbes ou de racines : à quoi lui serviraient des instincts féroces et sanguinaires? 11 n'a |)as de proie à poursuivre, à déchirer : à (juoi pourraient lui être utiles des griffes acérées, un avant-bras mobile, une clavicule? Des sabots, un avant-bras sans mouvements de rotation lui suffisent. Il ne doit broyer que des substances végé- tales, qu'a-t-il i»(.'soin de mâchoires courtes, de masséters, de crotaphites énor- mes, de dents aiguës? 11 lui faut des dents plates, des mâchoires plus longues 1. Cl. Cuvicr, Leçons d'analomie comparée , 2'' 6(lit., I. I, p. l'J. DE l'organisation EN GÉNÉlUL, DE SES FORMES ET DE SES LOIS. 13 qiio solides. Ses aliments tiennent beaucoup de place, il ne peut se contenter d'un petit estomac, d'un intestin court; il lui faut un ample réservoir gastrique, un long tube intestinal. Ce même herbivore doit être la victime du carnassier; il a besoin d'être prévenu de l'approche de ce dernier par une ouïe délicate. Il peut être surpris cà tout instant, il faut qu'il soit timide, craintif, sans cesse sur ses gardes. En un mot, il est nécessaire qu'il possède des instincts conservateurs tout particuliers, sans lesquels son existence ne serait pas assurée. Si, des généralités, on descend dans les détails, ces rapports de l'organisation avec les conditions d'existence ne paraissent pas moins sensibles. La nature se montre aussi logique dans les petites que dans les grandes choses. Les carnas- siers, par exemple, n'ont pas tous le même genre de vie. L'un est insectivore, il a des dents aiguës: sa proie débile ne résiste pas, il est faible. Il ne peut lutter contre des ennemis plus forts que lui; par compensation, la nature lui donne divers moyens de défense, tantôt une cuirasse comme au pangolin, des piquants comme au hérisson, des instruments pour creuser des demeures souterraines comme à la taupe. L'autre se nourrit de proie vivante : il est agile, fort, sangui- naire. Un troisième ne vit que de chair morte : il est plus faible, plus mou, moins audacieux. Tel doit vivre dans lair connue la chauve-soui'is : il lui est donné des ailes: tel autre dans la terre comme la taupe: ses pattes, son museau, tout est disposé pour l'aptitude à fouir le sol, à creuser des galeries. Tel autre, encore, doit habiter les eaux : alors, d'un animal semblable au chien, au lion, la nature fait un être bizarre, elle lui raccourcit les membres, les dispose en nageoires, met des sphincters aux ailes du nez, modilie l'oreille externe, l'œil, etc. ; mais sous cette forme nouvelle, cette sorte de déguisement, elle laisse au phoque toute son organisation de carnassier. Parmi les oiseaux aussi bien que parmi les mamniifères, on trouve mille preuves de ce fait que l'organisme a été constamment mis en rapport avec les conditions d'existence L'oiseau de proie, qui est le carnassier ailé, a le bec crochu, les serres aiguës, l'œil perçant, l'estomac membraneux, l'intestin court; il a aussi des ins- lincts courageux, parce qu'il doit attaquer une proie vivante. S'il faut, au contraire, qu'il se contente d'un cadavre, il est lâche, ses serres sont moins forles, son bee moins acéré. S'il poursuit sa victime pendant la nuit, son leil ne sup()orte pas la lumière du soleil, son vol se fait sans bruit. Le granivore a un bec obtus, des ongles courts, un premier estomac pour mettre en dépôt les graines, un autre jiour les broyer ; l'oiseau de rivage a de longues jambes nues, un long cou. un long bec pour chercher sa nourriture dans la vase; l'oiseau aquatique a les pattes transformées en nageoires, un plumage imperméable, etc. Lesloisqui président à l'organisation des êtres vivants, les lois qui entraînent toutes les combinaisons compatibles les unes avec les autres, et qui lient celles-ci au but pour lequel chaque être a été créé, sont invariables : elles la régissent à toutes les phases de son développement. Lorsque l'embryon devient apparent, on reconnaît bientôt en lui les linéaments des organes essentiels qui doivent agir de bonne heure et inlluer même sur le dé- veloppement subséquent des autres. Ces premières parties essentielles apparaissent et s'accroissent dans uncerlniii ordre constant que les travaux des end)ryologistes 14 IMUODLCTION. modernes ont déterminé; elles aÉïectent toujours entre elles, à peu près, les mêmes rapports de situation que ceux qui s'observent plus tard. Divers naturalistes ont prétendu que l'être des degrés supérieurs présentait temporairemont, aux différentes phases de son évolution, la forme et l'organisation des types inférieurs; qu'ainsi le mammifère, avant d'être tel, se trouvait succes- sivement zoopliyte, mollusque, articulé, poisson, reptile, de sorte que ces types inférieurs dans le règne animal représenteraient des êtres arrêtés dans leur déve- loppement, des états permanents correspondant à des états transitoires de la vie utérine de l'animal supérieur. Cette hypothèse séduisante, basée sur quelques analogies forcées, a été et est combattue à peu près généralement. Elle compte au rang de ses adversaires G. Cuvier, J. Millier, Flourens, M. Milne Edwards et la plupart des physiologistes. On concevrait cette supposition si les animaux étaient construits d'après un même plan, une même forme, qui irait graduellement en se perfectionnant du plus simple vers le plus compliqué ; mais nous avons vu qu'il va plusieurs plans ou types d'organisation, et, d'après cela, on a peine à com- prendre comment il y aurait passage de l'un à l'autre, comment l'embryon, de l'état d'articulé, passerait à celui de mollusque, puisa celui de vertébré. Du reste, l'ovologie démontre que le système nerveux du vertébré est toujours au- dessus du canal intestinal, et jamais au-dessous comme dans d'autres types; que le ftetus n'a point de branchies avant de posséder des poumons; qu'enfin, dans chaque espèce, l'individu se développe suivant le plan virtuel de son organisation définitive, comme l'esquisse sous la main du dessinateur. Certains auteurs ont aussi soutenu cette autre hypothèse, non moins hasardée, d'après laquelle les espèces animales seraient, à la longue, dérivées les unes des autres par une série de modifications organiques et fonctionnelles. Ainsi, pour Lamarck, les espèces supérieures ne seraient que le résultat du perfectionnement d'espèces plus simples ; Darwin' essaye de nous le démontrer dans un livre ingé- nieux. Partant de ce fait bien connu que l'espèce éprouve des variations, il admet que celles-ci peuvent porter non seulement sur les formes extérieures, mais encore sur l'organisation des parties, puis il suppose que la nature choisit entre les variations, qu'elle conserve les plus utiles, dans le but de perfectionner les êtres. A ses yeux, la nature travaille sans cesse à modifier et à transformer les espèces. De quatre ou cinq types, et peut-être d'un seul, elle aurait ainsi réussi à faire descendre le règne animal tout entier. Mais ce système ne soutient pas l'examen ; il repose sur de fausses bases et sui' des hypothèses sans vraisemblance Si l'espèce éprouve des variations, c'est dans ce qu'elle a de superficiel et non dans l'essence de son organisation, comme Cuvier l'a piouvéen comparant les bœufs, les chiens, les ibis de l'ancienne Egypte à ces mêmes animaux de l'époque actuelle. D'une part, ces variations ne peuvent con- stituer autre chose que dos races fécondes entre elles et d'une fécondité continue ; jamais elles ne deviennent souciies d'espèces nouvelles. Les hybrides qui résul- tent de l'alliance des espèces voisines et de même genre ne donnent pas non plus des es|ièces nouvelles et intermédiaires, car ils sont ordinair'enuMit stériles, ou 1 . Darwin, De l'origine des etpéces, 3»^ ëditiotv, Paris, 18fi9. DE l'oKGANISATJUN EN GÉNÉRAI-, 1)E SES EOH.MEs ET KE SEn LUIS. l^l s'ils sunl t'éfoiuls, c'osi (runc tV'coiulilr liiiiiU't,' à (|ii('li|iit's i^iMU'ialiuiis : ils s'élci- ynenl par le l'ait de leur stérilité ou sont ramenés par leurs facteurs à la souche primitive. Les espèces semblent être lixes, immuables ; elles ne se dégradent ni ne se perlectionnent ; par leurs vaiiations, elles donnent seulement des races, car ces variations restent très limitV-es et ne portent (|ue sur des particularités sans imjtortance structurale ou fonctionnelle; parleurs alliances entre elles ces espèces produisent des hybrides stériles et jamais d'espèces nouvelles ou intermédiaires. Ce qui existe aujourd'hui paraît être sorti de la main du Créateur, comme ce(iui aexistéaux anciennes époques; rien lu- semble le résultai ni de la s[)ontanéilé, ni de la transformation. 11 n'y a pas de milieu à [U'endre entre les doctrines émises: il faut admettre une iorniation s()ontanée, ou une création. La formalion spon- tanée exclut ridée d'un plan, d'une linalité, et offre à l'esprit des idées incom- préhensibles. La créiition est plus logique, mieux en Inirmonie avec tout ce que nous révèle l'étude attentive de la nature, et dès (pfelle est acceptée, il n'est pas plusdiflicilede la concevoir pour des milliers de types (|ue pour une seule espècr' d'où l'on voudrait faire soitir toutes les autres. J.,es grandes lois d'harmonie et de rapports dont nous \enons de parler sont aussi rigoureuses qu'admirables. Elles ont constamment présidé à la construction des machines vivantes, et c'est parce qu'elles furent les mêmes aux anciennes é[ioques de la création, que Guvier a pu, en les prenant pour guide, rétablir les esi)èces fossiles, dans tous les détails de leur organisation, avec une certitude presque mathématique. On avait pensé d'abord que la création avait procédé d'une manière i)rogressive, (luellc avait animé, dans le principe, des êtres tout à fait inférieurs, puis, par une marche ascensionnelle régulière, des êtres de plus en plus rapprochés de l'homme. Il en a bien été ainsi, jusqu'à un certain point; mais une étude plus complète des débris organisés enfouis dans le sol a démontré que la création n'avait eu d'autre loi à suivre que celle de produire des êtres en rapport avec les conditions d'existence qu'offrait la surface du globe. Ainsi il y eut une époque à laquelle notre planète se trouvait entièrement recouverte par les eaux. Alors une première création peupla cet immense océan d'animaux analogues à ceux (pii \ivent actuellement dans les mers, c'est-à-dire de rayonnes, d'articulés, de mol- lusques et de poissons. Dès ce [)remier essai, les quatre embranchements étaient représentés par leurs espèces a(|uati(|ues. A une seconde époc|ue certains points de la surface du globe se mirent à découvert ; il se forma des ilôts plus ou moins étendus, d'où résultèrent de nouvelles conditions, et aussitôt apparurent des ani- maux de rivage de tous les types^ notamment ces reptiles gigantesques et singuliers qui, par smte de leur mode de respiration, pouvaient vivre dans une atmosphère impure et brûlante. Enfin, à une troisième époque, les points émergés devinrent lie plus en plus étendus, formèrent des continents, et, celte fois, surgirent les animaux terrestres de toutes les familles. Après ces trois états successifs, anuMiés l)ar des révolutions plus ou moins brusques, le globe fut encore bouleversé pnr d'autres catastrophes qui, chacune, détruisirent en partie ou en totalité le règne animal, d'où encore la nécessité de créations nouvelles et successives d'espèces analogues à celles qu'elles venaient remplacer, mais plus ou moins dilTérentes. 16 INTRODUCTION. Lors mémo tiiie ces créations n'auraient pas été successives, elles ont du être effectuées. Ni la spontanéité ni le transformisme ne peuvent expliquer scientifi- quement l'apparition d'un seul être vivant à la surface du globe. D'après ces considérations générales, on voit que la nature s'est invariablement astreinte à des lois rigoureuses dans l'organisation des êtres. Aux savantes com- binaisons qu'elle a adoptées, on reconnaît la main souverainement intelligente qui a laissé sur toutes ses œuvres une empreinte sur laquelle pourra s'exercer longtemps la sagacité humaine. II, — De la vie en général et de ses niai»îfestatîoiis. JNous venons de jeter un coup d'œil sur l'ensemble de l'organisation animale, et de chercher à reconnaître les grandes lois de la constitution des êtres vivants. En envisageant très superficiellement la machine, sous ses grandes formes et à ses divers degrés de complication, nous avons été frappé des rapports harmo- nieux qui existent entre ses rouages et des moditications admirables que la nature leur imprime, pour les adapter aux destinations les plus variées. Mais nous ne nous sommes point inquiété du jeu de cette merveilleuse machine, de son moteur caché, de ce qu'on appelle, en un mot, la vie. Qu'est-ce donc que la vie ; une cause ou un effet, une force ou un ensemble de forces de même nature ou d'espèces diverses? Les philosophes, les naturalistes de tous les siècles, les physiologistes modernes, ont cherché le mot de cette énigme. Cependant on ne sait pas encore et l'on ne saura peut-être jamais en quoi con- siste essentiellement l'activité des êtres organisés. C'est en vain que les philosophes, après avoir médité sur les grands phéno- mènes naturels, sur les facultés animales, sur l'intelligence et sur l'àme, ont cherchéà se faire une idée claire de la vie. Ni Platon, ni Épicure, ni Lucrèce dans l'antiquité, ni Descartes, ni Locke, ni Leibnitz et tant d'autres dans ces derniers siècles, n'ont réussi à la concevoir d'une manière intelligible et vraie. Aucun d'eux n'a pu atteindre le but, car aucun n'est entré dans le sanctuaire où elle réside et n'a acquis une notion suffisante de ses manifestations et de ses phénomènes. Les (thysiologistes seuls, en démêlant et en analysant les actes de l'organisme, peu- vent remonter un peu plus près du but. Néanmoins, aucun n'a pu aller assez loin : presque tous n'ont réussi ù voir de la vie que les manifestations, c'est- ù-dire les facultés et les actes. Les plus réalistes s'en sont tenus à ces manifesta- tions, incliiiimt à croire que la vie consiste dans les plus saillantes d'entre elles ; les autres, remontant au point de départ, aux causes insaisissables, se sont con- tentés comme Stahl et Barthez de la personnifier dans un principe d'activité propre aux animaux. Aussi, faute de s'en faire une idée exacte, n'ont ils ^tu en donner une, délinition rigouseuse. En effet, ces formules qui; l'on a si {uétentieusement appelées définitions de la \ie n'expriment réellement que des manifcstatiofls de cette mystérieuse inconnue, n'ollreiit à l'esfirit (|U(! des idées vnguesde sa natui'(; supposée. Dire, avec^Bichat : ' la vie est rensemble des fonctions qui résistent à la mort, » c'est simplement uflii nier ((III' !;i vie ivsulte de lu crjUection de ses actes, luttant contre; ce qui n'est DE LA VIE KN GÉNKItAL ET DE SES MANIFESTATIONS. 17 • pas elle. Répéter avec Cuvier' : « la vie est un tourbillon plus ou moins rai)i(k' dont la direction est constante et (|iii entraîne toujours des molécnlos de même sorte, mais où les niolécnles individuelles entrent et d'où elles sortent continuelle- ment, de manière que la l'orme du corps vivant lui est plus essentielle que la matière, » c'est donner une image saisissante, ingénieuse de l'activité des êtres vivants et particulièrement des phénomènes de la nutrition, mais ce n'est point nous faire connaître la nature, la cause de cette activité. Les autres prétendues délinitionsque nouspourrions reproduire ne nous en apprendraient pas davantage. ilecourons donc immédiatement à l'observation, à l'analyse des phénomènes capaldes de nous faire remonter à leurs causes cachées ou à ce qu'on appelle le l)rincipe de la vie. Au premier abord l'essence de la vie paraît susceptible d'être saisie et, en quelque sorte, surprise chez les êtres où elle s'offre dans toute sa simplicité au moment où se développe en eux l'activité vitale. Vaine illusion ! On examine la plante la plus inférieure; de celle-ci on passe à l'animal, de l'embryon au fœtus, du fœtus à l'individu jouissant de son existence propre. La vie nous échappe, même à l'instant où elle semble ap{)araitre. « Le mouvement qui la constitue dans les animaux, dit Cuvier, n'a réellement son origine que dans celui de leurs parents ; c'est d'eux que les êtres vivants ont reçu l'impulsion vitale ; leur naissance n'est qu'une individualisation ; en un mot, la vie ne nait que de la vie, et il n'en existe d'autre querelle qui a été transmise de corps vivants en cor[)S vivants par une succession non interrompue. » Elle semblerait donc le résultat de la transmission d'un mouvement commençant, |)0ur chaque individu, à l'instant même où il lui serait communiqué par un être le possédant déjà. Mais comment voir ce qui se passe lorsque le mouvement vital de la mère se continue dans l'embryon? La matière formatrice de celui-ci n'est-elle pas déjà animée, dès le principe, de cette vitalité commune à tous les tissus, à toutes les parties de l'économie '.'Comment, aussitôt que l'influence de la semence s'est produite, cette matière, qui jusqu'alors vivait d'une vie commune, arrive- t-elle à jouir d'une vie propre, d'une vie nouvelle? Gomment devient-elle un cen- tre, un foyer d'activité au milieu d'un autre foyer, un petit tourbillon au sein d'un tourbillon plus grand? Comment, enlin, ce nouveau foyer appelle-t-il à lui une l)artie de la matière de la mère, matière destinée à obéir, chez l'individu nou- veau, à des forces qui, agissant constamment dans un sens déterminé, amènent comme résultat délinitif la reproduction exacte d'un être semblable à l'être pro- créateur ? Le rudiment du fœtus n'est qu'un ovule microscopique. Cet ovule, sous des iniluences inconnues, va grandir. Dans une puli)e liomogène vont se former un système nerveux, un système circulatoire, un appareil digestif. Dans ce système nerveux se dessineront plus tard un cerveau, une moelle épinière et des milliers de nerfs ayant toujours la même forme, le même trajet, le même mode de dis- tribution; dans l'appareil respiratoire, des cavités nasales, un larynx, une tra- chée, des poumons, etc. Sous l'inlluence de quelles forces toutes ces parties se l.^'Cuvier, Rèfine animal, l" édit , 1. 1, p. l'a. a. COLIN. — Pliysiol. cump. 3"" cilit. I — - 18 INTRODUCTION. développeront-elles avec des tonnes toujours semblables, comme si elles étaient jetées dans un moule ou frappées au balancier monétaire ! On fait bien intervenir ici les affinités chimiques d'après lesquelles le sang se convertirait ici en os, là en muscle ou en ligament ; mais il est évident qu'elles n'agissent point seules, et qu'il y a au-dessus d'elles une autre force qui règle et dirige leur travail, veille à la reproduction exacte des formes ; fait que l'oreille, la bouche, le cerveau, ont toujours la même disposition ; que dans la main oîi un même sang est apporté, ce fluide façonne ici un os, autour de cet os des ligaments, des tendons, de petits muscles, des divisions nerveuses, etc.; qu'enfin, dans toutes les parties, chaque rouage, chaque ressort est confectionné suivant son modèle, mis à sa place, par- faitement agencé avec ceux qui l'avoisinent. Ainsi déjà, dès les premiers temps de l'organisation, l'activité vitale produit des merveilles, et c'est même à cette époque qu'elle en produit de plus singulières. Là, il est vrai, la vie qui préside à l'organisation du nouvel individu ne peut pas être surprise à son point de départ, ni suivie dans toute la série de ses opérations, puisque l'embryon se développe au sein de sa mère. Mais cette difficulté dernière peut être évitée. En prenant l'œuf de l'oiseau, nous aurons un être qui se développera seul, sous l'influence d'une certaine cha- leur venue de n'importe quelle source. Nous pourrons voir cet œuf avec son germe endormi, vivant d'une vie latente si obscure que rien ne la traduit à l'ex- térieur. Il nous sera possible, à un instant donné, de lui imprimer une détente, de mettre en jeu une activité jusqu'alors assoupie ; il nous suffira d'exposer cet œuf à une températuire convenable, et, au bout de quelques heures, il se sera déjà opéré des changements appréciables dans quelques-unes de ses parties. Le centre de ce qu'on appelle la membrane proligère deviendra transparent ; autour de ce centre se dessinera une zone, où plus tard apparaîtront des vaisseaux ; dans le centre transparent se foimera une strie blanchâtre, premier rudiment de l'em- bryon ; puis apparaîtront successivement les premiers linéaments du système ner- veux, le cœur, les viscères, etc. Tout ce travail de formation, nous pourrons le suivre, heure par heure, jusqu'au moment où le jeune sujet, étant achevé, bri- sera sa coque, et en sortira pour vivre de la vie extérieure. Néanmoins toute notre attention, tous nos efforts ne serviront à rien ; nous verrons les effets, nous assis- terons en quelque sorte à la création de toute la machine, mais la force organi- satrice restera enveloppée dans le plus profond mystère. Toutefois, ce sera déjà quelque chose, ce sera même beaucoup que de nous être pénétrés, par cette observation patiente, de la réalité d'un moteur inconnu, cause de tous ces phé- nomènes. Si le dévt'loppenieiit du fœtus ou celui du germe dans l'œuf nous révèle une force ou des forces insaisissables, inconnues dans leur nature, il est une infinité d'autres phénomènes qui nous conduisent à la même révélation, tels que les métamor[ilioses ou transformations successives que certains animaux éprouvent avant d'arriver à leur complet développement. Les batraciens, avant de revêtir la forme qu'on leur connaît, c'est-à-dire celle de reptile, en ont une autre dans les premiers temps de leur vie, la forme ichthyoïdc. Alors ils sont à l'état de larves ou de têtards. Le têtard de la gre- DE LA VII-: EN GÉNÉr.AL RT DE SES MANIFESTATIONS. l'.l nouille a une longue queue, un bec corné, de petites franges sur les côtés du cou au lieu de membres; il a des branchies fixées à des cerceaux solides, et même il possède, suivant ■Millier, des branchies extérieures avant d'en avoir d'intérieures. 11 a un régime végétal; des intestins très longs, étroits et contournés; sa respi- ration et sa circulation sont analogues à celles du poisson. Bientôt son bec tombe et se trouve remplacé par des mâchoires, sa queue s'atrophie et disparait, un pou- mon et tout un appareil respiratoire aérien se développent, tandis que les bran- chies se dessèchent, et que les arcs branchiaux tombent ; en même temps, les extrémités se dessinent sous la peau qu'elles percent bientôt ; les doigts se mon- trent successivement ; le tube digestif se raccourcit, se renfle au niveau de l'es- tomac. Or, en vertu de quelles lois, sous l'influence de quelles forces régulatrices le poisson se change-t-il en reptile, sa respiration aquatique en respiration aérienne, la circulation du premier en circulation du second? Par quelle puis- sance inconnue toutes ces transformations s'opèrent-elles constamment et de la même manière ? Et chez les insectes? Un (cuf éclôt : c'est une larve qui en sort, c'est-à-dire une chenille, une sorte de ver, avant des anneaux, avec ou sans pattes, un intes- tin énorme, un appareil respiratoire trachéen. Au bout d'un certain temps, cette larve, cette chenille se change en nymphe ou en chrysalide ; son enveloppe exté- rieure se durcit et devient, selon la comparaison de Cuvier, comme celle d'une momie ; ou bien' la larve, pourvue de longues glandes flexueuses, a sécrété des lilaments soyeux, qu'elle a feutrés autour d'elle de manière à s'en former un cocon. Là, elle est à peu près immobile comme le cadavre enfermé dans le cer- cueil. Après une période plus ou moins longue, il sortira de celte enveloppe bri- sée ou de ce cocon percé un insecte parfait, avec une tète d'une forme nouvelle, (les yeux, des antennes, un thorax, un abdomen, des pattes, des ailes. Ce nouvel insecte, ou cet insecte sous une nouvelle forme, ne devra plus vivre longtemps, et aussi son appareil digestif sera presque atrophié ; il devra se reproduire et il [(ossédera un appareil reproducteur complet, apte à entrer immédiatement en fonction. Ici, encore, nous observons les oll'ets sans pouvoir en saisir la cause. Pourrons-nous mieux découvrir cette cause, chez les êtres inférieurs où la vie est disséminée au lieu d'être centralisée comme chez les animaux les plus \oisins de notre espèce? Non. Nous prendrons le polype, nous le diviserons en plusieurs fragments :- chacun d'eux emportera avec lui sa part d'existence; chacun d'eux continuera à vivre seul comme il vivait avec le tout ; il conservera la faculté de sentir et de se mouvoir; il se nourrira, s'accroîtra, deviendra apte à la repro- duction. Dans cette parcelle, comme dans l'animal tout entier, la vie restera une énigme. C'est donc en vain que, dans toutes ces circonstances, nous cherchons, en quelque sorte, à surprendre la vie, à la saisir, pour ainsi dire, à son point de départ. Son essence nous échappe, ses manifestations seules tombent sous nos sens, et parla nous révèlent son existence. Toutes ces opérations, si singulières, si pleines de mystère, dans lesquelles nous avons essayé de l'atteindre, |)euvent- elles dériver d'une autre cause ? Tous ces phénomènes d'un ordre si dillérent de celui des phénomènes qui se passent dans la matière inorganique peuvent-ils être 20 INTRODUCTION, rappoilés aux aflinités cliiiuiques?!! serait ridicule de le penser. Quoique la réa- lité du principe que nous cherchons ne puisse être démontrée directement, elle nous est suffisamment prouvée par des phénomènes d'ordre inconnu dans le monde inorganique. Puisque, en considérant la vie dans son ensemble, nous n'arrivons à constater que des elïets, des résultats merveilleux d'un ordre dilîérent de ceux qui s'obser- vent dans la matière inanimée, entrons dans une autre voie : analysons ces phé- nomènes qui s'accomplissent au sein de l'être vivant ; cherchons à en saisir les rapports, puis nous essayerons de remonter à la source de chacun d'eux. Ce n'est, a dit Ne^vton, que par l'étude des phénomènes qu'on peut arriver à la connais- sance des forces employées par la nature. Évidemment, c'est par la plante qu'il convient de commencer cette analyse expérimentale, car c'est dans la plante que les manifestations vitales s'offrent à leur plus grand état de simplicité. Si donc, nous considérons d'abord la graine, nous y voyons un embryon des- séché et comme endormi dans son enveloppe. Il paraît inanimé, car rien n'y décèle une activité appréciable ; cependant il a déjà participé à la vie ; il est dépo- sitaire d'un principe qu'il peut conserver pendant des années et peut-être même des siècles ; en un mot, il est vivant. Que la graine vienne à être déposée dans le sol, et bientôt l'activité latente s'éveille. L'humidité, la chaleur, l'air, donnent la détente, et, peu à peu, sous l'influence de cette triple stimulation, se constitue et se dégage un végétal en miniature. Que s'est-il passé là? D'une part la graine a absorbé de l'eau et de l'oxygène ; plusieurs de ses principes sont devenus solu- bles ; il s'est dégagé de l'acide carbonique. D'autre part, et ceci est bien plus curieux, la matière de la graine, en changeant de composition, a changé de forme. Les cellules qui renferment la fécule, la matière azotée, la graisse, ont pris des aspects variés ; des vaisseaux et des libres de divers ordres se sont déve- loppés; des organes de forme, de dimensions déterminées, c'est-à-dire une tige, une racine, des feuilles se sont constituées sur le modèle des mêmes organes de la plante mère. Deux ordres de phénomènes se sont donc accomplis dans cette graine en germination : les uns physico-chimiques d'absorption, de dissolu- tion, d'oxydation ; les autres morphologiques, qui ont fait naître des éléments, des tissus nouveaux, jouissant de propriétés déterminées, et des organes que l'on a vus se façonner, se mettre à leur place, se charger d'une fonction spé- ciale. Les deux ordres de phénomènes que nous révèle la vie de la plante sont essen- tiellement dillérents l'un de l'autre, et ils ne peuvent dériver d'un même ordre de forces. Aux puissances physico-chimiques est manifestement dévolu le rôle d'ap- peler la matière du dehors, de la faire entrer dans le tourbillon, d'en modilier de mille manières la composilion moléculaire et les propriétés, d'en faire une pâte a[»teà rfîvèlir les formes les plus variées. Puis, cette pâte préparée, les puissances organiques ou organo-plastiques s'en emparent, la pétrissent, en font des utri- cules, des fibres, des vaisseaux, et avec eux tous les organes de la nutrition ou de la reproduction. Ce double travail est exécuté suivant un plan arrêté, comme d'après um; liarmoMie préétablie, pour lue ser\ir de la belle expression de Leib- DR LA VIE EN GÉNÉRAL ET DE SES MANIFESTATIONS. 21 nitz : les forces qui l'exécutenl ne [lOiirraieiU rien isolément, elles font des mer- veilles par leur association. Si, de la plante nous passons à l'animal, l'analyse sonnnain' des phénomènes de la vie, (pioique plus diriicile, nous montrera les deux ordres de puissances agissant ensemble, suivant une coordination réglée d'après les mêmes principes que dans les végétaux, pour produire des edets plus compliqués, plus merveilleux encore. Ici, outre les actions lihysico-chimiques et les actions plasticpies, la vie se manifestera par des opérations d'un ordre nouveau et plus élevé, par des phé- nomènes de mouvement, de sensibilité, par des facultés admirables, sans liaison apparente avec les autres. L'animal, considéré d'abord dans l'ieuf, comme le végétal dans la graine, a pour point de départ un petit amas de matière ayant aussi participé à la vie et vivant encore isolément. La vie n'est, dans cet œuf, qu'à l'état de souffle, elle ne s'y manifeste que par une légère absorption d'oxygène et une faillie exhalation d'acide carbonique à travers les parois de lacoque. L'influence d'un certain degré de chaleur s'ajoutant à celle de l'air il s'opérera dans cet œuf une détente subite et le mouvement vital deviendra manifeste. Dès ce moment nos deux ordres de forces s'associeront, de même que dans la graine, et de leur association surgira une série non interrompue de prodiges: les forces physico-chimiques moditieront .la matière, les organiques lui donneront la forme de globules, de cellules, de fibres, de vaisseaux ; elles créeront des tissus et des organes nouveaux, doués de propriétés entièrement nouvelles, inconnues dans la plante. L'un de ces tissus sera doué de la propriété de sentir, l'autre de la faculté de se mouvoir et de met- tre en mouvement l'être tout entier. A chaque partie même d'un tissu sera dévo- lue une faculté spéciale : à celle-ci la faculté d'être impressionnée et de trans- mettre les impressions reçues ; — à celle-là la faculté de vouloir ; — à cette autre celle de conduire les ordres de la volonté et d'exécuter les mouvements. Ces nouveaux éléments d'une admirable structure, ces nouvelles propriétés plus admirables encore, donnent à la vie une [diysionomie jusqu'ici inconnue. A la vie purement plastique et végétative, ils ajouteront une vie nouvelle, animale, de sentiment et de mouvement, d'instinct et d'intelligence dont rien jusciu'alors ne nous avait donné l'idée. Cette évolution de l'œuf est une vivante image de la création aux dépens du chaos. C'est même une véritable création, car la vie n'a, au délnit, (pie de la ma- tière à sa disposition ; elle n'a pas encore d'instruments pour la servir. Avec cette matière elle fabrique des éléments qui, une fois constitués, sont doués de pro- priétés spéciales et des organes qui, achevés, possèdent des facultés déterminées ainsi que l'aptitude à les exercer immédiatement. On dirait que la vie crée ses instruments, leur donne un rôle et les doue des facultés qui les rendent aptes a l'accomplissement de ce rcMe. Ce travail que la vie exécute dans l'oMir. pour créer l'animal n'est mystérieux que par les forces employées ; il est visible, pour qui veut le suivre dans toutc'^ ses phases, non dans le sein niaterncK ni dans l'oMif pourvu d'une coque épaissf, mais dans l'n'uf à enveloppes transparentes d'un heliniiitlie (pii se dévelo[>|'«- a l'extérieur. Là, on voit les granules du vitellus se disposer en sphères; des cel- 22 INTRODUCTION. Iules se constituer aux dépens des granules, s'assimiler leur contenu, se multi- plier par scission, se grouper pour former l'embryon, et ensuite se modifier pour produire chacune de ses parties. Là, aucun échafaudage ne masque le travail du constructeur. On voit, comme l'a dit un savant observateur \ les pierres de l'édi- fice se constituer et se mettre à leur place. Il n'y a de caché que la main ou la force qui les façonne et les emploie. Chacune de ces pierres se taille à l'endroit qu'elle doit occuper; chacun des matériaux créés vit comme l'ensemble, s'entre- tient, se répare, se multiplie et se transforme. C'est mieux que l'atelier de Vul- cain, car chaque instrument ne vient pas seulement se placer sous la main du dieu ; chacun d'eux se fabrique lui-même, et agit sans le secours d'une interven- tion étrangère comme s'il possédait une individualité et une activité propres. La vie, en effet, n'est pas seulement dans l'être entier, dans l'œuf qui repré- sente le rudiment de l'être ; elle est dans chaque élément de cet œuf, si petit qu'il soit; elle est dans la cellule qui représente un organisme microscopique, sfe déve- loppe, élabore son contenu, se transforme et se régénère. Tout ce qui doit s'ob- server en grand dans l'ensemble de l'être parfait se voit déjà dans cet élément : la formation, la nutrition, la sécrétion, la reproduction ; il né faut plus pour la constitution de l'être entier, de l'animal parfait, qu'une agrégation de ces êtres microscopiques doués de telles ou telle's propriétés et assemblés d'après un plan déterminé à l'avance. Aussi, peut-on dire que la vie est dans la cellule comme elle est dans l'animal entier, et qu'elle y a des attributs également merveilleux et admirables. Même dans la plante elle jouit de facultés étonnantes, comme celles d'appeler la matière extérieure, de la modifier, d'opérer des combinaisons diver- ses, des réductions, des dédoublements, en un mot les opérations analytiques et synthétiques les plus compliquées. Et ce qu'il y a de particulièrement admirable dans l'organisme c'est que, pour constituer l'être le plus simple, et tous les êtres de plus en plus compliqués, la nature ne se sert pas d'un autre élément microscopique. Elle diversifie la cellule, elle lui donne des propriétés très variées pour réaliser ses combinaisons, pour obtenir, ici le mouvement, là l'action sensitive, motrice, le travail nutritif et les sécrétions les plus disparates. En analysant ainsi les phénomènes dans leurs manifestations initiales les plus simples, nous voyons toujours la vie résulter de deux ordres de forces agissant ensemble, avec une harmonie merveilleuse. Le principe qui les dirige, le lien qui les associe, les lois intimes de leur subordination réciproque nous échappent. Ce que nous voyons nettement c'est que ces puissances de second ordre, au service d'une fée invisible, ne peuvent rien isolément. Les forces physico-chimiques sont impuissantes à réaliser, en dehors de l'organisme, les changements qu'elles opè- rent en lui ; à elles seules elles ne peuvent produirent les composés, les éléments, les tissus ; il leur faut l'assistance des forces organiques ou vitales. A leur tour celles-ci sont inhabiles à rien créer sans le concours des premières, elles règlent et dirigent le travail (|u(! les autres sont seules capables d'exécuter. C'est [)our ne pas avoir vu ce conceit de forces, cette association harmonieuse i. fJosle, J\'ote sur le ri'ile de l'obnervnlion et de l'expérience, m physiologie {Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. LXVf, p. l'-ilH). DE LA VIE EN GÉNÉRAL ET DE SES MANIFESTATIONS. 23 de puissances diverses ayant chacune leur nMe à remplir, qu'on s'est fait de la vie des idées fausses, reflétées dans des systèmes contradictoires. Il est clair que les anciens auxquels les lois des forces naturelles étaient incon- nues ne pouvaient apercevoir celte double nature des puissances qui concourent à la manifestation de la vie. Ils voulaient |)oiirtant, en celaconnne en tout, remon- ter d'emblée à la cause première qu'au jourd'iuii on renonce même à cliercher. L'inconnue qu'ils cherchaient à découvrir leur apparaissait comme un principe d'animation, un moteur, une ame. Platon en voyait même deux, l'une pensant et agissant, l'autre inconscitinte d'elle-même, opérant obscurément dans les viscères. Épicure et Lucrèce, qui supposaient l'àme formée par la matière la plus subtile, la voyaient en quelque sorte imprégner toutes les parties du corps dont les actions résulteraient de la manière d'être et des propriétés des atomes. C'est là toujours au fond ce qu'on a pensé plus tard : un principe d'action, de vie, une àme, avec des variantes infinies dans les attributs et dans les actions. Aux yeux de Leibnitz c'est une force attachée à la matière, une force agissant par elle-même et indépendamment d'excitations étrangères ; à ceux de Stahl, c'est une âme surna- turelle, intelligente, procédant à l'accomplissement de tous les actes. Pour d'autres c'est une puissance qui agit par l'intermédiaire de ferments, d'es- prits, etc. Dès qu'on a voulu sortir des vagues conceptions philosophiques sur la nature de la vie pour expliquer comment le principe, le moteur, opère dans l'organisme, on s'est trouvé en face de mille dillicultés. En elTet, montrer comment l'àme dirige une machine qu'elle ne connaît pas et qu'elle n'a pas créée, comment elle fait res- pirer, digérer, mouvoir les membres, former les parties; comment un principe vital donne lieu, tout à la fois, à des actes intellectuels et à des actions physiques ou chimiques très variées, était fort difficile; aussi n'y a-t-on pas réussi. On a créé des systèmes incomplets, insuffisants : les uns considérant les causes, les autres les efi"ets, sans montrer les liens intermédiaires. Tantôt on a fait de l'économie un ensemble dans lequel une puisssance s'agite sans qu'on voie par quels moyens ; tan- tôt un mécanisme où l'on dévoile le jeu des rouages, sans trop s'inquiéter du moteur qui les dirige, ou encore un laboratoire dans lequel tout est phénomène physique ou chimique. Toutes ces conceptions ne sont point entières. Il ne suffit pas ici de considérer les causes premières, de déterminer la nature des phénomènes, il faut voir à. la fois les actes isolés, leur ensemble, les lois de leur association, le lien qui les réunit, le réseau qui les enlace, en un mot le souffle qui anime la ma- tière; mais ce souffle, ce moteur, ce régulateur est insaisissable. Passons donc en nous inclinant devant le sanctuaire, et soyons surs qu'il renferme un dieu caché que probablement nous ne parviendrons jamais à découvrir C'a été une grande erreur de voir dans la vie une lutte perpétuelle entre les forces générales de la matière brute et les forces propres aux êtres organisés. L'an- tagonisme entre les premières et les secondes n'est qu'apparent, et quand il existe il concourt au maintien du jeu de la machine animée. Loin qu'il y ait, le plus souvent, opposition entre les deux ordres de forces, il y a entre elles, comme nous l'avons entrevu, association. Les forces isolées sont frappées d'impuissance ; celles qui dirigent ne peuvent pas exécuter, et celles qui exécutent ont besoin 24 INTRODUCTION. d'une direction. Leur association est. la première et la plus essentielle condition de la vie. En effet, les forces vitales ou organiques qui représentent l'idée, le plan de l'or- ganisation, ne peuvent réaliser aucune action d'ordre physique ou chimique ; elles donnent le modèle de la cellule et de la libre, assignent à chacune sa place et son rôle, et une fois Finstrument façonné et agencé, il fonctionne comme un méca- nisme de laboratoire. La cellule formée appelle à elle la matière, l'élabore et se l'assimile; elle absorbe et exhale, suivant les lois de l'osmose ; elle opère des com- binaisons, des dédoublements, des réductions; fabrique des principes immédiats, des acides, des alcaloïdes, des sels qu'elle conserve, donne ou échange. A chaque espèce de cellule est assignée une tâche particulière : à l'une l'absorption de l'oxygène, la réduction de l'acide carbonique ; à l'autre, la production des corps gras, de la bile, des spermatozoïdes. En somme, ce petit être, réellement vivant, autonome, qui se nourrit et se reproduit, fonctionne tant pour son propre compte qu'en vue de l'être collectif, de l'agrégat dont il fait partie. On a beau pénétrer profondément dans l'être vivant : partout dans l'organe, dans la fibre, dans la cellule, les deux ordres de forces se voient associés, agissant avec harmonie, sans la moindre confusion. Qu'il se produise de la chaleur, de la lumière, de l'électricité, du mouvement, des combinaisons, des décompositions, c'est par le jeu des forces physiques et des affinités ordinaires. Que la matière prenne la forme d'un tissu ; que ce tissu acquière une propriété sensitive, motrice, la faculté de sécréter, de se reproduire, c'est par l'intervention des puissances d'un autre ordre, exclusives aux êtres vivants. Il ne faut donc pas voir l'antagonisme là où il y a harmonie, voir la confusion là où il y a simple association, rapporter à un ordre de forces le travail qui vient d'un autre ; il faut, au contraire, distinguer avec soin les puissances qui dirigent de celles qui exécutent, le rôle du maitre de celui des esclaves. Ceux qui ne voient agir dans l'organisme que les foi'ces vitales, comme ceux qui n'y reconnaissent que des actions chimiques, sont également dans l'erreur. La sensibilité, la mo- tricité, l'instinct, l'intelligence, dérivés des premières, ne constituent qu'une moi- tié de l'activité de l'être vivant. La production des principes immédiats, toutes les élaborations intimes, dérivées des secondes, forment l'autre moitié. La vie est dans le tout, et le tout est indivisible. Les forces vitales ne peuvent rien seules, si bien que la vie demeure virtuelle, latente, comme dans l'œuf, si elle est obligée d'attendre l'assistance des autres. Isolée, elle ne peut réaliser aucun de ses plans, soit pour créer ses instruments, soit même pour s'en servir quand ils sont ache- vés. Et de même, la physico-chimie seule ne peut ni fabriquer l'arsenal physio- logique, ni en utiliser les pièces ; elle laisse s'éteindre le mouvement vital et ramène la matière à la masse commune. Il n'y a pas de vie en dehors du concours harmonique des deux ordnis de puissances. Si la considération attentive des phénomènes accomplis dans l'être vivant ne dévoile pas la nature de la vie, peut-elle au moins nous montrer où elle réside, à quel apfiareil ou à (jucllc fonction elle est attachée? Ici encore, l'observation lapins atl"iilivc, l'analyse la plus délicate ne nous fait ]>as découvrir de localisation. La vie n'est liée e\cliisi\etiieii( ni ,'i un ;i|)|iaieil important, ni à une lacnlté préénii- DR LA VIK EN GKNKIUL ET nE SES MANIFESTATIONS. Il) nenle ; elle préexiste aux oiganes (jui, j)liis tard, (lt'\i('n(lioiit indispensables à son entretien, comme aux facultés dont jouiront les organes formés. Elle crée les instruments dont elle a besoin, et en les créant leur donne des facultés ; puis, cela fait, elle ne peut plus s'en passer, elle en devient l'esclave. Flourens a cru à la possibilité d'une localisation matérielle de la vie dans le système nerveux ; ses expériences ont semblé lui montrer qu'elle résidait dans le point de la moelle allongée qu'il a désigné sous le nom de nœud \ital, car la \ie cesse immédiatement après la section de ce point et de ce point seul ; mais cette localisation ne s'appliquerait ni aux animaux invertébrés, ni à l'embryon, ni à la plante. Il n'y a pas de localisation dans le polype, dans la planaire, car si l'on divise ces êtres simples, chaque partie continue à vivre et reproduit bientôt ce qui lui manque pour redevenir un être complet. La \iene peut pas être localisée function- nellement. Elle n'est attachée exclusivement à aucune fonction, à aucune faculté, à aucune pro[>riété, soit des organes, soit des tissus. Elle ne l'est ni à l'innervation qui est la fonction prééminente de l'animal, ni à la circulation, ni à la respira- tion ; elle est seulement, plus que toutes les autres, liée à ces fonctions impor- tantes d'une manière très intime, surtoutà la respiration qui, en faisant agir l'oxy- gène sur l'œuf et la graine, parait l'acte initial et excitateur de toutes les autres manifestations vitales. D'autre part, aliène consiste ni dans la sensibilité, comme le pensait Bordeu, ni dans la sensibilité jointe à l'irritabilité, comme Haller sem- blait le croire. Elle apparaît, dans l'animal, avant ces facultés et avant même les organes dont elles dépendent. Elle est dans l'ensemble des facultés et des fonc- tions, comme elle est dans l'ensemble des tissus et des organes, et elle n'est pas moins dans chaque partie que dans la totalité de l'être. Elle est dans la substance, elle est dans la faculté et dans l'acte ; elle est une au fond, mais inliniment diver- sifiée par ses produits matériels et par ses manifestations dynamiques. Dans la plante, dans la graine, dans l'œuf, dans l'embryon, elle ne donne lieu qu'à des actes plastifpies. Dans l'animal achevé et achevé par elle, elle comprend on outre des actions sensitixes et motrices, des phénomènes d'instinct et d'intelligence. Quelque soin que nous prenions de suivre le précepte newtonien dans l'étude de la vie, nous ne pouvons que reconnaître, dans l'organisme, l'action combinée de deux ordres de puissances : les physico-chimiques assez accessililes, les vitales moins saisissables dont nous ignorons le nombre et la nature. Faut-il nous étonner de cela? Non. L'activité d'une graine qui germe ou d'un oMif à r('tat d'incubation est plus compliquée (|ue le mouvement du système planétaire. L'être vivant, à quelque degré de simplicité qu'il soit réduit, est, en réalité, inliniment au-dessus du paisible système des astres, c'est une sorte de petit système matériel en mouvement (|ui accomplit ses révolutions intérieures suivant des lois spéciales. Les puissances qui le meuvent ou qui l'animent sont si merveilleusement coordonnées, que tout s'y passe comme s'il n'y en avait qu'une seule. Cette puissance collective supérieure agit dans une machine qu'elle s'est créée elle-même, dont elle a façonné et agencé tous les rouages, lesquels sont admirablement disposés pour fonctionner avec en- semble; elle commande aux forces physiques et chimiques qui sont sous ses ordres; elle se les asservit comme des forces subalternes, des esclaves qui tra- vaillent en silence, suivant un jtlan tracé et dans un sens déterminé : elle coor- 26 INTRODUCTION. donne leurs opérations, les met en harmonie avec les siennes et produit ainsi, par ce concours, la succession si merveilleuse des phénomènes qui caractérisent l'existence des êtres organisés. Ne nous obstinons pas à poursuivre cette mystérieuse inconnue qui fuit à mesure que nous croyons en approcher. Il n'est pas nécessaire de connaître l'essence de la vie, la nature de ses forces, ni même leur nombre exact pour analyser avec préci- sion les phénomènes qui en dérivent, déterminer leurs lois et leurs rapports ; l'étude particulière des fonctions nous le prouvera. Qu'importe que ce soit la matière qui vive ou qu'une force vive dans la matière. Il nous suffit de constater ce que ces phénomènes ont de plus général chez les animaux. Or, la vie, si simple qu'elle soit, ne se manifeste que dans les corps orga- nisés. Elle parait consister en une activité que la matière a empruntée, par la voie de la génération, à des êtres vivants. C'est une activité communiquée ou transmise, comme l'a dit si justement Cuvier. Si cette activité naît spontanément dans des êtres qui se constituent d'eux- mêmes, c'est parmi les espèces microscopiques les plus inférieures. Elle ne peut s'exercer et s'entretenir que dans certains milieux, à une certaine température et par le concours des agents extérieurs. Elle résulte de l'association constante des forces physico-chimiques qui modi- fient la matière, et des forces organico-vitales qui lui impriment des formes et lui donnent des propriétés n'appartenant jamais cà la matière brute. Ses premiers effets sont de créer ou de développer, soit dans la graine, soit dans l'œuf, des parties semblables à celles de l'être dont le germe dérive, d'orga- niser la plante ou l'animal d'après un plan arrêté, et de douer chacune de ses parties de facultés déterminées. Elle produit dans l'être animé un double courant, l'un qui apporte au dedans les matériaux destinés à vivre, l'autre qui entraîne au dehors ceux que la vie aijandonne. Elle fait passer cet être par des phases d'accroissement, d'état et de déclin pour le livrer ensuite à l'influence destructive des forces chimiques isolées. Ses formes sont variées, et nombreux ses degrés de complication. Dans la plante elle ne consiste qu'en actions plastiques donnant naissance à des organes simples et à des principes immédiats très diversifiés ; dans l'animal, elle donne lieu à des actes de plasticité et à des phénomènes de mouvement, de sensibilité et d'intelli- gence. Les fonctions jiar lesquelles elle s'entretient sont coordonnées entre elles et subordonnées les uuhs aux autres comme le sont leurs instruments. Il en est d'es- sentielles qui tiiMMieiit les autres sous leur dépendance et dont l'arrêt entraîne son extinction ; il en est d'accessoires qui peuvent se suspendre, se supprimer, sans enrayer le mouvement général. Mais n'entrons pas tro|> dans les détails. Voyons })ar quels moyens nous pou- vons arriver à conuaîli(î les actes, les fonctions dont l'ensemble constitue la vie. DE l'observation. 27 III. — De rol>«ei*va.tîon coiiwltléréc coiiiino moyen «l'aiM'îver à la. coiiiiaiMwaiice tlvt-i i>liéiioiiièiie.*« de la vie. Nous venons de voir ou plutôt de pressentir combien l'organisation animale est (;omi>liquée et combien son jeu est admirable. C'est à peine, cependant, si nous avons effleuré ce beau sujet. 11 s'aj^it maintenant de savoir par quelles voies, par quels moyens on peut arriver à la connaissance du mécanisme des êtres vivants, à la détermination précise des phénomènes qui se passent en eux, à la découverte des conditions, des rapports, des lois et des causes de ces phénomènes. Ces moyens peuvent se rapportera trois principaux, savoir: 1° V observation, c'est-à-dire l'étude des phénomènes tels qu'ils se présentent, tels qu'ils se révèlent à nos sens, soit chez l'honmie, soit chez les animaux ; '1" 'L'expérimenlaiion, ou l'étude des phénomènes artiticiellenient dégagés et isolés, du moins en partie, de ceux qui rendraient leur appréciation diflicile, ou encore l'examen de certaines parties des fonctions dont tous les actes ne sont pas accessibles à la simple observation ; 3" La comparaison des faits, la généralisation des résultats, l'induction, le cal- cul, l'hypothèse, pour lier les notions que nous donnent l'observation et l'expé- rience, systématiser leur ensemble et sup[)léer à ce (ju'ils ne peuvent nous faire découvrir. L'un ou l'autre de ces trois moyens ne peut, à lui seul, nous conduire à une con- naissance parfaite des actions vitales. Par le premier, qui est le plus simple et qui s'offre tout d'abord à l'esprit, le physiologiste suit patiemment la nature dans ses opérations, cherche à démêler par quels artifices elle arrive à son but, recueille avec soin tout ce qui se révèle aux sens, rassemble les faits qui doivent servir de base à l'édifice scientifique. Par le second qui naît de l'insuffisance du premier, il veut aller plus avant dans la recherche d'un mécanisme qui ne s'est dévodé qu'à demi, il s'efforce de découvrir ce qui reste caché et de trouver le mot de chaque énigme ; il essaye, par mille expédients, de mettre en évidence les phénomènes obscurs, de les débrouiller, de les isoler de leurs accessoires, et parla il ajoute aux faits déjà acquis des faits nouveaux qui, sans son secours, demeuraient inconnus. Par le troisième, enfin, il s'empare de la moisson récoltée avec l'aide des précé- dents, classe des résultats obtenus, compare les faits, les apprécie, en détermine la signification, formule les conséquences qui en découlent, et si tout cela est insuffisant, imagine ou suppose le reste. 11 faut donc qu'ils suieut employés tous les trois, chacun à sa place et en son tenq)s, car chacun doit fournir son contin- gent de connaissances ; il faut de j)Ius qu'ils le soient avec art, suivant certaines règles et dans une certaine mesure qu'il importe de connaître. L'observation, considérée en général, est, sans contredit, le plus simple de tous les moyens qu'il nous est possible d'employer pour arriver à la connaissance des choses susceptiblesde tomber sous nos sens. C'est le premier dont il faut se servir; car, ainsi que l'a fort bien dit Bacon ', l'homme ne peut entendre la nature, connue il ne peut l'employer^sans avoir mis préalablement tous ses sens au service 1. Bacon. Analyse de la philosophie de Bacon, Amsterdam, 17")5, ^ vol. in-1-2. 28 INTRODUCTION. de l'observation. C'est par l'observation que se trouvent rassemblés insensible- ment les faits dont l'ensemble constitue, comme l'a dit Cuvier, l'édifice impéris- sable des sciences ; c'est par elle aussi que se sont créées et développées les sciences dites d'observation ; c'est ellequi a fait la gloirede la médecine hippocratique, et produit les praticiens habiles, les grands naturalistes de toutes les époques. La zoologie, la botanique, la minéralogie et les autres sciences naturelles lui doivent la plupart de leurs richesses. Les immenses progrès réalisés par ces sciences dans les temps modernes, sont dus aux grands observateurs qui ont consacré leur vie à la contemplation des merveilles de la création. La physiologie est incontestablement une science d'observation avant d'être une science expérimentale. Les premières connaissances qu'elle a acquises, et beaucoup de ses conquêtes récentes, même parmi les plus précieuses, lui viennent del'obser- vation. Celle-ci est, comme l'a dit Bacon, la clef des sciences ; et c'est, quoi qu'on en puisse dire, la source la plus féconde et la plus sure de nos découvertes. Il n'est pas un point de physiologie sur lequel elle ne jette quelque lumière, et il en est même beaucoup sur lesquels elle nous fait découvrir à peu près tout ce que nous pouvons savoir. Ainsi, ce que les naturalistes nous ont appris sur l'intelligence, les instincts, les mœurs, le caractère, les habitudes des animaux, vient d'une longue et patiente observation ; la plus grande partie des notions que nous possédons sur la vision, l'olfaction et les autres sensations, sur l'histoire des phénomènes de la locomotion, sont puiséesàla mêmesource.Il y a, dans chaque fonction, un certain nombre d'actes qui rentrent presque exclusivement dans son domaine: voyez les sensations de la faim et de la soif, la préhension des aliments, la mastication, les actes extérieurs de la rumination, les phénomènes mécaniques de la respiration, et tant d'autres appartenant à la même catégorie. Ce ne sont pas seulement les actes extérieurs que l'observation nous permet de suivre et d'analyser ; elle nous fait scruter souvent ce qu'il y a de plus mystérieux dans l'organisme. Ellenous montre le lieu de la fécondation, le temps employé par la liqueur séminale pour opérer l'imprégnation du germe; elle nous fait suivre l'évolution de l'œuf du poisson, de l'insecte, du ver, la segmentation du vitellus, la formation du blastoderme et de chaque partie de l'embryon ; elle nous fait voir les mouvements du cœur, la cir- culation entière dans les parties ou dans les animaux transparents. Elle étale à nos regards, bien dirigés et bien armés, les procédés de la nature que nous devi- nons bientôt, et que quelquefois nous avons intérêt à imiter. Dès l'instant qu'il y a, dans toute fonction, un certain nombre d'actes saisis- sables, dont les caractères peuvent être exactement ap}u-éciés, on conçoit de quelle importance doit ôiie, pour la physiologie, une observation rigoureuse et délicate qui, en déterminant le faciès, la physionomie propre à chaque fonction, dans l'état normal, (lonn(' un point de départ nécessaire à la pathologie, un terme de com- paraison sans lequel il ne sera pas possible de distinguer nettement ce qui appar- tient à l'état sain de ce qui est le résultat de la maladie, même à son début. Cette vérité est trop incontestabh; [lour avoir besoin d'une démonstration. Les lumières que nous donne l'observation ne sont pas seulement nombreuses, elles ont une valeur qui manque souvent aux données de l'expérimentation. En effet, ce qu'elle nous fait voir, ce sont les opérations régulières de la nature, les DE l'observation. 29 actes tels qu'ils se passent, sans trouble, sans modification. Elle nous dévoile le iliythnie des fonctions, l'Iiarinonie qui n'-gne dans les opriations de l'organisme. Aussi ce qu'elle nous apprend des procédrs de la nature est l'expression lidèle des clioses. Le raisonnement, le calcul, n'ont pas à effectuer ces interprétations et ces corrections que réclament les résultats des expériences. Lorsqu'on a entrevu l'importance des donnéesquepeut fotu'nir lobservation, on sent la nécessité d'observer. Le physiologiste doit se plier à cette nécessité impé- rieuse, car il a sous les yeux un livre toujours ouvert, dont chaque page renferme, pour qui sait y lire, de précieux enseignements qu'il chercherait en vain à d'autres sources. Il faut qu'il observe sans cesse, soit pour saisir les analogies et les dissem- blances des phénomènes qu'il étudie, soitpour reconnaître toutes les particularités intéressantes des (onctions chez les animaux, soit eidin pour rassembler les résul- tats des expériences qu'il entreprend. Ces dernières, si habilement conçues et si bien dirigées qu'elles puissent être, ne donnent tous les enseignements qu'elles portent en elles qu'à la condition d'être suivies avec un soin extrême, sinon leurs résultats sont inexacts ou incomplets ; ils ne peuvent servir de base à des raisonne- ments sains et à des théories rigoureuses. Pour que le physiologiste s'acquitte bien de cette tâche, il lui faut beaucoup de bonne volonté, de patience, de tact, de sagacité et de finesse, qualités qu'il s'ellbrcera d'acquérir s'il ne les possède pas naturellement. L'esprit d'observation est, du reste, pour ceux qui se livrent à l'étude de la médecine ou dessciencesnaturelles, la première condition de succès. Sans son secours, il paraît bien diflicilede devenir jamais praticien habile, eùt-on d'adleurs toutes les connaissances quedonnent les livres et les leçons des maîtres. Peut-on douter que ce qui a fait les grands médecins, les Fernel, lesSydenham, les Boerhaave et tant d'autres, ce furent bien moins les notions qu'ils puisaient dans les écrits de leurs devanciers que les profondes connaissances qu'ils savaient acquérir d'eux-mêmes? Ne sait-on pas que les anatomistes des derniers siècles et ceux de notre époque n'ont dû leurs belles découvertes qu'à des investigations directes, substituées à la vieille routinequi consistaità tout chercher dans Galien et ses commentateurs. N'esl-il [»as évident que c'estpar la même méthode que les naturalistes ont porté siloinlazoologieetlabotanique ?0ù en seraient ces sciences si l'on s'était borné au rôle stérile de commenter Aristote, Théophraste, Gessner, Aldrovande, comme on le fit trop longtemps ? Aussi quelle reconnaissance ne doit-on pas à ces hommes supérieurs, Tournefort, Linné, Réaumur, Buffon, Cuvier, etc., pour nous avoir montré quelles sublimes inspirations et quelles im- menses richesses on peut trouver dans l'observation de la nature. L'observateur ne doit rien négliger. Le plus habile est, comme l'a dit Bacon, celui qui recueille tout ce qui peut l'éclairer ; il n'est aucune particularité, si minime qu'elle soit, qui mérite son dédain. Il n'est rien qui doive paraître petit à ses yeux, car souvent les plus petites choses renferment de grandes révélations, et cela dans toutes les sciences. Ne sont-ce pas les oscillations d'une lampe qui ont conduit Galilée à la théorie du i)en(lule ? N'est-ce pas la chute d'une pomme «[ui fut pour Newton le point de départ de la découverte de l'attraction ? La légè- reté que semble acquérir le corps plongé dans l'eau ne donna-t-elle point à Archimède le moven de découvrir si la courouuedu Ixriiii de Svracuse ne conte- 30 INTRODUCTION. nait pas un alliage itiipur ? Oue de choses ignorées seraient aujourd'hui connues et auraient une signilication précise si l'on s'était donnéla peine de les envisager dans tous leurs détails ? Il y a, dans chaque science, une foule de points sur lesquels l'attention a besoin d'être appelée pour y faire jaillir de la lumière, saisir des rapports jusqu'alors inaperçus, établir des rapprochements non soupçonnés. Il n'y a peut-être pas d'exemples d'investigations persévérantes qui n'aient conduit à quelque résultat Et pour ne rappeler qu'un seul de ces exemples, je demande si quelqu'un aurait pu prévoir jusqu'à quel degré de pré- cision l'auscultation et la percussion conduiraient le diagnostic des maladies du poumon et du cœur. Quelquefois, il est vrai, l'observation mène à- des illusions, comme le système de Gall et toutes les erreurs de la phrénologie le prouvent ; mais c'est elle, encore, qui répare le mal qu'elle a pu faire. Bien qu'en physiologie la plupart des faits principaux soient acquis, il reste encore assez de découvertes à faire, de détails à ajouter à ce qu'on sait pour que les observateurs ne se laissent pas décourager. Le champ de cette science est immense, puisqu'il embrasse tout le règne animal ; il est même déjà très étendu pour ceux qui circonscrivent leurs recherches aux seuls animaux domestiques dont les fonctions ont été si peu étudiées. On ne peut suivre une seule de ces dernières sans noter mille particularités inconnues et trouvera chaque instant de quoi recti- lier des erreurs. Ainsi, on a cru, jusqu'ici, que la mastication des solipèdes ne s'effectue pas par des mouvements de mâchoires semblables à ce qu'ils sont chez les ruminants : il a suffi d'y regarder attentivement et de tenir compte de l'illusion produite par les lèvres pour voir qu'elle est la même dans les deux familles. On pense généralement que chez les herbivores, cet acte s'opère à la fois sous les molaires droites et sous les molaires gauches : unexamenmême superficiel démontre que le broiement a lieu, exclusivement, tantôt sous les dents d'un côté, tantôt sous celles du côtéopposé, et il nous donne, de plus, des moyens certains de reconnaître dans quel sens il a lieu. Cette mastication unilatérale est, en soi, une particularité bien minime, cependant elle coïncide avec un phénomène fort curieux de la sécré- tion salivaire, c'est-à-dire avec une activité beaucoup plus considérable des glandes du côté sur lequel le broiement a lieu que celle des glandes opposées ; à son tour cette inégalité dans la sécrétion de deux glandes paires, placées dans des conditions en apparence identiques» montre que l'action réllexe du cerveau à la suite de l'im- pression gustative se fait Sentir plus vivement sur l'uneque sur l'autre. On a pensé que, lors de la rumination, les matières alimentaires revenaient à la bouche sous forme de pelotes plusou moins régulièrement arrondies : ilsuffitd'examinercequi se passe lors du renvoi de ces matières pour s'assurer que c'est une erreur. On perçoit alors très distinctement un bruit de liquide au moment où le bol passe dans la région cervicale de l'oisophage, et l'on entend, soit en appliquant l'oreille sur le cou, soit à distance, ce même liquide reih'scendre par plusieurs ondées suc- cessives dont le passage est, pour ainsi dire, visible par suite du mouvement qu'il communique à la peau. On n'en (luirait pan si l'on voulait indiquer toutes les erreurs rectifiées et fontes les notions n()uvell('^i acquises par l'observation. C'est surtout en piiysiologie comparée que l'observateur trouve de nombreuses occasions d'exercer sa sagacité ; c'est là que son attention doitétre tenue toujours DE l'observation. 31 en éveil poiii' qiril imissc suivre des fonctions dont les variations se niullinlient à l'infini et des phénomènes dont les caractères changent d'une espèce à une autre espèce. Son nMe y devient fort difticile, parce qu'elle est moins connue que celle de l'homme, parce qu'elle comporte des faits plus nombreux, des détails plus variés que cette dernière, enfin parce qu'elle oblige à des comparaisons qui, pour être justes, doivent reposer sur une connaissance exacte des fonctions, ^lais si ce rôle a des difficultés, il ne manque pas d'attraits. « Pour bien le remplir, dit Guvier', le physiologiste ne doit pas s'arrêter à ce que les phénomènes ont d'individuel ; il faut qu'ildistingue surtout ce qui fait lacondition générale et nécessaire de chacun d'eux, et pour cela il faut qu'il les examine dans toutes les modilicatipns que peuvent y apporter leurs combinaisons avec d'autres phénomènes ; il faut aussi qu'il les débarrasse de tous les accessoires qui les voilent ; en un mot, il faut qu'il ne se bornée point à une seule espèce de corps vivants, mais qu'il les compare toutes et qu'il poursuive la vie et les phénomènes dont elle se compose dans tous les êtres qui en ont reçu quehpie parcelle. Ce n'est qu'à ce prix qu'il peut espérer de soulever le voile mystérieux qui en couvre l'essence. » Il est évident qu'il ne peut entrer dans cette voie s'il ne possède des connaissances passablement éten- dues en histoire naturelle. L'observateur qui suit attentivement les manifestations extérieures de la vie n'arrive à les comprendre qu'autant qu'il connaît l'organisation animale dans tous les détails de sa structure. Avant donc d'examiner la machine en mouvement, il a dû l'examiner en repos et privée de son moteur ; il a dû en considérer isolé- ment tous les rouages et tous les ressorts. Par cette étude préalable, il s'est initié H la connaissance de beaucoup de phénomènes, et a pu entrevoir le jeu de plus d'un organe. Par l'anatomie ou l'étude statique des êtres vivants, le physiologiste observe non plus les actions, mais leurs instruments ; non plus les phénomènes, mais le conditions matérielles de leur production ; il déchillre les hiéroglyphes qui cou- vrent chaque page du livre, et s'efforce d'en trouver le sens. Les investigations de ce genre, si elles sont quelquefois presque stériles, conduisent souvent à des résultats très satisfaisants. Ainsi, la configuration des surfaces articulaires et la disposition des ligaments font connaître le jeu des articulations, le sens, l'élendue de leurs mouvements ; — la direction et les attaches des nuiscles suffisent pour préciser les usages de chacun de ces organes contractiles ; — le mécanisme de l'œil, de l'oreille, est dévoilé en grande partie par leur disposition et leur struc- ture. Le simple examen de certains organes a appris quelle est leur fonction. On a vu par là l'usage du cœur, des vaisseaux, du foie, de la vessie, des reins, etCi La découverte de certaines [larties ou l'appréciation exacte de leur disposition a amené d'autres découvertes parfois très remarquables. Les valvules du cœur et des veineSj par exemple, olit fait soupçonner à Harvey la circulation du sang ; leur direction a servi à démontrer dans quel sens elle s'elTectue. Aselli, en même temps qu'il trouvait les vaisseaux lactés, a vu qu'ils sont chargés du transport du chyle; Pecquet, en faisant voir qu'ils aboutissent à la citerne sous-lombaire 1. (luvier, Analomie comparée, Ictlie ;i Merlrud, p. 15. 32 INTRODUCTION. et au canal tlioracique, indiquait, le cours général du chyle, et détruisait l'erreur d'après laquelle on admettait que ce liquide était porté dans le foie; Gasserius, Sténoii, Yirsungus, en trouvant les canaux de la parotide, du pancréas, montraient le cours de la salive et du suc pancréatique. La considération des dispositions anatomiques jette un grand jour sur le mécanisme de plusieurs fonctions. C'est presque par la condguration et la struc- ture du cœur qu'on arrive à connaître le jeu de cet organe ; c'est par la disposi- tion des vaisseaux du fœtus qu'est dévoilé le mode de circulation pendant la vie intra-utérine. Ainsi, quand on voit que le sang de la mère apporté par la veine ombilicale se mêle au sang de la veine porte du fœtus, puis à celui de la veine cave postérieure, au moyen du canal veineux, qu'ensuite ce même sang se mêle une troisième fois avec celui des autres parties dans les oreillettes du cœur, et une quatrième fois dans l'aorte et l'artère pulmonaire par le canal artériel, on est convaincu de la réalité du mélange réitéré entre le sang apporté par la mère et celui qui appartient au fœtus, et dès lors on conçoit peu les disputes qui se sont élevées depuis Duverney et Méry sur la question de savoir comment se fait la circulation fœtale, et si les sangs se mêlent ou ne se mêlent pas. Bien d'autres particularités anatomiques ont une signification non moins précise. La structure de l'estomac n'explique-t-elle point pour tels animaux la possibilité de vomir, et pour d'autres l'impossibilité d'exécuter le vomissement? La forme des dents, celle de l'articulation temporo-maxillaire, ne font-elles pas deviner le mode de mastication, et par le mode de mastication le régime, et par celui-ci les mœurs des animaux? L'épaisseur des parois du gésier, la couche cornée qui revêt sa muqueuse, les graviers que renferme sa cavité, tout cela n'indique-t-il point que cet estomac est un organe de trituration ? Mais il ne faudrait pas attendre de l'anatomie l'explication de la nature intime de toutes les actions organiques. Il peut y avoir, comme le dit P. Bérard, il y a même un rapport entre la structure des organes et leurs fonctions; seulement ce rapport échappe à l'observation : « Il ne se voit pas. » Il est a rai que les recher- ches de l'anatomie micrographique, ou de ce qu'on appelle maintenant l'histo- logie, nous mènent un peu plus loin que ne le fait l'anatomie ordinaire. Le repro- che que Bichat adressait de son temps au microscope serait ridicule aujourd'hui. Incontestablement les recherches de ce genre ont éclairé beaucoup le développe- ment des tissus et des organes ; mais elles n'ont pas conduit h tous les résultats que l'on pouvait en espérer; elles ont eu même le grand inconvénient de faire négli- ger le côté philosophique de l'anatomie générale, celui sous lequel Bichat et ses rares imitatoui's l'avaient envisagée. Il y a plus, elles ont jeté une grande confusion sur différents points qu'elles paraissent appelées à éclaircir. Ainsi, pour avoir donné trop d'importance à des accessoires qui en méritaient peu, elles ont em- brouillé à un tel (h'gi'é la texture des glandes, qu'il est fort diflicile de s'en faire une idée claire sans recourir à un examen comparatif de ces organes dans la série animale. Le physiologiste qui cherche dans l'étude de l'organisation les éléments d'une analyse profonde; des actions vitales ne peut restreindre ses investigations à un j)elit nond)r(! d'csijèccs; il faut qu'il les étende, pour ainsi dire, à tous les types du règne animal, on, en nn iikiI, (pi'il fasse; de l'anatomie comparée. Le secours DE l'observation. 33 de celle-ci est indispensable pour faire de la [thysiologie savante et exacte. Haller, qui l'avait bien senti, n'a jamais manqué d'utiliser les travaux de Fabrice d'Ac- quapendente, de Severinus, de Perrault, de Duverney ; bien qu'alors Tanatomie comparative , qui était dans son enfance, ne piit encore rendre de très grands services. Aujourd'hui, après les belles créations de Cuvier, les travaux deM(H-keI, de Carus, d'Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, de Blainville , Duuiéril, Duvernoy, Milne Edwards, de Quatrefages, etc., elle ouvre une voie brillante d'avenir à la science mo- derne. Lejourqu'elle,jettesurlapliysiologietient]U'incipalement à ce qu'elle nous l)résente l'organisation animale sous un nombre |)resque inlini de formes, depuis les plus élémentaires jusfpi'aux plus comi)liquées ; elle fait en quelque sorte l'analyse de cette organisation, nous montre les appareils et les organes isolés insensiblement de tous leurs accessoires. Ainsi, elle nous fait voir comment l'appareil digestif perd graduellement ses grandes dilatations, ses nombreux re|)lis, ses glandes conglomérées, et arrive à l'état d'un simple sac n'ayant plus d'annexés glanduleux ni même de parois distinctes ; — comment l'appareil res- piratoire, qui résulte chez les animaux supérieurs de tant de parties destinées à faire pénétrer l'air, à l'expulser, à mettre en mouvement les parois du thorax, se réduit peu à peu à la forme d'une simple poche ou de quelques lamelles mem- braneuses, et enlin à rien, quand la peau elle-même peut suffire à l'oxygénation du lluide nutritif; — comment l'appareil locomoteur, après avoir été composé d'un squelette articulé, d'un grand nombre de muscles et de tendons, arrive à n'être plus constitué cpie par quelques faisceaux insérés sous le tégument, et en dernier lieu par quelques libres disséminées dans la substance du corps. De même, elle nous fait voir de quelle manière la glande la plus complexe arrive à la forme la plus simple, comment le poumon, le conir, le cerveau et tous les autres organes se réduisent à leurs formes élémentaires, et cela par un passage lent, gradué, insensible. Par cette simplilication, cette réduction successive de l'organisme à ses parties essentielles, elle nous indique quelles sont ces dernières, et nous permet de mieux juger de l'action de chacune. Par les enseignements que nous donne cette étude comparative, « la nature semble nous avoir i)ré[»aré des moyens de suppléer à l'impossibilité de Caire cer- taines expériences sur les corps vivants. Elle nous présente, dans les dilïérentes classes d'animaux, presque toutes les combinaisons possibles d'organes; elle nous les^nontre réunis deux à deux, trois à trois, et dans toutes les {troportions. 11 n'en est, pour ainsi dire, aucun dont elle n'ait privé quelque classe ou quelque genre, et il suffit de bien examiner les effets produits par ces réunions, et ceux qui résultent de ces privations, pour en déduire des conclusions très vraisembla- bles sur la nature et l'usage de chaque organe et de chaque forme d'organe... Mais il n'est pas permis de borner ces recherches à quelques espèces : souvent une seule iiégligée recèle une exception qui détruit tout un système'. » Mn même temps que l'anatomie comparée montre au physiologiste dans quel ordre, suivant quelles lois les appareils et les organes se simplifient, elle lui in- dique la voie qu'il doit suivre {>our découvrir de ([uelle manière les fonctions se 1. Cuvier, Aiialomie comparée, -î' édil. t. I, p. 17. li. coi.iN. - l'hysiol. coiiip. 3'' édit. 1 — ii 34 INTRODUCTION. dégagent insensiblement de leurs accessoires, et se réduisent enfin à ce qu'elles ont. d'élémentaire, d'essentiel. Une fois qu'elle l'a mis en regard de l'organe amené au dernier degré de simplicité, elle lui permet d'envisager la fonction toute nue et, par conséquent, d'en mieux apprécier la nature. A cela pourtant ne se bornent pas ses services : si elle est nécessaire à la connaissance profonde de chaque fonction, elle le devient encore davantage quand il s'agit de la détermination des rapports qui existent entre les actions vitales, de la recherche des lois et des causes de ces dernières, en un mot, quand on poursuit la solution des grands problèmes de [la science qui, suivant l'expression d'un illustre naturaliste, « est la plus compliquée, la plus mystérieuse et la plus inintelligible de toutes les sciences. » Il est incontestable que la physiologie ne s'élèvera à ses plus hautes conceptions et ne prendra une empreinte réellement philosophique qu'autant qu'elle étendra le cercle de ses investigations à tout le règne animal. L'anatomie pathologique vient aussi en aide au physiologiste dans plusieurs circonstances. Les traces que la maladie a laissées sur son passage, les ravages qu'elle a produits, les troubles fonctionnels qui en ont été la conséquence, peu- vent souvent nous fournir des données précieuses sur le rôle des organes. Les plaies de la tête avaient appris à Hippocrate l'action croisée du cerveau. Il avait remarqué que dans les lésions de cet organe il y a convulsion du côté blessé et paralysie du côté opposé à la blessure. Les lésions de la partie supérieure de la moelle ayant déterminé des paralysies du sentiment, celles de la partie inférieure des paralysies du mouvement, celles d'une partie latérale une hémiplégie, sont venues confirmer ce que l'expérience avait enseigné sur l'action spéciale de cha- cune des parties de cet organe; la destruction complète de l'épiglotte a prouvé que ce cartilage n'était pas rigoureusement indispensable à la déglutition; l'indu- ration, le ramollissement d'une vaste étendue du poumon ont démontré qu'une fort petite partie de cet organe suffit pour effectuer l'hématose; l'oblitération des gros troncs vasculaires a mis en évidence l'usage des anastomoses, et ainsi pour bien d'autres altérations Miorl)ides. 11 ne faudrait pas croire cependant que les lésions laissées par la maladie permettent des déductions toujours justes sur les fonctions des parties lésées ; quelquefois, elle ne conduisent qu'à des données fausses ou au moins très confuses : les exemples ne manquent pas pour le démon- trer. Willis voit les corps striés l'amollis chez des individus [taralysés et privés de l'usage de leurs sens; il en conclut que ces corps sont le siège du principe du sentiment et du mouvement. Lapeyronie observe qu'à la suite de profondes blessures ou de graves lésions du cor[»s calleux, il y a torpeur, affaiblissement, perte des facultés intellectuelles; il en infère que le corps calleux est le siège de r.ime. Magendie rcmnrque (jnc sur les chevaux immobiles il y a compression des cor[)s striés, altération niéinc! à la surface de ces parties, par suite d'un éjianclie- mcnt de sérosité vcntriculaire, et il considère ce fait comme une preuve que les corps striés sont le siège d'une force qui porte les animaux à reculer, etc. Il est vrai de dire que, dans bien des circonstances, les inductions ne sont fausses que parce que les faits sont mal observés; néanmoins elles [»euvent l'être cncoi'e, quoi(|ue basées sur des observations exactes, aussi faut-il être extrêmement réservé sur ce point. En effet, de ce qu'un rein, par exemple, s(! sera frans- DE l'observation. 'V6 formé en kyste, sans «ju'il en résulte des troubles notables, faudra-t-il con- clure qu'un seul de ces organes sutTit à la sécrétion de l'urine ? De ce que les ganglions du mésentère peuvent devonir tuberculeux, sans s'op[)oser au pas- sage du chyle, faut-il, avec Ruyscli, les regarder comme n'étant pas indis- pensables? De ce qu'un cœnure, une concrétion du plexus choroïde, une exostose à la face interne du crâne, n'amènent |)as de paralysie, est-on en droit d'admettre que la compression ou la destruction partielle d'un hémisphère n'est pas suscep- tible de produire cette paralysie? Non, car une lésion ancienne, une altération lente, insensible, une dégénérescence qui a marché par degrés, n'ont pas les mêmes etfets (ju'une lésion l)rus(pie. La fonction survit ({uelquefois, suivant la remarque de Morgagni, à ralténition profonde de l'organe chargé de l'exécuter. La nature s'habitue en quehiue sorte à celle-ci ; elle cherche par divers moyens à en neutraliser les conséquences. Lorsque l'un des reins perd sa substance, l'autre s'iiypertrophie ; lorsque les ganglions s'indurent, les vaisseaux qui passent à leur surface se dilatent, alin que le chyle et la lymphe puissent encore passer; quand une exostose se développe à la face interne du crâne, un ctenure dans les hémisphères, la substance de ceux-ci se creuse, se résorbe, et la com- pression est évitée. Mais, placez un corps étranger entre les méninges et les parois crâniennes, enlevez autant de substance cérébrale (|ue le cœnure en fait disparaître, et vous verrez si les effets sont les mêmes que dans les circonstances précédentes? Du reste, il est certaines altérations dont l'influence, au point de vue physiologique, n'est pas précisée. Sait-on, par exemple, en quoi la sécrétion biliaire est modidée dans le foie énorme de l'oie grasse, ou dans celui (jui. plein d'échinocoques, est devenu quatre à cinq fois plus volumineux qu'il ne l'est à l'état normal? Sait-on même si, dans ces circonstances, elle a subi quelques modifications. (Juant à l'étude des monstruosités, elle jette aussi quelques lumières sur la science de l'organisme, en offrant au physiologiste, pour me servir des expres- sions d'Isid. Geoffroy Snint-Hilaire, « une série d'expériences toutes préparées par la nature, et où les causes d'erreurs qui viennent si souvent modilier les résultats des recherches zoofoniiques se trouvent |>rcs(|ue toutes annulées '. » Mais il faut encore beaucoup de circonspection dans les appréciations |>our tirer des faits qu'elle donne les véritables conclusions qui en découlent. (Jue le physiologiste se pénètre donc bien de la nécessité d'observer, soit direc- tement, soit par l'intermédiaire de l'anatomie comparée, de la pathologie et des anomalies de l'organisation. Qu'il observe, s'il veut se faire une idée juste (les actes de la vie, et en deviner les lois, ou appliquer ses connaissances à la [)ra- tique médicale. Qu'il observe attentivement s'il veut développer ce tact qui fait le médecin habile, ou s'il se propose de tracer le tableau de ce qu'il aura con- templé : alors seulement il lui sera permis de répéter, avec l'auteur de V Esprit (les lois, ce mot du Gorrége : Et moi aussi je suis jieintre. L Isid. GeotTroy-Saint-Hilaire, Histoire généra^le et particuliiTe det n nom ni ex de l'ornnnifa- iion. Paris, 1836, t. III. p. 589. 36 IMRODUCTION. IV. — De rex|>éi*îiuoiitatîoii. Le physiologiste, qui obser\e la nature et qui la suit patiemment dans toutes ses opérations, ne parvient, après bien des efforts, qu'à saisir un petit nombre de pfiénomènes. L'observation ne lui fait voir que l'écorce des choses, elle lui est bientôt insuflisante ; il faut qu'il pénètre dans leur profondeur : l'expérience vient alors à son secours. Tant qu'il s'en tient à la première, il épie, il attend patiem- ment et se contente des apparences. Dès qu'il emploie la seconde, il devient vio- lent, audacieux; il interroge, il scrute, il veut une explication à chaque mystère, un mot à chaque énigme, et c'est par la torture qu'il arrache les secrets que la nature voudrait lui cacher. Muni de ces deux armes puissantes, il peut, tantôt marcher lentement, tantôt s'élancer par bonds dans le champ des investigations. S'il sait s'en servir avec art, ce que l'une ne lui donnera pas, l'autre le lui fera conquérir. Chacune a sa des- tination spéciale et sa place marquée qu'il doit tout d'abord cherchera reconnaître. « L'observation en tout genre précède l'expérience, et la raison en est simple ; c'est que l'observation est une expérience toute faite. « Mais, presque en tout genre, l'observation est insuflisante : elle est trop compliquée pour être comprise, trop bornée pour être féconde. « L'expérience décompose l'observation, et en la décomposant la débrouille ; elle joint les faits isolés par les faits intermédiaires, et en les joignant les com- plète, et en les complétantles explique. En un mot, l'observation avait commencé, l'expérience achève. '( Dans l'étude des phénomènes naturels il y a donc un temps pour l'observa- tion, et il y en a un pour l'expérience. a On ne cherche d'abord qu'à constater les circonstances évidentes de ces phé- nomènes, l'observation suffit; on veut pénétrer ensuite et la constitution intime et les ressorts cachés, c'est le tour de l'expérience '. » De ces deux modes d'investigation, le second est bien plus difficile et plus délicat que le premier : pour observer, il suffit d'avoir de la patience, du tact, de la sagacité et c'est déjà beaucoup; pour expérimenter, il faut, en outre, cette sorte de génie qui imagine ou institue les expériences et trouve les moyens de les exé- cuter, cette habileté nécessaire aux manipulations (|u'elles réclament, enfin cet esprit de discernement qui démêle les effets de l'expérience de ceux de l'opération, qui fait la part des causes d'erreurs, interprète les résultats et les apprécie à leur juste valeur. L'idée d'interi'oger la nature, par la \oie des expériences, n'est point, sans doute, une idée nouvelle ; elle. dut s'ollVir à l'esprit dès que l'homme essaya de se rendre compte de son activité et de celle des êtres qui lui resseniblent davantage. Les premières expériences furent, peut-être, celles du sacrificateur consultant les entrailles des victimes qu'il venait d'égorger, mais elles ne lurent réellement tentées, dans un but scientifique, que par ceux ipii se livraient à l'étude de la 1. Flourens, Recherches expérimentales sur les propriétés et les fondions du système nerveux, •2' iMlii., Pari?, 18-12. p. 218. DE l'expérimentation. 37 inédociiiL'. Galien dôjà sentit si bien leur utilité qu'il en imagina plusieurs, dont quelques-unes sont très ingénieuses. Ainsi, pour savoirsi les instincls[ne tiennent pointa riuiijiludeelàriniitation, il tire deux chevreaux du ventre de leur mère et leur présente une poignée d'herbes dans laquelle se trouve du cytise, que les jeunes animaux distinguent bientôt du reste, et il voit, par là que l'instinct est une im- pulsion spontanée préexistant à I:i naissance. T*our connaître l'action que les nerfs récurrents ont sur le larynx qu'il suppose éln; Torgane de la i)lionation, il en coupe un et voit la voix s'aiïaiblir, puis l'autre, et il la voit séteindre; de même pour découvrir le rôle des nerfs phr(''niques et des nerfs intercostau^, il fait des opérations analogues. Si la nécessité des expériences a été sentie de tous les temps, c'est surtout de- puis l'époque dés belles découvertes de Galilée, de Newton et de leurs disciples qu'elle a été généralement comprise. Les résultats auxquels cette méthode a con- duit si rapidement les sciences physiques ont fait entrevoir ce qu'elle pouvait donner dans les sciences physiologiques. Il est évident, pour quiconque [)Ossède la moindre notion de biologie, qu'elle est indispensable, non seulement à la con- naissance des actes compliqués, mais encore à celle des phénomènes les plus sim- ples. S'agit-il, par exemple, de déterminer les propriétés des tissus, de voir si l'os, le muscle, le tendon, le cartilage, sont ou ne sont pas sensibles, et, dans l'affirmative, quel est leur degré de sensibilité, on ne le peut sans expériences. Veut-on savoir si tel nerf préside ou au sentiment ou au mouvement, quelle est la part d'influence de tel autre sur une fonction donnée, l'expérience seule peut le dire. Veut-on connaître la nature des fluides sécrétés dans chaque glande, se fixer sur leurs qualités, leurs caractères, leur mode de sécrétion, comment y par- viendra-t-on sans son secours? Et ainsi pour les fonctions d'une foule d'organes. Il est vrai que des accidents, certaines maladies, quelques lésions [)athologiques, quelques monstruosités, diflérentes opérations chirurgicales peuvent nous donner plusieurs des notions qui s'acquièrent par les expériences ; mais outre que ces circonstances constituent de véritables expériences toutes faites, elles sont rares et parfois dilliciles à bien interpréter. — L'action croisée du cerveau était démontrée par les plaies de la tète, elle aurait i)u l'être encore par le tournis du moulon, avant que les vivisections l'eussent prouvée. L'insensibilité de la substance des hémisphères, celle des os, des tendons, des cartilages, était connue par les ampu- tations avant les nombreuses recherches de Haller et de son école. On connaissait le rhythme des battements du cœur, ou à peu près, par des accidents qui avaient mis cet organe à découvert, et par des vices de conformation dans les(iuels il se trouvait en dehors du thorax, avant qu'on eût mutilé, dans ce but, des animaux vivants, etc. Certains troubles, certains effets morbides avaient fait sou|)çonner plusieurs particularités qui, à la rigueur, auraient i)U se passer de confirmation: les paralysies du sentiment, distinctes de celles du mouvement, les paralysies locales, celles de plusieurs parties qui reçoivent des divisions d'un même nerf, mettaient sur la voie d'une distinction des nerfs sensit ifs et des nerfs moteurs, et Galien l'avait établie; mais il fallait encore que l'expérience vînt prouver péremptoirement que ces distinctions étaient fondées. Montrer les admirables découvertes que la science a faites et la précision qu'elle 38 INTRODUCTION. a acquise par le secours de rexpérimentation, c'est assez faire sentir l'immense utilité de celle-ci. Or est-il un seul point de physiologie sur lequel elle n'ait jeté quelque lumière? On pensait autrefois que Tencéphale était le siège de l'intellig-ence, de la mé- moire, de la volonté. C'était encore plus par instinct que par suite d'une sorte de démonstration donnée par des accidents ou des troubles morbides qu'on s'était formé cette croyance : il fallait en rester la. Mais l'art expérimental conduisit d'habiles physiologistes à prouver, de la manière la plus péremptoire, que cette croyance est fondée, que certaines parties (les hémisphères cérébraux) sont bien les organes des facultés instinctives et intellectuelles ; qu'une autre, le cervelet, est Torgane de la coordination des mouvements; que la moelle allongée est le principe des mouvements respiratoires, etc. On inclinait à croire, on croyait même, depuis les temps les plus reculés, que tous les nerfs n'avaient point des propriétés et un rôle identiques. Charles Bell vint et fit voir qu'il y a dans la moelle épinière deux parties distinctes, un cordon pour la sensibilité, un autre pour la motricité; dans le nerf deux espèces de fibres, les unes sensi- tives, les autres motrices On ne pouvait s'expliquer pourquoi certaines parties reçoivent plusieurs nerfs différents, et l'on vit, plus tard, que dans la langue, par exemple, l'un d'eux donne aux muscles leur faculté contractile, tandis que l'autre donne à la muqueuse la sensibilité générale ou la sensibilité gustative, etc. Les anciens avaient beaucoup disserté sur la question de savoir en quoi con- siste la digestion : les uns disaient, c'est une coction, d'autres une putréfaction, d'autres encore une macération: leurs hypothèses et leurs disputes ne pouvaient mener à rien. Je me trompe, elles engagèrent les esprits sérieux à reciiercher ce qu'il était impossible de deviner ; en un mot, elles provoquèrent d'ingénieuses tentatives. Réaumur et Spallanzani firent voir comment il y a trituration chez quelques animaux, et, chez tous, dissolution des aliments, à l'aide d'un suc sécrété par les parois de l'estomac ; ils fondèrent, par là, la théorie de la diges- tion, en ouvrant cette voie féconde et brillante où sont entrés, avec tant de succès, les physiologistes modernes. On ne savait, autrefois, en quoi consistait la respiration, et on le cherchait en vain, jusqu'au moment où Lavoisier établit qu'elle n'est autre chose qu'une véri- table combustion, une combinaison de l'oxygène de l'air avec certains principes du sang, d'où résultent la formation d'acide carbonique, de vapeur d'eau et lii production de la chaleur animale, etc. ; alors se trouva expliqué un des plus profonds mystères de l'organisme. Que savait-on sur la génération et le déveloiipemcnt du fœtus, avant les ex[)é- riences de Fabricius, de Harvey, de llallei-, de Spalliiuzaui? sur la reproduction des parties, avant Trembley, Réaumur, Bonnet; sur les propriétés des tissus et l'action musculaire, avant les travaux de l'écohî liallérienne; sur la rumination avant Flourens; sur le vomissement avant Bayle, Cliirac, Magendie? Ouelles notions précises possédait-on sur l'absorption, les diverses sécrétions, les actions Mutjitives, avant tous les ingénieux travaux de tant d'expérimentateurs? En voilà assez pour prouver que les expériences constituent le moyen le jilus précieux qu'on [juisse appli(pi('r à l'étude des phénomènes de l'organisme. DE l'expérimentation. 39 Mais Comment [aiil-il ('m|>loyer ce moyen puissant d'investigation, dans quelles circonstances, avec quelles précautions, chez quels animaux? Ou, en d'autres termes, quels doivent être les principes et les règles de l'art expérimental? Ques- tions épineuses, s'il en fut, quoique résolues, en partie inij)licitement, par les grands travaux de la science moderne. De même, disait un de nos maîtres, « qu'on a fait des vers, bâti des palais, construit des macliines avant de connaître les règles de la poésie, les principes de l'architecture, les lois de la mécanique, » de même aussi, on a fait des expé- riences avant de se demander suivant quelles règles elles devaient être conçues et exécutées. Le génie du poète, du mécanicien, du physiologiste, trouvait sponta- nément ces principes, ces règles, et agissait en conséquence. Plus tard, on essaya de les formuler, alin que les résultats heureux d'une foule de tentatives, de combinaisons préméditées ou dues au hasard servissent de guide et d'enseigne- ment dans l'avenir. Mais, tous les arts ne reposent pas sur des principes également faciles à établir et à comprendre. Celui de l'expérimentation est un de ceux qui offrent le plus de diflicultés sous ce rapport, [»arce qu'il s'applique h l'étude des phénomènes les plus complexes de la nature. C'est un art diflicile dans la conception, l'institution des expériences et dans leur exécution ; c(,'tte dernière suppose des connaissances anatomiques exactes et l'habitude des manipulations. C'est un art délicat : pour bien faire une expérience, il faut trouver le moyen qui mette le mieux en évidence et qui permette d'analy- ser avec la plus grande exactitude les fonctions que l'on étudie, tout en éloignant aussi peu que possible les animaux de leurs conditions normales, alin de saisir la véritable physionomie de ces fonctions, de démêler, dans les résultats, ce qui tient à l'essence (hr phénomène observé de ce qui provient des perturbations provoquées par les vivisections. Ce partage, cette distinction, exige plus de tact qu'on ne pense et plus d'attention qu'on n'en met ordinairement à de simples observations; enfin c'est un art qui n'a pas de limites, car qui oserait dire où s'arrêteront les tentatives qui peuvent être faites, les moyens divers susceptibles d'être employés dans le but de découvrir le mécanisme des actions vitales? Bacon qui a essayé de tracer les règles de l'expérimentation en général, veut que les expériences soient variées, souvent répétées, opposées les unes aux autres et linalement réunies ; il veut aussi qu'on les éfiuise et que quelquefois on les fasse au hasard ; car, pour lui, l'expérimentateur est une sorte de chasseur, sui- vant la nature à la piste, et dont les courses inutiles peuvent être compensées par des découvertes inattendues. Ces préceptes sont judicieux, mais vagues. Il faut des indications plus précises sur les moyens d'expérimentation et sur leur mode d'emploi. La perfection des moyens d'expérimentation et des expériences elles-mêmes est un but vers lecpiel doivent tendre constamment les eflorts des physiologistes. Dans les sciences physiques et chimiques, les expériences se font avec une rigou- reuse précision. S'il s'agit d'étudier la chute des corps, leur dilatation par le calorique, l'écoulement des liquides, la tension des gaz et des vapeurs, la pres- sion de l'air, les elïets de Télectricité, on y arrive avec une grande précision à 40 INTRODUCTION. l'aide do procédé? ï^iiiiplos, d'appareils particidiers. De même, quand il faut ana- lyser une substance, produii'e des combinaisons, isoler les corps simples des com- posés qu'ils concourent à former, on a un certain nombre de procédés exactement déterminés qui conduisent sûrement au but. Il n'en est point ainsi en pliysiologie. Pour étudier un pbénomène, on ne peut pas l'isoler complètement de ceux avec lesquels il a des rapports intimes, et ils sont tous tellement liés les uns aux autres, que l'un d'eux ne peut être modilié sans que les autres ne le soient aussi plus ou moins. Dès l'instant qu'une fonc- tion est mise en dehors de ses conditions normales, elle change de caractère, et dès qu'elle cesse de s'exécuter, toutes les autres, si elle est un peu importante, éprouvent des perturbations plus ou moms profondes, et même se suspendent. La possibilité d'isoler les phénomènes physiques et chimiques, et l'impossibilité d'arriver à ce résultat, en ce qui concerne ceux de l'ordre physiologique, éta- blissent une différence capitale entre le mode d'expérimentation qui s'applique aux premiers et celui qui convient aux seconds. La différence est si grande que l'on ne voit pas ce qu'il peut y avoir de commun entre les deux modes : il est donc superflu, i)our nous, de chercher à imiter des procédés inapplicables aux recherches physiologiques. En physiologie, le grand principe, dans le choix des procédés, est qu'ils soient si bien appropriés à leur objet, que les résultats de l'expérience portent en eux- mêmes leur interprétation et ne supportent pas la controverse. Ainsi, on fait la section des hypoglosses, et la langue est immédiatement paralysée, tout en con- servant la sensibilité et la faculté d'être impressionnée par les saveurs ; donc ces nerfs président aux mouvements de la langue. On enlève les hémisphères céré- braux, et aussitôt l'animal ne voit plus, n'entend plus, perd son intelligence, sa volonté, etc. : est-il possible de douter que les hémisphères soient les organes de l'intelligence, de la perception et des sensations? On fait une large ouverture au premier' estomac des ruminants, et quand l'animal vient à manger, on sent les aliments qui arrivent soit dans la panse, soit dans le réseau. Reste-t-il alors quekiue incertitude sur le lieu où se rendent les aliments lors de la première déglutition? Or, n'est-il pas évident que la section des nerfs, que l'ablation des hémisphères cérébraux, que les fistules gasti'iques, sont bien les moyens qui con- duisent sûrement et sans contestation au but à atteindre? Une expérience ne sera donc bien faite et portée à la perfection qu'autant qu'elle donnera un résultat évident, parfaitement saisissable ; qu'en un mot, elle pai'lera d'elle-même, pour me servir de l'expression d'un savant physiologiste. Poui" cela bien des choses sont déjà faites; mais sur plusieurs points, le code de l'expéri- mentation a besoin d'être complété. Certaines expériences sont complexes de leur nature, lorsqu'elles s'appliquent à des fonctions importantes dont les perturbations réagissent sur presque toute l'économie. Portez l'instrument sur le cerveau, sur le cnnir, et aussitôt surviennent des troubles généraux très graves desquels il faut dégager ce qui tient au résul- tat direct, immédiat de l'expérience. 11 est des organes tellement délicats que les plus légères ofiérations pervertissent leur action et en changent les caractères; faites la moindre lésion à l'estomac ou à l'intestin, aussitôt la digestion est sus- DR l'expérimentation. 'il pendue, et les sécrétions de ces viscères sont ralenties, supprimées on per\erties. Que les expériences soient simples ou (■om|tli(jnres, il est nécessaire, pour qu'elles portent toute leur signification et puissent s'appliquer, soit à l'homme, soit aux animaux supérieurs, que les sujets en soient bien choisis, qu'elles soient modifiées, variées, répétées sur un prrand nombre, avant qu'on cherche à en géné- raliser les résultais. Premièrement, il faut choisir les sujets. Ce point est d'une importance capi- tale qui ne paraît pas avoir été sentie de tous ceux qui s'occupent de vivisec- tions : il n'est pas inutile de s'y arrêter un instant. Tout d'abord il convient d'établir une distinction entre les expériences dont on ne veut pas tirer d'inductions générales, et celles qui sont tentées dans le but de donner des ajjplicalions immédiates à lu physiologie de l'honune ou des animaux supérieurs. Ainsi, veut-on étudier la génération, la resjiiration des poissons, des reptiles, il suffit de prendre, parmi eux, les types les plus ordinaires. Mais veut- on, au contraire, étudier les mêmes fonctions relativement à l'homme ou aux espèces domestiques, il faut recourir non |tlus à des sujets ovipares à sang froid et à respiration aquatique ou incomplète, mais à des vivipares, à des animaux à respiration pulmonaire : cela est de toute évidence. Cependant, on nous donne à tout instant, dans les livres, une expérience faite sur la grenouille, la salamandre, la tortue, comme si elle l'avait été sur le chien ou le cheval. 11 est vrai que cer- taines propriétés ou certaines fonctions peuvent être examinées presque indiffé- remment sur un grand nombre, telles (|ue la sensibilité, la contraction muscu- laire et quelques autres. Mais la plupart n'étant pas dans ce cas, il est essentiel de chercher les animaux qui permettent d'en faire l'analyse la plus complète. Ainsi, supposons (|ue je veuille étudier la sécrétion biliaire. Prendrai-je indif- féremment le cheval, le bœuf, le chien, le lapin ou le cochon d'Inde? Si je prends le cheval, je serai forcé d'ouvrir largemen,t l'abdomen, d'effectuer des délabre- ments considérables, pour mettre à découvert le canal hépatique situé profondé- ment et pour y fixer un appareil propre à recueillir la bile. Bientôt après, il se développera une violente péritonite, et la mort surviendra au bout de vingt-quatre à quarante-huit heures ; les résultats obtenus seront gravement modifiés par l'opé- ration, et l'expérience ne sera pas suivie; mon but ne sera pas atteint. Je cher- cherai donc un animal dans de meilleures conditions : le chien et le porc, par exemple. Avec ceux-ci. il me suffira d'une petite incision aux parois abdominales pour arriver sur le conduit biliaire ; le sujet sera peu malade, il poui'ra survivre et même guérir. Le lapin et le cochon d'Inde ne me permettraient pas, en raison de leur petite taille, d'appliquer les appareils nécessaires. De même, si je veux étudier la sécrétion pancréati(pie. Il me faut encore choi- sir mes sujets, car ils ne peuvent point, à beaucoup près, me convenir tous au même degré. CJiez les uns, le i)ancréas est très profondément silué et son canal peu accessible ; chez les autres, l'oi'gane est placé de manière à pouvoir être saisi, du [iremier coup, sans délabrements et à travers une toute petite plaie. Ces der- niers animaux mangent immédiatement après l'opération, contiinu'ut à bien digérer, n'ont point de péritonite," l'appareil adapté au canal tombe après huit à dix jours, et la guérison est bientôt complète. Je prendrai d )nc le ruminant (pii 42 INTRODUCTION. jouit de cel heureux privilège, le ruminant de grande taille, afin de mieux appré- cier tous les caractères de la sécrétion et de bien saisir les plus légères variations qu'elle est susceptible d'éprouver. Dois-je examiner l'action combinée de la bile et du fluide pancréatique? Je n'irai point recueillir Tune et l'autre isolément pour les mêler ensuite dans des proportions que j'ignore; mais je cliercberai un animal où les deux fluides se mêlent avant d'arriver dans l'intestin, je placerai une sonde dans le canal com- mun qui les charrie, et j'obtiendrai le mélange, opéré par la nature elle-même, dans les proportions qu'elle a déterminées. C'est le bélier qui me conviendra dans cette circonstance. , S'agit-il d'expérimenter sur la sécrétion de la salive? Je ne prendrai ni le chien, ni les autres animaux carnassiers ; ils sont de trop petite taille, leurs glandes salivaires sont peu développées ; les canaux de celles-ci sont si ténus qu'on peut à peine y fixer les tubes les plus fins, et ces tubes sont bien vite obstrués. Et puis ces animaux mangent très vite, salivent peu ; ils ne conviennent nulle- ment à l'étude minutieuse de la fonction. J'aurai donc recours à des espèces de grande taille, comme le bœuf et le cheval, dont les glandes énormes, la mastica- tion lente et régulière, me permettront, à l'aide d'appareils fort simples, de recueillir de grandes quantités de salive et de déterminer avec exactitude toutes les particularités de la sécrétion. Ce que je fais pour la salive, la bile, le fluide pancréatique, il faut queje le fasse aussi pour le suc gastrique et le suc intestinal, etc. Il y a donc, lorsqu'on veut analyser complètement une fonction, l'envisager sous tous les aspects, la suivre dans tous ses détails, nécessité de bien choisir ses animaux, puisque tel convient à une série de recherches auxquelles tel autre ne peut s'appliquer. J'ai peine à comprendre la routine de certains expérimentateurs dont l'un n'a de victimes que le chien, l'autre que le lapin ou le cochon d'Inde. En second lieu, il y a nécessité non moins grande, lorsqu'on veut généraliser les résultats, de faire les mêmes expériences sur un grand nombre d'espèces dif- férentes et aussi éloignées que possible les unes des autres. C'est encore là un point essentiel qui mérite, à un haut degré, de fixer notre attention. S'agit-il de déterminer les phénomènes de la digestion ? On conçoit qu'il ne sera pas indifférent de s'arrêter à un carnassier, à un herbivore ou à un omnivore, à un animal qui rumine ou à un antre qui ne rumine point; on conçoit de même qu'il ne le sera pas de prendre un mammifère, un oiseau, ou un reptile. L'un d'eux, quel qu'il soit, ne peut à lui seul donner les éléments de la généralisation; il les faut tous. Ce n'est qu'après avoir examiné la fonction dans ces difl'érents types que l'on appréciera bien ses caractères et que l'on distinguera ses phéno- mènes communs de ceux qui sont accessoires et variables à l'infini. En adoptant la marclu! contraire, on arrivera à des données vraies, exactes dans l'espèce, mais n'expi'imant pas ce qui se passe dans toutes les circonstaïu^es. Réaumur, avec ses gallinacés, n'étudie qu'une forme de la digestion ; il voit un gésier musculeux aplatir des tubes, broyer des sul)staiu;es très dures, et il en conclut que le phéno- mène essentiel de la l'onction est une trituration. Cm n'est (ju'en arrivant à se ser- vit-d'un oiseau de proie qu'il voit 1(!S aliments se digéi'ci' sans bi'oiement préa- DR l'expérimentation. 43 lable et par l'unique intervention du suc gastrique : alors sa th«îorie se modifie, et il est forcé de considérer la dissolution comme suffisant à la digestion chez les animaux à estomac membraneux. Spallanzani, en prenant plus tard des types plus variés, montre clairement que la trituration n'est (ju'un accessoire et que la dissolution des aliments dans le suc gastrique est la forme générale de la fonc- tion dans tous les animaux. Y a-t-il à étudier l'absorption dans l'estomac, par exemple? On n'y parviendra qu'en |)renant plusieurs types différents. Expérimenterait-on sur tous les carnas- siers du monde, (|ue la question ne serait point éclaircie ; car tous ces mammi- fères ont l'estomac construit d'après le même principe, tandis que les solipèdes, les ruminants et d'autres, l'ont organisé sur un autre plan et en vue d'une destination d'un antre genre : d'où résultent pour les premiers des conditions qui facilitent l'absorjjtion, et pour les seconds des conditions (|ui y mettent obs- tacle. Mais on n'a pas songé à tout cela. Certains physiologistes, qui avaient vu l'absorption s'oj)érer après lasection des nerfs vagues, soutenaient contre d'autres, qui ne l'avaient pas vu s'eflectuer dans cette circonstance, que cette action était indépendante de Tinlluence nerveuse. La dispute durait depuis un quart de siècle, lorsqu'il fut démontré que la cause de la dissidence tenait à ce que les premiers avaient expérimenté sur le cliien dont l'estomac absorbe, et les seconds sur le cheval dont l'estomac n'absorbe point sensiblement à l'état normal. Faut-il rechercher les caractères d'une sécrétion, comme celle de la salive? Ici, encore, il est indispensable d'opérer sur plusieurs catégories d'animaux, car on se tromperait grossièrement si l'on croyait pouvoir appliquer à l'homme ce qui se passe chez le bœuf, même au cheval ce qui se passe chez ce dernier. En effet, la fonction des glandes salivaires a, dans les ruminants, une physionomie et des caractères tout différents de ceux qu'elle a dans les solipèdes, et ceux qu'elle a dans les herbivores, elle ne les possède plus dans les carnassiers. Il est donc nécessaire d'expérimenter sur différents types zoologiques pour arri- ver à des généralisations fondées, préciser les caractères constants et invariables d'une fonction, ainsi que ses caractères mobiles et accessoires. C'est parce qu'on méconnaît cette nécessité qu'il s'élève des disputes éternelles, des contestations sans fin entre les physiologistes sur la plupart des questions. Il n'en sera jamais autrement tant qu'on persévérera dans une voie si vicieuse, car on ne voit pas comment on peut tirer des déductions identiques d'un premier résultat obtenu sur le cheval, d'un second sur le chien, d'un troisième sur la grenouille, etc., alors que ces résultats sont essentiellement dissemblables. Si, au contraire, on commence par bien déterminer ce qu'une fonction a de fixe et d'invariable, on verra que cela seul peut servir de base à une généralisation ; le reste sera laissé de côté. Il est des fonctions qui semblent faire exception à la règle précédente, du moins dans certaines limites ; ce sont celles qui ne se modifient pas d'une espèce à une autre espèce, d'un genre, d'un ordre, à un autre genre ou càun autre ordre, ni même très sensiblement d'une classe à une classe voisine: les fonctions des centres nerveux par exemple. En effet, qu'importe, pour trouver le rôle des hémi- sphères cérébraux, du cervelet ou de la moelle allongée, de prendre un carnas- 44 INTRODUCTION. sier, un solipède, un ruminant, ou un rongeur? Mais quand il s'agit de la diges- tion, de diverses sécrétions, il en est autrement. Ce n'est pas tout, pour l'expérimentateur, que d'avoir bien choisi les animaux qui lui permettent le mieux d'étudier une fonction, et de s'être astreint à faire ses tentatives sur beaucoup de types variés, afin de distinguer les traits communs de cette fonction de ses traits particuliers dont les variantes sont si nombreuses. Il n'a, après cela, accompli qu'une partie de sa tâche ; il lui reste à répéter, à modifier, à varier ses expériences un assez grand nombre de fois, afin de s'assurer de l'invariabilité des résultats qu'il a obtenus. Ce nouveau précepte est encore d'une grande importance. Souvent la même expérience répétée vingt fois donne vingt résultats dissemblables, bien qu'on se soit placé dans des conditions en apparence identiques. L'âge des animaux, leur taille, leur constitution, leur force ou leur débilité, les complications qui sur- viennent, les accidents de l'opération, mille causes imprévues produisent ces variations qu'il faut distinguer de ce qui, dans les phénomènes, se reproduit tou- jours de la même manière. Il peut encore arriver que la même expérience donne des résultats contradictoires. En négligeant de répéter plusieurs fois les expé- riences, on s'expose à prendre l'exception pour la règle, l'accident pour le fait constant, l'accessoii'e pour le fait principal. Malheureusement c'est ce qui arrive trop souvent. Voilà pourquoi, à tout instant, on oppose un résultat à un autre résultat contradictoire. Lequel des deux est le vrai? Il faut tout recommencer pour le savoir, et quand on le sait, l'opposition subsiste encore. Les esprits qui aiment la controverse s'en servent pour embrouiller les choses les plus claires. Ce n'est pas tout encore. Le physiologiste qui a été habile, consciencieux, exact, a contracté implicitement envers les autres l'obligation de simplifier, de perfectionner ses procédés, afin que les résultats dont il a doté la science puis- sent être reproduits facilement. S'il n'a pas le mérite de donner le moyen d'atteindre ce but, le premier qui essayera de répéter ses tentatives ne réussira probablement pas, et dès lors surgiront de fâcheuses contestations. Indépendamment des expériences sur les animaux vivants, il en estqui peuvent être faites sur le cadavre, ou tout à fait en dehors de l'animal. Les expériences sur le cadavre sont peu nombreuses, et la plupart d'assez mince valeur. Détermi- ner les phénomènes de l'endosmose et de l'exosmose, le caractère des mouvements péristaltiques de l'intestin, le mode d'extinction de l'irritabilité musculaire, lede- gréde résistance du cardia, les propriétés physiques et chimiques des tissus, etc., tel est à peu près le rôle assez réduit du cadavre au point de vue expérimental. Celles qui sont faites en dehors de l'être vivant ou mort sont aussi en très petit nombre; mais jdusicurs tentatives très remar(|uahles montrent qu'elles peuvent avoir leur utilité. Elles s'appliquent surtout à la recherche de l'action de certains liquides, la salive, la bile, le suc gastrique. Les digestions et les fécondations artificielles de Spallanzani sont des modèles en ce genre. Quant aux avantages (pu; la physiologie |)eut retirer de l'expérimentation, ils sont, et d('[(uis longtemps, tr(jp bien sentis pour (pi'il soit né(;essaire d'insister sur leur démonstration. Du reste, après les belles découvertes de llarvey, de Haller, de Bichat, de Legallois, Cli. Bell, Flourens, Magendie, qui oserait faire DE l'expérimentation. 45 l'c'logc (les expériences ou seulement croire qu'elles en ont i)esoin ? Toiitet'ois il ne faut pas s'en exagérer l'importance et s'imaginer que l'expérimentation peut, à elle seule,, réaliser toutes les conquêtes futures de la physiologie. Sans doute elle a d'abord l'immense avantage de tenir lieu de l'observation et de reproduire aussi souvent qu'on le veut, dans des conditions déterminées et suivant l'ordre qui j)araît le plus favorable, les lihénomènes qu'on a rarement ou difficilement l'occasion d'étudier. Le physiologiste attendrait trop longtemps les plaies de la tète, les dénudations du cerveau pour constater les mouvements de l'encéphale, l'insensibilité des hémisphères, leur action croisée. Il lui serait rare- ment donné d'avoir sous les yeux une fistule gastrique comme celle du Canadien, pour suivre les phénomènes de la digestion stomacale, des lislules salivaires, des atrophies du [)ancréas pour se fixer sur les raniclères de la salive ou sur les effets de l'absence du fluide pancréatique. 11 courrait le ris(iue de ne jamais rencontrer la carie du sternum, rpii permit à Ilarvey d'étudier les mouvements du cœur sur l'homme, ni les ecto[iies qui ont donné à d'autres les moyens de se fixer sur le rhythme des contractions de cet organe. Aussi, pour jouir du bénéfice de ces rares occasions, sur lesquelles il ne peut guère compter, il les fait surgir artifi- ciellement, à son heure, à sa manière, et il les reproduit autant de fois qu'il le juge nécessaire pour bien se fixer sur les phénomènes qu'il se propose d'étudier. En cela, il ne fait qu'obtenir de son art ce que le hasard pourrait lui offrir ; il détermine, en un mot, les accidents nécessaires à ses observations: la réalisation de ces accidents est le fait de l'expérience, le reste rentre dans le domaine de l'observation ordinaire. Evidemment aussi, l'expérimentation va plus loin que l'observation, tout en allant i)lus vite, car elle permet au physiologiste de pousser l'étude, l'analyse des phénomènes jusqu'à des limites inaccessibles à la simple contemplation, comme quand il s'agit de préciser le rôle de chaque partie de l'encéphale, les propriétés de chaque nerf; mais ses conquêtes finissent dès qu'elle a montré ce qui se déro- bait au sim[tle regard de l'observateur L'expérimentation conquérante de la nature pourrait, d'après Cl. Bernard', as[nrer à une série indéfinie de découvertes. 11 en serait ainsi si les effets résul- tant des troubles variés, des i)eiturbations sans nondjre qu'elle fait naître dans les actions de l'organisme étaient de véritables découvertes. Mais l'expérimenta- teur qui met l'organisme dans des conditions anormales, insolites, imaginées par lui et variées à l'infini, obtient fatalement les réactions bizarres d'une machine dont les rouages sont détraqués, gênés dans leur jeu, sollicités à agir autrement (ju'à l'état normal ; il crée une tératologie [)hysiologi(pie. A force de mutiler l'en- céphale, de taillader la moelle épinière, d'irriter les nerfs à l'un et à l'autre bout, à l'aide de tous les genres de stimulants, d'y faire passer des courants électriques dans tous les sens, d'arroserles tissus de réactifsot de poisons, on provoque des ma- nifestations confuses, à signification équivo(pie, qui rendent fort difficile l'inter- prétation des phénomènes normaux, on end^rouille la science et on jette, comme l'a dit Cuvicr, de la confusion sur une foule de points. Les belles lois de l'orga- 1. Cl. Bernard, Rapport sur les progrés et la marche de la physiologie générale en France. Paris. 1867, 46 INTRODUCTION. nisme, les harmonies fonctionnelles, les procédés merveilleux dont la vie se sert, ne sortiront pas plus des investigations qui bouleversent tous ses actes, que les lois de la chimie ne sont sorties des opérations incohérentes des alchi- mistes. Je n'ai certainement pas la pensée de faire ici la guerre à l'expérimentation que je regarde, avec Legallois, comme l'un des plus grands flambeaux de la phy- siologie, j'en voudrais seulement réfréner les abus et montrer ce qu'il y a d'outré dans les prétentions de ceux qui croient tout découvrir par son secours. Il est hors de doute que les expériences avec vivisections graves et compliquées peuvent étrangement fourvoyer les physiologistes qui procèdent sans circon- spection et qui n'ont pas assez de pénétration d'esprit pour démêler les résultats des troubles d'avec les véritables manifestations fonctionnelles, c'est-à-dire pour dégager de ce qu'ils observent, la véritable signification des phénomènes. L'expérimentation physiologique, quand elle peut se passer des vivisections, devient infiniment précieuse, car ses résultats sont immédiatement concluants, sans qu'on ait rien à en défalquer. Ainsi les expériences sur la digestion, sur l'abstinence, sur la quantité de carbone bridé dans la respiration, sur la transpi- ration, l'influence des enduits imperméables appliqués à l'extérieur du corps, les recherches sur le vomissement, sur le mérycisme, sur les fécondations artificielles sont de ce nombre. Celles que l'expérimentateur peut faire sur lui-même sont pré- cieuses entre toutes, telles les expériences de Sanctorius dans sa balance, de Do- dart jeûnant pendant le carême, de Spallanzani avalant de petits tubes pleins d'ali- ments,de S tark bravant la mort pour juger des effets d'une alimentation insuffisante. Les expériences peu douloureuses ou celles qui obligent seulement à sacrifier les animaux pour la constatation des résultats obtenus, peuvent encore compter parmi celles qui doivent inspirer une grande confiance au physiologiste. Mais, après celles-là, il est obligé de recourir aux expérimentations sanglantes, comme lorsqu'il veut déterminer le rôle des différentes parties de l'encéphale, des cordons de la moelle épinière, des ganglions du sympathique, les mouvements du cœur, la sensibilité des tissus, les elléls de l'ablation delà rate, etc. Son devoir est alors de simplifier autant que possible, d'abréger les soulfrances de ses vic- times, tant par humanité que pour l'endre les résultats des vivisections aussi nets qu'ils peuvent l'être. Il ne doit i)as reculer devant de telles expériences dès qu'elles lui paraissent utiles à la science et capables de conduire à des applications à la médecine. Le savant a des droits sur lu brute, quand il s'agit de faire des décou- vertes [irofitables à Ihumanité, et il n'en a jamais abusé. Rien ne prouve qu'Hé - rophile ait disséqué vivants les criminels que lui abandonnaient les rois d'Egypte, ni que Galien ait expérimenté sur les gladiateurs blessés, dont il pansait les plaies dans le cirque. Les vivisections n'excluent point chez ceux qui les exécutent la sensibilité, ni la comjiassion pour les animaux. C'est toujours à regret que le physiologiste inflige des soulfrances à ses victimes. Le noble but qu'il poursuit le justifie suffisamment. Il n'a point à s'inquiéter de la guerre que lui déclarent aujourd'liui ceux (jui se [tarent d'une; sensibilité alléctée et |)araissent plus pré- occupés du sort de la brute fpu; de celui des êtres de leur espèce. (Juoi! il ne lui serait pas permis, au fond de son laboratoire, de chercher les secrets de la vie, DE LA SYSTEMATISATION. 4/ au prix de quelques douleurs imposées aux animaux, pendant (pie le eliasseui- extermine, |)onr se distraire, ou pour se repaître de leurs déi)onilles les liùtes de nos forêts et de nos champs, et que pour ramusement des princes on immole en une journée plus de bètes inoffensives (pi'il n'en sacriliera à la science dans toute son existence ! (Ju'au lieu de mettn! des eniravesaux utiles reclierclies de l'expé- rimentateur, on déclare la guerre à des cruautés honteuses pour l'humanité, à l'habitude de mutiler certains palmipèdes, aux combats de coqs et de taureaux, qu'on s'ingénue moins à perfectionner les engins de destruction : que l'honnne entin soit un peu moins loup pour l'homme. Il sera ainsi plus recevablc à s'api- toyer sur le sort des victimes immolées aux progrès de la physiologie. V. — De la. NystéiiiatlMsitioii. Lorsque le [thysiologiste est arrivé par la voie t\r, l'observation et des expé- riences à rassembler les matériaux précieux et indestructibles qu'on appelle les faits, il n'a rempli qu'une [lartie de sa tâche. Ces faits qui serviront de base à la science doivent ètic inteiprétés, comparés et classés. Il faut en trouver le sens, en mesurer la portée, en rechercher les causes, les rapports et les lois. C'est par le raisonnement, l'induction, la déduction et le calcul qu'on arrive à constituer ainsi la ])artie syntiiétique et dogmalirpie de la science. Il est évident, à première vue, (pie les seules données de l'observation et des expériences ne sufdsent })as à constituer la physiologie. Il n'est aucune science sans partie dogmatique. Celle de la vie n'en serait pas une, si elle ne possédait que des faits : elle serait un amas de matériaux et non un édifice. Aussi, jamais |)ersonne n'a voulu s'en tenir à la simple constatation des phénomènes. Les hommes qui ont montré le plus d'aversion pour les explications et les théories ont été obligés, dans une certaine mesure, de procéder comme on le fait dans toutes les autres sciences. Le raisonnement est donc indispensable au physiologiste pour déterminer la valeur des résultats bruts de l'observation et des expériences, pour tirer les déduc- tions qui en ressortent, remonter des efTets aux causes immédiates, de celles-ci aux causes éloignées, rechercher le but, la finalité des actes qu'on analyse, enfin pour lier entre elles les notions éparses et en faire un corps de doctrine. Sans son secours, les découvertes les plus précieuses semblent n'avoir ni sens, ni por- tée, ni application à l'art de guérir. Le l'ùle du raisoiniement n'est point de conduire à la connaissance des phéno- mènes ou à la constatation des faits, car suivant la remarque de Locke, il n'est pas au pouvoirde l'esprit humain (rac(piérir la notion des i)hénomènes parla théo- rie dépourvue du secours de rex[)érieiu'e. Ce r^'ile est tout entier d'interprétation. La logique, avec ses syllogismes et tous ses autres moyens, sert plutôt, comme l'a dit Descartes, à expliquer (pi'à trouver et à apprendre. C'est donc à la suite des deux grands tuoyens précédeninu'nt étudiés (pie celui-ci doit j)rendre place. Le physiologiste ne pouvant avoir aucutie connaissance intuitive des phéno^ mènes qui s'accomplissent dans l'ètro vivant fait fausse route dès qu'il essaye de raisonner à priori. Bien avant Bacon et Leibnitz, les anciennes écoles de philo- 48 INTRODUCTION. Sophie avaient posé en principe que tout raisonnement doit dériver de choses déjà connues et acceptées. Galien, l'un de nos premiers maîtres, s'était atta- ché à mettre en pratique cette règle que l'empirisme antique avait déjà suivie instinctivement, car c'était toujours d'après des faits d'observation qu'il jugeait, de la gravité et des suites de faits semblables ; aussi les formules aphoristiques d'Hippocrate vues de près, ne semblent que des déductions tirées de faits plus ou moins bien connus. Malheureusement on n'a pas toujours suivi le sage précepte d'attendre la con- statation des phénomènes pour raisonner et expliquer. L'esprit humain, impatient en toute chose, a mieux aimé s'aventurer que de suivre les voies lentes et pénibles de l'observation. Le raisonnement a pris souvent les devants, et comme l'imagi- nation n'a pas de frein, on a voulu tout embrasser, sans réussir à rien saisir. On a fait un roman de choses vraisemblables ou possibles, mais en dehors de la réa- lité. Le raisonnement à priori, s'il peut mener à la découverte des vérités de l'ordre métaphysique, n'en découvre ou, au moins, n'en établit aucune dans le domaine des sciences naturelles et physiologiques ; il est impuissant, comme l'a si bien dit Leibnitz, à rien fonder et à donner par lui-même la moindre certi- tude. Aussi les plus habiles logiciens n'ont-ils pu faire, par son secours seul, la plus petite découverte. Descartes lui-même, en appliquant aux études physiolo- giques son admirable méthode, n'en a fait sortir que des conceptions sans réa- lité, quoique parfaitement intelligibles. Bien que le raisonnement à priori n'emporte aucune certitude, il peut quel- quefois arriver à des combinaisons justes. Comme il se base toujours sur quel- ques faits, ses présomptions, ses conjectures, ses probabilités sont, dans un cer- tain nombre de cas, ainsi que les pronostics en météorologie, confirmés par les événements, mais ils ne le sont ordinairement que par le fait de coïncidences for- tuites. Cette sorte de raisonnement qui plait tant aux esprits incapables de se plier aux exigences pénibles des éludes d'observation n'est pas absolument à dédai- gner. Pris pour ce qu'il peut valoir, et à titre provisoire, il est susceptible de rendre quelques services. Les hommes qui ont, avec de profondes connaissances, l'habitude des recherches scientifiques, et la vue pénétrante, acquièrent insensi- blement une sorte de prescience de ce qui est encore inconnu ; leurs conjectures se trouvent parfois d'une remarquable justesse. Ils montrent ainsi le but et ouvrent, pour y arriver, des chemins qui évitent les tâtonnements etlcs longs détours. Les recherches |)rovoquées par leurs conjectures conduisent quelquefois à des décou- vertes. Mais il ne faudrait pas s'abuser sur l'importance de ces résultats heureux et ne donnera l'expérimentation qu'un rôle secondaire, comme le voudraient certains savants, celui de vérifier la valeui- des conjectures et des prévisions fondées sur le raisonnemçMit. L'expériuu'ntatiun perdrait de sa dignité à se mettre au service de l'hypothèse ; elle a plus à gagner en conservant son caractère d'instrument de conquèt(î qu'à devenir un simple moyen de contrôle. C'est une fort mauvaise méthode que celle de ne recourir à l'observation et aux expériences que pour vérifier les théories que r('s|)rit a édifiées par anticipation ; cai', en procédant DE LA SYSTÉMATISATION. 49 de la sorte on est tenté de poursuivre sculeriient les l'echerches qui peuvent condrmer nos vues, et d'écarter les résultats qui les contrarient. La tentation est si forte, si séduisante, que beaucoup ne savent s'en défendre, aussi a-t-elle eu et a-t-elle encore, comme nous le verrons plus tard, des conséquences déplo- rables. En laissant le raisonnenieiil relégué au second |)lan avec un rôle pure- ment explicatif, l'esprit se laisse mieux diriger par l'observation et par l'expé- rience; il ne songe point à changer la signification des résultats et il fait des théories non d'après des idées préconçues, mais d'après ce que les sens lui appren- nent. Ce ne sont point les théories qui le dirigent : illes édifie sur les enseigne- ments rigoureux tirés de l'étude attentive des phénomènes. Le raisonnement constitue un art [dus diflicile en physiologie que dans les sciences absiraites, à cause de la grande complexité des phénomènes qu'il s'agit d'interpréter, et de la difliculté de le contrôler à chaque pas, soit par des preuves directes, soit par des propositions déjà démontrées. Dès qu'il s'applique aux questions les plus simples en apparence, des difficultés surgissent de toutes parts et semblent se multiplier à mesure qu'on avance. Si, par exemple, il s'agit d'ex- pliquer l'influence des nerfs ganglionnaires, d'après la considération des effets de leur section, on est immédiatement embarrassé sur le point de départ à prendre et sur la voie à suivre. Il faut de la réflexion pour reconnaître, parmi les effets diversifiés de la section, l'effet ultime d'où l'on remonte à la cause par la série (les effets intermédiaires. On voit bien la température s'élever dans les parties où se rendent les filets, la transpiration devenir abondante dans les régions adja- centes, on voit les veines s'y dilater, les réseaux capillaires s'y injecter ; mais ce qu'on ne saisit pas aussi bien, du premier coup d'ceil, c'est l'enchaînement, la relation qui existe entre ces phénomènes ; ce qu'on devine moins aisément encore, c'est le rôle dont la suppression fait surgir ces phénomènes. Ce n'est qu'après une série de raisonnements qu'on est amené à voir dans l'élévation de la tempé- rature et dans la sueur le résultat d'un ai)ord plus considérable de sang; puis dans cet abord plus actif l'effet d'une dilatation outrée des vaisseaux ; dans celle- ci le résultat du relàcliement ou de la paralysie de leurs plans musculaires: enfin dans cette paralysie, efi'et inniiédiat de la section, la preuve que les filets sympa- thiques président à la contractilité des parois vasculaires. Il n'y a pas moins de difficulté à déduire des effets de l'ablation des ganglions, de l'excision de tel ou tel cordon de la moelle épinière, ou de la sui>pression d'une partie de l'encéphale, le rôle des parties enlevées, car dans tous ces cas, les effets des vivisections sont fort compliqués. L'expérimentation a changé les conditions de l'accomplissement des phénomènes ; elle a fait surgir des conditions nouvelles, troublé les harmo- nies fonctionnelles, interverti les rapports entre les actes qu'il s'agit d'analyser. Aussi, en présence des résultats les plus nets, est-on souvent embarrassé pour expliquer, et peut-on quelquefois donner des interprétations diverses entre les- quelles il est extrêmement diflicile de choisii'. Ce qui fait croître encore ces difficultés des explications et des raisonnements, c'est qu'il nous manque souvent une partie des faits sur lesquels on a besoin de s'étayer, ou que plusieurs de ceux que nous possédons sont incomiilètement ou inexactement connus. Il en résulte que les raisonnements les plus logiques en G. COLIN. — Pliysiol. comp. 3'' éilit. I — I oU I.MRODUCÏION. apparence tombent ultérieurement devant la découverte des laits qui nous man- quaient ou devant les lumières que nous apportent à tout instant la micrographie, la chimie organique. C'est ainsi que se sont évanouies les explications que l'on donnait autrefois de la respiration, de la chaleur animale, de la fécondation et des élaborations digestives. Il a suffi de découvrir le rôle de l'oxygène, de cons- tater les changements éprouvés par l'air inspiré, etc., pour arriver à l'explication vraie de phénomènes auparavant nécessairement mal interprétés. Pour aplanir, autant que possible, ces difficultés du raisonnement, il faut suivre strictement les règles de la logique, partir toujours de faits bien établis, complètement étudiés, de principes incontestables, démêler les faits, n'en tirer que les déductions les plus immédiates que l'on contrôle ensuite par tous les moyens dont l'esprit et les sens peuvent disposer. Quelque logiques et quelque bien fondés que paraissent nos raisonnements, il ne faut pas en faire un trop grand cas et y mettre une confiance absolue. Rien n'est fallacieux comme le raisonnement dans les sciences physiologiques. Pour peu que ses bases manquent de solidité, que quelques-uns des faits sur lesquels il s'appuie soient inexacts, que certaines déductions soient fausses, il mène à des conclusions erronées. Il a beau conserver toutes les apparences d'une logique irréprochable, être clair, intelligible et même séduisant, il nous trompe en mon- trant les phénomènes en dehors de la réalité. Il est une foule de causes qui peuvent fausser nos raisonnements et frapper d'in- suffisance nos explications ou nos théories. Nous avons rarement sous la main tous les éléments nécessaires à nos explications. Lorsque, par exemple, nous voulons nous rendre compte des actions nerveuses, de la contractilité musculaire, nous nous demandons s'il y a un fluide nerveux, et si ce fluide peut-être assimilé ou comparé au fluide électrique, comme autrefois on se demandait s'il y avait des esprits animaux et comment ils se mettaient en mouvement, ou de quelle manière ils provoquaient le jeu des organes. De même, quand nous voulons nous faire une idée du travail nutritif, notre esprit se demande quelles sont les forces qui pré- sident à la formation des tissus, à leur arrangement. Faute de données suffisantes, nos explications restent incomplètes, ou si, pour remplacer ces données, nous faisons intervenir des hypothèses, ces explications deviennent des fictions plus ou moins ingénieuses. Toutes les interprétations que l'on pouvait donner de la respiration avant les découvertes de Lavoisier, de la digestion avant la constata- tion de l'existence et des propriétés du suc gastrique et de celles des liquides intestinaux, de la fécondation avant que l'on connut les phénomènes de l'ovula- tion et les spermatozoïdes, étaient nécessairement illusoires. D'où il suit que toutes celles que nous essayons de donner maintenant en l'absence de bases suf- fisantes sont également frappées d'inanité. Les physiologistes sentent bien aujourd'hui (pi'il ne faut pas attaChei' trop dlm- portance à ce qu'on appelle les théories. Le sort qu'ont eu celles de leurs devanciers leur montre que les nôtres ne doivent pas trop compter sur une longue existence; Quelques-uns même prétendent qu'elles sont simplement provisoires, et vont jus- qu'à affirmer que, sur aucun point, nous ne pouvons nous flatter de trouver la vérité absolue et les vraies formules. Mais ils tombent, en cela, dans une confusion DE LA SYSTÉMATISATION. ol flagrante. Ils assimilant les vérités de l'ait données par l'observation et par les expériences, les réalités objectives avec les explications dont l'importance est secondaire. Les premières sont dès maintenant des conquêtes définitives et dura- bles : nos sens dont les illusions sont redressées nous l'anirment, et ils sont, comme l'a dit un philosophe illustre, les juges souverains de la certitude. Le physiologiste qui passe sa vie à poursuivre ces conquêtes peut être certain qu'elles seront im- périssables, et espérer même que les déductions immédiates tirées des faits cons- titueront aussi des explications durables. Il n'y aura d'éphémère, de transitoire, que ces vaines théories à l'aide desquelles on a la prétention de tout expliquer. L'histoire de la science est là pourattester l'inanité de ces explications incomplètes, de ces raisonnements mal fondés qu'on a. four à tour, acceptés sans trop de diffi- cultés. Plusieurs causes ont fait surgir ces fausses explications. La première est cette tendance de l'esprit humain qui le porte à vouloir allei* au fond des choses avant d'en connaître l'écorce, à chercher la raison, la cause première de phénomènes dont il ne connaît pas suffisamment les caractères, les conditions et les lois ; la seconde est l'habitude qu'on prend de recueillir des fait insuffisants, de vouloir concilier des faits contradictoires, et enfin de combler les lacunes qui se présentent à tout instant par des conjectures, par des hypothèses desquelles on tire des déduc- tions comme on en tirerait des faits les mieux établis. De là ces conceptions qui ont fait de la science de l'organisme un affreux dédale de rêveries, surtout en ce qui concerne les questions vraiment compliquées et ardues telles que les fonctions nerveuses, la contraction musculaire, les actes digestifs, le mécanisme des sécré- tions. De là viennent ces faux raisonnements, ces misérables sophismes qu'on a opposés aux découvertes les mieux démontrées, aux vérités les plus évidentes, ainsi qu'on en a un exemple mémorable dans l'opposition faite à la découverte de llarvey, par les partisans des vieilles doctrines de l'antiquité. Un n'est point, en ce siècle, guéri de ce travers par l'exemple du passé ; on abuse du raisonnement avec une assurance qui étonne les esprits sages. D'un fait, on tire souvent une déduction juste au delà de laquelle il ne faudrait pas aller ; puis, pour donner bonne opinion de l'étendue de son intelligence, on tire une seconde déduction de la première déjà hasardée, et de la seconde une troi- sième qui n'a plus de fondement et d'où l'on arrive insensiblement à toutes les faussetés imaginaltles : aussi d'un rien on fait sortir tout un s\stème. L'un, en considérant les phénomènes de l'ivresse trouve les éléments d'une nouvelle ana- lyse des facultés de l'entendement ; l'autre du rêve, du sommeil ou de l'anesthésie, déduit une nouvelle classification des opérations de rintelligenc(% une psycho- logie entière, ou bien arrive, par l'examen de la folie, à la matérialisation des facultés et à la négation de l'àme. Il est clair qu'en laissant trop de latitude à l'interprétation et au raisoimement, la science perd en précision, en positivisme et étend son terrain aux dépens du domaine des chimères. Rien, en effet, ne devient plus facile alors, car, comme l'a dit Bacon, la vérité est de toutes parts limitrophe de l'erreur, et l'on tombe fatalement dans celle-ci, pour peu (pi'on s'écarte de celle-là. Une fois l'impulsion donnée dans ce sens, chacun piend l'habitude de considérer les choses à sa ma- 52 INTRODUCTION. nière ; on linit par ne plus observer et expérimenter que pour ériger des systèmes, détendre ou combattre ceux des autres : on guerroie avec passion pour les doc- trines, au lieu de poursuivre patiemment la recherche de la vérité. Il faut donc se délier de ces raisonnements cà très longue portée, de ces raison- nements captieux à l'aide desquels on simagine expliquer les choses les plus complexes et les plus obscures. Rarement ils ont plu aux grands observateurs, aux esprits positifs occupés de l'étude des fiuts, de ranalyse rigoureuse des phénomènes. Harvey, Haller, Spallanzani, Cuvier, n'en faisaient pas grand cas; Magendie les avait en horreur. Ils ont encore des disciples qui ne veulent même accepter que les faits bruts, tant ils redoutent les écueils des explications et des généralisations. Lors donc qu'il s'agit de chercher la signification des faits, la raison, les causes, le but, la liaison des phénomènes il faut procéder avec une extrême circonspec- tion, suivant les règles de la logique la plus sévère, et contrôler à chaque pas les opérations de l'esprit, non seulement par elles-mêmes, mais surtout par les solides données de l'observation et des expériences, sur cette sorte d'échelle d'induction qui nous élève des faits à la découverte des lois et des vérités géné- rales. Il faut se tenir dans une perpétuelle déliance, ne passer d'un échelon à un autre qu'après s'être assuré de leur solidité et savoir s'arrêter à ces degrés où commence le vague, l'incertitude; en d'autres termes, il faut, suivant le précepte de Bichat, abandonner le raisonnement dès que les expériences propres à lui servir de base viennent à manquer. Il est d'une grande sagesse de savoir s'arrêter à temps sur le terrain mouvant des explications, en se rappelant qu'il est impossible de rendre raison de tous les phénomènes, quelque bien connus qu'ils puissent être. Une foule de points relatifs aux forces, à la causalité et à la finalité des phénomènes sont inaccessibles à notre esprit. D'ailleurs, des phénomènes simples qui sont souvent inexplicables, à un moment donné, à cause de l'imperfection de nos connaissances, deviennent plus tard très intelligibles par le fait de nouvelles découvertes. Les problèmes en apparence les plus insolubles, faute d'une donnée qui nous manque aujour- d'hui, recevront sans effort cette solution demain quand la donnée inconnue nous sera apportée par les études physiologiques, physiques ou chimiques. L'attente de ces données qui nous manquent encore ne doit pas cependant nous empêcher de conduire les explications jusqu'au point oîi elles peuvent aller actuellement. Les déductions forment toujours des séries ou des chaînes auxquelles on peut ajouter insensiblement des anneaux ; si les premiers sont solides et bien agencés, ceux qui s'y joignent ne les dérangent point. Du reste, dans les raisonnements compliqués il faut s'attacher à distinguer les nuances, donner seulement comme certain ce qui est d'une certitude l)i('n établie, comme conjectural, probable ou douteux, ce qui n'a que des fondements incertains ou équivoques. La physiologie étant, comme l'a dit de (^andolle, une science aussi complexe que l'économie politique, a besoin de données tirées d'une foule d'études; elle doit baser ses déductions sur toutes les sciences qui touchent à la connaissance de l'organisme ou di; l'économie vivante, sur l'anafomie comparée, sur l'histo- logie, l'analomie |)atliologiquo, la tératologie, la pathologie, enfin, sur la science des milieux, l;i ciruiiic et la pli)si(|U('. DR LA SYSTEMATISATION. ."i:', Les déductions tirées de ranatoinie sont dos plus précieuses et presque tou- jours des plus justes ; car la considération de la machine donne son jeu toutes les fois que le rapport entre le mécanisme et le mouvement est saisissable. Ainsi les premières connaissances piiysiologiques qui n'ont pas été tirées de l'observa- tion directe ont été dé'duites de raiialdiiiic. (jlalion et Haller clierchaient avant tout à trouver par l'organe la fonction ou l'usage; ils faisaient de l'anatomie animée presque toute leur pliysiologi(>. Tout*; la niécaiii(pie des mouvements se déduit en effet de la considération des leviers osseux, des puissances qui agissent sur ces leviers; le rôle de chaque muscle, le jeu de chaque articulation, se tirent de la direction, des attaches de ces muscles et de la disposition des surfaces arlicu • laircs. Une grande partie du mécanisme des sensations ressort de la construction de l'œil, de l'oreille, envisagés comme instruments d'acoustique ou d'optique. Une grande partie de la physiologie de la digestion, nond)re de particularités de la mastication, du vomissement, de la rumination, se déduisent de la disposition du tube digestif, de son ampleur, de sa longueur, de la conformation des mâ- choires, de la configuration des dents, de celle de l'estomac, etc. C'est surtout de l'anatomie comparée, envisagée physiologiquement, qu'un tire des déductions d'une haute portée. Les conformités organiques, en nous montrant les conformités fonctionnelles, nous dispensent d'appliquer l'observation et les expériences pour les constater. Les dissemblances de même nature nous font supposer les différences d'action, et souvent même nous les précisent nettement. De la base au sommet de l'échelle animale, la nature nous fait assister à de véri- tables expériences que les vivisections les mieux dirigées ne pourraient reproduire. En simplifiant ou en perfectionnant ses appareils, elle réduit la fonction à ce qu'elle a d'essentiel, ou elle la complique par des accessoires ajoutés un à un ; elle exécute des analyses ou des synthèses admirables qu'il suffit souvent dé suivre avec attention pour en déduire le mode, la signification et le but. Le sens des modifications qu'elle apporte, par exemple, à l'appareil digestif dans les parties affectées spécialement à la division des aliments, à leur emmagasinage, à leur élaboration, à rabsor[)tiûn de leurs |)roduits utiles ou à l'élimination de leur résidus, se devine souvent à la première inspection. De même, les perfectionne- ments ou les simplifications apportés à l'appareil respiratoire, soit dans les parties (|ui appellent l'air, qui en règlent l'introduction et l'expulsion, soit dans celles ((ui le portent au contact du sang quand ce liquide ne peut pas venir à un lieu commun de rendez-vous ; les combinaisons par lesquelles elle utilise cet air à diminuer la densité du corps, à donner de la légèreté à tel ou tel organe, impli- (pient des modifications fonctionnelles dont on juge souvent au premier coup d'oeil. Les mille combinaisons dont elle se sert dans ses appareils d'irrigation et lie projection du fluide nutritif ont un sens qui se voit également sans difficulté. La considération des détails de structure permet aussi de déduire souvent les similitudes ou les dissemblances de rôles, comme elle permet de déduire les simi- litudes de composition chimi((ue et d'altérations morbides. C'est de celte considé- ration queBichat a tiré ses belles déductions sur la sensibilité, la vitalité des parties qu'il a rangées dans le même système. Toutes les membranes organisées comme les séreuses doivent sécréter, absorber comme elles, et sympathiser entre elles ; S4 INTRODUCTION. toutes les parties fibreuses doivent partager les mêmes propriétés physiques, la même vitalité obscure, la même insensibilité ; tous les organes à fibres musculaires sont contractiles ; tous les muscles à nerfs cérébro-spinaux dépendront de l'influence delà volonté; tous les muscles à nerfs ganglionnaires seront automatiques. Mais, si la déduction anatomique donne beaucoup, ellenepeut pas tout donner et elle a besoin de contrôle. La structure des nerfs n'implique point la sensibilité des uns ni la motricité des autres. La disposition anatomique ne donne point le rôle spécial de chaque partie des centres nerveux ; les particularités offertes par les acini des glandes ne font point deviner les caractères de leur action et les propriétés diverses de leur produit. La presque identité de structure entre les glandes salivaires ne fait pas soupçonner la dissemblance chimique des salives ; la ressemblance entre ces glandes et le pancréas conduit à la fausse conclusion que le fluide pancréatique est une sorte de salive. Là, probablement, l'induction ne nous trompe que parce que nous ne connaissons pas sufllsamment la texture intime des parties : la relation que nous ne voyons pas n'en existe peut-être pas moins. Les déductions tirées del'anatomiesont surtout précieuses en physiologie com- parée, car elles tiennent lieu, au moins à titre provisoire, des données que ne peuvent fournir actuellement l'observation et les expériences, faute d'être appli- quées à la plupart des groupes du règne animal. Elles permettent de se faire des idées nettes, assez justes, des actes de la vie dans les êtres qui ne peuvent, en raison du moindre intérêt qu'ils nous offrent, devenir l'objet de nos études ordi- naires. Les analogies et les dissemblances d'organisation entre certains animaux et certains autres, nous font conjecturer les similitudes et les différences fonc- tionnelles ; voir par exemple en quoi la digestion du carnassier doit ressembler à, celle de l'herbivore, en quoi la première doit différer de la seconde, et ainsi pour la digestion du solipède comparée à celle du ruminant, pour la respiration du mammifère mise en parallèle avec celle de l'oiseau, du reptile ou du poisson. Cette déduction anatomique, qui nous fait pressentir des différences fonction- nelles souvent nombreuses et importantes, est particulièrement utile à l'expéri- mentateur en le guidant sur le choix des animaux propres aux études dont il vont généraliser les résultats ou appliquer à la physiologie humaine. Malheureusement on tient peu compte des leçons qu'elle donne, on prend trop souvent au hasard les animaux d'expériences, comme s'il était indifférent d'appliquer à l'homme les données obtenues sur un mammifère, un oiseau ou un reptile. Loin de choisir les espèces dont les fonctions se rapprochent le plus des nôtres, le porc qui est omnivore quand il s'agit d'expérimenter sur la digestion, et non le lapin qui vit d'herbe ou le mouton qui rumine son fourrage, on passe du chien au lapin, de celui-ci au cochon d'Inde, à la grenouille ou à la salamandre, on fait très-sérieuse- ment la physiologie de l'homme d'après celle du cabiai, comme si l'on pouvait toujours conclure d'un type dégénéré au type le plus |)arfail, ou seulement (l'une classe à une autre classe. La physiologie générale, dans ses synthèses les plus élevées et les plus philoso- phiques, a beaucoup à tirer des déductions comparatives que fournit l'anatomie. C'est pai' l'anatomie comparée qu'on arrive à voir quelles sont les parties vrai- ment essentielles des oi'ganes et des appareils, et par là aussi ce qu'il y a de fonda- DE LA SYSTÉMATISATION. 55 mental dans la fonction. Les grandes synthèses physiologiques trouveront là un point de départ, une base solide. La connaissance exacte de la lonction n'est même pas possible sans ces lumières tirées de la comparaison. Haller l'a bien senti, comme le prouve le soin qu'il prend de mettre les actions de l'homme en regard de celles des animaux. Il considère ce parallèle comme indisjjensable, « car, dit-il, je reconnais chaque jour qu'on ne peut porter un jugement solide sur les fonctions des diverses parties du corps si on ne les a examinées dans l'homme, les divers quadrupèdes, les oiseaux, les poissons et souvent même les insectes. » Les déductions tirées de la pathologie doivent être aussi prises en très grande considération par le physiologiste. Il n'y a, en réalité, qu'une physiologie pour l'état normal et l'état morbide. Il n'y a ni fonctions ni aucune sorte d'actions nouvelles sur le sujet souffrant. Les fonctions de l'être malade sont les fonctions normales simplement ralenties, exagérées, perverties ou abolies : quoique trou- blées sous l'influence des altérations des organes, des liquides ou des agents du dehors, elles n'en demeurent pas moins soumises aux grandes lois de la vie. De même que le jà é\aluer la puissance de cœur à cent trente-cinq milles livres, puissance que, plus tard, Haller réduit à ciu- 58 INTRODUCTrON. qiiante et une livres, Sauvages à quatre livres et demie, et Keil de cinq à huit onces seulement.— C'est Haller qui porte la vitesse du fluide nerveux à neuf mille pieds par minute. Sauvages à trente-deux mille par seconde, un troisième à des centaines de millions de pieds dans ce même espace ; — c'est Keil qui trouve que le sang parcourt cinq mille deux cent trente-trois pieds dans une minute. Enfin, ce sont Bellini, Pitcairn et d'autres, qui tentent des calculs analogues, et arrivent à des chiffres qui étonnent par leur exagération et leur peu de concor- dance. Aujourd'hui plusieurs de ces évaluations peuvent être reprises avec avantage, non pas qu'on sache mieux calculer maintenant qu'auti-efois, mais parce que des recherches et des expériences exactes peuvent fournir des bases que ne possédaient point les anciens physiologistes. Les injections de certains sels dans le sang n'ont- elles point permis à Héring de déterminer, avec une précision rigoureuse, la vitesse du sang? Un appareil ingénieux n'a-t-il pas suffi à Poiseuille pour reconnaître la force avec laquelle ce fluide est lancé dans les artères ? Et actuellement n'y a-t-il pas vingt instruments pour mesurer, représenter graphiquement la force du cœur, la vitesse de la circulation, les caractères du pouls, même la rapidité avec laquelle les impressions sensitives ou motrices se propagent dans les nerfs. Les analyses chimiques ne donnent-elles point le moyen d'apprécier, comme on l'a fait, du reste, la quantité d'acide carbonique produite par la respiration, la quantité de carbone brûlée dans un temps déterminé? De même n'arriverait-on pas très bien à savoir combien de fluides sont expulsés par les reins, la respiration cutanée, dans une période de vingt-quatre heures ? Ne serait-il pas facile encore de préciser la proportion de matières salines, azotées, aqueuses, que le foie, les glandes salivaires, soustraient au fluide nutritif durant une période quelconque? Tout cela est déjà fait en partie ou peut l'être plus complètement avec une satis- faisante exactitude. Le calcul fournira des résultats exacts quand l'observation, les expériences, les analyses chimiques, les recherches microscopiques, lui présen- teront des éléments rigoureux, c'est-à-dire des bases. Qu'il vienne un ingénieux calculateur comme Haies, et l'on verra bientôt si les chiffres ne mènent à rien la physiologie. Enfin, lorsque le physiologiste aépuisétousles moyens que nous venons de rap- peler, et qu'il en a tiré, par desdéductionslogiques, tout ce qui en découle, il lui reste encore la ressource de prcîssentir l'inconnu, de faire des conjectures sur ce qu'il ne sait pas encore ou sur ce qui est inaccessible à ses investigations. L'hypo- thèse est là sur les confins du réel, du positif; pour l'emporter dans l'immense domaine du possible, du probable. Sans doute, il doit se défier du secours de cette fée qui a fait passertant d'illu- sions aux yeux de nos prédécesseurs, 11 n'est rien qui ait plus nui aux progrès de la science que l'arme dangereusedes hypothèses. Elle a fait surgirles systèmes les plus bizarres que l'on puisse inventer, systèmes qui se sont renversés les uns par les autres, et n'ont laissé que des ruines sur leur passage. Aujourd'hui encore, il est fort commun de voir des hommes s'abandonner à toutes les divagations d'une imagination sans frein, courir à la recherche d'inconnues qu'on ne peut trouver, amoiu-clcr théories extravagantes sur théories plus extravagantes encore, I»K (.A SYSTEMATISATION. 39 embrouiller ce qui estclair, remettre en question cequi est déjà à demi-démontré faire perdre ainsi à la science son prestige et lui donner l'apparence d'un roman aux yeux des esprits positifs. Heureusement tous les grands [)liysiologistes ont fait la guerre à ces vaines tendances, qui onttrouvé déjà dans Hallerun véritable adversaire. «Cet homme cé^lèbre a non seulement, ditCuvier, repoussé les hypo- thèses d'une manière générale, mais il s'est attaché à les analyser, à montrer par où elles pèchent, et à faire voir que ce n'est pas parla voie hypothétique que l'on peut parvenir à la vérité. » Les efforts persévérants de ceux qui ont suivi ses traces n'ont eu pourbutquede détruire le vague des suppositions et d'y substituer le positif des faits, des lois et des principes. Si l'hypothèse est en soi une méthode fort préjudiciable dans les sciences, elle peut, étant réduite à de certaines limites, devenir de quelque utilité. D'abord elle tient, en l'absence de faits, une place qui .sans elle, resterait vide, elle comble la lacune immense qui existe entre le connu et l'inconnu, elle forme, pour me servir de l'expression d'un habile physicien, « une sorte de crépuscule qui se répand des choses clairement connues et éclaire jusqu'aux confins de celles qui nelesont pas encore. » L'exemple donné par Newton, par Lavoisier, nous prouve qu'elle peut servir, étant appli(|uée aux forces ou aux causes premières des phénomènes phy- siques, et parla on doit penser qu'elle n'aurait pas moins d'utilité en physiologie, si elle pouvait s'y adapter avec un peu de rigueur ; car, après tout, cette science n'est pas d'une précision telle qu'elle soit obligée de s'affranchir d'une alliance que ne dédaignent point celles qui ont la prétention d'arriver au jtlus haut degré d'exactitude. Illui suflit d'éviter les extrêmes, en réduisant l'hypothèse à despro- portions assez restreintes pour qu'elle ne devienne pas nuisible. Là se trouve la grande difficulté qu'on n'a pas toujours su vaincre. Si je n'aime point la physio- logie aussi abstraite qu'elle est dans Stahl, Barthez et certains vitalistes, je la trouve trop aride, Iropuue, telle (jue l'exposent (juclques savants de notreépoque. En somme l'hypothèse est une méthode fausse tant qu'elle veut tenir lieu des choses positives, une méthode qui ne peut nous conduire à la vérité, et qu'il faut énergiquement repousser. Seulement, comme elle peut, dans certaines limites, l'aire suite aux faits, et suppléer à ce qu'ils ne sauraient nous apprendre ou à ce qu'ils ne nous ont point encore appris, elle devient en quehpie sorte l'appoint de ce que nous possédons ; sans pouvoir jamais, sur aucun sujet, faire la somme.de nos connaissances. On voit donc que la lumière vient au physiologiste de tous les côtés. 11 doit la recueillir précieusement et ne négliger aucune des sources, aucun des moyens par lesquels elle lui arrive. Bien que la biologie soit une science distincte et auto- nome, elle ne peut se suffire à elle-nième et ne doit pas s'isoler des sciences auxi- liaires. Elle a le droit d'interroger celles-ci à tout instant, de les mettre à son service et de s'en faire des instruments de conquête. Elle a ce droit, car elle ana- lyse et interprète ce qu'il y a de plus compliqué, de plus difficile et de plus mys- térieux dans la nature: la vie dans l'homme et dans tous les êtres animés. II faut qu'elle en use pour agrandir incessamment le champ de ses connaissances. Dans le grand travail de la mise en œuvre des matériaux rassemblés avec tant de peine, res|»rit, la logi(pie, la sagacitédu savant, joucnl un grand rôle. Les faits ne 60 INTRODUCTION. valent que par leur signilication ; s'il en est de lumineux dont le sens est évident, il en est beaucoup dont la valeur est énigmatique. Ceux-ci, comme certains dia- mants bruts, semblent à première vue de simples cailloux; ils ont besoin d'être taillés pour devenir étincelants. Le physiologiste doit donc, pour faire de la science solide et profonde, s'attacher à la fois à la constatation et à Tinterprétation logique des phénomènes. Ses sens et son esprit doivent agir ensemble, se prêter une assistance réciproque, se contrôler sans cesse. L'observation et l'expérience, après avoir rempli leur rôle d'initiation et de conquête, doivent encore servir à constater la justesse du raisonnement, car celui-ci a ses aberrations et ses illusions comme les sens. Rien, en définitive, ne peut être considéré comme certain que ce qui a subi ce contrôle. Et, comme il y a encore des degrés dans la certitude, on peut affirmer que la certitude absolue n'est et ne peut être que dans les faits. Ce qui est affaire de raisonnement n'acquiert la sienne que par le contrôle de l'expérience, critérium suprême « démonstration des démonstrations. » IV. — Des métliodei^ en pliysiolog-ie. De la niar>c1ie et des prog-rès de cette iscience. Il n'y a évidemment qu'une logique et la méthode a des principes, des règles, des lois qui sont les mêmes pour toutes les sciences ; mais chaque science a, en réalité, sa méthode particulière. Les voies qui mènent à la vérité en métaphysique ne peuvent y conduire dans les sciences d'observation et, en général, dans celles qui ont pour objet l'étude de la nature. Les moyens qu'emploient les philosophes, dans l'examen des questions abstraites, ne mènent nullement à la connaissance des phénomènes physiques ou physiologiques. Douter d'abord de tout, supposer qu'on ne sait rien, ne rien accepter qu'après démonstration, diviser les difficultés, les examiner une à une, du simple au compliqué, faire ensuite des revues minu- tieuses pour s'assurer qu'on n'a rien omis est sans doute d'une excellente philo- sophie. Ces principes cartésiens sont excellents à suivre, mais ils ne font pas trouver tout ce qu'on cherche. Il faut des moyens plus directs, plus précis pour constater les phénomènes apparents, découvrir les phénomènes cachés, en faire une analyse exacte, en reconnaître les causes, les rapports, les lois. Il y a, comme l'a fort bien dit Bacon, deux méthodes pour arriver à la connais- sance des choses: l'une lente, régulière, classique, pour les esprits ordinaires et pour ceux qui ont tout à apprendre; l'autre rapide, abrégée, qui mène droit au sanctuaire et lève du premier coup le voile qui couvre les mystères. Il les faut toutes deux : la première pour ceux qui débutent ou qui étudient les phénomènes compliqués et obscurs, la seconde pour les initiés, les esprits ingénieux qui, d'un bond, savent atteindre la vérité et la mettre en pleine lumière. En physiologie, comme dans toutes les autres sciences, les hommes à esprit droit, les hommes supérieurs, ne s'astreignent point à suivre toutes les règles qui souvent peuvent entraver leur marche ; ils prennent les routes les plus naturelles, les plus courtes; ils créent leur méthode et savent l'approprier, de la façon la plus heureuse, à chacune de leurs études. S'ils ne trouvent pas tout ce qu'ils cher- chent, ou si, quelqiu'fois, ils se trompent c'est moins la faute de leur manière de DES MÉTHODES EN PUYSIOLOUIE. 61 procéder que celle des moyens impaitaits dont ils se servent dans leurs investi- gations. Un rapide coup d'o'il sur le passé de, la pliysioIof,Me, en nous montrant les méthodes suivies aux dillérentes épo((ues, nous i)erinettra de constater leur mérite ou leur imperfection par les découvertes ou par les illusions auxquelles elles ont conduit. Le passé remis à grands traits sous nos yeux nous servira d'enseignement pour l'avenir. Il est hors de doute que, dès les [iremiers temps de la médecine, on a cherché instinctivement à se rendre compte des principales actions physiologiques, comme on cherchait à s'expliquer les grands phénomènes du monde physi(|ue. lAFais on ne pouvait alors que s'en l'aire des idées vagues et incomplètes. C'est que pour ana- lyser les opérations de l'organisme, il faut connaître l'anatomie, la structure mi- croscopique des parties, et appliquer à cette analyse une foule de notions de phy- sique et de chimie. Tout cela manquait; aussi, sauf quelques idées sur la nature vivante, sur le principe vital, ce qu'on disait aux temps hippocratiques de la cha- leur animale, de la respiration, de la digestion, de la génération et des autres fonctions, témoigne uniquement du désw de comprendre des actes, alors néces- sairement inintelligibles pour les plus grands génies. C'est seulement à partir d'Aristote' qu'on voit poindre en jihysiologie l'esprit d'analyse. Le grand naturaliste, peu satisfait des opinions anciennes, rompt déjà avec le passé et commence à juger par lui-même. Il considère la\ie comme un principe ou une cause qui détermine l'activité des plantes et des animaux, qui les fait se nourrir, s'accroître et dépérir; il délinit l'animal un être jouissant de la faculté de sentir et de se nourrir; il distingue en lui une vie végétative et une vie sensitive, examine les conditions générales de l'existence et les principales fonctions de l'économie : d'abord les sensations, en commençant par celle du tou- cher, qui lui paraît la plus générale, puis successivement les autres; il étudie avec soin les instincts, les habitudes, les mœurs des animaux, leur manière de se nourrir, leurs migrations, leurs divers mouvements qu'il distingue en volontaires et en involontaires, leur reproduction dont il passe en revue les divers modes, les différences des sexes, l'inlluence de lacastration.il donne quelques notions de la digestion, de la rumination; ilcroitque toutes les parties ne s'assimilent pas les mêmes éléments ; il sait que la chaleur animale est plus élevée dans les espèces qui ont des poumons que dans les autres, mais il pense (ju'elle a sa source dans le cœur, etc. Du reste, il se montre assez réservé en matière d'explications phy- siologiques. Sa marche est rationnelle; il débute par l'étude comparative de l'or- ganisation, puis il a recours à l'observation ; ce n'est qu'après celte étude préa- lable qu'il cherche à expliquer ce (pi'il a vu, à deviner ce qui ne tombe pas sous les sens, et ce qui ne peut ressortir de l'examen anatomique. Mais, il faut arriver à Galien pour trouver uncnsemble de connaissances physio- logiques mieux compris et présenté sous un aspect réellement scientidqiie. Cet illustre médecin résume tout ce qui a été fait avant lui. Il puise dans les écrits d'Aristote, d'Hippocrate, dans ceux d'Hérophile, d'Érasisfrate, aujourd'hui per- dus, et dans l'enseignement de l'école d'Alexandrie, de précieux matériaux dont 1. Voy. Arislole, Histoire des animaux, Iraduction de Camus. F.iris, 1783; Traité de Idme, traduction de Barthélémy Saint-Hilaiie. Paris, 1816. 62 INTRODUCTION. il sait tirer un excellent parti. Érasistrate et Héropliile avaient acquis de nou- velles connaissances anatomiques sur les organes des sens et de la génération, sur les nerfs, qu'ils avaient distingués en ceux du sentiment et en ceux du mou- vement, sur les vaisseaux, etc. Ils avaient vu la différence qui existe entre les artères et les veines, trouvé les vaisseaux lactés, constaté l'isochronisme des bat- tements du cœur et des pulsations artérielles, admis des forces particulières pour expliquer les sensations, les actions nutritives, la production de la chaleur ani- male. Galien rassemble tout cela, il perfectionne Fanatomie de l'homme, en s'oc- cupant aussi, mais moins qu'Aristote, de celle des animaux. Son génie éminem- ment philosophique et généralisateur lui fait sentir toute l'importance d'une appréciation détaillée des actions organiques. Il observe, et de plus il imagine des expériences ; lui, le premier, comprend la nécessité de rechercher sur l'animal vivant ce qu'on n'a pu trouver par l'inspection du cadavre. Il crée la physiologie comme science distincte, dans son fameux traité De usu partnwi', que Cuvier regarde comme l'un des plus beaux ouvrages de l'antiquité. En commençant, il dit qu'il compose un hymne en l'honneur du Créateur, cherche à démontrer que tous les êtres vivants ont été formés par la même intelligence, que leurs mœurs, leurs habitudes, sont parfaitement appropriées à leur destination ; que les formes extérieures ne sont que la traduction des formes intérieures ; que, par exemple, de la forme et du nombre des os on peut conclure à la forme et au nombre des des muscles". Les considérations dans lesquelles il entre à cet égard indiquent un esprit tout à fait supérieur. Il examine successivement le rôle des diverses parties de l'économie, et, pour l'éclaircir, recourt h des dissections de divers quadrupèdes, oiseaux, reptiles et poissons; il considère le cerveau comme l'organe des sensations; voit que les nerfs sont les conducteurs du sentiment et du mou- vement; regarde le foie comme l'organe de la sanguilication ; remarque que les artères contiennent du sang de même que les veines, et sait que toutes les parties puisent leur nourriture dans ce fluide qu'il suppose animé d'un mouvement oscillatoire dans les vaisseaux ; pour lui l'absorption du chyle s'effectue dans l'intestin grêle et même dans le ctecum ; ce produit est pompé par les veines mésaraïques, etc. Par les expériences sur les animaux vivants, expériences sur l'utilité desquelles il insiste, Galien arrive à plusieurs découvertes fort remarquables. La section des nerfs récurrents lui montre qu'ils sont des nerfs moteurs, présidant à la phona- tion; celle des nerfs phréniques, des intercostaux, lui apprend les usages de ces cordons; la persistance des mouvements du cœur, lorsque cet organe est séparé du corps, le conduit à établir qu'ils sont involontaires ; renlèvement de quelques côtes avec leurs muscles intercostaux sans lésion de la plèvre lui doinie la preuve que le poumon remplit complètement la cavité Ihol'acique; il constate que les animaux à poumons respirent seuls l'air, tandis que les [)oissons, qui n'en ont point, sont privés de voix. 11 tente d'autres exj)ériences |)our apprécier l'inlluentie du cœur sur les battements de l'aorte, pour recorinàîti'e la nature de l'instiilctj et(i. 1. Galien, CËuvres analbmiqUes, physiologique» et niédicales, trad. par Cti. Daremberg. Paris, 1854-I85t. 2. De Blainville, Histùire des science» de Voi-ganisàlioh. Paris, 1845. UEh .MLTHOUEis EN J'HVSIULUCIE. H!? C'est donc un grand mérite de Galien d'avoir institué la niélliode expérimentale, d'en avoir senti la nécessité et de l'avoir appliquée avec, autant d'intelligence qui; d'habileté. Par sa manière de systématiser, il se montre eneore un esprit judicieux, du moins tant (pi'il demeure dans certaines limites, comme lorsqu'il fait voir que la conliguration des parties est en liarnu)nie avec leurs fonctions : mais dès (pi'il veni pénétrer l'essence des phénomènes, il fait fausse route en imaginant une infinile de forces qui n'expliquent rien : car on n'a rien dit en avançant que l'estomac est doué d'une force attractive, d'une force réientive, d'une force altérante ; que les artères jouissent d'une force pulsitique, etc. Toutefois on peut bien lui faire grâce pour ce travers, en raison de l'impulsion qu'il a donnée à la physiologie. Lui, le premier, l'a bien comprise, en a fait une science distincte, basée sur l'ana- tomie; non seulement de llionune, nuiis encore d'un grand nondire d'animaux : il a entin réuni, le premier encore, l'observation à l'expérience et à la systémati- sation intelligente, en un mot tous les éléments de la science de la vie. Une con- ception à la fois si vaste et si vraie caractérise un esprit supérieur et marque hi première éjmque de la physiologie. Pour arriver à quelque chose de nouveau, à quelque progrès réel, il faut fran- chir d'un seul bond tout l'espace qui sépare l'antiquité du moyen âge. Galien résume la science de la première. Ses connaissances deviendront le point de départ de tous les efforts tentés parles travailleurs de la renaissance. D'abord on se con- tentera de commenter et d'expliquer, plus tard on sentira la nécessité de cher- cher, dans la nature îuènie, ce rpii est ou ce qui n'est pas dans les écrits des anciens, et alors seulement commencera une nouvelle ère de découvertes dans laquelle bien des efforts seront tentés avant d'arriver à quelques résultats remarquables. C'est sur l'anatomie que l'attention est d'abord appelée. Au commencement du xiv^ siècle, Mundinus, qui enseignait à Bologne, composa un livre qui fut long- temps suivi dans les écoles, et cependant il n'avait pu disséquer que trois cada- vres. Il était alors prescrit à l'école de Salerne d'en disséquer au moins un chaque année. Ce livre n'a, dit-on, rien d'original. Au .xvi'' siècle apparaissent des hommes qui impriment à la science une impulsion puissante: Sylvius, Fallope, Eustache, Vésale. Ce dernier déclare la guerre à Galien en démontrant (|ue ses descriptions ont été faites d'a{)rès le singe ; il étudie avec ardeur dans les cimetières et jusque sous les fourches patibulaires les cadavres dont il a pu s'emparer. Son ouvrage opère une .véritable révolution et marque nettement la scission entre la science antique de Galien et celle qui counnence avec Vésale et ses contemporains: Mais alors on laisse la physiologie dans l'oubli. Servet découvre bien la circulation pulmonaire ou plutôt en publie la découverte; Co'salpin a une idée vague de la circulation générale ; Realdus Colombus fait quelques expériences sur la resi»i- ration; Vésale lui-même essaye de ranimer les battements du cu'ur en insufflant de l'air dans les poumons. A cela et à quelques découvertes isolées se borneni toutes les acquisitions de la science de la vie. Personne ne s'en occupe spéciale- ment et n'a l'idée de reprendre l'œuvre renfermée dans le traité du célèbre médecin de Pcrgame. A mesure que l'anatomie fait des progi'ès, le champ de la physiologie se pré- 64 INTRODUCTION. pare avec lenteur ; quelques petites observations viennent insensiblement enri- chir le peu qu'avaient laissé les anciens, et bientôt la grande découverte d'Harvey donne une nouvelle impulsion à la science. Fabricius d'Aquapendente, qui jouissait d'une grande célébrité à Padoue, venait de découvrir les valvules des veines qui déjà avaient été indiquées, si l'on en croit certains auteurs, par Jacques Dubois ; il étudiait le développement de l'œuf et exa- minait les divers mouvementsde l'homme et des animaux : en un mot, il ouvrait la voie qui devait conduire plus tard à la découverte de la circulation, aux belles re- cherches de Harvey sur la génération, et au célèbre travail deBorelli sur la mécanique animale. Harvey, disciple de ce grand maître, féconda la découverte des valvules. Tenant compte de leur direction, de la disposition de celles du cœur et de l'origine des troncs artériels, il fut porté à faire quelques expériences très simples ; il lia des artères et des veines, remarqua le point où elles se gonflent, ouvrit les vaisseaux, fit attention au mode suivant lequel le sang s'en échappe, et arriva, en combinant tous ces faits, à démontrer que le sang circule^ ; qu'il est chassé par le cœur dans les artères, d'où il passe dans les capillaires pour revenir par les veines à son point de départ, et qu'enfin il y a deux circulations, une petite pour le poumon, une grande pour le reste du corps. Plus tard, Harvey publia ses recherches sur la génération, par lesquellesil montra que les animaux proviennent d'un œuf, suivit particulièrement le développement de l'œuf delà poule, et établit la théorie de l'épi- genèse, dite depuis harvéienne. Ce grand physiologiste marque la seconde époque delà science, autant par ses propres travaux, par leur caractère expérimental, que par l'impulsion qu'ils donnèrent aux recherches des contemporains. Pendant que Harvey démontrait le cours du sang et enseignait la méthode d'ob- servation et d'expérience qui seule peut conduire à de grands résultats, Aselli retj'ouvait les vaisseaux lactés- du mésentère qu'Erasistrate avait déjà aperçus; il combattit alors l'opinion de Galien et de tous les anciens qui admettaient que le chyle était pompé et charrié par les veines mésaraïques, en faisant voir que ce chyle remplit les vaisseaux lactés pendant la digestion. Mais il ne vit point que ces vais- seaux aboutissent au canal thoracique qu'Eustache avait trouvé longtemps aupa- ravant, et crut qu'ils allaient porter ce fluide dans le foie où il laissa, d'après les anciens, le siège de la sanguification. Plus tard encore, Veslingius, Rudbeck, Bartholin, découvraient les vaisseaux lymphatiques des diverses parties du corps; Pecquet venait prouver que les chylifères aboutissent à la citerne sous-lombaire et versent leur contenu dans le canal thoracique qui, à son tour, l'apporte dans la veine sous-clavière gauche : ainsi se trouvait connu un nouveau système vasculaire. A partir de l'époque de Harvey, l'impulsion donnée à la science produit de nombreux travaux et surfout de nouveaux systèmes ; les bons esprits persévèrent dans la voie laborieuse de l'observation et des expériences ; les esprits exaltés, et même les hommes su[)érieurs qui ne sentent pas encore assez la nécessité des recherches positives, se lancent dans les théories. Alors surgissent des doctrines, et se forment des sectes dont la célébrité tient à celle de leurs auteurs ou des disciples qu'ilsont faits. Ces systèmes sont fort nombreux, car on peut dire qu'à 1. Sa découverte est enseignée en 1619 et publiée en \(r>H. 2. Sur le cfiien, on 1(;22. DES MÉTHODES EN PHYSIOLOGIE. 65 cette époque tous Jes hommes jouissaut d'un peu de célébrité avaient le leur, mais ils peuvent au fond se rapporter à trois, savoir : 1" le système qui rattache les actions vitales aux lois de la physique et de la mécanique ; 2'' celui d'après lequel ces phénomènes sont assimilés aux actions chimiques ; 3° enhn celui qui les fait dépendre de puissances inconnues, l'àme ou les forces vitales. Un mot sur chacun d'eux et sur leurs transformations successives. Descartes, qui vient après Harvey, pose les règles de la méthode et donne d'ad- mirables préceptes qu'il croit applicables à tous les genres d'études. 11 essaye, mais sans beaucoup de succès, de les mettre au service des sciences. 11 cherche à ramener la physiologie aux lois de la mécanique, considère les animaux comme des machines. Toutes leurs actions, même celles de l'instinct, de l'intelligence, sont à ses yeux des actions automatiques. 11 admet diverses sortes de matières, une subtile, une branchue, une cannelée, et, pour rendre compte des divers phé- nomènes, il conserve les esprits animaux imaginés par les anciens; les fait pro- venir du mouvement et de la chaleur du sang, circuler dans les nerfs pour servir aux sensations et aux mouvements ; il voit des iiltres, des cribles dans les organes sécréteurs, et partout des rouages qui jouent comme ceux d'une simple machine. Borelli, envisageant la science sous un point de vue analogue, s'occupe non pas de vagues idées sur la nature des forces et des mouvements, mais des moyens [»ropres à mesurer ces forces et à bien apprécier leurs efTets. Il entreprend une analyse rigoureuse, profonde de la mécanique animale, examine successivement tous les mouvements de l'homme et des animaux, détermine leur mécanisme, le rôle, la force des muscles, calcule la puissance du cœur, celle de l'estomac, de l'intestin. Bellini,Pitcairne et autres continuent ses travaux. Ces derniers auteurs ne suivent Borelli que dans ses exagérations et n'ajoutent rien à son œuvre impé- rissable. Boerhaave, à son tour, voit dans les actions vitales des efiels dépendant des causes physiques : il croit que la chaleur, par exemple, tient aux frottements du sang sur les parois vasculaires ; que l'air déplisse seulement les vaisseaux du poumon ; que les produits de sécrétion passent par la filière de canaux successi- vement décroissants, etc. En même temps que Dcscartes ouvrait la voie à la doctrine du mécanisme, il [•réparait aussi celle des explications chimiques, car il y avait dans les systèmes de ce philosophe des idées empruntées aux anciens avec des idées nouvelles : dans ses théories un mélange d'explications mécaniques et d'explications chi- miques, si l'on peut donner cette épithète à ce qui se rattachait à une science ■ encore à peine ébauchée. F. Sylvius, qui commence à professer àLeyde en 1658, saisit ce côté des doctrines cartésiennes et envisage la physiologie sous un point de vue tout à fait nouveau. Son système, présenté avec habileté, jouit bientôt d'une immense réputation. Sylvius ne voit partout que fermentations, combinai- sons, actions et réactions chimiques. Il suppose que les fluides de réconomiesonl les uns acides, les autres alcalins. Pour lui, la digestion stomacale est une fermen- tation : le fluide pancréatique acide, la bile alcaline, déterminent dans l'intestin une seconde fermentation de laquelle résulte la séparation du chyle d'avec les matières non assimilables. Le sang du foie, devenu alcalin par son mélange avec la bile, en se réunissant à celui des autres parties que la lymphe a rendu acide, donne lieu, o. COLIN, — Physiol. coiup. S"" éiiit. I — 5 66 INTRODUCTION. dans le cœur, à une troisième fermentation qui est la cause des mouvements de cet organe. Il place des ferments dans toutes les glandes, attribue aussi les mala- dies à l'acidité ou à l'alcalinité des humeurs, et imagine une thérapeutique en conséquence. Il n'y a rien là de bon, et cependant ce furent, plus tard, des idées analogues qui conduisirent à d'intéressantes découvertes. Un troisième système est celui qui explique les actions vitales par des puissances occultes, soit par l'àme, soit par des forces imaginaires. Les anciens avaient déjà admis une âme végétative et une âme sensitive pour rendre compte des phéno- mènes qui s'accomplissent chez les êtres organisés. Van Helmont laisse celles-ci de côté; il suppose des archées ou puissances intelligentes, chargées, chacune, de faire exécuter une certaine fonction ; il place un de ces archées dans le foie, un autre dans les reins ; celui de l'estomac est le principal et tient tous les autres sous sa dépendance. Stahl, plus tard, revient à l'âme, il la considère comme le principe de toutes les actions ; elle est pour lui la cause de toutes les sensations, de tous les mouvements ; elle préside à l'organisation des parties, à la nutrition et aux fonctions de chaque organe ; c'est elle qui règle la circulation, qui comprime et dilate le cœur, qui envoie à chaque partie les éléments qui lui conviennent, la salive dans la bouche, l'urine dans la vessie, etc. C'est elle qui, partout présente, partout active et intelligente, veille à la conservation du corps, lutte contre les causes morbifiques, cherche à rétablir la santé altérée. L'animisme de Stahl avait quelque chose de trop fantastique pour être admis sansmodification.il était quelque peu difficile, en effet, d'accepter ce rôle singulier de l'âme qui, sans avoir créé le corps, sans en connaître ni les rouages, ni les fonctions, était appelée à diriger tous les actes physiologiques. Sauvages, Lecat et autres l'eurent bientôt modifié. Il le fut si profondément, qu'il donna naissance au vitalisme. Stahl eut le mérite de conduire à ce résultat. « Il fut frappé, comme le dit Bichat^, de la discordance des lois physiques avec les fonctions des ani- maux : c'était le premier pas pour la découverte des lois vitales ; il ne fit pas cette découverte. L'âme fut tout pour lui dans les phénomènes de la vie : c'était beau- coup de négliger l'attraction, l'impulsion, etc. Stahl sentit ce qui n'était pas le vrai ; le vrai lui-même lui échappa. » Bordeu modifia encore cette doctrine ; il s'en moqua même en plusieurs endroits et substitua à l'intervention de l'âme la sen- sibilité propre à chaque organe. Enfin, Barthez, avec ses conceptions abstraites, vint nous plonger dans le vitalisme le plus outré. Pendant que les systèmes se disputaient le champ de la physiologie, les obser- vations et les expériences étaient un peu négligées ; néanmoins elles ne l'étaient pas complètement. Il fallait bien que les partisans d'une doctrine s'efforçassent de rassembler les faits qui pouvaient appuyer leurs idées ou combattre celles de leurs adversaires. En outre, il y avait des esprits qui tenaient peu aux systèmes et s'adonnaient aux recherches positives. Le concours de tous ces efforts différents conduisait insensiblement à quelque chose de mieux, et préparait le terrain delà science moderne. A partir de Harvey, bien des découvertes avaient été faites. Les chylifères et les lymphatiques étaient démontrés, ainsi que nous l'avons vu ; Willis 1. Hiclial, Anatomie générale , Considérations générales, p. vj. DES MÉTHODES EN PHYSIOLOGIE. 67 instituait des expériences à l'appui des idées harvéiennes sur la circulation, étu- diait le système nerveux, essayait de localiser les facultés intellectuelles; Mayow assimilait la respiration à la combustion, et devançait d'un siècle les belles théo- ries de Lavoisier; Virsungus trouvait le canal pancréatique ;Sténon, Blasius, celui de la parotide ; Wepfer démontrait l'erreur des anciens sur la prétendue commu- nication des ventricules du cerveau avec les cavités nasales, et étudiait le mouve- ment des intestins; Bayle, Chirac, expérimentaient surle vomissement ; Perrault, Duverney, Méry, s'occupaient d'analomie comparée, tentaient des recherches sur la rumination, sur la circulation du fœtus, etc ; Glisson essayait de déterminer les caractères de la contraction musculaire, les propriétés de la libre des muscles, la structure du foie. A la même époque, les recherches microscopiques viennent éclairer d'un jour jusqu'alors inconnu la structure des organes et les conditions des actions orga- niques. Malpighi entreprend ses beaux travaux sur la structure des glandes, le poumon, la rate et différents viscères; il suit minutieusement le développement du poulet, et continue l'œuvre commencée par Fabricius et Harvey; Ruysch, l'ad- versaire acharné de l'anatomiste italien, montre la structure vasculaire des tissus, découvre les valvules des lymphatiques ; Leeuwenhoeck fait connaître les globules des fluides animaux, la structure des poils, des libres musculaires ; il trouve les infusoires qui vivent par myriades dans une goutte de liquide, les animalcules spermatiqucs, et révèle, i)uur me servir de l'expression de Cuvier, un règne tout entier au monde savant ; il voit dans les parties transparentes de certains animaux le sang passer des artères dans les veines, et rend sensible la circulation que tant de médecins avaient contestée ; Swammerdam recherche, avec le secours des ins- truments grossissants, les détails de la structure, du développement des insectes, et d'un grand nombre d'espèces infusoires; Redi tente des expériences sur le venin de la vipère, sur la génération des insectes, des vers intestinaux, et combat les idées régnantes sur la génération spontanée ; Astruc écrit un traité sur la diges- tion, dans lequel il repousse la trituration et revient aux idées de Sylvius ; Peyer fait un beau travail sur la rumination et les glandes intestinales; Réaumur, de belles observations sur les mœur« des insectes et d'intéressantes expériences sur la digestion; Haies publie un traité expérimental d'hémostatique ; de Graaf, Val- lisnieri,ïrembley, etc., se signalent par des recherches plus ou moins remarquables. Tous ces travaux nous amènent vers le milieu du xviii^ siècle. Le système chi- mique de Sylvius a disparu. Boerhaave l'a renversé pour y substituer le sien que l'animisme de Stahl commence à faire tomber en défaveur; ce dernier système est déjà plus ou moins défiguré par ses partisans. Un grand physiologiste va paraître au milieu de ces ruines, et sur ces matériaux précieux, mais épars et sans coordi- nation, il ferajuâtice des erreurs de son temps, rassemblera et fécondera les résul- tats des travaux antérieurs à lui; il marquera, en un mot, la troisième époque de l'histoire physiologique. Haller s'était instruit aux leçons de Boerhaave. Il avait vu l'incohérence des doc- trines physiologiques enseignées jusqu'alors, senti le vague des démonstrations, la fausse impulsion communiquée à la science ; il com[)rit qu'il y avait un avenir immense dans l'utilisation des découvertes anatomiques et dans l'emploi généralisé 68 INTRODUCTION. des méthodes qui avaient conduit Fabricius, Harvey, Réaumur, etc., à des résul- tats si beaux, mais isolés. Il entreprit l'étude complète de la physiologie et essaya delà débarrasser de tous les vieux systèmes édifiés, tour à tour, sans grand pro- fit pour elle. Il embrassa l'ensemble de la science, ce qui n'avait guère été tenté depuis Galien, prit pour point de départ les connaissances anatomiques relatives non seulement à l'homme, mais encore aux brutes ; tenta une infinité d'expé- riences sur les animaux vivants, principalement en vue de déterminer les pro- priétés, la sensibilité, l'irritabilité des tissus, le développement du fœtus, etc. ; prit à tâche d'exposer les travaux accomplis jusqu'à lui, de les apprécier et de les commenter. Il fut leur historien fidèle, impartial, judicieux ; son œuvre est le point de départ de toute la physiologie moderne. Haller se distingue éminemment de ses devanciers. Il est, dans les temps mo- dernes, le vrai fondateur de l'Ecole expérimentale, tant par ses préceptes que par ses exemples, tant par ses propres travaux que par ceux qu'il provoque dans les rangs de ses disciples et de ses admirateurs. Ce grand physiologiste, que la science actuelle doit prendre pour modèle, n'a point de système à lui, et tous ceux qui en avaient eu étaient tombés ; il est l'homme des faits, l'homme de l'observation et des expériences. Toujours il se montre, comme on l'a du reste très bien remarqué, l'ennemi des hypothèses. Il s'attache « à faire voir que ce n'est pas par la voie hypothétique que l'on peut parvenir à la vérité ; il donne lui-même l'exemple de la bonne méthode en n'admettant aucune conclusion physiologique sans l'avoir vérifiée par des observations patientes, suivies longtemps, répétées souvent, sous toutes les formes et de toutes les manières, afin d'éviter que l'erreur ne- s'intro- duisît dans ses travaux '. « Le caractère de ceux-ci révèle un esprit supérieur im- primant à la physiologie cette impulsion féconde qui lui fit faire plus tard de si grands progrès. Les Elementa physiologiœ résumaient la science de Haller et celle de son temps. C'était une œuvre immense, où il fallait puiser les inspirations des travaux ultérieurs ; aussi c'est ce qui fut fait et c'est ce qui l'est encore aujourd'hui. Il devenait par elle facile à ceux qui voulaient étudier un point quelconque de savoir d'où il fallait partir. En même temps que Haller élevait un monument, d'autres savants travaillaient à élucider quelques questions: Bonnet expérimentait sur la reproduction des parties divisées ; Needham etBuflon observaient les animalcules spcrmatiques et bâtissaient des systèmes sur la génération; Spallanzaniconuneii- çait cette série de belles expériences sur la génération, la digestion, la res- piration, qui ont fait sa célébrité; Daubenton et Camper rassemblaient des matériaux anatorniques précieux, et un peu plus tard Vicq d'Azyr, Lavoisicr, venaient apporter des idées, des découvertes qui préparèrent une nouvelle révo- lution. Celle-ci ne devait pas se faire longtemps attendi'e. Les lumières que Dauben- ton, Camper, Pallas, Vicq d'Azyr, Hunier, venaient d(! jeter sur l'anatomie com- parée; la belle création qui allait sortir des mains de Guvier; la théorie de la respiration, les progrès de la chimie, la découverte de l'électricité galvnniqu(!, 1. Cuvier, Histoire des sciences naturelles, t. IV. (De l'école physiolegique de Hallor.) DES MÉTHODES EN PHYSIOLOGIE. 69 l'impulsion puissante donnée à toutes les branches des sciences naturelles, ne pouvaient manquer d'en liàter l'avènement. Enfin Bichat vient, et avec lui commence cette quatrième phase préparée par tant d'heureuses circonstances. Ce grand génie sent que la physiologie a besoin de bases solides ; il les lui prépare par une anatomie des tissus et une étude minu- tieuse de leurs propriétés, qu'il distingue et caractérise nettement; il comprend toute l'importance des recherches expérimentales pour arriver à une connaissance exacte et approfondie des phénomènes ; il les tente avec un art infini, les exécute avec habileté, en interprète les résultats avec une supériorité de ■vues très remar- quable. Frappé de l'incohérence et de l'inanité des explications chimiques ou méca- niques qui avaient survécu jusqu'alors, de l'insuffisance du vitalisme qui com- mençait à régner dans les écoles, il essaye de présenter des doctrines d'ensemble plus en rapport avec les tendances et les progrès de la science. Mais, tout en se dégageant d'une voie encore semée de tant d'erreurs, il ne peut se contenir dans les limites que lui assignent ses belles découvertes ; son imagination l'entraîne irrésistiblement vers des fictions. Il se séduit lui-même, et ce qu'il ne voit pas, il sait bien le créer pour le service de ses idées toujours ingénieuses, même lors- qu'elles paraissent sans fondement. Malgré les quelques imperfections des œuvres du grand physiologiste, celles-ci resteront au nombre des plus belles conceptions de son siècle. Bichat en remettant en honneur l'art expérimental et en présentant des vues nouvelles sur la plupart des grandes questions physiologiques laissait néanmoins inachevée la tâche dont il avait si bien mesuré l'étendue: cette tâche ne tarda pas à être continuée par Legallois, Gh. Bell, Magendie, J. Muller, Flourens, Cl. Bernard, Marey, Vulpian et tous ces habiles expérimentateurs dont les noms ont acquis déjà une juste célébrité. Les travaux de ces savants donnent à la science d'aujourd'hui un caractère qu'elle était loin d'avoir au commencement de ce siè- cle, il suffit de comparer l'esprit, les méthodes et les faits des ouvrages 'qui datent de vingt-cinq ans avec ceux des publications les plus récentes pour se con- vaincre de l'importance des progrès qu'elle a pu faire dans un si court espace ; progrès fiicilités d'ailleurs par les perfectionnements incessants que reçoivent l'anatomie comparative, l'histoire naturelle, les sciences physiques et chimiques. Pendant que de toutes parts l'attention se portait vers ces belles études, les hommes voués ù la médecine des animaux semblaient vouloir, seuls, rester étran- gers aux progrès de la physiologie, comme s'ils avaient méconnu l'utilité du rôle qu'ils avaient à remplir. Dans leurs classiques ils ne paraissaient point remarquer que la science de la vie n'était pas représentée. Ils se bornaient, pour combler cette lacune, à indiquer en quelques mots, à la suite de la description de chaque organe, le rôle qui lui est dévolu. Les institutions vétérinaires, qui remontent à l'époque de Haller, auraient pu, si l'impulsion eût été dirigée dans ce sens, contribuer pour beaucoup à l'exten- sion de nos connaissances. Elles ne manquaient pas de travaux utiles, d'expériences intéressantes à faire, de questions spéciales à élucider, de points incertains à fixer; elles n'avaient, pour ainsi dire, qu'à choisir entre tant de sujets de recherches ceux qui pouvaient le plus directement conduire à des applications pratiques ; 70 INTRODUCTION. malheureusement elles les ont presque tous laissés de côté pour mieux se renfer- mer dans l'humble cercle de leur spécialité. Les sujets même essentiellement vétérinaires, ceux qui touchent de plus près à l'hygiène et à l'économie des ani- maux, appellent à peine l'attention. On néglige particulièrement les études expé- rimentales au point que sur les questions intéressant au plus haut degré la phy- siologie animale, comme le vomissement, la rumination, etc., il faut que la lumière nous vienne de sources étrangères. Cependant, de temps à autre, elles ont prouvé qu'elles comprenaient avec intel- ligence les sciences physiologiques ; plusieurs productions remarquables sont là pour l'attester : ainsi les belles expériences deFlandrin sur l'absorption, celles de Dupuy sur les fonctions des nerfs vagues, les recherches de Lassaigne sur la diges- tion. Aujourd'hui elles n'en sont plus à des travaux isolés. Les écoles à l'étranger marchent presque partout à côté des universités ; elles y ont des maîtres qui, par leurs doubles études, représentent à la fois les deux médecines. Et en France, quoi- qu'il leur manque beaucoup d'éléments de prospérité, elles ont de précieux moyens d'investigation. Désormais elles peuvent partout rivaliser, en matières de travaux solides, avec les institutions plus brillantes et mieux placées qu'elles pour mettre en relief leurs productions. Leur voix retentit dans les académies et y acquiert une légitime autorité ; leurs opinions, non plus confinées comme autrefois dans leur enceinte, entrent dans le courant général. Cette heureuse révolution s'ac- complit. L'histoire, dégagée de l'esprit de parti, dira plus tard quels travaux et quels -esprits l'ont préparée. Non seulement la physiologie des animaux se cons- titue dans son ensemble, et s'éclaire par elle-même, mais elle donne encore des matériaux à celle de l'homme qui, sur une foule de points, se déduit simplement de la première ; elle lui sert d'introduction et de guide, tout en fusionnant ses propres conquêtes avec celles de la physiologie générale. Maintenant, dans quelle voie la physiologie est-elle engagée et quelles sont ses tendances? A-t-elle une méthode nouvelle ou ne fait-elle que suivre l'impulsion donnée par la grande école de Haller ? A en croire un rapport officiel, l'avènement de la physiologie expérimentale appartiendrait à la France^ et daterait presque de Magendie; mais c'est là une opinion contre laquelle l'histoire impartiale doit protester énergiquement. Les sciences biologiques ont un blason plus ancien dont l'éclat, depuis Harvey, a été rehaussé par les travaux de Haller, deSpallanzani, deHunter, deBichat, de Le- gallois, avant de l'être par celles du savant professeur du Collège de France, et il l'était partout, d'une façon assez brillante, pour qu'on doive regarder ces sciences comme une œuvre collective édifiée à la l'ois par toutes les nations savantes de l'Europe. On peut même dire que ce chef d'école, à qui on voudrait fair(> hom- mage d'une création dont le mérite revient à ses devanciers, n'avait pas toujours les vues bien étendues, ni les conceptions très originales. Sans compter qu'il n'embrassa point l'ensemble de la physiologie, il ne sut guère y voir que les phé- nomènes physiques ou chimiques, bruts, isolés, en dehors de leur enchaînement et de leurs connexions ; les grandes généralisations, la découverte des lois, la 1. CI. Bernard, Bapjwrl sur les progrès et la marche de la physiologie générale en France, 1867. DES MÉTHODES EN PUYSIOLOGIE. 71 science des (k'-duclions, étaient peu à sa portée ; ses travaux les plus remar- quables étaient déjà préparés ou sont demeurés incomplets, quelquefois semés d'erreurs. Charles Bell lui a donné au moins l'idée de ses découvertes sur les fonc- tions des racines des nerfs. M. Flourens a exécuté une belle série d'expériences auxquelles il ne pensait point sur le r(Me des diverses parties du sytème nerveux. Bayle, Chirac, lui avaient tracé la voie de ses recherches sur le vomissement. Dans ses études les plus vantées, il n'a guère vu que les phénomènes saillants ; dans ses recherches sur l'absorption, il a méconnu le rôle des lymphatiques, etc. Ce qui caractérise l'école actuelle, c'est que tout en continuant non l'œuvre d'un seul, mais les traditions de tous les esprits éminents qui précèdent ou qui suivent Haller, elle divise et spécialise les études. Les uns , comme Flou- rens, Tiedemann, Millier, Longet, Vulpian, BrownSéquard, portent particuliè- rement leur attention sur le système nerveux; les autres, comme Baër, Bischoiï, Coste, étudient Ifi développement de l'œuf. Ceux-ci, comme ïiedeman, Gmelin. Leuret, Lassaigne, Bidder, Schmitt, s'occupent de la digestion ; Ilegnault. Reiset, Boussingault, P. Bert, de la respiration; ceux-là comme MM. Marey, Helmoltz, des hautes questions de mécanique animale et des méthodes gra- phiques appliquées à l'étude des points obscurs de divers phénomènes physio- logiques. Chacun, en apportant son tribut, veut devenir un citoyen illustre de la grande répu])lique des sciences. Ainsi la lumière vient de tontes parts, et l'édifice s'élève vite par cette communauté d'efforts. Il est bien peu d'hommes qui puissent étendre leurs études à l'ensembledes questions physiologiques, et quand ils y sont obligés, le temps leur manque pour approfondir, comme ils le méri- tent, chacun des points de leurs recherches. Si cette division a le grand avantage d'amener des études très étendues sur chaque partie de la science, elle donne à l'analyse une prépondérance excessive sur la synthèse ; elle fait un peu trop négliger les vues d'ensemble, l'étude des rapports sans lesquels on ne se fait pas d'idées bien justes de l'importance des phénomènes. Aussi les ouvrages d'ensemble paraissent trop souvent résulter de la juxtaposition de travaux isolés, exécutés d'après des méthodes et sui\ant des l>lans divers ; ils manquent de cette harmonie qui se révèle au premier coup d'œil, quand chaque chose est à sa place et dans les proportions qui lui conviennent. La grande tendance de l'époque est la découverte des faits, avec leur analyse détaillée, minutieuse. On veut des faits, et l'on en veut à satiété. Cette tendance, qui appartient, du reste, à toutes les sciences modernes, accuse la propension invincible des esprits vers le positivisme ; elle est généralement appréciée, sauf par ceux qui aiment mieux le vague et la liberté d'imaginer des théories. Ceux-ci sont les ennemis du positivisme ; ils regardent l'homme du fait comme un homme à vue courte, étroite. Ils ne voient pas que la certitude absolue est dans le fait seul, que le fait donne l'idée, féconde, lumineuse, qu'il est la baguette magique des fées, à l'aide de laquelle s'élèvent les plus merveilleux édilices. Mais si cette tendance est heureuse, elle a aussi ses vices. Aujourd'hui et trop souvent sur une foule de sujets, on se contente de rassembler des faits quels qu'ils soient. On les recueille parfois sans discernement; on les accumule i)lutôt qu'on ne les classe ; on les compte plus qu'on ne les pèse, on les oppose les uns 72 INTRODUCTION. aux autres, les faits sans signification aux faits de la plus haute valeur. Ils se multiplient tellement sur le même sujet qu'on peut en trouver pour appuyer les théories les pins contradictoires. Et ce qui achève d'en altérer le sens, c'est que ceux qui les mettent en œuvie ne les ayant pas recueillis eux-mêmes sont souvent dans l'impossibilité de bien les apprécier et d'en faire un triage judicieux. Aussi voit-on souvent les questions s'embrouiller en raison de l'apport des faits. Elles ne s'élucident que par les études des esprits d'une sagacité exceptionnelle qui, pour sortir de la confusion, cherchent à les reprendre ab ovo pour s'éviter le travail difficile d'un triage.' Quelques faits bien constatés deviennent alors plus lumineux qu'un fatras où l'esprit le plus clairvoyant s'égare. Une autre tendance non moins marquée de la physiologie actuelle, tendance dérivée de la première, est celle qui la pousse vers les recherches expérimentales, entre toutes les plus propres à conduire à de nouvelles découvertes. Elle est même si impérieuse, qu'elle fait presque négliger les autres moyens d'études comme l'observation, l'anatomie comparée, etc. L'expérimentation physiologique n'est d'ailleurs bien appréciée qu'autant qu'elle se sert de la vivisection. On l'estime peu quand elle ne fait pas violence à la nature, quand elle se borne à reproduire les conditions où la nature se place, car alors elle ne mène qu'à une simple constatation des phénomènes dans leur état normal, et ressemble trop à l'observation simple. Il est incontestable que les expériences, et particulièrement celles qui exigent des vivisections, rendent de grands services à la physiologie; mais on s'en exagère l'importance, quand on croit, avec Cl. Bernard \ que par elles et par elles seules, la physiologie va conquérir la nature vivante, se rendre maître des phé- nomènes vitaux, les soumettre à sa volonté, les modifier, les régler à sa manière, au point d'en venir, peut-être, à la création d'organismes nouveaux. Croire qu'on peut empiéter ainsi sur les attributions du Créateur, c'est se faire grandement illusion. On ne se rend pas maître des phénomènes en lésant telle ou telle partie de l'encéphale, en enlevant tel ou tel cordon de la moelle, en coupant tel nerf ou telle racine nerveuse, en abolissant à l'aide d'un agent toxique la sensibilité ou la motricité; on ne fait qu'imiter ce que la nature réalise dans des conditions pathologiques. Elle a des lois que nous pouvons bouleverser par nos mutilations, mais non changer : ses procédés lui appartiennent, il n'est pas en notre pouvoir d'y en substituer d'autres. Il est évident, pour quiconque y regarde de près, qu'on abuse souvent de l'expérimentation. Le premier venu s'imagine qu'il suffit de mutiler un chien ou une grenouille pour faire des découvertes. On détraque la machine vivante sou- vent sans méthode et de la façon la plus bizarre, et l'on prend ses réactions désordonnées, ses secousses, ses perturbations comme l'expression de son jeu normal, ou bien on se sert de ses manifestations irrégulières pour en déduire les phénomènes physiologiques. Tous les jours, par exemple, des désordres résultant de l'ouverture de l'abdomen, de l'excision des ganglions sympathiques, des liga- tures de vaisseaux impoi'tants, de la section d'un cordon de la inoclh;, de la gal- 1. Cl, Rernani, Itnpporl nlê,\). 220, 233, 234. DES MÉTHODES EN PHYSIOLOGIE. 73 vanisation dos filets nerveux, on tire des déductions forcées et fausses dans le but d'étayer des théories préconçues qut beaucoup de gens acceptent sans trop de difficultés, parfois avec enthousiasme. Il n'est rien de si difficile que d'expérimenter avec art, d'interroger la nature sans lui faire violence, de trouver le moyen qui trouble le moins, le moment le plus favorable, l'animal le mieux approprié à nos recherches, rien de plus diffi- cile, en un mot, que de faire ces belles et simples exjiériences, ces expériences lumineuses, décisives que les maîtres savent si bien instituer. Il faut pour cela une longue initiation, de profondes connaissances anatomiques, une sorte de génie que l'audace et le coup de main hardi ne remplacent point. Un grand travers de beaucoup d'expérimentaleurs actuels, c'est de viser tou- jours au merveilleux, à ce qui attire l'attention, pour négliger les sujets moins brillants dont l'élude exige des efforts pénibles et persévérants. Il est plus com- mode, en effet, de fenètrer le thorax en regard du cœur palpitant, de couper un sciatique de grenouille, d'exciser un ganglion que d'entreprendre de longues étu- des sur l'alimentation, la chaleur animale, l'analyse d'une fonction obscure, d'un phénomène peu apparent. Les habiles le savent bien et n'hésitent pas à opter pour les rôles qui se résument en quelques coups de scalpel : ceux-là sont pour les sections de nerfs, pour les amputations de pattes de salamandres, les greffes animales; aussi sur ces points les documents surabondent. Sur les autres qui exigent de longues études, on manque du nécessaire. Il est des physiologistes qui expérimentent uniquement dans le but de trouver la confirmation de leurs conjectures, qui'cherchent les combinaisons les plus pro- pres à étayer leurs vues et ne prennent dans les résultats que ce qui vient à l'appui de théories faites à l'avance. Le reste est mis de côté. L'expérimentation ne vaut, pour eux, que par les secours qu'elle leur fournit ; ils en dédaignent les données dès qu'ils ne peuvent les adapter à leur manière de voir. Ceux-là n'ad- mettent pas qu'on expérimente si l'on n'a quelque idée préconçue à vérifier. Ils considèrent comme un empirique quiconque recourt à l'expérience pour analyser les phénomènes en dehors de toute préoccupation doctrinale. Il en est d'autres qui demandent à l'expérimentation plus qu'elle ne peut don- ner, et qui croient remplir en deux ou trois tentatives des programmes capables d'absorber des années et des milliers de sujets. Du premier coup ils voudraient prendre d'assaut la place qu'on assiégerait vingt fois sans succès. Beaucoup se réduisent volontiers à la tâche de répétiteurs d'expériences. Ils viennent, à la suite des forts, jouer !e rôle d'admirateurs. Toujours on les voit d'accord avec ceux auxquels la position semble conférer l'infaillibilité. Souvent ils ne répètent, ne vérifient rien, et se bornent à introduire dans leurs travaux quelques variantes sans signification, afin qu'on ne les soupçonne pns de plagiat. Si l'obseVvateur dont ils confirment les résultats est dans le vrai, ils croient par- tager le mérite d'avoir bien vu ; s'il se trompe, ils se consolent aisément d'une erreur commise en bonne société. Un autre travers, devenu assez commun, même parmi les expérimentateurs de mérite, c'est de s'exagérer la portée des résultats obtenus. Dès qu'un fait nou- veau est constaté, on s'imagine qu'il va bouleverser la science de fond en comble 74 INTRODUCTION. et en renouveler la face. On voit se former un principe immédiat dans l'orga- nisme, où un si grand nombre de })rin(npes prennent naissance, et cette simple action chimique, prise entre mille, devient immédiatement une fonction impor- tante ; — on oblient des tracés graphiques des battements du cœur, des pulsa- tions artérielles, et voilà l'art du diagnostic en révolution ; on excise les capsules surrénales ou une portion de rate, on ampute une patte de salamandre, on greffe des appendices, des lambeaux de périoste ; on soude un nerf à un autre, et l'on se (igure que cela dévoile les lois du développement, les mystères de la nutrition, les propriétés de la fibre nerveuse. On tire d'un fait une série de conclusions, sans penser que la première est môme souvent contestable. Il n'est pas possible de se dissimuler qu'en présence de cet état de choses, la physiologie ne soit plus difficile à faire aujourd'hui qu'elle ne l'a jamais été. Elle a bien des matériaux en grand nombre ; mais, dans ces matériaux, que de faits sans valeur, mal observés, mal interprétés ! Que de difficultés à les trier, à les peser, à les classer ! Il faut que le physiologiste se voue à la tache pénible d'exa- miner et de contrôler sans cesse, qu'il ait toujours la pierre de touche, le scalpel, le microscope, le réactif à la main, qu'il se tienne dans une défiance perpétuelle de l'erreur, qu'il débarrasse la science de toutes les fausses reliques sur lesquelles s'abusent les indifférents, et qu'il repousse impitoyablement les inepties, les méprises, les pauvretés de toutes sortes jetées, chaque jour, au vent de la publi- cité, afin de n'employer à ses synthèses que les véritables richesses. En dressant le bilan de la science, en écrivant son histoire, que le physio- logiste reste impartial. Son rôle l'oblige à peser les titres, les droits de chacun, avec le soin, l'équité qu'il a dû mettre à l'examen des points purements scienti- fiques. Qu'il ne suive pas l'exemple de ces auteurs pusillanimes faisant appel à la postérité toutes les fois qu'il s'agit de déterminer les droits des auteurs de décou- vertes ou d'importants travaux. Le présent est le juge de première instance: il doit se prononcer ; la postérité conserve toute sa liberté de confirmer ou de cas- ser. Sans doute, il déplaira souvent dans ce rôle ; mais il recueillera l'approba- tion des bons juges, les seuls dont il doive estimer les suffrages. Le travail d'épuration devient maintenant, en présence de l'entassement des matériaux et des travaux contradictoires, la première tâche que le physiologiste ait à remplir. Il n'est plus possible, sauf dans les ouvrages encyclopédiques et dans ceux qui ont pour objet l'étude de quelques questions spéciales, de discuter une à une toutes les productions et de réfuter les mille erreurs qui surgissent. Il faut s'en tenir à ce qui est parfaitement établi et à peu près en dehors de toute contestation. Remettre sans cesse en regard les opinions iiasardées, les résultats équivoques, les faits mal observés, les détails sans importance, c'est faire perdre à la science ses attraits, c'est en éloigner les esprits sérieux qui y cherchent des lumières et des données applicables à d'autres sciences. Ce travail .effectué, la physiologie se trouvera plus à l'aise sur son terrain ; il lui restera plus de place pour l'exposition de ses véritables richesses. Elle devien- dra un fiambeau étincelant pour la pathologie, lui fera connaître ou l'aidera à découvrir le mode d'évolution, le mécanisme, la nature des troubles morbides ; elle jettera des clartés inattendues sur la thérapeutique en faisant voir comment 1)FS MKTIIODES EN PHYSIOLOGIE. 75 l'agent médicamentaux modifie les propriétés des tissus, l'état des liquides, le jeu (les organes et l'ensemble de l'organisme ; elle fera de Vh\ cordon résulte d'un assemblage de filets, à envelo[)pc commune, et chaque lil)re nerveuse, trans|)arente pendant la vie, montre une enveloppe devenant distincte par l'action de l'alcool et de l'acide acétique bouillant ; puis une substance médullaire, homogène, prescpie fluide, susceptible de se rassembler et de s'échapper sous forme de gouttelettes ; enlin au centre, un filament strié ou cylindre axile, que les acides rendent apparent. L'enveloppe peut manquer, la substance médullaire ou la myéline aussi ; mais le filament axile persiste et constitue essentiellement le nerf, c'est-à-dire le fil con- ducteur de la sensibilité et de la motricité. Il peut se diviser encore dans les tissus, et il paraît s'y terminer non en anses et en réseaux, mais par des extré- mités libres dont la disposition est extrêmement variée dans les organes des sens, à la peau, aux muqueuses et dans les muscles. Chaque masse ou rondement nerveux a, en outre, des cellules spéciales, à enve- loppe mince, amorphe, à contenu demi-fluide, finement granulé et à noyau pourvu d'un nucléole sim[>le ou muUi})le. Ces cellules, de formes variées, sont les unes sphéroïdales, les autres à prolongement simple, doulde, triple, d'où leurs noms d'apolaires, unipolaires, bipolaires et multipolaires. C'est par leurs prolonge- ments qu'elles s'unissent entre elles ou (pi'elles se continuent avec les filets nerveux. Il y a enfin dans les centres, entre les fibres elles cellules nerveuses, une matière granulée, à noyaux libres, analogue au contenu même des cellules. L'association complexe et très diversifiée de ces éléments constitue les centres nerveux et les cordons doués de propriétés spéciales. II. — Propriétés gréiiéralcs du système nerveux. Les centres et les cordons nerveux jouissent de trois propriétés distinctes : la sensibilité, l'excitabilité ou motricité, et cette autre qu'il est difficile de dénommer d'où paraissent résulter les opérations de l'instinct et de rintelligence. La sensibilité est la propriété par laquelle certaines parties nerveuses reçoivent les impressions, les transmettent ou les perroivent. La plupart des nerfs, mais non tous, les nerfs dits sensilifs, les nerfs mixtes, les racines supérieures des nerfs spinaux, les cordons supérieurs de la moelle épinière, le bulbe, la protubérance, etc., jouissent de cette ju-opriété. Au con- traire, les nerfs moteurs, les racines inférieures des nerfs spinaux, les cordons inférieurs de la moelle, le cervelet et les hémisphères cérébraux sont insensibles ou à peu près insensibles. L'excitabilité est une autre propriété par laquelle certaines parties nerveuses peuvent, lorsqu'elles sont stimulées, provoquer des mouvements ou des contrac- tions musculaires : c'est la propriété d'exciter les mouvements, ou la motricité. Le mésocépbale, la moelle allongée, la moelle épinière, les nerfs mixtes, les nerfs moteurs, sont des parties excitables. Ces deux propriétés peuvent être réunies dans les mêmes parties ou se trou\er 84 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. distinctes. Ainsi, d'une part, le mésocéphale et le bulbe sont, à la fois sensibles et excitables, leur stimulation provoque de la douleur et des mouvements : d'autre part les cordons inférieurs de la moelle et les nerfs moteurs ne sont qu'excitables, leur irritation provoque des mouvements, sans donner lieu à de la douleur ou à une sensation quelconque. La sensibilité dans les organes nerveux est presque toujours associée à l'exci- tabilité, car c'est par la première que la seconde est mise en jeu ; mais les deux propriétés n'en sont pas moins distinctes au fond. Ainsi, lorsqu'une stimulation appliquée à un nerf sensitif donne lieu à de la douleur et à des contractions mus- culaires, le nerf sensitif reçoit et transmet l'impression ; l'encépbale ou la moelle la perçoit et réagit, puis le nerf moteur envoie au muscle l'excitation motrice du centre cérébro-spinal. La propriété en vertu de laquelle s'effectuent les opérations de la volonté, de l'intelligence, de l'instinct, parait appartenir principalement aux hémisphères cérébraux qui ne jouissent ni delà sensibilité, ni de l'excitabilité telles qu'elle:^ se caractérisent dans les autres parties nerveuses. Ces propriétés distinctes, séparables, par la fonction, par l'expérimentation et par divers troubles morbides ont leurs instruments, leurs organes particuliers. Il y a, en effet, dans le système nerveux, trois appareils spéciaux : l'un pour la sensibilité, l'autre pour la motricité et le troisième pour les opérations instinc- tives et intellectuelles. Il est facile de démontrer que cette distinction est incon- testable. On sait depuis longtemps, puisque Érasistrate et Galien l'avaient déjà reconnu, qu'il y a des nerfs du sentiment distincts de ceux du mouvement, et les recherches des modernes ont établi d'une façon incontestable que certains nerfs et certaines parties des centres nerveux, comme la portion ganglionnaire du trifacial, l'ol- factif, l'optique, les racines supérieures des nerfs rachidiens, le cordon supérieur de la moelle épinière, sont exclusivement en rapport avec la sensibilité. Leur ensemble constituerait donc l'appareil sensitif qu'on pourrait même subdiviser en deux fractions : l'une pour la sensibilité générale, l'autre pour la sensibilité spé- ciale. En second lieu, il y a des nerfs exclusivement moteurs, tels que l'oculo- musculaii-e commun, le moteur externe de l'œil, le pathétique, le facial, l'hypo- glosse et les racines spinales inférieures. Ces différents nerfs, auxquels il faut joindre le cordon inférieur de la moelle épinière, puis la moelle allongée, où réside le principe des mouvements respiratoires, et le cervelet, qui coordonne les mouve- ments de translation, composeraient l'appareil de la motricité. Enfin, les hémisphères cérébraux formeraient à eux seuls l'appareil chargé de la perception des sensations et de tout ce qui est relatif aux facultés, soit instinctives soit intellectuelles. La localisation de la sensibilité, de la motricité et des facultés intellectuelles dans des parties difl'érentes du système nerveux est, comme nous le verrons, du reste, plus tard, un fait incontestable. Cependant il ne faudrait pas croire que ces trois groupes de propriétés ont partout un siège et des organes parfaitement distincts : s'il est évident que dans la moelle épinière et les nerfs la sensibilité s'isole delà motricité, il n'en est pas de même dans l'encéphale. Ici le siège de DU SYSTÈME NERVEUX ET DE L ENSEMBLE DE SES FONCTIONS. X") l'une n'est plus bien sépari' du si("'j,'(' île l'autre, il y a enti»' les deux une conlu- sion que l'analyse expérimentale ne parvient pas à dissiper. On voit bien, il est vrai, dans cette masse centrale : d'une part, des parties excitables, telles que la moelle allongée, le pont de Varole, les pédoncules cérébraux et cérébelleux, les tubercules bigéminés, dont l'irritation provoque des mouvements ; et d'autre part, des parties sensibles dans lesquelles la moindre stimulation développe de la douleur; mais, cbose bizarre, les parties excitables sont précisément celles qui jouissent de la sensibilité et d'une sensibilité exquise, de telle sorte qu'en elles le siège du sentiment parait confondu a\ec celui de la motricité, particularité qui s'explique, du reste, par l'intrication des fibres sensitives et des lilires motrices (|ui viennent constituer les renflements encéphaliques. De [dus, il y a dans ceux-ci d'autres parties, telles que les hémis|»lières cérébraux, les corps striés, les cou- ches optiques, le cervelet, qui ne sont ni sensibles, ni excitables, et pourtant elles ne sont étrangères ni aux actions sensitives, ni aux actions motrices, puisque leur lésion détermine Ji la fois, soit la paralysie, soit des troubles variés dans la locomotion, la perte des sens, l'abolition de la perception Cette association entre deux facultés si différentes et la confusion qui en résulte s'oppose à ce qu'on puisse nettement séparer dans l'encéphale l'appareil de la sensibilité de celui du mouvement, si tant est qu'ils y soient réellen^ent distincts. Quant à la délimination de l'appareil affecté aux fonctions instinctives et intel- lectuelles, celle-ci offre moins de difficultés : les travaux de Flourens ont prouvé qu'elles s'efl'ectuent dans les hémisphères cérébraux, et non pas à la fois dans ces parties et le cervelet, comme l'avaient cru certains physiologistes ; mais ces hémi- sphères, par cela même qu'ils remplissent encore un rôle important relativement aux sensations et aux mouvements, ne peuvent être considérés comme un appareil exclusivement en rapport avec les premières de ces fonctions. Il y a donc dans le système nerveux des parties qui président à la sensibilité, d'autres à la motricité, et quelques-unes enfin aux facultés de l'instinct et de l'in- telligence. Bien que ces parties ne soient point coniplèt(>ment distinctes, notam- ment dans l'encéphale, elles ne forment pas moins les trois appareils spéciaux dont nous avons parlé. Celte pluralité des appareils dans un système unique est déjà un fait très remarquable; mais il y a plus : chacun d'eux se fractionne à son tour en petits organes ayant des attributions déterminées que les recherches expé- rimentales ont mises en évidence. « En efl'et, du cerveau naît, dit Flourens', la faculté par. laquelle l'animal pense, veut, sent, juge, perçoit les sensations et commande à ses mouvements : du cervelet dérive la faculté qui coordonne ou équilibre les mouvements de locomotion; des tubercules bijumeaux ou quadri- jumeaux, le principe primordial de l'action du nerf optique et de la rétine; de la moelle allongée, le principe premier uioteur ou excitateur des mouvements respiratoires ; et de la moelle épinière enfinf, la faculté de| lier ou d'associer en mouvements d'ensemble les contractions partielles immédiatement excitées par les nerfs dans les muscles. » 1. Flourens, Recherc/tes expérime^ntale-t sur les propriétés et les fonctions du si/stème nerveux. -2' édition. Paris, 1845, p. ^'JG. 86 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. III. — Action iieryeiise en S'énéral» L'activité du système nerveux résultant de la participation de plusieurs organes dont les propriétés et le rôle sont, distincts, s'exerce suivant trois modes : 1° de la circonférence au centre: 2° du centre à la périphérie ; 3° dans les organes centraux eux-mêmes. Parle premier mode toutes les impressions, quelle qu'en soit la nature et de quelque part qu'elles viennent, sont reçues d'abord, puis en- voyées aux parties centrales ; par le second mode, les centres réagissent consé- cutivement aux impressions éprouvées et provoquent le mouvement dans les par- ties contractiles ; par le troisième les centres effectuent en eux-mêmes les opérations meuveilleuses d'où résultent l'instinct, l'intelligence, la volonté. La disposition du système nerveux est admirablement appropriée à ces modes d'ac- tivité et aux résultats variés qui en dérivent. Constituant un immense réseau qui enveloppe et pénètre toutes les parties, ce système les lie, les met en harmonie entre elles et en communication incessante avec ses foyers d'activité; il trans- forme l'organisme en une administration où les rôles divers, effectués isolément, sont soumis à une impulsion commune, associés entre eux et réglés en vue des résultats définitifs. Indépendamment des actions spéciales effectuées par chacune des parties du système nerveux, il est une action collective, générale, disséminée, par laquelle ce système provoque et règle le jeu de toutes les parties, établit l'harmonie, le consensus entre elles. C'est ce qu'on désigne souvent sous le nom vague d'in- nervation. L'influence nerveuse n'est sans doute pas indispensable à la vie appelée orga- nique ou végétative, car sans elle, tous les actes de la nutrition et de la repro- duction s'exécutent parfaitement dans les plantes, ainsi que les premiers phénomènes du développement dans l'œuf; il semble même que les actes intimes de la nutrition ou de la sécrétion n'en dépendent point directement. Mais, dès que le système nerveux apparaît, il se subordonne et dirige toutes les actions de l'organisme. Par l'intermédiaire de la sensibilité, de la motricité, par les modi- fications qu'il imprime à la circulation et par suite à la distribution, à l'emploi des matériaux nutritifs, il stimule ou modère l'activité des organes. L'innervation, considérée relativement au reste de l'organisme, étend son influence sur toutes les fonctions et sur tous les organes sans exception. Il n'est pas une action, de quelque nature qu'elle soit, qui ne se trouve sous sa dépen- dance : la démonstration en est facile à donner. Le nerf d'un organe des sens cesse-t-il d'être en communication avec l'encéphale, aussitôt la sensation est abolie. Le nerf d'un muscle est-il dans la même condition, le muscle n'obéit plus à la volonté et cesse de se contracter; il est paralysé; bientôt il va s'atrophier, et il mourrait complètement si l'influence des ramifications ganglionnaires ne suffisait à entretenir dans sa masse une nutrition languissante. Opère-t-on la section des pneumogastriques, la glotte se ferme en grande partie, l'air pénètre difficilement dans la poitrine, l'animal ne tarde pas à périr asphyxié. A-ton soin, lors de cette section, d'ouvrir la trachée pour donner accès au fluide qui ne traverse jtas DU SYSTEME NERVEUX ET DE L ENSEMBLE DE SES FONCTIONS. S7 le larynx eu quantité suffisante, d'autres effets encore se produisent: le i)Ouinon s'engoue, les bronches se remplissent de mucosités, l'héuiatuse leste imparfaite, la respiration devient d'une lenteur extrême, la température du corps baisse, et tout cela par suite de l'affaiblissement de l'innervation sur le c(eur et sur l'organe de la sanguification. Des effets analogues se manifestent dans d'autres parties dès l'instant qu'elles sont soustraites à l'influence nerveuse; elles perdent leur sensibilité si elles en possédaient une appréciable, la faculté de se mouvoir si elles sont de nature contractile ; leurs sécrétions se suspendent, leur nutrition languit, elles s'atrophient et Unissent par être frappées de mort. Cette influence dominatrice, sans laquelle nul tissu ne peut vivre et nul organe fonctionner, ne s'exerce point suivant des lois identiques pour tous les animaux : elle offre dans ses phénomènes des modifications assez nombreuses correspondant à celles qui s'observent dans la disposition anatomique du système nerveux. La plus générale et la première de ces lois est celle-ci: l'innervation est d'autant plus centralisée que l'animal est plus haut placé dans l'échelle zoologique. D'abord il est évident qu'il ne saurait y avoir de centralisation chez les êtres les plus simples dont le système nerveux est, pour ainsi dire, disséminé. L'une quelconque des parties du corps ayant en soi ce que possèdent toutes les auties, il n'y a pas de raison pour que la première soit dé[vendante des secondes : aussi, quand une hydre vient à être coupée en deux, chaque moitié peut vivre isolé- ment comme elle vivait étant réunie à l'autre. Dès qu'apparaissent des renfle- ments ganglionnaires, la centralisation se manifeste à un degré plus ou moins prononcé. S'ils forment une chaîne dans laquelle la même disposition se répète un grand nombre de fois, comme on le voit chez les articulés, chaque ganglion constitue un petit centre où aboutissent des impressions et d'où partent des influences motrices, de telle sorte que la division de l'animal en deux moitiés, par exemple, permet encore à celle-ci de vivre comme le faisait l'animal tout entier : c'est efl"ectivement ce qui arrive chez les naïdes, les lombrics. d'a[)rès les observations de Trembley, de Bonnet, de Réaumur. Il n'en est plus de même chez la plupart des articulés et des mollusques dont les ganglions céphaliques acquièrent des proportions relatives considérables; néanmoins la centialisafion nerveuse de ces animaux n'est pas telle (jue l'ablation du collier o'sophagien dé- termine immédiatementlamort. Dans les vertébrés, l'action nerveuse se concentre d'avantage, et la dépendancequi existe entre ces divers éléments devient de plus en plus intime; mais il y a encore, sous ce rapport, une grande distance entre le reptile et le mammifère: la salamandre, par exemple, peut survivre des mois entiers à la décapitation, tandis qu'un animal à sang chaud meurt immédiate- ment après la destruction de la moelle allongée, bien que l'encéphale et la moelle épinière soient intacts. La seconde des grandes lois de l'innervation peut être ainsi formulée : l'in- fluence nerveuse est d'autant moins centralisée (jue l'animal est plus jeune ou moins avancé dans son développement. Le fœtus se forme sans qu'il ait un système nerveux achevé; il arrive même à son complet développement, bien que, quelquefois, ainsi (|ue les acéphales le prouvent, le cerveau mancjue com|tlètenu'iit ou n'existe qu'à l'état de vestige. 88 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. Tous les expérimentateurs ont remarqué que les jeunes annimaux survivent plus aux mutilations des centres nerveux que les sujets adultes. J'ai décapité à la fois six jeunes rats qui n'avaient point encore la peau recouverte de poils ; ils ont exécuté des mouvements spontanés pendant 20, 25, 30 minutes après l'opéra- tion; des sujets adultes, soumis par comparaison à la même expérience, n'exécu' talent plus aucun mouvement au bout de 40 à 50 secondes. Une troisième loi est : que l'influence nerveuse ne tient pas toutes les fonctions dans une dépendance également intime. Celles qui en dépendent le plus immédiatement sont : les sensations, la loco- motion et toutes les autres fonctions de relation. Il suflit du moindre trouble apporté dans l'action des centres pour que les sensations, les mouvements, soient pervertis ou mis dans l'impossibilité de s'eff"ectuer. Les fonctions de la vie orga- nique y sont moins directement soumises : le mouvement nutritif, les sécrétions, l'absorption, continuent même un certain temps après que le centre cérébro- spinal a cessé d'agir. Toutefois plusieurs d'entre elles sont vivement impres- sionnées par les causes qui agissent sur le cerveau ; et, pour n'en citer qu'un seul exemple, voyez les battements du cœur se précipiter, la digestion se suspendre, la peau se couvrir de sueur par suite d'une émotion subite, d'une passion vio- lente, etc. Mais, ici, il faut tenir compte de l'intervention du système ganglion- naire, dont l'influence moins sensible modifie celle du cérébro-spinal. Une quatrième loi est : que l'influence nerveuse varie suivant les individus et les diverses conditions dans lesquelles ils peuvent se trouver. Les principales variations, sous ce rapport, tiennent à l'état de veille ou de som- meil, de santé ou de maladie, d'activité, d'engourdissement ou d'hibernation ; nous les indiquerons à leur place quand l'occasion s'en présentera. Maintenant, faut-il se demander par quelle force, quel agent, le système nerveux effectue ses merveilleuses actions sensitives et motrices. La question n'est pas moins insoluble aujourd'hui que par le passé, quoiqu'elle ait fait l'objet de nom- breuses études de la part des physiologistes et des physiciens. Les anciens, comme on le sait, s'imaginaient rendre compte des actions ner- veuses en admettant des esprits animaux, ou des fluides subtils qui circulaient dans les nerfs et dans les centres nerveux. Mais ces fluides subtils, dont les parti- cules pouvaient se mouvoir avec célérité pour mettre en jeu les muscles, ne ren- dent pas les explications plus faciles. Boerhaave^ peut bien nous les représenter comme passant continuellement de l'encéphale dans de fins canalicules des fibres nerveuses, progressant d'un mouvement égal et régulier par le fait de l'impulsion du cœur, revenant se mêler au sang pour être remplacés par de nouvelles quan- tités : il ne nous donne aucune lumière sur le mécanisme de la plus simple action nerveuse. D'autre part, les expérimentateurs modernes, à compter des décou- vertes de Galvani, ne réussissent point à établir que la force nerveuse est une force électrique, et, à supposer qu'ils arrivent à les assimiler l'une à l'autre, on ne verrait guère comment l'électricité engendre la sensibilité, le mouvement avec tous les actes qui dépendent de l'instinct et de l'intelligence. 1, Hermann Boerhaave, rnatitudons de médecùie, édit. de la Mellrie, t. III, g 284 et suiv. DU SYSTÈME NERVEUX ET DE l'ENSEMBLE DE SES FONCTIONS. 89 Il serait toutefois intéressant de savoir si, réellement, il se développe de l'élec- tricité dans les organes nerveux, et si des courants de ce fluide parcourent les nerfs. Or, Prévost et Dumas n'ont pas constaté de courants dans la moelle, ni dans les nerfs vagues ou les sciatiques, en appliquant à ces organes les (ils du galvanomètre. Matteucci et Longet \ en opérant sur les sciatiques du cheval lors de la contraction musculaire, n'y ont pas non plus observé d'indices de courants électriques. Cependant du Bois Reyinond, qui s'est servi de galvanomèlres extrêmement sensibles, est arrivé, en opérant sur des tronçons de nerfs, à constater un courant lorsqu'un électrode était appliqué à la face externe du nerf et l'autre sur la sec- tion; il a vu ce courant électro moteur se produire dans toutes les espèces de nerfs et dans la moelle épinière. Mais, en admettant même leur existence, il n'est pas certain que l'action nerveuse soit produite par ces courants ; ils peuvent en être un résultat ou même n'avoir rien de commun avec elle. Ce qui tend à en affaiblir singulièrement la signification, c'est que les courants passent à travers une section, pourvu que les bouts du nerf se touchent, qu'ils se manifestent encore dans des nerfs écrasés ou altérés à la suite d'une section de date ancienne, alors qu'ils sont devenus impropres à fonctionner physiologique- ment. D'ailleurs, on obtient des courants semblables, comme Matteucci l'a fait voir, en agissant sur des disques ou des segments de muscles superposés à la façon des éléments d'une pile. Les courants électriques qu'on fait passer par les nerfs ne se comportent point comme les courants nerveux ; ils se propagent à travers les ligatures, se transmet- tent parle névrilème comme par le nerf même, s'échappent souvent latéralement dans les muscles, tandis que les courants nerveux sont arrêtés par les liens, exclusivement transmis par les filets nerveux qu'ils ne quittent point, etc. En outre, la marche de l'influx nerveux, des incitations motrices dans les nerfs est lente, elle ne représente, d'après des approximations suffisamment exactes, que quelques mètres par seconde; celle de l'électricité est, comme on sait, de milliers de lieues dans le même temps. Si quelquefois l'électricité transmise aux nerfs semble rétablir leurs fonctions, c'est parce qu'elle les stimule, et alors elle ne fait pas plus, à l'intensité près, que les excitations mécaniques ou chimiques. Enfin, le dégagement de l'électricité par certains poissons, notamment la tor- pille, ne conduit nullement à assimiler le fluide électrique à ce qu'on pourrait appeler le fluide nerveux. Ces poissons ont un appareil spécial pour produire l'élec- tricité, et cet appareil fonctionne, comme tous les autres, sous l'influence du sys- tème nerveux. La section ou la ligature de ses nerfs empêche ses décharges ; l'élec- tricité y est produite par l'appareil même, et non envoyée par les centres nerveux, car les nerfs de l'appareil électrique n'ont offert à Matteucci aucun indice de courant. Nous sommes évidemment ici en présence d'une inconnue ; les propriétés 1. Longet, Traité de physiologie, t. III, p. 276-277, Paris, 1869. 90 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. inhérentes au système nerveux, la sensibilité, la motricité et les autres sont mys- térieuses dansleur essence. Si nous ne pouvons en reconnaître la cause, la nature, cherchons à en bien constater les caractères et les effets. CHAPITRE II FONCTIONS DE L'ENCÉPHALE Les parties essentielles du système nerveux central, renfermées dans le crâne, constituent l'encéphale. Ce sont les hémisphères cérébraux, le cervelet, le méso- céphale et le bulbe rachidien (fig. 1), dont il faut déterminer les propriétés et les fonctions. Quoique liées entre elles et coinposées d'éléments semblables, elles ont chacune leur forme, leurs particularités de structure, comme aussi leurs propriétés et leur rôle. Il en est d'insensibles, d'autres d'une sensibilité exquise, d'excitables et de non excitables. Elles se partagent le travail complexe de l'intel- ligence, de la volonté, de la motricité, des sensations et des perceptions diverses. Le grand problème physiologique qui se pose ici est de préciser la fonction de chaque partie, d'après les données de l'anatomie comparée, de l'expérimentation et des faits pathologiques. Il y a trois méthodes à suivre pour déterminer les fonctions des centres nerveux et de leurs différentes parties. La première consiste à stimuler ou à irriter ces centres, de manière à les mettre en action comme dans les conditions normales. La stimulation est effec- tuée par une foule de moyens : les piqûres, la compression, les courants électri- ques, le contact des acides, des alcalis, etc. La seconde a pour objet de supprimer, d'annihiler cette action en opérant l'ablation totale ou partielle des organes, leur désorganisation, à l'aide des ins- truments, des caustiques, etc. Enfin, la troisième cherche à déduire la fonction de l'analyse des états mor- bides tels que la paralysie, l'anesthésie, les troubles de la locomotion ou des lésions des maladies, comme les atrophies, les dégénérescences, etc. De ces trois méthodes, les deux premières peuvent toujours être employées par le physiologiste. La troisième est du ressort de la clinique et de l'anatomie pathologique. Comme leurs données se complètent et se contrôlent les unes par les autres, aucune ne doit être négligée, d'autant que chacune d'elles peut exposer l'observateur à des illusions. En effet, en stimulant une fonction, on peut l'exa- gérer et la trou])ler; en la supprimant, on entrave quelquefois le jeu des parties liées à celles dont l'action est suspendue. DU CERVEAU OU DES HÉMISPHÈRES CÉRÉBRAUX Les hémisphères cérébraux qui, dans l'homme (fig. 2) et les vertébrés supé- rieurs, représentent la plus grande partie de l'encéphale, forment deux masses FONCTIONS DE l'ENCÉPHALE. Vil plus OU moins arrondies, creusées d'une double cavité ventriculaire et continues à l'isthme par deux pédoncules. Ils sont formés par un amas des deux substances nerveuses, la grise à l'extérieur et la })]ailité générale et aux: .««eiLa^atioiiN. Lorsqu'on se propose de déterminer les fonctions du cerveau, on est obligé de le détruire. C'est de l'étude des effets qui résultent de sa suppression qu'on déduit le rôle de ce centre important. Sa désorganisation par les instruments, par les caustiques, par les injections corrosives, sont des moyens qui peuvent être employés, mais aucun ne convient mieux que l'ablation. Ce dernier est le plus expéditif et le plus sûr. L'ablation, pour s'exécuter aisément, doit être tentée sur les jeunes animaux dont les parois crâniennes sont peu résistantes. Elle est facile sur le lapin, l'agneau, le chevreau et les bètes bovines avant l'âge du sevrage; mais elle le devient beaucoup moins, plus tard, surtout chez les animaux à vastes sinus, comme le porc ou les grands ruminants, ou chez ceux dont les crofaphites sont énormes, comme le chien et les autres carnassiers. Pour Teffectuer sans commo- tion, on exfolie simplement, d'un seul côté, avec l'instrument tranchant, le frontal et le pariétal dans une étendue un peu moins grande que la face anté- lieure d'un hémisphère, ou bien, si les os sont durs, on circonscrit l'opercule à enlever par un sillon circulaire ou ellipsoïde creusé à l'aide de la rugine, en ayant soin de respecter, sous forme d'arceau, la partie médiane sur laquelle est fixé le grand sinus falciforme. Après avoir enlevé riiémisphère dénudé, on passe l'instrument sous le pont formé par le frontal intact, et on enlève l'autre sans difficulté. Sur les très petits animaux, comme les rongeurs et les oiseaux, on peut, sans inconvénient, dénuder les deux hémisphères, surtout si on se pro- pose d'en explorer les différentes parties. Dans tous les cas, soit qu'on les excise par tranches ou en bloc, il imi»orte d'éviter la lésion de Tisthme, des pédoncules, puis de restreindre l'hémorrhagie, toujours très abondante, enfin, de l'arrêter par le tamponnement provisoire, afin de ne pas afi'aiblir l'animal . Ces précau- tions sont indispensables, si on veut conserver les sujets pendant quelques jours, quelques semaines, ou les guériri Voici ce qu'on jieut constater après rahlafioii du cerveau ; S'il s'agit d'un oiseau, comme la poule ou le pigeon, l'animal, quoique un pcU aflaibli par la mutihifion et l'hémorrhagie, peut encore se tetiir debout, ou, s'il se couche un moment, lise relève bientôt et demeure immobile, somnolent, inat- tentif, et comme indilTérent à ce qui se passe autour de lui. Sa sensibilité géné- rale est émoussée, mais non éteinte : aussi il se déplace, retire l'aile ou la patte 96 DKS FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. qu'on vient de lui pincer, secoue la tête, agite les plumes si on le pique ; il résiste quand on veut déplacer quelque partie de son corps, reprend sa position si on le met sur le dos ou sur le côté. Ses sensations sont abolies ou devenues très obtuses ; il a l'œil fixe, les pupilles dilatées, ne détourne plus la tête et ne rapproche pas les paupières, lorsqu'un corps étranger est porté vers l'œil ; les bruits violents ne provoquent aucun mouvement; le sel mis dans la bouche ne détermine aucun effort de réjection ou de déglutition ; l'ammoniaque n'impres- sionne ni 1 odorat, ni la conjonctive. Dans cet état, l'animal semble ne plus avoir de spontanéité et de volonté. Il ne cherche à se déplacer que s'il éprouve de la gêne dans la situation où il se trouve; et alors il se meut presque inconsciemment, automatiquement, comme l'individu endormi dans une position devenue pénible. Il ne paraît plus avoir de volonté, ni d'instinct, ni d'intelligence ; il ne cherche plus sa nourriture, refuse même celle qu'on lui offre ; il se laisserait mourir de faim sur un tas de blé ; mais il avale le grain et l'eau qu'on lui introduit dans le bec. Tous ces effets de l'abla- tion du cerveau ont été constatés par Flourens dans ses belles expériences sur le système nerveux, puis vérifiées par Longet, M. Vulpian et divers autres physiologistes. Les petits mammifères, notamment les rongeurs, comme le lapin, le cochon d'Inde, donnent à peu près les mêmes résultats. Après l'ablation, qui se fait aisé- ment, sans provoquer de douleur bien marquée ni d'agitation, l'animal, quoique très affaibli et d'une sensibilité devenue obtuse, se soutient encore accroupi, et même debout; il peut se déplacer, s'il y est sollicité par des excitations extérieures, sauter, courir. Il semble encore un peu impressionné par la lumière vive, les émanations piquantes sur la pituitaire, les saveurs fortes. D'ailleurs, il paraît avoir perdu, comme l'oiseau, la spontanéité, la volonté, les instincts de son espèce et l'intelligence. Ce qu'on observe sur les grands animaux concorde avec l'opinion de Flourens. Dès qu'un cheval a le cerveau enlevé, il est à peine affecté par de profondes piqûres, ou de grandes incisions à la peau; le bruit que l'on fait autour de lui ne paraît pas l'émouvoir ; la lumière la plus vive ne fait pas varier l'ouverture de la pupille ; le doigt porté brusquement vers l'œil ne détermine pas de mouvements des paupières ; l'ammoniaque mise à l'entrée des narines n'occasionne ni ébroue- ment, ni rien qui indique une action sur la pituitaire ; des substances amères placées sur la langue ne provoquent, ni dans cet organe, ni dans les mâchoires, le moindre mouvement qui puisse porter à penser que ces substances ont impres- sionné les papilles gustatives ; en un mot, toutes les sensations semblent anéan- ties. Les mêmes phénomènes s'observent chez les ruminants : une génisse à laquelle j'avais complètement détruit les deux hémisphères cérébraux se tenait encore debout et marchait assez facilement, mais elle se heurtait contre les murs, ne voyait plus les objets qu'on approchait de ses yeux, gardait, sans le mâcher, le foin qu'on lui mettait dans la bouche et n'était nullement impres- sionnée par le bruit d'un cor qu'on faisait sonner à ses oreilles. Mais il faut remarquer que sur les grands mammifères la destruction des lobes, à la suite des grands délabrements du crâne et des commotions qui les accom- FONCTIONS DE LENCÉPUALE. 97 pagnent, affaiblit à un liant degré la sensibilité générale et détermine une para- lysiequi metles animaux dans l'impossibilité de réagir à la suite des impressions qu'ils peuvent ressentir. Aussi arrive-t-on à des résultats plus exacts sur les petites espèces, et particulièrement sur les oiseaux, dont on dénude, sans secousses, les parties encéphaliques. Encore sur ceux-ci les résultats des vivisec- tions se prêtent à des interprétations discordantes. Ainsi, de ce que le pigeon sans lobes tourne la tête pour suivre une lumière à laquelle on imprime un mou- vement de rotation ; de ce qu'il sort de l'assoupissement lors de la détonation d'une arme à feu, se frotte les narines après l'inspiration de vapeurs ammonia- cales, MM. Longet et Vulpian se refusent à admettre que la destruction des lobes cérébraux abolisse complètement les sensations. Les faits qui semblent indiquer la persistance des sensations après la destruc- tion du cerveau n'ont pas tous, à beaucoup près, la signification qu'on leur attribue. D'abord il est des sensations qui sont forcément abolies par l'ablation des hémi- sphères: l'olfaction, par exemple, puisque l'opération supprime les couches olfac- tives, ou détruit leurs communications avec le reste des centres; la vision doit être aussi très affaiblie par suite de la lésion du chiasma optique. D'autre part certaines manifestations rapportées à des sensations spéciales ont un sens équi- voque. L'agitation brusque suscitée par la détonation d'une arme à feu s'explique aussi bien par les impressions tactiles produites consécutivement aux vibrations de l'air que par la persistance de l'audition ; l'impression de Tammoniaque porte plus sur la sensibilité générale de la pituitaire que sur sa sensibilité olfactive. D'ailleurs, il est un certain nombre de mouvements liés à l'expression des sensa- tions et qui peuvent être de nature purement réflexe sans liaison avec des impres- sions cérébrales dont l'animal ait conscience. Toutefois, il semble que si ces impressions sont traduites elles doivent être perçues à un certain degré par d'autres parties demeurées intactes. D'après Longet le mésocéphale serait leur premier centre perceptif. Il effectuerait un commencement, un préliminaire de perception. Il est donc probable que la sensation est un phénomène nerveux plus complexe {(u'il ne le parait au premier abord, phénomène qui commence à s'accomplir d'une manière confuse dans l'isthme de l'encéphale, s'achève, prend sa forme vive, distincte, sa nuance de sensation complète dans les hémisphères chargés de l'apprécier, pour en faire la base, l'élément d'une idée ou d'une opération intel- lectuelle. Un grand nombre de considérations tirées, les unes de la physiologie, les autres de la pathologie, confirment le fait de ces attributions perceptives des hémi- sphères. En effet, lorsque le cerveau est absorbé par les travaux intellectuels, distrait par une cause ({uelconque, les sensations deviennent faibles et con- fuses : on n'entend plus les bruits, on ne i)erçoit plus les saveurs et les odeurs. Lorsque le cerveau est comprimé par un épanchement séreux ou sanguin, par une fracture des parois du crùne, les sensations deviennent plus ou moins obtuses. Admettant que la perception complète, consciente des impressions ait lieu dans les hémisphères, le physiologiste se demande, d'une part, si cette perception 0. COLIN. — Physiol. comp. 3' édit. 7 98 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. est opérée dans l'ensemble des hémisphères ou si elle est localisée dans un point déterminé, d'autre part si les perceptions, dans le cas où elles seraient locahsées, le seraient toutes ensemble, dans un seul département cérébral, ou dans autant de départements qu'il y a de sensations distinctes. Dans les idées de Flourens, à peu près universellement admises jusqu'à ces der- nières années, les lobes cérébraux seraient, en masse ou en bloc, chargés de perce- voir les sensations; aucune partie de ces lobes n'aurait, comme pour les facultés instinctives ou intellectuelles, d'action différente de celle de toutes les autres- Mais, depuis quelque temps, on incline à voir dans l'écorce des circonvolutions des centres sensitifs distincts de ceux qui paraissent être moteurs et à cause de cela on est amené à supposer que, dans les hémisphères, il existe des voies de sensations distinctes, des voies ou des tractus de la motricité. D'après Ferrier ^ la deuxième circonvolution extérieure dans sa région pariétale serait, chez le chien, un centre de sensation visuelle. En l'excitant par l'électricité dans le point, dit le pli courbe, on déterminerait des mouvements des yeux indi- quant une sensation visuelle subjective. En la détruisant d'un côté on provoque- rait la perte de la vue dans l'œil opposé et, en la détruisant des deux côtés, la cécité complète et permanente. Cette première localisation me paraît admissible depuis que j'ai vu, sur le mouton, l'excision à gauche de la partie postérieure de la circonvolution dont il s'agit abolir la vision du côté droit. Dans la partie postérieure de la troisième circonvolution placée en dehors delà précédente se trouverait un centre sensitif pour l'audition. En l'excitant on pro- voquerait un redressement de l'oreille opposée, avec rotation des yeux et inclinai- son de la tête de ce côté comme si un bruit venant de ce même côté appelait brusquement l'attention de l'animal. C'est également dans la partie postérieure des hémisphères que les excitations électriques ont paru déterminer des sensations subjectives desquelles on conclut à l'existence d'autres centres sensitifs. Ainsi, chez le singe et chez le chien, l'irri- tation de l'extrémité des hémisphères au point où ils vont se recourber vers la tente du cervelet ayant donné lieu à des signes d'inquiétude, de malaise, on a placé là un centre de sensibilité tactile dont l'abolition ferait perdre à l'animal la conscience des mouvements exécutés par les muscles. La destruction de la circonvolution de l'hippocampe a eu pour résultat, dans les expériences de Ferrier, l'héniianesthésie opposée à la lésion comme les altérations pathologiques de cette partie de l'écorce, l'ont fait dans les cas signalés par M. Charcot. A la région temporo-sphénoïdale, tout à fait en bas, dans ce qu'on appelle le subiculum de la corne d'Ammon, on a cru voir encore un centre de l'odorat et un centre du goût parce que l'irritation de cette partie, chez le singe, le chien et d'autres ani^ maux, détermine des phénomènes exprimant des sensations subjectives d'odeurs et de saveurs. D'une part on a vu alors une narine se tordre, et l'autre se fermer partiellement, comme dans les cas où une substance d'odeur désagréable est mise à l'entrée des cavités nasales. D'autre part on a constaté que la désorganisation de la partie supérieure du lobe temporo-sphénoïdal abolit complètement lagusta- 1. D. Ferrier, Les Fonctions du cerveau, Paris, 1878, p. 2G.3, FONCTIONS DE l'ENCÉPHALE. 99 tion et Tolfaction. Aussi après cette désorganisation les substances les plus amères comme l'aloès et la coloquinte n'impressionnent plus la muqueuse buccale et l'acide acétique paraît sans action sur la pituitaire. Mais, en ce qui concerne ces dernières localisations, les expériences sont peu concluantes, parce que la destruc- tion des parties dont il s'agit exige de grands délabrements et plonge l'animal dans un état tel que les muqueuses buccale et olfactive deviennent à peu près insensibles aux excitations ordinaires. En outre, on a cru découvrir des centres de sensations internes dans les régions occipitales des hémisphères qui correspondent aux lobes occipitaux de l'homme. L'excitation électrique de ces régions ne provoque aucune réaction. Leur destruc- tion n'entraîne ni anesthésie ni paralysie; elle laisse les animaux marcher, courir; seulement elle donne lieu à une anorexie, d'ailleurs passagère, qui n'accompagne pas des lésions cérébrales d'une étendue et d'une gravité équivalentes; mais cela ne sullit pas pour légitimer la localisation des sensations de la faim, de la soif, dans les régions occipitales du cerveau. En somme, c'est sur desimpies déductions, tirées des effets de la stimulation ou de la destruction de divers points de l'écorce cérébrale qu'on se fonde pour loraliser chaque sensation dans un centre distinct. C'est toujours d'après certains mouvements des yeux, des oreilles, de la langue, des joues, des mâchoires, etc., analogues cà ceux qui traduisent, dans les conditions ordinaires, les sensations visuelles, auditives, olfactives, gustatives qu'on adn)et le fait de sensations subjectives surgissant dans les points excités. Aussi reste-t-il des doutes sur l'existence et la délimitation des centres sensitifs. L'autonomie de ceux-ci serait prouvée si leur destruction entraînait l'abolition indéfinie des sen- sations qu'ils paraissent chargés de percevoir. La sensibilité générale n'est point abolie par l'ablation des lobes cérébraux, non plus que la sensibilité tactile, ni la sensibilité à la douleur. Flourens, Magendie, Longct, ont noté que les animaux privés de leurs hémisphères étaient encore sensibles aux piqûres et aux diverses excitations fortes. Cependant cette sensibilité s'affaiblit considérablement, surtout sur les mammifères de grande taille, tels que le cheval et le bœuf, au point que souvent les piqûres d'épingle, même les coups de scalpel donnés sur la peau, ne provoquent plus de réaction. C'est sur les oiseaux que l'aflaiblissement de la sensibilité est alors le moins prononcé. Les hémisphères paraissent avoir sur les sensations et sur la sensibilité géné- rale une action croisée. Flourens a observé que la destiuction de l'un d'eux entraîne la perte de la vue du coté op[)Osé. J'ai constaté, sur un une, que cette action croisée existe éga- lement pour la sensibilité générale. Après avoir détruit en partie le lobe cérébral droit, j'ai vu que l'animal s'agitait vivement quand on lui frappait l'oreille droite, ou lorsqu'on lui piquait la peau du même coté, taudis qu'il s'agitait à peine à la suite des coups portés sur l'oreille gauche ou des piqûres faites à gauche en diverses parties du corps. J'avoue cependant que, dans quelques circonstances, il n'y a pas eu de différence bien appréciable entre la sensibilité de l'une des moitiés du corps et celle de la moitié opposée. 100 DES FONCTIONS DB SYSTEME NERVEUX. II* — Rôle des Iiémisitlières céi^éliraux relativement aux luotivements. Les hémisphères cérébraux qui ne sont excitables en aucun point de leur étendue, ni à l'extérieur, ni à l'intérieur, exercent cependant une influence exci- tatrice sur les mouvements. Ils sont le point de départ des volitions qui com- mandent les mouvements, volitions impuissantes par elles-mêmes, mais qui stimulent la moelle allongée d'où émane l'action provocatrice de la contraction musculaire. Ils ont encore une autre influence sur les mouvements, car une lésion grave de leur substance ou leur ablation, tout en supprimant les mouve- ments volontaires, rend la locom(>tion lente, difficile et même produit la para- lysie, au moins sur certaines classes et certaines espèces d'animaux. C'est ce qu'on démontre expérimentalement en détruisant ces organes, en partie ou en totalité. D'après Flourens \ la poule privée de ses lobes cérébraux se tient encore debout, elle conserve parfaitement l'équilibre, marche quand on l'irrite ou qu'on la pousse ; dès qu'on ne Tirrite plus elle cesse de se mouvoir, reste dans la situa- tion où on la place, et tombe dans un assoupissement profond. Si on la réveille, elle ne tarde pas à retomber dans la somnolence ; lorsqu'elle en sort spontané- ment, elle secoue la tête, agite ses plumes, les nettoie quelquefois avec son bec, change de patte pour se reposer ; par moments elle marche comme sans motif et sans but, se heurte contre les obstacles qui se trouvent sur son passage, sans chercher à les éviter; en un mot, elle conserve la faculté d'exécuter ses mouve- ments habituels, tout en perdant leur spontanéité, c'est-à dire Ja faculté de les vouloir. Les reptiles et les poissons conservent même, suivant DesmoulinSj l'en- tier usage de leurs mouvements; ils continuent à nager comme avant l'ablation de leurs lobes cérébraux. Il n'en est point ainsi, à beaucoup près, chez les mam- mifères. Dès qu'on détruit les hémisphères cérébraux à un cheval, il perd l'équilibre et tombe. A peine peut-on même parvenir à enlever leurs couches superficielles avant que la chute ait lieu. Une fois que l'ablation est achevée, l'affaiblissement musculaire est extrême, l'animal reste étendu sur le côté, avec les membres dans l'extension, le cou et la tête immobiles, la langue pendante hors de la bouche, les lèvres flasques, les paupières baissées, les naseaux à peine dilatés; et cet état, qu'aucune convulsionne vient troubler, persiste jusqu'au moment de la mort. Si l'on se borne à la destruction partielle d'un seul hémi- sphère, on peut quelquefois parvenir à conserver l'animal debout pendant un certain temps et juger alors des modifications apportées dans la locomotion : un âne auquel j'avais enlevé la couche superficielle du lobe cérébral droit se tint debout pendant près d'une heure; il penchait un peu à gauche; les membres de ce côté fléchissaient sous le poids du corps et se mouvaient en masse avec diffi- culté. Abandonné à lui-même, il restait immobile. Dès qu'on venait à l'exciter, par des piqûres ou des coups sur les oreilles, il se mettait en marche et marchait l. Flourens, mw. cité, p. 87. FONCTIONS DE L'eNCÉPHALE. loi 1res vite; par moments il tournait en cerele du côté opposé à la lésion; en se heurtant contre les murs il tombait; maison parvenait sans trop de peine à le E.l/ERMUKCIEWÎC, F1G/.3. — Tf'te de génisse'de 3 à 4 mois, crâne dénudé à droite — hémisph. s:, découvert — pour rai)Iation(*). faire relever. Insensiblement la prostration lit des progrès, et bientôt il ne fut plus possible de le faire marcher sans le soutenir. Sur un autre âne, riiémi- sphère gauche, préalablement mis à découvert, fut incisé dans le sens de sa lon- (*) I, rég. des couches olfactives. II et III, Té§. moy. des hémisph. ll.corrcsp. au corps strié. IV, rég. occipitale de la saillie intermédiaire aux cornes non développées. 102 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. gueur ; aussitôt il survint une hémiplégie à droite, le solipède tomba sur ce côté et l'on ne parvint pas à le faire relever. Sur plusieurs chevaux, une simple piqûre de scalpel traversant un des lobes cérébraux dans toute son épaisseur a quelque- fois suffi pour entraîner instantanément la chute de l'animal et le mettre dans l'impossibilité de se relever. Les animaux de l'espèce bovine supportent beau- coup mieux que le cheval et même que l'âne les mutilations des hémisphères. Une génisse que j'avais privée d'un de ses lobes cérébraux se tint debout pen- dant plus d'une demi-heure, conserva tant de vivacité et marcha si aisément, qu'il était fort difficile de reconnaître l'affaiblissement musculaire du côté opposé à la lésion ; quand le lobe restant fut enlevé comme le premier, elle put encore se soutenir, bien qu'avec assez de peine, avancer, reculer et tourner, si on la sollicitait à exécuter ces divers déplacements (Hg. 1). Ce fait indique que les mouvements d'un côté du corps ne dépendent pas entièrement de l'hémi- sphère cérébral du côté opposé. Chez l'homme, les lésions des hémisphères entraînent des troubles profonds dans les facultés locomotrices. Une lésion peu étendue, une rupture vasculaire, suffisent pour donner lieu à la paralysie d'une moitié du corps. Les recherches des pathologistes ont montré que les deux substances des hémisphères n'ont pas une influence égale sur les mouvements. C'est la lésion de la substance grise qui donne lieu à la paralysie, notamment à celle qu'on observe sur les aliénés. La substance grise disposée en plusieurs feuillets de matière grenue, parsemée de cellules multipolaires, anastomosées entre elles par leurs prolongements et en continuité avec les fibres centrales, est là, comme dans les autres parties centrales du système nerveux, la substance essentielle- ment active. L'action que les hémisphères cérébraux exercent sur les mouvements est croisée. C'est l'hémisphère droit qui stimule les muscles de la moitié gauche du corps et vice versa. Les hémorrhagies cérébrales auxquelles l'homme est si exposé, en donnent une démonstration irréfutable. Mais les faits pathologiques ne semblent pas toujours d'accord avec le principe. On voit souvent, sur les animaux ruminants, un cœnure énorme dans un hémisphère, ou, sur les soli- pèdes, une concrétion unilatérale d'un plexus choroïde, ne pas produire d'hé- miplégie marquée, mais occasionner une tendance au tournoiement, au mouve- ment circulaire due, soit à la traction, soit à la poussée exercée par la moitié saine du corps sur la moitié plus ou moins affaiblie. Dans les expériences, la lésion produite d'un côté fait tourner du côté opposé, ce qui ne devrait pas arriver si les muscles de ce dernier étaient plus ou moins paralysés, car ils ne pourraient plus attirer à eux l'antre moitié. Aussi faut-il admettre, vraisemblablement, que les lésions expérimentales, telles qu'une piqûre ou une autre lésion pathologique légère du côté droit, par exemple, stimu- lent le côté gauche au lieu de le paralyser. Les piqûres produisent manifestement cet effet, au moins dans les premiers temps, car les petits oiseaux auxquels on a implanté une aiguille dans un hémisphère sont pendant plusieurs heures en proie à une agitation extraordinaire. Et peut-être les petits cœnures en font-ils de môme sur les ruminants. Mais quand la lésion déprime la fonction de l'hé- FONCTIONS DE L'ENCÉPUALE. 1(J3 misphère, comme doit le faire un eaillot compresseur ou un cœnure du volume d'un œuf de pigeon, la paralysie se produisant du côté opposé, semble devoir exclure le tournoiement de ce côté. On conçoit, d'après cela, qu'une lésion don- née fasse tourner d'un côté tant (ju'ellc stimule, puis plus tard du côté opposé quand elle déprime, all'aiblit, paralyse. 11 est à noter, du reste, que les lésions des hémisphères jjroduisent plus difficilement la paralysie sur les animaux que sur l'homme. J'ai souvent pro- voqué la formation d'un coaf:>:Mlum étendu en blessant le sinus falciforme des chevaux trépanés, ou introduit des plombs du volume d'un pois dans les circon- volutions, sans donner lieu à cette hémiplégie que l'hémorrhagie produit si vite sur notre espèce. Des concrétions du plexus choroïde, du volume d'une ligue sèche ou d'un œuf de pigeon, ne produisent pas d'hémiplégie sur le cheval. Enfin des cœnures de mêmes dimensions ne déterminent quelquefois, jusqu'à la veille de la mort, aucun symptôme de paralysie, aucun indice de tournoie- ment. D'ailleurs, la destruction de Técorce, au tiers postérieur des hémisphères, dans une étendue de plusieurs centimètres carrés, sur le chien, l'agneau, la génisse, le lapin, n'a pas produit de paralysie sensible. On a cherché à rattacher rinfluence motrice exercée sur telle ou telle partie du corps à des points déterminés de l'encéphale. Saucerotte a avancé que les parties antérieures des hémisphères avaient plus spécialement une influence sur les mouvements des membres abdominaux, et que leurs parties postérieures agissaient sur ceux des membres tlioracique>. Serres a adopté la même opinion après avoir vu sur le chien la lésion de la partie antérieure des lobes cérébraux paralyser les pattes de derrière, et la lésion des parties postérieures de ces lobes produire celle des pattes de devant. M. Bouillaud est allé plus loin encore; en s'appuyant sur des observations pathologiques, il a cru pouvoir localiser dans les lobes antérieurs du cerveau, ou dans la partie antérieure des hémisphères, l'in- lUience régulatrice des mouvements qui donnent lieu à la parole ou au langage articulé. Broca a précisé davantage. 11 a soutenu, d'après un certain nombre de faits pathologiques, que la faculté du langage articulé, résidait chez l'homme, dans la }>artie postérieure de la troisième circonvolution frontale gauche. Les expé- riences sur les animaux n'apprennent rien à cet égard, car le langage de la plu- pait d'entre eux est extrêmement restreint, et la circonvolution qui pourrait en être chargée ne saurait être facilement déterminée. J'ai néanmoins cherché à détruire cette circonvolution en lésant superliciellement, dans une assez grande étendue, l'extrémité antérieure d'un hémisphère, entre le bulbe olfactif et le sillon crucial sur plusieurs chiens très aboyeurs, entre autres sur un chien de garde, dont l'aboiement presque continuel était modulé de la façon la plus expressive. Après la guérison et pendant plusieurs semaines, l'aboiement res- tait aussi fréquent qu'auparavant et ne subissait, quant à ses intonations variées, aucune modilication appréciable. Dans ces dernières années on a obtenu, par l'excitation électrique des régions superficielles du cerveau, des contractions partielles des membres, des oreilles, des paupières, des mâchoires, de la queue, etc., contractions qui semblent indi- quer des points de dé[)arl distincts d'excitations motrices ou, en d'autres 104 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. termes, l'existence de centres moteurs assez nombreux. Ceux-ci paraissent for4 mer, sur les parties antérieures et latérales des hémisphères, un groupe ou un agrégat distinct de celui des centres sensitifs dont il a été question plus haut. C'est à Fritsch, à Hitzig et à Ferrier qu'on doit la constatation de ces intéres- sants résultats. En voici l'exposé sommaire : Si, après avoir mis à découvert une assez grande étendue des hémisphères cérébraux, on vient à explorer rapidement les divers points de leur surface à l'aide des électrodes d'un ap- pareil à induction, à courants intermittents d'intensité modé- rée, on détermine du côté op- posé à l'hémisphère excité, des mouvements qui sont variables suivant les points sur lesquels porte l'excitation. D'après les premiers tra- vaux de Fritsch et Hitzig, les centres moteurs ou les zones motrices sont peu nombreux, et groupés dans le lobe frontal, à l'extrémité antérieure de la quatrième circonvolution, dans le point où elle décrit un con- tour au niveau du sillon crucial, contour appelé gyrus sigmoïde. D'après ces expérimentateurs, a est le centre des muscles de la nuque ou des cervicaux supérieurs ; b celui des adduc- teurs et des extenseurs du membre thoracique ; c le centre des fléchisseurs et des rotateurs du même membre. En rf, en arrière du sillon cru- cial est le centre moteur du membre abdominal. Le point /", dans le croissant de la deuxième circonvolution est celui des muscles de la face, animés par le nerf de la septième paire. Les parties de l'écorce grise du cerveau oii se trouvent ces centres recevraient, soit directement, soit par l'intermédiaire des ganglions, des faisceaux de fibres provenant des pédoncules. Ils seraient ainsi en communica- tion directe avec les cordons inférieurs de la moelle épinière et finalement par les nerfs avec les parties qui se meuvent sous l'influence des excitations élec- triques. Voici d'autre part, et en résumé, les résultats obtenus dans les expériences de D. Ferrier, par l'excitation électrique des points numérotés dans les figures, représentant l'encéphale du chien, vu de face et de profil. Les mouvements pro- FiG. 4. — Encéphale du chien, face supérieure. FONCTIONS DE L ENCEPHALE. 105 voqués ont toujours été produits dans la moitié du corps opposée au côté du cerveau excité. L'excitation en 1, a déterminé l'adduction de la patte antérieure. En 2, 3, la rotation de la tête vers l'épaule ; En 4, l'élévation du sourcil. En 5, 6, 7, l'occhision de l'fpil et l'inclinaison latérale de la tête. FiG. 5, — Cerveau de chien vu de face avec les centres moteurs, d'après D. Ferricr. FiG. 6. — Le même de profil En 8, des contractions spasmodiques de l'œil ; En 9, l'agitation, le redressement, la rigidité de la queue. En 10, des cris de douleur. En 11, des contractions spasmodiques des paupières. En 12, l'inclinaison de la tête du côté opposé à celui de riiémisphère irrité. En 13,. le spasme de la commissure labiale. En 14, le retrait de la commissure labiale ; le port de l'oreille en haut et en dehors. En 15, l'élévation de la jiaupière supérieure. En 16, pas de mouvements. En 17, agitation générale. 106 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. En 18, traction de la joue en haut, abaissement des commissures, .flexion de haut en bas avec inclinaison. En 19, rétraction de la face en haut et rapprochement des mâchoires. En 21, projection de la tête en arrière, ouverture de la bouche. En 22, ouverture delà bouche, rétraction de la lèvre supérieure. En 23, inclinaison de la tête sur la poitrine. En 24, contraction de l'oreille du côté opposé à l'irritation. En somme, il y aurait d'après cet expérimentateur : Un groupe de centres pour les mouvements des pattes dans la partie anté- rieure des hémisphères 1, 2, 6. Un groupe de centres pour les mouvements de la face et des paupières à la région frontale moyenne, 4, 5, 6, 7, 8, 15. Un groupe pour les mouvements de la bouche, de la langue et des mâchoires 13, 14, 18, 19 et 20, encore à la partie antérieure des hémisphères. Un groupe pour les mouvements latéraux de la tête, à la région pariétale, 11, 12, 16 et 17. Bien que ces centres soient groupés dans le voisinage de la scissure de Rolando, qui est à peine marquée ou même absolument effacée, à moins qu'on ne la suppose représentée par le sillon crucial, chez la plupart des animaux domestiques, ils n'occupent pas les mêmes points dans toutes les espèces. Ainsi, on a trouvé ces centres plus en arrière chez les singes que chez les mammifères moins élevés, et on a \u qu'ils ne se trouvent pas exactement dans les mêmes points chez des espèces très voisines, telles que le chien et le chat. Les centres des mouvements des lèvres et de la bouche qui, chez les carnassiers, se trouvent dans les régions inférieures et orbitaires sont confinés dans le point qui corres- pondrait à la circonvolution frontale antérieure chez le lapin. Quelquefois ces centres ont semblé se fusionner deux à deux ; par exemple, le centre du mou- vement des pattes avec celui de la queue, chez le chien ; le centre des membres antérieurs avec celui des postérieurs chez le lapin. D'ailleurs, l'étendue de ces centres a paru proportionnée à l'importance et au degré d'activité des parties dont ils provoquent l'action. Ainsi, ceux des pattes s'agrandissent chez les chats, ceux de la bouche et de la queue, chez le chien. Aucun d'eux, jusqu'ici, n'a pu être reconnu chez les oiseaux oîi toutes les parties des hémisphères, soit superficielles, soit profondes, se sont montrées absolument réfractaires aux excitations électriques. La localisation des centres moteurs semble encore indiquée par les convul- sions épileptiformes, choreïques qui résultent, tantôt de l'excitation de points circonscrits de l'écorce cérébrale ou d'une excitation diffuse de toute la surface des hémisphères. Ces convulsions peuvent être unilatérales , quand un seul hémisphère est excité ; elles peuvent être bornées à des régions musculaires, à un seul membre si l'excitation est limitée et d'une médiocre violence. Dans quelques cas elles ont toutes les apparences des attaques d'épilepsie les mieux caractérisées : violentes secousses de tous les membres, rotation des yeux, déviation de leurs axes, essoufflement, cyanose des muqueuses , salivation abon- dante. J'en ai vu de telles sur le chien dont j'irritais les circonvolutions mises fONCTIONS DE l'eNCÉPIIALE, 107 à nu depuis quelques jours, notamment la première dans le voisinage du sillon crucial. Quoiqu'on ne voie pas bien l'utilité d'un si grand nombre de centres d'impul- sions motrices, surtout pour des parties fort limitées comme les paupières, les oreilles, la queue, on s'explique cependant la distinction de ces centres en son- geant que la volonté, dont le|)oint de départ est dans les liémisphères cérébraux, commande des mouvements limités à tels ou tels muscles pour produire un effet déterminé. Le point de départ de ces excitations peut être circonscrit comme l'est celui de leur arrivée ou de leur destination. Les deux grands arguments à faire valoir en faveur des centres moteurs se tirent des effets qui résultent, d'une part, de la destruction de ces centres, d'autre part, de leur lésion dans les cas pathologiques. Or, lorsqu'on vient à détruire un ou plusieurs de ces centres, au lieu de les exciter on paralyse les parties auxquelles ils envoyaient les excitations motrices volontaires. C'est ce que MM. Carville et Duret' ont vu sur le chien pour plu- sieurs centres préalablement soumis à des excitations électriques. Les parties, qui entraient en contraction lors de l'excitation des centres se trouvaient ensuite paralysées si on venait à détruire ceux-ci, même très superficiellement. En trépanant le crâne du chien dans de» points bien déterminés, d'un seul côté, j'ai souvent excisé, soit la substance grise d'un ou de plusieurs centres, soit, en même temps, leur substance grise et leur substance blanche et j'ai conservé les animaux des semaines et des mois après ces mutilations. Toujours ces ani- maux se sont rétablis et j'ai pu, à compter de l'ablation, constater les effets produits. Celle du gyrus sigmoïde, dans une étendue de 2 centimètres de diamètre, a paralysé habituellement les deux membres du côté opposé à la lésion, surtout les adducteurs et les extenseurs dans les membres thoraciques, les extenseurs du pied dans les membres abdominaux. Aussi le premier de ces membres se trouvait-il fortement déjeté en dehors et fléchi de telle sorte que l'appui, dans la marche, se faisait sur le genou ; le second souvent projeté en avant avait les extenseurs de la rotule, et du tibia fortement contractés. En un mot, la destruc- tion des centres donnés comme moteurs des membres paralysait les extrémités et particulièrement certains groupes de leurs muscles. Seulement dans toutes mes expériences les paralysies j.roduites ont été de courte durée après l'ablation bornée à la substance gi-ise; elles ont duré plus longtemps à la suite de la destruction des deux substances, grise et blanche, toujours elles se sont forte- ment atténuées et souvent elles ont guéri plus ou moins complètement. D'autre part, les faits pathologiques bien constatés, ceux des lésions circons- crites, conduisent à des données concordantes avec les résultats de l'expérimen- tation. M. Charcot"'' a observé et publié un grand nombre de ces faits. Il a vu les troubles de la locomotion résulter de lésions localisées dans les parties antérieures des hémisphères, voisines de la scissure de Rolando précisément dans les points où l'expérimentation semble montrer les centres psycho-moteurs. Dans certaines 1. Carviile el Duret, Sur te fondions iles hcniisph. céréh. Paris. 1875. 2. Charcot, Leçons sur les /ocalisatio?is cérébrales dans les ninindies. — Progrès médical, 1875. 108 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. lésions unilatérales, les convulsions du côté opposé ont été observées au début ou à la période d'excitation puis l'hémiplégie avec conservation de la sensibilité à la période de désorganisation, ce qui concorde parfaitement avec les données expérimentales. Beaucoup d'objections peuvent être et ont été faites à la doctrine des localisa- tions dont il s'agit. Les principales sont les suivantes : 1° L'excitation électrique de points circonscrits n'est obtenue que par des courants d'une assez grande intensité et cette excitation peut s'étendre en pro- fondeur et en surface de manière à agir sur la substance blanche, même sur les ganglions, notamment sur les corps striés. Ce qui semble l'indiquer c'est que les courants appliqués en divers points du corps à la surface de la peau vont agir sur les nerfs placés à une distance considérable. D'ailleurs les excitations portées directement sur la substance blanche produisent les mêmes effets que sur l'écorce grise dans laquelle on admet l'existence de centres distincts. Aussi ces centres peuvent n'être pas moteurs par eux-mêmes. S'ils sont comme le pense M. Gharcot en continuité avec des tractus déterminés du cerveau, qui les lient par l'intermédiaire de la moelle avec les nerfs de tels ou tels groupes démuselés, ils envoient simplement à ces muscles les stimulations qui leur sont appliquées. Mais ce qui atténue la valeur de cette objection c'est que les courants élec- triques appliqués dans les parties postérieures des hémisphères, à une faible distance des corps striés et d'autres parties à attributions motrices ne provoquent de mouvement dans aucune partie du corps. La seconde objection dont la doctrine des localisations est passible, est plus sérieuse encore que la première. Siies centres moteurs de la substance grise sont détruits les mouvements qu'ils excitent dans les conditions ordinaires doivent être abolis d'une façon permanente, puisque ces centres ne sont pas susceptibles de se régénérer. Or c'est ce qui n'arrive pas. La paralysie très accentuée dans les jours qui suivent l'opération, s'atténue, puis disparaît à peu près complète- ment. Le fait déjà observé par quelques physiologistes s'est reproduit dans presque toutes mes expériences sur le lapin et même sur le chien, avec une variante très importante. Les animaux chez lesquels les deux membres d'un côté étaient très affaiblis et à peu près paralysés par la destruction de la substance grise au niveau du gyrus sigmoïde de la première circonvolution, reprenaient très vite et à peu près complètement l'usage de ces membres. Ceux chez lesquels la substance blanche était détruite à une certaine profondeur, en même temps que la grise, étaient plus complètement paralysés et ne guérissaient qu'au bout d'un temps très long et incomplètement. Dans de telles circonstances le rôle des parties détruites est rempli, dit-on, par les parties demeurées intactes lesquelles acquièrent plus ou moins vite l'aptitude à suppléer les centres empêchés. Toute- fois l'aptitude à la suppléance a des limites, car dans une foule de cas patholo- giques des lésions déterminées et bien circonscrites donnent lieu ù des troubles fonctionnels d'une durée indéfinie. Ce qui pourrait encore faire naître des doutes au sujet des localisations motrices c'est que, suivant la remarque de M. Brown Séquard, des lésions céré- FONCTIONS DE l'eNCÉPUALE. 109 braies très étendues ne donnent souvent lieu ;i aucun trouble sérieux de la locomotion; c'est d'autre part que l'excitation électrique de parties étrangères au cerveau, du cervelet par exemple, provoque des mouvements très variés des yeux, certains mouvements des membres, quoique rien n'indique sûrement, dans cet organe, l'existence de centralisations motrices. D'ailleurs il faut se rappeler que les mouvements dus à l'excitation des points limités du cerveau pourraient résulter de ce que cette excitation nieltrait en jeu un centre sensitif. Alors ces mouvements, comme le dit Ferrier, exprimeraient une sensation et auraient un caractère purement réflexe. Quelque sérieuses que soient ces objections trois ordres de faits concordants semblent démontrer la réalité des localisations motrices. \° Les excitations électriques modérées de certains points del'écorce cérébrale déterminent des mouvements limités à certaines parties des membres, de la face, aux yeux, aux oreilles, etc. 2° Les irritations vives, morbides des mêmes points font naître des convulsions épileptiformes localisées dans certaines parties ou étendues à l'ensemble des muscles d'une moitié du corps ; 3° Enfin la destruction, le ramollissement, la désorganisation de ces mêmes points entraîne la paralysie des parties que les excitations avaient mues ou con- vulsivées. Les localisations motrices dont il vient d'être question sont distinctes en bloc des localisations sensitives. Elles ont, comme on l'a vu, chacune un département dans les hémisphères, et elles en laissent un troisième vide dans les régions occipitales et les parties inférieures. En somme, et au point de vue de la motricité, les hémisphères cérébraux paraissent avoir dans l'écorce grise de leurs régions antérieures des centres exci- tateurs des mouvements volontaires, les uns pour les membres, les autres pour le cou, la bouche, les yeux, etc., et ces centres semblent d'une étendue propor- tionnée à rinq>ortance des parties dont ils excitent la locomotion. Le cerveau qui est l'organe chargé de percevoir les impressions, de les convertir en sensations, d'en donner conscience à l'animal est, en même temps, l'organe excitateur et [)rovocateur des mouvements. Il l'est spontanément, sans y être sollicité. Aussi l'animal, si cet organe est enlevé, n'a plus d'initiative ni de volonté, il reste apathique, engourdi, presque toujours immobile, tout en conservant, par l'inter- médiaire d'autres centres nerveux, l'aptitude à se mouvoir, à coordonner ses mouvements, à les adapter à un but déterminé. III. Kolc (les liéuiiMl>lii'rc.<>i, céi'élti'aiix: i*elntivei>ioiit aux facilités iiitelleetiicUeM et instinctives. La fonction essentielle et la plus élevée des hémisphères est celle-ci. On la leur a attribuée bien avant (jue la physiologie expérimentale et ranatoniie patho- logique fussent en mesure de prouver qu'elle est leur ai)anage. Il s'agit de voir ici : 1° si les hémisphères cérébraux sont bien réellement et sont seuls les organes de l'intelligence ; 110 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. 2° S'ils le sont par leur ensemble, leur totalité ou par quelques unes de leurs parties ; 3° Si les diverses facultés intellectuelles y ont un siège commun, ou si chacune y a son siège spécial, isolé. Sur le premier point, les expériences de M. Flourens ont jeté une vive lumière. Elles ont démontré que les hémisphères constituent l'organe spécial des facultés intellectuelles. Après l'ablation de ces hémisphères, chez les oiseaux l'animal peut vivre encore longtemps, se mouvoir automatiquement, respirer, digérer; mais il perd, avec ses sensations, la mémoire, le jugement, la volonté et les ins- tincts les plus vivaces de son é& ^^Pèce; il devient tout à fait Jl||/ stupide; son existence se passe AIL dans la torpeur, dans le som- meil. Eveillé, il exécute à peine quelques mouvements, tant que rien ne vient l'exciter ; on le maltraite sans qu'il essaye d'évi- ter les coups ; il ne cherche ni à fuir, ni à se défendre. Il n'a pas même l'idée de prendre la nourriture qui lui est offerte, et il se laisserait mourir de faim sur un tas d'aliments si une main étrangère ne les lui mettait dans la bouche. Sauf la persistance de quelques actes rendus auto- matiques par l'habitude, commue ceux de mettre la tête sous l'aile pour dormir,. de se nettoyer les plumes avec le bec, de se repo- ser tour à tour sur chaque patte, de fuir quelquefois des excitations importunes ; rien ne révèle la persistance de l'instinct et de l'intelligence. Les troubles morbides, les lésions organiques localisées dans les hémisphères cérébraux, reproduisent, à divers degrés, les résultats de rexpériraentation. Une hémorrhagie cérébrale, une compression, une commotion, une irritation profonde, un ramollissement de la substance du cerveau, affaiblissent, troublent, suppri- ment l'exercice des plus nobles facultés de l'être; l'atrophie, les arrêts de déve- lo(>poment, donnent lieu à l'idiotie plus ou moins complète, L'anatomie semble ici en conformité avec l'expérimentation. Elle montre que l'augmentation de volume des hémisphères cérébraux marche de pair avec Textension de l'intelligence. Du poisson, du reptile^ le cerveau va croissant à l'oiseau, au mammifère et à l'homme. Dans une même classe, le volume de cet J-- (j-uW'K FiG - Tête (le jeune poule, vue de 3/4, grand, nat., hémisph. dénudés pour l'ablation" com- plète. FONCTIONS DE l'ENCÉPHALE. 111 organe croît des espèces à facultés bornées, aux espèces à intelligence développée; dans celle des mamniilèros, par exemple, il augmente du monotrème, du ron- geur au carnassier et au quadrumane; dans l'espèce humaine, il augmente aussi du Nègre au Mongol, de celui-ci au Caucasien. Il y a bien quelques exceptions, car la somme d'intelligence d'un vertébré ne dépend pas entièrement de la masse du cerveau, mais la loi, dans ses termes généraux, ne saurait être contestée. Les effets si remarquables de la destruction des hémisphères ne s'observent que dans ce seul genre de lésions. Ils ne sont point produits par la destruction du cervelet, des tubercules bigéminés, ni par les lésions des autres parties de l'encéphale, qui sont, pendant un certain temps, compatibles avec la vie. D'où il suit que les hémisphères sont exclusivement le siège des facultés intellectuelles et de la volonté. Il est plus diflicile de s'assurer si les nombreuses facultés de l'intelligence ont un siège, un foyer commun dans les hémisphères, ou si elles y ont, soit une à une, soit par petits groupes, des foyers séparés, distin(;ts. L'expérimentation ne peut fournir ici des lumières très nettes à cause de la solidarité qui existe entre les diverses parties du cerveau et des troubles que la lésion d'une partie peut jeter dans l'action des autres. Cependant elle semble montrer que les hémisphères sont, en masse, l'organe de l'intelligence et non une agglomération de petits organes affectés chacun ù une faculté intellectuelle. « On peut, dit Flourens\ retrancher soit par devant, soit par derrière, soit par en haut, soit par côté, une portion assez étendue des lobes cérébraux sans que leurs fonctions soient per- dues. Une portion assez restreinte de ces lobes suffit donc à l'exercice de leurs fonctions. A mesure que ce retranchement s'opère, toutes les fonctions s'affai- blissent et s'éteignent graduellement, et, passé certaines limites, elles sont tout à fait éteintes. Les lobes cérébraux concourent donc, par tout leur ensemble, à l'exercice plein et entier de leurs fonctions. Enfin, dès qu'une perception est perdue, toutes le sont; dès qu'une faculté disparaît, toutes disparaissent. 11 n'y a donc point de sièges divers, ni pour les diverses facultés, ni pour les diverses pcrceiitions. La faculté de percevoir, déjuger, de vouloir une chose, réside dans le même lieu que celle d'en percevoir, d'en juger, d'en vouloir une autre ; et, conséquemment, cette faculté essentiellement une réside essentiellement dans un seul organe. » Ce qui semble encore confirmer cette vue, c'est cette autre expérience par laquelle Flaurens enlève par couches successives une partie des lobes cérébraux en s'arrètant aussitôt (pu- l'opération a amené la |)erte de tous les sens et de toutes les facultés intellectuelles. Au bout de quelques jours, l'animal mutilé commence à recouvrer la vue, l'ouïe, la mémoire, et dès qu'il a recouvré l'une •le ces facultés, il les a recouvrées toutes. Cependant, tout en admettant que les hémisphères soient, par leur ensemble, l'instrument commun, collectif de toutes les facultés, on pourrait incliner à croire ((u'ils le sont plus spécialement par telle ou telle de leurs parties. On sait t|ue Oall regardait les régions antérieures des hémisphères comme le siège des facul- 1. Flourens, ouv. cite, p. !)9i 112 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. tés intellectuelles proprement dites. Bouillaud^ a vu qu'en les détruisant seules sur les oiseaux et sur de petits mammifères, les animaux, bien qu'ils conservent leurs sensations, semblent perdre la mémoire, la connaissance, le discernement des choses ; c'est aussi dans ces mêmes parties antérieures des hémisphères que Bouillaud et Broca ont localisé la faculté du langage articulé, laquelle s'affaiblit et s'éteint par le fait de lésions qui portent sur les lobes cérébraux antérieurs et particulièrement sur la troisième circonvolution frontale. Le grand développement des parties antérieures des hémisphères indiqué par l'ampleur du front de beaucoup d'hommes très intelligents semble favorable à cette manière de voir ; seulement il ne faut pas oublier qu'alors les autres parties des hémisphères éprouvent aussi une augmentation proportionnelle, et que d'ailleurs ce grand développement s'observe assez souvent chez des individus d'une intelligence très ordinaire, à esprit lourd et obtus. En outre, il est des des animaux qui, avec une grande largeur des parties antérieures des hémi- sphères, sont très bornés, même stupides, comme le mouton et beaucoup de ruminants, tandis qu'il en est d'autres, tels que le chien, divers carnassiers, qui sont fort intelligents avec des hémisphères rétrécis, même effdés en avant, pres- que au même degré que chez les rongeurs. Aussi, quelques observateurs, frappés de ces contrastes, ont cherché à repor- ter les facultés intellectuelles dans les régions postérieures des hémisphères qui sont très développées chez l'homme, puis chez les animaux intelligents, les car- nassiers, l'éléphant, et très peu ensuite chez la plupart des pachydermes , des ruminants et des rongeurs. On a même prétendu que, dans la démence des vieil- lards, l'atrophie des circonvolutions cérébrales portait le plus souvent sur les parties occipitales des hémisphères. Mais, comme le fait très judicieusement remarquer Longet, on peut trouver dans la pathologie de quoi appuyer les asser- tions les plus contradictoires, rassembler, par exemple, un grand nombre de cas de lésions des lobes moyens ou des lobes antérieurs pour étayer l'opinion qui ferait résider ces facultés dans les premiers ou dans les seconds. Il y a évidemment diffusion des facultés dans les hémisphères. Mais la diffu- sion peut ne pas être uniforme. Il est possible que certaines régions soient douées d'une activité prépondérante, surtout les plus antérieures dans lesquelles l'exci- tation électrique ne montre ni centres sensitifs ni centres moteurs. Un hémi- sphère peut remplacer l'autre hémisphère, la partie antérieure remplacer la postérieure. Les diverses parties sont indépendantes les unes des autres, puisque certaines d'entre elles peuvent fonctionner pendant que d'autres sont lésées, atrophiées, détruites, et en même temps elles sont solidaires, puisque les trou- bles apportés à l'action de l'une d'elles réagissent sur l'action des autres. Il ne faut pas s'étonner s'il reste quelques incertitudes sur les fonctions si complexes du plus admirable des organes. L'anatomie comparée, pas plus que les observations pathologiques, ne vient donc à rencontre des données expérimentales qui semblent faire des hémi- sphères un organe agissant en bloc, et dont chaque partie prend part à l'exercice 1. Bouillaud, Recherchas mr les fonctions du cerueau {Journal de physiologie expéri- mentale, t. X, 1830). FONCTIONS DE l'eNCÉPHALE. 113 de chaque t'aculté. Tout au plus pourraient-elles nous porter à admettre que dans ces organes certaines parties concourent plus S{>écialement, plus activement que d'autres à l'exercice de ces facultés. Quoique l'expérimentation montre la diffusion des facultés dans les lobes céré- braux, les faits pathologiques, qui sont aussi une expérimentation précieuse dont il faut chercher le sens, semblent iiuliquer que des deux substances des hémi- sphères, la grise est la plus active, celle qui prend la plus grande part aux actions cérébrales afférentes à la pensée. C'est, en effet, l'irritation, le ramollissement de cette substance, qui donnent lieu à la paralysie, à l'aliénation, à la démence. L'importance des circonvolutions se déduit tout naturellement du rôle de la sub- stance grise. Celle-ci sera d'autant plus abondante que les circonvolutions seront plus nombreuses, plus profondes, comme chez l'homme, les singes anthropo- morphes, la plupart des carnassiers ; elle deviendra rare chez les animaux à cer- veau lisse, tels que les rongeurs et les ovipares, chez lesquels on voit l'intelligence bien inférieure à celle des animaux à circonvolutions cérébrales très marquées. Le nombre des circonvolutions, l'étendue de leur surface, qui est proportionnée à la profondeur de leurs replis, seraient, d'après Desmoulins, la meilleure mesure de l'étendue de l'intelligence des animaux comparés entre eux. Celte profondeur des circonvolutions, (jui varie beaucoup, parait-il, dans l'espèce humaine, d'indi- vidu à individu, ainsi que l'épaisseur et la vascularité de la substance grise, peu- vent expliquer, au moins la diversité des degrés de l'intelligence humaine. Les hémisi)hères cérébraux étant en bloc les organes de l'intelligence, on con- çoit que celle-ci doive être, en général, d'autant plus dévelopiiée que ces hémi- sphères sont plus volumineux. On remarque effectivement qu'à partir de l'espèce humaine, la masse de l'encéphale, et spécialement celle du cerveau, décroissent à mesure que l'intelligence s'affaiblit. Toutefois la diminution de volume ne suit pas exactement la dégradation des facultés intellectuelles. On peut voir, en com- parant entre eux les animaux domestiques, les mieux connus sous le rapport de leurs facultés, qu'ils seraient mal classés s'ils l'étaient d'après le poids propor- tionnel de leur cerveau. Ainsi, d'après la classification basée sur le poids de cet organe, le chat serait placé en première ligne, [»uis le chien, le lapin, la chèvre, le bélier et l'àne. Le cheval, si intelligent, ne viendrait qu'à la suite du plus obtus de tous les solipèdes; du plus stupide de tous les ruminants et serait à peu près sur le même rang que le banif et la vache; eiiliii le porc occu[terait le dernier degré de cette échelle. Évidemment, une classification aussi vicieuse indi(|ue assez que le volume de l'en- céphale ne peut faire apprécier exactement le degré d'intelligence de chaque espèce. D'ailleurs il suffit de réfléchir un peu aux chiffres donnés par Haller, Cuvier et Leuret, pour se convaincre que les animaux sauvages ne seraient pas mieux classés que les domestiques s'ils l'étaient d'après le poids de leur cerveau comparé à celui du corps. L'éléphant, par exemple, se trouverait bien au-dessous du cerf et du chevreuil ; le loup, le renard, au-dessous de la souris, du rat et de la taupe; les mammifères en général, au-dessous d'un grand nombre d'oiseaux. En somme, on voit que les hémisphères cérébraux ont des fonctions complexes relatives à la sensibilité générale, aux diverses sensations, aux volitions, aux G. coLi.x. — Physiol. coiiip. S*" édil. I — 8 ' ■ fef. , ^^ !W' 114 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. mouvements et aux facultés intellectuelles. La complexité de leur rôle s'explique, au moins en partie par la complexité de leur structure. Ils ont sans doute des cellules et des libres spéciales pour chacune de leurs fonctions : des cellules sensi- tives,des cellules motrices, etc. L'écorce seule des circonvolutions rendrait raison de la multiplicité des rôles de ces centres car on y reconnaît, depuis les recherches de Meynert, cinq à six couches : 1" la couche hyaline granuleuse et à petites cellules étoilées ; 2° la couche de petites cellules pyramidales ; 3" celle des grandes cellules pyramidales ; 4" celle des granules; 5° et 6" la couche des cel- lules fusiformes, affectées, d'après quelques auteurs, aux volitions. De plus dans cette écorce les histologistes ont trouve des fibres nerveuses très Unes disposées en un ou deux réseaux servant, suivant toutes les apparences, à établir des communications entre les différentes cellules. Il est à remarquer que l'écorce pré- sente des particularités de structure dans les divers départements céré- braux, lesquelles semblent en rapport avec le rôle de chacun. Suivant les points, le nombre des couches corti- cales augmente ou diminue, les cellules sensitives prédominent sur les cellules motrices ou réciproquement. Ainsi dans la partie appelée lobe occipital on a compté iiuit couches et trouvé des cellules sensitives en proportions énormes. Dans l'écorce de la corne d'Aunnon on a \u surtout des cellules pyramidales motrices. Cherchons maintenant à déterminer le rôle spécial qui peut être dévolu, au corps calleux, aux ganglions cérébraux appelés corps striés, couches optiques, etc. FiG. 8. IV» Utile de.** clîvei».6»es i>a.vtie!^ des liéi»aî!!»i»ï»èi*es céréljraiix. Cori>« calleux. — Le corps calleux ou la lame blanche qui réunit les deux hémisplières et forme la voûte des ventricules cérébraux est propre aux mammi- fères, sauf les marsupiaux et quelques autres. Les oiseaux, les reptiles et les pois- sons en sont dépourvus, Il est formé de substance blanche, à fibres parallèles entre elles qui, d'après Kôlliker, ont le môme diamètre et le môme aspect que celles de la masse centrale des hémisphères. Ces libres commissurales transverses, disposées en deux feuillets, se répandent en tous sens, surtout dans ks circon- volutions supérieures des hémisphères. La[»cyronie l'a regardé comme le siège de l'âme, et Saucerotte ayant observé (|uc sa section déterminait une secousse violente suivie de la perte immédiate du FONCTIONS 1)E l'eNCKPIIALE. 115 sentiment, adopta la mOme opinion. Tréviranus, se basant sur des considérations purement s[)é(;ulativps, le croyait destiné à mettre en relation intime les deux hémisphères, et à donner de l'unité, de l'harmonie à leurs opérations. Mais les ex[)criences des i)liysiolo^isles modernes ne sont pas favorables à ces hypotlièses, et elles ne t'ont découvrir au corps calleux aucune [iropriété, aucune fonction spéciale. Lorry, Flourens, Magendie, ont irrité, incisé et détruit le corps calleux sans (pi'il en résultât ni douleur, ni convulsions. Longet l'a incisé dans toute sa lon- gueur sur de jeunes chevreaux et de jeunes lapins qui n'en ont pas éprouvé de douleur : ils ont pu encore se tenir debout, même marcher et courir, lorsqu'ils y étaient sollicités. J'ai fait la même expérience sur deux chevaux. L'un est demeuré l»eu de temps debout et s'est jeté à la renverse, après avoir éprouvé ([uelques mouvements de l'œil; l'autre a éprouvé un affaiblissement considérable, peu après la section, et s'est laissé tomher sur le côté. Aucun n'a eu de convulsions. On a vu dans l'espèce humaine le corps calleux arrêté dans son développement, ou tout à fait atrophié, sans troubles notables dans les fonctions sensitives ou locomotrices. La \oiite à trois piliers et la cloison transparente jouissent de la même insen- sibilité que le corps calleux. On leur a attribué aussi l'office d'établir l'unité d'action entre l'un et l'autre hémisphères ; mais l'expérimentation ne nous apprend rien (jui puisse appuyer ou inlirmer cette manière devoir. L'amincissement delà voûte, et la perforation du septum s'observent quelquefois sur l'homme, dans les cas d'épanchements. [J'ai plusieurs fois rencontré cet amincissement sur des chevaux immobiles qui avaient une hydropisie très marquée des ventricules ou de volumineuses concrétions des [)lexus choroïdes et sur un jeune bélier dans les ventricules duquel se trouvait un énorme cœnure. Dans les cas de cette nature on n'observe pas de troubles spéciaux qui fassent supposer que le corps calleux ait des fonctions distinctes de celles de la masse des hémisphères cérébraux. Corps »trîé«. — Les corps striés qui existent avec un développement plus ou moins considérable, dans tous les vertébrés, sauf les poissons, sont considérés avec raison, à ce qu'il semble, comme formant la première paire des ganglions cérébraux. Ils résultent de l'agrégation de plusieurs amas ou noyaux de substance grise à cellules multipolaires et se lient parleurs faisceaux de substance blanche aux pédoncules cérébraux, et conséquemmcnt aux pyramides du bulbe rachidien que les pédoncules [trolongent. Ces fdjres blanches ont ceci de très particulier, d'après KoUiker', qu'elles naissent directement, pour la plupart, des pédoncules cérébraux, s'irradient dans les noyaux gris, se résolvent en réseaux dont les pro- longements fins paraissent s'unira ceux des cellules sans que ces fibres se rendent dans la substance blanche du reste des hémisphères. Toutefois, outre ces fibres, il en est d'autres qui émanent de la substance médullaire des lobes, et vont se terminer en anses dans les noyaux dits lenticulaire, crochu, vermiculaire, etc. C'est par ces dernières cpie sont établies de nombreuses connexions entre l'écorce des hémisphères et les corps striés. Les histologistes qui les ont étu- 1. Kofliker, Éléments d' kiitoloyie, p. 335. 116 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. diées avec soin en font plusieurs groupes : les unes étendues du lobe frontal au lobe occipital et insérées au bord externe du corps strié où elles forment la cou- ronne rayonnante; les autres jetées de la tête du corps strié à la région tempo- rale des lobes; enfin des séries, jetées de toute l'étendue des hémisphères à la masse dite noyau lenticulaire qui se trouve au bord externe du corps strié. Ces connexions expliquent les relations fonctionnelles qui existent entre l'écorce et les ganglions moteurs des hémisphères. D'après M. Luys ^, c'est surtout par les fibres blanches que les différents ter- ritoires de l'écorce cérébrale se relient aux corps striés comme aux couches optiques et aux autres petits centres gris de l'encéphale. Lorsqu'il s'agit de constater les propriétés et de déterminer le rôle des corps striés, on peut arriver à leur surface et dans toute leur épaisseur en trépanant le crâne exactement au niveau du point sur lequel ils sont situés. Sur le cheval (fig. 9) la tète du corps strié se trouve à environ trois centimètres et demi au- dessus d'une ligne transversale qui serait tangente au point le plus excavé du bord supérieur de l'arcade orbitaire. En divisant en quatre zones transverses l'espace compris entre la ligne sus- indiquée et le sommet de la protubérance occipitale, l'ouverture de trépan, faite à un centimètre du plan médian, doit passer par la ligne qui sépare la première zone de la seconde. La pointe du stylet lésera la surface du corps en restant à mi-chemin dans le crâne ou à égale distance de la paroi frontale et de la paroi sphénoïdale ou inférieure. L'instrument traversera le corps strié si sa pointe s'enfonce à 3 centimètres au delà de la surface de ce ganglion. Sur le chien on rencontrera le corps strié en trépanant en regard de la suture fronto-pariétale. Le gyrus sigmoïde, qui deviendra visible au fond de l'ouverture, indiquera le point que devra traverser l'instrument. Les corps striés ont paru insensibles aux stimulations mécaniques, notamment aux piqûres de stylet, soit à la surface, soit à une certaine profondeur et ils se sont également montrés inexcitables aux stimulations de même nature dans leurs parties superficielles ; mais leur excitabilité a été mise en jeu par les courants électriques, dans les expériences récentes tentées par les physiologistes qui ont appliqué l'électricité à la détermination des propriétés de l'écorce cérébrale. Lorsque ces courants d'induction modérés sont appliqués à l'un des corps striés. Us provoquent une contraction générale de tous les muscles du côté opposé, contraction qui a pour résultat ce que les cliniciens appellent le pleurosthotonos, ou l'incurvation latérale du corps avec llexion légère des membres. Sur les grands animaux l'excitation mécanique des corps striés ne parait pas assez vive pour déterminer cette contraction unilatérale opposée, mais elle peut l'être par des piqûres légères qui excitent sans donner lieu à un commen- cement de paralysie. Ainsi, sur une vaclie, la piqûre en deux points du corps strié a déterminé, du côté opposé à la lésion, la déviation latérale de la tête à un degré tel qu'elle venait s'appuyer sur l'épaule, et de ce côté encore, des 1. Luys, Nouveiles rec/io-c/ies sur la structure du cerveau {comptes rendus de VAcadé' mie des .Scfc/îce.s, 7 juillet 1884, et t' Encéphale, journal des maladies mentales et nerveuses, 1884, t. IV, p. 5i;j). FONCTIONS DE L ENCÉPHALE. 117 ^■^W--'' FiG. 9. — Cou|>e longitudinale de l'encéphale du cheval (*). (*) I, Trajet du stylet aiTivaiit aux couches olfactives. II, trajet du stylet au corps strié. III, à la couche opliciue. IV, au Uiberculc bi^'èmiiiL' antérieur. V, au pont de Varole. YI, ùla région moyenne du cervelet 118 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX, contractions saccadées dans le mastoïdo-huméral, absolument comme dans le cas d'une lésion du pédoncule cérébral. Si la lésion du corps strié est assez considérable pour affaiblir l'action motrice,, il se produit un commencement de paralysie à l'opposé de la lésion d'où résulte une déviation de la tète du côté de cette lésion a\ec tendance au tournoiement ou au mouvement de manège dans le même sens. Ainsi, sur un cheval, par une trépanation, la piqûre du corps strié droit, qui n'a déterminé ni douleur ni mouvements convulsifs, a donné lieu à une déviation de la tête du côté droit puis à la chute du corps. Sur le porc debout, par une trépanation, trois piqûres au corps strié droit n'ont déterminé aucun indice de sensibilité et donné lieu à l'inclinaison du cou et de la tête à droite ; sur le chien la piqûre du corps strié gauche a donné lieu à un commencement de paralysie à droite et déviation de la tête avec tendance au tournoiement du côté de la lésion. Enlin, sur plusieurs lapins, la piqûre puis la désorganisation par une petite ouverture de trépan, ont entraîné également l'incurvation du corps, même le tournoiement du côté de la lésion avec culbute en avant. Sur divers autres lapins la déviation de la tête et la tendance au tournoiement dans le sens indiqué ont persisté pen- dant plusieurs jours. Presque toujours la piqûre arrivant à la face inférieure du corps strié déterminait un bond, en avant, sans autre indice de sensibilité. C'est par l'excitation mécanique d'un pédoncule cérébral que j'ai produit beaucoup mieux et , tout à la fois, le pleurosthotonos et le tournoiement. Les connexions intimes que les histologistes signalent entre le corps strié et le pé- doncule portent à 'croire que les excitations du corps strié peuvent produire, en partie, leurs effets non directement mais par leur transmission au pédoncule. La destruction des corps striés, donne lieu à la paralysie unilatérale apposée surtout H celle des mouvements involontaires plus complète et plus durable que celle qui résulte des lésions corticales. Elle la détermine, même lorsquelle est limitée à une faible étendue de ces corps. Nothnagel l'a produite sur le lapin par la simple désorganisation du noyau lenticulaire et sur le chien par celle du noyau caudé du corps strié. Cette hémiplégie n'entraîne point la perte ni même l'affaiblissement de la sensibilité. Elle a été observée plusieurs fois sur l'homme dans ces conditions. La destruction des fibres de l'expansion pédonculaire donne lieu à des effets semblables. Il est à noter qu'après la destruction des deux corps striés, l'animal, s'il peut se tenir debout, conserve l'immobilité la plus absolue; ses membres demeurent dans la position qu'on leur donne. Il ne se déplace que sous l'influence d'une provocation; il bondit, fuit rapidement, comme s'il conservait toute liberté de se mouvoir automatiquement. Magendie faisait jouer aux corps striés un rôle tout à fait spécial. Il se dévelop- perait, d'après lui, dans les centres nerveux deux forces diamétralement opposées : l'une qui excite les animaux à se porter en avant et qui a son siège dans le cer- velet, peut-être dans la moelle allongée, l'autre qui les porte à se mouvoir en arrière ou à reculer, et qui a son point de départ dans les corps striés. Lorsque l'équilibre entre ces deux forces vient à être rompu, par la lésion du cervelet ou par celle des corps striés, les mouvements sont modifiés dans le sens de la force FONCTIONS DE l'eNCKPIIALE. lit) devenue prédominante. Ainsi, quand les corps striés sont détruits, la force qui tend à pousser en arrière étant annihilée, l'autre agit seule et entraîne le corps en avant. « Aussitôt l'animal s'élance dans cette direction et court avec rapidité; s'il s'arrête, il conserve l'attitude de la fuite ; on dirait que l'animal est poussé en avant par une puissance à laqui'lleil ne peut résister; dans cette course rapide, il passe quelquefois par-dessus les ()i)stacles qu'il rencontre. » Magendie a trouvé, en faveur de sa manière de voir, un argument dans le fait des chevaux immobiles (|ui ne peuvent point reculer, connue chacun le sait, et qui, une fois emportés, ont même beaucoup de peine à s'arrêter; il a rencontré dans les grands ventri- cules de ces animaux un épanchement de sérosité qui avait comprimé les corps striés et quelquefois altéré leur surface. Il n'y aurait rien à objecter au savant physiologiste si toutes les expériences concordaient a\ecles siennes et si l'expli- cation de l'immobilité était vraie dans toutes les circonstances. Mais Longet, n'a pas vu les lapins privés de leurs corps striés présenter une tendance plus prononcée que d'Iiabilude à se porter en avant. Ils se déplaçaient seulement lors d'une forte provocation, puis retombaient dans une complète inertie. Dans mes expériences je n'ai jamais constaté une tendance outrée à se porter en avant après la désorganisation d'un seul corps strié ou des deux. Limitée à un seul, sur le cheval, elle a produit l'hémiplégie, à un certain degré, l'affaiblissement, même la paralysie des deux membres postérieurs, et la chute du corps. Étendue aux deux, elle a déterminée la paralysie bilatérale. Dans les cas d'immobilité, chez le cheval, les corps striés ne sont pas désorga- nisés. Ils sont simplement comprimés et leur compression ne coïncide même pas toujours avec un certain degré d'atrophie. La compression est produite par l'hydropise des grands ventricules et elle s'exerce à la fois sur les corps striés et les couches optiques. Cette hydropisie ne m'a paru manquer jamais, pourvu que l'autopsie fût faite avant la résorption du liquide ventriculaire. Elle a été, sur sept chevaux inunobiles dont l'autopsie a été faite avec soin immédiatement après la mort ou peu d'heures après, de lo, 20, 23, 30, 32, 35 et oo gr., soit de 3 à II fois la quantité normale. En outre, sur plusieurs de ces animaux, il exis- tait d'un seul côté ou des deux des concrétions de cholestérine au plexus choroïde. Ouoique l'hydropisie des ventricules soit une lésion à peu près constante de l'immobilité on n'est pas en droit d'attribuer cette immobilité uniquement à la compression des corps striés, puisque le liquide comprime les couches optiques autant que les corps striés et qu'il exerce, en outre, de dedans en dehors, une compression sur la capsule interne et sur la totalité des couches qui forment les parois de la cavité ventriculaire. 11 importe de tenir compte, dans l'interprétation des effets de l'hydropisie ven- triculaire, de la compression exercée sur les couches optiques, car, dans les expé- riences de.Nothnagel comme dans celles de Ferrier, on a vu après la destruction d? ces couches que les animaux laissaient mettre leurs pattes dans toutes les situations les plus pénibles. La conqu'ession produite sur les corps striés et sur les couches optiques par les concrétions de cholestérine doit produire des effets équivalents à ceux de l'hydro- pisie, à la comlition (jue les concrétions existent à droite et à gauche avec un 120 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. développement considérable, pour opérer comme le liquide, une compression bilatérale. J'ai vu un assez grand nombre de fois des concrétions de ce genre des deux côtés, du volume d'une noisette à celui d'un œuf de perdrix, concrétions qui avaient provoqué la résorption d'une partie des corps striés; néanmoins les animaux n'avaient aucune tendance exagérée à la propulsion. La tendance à se porter en avant, que Magendie croyait le résultat delà lésion des corps striés n'est pas uniquement liée à ce qu'on appelle l'immobilité chez les solipèdes. Elle s'observe le plus souvent, chez ces animaux, dans les différentes formes de méningite ou d'encéphalite connues sous les noms de vertige essentiel ou de vertige abdominal. En somme il est difficile de rattacher les troubles locomoteurs caractéristiques de l'immobilité à des lésions précises des centres nerveux. J'ai vu des chevaux qui reculaient très difficilement, conservaient les membres croisés, tenaient la tête baissée quand on la mettait dans cette situation, chevaux qui se montraient indociles, peu maniables, d'un arrêt diflicile une fois qu'ils étaient lancés, et tout cela sans autre chose que de petites concrétions des plexus choroïdes et un léger épanchement ventriculaire. En résumé les corps striés sont des ganglions moteurs, principalement affectés aux mouvements automatiques ou involontaires. Conciles oiïticfaies, — Elles constituent une seconde paire de ganglions cérébraux, en rapport, d'une part, avec les pédoncules, d'autre part avec les circonvolutions. Dans leur substance grise, les cellules sont fusiformes ou pyramidales, et différentes de celles des corps striés; elles sont disposées dans le sens des libres. Ces fibres proviennent, en partie, des pédoncules cérébraux ; elles sont, pour la plupart, sensitives à ce qu'il semble ; les moins nombreuses sont mo- trices : aussi la couche optique est surtout un ganglion sensitif, tandis que le corps strié est un ganglion moteur. Ces couches sont, disent les histologistes, en communication par des faisceaux de libres avec les parties frontales, tem- porales et occipitales des hémisphères cérébraux. M. Luys y reconnaît quatre centres unis aux pédoncules et à l'écorce, dans les régions sensitives. Le rôle des couches optiques a toujours paru d'une détermination difficile. Dans les expériences de Flourens et de Longet, ces couches se sont montrées insensibles et inexcitables, sous l'influence des irritations mécaniques. Les cou- rants électriques, d'une intensité égale à celle des courants qui mettent en jeu l'excitabilité des corps striés, n'exercent sur elles, d'après divers observa- tions, aucune action chez les singes et les carnassiers. Lorsqu'on lèse gravement ou lorsqu'on détruit les couches optiques sur les animaux, on donne lieu à l'atténuation de la sensibilité du corps, dans la moitié opposée à la lésion. L'hémianesthésie est prononcée en raison de la gravité de la lésion et elle l'est à des degrés divers suivants les espèces d'animaux. De plus, elle est accompagnée de la perte partielle ou complète de la vue, de l'ouïe, de l'odorat du côté opposé à la lésion. D'après M. Luys, les lésions graves de ces couches, alfaibl iraient toujours la sensibilité dans la moitié du corps ofjposée à la lésion. FONCTIONS DE L'ENCÉPHALE. 121 oL. tiJ-cUii f.W.'MORCI.E^.'. FiG. 10. — Tète de chien à crâne ouvert (*). (*) A gauche, circouvolutioiis intactes ; A droite moitié frontale du cerveau excisée. I, corps strié. II, couclie optiiiue. 122 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. En outre, d'après Longet et M. Vulpian, ces lésions affaibliraient les muscles dans la moitié opposée ; elles tendraient à produire une paralysie du mouvement, tant dans les membres thoraciques, que dans les membres abdo- minaux, paralysie dont un grand nombre d'observateurs, à compter d'Andral, ont cité des exemples. Ce que j'ai observé sur les grands animaux me porte à croire que les couches optiques sont des ganglions mixtes, ou tout àlafois sensitifset moteurs, mais avec prédominance du rôle sensitif. Au point de vue de la sensibilité, leur rôle est distinct de celui des corps striés, et ce qui le prouve, c'est que, après la lésion des couches, l'animal dont la sensibilité générale devient plus ou moins obtuse, peut paraître immobile; déplacer lentement ses membres, les tenir longtemps dans une position gênante. La lésion des couches optiques, sans ablation des hémisphères, a déterminé, dans les expériences de Longet, un mouvement circulaire ou de manège, du côté opposé à la blessure. C'est aussi ce que j'ai vu plusieurs fois en faisant pénétrer perpendiculairement un stylet dans ces parties à travers les hémisphères ; et le tournoiement a été surtout très marqué lorsque la piqûre portait sur les parties des couches les plus rapprochées des pédoncules cérébraux. Il y a ici encore, en apparence, une action croisée qu'il est difficile d'expliquer d'après les caractères du tournoiement. Celui-ci, d'après M. Schiff, résulterait « de la para- lysie des abducteurs d'un côté et des adducteurs de l'autre.» Mais, à bien consi- dérer le phénomène, il paraît mal interprété. Lorsque, à la suite delà piqûre de la couche optique droite, par exemple, l'animal tourne à gauche, il est visible que les muscles gauches, notamment ceux du cou, ne sont pas affaiblis, puisqu'ils se contractent énergiquement en inclinant souvent la tête très près de l'épaule. Loin d'être affaiblis, ces muscles sont réellement stimulés et éprouvent une contraction prolongée. Au contraire, lorsqu'à la suite de l'ablation ou de la destruction de cette couche droite l'animal tourne à droite, c'est que les muscles de ce côté attirent à eux et entraînent la moitié gauche qui est plus ou moins affaiblie. A mon sens, la couche optique droite a réellement une action croisée qui se manifeste diversement, savoir : 1° ou par un tournoiement à gauche sous l'influence d'une piqûre qui stimule les muscles de ce côté; 2° ou par un tour- noiement à droite, en suite d'une destruction, d'une ablation qui affaiblit ou paralyse les muscles gauches. Cette interprétation rend, ce me semble, intelli- gibles les résultats contradictoires de M. Schiff. Du reste le tournoiement en manège est quelquefois d'une interprétation difficile, car il suffit pour le pro- duire, si le cercle décrit est d'un grand diamètre, que les membres d'un côté entament plus de terrain que leurs congénères. En somme, en raison des connexions intimes des corps striés, des couches opticiues, avec les pédoncules , les lésions isolées de ces parties ont des effets communs ; les piqûres, même peu étendues ou peu nombreuses de l'une d'elles, pinncnl pioduii(; la parésie, la paralysie, dans la moitié opposée, et rendre ces accidents durables. Comme dans ces parties il y a des fibres, des cellules sensi- tives associées aux libres et aux cellules motrices, les effets des lésions sont mixtes; ils portent sur la sensibilité et la motricité avec prédominance sur l'une FONCTIONS l>E I.' ENCÉPHALE. I 2:i OU l'autre, suivant les proportions respectives de chacune des deux espèces d'éléments. Tubercules l>ig-éuiiiiéi« ou IoI>cm optitiuew. — Ils forment, au- dessus des pédoncules cérébraux, quatre masses hémisphériques à enveloppe blanche. Leur substance yrise (|ui, peut-être, constitue plusieurs ganj^lions, les met en comnumication, dune part, avec la inœlle allongée par les rubans de Reil, et par leurs bras, avec l'écorce des hémisphères cérébraux. Ces tubercules constituent, sans aucun doute, des ganglions optiques en rai- son des libres qui les rattachent aux nerfs opticpies. C'est surtout chez les pois- sons, où ils sont énormes, que leurs connexions avec les nerfs optiques sont très évidentes. Ils possèdent de petites libres qui se rendent aux noyaux d'ori- gine de l'oculo-moteur commun et du moteur interne de VœW. Les tubercules bigéminés jouissent de propriétés distinctes de celles des hémisphères. D'après Flourens, leurs couches superlicielles ne sont ni sensibles, ni excitables sous l'influence de piqûres ou d'autres stimulations mécaniques ; mais leurs couches profondes irritées de cette faron, provoquent le resserrement de l'iris, et des mouvements convulsifs. Le fait peut être aisément constaté sur le cheval, quand après avoir fait une ouverture de trépan à deux centimètres au- dessus de celle qui correspond au corps strié, on enfonce le stylet à environ l) à () centimètres de profondeur. La piqûre qui n'arrive pas au pédoncule, pro- voque un mouvement brusque de la tête, coïncidant avec la dilatation de la pupille du côté opposé. L'irritation électrique efl'ectuée sur le chien, le chat, le singe a produit ces effets à un degré très prononcé : dilatation des pupilles des deux côtés, abais- sement des oreilles, con striction des mâchoires, renversement du corps en arrière, cris, etc. Sur les oiseaux elle a déterminé des mouvements convulsifs plus variés encore ; sur les poissons des mouvements irréguliers de la queue, des nageoires. La signification de ces réactions ne [»eut être donnée sûrement, car, pour arriver aux tubercules, il faut léser d'autres parties des centres et en les excitant on étend inévitablement l'irritation aux pédonculescérébraux, au cervelet et au bulbe, puisque souvent on provoque des troubles dans lerhythmedela respi- ration et de l'action du cœur ; d'ailleurs une partie de ces réactions peut être considérée comme l'expression de douleurs plus ou moins vives. Les fonctions des tubercules bigéminées sont complexes. Les plus TCmarquables se rattachent à la vision et ont été mises en relief dans les expériences de Flourens. D'abord ils associent les mouvements de l'iris avec les impressions lumineuses reçues par la rétine. L'irritation d'un tubercule excite les contractions de l'iris opposé; son ai)lation partielle affaiblit ces contractions et son ablation totale les abolit complètement. En outre la destruction d'un tulicrcule cpii supprime le jeu de l'iris du côté opposé abolit aussi la vue dans r(eil à iris imuioi)ile, l'autre œil conser- vant ses mouvements iriens et sa faculté visuelle. La destruction des tuber- cules des deux côtés supprime la vision cl les mouvements iriens adroite et à gauche. 1*24 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. Les tubercules bigéminées ont encore des fonctions étrangères à la \ision. Ce qui le fait supposer c'est qu'ils ont encore de grandes dimensions chez des animaux à vue faible ou aveugles comme la taupe, la musaraigne, le protée, etc. Il y a longtemps, Serres a montré que la destruction des tubercules bigéminés, en frappant les animaux de cécité, trouble la coordination des mouvements. Depuis, divers expérimentateurs notamment Goltz, Ferrier ont vu, sur le singe, sur le lapin la désorganisation des lobes optiques, troubler l'équilibre et la coor- dination locomotrice au point que ces animaux ne pouvaient ni se tenir debout, ni marcher. Sur les oiseaux les mêmes résultats ont été constatés. Les mêmes observateurs ont vu aussi que les batraciens et les poissons, privés de leurs lobes optiques, reprenaient difficilement l'équilibre perdu et le perdaient dans des situations très diverses. Chez les animaux la lésion même superficielle de ces lobes entraînait des désordres graves, tels que la natation sur un côté, la rotation sur l'axe. Ces tubercules ne sont pas seulement des intermédiaires ou des conducteurs entre l'œil et le cerveau; ils semblent, comme le dit Flourens, le siège du principe primordial de l'action de la rétine, du nerf optique et de l'iris. En effet Longet a vu qu'après la destruction des lobes cérébraux, moins celle des couches optiques, les pigeons étaient encore impressionnés faiblement par une vive lumière, comme si les tubercules effectuaient un commencement de perception. Glande i>iiiéa.le. — Constituée presque exclusivement par des cellules apoiaires et unie aux hémisphères par quelques fibres, elle n"a pas de fonction connue. Galien en faisait une glande, et Descartes la source des esprits animaux, d'où l'on a supposé qu'il la considérait comme le siège de l'âme. Pédoncules cérébraux. — Les pédoncules cérébraux sont évidemment les prolongements de la moelle allongée et du mésocéphale étendus aux hémi- sphères. Ils renferment des fibres sensitives qui y sont distinctes des fibres motrices. Les supérieures sont sensitives, les inférieures motrices. Entre les tractus supérieurs et inférieurs se trouvent des amas de cellules ; par consé- quent ils représentent une moelle allongée ou une moelle épinière bifurquée avec tous leurs éléments. Ces tractus se prolongent dans les corps striés, le noyau lenticulaire, dans la capsule interne et divers points de l'écorce cérébrale. Leur constitution anatomique explique leur rôle dans les conditions physiologiques et pathologiques. Ils sont sensibles et excitables. Les stimulations portées à leur surface ou dans leur intérieur causent de la douleur et provoquent des mouvements plus ou moins prononcés. A la suite de la destruction des lobes cérébraux, les pédon- cules demeurant intacts, j'ai vu, lors de la piqûre deceux-ci, les animaux couchés faire de violents efforts pour se relever, et souvent y réussir même plusieurs fois de suite. Cette piqûre a provoqué sur l'âne un cri particulier, prolongé, distinct du braiement,et comparable à celui que font entendre les solipèdes qui éprouvent de violentes douleurs pendant les opérations chirurgicales. La section_complète des deux pédoncules s'oppose à la transmission des ordres de la volonté au système musculaire ; elle alfaiblit les perceptions sensitives, FONCTIONS DE l'ENCÉPUALE. 125 mais laisse persister, d'après Longet, les impressions très douloureuses qui sont reçues par le mésocéphale. Elle détermine, en outre, dit Flourens, une suite de mouvements d'arrière en avant. La lésion d'un seul pédoncule produit, sur le la[iin, d'après Longet, un mou- vement de manège du côté opposé, mouvement qui n'a pas lieu lorsque le pédon- cule est coupé à son point de jonction avec la protubérance annulaire. J'ai cons- taté sur le cheval l'exactitude du premier de ces faits. Ayant piqué avec un large stylet d'acier le pédoncule cérébral gauche, j'ai vu l'animal porter aussitôt la tête à droite, courl)er fortement l'encolure et tourner de ce côté pendant i)lusieurs heures. L'attitude que le solipède conserva et les mouvements qu'il fit à la suite de cette lésion étaient très remarquables : non seulement son cou était incurvé à droite, mais encore son corps était courbé si fortement dans ce sens que la tête venait s'appliquer sur les côtes et sur le flanc, comme si l'animal eût été ployé en deux ; ses membres étaient rapprochés en faisceau, de sorte qu'en tour- nant il pivotait sur lui-même tant le cercle décrit était d'un diamètre peu consi- dérable. Souvent l'animal, en tournant, tombait, et dès qu'il était couciié, il donnait à son corps la même incurvation que pendant la station. Une fois relevé, il reprenait son mouvement circulaire; si on l'appuyait, par le côté droit, contre un mur, il ployait sa tête entre mur et la croupe, puis restait immobile. Ce cheval reculait bien, mais il ne pouvait ni avancer, ni tourner à gauche; il pré- senta les mêmes phénomènes pendant la plus grande partie d'une nuit, jusqu'au moment oi!i il fallut le sacrifier. A l'autopsie, je m'assurai que le pédonculegauche était profondement piqué dans sa partie moyenne. Sur d'autres animaux, ânes, vaches, chiens et lapins les résultats des piqûres d'un pédoncule ont été analogues mais à des degrés très divers, sans doute, parce que les lésions ne purtaieiit pas sur les mêmes points, n'avaient pas la même étendue et intéressaient inégalement les tractus sensitifs ou moteurs. Sur l'àne la piqûre du pédoncule droit a immédiatement fait incurver l'encolure et porter la tête à gauche. La chute du corps a eu lieu aussitôt après; mais l'animal a pu être relevé et se tenir debout pendant quelque temps, la tête s'est tenue ren- versée sur l'épaule gauche, l'oreille du même côté s'est abaissée et les deux yeux ont pirouetté dans leurs orbites. Quanta la prétendue influence des pédoncules surles mouvements de l'estomac, de l'intestin, de la vessie, et sur les cara<'tères delà sécrétion urinaire, rien ne la démontre. Les lésions pédonculaires provoquent d'énergiques contractions de l'intestin, souvent re\|"ulsion des gaz et des fèces, comme le font une foule d'autres mutilations des centres nerveux ; elles rendent l'urine acide par suite de la suspension du travail digestif équivalant à l'abstinence. Les pédoncules cérébraux (jui sont les traits d'union entre le cerveau et les centres nerveux postérieurs ne paraissent pas avoir d'action propre. Ce sont des conducteurs, en deux sens et à double destination. Aussi après leur section ou leur désorganisation il n'y a plus transmission d'impulsions centrales motrices, ni de transmission aux centres d'impressions péri[»hériques. En résumé, les hémisphères cérébraux sont des foyers importants d'activité nerveuse. Ils ont pour rôle essentiel de percevoir les impressions venues de toutes 126 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. les parties et de les convertir en sensations, par conséquent de donner à l'homme, à l'animal, conscience de lui-même et du monde extérieur, d'effectuer les voli- tions, d'accomplir les opérations instinctives et intellectuelles. C'est tantôt par leur ensemble et en masse qu'ils paraissent agir, et tantôt comme une agrégation de petits organes confédérés, à attributions distinctes; car toutes leurs parties et tous leurs éléments n'ont pas les mêmes propriétés ni exactement les mêmes fonctions. La plupart sont à peu près insensibles aux stimulations mécaniques, quelques-unes sont dénuées d'excitabilité. De leurs deux substances la grise paraît la plus importante, et ses cellules simples, bipolaires et multipolaires en constituent l'élément essentiel et actif. Ces hémisphères représentent, à la fois, des parties indépendantes pour un certain nombre de leurs actions et des parties liées à la moelle pour d'autres, ce qui s'explique par la structure de l'encéphale et par ses connexions avec les autres parties du système nerveux central. DU CERVELET Le cervelet, composé de substance grise extérieure sous forme de circonvolu- tions minces dont chacune est pénétrée par une lamelle blanche, a une structure propre différente de celle des hémisphères. La substance grise ou corticale pré- sente une couche extérieure analogue à celle du cerveau dont les cellules sont petites, à prolongements ramifiés; une couche moyenne à cellules rondes, ovoïdes, à noyaux volumineux et à très nombreux prolongements, dites de Pur- kinge ; une couche profonde à granulations serrées qui sont peut-être de petites cellules. Celle-ci est traversée par les prolongements des cellules de la zone moyenne et par des fibres provenant de la substance blanche. Cette dernière, ou substance médullaire, est formée de hbres sensitives et motrices. Il existe en outre, dans cet organe, des amas constitués par des cellules multipolaires en rapport avec les pédoncules cérébelleux et l'origine du nerf acoustique. Ce cervelet est considéré comme à peu près insensible aux irritations méca- niques ou chimiques. Il l'est, en effet, ta sa surface et dans toute l'enveloppe grise de ses circonvolutions ; mais il est sensible à l'intérieur et surtout au voi- sinage des pédoncules. Là aussi sa substance est excitable; les irritations qui y sont appliquées produisent à la fois de la douleur et des convulsions. De plus, celles qui portent sur les pédoncules déterminent la déviation des yeux et la rota- tion du corps sur son axe. Cependant la sensibilité et l'excitabilité ne sont très prononcées en aucun point de son étendue. Il est évident que ceux qui ont vu l'irritation de cet organe développer une vive douleur, accompagnée de secousses musculaires, lésaient, en même temps que le cervelet, la moelle allongée dont la sensibilité et l'excitabilité sont exquises. L'électrisation met en jeu au plus haut degré l'excitabilité du cervelet. Ferrier, en expérimentant sur le singe, a provoqué des mouvements variés des yeux, de la tête et des membres, et sur le chien, le chat, le lapin, des mouve- ments analogues, comme si le cervelet possédait des centres de mouvement pour quelques parties du système musculaire. La détermination du rôle de cette partie de l'encéphale a vivement excité l'at- FONCTIONS DE l'ENCÉPHALE. 127 tention des physiologistes : Willis regardait le cervelet comme l'oigaiie excita- teur des mouvements involontaires, notamment des contractions du cœur et des viscères à tuniques musculeuses, oiùiiion (jui ne rejiose sur aucun fondenuMit : Pourtour du Petit, Dugès le considéraient connue un organe |)résidant à la sen- sibilité. Rolando, se basant sur des expériences nombreuses, a essayé d'établir que le cervelet est le point de départ des mouvements volontaires et que son action est analogue à celle d'une pile galvanique. On \a voir que cet expérimen- tateur s'est trom|>é sur les laits et sur leur interprétation, attendu que les mou- vements persistent a|)rès l'ablation du cervelet, et (jue rien ne prouve la prétendu»! analogie qui existerait entre l'action de cette |)artie et celle de la pile; il faut arriver aux expériences de M. Flourens |»our trouver, à ce (pi'il sendile, les véritables fonctions de cet organe. J'ai supprimé, dit-il \ par couch(,'s successives, le cervelet d'un pigeon. Durant l'ablation des premières couches, il n'a [»aru qu'un peu de faiblesse et de manque d'harmonie dans les mouvements. Aux moyennes couches, il s'est manifesté une agitation universelle, bien qu'il ne s'y mèlàt aucun signe de con- vulsion; l'animal opérait des mouvements brusques et déréglés; il entendait et voyait. Au retranchement des dernières couches, l'animal, dont la faculté de sauter, de voler, de marcher, de se tenir debout, s'était de plus en plus altérée par les mutilations précédentes, perdit entièrement cette faculté. Placé sur le dos, il ne savait plus se relever. Loin de rester calme et d'aplomb, comme il arrive aux pigeons privés des lobes cérébraux, il s'agitait follement et presque continuellement, mais il ne se mouvait jamais d'une manière ferme et déterminée. Par exemple, il voyait le coup qui le menaçait, voulait le fuir, faisait mille con- torsions pour l'éviter, et ne l'évitait pas. Le plaçait-on sur le dos, il n'y voulait pas rester, s'épuisait en vains efforts i)our se relever et finissait par y rester malgré lui. Finalement la volition, les sensations, les perceptions (lersistaient : la possibilité d'exécuter des mouvements d'ensemble persistait aussi, mais la coordination de ces mouvenienis en mouvements de locomotion réglés et déter- minés était perdue. » Flourens a constamment observé les mêmes phénomènes à la suite de la destruction du cervelet. Lorsqu'elle ne porte que sur les parties superficielles, il se manifeste un peu de faiblesse, d'indétermination et un léger défaut d'har- monie dans les mouvements. L'animal se tient encore debout, il marche irrégu- lièrement, vole avec assez de facilité. Une fois que les couches plus profondes sont intéressées, la station devient fort difficile; l'aninuil ne peut plus se tenir debout à l'aide de ses pattes; il faut qu'il s'appuie sur les ailes et sur la queue; souvent, malgré ce secours, il ne peut conserver longtemps une pareille attitude. Les divers mouvements qu'il elfectue pour se déplacer sont incohérents, désor- donnés ; sa marche est chancelante, indécise, mal assurée, bizarre; elle res- semble à celle d'un homme ivre, et ne peut se faire qu'autant que les ailes et la queue viennent en aide aux pattes pour fournir des points d'appui. Le vol est irrégulier; l'oiseau ne peut plus se diriger comme il veut: il l'onle sur lui-même, 1. l'ioineiis, ouvraijc citr., p. 37. 128 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. recule au lieu d'avancer, se dirige parfois à droite quand il cherche à s'avancer à gauche, heurte l'objet qu'il tend à éviter. Si la destraction de l'organe est complète, l'animal ne peut plus ni se tenir debout, ni marcher, ni voler ; mis sur le dos, il fait des efforts inouïs pour se relever sans y réussir ; il s'agite con- tinuellement, roule sur lui-même, se débat pour prendre une autre position» s'épuise et garde enfin celle que le hasard lui a donnée. Les mômes particula- rités se reproduisent sur les mammifères. Leur marche est chancelante et en zigzags; ils se meuvent irrégulièrement, ne peuvent plus éviter les objets, se heurtent contre les obstacles placés sur leur route. Pendant que tous ces phénomènes remarquables se produisent, l'animal con- serve la sensibilité et l'usage de tous ses sens; il voit, entend, s'effraye des me- naces, fait les plus bizarres contorsions, s'abandonne à l'agitation la plus fou- gueuse pour les éviter; ses facultés intellectuelles ne sont, pas sensiblement altérées, et s'il continuée vivre après la mutilation, les mouvements conservent leurs caractères anormaux ;]ils ne reprennent leur régularité première qu'autant que la lésion du cervelet est légère. Dans les cas de lésions circonscrites, de kystes, d'abcès ou de tubercules, par exemple, on a noté aussi presque toujours l'intégrité des facultés intellectuelles, sans modifications marquées dans l'état de la sensibilité générale. Par tous ces résultats que j'ai vus reproduits aux leçons de M. Flourens ^, ce savant physiologiste démontre que le cervelet est le siège de la faculté coordi- natrice des mouvements volontaires ou l'agent qui les harmonise et les associe. Cette faculté est distincte de celle qui excite les mouvements et de cette autre qui les commande : la première réside dans le cervelet, la seconde dans la moelle allongée et la moelle épinière, la troisième dans les hémisphères cérébraux. Néanmoins cette faculté régulatrice n'étend pas son influence sur tous les mou- vements; il en est quelques-uns appelés de conservation qui paraissent en être indépendants. A la vérité, tous les faits pathologiques ne confirment pas pleinement les don- nées de l'expérimentation. Si, dans quelques-uns, la station était difficile, la marche irrégulière, la parole embarrassée, on a vu des épanchements cérébelleux, des tubercules, des masses cancéreuses dans le cervelet sans défaut de coordina- tion des mouvements ou avec paralysie complète. Mais, comme le fait très judi- cieusement remarquer Longet, en rappelant la réflexion de Morgagni, la fonc- tion peut survivre à l'altération grave de l'organe, surtout si cette altération se confine en laissant une assez grande quantité de substance intacte. J'ai essayé de répéter sur les solipèdes ces expériences qui rendent si évidentes les fonctions du cervelet en ce qui concerne les mouvements. Ayant mis à décou- vert cet organe sur un cheval de trait, par l'enlèvement de la partie supérieure de l'occipital, j'ai enfoncé un scalpel dans son lobe moyen et assez peu profondé- ment pour ne pas arriver jusqu'à la moelle allongée ; alors l'animal a secoué la tête, mais il n'a point éprouvé de convulsions. Après une seconde et une troi- sième piqûre, sa démarche est devenue chancelante : il écartait les mçmbres, se 1. Au Muséum d'histoire naturelle, 1851. FONCTIONS DE L ENCÉPUALE. 129 campait k la lois sur ceux do devant et sur ceux de derrière pour mieux conserver Fii:. 11. — Tète d'afjiK'aii de trois mois (*). l'équilibre. Lorsqu'il marchait, on voyait son corps se balancer alternativement (*) 1, première suture correspondant à la parlic nioyonnc des hémisphères cérébraux; 11, deuxième suture en regard de l'extrémité antérieure du cervelet; III, suture qui correspond au tiers antérieur du lobe moyen. o. COLIN. — Physiol. comp. 3' édit. I — 9 130 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. à droite et à gauche, comme si, à chaque pas, il eût \oulu se laisser tomber. Bientôt il manifesta une tendance très marquée à se porter en avant et prit l'at- titude (In cheval qui donne un vigoureux coup de collier pour franchir une côle ou sortir d'une ornière. A ce moment sept ou huit élèves eurent de la peine, en lui tirant la queue, de l'empêcher d'avancer. Une nouvelle piqûre lit fléchir les membres et détermina la chute du solipède. Un second cheval eut le cervelet piqué à travers une ouverture de trépan faite avec beaucoup de peine ; il pré- senta les mêmes particularités que le précédent, moins la tendance à se porter en avant; il voyait, entendait très bien, avançait, reculait, tournait à droite ou à gauche, quand il y était sollicité, et n'exécutait aucun mouvement convulsif. Sur les ruminants les effets des lésions cérébelleuses ont été de même nature : peu ou point de sensibilité à la surface de l'organe, sensibilité et réaction lors des blessures profondes; pas de désordres dans la locomotion, lors des lésions légères et superficielles, désordres croissant à mesure que ces lésions se rap- prochaient des parties profondes et surtout des pédoncules, tendances au tour- noiement, dès que les lésions unilatérales s'éloignaient du plan médian. Ainsi, sur une génisse debout, une piqûre médiane du cervelet, par une ouver- ture de trépan à l'occiput, n'a déterminé ni convulsions ni troubles dans la loco- motion ; trois autres piqûres sur le côté droit du lobe moyen, jusqu'au plafond du quatrième ventricule, ont fait dévier la tête à gauche et exécuter sept à huit tours de manège suivis d'une immobilité prolongée pendant une journée entière. Sur deux agneaux la piqûre latérale du cervelet, à l'aide d'une forte aiguille à suture, dans les couches superlicielles, a laissé aux mouvements leur liberté et toute leur régularité. L'un d'eux, conservé pendant six semaines, n'a jamais éprouvé de troubles dans la locomotion. Un jeune chien, dont le cervelet a été piqué au trocart dans le^lobe moyen, un peu à gauche, a continué à marcher, à courir ; mais ses allures étaient irré- gulières et titubantes; il avait de la tendance à tourner à droite. Un autre chien à cervelet blessé jusqu'au quatrième ventricule et au méso- céphale, entre le lobe gauche et le médian, a éprouvé aussitôt après des troubles graves dans les mouvements : chute du corps, agitation des membres, comme pour la marche ou la natation, contracture à droite, relâchement à gauche, renversement de la tête en arrière ; de plus, hyperesthésie, cris au moindre attouchement; enfin, rotation sur l'axe toutes les fois, que l'animal cherchait à changer de position ou à se relever. Un chat anesthésié, à cervelet piqué à égale distance des deux extrémités, au lobe médian et un peu à gauche, couché sur le côté, se meut circulairement à plat comme la meule de moulin. En se relevant par le train de derrière, il culbute sur les pattes de devant, sur la tête et retombe constamment sur le côté droit, qui se paralyse de plus en plus; tendance à tourner en manège du côté paralysé. Un lapin, piqué au même point, mais très superficiellement, n'a offert, pen- dant quatre semaines, qu'une tendance à tourner à gauche. C'est sur les oiseaux que les effets des lésions se sont manifestés avec le plus de netteté et sous les formes les plus variées, notamment sur le pigeon. FONCTIONS DE L ENCÉPHALE. 131 Un pigeon, auquel le cervelet avait été excisé couche par couche dans la moitié 'V\'\'''^^&\n e.VlUMOUCKtH iC. FiG. 12" — Tète de lapin dont la moitié du cerveau et du cervelet est à découvert (*]. supérieure du lobe moyen et du lobe gauche a[)iés ablation do la [uiroi occipitale, (*) I, suture correspondant à peu près à la partie moyenne tlu cervLMu ; II, suture ou regard de l'fxtrt;- mité antérieure du cervelet; III, crête occipitale. 132 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. ne pouvait ni se tenir debout, ni voler. Ses évolutions étaient bizarres, incohé- rentes, accompagnées de battements d'ailes; il faisait par moments des culbutes, tantôt sur la tête, tantôt sur la queue, et de temps en temps roulait sur son axe. Un autre, dont le cervelet était simplement piqué, n'exécutait plus aucun mouvement régulier, la station devenait très difficile, la marche, le vol, impos- sibles ; il renversait la tète et le cou en arrière, faisait la culbute dans le même sens, battait des ailes sans but apparent, etc. Un poulet, auquel le lobe médian fut piqué, une première fois légèrement, con- servait l'équilibre le plus parfait, la marche régulière. A une deuxième piqûre au même lobe, un peu à gauche, il ne marchait plus qu'avec hésitation, en titubant ; à une troisième, du même côté, il tombait, repliait les membres sous le ventre, mais finissait par se relever ; à une quatrième, il tombait lourdement sur le côté droit, puis se relevait pour retomber encore, en tordant le cou, et en déplaçant irrégulièrement les pattes; enfin, après avoir repris ses aplombs, s'échappait comme s'il n'eût éprouvé aucune lésion cérébrale. Sur un coq une simple piqûre profonde au lobe moyen donnait lieu à la chute immédiate du corps, avec impossibilité de se relever; agitation des pattes et des ailes; flexion extrême du cou amenant la tête sous la poitrine, mouvements irré- guliers des yeux, etc. Sur un dindon trépané à la suture fronto-pariétale, la simple piqûre à la partie antérieure du lobe moyen, tout à fait en avant, à deux millimètres à gauche de la ligne médiane, a donné lieu aux désordres de la locomotion les plus prononcés qu'on puisse observer sur les oiseaux: vives secousses, double torsion du cou, abaissement et déviation de la tête à droite, mouvement rotatoire des yeux ; saillie du corps clignotant ; une patte projetée en avant, l'autre en arrière ; une aile éten- due, l'autre abaissée; par moments, marche titubante très pénible; vive agitation, chutes fréquentes, et sur le côté droit, efforts inouïs pour se relever, etc. Sur un oiseau de cette espèce, que M. Lussana conserva pendant plusieurs mois après destruction partielle du cervelet, l'impossibilité de la station, de la marche et du vol persista jusqu'au moment de la mort. En analysant avec soin les effets des lésions expérimentales sur les divers ani- maux, on constate qu'ils varient suivant les points où elles portent et suivant leur degré. On a cru remarquer que les lésions sur la ligne médiane sont celles qui troublent le moins la locomotion ; que les lésions latérales produisent les désordres les plus considérables. La lésion du verrais antérieur tend à faire tomber la tête en avant et à provoquer des culbutes dans le même sens ; la lésion du verrais postérieur la fait renverser et culbuter en arrière; celles des lobes latéraux, dès qu'elles sont très étendues, donnent les mêmes résultats que les lésions des pédoncules; elles tendent à faire tourner l'animal sur son axe du côté de la lésion (Magendie). Plusieurs de ces constatations ont été faites ou vérifiées par D. Ferrier sur le singe. On peut dire, sans hésitation, que les faits pathologiques, en ce qui concerne les fonctions du cervelet, ne sont pas en désaccord avec l'expérimentation ; car, dans la plupart des cas où cet organe était sérieusement lésé, on a observé quelques désordres dans la locomotion. FONCTIONS DE l'ENCÉPHALE. 133 En présence de ces deux ordres de faits une conclusion létiitime est à tirer, c'est que le cervelet est un organe de coordination, d'rquililtration, comme les expériences de Flourens l'avaient établi. L'action du cervelet sur les mouvements est encore remarquable par son effet croisé semblable à celui que produisent les hémisphères cérébraux. Aussi, quand on détruit une de ses parties latérales, il survient une faiblesse plus ou moins prononcée du côté opposé à la lésion, tandis que lorsque la lésion porte sur le lobe moyen, la faiblesse est égale des deux côtés. Chez l'homme aussi les lésions du lobe droit paralysent le plus souvent le côté gauche. Mais, d'après M. Vul- pian\ l'hémiplégie ne serait pas constante, à beaucoup près, et elle aurait lieu habituellement du côté même de la lésion, par la raison que les fdjresqui mettent le cervelet en communication avecla moelle épinière ne sontpas.pour la plupart, entrecroisées. L'hémiplégie serait croisée seulement dans le cas où la lésion uni- latérale exercerait une compression sur le mésocéphale. On ne voit pas claire- ment si l'expérience de Magendie ^, dans laquelle il y a section d'un pédoncule cérébelleux, indique une action directe ou une actioncroisée : «L'un d'eux étant coupé, aussitôt l'animal se met à rouler latéralement sur lui-même, comme s'il était poussé par une force assez grande ; la rotation se fait du côté où le pédon- cule est coupé, et quelquefois avec une telle rapidité, que l'animal fait plus de soixante révolutions en une minute. » Ce mouvement singulier se continue presque sans interruption pendant des jours entiers ; il ne s'arrête que par des obstacles mécaniques : souvent alors les animaux tiennent leurs pattes en l'air et mangent dans cette attitude. Le cervelet n'a-t-il d'autre fonction que celle de coordonner les mouvements volontaires? Magendie, frappé de la tendance à reculer que manifestent les animaux privés de leur cervelet, tendance constatée, du reste, par beaucoup d'expérimentateurs, a prétendu que cet organe est le siège d'une force qui porte les animaux à se mouvoir en avant, laquelle se trouve équilibrée dans l'état normal parla force inverse ou de rétrocession qu'il avait admise dans les corps striés. Une fois celle du cervelet détruite, la tendance au recul n'étant plus contre-balancée, l'animal est entraîné en arrière et marche plus ou moins rapidement dans cette direction. Magendie a vu des pigeons, dont le cervelet était blessé, voler en arrière, et il a conservé pendant plus de huit jours un canard qui, par suite de cette mutila- tion, n'exécutait d'autre mouvement de translation que le recul. L'interprétatiou donnée à ces faits, bien qu'en apparence très rationnelle, est passible de plusieurs objections. D'abord, Magendie a vu le mouvement rétrograde survenir après une lésion assez légère de la moelle allongée, comme après la destruction partielle ou totale du cervelet. Aussi admer-il que cette force hypothétique a son point de départ, soit dans l'un, soit dans l'autre de ces deux organes ; sa localisation est donc un peu vague; elle me le païaît encore davantage depuis que j'ai noté que les pi(p'ires des pédoncules cérébraux, des tubercules bigéniinés et du mésocé- 1. Vulpian, Leçons sur la p/n/sioloqie '/énérate et comparée du si/ftcme ??enrî<.r. Paris, 1866. '2, Magendie, Précis élémentaire, de physiologie, i' édit., l, I, p. 410, 134 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. phale produisent aussi chez les solipèdes un recul de quelques pas suivi d'une chute à la renverse. Ensuite la progression rétrograde ne se montre pas constam- ment à la suite des lésions du cervelet; du moins, Longet et Flourens ne l'ont pas toujours constatée. Ces lésions développent même, au contraire, quel- quefois une tendance très prononcée à la propulsion, ainsi que je l'ai dit tout à l'heure. Gall a fait du cervelet l'organe de l'amour physique ou de l'instinct de repro- duction. 11 fonde son opinion, d'une part, sur la prépondérance de volume que cet organe offrirait chez les mâles, les sujets entiers, relativement aux femelles et aux animaux ayant subi la castration ; puis sur ce fait que le cervelet n'acquerrait, relativement au cerveau, son volume définitif qu'à l'âge de la puberté, et qu'il s'atrophierait une fois les instincts génésiques affaiblis par l'âge; d'autre part, il l'appuie sur plusieurs cas pathologiques dans lesquels on aurait constaté une lésion du cervelet coïncidant avec le priapisme et des tendances très prononcées à la propagation. L'opinion de Gall a été si bien examinée et réfutée qu'elle tombe devant les observations pathologiques comme devant les expériences et les considérations tirées de l'anatomie comparée. L'érection ou l'excitation des organes génitaux a manqué dans un grand nombre de cas de ramollissement circonscrit; elle ne s'est fait observer que dans quelques-uns de ceux portant sur la totalité de l'organe, ou du moins sur la totalité du lobe moyen, et coïncidant peut-être avec une lésion de la moelle, lésion qui entraîne souvent le priapisme dans l'espèce humaine, quelle que soit la région sur laquelle elle porte. L'électrisation du cer- velet tentée dans ces derniers temps s'est montrée aussi sans effet sur les organes génitaux. La prétendue augmentation du volume du cervelet, lors de la puberté, a été contredite par de nombreuses observations depuis Sœmmerring jusqu'à Lélut, observations qui ont montré le cervelet arrivant, relativement au cer- veau, à ses proportions définitives dès l'âge de quatre à cinq ans, chez les enfants, par conséquent au moment où les mouvements acquièrent une force, une sûreté qu'ils n'avaient pas dans les premières années. Il en est de même de la prétendue atrophie sénileque Leuret a niée d'après des pesées que Gall ne s'était pas donné la peine de faire. J'ai examiné et pesé avec soin l'encéphale de 45 solipèdes: 15 chevaux entiers, 15 hongres et 15 juments, et j'ai vu que le rapport moyen entre le cervelet et le cerveau varie peu. Il a été pour les chevaux entiers : : 1 : 6,91 ; pour les che- vaux hongres : : 1 : 6,74 ; pour les juments : : 1 : 7,38 ; d'où il suit que, con- trairement à l'assertion de Gall, c'est le cheval privé de ses organes sexuels qui a le plus gros cervelet ; chez le cheval entier, il l'est un peu moins, et chez la jument, beaucoup moins encore. D'ailleurs, ce rapport varie dans les espèces les plus voisines. Il est : : 1 : 6,03 dans le chat, et seulement : : 1 : 8,.'i9 chez le chien qui est un animal très porté à la reproduction. Si l'opinion de Gall était fondée, les animaux qui ne s'accouplent pas, comme les poissons, devraient avoir le cervelet plus petit que les espèces vivipares chez lesquelles il y a un rapprochement des sexes. Or, on sait que les premiers ont un cervelet qui n'est ni plus petit ni plus simple que celui des seconds; enfin, si FONCTIONS DE L'ENCÉPICALE. 135 elle était vraie, les instincts reproducteurs seraient anéantis par la destruction de cet organe; or, ces instincts survivent à cette destruction : Flourens a vu un coq chercher à cocher les poules après cette mutilation, et Calineil a constaté aussi sur les reptiles la persistance des impulsions génésiques dans la même circonstance. On a vu l'érotomanie chez une femme dont la substance grise du cervelet était atrophiée, et on a cité une jeune (ille sans cervelet qui se livrait à la masturbation. Il est inutile d'examiner ici les hypothèses d'après lesquelles le cervelet serait le siège de la mémoire, du sensorium commune, du sens musculaire, un organe de sensibilité générale, participant auv opérations intellectuelles et instincti\es, un point de départ des incitations motrices du cœur, et des viscères digestifs. Les expériences ont démontré que les lésions, l'ablation même du cervelet, laissent persister la sensibilité générale, l'intelligence, les instincts, la mémoire, et qu'elles ne troublent ni les fonctions du cœur, ni celles de l'appareil digestif ou des autres viscères ; les faits pathologiques ont donné des indications analogues. Les pédoncules cérébelleux entièrement constitués par des fibres ou des tubes nerveux parallèles, mettent évidemment en communication la moelle, le méso- céphale avec le cervelet et le cerveau. Les pédoncules cérébelleux antérieurs qui paraissent provenir de l'écorce céré- brale, d'après les histologistes, passent sous les tubercules bigéminés, où ils opèrent leur entrecroisement ; ils établissent des connexions évidentes entre les |)arlies corticales du cerveau et celles du cervelet. On y trouve des amas de cellules, qui constituent ce qu'on appelle les noyaux d'interruption des fibres nerveuses. Les pédoncules moyens semblent constitués par des libres comraissurales transverses du pont de Varole ; mais, d'après quelques anatomistes, ces libres se rendraient dans Thémisplière cérébral opposé ou en proviendraient. Ce mode de connexion semble indiqué par les cas où l'atrophie de l'hémisphère a coïncidé avec celle d'un lobe du cervelet du côté opposé. Les pédoncules cérébelleux postérieurs renferment à la fois des éléments sen- sitifs et des éléments moteurs ; ces derniers se rattachent aux cordons inférieurs de la moelle épinière. En se subdivisant, ils donnent les corps restiformes et ce qu'on a appelé le l'uniculus cuiieatus et le funiculus gracilis. Ces pédoncules s'entrecroisent aussi dans le bulbe, et leurs libres traversent un amas ou noyau de substance grise. Les pédoncules antérieurs, dans les mammil'ères supérieurs et dans l'honune, sont sensibles. Leur section provoque de la douleur, des cris et, d'après Flou- rens, donne lieu à une grande propension aux mouvements en avant ; aussi l'animal exécute une suite de déplacements en ce sens. Les pédoncules postérieurs qui continuent les corps restiformes et les cordons sensitifs de la moelle jouissent également d'une sensibilité très prononcée. D'après Holando et Magendie, leur section ferait arquer le corps du côté de la blessure. Suivant Flourens, elle déterminerait une suite de mouvements en arrière. Mais Longct n'a observé l'incurvation du corps que dans les cas où la section du pédoncule intéressait le faisceau sous-jacent à droite, l'autre à gauche, et (pii s'équi- librent dans l'état normal, (-es deux forces, jointes à celle des corps striés (|ui 1. Magendie, Précis élémentaire de phjsioiofjie^ 1"" édit., l. I, p. 412. 138 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. pousse en arrière et à celle du cervelet qui pousse en avant, constituent selon lui les quatre impulsions cardinales qui régissent les mouvements des animaux. Flourensi a constaté aussi, de son côté, que la section du pont deVarole fait tourner l'animal sur lui-même dans l'axe de sa longueur; de plus, en comparant, le sens du mouvement avec la direction des libres coupées et en étendant la com- paraison aux parties dont la section entraîne des mouvements différents, il est arrivé à ce résultat curieux que le sens des mouvements est en rapport constant avec la direction des libres de l'encéphale. Ainsi, la section de. la protubérance, dont les fibres sont transversales, produit le mouvement de rotation, celle du canal semi-circulaire horizontal ou transverse produit le même effet. La section des pédoncules cérébelleux antérieurs, dont les fibres sont droites, détermine un mouvement plus ou moins précipité en avant ; de même pour le canal vertical antérieur. Enfin, celle des pédoncules postérieurs du cervelet, comme celle du canal vertical postérieur, détermine une suite de culbutes en arrière. D'autre part, si on enlève le cerveau et le cervelet à un animal, on voit, comme l'ont remarqué Serres, Gerdy, Mûller, Bouillaud et Longet, que la sensi- bilité générale est conservée, que les douleurs sont ressenties, que certaines sen- sations sont effectuées quoique d'une manière confuse et imparfaite, que la loco- motion semble encore soumise à des incitations peu différentes de celles qui dépendent de la volonté. Aussi est-on porté, à l'exemple de ces observateurs, à regarder la protubérance comme un centre de perception et d'incitations loco- motrices. En effet, lorsqu'on a laissé intacts le mésencéphale et le bulbe après Tablation du cerveau et dii cervelet, on voit, comme Longet l'a constaté, l'animal jeter des cris et effectuer des mouvements violents si l'on irrite la cinquième paire, détourner la tête au bruit d'une détonation d'arme à feu, suivre le mouvement d'une vive lumière, et au contraire cesser de s'agiter, de crier, etc., sous l'in- fluence des mêmes excitations dès qu'on détruit le mésencéphale ; d'où il suit, ce semble, que le mésencéphale prend part à la perception des impressions, ou, en d'autres termes, que ces impressions commencent à être perçues dans cette partie avant d'arriver aux hémisphères où la sensation s'achève. D'ailleurs, les animaux qui, de tout l'encéphale, n'ont conservé que la protu- bérance et le bulbe sont encore capables de se mouvoir sous l'influence des exci- tations extérieures. Le petit mammifère peut encore marcher, l'oiseau voler un instant, le poisson et le batracien nager. Chez eux, il n'y a plus de mouvements spontanés, puisqu'il n'y a plus de volonté ; mais lorsque les mouvements sont pro- voqués, ils s'exécutent dans un certain ordre, avec une certaine harmonie, comme s'ils étaient sollicités, réglés par la volonté ; d'où il suit encore que du mésencéphale peuvent émaner des incitations locomotrices. Enfin, pour Gerdy et Millier, la protubérance serait un organe de volition au même titre que le cerveau, mais cette manière de voir est inadmissible, car on n'est point obligé de faire intervenir la volonté pour la production de mouve- ments coordonnés chez les animaux auxquels il ne reste que la protubérance et le 1. Flourens, Hecherc/ies sur tes pi'upriétés et tes fo7ictions du système nerveux, 2' édit., p. 189. FONCTIONS DE L ENCEPHALE. 139 hulbe. Ces mouvomonts sont alors lit''s cl associes comme ils le sont dans les con- ditions ordinaires, indépendamment de toute participation de la volonté et de l'intelligence, c'est-à-dire à la manière des mouvements automatiques. En somme, le mésencépliale est un centre d'activité important, sensible, exci- table, rec(!vant les impressions delà sensibilité générale, (pieUjues vagues impres- sions sensorielles, et devenant le point de départ d'excitations motrices. DU KULHE ou DE LA MOELLE ALLONGEE. Le bulbe racliidien ou la moelle allongée est, sous beaucoup de rapports, la partie la plus importante des centres nerveux, celle dont le rôle est le plus essen- tiel à la vie. Anatomiquement, elle est le trait d'union entre les centres nerveux crâniens et la moelle é[»inière. C'est la j^ 1 moelle épinière avec ses éléments dis- posés dans un autre ordre, associés à des éléments nouveaux qui lui sont la j)ropres. s.. Ses pyramides inférieures ou anté- ^ lieures sont constituées par plusieur> faisceaux blancs qui, de la partie droite ^ (lu bulbe, passent à la partie gauclic de la moelle et réciproquement, à l'ex- ception du faisceau externe qui se rend directement au côté correspondant de la moelle épinière, d'où il suit que le bulbe doit avoir à la fois une action croisée et une action directe. D'après quelques bistologistes, l'en- trecroisement porterait sur la totalité des libres, et par conséquent l'action de cette partie des centres nerveux devrait être simplement croisée. Les corps olivaires, bien moins saillants chez les mammifères que dans l'homme, sont placés sur les côtés des pyramides inférieures. La couche blanche externe qui les forme est tapissée par la lame jaune plissée qui circonscrit leur cavité. Ils recouvrent ce qu'on appelle le faisceau intermédiaire du bulbe, et renferment plusieurs noyaux de substance grise dans lesquels naissent des paires nerveuses encéphaliques. Les pyramides su|térieures bordent le canal (jui termine le quatrième ventri- cule. Elles sont la continuation des faisceaux supérieurs et des faisceaux latéraux de la moelle. Les pyramides sont, en délinitive, constituées par de? libres sensitives et des (*) 1, raphé médian. 2, pvramide. :', curps (ieuteltS de l'olivo. 1, corps rcsiiforiiio. .>, noyau de l'hypo- !;lusse. 1), noyau du nerf va^ue. 7, racines inlra - l)u!baires de ce nerf. 8, tronc du pneuino^aslriqiic. 'J. tronc du l'liypoj;losse. 10, libres transversales unies au noyau du nerf pneu nio;.;astrii)uc. Il, libres commissuiales entre les noyaux des nerfs honioloj;ues de deux côtés. Elles vont au raphé et s'entrecroisent. il, libres allant du corps dentelé au noyau de l'hypoglosse. l'^iG. 13. — Coupe transversale aiitéro- posiérieiire d'une moitié du bulbe, au niveau de la partie moyenne des olives (d'après Sohrœder Van der Kolk) (*). 140 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. fibres motrices. Les premières s'entrecroisent, pour la plupart, dans les cordons supérieurs de la moelle, les autres dans les cordons latéraux. Elles aboutissent dans la substance grise réticulée, dont les cellules appartiennent en partie au nerf accessoire de Willis. Enfin les corps restiformes situés en dehors de ces dernières pyramides sont constitués par des faisceaux propres et un faisceau des cordons latéraux de la moelle. Dans chacune des parties dont se compose le bulbe, se trouvent des tubes ner- veux propres établissant une communication entre elles, et liant ensemble les deux moitiés latérales de l'organe. Il résulte de cette texture que le bulbe con- stitue un centre jouissant d'une activité propre, un centre en communication d'un côté avec les faisceaux sensitifs et moteurs de la moelle, de l'autre avec le cervelet et le cerveau. En effet, il se lie aux faisceaux moteurs de la moelle par les pyramides inférieures et par les corps olivaires, aux cordons sensitifs par les pyramides supérieures et les corps restiformes. Il s'unit antérieurement aux pédoncules cérébraux par les pyramides, aux pédoncules cérébelleux par les corps olivaires et les restiformes. Ses noyaux de substance grise le transforment en une agglomération de petits foyers d'activité pour chaque paire sensitive ou motrice qui en émane. Sa structure est très compliquée, quant à la constitution de ses noyaux, au point de départ et au trajet de ses fibres. D'abord elle renferme les noyaux d'ori- gine des nerfs crâniens comme ceux du vague, du facial, de l'acoustique, puis les fibres qui lient les diverses parties de l'encéphale à la moelle épinière. Aussi celles de l'écorce cérébrale, sensitives et motrices, parvenues dans les pédoncules s'y rendent pour parvenir à la moelle épinière ; celles des gros ganglions céré- braux, de la couche optique, des tubercules quadrijumeaux y passent pour se rendre aux cordons antérieurs et latéraux. Ces libres sont interrompues, disent les histologistes, dans les gros ganglions du cerveau et dans la substance grise de la moelle; néanmoins il parait qu'un certain nombre d'entre elles, notamment les fibres motrices, vont directement de l'écorce cérébrale à l'extrémité périphé- rique des nerfs, de telle sorte qu'elles aboutiraient, sans solution de continuité, au système musculaire. Par suite de cette structure, le bulbe a des fonctions complexes : ses éléments comnfiuns le mettent en relation avec la moelle d'un côté, avec l'encéphale do l'autre. Ses éléments propres, fibres et amas de substance grise, lui donnent une activité spéciale sensitive et motrice. La forme, les dimensions de ses cellules, non moins que l'arrangement de ses diverses substances, en font un centre ner- veux de premier ordre. Le bulbe rachidien a des propriétés qui peuvent se déduire de sa texture ; il est éminemment sensible et éminemment excitable. Dès qu'on porte le stylet sur un point de sa surface, on provoque des convulsions violentes, universelles, qui rendent la station, la marche ol les autres mouvements progressils impossibles. La partie supérieure de cet organe, pyramides supérieures et corps restiform(;s, jouissent surtout d'une sensibilité très vive; aussi, dès qu'on l'irrite, l'animal jette des cris et réagit par des mouvements d'une extrême violence ; sa sensibilité FONCTIONS DR l'eNCKPIIALE. 141 s'explique par sa continuité avec les faisceaux supérieurs de la moelle épinière. La partie inférieure est simplement excitable, d'après Longet. Les secousses convulsives qui résultent de son irritation sont involontaires, non déterminées par la douleur, et duos seulement à l'excitabilité. Ce qui semblerait le prouver, c'est que, pour Longet, l'excitation des parties supérieures, sur les animaux qu'on vient de tuer, ne détermine plus que de légères contractions pouvant être rapportées à une action réflexe, tandis (|ue l'excitation des parties inférieures provoque encore des contractions très violentes. Mais il n'est pas si évident, pour moi, que celte distinction soit réelle. A première vue tous les points de la moelle allongée paraissent sensibles et excitables, tant sont violentes et brusques les réactions qui suivent la moindre piqûre faite à celte partie. Le bulbe a-t-il une action directe ou croisée? Lorry a cru que les piqûres de cet organe déterminaient des convulsions du coté irrité et de la paralysie du côté opposé. Flourens l'a regardé comme ayant une action directe dans le déve- loppement des convulsions et de la paralysie ; il entraine celles-là quand il est faiblement irrité, et celle-ci quand il est en partie détruit. J'ai vu, en effet, sur le cbien qu'une légère piqûre latérale du bulbe fait incliner la tète du coté piqué et donne lieu à des secousses convulsives dans les muscles des membres du même côté. Sur le chat j'ai noté que la piqûre à gaucbe, immédiatement en arrière de la protubérance, dans une étendue considérable, faisait tomber l'animal sur le côté, le mettait dans l'impossibilité de se tenir debout ou sur le côté droit et le faisait par moments tourner sur sonaxecomme dans le cas de lésion du pédoncule céré- belleux moyen. Mais Calmeil, puis Longet ont affirmé que son action est directe pour les parties postérieures, et croisée, pour les antérieures, où, enefl'et, l'entrecroisement des pyramides semble devoir le produire. L'expérience ne se prononce pas nettement à cet égard. Si l'on incise longitudinalement le bulbe sur la ligne médiane de manière à interrompre l'entrecroisement des pyramides, la sensibilité et même le mouvement persistent des deux côtés, mais avec un aflai- blissement tel que l'animal cesse de se tenir debout. La persistance des deux facultés semble alors indiquer l'action directe et l'aiïaiblissement musculaire, l'ac- tion croisée exercée d'un côté sur l'autrectréciproquenu'nt. Ici l'expérimentateur veut encore aller trop loin, et marquer des nuances que ne peuvent donner des opérations graves. Nous nous retrouverons en face d'une difliculté semblable en ce qui concerne la moelle épinière. Mais si l'hémisection du bulbe ne jtaralyse pas une moitié du corps, elle donne lieu, d'après M. Vulpian, à l'insensibilité de la moitié correspondante de la face, parce que le bulbe donne naissance <à une partie du trifaciul. Le bulbe racbidien joue un rôle important dans les fonctions nerveuses, tout à la fois par son action pro[)re H par l'influence qu'il exerce sur les fonctions des autres parties. 11 constitue, en quelque sorte, un centre duquel émanent plus ou moins directement tous les nerfs encéphaliques moteurs, sensitifs ou mixtes. C'est de ce centre que partent des influences motrices, c'est à lui qu'aboutissent des impressions sensitives, et c'est par son intermédiaire que les opérations de l'en- céphale sont liées à celles de la moelle épinière : il ne peut être lésé sans que les fonctions des autres parties du système soient troublées : il ne peut être détruit 142 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. sans que l'action de ces dernières vienne à s'annihiler plus ou moins complète- ment. Lorsqu'on enlève le cerveau, le cervelet continue à coordonner, à équilibrer les mouvements; lorsqu'on détruit le cervelet, les lobes cérébraux continuent à percevoir les impressions, à effectuer les opérations instinctives et intellectuelles. « On peut même, dit Flourens \ enlever à la fois les lobes cérébraux et le cervelet, la moelle allongée n'en détermine pas moins, par elle-même, et par elle seule, tous les mouvements de respiration ; mais dès qu'on touche à la moelle allongée, l'action de toutes les autres parties s'éteint : elle forme donc le point central, le lien commun, le nœud qui unit toutes les parties du système nerveux entre elles. » De plus, elle préside spécialement aux mouvements respiratoires. Galien avait déjà noté qu'il y a, vers l'origine de la moelle épinière, un point dont la section anéantit instantanément la respiration et la vie ; Lorry et Legallois (irent la même remarque et essayèrent de déterminer ce point que les recherches de Flourens ont précisé avec une grande rigueur. Le premier le plaçait entre la deuxième et la troisième vertèbre cervicales ; le second vers l'origine des nerfs pneumogastriques. Ce dernier avait dit juste, mais sa détermination n'était pas suffisamment précise. Voici les principales expériences par lesquelles Flourens est arrivé à délimiter le point en question. 1" le cerveau, le cervelet et les tuber- cules quadrijumeaux sont enlevés à un lapin ; aussitôt perte des sens, des facultés intellectuelles, des mouvements coordonnés; néanmoins l'animal continue à vivre et respire bien. Alors la moelle allongée est emportée par tranches successives d'avant en arrière : aux dernières tranches, la respiration, qui était devenue de plus en plus pénible, se suspend instantanément. 2° a un second lapin, le cer- veau, le cervelet, les tubercules, sont détruits, sans que la respiration soit affai- blie; puis la moelle allongée est emportée tout d'un coup, et tout d'un coup aussi la respiration est éteinte. 3° sur d'autres mammifères ou oiseaux, mêmes mutilations, mêmes résultats : toujours la destruction du cerveau, du cervelet et des tubercules bigéminés laisse persister la respiration; toujours l'enlèvement de la moelle allongée l'éteint subitement, ainsi que je l'ai vu plusieurs fois sur le cheval, le taureau. 4° sur d'autres, enfin, la moelle épinière est détruite ou sim- plement coupée en travers, de son extrémité inférieure vers son extrémité cépha- lique, etc. Cette fois, le jeu des côtes cesse quand toute la moelle costale est détruite; celui des côtes et du diaphragme quand la destruction arrive en deçà des nerfs diaphragmatiques; enfin, celui des côtes, du diaphragme et de la glotte, quand la destruction parvient au niveau de la dixième paire; il ne subsiste plus alors que le jeu des narines. Il faut que la destruction arrive jusqu'au niveau de l'origine des nerfs vagues ou que la section soit faite à ce point pour que tous les mouvements soient abolis à la fois. Si cette dernière est pratiquée un peu en avant, tous subsistent dans le tronc ainsi que dans la tête, et l'animal ne meurt point. Il en est de même si la lésion porte un [>eu en arrière du nieud. Sur la brebis, j'ai vu une forte piqûre au bulbe, à un demi-centimètre de la pointe du calamus laisser subsister les mouvements respiratoires, ceux du tronc et des membres. 1. Flourens, Recherches sur les propriétés cf. les fonctions du s]jstèine nerveux, p. 194, FONCTIONS DE L'ENCÉPHALE. 143 La moelle allongée est donc, d'après Flourens, le premier moteur, le itrin- cipe essentiel, [)rimordial, Tagent excitateur et régulateur des mouvements res- piratoires ; c'est par elle « que ces mouvements s'unissent, quils concourent avec un ordre si merveilleux à l'exécution du mécanisme respiratoire. Et, il y a plus, dans cette moelle se trouve un point central dont la division les anéantit tous... Il suffit qu'il demeure attaché à la moelle épinière pour que les mouve- ments du tronc persistent; il suffit qu'il demeure attaché à l'encéphale pour que ceux de la tète subsistent : divisé dans son étendue, il les anéantit tous ; séparé des uns ou des autres, ce sont ceux dont il est sé[)aré qui se perdent, ce sont ceux auxquels il reste attaché qui se conservent... Il est encore le point duquel toutes les autres parties du système nerveux dépendent, quant à l'exercice de leurs fonc- tions; c'est à ce point qu'il faut qu'elles soient attachées pour conserver l'exer- cice de ces dernières; il sul'tit qu'elles en soient détachées pour le perdre. Sa limite supérieure se trouve immédiatement au-dessus de l'origine de la huitième paire, et sa limite inférieure trois lignes à peu près au-dessous de cette origine chez le lapin, un peu [)lus ou un peu moins suivant la taille des animaux... xMais, en définitive, c'est toujours d'un point unique, (jui a quelques lignes à peine, que la respiration, l'exercice de l'action nerveuse, l'unité de cette action, la vie entière de l'animal, en un mot, dépendent'. » Ce point est le Y de substance grise, qui se trouve cà l'extrémité postérieure du quatrième ventricule ou au sommet du calamns scrip/orius. C'est le nœud vital qu'il faut blesser avec la pointe d'un slylet ou détruire à l'aide d'un emporte- pièce pour tuer instantanément l'animal : si la blessure est faite en avant, les mouvements respiratoires cessent seulement dans la tète; si elle l'est en arrière, ces mouvements sont supprimés seulement dans le tronc. Longet a démontré (pièce point est bien dans le faisceau gris intermédiaire du bulbe, car on peut enlever ou couper ce qui l'entoure, pyramides, corps restilbrmes, sans faire cesser le jeu des puissances respiratoires. Chez les reptiles, et particulièrement chez les grenouilles, la section du nœud vital sus|iend aussi instantanément les mouvements respiratoires, le jeu de l'appa- reil hyoïdien et tous les mouvements du corps, mais elle laisse persister les mou- vements du cû'ur pendant des semaines entières, si la température rend la respi- ration cutanée suflisante à l'oxygénation du sang. La localisation, sur le trajet de la moelle allongée, d'uii }>oint central où réside le principe régulateur des mouvements respiratoires n'est j)as une liction, connue on est porté à le croire, quaiul on voit la mort survenir instantanément, par suite (le la section de la ntoelle, soit entre l'occipital et l'atlas, soit entre la première et la seconde vertèbre cervicales ; car, dans ces deux cas, les mouvements et la vie du tronc seuls sont anéantis ; les bâillements, les mouvements des narines, per- sistent encore, quatre, cinq, six minutes et plus après la section, comme Legallois en avait déjà fait la remarque. Comment la moelle allongée tient-elle ainsi sous sa dépendance tous les mou- vements respiratoires et devient-elle leur principe excitateur? Serait-ce parce 1. Flourens. Herhrri-hef: expérimentales sur les propriétés et les fonctions du si/stème ncrreux, p. "202, 203 et suiv. 144 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. qu'elle donne naissance au pneumogastrique, au glosso-pharyngien, au facial et à quelques racines de l'accessoire de Willis? Charles Bell le croyait, et prétendait que ces nerfs, étrangers, pour lui, à la sensibilité générale et aux mouvements volontaires, partaient du cordon latéral de la moelle spécialement affecté à l'en- semble des nerfs de la respiration. Sans doute, cette opinion a quelque fonde- ment, mais elle est loin de suffire à expliquer le rôle du bulbe dans ses rapports avec les phénomènes respiratoires. Le pneumogastrique, l'accessoire, le glosso- pharyngien et le facial peuvent être coupés sans que pour cela la respiration s'éteigne; il est évident que la moelle allongée agit encore sur les nerfs auxquels elle ne donne point naissance, tels que les thoraco-musculaires, les intercostaux et les diaphragmatiques, mais on ne sait en quoi consiste l'action qu'elle exerce sur ces derniers. Le bulbe qui renferme le foyer de l'activité des puissances respiratoires et le lien qui les coordonne tient aussi, sous sa dépendance, divers phénomènes que ces puissances sont chargées d'effectuer, tels que le bâillement, le cri, la toux et les secousses convulsives du vomissement. Il paraît aussi régler les mouvements com- binés du larynx, du pharynx et de la langue dans l'acte de la déglutition. Il ren- ferme, en effet, deux foyers de substance grise oii prennent naissance les nerfs qui président à ces actions ; le trifacial, le facial, le glosso-pharyngien, l'hypo- glosse, le spinal. La moelle allongée, indépendamment de son influence sur le mécanisme res- piratoire, paraît encore avoir, sur les mouvements du cœur, une action remar- quable signalée par Budge. Cette partie serait le principe des contractions de l'organe central de la circulation : Budge a vu qu'en détruisant, sur des gre- nouilles, le bulbe tout entier ou seulement la région qui n'est point.spécialement respiratoire, le cœur ralentit ses contractions, et qu'en faisant passer un courant électrique par ce bulbe ou par les nerfs vagues, ces battements cessent sur-le- champ, tandis qu'ils persistent lorsqu'au lieu de diriger le courant sur la moelle allongée, on le fait passer par la moelle épinière. Depuis, on s'est assuré que c'est par l'intermédiaire des nerfs vagues que le bulbe exerce son action sur le cœur, car si l'on vient à léser ces nerfs ou à détruire leur excitabilité par le curare, la galvanisation du bulbe n'exerce plus ses effets. Le bulbe, en raison des nombreux noyaux de substance grise à grandes et à petites cellules qu'il renferme, tend, aujourd'hui, à être considéré comme un organe complexe à centres d'activité multiples. Quelques auteurs, se basant à la fois sur l'histologie et l'expérimentation, voudraient en* reconnaître jusqu'à sept, qui seraient les suivants : 1° le centre ou les centres des mouvements respiratoires, probablement les noyaux d'origine du vague et de l'accessoire; 2» un centre de mouvements convulsifs entre les tubercules bigéminés et les noyaux du pneumo-gaslrique; 3° un centre d'arrêt ou centre modérateur du cœui-, de nature réflexe, animant quelqns librcis du nerf vague ; 4° un centre accélérateur du cœur, point de départ de l'activité du grand splanchnique ; 5" un centre réflexe vaso-moleur, non encore déterminé quant à sa situation; 6° un centre dilatateur des pupilles d'où partiraient des libres du grand sympa- FONCTIONS DE l'eNCÉPDALE. 14o lliiquc; 7" enlin, un centre des mouvements de déglutition. Mais la détermination de ces foyers est tout à fait hypothétique et déduite de l'interprétation donnée à des expériences dont le sens est souvent très équivoque. Un les multiplie beau- coup trop, je crois, car si on additionnait ceux dont il vient d'être question aux foyers admis dans Fécorce cérébrale, dans les ganglions cérébraux et dans la moelle épinière, ils donneraient un total formidable. Enfin le bulbe a une action conductrice importante. Il transmet, d'avant en arrière, les ordres de la volonté, les excitations motrices, et, d'arrière en avant, les impressions sensitives venues de la périphérie. Longet (>ense(jue ces actions ont chacune leur organe ou leur voie, que les volitions, les excitations motrices, passent par la [>artie inférieure qui donne naissance aux nerfs moteurs, et qui se continue avec les cordons inférieurs de la moelle épinière; que, au contraire, les impressions sensitives suivent les parties supérieures dont la sensibilité est très vive, parties qui donnent naissance aux nerfs crâniens sensitifs et qui se lient aux cordons supérieurs de la moelle. Huoique cette opinion soit fondée bien plus sur des considérations inductives que sur des preuves expérimentales, elle paraît très vraisemblable. Toutefois, les recherches récentes dont nous aurons à parler sem- blent indiquer que la voie principale et commune de ces transmissions est la substance grise. La moelle allongée lie donc la partie céphalique avec la partie spinale du svs- tème nerveux, transmet du centre à la périphérie les volitions, les incitations motrices, les forces coordinatrices des mouvements, et propage de la périphérie au cerveau, les impressions sensitives. Elle constitue, à la fois, le lien commun qui établit l'unité du système nerveux et un foyer multiple où des amas de subs- tance grise donnent l'activité aux nerfs les plus importants à la vie, à ceux qui entretiennent le mécanisme respiratoire, règlent l'action du cœur, etc. Des moiivcments de reiicé])hale. Avant d'en faire l'analyse, disons quelques mots des enveloppes encéphaliques et du liquide qui les baigne. La dure-mère qui sert de périoste interne au crâne, et qui forme la cloison falciforme, la tente du cervelet, les parois des sinus veineux, n'a pas paru sensible à Haller. Cependant elle l'est quelque peu, au moins par places, comme Longet l'a constaté, notamment à la base du crâne, grâce aux divi- sions qu'elle reçoit de la cinquième paire. Sa sensibilité s'exalte ainsi que l'a vu Flourens, sous l'influence de rinflammafion ; elle ne paraît pas niable dans les méningites. L'arachnoïde a également paru insensible à l'application des caustiques, dans les expériences hallériennes; elle l'est effectivement comme toutes les séreuses. Si elle donne quelques signes de sensibilité quand on pince ou qu'on tiraille les petits tubes tendus entre ses deux feuillets, c'est par suite de l'action exercée sur les divisions nerveuses que plusieurs renferment. Sa présence est un indice des mouvements de l'encéphale, car tous les organes enveloppés de séreuses éprouvent des déplacements plus ou moins étendus. G. r.oLiN. — Physiol. comp., 3" édit, I jy 146 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. Quant à la pie-mère, il y a sur ses propriétés des doutes qu'on ne peut lever aisément, tant il est difticile d'agir sur elle sans léser la substance nerveuse qu'elle tapisse. Dans la séreuse arachnoïdienne existe un peu de sérosité qui lubrifie les sur- faces libres. Et au-dessous d'elle, dans les mailles de la pie-mère, se trouve le liquide abondant que Cotugno parait avoir remarqué le premier et sur lequel Magendie a fait d'intéressantes recherches. Le liquide céphalo-rachidien ou sous-arachnoïdien existe sur l'animal vivant en proportion notable ; mais il est toujours peu abondant autour de l'encéphale; celui des ventricules peut être démontré en faisant une ouverture de trépan au crâne, puis une ponction de trocart à travers la substance des hémisphères, jusque dans les grands ventricules. On en obtient ainsi de grandes quantités sur la plupart des chevaux affectés d'immobilité. Dans les ventricules, Magendie dit qu'il se meut manifestement, monte lors de l'expiration, et descend lors de l'inspiration. D'après Magendie, le liquide sous-arachnoïdien et le liquide ventriculaire se mêleraient et passeraient de l'extérieur à l'intérieur de l'encéphale par une ouver- ture au niveau du calamus scriptorius, laquelle existerait chez le chien, les rumi- nants, les rongeurs, comme dans l'espèce humaine. Mais déjà Renault a montré que l'ouverture sus -indiquée était fermée par un repli séreux. Il est facile en taisant une coupe transverse du cerveau laissé dans la cavité du crâne, de mon- trer que le contenu des ventricules ne peut s'en échapper. En versant un liquide coloré ou une solution saline dans les grands ventricules, on voit, si le bulbe est placé dans une situation déclive, le liquide passer dans l'aqueduc de Sylvius, et de là dans le quatrième ventricule d'où il ne sort point. C'est au moins ce qu'on observe sur les solipèdes et les ruminants. La quantité du fluide céphalo-rachidien ne varie pas beaucoup à l'état normal pour une espèce donnée. Elle est pour l'homme de 62 grammes d'après Magendie, qui a réuni celui de la moelle épinière au liquide entourant l'encéphale, et au fluide ventriculaire. Autour du cerveau, on n'en recueille jamais une quantité notable et pas plus de 5 à 6 grammes dans les ventricules du cheval à l'état nor- mal. Mais autour de la moelle épinière, il peut s'en trouver 2 à 300 grammes. Quelque temps après la mort, il diminue et finit par disparaître par transsuda- tion. Il est à peu i)rès incolore, transparent. Pris sur l'animal vivant, il laisse souvent se former dans sa niasse quelques légers nuages librineux. C'est de l'eau avec un peu d'albumine, d'osmazome et divers sels, d'après les analyses deLas- saigne, à quoi il faudrait ajouter delacholestérine et une matière spéciale suivant Couerbe. 11 se modilie dans diverses conditions; augmente dans la cachexie aqueuse, l'hydrocéphalie, l'Iiydrorachis, se teint en jaune dans l'ictère, en rouge dans les affections charbonneuses, se charge de matières salines et médicamen- teuses; enlin se régénère avec rapidité à la suite des opérations qui lui donnent issue à l'extérieur. Le liquide ventriculaire peut évidemment se déplacer, passer des grands ven-^ tricuk's dans le ventriciilL' irioyeii, de là dans le ventricuU; du cervelet jusqu'au calamus; il abonde dans les premiers si la tête est baissée, se reporte dans les FONCTIONS DE LENCÉPHALE. 147 autres quand elle s'élève; le liquide sous-arachnoïdien se déplace plus encore, et celui (lu crâne comniuniquc évidemment avec celui de la moelle épinière; l'inspi- ration l'appelle vers le racliis, d'ai)rès Magendie, et l'expiration le refoule. Le premier se meut dans les ventricules par suite des déplacements qu'éprouve l'en- céplialeet il s'éclia])pe en jet saccadé par le tube du trocartqni a pénétré dans la cavité ventriculaire; le second a des déplacements (|ui dépendent tout à la fois de l'action de la pesanteur et des mouvements respiratoires. Le liquide céphalo-rachidien est incontestablement un fluide protecteur comme l'eau de l'amnios pour le fœtus. 11 répartit, en les atténuant, les compressions qui peuvent être exercées localement sur la substance si molle et si délicate de l'encéphale. Il met très probablement en équilibre les pressions intérieures avec les pressions extérieures. La compression légère qu'il exerce est utile. Si elle diminue, dit Magendie, la locomotion devient irrégulicre; si elle augmente, des accidents de coma se manifestent. Magendie, et après lui Longet, avaient remarqué (jue la marche devenait chancelante et souvent la station impossible chez les animaux auxquels on retire le licpiide sous-arachnoïdien au niveau des premières vertèbres cervicales. Cet effet s'observe quelquefois, et ce dernier physiologiste l'attribue à la section des parties molles de la nu([ue, puis au tiraillement (pii serait opéré à la suite de la section sur les parties des centres nerveux donnant naissance aux pédoncules cérébelleux. « La soustraction du liquide cérébro-spinal n'aurait aucune in- fluence sur l'exercice régulier des organes locomoteurs. » Cette opinion me paraît trop absolue; l'écoulement du liquide ne rend pas, par elle-même, la station impossible, mais elle produit ordinairement un peu de faiblesse muscu- laire et rend la marche plus ou moins titubante, même quand on n'a fait subir aucune commotion ou compression à l'encéphale ni à la moelle épinière ou que, en ouvrant le rachis, à la région dorso-lombaire, on n"a pu exercer aucun tirail- lement ni SU'' le mésocéphale, ni sur les pédoncules cérébelleux. Dans tous les cas où cet écoulement rend la marche et la station impossibles, c'est par suite des secousses ou des pressions qu'on a fait éprouver à la moelle pour l'effectuer. Les expériences que j'ai faites sur divers animaux avec toutes les précautions re- quises ne me laissent aucun doute à cet égard. Arrivons aux mouvemenls de la masse encéphalique. On a remarqué très anciennement (pie le cerveau des enfants se meut dans le crâne : Pline', Galien, font mention de ce mouvement qui est sensible au niveau de l'espace où les os de la tête ne se sont point encore rapprochés, et que l'on nomme la fontanelle; tous les physiologistes modernes parlent de celui qui s'ob- serve sur les animaux dont on a ouvert la cavité crânienne. Aussi le fait du mouvement du cerveau a-t-il été accepté longtemps sans contestation. Mais comme il n'est pas toujours apparent plusieurs l'ont déclaré impossible, lorsque les parois du crâne ont acquis toute leur résistance. Il s'agit donc, tout d'abord, de rechercher si le mouvement du cerveau est possible sur l'animal adulte dont le crâne est intact, puis, dans l'aflirma- 1. Pline, llhtoiri' nalurdU', livre XII. p. 175, trad. Guéroult. 148 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. tive, de déterminer ses caractères, ses limites, son mécanisme et ses causes. La cavité crânienne, dans l'animal adulte^ a des parois très résistantes, inex- tensibles, non flexibles; les os qui les forment ne laissent plus d'espaces entre eux, la plupart des sutures sont soudées, et celles qui ne le sont pas tout à fait n'ont pas de mouvements possibles ; le cerveau paraît remplir exactement cette cavité; ses saillies se moulent sur les impressions digitales, ses anfractuositéssur les reliefs de cette dernière; tout enfin semble indiquer une coaptation exacte du contenu dans le contenant, et certainement, d'après cela, les mouvements du cerveau ne sauraient, s'ils existent, être bien considérables. Mais la masse encé- phalique est-elle si exactement moulée dans le crâne qu'elle ne puisse éprouver un léger mouvement? D'abord il y a des sinus : le longitudinal, le transverse, le sphénoïdal, qui, par leurs divers degrés de plénitude, peuvent augmenter ou diminuer un peu la capacité du crâne ; ensuite il y a, entre la pie-mère et l'arach- noïde, une certaine quantité de liquide qui, en passant du crâne dans le canal rachidien, fait un certain vide, enfin, il y a une séreuse entre la dure-mère et la masse encéphalique, comme dans les cavités renfermant des organes plus ou moins mobiles, et dans celte séreuse un liquide susceptible de déplacements, peut-être de la vapeur à des degrés variables de raréfaction ou de condensation. De plus, l'encéphale ne remplit pas exactement la cavité crânienne; il laisse dans celle-ci un espace restreint, mais suffisant pour permettre l'accès des ondées sanguines, une certaine distension des sinus veineux, une réplétion plus ou moins considérable des ventricules, sans qu'il se produise des accidents de compression. On conçoit donc que, sans qu'il se fasse un vide entre la dure-mère et la masse cérébrale, celle-ci puisse trouver un espace suffisant pour un léger déplacement. Les physiologistes qui nient, comme Longet, le mouvement du cerveau, donnent à l'appui de leur opinion l'impossibilité de la formation du vide entre la dure-mère et l'encéphale, et par conséquent l'impossibilité du développement d'un espace dans lequel l'organe pourrait se mouvoir; ils allè- guent ensuite, pour autre raison, que le vide, à supposer qu'il se formât, se ferait précisément dans l'inspiration, alors que le cerveau s'abaisse, et disparai- trait dans l'expiration, alors qu'il serait nécessaire pour permettre l'élévation de l'encéphale. Ces objections sont certainement très spécieuses ; mais, tout considéré, elles n'ont pas la valeur qu'elles paraissent avoir au premier abord. D'une part, le cer- veau peut se mouvoir par suite de l'agrandissement de la cavité dans laquelle il est contenu, agrandissement qui résulte d'abord de la déplétion des sinus, en- suite du rellux du fluide sous-arachnoïdien du crâne vers le canal vertébral, et peut-être enfin de la condensation d'une partie de la sérosité arachnoïdienne et ventriculaire. D'autre part, comme la déplétion des sinus et la raréfaction de la sérosité doivent s'effectuer dans l'inspiration, tandis que le cerveau s'allaisse, il est clair que dans l'expiration l'organe peut s'élever en condensant le liquide qui remplissait l'espace agrandi dans le temps précédent, et en faisant refluer une partie de ce fluide vers le canal rachidien. Ainsi, il me send)le qu'on peut concevoir la possibilité des mouvements du ceneau chez l'adulte, en admettant que cet organe laisse, entre lui et la dure- FONCTIONS DE l'eNCÉPIIAI.K. 1 V.I mère un espace qui peut augiiKMitcr ou (liiuiiuu'r : 1° par le plus ou moins de plénitude des sinus; 2" par le l'ait du déplaccuieut du lluidc < r-pliido-racliidieu : 3« enfin, par les divers états de raréluction ou de eondensatiou du lirpiide sous- araclinoïdien. L'intervention du vide est un uou-sens, puistpie ce vide ne peut pas se former. Quoi qu'il en soif, lorsqu'un iiirt à d('C0Uvertle cerveau d'un animal vivant, en totalité ou seulement dans un point plus ou moins étendu, on voit que cet organe éprouve un mouvement alternatil' très sensible d'élévation et d'abaissement : il paraît tour à tour soulevé ou all'aissé, gonflé ou déprimé ; il s'élève dans l'expira- tion, s'abaisse dans l'inspiration, et toujours ses mouvements sont isochrones aux mouvements respiratoires; de plus, il éprouve une série de palpitations corres- pondant aux battements des artères. La cause et le mécanisme de ces mouvements n'ont été bien appréciés que par les physiologistes modernes, Galien, qui avait remarqué leur isochronisme avec ceux de la respiration, croyait que le cerveau était soulevé [)ar l'air qu'il suppo- sait pénétrer dans les ventricules à travers les ouvertures ethmoïdales, lors de l'inspiration, et qu'il était all'aissé lors de l'expiration, par suite de l'expulsion de cet air. Vésale les attribuait aux battements des artères de la pie-mère; Fallope auxpulsations des vaisseaux de la dure-mère; enfin, Villis et beaucoup d'autres, à une prétendue contraclilité de cette dernière membrane. Haller et Lamure leur assignent leur véritable cause, en les attribuant au fiux et au reflux du sang veineux. Haller^ établit (pie le cerveau est soumis à deux mouvements: l'un, assez sen- sible, isochrone aux mouvements respiratoires; l'autre, moins sensible, isoclirone aux battements des artères. La plupart des jibysiologistes les admettent tous les deux ; ils sont faciles à voir, non seulement chez les animaux dont le cerveau est mis complètement à découvert, mais encore chez ceux dont une petite partie de l'encéphale a été privée de ses enveloppes protectrices. (Juand on met à nu la partie antérieure de l'un des hémisphères cérébraux d'un àne ou d'un cheval, en laissant sur la ligne médiane, afin d'éviter une hémorrhagie, la partie osseuse qui recouvre le sinus falciforme, on voit, mè(ne avant que la méninge soit incisée, mais mieux ai)rès son excision, les deux mouvements du cerveau : l'un, assez faible, consiste en une série d'élévations, d'affaissements successifs , et corres- pond exactement aux battements des artères; l'autre, plus prononcé et plus lent, réjjond aux mouvements respiratoires. Dans ce dernier, le cerveau s'abaisse ou s'affaisse sur lui-même lors de l'inspiration; il s'élève ou se gonfle, au contraire, dans l'expiration, et cela d'autant plus sensiblement que la respiration est plus gênée, connue après quelques efforts pénibles. A la simple inspection, il est facile de constater que ces deux mouvements sont parfaitement distincts, et que le cerveau s'élève autant de fois pour l'un qu'il y a de pulsations artérielles, et pour l'autre autant de fois qu'il y a d'expirations. Mais, il n'est pas aussi aisé de les reconnaître sur les petits animaux, tels que le lapin, par exemple; d'abord parce que celui qui tient aux battements artériels est très faible ; ensuite parce que le second est très rapide, par suite de la vitesse de la respiration des petites 1. Haller, Mcmoirrs xur la nnture senxihle et irritable de^ priiiies dit rnrp:< (inininl, t. I, Exp. 74, 87, 88. Lausanne, 17r)(). 150 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. espèces ; il en résulte que les deux doivent à peu près se confondre en un seul, et c'est sans doute à cause de cette particularité que quelques physiologistes n'ad- mettent qu'un seul mouvement du cerveau. Quel est maintenant le mécanisme des mouvements de l'encéphale? Lamure * attribue le mouvement principal, c'est-à-dire celui qui dépend de la respiration, au flux et au reflux du sang veineux. L'élévation du cerveau a lieu par suite du reflux qui s'opère de la veine cave antérieure et des jugulaires vers les sinus lors de l'expiration ; l'abaissement provient de la déplétion des sinus, opérée par suite de l'aspiration exercée sur le sang pendant l'inspiration. Pour prouver que c'est bien à ces causes que sont dus l'élévation et l'abaissement alternatifs du cerveau, Lamure lie les jugulaires et coupe les veines vertébrales ; mais le mouvement per- siste, quoique affaibli, parce qu'il y a encore d'autres veines par lesquelles le reflux du sang continue à s'opérer; enfin, sur l'animal mort, il rétablit le mou- vement en comprimant le thorax : dès que les côtes sont rapprochées, le cerveau s'élève; dès qu'elles reviennent sur elles-mêmes, il s'abaisse; cet effet cesse de se produire après la section de la veine cave antérieure. Haller, après de nom- breuses expériences, dont quelques-unes avaient été déjà faites par Schlich- ting, arrive à partager l'opinion de Lamure. «Les veines, dit-iP, se gonflent pendant l'expiration ; elles se désemplissent dans l'inspiration. Comme ces alternatives de réplétion et d'évacuation sont absolument les mêmes dans le cerveau, comme celui-ci s'élève pendant que les veines et surtout les jugu- laires se remplissent de sang, et qu'il s'abaisse dans le temps même que les veines perdent le leur, il paraît évident que le gonflement et le dégonflement alternatifs du cerveau naissent de ceux des veines. » Pour lui, la réplétion des veines est le résultat d'un reflux du sang de l'oreillette droite vers les troncs vei- neux lors de l'expiration, et leur affaissement la conséquence de la déplétion de ces vaisseaux lorsque la poitrine se dilate, c'est-à-dire pendant l'inspiration. Il remarque, de plus, que la gêne de la respiration et la strangulation momen- tanée rendent le mouvement du cerveau plus sensible. M. Flourens a repris la question et l'a mieux analysée que ses devanciers. Il ne reconnaît qu'un seul mouvement : celui qui dépend de la respiration. D'après lui, ce mouvement unique consiste bien plus en un gonflement et un affaissement alternatifs du cei'veau qu'en une élévation et un abaissement de l'organe. Sa cause serait bien encore le flux et le reflux du sang, mais ce flux et ce reflux s'opére- raient principalement par les sinus vertébraux qui communiquent avec ceux du crâne. Flourens prouve que la voie de ces sinus est la plus importante par les expériences suivantes : 1° après la ligature des deux jugulaires, le mouvement persiste, seulement il est moins prononcé; 2" après la ligature des jugulaires et la section des veines vertébrales, il continue encore, bien que très affaibli; 3" enfin sur le cadavre dont les deux jugulaires et les deux vertébrales sont ouvertes, on le reproduit en comprimant le thorax et le laissant ensuite revenir sur lui-même. Dans son opinion, le sang, lors^de l'expiration, reflue du thorax 1. Lamure, liecha-ches sur la muse des mouvenumls du cerveau {Mémoires de rAcadéune des scienees, 1779). 2. Haller, Mémoires sur la nature sensible^ etc., l. I, p. 181. FONCTIONS Dr l'eNCÉPHALE. \l')\ par les veines dorsales (azygos) dans les sinus vertébraux, et de ceux-ci dans les einus du crâne; il reflue également dans ces derniers par les jugulaires et les vertébrales. C'est à ce moment que le cerveau s'élève bien plus par un gonlle- inent de sa masse que par un soulèvement. Au contraire, lors de l'inspiration, le sang afflue vers la poitrine par les mêmes voies, surtout par la première. 11 dégorge ainsi les sinus et la substance du cerveau; par suite celui-ci s'affaisse et descend. L'élévation ou le gonllement du cerveau dépendrait de deux causes : l'une principale le reflux du sang veineux, et l'autre accessoire, l'afflux du sang artériel; son aiïaissement résulterait seulemont du retrait du sang veineux aspiré par la poitrine. Indépendamment des mouvements du cerveau liés à la respiration et aux pul- sations artérielles, il en est d'autres dus à la pesanteur et opérés lors des dépla- cements de la tète ou de la masse entière du corps. M. Luys ', qui les a étudiés avec soin sur le cadavre, les a décrits dans plusieurs communications récentes à l'Académie de médecine. Quoiqu'on en ait contesté la réalité, ils peuvent être observés sur le sujet vivant; seulement ils ont beaucoup moins d'étendue que sur le cadavre. J'ai eu l'occasion de les voir dans un assez grand nombre d'expé- riences sur les animaux, notamment sur les grands ruminants et sur les bêtes ovines. Sur la génisse, dont un béniisphère est en grande partie découvert, on voit les circonvolutions prises pour point de repère descendre quand on abaisse la tcte, remonter quand on la renverse en arrière, glisser un peu vers la ligne médiane, ou se porter en deliors, suivant que la tête est penchée à droite ou à gauche. Le mouvement est doux, lent; c'est un glissement de la masse sur le feuillet pariétal de l'arachnoïde. Ces déplacements très restreints sont facilités par la séreuse et par le Hipiide qu'elle contient, liquide qui fuit dans les points que le cerveau tend à abandonner. Ils ne sont jamais ni assez brusques ni assez étendus pour donner lieu à des chocs ou à des commotions. D'après deux observateurs italiens^, le cerveau, dans l'espèce humaine, éprou- verait encore d'autres mouvements, A l'aide 'des appareils enregistreurs, ils ont reconnu sur une femme, dont la plus grande partie du frontal et des pariétaux était détruite : i" les mouvements qui dépendent des pulsations artérielles; 2" les oscillations qui correspondent aux mouvements respiratoires; 3" des ondulations à courbes plus amples dues aux mouvements des vaisseaux pendant les elïorts d'attention, le travail cérébral, le sommeil, etc. Ces ondulations ne me paraissent pas devoir être considérées comme des mouvements d'une autre nature cpie celle des dé[)lacem(>nts décrits plus haut. Elles tiennent vraisembiablement aux niodi- lications que la respiration et la circulation éprouvent pendant les ellbrts de toute espèce, etc. En résumé, rencéi)luile é[»rouve deux mouvements réguliers: l'un faible, en rapporlavec la diastole et la systole des artères cérébrales; l'autre jilus sen- sible, plus lent, lié aux mouvements respiratoin^s et dépendant du llu\ et du 1. Luys, delà loromohililà ou dcx <:ha)ii/P))iC)i(s de la position du cerveau {liulleli)i de l'Académie de médecine, 3;') mars 1884, et VEncép/tale, 1884, t. IV, p. 276 et 417). 2. Giacomini et Mosso, Etude i/rap/tique du niouremenl du cerveau {Couipfe.'^ remtu^- de rAcndcmie (/e.y sc/e?U'es, 3 janvier 1877). 152 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. reflux du sang veineux. Ces deux mouvements, assez distincts chez les grands animaux, doivent être très peu prononcés quand les parois du crâne sont intactes. Les déplacements dus à l'action de la pesanteur et produits lors des mouve- ments de la tête sont d'un autre ordre et ne peuvent offrir aucune régularité. CHAPITRE III FONCTIONS DE LA MOELLE ÉPINIÈRE I. — Coup d'oeil anatomique et micrographique. La moelle n'est pas un simple conducteur placé entre l'encéphale et les nerfs pour transmettre à ceux-ci les ordres de la volonté et apporter de la périphérie au centre les diverses impressions; c'est encore un foyer, un centre d'innerva- tion chargé surtout des actions réflexes. Il faut jeter un coup d'œil sur sa dispo- sition anatomique et sa structure pour être en mesure d'analyser ses fonctions compliquées. Elle forme un long cordon qui, renfermé dans le canal rachidien, se continue avec les renflements encéphaliques et donne, sur son trajet, naissance à la plu- part des nerfs destinés à la sensibilité et au mouvement de toutes les parties- A son origine, elle se confond avec le bulbe rachidien, sans qu'il soit possible de trouver la moindre trace de démarcation entre l'une et l'autre, de telle sorte que les uns, avec Vésale, la font commencer en avant des tubercules bigéminés ; les autres, avec Bichat, au sillon qui se trouve en arrière du pont de Varole, et le plus grand nombre, au niveau du trou occipital. A sa terminaison, dont le lieu est variable, la moelle se divise en une infinité de cordons nerveux dont l'en- semble est connu, même sur l'homme, sous le nom de queue de cheval. Sa forme varie un peu, suivant les animaux, et ses renflements se montrent toujours en rapport avec la présence, le nombre et le volume des extrémités. Elle est presque cylindrique chez les poissons, avec cette particularité toutefois qu'elle offre, dans ces animaux, de petites bosselures à la naissance des nerfs un peu volumineux ; elle a, dans les reptiles , tels que les tortues , les lézards et les batraciens, un renflement cervical et un lombaire; mais elle en est dépourvue chez les serpents. Chez les oiseaux qui volent beaucoup et dont les ailes sont très fortes, elle présente, d'après Serres, un renflement brachial plus considérable que celui des lombes. Enfin, chez les mammifères, le renflement lombaire prédomine lorsque, comme dans le katiguroo, les membres abdominaux l'emportent par leur volume sur les membres thoraciques; le cervical, au contraire, dépasse l'autre, quand les extrémités antérieures conservent un assez grand développement, alors que les postérieures sont atrophiées, comme dans les cétacés. La moelle est contenue dans un canal brisé et articulé, beaucoup plus grand qu'elle, qui peut se plier dans tous les sens et exécuter des mouvements très étendus sans la comprimer ni la tirailler ; mais elle n'en occupe pas constam- ment toute la longueur ; elle sort à peine du crâne chez quelques poissons, s'ar- rfite au milieu du dos chez plusieurs mammifères, tels que le hérisson, au niveau FONCTIONS nE LA MOELLE ÉIPNIERK. de la deuxième vertèbre loml)aire chez l'homme, et plus loin, vers le sacrum, dans la plupart des animaux domes- tiques. En outre, elle est revêtue, comme l'encéphale, de trois membranes : la dure-mère , dont la surface externe est séparée du conduit vertébral par une foule de petits coussinets adipeux; l'arachnoïde, dont les deux feuillets sont en contact l'un avec l'autre ; enfin, la pie-mère, dont le tissu léger, aréolaire, à larges mailles, est pénétré d'une grande quantité de liquide céphalo-rnchidion. La moelle épinière, dans son ensemble, représente, à l'extérieur, une colonne à peu près cylindrique de sub- stance blanclie renfermant une autre colonne de substance grise cannelée, à quatre arêtes connues sous le nom de cornes. Elle se divise en deux moitiés latérales par deux sillons médians profonds dont Tantérieur ou l'inférieur est le plus marqué. Ces deux moitiés, réunies dans ce der- nier sillon, par la commissure blanche, se subdivisent en trois cordons, l'un antérieur dans l'homme, inférieur dans les mammifères, duquel émergent les racines motrices des nerfs rachidiens, l'autre postérieur ou supérieur, donnant naissance aux racines sensitives, et un troisième, latéral, ({ui ne se sépare point nettement des autres. Ils sont exclusivement formés de substance blanche dont la plu- part des tubes ont une direction longitudinale. La partie intérieure ou grise de la moelle, appelée myélaxe, représente une colonne cannelée dont le pour- tour porte quatre prolongements ou lames, deux en avant ou en bas, les cornes antérieures, deux en arrière ou en haut, les cornes postérieures, les quatre réunies par la commissure grise. Sur l'axe de la substance grise se trouve le canal central, très développé pendant la vie fœtale, plus ou moins persistant à l'âge adulte, chez l'homme, les ru- minants, les carnassiers et la plupart des vertébrés ovi- pares. Il est tapissé par un épithélium h cellules cylin- driques que Kœlliker croit vibratile, et entouré d'une substance grise sur la nature nerveuse de laquelle on a élevé des doutes. La disposition des éléments nerveux dans les cordons blancs et dans l'axe gris de la moelle épinière, quoiqu'elle ait été l'objet de nombreuses controverses, est connue dans ses points essentiels. Les cordons ou faisceaux blancs sont exclusivement 1.o3 FiG. 11. — Moelle épinière du cheval ('). (*) A, renllemeiit cervical ; B, renfleiiient lombaire ; C, queue «le cheval. 154 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. constitués par des libres nerveuses plus déliées que celles de la partie extra- médullaire des racines et à gaine plus mince ; elles sont rassemblées en faisceaux longitudinaux parallèles, jamais entrecroisés, qui s'étendent, avec ou sans interruption, jusqu'à l'encéphale ; quelques-unes de ces fdjres naissent en un point et se terminent un peu plus loin ; d'autres vont s'enfoncer dans la Ffn, 15. — Coupe horizontale de la moelle épinière, d'après Stilling' (*). substance grise. Aux libres propres des cordons s'ajoutent celles des racines nerveuses. Indépendamment de ces fd)res, il en est de transverses qui, dans la commis- sure biancJie, se portent de droite à gauche ou de gauche à droite, en s'entre- croisant sur la ligne médiane, d'après les observations de divers micrographes. Elles doivent rendre les deux cordons moteurs solidaires l'un de l'autre, et leur donner [lartiellement une action croisée, qu'ils ont en'ectivement. (*) 1, corne postérieure avec SOS cellules; 2, corne antérieure et ses deux groupes cellulaires antérieur et latéral; li, sillon antérieur; 4, sillon postérieur; .'î, canal central entouré par les commissures; 0, racines postérieures; 7, racines antérieures. FONCTIONS DE LA MOELLE El'lNlERE. \:î:\ Dans les cordons supérieurs les libres ont double origine; les unes émanent de la corne supérieure du même côté, les autres proviennent de la corne opposéi' et passent par la commissure. Dans les cordons inférieurs, elles émanent de la corne inlérieure du même cùlé et de la correspondante opposée. Elles transmettent aux parties péripliériques les impulsions motrices de l'encéplialc, du bulbe et les excitations motrices réflexes de même source. Dans les cordons latéraux se trouvent des libres j)rovenant des cornes supé- rieures et inférieures, d'autres émanent de la colonne grise dite de Clarkc, et mêm<' des racines motrices. Conunc elles coulinuent les tractus des pédoncules et des pyramides, ou suppose qu'elles servent à la transmis- sion des excitations motrices volontaires. Les fibres nerveuses qui entrent dans la constitution des cordons, sont, les unes d'un diamètre considérable, les autres plus fines mêlées entre elles. Les grandes, d'après les histologistes, se rendent en partie dans les pédoncules cérébraux, les petites dans le cervelet. La substance grise ou le myélaxe a des fibres et des cellules. De ces fibres les unes sont d'une extrême té- nuité, les autres du diamètre d'un cylindre axe et quel- ques-unes des fibres à moelle. Les cellules des cornes supérieures sont peu nombreuses, petites, non groupées, à {trolongements peu ramifiés. Celles des cornes inférieures sont grandes, multipolaires, à prolongements nondjreux. D'après divers observateurs, elles sont anastomosées entre elles. La substance grise est très bétérogène. Elle forme une colonne, continue de l'en- cépbale au filet terminal de la moelle, dans laquelle les cellules et les fibres sont en proportions à peu près égales, d'après Krelliker. Les cellules y sont toutes uni- polaires ou multipolaires, à prolongements très longs et très ramifiés, disposées en une série ou une cliaîne de groupes reliés entre eux par leurs prolongements, de telle isorte que dans les coupes transverses correspondant aux racines, elles se montrent en très grand nombre, tandis qu'elles sont fort rares ou manquent dans les |)oints intermédiaires (voy. fig. page suivante). D'après Jncubowitcli, les y-" '/s FiG. IG. — .MnitiT' (lo cdiiiio transvcrse île la inoelli' corvicale, (rapiés Virrlmw (*). (') /"«, sillon uiitihieur ; /■;;, sillim poslériour ; ce, canal ceiitcal; r a, CDmiuissurc aulérieure avec ses fibi'os entiecroisécs ; cp, commissure postérieure; c (i, racines antérieures; r p, racines postérieures; g n, cellules motrices des cornes autérieures ; g s, cellules des cornes postérieures ; <; j,cellulessympatliiques. 156 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. plus grandes cellules multipolaires des cornes inférieures géraient motrices ; les Fk;. 17. — Cellules nerveuses de la moelle et du cerveau, d'après Virchow (*). cellules plus petites, allongées, à prolongements grêles des cornes supérieures (*) A, cellulo riiolrice iriultipolaiie des coi-rins antiirieiires ; B, cellules seiisitives plus petites des cornes postéiieuies ; C, cellule bipolaire sympathique ; D, cellules de la substance grise du cerveau. FONCTIONS DE LA MOELLE ÉPINIÈRE. 157 s(!raient sensitives, et les intermédiaires seraient des cellules sympathiques. Leurs caractères varient suivant les points de l'axe gris. La substance gélatineuse a les siennes qui sont petites^ arrondies ou ti'iangulaires et à prolongements triples ou quadruples. Dans la corne supérieure elles sont peu nombreuses. A la base de cette corne ces cellules entassées qui ont de nombreux prolongements, forment la colonne de Glarke. C'est dans la corne inférieure que se trouvent les plus C f b'iG. 18. - Moitié d'une coupe tranverse de la moelk' é[iiiiièredu veau, d'aprèsJHuguenin. grandes et lés plus ramiliées. Les prolongements de celles-ci se continuent directe- ment avec les libres nerveuses des racines inférieures ou motrices Ils s'anasto- mosent de manière à mettre en communication les deux cornes d'une même moitié, et même les deux moitiés l'une avec l'autre. Mais ces anastomoses se voient pour un si petit nombre de cellules, qu'elles ont été niées par beaucoui» de micrographes habiles. Sur certaines pré[)arations très minces et bien réussies, {*) A, Cordon supérieur; B, cordon latéral ; C, cordon inférieur ; I), racines inférieures ou antéri>;ure8 ■ E, raciues supérieures ou postérieures; G, substance gélatineuse; H, substance grise de la corue posté- rieure; M, commissure blanche postérieure; N, faisceaux blancs longitudinaux de la substance "rise • tî, tractusde libres nerveuses allant de la substance grise dans les cordons blancs; K, "roape de grandes cellules dans les cornes antérieures; F, commissure iinlérieure à libres entrecroisées. 158 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. il est, en effet, diflicile d'en découvrir quelques-unes ; j'en ai vu cependant plu- sieurs fois, notamment sur des coupes de la moelle du veau, teintes au carmin, que je conserve dans ma collection. Sauf ces anastomoses, les cellules grises sont indépendantes les unes des autres, mais leurs prolongements sont si entrelacés, si feutrés, qu'elles peuvent ainsi se mettre en communauté d'action par simple contact. Le mode d'origine des racines nerveuses dans la moelle et leurs connexions avec ses éléments ont un haut intérêt physiologique. Voici ce qu'on sait de plus positif à cet égard d'après Kœlliker, Les fibres des racines sensitives s'enfoncent d'abord perpendiculairement dans la substance blanche, au niveau du sillon collatéral pos- térieur, puis elles se divisent en faisceaux, dont les uns plongent dans la substance grise des cornes postérieures pour se couder sur elles-mêmes, marcher pendant un certain temps dans cette substance, suivant l'axe de la moelle, et rejoindre finale- ment les cordons postérieurs et latéraux. Les autres se portent partie dans les mêmes cordons et partie vers le centre de la moelle, dans la commissure grise, où peut-être elles passent à l'opposé, en s'enlrecroisant avec leurs homologues, Elles n'ont aucune connexion directe avec les fibres des cordons supérieurs ; elles paraissent, dit-on, aboutir toutes à la substance grise. Les racines inférieures, après avoir pénétré dans le cordon moteur par le sillon latéral inférieur, se divisent en faisceaux dont une partie des fibres s'anastomosent avec les cellules multipo- laires de la substance grise de la corne correspondante. L'autre partie de ces fibres se dégage des cornes et revient dans les cordons latéraux. Quelques-unes parviennent aux cornes supérieures. Plusieurs faits importants se dégagent de l'étude de la texture de la moelle : 1° les fibres sensitives des racines supérieures, après s'être plongées dans la sub- stance grise, se mettent en continuité avec les fibres de cette substance, et revien- nent, en prenant une direction longitudinale, concourir à la formation des cordons supérieurs et des cordons latéraux du même côté ; 2" les fibres motrices, qui pénètrent de la même manière dans les cornes inférieures de la substance grise, en ressortent également pour venir se joindre aux cordons inférieurs et à la partie correspondante des cordons latéraux ; 3° une certaine quantité de fibres des racines motrices d*un côté passent, par la commissure, dans le cordon moteur du côté opposé; 4° toutes ces fibres sensitives et motrices remontent vers l'encéphale, où probablement elles arrivent au moins en partie. On voit par là, d'une part, que la substance grise est le rendez-vous commun des deux ordres de racines, non seu- lement parce qu'elle les reçoit toutes, mais encore parce qu'elle anastomose ses fibres propres avec celles de ces racines ; d'autre part, que les cordons blancs, au lieu d'être indépendants, sont liés à la substance grise d'une manière très intime, et enfin qu'ils sont liés entre eux, le supérieur avec le latéral, l'inférieur avec celui-ci. En outre, par suite de la décussution des fibres commissurales, les deux moitiés de la moelle, déjà unies par l'axe gris, sont intimement liées entre elles. Il serait supci'flu d'entrer ici dans les débats qu'a souh^vés la structure intime de la moelle, surtout sur des{)oints très accessoires par leur portée physiologique. Que les cellules soient anastomosées ou non entre elles, que leurs prolongements soif.'nt ou ne soient pas en conlinuité avec les fibres des racines nerveuses, cela ne FONCTIONS DE LA MOELLE ÉPINIÈRE. lo9 me paraît pas avoir un yrand intérêt. Un ne voit pas pourquoi les cellules ne pour- raient agir sur les libres nerveuses sans être en continuité avec elles. Leurs prolon- gements sont si nombreux et si intimement entrelacés avec ces libres qu'elles })euvent probablement agir sur elles par simple contact ou même à distance. On ne voit pas non plus la nécessité absolue que ces cellules forment une chaîne non inter- rompue, d'une extrémité de la moelle à l'autre, pour que la substance grise jouisse du pouvoir de conduire, sur toute sa longueur, les impressions sensitives et les inci- tations motrices. Néanmoins, ce double |)Ouvoir de conduction se concevrait mieux si la disposition rencontrée par Owsjannikow chez les poissons était réelle, et si elle existait chez les mammifères, à savoir que chaque cellule médullaire aurait ([uatre prolongements se rendant, l'un à l'encéphale, l'autre à la racine motrice, un troi- sième à la racine sensi tive, et le dernier d'une moitié de la moelle à la moitié opposée. II. — Propriétés de la moelle épinière. On savait depuis longtemps que les irritations portées sur la moelle déterminent delà douleur et des contractions musculaires, et l'on attribuait autrefois à toutes les parties de cet organe les mêmes propriétés. A. Valker soupçonna que les cor- dons antérieurs et postérieurs pouvaient avoir des proiu'iétés et des fonctions dissemblables; mais ce fut Cli. Bell qui, le premier, en 1811, reconnut sur un animal venant d'être tué, qiu^ l'excitation de la partie inférieure de la moelle provoque des contractions musculaires plus constamment que l'excitation de sa partie supérieure. Magendie, en 1822, établit plus nettement encore l'extrême sensibilité du cordon supérieur, et l'excitabilité de l'inférieur. Néanmoins, c'est surtout de ses expériences sur les propriétés des racines qu'il a déduit celles des cordons. Ayant mis à découvert la moelle épinière sur de jeunes chiens, s'il sec- tionnait les racines supérieures d'un côté les parties situées en arrière de la section et du même côté de\enaient insensibles tout en conservant leur mouvement. Si, au contraire, il sectionnait les racines inférieures, le membre correspondant con- servait sa sensibilité, mais perdait la faculté de se mouvoir. Ch. Bell, dans ses expériences avait surtout cherché à agir sur les cordons, mais suivant la remarque de M.Vulpian, comme il n'opérait pas sur des animaux vivants, il ne pouvait constater la sensibilité des cordons supérieurs : il leur a attribué le rôle de con- ducteurs de la sensibilité après s'être assuré qu'ils n'étaient jjoint excitables ou moteurs comme les cordons inférieurs. A (•om|)ter de ce moment, on a admis (pie la moelle épinière est formée de deux moitiés ; l'une supérieure ou postérieure sensible, l'autre inférieure ou antérieure motrice, ou, en d'autres termes, qu'il y a dans la moelle épinière deux moelles, l'une [)our le sentiment, l'autre pour le mouvement, connue il y a dans la racine nerveuse sj»inale deux racines, l'une sensitive, l'autre motrice, ou dans le nerf mixte deux nerfs, un sensitif, dérivant du cordon médullaire supérieur, l'autre moteur provenant du cordon inférieur. Kn 1841,Longet conlirnui ces faits par des ex[)ériences ingénieuses. Après avoir coupé transversalement la moelle mise à nu à rextrémitéde la région dorsale, il appliqua successivement les pôles d'une pile faible aux cordons des deux seg*- ments. Au segment de la tête, la gaUanisation du cordon supérieur détermina de 160 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. la douleur, et la galvanisation du cordon inférieur demeura sans effet. Au segment caudal, la galvanisation du cordon supérieur ne produisit rien; celle du cordon inférieur provoqua des contractions musculaires dans les membres abdominaux. Quoique les premières expériences faites sur le rôle des cordons de la moelle parussent décisives, elles étaient de nature à donner lieu à des illusions. Aussi, dès l'époque de la découverte de Ch. Bell, il s'éleva des contestations sur les propriétés des cordons, notamment sur la question de savoir si les supérieurs ne sont que sensibles, si les inférieurs ne sont qu'excitables, et si les premiers ou les seconds sont sensibles ou moteurs par eux-mêmes. En effet, qu'on irrite sur l'animal vivant les cordons supérieurs de la moelle dénudée, et aussitôt il y aura gémissements et cris accompagnés de violentes secousses musculaires ; les cris prouvent la sensibilité des cordons qu'on a tou- chés, mais les mouvements sont-ils une réaction contre la douleur ou une con- séquence de l'excitabilité, de la motricité de ces cordons. Il faut couper la moelle en travers et opérer sur le bout caudal afin de supprimer les effets de la sensibilité, ou bien tuer l'animal pour voir si l'irritation de ces cordons produit quelques mouvements qui ne soient pas des réactions contre la douleur. Ensuite les cordons supérieurs sont-ils sensibles par eux-mêmes ou doivent-ils leur sensibilité aux racines des nerfs qui les pénètrent et qui, en dernière ana- lyse, entrent dans leur constitution? Voici ce que les expériences apprennent. En explorant les cordons supérieurs à l'aide d'une aiguille ou d'un stylet, on reconnaît que leur face supérieure est partout sensible, mais non uniformément, qu'elle l'est moins entre deux racines, moins au niveau du sillon médian que dans les points par lesquels les racines pénètrent. D'où il suit que ces cordons sont partout sensibles et que la sensibilité des racines supérieures accroît celle qui est propre à la moelle. Ils le sont à la surface; ils le sont à toutes les pro- fondeurs comme sur les sections. Si, du reste, après avoir coupé en travers les cordons postérieurs, comme l'a fait M. Schift", on en détache un de la substance grise, du côté de la tête, sur une étendue de quelques centimètres, on voit que les piqûres faites à sa face profonde sont douleureuses ; ici les fibres qui se rendaient de ce faisceau dans la substance grise ayant été coupées ou rompues, ne peuvent pas influer sur sa sensibilité. A leur face profonde, au contact du myélaxe, Magendie les avait trouvés moins sensibles qu'à l'extérieur. Gela se con- çoit, si pour juger du degré de sensibilité de ces cordons, il les séparait de la substance grise en lésant leurs fibres aux points oii elles s'échappent du myélaxe. Les cordons ou faisceaux inférieurs, dont l'excitabilité a été quelquefois niée, sont très manifestement excitables, toutes les fois qu'on a mis à nu la moelle sans la contusionner ou la léser d'une manière quelconque. Les piqûres de stylet, faites à leur surfac(;, la compression de leur substance à l'aide de pinces très fines, pro- voquent des contractions plus ou moins violentes, dans les membres postérieurs; cela est très évident sur les jeunes porcs, sur les jeunes chiens, les agneaux ou les taureaux de un à deux ans, dont les vertèbres se taillent aisément sans que la moelle soit lésée, et ce sont les animaux qui ont servi à mes expériences. Mais, sur le cheval on n'obtient ordinairement que des résultats équivoques, à cause des commotions qu'éprouve la moelle pendant sa dénudation, commotions dont la con- FONCTiONS 1)1-; LA MUEI.LE KPINIKllE. l()l séquence esl la paralysie iiiiinédiale plus ou moins (-oniplf'tc du traiu [)ostérieur. Au reste, M. Vul|tian\ a vu sur le lapin que les cordons inférieurs sont beaucou[» moins excitables que les racines correspondantes. 11 faut des irritations très vives sur ces cordons pour provoquer des réactions équivalentes à (('Iles (|ue délerminent les irritations les plus faibles portant sur les racines inférieures. J"ai constaté cette ditlcrence plusieurs fois, notamment sur le bélier et le chien. Quanta la substance de Taxe gris, des cornes, elle parait absolument insensible aux stimulations ordinaires. (Juellc soit, mise à nu i)arune section, soit lonj^'itu- dinale, soit transverse de la moelle, ou simplement par l'ablation d'un serment des cordons supérieurs, elle peut être piquée, pincée, cautérisée, sans que l'ani- mal jette le moindre cri, ni ne doime le moindre si^ne de douleur. Il en est de même quand on introduit un stylet au centre de la moelle, pour l'irriter ou la détruire sur une étendue considérable. Cette substance est également dépourvue d'excitabilité. Aucune des stimulations que l'on exerce sur elle ne provoque la moindre contraction musculaire. Les cordons latéraux, anatomiquement peu distincts des autres, recevant en haut des fibres sensitives, en bas des libres motrices, doivent, à priori^ posséder des propriétés mixtes Ils sont en ellet sensibles, surtout dans les points les plus rapprochés des faisceaux supérieurs, excitables dans les parties les plus inférieures ou les plus voisines des faisceaux moteurs. Leur sensibilité et leur excitabilité sont peu prononcées vers leur face i)rofonde. C'est ce (ju'on peut facilement constater sur les agneaux et les jeunes porcs. En somme, les projjriétés des cordons de la moelle sont bien telles que Charles Bell, Magendie, Flourens et Longet les avaient déterminées. Les supérieurs sont sensibles et d'une sensibilité exquise comme les racines supérieures des nerfs spinaux, de plus, ils jouissent d'une certaine excitabilité à effets réflexes; les infé- rieurs sont excitables ou excito-moteurs comme les racines inférieures des mêmes nerfs. L'axe gris est insensible et inexcitable comme l'est la substance grise dans les divers parties de l'encéphale. La sensibilité et la motricité sont donc deux propriétés distinctes dans la moelle et susceptibles d'être isolées. Elles ne se mon- trent point encore dans la substanw grise qui est |)Ourtant la partie essentiellement active ; elles apparaissent et se séparent dans les cordons, pour être mieux carac- térisées et plus isolées dans les racines nerveuses. De même, dans la moelle, la sen- sibilité et la faculté de transmettre ou de conduire les impressions sensitives sont des propriétés distinctes, comme le fait remarquer M. iMilne Eduards. L'axe gris ou myélaxe qui est insensible, transmet cependant les impressions sensitives de la périphérie au centre. Les cordons supérieurs, au contraire, (jui sont très sensibles, ne conduisent pas les impressions sensitives. Le cerveau, ainsi ((ue nous l'avons vu, était insensible aux irritations directes; il lUMcoit cependant les irritations qui lui sont apportées par la moelle ou les nerfs. Dans les racines les deux pro- priétés a[)partiennent aux mêmes fibres. Les racines supérieures sont sensibles et transmettent les impressions sensitives, les racines inférieures sont cxcito-motrices et transmettent les excitations que l'encéphale envoie aux différentes parties. 1. Vulpian, Lcrons sur Ik ji/ii/sioloniu du si/sfr»te uerreux. p. 3(iO. 11. coLiiN. — Physiol. conip.. 3"^ édit. I — 11 162 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. III. — Fonctions conductrices de la moelle épinière. La moelle a un double rôle physiologique. Elle constitue : 1° un conducteur des impressions de la périphérie vers l'encéphale, et des excitations motrices de l'en- céphale aux muscles : 2° un centre d'innervation dans lequel s'efl^ctuent surtout les actions rétlexes. De ces deux fonctions, la première était à peu près connue de l'antiquité, puisque Hippocrate et Galien savaient que les lésions de la moelle entraînent l'abolition de la sensibilité et du mouvement dans toutes les parties situées au-dessous de la lésion ; mais la seconde n'a été soupçonnée et mise en évidence que dans les temps très modernes. Étudions-les chacune à part. La fonction conductrice de la moelle est double. Elle consiste à transmettre de l'encéphale aux muscles les ordres de la volonté, et à porter à l'encéphale les diverses impressions sensitives reçues dans toutes les parties du corps. Les expé- riences les plus simples le montrent très clairement. Si on coupe la moelle épinière en travers, sur un point quelconque de son étendue, comme l'a fait Flourens, et qu'on vienne ensuite à irriter les parties en arrière de la section, l'animal n'en éprouve aucune douleur, parce que les impressions ne peuvent plus, par suite de la solution de continuité, se propager aux centres sensitifs ; mais ces parties sont encore susceptibles de se contracter, puisque le principe de leurs mouvements non volontaires vient directement de la moelle épinière. Si, au contraire, on porte l'irritation sur les parties en avant de la section et liées au tronçon antérieur, il y a dans celles-ci douleur et convulsions, comme si l'organe était intact. Le même résultat se fait observer, quand, au lieu d'une section, on aopéréune simple compression , les irritations produites en arrière de celle-ci ne sont plus transmises, et partant elles ne sont plus perçues ; alors, si l'animal veut se déplacer, la volonté cesse de se communiquer au delà du point comprimé et les parties restent immobiles. Enfin, si, par diverses sections prati- quées à de certaines distances sur le trajet de la moelle, on divise celle-ci en plusieurs segments, dont chacun devient un centre sans communication avec l'en- céphale, excepté celui qui tient à la moelle allongée, on peut irriter tous les seg- ments qui suivent le premier sans qu'aucune douleur se manifeste, mais l'irritation est suivie de contractions plus ou moins énergiques dans les parties qui reçoivent leurs nerfs du tronçon irrité. Il s'agit maintenant de voir si la moelle est un conducteur par toute sa masse ou seulement par quelques-unes de ses parties : faisceaux blancs ou axe gris, et si ce sont les mêmes parties ou des parties différentes qui transmettent les volitions, les excitations motrices et les impressions sensitives. Walkor, en 1809, parait être le i)remier physiologiste rès la section des deux sortes de rarincs, il y a, en même leniiis, abolition delà sensibilité et du mouvement. En rapprochant tous ces résultats, qui indiquaient seulement les propriétés des faisceaux et des racines, on édilia la théorie des fonctions distinctes de ces faisceaux, théorie d'après laquelle les cordons supérieurs seraient les conducteurs de la sensibilité et les inférieurs ceux orts a\ec les cornes supérieures de la substance grise, les cordons supérieurs doivent concourir à la transmission des impressions sen- sitives. En effet, les cordons supérieurs n(> sont [)as indépendants du myélaxe; ils lui emi)runtent la plupart de leurs libres, de l'aveu des liistologistes les plus compétents, et ils les lui empruntent surtout au niveau des cornes supérieures chez les animaux et postérieures chez l'homme. Ce ne sont pas des unités au point de vue physiologique. Ils l'ont corps fonctionnellement avec l'axe gris. Si, lorsqu"(jii lésa isolés, ils ne peuvent concourir à la transmission des iiripressions sensitives, c'est, vraisemblablement, que leurs connexions avec les fibres de la substance grise sont détruites. Le conducteur a une solution de continuité, la chaîne un anneau rompu. Quoique, à l'état d'isolement, ils ne transmettent plus les im- pressions sensitives, ils peuvent concourir à cette transmission lorsqu'ils restent unis à la substance grise. Leurs connexions avec le myélaxe sont très probable- ment une condition nécessaire à l'accomplissement intégral de leur rôle. On trouvera sans doute quelque jour des combinaisons expérimentales qui mettront en évidence leur participation à la transmission centripète des impressions sen- sitives. Maintenant (piellc est, dans la moelle, la partie chargée d'elléctuer la trans- mission des excitations motrices, ou delà motricité? D'après Ch. Bell, Magendie, Flourens, Longet, cette transmission s'ellectue par les cordons intérieurs, qui sont excitables et donnent naissance aux racines motrices des nerfs spinaux. L'expérimentation confirme cette manière de voir. Si sur un animal dont la moelle est à nu, dans la région lombaire, on coupe trans- versalement les cordons inférieurs, les parties situées en arrière sont iunnédiate- ment frappées de paralysie. Si, alors, on vient à irriter l'animal, en un poi quelconque du corps, il se produit une réaction immédiate contre la douleur; les membres antérieurs, le cou, la tête, s'agitent; seuls les membres postérieurs demeurent immobiles : les ordres de la volonté ont été arrêtés par la section des cordons. Mais les membres |)Ostérieurs éprouvent des secousses convulsives si on les irrite directement, ou si l'on irrite le segment postérieur de la moelle. Dans cette expérience, la paralysie n'est pas conqilète ; elle le devient si l'on ajoute à la- section des cordons inférieurs celle des cordons latéraux, preuve que ceux-ci prennent une certaine part à la fonction des premiers. Cette particularité s'expliijue, du reste, par ce fait anatomique, (pie les faisceaux latéraux, comme les inférieurs, reçoivent des libres émanées des pyramides antérieures. D'autre part, quand on a coupé toute la moelle, faisceaux supérieurs ci suh- taiice grise, en laissant intacts les cordons inférieurs, les mouvements s'opèrent encore dans le train de derrière, mouvements dont les incitations n'ont pu être conduites que par les cordons inférieurs les seuls persistants. Toutefois, dans ces cas, les mouvenuMits sont affaiblis, preuve que cpielque autre partie concou- rant à cette transmission a été enlevée : la grise est très cerlaiiiemeut la partie dont la collaboiation est nécessaire à l'action conductrice pleine et entière des 166 DES FONCTIONS Dr SYSTÈME NERVEUX. cordons intérieurs, car si on la détruit seule, à l'aide d'un stylet, à la région lombaire, on voit le train postérieur s'affaiblir, éprouver un commencement de paralysie. D'après ce qui précède, les impressions sensitives sont transmises de la péri- phérie à l'encéphale surtout par l'axe gris de la moelle, et les excitations mo- trices le sont de l'encéphale à la phériphérie, à la fois par des cordons inférieurs, par une partie des cordons latéraux, et eniin par la substance grise. Il reste à voir si cette transmission se fait directement ou si elle est croisée, soit en partie, soit en totalité. Galien, à qui on doit les premières expériences sur la moelle épinière, avait constaté que la section transversale d'une moitié latérale de la moelle détermine la paralysie du même côté. La plupart des expérimentateurs ont vérifié son asser- tion, et les faits pathologiques ont donné des indications concordantes. L'irrita- tion, sur l'animal vivant, de la moitié droite de la moelle détermine des convul- sions à droite, l'irritation de la moitié gauche les produit à gauche, avec quelques secousses du coté opposé ; l'hémisection transverse de la moelle donne lieu à la paralysie de la moitié correspondante du corps, en arrière de la lésion. Magendie, Flourens, n'ont pas fait la moindre restriction à ces propositions absolues. Dans ces derniers temps,, les expérimentateurs, guidés sans doute par l'ana- tomie micrographique qui avait montré un entrecroisement partiel des fibres dans les faisceaux de la moelle, ont cherché à reconnaître si des effets croisés s'asso- cient aux effets directs de la moelle. MM. Brovvn-Séquard, Schiff, Van Kenipen, ont cru constater que l'action, en partie croisée de la moelle, s'exerçait seule- ment en avant et qu'elle était entièrement directe dans les régions dorsale et lombaire. Le dernier a observé que l'hémisection de la moelle dans la région cer- vicale n'affaiblit pas moins le membre postérieur opposé à la lésion que celui du côté correspondant, tandis que cette hémisection, faite à la région lombaire, ne paralyse que le membre postérieur du même côté, mais le paralyse entièrement. Depuis, ces hémisections ont été très variées, et l'on a vu, en général, la para- lysie complète du côté de la lésion et un certain affaiblissement du côté opposé. M. Vulpian^ a constaté aussi que l'irritation d'un cordon antérieur, en donnant lieu à des contractions énergiques du même côté, en produit do faibles du côté opposé. Il semble que la transmission des impressions sensitives soit aussi en partie croisée ou tout à fait croisée ; car à la suite d'une section d'un faisceau postérieur, il y a, comuH! on sait, hyperesthésie du côté de la section et affaiblissement de la sensibilité, ou légère anesthésie du côté opposé. L'action partiellement croisée trouve encore une preuve en sa faveur dans cette expérience de Van Deen, par laquelle on sectionne une moitié de la moelle en arrière de l'épaule, et l'autre moitié à la région lombaire, car alors le pincement d'un membre provoque des mouvements à la fois dans ce menibn; et dans celui du côté opposé. On peut donc dire que l'action de la moelle est non pas enlièrenient directe comme on l'a cru si longtemps, mais en grande partie directe et en faible partie croisée, 1. Vul[)ian, Ij'roiifi sur la p/a/siolo;/it' (lu, Kystùnu: 7ierven.r, p. 'dHi't. FONCTIONS DK L\ MOELLE ÉPINIÈRR. IH7 tant pour la transmission des incitations motrices que pour celle des impressions sensitives. Toutes ces particularités trouvent leur raison dans la décussation (l'un certain nond)re de libres des faisceaux ou des commissures de l'axe feut-ètre une condition favorable à leur prompte exécution et il leur sûreté. Ce qui tend à dénîontrer que ces actions réflexes ne sont point sous la dépen- dance de la volonté, c'est que la volonté ne peut souvent ni les empêcher, ni les modilier. Le clignement des puui>ières à l'approche d"un corps dirigé vers l'œil s'ell'ectue, bien que l'individu sache que ce corps ne blessera point l'œil, n'arri- vera pas même à le toucher. D'ailleurs, les mouvements réflexes qui donnent lieu à la toux, àréternuement, à la déglutition, aux efl'orts du vomissement, sont d'un automatisme invariable, calculé, réglé, soumis à une impulsion invincible sur laquelle la volonté la plus énergique n'a qu'une prise très ])ornée. Il est donc très probable qu(!, sur l'individu vivant, de même que dans les conditions expé- rimentales, ces efforts sont réglés et exécutés sans la participation de l'encéphale. Toutefois certaines actions réflexes ont des centres étrangers à la moelle épinière, par exemple ceux de l'écorce cérébrale, des ganglions cérébraux et du bulbe rachidien. Le mécanisme des actions réflexes n'a été analysé que dans ces derniers temps, à compter surtout des recherches de Millier et de Marshall-Hall. On a vu com- ment divers états des nerfs, de la moelle, et les conditions particulières de l'or- ganisme en modiliaient les caractères. Les impressions produites sur les nerfs ne donnent pas lieu à des actions réflexes d'une égale intensité. L'irritation des extrémités sensitives du nerf pro- duit un eflet [ilus marqué que l'irritation exercée sur l'ensemble de ce nerf. Ainsi on détermine des mouvements réflexes plus étendus en irritant la peau qui reçoit les rameaux sensitifs qu'en irritant, soit le mendue dénudé, soit le nerf sous la peau, ou même ses racines à leur émergence. H est facile de provoquer la toux en stimulant la muqueuse des voies respiratoires, tandis qu'on ne produit pas ce résultat, d'après Longet, en pinçant, en comprimant ou en piquant les nerfs vagues. Pour (|ue l'action réflexe se produise, il faut que la moelle puisse réagir. Les réactions sont d'autant plus prononcées qu'elle est mieux isolée de l'encéphale. Tous les expérimentateurs ont effectivement remarqué (jue les phénomènes 172 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEL'X. réflexes présentaient leur maximum d'intensité après la décapitation ou la section de la moelle. Ils sont encore très évidents sur les sujets auxquels on a pratiqué, à l'exemple de Legallois, la section de la moelle à la région lombaire. Chez eux, en effet, le train de derrière étant tout à fait isolé, si on le pique, il réagit sans que le train de devant perçoive l'irritation ou exécute le moindre mouvement; si alors, au contraire, on pique le train antérieur, il se meut, et le postérieur demeure immobile. On peut ainsi couper la moelle en plusieurs segments, cons- tituer, par conséquent, plusieurs centres d'actions réflexes agissant dans une complète indépendance : l'irritation produite sur la portion du corps qui reçoit les nerfs d'un tronçon de moelle donne lieu à des mouvements dans cette portion sans que les autres éprouvent la moindre secousse, comme si, suivant les expres- sions de Legallois, chaque partie du tronc avait le principe de sa sensibilité et do son mouvement dans la région de moelle d'où elle tire ses nerfs. Tant que la moelle reçoit du sang artériel, les actions réflexes s'opèrent avec énergie. Elles durent plus longtemps chez les animaux décapités dont le cœur bat encore pendant plusieurs heures, et surtout chez ceux dont la circulation est entretenue par la respiration artificielle que sur les animaux tués par hémorrha- gie ou asphyxiés. Elles cessent bientôt sur les sujets auxquels on lie l'aorte ; sur ceux dans les vaisseaux desquels on injecte des poudres capables de produire des embolies capillaires ; mais ici on a un eflet complexe : faible réaction de la moelle peu arrosée ; faibles contractions musculaires faute de sang artériel. Les actions réflexes s'exagèrent lorsque la susceptibilité de la moelle s'accroît, par exemple, lorsque la sensibilité générale s'exalte par le fait de douleurs vives, de plaies, d'opérations chirurgicales. C'est ainsi du moins, qu'on explique la réac- tion énergique qui provoque les contractions permanentes du tétanos, les con- tractions et les secousses de l'empoisonnement par la strychnine. Les plaies propres de la moelle donneraient lieu à une telle exagération de sa sensibilité ou de ses réactions qu'à la suite d'une lésion expérimentale, d'une section de fais- ceaux, l'excitation de quelques parties de la face pourrait faire naître, sur le cochon d'Inde, d'après M. Brown-Séquard, des convulsions épileptiformes; mais ce résultat est loin d'être constant. Je n'ai pu l'obtenir sur les grands animaux, et notamment sur un porc conservé pendant plusieurs mois après la section des cordons postérieurs de la moelle. Dans les conditions expérimentales, on exagère les phénomènes réflexes, sur le train postérieur, à mesure qu'on raccourcit le tronçon de moelle par lequel ils s'effectuent. Comment les phénomènes réflexes s'opèrent-ils dans la moelle et qu'elle en est la nature? On a fait dépendre d'un pouvoir perceptif, d'un pouvoir réflexe de la moelle les phénomènes dont il s'agit ; on les a quelquefois presque assimilés à des déter- minations instinctives, à des impulsions volontaires. Il ne serait pas difficile, si l'espace le permettait, de montrer que ces explications ne rendent compte d'au- cune particularité des actes dont on cherche la raison. Tout ce qu'on peut dire à ce sujet ne saurait actuellement dissiper l'obscurité qui enveloppe ces actions nerveuses avec toutes les autres. Il ftmt s'en tenir à rétud(! d(!S phénomènes, au point de vue de leurs conditions et de leurs caractères. Or, nous savons déjà PONCTIONS DK LV MOELLK Él'INIKUE. 1 TiJ quelle est la part des nerfs dans les actions réflexes ; ils reçoivent et transmettent les impressions à la moelle par leurs filets sensitifs : ils envoient aux parties les excitations motrices par leurs filets moteurs ; la moelle perçoit les impressions, sans que l'individu en ait conscience ; elle les perçoit dans une étendue plus ou moins considérable; elle excite le mouvement et disperse, irradie les irritations, probablement par sa substance grise, qui est essentiellement active, et dont la destruction supprime toute action réflexe. Rien ne démontre qu'il y ait, pour ces actions, un appareil spécial, comme le supjjosait Marshall-Hall, des filets inci- dents ou excitateurs provenant des racines supérieures pour portera la substance médullaire les impressions recueillies, et des filets réfléchis arrivant aux racines inférieures pour leur amener les incitations motrices dues à l'aclivitéde la moelle. Comme toutes les fibres sensiliveset motrices des nerfs vieimenf plonger dans la substance grise, elles peuvent parfaitement remplir l'office des fibres spéciales imaginées par le physiologiste anglais. Aussi est-il plus sage de dire, avec Millier : Les fibres sensitives apportent les impressions à la moelle qui réagit en vertu de son pouvoir spécial, et développe des excitations motrices (pie les racines infé- rieures conduisent au système musculaire. De ce que la moelle jouit de la faculté d'exciter des mouvements sans la parti- cipation de l'encéphale, il ne faudrait pas en conclure, avec certains auteurs, ((u'clle sent à sa manière les impressions extérieures, qu'elle ordonne des mou- vements réglés et calculés. Elle agit évidemment sans qu'elle ait et sans qu'elle donne à l'être conscience de ses opérations. Quoique la moelle ne forme qu'un organe simple, un organe dans lequel les irritations se dispersent et les réactions deviennent dilfuses, il s'y fait cependant des localisations, mal circonscrites sans doute, mais qui se traduisent aux yeux (le l'observateur attentif. D(\jà ses deux moitiés sont distinctes et fonctionnent presque indépendamment l'une de l'autre. Il s'y forme des départements qui se distinguent par les nerfs (pie chacun fournit, et surtout par les organes auxquels ces nerfs se rendent. Quand une faible irritation se produit, elle ne donne sou- vent lieu qu'à une réaction faible, limitée au côté d'où elle émane. Si elle est plus forte, la réaction s'étend à l'autre C()té, dans la région correspondant à celle d'où ririitation est partie. L'irradiation ne devient très étendue qu'iiutant quelle dérive d'une irritation très intense. La tendance n la formation de centres distincts se n'-alise dans l'expérience de Legallois, par la((uelle la moelle étant partagée en plusieurs segments, fait de chacun une sorte d'organe indépendant, exerçant ses actions réflexes, entretenant pour un instant la vie dans la partie ipii en reçoit ses nerfs. En eflél, lorsque la moelle est divisée en plusieurs tronçons successifs, chacun d'eux iragit pour {irovoquer des mouvements réflexes comme la moelle entière le fait dans les con- ditions ordinaires. L'irritation par piqûre ou par simple contact, soit d'un nerf, soit d'un inuscle ou même de la peau de l'un de ces tronçons, provocpie dans celui-ci et non dans les autres, des mouvements qui ont tous les caractères des réflexes. La moelle, sous ce rapport, est réellement une chaîne de noyaux réflexes comparable à la chaîne ganglionnaire des invertébrés. Aussi les physio- logistes iiiclinent-ils à faire des centres diiiiiervatiou, par exem|>le pour les mou- 174 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. vements de l'iris, pour l'action des organes génitaux ; ils appellent, d'après Budge et Waller, centre cilio-spinal, la portion de moelle comprise entre les premières paires cervicales et la sixième dorsale, portion qui influence les mouYements de l'iris par l'intermédiaire du lilet cervical du grand sympathique ; ils considèrent de même comme centre génito-spinal une portion lombaire de la moelle tenant sous sa dépendance les mouvements des dernières parties de l'intestin, de la vessie, des réservoirs séminaux, par l'intermédiaire des lilets lombaires du sym- pathique. Evidemment, ces déterminations sont fondées jusqu'à un i-ertain iioinl, mais il ne faut pas y attacher trop d'importance. V. — Action de la moelle sur différentes fonctions La moelle épinière, indépendamment de son rôle comme organe de transmis- sion et d'actions réflexes, est chargée d'exercer une certaine influence sur la loco- motion, sur les mouvements respiratoires, la circulation, la nutrition et les sécré- tions. Il faut voir en quoi elle consiste. L'influence que la moelle exerce sur les mouvements volontaires paraît se rattacher à une sorte de coordination comparable à celle du cervelet, coordination qui ne peut s'accomplir sans le concours de la sensibilité. C'est par celle-ci que l'animal juge de la régularité des mouvements, de leur association, de leur adap- tation plus ou moins parfaite au but à remplir. On conçoit donc que la suppres- sion de la sensibilité puisse jeter quelque trouble dans les actes locomoteurs. Van Deen a constaté, en effet, que la section des racines postérieures donne lieu à un désordre marqué dans les mouvements volontaires. Dans ce qu'on appelle l'ataxie locomotrice, il y a atrophie des faisceaux postérieurs delà moelle, et même souvent des racines sensitives qui en émanent ; aussi incline-t-on à considérer, d'après Todd, les cordons supérieurs comme chargés de coordonner les mouvements volon- taires, de lier les actions partielles de la moelle en action d'ensemble. Cette déduc- tion est peut-être un peu forcée. On constate, en efl'et, un désordre prononcé, sou- vent une irrégularité très notable des mouvements volontaires, comme je l'ai vu sur déjeunes taureaux et des béliers, à la suite delà section des cordons postérieurs et des racines correspondantes de quelques paires nerveuses ; mais il me semble que l'irrégularité observée tient, pour une grande part, aux troubles que la vivi- section apporte dans les fonctions de la moelle ; car souvent cette perturbation est déjà très grande, alors qu'on a seulement ouvert le canal vertébral et mis la moelle à découvert. L'infliuincc de la moelle épinière sur les mouvements respiratoires est incon- testablement mieux dessinée que la précédente. D'après Ch. Bell, elle s'explique- rait par le mode d'origine des nerfs qui règlent le mécanisme respiratoire, nerfs qui procéderaient, selon lui, du cordon latéral de la moelle. Nous verrons plus tard que l'origine des nerfs de la respiration est très compliquée et qu'elle est peu conciliable avec les idées émises, il y a [dus d'un demi-siècle, par le physiologiste anglais. Quoique la plupart des expérimentateurs s'accordent à dénier aux faisceaux latéraux de la uioelle l'olOce (pic leur iittrilniait, sans [)i'euves sutlisanles, (ili. Bell, FONCTIONS DE l\ MOELLE EPINIERE. l7o cet office ne me semble pas tout à fait fictif. Longet a constaté que la section dos cordons supérieurs et inférieurs de la moelle à la région du cou ne détermine pas de «êne sensible dans l;i respiration, comme si les mouNcments respiratoires, dans ce rprils ont d'auloniatique, ne dépendaient pas de ces cordons. De plus Schiir a vu, sur le chien, qu'après la section d'un cordon latéral de la moelle, l;i respiration est et demeure susfiendue de ce côté pendant plusieurs semaines. Il n'est pas invraisemblable, ainsi (pie le [)ense Longet, (pie les cordons latéraux tiennent sous leur dépendance les mouvements respiratoires, dans ce qu'ils ont d'involontaire, tandis que les cordons antérieurs les tiennent, dans certaines limites, sous l'empire de la volonté. La moelle a sur l'action du cœur et sur la circulation générale une iniluence propre qu'elle n'emprunte pas à d'autres parties du système nerveux. Le rà\e qu'elle joue ici, méconnu des anciens, a été signalé par Legallois. Cet expérimen- tateur a constaté que la destruction partielle de la moelle, soit à la région lom- baire, soit à la région dorsale ou à la cervicale, arrête la circulation, entraine la mort au bout de trois à quatre minutes, sans que l'insufflation puisse ranimer l'animal et que sa d(>strucfion totale arrête subitement l'action du cfpur. Aussi, d'après lui, le cœur puiserait dans Tensemble de la moelle le principe de ses forces, tandis (pie les autres parties emprunteraient leur vitalité à la seule partie d'où elles tirent leurs nerfs. L"inlhience de la moelle sur la circulation a été exagérée par Legallois. Aussi les idées de cet expérimentateur n'ont-elles pas été acceptées sans réserve. Plou- rens a observé qu'après la destruction de cet organe, la circulation s'entretient plus longtemps que ne l'avait dit lA'gallois; il a constaté, en outre, que la des- truction partielle de la moelle ralentit la circulation dans les parties correspon- dantes à la région lésée. Depuis, d'autres expérimentateurs, M. Brown-Séquard entre autres, ont vu des animaux survivre longtemps à la destruction de la moelle lombaire. On a même attaché tant d'importance à tpielques-uns des résultats de ce genre, qu'on a mis en doute l'inlluence de la moelle sur l'action du cœur : mais elle ne saurait être niée. Tous les physiologistes habitués aux recherches expérimentales ont pu la constater. Longet ayant décapité deux chiens a vu les battements du conir s'atTaiblir et cesser plus vite sur celui dont la moelle était détruite que sur l'autre. 11 est très facile de s'assurer que les irritations portées sur la moelle modilient très ra[iidement le rhythme des contractions du cœur; (juesa destruction, particulièrement dans la région dorsale, les all'aiblit très sen- siblement. Il est bien entendu que pour arriver à des résultats concluants, il faut opérer dans des conditions simplifiées et prendre des termes deconq)araison : d'une part, décapiter, par exem[)le, deux animaux de même espèce et de même âge, irriter sur run la moelle ('pinière, sur l'autre la laisser intacte : d'autre part entretenir la vie de deux animaux i)ar la respiration artificielle en laissant au premier la moelle intacte et en détruisant celle du second à l'aide d'un stylet. Si l'on ne prend pas ces termes de comparaison, si l'on ne détruit pas constamment les mêmes régions de la moelle et des régions de même étendue, on obtient des résultats divers, ambigus, au milieu desquels il est diflicile de séparer les elVets du trouble, de lu suspension des mouvements respiratoires 176 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. de ceux qui dérivent directement de l'action spéciale de la moelle sui- le cœur. Il est certain que, indépendamment de son influence générale sur la circulation, la moelle doit en exercer une partielle sur chaque région du corps ; la première, par toute sa masse, la seconde, par chacun de ses segments. Evidemment elle doit agir spécialement, comme le disait Flourens, sur les parties du corps aux- quelles elle donne des nerfs. Ainsi, la moelle dorsale doit exercer une influence plus directe sur le creur que la moelle lombaire, puisque la première donne les divisions qui s'anastomosent avec les filets et les ganglions destinés à cet organe, filets et ganglions qui servent d'intermédiaire entre elle et l'organe central de la circulation. En effet, H. et E. Gyon ont constaté qu'après l'extirpation des gan- glions cervicaux inférieurs et des premiers thoraciques les irritations portées sur la moelle épinière restent sans action sur le cœur. D'après Volkmann,la moelle épinière aurait aussi une influence très marquée sur l'action des cœurs lymphatiques des reptiles. Il les a vus cesser de battre chez les grenouilles par le fait de la destruction de la moelle épinière. Nous aurons, du reste, à revenir sur ces points au chapitre de la circulation. La moelle exerce sur la nutrition une influence incontestable qu'il est difficile de préciser ; elle l'exerce en partie directement, en partie par l'intermédiaire du cœur et de la circulation générale. Ce n'est que par les faits pathologiques qu'elle se décèle. On voit, dans les maladies de cet organe, la nutrition devenir languissante, principalement aux membres postérieurs, au point que, sur l'homme comme sur le chien, l'atrophie musculaire s'y produit, et donne lieu à un afl'ai- blissement considérable. Elle a encore, dit-on, une influence marquée sur les sécrétions ; car on a vu, par exemple, l'urine se modifier, devenir acide, et d'autres fois présenter une grande tendance au développement de l'ammoniaque lorsqu'elle est lésée ; mais on n'a pas suffisamment tenu compte du régime des animaux, de la fièvre qu'ils éprouvent lors des mutilations de la moelle, de l'abstinence à laquelle ces muti- lations les condamnent, toutes circonstances qui suffisent, par elles-mêmes, pour modifier la réaction et les caractères de l'urine. Au surplus, dans quelques cas, l'irritation traumatique de la moelle peut, comme Bellingeri l'a observé sur le mouton, s'étendre aux parties voisines, produire ainsi la péritonite, la néphrite, et donner lieu au trouble de l'urine, ou cette irritation, en rendant difficile la flexion des reins et pénible l'expulsion de l'urine, peut également entraîner quelques altérations de ce liquide. On ne sait pas bien jusqu'à quel point la moelle influence la sécrétion du sperme. On a vu des paraplégiques chez lesquels cette sécrétion s'était maintenue ; ou a même prétendu que les irritations de la moelle sollicilaieut des émissions spermatiques, accompagnées d'une érection plus ou moins prononcée. Chez les chevaux entiers que l'on tue par la section de la moelle à l'occiput, on observe presque toujours une abondante éjaculation coïncidant avec d'énergiques con- tractions des muscles abdominaux, avec des mouvements convulsifs du périnée, et un relâchement des sphincters ; mais cela arrive également lors des lésions de la moelle allongée et même pendant l'agonie des animaux qui succombent à l'efl'u- sion (lu sang. FONCTIONS DE LA MOELLE ÉPINIÉRE. 177 Il n'est pas non plus démontré que la moelle ait une influence spéciale sur la calorilication. Brown-Séquard et Schiffont bien vu la température s'élever dans les parties du côté correspondant à une hémisection de la moelle, et baisser du côté opposé. On a bien observé, en général, un abaissement de température dans les parties depuis longtemps paralysées à la suite de lésions médullaires; mais tout cela dérive, en apparence, des modifications éprouvées par la circulation ralentie et par la nutrition devenue languissante. Il est clair que les elFets immédiats des lésions ne doivent pas être identiques avec leurs effets plus ou moins éloignés, et que ces effets, quels qu'ils soient, doivent tenir surtout à des modifications imprimées tant à la circulation qu'aux actions chimiques, sources principales de la chaleur animale. Bien que le système musculaire de la vie organique reçoive la plupart de ses nerfs du grand sympathique, l'action de ce système n'est pas en dehors des influences de la moelle. Si une excitation vive de la moelle provoque des contrac- tions énergiques de l'intestin, de la vessie, par contre les maladies de cet organe qui produisent la paraplégie, entraînent une certaine atonie du tube digestif, de la vessie, la constipation et la rétention d'urine ; mais il faut se rappeler que ces deux effets ont, en grande partie, pour cause la paralysie plus ou moins marquée des puissances auxiliaires de la défécation et de l'émission de l'urine. Vl. — Mouvements de la moelle épinière. Nous avons vu plus haut que les mouvements de l'encéphale dus à l'influence de la respiration et des pulsations artérielles étaient très restreints, en raison de l'adaptation exacte du crâne sur l'encéphale. Ici les dispositions anatomi(jues sont très différentes. La moelle n'occupe pas, à beaucoup près, toute la capacité du canal vertébral, et si sa locomotion est restreinte, ce n'est pas faute d'espace. On a admis, depuis longtemjis, l'existence des déplacements de la moelle d'après l'hypothèse suivant laquelle la dure-mère éprouverait des mouvements plus ou moins étendus. Portai paraît, le premier, les avoir observés très nettement à la région cervicale d'un enfant affecté de spina-bifida; il a vu la moelle se soulever, se gonfler lors do l'expiration, et d'autant plus que cette expiration était plus profonde. Magendie les a constatés sur le chien, les enveloppes non ouvertes, à la région dorsale; mais d'autres expérimentateurs et Longet n'ont pas réussi cà les voir : aussi n'est-on pas bien fixé sur leur réalité ni sur leurs caracières spéciaux. , Il est clair, ce me semble, que ces mouvements doivent se produire dans cer- taines limites, et par suite des déplacements du liquide céphalo-rachidien et par le fait des mouvements respiratoires. Le liquide sous-arachnoïdien, si abondant chez les grands animaux, se déplace manifestement, surtout près de la tète et à la région loiid)aire, comme on peut s'en assurer en enlevant l'arc supérieur de l'atlas ou celui de (pielcpies-unesdes vertèbres des lombes, soit qu'on laisse les enveloppes intactes, soit qu'on incise la dure-mère et le feuillet externe de l'arachnoïde; il tend à fuir vers les parties déclives, à descendre vers la base du cou, lorsque la tète se relève, à passer vers r.. COLIN. — Physiol. comp., S"" édil. I — 1-2 178 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. les lombes, quand ou soulève le corps sur les membres abdominaux. On le voit alors s'accumuler dans ces points, distendre les enveloppes, acquérir une tension telle que si on les pique, il s'échappe en jet continu, souvent à une distance de plus d'un décimètre. On observe, dans ce cas, que le jet légèrement saccadé grandit dans l'expiration, faiblit dans l'inspiration. Une fois que la plus grande partie du liquide s'est écoulée, le jet devient intermittent, s'arrête au moment de l'inspiration, reprend avec l'expiration, surtout si elle devient profonde. Or, comme les enveloppes spinales reposent sur les sinus vertébraux, tandis qu'elles sont libres en baut, il est évident que l'affaissement et le soulèvement de ces sinus doivent donner lieu à un affaissement et à un soulèvement correspondants de la moelle et de ses enveloppes intactes. Ce soulèvement est difficile à voir sur les petits animaux, parfois môme tout à fait inappréciable, mais il devient très sen- sible sur les grands, tels que le taureau, la vache, que l'on maintient couchés el entravés. Si, dans ces conditions, on fait une petite incision à un sinus verté- bral, on voit le sang s'en échapper par saccades, isochrones avec l'expiration; il s'en écoule des quantités énormes, jusqu'à 300 à 350 grammes par minute, comme si l'on avait ouvert une veine volumineuse, la saphène, la mammaire. Lorsque la moelle est dénudée sur une assez grande longueur par suite de l'excision de la dure-mère et de l'arachnoïde, ses mouvements n'en deviennent que plus sensibles et plus étendus, et celase conçoit encore parfaitement, puisque, dans ce cas, elle s'applique sur les sinus, dont elle doit suivre le gonflement et l'affais- sement alternatifs. C'est dans de telles conditions, sur le taureau couché et même debout, que j'ai constaté très nettement les mouvements de la moelle, à savoir le soulèvement dans l'expiration, l'affaissement dans l'inspiration. Je les ai montrés plusieurs fois, dans mes leçons, sur les vaches maigres opérées debout où ils étaient plus prononcés que sur le chien et le mouton. Cependant, par instants, ces mouvements cessent d'une façon à peu près complète, comme Magendie l'avait fort bien dit, d'après ses observations sur le chien. Il est même des animaux de grande taille, où elles ne peuvent être nettement constatées : par exemple ceux qui ont les sinus veineux affaissés par suite d'hémorrhagies abondantes, et les sujets gras, dont les vides du canal vertébral sont remplis par les coussinets adipeux. Les mouvements de la moelle épinière me paraissent donc consister dans un soulèvement et un affaissement en masse qui éloignent et rapprochent alternati- vement cet organe du corps des vertèbres. Ils semblent résulter du gonfle- ment et de l'affaissement des sinus vertébraux par le fait des mouvements respi- ratoires. La moelle, prise en masse avec ses enveloppes, éprouve aussi des mouvements d'expansion et de retrait; mais ceux-ci sont partiels : il y a expansion dans les points où le liquide céphalo-rachidien afflue; il y a retrait dans ceux dont il s'éloigne. Ceux-ci sont d'une constatation facile sur les animaux qui ont le rachis ouvert; rien ne fait obstacle à ce qu'ils se produisent aussi dans les conditions physiologiques ordinaires. Quant aux secousses que la n)oelle [)ourrait é[irouv('r |iar le fuit de la systole de ses artères, elles sont insensibles. Ces artères sont troj) petites, trop ramifiées FONCTIONS Dh LA M0I:LLR ÉPINlÈEtE. 179 avant leur abord à l'organe i>ouiIui imprimer une impulsion marquée. Les dis- positions qui permettaient aux artères de soulever quelque peu les parties infé- rieures de Teneépliale font ici défaut. Voilà, succinctement, ce que Ton sait de plus certain sur les fonctions de la moelle épinière. Les propriétés et le rôle de cet organe une fois bien établis, il devient facile de s'ex[tliquer beaucoup de pbénomènes patliologiques, de déter- miner une lésion inconnue par les ellV'ls produits ou de prévoir les effets quand la lésion est i)récisée. Ainsi puisipiiine lésion, sur un point de sa longueur, entraîne la perle du sentiment ou du mouvement dans toutes les parties situées en arrière, l'étendue de la i»aralysie indiquera celle de la lésion ainsi (pie son commencement ou son point de départ. Y a-t-il seulement paralysie des membres postérieurs, c'est que la lésion ne commence qu'à partir de l'origine du plexus ou du renflement lombaire. Y a-t-il paralysie de tout le tronc et des membres antérieurs, c'est que la lésion est ou qu'elle débute en avant du plexus brachial. Y a-t-il une fracture de la colonne vertébrale dont il s'agit de déterminer le siège? S'il y a compression de la moelle, on verra à quel point commence la perte du sentiment et du mouvement : ce point même sera celui de la fracture. A-t-on affaire à une hémiplégie, il faudra en inférer la lésion d'une moitié latérale de l'organe ; et, comme celui-ci a une action en grande partie directe, sa partie malade sera du côté même de Thémiplégie. VIL — Influence de la circulation sur les fonctioks DES CENTRES NERVEUX. La substance n('iv(Mise, (jui jouit de propriétés si remarquables, ne peut déve- lopper son activiti' propre sans le concours du sang artériel. En s'anémiant, elle perd l'aptitude à fonctionner. Une expérience de A. Gooper le prouve d'une façon saisissante. Lorsque, après avoir lié les deux carotides à un lapin, on vient à comprimer les deux vertébrales, l'animal semble frapité d'apoplexie ; il tombe dans le coma, se [laralyse; la respiration s'embarrasse et ne tarde pas à se sus- pendre. Il revient à la vi{.' si Ton rétablit la liberté de la circulation cérébrale. On obtient le même résultat si, au lieu de lier ou de comprimer les artèi'es, on injecte dans la carotide, comme Flourens l'a imaginé, de la poudre de lycopode qui obstrue le système capillaire. L'anémie du bulbe rachidien donne lieu souvent, dans l'espèce humaine, à des syncopes qu'on fait cesser, suivant le conseil de Piorry, en mettant le malade dans une situation horizontale [)ropre à rétablir mécaniquement l'irrigation bulbaire. L'encéphale, qui reçoit son sang des deux carotides et des deux vertébrales, n'a pas sa circulation sensiblement entravée par la ligature de l'une de ces artères dont les divisions crâniennes sont anastomosées avec tant d'art. J'ai lié fort sou- vent l'une des deux carotides sur le cheval et divers animaux, sans jamais noter de trouble apparent dans les fonctions cérébrales ni dans celles qui en dépendent, ce que A. Coopei* avait déjà constaté sur le chien. Cependfint, sur l'homme, les chirurgiens ont vu cette opération donner lieu quelquefois à des accidents graves : le coma, le délire, les convulsions, unalTaiblissement de la vue, de l'intelligencej 180 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. une hémiplégie du côté de la ligature, le ramollissement cérébral et la mort. La ligature des deux carotides sur les animaux, quand elle est faite sans lésion des pneumogastriques et des récurrents, n'a pas ordinairement, au moins dans les premières heures ou les premiers jours qui la suivent, de conséquences fâ- cheuses. Celle des deux carotides et des deux vertébrales qui, d'après A. Gooper. produit le coma, des paralysies partielles, ne serait pas même, dit-on, mortelle sur tous les animaux. Ces résultats sont d'autant plus intéressants que dans les conditions patholo- giques, l'interception partielle de la circulation dans l'encéphale a des consé- quences très graves. 11 suffit, en effet, d'un petit caillot fibrineux formé sur place ou d'une embolie lancée par le cœur dans une division artérielle de l'encé- phale pour produire instantanément les accidents ordinaires de l'apoplexie, l'hémi- plégie, etc. S'il est facile de suspendre expérimentalement la circulation dans l'encéphale, il n'en est pas de même pour la moelle épinière. L'expérience de Sténon, qui con- siste à lier l'aorte au niveau des reins, ne peut entraver la circulation que dans la région lombaire de l'organe, sans la suspendre entièrement, à cause de la chaîne anastomotique que forment entre elles les petites artères spinales ; en outre, cette expérience qui arrête la circulation dans tout le train de derrière, et qui en para- lyse les muscles, ne permet pas d'isoler les effets produits sur la moelle de ceux qui se rapportent à l'appareil musculaire. Evidemment, si l'on pouvait anémier la moelle comme on anémie l'encéphale^ on éteindrait la sensibilité et le mouvement dans tout le corps, mais on laisserait subsister pendant quelque temps les actions réflexes, puisqu'elles continuent à s'effectuer, pendant plusieurs minutes, sur les animaux tués par hémorrhagie. Une particularité intéressante à noter ici, c'est que les centres nerveux, en cessant de fonctionner faute de sang, ne perdent pas, en même temps, l'apti- tude à agir ultérieurement si ce liquide leur est rendu. Les fonctions de la moelle lombaire, celles de l'encéphale se rétablissent parfaitement, et la paralysie se dis- sipe, quand, après la ligature momentanée des artères, les liens viennent à être enlevés. Quelques-unes des fonctions cérébrales renaissent même dans la tète séparée du tronc dès qu'on vient à y envoyer du sang artériel. M. Brown- Séquard a rendu l'expérience saisissante en injectant du sang artériel défibriné dans la carotide d'une tête séparée du tronc depuis huit à dix minutes. Il a ainsi ranimé les mouvements des yeux et des muscles de la face, CHAPITRE IV PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NERFS Dans l'unité du système nerveux, unité nécessaire à la subordination réci- proque des fonctions et ;i leurs relations diverses, il y a une dualité évidente de propriétés et d'actions. Les centres, l'encéphale et la moelle épinière ont des parties sensibles et des parties excitables, les premières formant l'appareil de la sensibilité, les secondes l'appareil du mouvement. PROPRIÉTÉS F.T FONCTIONS DES NERF.Î. ISl Déjà Galien avait reconnu que tous les nerfs n'ont ni les mêmes propriétés, ni les mêmes fonctions ; il avait distingué les nerfs du sentiment de ceux du mou- vement, et ceux-lù des nerfs mixtes jouissant à la fois des propriétés des deux premières espèces ; mais on peut dire que c'est seulement à compter des tra- vaux de Charles Bell, de Magendie, de Flourens, que ces distinctions impor- tantes ont été mises en évidence. Les nerfs, à quelque catégorie qu'ils appartiennent, sont constitués, comme nous l'avons rappelé antérieurement, par des libres très ténues, sinueuses, qui se composent d'une enveloppe celluleuse, d'une matière médullaire et d'un lilu- mentaxile. Ce lilament, ce cylindre de l'axe constitue l'élément essentiel du nerf; car c'est lui seul qui pénètre dans les centres nerveux pour s'associer à leuis propres éléments, et qui arrive aux dernières extrémités périphériques pour se mettre en contact avec les libres musculaires, avec les éléments des papilles, etc. Tous présentent les mêmes caractères, et anatomiquement rien ne différencie les diverses espèces de nerfs que leur origine : les mixtes ont tous une double racine, les sensitifs et les moteurs une racine simple. Les nerfs jouissent de deux propriétés très distinctes, la sensibilité et la motri- cité, qui leur sont inhérentes, (prils ne tirent ni de l'encéphale, ni de la moelle épi- nière, où ces propriétés existent également distinctes. Elles sont attachées isolé- ment à des nerfs différents, ou à des libres différentes des nerfs mixtes. Jamais elles ne se confondent, ou, en d'autres termes, jamais elles ne se réunissent sur la même libre. Les expériences les plus simples permettent de le constater. Lors- qu'on vient à piquer un nerf mixte, d'une part l'animal éprouve immédiatement une vive douleur, et, d'autre part les muscles auxquels le nerf se rend entrent en contraction. Cette simple iiritatton suflit pour montrer les deux pro[iriétés et le double rôle des nerfs: 1" la sensibilité ou la propriété de recevoir l'impression et de la transmettre aux centres perceptifs, encéphale ou moelle épinière; 2° l'excitabilité ou la propriété de provoquer le mouvement, la contraction du muscle, soit [)ar action directe sur ce muscle, soit par simple transmission au muscle d'une excitation des centres. La sensibilité ou la propriété de recevoir l'impression, et l'excitabilité ou la propriété de provoquer les contractions musculaires sont essentiellement dis- tinctes par elles-mêmes, parleurs caractères et leurs effets. Elles peuvent, jus- qu'à un certain point, être séparées artiliciellement, s'éteindre et renaître indé- pendamment l'une de l'autre. Sous l'influence du curare, dont l'action a été analysée avec soin par Claude Bernard', la sensibilité est conservée et la motricité abolie, les nerfs sensitifs continuent à agir pendant que les nerfs moteurs sont paralysés; dans le nerf mixte, la sensibilité est laissée intacte pendant que la motricité est détruite. L'ac- tion du poison ne porte que sur le nerf ; car si l'on irrite directement le muscle, il se contracte alors (pie l'irritation portée sur le nerf demeure sans effet. En réduisant le champ de cette action au corps et au train antérieur par la ligature de l'aorte abdominale, on voit les membres postérieurs conserver leurs mouve- 1. Cl. Bernard, Leçons sur les effets des substances toxiques. Paris, 1857. 182 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. ments et les nerfs de ces membres leur excitabilité ; car, soit qu'on les irrite directement, soit qu'on [torte l'irritation sur un point quelconque du corps demeuré partout sensible, le train de derrière exécute des mouvements très étendus. Quelques grammes d'une buile essentielle injectée dans l'artère cru- rale abolissent aussi la motricité dans les membres postérieurs et y laissent la sensibilité. D'autre part, l'injection de la poudre de lycopode dans l'artère cru- rale, rend, comme Flourens l'a vu, le sciatique insensible aux irritations, tout en lui laissant la faculté d'exciter les contractions musculaires. On explique, il est vrai, ce dernier résultat en disant que c'est sur la moelle que la poudre a agi en lui faisant perdre l'aptitude à percevoir les impressions sensitives. La sensibilité et Texcitabilité ne sont point attachées au nerf quel qu'il soit; elles sont subordonnées à un état de ce nerf, qui se moditie rapidement sous l'in- fluence d'un travail d'irritation, d'une section, etc. Quand un nerf mixte est coupé, le bout central conserve sa sensibilité, et le bout périphérique son excita- bilité. Mais, au bout de quatre jours, d'après les recherches précises de Longet, l'excitabilité est perdue dans l'extrémité périphérique, et la sensibilité l'est éga- lement dans le bout central, d'après celles de M. Schiff. On peut, passé ce délai, irriter le premier sans produire de contractions, et le second sans déterminer de douleur. L'excitabilité s'éteint de proche en proche; elle est éteinte dans le tronc alors qu'elle persiste dans les rameaux. D'ailleurs, dans l'ensemble du système ner- veux, son extinction a lieu suivant le même ordre, d'abord dans l'encéphale, puis dans la moelle, enfin dans les nerfs. L'extinction de la sensibilité se fait suivant l'ordre inverse : d'abord dans les extrémités, puis dans les gros nerfs, enfin dans les centres nerveux. La perte de ces propriétés résulte, comme l'ont fait voir les très intéressantes recherches de "Waller, de modifications dans l'état anatomique du nerf. Les bords des fibres deviennent moins nets, la matière médullaire se segmente en goutelettes et en granules qui se résorbent; les fibres se rapetissent, le nerf perd sa teinte blanche et devient plus ou moins jaune ou grisâtre. Ces modifications ne sont pas encore appréciables lorsque la sensibilité et l'excitabi- lité viennent de s'éteindre ; mais on peut déjà les constater sept à huit jours après une section. Ce qui prouve bien que la sensibilité et l'excitabilité sont liées à l'état anato- mique normal du nerf, c'est que si l'altération disparaît, si le cordon reprend dans une partie ou dans la totalité de ses fibres son état initial, il récupère ses propriétés. Or, les recherches de MM. Philipeaux et Vulpian ' ont prouvé que le bout périphérique d'un nerf, quoiqu'on le laisse toujours séparé de son bout cen trai, revient à son état normal, après avoir éprouvé la dégénérescence dont nous venons de parler: il se restaure ou se régénère spontanément, par ses propres forces, et alors il recouvre la propriété de provoquer des contractions muscu- laires sous l'influence des excitations physiques ou galvaniques. La sensibilité et la motricité sont donc dans le nerf, comme dans les parties centrales du système nerveux, des propriétés bien caractérisées, très distinctes. Elles sont séparées dans les nerfs à une seule racine; séparées encore, quoique 1. Philipeaux et Vulpian, Comptes rendus de '.'Académie des sciences, 1859, p. 587, t.XLIX. PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NEHFS. 1 bii en apparence réunies dans les neils mixtes; elles ne se confondentjamais ni à l'origine, ni dans le trajet, ni ;\ la terminaison des neiis. Leur séparation a lieu dès l'origine par l'isolement des racines, et elle se maintient à l'endroit de la jonction de ces racines comme dans toute l'étendue du cordon. On démontre aisé- ment qu'elles ne se confondent point. En coupant les racines supérieures, on prive le nerf de sa sensibilité; en coupant les inférieures, on luiôte sa motricité; on fait alors ce que la nature effectue elle-même dans les nerfs à simple racine. Ces deux propriétés s'isolent encore par l'action de divers agents et de divers troubles pathologiques : l'une peut s'éteindre pendant que l'autre subsiste ; et à la suite des divisions artiticielles, lorsque la régénération se fait régulièrement, la sensibilité peut reparaître dans le nerf avant la motricité. Les nerfs, quelles que soient leurs propriétés, sensibilité ou excitabilité, doivent conduire ou transmettre les impressions ou les excitations qu'ils reçoivent. Ce sont de véritables conducteurs. L'irritation |)roduite sur le nerf mixte met en évidence son double nMe de con- duction. Les libres sensitives transmettent l'impression qu'elles reçoivent, delà périphérie au centre,, les fibres motrices propagent l'excitation, la stimulation, du centre à la périphérie. Si on coupe le nerf en travers, l'oflice de conduction cesse en partie; le conducteur brisé n'agit plus que d'une façon incomplète. L'ir- ritation produite alors sur le segment périphérique ne peut point arriver aux centres; elle n'est |)as perçue, mais, au contraire, l'irritation produite sur le segment qui tient aux centres est transmise à ceux-ci : la sensibilité est mani- festée par la douleur ressentie. Dans le même cas, Tirritation portée sur le bout périphérique du nerf n'est i>as suivie d'une réaction générale, puisque les centres n'ayant {)as reçu l'imiu'ession n'ont pas été sollicités à réagir sur l'ensemble du système musculaire ; elle est suivie seulement de quelques contractions dans le muscle où le nerf se rend. Mais cette iriitation, si elle est portée sur le bout cen- tral, arrivant à l'encéphale ou à la moelle, provoque les réactions ordinaires. Si, au lieu de diviser le nerf transversalement, on se contente d'y appliquer une liga- ture très serrée, les elfets seront absolument les mêmes; le lien empêchera les impressions d'aller de la périphérie vers le centre cérébro-spinal, et les volitions ou les excitations de se propager du centre vers la périphérie. Enlin, si on ap- plique, comme l'a fait Flourens, deux ligatures assez éloignées l'une de l'autre, de manière à intercepter une certaine étendue du trajet du nerf, l'irrilation de la partie comprise entre les deux liens ne iiroduitaucunelVet, ni douleur, ni contrac- tion, puisque cette [lartie est à la fois séparée du centre d'où vient le nerf et du muscle auquel il se rend; mais en excitant, soit l'extrémité qui tient à la moelle, soit celle qui tient aux muscles, on produit là de la douleur, ici des contractions. Si, après les hérique, on observe, d'après MM. Phi- lipeaux} et Vulpian, que les irritations portées, soit sur le segment lingual, soit sur le segment hypoglosse du nouveau nerf, produisent tout à la fois et des con- tractions de la langue et de la douleur, comme si des impressions sensili\es pou- vaient être conduites par les libres motrices, et les excitations motrices par les fibres sensitives, les unes et les autres aussi bien du côté de l'encéphale que du côté des muscles. Ces résultats vraiment curieux ne peuvent-ils recevoir une autre interpréta- tion? Est-il admissible: 1° que l'excitation portée sur le segment lingual marche dans ce segment comme impression sensitive dirigée vers l'encéphale, et passe, en même temps, dans le segment d'hypoglosse à titre d'incitation motrice se pro- pageant vers les muscles; 2° que l'excitation portée sur le segment d'hypoglosse y soit reçue à titre d'impression douloureuse qui se dirige ver-s le cerveau, et à titre d'incitation motrice portée vers les muscles? Je ne le pense pas, jusqu'à plus ample démonstration ; car une explication toute naturelle de ces faits se présente. Il y a, comme on sait, dans le lingual de la cinquième paire quelques fibres motrices du facial, et dans l'hypoglosse quelques fibres sensitives du lin- gual, si bien que dans les expériences rapjtelées ci-dessus, les deux nerfs soudés sont mixtes en certaine proportion. Or, les choses peuvent sy passer absolu- ment comme dans les cas de réunion dos deux bouts d'un nerf rachidien, cas dans lesquels l'irritation produite, soit au-dessus, soit au-dessous de la cica- trice, détermine en même temps de la douleur et des contractions musculaires. En effet, dans des expériences plus récentes, M. Vulpian ^ a reconnu qu'après la section de la corde du tympan, qui donne des fibres motrices au lingual de la cinquième paire, on ne fait plus passer d'excitations motrices du bout supérieur du lingual au bout inférieur de l'hypoglosse soudés entre eux. Ce qui arrive quand on a soudé le pneumogastrique avec l'hypoglosse ne paraît guère plus concluant; car ici on a uni un nerf mixte avec un nerf moteur pourvu de quelques fibres sensitives. Si on irrite le bout central du pneumogastrique uni au bout périphérique de l'hypoglosse, les mouvements produits dans la langue ne le sont-ils pas par une excitation qui passe naturellement des fibres motrices du premier dans les fibres motrices du second. Si on ralentit les mouvements du cœur en galvanisant le bout central de l'hypoglosse uni au bout périphérique du vague, n'est-ce pas encore en faisant passer l'électricité des libres motrices de l'un dans celles de l'autre, et toujours suivant la direction ordinaire. Dans tout cela, on ne voit pas, d'une manière incontestable, que les impressions passent du nerf sensitif dans le nerf moteur, ni les excitations motrices du second dans le premier; il n'y a pas là une preuve irréfutable que les unes et les autres marchent à la fois vers les centres et vers la périphérie. 1. Vulpian, Archives de phi/sioloyie, t. III, 1873. 186 DE? FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. Quant aux expériences dans lesquelles on a vu, quelques jours après la section de l'hypoglosse et l'arrachement de son bout central, le nerf lingual irrité provo- quer des contractions, comme s'il était devenu nerf moteur, elles méritent cer- tainement confirmation; car on ne conçoit pas bien comment ce lingual, qui est destiné surtout à la muqueuse va agir sur les muscles, et l'on ne voit guère com- ment il peut agir sur les fibres musculaires sans se mettre avec elles en rapport, comme les nerfs moteurs, par l'intermédiaire de plaques terminales. D'ailleurs, en opérant sur des nerfs si rapprochés, qui ont inévitablement un certain nombre de fibres mêlées, on est très exposé à agir sur des cordons mixtes dans cer- taines proportions, alors qu'on s'imagine avoir affaire à des nerfs purement sen- sitifs ou purement moteurs. En outre, on aurait besoin de constater la transfor- mation des rôles par des actes fonctionnels spontanés, de voir les volitions arriver à un nerf moteur en passant par un sensitif, et les impressions sensitives par- venir aux centres par l'intermédiaire d'un nerf moteur, etc. Or, c'est ce qui, jusqu'à ce jour, n'a pas été observé. Est-ce en vertu d'une constitution spéciale, de propriétés attachées au nerf, à la fibre, que tel nerf peut conduire seulement les impressions sensitives, tel autre les excitations; que dans l'un, les courants peuvent marcher vers le centre, et dans l'autre vers la périphérie ; ou bien est-ce en raison des connexions que les extrémités ont avec les parties des centres aptes à recevoir les impressions, et avec les parties de la périphérie capables de se mouvoir ? Cette dernière inter- prétation paraît la plus probable. En effet, il semble que si les impressions produites sur le nerf sensitif arrivent aux centres, c'est que le nerf y aboutit, précisément aux parties, aux éléments aptes à les percevoir; que si les excitations motrices sont sans action sur le même nerf, c'est qu'il n'est pas en rapport, à son origine, avec les éléments d'où émanent ces excitations, et qu'il ne se rend pas aux éléments musculaires, les seuls capables de répondre à l'excitation motrice. De même, il semble que si les im- pressions sensitives sont sans action sur le nerf moteur, c'est qu'il n'a pas de connexion avec les éléments des centres chargés de percevoir ces impressions. Enfin, s'il excite les contractions, c'est qu'il est en rapport, à son origine, avec le point de départ des volitions, et qu'il se termine au contact des fibres muscu- laires. Dans tous les cas, les dispositions sont prises pour qu'il n'y ait pas de confusion entre les deux rôles de conduction du nerf, pour que certaines fibres transmettent seulement les impressions et d'autres seulement les excitations mo- trices , pour que le courant des premières soit centripète et le courant des secondes centrifuge. Conséquemmenl, la nature évite avec soin les combinaisons iinli[)Iiysi()Iogiqu('s ([ne divers expériineiitiiti'urs choirlient à réaliser. Ilicn ne j)rouve donc péremptoirement, jusqu'ici, que les nerfs soient parcourus dans tous les sens par les excitations motrices et les impressions sensitives. Tout, au contraire, indique que, au moins dans les conditions physiologiques normales, les inq)ressions s'y propagent seulement de la périphérie au centre, et les incita- tions motrices du centre à la périphérie ; mais ils ne sont pas de simples (ils télé- graphiques, de simph's agents de conduction. Sans être analogues aux centres, ils ont une activité propre. Le nerf sensitif reçoit l'impression avant de la trans- , PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NERFS. 1 i^7 mettre ; le nerf moteur, qui met en mouvement les nmscles par suite d'une exci- tation des centres, les luit aussi se contracter en dehors de leur iniluence, et par lui-même quand il est irrité en un point quelconque de son trajet. Quelles que soient les propriétés du nerf, que ce nerf soit moteur, sensitif ou mixte, chacune de ses lii)res constitue réellement un nerf agissant inch'-pcndaunnenl de toutes les autres fibres, pour son propre compte, comme si elle était complète- ment isolée. Il en résulte (|ue les parties animées par les libres d'un même nerf ne sont pas moins indépendantes les unes des autres, sous le rapport fonctionnel, (|ue si elles recevaient des nerfs distincts et de source différente; aussi voit-on les nerfs moteurs se rendre à la fois dans plusieurs nmscles antagonistes, comme dans des muscles congénères. Si cette indépendance n'existait pas, comment la volonté pourrait-elle agir sur qui^lques muscles, parmi ceux aux([U('ls le même nerf envoie des lilets? Le même n(M-f, comme la branche inférieure du trilacial, pourrait-il se rendre aux muscles qui rapprochent et à ceux qui écartent les mâ- choires, le facial aux nmscles qui ouvrent et à ceux qui ferment la bouche? Si l'isolement fonctionnel n'avait pas lieu, comment, en galvanisant un faisceau d'un tronc nerveux, ne ferait-on contracter que les seuls muscles où se distribuent les fibres de ce faisceau? 11 persiste jusque dans les maladies. Un nerf d'un certain volume ne montre-t-il pas souvent quelques libres dégénérées, ayant perdu leurs contours nets, leur myéline au milieu d'autres libres demeurées saines, comme on le voit dans les paralysies locales du cheval, notamment dans celles du fémoral antérieur qui sont très communes. Les coupes transverses teintes au carmin per- mettent alors de compter les fibres altérées parmi les fibres demeurées intactes. Conséquemment, les anastomoses entre les nerfs sont de simples accolements de faisceaux ou de fibres laissant les actions nerveuses aussi distinctes que si les nerfs demeuraient isolés. L — Transmission des impressions sensitives et des excitations MOTRICES. Nous avons dit, il y a un instant, que les courants dans les nerfs sensitifs avaient lieu de la périphérie ou du point irrité vers l'encéphale, qu'ainsi le nerf sensitif étant divisé en travers, l'irritation portée sur le segment périphérique n'est plus'perçue, tandis que celle qui est exercée sur le segment rentrai continue à l'être, comme si le nerf était intact. Quelques faits sembleraient indiquer que l'impression reçue par le nerf marche également vers la périphérie et vers le centre. En effet, si l'on comprime un nerf superficiel, le cubital par exemple, on é|»rouve de la douleur dans les parties de la main et dans les doigts auxquels ce nerf se distribue. Mais cela prouve-t-il incontestablement que l'impression perçue se transmet dans tous les sens à la fois? Nullement, à mon sens. Il y a proba- blement là un retentissement de l'inqiression (|ui produit une illusion du genre de celles qu'éprouvent les amputés rapportant l'opération, la douleur, non au point où le nerf est divisé, mais aux parties dans lesquelles il se ramifie, comme plus tard, même au bout de jdusieurs années, ils rapportent les douleurs du 188 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. moignon, les douleurs rhumatismales au bras, à la main, aux doigts qu'ils n'ont plus. Les excitations motrices partent les unes des centres nerveux, les autres de différents points des nerfs. Leur départ est croisé dans l'encéphale (lobes céré- braux, tubercules quadrijumeaux, bulbe rachidien); il est direct, au moins en grande partie, dans la moelle épinière. Ces excitations se propagent du centre à la périphérie, ou du point irrité vers les terminaisons du nerf. Elles ne se dévient pas, ni ne suivent une marche rétrograde. Aussi, quand une irritation est portée sur un nerf moteur, elle n'a d'effet que sur les muscles qui reçoivent leurs fdets au-dessous du point irrité. L'expérimentation prouve que, dans cette transmission, les fibres agissent indé- pendamment les unes des autres. L'irritation d'un seul faisceau, dans un tronc nerveux, ne fait point contracter tous les muscles animés par le tronc entier. L'incitation motrice ne passe point d'un nerf dans un autre par les anastomoses : aussi les branches qui proviennent d'un plexus restent ausSi indépendantes que si elles étaient isolées ; elles ne peuvent point se suppléer comme l'avait cru Panizza. La section de l'une ne paralyse que certains muscles, et laisse intacte l'action des autres ; de même la 1-ésion, l'atrophie d'une branche ou d'un tronc nerveux n'a aucune influence sur l'action des autres nerfs qui dérivent du même plexus. L'action de la volonté produit cet isolement. L'excitation volitionnelle suit telles parties, ou telles fibres du nerf, celles qui doivent mettre en jeu le muscle capable d'effectuer le mouvement voulu. Sans un démêlement, une répartition précise, des excitations, beaucoup de mouvements ne pourraient se produire isolément, par exemple dans le cas assez commun où le même nerf anime des muscles antagonistes. Lorsque l'isolement des excitations ne se fait pas d'une manière complète, il y a des associations de mouvements comme celles des doigts, associations que la volonté ne rompt pas sans beaucoup de peine et une longue habitude. La propagation des incitations motrices dans les nerfs est entravée par la com- pression, par la ligature, par les contusions même très circonscrites, par les alté- rations microscopiques des tubes nerveux ; elle est arrêtée par l'action de divers agents, par le curare, dont nous avons déjà rappelé les effets sur les propriétés des nerfs. La vitesse de transmission des excitations motrices est extrême. Dès qu'un mouvement est sollicité par la volonté, il est exécuté. Il n'y a pas, dans les expé- riences, d'intervalle appréciable entre l'irritation de l'origine du sciatique et la contraction des muscles de la jambe ou du pied. Cependant Helmholtz, en em- ployant les méthodes usitées pour mesurer la vitesse des projectiles d'armes à feu, est arrivé à constater que celle des excitations motrices ne dépasse pas 27 mètres par seconde ; aussi a-t-il pu noter, en fractions de secondes, les diffé- rences entre les temps employés par une excitation pour arriver à un muscle, suivant qu'elle est portée à l'origine ou à la terminaison du nerf. Il a pu égale- ment s'assurer que les excitations marchaient plus vite dans les nerfs de l'homme que dans ceux de la grenouille, plus vite dans ceu\-ci à une haute qu'à une PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NERFS. 189 basse température. D'autres expérimentateurs ont cherché à mesurer la vitesse de transmission des impressions sonsilives. Hirsch a trouvé cette dernière de 31 mètres par seconde chez l'homme, M. Marey de 30 mètres chez la grenouille et M. Bloch de 132 à 194 mètres. II. — Action des agents physiques et chimiques sur les nerfs. Les nerfs qui doivent entrer en fonction, consécutivement aune foule d'excita- tions internes et externes, sont impressionnés par la plupart des agents méca- niques, physiques et chimiques. Les impressions qu'ils reçoivent ont pour résultat des sensations diverses et des niouvements. Le contact d'un corps solide ou liquide, le frottement, la compression, le pince- ment, le tiraillement, la division, la dilacération des libres nerveuses, causent des douleurs plus ou moins vives dans les nerfs de sensibilité générale, aucune douleur dans les nerfs de]sensil)ilité spéciale. Mais ces excitations donnent lieu à des sen- sations de lumière dans le nerf optique, de bruit dans le nerf acoustique. Elles provoquent dans les nerfs moteurs et dans les mixtes des contractions muscu- laires. La température, la chaleur ou le froid agissant sur les nerfs dénudés donnent également lieu à des sensations et à des contractions musculaires. Sous l'influence de la dessiccation, une portion de nerf perd son excitabilité; elle la recouvre en reprenant son humidité. La plupart des substances chimiques solubles qui pénètrent le tissu des nerfs, et qui tendent à le modilicr ou à l'aitérer, donnent lieu à des impressions plus ou moins douloureuses et à des mouvements. Les alcalis, l'acide arsénieux, les acides concentrés, l'émétique, l'alcool, le chlore, la bile, les sels de la bile, la glycérine, produisent des contractions plus ou moins énergiques. Le chlorure de sodium en solution concentrée en détermine de semblables; il n'a pas d'action, s'il est en solution faible. L'eau pure dans laquelle on plonge partiellement un nerf lui fait perdre son excitabilité, d'après Kœlliker, excitabilité qu'on lui restitue en le plon- geant dans une solution faible de phosphate de soude. Mais, d"a]>rès les observa- tions de A. de Humboldlet celles de W, Kiihne', tous les agents chimiques éner- giques ne produiraient pas, comme on pourrait le supposer, d'action marquée : l'ammoniaque, l'acide oxalique, divers sels minéraux, le chlorure d'antimoine, le sublimé, se distingueraient par la nullité de leurs effets sur le tissu nerveux. Les agents thérapeutiques sont ceux qui exercent sur les nerfs l'action la plus remarquable: l'éther, la strychnine, le curare, etc. L'éther, d'après les recherches de Longet, dirigé sous forme de jet de vapeur sur le sciatique, après avoir excité quelques légères convulsions, rend insensible le nerf au point où le jet est reçu et dans toutes les parties situées en dessous, mais ne lui ùte ni la faculté de conduire les incitations motrices volontaires, ni son excitabilité. Un courant électrique appliqué alors au nerf ne détermine pas de dou- leur et suscite des contractions que, d'ailleurs, la volonté peut elle-même provoquer 1. Kûhne, Comptes t-eitfius di' l'Acadcmie des sciences,'21 février et 7 mars 1859. 190 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. seule, si l'on excite l'animal en un autre point du corps. Après une action très intense de l'éther, le nerf insensible cesse de conduire les excitations motrices volontaires, tout en demeurant excitable par le galvanisme ; enfin après douze ou quinze minutes d'étbérisation, il perd tout à la fois sa sensibilité, sa faculté de conduire les excitations volontaires, et même son excitabilité propre. Cette anes- Ihésie graduée, qui dépouille progressivement le nerf de ses propriétés et de ses fonctions, ne le frappe qu"à compter du point soumis à l'action de l'étber. Au- dessus de ce point il les conserve dans toute leur intégrité. D'après le même observateur, plusieurs des eifets de l'éther peuvent être produits par le froid, la chaleur, l'opium, l'alcool et par des ligatui:es plus ou moins serrées.. Le curare, dont l'action a été si bien étudiée par Cl. Bernard ', produit d'au- tres effets : 1° Introduit en petite quantité sous la peau d'une grenouille, il la fait, au bout de quelques minutes, tomber dans une immobilité complète accompagnée de la suspension des mouvements respiratoires. Les irritations produites alors en un point quelconque du corps ne déterminent pas de mouvements ni de réac- tion apparente contre la douleur, quoique en réalité la sensibilité soit conservée. 2° Déposé dans le tissu cellulaire d'une autre grenouille après la ligature de l'aorte qui lui ferme l'accès du train postérieur, le poison ne produit d'effet que sur le train de devant. On voit alors, en irritant un point de la tête ou des mem- bres thoraciques, que le train antérieur est complètement paralysé, tandis que le train de derrière s'agite consécutivement à la douleur ou à l'impression pro- duite sur la partie privée de mouvement. En mettant à découvert un des sciatiques sur un animal empoisonné par le curare, on peut s'assurer que les excitations portées sur ce nerf ne provoquent pas de contractions musculaires, tandis que celles qui agissent directement sur le muscle en produisent d'énergiques. Enlin, en administrant de la strychnine à un animal paralysé par le curare, on lui donne des convulsions comme s'il se trouvait dans les conditions ordinaires. Les expé- riences les plus variées faites de divers côtés sur ce poison prouvent, en somme, qu'il agit sur les nerfs moteurs non sur les nerfs sensitifs, qu'il fait perdre aux nerfs la motricité volontaire et l'irritabilité, tout en laissant subsister la sensibilité générale, les facultés sensitive et motrice de la moelle ainsi que contractilité musculaire : le nerf alors est privé de son pouvoir sur le muscle, mais le muscle conserve son activité propre, la faculté de se contracter sous l'inlluence d'une irritation quelconque exercée sur son tissu. D'après quelques études encore incomplètes, la conicine, la nicotine, feraient perdre aux nerfs leur motricité sans porter atteinte à leur sensibilité, et en lais- sant i»arfaitement intacte la contractilité musculaire. 111. — Action de l'électricité sur les nerfs. L'électricité agit sur les nerfs à la manière d'un excitant (rès énergique, dont les effets, au lieu de s'exercer sur un point, comme ceux des stimulants ordinaires, 1. Pelouze et Cl. Bernard, Comptes rendus de V Académie des sciences, 1850, t. XXXf, p. 533. PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NERFS. 191 s'exercent |»ai' riiitcriiiédiaire des courants sur une grande étendue et ordinaire- ment sur la totalité des cordons nerveux. L'action de Télectricité dynamique \arie suivant qu'elle porte sur les nerls mixtes, moteurs ou sensitifs, et suivant qu'on fait passer dans les nerfs des courants continus ou intermittt'nts, directs ou inverses. Les premiers s'obtiennent à l'aide de piles ordinaires, les seconds au moyen d'instruments plus ou moins compliqués. Lorsqu'on met en rapport le pôle |)osilird"un(' pile avec l'origine du sciatique, et le pôle négatif avec un autre point voisin de l'extrémité [léripln-rique du même nerf, le courant continu a lieu de l'origine vers la terminaison du nerf, puisque dans tous les cas où les deux pôles de la pile sont mis en communication entre eux par un corps conducteur, le courant marche du pôle positif au négatif. Ce courant appelé direct a donc lieu des centres vers la péri[)hérie. Au contraire lorsque c'est le pôle négatif (pii est en rapport avec l'origine du nerf et le positif, avec l'extré- mité péripliéri(iLie le courant marche de la périphérie vers les centres nerveux, c'est un courant «?yerse. Or,dans les deux cas, on observe ce qui suit d'après Longet et Matteucci ^ : à la |)remière péiiode de l'électrisation, si le courant est un peu foj't, il y a des contractions dans les muscles, qui sont animés par le nerf irrité: puis à k seconde, les contractions cessent. Elles reparaissent, lorsque le courant recommence a[)rès une interru[>tion s'il est direct ou lorsqu'il s'interrompt s'il est inverse; en d'autres termes il y a, d'après ces expérimentateurs, des contrac- tions au moment de la fermeture du circuit dans les courants directs et de son ouverture dans les courants inverses. Mais Cl. Bernard ' a contesté ces résultats ; il a observé, que dans les nerfs mixtes comme dans les nerfs moteurs dont l'irri- tabilité est intacte, les contractions se montrent toujours à la fermeture du circuit, que les courants soient directs ou qu'ils soient inverses. Les courants directs, ceux qui, dans les nerfs moteurs ou mixtes, marchent sui- vant le sens des incitations motrices provoquent toujours des contractions plus énergiques que les courants inverses. Ces courants directs affaiblissent d'abord puis éteignent l'excitabilité du nerf. Il en résulte que, au bout de peu de temps, on n'obtient plus de contractions, soit qu'on ferme, soit qu'on ouvre le circuit. Ils l'éteignent dans les portions parcourues par l'électricité et la laissent subsis- ter dans les autres ; aussi, si le courant n'a passé que dans le tronc du nerf, l'excitabilité ne se perd que là et se conserve intacte dans les divisions terminales. Les courants intermittents ou interrompus alfaiblissent beaucoup plus l'exci- tabilité et en privent plus vite le nerf que les courants contraires. Le nerf qui a [>erdu son excitabilité par l'action d'un courant peut la recouvrer, soit par le repos, soit mieux encore par un courant inverse au premier. Les courants inverses ou ceux qui marchent vers les centres, en sens opposé aux incitations motrices, altèrent moins l'excitabilité du nerf; ils l'exaltent même, d'après les observations de Matteucci, au point qu après le passage d'un courant pendant trois à (juatre heures dans un cordon mixte, il se produit de violentes 1. Matlpucci et Longet, Comptes rrndux de VAcndémie dex sciences, sept. 1844. 2. Cl. Bernard, Leçons sur la physiologie et la pathologie du système nerveux, t. 1, Paris, 1858. 192 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. contractions lors de l'interruption ou de l'ouverture du circuit. Néanmoins à la longue ce courant anéantit comme l'autre l'excitabilité. Tous ces courants, continus ou intermittents, directs ou inverses, passent à travers les ligatures qui arrêtent, comme on le sait, la transmission des impres- sions sensitives et des excitations motrices. Longet et Matteucci, à qui la physiologie doit de belles recherches sur ce point, ont soumis séparément les racines supérieures, les racines inférieures comme les faisceaux correspondants de la moelle à l'action des courants. Ils ont obtenu les résultats suivants : 1° lorsqu'un cour'knt passe par une racine antérieure divisée ou tenant encore à la moelle, les contractions musculaires après s'être effectuées avec quelque confusion, <\ n'ont plus lieu qu'au commencement de ce courant s'il est inverse et à son interruption s'il est direct ; » c'est par conséquent le contraire de ce qui arrive quand le courant passe dans le nerf mixte à compter des gan- glions spinaux; 2° quand le courant passe, soit par les faisceaux antérieurs, soit par les faisceaux latéraux de la moelle, les contractions surviennent dans les muscles du train postérieur encore au commencement du courant inverse et à l'interruption du courant direct, absolument comme dans le cas précédent ; 3" si les courants direct ou inverse sont appliqués après la cessation de tout phéno- mène réflexe aux cordons sensitifs ou aux racines supérieures séparées de la moelle, ils ne donnent pas lieu à la moindre contraction. Les courants électriques qui ne provoquent de contractions qu'en passant par les nerfs moteurs ou mixtes, agissent simplement comme des excitants ordinaires. L'électricité, suivant la remarque très judicieuse de Longet, n'est pas la cause immédiate de la contraction ; elle ne fait que mettre en jeu la force nerveuse : aussi quand le nerf a perdu son excitabilité, quelques jours après avoir été coupé, les courants électriques le parcourent bien, mais en vain ; ils ne déterminent plus aucune contraction. Cette démonstration donnée par le savant physiologiste est irréfutable. Sur les nerfs sensitifs, les racines supérieures, les cordons supérieurs de la moelle épinière, les effets des courants électriques diffèrent de ceux que nous venons d'indiquer. D'après les expériences de Longet, lorsqu'un courant passe par les faisceaux sensitifs du segment caudal de la moelle coupée en travers, il ne détermine aucune contraction dans le train postérieur, il n'en produit pas d'avantage en passant par les racines sensitives séparées de la moelle; mais lorsque ces racines sont intactes les contractions se produisent par le mécanisme ordinaire des actions réflexes. Dans les nerfs de sensibilité générale, la douleur se manifeste aussitôt que les courants direct ou inverse s'établissent et lorsque le courant inverse s'interrompt. En outre, d'après Longet, et contrairement aux observations de Matteucci, il y aurait de la douleur après la fermeture du circuit, pendant les premiers instants du passage d'un courant quelconque. Appliqués aux nerfs de sensibilité spéciale, les courants produisent des impres- sions particulières, des sensations lumineuses dans les nerfs optiques, des sensa- tions de bruits dans les nerfs acoustiques, la perception de saveurs dans les nerfs gustatifs. Et ces sensations se développent sans que les fils conducteurs se mettent PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NERFS. 193 en rapport immédiat avec les nerfs ; il suffit pour produire les sensations de umière de mettre un pôle au contact des paupières et un autre dans la bouche; les sensations auditives, d'introduire l'exlrémité d'un lil dans une oreille, l'autre extrémité dans l'opposée ; les sensations de saveur, de porter ces (ils sur la mu- queuse de la langue. L'action de l'électricité sur les nerfs ganglionnaires est moins bien connue que celle qui s'exerce sur les nerfs cérébro-spinaux. On a cru d'abord, sur la foi de Voila, que les muscles involontaires étaient insensibles à l'action de l'électricité, mais, dès le commencement de ce siècle, diverses tentatives ont prouvé que l'opinion de l'illustre physicien n'était point fondée. Les courants continus ou interrompus, appliqués aux divisions du sym- pathique, exercent une action très marquée sur le cœur, le canal intestinal, l'uté- rus, etc. Leur action est le plus souvent uniforme, qu'ils soient directs ou inverses; elle détermine ordinairement de la douleur au bout de quelques instants, d'après les observations de Longct. Les contractions qui en résultent, au lieu de se pro- duire avec promptitude, ou plutôt instantanément, comme dans les muscles volontaires, mettent un certain temps à s'effectuer et n'arrivent que lentement à leur maximum d'intensité. Les courants électriques appliqués aux filets sympathiques qui se rendent au cœur en accélèrent les mouvements comme l'ont appris les très intéressantes expé- riences de Budge et de Weber, tandis que les courants qui passent par les nerfs vagues ont la propriété de ralentir ces mouvements et finalement de les faire cesser, en laissant le cœur dans la diastole. Les courants intermittents appliqués aux nerfs splanchniques font cesser les mouvements de l'intestin grêle, d'après les expériences de Pfliiger. Ils exercent cette action sur toute l'étendue du tube intestinal, qu'ils laissent aussi dans le relâchement. Depuis, on a vu que les courants exercent la même action en passant par les ganglions cœliaques. Mais les courants continus donnent aux contrac- tions intestinales, dans les premiers moments, une plus grande activité; ils les raniment même, d'après Longet, quand elles sont tout à fait éteintes. Ils impri- ment également une nouvelle énergie aux contractions utérines, au point de donner lieu, chez certaines femelles pleines, à l'expulsion de plusieurs fœtus. On a cherché, déjà depuis longtemps, à voir si des courants électri((ues se produisent physiologiquement dans les nerfs. Les premiers essais tentés n'ont donné que des résultats négatifs. Mais ceux que Dubois-Reymond a obtenus sont tout autres. Cet habileexpérimentateur, en appliquant un rliéo{)hore du gal- vanomètre à la surface d'un nerf et l'autre à la surface de section de ce nerf, a vu se produire un courant de la première surface vers la seconde, courant qui serait dû, selon lui, aune force électromotrice propre aux différents nerfs, même à leurs racines et à la moelle épinière. Ensuite, d'après le même observateur, lorsqu'on fait passer un courant vol- taïquedansun nerf en dehors du circuit compris entre les rhéophores du galvano- mètre, un courant s'établit dans toute l'étendue du nerf préalablement isolé et détaché. Ce courant qui marche dans tous les sens fait dévier plus ou moins l'aiguille du galvanomètre. Il perd de son intensité à mesure que la vitalité du «. c:OLiN. — Physiol, conip. 3' édit. I — 13 194 DES FONCTIONS DU SYSTEME NEKVEUX. nerf s'affaiblit et il cesse une fois que le nerf a perdu ses propriétés. 11 dépen- drait d'une force qu'on a appelée électro-ionique. En outre, lorsque, au lieu d'un courant continu, on fait passer dans le nerf un courant intermittent ou lorsqu'on soumet ce nerf à une autre excitation, le courant propre du nerf s'affaiblit et il y a négativité ou variation négative. La signification des phénomènes électriques constatés dans les nerfs est encore imparfaitement déterminée. Si ceux qui se rapportent à V électi^otonus et à la variation négative sont liés à la vitalité du nerf, ceux qui paraissent dépendre de la force électromotrice en sont indépendants : ces derniers peuvent s'obtenir dans les nerfs écrasés, ligaturés ou dégénérés, c'est-à-dire dans des conditions oîi les actions normales ont cessé de s'accomplir. Conséquemment rien encore, jusqu'à présent, n'autorise^es physiologistes à assimiler les phénomènes nerveux à ceux de l'électricité. Propriétés et foiictîous des tliverses espèces tle nerfs. La sensibilité et la motricité ne sont pas moins distinctes dans les nerfs que dans les centres nerveux ; elles ont des points de départ séparés et ne se confondent jamais. Les nerfs à une seule racine sont sensitifs si elle est supérieure, moteurs si elle est inférieure ; les nerfs à deux racines sont mixtes, ou à la fois sensitifs et moteurs. Ceux-ci fonctionnent comme s'il y avait dans chacun d'eux deux nerfs. De même qu'il y a plusieurs sortes de sensibilité, l'une mise en jeu par tous les stimulants, l'autre par quelques-uns seulement ; il y a plusieurs variétés de motricité, l'une volontaire, l'autre indépendante de la volonté, une motricité pour les muscles de l'appareil respiratoire, une pour certains organes à action rhythmique. Il faut étudier à part les propriétés et les fonctions de chaque catégorie de nerfs. I. — Des nerfs sensitifs. Parmi les nerfs de cette catégorie, les uns sont sensibles seulement à l'action de certains excitants, comme le nerf optique à la lumière, le nerf olfactif aux odeurs, l'acoustique aux vibrations sonores ; les autres le sont à l'action de tous les stimu- lants ordinaires, mécaniques, physiques ou chimiques. . Des iierrs de seiisîl>ilité sitéciale. Les nerfs de sensibilité spéciale ont pour double caractère de percevoir une seule espèce d'impressions et de demeurer insensibles à l'action des stimulants ordinaires. Us peuvent être piqués, tiraillés, coupés, cautérisés sans qu'ils en res- sentent la moindre douleur, sans même que l'animal ait conscience de l'irritation exercée sur eux. Mais, ces irritations donnent lieu à des sensations subjectives confuses, analogues, dans certaines limites, à celles que produisent les excitants PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NERFS. 195 spéciaux. Les nerfs qui présentent ces caractères sont l'optique, l'olfactif, l'acous- tique. Ceux du goût, du toucher, jouissent de propriétés différentes. Il est fort difficile de savoir quelle est la cause de la disseiriblance de propriétés entre les nerfs à sensibilité spéciale et ceux qui jouissent de la sensibilité géné- rale. On ne la voit pas dans les particularités anatoniiques de texture ; elle doit être probablement, surtout dans leur disposition terminale et leur mode de jonction avec les centres nerveux. Évidemment ces nerfs, à la périphérie, sont disposés de la manière la plus convenable pour recevoir l'impression de certaines excitations, et ils aboutissent à de petits centres, à des foyers de perception qui ont chacun leur mode spécial d'action. C'est de là, surtout, que résulte leur spécialité fonc- tionnelle; celle-ci pourrait tenir aussi, en partie, au nerf lui-même, car rien ne prouve qu'il soit dépourvu de propriétés intrinsèques ; que l'optique, l'olfactif, l'acoustique, soient, abstraction faite de leur terminaison et de leur origine, physiologiquement semblables aux autres nerfs. L'individualité fonctionnelle de ces nerfs lient vraisemblablement autant à eux-mêmes qu'à leurs connexions avec les centres. Etudions sommairement l'action de chaque nerf à sensibilité spéciale. IXorf Olfactif. — Les nerfs olfactifs détachés des lobes creux du même nom et ramifiés dans la pituitaire sont, à n'en i»as douter, destinés à recevoir l'impres- sion des matières odorantes. On sait depuis les recherches de Scarpa que la finesse de l'odorat chez les animaux est en rapport avec leur degré de développement. Celles de divers anatomistes ont appris que dans les cétacés les nerfs de la première paire manquent ou sont à l'état ludimentaire. Dans les cas d'absence congénitale et dans ceux de destruction morbide de ces nerfs, on a constaté l'abolition ou l'affai- blissement de la faculté de percevoir les odeurs. La disposition des nerfs olfactifs parait peu varier chez les animaux, mais celui du lobe et du bulbe olfactifs d'où procèdent ces nerfs, offre d'assez nom- breuses variétés en rapport avec le degré de perfection de l'odorat. Chez le chien, le renard et autres espèces à odorat fin, le lobe et le bulbe olfactifs sont très déve- loi»i)és,etils ont une large cavité ventriculaire. Les deux grandes racines du nerf aboutissent l'une à la circonvolution de l'hippocampe, l'autre à la circonvolution de l'ourlet. La racine moyenne, d'après Meynert arriverait à lu partie antérieure du corps strié. On ne connaît pas le sens des dispositions variées que présentent les fibres et les cellules de ces parties de l'encéphale chez les animaux comparés à l'homme où le bulbe olfactif est rudimcntairc. En trépanant le crâne, dans sa partie inférieure, on peut aisément séparer les couches olfactives des lobes cérébraux et les réduire en bouillie. Le chien dont on a couvert les yeux, après cette opération, ne paraît pas reconnaître la présence de la chair, même de la volaille à demi-putréliée ([u'on place dans son voisinage. Les animaux de cette espèce ([ue M. Schiff a conservés vivants après la guérison de la plaie ne savaient plus distinguer la viande du pain et mangeaient même leurs matières excrémentitielles mêlées aux aliments. Les expériences par loscpicllos Magendioacru pouvoir destituer les nerfs olfactifs de leur rôle spécial ont été réduites à leur juste valeur. Longot qui les a discu- tées avec soin a fait voir que leur auteur a confondu la sensibilité générale de la 196 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. pituilaire avec sa sensibilité olfactive. Après la section des nerfs olfactifs, si les chiens et les oiseaux restent impressionnables aux vapeurs ammoniacales, acéti- tiques, c'est que ces vapeurs irritantes agissent sur la sensibilité de la pituitaire, due à la cinquième paire, comme elles le font sur la conjonctive ou sur d'autres muqueuses très impressionnables. Nous verrons plus tard que c'est uniquement dans les régions supérieures des cavités nasales, les seules pourvues de divisions nerveuses de la première paire, que s'effectue l'impression des odeurs. i\erf Optiffue. — Ce nerf, chargé de recevoir, par la rétine, l'impression de la lumière et de la transmettre, par le reste de son étendue, est complètement insensible aux irritations mécaniques et chimiques. Depuis Charles Bell qui l'a signalée le premier, cette insensibilité a été reconnue par un grand nombre de physiologistes. Magendie a constaté celle de la rétine en piquant à plusieurs reprises cette membrane sur une femme pendant l'opération de la cataracte ; les chirurgiens ont constaté celle du nerf optique en dehors du crâne, et les physio- logistes ont pu s'assurer souvent de l'insensibilité du nerf dans sa portion intra- crànienne, en avant et en arrière de sa décussation. J'ai eu plusieurs fois l'occa- sion, notamment sur le cheval, de vérifier l'exactitude de ces observations. La compression exercée sur l'œil, le passage d'un courant électrique à travers cet organe, la section, la dilacération du nerf optique, donnent lieu à des sensa- tions de lumière dont l'homme seul peut exprimer le caractère, sensations qui persistent quelquefois après l'extirpation de l'œil. Les mêmes irritations exercées sur un œil sont suivies, d'après les observations de Longet, de la contraction de l'iris des deux yeux. Il y a également contraction des deux iris quand, après la section d'un nerf optique, on irrite le bout qui tient cà l'encéphale. Néanmoins, si d'un côté on fait la section du nerf oculo-moteur commun, la pupille ne se res- serre point de ce côté, attendu que les fibres circulaires de l'iris dont la contrac- tion dépendait de ce nerf sont paralysées. C'est aux tubercules quadrijumeaux des mammifères, bijumeaux des vertébrés ovipares, qu'aboutissent les impressions reçues par la rétine et parle nerf optique, Leur destruction abolit la vue des deux côtés ; la destruction des tubercules d'un seul côté abolit la vision du côté opposé. Il n'y a aucune contestation sur ce point établi par les expériences de Flourens. Chez les animaux dépourvus de nerfs optiques ou à nerfs optiques rudimentaires, ces nerfs seraient, d'après quelques physiologistes, remplacés par des divisions de la cinquième paire ; mais ce fait, en contradiction avec les principes de la physio- logie philosophique, n'est nullement démontré. iVerf Autlitif. — Le nerf auditif, destiné à recevoir les impressions des ondes sonores, est insensible aux diverses irritations qui donnent lieu à des dou- leurs vives dans les nerfs de sensibilité générale. Néanmoins ces irritations y font naître quelques sensations subjectives constatées chez l'homme. Ainsi, un courant électrique passant par les oreilles détermine un sifllement, un bruit sac- cadé plus ou moins intense. Le nerf auditif est constitué par deux branches distinctes qu'il faudrait, suivant Flourens, regarder cdmmc (k(ux nerfs ayant chacun leurs propriétés et leurs PROPRIETES ET FONCTIONS DES NERFS. 197 fonctions. La branche cocliléenne ou le nerf du limaçon, né du bulbe par-dessus le corps restiforme et ramilié sur la laine spirale, serait le vrai nerf auditif; elle percevrait, d'après Helniliollz, les sons, les vibrations musicales. La branche vestibulaire, ou plutôt le nerf des canaux semi-circulaires ne serait pas un nerf des sens. Née des rd3res transverses du cervelet ou du pont de Varole par un pre- mier faisceau, des pédoncules cérébraux par un second, et par un troisième des corps restiformes, cette branche se rend à l'utricule, au saccule et aux ampoules des canaux semi-circulaires. Elle pourrait rire coupée sans abolition de l'ouïe. « En effet, dit Flourens, la section des canaux semi-circulaires ne détruit pas l'ouïe; elle la rend même plus vive, puisqu'elle la rend douloureuse. » D'après Loiiget, au contraire, la branche vestibulaire serait la plus importante et le vestibule la partie essentielle de l'oreille interne, la dernière à disparaître chez les animaux où l'organe de l'ouïe est réduit à sa plus simple expression anatomique. Quoi qu'il en soit, la section du iicrC auditif dans le crànc, avant ^()n entrée FiG. 10. — Canaux seiiii-circiilaires mis ù découvert sur un gallinacé (*). dans l'hiatus auditif, fuite des deux cotés, abolit complètement la faculté auditi\e. La destruction de l'expansion nerveuse du limaçon, opérée par Flourens, sur des lapins, sans lésion du vestibule, a également aboli l'audition. La section des canaux semi-circulaires a produit des effets singuliers. « La section du canal horizontal ou transverse a déterminé des mouvements de rota- tion, ou de droite à gauche et de gauche à droite; la section du canal postéro- antérieur des mouvements en avant; celle du canal antéro-postérieur des mouve- ments en arrière. » Ce serait des libres de l'encéphale, dirigées suivant divers sens bien déterminés, que le nerf des canaux semi-circulaires tirerait, suivant Flourens, le principe de sa force et de son action sur les mouvements. 11 y a certainement encore des études à faire sur la signification des effets si singuliers qui résultent de la section de ces canaux. — Elles devraient tenter les physiolo- gistes, puisqu'elles n'olfrent aucune dilTiculté sur les oiseaux. (*) I, canal vertical supérieur ou autérii'ur ; II, canal vertical inférieur ou postérieur ; III, canal horizontal. iybi DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. L'interprétation des effets qui résultent delà section des canaux semi-circulaires n'est pas facile à donner; car ces effets sont produits aussi par la lésion ou la destruction d'autres parties du système nerveux, notamment parcelle du nerf auditif et du cervelet. Ainsi, on a vu que la lésion de l'extrémité antérieure du lobe médian du cervelet fait porter la tête d'arrière en avant et détermine des culbutes en avant ou des pieds sur la tête, comme la lésion du canal vertical supérieur. La lésion de la partie postérieure du lobe médian fait porter la tète d'avant en arrière et culbuter en arrière ou de la tête sur les pieds, comme la section du canal vertical infé- rieur. La lésion des lobes latéraux donne lieu à des déplacements latéraux, comme la section du canal horizontal. La rotation se produit sur un axe hori- zontal dans les deux premiers cas, et sur un axe vertical dans le dernier. Ces mouvements de culbute et de rotation observés à la suite de la section des canaux semi-circulaires ont été attribués à des changements de tension des liquides dans les ampoules des canaux . En tenant compte de la disposition compliquée du nerf acoustique à son origine, on peut comprendre les rapports qui existent entre les effets des sections opérées sur ses branches et ceux des mutilations du cervelet. Ce nerf a trois racines; il procède de plusieurs noyaux dans lesquels les cellules ont des formes variées, et la plus grande partie de ses fibres sont en connexion avec celles du cervelet. Des nerfs «le !siensil>ilité g'éuéi^a.le. Ceux-ci ont pour caractère de naître par une seule racine, de se détacher des faisceaux supérieurs de la moelle ou du bulbe, de présenter un ganglion simple ou multiple près de leur origine, d'être impressionnés par les stimulations diverses et d'être dépourvus d'excitabilité. La portion ganglionnaire du trifacial, le glosso-pharyngien et le pneumogastrique sont placés dans cette catégorie. Cependant les deux derniers sont, en réalité, des nerfs mixtes, car le glosso- pharyngien contracte des anastomoses, en arrière de son ganglion, avec le facial et le spinal, et le pneumogastrique reçoit une partie du spinal ; de sorte qu'en les prenant au delà de leur ganglion ils ressemblent à tous les nerfs rachidiens. IVerf Trifacial {partie ganglionnaire). — Avant les belles et fécondes recherches de Ch. Bell sur les fonctions des nerfs, on croyait que le trijumeau servait, comme le facial, à donner tout à la fois la sensibilité et le mouvement aux diverses parties de la face. En coupant sur l'âne, en dehors du crâne, les divisions du trifacial, le physiologiste anglais reconnut que cette opération détermine une paralysie de la sensibilité et que les muscles des lèvres et des joues continuent à fonctionner comme auparavant. Depuis, Fodera, Magendie et un grand nombre d'expérimentateurs, en pratiquant la section delà cinquième paire dans le crâne, ont produit l'extinction de la sensibilité, l'anesthésie complète dans les parties superficielles et profondes de la face. La partie sensitive du trifacial, émanée des régions supérieures du bulbe où elle a un noyau d'origine, est pourvue d'un ganglion, dit de Casser; elle se rend dans la peau de la face, aux muqueuses des lèvres, des joues, du palais, ù la PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NERFS. 199 conjonctivo, dans les cavités nasales, les sinus, les glandes salivaires, comme aussi dans les muscles de la lace, de l'œil, de la langue, etc.; mais les fdets musculaires eux-mêmes sont purement sensitifs, car Longet a constaté que la galvanisation de la portion intr.i-cranienne de la branche ganglionnaire du trifa- cial ne détermine aucune espèce de contraction musculaire. Le nerl" trifacial, en distribuant la sensibilité à toutes les parties de la face et aux organes des sens, exerce sur leurs fonctions une influente remarquable que les ellets de sa section permettent d'apprécier. Après la su[>pression de l'inlluence de la cinquième paire, une moitié de la face devient tellement insensible qu'on peut pincer, inciser, brûler la peau et les parties sous-jacentes de cette région sans que l'animal en ait conscience; les paupières sont presque immobiles, et l'œil fixe; la pupille se resserre, la sécrétion des larmes se suspend, la cornée prend de l'opacité et s'ulcère, la conjonctive s'enflamme. Ces troubles de la nutrition de l'œil ont été rapportés en partie à la" lésion des divisions du sympathique anastomosées avec le trijumeau dans le voisinage de la partie coupée. Dans les mêmes conditions, la pituitaire perd sa sensibilité tactile ; elle éprouve de? modifications qui rendent très difficile l'exercice de l'olfaction ; aussi les ani- maux sont à [K'ine ou ne sont plus impressionnés par les vapeurs ammoniacales, acétiques, etc. Ces effets sont tellement marqués que, pour Magendie, il n'y a plus alors d'olfaction. La cinquième paire est, à ses yeux, le vrai nerf olfactif. Du côté de l'ouïe, la section de la cinquième paire entraîne des troubles graves. Magendie a constaté l'abolition de ce sens immédiatement après l'opération. Lon- get a vu aussi, dans le même cas, le nerf acoustique étant intact, au moins en apparence, les animaux demeurer impassibles lors de la détonation des armes à feu. D'où il faut conclure que la section de la cinquième paire ne peut s'efTectuer sans que le nerf auditif ne soit plus ou moins tiraillé, froissé, et sans que les parties d'où il naît n'éprouvent quelque ébranlement ou compression lâcheuse. Il est clair que la section des deux nerfs étant nécessaire pour apprécier leur influence sur le sens de l'ouïe, l'opération est trop grave pour ne_pas troubler profondément l'audition. La section du trifacial ne donnerait pas seulement lieu, d'après Magendie, à la perte de la sensibilité tactile de la langue, elle abolirait aussi sa sensibilité gusta- tive. Mais elle n'entraîne, d'après les expériences de Panizza, que la disparition de la sensibilité tactile de cet organe. Pour Herbert-Mayo et Longet, la section du nerl lingual des deux côtés abolit seulement la sensibilité tactile et la percep- tion des saveurs dans les deux tiers antérieurs de la langue, au point qu'alors la langue peut être cautérisée sans que l'animal en ait conscience ; la sensibilité et la gustation persistent dans le tiers postérieur de la langue, au voile du palais (il au pharynx, où l'une et l'autre sont sous la dépendance du glosso-pharyngien. Nous reviendrons forcément sur ce point en étudiant le sens du goût. GloN!4o-i>liai*yii;i'ioii. — Le glosso-pliaryngien, né du sillon supérieur du bulbe rachidien et pourvu d'un ganglion près de son origine, présente surtout les caractères des nerfs sensitifs, néanmoins il jiaraît avoir deux noyaux d'ori- gine très rapprochés de ceux du nerf vague, le |>rincipal est sensitif ; l'autre paraît 200 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. inoleiir. La galvanisation appliquée à ses filets d'origines, séparés du bulbe, pour éviter les actions réflexes, n'a provoqué, d'après Longet, aucune contraction dans les muscles pharyngiens ; mais elle en a donné d'appréciables entre les mains de Debrou et de quelques autres. Aussi, le glosso-pharyngien est probablement un nerf à double fonction dès son origine. En dehors du crâne il acquiert nettement les caractères des nerfs mixtes en s'annexant des filets du facial et de l'accessoire de Willis ; son irritation produit là des contractions dans les muscles du pharynx. Ses fonctions sont encore assez controversées. D'après Charles Bell, le glosso-pharygien serait un nerf chargé d'associer les mouvements de la langue et du pharynx avec les mouvements respiratoires dans l'acte de la déglutition ; opinion que Magendie semblait partager après avoir cons- taté la gêne que la section de ces nerfs apporte à la déglutition. Suivant Panizza et Valentin, il serait le seul nerf de la gustation et n'aurait aucune influence sur la sensibilité générale des muqueuses auxquelles il se dis- tribue. Ces observateurs ont vu, après la section des deux glosso-pharyngiens, le chien manger avidement de la viande pilée associée à de la coloquinte et boire du lait mêlé à la même matière, dont l'amertume est extrême. Enfin, pour Longet le glosso-pharyngien est, à la fois, un nerf de sensibilité générale et de sensibilité spéciale, qui sert à la gustation à la base de la langue et au tact de la même partie, du voile de palais et de l'arrière-bouche. Cet habile expérimentateur a vu qu'à la suite de la section des glosso-pharyngiens, le chien ne perçoit plus la saveur de la coloquinte portée directement dans le pharynx, tout en demeurant très impressionnable à l'action de cette substance à la pointe et sur les bords de la langue. En somme, le glosso-pharyngien est très certainement un nerf de la gustation, le seul pour les uns, l'associé du lingual pour les autres. La physiologie positive réclame encore quelques études sur ce point. Piieuiiiog-a.striciue. —Le nerf vague, né d'un noyau de substance grise, voisin de ceux du glosso-pharyngien et de l'accessoire de Willis, prolongé sous le sinus rhomboïdal, porte un petit ganglion près de son point d'émergence. Comme il a aussi, d'après les histologistes, un petit noyau moteur à son origine, il est vraisemblablement déjà mixte dans le crâne, ainsi que Bernard et M. Vulpian l'ont constaté. Incontestablement il devient tel hors du crâne par ses anasto- moses avec le facial, la branche inteine du spinal, l'hypoglosse, et plus loin avec les paires nerveuses rachidiennes. Il distribue la sensibilité et la motricité à un grand nombre de parties dont le rôle a une grande importance : larynx, œso- phage, estomac, trachée, bronches, poumons, conur, etc. Le pneumogastrique soumis à l'action des stimulants, dans sa portion intra- crânienne qui paraît essentiellement sensitive, donne des marques évidentes de sen- sibilité. Mais, galvanisé sur ce point, il ne provoque, d'après M. Longet, aucune contraction dans les muscles où il se rend. En dehors du crâne, et notamment dans son trajet cervical, alors qu'il est nettement sensitivo-moteur, les irri- tations qu'il éprouve donnent lieu à de la douleur et à quelques contractions. Toutefois, il n'est point là, à beaucoup près, semblable aux autres nerfs mixtes : PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NERFS. 201 sa sensibilité est obscure et les mouvements provoqués par son excitation sont faibles et lents. C'est un nerf mixte d'une espèce particulière. Il faut examiner son rôle en ce qui concerne 1° les organes respiratoires, 2" le cœur, 3° les organes digestifs. Le nerf vague exerce sur la respiration une influence considéraiilc par les di\i- sions qu'il donne au larynx, ù la trachée et au poumon. Par les laryngés supérieurs, il agit au moyen de leur rameau externe qui est moteur sur les muscles crico-thyroidiens. La section de ce rameau donne lieu, comme l'a constaté Longet sur le chien, au relâchement des cordes vocales et par là iï la raucité de la voix. Au contraire la section du rameau interne est sans influence sur les muscles, car celui-ci qui parait seulement sensitif, se ramifie dans la muqueuse laryngienne. La section complète des deux laryngés sn[iérieurs, pratiquée par Longet, n'a jamais apporté d'obstacle sérieux à la respiration. Par les laryngés inférieurs ou récurrents, le nerf vague a une grande influence sur l'introduction de l'air dans les voies aériennes et sur la phonation. Quand on coupe l'un de ces nerfs, en un point quelconque du cou, le passage de l'air dans le larynx devient diflicile et la voiv s'affaiblit ; lorsqu'on les coupe tous deux, la voix s'éteint, les cris deviennent impossibles ou à peu près, comme Galien l'avait constaté sur de jeunes porcs ; la respiration est très pénible, accompagnée d'un bruit particulier connu, chez le cheval, sous le nom de cornage, et si alors la respiration s'accélère par le fait de l'exercice, il y a imminence d'aphyxie. La gène apportée dans ce cas à la respiration tient à la paralysie des muscles aryté- no'idien et crico-aryténoïdien postérieur chargés de la dilatation de la partie pos- térieure de la glotte. El ce qui prouve qu'elle résulte seulement d'une insuffisante dilatation de la glotte, c'est qu'on la fait cesser instantanément en pratiquant la trachéotomie. L'expérience dont il s'agit se fait souvent d'elle-même sur le che- val, sous l'inlluence de causes encore indéterminées : si l'un des récurrents est frappé de dégénérescence, la moitié correspondante de l'aryténoïdien et le crico- aryténoïdien postérieur du même côté s'atrophient en éprouvant la dégénéres- cence graisseuse, d'oi!i résulte un cornage avec commencement de suffocation, pendant l'exercice ou les eflbrts un peu violents. Le pneumogastrique, i)ar les nombreuses divisions qu'il donne, tant à la mu- queuse qu'au plan charnu de la trachée et des bronches, devient le nerf sensitif et le nerf moteur de cette partie de l'appareil respiratoire. Après la section des deux nerfs au cou, et la trachéotomie qui piévient l'asphyxie, l'eau, les acides étendus que l'on introduit dans les bronciies ne provocpient pas de douleur ni d'efforts expulsifs de toux. A la longue, la non-expulsion des mucosités, l'insuf- fisance du renouvellement de l'air, consécutivement à la paralysie du plan con- tractile des bronches, déterminent l'asphyxie. Il n'est pas certain que ce soit dans les divisions bronchiques ,et pulmonaires de ce nerf que se développe la sensation du besoin de respirer, car cette sensation se manifeste, avec un caractère impérieux, lorsque les vagues sont coupés et que, en l'absence d'une ouverture à la trachée, la sulfocation devient imminente. Dans tous les cas, à la suite de la section des nerfs vagues que les expérimen- tateurs ont si souvent pratiquée el que j'ai faite moi-même un grand nondjre de 20-2 DES FONCTIONS DU SYSTKMK NERVEUX. ,'■ . ■-■Y FiG. 20. — Piieuinogaslriquc de riioiiiiiio (*). (•) 1, pneumogastri(|uc gauche; 2, récurrent du même côté; 3, filet canJiaque du pneumogastrique; 4, gangliou cervical siipérieur du sympathique; ii, ganglion cervical inférieur; 6, arcade du sympathique autour de la sous-claviére; 7, filet cardiaque supérieur du sympathique; 8, lilet cardiaque moyen; 9, filet cardiaque inférieur; 10, ganglion de Wrisherg et plexus cardiaque. (Beaunis et Bouchard.) PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NF.RFS. 208 fois dans divers buis sur la plupart, des animaux domestiques, — la respiration se ralentit, d(!vienl pénible, bruyante ; — les bronclies s'obstruent par les mu- cosités qui ne sont plus expulsées, souvent par de la salive, des liquides et des parcelles alimentaires dont la déglutition a été entravée; — le poumon, dont les vaisseaux ont proi)ablement perdu une partie de leur contractilité, s'engoue; il devient souvent et par places plus ou moins emphysémateux. — Faute d'une suffi- sante quantité d'air introduite, et d'un renouvellement convenable de ce fluide dans les bronches et les vésicules pulmonaires, l'Iiémalose est imparfaite, le sang artériel n'est [dus rutilant; une asphyxie lente se produit et entraîne la mort dans un délai plus ou moins bref. Le nerf vague exerce sur le coMir et, |)ar suite, sur l'ensemble de la circulation, une iniluence très remarquable. Lorsqu'on le coupe, les mouvements du cceur se précipitent au point de dou- bler de nombre et demeurent accélérés Jusqu'à la mort; ils s'affaiblissent en méni(> tenijjs, comme l'indique l'état du jiouls et l'emijloi du cardiomètre. Quand on vient à faire passer un courant galvanique très faible par le pneu- mogastrique, les battements du cœur se ralentissent et ils deviennent d'autant plus rares que le courant est plus fort. Ces mouvements cessent et le cœur demeure dilaté dès que le courant a une suffisante intensité. La galvanisation du bulbe rachidien a absolument les mêmes effets. C'est à Weber qu'on doit la connaissance de ces faits dont l'exactitude a été universellement constatée. C'est par des filets moteurs et par des fdets scnsitifs que le vague agit sur le cœur. Les filets moteurs semblent dériver du spinal, car Waller a vu que la gal- vanisation du pneumogastrique ne suspend ni ne ralentit les mouvements du cœur huit jours après l'arrachement du spinal. Quant aux filets sensitifs propres aux vagues, ils agiraient sur les contractions de cet organe par suite d'un piiéno- mène réflexe, et feraient l'olTice de régulateurs ou de modérateurs. Le principal, que Cyon appelle nerf dépresseur du cœur, naîtrait, chez le lapin, du tronc du pneumogastrique et du laryngé supérieur; il arriverait au cœur accolé à la caro- tide et au fdet cervical du grand sympathique ^ La galvanisation de ses extré- mités, en agissant sur la moelle et sur le grand sympathique, paraît avoir pour conséquence une dilatation générale des vaisseaux ((ui est suivie du ralentisse- ment dos mouvements cardia({ues. Les pneumogastriques ont, sur l'appareil digestif, une action très évidente. Les filets qu'ils donnent au pharynx et qui semblent sensitifs, puisque leur galvanisation n'a produit dans les expériences de Longet, aucune contraction pharyngienne, servent aux actions réflexes de la déglutition. Le pharynx est suffi- samment pourvu de filets moteurs par la branche maxillaire de la cinquième paire, le facial, le spinal, l'hypoglosse, etc. D'autres filets détachés successivement du tronc nerveux donnent à l'œsophage sa sensibilité obscure et sa motricité. C'est, sans doute, à la fois par les filets moteurs de la branche interne du spinal, par les lilels anastomotiques des paires cervicales et par ceux du grand sympathique que le nerf vague anime la tunique 1. Cyoïi, Comptes rendus de l' Académie des sciences, mars 1.867. 204 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. musculeuse œsophagienne, où les fibres striées sont associées en proportions variables avec les libres lisses. Aussi, par ces sources multiples et diverses on s'explique les caractères singuliers des contractions de l'œsophage; plus rapides que celle des muscles de la vie organique, plus lentes que celles des muscles du squelette, très énergiques, à caractère rhythmique dans quelques ruminants, associées en même temps au mécanisme de la déglutition, à celui du vomissement, de la rumination et du travail ordinaire de la digestion gastrique. La section du vague paralyse lentement ce conduit, à compter du point où elle est pratiquée. Néanmoins, alors, la déglutition des liquides et des aliments diflluents est encore assez facile; celle des aliments fibreux ou en masses volumineuses s'effectue même encore par l'impulsion du pharynx et de la portion qui conserve sa motilité ; cependant les matières s'arrêtent ordinairement chez les herbivores dans la partie inférieure du canal et même presque sur toute sa longueur. ' Les contractions de l'estomac dépendent en grande partie des vagues. On peut les provoquer et même les rendre énergiques, quand on irrite ces nerfs par l'électricité, l'estomac étant plein d'aliments. Je les ai rendues extrêmement fortes dans les piliers de la panse, sur les ruminants pourvus d'une large fistule gastrique. Elles n'ont point cependant alors la vivacité et l'énergie qu'elles acquièrent sous rimp)'ession de l'eau froide ingérée en grandes masses. Lorsque les vagues sont coupés, l'estomac se paralyse avec lenteur et d'une manière à peu près complète, bien qu'il reçoive encore de nombreux filets gan- glionnaires enlaçant les artères gastriques. Il ne se vide plus ou ne se vide qu'en faible partie s'il contient des aliments fibreux, malgré le relâchement du pylore. Il conserve, presque en totalité, chez les solipèdes, les substances vénéneuses associées aux aliments, et comme chez eux l'absorption gastrique est à peu près nulle, on n'observe alors aucun symptôme d'empoisonnement. Dans ce cas il ne peut pas non plus expulser la totalité de son contenu, par l'œsophage, sous l'influence des efforts de vomissement. Le vague peut donner la motricité à l'estomac ou par les filets moteurs du spinal ou par ceux du sympathique qu'il s'est annexé. Mais comme le spinal est un nerf moteur sous la dépendance de la volonté, et que les contractions de l'es- tomac sont involontaires, il est rationnel d'admettre que c'est par les filets gan- glionnaires que le vague anime la tunique musculaire du viscère. Toutefois, il faudrait faire des réserves en faveur de certains animaux, les ruminants, par exemple, chez lesquels les contractions de la panse sont liées à un acte en partie volontaire. Il y a probablement chez ceux-ci des combinaisons spéciales, une association de fibres motrices volontaires émanées du spinal et de fibres ganglion- naires qui n'appartiennent ni à l'homme ni à la généralité des animaux, i Dans tous les cas, la motricité de l'estomac est empruntée, en grande partie, au pneumogastrique, à ses filets propres ou annexés, puisque, dans les expé- riences de Millier, l'irritation des grands splanchniqucs et des ganglions cœlia- quesaété sans eflét sur ce viscère. La sécrétion du suc gastrique, si elle dépend en partie d'actions réflexes aux- quelles concourent les filets sensitifs des nei'l's vagues, n'est pas exclusivement sous leur influence, car Longet a vu, comme beaucoup d'autres observateurs, et l'RûriUÉTÉS ET FONCTIONS DES NEKFS. 20o coiuiiic je l'ai vu moi-même fort souvent sur le cheval, cette sécrétion continuer et le chyme s'acidifier à un hnut degré, même longtemps après la section. D'ail- leurs, si les aliments sont de nature animale ou réductibles en une bouillie ténue, ils passent dans l'intestin avec une certaine lenteur comme s'ils étaient chymi- liés, ce qui n'arrive pas aux fourrages, notamment chez le cheval. Quanta l'influence des pneumogastriques sur le développement des sensations de la faim et de la soif, elle est faible. Après leur section, aussi i-ap|»rocliée que possible de la base du crâne, la soif persiste et devient même très vive, car l'opé- ration donne lieu à une réaction fébrile assez intense, mais la faim est peu mar- quée iiabituellement, même nulle sur le chien, comme cela arrive à la suite de toutes les nmlilations un peu graves ; elle persiste chez les solipèdes qui, après la section, continuent à manger au point de se bourrer l'estomac et l'œsophage, ainsi (|ue Dupuy, Leuret et Lassaigne l'avaient déjà noté. D'après tout ce qui précède, on voit que le nerf de la dixième paire a un rôle très complexe. La multiplicité de ses actions semble venir à l'appui de l'assertion des anatomistes qui décrivent dans ce nerf cinq ou six espèces de libres ; 1° des fibres motrices pour le larynx, l'œsophage, l'estomac, elc. ; des fibres sensitives pour les parties supérieures de ra[)pareil digestif; des fibres pour le ralentisse- ment des mouvements du cœur; d'autres pour l'accélération des mêmes mou- vements, des fibres de sécrétion, et enfin des fibres vaso-motrices. II. — Des nerfs moteurs. Ils n'ont qu'une seule racine, dérivent du cordon inférieur de la moelle, et sont insensibles aux irritations de toute espèce; mais leur stimulation, leur gal- vanisation déterminent des contractions dans les parties auxquelles ils se ren- flent; leur compression, leur ligature ou leur section paralysent ces parties sans en altérer la sensibilité. Les nerfs de cette espèce sont : l'oculo-moteur commun, l'oculo-moteur externe, l'oculo-moteur interne, le facial, l'hypoglosse, l'acces- soire de Willis, enfin une partie de la branche inférieure delà cinquième [)aire, et toutes les racines inférieures des nerfs rachidiens. Parfaitement isolés à leur origine, ils ne tardent pas à s'anastomoser, soit avec des nerfs sensitifs, soit avec des nerfs mixtes, de telle sorte que leur irritation, si elle s'exerce loin de leur naissance, peut déterminer delà douleur. Il importe donc, pour constater leurs propriétés et étudier leur mode d'action, de tenir compte de cette particularité, source de tant d'erreurs dans les expériences. Les nerfs moteurs ne possèdent j)as, par eux-mêmes, la faculté de développer le principe excitateur des contractions musculaires; ils ne font que le transmettre des centres dont il émane aux parties chargées d'efl'ectuer le mouvement. Ils propagent la force motrice de leur origine vers leur terminaison, ou du centre vers la périphérie, sans jamais lui faire suivre un cours rétrograde. L'irri- tation d'un tronc nerveux produit des contractions dans toutes les parties qui reçoivent leurs nerfs au-dessous du point irrité: elle n'en produit pas dans celles dont les nerfs se détachent (h; ce tronc au-dessus du point où se trouve appliiiuée l'irritation. 206 DES FONCTIOINS DU SYSTÈME NERY£UX. La force ou le principe excito-moteur qu'ils propagent peut être transmis par une fraction du tronc, par un certain nombre de libres, les autres demeurant complètement étrangères à cette propagation ; c'est là une vérité qui se démontre rationnellement et par l'expérience. Si, en effet, on irrite, comme l'a fait Millier, un nerf volumineux avec la pointe d'une aiguille, on voit que les seules parties qui se contractent sont celles qui reçoivent les filets irrités, et la même chose arrive quand on substitue à l'irritation mécanique celle d'un courant galvanique faible. Du reste, il est indispensable qu'il en soit ainsi pour qu'il n'y ait pas confusion dans les mouvements volontaires, puisque le morne nerf se distribue, à la fois, dans un grand nombre de muscles à actions différentes et même oppo- sées. Il est évident que l'irritation qui va mettre en jeu l'un de ces muscles doit passer seulement par les libres qui viennent y aboutir. Sicile était répartie entre toutes, elle aurait pour résultat inévitable la contraction simultanée de tous les muscles animés par ce nerf : or, c'est ce qui ne saurait arriver sans amener la plus grande confusion dans les mouvements. Cependant, quelquefois, la volonté ne parvient pas à s'exercer isolément sur tel ou tel d'entre eux : alors, il y a ce qu'on appelle des mouvements associés ; mais, à part cette circonstance, les fibres nerveuses agissent séparément, sans avoir autre chose de commun que leur rap- prochement et leur enveloppe celluleuse. En un mot, elles fonctionnent comme si chacune d'elles formait un nerf particulier, distinct par son origine et sa terminaison. Le fait de l'indépendance dans laquelle les fibres d'un nerf se trouvent les unes par rapport aux autres est fort remarquable, puisque sans elle il faudrait pour chaque muscle ou chaque groupe de muscles ayant les mêmes usages un nerf particulier. Or, on sait que la distribution des cordons nerveux est soumise à une loi bien différente. En effet, le même nerf donne des divisions à plusieurs mus- cles , dont les actions sont dissemblables et même quelquefois opposées ; les exemples en sont assez nombreux. Ainsi, dans le plexus brachial des solipèdes, un des sous-scapulaires donne des branches au muscle sous-scapulaire, à l'ad- ducteur du bras et au sous-épineux, qui n'ont pas une action tout à fait identique ; l'huméral antérieur ou cubito-plantaire donne dos filets au grand et au petit pec- toral, aux fléchisseurs de l'avant-bras, au fféchisseur interne du métacarpe et aux flé- chisseurs des phalanges ; l'huméral postérieur fournit des divisions à quatre extenseurs de l'avant-bras, à l'extenseur antérieur des phalanges, à l'extenseur antérieur du métacarpe, en même temps qu'au fléchisseur externe de la même région. Dans le plexus lombaire, le fémoral antérieur se distribue aux extenseurs et au long adducteur de la jambe, le petit sciatique aux ischio-tibiaux qui sont fléchisseurs de la jambe, au fléchisseur du métatarse et aux extenseurs des pha- langes; le grand sciatique, aux ischio-tibiaux, à l'extenseur du métatarse et aux fléchisseurs de la région digitée. A la tête, la branche inférieure du trifacial se rarnilie à la fois dans les muscles qui écartent les mâchoires et dans ceux qui les rapprochent; à l'encolure, les paires cervicales se rendent en môme temps dans les extenseurs et les flécliisseurs. Cependant, aux membres, ce mode de distribu- tion paraît avoir été évité autant que possible, car si un cordon nerveux donne des divisions à plusieurs muscles qui n'ont j»as la mémo action, il ost rare qu'il PROl'RIETES ET FON'CTIONS DES NEKES. •2(17 en lournissc ù des muscles antagonistes de la même région. L'huméral postérieur est peut-être, pour le membre thoracique, le seul qui fasse exception en donnant des filets à l'extenseur et à un flédiisseur du métacarpe. D'ailleurs, en réfléchis- sant bien à ce mode distribution, on voit qu'en général, un nerf se ramifie dans les muscles qui doivent agir ensemble ou successivement, ou, en un mot, dans les muscles associés pour produire un mouvement d'ensemble. C'est ainsi que, par exemple, les fléchisseurs do Tavant-bras, le flécliisseur interne du métacarpe, et les fléchisseurs des phalanges, qui se contractent à la fois pour élever le membre au-dessus du sol et le porter en avant, sont animés par l'huméral antérieur; de même, les extenseurs de l'avant-bras, ceux des plialaiigcs et celui du métacarpe, qui agissent simultanément quand le membre doit être ramené à l'appui et maintenu dans l'état d'extension, reçoivent leurs rameaux de l'huméral postérieur. Néanmoins cette sorte de connexion synergique n'est pas partout aussi évidente que dans les cas précédents ; elle est même assez difficile à reconnaître aux membres postérieurs. La force motrice que transmettent les nerfs dont nous parlons ne passe point, comme nous l'avons déjà dit, de l'un d'eux dans un autre par la voie des anastomoses. Muller et d'autres expé- rimentateurs l'ont démontré en irritant successi- vement les trois nerfs qui, parleur association, constituent le plexus lombaire de la grenouille : ils ont vu que l'irritation d'un seul de ces nerfs, au-dessus du plexus produit des contractions dans des points différents de ceux où elles se m;inifestent lors de la stimulation du second ou du troisième; or, si la communication s'eflec- tuait, l'irritation de l'un des trois au-dessus du plexus déterminerait en même temps des con- tractions dans toutes les parties ou ces trois nerfs se distribuent. D'ailleurs, dans le cas de paralysie, de section ou de ligature d'un nerf, les anastomoses ne font point passer la force incitatrice des mouvements du cordon sain dans le cordon malade; sans cela, la paralysie du nerf n'entraînerait pas complètement celle des muscles aux(|uels il se rend. Cependant, comme lors d'une communica- tion entre des nerfs, un certain nombre de fibres passent de l'un dans l'autre, il est évident que la force du nerf intact peut passer dans le nerf lésé, mais seule- ment dans les fibres que ce dernier reçoit; c'est à cela que se borne la transmis- sion. Les assertions contradictoires de Panizza sont trop peu fondées pour qu'elles puissent infirmer une vérité si bien établie. Il sufht de jeter les yeux sur I>"iG. 21. — Anastomoses du plexus brachial du cheval (*). (*) a, Humerai moyeu; b, humerai postérieur. 208 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. des anastomoses nerveuses (fig. 21) pour voir qu'il ne saurait en être autrement. Analysons rapidement l'action de chacun des nerfs moteurs encéphaliques. îXerfs moteiu's €lo l'œU. — Les trois nerfs destinés aux muscles oculaires ont chacun leurs attributions spéciales. Le moteur commun, qui parait destiné à coordonner les mouvements de l'œil anime le droit supérieur, l'inférieur, l'interne, le petit oblique, le droit postérieur chez les animaux oi!i il existe et le releveur de la paupière supérieure. Par la racine motrice qu'il donne au ganglion ophthalmique, il préside à la contractilité de l'iris. La section de ce nerf ou sa paralysie donne lieu à la chute de la paupière supé- FiG. 22. — Schéma du plexus brachial de l'homme, d'après L. Hirschfeld (*). rieure, à la déviation de l'œil en dehors, à la suppression des mouvements rota- toires du globe, enfin à la dilatation et à l'immobilité de la pupille. En outre, sa section a pour conséquence, dans certaines positions, de faire percevoir deux images, une droite et une seconde oblique. Le pathétique destiné au grand oblique a une action fort simple. Sa section sup- prime en grande partie les mouvements de rotation du globe dans la cavité orbitaire, et détermine une légère déviation de l'œil en haut et du côté interne. Elle entraine une vision double dans le cas où les yeux se dirigent en bas. Alors les deux images sont placées l'une au-dessus de l'autre, sans qu'il y ait parallélisme entre leurs axes. Le moteur externe est ramifié dans le droit externe seulement, qui porte l'œil (*) V, VI, VII, VIII, branches antérieures des quatre premiers nerfs cervicaux. — 1. D, branche antérieure du premier nerf dorsal; l, rameau du muscle sous-clavier; 2, nerf du grand dentelé; 3, nerfs bus-scapulaircs; 4, nerfs des muscles angulaire et rhomboïde; 3, branche supérieure du muscle sous-scapn- laire; U, nerfs thoraciques antérieurs ; 1, branche inférieure du sous-scapulaire; S, nerfs du grand dorsal ; 9, nerfs du grand rond; 10, nerf accessoire du brachial cutané interne; 11, nerf cutané interne; 12, nerf cubital; 13, nerf médian; 1 i, uerf mussulo-cutané;;i:j, nerf radial; 16, nerf axillaire. PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NERFS. 209 directement on dehors. Sa s-ilvanisation produit la projection du globe du côté de l'angle tempoial. Sa section ou sa [liinilysie a pour conséquence la projection du globe en dedans. La simple compression de ce nerf donne lieu au strabisme Interne. Les nerfs moteurs de IVil donnent quelquefois, dit-on, des indices de sensi- bilité, sensibilité qui leur est étrangère et qu'ils empruntent à des (îlets anasto- motiqucs provenant de la cin(piièine paire. Brandie iiioiflee iraeial. — Cette portion de la cinquième paire, appelée racine motrice du trijuniciui, ou nerf masticateur, a un noyau d'origine pourvu de cellules multi|)olaires |)rès du pédoncule cérébelleux postérieur; elle est destinée aux muscles moteurs des mâchoires et aux muscles tenseurs du voile du palais. Comme elle est accolée à la branche maxillaire inférieure qui est sensitive et sort du crâne avec elle, on ne l'en distingue pas d'habitude dans les des- criptions anatomiques, mais les fdets de celle-ci, sauf quelques-uns destinés à donner de la sensibilité aux muscles, s'en détachent pour se rendre à la peau, aux glandules salivaircs, à la muqueuse bucfalc. Longet, en galvanisant dans le crâne la branche motrice du trifacial, a vu se produire le rapprochement dos mâchoires et des contractions dans le voile du palais. Le nerf buccal, ou bucco-labial, qui se détaehede la branche maxillaire inférieure de la cinquième paire, ne vient nullement de la racine motrice. 11 est facile de s'assurer, connue la fait Herbert-.Mayo, que les irritations portées sur ce nerf ne provoquent pas de contractions dans les muscles des joues. Facial. — Lenerf facial qui se distribue aux muscles des narines et aux muscles superfiinels de la face, les anime sans le concours de la cinquième paire. Il a dans la moelle allongée, d'après les histologistes, un double noyau d'ori- gine; l'un qui lui est commun avec l'oculo-moteur externe, au plancher du qua- trième ventricule, l'autre plus profond iiuiiqué par Deifers, et à partir duquel le facial décrit un arc de cercle dans la moelle jusqu'à son point d'émergence. On suppose qu'il possède des fibres volontaires associées à celles dont l'action est purement automatique. On sait, depuis la célèbre expérience de Charles Bell, que ce nerf est moteur, mais on a encore des doutes aujourd'hui sur la question de savoir s'il est tout à fait dépourvu de sensibilité propre. Il est parfaitement établi que la galvanisation de ses branches séparées de l'en- cé|)hale détermine des contractions dans les paupières, les narines, les lèvres et les divers muscles de la face, et que sa section a pour conséquence une hémijdégie faciale dont la physionomie est frappante. Mais, d'après Charles Bell, il serait com- plètement insensilile, tandis (pie, suivant Magendie, Longet et divers autres expérimentateurs, il jouit d'une sensibilité assez marquée. Cette sensibilité se ma- nifeste effectivement dans les expériences les plus simples, qu'il est très facile de répéter sur les grands animaux. A partir de quel point existe-t-elle et à (pielle source est-elle empruntée? D'après quelques observateurs, le facial serait sensible dès son origine. Il aurait une double racine, la principale motrice et la sensitive; représentée par le petit nerf 0. COLIN. — Physiol. comp. 3' édit, I — 14 210 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. de Wrisberg. Mais aucune expérience démonstrative n'a prouvé que ce petit coidon ait des propriétés différentes de celles du facial pris en masse; il serait, d'après Longet, destinée animer les muscles du tympan. Ce qui, d'ailleurs, rend son ro\v obscur, c'est que ce nerf, très voisin de l'origine du glosso-pharyngien est aussi souvent uni à l'acoustique qu'au facial. Gomme il est extrêmement difficile de porter des excitations sur la partie intra- crànienne du facial, on ne peut sûrement dire si la faible sensibilité dont il jouit lui appartient dès son origine. Mais ce qui paraît suffisamment établi, c'est que le facial est sensible dès sa sortie du trou stylo-mastoïdien où il est accessible à l'expérimentation. En coupant la cinquième paire dans le crâne, comme l'ont fait Eschricht etLund, on éteint à peu près, mais non complètement, cette légère sen- sibilité qu'il emprunterait aussi, d'après Mïdler,à une anastomose avec un rameau du nerf vague dans le conduit de Fallope. En somme, la faible sensibilité dont jouit le facial est une sensibilité qu'il em- prunte surtout au Irifacial, non en un seul point, mais en plusieurs, en s'annexant successivement des filets plus ou moins nombreux suivant les branches. Et comme ces filets lui arrivent sous des angles plus ou moins ouverts, à diverses hauteurs on peut, en coupant une branche du nerf, trouver son bout périphérique encore sensible, quoiqu'il ne paraisse plus en communication avec l'encéphale. Lorsque le facial est coupé à sa sortie du trou stylo-mastoïdien ou ses branches en arrière de l'articulation temporo-maxillaire, il se produit immédiatement une hémiplégie faciale du même côté. La narine s'affaisse et prend l'aspect qu'elle a sur le cadavre, la lèvre inférieure devient flasque ou pendante, la joue également flasque, la préhension des aliments est difficile sur le cheval qui doit les saisir avec les lèvres avant de les prendre entre les dents; il y a accumulation des matières alimentaires entre les arcades dentaires et les joues ; la salive tombe, les joues sont soulevées par l'air dans l'expiration, et battent les arcades dentaires dans l'inspi- ration; les paupières ne se ferment plus, les larmes se répandent irrégulièrement sur l'œil, etc. Ce nerf en animant les muscles des narines, des lèvres, des joues, des paupières concourt donc à la respiration, et il mérite à cet égard l'épithète de nerf respira- toire de la face que lui avait donnée Ch. Bell ; il concourt également à la préhen- sion des aliments solides, siirtoutchezles animaux qui emploient leslèvresà l'exé- cution de cet acte, à la préhension des liquides (aspiration, succion), à l'olfaction qui exige une aspiration souvent énergique et saccadée pour appeler l'air odorant dans tous les recoins des cavités nasales. Par les filets qu'il envoie directement aux muscles de la chaîne tympanique et par ceux qu'il donne au ganglion otiqiie, il exerce une influence incontestable sur l'audition. Par ceux qu'il donne aux canaux des glandes salivaires, il exerce une influence des plus remarquables sur l'excrétion de la salive et même sur sa sécré- tion. En eflel, les impressions gustatives produites sur la muqueuse buccale ne font plus couler la salive dans la bouche après la section du facial, comme Schiff l'a con- staté le premier. Il suTl'fit, comme l'a démontré Cl. Bernard^ de couper la 1. Ci. Bernard, Leçom sur la p/u/siol. et la pulhol.. tin si/st. nerv., t. II, p. 147. PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NERFS. 211 corde du tympan dans l'oreille moyenne pour suspendre la srcrétion de la glande sous-maxillaire et paralyser son canal excréteur. Mais, il faut couper le nerf facial dans le crâne pour produire la même action sur la parotide. Nous verrons plus tard, en étudiant les sécrétions salivaires que l'impression produite sur la mu- queuse buccale [)ar les aliments ou les autres substances sapides est transmise aux centres nerveux par le lingual et les divers nerfs sensitifs, puis réllécliie sur les glandes par l'intermédiaire du facial. llyito^ffloiKMe. — Ce nerf né de la partie inférieure du bulbe paraît ne pas être exclusivement moteur, car Mayer, lui, a trouvé sur le bœuf, le cbien et sur d'au- tres animaux une petite racine supérieure qui pourrait bien être sensitive. Il procède d'un double noyau blanc triangulaire, à grosses cellules ganglionnaires placé dans le plancher du quatrième ventricule, près du raphé, et au voisinage de celui du vague. Déjà Galien, qui avait attribué au lingual la faculté gustative, considérait l'Iu- poglosse comme le nerf moteur de la langue ; sa distiibution dans les muscles semble, à première vue, condrmer cette opinion. En le stimulant mécaniquement ou en le galvanisant, on provoque des contractions dans toute l'étendue de la langue. Ces irritations portées sur le nerf, en dehors du crâne, déterminent habi- tuellement une certaine douleur que divers observateurs ont constatée et qu'il est facile de reproduire sur le cheval ; elle s'explique par les anastomoses qu'il con- tracte avec la première anse du [ilexus cervical, et avec le lingual de larin(|uième paire à diverses hauteurs. .Mais, avant sa sortie de la cavité crânienne, Longet ne l'a point trouvé sensible. Après la section des deux Inpoglosses, la langue est frappée de paraKsir com- plète. Elle sort de la bouche, demeure immobile, llasque et [)endante sur le cheval. Sur le chien, elle est d'abord encore retenue dans la bouche; l'animal ne peut ni la sortir, ni la recourber pour effectuer le la|»ement des liquides; il ne peut sCn servir pour retenir le pain qu'il n)àche ni |iour l'avaler ; aussi l'aliment tondje-l-il en masse ou [)ar parcelles. Un bol tout formé, mis à la face su[iérieure de la langue ne saurait même, connue l'a observé Panizza, être dégluti. Elle est pincée par les dents, lors de là mastication. Si elle sort de la bouche ou si elle est retournée accidentellement, c'est par des secousses imprimées à la tête que l'animal cherche à la remettre en place. A la suite de la section des deux hypoglosses, la langue conserve sa sensibilité tactile: l'animal crie quand elle vient à être pincée par les dents, ou piquée j);ir un corps étranger ; il secoue la tête et se retire au simple contact d'un corps (|uel- conque. Sa sensibilité gusiative est également conservée et, à ce »|u'il semble, dans toute son intégrité, ])uis(pie le chien secoue la tête, agite les lèvres et les mâ- choires |)our se débarrasser (le la substanceamère déposée à la surface dr' l'organe. Hitiiinl. — Le spinal est un nerf plus remarquable par la singularité de sa disposition anatomicpu' (pie par ses fonctions. Les anatomistes ont trouvé qu'il naît de la moelle allongée d'abord par le noyau du nerf vague, puis d'un noyau propre voisin de celui-ci, enlin, d'un très long noyau étendu jusqu'aux dernières vertèbres cervicales. Il a deux branches qui ont chacune une action spéciale on raison des parties auxquelles elles donnent la motricité. 212 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERYFA'X. La branche interne ou portion bulbaire, qui se détache de la moelle allongée, entre le nerf vague et l'origine de la première paire cervicale, s'accole au premier, après avoir donné les rameaux pharyngiens, et se confond avec lui vers le point d'origine des laryngés supérieurs. Elle fournit évidemment au pneumogastrique une grande partie de ses filets moteurs. Son rôle est de présider aux mouvements du pharynx, à ceux du larynx et même de la partie supérieure de l'œsophage, Bischolï, en coupant dans le crâne ses filets d'origine, a parfaitement démontré qu'il est un nerf de la phonation, un nerf vocal. Après la section de quelques fdetsdu spinal, ce savant a vu la voix devenir rauque, et, après leur section com- plète, se produire l'aphonie. L'arrachement du spinal opéré par Cl. Bernard et Longet a eu pour conséquence de rendre la glotte immobile et béante. La branche externe ou portion cervicale, qui naît sur les côtés de la moelle, dans la région du cou, sur une étendue considérable, constitue le nerf respiratoire supérieur de Ch. Bell, destiné au sterno-mastoïdien et au trapèze. Bien qu'elle soit motrice, comme la première, elle jouit d'une sensibilité que l'on peut aisé- ment constater sur les grands animaux. Dans le canal vertébral, sa sensibilité récurrente, d'après Cl. Bernard, serait empruntée à une racine de la deuxième paire cervicale; sur le cou, cette sensibilité est due évidemment aux anastomoses avec les divisions superficielles de la plupart des paires cervicales. Cette dernière branche est incontestablement destinée à animer le sterno-mas- toïdien et le trapèze qui reçoivent déjà des divisions, le premier des paires cervi- cales, le second des premières dorsales. Toute la difficulté est de décider si le spinal est un auxiliaire de ces divisions, ou s'il a une action spéciale diflerente de celle des autres. D'après Çh. Bell, qui voyait dans le spinal un nerf concourant à la phonation, à l'effort, à la toux, il transmettrait aux muscles une innervation de source spé- ciale. Il animerait le sterno-mastoïdien et le trapèze, lorsqu'ils doivent élever le thorax dans les moments où la respiration est gênée, pendant le chant, les cris, les efforts divers, l'agonie, etc. Ces muscles demeureraient au contraire animés par les nerfs cervicaux, quand ils agissent pour les besoins de la locomotion ordi- naire, c'est-à-dire pour les mouvements de l'épaule et de la tête. Ils obéiraient donc à une incitation motrice volontaire dans les mouvements ordinaires, et à une incitation différente, automatique dans les mouvements respiratoires où leur intervention devient utile. Après la section du spinal, ces muscles, paralysés en ce qui concerne la respiration, continueraient à fonctionner volontairement dans toutes les autres circonstances. Cl. Bernard^ voit dans l'accessoire de Willis, un nerf moteur destiné à intervenir volontairement dans les seuls cas où la respiration doit être modifiée en vue de la phonation et des efforts. D'après lui, ce nerf « régit les mouvements du larynx et du thorax toutes fois que ces organes doivent produire la phonation et être appropriés à des actes qui sont en dehors du ijut de la res[)iration simple. » Sa section paralyserait complètement le sterno-mastoïdien et le trapèze dans toute espèce de mouvements. 1. Bernard, /{«-:/(. nxpàimentales sur les fonctions du nerf spinal {Arcinves générales de médecine, 1814), et Leçons sur la phi/siol. et la pathol. du syst. ncrv., t. II, p. 342. PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NERFS. 213 Cette manière de voir est trop absolue. La section du spinal ne paralyse pas entièrement le sterno-masioïdien; elle l'alTaibit seulement d'une façon très mar- quée. Chez les grands quadrupèdes où le sterno-mastoïdien (mastoido-huméral) devient l'agent essentiel de la projection du membre tlioracicpic on avant, la section du spinal ne fait (pic j;èner cette [trojection et par suite rendre la marche pénible et irrégulière. Chez les petits animaux, l'opération a pour ellet, comme l'a noté Longet, de délermincr très vite ressoufflement sous l'influcnct' de la course ou des ell'orts. En sonmie, il reste; quelques doutes sur le point de savoir si le spinal est un simple nerf destiné à renforcer l'action des autres, ou s'il donne à ses muscles une motricité spéciale en vue de destinations particulières. Nous reviendrons sur ce sujet en étu;liant le mécanisme respiratoire et le rôle si diversilié que joue, chez les animaux, le grand muscle animé par le nerf spinal. m, — Des nerfs mixtes. Ceux-ci, constitués par des fibres sensitives et des fibres motrices, naissent par deux racines, l'une émanant du cordon supérieur, l'autre du cordon inférieur de la moelle, lesquelles se réunissent à une certaine distance de leur émergence, au niveau d'un ou de plusieurs ganglions appartenant exclusivement à la racine supé- rieure. Il n'en est aucun qui soit mixte, au point même où il se détache de la moelle. Les nerfs mixtes représentent la [uesque totalité des nerfs des organes de la vie animale comme la figure 23 le fait voir en un coup d"(eil. Les nerfs racbidiens rentrent dans la catégorie, ainsi que plusieurs nerfs encéphaliques qui s'anasto- mosent, les sensitifs avec les moteurs, et réciproquement. Néanmoins les pre- miers ne peuvent être mis sur la même ligne que les autres, attendu que, d'une part, les anastomoses n'ont point toujours lieu par l'intermédiaire de ganglions, et que, d'autre part, elles s'effectuent suivant des proportions telles que l'élément sensiîif prédomine dans les uns et l'élément moteur dans les autres. En générai, les nerfs mixtes sont formés par des libres sensitives un peu plus nombreuses que les libres motrices, autant du moins qu'on peut en juger à la simple inspection. Blandin a cru pouvoir établir que cette proportion, assez varia- ble, était dans l'hounne entre les racines postéiieures et les antéiieures :: 2 : 1 au cou, :: 1 : 1 au dos, et comme 1 1/2 : 1 à la région des lombes. II explique la prédominance des racines sensitives sur les niotiices, au niveau du plexus bra- chial, i>ar l'usage des membres thoraciques (pii doivent servir au toucher, tandis que les. abdominaux ne sont préposés qu'à la locomotion. Dans le chien et d'au- tres quadrupèdes, il y aurait à peu près égalité entre les unes et les autres, par suite de la même destination des extrémités. Je n'ai jamais pu, sur le cheval, déterminer cette proportion ni au niveau îles plexus, ni dans les [loints internu'- diaires. Quelles que soient les proportions cjui existent entre la quantité des libres sen- •214 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. sitives et celle des fibres motrices dans les nerfs mixtes, ces fibres ne se confon- dent point, et n'ont entre elles aucune communication transversale : chacune* reste distincte et conserve son caractère spécial, depuis sa sortie de la moollo Kiii. 2;j. — lMiseinl)l(' (les nerl's cérébro-spinaux. jusqu'à sa terminaison péri|»lirri(|iie, de sorte qu'il y a réellement deux nerfs, danscliaque nei'fmi.\l,(', ikmCs distincts à leur émergence, distincts encore soU vent à leur extrémité terminale; car on voit les branches sensitives se porter îi la PROPKIÉTÉS ET FONCTIONS DES NERFS. 'ilo peau, et les brandies inotiices aux muscles où elles restent, cependant, encore accolées à une certaine quantité des premières. Par ces ingénieux arlilices de l'union des éléments nerveux et de leur mélange sans confusion, les fibres sensi- tives et les libres niotiices se distribuent à la fois aux parties où leur présence est nécessaire, et isolément, les unes à l'exclusion des autres, dans celles où elles ne sont pas toutes indis|)ensables. Une fois les pro[>riétés et les fonctions des nerfs sensitifs et des nerfs moteurs connues, il devient laciie de déterminer celles des nerfs mixtes lesquelles résultent de leur association. Ije nerf mixte conduit les impressions de la péripliérie vers les parties centrales et l'excitation motrice de celles-ci vers les muscles. Il est le siège d'un double courant : l'un, centripète, pour les impressions; l'autre, {enlrifuge, pour les volitions et la force motrice. Cliacun de ces courants s'opérant dans des libres distinctes, le premier dans celles des racines supérieures, le second dans celles des racines inférieures, ils ne peuvent ni se croiser ni se confondre. Ce nerf est à la fois sensible et excitable ; l'exci- tation qu'il éprouve détermine de la douleur et des contractions. Enlin, dans toutes les circonstances, son action se compose de deux actions qui s'opèrent ensemble comme elles le feraient isolément, et ces deux actions sont susceptibles de se séparer, comme cela s'observe dans les paralysies simples ; l'une peut se perdre, tandis que l'autre persiste dans toute son intégrité ; en un mot, il peut y avoir paralysie du sentiment avec conservation du mouvement, et vice verso. Les nerfs mixtes, avons-nous dit plus haut, naissent par deux racines. Il faut en déterminer les propriétés pour bien comprendre le double rôle de ces ner.^'s. On sait que c'est à Gli. Bell que la physiologie doit les premières expériences sur les racines des nerfs. Cet illustre observateur, après avoir reconnu que les cordons supérieur et inféiieurde la moelle épinière ne possèdent pas les mêmes propriétés, mit à nu les racines des nerfs spinaux et les irrita isolément : il vit que la section des supérieures ne produit pas de contractions et laisse aux muscles leur motricité, et que l'irritation ou la section des inférieures provoque des convul- sions. Magendie, en 1822, constata très nettement que les racines ont des fonc- tions différentes, que les supérieures sont affectées à la sensibilité et les inférieures au mouvement. Il avait vu qu'après la section des racines supérieures des neils au niveau du plexus loud)aire, le membre perd sa sensibilité en conservant sa motricité, et qu'après la section des racines inférieures il perd sa motricité en conservant sa sensibilité-. Kn coupant les racines supérieures d'un plexus et les inférieures de l'autre, il avait produit sur un meud)re la }>aralysie du sentiment, et sur l'autre la paralysie du mouvement. Mrdleren expérimentant, en 1831, sur les grenouilles, arri\a aux mêmes résul- tats que Magendie. Vax découvrant la moelle, au niveau du plexus lombo-sacré, il coupa çn travers les racines supérieures, et vit que l'excitation du bout périphé- rique à l'aide d'une aiguille ou d'un courant galvani(pie ne détermine pas de contractions; que celle du bout périphéri(pn' des racines inférieures couijées en travers provoque des convulsions. Pour la [tremièrefois, il expliqua par une action rétlexe les mouvements ([ue provoque l'irritation d'une racine su|iérieure encore attachée à la moelle. 216 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. Les racines inférieures ne sont pas seulement motrices, elles donnent des indices plus ou moins évidents de sensibilité dite récurrente, sensibilité sur l'existence et les causes de laquelle les physiologistes ont eu grand'peine à tomber d'accord. Magendie l'avait constatée dès ses premières expériences, sans en deviner la signi- fication. En 1839,Longet, soupçonnant qu'elle pouvait être donnée à ces racines par des ûhves, dérivées des racines postérieures, coupa celles-ci et vit que les infé- rieures correspondantes ne présentaient plus de sensibilité. La sensibilité récurrente, qui n'estjamais bien vive, ne se constate pas facilement à la suite des graves et douloureuses mutilations que nécessite la mise à nu delà moelleet de quelques racines. Elle ne devient évidente que sur des animaux vigou- reux, dont la moelle et les racines sont mises à découvert depuis quelques heures, sans hémorrhagie considérable. Dans ce cas, en pinçant une racine inférieure un peu volumineuse, on détermine de la douleur à la condition que la racine supé- rieure correspondante est intacte. Et si l'on vient à couper cette racine inférieure, le bout périphérique seul donne des indices de sensibilité sous l'influence des excita- tions. Cette sensibilité s'explique par la présence de fibres qui se rendent de la racine supérieure dans l'inférieure, et qui de là, en suivant un trajet rétrograde, reviennent à la moelle. La disposition de ces fibres peut être conçue, d'après Claude Bernard ^, telle que la donne la figure suivante. FiG. 24. — Dispositions hypottiétiques des fibres récurrentes (*). On peut encore concevoir la sensibilité récurrente telle que les chirurgiens l'ont constatée, M. Richet entre autres, après la section des nerfs du bras ou de la main, sans l'hypothèse des hbres rétrogrades et par l'action des anastomoses si nombreuses qui existent entre les branches d'un môme nerf ou entre les nerfs voisins. En effet, étant donné un nerf sectionné au bras ou à la main, si l'on vient à piquer le segment inférieur de ce nerf, l'impression qu'il éprouvera pourra très bien être reçue par quelques libres sensitives provenant des nerfs voisins accolées aux libres sectionnées mais demeurées intactes et par conséquent en communication avec la moelle par les racines supérieures. De cette manière la sensibilité dite récurrente ne scrfiit autre cjiose que la sensibilité ordinaire. Dans rhyjtothèse aujoiird'liiii iicc('|)té(' , le ]»uiiil où s'effectue la récur- ]. nernai-(], Lcruns sur la iili.ijsiDhiiji.r et la [iiilliDlDiiii; du. si/s/iu ■reit.r, t. II, p. 402. (*) H, racine postérieure et son ganglion; P, ses fibres directes se rendant ;'i la peau; V, racine inléricnie avec SCS fibres directes se rendant aux muscles M ; A^ fibre récurrente partant de la moelle pour y revenir. PROPRIÉTÉS ET FONCTIONS DES NERFS. •217 rence des libres sen- sitives qui émanent des racines supérieu- res est indétermi- né. Une expérience do Magendie, qui ronsiste à couper le tronc- du nerf à quelques lignes au- dessous du gan- glion, prouve que le retour des fibres n'a pas lieu au ni- veau du ganglion, car s'il s'eflecluait en ce point, la sec- lion ne portant pas sur elles laisserait subsister la sensibi- lité récurrente. Or, celle-ci s'éteint alors conq^lètement. D'un autre côté, l'expé- rience de Scliiff, dans laquelle la sec- tion delà racine pos- térieure, un peu au delà du ganglion, est suivie de la dégéné- FiG. 25. — Segment (le la moelle épiniùre du cheval pris au niveau du plexus brachial (*). (*) A, racines supérieu- los; B, racines inférieures , C. ganglions multiples des racines supérieures ; D, ganglion unii|ue sur une paire nerveuse étrangère au plexus brachial; E, E, racines supérieures au point où elles traversent les enve- loppes. J'ai donné celle li- gure (qui m'a été eniprunléo sans mention d'emprunt), pour montrer que dans le pirxus brachiiil des solipè- des il y a plusieurs gan- glions aux racines supé- rieures. /?LACK7'R3AUmTFT 218 DES FONCTIONS DTJ SYSTÈME NERVEUX. rescence de quelques filjres de la racine inférieure semble prouver que, pour un 2 certain nombre de libres, la récurrence S a lieu à compter du ganglion. Celle-ci s'effectuerait donc à des distances variables du ganglion, suivant les nerfs, ou se ferait à des hauteurs diverses pour les libres d'un nerf donné. En somme, la sensibilité ré- currente paraît due à des fibres qui se rendent de la racine supérieure dans l'inférieure pour revenir à la moelle. Les fibres sensitives quiseren- dent à la racine motrice n'onl-elles qu'un rôle relatif à la nutrition de la moelle, comme celles qui se dis- tribuent aux autres nerfs moteurs et à la généralité des tissus, ou ont-elles en outre celui d'associer les fonctions des deux racines et de concourir à l'accomplissement des phénomènes réflexes?; C'est ce qui n'est pas ac- tuellement décidé. Les deux racines diffèrent anato- miquement l'une de l'autre par la présence à la supérieure d'un gan- glion simple dans l'homme, et mul- tiple dans divers animaux, notam- ment les solipèdes, où il résulte du rapprochement d'un grand nombre de ganglions plus petits, surtout au niveau du plexus (fig. 25). Ce gan- glion reçoit les fibres des racines supérieures qui le traversent en fais- ceaux isolés ou anastomosés et il mon- tre dans leurs intervalles des cellules ganglionnaires qui paraissent donner naissance à des libres spéciales se dirigeant toutes vers la périphérie. scH.w£.i.TSŒM aiiL^. J.LBVÏ.5C, Dans riiomnie et les mammifères, les Fjg. 26. — Segment de laiiioeliederiioiiiiiio micrographes n'ont trouvé aucune avec les riiciiies nerveuses {*). „ -, „„.„„ „„„ n i i ^ ' connexion entre ces cellules ou leurs libres propres elles libres des racines; mais, chez les poissons, Wagner et (•) 1, \, 1, ï, ligaments dentelés; 3, 3, 3, racines postérieures des nerfs; 4, 4, ',, racines antérieures; !5, !>, 5, ganglions des racines postérieures ou sensitives, unis aux racines antérieures; 5, !i, !i, à gauche, les mêmes ganglions isolés des racines antérieures. PROPRIÉTÉS i-:t fonctions des nerfs. 2\\) M. Robin ont vu chaque fibre de la racine sensitive soudée ù une cellule gan- glionnaire. La racine motrice ne fait que s'accoler au i,'anglion et se joindre aux libres sensitives au-dessous de lui. Là les deux espèces de libres se mêlent intimement, de telle sorte que, dans un faisceau pris au hasard, elles se trouvent dans la mémo proportion que dans l'ensemble du nerf, La partie sensitive du tronc mixte est formée surtout, d'après Kolliker, de tubes minces et la partie motrice de tubes larges. Mais, tous ces tubes doivent prendre dans les diverses ramifications un diamètre uniforme. Les ganglions des nerfs spinaux jouissent des [uopriéfés des racines supérieures, ils sont sensibles à toutes les excitations, soità la surface, soit à l'intérieur. Waller, [)ar des expériences lort rcmanpiables, a montr('' (juune de leurs fonctions est de présider ù la nutrition des nerfs. En elfet, après avoir coupé les deux racines de la deuxième paire cervicale, qui est très accessible à l'expérimentation, l'on trouve au bout de quelques jours les libres du bout central delà racine supérieure dégé- nérées, tandis que celles du bout attenant au ganglion sont demeurées intactes. Dans la racine inférieure, la dégénéresccnse frappe la partie attachée au ganglion et non celle qui tient à la moelle. D'où il suit, ce me semble, que c'est par l'influence du ganglion que se maintient l'intégrité des rd)res sensitives y demeu- rant attachées, et par celle de la moelle, au contraire, qu'est maintenue l'inté- grité des fd)res motrices. On voit donc, en prenant les propriétés des nerfs à leur point de départ, que lii sensibilité et la motricité ont un siège commun dans la substance grise de la moelle, qu'elles commencent à se démêler dans les cordons blancs de cet organe, deviennent tout à fait distinctes dans les racines, puis dans le reste du nerf jusqu'à ses divisions ultimes. La séparation physiologique des propriétés précède donc la séparation, au moins apparente, des éléments qui en sont doués. Mais elle a son point de départ dans les cellules des centres, car ainsi que nous l'avons rappelé plus haut, toutes n'ont ni la même forme, ni les mêmes dimen- sions; les unes sont sensitives, les autres excito-motrices. Les libres elles-mêmes ont des actions diverses comme le fait soupçonner la diversité de leurs caractères anatomiques. Cette séparation entre les éléments sensitifs et les éléments moteurs des nerfs et des centres nerveux, ne parait nettement elfectuée que chez les animaux supé- rieurs. Il n'est pas bien établi, quant à présent, qu'elle existe chez les inverté- Itrés. Nevvporta cru cependant la voir chez les crustacés, où il a décrit une chaîne ganglionnaire constituée par deux cordons superposés, le supérieur simple, l'infé- rieur pourvu de ganglions. Et, plus tard, Longet a voulu expérimentalement con- firmer les conjectures de Ncwport. Il lui a semblé reconnaître dans les racines venant du cordon supérieur l'excitabilité et rinsensibilité des rficines motrices, et, au contraire, dans les inférieures émanées des ganglions, la sensibilité donnée par le cordon supérieur de la moelle des vertébrés; mais tout cela a été contesté par des observateurs qui, du reste, paraissent s'être bornés à des études très superficielles. Il y a, bien certainement, des recherches d'une haute impor- tance à faire sur ce point. 220 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. CHAPITRE; V FONCTIONS DU GRAND SYMPATHIQUE Le cerveau, la moelle épinière, les nerfs encéphaliques et les nerfs rachidiens, dont nous venons d'examiner l'action générale, ne forment pas à eux seuls tout le système nerveux : celui-ci comprend encore cette série de ganglions et de filets qui constituent, par leur ensemble, le grand sympathique, série tantôt considérée comme partie intégrante de ce système, tantôt, au contraire, comme étant un système spécial plus ou moins distinct et indépendant du premier. Considérations g-éiiéi^ales. — Avant Bichat, déjà quelques anatomistes avaient été frappés des caractères insolites du grand sympathique : ils avaient remar- qué, dans la disposition générale de ce nerf, dans son mode de distribution, sa texture et ses propriétés, des particularités qui le distinguent essentiellement de tous les autres ; mais leurs observations étaient à peu près demeurées stériles et n'avaient donné à personne l'idée de le séparer complètement du système cérébro-spinal, Bichat, qui avait vu dans l'organisme deux ordres de fonctions, les unes chargées de mettre l'animal en relation avec le monde extérieur, les autres destinées à le nourrir et à le conserver, rapporta les premières à l'influence des nerfs cérébro- spinaux et lit dépendre les secondes de celle des nerfs ganglionnaires : d'où il dis- tingua le système nerneux de la vie animale de celui delà vie organique, l'un ayant un centre unique, le cerveau, auquel les nerfs apportent les impressions et d'oi!i ils emportent les volitions, l'autre ayant autant de centres qu'il y a de ganglions ou de petits cerveaux indépendants. De ces deux systèmes nerveux, le premier est symétrique, parce qu'il se distribue à des organes qui le sont aussi ; sa symétrie se retrouve partout, aussi bien dans les parties périphériques que dans les masses centrales ; sa moitié droite peut quelquefois agir seule lorsque la gauche est pa- ralysée, et réciproquement. Le second est insymétrique, irrégulier, parce qu'il se rend dans les organes qui ont ce caractère. La forme de ses plexus, de ses ganglions et de ses (ilets oiïre une foule de variations ; chacun de ses renflements ganglion- naires reçoit et donne un certain nombre de filets dont quelques-uns servent ù le mettre en communication avec les renflements voisins ou avec les nerfs de la vie animale; mais il est indépendantetn'aavec l'autre que des comnmnicalions anas- toniotiques.Ce système de la vie organique a une structure particulière et des pro- priétés spéciales; il ne sert point aux sensations ni à la locomotion volontaire: il préside aux actions obscures de la nutrition, des sécrétions, etc. Cette grande distinction, établie par Bichat, était poussée trop loin; leur auteur s'en exagéra l'importance; il ne vit point que de ces deux systèmes qu'il isolait, l'un a de la prééminence sur l'autre, qu'il tient sous sa dépendance. L(! grand sympalhiquc existe chez tous les animaux vertébrés. 11 oll're son maximum de développement dans les mammifères supérieurs, et décroît, d'après les observations de Cuvier, deBlainvillcet delà plupart des anatomistes, à mesure qu'on s'éloigne {dus de l'espèce humaine. La cause de cette décroissance paraît FONCTIONS DU GRAND SVMI'ATIII01:f:. 221 résulter de ce que ce nerf, étant destiné à soustraire, en partie, les fonctions végétatives à l'influence du système cérébro-spinal, a d'autant moins besoin d'un grand développement que cotte influence s'affaiblit, d'une manière progressive, des mammifères aux oiseaux, de ceux-ci aux reptiles, et enlin de ces derniers aux pois- sons. Elle paraît tenir aussi, suivant Serres, à l'atrophie graduelle de l'appareil circulatoire, auquel le sympafliiqiio est plus spécialement destiné, (juoi qu'il FiG. 27. — Ganglion sympathique! (l'aiirès Leydig (*). FiG. 28— Ganglion spinal ('*). en soit, letrisplancliniquese montre déjà, comme il a été dit précédemment, cbez les invertébrés, notauuucut chez les annélides et les crustacés; mais il no s'y dis- lingue pas très bien des autres nerfs. Il est très grêle dans les poissons, oi'i il offre à peine quelques petits ronflements ; néanmoins, dans ces animaux, il communique avec les nerfs crâniens et spinaux. Dans les reptiles, il est encore si pou apparent que quelquefois il n'aurait pas été rencontré ; mais il olfre, dans les tortues, des (*) a, a, fibres nerveuses; b, b, cellules multipolaires. (*•) A, racine sensitWe avec son ganglion à cellules multipolaires; B, racine motrice; C, branche postérieure du nerf devenu mixte ; D, branche antérieure de ce nerf. 222 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. ganglions fort reconnaissables, anastomosés les uns avec les autres et donnant des rameaux aux viscères. Dans les oiseaux, on le voit prendre un développera en t co n sidérable : sa portion cervicale, qui avait paru manquer, suit l'artère vertébrale dans le conduit trachélien des vertèbres. Entin, dans les mammifères, sa disposition offre des caractères à peu près constants. Il constitue chez eux un véritable réseau (iig. 29) s'étendant d'une extrémité du corpsà l'autre, et formé : dans la région céphalique, par les ganglions ophthalmique, sphéno-palatin, otique et sous-maxillaire, qui reçoiventdesfiletssensitifsetmoteurs de plusieurs nerfs crâniens ; dans la région cervicale, parle ganglion cervical supé- rieur, le tîlet accolé au pneumogastrique et celui qui accompagne l'artère verté- brale; dans la région thoracique, par le ganglion cervical inférieur, le cordon sous- costal, les plexus cardiaque et pulmonaire; enfin, dans la région abdominale, par le ganglion semi-lunaire, les plexus solaire, cœliaque, mésentérique posté- rieur, les cordons qui suivent les vertèbres et se continuent dans la cavité pel- vienne. Il est partout continu à lui-même et en communication avec le système cérébro-spinal: à la tète, par les nerfs moteurs de l'œil, le trifacial, et au cou par les paires cervicales ; dans le thorax et l'abdomen, parle nerf vague, par toutes les paires dorsales, lombaires et sacrées. Il est mis ainsi en rapport d'une façon intime, avec le système nerveux de la vie animale. Enlin, il se distribue par une infinité de filets aux parois des vaisseaux, aux glandes, au cœur, au poumon, au foie, à la rate, à l'estomac et à tous les autres viscères, surtout à ceux de l'abdomen qui ont leurs artères enlacées par des réseaux plexito -mes très serrés. Quelques-uns de ces organes, tels que le foie, l'intestin, ne reçoivent que des divisions ganglionnaires; d'autres, comme le poumon, l'estomac, reçoivent en même temps des nerfs encéphaliques; enfin, certains d'entre eux, la vessie, le testicule, le sphincter, le rectum possèdent des ramifications des nerfs rachidiens associées à celles du sympathique. Il ne faut pas perdre de vue ces particularités dans l'interprétation du rôle du système ganglionnaire. La structure intime du grand sympathique, dans ses ganglions ei ses filets, ne diffère pas très notablement de celle du système céphalo-rachidien. Les ganglions (fig. 27 et 28) possèdent, comme ceux des nerfs spinaux, des fibres nerveuses qui les traversent simplement, d'autres fibres qui y prennent naissance et enfin des cellules arrondies de petites dimensions, pâles, unipolaires ou multipolaires. Les premières de ces fibres, en grande partie formées de tubes minces qui partent de la moelle, traversent les ganglions spinaux et doivent être considérées comme les racines du sympathique; les autres sont des fibres propres au système ganglionnaire. Les cordons et les filets sont constitués : 1" par des tubes nerveux opaques, de diamètre très variable dont aucun ne paraît naître dans le sympathique lui-même; 2° par une grande quantité d'autres tubes pâles, très déliés, propres au nerf et qui naissent de distance en distance dans les cellules ganglionnaires, tubes minces que l'on avait appelés fibres sympathiques depuis les recherches de Volk- mann; 3° par des fibres gélatineuses, dites de Remak, j)âles, plates, striées, semées de noyaux et souvent anastomosées en réseaux, poitant quelquefois, sur leur triijcl ou h li'iir terminaison, des cellules nerveuses, ramifiées, unies entre FONCTIONS DLÎ GRAND SYMPATHIQUE. 22:3 FiG. 29. — (Jrand sympathique de rhoinme, cl'ai)rès Dourgery et Manec ('). (*) 1, facial; 2, ganglion otique; 3, ganglion ophthalraique; i, ganglion sphéno-palatin : 5, lingual; (i, piieumogustrique ; 7, branche antérieure de la cinquième paire cervicale; 8, première branche antérieure intercostale; fl, première branche antérieure lomb;iirc ; lu, première branche antérieure sacrée- Il Dle\us brachial ; il, plexus lombaire; i:!, lilet cervical du sympalhi(|iio; I i, i;anglion cervical moven- l'i canflion cervical iuf.-rieur; lli, plexus cardiaque ; i:, ganglion thoracique ; 18, grand splauchuique ; 10, ganglion semi- lunaire; 20, plexus solaire; li, plexus méseutérique supérieur; 21, plexus aortique; 23, plexus mésentérique iqférieur; .'1, anastomoses entre les plexus; i:., plevus hyp^gaslrique ; li\, ganglion lombaire; 11, ganglion 224 DKS FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. elles comme Meissner et d'autres en ont trouvées à l'état de réseaux sous la muqueuse ou entre les deux plans de la tunique charnue de l'intestin, cellules qui constituent de véritables ganglions, notamment au cœur, dans les poumons, l'utérus, etc. Toutes ces fibres, quelles qu'elles soient, se terminent dans les organes, les unes en se subdivisant, les autres par de simples extrémités libres dépourvues de substance médullaire. Le système du grand sympathique n'est ni une simple émanation du cérébro- spinal, ni un système indépendant; par des échanges fréquents, il se lie au pre- mier, lui emprunte des fibres et lui en envoie, tant à ses cordons qu'à ses parties centrales. La méthode expérimentale de Waller a permis de constater la réalité de ces échanges, et de montrer que les branches de communication entre le sym- pathique et les nerfs cérébro-spinaux sont formées de filets dont les uns se ren- dent à la périphérie en s'associant à ces derniers nerfs, et dont les autres remon- tent vers les ganglions spinaux et vers la moelje en se mêlant surtout aux fibres des racines inférieures. Il en résulte que, si, à l'exemple de Waller, on coupe un nerf spinal en dehors du canal rachidien, on trouvera bientôt toutes ses fibres altérées, sauf celles qui proviennent des rameaux de communication du grand sympathique, lesquelles n'ont pas leur centre de nutrition dans la moelle épinière. Propriétés. — Les propriétés des ganglions et des filets du grand sympa- thique n'ont pas été jusqu'ici très bien déterminées. Bichat a irrité le ganglion semi-lunaire du chien sans provoquer de douleur appréciable. Wutzer, Lobstein, disent avoir obtenu le même résultat. Haller, qui a mis tant de soin à distinguer les parties sensibles des insensibles, s'est à peine occupé du système ganglion- naire. Il n'a guère fait que deux expériences sur les nerfs des plexus viscéraux, et encore ont-elles donné des résultats contradictoires : « Je cherchai, dit-iP, sur un chien les nerfs qui accompagnent l'artère cœliaque et la veine porte ; je les irritai ou du moins je crus les avoir irrités ; l'animal ne parut pas sentir ce que j'avais tait. » Puis il ajoute : « Je cherchai encore une fois le plexus des nerfs qui accompagnent l'artère cœliaque et la veine-porte. Je les irritai; l'ani- mal parut avoir senti de la douleur, mais il n'en résulta aucun mouvement dans le foie ni dans l'estomac. » Flourens ^ a, le premier, établi, d'une manière pré- cise, que les ganglions comme les nerfs du sympathique sont sensibles à divers degrés, mais toujours moins que les nerfs du système cérébro-spinal. Il a cons- tamment observé que le pincement du ganglion semi-lunaire du lapin excite de vives douleurs et que celui des ganglions cervicaux donne lieu, de loin en loin, à des manifestations d'une sensibilité obscure. Depuis, Mayera reconnu que la section du ganglion cervical supérieur ou l'irritation du plexus solaire détermine de la dou- leur. Millier a vu aussi que l'irritation mécanique du semi-lunaire ou la ligature des nerfs rénaux est douloureuse. Enfin, Longet^ a fait naître également des ma- 1. Haller, Mém. sur la nnt. sens, ef irrit. des part, du corps animal, 1. 1, p. 218, exp. 170, 171. 2. Flourens, Ilecherches sur les propr. et les fond, du système nerveux, 2" édit., p. 229. 3. Lonpcl, Tmité ilc p/iysiolof/ie, t. III, ]>. 593. FONCTIONS DU GRAND SYMPATHIQUE. 22o nifestations de sensibilité en irritant, soit les ganglions semi-lunaires, soit les ganglions cervicaux et lombaires. Dans des expériences nombreuses communi- quées à l'Académie des sciences ', j'ai constaté que toutes les parties du système ganglionnaire, accessibles aux irritations, sont sensibles à divers degrés. Mes redierciies ont eu pour but di' déterminer comparativement le degré de sensi- bilité des princi{taux ganglions et des trois espèces de lilets du sympathique, savoir : ceux qui unissent les ganglions entre eux, les rameaux de communica- tion entre le système ganglionnaire et les nerfs spinaux, enfin les divisions (jui se rendent aux viscères. Elles ont été exécutées sur le cheval, le bélier, le taureau, le chiiMi et le lapin. Leurs résultats se résument dans les propositions suivantes : 1° les ganglions du grand sympathique sont tous sensibles à divers degrés; le semi-lunaire, les thoracicjuesplus que le cervical supérieur; 2" les ganglions un peu volumineux paraissent plus sensibles dans leurs parties gonflées, grisâtres, d'aspect homogène, que dans les parties minces, striées, plexi formes; 3° la sen- sibilité de ces organes est mieux mise en jeu paf le pincement, la constriction, que par les piqûres, la section et l'application des caustiques; 4"> les irritations produites sur eux sont immédiatement perçues pour peu qu'elles soient fortes ; mais elles ne sont suivies de réactions qu'après plusieurs secondes si elles sont faibles; o° les ganglions dont le tissu a été irrité dans un grand nombre de points, peuvent perdre la faculté de transmettre les in)pressions produites sur eux ou sur les nerfs qui en émanent ; 6° tous les nerfs ganglionnaires sont sensibles aussi à divers degrés; mais leur sensibilité paraît, en général, moins prononcée (pie celle des ganglions; 7" la sensibilité de ces nerfs isolés ou en [ilexus s'allai- blit à mesure qu'ils acquièrent de la ténuité; elle est presque nulle dans les petits lilets; 8" [)armi les nerfs ganglionnaires, ceux qui mettent en communication le sinipathique avec le système cérébro-spinal sont les plus sensibles. Ceux qui unissent les ganglions entre eux, le sont moins et les filets destinés aux viscères ne le sont plus qu'à un tiès faible degré; 9" la sensibilité des filets sympathiques est éveillée, comme celle des ganglions, surtout par Ir pincement et la constric- tion. Elle s'affaiblit, s'éteint même momentanément, dans certaines conditions sans que le tissu nerveux paraisse lésé ; 10' les impressions produites sur les nerfs ganglionnaires sont transmises le plus souvent avec la rapidité de celles qui s'exercent sur les nerfs encéphaliques ou rachidiens; cependant, si elles sont peu intenses, elles peuvent n'être perçues qu'après un délai de plusieurs secondes. Depuis, j'ai eu l'occasion de vérifier mes premières observations, notamment sur les animaux de grande taille. J'ai vu, sur des génisses, les semi-lunaires et les lilets qui en émanent sensibles au pincement, à la ligature, à l'excision; sur l'agneau incomplètement anesthésié, le ganglion s'est même montré sensible, ainsi que ses anastomoses avec le nerf vague. Il importe, pour constater la sensibilité des ganglions et des lilets du sympa- thique, dans le thorax ou Tabdoujen, de ne pas produire de délabrements trop 1, G. Colin, Sur les divers degrés de seftsibilifé des ganglions et des filets du grand sympatliique (Comptes rendus de r Académie des sciences, 13 mai 1861). o. COLIN. — Physiol. comp. 3' édit. ) — l.'i •226 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. douloureux et de ne faire agir les stimulants qu'à compter du moment où l'animal est un peu remis des premières douleurs. Alors, il sullit de pincer ou d'étreindre fortement par un lien une artère des -viscères abdominaux, comme les gastriques, la spléiiique, l'hépatique, pour s'assurer que les irritations sont très douloureuses. D'ailleurs, dans les conditions pathologiques, la sensibilité du sympathique, en s'exaltant, devient très manifeste. Les atro- ces douleurs des coliques, dues à l'inva- gination, au volvulus, à l'étranglement de l'intestin, au déplacement d'un calcul, à l'action de certains agents toxiques et toutes celles qui ont leur point de départ dans les viscères irrités en sont la preuve. Dans tous les cas, cette sensibilité n'est pas assez exquise pour être mise en jeu par des irritations faibles. Aussi, peut-on regar- der comme vraisemblable cette ingénieuse hypothèse de Reil, d'après laquelle les nerfs et les ganglions seraient des demi-conduc- teurs laissant passer seulement les impres- sions vives et arrêtant les impressions faibles. Les nerfs ganglionnaires ne sont pas seu- lement sensibles, ils sont encore excitables. Ils jouissent de la faculté de déterminer des contractions musculaires involontaires. A. de Humboldt, en mettant les nerfs cardiaques en rapport avec un courant galvanique, a vu, après la mort, les mouvements du cœur reparaître. Burdach a accéléré la vitesse des contractions de cet organe, sur un lapin qu'on venait de tuer, en arrosant ses nerfs avec de la potasse ou de l'ammoniaque; enlin, Millier et Longet ont constaté que les mouvements de l'intestin, ralentis ou à peu près éteints, reprenaient une grande vivacité dès qu'on touchait le ganglion semi- lunaire avec de la ])otasse caustique. J'ai observé aussi que le côlon replié du ciieval,dont les mouvements sont peu apparents dans les circonstances ordinaires, se contracte énergiqueraent, quand on vient à pincer ou à ii-riter, avec de l'acide azotique, les gros cordons nerveux qui hjiigent ses artèfes. Dans tous les cas, on remarque que r(;iretde l'irritation n'est point instantané, comme celui qui résulte de l'irritation des nerfs rachidiens. C'est seulement après quelques secondes que la contraction se produit, et elle persiste encore un certain temps a|»rcs que sa cause a cessé d'agir. Du reste, on ne sait si le principe excitateur des mouvements développés dans ces circonstances, sous l'inlUience des nerfs ganglionnaires, FiG. 3U. — Al Ici e '-j>ki]ii]ue liu che- val, à son origuie, entourée de filets ganglionaires. FONCTIONS DU GRAND SVMPATllIOLi;. 'l-ll vient de la moelle, des ganglions du sympathique ou de ses lilets : le lait de la [)ersistance des mouvements du cœur et de l'intestin, avec leur rliythme normal, après que ces organes ont été sé|>arés du corps ainsi que des ganglions et des plexus nerveux, semble indiquer qu'il vient, au moins en partie, des lilcls eux- mêmes ou de leurs ganglions microscopiques. Le grand sympathique est donc doué, à la fois, d'une sensibilité spéciale et de la faculté d'exciter des mouvements, deux propriétés dont l'exislence s'exiilique l>ar les (ibres sensitives et les fibres motrices qu'il reçoit du système cérébro- spinal, à la tète, au cou, dans le thorax et l'abdomen, libres que l'on peut suivre jusque dans l'intérieur des ganglions où elles se mêlent avec celles qui lui sont propres. Fouet i4»ii.««* — Les fondions du grand sympathique résultent de ses j»ro- priétés. Elles se l'attachent : l^à la sensibilité ; 2° au mouvement; 8" aux actions organiques des parties dans lesquelles il se distribue. Avant de les envisager sous ce triple point de vue, il faut voir si elles tiennent à l'activité propre du nerf, à celle du système cérébro-spinal, ou enfin, à la fois, à l'une et à l'autre. Bicliat |)ensait que le système ganglionnaire jouissait d'un(; activité spéciale, indépendante, qu'il tenait de soi et pouvait exercer seul. Cette activité n'aurait point, suivant lui, un centre unique, mais procéderait d'autant de centres qu'il va de renllciiients ou de ganglions faisant, chacun, l'office d'un petit cerveau indé- pendant de l'encéphale et de tous les autres ganglions semblables. Et, non seule- ment, dans son opinion, ces cerveaux seraient, par eux-mêmes, les instiiiinents de l'activité de ce système, mais ils seraient encore les agents chargés d(> l'isoler de celle du système cérébro-spinal, soit en arrêtant les imju-essions qui tendent à se propager à la moelle et à l'encéphale, soit en empêchant les volitions d'arriver aux muscles dont les mouvements doivent être indépendants de la volonté; ils recevraient eux-mêmes ce; im[)rcssions, sans qu'elles fussent senties et réagi- raient ensuite pour provoquer les mouvements involontaires : par là ils devien- draient, chacun, la cause d'une action réilexe, comparable à celle de la moelle, d'autant mieux que les ganglions reçoivent des impressions qui n'ont pas besoin d'être senties de l'encéphale pour provoquer des mouvements plus ou moins involontaires. Dans certaines circonstances, néanmoins, les ganglions cesseraient d'être isolants, les impressions les traverseraient pour arriver aux centres céré- bio-spin;iux, et ils hiisseraieiit i)asser les excitations de ceux-ci, qui inlluence- raicnt ainsi directement les mouvements de la vie organique, La sphère d'activité du système ganglionnaire serait donc, comme le disait Reil. une sphère distincte à laquelle al)outiraient les impressions, et de laquelle partiraient des excitations motrices, sans (|ue ni les unes ni les autres pussent en sortir, du moins à l'état normal. Quoiqu'il y ait une part d'exagération dans cette manière de voir, il est hors de doute (|ue la sphère de la vie organique est séparée, jusqu'à un certain l»oint, de celle de la vie animale, que, dans la première, les mouvements sont automatiques, involontaires et les impressions obscures, inconscientes, tandis que dans la seconde, les mouvements doivent être dirigés par la volonté et les impressions vivement senties. Mais, l'isolement des deux sphères a des limites; il n'exclut ni la suliordiiiation de l'une à l'autre, ni les inlluences réciprotjues. 228 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. Les recherches de MM. Budge et Waller^ tendent à démontrer que le grand sympathique tire le principe de son activité de la moelle épinière. Ces expérimen- tateurs ayant noté, d'une part, que la section du filet cervical de ce nerf détermine un resserrement de la pupille, ainsi que Pourtour du Petit en avait déjà fait la remarque, et d'autre part, que la galvanisation du même lilet produit, au con- traire, une dilatation considérable de cette ouverture, ont voulu trouver le point de départ de l'influence motrice exercée sur l'iris par le sympathique. Ils ont cru le voir dans un segment de la moelle épinière compris entre la deuxième vertèbre cervicale et la sixième dorsale. En effet, si l'on galvanise ce segment, les pupilles se dilatent des deux côtés, comme dans le cas où l'irritation est appliquée aux filets cervicaux ; la dilatation ne s'opère plus que d'un seul côté si l'un des nerfs est coupé, et elle n'a lieu ni de l'un ni de l'autre dès que les deux nerfs sont divisés. La galvanisation des autres parties de la moelle reste sans aucune action sur les mouvements de l'iris. M. Budge croit prouver, par des expériences fort simples, que l'influence motrice exercée par les filets du sympathique sur l'œil pro- vient directement de la moelle et non des ganglions spinaux. Après avoir mis à découvert la première et la deuxième paire des nerfs dorsaux, il irrite la racine postérieure de la première paire, et bientôt la pupille se dilate du côté de la paire irritée; mais dès que la racine est coupée en travers, l'irritation appliquée sur elle reste sans effet, puisque le pouvoir réflexe de la moelle ne peut plus se transmettre. Il est évident que si, dans cette circonstance, le ganglion était l'or- gane de l'action réflexe, l'irritation de la racine postérieure contribuerait à produire la dilatation de la pupille comme avant la section. Les ganglions sont, dans cer- taines limites, des foyers d'activité propre, des centres excito-moteurs autonomes, dont l'action peut être activée ou ralentie, mais non suspendue par le système cérébro-spinal. Ce sont de petits cerveaux, comme le disait Bichat, mais des cerveaux inconscients, de petites moelles épinières douées d'un pouvoir réflexe incontestable. D'autres faits semblent également montrer que le point de départ de l'activité du sympathique est, en partie au moins, dans la moelle. On sait que l'irritation de ce centre, par le galvanisme, active les contractions intestinales et, en général, celle des vaisseaux de l'abdomen : les troubles qui surviennent dans la nutrition et les sécrétions de l'œil, après la section intracrâniénne de la cinquième paire, montrent aussi que l'encéphale est une des sources de cette activité. Tout en admettant que l'activité du sympathique est empruntée à celle du système cérébro-spinal, il faut bien se garder de croire que cette dernière passe tout simplement dans les nerfs ganglionnaires, bien (ja'une telle manière d'envi- sager les phénouiènes convienne parfaitement à l'idée de l'unité foncLionnelledu système nerveux. En eflet, si l'activité du sympathique n'était autre qu(; celle des nerfs do la vie animale, il devrait se comporter de la môme manière que ces derniers; ses ganglions seraient connne ceux qu'on trouve sur le trajet ou à l'origine des nerfs rachidiens, ils n'auraient aucune propriété isolante; ses filets agiraient à la façon de tous les autres nerfs; ils transmettraient aux centres les 1. Budge et Waller, Comptes rendus de l'Académie des sciences, 18r>l, t. XXXIII, p. 370: 1852, I. XXXV, p. 2r,5. FONCTIONS nr GRAND SYMPATHIQUE. 229 impressions venues de tous les points d'où ils partent, et ces impressions seraient senties ; ils porteraient, des centres à la circonférence, le principe incitateur des niouvoments qui, alors, deviendraient volontaires. En un mot, tout se passerait dans la vie organique comme dans la vie animale ; partout les impressions seraient senties, partout les mouvements seraient volontaires. Le but serait manqué, car c'est précisément cette uniformité qui doit être détruite pour mettre, jusqu'à un certain point, toute une série de fonctions en dehors des influences qui régissent les autres. Si donc l'activité que déploie le sympathique ne paraît pas lui appartenir en propre, et si elle ne paraît pas non plus être seulement celle du système céréluo- spinal, il faut qu'elle soit une activité mixte, combinée, résultant de l'association des deux. C'est aussi ce qu'une analyse rigoureuse tend à démontrer; et c'est par cette dépendance, cette liaison des deux activités que se trouve fondée l'unité fonctionnelle du système nerveux, comme c'est par leur séparation, jusqu'à un certain degré, que se trouve établie la dualité dont Bichat s'était exagéré l'im- ])ortance. Il n'est pas diflicile de donner la preuve de ce double fait, autant du moins que le permettent le vague et l'obscurité qui régnent sur ce sujet. Kt d'abord, à quoi serviraient toutes ces communications, toutes ces anastomoses au niveau de l'origine de chaque paire racbidienne avec tant de nerfs, si les deux systèmes avaient une activité indépendante, et s'ils ne devaient pas s'influencer réciproquement ? Leur existence, leur nombre, ne sont-ils pas déjà des preuves de cette subordination de l'un par rapport à l'autre? Ensuite, n'y a-t-il pas des organes sur lesquels les nerfs de l'encéphale ne peuvent agir que par l'intermé- diaire des nerfs ganglionnaires? Le cteur, que Legallois plaçait sous l'inlluence de la moelle, bat encore longtemps après la destruction de ce centre nerveux et après celle de l'encéphale lui-même, parce qu'il tire une partie de son activité du sympathique; mais, alors, ses mouvements s'affaiblissent, pai-ce (pi'il la tire aussi en partie de la moelle, et surtout de la moelle allongée, par l'intermédiaire des pneumogastriques. On voit clairement, pour beaucoup d'organes, que l'influence exercée par le nerf sympathique est le résultat de l'association de son action propre avec celle de l'autre système. La frayeur, une émotion vive, accélèrent les battements du cœur, les contractions et les sécrétions intestinales ; la paralysie de la moelle entraîne bientôt une diminution dans la contractilité des tuniques de l'intestin ; la destruction de ce centre amène un affaiblissement dans les mouvements du cœur, etc. Dans ces diverses circonstances, on voit se manifester la double inlluence nerveuse. La preuve que les mouvements du comme tiennent pas seu- lement à l'action cérébro-spinale, c'est qu'ils ne cessent point quand cette action vient à s'éteindre; c'est qu'après la section des pneumogastriques et la destruc- lion de la moellt>, ils continuent ; c'est qu'enlin ils persistent même, alors que le cœur et l'intestin sont complètement isolés des plexus d'où ils tirent leurs rami- fications nerveuses. Ainsi, l'action exercée sur ces organes est double, c'est à la fois celle des nerfs cérébro-spinaux et des nerfs ganglionnaires. La première n'a lieu que par l'in- termédiaire de la seconde; ces deux actions se combinent, se complètent par leur 230 DES FONCTIONS DU hYSTÈME NERVEUX. association ; mais elles peuvent être, en quelque sorte, dissociées et analysées, soit par la maladie, soit par les artifices de l'expérimentation, de telle sorte que l'une étant détruite, l'autre subsiste affaiblie, tronquée, insuffisante. Ceci posé, il reste à rechercher comment et suivant quelles lois l'action propre du sympathique s'exerce, et quels effets elle produit. Tout ce qui précède ne fût-il qu'une fiction, que la démonstration qui reste à faire n"y perdrait rien ; car on peut très bien étudier les phénomènes sans connaître la nature des forces dont ils dérivent. Actiou seiisîtîve.— Le sympathique ne donne aux parties dans lesquelles il se distribue qu'une sensibilité assez obscure et cela se conçoit, puisque celle qu'il possède lui-même est assez faible. Cette sensibilité, qui est, du reste, assez variable suivant les organes, n'est jamais très prononcée, même dans ceux qui reçoivent, avec des nerfs ganglionnaires, d'autres nerfs cérébraux ou rachidiens. Ainsi, j'ai pu piquer le cœur par une petite ouverture faite à la poitrine, sans produire de douleur bien manifeste; j'ai pu également faire parvenir dans son intérieur de petites sphères de plomb et l'extrémité d'une sonde d'osier sans causer une forte souffrance; néanmoins il y avait dans ces deux cas des marques non équivoques de sensibilité. D'autre part, j'ai vu des dissolutions d'émétique, de sublimé corrosif, de sulfate de zinc, et d'autres substances, injectées dans la jugulaire, déterminer, dès qu'elles arrivaient dans les cavités cardiaques, une sensation traduite par des mouvements brusques de l'animal. Mais, toutes les fois que j'ai fait de petites taillades au foie, des piqûres au rein, à la rate, des incisions à l'estomac, des ligatures sur l'intestin, il ne s'est pas produit, dans le moment, de douleur bien évidente, comme Haller et d'autres l'avaient constaté. Cependant, quoique la substance de plusieurs viscères soit à peu près insensible aux stimulations mécaniques, les nerfs ganglionnaires qui s'y rendent sont sen- sibles à ces mêmes excitations et donnent une sensibilité assez vive aux artères qu'ils enlacent. J'ai démontré, en effet \ que toutes les artères viscérales, notam- ment les gastriques, la splénique, l'hépatique, les intestinales, se distinguent des autres par une sensibilité très marquée ; qu'ainsi les pincements, les tiraillements, laconstriction, exercés sur elles, sont immédiatement très douloureux; néanmoins les impressions produites à l'état normal sur les viscères ne sont pas ordinaire- ment senties : les aliments acres, irritants, les égagropiles, les cnlculs, même très volumineux, n'éveillent pas habituellement la sensibilité du tube intestinal ; l'estomac se vide, le chyme circule dans l'intestin, le travail digestif s'accomplit sans que l'animal en ait conscience. Ceux d'entre ces organes qui reçoivent des nerfs crâniens ou rachidiens, en même temps que des nerfs ganglionnaires, sont plus sensibles : le contact des tenettes avec la muqueuse de la vessie est vive- ment senti ; celui des substances très irritantes avec la tunique interne de l'es- tomac paraît l'être aussi, si l'on en juge par les vomissements qu'il provoque chez certains animaux. Ces diverses impressions paraissent, même quand elles ne sont pas senties, sortir de la sphère du sympathique et arriver jusqu'à la moelle où i. ft. Colin, Sw la scnst/nl/Uc dus urLcrcs vincèralca {Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1" septembre 1862). FONCTIONS DU CiltA.ND SYMPATHIOIK. 'iMl ollt's provoquent des mouvements réllexes. Ainsi Miiller, en iiritant avec la pointe d'une aiguille le nerf splanclniique, a observé des contractions eonvulsives dans les muscles abdominaux. Volkmann, en piquant l'intestin d'une grenouille déca- pitée, a vu survenir des mouvements dans le tronc. De pareils cflets ne peuvent se produire que par une action réilexe de la moelle, consécutive à une impression qui lui est communiquée, et l'impression ne saurait être transmise sans traverser les ganglions et airiver aux lilets par lesquels le sympatbique se met en relation avec les nerl's raeiiidiens, d'où résulte cette conséquence que les ganglions ne sont point des organes isolateurs parfaits. Il reste à savoir comment il se fait que ces impressions, arrivant à la moelle, ne sont pas toujours senties ou converties en sensations, Miiller et Longet disent que c'est parce qu'elles s'évanouissent dans cet organe. Dans les cas où elles sont senties, il est évident qu'elles viennent usqu'à l'encéphale, et elles y arrivent toutes les fois qu'elles sont très vives, surtout dans les maladies. Action inoti>icc. — Le rôle du grand sympatbique, relativement à la mo- tricité des parties dans lesquelles il se distribue, offre un très grand nombre de particularités remarquables. Les mouvements que ce nerf détermine sont involontaires, non seulement dans les organes qu'il anime seul, mais encore dans ceux qui reçoivent, en même temps, comme le cœur, l'œsophage, l'estomac. la vessie, des nerfs cérébraux ou rachi- diens. Ils sont ordinairement faibles, lents, comme dans les intestins, les esto- macs membraneux ; d'autres fois plus énergiques, comme ceux du col de l'utérus, des canaux excréteurs des glandes salivaires, du gésier des oiseaux granivores ; enfin, par exception, très rapides, comme ceux du cœur nous en donnent un exemple. Presque tous s'effectuent suivant un ordre régulier, rhythmique, plus ou moins bien caractérisé : l'intestin a ses contractions péristaltiques ou dirigées des parties antérieures vers les postérieures; l'œsophage, l'estomac, en ont d'ana- logues; le cœur se contracte même aussi dans ce sens, chez le fœtus, d'après Haller; plus tard, son rliythme est différent et tout particulier. Le caractère de ce mouvement rhythmique, quoique subordonné en partie à la forme des organes et au mode général de la contraction musculaire, a en lui quelque chose de spécial, comme l'alternative de la contraction des oreillettes et des ventricules pour le cœui', le sens des ondulations pour l'intestin. Dans ce dernier organe, une simple inversion donne lieu aux mouvements antipéristaltiques. Les irritations ap[)li(piées, soit aux organes, soit à leurs nerfs ou à leurs gan- glions, soit à la moelle épinière ou à l'encéphale, accélèrent et modi tient les mou- vements dépendants de rinlluence nerveuse ganglionnaire ; elles changent leur énergie, leur rhythme, mais elles n'agissent pas avec la même intensité et la même rapidité sur toutes les parties. Le cœur est peut-être de tous les organes celui qui en est le plus vivement et le plus promptement affecté ; la moindre irritation des centres "préci|»ite sur-le-champ ses battements: une piqûre légère faite à sa sub- stance produit le même effet, ainsi que les liquides irritants injectés dans sa cavité, par l'intermédiaire des veines. L'intestin ne ressent ces impressions qu'au bout d'un temps plus long et sa réaction n'est jamais instantanée. Il se montre, l)ar exemple, toujours un intervalle appréciable entre la stimulation du ganglion 232 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. semi-lunaire ou le pincement des nerfs qui entourent les artères intestinales, et la contraction qui en résulte. C'est à cause de cela que Millier a cru le mouve- ment du principe nerveux, dans le sympathique, susceptible d'être mesuré. Tou- tefois la vitesse de ce mouvement n'est pas la même dans toutes les circonstances. Ainsi, on voit le pincement des nerfs des artères coliques donner un résultat presque instantané, si Ton expérimente sur le cadavre palpitant, tandis que la même cause ne produit cette réaction qu'après quelques secondes, si l'on attend une heure après la mort. Ces mouvements ont encore ceci de très remarquable, qu'ils survivent plusieurs minutes à la cause qui les a provoqués, tout en conser- vant leur type normal. Du reste, ce ne sont pas seulement les irritations vives, qui accélèrent les mouvements dans les organes soumis à l'influence des nerfs ganglionnaires : les plus légères peuvent produire ce résultat : ainsi le simple contact de l'air suffit, comme on sait, pour faire resserrer les vaisseaux chyli- fères, à tel point, que bientôt, de pleins qu'ils étaient, ils s'affaissent et devien- nent presque imperceptibles. De même, l'action de l'air rend les contractions de l'intestin si vives et si énergiques, qu'après les expériences où l'on a ouvert largement l'abdomen, on voit se produire, dès que la plaie est fermée, d'abon- dantes évacuations alvines souvent renouvelées ; du moins, c'est ce que j'ai eu l'occasion d'observer maintes lois sur le cheval. La volonté n'a pas d'influence notable sur les organes dont les mouvements dé- pendent des nerfs ganglionnaires, lors même que ces organes reçoivent aussi des nerf crâniens ou spinaux; cela est certain pour l'œsophage, l'estomac et le cœur. Elle paraît cependant en avoir une très faible sur le rectum et la vessie. L'obstacle à l'intervention de la volonté dans ces mouvements tient-il aux ganglions, ainsi qu'on le croit généralement? Une telle hypothèse serait admissible si ces organes isolaient l'influence motrice, mais comme ils la laissent passer, on ne voit pas pourquoi ils arrêteraient celle de la volonté. On sait, en effet, que les impressions un peu vives, l'émotion, la frayeur, réagissent presque instantanément sur les mouvements du cœur, de l'intestin, de l'utérus. Dans ces cas, évidemment, les influences motrices émanées des centres nerveux passent à travers les ganglions du sympathique. Oi"i est le point de départ de l'action motrice du grand sympathique? D'abord il ne peut être que partiellement dans l'encéphale, puisque, après la destruction de cet organe ou après la décapitation, les vaisseaux, le cœur, l'estomac, l'intestin, tous les viscères à tunique musculeuse continuent à se contracter. Mais, il semble y être en partie puisque les commotions cérébrales violentes, l'excitation du bulbe provoquent d'énergiques contractions de l'intestin, de la vessie, des vésicules séminal(!S, des canaux éjaculateurs. Est-il dans la moelle épinière? Un peu plus, sans y être entièrement, car la galvanisation de la moelle dans la région dite cilio-spinale produit les mêmes effets que celle du sympathique dans la région du cou et que la galvanisation de la moelle dans la région lombaire, à diverses hau- teurs, dans les points considérés comme le centre génital, le centre érecteur : elle provoque des mouvements dans l'intestin, la vessie, les organes génitaux. Ce point de départ est aussi, en partie, dans les gros ganglions qui fonctionnent si souvent comme des centres d'actions réflexes, dans les plexus, même dans les FONCTIONS DU GHAND SYMPATHIQUE, 233 ganglions microscopiques ou dans les groupes de cellules qu'on a signalés sur les (ilets terminaux, dans la trame des organes. Une interprétation rijioureuse des faits démontre qu'une firande partie de l'activité motrice du sym|)alhique vient de ce nerf lui-mémo, puiscpie, quand il est isolé autant que possible par la destruction de la moelle, par la section des nerfs vagues et des (ilets cervicaux, de manière à ne plus pouvoir être influencé sensiblement par le système cérébro-spinal, il continue à entretenir les mouve- ments des organes qu'il anime, et cela pendant longtemps, comme le prouve la persistance des battements du cœur, des contractions péristaltiques de l'intestin à la suite de ces graves mutilations. On peut donc le regarder comme ayant en lui tout ce qui est nécessaire au développement et à l'entretien de son activité motrice et sensilive, du moins pendant un certain temps, passé lequel elle s'éteint faute d'être ravivée par celle du système de la vie animale. Mais, quant à savoir comment cette activité se développe, comment elle se distribue, c'est chose fort peu accessible aux investigations expérimentales. Il a été impossible, jusqu'ici, de préciser le rôle que jouent à cet égard les ganglions, les uns ayant cru pouvoir leur refuser toute espèce d'action propre, les autres les ayant au contraire investis du pouvoir excito-moteur ou do la faculté de développer le principe des mou- vements involontaires en vertu d'un pouvoir réflexe analogue à celui de la moelle épinière. Le pouvoir réflexe, attribué par Prochaska aux ganglions sympathiques, n'est pas suffisamment établi. Gl. Bernard* l'admet, en se fondant sur ce que l'irri- tation du ganglion sous-maxillaire isolé des autres ganglions et des nerfs cérébro- spinaux peut mettre en jeu la sécrétion salivaire. Longet croit cette action {>ossi- ble, en tant qu'elle s'exercerait sous l'influence plus puissante et plus générale de la moelle épinière. Millier la repousse en s'appuyant sur l'expérience que voici, faite parVolkmann : le pincement de l'intestin d'une grenouille décapitée, provoque des contractions très étendues tant que la moelle est intacte ; il n'en détermine plus que de très circonscrites dès qu'elle est détruite; d'où cette con- clusion naturelle, que si les ganglions jouissaient d'un pouvoir analogue à celui de la moelle, il y aurait, dans le second cas, de même que dans le premier, des mouvements étendus à toutes les parties de l'intestin. Mais, d'un autre côté, le même physiologiste est embarrassé en présence de ce fait fort remarquable, d'une irritation toute locale opérée sur le cœur avec la pointe d'une aiguille, irritation déterminant une contraction générale de cet organe. 11 faut avouer que les preuves manquent pour admettre ou pour repousser ce pouvoir réflexe attribué aux ganglions du grand sympathique. Action ^ compliitcs, U'ai.l. JoUltroy. G vol. in-8. FACILTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. •2'i:{ La plupart des philosophes rapportent les facultés diverses, le seutimeiit, la \o- lonté, à l'être qu'ils appellent l'àme, être auquel ils donnent l'immatérialitt' et l'existence indépendante. Penser, sentir, vouloir, sont, disent-ils, ses opérations, ses façons d'agir, ses manifestations, d'où il suit que partout où elles seront cons- tatées, il faudra les rapporter au même point de départ. Mais, d'abord, penser, sentir, vouloir, sont-ce bien des opérations (jue l'on doive attribuer àl'àme telle (|ue la conçoivent les psycliulogisles? Penser, soit. Sentir et vouloir, c'est tout autre chose. Lorsque la lumière agit sur l'œil, les sons sur l'oreille, lorsqu'un contact quelconque produit sur nous une impression pénibleou agréable, lorsque nous é[)rouvons le sentiment de la faim ou de la soif, esl-re l'ilme qui voit, entend, soullre, jouit, etc.? Pour le physiologiste, il n'\ a là que des sensations effectuées par les nerfs et le cerveau. Il suffit à un animal d'avoir des yeux, des oreilles, un tégument, un a|ipareil digestif, [tour voir, entendie, ressentir du [daisir ou de la douleur, la faim et la soif. L'àme, le moi, a seule- ment conscience de ces sensations. Il reste à savoir si l'àme animale est, comme le pense M. de (Juatrefages, d'une nature autre (pie celle de l'àme humaine. D'auti'e [lart, lors(pie, consécutivement à ces sensations, nous cherchons à nous soustraire à une impression pénihlc, ou que nous allons au -devant d'une sensation agréable, nous obéissons à des impulsions instinctives, irrésistibles, auxquelles l'enfant ou l'animal le |ilus stujtide obéit également. Le moi n'est ici cpie simple spectateur. Enlin, lorsque nous voulons agir, la volonté, l'acte qui comnunide une action, qui la connnence, l'arrête, la reprend, l'achève, est encore un acte que l'animal le moins intelligent exécute comme nous. L'animal veut ou ne veutpas; il veut fai- blement ou il veut avec obstination. Le moi peut solliciter la volonté, lui donner des ordres par suite de réilexions, de; délibérations, mais l'acte de vouloir, la volition, n'est pas nécessairement une opération de l'àme. Ce qui, à vrai dii'e, [tarait l'attribut essentiel et propre de cette àme, c'est la fa<;ulté de penser dont l'homme jouit seul à un haut degré, la faculté qui lui donne conscience de lui-même, celle par laquelle il se voit, se connaît, et ap[irend à connaître la nature entière avec l'Etre iniini dont il relève. Si le physiologiste prend l'àine telle que la conçoivent les psychologues, il nv (l(''cou\re (pie l'ensemble des opérations du cerveau. Il voit, en ell'el, cet organe développer ses actions avec les progrès de l'âge, agir avec plus ou moins de plé- nitude, suivant son volume et le perfectionnement de ses parties, fonctionner diversement suivant l'état de l'organisme ; il voit ses opérations troublées, per- verties, supprimées sous riniluence de diverses substances, ou parle fait d'mie altération de tissu, d'un ramollissement, d'un éitanchemeut sanguin. Tout, dans les facultés intellectuelles, lui parait résultcM' du fonctionnement ûv^ centres nerveux; et il étudie les facultés au même titre (jue les autres actions physio- logiques, dans leur mode de numifestation et dans leufs rapports. Il lui est im- possible de poursuivre la solution du itroblème sur le terrain oùhi philosophie l'a porté. Dans tous les cas, s'il prend l'àme humaine telle que la conçoivent les psycho- logues, avec l'intelligence. In s(>usibililé et la \ol()nté pour attributs : s'il admet 244 DES FOiNCTlONS DU SYSTÈME NERVEUX. avec eux que penser, sentir, vouloir, sont ses trois grandes facultés, il est obligé de voir l'âme partout oîi il reconnaît ces facultés. Or, comme il les trouve, ainsi que nous allons le démontrer, à des degrés divers chez les animaux, il ne pourra se dispenser de leur en accorder une, ainsi que les anciens l'ont fait, et, dans le siècle dernier, Leibnitz lui-même. Il est clair, pour le physiologiste, que la partie pensante de l'être et ce qu'on appelle le principe vital, la vie, sont choses différentes. Les facultés intellectuelles sont parfaitement distinctes de la vie proprement dite. L'intelligence se trouble, se perd par la maladie, se supprime par la vivisection, sans que la vie reçoive d'atteinte immédiate : la vie dépend de parties nerveuses autres que celles où réside l'intelligence. C'est pour n'avoir pu faire cette distinction que les anciens philosophes, Aristote, Platon, Lucrèce, ont vu dans l'âme, tout à la fois, le prin- cipe animateur et le principe intelligent de l'être. Mais, sortons des généralités, pour étudier les facultés qu'on rapporte à la partie pensante de l'homme et des animaux, et commençons par les êtres où elles sont à un état de simplicité qui les rend le plus accessibles à l'analyse physiologique, La plupart des naturalistes et des observateurs judicieux qui ont étudié avec soin les mœurs et les habitudes des animaux, ont été frappés de l'analogie qui existe entre leurs actions et les nôtres; ils ont admiré l'art avec lequel chaque espèce sait pourvoir à sa conservation, résister aux attaques de ses ennemis, protéger et élever ses petits, se réunir en troupes, se construire des habitations et quelquefois se livrer à de merveilleux travaux. Les uns ont regardé tous ces actes comme le résultat d'un mécanisme mis en jeu par des influences étrangères à l'organisation ; les autres, comme le produit d'une force irréfléchie, d'une im- pulsion innée, secrète, irrésistible, qu'on est généralement convenu d'appeler instinct; quelques-uns, séduits par la liaison de tous ces actes, leur appropria- tion parfaite au but qu'ils doivent remplir, leur analogie apparente avec les nôtres, les ont considérés comme des actes rélléchis, combinés, et les ont rapportés à cette faculté si éminemment développée qui, dans notre espèce, porte le nom d'intelligence ; enfin, certains d'entre eux, analysant plus l'igoureusement ces actions, ont cru pouvoir les rattacher tantôt à l'instinct, tantôt à une intelligence plus ou moins étendue : ils ont accordé, à la fois, aux brutes ces deux facultés à (les degrés variables. D'après ces derniers, tout serait instinctif chez les êtres les plus inférieurs, tandis que chez ceux dont l'organisation se rapproche de celle de l'homme, rintcUigence viendrait se surajoutera l'instinct et donner naissance à de nouvelles manifestations. 11 y a donc dissidence, quant au point départ ou au principe des diverses facultés des animaux. Cherchons à reconnaître ce prin- cipe ou ce point de départ, afin de pouvoir analyser exactement les nombreuses opérations qui en dérivent. Le système cpi'il convient d'examiner tout d'abord est celui de l'automatisuif, D'après Dcscarles ', (pii en est l'auteur, les animaux sont des êtres dépourvus d'instinct, d'intelligence, de mémoire, des êtres incapables d'associer les idées les plus simples, de former le moindre jugement; ce sont de véritables machines, 1. Descaries, Discours sur la ruâfJiodc, 5'' partie, p. 38, cl OlijrcUons roii/re les inâiUta- Hons, p. 222, 24:i. Î75, 27G, 306, 100. Paris, ]8.-)l. FACUT.TKS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 245 organisées de telle manièn; que les impressions diverses, les sons, les saveurs, les odeurs, la lumière, sulfisent pour les mettre en mouvement. Toutes leurs actions ne sont que la eonséquence d'une harmonie préétablie entre leurs mou- vements et les impi-essions que les agents extérieurs produisent sur les sens. Ainsi, le morceau de chair ipie le eliien a[>erroit, envoie dans lœil de cet animal une image qui met en mouvement les esprits animaux et entraine irrésistible- ment le carnassier vers sa proie; la lumière réfléchie par le corps d'un loup dans l'a'il de la brebis remue tellement les lilets du nerf optique, que les esi>rits ani- maux se répandent partout, de manière à obliger le ruminant timide à prendre la fuite; les molécules odorantes que le lièvre a laissées sur son passage attirent le chien et le font courir dans une direction déterminée. Tous ces elfets sont le résultat d'une impulsion irrésistible à laquelle la volonté et l'intelligence sont complètement étrangères. Les idées de Descartes sur h; [iriiicipe des actions des animaux éhiienl trop obscures, trop dénuées de preuves et trop en désaccord avec ce qu'apprend une étude raisonnée des facultés dont jouissent ces êtres, pour qu'on les admît sans contestation; aussi furent-elles vivement combattues et repoussées parla plupart des bons esprits, même au temps où elles furent émises; cependant, plus tard, divers auteurs les acceptèrent avec quelques restrictions. Bufl'on, sans défendre l'automatisme absolu de Descaries, prétend (jue les actions des animaux doivent être rapportées, en grande partie, à des impulsions purement mécaniques, n'ayant aucun rapport avec les facu!t('s de l'intelligence. Ses opinions, à cet égard, ont joui d'une trop grande célébrité pour (pu> nous les passions sous silence. Bullon ' pense que les impressions pioduites sur les sens suffisent |»our déter- miner les diverses actions que les bêtes exécutent. Ces impressions, suivant leur caractère, leur association, donnent lieu, chez elles, aux actes qui sont pour l'homme le résultat de la volonté, de la réflexion et de l'intelligence; niais comme il prévoit qu'on va lui adresser le reproche de comparer les animaux à de simples machines, il s'empresse d'indiquer les facultés dont il les croit doués. « Ils ont, dit-il, le sentiment; ils l'ont même à un plus haut degré que nous ne l'avons; ils ont aussi la conscience de leur existence actuelle. Ils ont des sen- sations, mais il leur man(|ue la faculté de les comparer, c'est-à-dire la puissance qui produit les idées. » S'il leur reconnaît la faculté de sentir, ronmie nous et même plus fortement que nous, s'il les croit capables de se souvenir du passé, c'est tout ce qu'il leur concède. Il leur dénie le jugement, la réflexion, les idées; bientôt il leur contestera d'autres facultés moins complexes que celles-là. Mais si, en thèse générale, il s'eflbrce de leur retirer une à une les facultés (|u'ils paraissent posséder, le grand naturaliste, en arrivant à les peindre individuel- lement, les présente sous leurs couleurs naturelles,- souvent embellies, et, mal- gré lui, ou sans s'en douter, il rend à chacun ce (|u'il voulait refuser à tous. « La puissance de réfléchir ayant été, dit-il, refusée aux animaux, il est donc certain qu'ils ne peuvent former d'idées, et que, par conséquent, leur conscience 1. BulTon, Discours sur la nature des ainninu.r, t. IV, p. Jl, édition in-i de l'imprrmc- rie royale. 2413 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. d'existence est moins sûre et moins étendue que la nôtre; car ils ne peuvent avoir aucune idée du temps, aucune connaissance du passé, aucune notion de l'avenir ; leur conscience d'existence est simple, elle dépend uniquement des sensations qui les affectent actuellement et consiste dans le sentiment intérieur que ces sensations produisent. » Ils sont, en quelque sorte, d'après sa comparaison, semblables à l'homme hors de lui-même, vivement préoccupé d'un objet, absorbé par une pas- sion violente. « Cet état oit nous ne nous trouvons que par instants est l'état habituel des animaux; privés d'idées et pourvus de sensations, ils ne savent point qu'ils existent, mais ils le sentent. » Ainsi, il leur refuse toute idée, toute connaissance du passé, contrairement à ce qu'il avait d'abord avancé ; et, par la plus subtile distinction, il leur ôte la connais- sance de leur existence, pour leur en laisser seulement la sensation. Cette négation du souvenir des choses passées sent le paradoxe ; Buffon s'en aperçoit bien, aussi y revient-il à tout instant. « Les animaux n'ont pas la mémoire ! Le contraire paraît démontré, me dira- t-on : ne reconnaissent-ils pas, après une absence, les personnes auprès desquelles il> ont vécu, les lieux qu'ils ont habités, les chemins qu'ils ont parcourus? Ne se souviennent-ils pas des châtiments qu'ils ont essuyés, des caresses qu'on leur a faites, des leçons qu'on leur a données? Tout semble prouver qu'en leur ôtant l'entendement et l'esprit, on ne peut leui'' refuser la mémoire et une mémoire active, étendue, et peut-être phis fidèle que la nôtre. Cependant, quelque grandes que soient ces apparences, et quelque fort que soit le préjugé qu'elles ont fait naître, je crois qu'on peut démontrer qu'elles nous trompent; que les animaux n'ont aucune connaissance du passé, aucune idée du temps, et que par conséquent ils n'ont pas la mémoire. » Pour soutenir cette étrange proposition, il prétend que ce qu'on appelle la mémoire provient de la faculté de réiléchir et consiste dans une succession d'idées que l'âme lie ensemble, et dont elle établit les rapports. Dès l'instant qu'elle ne résulte pas d'un simple renouvellement des sensations passées, et que la puissance de réiléchir, d'associer de'^ idées, manque aux animaux, ils ne peuvent avoir, selon Buffon, une véritable mémoire. Néan- moins il voit que tous ses efforts ne peuvent réussira convaincre; il sent que ses assertions ne sont pas suffisamment prouvées ; pour en finir, il distingue deux sortes de mémoire, très différentes l'une de l'autre : l'une qui est la trace des idées et qui émane de l'ànic ; l'autre, qui pourrait s'appeler réminiscence, et qui n'est que le renouvellement des sensations déjà éprouvées. La première est le privilège de riioinme; la seconde appartient, d'après lui, au fou, à l'imbécile et aux bêtes. Après avoir examiné les facultés des animaux pris individuellement, il les étudie dans les rapports qu'elles ont entre elles. Poursuivant sa théorie avec un admirable talent, il cherche à prouver que le rassemblement des animaux en troupes ou en sociétés plus ou moins nombreuses, que leurs industries diverses, leurs travaux les plus compliqués, ne supposent aucune intelligence; et, pour le prouver, il prend l'exemple des abeilles qui n'ont, en réalité, comme nous le verrons plus tard, aucune intelligence, mais qui possèdent, en compensation, des instincts très parfaits. Puis, il passe à d'autres espèces pour FACULTES INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 247 arriver aux mêmes conclusions : chemin faisant, il devine bien les objections qu'on peut lui faire; elles ne l'effrayent point; loin de les éviter, il va au-devant et les réfute par dos arguments bien sinifuliers, qui ont, en apparence, une cer- tainupposent aucune combinaison d'idées, aucune réflexion, aucun choix de la part des individus (pii les exécutent. Les divers moyens qu'emploient les animaux pour résister à leurs ennemis, se soustraire ù leurs attaques, assurer leur subsis- tance, ne sont pas entièrement le résultat de combinaisons réfléchies et rai- sonnées; ilssont, dans la plupart des circonstances, le produit d'une impulsion irrésistible et sûre (|ui n'a rien de commun avec l'intelligence. Les ruses du loup et du renard, leurs manœuvres adroites, leur habileté à se rendre maîtres d'une [»roie, à éviter les pièges qu'on leur tend, dérivent en grande partie des facultés instinctives qu'ils apportent en naissant, et qui sont inhérentes à leur nature. L'art admirable que le chien met à chasser, le cerf à dissimuler sa retraite, le lièvre à calculer sa fuite, est purement instinctif; mais il peut être modifié et compliqué par le jugement, la mémoire, la prévoyance. Le lapin, en se construi- sant un terrier, n'est pas guidé par le souvenir du froid qu'il a souffert, des frayeurs qu'il a eues, des dangers auxquels il a été exposé; il se creuse des galeries, bien qu'il n'ait pas encore vu d'hiver, bien qu'il n'ait point encore été poursuivi, et qu'il ignore l'utilité de son travail! Une force innée le pousse à creuser le sol, et il le creuse même dans une cabane où il jouit de la plus com- [tlète sécurité. Les frugivores qui font des provisions n'agissent pas conséquem- ment à la lann qn'ils ont déjà éprouvée, et par suite de réllevions sur les incon- vénients de l'abstinence. Cen'est point par prévoyance ni en vue des nécessités à venir qu'ils remplissent leurs retraites de vivres ; ils y sont déterminés sans qu'ils aient besoin d'aucune réllexion : le rat qui est né auprès d'un las de blé, et qui a toujours vécu dans l'abondance, attire cependant vers son trou tout ce qu'il peut y amener; et pourtant il n'a point encore souflert de la faim, il n'a jamais manqué de subsistance, il n'a pas vu d'hiver. Comment pourrait-il agir d'après le sou- venir du jtassé et la prévision de l'avenir? D'ailleurs dans le cas où l'animal agit d"a})rès l'expérieuce du passé, ses conséculions, pour se servir du terme de 1. Leroy, Ouvmije citt', septième iellre, p. 14 l. 252 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. Leibnitz, sont purement empiriques : le bâton levé lui rappelle simplement les coups qu'on lui a donnés; Ja vue du maître entraîne la réminiscence des caresses ou des mauvais traitements qu'il en a reçus : il n'a pas le sentiment de la causalité ou des rapports entre ce qu'il voit et ce qu'il peut craindre ou espérer. Il y a donc un élément essentiel méconnu dans le système de la gradation des facultés, un mobile étranger aux combinaisons intellectuelles, quoique susceptible de s'associer avec elles : c'est cet élément, ce mobile particulier que Leroy, obser- vateur si profond et si fin, n'a pas su distinguer de l'intelligence et apprécier à sa juste valeur; il importe d"en déterminer ultérieurement les caractères et les effets pour analyser exactement la psychologie animale. Le troisième système qui reste, celui de la dualité des facultés, permet seul de bien comprendre les actions si nombreuses et si variées des animaux. En effet, il est indispensable, pour les expliquer, d'établir une distinction entre les phéno- mènes qui dépendent de Finstinct et ceux qui dérivent de l'intelligence, d'assi- gner avec précision les caractères qui appartiennent en propre à chacune de ces deux espèces d'actes : la tâche est difficile, mais elle est accomplie, en grande partie du moins, par les travaux de Reimarus, et de Frédéric Cuvier. Pour peu qu'on examine attentivement les actions des animaux, on remarque que certaines d'entre elles se font toujours de la même manière, avec sûreté et précision, sans que l'animal qui les exécute ait eu le temps de réfléchir, avant qu'il ait rien appris de ses parents, rien acquis par l'habitude, l'exercice ou l'ex- périence individuelle ; tandis que d'autres, au contraire, sont variées suivant les circonstances, accomplies avec hésitation, perfectionnées par l'habitude et appro- priées aux besoins accidentels éprouvés par l'animal. Les premières sont pure- ment instinctives ; les secondes résultent de l'exercice des facultés intellectuelles : l'instinct, qui est le point de départ des unes, est essentiellement différent de l'intelligence qui produit les autres. L'instinct que Buffon n'avait pas compris, que tant d'auteurs avaient consi- déré comme un mot vide de sens, l'instinct, que les psychologistes connaissent mal, est une faculté innée, commune à tous les animaux, même les plus impar- faits, faculté invariable dans chaque espèce, irrésistible, non raisonnée, à laquelle l'animal obéit involontairement, sans pouvoir s'y soustraire. En cédant à cette impulsion secrète, il ne sait pas pourquoi il agit de telle ou telle manière, il ignore le but et l'utilité de ses actes. Il n'a pas assez d'intelligence pour réfléchir, pour raisonner ses actions, pour se diriger avec sûreté, imaginer les moyens qui peuvent le préserver des dangers, le soustraire aux attaques de ses ennemis; il faut, en quelque sorte, qu'une force, invincible le gouverne, en le dispensant de réllexion, de jugement, de mémoire, de prévoyance : or, celte force qui le dirige à son insu est l'instinct, dont les effets n'ont rien de (îommun avec ceux de l'in- telligence. Déjà quelques philosophes anci(!ns avaient deviné que les actions des animaux attribués à la raison, à l'intelligence, sont d'une toute autre espèce, Sénèque', ] . Sénèque, 121'' Lctlvi'. FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTiiLLECTLELLES. '2o3 dans une lettre admirable, dit que la connaissance que les animaux ont de ce qui peut leur nuire ne vient pas de l'expérience. Ils l'apportent en naissant avec celle des moyens d'éviter les dangers auxquels ils sont exposés. Leur industrie est innée et non acquise. C'est, dit-il, la nature qui leur enseigne ce qu'ils ont besoin de savoir, et son enseignement est uniforme, sans superfluité. Ueimarus' considère l'iustinrtcoiume une tendance aveugle, un penchant inté- rieur, une force agissante qui porte les animaux à exécuter certains actes dont ils ne conçoivent ni les moyens ni l'utilité. Dès que les animaux naissent et sans qu'ils aient aucune connaissance, aucune expérience des choses, cette impul- sion secrète les sollicite à agir constamment, uniformément, dans telle ou telle direction ; et, à partir de ce moment, ils effectuent sans choix, sans prémédi- tation, sans la moindre hésitation, les opérations les plus compliquées. Darwin considère l'instinct comme un résultat d'habitudes acquises et deve- nues héréditaires. Mais, une telle opinion me parait insoutenable. L'hérédité dans aucun cas actuel ne montre une telle puissance, elle ne fait pas d'un enfant d'architecte ou de mathématicien un architecte ou un mathématicien ; elle transmet l'aptitude à le devenir; elle ne le fait pas de toutes pièces. D'ailleurs il resterait dans Ihypothèse darwinienne à expliquer comment, par exemple, les |)remières abeilles, les premiers castors ont pris ces habitudes de constructions savantes qui se transmettent sans variations depuis des milliers d'années. Les divers instincts sont tous relatifs à la conservation de l'individu ou à la reproduction de l'espèce ; ils sont tous en rapport avec les besoins de l'animal et mis en harmonie avec son organisation. 11 n'est pas une seule espèce qui en soit dépourvue, pas une qui en ait de trompeurs ou d'inutiles. Ils sont uniformes et exactement déterminés dans chaque espèce. Aucun d'eux n'est perfectible, ni susceptible d'éprouver de modilications essentielles : ce qu'un animal fait, tous les autres le font ou peuvent le faire de la même manière. Ceux- ci réussissent parfaitement, dès la première fois, sans tâtonnement, sans hési- tation. Ces instincts sont suis : ils n'onl, par conséipient, rien à tiicr, ni de Texpé- rieuce, ni de l'imitation, ni de l'exercice. (Juelques-uns d'entre eux ne se mani- feslent (|u'à certaines époques de la vie et agissent jM'ri()di(piement : ceux de la reproduction, jtar e\eiiq)Ie ; d'autres, une seule fois dans le cours de l'existence. Ils sont susceptibles de s"all('r(M' chez les animaux soumis à une contrainte pro- longée; ils s'all'aiblissent, si; perdent même, en |)artie, sous rinlluence de l'escla- vage et de la domesticité, mais ils réai){»araissent dès que les animaux reviennent à leur état naturel, et ils reprennent alors toute la sûreté qu'ils avaient aupara- vant. Dans tous les cas, ni l'éducation, ni l'exemple ne |)euveut en faire naître de nouveaux. Us ont leur cause dans les besoins de chaque animal, et [)araissent mis en action par le sentiment du plaisir et de la douleur, ainsi que par le souvenir des impressions déjà éprouvées. La connaissance que l'animal peut avoir de ses 1. Hermann Samuel Reimar. Ohaorvatlom^ phj/xiqvps et morahx xtir l'inatincf dc^ ani- nniit.f, h'ur indti^lfii' rf leitr^- mœi/rs-, trad. R. de L. Amsterdam. 1770,2 vol. in-1-2. 254 DES FOiNCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. movens ne semble exercer aucune influence sur les actes que ces instincts déter- minent, puisque chaque individu essaye de se servir des armes qu'il n'a pas encore : le veau, le bélier, veulent donner des coups avec les cornes avant qu'elles aient poussé : le chien cherche à mordre alors que ses dents ont à peine percé la gencive. Les instincts sont d'autant plus développés que les animaux ont moins d'in- telligence : le chien, le cheval, l'éléphant, qui jouissent d'un entendement plus vaste que le lapin, que les oiseaux et les insectes, ont des instincts bien moins étendus et moins admirables que ces derniers. L'homme, qui est le plus intelli- gent de tous les êtres, est sans contredit celui qui possède les instincts les moins parfaits. Ce rapport inverse se fait encore observer entre les diverses races humaines : les peuplades sauvages ou barbares sont celles dont les instincts ont le plus de sûreté, tandis que les races dont la civilisation est portée à un haut degré semblent avoir presque entièrement perdu ces facultés si nécessaires à l'homme livré à lui-même. On voit, d'après cela, que l'instinct ne dérive point de de l'intelligence, et l'on conçoit très bien que les animaux, qui ne peuvent trouver dans leur entendement assez de ressources pour se conduire, aient besoin, en compensation, d'être guidés par des instincts étendus et sûrs. De même, il est nécessaire que ceux auxquels une courte existence ne donne pas le temps de s'instruire puissent se gouverner d'une manière instinctive. L'instinct dispense donc la bête d'avoir de rinielligence, et en détinilive, pour elle, le résultat est à peu près le même, puisque, en agissant instinctivement, c'est-à-dire sans savoir pourquoi ni comment, elle exécute ses actions mieux qu'elle ne pourrait le faire à force de réflexion et de calcul. Il y a, de plus, pour elle, cet avantage de réussir, du premier coup, dans des opérations qu'elle ne parviendrait à effectuer autrement qu'à la suite de combinaisons compliquées et de tentatives infructueuses. Ce fait est donc très remarquable ; il nous montre bien la sagesse infinie qui a présidé à l'organisation des êtres vivants. Sans l'instinct donné aux animaux, qui leur aurait appris, comme le dit Reimarus, l'art de pourvoir à leur subsistance, de se choisir une retraite, de se construire des habitations? Qui leur aurait ensei- gné à faire des nids, à se fabriquer des vêtements, à changer de climats, à recon- naître leurs ennemis, à employer mille ruses diverses pour éluder leurs pour- suites? Qui, enfin, leur aurait donné toutes ces connaissances sans lesquelles ils seraient incapables d'assurer leur existence;? En résumé, l'instinct est une faculté innée, une force irrésistible, essentielle- ment fatale, qui pousse les animaux à exécuter certains actes sans qu'ils aient besoin de raisonner, de réfléchir, force sur la(juelle l'éducation, l'habitude, n'ont pas d'influence sensible. L'intelligence, au contraire, est une faculté essentiel- lement perfectible, variable, suivant les es[)èces, modifiable par l'âge, l'éducation et une infinité de circonstances diverses. Ces deux facultés sont toujours en raison inverse l'une de l'autre: l'instinct est très dévelo[)pé diez les animaux inférieurs qui ont l'intelligence obtuse ou qui en sont à peu près totalement dépourvus; il est beaucoup moins parfait chez les animaux supérieurs dont l'intelligence se rapproche de celle de l'oîspèce Immaine. lACULTES INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 200 « L'opposition la plu» (•ouipIfHi', dit M. Flourens ', sc'pare Tinstinct de l'intel- ligence. Tout, dans l'instinct, est aveugle, nécessaire et invariable; tout, dans rintelligence, est électif, conditionnel et modifiable : le castor qui se bâtit une cabane, l'oiseau qui se construit un nid, n'agissent (jue par instinct ; le chien, Iccbeval, «pii appreiuienl jusipi'à la signilicatron de plusieurs de nos niotset(iui nous obéissent, l'ont cela i)ar intelligence. — Tout dans l'instinct est inné : le castor bâtit sans l'avoir appris ; tout y est fatal : le castor bàlit par une force constante cl irrésistible. — Tout dans l'intelligence résulte de rex|)érience et de rinstruclion: le cliien n'obéit <|ue parce (pi'il l'a appris; tout y est libre ; lecliien n'obéit que parce qu'il lèvent. — Enfin, tout dans rinstinct est particulier: cette industrie si admirable (jue le castor met à bâtir sa cabane, il ne peut l'em- ployer (pi'à bâtir sa cabane ; et tout dans l'intelligence est général, car cette même llexibilité d'attention et de conception que le cliien met à obéii', il [lourrait s'en servir pour faire tout autre chose. » Cette distinction fondamentale entie les facultés de l'instinct et celles de l'in- telligence ne s'applique pas seulement aux animaux, elle doit être étendue à l'honmie, et jeter de nouvelles clartés dans le domaine de la psychologie. En elTet, ce qu'on appelle appétits, penchants, inclinations, sentiments, facul- tés aU'ectives, c'est-à-dire les im[)ulsions qui sollicitent l'homme à se nourrir, les impulsions génésiques, l'attachement maternel, la tendance à la sociabilité, les tendances à l'acquisition, à l'imitation, les sentiments de la crainte, de la haine, etc., sont des impulsions indépendantes de l'intelligence, auxquelles la nature humaine est constamment soumise. Ce sont les facultés de l'àmc irrai- sonnable de Platon, ou celles des degrés inférieurs de l'âme, dans les idées de saint Augustin. Ces facultés alVeclives, ces impulsions paraissent toutes innées, comme les [)hi- losophes de l'école écossaise l'ont très bien remarqué, après Locke, Leibnitz et d'autres. Elles le sont en ce sens qu'elles appartiennent à tous les hommes avec des difiérences de degrés, que leur évolution est spontanée, leur exercice indé- |)endant de toute opération intellectuelle, dans les conditions de la vie qui les rendent nécessaires. Elles sont aussi indispensables à l'homme qu'aux bètes, à l'homme civilisé qu'à l'honnne isolé, barbare ou sauvage. Sans elles la conser- \ation de l'être isolé serait menacée, la famille, la tribu, la société, ne seraient |)as possibles, comme l'a déjà fait remarquer un éminent psychologiste-. D'un autre coté, les facultés intellectuelles, le jugement, le raisonnement, tout ce qui en fait la base, tout ce qui en dérive, les facultés qui se développent lente- ment, qui se cultivent, se perfectionnent, celles qui ajoutent la vie de l'esprit à la vie purement animale, ont des caractères essentiellement dillérents de ceux (les premières. Elles ne donnent lieu qu'à des opérations calmes, réfléchies, com- binées, qui n'ont rien de la fatalité des autres. C'est parce qu'il possède à la fois ces deux ordres de facultés que riiomme est un être complexe, réellement double: animal au point de vue des instincts, être 1. Flourens, ouvraiic cite, p. 10. 2. Leiut, Qu'est-ce que la phrcnolof/ic, ou Exsai sur la signification et la valeur ilea sys- f(hncs fie psi/choloifie en général. Paris, lH;j(i. •2o6 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. raisonnable par sa haute intelligence. Il est toujours l'un et Tautre, quoi qu'il fasse : le premier par ses besoins plus ou moins impérieux, par ses tendances plus ou moins irrésistibles, pousse le second, qui tantôt se laisse aller sans réflexion ou avec quelques variantes, et tantôt délibère, hésite, résiste. L'animal n'a d'autre mobile que ses instincts, l'homme a de plus sa raison, qui l'éclairé sur le but, sur la porlée et les conséquences de ses déterminations. Ce cju'on appelle le libre arbitre n'a pas de sens pour l'animal. L'animal à intelligence nulle ou extrêmement bornée ne peut guère délibérer ; il n'a ni assez de jugement, ni assez de connaissances pour prendre des déterminations appropriées aux circonstances qui se présentent. Poussé par l'instinct qui lui dicte toujours le parti le plus convenable, il s'y laisse aller ; il n'a pas de liberté, et s'il en avait, elle lui serait funeste, faute de savoir en user. L'homme serait entièrement libre s'il n'était qu'un être raisonnable, mais ses instincts tendent à lui enlever une partie de sa liberté; ses impulsions animales, souvent violentes, l'entraînent avant qu'il ait fait ses réflevions ; elles l'entraînent même quel- quefois encore, bien qu'il ait vu les inconvénients d'y obéir. Il ne parvient à résister qu'en luttant avec énergie, et il se montre d'autant plus homme qu'il prend un empire plus absolu sur lui-même. Mais, le plus souvent, ses actions représentent un moyen terme, une direction diagonale ; elles sont le produit des impulsions spontanées, plus ou moins modifiées par des déterminations rai- sonnées, réfléchies. Descartes, Leibnitz, Kant, qui admettaient la liberté abso- lue des actions humaines, étaient aussi loin du vrai que Hobbes et Helvétius en la niant. Locke et Reid se sont montrés sages en se prononçant pour le juste milieu. Du reste, il n'y a pas toujours antagonisme entre les impulsions instinctives et les déterminations auxquelles la raison la plus sage s'arrête. Très souvent même, l'homme ne peut mieux faire que d'obéir sans réserve à ses instincts. Il serait un monstre d'étouffer son penchant à la sociabilité, ses affections de famille, l'amour, etc.; il manquerait de logique en cherchant à atténuer son aversion-pour ce qui doit être abhorré, sa pitié pour ce (jui mérite la commisération, sa ten- dance à l'imitation, quand elle a un but louable, sa propension à ac(|uérir, rjuand elle est utile à lui et aux siens, sans léser personne. Maintenant ([ue la grande distinction estétai)lie entre les deux ordres de facul- tés psychologiques, nous pouvons nous rendre compte des actions les plus com- pliquées des animaux. Pour esquisser à grands traits leur histoire, j'examinerai les actes qui se rapportent à cliacun de ces ordres. Je suivrai l'ancienne division des instincts en ceux de conservation et ceux de reproduction ; ces deux grandes catégories renfermeront, suivant leur but, les instincts de destructivité, de sociabilité, les instincts divers qui portent les animaux à vivre isolés, à se construire des habitations, à se l'aire des nids, à voyager, à émigrer, etc. Cette marche sera plus naturelle que celle qui consisterait à les étudier isolément, indépendamment de leur but final ; elle fera mieux saisir la liaison qui existe, sous le rapport de la destination, entre des instincts dont la nature est fort variée, et qui, pris isolément, semblent n'avoir rien de commun les uns avec les autres. FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 'ib? II. — Des INSTINCTS de conservation. Tous li's .'uiiinaux, (iopiiis le zoopliytc, dont la vie se distingue à peine de celle de la plante, jusqu'aux maminil'ères les plus rapprochés de l'honime,. jouis- sent d'une faculté spéciale, mise en harmonie avec leur organisation, et avec le milieu dans lequel ils vivent. Cette l'acuité pré[)osée à la garde, à l'entretien de l'individu, porte le nom d'instinct de conservation. Elle est mise en éveil par le danger et trouve dans l'économie des auxiliaires prêts à la servir, pour remplir le liut qu(î la nature lui a assigné. Cet instinct n'est pas développé au même degré chez toutes les espèces ani- males. En général, il est d'autant plus parfait et plus sûr que l'intelligence est plus obtuse. Tantôt il se manifeste par des besoins impérieux, des impulsions bien caractérisées, des combinaisons en apparence fort intelligentes ; d'autres fois il ne se révèle que par des manifestations é([uivoques, qui semblent devoir faire douter de son existence. C'est ainsi que le palmipède connu sous le nom de ion {Pelecanus ùassanus, L.) se laisse prendre, sans chercher à fuir, et assom- mer, sans faire d'ell'orts pour se soustraire aux coups; mais ce n'est là qu'une exception fort rare qui ne peut infirmer la règle générale. Sous le nom d'instinct de conservation, j'entends parler non d'un instinct unique, isolé, mais d'un ensemble d'instincts, diflérents par leur but immédiat > leur mode de manifestation, et se rapportant, en dernière analyse, au but com mun de l'entretien de l'iiulividu. L'oie du Nord qui se tient sur le bord des eaux pour y chercher sa nourriture, et qui émigré lorsqu'un hiver trop rigoureux ne lui permet pas de trouver sa subsistance dans le pays qu'elle habite, obéit tour à tour à l'instinct qui la porte à miger ou à celui (|ui la pousse à l'émigration, dans les deux cas, en vue de se procurer de la nourriture; l'abeille qui va recueillir le nectar des fleurs, et qui le dépose dans la ruche qu'elle a construite avec art, semble mue par des instincts différents, mais ([ui, en définitive, se rattachent à celui (jui nous occupe. La nature, dans la répartition des instincts des animaux, s'est montrée admi- rable comme dans ses plus beaux ouvrages. Ayant donné une certaine destination à un animal, elle l'a doté de toutes les facultés les plus convenables [lour la remplir; elle lui a inspiré, à cette fin, des actes si sagement réglés que les plus sages observateurs ont pu les croire le produit de la raison et de l'intelligence. Aux uns elle a enseigné l'art de la chasse, aux autres celui de la pèche, à celui-ci l'art de la construction, à celui-là la science des voyages, des émigrations. En destinant, par exemple, le castor à vivre près des eaux, elle lui a donné l'instinct de la sociabilité, car le castor ne peut rien dans l'isolenu'nt; l'instinct de la con- struction, et d'une construction toute spéciale, étrangère aux règles de l'archi- tecture ordinaire; elle lui a tracé son plan; elle l'a rendu ouvrier, en façonnant ses dents à couper les bois, ses pattes à gâcher la terre, sa queue à la battre comme le ferait la truelle. De même en taisant de la lau|te un animal apte à vivre sous le sol, elle lui a donné l'art de creuser des galeries, d'y faire la chasse aux vers et aux insectes. En transformant l'oiseau de proie en brigand ailé, 1-,. COLIN. - - Pliysioi. comp., '^' ôilit. l — 17 258 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. elle lui a donné l'instinct delà solitude, celui de l'agression; elle a rendu son vol puissant, ses serres acérées , son œil perçant , capable de supporter la vive lumière du soleil, etc. On comprend que ces instincts doivent varier beaucoup suivant l'organisation des animaux, leur genre de vie, les lieux qu'ils habitent, les dangers auxquels ils sont exposés, le but que ces animaux doivent remplir dans le plan de la création. Ceux qui sont destinés à vivre de proie, à se repaître de carnage, ont besoin de force pour vaincre, ou de ruse pour surprendre leurs victimes ; la nature leur doit des mouvements souples, une course agile, une ouïe fine, un odorat exquis. Ceux, au contraire, qui vivent d'herbes et qui sont à la merci des premiers, ont besoin d'armes défensives ou de moyens particuliers pour se soustraire à Ja férocité de leurs ennemis ; il est nécessaire qu'ils puissent déjouer les ruses de ces derniers et se ménager des retraites qui leur donnent quelque sûreté ; il faut eniin que leurs moyens de conservation se modifient suivant qu'ils vivent solitaires ou réunis en troupes, suivant qu'ils sont à l'état sauvage ou sous l'empire de la domesticité. Le carnassier, l'oiseau de proie, ont besoin de vivre isolés; il leur faut un espace libre où ils puissent exercer leurs ravages el régner en souverains abso- lus. Leur subsistance est précaire, souvent ils sont exposés à souffrir de la faim; aussi ne peuvent-ils supporter des rivaux qui leur disputent leur proie. Bien différent de l'herbivore dont l'alimentation assurée se trouve sans peine, sans ruse ni combat, le carnassier semble constamment inquiet de sa subsistance ; toutes ses préoccupations paraissent se rapporter à la recherche de ce qui doit apaiser sa faim; cependant il est encore fréquemment obligé à de longues absti- nences que la nature de ses aliments et la disposition de son appareil digestif lui rendent tolérables. Bien que l'isolement soit pour lui une nécessité, il est quelquefois sociable. Plusieurs de ces animaux aiment à se réunir en troupes, soit momentanément, comme le loup de nos forêts par les temps de neige, soit d'une manière permanente, comme les chiens devenus sauvages, ou les chacals qu'on voit s'associer pour dépecer une proie morte ou déterrer un cadavre. L'appétit de la destruction va souvent plus loin que la satisfaction d'un besoin impérieux, et rend les animaux inutilement sanguinaires : le renard qui s'est introduit dans la basse-cour ne se contente pas de se repaître jusqu'à satiété, il veut encore égorger les victimes qu'il ne peut dévorer, comme pour se venger sur elles des privations qu'il a souffertes et des difficultés qu'il a éprouvées. La fouine, la belette, lui ressemblent entièrement sous ce rapport. Parmi eux, il en est que lu force rend belliqueux et pleins de courage, comme le tigre, le lion, l'aigle, ré])ervier; ils se plaisent à l'exercice! de la cliasse ; ils aiment les combats : leur proie ne leur parait agréable que si elle a été coui'ageusement conquise. D'autres [dus faibles, sont pusillanimes et lâches ; pour eux, l'adresse, la ruse, doivent supi>léer à la ioirr : le r(!nard se creuse un terrier et ne s'atta- que qu'à des ennemis dont il n'a rien à redouter. Du reste, chacun se sert des moyens qui lui ont été donnés; Le chien, doué d'un odorat exquis, l'emploie pour la chasse; le chat, incapable de forcer ses victimes à fa course ou de péné- trer dans leurs ictraites, se contente «le h's attendi'e, adurirablement servi (ju'il FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTKLLKCTUELLES. 2:39 est par sa patience et la linesse de son oreille. Quelques-uns d'entre eux, lâches à l'excès, sont, comme le vautour et le corbeau, réduits à se repaître de proie morte, de débris en putréfaction. Ainsi, chez tous, les modifications de l'instinct sont mises en harmonie avec les variétés de l'organisation, les unes entraînant inévitablement les autres. C'est autant pour le vautour une nécessité d'être lâche que pour le tigre un besoin impérieux d'être sanguinaire. S'il est généralement dans la nature des carnassiers de vivre solitaires, il est dans celle de beaucoup d'herbivores de vivre en troupes. La subsistance de ceux- ci étant assurée, nulle rivalité ne peut exister entre les individus d'une même espèce; la faiblesse de quelques-uns, les dangers imminents auxquels presque tous sont exposés, paraissent leur en faire une loi, une nécessité : nécessité heu- reuse pour l'homme, puisqu'elle a été le point de départ, la condition prélimi- naire de la domesticité. Les buffles de l'Inde et de l'île de Geylan, les bisons du nord de l'Amérique, l'yack ou vache grognante des montagnes de l'Asie, les gazelles, et, en général, tous les autres ruminants, de même que les ânes et les chevaux sauvages, se rassemblent constamment en troupes plus ou moins nom- breuses; ils paissent, reposent, émigrent, ou veillent ensemble à la sûreté com- mune; la troupe obéit à des chefs qui se sont imposés ou qu'elle s'est choisis; les jeunes animaux, les individus faibles sont mis au centre et protégés avec sollicitude, et dès que l'ennemi essaye d'attaquer la troupe, toutes les bêtes se rangent, dit-on, en cercle pour lui opposer une barrière redoutable. Cependant, il y a encore quelquefois entre les grandes agglomérations de ces paciliques her- bivores des luttes que Darwin rattache à la concurrence vitale, et qui rappellent les luttes engagées entre les tribus humaines nomades, même entre les peuples civilisés. Alors les troupes qui parviennent à envahir une région et à s'en empa- rer en expulsent les troupes rivales. Parmi les rougeurs, on voit fréquemment le lapin, nouveau venu dans la garenne ou le clapier, maltraité et tué par ses Imtes. Le lièvre étranger que l'on met dans un petit parc ne tarde pas à être mis à mort par les lièvres maîtres du terrain. L'instinct de conservation offre, parmi ces espèces, une infinité de modifica- tions, suivant la nature de leurs aliments, les localités qu'elles habitent, les dan- gers qu'elles courent, etc. La vache thibétaine, lorsque la neige couvre la région qu'elle occupe, se laisse glisser sur le versant de la montagne et vient, en remon- tant, brouter riicrbe (pi'elle a mise à découvert: le renne sait bien avec son pied découvrir le lichen dont il doit se nourrir; le mulet destiné aux voyages dans les steppes de l'Amérique brise, dit Humboldt, une espèce de cactus dont le suc abondant est pour lui un rafraîchissement agréable. Du reste, fous les animaux savent choisir les plantes (|ui leur conviennent et repousser celles qui pourraient leur nuire. La domesticité, qui a si profondément modifié ceux qui \iveut avec nous, n'a pas détruit cet instinct : les bceufs que l'abbé Hozier avait mis dans un [tàturage où aboiulait le colchique, soullrireut de la faim, sans louchera la plante vénéneuse. Si l'instinct de conservation se révèle, sous une infinité de formes, dans les moyens qu'emploient les animaux pour [tourvoir à leur subsistance, il se mani- feste aussi avec énergie lorscju'ils ont à se préserver des attaques et à déjouei' 2(^0 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NIÏRVEi;X. les ruses de leurs ennemis. En général, quand ils sont attaqués, ils l'ont usage de leurs armes les plus sûres : le cheval se sert de son pied, le bœuf de ses cor- nes, l'éléphant de sa trompe, le chat de ses dents et de ses griffes. Les animaux faibles et timides emploient des moyens plus ou moins singuliers : la souris, la taupe, se creusent des habitations souterraines ; le mulot se loge dans un ter- rier où il s'endort, entouré d'une abondante provision; le lapin, la marmotte, se réfugient également dans des terriers. Le castor renverse des branchages en travers des courants, enfonce des pieux, élève une digue, et se construit, sur les eaux, avec un talent admirable, une habitation solide. L'industrie que ce dernier emploie à se bâtir une demeure n'est point le résultat de l'éducation, ni le pro- duit de combinaisons intelligentes. Frédéric Guvier a montré que des castors pris jeunes, élevés loin de leurs parents et enfermés dans des cages, cherchaient à bâtir, bien qu'ils n'eussent rien appris des animaux de leur espèce, et que toute construction leur fût inutile. L'instinct conservateur est très développé dans toutes les classes de la série animale : j'en ai dit assez pour les mammifères. Chez les oiseaux, il offre une infmité de modifications fort remarquables qu'il serait trop long d'examiner ici. Une d'entre elles mérite cependant une mention spéciale, c'est l'émigration. Tout le monde sait que l'oie sauvage, la cigogne, l'hirondelle, la grue, la caille, passent, à certaines époques de l'année, des contrées du nord vers les pays où règne une température plus douce; que la bécasse voyage des montagnes vers les plaines pour trouver une subsistance assurée. Chez les invertébrés, ces instincts sont sou- vent plus admirables encore que chez les animaux supérieurs : l'abeille accumule le miel dans sa ruche; l'araignée tend avec arl des filets qui doivent servir de piège à sa proie ; la seiche poursuivie lance autour d'elle, pour se dérober à la vue de ses ennemis, une partie de l'encre qu'elle lient en réserve dans une poche spéciale; le bernard-l'ermite, dont la queue n'est pas, comme le reste du corps, pourvue d'une enveloppe résistante, choisit un coquillage vide pour la loger, et l'échange contre un autre quand il est devenu trop petit pour la contenir. Ces quelques exemples, pris parmi des milliers, donnent une idée suffisante de l'universalité des instincts de conservation. Quels que soient leurs caractères, les instincts relatifs à la conservation sont parfaitement en rapport avec le genre de vie de chaque espèce. Tous les animaux ont, comme l'a fait remarquer Reiraarus ', l'instinct de chercher l'élément, le milieu qui leur convient, même quand ils ont de larges espaces à parcourir pour s'y rendre ; celui de s'y confiner, en s'y ménageant des retraites, en s'y creusant des re{)aiies, des terriers ou d'autres habitations, celui de s'éloigner par moments de ces milieux, de chercher une proie, de la découvrir, de lui tendre des pièges, de s'en emparer par la force ou la ruse, l'instinct de faire des provisions; celui de désarmer l'ennemi, d(; se soustraire à ses attaques, de se défendre à l'aide de leurs armes nalijr(!ll<'s. Si ces instincts ne dérivent pas ih l'organisation, on ik; saurait nier qu'ils soient en parfuilc harmonie avec elle. Ainsi les animaux du Nord sont couverts 1. Hoim.'inis, Ouvrai/i; c/Jd, l. I, ji. ]')0. l'ACULTRS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 2Ci| (l'une épaisse IbinTure; ceux des contrtM's rliaudts ont, au conlruiic, le pelure peu fourni, et quelquefois même la peau complètement, nue; ceux qui passent l'hiver dans un engourdissement plus ou moins complet, comme les reptiles et certains mammifères, tels que l'ours, la marmotte, la chauve-souris, le hérisson, s'engraissent avant la saison rigoureuse, et trouvent dans la graisse un combus- tible respiratoire ainsi qu'un aliment réparateur; le chameau, exposé à souffrir de la soif dans les climats brûlants qu'il habite, a des poches gastriques où l'eau se tient en réserve ; la girafe, qui doit se nourrir des feuilles d'un arbrisseau épineux, a un long cou et une lèvre fendue pour les atteindre; le fourmilier, privé de dents, mourrait de faim sans la disposition de sa langue protractile et gluante ; l'oiseau de rivage manquerait à sa destiiiations'il n'avait de longues jambes et un bec eflilé. A l'aide de cette concordance des instincts avec l'organisation, la nature s'est montrée logique dans ses plus singulières bizari-eries. Les instincts conservateurs se manifestent avec plus ou moins de force aussitôt après la naissance, avant que l'aniuial ait pu recevoir aucune éducation de ses [•arents, et, dès lors, ils donnent lieu à des opérations aussi sûres et aussi pré- cises que parla suite. L'abeille, à peine éclose et dégagée des enveloppes de sa larve, sort, comme le dit Uéaumur \ de l'habitation couimune, va chercher des lleurs, y va seule, s'empare de leur nectar, et sait bien ensuite retourner à sa ruche; en un mot, elle fait, dès le premier moment, tout ce qui deviendra l'occu- pation du reste de son existence. Le jeune gallinacé, en sortant tout humide de sa coquille, va prendre le grain qui doit le nourrir ; il comprend dès la première fois le cri d'alarme que pousse sa mère, et accourt sous ses ailes pour se sous- traire au danger; les jeunes canards que la poule a couvés vont immédiatement se jeter à l'eau. Les petits mammifères prennent la mamelle de leur mère, dès qu'ils sont sortis de son sein. Haller a vu des agneaux et des chevreaux nouveau- nés aller chercher leur mère à des distances considérables. Ces instincts semblent même préexister à la naissance : le chevreau que Galien avait tiré, par une inci- sion, du ventre de sa mère distingua au milieu d'une poignée d'herbes le cytise qui s'y trouvait mêlé. Mais, la plupart surgissent à l'époque et au moment où ils sont utiles, à l'instant iiiêmc de l'action à laquelle ils doivent présider. La déli- bération créerait un péiil à l'animal s'il pouvait délibérer : l'instinct le tired'em- i)arras ; la nature lui dicte sur-le-cliauq» le parti à prendre. Ils se montrent avec des caractères constants chez tous les individus d'une même espèce qui se trouvent dans les mêmes conditions, et ne donnent jamais lieu à des erreurs bien grandes : l'oiseau n'est déterminé à voler que quand ses ailes lui permettent de se soutenir dans les airs ; le jeune carnassier n'est poussé à l'attaque d'une proie que lorsque ses forces sont suflisantes pour assurer la réussite de son entreprise. Ce que je viens de dire s'applique plus spécialement aux animaux qui vivent à l'état sauvage. L'homme, en asservissant quehpies espèces sociables, les a ren- dues, sous le joug de la domesticité, souples et dociles, en même teuq)s qu'il s'est efforcé de modilier tout ce qui pouvait nuire au but de cet esclavage. Eu se 1. Réaumur, Mcmoires pour scvriv à l'histoire des i?isecfes. Paris. 1740, t. V, p. 001. 262 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. chargeant de les protéger, de leur construire des habitations, de leur ménager, pour toutes les saisons, une abondante nourriture, il a affaibli insensiblement l'instinct de conservation, du moins chez quelques-unes d'entre elles, la brebis, par exemple, tandis qu'il n'a pu l'altérer ehez quelques autres. Plus loin, je reviendrai avec quelques détails sur ces modifications, en examinant l'influence exercée parla domesticité sur les facultés instinctives et intellectuelles des ani- maux. L'homme est de tous les animaux celui dont les instincts de conservation sont le moins accusés, mais il n'en est pas dépourvu : la nature ne devait pas le laisser désarmé. Déjà l'enfant cherche le sein de sa mère ; plus tard il approche de ses lèvres tous les objets qu'il peut saisir; il est poussé à goûter tout ce qui a quelque apparence de qualité alimentaire. Devenu vigoureux, il est porté, s'il est sauvage, à chasser, à pêcher, à se construire des huttes. Il a l'instinct de l'acquisition, celui du combat et, dans certaines limites, celui de la destruction, l'instinct de la sociabilité qui accroît ses forces par celles de ses frères. Les arts les plus utiles paraissent avoir, quand on y regarde de près, un point de départ dans les impulsions instinctives. IIL — DES INSTINCTS DE REPRODUCTION. Si la nature a donné à tous les animaux les instincts nécessaires à leur con- servation, elle a dû, pour assurer la perpétuité de l'espèce, leur donner aussi ceux qui les portent à se reproduire, à protéger et à nourrir leur progéniture, jusqu'à ce qu'elle puisse se suffire à elle-même. L'instinct de la reproduction est non moins impérieux que les premiers, s'il ne l'est davantage; mais il en diffère beaucoup, indépendamment du but, en ce que, au lieu de se manifester dès la naissance et de persister à toutes les époques de la vie, il ne se développe qu'au moment de la puberté, pour se faire sentir pendant un certain temps, avec des alternatives d'activité et de torpeur, puis pour cesser enfin vers le déclin de l'existence. Cet instinct, à manifeètations momentanées, périodiques, prouve bien, par ses caractères, qu'il a son foyer ou son point de départ dans l'appareil génital. En effet, il se développe avec les organes de la reproduction ; il se fait sentir au moment de la puberté; il est vif quand ces organes fonctionnent avec énergie, s'af- faiblit lorsqu'ils languissent, s'endort temporairement quand ils suspendent leur action, et disparaît avec leur engourdissement ou leur atrophie. La mutilation l'annihile complètement ou à peu près ; enfin, l'apprivoisement des espèces sau- ,vages et quelques circonstances de la domesticité en préviennent ou en fontcesser l'apparition. En disant qu'il a son point de départ dans les organes reproducteurs, je ne prétends pas en inférer qu'il y réside réellement, je veux dire seulement qu'il a, dans ces organes, le principe de son excitation, ou, en d'autres termes, la cause de son ap|>arition; car s'il résidait dans les organes sexuels, cène serait plus un instinct, mais un simple besoin, et il serait complètement anéanti par la castra- tion, ce (jni n'arrive pas dans b(;aucoup d'espèces. Du reste, dans cette hypothèse, FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 21):? on s'expliquerait difficilement une infinité de phénomènes très variés qui m dépendent et qui ont avec lui la liaison la plus intime, tels que les soins malci- iiels chez les vivipares, l'incubation et la nidification chez les oiseaux. Un de ses caractères les plus remarquables, c'est de se présenter sous des traits qui ne sont pas les mêmes dans les deux sexes, puisque le nMe du mâle dans la reproduction est complètement dilTérent de celui de la femelle. Toutefois, dans l'un et dans l'autre, il a quelque chose de commun qui imprime à l'en- semble des fonctions une physionomie nouvelle, au moment où il se fait sentir énergiquement. Alors un redoublement d'activité s'observe dans réconomie; une ardeui' fiévreuse s'empare de l'animal qui ne peut plus se suffire à lui-même. Le taureau ressent une ardeur qui le dévore; il erre au milieu de la prairie, promène ses regards de tous côtés, fait entendre, à de fréquents inteivalles, de longs mugissements; il se montie rebelle à la voix du berger; le laboureur essaye en vain de le soumettre au joug : on dirait que le sentiment de son rôle lui fasse regarder comme humiliante la servitude que le bœuf supporte avec docilité. S'il vient à rencontrer un rival, il veut se mesurer avec lui et ne goûter de repos qu'après l'avoir vaincu au milieu de combats acharnés. La vache en rut se tourmente, s'agite, refuse de manger, paraît en proie à la plus vive inquiétude, court dans toutes les directions à la recherche du mâle ; elle oublie jusqu'à son petit encore à la mamelle et cesse de l'entourer des soins qu'elle lui prodiguait auparavant avec empressement. Le coq exerce dans la basse-cour un empire absolu ; fier et jaloux de ses prérogatives, il ne soulTre pas qu'un rival vienne les lui disputer. Tous les animaux, enfin, nous montrent cet instinct plus ou moins prononcé ; et il suffit de comparer le taureau au bœuf, le cheval entier au cheval hongre, le bélier au mouton, le coq au chapon, pour se faire une idée des modi- fications profondes qu'il imprime aux diverses fonctions et à la plupart des facultés des animaux. On voit clairement qu'il donne à tous le sentiment de l'indépendance, les rend indociles et les fait quelquefois devenir furieux. Il semble, chez les animaux domestiques, aussi bien que chez les espèces sauvages, être aussi prononcé et aussi impérieux que l'instinct de conservation parmi les carnassiers les plus féroces. Pour rendre les animaux plus souples et plus dociles, l'homnie a dû l'étoufleren détruisant les organes essentiels de la repro- duction. L'instinct qui nous occupe, quoi(pie en général très prononcé, est loin d'être aussi parfait dans toutes les classes du règne animal, et, dans chacune d'elles, il ofl're même beaucoup dedilïérences, suivant les espèces; sous ce rapport, il y a un aussi grand nombre de degrés qu'il peut y en avoir dans le développement de l'inslinct de conservation. Tout à l'heure, je disais quel'instinct de reproduction allait parfois tellement loin, que l'individu s'oultliait, en quelque sorte, [lours'y abandonner entièrement. Plusieurs espèces, celle du hérisson entre autres, nous en offrent un exemple : au printem()s, cet insectivore sort de l'engourdissement i)ù l'avait plongé le froid de Ihiver; la plus grande partie de sa graisse a disparu pendant que ses vésicules séminales se sont remplies. Alors, quoique alVaibli, épuisé par l'hibernation, il consume le peu d'ardeur qui lui reste en se livrant à la génération. 2(54 Di-'S FONCTIONS DU SYSTEME NERYEUX. Chez les mâles, dans la plupart des espèces, l'instinct reproducteur se présente dans toute sa simplicité, car le rôle de ce sexe est bien moins compliqué que celui de l'autre. Chez la femelle, au contraire, il entraîne une foule de modifi- cations qui ont trait à la protection, à l'entretien et à l'éducation des petits. Ces soins maternels, que le mâle partage rarement, méritent une grande attention ù cause de leur diversité. Parmi les quadrumanes, cet instinct est excessivement prononcé, comme tout le monde le sait. Les femelles montrent la plus grande tendresse pour leurs petits -.elles les portent dans leurs bras ou sur leur dos, quand elles sont obligées de fuir ; elles les défendent avec un dévouement et un courage remarquables. Chez les femelles des carnassiers, il est peut-être encore plus exalté. La plu- part d'entre elles ont pour leurs petits une affection poussée jusqu'aux dernières limites. La chatte, si casanière au coin du feu, change ses habitudes dès qu'elle a mis bas : elle abandonne la place qu'elle avait au foyer, et n'y vient que pour prendre sa nourriture; elle se dérobe aux caresses qui, auparavant, lui parais- saient si agréables, et s'en va à la hâte allaiter, réchauffer et protéger ses petits. Attentive à dissimuler le lieu où elle les a déposés et le chemin qu'elle prend pour s'y rendre, on la voit soucieuse et inquiète dès qu'elle s'aperçoit que ce lieu est découvert : alors elle les prend dans sa gueule et les emporte un à un dans un autre endroit où elle les croit plus en sûreté. La louve, la renarde, la lionne, s'exposent à tous les dangers pour procurer des aliments à leur progéniture. Leur affection pour leurs petits les rend d'une férocité extrême, si elles se voient menacées de les perdre. Mais, une.fois que ceux-ci peuvent se suffire à eux-mêmes, cette tendresse se change en aversion ; la mère, jusqu'alors si empressée à leur prodiguer ses soins, si courageuse à les défendre, leur voue une haine impi- toyable et les éloigne du lieu de leur naissance. Cependant, quelques exceptions s'observent parmi les espèces de ce groupe : la chienne et la chatte, qui n'ont pas moins de sollicitude pour l'éducation de leurs petits, ne les prennent pas en aversion, une fois qu'ils deviennent assez forts pour se passer de la protection maternelle. Parmi les ruminants, bien des femelles témoignent presque autant d'affection à leur progéniture. Voyez la vache qu'on prive de son petit : la pauvre mère inquiète le cherche de tous côtés ; errante au milieu de la prairie, elle fait entendre des beuglements plaintifs qui expriment sa douleur et redemandent avec instance le nourrisson qui, jusqu'alors, ne l'avait pas. quittée. Son agitation ne vient pas de ce que son lait l'incommode : la main de la ménagère, en le lui enlevant, ne calme pas son inquiétude;. Les autres ordres de mammifères nous présentent, sous ce rapport, une infi- nité de particularités plus ou moins intéressantes. Ainsi, chez certains rongeurs, le lapin, par exemple, la femelle n'est pas seulement chargée de l'éducation des petits, elle a encore à lutter contre une aberration de l'instinct qui pousse sou- vent le mâle à détruiic sa progéniture. Lorsqu'elle se sent près de mettre bas, elle cherche un coin obscur de son terrier ; elle s'arrache du poil sous le ventre et en garnit le nid dans lequel elle viendra déposer ses petits. Cette mère timide, sans armes, pour résister aux fureurs du mâle, se contente de ne jamais aban- donner le fruit d(( ses amours. l'ACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 2tuj Les didelphes, qui sont si singuliers quant à lour organisation, ne le sont pas moins sous le rapport de leur mode de reproduction. On sait que, chez eux, le jeune fœtus reste très peu de temps dans la matrice. Au moment où il sort, il se montre sous l'asjject d'une masse informe, à peine ébauchée; sa perte serait inévitable si sa mère n'avait le soin de le recueillir dès qu'il sort de l'utérus, et (le le placer dans une poche spéciale qu'elle a sous le ventre. Une fois dans cette seconde matrice, il se grelle à un mamelon pour y pomper peut-être d'abord du sang, puis du lait, ({uand ses organes [leuvent le digérer. Lorsqu'il a acquis un certain accroissement, il sort, par moments, de la poche protectrice, où sa mère le rappelle au moindre danger. De semblables rapports se continuent jusqu'à ce fpie les petits puissent se passer des soins de la mère '. Kniin, parmi les groupes où les femelles montrent le moins d'empressement à l'éducation de leur progéniture, on remarque néanmoins qu'elles cherchent pour la déposer un endroit convenable. Aussitôt que leurs petits sont nés, elles les sèchent en les léchant, elles coupent ou écrasent le cordon ombilical, dévorent, alors même qu'elles sont herbivores, l'arrière-faix qui attirerait les carnassiers, et, pendant le premier âge de ces petits, elles ne cessent de les entourer des soins les plus minutieux ; elles ne les quittent que pour prendre de la nourriture. Si la jeune famille leur est ravie, on voit, à leur inquiétude et à leurs plaintes, qu'elles en éprouvent une vive douleur. Chez les oiseaux, les instincts reproducteurs donnent lieu à des phénomènes plus curieux encore que ceux qui dérivent des mêmes instincts parmi les mammifères. Ici la femelle ne reste pas seule chargée des soins de sa pro- géniture ; le mâle la protège souvent avec beaucoup de patience et d'abnéga- tion. Un des plus remarquables, parmi ces phénomènes, est celui delà nidification, qui offre tant de variétés dont la raison n'est pas toujours facile à trouver. Dès qu'arrive la saison des amours, la femelle prépare le nid dans lequel elle dépo- sera ses œufs et où elle élèvera ses petits. La nature des matériaux, la manière de les emjdoyer, varient à l'iniini suivant les espèces : les oiseaux de rivage ne font pas un nid semblable à celui des oiseaux qui vivent dans les forêts ou au milieu des plaines ; l'un niche sur un arbre très élevé, l'autre dans un buisson ; tel niche à terre, tel autre sur un rocher ou dans un trou de muraille. Ces nids sont le plus souvent construits avec un art admirable et une grande solidité, comme ceux de l'hirondelle de cheminée ou de l'hirondelle de fenêtre ; il en est qui, à peine fixés aux branches d'un arbre, peuvent cependant résister aux vents les plus impétueux ; quelquefois ils sont faits avec la plus grande simplicité: celui du rossignol, par exemple ; enfin, dans certaines circonstances, le nid n'est qu'un simple trou dans lequel l'oiseau vient |)ondre ses œufs, comme celui de l'alouette, de la caille et de la perdrix. (Juehpie admirable que |)uisse paraître l'industrie que les oiseaux mettent à choisir l'emplacement de leur nid, à trouver et à employer les matériaux qui doivent servir à sa construction, cette industrie ne suppose ni réflexion, ni pré- 1. Et. GeotTroy-Saint-Hiiaire, Mémon-es du Muséum d'hist. mit., 1825, t. IX, p. 1U2. 26h des fonctions nu système nerveux. voyance, ni combinaison d'aucune espèce. Quand l'animal arrête le lieu où il fera son nid, il ne sait pas que ce lieu convient mieux qu'aucun autre ; quand il y emploie telle substance, il ignore qu'elle est préférable à telle autre. Au moment où il s'occupe de ce nid, il ne prévoit pas que bientôt il aura des œufs à y pondre, et plus tard des petits à y élever. Toutes ces opérations, il les exécute en vertu d'une impulsion non raisonnée, et, dès la première fois, il y réussit aussi bien qu'il peut le faire dans tout le reste de son existence ; il n'a besoin pour cela d'aucune éducation, d'aucune expérience. C'est bien à .tort que G. Leroy -^ sup- pose de la réflexion à la perdrix, parce qu'elle place son nid dans un lieu élevé afin de le préserver de l'inondation, et dans un endroit entouré de ronces et d'épines « qui en rendent la vue et l'accès difiiciles : » le gallinacé n'agit dans ce cas que par instinct ; il n'a nulle prévision d'une inondation et nulle connais- sance de l'utilité des ronces au voisinage de son nid ; mais il agit absolument comme s'il savait tout cela. La construction du nid une fois achevée, la femelle y dépose ses œufs et les couve. Pendant tout le temps que dure l'incubation, elle supporte patiemment mille privations : la poule, dévorée par une fièvre brûlante, quitte difficilement ses œufs, même pour prendre de la nourriture ; il faut, pour ainsi dire, qu'elle y soit excitée par la voix de la ménagère ; à peine a-t-elle un peu mangé et pris quelques gorgées d'eau qu'elle revient à son nid. Dans certaines espèces, le mâle, qui, quelquefois, participe à la nidification, se charge de pourvoir à la subsistance de la mère et en charme les ennuis par des chants plus ou moins mélodieux ; assez souvent il perd la voix quand le rôle de la reproduction est accompli. Dès que les petits sont sortis de la coquille, la mère va leur chercher de la nourri- ture, si le mâle ne prend pas ce soin ; elle avale parfois les aliments pour les leur rendre atténués ou mêlés à un suc laiteux sécrété par les glandes des renfle- ments œsophagiens : ainsi le fait la femelle du pigeon. Elle montre, pendant tout le temps que les jeunes oiseaux ont besoin de sa protection, la plus grande tendresse à leur égard ; elle reste sur le nid pour les préserver du froid, de la pluie, et des attaques de leurs ennemis. Si ses petits marchent dès qu'ils sont éclos, comme les gallinacés, elle les mène à la pâture, les appelle lorsqu'elle trouve du grain ou des vers, et les couvre de ses ailes au moindre danger. Son affection la rend courageuse au dernier point, pour les sauver du péril qui les menace : tout le monde sait combien la poule devient dangereuse lorsqu'on cherche à lui prendre ses poussins, et chacun a entendu parler de la fureur de l'aigle femelle à laquelle on enlève les aiglons. Il est cependant certaines espèces d'oiseaux dont les instincts reproducteurs sont peu dévelo[»pés : l'autruche, dit-on, abandonne l'œuf qu'elle a pondu, laissant à la chaleur du sable le soin de le faire éclore. Si le fait est exact, ce qui est peu probable, il indique l'afl'aiblissement d'un instinct que la température des climats chauds ne lend pas indispensable à cet animal. Chez les reptiles, l'instinct de la reproduction a des caractères très variables. Parmi les espèces qui font des œufs, et c'est presque la totalité, il se traduit par 1. G. Leroy, Lettres plnlosophiques, elc, j). 77. FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. ^HT des manilestations extrêmement simples. Une fois que la fécondation et la [lonte sont o|jéré('s, f<énéralement le mule et la femelle ne s'occupent plus de leur pro- f^éniture. Mais, dans quelques espèces, cet instinct donne lieu à «les phénomènes plus ou moins bizarres : ainsi le batracien connu sous le nom de pipa recueille les œufs à mesure qu'ils sont pondus, et les place sur le dos de sa femelle, où, par suite d'une légère irritation que leur contact produit, ils se trouvent bientôt entourés d'un jietit bourrelet qui les protège jusqu'à leur éclosion. Le caïman de l'Amérique du Sud dépose ses œufs dans le sable, sur le bord des eaux, les couvre de feuillages, de plantes aquatiques, et veille patiemment à leur conservation. La vipère, dont les petits naissent vivants, les protège encore longtemps après leur sortie du sein maternel ; dès qu'ils viennent à courir quelque danger, elle les reçoit, dit-on, dans sa gueule, pour les rendre aussitôt qu'ils n'ont plus rien à redouter. Les poissons paraissent être, de tous les vertébrés, ceux chez lesquels l'instinct reproducteur est le plus faible, et il devait en être ainsi, par suite de leur mode de génération. La femelle n'a pas, en général, de rapports avec le mâle; elle pond ses œufs qu'elle abandonne au milieu des eaux; le mâle, de son côté, répand son sperme, sans chercher toujours à le déposer sur ces œufs. C'est par suite de la ren- contre fortuite de la semence avec les œufs que se produit la fécondation. Cepen- dant, souvent la femelle se déplace pour frayer vers les rivages, dans les points où les eaux sont calmes et peu profondes, où le mâle vient opérer la fécondation. Fréquemment encore, aussi, les instincts génésiques de ces animaux se révèlent par des migrations lointaines et des précautions particulières en ce qui concerne la ponte. Beaucoup de poissons des régions septentrionales se réunissent en troupes immenses pour venir déposer leurs œufs sur les côtes des pajs tempérés. D'autres poissons de mer, comme le saumon, remontent, à des époques déter- minées, les fleuves et leurs aftluents, franchissent les cataractes pour apporter leur frai au fond des interstices du lit des courants : leurs petits retournent plus tard aux océans. La truite creuse des excavations dans le sable des eaux vives et recouvre les œufs qu'elle y dépose. Les gobies des lagunes de la Méditerranée pondent, comme Aristotc le disait, dans des nids de fucus entrelacés ; plusieurs siluroïdes d'Amérique en font autant; enfin, le petit acaiithoptérygien des ruis- seaux, l'épinoche, construit son nid, d'après les observations de Lecoq et de Coste, avec un art admirable, nid où la femelle dépose des a'ufs qui sont protégés jusqu'à leur éclosion. Quant à cet instinct, chez les invertébrés, il est plus ou moins prononcé sui- vant les classes. (Juelquefois il se manifeste avec des caractères tellement équivo- ques, qu'on est porté à douter de son existence ; d'autres fois il se montre plus parfait, sans qu'on puisse bien en donner la raison. Tout le monde sait que, quand on vient à déranger le nid de la fourmi, elle emporte ses œufs dans un lieu où elle les croit plus en sûreté. La mouche carnassière, qui est à la veille de pondre, vole dans toutes les directions et cherche un endroit convenable pour déposer les siens. C'est sur la chair humide, sur les parties du cadavre qui se ramollissent et qui se putréfient facilement, qu'elle les place de préférence, alin que les larves ([ui doivent en sortir trouvent dans le lieu même de leur éclosion 268 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. une abondante nourriture. Le papillon du ver à soie est à peine sorti du cocon qu'il s'accouple et pond. Il ne s'occupe pas de lui, car il ne lui reste que quel- ques jours à vivre, et il les emploie à la reproduction de l'espèce. L'œstre du cheval va faire ses œufs sur la peau du solipède, dans les endroits où l'animal peut porter la langue; celui du bœuf les fait pénétrer dans la peau, à travers des perforations qu'il creuse à l'aide d'une tarière, et il a soin de ne les déposer que sur les reins, le dos, etc., non dans les points où ils pourraient être, ainsi que leurs larves, écrasés par les frottements. Une autre espèce va pondre à l'entrée des narines du mouton : l'œuf éclos, la larve monte dans les cavités nasales, pénètre dans les sinus, s'y nourrit pendant près d'une année, et en sort pour opérer sa métamorphose ; elle en sort facilement, quoique devenue énorme, parce que l'ouverture nasale des sinus est très dilatée. L'œstre a été guidé par un instinct sûr : s'il fût venu pondre ses œufs à l'entrée des narines d'un autre animal, lalarve toute petite eût bien pénétré dans les sinus, mais, une fois déve- loppée, elle eût été dans l'impossibilité d'en sortir, faute d'un pertuis assez large'. L'insecte, une fois arrivé à l'état parfait, poursuit le bétail avec une sorte de fureur : le mouton a beau mettre le nez dans la poussière, et le bœuf s'enfuir à travers les champs, ils ne peuvent se soustraire aux attaques du parasite. Sous tous les climats, ce dernier est également redoutable : le Lapon est obligé, pour en préserver ses troupeaux de rennes, de les emmener dans les montagnes, mais le pasteur des plaines de l'Amérique voit périr quelquefois ses bœufs par les attaques de ces insectes -. L'instinct reproducteur est encore, comme on le voit, un instinct commun à toutes les espèces animales, mais fort variable, par son mode de manifestation et les phénomènes qui en dépendent. Chez quelques-unes, en effet, nous l'avons vu très prononcé, chez d'autres très faible. Dans toutes cependant il est parfait, puisque son but se trouve rempli. En considérant l'ensemble de ses formes si variées et les nombreuses actions qu'il règle, on voit qu'il préside à une grande partie de la vie des animaux : union des sexes, migrations, ponte, incubation, parturition, puis protection, alimentation et' éducation des petits. Que d'intelli- gence, de réflexion, de connaissances il faudrait à la brute pour faire ce que la nature lui dicte avec tant de sagesse et de sûreté! Dans notre espèce, les actes, les facultés, les sentiments relatifs à la reproduc- tion ne sont pas, au fond, essentiellement difl'érents de ceux des animaux, etl'on peut dire même qu'ils n'ont pas toujours sur ces derniers une incontestable supé- riorité, mais ils ont dans la vie de l'humanité des conséquences qu'ils n'entraînent pas dans celle des animaux. Les impulsions relatives au rapprochement des sexes deviennent les préliminaires de la constitution de la famille. Ces rapprochements la préparent et la commencent. L'affection maternelle, le plus pur de tous les instincts, la sollicitude pour les enfants, que la nature inspire aux ascendants, la longue éducation que réclame l'enfance, la consolident. Jj'attachement filial, instinctif aussi, la perpétue; puis les liens du sang qui rattachent encore les membres de la famille fractionnée, devenus souches de familles nouvelles, con- 1. G. Colin, Recueil de médecine vétérinaire. IS^j^, t. IX, p. 479. 2. Boussingault, Économie rurale, S" édit., t. II, p. 505. FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. -iOlj duisent à la tribu et, par extension, aux grandes sociétés. La constitution de la famille ne repose point sur des raisons d'ordre intellectuel, elle dérive d'impul- sions instinctives, comme chez les animaux, avant de résulter de conventions sociales. Aussi, elle doit remonter aux premiers temps de l'iiumanité. D'ailleurs, elle était particulièrement nécessaire à l'homme à cause de sa longue enfance (pii réclame une protection et des soins dont les jeunes animaux sont vite en état de se passer. L'instinct de rei)roduction s'éteint quelquefois sous l'influence de certaines causes tout à fait étrangères à l'état sauvage. Beaucoup de mammifères et d'oi- seaux qui s'ai)privoisent assez facilement, perdent, avec la liberté, la tendance à se reproduire, et restent coiiséquemment stériles pendant tout le temps que dure leur captivité; mais cet instinct renaît avec le retour à la vie sauvage. Son anéan- tissement, dans cette circonstance, n'a certainement rien qui dérive du rai- sonnement; toutefois, qu'elle qu'en soit la cause, il nous fournit une nouvelle occasion d'admirer cette nature prévoyante qui refuse à des individus la faculté de reproduire leur espèce dans des conditions incompatibles avec son existence. il persiste cependant chez les hybrides, la mule, le mulet, bien que ces animaux soient inféconds. Sa manifestation est évidemment alors un non-sens, puisqu'elle ne saurait avoir, en général, aucun résultat. Eidin, il offre, parmi les animaux domestiques, quelques aberrations assez lemarquables : la poule couve les œufs dunautre oiseau et montre pour les petits qui en proviennent autant d'affection qu'elle en témoigne aux siens; elle couve même des morceaux de craie, sans paraître s'apercevoir, comme le dit Buffon, (pi'il n'en peut rien résulter. Certaines espèces voisines s'accouplent ensemble et donnent naissance à des produits inféconds, mais elles ne s'unissent ainsi que par l'intervention des soins de l'homme. Quelques animaux, par une aberration plus singulière, cherchent à tuer leurs petits. La truie, par exemple, ainsi que Pline ' ei\ avait fait la remarque, dévore quelquefois les siens, et le lapin mâle étrangle souvent les jeunes lapins que la femelle a été obligée d'abandonner pour quelques instants. Dans l'état de domesticité, cet instinct n'est pas également prononcé chez tous les individus. Certaines femelles se montrent mauvaises mères pour la première fois, puis aune seconde portée témoignent le plus vif attachement à leur progéniture. D'autres se refusent consfamment à lélever. En généial, les femelles malades ne témoignent plus d'affection à leurs petits : la chienne les laisse se disperser; la lapine ne les couvre plus de duvet et cesse de venir réchauffer leur nid, La feuniie elle-même peut se montrer dépourvue du sentiment le plus vivace don! la nature ail doté la brute. H lui arrive trop souvent de refuser le sein à son enfant, pour lequel l'allaitement artiliciel double les chances de mortalité, ou de le confier, loin d'elle, à une nourrice mercenaire. Quelquefois, mère sans entrailles, elle voue froidement cet enfant à la mort ou elle le tue de ses propres 1. Pline, Histoire des animaux, liv. VIII, p. 213, trad. Guéroult. 11 dit aussi que quand il y a trois aiglons dans une seule aire, la mère, par un sentiment dénaturé, causé par la Jiàctte, en chasse un, faute de pouvoir les nourrir tous trois. (I iv. X, p. 32i3.) 270 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERYEUX. mains, non comme la brute, agissant sans discernement, mais avec conscience del'énormité de ses actes. IV. — DE l'intelligence. Nous venons de voir, par ce qui précède, que l'instinct est le mobile ou le principe de la plupart des actions des animaux. Ces êtres, sans avoir jamais rien appris de leurs parents ni de leurs semblables, sans avoir acquis aucune expé- rience par le fait de l'exercice et de l'habitude, exécutent les opérations variées, plus ou moins complexes que réclament leur conservation et la reproduction de leur espèce. Jamais, comme le dit Lucrèce^ l'instinct éloquent de la nature ne les trompe ; ils sont instruits et bien instruits, en naissant, de ce qu'il leur est nécessaire de savoir pour tout le reste de leur existence : ils connaissent leurs ennemis avant de les avoir jamais vus; il savent ce qu'il faut faire pour les éviter et se soustraire à leurs attaques; n'ignorent aucun des moyens, aucune des ruses qui peuvent leur être utiles pour se procurer de la nourriture; enfin, ils possè- dent toutes les notions à l'aide desquelles ils peuvent se gouverner avec sûreté : ils n'ont donc guère besoin d'intelligence. Cependant, tout dans la vie des grands animaux ne saurait êtr'e prévu : il est une infinité d'accidents qui donnent lieu à des rapports plus ou moins insolites entre les individus de différentes espèces , comme entre ceux-ci et l'homme, presque constamment occupé à leur faire la guerre. Or, il faut nécessairement que, dans ces circonstances exceptionnelles et imprévues, l'animal soit guidé dans le parti qu'il doit prendre, c'est-à-dire dans le choix des moyens réclamés par les difficultés avec lesquelles il se trouve aux prises, choix qui suppose des con- naissances acquises, de la mémoire, delà rétlexion, et une sorte de prévision de ce qui arrivera; il faut, en un mot, qu'il ait de l'intelligence. Aussi, cette der- nière paraît-elle se surajouter aux instincts et étendre, par là, le cercle des facultés psychologiques de la brute. Mais, est-il bien certain que les animaux aient de l'intelligence, et, s'ils en ont, quels sont ses caractères, son étendue, ses limites? En quoi peut-elle ressembler à celle de l'homme et en quoi peut-elle s'en distinguer? Les psychologues disent que les facultés intellectuelles sont des façons d'être, d'agir, des opérations de l'esprit, de l'àme apnt chacune leurs attributs et leur r(Me. Les principales sont les perceptions ou la faculté que possède l'être de sentir les im|»ressions reçues par les organes des sens; — la mémoire ou la faculté de conserver le souvenir de l'impression reçue; — la conception, l'imagination, qui créent les idées; — le jugement, qui voit les rapports entre ces idées ; — le rai- sonnement, (|ui établit ces ra[qiorts par des idées intermédiaires, et en tire des déductions. Ces facultés, plus ou moins liées entre elles, sont indé|)endantes les unes des autres dans certaines limites; elles peuvent se développer isolément, l'une s'exalter [tendant que l'autre s'atrophie. Elles donnent, dit-on, à l'homme 1. Lucrèce, />'- luihiro rcriim^ liv. 11, p. .'35. FACILTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 271 ce qu'on appelle la raison, cette lumière qui le dirige, qui lui montre le but, la convenance de ses actions. Or, si telles sont les principales facultés intellectuelles, si, sentir, se souvenir, avoir des idées, saisir leurs rapports, résument l'activité du moi, de l'entende- n)ent, il faudra bien convenir que les animaux partagent avec nous cette activité dans une certaine mesure. D'ailleurs, les idées sur lesquelles s'exercent ces facultés ne manquent pas aux animaux. Si toutes les idées viennent des sens, comme Locke et Gondillac se sont ellorcés de le prouver, comment les animaux, qui ont les mêmes sens que nous (;t qui en ont iiirnie |>lusieurs plus parfaits que les nôties, comment, dis-je, n'auraient-ils pas d'idées? Est-ce que le tact, le toucher, ne leur donnent [)as la notion de l'étendue, de la forme, de la consistance, de la température des corps? Est-ce que la vue ne leur fournit pas l'idée de la forme, de la i^-randeur, de la couleur, de la distance des objets? Pourquoi, par l'ouïe, n'auraient-ils pas celle de la nature de certains corps, de leur distance? Pourquoi, par lodorat, le goût, n'apprécieraient-ils pas comme nous les qualités des aliments? Pourquoi ne [)Ourraienf-ils conserver le souvenir des perceptions? Et, est-il impossible (pi'ils saisissent quelques rapports, quelques liaisons entre leurs perceptions ou leurs idées? Mais, très probablement, ils n'en ont pas d'autres. Il serait peu rationnel de leur supposer des idées émanées de la rétlexion ou des idées abstraites, telles (pie celles que Descartes et Leibnitz appellent innées; celles-ci sont très proba- blement l'apanage de l'esprit humain. Sous ce rapport, l'animal est comparable à l'enfant. Celui-ci n'a point d'idées abstraites, d'idées résultant de la conception, delà réflexion, puisque ces facultés ne sont pas encore développées en lui. 11 est exactement dans le cas de la statue de Condillac. Toutes ses idées lui arrivent par les sensations, idées d'abord con- fuses et d'une extrême simplicité, puis plus nettes, plus étendues, à mesure que la faculté de perception se développe. La sensation, en effet, n'est pas l'idée, elle la donne; ce n'est pas l'œil qui voit, l'oreille qui entend, comme on l'a fort bien dit, mais c'est l'organe pensant qui voit par l'œil, qui entend par l'ouïe, et cet organe voit et entend plus ou moins bien, suivant l'étendue, la linesse de sa faculté perceptive. Quels que soient leur point de (lé|(arl et leur nature, les idées se développent rarement isolées ou réduites à l'état de simplicité; elles sont généralement asso- ciées entre elles, mais toujours en petit nombre, A la vue d'un objet quelconque, l'animal, a en même temps, l'idée de sa forme, celle de sa grandeur, de sa couleur, d(! son innnobilité ou de son mouvement, de sa distance, etc. L'animal j)oursuivi par un ennemi a, à la fois, l'idée du danger qu'il court et celle de fuir ou de se soustraire au péril par tout autre moyen ; celui qui évente un piège où déjà il a failli se faire prendre a, certainement, avec l'idée de l'éviter, celle de la peur qu'il a autrefois é[irouvée; le chien qui entend le signal du départ pour la chasse a très probablement l'idée du plaisir qu'il ressent à relancer le gibier avec celle de [irendre part à la curée. Ce même chien, s'il reçoit un coup de bâton, a l'idée du coup avec celle de l'instrument qui le donne, et quelquefois aussi l'idée de la main qui a dirigé le bâton. Seulement, lorsqu'il veut combiner ces idéesdiverses ■Irl DES FONCTIONS DD SYSTEME NERVEUX. et les enchainef suivant leurs rapports naturels, il lui arrive souvent de se trom- per, en rapportant, par exemple, à l'instrument inerte la cause de la douleur qu'il a ressentie, et alors, au lieu de chercher à mordre la main qui est la cause première, il se jette sur le bâton. Mais, c'est là une erreur de raisonnement qu'il ne commet pas toujours il sait très bien, dans des circonstances aussi simples, remonter de l'effet à la cause réelle, en négligeant l'intermédiaire, car s'il s'at- taque au bâton tant que l'homme le tient entre les mains, il se jette sur l'homme lui-même une fois que ce dernier n'en est plus armé. A part ces simples idées venues par les sens, idées que Reimarus considère comme des instincts représentatifs, les animaux n'en ont guère d'autres. On ne peut savoir s'ils ont une idée du temps, si celle du présent est bien distincte pour eux de celle du passé ou de l'avenir. Les notions qu'ils peuvent acquérir sur ce qui les entoure doivent être conséquemment assez restreintes, d'autant plus qu'ils ne fixent attentivement que les choses qui les intéressent. Ils n'ont proba- blement qu'une notion vague et confuse de tout ce qui leur est indifférent. Les idées des animaux, les notions qu'ils acquièrent, les impressions diverses qu'ils éprouvent, laissent dans leur esprit, si je puis me servir de cette expres- sion, une trace plus ou moins profonde, et s'y conservent même pendant long- temps : ils sont doués, comme nous, de la mémoire, c'est-à-dire du souvenir des choses passées, mais cette mémoire que Buffon voudrait appeler réminiscence, serait pour les animaux un simple renouvellement subjectif des sensations déjà éprouvées. Elle est plus ou moins étendue, plus ou moins parfaite, suivant les espèces et les âges. Quelle que soit sa perfection, elle existe incontestablement chez tous les animaux supérieurs; plusieurs faits semblent même démontrer qu'elle ne manque pas absolument parmi les espèces inférieures du règne animal. C'est surtout en vertu de cette précieuse faculté que les animaux domestiques peuvent profiter de l'éducation qu'ils reçoivent : sans elle, il serait impossible de les façonner d'une manière durable et d'en obtenir tous les services que nous en relirons. Quelques mots suffiront pour donner une idée de son étendue dans chacune des espèces que l'homme a soumises au joug de la domesticité. Le chien doit être ici placé en première ligne. Tout le monde sait combien sa mémoire est fidèle, comment il reconnaît son maître après une longue absence, comment il retrouve les chemins où il a passé, comment il conserve le souvenir des bienfaits qu'il a reçus et des mauvais traitements qu'il a subis. Le chat jouit aussi d'une mémoire excellente, de la mémoire des lieux notam- ment. Aussi est-il très difficile de le désorienter quand on veut s'en défaire. J'ai entendu raconter bien des fois que quel(|u'un voulant se débarrasser d'un chat incommode, profita d'un voyage nocturne de si\ à sept lieues pour essayer de le perdre dans les bois. Mais, quel en fut |ias son étonnement, lorscpi'à son retour il trouva à la maison l'animal dont l'arrivée avait de beau<;oii|» précédé la sienne. Le cheval est encore bien partagé sous ce rajtport. Toutes les personnes qui étudient ou qui soignent cet animal le savent parfaitement. Celui que son maître maltraite d'habitude dresse les oreilles et s'agite toutes les fois qu'on entre dans l'écurie, parce qu'il se souvient des coups (pi'il a icçus, et craint FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 273 d'en recevoir encoir. Ceux qui ont subi de mauvais traitements, qui ont été soumis à la torture, s'en souviennent dès que quelque chose vient réveiller les sensations pénibles ([u'ils ont éprouvées. Un cheval qu'on ne peut ferrer sans contrainte s'etlarouche au seul bruit de lenclunie ou à la vue du ter rouge ; celui qu'on a couché plusieurs fois pour des opérations douloureuses tremble à la vue du tord-nez ou au bruit des entraves qu'on agite autour de lui. Rainard a cité l'exemple d'un cheval qui était pris de convulsions toutes les fois qu'il arrivait à un endroit oi'i il avait éprouvé une grande frayeur; M. H. Bouley a vu un cheval qui avait subi une opération à l'Ecole reconnaître de loin, au bout d'une année, les lieux où il avait souffert, refuser d'en approcher et devenir inabordable une fois qu'on fut parvenu à 'l'y faire arriver par une voie détournée. Ceux de ces animaux qui sont employés aux exercices du manège se rappellent les mouvements les plus variés, les évolutions les [dus compliquées, et ils font d'au- tant plus vite leur éducation que leur mémoire est plus parfaite. Certains indi- vidus de cette espèce en sont doués à un degré très remarquable, tel le cheval de Broussais, dont parle Fr. Dubois'. Le père de l'illustre médecin allait, chaque jour, dans la matinée, voir ses malades; le soir, il rentrait chez lui et conliait sa monture à son fils, qui devait porteraux clients les médicaments pres- crits; chemin faisant, le solipède, dont la mémoire était lîdèle, s'arrêtait sponta- nément devant chaque maison où son maître avait fait des visites. Le boiuf a la mémoire plus courte que le cheval. Cependant, il reconnaît la main qui lui donne sa nourriture, celle qui le caresse ou le maltraite; il sait retrouver le pâturage où on le conduit habituellement et les chemins [lai- lesquels il passe quelquefois. Quand le laboureur le dételle, il sait fort bien prendre la voie qui le conduit à la maison : il est bien rare qu'il se trompe. Le porc, si stupide qu'il paraisse , n'est pas dépourvu de mémoire. Bosc raconte avoir vu, dans la Caroline du Sud, des porcs entretenus dans les bois, en pleine liberté et sans gardiens, revenir tous les samedis au logis de leur maître, parce que, ce jour-là, on avait l'habitude de leur distribuer une petite ration de maïs. La brebis paraît être l'espèce dont la mémoire est la plus faible, comme elle est celle dont l'intelligence est la plus obtuse. C'est à peine si au bout de lou"-- temps elle reconnaît la main qui la nourrit et le berger pré()osé à sa garde; encore n'est-on pas bien sûr qu'elle en arrive là. Elle n'a pas davantage la mémoire des localités : si, au retour du pâturage, on n'a pas le soin de la ramener jusqu'à la porte de la bergerie, elle reste en chemin ou bien s'égare. Il est vrai que, dans ce cas, il est difhcile de préciser le moteur qui la dirige; c'est peut- être autant son insouciance ou son stupide instinct d'imitation que son manque de mémoire qui rempéchent de revenir sous le toit de son étable. Les grands animaux sauvages nous montrent tous les signes d'un<' mémoire non moins parfaite que celle des animaux domestiques. F. Cuvier en rapporte un exemple très remarquable. Un amateur, qui possédait un loup ap{»ri\oisé étant 1. Dubois (d'Amiens), Élof/e de Bi-otiasais {Mêm. de l'Acad, de méd. 1840, t. XlV). 2. Flourens, T)e l'instinct et de !'intelUf/ence, p. 92. G. cuuiN. — Physiol. corap,, 3'' «dit. | jg 274 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. forcé de s'absenter pour plusieurs années, confia cet animal à la ménagerie du Jardin des Plantes. A son retour, désirant s'assurer si le loup le reconnaîtrait bien, il se fit introduire près de sa loge pendant la nuit. L'animal reconnut son maître à sa voix, fit entendre des cris de joie et se livra à des mouvements désor- donnés jusqu'au moment où il fut rendu à ce maître pour qui il avait conservé un profond attachement. Du reste, chacun sait combien il est difficile de prendre aux pièges les animaux qui les connaissent, et les chasseurs les plus habiles réussissent rarement à reprendre ceux qui sont parvenus à se dégager de leurs filets. Chez les oiseaux, cette faculté est généralement moins étendue et moins durable. Sous ce rapport, leur mémoire ressemble à leurs sensations qui sont vives,, mais éphémères. Ceux que nous apprivoisons apprennent à retenir des airs de musique plus ou moins compliqués; quelques-uns, comme le perroquet, se rappellent longtemps des phrases entières assez longues; d'autres, comme les hirondelles, ont, à un haut degré, la mémoire des lieux. On sait, en effet, que ces oiseaux retrouvent parfaitement, au retour de leurs migrations, le toit ou le nid qu'ils ont habité l'année précédente; l'oie et le canard se souviennent très bien des endroits où ils ont découvert une mare, un ruisseau pour se baigner ; le coq reconnaît, à première vue et même à la voix, le rival qui lui a disputé la souveraineté d'une basse-cour. La mémoire des lieux que possèdent certains oiseaux est, dans quelques cas, mise à profit pour le transport des dépêches : chacun a entendu raconter ces histoires de pigeons voyageurs destinés à porter des nouvelles à des distances considérables. Les variétés de mémoire, si elles sont moins nombreuses chez les animaux que dans l'espèce humaine, le sont encore assez. Le saumon, qui de l'Océan revient au même fleuve et au même point de ce fleuve; la cigogne, qui retourne au bout d'une année au même toit, possèdent la mémoire des lieux non moins que le pigeon ; la mémoire des sons et des airs de musique appartient aux oiseaux chanteurs; celle des mots aux perroquets, etc. Si la mémoire des animaux varie tant, suivant les espèces, elle varie aussi un peu suivant les âges. Les animaux jeunes, comme le remarque Dugès, l'ont plus sûre que les vieux. Cette particularité, commune à l'homme et à la brute, doit être prise en grande considération, au point de vue de l'éducation des animaux; elle nous indique qu'il faut les prendre dès le jeune âge, si on veut leur donner de bonnes habitudes, les plier à certains services et les façonner rapidement aux exercices qu'on peut en espérer. Leur éducation pour le travail, la guerre, le manège est alors plus facile, et les leçons qu'ils reçoivent laissent en eux des impressions plus durables. Certainement, il est beaucoup d'autres raisons qui motivent une telle préférence; mais n'y eût-il que celle-là, qu'elle serait bien suffisante; d'ailleurs, la mémoire est une faculté perfectible qui a besoin, pour acquérir tout son développement, d'être exercée et cultivée, sinon elle s'affaiblit au lieu de s'accroître. Ce n'est pas assez que l'animal ait des idées el qu'il en conserve le souvenir, il faut qu'il puisse les associer, en saisir les rapports et en tirer les déductions |)ropr('s à lui servir de i^iiide dans les actions qui w. sont pas complètement du FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 275 ressort de l'instinct ; en un mot, il faut qu'il jouisse de la faculté de réfléchir, de comparer et de juger : or, il possède cette faculté, mais dans des limites assez restreintes. 11 est impossible, quoi qu'en dise Locke', de la lui dénier, pour peu qu'on ait étudié attentivement les actions dont se compose la vie des bétes. Le loup qui veut franchir les barrières d'un parc, pour prendre un mouton, nesemble- t-il pas réfléchir aux difficultés de son entreprise et aux moyens qu'il doit em- ployer pour les vaincre? Le renard enfermé dans un terrier, dont la bouche est garnie d'un piège, ne doit-il pas réfléchir sur ce qu'il convient de tenter pour en sortir? Le chien qu'on appelle, après l'avoir battu, ne cherche-t-il pas à deviner si on veut le faire venir pour le caresser ou pour lui donner de nouveaux coups? Les animaux, dit Leroy, jugent et comparent, puisqu'ils réfléchissent sur leurs actes, puisque l'expérience les instruit, et que des expériences répétées reclilient leurs premiers jugements. Les naturalistes et les métaphysiciens ont eu beau établir des distinctions plus ou moins subtiles entre les actes de l'intelligence humaine et les actes de l'in- telligence animale, chercher des différences dans la nature des phénomènes, alors qu'il en existe seulement dans leur degré de perfection, tous se sont vus, à la lin, forcés de reconnaître de lintelligence aux bètes : Aristote-, en leur refusant la faculté de rélléciiir ou de s'arrêter et de revenir sur ce qu'elles ont appris, leur donne cependant <( quelque chose qui ressemble à la prudence réfléchie de l'homme » et « une faculté naturelle analogue à la raison, qui les dirige dans leurs actions ; » Reimarus^, qui leur conteste la réflexion et le jugement, leur accorde pourtant « une faculté comparable à l'entendement et à l'intelligence ; » Bull'on * lui-même, après s'être efforcé de rap|)orter leurs opérations à des détermi- nations purement sensitives, ne peut s'empêcher de les peindre comme des êtres intelligents. De tels aveux suffiraient à prouver que l'intelligence des animaux ne saurait être niée, si tant d'observateurs judicieux, Réaumur, Leroy, F. Cuvier, ne l'avaient reconnue et même exagérée. En efl'et, est-il possible de douter que les animaux aient de l'intelligence, et que, par celle-ci, ils puissent associer des idées, les comparer et en tirer des déductions, lorsqu'on les voit hésiter sur le parti qu'ils ont à prendre, s'arrêter à telle détermination mieux appropriée aux circonstances qu'à telle autre, varier et combiner leurs actions suivant le but qu'ils veulent atteindre? Peut-on, par exemple, soutenir (|ue le chien, qui exécute un ordre donné par son maître, ne saisisse pas le rapport qui existe entre l'ordre donné et les moyens de l'exé- cuter? Est-il logique d'admettre que cet animal, qui paraît indécis sur le choix d'un chemina l'endroit où une route se divise, ne cherche pas à se rappeler la voie qu'il a autrefois suivie? Est-il vraisemblable de croire que le loup, le renard, qui se disposent à attaquer un troupeau, à pénétrer dans une basse-cour, à sortir 1. Locke, Es.'io/ pliilosophique sur rentpndempnt. livre II, chap. xi. 2. Aristote, Histoire des (iiiimaux, trad. Camus, t. i", liv. I, p. i:j, cl liv. VIII, p. 451. 3. Reimarus, Ouvrnpée qu'on la suppose, il n'arriverait à ce résultat. Que de réflexions, de combinaisons savantes, d'expérience ne lui faudrait-il pas pour savoir seulement distinguer sa nourriture des poisons qui s'y trouvent mêlés, pour la découvrir, la prendre dans la mesure convenable, etc. A défaut d'une intelligence étendue, l'animal n'a pour princi[)al mobile de ses actions, que l'instinct; il n'a pas de libre arbitre ; son intelligence lui permet seulement de modifier ses actions dans une certaine mesure, suivant les circon- stances. En «leliors de ses actions instinctives, il agit em|)iriquement, pour me servir de l'expression de Ijcibnitz^, il se règle d'après les faits dont il se souvient» d'après les exemples qui reviennent à sa mémoire : ses actions indiquent réellemiMit, connue cet illustre philosophe le fait remarquer, une ombre de raisonnement. L'homme seul est dans une situation exceptionnelle sous ce rapport. Tout en ayant des instincts, qui le i>oussent comme les animaux, il a une intelligence qui lui permet de réiléehir, de délibérer, de modilier à l'inliiii ses actions. Il est animal [»ar ses premières facultés, il ne devient réellement homme que i)ar les secondes. Sa raison l'éclairé, le guide, lui montre l'utilité de telle ou telle déter- mination. Si, dans les trois quarts des circonstances, il agit comme les bètes, 1. Dugès, 1. 1, p. 435. ii. Leibnilz, Nouveaux essrtis sur l'enteurkmcnf, p. 1. 280 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. et c'est Leibnitz qui le dit encore ^, d'après les faits et les exemples, il agit sou- vent avec pleine connaissance, après réflexion et délibération ; mais, en y regar- dant de près, ses déterminations babituelles laissent plus ou moins percer les impulsions instinctives que la raison modilie de mille façons. V. — Du CAEACTÈRE, DES SENTIMENTS ET DES PASSIONS, En parlant des instincts, j'ai cherché à démontrer que ces facultés sont con- stantes, immuables comme les espèces, et qu'elles se trouvent toujours en rap- port avec l'organisation d'une manière plus ou moins évidente. Les actes qu'il nous reste à étudier ont beaucoup d'analogie avec ceux qui dérivent de ces facultés : les liens qui unissent les premiers avec les seconds sont même tellement intimes, que l'on pourrait dire, sans exagération, que les passions, les sentiments divers des animaux, sont instinctifs, bien qu'ils puissent être modifiés et déve- loppés, jusqu'à un certain point, sous l'influence de l'éducation. Les passions que Descartes^ détinit ou des perceptions, ou des sentiments, ou des émotions de l'âme, et que Reid^ considère comme l'exagération des désirs, des affections, ou des appétits, ne sont nullement propres à l'homme. Leur exis- tence dans les animaux nous porte à croire qu'elles ont en nous et en eux une commune nature. Comme elles comprennent, d'après la plupart des psychologistes, les différents états de l'âme, les impressions vives, les émotions, les affections violentes, les sentiments divers, les inclinations, les penchants, elles sont fort nombreuses. Descartes n'en veut que six primitives dont les autres dérivent : l'admiration, l'amour, la haine, le désir, la joie, la tristesse. Il les attribue à des mouvements excités dans le sang par les objets de ces passions, à des impressions vives et pro- fondes, produites sur le cerveau : aussi, dans sa pensée, il n'y a pas de sagesse humaine, ni de volonté capable de s'opposer à ce que l'âme aime, haïsse, éprouve de la joie, de la crainte. C'est, également l'opinion de Malebranche* quand il affirme, avec tant de raison, que ce qui constitue la passion n'est pas libre, et que cette inconnue est en nous, sans nous et même malgré nous. Elles dominent, elles tyrannisent l'homme qui ne peut ni les empêcher de naître, ni les étouffer, mais seulement, avec une grande force de volonté, se refuser à l'accomplissement des actes auxquels elles le soliicitent. Les passions n'ont rien d'artificiel : ce sont des états, des modifications essen- tiellement spontanées et involontaires de l'être ; elles résultent de dispositions innées, comme le disent les philosophes de l'école écossaise. Ce sont bien, ainsi que Malebranche en convient, des impressions de l'auteur de la nature, relatives, pour la [)liipart, h la conservation du corps et à la satisfaction de ses désirs. C'est d'elles, disent de sages philosophes, que dépendent les plus vives jouis- sances et les plus grandes amertumes. 1. Leibnilz, ouvrarje citr, p. 407. 2. Dcscarles, Traité des passions, art. xxvii. 3. Reid, Ol'liiores complèii;s, U-ad. de .louffroy, t. VI. 4. Malebranche, HecJiercke de la vérifd, livre V. FACULTÉS INSTINCTIVES ET LNTELLECTUELLES. 281 La violence de la plupart des passions, les perturbations qu'elles produisent dans la partie matérielle de l'être, la tendance d'un grand nombre à des actions déréglées, vicieuses, avaient porté les stoïciens à les regarder comme des trou- bles de l'esprit qu'il fallait apaiser et dompter. C'étaient, pour quelques philo- sophes anciens, des états de l'àme animale, déraisonnable, de l'àme concupiscible et irascible. Pour quelques physiologistes, elles seraient des actions viscérales, (les émotions du co^ur, des organes digestifs, des organes sexuels, etc. Évidem- ment on ne connaît pas plus leur nature que celle de l'instinct et des facultés intellectuelles. 11 est clair, pour le physiologiste et pour l'observateur non prévenu par les subtiles distinctions delà métaphysique, que les animaux ont un certain nombre de passions analogues ou même tout à fait semblables aux nôtres : l'amour, l'affection, la haine, la jalousie, la colère, le courage, la joie, la tristesse, l'effroi, la terreur. Elles y sont spontanées, instinctives, toutes utiles, comme les instincts mêmes, à la conservation de l'individu et à celle de l'espèce, toutes irréfléchies, irrésistibles. La brute est soumise, sans restriction, à leur empire : elle n'a ni l'idée, ni la volonté, ni le pouvoir d'y résister. Et, c'est parce que l'homme a cette idée, cette volonté et cette puissance, au moins dans certaines limites, qu'il acquiert sur elle un de ses genres de supériorité. Au point de vue de la psychologie animale, il n'est pas douteux que toutes les passions ne soient utiles : elles ont toutes un objet et un but. La brute ne peut pas plus s'en passer que d'instinct. La nature s'est montrée d'une sagesse infinie en les lui donnant en tel nombre et à tel degré. Et, en raison de leur utilité, elle n'a pas voulu que la brute eût la liberté d'y résister ; elle leur imprime le caractère irrésistible et fatal de l'instinct. Il n'en est pas tout à fait de même par rapporta l'homme. Elles lui sont aussi utiles qu'à l'animal, s'il est isolé ou sauvage; mais elles sont souvent préjudiciables aux autres par la nature des actions auxquelles elles portent l'individu. Dans tous les cas, il faut qu'il en ait, sauf à les réfréner et à les dompter dans la mesure convenable. Que serait-ce donc que l'homme incapable d'amour, d'amitié, d'affection paternelle ou liliale, incapable d'éprouver de la joie de tout ce qui lui arrive d'heureux, de l'admiration pour la vertu et les nobles actions, de la pitié à la vue du malheur, de la haine pour l'injustice, de l'horreur pour le crime, etc.? Parmi les sentiments ou les passions que les animaux possèdent aussi bien que nous, on peut citer la peur, la colère, l'amour, diverses affections, la haine, la jalousie, la joie, la tristesse, etc. La peur, l'effroi, la terreur, sont des impressions pénibles que tous les ani- maux paraissent susceptibles d'éprouver, mais principalement ceux dont le caractère est timide, tels que le lièvre, le lapin, la plupart des rongeurs et des ruminants. La moindre cause suffit pour les faire naître chez ces animaux; le jilus léger bruit, le cri d'un être vivant, la vue d'un objet extraordinaire, l'ap- proche d'un ennemi, peuvent même les portera leur plus haut degré d'intensité; mais elles s'exagèrent, surtout, lorsque les animaux sont menacés par leurs ennemis. Les oiseaux de basse-cour sont saisis d'effroi à la vue d'une fouine ou d'une belette. Tous le« petits oiseaux éprouvent une vive frayeur à l'aspect d'une 282 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. chouette, d'un épervier ou d'un autre oiseau de proie; les petits reptiles sont comme fascinés et paralysés à l'approche d'un serpent; le bœuf qui entend bour- donner autour de lui l'œstre sous-cutané est tellement effrayé, qu'il s'emporte, entraînant avec lui la voiture ou la charrue; le chien, le cheval, qui entendent, pour la première fois, le rugissement du lion, sont glacés d'effroi et restent sans force comme sans mouvement. La frayeur ressentie dans ces circonstances est purement instinctive et ne résulte point du sentiment que l'animal pourrait avoir du danger dont il est menacé, ainsi que Sénèque en avait fait la remarque. Elle se manifeste, du reste, sous l'influence de causes très diverses, sans que les ani- maux soient exposés à de grands dangers. La plupart d'entre eux, par exemple, craignent le bruit du tonnerre; les oiseaux, qui sont très impressionnables, s'effrayent même lorsque le ciel se couvre de nuages et qu'il nous menace d'un orage : leur chant se modifie, leur vol, et plusieurs de leurs habitudes offrent alors certaines particularités en rapport avec les sensations qu'ils éprou- vent. Les animaux domestiques craignent beaucoup la lueur d'un incendie, aussi devient-il très difficile alors de les faire sortir des étables : il en est qui s'effarouchent même à l'aspect d'un objet brillant ou d'un morceau d'étoffe. La peur portée à un certain degré, qu'elle qu'en soit du reste la cause, pro- duit divers effets remarquables. Elle ôte aux animaux tous leurs moyens de défense, elle les paralyse souvent lorsqu'elle ne les excite pas à la fuite ; elle concentre le sang à l'intérieur, modifie l'aclion du cœur, amène le refroidisse- ment du corps, la sueur, l'émission des urines, la diarrhée, et donne lieu à divers phénomènes physiologiques variables suivant les espèces : un des plus curieux qu'on ait cités est celui de la canitie, survenue en moins d'une semaine, chez un porc noir effrayé des cris d'un autre porc, châtré et enfermé dans une étable voisine. La colère, à ses divers degrés, et la fureur se font sentir, même parmi les ani- maux les plus doux ; elles sont excitées ordinairement par les contrariétés, les mauvais traitements, le rut, les tentatives faites pour enlever les petits qu'élève une femelle. La plupart des animaux carnassiers et beaucoup d'autres ne sup- portent point, sans entrer en fureur, les contrariétés qu'on leur fait éprouver ou les coups qu'ils reçoivent : le lion, le sanglier blessé, le taureau, le chien qu'on essaye de châtier, la vipère qu'on irrite, deviennent plus ou moins dangereux. Un grand nombre de mâles, même parmi les espèces herbivores les plus paisi- bles, entrent dans de terribles accès au moment du rut, et se livrent entre eux des combats acharnés, quelques-uns, les dromadaires par exemple, deviennent alors très méchants pour leurs conducteurs ; beaucoup de femelles paraissent également furieuses lorsqu'on cherche à leur soustraire leur progéniture. Il est cependant quelques animaux, tels que le lapin, le lièvre, le cochon d'Inde, le mouton, chez lesquels les supplices les plus barbares ne font pas naître le moin- dre sentiment de colère. L'allection, l'attachement que certaines espèces, certains individus montrent les uns pour les autres ou pour l'homme, est portée à un très haut degré chez quelques-uns de nos animaux domestiques; et, chose remarquable, ce sentiment y semble même allei- plus loin que dans l'espèce humaine. FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 'iH!^ L'animal chez lequel l'affection se montre la plus vive est, sans contredit, le chien, déjà placé au sommet de réchelle sous le rappoi't intellectuel. Tout le monde sait qu'il pousse l'attachement pour son maître jusqu'au dévouement le plus complet, jusqu'à l'abnégation la plus absolue. Ce sentiment n'a rien d'inté- ressé. Le chien aime également le malheureux qui lui fait partager son morceau de pain noir ou ses privations, et le riche qui l'entretient dans l'abondance; il aime encore celui qui le maltraite, et vient quelquefois lécher la main de l'expé- rimentateur qui le torture. Son attachement constant ne se dément jamais et |)eut survivre à une longue séparation. Les livres sont pleins d'exemples de ce genre. Le chien s'attache aussi très fortement à d'autres animaux, et cela, sans nul motif d'intérêt. P. Guvier^ rapporte le fait suivant qui montre bien toute l'éten- due de son affection dans cette circonstance : « Une lionne avait perdu le chien avec lequel elle avait été élevée, et, pour offrir toujours le même spectacle au public, on lui en donna un autre qu'aussitôt elle adopta. Elle n'avait pas paru souffrir de la perte de son compagnon; l'affection qu'elle avait pour lui était très faible ; elle le supportait, elle supporta de même le second. Cette lionne mourut à son tour; alors le chien refusa de quitter la loge qu'il avait habitée avec elle; sa tristesse s'accrut de plus en [tlus; le troisième jour, il ne voulut plus manger, et il mourut le septième. » Le chat est loin de ressembler au chien sous ce rapport. Si, quelquefois, il paraît s'attacher à quelqu'un, c'est pour en retirer des caresses. Son affection apparente, toujours égoïste et intéressée, n'est jamais ni forte ni sincère. Le cheval paraît affectionner la main qui le soigne et le caresse. Après un temps plus ou moins long, il semble montrer un certain attachement à son maître, hennit à son approche, et porte dans le regard, l'ensemble de la physionomie, (juelque chose de caressant qui exprime la reconnaissance, mais, en général, cette affection est bornée et peu durable. Il est susceptible aussi de s'attacher aux indi- vidus de son espèce ou d'une espèce différente avec lesquels il a l'habitude de vivre ou de travailler. L'àne lui ressemble sous ce rapport. Dugès cite un fait qui prouve que, de la part du dernier solipède, l'attachement peut aller assez loin : ce fait est celui d'un âne qu'on venait de dételer et qui ne voulut boire que lors- que son compagnon de travail fut débarrassé de ses harnais et mis à même de se désaltérer. Les troupeaux de mules ont, à leur tête, dans certaines parties de l'Amérique, un cheval hongre, pour lequel elles prennent un si grand attache- ment, qu'elles ne peuvent, d'après Roulin, souffrir d'en être longtemps séparées. Les femelles de ces animaux affectionnent aussi très vivement leurs petits. J'ai vu une jument qui avait pouliné à l'Ecole, quitter avec peine la stalle où on lais- sait son petit; elle se laissa cependant conduire, non sans difficulté, jusqu'à la grille de l'établissement ; mais arrivée là, elle refusa de faire un pas, et se mit à se cabrer. Dans une chute à la renverse, elle se brisa l'occipital, et fut immédia- tement après paralysée. Cette pauvre bête, presque mourante, lit un violent 1. Cuvier, Mémoires du Muséum d'histoire riaturelle, 1825, t. Xlil. 284 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. effort pour relever la tête, et se mit à hennir, en apercevant son petit qu'on venait d'amener auprès elle. Le bœuf montre aussi quelque affection pour son maître ou son gardien ; il s'attache également aux individus de son espèce avec lesquels il travaille. Quand on l'a privé du compagnon qui partage le poids du joug qu'ils portent ensemble, il devient triste, fait entendre des beuglements plaintifs et reste souvent sans appétit pendant plusieurs jours. La vache laissée à l'étable, pendant que les bœufs sont conduits aux champs, ne cesse de piétiner et de se livrer à une sorte de tic de l'ours, jusqu'au moment où elle voit revenir les animaux avec lesquels elle vit habituellement. Les animaux sauvages, aussi bien que les domestiques, sont susceptibles de s'attacher, soit à l'homme, soit à d'autres animaux : l'éléphant montre souvent beaucoup d'affection pour son cornac; le phoque s'attache à son gardien , s'amuse et vit en très bonne intelligence avec les chiens; le loup, si féroce, si perlide, témoigne parfois une grande afiection à ceux qui l'ont apprivoisé : tout le monde sait l'histoire de celui du connétable de Montmorency. J'ai déjà parlé de cet autre qui reconnut son maître, la nuit, après plusieurs années de séparation. Ce même animal, plusieurs fois rendu à ce maître qu'il aimait tant et plusieurs fois séparé de lui, perdait l'appétit, maigrissait sensiblement et tombait dans une tristesse profonde lorsqu'il était forcé de s'en séparer. On a vu, d'après F. Guvier, l'hyène, traitée avec douceur, venir comme le chien aux pieds de son maître lui demander des caresses et du pain. Cette affection est si profonde qu'elle fait quelquefois mourir de tristesse les animaux séparés des personnes qu'ils aimaient. La haine, le ressentiment, se remarquent encore assez souvent parmi les ani- maux, notamment ceux dont l'intelligence est assez étendue et la mémoire (idèle. Ces sentiments qui paraissent avoir quelque chose de réfléchi, sont très exaltés chez certaines espèces : le chat devenu vieux, le taureau, le coq, ont pour leurs rivaux une haine parfois implacable. Quelques-uns conservent, pendant long- temps, avec le souvenir des mauvais traitements qu'ils ont reçus, le désir de s'en venger : tel est le mulet qui garde, dit-on vulgairement, un coup de pied pour son maître. L'affection ou la haine des animaux les uns pour les autres, quels qu'en soient, du reste, les motifs, ainsi que les rapports ou les dissemblances de caractères, les analogies ou les différences dans la manière de vivre, sont les causes iVoù dérivent les sympathies et les antipathies entre les brutes. Les animaux qui, par la nature de leurs instincts et de leurs besoins, sont portés à faire la guerre à d'autres, ne peuvent vivre en bonne intelligence avec ces der- niers; il se manifeste entre les premiers et les seconds une antipathie i)lus ou moins prononcée, telle que celle qui existe entre les carnivores et les herbivores, entre la chouette et les petits oiseaux, les rapaces et les petits reptiles, la corneille et le chat-huant, le requin et une infinité de poissons. Non seulement elle est naturelle entre l'animal qui doit être la victime et celui qui est son ennemi, mais elle l'est encore, suivant l'observation d'Aristote', entre les animaux, fussent-ils 1. Aristote, Histoire des animaux, liv. IX, p. 535 et suiv. FACULTES INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. " 285 de la même espèce, qui vivent dans les mêmes lieux et font usage d'une nourri- ture identique, si celle-ci n'est pas assez abondante. Elle se montre aussi, à un haut degré, entre les espèces qui, cependant, ne paraissent guère se nuire! réci- proquement, le chien et le chat, par exemple. Ces antipathies naissent quelque- fois pour des motifs qui supposent de la réflexion. Le cabinet d'anatomie de notre école a possédé un chien qui ne pouvait souHrir les équarrisseurs, ni leurs voi- tures, probablement parce qu'il les voyait emporter ses provisions. J'ai vu un chien de chasse qui prit en aversion un porc qu'on habitua à se nourrir de viande dans la cour où ce chien était attaché : il se livrait à des mouvements désordonnés, et aboyait avec fureur tontes les fois que le pachyderme s'emparait de quelque morceau de cliair. Il Unit un jour par rompre son lien et tuer son ennemi, dont il déchira, après la mort, les oreilles et les parois abdominales. Les anciens ont de beaucoup exagéré ces antipathies parmi certains animaux qui n'ont pas de raisons d'être ennemis. Une des causes les plus connnunes des antipathies entre les animaux est l'ar- rivée de nouveaux individus dans la société de ceux qui, depuis longtemps vivent ensemble. Dès qu'un chien inconnu entre dans une meute, les anciens lui décla- rent la guerre. J'ai eu, pendant longtemps, dans ma ménagerie d'expériences, une chienne qui cherchait à tuer et tuait tous les chiens ou autres animaux nouveaux venus, leur hachait les muscles du cou et de la gorge. Elle blessait mortelle- mont ceux qu'elle ne réussissait pas à tuer. Elle aurait étranglé les agneaux, les porcs, même les grands ruminants qu'on aurait laissés sous sa dent. Les moutons les plus pacifiques tombent sur ceux qu'on fait entrer dans la bergerie; les lapins sur les nouveaux lapins; ceux-ci s'arrachent des lambeaux de peau, s'écrasent les testicules. Les lapins maltraitent et tuent les lièvres. L'épervier lue son frère lui crève les yeux ; les rats mettent en pièces, ouvrent le crâne et mangent le cerveau des intrus appartenant à leur espèce. Les sympathies sont marquées entre un grand nombre d'espèces et portées à leur plus haut degré dans celles qui vivent en société. Elles paraissent fondées quelquefois sur des rapports dans les habitudes et sur des services réci- proques. Les anciens auteurs ont tous rapporté à ce sujet un fait dont Geoffroy Saint-Hilaire^ a eu l'occasion de vérifier l'exactitude: c'est celui du trochilus, espèce de [)luvier qui s'engage dans la bouche du crocodile pour manger les cousins et autres insectes qui s'attachent au palais du reptile. Le crocodile se garde bien de faire aucun mal à l'oiseau com[)laisant qui vient le débarrasser de parasites incommodes. Le caracal accompagne, dit-on, le lion à la chasse et lui fait découvrir le gibier; et le lion, en récompense, lui abandonne la moitié de sa proie. Le pilote, d'après les mêmes naturalistes, dirige le requin vers les lieux où le poisson se trouve en abondance, et le requin féroce épargne son conducteur. Indépendamment des sentiments que je viens d'examiner, les animaux en éprouvent encore d'autres sur lesquels il est inutile de s'arrêter. Un examen un peu attentif de leurs actions nous prouverait qu'ils ont les analogues de la plupart 1. Geoffroy Sainl-Hllaire, Ann, du Mus., 1607, t. IX; p. 373 et suiv.; même tome, p. i60. 286 ■ DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. des passions humaines, ainsi qu'Aristote ^ Ta dit avec beaucoup de justesse. Il y a chez eux, en effet, de l'amitié, de la haine, du courage, de la lâcheté, de la perfidie, de la douceur, de la rudesse, de l'émulation, de la jalousie, de l'ambi- tion, etc. Buffon lui-même, si injuste envers les animaux, n'a pu s'empêcher d'en convenir, jusqu'à leur attribuer celles qu'ils n'ont pas: telles que la magnani- mité, la fierté, le dédain, etc. M. Milne-Edwards, qui a eu tant d'occasions de voir de très près les hôtes du Muséum peint leurs sentiments sous des couleurs avantageuses, leur attribue quelquefois de la bonté, de la compassion, il les regarde comme capables d'amitié, de reconnaissance, les croit doués parfois du sentiment du beau, de la notion du mieux, etc. Les passions ont aussi, chez les animaux, leurs moyens d'expression, leur lan- gage. La joie se traduit, chez le chien, par des modifications dans la physionomie, dans le regard, et par divers mouvements que tout le monde a remarqués. L'étonnement, la surprise, s'y manifestent par une attitude particulière; — la peur, l'effroi, par le rapprochement des membres, par l'abaissement des oreilles, de la queue, par des tremblements, un regard particulier, par la fuite, les cris ; — la colère, par une attitude menaçante; — l'amour, par une mimique des plus variées. Ce langage toujours naturel et sans mensonge, est toujours com- pris entre les animaux, et il l'est instinctivement. Les brutes s'entendent entre elles par ce langage muet, comme le font les enfants qui, avant de parler, jugent de nos sentiment au ton de la voix, à l'attitude, au regard, à un mouvement de tête, à un froncement de sourcils, ou à un sourire. Elles cherchent même à deviner, à interpréter l'expression de nos sentiments. Voyez le chien hésitant auprès de son maître qui l'a tour à tour châtié et caressé, comme il en observe les mouvements, comme il en cherche la pensée, les sentiments, dans le regard, les gestes et les inflexions de la voix ! Les sentiments et les passions des animaux ont encore ceci de commun avec les nôtres qu'ils sont, pour eux, des mobiles puissants et souvent irrésistibles. Ils les poussent, comme nous, à des actions déréglées et violentes. Le taureau qu'on a effrayé ou provoqué cherche à renverser son adversaire et à l'éventrer ; le san- glier blessé fait des efforts inouïs pour se venger, sur le chasseur ou sur ses chiens, à coups de dents et de boutoir, de la balle qu'il vient de recevoir. En s'associant diversement entre elles et avec les instincts, les passions donnent lieu au caractère ou au [naturel des animaux. Chaque espèce a le sien, dessiné souvent avec une telle netteté, comme celui du tigre, du loup, du renard, qu'il sert de type à celui de certains hommes. On conçoit aisément, pour peu qu'on y réiléchisse, qu'il est indispensable à l'animal d'avoir un caractère approprié à ses besoins et à son genre de vie. Si, en effet, le carnassier, par exemple, au lieu d'être courageux et féroce, avait un naturel opposé,, comment ferait-il la guerre à ses victimes, et par quels moyens pourvoirait-il à sa subsistance? Si l'herbivore qui est faible et sans armes, n'était timide et déliant à l'excès, ne deviendrait-il pas trop facilement la proie de ses ennemis? Il faut donc que le caractère de chaque espèce soit rigoureusement 1. Aristote, trad. Camus, liv. IX, p. 533. FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 287 déterminé et qu'il nait rien d'arbitraire ni d'incertain; il faut, en un mot, qu'il soit fatalement régi parles lois auxquelles se trouvent soumis les divers instincts. L'observation démontre qu'il en est bien ainsi dans toutes les circonstances. Jamais le caractère ne paraît résulter, du moins chez les animaux sauvages, de l'exercice des facultés intellectuelles: tel animal est courageux, mais ce n'est point parce qu'il a appris ou présumé que sa hardiesse lui est nécessaire, n' parce qu'il a le sentiment de sa force, la conscience de sa supériorité; il est cou- rageux, de sa nature, avant d'avoir j)u juger de sa vigueur et de la puissance de ses moyens d'attaque. Si tel autre est timide, il ne l'est point par suite du sen- timent qu'il peut avoir de sa faiblesse ou des dangers auxquels il se trouve exposé, car il l'est avant d'avoir appris qu'il a des ennemis et d'en avoir reçu la moindre insulte. Dans le premier cas, comme dans le second et tous les autres, le carac- tère est instinctif, inhérent à la nature de chaque espèce animale : seulement il peut se modifier, dans certaines limites, par l'action d'un grand nombre de causes. Puisqu'il y a une infinité de nuances dans la manière de vivre des animaux, il doit nécessairement y avoir, parmi eux, une grande diversité dans le caractère. L'observation démontre, en effet, que chaque espèce a le sien, mais uniforme pour tous les individus dont elle se compose. Aristote, qui a fait cette remarque pleine de justesse, s'est attaché à donner une idée de ces nuances, en ce qui con- cerne les animaux les mieux connus, et divers naturalistes, Buffon entre autres, les ont mises en relief d'une manière plus ou moins frappante. Parmi eux, les uns ont le caractère sauvage; les autres le caractère sociable; tels ont un caractère vif, emporté, fougueux, irritable ; tels autres, un caractère doux, timide, souple, docile, obéissant ; il en est qui ont le caractère méchant, rétif, féroce, ou le caractère défiant, rusé, etc., etc. Dans toutes ces circons- tances, il est facile de voir qu'il est le résultat des tendances instinctives ou l'expression synthétique des diverses facultés pro|»res à l'animal. Le caractère sauvage est celui des animaux tels que le sanglier, le loup, les oiseaux de proie, les carnassiers, qui ont besoin de vivre dans l'isolement pour mieux assurer leur subsistance. Ceux qui le possèdent n'aiment que la solitude : ils ne voient dans les autres individus de leur espèce que des rivaux ou des enne- mis auxquels il faut déclarer la guerre ; ils ne peuvent supporter leur femelle dès que la saison du rut est passée, ou leurs petits dès qu'ils sont capables de se pro- curer eux-mêmes leur nourriture ; ils ont peu d'aptitude à s'apprivoiser et ils n'en ont aucune à devenir domestiques. Le caractère sociable qui appartient aux chiens, aux soliitèdes et aux rumi- nants, est l'opposé du premier, sous tous les rapports. L'animal sociable ne peut supporter la solitude ; il est instinctivement porté à vivre avec un certain nombre d'individus de son espèce, à partager avec eux ses craintes, ses dangers, ses combats ;jnais sa sociabilité n'a rien de raisonné, ni de calculé : l'homme l'a mise à profit et a trouvé en elle la condition préliminaire de la domesticité. Le caractère emporté, fougueux, est celui des animaux jeunes, ardents, impres- sionnables, à déterminations brusques. On le remarque surtout chez le taureau, le cheval entier, (pi'il rend peu maniables, difficiles à conduire et parfois dan- 288 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. gereux ; mais il se modifie par le fait de l'âge, du travail et de plusieurs autres causes, notamment sous l'influence de la douceur et des bons traitements. Je possède, en ce moment, un cheval que son ancien maître, le comte Oppersdorff, habile écuyer, trouvait parfois dangereux et très difticile à conduire. Depuis près de deux ans, sous la main d'un enfant, cet animal est devenu doux et maniable; il fait avec une extrême docilité de longues courses au trot et au galop. Le caractère doux, timide, est propre aux rongeurs, aux ruminants, et, en général, aux animaux faibles, privés de moyens de défense. Cette timidité semble résulter d'un sentiment instinctif d'infériorité et d'impuissance. Le caractère hardi, audacieux, est l'apanage des animaux vigoureux qui ont conscience de leurs forces et de la sûreté de leurs armes naturelles. C'est celui du lion et des carnassiers pressés par la faim ou par l'affection qu'ils portent à leurs petits. Le caractère féroce, sanguinaire, est l'attribut le plus saillant des espèces qui se repaissent de proie vivante ; il tient à un besoin impérieux auquel rien ne peut faire diversion. Il est une foule d'autres caractères, plus ou moins nettement dessinés, qu'il serait trop long de passer en revue ici. On peut se faire une idée de leur multi- plicité en mettant en parallèle les animaux les plus faciles à étudier. Par cet exa- men, si superficiel qu'il soit, on saisit des difl'érences capitales, même entre des espèces très voisines. Combien, par exemple, le naturel courageux et fier du lion ne se distingue-t-il pas du naturel défiant et rusé du renard, ou du naturel lâche de l'hyène et du chacal? Quelle distance n'y a-t-il pas, sous ce rapport, entre la chèvre inconstante, capricieuse, et la brebis indolente, presque stupide ? Quel contraste entre le bœuf docile et le taureau fougueux et intraitable ! L'étude du caractère de nos animaux n'est pas sans importance pour ceux qui s'occupent de l'éducation de ces derniers. On peut, jusqu'à un certain point, le modifier, le changer même complètement, si l'on emploie avec art les moyens qui agissent le plus efficacement sur les brutes, c'est-à-dire les caresses, les récom- penses, les corrections et les privations de toute espèce : mais il faut façonner les animaux dès l'âge le plus tendre ; car il arrive un moment où ils prennent un pli qu'il est bien difficile de leur faire perdre. VL — De l'influence de la civilisation et'de la domesticité sur les FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. L'état des animaux soumis à la domesticité est un état artificiel qui ne dérive pas exclusivement, comme le pensaient les anciens naturalistes, de la puissance de l'homme sur la brute, mais qui dépend, en grande partie, de l'instinct de sociabilité propre à certaines espèces vivant en troupes plus ou moins nombreuses. Il a exercé sur le caractère et les diverses facultés animales une influence si pro- fonde, qu'il les a quelquefois rendues méconnaissables. Tous les animaux actuellement domestiques sont, suivant la judicieuse remarque de F. Cuvier, des animaux sociables qui, certainement, vivaient en société avant FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTlil-LKCTl' ELLES. 289 l'rpoqueà laquelle l'homme se les asservit, pour en fairt' les insfruments de ses besoins et de ses plaisirs. En effet, toutes les espèces de infuls qui vivent de nos jours à TiHat sauvage : le bison dans le nord de rAinéri(pie, le butlle dans l'Inde et l'île de Ceylan, l'yach sur les montagnes du Thibet et du centre de l'Asie, se rassemblent en socit'Més ; les chevaux devenus sauvages' dans les steppes du nouveau monde, ceux de rArai)ie, les ânes sauvages, le mouflon, souche présiimée de nos races ovines, le chien, dans les pays du Nord, et le lapin sous plusieurs latitudes, vivent égale- ment en troupes nombreuses. Toutes celles qui sont domestiques à demi ou apprivoisées, le chameau, rélé[)hant, rentrent dans la même catégorie. Enfin, celles qu'on cherche à donifstiqaei', le lama, l'alpaca, Ihémione, sont aussi des espèces éminemment sociables. Bien d'autres encore, qu'on pourrait soumettre aux mêmes essais, se réduiraient aussi facilement à l'état de servitude, n'était la difficulté de les acclimater. Cela serait d'autant plus facile que plusieurs semblent s'ofl'rir à la domination humaine, comme l'axis, le cerf-cochon au Bengale et, dans l'Inde, l'antilope, appelée dseren qui, en Mongolie, se rapproche l'hiver des habitations, et se mêle aux troupeaux domestiques, comme l'antilope bubale le lait également dans le nord de l'Afrique. 11 n'est pas d'exception à cette loi générale, même parmi les oiseaux : nos galli- nacés, la poule, la pintade, le dindon, le paon ; nos palmipèdes, l'oie, le canard, sont des oiseaux très sociables. Qui ne sait que les oies et les canards sauvages ne paraissent, dans nos pays, qu'en troupes plus ou moins considérables. Cependant, un de nos animaux domestiques semble la contredire. Le chat est une espèce qui, comme toutes colles du genre felis, est essentiellement solitaire, et malgré son instinct diamétralement opposé à la sociabilité, il est devenu domes- tique. Ce n'est là, pourtant, qu'une exception apparente : le chat n'est pas domes- tique au même titre que les autres espèces ; il habite nos maisons sans s'attacher ù leurs maîtres ; il aime le foyer sans tenir à la société de l'homme ; il reçoit les caresses et la nourriture de notre main, sans nous en témoigner la moindre affec- tion, la moindre reconnaissance. Voilà donc une première proposition bien établie : la sociabilité est la condition préliminaire, indispensable de la domesticité. Mais, par quels moyens l'homme, (trofitant de l'instinct qui porte les animaux à vivre en société, a-t-il [tu se les asservir? Comment ecs moyens ont-ils agi, et (juelles sont les modifications que la domesticité- a fait éprouver aux instincts, à l'intelligence, aux diverses facultés des animaux? Telles sont les questions qu'il faut successivement examiner. Avant d'aller plus loin, on se demande naturellement si les espèces essentiel- lement domestiques ont été primitivement libres et sauvages, comme toutes celles qui peuplent la surface du globe, ou si ces mêmes espèces ont été domestiques dès le principe et mises ainsi sous la main de l'homme qi'i, dès lors, n'avait plus qu'à s'(Mi servir. Des hommes de mérite, considérant que la plupart des espèces domestiques n'ont pas d'individus sauvages, ont pensé qu'elles avaient été créées avec l'homme et s'étaient trouvées, dès l'origine, soumises à son empire. Ainsi, ont-ih dit : Il n'y a [tins de chiens sauvages, sinon ceux qui oui été abandonnés; il n'y a plus de bu'ufs, plus de moulons libres ; les chevaux des steppes de o. COLIN. — PhysioL conip., 3'' éilit. I — 19 290 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. l'Amérique y ont été abandonnés lors de la conquête de ce pays ; ceux de l'Arabie, tout à fait libres, sont peu nombreux et proviennent peut-être d'individus autre- fois domestiques. Cette manière de voir a certainement quelque apparence de vérité, mais elle ne supporte pas un examen approfondi. De ce qu'on ne trouve plus à l'état sauvage d'individus appartenant à des espèces domestiques, s'ensuit- il qu'elles n'aient jamais vécu à l'état de liberté ? Ne peut-on pas admettre que ces espèces se sont données entièrement à l'homme, ou que les individus restés sauvages ont lini par s'éteindre à mesure que leurs conditions d'existence sont devenues difficiles ou impossibles. Tout le monde sait qu'il y avait dans les forêts de la Germanie des bœufs tout à fait libres lors des guerres de César ; ils ont disparu depuis longtemps par les mêmes causes qui avaient fait disparaître, à une époque plus reculée, certains animaux sauvages. Si la domesticité était l'état pri- mitif et initial des animaux maintenant soumis à l'homme, pourquoi ne se trou- veraient-ils pas partout où l'homme se trouve? Or, a-t-on jamais rencontré, dans aucune partie de la terre, des peuplades sauvages avec des animaux domestiques ? non ; partout où l'homme n'est pas civilisé, les animaux qui l'entourent sont libres et sauvages comme lui. Ce n'est qu'à compter du moment où il devient industrieux, qu'il emploie tout d'abord son industrie à se créer des auxiliaires et des serviteurs, en soumettant à son pouvoir les espèces qui l'entourent. Celles-ci ne viennent pas ramper à ses pieds, courber la tête sous le joug ; elles fuient l'homme, au contraire ; il faut qu'il les attire, qu'il s'en empare, qu'il les entoure de soins et de caresses, quelquefois même qu'il les retienne et s'en fasse obéir par la force ou par la crainte ; il faut qu'il travaille constamment à affaiblir le sentiment de leur indépendance, encore n'y parvient-il qu'avec peine et souvent à demi, tant ce sentiment est inhérent à leur nature. Ce sentiment, à lui seul, du reste, suffirait pour ruiner l'idée d'un animal créé domestique, si l'esprit pouvait la concevoir. Il est si profondément enraciné, que des milliers d'années de servi- tude n'ont pu le détruire. Non seulement il se montre dans toute sa force chez les chevaux à demi-sauvages qui vivent dans certains haras delà Hongrie, mais encore sur ceux qui ont toujours vécu en domesticité et qui cherchent à fuir leurs maîtres aussitôt qu'ils aperçoivent des individus libres. Tous les animaux, enfin, par l'habi- tude qu'ils ont de s'éloigner de l'homme, de le fuir, quand ils le peuvent, nous prouvent assez qu'ils étaient primitivement libres et antipathiques à la domesticité. Si donc les animaux qui sont maintenant nos esclaves étaient libres à l'origine, s'ils étaient doués d'instincts qui les portaient à la vie sauvage et leur faisaient préférer même cette existence à la vie domestique, comment l'homme est-il par- venu, en modifiant leurs tendances naturelles, à les réduire en servitude? L'animal le plus sociable craint la vue de l'homme et le fuit ; il n'a donc pas de propension à se rapprocher de lui. Comment celui-ci parviendra-t-il à vaincre cette répulsion instinctive de l'animal pour un maître qui doit devenir un tyran ? Par deux moyens : la séduction ou la force. D'abord, il l'attirera, dit F. Cuvier ', puisqu'il n'est point porté à se Rapprocher de nous ; il se le rendra familier par 1. F. Ciivier, Es.sa/ .sur la (/.rend son naturel sauvage et revient à ses mœurs solitaires. Là s'est bornée pour lui l'inllucnce de la domesticité. Le lapin, dont l'intelligence est si obtuse, a été encore moins modifié. N'est-il pas dans nos liahilalions comme au milieu des cliam|)s? Dans le premier cas, il FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 'IWA craint peut-Atrc moins la vue de l'homme, mais il reste toujours excessivement timide; la protection que lui offre son petit logement ne le rassure pas. Dominé par son instinct, il clierclie encore à se creuser un terrier connue s'il vivait sans abri, en rase campagne. Le porc et la chèvre n'ont élé guère moins rebelles, bien qu'ils fussent i)lus intelligents. Leur naturel s'est conservé à peu près intact; leurs penchants, leui- caractère, se sont à peine altérés. Pour le [)remier, ce sont toujours les mêmes habitudes de remuer la terre, les mêmes tendances à se vautrer dans la fange; pour la seconde, c'est le même naturel sauvage, caprieieux, le même amour d'indépendance. Peut-être aurait-il été possible antomime; entre celles de l'aveugle, il est devenu un guide intelligent. A la porte de la basse-cour, il s'est fait gardien \iL;ilaMt et lidèle. Pour le voyageur, il est de\eMu un défenseur 294 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. plein de dévouement et de courage. Partout, enfin, où l'on avait besoin de lui, il s'est approprié au service que l'on pouvait en désirer. Il s'est multiplié lui- même, en se divisant en autant de races plus différentes les unes des autres que beaucoup d'espèces voisines ne diffèrent entre elles. En un mot, il s'est donné tout entier à l'homme : aucun individu n'est resté à l'état sauvage, hors ceux qu'on a abandonnés; il a suivi l'homme sous toutes les latitudes, il s'est civilisé là oîi ses maîtres étaient civilisés, il est resté sauvage là où ils étaient barbares. Le cheval est, après le chien, l'animal domestique le plus modifié, quoique infiniment moins que ce dernier. Ce solipède s'est montré souple et maniable sans perdre le cachet propre de son intelligence. Il s'est, en quelque sorte, associé à la vie de l'Arabe et du Bédouin nomades ; s'habituant à vivre à la porte de la tente, à partager la course vagabonde de son maître, à se contenter d'une nourriture qui paraît si peu en rapport avec son organisation. Par les leçons de l'écuyer, son intelligence et ses facultés d'imitation se sont singulièrement déve- loppées, tandis qu'il est resté grossier et lourd avec l'habitant des campagnes, sauvage et capricieux dans les haras où on lui a rendu presque toute sa liberté. Enlin, il s'est plié à mille services : à la chasse, à la course, à la guerre, au manège, et, pour cela, il a dû recevoir une éducation spéciale à laquelle ses facultés diverses le rendaient si propre. Le bœuf et l'âne sont allés moins loin que le cheval ; ils sont, plus que les autres, restés ce que les avait faits la nature, au moins sous le rapport intellectuel. Les services qu'on en exige mettant plus à contribution leurs forces physiques que leur intelligence, il en est résulté que l'un de ces animaux s'est perfectionné pour le travail, l'autre à la fois pour le travail et la production, de telle sorte que l'homme, n'ayant presque rien demandé à leurs facultés cérébrales, n'en a rien obtenu. Ce résultat très remarquable, nous montre, pour le dire en passant, que l'homme peut modifier profondément un animal sous certains rapports, tout en le conservant intact pour le reste; qu'ainsi il peut le changer en ce qui regarde la forme, l'aptitude au travail et à la production du lait, bien que du côté des aptitudes instinctives et intellectuelles, il ne lui fasse pas subir de véritables transformations. Et, en effet, on conçoit que ces choses si différentes, et qui n'ont rien de commun entre elles, puissent être modifiées les unes sans les autres. Quand l'homme fut arrivé, à force de patience et d'adresse, à changer le naturel sauvage de l'individu qu'il voulait s'asservir, sa tâche était loin d'être accomplie. Fût-il parvenu à faire de l'animal le plus intraitable l'esclave le plus docile, que sa peine eût été bientôt inutile si l'individu modifié n'eût conservé la faculté de se reproduire et acquis celle de transmettre à ses descendants les modi- fications qu'il avait éprouvées. La domesticité devenait donc le résultat des trois conditions suivantes: 1° fiiculté pour les individus d'être apprivoisés; 2" fécon- dité de ces individus; 3° transmissibilité, aux descendants, des modifications acquises par les individus apprivoisés. Sans elles, la domesticité ne pouvait s'achever. Lorsque l'une de ces conditions fait défaut, le but n'est pas atteint : l'homme réduit à la domesticité l'individu et non l'espèce, et, par suite, il est obligé de recommencer successivement, pour chacun en particulier, ce qu'il a fait pour le FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 295 premier. Cette sorte de domesticité boniée à l'individu et non transmissible, est ce qu'on a]i\)e\\eV apprivoisement. C'est encon^ parmi les animaux sociables que nous trouvons le plus d'espèces susceptibles crrln' apprivoisées. La plupart des singes sont dans ce cas : quel- ques-uns sont utilisés à la cueillette des fruits dans l'île de Sumatra, et une infinité apprennent à obéir et à exécuter différents exercices, au commandement de leur maître, mais ils n'obéissent que par contrainte; et, comme le ditF. Cuvier, « où est nécessairem(!nt la force, n'est point encore la domesticité. » Les ]iachy- dermes, les solipèdes, les rongeurs, tels que les damans, les pécaris, les zél)res, l'hémione, qui vivent généralement en troupes, s'apprivoisent très facilement. Quelques-uns sont susceptibles de montrer, dans cet état, beaucoup de soui)lesse, de docilité: ils reconnaissent les personnes qui les soignent et peuvent s'y atta- cher très fortement. Plusieurs animaux solitaires sont également susceptibles d'être apprivoisés ; le loup, l'ours et même les carnassiers les plus féroces. Ils peuvent, alors, si leur naturel s'adoucit, recevoir une éducation plus ou moins complète, et d'autant plus facilement qu'ils sont plus intfflligents. Tout le monde connaît les exercices auxquels se plie l'ours, soitpai" la contrainte, soit i)ar l'appât d'une récompense. On obtiendrait, peut-être, quelque chose d'analogue du loup, si l'on ne crai- gnait ses brusques retours à son naturel féroce : au moins pourrait-on en espérer quelque |attacbement, comme l'individu dont j'ai parlé précédemment nous en fournit la preuve. Mais, chez lui, la tendance à l'imitation est moins prononcée que chez l'ours, bien que certains exemples semblent prouver le contraire, tel que celui rapporté par Dugès, d'une louve qui avait appris à aboyer avec des chiens. Ces animaux sauvages, si peu susceptibles d'atfection pour Ihomme, du moins en apparence, sont néanmoins très accessibles aux bienfaits ; ils peuvent même montrer, pour les personnes qui les traitent avec douceur, beaucoup d'alVection et de reconnaissance, et, chose remarquable, il n'y a jamais rien d'équivoque dans les témoignages de leur affection, tandis qu'il n'en est pas de même d'une infinité d'animaux. « Cent fois, dit F, Cuvier', l'apparente douceur d'un singe a été suivie d'une trahison; presque jamais les signes extérieurs d'un carnassier n'ont été trompeurs : s'il est disposé à nuire, tout dans son geste et son regard l'annoncera, et il en sera de même si c'est un bon sentiment qui l'anime. Les oiseaux, comme les mammifères, sont susceptibles d'être apprivoisés. Un très grand nombre d'oiseaux, entretenus dans des cages, nous prouvent la facilité avec laquelle ils se soumettent à cette espèce de servitude. Dans cet état, ils con- servent leurs instincts d'imitation. Plusieurs d'entre eux apprennent et retien- nent des airs fort compliqués; quelques-uns vont même jusqu'à répéter des phrases entières, en imitant la voix humaine. Pour quelques-uns l'apprivoise- ment va, relativement à l'iiulividu, aussi loin ([ue la domesticité. J'ai, en ce moment sous les yeux, un jeune merle tout à fait libre dans mon appartement; il va à la cuisine prendre ses repas et se baigner, il se promène dans les pièces où on veut i. F. Cuvier, De la domesticité des mammifères {Mém, du Muséum, 1825, t. XIII). 296 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. le laisser entrer, monte en haut d'un escalier pour chanter ou pour dormir, sort de temps en temps devant la porte pour observer les passants, gratter le sol, arracher l'herbe, faire la guerre aux insectes. Il aime la société des personnes qu'il connaît, vient les trouver, répond à leur appel. Jamais il n'a cherché à reprendre sa liberté. L'apprivoisement est donc un état différent de la domesticité à laquelle il ne conduit pas toujours; c'est une domesticité individuelle qui ne peut s'étendre à l'espèce par le fait de la stérilité des animaux apprivoisés et de la non-transmis- sibilité des dispositions acquises, à supposer que, par exception, l'aptitude à la reproduction soit conservée. On voit donc, par ce qui précède, que l'homme a exercé une influence très profonde sur les facultés des animaux domestiques, et une autre très sensible sur celles des espèces apprivoisées, même des espèces sauvages qui vivent dans son voisinage. En effet, il a presque étouffé, dans les animaux, le sentiment de l'indépendance; il a modifié leur caractère, développé leur intelligence. Par ses rapports avec eux, il leur a fait acquérir, comme le disait Hartley, plus de sagacité qu'ils n'en auraient acquis naturellement. Il a perverti les instincts reproducteurs, qui sont vivaces, et souvent affaibli les instincts de conservation; il a quelquefois fait naître des aptitudes nouvelles qui ont pris les caractères des facultés instinctives. Son action a laissé sur chaque espèce et sur chaque race une empreinte particu- lière, ineffaçable, sinon lors du retour à l'état sauvage. Enfin, il a d'autant plus modifié ses esclaves qu'il s'était plus perfectionné lui-même, de telle sorte qu'on peut dire, avec F. Guvier, qu'il est possible de juger delà civilisation d'un peuple ou d'une de ses classes par les mœurs des animaux qui lui sont associés. C'est ainsi, par exemple, que le chien est resté très courageux et enclin à la rapine avec l'habitant de la Nouvelle-Hollande, de la Laponie et de l'Islande, tandis qu'il a pris un naturel si différent et si hétérogène chez les autres nations. Il a agi encore sur les espèces sauvages qui vivaient près de lui. Déjà, nous avons vu que le loup, le renard des localités où on leur fait la guerre, sont plus rusés, plus défiants et plus expérimentés que ceux des pays où ils jouissent d'une parfaite sécurité. Le lion, dans les contrées où l'homme exerce son empire, n'a ni la fierté, ni l'audace du lion qui habite les déserts aji milieu desquels il peut exercer impunément ses ravages. Le phoque qui vit dans les parages où il est souvent inquiété est bien plus déliant que dans ceux où on ne lui fait point la guerre. Les lapins qu'on expulse habituellement de leurs retraites souterraines finissent, après un certain temps, par ne plus se creuser de terriers et vivre en rase campagne. Les castors, qui construisent des digues et de vastes habitations lorsqu'ils se rassemblent en troupes nombreuses dans des lieux paisibles, s(^ font à peine d'étroites tanières lorsqu'ils sont dans l'isolement et souvent chassés par l'homme. Le crocodile, que l'Égyptien res})ecte, a le caractère adouci par les bons traitements qu'il reçoit^ La corneille mantelée^, qui, en Europe, fuit de très loin dès qu'elle aperçoit quelqu'un, est bien moins crainti\e sur les bords 1. Arislole, livre IX, p. .'337. i. Geoffroy Saint-Hilairo, Amutlfs (lu. Mimhaii, 1H()7, i. IX. FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 297 (lu Nil, puisqu'elle vient se reposer sur la charrue, pendant que le laboureur trace son sillon. L'influence, si remarquable de l'homme sur les facultés de la brute, s'étend encore sur les animaux inférieurs dont les opérations sont natu- rellement invariables. Les abeilles, par exemple, se rassemblent au bruit d'un instrument d'airain ; leurs essaims se dispersent ou se réunissent par l'action de soins étrangers; parfois, elles modilient leur travail si l'on vient à les mettre dans des conditions inusitées : ainsi les abeilles que Réaumur avait placées sous un panier de verre, afin de les voir travailler, eurent bientôt tapissé leur transpa- rente demeure d'une épaisse couche de cire. Quelque profondes qu'aient été les modifications apportées au naturel des ani- maux domestiques, elles ne sont pas arrivées au point d'effacer complètement les dispositions [irimitives. Celles-ci ont même conservé une tendance très marquée à reprendre leur empire dans plusieurs circonstances. Tout le monde sait qu'il n'est pas rare de voir, dans les contrées où vivent des chevaux et des bœufs sau- vages, quelques individus domestiques échapper à la surveillance de leurs con- ducteurs et venir rejoindre les troupes demeurées indépendantes. Les animaux de l'ancien continent qui furent abandonnés en Amérique, lors de la découverte de ce pays, y ont repris leurs allures primitives : le porc y est redevenu féroce comme le sanglier; le cheval y a repris l'habitude de vivre, sous la conduite d'un chef, en troupes, qui fuient à l'approche de l'homme; le chien y a perdu l'habi.tude d'aboyer et acquis une aptitude spéciale à chasser; il est devenu assez hardi pour faire la guerre aux phoques, dont il se nourrit ordinairement'. Mais le mouton n'a cherché nulle part à se soustraire à la domination humaine. Ainsi, la nature, en préparant par certaines aptitudes et surtout par la socia- bilité, quelques espèces à devenir domestiques, a voulu incontestablement donner à l'homme des droits sur la brute : elle lui a offert des esclaves. Il peut s'en ser- vir à ce titre, les employer à ses besoins et à ses plaisirs. Mais, en restant maître, il ne doit pas devenir tyran. Il doit se rappelerque les animaux sont des êtres sensibles, au même degré que lui. des êtres qui ont des instincts, des sen- timents analogues aux siens, une ombre d'intelligence émanée de la même source que la sienne : il doit, par de bons traitements, reconnaître les services qu'ils lui rendent, et se souvenir qu'ils sont, comme l'a dit un poète moderne, nos frères inférieurs. Ce sentiment de pitié et d'affection pour ces pauvres esclaves est d'ailleurs instinctif, et on le voit d'autant plus prononcé que l'homme se rap- proche plus de la nature. L'Indien ne tue point les animaux ; l'Egyptien antique en faisait presque des divinités; l'Arabe a toujours considéré son cheval presque comme un membre de la famille, et il lui donne encore une place dans sa tente; le pauvre pâtre, l'habitant des caaipagnes aime son troupeau, pleure la perte de ses bœufs comme celle de ses serviteurs; l'enfant, qui est encore si peu éloigné de l'animalité, a une tendresse particulière pour l'agneau, le chevreau, le chien, avec lesquels il joue comme avec les enfants de son âge. En même temps que l'homme s'est asservi les animaux sociables préparés à la 1. Voy. Roulin, Rrrh. swr qurlq. changements observés dans les animaux dotnestiques tra?ispoit(^s lie l'ancien dans le nouveau luulincnt (Méni. des sav. étrany., 1835, l. VI, p. 317). 298 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. domesticité, il s'est modifié lui-même. Sa civilisation est, relativement à l'état sauvage, une sorte de domesticité dérivée aussi, en partie, de Tinstinct de socia- bilité, mais elle se caractérise surtout par un perfectionnement de facultés dont notre espèce seule donne l'exemple. Les naturalistes qui avilissent l'homme en le faisant descendre du singe, comme s'il n'avait pu sortir directement des mains créatrices en même temps que les autres espèces, se demandent si les races actuelles civilisées ont une souche commune avec les races encore sauvages, ou bien si elles sont des familles privi- légiées qui avaient, dès le début, plus d'aptitude que les autres à la civilisation. Il faut convenir que nous avons une misérable origine si nos pères d'il y a une série de siècles ressemblaient aux tribus sauvages actuelles du nord de l'Amérique, de l'Australie et de quelques îles océaniques dépourvues d'animaux auxiliaires, sans industrie, sans vêtements, sans famille, se construisant des huttes du genre de celle du castor, vivant d'aliments crus et se dévorant plus souvent que ne le font les animaux. Mais, il n'est pas improbable que la nature leur ait donné, dès le début, des facultés plus développées, plus perfectibles que celles de ces peuplades qui n'ont pu, en une longue série de siècles, s'éloigner sensi- blement des conditions de l'animalilé. Dans tous les cas, la civilisation a trans- formé l'espèce humaine, tandis que la domestication n'a, en définitive, qu'un peu modifié les animaux, sans les rendre beaucoup plus intelligents et plus doux qu'ils ne l'étaient à l'état sauvage. Il faut voir, dans ce contraste, un résultat des différences que la nature à éta- blies entre les facultés humaines et les facultés des animaux. Celles qui ont été données aux animaux sont fixes, déterminées : elles ne doivent pas s'altérer sen- siblement ; celles de l'homme, au contraire, sont essentiellement perfectibles par le fait de la culture. Et cette culture a été imposée à notre espèce comme condi- tion indispensable du perfectionnement. C'est en dotant mal l'homme, au point de vue matériel, que la puissance créatrice l'oblige à devenir industrieux. En effet, elle l'a jeté nu sur la terre, même dans les climats rigoureux où elle donne de magnifiques fourrures aux animaux; elle lui a refusé la force, l'agilité, les armes, les sens délicats dont elle a si libéralement doté les brutes ; elle a pro- longé son enfance débile, et réservé à son dernier âge des infirmités sans nombre ; elle l'a entouré d'ennemis et mis aux prises avec tous les éléments. Mais, en com- pensation, elle lui a donné une intelligence infiniment plus grande que celle de tous les autres. C'est par les facultés intellectuelles qu'elle a établi son incontes- table supériorité et qu'elle en a fait le roi de la création. Il est nu, mais, pour se vêtir, il sait tisser la laine, le fil et la soie; il est sans armes, mais il se crée les plus formidables instruments de combat et de destruction; il est sans abri, mais il se construit des demeures somptueuses ; il est faible, cependant par son adresse il dompte les {)lus terribles animaux et maîtrise quelquefois les éléments. Il a besoin d'aides, et il s'asservit les espèces domestiques, S'il a les sens moins par- faits que les animaux, il sait par des instruments, en étendre la portée jusqu'aux astres et aux mondes microscopiques; s'il n'a pas la vitesse des quadrupèdes, il n'en franchit pas moins l'espace à l'aide de ses machines. Quoique dépourvu d'ailes et de nageoires, il s'élève à des hauteurs oii les oiseaux ne peuvent par- FAGILTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 299 venir, ou sillonne les mers d'une extrémité du globe à l'autre. Enfin, pour éten- dre son domaine an delà de la matière, il crée les sciences et les arts, qui multi- plient à l'inlini ses rpssources et ses plaisirs. Il est vrai qu'il perd tout cela quand il cesse d'agir, de lutter. L'état de civilisation n'est point un état obliî^é et néces- saire. L'homme peut redevenir barbare, presque sauvage, comme l'animal domes- tique revient à son état primitif, quand le maître cesse de le tenir sous sa domi- nation. Ici, l'homme est son propre dominateur. En lui, si l'être intelligent ne gouverne l'être animal, celui-ci reprend sa liberté, ses allures et redescend à son premier état. C'est un héros, un sage, une merveille quand il développe ses facul- tés et suit les nobles impulsions de sa nature : mais en se dégradant, il devient mi monstre capable d'excès, de bassesses dont la brute la plus vile ne donne pas d'exemples. Vn. — Des moyens d'apprécier l'intelligence et le caractère. Bien que l'intelligence et les instincts soient le résultat des opérations les plus insaisissables du système nerveux, on a cherché à les apprécier ou à les mesurer, d'une manière relative, dans les divers individus d'une même espèce et dans les divers animaux supérieurs. Deux méthodes se sont présentées, pour tenter cette détermination. La première consiste à s'assurer, par l'observation attentive des actions d'un animal, de l'étendue de ses facultés, afin de pouvoir le mettre en parallèle avec les autres et lui assigner la place qui lui convient dans l'échelle intellectuelle. La seconde se réduit à trouver les caractères extérieurs à l'aide desquels on puisse juger du développement relatif des facultés psychologiques. L'une de ces méthodes est sûre, mais très longue : l'esprit humain, qui aime les voies menant vite au but, lui a préféré l'autre qui est plus expéditive, mais bien moins certaine. Puisque l'encéphale est l'organe de l'intelligence, on a été tout naturellement porté à penser que son développement et sa complication pourraient donner la mesure des facultés de chaque animal, et par conséquent, on a cherché des moyens de juger facilement du volume et de la perfection de ce centre nerveux. Or, ce moyen se trouve, pour Camper, dans Vnngle facial; pour Daubenton, dans la position du trou occipital; pour Cuvier, dans le rapport des aires du crâne et de la face; enfin, pour Gall et les phrénologistes, dans la saillie plus ou moins prononcée de telles ou telles parties du crâne. C'est donc sur ce principe, regardé comme incontestable, que le volume de l'encéphale est en rapport avec l'étendue de l'intelligence, que sont fondés les procédés d'appréciation dont je viens de parler. Cependant, ce principe est loin d'être bien démontré. En efl'et, on admet d'abord, ce qui est, du reste, parfaite- ment établi, que l'encéphale est le siège de l'intelligence. Mais cet organe se com- jiose de plusieurs parties, dont quelques-unes seulement, les hémisphères céré- braux, servent à cette fin, tandis que les autres n'y sen'ent point et sont préposées à des fonctions différentes. Le volume de l'encéphale, pris en masse, ne peut donner qu'une base incertaine, et celui du cerveau isolé ne peut non plus, ainsi qu'il a été exposé précédemment, fournir un élément d'appréciation rigoureuse. En 3CMI DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. second lieu, on admet que l'action du cerveau et l'étendue deses opérations sont en rapport avec son volume et sa complication anatomique. Sans doute, il en est ainsi quand on compare les animaux d'une classe, d'un ordre, d'une famille, à ceux d "une autre classe ou d'une autre famille, mais il n'en esL plus tout à fait de même quand on se borne à comparer entre eux des animaux de même espèce ou d'espèces très voisines. Pour plusieurs autres organes, il n'y a pas. non plus, une proportion exacte entre leur volume et leur activité. Le produit d'une glande, par exemple, n'est pas toujours en rapport avec son poids ; l'énergie d'un muscle n'est pas dans une relation rigoureuse avec son volume. Il n'est pas étonnant que le cerveau se trouve dans le même cas, et, puisqu'on voit souvent un homme à capacité ordinaire ou un imbécile avoir un cerveau plus grand que celui d'un homme d'esprit, pourquoi l'analogue ne s'observerait-il pas parmi les animaux ? La signification que peut avoir le volume des centres nerveux, au point de vue de l'intelligence, ne peut se déduire que de la comparaison des chiffres obtenus sur un grand nombre d'animaux. Haller, Cuvier, Garus, Leuret, en ont rassemblé beaucoup; mais, sauf pour les petites espèces qu'il est facile de peser, ces obser- vateurs ont donné le poids des centres sans le poids du corps, de telle sorte que les rapports exacts restent souvent inconnus. C'est dans le but de combler une telle lacune que je me suis livré à des recherches assez longues \ que je résume dans les tableaux suivants. Le premier donne en regard du poids de l'animal le poids du cerveau, du cer- velet, du mésocéphale, du bulbe et. de la moelle épinière, avec le rapport que ces différentes parties ont, soit entre elles, soit avec le poids du corps. Dans le second, l'encéphale a été pesé seulement en masse, puis la moelle épi- nière, et ce sont les rapports de ces deux centres entre eux et avec le corps qui se trouvent déterminés. Il a été tenu compte de l'état d'embonpoint ou de mai- greur des animaux, de leur âge et souvent de leur race. Les données obtenues ont, par conséquent, isolément une valeur connue, et elles peuvent être comparées les unes aux autres. Il ne m'a pas été possible de faire pour le système nerveux de l'homme des pesées du même genre, ni de les trouver dans les ouvrages spéciaux, les auteurs s'étant bornés, jusqu'ici, à donner vaguement des poids moyens, sans mettre en regard le poids du corps. Si, maintenant, on cherche dans ces tableaux un rapport entre l'intelligence et la masse des centres nerveux, pris en bloc ou par parties, on ne le trouve nullement. Le rapport entre le poids des centres et celui du corps varie d'abord, dans de très grandes limites, chez une même espèce, suivant l'âge et l'état général du sujet; ensuite il est, d'espèce à espèce, sans relation constante avec le degré d'intelligence que l'observation fait suffisamment connaître. En admettant que le poids moyen de l'encéphale de l'homme soit de 1430 gram- mes et celui du corps de 7.^ kilogr., l'encéphale sera à la masse du corps :: 1 : 52, quoique Haller, Cuvier, Leuret, aient dit ce rapport variable de 1 à22et dei à 35. 1. G. Colin, L'intelligence des animaux ext-elle en rapport avec le développement dex centres nerveux (Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, t. LXX, p. 105). FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. ;{()1 Or, l'homme qui est, évidemment et de beaucoup, le plus intelligent des ani- maux, non seulement n'est pas à leur tète parle développement de son encéphale, mais il est inférieur à un j^rand nombre de mammifères, singes, rongeurs, petits carnassiers et même à un assez ^rand noudjre d'oiseaux. Ainsi, parmi les singes, le saï, le coaïta, le mone, le gibbon, parmi les rongeurs et les carnassiers, le mulot, la souris, la taupe, la belette, ont, relativement à la masse du corps, plus de substance encéphalique que lui; il est dépassé même par des oiseaux, tels que lu mésange, le serin, la linotte, le moineau, la pie, le perroquet, et cela, dans des proportions considérables, au point que la pie, la linotte, le moineau, le chardonneret, le coq, ont une fois autant d'encéphale que lui, le serin et la mésange presque quatre fois autant. D'une manière générale, la masse de l'encéphale, relativement à celle du corps, varie, à mesure que la taille s'élève, dans la proportion de 1 à 39 pour les mam- mifères, et dans des limites plus étendues encore chez les autres vertébrés. D'après les chiffres deHalIcr, Cuvier, Garus, Leuret', le rapport de l'encéphale au corps varierait pour les mammifères entre 1 à 22 et i à 860, moyenne 1 à 186; pour les oiseaux, entre I à 12 et 1 à 1,200, moyenne, 212; pour les reptiles, il est en moyenne comme 1 est à 1321 ; dans les poissons, comme 1 est à 5668. En se bornant à comparer entre eux seulement les animaux de même classe, de même âge et dans des conditions à peu près semblables, quant à leur état d'embonpoint, on voit qu'en général les petites espèces ont l'encéphale beau- coup plus développé que les grandes. La souris, par exemple, qui a plus d'en- céphale que l'homme, en a 13 fois autant que le cheval, il fois autant que l'éléphant. La comparaison bornée à l'homme et aux mammifères domestiques les place dans l'ordre suivant pour la proportion de l'encéphale au corps : Homme : : 1 : ^>-2 Chat :: 1 : 52 Chien :: 1 : 235 Lapin : : 1 : 295 .Mouton : : 1 : 317 Ane :: 1 : 332 Porc :: 1 : 369 Cheval :: 1 : 593 Bœuf :: 1 : 682 D'après les résultats ol)lenus, on voit que rencé[)hale représente pour chaque kilogramme du |)oids du corps : Dans l'homme, 19 grammes; le chat, 11^%37; le chien, 'i,80; le lapin, 3,31 ; le mouton, 3; l'àne, 2,46; le porc, 1,90; le cheval, 1,68; le bœuf, 1,47. 1. Leurel, Aiud. lonip. du si/st. ?ifrv. Paris, 1839, t. I, p. 453. — -ia "r* 7\ ^ j rr, f? -5g 0Cv0l^iOC0iO0300f>»OC0C0C0— 100 000l~(»050i0 0ir— OOOOOOO^ ^^OOtOOOavCNiO— Ir-H-^OOCD-;}!— lO lO-^iOiOiccDiocor^c^ioi-i^t-oo G[ B a\Bmi.lOU<).] 0[t laoddva cNC^»3>(C^(co(^(cNt^»c•»c^«c^»<^«{^*c^*(^* •;913AJ80 me nB8A.iao np laoddva :£;iOr-HTO-^oooor~o-i*oir~oO'-i -^C300l0rrîiC-T))OlO-Tl(iO ;, (?* 00 ^ .— I -rl( C>) ^ (T* Ol CD lO 1— 'S* t~ O ccooooojCJJOiasost^ooooooiaîCJ:' 'samuid^ ajpou iocor~r-ioj-n-H-t(o»^ioc~oooo „CDCOOOa3COO-Tt(00-^1^00GOOOOO •aiBqd^ongj ap Ttl-^CO00îOCO(NCO^-H-0 0-«fN 'CDOr-OfOîOlOÎ^HiOOOfNl^-'-HiO.-- ooooooooooooooo ooooooooooooooo : o_o oo^ooooooooo o^o^ ' oo'io'i— "ccTroo* o~^'-t<~o'>o'oo''cM' ^'^ 00 O 0( -^ l- 00 C3 O-j 0:1 ^ -rf -^ l"- 00 O — ' -^ » -" t; *J m m -►-; fcU &U ^ bD 'P QQQQPOQPaOQOOQO, •»<.i»;yu9 xiinAaqj CD lO Ci ro w o: o t~ r- o (7* a^occoi-toi.^oxooo5ic O .-O G^* O* CN .-( G^ CN -::t< C» 10 .— l-ttOJCNr- I^OOiOCDCOCO C^CNCNCrtCNiytG^CNO^CNC^ CD lO CD CD r~- CO CD 1- CD r~ 1-- lOCDC000t~0O-^O500-aiCN o» CN ira t- r-i o 1— t^ o t~ CD Q0i.^0000Ciai00O3C35Oi00 OOOOOOOCOlO-^vOOOOt^ -^oioior-oaoooo^o-^ fNi?»(?(cxcor-i— ir-o c~ i-~ i~ r- 1^ t~ 1^ t~ 00 !■- 1- Ot^ooOtNWroOJfNOOO 00^00 — 0000000-KXD^ ooooooooooo oqsooooooooo lo'o'io'oo i^rirTcTcTo cTo -t^OO—iCNCO-^iOiOl-^OOC» cNOcommoticoïoooooco ;£ c: o o d i2 s s s bB £ a bu bi-i; OCDX COO -^ lO CD XXOiCO-fl^rO-HOCCDOX^ CD Ci CD o co Oi X CD X co lO u- .- o co -rs CD O -- -)" C» — < CO CD — ' — 1 — ' Ci r^ ■^ •^ -t< -* TO fNCOCOCOCOCOCO-!< — — '-«i.-:-«-!<^ ■^ ^< "N co » ->» -ti w (Tt -t 'M ">( Ci O >n -* a i-o — o X W O X it CD l- o CD '?( ( co — 1 -^ o C5 X (~ -^^ co rt lo i.-î co Ci o ^ co O' — ' Gv -i< -m .-' CD m o -f< lO t~ Ci -^ Ci CD -r X X l- CD oi — 1 ^H — 1 — ■ r-H — IrM— 1,— 1.— I-H— 1--!^,— l-HrWrt — •-( ^ — . — . ^ c* — < .-( ^H r-< 1- -« ^ .ra ~. — .n in_^ co •«> i~ rN -f co C-. ~ -1* CO 1^ co -1< -II' Ci -o 1 ~ co co ~« 'K 'N i i^ c i-r i^ X 117 ÎO O CD lO co -t< -K VC i.O ir: o CD CD co CD 1~ lO CD CD (T* ?o co -)i c; m -.D t- CO CO r- b ^-H.-,-H -Hr--.-. lo o fN Ci X CÛ ■^ o (?> o t^ lO CD "^ Ci irî co o o l~ X T* rx ro o co 'l'-^COtNOJr-HOJCOO-niO— uCOtN co -TO^^Xl-'-H-^-iorCCO " O» (N CN Cy ft» •^ttNCNC^C^CNCNCNfNtNCyG^CNfNCN cy CN CO CN fN C< "N (X C'f ff< (N t>J -H_-<,-H 7^ X co ro -r — 1 œ {N 'SI o> l- co" t-' cN_c>>^-^_^o^Ci CD ^_^»n in o i~ co 1-' r-" t-' 1-' co' t-' ci" X i~-" cd' i -' 1 ~ CO 'i-.-(i-i— ic. ;m >o -H lO CD o »Cv(0»CNCXC?«Gy(?»fN< ^^_„^g;;fl,, • ' -t~'j (N c-/ O ~, Ci X l- M i^> -« — 1 1.0 Tf — o o X — ' i.O ">' — 1 i~ lO 0? in CiCOCOX^OCiCiCOCCNOCDO COCO coco (M CO în S co -* ?o -^ o CN •*cocivoxouoini-Oioco^in-ii L. 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S 1 ?r j :' B. yj ?> c • ai ■ 2 in, assez rat e selle, mu e Irait, 13 a e selle, mai a o rès maigre, e trait, mus e selle, mai emi-sang, 1 e trait, très e trait, lo a e selle, mai e gros trait, emi-sang, u a trait, lo a e trait lége ormande, ii e trait, mai e trait, 13 a ieille O O VI «r ; â "e o c ■es 5 s _ II itton chair èvre, adu lie. maigre rc, demi-g rc, jeune. aacaaj(5«c:'^^t;oo | an Q a a HCir!a=i3SQ33,3'^, :::-;.' <<;<;- •NM'<>Hlllf> ■s. ■o *l 1» X III :ii M Ul 1 ce s. ^ ^ Q 2 0< -^^ o O O — ' -H r~ CD O t^ '^if 00 o oo ^ co M CO l^ 03 » 00 3> -H 00 03 CD -H lO iC 00 t^ 00 CCOl-OO-r'NO'^— iCSOOOOi— !-:)< CD o c^ 05 m — <^-i^io_i"-_^n^ o -* ^ o os !."~ co o'o'cN ari-'~io~r-rt--'"(N'-Ti<'"orG6 c>rin'oo"o cD~ cr3iOOOCOOOCDC*3COOOCOOOOfr»l. 3*(>ICNCOCOCOrOCO I -H ^1 ,-/ -;# 1— I i—l -H 1 •O.liIJUld.l 31I30UI Cl n a|Eqd33U9,i ap 1 H 0 d d V a ^ _ ^ ^ CDl~-r-CDCDOlOiO-^'^'^Ti(CC-J<-fCOCO nB8A.j3o np IHOddVU o;c»oooi02acoo0 in r-H o o -t< o O-t — 1 CD o M *^ CD ;-HXiCO-iiOO5 1-00-I*COC0CM !-__» in^l"-^^^ --(■— ICNC<(?(C>(rOC0rOCO — s 3 -M ^ ffl i- • OJ " ■« u m 'n a. 2 O /5 5P M 'J aj a 'S JJ -^,S U S <" ■-■ ^ j= jd j= j= u; c a c; O a ' asjacaaassaaaa ._.-.-._.- ^ ■£ ^ ^ 2 >n o» o oi 00 os -* -^ — I ^ -T m co co 00 ro o co t~- ■n' co co co 00 '^ co CN co co -W o o co o o o_o_oq_o_cD__ m ir~^co' t~"in L- Ci X Ci 00 (?* C>^ (» co CM -* :o CO CO lO ci:_ i- Oi co in g^s^'g^co'ciT es cfS ffS ^ ^ -a ja ^ j= ^ O O O a O Tableau n" '£. POIDS DES CENTRES NERVEUX COMPARÉS EMTUK KUX KT AVEC. LE l'OIDS DU CORI'S D E S I G N A T I 0 xN DKS A.NllIAL.X Chevreau femelle Chevreau mâle Ap;iieau .... Chevrette Mouflon à manchettes iM outon Itéliei- liiilier Bélier Poids et hapports moyens. l'orc Truie l'orc Porc, I an, bon état Poids ET rapports moykns. Chien épagneul, gras, 1 an — épagneul, très vif — de ruft. adulte, maigre — de petite taille, adulte — loup, gras — renard, adulte — caniche, taille moyenne — braque, adulte — de chasse, bon état Chienne d'arrêt, maigre Chien de chasse, bon état — de basse-cour, bon état, -2 ans. Chienne adulte Chien de chasse, vieux — de montagne, bon état — lévrier de ((ussie, adulte — très maigre — de chasse - de garde — de basse-cour — mâtin dogue, adulte — de basse-cour, très vieux . . . . Chien Poids et rappouts moyens. Jeune chat Chat Chat adulte Chat Chatte -. Jeune chatte Chat encore jeune Chat adulte, bon état Chat PoillS ICT HAPPGIITS MOYENS. Lapin, 2 mois 1/2, maigre Lapin jeuue, maigre Lapin, en bon état Lapine adulte, très grasse Lapin adulte, bon état Lièvre nulle, adulte Lapine adulte, grasse.. ., Poids et rapports moye.ns. l'DlllS 'X. JZ y. _ V. i .z "X ^ ~ m'' — — i '■"11-- — - =. = 2.~~ ^ l - ' kil. gr. er. gr. 1.88;i :,'j ;) (18 2,473 an m 68 G.iOO T.; i:. iio O.OOO !IU 28 118 i;i,300 17,3 38 211 J(i,700 109 3!) 118 27,000 13;; iO 17. ■; .Mi, 000 113 00 203 :i;i,:ioo 130 .■i3 180 liATi 108,00 32, It 111,11 0,33 : l .^,80:1 3,00 : 1 3,21:1 4,35 : 1 2,79 : I 3,39 : 1 2.38:1 2,36:1 3,31: 1 1 : 31,11 1 : 42.63 1 : 83,31 1 : 100,00 I : 88,40 l:2i.i,9i 1 : 200,00 1 :38t,01 1 : 108,08 1 : 200.11 1 : 247.30 1 : 426.60 1: 321.12 1 : 402,63 I : 681-, 61 1 : 673,00 1 : 916,66 1 : 1047.16 1 : 683,21- 39,300 16.000 lui 33 131- 1011 26 126 98 i-2 140 107 31 13S 101.0.3 33 13'i-,3 3,06 : 1 3,81: 1 2.33 : 1 3.43 : 1 3,07: 1 1:288.88 1 : 334,20 1 : 403,16 1 : 129.90 1 : 369.69 1: 881,13 I : 1362.30 I : 910,47 I : 1483,87 1: 1137,09 7,320 8,711 6.3 9,327 78 9,938 72 10,700 96 11,300 7.) 12,700 82 16,0110 91- 16,330 S 1 17,600 83 17,830 89 18,363 8.'i 20,300 93 20.300 102 20,700 92 22.300 109 21,700 113 32.000 107 33.230 123 33.700 122 36.000 103 :;9.300 112 18 1 8,3 17 18 17 • 79 li.iill 73 1.61 79 1.61 90 6.30 83 114 3.33 3,33 93.3 i.03 99 1.82 112 .3.22 loi 1 , 9 1 110 3.10 111 1.04 101 1.17 120 3,80 123 1.83 119 3,40 133 1,19 142.3 3.83 11-2 3,03 133 1,16 137 3.1-8 137 111 3.28 3,30 133.73 1.13 1 1 : 122,(10 1 : 142,30 1: 131-, 06 1:122.14 1 : 138,30 1: 111,43 1: 133,33 1 : 134,87 1: 170,31 1 : 194,64 1:207,93 1:200,36 1 : 216,03 1:213,89 1:200,98 1 : 223,05 1:206,42 1 : 218,58 1 : 299,06 1:282,00 1 : 292,62 1 : 3 12,83 1 : 332.67 1 : 21 1.79 732,00 637.69 622.42 793,91 766,00 394,44 621,62 717,03 888,88 961,76 70i-,00 811,36 966,.17 82U.00 976,19 768,88 863,38 837,28 911.28 1173,00 1020,00 1123,00 1231,37 1 889.06 0,463 21 , 2,; 0.852 30 .3 3.3 1.330 29 7.2 36.2 1,393 23.5 7 32.3 1 ,495 27 8 33 1,584 26 :; 31 2,370 .)o 7 29 3,050 28 9.7 37,7 1,831 1.932 26 S 31 26.03 6,31 32,60 10. .30: 1 6,00: I 1,02: 1 3,61:1 3.37 : I 3,20 : 1 3,14:1 2.88: 1 3,25:1 3,98: 1 22,01- 28, 10 46.55 31,70 35.37 60.92 107.72 108,92 183,80 l 71.16 1: 231,50 170,40 187,50 199,28 186,87 316,80 338,57 314,43 603,87 ;93,61 920 ^,1 2, S 10,9 1,630 9,2 3,2 11.1 3,116 9,7 ■^J 11. '► 3.781- tO 7 5,1 15,8 .3,990 10,6 .3 13,6 1,000 1 1,3 6. 1 20,6 1,365 9,8 6,.> 16,3 3,113 10.37 3.;. 11,0 2,86: 1 1,76: 1 2,06:1 2,09:1 2,12:1 2.39: 1 1.30: I 2,33 : 1 1: 113,58 in,n 321,23 35V.a8 376,11 273,86 113.10 1 300, 3 S 1 : 328,37 1 : 313,16 l: 662,97 1: 712,35 1 : 798,00 1 : 653,73 I : 671,53 1 : 618.81 o, COLIN. — Physiol. coinp.. 3*^ édit. •20 306 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. On pourrait calculer de même, d'après leschiflVes de mes tableaux, la quantité de cervelet, de moelle épinière pour chaque kilogramme du poids du corps, mais cela n'a pas actuellement pour nous un grand intérêt. Ansrle facial. — On appelle ainsi un angle formé par deux lignes dont l'une passe par l'hiatus auditif externe et arrive au niveau du plancher des fosses nasales, et dont l'autre, tangente à la partie la plus saillante du front, vient rejoindre la première au-dessus de la racine des dents incisives. C'est, du moins, de cette manière que l'a établi P. Camper ^ Il est très facile à déterminer, d'après ces bases, dans les diverses races humaines, mais il devient déjà difficilement réalisable dans les singes, et bien FiG. '.i-2. — Angle facial d'ua jeune chimpanzé. plus encore dans la plupart des autres animaux, à cause de la difficulté qu'on éprouve à fixer exactement le point d'intersection des deux lignes, c'est-à-dire le sommet de l'angle. Aussi me parait-il hcaucoui» plus convenable déplacer ce sommet dans un point invariable qui est l'extrémité inférieure des intermaxil- laires à la sortie des dents incisives. Si celles-ci manquent, comme dans la plu- part des ruminants, ce sommet n'est nulhiuienl déplacé. L'angle, ainsi modifié, est quelquefois à peu près égal à celui de (jaui|)er; uiiiis. le ]>lus souvent, il se trouve inscrit dans ce dernier, auquel il est inférieiii' de ((uehpies degrés. La figure !52 donne l'angle, suivant la méthode de Camper, tracé sur une tète de jeuui! chiuipanzé (.S'z'wr/V/, Trog/.odl/es], que j'ai fait dessiner d'après nature. 1. rianiper, l)iss<;rltilinii iiliij^hiiu; aur loi dl/f'drcwns n'eUcs iiur iivr^cnluni 1rs IrtiHs du risrif//'^ etc. Utrechl. 171)1. p. M et suiv. FACUF.TES INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. :î07 Lu ligure .{;{ doiiix.' l'angle i'acial du cliat, et la ligure 34, celui du clieNal. tracés d'après les inodilications précédemment indiquées. Si l'on déteruiinr l'angle facial suivant le procédé de Camper, on l'ail partir du milieu de l'hiatus andilil imc ligne qui arri\e jus(|u'à l'entrée des Cosses Kro. -i'-i. — Aiitiie facial du clial. nasales, sur le niveau de leur [lianclier intérieur, puis on trace une autre ligne tangente au front et venant se réunir ;i la première, à une certaine distance de l'extrémité alvéolaire ilvt^ petits sus-uiaxillaires. Si on l'établit d'après la variante dont. j'ai parlé, il faut faire partir la première ligne du centre de l'hiatus auditif, pour l'amener au point où les incisives médianes sortent des petits sus-ma\il- t'it,^ .'J-1. — AiiltIo facial du ciirval. laires, et de ce point, qui est le sonnuel li\e de l'angle, éle\er une autre ligne venant toucher la lace antérieure du front, au niveau de l'extrémité inférieure du cerveau. Pour cela, on peut se servir, ainsi «pie je l'ai fait, d'un compas très simple dont les branches forment toujours, à leur j(Miction, exactement le sommet d'un angle; à l'une de ces branches est lixé un arc de cercle qui traverse Taiilrc sur l.Kpicili' il peut jouer à Nolouh- ou cire mainleuu au mo\fu d'une vis 308 DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX. de pression. Il suffit, quand on veut s'en servir, de placer le sommet de l'angle sur le point correspondant à l'extrémité alvéolaire des petits sus-maxillaires et d'écarter les branches jusqu'au moment où l'une passe sur le milieu de l'hiatus auditif, tandis que l'autre devient tangente à la partie inférieure du front, comme on le voit dans les figures 33 et 34. Une fois que les branches du compas sont placées, on serre la vis de pression et l'on applique le goniomètre sur elles pour trouver les degrés de l'angle obtenu. La détermination de l'angle facial n'est pas sans difficulté chez les animaux, notamment à cause de la forme de la face et du développement des sinus frontaux, Aussi devient-il souvent nécessaire de l'établir sur une coupe verticale longitudi- nale de la tête, et de prendre la tangente de la face interne du crâne. Sans cette modification, on n'a pas exactement l'angle facial du bœuf, des petits ruminants à cornes, du porc, etc. Mais en l'adoptant, on n'a pas de chiffres comparables à ceux obtenus par la méthode ordinaire. Quelles que soient, du reste, les imperfections et les erreurs inhérentes à la détermination de l'angle facial, cette détermination montre que les diverses races d'hommes diffèrent beaucoup les unes des autres ; que la caucasique (fig. 35) FiG. 35. — Crâne d'fiomme (race caucasique). Fig. 36. — Crâne d'iiomme (race nègre tient le premier rang, et que la nègre (fig. 36) lui est bien inférieure ; qu'après l'homme viennent successivement l'orang-outang, les autres singes, les lémuriens, puis les carnassiers, les rongeurs, etc.; enfin, après les mammifères, les oiseaux, les reptiles et les poissons. Dans notre espèce, l'angle facial est plus ou moins ouvert suivant les races et même suivant les âges de la vie. Il est presque droit dans l'Européen ; ill'esttout à fait dans les anciennes statues des dieux et des héros ; il l'est beaucoup moins dans le nègre, le mongol, etc. Il est plus droit dans l'enfant que dans l'adulte ; il est plus ouvert aussi dans le jeune singe que dans le singe adulte ou vieux. D'après Cuvier, cet angle serait ordinairement de 80 pour les têtes européennes, de 11) pour celles de mongols, el de 70 poui- celles de nègres, avec des variations de quelques degrés, relatives à l'âge et aux individus. Il serait de 65 pour l'orang jeune, et de 40 seulement pour le même singe parvenu à l'âge adulte, de 60 chez les sapajous et les guenons, de 45 chez les macaques, et de 30 seulement chez les singes féroces appelés cynocéphales. FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 309 Le tableau suivant donne, d'après (hivier', l'angle facial de divers animaux, établi par « une ligne parallèle au plancher des narines, et une autre qui passe par le bord antérieur des alvéoles et touche la convexité du crâne. » Européen enfant 'M Européen adulte 8") Européen rlécrépit "•'> Nègre adulte '0 Femme boschimane 71 Orang-outang jeune 67 Orang-outang adulte 40 Jeune mandrill 12 Mandrill adulte -i') Hérisson 25 Ours brun des Alpes ;j2 Loutre commune 21 Chien dogue :i:, Ciiien matin .. Ji Renard 21 Loup ;ji Ilvène 10 Le second tableau donne l'angle facial des animaux domestiques, obtenu par la méthode de Camper, modifiée ainsi qu'on le voit dans les figures 33 et 34. Cheval de ([uatre ans . . . (jhcval adulte Jument anglaise Cheval anglais très vieux. U 1-1 . U 13 Poulain de quelques jours -20 Mulet 12 Bardot 15 Bardot vieux 16 Bardot très vieux 17 Ane 16 Taureau adulte 20 Veau de trois mois 19 Vache adul te lf< Dromadaire 15 Lama jeune 17 Lama adulte 15 Bélier 2.-) -Mouton sans cornes 21 Bouc 24 Chèvre 2;j Chevreau ;j;j Chevreuil jeune 20 Chien jeune ai Lévrier 28 Chien de Terre-Neuve jeune. ... 36 Chien ratier 37 Chien dogue 41 Renard 21 Porc 13 Chat 41 Lapin 29 Lièvre 33 Je fais remarquer ici que les chiffres de ce dernier tableau diffèrent, pour plu- sieurs animaux, très sensiblement de ceux indiqués par Cuvier. Ainsi, le savant naturaliste donne 23 degrés à l'angle facial du cheval, qui n'est en moyenne que de 12 à 15 degrés, et 30 à celui du bélier, qui est environ de 20 à 25. Peut-être cette exagération tient-elle à ce que la ligne faciale était mise en contact avec le front avant le point correspondant à l'extrémité inférieure du cerveau. Quant à la valeur qu'il faut attribuer à l'angle facial, considéré comme moyen de mesurer l'intelligence des animaux, elle n'est pas très grande. Il suffit, pour se faire une idée du défaut d'exactitude de ses indications, de voir que le volume du cerveau restant le même, l'angle peut varier suivant la longueur de la face, le développement des sinus frontaux, et la position de l'hiatus auditif. 11 est aussi fermé que possible dans les espèces de carnassiers et desolipèdes dont les sinus frontaux sont très petits ; très ouvert dans les pachydermes et les ruminants à cornes, par suite d'une disposition inverse. Enfin, il est très ouvert chez les ani- maux dont riiiatus auditif se trouve au niveau même de l'apophyse mastoide, comme dans le chien, le chat, tandis qu'il se ferme à mesure que l'hiatus forme 1. Cuvier, Anatoniie cotnpan-'e, 2' édit., t. U, p. 164. 310 Dr;? FONCTIONS DU SYSTÈME NERYFAW. un tube osseux dont l'ouverture s'élève bien au-dessus des cellules mastoïdiennes, ainsi qu'on le remarque chez le porc où son orifice est placé 8 à 10 centimèti'es au-dessus de l'extrémité inférieure des cellules. Aussi, en classant les animaux d'après l'ouverture de l'angle facial, on ne les range pas dans l'ordre de leur intelligence. Le chat se trouve placé en première ligne, puis le chien, le lièvre, le lapin, le bélier, la chèvre, le taureau, la vache, l'àne, le bardot et le porc. Le cheval, qui est incontestablement le plus intelligent après le chien et le chat, ne vient que le dernier de tous. Ces seuls exemples prouvent assez que l'angle facial ne saurait donner la mesure relative de l'intelligence des animaux comparés les uns aux autres. Ka^pl)oi>t entre les aires clii crâne et de la, face. — Un second moyen de juger du développement de l'encéphale et, par suite, de l'intelligence des animaux, a été proposé parCuvier. llconsisteà comparer, sur une tête sciée longi- tudinalenient, dans le sens vertical, l'aire du crâne à celle delà face, et à établir le rapport qui existe entre elles. Cette comparaison fait voir que, par exemple dans l'Européen, l'aire de la coupe du crâne est à peu près quadruple de celle de la face (la mâchoire inférieure non comprise), tandis que dans le nègre, l'aire de la face augmente d'un cinquième, et dans le Kalmouk d'un dixième. L'aire du crâne diminue considérablement, par rapport à celle de la face, chez les divers animaux, à mesure qu'ils s'éloignent de l'espèce humaine. Ainsi, dans les sapajous, l'aire de la face égale déjà la moitié de celle du crâne; dans les makis, les deux tiers. 11 y a égalité entre ces deux aires dans les guenons, les mandrilles, et dans la généralité des carnassiers. Enfin, « les rongeurs, les pachy- dermes, les ruminants et les solipèdes, ont tous l'aire de la coupe de la face plus grande que celle du crâne : parmi les rongeurs, le lièvre et la marmotte l'ont d'un tiers plus grande; mais elle est d'un tiers plus petite dans l'aïe-aïe; elle est plus que double dans le porc-épic ; elle est presque double dans les ruminants, à peu près triple dans l'hippopotame, presque quadruple dans le cheval. Dans les cochons, l'aire de la coupe de la cavité cérébrale n'est que la moitié de celle du crâne tel qu'il paraît à l'extérieur, tant il est augmenté par les grands sinus qui régnent jusqu'à l'occiput, et tout le crâne ensemble égale à peine la face poui' l'aire. A la vérité, il est beaucoup plus haut, mais plus court '. » 11 y a quelques animaux qui présentent des rapports tout à fait exceptionnels tenant à des dispositions particulières delà tête, comme la baleine et le cachalot, où Taire de la face est quinze à vingt fois aussi étendue que celle du crâne. Pour déterminer exactement l'étendue des aires de la face et du crâne, il faut placer sur une feuille de papier une tête sciée en deux et munie de sa cloison cartilagineuse, puis en calquer les contours, ainsi que ceux de la périphérie interne de la cavité crânienne. Cela fait, on divise le dessin en deux parties pni' une ligne passant au niveau de la crête ethmoïdale. Tout ce qui se trouve en dessous de cette ligne constitue l'aire de la face que l'on partage en centimètres carrés ou en petites ligures régulières, pour avoir la surface totale. L'aire du crâne est mesurée de la même manière, et les sinus |)lacés entre le crâne cl le front, 1. Cuvier, Anatomie comparda, p. 108. FACULTES INSTINCTIVES El INTELLECTUELLES. ;iii au-dessus de la ligne transversale, ne sont compris ni dans l'aire de la face, ni dans l'autre. Parce procédé, J'ai obtenu les résultats suivants pour les animaux domestiques, Tnlilrdii iiidi'/imiil l'rlfitdnr (les (tins du rnhir et di' lu fnci'. des un/maux dometttiquea. A.NIMAUX AiriK DU l.R.S S E A IKK I)K LA l'Ai i: KAI'I'ORT CIlllT laiic ilii i-ràiii- i-l tflli- (1.- In n.n-. llrrilli,.|rvs CrillillM'Il. 3U Hl !l 43 4.") 16 49 38 H .MillillM'Il. II.TilIlMll-^ Ci'nliiiii'ti'. .Miiliinrii. r-arri-s. Cheval Ane Bœuf Bélier Chèvre Agneau P..rc Chien Chat Lapin 1 I 20 (i 3 1 3 l 50 70 74 95 88 8 59 14 8 12 .70 ti3 :: 1 : Jfiî) :: 1 : ->,09 :: 1 : 3,43 :: 1 : -J.-JO :: 1 : 1,95 : : 1 : 0,Ô4 : : 1 : 3,i4 : : 1 : 1,17 : : 1 : 0,fi8 :: 1 : 1,17 On voit, d'après ce tableau, (jue l'aire du crâne, relativement à celle de la face, offre son maximum d'étendue dans le chat, qui se trouve ici, comme pour le volume du cerveau et l'angle facial, placé en première ligne : le chien vient après, puis le lajiin, la chèvre, l'àiie, le bélier, le cheval, le porc et le bœuf. l*lii*éiiolo;rie. — Un autre moyen de juger des facultés de l'homme et des animaux constitue ce qu'on a appelé la phrénologie. Gall ', à qui on doit cette science problématique, en définissant les facultés admises par les philosophes de l'école écossaise, a prétendu qu'elles ont des sièges ou des organes distincts dans Tencéphale, et que ces petits organes, suivant le degré de leur développement, peuvent donner lieu à des différences notables dans la configuration du crâne et dans la proéminence de ses diverses régions. D'après cet observateur, l'encéphale, qui déjà se compose de tant de parties distinctes par leur forme, leur structure et leurs propriétés physiologiques, se subdiviserait en un grand nombre de départements dont chacun serait le siège d'une faculté, soit instinctive, soit intellectuelle. Le cerveau, si homogène en apparence, et si irrégulièrement découpé à sa surface, serait partagé presque en autant de parties dilTérentes ([u'il a de circonvolutions. L'une (pielconque de ces dernières, bien qu'elle ait la ligure, le volume, la texture de toutes les autres, et qu'elle n'offre pas de démarcation tranchée avec celles qui l'entourent, aurait cependant un rôle spécial, parfaitement limité. CiCtte spécialité fonctionnelle de cluKpie fraction du cerveau subsisterait même après la disparition des circonvo. lutions. Elle serait aussi réelle dans les hémisphères tout à fait lisses des oiseaux que dans ceux de l'homme et des mammifères. Dans tous, les facultés affectives 1. Gall, Anatomie et phijsio/ofjie ilu si/ftème 7ierve»x,elc. Paris, 18! 0. — Ga.\ï, Sur les fonctions du cei'veau et sur celles de chacune de ses parties. Paris. 18-25. 312 DES FONCTIONS DU SYSTEME NERVEUX. et intellectuelles seraient réparties par petits groupes, en raison de leurs affinités, comme les sections dans une académie. Gall en a admis 27, dont il a assigné le siège respectif d'après ses propres observations ; mais Spurzheim, en comblant les vides que le maître avait laissés et en dédoublant quelquefois les circonvo- lutions auxquelles un rôle était déjà assigné, en a porté le nombre à 42. Voici d'abord, pour l'homme, la topographie des facultés admises par les fon- dateurs de la phrénologie, puis, pour le chien et le corbeau, celle des facultés que le docteur Vimont croit avoir reconnues à ces animaux. // ([K^:A2v:^^^ FiG. 37. — Système de Gall (*). FiG. 38. — Système de Gall (**). Gall et la plupart de ses disciples ont poussé très loin la détermination des or- ganes cérébraux chez les brutes; ils ont tracé sur le cerveau d'un oiseau ou d'un tout petit mammifère la circonscription des nombreuses facultés auxquelles ils avaient assigné des sièges distincts sur le cerveau de l'homme; et il leur a été facile d'y imaginer des organes et des proéminences pour les facultés les plus saillantes de tel ou tel animal. Ainsi, ils ont reconnu l'organe de la destruction chez les carnassiers ; celui de la ruse chez les renards, les singes, le chat; celui du courage chez le coq ; de la musique chez les oiseaux chanteurs ; de la construc- tion chez ceux qui se creusent des galeries, se disposent des habitations; ils ont vu l'organe de la mémoire des lieux dans le cerveau des animaux qui émigrent ou voyagent à diverses époques de l'année; celui de la mémoire des faits chez le chien et les espèces les plus intelligentes ; celui du sens des hauteurs chez l'aigle, le chamois et les habitants des lieux élevés ; ils n'ont pas manqué de trouver à la pie l'organe des nombres; au lapin de garenne, l'organe de la mécanique; au (*) 1, faculté reproductive; 2, philogéniture; .i, éùucubililc ou éventualité: dans l'aflinnative, quel est ce siège ou cet organe? 4° l'organe d'une faculté a-l-il un degré de développement proportionné à l'étendue de cette faculté? 5° enfui, dans cette autre hypothèse, peut-on juger du développement des organes cérébraux par la conliguration extérieure du crâne chez l'homme et FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. ■iUi un ceilaiii noiiibn^ d'animaux? Toutes cos questions que les plirénologues, sans les poser nettement, ont supposées résolues, attendent leur solution. D'abord, sur le premier point, il ne reste guère de doute. Les facultés sont distinctes; chacune a sa pliysionomie, sa manière de s'exercer, son but ; elles ne se développent lias nécessairement ensemble; se perfectionnent indépendamment les unes des autres, se perdent isolément; elles manquent ou acquiériMil, suivant les sujets et les espèces, une prédominance plus ou moins marquée. Tel individu a la mémoire des lieux, tel autre celle des nombres ; celui-ci a le sens de l'imi- tation, cet autre celui de la musique; l'un est bienveillant, l'autre a de la ten- dance à la destruction, etc. Mais, ces facultés plus ou moins distinctes ont-elles, chacune ou par ^M-oui»es. (les parties affectées à leur exercice? Cela n'est pas tout à fait invraisemblable. Les localisations sont fort nombreuses dans le svstème nerveux. A chaque [lartie de l'encéphale est dévolu un rôle spécial : aux hémisphères, la perception des im- pressions; au cervelet, la coordination des mouvements; au bulbe, la direction du mécanisme respiratoire; à la moelle, les transmissions centripètes, les trans- missions centrifuges, les actions réflexes. Il y a plus : les diverses parties de l'en- céphale, les corps striés, les couches optitiues, les tubercules quadrijumeaux, les pédoncules, ont leurs propriétés. Les cordons supérieurs, les cordons inférieurs, l'axe gris de la moelle ont aussi chacun les leurs. Les nerfs ont des filets affectés à la sensibilité, d'autres à la motricité : ceux de la sensibilité sont impressionna- bles à tous les excitants ou à un seul, à la lumière ou aux vibrations sonores, auv odeurs ou aux saveurs, etc. Il pourrait se faire que, dans les hémisphères céré- braux, affectés en bloc à l'exercice des facultés, il y eût telles parties plus parii- culièrement en rap[iorl avec telles fecultés ou avec tels groupes de facultés. Sans doute, l'expérimentation ne semble pas favorable à cette sorte de localisation, car si l'on détruit partiellement les hémisphères, comme l'afaitM. Flourens, on anéantit toutes les facultés, dès qu'on parvient à en anéantir une et, dès qu'une reparaît, toutes reparaissent en même temps. Mais il y a dans le cerveau une telle solidarité d'actions, des liaisons fonctionnelles si intimes, qu'un trouble local, dû à la vivi- section, peut provoquer des perturbations très étendues, comme la compression le fait dans le cas d'apoplexie. I']n troisième lieu, si les facultés sont, une à une ou par groupes, exercées plus piirticulièrement par telles fractions de Tencéphale, par telles circonvolutions, eomment pourra-t-on le reconnaître? Que d'observations à faire, que de coïnci- dences à constater pour s'assurer que la lésion de telle partie entraîne l'affaiblis- sement ou la perte, soit d'une faculté, soit d'un groupe de facultés ! Que d'études pour reconnaître que le faible ou le grand dévelo|ti>enient d'une région de l'encé- phale ré[>ond, dans les divers individus ou dans les diverses espèces animales, à la dépressipn ou à l'exagération d'une faculté ! A ce sujet, que de recherches à entreprendre 1 Si, par exemple, je conqiare les cerveaux des animaux à organisation identique, mais à facultés différentes, comme ceux du chien, du loup, du renard, ou ceux du bœuf, du mouton, du chevreuil, je trouve à chacun de ces cerveaux un aspect particulier. Celui du chien n'a pas les mêmes proportions relatives que celui du renard, ni tout à fait 316 DES FONCTIONS DU SYSTEAIE NERVEUX. les mêmes circonvolutions. Est-ce que les différences cérébrales entre le chien et le renard ne pourraient pas être en relation avec la sociabilité de l'un et la ruse de l'autre? Est-ce que la stupidité de la brebis, les habitudes de famille restreinte du chevreuil ne dépendraient pas des particularités différentielles que la compa- raison me montre ? Depuis que j'ai examiné comparativement, avec soin, des animaux très rapprochés par l'ensemble de leur organisation, mais différents par leurs facultés, par leurs instincts, leurs mœurs, je découvre entre leurs cerveaux des différences anatomiques qui, si elles signifient quelque chose, pourraient bien exprimer les diffé- rences psychologiques. Est-il impos- sible, en définitive, que le dévelop- pement exagéré d'une région des hémisphères ou l'atrophie d'une autre influe sur le degré d'une faculté ou d'une aptitude. Pourquoi, par exem- ple, la forme sphéroïdale du cerveau de l'homme n'aurait-elle pas d'action sur le caractère des facultés humai- nes? Pourquoi la dépression supéro- inférieure qui croît chez les singes, le raccourcissement du lobe postérieur qui cache de moins en moins le cer- velet, n'imprimeraient-ils pas une mo- dification au caractère et à l'étendue des facultés des animaux où ces dis- positions s'observent? Pourquoi, par- mi les carnassiers, ici un cerveau court, large en arrière comme chez le chat , ou très rétréci en avant comme chez le chien, la taupe, les vermiformes, triangulaire comme chez les édentés et les rongeurs ? Quelle est la raison de toutes ces différences dans le nombre, l'aspect des circonvolutions ? Il y a évidem- ment là des rapports à chercher, des coïncidences à constater entre telles disposi- tions et telles facultés. Les phrénologues l'ont bien senti dès le début. Aussi Gall et tous ses disciples ont-ils cherché chez les animaux les dispositions accentuées qu'ils supi>osaiont devoir exister, en regard de facultés nettement dessinées, mais ils ne sont pas allés assez loin dans cette voie de délicates investigations. (♦) 2, 3, it, 5, G, 7, comme sur le chien; 8, attachement à vie ; 9, 10, 11, 12, 13, 14, comme sur le chien ; 16, étendue; 17, distance; 1«, sens géométrique; 19, résistance; 20, localités; 22, ordre; 23, temps; 26* 27, comme sur le chien ; 28, talent musical ; 29, imitation ; 30 et 39, comme sur le chien. FiG. 41. — Topographie des facultés du corljcau {*). FACULTÉS INSTINCTIVES ET INTELLECTUELLES. 317 Ce serait après ces premières études qu'il faudrait chercher à retrouver daus les formes et les proportions variées du crâne l'expression des formes du cer- veau. Nul doute que dans l'homme et quelques rares espèces, la configuration extérieure du crâne ne reproduise assez fidèlement les grandes formes cérébrales. Mais, chez la plupart des animaux, il ne saurait en être de même. En ell'et les arcades zygomatiques si prononcées, dans les carnassiers notam- ment, la protubérance occipitale, les crêtes pariétales, les sinus frontaux, don- nent au crâne, par suite de leur disposition et de leur développement, parfois très considérable, une configuration qui ne répond guère à la forme de sa cavité, et par conséquent à celle de l'encéphale. Ainsi, chez le bœuf, le bélier et la plu- part des ruminants à cornes, chez le porc, le sanglier, l'éléphant et divers autres pachydermes, des sinus très spacieux séparant la table interne delà table externe du crâne, donnent au front, de même qu'à la partie supérieure de la tète, un aspect plus ou moins bizarre, mais complètement étranger à la disposition exté- rieure du cerveau. A cela viennent s'ajouter, et des ciotaphites plus ou moins volumineux qui recouvrent les parties latérales du crâne, et la terminaison des muscles cervicaux supérieurs qui dérobe à la vue la région correspondant au cervelet. Il en résulte que la partie supérieure de la tète du chien, du chat et de la généralité des carnassiers, est énormément large ; que celle du bœuf, de l'élé- phant, ofl'rent des dimensions sans rapport avec le volume de l'encéphale. Si on se laissait séduire par ces apjiarences, on donnerait au taureau, dont le front est si large et si élevé, une intelligence bien supérieure à celle qu'il possède réelle- ment. Mais, il suffit de jeter un coup d'œil sur cette tète ouverte pour être désil- lusionné. Les i)hrénologues, cependant, ne se sont i)as laissés arrêter par cette sorte de voile qui masque les proéminences que peut ollrir la lame osseuse immédiatement en contact avec le cerveau : ils ont fait des bosses avec des saillies musculaires, lies dilatations des sinus ; ils en ont trouvé dans des régions au niveau desquelles il n'y a pas de cerveau ; ils ont déplacé, transposé les facultés, suivant les conve- nances arbitraires de leurs doctrines. Aussi ils ont déconsidéré leur système aux yeux des savants, et prêté largement le flanc à la critique, qui a relevé leurs exagérations et leurs erreurs sans démontrer la fausseté des principes de la phré- nologie '. 1. Voy. Flourens, Examen de la phrcnoloQie. — Lélul, Rejet de l'or;janolu;jie phreno- lofjiqne de Galt. Paris, 1845. — Leurel et Gratiolet, Anatomie comparée du sijsfème nerveux considéré dnns se-i rapporfs arec rintelligrnrr. Paris, 1839-1857. LIVRE DEUXIÈME DES SEXSATIOAS CHAPITRE VII DES SENSATIONS EN GÉNÉRAL L'animal, coimiie riiomme, ne reçoit l'impression des agents extérieurs et ne prend connaissance de ce qui l'entoure que par l'intermédiaire de certains actes connus sous le nom de sensations. Privé de ces moyens de se mettre en rapport avec les corps qui lui sont étrangers, il serait dans un isolement absolu : tout ce qui se trouverait en dehors de lui serait comme n'existant pas. Il ne lui resterait qu'un sentiment vague de sa propre existence. La sensation, envisagée dans son ensemble, peut être définie une action com- plexe résultant d'une impression produite sur une partie, impression transmise au cerveau et perçue par cet organe. Rien n'est plus difficile à analyser exactement que les sensations éprouvées par les animaux. Nous ne pouvons juger de ce qu'ils doivent ressentir que i)ar ce que nous ressentons nous-mêmes, dans des conditions semblables à celles oîi ils se trouvent placés, et par l'expression qui traduit instinctivement le plaisir et la souffrance. Cependant, il est possible de donner à leur étude une assez grande précision, notamment en ce qui concerne leur mécanisme, probablement iden- tique chez eux à ce qu'il est dans notre espèce. 11 ne peut y avoir de différences essentielles, à cet égard, que sous le rapport du nombre, de la délicatesse, de l'étendue et du caractère des impressions. La sensation est un acte complexe qui peut se décomposer en trois éléments ou opérations successives, savoir : V impression, la transmission et la percep- tion, que quelques physiologistes appellent la réaction. Le premier de ces élé- ments est l'action produite sur la iiaitic sensible par un excitant ([uelcuncjue : le second, l'action du nerl chargé de iii'oi)ager Juscju'n l'encéphale l'impression développée à son extrémité périphérique ; et le troisième, l'action par laquelle h- cerveau i-eçoit l'impression, la sent, en donne conscience à l'être et achève ainsi la sensation. L'analyse expérimentale, et même la simple observation des phénomènes démon- trent clairement que tels sont bien les éléments de toute sensation. En effet, pour que la sensation ait lieu, il faut que l'organe sensoriel puisse être impressionné par ses excitants liahiluds, <|ii(' le n('rl'(|iii le incl fii (oiiiiminication Jivec l'en- SENSATIONS EN GÉNÉRAL. 3Ut céphale soit intact, et qu'enfin les centres nerveux soient susceptibles d'entrer en action. Dès que l'une de ces conditions manque, la fonction devient impossi- ble. Si les nerfs qui mettent en relation les organes des sens avec les centres nerveux sont liés, coupés ou altérés profondément dans leur texture, la trans- mission des impressions cesse de s'ell'ectuer, et il n'y a plus de sensation ; si les centres ne perçoivent pas l'impression, parce qu'ils sont engourdis, comprimés, lésés ou détruits, la sensation ne peut plus se produire. Cette complexité si évidente a pourtant été niée i)ar divers phvsiologistes qui sont allés jusqu'à pré- tendre que les sensations étaient ell'ectuées dans les parties sans l'intervention des centres nerveux ; mais cette négation ne repose sur aucun fondement solide. L'impression, élément initial de la sensation, peut se développer dans toutes les parties vivantes, si ce n'est à l'état normal, au moins à l'état patbologique. On sait, d'après les expériences de Haller, que certaines d'entre elles, telles que les tendons, les cartilages, les meudjranes séreuses, qui sont insensibles, et par conséquent non susceptibles d'être impressionnées sous l'influence des excitants physiques et chimiques, deviennent sensibles par le fait de l'inflammation. Il est vrai que l'exactitude de cette distinction dci^ parties en sensibles et en insensibles a été contestée depuis que l'on a vu quehiues tissus dont la sensibilité n'est pas mise en jeu par la plupart des excitants, développer de la douleur à la suite d'une stimulation toute spéciale, comme la torsion pour les ligaments articu- laires. Evidemment, toutes les parties ne sont pas également sensibles, et ne possèdent pas une sensibilité de même caractère, susceptible d'être mise en jeu inliis remarquables de lavitalité nerveuse. La faculté [uiur une partie d'être iuquessioniu'-e tient aux nerfs. Celles ipii en ont le plus sont celles dont l;i sensibilité c^l la [tlus grande ; celles qui u'vn oui point d'apparents ont une sensibilité si dbfuse, qu'il devicnl fort diflicile <»ii impossible delà metire vn évidence dans les expériences. I*]n (|uoi consiste rim|tression produite dans les nerfs d'unorgane?Ilestsuperl1u de se le demander. On peut bien en trouver la cause, qui est généralement le con- tact d'un corps étranger ou l'action d'un lluide impondérable, contact d'où résulte un ébranlement plus ou moins prononcé, (pii s'accompagne <|uelquefois d'inie action cliimi(|ue particulière. On roncftit bien aussi que la compression d'un nerf. 320 DES SENSATIONS. son irritation mécanique, sa dilacération, donnent lieu à une impression; mais il semble impossible de savoir qu'elle est la nature de la modification physiologique que ces causes diversent déterminent. L'hétérogénéité de ces dernières explique seulement la variété des impressions qui tient aussi à l'intensité, à la durée de l'action des stimulants et au caractère de la sensibilité de l'organe soumis à leur influence. La transmission de l'impression, qui est le second élément de toute sensation, s'effectue par l'intermédiaire des nerfs ; à cet égard, il ne saurait y avoir aucun doute. Dès que les nerfs qui mettent les organes des sens en communication avec les centres nerveux sont liés, comprimés, coupés ou détruits, ces organes peuvent être impunément soumis à l'influence de leurs excitants, l'irritation n'est plus perçue, l'animal n'en a nulle connaissance : en un mot, elle est comme si elle n'existait pas. La nature de l'action conductrice n'est pas plus connue que celle de l'impres- sion elle-même. Les uns, pour l'expliquer, ont considéré les nerfs comme des cordes vibrantes qui propageraient à l'encéphale l'ébranlement produit sur leur trajet ou à leur extrémité périphérique ; les autres en ont fait des canaux dans lesquels circuleraient le fluide nerveux ou les esprits animaux. Mais ce sont là de vaines hypothèses. Que Galien, Harvey, Willis, Haller, aient cru à l'existence de canaux dans les fibres nerveuses, et à la circulation du fluide nerveux ou des esprits animaux, cela n'a rien d'étonnant, ni rien qui puisse donner du poids à cette opinion. Que divers physiologistes modernes aient cru trouver une certaine analogie entre un prétendu fluide nerveux et l'électricité, il n'y a pas, dans leur manière de voir, de quoi expliquer clairement la transmission aux centres sen- sitifs des impressions produites. Ce qu'on sait touchant l'action conductrice des nerfs, c'est que tous ne sont pas aptes à l'effectuer : les nerfs sensitifs et les mixtes jouissent seuls de cette propriété. Lorsqu'on réfléchit au mécanisme de la transmission, on sent ce qu'il y a de merveilleux dans cet acte en apparence si élémentaire : l'image d'un paysage ou d'un dessin compliqué est peinte sur la rétine, elle produit une impression, et va, avec ses détails infinis et ses couleurs diversifiées, se propager à l'organe de perception. La propagation des impressions s'opère avec une vitesse presque électrique : elle est instantanée comme la perception qui doit la suivre. Cependant Helmholtz, qui a cru pouvoir mesurer cette vitesse, ne l'évalue qu'à quelques dizaines de mètres par seconde. La perception qui complète la sensation a lieu dans les centres nerveux, et spé- cialement dans les hémisphères cérébraux, ainsi que nous l'avons vu précédem- ment. Pourtant les nerfs, même ceux qu'on appelle encéphaliques, ne dérivent pas du cerveau. Ceux qui partent de la moelle épinièrc ou de la moelle allongée apportent leurs impressions à ces parties qui font l'office d'un second conduc- teur destiné à les propager jusqu'au méscncéphale et aux hémisphères; les expé- riences le {trouvent suffisamment. En effet, si l'on divise transversalement la moelle dans un [loinl quelconque de son étendue, toutes les parties situées au delà de la section |ierdent leur sensibilité, ou plutôt envoient à la moelle des impres- SENSATIONS EN GÉNÉRAL. 321 sions qui ne sont pas perçues, faute de pouvoir arriver à rencéphale. Ce phé- nomène se produit, quelque rapprochée que soit la section de l'origine de la moelle épinière. Enlin, quand on détruit les lohes cérébraux, les impressions émanées des organes des sens ne sont plus perçues, ni par conséquent converties en sensations. Celles qui viennent des différentes parties du corps continuent à l'être probablement dans le mésencéphale ou la moelle allongée. Telle est la sensation envisagée dans son ensemble, abstraction faite des notions auxquelles elle donne lieu. Voyons les conditions qui lui permettent de s'effec- tuer et les divers modes d'action des organes des sens. Ceux-ci sont tous silués à l'extérieur ou très j)rès de la phériphérie du corps. Lin seul d'entre eux, le plus général et le plus essentiel, est disséminé à la sur- l'ace de l'être pour s'exercer par l'intermédiaire des diverses parties du tégument. Les autres sont localisés et rapprochés dans des cavités de la tète. Ils se composent, du moins les plus compliqués, de trois ordres de parties plus ou moins distinctes : 1° d'un appareil destiné à recevoir, à modifier et régulariser l'action des excitants; c'est, pour l'œil, un instrument d'optique constitué par un globe cloisonné rempli de milieux réfringents ; c'est, pour l'oreill*^, une série de cavités à paroi anfractueuses, à compartiments multiples séparés par des mem- branes vibrantes, etc. ; 2" d'une expansion nerveuse, fasciculée ou membraneuse, chargée de recevoir l'impression de l'excitant ; 3" d'un nerf conducteur destiné à porter aux centres l'impression produite à son extrémité périphérique. Mais, tous sont loin d'être également compliqués, sous le rapport anatomiqne, et il est facile de suivre une gradation depuis celui du tact qui est fort simple, jusqu'à ceux de la vue et de l'ouïe qui résultent de l'association d'un grand nombre de parties différentes. Leur office est de donner, chacun, une série de notions sur Itî monde exté- rieur ; et, dans ce but, chacun a sa manière d'être impressionné: l'un est affecté par la lumière, l'autre par les vibrations de l'atmosphère ; un troisième par les particules suspendues dans l'air, etc. Gejiendant ils peuvent, jusqu'à un certain point, se contrôler réciproquement et se suppléer les uns les autres; c'est au inoins ce qui arrive chez les animaux inférieurs qui n'ont pas tous les sens, et chez les animaux les i)lus [larfaits (pii ont perdu accidentellement la faculté de se servir d'un ou de plusieurs d'entre eux. Les notions qu'ils donnent étant plus spécialement utiles à telles ou telles fonctions, il est des sens annexés aux appa- reils de ces dernières^ comme le sens du goût à ra|)pareil de la digestion, celui de l'odorat à l'appareil de la respiration. Les sens sont au nombre de cinq dans les animaux supérieurs : la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher. Dans les animaux inférieurs, quelques-uns peu- \enl manquer; le goût et le tact sont les derniers qui persistent. Certains physiologistes, se basant sur des phénomènes particuliers à quelques animaux ou donnant une interprétation inexacte à certaines impressions, ont cru pouvoir ajouter à cette liste. BuiVon, par exemple, admettait un sixième sens des- tiné à recevoir les impressions voluptueuses de la génération, qui, en réalité, viennent du toucher et d'autres sens. Spallanzani, qui avait vu des chauves- souris, privées de la vue, se diriger avec sûreté dans des lieux où il avait placé G. COLIN. — Physiol. comp., 3*^ édit. _, \ — -.'1 322 DES SENSATIONS. des cordages ou des obstacles de toute espèce, supposait ces insectivore^ doués d'un sens spécial ; mais n'est-il pas probable qu'elles se guident par l'extrême sensibilité de leurs ailes membraneuses? Jacobson, trouvant très développé dans les herbivores l'appareil qui porte son nom, semblait disposé à le regarder comme un sens préposé au discernement des poisons. Ch. Bell et Carus, considérant la difiérence qui existe entre la plus grande partie des impressions tactiles et plu- sieurs rapportées à la même catégorie, admettaient, le premier, un sens pour l'appréciation du poids et de la consistance des corps, et le second, un autre sens relatif à la tem])érature. Quelques physiologistes de nos jours veulent un sens musculaire qui ferait juger de l'étendue, de la force et de diverses particu- larités de la contraction. 11 suffit de réfléchir un peu à l'origine des impressions que les animaux éprouvent, pour se convaincre qu'elles peuvent toutes se rappor- ter à l'un des sens précédemment indiqués. Les sens sont, pour la plupart, aussi parfaits chez les animaux que dans l'es- pèce humaine; quelques-uns mêmes, tels quel'odorat et le goût, qui sont, suivant la remarque de Buffon^plus relatifs à l'appétit, y possèdent une délicatesse exquise, tandis que le toucher y a généralement moins de perfection. Mais ils n'y présentent pas une délicatesse proportionnelle. Ordinairement, l'un d'eux a une prédominance marquée sur les autres; tantôt c'est la vue; d'autres fois l'ouïe, l'odorat ou le toucher; et cette supériorité relative n'est jamais arbitraire, elle se trouve en rapport avec les instincts, les habitudes et les besoins de chaque animal. Ainsi, le chien, qui ne découvre sa proie qu'en suivant ses traces, a besoin d'un odorat exquis pour la suivre à de grandes distances par les émanations qu'elle a laissées sur son passage ; le chat, qui surprend ses ennemis dès qu'ils sortent de leurs retraites, a l'ouïe très fine ; les rongeurs et la plupart des ruminants, timides et sans défense, ont ce sens également délicat, afin d'être avertis de l'approche des ennemis qui leur font la guerre. D'autres, comme l'aigle, le faucon, l'épervier, ont la vue très perçante ; tels ont la vue excellente à la lumière la plus vive ; tels autres ne peuvent supporter l'éclat du jour, mais voient à de grandes distances pendant la nuit. Quelques-uns, dont la peau est recouverte de poils rudes ou d'enveloppes résistantes, ont la sensibilité tactile très obtuse; certains, comme la chauve-souris, ont le toucher d'une incomparable délicatesse. La somme de sensibilité attribuée aux animaux est donc diversement répartie entre les organes, mais elle l'est d'après le système des com[)ensations, de telle sorte que si un sens est obtus, c'est par la délicatesse et l'étendue des autres qu'il est suppléé. Si un animal voit mal, comme la taupe, la chauve-souris ; s'il a peu d'odorat, comme le chat, il touche, il entend mieux, ou récipro(|uement. Néan- moins certaines espèces sont, au total, infiniment mieux partagées que d'autres, et peuvent ainsi ac(juérir des notions dont la i»lu|nu't n'ont aucune idée. Il n'est pas im[)ossibh! même (|ue (juehpics animaux n'éprouNcnt des sensations (pii m(uis sont tout ù l'ait inconnues. Le mode d'action des sens est remarquable par jdusieurs particulariti-s dignes d'intérêt. D'abord, ils peuvent tous agir ensemble. L'homme |»eut, à la Ibis, voir, ■ . l5(i(T(Mi. hhrovr'i ■'^iir la iinlin-i' tirs (tn'nnini.r ^ Vr.i'.^. I. IV, \\. 31. SENSATIONS EN GÉNÉRAL. 323 enlc'iulic, llaircr, goùloi', elc. Mais, alors, il ('iirouvc des sensations vagues, coii- liiscs, dont, (|ii('lques-un(,'s sont [dus vives que d'autres ; il est, en ((uelque sorte, accablé, éloiirdi par tout ce (jui i'iiiijiressionne. Son attention n'étant pas suscep- tible de s'appli(pier siniultauénieiilà un grand nombre d'iniju-essions, leur nom- bre fait perdre à chacune une partie de sa netteté et donne lieu à des perceptions peu distinctes. Au contraire, si l'attention est concentrée sur un seul genre d'impressions, celles-ci deviennent nettes et sont vivement senties. Voilà pour- quoi, suivant l'observation de Millier, quand un sens s'exerce seul après la perle des autres, il devient en apparence plus partait, puisque l'attention, n'étant plus partagée, s'applique tout entière à l'analyse de la sensation persistante. Cette action n'est pas tout à lait indépendante de la volonté, l^es voiles mem- braneux placés au-devant de l'œil, en sabaissant, soustraient cet organe à l'in- lluence de la lumière ; la bouche qui refuse de recevoir les substances sapides, la main, la lèvre ou les autres parties ipii évitent le contact des corps, se dérobent à l'action des excitants. Mais, ces mômes parties, quand la volonté leur imprime des déterminations inverses, vont au-devant des sensations, qui alors deviennent plus complètes et plus vives. De l'intervention ou de la non-intervention de la volonté et de l'attention plus (ju moins grande que le cerveau apporte dans la perception, il résulte que les sens s'exercent activement on passivemenl . Aussi fait-on une différence qui est très réelle entre voir et regarder, entendre et écouter, toucher et palper. Les sens ne sauraient être constamment en éveil ; leur action est intermittente comme celle des autres organes de relation. Ils sont dans une inaction à peu près complète pendant le sommeil; et, durant la veille, il en est qui ne sont mis en jeu qu'à de rares intervalles. Leur sensibilité se fatigue, s'affaiblit, s'érnousse, par suite d'un exercice continu très prolongé. Ils ne commencent pas tous à agir en même temps, à partir de l'époque de la naissance. Plusieurs sont organisés de manière à pouvoir entrer en exercice de très bonne heure. Dès que l'animal sort du sein de sa mère, il entend ; dès qu'il saisit la mamelle, il goûte l'aliment que lui prépare cette glande; mais alors la vue peut être imparfaite ou nulle, par suite du rapprochement des paupières, comme cela s'observe chez le chien, le chat et d'autres carnassiers. Si ses yeux sont ouverts, dès les premiers jours, il voit très bien et avec une grande précision. Ils font leur éducation par un exercice modéré, [»ai' lliaiiilude dClie iuipres- sioimés. Si le jeune animal voit dès la première fois les objets on ils se Irouvenl. s'il a la notion de leur distance, ainsi (pi'on [leut en juger par ses démarches et les précautions (|u'il prend i»our éviter les obstacles, il est évident (jue la sensi- iMlité de quelques organes sensoriels n'a pas encore acquis la délicatesse qu'elle aura plus tard : le jeune chien ne reconnaît pas tout d'abord très sûrement les traces dii gibier; l'oiseau de }»roie n'a pas, dès le principe, l'o'il aussi perçant que ;)ar la suite. C'est à la longue que l'oreille du musicien, que le palais et la langue du dégustateur acquièrent une exquise sensibilité. Sur la fin de la vie, les sens s'émoussent et se détériorent souvent à un haut degré. Notre vue s'affaiblit, notre oreille devient dure ; l'âge nous rend sonviMit sourds, no\\> frajipc de 324 DES SENSATIONS. cécité, et les animaux partagent avec nous ces tristes inlirmités : le cheval devient assez souvent aveugle; le chien perd l'ouïe avec la vue et parfois l'odorat. On sait que le meilleur chien de chasse finit par ne plus pouvoir trouver ni suivre la piste du gibier. La domesticité les développe ou les affaiblit dans certaines limites. Le goût, l'odorat, ne sont plus, pour le bœuf et le mouton, des guides aussi sûrs que pour les animaux sauvages. Quelquefois elle les exalte ou les perfectionne, comme l'odorat du chien pour la chasse, et celui du porc pour la recherche des truffes. Ils peuvent, jusqu'à un certain point, se suppléer réciproquement. Lorsque l'un d'eux est affaibli, les antres, capables de donner des notions analogues à celles fournies auparavant parle sens affaibli ou perdu, acquièrent de la prééminence : le cheval aveugle agite sans cesse les oreilles, et les porte dans toutes les direc- tions, comme si l'ouïe devait lui faire reconnaître les objets que la vue ne lui laisse plus apercevoir ; le chien affligé de la même infirmité exerce davantage le toucher et l'odorat ; de même que l'homme privé de la vue acquiert une très grande déli- catesse du tact. Les sensations des animaux, considérées relativement à celles de l'homme, n'ont pas, en général, de caractère d'infériorité. A tout prendre, les bêtes, par le nombre et la délicatesse de leurs sensations, sont aussi bien et quelquefois même mieux partagées que nous. Seulement, les notions qu'elles acquièrent par cette voie sont moins étendues et moins variées que les nôtres, car leur intelligence obtuse est incapable d'en tirer le parti qu'en tire l'intelligence humaine. Si un grand nombre d'idées viennent des sens, et cela est incontestable, c'est sous la forme de maté- riaux bruts dont il s'agit de déterminer la valeur. Ce n'est pas l'œil qui voit, l'oreille qui entend, c'est l'intelligence, l'esprit, l'âme qui voit par le secours d'un instrument d'optique, ou qui entend au moyen d'un appareil d'acoustique, c'est le principe intelligent qui apprécie, qui compare les produits de la sensation, et en cherche la signification. Et ce principe voit, entend proportionnellement à l'étendue de ses propres opérations. Dans tous les cas, les bêtes, à peu près dépourvues de la faculté de penser et de réfléchir, ne peuvent guère avoir d'autres idées que celles venues des sens. Le système de Locke, de Condillac et des philo- sophes qui font dériver toutes les idées des sensations leur est parfaitement applicable. Elles ont des idées proportionnellement à la délicatesse de leurs sens. Si quelques-uns de ceux-ci font défaut, ou s'ils se trouvent dans l'impossibilité de s'exercer, elles manquent de toutes les idées qui peuvent en dériver. La taupe plus ou moins aveugle, l'animal qu'une carai)ace rend peu apte au tact, le cétacé qui ne peut guère percevoir les odeurs dans un milieu liquide, réalisent assez bien l'hypothèse de la statue à laquelle il manque un sens. Au point de vue de leur vivacité, les sensations des bêtes ne le cèdent guère aux nôtres. Elles sont pénibles ou agréables, causent du plaisir ou delà douleur, dont l'intensité peut être indépendante de toute participation intellectuelle ou morale. Le plaisir et la douleur, dépouillés de tout ce que l'imagination peut y ajouter, semblent, si l'on en juge par les manifestations les moins équivoques, aussi vifs chez elles que chez nous. Indépendamment des sensations qui mettent ranimai en rapport avec le monde SENSATIONS EN GÉNÉRAL. 325 cAférii'iir, il on est d'autros qui lui fonl connaîli-o, ce qui se passe en lui-nirme, en lui donnant une idée de ce qui se produit dans la piotondeur de ses organes: ce sont les sensations internes. L'une avertit l'animal du besoin de réparation ; l'autre le pousse à prendre des lifiuides (|ui doi\ent délayer son sang épaissi: une troisième traduit la nécessité inii»érieuse de respirer; une quatrième, le besoin d'expulser les produits excré- inentiliels; d'autres lui expriment la fatigue des muscles, le besoin du sommeil, l'irritation d'une partie, la surcharge de l'estomac, la difliculté de la digestion, la souffrance d'un organe malade. Ce sont autant de voix qui crient, chacune à sa manière, et qui donnent à l'animal conscience de ce qui se passe en lui-même. Dès que le besoin est satisfait et que l'excitation a disparu, la sensation s'évanouit, remplacée par un sentiment de bien-être. Le point de départ de chacune de ces sensations ne peut pas être toujours t'aci- lement déterminé. Rien ne prouve, péremptoirement, que la faim ait le sien dans l'estomac devenu inactif, et la soif dans la gorge desséchée; mais il est évident i(ue le besoin d'expulser les urines a son siège dans la vessie distendue, que la sensation douloureuse émane d(> la [>artie malade. La modification survenue dans l'état des nerfs impressionnés échappe même à l'analysf» de l'imagination. Le développement de l'impression est un fait encore plus inconcevable dans les tissus dont l'insensibilité normale semble indiquer en eux l'absence des nerfs. Sans doute, ces derniers y existent là où l'anatomie ne peut les découvrir ; mais s'ils y existent, l>ourquoi ne donnent-ils pas habituellement aux parties une sensibilité si faible qu'elle soit? Pourquoi faut-il que l'inilammation s'empare des tissus pour qu'ils accusent de la sensibilité? Probablement l'impressionnabilité de certains tissus a besoin d'être exaltée par un travail d'irritation pour leur permettre de ressentir les excitations auxquelles ils sont normalement insensibles. La transmission de ces sensations internes s'elïectue par le mode ordinaire, c'est-à-dire par l'intermédiaire des nerfs conducteurs, et la perception s'opère à son tour dans le cerveau, pourvu que cet organe conserve l'intégrité (h; son action. Elles sont rapportées, avec plus ou moins de précision, à l'organe dont elles émanent, quelquefois très Vaguement, comme dans le cas de douleurs pro- fondes. Du reste, il est difdcile de savoir si, sous ce rapport, il y a identité entre les sensations internes des animaux et celles de l'homme ; cependant, beaucoup de faits semblent indiquer la similitude. Ainsi, lorsque l'animal a été piqué dans un point du corps, lorsqu'il éprouve du [trurit ou une douleur f|uelconque, il cherche à porter la tète ou le pied sur ce point, à se frotter contre les objets environnants; s'il souffre par suite de coliques, il regarde souvent son flanc; si un séton lui cause une irritation trop vive, il fait des efforts [)Our l'arracher, etc. Leur caractère est nécessairement fort variable, mais, qui pourrait dire quel est celui lie la douleur d'un animal affamé, d'un autre qui meurt de soif, d'un troisième auquel on arrache une partie (h; l'ongle ou qui souffre d'une maladie ,ullannnafoire? Celles de ces sensations qui constituent des besoins ont divers degrés ; elles font éprouver du plaisir quand ces besoins sont satisfaits. L'habitude a sur elles l'inlluence qu'elle exerce sur les autres : elle les émousse : l'attenlion les rend 326 l>ES SENSATIONS. plus vives ; la préoccupation semble les affaiblir au point que l'être cesse souvent d'en avoir conscience. Il est donc évident que c'est par les sens que l'animal se met en communication avec le monde extérieur, qu'il prend connaissance de ce qui l'entoure et, jusqu'à un certain point, de ce qui se passe en lui-même. 11 connaît, par eux, l'état des milieux et son propre état. Ses sensations sont, en outre, le point de départ d'une foule d'actions spontanées ou les mobiles des déterminations instinctives que nous avons étudiées précédemment. C'est par la sensibilité que sont mis en éveil et en jeu une grande partie des instincts conservateurs ou générateurs. C'est des sen- sations que viennent, pour l'animal, tous les plaisirs et toutes les souffrances, puisque la réflexion, le souvenir du passé, la prévision de l'avenir ne peuvent guère l'émouvoir, qu'en un mot, les émotions morales de l'Iiomme lui sont, pour la plupart, inconnues. La simplicité des mobiles donne aux impressions animales une simplicité et une uniformité qui les rendent sûres, qui les laissent parfaite- ment appropriées à leur but. La nature de ces mobiles rend d'ailleurs la plupart des actions irrésistibles, fatales, réalisables d'après un plan sagement tracé, une fois pour toutes. CHAPITRE VllI DES SENSATIONS EN PARTICULIER L — Du TOUCHER. La vue donne ù l'animal comme à l'homme la notion de la présence des objets, celle de leur forme, de leur couleur, de leur distance ; l'ouïe lui fait reconnaître les corps par les sons qu'ils peuvent produire ; l'odorat lui fait apprécier les éma- nations répandues dans l'atmosphère ; le goût lui fait juger des qualités des subs- tances dont il se nourrit. Par leur intermédiaire, il acquiert une foule de connais- sances, éprouve une infinité de plaisirs ou de soullrances ; car les sens sont des portes ouvertes à tout ce qui est agréable comme à tout ce qui est pénible. Chacun d'eux fournit une série de notions que ne peuvent point donner les autres ; mais ils ne les donnent pas toutes, le reste vient d'un sens plus général que les précédents, disséminé sur toute la surface de l'être, transformant l'extérieur du corps en un sens universel destiné à recevoir un grand nombre d'impressions susceptibles de compléter et de contrôler celles qui dérivent des sens localisés. Ce dernier, qu'on ai)pelle le toucher, est le plus simple de tous ; il existe chez tous les animaux où il apparaît avant les sens plus complexes dont il peut, jusqu'à un certain point, tenir lieu, et desquels il se différencie sous trois rappoils essentiels: 1" parce qu'il n'est pas localisé ; 2" parce qu'il manque de nerfs particuliers à sensibilité spéciale; 3" parce qu'il reçoit des impressions de nature très variée. C'est celui qu'il convient d'étudier en premier lieu. Di'H or»-anoH e la «ouMsttioii $&-ii»!ita.tive* — Pour (|ue la gustation s'effectue, [>lu- sieurs conditions doivent être remplies. Il faut : 1° que la substaru-e sapide soil mise en contact inuuédiat avec l'organe du goût; 2° que la surface de cet organe soit plus ou moins humectée; 3" enliu, qu'il y ait action des nerfs chargés de lecevoir l'impression des saveurs. Le contact des matières sa{iides avec les surfaftes gustalives est d'autant [dus intime que ces matières se rapprochent [dus de l'état li(|uide ou qu'elles sont [dus divisées et jtlus solubles. Si elles sont ingérées en masse dans la bouche, elles ne dévelo[i[»ent com[)lètement leur saveur que par suite de leur broiement et de leur agitation. Aussi, dès qu'une substance plaît à un animal, les mâchoires la mettent en mouvement et la divisent, la langue la porte dans toutes les parties de la cavité, et ses mouvements continuent tant que quelques [larcelles impres- sionnent le sens du goût. La salive, versée alors plus abondamment, délaye les substances, les dissout; elle donne à leur action son maximum d'énergie, comme aussi quelquefois elle l'alTaiblit en les entraînant rapidement. Les matières sapides ne peuvent se mettre en contact^avec les nerfs des papilles qu'en se dissolvant dans la salive ou dans les liquides qui imprègnent la mu([ueuse, si elles ne sont [tréalablement dissoutes. l*our cela, elles doivent indjiberles • oilfes épitliéliales des [lapilles, les traverser et arriver à la surface des tube> nerveux. Cette [lénétration constitue, ((uelle ([ue soit sa rapidité, le [uemier temps de l'absorption. Elle s'elfectue d'autant |dus aisément que les revêtements des |»apilles sont [dus minces, [tar conséquent mieux dans les [ta|iilles fongiformes et • idici formes (|ui' dans les [>a[»illes coni([ues à envelop|)e cornée; mais enlin elle s'o[)ère djuis toutes, comme aussi dans les espaces interpa[)illaires. On se demande encore aujourd'hui si c'est sur les papilles seules ou sur toute l'étendue de la muqueuse ([ue les substances sa[)ides agissent. Rien tu' [trouve 1. Voy. Lucrèce, Dr m-inii /i-ihini, lib. II. :V.)N-43it. 336 DES SENSATIONS. que quelques espèces de papilles aient, à cet égard, un privilège. Les corpuscules de Meissner et de Krause ne se voient que dans un petit nombre d'entre elles. Toutes reçoivent des lilets de la cinquième paire, et ont leurs enveloppes épithé- lialesplus ou moins perméables. Il n'est donc pas invraisemblable que toutes par- ticipent, plus ou moins, à la gustation; on }»eut même dire que la muqueuse, dans les espaces interpapillaires, n'est peut-être pas dépourvue de cette faculté. Elle présente dans son épaisseur et à sa face profonde, sur les divisions termi- nales du lingual et du glosso-pharyngien, au moins chez les ruminants, d'après Remak et Kolliker, de petits ganglions dont les usages restent à déterminer. L'hypersécrétion salivaire qui coïncide avec la gustation n'a pas lieu dans toutes les glandes annexées à la cavité buccale. Cl. Bernard^ a cru observer, sur le chien, que la sous-maxillaire est influencée par l'impression des saveurs, et que son action seule est exagérée dans cette circonstance. Mais de nombreuses expériences, faites sur les solipèdes et les ruminants, m'ont démontré que la sublinguale jouit aussi du privilège attribué exclusivement à la maxillaire, et que les autres petites glandes à salive visqueuse fonctionnent de la même manière que ces dernières, toutes les fois que des substances sapides sont mises en con- tact avec la muqueuse buccale^. Ayant établi sur des chevaux, des fistules aux canaux des parotides, des maxillaires, et disposé des appareils propres à recueil- lir la salive, j'ai vu, lorsque des substtjnces telles que le sel, le girofle, le vinaigre, étaient mises dans la bouche, les parotides rester inactives, tandisqueles maxil- laires versaient des quantités de liquide égales au quart, au tiers, et même à la moitié de leur produit normal pendant le repas. De semblables fistules, faites à des vaches et à des taureaux, ont donné à peu près les mêmes résultats. Des fistules aux canaux inférieurs des sublinguales de ces ruminants ont fait voir que ces dernières glandes agissent absolument comme les maxillaires sous l'influence de la gustation; enfin, des ampoules adaptées à l'œsophage ont permis de constater que les matières très sapides doublent à peu près la quantité de fluides visqueux déglutis tant que dure l'abstinence. La salivation excitée par les impressions gustatives diminue beaucoup, pour peu qu'elles se prolongent, et elle se réduit à des proportions très minimes quand les mouvements delà langue et des mâchoires sont suspendus. La gustation détermine donc une surexcitation des maxillaires, des sublinguales et des glandules à salive visqueuse, et ne produit pas d'effet sensible surlcs paro- tides, au moins dans la plupart des circonstances; elle inlluence cependant quel- (juefois l'action de ces dernières, comme on peut s'en assurer en plaçant des aliments assez divisés dans la bouche des animaux dont les mâchoires sont main- tenues rapprochées et immobiles : on voit alors les canaux parotidiens verser des quantités notables de salive, mais infiniment moindres (jue pendant la mastica- tion. La sécrétion abondante de salive épnisse et visqueuse paraît avoir pour but, 1. CI. Bernard, Comptes rendus de L'Académie des sciences, 1852, t. XXXIV, p. 236. — Leçons de physiologie expérimentale. Paris, 185.^-56. 2. G. Colin, Recherc/ies expérimentales sicr la sécrétion de la salive chez les solipèdes {Comptes rendus de rAcadémie des sciences, 1852, t. XXXIV, p. 327), et Stir la sécrétion salivaire des rumi7iants, p. (iOl. DE LA GUSTAilUN. 337 tantôt de rcndrel'iinpiession des substances sapides pluscoinplèle; d'autres t'ois, de la rendre moins vive en les entraînant rapidement du côté de restomac ou hors de la cavité buccale. Le contact des substances sapides avec les surfaces gustatives ayant été pro- duit, par suite de leur division et de leur dissolution, elles peuvent impressionner les nerfs ramifiés dans le tissu de la muqueuse buccale. Les nerfs qui reçoivent celte impression ne sont pas encore parfaitement déterminés : Galien avait déjà dit vaguement que le lingual de la cinquième paire est le nerf de la gustation ; Willis, Vésale, Haller, partageaient la même opinion, qui compte encore des partisans. Magendie, d'après ses propres expériences, regarde le lingual comme le nerf essentiel du goût, nerf qui donne à la langue, tout à la fois, sa sensibilité générale et sa sensibilité gustative, car il a vu la section de la cinquième paire dans le crâne abolir en même temps ces deux sensibilités. Mi'iller donne pour auxiliaire à ce nerf dans la gustation le glosso-pharyngien. Enfin Longet admet que la gustation s'opère dans la partie antérieure de la langue par le lingual, et dans la partie postérieure par le glosso-pliaryngien. D'après les expériences de M. Lussana, sur le chien, le lingual donnerait à la partie antérieure de la langue la sensibilité générale par le plus grand nombre de ses filets et la sensibilité gustative par les fibres qu'il reçoit de la corde du tympan, ces dernières provien- nent du nerf intermédiaire de Wrisberg ou de la racine ganglifère du facial. Cet expérimentateur a vu, en effet, qu'en coupant la corde du tympan, sur le chien, la partie antérieure de la langue perd sa sensibilité gustative tout en conservant sa sensibilité générale ou tactile. Néanmoins l'impression des saveurs ne parait pas s'opérer sur tous les points de la muqueuse buccale oii se rendent les divisions du lingual et du glosso-pharyngien, par exemple, sur la muqueuse des joues et de la voûte palatine. La sensibilité des saveurs est perçue, comme nous l'avons vu précédemment, par les hémisphères cérébraux. Dès que ceux-ci sont détruits, les substances très sa[)ides cessent d'impressionner les parties les plus sensibles de la langue. Mais l'un d'eux suffit pour que la sensation continue à s'effectuer : une génisse à laquelle j'avais enlevé un des lobes cérébraux mangeait le foin qu'on lui portait dans la bouche et paraissait saliver connue à l'état normal. Aussitôt que l'autre lobe fut détruit comme le premier, l'animal gardait, sans le mâcher, l'aliment qu'on lui mettait entre les mâchoires, et il ne cherchait nullement à se débarras- ser de l'aloès qu'on lui appliquait sur la langue ou à la face interne des joues. La sensation que les matières sapides développent dans l'organe du goût est d'autant plus vive que le contact est plus parfait et plus étendu. Elle s'all'aiblit à lorce de se continuer sans interruption, et change un peu de caractère sous l'in- fluence de certaines causes. Ainsi, le même aliment, offert à l'organe du goût, parait ne pas avoir une saveur identique dans toutes les conditions physiolo- giques, et une substance quelconque goûtée après une autre n'a pas toujours sa saveur habituelle. Le bœuf auquel on vient de faire manger du foin refuse la paille (juil aurait prise si on la lui eût d'abord présentée. Du rest»', son énergie dépend aussi probablement, chez les animaux, du degré d'attention apporté à 1». i:OLi>. — rlivsiol. coiiii)., 3' L'ilit, I — -J-J 338 DES SENSATIONS. l'exercice de la sensation. On sait que ceux qui sont pressés par la faim et qui mangent avidement, prennent avec leurs fourrages des substances qu'ils en démêlent et rejettent très bien dans les circonstances ordinaires. L'exercice du goût est intimement lié à celui de l'odorat. Les expériences de M. Ghevreul ont appris que diverses substances mises dans la bouche n'ont plus la même saveur, quand, par accident, les narines sont fermées, que dans les cir- constances ordinaires. Elles l'ont conduit à diviser les corps en quatre classes d'après les impressions qu'ils produisent sur la muqueuse buccale : la première comprenant ceux qui n'agissent que sur le tact de la langue : le cristal de roche, la glace ; la seconde, ceux qui agissent sur le tact de la langue et l'odorat, comme les métaux odorants : l'étain, par exemple; la troisième, ceux qui portent leur action sur le tact de la langue et le goût : le sel marin, le sucre; enfin, la qua- trième, les corps tels que les huiles volatiles, les matières aromatiques, qui influencent à la fois le tact de la langue, le goût et l'odorat. La liaison fonction- nelle qui existe entre la gustation et l'olfaction s'établit naturellement par la volatilisation de certains principes qui sont entraînés de la bouche dans les cavités nasales; elle est peut-être rendue plus intime par l'appareil de Jacobson, si développé chez les herbivores, appareil que Cuvier est porté à regarder comme servant probablement à faire distinguer à ces animaux les plantes vénéneuses mêlées à celles dont ils se nourrissent. Ce petit appareil constitué chez le cheval et le bœuf par un conduit membraneux, couché à la partie inférieure des cavités nasales et ouvert dans la bouche au niveau delà fente incisive, joue peut-être son rôle en raison des filets qu'il reçoit tout à la fois du nerf olfactif et du ganglion naso-palatin. Ce sens est beaucoup plus sur chez les animaux que chez l'homme, comme une infinité d'exemples le prouvent. On voit, en effet, que les herbivores ne s'empoi- sonnent pas dans les pâturages où abondent les plantes vénéneuses, si ce n'est parfois lorsqu'ils sont trop pressés par la faim ou affectés de cette aberration du goût appelée le pica. Sans doute, ils sont guidés, dans cette sélection, par l'odo- rat, car ils n'ont pas besoin de prendre une plante pour s'assurer qu'elle est nuisible. Mais, il est des circonstances où l'odorat ne peut servir d'auxiliaire à la gustation. D'après M. Boussingault, le bétail des steppes de l'Amérique distingue parfaitement, pour se désaltérer, les eaux qui contiennent de faibles proportions de sel marin ou de sulfate de soude. Les espèces domestiques ont ce sens moint^ délicat que les espèces sauvages, peut-être parce qu'elles ont moins d'occasions de l'exercer; il leur est aussi moins utile. Toutefois il les guide sûrement, bien avant que l'éducation et l'habitude aient pu le modifier. Celles-ci l'altèrent sou- vent à un haut degré, et si profondément, que certains animaux finissent par manger avecplaisir des aliments pour lesquels ils avaient de l'aversion. F. Cuviei' a vu des phoques, naturellement sivoraces, refuser toute autre espèce de poisson que celle avec laquelle on avait connnencé aies nourrir : l'un ne voulut jamais que des harengs ; l'autre, que des limandes ; le dernier se laissa mourir de faim lorsqu'il fut impossible de lui fournir la proie qu'il affectionnait. J'ai vu un che- 1. F. Cuvier, Ohxnrvation^ zoologù/ues sur (es farulfiis du phûi/uc, elc. {Amiales du Miisnun,, t. XVII, p. 389.) \)K LA GISTATION. XV-^ val se laisser iiéiir (rinaiiitioii piiitùl (jue de toucher à de la chair cuite dont le goût était cependant agréable. Il n'est pas rare de voir des chiens refuser absolu-r inent de la chair crue, même après une longue abstinence. La peil'ection relati\(! (lu goût varie, du reste, beaucoup dans les divers animaux. Ceux cpii mâchent leurs aliments, ou qui sucent le sang, l'ont bien supérieure au\ autres qui avalent leur [n"oie entière ou (pii vi\ent dans l'eau. Jjcs oiseaux, les reptiles et les pois- sons paraissent avoir ce sens bien plus obtus que la généralité des mammifères, et l»armi ces derniers on observe des diflérences notables, même entre des espèces très voisines ; mais il est bien diflicile d'arriver à établir quelque chose de précis à cet égard. Pline ^ s'était déjà moqué des naturalistes qui prétendaient (jue les rats du Pont avaient le goût exquis, parce qu'il ne concevait pas comment on avait pu s'en assurer. Pour certains animaux domestiques, il est cependant facile de remarquer qu'il aune délicatesse extrême : le chat, par exemple, qui retourne tant de fois un morceau de pain, et qui mange d'abord les parties recouvertes du suc d'un mets agréable, ne ressemble guère au porc qui dévore avidement tout ce qu'on jette dans son auge. Le sens du goût est encore un moyen d'excitation et de sympathie qui met en jeu ou qui augmente l'action de certains organes. Les impressions gustatives Ibnt afiluer la salive dans la bouche, surtout celle des maxillaires et des sublinguales; elles règlent, parla, l'imprégnation des aliments et disposent l'estomac à digérer ce qu'il reçoit. C'est encore là un exemple de ces actions qui s'associent pour servir à la fois à plusieurs fonctions différentes. Ce sens est bien plus au service de l'instinct et des fondions digestives qu'à celui (le l'intelligence ; il sert à faire connaître les corps extérieurs et donne peu d'idées; mais il permet à l'animal de discerner les aliments qui lui conviennent, sans les connaître à proprement parler; de les discerner instinctivement, du i)r(,'- mier coup, sans le secours de rex[iérience ni de la réflexion. C'est un des premiers à agir chez le jeune animal, un de ceux qui se modilient le plus par l'habitude, la domesticité et les différents états de l'économie. Il paraît avoir à l'état sauvage une sûreté qu'il n'a plus, au même degré, chez l'animal domestique. 11 varie assez sensiblement d'individu à individu. Tel repousse un aliment qu'un autre de même espèce mange avec plaisir ou sans répugnance. Il devient délicat et rend difliciles les animaux que l'on habitue à l'usage d'une iu)urriture choisie, au [loiut (pi'alors ils souffrent delà faim plutôt que de manger ce (jui leur dé|ilaît, comme le font les enfants habitués à l'usage des Iriandises. Il paraît éprouver quelques variations en rapport avec les besoins éventuels de l'organisme. Le boni!', par monu'uts, semble trouver à la terre une saveur non désagréable, connue cela arrive quehiuefois à l'hounne dans certains pays. La plupart des espèces herbivores savourent avec délices les aliments salés, salpê- tres ; les habitants du Midi, les hommes un i)eu débilités, ceux cpi'une nourriture fade ne stinude pas assez recherchent instiniîtivement les condiments de haut goût qui déplaisent dans les conditions opposées. Les troubles de l'appareil digestif, en réagissant sympathiquement sur la bouche et en modiliant l'état de 1. IMine. llisfain- ili-s aniindu.r. livre VllI, p. 177. 340 DES SENSATIONS. la muqueuse et. des papilles linguales, changent très notablement le caractère des saveurs ; mais on sait peu de chose à cet égard en ce qui concerne les animaux. Le goût est un sens qu'il ne faut pas trop flatter quand on veut donner de bonnes et mâles habitudes aux animaux. Si Ton prend trop de soin d'éviter ce qui ne leur est pas agréable, on les rend gourmands, difficiles sur le choix de la nourriture; on les expose à souffrir des changements de régime imposés par la nécessité. Les bœufs achetés chez un maître qui les a trop bien nourris dépéris- sent vite si leur nouveau propriétaire ne peut leur donner les aliments de choix auxquels ils étaient habitués. L'animal qu'on veut engraisser ne profite point s'il a été soumis antérieurement à un régime qu'il soit impossible de lui continuer. III. — De l'olfaction. L'odorat et le goût, dit Cuvier, sont les sens qui se rapprochent le plus du toucher : ils ne sont même que des touchers exaltés. L'odorat est donc le tact des odeurs, c'est-à-dire des substances volatiles que l'air apporte à la surface de la pituitaire. L'organe de ce sens ne diffère pas essentiellement du toucher; il ne s'en dis- tingue que par une plus exquise sensibilité et une sensibilité de nature spéciale, car il est évident que les nerfs de l'odorat ne sont pas plus susceptibles d'être impressionnés par les saveurs que ceux du goût par les odeurs. La sensibi- lité propre de chacun d'eux ne peut être mise en jeu que par une seule espèce d'excitants. Jetons un coup d'œil sur les parties préposées à l'olfaction, sur les agents qui les impressionnent, avant de rechercher les caractères de la sensation. De rappareil de rolfa,ctiou. — Il consiste, chez les grands animaux, en une cavité plus ou moins spacieuse tapissée par une membrane d'une étendue souvent très considérable, cavité que l'air traverse avant d'arriver à l'organe de la sanguification, et il est ainsi placé parce que ses fonctions sont principalement relatives à la respiration, comme celles du goût le sont à la digestion. Le nez constitue la partie antérieure, l'ouverture de cette cavité ; il est plus ou moins proéminent suivant les animaux. Très peu détaché chez les herbivores en général, tels que les solipèdes, les ruminants, il prend de plus grandes propor- tions dans quelques espèces ; il s'allonge en une sorte de groin chez le porc, le sanglier, la taupe, la musaraigne; forme uue trompe plus ou moins développée dans les tapirs, les éléphants, et jouit, dans les deux cas, d'une mobilité qui lui permet de se tourner ou de se porter dans la direction des odeurs. Les cavités nasales qui continuent cette partie sont anfractueuses, séparées l'une de l'autre par une cloison osseuse en haut, cartilagineuse dans le reste de son étendue. Leur paroi externe, irrégulière, porte des cornets, et leur extrémité supérieure, des volutes plus ou moins déliées sur lesquelles se déploie la pituitaire. Elles communiquent par d'étroits pertuis avec les diverticules connus sous le nom de sinus : toutes ces parties n'ont point une disposition identique chez les divers animaux. Mais, toujours, elles simulent des échafaudages sur lesquels sont étalées DE l'olfaction. 341 comme dos tapisseries les muqueuses (!(''Iicates qui doivent (Mic iiiii>ressionnées par les particules odorantes tenues en suspension dans l'air. Les cavités nasales sont très amples chez ceux qui sont destinés à des allures rapides et qui ne peuvent i-espirer par la bouche. Ainsi, elles sont très larges chez le cheval, moins chez l'ilne, le mulet, le bœuf et le mouton. Les cornets qui se trouvent sur leur paroi externe sont très grands chez les solipèdes. Le supé- rieur, dépendance du sus-nasal, est formé d'une lame papyracée roulée sur elle- même de haut en bas ; l'inférieure, par une lame l'oulée en sens inverse. Par en haut, ils concourent à la formation des sinus. Chez les ruminants, il n'y a qu'un seul cornet isolé portant une lame longitudinale au-dessus de laquelle il se roide en un sens, tandis qu'au-dessous il se roule en sens opposé. Ce qui paraît cor- respondre au cornet supérieur n'est qu'une grande volute ethmoïdale. Ces cor- nets, bien qu'ils soient très étendus, n'ont cependant pas une grande surface, parce que la lame simple qui les constitue ne décrit qu'un petit nombre de tours. Ceux de quelques animaux, tels que le chien et divers rongeurs, présentent une disposition fort remarquable qui multiplie leur surface dans des proportions considérables ; chacun d'eux forme un laisceau de cornets secondaires plus petits, plus déliés, représentant isolément ]de petits cônes ou des tubes semblables aux tuyaux des dentelles plissées. Par suite d'une telle conformation, la pituitaire qui les tapisse acquiert une délicatesse et une ténuité dont il est difficile de se faire une idée exacte. Aussi, la plupart des animaux où ces particularités s'ob- servent ont-ils l'odorat très lin. Les volutes ethmoïdales sont d'autres cornets encore plus nombreux et plus déliés qui occupent la région supérieure des fosses nasales : leur nombre et leur finesse sont encore en raison directe de l'excel- lence de l'olfaction. Il suffit de jeter les yeux sur une coupe de la tète du cheval et du chien (fig. 42 et 43) pour juger des grandes différences qui existent à cet égard entre les deux espèces. La comparaison que l'on peut établir entre les animaux et l'homme montre, de son côté, une infériorité frappante, surtout à l'ethmoïde dont les volutes sont à peu près atrophiées. Les diverticules formés par les sinus ont une ampleur variable qui ne paraît nullement liée au perfectionnement de l'appareil olfactif. Néanmoins leurs dimen- sions peuvent avoir quelque influence sur l'exercice de l'olfaction. La membrane muqueuse, qui tapisse les cavités nasales et les sinus, aune très grande étendue chez les animaux à grands cornets et à nombreuses volutes. Cette vaste expansion se divise, au point de vue physiologique, en trois parties bien distinctes, l'une, inférieure, épaisse, pourvue de follicules, de glandes en grappes et d'un épithélium vibratile stratifié, n'a guère que des divisions de la cinquième paire et ne possède qu'une sensibilité générale : l'autre, supérieure, étalée dans les sinus où elle fait les fonctions de périoste, est aussi à peu près étrangère à l'exercice de l'odorat. La partie moyenne seule qui tapisse les volutes ethmoïda- les, le haut des cornets, de la cloison médiane et le fond des méats est la véri- table muqueuse olfactive. Mince, déliée, d'un rose tirant sur le jaune, couverte d'un épithélium non vibratile, d'une excessive perméabilité, elle est humectée d'un li(piide propre à fixer et à dissoudre les particules odorantes, liquide pro- venant (les glandes tubuleuses de Bowman, et chez quelques animaux tels ((ue 342 DES SENSATIONS. les carnassiers, d'une cupule glanduleuse très épaisse dont je crois avoir le pre- mier signalé l'existence ^ La région olfactive de la pituitaire reçoit, indépendamment des divisions de la Fjg. 42. — Coupe des cavités nasales du cheval (*). cinquième paire et des lilets ganglionnaires, tous les nerfs olfactifs qui s'échap- pent à travers les perforations de la lame criblée de Tethmoïde, nerfs à fibres granulées que Kolliker a comparées aux libres embryonnaires. Fia. 48. — Coupe des cavités nasales du chien (**). L'organe de l'odorat offre de grandes variétés chez les animaux. Il paraît moins développé dans les oiseaux que chez les mammifères. Chez les oiseaux, bien que les cavités nasales aient une certaine ampleur, la pituitaire a peu d'étendue; elle ne se déploie que sur des cornets simples et sur quelques volutes à peine sail- lantes. Cependant ils ont des lobes olfactifs très développés qui semblent indi- quer une grande délicatesse de l'olfaction. Et ce n'est peut-être pas à tort que Scarpa croyait que leur volume proportionel pouvait donner la mesure de la per- fection relative de ce sens. On les voit, en effet, bien plus petits parmi les galli- nacés et les passereaux que chez les palmipèdes, les échassiers et les rapaces. Les reptiles n'ont également que des cavités nasales peu spcacieuses, ce qui n'empê- che pas certains d'entre eux d'avoir un odorat très (in. Scarpa^ assure que, si après avoir touché à des femelles de crapauds ou de grenouilles, on plonge la main dans l'eau, on ne tarde pas à voir accourir les mâles qui se trouvent à 1. G. f.'olin, linllftins de la Socii-ti; i//ipi:r/alr ilr inéd.ermr vét&riudirc, t. VIII, 1801. 9. Dugés, Traité fh; phjisiolofiii;. Montpellier, 1838, t. 1, p. 151. (*) A, sinus fiontuux; II, volutes clhmoïdales ; C, cornet supérieur; It, cornet inférieur. (•*) A, volutes ethoioïdaies; U, masse des cornets. DE L OLFACTION. 3 '1:3 quelque distance. Les poissons possèdent, au-dessus de l'ouverture de la bouche, «leux fosses nasales au fond dosquellcs la pituitaire se divise en feuillets péné- FiG. 44. — Coupe des cavités nasales de I homme avec leurs nerfs, d'après Arnold (*). très par les ramilications des nerfs olfactifs. Ces cavités constituent, chez la bau- droie, de petites coupes pédiculées fixées à la partie antérieure de la tête. Poui l^'io. 4."). — Coupo des mêmes cavités, cloison cartilagineuse (**). tous ces animaux aquatiques, les particules odorantes sont apportées dans les cavités olfactives par l'eau qui les tient en dissolution. Les organes olfactifs existent encore chez les animaux invertébrés comme l'exer- cice du sens suflit à le démontrer. Tout le monde sait que c'est par le secours de l'odorat que les nécrophores découvrent les cadavres, (|ue la mouche est avertie (*) 1, filet externe du rameau L-llMunidal du nerf iiasdl ; 1, gaup^lion de Meckel ; uerf vidien ; t, branches du cornet niuyen ; 5, branches du curnet inférieur; 6, nerf palatin; 7, nerfs palatins postérieurs et moyens : 8, rameaux carotidieus. (**) 1, divisions du nerf olfactif; 2, filet interne du nasal; 3, nerf naso-palatin; 4, rameau carotidieu du sympathique ;.'>. rameaux carotidiens interne et externe; 6, anastomose du sympathique avec le ganglion d'Andersh et le ganfjlioii jugulaire ; T, plexus caverneux. (Beauiiis et Bouchard.) 344 DES SENSATIONS. des lieux où elle peut déposer ses œufs, et que les mâles parviennent à trouver les femelles accidentellement enfermées. D'après Dugès, ces organes seraient les antennes pour les insectes, attendu que leur section lui a paru abolir le sens dont nous parlons. Suivant d'autres, les palpes seraient affectées au même usage : enfin, suivant quelques-uns, Cuvier entre autres, les orifices des trachées ou le pourtour des stigmates seraient exclusivement préposés à l'olfaction. Des otieiirs. — L'appareil de l'odorat est impressionné par des particules volatiles que l'air tient en suspension, et qu'il vient mettre en contact avec la pituitaire. Ces particules, très ténues, puisque certains corps peuvent en dégager pendant très longtemps sans perdre sensiblement de leur poids, constituent ce qu'on appelle les émanations odorantes, les odeurs. Elles viennent de substances minérales plus ou moins volatiles, du phosphore, de l'ammoniaque, de l'hydrogène sulfuré, et quelquefois de matières parfaite- ment fixes, soumises à l'action du frottement, de la chaleur ou de l'électricité. Les matières solides sont, en général, peu odorantes ; les liquides et les gaz le sont davantage. Les substances organiques le sont presque toutes ; chaque plante a dans sa racine, sa tige, ses feuilles, ses fleurs, son fruit, quelque principe odorant ; de même dans chaque animal, le sang, les muscles, les divers tissus ou les divers liquides, ont une odeur particulière plus ou moins prononcée. Les odeurs sont excessivement nombreuses. Linné, Haller ont cherché à les classer. Elles paraissent pouvoir se rapporter, et surtout en ce qui concerne les animaux, à deux catégories: 1° les odeurs suaves ou agréables, 2° les odeurs fétides ou désagréables. Les odeurs agréables qui ne sont pas trop fortes proviennent, en général, de substances qui ne sont point nuisibles. Elles guident les animaux dans le choix de leurs aliments. Les odeurs fortes, désagréables, vireuses, nauséabondes, caractérisent le plus souvent les substances nuisibles que les anim.aux doivent repousser. Ainsi, toutes les matières organiques qui se putréfient, la plupart des plantes vénéneuses, ont une odeur repoussante. Mais l'expérience démontre qu'il n'y a rien d'absolu à cet égard, que telle odeur qui impressionne agréablement un animal déplaît à un autre, et réciproquement. Néanmoins un certain nombre d'entre elles paraissent avoir une action commune, comme l'odeur des fleurs, des herbes, des fourrages qui ne semble déplaire à aucun. L'odeur de certaines plantes, celles de la cataire, de la valériane, sont fort agréables aux chats. Ce qu'il y a de très remarquable à cet égard, c'est que l'odeur de la chair, des substances animales déplaît généralement aux herbivores. Celle de la chair cor- rompue donne souvent des espèces de convulsions au cheval et met en fureur le taureau ; l'odeur même si agréable de la chair rôtie leur inspire parfois une espèce d'aversion impossible à rendre, mais dont on juge bien à leur expression et à leurs mouvements. L'odeur de la chair des carnassiers déplaît aussi aux individus de l'espèce dont elle provient. Il est des odeurs très désagréables, insupportables même pour certains ani- maux, qui ne déplaisent pas à d'autres ou qui en sont recherchées. Les odeurs cadavériques n'inspirent pas d'aversion au chien, au chacal, au vautour, au corbeau, tandis qu'elles éloignent les carnassiers qui vivent de proie vivante. DE l'olfaction. 345 L'odeur do putréfaction attire la mouche carnassière, les nérropliores, les cara- bes. Divers pucerons et d'autres insectes vivent sur les ciguës ; la chenille d'un sphinx se fixe sur une euphorbe : le Silplia littoi'alis vit dans les cuves à macé- rations; le Scara/jeus lairrns, dans la liente du bœuf, etc. De la seiiwatîoii «ifactîvc. — La sensation des odeurs, résultant du contact des particules odorantes avec la partie supérieure de la pituitaire, ne peut s'effectuer qu'à la condition de l'entrée et de la libre circulation de l'air dans les cavités nasales : aussi, l'olfaction est liée aux mouvements respiratoires et elle a lieu habituellement sans que ces mouvements éprouvent aucune modi- fication. Mais pour s'exercer dans toute sa plénitude, surtout quand les oileurs sont faibles, cette sensation exige l'action préliminaire de flairer que le chien exécute avec une rare perfection. Le nez se porte dans dillérenles directions : il se produit une série d'inspirations lentes ou rapides, saccadées, quelque peu bruyantes, qui appellent l'air dans le fond des cavités nasales, l'amènent entre les volutes ethmoïdales et dans toutes les anfractuosités des cornets, où les inspi- rations ordinaires n'en font pénétrer qu'une petite quantité, car alors il suit la large voie qui s'étend des narines au pharynx. Les inspirations saccadées l'atti- rent non seulement entre les lames des cornets et des volutes, mais encore dans les sinus : il s'étend ainsi sur une très grande surface et porte, par consé- quent, en même temps, un grand nombre de particules au contact de la pituitaire. Les émanations odorantes, pour impressionner la pituitaire, doivent pénétrer en notable proportion dans le nez. Celles qui y arrivent sans le secours de l'inspi- ration ne peuvent ordinairement suffire. Aussi, quand, à l'exemple de Lower, on lie la trachée à un animal après l'avoir ouverte en un point inférieur à la ligature, de manière à laisser la respiration libre, sans que l'air passe par le nez, on voit que les odeurs diverses, celles des aliments, des matières fétides, ne se font plus sentir. Toutes les fois que j'ai fait cette expérience, le cheval, ayant les yeux couverts, ne s'apercevait point de la présence du foin, de l'avoine déposés sous ses lèvres, le chien n'avait plus conscience de la chair mise dans son voisinage. Cependant une simple trachéotomie n'abolit point l'olfaction : j'ai vu un cheval entier, auquel j'avais pratiqué cette opération et voilé les yeux, flairer une jument et s'exciter auprès d'elle comme auparavant ; mais il ne paraissait sentir que très faiblement le foin ou l'avoine qu'on approchait de ses lèvres. Il faut, en second lieu, que la membrane soit humide ou recouverte d'un mucus susceptible de dissoudre les particules odorantes : si elle est sèche, comme au début du coryza, l'impression des odeurs est affaiblie ou même abolie. Enfin, il est nécessaire que les nerfs olfactifs soient intacts et que le cerveau agisse. Nous verrons, tout à l'heure, connnent peuvent s'interpréter les expériences qui semblent infirmer cette dernière proposition. 11 y a dans l'action du sens de l'odorat plusieurs degrés, comme dans toutes les autres sensations. Dans l'un, cette action est faible et s'opère à l'insu de l'animal ; dans l'autre, elle est exagérée et portée à son maximum d'intensité. Elle n'a ce dernier caractère qu'autant que l'animal concentre son attention sur ce qu'il éprouve, ou, en d'autres termes, qu'il flaire. Alors il porte le nez du côté d'où lui arrivent les émanations, û dilate les naseaux, inspire fortement et 346 DES SENSATIONS. à des intervalles très rapprochés, il témoigne par des hennissements le plaisir qu'il ressent. Tout le monde connaît le mouvement de la lèvre supérieure du cheval qui flaire la jument ; du taureau qui s'approche de la vache; le frémisse- ment de tous leurs muscles indique la volupté que leur font éprouver les émana- tions de la femelle. Si l'odeur leur est désagréable, ils témoignent leur aversion par d'autres mouvements et par des expirations plus ou moins violentes et nom- breuses. Le chien, le porc, flairent d'une manière analogue. Le mécanisme suivant, lequel les matières odorantes agissent sur le sens de l'olfaction est très simple. Les particules portées par l'air viennent se mettre en rapport avec les papilles de la pituitaire, elles se dissolvent dans le liquide qui les humecte, et peuvent ainsi agir par contact sur les divisions nerveuses. Ces particules odorantes, ces effluves, ces atomes, ainsi que les appelaient Epicure et Lucrèce, atteignent les libres nerveuses connue le font les molécules sapides sur la muqueuse buccale. Ils agissent, en véritable solution, comme l'eau chargée de matières animales agit sur les organes olfactifs du requin ou de la murène. Toutes les parties de la membrane nasale ne paraissent pas jouir de l'impres- sionnabilité aux odeurs. Celles qui tapissent les cornets, le haut de la cloison et les Yolutes possèdent ce privilège qu'elles doivent aux divisions des nerfs ethmoï- daux. Comme ceux-ci ne vont pas dans les sinus, les sinus ne servent pas immé- diatement à l'olfaction. Ils donnent accès à l'air chargé de particules odorantes, surtout s'il est appelé par une série de fortes inspirations, puis', en le laissant ensuite échapper sur les parties élevées des cornets, ils peuvent prolonger la sen- sation. Nul doute que le ruminant à vastes sinus qui a flairé un ennemi n'en sente encore l'odeur quelque temps après s'en être éloigné. Quelles sont les divisions qui reçoivent l'impression des molécules odorantes ? Sont-ce celles du nerf olfactif, celles du nerf nasal, ou les deux espèces à la fois ? Les nerfs olfactifs sont les nerfs spéciaux du sens. Cependant ils manqueraient, d'après Çuvier\ chez les dauphins où d'autres anatomistes les auraient rencon- trés. Leurs divisions fines, molles, privées d'enveloppes névrilématiques, après avoir traversé les lames criblées de l'ethmoïde dont les perforations sont très nombreuses, se rendent dans la membrane qui recouvre les volutes et les cornets ; quelques-unes, très apparentes dans le bœuf, le cheval et le mouton, vont se perdre, d'après Cuvier, dans la membrane de l'appareil de Jacobson. Elles ne paraissent pas se répandre dans le reste de la pituitaire. Plusieurs physiologistes ont émis des doutes sur le rôle précis de ces nerfs. Magendie^, les ayant détruits ou cru détruire sur des chiens, a vu ces animaux continuer à sentir les odeurs fortes. Après l'ablation des lobes olfactifs, la pitui- taire conserva sa sensibilité tactile et fut impressionnée par des substances telles que l'ammoniaque, les huiles volatiles : un chien qui avait subi cette; mutilation reconnut un morceau de chair enveloppé dans un cornet de papier. D'autre part, le savant physiologiste ayant observé qu'à la suite de la section de la cinquième paire dans le crâne, la sensibilité de la |)iluitaire paraissait éteinte, et que l'ani- 1. Cuvier, Leçons ci' anatomie comparée, 2^ édit., t.Iil, p. 106. 2. Magondie, Pi'i'cis de Physiologie, 4"= édit., p. 1()0 et Journal de physiologie, t. IV. DR l'olfaction. -^47 mal cessait d'êtiv alleclé par les odeurs, pensait que, peut-être, le nerf ollactil' nest pas le luni de rolfaction, et que la cinciuiènie paire donne à la membrane nasale sa sensibilité tactile avec sa sensibilité olfactive. Mais ces expériences sont loin d'être concluantes. L(?s nerfs ethmoïdauv sont bien les nerfs de l'olfac- tion. Leur rôle est incontestable. 11 peut être prouvé par l'expérience très simple (pii consiste à séparer par une section transverse les lobes olfactifs, du reste des liémisplières cérébraux, section (pii rend aussitôt la pituitaire insensible à lim- pression des odeurs, Quant à l'impression olfactive en elle-même, elle résulte dune espèce de con- tact des molécules odorantes avec les divisions nerveuses, quoique les nerfs de la première paire soient insensibles aux piqûres, au contact des corps étrangers. L'impression transmise aux centres sensitifs est perçue par eux et constitue ainsi la sensation complète. L'exercice du sens de l'odorat est subordonné à certaines conditions exté- rieures qui rendent la sensation plus faible ou plus énergique. La température de l'atmosphère inllue beaucoui» à cet égard. Par les temps froids, les eflluves odorantes se dégagent en moindre quantité, et les matières organiques qui se décomposent lentement n'émettent que très peu de principes volatils. Par les saisons chaudes, l'abondance des exhalations cutanées et pulmonaires, l'activité de la végétation, la rapidité des décompositions organiques, chargent l'air de particules odorantes que les \ents transportent à de grandes distances. Aussi les espèces carnassières (|ui suivent leur |)roie à la piste, la découvrent-elles plus aisément quand les courants d'air dirigent vers elles ces émanations fugitives. La rosée dissout ces dernières, les fixe momentanément, puis les laisse dégager en s'évaporant ; entln, la pluie les entraine et fait perdre aux chiens les voies du gibier. Cette sensation est beaucoup plus délicate chez les animaux que chezl'homme. « Leur odorat est si parfait, comme ledit Bull'on', qu'ils sentent de beaucoup plus loin qu'ils ne voient ; non seulement ils sentent de très loin les corps pré- sents et actuels, mais ils en sentent les émanations et les traces longtemps après qu'ils sont absents et passés. Un tel sens est un organe universel de sentiment, c'est un œil qui voit les objets non seulement oi!i ils sont, mais même partout où ils ont été. » Cuvier prétend que ce sens est toujours plus développé et plus fin chez les carnassiers que chez les herbivores ; et il paraît en être ainsi pour ceux qui se nourrrissent de proie vivante. Le contraire est quelquefois vrai pour ceux qui se rei>aissent de cadavres dont l'odeur impressionne même les ani- maux dont l'olfaction est obtuse. Parmi les carnassiers, le chien doit être cité comme donnant un exemple de cette exquise délicatesse. Tout le monde sait ((u'il reconnaît la piste du gibier aux légères émanations dont riionnue et beau- coup d'î^utres animaux ne sont nullement affectés. Le loup, le renard, se rap- prochent du chien sous ce rapport. Personne n'ignore avec quelle sûreté ils découvrent les lieux on se trouve leur proie; comment ils reconnaissent, aux traces de l'homme, les endroits où on leur a tendu des pièges, et savent distin- 1. Buffon. Disi-ours sur In luifuir d's iiuimmu-. [Histoire mit., t. IV. p. 50, édil. citée.) 348 DES SENSATIONS. guer la chair où l'on a placé du poison de celle qui ne peut leur nuire. Le porc sait, parle secours de l'odorat, trouver la truffe que le sol cache à une assez grande profondeur. Les herbivores, eux-mêmes, montrent souvent une grande iinesse d'odorat : c'est ainsi que les dromadaires employés aux transports dans les déserts, découvrent les sources à des distances considérables, et se dirigent vers elles bien avant que les voyageurs les aperçoivent. Les vaches qui séjour- nent dans les vastes pâturages, comme ceux des montagnes d'Auvergne, savent bientôt, d'après Girard, reconnaître de loin les lieux où elles trouveront de quoi se désaltérer, et distinguer l'approche des loups. Ces faits peuvent être vrais, mais il reste à savoir si c'est par l'odorat, et par l'odorat seul, que les animaux acquièrent ces connaissances. Les oiseaux ont aussi quelquefois l'odorat assez fm, bien que leurs cavités nasales paraissent petites et moins bien organisées, en ce qui se rapporte à l'ol- faction, que celles des mammifères; mais il ne faut pas en donner pour preuve le fait si célèbre des vautours qui vinrent d'Asie dans les champs de Pharsale, attirés par les cadavres qu'y laissèrent les armées romaines. Parmi les animaux de cette classe, les échassiers sont, d'après Scarpa, ceux où ce sens est le plus délicat; après eux viennent les oiseaux de proie ; les gallinacés occupent le der- nier rang. Les reptiles, les poissons et les animaux invertébrés les moins im- parfaits ont souvent le sens de l'olfaction aussi impressionnable que beaucoup d'animaux supérieurs. Les poissons qu'on pourrait croire dans de mauvaises conditions pour la perception des odeurs ont quelquefois l'odorat très fin ; d'ail- leurs, ils possèdent à la partie antérieure de la tête, au-dessus de la bouche, des cavités olfactives, de véritables cavités nasales terminées en cul-de-sac. Ce sens est un guide précieux pour les animaux, la source de diverses im- pressions pénibles ou agréables, le point de départ d'un grand nombre de déter- minations instinctives ou réfléchies. D'abord il est le sens explorateur de l'air, et se lie, par là, intimement aux fonctions respiratoires. Il indique aux animaux les lieux qu'ils doivent fuir, pour éviter des émanations malfaisantes. Suivant le caractère de la sensation produite, on voit alors se manifester certaines pertur- bations dans les mouvements respiratoires, notamment des expirations saccadées et bruyantes comme celles du taureau qui entre dans un milieu où se dégagent des émanations cadavériques. L'action exercée sur la muqueuse bronchique et pulmonaire s'allie encore à l'impression olfactive pour provoquer ces effets. Une vipère plongée, par exemple, dans un vase contenant de l'hydrogène sulfuré, se contracte si énergiquement, que les côtes droites viennent chevaucher sur les côtes gauches, de manière à affaisser complètement le poumon. 11 se lie ensuite au sens du goût pour faire reconnaître les aliments qui con- viennent à chaque espèce. Il a toujours la préséance sur ce dernier, et les notions qu'il donne sont habituellement si sûres, qu'elles n'ont pas besoin d'être contrôlées et complétées par celles que peut fournir la gustation. Seulement, dans l'espèce humaine, où il est moins (in, il n'est pas toujours le premier à explorer; souvent le goût le devance ; on voit en effet l'enfant porter directement à la bouche les substances dont il veut connaître les qualités. Pour les animaux carnassiers, il est un moyen de découvrir une proie à do grandes distances, d'en DE L AUDITION. 'M^ suivre les traces, d'en trouver la retraite. C'est bien alors qu'il est comparable à un œil qui voit les objets où ils sont, oîi ils étaient, ou encore à une main ((ui touche à ce qui est éloigné, à ce qui a disparu, comme à ce qui est insaisissable. Ce sens si précieuv pour les animaux qui sont exposés aux pièges de l'homme les sert admirablement dans cette circonstance. « Si c'est un homme qui les attend au passage, dit G. Leroy, ils l'éventent, le reconnaissent et se détour- nent. Si c'est un piège qu'on leur a tendu, il a beau être caché avec le plus grand soin et couvert d'un appât séduisant, il suffit que l'odeui' du fer ou de l'homme qui l'a touché se fasse sentir, pour que les carnassiers soient avertis du danger et s'y soustraient par la fuite. » Enlin, il devient l'agent d'une foule d'impressions relatives aux fonctions reproductrices. C'est lui ({ui fait découvrir aux mâles les femelles très éloignées, et qui leur apprend à les distinguer, sans les voir, des femelles appartenant à d'autres espèces. C'est par lui qu'ils reconnaissent le rut ou l'état de plénitude de ces dernières, et s'excitent auprès d'elles. Il est alors le point de départ de la plupart des sensations qui éveillent et exaltent l'activité des organes sexuels. L'odorat est donc encore, comme le goût, plus un sens de l'instinct qu'un sens destiné à servir l'intelligence, et, à cause de cela, il a des caractères appropriés aux espèces. Il n'apprend et n'inspire rien aux carnassiers dans le domaine du règne végétal, comme si l'odeur des plantes, leurs suaves parfums ne les impression- naient pas; mais il inspire des répulsions violentes, des terreurs aux herbivores qui flairent des cadavres ou des substances putréfiées. S'il fait connaître à cer- tains carnassiers leurs victimes et leur proie, il semble donner à d'autres la notion de l'ennemi : ainsi le petit chien dont parle Gratiolet ^ éprouvait une terreur instinctive en flairant un morceau de peau de lou|>, qiioifiu'il n'eût jamais vu cet antipathique carnassier. IV. — De l'audition. Destiné à recevoir les impressions produites par les vibrations que les corps éprouvent et qu'ils transmettent à l'atmosphère, le sens de l'ouïe donne à l'animal des notions nouvelles sur la présence des objets , leur distance et leurs mouve- ments. Appareil «le raiulitioii. — Cet appareil compliqué, qui recueille les ondes sonores et qui les propage à une cavité membraneuse dans laquelle s'épa- nouit le nerf auditif, est formé de diverses parties qui sont, de l'extérieur à l'in- térieur : 1° un pavillon cartilagineux résultant de l'union de plusieurs pièces mises en mouvement par un grand nombre de muscles ; 2° une cavité dite ti/m- panique, renfermant une chaîne d'osselets tendus entre deux fenêtres fermées par des «lembranes ; 3' une seconde cavité connue sous le nom de labyrinthe, comprenant le limaron, le \estibule et les canaux semi-circulaires. Le pavillon de l'oreille, qui manque à un grand nombre d'animaux, est une 1. l.ourel el Gratiolet. Anatomir du .•;i/sfèmc ncrrctu. Paris, lS3l>-I8.'i7, t. II, p. 4-27. 3oU DKS SENSATIONS. partie tout à fait accessoire. 11 est formé dans les solipèdes de trois cartilages : le conchinien, l'annulaire et le scutiforme, dont l'ensemble représente générale- ]nent un cornet ouvert obliquement en avant et en dehors. Très grand dans l'àne, le porc, le lièvre, le lapin ou la plupart des animaux timides, il est plus ou moins redressé dans le chat, le chien de berger, le sanglier; incliné ou pen- dant chez le bœuf, le mouton, la chèvre et l'éléphant. Sa direction très variable a semblé en rapport avec le genre de vie et les besoins des espèces : elle n'est point dans celles qui chassent comme dans celles qui fuient. Les premières ont l'ouverture de la conque tournée en avant, afin de mieux saisir la trace de leur proie, les secondes l'ont dirigé en arrière, puisque le bruit de leurs ennemis leur arrive en ce sens. Ce cornet acoustique et explorateur jouit d'une très grande mobilité chez les herbivores timides comme chez les animaux chasseurs. Il est quelquefois pourvu d'une sorte d'opercule qui peut, par moments, le rétrécir ou le fermer, comme chez les chauve-souris et les musaraignes. On le trouve à l'état rudimentaire chez les cétacés et dans les petits animaux qui habitent les galeries souterraines. Quelle que soit sa disposition, il embrasse le méat auditif qui forme tantôt un tube osseux plus ou moins long, droit ou incurvé, comme on le voit dans les solipèdes et les ruminants, et tantôt une simple ouverture ovalaire comme dans les carnassiers. Le tympan, placé entre le méat auditif et le rocher, constitue une cavité, déprimée de dehors en dedans chez les solipèdes. A sa paroi extérieure se trouve la membrane du tympan fixée à un cercle osseux incomplet, de la cir- conférence duquel partent une série de lames rayonnantes qui viennent aboutir au rocher. Sa paroi interne, inégalement convexe, offre en haut la fenêtre ovale fermée en grande partie par la base de l'étrier; en arrière et un peu plus bas, la fenêtre ronde; entre les deux, le promontoire, éloigné de 4 à 5 mil- limètres de la membrane tympanique; en dessous, le relief du limaçon; en arrière et un peu plus bas, la fenêtre ronde; enfin, tout à fait en avant l'orifice supérieur de la trompe d'Eustache, dont le pavillon s'accole à l'apo- physe styloïde. Cette cavité, très grande chez le bœuf, par suite du développe- ment énorme des cellules mastoïdiennes, se trouve divisée, chez le chat, en deux compartiments inégaux, au moyen d'une lame osseuse mince, perforée et parallèle au cercle du tympan : l'un d'eux, l'externe, contient la chaîne des osselets ; l'autre, plus grand, correspond à la fenêtre ronde et à une moitié de la saillie du limaçon. Entre la membrane du tympan et la fenêtre ovale, s'étend la chaîne tympa- nique composée de quatre osselets articulés : le marteau , l'enclume, le lenticu- laire et l'étrier. Le premier, courbé sur lui-môme presque à angle droit, est fixé par son manche à la membrane du tympan : il s'articule par une large surface de son extrémité renllée avec renclume. Ce second osselet, situé dans la région la plus élevée de la caisse, porte en avant une éminence terminée en pointe, et en arrière une seconde éminence plus longue, plus courbée que la première, pour se mettre en rapport avec le lenticulaire. Celui-ci, très petit, déprimé, se trouve au niveau môme du promontoire. Enfin, l'étrier, logé dans l'excavation de la fenêtre ovale, offre un petit discpie sur l(;quel repose le lenticulaire, et à son 1)K L Al DiïlUN'. Mijl extrémité opposée, un iiiitre disque Iticn plus grand, destiné à fermer à peu près complètement la Fenêtre vestibulaire. Ces osselets sont pourvus de petits muscles sui" rexisleuce et le nombre des- quels on n'est pas encore bien fixé. Cuvier en décrit quatre : trois pour le mar- teau et un |)our l'étrier; de Blainvilleet Brescliet, deux seulement. Les solipèdes en possèdent deux très distincts et pourvus d'une partie charnue assez considé- rable. Le premier, ou le muscle interne du marteau, est allongé, cylindroïde, (îouclié dans une scissure sur le trajet de l'aqueduc de Fallope, au bord antérieur de la cavité tympanique. II naît près de Torilice de la trompe dlùistaclM' en confondant ses fdjres avec celles du stylo-pharyngien, et va se terminer par un petit tendon à l'apophyse aigu("' du col du marteau. Son action est é\idemmenl de tirer le premier osselet vers le rocher, et par conséquent de tendre la mem- brane du tympan. Le muscle de l'étrier, très court, renflé, charnu et très rouge à sa base, est logé dans une profonde excavation au-dessus du promontoire, puis recouvert dune lame; libreuse (pi'il faut détruire i)0ur l'apercevoir. Son tendon, pourvu d'un noyau osseux miliaire, passe sur une éminence grêle en arrière de la fenêtre ovale, et vient s'insérer à la branche postérieure de l'étrier, tout près du lenticulaire. Quant aux muscles externe et antérieur du marteau, ils existent réellement : l'un vient s'insérer tout près de l'interne, et l'autre à une pointe aiguë de l'extrémité renflée du premier osselet; mais ils sont entière- ment tendineux, ainsi que Millier l'a vu chez l'homme. Dans les ruminants, le muscle tenseur du tympan est énorme, conique et enfoncé dans une exca\atioii antérieure de la fenêtre ovale ; le muscle de l'étrier, également très considérable, offre à l'extrémité terminale de son tendon, comme Dugès l'avait déjà vu, une ossification un peu plus grande que celle du cheval. Ces deux nmscles, qui sont encore très développés dans le chien et le chat, paraissent les [dus essentiels à l'audition. C'est bien à tort que Magendie et Dugès les ont dit remplacés, dans les niaunnifères autres ([ue les singes, i)ar des brides élastiques et tendineuses faisant l'oflice de muscles en contraction permanente. Sur un plan plus interne que la caisse du tympan, se trouvent plusieurs cavités communiquant les unes avec les autres et constituant, par leur ensemble, le labyrinthe osseux ; ce sont : le limaçon, le vestibule et les canaux semi-circu- laires. Le limaçon ou cochlée, dont la base est située en haut et en arrière, au niveau de la fenêtre ronde, forine |»ar sa paroi externe une légère saillie oliliipie dans la cavité tympanique. Il est divisé en deux compartiments par une lame spirale, osseuse du côté de l'axe sur lequel elle s'enroule, et membraneuse à la circonfé- rence, lame qui décrit trois tours dont le premier est beaucoup plus grand (jut' les deux autres. Le rompai'timent supérieur ou la rampe vestibulaire commu- nique avec l'inférieur ou rampe tympanique, près de la pointe du limaçon. Leur intérieur est rempli par un fluide séreux, transparent, innnédiatement en contact av(!c les nombreuses divisions ner\euses étalées à la surface de la lame spirale. Ce fluide est de même nature que celui qui baigne les parties molles lenfermées dans le vestibule et les canaux semi-circulaires. Le vestibule, placé en rcgaid de lu fenêtre ovale, constitur une caviti- en C(M]uille 352 DES SENSATIONS. recourbée sur elle-même, communiquant inférieurement avec le limaçon et rece- vant en haut les orifices des canaux semi-circulaires. Ceux-ci peuvent être distingués, chez les solipèdes, en externe, interne et pos- térieur. Le canal externe, le plus petit, est vertical et presque parallèle à la face externe du rocher. L'interne, moins vertical que le précédent, est oblique du côté du crâne ; enfin, le postérieur, à peu près horizontal, dirige sa convexité en arrière. Ces trois canaux viennent s'ouvrir par quatre orifices dont deux doubles au-dessous et en arrière de la fenêtre ovale, pour le canal postérieur, la branche inférieure du canal interne et l'inférieure de l'externe; les deux autres, simples en dessus et en avant de cette fenêtre, pour les branches supérieures des canaux externe et interne. Le labyrinthe membraneux, composé de trois tubes, de l'utricule ou sinus médian, et du sac, est contenu dans les canaux semi-circulaires et le vestibule, qu'il ne remplit pas complètement. L'espace laissé entre ces parties molles et les parois internes du labyrinthe osseux est occupé par un fluide séreux, limpide, connu sous le nom de lymphe de Cotugno ou de périlymphe. Les tubes membraneux des canaux semi-circulaires n'ont pas le même dia- mètre que ces canaux. Leur surface externe est séparée des parois de ces der- niers par la périlymphe qui existe en grande quantité dans la cavité vestibulaire. A leurs extrémités, ils se dilatent pour former des ampoules et s'ouvrir dans l'utricule; enfin, leur cavité est pleine d'un liquide communiquant avec celui de l'utricule et du sac. L'utricule, ou sinus médian, est la poche à parois presque transparentes qui occupe la partie supérieure du vestibule et reçoit les orifices des tubes semi- circulaires. Sa cavité est pleine de liquide, et ses parois, pénétrées par une infinité de filets nerveux, offrent à leur face interne un petit amas de poudre cal- caire signalé par Breschet, très apparent chez le cheval et les animaux rumi- nants. Au-dessous de l'utricule, entre lui et le limaçon, se trouve la petite cavité connue sous le nom de sac ou saccule, contenant un liquide semblable à celui de la première poche avec laquelle il paraît communiquer par une petite ouver- ture. L'appareil de l'audition, ainsi constitué chez les mammifères, n'offre pas, à beaucoup près, dans tous les animaux, le même degré de complication. Sa partie fondamentale, qui persiste alors que tous les accessoires disparaissent successi- vement, consiste dans une poche à parois membraneuses dans lesquelles s'épa- nouissent les ramifications terminales du nerf auditif. Cette poche, pleine de liquide, réduite à sa plus simple expression dans la plupart des mollusques et des articulés, s'entoure déjà, chez les céphalopodes, d'un réservoir cartilagineux, et laisse voir dans sa cavité des concrétions solides plus ou moins Aolumineuses. Chez les poissons, il n'y a encore ni cavité tympaniquc, ni limaçon , mais il y a un vestibule contenant des concrétions calcaires, et de plus, un, deux ou trois canaux semi-circulaires. Chez les reptiles, ou du moins chez une partie d'entre eux, il y a, entre le vestibule et les canaux, une caisse du tympan, des osselets et des fenêtres. Enfin, chez les oiseaux apparaissent, avec quelques différences, toutes les parties «pii caractérisent l!appareil auditif des mammifères; seulement DE l'audition. 353 la chaîne d(3s osselets y est plus simple, et le lima(^on lubuleux ny est point tordu en spirale, ni divisé en deux rampes par une lame ostéo-membra- neuse. Mécanisme de ruiitlitioit. — L'appareil auditif, dont je viens de rappe- ler les dispositions essentielles, est impressionné par les mouvements vibratoires produits dans les corps, i)uis propaiçés dans l'air et transmis aux parties pro- t'ondes où s'épanouissent les dernières divisions du nerf acoustique. Tous les corps, solides, liquides ou gazeux, sont susceptibles de vibrer et, par conséquent, de devenir sonores. Les solides et les gaz jouissent surtout de cette faculté. Les vibrations qui donnent naissance au son résultent d'un déplacement oscil- latoire des molécules d'un corps. Dès que ces molécules ont été déplacées, soit par leur rapprochement, soit par leur écartement, elles tendent à revenir à leur situation normale, et en y revenant elles la dépassent, d'où une série d'oscilla- tions comparables à celles du pendule. Celles-ci peuvent se développer dans l'air ou être communiquées à ce lluide par le corps dans lequel elles s'effectuent, sans que leur nature éprouve de modifications. Les oscillations moléculaires donnent lieu à la formation d'ondes sonores dites stalionnaires, quand elles sont circonscrites dans des limites déterminées; pro- gresslves^ quand elles s'étendent graduellement du point ébranlé aux parties de plus en plus éloignées. On les appelle ondes de condensation si elles résultent du rapprochement des molécules; ondes de dilatation, si elles proviennent de leur écartement; enfin, (mdcs d'inflexion, si elles produisent à la surface d'un corps une série d'élévations et de dépressions alternatives. Leur caractère dépend, non seulement du genre de mouvement imprimé aux corps, mais encore de la forme de ces derniers. Dans une sphère, il s'effectue des ondes raréfiées alter- nant avec des ondes dilatées ; dans une lame métallique, dans une corde, des vibrations longitudinales et des vibrations transverses ; à la surface d'un liquide, des ondes d'inllexion; au sein deratmos|)hère, des ondes progressives, etc. Les ondes sonores se propagent dans l'air avec une vitesse de 340 mètres par seconde ; elles s'entrecroisent sans se confondre, et sont réfléchies par les corps solides d'après des lois dont l'étude rentre dans le domaine de la physique. Tous les mouvements vibratoiies ne sont pas susceptibles d'impressionner le sens de l'ouïe. Quand ils sont très lents, ils n'ont pas de sonorité. Les recherches des physiciens ont démontré que les vibrations ne deviennent sonores qu'autant (pie leur nond)re s'élève au moins à 35 par seconde. De leur amplitude et de la dillérence qui existe entre les ondes dilatantes et les ondes condensantes, dépend Vinlensité du son qui peut être modifié [»ar plusieurs causes. De leur nombre, dans un temps donné, dépend la hauteur du son : les sons graves résultent d'un petit nombre de vibrations, et les sons aigus d'un nombre plus considérable. Le timbre est une qualité du son, dont la cause n'est pas encore parfaitement déterminée. Il varie à l'infini suivant la nature des corps qui vibrent et le mode des vibrations qu'ils produisent. Les ondes sonores développées dans Tatmosithère se propagent aux organes do l'audition, d'après les lois ordinaires de leur propagation dans les milieux solides, o. cuLiN. — Physiol. comp., 3'" éilil, I — '2'^ 354 DES SENSATIONS. liquides ou gazeux. Suivons-les successivement jusqu'aux parties les plus pro- fondes de l'appareil. L'oreille externe ou le pavillon reçoit les ondes, les rassemble et les transmet au conduit auditif. D'abord ce cornet les rassemble, et d'autant mieux qu'il est plus large et plus évasé ; il en infléchit une partie sur ses courbes les plus légères; puis, il réfléchit vers la membrane du tympan celles qui viennent frapper ses iné- galités les plus saillantes. L'influence que peuvent avoir sur son rôle de transmis- sion ses variétés de forme et de direction sont difficiles à apprécier. A cet égard, il faut remarquer que les animaux qui ont l'ouïe délicate, ont généralement les oreilles plus ou moins droites, et que ceux qui cherchent à écouter redressent cette partie, si elle est inclinée. Elle est d'autant plus favorablement disposée pour recueillir les ondes, que son ouverture est tournée du côté d'où elles viennent. Aussi, dès que l'animal entend du bruit, il porte les oreilles dans le sens où ce bruit parait lui arriver, afin d'en mieux reconnaître le point de départ et la direction. Le cheval aveugle, qui ne juge plus des objets à distance que par l'ouïe et l'odorat, aies oreilles presque constamment agitées. Les animaux qui poursuivent une proie les ont dirigées en avant; ceux qui fuient, les ont, au contraire, tournées en arrière, du moins dans la plupart des cas, ainsi que les naturalistes en ont fait l'obser- vation, La conque de l'homme l'enversée sur le côté de la tête n'a pas, au point de vue de l'acoustique, une heureuse disposition; la forme de cornet a été évitée sans doute pour ne pas rendre la tête disgracieuse ; néanmoins ses irrégularités sont destinées, comme Boerhaave l'avait déjà montré, à réfléchir les ondes sonores et à les diriger vers le conduit auditif. Cette partie n'a, du reste, qu'une importance très accessoire, car elle manque dans la taupe, les cétacés, les oiseaux, et tous les vertébrés inférieurs, dont quelques-uns cependant ont l'ouïe très fine. Les inconvénients qui paraissent alors résulter de son absence sont compensés proba- blement par d'autres dispositions anatomiques favorables à l'audition. Les ondes que le pavillon de l'oreille a rassemblées sont transmises par l'hiatus auditif à la membrane du tympan, soit directement, soit après avoir éprouvé diverses inflexions et réflexions sur les courbes et les inégalités de la conque. Elles ont très peu de chemin à faire dans les espèces dont le conduit auditif est court, et dans celles où il est remplacé par une simple ouverture au niveau delà membrane tympanique, comme on le voit chez le chien, le chat et d'autres car- nassiers. Elles parcourent un trajet plus considérable chez les solipèdes, les grands ruminants et plusieurs pachydermes, tels que le porc et le sanglier, qui ont le conduit auditif très allongé, courbé sur lui-même, et parfois strié suivant le sens de sa longueur. Ce conduit, de même que le pavillon, transmet les ondes directement, ou bien il les infléchit s'il est courbé, et les réfléchit en partie si elles lui parviennent obliquement. De plus, quand il est osseux, il vibre lui- même et communique ainsi ses propres vibrations au cercle/lu tympan, par con- séquent à la membrane tympanique. Il agit alors comme toutes les autres parties du crâne, qu'elles soient pleines ou creusées de sinus aériens. Les ondes sonores, une fois parvenues dans le fond du conduit auditif, frappent la membrane du tympan et la font entrer en vibration. Celle-ci, toujours oblique, relativement ù l'axe du conduit, forme un angle très aigu avec cet axe chez le che- DE l'audition. 355 val et les ruminants. Elle éprutive des vibrations qui donnent lieu, comme celles de toutes les membranes tendues, à des ondes d'inflexion et à des ondes de con- densation : les premières, résultent du cbocopéréà sa surface; les secondes, des mouvements qui lui sont communiqués par l'intermédiaire des parties solides de l'oreille. L'aptitude de la membrane du tympan à vibrer dépend de sa tension. Savart a constaté que le sable fin éparpillé sur une membrane est projeté plus loin quand elle est lâche que quand elle est tendue, et il a conclu de ce fait que la tension de la membrane tympanique, au lieu de renforcer le son, ne sert qu'à l'aflaiblir. Millier, qui partage la même opinion, fait remarquer que. lorsqu'on tend la membrane en faisant une forte expiration, alors que le nez et la bouche sont ter- mes, l'audition devient très imparfaite. Cette tension affaiblit les sons graves, d'après les observations de Wollaston, mais elle est moins défavorable à la trans- mission des sons aigus. Elle jieut être augmentée par la contraction du muscle interne du marteau, si volumineux dans les ruminants, les carnivores, et même dans les animaux solipèdes. Cette contraction que l'on a assimilée à celle de l'iris et des paupières, est mise enjeu par une action réflexe des centres nerveux. Elle serait même volontaire selon Fabrice d'Aquapendente et ^liiller \ et aurait pour but d'éviter l'impression pénible des sons trop intenses. Son usage, suivant Longet, est seulement de maintenir la membrane à un état convenable de rigidité, et d'empêcher qu'elle ne se détende sous l'influence des variations hygrométri- ques de l'atmosphère. On a voulu attribuer aux variétés dans la forme et la direction de la membrane du tvnipan les différences d'aptitude des animaux à être impressionnés, les uns très fortement par les sons graves, les autres au contraire très vivement par les sons aigus. 11 paraît, en effet, ((ue les membranes larges conviennent aux sons graves, et les petites aux sons aigus. Mais on ne voit pas bien comment une difl'érencc de quelques millimètres dans la largeur du tympan peut sufllre à changer l'impressionnabilité des animaux pour tels ou tels sons. De même, on ne découvre pas bien l'influence (pie peut avoir sur cette faculté une forme circu- laire ou plus ou moins elliptique. Toutefois il est à noter que, chez les solipèdes, la membrane est très elliptique; qu'elle l'est beaucoup moins chez les ruminants et les carnivores, et à peu près ronde dans le porc. La brebis, qui l'a ellipsoïde, s'est montrée très sensible aux sons graves, dans les expériences de Kœrner ; l'éléphant et le lion seraient, d'après Cuvier, plus impressionnés par ces derniers que par les sons aigus. Le lion entrerait même en fureur sous l'influence des sons très graves, et resterait indifférent aux autres. Cette impressionnabilité, très variable, peut bien tenir à d'autres causes que celles qui ont été indiquées, puisqu'elle a offert des caractères opposés chez des animaux dont la membrane (lu tympan avait une forme et une étendue à peu près semblables. La membrane du tvmpan n'est point tout à fait indispensable à l'audition. Esser ^ a vu des chiens, chez lesquels elle avait été détruite artiliciellement, con- tinuer à entendre. Plusieurs même avaient acquis une telle sensibilité auditive, 1. Millier. Manuel de Phi/siolo()ie, 2' édit., l. II, p. iS-î. 2. Esser,, .][é)/i. sur les funet. des die. part, de l'orij. auditif {Arehiees t/éitdr.de utcd., 1834, t. XXVI, p. ;J05 et 463). 3d6 des sensations. que certains bruits leur arrachaient des hurlemehts plaintifs. M. Flourens^ Ta enlevée complètement à des pigeons dont Fouie n'a pas éprouvé d'affaiblissement sensible. Elle manque, du reste, dans plusieurs reptiles où elle est remplacée par la peau qui passe sur le méat auditif. Lorsqu'il y a paralysie de la septième paire, paralysie qui entraîne celle des muscles des osselets, elle ne peut plus se tendre par l'action de la chaîne des osselets, et par suite les sons intenses donnent lieu à une sensation très pénible. Les vibrations produites dans la membrane du tympan se transmettent, d'une part à la chaîne des osselets, et de l'autre k l'air qui remplit la cavité tympani- que. La chaîne des osselets, fixée par une de ses extrémités à la membrane du tympan, et par l'autre à la fenêtre vestibulaire, constitue la voie la plus essen- tielle de la propagation des ondes sonores aux liquides du labyrinthe. L'air du tympan n'est qu'une voie accessoire destinée à les propager à la fenêtre ronde. La chaîne tympanique, tout à fait libre à son pourtour, ne trouve pas autour d'elle d'obstacle à ses vibrations. Formée par de petits os très denses, elle trans- met les ondes, comme le font tous les corps solides, et elle le fait aussi bien que si elle n'était composée que d'une seule pièce. Les vibrations de la membrane du tympan se communiquent au manche du marteau, passent à l'extrémité ren- flée de cet osselet, de là à l'enclume et au lenticulaire ; puis se divisent dans les deux branches de l'étrier pour se réunir de nouveau à la platine de ce dernier d'où elles sont propagées aux fluides du labyrinthe par l'intermédiaire de la mem- brane qui ferme la fenêtre vestibulaire. Les ondes qui se propagent dans les osselets sont, d'après MûUer, des ondes condensantes. Elles auraient le même caractère si la chaîne était formée d'un seul os, ou si, au lieu d'être coudée en diverses sens, elle était tout à fait rectiligne. L'utilité de plusieurs pièces osseuses, de leur direction sinueuse, de leurs formes si variées, reste problématique. La chaîne remplit parfaitement son office chez les batraciens où elle ne se compose que de deux pièces, et chez les oiseaux^ où il n'y en a qu'une seule, formée, à la vérité, de deux branches pourvues de petites apophyses cartilagineuses. La chaîne des osselets, outre son rôle de transmission des ondes sonores, a encore pour office de régler la tension de la membrane du tympan et celle de la lame membraneuse, qui obture la fenêtre ovale. Cet usage, qu'on pourrait croire peu important, puisqu'il ne peut être rempli dans certains animaux, la baleine, par exemple, où le marteau ne vient pas se mettre en rapport avec la membrane du tympan, n'en est pas moins réel, surtout chez les espèces qui possèdent des muscles. Et nous avons vu que tous nos animaux domestiques ont le muscle interne du marteau et celui de l'étrier composés d'une quantité considérable de libies charnues. Ces muscles peuvent, conséquemment, en se contractant, impri- mer divers degrés de tension aux membranes du tympan et de la fenêtre ovale. La fonction des osselets étant très importante, on conçoit que leur destruction doive aiïaiblir beaucoup le sens de l'ouïe. On a observé, en effet, que leur chute rend, chez l'homme, l'audition très imparfaite ; mais comme cette chute s'accom- 1. Flourens, Propr. et fond, du si/si. nerveux, 2'- édit., p. d41 et suiv. 2. Breschel et d'autres anaiomistes retrouvent cependant chez ces animaux les analogues des quatre osselets des mammifères. DE i/audition. 357 pagne d'autres lésions, il est assez difficile de faire la paît exacte des troubles qu'elle (nitraîne. Les expériences de M. Flourens, sur des pigeons, ont montré que la destruction totale de la chaîne affaiblit beaucoup l'audition, tandis que si destruction partielle (l'étrier étant conservé) ne la trouble pas très sensiblement. La seconde voie que la cavité tyinpanique offre ù la transmission des ondes sonores, est l'air qu'elle renferme. Cette cavité, plus ou moins vaste, simple ou divisée en plusieurs compartiments, à parois tantôt unies, tantôt anfractueuses, joue, par le fluide qu'elle contient, un rôle qui n'est pas tout à fait accessoire. D'abord, elle isole les osselets, et les met dans les meilleures conditions possibles pour effectuer sans affaiblissement et sans diffusion la transmission des ondes. Sans la présence de l'air dans la caisse, « la membrane du tympan et les osse- lets ne pourraient remplir leur destination. Sans eUe, les vibrations de la mem- brane ne seraient pas libres, et les osselets ne seraient pas isolés comme ils doi- vent l'être pour effectuer une transmission concentrée '. » La cavité tympanique, si vaste dans certains animaux, tels que les grands ruminants, si restreinte dans d'autres, est toujours en communication avec l'arrière- bouche par le moyen d'un tube cartilagineux ou membraneux qu'on appelle la trompe d'Eustache. Sa fonction la plus essentielle est de permettre à l'air de la caisse de se renou- veler et de se mettre en équilibre de pression avec l'air extérieur. Sans cette communication, lorsque la pression atmosphérique augmenterait, la membrane serait refoulée du côté de la caisse, puis poussée en sens inverse lors de la raré- faction de l'air du tympan. Dans les deux cas, l'audition serait difficile, ainsi qu'on peut s'en assurer sur soi-même, en faisant une inspiration ou une expira- tion profonde, après s'être fermé le nez et la bouche. On a attribué encore d'au- tres fonctions à la trompe. Esser a prétendu qu'elle était indis[»ensable pour que l'air de la caisse put entrer en vibration, mais c'est une erreur, puisque ce fluide vibre parfaitement dans un espace fermé. Quelques physiologistes ont pensé qu'elle servait à faire entendre à l'animal sa propre voix. Sans doute, lors de la phonation, les ondes sonores produites dans le larynx et le pharynx peuvent se transmettre à la caisse par les trompes, mais on ne voit pas que cette propagation directe soit bien utile, dès l'instant que les vibrations aériennes, une fois déve- loppées, viennent frapper l'oreille, comme si elles avaient pour point de départ la voix d'un autre individu. Millier croit la trompe susceptible d'accroître la réso- nance. Quels que soient les usages de la trompe d'Eustiiche, il est certain que l'oblitération de son orifice supérieur ou l'occlusion de la caisse affaiblit l'audi- tion et détermine même quelquefois la surdité. Ses énormes dilatations, qui, chez les solipèdes, forment les poches gutturales, ont des usages tout à fait incon- nus. Les vétérinaires, qui ont eu occasion d'observer des cas de réplétion de ces poches parle pus, n'ont pas alors noté de troubles de l'audition. Il est très remar- quable que les solipèdes seuls possèdent ces diverticulums avec des trompes déjà très, larges , tandis que les ruminants ont une trompe courte et excessive- ment étroite. Ainsi, dans la caisse tympanique, les ondes sonoressont propagées par l'air et 1. Mùller, Manuel tie plajsiolQ(/ir, 2' édit., l. II, p. 425. 358 DES SENSATIONS. surtout par la chaîne des osselets aux cavités labyrinthiques. La chaîne les trans- met à la fenêtre ovale, et l'air à la fenêtre ronde. Ces deux ouvertures ont donc chacune un office bien déterminé. A la première, c'est la platine de l'étrier qui communique les vibrations au liquide du vestibule par l'intermédiaire de la lame périostique tapissant la cavité vestibulaire ; car il n'y a pas, à proprement parler, de membrane spéciale pour fermer cette fenêtre que la partie évasée du quatrième osselet remplit exactement. A la seconde, c'est l'air qui fait vibrer une membrane mince appelée par Scarpa le tympan secondaire. Cette dernière paraît moins importante que l'autre, puisque les ondes sonores sont surtout transmises par les osselets, et qu'elle manque dans les grenouilles, pourvues d'une cavité tympanique, La perforation de la membrane de ces fenêtres affaiblit l'audition chez les oiseaux, d'après les expériences de Flourens, mais elle la laisse persister. Voilà donc les vibrations parvenues au liquide qui remplit le labyrinthe. Celles- ci, une fois produites dans le vestibule, le limaçon et les canaux semi-circulaires, impressionnent les ramifications du nerf auditif épanouies dans les parois du labyrinthe membraneux, ou à la surface de la lame spirale de la cochlée. Le vestibule est la partie la plus essentielle du labyrinthe, c'est la dernière qui subsiste après la disparition du limaçon, des canaux semi-circulaires et de la cavité tympanique. Les vibrations imprimées à la périlymphe qui baigne le sac et l'utricule se communiquent au liquide qui remplit ces poches membra- neuses et agissent sur leurs filets nerveux. Les divisions ultimes du nerf auditif se trouvent ainsi dans d'excellentes conditions pour être impressionnées par les ébranlements les plus légers qui peuvent, du reste, devenir plus sensibles, par suite du contact de ces divisions avec les corpuscules calcaires désignés sous le nom A'otoconies, depuis les recherches de Breschet. Les canaux semi-circulaires, que certains auteurs ont crus destinés à déterminer la direction des sons, paraissent avoir pour usage probable de renforcer ces der- niers. Ils sont, en effet, très développés, suivant les observations d'Esser, dans les animaux, tels que la taupe et les oiseaux qui manquent de pavillon auricu- laire. Scarpa les suppose chargés de rassembler les ondes sonores développées dans les os de la tête. Quelques-uns leur attribuent, en outre, la faculté d'ac- croître la résonance, ce qu'ils feraient beaucoup mieux s'ils étaient remplis d'air. Leur section, qui est très facile chez les oiseaux, oi!i ils sont simplement entourés de tissu spongieux, n'abolit point l'audition. Flourens a vu qu'à la suite de cette opération les pigeons continuent à entendre, et que même leur impressionnabi- lité s'exalte au point de rendre douloureuse l'audition de certains bruits intenses. Le limaçon, bien qu'il manque à des animaux pourvus de vestibule et de canaux semi-circulaires, n'est pas une partie moins importante à l'audition que ces derniers. 11 semble môme, d'après les expériences de Flourens, qu'il soit la plus essentielle de toutes, car sa destruction abolit complètement la sensation auditive qui est seulement très affaiblie après la destruction du vestibule et des canaux semi-circulaires. ■ÎjC limaçon, étant plein de liquide et communiquant largement avec le vestibule, reçoit les ondes sonores à la fois pur l'intermédiaire (Je la fenêtre ronde, et par celui du liquide vestibulaire que l'élricr a mis en DE L AUDITION. :i59 mouvement. Son liquide et sa lame spirale, en vibrant, impressionnent les divi- sions nerveuses étalées à la surface de la double lame ostéo-membraneuse qui par- tage cette cavité en deux rampes contournées à peu près égales. L'organe de Corti, constitué par une membrane qui fait partie de la rampe spirale et par un canal résultant de l'écartement des deux feuillets de cette membrane, puis par des dentelures très rapprochées et par plusieurs milliers d'arcs, paraît jouer un rôle important dans le mécanisme de la sensation auditive. Ce dernier canal est plein FiG. 46. — Intérieur du limaçon de l'homme, FiG. 47. - Limaçon ouvert avec ses d'après M. Ch. Robin (*). rampes et les divisions du nerf au- ditif (**). de liquide eomme le reste du limaçon. Sur ses parois et entre les arcs se termi- nent les divisions collatérales du nerf qui suit l'axe de la cochlée, divisions qui viennent de s'étaler sur la lame osseuse contournée en spirale. Les arcs de Corti, recevant chacun des (ilets spéciaux, sont considérés par Helmholtz comme autant de touches ou de cordes vibrantes qui donneraient, de même que dans un instrument de musique, le ton et le timbre des sons. Cependant, comme les arcs de Corti manquent chez les oiseaux, il n'est pas certain qu'ils soient char- gés, h l'exclusion des autres parties de l'oreille interne de percevoir le ton et le timbre des vibrations sonores. Telles sont les propriétés acoustiques dos diverses parties de l'oreille, et tel {•) a, vestibule ; b, lame des coiitouis, c, lame spirale ; i>ai*eîl «le la. vision. Les organes visuels existent dans plusieurs espèces inférieures, dans la plupart des mollusques, dans tous les articulés et les verté- brés. Les parties dont ils se composent offrent de très grandes variétés suivant le rang que les animaux occupent et le milieu dans lequel ils vivent. On trouve déjà dans les planaires, les astéries, les rotifères, d'après plusieurs observateurs, des points oculaires plus ou moins distincts qui paraissent donner une sensation vague de la lumière et de l'obscurité. Chez les mollusques les yeux sessiles ou pédicules sont situés à l'extrémité, à la base ou à certains points de la hauteur des tentacules. Ils ont un nerf optique auquel s'accolent des filets des nerfs tentaculaires et leur globe y a souvent une structure qui le rapproche beaucoup de l'œil des vertébrés. Leurs formes diverses ont été étudiées avec soin par Cuvier, Blainville, J. Millier, de Lacaze-Duthiers, de Quatrefages, etc. Les articulés ont des yeux simples, lisses, des ocelles ou stemmates et des yeux composés ou à facettes, facettes dont le nombre s'élève souvent à plusieurs milliers et chacun des éléments de ceux-ci représente un œil complet qui reçoit un lilament du nerf optique. Dans ces deux embranchements, ils peuvent exister ailleurs qu'à la tête, par exemple, sur les bords du manteau chez les acéphales et sur chaque anneau du corps chez les annéiidcs. Les vertébrés, sauf de rares exceptions ont ces organes doubles et complets. Dans tous les types ils peuvent être quelquefois atrophiés ou même faire complètement défaut. Leur absence ou leur atrophie a été signalée, DE LA VISION. -^63 par exemple, dans divers, mollusques ptéropodes ou acéphales, dans certains insectes et crustacés; et on sait depuis longtemps qu'ils sont atrophiés chez la taupe, le protée, les cœcilies K Ils sont logés sur les côtés de la tète, dans les fosses nommées orbitaires, com- plètement isolées des fosses temporales chez l'homme et les singes, mais séparées seulement de ces dernières par une gaine fibreuse chez les autres animaux. Ils sont dirigés en avant dans l'homme, les quadrumanes, les oiseaux de proie noc- turnes, latéralement dans la plupart des mammifères et des autres vertébrés. Par exception, ils sont tournés en haut comme dans l'uranoscope, ou d'un seul côté, comme dans les pleuronectes. Proportionnellement petits dans les très grands animaux et les espèces qui habitent des demeures souterraines, ils sont, au con- traire, généralement grands chez les oiseaux, les poissons et les espèces aquatiques. L'appareil de la vision des mammifères se compose : 1" d'ojv/anes de protec- tion (orbite, gaine libreuse, paupières) ; 2" d'organes de lubrifaction (glande lacrymale, caroncule du même nom, glande de Harderus) ; 3" iVorganes de locomotion (muscles droits, obliques, etc.); 4" enlin, d'un organe essentiel (le globe oculaire). L'œil renfermé dans la cavité orbitaire, et entouré d'une gaine libreuse qui l'isole de la fosse temporale, est protégé en avant par ces voiles membraneux et contractiles connus sous le nom de paupières. Constituées parla peau en dehors, la conjonctive en dedans, et des muscles entre ces deux couches tégumeutaires, les paupières portent à leur bord libre un i)elit cartilage qui prévient leur plisse- ment transversal et soutient une série de petites glandules. Le troisième de ces voiles qui forme ce qu'on appelle le corps clignotant, est une production mu- queuse pourvue à sa base d'un cartilage irrégulier et d'un coussinet graisseux. Peu développé chez l'homme, les singes et les onguiculés, en général, il prend de l'extension chez les ruminants, les solipèdes, et devient chez les oiseaux telle- ment grand, qu'il peut entièrement recouvrir le globe de l'œil. Cet organe est humecté, lavé continuellement ou lubrétié à sa face antérieure par la glande lacrymale qui verse les larmes à la face interne de la paupière su- périeure par les conduits hygrophthalmiques, d'où elles se répandent sur toute la surface de la cornée, arrivent à l'angle nasal, puis s'engagent dans les points lacrymaux, passent dans le sac, et enfin, dans le canal qui les amène à l'entrée des cavités nasales. Les glandes de Meïbomius, situées au bord libre des paupières sont seulement préposées à la sécrétion d'une humeur onctueuse susceptible d'agglutiner les cils. La glande de Harderus que possèdent un certain nombre d'animaux, les carnassiers, les rongeurs, le porc, plusieurs ruminants et même le cheval où elle est à l'état rudimentaire sur la base du cartilage du corps cli- gnotant, n'a pas de fonctions spéciales jusqu'ici bien connues. Enfin, I'omI est mû dans tous les sens par diflérents muscles naissant dans l'or- bite et s'insérant sur le globe oculaire. L'homme n'en a que six, et la plupart des mammifères en possèdent un septième qui entoure le nerf optique. Des six muscles constants, deux sont obliques et les autres droits: ils produisent parleur 1. Voyez pour ces pari. anal. Milne Edwards, Lcons sur la phijsiol. ef ranat. to'/tjj., t. XII. 364 DES SENSATIONS. action combinée les mouvements si variés qu'exécute le globe de l'œil. De plus, en tirant cet organe vers le fond de l'orbite, ils donnent lieu à la compression du coussinet du corps clignotant, et déterminent par suite la projection de la troisième paupière en avant du globe oculaire. L'œil (fig. 49) se compose, d'une part, de plusieurs membranes capsulaires contenues les unes dans les autres, destinées à renfermer des humeurs transpa- rentes, et à donner, dans une certaine mesure, passage aux rayons lumineux ; FiG. 49. — Schéma de l'œil du cheva!. d'autre part, de milieux parfaitement diaphanes pour réfracter la lumière; enlin, d'une expansion nerveuse chargée de recevoir l'impression de cette dernière. Sa forme est à peu près sphéroïdale dansl'homme etles mammifères qui vivent à la surface du sol. Le globe qu'il constitue est aplati antérieurement chez les poissons, et un peu conique dans le même sens chez certains oiseaux. Voici, d'après Guvier\ un tableau qui indique, pour quelques animaux, le rapport existant entre le diamètre antéro-postérieur ou l'axe de l'œil, et le diamètre transversal. Animaux. Axe Chien Loup Lynx Phoque . . . Marmotte . Castor Channois. . Bœuf Cheval Éléphant . Baleine.. . e. Diamètre transversal 24 25 50 51 1 1 65 71 65 68 50 51 64 70 20 21 24 25 9 12 6 11 L'enveloppe la plus externe du globe oculaire est constituée en avant par la cornée transparente et en arrière par la sclérotique. 1. Cuvier, Anatomie comparée, t. III, p. 390. DE LA VISION. 365 La cornée h'ansparente, qui ferme antérieurement, à la manière d'une vifre, l'appareil d'optique représenté par le globe de l'œil, a une courbe appartenant à une sphère d'un diamètre plus petit que la sphère de la sclérotique, et qui est susceptible de varier un peu par l'action des muscles. Sa circonférence, au lieu d'être circulaire ou ellipsoïde, est allongée transversalement dans le cheval et les ruminants. Cette membrane, composée de plusieurs lames superposées dans lesquelles se trouvent des lacunes et des corpuscules étoiles, a un revêtement épithélial, pavimenteux, stratifié continu à celui de la conjonctive. Elle a des di- visions nerveuses, provenant des nerfs ciliaires, et, à son pourtour, quelques capillaires sanguins émanant de la muqueuse oculaire. La sclérotique constitue la plus grande partie de l'enveloppe externe de l'œil. C'est une membrane blanche, opaque, résistante, adaptée en avant à la cornée, et percée en arrière pour le passage du nerf optique. Elle est fibreuse dans la généralité des animaux, pourvue antérieurement d'un cercle d'écaillés osseuses chez les oiseaux, et en arrière de plaques osseuses ou cartilagineuses chez les poissons. Sa face interne répond à laPchoroïde, et l'externe donne implantation aux muscles droits et obliques. En dedans de la sclérotique, se trouve la choroïde, membrane mince, opaque, noire ou diversement colorée, composée d'un réseau de vaisseaux fins renfermant dans ses mailles des libres musculaires et des cellules nerveuses, puis tapissée par une couche pigmen taire qui disparaît chez les albinos et laisse à celte mem- brane une teinte rosée fort remarquable. Elle offre dans les mammifères, du côté opposé à la terminaison du nerf optique, une tache brillante, plus ou moins étendue, à reflets métalliques. Cette tache, désignée sous le nom de tapis, est vert doré chez le bœuf, bleu argenté chez le cheval, la chèvre, les cerfs, jaune doré pale chez le lion et le cliat^ Le tapis, qui, en réfléchissant fortement la lumière dans l'obscurité, dcmne aux yeux de certains animaux un éclat souvent si vif, manque à l'œil des oiseaux et des poissons. La face interne de la choroïde est tapissée par la rétine, membrane presque transparente résultant de l'épanouissement de la pulpe du nerf optique et destinée à recevoir l'impression de la lumière. Cette expansion nerveuse, qui paraît le plus souvent s'étendre jusqu'aux procès ciliaires, comme on le voit très bien à l'œil des solipèdes, ne va pas jusque-là dans tous les animaux. En général, on la voit aller d'autant plus loin que la couronne ciliaire est plus réduite. Ainsi, d'après Cuvier, elle recouvrirait la moitié seulement de la choroïde du porc-épic et le tiers de celle du lynx qui ont les procès ciliaires très grands, tandis qu'elle aurait un développement considérable dans le chamois et la corinne dont la cou- ronne ciliaire est très étroite. Dans tous les cas, elle est libre d'adhérences à ses deux faces, souvent plissée, comme dans les oiseaux de proie. Des nombreux élé- ments qui la composent, par leur superposition, les plus importants paraissent être les. bâtonnets et les cônes très réfringents de la couche externe, puis les fibres rayonnantes qui proviennent du nerf optique. Celui-ci arrive tantôt sensi- blement dans l'axe de l'œil, comme cela se voit sur l'éléphant, le lynx, le phoque; 1. Cuvier. Anafomie comparée, t. III, -2' édit., p. 418. 366 DES SENSATIONS. tantôt en dedans de cet axe, comme chez l'homme ; ou en dehors, comme dans le cheval, le loup, le chamois, les oiseaux et les reptiles ^ Il pénètre à travers une petite ouverture, fermée elle-même par une membrane criblée d'une infinité de trous. L'intérieur du globe oculaire est divisé en deux grands compartiments par le diaphragme perforé qu'on appelle l'iris. Cette cloison est une membrane vascu- laire et contractile d'une couleur très variée, mais généralement uniforme pour tous les individus d'une espèce sauvage. Elle a des fibres annulaires très nom- breuses qui forment un véritable sphincter autour de l'ouverture pupillaire et qui en déterminent le resserrement, puis des faisceaux radiés dilatateurs qui partent de la périphérie pour se joindre aux premières, comme Kôlliker l'a vu et figuré très nettement dans le chat. L'ouverture qu'elle présente, à son centre, est elliptique et allongée transversalement chez le chevalet les ruminants domes- tiques, disposée au contraire en fente verticale chez le chat et plusieurs carnas- siers nocturnes. Son bord supérieur est légèrement sinueux et festonné dans le bœuf, le mouton, la chèvre, et notammeSt les solipèdes où il porte de petites masses de matière colorante connues sous le nom de grains de suie. Les dif- férentes formes de la pupille sont sans doute appropriées aux variantes de la vision des animaux. Cependant, on ne saurait préciser leur utilité. Il est difficile de concevoir que les ruminants et le cheval, avec leur pupille ovale, ne verraient point devant eux, comme l'avance Dugès si leur pupille était ronde. En avant et en arrière de l'iris, existent des liquides d'inégale densité et une lentille destinée à réfracter la lumière. Ils constituent ce qu'on appelle les milieux de l'œil. Vhumeur aqueuse remplit toute la chambre antérieure , c'est-à-dire le com- partiment compris entre la cornée et l'iris, puis toute la chambre postérieure ou l'espace étroit laissé entre l'iris et le cristallin. Sa densité, un peu supérieure à celle de l'eau, lui donne un pouvoir réfringent peu différent de celui de ce liquide. Elle est en très petite quantité dans l'œil des poissons, par suite de l'aplatissement antérieur du globe oculaire de ces animaux. Ce liquide est entouré par la membrane transparente amorphe dite de Descemet, sur laquelle on trouve un épithélium à cellules polygonales. Vhumeur vitrée, plus épaisse, plus dense que l'autre, remplit l'espace laissé entre le cristallin, les procès ciliaires et le fond de l'œil. Elle est contenue dans les mailles d'une membrane fine, transparente, connue sous le nom de membrane hyaloïde. Le cristallin forme une lentille biconvexe dont la moitié postérieure est plus bombée que l'antérieure. Il est sphérique, ou à peu près, chez les poissons; presque sphérique, ou du moins très convexe sur ses deux faces dans les cétacés; enfin il est plus aplati dans les mammifères aériens, et plus encore dans les oiseaux. Sa substance visqueuse et diaphane est disposée en couches dont la den- sité augmente de la surface vers le centre. La capsule transparente et élastique qui l'enveloppe a une structure fibreuse. Par sa configuration et sa densité, il est 1. Cuvier, Anat. cornp., t. lîl, 429 et suiv. Il dit en dedans pour le cheval, mais c'est une erreur. DK LA VISION. 367 très apic à concentrer les rayons lumineux et à remplir, par conséquent, le rôle des lentilles clans les instruments d'optique. Autour du cristallin existe la couronnt; plissée du cercle et des procès ciliaires, résultant de l'association du tissu conjonctif avec des vaisseaux, des cellules pigmentaires et des fibres musculaires lirses qui s'échappent du muscle ciliaire. Enfin, entre la rétine et le cristallin se trouve, mais seulement chez les oiseaux, certains reptiles et quelques poissons, une membrane vasculaire, très fine, ana- logue à la choroïde, et qu'on ai)i>elle le peigne ou la bourse noire. C'est, d'après la [)lupart des observateurs, une sorte de cône souvent et fortement plissé qui part de la face antérieure de la rétine, traverse le corps vitré et arrive jusqu'au cristallin, sur la capsule duquel il se fixe, du moins chez un certain nombre d'oiseaux. Il paraît servir à rapprocher, [tlus ou moins, le cristallin de la rétine, afin de faire varier l'étendue du champ visuel, et de permettre ainsi aux ani- maux de voir les objets à de petites comme à de grandes distances. Telles sont les principales parties constituantes de l'appareil de la vision. II reste maintenant à examiner comment cet appareil fonctionne, c'est-à-dire com- ment la lumière agit sur l'œil pour donner l'image des objets, la sensation de leur forme, de leur couleur et de quelques autres de leurs propriétés. Mécaniwiiie «le I« vis^ioii. — L'im- pression produite sur l'u'il par les objets extérieurs s'effectue par l'intermédiaire de la lumière émanée des corps sous forme de rayons divergents qui marchent toujours en ligne droite. Lorsqu'un de ces rayons tombe perpendiculairement à la surface d'un milieu transparent, il le traverse sans changer de direction. S'il y arrive obliquement , il éprouve, en le traversant, une déviation con- nue sous le nom de réfraction. Il est réfracté en se rapprochant de la perpendiculaire, s'il passe d'un milieu moins dense dans un milieu plus dense, tandis qu'il est éloigné de cette ligne dans le cas contraire. L'angle que le rayon lumineux fait alors avec le prolongement de la perpendiculaire élevée à la surface du milieu, cons- titue Vangle de réfraction. Le degré de celui-ci est en rapport avec la densité et la forme des milieux ; ses variations paraissent dépendre de ce que la lumière ne traverse pas tous les corps avec une égale vitesse. Soient les rayons AB et CB tombant sur l'une des faces d'un cube de cristal (fig. 50). Le rayon AB perpeiuliculaire traversera ce milieu, sans éprouver de déviation, c'est-à-dire suivant la ligne ABD. Le rayon CB oblique, au lieu de traverser suivant la direction CE, sera réfracté en se rapprochant de la perpendiculaire; il prendra la direction BF. Puis, en sortant du cube pour passer dans l'air qui est moins lÙLi. 50. 368 DES SENSATIONS. réfrin'^ent que le cristal, il éprouvera une nouvelle déviation FG qui l'éloignera de la perpendiculaire. Si les ravons lumineux parallèles viennent à- traverser une lentille biconvexe, ils sont réfractés de la manière suivante. Soient (fig. 51) les rayons AB, CD, EF tombant à la surface d'une lentille, dont les courbes peuvent être considé- rées comme formées d'un grand nombre de petites surfaces planes. Le rayon CD arrivant perpendiculairement, et dans l'axe de la lentille, n'éprouvera pas de déviation. Le rayon AB, au contraire, arrivant obliquement, se rapprochera de la perpendiculaire HB, au point d'incidence. En sortant de la lentille, il sera réfracté de nouveau et éloigné de la perpendiculaire à son point d'émergence. Ces deux réfractions successives l'amèneront à rencontrer le premier sur un point FiG. 51. qui est le foyer de la lentille ; il en sera de même pour le rayon EF, et il en serait encore ainsi pour tous les rayons intermédiaires. Au foyer de la lentille, les rayons lumineux s'entrecroisent, puis continuent leur trajet à l'infini. Si les rayons lumineux partent d'un point placé à une dislance limitée de la FlG. 52. lentille, ils arrivent en divergeant à la surface de cette dernière, mais ils sont réfractés de la même manière que dans les cas où ils sont parallèles. Ainsi, par exemple, le faisceau conique des rayons émanés du point A (fig. 52) sera réuni au foyer B de la lentille CD, comme si tous ces rayons étaient parallèles. Lorsque les rayons partent d'un corps plus ou moins étendu, leur réfraction s'effectue encore suivant les mômes lois, seulement il y a dans cette circonstance une complication apparente dont la figure 53 donne une idée, la (lèche ABC envoyant par fous (M's points des rayons divergents qui forment des pinceaux ou des cônes dont I;i hase rst n'iiirsentée par l'une des laces de la lentille. DE LA VISION. 3H9 Le cône du point A rassemblera les siens en F, celui du point C en D, et celui (lu point B en E. D'où il résulte que l'image de la flèche reçue sur un plan au |>oint de réunion dos cônes lumineux sera renversée. Ce qui précède étant bien compris, il est facile de se rendre compte de la lor- mation des images dans l'o'il. Si nous supposons la flèche AB (lig. 54) à une certaine distance du globe oculaire, elle enverra par chacun de ses points des pinceaux de rayons ou des cônes lumineux dont la base sera représentée par la face antérieure de la cornée. De son extrémité supérieure partira le pinceau A, qui, après avoir été successivement réfracté par la cornée, l'iuuneur aqueuse, le cristallin, viendra réunir ses rayons en G. Le pinceau B sera réfracté de la nièiue manière, et les siens se réuniront en D: de telle sorte [que l'image de la flèclie l-'u;. ôl. peinte sur la rétine sera renversée. La [)remière rétraction opérée par la cornée transparente est déjà considérable, à cause de la courbure et de la densité de cette membrane. La seconde, qui a eu lieu dans l'humeur aqueuse des deux cham- bres, est moindre; la troisième, i\n\ seflectue dans le cristallin, est la plus pro- noncée; eniin, celle du corps vitré est intermédiaire aux deux précédentes. L'in- dice de réfraction de ces divers milieux est tellement calculé, que le foyer des rayons de chaque cône lumineux se trouve à la surface de la rétine. 11 faut donc, pour que l'image peinte sur cette expansion nerveuse soit nette, que la distance qui existe entre le cristallin et le fond de l'œil soit déterminée. Si cette distance 0. COLIN. — Physiol, conip., 3'^ édit. .j 1 — tJ 370 DES SENSATIONS. est diminuée, les rayons frappent la rétine avant de s'être réunis ; si elle est aug- mentée, ils la rencontrent après s'être entrecroisés et, dans les deux cas, l'image est diffuse. La formation de l'image des objets sur la rétine peut être facilement mise en évidence par une expérience d'une très grande simplicité. Il suffit pour cela de placer en avant du globe oculaire, ouvert par en haut, un objet très éclairé. On voit alors, en regardant par l'ouverture, l'image de l'objet reproduite sur la rétine avec ses couleurs et tous ses détails, mais dans de faibles proportions. On étudie mieux encore le phénomène si, comme l'astronome Kepler l'a fait le premier, on amincit, à l'opposé de la cornée, une certaine étendue de la sclé- rotique de manière à la rendre à peu près transparente. Alors, en regardant la face postérieure du globe au-devant duquel sont des objets très éclairés, on voit ces objets peints très nettement en miniature et toujours renversés. J'ai fait souvent cette expérience sur l'œil du cheval et du bœuf qui convient bien, surtout lorsque le pigment choroïdien n'est pas abondant. Elle ne laisse rien à désirer, comme Magendie l'a déjà noté, sur les yeux d'albinos. La netteté de l'image doit être un peu plus parfaite au centre que sur les bords, parce qu'elle se forme sur une surface courbe, et parce que les rayons provenant de la périphérie des objets ont traversé les parties excentriques du cristallin qui leur font éprouver, à un faible degré, ce qu'on appelle V aberration de sphéricité, aberration rendue à peu près insignifiante par la disposition de l'iris autour du cristallin. Néanmoins cette netteté est sensiblement uniforme pour les objets qui ne sont ni trop éloignés, ni trop rapprochés ; elle résulte en partie de ce que les rayons lumineux, susceptibles d'être réfléchis, sont absorbés par le pigment choroïdien. Sans cette particularité, les rayons pourraient, après avoir été réflé- chis, venir une seconde fois impressionner la rétine, produire l'éblouissement et rendre ainsi l'image confuse. Aussi les animaux à pigment choroïdien blanc, tels que les chats, et ceux qui ont la choroïde privée de matière colorante, comme les albinos, ne peuvent-ils supporter la vue d'objets fortement éclairés et voir distinctement au grand jour. Les dimensions de l'image varient suivant la distance des objets ; elles sont d'autant plus grandes qu'ils sont rapprochés, et d'autant plus petites qu'ils sont plus éloignés de l'œil : la théorie l'indique et l'expérience de l'œil aminci à sa face postérieure le démontre très clairement. Ainsi, j'ai constaté qu'une flèche de 45 centimètres de longueur donnait sur le fond de l'œil du cheval une image de 12 millimètres à 1 mètre de distance, de 6 millimètres à 2 mètres, de 5 milli- mètres à 3 mètres, de 4 millimètres à 4 mètres, de 3 millimètres à 5 mètres, de 2 millimètres 1/2 à 6 mètres et de 2 millimètres à 7 mètres. Une fenêtre large de 1°',67 donnait une image de 7 millimètres de large à 6 mètres, et de 4 milli- mètre à une distance double. Mais, c'est aux mathématiciens à déterminer les proportions de la décroissance des images dans le globe oculaire, suivant la dis- tance des objets, proportions qui, d'après de Haldaf, sont en raison inverse du carré des distances. Il est facile de concevoir ces variations d'après les lois delà formation des images dans les appareils d'optique. En eflét, un objet étant placé à une certaine distance de la cornée, ses rayons extrêmes s'entrecroisent en UE LA VISION. 371 FiG. 55. — Centre optique. arrière du cristallin dans un point désigné sous le nom de centre optique, point dont la situation est telle sur l'axe de la lentille, que les rayons qui le traver- sent n'éprouvent pas de déviation, quelle que soit l'obliquité de leur incidence à la surface de la cornée. Après s'être entrecroisés à ce centre, ils arrivent sur la rétine en formant un angle dont le sommet est précisément le centre optique. Or, il est évident que cet angle visuel est d'autant plus petit que la distance de l'objet est plus considérable. De même, les objets d'inégale étendue peuvent, suivant qu'ils sont plus ou moins rapprochés, avoir un angle visuel égal, et par conséquent produire une image dont les dimensions sont les mêmes pour tous. Soient les trois llèches AB, CD, EF (lig. 55), iné- galement éloignés de l'œil. La plus grande AB aura le même angle que la seconde, et celle-ci le même que la troisième. Pour les trois, l'image aura une égale étendue, et si rien ne vient rectifier l'idée des dimensions de ces flèches, cel- les-ci paraîtront de même grandeur. D'après cela on comprend pourquoi une statue, un animal, un paysage semblent gigantesques vus de près, et t-e rapetissent à mesure qu'on s'en éloigne. Puisque les images des objets perdent de leur netteté k de très grandes et à de très petites distances, par suite de la réunion des divers rayons de chaque cône lumineux, soit en avant, soit en arrière de la rétine, il est nécessaire que l'œil éprouve quelques changements pour que la vue soit possible à toutes les distances. Mais les physiciens et les physiologistes sont loin d'être d'accord sur la réalité, le mode et les causes de rada})talion ou accommodation. Quelques auteurs ont prétendu que l'adaptation n'est nullement nécessaire, attendu que l'image des objets, quelle qu'en soit la distance, se forme toujours sur la rétine. D'après de Haldat, le foyer de convergence des rayons qui traver- sent le cristallin serait invariable. La distance des objets ne ferait que changer l'étendue et l'éclat de l'image sans faire varier son foyer. Cet expérimentateur, en adaptant un cristallin de bœuf à l'entrée d'un tubede laiton, portant à l'autre bout un verre dépoli, a vu se peindre une image également nette quoiqu'il changeât la distance des objets. Suivant Pouillet, la vision serait distincte à courte et à longue distance seulement par le fait de la dilatation plus ou moins considérable de la pupille. Ce savant physicien, considérant que la densité et par conséquent la réfringence des couches du cristallin \ont croissant de la péri- phérie vers le centre, admet que cette lentille a plusieurs foyers. Les rayons qui passent autour de l'axe convergent plutôt que ceux de la circonférence. Quand on veut regarder de très près, l'iris se resserre et l'œil ne reçoit que les rayons dont la convergence se fait à la rétine. Lorsque.au contraire, on veut voir de loin, on dilate la pupille de manière à donner accès aux faisceaux qui passent par les bords du cristallin. 372 DES SENSATIONS. Ceux qui admettent la nécessité de l'adaptation prétendent que l'image ne peut se peindre nettement sur la rétine à des distances diverses ; mais ils varient sur les moyens ou sur le mécanisme de cette adaptation. Suivant les uns, elle résulterait des changements apportés aux diamètres del'œil et à la courbure de la cornée par les muscles du globe oculaire. D'après d'autres, elle tiendrait, comme Kepler et Lecat l'avaient avancé, à des déplacements du cristallin d'avant en arrière. Pour quelques autres, elle serait produite par des changements dans la forme du cristallin. Helmholtz \ en se servant d'un instrument spécial, l'ophthal- momètre, s'est assuré que ces changements constituent la partie essentielle du phénomène. A l'état de repos, l'œil est disposé pour la vue à grande distance, le cristallin offre son maximum d'aplatissement et un rayon de courbure qui, pour la face antérieure, serait de 10 millimètres. A mesure que l'œil doit regarder des objets de plus en plus rapprochés, la pupille se rétrécit, le bord interne de l'iris se projette en avant, la convexité de la face antérieure du cristallin augmente, de telle sorte que cette lentille s'épaissit à son centre d'environ 1 à 4 dixièmes de millimètre ; sa réfringence s'accroît d'autant et a pour effet de maintenir constam- ment l'image sur la rétine, ou à quelques millimètres en arrière, dans le cas de rapprochement considérable des objets. Les chiffres qui expriment ces varia- tions étonnent par leur précision. A l'aide de l'ophthalmoscope on peut constater avec facilité ces changements dans la courbure du cristallin. L'image rétléchie par la face antérieure de cette lentille s'agrandit lorsque l'œil s'accommode à la vision à longue distan-ce et elle se rapetisse lorsque l'œil s'adapte à la vision d'ob- jets rapprochés. Le cristallin, dans ce cas, se comporte comme les miroirs con- vexes, donnant des images réduites proportionnellement à la réduction du dia- mètre de leur courbure. Aujourd'hui, presque tous les physiologistes et les physiciens regardent l'accommodation comme le résultat des seuls changements de courbure du cristallin dus à l'action du muscle ciliaire. Cependant, elle pourrait bien être un phénomène plus complexe, à la production duquel les muscles du globe prendraient une part notable ; car ces muscles, à divers degrés de contrac-. tion, semblent devoir changer les courbures du globe oculaire. Au début de cette contraction, en pressant sur tous les points de la circonférence, ils semblent devoir allonger le diamètre antéro-postérieur, puis le réduire si la contraction tend à enfoncer l'œil dans l'orbite et, par conséquent, à faire varier aussi les distances entre le cristallin et le plan de la rétine. Quant à la cause des changements de courbure du cristallin, elle est, d'après les meilleurs observateurs, dans l'action du muscle ciliaire pourvu de fibres antéro-postérieures radiées qui s'étendent, pour la plupart, du canal de Fon- tana à la périphérie des procès ciliaires et de libres annulaires au point d'union de ces procès avec l'iris. Ce muscle, en se contractant, détendrait, suivant Helm- holtz, le feuillet antérieur de la membrane hyaloïde, connu sous le nom de zone de Zinii, soudé aux procès ciliaires, à la face antérieure et à la périphérie du cristallin, et, par suite, permettrait au cristallin, dont l'enveloppe est élastique, de devenir plus convexe en avant. La contraction du muscle ciliaire, d'après 1. Helmhollz, ()i,liiiiv iihjimilnfiitiac, Irad. fiunç. Paris, )H(i7. DE LA VISION. :n3 M. Gh. Rouget, aurait pour résultat de comprimer le cercle ciliaire, les bords du rristallin, d'amener cette lentille en avant, en augmentant sa courbure vers le centre. Quel que soit reff(!t do la contraction, le muscle est relâclié, et le cris- tallin offre son maximum d'aplatissement dans l'état ordinaire correspondant à la vue à longue distance. 11 est contracté et le cristallin a son degré maximum de courbure, dès que l'œil clierclie à s'adapter à la vision des objets rapprochés. Si ce muscle est paralysé par un narcotique, la vue à distance est assez nette, mais la vue des objets rapprochés devient confuse, faute d'adaptation, car alors l'image de l'objet se peint en arrière de la réfine. Quelques expériences, qu'il est facile de répéter, montrent la réalité de l'adap- rion. La plus simple, due à Millier, consiste à regarder d'un œil, l'autre étant fermé, deux épingles implantées à une assez grande distance sur une règle hori- zontale. Lorsqu'on veut voir la première, elle paraît fort distincte, tandis que la seconde est nébuleuse; quand, au contraire, on veut voir la seconde, elle parait très nettement, mais l'autre devient confuse. Jamais elles ne peuvent être vues nettement ensemble, parce que l'œil adapté à la vision de l'une ne l'est pas au même moment à celle de l'autre. L'accommodation a, en somme, pour effet de faire passer l'œil de l'état de presbytie à l'état de myopie. L'organe, si le cristallin est au repos et le muscle ciliaire relâché, est adapté à la vision à longue distance: il est presbyte. Lorsque le cristallin devient plus bombé par la contraction du muscle ciliaire, l'œil est adapté à la vision à courte distance : il est myope. La faculté que possède l'œil de se modifier pour rendre la vision distincte à des distances très diverses, n'existe pas au même degré dans tous les animaux. Il en est qui voient seulement de très près, d'autres de très loin; en un mol, il est des animaux myopes et des animaux presbytes, comme le fait observer Millier. Quelques autres jouissent du privilège de distinguer nettement et tour à tour les objets rapprochés et ceux qui se trouvent à de grandes distances : les oiseaux de proie (l'aigle, l'épervier, etc.), sont de ce nombre. • L'œil constituant un instrument d'optique très parfait, si sa construction offre la moindre irrégularité, la vision est plus ou moins troublée. Elle reste normale tant que la rétine est à la distance dite focale, c'est-à-dire au point de con- vergence des rayons lumineux qui viennent de traverser le cristallin et le corps vitré. L'œil est dit alors, d'après Donders, emmétrope. On l'appelle amùtrope, lorsque, au contraire, le plan focal n'est plus, à beaucoup près, à la rétine. Si ce plan est en avant de cette membrane, il y a brachymétropie et hypermétro- pie, s'il est en arrière. Il y a astygmatisme quand les courbures des milieux réfringents ne sont pas les mêmes à tous les méridiens de l'œil , surtout quand il y a déformation plus ou moins étendue de la cornée ou du cristallin. Ce der- nier état donne lieu à des aberrations de formes et de couleurs qui lendent la vue trouble. La myopie est une aberration visuelle fort commune dans laquelle le foyer des rayons lumineux se trouve en avant de la rétine, s'ils viennent d'objets éloignés : aussi donnent-ils des images confuses. KUe résulte d'une trop forte courbure de la cornée, du cristallin, d'une trop grande réfringence des milieux et, dit-ou, le 374 lîES SENSATIONS. plus souvent, d'un allongement antéro-postérieur de l'œil, lequel éloigne la rétine du cristallin et, par conséquent, du foyer des rayons parallèles. Certaines espè- ces, telles que le bœuf, le lapin, qui ont la cornée transparente très convexe, sont probablement myopes. Les espèces nocturnes ou nyctalopes, les chats, par exemple, dont le champ visuel est étroit, semblent aussi avoir la vue plus courte que les espèces diurnes. La myopie se corrige par les verres biconcaves qui, en retardant la convergence des rayons, amènent l'image sur la rétine. La presbytie est l'inverse de la myopie. Dans la presbytie, les objets ne sont vus distinctement que de loin. La cornée et le cristallin ont une convexité trop peu prononcée pour amener la réunion des rayons lumineux sur la rétine. A.ussi, cette réunion ne s'effectue-t-elle qu'en arrière de la membrane nerveuse, à moins que les objets ne soient placés à une distance considérable. La puissance d'adaptation est souvent alors affaiblie, peut-être par une aug- mentation de la densité du cristallin qui rend difficiles ses changements de forme. La presbytie se corrige par des verres convexes, qui ramènent le foyer sur la rétine. Les physiciens ont appelé pvnctum remoturn^ le point auquel la vision est nette pour l'œil myope, sans l'aide de l'adaptation. Ils ont donné le nom de punctum proximum au point où doivent être tenus les objets pour que l'œil emmétrope, en état d'adaptation, en distingue tous les détails. De la sensation en elle-même. — Les rayons lumineux, émanés des objets et réfractés par les milieux de l'œil, viennent peindre une image au fond de cet organe, ils impressionnent la rétine suivant un mode qui nous est tout à fait inconnu, et c'est par suite de cette impression que nous avons conscience de la forme, des dimensions, des couleurs et de la distance des objets. Jusqu'ici on a admis que l'image était peinte directement sur la rétine elle- même. Quelques auteurs ont prétendu qu'elle l'est sur la choroïde, agissant à la manière d'un miroir, d'où elle se réfléchirait sur la face adhérente de la rétine ; mais cette manière de considérer le phénomène n'est pas inattaquable, car on ne voit pas bien comment la choroïde, souvent noire et dépourvue de pigment, peut jouer le rôle de miroir réflecteur par rapport à une membrane qui s'y trouve exactement appliquée, membrane qui, en raison de sa transparence, doit être impressionnée dans son épaisseur comme à ses surfaces. D'ailleurs, dans cette hypothèse, la rétine recevrait nécessairement deux impressions devant se fusionner en une seule. Ce qui paraît plus intéressant c'est de rechercher quels peuvent être les élé- ments de la rétine qui reçoivent l'impression. Or, des diverses couches reconnues à cette membrane, l'externe constituée par des bâtonnets et des cônes perpendi- culaires à ses faces, la ganglionnaire formée par de grosses cellules nerveuses, et celles des fibres émanées du nerf optique sont, sans aucun doute, les plus im- portantes. Les bâtonnets paraissent les seuls éléments rétiniens impressionnables à la lumière, et leur impressionnabilité maximum correspond à l'extrémité de l'axe antéro-postérieur ou axe optique de l'œil. La papille centrale du nerf, ou punctum cœcum, la tache blanche, esta peu près insensible, comme l'ont depuis DE LA VISION. ;i75 longtemps appris les expériences de Mariotte, et les libres rétiniennes sont, dit- on, de simples conducteurs de l'impression reçue. 11 est diflicile de dire en quoi consistent les changements d'élat de la rétine, coïncidant avec l'impression visuelle ou doimunt lieu à cette impression. Le professeur BoU a constaté, il y a quelques années, dans la rétine, des mo- difications très curieuses produites par la lumière, soit sur I'om! (pii vient d'être détaché de l'animal, soit sur l'œil dans les conditions physiologiques. Cette membrane serait colorée dans la couche des bâtonnets par ce qu'on a appelé le rouge visuel. Sous l'influence delà lumière qui frappe VœU, elle se décolorerait d'abord en quelques secondes, puis deviendrait transparente et finalement opaque. Après cette décoloration, la membrane reprendrait dans l'obscurité sa couleur rouge, quelle perdrait de nouveau autant de fois qu'elle serait soumise à l'action des rayons lumineux ; ainsi elle se comporterait comme les {)laques qui servent à obtenir les épreuves photographiques. Boll a constaté aussi que tous les rayons du spectre solaire n'agissent avec la même intensité ni de la même façon que la lumière blanche. La lumière rouge ou la blanche produirait difficilement la déco- loration, la verte rendrait la rétine pourprée, la jaune ne lui ferait subir aucun changement. Quelle que soit la nature de l'impression, celle-ci ne peut être reçue que par la rétine. Uue fois produite, l'impression est transmise au cerveau par lintermédiaire du nerf optique. L'image des objets qui se peint à la surface de l'expansion ner- veuse, bien qu'elle soit dans l'œil, fait cependant voir les objets en dehors de l'organe. La notion, d'après laquelle les corps lumineux sont bien réellement hors de l'œil, a été considérée comme un résultat de l'expérience et de l'habitude, et à l'appui de cette hypothèse, on a citél'exemple de l'aveugle deCheselden qui voyait après l'opération les objets touchant ses yeux. 11 est facile pourtant de prouver que cette notion est indépendante del'habitude. D'une part, les objets qui touchent les yeux de l'aveugle récemment opéré, sont déjà hors de lui ; d'autre part, les jeunes animaux, tels que les veaux, les poulains, sont à peines sortis du sein de leur mère, qu'ils s'approchent de celle-ci, vont prendre sa mamelle au lieu de la chercher en eux-mêmes. Si l'on place autour de ces jeunes mammifères des obs- tacles plus ou moins éloignés, ils les évitent ; par conséquent, ils ont dès le principe, suivant la judicieuse remarque de Flourens \ le sentiment des distances et de la situation réelle des objets. Toutefois, il est incontestable que, dans la suite, le jugement sert beaucoup à préciser les idées relatives à la distance, idées qui paraissent primitivement moins sûres chez les enfants que chez les ani- maux, car les premiers, d'après Millier, cherchent aussi bien à saisir la lune que les objets les plus rapprochés d'eux. D'après les lois de la réfraction, d'accord avec les résultats de l'expérience, les images des objets projetés sur la rétine sont renversées, ce qui n'empêche pas que les objets soient vus droits et tels qu'ils sont effectivement. Les physiciens expliquent ce fait en disant que les objets sont vus suivant le prolongement des 1. Flourens, Leçons orales, 18.51. 376 DES SENSATIONS. rayons qu'ils envoient à la rétine, de telle sorte qu'un rayon arrivant à la partie inférieure de l'expansion nerveuse, fait voir en haut de l'objet le point dont il émane. Miiller repousse cette explication et croit qu'il est inutile de chercher la cause de la vision droite, puisque tout est renversé dans l'œil, et qu'il y a con- séquemment harmonie dans la sensation. En réfléchissant bien à cette singulière particularité, on arrive à concevoir que la direction de l'image importe peu, en définitive, pour la sensation : car si un homme est suspendu par les pieds, l'image des objets est peinte en sens inverse de l'image habituelle, et s'il est couché, l'image a encore une autre direction. Néanmoins, dans tous les cas, les objets sont vus de la même manière. Les deux images produites, une dans chaque œil, ne donnent pas la sensation de deux objets ou d'un objet double, mais elles déterminent une impression uni- que comme si l'un des deux seulement recevait l'image. Pour rendre compte de ce fait, les uns ont dit, avec Gall, que les deux yeux, au lieu d'agir simultané- ment, agissent tour à tour, mais c'est là une erreur dont la démonstration n'est pas difficile ; les autres ont avancé que la vue simple résulte de la formation des images sur des points identiques des deux rétines. C'est une variante de cette opinion que propose Dugès, en admettant que l'unité de la sensation dépend de l'habitude qu'acquièrent certains points de la rétine, appelés homologues, d'agir ensemble. Mais ces hypothèses, peu satisfaisantes, ne sont nullement nécessaires pour expliquer l'unité de la sensation. Très probablement, les deux impressions identiques sont converties par le cerveau en une seule sensation, comme le sont les autres impressions venues par les deux oreilles ou les deux moitiés des fosses nasales. Quoi qu'il en soit, il est des cas dans lesquels il y a une vue double par suite de changements assez prononcés dans la direction des axes visuels pour donner lieu à la formation d'images en dehors des points homologues des deux rétines. Les animaux qui ont des yeux très divergents ou placés presque aux extrémités du diamètre transverse de la tête, voient les objets intermédiaires par les deux, et les objets latéraux par un seul ; les deux séries d'images se réunissent dans un point intermédiaire aux deux axes visuels, et ne forment, en définitive, qu'un tableau unique sans solution de continuité. Les oiseaux et les poissons ont les yeux disposés pour ce mode de vision qui existe aussi, mais à un faible degré, chez plusieurs mammifères, même chez les solipèdeset les ruminants. La sensation consécutive à la formation des images dans l'œil donne l'idée de la forme, des dimensions, de la distance etde plusieurs autres propriétés des corps. La notion de la forme est évidemment primitive. Elle ne paraît nullement le résultat d'opérations intellectuelles. Sans doute, l'animal acquiert cette notion sans le secours d'un jugement quelconque. Il serait absurde de croire qu'il ne distingue pas la forme du carré de celle de la sphère, la forme humaine de celle d'un arbre. Et, cette distinction, il la fait en naissant, car il ne confond pas la tête avec les mamelles de sa mère. La notion de la distance paraît aussi indépendante, du moins jusqu'<à un cer- point, du jugement de l'animal. Elle ne manque chez lui ni d'étendue, ni de précision. Le chien auquel on lance une pierre s'enfuit, mais il s'arrête quand il DE LA VISION. :^77 se croit à une distance telle qu'il n'a plus à craindre une insulte. 11 ne reprend sa course que quand il se sent à portée d'être atteint, Le loup qu'on poursuit fait souvent la même chose, il s'assied sur la croupe, comme |)our braver le chasseur, tant qu'il se trouve sulTisamment éloigné de lui. Tous les animaux qu"on me- nace, tous ceux qui cherchent à franchir un obstacle, à traverser un fossé, à sauter d'une branche d'arbre à une autre, etc., paraissent avoir une idée très précise des distances. On ne voit jamais un chat se jeter par terre s'il est sur un toit très élevé, ni un canard se précipiter dans un puits pour se baigner. Ce senti- meni est même si sur, que le carnassier qui s'élance d'un bond sur sa proie ne la dépasse jamais. Il a fait un ellort en harmonie avec l'étendue de l'espace qu'il devait franchir. L'impression qui donne lieu à la sensation de la forme, de la (touleur et des autres propriétés opfi(jues des corps, est due à un état particulier de la rétine dont la nature est to\U à fait inconnue. On suppose que cet état est déterminé en elle par les ondulations plus ou moins rapides du fluide éthéré dont l'existence est, du reste, purement hypothétique. Chacune des particules de l'expansion nerveuse transmet au cerveau, par l'intermédiaire du nerf optique, la modifica- tion qu'elle aépiouvée, et de toutes les modifications partielles résulte la sensa- tion d'ensemble. La rétine ne paraît pas, dans tous ses points, également apte à être im[u"es- sionnée par la lumière'. Elle présente au niveau de la terminaison du nerf optique un petit disque blanc d'une étendue de 4 à o millimètres dans le cheval. Ce disque, dont l'impressionuabilité est très faible, ne peut guère nuire à la vision, puisqu'il se trouve à une distance assez considérable de la ligne du centre optique et, par conséquent, en dehors de la surface sur laquelle vient habituellement se peindre l'image des objets. La sensibilité de la membrane est, du reste, très variable suivant les animaux : elle est à son plus haut degré dans les espèces noc- turnes qui ne peuvent supporter la vive lumière du jour ; elle est beaucoup plus faible chez certains oiseaux de proie, tels que l'aigle, l'épervier, dont la vue est cependant très perçante. Cette propriété est mise en rapport avec les mouvements de l'iris qui se resserre lorsque la lumière est vive, et se dilate graduellement à mesure que l'intensité de la lun)ière diminue. L'impression produite sur la rétine par les rayons lumineux s'effectue avec lapidité, mais elle ])ersiste pendant quelques instants, comme le prouve l'observa- tion du charbon incandescent auquel on communique un mouvement de rotation. Différentes causes, telles que l'action de l'électricité, la compression exercée sur le globe oculaire, peuvent produire des impressions ]>lus ou moins persistantes, analogues à celle de la lumière, mais on conçoit que l'analyse de ces phénomènes n'est pas possible en ce qui concerne les animaux. Le nerf optique, dont il est si facile de constater sur les animaux l'insensibi- lité complète, est chargé de transmettre aux centres les modifications éprouvées par la- rétine. Celui d'un coté communique les impressions à la partie de l'encé- phale qui lui est opposée. A cet égard, il ne peut rester aucun doute. Les expé- riences ont aj)pris que la destruction d(>s tubercules bigéminés d'un côté entraîne la perte de In vue de l'autn'. et un ^'laiid nombre d'observations pathologi(pn*s 378 DES SENSATIONS. sur l'homme ont montré que l'atrophie du nerf optique droit, par exemple, s'étendait à gauche, au delà de la décussation. Ebel et Guvier ont fait la même remarque sur le cheval. J'ai vu autrefois sur un cheval, dont l'œil gauche pourvu d'une cataracte était d'un très petit volume, le nerf optique correspondant réduit à un petit cordon fibreux jusqu'au chiasma, puis très sensiblement atrophié à droite, au delà de ce point et jusqu'aux tubercules bigéminés. Depuis j'ai eu souvent l'occasion de constater les mêmes particularités. La vision offre un très grand nombre de variétés dans la série animale, sui- vant que les espèces doivent vivre dans l'air ou dans l'eau, à une vive lumière ou au sein de l'obscurité, etc. Les invertébrés les plus parfaits, c'est-à-dire les mollusques et les articulés, possèdent déjà des yeux fort compliqués. Beaucoup d'entre eux les ont à facettes, et un certain nombre de ces animaux sont pourvus à la fois d'yeux simples et d'yeux composés. Ceux-ci résultent de l'assemblage d'un nombre considérable de petits tubes fermés, chacun, par une cornée polygonale, et enduits à l'inté- rieur d'un pigment plus ou moins analogue à celui de la choroïde. La vision à l'aide de tels appareils oculaires doit résulter, ou de la répétition de la même image sur tous les éléments de l'œil, ou de la réunion de petites images peintes isolément sur le fond de chacun des petits tubes de l'œil à facettes. La première hypothèse paraît peu probable, puisqu'on ne voit pas qu'il soit nécessaire qu'un objet se peigne plusieurs centaines de fois pour donner la sensation qui peut résulter d'une seule image ; elle est, du reste, en contradiction avec les lois de la vision par deux yeux simples. Par cela même que les axes visuels de tous les tubes oculaires ne sont point parallèles, la vue devrait être multiple comme elle est double dans les cas où il n'y a plus de parallélisme entre les axes visuels. La seconde, qui a plus de vraisemblance, permet de concevoir comment un grand nombre d'objets sont vus à la fois, bien qu'ils n'aient pas tous envoyé leur image au même élément visuel. Il y a sensation d'un tableau d'ensemble prove- nant d'une inlinité de petits tableaux partiels, comme il y a chez les animaux supérieurs une image résultant de tous les éléments reproduits un à un sur chaque point de la rétine. Ces divers éléments peuvent d'ailleurs agir indépen- damment les uns des autres. Ceux qui se trouvent dans la direction de l'objet que l'animal regarde, sont impressionnés seuls, et ils le sont sans que l'animal ait besoin de déplacer l'organe oculaire. Quant aux yeux simples ils paraissent, d'après quelques observateurs, destinés à la vision des objets rapprochés. Les poissons ont une cornée aplatie, très peu d'humeur aqueuse, un cristallin presque sphérique, un iris à peine mobile, toutes dispositions favorables à l'éten- due de la réfraction dans un milieu déjà très dense. Ils ne paraissent pas avoir une vue d'une grande portée, non plus que les phoques, le dauphin, la baleine et autres mammifères aquatiques. Ces derniers ont d'ailleurs, comme les poissons, le cristallin très convexe, à peu prèssphéroïdal. Enlin, les oiseaux dont la vue est souvent très étendue, diffèrent beaucoup entre eux sous le rapport de leur mode de vision. Les uns, tels que les oiseaux de proie diurnes, aperçoivent à de grandes distances les petits animaux qui leur servent de victimes; ils ont la rétine plissée, suivant la remarque de Des- DE LA VISION. M'^ moulins, le cristallin presque plat et. jouissent d'une ^irand puissance d'adapta- tion; les autres qui vivent le plus souvent sur le sol ne voient pas de très loin. Ceux qui prennent leur nourriture dans l'eau, ont, d'après les observations des natu- ralistes, lœil analogue à celui des poissons. Conséquemment il y a parmi eux des presbytes et des myopes, comme dans la classe des mammifères. Les reptiles, dont le cristallin a une grande convexité, ont nécessairement une vue très courte ; une grande portée de ce sens leur serait tout à fait inutile. Abstraction faite de leur place dans la série, les animaux ont des yeux dont le volume croît avec la faculté de voir pendant la nu^t. Les espèces nocturnes, telles que le bibou, le grand-duc, les cbats, certains singes, ont de très grands yeux, avec une pupille capable d'un resserrement et d'une dilatation extrêmes. La vision est certainement le sens qui donne, à la fois, sur les corps, le plus grand nombre de notions. Ce sens fait découvrir les objets les plus éloignés; il les montre en nombre infini et en fait saisir les rapports. C'est le sens des mi- lieux, le sens de l'harmonie, des distances et presque de l'infini. Il donne, en un instant, un ensemble d'idées que les autres ne peuvent donner qu'imparfaite- ment et à la suite de minutieux tâtonnements. C'est un sens de synthèse, les autres sont plutôt des sens d'analyse. En ce qui concerne les animaux la vue n'a pas la même importance que pour nous. Bien qu'elle leur fasse acquérir des notions variées, ces notions n'ont pas, pour la plupart, une utilité aussi immédiate que celles qui viennent par l'odorat et la gustation. Si l'animal n'applique i)as le sens de la vue à tout ce qui nous afi'ecte, ce n'est pas faute de l'avoir assez parfait. La vue qui est, plus que les autres sens, un instrument au service de l'intelligence, est employée proportionnellement à l'étendue et aux besoins de celle-ci. Bien qu'elle fournisse sur les corps et sur l'ensemble du monde extérieur un grand nombre de notions, bien qu'elle en re- trace l'image parfaite, sans que l'animal ait aucun effort à faire, ces images sont comme des objets inconnus pour l'esprit et des caractères d'imprimerie pour l'individu qui ne sait pas lire. Un grand nombre ne représentent rien à l'esprit de l'animal et n'ont pour lui aucune signification. Aussi, n'y arrète-f-il pas son attention.il ne fait usage de la vue, comme des autres sens, que dans la mesure de sa conservation : sans doute la vision lui donne, comme à nous, l'idée de la forme, de la couleur des objets, de leurs dimensions, de leur distance, de leur état d'immobilité ou de mouvement, et, à ce compte, il pourrait s'en servir plus qu'il ne le fait si son intelligence était moins obtuse et plus capalile d'apprécier les divers éléments de la sensation. La vue de l'animal est surtout au service des instincts : elle lui donne des notions brutes qu'il prend telles qu'elles viennent, et qui sont la source de beaucoup d'illusions ; rarement elles sont contrôlées, et, si cela arrive, c'est surtout par l'odorat qui est le premier de ses sens. LIVRE TROISIEME DE LA LOCOMOTION Si ranimai doué de sensibilité, organisé pour être impressionné par tout ce qui l'entoure, eiit été condamné à l'immobilité, sa vie se serait passée dans une perpétuelle souffrance. Incapable de se rapprocher des objets susceptibles de lui causer des sensations agréables, et mis dans l'impossibilité de fuir ceux qui l'auraient péniblement impressionné, il eût été forcé de subir, sans réaction, toutes les influences étrangères à son être. Il n'eût pu, du resie, ni se nourrir, ni se reproduire, puisque l'accomplissement des fonctions nutritives et génératrices exige des déplacements plus ou moins étendus. La faculté de se mouvoir est donc indispensable à l'animal; aussi existe-elle, sans exception, même dans les rangs les plus inférieurs de l'échelle zoologique. L'infusoire microscopique est dans une agitation permanente au sein du milieu où il vit. Le polype lui-même, attachée la masse calcaire qui le protège et l'enveloppe, meut son corps et ses bras pour saisir sa proie. La sensibilité donnée aux êtres vivants serait un non-sens si elle ne coexistait avec la faculté motrice ; l'une ne se conçoit pas sans l'autre. La pre- mière met la seconde en jeu ; l'une commande, l'autre obéit. La sensibilité, qui dirige, serait impuissante à elle seule ; la motricité, non régie par la sensibilité, s'exercerait sans mesure et souvent sans but ; elle ferait de l'organisme une ma- chine sans régulateur. Les mouvements sont les actes par lesquels l'animal déplace quelques-unes de ses parties ou l'ensemble de son corps. Ils résultent, pour la plupart, de la con- traction musculaire opérée sous l'influence du système nerveux. Il y a bien, chez les êtres les plus inférieurs, des mouvements de totalité, et, chez les animaux les plus parfaits, aux surfaces membraneuses, des mouvements imperceptibles qui sont étrangers aux muscles. Les premiers sont dus à une ma- tière spéciale, sarcodique, granuleuse, qui constitue les amibes; les seconds à des cellules épithéliales munies de cils vibratiles. On sait que les épithéliums vibratiles se trouvent dans les cavités nasales, les sinus, le larynx, la trachée, les bronches, le vagin, la matrice, les trompes de Fallope. Leurs mouvements mi- croscopiques, plus ou moins variés, dont on peut se faire une idée en examinant, par exemple, l'agitation des cils des infusoires et des embryons de mollusques, s'opèrent pendant la vie, s'arrêtent assez vite sur le cadavre ou sous l'in- fluence du froid et de divers agenls chimiques, tels (jue les acides et les sels métalliques. Les mouvements résultant de la contraction musculaire sont les seuls qui se rapportent à la locomotion, les seuls, par conséquent, dont nous ayons à nous occuper ici. Leur analyse |)articulière doit être précédée de l'étude généiale de l'action du tissu musculaire. ACTION MUSCULAIRE. 381 CHAPITRE IX DE L'ACTION MUSCULAIRE. I. — Texturk et propriétés du tissu musculaire. Les muscles, qui constituent les puissances motrices des animaux, sont dispo- sés en faisceaux autour des jiièces du squelette, ou en membranes dans les parois des viscères, des vaisseaux et des conduits excréteurs. Ils forment, par leur ensemble, un vaste système dont le volume dépasse de beaucoup celui de chacun des autres systèmes de l'économie, car leur poids égale à peu près, dans les ver- tébrés, la moitié de la masse totale du corps. Ces organes, à configuration très variée, se divisent en deux espèces parfaite- ment distinctes : les nmscles striés et les muscles lisses. Les muscles striés, rouges, appartiennent pour la plupart au squelette, à la vie animale ou de relation, et se contractent sous l'influence de la volonté. Quel- ques-uns, cependant, sont annexés à des parties de la vie dite organique : le pha- rynx, le larynx, la partie supérieure de l'œsophage, le cceur, les organes génitaux externes, les sphincters. Les muscles striés sont constitués par des faisceaux primitifs de 1 à 7 centièmes de millimètre de largeur, très visibles à un grossissement de iUO diamètres, fais- ceaux légèrement prismatiques, marqués de Unes stries transverses, séparées par des espaces clairs, et destries longitudinales à peine apparentes. Chaque faisceau primitif est entouré d'une gaine transparente, élastique, le sarcoleniine, dont la face interne porte des noyaux fusiformes visibles à un très fort grossissement. Les groupes de faisceaux sont contenus dans des gaines conjonctives, composées en partie de fibres élastiques. Le faisceau primitif, que l'on serait porté à prendre pour une seule libie, résulte réellement de l'association de fibrilles accolées, distinctes à une amplilication de 6U0 àSOOdiamètres. C'estdéjà un petit muscle. Ces fibrilles, légèrement llexueuses, même dans le faisceau le plus droit, sont marquées destries transverses, comme celles des faisceaux. La substance visqueuse qui les réunit parait tout à fait homo- gène. C'est seulement dans les insectes et quelques autres animaux inférieurs qu'elles sont distinctes ou qu'elles se dissocient avec facilité. Leur union intime ou leur séparation ne peut vraisemblablement avoir aucune influence sur leur manière d'agir. La constitution histologiquc de la fibre nuisculaire, à laquelle on attaclie une grande importance, en a réellement très peu, car elle ne parait pas conduire à l'explication du mécanisme de la contraction. (Jue les éléments sarceux soient des disques polyédriques empilés et réunis par une matière transparente, comme • le veut Bowman. ou bien (|u'ils soient rei>iésenté!> [lardes fibrilles à petits grains contenus, en noudire variable, dans des gaines diaphanes, ces éléments des muscles striés ne semblent pas devoir agir autrement que la libre homogène, hvaline du muscle lisse. S82 DE LA LOCOMOTION. Les muscles blancs, non striés, ou muscles lisses, appartenant à la vie orga- nique et soustraits à l'intluenee de la volonté, représentent une masse peu con- sidérable relativement à celle des premiers, fractionnée et disséminée dans un grand nombre d'organes très divers. Ce sont eux qui forment la tunique contrac- tile de la partie inférieure de l'œsophage, de l'estomac, de la totalité de l'intes- tin, celle des trompes de Fallope, de l'utérus, du vagin, des vésicules séminales, des freins suspenseurs de la verge des mammifères, la tunique externe des bas- sinets, des uretères, de la vessie, celle des canaux excréteurs des glandes et de leurs réservoirs, le plan charnu de la trachée, des bronches. Ils ont des fibres dans les parois des sinus des veines caves, de la veine porte, dans celles des vei- nes et des artères, des vaisseaux et des cœurs lymphatiques, de la citerne de Pecquet, du canal thoracique. Ils en ont également dans l'iris, la choroïde, le dartos, le cordon testiculaire, la vessie natatoire des poissons, dans l'épaisseur du derme, dans les petits muscles des plumes des oiseaux, dans les faisceaux musculaires qui se rendent aux bulbes pileux des lèvres du cheval, des mous- taches des carnassiers. Les fibres des muscles lisses ne se subdivisent pas en fibrilles ; elles résultent chacune de l'allongement d'une seule cellule, tandis que les fibres des muscles striés proviennent de cellules sphériques ou étoilées plus ou moins nombreuses. Elles sont cylindriques, légèrement atténuées à leurs extrémités. La matière qui les forme est homogène, ou finement granulée, quelquefois même faiblement striée; leur noyau demeure distinct. Leurs fascicules renferment du lissu élas- tique, parfois du tissu fibreux blanc, comme dans les bandes intestinales du côlon des solipèdes et des pachydermes. Un des points les plus intéressants de la structure des muscles est celui de leurs connexions avec les nerfs qui leur apportent l'excitation des centres. Cha- que fibre n'a pas sa division nerveuse, comme on l'avait supposé. Les tubes ner- veux, arrivés près des faisceaux primitifs, se subdivisent en un certain nombre de ramuscules ayant leur enveloppe médullaire et leur cylindre axile, puis tra- versent le sarcolemme et se terminent à la surface du faisceau par une petite plaque diversement configurée. Les muscles sont constitués par plusieurs substances, aujourd'hui assez bien connues; la syntonine qu'on regardait autrefois comme de la fibrine; la myosine, principe albuminoïde qui se coagule, dit-on, déjà à 35 chez les batraciens et de 45 à 48 chez les mammifères et les oiseaux ; des acides gras, lacréatine, la créati- nime, Tinosite. Le liquide, qui les imprègne, alcalin ou neuhe pendant la vie et à l'état de repos , devient acide pendant la contraction et, après la mort, sous l'in- fluence de la rigidité cadavérique. Les muscles ont des propriétés qui méritent toute l'attention du physiologiste. Ils sont extensibles, comme beaucoup d'autres tissus. Aussi, sous l'influence de la traction, ils s'allongent dans une proportion qu'on a cherché à déterminer par des moyens très simiiles qu'il est inutile de décrire. Leur extensibilité, très marquée dans l'état de relâchement, est mise en jeu par la contraction des anta- gonistes; elle devient, par exemple, très manifeste dans les olécraniens, lors de la flexion de l'avant-bras sur le bras, comme dans les rotuliens, lors de la flexion ACTION MUSCULAIRE. '.WA de la jambe par les ischio-tibiaux; dans le grand dorsal des quadrupèdes, lurs de la projection du membre thoracique en avant. Et, dans tous ces cas, comme Bicbat l'a fait remarquer, l'extensibilité [lorte seulement sur la partie contracliie, car les tendons, les aponévroses ne s'allongent pas d'une manière sensible. Dans les expériences faites sur le gastrocnémien de la grenouille, on a vu que l'extension croît d'abord proportionnellement au poids qu'on attache au muscle, mais que, au delà d'une certaine charge, elle devient très faible. Après la mort elle parait moindre et presque nulle au moment de la rigidité cadavérique, puis redevient très prononcée, une fois que le relâchement succède à la rigidité. Les muscles sont encore élastiques, et ils le sont proportionnellement à leur extensibilité. Aussi quand le poids attaché à une extrémité du muscle est enlevé, le muscle qui s'était allongé revient rapidement à ses dimensions initiales : mais il n'y revient qu'avec lenteur et très imparfaitement, s'il a été fatigué par des charges trop lourdes ou trop répétées dans de courts délais. C'est, dit-on, en vertu de son élasticité que les secousses de la fibre en contraction donnent lieu à un mouvement régulier, et c'est par elle que le muscle, après la contraction, continue à se raccourcir d'une façon notable. Le tissu musculaire a une ténacité assez grande; il supporte sans se rompre (les poids énormes. Le gastrocnémien d'une grenouille ne cède, dit-on, qu'à un poids de 400 à oOO grammes, et il se rompt dans le milieu de sa portion clianuic Le même muscle sur le cheval supporte des poids énormes, 600, 800 et jusqu'à 1000 kilogrammes, comme je l'ai constaté dans des expériences sur lesquelles je reviendrai, en traitant de l'utilisation des forces musculaires des animaux. Les muscles, quoique richement pourvus de nerfs, sont très peu sensibles ; aussi les piqûres, les incisions intéressant leur tissu ne donnent pas lieu à de vives douleurs ; ceux de la vie organique, à nerfs en grande partie ganglionnaires^ le sont à peine, tels le cœur, l'estomac, qui ne peuvent être touchés sans que l'animal réagisse. La propriété capitale du muscle, celle qui lui appartient exclusivement, est l'irritabilité ou la contractilité ; c'est la faculté par laquelle il raccourcit ses libres sous l'influence de diverses excitations. La contractilité musculaire, qui est la cause de tous les grands mouvements dans l'organisme, est mise en jeu par une foule d'excitations physiologiques, mécaniques, thermiques et chimiques. Ces excitations agissent tantôt directe- ment sur le muscle, tantôt indirectement ou par l'intermédiaire des nerts. Les excitants mécaniques directs sont très nombreux ; le simple contact, la [)ercussion, la compression, la constriction, la ligature, la piqûre, l'incision, la dilacération peuvent faire contracter les muscles avec plus ou moins de rapidité et d'énergie. Le calorique, appliqué aux muscles, de même que le contact d'un corps froid, y détermine aussi des contractions. L'eau à basse température, la glace peuvent produire le même effet. L'eau, à 38 degrés, dans laquelle on plonge un muscle détaché, et tenant encore à l'animal, le fait contracter. A 40 de- grés, elle détermine une contraction tétanique qui cesse en laissant l'irritabilité persister, si l'immersion a été de courte durée. A une température au-dessus de 40 degrés, l'eau détermine un tétanos qui persiste même après l'immersion, et 384 DE LA. LOCOMOTION. entraîne une rigidité d'apparence cadavérique, avec extinction de l'irritabilité. Les acides minéraux concentrés ou dilués, quelques acides organiques, le lac- tique entre autres, les sels métalliques, les sels alcalins, les vapeurs irritantes, ammoniacales sont également des excitants de la contractilité musculaire, soit en agissant directement sur les muscles, soit par suite de leur action sur les nerfs. Enfin, les courants induits à l'ouverture ou à la fermeture du circuit, les courants intermittents à secousses rapides, les décharges électriques appliquées aux muscles ou aux nerfs, déterminent aussi des contractions plus ou moins vio- lentes, soit à forme convulsive, soit à forme tétanique. Le muscle n'emprunte pas cette contractilité au nerf ; elle lui est inhérente. Il peut la faire agir sans l'intervention nerveuse, pourvu qu'il soit excité. Ainsi lorsque l'animal est empoisonné par le curare, une excitation mécanique, chi- mique, électrique ou autre appliquée au nerf laisse le muscle dans l'inertie ; mais cette même excitation si elle vient à être exercée sur le tissu du muscle., y provoque des contractions. IL — Caractères et phénomènes de la contraction musculaire. L'étude de l'action musculaire est très complexe : elle comprend les modifi- cations de forme et de dimensions qu'éprouve la fibre, les phénomènes élec- triques, chimiques et thermiques qui s'accomplissent dans le tissu du muscle, et le travail mécanique résultant de ces divers phénomènes. Lorsque le muscle est soumis à une excitation quelconque, il se contracte ou se raccourcit dans le sens de ses fibres, et, en même temps, il gagne en dia- mètre, ce qu'il perd en longueur. D'après les premiers observateurs, qui ont étudié la contraction, la fibre mus- culaire, en se contractant, se raccourcirait dans tous les points de son étendue, se plisserait, deviendrait sinueuse. Celait l'opinion de Haller et de la plupart des physiologistes jusqu'à ces derniers temps. Cette opinion est en rapport avec ce que semble indiquer l'aspect du muscle vu à l'œil nu ou à la loupe. Mais les instruments imaginés pour l'étude de l'action musculaire ne donnent pas des indications concordantes avec celles qui résultent de l'observation directe. On croit voir, par le secours de ces instruments, que la fibre excitée se contracte seulement dans le point où porte l'excitation ; que, en ce point, il se forme une onde, laquelle se propage jusqu'à l'extrémité du muscle; cette onde s'enregistre par le myographe, sous forme de courbes à deux pentes, l'une ascendante très rapprochée de la verticale, l'autre très oblique. Cette onde, comparable à celle qui se produit à la surface de l'eau, représente une sorte de nœud dans lequel les disques de Bowman semblent se tasser en s'élargissant. Elle est simple, dit-on, si l'excitation n'est portée que sur un seul point; au contraire, elle est multiple, si la libre a été excitée en plusieurs points à la fois ou à des intervalles très rapprochés ; dans ce dernier cas, les ondes courent les unes à la suite des autres ; elles peuvent se confondre, et la contraction qui en résulte paraît alors ACTION MUSCULAIRE. 38o continue ou tétanique. En somme, dit M. Marey \ le mécanisme intime de la secousse musculaire semble être la formation sur chaque librille primitive d'un rendement qui se lait aux dépens de la longueur de cette librille ; le raccourcisse- ment de toutes les fibrilles, c'est-ù dire du muscle lui-même, engendre la force motrice du muscle; ce renflement n'occu|)e qu'une courte portion de la longueur de chaque fdirille, mais il se déplace sur chacune d'elles, et chemine à la manière d'une onde courant à la surface de l'eau. Lorsque cette onde a parcouru avec une grande rapidité toute la longueur du muscle, elle disparait et le muscle reprend sa longueur normale. » Les expériences myographiques d'Aeby et celles de M. Marey semblent indi- quer que, dans la contraction simple ou dans la secousse, une seule onde itarcourl le muscle avec rapidité d'une extrémité à l'autre ; car si deux leviers, plus (ni moins espacés, sont adaptés au myographe, le plus rapproché du point d'irrita- tion est le premier soulevé par l'onde, le second l'est ensuite. Cependant tout porte à croire que, dans la contraction d'une certaine duiée, il se l'orme une série; d'ondes sur la même fibre, (|ui courent les unes à la suite des autres. Gomme l'amplitude de la contraction est en raison directe de la longueur du nuiscle, cette contraction, pour avoir une certaine étendue, doit résulter de plusieurs ondes marchant simultanément. C'est là l'opinion d'Aeby et de M. Marey. S'il en était autrement, on ne comprendrait pas comment une seule onde suffirait pour rac- courcir un muscle du cinquième ou du quart de sa longueur. Ces ondes restent distinctes si les excitations qui les provoquent sont suffisamment éloignées, elles se confondent dans le cas contraire, c'est-à-dire lorsqu'une onde se forme ou arrive dans un point de la fibre qui touche celui qu'occupe l'onde précédente. Helmhoitz a cru constater que le son donné par la contraction du masséter indi- que 32 vibrations par seconde, et il a vu qu'à l'aide d'un appareil d'induction donnant 32 secousses dans le même temps, on obtient une contraction contiinu! de ce muscle. La forme de la contraction ou plutôt celle des ondes produites sur le trajet de la fibre est variable. D'après M. Marey, la contraction, qui est très lente chez les crustacés comme sur la marmotte en voie d'engourdissement et chez les tortues, par exemple, devient 50 à 6U fois plus rapide chez les oiseaux. Elle est ample dans certains cas, brève dans d'autres, de longue ou de courte durée. Le froid allonge la courbe qui la représente, la chaleur la rend plus brève; la fatigue, l'épuisement donnent des courbes indiquant une durée accrue, surtout à la des- cente; l'état- tétanique, dû à des courants électriques, diminue l'énergie et l'éten- due de cette contraction. Lorsque le muscle se contracte, ses libres s'agitent, se rident, sa masse se tend, durcit et semble se gonfler, mais en réalité, elle ne change pas sensiblement de volume. On le prouve en faisant contracter par des excitations galvaniques une [latte de grenouille dans un llacon plein d'eau muni d'un tube liu, tube dans lequel le niveau du liquide reste à peu près constant. Néanmoins Weber a trouvé une légère réduction du volume du muscle contracté et Valentin a démontré, 1. Marey, Du mouu. dam les fond, de la vie. Paris, 18ti8, p. 219. o couN. — Physiol. conip., 3" édit. I — 25 386 DES MOUVEMENTS. par raugmentatioii de la densité du tissu musculaire, que cette réduction était à peine d'un millième. Elle est donc insignifiante : d'ailleurs elle peut tenir à la condensation ou au tassement du tissu conjonctif. La contraction musculaire n'a pas toujours les mêmes caractères. Lorsqu'elle est instantanée, brusque, elle constitue une secousse, mais cette secousse, comme le dit M. Marey\ n'est qu'un élément de la contraction proprement dite, qui est plus lente, plus prolongée.. Celle-ci résulte de secousses plus ou moins nombreu- ses se succédant avec rapidité et se fusionnant en une seule. Le tétanos, que l'on a considéré pendant longtemps comme une contraction permanente, se rattache au type ordinaire. Weber déjà l'avait regardé comme produit par des excitations très rapprochées et très répétées amenant la fusion des secousses. Or, c'est ce que les moyens perfectionnés de la science actuelle semblent démontrer. Dans le muscle tétanisé, les secousses sont tellement rap- prochées qu'elles cessent d'être distinctes à la vue, et le son produit par la con- traction indique un nombre considérable de vibrations qu'Helmholtz a cherché à déterminer. D'après M. Marey, trois secousses par seconde suffiraient pour téta- niser les muscles d'une tortue, mais il en faut de 10 à 20 pour tétaniser ceux de la grenouille et jusqu'à 70 pour obtenir le même résultat chez les oiseaux. Ce tétanos est produit expérimentalement par une foule de moyens, notamment par les courants électriques interrompus et par les courants induits. Il peut l'être encore par des excitations mécaniques, par des percussions répétées à courts intervalles, par la constriction saccadée du muscle. Il l'est également par l'action de la chaleur sur le nerf, par la dessiccation des fibres nerveuses, par l'action de divers agents chimiques irritants, appliqués soit au nerf, soit au muscle lui-même, comme la bile, le sel marin en solution concentrée, enfin par la strychnine, Dans toutes ces circonstances, le tétanos résulte d'une série de contractions fusionnées dont la succession est si rapide que, même dans les tracés, elle ne se distinguent pas les unes des autres. La contraction, quelle qu'en soit la forme, a pour résultat de raccourcir le muscle. Ce muscle se tend, durcit, se gontle, comme on le voit même à travers la peau, au biceps, au gastrocnémien de l'homme, aux extenseurs de l'avant-bras de la plupart des quadrupèdes. Le raccourcissement, très manifeste dans les muscles mis à nu et même dans les muscles superficiels qui se dessinent sous la peau, peut être mesuré très exac- tement, soit par les changements dans la disposition des rayons osseux, soit par le rapprochement des extrémités, ou enfin par des expériences directes. Keill et Bernouilli l'avaient porté au tiers, Prévost et Dumaë au quart seule- ment de la longueur des fibres, mais il varie beaucoup. Dans certains muscles, il ne représente jamais qu'une faible partie de leur longueur ; dans d'autres, au contraire, comme ceux de la région inférieure du cou, il égale le quart, le tiers, presque la moitié de la distance comprise entre les extrémités. A l'aide d'un petit appareil on peut le mesurer, par exemple, dans le releveur de la lèvre supérieure du cheval. Il consiste à implanter, d'une part, dans le sus-nasal un petit pivot 1. Marey, ouv. cite', p. 325. ACTION MUSCULAIRE. 387 supportant une petite règle graduée dans l'axe de la tète ; d'autio part, unt' pointe d'aif,aiille dans le muscle, comme point de repère. Dès que l'animal vient à man- ger, on voit la portion du tendon où se trouve implantée la pointe de l'aiguille remonter de 2, 3, 4 centimètres vers l'origine du muscle. Or, comme la portion charnue de celui-ci n'a pas plus de 14 à 15 centimètres, on voit que son raccour- cissement varie du cinquième au tiers de sa longueur. Ce raccourcissement est faible relativement à l'étendue delà portion charnue lorsque celle-ci a des libres très obliques pnr rapport à son grand axe. Il s'accomplit dans le muscle, pendant la contraction, des phénomènes physi- ques, électriques et chimiques qu'il impoite d'indiquer. D'abord le muscle qui agit fait entendre un son sur lequel W'ollaston a appelé l'attention des physiologistes. Ce son, perceptible à l'auscultation, est en rapport avec le nombre des secousses, dont le minimum correspond de 32 à 35 vibra- tions par seconde. 11 prend de l'acuité à mesure que les secousses se multijtlient ou se rapprochent. Or, d'après Helmholtz, en une seconde, le nerf peut recevoir et communiquer au muscle plusieurs centaines d'excitations et déterminer un nombre égal de vibrations. Le muscle contracté est le siège de courants électriques qui ont été mis en évidence parles recherches de Matteuci et deDiiBois-Heymond. Ces courants se manifestent par la déviation de l'aiguille du galvanomètre, toutes les fois qu'on applique un des rhéophores de l'instrument sur la coui)e longitudinale d'un mus- cle et l'autre sur sa coupe transverse. Ils sont très intenses dans les muscles vivants, s'ad'aiblissent quand la température s'abaisse et cessent une fois que le muscle a perdu ses propriétés sur le cadavre ; on en augmente l'énergie en entas- sant des segments de muscles disposés à la manière des éléments d'une pile, la surface externe de l'un avec la coupe transverse de l'autre; mais, comme ces courants électriques se produisent dans le muscle inactif, il est diflicile de déter- miner leur signilication relativement à la contraction musculaire. Toutefois Du Bois-Reymond a constaté qu'ils sont beaucoup jibis intenses pendant l'action du muscle que lors de son relâchement. Le travail de la contraction musculaire donne lieu aussi à un dégagement consi- dérable de calorique, dégagement qui peut être mesuré, soit en introduisant le thermomètre dans une masse musculaire en action, soit seulement en plaçant le thermomètre entre la peau et le muscle en contraction. L'élévation de la tempé- rature, par exemple à la surface du masséter du cheval, s'est, dans nos expé- riences, produite rapidement et est arrivée à 3 degrés, même plus haut, après quelques minutes. Ainsi, sur un cheval, lors de l'inaction des mâchoires, le thermomètre, entre la peau et la face externe du masséter, marquait 33 degrés. Après une minute de mastication, il montait à 33" 6 dixièmes ; après deux minutes, à 35°; après trois minutes, à 35", 5 ; après quatre, à 36"; après cin((. à 36°,2 et après six minutes, à 36°, 4; puis demeurait stationnaire. fiint (pie durait la mastication. Après cet exercice du muscle, qui échauffait notablement, le sang des veines, la calorilication restait longtemps très active et le thermomètre ne baissait qu'avec une extrême lenteur. L'élévation de la température dans les nuisdes en action fient à une double 388 DES MOUVEMENTS. cause : à l'appoit dans ces organes d'une plus grande quantité de sang, puis à l'accélération du travail chimique accompli pendant la contraction. Elle tient, peut- ptre aussi, en partie, aux frottements, aux pressions des éléments du muscle les uns sur les autres, car tous ces actes mécaniques donnent lieu à un dégage- ment de calorique. D'après la plupart des physiologistes, une partie seulement de la chaleur produite par la contraction, ou pendant la contraction, deviendrait sensible, l'autre serait transformée en puissance mécanique, utilisable pour la locomotion. D'après les idées de Hirn, qu'on accepte peut-être trop facilement, la contrac- tion ne serait pas cause productrice de la chaleur. La combustion plus active produirait une somme de chaleur qui se diviserait en deux parties : l'une pour engendrer la contraction et la série de ses effets mécaniques, l'autre pour se dégager sous forme de chaleur sensible. Le rapport entre ces deux parts varie- rait, d'un moment à l'autre, suivant que la contraction déploierait telle ou telle somme, soit d'effort, soit de mouvement, en d'autres termes, la quantité de chaleur dégagée à l'état sensible diminuerait d'une manière relative en raison directe de l'effort déployé ou de l'augmentation du mouvement réalisé. En tout cas, dit-on, l'homme ou l'animal ne pourrait transformer en travail qu'un cinquième de la somme totale de chaleur produite par les combustions dans l'ensemble de l'organisme. Le reste serait employé à entretenir la tempé- rature du corps à son degré normal et perdu par le rayonnement, la transpi- ration, etc. La production exagérée de chaleur dans le muscle pendant la contraction tient évidemment à des combustions, à des dédoublements ou à d'autres actions chi- miques d'une intensité plus grande qu'au moment du relâchement. Déjà Matteuci avait vu les pattes de grenouilles, contractées par les excitations électriques, dégager plus d'acide carbonique que les mêmes parties dans l'inaction, et Bernard avait constaté que le sang artériel perd plus d'oxygène dans le muscle en action que dans le muscle inactif. Cela doit être, car d'après divers observateurs, la proportion d'acide carbonique produite par le travail représente quatre à six fois celle qui naît dans les conditions ordinaires. Aussi, à la suite d'une action plus intense et plus prolongée du muscle, après une période de fatigue plus ou moins longue, la quantité d'acide lactique, de créatine, de créatinine qui sont des produits de combustion imparfaite, augmente-t-elle et leur accumulation consti- tue peut-être la principale cause de la fatigue. Très probablement, les principes que la contraction fait brûler sont empruntés au sang, au plasma épanché, au suc des muscles et il n'y a pas combustion d'une partie de la substance même du muscle, comme on le croyait autrefois. Loin [de là, la substance musculaire, sous l'influence de l'action, s'accroîtrait même dans une proportion notable, d'après les recherches de Parkes. On voit, parla, que le travail musculaire doit donner lieu à des déperditions considérables et qu'il réclame, par conséquent, pour être soutenu, un supplément de matière nutritive. En étudiant [dus tard, d'une part, l'utilisation des forces déployées parle système musculaire, et, d'autre part, les phénomènes de la calorilication, nous verrons comment l'animal, transformé en une machine comparable à la locomo- ACTION MUSCULAIRE. 389 tive, dépense les matériaux nutritifs et les combustibles pour produire la force et la chaleur. Voyons maintenant les conditions dans lesquelles la contraction musculaire peut s'effectuer. III. — Conditions de la contraction musculaire. Le muscle n'a pas en soi tout ce qu'il faut [lour agir. Les physiologistes disent, depuis longtemps, qu'il lui faut pour so contracter: 1° une excitation; 2° l'in- fluence des nerfs ; 3° du sang artériel. La stimulation qui met en jeu l'action musculaire peut provenir de l'encéphale ou de la moelle épinière, résulter de la volonté ou d'une action réflexe incon- sciente; elle peut s'exercer sur le nerf ou directement sur le muscle, être une action physique, chimique, etc. Un muscle volontaire ou involontaire ne se contracte jamais sans y être solli- cité par un stimulus quelconque : le cœur se resserre par suite du contact du sang, les plans musculaires de Testomac et de l'intestin, par l'action des aliments, ceux de la vessie, consécutivement à l'impression qui résulte de la distension de ce réservoir, etc. Les muscles du squelette se mettent, pour la plupart, en mou- vement sous l'influence de la volonté qui est leur excitant normal; ceux de l'ap- pareil respiratoire agissent par l'intervention d'une excitation qui émane de la moelle allongée. L'excitation met donc en jeu l'action musculaire; elle la règle et lui assigne ses limites. La volonté est généralement, pour le système de la vie animale, le mobile et le régulateur de la contraction musculaire; c'est elle ([ui commande et le muscle obéit sur-le-champ. Si elle est énergique, le mouvement qu'elle suscite partage cette énergie; si elle est persistante, la contraction se prolonge jusqu'à l'épuisement du muscle. Rien n'est merveilleux comme la dépendance dans la([uelle le muscle se trouve relativement à la volonté. Celle-ci agit avec une admirable précision, sans jamais se tromper : il suffit que l'animal veuille exécuter un mouvement déterminé pour qu'elle sollicite immédiatement les muscles qui sont susceptibles de l'effectuer. Par la promptitude de son action, elle a une certaine analogie avec le moteur du télégraphe électrique. De même que, dans ce dernier, le courant qui passe par un (11 métallique, avec une certaine vitesse, produit un mouvement à l'extrémité de ce ni ; de même aussi la volonté, dès qu'elle agit sur un cordon ner- veux, provoque une contraction, et, chose remarquable, son influence se transmet seulement par les filets qui se rendent aux muscles chargés d'effectuer le mouve- ment qui doit être produit ; elle ne passe point dans les fllets du même nerf qui se distribuent aux muscles antagonistes, car il y aurait contradiction, conflit dans le résultat. Les muscles extérieurs, ceux de la respiration, par exemple, (pii se coiilracfent régulièrement sans l'intervention de volonté, n'en ont pas moins, comme les autres, leur cause excitatrice dans le système nerveux. L'action nerveuse exercée sur le muscle est-elle une simple excitation ou est-elle en même temps la source de la puissance contractile? 390 DES MOUVEMENTS. Haller^ était arrivé, à la suite de ses expériences célèbres, à considérer la pro- priété contractile du muscle, l'irritabilité comme indépendante des nerfs. Selon lui elle pouvait agir seule, agir d'elle-même dans le muscle complètement séparé des centres et des cordons nerveux. Les expériences modernes confirment cette vue de l'illustre physiologiste en précisant l'influence du nerf sur le muscle. Lorsque le nerf d'un muscle quelconque est coupé, ce muscle cesse de se con- tracter sous l'influence de la volonté, puisque l'excitation ne peut plus lui être apportée, mais il se contracte si une excitation mécanique, galvanique, ou chi- mique est appliquée au segment du nerf qui y demeure attaché, et une fois que le segment nerveux a perdu, par le fait de la dégénérescence, la faculté de con- duire l'excitation, ce qui arrive en quatre à cinq jours, le muscle se contracte encore à la condition que l'irritation lui est directement appliquée; il conserve cette aptitude à la contraction, avec un affaiblissement graduel, pendant les trois mois qui suivent la section des nerfs. Néanmoins, les choses ne se passent ainsi qu'à la suite de la section d'un nerf moteur, le facial, par exemple ; car, après celle d'un nerf mixte, le muscle privé de la sensibilité éprouve une altération nutritive qui ôte rapidement à son tissu la faculté contractile. Déjà, au bout de deux à trois semaines, il perd sa teinte rouge, pâlit ou jaunit, devient flasque, se rapetisse, la striation de ses fibres s'efl'ace et bientôt se trouve remplacée par un pointillé de matière grasse, comme on le voit dans les paralysies locales à la suite de lésions nerveuses. Alors, la perte de la contractilité n'est pas le résultat de la non-communication avec les nerfs, mais bien la conséquence d'une modification de texture, d'une altération profonde de tissu. Dans d'autres conditions encore on voit la contractilité se conserver dans le muscle, quoique la sensibilité et l'excitabilité s'éteignent dans les nerfs. Ainsi quand, sous l'impression d'un jet de vapeur d'éther, le sciatique a perdu sa sen- sibilité et le pouvoir de conduire les excitations motrices volontaires, les muscles des membres postérieurs jouissent toujours, sous l'influence des excitations directes, de la faculté de se contracter comme à l'état normal. Sur la grenouille, empoisonnée par le curare, les muscles stimulés directement demeurent contrac- tiles, quoique leurs nerfs, dont l'excitabilité est perdue, ne puissent leur trans- mettre ni les incitations de la volonté, ni les excitations qu'ils reçoivent. De même, dans l'empoisonnement strychnique, l'irritabilité du muscle se conserve pendant que celle du nerf se perd complètement. Enfin, la vératrine, d'après Kolliker, les essences injectées dans les vaisseaux des muscles, l'upas antiar, la digitaline, porteraient une grave atteinte à la contractilité sans léser l'irritabi- lité nerveuse. Les acides minéraux dilués exciteraient le muscle seul et non le nerf, d'après les recherches de Kiihne. Le nerf est donc, pour le muscle, le conducteur de l'excitation motrice volon- tjiirc ou (le l'excitation réflexe. Il provoque et règle ainsi la contraction muscu- laire, l'ar son influence sur la circulation et sur les phénomènes de nutrition dans la fibre, il la maintient à l'état où hî muscle peut conserver sa propriété 1. Haller, Mérn. mrlanni. >ie7iii. <'t irrlL, t. I, p. 2r)C. ACTION MUSCULAIRE. 391 contractile, mais il ne la donne f)as au muscle. Celui-ci la possède par lui-même comme Haller l'avait cru et comme les expériences de Longel le démontrent. La contractilité survit à l'extinction de l'action nerveuse ; elle s"e\erce sans elle quand le muscle est stimul(3 par l'électricité ou par un autre agent physique ou chimique. Dans les paralysies qui se manilcstentà la suite de lésions céiélirales, spinales ou nerveuses, la contractilité du muscle persiste toujours pendant un tenqisplus ou moins long. On sait, en effet, qu'après les paralysies du mouvement volon- taire, l'irritabilité survit des mois entiers à la lésion cérébrale, et que les muscles reprennent leurs mouvements, dès que les lésions nerveuses disparaissent. D'après Marshall- Hall, cette irritabilité s'éteindrait vite dans les paralysies spi- nales comme dans les e\|>ériences où les muscles sont séparés de la moelle épi- nière. Il en est de même dans les paralysies qui résultent de lésions locales des nerfs mixtes ; car, après la section d'un récurrent, des sciatiques ou du fémoral antérieur, on voit certains muscles du larynx, de la cuisse ou de lajambe, perdre bientôt l'aptitude à se contracter sous FinlUience des irritations. La perte de Tir- ritabilité semble alors la conséquence, non de la cessation de l'influence nerveuse, mais celle de la dégénérescence éprouvée parles fibres musculaires. La réappa- rition de la contractilité, constatée par M. Duchenne, dans les niusdes païa- lysés que l'on soumet à des galvanisations répétées, semble indiquer aussi que la perte de cette propriété est, dans le muscle paralysé, le fait d'une dégénéres- cence susceptible d'atténuation, même de réparation. L'influence que le sang exerce sur la contraction musculaire est plus facile à déterminer que celle des nerfs. Les physiologistes ont eu recours, pour arriver à ce résultat, à la ligature de l'aorte postérieure : Sténon, Vieussens, Haller. Bichat, qui ont tenté cette expérience, ont constaté qu'après la ligature du vaisseau, en avant ou en arrière des mésentériques, il se manifeste une paralysie complète des membres postérieurs. Suivant les uns, cette paralysie se développe immédiate- ment après la ligature; suivant les autres, elle ne se produit qu'au bout de quelques minutes. U est à remarquer que le muscle, une fois paralysé par le fait de la pri>ati(ui (lu sang artériel, ne perd pas pour cela son irritabilité ; il la conserve encore au moins une demi-heure, d'après les observations de Lorry, et plus de deux heures, d'après celles qui ont été faites plus récemment par Longet ; enlin, il rentre sous l'empire de la volonté lorsque l'enlèvement de la ligature permet à la circulation de se rétablir. Ayant fait la ligature de l'aorte sur le chien, le chat et le cheval, j'ai observé dans tous^les cas une paralysie complète dçs membres postérieurs. Mais cette paralysie survenait au bout d'un temps très variable et s'accompagnait de phénomènes assez dissemblables, suivant les espèces soumisesà l'expérience. Ainsi, sur le chien, les membres abdominaux ont cessé de se mouvoir dès que le cours du sang a été interrompu dans l'aorte; leurs muscles, mis à découvert, n'ont pas lardé à se contracter sponlanément, mais de cette contraction oscillante qui caractérise l'irritabilité musculaire après la mort ; ceux qui étaient fortement tendus, ou soustraits par des aponévroses au contact de l'air, ne se contractaient point ou ne le faisaient que plus tard; les nerfs irrités, soit avec le scalpel, soit avec un 392 DES MOUVEMENTS, acide, ont déterminé des mouvements très marqués dans les muscles ; les muscles eux-mêmes, excités directement, se sont également contractés : leur irritabilité s'est conservée, ainsi que celle du nerf, de deux à trois heures après la ligature du vaisseau. Sur le cheval, la même expérience, faite après une abondante saignée, laisse pendant deux ou trois minutes assez de contractilité dans les membres abdomi- naux pour qu'ils puissent encore éprouver de violentes secousses, mais parfois elle les paralyse instantanément. La sensibilité diminue tellement, qu'on peut enlever la peau dans une grande étendue, et piquer des nerfs superficiels, sans que l'animal paraisse éprouver une douleur bien appréciable ; l'irritabilité des nerfs et des muscles persiste une heure et demie, quelquefois plus ; elle cesse cependant plus vite que chez le chien : les contractions qui la traduisent ne sont jamais assez fortes pour faire mouvoir un rayon osseux ou pour ramener à l'exten- sion un membre fléchi ; de plus, elle persiste après la mort presque aussi long- temps dans les muscles qui ont cessé de recevoir du sang que dans ceux des membres antérieurs où la circulation n'a point été interrompue. Enfin, sur le chat, la ligature de l'aorte, en arrière des reins, faite en double, comme dans les autres circonstances, afin de prévenir le relâchement du lien qui pourrait résulter de l'énergique impulsion du sang, ne produit pas immédiatement la paralysie ; elle laisse quelquefois les extrémités postérieures s'agiter encore légè- rement pendant quinze, vingt, trente minutes. Au bout de trois à quatre heures, elle entraîne une extinction complète de l'irritabilité musculaire, qui ne réapparaît qu'avec une extrême lenteur après la suppression du lien qui étreignait l'artère. Ce qui se produit subitement parlesecours de l'expérimentation, se développe en partie, dans certains cas, sous l'influence de causes encore peu connues. Lorsque des caillots se forment dans l'aorte, comme on levoit fréquemment chez le cheval, ou dans les gros troncs qui fournissent les artères des membres, les muscles perdent une partie de leur contractilité. L'oblitération incomplète de l'aorte pos- térieure entraîne une faiblesse du tronc de derrière, un bercement de la croupe et une claudication plus ou moins forte; celle des principaux troncs artériels d'un membre, comme le brachial par exemple, détermine une boiterie intermittente qui apparaît et devient très intense après un exercice de quelques instants, pour cesser complètement pendant l'inaction. ' La ligature de la veine cave, qui entraîne inévitablement à sa suite la stase du sang noir dans les muscles, ne les paralyse pas; elle affaiblit seulement leur con- tractilité : aucun expérimentateur n'a reconnu au sang veineux l'action stupé- fiante que Bichat lui avait attribuée. Ainsi, l'abord du sang artériel dans les muscles est indispensable àces organes pour qu'il puissent se contracter volontairement: mais il n'est point immédiate- ment nécessaire à l'entretien de leur irritabilité pendant quelques heures, non plus qu'à celle des nerfs. Du reste, cette influence du sang n'est pas également nécessaire dans tous les animaux et dans toutes les circonstances : on sait que la contraction spontanée s'elfectue dans les muscles des animaux morts par effusion de sang, que le cœur d'un reptile continue à battre très longtemps après avoir été arraché, et qu'enfin la grenouille privée de cœur exécute des mouvements ACTION MUSCULAIRE. 393 spontanés et volontaires, marche, saute ou nage comme auparavant. En tous cas le sang qui fournit des matériaux utilisés par la contraction, entretient et ravive la contractilité. Il la fait mrme renaîtra, comme le montrent les expériences de Kay et de Brown-Séquard, dans les muscles refroidis et devenus rigides, sur le cadavre des individus décapités ou tués par hémorrhagie depuis plusieurs heures. Aussi les muscles des cadavres dans lesquels on injecte du sang artériel sont-ils susceptibles d'éprouver des contractions plus ou moins énergiques, de noircir le sang et de développer des courants électriques. L'irritabilité musculaire, qui a été trouvée plus vive dans le cœur, le dia- phragme, les intestins, que dans les autres muscles, ne s'éteint pas avec la des- truction des centres nerveux, la section ou la ligature des nerfs, la suspension de la circulation ; elle survit à tous ces accidents et persiste môme après la mort pendant un temps assez considérable. Son extinction s'effectue avec une inégale rapidité dans les diverses parties du système musculaire. Les expériences déjà anciennes de Nysten^ ont appris que, sur l'homme, le ventricule gauche est le premier à perdre son irritabilité, puis l'estomac et l'intestin, le ventricule droit, l'rpsophage, les muscles du tronc, ceux des membres postérieurs, des membres thoraciques, enfin les oreillettes, qui conservent la leur après que tous les autres organes contractiles ont cessé de répondre aux excitations les plus énergiques; il a vu que, chez le chien, rirrital)ilité se perd à peu près dans le même ordre, successivement dans le ventricule gauche, le gros intestin, l'intestin grêle, l'esto- mac, le ventricule pulmonaire, les muscles du squelette, enfin dans les oreillettes du cœur : la contractilité de celles-ci est si persistante qu'elle peut être encore mise en jeu par l'action d'un courant galvanique huit heures après la mort ; de plus, cet expérimentateur a constaté que certains gaz, tels que l'acide carbonique, l'oxyde de carbone, l'hydrogène sulfuré, l'acide sulfureux, etc., diminuent de beaucoup la durée de l'irritabilité. A cet égard, on note des différences très sensibles suivant les âges et les espèces d'animaux, le genre de mort, l'élévation de la température extérieure, etc. Ainsi j'ai constaté que sur le cheval adulte, décapité ou tué par la section de la moelle allongée, les contractions spontanées des ventricules persistaient pendant dix, quinze, vingt minutes, et celles des oreillettes quelquefois pendant une heure un quart; elles cessaient en général dans l'intestin et les muscles des membres au bout de cinquante à soixante minutes, à une température de -|- -o degrés centi- grades ; mais il était alors facile de les ranimer faiblement par de légères excita- tions. Chez les très jeunes chiens, ces contractions spontanées se sont fait remar- quer aux oreillettes deux heures et demie après la décapitation ; entin, chez des grenouilles, elles étaient encore très manifestes trente-six heures après cette mutilation, et par conséquent bien longtemps après l'extinction complète de l'irritabilité dans les muscles de la vie animale. La contractilité ou rirritabilité, d'après les expériences de Carlisle,seperd vite à -|- 30 degrés Réaumur sur les animaux à sang froid, et à -f- 34 degrés Réau- mur sur les animaux à sang chaud. La congélation, pendant plusieurs heures, ne 1. Nysten, Ri-r/iprrhr's r/p p/ti/xinlot/ii' pf t/p r/uitiip paf/infngit]itp.<. Paris, Iftll. 394 DES MOUVEMENTS. la détruit pas, au moins chez les batraciens; le muscle dégelé se contracte comme il le faisait au moment de la mort. Elle s'éteint plus promptement sur les animaux tués par l'éther que dans les conditions ordinaires. Certains liquides, mis en contact avec les muscles, hâtent son extinction. De fortes décharges élec- triques la produisent instantanément. Quand l'irritabilité s'est éteinte dans les muscles du cadavre, ceux-ci éprouvent une tension particulière, une sorte de contraction, de nature spéciale, qu'on appelle la roideur cadavérique. Elle se manifeste un certain temps après la mort, plus ou moins vite, suivant la température ambiante et le genre de mort; elle est plus prompte dans les temps froids que dans les saisons chaudes, plus chez les animaux vigoureux que chez les sujets épuisés par les maladies ; elle se montre chez tous les vertébrés à sang froid comme chez ceux à sang chaud, ainsi que les grenouilles et les serpents nous en offrent tous les jours des exemples. Dugès l'a constatée chez les mollusques, les crustacés, les annélides, les insectes et les entozoaires. Elle se développe dans toutes les circonstances, soit que les ani- maux meurent subitement ou à la suite de maladies, même de celles qui s'accom- pagnent d'altérations putrides, soit qu'ils aient été tués avec ou sans effusion de sang, lésions du système nerveux, telles que destruction de l'encéphale, section de la moelle épinière, etc. Elle s'empare aussi bien des muscles de la vie orga- nique que de ceux de la vie animale ; c'est elle, en effet, qui rapetisse le cœur et en réduit l'intérieur à une faible capacité ; c'est elle qui maintient le cardia du che- val énergiquement resserré, et qui oppose une forte résistance à la distension artificielle de l'estomac, de la vessie, etc. On a étudié chez l'homme l'ordre suivant lequel elle apparaît dans les diverses parties du système musculaire, mais on n'a point encore fait de remarques sem- blables en ce qui concerne les animaux. Très probablement, cet ordre dépend du volume des parties et de la rapidité de leur refroidissement. On conçoit, en effet, qu'elle se manifeste d'abord à la partie inférieure des membres, puis à leur partie supérieure, au cou et ensuite au tronc. Ordinairement, lorsque les animaux meurent, ils étendent fortement les extrémités, l'encolure et la tête, de telle sorte que la roideur s'empare du cadavre dans la position que celui-ci a prise tout d'abord. On ne voit pas alors que les fléchisseurs aient de la prédomi- nance sur les extenseurs ; au contraire, il semble que les derniers aient l'avantage, vu l'extension presque forcée dans laquelle se maintiennent les diverses régions des membres. Les sphincters se contractent aussi plus ou moins, mais les yeux restent ouverts et la lèvre inférieure souvent pendante. La durée de la rigidité cadavérique est sujette à une foule de variations. D'au- tant plus courte que la température est plus élevée, elle se prolonge jusqu'au moment où la putréfaction s'empare des tissus; on la voit même dépasser l'ins- tant où la décomposition est fort avancée dans les viscères intestinaux; elle peut aller jusqu'à cinq, six jours et plus sur les mammifères et les oiseaux. Hunter l'a niée chez l(!s individus tués par la foudre ; d'autres l'ont dite seulement plus courte dans ce cas que dans les circonstances ordinaires : le fait n'aurait rien d'étonnant puis(pje rex[térionce a fait voir que des animaux soumis à l'action de courants électro-magnéliques ont une roideur d'autant plus courte que ces cou- ACTION MUSCULAIRE. :^95 rants ont lète, et même chez les sujets dont le sang est incoagulable : j'ajoute qu'elle se développe aussi vite et devient aussi persistante chez les animaux tués par eflusion de sang, dont les vaisseaux sont presque vides, que chez les autres. Néanmoins, il n'est pas invrai- semblable que la coagulation du sang dans les capillaires et les petits vaisseaux contribue pour quelque chos3 à la production du phénomène, car l'hémorrhagie mortelle ne peut, sans aucun doute, les débarrasser de tout leur contenu. Enfin, on a voulu la regarder comme une conséquence de la solidification de la graisse déposée dans les interstices musculaires. Si cette supposition était fondée, la rigidité cadavérique serait plus faible chez les sujets qui meurent dans le marasme que chez ceux qui se trouvent dans un certain état d'embonpoint: elle serait portée à son maximum chez les animaux dont la graisse est très ferme après la coagulation, et serait, au contraire, faible ou nulle chez les solipèdes dont la gr cousliiler sur le hérisson. 396 DES MOUVEMENTS. IV. — Des effets de l'action musculaire. L'effet immédiat de la contraction musculaire est un mouvement plus ou moins appréciable, tantôt borné au muscle lui-même, tantôt communiqué aux parties sur lesquelles il est fixé. Les caractères de ce mouvement dépendent des variations infinies que peut offrir la disposition des muscles. Parmi ces derniers, les uns sont destinés à augmenter ou à diminuer la capa- cité des réservoirs dont ils forment les parois, comme les muscles de l'estomac, de la vessie, du cœur; les autres ont pour office d'ouvrir ou de fermer des ori- fices et ils sont disposés en sphincters ou en ceintures, comme ceux de la bouche, des paupières et des autres ouvertures naturelles ; enfin, la plupart doivent dépla- cer les os ou les cartilages sur lesquels ils s'insèrent. Ceux-ci sont, soit en fais- ceaux cylindriques, prismatiques, simples ou divisés, soit en lames plus ou moins épaisses à configurations variées. Les mouvements qui résultent de l'action des muscles sont volontaires ou invo- lontaires : les premiers pour les fonctions' de relation, les autres pour celles de nutrition. Cette première division fondamentale n'est cependant pas absolue, car beaucoup de mouvements considérés comme involontaires sont plus ou moins influencés par la volonté dans certaines circonstances, de même que plusieurs mouvements volontaires s'effectuent quelquefois d'une manière tout à fait auto- matique. Les mouvements automatiques ou rhythmiques sont indépendants de la volonté, et régis, les uns par le système ganglionnaire, les autres par le système cérébro-spinal. Les premiers, c'est-à-dire ceux du cœur, de l'intestin, de l'extré- mité inférieure de l'œsophage, se caractérisent, soit par des contractions rapides qui alternent avec des périodes très courtes de relâchement, soit par des con- tractions très prolongées, comme celles des sphincters de l'anus et de la vessie; ils ne reconnaissent pas pour cause immédiate l'action des substances qui sont les excitants naturels des organes, puisque le cœur vide de sang et l'intestin débarrassé d'aliments se contractent comme dans les circonstances ordinaires ; ils ne paraissent pas non plus dépendre des centres du système ganglionnaire, car les organes qui se trouvent accidentellement séparés de ces derniers agissent encore. Leur point de départ, ainsi que la cause de leur rhythme, semble être dans les nerfs qui font partie intégrante des organes contractiles ; néanmoins la présence du sang, le contact de l'air ou des aliments, les nerfs placés en dehors des organes, ont sur eux une influence très évidente, quoiqu'elle ne soit pas indispensable. Les autres mouvements rhythmiques dépendent du système cérébro-spinal : ils sont intermittents ou continus. Les mouvements rhythmiques intermittents sont ceux de la respiration, c'est-à-dire ceux des muscles pectoraux, du diaphragme, du larynx : Ch. Bell les regardait comme régis par une influence nerveuse dis- tincte de celle qui, accidentellement, les met sous l'empire de la volonté. Les mouvements rhythmiques à type continu sont ceux des divers sphincters. Millier explique, les premiers par des émissions successives de fluide nerveux partant de ACTION MUSCULAIRE. 397 la moelle allongée, et les seconds par un courant non interrompu de ce même fluide vers les muscles en contraction permanente. Les mouvements réflexes constituent un autre ordre de déplacements déter- minés par des incitations qui, produites sur certaines parties, sont transmises aux centres nerveux dont elles provoquent la réaction. Ainsi, les substances irri- tantes ingérées dans l'estomac produisent sur les nerfs du viscère une impression qui est transmise aux centres, lesquels déterminent consécutivement les contrac- tions spasmodiques du vomissement. De même, l'irritation de la muqueuse bron- chique donne lieu ù la toux, l'impression de la lumière sur la rétine fait res- serrer l'iris, etc. Les mouvements associés sont fort nombreux et très remarquables : leur asso- ciation a son point de départ dans le système nerveux, mais elle peut être plus ou moins modifiée sous l'influence de l'habitude et de la volonté. Les mouve- ments d'un œil sont associés à ceux de l'œil opposé; l'un ne peut se diriger en haut pendant que l'autre regarde en bas, ni se porter en dedans quand ce dernier se porte en dehors; — les mouvements de la langue se lient à ceux du voile du palais, du pharynx et du larynx, lors de la,déglutition ; — ceux de l'estomac s'asso- cient aux contractions du diaphragme et des muscles abdominaux, lors du vomis- sement et de la rumination ; — l'action d'un membre s'associe à celle des autres membres suivant un ceitain ordre pour le pas, et suivant un ordre différent pour le trot, le galop et les autres allures. Enfin les mouvements déterminés par les instincts, les passions, ont été déjà en partie indiqués, ou le seront plus tard au sujet des expressions ; ils ne manquent pas d'importance sous le rapport de leur but et de leur signification. Les mouvements qui se rapportent à la progression sont ceux qui doivent nous arrêter le plus longuement. Ils s'opèrent par le concours d'un grand nombre de parties qui jouent les unes un rôle actif, les autres un rôle passif, parties dont l'action est réglée suivant les lois d'une mécanique savante qu'il s'agit d'analyser avec détail. Ces mouvements, pour s'exécuter avec précision, exigent l'annexion aux mus- cles de pièces solides, mobiles, assemblées entre elles par des liens inextensibles, pièces dont l'ensemble forme le squelette. Le squelette est un véritable appareil mécanique mù par les puissances mus- culaires. Il détermine la forme générale du corps, règle et limite les mouve- ments, donne des points d'implantation aux muscles, leur fournit des leviers, des plans inclinés, des poulies de renvoi nécessaires au déploiement de leur puissance. Il concourt à la formation des cavités qui logent et protègent les parties centrales du système nerveux, les organes des sens, les principaux viscères. Il constitue, en un mot, un appareil admirablement disposé pour servir à la fois à des usages si divers, appareil dont la configuration peut cependant, au premier abord, paraître grossière à celui qui n'en a point analysé l'action. Le squelette se compose de deux appareils distincts. L'un, central, qui s'étend d'une extrémité du corps à l'autre, forme des cavités pour les masses nerveuses, les organes des sens, les parties essentielles du système de la circulation et de la respiration ; c'est la partie importante, l'axe destiné à recevoir et à transmettre 398 DES MOUVEMENTS. le mouvement. L'autre appareil, accessoire, est disposé symétriquement sur les côtés du premier; il comprend des appendices en nombre variable, destinés, soit à la marche, soit au vol ou à la natation. Son existence est loin d'être constante. L'appareil central constitue à lui seul tout le squelette des serpents. 11 y est réduit à la tête et aux vertèbres, sur les côtés desquelles se trouvent des côtes libres par leur extrémité inférieure. L'appareil accessoire se compose de deux ou de quatre extrémités qui, quel- quefois, sont simplement unies au tronc par des parties molles, ainsi qu'on le voit pour les antérieures des mammifères non clavicules, mais le plus souvent arti- culées avec lui, du moins pour les postérieures. Les premières manquent à cer- tains reptiles, et les secondes aux cétacés et aux reptiles apodes. Lorsque les antérieures et les postérieures existent, elles peuvent toutes servir: à la marche et à la station, comme chez les quadrupèdes ; au vol, comme dans les chauves-souris ; à la natation, comme chez les poissons. Quelquefois les deux postérieures seulement servent à la marche, comme dans l'homme et les oiseaux, et les antérieures, soit au vol, soit à la préhension des aliments. Les pièces constitutives du squelette sont dures, très solides, peu flexibles. Leur trame organique, imprégnée de substances calcaires est tantôt dense, compacte, ou plus ou moins spongieuse et raréfiée. Elles sont unies ensemble par des cor- dons flexibles de manière à former des articulations à divers degrés de mobilité. Les muscles groupés autour des pièces du squelette y prennent des formes très diverses subordonnées à leur rôle et à une foule de convenances fonctionnelles. Ceux qui ont une grande longueur se trouvent, pour la plupart, autour des os des membres. Quelques-uns seulement suivent la direction de certaines parties du rachis, comme l'ilio-spinal et divers muscles de l'encolure. En général, plus ren- flés à leurs extrémités, ils sont terminés par des tendons et des aponévroses. On les voit se présenter avec des modilications morphologiques très nombreuses : les uns sont renflés à leur partie moyenne et amincis à leurs extrémités généralement pourvues de tendons; ils peuvent être presque cylindriques comme le fléchisseur superliciel des phalanges, le fléchisseur du métatarse, ou aplatis comme les abduc- teurs et adducteurs du bras, les fléchisseurs du métacarpe; les autres sont pris- matiques comme le vaste externe, les huméro-olécràniens interne et externe, le biceps de la cuisse. Il en est de pyramidaux comme le petit pectoral, le releveur propre de l'épaule; de rubanés tels que l'omo-hyoïdien, le plantaire grêle, -etc. Les muscles larges sont plus ou moins minces, comme le splénius, le grand complexus, les muscles abdominaux. Parfois ils sont tout à fait membraniformes, comme le diaphragme et le peaucier. Les uns sont triangulaires, rhomboïdaux, les autres rayonnes, flabelliformes, etc. Ils servent à former des cloisons, à cir- conscrire des cavités, à lier les membres au tronc. Les muscles courts sont peu nombreux ; ils s'étendent d'un os à un autre très peu éloigné, comme les intertransversaires du cou, des lombes, les sus-costaux, les masséters, le crotaphite, etc. . Tous ces muscles, quelles que soient leurs formes, peuvent être simples ou complexes. Les premiers sont ceux dont les libres sont parallèles dans toute leui' étendue^ .\OTiON MUSCULAIRE. 399 et non entrecoupés, à l'intéiieur, par des tendons ou des aponévroses. 11 n'existe, dans l'économie, que très peu de muscles tout à fait simples, parce que les ten- dons qui les terminent se propagent le plus ordinairement sans régularité entre les libres contractiles. Les seconds sont beaucouj) plus nomljreux que les précédents. Ils ont pour caractère de présenter à leur surlaoe dos expansions tendineuses ou a[)onévroti- ques sur lesquelles s'implantent les libres musculaires, et, à leur intérieur, des intersections de même nature destinées aux mêmes usages. Ces parties blanches, superficielles ou profondes, donnent beaucoup de force à ces muscles : 1° en fai- sant l'oHice de ligaments inextensibles très résistants ; 2° en servant à l'implanta- tion des libres cbarnues qui peuvent ainsi se multiplier, dans de très grandes proportions et affecter des directions très variées. Au crotaphite, au masséler, aux ptérygoïdiens, au coraco-radial, par exemple, elles donnent des surfaces d'in- sertion plus étendues même (pie celles des régions osseuses où ces muscles s'at- tachent. Les muscles à productions fibreuses ont cela de particulier que leurs libres, au lieu d'être parallèles comme celles des muscles simples, forment entre elles des angles plus ou moins aigus. Quelquefois cette disposition est régulière, comme dansles muscles rayonnes, les penniformes, mais le plus souvent elle est, comme dans les grands complexus, l'ilio-spinal, sans aucune régularité. La texture des muscles influe beaucoup sur leur force et les limites de leui- con- traction. Les muscles simples, dont les fibres sont parallèles, ont une étendue de contraction très considérable, mais une force moindre que les muscles complexes d'égal volume et de même longueur, parce qu'ils ont des fibres aussi longues et en aussi petite quantité que possible : aussi se trouvent-ils dans les régions où il faut des mouvements très étendus, comme ceux des membres, par exemple. Les autres, au contraire, sous un volume donné, contiennent un nombre de fibres qui est deux, trois, quatre fois aussi grand que dans un muscle simple, et leur énergie devient, par conséquent, double, triple ou quadruple de celle du dernier. La mul- tiplication des fibres dans le muscle complexe rend nécessaire l'agrandissement des surfaces d'implantation. Voilà pourquoi apparaissent à sa superficie et dans son intérieur ces tendons et ces aponévroses sans lesquels la complexité n'est pas possible. Enfin, la direction des forces dans le muscle simple est facile à déter- miner, puisqu'elle est parallèle aux fibres mêmes, tandis qu'il n'en est pas ainsi pour les complexes où il faut trouver une résultante. Il importe donc de prendre la texture en grande considération quand on veut apprécier la force d'un muscle et la comparer à celle d'un autre; sans cela, on s'expose à de graves erreurs. Les muscles, étant les puissances motrices des difl'érontes pièces du squelette doivent nécessairement s'attacher, médiatement ou ijiimédiatement, soit sur ces pièces, soit sur leurs cartilages de prolongement. Et, pour que le muscle puisse, par son raccourcissement, produire un effet sensible, il faut que ses deux extré- mités prennent des points d'im[»lantatiou sur des parties résistantes. Ordinaire- ment, l'un de ces points, dit d'origine, est plus fixe que l'autre, appelé point d'insertion. Les os, pour donner attache aux muscles, oflVentà leur surface des rugosités, des empreintes, des lignes droites ou courbes, des crêtes, des tubérosités, enfin 4U0 DES MOUVEMENTS. des éminences de toutes les formes ou des excavations plus ou moins profondes. Les parties qui restent lisses ne peuvent servir à l'implantation de fibres charnues ou tendineuses. Par ces empreintes, soit en creux, soit en relief, on peut suivre parfaitement les attaches des masses musculaires ; « car le squelette bien étudié sous ce rapport rendrait, pour ainsi dire inutile, d'après Cuvier\ la dissection des muscles, » puisqu'on les retrouverait, sinon tous, du moins en partie, par l'inspection des os. Ces attaches s'effectuent, tantôt par des fibres charnues, tantôt par des fibres tendineuses, et très souvent au moyen des unes et des autres. Ces trois modes d'implantation ne sont point arbitrairement départis aux mus- cles, ils se trouvent commandés, l'un à l'exclusion de l'autre, par l'étendue et la configuration des surfaces osseuses. Ainsi, l'extrémité supérieure de l'humérus qui donne attache aux deux épineux, aux deux abducteurs du bras, à l'adducteur, au grand dorsal, au sous-scapulaire, etc., ne pouvait fournir à tous ces muscles une surface suffisante à l'insertion de toutes leurs fibres charnues; il fallait donc que celles-ci vinssent se fixer d'abord sur des cordes ou des rubans tendineux qui, à leur tour, s'attacheraient sur le petit espace réservé à chaque muscle. De même, pour l'extrémité inférieure de cet os, pour l'olécrâne, le trochanter, etc. Un autre avantage résulte encore de ce mode d'insertion. -Si les muscles avaient, aux environs des articulations, le même volume qu'ailleurs, celles-ci, déjà renflées par les extrémités osseuses, eussent été plus volumineuses que la partie moyenne des rayons, et par suite leurs mouvements eussent beaucoup perdu de leur liberté et les formes de leur élégance. Le point d'origine ou le point fixe d'un muscle est, le plus souvent, facile à déterminer. Dans les membres, il est ordinairement supérieur au point mobile, c'est-à-dire placé sur un rayon plus élevé que celui de ce dernier; pour les mus- cles qui vont du tronc aux membres, il est au tronc ; pour ceux qui vont du tronc à l'encolure, il est encore à la même région ; il est à l'encolure pour ceux qui vont de cette partie à la tête. C'est vers ce point que la partie mobile se porte quand le muscle se contracte. L'insertion a lieu en un point plus ou moins éloigné de celui qui est fixe : quel- quefois il y a entre les deux une très grande distance. Ainsi les extenseurs et les fléchisseurs des phalanges partent, dans le membre antérieur, de l'humérus ou de l'extrémité supérieure des os de l'avant-bras, et dans le membre postérieur, du fémur ou de l'extrémité supérieure du tibia; les premiers passent donc sur tout le trajet de l'avant-bras, du carpe, du métacarpe et de la région digitée avant d'arriver à leur terminaison. Il est à remarquer, toutefois, que ces insertions, si éloignées qu'elles soient de l'origine du muscle, se font toujours tout près des extrémités articulaires des os. Un tel rapprochement entre l'insertion du muscle et le point d'appui du levier était nécessaire, comme le fait très bien observer Cuvier, « pour ne point rendre les membres monstrueusement gros dans l'état de flexion, et surtout pour produire une flexion prompte et complète; caria fibre musculaire ne pouvant perdie qu'une fraction déterminée de sa longueur dans la contraction, 1. Cuvier, Anutomie comparée, l. I, p. 260. ACTION MUSCULAIRE. 'idl si le muscle était inséré loin de l'articulation, l'os mobile ne se serait rapproché de l'autre que d'une petite quantité angulaire; au lieu qu'en s'insérant très près du sommet de l'angle, un petit raccourcissement produit un rapprochement con- sidérable. » Les exceptions à cette règle sont rares : la plus remarquable qu'on puisse citer est celle d'un muscle de l'aile des oiseaux qui s'étend du scapulum vers l'extrémité du membre dans l'espace triangulaire rempli par la peau. Il est essentiel de se rappeler que, quand on parle du point lixe et du point mo- bile du muscle, on n'entend pas que le premier est immobile et que le second seul se meut ; car, le plus souvent, ces deux points sont mobiles, très inégalement, il est vrai, l'un exécutant un mouvement de beaucoup supérieur à l'autre. 11 est cependant des muscles dont l'origine est tout à fait (i\e, comme le masséter, le digastrique, le releveur de la lèvre inférieure, le fascia lata, le psoas iliaque, etc. Du reste, il en existe un assez grand nombre dont le point fixe devient quelquefois le point mobile, et réciproquement : ainsi, les ischio-tibiaux, dans la ruade, ont leur point fixe supérieur; ils l'ont, au contraire, inférieur dans le cabrer. Et de même pour beaucoup d'autres. Les puissances musculaires, bien qu'elles aient chacune un rôle spécial, sont très diversement groupées suivant les régions. Leur action se trouve plus ou moins modifiée, et quelquefois tout à fait changée par suite de cet arrangement- L'appréciation exacte des nombreuses combinaisons d'actions musculaires des- tinées à produire un effet quelconque, comme l'élévation d'un membre lors de la marche, est un travail d'analyse qui mérite d'attirer l'attention des physio- logistes. Presque partout, les muscles se trouvent par couches juxtaposées, les plus volu- mineux dans les superficielles, et les plus petits au-dessous des autres. Les masses les plus considérables se voient au cou, autour des rayons supérieurs des mem- bres, de la croupe, de la cuisse, etc. Dans certaines régions, telles que la jambe, l'avant-bras, ils manquent à la face interne des rayons osseux. Autour des rayons inférieurs, surtout chez les animaux ongulés, tels que les solipèdes et les rumi- nants, il n'y a plus que des tendons ou des expansions aponévrotiques. Les mus- cles qui vont agir sur des points très éloignés de leur naissance, en passant sur des articulations, offrent une disposition toute particulière; ils sont fixés |)ar des brides, des ligaments annulaires, etc., aux os et aux articulations autour des- quelles ils passent, de telle sorte que, lors de leur contraction, ils ne s'éloignent imllement des rayons osseux. On conçoit, en effet, que si, par exemple, le fémoro- |)ré|»lialangi('n n'avait pas été maintenu en avant du tarse et de la région digitée, il aurait, en se contractant, abandonné ses rapports, et serait venu former une corde qui aurait rendu le membre triangulaire lors de l'extension des phalanges. Les parties fibreuses, c'est-à-dire les expansions aponévrotiques et les tendons chargés de transmettre à des os plus ou moins éloignés la puissance développée par les muscles, sont annexés à ces derniers d'après un mode assez varié. Les aponévroses qui forment dos enveloppes membraneuses minces, très résis- tantes et à peine extensibles, entourent tantôt un seul, tantôt plusieurs muscles: dans le premier cas, ce sont des aponévroses propres; dans le second, des aponé- vroses communes. Les aponévroses propres servent quelquefois à l'implantation o. COLIN. — Physiol. comp., 3"^ édit. I — -.Hi 402 DES MOUVEMENTS. des fibres musculaires et deviennent alors très adliérentes à celles-ci, comme au crotaphite, au masséter, à l'ilio-spinal. Dans d'autres cas, elles ne constituent qu'une simple gaine à l'intérieur de laquelle le muscle est libre. Les aponévroses communes maintiennent les muscles dans leur situation respective, s'attachent aux os, au pourtour des articulations, aux tendons et aux muscles eux-mêmes; elles sont habituellement données par les muscles superficiels : au membre anté- rieur celle qui dérive du sterno-aponévrotique, du long extenseur de l'avant-bras et, au membre postérieur, celle qui provient du fascia lata, des ischio-tibiaux, des adducteurs de la jambe, nous en donnent des exemples. Ces expansions ren- dent le déplacement des muscles impossible et favorisent l'action musculaire, en remplissant le rôle de véritables ceintures qui donnent un point d'appui aux masses qu'elles entourent. Habiluellement constituées par du tissu fibreux blanc, elles sont cependant quelquefois formées de tissu élastique, comme on le voit à la face interne du rhomboïde du cheval, à la face externe des trapèzes, sur les muscles longs — vastes et demi-tendineux du chameau, des solipèdes, etc. Ces dernières, qui s'ossifient, parfois accidentellement, dans certains points, parais- sent, chez quelques animaux, éprouver à l'état normal la même transformation ; c'est ainsi, d'après Cuvier, « que l'aponévrose générale des muscles fessiers s'ossifie dans les chevrotains et présente un vaste bouclier qui s'étend de l'épine de l'ilium jusqu'à la tubérosité ischiatique. » Enfin, il y a des aponévroses d'insertion, soit pour l'origine, soit pour la ter- minaison des muscles, comme pour les trapèzes, le grand dorsal, les adducteurs de la jambe, le fascia lata. Elles ont la même destination que les tendons. Ceux-ci revêtent la forme de cordes cylindriques ou aplaties, quelquefois celle de bandelettes ou de rubans. La plupart se trouvent à l'extrémité des muscles, soit à leur naissance, soit à leur terminaison et souvent à ces deux points à la fois. Il en est qui se prolongent dans tout le trajet d'un muscle, soit à l'extérieur, comme au fléchisseur du métatarse, soit à l'intérieur, comme au coraco-radial. La plupart se perdent en énervations à la surface ou dans l'épais- seur des muscles : c'est ce qui se voit généralement; très peu s'arrêtent brusque- ment, sans se continuer sur la longueur des parties charnues, excepté au plan- taire grêle. Enfin, quelques-uns séparent les deux parties d'un muscle, comme au digastrique de certains animaux, aux sterno-hyoïdiens, etc. L'annexion des tendons aux puissances musculaires est une des plus belles conceptions qui aient été réalisées dans l'organisation de l'appareil locomoteur. Un muscle n'avait, pour son insertion, qu'une place très restreinte à la sur- face d'un os. Avec ses fibres charnues à ses extrémités, cette place n'eût pas été assez grande: par un tendon, elle lui suffit, et, sur ce dernier, viennent ensuite se fixer les fibres musculaires. Un autre devait aller agir sur des jtoints très éloignés de sa naissance, comme du fémur aux phalanges, pour les extenseurs et les llécliisseurs des doigts; il a une partie cliarnue dont la longueur est proportionnée à l'étendue du raccour- cissement nécessaire à son action, et à cette partie succède une corde plus ou moins grêle fixée sur les rayons osseux jusqu'au point où elle se termine. Sans cet artifice, il eût fallu, ou que les muscles moteurs des phalanges prissent ACTION MUSCULAIRE. 403 leur origine moins loin du pied, ou qu'ils s'étendissent de leur naissance à leur insertion par une portion charnue ; or, cette masse musculaire, à supposer qu'elle eût conservé le même volume dans toute son étendue, n'eût pas offert, à beaucoup près autant de résistance que le tendon, et, par conséquent, elle eût été bien plus exposée aux ruptures; il eût alors été très ditlicile de la maintenir par des brides au niveau des articulations dont elle eût augmenté disgracieusement le volume; en outre, elle n'eût pu trouver une place sullisante à son insertion sur les os amincis des extrémités ; du reste, on s'effraye, dans celte hypothèse, en songeant aux proportions et au |»eu de solidité desextrt-inités chez les grands animaux. La disposition et les propriétés de ces parties sont mises en parfaite harmonie avec leur destination. En effet, les tendons se trouvent surtout à l'extrémité inférieure des muscles des membres, notamment au niveau du carpe, du métacarpe etde la région digitée ; ce qui donne à ces rayons, ainsi que l'a fait remarquer Bichat, peu de volume, une grande facilité de mouvements et beaucoup de résistance aux pressions exté- rieures. A leur passage sur les parties osseuses, ils sont entourés de manière à glisser librement; ils traversent des gaines libreuses, des arcades, comme en avant et en arrière du genou, du jarret où leur glissement est, en outre, facilité par des membranes synoviales. Lorsqu'ils passent sur des poulies de renvoi, telles que les sésamoïdes, l'extrémité supérieure de la seconde phalange, le sommet du calcaneum, la convexité du trochanter, la coulisse bicipitale de l'humérus, la trochlée des ptérygoïdiens, etc., les surfaces de frottement sont incrustées d'un cartilage lisse, tapissé d'une synoviale. Les tendons eux-mêmes, s'ils glissent les uns sur les autres, sont encore quelquefois séparés par des gaines séreuses, comme on le voit entre les tendons fléchisseurs du pied des solipèdes et des rumi- nants. Ils ont une force de résistance, une ténacité supérieures à celle des autres tissus mous. Les muscles, en se contractant, déploient une puissance considé- rable qui détermine parfois la fracture des os ou celle de leurs éminences, telles que le trochanter, l'olécràne, et qui est très exceptionnellement assez grande pour produire la rupture des tendons eux-mêmes. Une telle ténacité était indis- pensable pour que la force énorme des muscles en contraction pût lutter avec avantage contre les résistances qui doivent être variées dans une inlinité de cir- constances. Les tendons ont si pou d'extensibilité et d'élasticité, qu'on les regarde habi- tuellement comme inextensibles et non élastiques. On conçoit que, sans cela, une partie de la force déployée par le muscle se fût perdue à produire leur élon- gation, et que, de plus, une certaine étendue de raccourcissement eût été sans résultat effectif pour les mouvements. Ils sont à peu près insensibles, ainsi que les travaux- de Haller l'ont démontré, et ne deviennent douloureux que sous l'influence de torsions brusques ou par suite d'inllammation. Cette autr<> pro- [)riété leur était nori moins nécessaire que les précédentes; car si ces organes eussent été seiisibles, ils eussent souffert fort souvent des violem-es extérieures auxquelles sont exposées les régions inférieures des membres; ils eussent, du 404 DES MOUVEMENTS. reste, donné lieu à des sensations pénibles à chaque contraction musculaire, et leur souffrance fût ainsi devenue presque permanente. On voit par là, pour le dire en passant, une preuve de cette admirable logique qui a présidé à la répar- tition des propriétés à chaque tissu, et l'on devine aisément que ce défaut de sen- sibilité est aussi indispensable aux os , aux cartilages, aux ligaments, à la corne qu'aux parties dont nous parlons. Les tendons ne présentent pas, dans tous les animaux, le même aspect et les mêmes caractères. Ils ont, par suite de leur affi- nité pour les sels calcaires, une grande tendance à devenir le siège d'ossifications. « Les oiseaux pesants et qui marchent beaucoup, dit Cuvier\ ont les tendons de leurs jambes ossifiés de très bonne heure. Il en est de même des gerboises et des autres quadrupèdes qui sautent toujours sur les jambes de derrière. » Ainsi constitués, les muscles sont aptes à développer les forces motrices et à les transmettre aux os sur lesquels ils s'insèrent. L'intensité et l'étendue de leur action dépendent de leur volume, de leur longueur, de leur direction, de l'es- pèce de levier qu'ils mettent enjeu, ainsi que de la distance qui existe entre le point d'application de la puissance et le centre des mouvements. La direction des muscles, relativement aux leviers qu'ils doivent mouvoir, est, en général, très désavantageuse, puisqu'elle est presque toujours parallèle à celle des leviers osseux. Mais la nature a cherché à diminuer ce parallélisme^ 1" par le renflement des extrémités articulaires ; 2" par le développement d'émi- nences plus ou moins saillantes, telles que l'olécrâne, le trochanter; 3" parla présence de sésamoïdes ou de poulies de renvoi, la rotule, les sésamoïdes de la région digitée, l'os sus-carpien , la trochlée du ptérygoïde. Ce parallélisme, très marqué aux membres, diminue, du reste, lors des mouvements de flexion, et d'autant plus qu'ils sont plus près de leur limite. Certains muscles ont cepen- dant une insertion presque perpendiculaire à leurs leviers ; les fléchisseurs de la tète, les ischio-tibiaux , le psoas des lombes, le psoas iliaque, les abducteurs et adducteurs du bras, à cause même de la direction de la tête relativement à l'en- colure, de la flexion de la cuisse sur le bassin et du bras sur l'épaule. Les leviers sur lesquels agissent les puissances musculaires appartiennent aux trois genres établis par les physiciens. Ces leviers sont droits ou incurvés ; ils sont formés le plus souvent par un seul os, quelquefois par plusieurs ; dans ce dernier cas, ils sont sinueux, brisés et souvent flexibles, toutes modifications qu'il importe plus d'étudier en mécanique animale que dans la dynamique des corps bruts. Il est quelques espèces de leviers plus communes que d'autres. Le levier du premier genre est, en général, le levier de l'extension ; celui du troisième, le levier de la flexion ; le levier du second genre est assez rare. Dans presque tous, le bras delà puissance est fort court, et celui de la résis- tance très étendu, d'où il résulte: 1° que la puissance est dans des conditions très désavantageuses au profltde la vitesse qui est favorisée ; qu'il faut une grande force pour vaincre une faible résistance; 3» enfin, une contraction d'une étendue minime iiour produire un mouvement très considérable. 1. Cuvier, Anatovdr, comparé//, t. I, p. 14G. ACTION MUSCULAIRE. 40d En dynamique animale, le levier est l'os sur lequel le muscle s'insère; — le point d'appui se trouve à une extrémité de l'os ou ù une articulation qui devienl le centre du mouvement, le point autour duquel l'extrémité opposée du rayon représentant la résistance décrit un arc de cercle, — et la puissance est à l'inser- tion du nmscle ; ainsi, point d'ap[>ui, et centre de mouvement sont ici des expres- sions équivalentes. Quelquel'ois le levier, au lieu d'être d'une seule pièce, est constitué par une série d'os, tantôt soudés ensemble, tantôt mobiles les uns sur les autres. Dans ce dernier cas, la complication n'est qu'apparente ; il devient facile, par un examen attentif, de ramener le levier llexible aux lois du levier simple. Un mot de chacune des variétés de leviers en [)arliculier. Le levier du premier genre est presque toujours, à part quelques exceptions, le levier des extenseurs. Dans le membre antérieur (fig. ,"J6), le sus-épineux, les cinq muscles olécrdniens; — dans le membre postérieur (llg. 58), le grand fessier, le fascia lata, le droit antérieur de la cuisse, le triceps crural, le bifémoro-cal- canéen, le plantaire grêle, le vaste externe, le demi-tendineux dans le cabrer, les libres du crotaphite qui s'insèrent au sommet de l'apophyse coronoïde chez les . animaux où cette éminence est très longue, etc., nous en donnent des exemples. Dans l'homme (lig. 57), le triceps brachial B, qui correspond aux olécràniens des animaux, agit également sur un levier du même genre; mais la puissance repré- sentée par ce muscle y a un bras de levi<'r beaucoujt plus court que chez les qua- drupèdes. Le bras de la puissance est, dans ce levier, quelquefois assez considérable. Ainsi, pour les extenseurs de l'avant-bras, il est représenté par la distance qui existe entre le sommet de l'olécrùne et le milieu de l'articulation huméro-radiale, centre du mouvement ou point fixe du levier constitué par la réunion du radius et du cubitus ; — pour le bifémoro-calcanéen et le plantaire grêle, il est mesuré parla distance qui se trouve entre le sonunet du calcanéum et le centre de l'articulation tibio-astragalienne; — pour les ischio-tibiaux, parcelle qui sépare le milieu de la cavité cotyloïde de la partie la plus postérieure de l'ischium. Le bras de ia résis- tance est constamment de beaucoup plus long que le premier ; il est, par exempl(\ pour les muscles olécràniens, représenté par toute la longueur du ladius; — pour les muscles rotuliens, par celle du tibia, etc. Ce levier a ceci de remarquable, que la direction du muscle (|ui le meut est d'autant plus perpendiculaire que le rayon à étendre se trouve préalablement plus iléchi, de telle sorte que la puissance est plus favorisée au commencement qu'à la fin de son action. Ce sera, eu partie le contraire pour le levier du troi- sième genre. Le levier du troisièmegenre est, disions-nous tout à l'Iifurc, le levier des muscles lléchisseurs; on en trouve de nombreux exemples. Les lléchisseurs delà tête, le sterno-maxillaire, ledigastriquc, le masséter, leptérygoïdien interne, l'angulaire de l'omoplate, le grand dorsal, les abducteurs, radducteur du bras, le coraco- radial, rimméro-radial, le fléchisseur interne du nu'tacarpe, agissent évidemment sur cette espèce de levier. Il en est de même du moyen fessier AB (lig. 58), du long vaste CD dans les circonstances ordinaires, du tibio-prémétatarsien EF, des 406 DES MOUVEMENTS. psoas des lombes et iliaque, du grêle antérieur, du carré crural, des dentelés de la respiration, des intercostaux. Le biceps bracbial de l'homme AG (fig. 57), le demi-tendineux, le demi- membraneux, le biceps crural, le jambier antérieur, agissent aussi évidemment sur un levier de ce genre. , La puissance qui meut ces leviers a un bras très long pour le digastrique, par Fig. 56. — Membre antérieur du cheval. Fig. 57. — Membre supérieur de l'homme. exemple, pour le masséter externe, les llécliisseurs de la tête, mais beaucoup moins étendu pour les fléchisseurs de l'avant-bras et pour ceux du métacarpe. Elle est d'autant plus favorisée que le mouvement arrive plus près de sa limite, puisque alors l'insertion du nmscle est presque perpendiculaire au rayon osseux, comme on peut le voir dans la ligure suivante, 58, pour le tibio-préméfatarsien, le long vaste, le moyen fessier. ACTION MCSCULAIRE, 407 Ce levier a le grand avantage de |)ermettre des mouvements fort étendus, par suite d'un raccourcissement très peu considérable du muscle. Il suffit, en t'IM, que le fléchisseur du métacarpe se contracte d'une niiniino Iraction de sa lon- gueur, pour (pie le pied s'élève à une grande hauteur au-dessus du sol : de même il suffit d'un faible raccourcissement des iscliio-tibiaux pour que l'extrémité infé- FiG. 58. — Membre puslérieur (lu cheval. FiG. — 59. Membre inférieur de l'homme. rieure du membre abdominal soit projetée très loin en arrière, ainsi qu'on le voit lors d(! la ruade. C'est donc bien là le levier de la vitesse. 11 ne faudrait pas croire (lue tous les iléchisseurs agissent sur des leviers du troisième genre ; quelques-uns d'entre eux exercent leur action sur un levier du premier genre, tel le lléchisseur oblique du métacarpe. De même quehpies extenseurs, comme celui du métacarfie, au lieu d'agir sur un levier du premier 408 DES MOUVEMENTS. genre, mettent en jeu un levier du troisième ; mais ces quelques exceptions n'in- firment point la règle précédemment rappelée. Le levier du deuxième genre est un peu plus rare que les autres, parce que, dit-on, il favorise la force au détriment de la vitesse. L'exemple classique de ce dernier, et c'est à peu près le seul qu'on cite, est celui du bifémoro-calcanéen agissant sur le calcanéum et le pied tout entier lors de l'appui sur le sol. Dans ce cas, en effet, le levier est formé par le tarse, le métatarse et la région digitée, — le point d'appui est au sol, — la résistance à vaincre est le poids du corps s'exerçant sur l'articulation tibio-astragalienne, — et la puissance, constituée par l'extenseur du métatarse, agit sur le sommet du calcanéum. La puissance a donc pour bras de levier toute la distance qui sépare la pointe du calcanéum de la pointe du pied ; elle est, par conséquent, extrêmement favorisée. Chez l'homme (fig. 59), les jumeaux, le soléaire, le plantaire grêle, réunis au tendon d'Achille E, agissent sur un levier du second genre, lorsque le corps se sou- lève sur la pointe du pied. Ici le levier est représenté par le pied entier. L'appui est à l'extrémité des phalanges, — la puissance au sommet du calcanéum, — la résistance ou la masse du corps à soulever dans l'articulation tibio-astragalienne. Lorsque le membre antérieur d'un quadrupède (fig. 56) pose sur le sol, les extenseurs de l'avant-bras A, B, G, agissent également sur un levier du deuxième genre et non pas sur un du premier, comme lorsque le nlembre était en l'air. Alors le point d'appui est au sol, — la puissance au sommet de l'olécrâne, — et la résistance représentée par le poids du corps se trouve à l'articulation huméro- radiale qui tend à se fléchir. Ce qui arrive ici pour les extenseurs de l'avant-bras se reproduit pour le sus-épineux, les muscles rotuliens, etc., toutes les fois que le membre repose sur le sol. En mécanique animale, les leviers offrent quelques particularités fort remar- quables qu'il importe de signaler avec précision pour éclaircir certains points susceptibles de donner matière à contestation. Premièrement, il y a des leviers qui sont d'un genre à une période de l'action d'un muscle, et d'un autre genre à une période différente de la même action. Ainsi, par exemple, lorsque le cheval s encapuchonné, c'est-à-dire lorsqu'il a la tête fortement fléchie sur l'encolure, les grands complexus, pour la relever, agissent sur un levier du troisième genre, dont le point d'appui est à l'articulation occipito-atloïdienne, la puissance en avant, à la protubérance occipitale, et la résistance dans tout le reste des parties antérieures de la tête ; mais à mesure que celle-ci s'élève et bascule sur l'atlas, l'occiput se renverse en arrière, de telle sorte qu'au moment où l'animal porte au vent, le levier devient du premier genre, puisque le point d'appui est intermédiaire à la puissance et à la résistance. C'est là ce qu'on pourrait appeler le levier successif. Deuxièmement, il est aussi des leviers qui sont d'un genre déterminé dans certaines circonstances, et d'un autre genre dans des circonstances différentes, bien qu'ils soient toujours mis en jeu par les mêmes muscles, tels que le levier de l'avant-bras pour les muscles olécrâniens et celui du métatarse pour le bifé- moro-calcanéen. En effet, lorsque le membre se trouve plus ou moins fléchi et élevé au-dessus du sol, les extenseurs de l'avant-bras agissent sur un levier du ACTION MUSCULAIRE. ^lOÇ» premier genre dont la puissance est au sommet de l'olécràne, — le point d'ap|)ui à l'articulation hunirro-radiale, — et la résistance dans la masse de l'avant-hras à ramener à sa direction verticale. Mais, lorsque le membre est à l'appui et que ces muscles extenseurs se contractent seidcinent pour la station, c'esl-à-dire dans le but d'empêcher le radius de sellécliir, ils exercent leur action sur un levier du deuxième genre : ici la résistance à vaincre est le poids du corps qui est transmis à l'articulation huméro-radiale, — l'appui est au sol — et la puissance toujours au sommet du cubitus; il y a donc eu transposition de la résistance qui est venue occuper la place du point d'appui lorsque le levier était du premier genre. J'ap- pelierai celui-ci le levier alternatif, pour le distinguer du précédent, dont il difière en ce que : 1° le déplacement du point d'a|)pui est absolu au lieu d'être relatif; 2° en ce que le passage du levier d'un genre à un autre tient à des condi- tiens autres que les difterentes périodes de l'action des muscles. Cette remarquable particularité d'un levier de changer de nature suivant les circonstances dans lesquelles les puissances musculaires le mettent en jeu, se lie à des exigences dynamiques et entraîne des avantages faciles à reconnaître. Lors- que, par exemple, les extenseurs de l'avant-bras se contractent pour ramener le rayon radio-cubital dans sa direction habituelle, ils meuvent un levier du premier genre et luttent soulenuMit contre la résistance représentée par le poids de la partie inférieure du membre soulevé; le bras de la résistance étant alors très long, la vitesse est très favorisée, tandis (pie la puissance ne l'est guère; mais, dans ce cas, la rapidité du mouvement importe plus que la grande intensité d'une force déjà inliniment supérieure à ce qu'elle a besoin d'être, pour vaincre la minime résistance qui lui est opposée. Au contraire, quand les mêmes muscles se con- tractent, dans la station, pour empêcher l'avant-bras de se iléchir, le levier devient du deuxième genre : la résistance se trouve plus considérable, {Puisqu'elle est représentée par la part du poids du corps que l'un des membres antérieurs doit supporter; cette résistance agit sur l'articulation, précisément au point d'appui du levier précédent, et le point d'appui lui-même se trouve au sol. Or, pour lutter contre cette nouvelle résistance, il fallait que la puissance des extenseurs fût favorisée, et elle l'est par un bras de levier qui s'étend du sommet de Vo\é- cràne à l'extrémité inférieure du pied : il est vrai que le bras de la résistance a pris des dimensions à peu près égales à celles du premier, mais, enlin, le bras de la puissance est ici supérieur à l'autre, au lieu d'en être le quart, le cinquième, le dixième, etc., comme dans la plupart des circonstances. Voilà donc pourquoi, lors de la station ou de ra[»pui momentané pendiuit les allures, le levier du deuxième genre, ou de la puissance, s'est substitué au lexierdu |>remier genre à bras inégaux, si favorable à la vitesse des mouvements. Ce qui arrive ici pour les extenseurs de l'avant-bras se reproduit pour l'exten- seur du métatarse, pour les muscles rotuliens, etc. Troisièmement, enlin, il y a dans l'économie des leviers qui sont d'un genn^ pour une partie d'un muscle, et d'un genre dilférent pour une autre partie du même muscle, et cela indépendamment des conditions dans lesquelles le muscle se contracte et des périodes de son action : ce sont les leviers cot/iposés dont le crotaphite et le lléchisseur du métacarpe nous donnent des exemples Le crota- 410 DES MOUVEMENTS. plîite agit sur un levier du premier genre par les fibres insérées au sommet de l'apophyse coronoïde et sur un levier du troisième par celles qui se terminent en avant et en bas de cette éminence. Le fléchisseur externe du métacarpe des solipèdes agit sur un levier du premier genre par sa branche sus-carpienne et sur un levier du troisième par sa branche métacarpienne. Il ne saurait y avoir la moindre contestation à cet égard. Quant aux assimilations que l'on pourrait faire des trois régions du rachis et de quelques parties des membres aux différents genres de leviers, je les passe sous silence, me réservant d'y revenir plus tard d'une manière spéciale : il faut se garder de tomber dans les exagérations et de faire de la mécanique inintelli- gible, sous prétexte de la rendre savante. CHAPITRE X DES ATTITUDES On donne le nom à' attitudes au divers états dans lesquels les animaux se trou- vent à peu près immobiles, soit debout, soit couchés sur le sol, ou enfin fixés à des corps étrangers d'une manière quelconque. Cette qualification s'applique à la station, au décubitus, à la station de l'oiseau perché sur une branche, et à quelques autres actes qui ne doivent point nous occuper. I. — De la station. •» C'est l'attitude des animaux debout, appuyés sur une ou plusieurs de leurs extrémités. Elle constitue un état essentiellement actif qui exige un certain déploiement de forces musculaires, et qui ne peut être prolongé longtemps, dans la plupart des animaux, à moins que des dispositions mécaniques spéciales ne viennent se substituer, en grande partie, aux efforts des puissances contractiles. On distingue plusieurs espèces de station, savoir : 1" la station bipède, à corps vertical ou à peu près ; 2° la station bipède à corps non vertical ; 3° la station quadrupède. La première est celle de l'homme, des singes et de quelques autres mammifères ; la seconde, celle des oiseaux ; et la troisième, celle de la généralité des animaux quadrupèdes. La station a été aussi distinguée chez les solipèdes en libre et en forcée, suivant que les quatre membres ou trois d'entre eux seulement supportent le corps ; cette distinction, fort juste, du reste, ne s'applique qu'à ces seuls animaux. Dans la station libre^ le corps est soutenu par trois membres ; l'autre, qui est toujours un membre postérieur, se trouve légèrement lléchi, n'appuie sur le sol que par la pince et ne supporte point sa part du poids de la masse totale ; mais après s'être reposé pendant un certain temps, il revient à l'appui et le second prend la même situation pour se reposeï' à son tour, et ainsi successivement. ATTITUDES. 411 C'est à cette particularité fort remaïquable que les solipt^dos doivent, en grande partie, l'aptitude à rester debout pciidanl très longtemps. Elle paraît exclusive à ces animaux ; du moins, je n'ai ri(!n vu d'analogue, ni chez les ruminants domestiques, ni chez les animaux sauvages, si ce n'est cliez l'éléphant, dont la station est très prolongée, sans être permanente. Dans la station foirée, les quatre membres sont appuyés sur le sol ; l'un n'est ni moins fléchi, ni plus avancé (fue l'autre : chacun supporte sa part proportion- nelle du [toids du corps. Station «iiiacii'upétlaie. — C'est celle dans laquelle la base de susten- tation a le plus d'étendue et l'équilibre le plus de stabilité. Elle est d'autant plus pénil)le que la masse du corps est plus lourde, que les rayons des membres sont plus fléchis les uns sur les autres, qu'enlin il y a moins de dispositions mécani- ques pour limiter la flexion des membres et tenir lieu d'eilorts musculaires. Pour peu qu'on réfléchisse sur l'état de l'appareil locomoteur dans la station, il est facile de voir que cette attitude nécessite des ellorts musculaires plus ou moins considérables et que, par conséquent, elle ne peut être indéliniment pro- longée, si des dispositions mécaniques ne viennent au secours des puissances musculaires. En elTet, les rayons des extrémités étant, pour la plupart, fléchis les uns sur les autres, l'épaule sur le bras, le bras sur l'avant-bras, la cuisse sur la jambe, celle-ci sur le pied, il en résulte que le poids du corps tend à augmenter cette flexion et à affaisser le tronc sur les extrémités. Or, pour prévenir cet alîaissement, maintenir les membres dans leur lixité et leur donner une rigidité convenable, il faut une contraction plus ou moins énergique de la part des exten- seurs : c'est là ce qui rend la station fatigante. Mais la contraction des muscles n'étant pas continue ou incessante, la station ne saurait être que momentanée. Néanmoins cette attitude peut se prolonger fort longtemps, parce que, d'une part, les extenseurs étant multiples dans chaque région, ils peuvent agir et se reposer tour à tour, et que, d'autre part, diverses dispositions habilement com- binées viennent en aide à l'action musculaire. Ce sont ces dispositions qu'il faut examiner pour nous faire une idée exacte du mécanisme de la station. En jetant d'abord un coup d'œil sur les membres thoraciques, nous voyons que, si leurs rayons inférieurs se trouvent, par le fait de leur direction à peu près verticale, dans d'excellentes conditions pour disj)enser les muscles d'un grand déploiement de force, leurs rayons supérieurs sont, au contraire, dans une inclinaison très défavorable. Elïectivement, l'angle scapulo-huinéral, rempli par les extenseurs de l'avant-bras, tend constamment à se fermer de plus en plus par l'abaissement de l'extrémité supérieure du scapulum et par la projection en avant de l'articulation scapulo-humérale. Cet abaissement et cette projection doivent être évités, et ils le sont par des muscles très nombreux. L'extrémité supérieure de l'omoplate ne bascule point en se portant en arrière, soutenue qu'elle est par le rhomboïde qui la tire en haut, ainsi que par les trapèzes, puis par le releveur propre de l'épaule qui tend à la ramener en haut et en avant, enfin par l'angulaire de l'omoplate ipii la tire en avant et en bas, et, par consé- quent, tend à ouvrir l'angle au lieu de le fermer. Ces cinq muscles s'opposent à l'abaissement et à la projection en arrière de l'extrémité supérieure de l'épaule; 412 DES MOUVEMENTS. ils lui donnent ainsi une fixité sans laquelle le scapulum ne pourrait fournir, ni un appui solide au dentelé qui soutient le tronc entre les membres thoraciques, ni une attache immobile aux muscles olécrâniens qui étendent l'avanl-bras et le maintiennent dans une direction verticale. C'est dans ce remarquable arrange- ment des muscles que réside le point de départ de la fixité des membres antérieurs. La projection en avant de l'angle scapulo-huméral est empêchée surtout par le grand pectoral, et peut-être aussi par le petit qui, passant sur le sommet de cet angle, tend, par sa contraction, à le redresser et à le repousser en arrière. D'ailleurs cette projection ne peut s'effectuer sans que les deux rayons supérieurs du membre se fléchissent l'un sur l'autre et le sus-épineux vient mettre un obs- tacle considérable à cette flexion. L'obliquité de l'humérus si prononcée, même chez les mammifères de haute stature, tend sans cesse à s'exagérer pendant la station, aussi bien que lors delà percussion du pied sur le sol. Les agents qui mettent des limites à cette tendance sont déjà, comme nous venons de le voir, le grand pectoral et le sus-épineux, — puis cette puissance énergique, moitié passive, moitié active, représentée par le coraco-radial ou long fléchisseur de l'avant-bras. Naissant du renflement de l'apophyse coracoïde par un gros tendon, bientôt aplati pour passer sur la coulisse antérieure de l'humérus, il vient s'insérer à l'extrémité supérieure du radius. Chez les solipèdes, son tendon, très large et incrusté de cartilage, dans le point où il passe sur la coulisse, se propage à la 'surface du muscle et dans son inté- rieur par de fortes lames qui se rassemblent plus tard pour constituer de nou- veau une corde à son extrémité inférieure. La présence de ces lames tendineuses donne au coraco-radial une force très grande et lui permet d'agir à la fois comme un muscle et comme un ligament d'une remarquable solidité, qui s'oppose d'une manière incessante à la fermeture de l'angle scapulo-huméral et à la flexion exagérée de l'humérus sur l'épaule. Le rôle du coraco-radial implique naturel- lement la nécessité d'un grand développement du muscle et de sa partie tendi- neuse, chez les animaux de grande taille, tels que les solipèdes qui doivent se tenir très longtemps debout ; c'est aussi ce que l'anatomie démontre clairement. Une telle structure et un tel développement sont moins indispensables aux rumi- nants dont la station est moins prolongée que celle des solipèdes; aussi le long fléchisseur de l'avant-bras du bœuf est-il plus petit et moins tendineux que celui du cheval, mais il offre dans le dromadaire les mêmes conditions de force que dans les solipèdes. Le coraco-radial, pour remplir l'oflice que nous venons de rappeler, doit trou- ver un point f\xe à son extrémité inférieure, c'est-à-dire au radius : cette (ixité lui est assurée par la contraction des cinq muscles olécrâniens. A partir de l'humérus, les rayons osseux du membre antérieur présentent une direction à peu près verticale, si ce n'est, cependant, à la région digitée. L'avant- bras, qui n'a d'autre tendance que celle de se fléchir en avant, est maintenu dans sa situation par les cinq extenseurs qui sont, comme on le sait, très sensiblement plus développés chez les solipèdes que chez les ruminants. Le métacarpe continue la colonne rectiligne et verticale dont l'avanl-bras forme ]('. segment supérieur. Sa flexion en arrière est empêchée par l'énorme extenseur qui vient s'insérer à ATTITUDES. 'il 3 son extirmiU' cari>icnne, et qui roroit, vers le milieu de sa partie cliarnue, une corde àponévrotiqiie fixée supérieurement à la tubérosité externe de l'humérus. Mais, à ces rayons se horiie la diicclion verticale. La région digitée devient ol)li- que en avant, et son obliquité, normalement très prononcée, tend sans cesse à s'exagérer parle fait du poids que supporte chaque extrémité; néanmoins elle ne dépasse jamais certaines limites, grâce à la présence d'un appareil fibreux très solide n'iirésenlé, cliez les solipèdes et les ruminants, par ce qu'on appelle le ligament suspenseur du boulet. Les puissances musculaires seules n'eussent pas suffi à prévenir l'extrême tlexion de la région digitée sur le métacarpe sans le secours du ligament dont nous parlons; elles n'eussent point, du reste, rempli cet office sans une contrac- tion permanente incompatible avec leur manière d'agir. La corde formée par le ligament sésamoïdien sii|»érieur n'est autre chose qu'un muscle dans les carnas- siers, le porc et les rongeurs, muscle dont les fibres contractiles ont presque entièrement disparu chez le cheval et les ruminants pour faire place à des fibres tendineuses très résistantes et presque dépourvues d'élasticité. Au moyen de cette transformation d'un muscle en une corde tendineuse, s'est trouvé réalisé l'emploi d'une force considérable dont l'action non interrompue n'entraîne aucune fati- gue, et n'exige par conséquent ni repos, ni réparation. Toutefois cet appareil tendineux suspenseur, si solide qu'il soit, ne suffit pas à maintenir la région digitée dans sa légère inclinaison, car dès que les fléchisseurs des phalanges viennent à être rompus, comme cela arrive quelquefois, ou coupés en travers, le boulet descend fortement vers le sol; de même qu'il le fait, mais à un moindre degré, quand on pratique la section du ligament sans intéresser les tendons fléchisseurs : preuve évidente de la solidarité qui existe entre ces puissances et du secours qu'elles se prêtent réciproquement dans leur jeu respectif. Le rôle des tendons fléchisseurs, relativement à la fixation de l'angle formé [m- le canon et la région phalangienne, est fort remarquable en ce que ces cordes à peu près inextensibles peuvent résister à l'efl^ort incessant qui tend à exagérer la flexion, sans que leurs parties charnues soient tiraillées ou obligées à une contraction permanente. L'obstacle puissant qui s'oppose à la transmission des efforts exercés sur les tendons, h la partie supérieure des muscles, est constitué «par une forte bride ligamenteuse qui se détache des ligaments capsulaires postérieurs des articulations carpienne et tarsienne, dont elle ne paraît être qu'un prolongement funiculaire, se superpose dans l'étendue de quelques centi- mètres à la face postérieure du grand ligament sésamoïdien, et s'unit par une sorte de soudure, à la face antérieure du tendon perforant, dont le volume se trouve ainsi subitement accru de toute la somme des libres propres à cette bride de renforcement. A l'aide de cette disposition mécanique aussi simple qu'ingé- nieuse, toute la masse de l'ellort qui devait être transmise à la lilire charnue par la contin-uité de la corde tendineuse est ainsi détournée de son cours naturel, et reportée par le canal de la bride carpienne au sommet des métacarpiens, sur lesquels elle prend implantation par une grande étendue de surface. C'est ainsi que les tendons fléchisseurs se trouvent transformés en ligaments de suspension, et peuvent en remplir l'usage, à Tinsu, si Ton peut dire, de la libre charnue. 414 DES MOUVEMENTS. SOUS la dépendance de laquelle ils demeurent, toutefois, comme agents de trans- mission du mouvement ^ » Voilà pour les membres antérieurs. Recherchons maintenant les conditions de fixité des rayons osseux dans les membres postérieurs. Ici toutes les régions, depuis la première jusqu'à la dernière, s'éloignent beau- coup de la direction verticale ; leur obliquité, pour rester dans ses limites, lors de la station, exige des efforts musculaires considérables, et des dispositions mécaniques encore plus multipliées que dans les membres thoraciques. Le bassin est très oblique relativement au tronc chez le cheval, le bœuf, la plu- part des ruminants et des carnassiers ; mais il l'est à un moindre degré dans le lama, le dromadaire, l'éléphant, le rhinocéros et certaines races de chevaux propres au trait. Il tend par conséquent à devenir horizontal, et il obéirait à cette tendance si le long vaste, le demi-tendineux et le demi-membraneux, prenant un point d'appui sur le tibia, ne venaient s'opposer à l'élévation de l'ischiura. Néanmoins l'élévation de la partie postérieure du bassin serait bientôt limitée par le mode de jonction descoxaux avec le sacrum. Cette jonction ayant lieu entre une surface taillée obliquement sur les ailes de la première vertèbre sacrée et la face interne de l'ilium, il en résulte que la partie postérieure du bassin ne peut s'élever sans que le sacrum bascule sur la dernière vertèbre des lombes et vienne former avec la ligne de cette région un angle à sinus supérieur; or, l'enclavement des surfaces articulaires, l'union si solide entre le sacrum et la dernière vertèbre lombaire mettent obstacle, notamment chez le cheval, l'éléphant et le rhinocéros, à ce mouvement de bascule qui se trouve encore efficacement restreint par les psoas du bassin. On conçoit sans peine que si les ischio-tibiaux avaient été seuls chargés de borner l'ascension de la partie postérieure du coxal, ils auraient exigé de la part des extenseurs de la jambe une contraction énergique et permanente sans laquelle leurs attaches inférieures auraient manqué de fixité. Evidemment cette dernière combinaison isolée eût été inintelligente et sans bénéfice réel, puisque l'effet utile, produit sur le coxal, n'aurait été obtenu qu'aux dépens de la con- traction des extenseurs de la jambe, c'est-à-dire des muscles rotuliens. La cuisse est oblique sur le bassin : le coxal étant fixe, l'extrémité supérieure du fémur ne peut conséquemment se porter ni en avant, ni en arrière, c'est-à-dire ni s'élever, ni s'abaisser. L'extrémité inférieure de ce rayon tend au contraire à se porter en avant et à s'élever. Ce mouvement est empêché, d'une part, par le fascia lata, le droit antérieur, le triceps crural, qui agissent sur la jambe par l'in- termédiaire de la rotule; d'autre part, par le grand fessier, dont la puissance énorme suffirait presque seule à l'extension de la cuisse sur la croupe. La jambe est également (léchie sur la cuisse; son obliquité est limitée par les muscles rotuliens, qui déjà servaient à prévenir une flexion exagérée du fémur sur le coxal. De plus, la fixité de sa direction a pour agent essentiel le tibio-prémé- latarsien qui, dans les solipèdes, offre sur toute sa longueur une bande aponévro- tique très forte, laquelle se trouve beaucoup plus mince dans le dromadaire, et à peu près nulle chez les autres ruminants. Ce muscle agit évidemment comme le 1. Bouley, Ti^aitii de. Vnr(fanhatioii du pied du ckeviil. Paris, 1851. ATTITUDES. 415 coraco-radial clans le membre antérieur, à la condition que son attache inférieure soit maintenue immobile par l'action du bifémoro-calcanéen et du fléchisseur su- perficiel des phalanges. La flexion du métatarse sur la jambe est limitée d'abord [lar le gastrocnémien, dont les deux parties charnues peuvent être considérées comme des muscles dis- tincts, ensuite par le fléchisseur superficiel des phalanges qui passe au somtnetdu calcanéum. Ce dernier muscle, pour servir d'auxiliaire àTextenseurdu métatarse, éprouve la remarquable métamorphose qui s'est opérée dans le ligament suspen- seur du boulet; il a perdu ses fibres charnues cà tel point qu'il n'en possède plus que quelques-unes à son extrémité supérieure, et s'est réduit ainsi à l'état d'une grosse corde cylindrique qui s'aplatit à son passage sur le sommet du calcanéum. Le r()le mécanique de ce singulier muscle est tellement important, que la trans- Cormation queje rappelle a lieu même chez les ruminants, le dromadaire notam- ment, presque au même degré que chez les animaux solipèdes. Enfin l'inclinaison de la région digitée sur le métatarse est bornée par un appa- reil ligamenteux suspenseur semblable à celui du membre antérieur. D'après ce qui précède, on voit que les extrémités ne soufiennentle corps, dans la station, que par des eflbrts musculaires aidés de dispositions mécaniques plus ou moins évidentes, suivant les régions. La plupart de ces efforts sont dévelop[»és par les muscles extenseurs; mais ils ne le sont pas tous par eux, comme le pré- tend Cuvier^; les fléchisseurs y participent dans plusieurs points. Ainsi, par exemple, si au membre antérieur les abducteurs et l'abducteur du bras, qui sont aussi des fléchisseurs, n'ont pas besoin de se contracter pour maintenir le sca- pulum et l'humérus dans leurs rapports respectifs, il n'en est pas de même : 1» du fléchisseur superficiel des phalanges, dont la contraction maintient l'extré- mité inférieure de l'humérus, et s'oppose à ce que cet os se fléchisse davantage sur l'avant-bras ; — 2° des fléchisseurs du métacarpe, qui, par leur origine humérale, ont une action analogue à celle du muscle précédent, pourvu qu'ils trouvent un point fixe au métacarpe; — 3" du coraco-radial, qui constitue, comme nous l'avons vu, un obstacle puissant à la flexion exagérée du bras sur l'avant-bras, par suite de l'abaissement de l'angle scapulohuméral. Il est à remarquer, toutefois, que cette action des fléchisseurs s'exerce souvent aux dépens de celle des extenseurs, comme on le voit pour le coraco-radial, qui ne maintient l'angle de l'épaule dans sa situation normale qu'autant que le radius est lixé par les muscles olécrâniens ; mais le coraco-radial prend son appui sur un rayon vertical, et emprunte l'élément tic son action à ciiKi muscles formant une masse énorme. Par cette heureuse com- binaison, les extenseurs de l'avant-bras, qui sont, sous le rapport dynamique, les antagonistcîs des fléchisseurs de la même région deviennent ici, lors de la station, leurs congénères ou leurs auxiliaires. Dans bien d'autres points, du reste, s'ob- servent des combinaisons analogues ((ui confirment cette assertion, en apparence paradoxale^ Ce n'était pas assez pour les extenseurs d'être aidés par des puissances méca- niques, et d'être multipliés dans les l'égions où un grand déploiement de force est 1. Cuvier, Aunlomie coitiparéc, 1. II. p. 105. 416 DES MOUVEMENTS. nécessaire, il fallait encore, en vue d'alléger leur fatigue, qu'ils fussent favorisés par les conditions statiques des leviers sur lesquels ils agissent. Or, ils le sont considérablement par la transformation du levier du premier genre en un levier du deuxième genre, transformation qui paraît avoir échappé à l'attention des physiologistes. Si nous considérons, par exemple, les muscles olécrâniens lorsqu'ils se contrac- tent pour ramener dans sa situation l'avant-bras devenu presque horizontal, nous voyons clairement qu'ils agissent sur un levier interfixe représenté par le radius et le cubitus; la puissance est appliquée au sommet de l'olécrâne; — le point d'appui, ou le centre du mouvement, est à l'articulation huméro-radiale; — enfin la résistance, dans l'extrémité inférieure du rayon et le poids des parties inférieures du membre. Mais, quand le pied est à l'appui, et que la contraction des muscles a pour but de prévenir la flexion de l'avant-bras, le levier n'est-il pas constitué par toute l'extrémité inférieure du membre, à partir du sommet du cubitus? Le point d'appui n'est-il pas au sol, la puissance à la pointe de l'olécrâne ; et la résis- tance représentée par le poids du corps qui tend à fléchir le rayon, n'est -elle pas appliquée à l'articulation huméro-radiale? Or la puissance au sommet du cubitus, l'appui au sol, et la résistance dans un point intermédiaire, constituent bien le levier du deuxième genre, si favorable à la puissance, dont le bras s'étend ici depuis le coude jusqu'au sabot. Ce levier, si rarement employé, par la raison qu'il est très désavantageux sous le rapport de la vitesse, que tout semble avoir voulu favoriser, devient, lors de la station, d'un fréquent usage, et cela avec un avantage immense pour les forces musculaires. Ce qui arrive pour les muscles olécrâniens se reproduit encore aussi évidem- ment pour le bifémoro-calcanéen, le fléchisseur superficiel des phalanges, les muscles rotuliens, le sus-épineux, etc., d'où il résulte que les leviers interfixes sont convertis en leviers interrésistants, afin que, dans la station, l'équilibre entre la puissance musculaire et la résistance représentée par le poids du corps puisse être maintenu, aussi longtemps que possible, sans une très grande fatigue des organes contractiles. Tous les grands efforts musculaires qu'exige la station se passent dans les membres : le tronc se repose presque autant quand l'animal est debout que lors- qu'il est couché. Seulement l'élévation de la tête exige de la part des muscles extenseurs qui se portent de l'encolure à l'occipital une contraction d'autant plus pénible que la tête est plus lourde. Mais, ces muscles étant nombreux, ils peu- vent se contracter tour à tour, et par conséquent se reposer les uns après les autres. Néanmoins, comme ils finissent par se fatiguer, car leur action est encore nécessaire pendant le décubitus chez la plupart des animaux, ils ont pour auxi- liaire passif le vaste ligament cervical qui part des apophyses épineuses du garrot [tour se terminer en arrière de la protubérance occipitale, après avoir pris des points d'implantation sur les vertèbres du cou. Ce ligament, formé d'une corde supérieure très forte et d'une partie membraneuse qui sépare les muscles cervi- caux droits de ceux du côté opposé, offre son maximum de développement dans les solipèdes, les ruminants et particulièrement le dromadaire, où il se prolonge en arrière jusqu'à la région lombaire, tandis qu'il manque chez le porc, chez divers ATTITUDES. '.17 aniniiuix à encolure courte, et se trouve réduit chez le chien à l'élat d'un petit cordon inséré à l'axis, sans se continuer jusqu'à la tète. Constitué par du tissu jaune élastique, cet admirable appareil, dont la nature a doté un petit nombre de grands mammifères, dispense les muscles extenseurs de la tète de déployer de grandes forces et de rester en contraction permanente. Quant aux autres parties du tronc, elles peuvent se maintenir imiiinliili's sans le secours d'efforts bien considérables. La colonne dorso-lombaire conserve sa direc- tion, surtout par le fait des dis{)ositions mécaniques pro[)resaux articulations ver- tébrales, car il est évident que les muscles extenseurs, l'ilio-spinal, par exemple, ne peuvent s'opposer beaucoup à l'exagéra- tion de la concavité supérieure du rachis, puisque c'est ce muscle même qui doit, par son action, porter cette concavité à ses dernières limites. Cependant ce serait une erreur de croire avec Cuvier^ (|ue les extenseurs de l'épine ne servent en rien à cet usage, réservé, d'après lui, aux seuls muscles de l'abdomen. Il me semble (pie la contraction de l'ilio-spinal, lors- (pi'elle est modérée, doit affermir la ré- gion dorso-lombaire en rapprochant les vertèbres les unes des autres sans déter- miner, en même temps, cette incurvation (|ui résulte d'une contraction très éten- due. Et, ce qui me rend cette idée vrai- semblable, c'est que sur le cadavre encoïc chaud, où rilio-s|)inal est évidemment relâché, on voit la région dorso-londjaire se creuser à la }iartie moyenne, dès (pie le corps est suspendu horizontalement i)ar la tête et la croupe. Le thorax, [)our être soutenu entre les membres antérieurs, exige encore de la jiart des grands dentelés, du sterno-hu- méral et de quelques autres nuiscles une contraction permanente: mais il y a là un ensemble de conditions fort com- |)lexes qu'il est difllcile d'apprécier sans entrer dans de très longs développe ments. Ce que je viens de dire de la station s'applique particulièrement aux solipèdes Fjg. (30. — Thorax du cheviil suspendu entre les doux membres antérieurs par les grands dentelés. 1. Cuvier, A natoniie comparée, i. II, p. 151. r,. COLIN. — l'hysitil. coiii()., S*" éclil. 418 DES MOUVEMENTS. Les heureuses dispositions de l'appareil locomoteur, qui permettent à ces mam- mifères de se tenir debout, pendant longtemps, sans une grande fatigue, ne se retrouvent pas, au même degré, dans tous les animaux. Voici quelques-unes de leurs particularités différentielles chez les ruminants. Au membre antérieur, le coraco-radial, que nous avons vu destiné à empêcher la fermeture de l'angle scapulo-huméral, y est moins fort que sur le cheval; son tendon est étroit dans la coulisse humérale ; ses aponévroses superlicielles et ses intersections ne sont pas aussi prononcées. Les muscles olécràniens sont plus minces : l'extenseur antérieur du métacarpe plus faible et plus étroit; le ligament suspenseur du boulet, très large, offre à sa surface et dans son épaisseur des faisceaux musculaires plus nombreux que chez les solipèdes. Aux membres pos- térieurs, le grand fessier et les ischio-tibiaux affectent des dispositions remar- quables sur lesquelles nous reviendrons bientôt. Le fléchisseur du métatarse est divisé en trois faisceaux, mais il n'a plus sa bandelette tendineuse; enfin le fléchis- seur des phalanges, quoique un peu plus charnu à son extrémité supérieure que dans le cheval, conserve sa forme funiculaire si bien appropriée au rôle de puis- sance mécanique. La station quadrupédale, envisagée indépendamment de son mécanisme, offre diverses variétés plus ou moins intéressantes à noter. Celle des solipèdes est suf- lisamment caractérisée par le fait singulier du repos successif des extrémités pos- térieures; elle éprouve plusieurs modilications qui tiennent à certaines maladies et à la souffrance du pied ou d'autres parties des membres. Ainsi, lorsqu'une affec- tion quelconque donne lieu à une vive douleur dans les régions inférieures d'un membre, celui-ci reste fléchi en avantde l'autre et n'appuie point, oun'appuieque très légèrement sur le sol ; les autres ne peuvent se reposer tour à tour comme dans les circonstances ordinaires. Lorsque la respiration est très gênée, dans plu- sieurs maladies de poitrine, les membres d'un côté s'écartent plus ou moins de ceux du côté opposé ; quand l'animal est tourmenté de vives coliques, il rapproche ses membres postérieurs des antérieurs, etc.; mais ces particularités sont bien plus du ressort de la syniptomatologie que de celui de la physiologie. Hta,tioii Ijîpéïiale, — La station bipédale est celle de l'homme, des oiseaux et momentanément de quelques singes et de divers autres mammifères. Celle de l'homme a deux variétés: la première dans laquelle le corps est porté sur les deux membres abdominaux étendus ; elle correspond à la station forcée des quadrupèdes; la seconde où le corps est en grande partie appuyé sur l'un des membres, l'autre demeurant demi-fléchi, le genou en avant et le pied à peine appuyé sur le sol; celle-ci répond à la station libre des solipèdes. Dans la station bipède de la première variété, le fémur et le tibia se trouvent sur la même ligne, les genoux dans l'extension et les deux pieds reposent sur le. sol, du talon aux extrémités des doigts. L'équilibre est maintenu dans les parties du tronc, sans grands eflorts musculaires, car la ligne de gravitation de la tête passe par le trou occipital, comme Weber' l'a prouvé, et celle du tronc, étendue de la première vertèbre à l'extrémité du sacrum, suit l'axe du bassin ou un plan 1. Weber, 'Mi-itinifiiu' dex or/j. de la locornol. riiez Hiom. (Encyrl. anat., t. II, p. 309). ATTITUDES. ][\\ qui, passant par les articulations coxo-1'émorales, arrivciait aux ailiculalions tibio-astragalienncs. Néanmoins, il faut que les muscles cervicaux postérieurs retiennent la tète qui tend à tomber en avant, et que les extenseurs de la colonne vertébrale en assurent la rigidité ; (lu'enlin, les extenseurs de la jambe et le gas- trocnémien tiennent le genou j)lus ou moins tendu. Dans la seconde variété le membre qui su{)porte le corps est fortement étendu et le tronc un peu déjeté de son coté, de manière à rapprocher la ligne de "ra- vitation du pied à l'appui. Le membre dégagé est demi-fléchi, le genou en avant et le talon légèrement soulevé. Elle est moins fatigante que la première et [(erniet aux membres de se reposer tour à tour. Mais, dans les deux cas, les membres de l'homme, moins bien disposés, au point de vue mécanique, que ceux duclieval, ne peuvent soutenir le corps sans une action musculaire assez pénible ; aussi sa station le fatigue autant qu'une marche de même durée. La plupart des mammifères ne sont point organisés pour se tenir debout sur deux pieds. Tout, dans la disposition de leurs membres, indique que l'appui doit se faire à la fois sur les quatre extrémités; leur corps ne peut être amené dans une direction assez verticale: leur bassin est trop étroit, les rayons des membres abdominaux sont trop fléchis les uns sur les autres ; leurs pieds, qui s'écartent diflicilement, ne leur donnent pas une base de sustentation assez large pour ([u'ils puissent [irendre ou conserver longtemps l'attitudi; caractéristique de l'espèce humaine. (Juelques-uns seulement, les singes, les ours, parviennent à la prendre momentanément; d'autres, tels que l'écureuil, la gerboise, le kanguroo, s'accroupissent et se soutiennent sur le train postérieur; enlin le chien, le louj» et divers carnassiers peuvent s'asseoir sur la croupe et s'y maintenir à l'aide des membres antérieurs appuyés sur le sol. La station bipède des oiseaux s'eflectue par un mécanisme spécial, qui doit nous arrêter quelques instants. Le corps de l'oiseau étant plus ou moins oblique, et le centre de gravité placé en avant des articulations coxo-fémorales, il faut, pouf que l'équilibre soit j»os- sible, ou que le corps se redresse et devienne presque vertical (fig. (U), ainsi que chez les grèbes et les manchots, ou que les pieds se projettent assez en avant de maniè-re à arriver sur la ligne de gravitation. Or, chez la plupart des oiseaux, le fémur est fortement fléchi sur le bassin, et les tarses sont i)resque droits, les doigts très longs et écartés les uns des autres. De même que dans les mammifères, il y a dans les oiseaux des dispositions mécaniques qui viennent en aide aux puissances musculaires, et rendent la sta- tion aussi peu pénible ((ue possible; elles sont relatives aux os et aux muscles eux-mêmes. D'abord le condyle externe du fémur, d'après les observations de Duméril, porte sur son milieu une arête en avant et en arrière de laquelle se trouve une excavation ; le péroné, qui sert de point d'appui à ce condyle, est uni au fémur par un ligament élastique (|ui est tiraillé toutes les fois que la jambe est à demi-étendue ou ;i demi-fléchie, tandis qu'il cesse de l'être sous l'influence d'une extension ou d'une flexion très prononcée qui ramène la tête du péroné dans l'une des excavations, et l'y maintient par la tension du ligament élasti(pie C'est à cette espèce de ressort que les oiseaux doivent, en partie du moins, 42U DES MOUVEMENTS. raptitude àrestersi longtemps debout, même sur un seul pied ; mais ilestévidenl qu'elle ne suffit pas à expliquer la persistance de la station; car elle ne paraît s'opposer en rien à la flexion exagérée de la cuisse sur le bassin et du tarse sur la jambe, flexion qui^ de toute nécessité, doit être bornée soit par des ligaments, soit par des muscles. Dans la station bipédale des oiseaux, la base de sustentation étant très étroite, FiG. 61. — Station bifiédale verticale (*). l'équilibre doit avoir peu de stabilité; aussi pour que la ligne de gravitation tombe toujours sur cette base, il est indispensable que le tronc conserve une certaine inclinaison relativement aux membres, et que le cou, les ailes, la queue se maintiennent dans une situation déterminée. Or, on voit, en efl"et, d'abord que les pattes s'écartent plus ou moins l'une de l'autre, notamment chez les galli- nacés, ensuite que le cou se ploie en S, de manière à ramener la tète en arrière. Lorsque l'équilibre est menacé, le cor[)s oscille sur les membres, la queue s'élève et s'abaisse alternativement à la manière d'un balancier ; mais les mouve- ments de cet appendice ne sont pas destinés, comme le veut Barthez^, « à redresser i. Barthez, Noiiveld; ■)nrcani(ju(; des rnuuvenicjitn de Vhoiinneet des fmhnuux, 1798, p. 44. {* ) D'après A. E. Brelini, La vie di:s animaux illustrée. J.en oiseaua:. l'ui'is, lx"0. ATTITUDES. 421 à chaque instant le corps prêta s'uhatln^ en avant;» de même que dans la marche ils tiennent à ceux de la partie postérieure du corps et n'en sont jamais Fie. (■,-.>. St.iliuii pen^liée. KiG. 63. — Station sur une patte. indépendants, à moins qu'ils ne se bornent à un simple déplacement des plumes. L'abaissement et raij;itation des aiU's chez k's rapaces, alors qu'ils décbireni leur ^22 DES MOUVEMENTS. proie, sont évidemment destinés à affermir la station, en ramenant à sa direction normale la ligne de gravitation que les efforts de l'animal parviennent à déplacer. On ne saurait cependant attribuer le même usage au battement des ailes du coq qui chante ; car rien ne prouve que le corps éprouve, par le fait de la phonation bruyante, un ébranlement capable de déterminer la chute. Quant au* mouve- ments irréguliers de ces extrémités et de la queue qui viennent toucher le sol chez les oiseaux dont le cervelet a été lésé, ils ont certainement pour but de donner des points d'appui à l'animal et de lui permettre, par moments, une sta- tion moins chancelante que celle qui caractérise les mutilations de l'organe régula- teur des mouvements. Une des variétés les plus intéressantes de la station bipédale est celle de l'oi- seau perché sur une branche (fig. 62). Cette attitude, dans laquelle les rayons des membres sont fortement fléchis les uns sur les autres, paraît être moins fatigante que la station ordinaire, puisque ces animaux la prennent pour se reposer et pour dormir. Il est facile de l'expliquer par la disposition des fléchisseurs des pha- langes que Borelli ^ a parfaitement décrite et figurée. Ces muscles, passant en arrière de l'articulation tibio-tarsienne, courbent et fléchissent d'autant plus les doigts que les rayons du membre sont plus inclinés les uns sur les autres, ainsi qu'on peut s'en convaincre, soit sur l'animal vivant, soit sur le cadavre. Ils sont aidés, en outre, dans cette action mécanique, par cet autre muscle que Cuvier appelle l'accessoire fémoral, lequel part du bassin, passe dans une coulisse en avant de l'extrémité supérieure du tibia, et le contourne en dehors, pour rejoindre ses congénères en arrière de l'articulation tibio-tarsienne. Par suite de ces dispositions si remarquables, l'affaissement de l'oiseau sur ses pattes fait fléchir les doigts d'une manière purement mécanique, et leur fait étreindre d'au- tant plus fortement les branches que les rayons cèdent davantage sous le poids du corps. On conçoit ainsi très bien que cette attitude devienne celle du repos, du sommeil, et qu'elle assure à l'animal la stabilité de son équilibre sur un arbre agité par les vents. Il est certains oiseaux tels que la cigogne, le héron, la grue, etc., dont la sta- tion devient momentanément unipédale (fig. 63). Dans ce cas, l'oiseau, appuyé sur une seule patte, tient l'autre relevée et fléchie sous le corps, tout le reste du tronc demeurant immobile ; il conserve ainsi fort longtemps cette singulière atti- tude qui paraît propre à plusieurs échassiers. II. — Du DÉ CUBITUS. On désigne sous ce nom l'attitude des animaux couchés. Cette attitude que les quadrupèdes prennent pour se reposer et pour dormir n'est pas également fréquente et prolongée dans toutes les espèces. Les carnas- siers, le porc, les ruminants, se couchent très souvent, surtout après le repas; le cheval et les autres solipèdes à de rares intervalles. L'élépliant peut, dit-on, rester debout pendant d(!S mois entiers, quoique, dans les conditions ordinaires, 1. Boiulli, iJcmu/u anhnnlrurn, pars prima, prop. cxLix, lab. XI, fig. 0, 7. ATTITUDES. 423 il ait rhahitiidc (1(> se coucher niie l'ois pur jour ; quelques oiseaux, comme l'oie, le canard, la poule, se couchent qiie!([uet'ois ; mais la phqiart des vertébrés de cette classe ont une attitude de repos très différente du décubitus. Tous les animaux ne se couchent pas de la même manière. Les grands ruminants qui cherchent à se coucher regardent aulcjin- d'eux, comme pour s'assurer du lieu où ils veulent se reposer; ils baissent la tête et l'encolure, fléchissent successivement les membres antérieurs et se mettent à genoux, puis rapprochent les mend)res postérieurs du centre de gravité en les flé- chissant; après quoi ils s'affaissent sur les membres qui se ploient de plus en plus et tombent doucement sur le sol. Ce coucher s'effectue donc en deux temps bien distincts : l'un, pendant lequel le ruminant appuie ses genoux sur le sol; l'autre, pendant lequel il s'affaisse sur ses membres préalablement fléchis. Dès que l'ani- mal est à terre, il pousse quelques gémissements, surtout s'il vient de prendre son repas, étend ou rapproche ses membres, s'ils ne sont pas dans une jjosition convenable. Les solipèdes se couchent avec moins de précaution et de régularité que les ariimaux qui ruminent. Après avoir ramasse les membres antérieurs en arrière et les postérieurs en avant, ils les fléchissent, abaissent le tronc qui ne tarde pas à tomber comme une masse inerte. La position que prennent les animaux en se couchant est extrêmement variée : les modilications (ju'elle présente permettent de distinguer trois espèces princi- pales de décubitus, savoir : le décubitus stemal, le sterno-coslal et le latéral^ comprenant plusieurs variétés. T.e décubitus sternal est celui dans lequel le corps repose verticalement sur la partie inférieure du thorax et de l'abdomen, sans être penché ni d'un coté ni de l'autre, les membres étant disposés symétriquement de chaque côté : il appartient au chameau, au dromadaire, et on l'observe quelquefois chez le chien, le lion, la chèvre, le mouflon, etc. La première variété de ce décubitus est parfaitement caractérisée chez le dro- madaire. Dans cette attitude, la partie inférieure du sternum qui porte une callo- sité, est en contact avec le sol, les deux membres antérieurs sont repliés en arrière, un de chaque côté de la poitrine, pour élargir la base de sustentation; les membres postérieurs sont fléchis en avant, de telle sorte que le jarret, la face postérieure du canon et de la région digitée touchent le sol ; le grasset venant aussi, par. sa callosité, prendre un point d'appui à terre. Cette j)osition des membres est très remarquable, surtout dans les postérieurs, où la jambe se met en rapport avec le canon et ia région digitée ; elle tient, en ce qui les concerne, au mouvement produit entre l'astragale et le cahanéum, mouvement très étendu qu'on ne voit pas s'effectuer chez les animaux solii»èdes. La chèvre et le mouflon prennent quelquefois une attitude tout à fait sem- blable a celle que je viens d'indiquer. Un(^ seconde variété du liécubitus sternal s'observe souvent chez les carnas- siers, le lion et le chien, par exemple. Dans celle-ci, le corps repose horizonla- meut sur le sternum et la partie inférieure de l'abdomen ; les membres |)ostérieur^ sont fléchis, \\\\ de cluuiue côté de la croupe; les membres antérieurs, au con- 424 DES MOUVEMENTS. traire, sont portés eu avant et étendus parallèlement l'un à l'autre, s'appuyant à terre par leur face postérieure; le cou est étendu et la tête relevée comme lors de la station. C'est l'attitude du spliynv antique et celle que les statuaires donnent habituellement au lion couché. Une troisième variété de l'espèce dont nous parlons nous est ofl'ertepar l'ours- Cet animal se couche à plat ventre, les membres antérieurs étendus et rappro- chés; les postérieurs étendus aussi, mais très écartés l'un de l'autre. La face palmaire ou plantaire des pieds de devant regarde en dedans, et celle des pieds de derrière en dehors. Le décubilus sterno-costal est une seconde espèce dans laquelle le corps repose aussi sur le sternum et l'abdomen, mais penché d'un côté et appuyé, en partie, sur l'une des faces de la poitrine. Les membres n'y sont pas disposés symétriquement de chaque côté du tronc, comme dans l'espèce précédente. Ses variétés sont fort nombreuses; la plus commune est ordinaire aux animaux rumi- nants. Voici ses caractères: Le corps est penché et l'encolure est déjetée du côté opposé à celui sur lequel l'animal repose ; les membres antérieurs sont fléchis en arrière, l'un engagé sous la poitrine, l'autre plus ou moins apparent et placé de telle sorte que les talons viennent se mettre en contact avec le coude ; enfin, les membres postérieurs sont fléchis en avant ; l'un à peu près complètement caché sous le ventre, si ce n'est à la pointe du pied, l'autre libre, plus ou moins rapproché des parois abdomi- nales et habituellement plus projeté en avant que le premier. La flexion des membres thoraciques y a cela de particulier que le métacarpe et le pied passent en dedans de l'avant-bras, ce qui est le contraire dans le cheval; quelquefois le canon et le pied restent appliqués à la face postérieure de l'avant-bras, ainsi qu'on le voit chez le buffle;- souvent l'un de ces deux membres est porté en avant et étendu, comme on l'observe chez les cerfs notamment. Les membres postérieurs sont inégalement projetés en avant et éloignés du corps; l'un d'eux, tout à fait dégagé, dépasse habituellementrautre et arrive parfois jusqu'au niveau du coude. Quant à la tête, elle est presque toujours relevée et inclinée du côté opposé ;'i celui sur lequel l'animal repose; quelquefois elle est appuyée sur le sol par la mâchoire inférieure; enfin, elle peut être par moments appuyée sur le flanc on sur le jarret, par suite d'une flexion latérale de l'encolure portée à ses dernières limites; c'est ce qui arrive souvent au bœuf, au buffle et aux cerfs, quand ils cessent de ruminer et paraissent vouloir dormir; mais ils ne peuvent conserver longtemps cette position. Le décubitus sterno-costal est aussi habituel aux animaux solipèdes, du moins dans la plupart des cas. Bien qu'il ressemble beaucoup à celui des ruminants, il en diffère par la situation des extrémités. Si l'animal est couché à droite, le membre antérieur de ce côté est engagé sous la poitrine et le pied vient à la face interne du coude gauche; l'autre membre antérieur, également ployé, mais tout à fait libre, amène son pied tout près du coude. Les deux genoux laissent entre eux un écartementd'aii moins 80 centimètres. Les membres postérieurs sont reployés sous le corps et les pieds portés en avant, le gauche très éloigné du flanc; le jarret se trouve au niveau de la fesse et le sabot à celui de la pointe du calca- ATTITUDES. 425 néum. L'encolure est relevée et la tête maintenue, comme dans le bœuf. Ce mode de décubitus est plus ordinaire que le suivant aux soli[ièdes en bonne santé et peu fatigués. Le décubitus latéral est celui dans b-quel le corps repose tout à fait sur un côté de la poitrine, du ventre et de la croupe, l'encolure et le tronc appuyés sur le sol. Il s'observe chez le cheval, le porc, le chien, le chat, beaucoui» de carnas- siers, et ne se montre que très rarement chez les ruminants, si ce n'est dans les maladies graves où il est de mauvais augure. Jjc cheval, couché de cette manière, a les membres étendus ou très légère- ment lléchis, le cou et la tète en contact avec le sol ; le lion et le chat prennent souvent une position tout à fait semblable. On peut regarder connue une variété du décubitus latéral celui du chat et du chien lorsqu'ils se ploient en cercle jiour dormir. Alors ils lléchissent le cou, ramènent la tète sur le ventre, après avoir fortement courbé la colonne verté- brale, et ploient leurs membres vers le corps. On conçoit (pie le déeubitus latéral, exigeant peu ou point d'efforts muscu- laires, puisque toutes les parties reposent sur le sol, soit préféré par les animaux li'ès fatigués ou malades. Ouant au décubitus dorsal, il est presque exclusif à l'homme, à cause de l'apla- tissement de la poitrine et de la largeur du dos et des reins. Il n'est pas possible à la plupart des animaux, par suite de l'étroitesse de la région dorsale, de la forme de la poitrine, de la minceur du cou et de l'impossibilité dans laquelle sont les membres de venir, en s'écartant, reposer sur le sol, pour élargir la base de sustentation et abaisser le centre de gravité. Cependant, on voit l'ours prendre (pielquefois cette attitude, mais c'est momentanément, pour recevoir les frian- dises qu'on lui jette et non pour se reposer ou dormir. Telles sont les différentes sortes de décubitus propres aux animaux; il en est quelques-unes encore sur lesquelles il est inutile de s'arrêter, et qui tiennent en qucbiue sorte le milieu entre le coucher et la station, comme, par exemple, la position du chien et du loup, assis sur la croupe, la tête et la poitrine relevées et soutenues parles membres antérieurs tout à fait redressés. La manière dont les grands animaux se relèvent offrent plusieurs particularités intéressantes à noter. Les solipèdes qui ont les membres antérieurs repliés, les étendent et les portent en avant, d'abord celui (|ui est libre, })uis celui qui se tiouve engagé sous la |)oitrine. Après ce premier temps de préparation, les aninuiux font un ellort violent, redressent les membres thoraciques qui soulèvent brusquement le train antérieur; c'est là le second tem|)S pendant lecpu'l ils sont dans l'attitude du chien assis sur la croupe. Enfin, dans un troisième tenqis, les membres abdo- minaux, par une vigoureuse détente, soulèvent le train [tostérieur et achèvent l'opération. Les ruminants se relèvent suivant un mode tout opposé au précédent: l'animal, penché sur un côté, débute par un effort qui déjette le corps vers le côté opposé pour le ramener dans une situation aussi peu inclinée que possible; puis les mendtres postérieurs, par une délente, soulèvent le train de derrière et le corps 42li DES MOUVEMENTS. sur les extrémités antérieures agenouillées, et alors celles-ci se redressent l'une après l'autre. Il y a donc dans cet acte chez les ruminants deux temps bien dis- tincts, indépendamment de celui de préparation : — l'un pendant lequel le train postérieur se relève, les genoux reposant sur le sol; — l'autre pendant lequel les deux membres antérieurs se redressent à leur tour et successivement ; c'est, comme on le voit, précisément l'inverse de ce qui s'observe chez les solipèdes. Le mécanisme du décubitus est nécessairement très simple dans la plupart des circonstances. Néanmoins, cette attitude, bien qu'elle soit destinée au repos et au sommeil, n'est pas toujours entièrement passive : les modes que nous avons appelés sternal, sterno-costal, exigent, de même que la station, des eflorts mus- culaires pour soutenir la tête, élever l'encolure et la maintenir tordue, et d'autres efforts pour empêcher que le corps déjà penché ne tombe entièrement sur un côté. Les principaux sont ceux des muscles destinés à relever l'encolure et à sou- tenir la tête, mais ils sont puissamment aidés, chez les solipèdes et les rumi- nants, par l'action du ligament cervical. Les extenseurs, du côté opposé à celui sur lequel le corps est penché, étant obligés d'incliner le cou, sont évidemment plus fatigués que leurs congénères du côté opposé, surtout lorsque, par moments, la tête vient s'appuyer sur le flanc ou sur le jarret de l'animal. Dans le décubilus latéral, il n'y a pas, pour ainsi dire, d'efforts à fane, toutes les parties sont abandonnées à leur propre pesanteur et reposent sur le sol. La durée du décubitus et les divers caractères de cette attitude ont une signi- lication physiologique ou pathologique qui mérite une certaine attention. L'habi- tude que les animaux contractent de se coucher d'un côté plutôt que d'un autre ne paraît pas avoir l'inlluence qu'on lui attribue chez l'homme : les carnassiers, les solipèdes se couchent indifféremment à droite ou à gauche ; les ruminants eux-mêmes n'ont rien de particulier à cet égard. C'est bien à tort que Buffon a prétendu que le bœuf se couche ordinairement sur le côté gauche, et que le rein de ce côté est plus lourd et plus chargé de graisse que l'autre; cet animal, comme tous ceux de son ordre, le dromadaire et le chameau exceptés, s'appuie tantôt sur le côté droit, tantôt sur le gauche. Il est facile de voir, dans une prairie ou dans une étable, qu'une partie des animaux se regardent, tandis qu'une autre partie se tournent le dos, et que le même individu ne se couche point constamment du même côté, à moins que l'étroitesse de sa stalle, ou la gêne qu'il éprouve, ne le réduise à cette nécessité. CHAPITRE XI DES MOUVEMENTS SUR PLACE. On désigne sous cette dénomination certains mouvements que l'animal effectue sans qu'il y ait translation du corps d'un lieu dans un autre, et même sans que ra[i[»ui cesse de se faire à la place (pi'occupent, soit les membres antérieurs, soit les postérieurs. La ruade (il le cabrer se trouvent dans cette catégorie. i:AnRRR. 427 1. — Du CABRER. On a|)pelk> ainsi l'acU' par lequel le corps des quadrupèdes s'élève et se main- tient debout sur les membres postérieurs. Le cabrer comprend deux actions essentiellement distinctes, savoir : le mou- vement qui fait élever le corps sur le train de derrière et l'attitude qui est le résultat plus ou moins prolongé de ce mouvement. C'est une action diflicile à produire : 1° à cause de la difficulté qu'éprouve le train de devant à opérer une violente détente analogue à celle des membres jios- térieurs dans le saut et la ruade; 2" à cause de l'éloignement considérable qui existe entre le centre de gravité et la ligne d'appui des membres postérieurs sur laquelle ce centre doit être amené. Elle ne peut durer longtemps, par suite de l'intensité des efforts musculaires qu'elle nécessite, — de l'étroitesse de la base de sustentation — et de l'imiiossibilité à peu près complète du corps à [irendre une direction verticale. Dès l'instant que le centre de gravité passe toujours, soit en avant, soit très près de la limite antérieure du point d'appui, le corps tend à retomber sur les membres tboraciques, et il y revient en effet aussitôt que les ell'orts musculaires sont impuissants à contre-balancer cette tendance. Si, par moments, il arrive sur la base de sustentation, le moindre effort peut déterminer en arrière une cliute de l'animal. On doit distinguer dans lecabrer deux temps successifs : — l'un pendant lequel l'animal relève l'encolure ainsi que la tète et fléchit légèrement les membres antérieurs; — l'autre, de {irojection dans lequel les membres tboraciques, par une brusque et énergique détente, soulèvent la partie antérieure du tronc; — enfin, on peut même en reconnaître un troisième, suivant immédiatement la projection oi)érée par le bipède antérieur, alors que les diverses puissances musculaires élèvent progressivement la masse du tronc sur le train de derrière, iiour la mettre en équilibre sur la base de sustentation. Le mécanisme de cet acte a été exposé avec une lucidité remarquable par M. Lecoq\ qui a surtout exactement précisé le rôle des agents chargés d'aider l'inqmlsion des extrémités antérieures. La projection du cor|>s en haut el en arrière, eflèctuée par la détente des membres antérieurs préalablement un peu fléchis, constitue l'élément initial de de l'action du cabrer. Elle résulte, en grande partie, de la contraction brusque des muscles qui redressent, d'une part, l'articulation métacarpo-phalangienne, d'autre part, l'articulation scapulo-humérale, muscles qui sont, pour la pre- mière, les fléchisseurs de la région digitée ; pour la seconde, le coraco-radial et le sus-épineux. Les fléchisseurs des phalanges, en se contractant, lorsque le pied est encore à l'appui, agissent énergiquement sur le sommet de l'angle du boulet qu'ils ten- dent à redresser. La force qu'ils développent alors se décompose en deux parties : — l'une qui pousse le pied contre le soletfpii reste sans résultat utile; — l'autre qui élève les parties supérieures du mcniljrc et, avec elles, les régions antérieures du 1. Lecoq, Traité de l'eûctcrieur du c/teval, i' éilil., p. 371. 428 DES MOUVEMENTS. corps. Cette action, comparable à la détente d'un arc dont une extrémité repose- rait sur un plan résistant, projette le corps en haut et détache du sol les extré- mités antérieures qui, alors, décrivent une courbe à concavité postérieure. Les fléchisseurs produisent ce résultat en agissant sur un levier du deuxième genre dont l'appui est au sol, la résistance à l'articulation qui doit être étendue, et la puissance appliquée en arrière des grands sésamoïdes. Celle-ci a donc pour bras de levier toute la longueur de la région digitée, et ce n'était certainement pas trop pour le déploiement d'une force qui devait rejeter toute la masse du tronc sur les membres abdominaux. L'un des deux fléchisseurs du pied, le superficiel, a en outre, pour action de contribuer à étendre l'humérus sur le radius, et de devenir ainsi l'auxiliaire des autres puissances que j'ai indiquées. Le coraco-radial et le sus-épineux ont un rôle moins essentiel que les précé- dents. Le premier produit, par sa contraction, le redressement de l'angle sca- pulo-huméral et l'extension du bras, à la condition que le radius soit fixé par les gros muscles olécrâniens. Le second étend le bras sur l'épaule et celle-ci sur le bras : l'effet produit à l'une de ses extrémités contribue aussi bien à la détente que celui qui est opéré à son extrémité opposée. Quant aux autres muscles du membre thoracique, ils ne paraissent pas contri- buer pour beaucoup au développement de l'impulsion qui élève le corps. En effet, les muscles radiaux antérieurs agissent sur un rayon qui est arrivé à la limite de son extension ou à peu près. Les radiaux postérieurs, s'il se contractaient, ne feraient autre chose que déterminer une flexion du métacarpe préjudiciable à la détente. Enfin, les muscles olécrâniens ne peuvent être ici d'un grand secours, puisque l'avant-bras est déjà fortement étendu sur le bras. L'impulsion est donc produite essentiellement par les fléchisseurs des phalanges, et secondairement par le coraco-radial et le sus-épineux. Elle dérive sans doute de la contraction simultanée de tous ces muscles; contraction qui se continue après que le membre s'est détaché du sol, car l'avant-bras se fléchit sur le bras et le pied en entier sur le genou. Quoique les rayons osseux des membres thoraciques soient moins favorable- ment disposés que ceux des extrémités postérieures pour opérer une énergique détente, celle qu'ils produisent suffit à soulever le corps, et y suffit, lors même qu'elle ne dérive que d'un seul membre, puisque l'animal se cabre encore quand on lui tient en l'air celui du côté opposé. Elle est, du reste, plus que suffisante pour amener ce résultat, car le cheval parvient à se cabrer, môme lorsqu'un homme exerce sur la tête de l'animal une forte traction qui acquiert une énorme intensité à l'extrémité du long bras de levier représenté par la tête et l'encolure. Néanmoins, cette impulsion, si vive et si énergique qu'elle soit, ne peut que commencer le cabrer : c'est une espèce de saut du train antérieur qui tend à se jeter sur le tiain |)ostérieur. Il faut, pour l'achèvement de l'acte, que la projec- tion ascensionnelle des parties antérieures du corps soit continuée par un effort, d'élévation de la part des puissances musculaires du rachis et de la croupe ; en d'autres termes, il faut que le train de devant, qui a été soulevé d'abord par ses propres forces, soit retenu, saisi par celui de derrière, qui continue à l'élever et CABREU. Vi'J à l'attirer à lui, de manière à amener la ligne de gravitation au niveau ou très près des pieds postérieurs. Le second temps du cabrer ou le temps complémentaire doit donc résulter de la participation des muscles qui agissent sur la partie suiiérieurc de la colonne vertébrale et sur le bassin : l'ilio-spinal, les fessiers et les ischio-tibiaux. Ces muscles forment, par leur ensemble, une longue chaîne rpii [)art de la jambe, longe la cuisse, contourne la croupe et vient tendre la colonne dorso-lombaire pour saisir enfin la base et même la partie moyenne de l'encolure. Ils agissent sur une longue tige représentée par le bassin et par la colonne vertébrale, tige qui se meut sur la tète du fémur, comme un lléau de balance sur son couteau, s'abaisse par son extrémité ischiale et s'élève par son extrémité cervicale. L'ilio-spinal AB (lig. 6i), étendu du bassin à la base de l'encolure et attaché dans l'intervalle à toutes les vertèbres est le tenseur puissant du rachis. Iiraiïer- mit, en prévient les déviations latérales et l'unit solidement à la croupe. Évidem- ment ce muscle qui, en se contractant, tend à rapprocher l'une de l'autre ses insertions extrêmes, peut contribuer à l'élévation des parties antérieures, à une double condition, si, d'une part, le train de devant est déjà en voie d'ascension, d'autre part, si un point d'appui solide lui est donné sur le bassin. Or, la pre- mière condition est réalisée par la détente des membres antérieurs, et la seconde par la contraction des masses musculaires énormes qui entourent le bassin, sur- tout par celle des grands fessiers et des ischio-tibiaux. En dehors de ces condi- tions rien n'est plus difficile que de concevoir la participation de lilio-spinal à l'élévation des parties antérieures du corps sur le train de derrière. Les ischio-tibiaux CD. c'est-à-dire le long vaste, le demi-tendineux et le demi- membraneux, agissent sur le levier du premier genre, représenté par le bassin et la colonne vertébrale. La puissance est à la tubérosité ischiale, le point d'ap- pui à l'articulation coxo-fémorale, et la résistance dans toutes les parties anté- rieures du corps. Le bras de la puissance s'étend donc de la tubérosité de rischium au centre de l'articulation coxo-fémorale, sur laquelle le tronc doit s'élever en basculant d'avant en arrière, et celui de la résistance est mesuré par la distance qui sépare cette même articulation du centre de gravité. On conçoit, dès lors, (pie plus le corps sera long, jilus le bras de levier de la résistance sera étendu, et que plus celui-ci sera étendu, plus, par conséquent, le centre de gravité sera difficile à élever et à amener sur la base de sustentation des extrémités posté- rieures. Ce levier, presque horizontal, au début du cabrer, se meut sous l'in- fiuence de ces derniers muscles à la manière d'un balancier appuyé sur la tète du fémur; à l'extrémité de su longue branche est appendue la partie antérieure du corps qui s'élève ; sur la [letite branche ou sur l'ischium tirent en bas les vigoureux ischio-tibiaux. Les ischio-tibiaux, le long vaste notamment, agissent encore sur le sacrum par leur prolongement i)yramidal DH, mais cette partie de leur action est accessoire, par suite du peu de fixité de la région sacrée. Le grand fessier FG est une autre puissance qui agit en même temps que les muscles précédents, avec cette dilVérence que son action s'exerce sur un levier du troisième genre. Le centre du mouvement est toujours à l'articulation coxo- 430 DES MOUVEMENTS. fémorale, et la résistance dans les parties antérieures du corps à soulever, mais la puissance est appliquée dans un point intermédiaire, c'est-à-dire à la partie antérieure de l'ilium et jusqu'à l'extrémité du prolongement pyramidal du mus- FiG. 64. — Le cabrer. cle; son bras do levier est donc j>ius étendu que celui des muscles ischio-tibiaux. Il est impossible, dans l'acte du cabrer, d'isoler les actions des trois muscles. Ils forment un vaste ensemblecomposéde plusieurs pièces qui agissent à peu près comme celles du cou des oiseaux ou du corps des serpents, élevant successive- ment les parties les plus mobiles vers les plus fixes (|ui servent de point d'appui, toujours consécutivement à la détcMitc des membres antérieurs. Celle-ci com- CABREH. 't'M iiience la, [nojecUoii, en (Irtaclianl le corps; puis les muscles xieuuciit, loul à la fois, soutenir le tronc soulevé et continuer son niouveuicnt ascensionnel. L'ilio-spinal, les ischio-tibiaux et le grand fessier ne peuvent faire basculer le coxal sur la tète du fémur, élever la partie antérieure de la croupe et continuer le redressement du train antérieur commencé par la détente des membres thora- ciques,qu'àla condition de trouver un appui solide dans les rayons des membres abdominaux, dont les muscles doivent se contracter très énergiquement, surtout pour empêcher ceux-ci de s'alîaisser sous le poids du centre de gravité. Sans cette fixité des rayons, donnée par les rotuliens H, les jumeaux delà jambe I, les ischio- tibiaux et le grand fessier ne pourraient déployer toute la puissance qui doit, à elle seule, maintenir le corps sur le bipède postérieur, soit que l'animal conserve la même place, soit qu'il fasse quelques pas en avant. C'est cette puissance qui fait éprouver au train antérieur ces oscillations si remarquables, c'est-à-dire ces élévations et ces abaissements successifs, pendant lesquels les membres antérieurs sont projetés, à i)lusieurs reprises, en avant, comme les bras d'un homme qui gesticule. Le cabrer ne s'exécute pas avec une égale facilité chez tous les animaux. Parmi les grands quadrupèdes, le cheval est peut-être celui où il se produit le [ilus sou- vent et avec le moins de peine, lors même que l'animal est chargé du [loids du cavalier, et quebpiefois encore dans les circonstances où l'on cherche àeni|iè(her la tète de se relever, ou à lever un pied. Ce mouvement s'acconq)lit j)en(lanl l'al- lure du pas ou du trot avec une grande aisance, et elle donne à ces allures une grâce (pii est quelquefois recherchée dans ce qu'on appelle les atrs de manège. Les animaux de petite taille, la chèvre, le chien, l'ours, se cabrent encore plus aisément que les solipèdes. Le bœuf, qui a la région dorso-lombaire si longue, les reins si faibles et le train antérieur si lourd, ne peut se cabrer sans grande diflicullé. Néanmoins, tous les anitnaux, si pesants qu'ils soient, sont obligés de se cabrer pour l'accouplement; mais alors il n'est pas nécessaire, d'une part, (pie la détente du bipède antérieur amène le corps en équilibre sur le train de der- rière, et, d'autre part, qu'il s'opère de grands ellorts pour maintenir le corps, dès l'instant que la {)()itrine du mâle vient prendre un point d'appui sur la croupe de la femelle : ce n'est donc là qu'un cabrer incomplet, fort éloigné du cabrer si remarquable du cheval. II. — De la ruade. Sous ce nom, on désigne l'action par laquelle l'animal projette brusquement la partie postérieure de son corps en l'air j)ar une sul»ite détente des membres abdominaux. Cette action qui, plus restreinte, constitue l'un des éléuients du saut, se pro- duit de la manière suivante. L'animal qui veut ruer lléchit l'encolure, abaisse la tète et amène ainsi une plus grande partie du poids du corps sur les membres antérieurs. Puis, à la suite de cette pré|)aration, les membres abdominaux éten- dant brusquement leurs rayons, lancent la croupe en haut, et projettent les pieds postérieurs bien en arrière de la ligne surlaquellcilsse trouvaient précédemment. 432 DRS MOUVEMENTS. Les agents qui concourent à l'accomplissement de cet acte sont fort nombreux. En première ligne se trouvent les fléchisseurs des phalanges, l'extenseur du méta- tarse, les muscles rotuliens et le grand fessier ; eu second lieu, les ischio-tibiaux et l'ilio-spinal. Les uns sont plus spécialement chargés d'opérer la détente qui élève la croupe ; les autres de projeter en arrière les membres postérieurs. Il faut examiner successivement le rôle de chacun d'eux en particulier, et déterminer l'ordre suivant lequel ils agissent. Le premier élément de la ruade consiste en une détente plus ou moins rapide et plus ou moins énergique des membres postérieurs, détente effectuée non seu- lement par la contraction des extenseurs des divers rayons, mais encore par celle des fléchisseurs de la région digitée. Les rayons des membres postérieurs, formant des angles qui doivent être re- dressés, simultanément ou successivement, pour effectuer la projection du corps en haut, sont parfai- tement disposés, à cause du degré de leur inclinaison réciproque, pour permettre un mouvement très éten- du. Le premier des angles, à partir du pied, l'angle métatarso-phalangien, est redressé par les fléchis- seurs de la région digitée ; — le second, ou le tibio- tarsien,restparlebifémoro-calcanéen et parles mus- cles précédents; — le troisième ou le fémoro-tibial, par les muscles rotuliens; — enfui le quatrième, ou le coxo-fémoral, parle grand fessier. Chacun d'eux l'est dans une certaine mesure, et tous le sont au moment même oij le pied appuie sur le sol. L'effacement de l'angle du boulet résulte de la contraction des trois fléchisseurs des phalanges qui agissent sur un levier du deuxième genre (fig. 65) dont l'appui est au sol G ; la puissance A appliquée à la face postérieure des sésamoïdes, et la résistance B au centre de l'articulation métatarso-phalangienne sur laquelle pèse une partie du poids du corps. Il a lieu de la même manière que dans le membre antérieur, lors de la détente qui contribue à la production du cabrer. Son mécanisme a cela de très remar- quable, que les mêmes muscles qui fléchissent la région digitée sur le méta- tarse, lorsque le pied se lève ou lorsqu'il est en l'air, étendent cette région quand le pied est à l'appui, et en agissant précisément sur le levier éminemment favorable à la puissance. Le redressement de l'angle du jarret prend une grande part à l'impulsion du train postérieur: il est opéré directement par le bifémoro-calcanécn, et indirec- tement par le fléchisseur superficiel et le fléchisseur profond des phalanges qui, tous les deux, passant en arrière du tarse, l'un au sommet du calcanéum, l'autre dans l'arcade tarsienne, ne peuvent, par conséquent, relever le boulet sans con- tribuer à ouvrir l'angle tibio-tarsien. L'extenseur du métatarse et le fléchisseur superficiel des phalanges agissent encore ici sur le levier du deuxième genre, la Fig. 65. — Pied du cheval. UUADE, /l33 puissance s'oxorrant au sommet du oalcanéiim, — la résislaiiee à l'articulation — et le point d'appui au soi. C'est encore là une particularité intéressante que les lléchisseurs du pied deviennent les auxiliaires de l'extenseur du jarret. L'extension d(! la jambe sur la cuisse et de la cuisse sur le bassin ou, en d'au- tres termes, l'ouverture des angles du grasset et de la lianclie, contribue aussi pour beaucoup à la détente. Cette extension est opérée : — à la jambe par les muscles rotuliens, — et à la cuisse par le grand fessier. Elle est extrêmement importante, non seulement parce qu'elle prend une part active à la projection du train de derrière en haut, mais encore parce qu'elle fixe l'origine des fléchisseurs des phalanges et de l'extenseur du métatarse, qui ne pourraient produire leur effet si leurs attaches supérieures cédaient, nièinfulans une l'aihle mesure, à la force de contraction qui tend à rap[>roclier l'une de l'autre les extrémités opposées de ces muscles. Ainsi, l'ouverture ou l'effacement plus ou moins complet des angles formés par les divers rayons des membres abdominaux résulte de l'action coml)inée d'un grand nombre de muscles, parmi lesquels se trouvent des fléchisseurs et non pas seulement des extenseurs, comme on le dit généralement. Tous agissent pour opérer la détente alors que le pied est encore appuyé sur le sol, et la plupart d'entre eux meuvent des leviers du deuxième genre, qui donnent à la puissance un immense avantage. Mais, dès l'instant que lepied quitte lesol, tous ces leviers des extenseurs se transforment en leviers du premier genre à bras inégaux, très avantageux sous le rajiport de la vitesse. Par cette admirable substitution, (jue l'art ne parvient pas à imiter dans la construction de nos machines, les puis- sances musculaires sont très favorisées au début de leur action, pendant le(|uel elles doivent produire un eflet considérable, tandis qu'au moment suivant elles le sont beaucoup moins pour permettre à la vitesse d'atteindre ses dernières limites. Ce double résultat est ici obtenu de la manière la plus complète, puisque les muscles des membres i»ostérieurs agissent sur le levier éminemment favorable à la puissance, lorsqu'il faut développer l'impulsion de la détente, et sur un levier d'un autre genre à bras inégaux, très avantageux pour la vitesse, à compter de l'instant où il ne reste plus qu'à lancer les pieds en arrière avec une grande rapidité. Une seconde série de muscles viennent concourir à la ruade, mais à un autre titre que les muscles essentiellement destinés à eflectuer la détente : ce sont les ischio-tibiaux, le grand fessier et l'ilio-spinal. Les ischio-tibiaux C D, (ig. (56, que l'on considère, avec raison, comme des agents très essentiels au mouvement dont nous parlons, ne peuvent agir au même instant (pie les autres, car leur i)oint li\e étant au bassin, ils tendent à déterminer une flexion de la jandje sur la cuisse incompatible avec le redressement de lanulc lenioro-tibial. En eflet, comme il faut, pour développer l'impulsion, qui' la jaiiibr soit étendue par les muscles rotuliens, il est de toute évidence que les ischio-tibiaux, qui sont des fléchisseurs de cette région, doivent être relâchés alors que les exten- seurs sont en contraction. Par consécjuent, l'action du long vaste, du demi-ten- dineux et du demi-membraneux, doit succéder à celle des muscles rotuliens, et commencer seulement quand le pied vient à quitter le sol : l'analyse indique la n. COLIN. — Physiol. comp., ,1" ('dil, I — 28 434 DES MOUVEMENTS. réalité de cette succession, quelque rapide que puisse être le mouvement de la ruade; de plus, elle fait voir que ces muscles ischio-tibiaux, en agissant dans de telles circonstances et sur un levier du troisième genre, très favorable à la vitesse, restent étrangers à la détente projetant en haut le train postérieur, et qu'ils con- tribuent seulement à soulever et à lancer en arrière les rayons inférieurs des membres abdominaux. Enfin, l'ilio-spinal ABB vient prendre une part considérable à l'élévation du train de derrière. La fixité de ses attaches antérieures, augmentée par l'abais- RUADE. 435 sèment de la trto, la flexion de l'encolure et les eflorts dével()|)|M''s dans les mus- cles qui attachent le thorax aux mend)res antérieurs, lui permet d'agir puis- samment sur la croupe pour continuer le mouvement commencé par les muscles précédemment énumérés. Une fois que le train postérieur est sufiisamment élevé et que l'animal détache la ruade, eu lançant brusquement ses pieds en arrière, le grand lessier F prend une part active à cette projection en attirant le trochanter en avant. Les jumeaux de la jambe I, les fléchisseurs des phalanges, en étendant le jarret et le pied tout entier, concourent au même efl'et. Il est clair que la ruade est un acte inverse du cabrer, produit par un méca- nisme analogue. Ces deux actes tendent, en jetant un train en l'air, h porter le poids du corps sur celui (pii demeure à l'appui ; et ils sont dus, en grande partie aux mêmes puissances musculaires, dont les elTets opposés résultent d'une simple interversion dans la fixité ou dans la mobilité de leurs extrémités. Il ressort donc de l'exposé ci-dessus qu'il y a dans la ruade plusieurs actions distinctes et successives, l'une qui projette en hautla partie jjostérieure du corps, l'autre qui soulève et lance en arrière les parties inférieures des membres abdo- minaux : — la première résultant du redressement des rayons et deTelTacement des angles articulaires par la contraction des extenseurs et celle de certains fléchis- seurs, au moment de l'appui du pied sur le sol; — la seconde dérivant à la fois et de la contraction des ischio-tibiaux, qui a commencé dès que le pied a quitté l'appui, et de celle des extenseurs du métatarse, du fléchisseur des phalanges, qui s'est continuée jusqu'à ses dernières limites. Ces deux actions, par la rapidité avec laquelle elles se succèdent dans un mouvement aussi instantané que la ruade, ne peuvent s'isoler que rationnellement, par les diflérences essentielles qui existent entre elles, sous le rapport de leurs agents et de leur mécanisme. La ruade s'effectue plus ou moins facilement suivant les animaux. Elle s'opère avec une aisance remarquable chez les solipèdes, notamment chez l'àne et le mulet. Elle y est toujours précédée d'un temps de pré{)aration, i)endant lecjuel l'animal abaisse fortement la tète. Sans cet acte préliminaire, la ruade devienl tellement difficile, qu'il suffit ordinairement de maintenir la tête relevée pour mettre l'individu le plus vigoureux dans l'impossibilité de ruer. Dans tous les cas, elle ne peut durer (lu'un temps très court, car le poids du corps, le centre de gravité n'arrive presque jamais à être jeté sur les membres antérieurs. Dès que la force de projection verticale et d'ascension est épuisée, le train de derrière retombe lourdement sur le sol. Les grands ruminants nous oflVent une variété de ruade dans laquelle l'un des deux membres est projeté isolément en dehors et en avant, ou en dehors et en arrière. La disposition de la tête du fénmr, dont la surface articulaire très étendue se prolonge jusqu'à la base du trochanter, et l'absence du ligament pubio- fémoral,' sont les deux conditions qui expli{|uent la possibilité de cette sorte de ruade unipédale ou latérale qui tient en grande partie à l'action du long vaste. Ce muscle forme, comme on le sait, chez les ruminants, une vaste expansion qui descend de l'épine sus-sacrée, recouvre une grande partie de la croupe, et arrive à la face externe de la cuisse et de la jambe jusque sur l'extenseur du métatarse. 436 DES MOUVEMENTS. La ruade est un moyen de défense que la nature a donné à certains animaux et dont-ils se servent instinctivement, soit qu'ils aient à repousser les attaques de leurs ennemis, soit qu'ils aient à résister aux mauvais traitements que l'homme leur fait subir. Les jeunes solipèdes, les poulains par exemple, suivant la remarque de Galien ', ruent de très bonne heure, alors que la corne de leurs sabots est encore extrêmement molle. Les animaux vifs, et ceux qui sont méchants, le mulet, l'hémione, ruent très souvent ; dans tous les cas, les mou- vements qu'ils exécutent et la position que prennent leurs oreilles trahissent leurs intentions hostiles. CHAPITRE XII DES MOUVEMENTS PROGRESSIFS EN GÉNÉRAL Les mouvements progressifs, qui comprennent tous les actes par lesquels les animaux se transportent d'un lieu dans un autre, soit à la surface du sol, soit au milieu des eaux ou au sein de l'atmosphère, sont extrêmement variés par leurs caractères et leur mécanisme. Il convient d'examiner d'abord ce qu'ils ont de commun entre eux, avant de les étudier chacun en particulier : une étude préliminaire du jeu des extrémités, — du développement de l'impulsion, — des causes qui affaiblissent les réactions, — des déplacements du centre de gravité, est indispensable à l'intelligence de ce qu'on appelle les allures, dans la progres- sion à la surface du sol. i. — Du JEU DES MEMBRES. Dans les mouvements de progression, les membres, pour donner l'impulsion au corps et le soutenir à mesure qu'il se déplace, agissent tour à tour suivant un ordre déterminé et se trouvent alternativement en l'air et à l'appui. Leur jeu se compose de deux actions : — l'une par laquelle ils quittent le sol, se portent en avant et arrivent à leur maximum d'élévation ; — l'autre par laquelle ils s'étendent et reviennent à l'appui. Chacune d'elles s'effectue par un mécanisme unifoi^me dont l'exposé sommaire va faire le sujet de ce paragraphe. Je prends pour types les solipèdes, dont les allures régulières doivent nous servir de terme de comparaison. 1° Lie uiciiilïrc aiitéi'îeiii» [)osé est chargé, à lui seul, de tout le poids qui pèse sur le bipède lors de la station. Mais nous savons déjà par quelles heureuses coml)inuisons mécaniques les extenseurs sont favorisés, en agissant sur des leviers interrésistants substitués aux leviers du premier geni'e. MOUVEMENTS PROGRESSIFS EN GÉNÉRAL. 439 A En analysant sommairement la deuxième action des extiV-mitôs, nous voyons d'abord que l'épaule, lorsque le pied revient à l'appui, est ramenée dans sa posi- tion par le trapèze cervical, le releveur ])ropre et peut-être [lar l'angulaire, qui agissent sur son extrémité supérieure. L'angle scapulo-huméral et le bras reviennent en arrière pur la contraction des deux pectoraux et du grand dorsal, (jui est l'anta- goniste le mieux caractérisé du masioïdo-liuméral. L'humérus (fig. 68) qui est transformé en levier du troisième genre, relativement au grand dorsal, l'est aussi de la même manière pour l'adducteur et les abducteurs, qui deviennent fléchisseurs parlefaitde la simultanéité de leur raccourcissement. 11 éprouve à son extrémité inférieure une élévation sensible à la(iuello les muscles olécràniens ne restent point étrangers. L'avant-bras reprend sa direction verticale, en- traîné par les cinq muscles olécràniens ABC, qui agissent presque perpendiculairement sur un levier du premier genre, tant que le pied n'a point encore eiïectué son appui. La force totale que ces extenseurs sont susceptibles de déployer dépasse, certainement, de beaucoup celle qui est nécessaire à l'extension de l'avant-bras, et tout porte à croire que chacun d'eux est loin de dépenser la part de puissance qui résult(> de sa contraction. Le métacarpe, en s'étendant sur l'avant-bras, vient se placer dans l'axe de celui-ci, de telle sorte que les deux rayons forment une colonne rectiligne qui est oblique lorsque le pied commence et lorsqu'il achève son appui, et verticale seulement dans la période intermédiaire. L'extenseur du métacarpe produit ce redressement en agissant sur un le\ier du troisième genre au lieu d'agir sur un levier interfixe, comme la plupart des autres extenseurs. (Juand le tendon de ce muscle est coupé, l'animal tombe sur un genou, dès que, dans une allure un peu précipitée, le [)ied vientàappuyer sur le sol, et il lond)e sur Icsdoux si les tendons sont coupés de l'un et de l'autre côté. Enfin, les muscles extenseurs des phalanges se contractent pour rendre à la région digitée l'obliquité relative qu'elle présente pendant l'appui. Us se con- tractent aussi pour étendre le genou au-devant duquel ils passent ; car leur section rend le cheval sensiblement arqué, tout en permettant aux phalanges de prendre, à très peu de chose près, l'inclinaison qu'elles acquièrent dans les circonstances ordinaires. On conçoit, du reste, très bien cette particularité en réiléchissant que le poids du corps suflirait à faire descendre le boulet au point de l'amener sur le sol, si l'intervention du ligament sésamoïdien supérieur n'y mettait obstacle. Fn.. t)!^. — Le membre anté- rieur retombe sur le sol. 440 DES MOUVEMENTS. Le pied, en retombant sur le sol, produit un choc qui réagit de proche en proche sur les articulations supérieures, et s'affaiblit par l'effet de diverses- causes dont nous examinerons l'action après avoir jeté un coup d'œil sur les mouve- ments des membres postérieurs. 3° Lie iMieiiilji'e postérieiu* s'élève et se porte en a^va,iit. — Lors- que le membre abdominal s'élève et se porte en avant, la cuisse se fléchit sur le bassin, la jambe se fléchit sur la cuisse, et le pied tout entier sur la jambe. Les divers angles que forment entre eux les rayons de cette extrémité se conservent, en se fermant à un degré plus ou moins prononcé; l'angle métatarso-phalangien seul éprouve une inversion : son sinus, qui est antérieur pendant l'appui, devient postérieur tant que le pied est élevé au-dessus du sol. La cuisse, qui, à l'état normal, se trouve, pour me servir des expressions de Bourgelat, à peu près à la moitié de sa flexion en avant, décrit inférieurement, dans l'action qui nous occupe, un arc de cercle assez étendu. Sa flexion, effectuée en sens inverse de celle du bras, reconnaît pour agents essentiels le psoas des lombes, le psoas iliaque, et chez les solipèdes le moyen fessier AB (lig, 69). En outre, elle paraît avoir pour auxiliaires le fascia lata et l'ilio-rotulien qui, en se contractant, tendent, d'une part, à étendre le tibia, et d'autre part, à fléchir le fémur. Mais, comme au lever du membre il faut que la cuisse et la jambe se fléchissent simultanément, il est difficile de démêler la combinaison qui peut permettre à ces derniers muscles de fléchir la première, sans mettre obstacle à la flexion de la seconde. L'angle fémoro-tibial, ou l'angle du grasset, est projeté très sensiblement en haut et en avant, dès le début de l'action de chaque membre postérieur soulevé. Son mouvement est un des plus évidents et des plus faciles à suivre de tous ceux qui s'opèrent dans les diverses parties de cette extrémité. La jambe se fléchit sur la cuisse par la contraction des ischio-fibiaux CD (fig. 69), qui. meuvent un levier du troisième genre sur lequel leur insertion devient d'autant plus perpendiculaire que la flexion est portée plus près de ses limites extrêmes. Elle s'étend, au contraire, sur le rayon crural dès que l'extré- mité, parvenue à son maximum d'élévation, se porte obliquement en avant pour revenir à l'appui. Ces deux actions successives, que la théorie indique, sont fort difficiles à saisir dans les allures rapides; mais elles se distinguent assez nette- ment l'une de l'autre dans le pas ordinaire. Le métatarse est fléchi sur la jambe par le tibio-prémétatarsien qui agit sur un levier du troisième genre. A lui seul, ce muscle suffit pour soulever les diverses sections du pied dont le poids ne constitue pas, du reste, une résistance bien considérable.' Enfin, la région digitée se fléchit sur le métatarse, de telle sorte que le sinus de l'angle métatarso-phalangien devient postérieur au lieu d'être antérieur, comme pendant l'appui du membre sur le sol. Par suite de ces difl'érentes flexions, opérées à peu près simultanément, le meinlire abdominal est devenu plus court, s'est détaché du sol et porté en avant, suivant une ligne plus ou moins oblique. 11 nous reste à l'examiner à l'instant où il s'étend et revient à l'appui. MOUVEMENTS PROGRESSIFS EN GENERAL. V 1 1 4" L.e i»«cuiil»i'c iiosiérieur M'éteiid et rctouilte «m* le tiol, — Pour que ce mouvement (l'enseml)le s'cllcctue, il est indispensable qu'il y ait : 1° relâchement des muscles qui se sont contractés dans la priiode (uécédeiile, et 2" contraction de leurs antagonistes. D'abord, la cuisse est étendue sur le bassin par le grand fessier AB flig. TU) Fk;. 09. — Le membre posiérieur s'élèvi et se porte en avant. 70. — Le membre postérieur revenu à rajipui. dont la branche trocliantérienne principale agit sur un levier coudé du premier genre. La jambe l'est sur la cuisse par les muscles rotuliens CD qui meuvent un levier dont les extrémités osseuses se trouvent réunies par des ligaments intermé- diaires. Le métatarse est, à son tour, ramené à l'extension par le gastrocnémien EP l^lig, 70), ot la région digitée reprend insensiblement son angle de llcxion à ouverture antérieure, par la contraction des deux extenseurs des phalanges. ^rl DES MOUVEMENTS. On voit, d'après le rapide aperçu qui précède, que le jeu de chaque membre se compose de deux actions essentiellement distinctes : Tune par laquelle il se fléchit, s'élève et se porte en avant; l'autre par laquelle il s'étend, se rapproche du sol et vient effectuer son appui. Leur succession alternative exige que les extenseurs et les fléchisseurs des articulations se contractent tour à tour, suivant un ordre rigoureusement déterminé; elle permet, par conséquent, aux premiers de se relâcher pendant que les autres agissent, et réciproquement, de telle sorte que, pour chaque muscle, il y a une période d'action à peu près égale à celle de repos. Aussi on conçoit qu'une allure lente soit moins pénible, chez la plupart des animaux, que la station qui exige une contraction permanente des extenseurs, sans nécessiter des efforts proportionnels de la part des muscles fléchisseurs. Il serait sans doute intéressant de savoir quel est le rapport qui peut exister, dans ces deux actions, entre l'intensité de la force déployée par les extenseurs et l'intensité de celle des fléchisseurs. Mais, pour donner au problème une solution, même approximative, il faudrait connaître exactement les proportions de nombre et de volume qui s'observent entre ces deux ordres de muscles, évaluer l'in- fluence que peut avoir la structure simple ou complexe de ces organes sur l'éner- gie de leur contraction, apprécier l'action qu'exercent sur les forces la nature et les conditions dynamiques des leviers. Une telle détermination échappe à toute espèce de calcul et à l'analyse la plus minutieuse. Du reste, à supposer qu'elle puisse être réalisée dans une région, les résultats qu'elle donnerait ne seraient nullement l'expression d'une loi générale : il faudrait la tenter successivement dans toutes les autres parties de l'appareil locomoteur. Il suffit, pour concevoir l'impossibilité de déduire une formule synthétique de quelques évaluations parti- culières, de se rappeler les grandes variations de nombre et de poids qui se remarquent, suivant les régions, entre les muscles qui étendent et ceux qui flé- chissent les leviers osseux. Voyez, par exemple, l'avant-bras qui a cinq exten- seurs opposés à deux fléchisseurs d'un volume peu considérable ; puis le méta- carpe qui, au contraire, n'a qu'un seul extenseur pour trois fléchisseurs; le pied, qui possède les premiers et les seconds en même nombre dans le membre anté- rieur, et en nombre inégal dans le postérieur : il n'en faut pas davantage pour se convaincre que les rapports dont nous parlons ne peuvent servir d'éléments à une évaluation rigoureuse. Maintenant que nous avons décomposé l'action de chaque extrémité en ses divers éléments, examinons-la dans son ensemble, abstraction faite de l'espèce d'allure que peut présenter l'animal. OMciliatioiiiii «les cx:ti'oiuité.s* — Le jeu d'un membre, dans les mou- vements progressifs des quadrupèdes comi>rend quatre périodes. Dans une pre- mière, qui est le lever, le pied quitte le terrain ; — dansune seconde, qu'on appelle le soutien, il est en l'air ; — dans une troisième, ou le poser, il revient sur le sol ; — enfin, dans une quatrième, ou Vappui, il supporte sa part du poids du corps. Lorsque les quatre extrémités ont passé par ces quatre phases successives, qui peuvent être réduites à deux Vappui ci le lever, il s'est efl'ectué ce qu'on nomme un pas complcl. MOUVEMENTS PROGRESSIFS EN GENERAL. 443 Quelle que soit l'allure de ranimai, cliaque membre, pour accomplir l'action (l(jiil les phases viennent d'rtre indi(jui'es, se meut à la manière d'un iiendulc, <|i]i, par ses oscillations plus ou moins rapides et plus ou moins étendues, donne la mesure de l'espace parcouru par le centre de gravité dans un pas complet. FiG. 71. Oscillation (run membre levé. Lorsque le membre est en l'air, il passe successivement par trois situations fort distinctes (fig. 71). A son lever C, il est obliquement incliné de haut en bas et d'avant en arrière ; — au milieu de sa course, le pied et le coude se trnuvent à Fia. 7-2. — Oscillation d'un membre à l'appui. peu près sur une même ligne verticale ; — enlin. à l'instant oii il va ed'ecluer son appui, il est oblique de haut en bas et d'arrière en avant. J'appellerai initiale la première situation, moyenne la seconde cl /lnnle\a troisième. Ce membre étendu dans ses deux situations extrêmes, et lléchi dans l'intermédiaire, décrit, pour 444 DES MOUVEMENTS. passer de la première à la dernière, un arc de cercle CBA dont la corde donne la mesure exacte de l'amplitude de l'oscillation opérée par l'extrémité inférieure du pendule. Le membre qui est à l'appui se meut aussi d'arrière en avant, comme celui qui est en l'air, et il passe, de même que ce dernierj par les trois situations pré- cédemment énumérées. A sa direction initiale A (lig. 72), c'est-à-dire au moment où il commence son appui, il est oblique de haut en bas et d'arrièreen avant; — à sa direction finale G, il est oblique en sens inverse ; — à sa direction intermé- diaire B, il est vertical. Pendant que, dans le pas, le membre levé décrit, par son extrémité inférieure, un arc de cercle d'une étendue déterminée, le membre à l'appui en décrit un autre par son extrémité supérieure, égal à la moitié du pre- mier. En comparant le jeu de l'extrémité qui est en l'air avec celui de l'extrémité qui est à l'appui, on voit que les situations de même nom sont isochrones, ou, en d'autres termes, que l'une et l'autre extrémités sont ensemble à l'initiale, puis à l'intermédiaire et à la finale ; d'où il résulte que les deux membres se trouvent sur une même ligne transversale quand ils arrivent au milieu de leur action, tandis qu'ils forment l'un par rapport à l'autre, à la fin et au commencement de cette action, un angle plus ou moins ouvert et à sinus inférieur. Seulement, dans la situation initiale, le côté antérieur de l'angle est constitué par le membre à l'appui, et le même côté l'est, au contraire, par le membre levé dans la situa- lion finale. C'est là un point hors de toute contestation. Les deux membres d'un bipède, soit antérieur, soit postérieur, en jouant ensemble, chacun suivant un mode spécial, représentent assez exactement deux pendules, dont l'un, celui du membre levé, oscille par son extrémité inférieure, et dont l'autre, celui «lu membre appuyé, 'oscille par son extrémité supérieure. Leurs oscillations, qui commencent et qui finissent ensemble dans le pas, sont par conséquent isochrones, et de même vitesse, mais elles n'ont point une égale amplitude : nous verrons tout à l'heure que celles de l'extrémité qui est en l'air ontune étendue double de celles de l'extrémité qui repose sur le sol. Ce que les deux membres d'un bipède antérieur ou postérieur font ensemble, dans un même temps plus ou moins fractionné, chacun d'eux le fait en deux temps successifs. Puisque, d'une part, l'action d'un membre, dans un pas complet, comprend deux grandes périodes, l'une de soutien, l'autre d'appui, et que, d'autre part, chacune de ces périodes se subdivise en trois situations différentes, il est évi- dent que, quand le pas sera achevé, l'extrémité aura passé successivement par les six situations A', B',G',D', E', F' (fig. 73). Ces six situations, parfaitement dis- tinctes, représentent, si l'on veut, six temps, dont trois, le lever, le soutien et le poser, ont été rapportés ' à la période pendant laquelle le membre est en l'air, et considérés comme correspondant au commencement, au milieu et à la fin de l'appui, formant les trois temps de la période pendant laquelle le membre sup- porte le corps. Mais de ces six temps, deux sont des intermédiaires : le lever est 1. (',. Raabe, Locomotion du dieval, Examen du Traité de l'extérieur du chevnl, de M. Lecoq, et de fa Phi/siolngif.- eo/uparée, de M. G. Colin. Paris, 1857. MOUVEMENTS l'IîOGRESSIFS EN GÉNÉRAL. 4'l5 autant la lin (h; l'appui (|uc le coniinenccinent du soutien, et Je poser autant la lin du soutien que le début de l'appui. Pai-taiit des données qui précèdent, nous pouvons déterminer l'étendue de l'es- pace i)aicouru par le nienibre à l'une et à l'autre de ses extrémités. ''t^ C^Mnt:*^^ FiG. 73. — Oscillations des extrémilés. Pendant qu'il est au lever, il éprouve, par son extrémité inférieure, une oscil- lation dont l'amplitude GH est double de l'oscillation D'F' qui se produit à son extrémité supérieure lorsqu'il est à l'appui. En elTet, en même temps que le pied levé décrit l'arc GH, le membre opposé a, b, c, que la figure 73 représente sur un second plan, décrit l'arc A' C par son extrémité supérieure. Ce dernier arc étant le résultat de la progression en avant du centre de gravité, progression qui dérive de l'iuqndsion comniuni(|uéc au corps par les membres abdominaux, il est clair qu'il sera également décrit par la partie supérieure du mendire levé. D'où il suit que le point A', considéré comme centre du mouvement du membre levé, se meut autant que le point correspondant du mendjre à l'appui. Il passe en B' lorsque le pied se trouve à la situation moyenne, et arrive en C quand celui-ci est parvenu à sa situation finale. Le pendule représenté par ce membre en l'air éprouve donc un double mouvement : il oscille à la fois et par son extré- mité supérieure et par son extrémité inférieure. Dans l'allure du pas, par exemple, pendant que l'amplitude de l'oscillation de la partie inférieure du mendjrc est de 1"', 50, celle de l'extrémité supérieure n'est ((ue de 75 centimètres. C'est du déplacement de sa partie suix-rieure que résulte pour le membre la possibilité de parcourir, de son lever à son apjtui, un trajet qui va jusqu'à 5 à 6 mètres, dans l'allure du galop, par exemple. De plus, le membre, pendant son lever, ayant parcouru suj)érieurement le trajet A' B'C, et devant parcourir, pendant son appui, c'est-à-dire pendant la seconde des deux grandes périodes de son action, le trajet D'E'F', lesquels mesurent ensemble res[>ace parcouru par le centre de gravité, il faut nécessaire- ment (pie, dans la duré(^ (b* ci^s iV^wx périodes, le |»ied parcoure un trajet égal à 446 DES MOUVEMENTS. celai du centre de gravité, ou, en d'autres termes, que le membre, pendant la durée totale de son action, éprouve un déplacement rectiligne de même étendue à l'une et à l'autre de ses extrémités. Aussi la corde de l'arc GH décrit par le pied est-elle équivalente à la somme des cordes des deux arcs A' G' et D'F' décrits par l'extrémité supérieure du membre. Enfin, comme l'extrémité supérieure du membre emploie toute la durée de la période du lever et de celle de l'appui pour effectuer son trajet, tandis que l'extré- mité inférieure ne met, pour effectuer le sien, que la durée d'une seule de ces périodes, il faut que dans l'une d'elles le pied parcoure le même espace que l'extrémité supérieure 'dans les deux réunies. Et comme ces deux périodes sont de même durée dans le pas, la vitesse du pied doit être double de la vitesse de la partie supérieure du membre ou du centre de gravité. Voilà pourquoi les oscillations du pied levé sont deux fois aussi rapides que les oscillations de la partie supérieure du membre à l'appui, bien que les premières et les secondes commencent et finissent ensemble, ou, en d'autres termes, qu'elles soient par- faitement isochrones. On peut se demander ici si les deux temps de l'oscillation du pied levé sont nécessairement égaux. Dans le membre postérieur, la première moitié de l'oscillation, suivant immé- diatement l'impulsion qu'il vient de donner, est peut-être plus rapide que la seconde moitié correspondant au moment où l'effet de l'impulsion va s'éteindre. Dans le membre antérieur, au contraire, dont la première moitié de l'oscilla- tion correspond à la seconde du membre précédent, à l'allure du pas, cette pre- mière moitié ne doit-elle pas être la plus lente, étant aussi éloignée que possible du début de l'impulsion. Il est vrai qu'au moment où l'impulsion d'un membre postérieur s'éteint, celle de l'autre commence. Aussi peut-il s'établir une com- pensation qui donne au mouvement oscillatoire une vitesse uniforme. Ces considérations posées, il reste à rechercher quelle est l'étendue de l'espace parcouru par le corps ou par le centre de gravité dans un pas complet : dernier point très facile à déterminer, soit rationnellement, soit parla voie expérimentale. Sachant premièrement que le pas complet est effectué lorsque les quatre extré- mités ont passé chacune par les phases précédemment indiquées, — et deuxième- ment quel est l'espace mesuré par un membre pendant la durée de son action, nous pouvons, sans grandes difficultés, préciser l'étendue de l'espace parcouru pondant un pas entier. Pour arriver à ce résultat, il n'est nullement nécessaire de s'occuper des extré- mités postérieures qui doivent, chacune, franchir autant d'espace que chacune des extrémités antérieures, et ne peuvent progresser ni plus ni moins vite que ces dernières, au mouvement desquelles elles se trouvent intimement subordonnées. Il suffit de tenir compte du trajet mesuré par un pied antérieur pendant qu'il est en l'air, trajet égal à celui mesuré par l'extrémité supérieure du même membre pendant la période de l'action et celle de ra|)[)ui. Or, comme, dans un pas com- plet, les oscillations supérieures du membre antérieur droit sont isochrones ;\ celles du membre antérieur gauche, le centre de gravité n'a progressé que de l'es- pace mesuré par les cordes des deux arcs A' G' et D'F', dont la somme est équi- MOUVEMENTS PROGRESSIFS EN GÉNÉRAL. Vl7 vak'iite à la corde de l'arc unique GH, di'crit par l"un dos pieds pendant le !ev<;r d'un membre. On conçoit aisément que l'étendue du pas ne puisse pas être égale à celle de deux oscillations du pied levé ; car, pendant la durée d'un pas complet, les deux membres d'un bipède antérieur, par exemple, agissent ensemble, de telle sorte que les trois phases du lever A'B'C du membre droit correspondent aux trois phases a, Z», c de l'appui du mendjre gauche, et réciproquement pour les trois suivantes. En appliquant ces données à l'allure du pas, nous voyons que, sur quatre temps, chaque membre est pendant deux en l'air et deux autres à l'appui. Pen- dant les deux temps qu'il est en l'air, son extrémité inférieure franchit l'espace d'un pas complet et son extrémité supérieure n'en franchit que la moitié. Puis, lorsque ce même membre vient à l'appui, dans les deux autres temps, son extré- mité inférieure, dont la course est achevée, demeure lixe, tandis que l'extrémité supérieure parcourt la seconde moitié du pas. D'oi!i il suit que l'extrémité supé- rieure d'un membre emploie quatre temps, comme le centre de gravité, pour par- courir l'espace d'un pas, espace que l'extrémité libre du membre en l'air a par- couru en deux. En d'autres termes, la vitesse de translation du centre de gravité est égale à la moitié de la vitesse du pied oscillant en l'air. L'espace parcouru parle corps ou par le centre de gravité dans un pascomplet varie suivant les allures. Il résulte des expériences résumées ultérieurement en plusieurs tableaux, que cet espace est à peu près égal à la longueur du parallélo- gramme de la base normale de sustentation, dans le pas très lent : à une fois et demie cette longueur dans le pas ordinaire; à deux fois dans le trot; à trois et jusqu'à quatre fois dans le galop. L'augmentation progressive de l'étendue du pas tient, tant cà l'accroissement de l'obliquité du membre au début et à la lin de son action, qu'à l'étendue du déplacement du corps et de l'extrémité supérieure du membre pendant que l'inférieure effectue sa course. Celle-ci est accrue dans des proportions énormes, par l'étendue du déplacement du corps, car le membre oscillant est animé, à la fois, d'un mouvement rapide commun à la masse du corps et d'un mouvement propre plus rapide encore. Dans toutes les allures, les quatre membres n'ont pas nécessairement leurs oscillations d'une amplitude et d'une durée uniformes. Aussi les battues ne se succèdent pas toujours à des intervalles égaux et les espaces franchis par les di- vers membres ne sont pas toujours exactement de même étendue. Mais ces parti- cularités seront indiquées à leur [»lace. Les considéralions précédentes s'appliquent au jeu des extrémités lorsque l'al- lure est entamée, c'est-à-dire lorsqu'un pas succède à un autre pas. Le début d'une allure comporte quelques combinaisons qui s'opposent à une analyse exacte des diverses particularités qui viennent d'être rapidement exposées. II. — De l'impulsion. Tout ce que je viens de dire de l'action si compliquée des membres n'a pu faire pressentir le mécanisme par lequel se développe la force destinée à connimniquor 448 DES MOUVEMENTS. au corps un mouvement de translation et, cependant, ce mécanisme résulte du jeu même des extrémités. Déjà nous avons vu que les membres antérieurs sont surtout organisés pour soutenir la plus grande partie du poids du corps. Placés en avant du centre de gravité, ils ne peuvent guère contribuer à le faire progresser dans la plupart des allures. Néanmoins, ils ont quelquefois une action impulsive bien caractérisée ; ils lancent le corps en l'air dans le cabrer, et prennent une grande part à l'impul- sion du reculer comme à celle du tirage. Les membres postérieurs, outre leur rôle de sustentation qui leur est commun avec les premiers, ont celui de développer la plus grande partie de la puissance qui pousse le corps en avant, dans la généralité des mouvements progressifs. C'est ce qu'il s'agit de démontrer dans ce paragraphe. Les anciens auteurs, Gassendi, Borelli, Haller, entre autres, se faisaient une idée très fausse de la nature de la puissance qui imprime au corps un mouvement progressif. Ils croyaient que le sol, sous l'influence de la percussion opérée par le pied, réagissait avec plus ou moins d'énergie et développait ainsi une force qui devenait la cause de la progression. Cette réaction du terrain sur lequel les mem- bres arc-boutent donnerait lieu, d'après Borelli ^ à un mouvement réfléchi analogue à celui de la barque sur laquelle vient appuyer la perche du batelier. Toutefois la détente effectuée par les extenseurs des articulations était aussi regardée comme prenant une part notable au développement de l'impulsion. Barthez, en avançant que la force de répulsion ou de réaction du terrain est purement imaginaire, a évidemment exagéré l'erreur de ses devanciers. En effet, Borelli n'a jamais voulu dire et n'a dit nulle part que l'impulsion tient unique- ment à la réaction du sol contre lequel les membres arc-boutent lors de la progres- sion. Dans plusieurs de ses propositions, il a donné, au contraire, assez claire- ment à entendre que les muscles extenseurs contribuent beaucoup à la production de la puissance qui devient la cause efficiente des mouvements progressifs. En traitant du mécanisme du saut, par exemple, il fait remarquer qu'à la suite d'une flexion préalable des articulations il y a une détente subite des extenseurs, et que cette détente produit une force de projection^. Seulement il paraît considérer comme accessoire cette puissance principale, la seule même qui devienne le prin- cipe du mouvement. 11 ne reste donc plus qu'à rendre à cette dernière le véri- table rôle qui lui appartient. L'impulsion est évidemment le résultat de l'action musculaire des membres. D'après la plupart des [)iiysiologistes, elle serait étrangère aux antérieurs, par la raison qu'ils sont placés en avant du centre de gravité ou d(; la résistance à mou- voir. Barthez, cependant, croit qu'elle en dérive, en faible partie, parce qu'ils se trouvent inclinés d'arrière en avant, au moment où ils arc-boutent sur le sol. Au premier abord, la situation des membres thoraciques, en avant du centre de gravité, sinnble très défavorable à l'impulsion qu'ils peuvent déveloi)per, mais, tout bien considéré, cette situation n'a pas une grande importance, car ils agis- sent sur un système dont toutes les parties se tiennent. Leur force, quelle qu'en 1. horeïiï, De iHotuanimalmm, prùTp. CLVI.— 2. //vùi., pars prima, prop.CLXXlII, CLXXV. MOUVEMENTS PROGRESSIFS EN GÉNÉRAL. U'.t soit rintpiisiti'', agit aussi cfficacomont sur le corps à mouvoir que si elle »''tait appliquée daus un autre point, de même qu'une impulsion exercée sur les roues d'une voiture embourbée a autant d'effet en s'appliquant sur les roues de devant que sur celles de derrière. 11 est clair que dans l'action du reculer l'impulsion est donnée en partie par les membres postérieurs, qui attirent le centre de gravité au lieu de le pousser devant eux. Mais, comme les membres antérieurs ont des masses musculaires peu considérables, des rayons peu inclinés et par conséquent disposés défavorablement pour une extension très étendue, et que leurs connexions avec le tronc sont établies par Tintermédiaire de parties molles, ils ne peuvent, lors de leur détente, développer une grande force de projection, ni la transmettre sans perte au rachis. Toutefois, leur impulsion doit entrer en ligne de compte : elle est évidente dans Faction du reculer, dans l'espèce de reptation effectuée par les petits quadrupèdes dont le train de derrière est paralysé, et nous verrons (pie, dans certaines allures, le galop, par exemple, elle vient, à tour de rôle, contribuer à la translation rapide du corps. Quant aux membres postérieurs, ils sont incontestablement les agents princi- paux, essentiels, de l'impulsion. Leurs énormes masses musculaires, leurs rayons longs et obliques, leur jonction au tronc par l'intermédiaire du bassin, l'inclinai- son qu'ils peuvent acquérir à certains moments de leur action, leur permettent de déployer avec rapidité une force énorme et de la transmettre sans perte au centre de gravité. Il faut voir s'ils la donnent ensemble ou l'un après l'autre, pen- dant qu'ils appuient sur le sol, ou lorsqu'ils sont en l'air, et reclierclier le méca- nisme par lequel ils la développent. En admettant, comme un fait démontré, que c'est le membre à l'appui (pii donne l'impulsion, nous pouvons constater, tout d'abord, qu'elle résulte, dans la plupart des circonstances, de l'action d'une seule des extrémités, puisque, dans le pas, le trot, l'amble et les autres allures, il n'y a jamais, à un moment donné, qu'un seul pied postérieur appuyé sur le sol. Seulement, dans la ruade et dans le saut, elle est développée à la fois par les deux extrémités. A part ces exceptions, il faut que, tour à tour, chaque membre postérieur supporte tout le poids qui pèse sur le bipède et de plus qu'il chasse le corps en avant. Le membre à i'appui est bien évidemment le seul qui puisse développer une force impulsive; aussi ne s'est-il jamais élevé de contestations sérieuses sur ce point. Borelli déjà le dit très explicitement, et en cela il se montre conséquent avec sa théorie de la réaction du sol, réaction qui ne peut être transmise au corps que par l'extrémité à l'appui. Jj'opinion d'après laquelle le mend)re levé donne- rait cette impulsion est trop dénuée de fondement pour f|uil soit nécessaire de la réfuter. Mais, ce membre à rapi)ui passe par trois situations successives : aux deux extrêmes, il est étendu, à la moyenne, il est fléchi. Développera t-il la force impulsive à ces trois périodes, à deux ou à une seule d'entre elles ? La plupart des auteurs, Barthez', Lafosse, Cuvier-, prétendent (jue le dévelop- |>ement de l'impulsion est précédé d'un tenq)s de préparation pendant lequel les 1. Barthez, loc. cit., p. 104. — '2. Cuvier, Anatoinic comiiurrc, t. I.p. 1-21. G. COLIN. — Physiol. coiiip., 3*^ éilil. I — 2î( 4o0 DES MOUVEMENTS. membres se fléchissent légèrement. Il semble en être ainsi lorsque l'animal veut sauter ou lorsqu'il fait des efforts violents pour traîner de lourds fardeaux. Mais, dans la généralité des allures, cette flexion préalable des rayons osseux est une pure fiction, celle qui existe normalement étant suffisante pour permettre aux exten- seurs d'opérer la détente destinée à produire la force impulsive. Toutefois, comme la flexion des divers segments des extrémités n'est pas la même aux diverses phases de l'appui, on pressent déjà que la détente des extenseurs ne peut être unifor- mément favorisée. En effet, le membre, au commencement de son appui, c'est-à-dire à sa situa- tion initiale A (fig. 74), est oblique de haut en bas et d'arrière en avant : il est FiG. 74. — Membre postérieur donnant l'impulsion. fortement engagé sous le corps, et par conséquent plus ou moins étendu. A ce moment il est aussi défavorablement disposé que possible pour remplir le rôle dont nous parlons; son extension affaiblit la détente, et sa direction tend à diri- ger l'impulsion en arrière. Lorsqu'il est parvenu à sa situation moyenne B, il est vertical, ses rayons offrent le maximum de leur flexion : alors seulement il com- mence à se trouver dans d'excellentes conditions pour donner l'impulsion, qu'il continue jusqu'à l'instant où il arrive à sa situation linale C, qu'il quitte aussitôt en laissant à celui du coté opposé, revenu à l'appui, le soin de faire suite à l'action commencée. En admettant que l'extrémité à l'appui ne donne point encore l'impulsion à la situation initiale, et jusqu'à l'instant où elle devient verticale, on conçoit cepen- dant très bien que le corps continue à progresser, par suite de la force que lui a communiquée l'autre membre, dans le temps précédent, de même que le fait le projectile lancé dans l'espace par une puissance quelconque. La vitesse acquise par le centre de gravité, sous l'influence de la détente de l'extrémité qui vient d'effectuer son lever, est certainement plus que suffisante pour continuer le mou- MOUVEMFNTS PROGRESSIFS KN GÉNÉRAL. 151 xcmt'iit pi'ogivssir, pondant la nioitu'' de la durée si courte du poser du membre (jui va développer l'impulsion nouvelle. Ainsi, chaque membre postérieur donne l'impulsion à tour de rôle, et il la donne surtout dans la seconde moitié de son appui, en passant de la direction ver- ticale à son extrême obliquité en arriére. Il l'achève à Tinstant où il (piitte le sol. Cette impulsion, donnée par intermittences, ne l'est pas d'une manière uni- forme dans toutes les allures, et elle n'est pas transmise aux mendjres antérieurs dans des conditions identiques. Ainsi, dans Tallure du pas, lorsque le membre postérieur la développe, au second temps de son appui, le corps est soutenu par le bipède latéral dont le membre impulsif fait partie; elle est nécessairement com- muniquée, d'une part, en ligne droite, à un membre antérieur appuyé, et d'autre part, en diagonale, à un membre antérieur en l'air. Elle correspond à la pre- mière moitié de l'appui de l'un et à la première moitié de l'oscillation de l'autre. Puisque, dans l'allure du pas, chaque membre postérieur est deux temps à l'appui sur quatre, et qu'il donne l'impulsion dans l'un des deux seulement, il y a évidenunent deux temps d'impulsion et deux de non-impulsion, alternant entre eux, un à un. Chacun des temps d'impulsion est celui de l'appui sur un bipède latéral, et chacun des temps de non-impulsion est celui de l'appui sur un bi|iè(le diagonal. L'intermittence de l'impulsion des membres abdominaux doit avoir pour con- séquence de donner un caractère saccadé à la projection horizontale du corps ou du centre de gravité, et de rompre, dans certaines allures, la régularité dans la succession des battues. Mais, c'est là un point sur lequel nous devons revenir plus tard. La force qui détermine la translation du corps dérive de la contraction d'un assez grand nombre de muscles. Elle dépendrait « essentiellement, d'après Bar- thez \ de l'action des muscles releveurs de l'os du jarret et des extenseurs de la jambe, qui sont le crural, les vastes externe et interne. Les extenseurs du fémur et ceux du pied contribueraient peu à cette imiuilsion. » Barthez a raison de considérer les extenseurs du métatarse et de la jambe comme les agents principaux de l'impulsion; mais il tombe dans une grave erreur quand il ajoute que les extenseurs du fémur contribuent peu au développenieni de cette dernière. Ce physiologiste, en défendant l'opinion généralement admise que la détente des membres postérieurs résulte de l'action seule des extenseurs, n'exprime qu'une partie de la vérité; car cette détente est opérée par tous les muscles qui contribuent à l'ellacement des divers angles de flexion, c'est-à-dire par les fléchisseurs des phalanges, les extenseurs du métatarse, ceux d(> la jandie et de la cuisse, lorsqu'ils se contractent, le pied étant appuyé sur le sol. Les fléchisseurs des phalanges, dont le rôle parait avoir été méconnu jusqu'ici en ce qui concerne le mécanisme de plusieurs actes locomoteurs, semblent, de prime abbrd, ne pas devoir particijjer à l'extension des rayons inférieurs des membres; mais ils y contribuent'incontestablementen redressant, ainsi que je l'ai démontré au sujet du cabrer et de la ruade, l'angle à sinus antérieur formé par le 1. Barlhez, ouv. cité, p. 105. 452 DES MOUVEMENTS. métatarse et la région digitée. L'extenseur du métatarse, les muscles rotuliens, le grand fessier, en opérant, à divers degrés, l'extension des os sur lesquels ils s'insèrent, deviennent les congénères des premiers, tant que le pied demeure à l'appui. Leur action, déjà exposée succinctement dans les paragraphes précé- dents, est trop facile à concevoir pour qu'il soit utile d'y revenir ici. Le redressement simultané ou successif des rayons du membre postérieur déve- loppe donc une force qui devient la cause immédiate de l'impulsion. Cette force, qui résulte delà contraction musculaire, tend à éloigner l'une de l'autre les deux extrémités du membre; elle se décompose en deux parties, l'une qui agit de bas en haut et lutte contre la résistance présentée par le poids du corps, l'autre qui, au contraire, agit de haut en bas sur la résistance opposée par la surface du sol. Le partage de la puissance que l'extension du membre a développée ne saurait être nié : les principes les plus élémentaires de la dynamique le prouvent, et le caractère des empreintes que le pied laisse sur un sol dépressible nous en donne une démonstration palpable, puisque ces empreintes sont d'autant plus pro- fondes que les efforts de l'animal, traînant de lourds fardeaux, sont plus considé- rables. Du reste, s'il est difficile, en ce qui concerne la progression ordinaire, d'éta- blir expérimentalement que chaque membre déploie une force double de celle qui est nécessaire à la projection du corps, on le fait sans peine pour le saut, par exemple. Nous verrons, en effet, qu'un homme placé sur le plancher d'une bas- cule peut soulever, lors de son élan, le plateau portant à la fois le poids qui fait équilibre à celui du corps et un poids égal au dernier. Ici^ sans doute, la force d'impulsion, dont une moitié devra se perdre en agissant du côté du sol, n'a pas besoin d'une intensité comparable à celle développée dans le saut ; car elle doit seulement projeter le corps horizontalement, dans un trajet fort court. Des deux résistances sur lesquelles doit agir la force déployée par l'extension du membre postérieur, celle du sol est à peu près invincible, et celle du poids du corps seule peut être vaincue; car son intensité est bien inférieure à l'intensité de la puis- sance musculaire. Par conséquent, la masse du tronc est projetée en avant par un mécanisme analogue à celui qui met un fauteuil en mouvement dès que la personne qui s'y trouve assise fait arc-bouter un de ses pieds sur le sol. La puissance produite par la détente de l'extrémité à l'appui étant ainsi décom- posée se trouve à moitié perdue. Celle de ses deux parties qui tend à pousser le centre de gravité en avant ne peut avoir son entier effet que si l'autre est équili- brée par la résistance du terrain sur lequel les extrémités prennent des points d'appui. Cette puissance d'une énergie déterminée donnera, toutes choses égales d'ailleurs, une quantité de mouvement d'autant plus considérable que le sol résis- tera davantage; car si celui-ci se laisse déprimer, le pied creusera une empreinte d'une profondeur proportionnée ù l'intensité de la détente. Alors, la somme du déplacement éprouvé de haut en bas devra être déduite de la somme du déplace- ment qu'aurait effectué le même membre à son extrémité supérieure, si la surface du sol eût offert une résistance aussi parfaite que possible. L'influence que les divers degrés de résistance delà surface de la terie peuvent avoir sur reflet utile (h; la force impulsive mériterait d'être déterminée par les MOUVEMENTS PROGRESSIFS EN GÉNÉUAL. 4-j3 physicit.'iis. Elle se conçoit, dans son ensemble, si l'on compare l'action du membre qui éprouve la détente à celle de la rame et de la perche du batelier. L'extrémité postérieure, qui arc-boute à terre jtour mettre en mouvement la masse du corps, produit son maximum d'elFet si elle trouve une résistance parfaite à son point d'appui, comme le fait la perche qui s'appuie sur le fond rocailleux de la rivière, l^iie n'arrive pas à ce résultat extrême si elle frappe un sol mouvant et susceptible d'être déprimé, de même que la rame qui s'appuie sur le liquide, ou la perche qui s'enfonce dans la vase. L'impulsion, une fois développée par la détente d'un membre postérieur, est communiquée successivement au bassin, à la colonne vertébrale, aux parties anté- rieures du corps et au centre de gravité. Sa transmission au bassin s'ellectuc, sans perte, par l'articulation coxo-fémorale, et du bassin elle se continue inté- gralement à la région dorso-lombaire, par l'intermédiaire de l'articulation ilio- sacrée. Elle est favorisée, au plus haut degré, par des dispositions mécaniques qu'on ne trouve point dans les membres thoraciques, et dont les deux princi- pales sont la soudure des deux coxaux puis la solidité de leur articulation avec la colonne vertébrale. La première de ces deux conditions essentielles, la fusion du coxal droit avec le gauche, établit une intime soldarité entre l'action d'un membre et celle du membre opposé, lorsque l'un donne rim[»ulsion en même temps que l'autre, dans le saut, par exemple; de plus, elle permet à l'impulsion, produite le plus souvent par un seul, de se disséminer dans une pièce osseuse d'une grande force et de se transmettre à la région lombaire, sans faire éprouver à la croupe des vascillations 1res considérables. Enfin, la deuxième condition, c'est-à-dire la solidité de l'ar- ticulation du bassin avec la colonne vertébrale, assure évidemment une transmis- sion entière et facile de la force impulsive au levier rachidien, qui, à son tour, la propage au centre de gravité. 111. -—Des réactions. Lorsque le corps, lancé en haut et en avant, a éprouvé tout le déplacement que peut lui faire opérer la détente impulsive, il retombe sur les pieds, qui se sont [lortés au-devant de lui i)our le recevoir etle soutenir au moment de sa chute. Le choc plus ou moins violent qui résulte de celle-ci donne lieu à ce qu'un appelle les réactions. Il est fort difficile de définir, d'une manière précise, les réactions qui se pro- duisent dans l'appareU locomoteur et de donner une idée exacte de leur nature , car elles constituent des phénomènes complexes qui modifient les angles des rayons des membres, mettent en jeu l'élasticité des os, des cartilages, des liga- ments et de plusieurs autres parties des extrémités. • Au moment où la masse du corps retombe sur le sol, les membres sur lesquels l'appui s'effectue éprouvent un choc qui se fait d'abord sentir dans le pied; puis successivement et de proche en |)roche, dans les diverses sections des appendices locomoteurs jusqu'aux parties centrales ; mais, comme les effets de ce choc s'af- faiblissent insensiblement, de l'extrémité inférieure à l'extrémité supérieure des 454 DFS MOUVEMENTS. membres, le tronc n'éprouve que de légères secousses, sans commotion préjudi- ciable aux viscères renfermés dans les cavités splanchniques. Les causes qui atténuent l'influence du choc ou qui amortissent les réactions se trouvent dans le mode d'union des membres avec le tronc, dans la flexion angulaire des rayons, la structure et l'élasticité des différentes parties du pied. Il s'agit d'examiner ici, très succinctement, les principales d'entre elles. Et d'abord il faut constater la différence essentielle qui existe entre les membres antérieurs et les postérieurs, sous le rapport de leur aptitude à affaiblir les réac- tions, différence qui tient à la nature de leur jonction avec les parties centrales de l'appareil locomoteur. Les antérieurs, qui ont leurs rayons disposés verticale- ment, depuis le coude jusqu'à la région digitée, seraient dans des conditions très désavantageuses s'ils étaient articulés avec le rachis de la même manière que les autres ; ils transmettraient, presque sans perte, du pied aux parties supérieures, les effets de la percussion exercée à la surface du sol, et des parties supérieures au pied, l'action qui résulte de la pesanteur du tronc. Mais ils trouvent, dans les muscles qui les fixent sur les parties latérales du thorax, des liens d'une souplesse extrême, par lesquels achèvent de se disséminer et de s'éteindre les effets del'ébran- lementqui s'est produit lorsque l'extrémité est revenue à l'appui. Les postérieurs, au contraire, dont les rayons^sont tous fortement inclinés les uns sur les autres, pouvaient se passer d'une union si souple pour amortir les réactions qu'ils éprou- vent; ils sont solidement fixés au bassin par une articulation ordinaire, et le bassin lui-même est articulé non moins solidement avec le sacrum, comme il le fallait, du reste, pour la transmission intégrale de la puissance impulsive déve- loppée par ces membres. A part ces différences capitales, toutes les autres dispositions que la nature a réunies en vue d'atténuer les réactions sont, à divers degrés, communes aux membres thoraciques et aux membres abdominaux. La première consiste dans cette flexion alternative des rayons, déjà tant de fois rappelée, et qui a lieu au membre antérieur entre l'épaule et le bras, le bras et l'avant-bras, le métacarpe et la région digitée ; au membre postérieur, entre chaque région et celle qui précède ou qui suit, car tous les rayons de ce dernier sont inclinés et très fortement inclinés les uns sur les autres. En s'exagérant, lors de la chute du corps sur le sol, elle annihile en grande partie les effets de la percussion, comme pourraient le faire des ressorts brisés ou sinueux interposés entre une masse d'un poids considérable et une surface résistante sur laquelle elle devrait retomber à tout instant. Son inlluence, si facile à conc(;voir, est néces- sairement restreinte par les limites que les muscles extenseurs opposent à une flexion extrême. Néanmoins, elle est si puissante qu'il suffit à un cheval, par exemple, d'avoir l'angle du paturon un peu plus ouvert que dans les circonstances ordinaires pour que, pai' le fait de cette seule modification, les réactions de l'animal deviennent fort dures et parfois insupportables au cavalier, tandis qu'elles sont d'une souplesse remarquable quand ce même angle arrive ù ce degré qui caractérise le cheval bas~jointé. On voit, par là, dans quelles conditions désavantageuses se trouvent les animaux qui, comme l'éléphant, le i-hinocéros, l'hippopotame ont les rayons des membres MOUVEMENTS l'ROGHESSIFS EN GÉNÉRAL. /|î)5 très peu llécliis les uns sur les autres. Sans donle leurs réactions devraient être très dures s'ils avaient des allures relevées et rapides, et si d'autres disposi- tions mécaniques, encore à constater, ne venaient établir une compensation nécessaire. Une deuxième condition, destinée à allaiblir les réactions, lient à l'agencemenl des pièces osseuses dans les articulations, et aux propriétés de leurs ligaments. D'abord, tous les os des membres, à leurs extrémités articulaires, sont revêtus d'une couche fibro-cartilagineuse molle, dépressible, élastique, qui cède sous l'inlluence de la pression et revient ensuite à son é|)aisseur première, à peu près comme le font, dans nos machines, les coussins placés entre les pièces qui doivent se heurter avec violence. Ces disques fibro-cartilagineux, bien que très minces, produisent, en somme, un elTettrès sensible; car au membre antérieur ils forment seize couches et au postérieur dix-huit couches superposées, sans compter les ménisques de l'articulation fémoro-tibiale. C'est surtout au niveau des deux grands centres de mouvements, le carpe et le tarse que ce vole d'atténuation se montre avec le plus d'évidence. Les nom- breuses pièces du genou et du jarret, en permettant la dispersion de l'effort sur de larges surfaces brisées, l'épuisent, en partie, par le fait du léger écartement qui se produit entre elles et par l'élasticité des lames cartilagineuses. Un effet analogue à celui qui se produit à ces deux régions a lieu au métacarpe et au métatarse des animaux onguiculés et des grands pachydermes, tels que le porc, l'éléphant, le rhinocéros ; mais cet effet se réduit à très peu de chose chez les solipèdes, dont les péronés ont un faible volume relativement à l'os du canon. Une troisième condition qui prend une grande part à l'amortissement des chocs et des réactions, tient au jeu de certaines articulatix»ns, parmi lesquelles il faut placer en première ligne les articulations métacarpo et métatarso-phalangiennes des grands quadrupèdes. L'admirable mécanisme qui résulte, dans ces dernières, de l'action de parties insensibles fort résistantes, transforme les extrémités infé- rieures des membres en ressorts llexihles, dont les mouvements neutralisent, plus ou moins, les elfels de la percussion opérée par le pied à la surface du ter- rain. La flexion permanente de la région digitée sur le canon, en s'exagérant toutes les fois que la pression exercée sur iepied devient plus considérable, pro- duit, sans nulle fatigue pour les muscles et sans tiraillements préjudiciables à l'intégrité des ligaments suspenseurs, un effet qui seul surpasse peut-être celui de toutes les articulations su{)érieures réunies. Enlin, une autre condition essentiellement destinée à atténuer la violence des chocs et à prévenir la transmission de leurs effets à l'extrémité supérieure des membres et aux parties centrales de la machine, réside dans la structure et les propriétés des diverses régions du pied. Celle-ci, mieux encore que les autres, va nous montrer avec quel art inlini les dispositions les plus heureuses et les pliis variées ont été associées pour conduire au résultat capital qui fait le sujet actuel de nos études. Mais, pour avoir une idée générale de ces dispositions qui doiment au pied un rôle si important dans la locomotion, il faut examiner isolément les plus remar- quables d'entre elles, dans les principaux types d'animaux; car il est évident, à 456 DES MOUVEMENTS. première vue, qu'elles ne sont point chez les onguiculés ce qu'elles sont chez les mammifères à sabots, et qu'elles diffèrent même très notablement entre l'élé- phant qui est pentadactyle et le rhinocéros tridactyle, entre le ruminant et le solipède, etc. Les onguiculés, qui sont presque tous pentadactyles, sinon à tous les membres, du moins à ceux de devant, réunissent, au plus haut degré, les particularités qui donnent la souplesse au pied et lui permettent d'amortir le plus complète- ment les effets de la percussion opérée à la surface du sol. Il semble, que ces ani- maux qui, par le fait de la petitesse de leur taille et de la légèreté de leurs mouvements, se trouvent moins que les autres exposés à souffrir des réactions, soient précisément ceux chez lesquels les plus ingénieuses combinaisons aient été rassemblées pour produire un résultat qu'il était surtout indispensable d'obtenir chez les grands quadrupèdes. D'abord, lors de l'appui, les doigts de ces animaux s'étendent légèrement, s'écartent les uns des autres, et si la pression est forte, les métacarpiens ou les métatarsiens, qui sont simplement accolés ensemble, éprouvent aussi un léger déplacement. L'effort, ainsi dispersé sur quatre ou cinq séries d'osselets, s'atténue par l'écartement qui s'effectue entre elles; de plus, il s'affaiblit encore par l'action de petits coussinets ou de petites pelotes placées à la face inférieure du pied. Ces pelotes, chez les carnassiers digitigrades, sont généralement au nombre de sept aux membres antérieurs et de six aux postérieurs : les plus petites, ou les pelotes digitales, recouvrent les articulations de la seconde avec la troisième phalange, une pour chaque doigt ; la plus grande, qui a une forme analogue à une feuille de trèfle et dont le bord postérieur porte trois découpures chez le lion et la panthère, correspond aux articulations métacarpo ou métatarso-pha- langiennes auxquelles elle est attachée par des brides fibreuses très fortes ; enfin, la dernière, ou la pelote carpienne, existe au niveau de l'os sus-carpien dont elle est séparée par une petite bourse muqueuse. Convexes à leur surface libre, recouvertes d'une peau noirâtre, grenue, veloutée, ces pelotes sont constituées par des coussinets graisseux dans lesquels se perdent quelques fibres de tissu ligamenteux. Elles se dépriment et s'aplatissent plus ou moins lorsque le pied appuie sur le sol ; la graisse qui les forme s'échappe en partie dans les inter- stices que laissent entre elles les phalanges, puis elles reviennent sur elles-mêmes en vertu de leur élasticité dès que la pression a cessé. La pelote carpienne, qui est très élevée au-dessus du sol, chez le chien, le loup, l'hyène se rapproche plus des autres déjà chez le lion et plus encore chez la panthère, de sorte qu'elle peut venir à l'appui, quand l'animal retombe sur ses pattes très inclinées, après un saut d'une certaine étendue. Chez les plantigrades dont l'appui se fait sur toute l'étendue de la région digitée, du carpe et du métacarpe, pour le pied de devant, et sur les parties cor- respondantes pour celui de derrière, il existe des pelotes digitales profondément isolées, comme dans les autres carnassiers, et, de plus, des itelotes énormes, à peine séparées par de légers sillons, et assez larges pour recouvrir complètement la face plantaire ou palmaire du pied. Ces dernières, qui, sans dDute, ont une structure et des propriétés sinon identiques, du moins analogues à celles des MOUVEMENTS PROGRESSIFS EN GÉNÉRAL. 457 callosités des digitigrades, devaient oiïrir un grand développement pour com- penser le désavantage qui résulte de l'appui sur toute la lace intérieure du pied; et par conséquent, de la suppression de divers angles dont le jeu favorisait l'amortissement des réactions. Les animaux dont les doigts sont enveloppés de sabots présentent d'autres dispositions propres à remplir l'office des coussins élastiques du pied des espèces onguiculées. Les pelotes carpiennes, métacarpiennes et digitales, si parfaitement adaptées aux extrémités des carnivores, eussent été insuffisantes à des ([uadru- pèdes aussi lourds que nos grandes espèces de pachydermes, de ruminants et de solipèdes. Parmi les animaux de ces dernières catégories, l'éléphant semble avoir, plus que tous les autres, besoin d'une organisation qui rende son pied éminemment élastique, car rien dans la disposition de ses membres, dont les rayons sont à peine inclinés, ne peut suppléer au rùle de cet organe. Or le pachyderme a cinq doigts complets, inégalement apparents, susceptibles de s'écarter légèrement à leur partie supérieure sous l'intluence des pressions , bien qu'ils conservent sensiblement leurs rapports réciproques à leur extrémité libre. La face inférieure du pied est formée par un plastron corné, très dur. qui réunit les petits sabots et dont la circonférence a plus d'un mètre sur un sujet de moyenne taille. Cette couche de corne présentant à sa surface une dizaine de lames transversales, sinueuses, comme imbriquées, est légèrement convexe ; elle peut céder au moment de l'appui et devenir tout à fait plane. Lorsque le poser s'etîectue, le pied s'élar- git, bien que les petits sabots ne s'écartent pas sensiblement; les creux (jui existent en arrière se remplissent et même se boursouflent ; la circonférence de l'organe s'agrandit d'un treizième, ainsi ({ue j'ai i)U m'en assurer sur un éléphant d'Afrique sur lequel elle était de l'",19 au lever et de l'",29 à l'appui. Très probablement, cet élargissement est dû à la compression de coussinets élastiques interposés entre la corne et les phalanges ; mais quelle qu'en puisse être la cause, il doit jouer un grand rôle dans les mouvements de progression du gigantesque quadrupède. Les dispositions qui donnent de l'élasticité au pied de l'éléphant, ne sont déjà plus semblables chez le rhinocéros. Les trois doigts de celui-ci sont bien séparés, leurs sabots sont réguliers et parfaitement circonscrits, et à leur partie posté- rieure, c'est-à-dire en arrière et au milieu du pied, se trouve un énorme coussin calleux facile à déprimer. Au moment de l'appui, les doigts s'écartent fortement, le coussin s'aplatit, et les réactions, considérablement atténuées, se répartissent sur trois rangées de phalanges et de métacarpiens ou de métatarsiens suscep- tibles de jouer un peu les uns sur les autres. Des particularités analogues à celles qui donnent de la souplesse au pied du rhinocéros en donnent également et même davantage au pied tétradaclyle de l'hippopotame, bien qu'elle paraisse moins utile à un animal habitué à vivre sur les bords des fleuves, dans les lieux humides, et par conséquent à marcher sur un sol sans consistance. Ces dispositions se retrouvent, en i)artie, chez le por*- et le sanglier. Seulement, ici, les quatre doigts ne sont pas sur le même i)lau : les deux médians, plus longs et plus forts que les autres, servent à l'appui, 458 DES MOnVRMENTS. par leurs sabots semblables à ceux des ruminants ; et les deux latéraux plus petits et plus relevés que les premiers, en arrière desquels ils sont placés, n'arrivent au contact du sol que lorsque l'animal marche sur terrain meuble ou fangeux. Avec les ruminants apparaissent de nouvelles particularités. Ici nous trouvons toujours deux doigts généralement isolés et pourvus, chacun, d'un sabot servant à l'appui par toute l'étendue de sa face inférieure ; de plus, et par exception, deux autres petits doigts rudimentaires en arrière et au-dessus des autres. Mais, il n'y a plus qu'un os métacarpien ou métatarsien très long entre le genou ou le jarret et la région digitée; enfin, les muscles postérieurs à cet os du canon sont transformés en ligament suspenseur, de telle sorte, qu'en somme, le pied de ces mammifères, très analogue extérieurement à celui du porc et du sanglier, s'en distingue essen- tiellement par sa composition anatomique et le jeu si singulier de l'articulation métacarpo-phalangienne. Son élasticité résulte d'abord du jeu de cette dernière, puis de l'écartement fort sensible des deux doigts, limité par un ligament croisé ; enfin de l'aplatissement de la face inférieure de l'onglon, coïncidant avec un léger élargissement des talons et une dépression plus ou moins marquée du cous- sinet fibro-graisseux interposé entre la sole et le dessous de l'os du pied. Cette élasticité doit être très prononcée dans le bœuf, le buffle, le bison, la girafe, dont le sabot est très large en arrière, mou et convexe à sa partie inférieure, notam- ment en arrière. Elle semble devoir être moindre chez les cerfs, le chevreuil et les petites espèces, dont les ongles fort étroits sont durs et excavés en arrière, au lieu d'offrir les larges et molles saillies particulières aux grands animaux de cet ordre. Le dromadaire s'éloigne beaucoup de ces dispositions communes. Les deux doigts de. son pied, au lieu d'être séparés et susceptibles de s'écarter à leur extrémité libre, sont réunis inférieurement par un disque corné très souple, portant néanmoins, à sa partie antérieure, deux petits capuchons destinés à envelopper la pointe des phalanges onguéales. Au-dessus de cette semelle flexible et légèrement convexe se trouvent deux coussins ovoïdes très épais sur lesquels sont couchées horizontalement les deux dernières phalanges de chaque doigt. Ces coussins, enveloppés dans plusieurs lames de tissu fibreux jaune élastique, et fixés aux phalanges par des brides très solides, sont constitués par un tissu parti- culier rose pâle, peu fibreux, éminemment élastique, mais différent, sous plu- sieurs rapports, du tissu qui forme le ligament cervical et la tunique abdominale. Par suite d'une si singulière conformation, le pied du dromadaire possède une extrême flexibilité. Au moment de l'appui, la semelle s'aplatit, les coussins s'af- faissent, se rapprochent l'un de l'autre par leur côté interne, et viennent rem- plir, en partie, l'espace interphalangien, dont l'excavation diminue très sensible- ment à l'extérieur. Une fois que la pression a cessé, le disque corné reprend sa légère incurvation et les deux coussins reviennent à leur forme première. I*]n(iii, le pi^d des solipèdes vient nous rappeler d'autres combinaisons dont qu(,'lques-uiies appartiennent déjà à certains des types qui précèdent. Avec son doigt unique enveloppé dans un sabot épais et très dur, il paraît, de prime abord, réunir les dispositions les plus défavorables à l'atténuation des chocs et à l'affai- blissement des réactions; mais, en réalité, il possède, grâce ù son admirable MOI VKMRNTS PROGRESSIFS KN GÉNÉRAL. 'l^^' organisation une élasticité analogue à celle qui se montre si évidente chez tant d'autres espèces. L'art avec lequel il est construit permet l'alliance des i)rojiri(''i(''s en apiiarence les plus incom|)atibles. D'une part, ce pied, par sa forme élégante, soji petit volume, sa grande solidité, se trouve parfaitement en harmonie avec le reste de l'appareil locomoteur d'un animal de taille élevée, destiné à une [irogression rapide sur un sol souvent très dur et couvert d'aspérités: d'autre part, malgré la résistance de son enveloppe, il conserve une certaine ilexibilité, et les par- lies vivantes qui enti-ent dans sa composition ne souffrent aucune atteinte de leur conflit avec les parties cornées et solides qui les protègent. Tout, dans sa structure, est manifestement disposé pour lui assurer une extrême solidité, lui donner de la souplesse et prévenir les lésions qui pourraient résulter des vio- lences extérieures ou du contact entre les parties solides insensibles et les tissus mous pourvus de sensibilité. Or, dans ce pied, les trois phalanges placées sur une même ligne droite sont inclinées relativement à l'os du canon, et leur inclinaison varie suivant les degrés de la pression qu'elles supportent. La dernière, complètement enveloppée par le sabot, repose en partie sur un coussinet triangulaire élasti(jue (|u'elle déprime en s'abaissant, lors de l'appui, et qu'elle laisse ensuite revenir à sa forme pre- mière ; elle porte sur les côtés deux grandes ailes (ibro-cartilagineuses llexibles qu'elle entraine avec elle lors de son mouvement de bascule, et qui s'écartent alors l'une de l'autre sous l'inlluence de l'élargissement du coussinet plantaire, dont elles embrassent les bulbes renflés. A sa face antérieure, elle est tapissée par un tissu dermoide, portant une infinité de lamelles longitudinales, destinées à s'engrener avec des lamelles semblables de la [)artie cornée, et en dessous elle est recouverte d'une autre expansion de même nature, dont les innombrables pa[tilles s'engagent dans les tubes capillaires de la sole et de la fourchette. Cette phalange onguéale, une grande partie de la seconde, la base des cartilages et le coussinet élastique sont contenus dans l'étui corné connu sous le nom de sabot. Celui-ci, intimement uni aux tissus qu'il recouvre, se compose : de la paroi, for- mant presque à elle seule la ceinture qui entoure l'extrémité inférieure du doigt; de la sole, disposée comme une voûte, sur laquelle vient s'appuyer l'os du pied ; et enlin de la fourchette, sorte de cône flexible, qui s'interpose entre les talons et s'élargit lorsqu'ils s'écartent l'un de l'autre. Cette enveloppe, sèche et très dure ù l'extérieur, devient insensiblement humide et molle, à mesure (ju'elle se rapproche des tissus vivants, et acquiert enlin, à leur contact, une flexibilité, une souplesse égales, pour ainsi dire à celles de ces tissus eux-mêmes, qu'elle ne peut ainsi nullement blesser lors des chocs les plus brusques et des connnotions les plus violentes. Klasticpie par le lait de sa nature, elle l'est encore par celui de sa forme. Appuyant sur le terrain, seulement par le bord inférieur de la paroi et la circonférence; de la sole, elle cède un peu sous l'influence de la pression qui fait descendic légèrement l'os du pied avec ses cartilages et déprimer le coussi- net [ilan taire : la paroi, comme un arc subitement détendu, s'ouvre sensible- ment en arrière, les talons s'écartent, et la sole perd une partie de sa concavité inférieure. Puis, dès que la pression a cessé, les talons se rapprochent, la sole 460 DES MOUVEMENTS. reprend son incurvation normale, le coussinet plantaire réagit, et Tos du pied, par un mouvement inverse à celui qui l'a fait descendre, revient dans la direction qu'il avait auparavant. En somme, et quoi qu'on en dise, « le sabot, considéré dans son ensemble, n'est pas complètement immuable dans sa forme ; il peut, dans une certaine limite, très restreinte, il est vrai, mais réelle, se prêter à l'ef- fort des pressions intérieures, et revenir, quand elles cessent, à sa forme primi- tive, ce qui constitue ce qu'on appelle son élasticité. Celle-ci est surtout mani- feste dans la partie postérieure de l'ongle, là où l'enveloppe résistante de la paroi est interrompue dans sa continuité et remplacée par la corne plus flexible des glômes de la fourchette et des plaques arciformes du périople. Elle est mise en jeu au moment de l'appui par la somme des pressions que les phalanges trans- mettent à l'intérieur de la boîte cornée ^ » Ainsi, par les dispositions ingénieuses qui caractérisent l'agencement des rayons des membres, la structure du pied et des articulations, la nature a pourvu aux moyens d'assouplir les mouvements, d'atténuer la violence des chocs qui se produisent, lors de la progression, entre le sol et les extrémités, d'affaiblir les réactions et de prévenir les effets fâcheux qu'elles pourraient déterminer sur les principaux viscères de l'économie et sur les parties les plus délicates de l'appa- reil locomoteur. IV. — Des déplacements du coeps et du centre de gravité. L'impulsion que les membres donnent au corps produit des déplacements, plus ou moins rapides et plus ou moins étendus, dont il faut déterminer la vitesse et les principaux caractères. L'étendue de ces déplacements, qui est loin d'être la même dans toutes les allures, peut être très exactement précisée par la voie expérimentale, surtout en ce qui concerne le pas, l'amble et le trot. Déjà, nous savons, théoriquement, que l'espace parcouru par le corps et le centre de gravité, pendant la durée du pas complet d'une allure quelconque, est mesuré par l'amplitude de l'oscillation d'une extrémité, ou, en d'autres termes, par la distance qui existe entre la foulée qu'un pied vient de quitter et celle qu'il va occuper immédiatement après. Par- tant de cette donnée, il sera facile de traduire, par des chiffres, la formule abstraite qui a été établie dans nos précédentes démonstrations. Or, dans le pas très lent, l'espace franchi par une extrémité ne dépasse guère l'intervalle qui existe, lors de la station, entre le pied de devant et celui de derrière du même côté. Dans le pas ordinaire et dans le pas de grande vitesse, cet espace est plus considérable, puisqu'il peut égaler une fois et demie la longueur de la base de sustentation, bien que la piste du pied de derrière ne fasse que recouvrir celle du pied antérieur: enfin, dans le trot, il est le double de la distance qui sépare, pendant la station, le pied antérieur du pied postérieur. L'étendue de l'espace franchi par une extrémité à chacun des déplacements (ju'elle eflectue n'est pas le seul élément de la vitesse. Celle-ci tient encore à la 1. H. Bouley, Troi/c do forrianisntion du piud du cheval. Paris, 1851, p. 239. MOUVEMENTS PROGRESSIFS EN GÉNÉRAL. 'lt*)l rapidité avec laquelle les pas s'opèrent, se succèdent, rapidité qui, t'iie-mêine, dépend de l'instabilité de l'équilibre. L'instabilité de l'équilibre, regardée dp[)uis longtemps comme la mesure delà vitesse, va croissant du pas à l'amble, an trot et au galop ; car, dans le pas, le corps est toujours supporté par deuxextrémités qui appartiennent tour à tour à un bipède latéral et à un bipède diagonal; dans le trot, ilestalternativementenl'air et sou tenu par un bipède diagonal ; dans le galop , il est successivement sur un seul pied , sur deux et en l'air. Gonséquemment, la masse du corps projetée en haut et en avant, étant de plus en plus en danger de tomber, il l'aut que les membres se portent en avant, avec une rapidité graduellement croissante, pour la soutenir; et on conçoit que leur jeu doive arriver à son maximum de rapidité lorsque le tronc est lout à fait détaché du sol, même lorsqu'il est seulement soutenu par un membre. Pour se rendre compte des modilications apportées à l'équilibre dans les diverses allures et dans les divers tem|)s de chacune d'elles, il faut prendre pour point de départ les conditions d'équilibre de la station normale. Dans la station quadrupédale, le corps a une base de sustentation d'une étendue considérable, représentant un parallélogramme dont la longueur, chez les soli- pèdes, est trois à quatre fois égale à sa largeur. Le centre de gravité, dont la position exacte n'a jamais été déterminée, correspond à peu près à l'intersection de deux lignes, l'une verticale tombant en arrière de l'appendice xiphoïde du sternum, l'autre horizontale séparant le tiers moyen du tiers inférieur du corps. Gonséquemment, la ligne de gravitation, voisine du plan de la huitième côte, doit tomber à environ 15 centimètres en arrière du coude et à 40 en arrière de la pince des pieds antérieurs, sur un cheval de taille moyenne dont le parallélo- gramme de la base de sustentation a, à peu près, 1",20 de longueur sur 35 de large, soit au tiers antérieur du grand axe de cette base. Il serait à une hauteur de 1°,20 environ, hauteur égale à la longueur de la base de sustentation, sur un cheval de selle bien proportionné. Gomme la ligne de gravitation tondre plus près des membres antérieurs que des postérieurs, les premiers doivent supporter, dans la station comme dans les mouvements progressifs, une plus forte charge que les derniers. D'après une expé- rience de MM. Morris et Baucher, l'excédent de charge des premiers équivaut à un sixième de la charge des autres. Get excédent est accru, dans des proportions considérables, par suite de l'abaissement de la tète, et il est diminué, au con- traire, par suite de son élévation. Il est clair que la position du centre de gravité et la répartition du poids du corps sur les membres doivent varier beaucoup, suivant la conformation des ani- maux dont la tète, l'encolure, l'abdomen et la croupe oITrent des [iroportions si diverses. En expérimentant, à l'aide de la bascule de l'Ecole, sensible à 1 ou 2 kilo- grammes près, et en pesant successivement le train de devant et le train de der- rière, j'gii constaté, sur un cheval du poids de 419 kilogrammes, que le train de devant supportait 73 kilogrammes de plus que celui de derrière ; et, sur un cheval de trait de 470 kilogrammes, que le premier train portait 88 kilogrammes de plus que le second, soit un excès de charge équi\alant à plus du cinquième du poids total. Le cavalier a fait porter par le train antérieur environ les deux tiers 462 DES MOUVEMENTS. de son poids dans la position \erticale, les quatre cinquièmes et plus dans la situation très inclinée en avant, et les trois cinquièmes seulement, alors qu'il se renversait fortement en arrière. Dans ces deux dernières positions, l'inclinaison était plus prononcée qu'elle ne l'est sur l'animal en mouvement. Voici les résul- tats donnés par la bascule : POIDS DU CHEVAL ET DU CAVALIER. Cheval seul (119 kil.) ... Cheval sous le cavalier de 70 kil. : 1" Cheval . ( A vertical B incliné en avant . . C renversé en arrière ! Cheval seul (470 kil.) Cheval sous le cavalier de 75 kil. : A vertical B incliné en avant.. . C renversé en arrière POIDS du POIDS du POIDS train train total. autérieui'. postérieur. kil. kil. kil. 246 1.73 419 294 198 492 307 185 492 284 207 491 DIFFÉRENCE à la charge du train antérieur. kil, 73 96 122 280 192 470 3.30 215 545 339 208 547 324 223 547 115 131 101 Dans les mouvements progressifs, la répartition de la charge sur les membres, l'étendue de la base de sustentation et la situation du centre de gravité varient considérablement. Ainsi, dans le pas, sauf celui qui est extrêmement lent, la charge afférente au train de devant n'est jamais portée que par un seul membre antérieur, et.celle du train de derrière que par un seul membre postérieur ; dans cette allure, la base de sustentation est toujours très étroite, car elle est donnée seulement par un pied antérieur et par un postérieur, alternativement en bipède latéral et en bipède diagonal. Dans le trot, la base de sustentation est constamment fournie par un bipède diagonal, et sur les trois temps de cette allure, il en est un où le corps est en l'air, ce qui crée une instabilité d'équilibre propre à expliquer l'accroissement de vitesse du trot sur la marche ordinaire. Dans le galop, ou au moins dans une de ses espèces, la charge du corps est portée successivement par un seul pied de derrière, puis par deux pieds en diagonale, par un pied de devant et complètement dépourvue d'appui. Conséquemment, dans ce dernier mode de progression, la base de sustentation n'est représentée que dans un seul temps par la ligne de jonction de deux pieds, tandis qu'elle l'est dans les autres par la petite étendue d'un seul pied, ce qui est bien peu pour un animal aussi long que le cheval, dont les pieds, placés à une grande distance, ne sont, jamais, au mo- ment où ils supportent le corps, sous le centre de gravité. Aussi, dans les instants où un seul membre soutient le corps, il y a imminence de chute du côté du train sans appui, surtout lorsque le membre qui fait l'office de support est un membre postérieur ; car, dans ce cas, le centre de gravité est aussi éloigné que possible du |)oint d'a|)pui, et l'éloignement va croissant à mesure que ce membre passe de l'obliquité en avant à l'obliquité en arrière. Le péril que crée l'appui sur deux pieds, sur un seul, et suitoutla suspension MOLlVtMENTS l'ItOGRKSSIFS EN GÉNKHAL. 'j(»:{ complète du corps, riniiniiicnce de la chute qui va en augmentant de rallurc du pas à celle du galop, expliquent parfaitement la vitesse croissante, parfois pro- digieuse, d'un animal d'un poids considérable. La vitesse, soit absolue, soit relative, des difîérentes allures peut iHre déter- minée expérimentalement, sans grandes diflicullés, mais elle ne peut être aussi aisément calculée par rapport au |»as de chacune d'elles et à leurs temps. J'ai fait, à ce sujet, quelques expériences à l'aide d'un cheval à allures très régulières, dans une allée qui conservait très distinctement les empreintes des pieds. L(; nombre des pas, leur longueur sur le terrain, le temps exact employé à ell'ectuer leur somme, montre à secondes en main, et signaux pour indiquer le départ et l'arrivée. En voici sommairement les résultats : Au pas ordinaire, le cheval (de l™,ij.'i de hauteur et de 1"',12 de base de sus- tentation) a parcouru 272 mètres en 2 minutes 41 secondes; dans ce trajet, il a fait 163 pas de 1™,66 en moyenne, soit 1 pas parseconde. Chaque mendne étant à cette allure, deux temps à l'appui et deux temps en lair, a mis, par consé- quent, 1/2 seconde pour effectuer, dans l'espace, une oscillation de 1™,()6; laquelle a, conmie nous l'avons vu plus haut, une amplitude égale au double de l'espace parcouru dans le même temps |iar le centre de gravité. Au trot, les 272 mètres ont été franchis en 1 minute 13 secondes et en 101 pas 1/2 de 2", 68, soit 7/10 de seconde pour chaque pas. En réduisant, autant (}ue possible, le temps de la suspension du corps, soit à 1/10 de seconde, la durée de l'oscillation d'un membre levé serait de 3/10 de seconde pour une amplitude de 2'",68, d'oîi il suit que l'oscillation a, dans le trot, plus de deux fois et démit; la vitesse de celle du pas. Son amplitude croît et sa durée se réduit. Au galo[) ordinaire, le même espace a été })arcouru en 22 secondes et en 54 pas de 5 mètres, soit 4/10 de seconde pour la durée de chacun d'eux. En admettant que chacun des trois temps d'appui dure 1/10 de seconde et le temps de la suspen- sion aussi 1/10, chaque membre étant en l'air trois temps sur (piatre, il met, {tour ell'ectuer son oscillation de ;3 mètres, 3/10 de seconde, c'est-à-dire exactement le temps pendant lequel les trois autres opèrent leurs battues successives. L'accroissement de la rapidité et l'augmentation de l'amiilitude des oscillations des membres, du pas au trot et du trot au galop, ne suivent pas une progression uniforme, eu égard à la vitesse de l'allure. La célérité de la translation du centre de gravité est, par seconde, de 1™,66 dans le pas, de 3", 72 dans le trot, de 12"", 36 dans le galoi» ordinaire. Celle de l'oscillation des membres, ou si l'on veut du mouvement du pied en l'air, qui dépend et de la vitesse du centre de gravité et de la vitesse des contractions musculaires est beaucoup plus grande ou de 3=", 36 dans le pas, 8"°, 93 dans le trot, 16", 66 dans le galo|>. L'excédent de vitesse du membre sur le centre de gravité )>ermet à ce mendjre de se reposer ou de prendre part à l'appui pendant un temps plus ou moins long, soit seul, soit avec un congénère. Mais, l'excès de vitesse du membre oscil- lant par rapport à celle du centre de gravité est variable. Dans le |)as, la vitesse du pied est double de celle du centre de gravité: le membre fait en deux temps ce que le centre de gravité fait en quatre. Dans le trot, le membre franchit en deux temps l'espace que le centre frauchil eu trois. Dans le galop, il a besoin de 1(34 DES MOUVEMENTS. trois temps pour faire ce que le centre fait en quatre. Conséquemment, le temps de roscillation en Tair s'allonge et le temps d'appui se réduit à mesure que l'allure acquiert de la vitesse. Et cela se conçoit, le membre en l'air peut facile- ment suivre le centre de gravité, le membre à l'appui ne le peut que dans la limite restreinte de son obliquité en avant à son obliquité en arrière. C'est également parce que le corps est de moins en moins soutenu, ou de plus en plus longtemps en l'air que sa vitesse de translation peut s'accroître. La longue suspension crée l'imminence de la chute et oblige les membres à se déplacer vite pour arriver à soutenir le corps qui tend à tomber et qui tombe en effet successivement sur chaque pied, ad moment où son impulsion, sans s'éteindre, devient insuffisante pour le soutenir à une certaine hauteur. Les oscillations des membres, dans les diverses allures, ne sont donc pas sou- mises aux mêmes lois que celles du pendule en physique, car elles n'ont pas constamment, comme les oscillations de ce dernier, la même durée avec une amplitude plus grande ou plus petite. Leur amplitude résulte du mouvement propre, plus ou moins rapide, plus ou moins prolongé du membre, auquel s'ajoute celui qu'éprouve le centre de gravité. Dans tous les cas le pied levé marche plus vite que le centre de gravité, puis- qu'il doit faire, dans une fraction de la durée du pas, ce que le centre fait dans cette durée entière. Le centre parcourt, dans le pas, 1™,10 à 2 mètres par seconde^ 3 à 4 mètres dans le trot et 12 à 14 à l'allure du galop. La vitesse du trot est donc à peu près double de celle du pas, et celle du galop plus que triple de celle du trot. Au galop les plus grandes vitesses constatées sur l'hippodrome de Paris ont été, par seconde, de 13'°, 79 pour un trajet de 4 kilomètres et de 14", 60 pour un trajet de 2 kilomètres. En Angleterre, Flying Childers n'eut que 14", 29 par seconde dans une course de 5117 mètres et de 14", 75 dans une course de 6650 mètres. Ce sont les plus grandes vitesses authentiques constatées pour un trajet de cette étendue. La vitesse des allures dépend aussi des espèces, de la taille, de la conformation des animaux, de leur vigueur et de certaines conditions musculaires fort difficiles à apprécier. Les vitesses extrêmes sont déployées sur le sol uni des hippodromes par ces légers coursiers que le régime de l'entraînement a préparés à des fatigues de quelques instants. Le tableau suivant peut en donner une idée suffisante ^ D'autres exemples remarquables de cette vitesse prodigieuse que déploie le cheval de course sont répandus dans les ouvrages d'hippologie. Les plus connus sont ceux de Flying Ch/Uders ^, qui parcourut en 6 minutes 40 secondes 5717 mètres, et en 7 minutes 30 secondes 6650 mètres ; &' Éclipse, qui ne perdit jamais à aucune course et que les meilleurs chevaux de son temps ne pouvaient suivre au delà de 50 mètres. On peut encore citer, comme exemple d'une vitesse consi- dérable, mais un peu moindre, celui des huit chevaux du comte de Queensbury, qui, attelés à une voiture, firent sur la pelous(! de New-Markcl 30,570 mètres 1. De Monlendre {.Inurnai des hafas, octobre 1838, p. 55 etsuiv.) 2, David Low, /fis/:, vat. /njr. des unini. domcsi. : llist. du cheval. Paris, 1812, p. l'J. MOUVEMENTS PROGRESSIFS EN GENERAL. 465 mètres en 53 minutes 1/2, dont les 9 premiers milles en 4 minutes ' ! Mais il importe de noter que ces vitesses extrêmes ne peuvent être soutenues que de courts instants, et qu'elles appartiennent seulement à des sujets longuement préparcs à de semblables exercices. ESPACES PARCOURUS AU GALOP. NOMS des chevaux. Corisandrc . Fdlix Hercule Miss Ajuu'ffi Af/f"' Volnnte ... . Franck Lydia Franck Miss Kelli/.. Ali-Baha'.. El// a a Corisandrr . Idem Frp:tillnn . . . Ali-Baha ... IJUAÏUF, MILLK MKÏIti:: rnEMlÈRE ÉPREUVE. DF.UXIÈ VIE ÉPREU ---^— — -^- . Minutes. Secondes. iMinutcs. Seccnde*. 5 9 4/5 5 12 1 50 ■>lh 1 52 0 1 » ;> » 4 52 ;i/5 .) 6 1 54 4/5 4 56 y 2 2/5 4 56 4 50 2/5 ;) ;j8 4 53 2/5 5 4 4 57 4,5 5 „ 4 59 5 38 4 55 3/5 ), 4 4 56 ;j,5 4 56 4 55 5 2 4 5;} 1/5 5 II 5 2 1/5 4 53 4 56 1/5 4 50 DEUX MILLE METUES. NOMS (les fhovaux. MMea. ... El Pas for. Lionel .... Si/lvio .... Eglée Patnela. . . Clcrino. . . Hercule. . . Iris Si/huno. . . Iris Belida .... Ësme'ralda Ej/lau .... Fret il Ion.. EPREUVE LMQIK. 31 40 33 27 47 29 31 36 27 25 26 21 25 19 17 1/5 Si l'instabilité de l'équilibre varie dans les diverses allures et aux différents temps de chacune d'elles, le centre de gravité éprouve de même des variations nombreuses dans ses déplacements. En effet, pour que le corps soit soutenu sur deux pieds, sur un seul, ou maintenu au-dessus du sol, il faut que ce cenlio se meuve en divers sens et que ses mouvements compliqués soient en rapport avec le jeu successif de chacune des extrémités. Mais, "ces déplacements, bien que très nombreux, peuvent se rap{>orter à deux séries : les uns s'effectuent d'après une direction à peu près verticale ; les autres, d'après une direction plus ou moins iHM'izontale. Les premiers ont, en général, la direction parabolique des projectiles lancés dans res[iacc; ils ne sont point rigoureusement parallèles à l'axe du corps ou à la ligne qui divise longitudinalement en deux parties le rectangle circonscrit |»ar les quatre extrémités. Leur obliquité, relativement à cet axe, doit être sensible, surtout dans le trot et le galop, par suite de combinaisons qui ne se produisent pas dans les allures les plus lentes. 1. David Low, otivr. cité, p. 70. o. COLIS. — Physiol. comp., 3' éilit. I — 30 466 DES MOUVEMENTS. Les déplacements liorizontaiix peuvent être représentés par une succession de lignes sinueuses réunissant les extrémités qui, aux ditîérents temps d'une allure, soutiennent la masse du corps. Ceux-ci ne sont pas aussi compliqués que les premiers, car le corps ne fait que passer à l'appui, d'un bipède diagonal à un latéral, d'un pied sur deux, etc. Il est à noter que ces deux ordres de déplacements sont d'autant plus marqués que les allures sont plus lentes, plus relevées, et que l'animal a la croupe et le poitrail plus larges; mais ils ne sont jamais, dans le sens horizontal, aussi éten- dus qu'ils devraient l'être : car il est évident que, lorsque le corps est soutenu par un bipède latéral, comme dans l'amble, par exemple, le centre de gravité n'est pas exactement sur la ligne qui réunit les deux extrémités de ce bipède, et c'est parce qu'il ne s'y trouve pas, que la masse du corps tend à tomber du côté des mem- bres levés, lesquels doivent rapidement revenir à l'appui, pour la soutenir, lors de sa chute. CHAPITRE XIII DES DIVERS MOUVEMENTS PROGRESSIFS Maintenant que nous connaissons, d'une manière générale, le mécanisme des mouvements de progression, il ne nous reste plus qu'à étudier les particularités que chacun d'eux peut offrir. I. — Du PAS. On désigne sous ce nom l'allure lente qui est habituelle à la plupart des ani- maux quadrupèdes. Elle appartient au cheval, à l'âne, àl'hémione, au zèbre, au bœuf, au cerf, à la généralité des ruminants, même au dromadaire lorsqu'il marche lentement, à l'hippopotame, au rhinocéros, au porc et k la plupart des carnassiers, etc. Le pas, quoiqu'il soit une allure lente, et régulière, est extrêmement compli- qué. Son analyse comporte plusieurs difficultés dont on ne se doute pas, si l'on se borne à l'étudier sommairement : aussi est-elle incomplète et, sur divers points, inexacte, même dans les travaux des auteurs les plus habiles en mécanique animale. L'ordre suivant lequel agissent les extrémités, dans le pas, a échappé dans ce qu'il a d'essentiel à Borelli. Le célèbre auteur du -traité De motu animalium, tout en reconnaissant, avec justesse, que, dans cette allure, les membres agissent en diagonale» a prétendu que chacun d'eux se lève et revient à l'appui isolément, avant que les autres aient effectué la même action, de telle sorte qu'il y aurait constamment un pied levé et trois à l'appui. Bourgelat, Lafosse et Barthez ont relevé cette erreur et ont parfaitement remarqué qu'il y a toujours, dans le pas, deux pieds en l'air et deux pieds sur le sol; le premier a fait voir, en outre, que Ces deux membres qui sont en l'air à un moment donné ne se lèvent et ne viennent DU PAS. 467 pas à l'appui ensemble, mais successivement et à des intervalles qui partagent la durée d'un pas complet en quatre périodes distinctes. Le pas est une allure à quatre temps, d'une durée <à peu près égale, et à quatre battues distinctes, dans laquelle il y a, à la l'ois, un membre antérieur et un pos- térieur en l'air, un antérieur et un postérieur à l'appui, membres qui se lèvent et posent l'un après l'autre, dans un ordre tel que des deux membres en l'air l'un est toujours en avance de la moitié de sa course sur l'autre, et que des deux membres posés l'un est au milieu de son appui quand l'autre commence le sien. Pour bien reconnaître ces diverses périodes, il y a trois moyens à employer : 1° étudier le pas initial d'un clieval dont les membres ont, à l'instant où il se met en marche, la situation caractéristique de la station forcée ; 2° analyser le même pas d'un cheval qui se trouve arrêté avec les deux pieds d'un bipède dia- gonal plus avancés que les deux pieds de l'autre ; 3° enfin, suivre un pas succé- dant à un autre pas, sur un animal déjà en mouvement. Voyons ces trois moyens en particulier et procédons avec méthode, car nous allons rencontrer plus d'une dilliculté. En prenant le cheval qui se met à marcher, ses pieds étant comme ils le sont lors de la station forcée, on voit : qu'au lever du pied antérieur droit succède celui du pied postérieur gauche, jiuis celui de l'antérieur gauche, et enfin du postérieur droit. Mais, dès que le premier membre levé a parcouru la moitié de son trajet, le second se lève, de telle sorte que, d'une part, pendant la première partie de ce temps, le corps est soutenu par trois membres, au lieu de l'être par deux, et que, d'autre part, il y a, dans la durée du premier temps, lever de deux pieds, sans que le lever de l'un d'eux coïncide avec le poser d'un autre; de plus, les deux membres qui ont quitté le sol les premiers ne font, chacun, qu'une demi-oscilla- tion, c'est-à-dire ne parcourent que la moitié de leur trajet normal, puisqu'à leur point de départ ils se trouvaient chacun en regard de son correspondant. Ce premier jeu est donc incomplet et irrégulier :. incomplet, puisque les deux pre- miers pieds levés ne font que la moitié de leur trajet ordinaire ; irrégulier, puis- que le lever d'un pied ne coïncide pas avec le poser d'un autre, et que le pied qui a entamé l'allure ne reste pas en l'air pendant deux temps successifs, mais seulement pendant un seul. Cette première combinaison ne peut donc donner une idée exacte du pas. Si l'on examine l'animal qui se remet en marche après avoir été subitement arrêté à l'instant que deux membres d'un bipède diagonal rencontraient le sol, bien en avant de ceux de l'autre bipède, on peut avoir, dès le début, un pas com- plet ou à très peu de chose près, mais on a encore un pas irrégulier. On observe alors que le pied antérieur le plus reculé entame l'allure et que son lever est suivi du lever du pied postérieur placé on arrière de l'autre : chaque membre fait une oscillation complète. Mais l'irrégularité précédemment indiquée, qui caractérise le pas initial, se reproduit avec une légère modification : aussi cette nouvelle com- binaison, un peu plus avantageuse que la première, ne donne-t-elle point encore les éléments d'une analyse rigoureuse. Pour bien apprécier la succession et le jeu des extrémités dans l'allure que nous étudions, il faut examiner l'animal déjà en action et faire abstraction du 468 DES MOUVEMENTS. pas initial, ou, en d'autres termes, décomposer un pas succédant à un autre, en ne portant son attention que peu à peu sur les diverses particularités de l'allure. Or, en ne considérant d'abord que les levers des membres, on voit se lever: au premier temps le membre antérieur droit, au second le membre postérieur gauche, au troisième l'antérieur gauche, au quatrième le postérieur droit. En considérant ensuiie les appuis on voit : au premier temps poser le membre antérieur gauche, au second le membre postérieur droit, au troisième l'antérieur droit, au quatrième le postérieur gauche. En portant seulement son attention sur les bipèdes oscillant en l'air, on a : au premier temps le latéral droit, au second le diagonal droit, au troisième le latéral gauche , au quatrième le diagonal gauche. En examinant exclusivement les bipèdes qui supportent le corps on a: au pre- mier temps le latéral gauche, au second le diagonal gauche, au troisième le latéral droit et au quatrième le diagonal droit. FiG. 75. — Le pas. Enfin, si l'on veut envisager tout cela à la fois, mais en abstraction plus qu'en lait, voici ce qu'apprend l'analyse dupas, à supposer qu'on la commence au lever du pied antérieur droit, par exemple. Au moment du lever du membre antérieur droit, le postérieur du même côté a déjà exécuté une demi-oscillation, le corps est porté par le bipède latéral gauche; pendant ce temps, le membre antérieur droit exécute la première moitié de son oscillation et le postérieur du même côté la seconde moitié de la sienne. Au commencement du deuxième temps, le membre postérieur gauche se lève et le postérieur droitappuie; pendant sa durée, le corps est porté [)ar lo bipède diagonal gauche; le membre antérieur droit elîectue la seconde moitié de son oscillation et le postérieur gauche la première moitié de la sienne. Au début du troisième temjjs, l'antérieur gauche se lève et l'antérieur DU PAS. 469 droit appuie; pendant sa durée, l'anlrriour gauche fait la première moitié de son oscillation, le postérieur gauche la seconde moitié de la sienne ; le bipède latéral droit porte le corps. Enfin, au commencement du quatrième temps, le pied pos- térieur droit se lève, le postérieur gauche arrive à l'appui; pendant sa durée, le bipède diagonal droit porte le corps, le membre postérieur droit eiïectue la pre- mière moitié de son oscillation et le membre antérieur gauche la seconde moitié de la sienne. Dans ce pas complet et régulier, chaque pied a donc elîectué son lever et son appui, et par conséquent, exécuté une oscillation tout entière; chacun d'eux a été deux temps en l'air et deux temps à l'appui ; seulement, l'un des pieds pos- lérieurs qui s'était levé et avait effectué une demi-oscillation dans le pas précé- dent opère son action, en ce qui concerne le pas actuel, en deux fois; il opère sur celui-ci la moitié de l'oscillation commencée dans le quatrième temps du pas qui vient de finir. Et c'est par là que les pas qui se suivent empiètent les uns sur les autres, sans pouvoir jamais s'isoler d'une manière absolue. Tableau du jeu successif des membres au pas. TEMPS. BIPÈDE en l'air. BIPÈDE à l'appui. ETAT du membre anti-r. droit. ETAT du membre antér. gauche. ÉTAT du membre po.stèr. droit. ETAT du membre pi>st. gauche. l'er Latéral driiif. Latéral gau- che. Levé (premier moment). Appuyé (pre- mier moment) Levé (deuxiè- me moment. Appuyé (deu- sièmemom.). 2o Diagonal droit Diagonal gau- che Levé (deuxiè- me moment). .Vppiiyé (deu- xième mom.}. .\ppuyé (pre- mier mom.). Levé (premier moment). 3e Latéral gau- che. Latéral droit. .appuyé (pre- mier moment) Levé (premier moment). Appuyé (deu- xième mom.). Levé (deuxiè- me moment). te Diagonal gau- che. Diagonal droit .\ppuyé (deu- xième mom.). Levé (deuxiè- me moment). Levé (premier moment). Ai)puyé (pre- mier mom.). Reprenons maintenant les particularités principales relatives à l'appui, aii\ oscillations des membres, à leurs battues, à l'impulsion qu'ils communiquent au corps et aux déplacements du centre de gravité. Pendant la durée de son appui, qui est égale à deux temps, chaque membre supporte le corps en faisant partie, dans l'un de ces temps, d'un bipède latéral et, dans l'autre, d'un bipède diagonal. Ces deux temps ne sont |»eut-étre pas par- faitement égaux. D'après M. Loco(\\ le temps de l'appui sur le bipède diagonal est plus court que celui de l'appui sur le bipède latéral. Aussi il y aurait deux 1. Lecoq, Traité de rextcr. du cheval et des priucip. anim. domest., 2' éd., IHÔG, p. 426. 470 DES MOUVEMENTS. battues plus rapprochées, celles du membre postérieur et de l'antérieur du même côté, qui sont séparées par le temps d'appui sur un bipède diagonal, et deux battues plus éloignées, celles de deux membres en diagonale qui sont séparées par le temps d'appui sur un bipède latéral. Il résulte de cette inégalité, suppo- sée réelle, que les deux temps de l'oscillation du membre levé, isochrones aux deux temps de l'appui, ne sont pas exactement de même durée. Cela tient, très probablement, à l'intermittence de l'impulsion, laquelle est donnée seulement en deux temps sur quatre, ou au second temps de l'appui de chaque membre pos- térieur. En effet, si l'espacement des battues est tel, le second temps de l'appui du membre postérieur, coïncidant avec l'impulsion, serait le plus long, de même que le second temps de l'oscillation en l'air du membre postérieur opposé, tan- dis que pour le membre antérieur, soit levé, soit à l'appui, le premier temps serait le plus long. C'est aussi pendant ce temps plus long que le centre de gravité doit parcourir son trajet le plus étendu, et il correspond précisément à l'appui sur le bipède latéral. Dans ses expériences, M. Marey * a vu que tel cheval reste appuyé un temps égal sur les bipèdes latéraux et les bipèdes dia- gonaux, tandis que tel autre reste plus longtemps sur les appuis latéraux que sur les diagonaux ou inversement. Si les intervalles des battues, la durée des temps d'appui et des temps d'oscil- lation ne sont pas égaux, l'étendue des bases de sustentation participe aussi à l'inégalité. Lorsque l'appui est donné par le bipède latéral, les deux membres sont à leur maximum d'écartement, soit environ à 1™,65 pour un cheval de taille moyenne. Au contraire, lorsque c'est un bipède diagonal qui donne cet appui, ces deux membres sont à leur minimum d'écartement, soit à la mo^itié de 1™,65, comme le montre la mensuration des intervalles entre les empreintes laissées sur le sol. Cette différence indique que le centre de gravité doit parcourir, pendant l'appui sur le bipède latéral, un trajet double de celui qu'il peut faire lors de l'appui sur le bipède diagonal. L'écartement observé entre les membres levés qui oscillent simultanément est inverse à celui qui existe entre deux membres à l'appui. Lorsque ces deux mem- bres levés forment un bipède latéral, ils sont à leur minimum d'écartement, soit à la moitié de la longueur du pas. Au contraire, lorsqu'ils forment, un bipède diagonal, leur écartement est à son maximum. Il en est ainsi, non seulement chez les solipèdes, mais encore chez les rumi- nants, même le dromadaire, chez le rhinocéros, etc. Tel est le rythme du pas ordinaire. Les modifications légères qu'il éprouve par le fait du ralentissement ou de l'accélération extrême de l'allure sont faciles à constater. Si, par exemple, « l'animal remonte un plan incliné, le pas se trouvera né- cessairement d'autant plus raccourci que la montée sera plus rapide, puisque le centre de gravité, rejeté en arrière par la position du corps, ne pourra plus être porté aussi en avant avec la même dépense de force musculaire. Le pied posté- rieur n'atteindra plus la place laissée par l'antérieur, et nous verrons, comme 1. Marey, la Machine animale^ p. 166 et 168. DU PAS. 471 dans le trot raccourci, quatre pistes au lieu de deux pour un pas complet. De même, si le cheval est attelé à une voiture pesante, le fardeau à traîner retien- dra le centre de gravité, le pas sera raccourci, comme si l'animal remontait une pente; et si le fardeau est très lourd, le temps de l'appui l'emportant en lon- gueur sur celui du soutien, le corps sera presque constamment alors supporté par trois |)ieds à la fois ; chaque extrémité retardant jusqu'au poser de celle qui l'a précédée dans l'action. « Si, au contraire, le cheval descend le plan incliné, le centre de gravité, se portant plus en avant, se déplacera plus facilement, le pas s'allongera et la piste du pied antérieur sera dépassée plus ou moins par celle du pied postérieur; mais ce résultat n'arrivera que si l'animal est libre ou peu chargé; car s'il a à retenir un fardeau un peu lourd, ou si la pente est très rapide, il aura soin de raccour- cir son allure pour éviter d'être entraîné par l'accélération du mouvement ^ » Les déplacements du centre de gravité dans le pas sont assez compliqués. Ceux qui s'effectuent suivant le sens horizontal sont les plus faciles à saisir. Lorsque le corps est soutenu par un bipède latéral, le centre de gravité se trouve, à peu près, sur le tiers antérieur de la ligne qui réunit les deux extrémités à l'appui , il passe de là au tiers antérieur de la ligne qui réunit les deux pieds d'un bipède diagonal, dès que le corps, dans le temps suivant, est soutenu par ces derniers, puis il se porte sur le second bipède latéral, et de celui-ci sur le second bipède diagonal, de telle sorte qu'il éprouve, dans un pas complet, quatre dé- placements successifs d'autant plus étendus que la crou|)e et le poitrail offrent plus de largeur. Les déplacements verticaux peuvent être représentés par une succession d'arcs de cercles à convexité supérieure, qui auraient pour cordes les lignes de dépla- cement dans le sens horizontal, mais ils sont trop compliqués pour être compris sans le secours des ligures. Quant au déplacement total du corps, dans un pas entier de l'allure que nous étudions, il peut être apprécié très exactement. Pour cela, il suffit de mesurer l'espace qui sépare deux foulées successives du même pied, c'est-à-dire la dis- tance qui existe entre la piste que quitte un pied et celle oii il vient se placer immédiatement après. Cette distance représente précisément l'amplitude de l'os- cillation d'une extrémité, amplitude dont l'étendue donne, ainsi que nous l'avons établi précédemment, l'espace parcouru par le centre de gravité pendant la durée d'un pas complet d'une allure quelconque. Le tableau suivant donne quelques-uns des résultats obtenus dans des expé- riences faites avec trois chevaux de même hauteur, mais de longueur un peu différente. Les animaux marchaient dans une allée unie, préalablement ratissée, qui conservait les empreintes des pieds avec tous leurs détails. Le postérieur droit portait à la branche externe du fer un clou à tête saillante, qui en faisait facilement reconnaître la jiiste. 1. Lecoq, ouv. cité, 2» édil., p. 405. DES MOUVEMENTS. PREMIER CHEVAL. PREMIER CHEVAL. PREMIER CHEVAL. Pas lent. Pas ordinaire. Pas allongé. Nos Longueur Nos Longueur Nos Longueur NOS Longueur Nos Longueur Nos Longueur des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. Mètres Mètres Mètres Mètres Mètres Mètre? 1 1,30 13 1,30 1 1,37 13 1,47 1 1,45 13 1,54 2 1,36 14 1,35 2 1,45 14 1,43 2 1,56 14 1,50 3 1,24 15 1,27 3 1,36 15 1,43 3 1,50 15 1,.55 4 1,35 16 1,30 4 1,41 16 1,45 4 1,52 16 1,59 5 1,35 17 1,-27 5 1,40 17 1,42 5 1,56 17 1,58 6 1,27 18 1,28 6 1,44 18 1,40 6 1,65 18 1,60 7 1,33 19 1,31 7 1,47 19 1,44 7 1,60 19 1,57 8 1,34 20 1,27 8 1,43 20 1,46 8 1,59 20 1,64 9 1,30 21 1,30 9 1,42 21 1,43 9 1,60 21 1,60 10 1,37 22 1,37 10 1,41 22 1,46 10 1,56 22 1,64 ]l 1,32 23 1,32 11 1,41 23 1,42 11 1,52 23 1,52 12 1,37 24 1,33 12 1,42 24 1,47 12 1,59 24 1,59 DEl XIÈME CHEVAL. DEl JXIÈME CHEV AL. TROISIÈME CHEVAL Pas lent. Pas ordinaire. Pas ordinaire. 1 1,45 ]3 1,47 1 1,51 13 1,69 1 1,76 13 1,80 2 1,46 14 1,49 2 1,51 14 1,65 2 1,80 14 1,74 3 1,51 15 1,50 3 1,63 15 1,71 3 1,77 15 1,70 4 1,48 16 1,36 4 1,56 16 1,65 4 1,67 16 1,68 5 1,49 17 1,55 5 1,63 17 1,64 5 1,73 17 1,72 6 1,42 18 1,39 6 1,67 18 1,63 6 1,69 7 1,46 19 1,51 7 1,64 19 1,66 7 1,76 8 1,45 20 1,43 8 1,72 20 1,67 8 1,75 9 1,42 21 1,51 9 1,64 21 1,67 9 1,79 10 1,46 22 1,46 10 1,62 22 1,65 10 1,72 11 1,43 23 1,53 11 1,66 23 1,68 11 1,84 12 1,51 24 1,48 12 1,65 24 1,67 12 1,72 1 lerc heval, haut, im Sij Longueur d i la base de sus entation lm32 l De la pince du pied 2 20 C heval, haut. 1 55 Longueur d î la base de sust entation i 16{ de derrière à la pince S 3e ( 'heval, haut, i ni. T.nr igueur . . 1 1.3 1 du pied de devant. 1 La longueur des pas est prise de la partie antérieure de chaque foulée du pied droit de derrière à la partie antérieure de la foulée suivante du même pied. D'après les chiffres qui précèdent, on voit : 1° que dans le pas lent, l'espace parcouru par un pied est, à très peu de chose près, égal à la longueur de la base de sustentation ou à la distance qui, lors de la station, sépare le pied antérieur du postérieur, bien que la piste du second reste en arrière de celle du premier ; 2° que, dans le pas ordinaire, l'espace franchi est supérieur à cette distance, quoique les pistes se recouvrent à peine; 3° enfin, que dans le pas plus rapide, alors que les foulées se recouvrent plus ou moins exactement, l'espace parcouru par une extrémité est sensiblement égal à une fois et demie la longueur de la base de sustentation prise comme unité de mesure de progression. Il en est à peu près ainsi chez le bœuf, comme le montre le tableau suivant. Dans le pas lent de cet animal, la piste du pied postérieur reste de 5, 10, 15, DU PAS. M'A cpntimi'-frps en arrière de colle de l'antérieur ou l'atteint à peine. Les pistes se PAS LENT. l'AS OHDI.NAIHE. l'AS ALLONGÉ. Not Longueur Nos Lnni;ueur >■„» Loiiguenr N"» Longueur No» Longueur , >•»• Longueur des pa». di'S |)as. des pas. Jdes pas. d.s pas. des pa--. des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. Moires Mélrcs Mèlres Mètres Mèlres Mètres 1 1,25 13 1,28 1 1,53 13 1,55 1 1,81 13 1,88 ■) 1,38 11 1,38 ■J 1.57 14 1,68 0 1,85 14 1,87 3 1,25 15 1,35 3 l.fil 15 1,78 3 1,78 15 1,87 4 1,39 1() 1,30 4 1,07 16 1,70 4 1,80 16 1,75 5 1,45 17 1,22 5 1,05 17 1,67 5 1,87 17 1,80 G 1,43 18 1,40 6 1,72 18 1,(>8 6 1,80 18 1,90 7 1,07 19 1,34 7 1,71 19 1,70 / 1,85 19 1,70 8 1,55 20 1,30 8 1,74 20 1,67 8 1,79 20 1,95 9 1,58 21 1,10 9 1,64 21 1,61 9 1.81 21 1,78 10 1,56 22 1,38 10 1,60 22 1,70 10 1,68 22 1,80 11 1,50 23 1,10 11 1,67 23 1.70 11 1,80 23 1,87 12 1,25 24 1,15 1-2 I 70 24 1,50 12 1,95 24 1,85 Hauteur du bœuf, im.iS. Longueur de la base de sustentation (de la partie antérieure du pied le derrière à la partie antérieure du pied de devant). Les pas sont mesurés de la partie ar térieure d'une piste à la partie antérieure de la piste | suivante du même pied. ÉLÉPHANT. KLI< PILVNT. RinX()CÉR(JS. OBSERVATIONS. Numéros Longueur Numéros Longueur Numéros Longueur des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. Mètres Mètres Mèlres Eléphant. Distance lors de 1 1,72 12 2,00 1 1.25 la station, entre le pied de devant et le pied de der- 2 1,97 13 2,08 2 1,56 3 4 1,90 1,70 14 15 1,53 2,15 3 4 1,10 1,65 rière. 0m,80. Les distances sont prises de la partie antérieure d'une empreinte à la par- tie antérieure de 1 em- .) 1,24 16 2,10 5 1,70 0 1,63 17 2,25 6 1,10 7 1,84 18 2,20 ( 1,20 preinte suivante du même 8 2,00 19 2,15 8 1,80 pied. 9 10 2,03 1,88 20 21 2,21 2,05 9 10 1,65 1,30 Rhinocéros. Distance, lors de la station, entre le pied de devant et celui de der- 11 2,12 22 2,15 11 1,70 rière, l'°,26. recouvrent dans le pas ordinaire; la postérieure dépasse même soiivont l'anté- rieure dans le pas allongé. L'obliquité des mouvements des membres fait quel- quefois que les pistes qui devraient se recouvrir se trouvent Tune à côté de l'autre sur la même ligne transversale. L'éléphant a un pas dans lequel la piste du pied de derrière recouvre aussi celle du pied de devant; mais l'espace parcouru par un des pieds est de beau- coup plus considérable que la distance qui, lors de la station, sépare l'antérieur du postérieur. Le rhinocéros, au pas ordinaire, laisse la piste du pied postérieur à 25, 30 centimètres de l'antérieure; ces pistes ne viennent à se toucher, sans se recouvrir, que dans le pas allongé. 474 . DBS MOUVEMENTS. Le pas est l'allure propre à la plupart des quadrupèdes de moyenne taille et à ceux de haute stature. Ils la prennent naturellement, sans le secours de l'éduca- tion ni de l'exercice; mais on ignore pourquoi la girafe, l'hyène et d'autres ont une allure différente. Elle convient parfaitement aux animaux qui traînent de lourds fardeaux et à ceux qui supportent des charges considérables ; elle leur permet alors de déployer la plus grande somme de forces avec aussi peu de fatigue que possible. En résumé, les particularités les plus saillantes de cette allure peuvent se for- muler dans les propositions suivantes : 1° Les membres se lèvent successivement dans cet ordre : antérieur droit, postérieur gauche, antérieur gauche et postérieur droit. 2" C'est toujours par le lever d'un pied de devant que s'entame l'allure, par le droit ou le gauche, s'ils se trouvent sur la même ligne transversale, ou par le plus reculé dans le cas contraire, 3° Une fois l'allure engagée, le membre antérieur se lève constamment avant le postérieur, qui forme avec lui un bipède diagonal et, au contraire, après le membre postérieur avec lequel il forme un bipède latéral. 4° Il y a quatre levey^s et quatre posers distincts. Le lever d'un membre coïn- cide avec le poser du membre qui lui fait face sur une ligne transversale, lors de la station. 5° Le lever d'un membre est séparé du lever du membre suivant par l'espace d'un temps, de telle sorte que le dernier lever est en retard d'une demi-oscilla- tion sur celui qui l'a précédé. 6° Le premier membre levé dans un pas ne revient à l'appui qu'à l'instant oîi le troisième quitte le sol, et ainsi successivement. 7» Chaque pied est deux temps en l'air et deux temps sur le sol. 8" Les deux temps de l'appui d'un membre antérieur sont isochrones avec les deux temps de la course de l'autre membre antérieur. Il en est de même des membres postérieurs, l'un par rapport à l'autre. 9° Pendant les deux temps de son oscillation, chaque membre levé parcourt, à lui seul, le trajet que fera le centre de gravité pendant les quatre temps d'un pas complet. 10° Les oscillations des deux membres levés ne peuvent ni commencer ni finir ensemble. Celle du pied qui, le premier a quitté le sol, est effectuée à moitié quand celle du pied levé ensuite est à son début. il" Les pieds oscillants, à un moment donné, sont à leur minimum d'écarte- ment ou à la distance d'un demi-pas, quand ils constituent un bipède latéral, et au maximum d'écartement ou la distance d'un pas lorsqu'ils forment un bipède diagonal. 12° Il y a toujours deux pieds à l'appui, comme il y en a deux en l'air, si ce n'est au début de l'allure. 13° Sur les deux temps d'appui, chaque membre soutient le corps en faisant partie, dans l'un d'un bipède diagonal, dans l'autre d'un bipède latéral. En d'autres termes, les membres donnent une base de sustentation alternativement diagonale et latérale. DR l'amble. 475 14° La base de sustentation diagonale est égale à la moitié de la base latérale : la première représente l'étendue d'un demi-pas, la seconde celle du pas tout entier. 15° Des quatre temps du pas, doux sont des temps d'impulsion ; chacun coïn- cidant a\ec le second de l'appui du membre postérieur ; il est précédé et suivi d'un temps de non-impulsion. 16° Chacun des temps d'im[>ulsion correspond à l'appui du corps sur le bipède latéral dont le membre impulsilTait partie : aussi l'imiiulsion est-elle communi- quée en ligne droite au membre antérieur à l'appui et en diagonale à l'antérieur levé. 17° Le mouvement progressif imprimé au centre de gravité est continu, mais saccadé, deux fois accéléré et deux fois ralenti pendant la durée d'un pas complet. 18° Sa vitesse moyenne est de l'",50 à 2 mètres par seconde. L'espace par- couru est plus long pendant l'oscillation du bipède latéral que pendant celle du bipède diagonal. 19° Les battues ne paraissent pas devoir se succéder à intervalles égaux ; celles du membre postérieur et de l'antérieur du même côté, que sépare le temps de l'appui sur un bipède diagonal, sont plus rapprochées et les battues des membres diagonaux séparées par l'appui sur un bipède latéral sont plus écartées. 20° L'association des battues est telle, que celle du pied antérieur précède la battue du pied postérieur formant ensemble un bipède diagonal, tandis que la battue de l'antérieur suit celle du postérieur dans un bipède latéral. IL — De l'amble. L'amble est une allure caractérisée par le jeu alternatif des deux bipèdes laté- raux, et dans laquelle il y a constamment deux pieds levés et deux pieds à l'appui. Dans cette allure, plus simple et plus rapide que le pas, les deux membres du même côté, l'antérieur et le postérieur, se lèvent ensemble, parcourent simulta- nément leur trajet, et retombent à la fois sur le sol, puis les deux autres du côté opposé se lèvent à leur tour, se portent en avant et reviennent à l'appui ; après quoi les premiers recommencent leur action, et ainsi de suite, sans aucune interruption. Le pas complet de l'amble se compose de deux temps égaux : l'un pendant lequel le bipède latéral droit est en l'air et le gauche à l'appui ; l'autre pendant lequel, au contraire, le bipède latéral gauche est en l'air et le droit à l'appui. Dans chacun de ces temps, les deux membres d'un bipède se lèvent, parcourent leur trajet et reviennent sur le sol ensemble; leurs oscillations sont de même ampli- tude et parfaitement isochrones : l'instant de leur poser est celui du lever des deux membres de l'autre bipède, de telle sorte qu'il n'y a point, comme dans le trot et le galop, de temps intercalaire pendant lequel le corps se trouve com- plètement en l'air. Dans l'amble régulier des solipèdes , les deux membres qui jouent ensemble conservent toujours leur parallélisme. Au commencement de leur action, ou à leur lever, ils sont obliques de haut en bas et d'avant en arrière : au milieu de leur course, ils sont verticaux, et à l'instant de leur poser, ils prennent une obli- 476 DES MOUVEMENTS. quité inverse à celle du- début de leur oscillation. Leur appui, qui s'effectue au même instant, pour les deux pieds du même coté, ne fait entendre qu'une bat- tue, mais laisse deux foulées distinctes, celle de l'extrémité postérieure dépas- sant plus ou moins celle de l'extrémité antérieure ; en tout deux battues et quatre foulées pour un pas complet de cette allure. .S^CQ.i: Fjg. 76. — L'amble. L'amble présente suivant les âges et les espèces plusieurs variétés remar- quables. Quelquefois, surtout lorsque l'allure est lente, les deux pieds d'un bipède latéral ne se lèvent pas en même temps et appuient l'un après l'autre, quoique à un très court intervalle ; leurs battues deviennent alors distinctes, bien que celles des extrémités du même côté soient très rapprochées. Cette variété, qui s'observe assez fréquemment chez les animaux jeunes, sur les sujets affaiblis ou fatigués, et notamment lorsque la progression est très lente, tient le milieu entre l'amble régulier et le pas ordinaire ; elle offre, dans la succession des extrémités, une combinaison analogue à celle des deux temps du pas pendant lesquels le corps est supporté par un bipède latéral, le pied antérieur s'étant levé après le posté- rieur du môme côté. Une seconde modification de l'amble s'observe chez la girafe. Les deux mem- bres de chaque bipède latéral de ce ruminant n'ont point une action tout à fait simultanée; ils ne se lèvent point ensemble et ne reviennent pas à l'appui au môme instant. Le pied postérieur entame l'allure, et, ù chaque temps, il continue à se lever avant l'antérieur du môme côté; aussi y a-t-il quatre temps distincts dans cette allure, dont deux très courts et deux autres beaucoup plus longs. Si l'amble débute par le lever du pied postérieur droit, par exemple, il y a à l'appui, dans le premier temps, le bipède latéral gauche et le pied antérieur droit; dans le second, le bipède latéral gauche; dans le troisième, le bipède latéral droit et le membre antérieur gauche; enfin, dans le quatrième, le bipède latéral droit. L'intervalle qui sépare le lever du pied antérieur de celui du pied postérieur du DE L AMBLE. 477 mrme côté devient d'autant plus grand que l'allure est plus ralentie. Dans l'amble très lent, le pied antérieur ne se lève, pour ainsi dire, que lorsque le [tostérieur vient le chasser, tandis qu'il quitte le sol à peu près en mètne temps (pie l'autre, lorsque l'ullure est rapide. Eulin, dès que l'amble a acquis une cer- taine vitesse, il ressemblé tout à lait à celui des solipèdes. Du reste, quelle que soit la rapidité ou la lenteur de ce mode de progression, la foulée du pied de derrière dépasse de beaucoup celle du i)ied de devant. 11 est à noter que l'amble est le mode ordinaire de progression de la girafe. Cet aniuial ne va jamais au pas, quoi qu'en aient dit les auteurs arabes cités par Bartliez. Seulement, ((uehpiel'ois le ruiniuant change de place en faisant agir ses membres en diagonale, et alors, contrairement à l'assertion de quelques-uns, c'est le pied antérieur qu'il porte le premier en avant. L'amble du dromadaire présente sensiblement les mêmes caractères que celui delà girafe; il se substitue au pas dès que la progression devient un peu rapide. Si Ton examine le dromadaire marchant avec lenteur, on voit très manifeste- ment que les deux pieds du même côté n'agissent point ensemble, le j)0sté- lieur appuie alors que l'antérieur se lève, et la piste du premier reste en arrière de celle du second. Ce n'est qu'à partir du moment où l'animal est un peu pressé qu'il va l'amble. Sa marche lente est une allure bâtarde tenant du pas et de l'andjle, sans être absolument ni l'un ni l'autre. 1er 1)U( MADAIRE. ■2 DRi^MADAIHlv (URAFK. — — ^ - -^ — — — — — — ' — - OBSERVATIONS. Numéros Longueur Numéros Longueur Numéros Longueur (.les pas. des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. MiMi-cs MMrcs Mètres 1 l,8i 1 1,40 1 1,45 Le premier dromadaire •2 :i 1,87 •2,00 3 1,05 1,70 2 3 1,70 2,10 est plus grand que le second. La distance entre 1 2,20 4 1.80 4 1.40 le pied de devant et celui 5 2,10 5 1,80 5 1 ,85 de derrière dans la sta- () 2,15 G 1,70 G 1.70 tion est de ini.18. 1 8 9 10 2,12 2,20 2,10 2,03 7 8 i) 10 1,72 1,75 1.70 1.75 8 9 10 1,75 1,80 1,75 1,70 Distances prises comme pour le bœuf, l'élé- phant, etc. U 2,13 11 1.7G U 1.10 (".irafe. Distance. lors de l•^ 2,25 12 l,8:i 12 1,90 la station, entre le pied 13 2,10 1.1 1,70 l.i 1,40 antérieur et le pied [tos- u ' 2,10 U 1 .85 11 1,G5 lérieur, ini,21. 15 ■ IG 17 18 19 2,20 2,30 2,05 2,07 2,20 15 IG 17 18 19 1,82 1,95 1.90 1,91 1,75 15 IG 17 18 19 1,35 1,23 1.G5 1,G0 1 .75 La piste du pied de der- rière vient dépasser celle du pied de devant de 60 ù 80 centimètres. .0 2..J0 20 1 1,95 20 l.r2 Dans l'amble, l'impulsion est intermittente comme dans le pas ordinaire. Elle est donnée, en deux demi-temps séparés, dans la seconde moitié de l'appui du membre postérieur qui passe de la verticale à l'obliquité en arrière. Le membre 478 DES MOUVEMENTS. antérieur du même côté, qui est à l'appui, la reçoit directement. C'est à la fin de cette période que le corps est jeté sur l'autre bipède latéral. Il y demeure un aiitre demi-temps avant de recevoir la nouvelle impulsion du second membre postérieur. Les déplacements que le centre de gravité éprouve dans l'amble sont plus simples que dans le pas. Les déplacements suivant le sens horizontal peuvent être représentés par des lignes obliques réunissant le tiers antérieur de la ligne de jonction des deux membres d'un bipède latéral avec le tiers antérieur de la même ligne de l'autre bipède. Ils sont aussi étendus que possible, puisque le centre de gravité passe alternativement de la limite droite à la limite gauche du rectangle circonscrit par les membres. Aussi Tinstabilité extrême de l'équilibre, rendant la chute sans cesse imminente, nécessite-t-elle une rapide succession des extrémités. Les déplacements verticaux consistent essentiellement en deux paraboles dont les cordes obliques, relativement à la ligne qui prolonge l'axe du corps, sont pré- cisément les lignes des déplacements horizontaux; mais les premiers sont moins considérables que ceux du pas et du trot, car le cheval ambleur rase le tapis. L'espace parcouru dans l'amble par le jeu successif des quatre extrémités est à peu près égal à celui du pas, mais la vitesse de la première allure est évidem- ment supérieure à celle de la seconde, à cause de la différence très marquée qui s'observe en faveur de l'amble dans la célérité avec laquelle s'effectuent les dépla- cements des membres. L'amble est une allure assez douce, dont les réactions sont moins pénibles que celles du trot. Sa vitesse compense le brillant et l'élégance qui lui manquent. Naturel à certains chevaux, il est quelquefois le résultat momentané de l'éduca- tion, de l'âge et de la faiblesse des animaux. III. — Du TROT. C'est une allure dans laquelle chaque bipède diagonal est alternativement au lever et à l'appui. Le trot s'effectue en trois temps distincts : dans le premier, le corps est sup- porté pai' les deux membres du bipède diagonal droit; dans le second, il est en l'air, et dans le troisième, il est soutenu par le bipède diagonal gauche. Il est très facile de se rendre compte du jeu des extrémités à chacune de ces trois périodes successives. Pendant le premier temps, les deux membres du bipède diagonal droit, par exemple, c'est-à-dire l'antérieur droit et le postérieur gauche, se lèvent ensemble et viennent, à la fois, rencontrer le sol en ne faisant entendre pour les deux qu'une seule battue. Mais avant qu'ils ne reviennent à l'appui, les deux membres du bipède diagonal opposé se lèvent, car le pied postérieur doit se placer dans la piste du pied antérieur et très souvent la dépasser. C'est là ce qui constitue le temps intercalaire durant lequel la masse du corps, privée d'ap- pui, se trouve tout à fait suspendue en l'air. Enlin, dans le troisième temps, d'une durée égale à celle du premier^ le bipède diagonal gauche parcourt son DU TROT. -iTlt trajet de la même manière que l'autre bipède. Les membres se meuvent donc par paires, l'antérieur droit avec le postérieur gauche, l'antérieur gauche avec le postérieur droit. Les deux de chaque bipède se lèvent, effectuent leur oscillation et retombent sur le sol l'un avec l'autre. Il n'y a qu'une battue pour chaque paire diagonale, et, par conséquent, que deux battues dans un pas complet. I^'ic. 77. — Le trot. La durée relative de ces trois temps ne saurait être exactement précisée. Très probablement le temps de suspension est court, relativement aux deux autres, dans le trot lent; et il s'allonge à mesure qne la vitesse de l'allure s'accroît, car il semble devoir être une condition de cette vitesse même. Et ce qui l'indique, c'est que, suivant la remarque de M. Raabe, le cheval trotteur peut, dans ce temps, franchir des barres successives placées à un pied au-dessus du sol : il le peut évidemment avant que le corps lancé par un bipède ne retombe sur l'autre. Cependant il y a un trot dont les battues ne sont pas franches. Les mem- bres d'une paire diagonale, sans tomber successivement, ne percutent pas avec un isochronisme parfait : ils donnent une battue traînée, comme le disait Bourgelat, une battue résultant de deux battues accouplées. Gela arrive aux chevaux faibles, aux chevaux trop chargés et à ceux qu'on a mal dressés. L'amble nous a déjà offert une anomalie du même genre. Dans le trot ordinaire, le pied de derrière venant prendre la place laissée par le pied de devant, on ne compte que deux foulées pour les quatre extrémités ; mais dans le trot de grande vitesse, le pied postérieur dépassant fréquemment l'em- preinte de l'antérieur, il y a quatre foulées rassemblées deux à deux. La même particularité s'observe aussi fort souvent dans le trot de moyenne vitesse. Enfin, dans le tout petit trot, le pied postérieur n'atteint pas la piste du pied antérieur; il vient à l'appui avant que celui-ci se soit levé. Cette fois, l'allure n'a plus guère que deux temps, la période de suspension est à peu près supprimée, et les extré- mités laissent chacune sur le sol leur empreinte isolée, la postérieure en arrière de l'antéi'ieure du même coté. 480 DES MOUVEMENTS. Dans un pas complet de l'allure du trot, l'impulsion est donnée en deux demi-temps, suivis chacun de la période de suspension complète du corps, période d'autant plus prolongée que la projection a été plus énergique. Le membre postérieur, après l'avoir donnée, se lève immédiatement avec son con- génère en diagonale. Et le bipède en l'air, la recevant avant que celle dont il est animé soit épuisée, continue à progresser encore un instant avant de tomber. Dans le trot, l'oscillation de chaque extrémité d'une paire diagonale a ceci de particulier qu'elle commence avec un temps de suspension et qu'elle finit seule- ment au temps homologue suivant ; aussi elle a une amplitude égale 1° au déplacement du centre de gravité, opéré pendant l'appui, de la paire diagonale opposée; 2" à l'espace franchi pendant deux temps de suspension, savoir : celui du commencement et celui de la fin de cette oscillation. Les déplacements du centre de gravité dans le trot sont à peu près aussi simples que dans l'amble. Ceux qui s'opèrent suivant le sens horizontal peuvent être traduits par une succession de lignes partant chacune du tiers antérieur de l'espace qui sépare les deux pieds d'un bipède diagonal pour aller rejoindre le même point de l'espace semblable qui sépare ceux du bipède opposé. Quant aux déplacements verticaux, ils doivent évidemment consister en deux courbes para- boliques dont l'étendue varie avec la vitesse et l'élévation de l'allure. On peut se les figurer en considérant le trot comme une suite de sauts d'un bipède diago- nal sur l'autre, à peu près comme l'amble était un saut d'un bipède latéral sur l'autre, mais sans temps intermédiaire de suspension. Le déplacement total du centre de gravité égale, terme moyen, deux fois celui du petit pas ou un peu plus de deux longueurs de base de sustentation. Il est égal à l'amplitude oscillatoire d'un membre quelconque, comme dans les autres allures, ni plus ni moins, car le pas que Ton mesure est raccourci par ce dont le pas précédent empiète sur lui, et 'par ce qu'il empiète sur le pas suivant, soit, d'une part, d'une demi-oscillation d'un membre droit, et, d'autre part, d'une demi-oscillation d'un membre gauche ou, en somme, d'une oscillation entière. Le déplacement absolu de la masse du corps ou l'espace parcouru pendant un pas complet du trot est très considérable. L'expérience prouve qu'un membre, soit antérieur, soit postérieur, parcourt, de son lever à son appui, un espace qui, dans le trot, est au moins double de ce qu'il est dans le petit pas, ce dont il est facile de s'assurer en opérant, comme je l'ai dit précédemment, avec un cheval qui porte à chaque pied un fer d'une forme particulière. On voit, par ce moyen, qu'entre la piste qu'un pied vient de quitter et celle où il tombe ensuite, il y a une distance énorme dont les chiffres suivants donnent une idée suffisante. La vitesse du trot peut donc s'expliquer autant par l'étendue de l'espace par- couru par chacune des extrémités que par la rapidité môme avec laquelle se fait la succession de leurs déplacements. Elle varie, du reste, beaucoup, suivant que l'animal projette plus ou moins les membres en avant et suivant le degré de leur élévation au-dessus du sol. Pour la concevoir, il faut bien se représenter le caractère des oscillations des membres levés en paire diagonale. DU TROT. 4HI N"» Lonîiieiir N"« L.mgii.'iir N»» I.i>n<;iieiir N"» Umswixr N"» l.nnpn..Mr N'» LonîTiioilr des pas. des pas. de-pa*. des pas. des pas. des pas. des pas. des p,,.. de. pa.. des pas. d.;«pas des pa«. Ml'Iivs Mi'lri-? Miflr.-s Mètres M.lre- Mèlres 1 ■2,13 17 •2,50 2,50 17 2,80 1 2,53 n 2.65 -2 2,<0 18 2,54 2 2,68 18 2,86 2 2,57 18 2,83 :i ■2,40 19 2,55 3 2,71 19 2,82 3 2,66 19 2,91 1 2,37 20 2,55 1 2,82 20 2,87 4 2,72 20 2,63 f) 2,35 21 2,60 .") 2,85 21 2,87 5 2,62 () 2,50 22 2,67 (; 2,80 22 2,85 () 2,69 7 2,50 23 2,66 7 2,90 23 2,86 7 2,60 8 2,52 24 2,61 8 2,84 24 2,77 8 2,73 9 2,61 25 2,63 9 2,77 25 2,75 9 2,70 lu 2,55 28 2,72 10 2,82 26 2,80 10 2,70 11 2,61 27 2,80 11 2,80 27 2,87 11 2,69 12 2,55 28 2,74 12 2,^0 28 2,91 12 2.65 V.i 2,61 29 2,85 13 2,7 1 29 2,83 13 2,91 14 2,60 30 2,77 ! l 2,69 .30 2.92 11 2,70 15 2,60 31 2,81 1.-) 2,73 31 2,80 15 2,54 1<) 2,61 32 2,79 16 2.7(i 32 2,87 16 2,74 Premi sr cheval. — Taille , Deuxième cheval. — Taille , Troisième cheval. — Taille . im,53 — Distance, lors de la 101,61. — Distance entre la lni,55. — Distance entre la statio n . entre la pince des pince de devant et celle des pince des pieds de derrière [lieds anti'Tieurs et colle des pieds de derrière pendant la et celle des pieds de devant. pieds postérieurs. \'».'ii. station, |in.:jO. im.lS. Dans le trot, l'espace embrassé par un membre levé, de la piste qu'il laisse à celle qu'il va marquer, ne tient pas seulement à l'obliquité très grande que ce membre avait en se détachant et à celle qu'il a en posant ensuite, elle résulte encore de ce que, pendant l'oscillation, le centre de gravité éprouve une transla- tion très étendue, le corps étant porté sur l'autre paire diagonale, ou entièrement détaché du sol. En eiïet, si l'on considère les extrémités à la fin de l'appui du bipède diagonal gauche, par exem})le, on voit que le membre antérieur droit est déjà à une base et demie de sustentation en avant de la piste qu'il a quittée et qu'occupe actuellement le membre postérieur droit. Comme ce membre antérieur droit continuera encore à osciller après que la paire diagonale gauche se sera levée, c'est-à-dire pendant le temps de la suspension, il agrandira sa course d'une demi-base de sustentation avant de venir à l'appui, ce qui, en somme, donnerai l'amplitude de son oscillation aérienne une étendue égale au moins à deux fois la. distance normale des membres antérieurs aux postérieurs. Il résulte d'expériences que j'ai faites récemment , que la vitesse du trot dépend plus de la célérité du jeu des extrémités que de la longueur des pas. Au trot ordinaire, un cheval de selle faisait, en 7/10*= de seconde, des pas de 2", 65 ; sa vitesse était donc de S^jGS par seconde, Au trot très rapide, cette vitesse peut être doublée. On cite des exemples de trotteurs anglais parcourant 7 à 8 mètres par seconde et même davantage. Toutefois, il ne paraît pas certain qu'au delà de la vitesse double de celle que j'ai mesurée on ait eu réellement affaire au trot. 11 est facile, en partant de ces données, de déterminer la durée de Toscilla- tion de chaque membre dans l'allure du trot. Les deux membres d'une paire o. COLIN. — Physiol. comp., 3' édil. I — 31 482 DES MOUVEMENTS. diagonale emploient la durée de l'appui de l'autre paire ajoutée à la durée de la suspension pour effectuer leur enjambée, soit, en tout, la moitié de la durée du pas complet ; ils font décrire au pied, en 3 à 4/10'' de'seconde, un arc de cercle dont la corde a 2°,B5. Cette allure, dont les réactions sont, en général, si dures, appartient presque exclusivement aux solipèdes ; encore n'y acquiert-elle pas toute sa régularité sans le secours de l'éducation et de Texercice : aussi le zèbre, le dauw, l'hémione, trottent- ils moins bien que le cheval. Elle constitue un mode de progression que l'animal prend dès qu'on précipite sa marche, et qui devient l'intermédiaire entre le pas et le galop. Le trot du bœuf a les mêmes caractères et acquiert souvent autant d'étendue et de vitesse que celui du cheval. Les pistes postérieures viennent recouvrir les antérieures ou se placer à côté d'elles, et quelquefois même les dépasser. PETI T TROP TRUT DE ViTSSSB VOTBDSe. GRAÎ W TBOP OBSERVATIONS. Numéros Longueur Numéros Longupur Numéros Longueur des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. des pas. Mèlres Mètres Mètres 1 1,77 1 2,05 1 2,65 Bœuf haut de lni,4S. 2 3 5 G 1,81 1,8-2 1,87 1,90 1.90 2 i 5 6 2,15 2,03 2,00 2,05 2,03 2 3 4 5 6 2,70 2,73 2.77 2,85 2,85 Distance, lors de la sta- tion, entre le pied de devant et celui de der- rière, lin,2o. 7 -2,00 7 2,01 7 2,93 8 1,87 8 2,00 8 2,75 9 1.90 9 2,00 9 2,S3 10 1,90 10 2,04 10 2,84 U l,9d 11 2,10 11 2.85 12 1,98 U 2,15 12 2.75 13 1,90 13 2,-.'0 13 2,80 14 1.95 14 2,40 15 i:87 15 2,34 IV. — Du GALOP Le galop est la plus rapide allure des solipèdes, aussi est-il fort difficile d'y reconnaître l'ordre suivant lequel agissent les extrémités, néanmoins leur jeu n'y est pas plus compliqué que dans le pas. Il y a plusieurs espèces de galop qui se distinguent par le nombre des battues d'un pas complet. L'une est le galop de manège ou à quatre temps, l'autre le galop ordinaire, à trois temps, qui, en devenant très rapide, constitue le galop de course. Toutes les formes de galop ont ceci de commun qu'elles ne sont pas symé- triques, en ce sens que les membres d'un côté n'ont pas, soit dans le même temps, soit dans les temps successifs, une action semblable à celle des membres du côté opposé. Les deux membres postérieurs ne donnent pas leur impulsion GALOr. 'iS:H dans des l(;inps qui se ressembleiil, et les membres antérieurs ne participent pa? au soutien du corps dans des situations identiques. FiG. 78. — Le galop. Le galop à trois temps est le gnlop ordinaire, tant qu'il conserve une vitesse moyenne, et le galop forcé ou de course, lorsqu'il arrive à un degré extrême de rapidité. Il paraît constitué par une série de sauts d'une grande étendue. La première de ces modifications est celle qu'il faut étudier tout d'abord pour bien apprécier l'ordre suivant lequel les membres se succèdent dans les autres variétés de l'allure. Le pas initial du galop ne peut servir de point de départ à l'analyse de l'allure, car il n'est point régulier; il semble indiquer cependant de quelle manière le galop s'engage et à quel moment il convient de voir le commencement d'un pas complet. En effet, le cheval, après s'èlre rassemblé ou après avoir engagé ses membres postérieurs sous le corps, les étend brusquement en impri- mant une vive et énergique impulsion à la masse. Au moment même où cette impulsion se donne, les membres se lèvent et s'élancent en avant pour préparer un soutien-au centre de gravité. Aussi peut-on admettre que, à l'inverse du pas. qui est l'allure lente par excellence, le galop est entamé par un membre posté- rieur. Et, quand l'allure est engagée, le pas doit théoriquement commencer au momentoù l'impulsion allants'éleindre, une impulsion nouvelledevientnécessaire. Ce moment est précisément celui oi'i le corps retombe sur un membre postérieur. Le pas complet du galop ordinaire est, d'après la plupart des observateurs, marqué par trois battues ; la première est celle d'un pied postérieur; la seconde, celle d'un pied postérieur et d'un pied antérieur formant un bipède diagonal; la troisième, celle d'un pied antérieur suivie d'un temps très court pendant lequel le corps est complètement en l'air. Ainsi, en supposant que le cheval galope à droite, c'est-à-dire que chaque membre droit soit constamment plus avancé que son corresjiondant du bipède 1, itérai gauche, le corps, à partir du moment où il est sans ,ippui, tombe : l" sur le membre postérieur gauche; 2" sur le membre postérieur droit et l'antérieur gauche; 3^ sur l'antérieur droit, après quoi il se retrouve en l'air, puis revient sur les extrémités dans le même ordre qu'auparavant. 484 DES MOUVEMENTS. Le jeu des extrémités a lieu alors de telle sorte que, aussitôt après son appui, chaque pied se relève et se retrouve en l'air avant que ceux qui doivent appuyer ensuite aient etfectué leur battue ; d'où il résulte que l'une quelconque des extré- mités est un temps à l'appui et trois temps en l'air, pendant la durée d'un pas complet. Toutefois lemembrequi est tombéà l'appui oblique en avant doit revenir à la verticale et à l'obliquité en arrière avant de se relever, et c'est pendant qu'il éprouve ce mouvement, par son extrémité supérieure, que son congénère a le temps de se porter à une certaine distance en avant du premier. Ce jeu des membres n'a pas, dans le galop, cette symétrique régularité qui caractérise les autres allures, et il diffère suivant que le cheval galope à droite ou à gauche. Lorsqu'il galope à droite, la foulée de chaque pied du bipède latéral droit dépasse celle de chaque pied correspondant du bipède latéral gauche ; de plus, le membre antérieur gauche et le postérieur droit, venant, dit-on, toujours ensemble à l'appui, se fatiguent moins que l'antérieur droit et le postérieur gauche qui y arrivent isolément. Lorsqu'il galope à gauche, c'est précisément l'inverse qui s'observe : les pistes gauches se trouvent en avant des droites, les I^H^^^H^^^^^^^BHl I^H^^^H^^^^^SHHHHJI ^^l^^^^^mlJ^I^^H ^^H^^^^^^sl^H^^^^H[ FiG. 79. — Cheval au premier temps du galop, d'après M. Marey. deux pieds du bipède diagonal droit ont une battue commune, et les deux autres pieds des battues isolées. Il est des chevaux qui galopent tantôt dans un sens, GALOP. 485 tantôt dans l'autre ; le plus hahituelleinent, ils le font toujours dans le même sens; mais s'ils drcrivent un cercle, ils galopent à droite en tournant à dmite, ou, si l'on veut, ils entament du côté du centre du cercle dans lequel ils se meu- vent. Le contraire n'arrive que par exception. M. Marey qui a imaginé plusieurs appareils ingénieux |)Our létude du jeu des membres dans les différentes allures, s'est servi, pour le trot, de celui qui est représenté dans la ligure 79, et pour le galop, d'un autre un peu différent, mais fondé sur le même principe. Le premier consiste en un bracelet de cuir fixé au canon de chaque membre, bracelet nuini en avant d'une petite caisse plate de caoutchouc mise en communication par un tube avec l'instrument enregistreur. Sur la petite caisse joue une balle qui la comprime à divers degrés lorsque le pied se lève ou lorsqu'il retombe sur le sol. Les pressions sont transmises par le tube à l'enregisti-eur que le cavalier tient à la main ou qu'il porte sur le dos, et elles sont inscrites toutes à la fois. Les tracés obtenus par M. Marey dans ses expériences sur le galop à trois temps montrent, l'animal galopant à droite, — le premier temps marqué par la battue du pied postérieur gauche, — le second par la battue simultanée des deux pieds du bipède diagonal gauche, — le troisième par celle du pied anté- rieur droit. Les trois battues sont séparées par des intervalles sensiblement égaux et après la troisième qui achève le pas, le corps se trouve en l'air. Cette analyse est en concordance parfaite avec les données de l'observation directe. L'inspection des courbes dans les tracés de M. Marey indique que dans le galop la pression du corps sur le sol est plus énergique que dans les autres allures, à cause de la violence de l'impulsion. C'est à la première battue que la pression a son maximum d'énergie, car à ce moment le corps retombe sur un seul pied. Dans le galop de course, ou le galop forcé, la succession des extrémités ne diffère point, comme l'ont bien fait remarquer MM. Richard et Lecoq, de celle qui caractérise le galop ordinaire. C'est par erreur que la plupart des auteurs ' disent plus ou moins explicitement que cette variété de galop se fait en deux temps marqués par deux battues, l'une pour les pieds de devant, l'autre pour les pieds de derrière, et qu'elle se réduit, par conséquent, à une série de sauts plus ou moins étendus. Une étude un peu attentive du galop de course semble indi- quer qu'il ne consiste pas en une suite de sauts ordinaires et qu'il s'effectue de même que le galop ordinaire ; car, d'une part, les deux membres du bipède anté- rieur et ceux du bipède i»ostérieur ne sont jamais sur la même ligne, l'un étant toujours beaucoup plus avancé que l'autre, et, d'autre part, les foulées ou les pistes sont absolument disposées comme dans le dernier, sur une ligne légè- rement sinueuse. Dans le galop à quatre temps, ou de manège, dont la vitesse est peu considé- 1. Bourgelat, Traité delà conformation extérieure du cheval, Soédit., p. 222. — Lafosse Cours d'hippiatrique, p. 191. — Barlhez, Nouvelle tnècrniique, etc., p. 110 et suivantes. — Cuvier, Anacouiie comparée, 2'' édil., l- II, p. 131. — Girard, Traité d'nnatomie vétérinaire t. I, A' édition. — Mùller, Manuel tic plii/siologie, 2" edit., t. II, p. 123. — Dugés, Traité de physiolofjie, t. II, p. 171. 48(5 DES MOUVEMENTS. rable, les membres effectuent isolémentleur lever et leur battue en diaii^onale, de telle sorte qu'il comprend quatre périodes marquées par quatre battues succes- sives. Le membre postérieur gauche, par exemple, percute le premier, puis le postérieur droit, l'antérieur gauche, et enfin, l'antérieur droit, après quoi la même succession se reproduit dans le pas suivant. Le jeu des membres, tel que je viens de l'indiquer, est à peu près accepté par tous les auteurs de quelque autorité, cependant il ne parait pas très certain. Les nouvelles études auxquelles je me suis livré depuis la première édition de ce livre, ont fait naître dans mon esprit quelques doutes sur le nombre des battues, sur la coïncidence de celles de deux membres diagonaux, et enfin, sur la détermina- tion du moment de suspension complète du corps. En examinant attentivement les empreintes laissées sur un sol dépressible et meuble, empreintes que l'on rapporte aisément à chaque pied dont les fers portent, en des points déterminés, des clous à tête saillante, j'ai vu que la régu- larité de leur espacement sur une lignie légèrement sinueuse n'était qu'apparente. Ces empreintes laissent entre elles des intervalles inégaux dans un ordre constant. Ainsi, lorsque les pas ont de .5 mètres à 5 mètres et demi, comme dans le galop ordinaire, on note les distances suivantes : 1" Entre le postérieur gauche et le postérieur droit 0,90 2° Entre le postérieur droit et l'antérieur gauche 2,0.5 3° Entre l'antérieur gauche et l'antérieur droit 1,09 4» Entre l'antérieur droit et le postérieur gauche. : 1,35 ou bien dans un autre pas : Entre le postérieur gauche et le postérieur droit . . 1,00 Entre le postérieur droit et l'antérieur gauche.. . 2,00 Entre l'antérieur gauche et l'antérieur droit 1,10 Entre l'antérieur droit et le postérieur gauche 1,33 Les quatre espaces sont inégaux, et ils alternent. Au plus court succède le plus long, puis à celui ci un court, et enfin, un autre de moyenne longueur. Des deux courts intervalles, l'un sépare les pistes des membres postérieurs, l'autre celles des membres antérieurs. Les deux longs intervalles séparent les pistes des mem- bres diagonaux, mais le plus considérable existe constamment entre le membre postérieur et l'antérieur, qui sont censés tomber ensemble ; celui qui l'est un peu moins existe entre l'empreinte de l'antérieur et du postérieur, qui effectuent isolé- ment leur battue respective. En d'autres termes, les foulées sont accouplées deux H deux ; d'une part, celle des pieds postérieurs, d'autre part, celle des antérieurs. Et le premier couple de foulées est séparé du second couple par un intervalle très grand qui cori-espond probablement au moment de complète suspension du corps. Le groupement des foulées en deux paires, l'une pour les pieds de derrière, l'autre pour les pieds de devant, l'écartement énorme entre la première et la seconde paire me semblent avoir une signification qu'on n'a pas soupçonnée. Ils montrent, je crois, que toutes les variétés de galop se lient l'une à l'autre par une transition insensible, que toutes sont identiques, et qu'elles ont une grande analogie avec une succession de sauts à caractères spéciaux, d'un bipède sur un autre bipède. GALor. 487 Pour bien comprendre le galop tel que l'indiquent les battues perceptibles à l'oreille et les empreintes laissées sur le sol, il faut prendre pour point de départ le plus lent, celui qu'on appelle à quatre temps ou ga'opde manège. Dans celui-ci, il y a quatre battues successives, deux poui' les membres postérieurs, deux pour les antérieurs, les premières séparées des secondes par un intervalle très marqué. Dans le galop ordinaire, les empreintes, disposées comme celles du galop de manège, indiquent apparemment aussi quatre battues accouplées deux à deux, mais tellement rapprochées que celles des membres postérieurs se confondent en une seule, comme le font ensuite celles des membres antéiieurs. Les deux pre- mières se transforment en une battue traînée qui est séparée par un long silence des deux autres encore confondues en une seconde battue également traînée. C'est particulièrement dans le galop de course que la fusion a lieu d'une manière complète. D'après cela, les quatre battues qui restent distinctes dans le gdop le plus lent se réduiraient à deux dans le galop de grande vitesse, non en se fusion- nant réellement, mais en se rapprochant au point de ne pouvoir demeurer dis- tinctes à l'audition. Dans le galop de vitesse extrême, le pas complet compren- drait donc deux battues plus ou moins traînées, laissant entre elles un long inter- valle. 11 y aurait: 1° la battue des membres postérieurs ; 2° un long silence ; 3" la battue des membres antérieurs, après quoi viendrait un court silence sépa- rant le pas qui linil du pas suivant. Il est très facile de comprendre qu'à uneallure d'une vitesse de 12 à 14 mètres par seconde, dans laquelle le pas complet de 6 mètres ne dure qu'une demi- seconde, c'est beaucoup (|ue dans cette demi -seconde deux battues soient dis- tinctes, séparées par un intervalle relativement long, et que ces battues se séparent des suivantes par un intervalle moins considérable que le premier. L'interprétation que je donne ici du groupement des pistes et de leur inégal écartement me paraît logique : elle fait de toutes les variétés du galop une seule espèce qui se rapproche du saut quand l'allure est très rapide sans jamais deve- vcnir réellement un saut. Elle montre que le galop est au saut proprement dit ce ((ue le saut sur un seul pied est au saut à pieds joints. L'observation attentive des changements successifs éprouvés par les membres vus de prodl fournit des données concordantes avec celles qui se tirent de la dis- position des pistes. Elle montre, en effet, les bipèdes antérieurs et postérieurs alternativement rapprochés sous le corps et très éloignés, connue s'ils se poursui- vaient et se fuyaient tour à tour. Et, bien que les deux membres de chacun des bipèdes ne soient jamais sur la même ligne, ils semblent se lever ensemble, puis retomber ensemble, ainsi que cela arrive dans le véritable saut. Néanmoins, dès que l'élan n'est pas simultané dans les membres postérieurs, et que la chute du corps na pas lieu absolument au même instant sur les deux membres d'un même train, le galop ne peut qu'être rapproché du saut, non y être assimdé. Il demeure allure s[)éciale, quelque grandes que soient ses analogies avec ce dernier mouve- ment de progression. En somme, le galop me paraît constamment une allure à quatre temps et à quatre battues dans laquelle les membres agissent successivement, le postérieur gauche, le postérieur droit, et, après, en certain intervalle, l'antérieur gauche et 488 DES MOUVEMENTS. rantérieiir droit, allure dont la rapidité a pour conséquence de fusionner en deux temps et en deux battues les temps et les battues accouplés. L'impulsion donnée au corps, dans un pas complet du galop, quelle que soit sa variété, se fait en deux moments, de très courte durée correspondant chacun à la fin de l'appui de chaque membre postérieur. Ces deux moments, quoique très rapprochés, n'en sont pas moins successifs et séparés par le court instant que le second membre postérieur met à passer de l'obliquité en avant à la direction verti- cale. C'est donc, à la fois, une impulsion interrompue et prolongée que l'on con- sidérerait comme insymétrique dans l'hypothèse de la battue d'un membre posté- rieur isolé, puis d'un bipède diagonal. Elle exige un grand déploiement de forces, puisqu'elle doit, avant de se renouveler, projeter la masse du corps à une dis- tance trois ou quatre fois aussi grande que dans le pas ordinaire. Les deux impulsions s'étant additionnées, la masse est détachée du sol, le grand intervalle est franchi, et les membres antérieurs ne retombent qu'à compter de 2 mètres en avant de la dernière piste du bipède postérieur. De plus, lorsque les membres antérieurs qui sont venus soutenir le corps, après le long moment de suspension, se lèvent à la limite de leur obliquité en arrière, ils peuvent, tout en soulevant la masse, ajouter cà l'impulsion qui l'anime encore une impulsion nouvelle d'une notable intensité. Les oscillations des extrémités ne sont pas, dans le galop, ce qu'elles étaient dans les allures précédentes. Ce qui les caractérise ici, c'est d'abord leur étendue considérable, puisque le pied qui se lève ne retombe qu'après avoir franchi un espace triple, quadruple de celui qu'il parcourait dans le pas, ou de 5 à 6 mètres dans le galop de moyenne vitesse; c'est, d'autre part, qu'il n'y a plus isochro- nisme entre l'oscillation du membre à l'appui et l'oscillation du membre détaché du sol : la première est de très courte durée et la seconde très prolongée. En effet, pendant qu'un membre postérieur qui vient de se lever demeure en l'air, l'autre membre postérieur, puis les deux antérieurs viennent successivement effectuer leur battue respective, et tous se relèvent avant qu'il soit revenu à l'ap- pui. En d'autres termes, du lever au poser d'un membre quelconque, et pendant son oscillation en l'air, les trois autres membres opèrent leur battue et quittent le sol à leur tour. Conséquemment, s'il s'agit du membre postérieur gauche, son oscillation se fait pendant l'appui : i° sur le membre postérieur droit; 2° sur le membre antérieur gauche; 3° sur le membre antérieur droit; 4° enfin, pendant la période de suspension complète. Son extrémité libre parcourt donc alors autant d'espace que l'extrémité supérieure des trois autres membres. L'oscillation du membre levé se fractionne naturellement en quatre parties inégales, qui sont entre elles comme les espaces successifs qui séparent les pistes intercalées entre celle que le membre quitte et celle qu'il marque en achevant sa course, soit dans le rapport des nombres 90, 200, 110, 133. Les oscillations des quatre membres sont de même étendue. Ainsi, de la piste qu'un membre postérieur quitte à celle qu'il va marquer ensuite, la distance est la même qu'entre les deux pistes successives d'un môme pied antérieur, cela à la condition que l'allure est d'une vitesse uniforme, et que les pas successifs sont d'égale étendue. Tant que le galoi» ne change pas de côté, c'est toujours le même GALOP. 489 membre postérieur ou le mt^me antérieur qui est en retard sur son homologue. Ainsi, si l'animal galope à droite, on trouve constamment les pistes disposées dans l'ordre suivant : i" celle du pied postérieur gauche; 2° du postérieur droit; 3 de l'antérieur gauche; 4" de l'antérieur droit. S'il galope à gauche, elles se succè- dent inversement : on a d'abord celle du pied postérieur droit, puis du postérieur gauche, de l'antérieur droit, et, enfin de l'antérieur gauche. Ces empreintes ne se ressemblent pas. Celles des ^ieds postérieurs sont généralement plus profondes que celles des antérieurs, en raison de la violence de la détente de ces membres, lors du développement de l'impulsion. Les empreintes antérieures sont souvent traînées comme si l'animal commençait à glisser lorsqu'il tombe sur les mem- bres de devant. De iilus, l'axe du pied n'est point parallèle à l'axe de la grande ligne du déplacement. On voit, en examinant, les déviations de ces axes, que le corps est alternativement lancé à droite, puis à gauche, et que, par conséquent, la ligne résultante a pour éléments une série de lignes disposées angulairement. L'espace parcouru par le centre de gravité, pendant l'oscillation d'un membre levé, est égal à l'amplitude de cette oscillation, mais il se divise en quatre parties PRKMIEP. CHEVAL PREMII R CHEVAL TROISlt:ME CHEVAl, DEUXIÈME CHEVAL galop de raatiè,Su. Distance entre les membres, de la iiince post ■■riiMire ù la pince antérie ure, lin.ir.. inégales, savoir, par exemple : 1° une fraction de 90 centimètres du lever du membre postérieur dont on étudie l'oscillation au lever du second membre pos- térieur; 2" une de 2 mètres du lever du second membre postérieur au lever du 490 DES MOUVEMENTS. premier membre antérieur; 3° une de l'",iO du précédent à l'autre membre an- térieur; 4° une dernière de 1™,33 de celui-ci au premier membre postérieur revenant sur le sol. Les déplacements du centre de gravité, dans le sens horizontal, peuvent être représentés par une ligne sinueuse, à sections inégales, se portant d'une piste postérieure à l'autre piste homologue, puis de celle-ci à la première et à la seconde piste antérieure. Les déplacements verticaux se réduisent à une série de courbes dont la plus longue et probablement la plus élevée correspond au long intervalle laissé entre la seconde piste postérieure et la première antérieure. L'étendue des pas du galop est différente suivant la variété de l'allure. Dans le galop à quatre temps, le plus raccourci à cause de l'étendue des déplacements verticaux du centre de gravité, le pas représente quelquefois à peine la longueur de celui du trot, soit deux bases de sustentation. Dans le galop ordinaire, il peut mesurer trois, quatre longueurs de cette base et même plus. La figure 80 donne l'étendue du pas du galop et celle des fractions de ce pas dans leurs rapports exacts avec l'étendue des pas des autres allures. La bande de terrain sur laquelle se marquent les pistes a 0^,30 de large; les pieds 0°',14 de longueur; le pas est supposé de 1™,60 dans le pas ordinaire, de 2"", 75 dans le trot, de 5™, 50 dans le galop, distances prises de la pince d'un pied de derrière à la pince d'un pied de devant. Quant à la vitesse, il est clair que, vu la longueur des pas et la promptitude de leur succession, le cheval lancé au galop progresse avec une vitesse très supé- rieure à celle des autres allures. D'après les expériences que j'ai faites sur de petites distances, soit environ 200 mètres, le cheval faisant des pas de 5 mètres, dont la durée était de 4 dixièmes de seconde, la distance parcourue était de 12", 36 par seconde. 4 dixièmes de seconde suffisaient donc à un membre pour passer par toutes les phases successives de son jeu : se lever, décrire en l'air une courbe, efîecluer sa battue très obliquement en avant, revenir à la verticale, entin à la direction oblique pendant laquelle il opère sa détente. Dans les courses d'hip- podrome, la vitesse peut aller à 14", 38 par seconde: c'est le maximum qui se dé- duit des relevés authentiques des courses depuis un grand nombre d'années. Et ce qui prouve qu'elle ne peut guère être dépassée, c'est que, sur trois ou quatre' che- vaux qui parcourent un trajet de 4 kilomètres en 4 à 5 minutes, le plus rapide ne parvient quelquefois, en tout ce temps, à devancer les autres d'un seul pas; il peut gagner le prix pour une longueur de tête ou une longueur de corps. Aussi doit-il y avoir erreur dans les calculs de Perciwal, qui donnent à un coureur an- glais une vitesse de 26 à 27 mètres par seconde avec des pas de plus de 22 mètres! En raison de cette extrême vitesse, l'allure ne peut être soutenue au delà de 5 à 15 minutes sans mettre l'animal hors d'haleine La respiration devient très précipitée, le nombre de ses mouvements quadruple, sextuple, et pour la faciliter, les naseaux se dilatent outre mesure, l'encolure s'étend, et la tête est portée horizontalement; les luittetnents du cœur éprouvent sans doute une accé- lération proportionnelle. L'essoufflement est plus marqué encore au moment de l'arrêt; alors les battements de flancs acquièrent une violence extrême, les veines superficielles se gonflent, et la peau se couvre de sueur. (iALUi'.. m (nvii E (n' Ù ^ 3 -S •^ -^ r il ^ ^ - — g ç O « — = « w o :2 «I - 1 = 1 A -liliJ A il ^^ ^ • - a <î^ ^ ho ce 3 h 1 t 5 * *s >. — ^ -^ ** a) ti uB .1 |2 2 ■3 - 2 ' ij Q. "^:« 3 = 30 '- 498 DES MOUVEMENTS. grande, qui s'oppose à ce qu'il se continue longtemps sans une extrême fatigue des membres, surtout des postérieurs. On conçoit aisément que cet acte, qui exige une inversion dans le jeu habituel des extrémités et une transposition du rôle départi à chacune d'elles, soit beau- coup plus pénible que la progression ordinaire. En effet, dans le reculer, l'impul- sion principale doit être donnée par les membres thoraciques, comme elle l'est parles membres abdominaux dans le pas, le trot, le galop, etc. Or, les premiers sont, ainsi qu'on le sait, très mal disposés pour remplir cet office : d'une part, ils n'ont pas une obliquité assez prononcée, même lorsque l'action rétrograde est déjà engagée; d'autre part, les rayons qui les composent ne forment pas assez d'angles, et des angles assez fermés, pour donner lieu à une détente énergique ; de plus, leur union avec le tronc, par des parties molles, devient une condition très défavorable à'ia transmission intégrale de la puissance impulsive. Cependant, malgré cet ensemble de dispositions si peu en harmonie avec le rôle exceptionnel que jouent les membres thoraciques dans le reculer, [ils déploient, encore ici, une force considérable, sur laquelle nous reviendrons en traitant du tirage et des efforts musculaires. Le mécanisme de l'impulsion rétrograde n'est point, à beaucoup près, le même pour le reculer simple et pour celui des animaux qui traînent des fardeaux. Dans le premier cas, la force destinée à pousser en arrière la masse du corps, est développée en grande partie, par les membres antérieurs qui arc-boutent contre le tronc, en vertu de l'obliquité qu'ils prennent ; et ils produisent cette force par le redressement des angles du boulet, du coude et de l'épaule, angles dont pas un n'opère une détente d'une énergie comparable à celle du jarret. Dans le second cas, la puissance de rétropulsion dérive à la fois des membres thoraci- ques et des membres abdominaux, car la résistance appliquée en arrière de ceux- ci se trouve entre le corps et l'espace indéfini dans lequel il doit se mouvoir. Aussi, cette différence essentielle nous explique pourquoi le reculer, si pénible en soi, permet à un animal attelé de faire rétrograder, à lui seul, la charge que plusieurs animaux de même force peuvent tramer dans le sens de la progression ordinaire. Le mode suivant lequel le reculer s'effectue présente quelques traits communs à la plupart des animaux. Le reculer spontané, tel que celui du taureau et du bélier qui veulent se précipiter sur leurs rivaux, se fait souvent avec rapidité, sans s'accompagner du bercement latéral du corps, ni des mouvements obliques et de l'élévation de la tête qui sont ordinaires au reculer plus ou moins forcé. Le quadrupède qui recule déplace ses membres suivant l'ordre môme de leur succession dans le pas, c'est-à-dire en diagonale, comme on peut s'en assurer chez les ruminants, les solipèdes, chez le rhinocéros, l'hippopotame, l'éléphant, même chez le chameau et la girafe, dont l'amble est l'allure ordinaire. Ainsi, ce déplacement a lieu dans l'ordre suivant : après l'antérieur droit, par exemple, c'est le postérieur gauche, i)uis l'antérieur gauche et le postérieur droit; mais il a ceci de particulier que le pied qui se lève revient à l'apjjui avant que celui qui se lèvera ensuite ait quitté le sol, de telle sorte, qu'à parties cas où le reculer est très rapide, il y a seulement un pied en l'air à la fois, comme le voulait Borelli l)our le pas ordinaire. Lorsque l'action a acquis une certaine vitesse, les deux RECULER. 499 pieds de chaque bipède diagonal agissent ensemble, et l'appui n'a plus lieu que sur deux des extrémités. Il est à remarquer que le reculer est habituellement entamé par un pied de devant, le droit ou le gauche indilléremment, s'ils se trouvent sur la même ligne et par le moins engagé sous le corps, s'ils ne sont pas au niveau l'un de l'autre; c'est, au contraire, le membre postérieur le plus engagé sous le centre de gra- vité ou le plus avancé qui se meut ensuite. Cette particularité, qui rappelle le jeu analogue, mais inverse, des extrémités dans la progression directe comparée à la progression rétrograde, s'explique très bien si l'on considère que le membre antérieur qui se lève a achevé son impulsion à l'instant où son obliquité de bas en haut et d'avant eu arrière est devenue aussi prononcée que possible, absolu- ment comme le^membre postérieur qui, dans le pas ordinaire, quitte le sol au moment où il est parvenu à la limite extrême de son inclinaison, La progression rétrograde n'est pas toujours lente et la succession des extré- mités ne s'efl'ectue pas constamment suivant un ordre inverse à celui du pas : elle peut être quelquefois rapide, relevée, et prendra le caractère d'une autre allure. On sait que les écuyers habiles parviennent, sans trop de peine, à faire trotter en arrière les chevaux bien dressés. L'étendue des espaces franchis successivement par chaque extrémité est moins considérable que dans le pas lent ; les pistes antérieures, au lieu de recouvrir les postérieures du même cê)té, restent toujours à une distance considérable de ces dernières, qu'elles atteignent à peine dans le reculer très rapide, sans tou- tefois jamais les recouvrir, car l'extrémité antérieure d'un bipède latéral revient à l'appui avant que la postérieure du même bipède se soit levée. Les chiffres suivants donneront une idée du rapport qui peut exister entre l'amplitude des oscillations dans le pas et dans les autres allures. NUMÉROS DES PAS ÉTENDUE DES PAS NUMÉROS DES PAS. ÉTENDUE DES PAS UBSEIIVATIONS 1 ;j 4 ti 7 8 i) 10 11 12 i;j 14 Metr. 0,87 0,80 0,').-; 0,10 0,66 0,70 0,94 0.10 0,70 0,76 0,53 0,riO 0,51 0,84 15 m 17 18 19 :^0 ■21 •J-2 h 2i 25 26 27 28 Metr. 1,00 0,64 0,67 0,60 0,64 0,7-J 0,(18 0,64 0.71 0,82 1,01 0,7-2 0,81 0,79 1 Hauteur du cheval. Im.BiJ. Distance t>iitre les pieds de devai.l et ceux dô derrière lors de la station, lm,l8. L.-s distances sont prises de la pince d'une empreinte à la pince de l'empreinte suivante du même pied (comme précédemment). La progression rétrograde, quelle que soit sa vitesse, s'opère rarement suivant une ligne parfaitement droite ; elle s'accompagne, presque toujours, d'un berce- ment particulier de la croupe, et elle fait décrire à la partie postérieure du corps 500 UliS MOUVEMENTS. une série de sinuosités plus ou moins prononcées. Celles-ci tiennent d'abord aux tentatives que fait l'animal pour résister à la main qui le dirige et reprendre une autre allure, puis au mode d'action des membres thoraciques qui donnent tour à tour l'impulsion, sans qu'il y ait entre eux cette solidarité établie si intimement, par le bassin, entre les membres abdominaux. Le reculer présente quelques différences suivant la direction de la surface du sol. Sur un plan incliné, il devient plus facile et acquiert son maximum de vitesse quand l'animal descend : seulement alors les glissades sur les pieds de derrière et les chutes à la renverse sont plus fréquentes. Au contraire, il est extrêmement pénible si l'animal monte, car les membres antérieurs supportent une charge trop considérable. Ses variétés, assez peu nombreuses parmi les ani- maux, nous montrent qu'il s'effectue d'autant plus diflicilement que les extré- mités postérieures sont plus faibles, la région dorso-lombaire plus longue et plus llexible, comme dans le bœuf et le porc, par exemple. VII. — Progression de l'homme comparée a celle des animaux. La progression bipédale de l'homme, qui paraît, au premier abord, d'une grande simplicité, est cependant assez compliquée, comme l'ont prouvé les re- cherches de Weber. On peut la comparer à celle des oiseaux et même des singes dans les moments où ils se servent exclusivement des membres abdominaux. Les membres de l'homme, dans les mouvements progressifs, agissent tantôt successivement, de manière que l'action de l'un Unit quand celle de Tautre com- mence, ou bien ils fonctionnent dans des temps qui empiètent les uns sur les autres. Et, sous ce double rapport, leur jeu est tout à fait comparable à celui des membres postérieurs des quadrupèdes. Il se compose de trois éléments : la sus- tentation du corps, l'impulsion et l'oscillation dans l'espace. Le membre à l'appui donne l'impulsion en arc-boutant sur le sol, soit dans une direction verticale, soit plus souvent dans une direction oblique d'arrière en avant; il la donne d'abord par l'extension du genou, puis par celle du pied sur la jambe. L'impulsion est achevée dès que le pied quitte le sol, par suite delà (lexion du genou, et alors le membre en l'air est soutenu et emporté par le corps. Cette impulsion pousse à la fois, comme chez les animaux, le corps en haut et en avant, mais elle est surtout horizontale, car, d'après les recherches de Weber, les oscillations verticales du centre de gravité n'ont, au maximum, que trois cen- timètres d'amplitude. Elle agit constamment sur le corps incliné en avant et d'autant plus incliné que la progression est plus rapide; aussi, dans la plupart des cas, la ligne de gravitation passe en avant de l'axe du bassin et des articula- tions coxo-fémorales. Dans toutes les formes de progression, le pas n'est que rcsi)ace parcouru par un membre de son lever à 'son appui : aussi il se mesure par la distance de l'em- preinte qu'il quitte à celle qu'il va faire, distance à laquelle on ajoute la longueur du pied. Les quatre modes de progression de l'hounne sur le sol sont : la marche, la course, le trot (;t le saut. PROGRESSION 1)K l'iIO.MMK COMPARÉE A CELLE DES ANIMArV. '.V\\ La mairhc, qui est le motif! le plus habituel, peut être lente ou rapide. Dans la inarclie lente, le corps est tour à tour soutenu par un membre ou par les deux, et il ne se détache jamais du sol ; mais les deux temps de cette allure sont inégaux : celui pendant lequel le cori>s est porté par un seul membre, l'au- tre étant en l'air, est plus long que i(> temps où le corps est soutenu par les deux ensemble. Le temps de double ajtpui alterne toujours avec le temps d'appui unilatéral. Dans la marche rapide, le temps de raïquii simultané des deux pieds s'efface : l'un des membres quitte le sol au moment même où l'autre appuie, les deux oscil- lant successivement sans que le jeu de l'un empiète sur celui del'autie. Dans la première, la durée de rai)pui et de l'impulsion de chaque m* lubre est plus con- sidérable que celle du temps où le meudjre oscille dans res[)ace: dans la S(>conde, ces durées sont ù peu près égales, d'après les observations de Weber. L'impulsion est donnée par le membre qui se trouve en arrière et qui se redresse au genou, puis à l'articulation tibio-tarsienne ; ce membre se détache [)ar le talon d'ai)ord, conséculivcment à une llcxion du genou, puis il oscille en l'air et vient porter sur le sol par le tiilou, après (|iioi l'autre se lève à son tour d déciit son oscillation pendant l'appui du premier. L'cspac<' parcouru par un membi'e dans chaque pas ne représente que l;i moitit' de l'espace qui, au repos, est compris entre les deux pieds portésàleur maximum d'écarlement, soit la moitié de M 8 centimètres, d'après les expériences d(' .Weber. La vitesse de la marche dépend évidemment de la rapidité delà succession des pas et de leur étendue. Ces deux conditions dérivent de la vélocité des contrac- tions musculaires, de la longueur des jambes, de l'étendue de leur flexion et de leur extension successives, du degré d'inclinaison du tronc. Si le tronc est droit, comme dans la marche grave, les oscillations verticales du centre de gravité peu- vent acquérir une amplitude de 3 centimètres; mais, s'il est incliné, elles devien- nent beaucou[) moindres, et alors, dit Weljer, la marche peut acquérir une vitesse égale à 2'", 60 par seconde, soit à |)eu i)iès la vitesse de la marche d'un cheval de taille moyenne. La course est un mode de progression rapide dans le(piel le coips est succes- sivement porté par un nuMnbre, puis soutenu en l'air, et enlin porté par Tiiutre membre; car chaque pied quitte le sol avant que l'autre soit revenu àl'appui. Llle se compose réellement, comme le remarque Weber, de deux sauts ou d'un dou- ble saut ellc'ctué pendant (pie les deux meudjres opèrent leur di'placemenlcompliM. La course dillère de la mai'che, même la plus rapide, en ce (pie le temps de la nuiiche pendant lerpiel les deux membres sont à l'apimi est ici remplacé par un teuqis oùlecor|is est conqilèleiiient détaché du sol, mais ce temps de suspension est très courtet ne représente, en moyenne, suivant Web(M-, (pi'iin dixième de seconde. Dans cette allure, \o membre (pii tombe \i'rlic;ileuieiil sur le sol donne immé- diatement rim|uilsion |)ar le redr(>ssement du genou, puis il se détache et demeure en l'air pour osciller un t(Mnps plus long que celui du poser. Le cor|ts est projeté presque horizontalement, de telle sorte que les déphecmeuts verti- caux du centre de gravité sont même moindres que dans la marche. Le pas de course, composé du temps pendant le(piel le corps est sur une jandie. 502 DES MOUVEMENTS. et du temps OÙ il est suspendu, paraît varier d'un quartàun tiers de seconde; son étendue est à peu près double de celle du pas de la marche, et comme il se fait plus vite, il permet de parcourir trois fois autant d'espace qu'en marchant, c'est-à- dire de 6 à 7 mètres par seconde, soit 1 kilomètre en 2 minutes et demie ; mais cette progression, analogue au galop des quadrupèdes, abstraction faite de l'ac- tion des membres thoraciques, ne peut se continuer longtemps par suite de l'accé- lération qu'elle imprime aux|battements du cœur et aux mouvements respiratoires. Le trotter ou le trot est un autre mode de progression dans lequel le corps effectue une série de sauts d'un membre sur l'autre, et où, avant de passer du droit sur le gauche, il est en Tair pendant un temps plus ou moins considérable. Dans cette allure, la jambe qui tombe sur le sol dans une direction oblique en avant ne donne l'impulsion qu'après être revenue à la direction verticale et elle la donne de telle sorte que le corps est lancé très haut; aussi faut-il déployer, pour trotter, plus de force musculaire que pour courir. Dans le trot, le corps est aussi alternativement cà l'appui et détaché du sol , et le temps où il est en l'air est plus long que l'autre. Chaque pas peut avoir autant et plus de longueur même que dans la course ; mais ces pas ont une durée plus consi- dérable en raison du temps perdu pendant que le corps se soulève et retombe, au lieu de se mouvoir suivant une ligne horizontale, comme il le fait dans la course. Cette allure diffère donc de la course surtout par la forte projection du corps en haut, par la plus longue durée du temps de suspension et par la distinction entre l'instant du poser de la jambe et celui où elle donne l'impulsion. Dans le saut, qui peut être vertical ou oblique, et se faire à pieds joints ou d'un seul pied le corps est lancé à une hauteur et à une distance proportionnée cà l'intensité de l'impulsion, qui dépend elle-m.ême du degré de flexion des rayons, de l'éner- gie et de la vitesse des contractions musculaires destinées à opérer la détente. Cet acte se produit par un mécanisme du même genre que chez les animaux. 11 devient, à proprement parler, un mouvement de progression quand il est répété un certain nombre de fois. En somme, il y a des différences notables entre les divers mouvements pro- gressifs de l'homme. Dans la marche, le corps est constamment soutenu au pre- mier temps par l'un de ses membres, au second par les deux, au troisième, par l'autre, en raison de ce que l'un commence à poser avant que l'auiic soit levé, et chacun est plus longtemps k l'appui qu'en l'air. Dans la course, le corps ne passe du membre droit sur le gauche qu'en s'élevant en l'air dans un temps inter- médiaire, et cliaque membre est plus longtemps levé qu'appuyé. Dans le trotter, le corps, avant de passer d'une jambe sur l'autre, se trouve aussi en l'air en s'élevant très haut, et il passe plus de temps sans appui que dans la course. Ces divers modes de progression sont tous à trois temps : le premier est celui de l'appui sur un pied, le second celui de l'appui sur le pied opposé; mais le temps intermédiaire, qui est de double appui dans la marche, est un temps de suspen- sion complète dans la course et le trotter. Si on analysait la progression des oiseaux, on y retrouverait la marche humaine, la course et le trotter avec leurs caractères essentiels, et on verrait les pattes développer successivement l'impulsion par l'extension du pied et par celle REPTATION. 503 du tarse (fig. 81), qui donnontun iTsultat équivalant à Textension du tarse et du genou de l'homme ou du boulot et du jarret des quadrupèdes. En effet, c'est le membre en retard, oblique d'avant en arrière, qui se lève le premier; sa partie Fig. 8.3. — .Marche <\e l'oiseau. postérieure se détache d'abord du sol, et l'impulsion s'achève au moment où l'appui ne se fait plus que par l'extrémité des doigts. VIII. De la reptation. Ce nouveau mode de progression est particulier aux animaux privés de mem- bres ou pourvus d'extrémités impropres à soutenir le corps et à l'empêcher de se mettre en contact tavec la surface du sol. Il appartient nécessairement à la généralité dos reptiles et à la plupart des animaux inférieurs qui se meuvent sur des corps solides; mais iu>us ne je consi- dérerons ici que d'une manière très générale, et spécialement eu ce qui concerne les animaux vertébrés, chez lesquels il s'offre sous deux formes, savoir : la rep- tation simple ou apédale, et la reptation opérée avec le secours des membres. La reptation qui s'effectue avec la participation des membres établit, en quel- que sorte, la transition entre la progression ordinaire et la reptation proprement dite. Elle est bien caractérisée chez les lézards, le caïman, le crocodile, la sala- mandre, le caméléon, les tortues, même chez les phoques et divers cétacés lors- qu'ils se meuvent sur les rivages. Son mécanisme est fort simple dans la plupart de ces animaux : les extrémités, par suite de leur brièveté, de leur écartement, de leur situation tout à fait oblique et latérale, ne pouvant élever le corps au-des- 504 DES MOUVEMENTS. SUS de la surface du sol, le laissent plus ou moins ramper : pour donner l'im- pulsion, elles se détachent suivant un ordre variable qui est, chez plusieurs, la tortue, par exemple, celui du pas des quadrupèdes, et leur déplacement s'ac- complit, tantôt avec lenteur, comme chez le caméléon, d'autres fois avec la rapi- dité qui caractérise la progression des petits lézards. C'est par un mode analogue à la progression des reptiles pourvus de pieds que se meut le phoque à la surface du sol. Cet animal, après avoir pris un point d'ap- pui avec ses membres antérieurs, alors qu'il tient le cou et la tête relevés, attire en avant la partie postérieure de son corps, en faisant ployer sa colonne verté- brale ; puis les parties postérieures prennent à leur tour un autre point lixe et pro- jettent en avant, par un redressement brusque, toutes les parties antérieures du tronc ' . La reptation simple ou celle des serpents, est plus difficile à concevoir que la précédente, car l'impulsion qui la détermine est développée exclusivement par le jeu des parties qui doivent être mises en mouvement. Lorsque le serpent se met à ramper, son corps décrit une série d'ondulations horizontales plus ou moins étendues et rapprochées qui disparaissent, puis se reproduisent avec une grande rapidité. Formées par l'action des muscles qui longent la colonne vertébrale ou qui lient les côtes les unes aux autres, elles peuvent être considérées, chacune, comme un point d'appui qui permet à celle qui la précède immédiatement de se redresser et de pousser en avant la partie antérieure du corps. Ainsi, au début du mouvement, l'animal prend un point fixe vers la tête, puis contracte ses muscles spinaux et intercostaux qui font dé- crire au corps une série d'ondes en ramenant les parties postérieures vers les antérieures. Cela fait, la première ondulation se redresse, se projette en avant, appuyée sur la seconde, et ainsi de suite. Ce redressement, qui paraît s'opérer successivement quand la reptation est lente, semble se produire simultanément dans toutes les ondes dès que la progression devient un peu rapide. Quelquefois il arrive que le reptile, au lieu de ramper en décrivant des sinuo- sités, se meut très vite, suivant une ligne presque droite; mais en y regardant attentivement, on voit que le corps décrit encore des ondes alternatives dont les courbes légères appartiennent à des cercles d'un très grand diamètre ; parfois aussi, le serpent progresse sans faire ondoyer son corps : ainsi, lorsqu'il est roulé en spirale et qu'il essaye de se déplacer, tous les tours de la spire se meu- vent à la fois et circulairement, depuis la tête jusqu'à l'extrémité de la queue. Cette variété de mouvement est surtout bien sensible chez les ophidiens de grande taille, le boa et le python, par exemple. Les indexions qui font progresser les serpents appartiennent toutes aux variétés précédentes. Ce qu'on a dit des ondulations verticales est une pure fiction des poètes. Les serpents qui se détachent partiellement du sol pour décrire des courbes d'un plan perpendiculaire à sa surface, ne le font que dans le but de soulever la tête et les parties antérieures du corps, lesquelles, trouvant un a[ipui -111 les postérieures, se meuvent souvent seules et se portent dans ', . Voy. Uarllipz, Mi''rrni/(/iii' //r.^ inoi/r., p. 1:55; Diivernoy, Mé//i. f/u Mus., t. IX, p. 181. NATATION. 50o toutes les directions : les premières suffisent à l'aire mouvoir l'animal en divers sens et à le faire reculer, même avec une grande vitesse, surtout lorsque, sui- vant la remarque de Lacépèdo, il n'a point, ainsi que l'anipliislirnc nous en oflYc un exem()le, de plaques écaillciiscs scjiis le ventre. Les ondes alternatives que décrit le corps des ophidiens jouent, sans doute, le principal rôle dans la progression de ces animaux: mais leur action a pour auxiliaire essentiel le jeu des côtes et des lames transversales que la plupart por- tent en dessous, depuis la tète jusque vers l'extrémité de la queue. Les côtes qui, à l'état normal, sont plus ou moins inclinées en arrière, se projettent en avant et en dehors, lors de la progression, de manière à prendre un point d'ap- pui à leur extrémité libre, sur la ligne de jonction des lames transversales avec les écailles; leur mouvement devient très manifeste à travers la peau, et peut être suivi avec facilité, notamment sur les pythons, pendant qu'ils se déplacent avec lenteur ou lorsqu'ils éprouvent le mouvement spiroïde dont je parlais tout à l'heure. Les plaques écailleuses imbriquées dont le bord libre regarde en arrière, semblent lemplir, par suite d'un léger redressement, l'office d'une série de petits pieds susceptibles de s'appuyer sur les [dus faibles inégalités du sol; leur nombre, qui parait en rapport direct avec celui des vertèbres et des arcs costaux, ajoute à leur importance : j'en compte 147, de la tête à l'orifice du cloaque d'une vipère qui a 1.^0 paires de côtes, et uni; quarantaine sur la lon- gueur de la queue, à partir du point où les côtes disparaissent ; ces dernières, bien plus petites que les autres, sont partagées en deux segments par une décou- pure lonifitudinale. La reptation, quelles que soient les variétés de son mécanisme, s'opère plus aisément sur un sol rugueux, dans l'herbe, sur les arbres, etc., que sur les corps dont la surface est dépourvue d'irrégularités. Rlle est aussi très facile dans l'eau, soit ([ue l'animal se trouve com|ilètement plongé dans le liquide, soit qu'il se tienne près de la surface. Le corps décrit dans cet élément les mêmes inflexions (pie sur le sol, et exécute toutes les évolutions possibles avec une rapi- dité et une souplesse remarquables, car les ondes du reptile peuvent, en fra|)- pant le liquide, y |u-endre des points dappui, et permettre à l'animal de pro- gresser lentement ou avec rapidité, et de se diriger sans peine dans tous les sens. IX. — De la natation. Cette dénomination s'ai)pli(pie à la progression aquatique de tous les animaux, soit qu'ils se tiennent immergés, soit qu'ils plongent seulement en partie dans les eaux. Le mode de locomotion qu'elle sert à (pialilier dé|)end des rapports de densité qui existent entre le milieu dans lequel l'animal se meut et le corps de celui-ci, de l'appui que l'eau donne et de la vitesse qu'elle imprime aux parties qui la frappent. Son mécanisme doit être envisagé à part chez les quadrupèdes, les oiseaux et les poissons. Tous les quadrupèdes, quelles que soient leur taille, leur forme et les propor- tions de leurs membres, peuvent nager, et même souvent avec une très grande 506 DES MOUVEMENTS. agilité : le bœuf, le cheval, le cerf, le cochon, l'hippopotame, le font sans diffi- culté. Les petits animaux, tels que le chien, le chat, et ceux qui ont les pieds palmés, comme le rat d'eau, la loutre, le castor, se meuvent dans l'eau avec plus de liberté encore que les autres. La densité de leur corps, un peu supérieure en général à celle de l'eau, ne leur permet de se maintenir près de la surface que par suite des mouvements qu'ils exécutent et par l'effet de l'air contenu dans leurs poumons : aussi, pen- dant la natation, sont-ils complètement immergés, à part les régions supérieures de la tête et l'entrée des voies respiratoires. Le mode suivant lequel s'effectue la natation des quadrupèdes est fort simple. Ces animaux font mouvoir leurs membres en nageant de la même manière que dans la progression à la surface du sol : aussi nagent-ils très bien, dès la pre- mière fois, dans un milieu oii ils ne sont point appelés à vivre. Leurs extrémités les dirigent et leur donnent l'impulsion en frappant l'eau suivant une direction variable et avec une plus ou moins grande vitesse. Les postérieures pourraient, à elles seules, remplir ce rôle qu'elles jouent de concert avec les antérieures ; leur action est régulière et symétrique si l'animal progresse en ligne droite ; elle ne l'est pas dès qu'il veut se porter à droite ou à gauche, car celles d'un côté frap- pent plus fortement le liquide lorsque le quadrupède se dirige du côté opposé. Le parallélisme qui existe entre l'axe des extrémités et le plan médian du corps parait être, d'après la remarque de Dugès\ peu favorable au développe- ment de l'impulsion, puisque ces extrémités ne peuvent éprouver le mouvement rotatoire qui leur permettrait de frapper l'eau par leur face la plus large et de la traverser ensuite par leur bord le plus étroit. Millier^ dit cependant « que la surface avec laquelle elles frappent l'eau est plus étendue si les quadru- pèdes jettent leurs membres en arrière que s'ils les ramènent en avant, » ce qui n'est pas bien démontré par l'observation. Il semble, contrairement à l'assertion du savant physiologiste, d'une part, que les membres ne se jettent pas en arrière pour donner l'impulsion, comme ils le font chez l'homme, mais qu'ils la commencent à partir du moment où ils ont été portés aussi en avant que possible, pour l'achever en arrivant à leur maximum de projection en arrière; il semble, d'autre part, que ces appendices ne peuvent guère présenter, en don- nant l'impulsion, ou en frappant la masse liquide, une surface plus large que celle qu'ils offrent en reprenant la situation dans laquelle ils renouvellent leur détente. Dans l'hypothèse de MùUer, il faudrait que les membres pussent pré- senter en arrière leur face externe, et que, par conséquent, ils éprouvassent un mouvement général de semi-rotation assez diflicile à exécuter chez le cheval, le bœuf et les grands quadrupèdes. Il faut donc chercher ailleurs la cause du mouvement du corps, et cette cause consiste en ce que les extrémités frappent l'eau avec plus de force et pendant plus longtemps, en donnant l'impulsion qu'en revenant à la situation qui les rend aptes à recommencer leur action, Lorsqu'on examine un grand quadrupède qui nage, le cheval, par exemple, on voit la surface de l'eau à peine agitée: tout le corps est immergé ; mais le dos 1. Dugès, toc. cif., t. II, p. 130. 2. Mùlier, Manuel de phi/s., irad. A.-J.-L. Jourdan, 2e édit., Paris, ISni, t. II, p. 115. NATATION. 507 se rapproche très près de la surface du liquide ; la nuque, la partie antérieure de la tète et les naseaux sont seuls en dehors du liquide ; les nnembres demeu- rent constamment sous l'eau et ne viennent jamais près de la surface ; le corps n'éprouve ni oscillations verticales, ni oscillations latérales très sensibles ; il sillonne le liquide en ligne directe. Si le cheval est chargé d'un cavalier, toutes les parties de ce dernier qui sont immi^-gées, déplaçant un volume d'eau dont le poids est égal au leur, ne constituent f)as un fardeau réel; seulement celles qui se trouvent hors de l'eau, en augmentant de tout leur poids celui de l'animal, nécessitent, pour rendre la natation possible, des mouvements plus rapides et plus énergiques que dans les circonstances ordinaires. La densité du corps des quadrupèdes leur permet de plonger sans grandes difficultés, fj'hippopotame, par exemple, le fait avec une agilité qui contraste avec ses formes grossières et sa démarche si embarrassée à la surface du sol. On le voit disparaître subitement à une extrémité de son bassin et revenir très vite à l'extrémité opposée ; il lui suffit, pour cela, de faire une profonde expira- tion alin d'augmenter sa pesanteur s[iécirique, et de fermer ses narines par les sphincters qui les entourent pour prévenir l'introduction de l'eau dans les voies aériennes. On a la preuve qu'il ne sort pas d'air de ses poumons en constatant que, pendant l'immersion du pachyderme, aucune bulle ne vient crever à la surface du liquide. Les oiseaux nagent autrement que les quadrupèdes. La densité spécifique de leur corps diminuée par le développement de l'appareil respiratoire, la capacité considérable des sacs aériens du thorax et de l'abdomen, la présence de l'air dans le canal médullaire d'une partie des os, dans le tissu spongieux des vertèbres, des plumes, etc., leur permettent de ne plonger dans l'eau que par les régions inférieures du corps. Leur progression aquatique résulte uniquement de l'action des pattescjui sont courtes et très écartées l'une de l'autre chez les palmipèdes, et cette action est analogue à celle des rames, puisqu'elles frappent l'eau de la même manière, d'autant mieux que les doigts sont entourés d'expansions résistantes ou réunis par. des palmures membraneuses. Ici le mécanisme du dévelo|)pement de l'impulsion est simple et très facile à comprendre. Loiseau immobile, qui veut se mettre en mouvement, rapjiroche les doigts et porte ses deux pattes en avant, puis il les projette en arrière, en étalant leurs palmures qui battent l'eau par une grande surface ; enfin il rapiiroche de nouveau ses doigts, ramène ses pattes en avant et leur imprime une seconde détente. La réaction du liquide étant beaucoup plus vive lors de la projection des pattes en arrière que lors de leur mouvement inverse, l'oiseau est lancé en avant. Si les doigts demeuraient aussi écartés dans les deux cas, la réaction serait égale de part et d'autre et l'aniuiiil conserverait l'équilibre. Les deux pattes agissent syniétri(iuement quand l'animal veut aller en ligne droite : l'une d'elles seulement bat l'eau lorsque l'oiseau se porte de côté, et celle qui agit est |)récisément celle du côté opposé à celui vers lequel la progression a lieu. Cette simple modification du jeu des extrémités suffit pour donner à l'oiseau la faculté de se mouvoir dans toutes les directions. Le mouvement des ailes n'est oOg DES MOUVEMENTS. qu'un auxilaire, rarement employé, pour Cacili ter la progression ou en réglerle sens. Lesoiseaux peuventplongeraussi bien que les quadrupèdes. « Lorsqu'ils veulent le faire ils sont obligés de comprimer fortement leur poitrine pour chasser l'air qu'elle FiG. 81. — Natation du cygne. peut contenir, d'allongerle cou pourfaire pencher leur corpsen avantetde fra|)ppr avec leurs pattes en haut pour recevoir de l'eini une impulsion vers le bas \ » Les poissons nous offrent, sans contredit, le mode de natation le plus parfait et le plus rapide que les animaux puissent exécuter. Par la forme de leur corps, le luxe des moyens qui servent à les mouvoir et à les diriger, ils se déplacent dans l'eau avec une extrême vitesse et y opèrent des évolutions aussi variées que celles des oiseaux au sein de l'atmosphère. Les parties qui servent à donner l'im- pulsion et à régler le sens des mouvements sont, comme on le sait, la queue et les nageoires. La queue, qui est aplatie latéralement, pourvue de muscles puissants et ter- minée par une large nageoire, est évidemment l'organe essentielde l'impulsion : elle frappe le liquide alternativement à droite et à gauche, comme le fait l'aviron d'un bateau. Le coup qu'elle donne d'un coté tend à diriger l'animal du côté opposé, mais il est suivi immédiatement d'un second coup en sens inverse qui tend à mouvoir l'animal dans une direction contraire à celle de la première impul- sion ; d'où résulte, d'après la remarque de Borelli, un mouvement moyen, c'est-à-dire un mouvement dans la diagonale du parallélogramme des forces impulsives composantes. 1. r.uviiT, Lfrri7>.< (l'tnuitoiiiic rrii/ijj/ii(!i', I. II,]). Ml. -NATATION. oliO Les nageoires contribuent aussi, pour beaucou[», h rinipulsion, mais elles servent plus spécialement à maintenir le corps en équilibre et à régler le sens de ses mouvements. Les nageoires, dorsale et anale, paraissent destinées surtout à prévenir l'inclinaison latérale du corps et aie (ixer de manière que son plan médian reste perpendiculaire à la surface du liquide. Borelli a vu que la section des ventrales rend ré(iuilibre diflicile et entraîne des oscillations ccmlinuelles à FiG. 8."). — Natation des |Joi^siiiis '. droite et à gauche ; d'autres ont observé que l'ablation des dorsales produit sou- vent la subversion de l'animal et Toblige à nager le ventre en haut. Les latérales, qui jouent très peu dans la |)rogression ordinaire, se meuvent symétriquement tant que l'animal va en ligne droite ; celles du côté vers lequel il tourne se cou- chent contre le corps, et celles du côté opposé frappent le liquide avec une plus ou moins grande vitesse: aussi sont-elles regardées comme susceptibles de régu- lariser le sens des déplacements. Du reste, on conçoit que ces parties, en combi- nant leur action, peuvent produire des effets très divers, suivant que l'animal veut monter ou descendre, résister aux courants, etc. Indépendamment de ces divers moyens de progression, les poissons possèdent encore, pour régler leur é(iuilibre et leurs mou\emenls, la vessie natatoire [deine de gaz ,et communi(iuant avec l'oesophage ou larrière-bouclie. Mais les usages précis de cette poche ne sont pas encore parfaitement déterminés ; tout ce qu'on sait à cet égard, c'est qu'elle diminue la [lesanteur s|H''cili(|ue de l'animal et lui 1. Bldinchàvi], Les poissons i/t's eaux (louci'.s de In France. Vans, 18UtJ. C)10 DES MOUVEMEISTS. donne la faculté de passer des régions inférieures vers les supérieures, et réci- proquement ; elle parait pouvoir augmenter de capacité quand l'animal veut s'élever, et, au contraire, se resserrer quand il doit descendre à de grandes pro- fondeurs. Néanmoins, il est des poissons chez lesquels ses parois, très résistantes, ne se prêtent guère à de semblables variations ; sa rupture, d'après quelques expérimentateurs, fait tomber les poissons au fond de l'eau et les empêche de revenir à la surface. La natation est moins facile à l'homme qu'aux animaux, aussi ne peut-il l'exécuter avec précision qu'après s'y être exercé. Elle résulte d'une suite de mouvements horizontaux ou très obliques dus à l'impulsion des membres posté- rieurs agissant à peu près comme dans le saut, pendant que les membres anté- rieurs frappent l'eau à la manière des rames. L'homme, pour nager, se couche à la surface de l'eau et s'y soutient en l'affleurant, sauf la tête, que les muscles cervicaux supérieurs tiennent au-dessus du liquide. Les membres abdominaux, fléchis sur eux-mêmes en s'étendant brusquement, frappent l'eau qui réagit ; ils poussent la masse en avant et en haut, de telle sorte que les épaules tendent à se dégager du liquide. En même temps, les bras, qui étaient fléchis et rapprochés de la poitrine, s'étendent aussi et se portent en dehors, comme pour frayer un passage au corps. A chaque fois que cette action des membres se répète, le corps avance d'une quantité proportionnée à l'énergie et à la rapidité de la détente. L'impulsion qui dérive de l'extension brusque des membres se partage : une partie se perd à refouler le liquide qui fournit le point d'appui, l'autre fait avancer la masse. Il suffit de comparer ce mouvement à celui des batraciens pour voir qu'il est un véritable saut horizontal : ces animaux se meuvent dans l'eau par une succession de sauts peu différents de ceux qu'ils exécutent à la surface du sol, X. — Du VOL. Le vol est le mode de progression propre aux oiseaux, aux insectes ailés et aux animaux dont les membres sont pourvus d'expansions membraneuses plus ou moins étendues, susceptibles de prendre sur l'air un point d'appui suftisant pour que le corps se soutienne et se mette en mouvement au sein de ce fluide. Son méca- nisme, en apparence tout particulier, offre la plus grande analogie avec celui de la natation. Le vol est ordinairement précédé, surtout chez les animaux pesants, d'un acte préparatoire destiné à commencer et à faciliter l'élan impulsif, acte qui consiste, soit en un saut plus ou moins étendu, soit en une suite de bonds ou en une course de quelques instants. En même temps, l'oiseau déploie ses ailes, qui étaient fléchies et appliquées sur le corps ; il les porte en haut, les étale, puis les abaisse légèrement, en faisant décrire ù. leur extrémité libre un arc de cercle d'autant plus étendu qu'elles sont plus longues et plus complètement déployées. Par suite de cette extension subite, les ailes développent une force de projection qui élève le corps, et, en frappant l'air sur une grande surface, elles trouvent dans ce fluide un point d'appui à l'aide duquel l'animal se maintient en équilibre. Aussitôt que VOL. 511 cette action est effectuée, l'aile se (lécliit, se rapproche du thorax, puis se redresse et s'étend de nouveau. En répétant très rapidement cette opération, l'oiseau par- vient à se soutenir et à se mouvoir avec vitesse, suivant des directions très variées. La force qu'il déploie serait, sur l'hirondelle, le dix-septième de la force d'un cheval-vapeur d'après Napier; Borelli l'avait évaluée à 10,000 fois le poids de l'animal, mais ces estimations sonl d'une exagération flaf,Munte. Il résulte des (îxpériences de M. Marey ^ que le pectoral d'une buse stimulé par les courants induits développe une force de 12 kilogrammes et demi, et celui d'un pigeon FiG. 86. — Le vol de Fuiseau. une force de près de 5 kilogrammes. Cette force est proportionnelle au poids du corps qu'elle doit lancer et mouvoir en divers sens dans l'atmosphère. Le mécanisme d'après lequel le jeu des ailes produit l'impulsion est, en réalité, moins compliqué qu'il ne le parait au premier abord. Pour le bien comprendre, il faut le mettre en parallèle avec celui de la natation; car le vol n'est, à propre- ment parler, qu'une natation aérienne. Mais, comme, d'une part, l'oiseau et le poisson ont la conformation du corps essentiellement différente, les moyens de locomotion dissemblables, et que, d'autre part, les milieux dans lesquels ils se meuvent possèdent une densité qui est loin d'être la même, il est facile de pressentir que les mouvements de ces deux groupes d'animaux ne peuvent être identiques. La seule légèreté spécifique de l'air exige, pour que le corps de l'oiseau se tienne en équilibre et se déplace aisément, que celui-ci ait : 1° une pesanteur spécilique peu considérable ; 2° des moyens de frapper l'air par une grande surface; 3° une grande force dans les organes d'impulsion; -i" et la faculté d'en renouveler les mouvements avec une extrême rapidité. D'abord, le corps de l'oiseau a une forme et une densité qui lui assurent la stabilité de l'équilibre au sein du lluide aérien, en rendant ses évolutions très faciles; c'est la forme du vaisseau ou celle du poisson, eflilée en avant et en arrière, aplatie d'un côté à l'autre. Les ailes, comme les voiles, sont en haut. Toutes les parties lourdes : masse des pectoraux, cœur, viscères abdominaux servant de lest, sont en bas. L'air qui remi»lit les cellules des os, les tuyaux des plumes, les sacs, allège toutes les parties supérieures du corps. En second lieu, l'aile dont les rayons osseux sont très allongés, l'aile qui est 1. Marey, Machine animale, p. 223. ol2 DES MOUVEMENTS. solidement attachée au tronc par une clavicule et un coracoïde énormes, acquiert, par ses longues plumes imbriquées, une très grande surface pour frapper l'air, tout en conservant une extrême légèreté. Ses mouvements, dus en grande partie à l'action des muscles pectoraux, dont le volume est énorme relativement au reste du système musculaire, n'ont pas de caractères constants. Ce sont, en général, des oscillations obliques de dedans en dehors, de haut en bas et d'avant en arrière. Chez les oiseaux rameurs, qui ont les ailes courtes, elles frappent l'air comme les rames, en effectuant de longues oscillations. Au contraire, chez les voiliers, qui les ont très étendues, elles s'agitent peu; leurs oscillations sont courtes. Le nombre de leurs battements varie, d'après M. Marey\ dans des proportions considérables ; il est, par seconde, de 13 dans le moineau, de 8 dans le pigeon, de 3 dans la buse. Chaque battement d'aile se subdivise évidemment en deux périodes, l'une brève et facile, celle de l'élévation, l'autre d'abaisse- ment, plus pénible, plus prolongée. C'est, dit-on, pendant celle-ci, que l'air, frappé vivement, développe la force qui pousse le corps en haut et en avant. C'est à l'aide de la méthode graphique que M. Marey est parvenu à constater les particularités de la locomotion aérienne. L'ingénieux expérimentateur s'est servi dans ce but d'un double appareil consistant : d'une part, en une ampoule exploratrice de caoutchouc tixée sous les pectoraux et communiquant avec un tube plein d'air; d'autre part, en une sorte de télégraphe électrique adapté à l'aile et formé de deux éléments voltaïques et d'un électro-aimant. Les indications du double appareil sont tracées sur un enregistreur à tambour. La figure 87 représente l'oiseau volant avec son double appareil. L'ampoule, maintenue par un corset sous les pectoraux, donne les tracés qui résultent de l'action des pectoraux et qui indiquent la fréquence des battements de l'aile, la durée relative de ses temps d'élévation et d'abaissement. La figure 88 montre l'oiseau au vol avec l'appareil destiné à indiquer les déplacements de l'extrémité libre de l'aile, déplacements dont la hgure 89 donne une idée. Borelli, qui regardait le vol comme une suite de sauts, comparait les ailes à des ressorts arc-boutant sur la résistance de l'air; il pensait que ce lluide, en les repoussant, donnait lieu à un mouvement réfléchi analogue à celui qui, d'après ses idées, était le résultat de la réaction du terrain dans les autres modes de progression. Cette explication, pleine de vues ingénieuses, n'est pas tout à fait exacte : les ailes agissent bien comme des ressorts qui arc-boutent à l'une de leurs extrémités sur une surface plus ou moins résistante, mais le mouvement de l'oiseau n'est pas un mouvement réfléchi dérivé de la réaction élastique de l'air. Les ailes agissent d'une manière analogue à celle des rames, elles frappent l'air comme les nageoires et la queue du poisson frappent l'eau : leur action est à peu près semblable à celle des membres dans le saut. En s'étendant subite- ment, elles développent une force qui éloigne l'une de l'autre leurs deux extré- mités, et qui, par conséquent, se décompose en deux parties : l'une appliquée à l'extrémité libre de l'aile, employée à déprimer l'air et à prendre un point d'appui 1. Marey, Mém. aur le voldea ins. et des oiseaux {Ann.des sciences nat., 5'' série, t. XII, p. 49, 1869). VOL. ol3 sur ce fluide ; l'autre appliquée à la partie lixe de l'organe et tendant à pousser le corps en avant. La force qui s'exerce à la partie libre de l'aile se perd en refoulant l'air, et il l'aut(ju'olle se perde ainsi pour donner un [)oiiit d'appui aux FiG. 87. — Appareil à doubles signaux pour enregistrer les niouveiuents îles ailes d'un pigeon (Marey). organes locomoteurs; néanmoins, elle prend une part directe à la progression, par suite de la réaction élastique qu'elle provoque dans l'air déplacé. L'autre force s'exerce sur le corps qu'elle tend à pousser dans une direction déterminée, et joue le principal rôle dans la locomotion aérienne. Ces deux puissances, n, COLIN, — Physiol. coiTip., ^' ('Mit, I — 33 514 DES MOUVEMENTS. égales en elles-mêmes, ne feraient pas mouvoir l'animal si elles étaient appli- quées à des résistances égales entre elles ; mais, comme la résistance opposée par la masse du corps de l'oiseau est moindre que celle de la grande masse d'air frappée avec vitesse, la première cède plus que la seconde, et se meut avec une intensité proportionnelle à la différence qui existe entre les deux forces. L'impulsion produite par chaque aile étant oblique, relativement à l'axe du FiG. 88. — Buse volant avec l'appareil qui signale les mouvements décrits par l'extrémité de son aile (Marey). corps, le mouvement s'effectue suivant la diagonale des deux composantes, c'est- à-dire suivant le prolongement même de cet axe. En somme, dans le vol l'action musculaire doit produire, à la fois, la sustenta- FiG. 89. — Parcours de la iiointe de l'aile à chaque mouvement du vol (Marey). tion du corps, son élévation et sa translation dans le sens horizontal. C'est l'action des muscles des ailes qui développe les forces vives employées à l'obten- tion de ce triple résultat. L'abaissement brusque de l'aile, ou sa percussion de haut en bas, fait surgir la réaction qui soutient le corps. Cette même réaction s'exerçant sur le plan incliné de l'aile, comme le veut M. Marey, produit une poussée comparable à celle qui donne lieu au mouvement ascensionnel du cerf- EFFORT. Olo volant. L'abaissement associé à une percussion en arrière comparable à celle des jambes du nageur, doit avoir pour résultat la projection du corps en avant. La direction et la vitesse du vol, les conditions d'équilibre dans les divers mouvements de la progression aérienne, varient nécessairement suivant une foule de causes parmi lesquelles il faut placer en première ligne les modidcations que peut éprouver l'action des ailes, de la queue et l'attitude que prend le corps de l'animal. Relativement à sa direction, le vol peut être horizontal, vertical, oblique et circulaire. Dans le vol horizontal, il faut, de toute nécessité, que les ailes donnent deux impulsions : l'une, pour soutenir le corps et lutter contre la pesanteur; l'autre, pour le faire progresser en ligne droite; elles produisent la première en frappant l'air de haut en bas, et la seconde, en le frappant d'avant en arrière ; mais ces deux mouvements ne sont point isolés et successifs, ils sont combinés en un mouvement mixte, dont le résultat est identique à ce qu'il serait si les deux impulsions étaient développées tour à tour. Dans le vol vertical, qui est ascendant ou descendant, l'impulsion est simple; lorsque l'oiseau s'élève, les battements de Taile se font tous de haut en bas, d'une part, pour soutenir la masse du corps, d'autre part, pour l'élever par suite de l'appui que ces organes prennent sur les couches d'air,frappées à chaque coup. Enlin, dans le vol oblique, qui peut offrir des combinaisons nombreuses, et dans le vol circulaire, qui est une variété du précédent, il n'y a pas de symétrie entre l'action de l'aile droite et celle de l'aile gauche : celle du côté vers lequel l'oiseau se porte agit peu, et celle du côté opposé frappe l'air avec force, car elle est plus complètement déployée. La vitesse du vol dépend de la rapidité avec laquelle se succèdent les batte- ments des ailes ; elle peut être en raison directe de la légèreté spécifique de l'oiseau, du développement de ses appendices locomoteurs et de leur énergie musculaire. La puissance de ce mode progression tient à plusieurs causes que l'étude de l'analomie comparative a mises en évidence; mais tous ces détails n'ont pour nous qu'une utilité très accessoire. CHAPITRE XIV DE L'UTILISATION DES FORCES MUSCULAIRES Dans ce chapitre, nous étudierons seulement le mode le plus général de l'emploi des forces motrices des animaux, c'est-à-dire le tirage ; mais avant, nous examinerons le mécanisme de l'effort réduit à sa plus simple expression. l. — De l'effort en général. On donne le nom d'effort à l'action synergique des puissances musculaires opérée dans le but de vaincre une résistance plus ou moins considérable. Cette action est indispensable toutes les fois que les animaux doivent entraîner 5J6 DES MOUVExMENTS. OU porter de lourds fardeaux, effectuer des sauts d'une grande étendue, des évolu- tions pénibles, se relever, ruer, se cabrer, se précipiter sur leurs ennemis, les terrasser, s'arracher à leurs étreintes, sortir d'un précipice ou d'un bourbier, gravir des côtes escarpées, briser les liens qui les retiennent, se dégager d'un piège; elle ne l'est pas moins à l'accomplissement de la parturition, du vomissement, etc. Les efforts peuvent être distingués en deux séries : les uns sont volontaires, gradués au gré de l'animal, augmentés ou diminués sous l'influence de diverses excitations extérieures ; les autres sont automatiques ou involontaires, régis par des excitations sur lesquelles la volonté a peu ou point d'empire, et destinés à venir en aide à des actions pénibles, telles que le vomissement, la plupart des excrétions. Le mécanisme de ces actes, assez bien étudié chez l'homme, où son analyse est facile, n'a pas encore beaucoup fixé l'attention des physiologistes, en ce qui con- cerne les animaux, chez lesquels il présente des caractères spéciaux, tenant à des dispositions statiques et dynamiques autres que celles de l'organisation humaine. L'élément essentiel de l'effort est, d'après la plupart des auteurs, la fixité des parois du thorax, obtenue par suite de l'occlusion des voies aériennes, immédiate- ment après une profonde inspiration, (ixité qui a pour but de donner un point d'appui à un grand nombre de puissances musculaires. On sait, en effet, qu'au moment où l'on fait un effort, même peu considérable, le thorax est maintenu dilaté et immobile, et l'on conçoit que cette immobilité, plus ou moins complète, est nécessaire, afin que les muscles du cou, ceux des bras, plusieurs muscles destinés à déterminer la rigidité de la colonne vertébrale, à fixer la partie supé- rieure des membres pelviens et à assurer la stabilité de l'équilibre, puissent prendre un point d'appui sur les pièces des parois thoraciques. Mais il n'en est point tout à fait ainsi en ce qui concerne les animaux et notamment les grands quadrupèdes : chez eux, les muscles de l'encolure prennent leurs attaches aux vertèbres dorsales, au sternum et aux côtes antérieures, qui sont à peu près constamment immobiles ; les muscles qui lient les membres thoraciques au tronc partent, soit des vertèbres, soit du sternum et des côtes, qui se meuvent à peine ou qui ne se meuvent point ; l'ilio-spinal, les psoas, peuvent agir efficacement, quelle que soit la fixité de leurs attaches costales; enfin, les muscles de la croupe n'ont rien à faire de l'état du squelette thoracique. L'intervention du rôle du thorax est donc moins nécessaire au déploiement des forces des grands animaux qu'à celui de nos propres forces ; néanmoins, elle fait partie intégrante de tous les efforts de ces derniers. On voit, pour peu qu'on examine un cheval traînant une lourde voiture, que la rcspiiation devient profonde, bruyante, et que, à des intervalles i)lus ou moins rapprochés, les parois de la poitrine sont conune immo- biles, les muscles abdominaux très tendus, la corde du (lanc très dure, le muscle grand oblique de l'abdomen dessiné sous la peau au niveau du bord sinueux de sa partie charnue. L'état du thorax, qui se traduit vaguement par des phénomènes extérieurs, est facile à concevoir. Immédiatement avant chaque effort, l'animal fait une profonde inspiration qui distend les voies aériennes, et le tissu pulmo- naire; aussitôt la glotte se ferme pour empêcher l'air de s'échapper, les parois de la poitrine prenntMit de la (ixité, le diaphragme, les muscles abdominaux, se EFFORT. 517 contractont ot tendent à expulser l'air emprisonné dans la IraduT, dans les bronches et les vésicules pulmonaires; mais cette expulsion n'étant |ias possible, l'air se trouve comprimé et acquiert une tension élastique qui lui permet de réagir avec force contre les puissances expiralrices. Par suite de la dilatation de la poitrine, dont les parois sont devenues momentanément à peu près immobiles, les muscles de l'encolure, des membres antérieurs, de l'épine, de l'abdomen, participent à la tension simultanée, énergi(|ue, qu'éprouvent aussi les membres postérieurs. Ainsi l'effort s'accomplit; mais, comme cet état ne peut se prolonger que pendant un court espace, il est bientôt suivi d'une expiration rapide après la(piel!e les mêmes phénomènes se reproduisent, pour cesser et réapparaître autant de l'ois que les cdorls se répètent et se succèdent dans un temps donné. La réalité des phénomènes qui se passent du côté du thorax peut êtredémon- tr(''e par une expérience très simple, En edet, si l'on pratique sur le cheval une petite ouverture au larynx en enlevant la lame fibreuse qui ferme l'échancrure du cartilage thyroïde, on voit paifaitement, lorsque l'animal se débat violem- ment ou lorsqu'il fait un effort quelconque un peu énergique, que les cordes vocales s'appliquent l'une contre l'autre; et, en plaçant le doigt entre ces cord(;s, jusqu'à la hauteur du bord libre des aryténoïdes, on s'assure que ces cartilages se rapprochent très fortement, comme ils le font à l'instant de la déglutition. Lorsque l'animal est attelé à une voilure pesante, le resserrement de la glotte se reproduit à chaque effort, et cesse immédiatement après, avec une certaine régu- larité. Le jeu du larynx, dans cette circonstance, ne peut être confondu avec celui qui caractérise la respiration ordinaire, carie resserrement habituel qui succède à chaque inspiration est presque insensible; en outre, il peut être facilement distingué des contractions brusques et irrégulières qui surviennent quand on irrite avec l'extrémité du doigt la muqueuse laryngienne. Le resserrement des cordes vocales, qu'Isid, Bourdon et Jules Cloquet ont démontré théorique- ment, a été constaté déjà par Longet « chez des animaux sur lesquels, après avoir détaché l'os hyoïde de la base de la langue et le cartilage thyroïde avec une érigne, on avait porté le larynx en avant en conservant intacts les nerfs laryngés » : procédé sanglant, évidemment moins convenable que celui que j'ai mis en usage. Mais, quant au rapprochement des aryténoïdes, qui est aussi sensible que celui des rubans de la glotte, il ne parait point encore avoir été signalé. Toutefois ce rapprochement ne va pas jusqu'au point de produire l'occlusion complète de la partie postérieure de la glotte. Celle-ci n'est fermée qu'au niveau des cordes vocales: aussi l'air circiilc-l-il encore dans le larynx. L'occlusion plus ou moins complète de la glotte n'est pas indispensable à la production de l'effort. Celui-ci a encore lieu lors même que l'air ne peut être retenu dans les voies respiratoires. On sait depuis longtemps que les chevaux auxquels on a pratiqué la trachéotomie font encore des services pénibles, traînent des voitures au trot et même au galop. De petits oiseaux, auxquels j'avais coupé la trachée en travers et fait sortir le segment inférieur hors de la plaie, volaient aussi bien qu'avant l'expérience. Dans cette circonstance, la participation du thorax, quelle qu'en soit l'importance, ne paraît pas avoir éprouvé de modilication 518 DES MOUYEMENTS. bien sensible, du moins autant qu'on peut en juger d'après le rythme des mouvements respiratoires. Pendant que ces phénomènes se passent du côté de la respiration, la colonne dorso-lombaire acquiert de la rigidité : elle s'étend ou se fléchit, suivant la nature de l'effort, par l'action combinée des ilio-spinaux, des transversaires épineux, des muscles sous-lombaires et des muscles abdominaux ; l'encolure se roidit, éten- due ou fléchie : la rigidité qu'elle acquiert est énorme chez le carnassier qui déchire sa proie, chez le bœuf attelé au joug et chez le taureau qui se précipite sur son adversaire. Les membres prennent un point d'appui solide sur le tronc : les antérieurs par les muscles qui partent des apophyses épineuses du garrot, des premières côtes à peine mobiles et du sternum dont la fixité est si remarquable ; les posté- rieurs par les psoas et les muscles de la croupe. Les premiers et les seconds arc-boutent sur le sol avec force, se rapprochent ou s'écartent, suivant les cir- constances, et laissent sur le terrain meuble de profondes empreintes. Il faut examiner le cheval attelé à une lourde voiture, celui qui rue, qui se cabre, celui qui fait des efforts dans le but de se relever, de se débarrasser des entraves, pour se faire une idée exacte de leur coopération. Diverses modifications se produisent dans certaines fonctions sous l'influence des efforts. Pendant qu'ils s'effectuent, la respii'ation est profonde, lente, par- fois bruyante; elle devient très rapide dès qu'ils cessent, s'ils ont été pénibles et prolongés. La pression des parois thoraciques sur les viscères qu'elles entou- rent devient énorme ; aussi les vésicules pulmonaires se dilatent-elles outre mesure ; le poumon devient fréquemment emphysémateux ; son tissu se déchire même quelquefois et l'air s'échappe dans le tissu interlobulaire, où il forme de grandes ampoules en s'infiltrant sous la plèvre. C'est ainsi que, sous leur influence très répétée, le cheval contracte l'affection connue sous le nom de pousse. Si, au moment des efforts, les parois thoraciques portent une plaie, le poumon y est chassé avec force et tend à se hernier. L'air est comprimé énergiquement dans tout le reste de l'appareil : ainsi il reflue dans les trompes, dans les poches gutturales qu'il soulève, dans la cavité tympanique en augmentant la tension de la membrane du tympan au point de produire une surdité momentanée. Il est refoulé également dans les sinus, et, quand il existe une petite plaie à la trachée, l'emphysème du cou et quelquefois de la poitrine se développe avec rapidité. C'est à ce moment aussi que les mucosités, le sang, les corps étrangers tombés dans les bronches peuvent en être expulsés avec violence. La circulation éprouve alors une gêne considérable dans toutes ses parties. Le sang veineux, ayant de la difficulté à rentrer dans le thorax et dans le cœur, gonfle les vaisseaux superficiels qui deviennent parfois énormes. Le pouls vei- neux se manifeste dans toute la longueur de la jugulaire sur l'animal couché, et même sur les chevaux d'attelage debout ou en mouvement. Ce reflux gonfle les sinus cérébraux, les sinus rachidiens, exagère le soulèvement du cerveau ou de la moelle mis à nus et en accroît Thémorrhagie dans le cas où ils sont blessés. Le sang reflue même dans le canal thoracique jusqu'à la citerne de Pecquet sur les animaux où ce canal a peu de valvules. A la longue, l'oreillette et le ventricule EFFORT. 519 droits acquièrent une dilatation anévrysmatique qui coïncide fréquemment avec l'emphysème pulmonaire chez les chevaux poussifs. La petite circulation est gênée aussi. Le cœur droit est obligé à des epfortir; énormes pour pousser, dans le système artériel du poumon, le sang dont il est gorgé, et encore, à toutes les systoles, ne parvient-il pas à se débarrasser de la totalité de son contenu. En effet, on peut s'assurer, à l'aide du tubes de Haies que la tension du sang noir est très accrue dans l'artère pulmonaire. La circulation artérielle est moins entravée ; néanmoins, le cœur gauche se contracte énergiquement ; ses contractions s'accélèrent, deviennent irrégulières, parfois même se suspendent quelques instants : aussi si une artère est ouverte, le sang cesse momentanément de couler ou ne coule que faiblement. L'énergie de ses contractions peut rendre la tension artérielle si considérable qu'il en résulte quelquefois la rupture des anévrysnies, rupture assez fréquente dans l'espèce humaine. Du côté de l'addomen l'effort a des effets remarquables, résultant de la pres- sion excessive qu'il fait porter sur les viscères. L'estomac, comprimé, peut laisser échapper des liquides ou des gaz par l'œsophage; son contenu passe plus vite dans l'intestin sur le cheval et plus encore chez les ruminants, dont le flanc se creuse fortement si les elforts sont répétés pendant longtemps; l'intestin se vide: il laisse échapper avec bruit de grandes quantités de gaz. Des hernies inguinales peuvent en être la conséquence, la chute du rectum, le renversement du vagin, la déchirure de la vessie, si le canal est obstrué par un calcul. Le chirurgien et l'expérimentateur savent avec quelle violence sont alors ipoussés vers l'extérieur les anses intestinales, l'épiploon et la rate qu'on cherche à faire rentrer dans l'abdomen. Sous l'influence des efforts, le système chylifère comprimé fait progresser plus rapidement les fluides qu'il contient, et, s'il y a une fistule au canal thoracique, ils s'en échappent abondamment par un jet saccadé. La tension du chyle dans ses vaisseaux augmente suivant le même rapp(»rtque celle du sang artériel. L'énergie de la contraction musculaire est portée à son plus haut degré, elle peut acquérir une intensité qui va jusqu'à déterminer la rupture des muscles, de leurs tendons, le décollement des épiphyses, la fracture des éminences et des os eux-mêmes, comme cela arrive sur les chevaux de course. La somme de puissance développée dans les efforts musculaires ne peut être exactement déterminée, même à l'aide d'instruments de précision, car les forces, suivant quelles sont employées à opérer les divers mouvements de progression, à traîner, à porter des fardeaux, à vaincre, en un mot, des résistances diverses, se traduisent par un efl"et utile qui est loin d'être re\|>ression rigoureuse de leur intensité réelle; il ne saurait, du reste, en être autrement, à cause des pertes qui résultent de la mise en jeu des leviers, de la neutralisation des puissances anta- gonistes, etc. On sait dans quelles exagérations monstrueuses et dans quelles erreurs sont tombés sur ce point plusieurs physiciens. Néanmoins, le dynamo- mètre, comme nous le verrons tout à l'heure, est susceptible de fournir à cet égard des données qui, si elles ne sont point d'une exactitude absolue, ont au moins l'avantage d'être parfaitement comparables. ^20 DES MOUVEMENTS. J'ai fait récemment quelques expériences pour juger de la puissance muscu- laire du cheval, et c'est par un moyen indirect que j'ai essayé d'évaluer celle que les principaux muscles des membres peuvent déployer. Considérant que plu- sieurs d'entre eux peuvent se déchirer ou se rompre dans des efforts violents, j'ai cherché à déterminer l'intensité de la traclion capable de produire leur rupture. Pour cela, j'ai pris des muscles presque vivants sur des animaux venant d'être tués. L'os sur lequel le muscle prenait naissance a été fixé à une solive, et à l'os servant à l'insertion de ce muscle un plateau a été attaché, puis progressivement chargé. Il a fallu des poids énormes pour rompre les fléchisseurs, les extenseurs des phalanges, le coraco-radial, le gastrocnémien, etc. Ainsi, il a fallu les charges suivantes pour rompre : 1° Dans le membre antérieur : l'extenseur du métacarpe, 988 kilogr. ; le fléchis- seur profond des phalanges, 683 kilogr.; le coraco-radial, 973 kilogrammes. 2° Dans le membre postérieur: l'extenseur antérieur des phalanges, 415 kilo- grammes; le fléchisseur du métatarse, 924 kilogrammes; Textenseur du méta- tarse, 616, 687, 983 kilogrammes; le fléchisseur profond de la région digitée, 510 kilogrammes. La force mécanique ou la ténacité des muscles, représentée par les chiffres ci- dessus indique que la contraction peut développer une puissance énorme avant de produire la rupture. Si cette ténacité n'était pas si considérable, les muscles se ruptureraient à tout instant lors des violents efforts de contraction. Mais la résistance des muscles est fort variable pour une même étendue de section transverse. Ceux des membres sont la plupart plus forts que les autres ; les psoas sont de beaucoup les moins tenaces. Les muscles à intersections, à aponévroses adhérentes, ceux qui portent un tendon non interrompu d'une extré- mité à l'autre, ou qui sont 'convertis en ligaments, jouissent d'une résistance exceptionnellement remarquable : tels le coraco-radial, le fléchisseur du méta- tarse. Il est probable que le fléchisseur superficiel des phalanges dans le membre abdominal dépasserait tous ceux dont je viens de déterminer la force. On peut, en compai'ant la force mécanique des muscles à l'étendue de leur section transverse, déterminer approximativement celle de muscles plus grands ou plus petits. Or, elle est en moyenne de 10 à 30 kilogrammes par centimètre carré. Comme, dans un centimètre carré, déduction faite des gaines, il peut y avoir 400 faisceaux primitifs supposés de 5 centièmes de millimètre, la force mécanique du faisceau serait seulement de 25 à 75 centigrammes. Le déploiement de ces forces n'arrive à son maximum qu'autant que les ani- maux sont stimulés par la douleur, la crainte, les menaces, les besoins impé- rieux de la conservation, etc. Il est facile de voir que le cheval qui se débarrasse de ses entraves, qui cherche à retirer son pied d'entre les mains du maréchal, à gravir une côte escarpée, à sortir d'un bourbier, fait des efforts qui dévelopi>ent une force bien supérieure à celle qui est le résultat des mouvements ordinaires de l'animal. Leur intensité, excessivement variable, parait être proportionnellement plus considérable chez les petits animaux que chez ceux de grande taille. Le petit oiseau qui cherche à s'échapper de la main qui le serre, le cygne qui donne des TIRAGE. 921 coups d'ailes si violents, ont, relativement à leur taille, une force plus grande que le cheval qui frappe [)ort, dans des conditions identiques, il arrive que l'un est ardent, l'autie paresseux, d'où il résulte que le premier se fatigue plus que le second. En outre, les deux animaux peuvent ne pas associer régulièrement leurs efforts, TIRAGE, o3l avancer riin plus que l'autre, pousser dans des directions non parallèles, s'ap- puyer chacun sur le timon de la voilure, toutes circonstances qui latiguent un animal au détriment de l'autre et diminuent la somme de l'ellet utile des forces musculaires. Dans le tirage au joug par des bceufs attelés de front, les conditions restent, à quelques modifications près, ce qu'elles doivent être pour le tirage avec le joug simple. La résistance transmise au joug par le timon, puis au front par rintcrmédiaire, du joug, est reportée uniformément sur toute la largeur de la tète, de telle sorte que l'action exercée sur le joug, ou plutôt sur ses courroies, est une action directe de prépulsion. Quelques auteurs ont cependant avancé que le joug cons- tituait un levier du deuxième genre ayant pour chaque bœuf la puissance à une extrémité, le point d'appui sur la tète de l'autre, et la résistance au milieu; mais c'est une erreur de mécanique assez manifeste pour (pi'il soil inutile de la rele- ver. Lorsque les deux animaux attelés ensemble poussent unirormément, il y a évidemment action directe, et lorsque l'un pousse plus que l'autre, l'appui, pour la moitié du joug que porte le plus fort, a lieu sur ce rebord saillant que présente le timon à l'endroit de sa jonction avec le joug, et ce qui le prouve, c'est que, si l'on dételle l'un des Itœufs, le second continue àtrainer la voiture, pourvu qu'elle ne soit pas trop chargée. L'inégalité d'allure des bœufs attelés ensemble donne lieu à une modification dans le rôle que chacun remplit lorsque la force déployée par les deux est égale de part et d'autre. Si l'un déploie plus de la moitié de la force totale de trac- tion, une partie de l'excédent de celte moitié est employée à pousser l'autre bœuf en arrière, ou à exercer sur lui une pression qui tend à le faire reculer. Le second, qui tire moins que le premier, soit parce qu'il est faible, soil parce qu'il ne fait pas assez d'etlbrls, se fatigue évidemment pour deux raisons: l"pour la part qu'il prend au tirage; 2° pour la force qu'il doit opposer à l'action rétro- grade exercée sur lui par le bœuf le plus puissant. Aussi, d'après cela, est-il facile de i)ressentir tout le désavantage qu'il y a à atteler un bœuf faible avec un bœuf fort, un animal lent, paresseux, qui tire à peine, fivec un Ixeuf vif, ardent, qui s'épuise par des eflorfs peu proportionnés à ses forces. Le mode de tirage que nous examinons est iniluencé par diverses causes, dont les principales sont relatives à la direction de la surface du sol. Ainsi, sur un terrain horizontal, le bœuf qui traîne un fardeau un peu lourd baisse toujours la tète de manière que la nuque reste au-dessous du niveau tlu garrot et de la ligne dorso-lombaire. Dans les montées, il la baisse encore davantage, à tel point que le sommet de la tète descend à 20, 30 centimètres au-dessous de la ligne du garrot; les meudjres sont fortement inclinés de bas en haut et d'arrière en avant, le pas se raccourcit, et les pistes des pieds de derrière ne viennent pas recouvrir" celles des pieds de devant. Dans les descentes, au contraire, la tête se relève, le sommet de la nutiue dépasse le niveau du dos, les membres arc-boutent en sens inverse de ce qu'ils faisaient dans le cas précédent. Alors, si l'animal est obligé à des efforts considérables pour retenir, on voit sa croupe éprouver des vacillations latérales très prononcées, son corps, son encolure surtout, se tordre 332 UES MOUVEMENTS. en divers sens, et sa tête exécuter de brusques mouvements d'élévation alternant avec des mouvements d'abaissement plus ou moins marqués. Ici, c'est l'animal le plus vif ou le plus fort qui est le moins avancé, parce qu'il relient plus que l'autre. Le recul des bœufs attelés au joug est excessivement pénible. Lorsque ce mou- vement s'opère, la résistance qui doit être poussée en arrière reste appliquée en avant des membres, au sommet de la tète; elle est attirée, en quelque sorte, par un mécanisme que les physiologistes n'ont point encore étudié et qui mérite toute leur altenlion, car il constitue une exception très remarquable à celui de tous les modes d'impulsion directe ou rétrograde dont nous avons dû exposer rapidement les principaux caractères. Maintenant, il nous resterait à apprécier en elle-même, sous le rapport de son intensité et de son effet utile, la force que les animaux déploient dans les diffé- rents modes de tirage : ce serait le complément des considérations purement physiologiques qui viennent d'être exposées; mais cette question, qui a fait l'objet de nombreuses recherches de la part des physiciens qui ont voulu com- parer les moteurs animés aux machines créées par le génie de Thomme, n'est pour nous que d'une utilité très accessoire. Nous ne rechercherons donc pas combien un cheval ou un bœuf peut marcher d'heures à telle ou telle allure, quel est le poids du fardeau qu'il peut transporter sur des routes horizontales ou sur des voies en pente avec telle ou telle espèce de véhicule. Nous ne nous occuperons pas davantage de l'influence que peuvent avoir, sur l'effet utile des forces animales, la forme des véhicules, le diamètre des roues, la largeur des jantes, l'état des routes, la direction de leur surface, la fréquence des obstacles de diverse nature, des ornières, etc. Tous ces détails, d'un haut intérêt au point de vue mécanique, appellent de sérieuses études pour compléter les savants travaux exécutés sur ce sujet depuis quelques années. CHAPITRE XV DE l'expression Sous ce titre collectif, nous comprenons la voix, le langage des animaux, les divers moyens dont ils se servent pour traduire leurs sensations et la plupart des passions qu'ils éprouvent. Mais, de ces actes et de ces résultats fort nombreux, nous n'examinerons que les plus remarquables, on commençant par la phonation. L — De LA PHONATION. On désigne sous ce nom l'action par laquelh; un appareil spécial, ()i'opre aux animaux qui respirent avec des poumons, produit des sons plus ou moins harmo- nieux, dont l'ensemble conslitue la voix. Ctitte action, qui se rattache j»ar sa nature intime à celle des autres mouvements, présente des modidcations trop profondes et trop nombreuses pour qu'on puisse étudier complètement son VOIX. :vx] mécanisme d'une manière générale. Aussi l'envisagerons-nons à part et succes- sivement chez les mammifères et les oiseaux. I. — Voix des mammifères. Sans nous arrêter à l'exposition des lois de l'acoustique et à la description sommaire des instruments qui ont de l'analogie avec celui qui produit la voi\ des animaux, nous rappellerons succinctement les points principaux de l'organisation de l'appareil vocal avant de rechercher le mécanisme d'après lequel il fonctionne. Appareil vocal. — Composé essentiellement du larynx, cet appareil ne peut cependant remplir convenablement son oflice sans le concours des autres organes respiratoires. Le larynx résulte de la réunion de différentes pièces cartilagineuses articulées ensemble, mises en mouvement par des muscles et tapissées par une membrane formant des replis susceptibles de vibrer, ou des diverticulums dont la cavité peut changer d'étendue et de conliguration. Il représente un segment de tube inter- médiaire aux cavités nasales et à la trachée, pourvu de deux ouvertures : l'une supérieure, l'autre inférieure. Ses parois sont constituées par cinq cartilages : le cricoïdc, le Uiyroïde, les aryténoïdes et l'épiglotte. Le premier, le plus inférieur, surmonte la trachée et donne appui aux pièces de l'appareil : il ressemble à un anneau fortement élargi à sa partie postérieure; le second, jeté antérieurement entre les deux branches de la fourche hyoïdienne, se recourbe en une sorte de bouclier prolongé latérale- ment par deux grandes ailes; les troisièmes, ou les aryténoïdes, surmontent la partie élargie du cricoïde et se portent en avant, à la face interne des ailes thy- roïdiennes; enlin, le cinquième, attaché en haut et en avant du larvnx, protège l'orifice supérieur de la glotte au moment de la déglutition. Outre ces pièces car- tilagineuses constantes, il existe entre les aryténoïdes et la base de l'épiglotte de petits cartilages corniculés, et enfin quelquefois, entre les deux aryténoïdes, un noyau impair, dont on ne trouve pas de traces chez les solipèdes, les ruminants et beaucoup d'autres grands mammifères. Les muscles laryngiens sont, les uns plus spécialement affectés au jeu de l'appareil dans la respiration, la déglutition, le vomissement, la rumination; les autres, au mouvement de ses pièces dans la phonation. On en compte cinq réelle- ment intrinsèques : le crico-thyroïdien, le crico-aiyténoïdien postérieur, le crico- aryténoïdien latéral, le thyro-aryténoïdien et l'aryténoïdien, qui est impair. L'hyo-thyroïdien et l'hyo-épiglottique, rangés dans la même catégorie, sont des muscles extrinsèques. Les premiers se trouvent souvent pâles et ;itr(ipliiés d'un côté chez les animaux solipèdes. Ces muscles tirent leur motricité de divers petits nerfs à la fois sensitifs et moteurs, appelés laryngés supérieurs et laryngés inférieurs ou récurrents; les premiers se distribuent seulement au crico-thyroïdien tenseur des cordes vocales et à la muqueuse. Les derniers donnent des filets à tous les muscles et en outre à la membrane muqueuse. Ce sont les plus importants, car leur section alTai- blil considérablement la \oix, la rend rauque, et quelquefois l'éteint entière- 534 , DES MOUVEMENTS. ment. Galien avait cru, d'après des expériences faites sur des porcs, qu'elle ren- dait les animaux complètement aphones; je l'ai pratiquée sur de jeunes animaux de la même espèce qui ont pu encore pousser par moments de faibles cris, résultat qui, du reste, avait été constaté sur des chiens par Haller et d'autres expérimen- tateurs. A l'intérieur du larynx, entre les aryténoïdes et le cartilage thyroïde, s'éten- dent, d'avant en arrière, deux et quelquefois quatre replis membraneux connus sous les noms de ligaments de la glotte ou de cordes vocales. Les replis supé- rieurs, minces, tout à fait membraneux, non doublés par des muscles, sont loin d'être constants. Les inférieurs, épais, doublés par des productions fibreuses élastiques et des faisceaux musculaires, existent toujours et jouent, à la manière des cordes vibrantes, un grand rôle dans la phonation. Au-dessus et en dehors de celles-ci, entre elles et les ligaments supérieurs, se trouvent souvent des diver- ticulums connus sous le nom de ventricules de la glotte. Enfin, entre les cordes droites et les gauches, est circonscrit l'espace que l'on désigne spécialement sous le nom de glotte, et qui se continue entre les aryténoïdes dans le point où il n'y a plus de cordes vocales. Cet espace augmente ou diminue suivant une foule de circonstances. On l'a divisé en deux parties, l'une antérieure, appelée glotte vocale, l'autre postérieure, circonscrite par les aryténoïdes, qui doit constam- ment demeurer libre pour le passage de l'air. Le larynx présente un grand nombre de modifications dans sa forme générale, son volume, ses proportions, la configuration de ses cartilages, la disposition de ses rubans, de ses sinus, modifications dont les principales seront indiquées à propos des variations de la voix chez les animaux. Méca-nis^uie «le la phonation. — Il n'est pas de sujet sur lequel on ait tant varié que sur le mécanisme qui produit la voix. Dodart\ depuis Galien et Fabrice d'Acquapendente, est certainement le pre- mier qui ait poussé très loin la recherche du mode de formation de la voix. Il regarde le larynx et la glotte, non seulement comme l'organe principal, mais encore comme l'organe unique de la voix. D'après lui, et contrairement à l'as- sertion des anciens, la trachée-artère ne fait pas l'office d'un corps de flûte et ne prend aucune part réelle à la production de la voix, non plus que la bouche et les fosses nasales. La voix elle-même résulte de deux causes : le mouvement de l'air qui traverse la glotte et Jes vibrations ou le frémissement de ses lèvres, d'où il suit que l'appareil vocal est un inslrument à vent et à cordes, u Les vibrations des lèvres de la glotte donnent le son comme l'anche le donne au corps du hautbois; la vitesse et les quantités d'air mues à travers cette ouverture donnent les tons et dominent les frémissements de la glotte comme les dimen- sions du hautbois dominent les frémissements de son anche et forment les tons de l'instrument. » L'air qui passe dans le larynx fait, selon lui, vibrer les cordes vocales comme un vent impétueux fait résonner « le papier entr'ouvert qui joint un châssis avec la baie d'une fenêtre. » Néanmoins, il n'assimile pas complète- ment l'organe de la voix à ce qu'il appelle le châssis bruyant, car il signale entre 1. Dûdarl, iWr/w. sw les causes de la voix de i: homme, avec notes {Hist. de l'Acad. desscllOi),]). 5.38-287). VOIX. 5:^5 eux plusieurs diiïérences. Dans le cliàssis bruyant, l'ouverfiirc du paiiicr restant la même, le ton ne peut changer que |)ar l'intensité du courant d'air, tandis que dans la glotte l'ouverture se rétrécit et se dilate plus ou moins, pour donner les divers tons de l'échelle musicale. Ensuite, dans le châssis bruyant, l'air s'en- gouffre avec une impétuosité variable, et dans l'instrument vocal il est poussé uniformément; mais la quantité de fluide restant la même, il s'écoule à travers la glotte avec une vitesse proportionnée au degré de rapprochement des cordes. Entin, c'est encore de l'aptitude des lèvres à se rapprocher et à s'éloigner l'une de l'autre que dépendent l'affaiblisseuK.'nt et le renforcement des tons de la voix. Ainsi, d'après Dodart, la voix est produite par deux causes: l'une, princi- pale, qui est le mouvement, le choc, la collision de l'air traversant le larynx; l'autre, accessoire, qui est le frémissement des lèvres de la glotte. Le ton qui la caractérise dépend des degi'és de vitesse de l'air à travers la l'ente laryngienne, et cette vitesse est en relation intime avec le plus ou moins de dilatation ou de resserrement de la cavité laryngienne, les grandes dilatations étant pour les tons graves, les petites pour les tons aigus. Enlin, l'intensité, ou la force du son tient aux divers degrés de dilatation de la glotte. Ferrein', dans un mémoire d'une précision et d'une clarté admirables, s'at- tache, après avoir réfuté les idées de Dodart, à présenter une nouvelle théorie dans laquelle il considère l'organe de la voix comme un instrument à cordes mis en jeu par l'air lui-même. Pour lui, l'organe vocal n'est plus la glotte, mais bien les rubans qu'il appelle les cordes vocales. Celles-ci vibrent ou frémissent de même que les cordes d'une viole; c'est l'air mis en mouvement par la poitrine qui constitue l'archet destiné à les faire trembler avec plus ou moins de rapidité. Ces cordes, si courtes qu'elles soient, peuvent, suivant lui, par suite de la vitesse de leurs vibrations, donner tous les tons de la voix ; elles sont susceptibles d'éprouver une élongation et un raccourcissement très sensibles, par le jeu des cartilages sur lesquels sont fixées leurs extrémités. C'est de l'air transmis avec plus ou moins de force que dépend la rapidité de leurs mouvements vibratoires. Lorsqu'elles sont allongées, leur tension augmente, leurs vibrations sont rapides et les sons deviennent aigus ; au contraire, lorsque ces cordes se raccourcissent, elles se détendent, leurs vibrations se ralentissent et les sons acquièrent de la gravité. Quant à rintensité ou à la force de ceux-ci, elle tient seulement à la vitesse du courant d'ail' qui passe entre les cordes vocales; intensité d'autant plus considérable que le rétrécissement de la glotte est plus prononcé. Ferrein fonde sa théorie sur des expériences très simples. En souillant de bas en haut dans la trachée-artère, il donne lieu, sur le cadavre, à des sons qui repro- duisent la voix de l'animal sur lequel il opère : il parvient, avec quelques précau- tions, à imiter le nuigissenu'ut du bœuf, les plaintes du chien, les cris ai^us et le grognement du porc; la violence avec laquelle il pousse l'air ne fait pas changer le ton de la voix; elle lui laisse la gravité ou l'acuité qui lui est propre. Les vibra- tions des rubans de la glotte lui semblent appréciables à la vue; il les modilic à volonté ou les arrête suivant qu'il fait varier Ih tension de ces rubans ou qu'il les 1. Ferrein, De la format, de la voi.r de Hiomme {Hist. de l'Acad. des se, 17J1. p. 403 et suiv). 336 DES MOUVEMENTS. pince sur un point de leur longueur. Enfin, il résume sa manière devoir en com- parant l'appareil vocal à cet instrumeiit à cordes et à vent composé de deux petites pièces de bois laissant entre elles une fente occupée par un petit ruban. C'est au jeu de cet appeau qu'il assimile le mécanisme de la phonation. La théorie d'après laquelle les vibrations des rubans de la glotte sont considé- rées comme la cause de la voix a été partagée, avec quelques modifications, par un grand nombre de physiologistes. Elle a été développée par MûUer dans un très long travail plein de faits précieux et d'expériences habilement exécutées. La voici à peu près telle qu'il l'a exposée. D'après ce savant physiologiste, l'organe de la voix devrait être assimilé à une anche à deux lèvres membraneuses, susceptibles de vibrer et de donner par leurs vibrations tous les tons de l'échelle musicale, à des degrés divers d'intensité. Les ligaments inférieurs de la glotte seraient, dans cet instrument, les agents princi- paux de la formation de la voix : ils vibreraient à la manière des cordes et des languettes membraneuses ; leur longueur, si peu considérable qu'elle soit, sufli- rait, contrairement à l'assertion de quelques physiciens, à la production des sons les plus graves. Par un grand nombre d'expériences faites sur des larynx artificiels, Millier a constaté l'exactitude des observations de Ferrein, d'après lesquelles la moitié des cordes vocales donne l'octave, et leur tiers la quinte du son fondamental. Il est arrivé, en poussant de l'air dans la trachée attachée au larynx convenable- ment disposé, à des résultats très intéressants, qui servent de base à sa théorie : 1° D'après ses expériences, les cordes vocales donnent, lorsque la glotte est rétré- cie, des sons pleins qui se rapprochent beaucoup de ceux de la voix humaine, si l'on opère sur un larynx d'homme. On en obtient d'analogues en soufflant dans un tube à une extrémité duquel sont fixées des bandelettes de tuniques artérielles ou de petites lames de caoutchouc. 2° Les sons ainsi obtenus perdent de leur, inten- sité si l'on enlève les ventricules, les ligaments supérieurs et l'épiglotte dont la résonance sert au renforcement de la voix. 3° Les sons sortent plus facilement et acquièrent plus de force si la partie de la glotte comprise en arrière des cordes vocales et des aryténoïdes est fermée ; mais ils ne s'éteignent pas lorsque cette fente reste entr'ouverte. 4" La hauteur du son reste la même par une tension soutenue, quel que soit le degré d'ouvertui'e ou d'occlusion de la partie supé- rieure de la glotte. 3° L'élévation des sons n'est pas sensiblement modifiée par la plus ou moins grande dilatation de la glotte, et l'air qui passe entre les aryté- noïdes, au point où il n'y a pas de cordes vocales, ne contribue en rien àla forma- tion de la voix. 6" L'inégalité de tension des deux cordes vocales ne donne géné- ralement pas lieu à deux sons difl'érents. 7" Les sons se produisent, soit que les cordes se trouvent très rapprochées, soit qu'elles se touchent complètement. 8" Ils peuvent être formés même lors du lelâchement complet des cordes, pourvu que la glotte soit fort raccourcie. 9" Les sons aigus se produisent quand les lèvres éprouvent une tension considérable, et les sons graves quand elles sont relâchées; les uns et les autres se forment dans ces conditions, quelle que soit, du reste, la longueur de la glotte. 10" L'épiglotte, les ligaments supérieurs, les ventricules du larynx et toutes les autres parties, situées au-dessus des cordes vocales, ne VOIX . 5:n sont point nécessaires à la production des sons quels qu'ils soient; les ventri- cules paraissent destinés à isoler les cordes vocales, afin que leurs vibrations ne soient point gênées. 11° La longueur de la trachée, dont roflice est analogue à celui d'un porte-vent, n'exerce pas d'intluence notable sur l'élévation des sons. 12° Enlin, le double tuyau ajouté à l'organe vocal, savoir, le tube buccal et le tube nasal, ne peut agir autrement qu'un corps de tuyau simple quant à l'éléva- tion du son; mais il change l'éclat de ce dernier par l'ellet de la résonance. La théorie de la formation de la voix par la vibration des rubans de la glotte, si vraisemblable qu'elle paraisse et si séduisante qu'elle soit, n'est pas à l'abri de toute objection. Plusieurs physiciens l'ont rejetée, en s'appuyant principalement sur cette considération, que d'abord les cordes vocales ne sont pas assez longues pour que leurs vibrations donnent lieu à tous les tons, depuis les plus graves jusqu'aux plus aigus, ensuite (jue le courant d'air qui met ces cordes en mouve- ment n'a jamais assez de force pour les faire vibrer de manière à produire des sons de l'intensité qui appartient à la voix de l'homme et des animaux. Il est clair que cette théorie ne rend pas compte de toutes les particularités de la pho- nation. Elle ne peut les expliquer toutes, car l'appareil vocal des animaux est un instrument spécial qui ne saurait être assimilé à aucun autre instrument de musique. Ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de chercher à apprécier le rôle dévolu à chacune de ses parties ^ Le larynx est incontestablement l'organe essentiel de la voix, et, dans cet organe, la glotte, ou la fente comprise entre les cordes vocales, et ces cordes elles- mêmes, sont les parties réellement productrices du son. Lorsqu'il entre en action, il s'élève en masse ; l'épiglotte se dégage complètement ; les ligaments se tendent ; les cordes vocales se rapprochent, en même temps, le voile du palais se relève; la bouche s'ouvre: l'air qui s'échappe de la poitrine, en traversant l'organe, vibre et fait vibrer les cordes vocales. Le laryngoscope permet de constater ces parti- cularités sur l'iiomme. Les expériences démontrent qu'une ouverture pratiquée à la trachée, sur un point quelconque de sa longueur, ou au larynx au-dessous des ligaments inférieurs de la glotte, rend l'animal à peu près aphone et s'oppose même souvent à la formation d'un bruit sourd analogue à la voix; elles font voir qu'au contraire une ouverture au larynx, au-dessus de la glotte, ne détruit point la voix et lui laisse la plupart de ses caractères ; enfin, elles établissent clairement que l'épiglotte, la partie supérieure des arylénoïdes, les ligaments supérieurs et les ventricules, sont des parties accessoires dont la destruction ne trouble pas nota- blement la phonation. Ces résultats, qui se produisent sur les animaux vivants, sont en partie conlirmés par ceux qu'on obtient sur le cadavre. En effet, les expériences de Ferrein, celles de Millier, ont prouvé qu'on peut, en souillant dans un larynx encore adhérent à un bout de la trachée, obtenir des sons très purs, pourvu que la glotte soit un peu rétrécieet les cordes vocales légèrement tendues. 1. Voy. Cuvier, A7iaf. covip., 2" édil., t. YllI. — Dulrochel, Essai sur une uoiivcll<; théorie de la voix. Paris, ISOti. — Savant, Méin. si/r ta ro/x humaine, sur celle des oiseaux, 1825. — Mùller, Maiiuel de plujs;otn(/ie. Fans, iS.'il, 1. II. p. 167.— Malgaigne, .-Irc/nï'es générales de médecine, In^I. — Batiaillfi, Nouvelles recherches sur la phonation, 1861. — Ed. Fournie, Phi/siolo(/ic dç la mix cf de la parole, 1866. 538 DES MOUVEMENTS. Les cordes vocales jouent donc, par elles-mêmes, le rôle le plus essentiel des parties affectées à la phonalion. Constituées par des replis muqueux, doublées d'une lame fibreuse élastique et de bandelettes musculaires, qui forment le crico- thyroïdien, elles se trouvent dans un état permanent de tension qui peut aug- menter sous l'influence de leurs muscles propres et des mouvements des carti- lages laryngiens, notamment par la rétropulsion des aryténoïdes due aux muscles crico-aryténoïdiens. Les propriétés dont elles jouissent les rendent aptes à vibrer avec plus ou moins de force et de rapidité, sous l'influence de l'air que chassent les poumons. Les vibrations de ces cordes donnent des sons d'autant plus variés qu'elles sont mieux circonscrites, mieux isolées à leurs bords et à leur face exté- rieure; leur lésion altère profondément la voix, la section de leurs muscles la rend rauque, et leur destruction l'abolit tout à fait. Il reste, cependant, quelques points à élucider sur leur rôle. D'après Battaille^ qui a fait ses observations sur lui-même à l'aide du laryngoscope, les faisceaux musculaires des cordes vocales pourraient se contracter inégalement, de manière à les tendre soit en haut, soit en bas, ou dans leur partie moyenne. 11 les a vues plus ou moins tendues dans la phonation ; elles vibrent avec une rapidité proportionnée à leur degré de tension, et celle-ci est en raison de l'intensité du courant d'air et du degré de resserre- ment de la glotte. Tout porte à croire qu'elles vibrent dans leur totalité, car la couche élastique est intimement unie à la muqueuse. Toutefois, Fournie a sou- tenu récemment l'opinion invraisemblable des vibrations limitées à la membrane muqueuse. Les cordes vocales supérieures, ou ligaments supérieurs de la glotte, ont une utilité secondaire, et ce qui suffit à le prouver, c'est qu'elles manquent chez un grand nombre d'animaux; leur section, qui a été opérée chez le chien et le chat, n'a rien ôté à la voix de son acuité normale. La glotte se resserre pendant la phonation, et devient quelquefois tellement étroite que les rubans se mettent presque en contact l'un avec l'autre ; l'espace qui est en arrière, ou la glotte interaryténoïdienne, se ferme à peu près complé- ment, d'après Magendie ; l'air qui la traverse ne parait pas contribuer à la forma- tion de la voix. Battaille a vu, en effet, .son occlusion se produire graduellement pour l'émission des sons élevés et éclatants. Cependant elle ne peut pas être complète, ou si elle devient telle, c'est dans de très courts instants, car c'est par elle surtout que peut se maintenir la liberté de la respiration. La forme qu'ac- quiert la glotte interligamenteuse et le rapport qui existe entre ses dimensions lors de la phonation et celles qu'elle peut avoir à l'état normal, n'ont point encore été déterminés : très probablement, ces dimensions varient à f'infini suivant la gravité, l'acuité et l'intensité des sons. Les ventricules, qui sont regardés par plusieurs physiologistes, notamment par Longet, comme indispensables à la phonation, surtout pour renforcer le son, ne paraissent pas avoir un rôle bien essentiel, si l'on en juge ])arla fréquence des cas où ils niaiHjuent; il est probable que leur usage est d'isoler les cordes vocales, afin qu'elles puissent vibrer librement, et de contribuer au renforcement 1. Baltailie, NrjuvellKs recherches sur la pkoiiation. Paris, 18G1. VOIX. H39 du son. Battaille a cru aussi, dans sos observations laryn^oscopiques, leur recon- naître ce rôle, dont l'utilité se conçoit très bien, puisque, si les cordes vocales n'étaient pas isolées à leur face externe, comme à l'autre, elles éprouveraient de la dilïiculté à vibrer. Il a vu que les ventricules ne se dilatent point et que leur ouverture demeure constamment linéaire. L'épiglotte est généralement considérée comme étant sans iniluence sur la for- mation de la voix : son ablation ou son excision partielle ne modifie pas sensible- nient le son; quelques auteurs lui ont attribué l'office « d'enfler celui-ci, depuis la vibration la plus courte jusqu'à la plus étendue, sans que le ton éprouve le moindre changement, » mais ce n'est là qu'une hypothèse, contredite par l'expé- rimentation. Les autres parties de l'appareil respiratoire concourent, pouiune part plus ou moins grande, à la formation de la voix. La trachée, qui conduit au larynx l'air chassé par les poumons, joue évidemment le rôle d'un porte-vent. C'est un tuyau de renforcement du son, à parois extensibles, élastiques, contractiles et vibrantes ; elle s'allonge en diminuant de calibre, loi-sque l'animal étend le cou pour faire retentir la voix. En appliquant le doigt à sa surface, sur le cheval qui hennit, on sent frémir ses parois et, par l'auscultation, on s'assure du retentissement des vibrations sonores dans son intérieur. Ces vibrations, du reste, se propagent dans le thorax, qui joue probablement, comme le l'ait remarquer Longet, un rôle analogue à celui de la caisse dans les instruments à cordes. Enfin, toutes les parties superlaryngiennes, l'arrière-bbuche les poches gutturales des solipèdes, les fosses nasales, constituent un tube sur- ajouté à l'appareil de la phonation ; elles modifient considérablement la voix sous le rapport de l'intensité, du ton et du timbre. On sait, en effet, que la plus légère diminution dans l'espace que les fosses nasales offrent au passage de l'air suffit pour altérer profondément le timbre et divers autres caractères de la voix; on s'assure aussi, par le secours d'une expérience très simple, que l'occlusion des narines nuit beaucoup au retentissement de la voix et à la pureté des sons. Enfin, on sait que tous les animaux, dont la voix doit être retentissante, ouvrent la bouche, qui semble représenter un pavillon d'instrument à vent, celui du corde chasse, par exemple. Toutes ces parties, au-dessus et au-dessous de la glotte, peuvent être considérées comme formant un appareil de renforcement et de résonance. En somme, rap[)areil vocal des mammifères est un instrument spécial, dont l'ensemble, représenté par l'appareil respiratoire, figure un tube pourvu d'une caisse à une extrémité et d'un pavillon anfractueux à l'autre. L'air, chassé par la caisse du thorax, s'écoule par le tube trachéal avec plus ou moins de force. En passant dans la fente de la glotte, comparable à une anche, il éjjrouve une colli- sion ; il vibre par le fait des vibrations des lèvres de la glotte, et ces vibrations vocales retentissent dans le pavillon naso-buccal. La voix présente, chez les mammifères, des modifications infinies dont les causes tiennent à lafoisàla conformation du larynx età la disposition des cavités situées au- dessus de la glotte. Ces modifications, dont les causes résident aussi en partie dans les modes divers suivant lesquels l'appareil vocal est mis en jeu, s'observent, non seulement d'espèce à espèce, mais encore d'individu à individu et d'un sexe à l'autre. 540 DES MOUVEMENTS. Il est donc rationnel de rechercher la relation qui peut exister entre les formes, les dimensions du larynx et les caractères si diversifiés delà voix, c'est-à-dire de trouver la coïncidence de telle particularité de la voix avec telle disposition anatomique, et de voir comment l'une est la conséquence de l'autre ; tâche diflicile dont l'accom- plissement exigerait une étude minutieuse de l'appareil vocal comparé aux instru- ments de musique, à supposer qu'avec son secours on pût arriver à tout expliquer, ce qui est fort douteux, car il est mille nuances de la voix qui dépendent du mode de fonctionnement du larynx, de même qu'il est une série de tons qui résultent, dans un instrument donné, de la force avec laquelle on touche une corde plus ou moins tendue, ou de celle qu'on met à pousser l'air dans une embouchure. Quoi qu'il en soit, essayons de rassembler, au moins en partie, les éléments du problème. Notons, tout d'abord, que le volume du larynx a une grande influence sur la gra- vité, l'acuité des sons et la force de la voix; les grands animaux, suivant la très judicieuse remarque de Dugès, ont tous la voix plus forte et plus grave que les animaux de petite taille. La différence frappe surtout quand on compare des espèces de haute stature avec des petites appartenant au même genre, le lion et le chat, par exemple, ou de très jeunes sujets avec des sujets arrivés à l'âge adulte. On sait, en effet, que la voix acquiert de la force et de la gravité à mesure que les animaux approchent du terme de leur croissance, par conséquent, à mesure que les proportions de leur appareil vocal deviennent plus considérables. L'organisation propre à chaque espèce entraîne, à elle seule, les différences les plus essentielles et les mieux caractérisées; on en compte une multitude : le hennissement du cheval, le braiement de l'âne, le beuglement ou le mugisse- ment du bœuf, du bison et des autres animaux du même genre, le grognement du porc, l'aboiement du chien, le hurlement du loup, le rugissement du lion, le miaulement du chat, etc. Le sexe, l'état de l'appareil reproducteur, en déterminent aussi quelques-unes, en général moins sensibles chez les animaux que dans l'espèce humaine. En effet, il n'y a pas une différence très tranchée entre le mugissement du taureau et celui de la vache, entre le grognement de la truie et celui du verrat, de même qu'entre la voix du mâle et celle de la femelle du chien, du chat, etc. ; il n'y a pas, entre la voix du bœuf et celle du taureau, des nuances aussi marquées qu'entre la voix de l'homme non mutilé et celle de l'eunuque; néanmoins, pour certains ani- maux, le contraste est frappant : le cheval hongre et la jument ne hennissent plus guère, tandis que l'âne et le mulet qui ont subi la castration continuent à braire. Arrêtons-nous un instant sur les dilférences de la voix qui caractérisent les espèces. Les solipèdes dont l'organisation est si remarquablement uniforme, sous pres- que tous les rapports, sont, comme on le sait, loin d'avoir une voix et un larynx semblables pour tous; chacun d'eux a, sous ce double point de vue, quelque particularité qui peut servir de caractère spécififiuc. Cliez le cheval, le larynx fait un angle assez prononcé avec la trachée; laglotte présente une aire triangulaire dont la base répond à la partie inférieure des ary- fénoïdes; sa moitié comprise entre ceux-ci, ou la glotte interaryténoïdienne, cor- respond àl'axeducanal trachéal et olTreune largeur assez considérable; les cordes VOIX. 541 vocales bien détachées, tout, à fait libres à leur bord supérieurct à leur face externe, ont une longueur moyenne de 4 centimètres et demi; elles laissent entre elles un écartement de 2 centimètres à leur extrémité postérieure: une forte couche de tissu élastique entre dans leur composition , et le faisceau le plus considérable du Ihyro-aryténoïdien les double dans toute leur étendue. En dehors de ces cor- des, admirablement disposées pour vibrer avec force, se trouve de chaque côté un ample ventricule dont l'entrée, tenue béante par l'appendice corniculé de l'épiglofte, a plus d'un centimètre et demi de longueur, et dont le fond, appli- qué sur la surface interne du thyroïde, s'étend en haut et en arrière sur un diamètre de plus de 3 centimètres et demi ; ces diverliculunis paraissent devoir servir à la formation des sons graves. Le sinus sous-épiglottique présente un petit repli nuiqueux transversal fort mince et appuyé sur la commissure des lèvres de la glotte, repli qui vibre peut-être comme le ruban d'un appeau. • Le hennissement de ce solipède consiste en une succession de sons saccadés, d'abord très aigus, puis graduellement plus graves, mais toujours très purs et d'un éclat remarquable. Staccntr,. l-igotn. lùG. ii-2. — Hennissement du cheval ^. — Violon. Ces sons se produisent par une suite d'expirations courtes et connue convul- sives. Hérissant^ rapporte les sons aigus au trémoussement de la petite mem- brane du sinus sous-épiglottique, et les sons graves aux vibrations des cordes vocales ; mais rien ne vient à l'appui de cette hypothèse. D'après tout ce qu'on sait sur le mécanisme de la phonation, il faut regarder les cordes vocales comme produisant les sons aigus quand elles sont très rapprochées, fortement tendues et animées d'un mouvement vibratoire rapide; puis les sons, de plus en plus graves à mesure qu'elles s'écartent, se détendent et vibrent avec plus de lenteur. Les ventricules du larynx, d'ont l'entrée s'agrandit en raison directe du rappro- 1. Je dois ceUe imitation à M. Vannier, jeune pianiste très habile. •2. Hérissant, Rech. sur fe or;/, de la voix des quadr. et des oiseaux {Ml'iu. de l'Arad. des se, 1754, p. iii'S). d42 des mouvements. chement des cordes vocales, peuvent contribuer au retentissement de la voix, car leur cavité persiste constamment, sans pouvoir diminuer beaucoup, si ce n'est en haut par la contraction du faisceau supérieur du thyro-aryténoïdien, faisceau qui constitue réellement un muscle propre au ventricule. La voix du cheval est modifiée, peut-être très légèrement, par l'action des poches gutturales et des fausses narines. Les premières, dans lesquelles l'air peut s'enga- ger par les orifices des trompes d'Eustache, ne sont probablement pas étrangères au retentissement des sons produits dans le larynx ; mais cette participation que font présumer le gonflement et l'affaissement alternatifs qu'elles éprouvent, sous l'influence de la respiration et qui deviennent manifestes quand le pharynx est mis à découvert, ne saurait être bien appréciée, car après leur ouverture, le hen- nissement du cheval entier conserve à peu près ses caractères ordinaires. Quant aux fausses narines, cavités coniques étendues de l'aile interne des naseaux au sommet de l'espace triangulaire compris entre le sus-nasal et le petit sus-maxillaire, elles ont été regardées comme nécessaires au hennissement, peut- être parce qu'on les voit s'enfler lorsque cet acte se produit : aussi, dans certains pays, on fend leur paroi externe dans le but d'empêcher le cheval entier de hen- nir; mais cette opinion n'a rien de fondé, et l'opération dont il s'agit ne saurait avoir aucun résultat très appréciable. J'ai fendu la paroi externe de ces cavités sur des chevaux, leur paroi interne sur d'autres : les animaux ont continué à hennir aussi facilement qu'auparavant, et ni le timbre, ni l'intensité de la voix, n'ont éprouvé de changements manifestes. Le hennissement est propre au cheval entier ; le cheval hongre et la jument ne hennissent pas, si ce n'est très rarement ; alors la voix que ces derniers font entendre diffère assez notablement de celle de l'animal non mutilé; elle est plus brève, plus aiguë et moins éclatante. Indépendamment du hennissement, le cheval a encore un cri aigu, parfois assez prolongé, mais d'ordinaire très court, qu'il fait entendre lorsqu'il éprouve de mauvais traitements ou quand il souffre d'une opération chirurgicale. J'ai provo- qué ce cri particulier en lésant certaines parties de l'encéphale, notamment les tubercules bigéminés et l'origine de la moelle allongée. Chez l'âne, le larynx, par sa forme générale, ressemble tout à fait à celui du cheval : mais il en diffère par la disposition de l'entrée des ventricules et par celle du sinus sous-épiglottique. Chaque ventricule très ample a une entrée arrondie, fort étroite, quelquefois à peine apparente, située vers le tiers antérieur des cordes vocales; le sinus sous-épiglottique très profond et prolongé sur les côtés delà commissure des cordes vocales, est dépourvu du repli muqueux transversal qui existe chez le cheval; l'ouverture ovalaire de ce sinus, circonscrite par une bor- dure membraneuse, se ferme quand l'épiglottc revient sur elle-même, et se dilate au contraire lorsque ce cartilage s'élève et se porte en avant ; la cavité même du sinus augmente ou diminue sous l'influence de la même cause ; les cordes vocales sont simples comme chez les autres solipèdes; leur bord supérieur est nettement découpé malgré l'étroitessc de l'orifice des ventricules. La voix de l'âne ou le braiement diffère essentiellement du hennissement du cheval. Elle consiste en une succession de sons aigus alternant régulièrement avec VOIX. 543 des sons très graves, sur une même octave. Hérissant' a i-emarqué que les pre- miers se forment dans l'inspiration et les seconds dans l'expiration; seulement, il s'est trompé en rapportant les sons graves et éclatants à l'air qui s'engoufTre dans le sinus sous-épiglottique au lieu de les attribuer, comme les autres, aux vibrations des cordes vocales. On voit très bien, pour peu qu'on fasse attention aux mouve- ments du flanc et au jeu des naseaux, que ce braiement s'opère pendant une série d'inspirations et d'expirations précipitées, comme convulsives, et qu'il est trop continu, trop prolongé pour être produit dans une suite d'expirations. Son méca- nisme, si simple qu'il paraisse, itnpli((ue pourtant une difliculté sérieuse, car on ne conçoit pas bien comment les sons aigus peuvent se former dans l'inspiration alors que la glotte est légèrement dilatée, et que, par conséquent, les cordes vocales sont tendues, tandis que les sons graves sortent dans l'expiration pendant que la glotte est resserrée et que les cordes vocales sont relâchées. La part que les sinus, les ventricules de la glotte, les poches gutturales, les cavités nasales et les fausses narines peuvent prendre au braiement est tout à fait indéterminée. Cuvier a dit, et d'autres auteurs ont répété, que le retentissement de la voix tenait au sinus sous-épiglottique, mais rien ne prouve que cette asser- tion soit acceptable. On ne saurait attribuer aux fausses narines dont le fond ofl're plusieurs petites cellules et aux poches gutturales un rôle plus im[)ortant que celui qu'elles ont chez le cheval, Il est à noter cependant que les fausses narines se prolongent à la face externe du grand sus-maxillaire jusqu'au faisceau nerveux destiné aux ailes du nez et à la lèvre supérieure. La voix de l'âne n'oflVe pas de variétés remarquables ; celle de l'ànesse, sui- vant l'observation de Buffon ^, est plus claire et plus perçante, et celle de l'âne hongre plus basse que la voix du mâle entier. L'hémione a un braiement fort analogue à celui de l'âne, mais d'une intensité et d'un éclat que n'atteint pas ordinairement la voix du dernier solipède. Le larynx du mulet n'est ni celui du cheval, ni celui de l'âne. (J'ioique sa forme générale et ses proportions soient celles du larynx des autres solipèdes, il se dis- tingue néanmoins très bien par quelques caractères particuliers ; il a des ventri- cules à large ouverture, comme le cheval, mais son sinus sous-épiglottique est divisé en trois petites cellules, deux [latérales toujours béantes, et une moyenne dont l'entrée, circonscrite par un repli vertical en croissant, s'ouvre à mesure que l'épiglotte est soulevée et ramenée sur la base de la langue. Le bardot a le larynx parfaitement semblable à celui du cheval, des ventricules à larges ouvertures et un sinus sous-épiglottique simple, mais dépourvu de lame transversale couchée sur la commissure des cordes vocales; il hennit comme ce dernier solipède, tandis que le mulet a une sorte' de braiement très faible, analogue à celui de l'âne. En comparant la voix du bœuf à celle des solipèdes, on est frappé de ladifl'érence considérable qui existe entre la première et la seconde ; mais cette différence s'ex- plique bien par l'organisation du larynx de ces espèces. Celui du bœuf est simple et imparfait; sa forme grossière ne rapiielle nullement celle qui caractérise cet 1. Hérissant, Ion. cit., p. 286. (Mùller, Manuel de physiologie, 2'édit., t. II, p. 231.) 2. BufTon, Histoire naturellcilb'i, t. IV, p. 394. 544 DES MOUVEMENTS. organe chez le cheval : la glotte est courte, les cordes vocales, lom d'être détachées et nettement découpées à leur bord supérieur, se confondent, sans démarcation précise, avec les parois latérales du larynx ; les ventricules manquent totalement ; il n'y a pas de sinus sous-épiglottique ; la base de l'épiglotte s'élève à plus de 3 centi- mètres au-dessus des cordes vocales ; les aryténoïdes sont fort rapprochés l'un de l'autre. Avec une telle conformation, la voix du bœuf ne peut être qu'un mugisse- ment sourd plus ou moins grave et sans éclat; elle ne saurait avoir ni l'acuité ni l'intonation variée que donnent des cordes vocales isolées et vibrantes; cependant elle comprend encore, d'après Bufl'on, une succession de notes sur deux ou trois octaves, et parait se produire dans l'expiration seulement, si l'on en juge par l'as- pect du flanc dont le creux disparait tant que dure le mugissement. Ici la corréla- tion entre l'organisation de l'appareil vocal et la voix est intime, et elle ne l'est pas moins chez les autres espèces appartenani au genre du bœuf domestique. Cette organisation simple, qu'on retrouve encore dans le mouton, se complique chez d'autres ruminants. Le dromadaire a un larynx qui, tout en présentant un aspect général analogue à celui du larynx du bœuf, se distingue par des cordes vocales minces, bien isolées à leur face externe, tranchantes à leur bord supérieur, puis par des ventricules peu profonds, il est vrai, mais allongés et largement ouverts. Toutefois cette structure n'approche point encore, par le nombre et le fini des détails, de celle de l'organe vocal des solipèdes, ce qui, du reste, ne doit pas étonner, car le dromadaire est loin d'avoir une voix dont le ton possède de nombreuses nuances. La voix du porc, siremarquablepar son timbre, par le contraste qui existe entre les sons graves et les sons aigus dont elle résulte, est en rapport avec une organi- sation tout à fait exceptionnelle de l'appareil laryngien. L'épiglotte de cet animal est large, arrondie, et si lâchement unie au thyroïde, qu'elle peut se déplacer en divers sens, venir à la face interne de ce cartilage, rester à son bord supérieur ou s'en éloigner de plus d'un demi-décimètre, lorsque l'hyo-épiglottique se contracte et que la langue est projetée en avant ' ; les aryténoïdes, soudés supérieurement, forment sur la ligne médiane un bec, en gouttière recourbée, dont les bords font saillie au-dessus des parties latérales de ces cartilages. Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans ce larynx, c'est la disposition des cordes vocales et des ventri- cules : contrairement à ce qui existe chez les autres animaux, et, d'après l'observa- tion de Cuvier, l'extrémité antérieure des cordes est plus basse que la supérieure, et insérée au bord trachéal du thyroïde. De chaque côté il y a un ruban supérieur étroit, peu saillant, presque entièrement membraneux, très élastique, puis un ruban inférieur, tranchant à son bord libre, doublé par le muscle thyro-aryténoï- dien, et à peine séparé du jtremier par un espace de 1 à 2 millimètres. Entre ces deux rubans est une fente fort étroite, longue de 2 centimèti'es et demi, laquelle n'est autre chose que l'entrée du ventricule; celui-ci, étranglé à son orifice, remonte à la face interne du thyroïde jusque vers le bord supérieur de ce cartilage. La glotte, fort étroite, se trouve bordée dans la plus grande partie de son étendue 1. Il se forme clans cette cirtionstance une profonde excavation que quelques auteurs, Millier entre autres, ont considérée comme un sac membraneux, sous-épiglottique. VOIX. 545 par les cordes vocales ; sa portion interaryténoïdienne, dont la longueur égale à peu près, dans les autres animaux, la moitié du grand diamètre du larynx, n'a ici qu'une étendue fort peu considérable; mais, en compensation, elle offre un petit canal toujours ouvert, même lorsque les aryténoïdes sont en contact, et destiné à fournir un passage libre à l'air pondant la phonation. Avec une telle organisation, on peut se rendre compte du caractère propre à la voix du porc, surtout si, à l'exemple de Hérissant, on cherche, en soufllantdans le larynx détaché, à reproduire artiliciellement les sons dominants du grognement. En elfet, en poussant de l'air par un tube adapté à la trachée, on parvient sans grande diriiculté à obtenir des sons aigus très analogues à ceux du paclijdcrme, pourvu, d'abord, que l'organe soit comprimé latéralement, au point de ne laisser à la glotte qu'un millimètre de largeur, et qu'ensuite les cordes vocales se trouvent suflisam- ment tendues par une forte traction exercée d'avant en arrière sur les aryténoïdes. On reconnaît alors que les sons deviennent d'autant plus clairs, plus perçants que la tension des rubans vocaux est plus considérable, et qu'ils cessent de sortir dès que la glotte se dilate et que les cordes se relâchent : les vibrations de celles-ci deviennent très sensibles ; en outre la paroi interne de chaque ventricule offre des mouvements si étendus, résultant du déplacement de lair qui s'engouffre dans leur cavité, «lue les deux ventricules se rapprochent fortement l'un de l'autre. D'après cela, il est à présumer que les sons aigus proviennent des cordes vocales convenablement tendues, et que les sons bas et sourds du grognement dérivent en partie des vibrations de l'air qui s'engage dans les ventricules laryngiens. Rien ne prouve que ceux-ci jouent, comme le croyait Hérissant, le rôle le plus impor- tant dans la formation de la voix. Le grognement du porc présente plusieurs variétés : il est sourd et répété à de courts intervalles lorsque l'animal est inquiet; il s'élève un peu lorsqu'il est pour- chassé; il devient aigu quand il a faim ou qu'il reçoit un coup de pied ; très aigu au moment où on le saigne. Les sons du grognement sourd sont trop graves pour être parfaitement exprimés par des notes musicales, mais ceux de la voix aiguë pourraient sans doute être notés sans trop de difficultés. Chez le chien, le larynx a uneépiglotte longue, triangulaire, terminée par une pointe aiguë; elle s'unit sur ses bords à deux petits prolongements cartilagineux repliés vers la ligne médiane et couchés sous elle, quand elle se renverse sur la glotte ; les aryténoïdes sont peu saillants et soudés avec les prolongements cunéi- formes que Cuvier semble à tort faire dépendre de l'épiglotte. Les cordes vocales inférieures, très longues, nettement découpées, sont minces à leur bord libre; les supérieures, h peine marquées, sont formées en arrière par une branclu' des cu- néiformes, en avant par un petit frein qui unit ceux-ci au tliyroïde ; les ventricules, très amples, ont une entrée qui est aussi longue que les cordes vocales infé- rieures ; ils descendent jusqu'à la partie inférieure de celles-ci, de manière à en isoler complètement la face externe, puis ils remontent assez haut en dedans du cartilage thyroïde. Ces différentes dispositions sont manifestement celles d'un larynx perfectionné dont le jeu doit produire des effets plus variés que ceux de l'appareil vocal du bœuf et du mouton, parexemple. La voix du carnassier donne, en effet, plusieurs G. COLIN. — Physiol. cotnp,, 3*^ édit. I — 35 546 DES MOUVEMENTS. sons bien accentués et éprouve des modulations assez nombreuses; c'est tantôt un cri saccadé, tantôt un aboiement plus ou moins prolongé, quelquefois un hurle- ment analogue à celui du loup. La part que prennent à sa formation les cordes vocales est incontestablement la plus importante; on les voit vibrer très distinc- tement après s'être rapprochées, sur l'animal vivant dont la partie supérieure du larynx a été mise à découvert, et l'on constate que la voix devient d'autant plus aiguë que les cordes sont plus tendues, plus rapprochées l'une de l'autre, et qu'elles sont mises en mouvement par un courant d'air plus considérable; en outre, on voit, à chaque cri, l'entrée des ventricules s'élargir et ces poches se dilater par l'air qui s'engoufïre dans leur intérieur. Les diverses variétés de la voix du chien peuvent se concevoir par les moditi- cationsdont le jeu de l'appareil laryngien est susceptible. Celles qui tiennent aux races sont peu saisissables, excepté pourtant les particularités qui dérivent de la taille. On ne saurait dire si le chien qui vit à l'état sauvage, sans aboyer, offre quelques différences dans la conformation de son larynx. Le chat possède un appareil vocal qui est, si l'on peut ainsi dire, plus parfait encore que celui du chien Son épiglotte est longue, souple et très aiguë; les cordes vocales supérieures, longues de 4 à S millimètres, très écartées en avant au niveau du point où les inférieures se touchent, sont fort minces et entièrement membraneuses ; elles partent de l'extrémité antérieure des aryténoïdes et s'élè- vent vers la base de l'épiglotte ; les cordes inférieures, séparées des premières par une excavation assez profonde, analogue aux ventricules, sont épaisses, muscu- leuses en dehors, situées sur un plan plus interne et en contact l'une avec l'autre à leur extrémité thyroïdienne. Par cette disposition remarquable, il y a, en quelque sorte, deux glottes chez le chat : une supérieure, entre les rubans vocaux membraneux, et une inférieure, entre les rubans musculo-membraneux, et deux espèces de cordes dont les vibra- tions paraissent devoir offrir, pour chacune, des effets d'un caractère particulier. Les expériences de Segond tendent à faire regarder la glotte supérieure et les rubans qui la bordent comme servant à la formation de la voix de fausset, et la glotte inférieure avec ses cordes, comme affectée spécialement à la voix de poi- trine. D'après les recherches de cet expérimentateur, la section des cordes vocales supérieures abolirait le miaulement ainsi que les cris aigus, tandis que celle des cordes inférieures entraînerait, sur-le-champ, une aphonie complète. Mais Longet ayant obtenu des sons intenses et très aigus après la section des rubans supérieurs, rapporte les sons de fausset et ceux de poitrine aux cordes inférieures, il va même jusqu'à refuser aux rubans membraneux la faculté d'éprouver des vibrations so- nores. Le rôle des deux glottes du chat n'est donc point parfaitement déterminé; cependant tout porte à croire que les cordes vocales inférieures, réunissant les conditions qui appartiennent aux mêmes parties chez les autres animaux, jouent le principal rôle dans la phonation, et que les supérieures, sans être dépourvues de la propriété de vibrer, ne rem[)lissent qu'une fonction accessoire. Dans tous les autres animaux du genre chat la configuration du larynx n'est pas, à beaucoup près, celle qui af)p;irtient au chat domestique, bien que les ouvrages d'anatoiiiie comjtarée seinhleiit confondre le lai'vnx de ces espèces dans une des- VOIX. o47 cription coiiiinune. Je vois, par pxemplp, qu'au larynx du lion l'épiglotle est courte et arrondie, au lieu d'être triangulaire et aiguë à son extrémité libre: je n'y trouve ni ventricules, ni cordes vocales supérieures: les cordes inférieures sont épaisses, mal détachées, peu distinctes sur leurs bords. Il serait, en effet, bien étonnant que le lion, dont le rugissement est si grave et si peu modulé, eiit un larynx organisé comme celui du chat. Si des mammifères aussi semblables entre eux que le sont le cheval, l'âne et les autres solipèdes, n'ont point un larynx uniforme, pourquoi des carnassiers, si voisins qu'ils soient, du reste, les uns des autres, devraient-ils oiïrirune même conformation de l'appareil vocal, alors que leur voix n'a pa» dans tous les mêmes caraclères. En poussant plus loin l'étude des variations de la voix, nous arriverions à trou- ver, je ne dis pas la raison de toutes ses particularités, mais au moins celle des plus remarquables, car il en est dont les causes sont insaisissables, et d'autres qui tiennent au mode suivant lequel un même ap]»areil est mis en jeu. Mais, un tel résultat ne peut être obtenu qu'après un examen minutieux des organes de la voix chez les dillérentes espèces de mammifères. II. — Voix des oiseaux. La phonation, chez les oiseaux, résulte de l'action d'un appareil autrement organisé que chez les mammifères et qui fonctionne suivant un mécanisme par- ticulier assez différent de celui que nous venons d'examiner sommairement. Appareil voeal «le» <»i.««eaiix. — Les animaux de cette classe possèdent deux larynx : l'un supérieur à l'extrémité gutturale de la trachée, l'autre infé- rieur h. son extrémité bronchiq^ue. Le premier consiste généralement en une simple fente allongée, entourée de pièces résistantes, mais dépourvue de tous ces replis membraneux, de ces rubans, de ces sinus et de ces faisceaux muscu- laires qui caractérisent le larynx unique des mammifères; le second, situé à la bifurcation du conduit trachéal, muni de replis susceptibles de vibrer et de mus- cles plus ou moins nombreux, constitue le véritable organe de la voix. Le larynx supérieur, fixé en arrière du corps de l'hyoïde, se compose de pièces cartilagineuses ou osseuses analogues, d'après les recherches de Cuvier et de Duvernoy, à celles du larynx des mammifères. Le thyroïde, assez développé, y est formé de trois pièces, une médiane et deux latérales, dont l'ensemble repré- sente un anneau i\m ceint l'ouverture de la glotte ; le cricoïde est réduit à l'état d'un simple noyau rudimentaireen arrière de l'anneau thyroïdien ; les aryténoïdes, plus ou moins allongés, bordent les lèvres de l'ouverture laryngienne; l'épiglotte est remplacée par deux séries de petites papilles coniques autour de la glotte ; celle-ci n'est autre chose qu'une longue fente dirigée suivant Taxe de la trachée, susceptible de se dilater et de se fermer par l'action de divers faisceaux muscu- laires, principalement attachés sur les pièces aryténoïdiennes. Ce larynx supérieur ne réunit pas les conditions de structure qui pourraient lui permettre de servir à la formation de la voix, néanmoins il y concourt pour une faible part. La trachée, qui fait suite au larynx guttural, est constituée par des anneaux com- plets, osseux ou cartilagineux. Cuvier a trouvé sa forme cylindrique dans la plupart 548 DES MOUVEMENTS. des oiseaux, notamment, dans les chanteurs et dans les oiseaux de rivage, légère- ment conique chez le héron, le cormoran, le dindon et d'autres dont la voix est éclatante; renflée subitement vers le milieu, comme dans VAnas fusca, ou enfin réirécie d'une manière insensible en divers points de son étendue, comme dans les diverses espèces de harles, quelquefois dans les canards mâles. Sa longueur, géné- ralement considérable, puisqu'elle est en rapport avec celle du cou, est encore sou- vent augmentée, surtout chez les mâles, par des coudes ou des circonvolutions plus ou moins étendues, situées tantôt sous la peau, à l'entrée de la poitrine ou dans des enfoncements de la clavicule, comme chez la pintade à crête, le coq de bruyère ; tantôt, comme on le voit chez la grue, dans une caverne formée par l'écartement des deux lames de la saillie inférieure du sternum. Cette longueur, est, du reste, susceptible de varier par l'effet même des mouvements du cou, et par l'action des muscles que Cuvier appelle les sterno et les cléido-trachéens, qui partent du sternum et de la fourchette pour se portera la surface de la trachée, quelquefois jusqu'au niveau du larynx supérieur. La contraction de ces muscles entraîne le conduit aérien vers le larynx bronchique, et celle des muscles hyoïdiens le déplace en sens contraire : la seule élasticité des ligaments interannulaires suffit à le raccourcir dès que les muscles cessent de se contracter. Les variations qui résultent de ces causes diverses ont une influence notable sur la voix. Le larynx inférieur, situé dans le thorax, au point de bifurcation de la trachée, est constitué par une légère dilatation à parois membraneuses, au-dessus de laquelle les cerceaux de la trachée se sont élargis et soudés pour former un ren- flement plus ou moins considérable, qu'on appelle le tambour. Le dernier anneau de celui-ci se prolonge en dessus et en dessous par deux pointes descendantes, ordinairement unies par une bride osseuse, jetée de l'une à l'autre, qui divise par conséquent l'orifice inférieur de la trachée en deux orifices secondaires, se con- tinuant chacun avec la bronche correspondante. Les deux bronches, entourées de cerceaux incomplets, sont, à leur origine, tout à fait membraneuses du côté interne par lequel elles s'adossent, en donnant naissance à une cloison que Cuvier appelle tympaniforme ; celle-ci, attachée supérieurement à la traverse osseuse, est quel- quefois surmontée d'un autre repli très développé chez l'alouette, le rossignol, la fauvette et la plupart des oiseaux chanteurs, repli que Savart a désigné sous le nom de membrane semi-lunaire, et auquel il fait jouer un rôle important dans la phonation, A l'opposé de ces deux cloisons, chaque tuyau bronchique porte sur les saillies de son troisième cerceau un repli plus ou moins détaché qui complète le larynx et y forme deux glottes distinctes dont les bords sont suscep- tibles d'entrer en vibration. Ce larynx inférieur, qui présente souvent, comme dans le harle et le canard, des dilatations plus ou moins considérables, à parois osseuses ou membraneuses, existe constamment, si ce n'est pourtant, d'après Cuvier, chez le roi des vautours. 11 est dépourvu de muscles propres chez le coq, le faisan, la pintade, le dindon, la perdrix et les autres gallinacés ; mais le plus ordinairement, surtout chez les oiseaux chanteurs, il possède des muscles, en nombre variable, qui lui donnent une perfection à laquelle ne peut atteindre le larynx des autres oiseaux. Beaucou[i d'entre eux, l'aigle, la chouette, la buse, l'épervicr, la bécasse, n'ont VOIX. 549 qu'une paire de muscles laryngiens, un de chaque côté, partant de l'extrémité inférieure de la trachée, et venant s'insérer sur les premiers cerceaux bronchiques, qu'il fait remonter en les rapprochant du tube trachéal. Quelques-uns, le perro- quet par exemple, en possèdent trois paires, deux servant à la constriction de la glotte, et l'autre à sa dilatation. Ktitin, la plupart des oiseaux chanteurs, tels que la fauvette, le merle, le rossignol, l'alouette, la linotte, et même d'autres dont la voix n'est ni variée, ni mélodieuse, comme l'hirondelle, le moineau, le geai et le corbeau, en ont cinq paires, presque tous étendus de l'extrémité inférieure de la trachée à l'extrémité supérieure des bronches qu'ils servent à remonter, en déterminant, en même temps, divers degrés de tension dans les membranes tympaniforme, semi-lunaire et dans les autres replis vibrants du larynx. Mécaiiisiiie de la. voix tlvH oiMoaux. — L'appareil laryngien, plus compliqué chez les mâles que chez les femelles, et si variable dans les divers genres d'oiseaux, est incontestablement l'organe essentiel de la voix. Perrault, Hérissant, Vicq d'Azyr, avaient déjà établi, son rôle que Cuvier* a démontré avec la dernière évidence. Ayant coupé la trachée-artère à un merle et à une pie, il a vu le premier conserver la voix, et la seconde continuer à pousser des cris aussi aigus et aussi forts qu'auparavant; ayant ensuite fait la même opéra- tion à une cane, dont la partie supérieure de la trachée était bouchée et le bec lié, il a observé que la voix conservait encore sa force, son timbre et ses autres caractères. Dans ces différents cas, le larynx inférieur seul restait, et lui seul pouvait produire la voix. Du reste, la preuve que c'est bien lui qui en est l'organe, c'est qu'il suftit de souffler, soit dans les bronches, soit dans la trachée d'un oiseau mort, pour reproduire des sons très analogues à ceux de la voix naturelle. L'illustre naturaliste considère cet appareil vocal des oiseaux, formé du larynx inférieur et de la trachée, comme « un tube à l'embouchure duquel est une anche membraneuse ou, pour parler plus exactement encore, deux lèvres qui représen- tent celles du joueur de cor de chasse. » D'après lui, les replis membraneux de cette anche qui sont susceptibles d'être étendus ou raccourcis et mis dans divers états de tension ou de relâchement par l'elïet de la contraction musculaire, peuvent donner alternativement tous les sons graves et aigus de la voix. Et, comme, en même temps, le diamètre des ouvertures, et partant la vitesse de l'air, éprouvent des modilications notables, l'appareil peut donner un certain nombre de notes dont les variations doivent être restreintes aux harmoniques du son le plus grave, appelé le son fondamental. Ainsi il donnera, à partir de 1";/^ de la première octave, la même note de l'octave supérieure, la quinte, la double octave, sa tierce, sa quinte, la triple octave, et ainsi de suite, c'est-à-dire des notes de plus en plus nombreuses à [)artir de l'octave inférieure. Mais, ces variations dans l'état des membranes et dans le diamètre des ouvertures laryngiennes étant insuflisantes pour permettre à l'oiseau de produire toutes les notes, la trachée, dépourvue de muscles propres, éprouve des changements de lon- gueurtrèsnotablesdont roffets'ajoute à celui des modilications précédentes. Ainsi, par un raccourcissement d'un neuvième de la trachée, l'animal pourrait clianler 1. Cuvier, Leçons (Vanatomie comparée, 2' édil., l. VIII, p. 703. o50 DES MOUVEMENTS. quatre notes dans la deuxième octave, cinq dans la troisième ; puis, par un nouveau raccourcissement égal au premier, il ferait sortir d'autres notes dans toutes les oc- taves. Néanmoins, avec le secours de ces deux moyens, c'est-à-dire à l'aide des varia- tions dans l'état de l'anche laryngienne et des changements dans la longueur de la trachée, l'oiseau n'obtiendrait pas les notes de l'octave la plus basse. Pour y arri- ver, il a un troisième moyen à sa disposition qui consiste à moditier l'ouverture du larynx supérieur. A l'aide de ce dernier, il peut rendre les sons des octaves les plus basses, car un tuyau fermé par un bout donne un son plus bas d'une octave qu'un autre tuyau de longueur égale, mais ouvert à ses deux extrémités. 11 peut donc, grâce à ces combinaisons, obtenir tous les sons musicaux, donner à sa voix la mélodie et la perfection qui appartiennent à un certain nombre d'animaux de sa classe. En outre, les différentes formes de la trachée, ses renflements et d'autres particularités plus ou moins importantes, viennent s'ajouter à ces causes essentielles pour modifier la voix, la rendre flûtée, sourde, éclatante, etc. Tel est, selon Cuvier, le mode de formation de la voix chez les oiseaux. Le son serait donc produit dans l'instrument vocal de ces animaux « de la même ma- nière que dans les instruments à vent de la classe des cors et des trompettes, ou dans l'espèce de tuyau d'orgue.nomméyeit (Tanche. » L'explication est séduisante, mais elle n'a point été entièrement adoptée : Savart, Miiller et d'autres y ont apporté des variantes dont la valeur est difficile à apprécier. Savart, dont les savants travaux ont répandu tant de lumière sur la voix et l'audition, regarde l'appareil vocal des oiseaux plutôt comme un tuyau à bouche que comme un tuyau à anche : pour lui, la voix se forme dans cet appareil, à la fois par les vibrations des membranes du larynx, des parois de la trachée, et par celles de l'air qui traverse le tube respiratoire. La vitesse du courant d'air suffirait, à elle seule, pour expliquer, d'après lui, un grand nombre de variations de la voix, car l'habile physicien a pu, en soufflant dans la trachée d'un oiseau chanteur, qu'il venait de tuer, reproduire un cri semblable à celui qui se faisait entendre avant la mort, et obtenir, en augmentant la vitesse de l'insufflation, tous les tons compris dans l'étendue d'une octave et demie. L'élasticité des parois du tuyau, la forme de son embouchure, la présence d'une double ouverture au larynx, donneraient lieu aux autres modifications que la voix peut éprouver, sous le rapport de la gra- vité, de l'acuité et de l'intensité du son. En un mot, d'après lui, r;i[)pareil vocal serait un tuyau à parois membraneuses, élastiques, dans lequel les variations de longueur et de diamètre de la trachée, les degrés de dilatation ou de resserrement des deux larynx , la présence ou l'absence de la membrane semi-lunaire, les diverses tensions des replis et de la cloison tympaniforme, etc., détermineraient les varia- tions infinies que la voix peut éprouver, quant ta son intensité, à sa hauteur et à ses autres caractères. Millier, sans se prononcer entre la comparaison de l'appareil vocal avec un tuyau à anche ou son assimilation à un simple tuyau à bouche, reconnaît, d'une part, les vibi-ations des membranes et des replis du larynx ; d'autre part, celles de la colonne d'air mise en mouvement dans l'appareil ; il semble réunir certains éléments du premier instrument à d'autres éléments du second ; mais il lui paraît difficile de donner une explication rigoureus(! des diverses particularités de la voix. VOIX. 551 Quoi qu'il puisse rtre de l'analogie entre l'appaieil vocal et l'un ou l'autre des deux instruments auxquels il a été comparé, le mécanisme de la phonation, dans son ensemble, est assez facile à concevoir pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y consacrer de plus amples développements. Quant aux différences qui caractérisent la voix des diverses espèces d'oiseaux, elles s'expliquent, pour la plupart, dans certaines limites. Celles qui s'observent relativement aux sexes tiennent, en partie, à la différence de volume et de perfection de l'appareil vocal du mâle comparé à celui de la femelle; celles qui existent entre les oiseaux dont la voix est peu agréable et les oiseaux chanteurs trouvent leur raison dans l'organisation plus compliquée du F#=^ F^=f^ * 1 •- *7 »2 r^r-r V r fn W — ' 0 ^—y-ï^^=v-^ / ^^ -^^^^^^^^ tr n>->-fc^M»^ =-fl ^w^iJ-U=B=y=i^a-bJ=^ bt^sg^ ^ FiG. 93. — Chant du rossignol. — Flûte. m W—F- FiG. 94. — Chant de la caille. — Hautbois. FiG. 95. — Chant du coucou. — Clarinette en si bémol. larynx des seconds comparée à celle des premiers ; seulement, comme il est des oiseaux qui possèdent des organes vocaux très parfaits, sans avoir une belle voix, il faut admettre, avec Cuvier, que l'instinct d'après lequel se règle l'emploi de l'appareil influe beaucoup sur les caractères de la voix. Car, d'une part, l'oiseau qui chante bien, élevé en liberté, n'a pas une voix si mélodieuse s'il n'a jamais entendu la voix des individus de son espèce, et d'autre part, certains oiseaux qui, naturellement, ont une voix désagréable, peuvent, par le fait de l'éducation, apprendre des airs très variés. Voici, du reste, les notes de la voix de quelques espèces, d'après la symphonie pastorale de Beethoven. La voix modiliée, accentuée et même articulée dans certaines limites, devient 552 RES MOUVEMENTS. l'un des principaux moyens que les bètes ont à leur disposition pour exprimer leurs sentiments et traduire leurs sensations. Elle ne manque à aucun des animaux supérieurs qui, pourtant, sont loin d'en faire également usage : plusieurs d'entre eux, le cerf, la girafe, l'éléphant, lelièvre, ■ le lapin, le cygne, s'en servent fort rarement; tandis que d'autres, tels que le chien, le porc, le cheval, le coq et les oiseaux chanteurs, l'emploient pour exprimer une foule d'impressions diverses. Certains animaux domestiques redevenus sauvages, les chiens, par exemple, ont perdu la voix en recouvrant la liberté : ceux des îles n'aboient plus, mais ceux du continent américain qui ont l'occasion d'entendre d'autres animaux de leur espèce aboient encore \ Elle devient un moyen d'appel des mères à leurs petits, comme on le voit si bien pour les oiseaux gallinacés ; un signe de ralliement, un cri d'amour, tel que le miaulement du chat, le hennissement du cheval ; — un cri de joie, un chant de vic- toire, un signal de combat, tel qu'on le voit chez le coq ; — une traduction de la faim, comme le sont les hurlements du loup ; — une marque d'impatience, comme certains beuglements de la vache : elle sert tour à tour à exprimer la crainte vague des oiseaux à la veille d'un orage, leur frayeur à l'approche d'un ennemi, le bien-être qu'ils ressentent dans le calme succédant à la tempête. Le lion s'en sert pour expri- mer sa fureur, et tous les animaux, en général, pour exhaler leurs souffrances. Les modifications et inflexions diverses de la voix ont une signification que les animaux connaissent ou plutôt qu'ils sentent instinctivement entre eux, du moins parmi ceux d'une même espèce, ou d'espèces différentes, mais ennemies ou anti- pathiques. Le fait n'est pas contestable dans le premier cas, et il ne l'est pas davantage dans le second. Le chien qui jette un cri d'alarme est si bien compris des autres individus de son espèce, que tous répètent ce cri dans un concert des plus désagréables. Le lion qui pousse un sourd rugissement inspire de la terreur à tous les animaux qui l'entendent, et le cri de chaque carnassier effraye tous les herbivores, notamment ceux qui sont privés de moyens de défense. Les animaux possèdent donc un véritable langage, peu varié sans doute, mais suffisant à l'expression du petit nombre des sentiments qu'ils éprouvent et qu'il leur est nécessaire de traduire dans leurs relations réciproques. Ce langage, ils le comprennent parfaitement et d'une manière instinctive. Quand la poule a trouvé un ver ou unegraine dont elle veut faire part ù ses petits, elle pousse un cri parti- culier auquel les poussins, à peine sortis de la coquille, répondent aussitôt en accourant vers elle. Lorsqu'elle aperçoit une belette, elle pousse un autre cri d'alarme qui met en émoi toute la basse-cour et que répètent immédiatement tous • les gallinacés timides, même le coq le plus courageux. La femelle chez un grand nombre d'espèces, la chatte, la vache, appellent le mâle; le coq menace, de la voix, son adversaire, le taureau son rival, etc.; plusieurs animaux qui vivent en troupes peuvent s'entendre pour la chasse et la maraude, d'autres pour s'enfuir, s'allier ou se tenir en garde contre les attaques de leurs ennemis. Il n'est pas nécessaire d'observer avec beaucoup de soin les diverses inflexions et les caractères particuliers que peut prendre la voix des animaux, pour s'assurer 1. Roui in, i/iriii. fi II'. VOIX. 553 que CP moyen d'expression éprouve un certain nombre de modifications très reconnaissables. En effet, voyez le chien lorsqu'il aboie au passant encore éloigné, puis le passant qui approche, qui menace et qui attaque ; sa voix a-t-elle alors un caractère uniforme et ressemble-t-elle à celle du chien qui témoigne sa joie à son maître, à celle du chien qui s'amuse avec un animal de son espèce, ou qui fait entendre un murmure, soit d'ennui, soit d'inquiétude? Le chien qui revient àla maison du maître dont la porte est fermée ad'abord un simple cri d'appel; il aboie ensuitedepliis enplushaut, si l'on nevientpas lui ouvrir; il pousse enlin des hurle- ments, des gémissements plaintifs. Le chien fouetté, àcause desesimporlunités, a un cri particulier qui fait taire, sur-le-champ, tous ceux dont il est entendu, par crainted'un châtiment pareil. Celui qui poursuit le gibier n'a-t-il pas une voix pour dire qu'il le perd, qu'il hésite à reconnaître sa trace^ qu'il l'a retrouve, cerne la proie, l'attaque, etc. « Lorsque la chienne s'irrite, dit Lucrèce ', lorsqu'elle con- tracte ses lèvres mobiles et découvre ses dévorantes dents, combien le son brusque de sa voix menaçante diffère de ce monotone aboiementdont sa vigilance fait reten- tir les lieux d'alentour ! Et quand sa langue caressante se promène sur les membres de ses petits ou quand elle les foule mollement à ses pieds, les provoque par d'in- nocentes morsures, les happe et craint de les presser sous sa dent inoffensive, le tendre murmuredesavoixmaternelleressemble-t-ilaux hurlements plaintifs qu'elle exhale dans nos foyers déserts, ou aux gémissements qu'elle pousse lorsqu'on re- doutant le châtiment elle rampe soumise aux pieds de son maître irrité?» L'aboie- ment du chien enragé inspire de la terreur aux autres qui l'écoutenl sansy répon- dre, et même aux animaux d'autres espèces. Le chatn'a-t-il pas aussi la voix très accentuée? Tantôt il ronfle, comme lorsqu'on lui passe la main sur le dos, tantôt il gronde sourdement, comme dans les cas où il est vivement irrité: dans ses miau- lements, on dislingue, d'après Desmarets ^ « les appels des femelles, les cris de douleur que leur arrachent les approches des mâles, les sons bas et doucereux qu'elles font entendre à leurs petits pour s'en faire suivre, les sifflements étouffés et les grondements plus ou moins prolongés que poussent les mâles auprès des femelles en chaleur. » Le cochon qui grogne d'inquiétude crie-t-il comme celui qui demande à manger, qui entend arriver des vivres, ou comme cet autre qu'on garrotte ou qu'on saigne ? Le cheval jouit, ainsi que beaucoup d'autres animaux, de la faculté de modifier sa voix pour exprimer ses sensations. Buffon ^ d'après un vieil auteur, lui recon- naît cinq sortes de hennissements: le hennissement de joie, dans lequel la voix prolongée monte et linitàdes sons plus aigus; le hennissement du désir, soit d'a- mour, soit d'attachement, prolongé comme le précédent, et achevé [lar des sons plus graves: le hennissement de la colère, court et aigu ; celui de la crainte, qui est grave et rauque comme le rugissement du lion ; enfin, celui de la douleur, qui, à proprement parler, n'est point un véritable hennissement. Les oiseaux se servent, plus encore que les mammifères, de la voix comme moyen d'expression. « Dans toutes les espèces, le temps où ils chantent le plus, disait 1. Lucrèce, De revion natura, édit. citée, p. 351. 2. Girard, ouv. cité, p. 157. 3. BuiTon, Histoire naturelle, édil. in-1 de l'imprimerie royale, déjà cilée, l. IV, p. -252. 554 DES MOUVEMENTS. Aristote ^, est celui de leurs amours. Il en est, comme la caille, qui crient dans le combat même; il en est qui crient avant le combat, comme pour défier l'adver- saire; d'autres qui crient après la victoire, ainsi que le fait le coq. » Les mâles, dont l'appareil vocal est plus parfait que celui des femelles, chantent souvent, à l'exclusion de ces dernières, pendant qu'elles s'occupent, soit de la ponte ou de l'incubation, soit de l'éducation de leurs petits. Ainsi, chaque animal des classes supérieures a donc, par la voix, un précieux moyen d'expression : chacun a dans le timbre et les autres caractères de cette voix quelque chose que les autres individus de la même espèce comprennent instincti- vement. De plus, les animaux domestiques et ceux que l'homme apprivoise recon- naissent la voix du maître, quelquefois confondu dans la foule ; ils distinguent les paroles qui menacent de celles qui flattent. C'est là un fait que tout le monde a pu noter et qui s'applique non seulement au chien, au chat, mais encore au cheval et au bœuf. Sans doute ils ne savent pas le sens des mots, mais ils le devi- nent par l'intonation et les gestes de ceux qui les prononcent, comme le specta- teur devine, à l'opéra ou au ballet, l'action qu'il ne peut suivre par les paroles. Néanmoins, l'animal se trompe souvent: l'oiseleur avec ses appeaux fait tomber dans le piège bien des oiseaux. Quoique les animaux traduisent par les inflexions de la voix une foule de sensa- tions diverses, ils ne peuvent nullement se créer un langage analogue à celui de l'homme; ils n'articulent pas les sons qu'ils produisent quelquefois aussi bien que nous. Cependant, on cite à cet égard quelques exceptions remarquables, surtout parmi les oiseaux : le perroquet et la pie sont assez connus sous ce rapport. Pline - dit que le perroquet salue les empereurs et répète les mots qu'il entend; il ajoute que la pie aime à parler et qu'elle parvient facilement à ce genre d'imitation. Les exemples de cette nature cités par lui sont nombreux : tels ceux du corbeau éclos sur le temple de Castor et Pollux, corbeau qui saluait par leur nom Tibère et les jeunes Césars : — de la corneille qui prononçait des phrases entières ; — du sanson- net et du rossignol qui articulaient des mots grecs ou latins et répétaient même des phrases assez longues, etc. Le crédule naturaliste cite aussi, en doutant de sa réa- lité, l'exemple d'un chien qui aurait parlé. Leibnitz ^ dit avoir entendu un animal de cette espèce qui était parvenu, par le secours d'une longue éducation, à pro- noncer une trentaine de mots allemands. Quoi qu'il puisse être de l'authenticité de ces faits, il est certain que, par imitation, quelques animaux peuvent articu- ler, sans en connaître la valeur, plusieurs des mots qu'ils ont souvent l'habitude d'entendre. IL — Des divers modes d'expression. Indépendamment de la voix, les animaux ont encore d'autres moyens d'expres- sion qui, sans être aussi variés que ceux de l'homme, ne laissent pas que d'être 1. Aristote, Histoire des animaux, liv. IV, p. 223, édit. citée. 2. Pline, Histoire des animaux, édit. citée, liv. IX, p. 374 et suiv. 3. Leibnitz, Mémoire de L'Académie des sciences, 1715, p. 3. EXPRESSION. Î)5d assez nombreux et de rendre avec une grande énergie les impressions diverses et les passions qu'ils éprouvent. Ils ont une mimiquequiremplacele langage articulé dans leurs communications réciproques d'ailleurs assez bornées. Les signes dont ils se servent pour traduire leurs impressionssontinstinctifs, spontanés, et n'ontjamais rien de conventionnel : aussi sont-ils parfaitement intelligibles, car ils le sont aussi dune manière instinc- tive. Cette mimique est irréfléchie, ils en comprennent le sens, ils l'interprètent sans nul effort. De même que l'enfant, avant de comprendre les paroles qu'on lui dit,devinedéjà les sentiments qu'on lui manifeste, s'égaye ou s'attriste, est con- fiant ou réservé, suivant la physionomie des personnes qui l'entourent, suivant l'expression du regard, les intonations de la voix ; deméme les animaux jugent de leurs dispositions réciproques par des signes analogues. Ils se comprennent entre- eux, et ils ont besoin de s'entendre pour s'allier, constituer des familles, former des sociétés, comme pour protéger les individus, se déplacer, émigrer. Tous sentent le danger dont les espèces ennemies les menacent. Les domestiques ont besoin aussi de deviner les intentions, de comprendre les ordres du maître. Ce qui prouve que la mimique des animaux est instinctivement intelligible pour eux, c'est qu'à la vue d'un chien effrayé dont la pose est caractéristique, tous ceux qui le voient s'effrayent, sans connaître la raison de sa frayeur; ils prennent la position de ses membres, de ses oreilles, l'expression do son regard, et, àcela,on juge qu'ils éprouvent des impressions identiques à celles de l'individu qui cause leur émotion, car telles attitudes, tels mouvements, correspondent à des états déter- minés. La vue d'une femelle qui fait des efforts pour mettre bas provoque des avortements épizootiques, — une ruade détachée par un cheval fait hennir et ruer les chevaux qui l'entourent ; — une seule bête ahurieau milieu d'une prairie donne à toutes le mémo air effaré ; — l'allure d'une béte disposée à s'enfuir donne à tontes l'idée de la fuite. Si l'une d'elles rompt son lien avec fureur, toutes s'emportent de la même manière, connue on l'a vu dans de grands rassemblements d'animaux. Le spectacle du courage anime, celui de la lâcheté déprime, et dans les combats l'homme éprouve ces influences sympathiques qui acquièrent au milieu des masses une si grande puissance. L'animal est donc physionomiste; il l'est d'instinct, comme l'enfant et le sauvage. Les expressions, dans notre espèce, sont, les unes volontaires, les autres invo- lontaires, et celles-ci peuvent être exagérées ou même simulées. Elles sont, pour laplupart involontaires et instinctives chez les animaux dontelles traduisent fidèle- ment les sensations ; cependant elles peuvent aussi y devenir factices comme on le voit chez le chien, les singes, sous l'influence de l'éducation, de l'habitude ou de l'imitation, et chez quelques animaux qui, exposés aux attaques de leurs ennemis, semblent exprimer la souffrance et la prostration jusqu'au moment où ils peuvent trouver l'occasion de s'échapper. En géiu'ral, dans l'espèce humaine, les expressions sont instinctives et par con- séquent spontanées ; leur sens est intelligible pour tout le monde, et il l'est instinc- tivement pour l'enfant, pour le sauvage comme pour l'homme civilisé. L'expres- sion de la joie, de la tristesse, de la crainte, de la colère, est la même partout. 556 DES MOUVEMENTS. Partout l'homme inclinela tête en signe d'assentiment, il l'agite d'un côté à l'autre pour marquer son refus, l'incline lentement à droite ou à gauche s'il doute; la renverse s'il s'étonne; le mouvement de ses lèvres, de ses yeux, les exclamations qu'il pousse sont de véritables manifestations instinctives que chacun comprend, car elles n'ont rien de conventionnel. Les animaux en ont d'analogues dont ils connaissent parfaitement le sens. Ils en ont même un certain nombre qui ne dif- fèrent pas des nôtres. L'attention, l'impression des odeurs, le désir, la crainte, la joie, se traduisentpar une mimique semblable à celle de l'homme. Un bruit insolite appelle leur attention : ils s'arrêtent brusquement, ouvrent largement les yeux, dressent les oreilles. Une odeur les frappe, ils se mettent à flairer vivement. Ils sont menacés, et aussitôt ils tremblent, fléchissent le dos, rapprochent les membres comme pour se rapetisser ; ils couchent les oreilles, etc. Un objet leur est jeté à la tête, ils s'en détournent en fermant les yeux. Les mêmes impressions tendent à provoquer les mêmes réactions automatiques. L'animal intelligent, le chien par exemple, a souvent pour exprimer ses sentiments les mêmes moyens que l'homme ; il se jette, il rampe aux pieds de son maître pour demander grâce, comme ce maître le fait lui-même aux pieds d'un autre ; il lui lèche les mains, le visage en signe d'amitié et de supplication, comme l'esclave baise la main d'un tyran ou l'obligé celle d'un bienfaiteur. Tous les animaux ne jouissent pas au même degré de la faculté de traduire leurs impressions, leur bien-être, leur accablement, leurs souffrances; il en est qui les expriment énergiquement par un grand nombre de signes; d'autres qui les rendent vaguement, sans moyens bien caractérisés. Du reste, tous n'expri- ment pas une sensation déterminée par les mêmes moyens, les mêmes attitudes ou les mêmes mouvements. Il faut, pour donner une idée des expressions, les envisager sous trois rapports différents : premièrement, dans leur ensemble chez les principaux genres d'ani- maux; deuxièmement, dans les différentes sortes de physionomies, de gestes, d'attitudes et de mouvements dont elles se composent; troisièmement, enfin, relativement à chacune des principales affections qu'elles traduisent, comme la peur, la colère, la joie, la tristesse, la douleur, etc. En considérant les expressions sous le premier rapport, c'est-à-dire eu égard à l'ensemble des moyens qui ont été donnés aux animaux des principaux groupes, on voit du premier coup d'œil, d'abord que ces moyens sont d'autant plus nombreux, plus variés que les animaux ont plus d'intelligence, et, par suite, un plus grand nombre de sensations et des sensations plus vives à traduire; ensuite on remarque qu'ils ont quelque chose de commun entre les animaux qui se ressemblent par leurs mœurs, leurs habitudes, leur régime. Ainsi, sans parler des singes dont les expressions sont si vives, si variées, et dont la physionomie perd de sa mobilité à mesure qu'on passe des espèces les plus intelligentes à celles qui le sont moins, on peut avancei" qu'il existe à cet égard une grande ana- logie parmi les différents carnassiers comparés les uns aux autres, les ruminants, les solipèdes, les rongeurs, etc. Les animaux carnassiers qui sont très intelligents, qui ont des mouvements souples, des allures rapides, des déterminations promptes, des sensations vives, EXPRESSION. 557 des besoins impérieux, ont une expression variée, mobile et franche, comparée à celle des herbivores avec lesquels ils sont en guerre ; ils doivent, pour nous, être placés en première ligne. Voyez le chien ! Avec quelle facilité n'exprime-t-il pas ses diverses impres- sions : son inquiétude quand il est séparé de son maître, sa tristesse quand il l'a perdu, sa joie lorsqu'il \ient à le retrouver, son exaltation au bruit du cor de chasse, sa peur, son indécision, sa colère en diverses circonstances. Ses cris, le caractère de son aboiement, de son hurlement sinistre, ses mouvements, ses sauts, ses évolutions diverses, l'agitation de sa queue et de ses oreilles, la ma- nière dont il flaire, les caresses, les menaces qu'il prodigue, la fixité, le calme ou l'animation de son regard, l'air insolent qu'il prend auprès de certains maîtres, la physionomie sombre, sauvage qu'il acquiert au milieu des troupeaux ou dans la cour d'une ferme, deviennent des signes non équivoques de son caractère et des impressions qu'il éprouve. ' Et le chat ! comme il sait bien par son attitude, son regard, ses mouvements, ses passades réitérées, demander des caresses aux personnes qui l'entourent: témoi- gner par les inflexions de son dos, les ondulations de sa queue et une sorte de ronflement sourd le plaisir que lui causent les caresses qui! reçoit; exprimer son bien-être quand il est couché près du foyer, au soleil, ou sur les genoux de sa maîtresse. Voyez, avec quelle sensualité il retourne l'os qu'on lui a jetéou la proie qu'il est parvenu à voler; avec quelle attention il guette la souris; avec quel con- tentement il se précipite sur la victime qu'il attendait depuis longtemps, et avec quelle joie maligne il la laisse toute meurtrie s'échapper de ses grifles pour la ressaisir aussitôt. Combien sa physionomie ne devient-elle pas expressive lors- qu'il est vivement irrité : son regard menaçant, sa moustache redressée, son souffle bruyant, ne traduisent-ils pas énergiquement sa colère ou sa fureur ? Le lion, parmi les carnassiers sauvages, est un des animaux qui possèdent le plus grand nombre de moyens d'expression. Son port majestueux, sa démarche fière, son regard assuré, révèlent le sentiment de sa force, la conscience de sa supériorité. Son grondement sourd, son terrible rugissement, les mouvements de sa queue avec laquelle il se bat les flancs, la faculté qu'il possède de mouvoir le tégument de la face, de hérisser sa crinière,' d'ouvrir outre mesure une large gueule, lui donnent un ensemble de moyens tout à fait caractéristique et qu'il ne partage avec aucun animal de son ordre. Le tigre, qui rugit plus souvent, qui fait fréquemment sortir sa langue de la gueule, et qui porte dans sa physio- nomie une expression plus féroce que celle du lion, n'est pas, à beaucoup près, aussi heureusement doué que ce dernier. La panthère, si voisine du tigre, si semblable à ce carnassier par les mœurs et le genre de vie, n'en a pas entièrement l'expression. 11 y a dans son regard, dans son air féroce, dans le timbre de sa voix, quelque chose quiladifl'érenciedu tigre. La petite panthère de Java a dans l'éclat des yeux, dans la perfidie du regard, dans le caractère du cri qu'elle jette à l'approche de l'homme, une nuance de féro- cité qui frappe à première vue, mais qu'il est impossible de rendre. Parmi les aiJtres espèces du même ordre, le caracal se distingue encore par une expres- sion des plus saisissantes : la fixité et le caractère singulier de son regard, la Oo8 , DES MOUVEMENTS. rapidité du mouvement de ses petites oreilles pointues, la vivacité de ses allures, son rugissement, à la fois sourd et aigu, lui donnent un aspect plus terrible que celui des carnassiers de grande taille. En comparant les animaux précédemment énumérés avec ceux qui sont moins téroces, moins forts, moins bien pourvus de moyens d'attaque et moins sûrs de vaincre leurs ennemis, on est frappé de la différence qui existe entre les pre- miers et les seconds. L'hyène, par exemple, a une expression sombre, triste, inquiète : sa bouche souvent ouverte; les gémissements particuliers qu'elle pousse à l'approche de l'homme, et que l'on est embarrassé de rapporter à la peur ou à la menace, ses mouvements obliques, la roideur de tout son corps, montrent bien qu'elle n'a point la force, la souplesse, l'audace, le caractère ni les mœurs du lion ou du tigre. Le loup, dont le regard est sans vivacité, dont les membres sont fléchis comme ceux du chien qui a peur, le loup qui porte la queue entre les jambes, qui hésite et semble trembler dans tous ses mouvements, n'a ni la physionomie, ni les allures d'un animal courageux. L'ours, enfin, dont l'expression faciale si. peu mobile, les mouvements si lents, qui se balance devant son bassin, s'assied sur la croupe, se couche sur le dos, fait toutes espèces de contorsions pour obtenir des friandises, ressemble à un animal sans caractère bien accentué et qui ne s'occupe que du soin de sa subsistance. Les animaux herbivores contrastent d'une manière frappante avec les carnas- siers. Ils ont dans la face moins de mobilité que ces derniers, des mâchoires plus longues, des mouvements moins souples ; ils ne peuvent plus se servir de leurs membres qu'à titre d'organes de progression ; ils ont un caractère en général timide, sociable, sans haine, sans colère, sans ruse, ni férocité, et, par consé- quent, leur physionomie doit avoir un cachet nouveau tout particulier. Le cheval est peut être celui de tous les quadrupèdes de cette catégorie qui exprime avec le plus de vivacité et d'énergie les impressions qu'il éprouve. Ses diverses attitudes, ses allures, le port de sa tête, la vivacité de son regard, son hennissement avec toutes ses variétés, le mouvement deses oreilles, de ses lèvres, de ses naseaux, l'agitation de sa crinière, de sa queue, son trépignement d'im- patience, ses ruades, servent à traduire ses sensations. Mais, il faut envisager le cheval sous le cavalier, le coursier près delà tente de l'Arabe, le cheval de guerre qui entend le bruit des armes, l'étalon apercevant la jument, pour se faire une idée des mille nuances d'expression qui se peignent dans la physionomie, les attitudes et les mouvements de ce noble animal ^ L'âne est loin d'avoir l'expression qui appartient au cheval : sa tête lourde, basse, qu'il relève rarement et qu'il fait osciller pendant la marche, ses longues oreilles, la saillie des orbites qui ne laisse plus l'œil à Heur de tête, l'absence de la crinière, le peu d'attention que l'animal apporte à ce qui se passe autour de lui, son braiement prolongé si désagréable, son aspect généralement misérable, lui donnent une physionomie qui contraste avec celle du premier des solipèdes ; mais cet aspect n'est déjà plus celui de l'hémione ni du zèbre. 1. Voy. le tivre de Job, chap. xxxix, v. 22 et suiv.; Pline, liv. Vlil, édit. citée, p. 188 ; Virgile, Gdortjiquns, liv. 111; Buffon, t. IV, p. 174. EXPRESSION. Oo9 Les ruminants ont, en général, la physionomie douce, timide, quelquefois sombre, sauvage et peu inlelligcntc Leurs moyens d'expression, assez peu variés, se montrent bien en harmonie avec leur caractère et leurs mœurs. Le bœuf, dont les allures sont si lentes, est remarquable par le calme de son expression : son u?il fixe, proéminent, ses oreilles inclinées en arrière, l'immobi- lité de ses lèvres, de ses naseaux et du tégument de la face, ne traduisent point d'impressions bien vives. Cependant,lorsqu'il fait entendre ses longs mugissements, lorsqu'il flaire les toull'es d'herbes qui lui déplaisent; ou que, poursuivi par les in- sectes, il prend la fuite, la queue relevée et l'encolure étendue, il montre une ani- mation qui contraste avec son impassibilité ordinaire. Mais,le taureau excité à la vue d'une génisse, ou irrité à l'approche d'un rival, montre par son regard sombre, par le mouvement spasmodique de sa lèvre supérieure, par le caractère de son mugissement, de ses allées et venues, quesa passion arrive à un hautdegré d'exal- tation. Après une victoire remportée, ou après une défaite, il laisse lire encore, dans son faciès et dans sa démarche, les émotions qu'il éprouve. Le buffle, le bison, le dromadaire, le lama et d'autres encore, peuvent être placés a peu près sur la même ligne. La chèvre, au contraire, avec son air indécis, sauvage, ses allures inconstantes, irrégulières : la gazelle, avec son regard qui a tant de vivacité et de douceur, se distinguent entre les autres ruminants de cette famille. Les pachydermes sont peut être encore moins heureusement doués que les rumi- nants sous le rapport qui nous occupe. Le rhinocéros, dont les yeux sont petits, sans éclat, sans mobilité, dont la voix n'est qu'un grognement sourd sans inflexions appréciables, n'a, pour ainsi dire, d'autre moyens d'expression que les mouvc ments delà tête et l'agitation des oreilles. L'hippopotame, qui a la démarche si lente, si pénible, la tête si difficile àdéplacer, la face si peu mobile, remue légère- ment lespaupièresetagitelentementlesoreillesaucridupetitNubien qui l'appelle î sans cela et les mouvements de ses narines, il conserverait une impassibilité abso- lue. L'éléphant lui-même, sans les inflexions si variées de sa trompe, sans le cri sourd qu'il jette quelquefois et la projection en avant de ses larges oreilles, dans de rares circonstances, n'aurait guère de moyens propres à exprimer ses impressions et ses déterminationsinstinctives ou intellectuelles. Leporc et le sanglier, dont les yeux sont si petits, les oreilles si peu mobiles, ressemblent bien aux animaux de leur ordre ; ils n'ont, à proprement parler, que le mouvement du groin dans l'ac- tion du flairer et leur grognement pour peindre leurs sensations. Leur extérieur indique assez que, pour eux, fout se réduit à trouver des glands, à déferrer des truffes, a manger enfin, se vautrer dans la boue et dormir. Cependant, l'aspect du sanglier blessé, de la truie à laquelle on enlève ses petits, du cochon qui entend venir des vivres, a quelque chose de caractéristique. Enfin, il est des animaux qui, comme la brebis, le lapin, le lièvre, n'ont point d'expression bien tranchée ; ils réagissent à peine quand on les maltraite et ne savent- rendre ni la joie, ni la douleur, ni l'inquiétude. Parmi les oiseaux, il est possible de saisir quelques traits communs à ceux qui ont les mêmes mœurs et le même genre de vie. Les oiseaux de proie, parexem|)le, qui font la guelre aux animaux vivants, ont un regard, une attitude, des mouve- Inents brusques qui semblent peindre leur ra|)acifé. L'air de famille qu'ilsontà un 560 DES MOUVEMENTS. haut degré tient, il est vrai, beaucoup à leur ressemblance, sous le rapport de la forme du bec, de la configuration des serres, de la manière de prendre leur vol, de fondre sur leurs victimes, etc. Ceux qui se nourrissent de proie morte sont loin d'avoir la même désinvolture, la même brusquerie dans les mouvements, comme si leur caractère, leur manque de courage, imprimaient une trace saisissable sur tout leur extérieur. Les petits oiseaux tirent surtout leur expression si vive, si chan- geante, de leurs muuveifients continuels, de leurs cris, de l'éclat de leurs plumes, etc. Les gallinacés, presque constamment occupés à remuer le sol de leurs pattes ou de leur bec pour chercher de la nourriture, ne laissent pas que de traduire souvent et énergiquement leurs impressions. Plusieurs d'entre eux sont même fort remar- quables par la variété des moyens qu'ils ont à leur disposition. Il suffit de s'être arrêté dans la basse-cour, d'avoir observé la démarche, les allures, le chant du coq, ses combats, la tyrannie qu'il exerce à l'égard de ses rivaux; d'avoir considéré le dindon taisant la roue, et agitant ses caroncules dont la teinte est si changeante ; le paon étalant, remuant la queue en poussant des cris si désagréables, etc., pour se faire une idée du nombre et de l'énergie des impressions éprouvées par ces oiseaux. D'autres genres de physionomie nous sont offerts par le héron immobile au milieu d'un étang, par la grue debout sur une seule patte, par le canard barbotant sur le bord d'un ruisseau, par le cygne qui joue dans un bassin, etc. Si nous envisageons maintenant l'expression sous le rapport des parties qui en sont chargées et des phénomènes auxquels donne lieu leur action, nous pourrons aussi remarquer quelques particularités communes à certains groupes d'animaux ou propres à telle ou telle espèce. La face des mammifères, moins mobile et moins expressive que celle de l'homme, bien qu'elle ait souvent autant de muscles, est certainement la partie du corps qui traduit le plus grand nombre d'impressions diverses. Les yeux, parleur situation, leur saillie, leur volume, leur mobilité, leur éclat, et par l'aspect des paupières, contribuent, pour une grande part, à l'expression faciale qu'ils rendent si énergique et si variée chez le chat, le lion et la plupart des carnassiers. A eux seuls ils peignent la douceur, la vivacité, l'abattement, la tristesse, la souflVance : ils donnent à l'animal un air féroce, menaçant, un air sauvage, inconstant, une physionomie intelligente ou stupide. Les oreilles, par leur position et leurs mouvements variés, donnent à la bête des moyens que nous ne possédons pas: leur jeu, si facile à saisir, marque tous les degrés de l'attention de l'animal qui écoute; il traduit, suivant la remarque de Pline \ les aftections intérieures que les chevaux éprouvent; a car, selon que ces animaux sont effrayés, fatigués, furieux ou malades, elles sont flasques, tressaillantes, dressées ou pen- dantes. » On sait que le cheval qui veut ruer, frapper ou mordre, les couche en arrière ; que le cheval aveugle les agite constamment ; que celui qui hennit les redresse; que celui qui boit les meut légèrement. Les ruminants sauvages qui paissent les tiennent couchées en arrière ; les cerfs ne les agitent pas en buvant; la girafe les porte en avant lorsqu'on lui présente quelque chose à manger ; l'éléphant les étale en dehors au moment où il rencontre un animal de son espèce ; elles de- 1. Pline, Histoire naturelle, édit. citée, liv. XI, p. 477. EXPRESSION. 561 meurent pendantes chez plusieurs races de chiens, chez le porc, et perdent alors leur expression habituelle. Le nez, les lèvres, la bouche, prennent une part considérable au jeu de la phy- sionomie des animaux. Les mouvements des muscles sont caractéristiques chez le cheval qui heimit, qui flaire la jument, comme ils le sont chez le chien; ceux de la lèvre supérieure, du mulle, du groin, ne le sont pas moins suivant les espèces, notamment chez les solipèdes, dans ce qu'on appelle le spasme cynique et le rv'e sardonique. Les bâillements si étendus chez les carnassiers, où ils s'accom- pagnent souvent de grincements de dents et de la projection de la langue, au- deliors, modifient encore très sensiblement les caractères de l'expression faciale. D'autres régions du corps concourent pour une certaine part à l'expression, et parmi elles, la queue doit être placée en première ligne. Diverses affections du lion, ainsi que l'a notéPline, se traduisent par les mouvements decette partie. Le lion, le loup qui fuient \ le chien battu ou enragé, la portent entre les jambes; le pre- mier de ces carnassiers s'en bat les flancs lorsqu'il est irrité ; le bœuf, le cheval, la tiennent relevée dans la course, et la plupart des animaux l'agitent constamment quand ils sont inquiétés par les mouches. Le pied prend part à certaines expres- sions : le cheval frappe du pied le sol dans ses moments d'impatience et lorsqu'il est tourmenté de douleurs intestinales; le bœuf, dans quelques circonstances, et le bélier en rut, en font autant; le petit ourson gratte parfois la terre avec ses pattes quand il s'ennuie; le chat s'en sert pour caresser les personnes amies, et le singe pour faire des contorsions. L'ensemble du corps, soit au repos, soit pendant les divers mouvements de l'animal, prend une grande part à l'expression. Il y a une attitude particulière qui indique l'assurance, le calme; une autre qui traduit la frayeur, l'effroi : le tau- reau qui va se précipiter sur son adversaire, le lion qui va s'élancer sur sa proie, le chat qui guette une souris, le bœuf souffrant, etc., ont chacun une attitude caractéristique. Le tremblement général, le frissonnement, l'agitation du cheval au bruit des armes, l'état du chien qui entend sonner du cor, le trémoussement de la peau des animaux tourmentés par les mouches, le hérissement des poils, les mou- vements de la crinière, la fuite du ruminant inquiété par les œstres, etc., ajou- tent beaucoup à l'effet ou au jeu des moyens précédemment indiqués. L'expression étudiée sous le troisième aspect que j'ai signalé, c'est-à-dire eu égard aux impressions et aux sensations traduites par un plus ou moins grand nombre de particularités, nous offre encore quelques considérations intéressantes qui résument la mimique instinctive des passions chez les brutes. La peur, la sécu- rité, la joie, la tristesse, l'amour, la colère, la douleur, se traduisent par certains signes communs à la plupart des animaux. Ainsi, la joie se décèle par une agitation particulière, des cris, des sauts, des mouvements de la queue; — la tristesse, rin(|uiétude, par des cris d'un autre caractère, des plaintes, des allures vagues, une expression indicible du regard ; — la frayeur, par un frissonnement général, par une immobilité absolue, une sorte de paralysie qui empêche les animaux d'obéir ou de se laisser diriger, ou d'autres 1. Aristotc a fait celte observation pour le premier et Virgile pour le second de ces animaux. 0. coLiK. — Physiol. conip., 3"^ oiiit. I — 30 o62 DES MOUVEMENTS. fois par des mouvements brusques, désordonnés, par une fuite précipitée, etc. La colère, la fureur, se traduisent par des manifestations d'une énergie effrayante chez le chat maltraité, le chien insulté par le passant, le sanglier blessé, l'aigle privé de ses aiglons, la chatte séparée de ses petits. Plusieurs impressions combinées donnent lieu aussi à des modes d'expression plus ou moins frappants. Les plus nettement accentués sont ceux des femelles sépa- rées de leurs petits, ceux des animaux en rut, des animaux qui se battent, qui mangent, boivent, ruminent, etc. Voyez la vache privée de son nourrisson ! elle demeure debout, s'agite, se livre à une sorte de tic de l'ours, pousse des mugisse- ments plaintifs, regarde de tous côtés; si elle est libre, elle poursuit sa course vaga- bonde au milieu des pâturages, ne mange plus que par moments, ne rumine que pendant de courtes périodes ; son flanc se creuse, et elle maigrit jusqu'au moment où elle vient à oublier le sujet de sa peine. Voyez l'étalon auprès de la jument ! son attitude, l'agitation de tout son corps, le caractère de son hennissement, le jeu de ses naseaux, de sa crinière, le frémissement de ses lèvres, le battement saccadé de son flanc, son ardeur à flairer la femelle, à la mordre, son impatience à se cabrer, sont caractéristiques. Considérez l'animal qui mange : n'y a-t-il pas une expression indéfinissable chez le chat qui retourne tant de fois le morceau qu'on lui a jeté, avant de se décider à l'attaquer de tel ou tel côté ; une autre toute différente chez le porc qui, sans faire attention à ce qui se passe autour de lui, hume ou dévore ce qu'on a jeté dans son auge? Le premier ne porte-t-il pas le cachet d'un sensualisme raffiné, et le second celui d'une vorace gloutonnerie? Observez, enfin, le paisible herbivore qui rumine, et chaque animal dans les prin- cipales situations oiî il peut se trouver, et vous serez frappé de ce reflet que la partie sensible de chaque être jette sur son enveloppe extérieure. Enfin, parmi toutes les impressions, celle qui se traduit de la manière la plus énergique et la moins équivoque est la douleur, dont les degrés et les caractères offrent mille nuances difficiles à apprécier. Tantôt, notamment lorsqu'elle est légère, elle ne se révèle que par des manifestations vagues d'impatience, d'inquié- tude, mêlées à des signes d'affaissement ou de prostration. D'autres fois, si elle est plus vive, elle provoque des cris ou des plaintes plus ou moins répétées. Quels que soient ses caractères, elle s'accompagne, dans certaines circonstances, d'une réac- tion très vive, et dans d'autres, elle laisse l'animal plongé dans un calme absolu. La douleur chez les animaux qui réagissent, qui luttent contre les causes de leurs souffrances et cherchent à se soustraire aux mauvais traitements, se traduit avec une énergie dont on peut se faire une idée en voyant un cheval tourmenté de coliques, un animal atîecté de vertige, un sujet mutilé par l'opérateur, un chat qu'on étrangle ou qui est jeté a l'eau avec une pierre au cou, un animal pris dans un piège. Celle qui ne donne pas lieu à des réactions de la part de l'animal a un tout autre caractère, comme on le voit chez les chevaux à pneumonie, à maladies graves du pied, chez ceux auxquels l'expérimentateur aouvert l'abdomen. D'ailleurs cha- que soufl'rance a sa physionomie propre, et chaque maladie sa douleur spéciale. Lucrèce ^ et Virgile ^ ont chanté la douleur des animaux atteints d'horribles affec- 1. Lucrèce, édil. citée, liv. VI. 2. Virgile, Giioi gi'jucs, liv. III. INTERMITTENCE DES ACTES DE LA VIE DE RELATION. 563 lions contagieuses, et les pathologistes, dans un style moins poétique, mais plus vrai, ont caractérisé les nuances de celles qui appartiennent aux diverses maladies. CHAPITRE XYI DE L'INTERMITTKNCE DES ACTES DE LA VIE DE RELATION La plupart des actions que nous venons d'examiner, en ce qui concerne les fonc- tions nerveuses, les sensations et les mouvements, ne peuvent s'exécuter d'une manière continue ; elles se suspendent, plus ou moins complètement, dans le sommeil et Thibernation, phénomènes communs à un grand nombre d'espèces de toutes les classes du règne animal. I. — Du SOMMEIL. Le sommeil est un état dans lequel les fonctions de relation sont plus ou moin:^ complètement suspendues, sans que celles de la vie organique éprouvent de pro- fondes modifications. Cet état d'inertie, qui est indispensable à l'entretien régulier de la vie des êtres organisés, n'appartientpasseulementauxanimaux; il s'observeaussichezles plantes oh il consiste bien plus en une suspension périodique des phénomènes de la végé- tation, analogue à l'engourdissement hibernal de certains animaux, qu'en une légère modification nocturne de la direction des feuilles. Aristofe a fait remarquer que tous les quadrupèdes, les animaux ovipares, les poissons, les mollusques, les crustacés et les insectes, ont un sommeil rendu évident, soit par le rapprochement des paupières, soit par une immobilité plus ou moins complète: l'exactitude de son observation paraît confirmée par tout ce qu'on sait de plus précis sur les habitudes des animaux les mieux connus. La nécessité du sommeil tientà une cause inhéiente au mode d'accomplissement de toutes les actions organiques, c'est-à-dire à l'intermittence ou à la périodicité du jeu des organes. En effet, il est facile de s'apercevoir, pour peu qu'on réfléchisse aux caractères des diverses fonctions de l'économie, que chacuned'elles est active à certains.moments, languissante ou complètement suspendue à d'autres : les sen- sations, les mouvements, la digestion, l'absorption, les sécrétions, les actions géné- ratrices, sont évidemment dans ce cas ; l'innervation même, si indispensable à l'entretien de toutes les autres fonctions, a des périodes de surexcitation alternant avec des périodes de ralentissement. Le sommeil n'est, pour ainsi dire, que la pé- riode du repos simultané des fonctions de relation remplies par des organes qui, se fatiguant aisément, ont besoin d'une inaction plus iVéfiuente, plus jtrolongéeque les autres. Les causes secondaires qui favorisent son apparition et son retour sont la fatigue, l'épuisement, l'obscurité, le silence, l'action des narcotiques, enfin l'habitude, dont l'empire est si marqué sur toutes les fonctions animales. L'état dans lequel les animaux peuvent s'endormir est très variable. La plupart 564 DES MOUVEMENTS. d'entre eux se couchent et ferment les yeux ; quelques-uns demeurent debout, les yeux entr'ouverts ; plusieurs, comme les oiseaux, se perchent sur les branches et se cachent la tête sousl'aile; d'autres, tels que les cétacés, les poissons, se tien- nent immobiles, soit à la surface de l'eau,- soit à différentes profondeurs, soit enfin appuyés sur le sable, les rochers ou les plantes aquatiques. Il est à noter que, parmi les mammifères, le cheval et lesautres solipèdes paraissent dormir debout, ainsi que l'éléphant qui, dit-on, peut passer des mois entiers sans se coucher ;mais il n'est pas vraisemblable qu'un animal puisse dormir en marchant, comme Galien le fit pendant plus d'un stade, si l'on en croit le récit de l'illustre médecin. Les phénomènes qui marquent l'invasion et les progrès du sommeil présentent quelques caractères communs à la généralité des animaux; ils ne se manifestent que d'une manière progressive et plus ou moins lente. D'abord, un calme particulier s'empare de l'animal, une sorte d'engourdissement paralyse le système musculaire; les sensations deviennent confuses, les opérations cérébrales vagues et obscures. Les organes fatiguéss'endorment, suivant l'observation de Cabanis \ successivement et à différents degrés: la vue s'affaiblit et s'éteint en premier lieu, surtout par le fait du rapprochement complet des paupières ; puis le goût, l'odorat et le tact cessent d'être impressionnés par leurs excitants naturels ; le tact même ne parvient jamais à s'endormir complètement, si l'on en juge du moins par les mouvements que les animaux exécutent dans le but de quitter une position devenue pénible. Les sens qui s'endorment dans un certain ordre s'engourdissent à divers degrés, l'un d'un sommeil léger, facile àdissiper, l'autre d'un sommeil profond dont il ne peut être aisément tiré. Leur réveil est successif comme leur engourdissement ; l'ouïe, par exemple, sort la première de la torpeur, quoiqu'elle ait été la dernière à perdre son activité. Le système musculaire, si susceptible delassitude, n'entrepoint, cependant, dans un relâchement complet, même chez les animaux couchés sur le côté, car ils ont ordinairement le cou et les membres fléchis ; il continue manifestement à agir chez les animaux dont le décubitus est sternal, sterno-costal et qui tiennent la tête rele- vée; chez les oiseaux qui se perchent sur des branches d'arbres, la tête reployée sous l'aile, chez ceux qui dorment debout appuyés sur une seule patte, car les dispositions signalées par Borelli et Duméril ne suffisent pas à maintenir une pareille attitude; enfin, il est encore plus évidemment en action chez les espèces qui dorment debout et dont la station est rendue moins pénible par une série de combinaisons anatomiques précédemment indiquées. Les appareils de la vie organique continuent à fonctionner à peu près comme pendant la veille. La respiration devient peut-être un peu plus lente et plus pro- fonde ; il y a moins d'oxygène consommé, moins d'acide carbonique produit, par- tant une calorilication moins active; la circulation se ralentit sensiblement, si ce n'est dans les premiers moments, et la chaleur intérieure baisse. Aussi les car- nassiers cherchent-ils instinctivement à rassembler leurs membres, à se plier en cercle, à se couciuir dans les lieux élevés, chauds, sur des corps mauvais conduc- ]. Cabanis, Rapports du phj/sùjue et du moral de l'/tomme, 8° édition avec notes, par L. Peisse. Paris, 1844, p. 397. SOMMEIL. 565 leurs du caloii(|ue, ot cela, il est vi-ai, autant, pour éviter des sensations tactiles désagréables, que pour se préserver du refroidissement. La digestion continue alors, car beaucoup d'animaux, les carnassiers surtout, s'endorment après avoir pris leur repas ; la plupart des sécrétions ne paraissent nullement modifiées ; mais la transpiration est diminuée, toutes les déperditions sont réduites, aussi le besoin de réparation s'aflaiblit. Mais les appareils organiques ne s'endorment point: celui delà génération qui, chez riiomme, éprouve si souvent une vive surexcitation pendant le sommeil, sous l'influence cérébrale, reste complètement engourdi chez les animaux, si l'on en juge par le défaut d'érection et d'émissions spermatiques. Cependant il ne faudrait pas croire que la vie organique est dans une activité permanente toujours égale. Elle a, aussi bien que l'autre, comme le dit iMiillei", ses moments de ralentissement, dont les périodes inégales ne coïncident point entre elles, pour tous les organes à la fois. On sait comment le relâchement du conir succède à la contraolion, comment l'inertie de l'estomac alterne avec son activité, et nous verrons liientùt de quelle ma- nière les glandes salivaires, le pancréas, se reposent à la suite de leur supersécrétion. Les psychologues ont beaucoup disserté sur la question de savoir jusqu'à quel point les actions cérébrales se suspendent dans le sommeil. Les uns ont pensé que l'imagination, l'intelligence, l'esprit, le moi fatigué comme le corps, comme les sens, s'assoupit et s'endort avec eux, sauf dans les moments de rêves ; les autres, avec Jouffroy ', ont soutenu que le cerveau ne suspend pas son action, que l'esprit veille toujours, qu'il a constamment des idées, une perception confuse de ce qui se passe dans les viscères, des sensations vagues, qu'il discerne, parmi les bruits du dehors, ceux qui doivent arrêter l'attention ; qu'enfin il veut même, ou paraît vou- loir, puisqu'on se réveille à l'heure où l'on a formé la résolution de le faire et qu'il tire, par conséquent, les sens de leur assoupissement. La preuve de cette activité non interrompue est dans le rêve que ce philosophe croit permanent, rêve qui ne paraît momentané que faute de laisser constamment des traces dans le souvenir. Le fait du rêve démontre au moins l'activité cérébrale enjeu ù certains moments. Cette activité est entretenue par des sensations vagues, que l'individu éprouve réellement, quoiqu'il n'en ait pas conscience, sensations objectives ou subjectives venues des viscères, du cceur, du poumon, des organes génitaux, lesquels peuvent faire naître des idées de rêves. Le cerveau paraît, en eflet, agir pendant le som- meil; l'imagination éveillée est fVap[)ée par les impressions j)assées plus que par les impressions actuelles: les idées se présentent à elle ordinairement confuses, incohérentes, sans association logique. La raison n'intervenant pas, comme dans la veille, pour les associer dans leurs rapports, pour les comparer, pour les juger, dissiper les illusions, l'esprit est duj)e, En un mot, les facultés cérébrales sont alors troublées, ainsi que le pense Alfred Maury-, comme dans l'aliénation men- tale. Le rêve, qui témoigne de l'activité cérébrale, de l'exercice des facultés inéga- lementéveillées, serait, dans ses idées, comme dans celles de Cabanis, de Maine de Biran, de Lélut ^, unt^ hallucination, un lroubl(> de l'intelligence. Aussi 1. JoufTroy, Mr/rnit/cs philo^ophi(ju<-s, p. 225. 2. Alfred Maury, Du so>/i»ieil et des rêves, p. 15. Paris, 18G2. 3. Lélul, P/if/siologie île In pensée, 2o édit. Paris, I802. 566 DES MOUVEMENTS. l'esprit pendant le sommeil serait-il, pour lui, dans un état analogue à celui de l'homme frappé de démence. Il est incontestable que lesanimaux jouissent, commenous, delà faculté de rêver, Aristote a dit, et Pline a répété que le cheval, le chien, la brebis, la chèvre, et, en un mot, tous les quadrupèdes la possèdent : le fait est prouvé, au moins pour le chien et le chat, par les cris et les mouvements de ces animaux pendant le sommeil. Lucrèce, si profond observateur, a dépeint avec une exagération qui n'a rien d'in- vraisemblable, le cheval haletant, couxertde sueur et rassemblant ses forces pour disputer le prix de la course, et le chien éveillé en sursaut par la figure suspecte d'un inconnu. « Souvent, dit-il i, dans un doux sommeil, les chiens, intrépides compagnons du chasseur, agitent leurs membres, et tout à coup exhalent des cris retentissants ; leurs narines hument fréquemment l'air et semblent interroger la trace de leur proie ; et, souvent arrachés au sommeil, ils s'élancent vers l'imagedes cerfs qu'ils croient voir fuir devant eux jusqu'à ce qu'ils soient désabusés d'une erreur qu'ils regrettent. » Pline a prétendu aussi que les ânesscs ruent quelquefois pendant leurs rêves. Ce qui se passe alors dans le cerveau de la brute, nous l'igno- rons complètement. Toutes les dissertations des auteurs sur l'action cérébralepen- dant le sommeil ne peuvent rien nous apprendre sur ce point, en ce qui concerne des êtres dontil est déjà si difficile de débrouiller les opérations intellectuelles et instinctives pendant la veille. Cependantl'observation attentive nous porte à croire que les bêtes endormies sont dans un état analogue au nôtre. L'enfanta la mamelle rêve déjà, comme les anciens l'avaient remarqué, bien qu'il ne puisse avoir souvenir de ses rêves. Probablement l'animalases hallucinations, qui précèdent le sommeil, ses cauchemars et ses rêves. Pourquoi les mêmes causes n'auraient-elles pas chez lui les mêmes effets que chez nous ? Les idées qui surgissent sans ordre pendant son sommeil doivent vraisemblablement peupler son imagination de fantômes. Le carnassier, s'il rêve, comme cela ne saurait être mis en doute, ne doit-il pas avoir la réminiscence de ses combats, verser le sang, déchirer la proie? S'il n'avait pas de rêves de ce genre, pourquoi verrait-on le chien aboyer, flairer, éprouver des trémoussements ! L'herbivore timide ne doit-il pas avoir le sommeil troublé par la crainte de l'ennemi, dont il a essuyé les poursuites, comme par les paniques qu'il a éprouvées ? Le mouton ne rêve-t-il pas de la sombre image du loup qui a emporté quelqu'un de ses frères? La colombe, la poule, ne sont-elles jamais effrayées par la belette et sa dent meurtrière? L'oiseau de basse-cour, dont le sommeil est troublé souvent par la piqlire du ricin ou du dermanysse, ne rêve-t-il jamais de coups de griffes d'ennemis redoutables, comme le philosophe piqué par la puce rêve quelquefois de coups d'épée ? Le sommeil offre de très grandes variétés parmi les animaux ; un certain nombre d'entre eux, lesoiseaux deproie nocturnes, plusieurs carnassiers, dorment souvent le jour et se réveillent aux approches de la nuit; la ])lupart dorment pendant la nuit, et l'on sait que la généralité des oiseaux se trouve dans ce cas. Presque tous les grands animaux se livrent au sommeil après leur repas; mais les ruminants ne s'y abandonnent pas sans avoir soumis à une nouvelle mastica- 1. Lucrèce, loc. cit., liv. IV, p. 268. HIBERNATION. 567 (ion une partie des aliments de leur premier estomac, et après une période de rumination, ils s'assoupissent, puis se mettent de nouveau à ruminer. Certaines espèces, notamment parmi les carnassiers, le chien, le chat et le porc, dorment fort souvent ; d'autres, tels que le cheval, dorment très peu. En général, les ani- maux, par une nécessité liée à la sfireté de leur conservation, ont le sommeil si léger, qu ils se réveillent au moindre bruit. Le sommeil provoqué par les narcotiques, l'engourdissement qui est le résultat de l'action de l'ivraie enivrante, de la jusquiame sur les grands herbivores, est quelquefois assez prolongé ; mais l'anesthésie déterminée par l'inspiration de l'éther ou du chloroforme, lorsqu'elle n'est pas poussée trop loin, se dissipe assez promptement. Le sommeil, qu'on attribuait naguère à un afflux exagéré du sang vers le cer- veau, est regardé maintenant comme un résultat de l'anémie cérébrale. Cette nouvelle assertion se base, d'une part, sur ce que, dans le sommeil, les cas de dénudation pathologique du cerveau ou les trépanations du crâne montreraient la pie-mère et les circonvolutions cérébrales plus pâles que pendant la veille : — et, d'autre part, sur ce fait que le sommeil est, d après divers expérimentateurs, déterminé rapidement sur le chien et le lapin par la compression des carotides. Les degrés de l'irrigation cérébrale doivent, sans aucun doute, exercer une grande influence sur le développement de l'activité ou de la torpeur des centres nerveux; mais il n'est pas facile de voir comment cette influence s'exerce. La congestion qui comprime les cellules cérébrales et l'anémie qui les prive, en partie, de leurs éléments d'excitation et d'activité semblent devoir également tendre à en- traver ou à suspendre leur action. Toutefois, si la première provoque le coma, la seconde donne lieu, peut-être, à un état analogue. Reste à savoir si ces états doivent être identifiés avec le sommeil. IL — De l'hibernation. A certaines époques de l'année, il est des animaux qui tombent dans une espèce d'engourdissement, dans une sorte de torpeur ou de léthargie qu'on désigne sous le nom d'hibernation : c'est l'état dans lequel se trouvent, en hiver, la plupart des reptiles des climats tempérés et plusieurs mammifères, tels que la marmotte, le hérisson, la chauve-souris, etc. Cet état particulier a aussi reçu le nom de sommeil hivernal ; mais cette déno- mination est peu convenable, parce que l'hibernation diffère beaucoup du sommeil et qu'elle se montre, pour quelques animaux, pendant les saisons les plus chaudes. Aussi, à causede cela, nous conserverons la première qualification, en distinguant l'engourdissement qui se produit pendant les grandes chaleurs, de celui qui est la conséquence du froid : le premier peut s'appeler estival, et le second hivernal. L'engourdissement estival, qui est la plus rare des deux espèces, ne s'observe, pour ainsi dire, que parmi les reptiles et les animaux inférieurs des régions équato- riales; il n'est, à proj)rement parler, que l'exagération de l'efl'et produit sur l'homme et sur les grands mammifères, parla haute température des pays chauds. On sait. en effet, que les habitants des tropiques sont pendant le jour accablés de 568 DES MOUVEMENTS. fatigue, invinciblement portés au sommeil et incapables de se livrer à l'exercice. Les tenrecs de l'île de Madagascar, d'après les récits des voyageurs, les gerboises d'Afrique, sont, parmi les mammifères, des animaux qui, pendant plusieurs mois de l'année, restent plongés dans la torpeur; il en est de même pour les boas et les crocodiles de l'Amérique méridionale qui s'ensevelissent dans la vase et ne se réveillent qu'avec la saison des pluies ; il en est encore ainsi pour la salamandre, sous l'influence de la sécheresse. Du reste, une infinité d'infusoires et de zoo- phytes, que la dessiccation de leur véhicule avait plongés dans une mort appa- rente, retrouvent la\ie avec l'humidité. L'engourdissement hivernal, plus commun que le précédent, s'observe, pour ainsi dire, chez tous les reptiles qui habitent les climats tempérés, et, à plus forte raison, chez ceux qui vivent dans les contrées un peu froides. On en conçoit bien la raison quand on se rappelle que la chaleur intérieure de ces vertébrés doit se modeler sur celle de l'extérieur et en suivre toutes les variations; de plus, on voit par là pourquoi les reptiles ne peuvent vivre dans les climats froids où leur engourdissement deviendrait perpétuel. Cet engourdissement ne se produit pas subitement et ne conserve point, une fois développé, la même intensité. Il arrive par des degrés qui correspondent, sui- vant l'observation de Dugès, à ceux du froid atmosphérique : d'abord, il ne con- siste qu'en un léger affaiblissement de la vivacité habituelle de l'animal, puis il devient une torpeur de quelques jours qui peut encore se dissiper facilement ; enfin, il passe à l'état d'un engourdissement complet, plus ou moins prolongé. Les mammifères susceptibles de ressentir ses effets sont assez nombreux : parmi eux, se placent en première ligne la chauve-souris, la marmotte, le hérisson, le loir, ensuite l'ours, la musaraigne, J'écureuil, etc. Ces animaux semblent, avant leur sommeil, éprouver un pressentiment de l'état dans lequel le froid va les plonger ; ils se retirent, les uns dans des cavernes toutes préparées, les autres dans des troncs d'arbres ou dans des demeures souterraines qu'ils se sont creusées : là, ils trouvent une température plus uniforme et moins rigoureuse que celle de l'atmosphère. Ainsi, l'ours qui habite les montagnes se cache sous des rochers, dans des fourrés épais ou entre des troncs d'arbres ; la marmotte s'enfonce dans un boyau souterrain d'une très grande étendue dont elle ferme l'ouverture; le hérisson se blottit sous des monceaux de feuilles ou même dans un petit terrier; la chauve-souris se choisit une demeure dans des fentes de muraille, dans des habitations abandonnées, des caves ou même sous les toits ; enfin, les reptiles eux-mêmes cherchent par des abris à se défendre contre la rigueur du froid. L'époque de l'engourdissement est variable suivant les espèces qui sont sus- ceptibles de l'éprouver. Quelques-unes commencent à s'engourdir momentané- ment dès les premières journées fraîches de l'automne. Le hérisson, par exemple, comme je l'ai constaté, prélude à l'hibernation dès la fin de septembre ou le com- mencement d'octobie, pour peu que le temps se refroidisse ; la plupart s'endorment dès les premiers jours de l'hiver, et d'autres seulement lorsque les froids devien- nent rigoureux. Du reste, à quelque moment qu'il arrive, il ne se produit que graduellement. D'abord, les animaux se meuvent avec lenteur et semblent plongés HIBERNATION. 569 dans un afl'aissement qui va toujours en augmentant : la marmotte met son corps en boule, ferme les yeux, tient les mâchoires fortement rapprochées, devient froide et comme privée de vie'; le muscardin et le hérisson se roulent aussi en boule; l'écureuil s'entoure de provisions; la chauve-souris reploie ses ailes autour de son corps et se suspend aux aspérités des corps environnants, à l'aide des ongles de son pouce ou de ses pattes. Lorsque l'engourdissement est complet, la sensibilité devient très obtuse : on peut changer les animaux de place, les toucher, les piquer même, sans qu'ils pa- raissent s'en apercevoir ou au moins sans qu'ils réagissent dune manière bien marquée; ils sont dans un véritable état d'anesthésie : la respiration continue, mais elle est excessivement lente et faible. Mangili a observé que des marmottes plongées dans une létliargie profonde ne respiraient que quatorze fois par heure, tandis que dans l'état de veille, elles respiraient quinze cents fois. J'ai observé souvent des hérissons par les froids intenses de l'hiver. A une température de quelques degrés au-dessus de zéro ils respiraient une, deux, trois, quatre fois par minute, tandis que réveillés, à la même température, le nombre de leurs mouvements respiratoires s'élevait de vingt à quarante. La circulation, remar- quablement lente, n'est jamais suspendue: c'est un fait mis hors de doute par tous les physiologistes qui se sont occupés du phénomène de l'hibernation. La chaleur intérieure des animaux hibernants qui, dans les circonstances ordi- naires est sensiblement la même que celle des autres espèces de leur classe, pré- sente un très grand abaissement pendant la période de torpeur. Cette tempé- rature est toujours de quelques degrés plus élevée que la température ambiante. D'après Prunelle, les marmottes dont la chaleur intérieure descend seulement de-f- lo" à-|-'18", sont à peine engourdies; mais elles le sont tout à fait quand elle n'est que de -|- 8" à -f- IÛ°. Quelquefois cet abaissement de température peut aller jusqu'à -|-3'^- Berger^ s'est assuré qu'il y avait toujours un certain rapport entre la température ambiante et celle du corps des animaux engourdis; il a vu qu'il suffisait de maintenir des lérots dans un vase dont la température était abaissée de 8 à 12 degrés R. au-dessous de zéro, pour que, dans l'espace d'une heure et demie, leur chaleur intérieure diminuât de 12 degrés. Du reste, les animaux qui, pendant l'hiver, s'engourdissent et se réveillent alternativement, à quelques jours d'intervalle, offrent pendant la veille une chaleur presque égale à celle des autres époques de l'année. Le même observateur a constaté que, pendant ces moments de veille, les marmottes avaient une température de 28 à 30 degrés R., qui descendait de -{- 17 à -j- 7 pendant les jouis d'engour- dissement. Mes observations personnelles, faites à l'aide de thermomètres métastatiques, concordent avec celles-là. Les hérissons abrités sous du foin ou de la paille dans des locaux à basse température se maintenaient à quelques de- grés seulement au-dessus de l'air ambiant et ils suivaient, sans s'éveiller, les oscillations de la température extérieure. Ainsi, au mois de janvier, alors que le local habité par le hérisson était à -f- 6, l'animal était à -f- 8, -f" ^ W-' ^M seulement -{-7, et respirait de 10 à 12 fois par minute; à la température 1. Mangili, Mémoire sur la Ictharyie des marmottes [Annales du Muséum, 1807, t. IX). 2. Berger, Mémoires du Muséum, 1828, t. IV. o70 DES MOUVEMENTS. ambiante de + 9, la sienne allait à -|- il avec 15 à 18 respirations par minute. De même que tous les animaux hibernants ne tombent pas en léthargie à la même époque et sous l'influence du même degré de froid, de même aussi ils ne sont pas tous plongés dans une torpeur également profonde et ne se réveillent pas au même moment de l'année. La chauve-souris, les hérissons, les marmottes, les loirs s'engourdissent, les deux premiers à -j- 7° ou -[-6°, selon Saissy, les troi- sièmes, seulement à — 5°, et les quatrièmes à -j- 4" ou -f- 5"\ Quelques-uns de ces animaux peuvent ne pas s'engourdir, bien qu'ils soient souvent exposés à un froid assez intense, les marmottes en domesticité, par exemple. L'état des fonctions chez les animaux hibernants varie beaucoup suivant les degrés de leur léthargie. Je viens de dire combien de variations peut offrir la cha- leur intérieure. Gelle-ci étant toujours en rapport avec l'étendue de la respiration et avec la vitesse delà circulation, on conçoit queles 4, 6 ou 8 respirations par mi- nute delà marmotte, les 4 ou 5 du hérisson, ne doivent pas produire une grande quantité de chaleur. Lorsque l'engourdissement est très profond, il peut arriver même, si l'on en croit Dugès, que la respiration soit tout à fait suspendue, que le galvanisme et les excitations mécaniques ne puissent plus susciter de contrac- tions musculaires. Peut-être en est-il ainsi de certains reptiles ; mais le fait pa- raît peu probable en ce qui concerne les mammifères. Quels que soient, du reste, les degrés de la torpeur hivernale, celle-ci est bien rarement continue; elle est, au contraire, fréquemment interrompue aux époques pendant lesquelles la température s'adoucit, et même au moment des plus grands froids. En effet, tous ceux qui ont étudié le sommeil hivernal ont constaté que les animaux engourdis se réveillent assez promptement quand on les expose à un (roid plus vif que celui auquel ils étaient habitués. Ce réveil est suivi d'une agi- tation extrême et très souvent de la mort. C'est là une particularité que j'ai maintes fois notée. Si le hérisson complètement engourdi à -f- 4 à 5 est exposé à un froid voisin de la congélation ou à quelques degrés au-dessous, il sort très vite de la torpeur, s'agite, bat des flancs et arrive bientôt à un réchauffement complet. Ainsi, ayant exposé à une température de — 5 un hérisson qui, depuis plusieurs jours, vivait dans une atmosphère à -\- 5 à 6, sa température propre, en moins d'une heure, s'éleva de -\- 7 à -|- 19, pendant que sa respiration s'accélérait considérablement; au bout de trois heures elle était arrivée à -}- 34. Dans des cas analogues, si la réaction est incapable d'élever la température à un degré voisin du chiffre normal, le réveil est bientôt suivi de la mort. Les hérissons jeunes périssent ainsi, en grand nombre, dans les hivers rigoureux. Avant que les animaux s'engourdissent, ils se préparent, dit-on, au sommeil, par le jeune et d'abondantes évacuations dont l'eflet est de débarrasser l'estomac et l'intestin des matières excrémentitielles : aussi, pendant l'hibernation, trouve-t-on les viscères presque vides. Cependant ce fait n'est pas général. J'ai vu souvent des hérissons s'engourdir après un bon repas, dont la digestion devait se faire avec lenteur pendant le sommeil. Ils sont alors très gras; mais par suite de la per- sistance de la respiration et des actions nutritives, la graisse qui s'était préalable- 1. Dugès, Phi/siolof/ip rornpnri'-e, t. l,p.468. HIBERNATION. 571 ment déposée sous la peau, dans les épiploons et les mésentères, disparaît presque en totaIil('' îles animaux deviennent tn^'s maigres et perdent une portion notable de leur poids Berger a vu un muscardin qui resta engourdi pendant soixante et un jours consécutifs, à une température moyenne de + 8° R- , perdre le quart de son poids,(il pesait 329 grains au moment oi'i il s'endormit, et 246 seulement à son ré- veil). Pendant tout ce temps, il ne prit aucun aliment et ne rendit aucune matière exciémentitielle. Une marmotte pesant 7 livres au mois de septembre, n'avait plus qu'un poids de 5 livres dans le courant de mars, en sortant de sa létliargie. La perte diurne éprouvée par le corps n'est pas uniforme, à beaucoup près, pendant la durée de l'engourdissement : au début, elle est très considérable. Ainsi, un hérisson du poids initial de 1035 grammes perdait, étant éveillé, 8^', 6 par jour. Au bout de sept semaines, après avoir mangé de temps à autre, son poids se trouvait réduit à 905 grammes. Alors il s'engourdit pour quatre mois entiers. En cent douze jours de sommeil il perdit 230 grammes, le quart de sa masse à peu près, soit 2s»', 05 par jour. L'engourdissement réalise donc, au bénéfice de l'animal, une économie des trois quarts de la dépense qui serait faite pendant la veill(^ Si l'animal engourdi eût perdu autant que pendant la veille, il eût consommé en un mois ce qui devait lui suffire pour quatre. Dès la fin de décembre, il aurait épuisé les provisions qui devaient le conduire jusqu'à la fin de mars'. Lorsque, par quelques causes éventuelles, l'hibernant continue à dépenser beaucoup, ii meurt avant la fin de la mauvaise saison. Si, par exemple, il est tourmenté par une affection parasitaire, par des acares qui le tiennent éveillé, il perd beaucoup et meurt, comme je l'ai vu, avant la lin de l'hiver. La perte totale éprouvée pendant l'engourdissement ne peut, comme dans l'abs- tinence ordinaire, dépasser certaines limites sans compiomettre la vie. Pour le hérisson, elle peut aller de trois à quatre dixièmes du poids initial. Il est clair que, pendant la torpeur hivernale, l'animal vit, comme dans l'absti- nence ordinaire, aux dépens de sa substance propre. Il brûle sa graisse, ses mus- cles, ses tissus divers, le sucre de son foie, de son sang; mais avec une rapidité moindre qu'àl'état de veille. MM. Regnault et Reiset^ affirment que les marmot- tes ne consomment pendant le sommeil qu'un trentième de la quantité d'oxygène qu'elles absorbent à l'état normal, aussi éprouvent-elles un refroidissement pro- portionnel à cette réduction. Au réveil, le système musculaire est émacié, le foie atrophié, il y a anémie très prononcée. Cette léthargie, dans laquelle les animaux sont plongés plus ou moins long- temps, devrait ou semblerait devoir les affaiblir beaucoup à leur réveil; cependant ils conservent à ce moment une assez grande énergie : le hérisson, qui a rempli ses vésicules séminales pendant son sommeil, se livre à la reproduction avant de songer à réparer ses forces épuisées. L'affaiblissement n'est pas trop considérable si l'engourdissement a eu des interruptions; car elles ont permis à l'animal de faire quelques repas réparateurs. Les conditions favorables à l'engourdissement et les causes qui le déterminent 1. G. Colin, Des efj'etx de l'abstinence et de laliinpiitation insuffisante chez les animaux [Bulletin de la Société centrale de médecine vétérinaire, 1862). 2. Regnault et Reiset, Annales de physique et de chimie, t. XXVI, 3* série. 572 DES MOUVEMENTS, sont peu connues, bien que plusieurs observateurs habiles les aient cherchées avec soin. On sait que certaines particularités anatomiques paraissent favoriser la pro- duction de ce singulierphénomène : voici les plus remarquables d'après Prunelle \ chez le hérisson, la chauve-souris, la marmotte et le lérot. La peau est épaisse, très dense et fortement adhérente aux parties sous-jacentes ; la couche graisseuse qui en tapisse la face interne est d'une épaisseur considérable: la poitrine est plus étroite que celle des animaux de même taille qui ne s'endorment pas, elle diminue encore de capacité lorsque le corps se met en boule. Le thymus, petit et comme atrophié en été, augmenterait de volume aux approches de l'hiver et deviendrait très gros chez la chauve-souris, chez le hérisson et surtout chez la marmotte. Le développement de cet organe doit donc diminuer la capacité du thorax, qui se trouve encore réduite par la grande quantité de graisse amoncelée autour du pé- ricarde, dans les médiastins et au-dessus du sternum , dispositions qui peuvent gêner l'action du poumon, rendre la respiration imparfaite et ôterà l'animal son aptitude à résister au froid. Les épiploons sont très grands et surchargés de graisse, surtout dans la marmotte, où leur disposition est très compliquée ; les masses adipeuses qui entourent les reins sont volumineuses. L'estomac etl'intes- tin sont vides et affaissés, leurs parois contiennent aussi de la graisse; « le foie, la rate et les reins sont également enveloppés de graisse chez tous les dormeurs et surtout chez la marmotte. » Ces différentes circonstances paraissent préparer les animaux à l'engourdisse- ment en produisant, à l'approche de l'hiver, une espèce de somnolence, d'abord peu différente de l'état qui caractérise les premiers moments du sommeil ordinaire. L'animal, à cause de son impressionnabilité et de son peu d'aptitude à supporter le froid, rassemble ses membres et se met en boule; le poumon, comprimé déjà par le thymus, s'il existe encore, et par la graisse, n'a plus un jeu assez étendu ; l'hématose devient de plus en plus incomplète, le sang perd ses propriétés stimu- lantes : ce fluide n'excitant plus assez le cerveau, la sensibilité générale diminue comme la température baisse par l'effet du ralentissement de la combustion pul- monaire. En résumé, l'action sédative du froid, la gène apportée dans les fonc- tions respiratoires et le défaut de nourriture paraissent être les circonstances essentielles qui prédisposent à l'engourdissement et qui produisent ce phénomène. Mais, comme ces causes agissent sur une infinité d'animaux sans y déterminer l'hibernation, il est probable qu'à leur action vient s'ajouter, pour quelques- uns, l'influence d'autres conditions encore inconnues. 1. Prunelle, Hech. sur les phén. et sur les causes du sommeil hivernal (A?in. du Mus., t. XVIIi, p. 20 et 302). LIVRE QUATRIÈME DK L.A DIGESTIOX Toutes les lonctions que nous venons d'étudier ont pour but commun de mettre l'animal en rapport avec le monde extérieur ; elles suffisent seules pour faire de la brute un être qui se meut, qui sent et qui a conscience de son existence; car, suivant l'heureuse formule d'un illustre physiologiste, ce sont elles qui consti- tuent l'animal. Tout le reste appartient à l'être organisé réduit à la vie végétative, et i)eut s'en séparer, non seulement en abstraction, mais encore en réalité, puis- que le reptile privé de cœur, de poumons, d'appareil digestif, d'organes repro- ducteurs, continue, pendant un certain temps, à se mouvoir, à sentir comme auparavant, pourvu qu'on lui ait laissé l'appareil locomoteur, le système nerveux et les organes des sens. Mais, la machine vivante, comparable à ce vaisseau qui reçoit sans cesse quelque atteinte, se détériore et s'use ; elle éprouve, par le fait de son activité même, des déperditions qui doivent être réparées aux dépens des substances étrangères à l'or- ganisme : c'est en vue de ce résultat que la digestion prépare les éléments destinés à entretenirle matériel de l'économie et qu'elle les transforme en substance vivante. Cette importante fonction, qui ouvre la longue série des actions nutritives, comprend un grand nombre d'opérations successives ou simultanées dont nous allons présenter l'analyse, après avoir jeté un coup d'œil sur l'appareil chargé de les effectuer. CHAPITRE XVII CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR L'APPAREIL DIGESTIF L'appareil de la digestion, que l'on a donné souvent comme l'un des caractères essentiels de l'animalité, n'existe pas dans toutes les espèces inférieures. Les plus simples surtout, parmi celles qui sont microscopiques, n'ont souvent aucune ca- vité pour recevoir les matières alimentaires. L'absorfition de ces matières a lieu par toute la surface extérieure du corps, sans élaboration préalable, comme par les surfaces radiculaires des plantes. Mais, comme l'aliment a presque toujours besoin de subir quelque préparation, pour se convertir en substance vivante, il doit être reçu dans une cavité digestive qui apparaît déjà chez les types zoologi- ques inférieurs. Les amibes, les actinophrys, qui manquent de cavité digestive intérieure, s'en constituent à l'extérieur. Leur enveloppe se déprime ou se creuse au niveau de la 574 DE LA DIGESTION. masse alimentaire, et se ferme sur elle, en l'entourant complètement, puis se rou- vre, pour éliminer les résidus, si la matière n'est pas entièrement assimilable. Les spongiaires ont des canaux ramifiés, des lacunes toujours ouvertes, pro- longées de l'extérieur à l'intérieur, recevant àla fois lesaliments et l'eau, car elles paraissent en même temps affectées àla digestion et à l'hématose. Dès que l'appareil digestif se montre chez les infusoires, il a un orifice garni de cils et une cavité plus ou moins ample, pleine d'un liquide épais, au milieu duquel les aliments se montrent en petites masses que l'on pourrait croire cir- conscrites par des cellules distinctes. Déjà chez les polypes, où il est complète- ment formé, il constitue un simple sac à une seule ouverture garnie d'appendices préhensiles, sac creusé dans la substance homogène du corps, sans parois pro- pres, sans replis et sans annexes glanduleuses. Bientôt il offre deux ouvertures opposées, se renfle dans certains points, se rétrécit dans d'autres, acquiert des parois distinctes, s'annexe des glandes tubuliformes ou parenchymateuses ; puis il augmente de longueur, se replie sur lui-même, et son ouverture postérieure qui était primitivement commune avec celle des voies génératrices et urinaires, finit par s'isoler complètement. Enfin, parvenu à un certain degré de complica- tion, il se fractionne en plusieurs parties ayant chacune des caractères anatomi- queset des fonctions spéciales. A mesure qu'on s'élève dans la série, on voit l'appareil éprouver des perfection- nements divers. Ala simplecavitédes infusoires ou au sac des polypes, succède déjà, chez les méduses, la cavité digestive à prolongements qui disséminent la matière nutritive, puis la cavité digestive à plan contractile, à annexes glanduleuses et à deux ouvertures, des échinodermes. Et alors, elle est séparée des canaux qui portent la matière élaborée, de telle sorte que, suivant la remarque de M. Milne Edwards, ce n'est plus que par l'absorption que l'aliment passe de la première à la seconde. L'appareil se complique beaucoup dans les mollusques, se divise en plusieurs com- partiments, s'entoure de glandes salivaires, d'un foie volumineux; il donne, dans beaucoup d'espèces, surtout dans les éolidiens, des prolongements nombreux, ra- mifiés par tout le corps, prolongements gastro-vasculaires dans lesquels pénètrent les matières alimentaires pour s'y élaborer et s'y imprégner de bile ^ Enfin, dans les articulés, il a une bouche à armature complexe, des glandes salivaires, des tubes hépatiques, un gésier musculeux, un estomac chymifiant, un intestin tubu- leux, etc., toutes parties qui se retrouvent encore dans les types supérieurs. Les perfectionnements successifs de l'appareil qui révèlent les harmonies orga- niques sont non seulement commandés par les perfectionnements corrélatifs de l'économie, mais encore par les conditions au milieu desquelles l'animal doit vivre et par la nature de son alimentation. Pour prendre l'aliment, on voit des cils, des bras, des ventouses, une trompe, un suçoir, des pinces mandihulaires; pour le diviser, le hroyer, des appareils de section, d'écrasement; pour le délayer, des glandes salivaires; pour le retenir, pour ralentir sa marche, des diverticukims, des replis, etc. Ces modifications se montrent nettement dans chaque section de l'appareil. 1. Voy. à ce sujet l'admirable ouvrage de M. Milne Edwards, Leçons sur la physiologie et ranatomie comparées, t. V, p. .385. CONSIDÉRATIONS SUR l'APPAREIL DIGESTJF. 575 Ainsi la bouche, privée d'abord de parties résistantes, propres à diviser les matières alimentaires, est bientôt pourvue d'un appareil disposé pour les saisir, les diviser ou les broyer; celui-ci consiste, soit en une série de pièces solides, de forme variable, soit en un bec corné, ou en uncpairc de mâchoires horizontales ou verticales. Autour de la cavité buccale, plus ou moins spacieuse, viennent se grouper des glandes dont le produit sert à humecter l'aliment et ù laciliter les élaborations ultérieures qu'il devra éprouver dans les autres parties du tube digestif, et ces glandes, primitivement toutes semblables entre elles, finissent par se distinguer les unes des autres, sous le rapport de leur structure, de leur mode d'action et des caractères des lluides qu'elles sécrètent. L'œsophage, uniquement destiné ù conduire les aliments de l'arrière-bouche à l'estomac, forme un simple canal dont les parois, très contractiles, n'ont presque point de glandules dans leur épaisseur. Son diamètre, (pii est très considérable chez les animaux dont la proie est avalée tout entière, diminue sensiblement chez ceux dont les aliments sont très divisés; il est aussi plus faible chez les her- bivores que chez les carnassiers, et même, parmi les premiers, on le voit plus petit dans les solipèdes que dans les ruminants, dont la première mastication est très incomplète. L'estomac, chargé de contenir les aliments accumulés, de leur faire subir une élaboration importante, constitue un réservoir plus ou moins nettement séparé de l'œsophage et de l'intestin, 11 se présente sous l'aspect d'un rendement longitudinal chez les animaux inférieurs et les vertébrés ovipares, transversal chez les mammi- fères et les oiseaux; renflement tantôt simple, tantôt divisé en plusieurs parties. Généralement simple, uniloculaire, tapissé par une muqueuse partout semblable à elle-même chez les carnassiers, il se divise en plusieurs compartiments chez un grand nombre d'espèces dont le régime est végétal. Mais sa complication marche par degrés insensibles : d'abord elle n'est indiquée que par une différence de struc- ture et de propriétés entre la muqueuse de la partie œsophagienne et celle de la partie intestinale du viscère, puis elle est marquée par cette dill'érence coïncidant avec une légère dépression extérieure, comme on le voitchez les solipèdes ; enfin, la complication se prononce de plus en plus par la présence d'étranglements pro- fonds et de cloisons séparant le réservoir en plusieurs sacs qui arrivent à avoir clia' cun une structure et des attributions spéciales. Ainsi, on peut la voir graduelle- mentcroissant,à partir du porc etdes solipèdes, jusqu'aux animaux ruminants. Elle consiste, dans le premier, en un léger renllement de la partie gauche du viscèie; dans la roussette, en une dilatation (esophagienne assez prononcée ; dans le porc- épic, en trois ou quatre bosselures; et dans le kanguroo, en un grand nombre de dilatations séparées par des rétrécissements profonds. Chez d'autres animaux, la complication ne tient plus seulement à la forme, elle dépend encore de la struc- ture : le daman montre un estomac étranglé en deux sacs ayant chacun une mu- queuse, séparés par un étranglement extérieur et une cloison interne perforée; l'hippopotame, le dauphin, la baleine, le narval, ont un ou plusieurs réservoirs tapissés par des muqueuses dont les caractères sont difi'érents de l'un à l'autre; enfin, tous les ruminants ont quatre poches gastriques dont la structure et le rôle nous occuperont par la suite. 576 DE LA DIGESTION. Cette complication n'appartient pas seulement aux mammifères, elle s'observe encore parmi les oiseaux et même parmi les invertébrés; mais quelle qu'elle soit, elle ne change point essentiellement le rôle du viscère; celui-ci se reconnaît tou- jours à sa fonction, qui est de sécréter le fluide dissolvant, connu sous le nom de suc gastrique. L'intestin qui fait suite au renflement gastrique laisse au tube digestif sa forme canaliculée. Dans son état le plus simple, il est court, uniforme, tout d'une venue, et semble présenter, d'une extrémité à l'autre, à peu près la même struc- ture, les mêmes propriétés; c'est ainsi qu'il se présente chez les invertébrés, chez la plupart des reptiles et des poissons, et parmi les mammifères, chez le hérisson, la chauve-souris. A un degré plus élevé, ce canal se distingue en deux parties: Tune étroite, l'intestin grêle ; l'autre plus ou moins dilatée, le gros intestin. L'intestin grêle, essentiellement destiné à l'absorption des produits de la di- gestion, se caractérise par l'abouchement, dans sa cavité, des canaux biliaires et pancréatiques, par la présence de villosités en rapport avec des vaisseaux chyli- fères nombreux, et par celle d'un appareil glandulaire muqueux très remarquable. Il se fractionne en trois parties assez distinctes, lorsqu'il arrive à son maximum de complication. Le gros intestin, d'abord uniforme dans toute sa longueur, arrive bientôt à offrir deux sections plus ou moins délimitées, le cœcum et le côlon. Le ceecum lui-même, à peine marqué, simple, sans bosselures, ni étranglement chez les carnassiers, prend des proportions plus considérables, se renfle, se contourne diversement, acquiert des replis, des valvules et des glandes spéciales chez les animaux herbivores. Le côlon, si régulièrement cylindrique chez les carnivores et un certain nombre d'herbivores, se montre chez les solipèdes, certains rongeurs et plusieurs pachydermes, avec des dilatations plus ou moins considérables, des valvules, des replis muqueux, des rubans charnus à sa surface; il huit par se partager en deux sections: l'une repliée, très ample; l'autre plus étroite, dans laquelle les résidus alimentaires prennent une grande consistance. Enfm, les annexes glanduleuses de l'appareil digestif apparaissent avec des formes simples qui se compliquent graduellement. Elles ne consistent, primiti- vement, qu'en appendices flottants et tubuleux auxquels succèdent les glandes parenchymateuses distinctes les unes des autres parleur situation, leur structure et les propriétés des fluides qu'elles sécrètent. L'appareil digestif, arrivé à son plus haut degré de perfectionnement, présente une structure remarquable, surtout en ce qui concerne le tube gastro-intestinal, envisagé indépendamment de ses organes sécréteurs. Les éléments qui le compo- sent essentiellement sont une enveloppe musculaire et une membrane muqueuse. L'enveloppe contractile est formée, en partie, par des muscles |)lacés sous la dépendance de la volonté et, en partie, par d'autres muscles dont la contraction est tout à fait involontaire. C'est aux deux extrémités de l'appareil, surtout à l'antérieure, que se trouvent les premiers, disposés en faisceaux, ayant chacun leur forme déterminée, leurs usages spéciaux. Dans tout le reste du tube, il n'y a plus que des expansions membraniformes, à deux plans superposés, qui doivent, par leur contraction régulière, produire un raccourcissement dans CONSIDÉRATIONS SUR L APl'AUElL DIGESTIF. 077 la longueAir des réservoirs et une diminution de leur diamètre transversal. La meinijrane muqueuse qui tapisse cette couche contractile et qui forme l'élé- ment essentiel du tube, étant sans cesse en contact avec les matières étrangères, doit être protégée contre l'irritalion qu'elles peuvent produire à sa surface; elle doit sentir ces matières et apprécier, au moins d'une manière vague et obscure,- leurs diverses propriétés physiques, car c'est sa sensibilité qui |)rovoque et règle la contraction des plans musculaires disposés à la [léripliérie du canal. De plus, elle est chargée de sécréter des liquides destinés à l'élaboration des matières ali- mentaires et d'absorbi'r les pi'oduits utiles de la digestion : aussi son organisa- tion est-elle admirablement appropriée à tant de destinations diverses. La surface libre delà muqueuse, quoique partout en contact avec les substances alimentaires, n'est pas également exposée dans toute son étendue à en être blessée ou irritée : aussi son revêtement prolecteur n'a-t-il pas des caractères uniformes. C'est à l'entrée de l'appareil, c'est dans la cavité buccale, aux lèvres, aux joues, sur la langue, à l'œsophage, au sac droit de l'estomac des solipèdes, dans les trois pre- miers réservoirs gastriques des ruminants, dans le gésier des gallinacés, que l'épi- thélium est épais, pavimenteux et qu'il engaine les papilles que ces surfaces peuvent |)résenter. Dans la partie de l'estomac réservée à la sécrétion du suc gastrique et dans l'intestin, où les substances alimentaires très ramollies ou dissoutes ne peu- vent plus blesser la membrane, celle-ci n'est recouverte que d'un épithélium micros- copique à éléments peu agrégés et d'une couche de mucus. Là, elle conserve une grande vascularité, une souplesse extrême, et acquiert une grande aptitude à la sécrétion et à l'absorption. Cette différence dans la nature et les propriétés de la partie protectrice de la muqueuse coïncide avec une différence dans la texture et les propriétés de la membrane, qui est analogue à la peau quand elle a un épilhé- lium, un pigment et des papilles, et qui, au contraire, devient une expansion glanduleuse dans les parties oii son rôle est de sécréter et d'absorber. L'appareil sensitif de la muqueuse n'existe pas sur toute l'étendue de la mem- brane; il mantiue dans les points où il ne faut qu'une sensibilité obscure, suscep- tible d'être exercée |iar la surface même du tissu ; mais il apparaît sur la langue des mammifères, à la face interne des joues et des trois premiers estomacs de la plu- part dos ruminants où il faut une sensibilité mieux caractérisée. Là, il est constitué par des papilles, tantôt minces, fines, souples comme les filaments du velours: d'au- tres fois, longues, épaisses, recouvertes de gaines épithéliales ou cornées. Ces pro- ductions se montrent sous des formes variées et avec des propriétés spéciales, suivant les parties où elles se trouvent. On en com{)te plus d'un mille à la face interne des joues de nos petits ruminants, près du double au même lieu chez le bœuf, et on les voit se multiplier tellement dans l'estomac de ce dernier animal, que leur nombre s'y élève de trois à (|uatrccent mille à la face interne du rumen, et à plus d'un million sur celle des lames du feuillet. L'appareil sécréteur de la membrane muqueuse est plus uniformément disséminé (pie celui de la sensibilité. Il consiste en une infinité de glandules placées, soit au-dessous de la muqueuse, soit à sa surface libre ou dans l'épaisseur de son tissu, et en un nombre plus considérable encore de [letits tubes serrés les uns contre les autres. Les premières abondent dans la cavité buccale, au pharynx, quelquefois G. C0L1.1. — Physiol, comp.. 3' édil, I — 37 578 DE L.\ DIGESTION. à l'œsophage et à l'origine de l'intestin grêle; les secondes sur toute la longueur de l'intestin, les dernières, à la fois sur la muqueuse gastrique et sur la muqueuse intestinale. Leur dissémination, leur structure, leurs propriétés, feront plus tard l'objet de nos études. Enfin, l'appareil absorbant, constitué par des saillies effilées, grêles souvent microscopiques, ne se montre que dans l'intestin grêle où l'absorption jouit d'une extrême activité; il manque dans tout le reste de la muqueuse qui, cependant, conserve à peu près partout, mais à des degrés variables, la faculté de pomper les fluides mis en contact avec sa surface libre. La membrane muqueuse, dont la structure complexe varie tant suivant les parties qu'elle tapisse, a une étendue qui, assez restreinte chez les espèces carnassières, augmente chez les omnivores et devient immense chez les animaux dont l'alimen- tation est exclusivement végétale. La part de surface qui en a été dévolue à cha- que espèce est calculée d'après son régime et dans des proportions constantes, de telle sorte que la nature semble avoir mesuré cette membrane comme un tissu précieux, afin que chaque animal n'en ait que l'étendue strictement nécessaire à raccomplissement de ses fonctions digestives. Ainsi, le cheval et le bœuf, tous deux herbivores, l'un monogastrique, l'autre ruminant et polygastrique ; le premier digérant peu par son estomac, beaucoup par son intestin; le second, au contraire, digérant plus par son estomac vaste et com- plexe que par son intestin étroit et sans renflements, possèdent l'un et l'autre, malgré les différences considéraljles de leur appareil gastro-intestinal, à peu près la même étendue de surface digestive, et cette étendue, pour les deux, est double ou triple de celle de la peau prise pour terme de comparaison. Le cheval, par exemple, dont la surface cutanée est en moyenne de 5 à 6 mètres carrés, a une muqueuse gastro-intestinale qui est d'une étendue d'environ 12 mètres superficiels, savoir la trentième partie pour l'estomac et le reste pour l'intestin. Le bœuf, de même taille et à peu près de même volume que le premier mammifère, a une surface muqueuse de près de 17 mètres carrés, dont 9 pour les réservoirs gastriques. Gonséquemment, le solipèdc a la muqueuse gastro-intestinale d'ime étendue double, et le ruminant, d'une étendue triple de celle de la peau. Ce dernier a, pour ses estomacs seulement, une surface qui égale une fois et demie celle de l'enveloppe cutanée ^ Les carnassiers, le chien et le chat, par exemple, sont loin d'avoir une muqueuse aussi grande, proportionnellement au volume du corps. Le chien et le chat n'ont plus, l'un et l'autre, qu'une surface digestive égale aux deux tiers de celle de la peau, proportion fort éloignée de celle qui appartient aux animaux herbivores. Enfin, les omnivores, le porc étant pris pour type, tiennent le milieu entre les espèces qui vivent d'herbes et celles qui se nourrissent exclusivement de matières animales. La longueur du tulje digestif cstencore, mais d'une manière moins rigoureuse, subordonnée au mode d'alimentation des animaux. Les travaux de Cuvieront fait 1. G. Colin, Éiude.'i su)- la membrane muqueuse dujedlve des animaux domestiques {Recueil de médecine vétérinaire, 1850, t. VII, p. 901); el 1851, l. VIII, p. 40). CONSIDÉRATIONS SUR L'aPI'AREIL DIGF.STIF. o70 \oiiqui; les lu'rlji\ures ont un intestin dont l'étendue peut s'élever jusqu'à vingt- sept à vingt-huit fois la longueur du corps, tandis que celui des carnassiers est si court, qu'il n'égale souvent que trois à quatre fois la nn'me longueur. Mais, si, en général, le maximum a[)partient aux herbivores et le iniiiimuMi aux carnassiers. il y a de nombreuses exceptions à cette règle. Ainsi, |(rès du bélier, dont l'in- testin a vingl-lluit fois la longueur du corps, se trouve le dromadaire, où ce canal n'a j)lus que quinze fois cette* longueur, puis le cerf commun que douze lois, le chevreuil onze fois, l'hippopotame neuf fois, l'éléphant sept fois, la même mesure prise pour terme de comparaison. En regard de ces herbivores, on voit des car- nassiers dont l'intestin est aussi long que celui des premiers : l'hyène, par exemple, l'a huit fois, et le phoque quinze, A'ingt, vingt-huit fois égal à la lon- gueur du corps. 11 est vrai que ces exceptions sont plus apparentes que réelles, carie diamètre du canal, ses renllements, ses valvules, peuvent établir des com- pensations, comme on le voit en comparant le bœuf avec le cheval. En eflet, si l'intestin du dernier est moitié moins long que celui du ruminant, il est renflé, sur plusieurs points, de telle sorte qu'il acquiert une capacité double et quelque- fois triple de celle de l'intestin du bœuf. A part ces irrégularités, on peut, avec les naturalistes, admettre en principe que la longueur de l'intestin est en rapport avec l'alimentation des animaux. Toutes les fois (pie, chez les herbivores, ce canal sera moins étendu que ne le comporte le régime, il se dilatera pour reprendre en capacité et en diamètre ce qu'il aura perdu en longueur; de même, si dans quelques carnassiers il est plus allongé qu'il ne devrait l'être, il sera plus étroit, |>lus resserré que chez les autres espèces du même groupe. En comparant, sous ce raj)port, des espèces très voisines, on peut constater l'in- lluence inuuense du régime sur les dimensions de l'intestin et concevoir la possi- bilité de transformer, en quelque sorte, une espèce carnassière en une espèce omni- vore et réciproquement. Ainsi, on sait que le sanglier a l'intestin plus court que le cochon domestique, quoique ces deux pachydermes aient, du reste, exactement la Miêuie organisation ; ou sait également que le chat, le lapin sauvages, le buffle, ont cet organe beaucoup moins long que le chat, le lapin et le bœuf domestiques. Or, ne semble-t-il pas que le régime, en allongeant, en dilatant le tube intestinal du chien, et du chat, ait pu allaiblir des appétits sanguinaires et linir par rendre supportable à ces carnassiers une nourriture quelquefois exclusivement végétale. La capacité de l'appareil digestif est soumise, quant à ses variations, à des lois encore plus rigoureuses que celles qui déterminent la longueur de l'intestin. Les herbivores, dont les aliments ont toujours un grand volume, doivent nécessairement avoir un estomac et un intestin énormes, tandis que les carnassiers qui se nourris- sent de substances dont la masse est peu considérable, n'ont besoin que d'une cavité gastro-intestinale d'une très faible capacité. Toutefois, celle de l'estomac, au lieu dé se [iroportiouner à celle de l'intestin, se montre avec cette dernière dans un rapport inverse fort remarquable, car on voit dans une série d'espèces, ayant le même régime, l'estomac petit lorsque l'intestin est grand, et réciproque- ment, particularité surtout frappante chez les solij)èdes comparés aux ruminants. Ainsi, lecheval, qui est peut-être de tous les mammifères herbivores celui dont 58U DE LA DIGESTION. l'estomac offre proportionnellement le moins de volume, possède, en compensation, un intestin énorme; le premier viscère de cet animal ne contient, en moyenne, que de 16 à 18 litres, alors que le second pourrait, étant dilaté, en contenir de 125 à 300, c'est-à-dire dix à onze fois autant. Le bœuf, au contraire, a un esto- mac dont la capacité s'élève à plus de 200 litres, tandis que celle de l'intestin n"arri\e pas à la moitié ; différence capitale dont on trouvera plus tard la raison dans les caractères particuliers à la digestion de ces deux quadrupèdes. Chez les carnassiers, la capacité de l'estomac l'emporte sur celle de l'intestin ; elle lui demeure intérieure chez les omnivores ^ En considérant, dans leur ensemble, d'une manière générale, la longueur, la capacité et la surface de l'appareildigestif, on arrive à voir que, de ces trois choses, la dernière est la plus essentielle, celle qui exprime le mieux l'aptitude des ani- maux à telle ou telle espèce d'alimentation. En effet, chez les herbivores, solipèdes ou ruminants, le tube digestif a une énorme capacité pour contenir la masse de substance nécessaire à la réparation des pertes ; elle est, tenue moyen, pour le cheval, de 200, et pour le bœuf, de 350 litres. Une dilatation si considérable de l'appareil digestif de ces herbivores implique évidemment une surface muqueuse très étendue, et cependant cette surface serait, en déiinitive, assez minime si la nature n'eût employé divers artihces propres à la multiplier indéfiniment, sans modilier en rien le volume des diverses parties du tube gastro-intestinal, Or,lanature a évité, dans la confection des réservoirs, deux formes qui, toutes proportions gardées, tendent à réduire, pour une même capacité, l'étendue de la surface muqueuse, c'est-à-dire celles qui se rapprochent du cube ou de la sphère. A l'aide de ce moyen, l'étendue de la membrane interne se trouve nécessairement augmentée : un rumen de bœuf contenant 200 litres, a à peine 2 mètres d'étendue superficielle ; tandis qu'un intestin grêle du même animal contenant seulement 70 litres, en a une qui s'élève à plus de 5 mètres et qui arriverait à 15 ou 16 mètres, si cet intestin, tout en conservant le même diamètre, se tût suffisamment allongé pour égaler la capacité du premier compartiment de l'estomac. Par une simple augmentation de la longueur de ces réservoirs cylindriques, chaque espèce peut déjà obtenir l'étendue de muqueuse nécessaire à son mode d'alimentation. Mais, cet artifice de la forme tubulaire n'aurait pas été suffisant, à lui seul, pour nmltiplier l'étendue des surfaces ; il en fallait un autre qui, sans modifier la forme des viscères, ni faire varier leur capacité, put, aussi efficacement que le premier, concourir à cette destination : celui-ci consiste dans la formation de plis plus ou moins étendus, ayant à la fois idusieurs usages divers, jdis que l'on trouve dans l'intestin des herbivores, oii ce canal est plus court que ne semble le comporter le régime, de même que chez les solipèdes, dont le cylindre intestinal est moins long que celui des l'uminants. Ce ne sont [dus les mêmes vues qui ont présidé ù la dis])Osition de l'appareil digestif des carnassiers. D'abord, chez ces derniers, cet appareil a une capacité infiniment moins considérable que chez les herbivores, puisque les aliments qu'il 1. G. Colin, Coiiipiirtuson de l'csto-miic et de l'intestin des a7ii/tuuu [liccueil de médecine vétérinaire, 1810, t. VI, p. 47G, 755 et 850). CONSIDÉRATIONS SUR l'aPPAREIL DIGESTIF. o8l doit recevoir sont moins volumineux; ensuite l'intestin, tout en conservant la forme de tube qu'il revêt invariablement dans toute la série animale, perd beaucoup de sa longueur et de son diamètre; enfin, comme particularitt'- essenfifUe à ces animaux, les plis muqueux, si multipliés chez les herbivores, n'existent ici nulle part sur le trajet de l'appareil digestif. Les deux dispositions qui servaient à l'extension indéfinie de la surface, étant soigneusement évitées, il en résulte peu de capaciti' des réservoirs, brièveté des tuyaux et absence des plis nnupieux. triple caractère du tube digestif des carnassiers. A l'aide de ces moyens d'une extrême simplicité, la main intelligente f|ui a construit les machines animées a donné aux herbivores une membrane muqueuse digestive dont l'étendue est au moins double, quelquefois triple de celle de l'enveloppe cutanée, et aux carnassiers, une muqueuse extrêmement réduite, dont l'étendue ne vient jamais égaler celle de la peau, et s'en approche d'autant moins que les espèces sont plus carnassières. Cette admirable organisation de ra|i|)areil digestif est dans un rapport si intime avec le mode d'alimentation que, par elle, on peut déduire le régime, de même que, parle régime, il est facile de prévoir les princij)ales modifications de l'appareil. La relation qui existe entre ces deux choses a été si bien (li'montr(''e jiar C.uvier, qu'il devient superflu d'en multiplier les preuves. D'une part, les diverses parties de l'appareil de la digestion sont tellement en har- monie les unes avec les autres, que l'une quelconque d'entre elles étant donnée, on peut trouver celles qui restent inconnues : que de la dent, par exemple, on peut déduire la forme de la mâchoire; de la forme de la mâchoire, celle de l'estomac et de l'intestin. D'autre [tart, lesdivers appareils de l'économie, préposes aux fonc- tions de relation, se trouvent dans une dépendance si étroite de celui de la diges- tion, que leurs dispositions essentielles sont modifiées d'après la structure de ce dernier, car la forme de la dent entraîne celle des griffes, et celle-ci, la configu- ration du reste des membres et le caractère de leurs mouvements. Enfin, toutes ces particularités, réunies et combinées suivant des lois d'une rigueur mathématique, impliquent des mœurs et des instincts déterminés; car si, avec une incisive tran- chante, une canine aigui', un intestin court et étroit, lecarnassier n'avait pas reçu un odorat exquis ou une ouïe délicate pour découvrir sa proie, une grande agilité et une force suffisante pour la poursuivre et s'en emparer; si ses mâchoires n'étaient pas mises en jeu par des muscles puissants, ses extrémités divisées et munies de grilles, son organisation ne révélerait que contradiction et imprévoyance. Telles sont les brèves considérations qu'il était indispensable de donner avant d'aborder l'étude de la digestion. Je les termine par les tables qui indiquent, d'après mes recherches, la capacité, la longueur et l'étendue de surface des diverses parties du tube gastro-intestinal des mammifères domestiques. :iS2 DE LA DIGESTION. Tableau de la lonrjueur des diverses parties de l'intestin et de ses rapports avec celle du corps. Cheval. PARTIES DE L INTESTIN Intestin grêle Ca?cum Colon replié Côlon tlottant Lone'ueur totale. 0,75 0,04 0,11 0,10 1,00 MOYENNIC MINTMl-M MAXIMUM Mèlre?. Mètres. Mi'ti-os. 23,44 16,00 31,60 1,00 0,81 1,28 3,39 2,91 4.00 3,08 2,35 22,07 3.44 39,91 40.32 HAPFORT entre la longueur du corps et celle (le l'inteslin Axe. Intestin grêle Caecum Côlon replié Côlon flottant. . . . Longueur totale. 0,67 0,06 0,17 0,10 1.00 12,00 1,02 3,00 1,85 17.87 Mulet. Intestin grêle CcBcum Côlon replié Côlon flottant. ... Longueur totale. 0,70 0.05 0,13 0.12 1,00 18,56 1.21 3,50 3.23 26,50 Bœuf. Intestin grêle . . . Caecum Côlon Longueur totale. 0,81 0,02 0,17 1,00 46.00 0,88 10,18 .57,06 41,00 0,78 9,25 51,00 1,00 11,00 H. 03 6.:i,00 Intestin grêle Cfecum Dromadaire ] Côlon Longueur totale. 0,63 0,01 0,36 1,00 31,20 0.40 17,72 49.32 Mouton et Chèvre. Intestin grêle. Cfecum Côlon Longueur totale. 0,80 0,01 0.19 1,00 26,20 0,36 6,17 32,73 15.32 0,21 4,10 33. Ou 0,45 8,49 41.94 Porc Intestin grêle Cscum Gros intestin. ... Longueur totale. 0,78 0,01 0,21 1,00 18,29 0.23 4,99 23.51 14,79 0.20 4,32 19,31 20,14 0,2o 5,55 25,94 f Intestin grêle. \ Cscum Chien < Côlon Longueur totale. 0,85 0,02 0,13 1,00 4,14 0,08 0,60 4,82 2,00 0,03 0,23 2,26 6,10 0,16 1,05 7,31 Chat ( Intestin grêle. ) Gn ;ros intestin ( Longueur totali'. 0,83 0,17 1,00 1,72 0,35 2,07 1,27 0,30 1 57 1 0 94 10 -> 31 r Intestin grêle. .. \ C;ccum i^Ai'iN { Côlon Longueur totale. 0,61 0,11 0,28 l,ou 3, .56 0,61 1.05 '>,82 3.30 0,50 1,11 5,21 3,90 0,76 1,85 6,51 1 : 12 1 : 11 1 : il 1 : 20 : 1 : 15 : 1 : 14 1 : 6 CONSIDÉRATIONS SUR L AI'PAREIL DIGESTIF. )H3 Tahlnau de la capacité absolue et relative de l'estomac et de Cintestii} des animaux domestiques. Cheval. PARTIES DE L hNTESTI.N Axe. Houe URliMAD.MRE Mouton et Chèvre. Porc . Cll.VT. Gui EN. Estoniiic Intosliii givle Cieuiim Côlon replié Cûloii flottant, rectum Capacité totale. Estomac Intestin grêle Cœcum Côlon replié Côlon flottant, rectum, Capacité totale.. Estomac Intestin grêle Ciecum Côlon et rectum Capacité totale.. Estomac Intestin grêle Cipcum Côlon Capacité totale.. Uumen Réseau Feuillet Caillette Intestin grêle CiEcum Côlon et rectum. Capacité totale.. Estomac Intestin grêle Ciecum Côlon et rectum Capacité totale.. Estomac Intesiin grêle Gros intestin Copacité totale.. Estomac Intestin grêle Cœcum Côlon et rectum Capacité totale.. 0.08.') 0,.iO-2 0,1. -)9 0,38 i 0,070 1.000 MOYENNE Litres. 17,96 63,8;J 33,51 81,25 14,77 211,34 Lilros. 10,00 3K,.J0 10,20 .").'), 00 10,00 129,50 Lilr.'^. 37,5U 105,00 6K,()0 128,00 19,00 .50 0,097 10,00 0,229 24,00 0,-'01 21.00 0,397 11,50 0.076 8 00 1,000 104,50 0,708 0,185 0,028 0,079 1,000 252,50 66,00 9,90 •28,00 .356.40 215.00 .56,00 8,80 26,00 .305,80 290,00 76.00 11,00 30.00 407, UO 0,810 215.00 0,131 39..50 0,011 3.40 0,018 11,60 I.OUO 302,50 0,529 23,40 0,015 2,00 0,020 0,90 0,075 3,30 0.204 9,00 0.023 1,00 0,101 4,60 1.000 44.20 0,292 0,.3i5 0,0.^)6 0,317 1,000 8,00 9,20 1..55 8,70 27,45 7,. 50 8.60 1 ,.^)0 6,10 23,70 8.. 50 9,80 1.60 11,30 31,20 0 695 0,146 0.159 0.341 0,114 0.121 1,000 0,579 0,287 0,095 0,118 0,500 0,378 0.127 0,1.30 0,635 0,623 0,233 0.013 0,131 1,000 4,33 1,62 0,09 0,01 0,65 0,25 0.01 0,07 8,00 3,00 0.20 2.20 G,95 0,98 13,40 îi84 DE LA DIGESTION. Tableau de V étendue métrique de lasur face muqueuse g axtro- in tp^tinalc comparée à celle de la peau. RAPPORT RAPPORT PARTIES SURFACE SURFACE SURFACE entre la surface entre la surface de la peau ANIMAUX de de l'estomac DE L APPAREIL PAHTIELLIÎ TOTALE LA PKAU et celle de l'intestin gastro- intestinale. Mèl. carrés- Met. carrés- Met, carrés - f Estomac 0.40 i Intestin grêle.. 4.;J9 / Cheval > Cœcum 1 Côlon replié... . Côlon flottant. . 1.50 4.29 \ 14.95.00 5 50.00 :: 1 : 29.87 :: 1 : 2.18 r Rumen 2.00 \ , Réseau 0.43 j 1 Feuillet 5.56 / Bœuf ' Caillette 1 Intestin grêle.. Caecum i^ Côlon / Estomac 1.18 )17.23.00 5.60 { 0.46 ) 2.00 ; 0.19.781 5.80.00 : : 1 : 7.61 :: 1 : 2.97 Porc j Intestin grêle. . { Cfecuni 1 Côlon 1-66.73 0.11.50 ^ ^1-^ 0.83.231 :: 1 : 13.22 Estomac 0.12 Chien Intestin grêle ,. j Cfecum ( Côlon 0.32.91 0.00.55 0.06.81 0.52. .30 0.88.32 :: 1 : 3.36 :: 1 : 0..59 ( Estomac 0.02.46) Chat 1 Intestin grêle.. ( Gros intestin.. . 0.07.39 0.12.66 0.02.81) 0.21.57 :: ] : 4.15 :: 1 : 0.58 CHAPITRE XVIII DU RÉGIME Avant (rétudier la longue série des élaborations successives que la digestion fait éprouver aux substances étrangères qui doivent servir à l'entretien de l'orga- nisme, il importe de voir quels sont les caractères, les propriétés, la composition, l'origine de ces substances, et de rechercher les lois d'après lesquelles les animaux en font usage. ALIMENTS. 08r I. — Des aliments. On désigne sons ce nom les snbslanccs qui, ingérées dans les voies digeslives, sont modifiées de manière à devenir aptes à la reconstitution du sang, à la nutri- tion des organes ou seulement à la production de la chaleur animale. Les matières susceptihics de servir au renouvellement des lluides et à la répa- ration des solides de l'économie sont fort nombreuses ; elles proviennent des trois règnes de la nature, principalement des plantes et des animaux. Les plantes, qui puisent dans le sol et dans l'atmosphère les éléments néces- saires à leur développement, modifient la matière inorganique et la l'ont entrer dans (le nouvelles combinaisons, desquelles résultent divers principes éminennnenl propres à servir à l'entretien de; la vie des animaux. Ces princi|)es, fort nombreux, se trouvent disséminés, en proporlions variables, dans toutes les parlies'du végé- tal : aussi n'en est-il pas une (jui ne puisse devenir un aliment pour les animaux. Mais, tous les végétaux ne contiennent pas, en proportions égales, les principes assimilables, tous ne les présentent pas sous un état qui permette aux organes digestifs de les isoler et de les modifier, tous ne les possèdent pas séparés d'élé- ments nuisibles ou délétères. Les uns contiennent une si faible quantité de prin- cipes nutritifs, qu'ils sont peu propres à l'alimentation ; les autres, au contraire, cortviennent parfaitement à cette destination; tels d'entre eux, comme la |iluparl des végétaux herbacés, renferment abondamment ces principes dans toutes leurs parties; tels autres donnent ou leurs racines ou leurs liges, leur écorce, leurs feuilles, leur sève, leurs fruits. 11 en est qui servent, à la fois, à la nourriture d'un grand nombre d'animaux difl'érents, et d'autres qui ne fournissent des ali- ments qu'à certains d'entre eux, aux mammifères, aux oiseaux, aux mollusques, aux insectes, etc. Ces variations dans les propriétés nutritives des végétaux et de leurs parties constituantes sont immenses, pour se mettre en harmonie avec les besoins si diversifiés des animaux : elles ont ceci de remarquable, que telle plante ou telle partie de la plante qui ne convient pas a une espèce, est recherchée par une autre, et que les végétaux qui peuvent tuer les grands herbivores deviennent la proie habituelle de certains insectes. Les parties aériennes des plantes, c'est-à-dire les tiges, les feuilles et les fleurs, sont, en général, les plus nutritives, à partir du moment où la végétation est assez avancée jusqu'à l'époque de la floraison, parce que, alors, leurs principes nutritifs ne se sont point encore fixés dans les organes de la fructification et que les parties où ils sont disséminés conservent une molle consistance. .\ vaut cette époque, la plante herbacée est trop aqueuse ; après, elle est trop dure et se trouve privée des sucs qui sont venus concourir au développement des fruits ou des senwnces. Les tiges des plantes ligneuses sont nutritives aussi dans leur jeune âge, et leurs feuilles à toutes les périodes de la végétation. Les racines, lorsqu'elles sont molles et succulentes, peuvent convenir à beau- coup d'animaux; elles contribuent, pour une grande part, à l'alimentation de certaines espèces sauvages, le porc, le sanglier, le ta|>ir, rhi|>pop()tame, et elles o86 DE LA DIGESTION. deviennent, sous l'inlUience de la culture, un aliment précieux pour l'homme comme pour les animaux domestiques. Les fruits mous et pulpeux, les fruits secs, leur péricarpe, leur amande, leurs graines, habituellement très riches en principes mucilagineux, sucrés, féculents, oléagineux, quelquefois azotés, deviennent l'aliment de beaucoup de mammi- fères, d'oiseaux et d'insectes. Enfin, certaines parties peu nutritives, comme l'écorce des tiges et des racines, peuvent servir à la nourriture du castor, de certains rongeurs, de divers insectes ; le tissu ligneux lui-même, après avoir éprouvé un commencement de décompo- sition, devient la proie d'une infinité de petites espèces. Les tissus animaux et le sang constituent un aliment pour un très grand nombre d'espèces. Le sang, qui renferme, à lui seul, les principes nécessaires à la compo- sition des fluides et des solides organiques, est un aliment par excellence, puis le muscle, le tissu des viscères, des glandes, celui de la peau, des membranes muqueuses, des parties blanches et des os eux-mêmes ; il n'est pas jusqu'aux productions pileuses et épidermiques qui ne puissent servir à la nourriture de quelques insectes. Toutes ces matières animales, généralement plus nutritives que les parties alimentaii'es des plantes, ont une composition plus variée que ces dernières et peuvent être plus vite qu'elles transformées en fluides assimilables : elles servent à l'entretien d'un grand nombre d'espèces, à tous les degrés du règne animal. Les matières minérales fournissent aux animaux des principes indispensables à leur entretien, mais elles ne sont pas habituellement ingérées seules dans les voies digestives; elles pénètrent dans l'économie avec les substances organiques végé- tales ou animales et avec les boissons. Aussi, est-ce à cause de cela que l'esprit se refuse, au premier abord, à les considérer comme de véritables matières ali- mentaires. Parmi elles, l'eau, le sel marin, divers sels de chaux, de potasse, les oxydes de fer, doivent, de toute nécessité, se trouver dans la composition des aliments, car elles font partie intégrante du sang, de la lymphe, des produits de sécrétion, des os et des divers tissus. Quelle que soit leur origine, les aliments ont une composition élémentaire qui a, pour tous, des caractères communs déterminés par les travaux de la chimie moderne. Les aliments végétaux, qui semblent avoir une composition peu compliquée et très différente de celle des aliments tirés du règne animal, ont pourtant leurs tissus formés par des principes très variés et presque identiques avec ceux qui constituent le sang et les tissus animaux. D'abord, la composition des substances végétales est très variée. Elle comprend des principes azotés: gluten, albumine, caséine, légumine ; — des piincipes neu- tres, la fécule, le sucre, la glycose, les gommes, la pectine, le ligneux, la cellulose; — des matières grasses, la cire, les huiles «lécomposables en glycéi'ine, acide oléi- que, stéarique, etc. ; — des huiles essentielles, telles que celles du citron, du ge- nièvre, du girofle, du persil, de la cannelle, puis des résines, de la chlorophylle, des matières colorantes; — des acides oxalique, acétique, tartiique, citrique, — des alcalis végétaux fort nombreux, — des oxydes de fer, de manganèse, de la ALIMENTS. oH7 silice, de la magnésie, des carbonates de chau\ et de potasse, des sulfates des mêmes bases, des phosphates calciques, des silicates, des chlorures, etc. Les fruits, les graines, les racines charnues notamment, ont une composition trrs compliquée. On a trouvé, par exemple, dans la betteravf, \inirt substances différentes, du sucre, de l'albumine, de la i)ectine, du mucilage, une matière azotée soluble, de la cire, un acide gras, du ligneux, de l'oxyde de fer, du nitrate de potasse et sept ou huit autres sels. Le topinandjour, la pomme de terre ont une com- position presque aussi variée. Les grains des céréales, les graines des légumineuses, sont remarquables par la proportion de fécule, de principes azotés ou protéiques qu'ils renferment et auxquels ils doivent leurs qualités si éminemment nutritives. Les tiges des plantes herbacées et les foins eux-mêmes, qui forment presque exclusivement la nourriture de nos grandes espèces domestiques, renferment de de l'albumine, de la caséine, de la légumine, de l'amidon, du sucre, des matières grasses, des phosphates, des carbonates alcalins, etc. 11 n'est donc pas étonnant qu'avec une telle composition, les plantes puissent fournir aux herbivores tous les matériaux nécessaires à la nutrition. Les principes qui entrent dans la composition des substances animales ne sont pas plus diversiliés que ceux des substances végétales, mais certains d'entre eux, notamment les principes azotés, s'y trouvent en plus forte proportion. La fibrine, Inlbumine, la gélatine, les graisses, y dominent, puis la chondrine, l'osmazônie, la créatine, quelques acides, des matières colorantes, les oxydes ou les sels (pii se trouvaient déjà dans les plantes. Il est facile, en comparant les aliments tirés des deux règnes, de voir l'analogie (le composition qui existe entre les matières végétales elles substances animales, analogie féconde par le jour qu'elle jette sur les actions digeslives et sur les transformations qui s'opèrent dans les organes : sa démonstration dissipe en grande partie l'obscurité qui planait naguère sur les principaux phénomènes des fonctions nutritives. Les sucs végétaux obtenus par expression des graines des céréales, des légumi- neuses, des tiges, des racines et des feuilles de la plupart des plantes, contiennent généralement trois substances essentiellement nutritives. L'une, qui est en dis- solution dans les fluides du tissu végétal, peut s'en séparer spontanément, prendre une teinte grisâtre, dès qu'elle est isolée des matières colorantes, et devenir insoluble dans l'eau : c'est la fibrine végétale dont le mélange avec un principe visqueux constitue ce qu'on appelle le gluten. La seconde, très abondante dans les tiges succulentes de beaucoup de plantes, les racines comestibles des crucifères, les graines de diverses espèi^es, se coagule parla chaleur et prend tous les caractères du blanc d'œuf, c'est évidemment l'albumine. Enfin, la troisième, contenue en proportion considérable dans les légumineuses, reste fluide sous l'influence de la chaleur, mais se coagule, de même que le lait, par l'action des acides : on lui donne le nom de caséine. Ces trois principes, universellement répandus dans les plantes, sont associés à des quantités déterminées de phos- phore, de soufre, d'oxydes alcalins et métalliques : ils fournissent aux herbivores les matériaux essentiels de la composition du sang et des solides organiques. Tant qu'on a ignoré cette composition des substances végétales, on a pensé o88 DE LA IiIGESTION. que les herbivores devaient, aux dépens de ces dernières, faire de la fibrine, de l'albumine, et on ne pouvait savoir d'où venait l'azote qui fait partie du chyle, du sans et de tous les tissus. Mais depuis qu'on a trouvé cette fibrine, cette albumine, dans les matières végétales, sous une forme peu différente de celle qui leur appartient dans les solides animaux, les difficultés se sont bien aplanies ; elles se sont même presque évanouies lorsque les analyses ont démontré que les principes azotés des plantes ont une composition élémentaire, identique avec celle du sang et des tissus animaux, comme l'indiquent les chiffres suivants, empruntés aux travaux de Dumas. Carbonne. . Hydrogène Oxygène . . Azote FIliRINE ANIMALE. VEGETALE 7,0 23,7 1(3,5 1,000 53,2 7,0 23,3 16,5 1,000 albIimine 53,5 ■',1 23,0 15,8 1,000 53,7 23,5 15,7 1,('00 CASÉINE 53,5 7.0 23,7 15,8 1,008 VEGETALE 53,5 23,4 16,0 1,000 Il est évident, d'après ces résultats, d'une part, que les herbivores trouvent tout formés dans leurs aliments les principes azotés indispensables à leur entretien et à leur accroissement, et d'autre part, qu'ils n'ont plus, pour se les assimiler, qu'à les modifier très légèrement, surtout sous le rapport de la forme et des propriétés physiques. De plus, il devient à peu près certain que l'une quelconque de ces trois substances peut, à elle seule, former les autres, sans qu'elle ait besoin de changer de composition élémentaire, car sous l'influence du suc gastrique elles se transforment en peptones. Ce sont là, au reste, des données sur lesciuelles il faudra revenir pour comprendre les phénomènes intimes des actions nutritives. L'animal qui vit de substances végétales n'est donc herbivore que de nom ; il se nourrit en réalité de chair, comme le fait le carnassier, mais de chair végétale emprisonnée dans une gangue celluleuse, dans un tissu ligneux et associée à une foule d'autres principes qui, sans être aussi importants, ne sont pas moins néces- saires que les premiers. Tous ces principes azotés, une fois dégagés, subissent, dans les voies digestives, les modifications que la chair éprouve dans celles du carnassier. Les mutations digestives, en apparence si différentes dans les deux groupes d'animaux, doivent donc offrir une analogie que l'on serait loin de soup- çonner au premier abord. (îes principes, (ju'un savant chimiste a appelés protéiques, ne suffisent point à ALIMENTS. ."iS'.t raliinentation de riierbivoro ; ils sont en troi) faible ijrojiortion dans certaines l»arties des plantes pour fournira l'organisme tous les éléments de la nutrition. Aussi se trouvent-ils associés à d'autres substances, telles que le sucre, les i,'onniies, la fécule, les matières grasses, dont le rôle serait plus spécialement, d'aïuès les idées de Liebig. en rap[iort avec les fonctions respiratoires. Jùi soiinnc. l'aliment de l'herbivore, pour donner tous les matériaux nécessaires à l'entretien lie la vie, doit avoir une composition fort complexe; il faut (ju'il contienne, ainsi ipie l'établissent si clairement les redierdies de M. Boussingault : 1° une subs- limce azotée, telle que 4u libiine, le gluten, la caséine ; 2" une matière grasse ; '.)" une substance ternaire, conune la fécule, le sucre, les gommes; 4° enfin, des sels, notamment des pliositliates calcaires, magnésiens, ferriques, des sels de soude et de potasse. Cette proposition IrouNc sa [ireuve dans le touv ses expériences étant carnivores, avaient été soumis à un régime contraire à leur genre de vie. Tiedemann et Gmelin ^ répétèrent sur ceux qui vivent de substances végétales les tentatives instituées par le savant {)hysiologiste. Une oie nourrie à la gomme arabique et à l'eau perditbientôt l'appétit, de\iMl extrêmement faible, éprou\aune diarrhée persistante, et mourut au bout de seize jours, après avoir perdu plus du sixième de son poids initial. Un second palmipède de la même espèce, entretenu avec du sucre et de l'eau, éprouva une soif ardente, s'alTaiblit très \'\[c et mourui le vingt-deuxième jour après avoir perdu le tieis de son poids. Une troisième oie soumise au régime de l'amidon sec, et une quatrième à celui de Tauiidon cuil. péripent, la première, au bout de vingt-sept jours, après avoir perdu plus du quait de son poids ; et la dernière, au bout de quarante-quatre jours, après une dimi- nution d'environ un cinquième de son poids [)rimilif. On pourrait croire que, dans ces circonstances, la mort tient à ce que les sub- stances prises pour nourriture ne sont pointdigérées ; iln'en est rien :lesexpéri- mentateursqueje viens dcciter ont reconnu, par l'état des chylifères etlaconifxi- sition des excréments, que ces substances cédaient, sini»ii en lulalité, du moins en grande partie, à l'action des forces digestives. 11 est -donc certain, d'une part, que les matières non azotées ne peuvent servir seules à l'entretien de la vie, et il ne lest pas moins, d'autre pari, (pu* cette pro- 1. Tiedemann et Giiu'lin, fiwA/'/r/ie.s" expcrhnentale>; phi/tiuloyiqucs et chlniicjnes xiir ht i//i/f^sflo>i considéri'edam les qudfrf clns^ex de vertëhrés. Paris, 18.iT. t. Il, p. 21-2. oy*2 DE LA DIGESTlOiN. priété négati\e ne tient pas à leur non-digestibilité. En est-il de même des subs- tances qui contiennent de Tazote au nombre de leurs éléments constitutifs? Les nombreuses expériences tentées au sujet de la valeur nutritive attribuéeàla gélatine ont appris que les principes azotés, qui rendentles aliments siaptesà l'en- tretien de la vie, sont, par eux-mêmes, pris isolément, incapables de nourrir les animaux pendant longtemps. La commission académique cbargée de fixer les esprits sur les propriétés réelles d'une substance alimentaire dont l'usage s'était déjà très répandu, a constaté que les chiens auxquels on donne exclusivementde la gélatine, préparée par des moyens industriels, la refusent bientôt et se laissent mourir de faim plutôt que d'en continuer l'usage. Elle a vu que ces animaux nourris, même avec la gelée obtenue par les moyens ordinaires, lamangent avidement les premiers jours ; mais qu'ilsne dépassent point deux à trois mois, quoiqu'on ajoute à cet ali- ment, soit une petite quantité de pain et de viande, soit même les deux associés ensemble dans de faibles proportions. La fibrine donnée seule aux chiens, à la dose de 500 à 1,000 grammes par jour, les laisse maigrir rapidement et mourir du soixantième au quatre-vingtième jour. L'albumine liquide ou coagulée dégoûte encore plus vite les animaux et ne prolonge pas leur existence aussi longtemps que l'usage de la fibrine. Le gluten seul a paru jouir du privilège exceptionnel d'entre- tenir les chiens, sans qu'il fût mêlé à d'autres principes alimentaires. Enfin, la fibrine, l'albumine et la gélatine mêlées ensemble déterminent les mêmes elfets (|ue l'une des trois substances donnée isolément : leur usage combiné ne pro- longe pas la vie au delà du quatrième mois de l'expérience. Ces résultats démontrent donc qu'une substance simple, facile à digérer, azotée ou non azotée, est insuffisante à l'entretien de l'économie au delà d'une période fort restreinte, et que même des substances contenant del'azote, associées deux a deux ou en plus grand nombre, ne peuvent fournir les éléments nécessaires à la \ie au delà de trois à quatre mois. Il faut l'aliment complet, l'aliment qui ren- ferme les quatres groupes de principes précédemment indiqués. Or, le sang, la chair, le lait, l'herbe, le grain, sont des aliments de cette sorte :, chacun d'eux pris isolément offre à l'animal tout ce qui est nécessaire à sa nutrition. Dans le lait, par exemple, le chimiste nous montre la caséine, identique par sa composition avec la fibrine et les autres principes azotés, puis le sucre, la graisse et des substances minérales diverses. Or, la caséine fournit les éléments de la nutri- tion du système nuisculaire et des divers tissus : — le sucre, la graisse, donnent les matériauxde la combustion respiratoire; — enfin, les sels, le soufre, le phosphore, offrent au squelette les éléments de l'ossification. Dans le morceau de chair qui suffit au carnassier, n'y a-t-il pas delà fibrine, de l'albumine, de l'osmazôme, de la créatine, delà graisse et des matières organiques? Dans le grain des céréales, le blé, le maïs, par exemple, n'y a-t-il pas le gluten, la fécule, le sucre, les ma- tières grasses? Enfin, dans le foin lui-même, ne trouve-t-on i»as vingt plantes différentes, avec leurs tiges, leurs feuilles, leurs graines, renfermant cette fibrine végétale, ce sucre, cette fécule, ces matières minérales, ces corps gras qui forment lapins grande |)artiedu fruit des plan tes essenliellenient alimentaires? 11 n'est donc pas étonnant (pi'un aliment complexe, tel (jue la nature le prépare, puisse, à lui seul, fournir aux animaux tous les matériaux de leur entretien. ALIMENTS. nlJ3 Gependanl, l'observation démontre, et la théorie indique, que l'association des diverses substances alimentaires, déjà complexes, est éminemment favorable à la nutrition, tant par l'induence salutaire qu'elle exerce sur l'activité des fonc- tions digestivesque i)ar la variété des matériaux qu'elle offre à la reconstitution du sang et des tissus. Mais, cette association, qu'il faut toujours chercher à obtenir, en vue des avantages qu'elle oiïre sous le rapport de l'économie domes- tique, n'est point d'une indis|)ensable nécessité, bien (|ue certaines expériences semblent prouver le contraire. En effet, si les physiologistes ont vu des chiens ne pas survivre plus de cinquante jours à l'usage exclusif du pain et de l'eau, des lapins périr d'inanition lorsqu'on les nourrissait exclusivement, les uns avec des choux, les autres avec de l'orge, d'autres encore avec des pommes de terre, un une périr quinze jours après avoir été soumis au régime exclusif du riz cuit, etc., bien des observateurs ont pu s'assurer qu'en maintes circonstances les choses ne se passent point ainsi. (Jui ne sait, par exemple, qu'une foule d'oiseaux sont entretenus exclusivement avec des grains et une seule espèce de grain ; que le poulet en cage vit très bien et s'en- graisse h merveille avec du blé ; l'oie et le canard avec la farine de maïs délayée? Qui n'a vu, dans les fermes, des grands ruminants entretenus pendant toute la mauvaise saison avec de la [»aille, sans recevoir en i)lus un seul brin de foin ou une pelure de pomme de terre? Dans l'aliment complet, chacun des groupes de principes alimentaires a son rôle que d'autres ne peuvent remplir. Les matières protéiques seules sont aptes à la constitution du sang, des muscles, du tissu cellulaire, des tendons, des car- tilages, de la partie organique du squelette : il en faut beaucoup aux animaux qui travaillent. Les hydrates de carbone sont indispensables à l'entretien de la chaleur et aussi à l'engraiss^ement. Les matières grasses sont nécessaires à la sécrétion du lait et à la formation des dépôts adipeux que les hydrates de carbone ne suflisent pas à produire rapidement. Elles abondent dans le lait, dans l'œuf, et tiennent une grande place dans l'alimentation des habitants des pays froids. Quant aux substances minérales, elles ne sont pas moins utiles. Le sel marin est indispensable à la constitution du sang, des sérosités, des fluides sécrétés; il stimule l'intestin, active le travail nutritif; le fer sert à la formation des glo- bules, les alcalis à la |)r()duction des divers liquides sécrétés, les carbonates, les phosphates calcaires à l'organisation du squelette, etc. Duiesle, toutes les parties constitutives de l'aliment ont leur destination spéciale : les matières protéiques s'assimilent, puis donnent l'urée, l'acide urique; les car- bures d'hydrogène st dédoublent ou s'oxydent et, en éprouvant ces mutations, pro- duisent du calorique. L'aliment dans lequel tous les groupes de principes ne sont pas représentés n'a pas les qualités requises pour maintenir l'équilibre de la nutri- tion : son usage entraîne, à la longue, les conséquences habituelles de l'inanition. Il nesulTit pas d'ailleurs que l'aliment contienne tous les groupes de substances nutritives; il doit les reufeiiner en quantité assez considérable et dans certaines proportions relatives. Si elles sont en ipiantité insuflisanle, l'animal s'épuise par le fait d'un travail digestif [)rnil)le. Si une es[>èce n'est pas assez représentée, ou si une autre prédomine, l'équilibre des fonctions nutritives est troublé. Ainsi, o, COLIN. — Pliysiol. comp,, 3' édit, I ^ 38 594 DE LA DIGESTION. faute d'albuminoïdes, le sang demeure pauvre et le système musculaire se déve" loppe mal; avec des matières grasses l'obésité se produit vite, etc. Lesrapportsles plus convenables, entrelesdivers principes alimentaires, nepeu- vent être déterminés d'une manière absolue, parce qu'ils varient suivant l'âge des animaux et les conditions dans lesquelles l'organisme est placé. D'après Lehmann', les plus favorables au développement de l'organisme seraient donnés par la com- position du lait : matières plastiques, lU; matières grasses, 10; sucre. 20; sels, 0,6. Pour l'adulte, pour l'animal qui travaille, il faut incontestablement une proportion de matière protéique supérieure à celle qu'exige le nourrisson. La composition des aliments une fois connue, il devient facile de déterminer, d'une manière sinon exacte, du moins très approximative, la valeur nutritive qu'ils possèdent. Pour arriver à ce résultat important, les agronomes et les chi- mistes ont employé divers moyens. Les uns se sont contentés de l'expérimentation directe ou de l'appréciation simple des effets de telle substance comparée à telle autre ; les autres ont déterminé la quantité de fécule, de sucre et de gluten que les substances végétales renferment ; enfin, il en est qui, avec M. Boussingault, se bornent à doser Tazote dont la quantité paraît proportionnelle à la faculté nutritive des substances alimentaires. La détermination quantitative de l'azote des aliments donnant, à elle seule, la proportion de fibrine, d'albumine et de caséine qu'ils contiennent, doit être un moyen passablement exact, puisque les principes dont ce corps exprime la quantité sont les plus essentiels à la nutrition; les autres, tels que le sucre, les gommes, la fécule, étant presque toujours en excès, suivant la remarque du savant chi- miste, leur dosage rigoureux ne peut avoir une aussi grande importance. Mais la faculté nutritive des matières alimentaires ne saurait être exactement déterminée, même lorsqu'elle est déduite de la composition chimique. D'abord, cette faculté éprouve des variations absolues qui dépendent des plantes elles-mêmes, du sol où elles ont végété, des saisons pendant lesquelles elles ont dû se développer, de leur mode de récolte et de l'intégrité de leur conservation; ensuite, elle n'est pas susceptible d'être appréciée avec une rigueu v constante, par les divers moyens proposés : les uns approchant plus que d'autres des chiffres qui expriment sa valeur réelle. D'une part, les substances nutritives ne sont pas toujours associées dans les proportions qui conviennent le mieux aux besoins des organes : souvent l'une ne contient-elle pas trop de sucre, une autre trop de fécule, une autre encore trop peu de fibrine ou de matières grasses? D'autre part, toutes ces substances sont- elles emprisonnées dans une gangue également perméable et dont elles se déga- gent avec une facilité toujours semblable? La fécule, le tissu poreux d'une tige herbacée, la trame umllc d'une racine charnue, ne sont-ils pas plus complète- ment accessibles aux sucs digestifs que le fourrage desséché, les tiges ligneuses, les pailles de nos graminées ? De ce que le chimiste tire, avec le secours de divers réactifs, aidés de la division^ de la macération et de la coction, tous les éléments nutritifs de Taliment, faut-il 1- Letimann, Prtjcis de chimie ■physiologique animale, p. 376. Paris, 1855a ALIMENTS. o',)o en conclure que ranimai puisse, avec le secours de ses iluiih^s intestinaux, et en quelques heures, extraire tout ce qu'ont pu parvenir à isoler les longues mani- pulations de rexpérimentateur ! Non sans doute. Une partie des matériaux qui seraient complètement assimilables, s'ils étaient libres et dégagés, devient rél'rac- taire à l'action des dissolvants organiques, échappe aux actions digestives, et, par consé(|uent, se trouve complètement perdue. D'ailleurs, ce qui s'applique à une espèce animale ne saurait être en rapport avec toutes les autres. Un aliment végétal qui fournira le maximum de ses prin- cipes assimilables à un ruminant (jui le divise parfaitement et le fait séjourner longtemps dans son appareil gastro-intestinal compliqué, en cédera beaucoup moins au solipède pour des raisons diamétralement opposées. Ce même aliment peut être plus nutritif pour un animal dont l'appareil masticateur fonctionne bien, que i)our celui dont les mâchoires ne portent que des dents usées ou non encore complètement sorties ; il peut convenir mieux à une bête de travail, qui a besoin de forces, de sang et de chaleur, qu'à un animal obèse, ou à une vache entretenue exclusivement pour la production du lait. Si donc les proportions relatives de principes azotés, de matières sucrées, fécu- lentes, de corps gras et de sels, sont à prendre en considération, ainsi que leur quantité totale pour la détermination de la valeur nutritive des aliments, la diges" libilifé, sur laquelle nous reviendrons plus tard, mérite d'être mise en ligne de compte, si l'on veut arriver à des résultats sensiblement rapprochés delà vérité. La ration alimentaire qui peut compenser exactement les pertes éprouvées par rorganisme est nécessairement proportionnée à la taille des animaux et à l'activité des fondions II faut à l'homme adulte, terme moyen, 1000 grammes de pain et 286 grammes de viande renfermant 20 grammes d'azote et 331 grammes de car- bone', soit 1 du premier et 20 du second. A un cheval ToOO grammes de foin, 2270 grammes d'avoine représentant ensemble 10 kilogrammes de foin ^, soit 2 kilogrammmes de foin par 100 kilogrammes du poids vif de l'animal. Pour le chien, il faudrait, dit-on, 40 grammes de viande par kilogramme, soit 4 pour lOd. L'amaigrissement se produirait déjà si la ration était réduite d'un dixième seu- ment. Si les déperditions sont accrues par le travail, la sécrétion du lait, ou si l'organisme doit éprouver une augmentation de masse, il est indispensable que la ration soit augmentée. Le supplément qui peut égaler la moitié de la ration normale d'entre- tien doit être donné en aliments très nutritifs, sous un petit volume, pour ne pus accroître la fatigue qui résulte de la digestion. Il doit l'être en viande, par exemple, pour l'homme, en avoine pour le cheval. Si l'homme reçoit ce supplé- ment sous forme d'aliments grossiers, il est mou comme cela arrive souvent aux champs; si le cheval le reçoit en herbe, il est dans l'impossibilité de travailler. Il en est autrement des animaux à l'engrais ou des vaches laitières qui prolitent beaucoup d'une nourriture riche en graisse, en amidon, en principes très hydratés. La détermination des équivalents ou la fixation des quantités d'aliments suscep- tibles de remplacer celui qu'on prend pour terme de comparaison est déduite ordi- 1. Payen, Traité des substances alimentaires. Paris, 1853. 2. Boussiiigault, Économie rurale. 596 DE LA DIGESTION. nairement de la composition chimique, quoiqu'elle ne puisse l'être que de l'expé- rimentation. Les théoriciens s'imaginent qu'il est facile de savoir combien il faut de paille, d"avoine, de pommes de terre ou de betteraves pour remplacer un kilo- gramme de foin. Dès qu'ils ont trouvé le poids de l'aliment qui renferme les ma- tières nutritives contenues dans un kilogramme de foin, le problème leur semble résolu. Il ne l'est pas pourtant, car outre que les aliments ne renferment pas les principes nutritifs dans des proportions toujours semblables, ils ont une diges- tibilité fort variée, de telle sorte qu'il faut de l'un une trop grande masse et de l'autre une trop petite quantité, que tel doit séjourner trop longtemps dans l'in- testin, pour céder une quantité convenable de principes assimilables. Le foin peut entretenir passablement un animal, mais non la paille, faute de pouvoir être ingérée en quantité assez considérable, ni l'avoine qui ne leste pas suffisamment l'appareil digestif, non plus que les racines qui relâchent. Deux rations ne sont équivalentes, dit excellemment M. Boussingault, qu'autant qu'elles renferment les mômes proportions de principes azotés, de principes neutres, de matières grasses, et, l'on pourrait ajouter, qu'elles ne le sont qu'à la condition d'égal volume, d'égale digestibilité, de qualités stimulantes à peu près semblables : car il faut, tout à la fois, à l'économie, des proportions déterminées de matières propres à reconstituer le sang, à entretenir la chaleur, et de matières qui puis- sent s'extraire de leur gangue avec la même facilité. Les compensations, sous ce rapport, sont difficiles : aussi l'expérimentation est-elle le meilleur moyen d'établir l'équivalence. IL — Du RÉGIME. Ce titre, dont l'acception est variable, s'applique, en physiologie et en histoire naturelle, au mode d'alimentation propre à chaque animal ou à chaque groupe d'animaux. Tous les animaux vivent de matières organiques associées à des éléments solides, terreux, métalliques, matières provenant, soit du règne végétal ou du règne animal, soit des deux en même temps. De là, cette distinction établie entre les carnivores, les herbivores et les omnivores. Dans chacun de ces trois groupes on peut établir un grand nombre de subdi- visions. Ainsi, parmi les carnivores, il est des espèces qui vivent de proie vivante, d'autres de proie morte et en décomposition, quelques-unes, d'oiseaux , ou de vers, d'insectes, etc. Parmi les herbivores, il est des espèces qui mangent exclusivement, soit de l'iierbe, soit des grains, soit des feuilles ou des racines. Rien n'est plus intéressant que l'examen de ces variétés de régime. Le mode d'alimentation propre à chaque espèce n'est point arbitrairement réglé, ni subordonné à des habitudes ou à des goûts factices ; il est intimement lié à l'organisation de rap()aTeil digestif de chaque espèce, et impérieusement commandé par cette organisation ; il est en rapport avec le caractère, les instincts, les mœurs, les habitudes de l'animal et l'usage qu'il peut faire de ses moyens d'attaque ou de défense. RÉGIME. o97 Les carnivores, notamment ceux qui font partie de la classe des mammifî'i-es, ont une organisation fort remarquable. Ils ont les incisives tranchantes, les crochets allongéset aigus, les molaires garnies de pointes; leurmÉichoiressontcourtes, leurs masséters, leurs crotapliiles énormes, logés dans des fosses temporales profondes et attachés à des arcades zygouialiques fortement arquées. Ils ont un œsophage très dilatable, un estomac ample, un intestin court, sans renflements, avec un caecum très petit ou nul. Leurs piedssont divisés, et munis de griffes plus ou moins acérées. Us sont bien organisés pour découvrir leur proie, soit ù l'aide d'une vue perçante, d'un odorat exquis ou d'une ouïe délicate ; ils ne manquent ni d'agilité pour la poursuivre, ni de ruse pour la sur|irendre, ni de force pour la terrasser, ni de férocité pour la déchirer et se repaîlie de ses dépouilles. Leurs mâchoires sont assez solides pour briser les os, et leur suc gastrique assez énergique pour les digérer. Tels sont lelion,le tigre, le jaguar et tous les chats, lafouine, la belette, etc. Ceux de ces carnassiers qui vivent de [)i'oie animée sont d'une extrême férocité : lesautres qui se contentent de proie morte, soit habituellement, soit lorsque la pre- mière leur manque, sont peu courageux, et même quelquefois très léiches, comme l(M'autour. Us ont chacun une victime de prédilection etdes instinctsparticuliers pour s'en emparer. Presque tous se livrent seuls à la recherche de leur proie ; quel- ques-uns cependant se réunissent à cet elfet en troupes plus ou moins nombreuses ; il en est qui veulent vaincre leur proie àla course, d'autres la surprendre dans sa retraite ou sur son passage ; tels vont pécher sur le bord des eaux, tels autres fouir la terre, certains d'entre eux déchirent leur victime encore palpitante et la dévorent tout entière, ou la dépouillent avant de ladévorer, comme le font, à l'égard des phoques, les chiens sauvages del'Amérifiue ; d'autres lui sucent d'abord le sang, lui laissent éprouver un commencement de décomposition;d'autres encore en cachent les débris pour la faim à venir. A chacune de ces modifications de régime correspondent des modifications dans les instincts et des parlicularités dans l'organisation. Ainsi la taupe, le hérisson, la chauve-souris, dont les dents trop aiguës et lesmâchoiresdé- liées se prêteraient peu à déchirer la chair, font seulement la guerre aux insectes, et si le hérisson, réduit en captivité, ne trouve pour nourriture que delà chair, il lui arrive souvent d'être étouffé par les morceaux qu'il n'a pu suffisamment dé- chirer. Les diverses espèces d'oiseaux, dont le régime est animal, ont ch.icune une forme spéciale du bec en rapport avec leur manière de saisir la nourriture. Il est fort remarquable que les animaux les plus carnassiers ne cherchent jamais pour victimes les individus de leur espèce, et que, généralement, ils se nourrissent seulement d'animaux herbivores ou omnivores. Cependant, il paraît exister à cette règle plusieurs exceptions plus ou moins signilicatives dont quelques-unes sont, à la vérité, fort contestables. Pline dit que les cygnes se mangent entre eux, et Aristote prétend que plusieurs poissons, notamment les congres, en font autant ; Réaumur cite le canard qui dévore avidement la chair des animaux de son espèce ; Spallanzani a vu unchien manger unepartiede l'estomac d'un autre chien, et licite lescorneilles comme se mangeant réciproquement. BulTon dit que le loup use de la chair du loup et que les rats se tuent entre eux pour se dévorer, en commençant par le cer- veau, observation fort exacte que j'ai eu l'occasion de vérifier. Tout le inonde sait que la truie mange parfois ses petits ; mais généralement, le Carnivore ne fait [)oint 598 DE LA DIGESTION. la guerre à son espèce et refuse d'en dévorer les dépouilles. L'animal le plus affamé ne touche point à son semblable mortoutué ;le porc, habitué à se nourrir de chair, ne veut point de celle d'un autre porc, et le chien témoigne une sorte d'aversion pour celle du chien. Il y a plus : on ne voit guère de carnassiers, parmi les mammifères, faire leur proie d'autres carnassiers d'espèces différentes. Pourtant, Buffon dit que le lynx mange le chat sauvage, les martres, l'hermine, en même temps quele lièvre et le chevreuil. On conçoit très bien que, dans les vues de la nature, l'animal qui vit de chair respecte son espèce ; mais on ne s'explique guère pourquoi il ne s'at- taque point aux animaux qui ont un régime semblable au sien. Les herbivores, et ici nous étendons cetle dénomination à toutes les espèces qui vivent exclusivement de matières végétales, sont, par leur organisation et leurs in- stincts, très différents des carnassiers. Ils ont généralement des molaires à couronne plate ou tuberculeuse, des mâchoires moins fortes que celles des animaux qui se nourrissent de chair, un estomac plus ample, un intestin long, souvent diverti- culé ; ils ne possèdent ni ces sens délicats, ni ces moyens d'agression, ni ces ins- tincts, ni le courage, ni les ruses diverses qui appartiennent aux premiers. Les uns se nourrissent d'herbes, ce sont les herbivores proprement dits ; les autres de graines, les granivores ; et quelques-uns de fruits, les frugivores. Les grands herbivores sont les solipèdes et les ruminants ; ils vivent exclusive- ment, à l'état sauvage, d'herbes et de feuilles ; on ne les voit rechercher ni les fruits, ni les racines. Les autres, telsquel'hippopotame, le rhinocéros, l'éléphant, préfè- rent les racines, mais ils mangent aussi l'herbe, et peuvent, lorsqu'ils sont réduits en servitude, s'entretenir avec des fourrages desséchés. Quelques-uns, tels que le castor, aiment l'écorce des arbres ; d'autres, comme la girafe, l'unau, l'aï, choi- sissent les feuilles des grands végétaux. Ces animaux ne font pas indifféremmentusage de toutes les plantes qui s'offrent sousleurdent,et, parmi celles qui sont alimentaires, ils choisissent chacun un cer- tain nombre d'espèces. Linné \ à la suite d'un grand nombre d'expériences, a cons- taté qu'en Suède le cheval mange 262 espèces, le bœuf 275, la brebis 387, la chèvre 449, le porc 172. Il a vu quele cheval en refuse 212, le bœuf 218, la brebis 141, la chèvre 125 et le porc 171. Mais les changements de saison, les migrations qu'éprouvent les animaux, les circonstances diverses dans lesquelles ils se trouvent et la nécessité les réduisent parfois à se contenter des plantes qu'ils dédaignent d'habitude. Le chevreuil, par exemple, se nourrit en hiver, d'après Buffon, de ronces, de genêts, de bruyères et de chatons de coudrier; au printemps il vit des feuilles de presquetous les arbres, et enétédes herbes les plus Unes qui croissent dans les forêts. La sobriété des herbivores leur rend les variations de régime sup- portables, à l'état sauvage, comme en domesticité; le cheval arabe s'entretient avec un peu d'orge et quelques poig'nées de dattes;les chevaux etles mulets peuventse contenter de mais et de canne à sucre dans certaines parties de l'Amérique; les chameaux kalmoucks, d'après Pallas ^, ne vivent pendant l'hiver que de roseaux et d'écorces d'arbres ; les rennes des Lapons n'ont guère d'autre aliment qu'une espèce de lichen. 1. Reimarus, ouvr. cité, p. 154, t. I. 2. Pallas, Mémoires du Muséum, t. XYI, p- 410. RÉGIME. 599 L'instinct qui guide ces animaux dans le clioix de leur nourriture est telle- ment siir qu'ils ne prennent jamais de plantes vénéneuses, à moins qu'elles ne soient mêlées à d'autres plantes, et qu'ils ne se trouvent vivement pressés parla faim. Linné dit cependant que les bestiaux de la Scanie, lorsqu'ils viennent dans des localités couvertes de forêts, y éprouvent souvent la dyssenterie,par suitede l'usage de certaines plantes, comme l'aconit, que les animaux indigènes ne mangent jamais ; mais ce n'est là qu'une exception, qui pourrait s'exfdiqner aussi bien par le cliangement de régime que par l'effet d'une aberration instinc- tive. Celte exception, d'ailleurs, n'est pas très rare, car on observe de temps en temps dans les pâturages où les animaux sont mis en liberté des empoisonne- ments par diverses plantes acres, narcotiques ou autres. L'if en produit de tels sur divers herbivores, les bourgeons des arbres ou des arbustes déterminent fréquemment des irritations gastro-intestinales et des hématuries, — les coque- licots et plusieurs solanéesdes météorisations sur les ruminants, — la nielle des blés, la mort des oiseaux de basse-cour. Ce même instinct porte les herbivores, comme du reste la plupart des ani- maux, à se mettre à la recherche de leur nourriture à certaines heures de la journée. En effet, il en est qsii vont prendre leurs repas à différentes heures du jour, ou seulement le soir et pendant la nuit. Les naturalistes ont fait à cet égard de très nombreuses remarques, M. Roulin ' a vu dans les plaines de l'Amérique, que les taureaux sauvages, qui viennent quelquefois paître avec les bœufs domestiques, sortent vers deux à trois heures de l'après-midi. Les lapins, d'après G. Leroy -, quittent leurs terriers quelque temps avant le coucher du soleil, et beaucoup plus tôt lorsqu'il veut pleuvoir; les faisans, après les récoltes, deux fois par jour, au lever du soleil et de cinq à six heuresdu soir, tandis qu'au mois d'octobre ils ne sortent plus qu'une fois, vers dix heures, pour tout le reste de la journée. Le rat, la souris, le hérisson ne commencent à sortir que vers le soir et la nuit pour prendre leurs repas. C'est aussi l'heure que choisissent la plupart des animaux timides. C'est également celle des animaux sanguinaires, la fouine, le putois, la belette, le renard qui vivent, comme les brigands, de rapines et d'assassinars. Quelles que. soient, du reste, les habitudes particulières à chaque espèce, on voit les animaux venir chercher leur nourriture ù peu près dans les mêmes endroits, comme ils viennent aussi dans des lieux déterminés se livrer au repos et au sommeil. Les omnivores tiennent, par leur régime comme par leur organisation et leurs instincts, des deux groupes dont nous venons déparier ; mais ils n'ont pas d'ha- bitudes ni de besoins aussi nettement caractérisés quelesliabitudesou les besoins des herbivores ou des carnassiers; ilsscmblent sepréter aisément àun régimeex- clusivement végétal ou animal : on les voit frugivores, granivores ou carnassiers, suivant les circonstances. Le porc, le sanglier, le rat, les oiseaux gallinacés, plu- sieurs palmipèdes, une inilnité de passereaux, la corneille, le corbeau, forment des types omnivores très remarquables. Plusieurs espèces appartenant à l'ordre des 1. Roulin, Mémoire cité. 2. Leroy, Lettres 'philosophiques, etc., p. 251. 600 DE LA DIGESTION. carnassiers, l'ours, le renard, le chien, sont encore omnivores, mais à un moindre degré que les premiers. Le porc et le sanglier \ivent déracines, de glands, de \ers, d'insectes et de reptiles ; ils s'habituent très bien au régime animal. Les rats etles souris, qui dévastent nos maisons, rongent tout ce qui se trouve à leur portée, s'engraissent aussi bien du produit denos récoltes, etmêrae des céréales en herbes, que des cadavres jetés aux voiries et des immondices des égouts. Le canard, qui met tant de constance à tamiser la vase surle boi'd d'une mare ou d'un ruisseau, se contente très bien des racines écrasées ou des pâtes qu'on lui distribue dans la basse-cour. Et, parmi les mammifères qui paraissent si parfaitement organisés pour un régime animal, ne voit-on pas le renard, quand il manque de gibier, se repaître de fruits, de raisins, de miel ; l'ours se contenter souvent d'aliments sem- blables et de racines ; la fouine et le putois grimper sur les arbres, notamment sur les cerisiers, pour en manger les fruits; la loutre ronger les racines des arbres lorsqu'elle ne trouve plus de poisson ; enfin, le chien ne peut-il pas vivre, même exclusivement, de substances végétales ? Un très grand nombre d'animaux, appartenant aux trois catégories établies d'aprèsle mode d'alimentation , ont un goût très prononcé pour certaines substances minérales, notamment pour le sel marin. Les herbivores sont surtout remarqua- bles par l'avidité avec laquelle ils recherchent les matières salées: la remarque en a été faite dès la plus haute antiquité, car Aristote dit déjà que le sel est très salutaire aux brebis, et qu'il contiibue à leur engraissement. Les troupeaux debêles bovines dépérissent dans certaines parties de l'Amérique où les fourrages et les eaux ne sont pas suffisamment salés, k moins qu'on ne mette du sel à la disposi- tion des animaux. Le bétail des steppes distingue très bien, d'après M. Boussin- gault\ les sources qui contiennent une petite quantité de sulfate de soude ou de sel marin. Les chameaux kalmoucks ont aussi un goût très prononcé pour le sel, etPallas dit qu'ils s'engraissent d'autant mieux dans les steppes, qu'ils prennent plus de ce condiment. Chacun sait avec quelle avidité nos herbivores lèchent les murs salpêtres et toutes les substances salées. Divers animaux, poussés sans doute par un besoin analogue, mangent quelquefois de la terre. Pline avait fait cette observation pour le loup. Buffon a vu des porcs manger del'argile; tous les jours on voit des bœufs arrêtés au boutd'un sillon lécher la terre el en avaler des quan- tités appréciables. Aussi n'est-il pas rare de trouver des graviers dans le réseau de ces ruminants comme dans le caecum et le côlon du cheval, graviersqui viennent souvent aussi delaterre adhérenteaux fourrages ou aux racinesdonl se nourrissent nos grands herbivores. Les oiseaux granivores, et même beaucoup d'autres à régime mixte, ont l'habitude d'avaler des cailloux, le plussouvent siliceux, etcela autant pour favoriser la trituration des aliments que pour subvenir aux besoins de la nutrition. Il yen a constamment dans le gésier de nos gallinacés, et Burdach dit même que les femelles des oiseaux de cet ordre en portent à leurs petits encore dans le nid, caril croit qu'elles font des nids. J'en ai trouvé dans le gésier déjeunes moineaux qui n'avaient point encore de plumes, et qui, par conséquent, n'avaientreçu jusqu'alors, d'autre nourritureqno celle apportée par leurmère. Le 1. Boussingault, ouvr. rAlé, t. 11^ p. 133. RÉGIME. 601 canard et le cygne en avalent également ; on trouvemême legésier de ce dernier si exclusivement rempli de graviers, que Borelli- avait presque pensé que le cygne se nourrissait de sable. L'autruche avale des cailloux très gros, des clous, des mor- ceaux de fer, et, en cela, elle n'agit point par stupidiié, ainsi qu'on l'adit autrefois, mais elle cède à un inslinctpairaiteinent approprié aux besoins de l'économie. Le régime qui paraît le mieux en iiarmonie avec la forme des dents et la dispo- sition del'appareildigestif, doit se modiliersile service exigédes animaux les force â prendre un supplément considérable de nourriture. C'est ce qui arrive, notam- ment au cheval. Ce solipède, dans les conditions de nature, n'est ni granivore, ni frugivore ; à l'état sauvage ou en liberté, il ne cherche autre chose que l'herbe, mais une fois qu'il est au service de l'homme il abesoindeprendreun supplément de nourriture, sous forme de grains; il ne peut l'aire un tour d'hi[»podr()me, un voyage d'une certaine durée, un travail pénible quelconque, s'il a l'estomac bourré de fourrage. La raison en est simple : le fourrage exige une longue mastication ; cet aliment remplit en vingt-quatre heurescinq fois et demie l'estomac. Si l'animal doit prendre un supjjlément équivalent à la moitié de la ration normale, il mange, pendant un temps trop long, de quoi remplir sept à huit fois sa cavité gastrique : il manque de temps pour se reposer, se remplit outre mesure l'appareil digestif: devient mou et lent. Mais, s'il reçoit le sup[»lément en avoine, la durée de ses repas est réduite des deux tiers ou des trois quarts ; il y a économie de salive, l'es- tomac se remplit beaucoup moins, la digestion aie temps de se faire, la respira- tion est libre, le chyle est riche en graisse, en matières albuminoïdes, comme celui des carnassiers. Cet animal herbivore, dans le plan primitif de la nature, de- vient forcément et en grande partie granivore dès qu'il est soumis à un travail un peu pénible ; l'avoine doit alors entrer pour une grandepart dans sa ration. C'est un aliment riche en matière nutritive, léger, d'une digestion facile ; elle est pour lui l'aliment par excellence quicontientla viande, le pain, lagraissect les sels dans les plus heureuses proportions. La grande quantité de matière azotée qui s'y trouve la rend éminemment propre à développer le système musculaire des jeunes ani- maux, et à réparer les pertes que la contraction détermine d'une manière inces- sante chez les animaux de travail. Elle ace qu'il faut pour bien nourrir sans trop engraisser, pour exciter sans échauffer. C'est parelleque le cheval arrive àla per- fection des formes ; c'est d'elle qu'il lire la plus grande somme possible de forces et d'ardeur; c'est à elle enlin qu'il emitrunte le fonds, la vitesse et la durée des services. Quoique le régime soit réglé par l'organisation et les instincts des animaux, il est souvent possible de le modifier et même de le changer complètement. 11 est très peu d'espèces dont le mode d'alimentation ne puisse être plus ou moins perverti par le fait des soins de l'homme et d'une longue habitude. Si l'on ne parvient pas ;"i habituer le lion et le tigre au régime végétal, on y arrive pour le chat domestique ; si Spallanzani n'a pu réussir à obliger un aigle, après des jeûnes de quatre à cinq jours, à manger du pain, d'autres ont obtenu ce résultat. Le taureau, qui mani- feste tant d'horreur pour la chair, linit par en manger lorsqu'elle est culte. On 1. De Réaumur, Mémoires de l'Académie des sciences, 1700. 602 DE LA DIGESTION. sait que les vaches d'Islande \ivent. en partie de poisson salé, et je lis dans Pline que Théophraste avait déjà rapporté le fait des bœufs qui se nourrissent de poisson dans les pays dUchtliyophages. Maissiat a vu un chevreuil apprivoisé qui mangeait de la chair crue et de petits oiseaux; il périt à la suite d'un repas de ce genre. Nous avons entretenu àl'école, pendant une huitaine de jours, un bouc avec de la chair cuite qu'il mangeait par moments sans grande répugnance. Mais, chose plus étonnante, nous avons possédé un petit veau de six à sept mois, qui venait spon- tanément manger la chair des cadavres dont on faisait l'autopsie, et il en aurait mangé beaucoup si ses mâchoires débiles lui eussent permis d'en arracher à la fois des lambeaux considérables, car un jour il dévora prestement un cœur coupé par morceaux qu'on mit à sa disposition. Depuis quelques années, j'ai eu plusieurs mou- tons qui, après avoir avalé de force de la viande trichinée crue, la mangeaient, par- fois avidement, d'eux-mêmes, quand on en mettait à leur disposition ; ils prenaient en un instant un lapin désossé avec tous ses viscères, sauf l'intestin'. Le cheval qui témoigne par un ronflement d'une expression indéfinissable l'aversion qu'il éprouve, non seulement pour la chair crue, mais encore pour la chair cuite qu'on lui présente, ne tarde pas à en manger, si on l'y habitue insensiblement; quelque- fois même il en mange dès la première fois qu'il en reçoit. Cependant il n'est pas rare qu'il la refuse obstinément; j'ai vu de deux chevaux à jeun auxquels on en donnait, l'un la prendre sans trop de difficulté, et l'autre se laisser mourir de faim plutôt que de suivre l'exemple de son voisin de râtelier- Les moutons de certaines parties de la Piussie asiatique, s'il faut en croire Pallas, mangent les scorpions venimeux avec avidité, et s'en engraissent. Nos bestiaux prennent aussi sans répugnance les sauterelles qui dévastent les prairies vers la fin de l'été. L'habitude a souvent sur le régime une influence supérieure à celle de la né- cessité. Si le renard, lorsque le gibier et la volaille lui font défaut, se résigne à dévorer les rats, les lézards, même les crapauds, et le fait n'est pas douteux, car j'ai Irou.é dans son estomac des débris de ces sortes de proies; si le loup aff.imé mange des grenouilles, et Buffon en a vu des os dans l'estomac du car- nassier, le chien, en cela plus difficile, refuserait, dit-on, la grive et la bécasse. Il refuse d'ailleurs souvent, et pendant plusieurs jours, la chair de bœuf, de la- pin même, quand il a été habitué à vivre de cheval, et s'il mange cette viande avec trop de répugnance, il lui ari-ive quelquefois de la vomir au bout de quelques heures. Les phoques que l'on a nourris d'abord avec une espèce de poisson refu- sent obstinément les autres, et se laissent mourir de faim plutôt que de toucher à une proie autre que celle qu'ils ont reçue dès le principe. L'ours que M. Flou- rens fit élever avec des substances végétales ne voulut jamais de chair, et celui qu'il fit élever avec de la chair ne consentit pas à prendre les aliments que le premier affectionnait. Le pigeon que Spallanzani avait nourri de chair ne voulut pas se remettre au régime des graines. La biche de la Louisiane et le cerf à dagues dont parle F. Cuvier^ préférèrent toujours le pain, qui avait fait leur nourriture sur le vaisseau, au foin et à l'herbe; on eut une peine infinie à leur 1. G. Colin, Reche7'ches expérimentales sur les trichines et la trichinose, 3. Cuvier, flistoire nnturelle des mammifères, t. I, p. 220. REGIME. 603 faire manger de l'herbe fraîche, mais ils jeûnèrent plusieurs jours plutôt que de toucher à du foin. Ces faits suffisent pour montrer l'influence de l'habitude sur le régime Burdach' en cite un que je ne puis m'empccher de rapporter, c'est celui « de bi'tes à cornes et de chevaux qui, après avoir été nourris de pois- sons, vont à l'eau pour pécher. » Il mérite d'être placé avec ce que dit Pline des cigales qui vivent de rosée, des anguilles qui se nourrissent d'eau douce, et des lièvres des Alpes qui se contentent de neige pendant l'hiver. Quelque grande que soit la force de l'habitude sur les chanaenients que peut éprouver le régime des espèces animales, il est à noter que, lorsque les animaux dont le mode d'alimentation a été modifié redeviennent libres, ils reprennent, sous l'inlluence de leurs instincts, le régime que la nature leur a assigné. Le régime des animaux, envisagé dans son ensemble, est donc réglé d'après des lois invariables dont les exceptions sont peu nombreuses. Il est en rapport avec l'organisation et avec les mœurs de chaque espèce. Les relations les plus intimes unissent le premier aux secondes, de sorte que l'animal est forcément herbivore, carnassier ou omnivore, suivant que ses instincts le portent à faire usage de tel ou tel aliment, et suivant que son organisation lui permet de prendre et de digérer une substance plutôt qu'une autre. Il y a même une loi qui règle les rapports de nombre entre les carnassiers et les herbivores ré|)andus à la surface du globe. Les espèces appartenant aux degrés inférieurs du règne animal sont, pour la plupart, carnassières; elles peu- vent vivre aux dépens les unes des autres, sans se détruire entièrement, et elles le peuvent à cause de leur extrême fécondité et de la rapidité avec laquelle leurs générations se succèdent. Presque tous les poissons, notamment ceux qui vivent dans les mers, se nourrissent de matières animales, les seules, du reste, que la nature puisse leur offrir en quantité suftisante; ils se dévorent réciproquement, et leur voracité s'étend à mille victimes dillérentes. Parmi eux se trouvent des types comparables à ceux de nos mammifères les plus féroces : — le brochet qui détruit un si grand nombre de petites espèces, — le requin qui montre tant d'avidité pour une proie dont il ne saurait se repaître souvent, — les murènes qu'un chevalier romain se plaisait à voir déchirer des esclaves, — la lamproie et tant d'autres animaux de cette classe rivalisent, dans leur élément, avec les carni- vores dont on connaît le mieux les habitudes. Si les conditions d'existence de toutes les espèces vivantes étaient semblables à celles des espèces qui habitent les eaux, on concevrait sans peine un règne animal entièrement Carnivore, comme l'était du reste, selon toute apparence, celui de la première ciéation antédiluvienne; mais il ne saurait en être ainsi avec la consti- tution actuelle du globe, afin que les productions végétales, si abondantes et si variées, puissent recevoir une destination en rapport avec leur but final. Enlin, il est indispensable, pour la conservation limitée des espèces, que les herbivores soient en majorité relativement aux carnassiers. 1. Burdach, Traité de physiolnqir, t. iX, p. 242. 604 DE LA DIGESTION. CHAPITRE XIX DES SENSATIONS DIGESïIVES Sous ce titre nous comprenons l'analyse de la faim, de la soif, et l'étude des phénomènes qui se produisent dans l'économie lorsque ces sensations ne sont pas satisfaites. I. — De la faim. La faim est la sensation qui sollicite l'animal à prendre des matières alimen- taires. Destinée à régler la mesure suivant laquelle ces matières doivent être ingérées, à commander des rapports d'une impérieuse nécessité, elle est faible à son début, devient de plus en plus vive, finit par être très pénible et par revêtir tous les caractères d'un besoin irrésistible. Ses époques d'apparition ou de retour sont variables suivant les espèces, le ré- gime, l'âge, les habitudes des animaux, les saisons et une foule de circonstances particulières qui influencent l'activité des fonctions organiques. Elles sont bien plus éloignées chez les animaux à sang froid que chez ceux à sang chaud, chez les carnassiers que chez les herbivores ; on les voit se renou- veler fréquemment chez les solipèdes et les ruminants: aussi ces animaux man- gent-ils presque constamment quand ils sont dans les pâturages, et au moins deux fois par jour lorsqu'ils sont entretenus dans les étables ; elles se rapprochent plus encore chez les animaux granivores, les passereaux, les gallinacés; mais elles se reproduisent à de rares intervalles chez les carnassiers, les oiseaux de proie, surtout chez les reptiles et les poissons. Cette sensation est plus vive et plus fréquente chez les jeunes animaux que chez les adultes, à cause de l'activité de la nutrition et de l'accroissement dans les pre- miers âges de la vie. Chez les oiseaux au nid, qu'ils soient granivores ou insec- tivores, elle revient à des intervalles très rapprochés. J'ai vu des moineaux faire jusqu'à douze repas dans une journée, bien qu'à chacun d'eux ils reçussent de la mie de pain à satiété, au point d'en avoir l'estomac plein et l'œsophage bourré sur toute salongueur.De jeunes rossignols nourris d'insectes, de larves et devers en ont fait autant : ils ouvraient le bec à tout instant, même pendant la nuit, dès que quelque bruit se faisaitautourd'eux. Elle est plus vive aussi en hiver qu'en été chez la plupart des mammifères et des oiseaux, elle s'affaiblit dans les saisons froides chez les espèces qui s'engourdissent, comme le font les loirs, les marmottes, le hérisson, les ours, et elle s'éteint même alors complètement chez les reptiles dont l'engour- dissementest portéàses dernières limites. Tout ce qui rend lanutrition plusaclive, la combustion pulmonaire plus rapide, toutes les causes qui agissent dans le sens d'un travail modéré, d'une alimentation peu substantielle, favorisent le retour de la faim et donnent à cette sensation une plus grande énergie. Elle devient presque insatiable après certaines maladies, à la suite de déperditions abon- dantes, de longues privations, et se montre en rapport avec le degré d'activité de l'estomac : faible ou nulle quand cet organe ne fonctionne pas régulièrement, FAIM. 605 très intense alors (ju'il jouit de toute son activité. Mais l'habitude influe beaucoup sur la fréquence de son retour : c'est ainsi que les animaux domestiques, lorscjue arrive l'heure de leur repas, se lèvent, s'agitent, crient, trépignent, témoignent leur impatience jusqu'à ce qu'ils aient reçu leur nourriture. Il en est de même l»our tous les animaux réduits en captivité. .) Ses degrés sont tort nombreux. A son début elle n'a rien de bien pénible, c'est l'appétit. Insensiblement elle devient plus vive, finit par être douloureuse et par déterminer une prostration plus ou moins grande : c'est alors la faim proprement dite. Si elle n'est pas satisfaite, elle ne tarde pas à être déchirante, à se trans- former en un besoin impérieux qui se traduit diversement, suivant les animaux. Elle rend les carnassiers d'une grande férocité, comme on lésait pour les loups. Cependant, tout en exaltant leurs instincts sanguinaires, elle ne va jamais jus- qu'à porter les animaux d'une même espèce à s'eutre-dévorer, contrairement aux tristes exemples qu'a donnés la notre dans des naufrages ou des sièges de longue durée. Quelques espèces font exception à cette règle, les rats, par exemple; et peut-être beaucoup d'autres, pressées par la faim, en viennent-elles à se dé- vorer entre individus de la même espèce : au moins j'ai vu le chat en manger deux autres |)etits, mais seulement après une abstinence d'une douzaine de jours. Elle ne les porte guère non plus à prendre des aliments autres que ceux qui leur sont habituels; elle est, dans tous les animaux, selon la remarque de Pline \ un besoin qu'on ne peut tromper, car rien ne prouve que les loups affa- més et d'autres animaux se mettent à manger de la terre pour apaiser cette sen- sation. On sait que l'herbivore se laisse mourir plutôt que de toucher à la chair, et quel'oiseau de proie en fait autant près d'un morceau de pain. Enfin, lorsque le sentiment de la faim est porté à son dernier degré d'exaltation, il s'éteint en quelque sorte de lui-même : alors il a épuisé tellement les animaux qu'ils ne recherchent plus la nourriture et la refusent même si elle leur est offerte; c'est au moins ce qu'on observe sur les chiens et les oiseaux de basse-cour qu'on a fait jeûner pendant un temps très long. Le siège de la faim est diflicile à déterminer, à supposer quacette sensation soit réellement localisée. La plupart des physiologistes le placent dans l'estomac; quel- ques-uns dans les centres nerveux; d'autres dans le système absorbant. Il en est qui, repoussant l'idée de la localisation, font de la faim l'expression d'un état général de l'économie . De ce que les instincts qui portent les animaux à rechercher et à choisir leurs aliments ont leur siège dans le cerveau, il ne faut pas en inférer que la faim soit localisée au même point : ces instincts sont en quelque sorte tenus en éveil, mis en jeu par cette sensation qui en devient le régulateur, comme ceux de la reproduc- tion, par exemple, le sont consécutivement à l'inlluence excitatrice partie des organes générateurs. Rien ne prouve qu'elle ait son siège à la partie moyenne et inférieure des lobes cérébraux, comme le pensent certains phrénologues, puisque des fœtus ancncéphales qui ont vécu quelques jours après la naissance ont montré tous les signes de la fuim. 1. Pline, livre XI, 444, édit. citée, 1845. 606 DE LA DIGESTIOX. L'absorption est plus active pendant l'abstinence que lors de la digestion; mais est-ce une raison pour supposer que le siège delà faim soit dans le système lym- phatique ou dans tout le système circulatoire? Quand le gallinacé a rempli son jabot de grains, rien n'a encore passé, comme le dit Bérard, dans les \aisseaux absorbants, et cependant la faim est apaisée; de même quand le ruminant a distendu sa panse par des herbes qui ne seront digérées que plus tard, il est rassasié, bien que ces herbes n'aient encore fourni aucun élément réparateur. Son siège paraît être dans l'estomac : elle éclate quand cet organe se vide et qu'il devient inactif; elle diminue à mesure qu'il se remplit et cesse dès qu'il a reçu tout ce qu'il peut contenir. Cependant, il n'est pas nécessaire qu'il soit tout à fait vide pour qu'elle se fasse sentir : le lapin est affamé, lors même qu'il a encore beaucoup d'herbes non digérées; le ruminant est dans le môme cas, bien •que sa panse contienne encore une énorme quantité d'aliments; mais cela tient toujours à la cessation des fonctions gastriques, comme nous le l'erons voir plus tard, à l'article de la Rumination. Il n'est guère possible d'arriver à dire sûre- ment si la faim a plus particulièrement son siège dans telle ou telle fraction du viscère; il est presque ridicule de rechercher s'il est dans la membrane charnue, ou dans la muqueuse, à la petite ou à la grosse tubérosité, au cardia ou au pylore. Peut-être la faim n'a-t-elle pas seulement son point de départ dans l'estomac, et n'est-elle que l'expression d'un besoin général de réparation, d'une sorte de langueur de tous les organes, et plus spécialement de celui qui est chargé de la digestion, lequel souffrant plus que les autres, serait le premier à exprimer la sensation pénible développée dans son sein. En admettant l'hypothèse de la localisation de la faim dans l'estomac, peut-on trouver dans cet organe la cause de la sensation dont nous parlons? Est-ce la pré- sence du suc gastrique, la réplétion des petits tubes chargés de sécréter ce liquide, le reflux de la hile, le tiraillement opéré sur le viscère, le frottement de la mu- queuse sur elle-même, la compression des divisions nerveuses résultant d'une contraction permanente des fibres delà tunique charnue? De toutes ces causes, tour à tour invoquées pour expliquer le développement de la sensation, il n'en est pas une qui soit rigoureusement acceptable. La prétendue irritation produite par le suc gastrique sur la muqueuse de l'estomac est une fiction, puisque le déversement de ce fluide dissolvant n'a pas lieu pendant l'abstinence, et que le liquide qui demeure dans le viscère, lors des intervalles de la digestion, est alcalin. La réplétion des tubes de la membrane reste à démontrer. Le reflux de la bile dans l'estomac, reflux pos- sible surtout chez les animaux qui, de même que le porc, le lièvre et le lapin, ont le canal cholédoque inséré très près du pvlore, pourrait bien ne pas être étranger au développement de la sensation ; il a lieu chez le porc et souvent chez le cheval, si l'on en juge par la teinte bilieuse des liquides contenus dans le viscère, pendant l'abstinence. Les tiraillements que l'on supposeopôrés parle foie sur le diaphragme, la compression des nerfs gastriques, sont évidemment des causes illusoires. Les frot- tements de la muqueuse sur elle-même ne sauraient non plus être invoqués; car, d'une part, ils ne sont point considérables, puisque l'estomac est en repos, etj d'autre part, ils ne peuvent s'opérer chez les animaux dont l'estomac ne revient pas complètement sur lui-même. Du reste, ce frottement fùt-il réel, qu'il resterait FAIM. 607 à savoir s'il est douloureux. Or, lorsqu'il est à peu près certain que le frottement déterminé par des fourrages grossiers imparlaitenient divisés n'est point pénible, commt^nt concevoir que celui des plis niuqueux les uns sur les autres puisse le devenir? La faim, si elle a son point de départ dans l'estomac, ne peut constituer une sensation tant qu'elle n'est pas perçue par le cerveau. Quel peut donc être le nerf chargé de transmettre l'impression aux centres sensitifs? Est-ce le pneumo- gastrique? sont celés nerfs ganglionnaires? Dupuy ayant coupé les nerfs vagues à plusieurs chevauv, a vu ces animaux manger jusqu'au moment de l'obstruction complète de l'œsophage par les ma- tières alimentaires qui n'avaient pu parvenir à l'estomac, et il a conclu de ce l'ait, qu'après la section de ces nerfs la sensation de la faim était éteinte, puisqu'elle ne pouvait plus être remplacée par le sentiment de la satiété. Leuret et Lassaigne ont vu aussi le cheval manger de l'avoine dans la même circonstance. M. II. Bouley et moi nous avons noté plusieurs fois la même particularité sur le cheval et la chèvre. Après cette section, les animaux ne rechercheraient plus leur nourriture, d'après Brachet', et ils mangeraient uniquement pour satisfaire le sens du goût. Cependant, Longet'^ a constaté qu'après la section des linguaux et des glosso- pharyngiens, faite en même temps que celle des pneumogastriques, les animaux mangeaient encore, en assez grande quantité et sans dégoût, des aliments impré- gnés d'une décoction de coloquinte. Aussi, a-t-il conclu de ce fait, et contraire- ment à l'idée émise par Brachet, que la gustation est étrangère à l'impulsion qui porte les animaux à prendre des aliments, et que cette impulsion persiste après l'abolition du sens du goût et l'interruption dans la continuité des nerfs vagues. Mais, en somme, les expériences ne sont pas décisives : elles démontrent qu'après la section des nerfs vagues, les animaux mangent encore quelque peu, sans prouver que ceux-ci ressentent encore une faim bien caractérisée. En efl'et, les chevaux, par exemple, prennent encore des aliments en petite quantité : bientôt les bols alimentaires, n'arrivant plus à l'estomac, s'arrêtent dans l'œsophage et s'y accumulent depuis le cardia jusqu'au niveau du cou et souvent jusqu'au pharynx : alors l'animal cesse de manger. Si donc la faim a persisté dans cette circonstance, l'impression produite dans l'estomac n'a pu se transmettre aux cen- tres nerveux que par l'intermédiaire du système ganglionnaire. Si, au contraire, elle s'est éteinte avec la section des nerfs vagues, l'animal a mangé par instinct, par habitude, ou pour flatter le sens du goût. La nature de la faim n'est pas mieux connue que celle de ses causes immédiates. Cette sensation interne, dont le point de départ est probablement, à la fois, dans l'estomac et dans tout le reste de l'économie, résulte d'une modification nerveuse insaisissable, mais parfaitement caractérisée par son but et par les actes qu'elle [Movoque. Elle est susceptible d'éprouver certaines aberrations qui constituent ce qu'on appelle lepica et le nialacia dont les animaux, de même que l'homme, nous olfrenl 1. Brachet, Recherches sur les fonctions dv, système ganglioiinaire, p. 219. 2. Longet, Anatomie et physiologie du système nerveux, t. Il, p. 3-28. 608 DE LA DIGESTION. de nombreux exemples. Ainsi le bœuf mange quelquefois de la terre et du fumier ; la vache, du linge; la chèvre et le bœuf, du papier; le chien se repait souvent avec avidité de matières fécales quoiqu'il soit bien nourri, et cette aberration a été même observée sur les ruminants qui éprouventhabituellement une vive répulsion pour les matières animales fétides; le chien hydrophobe dévore presque toujours de la paille, des morceaux de cuir. Il en est de même du chien dont la gorge a été irritée par l'ingestion de certains médicaments. J'ai vu le porc enragé se gorger de fumier, et le cheval, dans les accès de rage, se déchirer la peau du poitrail, des avant-bras et s'arracher des lambeaux de muscles. Mais il ne faut pas con- fondre ces aberrations avec les impulsions instinctives qui portent beaucoup d'animaux à prendre des substances salines ou minérales, les gallinacés à avaler du gravier et de petites pierres. Toutefois, lorsque ces impulsions dépassent la mesure, elles deviennent un véritable pica. L'autruche qui se gorge de cailloux, de morceaux de bois ou de fer, en meurt d'indigestion, comme je l'ai constaté une fois; le cheval qui avale une trop grande quantité de terre ou de graviers, peut s'en obstruer certaines parties du côlon au point d'en éprouver de graves coliques. Il faut bien les distinguer aussi du goût que certaines espèces manifestent pour des substances qui inspirent de l'aversion à d'autres, car il est incontestable que ce qui est naturel à chaque espèce ne saurait être une aberration. Enfin, elle devient parfois insatiable; alors elle constitue ce qu'on appelle la boulimie. Il est une perversion du sentiment de la faim qui peut être comparée aux pré- cédentes : c'est celle qu'on observe sur les animaux soumis à une longue abstinence ; ils mangent alors des matières qu'ils ne peuvent digérer. Le chat, le hérisson, pren- nent, comme je l'ai vu plusieurs fois, du foin, même delà paille en assez grande quantité, le lapin ronge le panier où il est enfermé, le bouc mâche et avale son lien, les poils, les crins des animaux avec lesquels il se trouve. Cette perversion ne doit pas être confondue avecl'habitudequeles rongeurs ont de s'attaquer au bois, aux papiers, aux étoffes, soit pour en tirer des matériaux qu'ils utilisent à la construction de leurs nids, soit simplement pour le plaisir d'exercer leurs mâchoires ou d'aiguiser leurs dents. 11. — De la soif. La soif est la sensation interne de laquelle dérive l'impulsion qui porte les ani- maux à la préhension des liquides. Il faut en examiner les caractères, les périodes de manifestation, les degrés, le siège, les causes et la nature. La soif se développe dans deux circonstances principales : lorsque les animaux viennent de manger, et lorsque, pendant la digestion ou dans les intervalles de cette fonction, le sang a éprouvé une déperdition considérable d'éléments aqueux. Mais il est fort remarquable qu'elle se fait sentir presque exclusivement dans le premier cas, et le plus souvent lorsque le repas est à peu près fini et la faim apaisée. On ne voit pas toujours les grands herbivores, après une journée de travail, parles fortes chaleurs de l'été, éprouver le sentiment de la soif, et à chercher alors à s'abreuver aux fontaines ou aux ruisseaux près desquels ils passent. SOIF. 609 Elle se lait sentir plus souvent et plus vivement chez les herbivores que chez les carnassiers, plus chez les oiseaux granivores que chez les rapaces. Elle se renou- velle plus fréquemment chez les animaux qui se nourrissent de substances sèches, (le grains, de farine, que chez ceux qui vivent d'herbes vertes ou de racines aqueuses. Gela se conçoit quand on se rappelle l'énorme quantité d'eau soustraite au sang par la sécrétion salivaire, surtout chez les herbivores. Cependant, bien que les fourrages verts contiennent, en moyenne, les quatre cin(|uièmes de leur poids d'eau, les animaux qui s'en nourrissent, couime les solipèdes et les ruminants, prennent encore des liquides en quantité notable. Quelques-uns de ces herbivores, le mouton, la chèvre, par exemple, boivent peu, même avec une alimentation sèche; le lapin, le lièvre et le cochon d'Inde boivent aussi très peu ou même ne boivent [)as du tout avec une nourriture verte, car ils paraissent perdre fort peu par la transpiration cutanée. C'est un préjugé fort répandu que le mouton et le lapin peuvent vivre sans boire : aussi ces malheureux animaux i)érissent-ils sou- vent de soif avec les aliments durcis dans le tube digestif, en hiver, quand l'herbe manque ou que les intempéries les retiennent àl'étdble, ou bien ils meurent infil- trés quand, après une longue privation do licfuides, ils viennent à s'engorger. Les animaux qui vivent de chair crue, le chien, le chat, boivent encore assez souvent; il en est de même de l'ours, du lion et des autres carnassiers de nos ménageries. Néanmoins, il n'est pas rare d'en voir qui, en hiver, passent des semaines et des uiois sans boire notablement, même j)endant la lactation. Les oiseaux, surtout les granivores, comme les gallinacés de nos basses-cours, boivent souvent : l'oie herbi- vore et le canard, constamment nourris de proie humectée, ne i)araissent pas prendre souvent des liquides sans matières alimentaires. Les oiseaux de proie ne boivent guère, ainsi que l'avait remarqué Aristote, si ce n'est dans quelques cir- constances : parmi ces derniers, la cresserelle et le milan passaient, chez les anciens, pour s'abreuver quelquefois. Les reptiles terrestres, la couleuvre, la vipère, les lézards, boivent aussi un peu : on sait leur avidité pour le lait. 11 est des animaux qui peuvent se passer de boire pendant fort longtemps. Le dromadaire et le chameau supportent la soif quatre à cinq jours et plus même dans les saisons chaudes. Le chat de l'abbé Fontenu vécut dix-neuf mois de \iande bouillie sans boire. Le duc qui servit aux expériences de Leuret et Las- saigne passa huit mois entiers sans faire usage de boissons. Cette faculté que pos- sèdent certains animaux de supporter longtemps la soif n'a rien de bien étonnant chez ceux qui vivent de substances suffisamment imprégnées d'eau, mais elle s'explique diflicilement chez les herbivores des climats chauds. Quelques auteurs, Hurdach entre autres, l'ont attribué, en ce qui concerne le chameau, cà la rareté de la transpiration, à l'abondance de la salive fournie par des glandes volumineuses et à la sécrétion qu'on suppose s'effectuer dans la panse. Or, de ces trois causes, ia juemière seule est acce|)table, car rien ne prouve (pie la salivation du droma- daire soit plus active que celle des autres ruminants, ni qu'il y ait une exhalation aqueuse dans le rumen. D'une part, les glandes salivaires de cet animal ne sont |)as même aussi volumineuses que celles du bœuf, car si la parotide de l'un est sen- siblement égale à la parotide de l'autre, la maxillaire du premier n'est que le tiers de celle du second. D'autre i)art, à supposer que la sécrétion de ces glandes soit r.. COLIN. — Physiol. conip., 3' édit. 1 — 39 '610 DE LA DIGESTION. proportionnellement plus active que dans les autres herbivores, elle nevrend pas compte du fait, puisque laséci'élion delà salive emprunte ses matériaux aux par- ties aqueuses du sang et ne tait qu'épaissir ce liquide, alors qu'il a besoin d'être délayé. Quant à la sécrétion aqueuse qui aurait lieu dans les cellules de la panse, elle est évidemment imaginaire; on ne voit dans ces poches ni glandes, ni rien qui indique là une exhalation quelconque; le liquide qui les remplit n'est autre chose que l'eau dont l'animal s'est abreuvé, eau qui peut s'y conserver longtemps, grâce à une organsation spéciale de la muqueuse s'opposant à l'absorption. Les causes qui peuvent contribuer réellement à rendre la soif supportable aux ruminants dont nous parlons, et même à l'apaiser jusqu'à un certain point, me paraissent résider : 1" dans la présence d'une poche à parois glanduleuses située en arrière du pharynx et versant des mucosités abondantes sur la nmqueuse de l'arrière-bouche ; 2° dans la quantité considérable de giandules qui se trouvent à la partie flottante du voile du palais ; 3" enfin, dans le renvoi à la bouche d'une partie du liquide des cellules du l'umen lors de la rumination, renvoi à la suite duquel cette fraction du contenu des poches aquifères peut être amenée dans le dernier estomac, et de là dans l'intestin pour y être absorbée. Les caractères de la sensation varient avec ses degrés. Lorsqu'elle se développe pendant le repas, la mastication se ralentit et la salivation devient languissante, ranimai cesse bientôt de manger, s'inquiète, s'agite, porte ses regards en difl'érentes directions et fait entendre souvent, commelebœuf, par exemple, des cris plaintifs. Si on le fait sortir de l'étable, il se dirige rapidement vers les abreuvoirs oii il a coutume de se désaltérer, et dès qu'il y est arrivé, il plonge les lèvres dans l'eau et l'aspire à grands traits. S'il est au milieu des champs, attelé à la charrue ou à une voiture, il s'arrête en traversant un fossé ou un ruisseau, et se met à boire, malgré les coups qu'on lui donne dans le but de l'obliger à continuer sa marche. Les es- pèces sauvages sont portées instinctivement à rechercher les endroits où elles trouvent de quoi satisfaire ce besoin impérieux : une secrète impulsion les guide avec sûreté vers des lieux souvent fort éloignés de ceux où elles se trouvent. Aussi, n'est-ce pas sans une certaine vraisemblance que Pline nous a dépeint, sous des couleurs poétiques, les animaux qui, venus de divers points des déserts, se rassemblent ou se rencontrent sur les bords des fleuves pour s'y désaltérer. Lorsque la soif ne peut être apaisée, l'animal manifeste une inquiétude toujours croissante ; la bouche se dessèche par suite de la diminution de la sécrétion sali- vaire, la langue devient chaude, le sang s'épaissit, la fièvre s'allume, la digestion languit, les aliments se tassent dans l'estomac, surtout dans le feuillet ; les ma- tières stercorales se pelotonnent dans le côlon, s'accumulent en grandes masses dans le rectum où elles font un très long séjour; la rumination ne s'opère plus qu'à de rares intervalles et à de très courtes périodes; bientôt même elle se suspend tout à fait. Sans doute qu'alors l'animal éprouve, comme nous, une ardeur vague de l'arrière bouche, un sentiment de sécheresse de la muqueuse buccale; mais il est impossible de savoir quel caractère peut revêtir cette sen- sation portée à son plus haut degré, ni de juger de la soull'rance qu'elle fait naître dans cette circonstance. S'il en est de la brute comme de l'homme, on peut con- cevoir tout ce qu'a de t>énible l'état de ces iiauvres animaux que la négligence SOIF. till (le leurs maîtres laisse souvent des jours entiers en proie à un supplice [)lu> douloureux que celui de la faim. Les conditions dans lesrpielles se développe la sensation de la soit'et les causes (pii la l'ont naître sont. |)()ur la plupart, Caciles à déterminer. Bérai'd a l'ail olisei'ver avec justesse que la prédominance des parties solides sur les parties lluides du sang, l'introduction de substances irrilanles dans les \oies de la circulation, et la diminution absolue du liquide nutritif, sont les trois états principaux qui se rapportent au développement de la soif. Kn effet, lorsipie le sang a perdu une Ibrte proportion de ses éléments a(jueu\. par suite d'une transpiration abondante, comme celle qu'éprouvent les animaux soumis à des travaux i)énibles pendant les fortes chaleurs de l'été, ou bien lors- qu'il a été privé d'une énorme quantité d'eau, soit par la sécrétion urinaire sur- excitée, soit par la salivation opérée pendant la durée d'un repas composé de substances sèches, la soif se manifeste et acquiert une intensité proportionnelle à la soustraction de l'eau du sang. De même, après l'ingestion de fourrages exci- tants, salés, après des opérations chirurgicales sanglantes, de copieuses saignées, elle nait assez proniptement. On voit tous les jours dans nos salles d'opérations de malheureux chevaux éprouver une soif que l'ingestion d'énormes quantités d'eau peut à peine apaiser, et qui, après s'être abreuvés, retrouvent momentané- ment assez de force pour se relever. L'état de l'estomac rempli d'aliments impar- faitement humectés ne nous semble pas être, par lui-même, une cause qui fasse naître directement la sensation dont nous parlons. Très probablement, la cause efl'ective réside alors dans la perte considérable de parties aqueuses que le sang a éprouvée pour fournir la salive nécessaire à la division et à la déglutition des substances alimentaires, car on sait qu'un solipède, en mangeant, par exemple, dans un repas, 4 kilogrammes de foin, donne, pour humecter ce fouirage, environ K) kilogrammes d'eau. Or, cette soustraction effrayante doit épaissir considéra- blement le sang qui reste dans les vaisseaux. Les déperditions dues à la sécrétion du lait, aux sécrétions morbides, aux épanchements dans les grandes séreuses, produisent le même effet que la trans- piration et la manducation. La vache laitière, nourrie au sec. boit d'énormes (|uantités d'eau, le lapin, au même régime, pendant la lactation, absorbe souvent plus de 2^3 décilitres de liquide en 24 heures. Quant au siège et à la nature de la sensation, l'un et l'autre sont diflicilcs à déterminer. Dumas considérant que la soif se développe par suite des déperditions que le sang a éprouvées dans sa partie aqueuse, déperditions qui donneraient lieu à un état inflammatoire de ce liquide et à une réaction fébrile, place le siège de la sen- sation dans le système vasculaire sanguin. Ce physiologiste s'abuse. L'état du sang entraîne eflectivement le manifestation de la soif, mais cet état spécial n'exerce point son.action sur les vaisseaux, et, à supposer même que cette action portât sur eux, jouissent-ils d'une sensibilité susre|)tible de s'exalter au point de pro- duire l'impression pénible qui fait naître la soif? La sensation qui provoque les animauxà la préhension des liquides dérive d'un état général de l'économie, ou plutôt d'un état du sang (pii. hii-niême, résulte 612 DE LA DIGESTION. d'une transpiration abondante, d'une salivation excessive et, en un mot, de toutes les causes qui le rendent trop plastique. Cet état du sang a pour effet de stimuler trop vivement le système nerveux et de diminuer ou de tarir les sécrétions, celle de la muqueuse pharyngienne entre autres. Or, est-il irrationnel d'admettre que cette membrane, en devenant aride, éprouve des modifications dans sa sensibi- lité, lesquelles déterminent l'impression pénible qu'on appelle la soif? Je ne vois pas quelles objections sérieuses on pourrait faire à cette opinion déjà ancienne. Le fait de l'extinction de la soif par suite de l'immersion du corps dans l'eau, de l'application de linges mouillés à la surface de la peau, d'injections aqueuses dans les veines, de l'introduction directe des boissons dans l'estomac, ne prouve rien contre la localisation du siège de la sensation dans la muqueuse df i'arrière-bouche. Ce fait tant de fois présenté comme contraire à l'idée d'une localisation quelconque, n'a, en ce sens, aucune valeur, car la pénétration de l'eau dans le sang, en quantité suffisante, rend ce dernier moins stimulant et lui donne les qualités convenables pour rétablir les sécrétions à leur état normal, et, en particulier, celle de la muqueuse pharyngienne. 11 est, d'ailleurs, un autre fait qui vient à l'appui de la localisation delà soifdans I'arrière-bouche, bien qu'à un certain point de vue il semble pouvoir être inter- prété autrement. J'ai observé que les chevaux très altérés, dont Tuesophage était ouvert sur le trajet du cou, cessaient de boire après avoir aspiré un ou deux seaux d'eau, comme si le liquide fût parvenu à l'estomac. Evidemment, dans cette cir- constance, qui paraît un autre supplice de Tantale, les animaux se désaltéraienl momentanément, par suite de l'action locale de l'eau sur I'arrière-bouche et de l'humectation de la muqueuse de celte cavité. Mais l'efTet ne peut être de longue durée, puisque bientôt la muqueuse pharyngienne redevient sèche, faute d'une sécrétion suffisamment abondante. Il est à noter que la soif est apaisée par suite de l'injection directe de l'eau dans les compartiments gastriques qui, chez les ruminants, n'absorbent point, et dans l'estomac simple des solipèdes-, à peu près complètement privé de la faculté absorbante. Ce résultat s'explique parfaitement, pour les ruminants, par le passage facile des liquides du rumen dans le dernier estomac, et de là dans l'intestin oîi l'absorption est si active, et pour le cheval, parle transport immédiat des boissons dans l'intestin grêle et le cœcum. Dans l'hypothèse de la localisation de la soit au pharynx, il est assez difficile de dire quels sont les nerfs qui transmettent aux centres l'impression développée dans le tissu de la muqueuse de cette cavité. Longet semble refuser ce rôle au lingual et au glosso-[)haryngien, parce qu'il a vu la sensation persister après la section de ces nerfs pratiquée des deux côtés. De même que la faim, la sensation de la soif éprouve quelques aberrations. Nulle, elle donne lieu à ce qu'on appelle Vadipsie, et exagérée, au point de devenir inextinguihle, elle constitue la poii/dipsi'e. ABSTINENCE. 1)13 111. — De l'abstinence. L'abstinence consiste dans la privation d'aliments. C'est l'état dans lequel la liiim et la soif réclament en vain et arrivent successivement à leur derniers degrés sans être apaisées. Quand elle se prolonge au delà d'un certain temps, variable suivant les espèces, elle produit l'inanition et détermine la mort. Tous les animaux ne sont pas également aptes à supporter l'abstinence : elle est d'autant moins susceptible d'être prolongée que les fonctions nutritives, respira- toires et sécrétoires sont plus actives. Sa durée possible est plus ou moins considé- rable, suivant les espèces, leur mode d'alimentation, suivant l'âge, l'état de mai- greuroud'embonpointdes animaux, etlesconditionsdanslesquellesilssetrouvenl. Lesanimauv à sang froid, dont les actions nutritives sont silentcs, la supportent fort longtemps. On sait, depuis les observations de Rondelet, que les poissons, même parmi les plus voraces, peuvent vivre des années entières dans l'eau claire. Les serpents des pays chauds passent dans nos pays des années sans prendre di nourriture. Un crotale a vécu, dit-on, vingt-six mois au Muséum de Paris sans vouloir prendre de nourriture ; tous les reptiles de nos pays passent presque la moitié de l'année sans manger, bien qu'ils ne soient pas engourdis. Hérodote a dit que le crocodile va quatre mois sans prendre d'aliments ; mais, en été, les reptiles tels que les vipères et les couleuvres, ne supportent guère l'abstinence au delà de deux à trois mois, comme je l'ai plusieurs fois constaté. Parmi les mammifères, les carnassiers la supportent mieux et plus longtemi»- (|ue les omnivores et surtout que les herbivores. On sait que le loup, le lion el toutes les espèces analogues, n'ayant pas toujours une proie à leur disposition, sont habituellement exposés à des privations qui doivent leur être plus tolérables qu'à d'autres animaux. Aristote croyait même qu'il était dans la nature des carnassiers de ne faire que des repas très éloignés, car il dit' que le lion, après s'être bien repu, reste deux ou trois jours sans manger; mais l'observation de ce qui se passf dans nos ménageries prouve (pie les es[ièces les plus essentiellement carnassières mangent très bien tous les jours, quelle que soit l'abondance de leur nourriture. Les chiens, d'après les expériences de Magendie et de Collard de Martigny, vivent trois à quatre semaines sans prendre d'aliments; d'après Leuret et Lassaigne^, ils l»euvent supporter une privation complète d'aliments et de boissons pendant un mois dans un lieu sec et chaud, et jusqu'à quarante jours dans un lieu humide et sombre. C'est aussi ce que j'ai constaté plusieurs fois dans mes expériences sur la glycogénie et sur la chaleur animale. Le chat peut, ainsi que je l'ai vu, passei- également seize, vingt-deux, vingt-huit, trente-six jours sans aliments et même sans boissons. Quelques carnassiers cependant font exception à la règle, car l;i taupe, suivant les observations de M. Flourens, ne peut guère vivre plus d'un jour sans prendre de nourriture. Et, en elYet, celles que j'ai enfermées dans un ton- 1. Aristote, //«/o//e des animaux, iiv. VII, p. 417. Pline prétend que cet animal m- mange que de deux jours l'un. Comment pouvait-il le savoir? 1. Leuret et Lassaigne, l\er]irfpho< phi/sinlnf/irii/'^^ rf r/tn,i'i/itt\'< pniir srrr/r à l'/i>>liiirr ilr la (lii/>"^Hii)i. Paris, 182.'). 614 DE LA DIGESTION. neaii défoncé, plein de terre, sont mortes, quand, après \ingt-quatre ou qua- rante-huit heures, j'ai cessé de leur fournir des vers ou de la viande hachée. L'homme, dans les conditions ordinaires, ne peut se passer d'aliments au delà de trois à quatre jours sans éprouver de vives souffrances ; il peut vivre quelque- fois deux à trois semaines, même plus, s'il est condamné à l'immobilité, comme on l'a observé dans les galeries de mines. Les omnivores sont dans le même cas. On a vu, en Suisse, dans un bâtiment enseveli sous une avalanche de neige, un porc vivre six à sept semaines. Les herbivores s'accommodent avec peine d'une ahstinence aussi prolongée. Le chameau, le dromadaire et les autres ruminants quiont une ample provision accu- mulée dans les premiers estomacs, n'en souffrent pas trop, au début. M. Bouley a vu le cheval jeûner pendant douze jours, et Gurlt jusqu'à vingt-sept. Dans une expérience dont j'ai déjà publié les résultats curieux ^, je me suis assuré que le cheval, s'il est vigoureux et dans de bonnes conditions hygiéniques, peut, sans mourir, aller jusqu'au trentième jour, pourvu qu'on laisse de l'eau à sa disposition. Le lapin vit environ douze jours, d'après Dugès, et jusqu'à dix-sept jours suivant Bernard, sans aliments ; les souris trois jours, d'après Magendie, et les rats deux jours à peine par les fortes chaleurs de l'été, du moins autant que j'ai pu m'en assurer sur cinq ou six individus de cette espèce. Les oiseaux ne peuvent sup- porter aussi longtemps cette privation que les mammifères. Buffon dit qu'elle peut aller à trente-cinq jours pour l'aigle, à quatorze pour le vautour, à dix pour l'effraie. Redi n'a vu vivre les animaux de cette classe que vingt jours lorsqu'il leur laissait des liquides, et neuf jours seulement quand ils étaient à la fois privés d'aliments et de boissons. Spallanzani a même vu un duc périr après six jours seulement d'abstinence. Les oiseaux granivores ne sont pas dans le même cas. Dugès dit qu'ils meurent après deux jours d'abstinence. J'ai vu cependant un dindon vivre dans cette cir- constance quatre jours entiers. Le canard qu'on veut faire périr d'inanition passe cinq à six jours sans aliments, et mange après cette épreuve avec une étonnante avidité. J'ai vu un palmipède de cette espèce résister aune abstinence de quinze jours. Sur l'oie elle peut aller aisément à un mois. Une oie à foie gras, qui me fut expédiée de Strasbourg, vécut dans sa caisse quarante-quatre jours, sans recevoir autre chose que de l'eau, et encore après cette longue période on la tua, sans qu'elle parût à la veille de mourir ; mais les petits oiseaux ne sont pas dans le même cas. Les moineaux, les fauvettes adultes sans aliments, meurent de la vingt-quatrième à la quarante-huitième heure de leur réclusion. Le rossignol vit à peine un jour sans insectes. Les jeunes animaux, à quelque espèce qu'ils appartiennent, et quel que soit, du reste, leur régime, supportent moins longtemps l'abstinence que lesadultesetles sujets avancés en âge. J'ai vu, en été, des lapins dont la mère était morte deux ou trois jours après le part, vivre quatre à cinq jours, bien qu'ils fussent nus et froids. J'ai vu également déjeunes chiens ou de petits chats, séparés d(^ leur 1. G. Colin, Des c/jfcls da Tah.'^tinc'iicc et de l'alime/ilulion insu/fisan/e c/ie: ies animaux [Recueil de méd. vétérin., 1862, p. 860, et 186.3, p. 62). ABSTINENCE. 615 mère, vivre le inêmc laps de tem|)s et jusqu'à une semaine entière. Ambrosoli a observé que desliérissons àl;j mamelle, dont la mère s'était échappée, ont résisté jusqu'au seizième et au vingtième jour ; mais les chais, à la veille d'être sevrés, n'ont pas dépassé, dans mes expériences, le douzième jour de l'abstinence. Les animaux adultes et en bonne santé peuvent vivre sans aliments, bien plus longtemps que les jeunes sujets. Le fait est général ; mais la durée de la vie, dans ce cas, est en raison inverse de l'activité des animaux, et en raison directe du degré d'embonpoint. Ainsi, les animaux qui travaillent ou qui sont en proie à uneiigita- lion continuelle, telle que celle des espèces qui ne s'habituent pas àla réclusion, sont vite épuisés; ceux qui, au contraire, demeurent calmes, souvent couchés, dans des lieux sombres, à température moyenne, résistent beaucoup plus ; enfin, les animaux n aigres succombcntpromptement, tandisque les gras résistent pen- dant un temps très long. Le cheval maigre, par exemple, ne vit que de cinq à dix jours en moyenne, le cheval gras el bien musclé, trois, qu;itre et cinq semaines. L'abstinence produit des modifications remarquables dans l'éiat de divers organes et dans la plupart des fondions de l'économie; les premières portent sur l'ap- pareil digestif : il faut les examiner sommairement. L'esiomac, chez certains animaux, les carnassiers, par exemple, se vide complè- tement et s'aflaisse sur lui-même, au point que sa cavité est entièrement ellacée; les liquides qu'il pouvait contenir ont été résorbés ou chassés dans l'intestin ; il ne reste plusàla surface de la muqueuse plissée qu'uuf' couche épaisse de mucus. II ne se vide pas tout à fait chez le porc et conserve une cavité assez notable chez les solipèdes. L'estomac de ces derniers s'éloigne de Thypochondre gauche, se place en grande partie à la face postérieure du foie. Son cul-de-sac gauche, bien plus alfaissé que le droit, devient fort petit, et les libres charnues qui concourent àla lormalion des parois du premier se rassemblent en gros faisceaux bien distincts, séparés par des sillons profonds; le sac droit, plus dilaté, et non sillonné à l'exté- rieur, conserve intérieurement une certaine quantité de liquide jaune verdâtre, souvent presque dépourvu de viscosité marquée, et toujours neutre ou alcalin. C'est un reste des liquides que l'animal a bus, et qui se trouve mêlé à la salive déglutie pendant l'abstinence. Celui des ruminants conserve toujours unegrande quantité d'aliments. Les fourrages se tassent dans la panse si l'animal est privé de boisson, ou forment une masse dure qui surnage la partie liquide. Ils ne par- viennent à èlrc ruminés qu'avec une extrême dilficullé si l'abstinence se prolonge. .Vussi l'animal meurt-il de faim avec une quantité d'aliments qui remplirait trois ou quatre l'ois l'estomac simple du cheval. Le réseau présente encore un peu de liquide mêlé à quelques parcelles alimenlaires. Les aliments du feuillet se des- sèchent à un haut degré et forment des tablettes compactes entre ses lames mu- (|ueuses. Les vaisseaux gastriques sont llexueux, et très probablement ils re- çoivent moins de sang que lors de la digestion : la muqueuse stomacale l'orme des plis qui sont, chez les soli()èiles, petits et très nombreux dans \r sacgauche. plus rares et plus sailbints dans le sac pylorique Dumas dit l'avoir trouvée altérée par l'absorption dans le chien, et Hunter assure l'avoir vue ulcérée sur un homme mort de faim. Ordinairement, elle n'est pas même sensiblement enflammée : néanmoins, j'y ai noté quelque apparence de phlogose sur un cheval mort après 6J6 DE LA DIGESTION. une longue abstinence, et le faitest d'autant plus singulier que la gastrite est une rareté chez cet animal. Les lésions signalées par Dumas et Hunter, si elles sont possibles, doivent être peu communes. L'intestin grêle revient l'acilement sur lui-même, surtout à sa dernière portion. Il se resserre, au point de prendre, notamment chez les carnivores, l'apparence d'une corde ; sa cavité s'efface par l'accolement de sa muqueuse à elle-même, et par la densité qu'acquiert son mucus; il conserve quelquefois, de distance en distance, des dilatations séparées par des étranglements qui lui donnent l'aspect monili- forme ; sa muqueuse plissée s'enflamme facilement et il se développe des stries in- flammatoires sur les parties saillantes des plicatures ; ses liquides s'épaississent, finissent par devenir troubles et se mêler à des gaz fétides ; ils conservent toujours une extrême viscosité. Le gros intestin s'affaisse et se vide presque entièremeni chez les carnassiers et les ruminants, mais il conserve beaucoup de matières plus ou moins épaisses dans les solipèdes. Sur un cheval très vigoureux mort après douze jours d'une privation complète d'aliments, l'estomac contenait Slitres d'un liquide trouble, jaune verdâtre, fétide et l'intestin grêle, 2 litres et demi d'un autre fluide jaune d'ocre, alcalin et également fétide ; le cœcum, 15 litres d'un liquide tenant en suspension quelques parcellesalimentaires,et le côlon replié, 20 litres dema- tières très délayées, où les aliments entraient à peu près pour un dixième. La muqueuse du sac droit de l'estomac était très évidemment phlogosée, celle de l'in- testin grêle encore davantage; entin, celle du côlon et du cœcum l'était très vive- ment. Cette dernière, recouverte de fausses membranes très adhérentes, avaitses follicules hypertrophiés. II est digne de remarque que l'intestin ne se débarrasse jamais de son contenu chez les solipèdes etlelapin, oi!iil estbosseléetanfractueux, tandis qu'il se vide à peu près complètement chez les ruminants, les carnivores, le hérisson, la chauve-souris. On le trouve ordinairement vide pendant l'abstinence hivernale des animaux qui s'engourdissent, comme Aristote l'avait noté sur l'ours. Il se vide insensiblement sur les hérissons qui tombent dans la torpeur; néan- moins, il peut offrir chez ces animaux, pendant les froids intenses, une certaine quantité de résidus alimentaires même des pelotes d'herbes, si les rémittences de l'engourdissement leur ont permis quelques légers repas. Il est à noter que certaines parties du tube intestinal se vident plus complè- tement que d'autres, et dès les premiers temps, comme l'origine et la lin de l'intestin grêle de la plupart des animaux, la dilatation terminale de l'iléon, l'appendice du cfecum, le premier segment du côlon chez le lièvre et le lapin. Les annexes de l'appareil digestif éprouvent aussi quelques modifications. Le foie se rapetisse ; son tissu noircit et devient ferme ; ses cellules perdent la plus grande partie de leurs gouttelettes de graisse, tout en conservant une certaine quantité de glycosc ' ; il continue à fonctionner, et la bile qu'il verse dans l'intestin est com- plètement éliminée; c'est elle qui donneaux matières cxcrémentitielles la teinte jaunâtre qu'elles ont si nettement, surtout chez les oiseaux. La vésicule se distend et se remplit d'une bile épaisse dont la quantité s'élève parfois, chez le bœuf, à 1. G. Colin, Sur les diverses états des cellules du foie [Comptes rendus de l'Académie des sciences, novembre 1851). ABSTINENCE. 617 plus de 1200 grammes. Celle qui coule dans l'intestin reflue en partie dans l'es- tomac, notamment chez le porc, où elle colore le mucus de la partie droite du viscère et les liquides qui s'y trouvent en dépôt. Il survient, par suite de l'abstinence, des modifications non moins sensibles dans tout le reste de l'économie. La masse du corps éprouve une réduction considérable, car l'animal pendani l'abstinence vit au dépens de sa propre substance. Il emprunte à ses orj^anes l'équivalent de ce qu'il tire normalement des matières du dehors. Létaux de l'emprunt intérieur est nécessairement proportionné à la taille de l'animal ; mais il varie suivant une foule de ciiconstances. Un cheval musclé et d'un certain embonpoint, du poids de 403 kilogrammes, a perdu, entrentejours d'abstinence, 80 kilogrammes, ou 2(5()(j grammespar vingt quatre heures, soit la 1.02' partie du corps, ou b'^^SS par kilogramme. Un autre cheval pesant. 'i08 kilo- grammes, sous le coup de la morve aiguë au début, perdait 64 kilogrammes en quatre jours, 17 le premier, 16 le second, 1() le troisième, lo le quatrième, soit par jours la 31^ partie du poids du corps, ou .31 grammes par kilogramme, consé- quemment o fois autant que le précédent. Un jeune taureau, du poids de 313 kilo- grammes, perdait 5 kilogr. 7, ou la o.j'' partie du corps, 18 grammes par kilogramme. — Une chienne de 22 kilogrammes perdait 280 grammes, la 79° partie du poids du corps, 127 grammes par kilogramme ; une autre, du poids de 8 kilogrammes, diminuait d'un W)'. Un chatgrasdeDkilogr. 83(), éprouvait une pertede.T9°'',07, ou d'un 97^ Une oie du poids de 4800 grammes, 5Gs%27. ou un 8o^ soitlls'",72 par kilogramme; un canard, un 28^ D'où il résulte que la perte varie du simple au quintuple, soit dans la même espèce, soit d'une espèce à l'autre, du mammi- fère au mammifère, de l'oiseau à l'oiseau. Les déperditions des hibernants oscillent dans des limites très étendues, suivant qu'ils sont éveillés ou engourdis, suivant même que leur torpeur esl plus ou moins profonde. Ainsi, dans mes expériences, un hérisson perdait de2à8 grammes par kilogramme, un autre de 1 à 8 grammes, ou de la 686° à la 98*^ partie du poids du corps. 11 en a été à peu près de même du colimaçon qui perdait trois foisautani avant l'occlusion de la coquille (ju'après la formation de l'opercule. Du reste, ces déperditions vont décroissant, d'une manière absolue, à mesure que l'abstinence se prolonge; mais elles demeurent souvent, d'une manière relative, aussi considérables à la lin que dans les premiers jours. Chossat les a vues con- stamment plus fortes les premiers jours (jueles jours suivants, après lesquels elles tendent à devenir uniformes. La mort survient lorsqu'elles se sont élevées, en moyenne, aux quatre dixièmes du poids initial chez les animaux d"un end)onpoiul ordinaire, et aux cinq dixièmes chez les animaux gras. Ce résultat arrive vingt- trois fois moins vite sur un vertébré à sang froid que sur un mammifère. Ces pertes sont supportées, dans des proportions très variables, [lar les diverses parties du corps. Elles sont énormes dans quelques-unes, très faibles dans d'autres. La perte moyenne étant de 40 pour lOO, celle de la graisse peut, d'après Chossal'. s'élever à 93 ; celle du sang à 75 ; du foie, à o2 ; du C(eur, à 44 : des muscles, à 1. Chossat, Hecherches expérimentales sur l'inanition. Paris. 1843. 618 DE LA DIGESTION. i2 ; celle de la peau n'est que de 33 ; des os, 216 ; du système nerveux de 1 cen- tième; mais il y a, à cet égard, des différences suivant les espèces animales. La graisse se résorbe avec rapidité, particulièrement celle qui est sous-jacente à la peau, celle qui se trouve dans les interstices musculaires, puis celle quiest en dehors du péritoine, dans les mésentères, les épiploons, à la périphérie des reins, au bord supérieur de l'encolure du cheval, sous le sternum des ruminants. La graisse des os diminue très notablement : aussi, les squelettes des animaux qu'on a fait mourir d'inanition, après de longues privalions, sont-ils susceptibles d'ac- quérir une blancheur et une légèreté que ne possèdent jamais ceux des animaux gras. Il est cependant des parties où la graisse se conserve en quantité considé- rable, quelle que soit la durée de l'abstinence. Ainsi, on en retrouve constam- ment au coussinet de la gaine fibreuse de l'œil, dans la fosse temporale, à la base de la conque, autour de la dure-mère rachidienne, dans les scissures coronaire et spiroïde du cœur, en arrière des ligaments rotuliens. Cette graisse, dans les points où elle persiste, change de teinte chez les solipèdes ; on lui voit prendre un reflet rougeâtre qu'elle n'a point habituellement; les coussinets des tempes sont comme infiltrés de sérosité; les mailles cellulaires qui emprisonnent les vésicules devien- nent plus apparentes et leurs vaisseaux mieux dessinés. Toutefois, la résorption de cette matière met un temps très long à s'effectuer si l'animal est d'un embonpoint considérable. Le cheval qui avait supporté l'abstinence pendant trente jours en conservait encore 14 kilogrammes dans la cavité abdominale. Le système musculaire, qui a déjà perdu de son volume apparent par la résorp- tion de la graisse sous-cutanée et interstitielle, s'atrophie réellement avec une certaine rapidité; les muscles se dessinent sous la peau avec leurs reliefs et leurs découpures, surtout lors de la contraction ; ils laissent en évidence les saillies des os et les formes du squelette, surtout dans les membres. Chez les ruminants, et chez les rongeurs, ils arrivent à un degré extrême d'émaciation qui donne à plusieurs la minceur d'une feuille de papier et presque de la transparence ; leur tissu devient sec, coriace, peu nutritif, indigeste; leurs faisceaux primitifs tendent à perdre leurs stries, lorsque le marasme atteint ses dernières limites. Chimiquement, ils sont très altérés : iln'y a plus de graisse, plus de sucs dans les interstices de leurs fibres, et, sans doute, les matières extractives,rosmazome, ne s'y trouvent plus dans les proportions normales. C'est par suite de ces modifications et de son atrophie que le muscle ne possède plus qu'une contractilitéafl'aiblie, qu'il est incapable d'effort, etc. Les muscles de la vie organique participent à l'atrophie. Le cœ.ur se rapetisse et s'amincit; les plans charnus de l'estomac, de l'intestin, de la vessie, perdent de leur poids, l)ien que le resserrement des réservoirs semble, au premier abord, y indiquer une augmentation d'épaisseur. Les autres parties, notamment le foie, la rate, les reins, les testicules, les ma- melles, en fournissant leur contingenta la résorption, subissent une atrophie plus (»u moins marquée. Les UKîmbranes mêmes, les crins, les poils, les plumes, éprou- vent un rétrécissement dans les parties produites pendant l'abstinence. Les fiuides, de même que les solides organiques, se réduisent à de moindres proportions. Le sang, dont les matériaux ne se renouvellent plus qu'aux di'pens des propres matériaux de l'organisme qui se décompose de toutes parts, éprouve ABSTINENCK. f»!'» une diminution de quantité fort a()préciable, qu'on ne soupçonnerait pas, du reste, le plus souvent, si l'on prenait en considération l'état des muqueuses apparentes. Les vaisseaux s'nflaissent; ceux qui sont ordinairement gonflés sous la peau s'eflacenf graduellement: cette diminution est portée si loin que les animaux qui ont succombé à une longue abstinence sont presque exsangues, comme Haller ei une foule d'auteurs l'ont remarqué: mais on n'est pas bien fixé sur les change- ments que ce liquide éprouve. On sait cependant, d'après les analyses de MM. Lecanu, Gavarret, que la quantité de ses globules dimin\ie. Son eau et son iiibumine nuguienteraieut, daiuès quelques observateurs. Dans quelques cas, sa composition se modifie à jjcine. Il renferme sur les animaux gras, d'après mes observations, assez de graisse pour présenter un sérum d'une teinte opaline et beaucoup de sucrée Celui du cheval qui vécut trente jours sans aliments, présenta à M. Wui'tz une constitution à peu près normale. Dans tous les cas, les tissus pâlissent, se dessèchent en quelque sorte; mais ils ne deviennent point phospho- rescents, ainsi que le disent certains auteurs. Tja lymphe, d'après Collard de Martigny, augmenterait sensiblement de quantité pendant les quatre à cin(( premiers jours de l'abstinence : cette particularité assez bizarre me paraît difficile à expliquer; je ne l'ai point constatée sur les rumi- nants, au canal Ihoracique desquels se trouvait adapté un tube donnant écoule- ment au chyle et à la lymphe; au contraire, la lymphe devenait de plus en plus rare, au point que l'écoulement était à peu près nul dès le troisième ou le qua- trième jour. Les fonctions se modifient très sensiblement sous l'influence de l'abstinence. La circulation se ralentit, le pouls devient petit et d'une rareté excessive, lorsqu'il n'y a point de fièvre. La respiration se ralentit dans la même proportion que la circu- lation. Il résulte de lues observations, que le cheval dont les dépei'ditions s'éle- vaient à 2(366 grammes par jour, devait consommer seulement à peu près le tiers du carbone, la moitié de l'hydrogène qu'il aurait usés dans les conditions normales. Néanmoins, d'après M. Boussingault, la quantité d'acide carbonique resterait, si ce n'est au dernier moment, ce qu'elle est dans les circonstances ordinaires. La chaleur animale baisse, d'après Chossat, et éprouve une réduction de trois dixièmes de degré toutes les vingt-quatre heures, de mnnière à descendre sur la fin de l'inanition à 13 ou 14 degrés au-dessous du chilfre habituel. Mais cet abaissement ne se produit pas d'une matière notable, comme je l'ai constaté sur le cheval, le chien et l'oie, si l'animal est très gras : la température se maintient alors, à 1 ou 2 degrés près, à son chilfre normal, pendant trois, quatre, cinq semaines. Le refroidissement, au contraire, est extrêmement marqué chez les animaux qui man- (pient de substances combustibles. Les sécrétions se tarissent, l'urine est peu abon- dante, surtout si les animaux sont privés de boissons; elle reste encore chargée d'une forte proportion de principes salins et de matières animales. M. Boussin- gault^ y a trouvé encore chez les oiseaux de l'acide urique et Lassaigne^, de 1. G. Colin, Nouveau cuup d'ii-il sur les p/iriioinène^ de la glijeogénie animale [Herue'l lie médecine oétérinairc, î86:J, p. 850). 2. Boussmgault, ouvr.eité,\. 11, p. 403. .']. Lassaigue, Journal de chunie médicale, 18:25. 620 HE LA DIGESTION. l'urée, chez un fou qui avait résisté à une abstinence de dix-huit jours. Ordinaire- ment elle cesse d'être trouble et sédimenteuse chez les herbivores; elle devient inco- lore, claire, et ne laisse plus déposer de carbonates; elle acquiert l'acidité de celle des animaux qui se nourrissent de chair; son acide hippurique est remplacé par l'acide urique. La transpiration cutanée semble perdre de son activité; les sueurs n'apparaissent que fort rarement. Chez quelques espèces, celle du porc notamment, la matière sébacée devient abondante, visqueuse et donne à la peau un aspect repoussant ; les mamelles se flétrissent ; la lactation se suspend ; la salive visqueuse, destinée à humecter la bouche, devient épaisse et n'est plus déglutie qu'en petite quantité et à de rares intervalles ; elle ne coule plus pendant la mastication; les sécrétions intestinales seules conservent une assez grande énergie ; la bile continue à être versée en abondance ; elle donne aux matières de l'intestin grêle du porc et du cheval une teinte jaune bien sensible ; elle colore les matières fécales des gallinacés, et le savant chimiste que je viens de citer en a reconnu l'existence dans les excréments des oiseaux; enfin, les exhalations séro-muqueuses du tube intestinal deviennent si abondantes parfois, qu'elles déterminent une diarrhée dont l'apparition signale souvent les derniers moments de la vie des animaux qui meurent d'inanition. Il y a dans l'abstinence deux périodes distinctes, l'une oi!i l'animal se nourrit régulièrement aux dépens des matériaux qu'il puise en lui même, l'autre pendant laquelle il cesse de trouver dans sa propre substance des éléments suffisants pour entretenir sa température et renouveler son sang. Ces deux périodes d'inégale durée ont chacune leur physionomie propre et laissent entre elles une ligne de démarcation importante. La première dure tant que les phénomènes de l'autophagie s'accomplissent avec régularité, c'est-à-dire tant que l'absorption peut enlevei' une suffisante quantité de matériaux combustibles et plastiques : alors la tempéra- ture du corps se maintient, le sang demeure abondant et riche, la lymphe épaisse et sucrée; c'est ce que j'ai observé pendant plusieurs semaines sur le cheval gras, l'oie, le hérisson, au début de l'engourdissement; mais, à la seconde période, la scène change, l'absorption ne recueille plus la somme de matériaux nécessaire ; la masse du sang diminue de moitié, même des deux tiers; le liquide s'appauvrit en globules, en fibrine, en sucre, les sécrétions tarissent, les sensations deviennent obtuses, les mouvements lents, le refroidissement est considérable. Lorsqu'un animal est soumis à l'abstinence et tant que les choses se passent comme dans la prennière période, la faim n'est point éteinte et la faculté de digérer, puis d'assimiler, demeure entière. Si l'on remet, avecquelques précautions, l'animnl à son régime, il rei)rend peu à peu ses forces et arrive bientôt à compenser set«. pertes. Une fois que son sang cesse de se reconstituer comme il doit le faire, et que la température baisse fortement, la faim s'apaise, s'éteint dans un vague sentiment de souffrance; l'animal ne cherche plus les aliments, il les refuse si on les lui pré- sente, ou, s'il les prend encore, ses mâchoires ne les broient plus qu'avec peine : les glandes salivaires ne les arrosent pas ; ils sont déglutis péniblement ; l'estomac, plongé dans la torpeur, se comporte comme un vase inerte, il ne verse plus sui' eux le suc dissolvant; les séciétions intestinales ne sont plus que des mucosités chargées d'épithéliums: la digestion est impossible et partant l'ossimilatinn esl ABSTINENCE. 621 supprimée; rinanition suit, dès lors, sa marche fatale; elle aboutit bientôt au refroidissement qui est le sinistre avant-coureur de l'agonie. L'abstinence détermine, suivant ses périodes et suivant les animaux qui la sup- portent, certains efiets généraux fort remarquables. Dans les premiers temps, les animaux sont surexcités ; le cliien aboie, comme pour demander des aliments, et il en cherche partout s'il est libre; le bœuf bi'ugle, foule sa litière, ramasse avec la langue tous les brins de paille qui sont à sa portée ; le cochon fait entendre un gro- gnement particulier souvent répété, et se met à ronger les planches de sa hutte et à insinuer son groin dans tous les interstices des parois de sa prison ; le loup vient hurler, dans les temps de neige, sur la lisière des bois; les carnivores sauvages deviennent d'une extrême férocité; les rats enfermés ensemble se mordent sou- vent avec une animation remarquable. Après ces premiers jours d'excitation sur- vient un calme de plus en plus profond dont l'animal ne sort que par moments. Lr chien se retire dans un coin et se couche ; il n'aboie pas et ne semble plus réclamer d'aliments. Plus tard, lorsque son alfaiblissement a fait des progrès, si on lui jette un morceau de pain, il se lève, marché en chancelant ; souvent il se heurte et parfois il tombe; ses yeux ternes, enfoncés dans les orbites, expriment la lan- gueur et la souffrance, qu'il faut comparer aux angoisses pénibles et déchirantes des malheureux qui vont mourir de faim. Le pauvre animal, les membres à peine redressés, se i)récipite sur l'aliment qu'on lui adonné; il le mâche avec lenteur, comme si ses mâchoires étaient sans forces; on voit qu'il éprouve une grande difii- culté dans la déglutition. Bientôt, il revient dans le coin où il a l'habitude de se reposer, et c'est le plus obscur de son habitation; il s'y couche en cercle et reste indiflerent à ce qui se passe autour de lui ; plus tard, il ne veut pas en sortir, même quand on lui présente de la nourriture. L'oiseau n'a pas la force de se tenir perché. Le dindon, par exem[)le, reste immobile et comme hébété; ses mouve- ments deviennent très lents : au bout d'une abstinence de deux ou trois jours, il refuse les aliments, mais il boit encore avec avidité; ses caroncules pâlissent cl acquièrent de la flaccidité; ses déjections sont molles et bilieuses. La mort, qui termine le malheureux état dont nous parlons, est précédée, chez le cheval, d'un décubitus latéral plus ou moins prolongé d'une sueur froide et de quelques convulsions de courte durée; elle survient après un temps dont la durée varie suivant l'espèce, l'âge, l'état des animaux et les conditions diverses dans lesquelles ils peuvent se trouver. On s'est demandé quelle pouvait être la cause prochaine de la muri (|ui mt't (in à l'abstinence. Les uns ont considéré cette cause comme étant le résultat de la diminution de la masse du sang; les autres, Chossat. par exenjjile, l'ont vur dans l'abaissement de la chaleur animale; il en est qui l'ont attribuée au défaut d'excitation du système nerveux, au manque d'éléments réparateurs. Ici, l'effel résulte évidemment de plusieurs causes : le sang appauvri est en proportion trop minime; les tissus, déjà brûlés en partie, ne reçoivent plus île matériaux de réparation ; la resjiiration manque de combustibles ; la chaleur animale descend à un degré insuflisant; l'eslomac et l'intestin sont irrités; le svstème nerveux est privé d'excitants assez énergiques ; tous les rouages de l'organisme sont usés. En faut-il plus pour mourir? irl'l DE L4. DIGESTION. Laliineiitatioii insut'tisante, de même que la diète à laquelle ou souuiet les. uiu- lades, peut, à la longue, produire les mêmes effets que l'abstinence et avoir les mêmes suites. Elle a ce caractère toutes les fois que la nourriture n'est pas quantitativement ou qualitativement proportionnée aux besoins et aux déperdi- tions de l'économie. Comme l'abstinence, elle menace l'organisme de ruine; elle conduit fatalement à l'inanition et à la mort, si elle fait perdre au corps la moitié de son poids primitif. Dans le plan de la nature, elle est par moments, pour beaucoup d'animaux, un accident ordinaire, notamment pour les herbivores des régions froides ou tempérées, dont la végétation est suspendue pendant l'hiver. Ces animaux usent alors, pour suppléer à leur chéiive ration, la provision de graisse qu'ils avaient amassée pendant la belle saison. Ils ne périssent qu'autant qu'ils ne trouvent pas en eux un appoint convenable à leur alimentation. C'est pour se soustraire aux inconvénients de cet état qu'un grand nombre d'espèces, parmi les mammifères, les oiseaux, les poissons, éprouvent des migrations plus ou moins étendues. Les uns passent des montagnes dans les plaines, les autres se transportent des plai- nes arides dans les endroits ombragés, des régions polaires dans les climats tempérés, de ceux-ci dans les pays chauds, etc. CHAPITRE XX DE LA PREHENSION DES ALIMENTS La digestion, bien qu'elle soit une fonction essentiellement végétative, ne peut s'accomplir sans la coopération des fonctions de la vie animale. Celles-ci sont des auxiliaires indispensables à la première. Semblables à des esclaves complaisants, elles se mettent au service de toutes celles qui peuvent avoir besoin de leur se- cours Ainsi, l'odorat et la vue servent à faire découvrir à l'animal les aliments ((ui lui conviennent, et à lui donner un premier aperçu de leurs qualités; le goût, par un essai défiuitif, doit les juger, les appi'écier exactement, lorsque se sera effectué l'acte qu'on appelle la préhension des aliujents. Cette préhension s'opère de différentes manières, suivant l'état, la nature de l'aliment, la conformation des organes destinés à le saisir et à le faire parvenir dans la cavité buccale. L — Préhension des aliments solides. Il est des animaux dont les membres antérieurs sont, à la fois, des organes de soutien et des instruments de préhension. Ces animaux n'ayant pas, en général, une taille très élevée, leurs extrémités antérieures n'ont pas besoin d'une très grande solidité pour supporter leur part du poids du corps; elles peuvent être disposées pour se mouvoir facilement en divers sens; le radius et le cubitus, toutà fait isolés et mobiles l'un sur l'autre, sont susceptibles, par leur jeu réciproque, de produire des mouvements analogues à ceux des bras de riiouinie; enfin, elles jiorteut des PRÉUENSION DES ALIMENTS. 623 doigts distincts et onguiculés, qui les transforment en mains plus ou moins par- faites: c'est ce qu'on voit chez les singes, les carnassiers et la plupart des rongeurs; mais les dispositions qui rendent les membres antérieurs aptes à servir d'organes de préhension, s'alîaiblissent et se dégradent insensiblement. Déjà les carnassiers ne peuvent plus se servir de ces appendices que pour saisir, fixer et déchirer leur proie; cependant, plusieurs rongeurs, l'écureuil, par exemple, conservent dans le bras des mouvements qui leur permettent de porter à la bouche les fruits dont ils font leur nourriture. Le rat, le loir, font arriver aussi, avec beaucoup de dextérité, leur patte sur la fête pour se débarrasser des corpuscules qui les inoommodenl. C'est, du reste, en quelque sorte, par exception, que les mammifères se servent de leurs membres antérieurs comme d'organes de préhension. La plupart d'entre eux ont ces membres conformés pour faire l'oflice de colonnes de soutien, ce qui était indispensable chez les animaux de grande taille. Ces derniers sont généra- lement herbivores; leur radius est très fort et constitue l'os principal de l'avant- bras; leur cubitus, beaucoup plus petit, est presque toujours soudé avec le pre- mier, de sorte que les deux os ne peuvent jouer l'un sur l'autre. Il est cependant quelques exceptions à cet égard, et précisément chez les animaux où elles sem- bleraient devoir le moins se rencontrer. Ainsi, l'éléphant a un cubitus dont le vo- lume est supérieur à celui du radius ; son extrémité carpienne est même plus volumineuse que l'extrémité correspondante du radius, de plus, les deux os sont distincts dans toute leur étendue. Il en est à peu près de même dans le rhinocéros; néanmoins, ni dans l'un ni dans l'autre de ces pachydermes, les os de l'avanf-bras ne peuvent jouer l'un sur l'autre, ni produire, [)ar conséquent, des mouvements de pronation et de supination amlogues à ceux de l'homme, des singes et des carnassiers. D'ailleurs, les animaux dont les membres antérieurs ne servent pas à la préhension desaliments, sont ordinairement ongulés, et ont quelquefois même le pied terminé par un seul doigt enfermé dans un sabot plus ou moins solide. Quelle que soit, du reste, la conformation des extrémités, dès l'instant qu'elles ne servent pas à la préhension des aliments, d'autres organes, tels que les b'-vres, la langue, les dents, les mâchoires, sont affectés à cet usage. Le cheval et les autres solipèdes se servent de leurs lèvres et de leurs dents inci- sives pour prendre, soit le fourrage dans le râtelier, ou l'herbe encore fixée au sol, soit l'avoine et les substances très divisées ou pulvérulentes. Leur lèvre supé- rieure, longue, très mobile et d'une exquise sensibilité, sert à rassembler une touffe d'herbes et à attirer les brins de Iburrage; puis, les dents incisives pren- nent cette touffe et la détachent ; enfin, la langue la fait parvenir dans le fond de la bouche sous les dents molaires. Ces trois parties agissent successivement, et le concours de chacune est indispensable à l'ingestion des matières alimentaires. Il est facile, à l'aide d'une expérience de la plus grande simplicité, de mettre en évidence le rôle spécial des lèvres, des dents et de la langue. En ellet, si, au moyen d'un fil assez fort traversant la lèvre supérieure, on renverse celle-ci sur le nez, en la maintenant attachée au licol, et si l'on renverse également l'infé- rieure sous la houpe du menton, on voit que l'animal engage l'extrémité de ses mâchoires entre les barreaux du râtelier et en tire le foin par pincées assez con- sidérables; mais dès qu'il vient à desserrer les dents, le fourrage n'étant plus sou- 624 DE LA DIGESTION, tenu par les lèvres, ne peut parvenir dans la bouche et tombe ; alors, le cheval en tire une nouvelle pincée, qui tombe encore, puis une troisième, et ainsi de suite : de sorte qu'au bout d'un certain temps, il fait tomber devant lui tout le foin qui lui était donné, sans avoir pu en re- lenir un brin. Il n'est pas plus heureux lors- qu'il se décide à ramasser ce qui est sur le sol ou dans sa mangeoire : jamais il ne par- vient à garder dans sa bouche une parcelle d'aliments, et il est aussi impuissant à rete- nir l'avoine qu'à faire arriver le foin sous ses molaires. Les lèvres sont donc indispensables à la préhension chez les solipèdes, et, si elles n'agissent pas, en vain les mâchoires saisis- sent le fourrage et la langue cherche à l'atti- rer, il ne peut être amené sous les molaires. La lèvre supérieure tire le foin quand il ^'''':if ■ ~ w'^p"'h'' ïl'fT'^' n'est pas fortement serré ; les deux lèvres le des mâchoires du cheval. ^ ' retiennent quand les incisives l'ont pincé et qu'elles s'écartent pour permettre à la langue de le faire pénétrer dans la cavité buccale. La supérieure a le rôle le plus important dans la préhension des ali- ments. Son muscle releveur propre est alors presque toujours en mouvement, par exemple, quand l'animal tire les brins de foin, les épis, dans une botte de paille; il peut, dans ce cas, se contracter plus décent fois par minute. Le bœuf prend les aliments par un mode bien différent de celui des solipèdes. Ce ruminant a une lèvre supérieure courte, épaisse, peu mobile, confondue avec le mufle ; elle n'est ni assez protractile, ni assez souple pour saisir le fourrage. La mâ- choire supérieure, dépourvue d'incisives, n'oppose aux incisives mobiles de l'infé- rieure qu'un bourrelet (ibro-muqueux peu résistant. La langue devient le principal instrument destiné à saisir les aliments : longue, très protractile, susceptible de se tordre sur elle-même, recouverte supérieurement de papilles à gaines cornées, elle est parfaitement bien appropriée à l'oflice qu'elle doit remplir. Lorsque l'animal pâture, elle sort de la bouche, se porte latéralement, se contourne sur elle-même, embrasse une touffe d'herbe et l'attire vers l'entrée de la bouche ; cette touffe, une fois entre les incisives et le bourrelet de la mâchoire supérieure, est serrée, puis détachée de la terre par un mouvement brusque; enfin, elle est amenée sous les dents molaires. Si le fourrage est sur le sol; l'animal l'attire simplement à l'aide de sa langue et l'amène à sa bouche sans le pincer ; s'il est dans le râtelier, elle s'insinue entre les barreaux pour le saisir. C'est également au moyen de la langue que sont prises les substances divisées, pulvérulentes, l'avoine, la farine, par exemple. Le buflle et le bison prennent leurs aliments de la même manière que le bœuf domestique. La chèvre et la brebis se servent déjà moins de leur langue que les bêtes bo- vines. Les premières, dépourvues de mullo, ont la lèvre supérieure plus mince, plus libre et plus mobile ; aussi cette lèvre commence-t-cllc à remplir les usages PRÉHENSION DES ALIMENTS. 625 (|u'elleacla'z leclieval. Les petits ruminants, le moudon, la gazelle, les antilopes, s'en servent principalement ponr prendre les aliments secs et les substances très divisées; mais lorsqu'ils sont au pà'urage, ils pincent l'herbe entre le bourrelet libro-muqueux de la mâchoire supérieure et les incisives inférieures qui sont redressées, tranchantes, et, une fois qu'ils l'ont saisie ainsi, il la coupent très près de la racine, (juant aux autres ruminants, le chameau, le dromadaire, la girafe, leur lèvre fendue, comme celle du lièvre, du lapin et de beaucoup de ron- geurs, acquiert une extrême mobilité, très favorable, tant à la préhension des herbes, des fourrages, qu"au triage de ces aliments. Le chien et le chat prennent des aliments solides à l'aide de leurs mâchoires et de leurs dents. Souvent ils lixcnt contre le sol. avec leurs pattes de devant, les us qu'ils rongent ou les morceaux de chair qu'ils déchirent. Leurs incisives agis- sent alors, les supérieures relativement aux inférieures, comme de véritables pinces coupantes, et leurs canines longues et recourbées, déchirent ou dilacè- rent la proie. La plupart des carnivores sauvages, le lion, la panthère, l'ours, se couchent en sphinx pour déchirer leur proie ; ils la (Ixent entre les pattes de devant qui, à certains moments, se regardent par leur face palmaire et, à d'autres, demeurent dans la pronation; puis ils saisissent entre les dents les parties qu'ils coupent ou qu'ils arrachent ensuite, La langue de ces animaux, rude dans plusieurs espèces, enlève, comme le ferait une râpe, les parties adhé- rentes aux os; et souvent les pattes, qu'ils lèchent, à la lin du repas, déchirent elles-mêmes des lambeaux assez considérables. Ces animaux |)rennent, comme nous le verrons bientôt, les liquides d'une manière toute dilférente. Le porc et le sanglier, qui sont destinés à se nourrir principalement de raci- nes charnues et de fruits, ont l'extrémité du museau transformée en un organe qu'on appelle le groin Chez ces pachydermes, les mâchoires sont eflilées, les os du nez arrivent presque au niveau des dents incisives; la cloison cartilagineuse (lu nez porte, entre l'épine nasale et les intennaxillaires, un petit os qu on appelle l'os du boutoir; la lèvre supérieure se confond avec ce prolongement charnu, dans lequel sont percées les narines, |)rolongement mù par des muscles tiès forts et terminé par une sorte de disque à rebord proéminent. C'est à l'aide de cet organe que l'animal fouge le sol, le creuse, le laboure en quelque sorte, pour y chercher les racines que son odorat lui a fait découvrir : son encolure, courte et forte, lui permet de développer une grande énergie dans cet acte. (Juand le porc prend ses aliments dans une auge ou à la surface du sol, on le voit toujours manifester une tendance à fouger ; il enfonce le groin dans le tas pour commen- cer à manger dans les parties profondes. S'il est obligé de ramasser des grains ou de la farine, le groin est toujours en contact avec le sol, et il l'emploie pour attirer en arrière, amener vers l'ouverture de la bouche et vers la lèvre inférieure, courte et pointue, les parcelles qu'il veut manger, et que ses dents ne pourraient pas saisir autrement. S'il a un morceau de chair à sa disposition, il y applique souvent un pied de devant, (pielquefois les dents en même temps; il le saisit entre les incisives, puis secoue la tète afin de détacher le fragment qu'il serre : si son pied vient à glisser, il le rei)lace immédiatement, et dès (|uil a avalé la o. COLIN. — l'hysiol. coiiip., 3' éiiit, [ jo 626 DE LA DIGESTION. portion détachée, il en reprend une autre de la même manière. Chez la taupe, la musaraigne, le hérisson, qui ont un groin rudimentaire, cette partie fonctionnt- à peu près comme sur le porc. Chez d'autres animaux, la préhension des aliments s'effectue par des moyens plus ou moins analogues à ceux que nous venons d'indiquer. Ainsi, le rhinocéros, par sa lèvre supérieure qui se projette en avant et s'allonge en pointe vers son milieu, saisit le fourrage et l'amène à l'entrée de la bouche avec une dextérité remarquable. C'est à l'aide de sa lèvre supérieure, mince et fendue, que le dro- madaire, dont la langue n'a pas les papilles très rudes, saisit les fourrages ei les feuilles des arbres. La girafe emploie à cet usage sa langue noire, exces- sivement protraclile, et d'une mobilité étonnante. L'éléphant se sert de sa trompe 'Tig. 97\ pour prendre à la surface du sol les aliments que sa bouche n'aurait pu atteindre à cause de la brièveté du cou. Les fourmiliers, les pangolins et autres éden tés prennent, avec leur langue visqueuse, qu'ils dardent hors de la bouche, les insec- tes qui font leur nourriture. Divers reptiles, le caméléon, la grenouille, le crapaud, emploient aussi la leur au même office. Chez les oiseaux qui n'ont pas de mastication buccale, le bec, organe ordinaire de la préhen- sion, est parfaitement approprié à la nature des matières dont l'animal se nourrit. Ceux qui vivent d'insectes l'ont grêle et effdé, comme un grand nombre de passereaux; ceux qui font usage de grains l'ont généralement court et oblus, ainsi que cela se voit dans les gallina- cés. Les palmipèdes ont cet organe large et pourvu de dentelures ; les échas- siers, beaucoup plus long et plus eflilé pour s'enfoncer dans la vase des rivages; enfin il est recourbé, crochu et ti'ès fort chez les oiseaux de proie qui doivent s'en servir pour déchirer les cadavres ou tuer les petits animaux. Plusieurs espèces d'oiseaux, comme la pie, ont aussi une langue proiractile, susceplible d'être dardée sur les matières alimentaires et de les amener dans la cavité buccale. Les animaux inférieurs, surtout les insectes, nous offrent des procédés fort curieux de préhension des aliments; plusieurs d'entre eux peuvent, en raison de la disposition de leur armatui'c buccale, attaquer la {leau de l'homme, des animaux et en sucerle sang. Ainsi, ciiez les cousins qui ont, comme la (tlupart des diptères, l'appareil buccal disposé pour opérer la succion, ses pièces, au nondjre de cin(| ou de six, sont des stylets très acérés, les uns simples, les autres dentés et une lance, logés ensemble dans une gaine fendue (|ui résulte de lu transformation de la lèvre inférieure ((ig 98). Les mouches ont une trompe coudée, terminée par un rendement discoïde, avec deux stylets impairs. Les liippobosques, les mélophages, qui s'attachent à la peau des animaux domestiques, ont la leur très protractile, plus ou moins cor- née, avec des aiguilles. Cette trosnpe, (|uoi(|ue molle chez les poux, y est encore f'iij. 97. — Trompe d'éléphant. l'REDENSION DES LIQUIDES. 627 pourvue de stylets acérés qui piquent fortement la peau des grandes espèces. Elle est remplacée, chez la puce, par un bec avec une gaine où se meuvent deuv lancettes aiguës à bords tranchants et finement dentelés. La préhension des aliments est dans quelques animaux suivie de leur emmagasinage dans la bouche ou dans des diverticules de cette cavité. Beaucoup de singes de l'ancien continent, les guenons, les cynocéphales, quelques rongeurs, tels que le hamsier, réciiiciiil, ont à cet elïet (lf> cavités à ouverture [)lus ou moins étroite creusée:; dans l'épaisseur des joues et tapissées par la mu- queuse. Chez le hamster, où ces abajoues ont des parois musculaires, elles descendent même sur i.',c_ 9^_ _ Trompe du cousin (*). les côtés du cou et servent au transport des grains que Tanimal accumule dans son terrier. La poche membraneuse sous- inandibulaire dans laquelle le pélican entasse le poisson remplit un office ana- logue. IL — Préhension des liquides. La préhension des liquides se fait chez les mammifères d'après plusieurs modei^ distincts. Je crois qu'on peuten reconnaître quatre, savoir: i° h succion, ou Vac lion de sucer, telle qu'elle s'opère chez les animaux à la mamelle; le pompement ou l'action de boire, les lèvres étant immergées dans le liquide, et le vide se faisant dans la bouche par les mouvements de la langue; 3' Vas/nratioîi ou l'action de humer, dans laquelle le vide se fait non seulement dans la bouche, mais encore dans les voies respiratoires; 4» enfin le lappement ou l'action de lapper, propre à certains animaux, les chats par exemple. La SMCCïon est l'action par laquelle les jeunes animaux (ont parvenir dans leur itouche le lait de leur mère. Pour cela ils saisissent le mamelon entre les lèvres, exactement rapprochées, et souvent entre les dents: la butiche étant alors exacte- ment fermée par les lèvres et remplie par la langue, l'animal fait mouvoir cette dernière de manière à produire, tout près du mamelon, un vide où le lait se préci- pite, attiré par l'aspiration et poussé par la [»ression almos()hérique qui s'exerce sur les mamelles. Chez l'enfant, la pointe de la langue se relire légèrement en arrière à chaque aspiration; mais chez les solipèdes, les ruminants dont la langue demeure souvent collée entre le mamelon et les dents, le vide se fait par une dimi- nution de volume des parties antérieure et moyenne de l'organe qui tend às'é.oi- gner du palais pour s'enfoncer dans l'espace intramaxillaire. La langue, tout en jouant le nMede piston dans le corps de pompe, se meut d'une manière dilféreute : c'est en s amincissant et en s'éloignant du palais qu'elle produit, seulement à la partie antérieure de la bouche, le petit espace destiné à recevoir le liquide aspiré. (*) A, trompp : o. paine fendue ; b, sKlets réuni? on soies ; c, stylet impair; rfrf, yeux; ^. tèie ; f f, palpes inaxillaiies. — B, slylels isoles : a, un des deux stylets dentés eu scie ; b, un des deux sivlels terininés par une lancette ; c, lèvre supérieure. (528 DE LA DIGESTION. Dans cette opération, les voies aériennes ne jouent aucun rôle, que le voile du palais soit exactement abaissé, comme on le prétend, ou qu'il ne ferme pas complè- tement la communication entre la bouche et le pharynx, caria base delà langue et son renflement peuvent suffisamment isoler la petite chambre antérieure de tout le reste. Lorsqu'une certaine quantité de liquide est arrivée dans la bouche, la succion s'arrête momentanément, la respiration se suspend, selon Bérard *, le liquide est dégluti, puis la succion recommence. La succion du sang que le furet, la belette, certaines chauves-souris exécutent, paraît devoir s'opérer, comme le pense M. Milne Edwards, par un mécanisme semblable. Dans ce premier mode de préhension, c'est donc dans la bouche et par la bouche seulement que se fait le vide; la respiration, comme le dit Dugès^, n'a rien à faire à ce mécanisme, et l'on comprend sans peine que les jeunes cétacés puissent téler leur mère dans l'eau comme ils le feraient dans les conditions ordinaires. Le pompeinent est l'action de boire, les lèvres étant plongées dans le liquide ; c'est le mode ordinaii'e de préhension des boissons chez les solipèdes, les ruminants et la plupart des herbivores. Lort^qu'il s'opère, les animaux plongent plus ou moins l'extrémité de leur tête dans l'eau, mais jamais assez pour que les naseaux baignent dans le liquide. Il se fait, comme lors de la succion, un vide dans l'in- térieur de la bouche, mais beaucoup plus ample, caibi langue, s'éloignant forte- ment du palais, vient à chaque aspiration, remplir à demi l'espace intramaxillaire, et l'eau, pressée par l'air, monte pour remplir ce vide qui tend à se former, sans cependant se produire en réalité. Il est indispensable, dans cette circonstance, que les lèvres soient exactement rapprochées 3, au-dessus de leur partie inférieure qui est plongée dans l'eau. Si elles ne peuvent se mettre parfaitement en contact l'une avec l'autre, comme on le voit chez quelques chevaux dont la lèvre infé- rieure a été échancree par la pression du mors, l'air s'engouffre avec le liquide et rend l'action de boire plus ou moins bruyante. Ce dernier effet se produit aussi lorsqu'on engage entre les lèvres un tube dont l'extrémité libre est en dehors du liquide. Le mécanisme du pompement, tel que je l'indique, rapproche beaucoup ce mode de celui de la succion. Pourtant quelques physiologistes ne l'envisagent pas ainsi. Dugès* prétend, par exemple, que les ruminants et les solipèdes boi- vent en humant, c'est-à-dire qu'ils ne forment le vide dans la bouche que par le moyen du thorax. Mais la preuve que ce vide n'est nullement le résultat, même partiel, d'une action aspiratrice de la poitrine se trouve donnée par une expérience de M. Poncet, laquelle consiste à ouvrir la trachée au milieu du coU. et à fermer avec de l'étoupe, d'une part les narines, d'autre pai't l'extrémité supérieure du conduit trachéal. Évidemment alors, l'intervention de la poitrine n'est pas pos- sible; néanmoins l'animal boit comme auparavant. On savait cela, du reste, par le fait des chevaux auxquels on a pratiqué la trachéotomie, 1. Bérard, Cours de physio/ogi/j, t. II, p. nOf). 2. Dugés, Traité de pkyxiulogu;, l. II, p. 3fil, :j. Mais il n'csi pas néccsiaire qu'elles soient enliéreinent submergées avec les commis- sures comme le disent quelques physiologistes. 4. Dugès, (luvr. cite', t. II, p. 314 et 315. PREHENSION DES LIQUIDES. 029 Uaspiralion, ou l'action deliuiner, s'opère par suite du vide qui tend à se pro- duire par les voies aériennes. La houclie n'est pas alors exactement fermée ni plongée entièrement dans le liquide; elle est même assez ouverte pour que l'air soit aspiré en mr-me temps que le liquide. Ces deux fluides pénètrent ensemble dans la cavité buccale; tous les deux passent facilement dans le pbarynx, puisque le voile du palais est soulevé; mais arrivés là ils se séparent pour changer de route et pénétrer l'un dans le larynx, l'autre dans l'œsophage. Cette action est bruyante et saccadée ; bruyante par suite des vibia fions de l'air qui s'entjouffre dans la bouche avec le liquide, et saccadée, attendu que Taspiralion ne peut être pro- longée un certain temps sans interv<'rtir le rythme des mouvements respiratoires, (certains animaux picnncnt leurs boissons de cette manière, et quelques uns en faisant succéder, à de courts interval es, le pom[»emenf opéré par laboucheàl'asiii- ration [)roduit(' |)ar le thorax. Ainsi, on voit souvent le porc pomper doucement et sans bruit l'eau de vaisselle qui remplit son auge, et un instant après la humer bruyamment, par saccades plus ou moins rapprochées. Le l'ippement est un mode de préhension des liquides jnoins commun que les premiers. Il s'observe chez les carnivores, tels que le chien et surtout le chat. Ces animaux, ayant la bouche pro|)ortiounellenient plus fendue que les herbivores, ne pou;raient plonger leurs lèvres jusqu'aux commissures sans que leurs narines fussentenméme temps immergées: c'est là, peut-être, laprincipalecausedumode suivant lequel ils prennent les li(|nides. Lechienou le chat qui boit, darde sa langue hors de la bouche, la plonge dans le liquide par sa pointe renversée en arrière, comme ses bords; illa retire ensuite brusquement quelque peu, en la projetant du côté des dents; de celte manière le liquide est lancé, par petites portions, à l'entrée de la bouche, ainsi qu'il pourrait l'être par une main dont les doigts seraient fléchis vers la paume. Le lion et les autres animaux du genre felis lappent de la même façon, comme je m'en suis assuré d ms les ménageries. En répétant très rapide- ment ces projections, ils ingurgitent en un moment une assez grande quantité de li (Uide. Néanmoins, c'est de tous les moyens que nous avons indiqués le plus lent, et il pouvait être tel sans inconvénient chez les carnivores qui, en général, boivent très peu, ainsi que chacun le sait. La préhension des li(piides oflVedcs [tarticularités fort remarquablesdans'asérie animale, |iar suite deladis|)ositi()M des parties chargées de l'efl'ectuer; mais quelle que soit leur conliguration, ces parties fonctionnent toujoursd'aprèsl'im des modes précédemment indiqués. Ai isi, rélé|)hant boit en se servant de sa trompe : dès qu'il inspire, le vide tend à se faire dans le double tuyau de cet appendice, et l'eau y monte; puis l'animal recourbe cet organe, fait une forle expiiatioii qui itiojctte dans la bouche le liquide introduit dans les narines : la trompe agit absohnucnt comme la pompe aspirante et foulante. Les oiseaux boivent, pour la plupart, d'une manière assez singulière; ils plongent le bec dans l'eau, en remplissent leur man- dibule inférieure, relèvent la têteet avalent ce qui a pénétré dans la bouche, puis ils recommencent un plus ou moins grand nombre de l'ois la même opération Les ramiers, la tourterelle, ainsi (jue l'avait noté Aristote', le pigeon, d'après Pline, 1. Arislole, livre IX, p. 555. (330 DE LA DIGESTION. elles oiseaux de proie, suivant divers observateurs modernes, ne relèvent pas le bec en buvant comme les autres animaux de leur classe. Les animaux inférieurs possèdent, pour la préhension des liquides, soit une trompe comme les guêpes, les abeilles et les autres hyménoptères, soit un suçoir, de même que les différents lépidoptères, soit une ou plusieurs ventouses comme les sangsues, les ténias. Quelques-uns, enfin, ont un appareil composé de petits stylets renfermés dans une gaine spéciale, et d'autres, un simple tube à parois contractiles. CHAPITRE XXI DE LA MASTICATION On donne ce nom à la division ou au broiement que les matières alimentaires éprouvent dans la cavité buccale par l'action des mâchoires munies de leurs dents, et mises en mouvement par des muscles spéciaux. Cette opération, destinée à préparer les aliments à subir les moditications qui doivent leur être imprimées dans l'estomac ou l'intestin, ne s'effectue pas, ù beaucoup près, chez tous les animaux. Dans les espèces inférieures, elle se fait par des pièces solides diversement disposées à l'entrée de la cavité buccale, ordinairement par des mandibules dentelées, comme chez les articulés et chez les acariens; par des crochets mobiles dans les pentastomes ; par des dents cor- nées dans les sangsues, parmi lesannélides. Chez les insectes, elle peut s'opérer d'abord à l'entrée de la bouche, pour rendre les aliments aptes à la déglutition, puis s'achever dans un gésier musculeux. Elle n'a guère lieu, parmi les verté- brés, que chez les mammifères. Les autres animaux de cet embranchement, les oiseaux, les reptiles et les poissons, bien que quelques-uns aient des dents, ne broient pas leurs aliments avant de les déglutir. Elle est inutile aux animaux qui se nourrissent de substances liquides ou très molles, et elle n'est point indispensable à ceux qui font usage de matières ani- males faciles à digérer. Un très grand nombre d'animaux qui vivent de vers, de coquillages, d'insectes, de poissons ou de petits mammifères, les avalent sans les avoir préalablement divisés. Ceux, au contraire, qui vivent de matières végétales, telles que les grains, les racines, les herbes ou les fouri-ages desséchés, ont besoin de les ramollir, de les diviser, de les atténuer, parce qu'elles résistent beaucoup à l'action dissolvante des sucs gastriques et intestinaux. Si quelques animaux, comme les oiseaux granivores, semblent faire exception à cette lègle, c'est qu'ils ont un estomac très musculeux spécialement chargé de la trituration des aliments non • broyés dans la bouche. Aussi, à cause de cela, peut-on, à l'exemple de plusieurs physiologistes, reconnaître deux espèces de mastication, l'une buccale, volontaire, opérée par les mâchoires et les dénis; l'autre, gastrique, involontaire, produite jiar un estomac organisé exceptionnellement pour remplir cet office. La mastication, bien qu'elle soit un acte fort simple et purement mécanique, résulte de la coopération d'un grand nombre de parties dont le jeu complexe est fort varié, même [larmi nos seuls animaux domestiques. Pour en faire l'étude, APPAREIL MASTICATKIJR. {VM nous envisagerons successivement : 1° la disposition de l'appareil masticateur avec ses principales variétés; 2° le jeu des màclioires; 3° l'action des dents, de la langue, des lèvres et des joues; \° la durée et l'utilité de cet acte préparatoire. I, — ApPAREHj ^[ASTICATEUR. Il se compose de trois ordres de parties, les unes passives, qui sont les os des mâchoires et les dents; les autres actives, ou les muscles destinés à mouvoir les mâchoires; les troisièmes auxiliaires, la langue, les lèvres, les joues, qui empê- chent l'aliment de sortir de la bouche on le ramènent entre les dents qui doivent le diviser. Les mâchoires, dans les vertébrés, forment une sorte de pince dont les branche^ se meuvent verticalement et sont disposées de manière à s'écarter proportionnelle- ment au volume de la jiioie à saisir, c'est-à-dire beaucoup chez les espèces carnas- sières, et très peu cliez les herbivores. La supérieure est toujours soudée avec le crâne, l'inférieure, constituée par un os, est réellement la seule mobile. Elles portent à leur extrémité antérieure les dents in( isives, un peu plus loin les canines, et, tout à fait en arrière, les molaires. Ces trois espèces de dents oui, tout à la fois, une situation, une forme et des usages distincts. Disposées ainsi que nous le verrons bientôt, elles servent, les premières, à inciser, ;'i couper : les secondes, à déchirer: les troisièmes, à écraser ou à broyer les aliments. L'existence de ces trois espèces de dents n'est pas constante chez tous les mam- mifères, et la forme très variable qu'elles offrent les met en harmonie avec le régime propre à chaque animal. Les muscles moteurs des mâchoires sont ordinairement au nombre de cinq de chaque côté : lecrotaphite, le masséter, les deux ptérygoïdienset le digasirique. Il s'ajoute à ceux-là, chez les solipèdes, un sixième muscle qui est le stylo-maxillaire. Ces organes,en général plus puissants chez les carnassiers que chez les herbivores, produisent, les uns, l'écartement, les autres, le rapprochement des mâchoires. D'autres sont spécialement chargés des mouvements d'avant en arrière et des mouvements latéraux; enfin, il en est qui peuvent, par suite de leur disposition et de la conformation des surfaces articulaires, en opérer plusieurs à la fois. En jetant un coup d'oeil sur les parties qui forment l'appareil de la mastication, on voit que leur disposition n'est point chez les carnassiersce qu'elle est chez les herbivores, et que, parmi ces derniers, elle offre des modillcalions très notables, surtout chez les rongeurs, les pachydermes, les solipèdes et les ruminants. Chez les carnassiers les mâchoires sont généralement très courtes, car leur puissance est, comme le fait remarquer M. Milne hjlwards ', en raison directe de leur brièveté; elles y sont pourvues de trois sortes de dents : leurs incisises sont minces, aiguës ; leurs canines longues et recourbées; ces mâchoires sont héris- sées dé pointes coniques ; leur arcade zygomatiiiue est fortement arquée et très éloignée du crâne ; leur fosse temporale large et profonde ; leurs masséters et surtout leurs crolaphites sont énormes : le condyle maxillaire est semi-c\lin- 1. Milne Edwards, Leçotis sur la phi/sinlor/îp pf Vnnatomie comparvo. l.VI, p. 206. 632 DE LA DIGESTION. drique et transversal, la cavité glénoïde qui le reçoit et l'emboîte exactement est très profonde. Les mâchoires ne peuvent exécuter que des mouvement d'écarte- ment et de rapprochement : tous les autres leur sont impossibles. Elles sont admirablement disposées pour permettre à l'animal de saisir, tuer et déchirer sa proie, et leurs formes se modifient de manière à être constamment en rap- port avec la nalure des matières animales qui font la nourriture de chaque espèce carnassière. Les herbivores ont les mâchoires ordinairement plus longues, plus faibles et plus coudées ; ils ont des incisives peu tranchantes, manquent quelquefois de canines, ou s'ils en ont, elles sont courtes, peu courbées et impropres à déchirer ; leurs mo- laires sont larges, à surface hérissée de lignes ou de plis d'émail, qui rendent leur table rugueuse et parfaitement disposée pour le broiement des matières végétales ; leurs fosses temporales sont moins larges et moins profondes; leurs arcades zygo- maliques courtes et faiblement arquées; leurs muscles masséters et crotaphites, plus faibles, agissent sur les leviers moins bien disposés pour favoriser la puis- sance ; l'articulation temporo-maxillaire est placée bien au-dessus du niveau des dents molaires, et configurée pour permettre aux mâchoires d'exécuter, outre les mouvements d'éçartement et de rapprochement, d'autres mouvements horizon- taux, soit de prépulsion, de rétropulsion, soit de diduction. Mais, parmi ces der- niers animaux, l'appareil masticateur offre des modifications assez remarquables et parfaitement caractérisées, qui peuvent se rattacher à trois types principaux. L'un de ces types appartient aux rongeurs. Les mammilères de cet ordre n'ont que deux sortes de dents : deux incisives à la mâchoire supérieure et deux à l'infé- rieure ; point de canines, des molaires à couronne plate et à lames d'émail transver- sales, des fosses temporales très petites, des arcades zygomatiques faibles et peu éloignées du crâne; leurcondyle maxillaire, au lieu d'être transversal, est allongé d'avant en arrière ; la cavité glénoïde qui le reçoit forme une sorte de canal ou de gouttière dirigée dans le même sens. Tout, en un mot, dnns la configuration des surfaces articulaires et dans la direction des muscles, est disposé pour permettre des mouvements très étendus d'avanten arrière et d'arrière en avant, qui consti- tuent le principal caractère de la mastication des rongeurs. Le second de ces types se trouve chez les ruminants. Ceux-ci ont aussi les mâ- choires longues et faibles ; ils manquent, la plupart, de canines et d'incisives à la mâchoire supérieure; leurs molaires sont à couronne plate, à croissants d'émail antéi'o-postéricurs ; leurs arcades zygomatiques minces; leui's fosses temporales étroites; lecondyle, allongé transversalement, esten rapport avec une surface plane ou convexe qui lui permet de se mouvoir d'avant en arrière et latéralement. Ce sont surtout les mouvements latéraux ou de diduction qui caractérisent la masti- cation des animaux de cet ordre. Enfin, le iroisièmc type tient, en quelque sorte, le milieu entre les deux autres : on l'observe chez les pachydermes et lessolipèdes. Cesderniersonttous trois sortes de dents : la longueur de leurs mâchoires et la force des muscles sont assez varia- bles; mais l'articulation lemporo-maxilliiire est tellement disposéequ'elle permet des mouvements antéro-postériours, comme chez les rougeurs, et des mouve- ments latéraux, comme chez les ruminants; seulement, ces deux espèces de MOUVEMENTS DES MACHOIRES. ^'-y^ mouvements sont moins étendus que chez les animaux dont ils caractérisent la mastication. Maintenant que nous connaissons les dispositions essentielles de l'appareil masticateur, voyons comment il agit et de <|uelle manière sY'xécutenl ses divers mouvements. II. — Mouvements des macuoires. lis peuvent être au nombre de cinq : Vécnrlewenl,\e rapprochement , h pré- pttlsion, la rêlropublon et la dlduction. Les deux premiers appartiennent à tous les animaux, et sont les seuls qui se produisent chez les carnassiers ; les autres s'observent en |)lus, dans certaines limites, chez les omnivores et les herbivores. 1° ÉemHouioiit. — Il est produit par l'abaissement de la mâchoire infé- rieure, et en partie, peut-être, chez quelques animaux, par l'élévation de la mâchoire supérieure. Dans ce mouvement, le condyle maxillaire tourne sur son axe d'arrièreen avant. Sa partie la plus postérieure qui, dans le rapprochement, tourbe, chez le cheval, àr;qiopliyse sus-condylienne, se porte en avant, et d'autant plus que l'abaisse- ment devient lui-même plus considérable ; le sommet de l'apophyse coronoïde se projette antérieurement, s'abaisse et s'éloigne de la base de l'arcade zygoma- tique; enfin, la mâchoire inlerieure s'éloigne de la supérieure, en décrivant, par son extrémité libre, un arc de cercle plus ou moins étendu. Les deux mâ- choires laissent alors entre elles un écartement triangulaire, d'une étendue va- riable, suivant les animaux. On sait que chez les carnassiers il est bien plus grand proportionnellement que chez les autres animaux, et cela devait être à cause du volume souvent considérable de leur i)roie ; il est, au contraire, assez faible chez les herbivores, si ce n'est lorsqu'ils bâillent ou qu'ils resitirent [)ar la bouche, comme cela se voit sur le bœuf, même sur le cheval après la section des nerfs pneumogastriques. Dans tous les cas, il ne peut guère y avoir chez ce dernier, entre les incisives supérieures et les inférieures, qu'un écartement de 8 à 10 cen- timètres. Cet écartement des mâchoires résulte, pour les herbivores, du simple abaisse- ment de la mâchoire intérieure ; il est produit, en partie, chez les carnivores, le chien notamment, par l'élévation du crâne et de la mâchoire supérieure sur l'enco- lure ; car, si l'on hxe le menton d'un chien à une tige immobile, on voit encore la bouche s'ouvrir presque aussi largement qu'auparavant parla seule élévation de la mâchoire supérieure. L'abaissement de la mâchoire inférieure est effectué, chez tous lesanimaux,par le muscle digastrique, et, de plus, chez les solipèdes, par un muscle particulier, le stylo-maxillaire, (jui est, en réalité, une branche courte du premier. Ce muscle, qui porte toujours le nom de digaslricjue, bien qu'il n'ait souvent qu'un seul renfle- ment charnu, comme chez le lièvre et le lapin, ou même point de tendon, comme chez le chien, est proportionnellement faible rel.ilivement au rôle qu'il doit rem- plir. Par suite de sa direction, qui est pi'es(|U(' parallèle à la ligne des molaires et à l'axe des branches du maxillaire, et par le fait de la situation postérieure dt 634 DE LA. DIGESTJON. son point fixe, il semble devoir porter un peu en arrière la mâchoire à mesure qu'il l'abaisse. Cependant, l'examen du jeu de l'articulation temporo-maxillaire démontre clairement qu'il détermine une légère projection en avant du condylc et, par conséquent, un mouvement de prépulsion. Le digastriqueagit sur un levier du troisième genre. Le bras delà puissance, qui est très long, place cemuscledansdes conditions tout à fait exceptionnelles, d'au- tant plus avantageuses que l'écartement des mâchoires est porté plus près de ses limites. On conçoit qu'une grande étendue de bras de levier était nécessaire à un muscle généralement très grêle, et ce bras de levier semble s'allonger à mesure que le muscle perd de son volume : en effet, celui-ci s'insère bien plus en avant chez le bœuf, le mouton et le cheval, où il est petit, que chez le chien, lechat,où il est proportionnellement plus fort. Quelques autres muscles ont été aussi considérés comme contribuant à l'abais- sement de la mâchoire inférieure. On a fait jouer ce ras à cet égard une dillérence très grande, et comme cette diiïérence n'existe pas pour tous les animaux, ces muscles ne iiarfici|iciit aux uiouvemeiits latéraux que dans des limites très étroites ; toutefois, lorscpie cela a lieu, le masséler qui con- tribue à la diduction est ))récisément celui du côté vers lequel la màclioire se porte. La partie orbitaire du crotapliite, qui vient s'inséier en dedans et en bas de l'éminence coroiioïde, concourt aussi, sans aucun doute, à la production du mouvement latéral. Cette action asymétrique de plusieurs muscles moteurs des mâchoires est fort remarquable, notamment en ce qui concerne les solipèdes et la généralité des ruminants dont la mastication demeure unilatéiale pendant des périodes assez longues; car elle suppose, delà part des muscles d'un cùté, une contraction lenouvelée à chaque coup de dent, alors que ceux du côté opposé demeurent relâchés ou tout au moins ne se contractent que faiblement. Elle prend un autre caractère chez le dromadaire, par exemple, où la mâchoire inférieure dépasse alternativement à droite et à gauche la supérieure. Ici évidemment les muscles d'un côté alternent avec ceux du côté opposé. IlL — Action des dents. Les dents sont les organes passifs les plus essentiels à la mastication : leui' nombre, leur forme, leur structure même, et leur action varient beaucoup suivant les animaux. Les carnivores possèdent trois sortes de dents. Les incisives, plus ou moins aiguës et tranchantes, portent à leur extrémité libre trois pointes inégales qui leur donnent une certaine ressemblance avec le haut d'une fleur de lis : les deux médianes sont plus petites (|ue les deux moyennes, et celles-ci plus petites que celles des coins. Les molaires, en nombre variable, augmentent de volume de la première à la pénultième ou l'antépénultième, qu'on appelle la carnassière: celle-ci, large et à plusieurs lobes vers son bord externe, est suivie d'une ou de deux tuberculeuses plus ou moins grandes. Chez le chien, les trois premières molaires supérieures ne touchent pas les (juatre premières inférieures qui leur correspondent ; elles s'en tiennent toujours à une distance plus ou moins consi- dérable, quel que soit le degré de rapprochement des màclioires. Le lobe supé- rieur de la carnassière d'en bas vient appuyer sur le talon de la première tuber- culeuse supérieure. Les dents des carnivores, qui s'usent à peine, d'après la remarque tort exacte de Cuvier, conservent, les incisives exceptées, leur forme et l'acuité de leur? pointes. Les unes, telles que les incisives, les canines et les premières molaires, servent à la préhension et à la division des substances alimentaires; et les der- 640 DE LA DIGESTION. nières sont exclusivement, réservées à ce dernier office. Les incisives agissent comme de véritables pinces coupantes dont les mors s'affrontent, et les molaires comme des ciseaux dont les lames passent l'une à côté de l'autre en se touchant; car la mâchoire inférieure étant en arrière plus étroite que la supérieure, les molaires d'en bas viennent glisser en dedans des molaires d'en haut. Les dernières d'entre elles, lorsqu'elles sont tuberculeuses, comme chez le chien, le loup, l'ours, l'hyène, servent au broiement des substances végétales ou des os. L'ours, d'après Cuvier, n'a pas de carnassières proprement dites ; il possède deux tuberculeuses de chaque côté à la mâchoire supérieure et trois à l'inférieure; aussi ce plantigrade se nourrit-il en grande partie déracines et de fruits charnus. Les pointes des molaires sont déjà très aiguës chez les chats, qui ont une seule tuberculeuse fort petite à la mâchoire supérieure; aussi ces animaux, même le lion et la panthère, ne brisent-ils les os qu'avec une extrême précaution; elles sont encore plus fines et plus acérées chez ceux qui, comme la taupe et la chauve- souris, vivent de vers ou d'insectes. Le système dentaire des herbivores est disposé d'une manière toute dilTérente. Les six incisives que les solipèdes portent à chaque mâchoire ont dans le prin- cipe une cavité entourée d'émail, qui disparaît bientôt par l'usure de ses rebords, et laisse une surface de frottement assez large, successivement ovale, ronde, triangulaire, etc.; elles servent à pincer le fourrage dans le râtelier et à couper l'herbe. Ces dents préhensiles n'existent, dans la plupart des ruminants, qu'à la mâchoire inférieure; elles y sont si faiblement implantées qu'elles jouissent tou- jours d'une mobilité remarquable, leur table y est fortement inclinée et leur bord antérieur plus ou moins tranchant. Les molaires de ces deux ordres de mammifères forment en bas deux arcades plus étroites et plus rapprochées à la mâchoire inférieure qu'à la supérieure; leur partie libre, assez régulièrement prismatique, possède une surface de frotte- ment inégale, sur laquelle les rubans d'émail dessinent des reliefs en croissants plus ou moins réguliers dirigés d'avant en arrière. Ces dents, contrairement à ce qui s'observe dans les carnivores, s'usent beaucoup; aussi leur partie libre est-elle très longue, et leur croissance se continue-t-elle jusqu'à un âge fort avancé. La prolongation des lames d'émail jusqu'à la racine et la différence de dureté qui existe entre la substance de ces lames et celle de l'ivoire sont les deux causes qui déterminent, à tous les âges de la vie, une inégalité constante de la surface de frottement, inégalité dont la permanence, compatible avec l'usure des dents, fait de ces organes « des meules qui se repiquent d'elles-mêmes, » comme le disait Cuvier. Sans cette remarquable disposition, les molaires à couronne plate des herbivores ne pourraient atténuer et réduire en petites parcelles les matières alimentaires, elles ne feraient que les écraser ; la mastication des fourrages resterait fort incomplète. Les tables des molaires ont encore ceci de très remarquable que les inférieures sont inclinées en dehors et les supérieures en dedans. Les premières, moins larges que les secondes, olfrent en moyenne pour chacune, dans le cheval, une étendue superficielle de 28 centimètres 62 millimètres carrés; et celles-ci une surface de 3S centimètres 40 millimètres carrés. Leur étendue est égale, en ACTION DE LA LANGUE, t j 4 1 somme, de chaque côté, à celle de la surface de frottement de deux meules glis- sant l'une sur l'autre par leur périphérie, et ayant un diamètre commun de 6 centimètres avec une largeur à la circonférence de 1 cenliinètic 1/2 pour la première et de 2 cenlimèlros pour la seconde. Les molaires, dont le jeu est comparable à celui des meules de moulin, ou du mortier qui broie grossièrement les grains, sont disposées, chez les solipèdes et les ruminants, de manière à ne pou\oir agir en même temps des deux côtés. Gela tient à ce que les deux arcades molaires de la mâchoire su|)érieure sont plus écartées que celles de l'inférieure : aussi, quand les tables droites passent l'une sur l'autre, les tables gauches ne s'affrontent plus. D'ailleurs, lorsque les molaires fonctionnent, les incisives ne doivent pas se toucher, et réciproquement, pour éviter une usure inutile. Ainsi agissent les dents, dans les deux groupes d'animaux ((u'il nous importe le plus d'étudier. Ces parties éprouvent, relativement à leur jeu, des modifications infinies qu'il serait trop long d'examiner ici. Dans tous les cas, leur mode d'action, qui est purement mécanique, implique de leur part une insensibilité absolue; néanmoins, elles servent à la sensibilité comme les productions pileuses, puis- qu'elles sont implantées sur des pnpilles fort riches en divisions nerveuses. Elles sont sensibles au froid chez nous, et probablement aussi chez les animaux; elles transmettent aux nerfs de leurs racines la sensation de la résistance et de la [iression des corps qu'elles écrasent. Leur sensibilité extrinsèque doit être plus obtuse chez les animaux qui broient des os, comme l'hyène et le chien, que chez ceux qui soîit incapables d'écraser ces substances. IV. — Action de la langue. La langue est un organe de sensibilité et de mouvement. Elle sert, à la gusta- tion, à la préhension des aliments, à celle des boissons, à la mastication, à la déglutition et, en outre, chez l'homme, à l'articulation des sons ou à la parole. Sa sensibilité pendant la mastication, donne à l'animal la faculté de distinguer la saveur des aliments, d'apprécier leur degré d'atténuation, de reconnaître la situation qu'ils occupent, et le moyen d'éviter les dents. Aussi, quand, par la para- lysie de la cinquième |>aire elle est devenue insensible, elle se fait pincer à tout instant, soit par les incisives, soit par les molaires. Sa motilité en fait une sorte de main qui attire les aliments dans la cavité buccale, les pousse sous les dents, les y ramène quand ils s'échappent, et enfin les rassemble, pour les diriger vers le jiharynx, lors de la déglutition. Pourexécuter ces différents mouvements, elle est pourvue d'un grand nombre de muscles ayant chacun un office particulier. D'abord, elle est fixée à l'hyoïde et à la mâchoire inférieure de manière à être mue, indépendamment de l'action des muscles : ainsi, elle s'abaisse avec cette mâchoire, se meut latéralement et s'élève avec elle;ellesuit de même les mouve- ments de l'hyoïde, lorsque ce petit appareil osseux s'élève, s'abaisse ou se porte en arrière. Ses mouvements particuliers sont produits par ses muscles intrinsèques et u. COLIN, — Pbysiol. comp., 3* édit. I — 41 B42 DE LA DIGESTION. extrinsèques. Elle est tirée hors de la bouche par les génio-glosses, en arrière par les hyo-glosses supérieurs et les kérato-glosses, en arrière et en bas par les basio- glosses, de côté par ces mêmes muscles quand ceux de droite se contractent, alors que ceux de gauche sont relâchés, et réciproquement. Sa pointe se porte en haut, en bas ou latéralement ; enfin, l'organe change de forme, s'aplatit ou s'élargit : sa face supérieure devient plane, concave ou convexe, s'applique sur le palais ou s'en éloigne,- par l'action de faisceaux charnus disposés en divers sens, et que certains anatomistes ont considérés comme des muscles distincts auxquels ils ont donné des noms particuliers. La motricité de la langue est due, comme nous l'avons vu en étudiant les fonc- tions des nerfs, à l'influence des hypoglosses. En effet, Panizza a observé qu'à la suite de leur section, le chien ne peut plus lapper, ni retenir dans sa gueule le pain que ses dents ont saisi, pas plus qu'il ne peut effectuer la déglutition. De même, après leur section, le mouton se trouve dans l'impossibilité de saisir l'herbe et de l'amener à la bouche. Chez tous les animaux, après la section des hypoglosses ou lors de leur paralysie, pour une cause quelconque, la langue se fait encore blesser par les dents, faute de pouvoir les éviter. La sensibilité générale et tactile de la langue, qu'il faut bien distinguer de lu sensibilité gustative dont nous avons déjà parlé, tient au nerf lingual de la cin- quième paire qui se distribue au tissu musculaire et à la membrane muqueuse, tandis que l'hypoglosse se ramifie seulement dans les muscles. La sensibilit"' tactile peut être abolie par la section des nerfs de la cinquième paire, san^ que pour cela la langue ait perdu la faculté d'être impressionnée par les ma- tières sapides. V. — Action des lèvres et des joues. Les lèvres qui concourent, chez plusieurs animaux, à la préhension des ali- ments, servent aussi à la mastication, en les faisant parvenir dans la boucht et en les retenant dans cette cavité. Nous avons vu déjà que le cheval, mis dans l'impossibilité de se servir de ses lèvres, peut encore bien saisir le foin dans le râtelier et le tirer avec ses dents incisives ; mais ce foin, une fois saisi, retombe dès que l'animal desserre les dents, et pas un brin ne lui en reste dans la bouche. Les joues servent également à la fonction qui nous occupe, en empê- chant les aliments de fuir en dehors des arcades molaires et en les ramenani sous ces dernières à mesure qu'ils échappent à leur action ; mais quelquefois, soil faiblesse des buccinateurs (muscles molaires), soit irrégularité des dents, les aliments broyés s'accumulent à la face interne des joues, en plus ou moins grande quantité, et l'on dit que l'animal fait magasin ; particularité fréquente chez les solipèdes, et dont les ruminants ne paraissent pas oiïrir d'exemples. Les muscles des lèvres et des joues tirent leur motricité des divisions du nerf facial seulement. Ces parties sont complètement paralysées quand les deux nerfs de la septième paire sont coupés. Les nerfs qui viennent de la branche sus- maxillaire de la cinquième paire n'ont aucune influence motrice sur les muscles des lèvres ni sur ceux des joues ; le nerf bucco-labial ne préside pas non plus aux mouvements de ces parties, puisque Mayo et Longet n'ont vu se pro- RYTHME DE LA MASTICATION. 643 duire aucune contraction dans le buccinateur des solipèdes lors de l'irrita- tion de ce nerf. La sensibilité dont jouissent les lèvres et les joues (b'itond des divisions de la branche sus- maxillaire delà cinquième paire et du nerf buccal dont nous venons de parler. On sait que les branches qui sortent du conduit maxillaire sont ('•normes chez le cheval, où elles vont se distribuer aux ailes du nez et aux lèvres, dont la sensibilité est exquise. La section de ces branches laisse aux parties dans lesquelles elles se rendent toute leur mobilité. Il est à noter que la sensibilité des lèvres et des joues paraît moindre à l'exté- rieur dans les ruminants que chez les soli[ièdes; cependant, chez les premiers, les papilles, si nombreuses et si développées que les joues offrent à leur face interne, contribuent, sans aucun doute, à donner à leur sensibilité un caractère particulier, qui est peut-être en rapport avec la rumination ou avec la mastica- tion mérycique. VI — Rythme de la mastication. Les caractères généraux de la mastication résultent de la configuration des mâchoires, du jeu de lenrs muscles et de la forme des dents ; ils sont loin d'être les mêmes dans tous les animaux. Chez les carnivores, les mâchoires ne[)eu\ent exécuter que deux mouvements : l'écarlement et le rapprochement; les dents supérieures ne peuvent point glisser sur les intérieures. Aussi, la mastication s'y réduit à la section, à la dilacération el rarement au broiement des substances alimentaires. De ces trois opérations bien distinctes, la première a pour agents les incisives, la seconde, les canines, et enlin. la troisième, lesdenls molaires. Celle-ci, quelles que soient les formes des molaires, est ordinairement fort incomplète, car la chair s'écrase, se tasse, s'assouplit, se perce au niveau des saillies aiguës des dents ; elle ne se divise ni en parcelles ténues, ni même en petits lambeaux ; elle reste en masses assez volumineuses, qui passent aisément dans un œsophage très large et se réduisent vite en une pulpe homogène par l'action du suc gastrique. Les os, seuls, sont susceptibles d'être brisés el très divisés. Pourcela, l'animal les fait parvenir instinctivement sous lesdernièresdents qui sont les plus fortes et dont la surface est souvent tuberculeuse au lieu d'être hérissée de pointes. Ils ne sont écrasés que d'un seul coté à la fois, et sans grande difticultéchez les espèces qui, comme l'hyène, possèdent plusieurs tuberculeuses; au contraire, on les voit divisés avec lenteur et avec une précaution singulière chez le lion, la panthère, dont les dernières dents ont des pointes acérées, susceptibles des'émousser ou de se briser. Il est fort remarquable qu'alors le lion et toutes les espèces de son genre ferment plus ou moins les yeux à chaque effort des muscles préposés au rapprochement des mâchoires. Chez les herbivores, la mastication s'ell'ectue suivant un mode bien différent de celui qui est propre aux carnassiers ; elle s'opère par des mouvements de pré- pulsion, de rétropulsion et de diduclion qui s'ajoutent à ceux d'écartement et de rapprochement. Les deux derniers eussent été insullisants pour produire une divi- sion complète des substances herbacées. En effet, si les mâchoires du cheval eldu bœuf, munies de leurs dents à couronne plate, n'eussent exécuté que les deux mou- 644 DE LA DIGESTION. vemenfs propres aux carnassiers, les herbes sèches et même les fourrages verts se seraient simplement assouplis, froissés; mais ils n'auraient pu se réduire en [telifes parcelles; ils se seraient aplatis, comme sous une nieiile dont la pression la plus forte n'o|tère jamais qu'un écrasement sans division. Le Iroltement des dents, soit dans le sensantéro-postérieui-, soit dans le sens latéral, est donc d'une indis- pensable nécessité pour les herbivores ; aus«i y existe-t-il toujours. Ce n'est pas tout. J^es mâchoires des herbivores ont une disposition telle que le broiement des matières alimentaires ne peut s'effectuer en même temps des deux côtés. Camper avait déjà noté que la mâchoire inférieure de ces animaux est plus étroite dans toutes les espèces que la supérieure ; mais il n'avait pas trouvé la signitication de ce fait anatoniique. Or, par suite de l'élroitesse de la mâchoire inférieure, les molaires ne peuvent se correspondre simultanément des deux côtés à la lois. Lorsque les droites se touchent, les gauches ne s'alTrontent plus, et réci- proquement. 11 en résulte que, chez ces mammifères, la mastication doit être unilatérale. Aussi, pendant que les solipèdes et les ruminants mangent, on voit, à certains moments, la mâchoire inférieure se porter, à chaque coup de dents, à droite de la su|)érieure; puis, à d'autres moments, se porler en sens opposé. Si ia déviation a lieu à droite, par exemple, elle peut conserver cette direction durant une période d'un quart d'heure, d'une demi-lieui-e, même d'une heure; la mâchoire infé- rieure se porte à droite de lu supérieure et revient à ï-a situation normale sans la dépassera gauche; les- molaires droites frottent, celles d'en haut sur celles d'eu bas, et écrasent les aliments qui sont enire elles Alors, les molaires gauches ne se correspondent point, et il n'y a point d'aliments entre leurs tables. Le contraire a lieu lorsque la déviation s'opère à gauche. Lorsque l'animal mâche à droite, on voit : 1° que la mâchoire inférieure se porte à droite bien en dehors de la supérieure ; 2 " que 1»^ condyle maxillaire gauche éprouve un déplacement plus étendu que l'autre, et qu'enlin, la salière gauche se boursoufle, chez les solipèdes, beaucoup plus fortement que celle du côté sur lequel la mastication s'opère. I^'inverse a lieu également lorsque l'animal mâche à gauche. Il est à noter que cette particularité, qu'on n'avait même pas soupçonnée, coïncide avec l'un des piuMiomènes les plus remarquables de la sécrél ion des glandes salivaires, c'est-à-dire, avec une sécrétion parotidienne beaucoup plus abondante du côlé sur lequel se fait la mastication que du côté opposé. L'unilatéralité de la mastication n'est point exceptionnelle ou propre à quel- (jues herbivores. Elle est évidente chez le cheval, l'âne, le mulet, le dauw, l'hé- mione, le zèbre, le rhinocéros, le bœuf, le bullle, le bison, le cerf, l'antilope, le mouton, la chèvre et tous les autres ruminants; Je ne sais si elle existe chez les rougeurs herbivores, le lièvi-e et le lapin, par exem|)le. La durée de la mastication et son degré de perfection varient à l'infini, suivant les animaux, leur âge, l'état et la nature des aliuienfs. Les carnassiers mâchent très peu leur proie: ils avalent des morceaux de chair très volumineux, après les avoir aplatis, dilacérés eu quelques coups de dents. Une division très grande de ces substances est rendue impossible par le mode d'action des dents el des mâchoires; elle serait, du reste, peu utile, puisque les matières RYTHME DE LA MAST[CATTOX, 645 animales, en masses volumineuses, se dissolvent très bien dans le suc gastrique. Les herbivores, au contraire, ont besoin de diviser, de réduire en petites par- celles leurs aliments, pour en faire des [telotes capables d'être dé,i,^luties, el ensuite pour les dl.îérer; mais cette divii^ion ne devient sultisamment [iitrtaite qu'après une mastication d'assez longue durée. Les herbivores qui ne ruinineut pas et qui, par conséquent, mâchent une seule fois leurs aliments, mangent avec lenteur. I' faut, en moyenne, à un cheval de taille ordinaire, une heure et quart pour manger 2 kilogrammes de loin sec. dont il fait de60 cà66 bols. Un gros cheval initune heure à prendre cette quantité et en fit 6(1 bols; un second, une heure douze niinules cl en lit'.trj ; un troisième, une i-eure et demie pour la même quantité, dont il lit 120 bols; enfin, un quatrième, très petit, employa une heure quarante-quatre minutes et lit 15U bols. En moyenne, on peut dire que le chev il met quarante-cin(| secondes pour broyer une trentaine de gram- mes de fo'n, en donnant de soix mte-dix h quatre-vingts coups de dents par minute. Le nombre des coups de dents est doublé, et quelqui'fois triplé lorsque, par suite de la perte de la salive, les aliments ne sont pas convenablement humectés, comme le prouve du reste, le tableau suivant: TOUTE LA .SALIVE 1 LA SALIVE d'i ne PaKOTIDi \A SALIVK KKS KIlX l'.Xt'.nT DIS COULE UANS LA BOUCHE COULE A l'extéuikur COI LE A L'EXTÉarSUR NOS m-nt.K NOMIinK tsir- nURÉK NOMIIRK NOS DURÉE N n M B R 1 d. « CHip. (1 • la de^ .-(.Ml.» de-" r-ui'^ «les bol5. HUM h..l. Je di'iil-. (Je5 bols. ina-liiMlinn. d,- d,.iil-. iiiaslica 1011. c decil-. Secoiiil?--. Sec inile-. SiC"nde?. 1 .5 3!t 1 30 33 1 4ô 38 2 :i3 42 2 29 30 2 43 47 3 25 31 3 37 44 3 3") 35 4 27 30 4 33 36 1 80 79 5 30 39 .T 47 43 • ) 115 111 6 .')") 41 6 45 38 6 60 63 1 2"> 37 7 23 33 7 110 Kil 8 ■^5 34 8 33 35 8 ". 0 W5 9 1-2 17 0 40 Ar> 9 1(;0 101 10 10 40 10 2.'i 31) 10 65 68 Chez les ruminants, la première mastication, qui est très incomplète, est beau- coup plus rapide que celle des solipèdes. Le bœuf n'emploie, en moyenne, qu'un tiers de minute à broyer un bol plus volumineux que celui du cheval préparé en une minute; mais la seconde mastication est, chez cet animal, tiès ralentie comme nous le verrons plus tard. La mastication devient lente cl de moins en moins pnrfaite à mesure que les lierbivores avancnten âge: l'usure et l'irrégularité des dents sont les principales causes qui la rendent dillicile chez les vieux animaux car il arrive un moment où les lames d'émuil ne forment plus que de très légères ^aillies à la surface de frot- tement qui, même quelquefois, devient tout à fait lisse. Il est à noter que, chez 646 DE LA DIGESTION. les solipèdes,les molaires s'usent généralement plus vite que les incisives : aussi les premières ne parviennent à rester en contact , les supérieures avec les inférieures, que par suite de l'horizontalité acquise par les incisives. Sans ce changement de direction, il faudrait que les incisives éprouvassent une usure proportionnelle à celle des molaires, et c'est aussi ce qui arrive souvent. L'acte que nous venons d'étudier a une très grande importance chez les herbi- vores et les granivores. Lorsque, grâce au l»on état des dents, il s'effectue aussi complètement que possible, les fourrages très divisés et les grains finement moulus se laissent imprégner des sucs digestifs et cèdent la plus grande partie de leurs principes nutritifs. Quand, au contraire, parle fait de la disparition des lignes d'émailet de l'irrégularité des arcades dentaires, les dents n'effectuent plus qu'une division grossière, les aliments conservent dans leur trame une forte partie de leurs matières solubles ; les fourrages aplatis se tassent dans les renflements de l'in- testin, obstruent souvent ses détroits ; l'avoine aune partie de ses grains presque intacts; l'animal se fatigue les organes digestifs, se nourrit mal et contracte de graves indigestions. On sait combien chez l'homme l'imperfection de la mastica- tion aggrave les infirmités qui accompagnent ordinairement la vieillesse. CHAPITRE XXIÎ DE L'INSALIVATION Pendant que les matières alimentaires parvenues à la bouche y sont divisées et broyées par les dents, elles s'imprègnent d'un liquide destiné à les ramollir, à faciliter leur action sur l'organe du goût, aies préparer à être dégluties, et enfin, à leur faire subir déjà quelques modifications préliminaires à celles qu'elles doivent éprouver dans les parties profondes de l'appareil digestif. L — Appareil salivaire. Les glandes chargées de préparer les fluides salivaires et de les verser dans la cavité buccale, commencent à apparaître, chez les invertébrés, sous la forme tubu- leuse, commune à toutes les glandes des animaux à circulation imparfaite; elles se présentent chez les insectes sous l'aspect de petits tubes ramifiés, ouverts dans la bouche ou la partie supérieure de l'œsophage, et prennent chez les mollusques le caractère lobule qui les distingue dans les vertébrés. Très peu volumineuses ou presque nulles chez les poissons qui ne mâchent guère leurs aliments, d'ail- leurs suffisamment imprégnés d'eau, elles se dessinent mieux chez les reptiles où elles se modifient quelquefois comme chez la vipère, les crotales, pour produire un liquide venimeux; enfin, elles arrivent à leur maximum de développement chez les mammifères, notamment dans les espèces dont les aliments doivent éprouver, par l'action des dents, une division très complète, tandis qu'elles demeurent rudimentaires dans les cétacés qui avalent leur proie entière, et chez les phoques qui la divisent à peine. INSALIVATION. li'l/ L'appareil salivaire des mammifères comprend deuv parotides, deux maxillaire> et deux sublin^'uales qui sont parfaitement circonscrites, puis les glandes molaires, distinguées en supérieures et en inféiieures, étendu, les glandules sous-mufineu- ses, disséminées autour de la langue, à la face interne des joues et des lèvres. Ces diverses glandes ont été rapportées |)ar Duvornoy, à deux groupes appelés, liin. le système salivaire antérieur, formé par les maxillaires et les sublinguales, dont les canaux s'ouvrent à Feutrée de la cavité, tout près des incisives; l'autre, le système salivaire postérieur, composé des parotides qui versent le produit de leur sécrétion dans la partie moyenne de la bouche au niveau des dents molaires. Cette distinction ingénieuse est a(>puyée par les résultats de lexpérimentatinn. Xou> Z 4 X- •^: FiG. Û9. - Tète (le vipère (*) l*'if;. 100. — Appareil à venin isolé verrons bientôt, en etTet, que ces deux systèmes fonctionnent chacun suivant i\t> lois spéciales, et que l'un fournit une salive dont les caractères et les propriétés diflèrenl très sensiblement de la salive de l'autre. Les glandes salivaires, peu volumineuses dans les carnivores dont la mastica- lion est incomplète et qui font usage d'aliments contenant une forte proportion d'eau, sont beaucoup plus grandes chez les herbivores qui vivent de substances devant être parfaitement divisées et très délayées : aussi les voit-on arriver à leur degré extrême de développement dans les rongeurs, les pachydermes, le? soli- pèdes et les ruminants. Parmi les mammifères, on peut reconnaître, en combinant les données de l'ana- lomie comparée, que ces deux systèmes n'ont point, l'un par rapport à l'autre, un développement proportionnel dans toutes les espèces. Le système antérieur on celui des glandes à salive visqueuse, prédomine sur l'autre ou l'égale : 1° dans les carnassiers, lechien, le chat, les chauves-souris : 2" dans les animaux aqiiati- (|ues dont les aliments, déjà suflisannnent humectés, ont surtout besoin d'être en- duits de mucosités propres à faciliter la déglutition : S^enlin, chez ceux qui n'oni pas ou presque pas de mastication, comme le fourmilici', le tatou, l'échidni'. Le (■) a îïlaïKlt' à veiiiii ; A, son canal excn-leur se teniiinant en c à la base du crochet; d, croeliol pi iiioipal : (, ci-ochct de remplaoenieiit ; rj , //, etc., muscles et autres parties de la lOte. (Moquiii-Tandou.) (•*) n, friande isi«IiSe;/;, h. son can.il: c, son réservoir: d. rrocliot n la cannelure rlnqupl oliouiil le ranal excréteur. 648 DE LA DIGESTION, système postérieur, au contraire, dépasse de beaucoup le premier dans les animaux herbivores, notamment dans ceux qui ne jouissent pas de la faculté de ruminer. Les glandes qui, par leur ensemble, forment chacun de ces deux systèmes, ne sont pas toutes développées dans la même proportion. Dans le système aniérieur, composédes maxillaires etdessublinguales, auxquellesj'ajouterai les molaires supé- rieures ou glandes de Nuck, il arrive souvent que les sublinguales sont fort petites, alors que les maxillaires sont très grandes : ainsi les premières manquent chez le chien, oi!iles secondes sont énormes ; elles sont rudimentaires chez le dromadaire, tandis qu'elles deviennent très volumineuses et même doubles dans certains rumi- nants, le bœuf et la brebis, par exemple. La présence, l'absence ou l'atrophie de l'une d'elles sont des circonstances peu importantes, puisque celles qui restent peuvent, par suite d'un développement exagéré, suppléer les absentes, d'autant mieux qu'elles fonctionnent d'après un mode uniforme etqu'elles donnent des pro- duits de même nature. Dans le système postérieur, composé des parotides et des molaires inférieures, il arrive que celles-ci sont grandes, alors que celles-là ne pré- sentent pas tout le volume qu'elles sembleraient devoir acquérir, comme chez les ruminants domestiques, par exemple ; de même quand les parotides sont énormes, comme chez les solipèdes, les molaires inférieures sont rudimentaires. Les deux systèmes étant, jusqu'à un certain point, indépendants l'un de l'autre, il peut arriver que le moins nécessaire disparaisse et que le plus utile persiste ; c'est aussi ce qui a lieu dans les oiseaux : le système antérieur à salive visqueuse conserve, dans un grand nombre d'espèces, des proportions considérables, tandis que l'autre n'offre pas, chez la généralité, de traces appréciables de son existence. Il faut que le premier persiste, car il donne la salive dont le principal usage est « d'humecter la bouche et d'enduire les substances alimentaires, pour les faire glisser dans l'œsophage et en faciliter la déglutition K » Il est facile de voir, du reste, en comparant entre eux des animaux d'un même groupe, que les glandes salivaires offrent des variations très étendues, en rapport avec la nature des aliments et le mode de mastication. Ainsi, en mettant en regard les rongeurs qui vivent d'herbes avec les rongeurs omnivores, les solipèdes avec les ruminants, on est frappé de différences notables dont la raison physiologique n'est pas introuvable. Parmi les mammifères herbivores, les solipèdes et les ruminants, qui font spé- cialement le sujet de nos éludes, sont, suivant la remarque de Cuvier, les animaux dont les glandes salivaires offrent le volume le plus considérable ; mais il existe entre ces deux groupes des différences très notables, tant sous le rapport du volume que sous celui du mode d'action de ces organes. Les ruminants se distinguent des solipèdes par la prééminence des glandes à salive visqueuse sur celles qui donnent lasalive aqueuse. Le dromadaire, le chevreuil et le mouton même feraient exception si l'on mettait seulement en ligne de compte les troi^ principales glandes salivaires; mais ils rentrent dans la règle, si l'on fait la somme de toutes les glandules delà face interne des joues, des lèvres, de la base de la langue et de 1 œsophage, les- quelles sécrètent un (liiide visqueux analogue à celui des sublinguales. Eu outre, L. Cuvier, Aiialoni/f rotupafér, t. IX, l"' partie, y. 439. INSALIVATION. ^m les animaux qui ruminent ont des sl-'indes dont l'ensemble représente un poids supérieure celui des mêmes j^laudes des solipèdes, comme le montrent du reste les cUiiïres du tahleau suivant ; Tahlenu .ti/nopfir/ue du poids da glandes sal/caires des animaux domestique''. ANIMAUX Cheval.. Ane. Bœuf. Dromadaike MouïO^ CUEVREIJIl. Porc. Chie.\ Chat . , rAi\o- MAXIL- .SUBLIN- TIDES LAIllES GUALKS o""- r'""- ■-T. 100 «(i 2.{ 100 :i!S ]K 283 298 Ni .•i08 100 1 i;^ :»; 1 :i() !> :! Iv? l.i 1 S poms TOTAL 412 m liAPPOHÏ e le Vini* UAA .•( ivliii (le chaque ^liiiide. Parotides. .')()9 ' Mil xi 11 aires . . I Sublinguales i ^ Parotides ].")fi . .Miixillaires . ' Sublinguales j Parotides... (3J1 ,' .Maxillaires... Sublinguales Parotides .Maxillaires.. . Sublinguales Parotides. . . .Maxillaires . Sublinguales. ' Parotides 12 ^ .Maxillaires. . / Sublinguales. I Parotides. .. . ;iOô ' .Maxillaires., j Sublinguales .^- \ Parotides. . . . I .Maxillaires . , I j,, > Parotides. . . / .Maxillaires.. RAPPORT i-nlie le oiiid? de? |)ariilid>!S el celui de? maxillaires. 0.78 0,17 0,0") I 0,64 ( 0,24 0,12 ) I 0,4.') ) 0,48 ' 0,07 ) 0.75 0,24 ( 0,0 1 j 0.52 l o.4;j ( 0.0.5 \ «. ) 0,2-.î ' 0,07 S I 0.81 ) 0.10 5 o,o;i 1 0 48 / 0,52 S I 0,60 i 0,10 ^ 1 : 0.21 1 : 0.38 1 : 0,05 1 : 0,32 l : 0,81 1 : o,.Su 1 : 0,20 1 : 1,08 1 : 0.67 Si les glandes salivaires offrent, dans les diversanimaux, desdifférences considé- rables, relativement à leur volume absolu et aux proportions qui existent entre elles, elles n'eu présentent pas de moins grandes sous le rapport de leur mode d'ac- tion. Leur fonction aune physionomie s[)éciale, nettement dessinée, dans chaque groupe d'animaux; elle n'est point dans les herbivores monogastriques ce qu'eilf est chez les herbivores polygastriques. Ses caractères varient dans chacune des conditions où peuvent se trouver les animaux : elle n'est pas, lors du repas, de la 650 DE LA DIGESTION. rumination, ce qu'elle est pendant l'abstinence, ou lorsque des substances exci- tantes sont mises en contact avec la muqueuse buccale ; enfin la salivaLion n'est point identique dans toutes les glandes ; la parotide ne fonctionne point comme la maxillaire, et celle-ci n'a pas une action semblable à celle de la sublinguale : chacune a sa vie propre, chacune fournit son espèce de salive; les glandes d'un côté n'agissent même pas comme celles du côté opposé. Ge sont là aulant de pro- positions que l'expérimentation va établir, 11 n'est peut-être pas de glandes plus accessibles aux investigations que les glandes sali vaires. Par le fail de leur situation, de la dis- position de leurs canaux, elles peuvent, sans que leur action soit troublée, se prê- ter à des expériences qui deviendraient difficiles et en- traîneraient des perturba- tions considérables si elles s'appliquaient aux glandes renfermées dans les cavités splanchniques. Grâce aux heureuses conditions dans lesquelles elles se trouvent, elles permettent à l'observa- teur de saisir les diverses par- ticularités de leur action, et, par conséquent , de jeter quel- que lumière sur les phénomè- nes si obscurs des sécrétions. Pour étudier convenablement le mode d'action de ces glandes, il est nécessaire d'adapter aux canaux excréteurs des appareils propres à recevoir les produits de la sécrétion. Gelui quej'ai employé (tig. 101) sur nos espèces domestiques estd'uiic extrême simplicité ; il permet de recueillir les quantités les plus minimes de liquides et dans tonte leur pureté. lie. mi. — Appareil pour j'ccueillir salivaires ('). lUii(l( II. — SÉCRÉTION DES PAROTIDES. Les parotides, qui forment, presque à elles seules, le système salivaire postérieur, ont une action dont toutes les particularités sont caractéristiques. Destinées à fournir la plus grande partie du liquide qui imprègne les substances alimentaires, elles sécrètent abondamment ]tendant le repas, mais inégalement, en alternant {") a, b, c, d, appareil pour robteiition de la salive parotidicnue ; a, tube d'argent fixé an canal de Siéiiou : h, tube de caou'chouc nonlinuimt le premier; c, 'ube de verre continu an précédent et fixé à la muserolle du licol ; fi, ampoule de eaontcli'jnc munie de sourobiuet; e. /', appareil pour la salive maxillaire; e, tube d'argent fixé au canal de Whartou ;[, ampoule et son r(d)inet qu un fil soutient sous la houppe du menton. Un appareil semblable ;i ce dernier s'applique à la sublinf^ualr du bnenf. INSALIVATION. (Î51 l'une avec l'autre. Elles cessent de fonctionner pendant l'abstinence, si ce n'est chez les ruminants, où leur sécrétion n'est jamais suspendue. Au premier abord, rien ne peut faire préjuger une inégalité d'action entre la parotide d'un côté et celle du côté opposé: les deux glandes sont sensiblement égales et paraissent dans des conditions identiques ; cependant lexpériencc lu plus simple démontre que jamais elles ne donnent, l'une et lautre, dans un même temps, des quantités de salive exactement semblables. En effet, si l'on établit deux (Isiules parotidiennes, une de chaque côté, en pre- nant des tubes de même diamètre et des ampoules de même capacité, pour cha- cune d'elles, on observe, dès que Tanimal se met à manger, que, dans une période quelconque, l'une des deux fistules donne une quantité de salive beaucoup plus considérable que l'autre. En continuant l'expérience, on voit qu'après un certain temps la glande, qui fournissait d'aboi-d i»eu de salive, vient à en donner beau- coup, et que celle, au contraire, dont l'action était prédominante dans le jirincipe. ralentit sa sécrétion : enlin, (lu'après cette [iremière inversion, il s'en produit une seconde, et ainsi de suite avec les mêmes i)arlicularil('s. Il importe ici de se rappeler que la mastication des soiipèdcs, de niènie (pic PAROTIDK PAROTIDE s E N S PAUUTIUK PAUOTlDi: s K N S TEMI'S de Il: M PS de di'oilc. gauche. cheval. la inri?licalion. (Irdite. 40 irnuche. la Mm>licalion. 1er l'Iicval. minutes. «r- gr. Miinuli^. g'-- gr. 15 910 200 à droite. 5 160 85 à droite. 15 580 320 a droite. 6 1.50 235 à gauche. 15 250 700 à gauche. 4 IGO 40 à droite. 4 115 70 à droite. 4 95 lfi5 à gauche. *c t •licval. G 80 210 à gauche. 15 270 020 à gauche 15 510 820 à gauche. 5e phvval. 15 ."00 800 à gauche. 15 180 750 à gauche. 3 50 110 •1 gauche. 15 7-20 420 à droite 0 200 50 à droite. 15 540 800 à gauche. 4 30 100 à gauciie. 15 tiOO 710 lie val. à gaucho. 5 200 30 \nv. à droite. 15 6-20 200 à droite. 15 120 10 à droite. 10 320 200 à droite. 15 110 60 à droite. 5 ■200 120 à droite. 15 80 170 à gauche 15 '110 230 à droite. 15 150 15 à droite. 10 60 320 à gauche. 15 30 160 à gauche. 5 20 150 à gauche. 15 55 135 à gauclie. 15 130 520 à gauche. 15 50 165 à gauche. celle des ruminants et des autres herbivores, s'efiectue d'un seul côté, alternati- vement à droite et à gauche, de telle sorte que, pendant un quart d heure, une demi-heure, plus ou moins, ce sont les molaires droites qui broient les aliments. 652 DE LA DIGESTION, après quoi les molaires gauches remplissent, le même office, à l'exclusion des pre- mières, pendant le quart d'heure ou la demi-heure qui suit. Or, lorsque l'animal mâche à droite, c'est la parotide droite qui sécrète beaucoup et l'autre qui sécrète moins ; lorsqu'il vient ensuite à mâchera gauche, les choses cha igent : la glande gauche sécrète. abondamment et la première ralentit son action, comme si elle s'était fatiguée dans la période précédente. Après ce premier changement dans le jeu des mâchoires, s'il en survient un second, on observe sur-le-champ, dans l'activité de chaque glande, un changement correspoiîdant. Les inversions dans le sens de la mastication, si multipliées qu'elles puissent être, entraînent tou- jours, et immédiatement, des inversions parallèles dans l'activité des deuK paro- tides. Le tableau ci-conlre en donnera quelques exemples pour le cheval et l'âne. Il n'est pas nécessaire, pour constater l'inégalité d'action des parotides, d'éta- blir une fistule de chaque côté. Ce mode d'expérimentation la rend immédiate- ment saisissable, mais il détermine un ralentissement notable de la mastication et une gêne marquée de la déglutition, en laissant toutefois les deux parotides dans des conditions identiques. La rémiltence deviendra manifeste dès qu'on fera une seule fistule, n importe de quel côté. Si l'on établit cette fistule à droite, par exemple, l'animal se mettra à manger à gauche, c'est-<à-dire du côté par lequel la salive parotidienne continue à affluer dans la bouche, et la mastication aura lieu dans ce sens pendant un quart d'heure, une demi-heure, et même davantage : alors la fistule donnera très peu. Bientôt l'animal, se fatiguant de mouvoir les 1" CHEVAL 2' CHEVAL TEMPS FISTULE GAUCHE SENS de la ma:-t>cali»n. TEMPS FISTULE DROITE SENS il« la iiia-lication. iiiiniiles. gr- rnilillles. g'- 15 450 ■à droite. 15 450 à gaiiotie. 15 550 à droite. 15 500 à gaurlie. 15 1,11^0 à ffiiuclie. 15 460 à gaiiclie. 15 1,020 à uamlie 15 TRO à droite. 15 1,000 à giiiictie. 15 630 à droite. 15 iilO à droile. 15 2-20 a gauche. 15 6.0 à droite. 15 500 à Ka"i"tie 15 1,0U0 à jïau-lie. 15 610 à g.iuclie. 15 520 à droite. 15 510 à gauclie. mâchoires dans la môme direction, arrivera à broyer les aliments sous les mo- laires droites, bien que de ce côté la salive parotidienne ait cessé d'affluer dans la cavité buccale. Dès que ce changement se sera effectué, la fistule donnera écoulement ti des (piantitésde liquide beaucoup [)lus considéraîilesqiVauparavant; enfin, à chaque nouvelle inversion du jeu des mâchoires, on notera une inversion corres] tondante dans l'activité de la parotide dont le canal est ouvert. L'inégale activité des deux parotides et les oscillations alternatives que la sécrétion de chacune peut éprouver sont des particularités qui ne souiïrenl pas INSALIVATION. 653 d'exception, lors même que le sens de la mastication change vingt fois pendant la durée d'un repas. L'inégalité devient évidente dès que les mouvements lies mâchoires conservent la même direction pendant quelques minutes. Ainsi que chez les solipèdes, on l'observe chez les ruminants; seulement elle y est moins facile à reconnaître, car si l'on t'iit à un bœuf une seule fistule parolidienne, l'ani- mal se met, tout d'abord, à mâcher du côté opposé, et continue ainsi sans inter- ruption, de telle sorte que la listule donne constamment le produit minimum de la sécrétion. Si, au contraire, on lui en fait deux, la mastication, habituellement si rapide, devient tellement pénible, que l'animal change le sens du mouvement des mâchoires deux ou trois fois par minute; il en résulte une sécrétion peu différente pour les deux parotides; mais linéualilé devient manifeste pendant la rumination et lors de l'abslinence. 11 est fort probable (pie ce caractère de la sécrétion parotidienne appartient à tous les animaux dont la mastication estuni- lalénile, comme celle des herbivores domestiques. La cause de ces alternatives dans l'action des pai'otides est fort dillicile à déterminer Elle ne peut être attribuée à une différence de volume entre les deux glandes, puisque celles-ci sont souvent sensiblement égales, et que les variations de l'une par rapport à l'autre ne dépassent guère un vingtième. Du reste, lors même que l'inégalité de volume serait constante, elle ne l'expliquerait pas davantage car la glande la plus petite sécrète, tour à tour, des quantités de salive supérieures ou inférieures à celles de la glande la plus volumineuse. Cet!c cause se trouve-t-elle dans une différence d'excitation des difficile; mais il est rare que la mastication dure autant du côté de la fistule que de l'autre. Les ruminants qui se trouvent d;ins ces conditions mangent et rumi- nent même presque constamment du côté dont la glande continue à verser son produit dans la cavité buccale. Ces faits semblent indiquer que le sens de la mastication est le point de départ de la surexcitation de l'une des deux parotides. Du reste, ce qui peut encore faire penser qu'il en est ainsi, c'est que si, sur un animnl dont les canaux parotidiens ont été entourés de ligatures d'ai tente, on vient à serrer celui du côté sur lequel a lieu la mastication, celle-ci continue à s'opérer s^ns changement pendant une période plus ou moins longue. De même, lorsque le jeu des mâchoires éprouve une inversion, celle-ci se maintient, bien qu'on ait serré le canal primilivemenl libre et rétabli le cours de la salive dans celui qui se trouvait d'abord interce[>té. Le deuxième caractère de l'action des parotides consiste dans l'insensibilité de ces glandes à l'influence des excitants. On peut mettre en contact avec la muqueuse buccale des sels, des acides all'aiblis, des substances aromatiques, sans que les 654 DE LA DIGESTION. parotides des solipèdes fournissent, lors de l'abstinence, des quantités appré- ciables de salive, et sans que celles des ruminants, qui sont constamment actives, éprouvent une augmentation sensible de leur sécrétion. De même, la vue el l'odeur des aliments ne peuvent, chez l'animal le plus affamé, mettre en jeu, d'une manière très notable, l'activité de ces glandes. Les fistules du cheval à jeun, mis en regard de la mangeoire pleine de foin et d'avoine, ne laissent sou- vent pas échapper une seule goutte de salive. Si, quelquefois elles en laissent sortir un peu, au premier moment, c'est, à ce qu'il semble, par suite des con- tractions provoquées dans les canaux excréteurs et non par le fait de la reprise du travail de sécrétion. Le troisième caractère de la sécrétion parotidienne est de donner une salive limpide, très fluide, dépourvue de viscosité et très propre à pénétrer les substan- ces alimentaires : cette salive, dont les caractères et la composition seront ulté- rieurement indiqués, est versée dans une proportion qui dépasse de beaucoup celle que produisent toutes les autres glandes réunies, lors même que ces der- nières oui un volume supérieur à celui des parotides. Si la sécrétion parotidienne a des caractères communs aux différents animaux, elle en a aussi qui sont propres à certains d'entre eux, et qui lui donnent une physionomie distinctive. Ainsi, elle est complètement suspendue lors de l'absti- nence chez les solipèdes, tandis que, dans la même circonstance, elle conserve une activité considérable chez les ruminants, où elle se lie intimement aux phé- nomènes de la digestion gastrique et à ceux de la rumination : cette activité est telle, que les deux glandes donnent encore, sur le bœuf, dans les intervalles des repas de 800 à 2,400 grammes de liquide par heure. Ainsi, l'action des parotides se dessine très nettement, soit dans ce qu'elle a de commun à tous les animaux, soit dans ce qu'elle a de particulier à chaque espèce. 1° Ces glandes sécrètent inégalement dans un temps déterminé, bien qu'elles paraissent toutes les deux soumises à des influences identiques. Elles alternent l'une avec l'autre : celle du côté sur lequel s'opère la mastication donne au moins un tiers de plus que l'autre; ordinairement le double, quelquefois le triple. 2" Lorsque le sens delà mastication vient à changer, c'est-à dire lorsque l'ani- mal qui broyait les aliments sous les molaires droites, vient à les broyer sous les molaires gauches, il s'opère une inversion correspondante dans la sécrétion parotidienne : la glande, qui d'abord était très active, ralentit brusquement sa sécrétion, et l'autre accélère la sienne avec la même rapidité. 3° Les alternatives d'accélération et de ralentissement dans l'action des paro- tides se succèdent suivant l'ordre des changements qui surviennent normalement dans le sens de la mastication : elles sont moins prononcées si ces changements se renouvellent à des intervalles de quelques minutes, que s'ils se produisent toutes les demi-heures ou toutes les heures. 4° Ces inégalités alternatives sont tellement inhérentes au mode d'action des* parotides, qu'elles se manifestent encore pendant l'abstinence chez les ruminants, et durant la période assez courte de la persistance de la sécrétion, après le repas, chez les solipèdes. l'y" \'A\Wn, les parotides, destinées à produire la salive non visqueuse, sont gêné- INSALIVATION. ^Ôh ralenieiit insensibles à l'action des excitants, sauf à l'action du sel marin et de quelques condiments à saveur alimentaire ; elles fonctionnent constamment chez les ruminants, et seulement pendant le repas chez les solipèdes. Le mode de fonctionnement des parotides ne paraît pas être dans l'espèct' humaine semblable à ce que nous venons orcelaine brisé, me prévint de l'accident quelques jours après. Nous finies ensemble les constatations que je vais résumer et qui furent renouve- lées, quinze jours plus tard, lors de la réouverture de l'une des fistules, sous le lol)ule de l'oreille droite. 1" Pendant l'abstinence le canal de Sténon paraissait toujours |)lein de salivt^ mais il ne s'en échappait rien, sauf une gouttelette, à de rares intervalles, comme de cin(j en cinq minutes. 2° La vue d'un aliment faisait entrer la glande en action : un petit gâteau, d'aspect et d'odeur agréables, mis dans la main de la jeune fille, faisait aussitôt sortir quelques gouttes de salive. 3° La saveur des substances introduites dans la bouche, sans qu'il y eût ni mastication, ni même les plus légers mouvements des mâchoires, faisait sortir de la salive. Il s'en écoula, pendant qu'un petit morceau de sucre était sur la langue, six gouttes dans la première minute, quatre dans la seconde. Un grain de sel, les mâchoires demeurant immubiles, lit couler pendant qu'il fondait sept gouttes dans la première minute et neuf dans la seconde. 4" L'action des substances sapides a paru proportionnelle au degré de l'exci- tation produite sur le sens du goût. Une petite tranche de brioche sur la langue ne lit couler que deux gouttes de salive en une minute; — une fraise, que deux gouttes dans la première minute et deux dans la seconde; — une tranche de jambon, deux gouttes dans la première minute, quatre dans la suivante. Mais un bonbon anglais lit sortir, pendant qu'il fondait, toujours sur la langue, huit gouttes dans la première minute, six dans la deuxième, six dans la troisième, sept dans la quatrième. Du vinaigre porté sur la pointe de la langue, par une bandelette de linge, lit couler huit gouttes dans la [U'cmière minute, six dans la suivante et encore trois gouttes dans la minute qui suivit le retrait de l'excitant. 0° La mastication d'alinienls sapides a élevé la sécrétion de la parotide à son maximum. La brioche mangée lentement a fait sortir douze gouttes dans la pre- mière minute et douze ou treize dans chacune des minutes suivantes. Quelques fraises ont fait couler onze gouttes dans la première minute et quatorze dans la seconde. Mais la mastication à vide, la mastication sans aliments, comme celle des substances sans saveur, ou les simples mouvements des mâchoires très répétés n'ont pas mis en jeu l'action de la glande. La mastication d'un ruban de toile n'a provoqué, quoique le canal fût plein, aucun écoulement pendant la première minute: elle n'a fait sortir qu'une gouttelette à la fin de la seconde. 6° La déglutition des liquides sapides a, comme la mastication des aliment?, l'ait couler la salive. Pendant que la jeune tille buvait très lentement, à petites 656 DE LA DIGESTION. gorgées séparées, du vin étendu de moitié d'eau, nous comptâmes six gouttes de salive dans la première minute, dix dans la seconde et encore trois gouttes après la déglutition de la dernière gorgée. 7° Enfin les plus légères excitations produites, soit sur le canal, soit sur la glande, surtout les excitations douloureuses, donnèrent lieu à l'écoulement de la salive. Ces différentes constatations, faites de concert avec M. Prompt, d'abord quelques jours après l'accident, puis deux semaines plus tard, ont été vérifiées ultérieurement par lui sur un homme de 35 ans dont l'une des branches du canal de Sténon avait été divisée d'ua coup de couteau. Dans celles-ci, portant sur une période de cinq semaines, les quantités de salive recueillies le plus souvent par périodes de cinq à sept minutes ont été pesées ou mesurées avec soin à l'aide de petites éprouvettes graduées. Je les réduis en gouttes de 35 milligrammes, dans le tableau suivant, pour rendre les comparaisons faciles. CONDITIONS DE LA SÉCRÉTION. Quantité en gouttes par minute. l'abstinence 1/2 g. un repas de soupe 11g. un repas de bouillon, pain et viande 11 g- l'ingestion lente d'un verre de vin ordinaire 5 l'ingestion d'un verre de bordeaux. 7 l'ingestion d'un verre de vin après l'usure d'une Pendant. . . .[ cigarette y l'usure d'une cigarette 7 la fonte du sucre sur la langue 11 la fonte du sel sur la langue 2 les minutes après l'ingestion du vin 'à les minutes après la fonte du sucre .S les minutes après l'usure d'une cigarette : 3 On voit, d'après cela, que le fonctionnement des glandes parotides a des carac- tères variables d'une espèce à une autre et que les généralisations proposées par Bernard, comme une de ses grandes découvertes, sont très mal fondées. Les faits constatés sur deux sujets de l'espèce humaine viennent à l'appui des vues que j'avais exposées vingt ans auparavant. Leur connaissance indiquera aux chirur- giens les conditions dans lesquelles ils devront placer leurs malades pour obtenir l'oblitération des fistules parotidiennes. tu. _ SÉCRÉTION DES MAXILLAIRES. Les glandes maxillaires, destinées à produire la salive visqueuse versée à l'en- trée de la bouche, ont une action dont les attributs diffèrent essentiellement de ceux qui appartiennent à la sécrétion parotidienne. Ces glandes, placées en ar'rière des dents qui n'agissent point suivant le nlode uriilatériil propre aux molaires des herbivores, ne paraissent pas se trouver dans des conditions qui exigent utie sécrétion inégale; L'expérience démontre qu'elles fonctionnent l'une t^omme l'autre, et qu'elles donnent, dans un temps quel- INSALIVATION. 657 conque, une quantité de salive à peu près la mrme pour les deux : le sens de la mastication et les changements qu'il est susceptible d'éprouver, restent sans inlluence sensible sur leur activité. Il est facile de constater ce premier caractère, soit par deux, soit même par une seule (islule maxillaire. Lorsqu'on adajite à l'un des canaux de Wharton l'appareil précédemment indiqué, on voit que la mastication a lieu tantôt à droite, tantôt à gauche, et que la sécrétion n'est pas plus abondante pendant que la mastication s'opère du côté de la fistule que lorsqu'elle se fait du côté opposé. Si l'on a établi deux fistules, on voit, pourvu que les tubes soient semblables, que les quantités de salive four- nies par une glande sont, pour un même temps, sensiblement égales à celles données par l'autre. C'est ce que J'ai constaté maintes fois sur le cheval, le tau- reau, la vache et le bélier; il ne saurait y avoir aucun doute à cet égard. La sécrétion des maxillaires, très abondante pendant le repas, jouit d'une activité proportionnelle à la vitesse de la mastication, à la qualité et à la sapidité des aliments. Ainsi, son produit est beaucoup plus considérable au commence- ment ((u'à la ù\\ du repas; il est également augmenté lorsque l'animal mange de l'avoine, de la farine ou d'autres substances qui lui plaisent. Elle est presque nulle pendant l'abstinence, et en cela, elle se distingue encore de la sécrétion parotidienne, qui est alors com|)lètement suspendue. Chez les solipèdes et les ruminants elle donne toujours, dans celte circonstance, une très petite quantité de liquide qui se mêle à la salive non visqueuse, pour être déglutie à des intervalles plus ou moins rapi)rochés. Elle s'active considérablement sous l'influence des excitants mis en contact avec la muqueuse buccale, comme Claude Bernard l'a observé sur le chien. Cet effet se produit constamment, d'après mes expériences, sur nos divers ani- maux domestiques. Les quantités de liquide que chaque glande fournit alors sont généralement inférieures à celh^s qui sont sécrétées pendant le repas. Elles varient, du reste, suivant la nature des excitants, l'étendue des surfaces sur les- quelles ils agissent et les périodes de leur action; elles diminuent graduellement à mesure qu'on s'éloigne du moment où l'excitant a été mis en contact avec la muqueuse, lors même qu'il y demeurerait appliqué ou qu'il y serait renouvelé. La sécrétion des maxillaires n'est jamais, à beaucoup près, aussi abondante (|ue celle des parotides, même lorsque les deux espèces de glandes ont un égal développement. Son produit est une salive épaisse, visqueuse, propre à enduire les matières alimentaires et à en faciliter la déglutition : ses propriétés physi- ques, sa composition et son rôle physiologique la dillérencient notablement de la salive parotidienne. Enlin cette sécrétion, dont les caractères, exposés précédemment, sont com- muns aux divers animaux, possède (piehjues parlicularilés distiuctives : la plus remarquable est celle de sa suspension pendant la mastication mérycique des ruminants ; mais nous reviendrons plus loin sur cette intéressante particularité. Ainsi, uniformité dans l'action des deux glandes, sans'variations correspondant au changement du rythme de la mastication ; sécrétion abondante pendant le repas, et lorsque des substances sapides sont mises en contact avec la muqueuse buccale, sécrétion excessivement faible, mais non suspendue pendant l'absti- G, coLi.v. — Pliysiol. comp., 3*^ édil. I — 12 658 DE LA DIGESTION. nence, production d'une salive visqueuse très différente de celle des parotides, tels sont les caractères les plus saillants du rôle des maxillaires. Voici un spécimen de l'activité de ces glandes pour trois de nos espèces domes- tiques : CHEVAL. VACHE. BÉLIER. FISTDLE A DROITE. FISTULE A DROITE. FIST OLE A DROITE. \ Quan- Sens Observa- Quan- Observa- Quan- Observa- Temps. de la tions. Temps. tions. Temps. tions. minutes. tités. mastication. Aliments. tités. Aliments, tités. Aliments. gr. minutes. &>•• minutes. Sr. 1.5 31 à gauche. foin. 15 110 foin. 15 27 foin. 15 ;26 à gauche. foin. 15 85 foin. 15 20 foin. 45 24 à gauche. foin. 15 65 foin . 15 25 foin. 15 22 à gauche. foin. 15 70 foin. 15 15 foin. 15 17 à droite.. foin. 15 80 foin. 15 26 foin. 15 23 à droite.. foin. 15 85 foin. 15 27 foin. 15 19 à droite.. foin. 13 70 foin. 15 20 foin. 15 2-2 à gauche. foin. 45 60 foin. 15 24 sel marin. 15 31 à gauche. foin. 15 90 foin. 15 4 foin. 15 50 à gauche. avoine. 15 70 sel marin. 15 2 abstinence 15 23 à gauche. foin. 15 20 genièvre 15 8 poivre. 15 26 à droite. . foin. 15 40 poivre. 15 28 sel marin. 15 26 à gauche. foin. 15 «0 poivre. » » IV. -=^ SÉCRÉTION DES SUBLINGUALES. La détermination du rôle des glandes dont les canaux peuvent recevoir des appareils, l'appréciation exacte des conditions, des caractères de leur sécrétion, et des relations qui existent entre l'action d'une glande et celle de toutes les autres, est une tâche facile ; mais l'étude de la sécrétion des petits amas glandu- leux, dont les canaux, déliés et nombreux, sont presque inaccessibles à l'expéri- mentation, présente de grandes difficultés. Ce n'est, en quelque sorte, que par des artifices, des moyens indirects qu'il est possible d'arriver à un tel résultat. Chez les solipèdes il faut procéder par voie d'élimination, faire couler à l'exté- rieur la salive des deux parotides et des deux maxillaires : alors, si l'animal mange, la salive qui imprègne les aliments provient des sublinguales, des molaires et des autres glandules, et s'il ne mange pas, le fluide dégluti, à des intervalles plus ou moins rapprochés, est encore cette même salive, qu'il est impossible d'obtenir directement. Ainsi, on peut voir quel est le produit total de toutes les petites glandes, et quelle est sa composition; mais, par ce moyen, le fluide obtenu est encore un mélange de diverses salives visqueuses. Chez les grands ruminants l'analyse expérimentale va plus loin : elle isole la la salive de la sublinguale de toutes les autres. La sublinguale est, chez ces animaux, pourvue à sa partie inférieure d'un canal qui suit celui de la maxillaire et vient se terminer au môme point. Or, ce canal supplémentaire, signalé par les auteurs des Leçons d'anatomie comparée, est INSALIVATION. 659 assez grand pour qu'on puisse y placer un tube mince muni de son ampoule. Grâce à une si heureuse disposition, la petite glande a un rùle qui peut être déterminé avec autant de rigueur que celui des parotides et des maxillaires. FiG. 102. — Sublinguale 'lu bœul' (*). Pour établir la fistule on fait, dans l'espace intramaxillaire, une incision de 4 à 5 centimètres, en arrière de la surface génienne ; on met à découvert le canal, en isolant les granulations qui le recouvrent à la face interne de la glande, puis on l'isole, et enfin on y fixe le tube. Dès que l'opération est achevée, on voit la salive couler en un filet très fin, ordinairement non interrompu ; cette salive est si visqueuse que le filet descend jusqu'à terre sans se briser, et se renforce de temps en temps par une goutte- lette qui, avant de s'étendre, forme un petit nœud longtemps à disparaître. Pen- dant le repas et la rumination, l'écoulement n'offre aucune interruption; il est également continu pendant l'abstinence et lorsque des substances excitantes sont mises en contact avec la muqueuse buccale : seulement, il est plus abondant quand l'animal mange que dans toutes les autres circonstances ; il donne alors de 18 à 20 grammes de liquide par heure. En suivant attentivement l'expérience, on voit très nettement : 1° que la salive de la sublinguale est encore plus épaisse et plus visqueuse que celle de la maxil- laire, à tel point qu'elle ressemble à du mucus presque pur ; 2° que la sublinguale sécrète d'une manière continue pendant que l'animal mange, et non pas seulement à l'instant de la déglutition, comme l'a avancé Bernard, d'après ses recherches sur les glandes salivaires du chien ; 3° qu'elle sécrète sous l'influence des excitants mis dans la bouche, et que, par conséquent, elle agit sous ce rap[iort absolument comme la maxillaire ; 4° enfin, on voit qu'elle fonctionne encore pen- dant l'abstinence pour concourir à la production du liquide mixte qui humecte la muqueuse des premières voies digestives. Il est hors de doute que la glande placée sous la sublinguale fait partie de celle-ci et n'est point une portion détachée de la maxillaire. Si cette sublinguale, à un seul conduit excréteur, appartenait à la maxillaire elle fonctionnerait comme elle, et, par exemple, suspendrait sa sécrétion pendant la rumination. Loin delà, elle sécrète pendant le travail méryoiquo, alors que l'autre est conqilètement inactive. Quanta ce qui concerne les molaires et les autres glandules, il n'est pas possible (*) [?, canal iuférieur de la sublinguale lonjjeaiit celui de la maxillaire ; A, eaual de W'iiarlon; CC. cauaux supérieurs, dits de Hiviuus. 660 DE LA. DIGESTION. d'analyser leur action. On pourrait, après avoir fait la ligature des canaux paroti- diens et des canaux maxillaires, engager dans la bouche et fixer à la face interne des joues de petites éponges qui s'imprégneraient du produit de ces glandes non mélangé au fluide des amygdales et de la couche folliculaire du voile du palais. En isolant avec soin les molaires supérieures, glandes de Nuck ou glandes sous-zygomatiques des molaires inférieures, et en les traitant ensuite chacune par l'eau, on constate, d'une part, que les molaires supérieures, qui sont formées d'un tissu jaune, mou, comme celui des maxillaires, communiquent à l'eau une grande viscosité; d'autre part, que les molaires inférieures, dont le tissu paraît semblable à celui des parotides, ne donnent pas au liquide une viscosité sensible. Or, puisque la substance des molaires supérieures se comporte, par l'infusion dans l'eau, comme les maxillaires et les sublinguales, il est probable que les pre- mières sécrètent un liquide analogue à celui des secondes ; de même, les molaires inférieures, si développées chez le bœuf, oi!i elles ont un volume double des sublin- guales, paraissent sécréter une salive peu différente de celle des parotides : aussi pourrait-on, à juste titre, les appeler paro//(ies accessoires. Maintenant que le rôle de chacune des glandes salivaires est déterminé, il faut envisager ce rôle individuel dans ses rapports avec celui de toutes les glandes, ou, en d'autres termes, l'action collective du système salivaire. V. — SÉCRÉTION SALIVAIRE, DANS SON ENSEMBLE. Si chaque glande a sa manière d'agir, sa vitalité propre, son espèce d'indé- pendance ou d'individualité, le système salivaire a aussi, dans son ensemble, une physionomie particulière et distinctive pour chacune des principales conditions dans lesquelles se trouvent les animaux. Ce système fonctionne pendant le repas, la rumination, l'abstinence et pendant que des substances excitantes sont mises en contact avec la muqueuse buccale., suivant des lois qui ne sont point les mêmes pour ces quatre circonstances. Pendant le repas, toutes les glandes fonctionnent très activement: les deux parotides sécrètent; mais elles ne versent pas toutes les deux, pendant une période donnée, la même quantité de salive ; l'une, celle du côté sur lequel la mastication s'opère, produit le tiers, le double, le triple et même le quadruple de ce que produit l'autre : elles fournissent de la salive en abondance tant que la mastication est rapide; elles ralentissent leur action sur la fin du repas et à me- sure que la mastication devient languissante. Les maxillaires sécrètent aussi ensemble, et donnent Tune et l'autre à peu près la même quantité de salive : toutefois, leur produit ne représente ni la moitié, ni même le tiers de celui des parotides chez les animaux où ces deux espèces de glandes sont sensiblement égales. Les sublinguales sécrètent également, et l'expérience le démonti'e. Enfin tout porte à croire qu'il en est encore ainsi pour les molaires et les autres glan- dules. Quant à celles-ci, l'expérimentation peut encore, sinon par des moyens directs, au moins par des voies détournées, mettre en évidence leur participation et même l'apprécier assez exactement. En elfct, si, après avoir établi deux fistules parotidiennes et deux fistules INSALIVATION. 661 maxillaires, de manière à en recueillir le produit, on vient à donner des aliments à l'animal, et si on prend les bols qui s'échappent d'une ouverture pratiquée à l'œsophage, on voit, en défalquant le poids des aliments de celui des bols, que, dans une période d'un quart d'Iieure, par exemple, les suhlinsruales et les autres glandules ont produit une quantité considérable de salive qui, additionnée avec celle reçue dans les ampoules, donne un total fx'u diflérent d(! celui qu'on avait obtenu dans une péiiode précédente, alors que tous les canaux étaient libres, afin d'avoir un terme de comparaison. On pourrait objecter à ce mode d'expérimentation que, si les sublinguales et les autres glandules sécrètent lorsque les parotides et les maxillaires versent leur produit à l'extérieur, c'est qu'elles restent seules pour l'ournir les liquides qui doivent imprégner les aliments. L'objection, si spécieuse qu'elle paraisse, n'a pas une grande valeur, et on peut la réfuter expérimentalement. En effet, si les sublin- guales et les molaires ne sécrétaient que pour suppléer les parotides et les maxil- laires, elles rentreraient dans l'inaction lorsqu'on laisserait, par exemple, les grosses glandes verser leur salive dans la bouche. Or, en prenant un terme de comparaison, quand tous les canaux sont libres, on constate, après avoir fait successivement, à des intervalles plus ou moins éloignés, une, deux fistules paro- tidiennes, puis une et deux fistules maxillaires, que, dans des temps égaux et successifs, les quantités de salive sont peu différentes les unes des autres, eu égard toutefois à la gène de plus en plus grande apportée à la mastication. Au moyen de cette méthode progressive, qu'il est plus facile de comprendre que d'exposer, on arrive à cette conclusion que, lors de la mastication, toutes les glandes sécrètent ensemble, et qu'elles jouissent de leur maximun d'activité. Dans cette circonstance, toutes les dents et toutes les glandes fonctionnent: les maxillaires pour humecter les matières alimentaires dès qu'elles pénètrent dans la bouche; les i»arotides pour les ramollir lorsqu'elles se broient sous les molaires, et enlin les diverses glandes à salive visqueuse pour en faciliter la déglutition. Pendant la rumination, les phénomènes de la salivation ne sont plus ce qu'ils étaient précédemment. Les parotides versent une grande quantité de salive sur les aliments, bien qu'ils aient été déjà broyés puis humectés, tant dans la bouche que dans le premier réservoir gastrique. La masse de salive qu'ils reçoivent est très peu inférieure à celle qui afilue sur eux au moment de la première mastication. Mais encore ici, l'action des deux glandes conserve son caractère d'aÙernance et d'inégalité: alors les incisives ne fonctionnent pas ; l'aliment ne revient point à l'entrée de la cavité buccale, le système salivaire antérieur demeure inactif: les maxillaires se reposent; c'est tout au plus si elles donnent des quantités très minimes égales à celles qu'elles peuvent fournir pendant l'abstinence. C'est là, du reste, l'une des particularités les plus intéressantes de l'action des glandes salivaires chez les ruminants : elle montre bien l'indépendance dans laquelle ces glandes se trouvent les unes relativement aux autres. Lors de l'abstinence, le fonctionnement des glandes salivaires se présente avec des caractères nouveaux, mais variables suivant les animaux. Dans ce cas, chez les solipèdes, les parotides restent iuactives et les maxillaires ne donnent que quelques gouttes de liquide : l'expérience le prouve de la manière gg2 DE LA DIGESTION. la plus saisissante. Pourtant, la bouche est alors constamment humectée, et, de plus, l'animal avale de temps en temps des ondées d'un fluide visqueux qui ne vient ni des parotides ni des maxillaires, puisque ces glandes sommeillent tant que dure l'abstinence. L'établissement de deux fistules parotidiennes, qui alors ne donnent rien et de deux fistules maxillaires qui fournissent très peu de chose, démontre donc claire- ment que les autres petites glandes, de même que les amygdales, la couche glandu- leuse du voile du palais, etc. , fournissent la salive déglutie ; il prouve, de plus, que presque toute cette salive en dérive, car si, après avoir lié les canaux des paro- tides et des maxillaires, on adapte une ampoule à robinet à l'œsophage, on voit que la quantité du liquide dégluti est sensiblement la même dans un temps donné que celle qui s'écoule dans une. période égale, lorsque tous les canaux salivaires sont demeurés libres. Mais, pour arriver ici à des résultats comparables, il im- porte de prolonger les épreuves, attendu que la somme de salive déglutie durant l'abstinence est assez variable suivant diverses circonstances. Pendant l'abstinence, chez les ruminants, les parotides ne sont pas inactives ; elles versent continuellement dans la bouche du huitième au quart de la somme totale de salive qu'elles sécrètent sous l'influence de la mastication. Ici encore, comme dans toutes les autres conditions, les maxillaires ne donnent que très peu de chose ; mais les sublinguales, les molaires supérieures, les glandes du voile du palais, fournissent une notable fraction de la salive déglutie, si l'on en juge par sa viscosité. Si on ouvre l'œsophage à un grand ruminant en bonne santé, et si on adapte à ce conduit un tube muni d'une ampoule, on la voit bientôt se remplir de salive épaisse. Si, sur un autre, on introduit, par une plaie pratiquée au flanc et au rumen, le bras jusqu'au cardia et au réseau, on sent, à des intervalles assez rap- prochés, descendre des ondées de salive visqueuse qui tombent en majeure partie dans le second estomac. D'ailleurs, on note cette déglutition sans le secours d'au- cune expérience, par les mouvements ondulatoires de l'œsophage ou parles bruits qui les accompagnent. En vertu de quelles excitations particulières y a-t-il une sécrétion salivaire si abondante chez les ruminants lors de l'abstinence ? Est-ce par l'effet d'une sym- pathie entre l'estomac et le système salivaire; je ne sais; mais ce qu'il y a de certain, et j'en donnerai la preuve plus tard, c'est que cette sécrétion est intime- ment liée à la rumination et indispensable à l'entretien de cet acte : ainsi nous connaissons souvent le but ou l'utilité des phénomènes sans pouvoir découvrir les moyens qui les produisent. En somme, la salivation de l'abstinence diffère donc ici considérablement de ce qu'elle est chez les solipèdes, surtout sous le rapport de son abondance et de l'activité incessante des parotides. Enfin, dans la quatrième condition que nous avons indiquée, à savoir lorsque des substances excitantes sont mises en contact avec la muqueuse buccale, l'action des glandes salivaires se présente sous une forme spéciale, aussi nettement dessi- née que toutes les autres. Ici les parotides ne sont pas, si ce n'est par exception, sensiblement inlluencées; mais les maxillaires, les sublinguales, les glandules à salive visqueuse, fonctionnent avec une activité plus ou moins grande, suivant le INSALIVATION. 663 genre, la vivacité de l'excitation, l'étendue des surfaces sur lesquelles elle a lieu, et sa durée. Dans ce cas encore, certaines glandes agissent indépendamment des autres, comme si elles n'avaient rien de commun entre elles. J'avais donc raison dédire que l'action du système salivaire a une physionomie spéciale et très carac- téristique dans chacune des conditions où elle s'exerce. Maintenant, cherchons à déterminer la quantité totale de salive fournie par tout le système salivaire, et la proportion suivant laquelle chaque glande y contribue. On reproduit dans tous les livres de physiologie quelques chilTres incohérents à l'aide desquels on voudrait établir la quantité de salive sécrétée dans un temps donné et dans une période de vingt- quatre heures : avec le soldat d'Helvétius, qui mouil- lait plusieurs serviettes à chaque repas, les auteurs citent, d'après Girard, le cheval qui donnait, par ses deux canaux parotidiens, 10 litres de salive en mangeant une demi-botte de foin, et un autre de Schuitz fournissant plus de 55 onces-de liquide en vingt-quatre heures par une seule de ses parotides, etc. Cependant rien n'est simple comme de déterminer avec exactitude la quantité totale de salive sécrétée dans un temps quelconque, en recueillant, par une plaie œsophagienne, les bols provenant d'une masse d'aliments préalablement pesés. Pour cela, il suffit de tenir compte : l" du poids des aliments donnés à l'animal ; 2° du temps qu'il met à les ingérer; 3° du poids des bols déglutis. Si Ion ne prend en considération que la quantité de salive absorbée parles matières alimentaires, il est clair qu'on ne peut arriver à cette détermination : ainsi, de ce que l'avoine n'absorbe qu'en- viron une fois son poids de salive, tandis que le foin en absorbe quatre fois autant, il ne faudrait pas conclure que le cheval sécrète moins quand il fait usage du premier aliment que lorsqu'il consomme des fourrages secs, car c'est précisé- ment le contraire qui a lieu, comme nous le verrons tout à l'heure. J'ai vu, en expérimentant suivant le mode précédemment indiqué, qu'un cheval de petite taille donne pour toutes ses glandes salivaires o 000 grammes de salive par heure, qu'un second de taille moyenne en fournit 5 200 grammes, et un troisième de forte taille jusqu'à 8800 dans le même laps de temps ; d'où l'on peut conclure que, terme moyen, les glandes d'un cheval qui mange du foin sécrètent de 5000 à 6 000 grammes de salive par heure. Elles produisent un tiers en sus lorsque l'animal mange de l'avoine, une moitié de la quantité normale pendant qu'il mange de l'herbe verte, et le tiers seulement de cette somme si son repas est composé de racines, telles que la betterave ou les navets. Les expériences deLas- saigne', qui coïncident avec celles de la commission d"hygiène, ont appris que les fourrages secs absorbent quatre fois leur poids de fluides salivaires, l'avoine un peu plus d'une fois, la farine près de deux fois, et les fourrages verts à peine la moitié de ce poids. Si l'abondance de la sécrétion salivaire varie, dans un même temps, suivant la nature des matières alimentaires et la proportion d'eau qu'elles contiennent, elle éprouve également des variations notables en rapport avec les princi[)ai('s périodes des repas. On est porté à croire qu'après douze ou vingt-quatre heures d'absti- 1. Lassaigne, Abrégé élémentaire de chimie, 4« édit., t. II, p. 714. 664 DE LA DIGESTION, nence, la salivation est plus active au début du repas qu'à partir du moment où la faim commence à s'apaiser; il n'en est rien pourtant, et c'est précisément l'in- verse que l'expérience démontre, surtout pour les parotides. Il semble que ces dernières ne puissent, après un repos prolongé, sortir de leur engourdissement ni revenir tout d'un coup au maximum de leur activité sécrétoire; c'est, du moins, ce que j'ai constamment observé. La même particularité ne se reproduit pas pour les maxillaires qui ne sont jamais complètement inactives lors de l'abs- tinence ; elles paraissent même donner dès les premiers moments de la mastica- tion leur produit le plus élevé. Mais, en somme, puisque la salive parotidienne, dont la proportion est prédominante, coule moins au début du repas que plus tard, on conçoit la gêne manifeste apportée alors à la déglutition, gêne qui tient, du reste, en partie à la précipitation avec laquelle l'animal commence à manger et à avaler des bols imparfaitement humectés ou trop volumineux. Le maximum d'activité de la salivation ne se montre donc qu'un certain temps après le début du repas. L'activité diminue à partir du moment où la faim s'apaise et elle se ralentit dans le même rapport que la mastication. Aussi, peut-on dire que l'écoulement de la salive est directement proportionnel à la vitesse de cette dernière; qu'il est abondant quand la mastication est active, qu'il se ralentit et s'arrête presque avec elle : c'est là, d'ailleurs, un point que l'expérience établit et qui avait à peine besoin de démonstration. La quantité totale du liquide sécrété parle système salivaire, dans une période de vingt-quatre heures, peut être aisément évaluée, et d'une manière assez exacte, à l'aide des données précédentes. En effet, puisqu'on sait, d'une part, que le foin absorbe, pour être dégluti, à peu près quatre fois son poids de fluides salivaires, et, d'autre part, que le cheval avale pendant l'abstinence, en moyenne, de 100 à loO grammesdesaliveparheure, il est facile d'apprécier, à très peu de chose près, la somme totale de salive fabriquée pendant la période dont nous parlons. Un cheval qui consomme o 000 grammes de foin et o 000 grammes de paille par jour a besoin, pour transformer ces aliments en bols propres à être déglutis, de 40 000 grammes de salive, qu'il faut joindre à environ 2000 grammes du même fluide produits pen- dant les dix-sept à dix-huit heures d'abstinence, en tout 42 000 grammes. On arrive à une évaluation semblable, si l'on admet qu'il faut, en général, de six à sept heures de mastication à un cheval pour consommer une ration journalière ainsi composée, ses glandes donnant de 5000 à 6 000 grammes par heure. Chez les ruminants, la somme totale de salive sécrétée en vingt-quatre heures est encore plus considérable. En supposant qu'un bœuf mette trois heures à prendre ses repas d'une journée et cinq heures à ruminer, comme il semble d'ailleurs résul- ter de mes recherches, on trouve que, pendant ces huit heures de mastication, il doit se produire au moins 40 000 grammes de salive, et que, pendant les seize heures d'abstinence, il se sécrète 16 000 grammes du même liquide, en tout 56 000 grammes; et, certes, cette évaluation est plutôt inférieure que supérieure à la moyenne donnée par les résultats combinés de l'expérimeiitafion. Il est évident que la quantité des fluides salivaires n'est pas aussi considérable lorsque les animaux se nourrissent de fourrages verts ou de racines aqueuses. Loisqu'on réfléchit à ces chiffres énormes, on s'étonne du travail nécessaire à INSALIVA TTON. fifio la Séparation d'une telle quantitt'' do liquide, et on a peine à concevoir que cette quantité puisse rtre extraite du sani,' dans un temps si court. Nul doute que ce dernier fluide, après avoir perdu, sous l'influence delà salivation, une si grande somme de principes aqueux, ne présente plus la mémo composition qu'aupara- vant. Ce sujet mérite d'attirer l'attention des chimistes. La part que chacune des glandes salivaires prend à la formation de la masse totale des fluides versés dans la bouche n'est pas d'une évaluation impossible : son appréciation ne manque pas d'intérêt, puisque les salives des diverses glandes ne sont point identiques par leur composition chimique ni par leur mode d'action sur les substances alimentaires. On pourrait croire, tout d'abord, que la proportion de salive sécrétée par cha- (|ue glande est susceptible d'être établie d'après les rapports de volume ou de l)oids qui existent entre les glandes ; qu'ainsi, par exemple, chez le cheval, la parotide, quatre fois aussi volumineuse que la maxillaire, donne un produit qua- druple de celui de cette dernière, et que, chez le bœuf m'i ces glandes sont à peu près égales, elles doivent donner sensiblement la même masse de liquide. Il n'eu est rien : chacune de ces parties du système a sou activité spéciale mise en jeu sous l'influence de certaines excitations. La parotide du cheval, au lieu de sécré- ter le quadruple du produit de la maxillaire, sécrète quinze à vingt fois autant que celle-ci ; la parotide du bœuf, à peine égale à la maxillaire du même animal, donne quatre à cinq fois autant qu'elle. C'est là un résultat très remarquable que rien ne pouvait faire soupronner. Si on cherche à déterminer la proportion qui existe entre le produit des paro- tides et celui de toutes les autres glandes réunies, il faut d'abord apprécier, par une expérience préalable, la quantité totale du li(|uide fourni par tout le système dans un temps donné, puis faire deux fistules parotidiennes pour recueillir leur produit pendant que, d'un autre côté, on reçoit, avec les bols qui sortent d'une fistule œsophagienne, la salive des maxillaires, des sublinguales, etc. Or, un petit cheval ayant donné par toutes ses glandes, en vingt-cinq minutes, 1900 grammes de salive, a fourni, dans les vingt-cinq minutes suivantes, 2000 grammes, dont 1 400 pour les parotides, soit donc, pour leur part, les sept dixièmes du total . Un second donna en somme, dans l'épreuve préalable, l 'iUll grammes en douze minutes et ensuite l 'Ml dans un temps égal, dont l 020 grammes pour la contribution des parotides, soit encore les sept dixièmes. Le rapport qui existe entre la quantité de salive maxillaire et celle des autres glandes (les parotides comprises) est plus facile à apjM'écier; on le trouve en fai- sant des fistules maxillaires sur des sujets préalablement soumis à des épreuves analogues à celles qui ont été précédemment indiquées, j)uis en recueillant, d'un côté, le produit des listuleset, de l'autre, la salive (jui im|)règne les bols déglutis. Or, en tejnant compte de la difficulté qui peut être apportée, chez le cheval, à l'écoulement de la salive maxillaire après l'établissement des fistules, on peut, sans exagération, admettre que cha(|ue maxillaire sécrète, en un quart d'heure, 35 grammes de salive, soit 280 pour les deux en une heure. Cette quantité, représente, par conséquent, le vingtième de 5 500 grammes sécrétés, en moyenne, par tout le système salivaire en une heure. 666 DE LA DIGESTION. Il ne faut point attribuer ici une rigoureuse exactitude aux proportions, car les expériences nécessaires à leur détermination dérangent un peu Téquilibre de la salivation. Néanmoins elles ne doivent pas s'éloigner beaucoup de la vérité, car bien que le système salivaire sécrète un peu plus sur l'animal porteur de deux fistules salivaires, les rapports d'activité entre les diverses glandes ne sont point changés. En elïet, ce qui augmente la somme des fluides versés dans la bouche, c'est la difficulté delà mastication, la sécheresse de l'aliment, la lenteur de son imprégnation. Or, ces diverses circonstances réagissent autant sur les glandes dont les produits s'écoulent à l'extérieur que sur les autres. Dans les espèces non herbivores, la salivation est bien moins abondante que chez" les solipèdes et les ruminants. On n'évalue guère son produit total, en vingt-quatre heures, qu'à 1500 grammes pour l'homme. Il est proportionnelle- ment très faible sur le chien, qui prend ses repas en un instant. Jacubowitsch ^ a obtenu sur cet animal, en une heure, 49 grammes de salive parotidienne, 38 de salive maxillaire, et 24 des autres glandes. Je n'ai pu, jusqu'ici, rassembler des chiffres précis pour cet animal. Tels sont, d'après mes recherches ^, les phénomènes généraux de l'action des diverses glandes qui composent le système salivaire. On peut voir, en compa- rant ce qui précède avec les idées émises par Cl. Bernard ^, que les résultats de mes expériences ne sont guère en harmonie avec les théories de cet ingénieux physiologiste. Cl. Bernard a fait trois appareils salivaires : un pour la mastication, un autre pour la gustation et un troisième pour la déglutition. Les parotides composeraient le premier et sécréteraient exclusivement pour la mastication. Sans doute elles agissent pendant que cet acte s'opère, et en cela elles partagent l'activité commune à toutes les glandes qui versent alors de grandes quantités de salive dans la bouche ; mais ce n'est pas l'acte de la tritura- tion des aliments qui les fait fonctionner. En effet, d'une part, elles sécrètent : !•> quand on met des aliments dans la cavité buccale, bien qu'à l'aide d'un appareil très simple on rende impossible les plus légers mouvements des mâchoires ; 2" elles sécrètent constamment, lors de l'abstinence, des quantités considérables de liquide chez les animaux ruminants; 3" elles sécrètent assez souvent après le repas chez les chevaux qui, par suite d'une usure irrégulière des dents ou d'une atonie particulière des joues, conser- vent des aliments dans la bouche; 4° enfin elles agissent quelquefois, très faible- ment il est vrai, sous l'influence du sel marin, qui impressionne le sens du goût, bien qu'il n'y ait encore, dans ce cas, rien d'analogue à la mastication. 1. Milne Edwards, Leçons sur lapliydologle et l'anatomie comparée, t. VI, p. 244. 2. G. Colin, Lecture à la Société de biologie le 27 décembre 1851. G. Colin, Hecherches expérirneiilales sur la sécrétion delà salive chez les solipèdes, 1" mars 1852 (Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XXXIV, p. 327), — Id. Re- cherches expérimentales sur la sécrétion de la salive chez les ruminants [Comptes rendus, eiQ., mêmft tome, -i mai H52, p. 681). 3. CI. Bernard, Recherches d'anatomie et de physiologie comparées sur les glandes sali, vaires chez l'homme et les animaux vertébrés [Comptes rendus, môme tome, p. 236, 16 fé- vrier 1852). INSALIVATION. 667 D'autre part, si ce dernier acte était la cause qui met en jeu l'action des paro- tides, ces glandes sécréteraient, quand on force un animal à mâcher, pendant un temps assez long, del'étoupe, du vieux linge ou d'autres substances sans saveur. Or, elles ne fonctionnent pas dans cette circonstance, bien qu'il yait une véritable mastication. Ce n'est donc pas la mastication qui est la cause, le point de départ de l'activité des parotides. Cet acte inlluence leur sécrétion comme celle de toutes les autres glandes, en facilitant l'impression des aliments sur le sens du goût. Les maxillaires sont, dit-on, les glandes de la gustation. Il est incontestable qu'elles sécrètent lorsque l'animal mange, et, par consé- quent, lorsqu'il y a gustation. Mais, dans ce cas, toutes les autres glandes, sans aucune exception, n'en font-elles pas autant? Si les premières agissent sous l'in- fluence des substances excitantes mises en contact avec la muqueusebuccale, c'est sans doute parce qu'elles sont plus sensibles que les autres à cette espèce de stimulation. Les sublinguales, les molaires supérieures et les autres glandules éprouvent de même une surexcitation dans cette circonstance, ainsi qu'il est très facile de le constater expérimentalement ; en un mot, toutes les glandes à salive visqueuse sont mises en jeu consécutivement à l'impression déterminée par les substances sapides: la maxillaire ne semblerait-elle pas ressentir plus vivement l'action des saveurs parce qu'elle est d'un volume énorme et que son canal permet de bien voir couler la salive? Mais il n'est pas certain encore qu'elle sécrète alors plus que les autres, proportionnellement à sa masse. D'ailleurs, si les maxillaires sont lesglandesde la gustation, pourquoi ne sécrè- tent-elles pas pendant la rumination ? Les aliments ramenés à la bouche n'ont-ils donc plus de saveur et, s'ils sont insipides, quel attrait l'animal peut-il avoir à les mâcher une seconde fois ? Entin la salive de la maxillaire est-elle la seule qui puisse, tantôt délayer les matières sapides pour faciliter leur action, tantôt modérer la vivacité de leur im- pression et les autres salives épaisses, visqueuses comme elles, ne peuvent-elles remplir cet office? Si la première jouit réellement, et h l'exclusion de toutes les autres, d'une telle propriété, comment se fait-il que, quand on a fait couler à l'extérieur la salive des deux maxillaires, l'animal continue à bien manger et à choisir le bon foin pour repousser le mauvais et la paille. Faut-il croire t[ue, dans ce cas, il n'y ait plus de gustation? Quanta l'appareil salivaire de la déglutition, est-il bien possible aussi de le délimiter, de lui assigner un mode d'action tout à fait spécial et un rôle exclusif? Ici encore l'expérience ne confirme point les vues systématiques. J'ai dit que la sublinguale possède, dans les ruminants, un canal particulier qui, chez le bœuf, a une situation et un volume se prêtant à merveille à l'établis- sement d'une listule. Or, quand on a fixé un tube à ce canal, on voit la salive de la petite glande couler, d'une manière continue, tant que l'animal mange, ou lorsque des substancesexcitantes sont mises en contact avec la muqueuse buccale, d'où il suit que la sublinguale agit, dans ce cas, comme la maxillaire. Je ne sais comment on a pu voir qu'elle sécréterait seulement pour la déglutition et à l'instant môme du passage des aliments de la bouche dans le pharynx. Si le fait .668 DE LA DIGESTION. est vrai pour le chien, auquel on veut bien donner une sublinguale \ il ne l'est certainement pas pour nos ruminants doinesliques. Enfin, les molaires elles autres glandules, que Bernard fait appartenir à l'ap- pareil de la déglutition, fonctionnent, selon toute apparence, comme les sublin- guales. Elles fournissent d'abord la plupart des sucs qui humectent la bouche lors de l'abstinence; de plus, elles versent, sous l'inlluence des excitants, plus de liquide que dans les circonstances ordinaires. La molaire inférieure, qui est si volumineuse chez les ruminants, et qui sécrète delà salive non visqueuse, doit être distraite de cette catégorie. VI, — Influence du système nerveux sur l'action des glandes SALIVAIRES. Les glandes annexées à la bouche fonctionnent évidemment par suite d'une excitation nerveuse. L'impression produite, par les aliments ou parles substances sapides, sur la muqueuse buccale, est transmise aux centres nerveux qui la réflé- chissent sur les glandes. A cette action réflexe concourent des nerfs sensitifs qui conduisent l'impression aux centres et des nerfs moteurs qui apporlentaux glandes la réaction des centres. Donc, il s'agit de déterminer les filets qui agissent alors, et devoir s'ils sont de même ordre pour toutes les glandes salivaires. Ludwig, en 1851, a constaté l'action réflexe en coupant le lingual de la cin- quième paire au-dessus du point d'origine des filets qu'il envoie à la sous-maxil- laire. Après celte section, il a vu que la sécrétion de la sous-maxillaire ne pouvait plus être provoquée par les substances sapides mises en contact avec lamuqueuse. Plus tard, Bernard s'est assuré que l'impression portée aux centres par le lingual est réfléchie, sur la sous-maxillaire, par le rameau moteur du facial connu sous le nom de corde du tympan, lequel se distribue dans la glande et accompagne le canal de Wharton ; en effet, après la section de ce nerf, à son passage dans la caisse, il a vu que le vinaigre mis dans la bouche ne faisait plus couler une seule goutte de salive par l'orifice du barbillon. Le même effet se produisait après la section complète du facial dans la cavité crânienne. Dans ces deux conditions, on pouvait rétablir la sécrétion en galvanisant le bout périphérique du nerf 2. En ce qui concerne la parotide, la section du lingual produit les mêmes effets que sur la maxillaire; elle diminue la sécrétion, si elle a lieu d'un seul côté, et la fait cesser si elle est faite des deux en même temps ; mais celle du facial ne la suspend qu'autant qu'elle porte sur la portion inlracrânieniie, car les filets parotidiens paraissent venir des branches profondes du nerf, probablement comme le suppose Bernard, du petit nerf pétroux se rendant au ganglion otique. Si elle est faite seulement au point où le nerf sort du trou slylo-mastoïden, le 1, Ce qu'on appelle ain.si est^ d'après Cuvier etDiivernoy, un pelit amas de granulations pourvu d'un canal particulier, amas qui semble n'ûlre qu'un prolongement des maxillaires. [Lorons (Vanatonde compurc'e, t. IV, 1" partie, p. 424.) 2. Cl. Bernard, Leçons sur la phijsiologie et la pathologie du système Jierveux, t. II, p. 148 et suiv. INSALIVATION. 669 vinaigre mis dans la bouche agit sur la parotide, comme dans les conditions ordi- naires. Ilest facile, en galvanisant, soit le lingual, soit la corde du tympan, ouïe facial entier, de démontrer que c'est par riiiterriiL'diaire de Tare furmt' par ce» nerfs que les aliments provoquent la sécrétion salivaire. On peut aussi mettre en jeu la sécrétion en galvanisant la moelle allongée où paraît s'opérer la réilexion de l'im- pression guslative. Le facial n'est peut-être pas le seul nerf qui apporte aux glandes salivaires l'excitation motrice capable de les mettre en jeu. Les tilets sympathiques émanés du ganglion cervical supérieur et accolés aux artères, sembleraient remplir une partie de cet officecar, suivant IcscxpérioncesdeCzermach etdeCl. Bernard, l'exci- tation du grand sympathique au cou provoque la salivation. Toutefois, d'après ce dernier physiologiste, tandis que l'irritation du facial provoquerait l'écoulement d'une salive lluide, celle du sympalliiipie ferait verser une salive très visqueuse. Indépendamment de la réilexion des impressions gustatives, dans la protubé- rance annulaire ou dans la moelle allongée, il y aurait encore, d'après CI. Bernard, une réflexion opérée par des ganglions sympathiques, par le ganglion sous- muxillaire pour la glande du mr'me nom ou par le ganglion otique pour la paro- tide. Cl. Bernard fonde celte manière de voir sur ce que, après la section du lingual, en deux points, faite de manière à laisser un tronçon en conmuinication avec le ganglion, on augmente la sécrétion salivaire en irritant l'extrémité péri- phérique de ce tronçon ; mais il peut très bien se faire alors, comme le pense Scliifl', que la stimulation produite sur les lilets du lingual revienne à la glande parles lilets du facial qui s'y trouvent accolés. 11 est quelques excitations produites loin de la bouche qui peuvent aussi, par action réilexe, réveiller la sécrétion salivaire. Frerichs a vu le sel porté directe- ment dans l'estomac du chien, par une listule, provoquer l'écoulement de la salive ; Mayo a constaté la même particularité à la suite de l'injection du bouillon dans ce viscère. Ici, c'est probablement par le pneumogastrique que l'impression produite sur l'estomac est portée aux centres ; mais on ne peut dire sûrement si c'est par le facial ou par des divisions syinpathiqtu^s qu'elle est réiléchie sur les glandes. Enlin on sait que chez rhoinn)e et non chez le cheval, une simple im- pression nerveuse non matérielle, comme la vue des aliments, peut mettre en jeu les glandes salivaires : l'observation de Mitscherlich, sur un individu porteur d'une listule au canal de Stéuon, rend le fait certain pour la parotide. L'action nerveuse constatée, peut-on savoir en quoi elle consiste, et comment elle met enjeu la sécrétion? Cl. Bernard \ considérant le facial rumine l'excita- teur de la sécrétion, suppose qu'il agit sur les vaisseaux et non sur la glande; sur la circulation et non sur le travail intime de la sécrétion. D'après lui, le tympanico- lingual,en sa qualité de nerf nioteur, ferait dilater les vaisseaux, et, en les dila- tant, accélérerait la circulation, au point (jue le sang passerait de l'artère dans la veine, en conservant l'impulsion du cœur et la teinte vermeille; la galvanisation 1. Cl. Bernard, Leçons xur /(?s proprit'h's dcx l/qui'ie.< de l'organisme, t. II, 1859, p. 262, 2(J6, 268, 273. 670 DE LA DIGESTION. de ce nerf excitateur par excellence fait d'ailleurs couler abondamment la salive maxillaire. D'autre part, les filets ganglionnaires qui suivent les artères auraient une influence diamétralement opposée à la première ; ils seraient constricteurs des vaisseaux, ralentiraient la circulation, au point de donner au sang le temps de subir une désoxygénation complète ; ils le feraient sortir très noir des veines. Entre ces deux ordres de nerfs, l'antagonisme serait complet: l'influence des pre- miers correspondrait à l'action de la glande, celle des autres à son repos. En ce qui concerne la parotide, l'action du nerf auriculo-temporal serait l'analogue de celle de la corde du tympan sur la maxillaire, et les filets sympathiques venus de divers points joueraient le rôle de dilatateurs. L'antagonisme entre les deux ordres de nerfs, la dilatation des vaisseaux, attri- buée aux uns, leur resserrement aux autres, la stimulation, l'action excitatrice qui s'exercerait seulement sur la circulation pour augmenter la pression du sang ou la diminuer, etc., ne me paraissent pas des faits encore suffisamment établis. D'ailleurs, si les nerfs excitateurs augmentaient seulement la pression sanguine, comment pourrait-on voir dans cette augmentation la cause de la sécrétion, puisque Ludwig a vu la sécrétion continuer dans le cas où la pression de la salive dans les canaux est supérieure à celle du sang. En somme, et après ces réserves, il est un ensemble de faits desquels on doit déduire l'influence des nerfs sur l'action des glandes salivaires. D'une part, la stimulation directe ou la stimulation galvanique du lingual, peut, comme celle du facial ou des filets sympathiques qui enlacent les vaisseaux, ou même comme la stimulation du bulbe, provoquer la sécrétion salivaire. D'autre part, la section du lingual, celle du glosso-pharyngien, en empêchant l'impression de l'aliment d'arriver aux centres, celle du facial qui ne laisse pas l'action des centres arriver aux glandes, suspendent cette sécrétion. Enfin, les stimulations exercées sur la muqueuse buccale ont leur effet si l'arc nerveux est intact; elles l'ont encore, cet arc étant interrompu, si elles s'exercent sur la partie demeurée adhérente aux glandes. Il est donc difficile, en présence de ces faits, de concevoir comment on a pu songer à l'hypothèse d'une sécrétion salivaire indépendante des nerfs. Pourtant Eckard, en confirmant en 1867, sur la brebis, le fait de la sécrétion parotidienne pendant l'abstinence, signalé par moi dès 1852, s'est cru autorisé à regarder cette sécrétion comme soustraite à l'influence des nerfs cérébraux. Une telle déduction est manifestement en contradiction avec les lois physiologiques les mieux établies VII. —Propriétés et composition des fluides salivaires. Les glandes salivaires, déjà si nettement distinguées les unes des autres par les caractères qui appartiennent à l'action de chacune d'elles se différencient encore par les propriétés des Iluides qu'elles sécrètent; La salive des parotides est claire et d'une limpidité presque égale à celle de l'eau; elle a, vueen grande masse, un reflet très légèrement opalin. Elle mousse fortement par l'agitation et donne à l'eau avec laquelle on la môle la même pro- priété. Sa saveur est à peine salée, et sa réaction coiistaniment alcaline sur nos divers animaux. Lassaignea trouvé que celle de la vache a une densité de 1,0108, INSALIVATION. 671 celle du cheval de l,004o et celledu bélier de 1,0102, à la température de 15 degrés centigrades. Cette densité varie suivant le régime de l'animal et la quantité d'eau que peut contenir le sang. Lehmann a trouvé sur le cheval privé de boissons depuis douze heures, une salive parotidienne dont la densité égalait 1,0074, puis une salive d'une densité de 1,005 peu après l'ingestion de quelques litres de liquide. C'est là, du reste, une particularité qui s'observe pour beaucoup de produits de sécrétions. La commission académique qui a examiné comparativement la sali\e paroti- dienne et la salive mixte du cheval a vu, dans la première, des flocons formés de carbonate de chauv et de matière animale. On y trouve presque toujours des débris d'épithéliums, surtout lorsque la fistule date de quelques jours. Sa composition a été déterminée pour le cheval, la vache et le bélier, par Lassaigne, d'après les produits que j'ai recueillis avec le plus grand soin. Le savant chimiste l'a exprimée ainsi ' : CHEVAL. VACHE Eau 992,00 2,00 Mucus et albumine. Carbonate alcalin.. . Chlorure alcalin. ... Phosphate alcalin et phosphate de chaux. 1,08 4,92 traces 1000,00 Eau 990,74 Mucus et matière animale soluble.. 0,44 Carbonate alcalin.. 3,;J8 Chlorure alcalin . . . 2,85 Phosphate alcalin . 2^49 Phosphate calcique 0,10 1000,00 BELIER. Eau 989,00 Mucus et matière animale soluble. . 1,00 Carbonate alcalin.. 3,00 Phosphate alcalin. 1,00 Chlorure alcalin . . . 6,00 Phosphate de chaux, traces 1000,00 Les sels alcalins sont à base de soude et de potasse, comme l'indiquent le bichlorure de platine et l'antimoniate de potasse. ïiedemann et Gmelin^ qui ont analysé celle du chien, ont trouvé qu'elle con- tient: 1" très peu de matière animale soluble dans l'eau (osmazome) ; 2'- une assez grande quantité de matière animale soluble dans l'eau et insoluble dans l'alcool (matière salivaire) ; 3" du mucus; 4° beaucoup de chlorure alcalin, une quantité médiocre de carbonate, peu d'acétate et de sulfate ; enfin très peu de phosphate (l'alcali est de la soude, avec une très petite quantité de potasse) ; 5° enfin un peu de phosphate calcaire, avec une petite quantité de carbonate de chaux. Les salives des carnivores ont été d'ailleurs peu étudiées encore. Voici l'ana' lyse donnée récemment de celles du chien. S.\LlVh; MIXTE d'aPBÈS JilCL'BOWITSCH 3 Eau 989,63 Matière organique 3. 08 Phosphate de soude 0,8:! Chlorure de sodium, suU'o- cyanure de sodium et de potassium 5,82 Phosphate de chaux et de magnésie.'. 0,15 SAl.IVK SOl'S-M.\XILL,\IRK D'APKÈS UIDDER et SCHMIDT'f Eau 991,45 à996,0'i. Chlorures de cal- cium et de sodium t.uOj Carbonates, phos- (., ^^ , „ phates de chaux ( "'''^ et de magnésie. . 1.16) Matière organiq.. 2.89 à 1.51 SALIVE DK9 GLAMtrLES BUCCALES ET DES OLA.XDES DE NUCK i Eau pnn n-3 Chlorures de potassium 5,20 Phosphates et carbonat. de soude, chaux, magn.. Matière organique solu- ble dans l'alcool Pvtaline.- 0,84 1.G7 2.18 1. Lassaigne, Journal de chimie médicale , 1852, t. VIII, 3" série, p. 393. 2. Tiedemann et Gmelin, ouvr. cité, Impartie, p. 18. 8. Milne Edwards, ouvr. cité, t, YI, p. 2ti3. 4. Rubin, Leçons sur les humeurs normales et morbides du corps de l'/iomme, p. 498. Paris, 1867. 672 DE LA DIGESTION. La salive maxillaire, épaisse, visqueuse, filante, est un peu moins alcaline que la salive parotidienne. Lassaigne, qui a examiné celle que j'ai obtenue pour la première fois, sur les solipèdes et les ruminants domestiques, l'a trouvée chez la vache composée de la manière suivante : DENSITÉ 1,0065. Eau , 991, 14 Mucus 1,73 Matière animale soluble 1,80 Carbonate alcalin 0,10 Chlorure alcalin 5,02 Phosphate alcalin 0,15 Phosphate calcique , 0,06 On voit par ces chiffres que la salive maxillaire diffère notablement de la salive parotidienne, et que moins de deux millièmes de mucus suffisent à rendre la pre- mière extrêmement visqueuse. Voici, du reste, les caractères différentiels de ces deux fluides recueillis en même temps et sur le même animal. REACTIFS. Eau distillée Eau de puits Chaleur Acide azotique Azotate d'argent •. . Sous-acétate de plomb. Sulfate ferrique Chlorure mercurique. . . Acide tannique Mcool à 88° cent SALIVE PAROTIDIENNE. Rien Se trouble légèrement Reste limpide Légère effervescence sans trouble Précipité jaune serin en par- tie soluble dans l'acide azo- tique Précipité blanc floconneux. . Précipité blanc jaune cha- mois • Trouble et précipité blanc peu abondant Rien Léger trouble SALIVE MAXILLAIRE. Rien. Ne se trouble pas. Setroubleet devient opaline. Se trouble et devient plus visqueuse. Magma blanc opaque et con- sistant comme du mucus épaissi. Magma blanc opaque et demi-solide. Magma gélatineux jaune rougeâtre assez consis- tant. S'épaissit et se transforme en une glaire transparente. S'épaissit, devient filante et muqueuse. Floconsglaircux et visqueux. La salive des sublinguales, peu épaisse, peu visqueuse, moins alcaline peut- être que la salive des parotides et des maxillaires, n'a pas été analysée; mais il est facile d'en extraire assez sur le b(cuf pour en apprécier les propriétés et la comf)osilioii. Enfin, la salive mixte, c'est-à-dire le mélange des divers fiuides destinés à humecter la bouche pendant l'abstinence, a d'autres caractères. Mais il faut dis- INSALIVATION. H73 tinguer ici trois espèces de salives mixtes, savoir : 1° celle de l'abstinence qui pro- vient des sublinguales, des diverses glandules, et, en très faible partie, des maxil- laires ; 2° celle du repas qui est un mélange de toutes les salives suivant les pro- portions normales ; ."3° enlin, la salive mixte de la rumination, qui diflère de la première par l'absence à peu près complète du fluide des maxillaires. Cette dis- tinction est importante : si on l'eût faite, les analyses données par quelques auteurs auraient une autrevaleur que celle qu'elles ont en réalité. La commission académique dont j'ai déjà parlé a employé un excellent moyen pour obtenir la seconde. La salive mixte est plus épaisse, plus visqueuse que le produit des maxillaires et des sublinguales : elle a une alcalinité moins prononcée que la salive paro- tidienne comme la commission l'a constaté. J'ai cru remarquer que le degré d'alcalinité est en raison inverse de la viscosité, tant pour les fluides salivaires que pour certains produits de sécrétion, tels que la bile, le suc pancréatique et les sucs intestinaux. On voit, d'après les analyses de ces diverses salives, que la salive mixte, est, en somme, une solution de deux ordres d'éléments; les uns organiques, les autres minéraux. Les matières organiques sont la ptyaline et une matière analogue à l'albumine. Lapfyaline est une substance gélatineuse, soluble dans l'eau, insoluble dans l'alcool, incoagulable par la chaleur et les acides, précipilable par l'acétate de plomb et le sublimé, qui paraît unie à la potasse, à la soude et à la chaux. Elle est, peut-être, moins une matière spéciale que l'ensemble des matières organiques de la salive. L'autre matière, soluble dans l'eau et dans l'alcool, est précipitable par le tanin ; elle se coagule [lar la chaleur, par les acides, comme le fait l'albumine! elle se coagule aussi par le sulfate de magnésie, qui est sans action sur cette dernière substance. Ces deux matières organiques, encore mal étudiées, contribuent probablement à la viscosité de la salive, néanmoins, cette propriété n'est pas proportionnée à leur quantité, car la salive parotidienne, la plus riche en principes organiques est, comme on le sait, la moins lilante. Peut-être la viscosité de ce liquide dépend-elle, ainsi que le pense .M. llobin, du mode d'association de l'eau avec les éléments organiques. Les principes salins sont : 1" le carbonate de chaux, qui abonde dans la salive parotidienne, se déitose sur les dents et entre, pour la plus grande partie, dans la constitution des calculs salivaires; 2° La chaux, qui se transforme en carbonale (|uand la salive est exposée au contact de l'air; elle est en forte proportion dans la salive parotidienne du cheval qui se trouble à mesure que cette base passe à l'état de carbonate; 3° Des bicarbonates alcalins plus abondants dans la salive parotidienne que dans la mixte ; 4° Du phos|ihale de soude en forte [iroporlion, du phûs[)lKUe de cluiuv et de magnésie, dont la précipitation se fait facilement, en raison de leur faible solubilité; o" Du sulfocyanure de potassium qui est constant clie/ l'homme , d'après G. COLIS. - l'hysioL cotn[)., o*-' edit. I — \-i 674 DE LA DIGESTION. ^ Longet, dans les trois espèces de salives, et que l'on a signalé également dans la salive du cheval et du chien ; il n'y manque pas en effet, d'après mes propres observations, si la coloration rouge déterminée par le perchlorure de fer est un sur indice de sa présence ^ C'est sans preuve qu'on l'a dit plus abondant dans la salive du chien enragé, à laquelle même il donnerait la virulence. A ces substances s'ajoutent, dans quelques cas, des principes accidentellement introduits dans le sang, tels que l'iodure de potassium, le mercure administré en frictions, et à compter du moment où il produit le ptyalisme, l'urée, quelques principes de la bile, etc. Quant aux débris épithéliques, aux globules muqueux, à divers débris alimen- taires, aux filaments de LeptothHx buccalis, à des fragments de cristaux, des particules de poussières, ils sont simplement mêlés à la salive mixte, qui les ramasse dans la bouche, mais ils ne se trouvent pas dans les salives claires obte- nues par les fistules récentes. Toutefois, dans les salives des fistules, les épithé- liums deviennent abondants au point de déterminer un trouble très marqué lorsque les canaux excréteurs ont éprouvé une certaine irritation. VIII. — Rôle de la salive. La salive a plusieurs usages relatifs à la mastication, à la gustation, à la dé- glutition, à la rumination, et enfin, aux modifications physiques et chimiques que doivent éprouver les substances alimentaires. Elle est indispensable à la trituration des aliments. Aussi, dans tous les ani- maux chez lesquels il y a mastication, on trouve des glandes salivaires très déve- loppées. Lorsque, par le secours des expériences, on diminue la quantité de salive qui afflue à la bouche, la mastication se ralentit, devient pénible, irrégulière, incomplète. Si la plus grande partie de ce fluide coule à l'extérieur, les aliments se tassent sous la pression des dents, s'assouplissent, mais ne se divisent et ne se réduisent en pâte qu'avec une extrême difficulté. Un cheval auquel on fait deux fistules parotidiennes ne peut manger, dans un temps donné, que le tiers, et tout au plus la moitié de ce qu'il mangeait auparavant. Elle est nécessaire pour rendre la gustation aussi parfaite que possible. C'est elle qui délaye, dissout les substances sapides, facilite leur dissémination sur une grande surface, leur contact avec les papilles sensitives; elle modère aussi l'impression trop vive de ces substances et les entraîne dès que leur action cesse d'être agréable. Il n'y a de gustation délicate que parmi les animaux pourvus d'un système salivaire très développé. La salive est non moins utile à la déglutition des aliments solides qu*à leur division et à leur action sur le sens du goût. Après que l'expérimentateur a fait couler à l'extérieur la salive aqueuse des parotides, et bien qu'il reste tous les fluides visqueux des autres glandes, le transport des matières alimentaires de la bouche à l'estomac devient pénible ; les bols , sont plus petits ; l'animal les i. U. Bécfiamp rfans des études réceiites faites sur la salive parotidienne du cheval que je Idi avais recueillie, a aussi constaté laprésenbe de petites quantités de ce sulfo-cyanure. INSALIVATIUN. 'i"o avale avec etîort en étendant parfois la tète sur l'encolure ; on les voit descendre avec lenteur et s'arrêter souvent vers le milieu du cou jusqu'à l'instant où un second vient les pousser plus loin ; ils s'arnHent encore assez frérpu^mincnt dans la portion tlioracique de rœsopliag(? des solipèdes, gênent la respiration et font craindre l'asphyxie si on ne donne pas des breuvages pour débarrasser le conduit dans sa région rétrécie. Cet effet ne se produit guère chez les ruminants qui ont un œsophage large, très dilatable, non rétréci vers son extrémité gastrique, el chez lesquels les glandes à salive visqueuse et les glandules de la bouche et de l'arrière-bouche sont très développées. Elle est également utile à la rumination. Plus loin Je dirai comment les ani- maux privés seulement de leur salive parotidieune se remplissent l'estomac d'ali- ments qui se tassent, se dessèchent et finissent par ne plus pouvoir revenir à la i)ouche, bien que d'ailleurs les boissons soient données en abondance. Les lluides salivaires, outre ce n)\e déjà si varié, ont encore celui de ramollir les aliments, de dissoudre leurs matières sucrées, mucilagineuses, la plupart de leurs sels. Ils jouissent enfin de la faculté de transformer en sucre les principes amylacés que les aliments renformcMit. Leuchs, paraît être le premier qui ait reconnu à la salive la remarquable pro- priété d'opérer la conversion de la fécule en une matière sucrée connue sous le nom dcgli/cose. Depuis, divers observateurs ont donné d'intéressants détails sur cette transformation. M. Mialhe a observé que l'action signalée par Leuchs se produit non seulement sur la fécule cuite, mais encore sur la fécule crue, pourvu qu'elle ait été préalablement triturée ; il a vu que la fécule passe à l'état de dextrine avant d'arriver à celui de glycose, et que cette transformation s'opère dans la bouche de l'homme en moins d'une minute ; mais la salive n'opère pas cette conversion, même après plusieurs jours, sur la fécule crue qui n'a point été convenablement écrasée. Lassaigne', qui a fait des expériences à ce sujet, s'est assuré que la salive parotidieune du cheval ne jouit pas de la propriété d«' convertir l'amidon en sucre. La commission de l'Institut ^ a constaté que la salive mixte de ce solipède la possède à un degré assez ju'ononcé, bien que celle de la {)arotide en soit réellement dépourvue. Ces faits sont très exacts et.jai eu plusieurs fois l'occasion de les reproduire. Depuis, divers observateurs, Jacubowitsch entre autres , les ont vériliés. Ce dernier affirme qu'aucune salive isolée ne jouit du pouvoir saccharidant. non plus que les salives obtenues à part et mélangées en dehors de la cavité buccale. Cependant Longet' soutient que la salive maxillaire et la sublinguale de l'homme, prises à peu près pures, la possèdent conune la salixe mixte. D'après des études faites récemment sur le cheval, je crois pouvoir al'lirmer que les salives isolées, dépourvues du pouvoir sacchariliant lors de leur extraction, l'acquièrent dès (|u"elles se sont altérées. A quelle cause la salive mixte doit-elle tl'acquérir dans la bouche une faculté que ses composantes ne possèdent pas ? Bidder et Schmidt disent à l'addition du 1. Lassaigne, Comptes l'endus de l'Académie des sciences, 28 octobre 1845. 2. Magcndie, Rayer, Vay en, Comptes rendus de l'Académie des .\cienies, '20 ocl6hrel>^iii. 3. Longet, Traité de phijsioloiiie, t. I, p. 210. 67(3 HE LA DIGESTION. mucus buccal. Il est possible qu'elle la doive à une simple modification de ses matières animales analogue à celle qui, dans le grain d'orge en germination, donne naissance à la diastase; et ce qui semble l'indiquer, c'est que la salive parotidienne altérée possède le pouvoir saccharifiant à un haut degré, aussi : pour moi, chaque salive peut l'acquérir par elle-même en se modifiant. Ce serait alors la ptyaline, plus ou moins modifiée, qui jouerait le rôle de ferment, M. Mialhe prétend que ce pouvoir est du à la présence de la matière qu'il a appelée la diastase salivaire, mais qui n'est pas certainement distincte de la ptya- line et que beaucoup de chimistes, Lehmann entre autres, ne veulent pas admettre. D'après M. Béchamp\ qui a fait une étude minutieuse de la salive paroti- dienne du cheval, sur un échantillon de deux kilogrammes que j'avais recueilli pour lui et sur sa demande, a trouvé dans cette salive au moins deux substances animales, la sialozymase et une espèce d'albumine, matières qui selon lui diffè- rent de celles de la salive de l'homme parce qu'elles possèdent un pouvoir rota- toire plus considérable. Cette salive intacte n'a pas fluidifié l'empois ni déterminé de saccharification même après vingt-quatre et trente-six heures de contact; mais après son altération elle a fluidifié, puis saccharifié comme je l'avais indiqué déjà dans la deuxième édition de ce livre. Celle du chien a paru un peu plus active; elle a fluidifié la fécule, mais encore sans donner de glycose. Au con- traire la salive parotidienne de l'homme a fluidifié et sacchariflé. D'après M. Béchamp la salive humaine devrait son action fluidillante et saccharifiante à la présence des organismes buccaux , des granulations moléculaires qu'il appelle microzymas. Après les avoir détachés par le raclement de la muqueuse de la langue de l'homme et soumis à des lavages réitérés il les a vus convertir promptement l'amidon en dextrine et en glycose. De plus la salive parotidienne du cheval à laquelle était ajoutée une certaine quantité de ces éléments ligures d'origine humaine acquérait la propriété fluidifiante et saccharifiante. Elle la conservait même après la reprise de ces petits éléments figurés par la liltration parce que, d'après l'auteur de ces observations, les microzymas avaient produit, dans la salive du cheval, une zymase douée des propriétés de la diastase. Mais, chose inexpliquée, les mêmes éléments flgurés pris sur la langue du bœuf ou du porc ne jouiraient ni du pouvoir de ceux de l'homme ni de la faculté de produire la zymase diastasiqiie. La salive commence à opérer dans la bouche la saccharification de la fécule, surtout si celle-ci est cuite ou seulement très triturée; elle l'opère assez vite sur l'homme. Dans le cas où la fécule est à peu près intacte, comme cela arrive sur le cheval qui mange de l'avoine, la transformation est insigniflante. On s'en assure facilement en traitant par les liqueurs cuivriques le liquide filtré qu'on tire des matières prises dans la bouche ou dans l'œsophage lors de la déglutition. L'action sacchai'ifiante de la salive sur la fécule paraît se continuer dans l'esto- mac, quoiqu'on ait ci'u d'abord qu'elle ne pouvait persister dans un milieu acide, Bidder et Schmidt se sont assurés que cette action s'opère encore en présence des acides. Scluwder, en expérimentant sur une femmeù fistule gastrique et sur 1. IJéciianip, Arclùfe^ di; iihi/siokxj'K; ni>riiuUe el palhuluijKjiw, 1H81. INSALIVATION. 577 un chien dans les mnnes conditions, a vu que la fécule introduite directement dans le viscère ne tarde pas à s'y convertir partiellement on glvcose. Je viens de vérifier cette observation sur un jeune chien porteur d'une fistule récente. Chez les ruminants dont les premiers estomacs reçoivent continuellement de la salive pendant la rumination, etdans les intervalles des repas, la conversion de la f(''cul(', non entravée par l'acidité, est beaucoup plus active que chez les autres animaux. Du reste, la saccharification, qu'elle soit peu ou point entravée dans l'estomac, reprend dans l'intestin grêle, tant par l'action de la salive dont l'aliment demeure imprégné, que par celle du suc intestinal et du fluide pancréatique dont le pouvoir modificateur est phis prononcé que celui des fluides salivaires. C'est là surtout que la transformation s'opère, comme Lehmann le fait observer avec beaucoup de justesse. Dans tous les points où elle s'opère, elle a lieu graduellement de l'extérieur du grain à l'intérieur; les couches su[»erfici<'IIes, les lamelles, se dissolvent et se désagrègent les premières, de telle sorte que les grains sont fort rapetisses vers la fin de l'intestin. La salive parait, au moins tant qu'elle est dans la bouche, sans action sur les hydrates de carbone, sucre, gonune, mucilage et sur les albuminoïdes ; mais quand elle est visqueuse, comme celle des maxillaires et des sublinguales, elle peut émulsionner mécaniquement les graisses. Longet en a fait la remarque et je l'ai faite également sur les herbivores. En somme, le nMe de la salive considéré, même indépendamment de ce qui se rapporte aux principes amylacés, est d'une importance incontestable. D'abord, sans l'eau de ce produit, comment les matières sèches parviendraient-elles à se ramollir et à se délayer suffisamment? Ensuite, qui sait si le mélange de la salive avec le suc gastrique et les divers fluides intestinaux n'est pas le point de départ de plusieurs propriétés nouvelles que ces fluides ne possèdent pas isolément? Le fait de l'amaigrissement, du marasme dans lequel tombent les individus à fistules salivaires n'indique-t-il point une perturbation profonde dans les actions nutri- tives? Tout récemment j'ai vu se produire cet amaigrissement à un haut degré sur un petit cheval corse auquel j'avais ouvert d'abord un canal parolidien, puis le second deux semaines après. En un mois l'animal avait perdu le septième de son poids initial. Un fluide dont la masse sécrétée représente, en un jour, plus que le poids total du sang, peut-il être un produit d'une utilité accessoire? Quant aux salives i\u\, chez certains re[»tiles, jouissent de propriétés toxiques, elles paraissent servir tout à la fois à tuer la proie et à favoriser sa digestion ; elles ne sont pas de nature à être absorbées |)ai" la muqueuse des voies digestives. 678 DE LA DIGESTION. CHAPITRE XXIII DE LA DÉGLUTITION On donne ce nom au passage des aliments et des liquides de la bouche dans l'estomac. C'est un acte très rapide qui s'eflectue par l'intervention successive ou simul- tanée d'un grand nombre de parties, telles que la langue, le voile du palais, le pharynx et l'œsophage. Il a été divisé, à cause de sa complication et pour la faci- lité de l'étude, en trois temps, sur la séparation desquels les auteurs ne sont pas d'accord. Dans le premier temps, les aliments passent de la bouche dans le pharynx ; dans le second, de la partie antérieure du pharynx à l'entrée de l'œsophage; et dans le troisième, ils parcourent toute l'étendue de ce canal et arrivent à l'esto- mac. Telle est la distinction admise par Magendie^: acceptons-la, c'est la plus ancienne; les autres n'ont rien qui leur mérite une préférence marquée sur celle-là . Lorsque les matières alimentaires ont été suffisamment broyées et humectées, ou lorsqu'elles sont de nature à être immédiatement dégluties, sans division préalable, elles sont rassemblées en une petite masse à la face supérieure de la langue ; puis cet organe s'applique, par sa pointe, sur la voûte palatine et se contracte de sqn extrémité libre vers sa base, de sorte que le bol (c'est ainsi qu'on nomme la petite masse alimentaire) étant légèrement pressé, se porte en arrière, arrive bientôt au niveau de la face inférieure du voile du palais qui se soulève et ouvre l'orifice par lequel il pénètre dans le pharynx. En même temps le larynx se porte en avant et s'abrite en partie sous la base de la langue, la glotte se res- serre, l'épiglotte s'infléchit sur l'orifice laryngien supérieur, les aryténoïdes se projettent en avant, et l'aliment, poussé par les muscles constricteurs, arrive à l'entrée de l'œsophage : une fois engagé dans ce conduit, il est poussé vers l'esto- mac par la contraction péristaltique de la membrane musculaire. Ce trajet, quoique très étendu, est parcouru très rapidement; mais, pour bien l'étudier, examinons successivement chacun des trois temps de la déglutition, lesquels pourraient s'appeler: le premier, déglutition buccale; — le second, déglutition pharyngienne; — le troisième, enfin, déglutition œsophagienne. Dès que l'aliment saisi, en une seule fois ou à plusieurs reprises, est rassemblé en masse sur la langue, par l'action de cette partie et par celle des joues, la langue s'applique par son extrémité libre sur le palais, puis se contracte succes- sivement d'avant en arrière et force ainsi le bol à marcher vers le fond de la bouche; elle le fait glisser dans cette direction, l'amène bientôt sous le voile du palais qui se soulève par la contraction du stylo-staphylin, et ouvre le passage de la bouche au pharynx ; le bol s'engage dans ce passage, le franchit et arrive dans la cavité pharyngienne, préalablement dilatée pour le recevoir, 1, Magendie, Vrfids élrmenfairc do phi/sio/o;///', 4' édition, t. H, p. 03, DÉGLUTITION. 079 Pendant qup cette première partie de la déglution s'est opérée, la mastication ne s'est point suspendue, si l'animal a conservé des matières alimentaires entre les dents; le transport de la bouche au pharynx s'est effectué précisément à l'instant où les mâchoires se trouvaient ra[)prorhées, et il s'est opéré avec une telle rapidité qu'on n'a pas alors remarqué d'augmentation sensible, du moins chez les herbi- vores, dans la durée du rapprochement des mâchoires. Du reste, on n'en observe pas davantage dans les temps subséquents. Néanmoins, dans quelques circons- tances, la mastication cesse à l'instant de la déglutition, c'est lorsque la masse à déglutir est très volumineuse, comme cela arrive chez les carnivores et chez les animaux qui avalent, en une seule fois, tout ce qu'ils ont dans la bouche. Alors que le bol pénètre dans l'arrière-bouche, le larynx se porte en avant, le pharynx se déplace dans le même sens, se dilate pour aller, en quelque sorte, au devant de ce bol et lui ouvrir un large passage. La projection du larynx en avant est le résultat de la contraction des génio-hyoïdiens et des mylo-hyoïdiens. Son élévation est surtout l'ellet de l'action de ces derniers muscles qui deviennent, avec les précédents, les antagonistes des sterno-hyoïdiens et thyroïdiens. Cette ascension, très étendue et fort variable chez l'homme, l'est beaucoup moins chez les animaux, dont le larynx est très rapproché de la base du crâne, et même chez ceux oh il en est assez éloigné, comme les cerfs, par exemple. Aussi, ce qui caractérise essentiellement le déplacement du larynx, pour le cheval et la plupart des ruminants, c'est un léger mouvement de bascule qui vient porter en avant, sous l'épiglotte et la base de la langue, l'ouverture supérieure de cet organe. Enfin, l'élévation du pharynx et sa projection en avant sont liées à des mouve- ments correspondants de l'hyoïde et de l'appareil laryngien. La dilatation de cette cavité est opérée principalement par l'action des kérato-pharyngiens qui soulèvent sa partie supérieure. Le bol a franchi ce qu'on appelle Visth)ne du gosier, et pénétré dans le pha- rynx qui s'est dilaté pendant la première période de la déglutition. Dans un second temps, il se porte de la partie antérieure du pharynx jusqu'à l'entrée de l'œso- phage, par l'action des hyo, thyro et crico-pharyngiens. Mais comment alors ne s'engage- t-il, ni dans les ouvertures gutturales des cavités nasales, ni dans l'orifice supérieur de la glotte? L'aliment, une fois parvenu dans l'arrière-bouche, ne peut pénétrer dans les cavités nasales, puisqu'il est poussé en arrière et en bas, et parce que le voile du palais soulevé vient s'appliquer, par son bord libre, sur la paroi supérieure du pharynx, ou du moins s'en rapprocher beaucoup, de sorte qu'il rétrécit considé- rablement, s'il ne ferme entièrement la communication entre les cavités nasales et l'arrière-bouche. La plupart des physiologistes admettent que ce voile produit l'occlusion des ouvertures gutturales en s'appliquant exactement sur elles; mais il est évident qu'il ne peut en être ainsi, même chez les animaux où il est très long. Tout le monde sait que, chez les solipèdes, son bord postérieur embrasse la base de l'épiglotte et ferme complètement, dans les intervalles de la déglutition, l'ouverture par laquelle la bouche communique avec le pharynx. Or, il suffit que le bord postérieur de la valvule palatine se relève assez, jusqu'à venir rencontrer en arrière la paroi supérieure du pharynx, pour que l'aliment ne puisse remonter 680 RE LA DIGESTION. dans les ouvertures gutturales. Il doit en être de même chez les ruminants, bien que leur voile du palais n'embrasse peut-être pas complètement la base de l'épiglotte. Rien n'indique que les dispositions exceptionnelles offertes par le voile du chameau et du dromadaire soient de nature à modifier le mécanisme de la déglutition. Le voile du palais n'est pas, en réalité, plus long dans ces ani- maux que dans les autres ruminants; seulement, il y présente inférieurement un appendice flottant, flasque, parsemé de petites glandules qui lui donnent une certaine ressemblance avec une bourse de perles. C'est cet appendice, cette sorte de luette, qui paraît pouvoir seule sortir de la bouche lors des efforts d'expira- tion, surtout si elle se gonfle à certaines époques, car, dans les circonstances ordinaires, on l'amène facilement, au moyen d'une légère traction, jusqu'à la com- missure des lèvres : le voile proprement dit n'a rien dans sa structure qui lui donne l'aptitude à se déplacer et à se renverser sur lui-même. Quelle que soit, du reste, sa disposition, le voile du palais se soulève, d'une part, par l'action de ses muscles élévateurs qui, en même temps, le raccourcissent et, d'autre part, par la pression que le bol exerce à sa face inférieure. Mais, lors du vomissement et de la rumination, il ne s'élève que par suite de la contraction de ses muscles : aussi ces derniers sont-ils très développés chez les animaux qui ruminent, qui vomis- sent ou qui respirent souvent en partie par la bouche. Enfin le bol ne tombe pas dans le larynx, parce que la glotte s'est resserrée et que le larynx, en s'avançant sous la base de la langue, a déterminé mécaniquement un renversement plus ou moins complet de l'épiglotte. D'abord l'épiglotte, habituellement inclinée en avant de la face supérieure du voile du palais, se relève mécaniquement, puis se renverse, d'une manière tout à fait passive, sur l'ouverture de la glotte, car elle n'a pas de muscles qui puissent lui faire opérer ce mouvement. La plupart des auteurs admettent, depuis Galien '- que ce cartilage est renversé par le bol. Perrault dit cependant que c'est par le mouvement de la base de la langue. Il me semble que ce renversement est du à trois causes, savoir : 1° l'élévation du voile du palais, dont le bord libre ne peut se soulever sans redresser le cartilage; 2° la résistance opposée par la base de la langue et par la fourche hyoïdienne lors de la projection du larynx en avant ; 3° enfin, le mouvement même du larynx qui se porte en quelque sorte sous l'épi- glotte, en inclinant son ouverture en avant. Toutefois, il ne faut pas s'exagérer l'importance du rôle de ce cartilage, dont Magendie a pu opérer la résection sans que la déglutition en fût ultérieurement très gênée. Longet a seulement constaté qu'alors les liquides pénétraient plus facilement dans les voies aériennes. L'occlusion delà glotte est, suivant Magendie, le principal obstacle à l'intro- duction des aliments dans le larynx. Elle résulterait, d'après Longet ^ plutôt de l'action des muscles constricteurs postérieurs du pharynx que de ceux du larynx, puisqu'elle continue à s'eflectuer après la section des récurrents et des laryngés supérieurs. Mais cette occlusion, quialieu au niveau des cordes vocales, ne saurait, comme le fait très bien observer Bérard, empêcher l'aliment de 1. Pline, avant Galien, avait dit que l'épiglotte se renversait « sur l'orifioe supérieur de « l'fipre artère » {Hisloire nulurelle, livre XI, p. 495). )l. Longet, Traité de p/n/siolof/if;, I. I, p, 126. DÉGLUTITION. 6R1 «"engager dans la parlu^ du larynx supérieure aux cordes vocales. 11 tant donc l'intervention d'autres causes pour prévenir la pénétration des parcelles idimen- taires à l'entrée du larynx. Or, celles-ci résident dans la position qu(! cet organe prend en masse, à la base de l'hyoïde et de la langue, ainsi que dans le rappro- chement des aryténoïdes. Il est facile, en faisant une petite ouverture, soit au ligament qui ferme l'échan- crure thyroïdienne chez les solipèdes, soit au cartilage thyroïde, ou même au premier cerceau de la trachée chez le hnniC, de reconnaître, par le tact, les chan- gements qui s'opèrent dans le larynx au moment de la déglutition : car alors l'ani- mal, s'il a faim et s'il est altéré, continue à boire et à manger, même pendant ipie le doigt de l'expérimentateur est engagé entre les cordes vocales. A l'aide de ce moyen fort simple, que j'ai souvent employé, on sent à l'instant de la dégluti- tion : 1° le larynx se porter en masse vers la base de la langue, entraîné par une action musculaire aussi brusque qu'énergique ; 2° les cordes vocales se rapprocher et se mettre en contact l'une avec l'autre; 3» les aryténoïdes s'appliquer exacte- ment l'un contre l'autre et se porter en avant, près de la base de lépiglotte. Lors- qu'on porte au fond de la bouche une racine ou un tubercule de pomme de terre, la |)roje(;tion du larynx en avant, le ra[qirochement des cordes vocales et des ary- ténoïdes s'effectue, avant même que le corps étranger ait pénétré dans l'arrière- bouche. On produit aussi tous ces effets en irritant légèrement avec le doigt la nmqueuse laryngienne ; mais il est rare qu'on provoque en même temps la toux qui devient, d'habitude, si vive dès qu'une parcelle alimentaire s'est engagée dans le larynx. Enlin, si on fait chez le bonif une ouverture à l'œsophage, près de son extrémité supérieure, on sent tiès bien, à l'instant delà déglutition, et à chaque mouvement semblable à celui qui accompagne le deuxième temps de cet acte, l'épiglotte se renverser sur l'orifice supérieur du larynx. De plus ,on constate que l'entrée de l'œsophage se rapproche très sensiblement, par un mouvement brusque, de l'isthme du gosier, dernier ell'etqui diminue de beaucoup la distance séparant la bouche du conduit œsophagien. Le bol alimentaire passe plus ou moins facilement de la bouche dans le pha- rynx, et de celui-ci ù l'entrée de l'œsophage, suivant l'état dans lequel il se pré- sente et les conditions anatomiques des parties. Chez les solipèdes dont l'isthme du gosier est fort étroit, il passe ditlicilement, pour peu qu'il soit volumineux; il s'arrête souvent en arrière du larynx où il peut stationner longtemps sans pro- voquer des efforts de toux, comme on le voit lors de l'administration des bols médicamenteux ou des pilules, surtout dans les cas d'angine. Mais dans les rumi- nants où l'isthme est large, le pharynx très ample, il passe aisément. Toutefois les racines volumineuses, les tubercules [leuvent s'y airêtei- et revenir ensuite dans la bouche où les dents les écrasent; mais ordinairement c'est dans la région cer- vicale et thoracique que l'arrêt a lieu. On voit aussi fréquemment des morceaux de chair s'arrêter dans le pharynx des [lorcs (|ui vivent de débris cada\éri(|ues, et,i"ai observé plusieurs fois le même accident sur un hérisson à demi-apprivoisé dans nos salles d'anatomie. Le passage des matières alimentaires de la bouche à l'entrée de l'œsophage est facilité, du reste, par la présence des mucosités abondantes versées par les l'olli- 682 DE LA DIGESTION. Cilles muqueux de la base de la langue, les amygdales, la couche glanduleuse du voile du palais et les glandules de la membrane interne du pharynx. Quelquefois, la quantité de ces matières devient énorme, comme chez le dromadaire, où Tap- pendice du voile du palais et la poche pharyngienne sont très glanduleux, et chez le porc, où l'arrière-bouche otïre un diverticule analogue à celui du chameau. Aussi dans les cas où la lumière de l'œsophage est interceptée par un corps étran- ger, voit-on, sur les bêtes bovines, s'échapper de la bouche et même du nez des masses de liquides visqueux. Les mouvements par lesquels s'opèrent les deux premiers temps de la déglu- tition sont très rapides et en quelque sorte spasmodiques ; cela devait être, afin que la respiration ne fût pas longtemps suspendue. Ces mouvements, en partie soumis à l'influence de la volonté, s'exécutent presque d'une manière instinctive et automatique comme une infinité d'autres. Ils sont volontaires et, par consé- quent, susceptibles d'être suspendus tant que le bol est sur la langue; mais ils ne peuvent plus être arrêtés dès que ce bol est arrivé à l'entrée de l'arrière-bouche. Aussi les bols médicamenteux, à saveur désagréable, ne sont-ils avalés que si la main ou la pilulière les porte au moins au niveau des piliers du voile du palais. Dès que l'aliment est parvenu dans le pharynx, il est soustrait complètement à cette influence et il continue sa route vers l'estomac. Au troisième temps de la déglutition, l'aliment s'engage dans l'œsophage, par- court toute l'étendue de ce canal et arrive à l'estomac. Le bol, formé de par- celles plus ou moins divisées, mais réunies et enveloppées de mucosités, marche avec une lenteur très remarquable; il descend, poussé par la contraction succes- sive des fibres circulaires du conduit, accompagnée d'une tension très forte dans le sens de la longueur, tension qui devient fort sensible à la vue et au toucher chez le cheval et le bœuf. Dès qu'il a pénétré dans la partie supérieure de l'œso- phage, les fibres qui sont au-dessus et autour de lui, se resserrent et le pous- sent vigoureusement à un point plus inférieur dont les libres se contractent à leur tour et ainsi de suite. On voit très bien, à travers la peau, ce bol descendre, sur- tout chez le cheval et les animaux qui ruminent; on le voit quelquefois s'arrêter vers le milieu de l'encolure, notamment lorsque l'animal se presse pour manger, ou lorsque, après la section des canaux parotidiens , les aliments ne sont pas suffisamment hydratés. Dans ces deux cas, il demeure souvent arrêté un quart de minute ou une demi-minute, et il ne reprend sa marche qu'à l'instant de l'arrivée d'un autre. Enfin, lorsque l'œsophage est paralysé, par suite de la ligature ou de la section des nerfs vagues, le conduit s'engoue, sur une partie ou la totalité de sa longueur, l'animal est menacé d'asphyxie, et les liquides qu'il boit, ne pou- vant descendre dans l'estomac, reviennent par les cavités nasales. Du reste, les bols trop volumineux s'arrêtent souvent, soit dans la région cervicale, soit dans la région tlioracique de ce conduit: alors la salive déglutie jjondant l'abstinence, ne suivant pas son cours normal, tombe en partie dans la trachée et le reste s'échappe en longues traînées filantes par la bouche et les narines. La rapidité de la descente des matières alimentaires dans l'œsophage varie, du reste, beaucoup suivant leur état et le degré d'expansibilité ou de dilatabilité du conduit. Les liquides y passent avec une grande vitesse; les bols de fourrage y DÉGLUTITION. t'*^"^ progressent lentement, chez le cheval et même chez les ruminants ; ces bols sont petits chez les solipèdes, qui ont le canal très étroit et peu dilatable. On les voit s'y arrêter, comme les corps ("trantfors, si leur diamètre s'éh'îve à 3 centimètres et demi ou tout au plus à 4, tandis tpie, sur le bœuf, ils descendent encore avec un diamètre pros(pH' double. L'épaisseur de la membrane charnue et la structure do la muqueuse inlliient aussi sur la rapidité de leur progression. La première tunique formée, non par des libres longitudinales et des libres circulaires, mais bien i)ar des libres disposées en spires plus ou moins allongées, est rouge dans toute sa longueur, et d'une épaisseur uniforme chez le porc, les carnassiers et les ruminants, tandis qu'elle devient chez les solipèdes, à [lartir du ronir, blan- châtre, résistante et très épaisse. Elle est constituée partout par un mélange, en proportion variable, de fd)res striées et de fibres lisses, mais presque exclusive- ment par ces dernières, dès qu'elle a pris la teinte blanche des muscles de la vie organique. A compter de la base du cœur, sur le cheval, elle ne se contracte plus avec la vivacité et l'énergie qui caractérisent les mouvements de sa région supé- rieure; là, elle se meut h la manière des cravates de l'orilice cardiaque et de la tunique musculeuse de l'estomac; mais elle n'est pas, comme Magendie^ le disait, insensible à l'irritation de la huitième paire et à l'action du galvanisme. La mem- brane muqueuse, blanchâtre, peu vasculaire, recouverte d'un épithélium épais, est lâchement unie à la précédente, en dedans de laquelle elle peut glisser; elle offre à sa face adhérente, chez certains animaux, le porc et le dromadaire, par exemple, des glandules mucipares assez nombreuses, qui sont énormes et très serrées chez ce deinier, où la muqueuse ne joue plus sur la tunique charnue, comme dans les autres animaux : elles versent sur les matières alimentaires des mucosités qui facilitent le dernier temps de la déglutition. . L'œsophage, doué d'une sensibilité obscure, est faiblement impressionné par le contact de l'aliment qui le parcourt. Cependant il devient le siège d'une douleur assez vive quand un bol trop volumineux, un corps irrégulier, passent dans son intérieur. Néanmoins, dans les expériences, on peut inciser ses tuniques et appli- quer des acides à leur surface sans que l'animal paraisse en souffrir; la traction qu'on exerce sur lui est seule bien douloureuse, sans doute par l'effet qu'elle déter- mine sur les nerfs accolés au canal, et elle provoque, pendant l'resophagotomie, des mouvements d'une très grande énergie, que les doigts de l'opérateur ont grand'peine à maîtriser; sa contractilité, de même que sa sensibilité, parait dépendre des lilets que lui donnent les nerfs pneumogastriques, car la section de ceux-ci paralyse le canal et le rend à peu près incapable de pousser les matières alimentaires jusque dans l'estomac; aussi, dans ce cas, le voit-on se bourrer sur une partie ou sur la totalité de sa longueur. La déglutition des liquides se fait, à peu de chose près, connue celle des solides- Lorsqu'elle s'opère, le voile du palais est moins soulevé qu'à l'instant du pas- sage des aliments ; l'épiglotte est renversée sur la glotte, le larynx en masse est projeté en avant, les aryténoïdes sont attirés, par la contraction des thyro-ary- tliénoïdiens, vers la base de l'épiglotte; ils s'appliquent l'un contre l'autre et les l.Magendie, ouvv, cité, 4* édit., t. Il, p. 18. 084 DE LA DIGESTION. cordes vocales se touchent; enfin rorifice supérieur de l'œsopliage se rapproclie de l'isthme du gosier pour raccourcir le trajet pharyngien des liquides. Ceux-ci, d'après Longet, suivraient les deux petites rigoles qui se trouvent sur les côtés de l'orifice supérieur du larynx. Peut-être en est-il ainsi quand ils sont déglutis par minces filets, mais lorsqu'ils le sont en quantité un peu considérable, ils passent en masse, sous forme d'ondées, par-dessus l'orifice du larynx incliné antérieurement et fermé, ondées qui se succèdent rapidement et dans les inter- valles desquelles la glotte s'ouvre pour donner passage à l'air inspiré ou expiré. Je me suis assuré, sur le cheval, en introduisant le doigt entre les cordes vocales, pendant la déglutition , que l'eau est lancée de l'entrée au fond du pharynx , à peu près comme elle l'est par l'écope du batelier, en formant une nappe ou une lame qui passe par-dessus l'orifice supérieur du larynx. Pour peu qu'on étudie avec attention le jeu du larynx dans cette circonstance, on voit que cetorgane éprouve, à chaque ondée, un déplacement total et une série de changements partiels, semblables à ceux qui s'opèrent lors de la déglutition d'un bol, puis il revient à son état normal et ainsi de suite. Ces changements so font avec une extrême rapidité : car le cheval aspire de 60 à 90 ondées par minute, suivant qu'il est plus ou moins pressé par la soif, et, à chacune, il déglutit de 150 à 250 grammes de liquide. Lorsque, par exception, les liquides s'introduisent dans les cavités nasales, par suite d'une inspiration profonde, ou bien lorsqu'ils y sont versés, les narines étant fortement relevées, leur déglutition se fait comme dans les cas ordinaires. Du nez, ils tombent dans l'arrière-bouche, en glissant sur le plan incliné du voile du palais et ils provoquent le resserrement de la glotte, la projection du larynx en haut et la contraction du pharynx, qui les pousse dans l'œsophage. C'est de cette manière que sont avalés les liquides médicamenteux que l'on croit diriger dans la trachée et les bronches. La plus grande partie, souvent même la totalité, va dans l'estomac, une petite portion seulement tombe dans les voies aériennes en provoquant la toux . La rapidité de la déglutition et ses divers caractères varient beaucoup suivant les animaux, la nature et l'état des substances dont ils se nourrissent. Le cheval qui mange du foin déglutit jusqu'à 30 bols en un quart d'heure, lorsqu'il est pressé par la faim, et de 10 à 12 seulement quand il mange sans appétit. Ils se succèdent à des intervalles réguliers de 20 à 30 secondes au commencement du repas, puis à des intervalles de 40 à 4o secondes; enfin ils arrivent à ne passer que toutes les 70, 80, 90 secondes, et même toutes les 2 minutes. Leur poids est, en moyenne, de 50 à 100 grammes. Lors de la déglutition des liquides, le cheval agite les oreilles et les porte en avant à chaque ondée qu'il avale; en même temps, il rap- proche à chaque fois la mâchoire inférieure de la supérieure ; les masséters se tendent et se rident sous la peau de la joue ; l'œil lui-même exécute une série do légers mouvements dans l'orbite. Plusieurs ruminants, le cerf entre autres, n'agi- tent presque pas leurs oreilles en buvant ou les agitent inégalement. Le lion, en lappant, rapproche les màchoii'cs à chaque coup de langue et fait ainsi une ondée chaque fois (jue cet organe projette dans la bouche une petite quantité de liquide. La déglutition est lente, en général chez les oiseaux qui ont un œsophage à parois minces, bien que très dilatables; elle s'accompagne de secousses vives de RUMINATION. 680 la tète et mèine de tout le corps chez les rapaces; elle est d'une extrême lenteur chez les reptiles qui font parvenir dans leur estomac, sans la diviser, une proie souvent plus grande que l'ouverture de la gueule. CHAPITRE XXIV DE r>A, RUMINATION Chez la plupart des animaux les aliments arrivent à l'estomac assez divisés pour être immédiatement digérés : chez quelques-uns, ils n'y parviennent qu'im- parfaitement triturés et dans dos conditions telles qu'ils ne peuvent être chymi- liés; alors il faut que leur division s'eilectuc dans l'estomac même, ou qu'ils reviennent à la bouche se soumettre une seconde fois à l'action de l'appareil mas- ticateur. Dans le premier cas, l'estomac est extrêmement fort et organisé pour broyer, comme cela se voit chez les oiseaux granivores, certains crustacés et beaucoup d'insectes; dans le second, il se passe un phénomène fort remarquable connu sous le nom de rumination. Par cet acte, particulier à certains herbivores polygastriques, les matières ali- mentaires parvenues à l'estomac, sans avoir été suffisamment broyées, sont ramenées à la bouche oi'i elles subissent une nouvelle mastication, après laquelle elles sont dégluties de nouveau et digérées. Il diffère essentiellement, par son but et son mécanisme, du vomissement, auquel on a voulu le comparer. Le vomissement est un acte ordinairement involontaire, presque morbide, qui se produit dans l'indigeslion, s'effectue irrégulièiement, convulsivement et pour débarrasser l'estomac des aliments qui ne peuvent être chymifiés; la j'umination, au contraire, est un acte en partie volontaire, tout à fait normal et physiologique, qui s'opère régulièrement, sans convulsion, et qui ramène à la bouche, lors de la digestion, des matières destinées à retourner ensuite à l'estomac. L'analogie que l'on a cru trouver entre ces deux phénomènes est fort vague: aussi les au- teurs qui l'ont défendue, ont-ils été réfutés depuis longtemps par la plupart des physiologistes. La rumination a quelquefois été désignée sous l(;s noms de déglutition renversée, de déglutition antipéristallique, de réjection; mais ces expressions, ne spécifiant ([u'un des actes dont elle se compose, ne sauraient remplacer la qualification qu'on lui donne généralement. I. — Considérations générales sur la rumination. L'acte si remarquable de la rumination a fixé à toutes les é|»oques l'attention des observateurs. Moïse ^ en lit un caractère pour distinguer les animaux dont les 1. Lccitique, ch. xi, v. 3 etl. 2. Arislote, Histoire de-i animaux, liv. 11, p. 'JO ; iiv. IX, p. 643, elc. 686 DE LA DIGESTION. Hébreux pouvaient se nourrir. Aristote" indiqua les quatre réservoirs de l'estu- mac des ruminants et exposa quelques détails sur le phénomène dont nous par- lons. Galien reproduisit les quelques notions vagues données par le père de l'histoire naturelle. Parmi les modernes, Aldrovande rappela les idées des anciens; Fabrice d'Acquapendente, qui écrivit un livre sur les variétés de l'esto- mac, rapporta plusieurs exemples de mérycisme dans l'espèce humaine; Faber, médecin ^italien, fit connaître un des usages de la gouttière œsophagienne, à laquelle il donna le nom de voie lactée; Perrault décrivit sommairement, mais avec exactitude, l'estomac des ruminants, et émit l'idée que la gouttière œso- phagienne était destinée à saisir les aliments qui devaient être renvoyés à la bou- che; Peyer, Duverney, Haller, Buffon, Camper, Daubenton, Bourgelat, Ghabert, Brugnone, Girard, Toggia traitèrent, d'une manière plus ou moins abstraite, des conditions, des causes et du mécanisme de la rumination. Enlin, M. Flourens, abandonnant la voie dans laquelle avaient erré tant d'auteurs célèbres, est venu apporter sur la question, jusque-là très obscure, les lumières de la physio- logie expérimentale : son travail, dont les résultats ont été confirmés par Haubner, porte un cachet qui le distingue éminemment de tous ceux de ses devanciers. En jetant un coup d'œil sur les écrits des auteurs que je viens de rappeler, on voit que les anciens trouvaient des ruminants dans presque toutes les classes du règne animal. Ainsi, parmi les insectes, on considérait comme tels la cour- tillière et les sauterelles, depuis que Malpighi eut démontré que la première avait plusieurs estomacs, et que Swammerdam eut fait la même observation à l'égard des secondes. Parmi les crustacés et les mollusques, les crabes, lesécre- visses, dont l'estomac est garni de pièces solides disposées pour broyer; les limaçons, qui ont plusieurs réservoirs gastriques, étaient rangés dans la même catégorie; enlin, parmi les vertébrés, divers poissons, le scarus, d'après Pline, le saumon, la dorade, d'après Gessner et Rondelet, plusieurs oiseaux, le héron et le pélican; un grand nombre de mammifères, tels que ceux rangés actuelle- ment dans Tordre si naturel des ruminants, et d'autres, comme le lièvre, le lapin, la marmotte, le cochon d'Inde, étaient considérés comme jouissant de la faculté de ruminer. Il ne faudrait pas croire, cependant, que tous les naturalistes anciens regar- daient comme des ruminants les insectes, les crustacés, les poissons et les autres animaux que je viens de citer. Déjà Aldrovande repousse l'autorité des Ecritures et doute fort de la rumination du lièvre et du lapin, à laquelle deux siècles plus tard, Camper croit encore» Peyer, en dressant le catalogue des animaux qui ruminent se montre assez incrédule à l'endroit des insectes et de beaucoup d'es- pèces. En terminant sa longue énumération, il fait deux séries, l'une comprenant ce qu'il appelle les vrais ruminants, et l'autre les faux ruminants, dans laquelle se trouvent précisément les animaux qui, en réalité, ne jouissent pas de la faculté de faire subir à leur aliments une seconde mastication. Les premiers sont les chameaux, les lamas, les chevrotains, le cerf, le daim, le chevreuil, la girafe, les antilopes, le chamois, la chèvre, le mouton, le buffle et les diverses espèces de bœufs. HUMINATION. H87 Quant aux hommes, considérés comme des ruminants, tout porte à croire ([u'ils jouissaient réellement du privilège qui distingue les mammifères pré- cédemment indiqués. Des observations récentes, rapportées par des auteurs (pii font autorité dans la science, mettent hors de doute la possibilité du méry- cisme dans l'espèce humaine. Fabrice d'Acquapendente, dans son livre des varié- tés de l'estomac, cite plusieurs exemples de ce genre que Peyer^ rapporte avec (juclques autres. Le premier est celui d'un noble de Padoue qui mangeait très vite et presque sans mâcher ses aliments. 11 se mettait à ruminer environ une heure après les repas, et cet acte était involontaire, presque forcé : il l'exécutait en partie par l'attrait du plaisir que lui faisaient éprouver les aliments revenus à la bouche Le deuxième est celui d'un moine bénédictin qui ruminait de la même manière et dans les mêmes circonstances : pourtant il mourut dans l'émaciation, et l'au- topsie ne fit rien découvrir d'anormal dans la disposition des organes digestifs. Un troisième exemple est relatif à un enfant qui, après avoir perdu sa mère, vécut de lait de chèvre pendant deux ans. Dès son jeune âge il prit l'habitude de ruminer et la conserva toute sa vie : elle fut considérée comme le résultat de l'imitation. Le quatrième a trait cà un jeune homme extrêmement vorace qui ava- lait ses aliments sans les mâcher; il commençait à ruminer un quart d'heure ou une demi-heure après le repas, et exécutait cette opération, dit Peycr, absolu ment comme les animaux. Un cinquième lait est rapporté par Linceus. L'Alle- mand qui en fait le sujet, après avoir mangé gaiement, se retirait bientôt dans un coin pour ruminer; cet homme qui avait toujours éprouvé dans sa jeunesse des rapports acides, avait Uni, à un certain âge, par ne plus pouvoir empêcher les aliments de revenir à la bouche ; dès lors il commença à ruminer, et le fit avec un tel plaisir que les aliments qu'il broyait pour la seconde fois avaient pour lui une saveur aussi agréable que celle du miel. Enfin une jeune fille offrit une autre variété de mérycisme; mais cet acte au lieu de lui causer du plaisir, ne lui ins- pirait que du dégoût et de l'aversion. Les aliments qu'elle avait pris la veille lui remontaient à la bouche malgré elle, et encore peu digérés; chez cette fille, la rejection, ne se produisait pas tous les jours. Les faits qui précèdent privés, de leurs accessoires plus ou moins merveilleux dont il est facile de faire justice, prouvent, de même que ceux ^ observés plus récemment avec beaucoup de soin, que la rumination humaine commence pres- que toujours par des régurgitations fréquentes, coïncidant avec un travail gastri- que irrégulier, et s'effectuant à peu près involontairement, à des époques assez rapprochées des repas. Elle ne consiste même souvent qu'en une régurgitation renouvelée pério(Ji(|uenient, comme j'ai eu loccasion de le voir ily alongtenqis sur un élève de l'école d'Alfort,puis sur deux autres, l'un en 1878, le dernier en 1879. L'un de ceux-ci ramenait à la bouche, après un léger elïort. de petits mor- ceaux de viande avec de la bouillie trouble, à réaction acide, chez lui la rumination 1. Joli. Conradi Peyeri, Mnri/coloijùt. sU-e de t'uutinantifiic^ et ruminatiuni' cuinnir/ita- rius, Basiteac, 1685. 2. Bérard, Cours de phyx., t. II. p. 271. ggg DE LA DIGESTION. était tout à t'ait volontaire; elle était devenue une affaire de fantaisie après des efforts exécutés à dessein pendant quelques semaines. Le second qui ruminait dès l'âge de 11 ans, et malgré lui, éprouvait après chaque repas, et au bout d'un temps variable, des éructations involontaires , non bruyantes, non saccadées, suivies aussitôt du renvoi à la bouche d'aliments solides ou déjà en bouillie, même de boissons seules. Chez ce dernier la réjection était involontaire, forcée ; mais la volonté la rendait plus facile et plus abondante. Les conditions organiques qui rendent possible la rumination, telle qu'elle s'effectue chez les ruminants, sont bien déterminées. Toutes les espèces qui ruminent ont un estomac multiple. Aucune de celles qui jouissent de cette faculté n'a un estomac simple. La multiplicité des réser- voirs gastriques est donc la condition première et essentielle de la rumination. Cependant, cette multiplicité n'entraîne pas nécessairement la fonction, car beaucoup d'animaux polygastriques ne ruminent point, bien que les comparti- ments de leur estomac soient quelquefois disposés comme ceux du bœuf et du mouton. Ainsi, parmi les invertébrés, on a trouvé des espèces polygastriques : les oiseaux ont presque tous trois estomacs (jabot, ventricule succenturié et gésier) ; un "-rand nombre de mammifères ont ce viscère plus ou moins compliqué. Le daman, par exemple, Ta divisé en deux compartiments séparés l'un de l'autre par une cloison percée d'une large ouverture, et chacun d'eux est tapissé par une muqueuse qui a des caractères particuliers. L'hippopotame a le sien encore plus profondément divisé à l'extérieur. Les cétacés ont trois, quatre et jusqu'à cinq réservoirs : un premier qui, par sa forme, ressemble beaucoup à celui des poissons; un second à parois épaisses et glanduleuses, et d'autres qui ont une certaine analogie avec le feuillet et la caillette des ruminants. Mais c'est parmi les édentés qu'on voit un estomac presque semblable à celui des ruminants. Dans l'aï il possède quatre réservoirs distincts : l'un, très volumineux, bosselé, pourvu de divers appendices et tapissé par une muqueuse recouverte d'un épithélium épais; le second, globuleux, assez petit, également pourvu d'une muqueuse à épi- thélium pavimenteux ; le troisième, allongé, cylindrique ; le quatrième, enfin, garni intérieurement, comme la caillette, de lames longitudinales. La communication est établie entre ces réservoirs par des ouvertures particulières, et par une gout- tière à deux lèvres, semblable au demi-canal œsophagien du bœuf \ Et cependant, les animaux des genres Acheus et Bi^adypus, avec un tel appareil gastrique et un svstème masticateur imparfait, ne ruminent point. Quelle peut être la cause de cette remarquable exception? 11 faut arriver aux ruminants pour trouver l'estomac à son maximum de com- plication. Tous ont quatre cstouiacs (fig. 103), ou, pour parler plus exactement, quatre réservoirs gastriques. L'exception que Perrault ^ avait cru remarquer dans la gazelle d'Afrique qui, selon lui, aurait seulement deux compartiments à ce viscère, n'est pas réelle. Le premier compartiment, \a panse ou le rumen, est 1. Voyez Cnvîer, Leçons d'anatomie comparée, t. IV, 2" parlie, p. 53, 64, 77, elc. 2. Perrault, OEuvres divevHes de physique et de méranviue, 1721, p. 430. RUMINATION. ys'j le plus vaste des quatre : sa cavité, ordinairement partagée en plusieurs sacs, est tapissée par une muqueuse hérissée de papilles dans la plupart des ruminants, et recouverte d'un épithélium épais; il est destiné à tenir en dépôt les aliments non ruminés et les liquides. Le second, appelé réseu.u ou bonnoA est beaucoup plus polit que le précédent : il oiïre à sa face interne des cellules de dimensions variables, et tient toujours en réserve une notable quantité de liquide. Le troi- sième, ouïe feuillet, est garni d'un grand nombre de lames entre lesquelles pas- sent les aliments qui ne sont pas suffisamment atténués pour parvenir dans la caillette ; ces lames sont rudimenlaires et à peine marquées chez les ruminants sans cornes. Enfin, le quatrième, ou la caillette, est l'agent de la chymilication, l'ana- logue de l'estomac simple de la plupart des animaux : sa muqueuse é|»aisse, ve- loutée, très richement organisée, est enduite de mucus et pourvue de replis qui en augmentent considérablement la surface. Entre le premier et le quatrième réservoir se trouve un demi-canal formé de deux lèvres contractiles et a[)pelé la gouttière œsophagienne. C'est par l'intermédiaire de ce demi-canal que les liquides et les aliments, très divisés arrivent, du moins en partie, au dernier estomac sans tomber dans le premier; c'est aussi par lui que serait formée, selon Flourens, la i)eIote alimentaire envoyée à la bouche lors de la rumination. Fit;. 10:J. — Estomac de bœuf vu par la face droite dans sa situation normale, la caillette étant abaissée (*). Cet estomac ainsi constitué n'est cependant pas, à beaucoup près, semblable dans tous les ruminants. La panse du chameau et du lama fig. 104 et 107, est pourvue de plusieurs groupes de cellules destinées à tenir en réserve une certaine quantité de liquide. Les trois premiers estomacs de ces ruminants ont une mu- (*) A, rumen (hémisphère gauche); B, rumen ^hémisphère droit); C, inserlion de Tresophage; D, réseau; F-, feuillet; F, caillette. G. COLIN. — Physiol. comp., 3' édit. I — Il 690 DE LA DIGESTION. queuse sans papilles ; le feuillet cylindrique n'y possède que des lames à peine marquées, la caillette des replis peu saillants, et la gouttière œsophagienne n'y a plus qu'une seule lèvre. Cette organisation si singulière de l'estomac est la condition essentielle du phénomène de la rumination, comme nous le "verrons bientôt. A la rigueur, celle-ci se concevrait avec un estomac simple, puisque l'homme peut quelquefois effectuer une sorte de rumination : mais on sent que l'exécution parfaite d'un acte si compliqué n'est point compatible avec la présence d'un estomac unilocu- laire. Il faut une poche pour recevoir et conserver les aliments qui viennent d'être déglutis, après une première et insuffisante mastication ; il faut des par- ties modifiées de manière à envoyer à la bouche, par portions réglées, les matières qui doivent subir une nouvelle trituration ; enfin, d'autres poches pour recevoir, après la rumination, les aliments, afin qu'ils puissent être immédiatement digérés. De plus, il importe que l'appareil gastrique soit disposé de manière que l'animal puisse digérer en même temps qu'il rumine : aussi, les parties préposées à la rumination sont-elles distinctes de celles qui travaillent paisiblement à la chy- mification. Les anciens auteurs qui ont traité de la rumination, adoptant la philosophie de leur époque, se sont beaucoup occupés de rechercher les causes premières de ce phénomène. Ils se sont demandé quel pouvait avoir été le but de la nature en créant les animaux ruminants, et pourquoi elle leur avait donné la singu- lière faculté de ruminer. Il serait aujourd'hui presque ridicule de poser de pareilles questions qui, cependant, à un certain point de vue, ne sont pas dépour- vues de sens. Fabrice d'Acquapendente ^ pensait que la rumination était due au plaisir que l'animal éprouve en mâchant une seconde fois les aliments, c'est-à-dire à une sensation agréable. Peyer et Duverney se sont attachés à réfuter cette opinion, en objectant que, si cet acte était dû à une cause de ce genre, les animaux rumine- raient mieux et plus longtemps les fourrages tendres, succulents, que le foin, la paille et les aliments grossiers : or, c'est précisément le contraire qui arrive. Quelques-uns ont cru qu'elle tenait à une puissance attractive qui faisait passer, tour à tour, les aliments de l'estomac dans la bouche, et de celle-ci à l'estomac. D'autres ont avancé qu'elle avait pour cause la dureté des aliments dont se nour- rissent les ruminants et l'imperfection de la première mastication : c'est l'opi- nion de Duverney, et en partie celle de Peyer. Le premier prétend que les ali- ments grossiers ébranlent les fibres de la panse et provoquent les contractions qui les renvoient à la bouche. Le second fait observer que celte cause n'est pas la seule, puisque le cheval, l'àne et les autres solipèdes qui n'ont point une nour- riture dillérente de celle des ruminants, ne jouissent pas, cependant, de la faculté qui caractérise ces derniers. De plus, rien n'empêcherait, selon ces auteurs, que les ruminants n'atténuassent les aliments par une première mastication, au point de n'avoir plus besoin de les soumettre une seconde fois à cette opération. Peyer croit que les matières alimentaires accumulées dans le rumen après le repas s'y 1. Peyer, /oc, cit., lib. 111, cap. ii, p.202. RUMINATION. G91 échauHent, entrent en fermentation et se dilatent considérablement : qu'alors ne pouvant passer dans les autres compartiments, elles s'engagent dans l'œsophage et arrivent sous formes de pelotes à la cavité buccale. De pareilles idées portent en elles-mêmes leur réfutation. Quelles que puissent être les causes desquelles dérive la nécessité de la rumina- tion, il est évident que cet acte n'est pas l'effet d'une détermination libre de la part de l'animal, mais bien le résultat d'une impulsion irrésistible, comme le pensaient déjà Peyer, et avant lui, Fabrice d'Acquapendente. Si, parmi les actes divers dont se compose la rumination, il en est qui dépen- dent de la volonté, la [)lupart d'entre eux sont manifestement involontaires, La mastication mérycique n'est point involontaire, bien qu'elle s'exécute habituelle- ment d'une manière automatique : l'animal peut à son gré la ralentir, l'accélérer, la suspendre, et conserver pendant un certain temps la pelote dans la bouche. La seconde déglutition, de même que la première, est aussi en partie sous la dépendance de la volonté, en ce sens que le ruminant peut avaler quand il le veut les aliments ramenés à la bouche; mais la réjection est involontaire, quoi- qu'elle ait pour auxiliaires le diaphragme et les muscles abdominaux. La part d'influence qui revient à la volonté et à l'automatisme comporte des détails qui seront ultérieurement donnés à propos du mécanisme de la rumination. Le mérycisme étant un acte indispensable à la digestion chez les herbivores polygastriques, doit être réglé par une sensation interne particulière à laquelle l'animal est forcé d'obéir, bien qu'il puisse y résister, dans certaines limites. Le ruminant qui a la panse remplie après le repas, n'en a [tas moins la caillette vide et la digestion suspendue ; il est exposé à mourir d'inanition s'il ne renvoie à la bouche, pour y être broyés de nouveau, les aliments qu'il vient de prendre, car ceux-ci ne peuvent parvenir à l'estomac chymiliant s'ils n'ont éprouvé une seconde mastication. Or, dans de telles conditions, l'animal est sollicité irrésisti- blement à ruminer par suite d'un besoin analogue à la faim, et il y est, en outre, invité par l'attrait d'un plaisir que la nature attache constamment à la satisfac- tion d'un besoin. Cette sensation indélinissable porte l'animal à rechercher les lieux où il peut paisiblement broyer une seconde fois ses aliments, elle déter- mine la mesure suivant laquelle la seconde mastication doit se prolonger : elle lixe la durée et le retour des périodes de la rumination. Le besoin de ruminer se lie d'ailleurs à l'état des aliments et se montre tou- jours instinctif, ou indépendant de l'habitude et de l'imitation ; il se fait sentir chez les jeunes animaux élevés dans l'isolement, dès qu'ils reçoivent une nourri- ture solide et avant (lu'ils nient \u ruminer d'autres animaux de leur espèce. 11. — MÉCANISME DE LA RUMINATION. La rumination est, avons-nous dit, l'acte qui renvoie les aliments à la bouche pour y subir une nouvelle mastication et une seconde insalivation, après les- quelles ils reviennent dans les réservoirs gastriipu's. Par quel mécanisme ces aliments, broyés et insalivés une première fois, sont- Us ramenés dans la cavité buccale, régulièrement, sans trouble, sans elforl. par 692 DE Lk DIGESTION. masses ou par bouffées d'un poids déterminé, et comment ces mêmes aliments, après une seconde trituration, reviennent-ils à leur point de départ? Pour exposer clairement ce qui se passe lors de la rumination, examinons successivement : 1" dans quel compartiment de l'estomac se rendent les aliments et les liquides après leur première déglutition ; 2" suivant quel ordreces matières s'accumulent dans l'estomac ; 3° les mouvements qui se produisent dans la masse alimentaire pendant la rumination ; 4" le mode de la réjection ; et 5° les particu- larités qui se rattachent à la deuxième déglutition. 1" Estomacs où se reodentles aliments après la première déglutition. Les aliments, après avoir éprouvé une première et incomplète mastication, se rendent-ils dans tous les estomacs à la fois, ou plus spécialement dans quelques- uns, dans un seul d'entre eux ? Peyer croit qu'ils arrivent en totalité dans la panse après la première mastica- tion, et qu'ils y demeurent jusqu'au moment où ils sont ruminés; Duverney, Perrault, Haller partagent cette opinion, généralement admise à leur époque ; Camper pense qu'ils vont à la fois dans le rumen et le réseau ; mais tous ces auteurs tranchent la question par des conjectures : Flourens^ va, pour la pre- mière fois, lui donner une solution expérimentale. Le savant physiologiste fait manger de la luzerne verte à un mouton qu'il tue aussitôt ; ce fourrage se trouve en grande partie dans la panse et en petite quan- tité dans le réseau : le feuillet et la caillette n'en contiennent pas. A un second, il donne de l'avoine, qui se trouve aussi dans les deux premiers réservoirs, et non dans les deux autres. A un troisième, il fait avaler des morceaux de racines poussés dans le pharynx à l'aide d'un tube de fer : ces morceaux sont encore retrouvés, en totalité, dans le rumen et le réseau ; enfin, à un quatrième, il fait prendre des racines réduites en bouillie fine : celle-ci s'est rendue, en grande partie, dans le premier estomac ; mais elle est arrivée aussi, en quantité notable, dans le réseau, le feuillet et la caillette. Ces résultats peuvent être rendus manifestes sur l'animal vivant. Si, comme je l'ai fait souvent, on engage le bras jusque auprèsdu cardia, par une ouverture pratiquée dans la région du liane, on sent que les bols de fourrage tombent, soit dans le réseau, soit à la partie antérieure de la panse ; ils sont arrondis, ovoïdes, plus gros qu'un œuf de poule, enduits de mucus et se déforment difficilement. Ceux de racines et d'avoine tombent dans les mêmes estomacs; mais nous ver- rons bientôt qu'ils passent aisément de l'un dans l'autre. Ainsi, les aliments grossiers, quelle qu'en soit la nature, vont, partie dans le rumen et partie dans le réseau; ceux qui sont très divisés, diflluents ou réduits en bouillie, vont à la fois, mais en proportion variable, dans les quatre réser- voirs gastriques. II ne reste plus aucun doute à cet égard. Les liquides suivent la même marche que les aliments diflluents : ils tombent directement dans les deux premiers estomacs, et se rendent dans les deux der- 1. Flourcns, Mémoires d'unalomic cl de phijslului/ii' comparées. Paris, 1844, p. 3G. RUMINATION. (393 niers, en partie par la gouttière œsophagienne, et en partie par l'intermédiaire du réseau. Faber \ qui parait avoir le premier décrit le demi-canal œsophagien, qu"il appelle la voie lactée, dit que le lait, glissant facilement entre les deux lèvres de ce demi-canal, arrive directement dans la caillette, et Duverney, étendant ce rôle à tous les liquides, pense qu'ils sont ainsi amenés dans le feuillet, où les aliments desséchés ont besoin d'être délayés, et non dans les deux premiers réservoirs, où leur présence lui paraît inutile. Perrault est à peu près du même sentiment : il dit que l'eau ne tombe pas dans le premier estomac, d'où elle ne pourrait être que très difficilement exprimée dans l'intestin ; il croit qu'elle est amenée par le demi-canal dans le second elle troisième ventricule. Tous les auteurs se trompent. Peyer, en rapportant l'assertion de Faber, fait observer que la gouttière œsophagienne doit laisser échapper dans la panse une partie du liquide chassé entre ses lèvres; et Girard prétend que les liquides, pris à grandes gorgées, arrivent en partie au rumen et au réseau, tandis que ceux pris lentement et à petites gorgées sont conduits direofoment dans la caillette; mais leur manière de voir ne repose sur aucune preuve. Flourens démontre que les liquides se rendent à la fois dans les quatre compartiments, en faisant des ouvertures aux quatre estomacs, ouvertures par lesquelles les liquides s'échap- pent simultanément dès que l'animal boit. J'ai pu, sur plusieurs taureaux m'assurer que l'eau arrivait directement en grande quantité dans le rumen. Lorsqu'on donnait à boire aux animaux, dont le premier estomac portait une large fistule au flanc gauche, on voyait les ali- ments s'élever légèrement vers la partie supérieure de l'hémisphère gauche; bientôt un courant de liquide s'établissait entre la paroi droite de l'organe et la masse alimentaire; ce courant, de plus en [»lus marqué, s'élevait insensiblement, et finissait par dépasser le niveau des aliments qui se trouvaient alors inondés. Un instant après, par suite des mouvements imprimés à la masse contenue dans la panse, le liquide se mêlait aux aliments et cessait de les surnager. Pour recon- naître comment les liquides abordent dans le viscère, j'ai engagé la main jusqu'à l'orifice cardiaque. Quand l'animal boit dans un seau, les ondées, régulièrement espacées, sont lancées avec force dans le réseau, car l'insertion de l'œsophage est il la jonction de ces réservoirs. Le réseau ne tardant pas à se remplir, l'eau dépasse le niveau du repli qui sépare le premier du second estomac et se répand ainsi abondamment dans la panse. Enfin, le doigt en contact avec les lèvres de la gouttière légèrement rapprochées fait sentir la très petite quantité de liquide qui coule directement dans le feuillet, et de là dans la caillette. De plus, les contractions énergiques du réseau renouvelées à des intervalles variables, pous- sent, d'une part, dans le rumen, d'autre part, dans le leuillet, une certaine por- tion de son contenu. Les ondées sont si fortes, quand l'animal boit librement, que quinze à seize suffisent pour envoyer dix litres d'eau à l'estomac ; elles sont petites si le liquide est versé lentement dans la bouche ; alors un litre d'eau en fait (luelquefois six à huit, qui tondjenten grande partie dans le réseau. 1. Peyer, lib. 3iî, cap. in. p. 127. 694 DE LA DIGESTION. Il est donc certain, comme le démontrent les expériences de Flourens et les miennes que les boissons arrivent en partie dans les deux premiers estomacs, et « qu'elles passent immédiatement dans les uns aussi bien que dans les autres. » La plus forte proportion tombe dans la panse et le réseau, d'où elle s'échappe partiellement dans le feuillet et la caillette. La gouttière œsophagienne n'en conduit qu'une très petite quantité à ces derniers réservoirs. Les expériences qui consistent à rechercher, immédiatement après la mort, dans quels estomacs se sont rendus les liquides que l'animal vient de boire, ne sont nullement concluantes. II suffit de quelques minutes pour que les liquides passent, après la déglutition, d'un réservoir dans l'autre; déplus les mouvements auxquels se livre l'animal qu'on tue, la position qu'il prend, et les manipulations nécessaires pour mettre à découvert l'estomac, achèvent de changer complètement ce qui existait immédiatement après la déglutition. 2o .Mode d'accumulation des aliments et des liquides dans l'estomac. Chez le cheval et les herbivores monogastriques, les aliments, à mesure qu'ils arrivent à l'estomac, sont successivement poussés du sac gauche vers le sac droit, ou du cardia vers le pylore, de sorte que, s'ils sont de même nature, les pre- miers arrivés sont aussi les premiers poussés dans l'intestin ; leur arrangement affecte une certaine régularité qui ne s'observe pas chez les ruminants. Au moment où le ruminant prend son repas, sa panse n'est pas vide ; elle n'a pu se débarrasser de tout son contenu, qu'elle qu'ait été la durée de l'absti- nence. La masse alimentaire qu'elle renferme présente au-dessus d'elle, un espace plus ou moins considérable rempli de gaz et de vapeurs qui s'échappent lorsqu'on fait une ponction aux parois de cet organe. Le rumen, qui occupe la plus grande partie defabdoraen, n'est pas susceptible de revenir tout à fait sur lui-même; il ne s'affaisserait pas, lors même qu'il serait complètement vide, car si l'on retire, sur l'animal vivant, par une ouverture au liane gauche, tout le contenu du réservoir, il demeure béant, et ses parois acquièrent une extrême flaccidité. Si donc on se représente le rumen, alors qu'il ne contient plus guère d'aliments, on le trouve divisé en deux étages : l'un inférieur, plein de liquide; l'autre supé- rieur, occupé par des aliments, des gaz et des vapeurs. Ces deux étages sont séparés par les saillies que forment intérieurement les parois du rumen, saillies constituant aux deux extrémités de l'organe, surtout à l'antérieure, un véritable plancher très étendu. Or, dès qu'une nouvelle quantité de matières alimentaires arrive, elle élève insensiblement le niveau primitif, l'estomac se dilate, et l'étage supérieur se remplit au point que les aliments touchent à la paroi supérieure du réservoir. Ces changements, très faciles à concevoir, se voient parfaitement chez les grands ruminants qui portent une large fistule au rumen, surtout lorsqu'on a obtenu la cicatrisation des lèvres de cette fistule avec celle de la plaie des parois abdominales ; les aliments récemment arrivés se rassemblent à l'extrémité antérieurt.' du sac gauche, d'où ils passent ensuite dans les autres parties du premier estomac par l'effet de ses propres contractions. l^a ((uantité d'aliments qui peut ainsi s'accumuler est fort considérable. Peyer RUMINATION, 695 disait qu'elle s'élevait, chez le bœuf, jusqu'à 50 livres. Je me suis assuré qu'il s'en trouve, en moyenne, une centuinede livres, même chez des animaux de cette espèce morts à la suite de longues maladies. J'en ai vu, seulement dans le rumen, 150 livres sur un taureau qui n'avait pas mangé depuis vingt-quatre heures, et plus de 200 sur une vache qui se trouvait dans les mêmes conditions. Cette masse énorme ne représente, en définitive, que très peu de fourrages secs puisque ceux-ci absorbent, soit avant d'être déglutis, soit après un certain séjour dans l'estomac, trois à quatre fois leur poids d'eau, de telle sorte que 100 livres de matières prises dans la panse n'équivalent qu'à 20 ou 2o livres de foin, soit à peu près à la ration journalière d'un animal adulte de l'espèce bovine. Fin. ICI. — Estomac du dromadaire vu à droite (*). Quant au réseau, il ne conserve que très peu d'aliments solides ; mais il tieirt toujours en dépôt, même chez les animaux qui n'ont pas bu depuis longtemps, une certaine quantité d'eau : c'est un véritable réservoir aquifère dont le rôle est, comme nous le verrons plus lard, très important : seulement, sur le cadavre, il est fort souvent privé de liquides. Les liquides s'accumulent aussi dans la panse. Lorsque l'animal vient de boire, il s'y trouvent en grande quantité, gonflent la masse alimentaire, la (') A, le rumen ; B, le réseau ; C, le feuillet se continuant sans démarcation extérieure avec la caillette D : 1, l'œsoptiage ; G, le premier groupe de cellules; H, le second groupe de cellules aquiféres ; E, le pylore ; F, le duodénum. 696 DE LA DIGESTION. détrempent et viennent bientôt en inonder la surface : mais ils ne tardent pas à être exprimés et poussés en partie dans les autres réservoirs. Ceux qui restent dans le premier se disposent tout à fait en bas, dans ce que j'ai appelé l'étage inférieur du rumen. Chez quelques ruminants, les chameaux et les lamas, il y a dans la panse deux groupes de cellules décrites par Perrault, dans lesquelles l'eau se tient en réserve. Ces cellules étant plus étroites à leur entrée qu'à leur fond, permettent aux aliments de se maintenir au-dessus, et aux boissons d'y pénétrer avec facilité. L'épithélium tapissant ces cellules s'oppose à l'absorption des liquides qu'elles contiennent afin qu'ils puissent détremper les aliments envoyés à la bouche, lors de la rumination. 3" Mouvements de la masse alimentaire pendant la rumination. Il ne faudi\ait pas croire que les aliments accumulés dans la panse y demeurent dans l'ordre oîi ils y ont été déposés. Avant d'être ruminés, ils sont agités d'un mouvement presque continuel dont les anciens avaient déjà une idée vague. Peyer dit qu'après le repas, l'estomac, par un mouvement qui lui est propre, sépare les substances grossières de celles qui sont plus atténuées, et Bourgelat s'attache même à décrire, de fantaisie, le sens des pérégrinations qu'il suppose opérées par les matières alimentaires ; mais ces auteurs, comme beaucoup d'autres, n'apportent à Tappui de leurs assertions aucune preuve démonstrative. Flourens, dans ses belles expériences, a reconnu que ce mouvement des ali- ments est réel ; il a vu que des matières mises dans les parties postérieures de la panse, reviennent dans les parties antérieures, passent directement du rumen dans le réseau, et réciproquement, lorsque l'animal ne rumine pas, cela, par la seule contraction des parois de l'estomac, contraction que l'on peut très bien sentir avec le doigt. Pour étudier ce mouvement avec soin, j'ai fait à la panse d'un jeune taureau une incision longue comme la main, et réuni chaque lèvre de la plaie gastrique avec celle des parois abdominales. Quand l'adhérence a été établie autour de la plaie de l'estomac et l'animal guéri, voici ce qu'on voyait, dès que la lumière pénétrait suffisamment dans le réservoir. Le niveau des aliments variait d'un instant à l'autre, il s'élevait et s'abaissait alternativement. A certains moments, ce niveau était presque uni, à d'autres il devenait très accidenté; tantôt une partie de la masse se soulevait, se détachait du reste pour se porter en arrière; tantôt, au contraire, une autre partie se portait en sens inverse et disparaissait. Ce mouvement oscillatoire, fréquemment renouvelé, s'accélérait lors de la rumi- nation et de la déglutition des liquides; il constituait une sorte de fluxetde reflux très beaux à voir. C'est par lui que les aliments sont mêlés et brassés dans tous les sens, que les supérieurs deviennent inférieiii's et réciproquement ; que ceux relégués au fond de l'estomac viennent se mettre en contact avec le cardia et lagouttière œsophagienne. On conçoit donc très bien, par là, pourquoi, dans les expériences de M. Flourens, la luzerne verte et les grains donnés à un mouton se trouvaient bientôt mêlés aux substances (|ue la panse renfermait depuis longtemps. RUMINATION. 697 Ce mouvement qu'on étudie à merveille lorsqu'un rayon de soleil pénètre dans la (istule ou bien lorsqu'on porte une lumière électrique dans la panse, à l'aide d'un appareil ingénieux construit par Trouvé, se distingue de celui qu'im- priment à l'estomac et à son contenu le diaphragme et les muscles abdominaux: il est effectué par les parois du rumen, surtout par les faisceaux charnus qui, comme de véritables ceintures, étreiguent la masse alimentaire, la divisent en plusieurs parties, plus faciles ensuite à déplacer. Il a, outre son utilité rela- tive à la rumination, une très grande importance, car il contribue à l'atténua- tion des aliments qu'il mêle sans cesse aux liquides. S'il n'avait pas lieu, comment les substances qui se trouvent dans les régions postérieures pourraient- elles revenir au cardia et obtenir leur tour de rumination? Il est des circonstances dans lesquelles le mouvement im[»rimé aux matières alimentaires est nul ou à peu près insaisissable ; ainsi il ne s'opère pas chez les animaux malades dont le contenu de la panse est durci ; on ne peut, non plus le constater dans les premiers temps qui suivent l'établissement d'une fistule à la panse. Les boules, les petits sachets, les faisceaux d'herbes (pi'on dépose à des endroits déterminés de la surface et de l'intérieur delà masse, sont alors sou- vent retrouvés à la même place au bout de douze ou de vingt-quatre heures. Il convient donc, pour s'en faire une idée exacte, de se placer dans les conditions normales précédemment indiquées. Les liquides éprouvent aussi dans les deux premiers estomacs des mouvements fort remarquables, que l'on apprécie aisément en engageant le bras dans les diverses parties de ces réservoirs par la fenêtre dont j'ai parlé. On constate ainsi que le réseau, une fois rempli, lance dans le rumen, par des contractions brusques et très énergiques, une partie de son contenu. Ces contractions, que la main de l'expérimentateur excite par moments, ont tant de force, que le li(iuide qu'elles déplacent inonde la masse alimentaire et parvient quelquefois jusqu'au niveau de l'ouverture artificielle. L'eau projetée de cette manière dans le rumen s'in- filtre à travers les aliments, arrive à la région marécageuse du viscère, d'où elle se trouve plus tard reportée, par les contractions, dans le second estomac. D'ail- leurs, les piliers charnus, à eux seuls, par leurs contractions réglées, tantôt lentes, tantôt rapides, établissent dans les liquides et les matières délayées, des courants à sens déterminés qui les portent vers le feuillet et la caillette où ils passent directement dans les intervalles des périodes de rumination. C'est loi-sque l'estomac, sur l'animal vivant, est soumis {\ des excitations très vives, comme celles des courants électriques, qu'il éprouve, dans sou ensemble ou dans certaines de ses parties, des mouvements très étendus, d'une extrême énergie dont les caractères méritent d'être signalés. D'abord, si à l'aide de l'appareil de Caille, par exemple, on irrite l'un des nerfs vagues o,u les deux, à la région du cou, on provoque presque instantanément, à la fois, des contractions longitudinales et traus\ erses de l'œsophage, et des con- tractions gastriques générales très énergi(|ues. Mais les contractions de l'estomac n'ont point partout la même vivacité ; elles sont brusques et très amples dans le réseau, plus lentes et à sens divers dans le rumen, très peu marquées au feuil- let; et elles reprennent de la vivacité dans la caillette d'où (>lles se propagent 698 DE LA DIGESTION. • au duodénum. L'irritation des vagues appliquée à leur portion abdominale pro- duit les mêmes effets, en les exagérant, dans les parties antérieures du réseau. Les secousses qu'elle détermine donnent lieu assez souvent à des réjections con- vulsives de bouillie alimentaire. Lorsque l'irritation électrique est appliquée directement sur les parois du rumen elle y produit un resserrement local qui se traduit par la formation d'un sillon devenant de plus en plus allongé et profond ; les parties voisines se rident, de nouveaux sillons se creusent parallèlement au premier ; les grandes rides se transforment en fossés, des bosselures nombreuses s'accentuent dans les inter- valles des sillons et se déplacent avec plus ou moins de rapidité. En tels points l'irritation produit des effets plus prompts et plus prolongés ; en tels autres des effets plus lents et plus faibles. Les excitations électriques montrent que les divers compartiments de l'esto- mac et même les différentes parties d'un compartiment ne jouissent pas d'une motricité uniforme. Dans le rumen, le vestibule antérieur, les piliers, et surtout l'infundibulum œsophagien, le cardia, sont les points les plus excitables. Aussi les contractions du cardia, d'une extrême énergie, semblent prendre un caractère convulsif. L'excitabilité du réseau est également très grande, les moindres sti- mulations y déterminent un resserrement rapide, brusque, qui réduit sa capacité de moitié ou des deux tiers, resserrement auquel succède un relâchement, prompt, presque instantané qui ramène le réservoir à son ampleur première. Là, comme à l'infundibulum œsophagien, il y a des systoles et des diastoles qui rappellent celles des oreillettes du cœur. A la caillette les contractions sont modérément rapides et de courte durée. Ailleurs, elles sont lentes, prolongées, et le relâchement qui les suit s'opère graduellement. L'électrisation appliquée à la face interne du viscère agit comme à l'extérieur. Celle de la gouttière a pour résultat de rapprocher les lèvres, presque au point de les amener au contact l'une de l'autre, en attirant l'oritice supérieur du feuil- let vers l'orifice cardiaque, comme le fait prévoir la disposition des libres mus- culaires. Cette contraction est toujours rapide et de très courte durée. Les contractions provoquées par l'électricité augmentent considérablement la pression exercée sur le contenu des réservoirs gastriques. A l'aide de petits ma- nomètres à air libre, adaptés à la panse, ou de simples tubes enfoncés dans la masse alimentaire, ou encore de petites ampoules de caoutchouc munies d'un tube de verre à cavité étroite, on peut facilement constater et mesurer les chan- gements de cette pression. Le liquide monte dans ces tubes, soit lentement, soit par secousses, à chaque excitation électrique directe de la panse. Il monte plus haut encore si l'excitation est appliquée à un des nerfs vagues, quelquefois à 10, 20, 30, même .35 centimètres de hauteur verticale ; mais il ne se maintient à ce niveau qu'un temps très court; puis, si l'excitation continue, ce liquide oscille à une hauteur moindre. C'est lors de ces pressions excessives et brusques que le contenu de l'estomac est projeté à une grande distance, soit par les fenêtres, soit par les ouvertures du trocart. Les maxima de pression s'observent quand le resserrement de l'estomac coïncide avec d'énergiques contractions des parois abdominales, ou en d'autres termes, avec un effort cxpulsif. RUMINATION. 699 Les excitations électriques appliquées au réseau ou à la valvule qui sépare les deux premiers réservoirs, donnent lieu à des contractions instantanées très brusques, d'une extrême énergie ; aussi elles s'accompagnent de déplacements considérables des liquides et donnent lieu à des réjections qui simulent, suivant leur énergie, leur abondance, celles de la rumination ou du vomissement. Là. comme au rumen, les contractions deviennent très prolongées, sont continues ou saccadées, suivant le caractère même des excitations. Quant à savoir si les aliments éprouvent des cliangements dans leur nature par l'action des sucs renfermés dans les premiers estomacs, c'est une question acces- soire à la rumination, que nous examinerons plus tard. 4° Réjection. Ce que nous avons envisagé jusqu'ici était facile à éclaircir, mais ce qui reste est le point le plus obscur de la rumination. Tous les auteurs ont reconnu, comme le fait observer Flourens, que les organes de la réjection sont de deux ordres : les uns immédiats et essentiels, ou les estomacs ; les autres médiats et simplement auxiliaires, le diaphragme et les muscles abdominaux. Recherchons d'abord quel est le rôle des agents immédiats de cet acte et le mode précis de leur concours à la réjection. Ici règne l'obscurité et doit régner aussi la divergence des opinions. D'après Duverney^, la panse est le véritable organe de la rumination. Cet estomac, qu'il suppose seul chargé de recevoir les aliments, lors de la première déglutition, lui paraît exclusivement préposé à les renvoyer à la bouche par pe- lotes « qu'une forte compression et une secousse particulière de ce réservoir font pénétrer dans l'œsophage. » Il est aisé, dit-il, de prouver que la panse est le véri- table instrument de la rumination, puisque les lièvres et les lapins, qui n'ont qu'un seul estomac, ruminent : assertion hasardée qu'il appuie sur un fait inexact. Peyer soutient une opinion à peu près semblable à celle de Duverney et l'expose avec assez de détails, en comparant l'estomac au cœur. Chacun de ces organes a des ouvertures pour recevoir et d'autres pour expulser son contenu. Le cœur a un mouvement de diastole et un mouvement de systole ; l'eslomac a aussi deux mouvements analogues à ceux-là : seulement le premier viscère chasse, en une seule fois, tout le lluide qu'il contient, tandis que le second ne renvoie qu'une partie des aliments qu'il renferme. C'est, ajoute-t-il, par la secousse violente des libres de la panse que les matières alimentaires sortent de l'estomac et s'enga- gent dans l'œsophage ; car les pelotes n'ont, en elles-mêmes, aucune force qui puisse les faire remonter ainsi ; et il est impossible de trouver dans les estomacs une autre [)uissance susceptible d'ell'ectuer cette expulsion. » Les aliments pénè- trent forcément dans l'œsophage par suite de l'occlusion momentanée des ouver- tures qui établissent une communication entre les premiers et les derniers réser- voirs gastriques. L'explication est ingénieuse, mais elle reste problématique : cependant Bourgelat, Chabert et d'autres l'adoptent sans contestation. 1. Duverney, Œuvres anatoniiqiœs. Paris, 17(51, t. II, p. 131 et suiv. 700 DE LA DIGESTION. Perrault ^ conçoit la réjection d'une toute autre manière. La gouttière œsophagienne lui paraît spécialement affectée à la formation des petiles masses alimentaires renvoyées à la cavité buccale. « Elle peut, dit-il, servir à faire retourner dans la bouche les herbes qui doivent y être remâchées, et à composer des pelotes que l'on voit remonler le long du col des bœufs quand ils ruminent ; ce demi-canal, avec ses rebords, étant comme une mam ouverte qui prend les herbes et qui se ferme, les serre et les pousse en haut directement; elle peut servir aussi à faire descendre les herbes remâchées, les conduire dans le second ou dans le troisième ventricule et les empêcher de rentrer dans le premier. » Suivant cette hypothèse, très explicite, la gouttière œsophagienne prend donc les aliments dans la panse ; elle en fomne des pelotes qu'elle pousse dans l'œso- phage et qu'elle ramène dans les derniers estomacs, après la Seconde mastica- tion. Nous verrons bientôt ce qu'il faut penser de cette explication, d'ailleurs fort séduisante. Daubenton^ croit que les aliments, après la première déglutition, arrivent tous dans la panse, et que, pour être ramenés à la bouche, ils passent préalable- ment dans le réseau. Celui-ci, par sa contraction, en forme des pelotes qu'il humecte et pousse dans l'œsophage. Ce naturaliste ayant trouvé, sur un mouton, le réseau tellement resserré, que sa cavité n'avait plus guère qu'un pouce de diamètre et renfermait seulement une toute petite pelote d'aliments, crut voir dans ce fait l'explication du phéno- mène de la réjection. D'après lui, lorsque l'animal veut ruminer, la panse, qui contient les aliments mâchés une première fois, « se contracte, comprime leur masse et en fait entrer une portion dans le bonnet. Ce viscère se contracte ensuite, enveloppe la portion d'aliments qu'il reçoit, l'arrondit, en fait une pelote par sa compression, et l'humecte avec l'eau qu'il répand dessus en se contrac- tant. » Il ajoute que cette pelote, une fois formée, est saisie par la gouttière œsophagienne et transmise à l'œsophage, qui la porte à la bouche. Après la seconde mastication, la gouttière œsophagienne fermée la ramène dans le feuillet. Cette explication, si elle n'est pas plus admissible que les précédentes, a du moins l'avantage de se baser sur un fait. Bourgelat déjà l'a réfutée, mais sans arguments sérieux, et avec un dédain qui ne lui était guère permis, après ce qu'il venait d'écrire lui-môme sur la rumination. Les deux principales objec- tions qu'elle fait naître sont celles-ci : d'abord, si le réseau est destiné à former lu pelote, comment peut-il, avec les grandes dimensions qu'il a chez le bœuf, se contracter au point de ne plus avoir que le diamètre de l'œsophage ou d'une pelote? Le fait est évidemment impossible. Ensuite, si cet organe reçoit de la panse de quoi composer plusieurs pelotes, renvoie-t-il au premier estomac l'excédent de ce qui lui est nécessaire, ou bien formc-t-il du tout une pelote deux ou ti-ois fois [dus grande que d'ordinaire, et alors celle-ci peut-elle s'engager dans le cardia, puis remonter l'œ.sophagc ? Mais on pouvait combattre la théorie de Daui)enton avec d'autres armes f|ue 1. Perrault, lissais dophysùjiœ, 1G80. Œuvres diverses de physique et de ynécfmù/i/e, Leyde, 1721, t. II, p. 437. 2. Daubonlon, Uistoire de l'Aradmne des seienees^ 1708, p. 389 et suiv. RUMINATION. Tdl de simples objections : c'est ce que Floureiis a luit. Cet liabile expérimenta- teur a retranché une partie du réseau sur un mouton, et a fixé, par des points de suture, aux parois de l'abdomen la partie non excisée, de telle sorte que le reste du réservoir n'était pas susceptible, en se contractant, de s'allaisser et de mouler une piîlote. Or, après cette opération, l'animal a pu encore ruminer. Il devenait donc évident, par ce résultat, que le réseau n'est pas chargé de la l'onction ([ue Daubenton lui avait attribuée. Le mécanisme de la réjection, tel que le concevaient Duverney, I*eyer, Per- rault, Daubenton, n'est donc nullement démontré. La manière de voir de tous ces auteurs, adoptée avec quelques vaiiantes, par ceux qui, depuis, ont traité de la rumination, ne repose sur aucun fait, sur aucune preuve. Pour trouver la vérité, il faut sortir du cercle vicieux des hypothèses et recourir à l'expérimentation. D'après les recherches de Flourens', il y a dans la rumination : 1° forma- tion de pelotes ; •2» ces pelotes sont rondes; 3" un appareil particulier est chargé de les former; 4" enlin cet appareil se compose du demi-canal et des deux ouver- tures fermées du feuillet et de l'œsophage. Le savant physiologiste base ces pro- positions sur les expériences suivantes : Premièrement, sur un mouton, on ouvre l'œsophage longitudinalement vers le milieu du cou, dans le but de recueillir les pelotes qui [)ourraienl tomber par cette ouverture; mais l'animal ne rumine point. On le tue au bout de trois ou quatre jours. La panse ne contient pas de liquides; les aliments qu'elle renferme sont desséchés. « Vers l'endroit où cet estomac répond à l'ouverture de l'œso- phage, est une pelote parfaitement ronde et d'un pouce à peu près de diamètre, comme celle que Daubenton a décrite. Cette pelote est appliquée, d'un côté, contre l'ouverture fermée de l'œsophage ; elle est appliquée, de l'autre, contre la masse d'herbes contenue dans la poche antérieure de la panse; et par le reste de son étendue, elle est engagée entre les deux bords du demi-canal. » Deuxièmement, sur un autre mouton, la même opération est pratiquée. L'ani- mal ne rumine pas non plus. Il est tué au bout de deux jours. Les aliments de la panse sont durs; le réseau est vide. Le demi-canal ne contient pas une pelote entièrement formée, « mais une pelote qui commençait à se former, et qui n'en montrait (|ue mieux le mécanisme de sa formation. Cette pelote, à den)i-formée, l'épond d'un côté à l'ouverture fermée de l'œsophage; de l'autre, à l'ouverture fermée du feuillet; i)ar le reste de son étendue, elle est engagée entre les bords du demi-canal ; et il est évident (|ue ces deux ouvertures, fermées et rapprochées dune part, et le demi-canal de l'autre, constituent, par leur réunion, rapi)areii même qui l'a à demi-formée. » Endn l'œsophage est ouvert comme précédemment sur un troisième mouton; celui-ci rumine et les pelotes tombent i)ar l'ouNciture ; elles sont humides, molles et un peu allongées par la pression du canal qui les a amenées. Au bout de quel- ques jours l'animal est tué, et l'on trouve dans le demi-canal « une pelote sèche et ronde, appliquée de même contre l'ouverture de l'cesophage et parfaitement semblable, en un mot, à celle du premier mouton. » 1. Flourens. Mém, d'analumie et de physiologie comparées. Paris. 18il, p. ôH. 702 DE LA DIGESTION. Voici comment M. Flourens explique l'action de l'appareil formateur des pelotes, c'est-à-dire celle du demi-canal, de rorilice inférieur de l'œsophage et de l'ouverture supérieure du feuillet : « Les deux premiers estomacs, en se con- tractant, poussent les aliments qu'ils contiennent entre les bords du demi-canal; et ce demi-canal, se contractant à son tour, rapproche les deux ouvertures du feuillet et de l'œsophage; et ces deux ouvertures, fermées à ce moment de leur action et rapprochées, saisissent une portion des aliments, la détachent, en for- ment une pelote. » Lorsque cet appareil est mis à nu sur l'animal vivant, « on voit, dès que les estomacs agissent et se meuvent, les ouvertures de l'œsophage et du feuillet se rapprocher : de plus, on constate que ces ouvertures se ferment en même temps qu'elles se rapprochent ; enfin, si l'on irrite le nerf pneumo-gas- trique, « on voit aussitôt, tout à la fois, se resserrer, se contracter, et l'ouver- ture de l'œsophage, et les bords du demi-canal, et l'ouverture du feuillet K » Toutes ces expériences, si habilement combinées, séduisent; elles semblent parler clairement; mais pour que l'esprit fût entièrement satisfait, il faudrait, comme M. Flourens- le dit lui-même, instituer une expérience qui permît de voir l'appareil fonctionner, ainsi qu'il a été dit précédemment. Inspiré de cette idée, j'ai réfléchi longtemps à une combinaison susceptible de rendre évidente l'action de la gouttière œsophagienne, et n'en ai pas trouvé; mais j'ai imaginé un moyen d'empêcher cet appareil d'agir, sans troubler sensiblement, si ce n'est dans les premiers moments, les fonctions digestives. Ce moyen est d'une extrême simplicité. Des trois usages attribués à la gouttière œsophagienne, il ne supprime que celui qui a trait à la rumination, à supposer que ce premier usage soit réel, et il laisse subsister les deux autres, ou, en d'autres termes, il permet au demi-canal de conduire encore une partie des liquides dans les deux derniers estomacs et de transporter directement à la caillette les aliments ruminés, comme il pouvait le faire auparavant. Sur un taureau, j'incisai les parois du flanc et celles du rumen, en arrière de la dernière côle gauche, de manière à pouvoir engager le bras dans le premier estomac, et je réunis, par une suture, chaque lèvre de la paroi du réservoir avec la lèvre correspondante de l'ouverture abdominale, afin d'empêcher les matières alimentaires de tomber dans la cavité du péritoine. Gela fait, j'engageai la main dans la partie antérieure du rumen, je saisis l'une des lèvres de la gouttière œso- phagienne et la traversai par un fil de laiton aigu à l'une de ses extrémités, et con- tourné en spirale à l'extrémité opposée ; puis je traversai la seconde lèvre dans le point correspondant avec le même lil, dont je tordis ensemble les bouts, en ame- nant les deux lèvres en contact l'une avec l'autre. Je plaçai ainsi trois fils métal- liques, le premier près du cardia, le second vers l'orifice supérieur du feuillet, et le troisième à peu près vers le milieu de la longueur du demi-canal, puis je fermai la plaie de la panse. L'animal parut souffrir le premier jour et refusa toute nour- riture; le lendemain, il mangea, se mit à ruminer dès le troisième jour, et il rumina longtemps. A l'autopsie de ce taureau qu'on sacrifia peu après, les lèvres 1. Flourens, tniirn. cité, p. 61. 2, Flourens, Leçons o)-fdcs, 1851. RUMINATION. 703 de la gouttière furent trouvées en contact et les fils bien attachés. Je répétai la même expérience sur un taureau plus jeune, très vigoureux, et cette fois je plaçai quatre (ils, régulièrement espacés, en prenant la précaution de les serrer forte- ment, et d'obtenir un contact parfait entre les lèvres de la gouttière. Dès le jour même, l'animal, que l'on avait préparé à l'opération par une diète de vingt-cjualn' heures, commença à manger; il rumina le lendemain et les jours suivants. La rumination ne paraissait nullement gênée. La secousse du liane, qui coïncide avec le départ des matières de l'estomac vers la bouche, n'était pas |)lus forte que d'habitude; le temps qui sépare la déglutition d'un bol du retour d'un autre était sensiblement égal à ce qu'il est dans les circonstances ordinaires; la durée des périodes de la rumination, le nombre des coups de dents, pour la mastication mérycique d'une pelote, n'étaient nullement inodiliés. Les bols envoyés à la bou- che avaient leur poids normal (je m'assurai du fait en prenant, dans la cavité buccale, un certain nombre d'entre eux, immédiatement après leur arrivée) ; enlin ceux-ci avaient les caractères accoutumés : leur arrivée à la bouche était suivie de la descente d'une, de deux ou de trois ondées de liquide. Lorsque l'animal fut tué, les fils étaient encore bien attachés, et les lèvres du demi-canal en contact l'une avec l'autre, comme le montre la figure 106, placée en regard de celle qui offre la gouttière à l'état normal ^fig. lOo.) ^^^^|;^^>^' K-, ^u^ l'iu. 105. — Gouttière œsophagienne ouverte (*). KiG. lOt). — Gouttière œsophagienne fermée (*). Ainsi, dans cette circonstance, les deux lèvres de la gouttière sont attachées ensemble depuis le cardia jusqu'à l'orifice supérieur du feuillet ; elles ne peuvent plus s'écarter l'une de l'autre pour saisir les aliments ; elles sont mises dans liui- (*) A, extrémité inférieure de l'œsophage ; B, oriticc cardiaque; C, orifice supérieur du feuillet. 704 DE LA DIGESTION. possibilité de les recevoir, à supposer que ce soient les contractions de la panse qui les poussent entre elles; et cependant l'animal rumine parfaitement. Elles ne sont donc pas les organes de la réjection. Enfui, ces deux lèvres forment un canal complet qui permet aux liquides de passer de l'œsophage dans le feuillet et la caillette, et aux aliments ruminés de suivre leur marche ordinaire, car l'état même dans lequel les place l'expérience a pour effet de les dispenser d'une con- traction; aussi l'animal continue-t-il à bien digérer. Cette expérience, instituée dans le but de voir si le demi-canal œsophagien est l'agent de la réjection, a été faite par la nature elle-même, sous une autre forme, chez les ruminants sans cornes. J'ai trouvé, il y a longtemps, que la gouttière œsophagienne du lama n'a qu'une seule lèvre mince et étroite, disposition qui se reproduit exactement dans le dromadaire. ''rc. 107. — (ioiUtJoi'e (esophagieniio du lama ( Si donc ce n'est pas la gouttière œ'sophagienne qui saisit les aliments, qui les réunit en une petite masse et les conduit à l'œsophage, comment ces aliments parviennent-ils à s'engager dans ce canal ? (•] A, exli-émité iiiféiieuie de l'œsophage ; B. icvre u)ji(|iie do la gouttière ; C, oi-iliee siipérieiii- du leuillot; I), réseau ; E, cellules aquifères droites ou antérieures; F, cellules aquifeics inférieures; G, pilier cliaiiiu séparant le» deux groupes de cellules. RUMINATION. 703 Pour concevoir ce qui se passe lors de la réjection, il faut se rappeler que l'ori- lice cardiaque est situé à peu près entre le rumen et le réseau, et (juil répond au sac antérieur du rumen où se trouvent des aliments très délayés. Or, lorsque la panse et le réseau se contractent ensemble, car leurs contractions sont simul- tanées, ils poussent vers l'orilice intérieur de l'œsophage, lune des aliments très délayés, l'autre des liquides ; l'œsophage se relâche et leur ollre une dilata- tion infundibuliforme dans laquelle ils s'engagent; puis, lorsqu'il en a reçu une quantité proportionnée à sa dilatation, il se referme aussitôt et éprouve une con- traction antipéristallique qui les porte de bas en haut vers la cavité buccale. Les aliments placés en avant du rumen, au voisinage du cardia, et détrempés dans le liquide qui se trouve sur le plancher intermédiaire aux deux étages, sont les [)remiers à s'engager dans l'œsophage. Ceux des parties postérieures du vis- cère viennent à leur tour, comme l'indique la direction des 'petites tlèches Fu;. 10-^. — Lluupo verticale loiii;iUulinule ilu iiiincn et du réseau (*). (tig. 108), se présenter à l'orilice qui doit les recevoir; ils se délayent comme les premiers et se mêlent, à leur départ, aux lluides lancés par les contractions du réseau coïncidant avec celles de la [)anse. Les matières alimentaires ainsi envoyées à la bouche sont molles et délayées (*) Grande flt'che AB, région suptiiieure ; grancie lléclu' CD, région moyenne; grande llèclie EF, région inférieure ou des liquides; G 11, petites flèches donnant la direction suivie par les aliments qui viennent des parties postérieures de la pause vers le cardia pour être ruminés. o. COLIN. — Physiol. comp., 3"^ édit. 1 — 45 706 DE LA DIGESTION. dans une forte proportion de liquide qui permet à leur marche ascensionnelle de se faire avec une extrême rapidité. Dès qu'elles sont arrivées dans la cavité buc- cale , l'eau qui leur servait de véhicule, devenant inutile, est bientôt déglutie en une, deux ou trois ondées successives que l'on voit passer très distincte- ment sur le trajet de l'œsophage, et que l'on entend descendre, si l'on vient à appliquer l'oreille sur l'encolure, dans la partie correspondant au canal. Ainsi, en somme, la réjection, l'acte mystérieux de la rumination, ne s'effec- tue pas comme Flourens le pensait : il n'y a pas de pelotes formées et la gouttière œsophagienne n'est point chargée de prendre les matières qui doivent être renvoyées à la bouche ; ces matières sont simplement poussées, en bouffées, dans l'infundibulum de l'œsophage, par les contractions combinées du rumen et du réseau. Ce que je viens de dire là est confirmé par les nouvelles expériences faites depuis la deuxième édition de ce livre. Elles ont eu pour but principal de mettre en évidence le jeu de l'infundibulum de l'œsophage et du vestibule mérycique. J'ai cherché d'abord, sur des animaux pourvus d'une large fenêtre à la panse, à réduire, par un régime exigu et l'usage d'aliments peu volumineux, la masse alimentaire, et à amener son niveau à la hauteur de l'orifice cardiaque. Ce résul- tat a été obtenu, à peu près, sur un jeune taureau qui, couché à droite, laissait voir très distinctement, à un éclairage vif, la paroi antérieure de la panse jus- qu'à la hauteur du cardia. La masse alimentaire éprouvait des mouvements très étendus; les liquides se déplaçaient avec des bruits d'une grande intensité, à certains moments ; mais on ne voyait s'effectuer qu'une secousse modérée lors du départ du bol. Si les ondées qui partaient pour la bouche étaient peu visibles, les ondées revenant à la panse étaient très apparentes et mettaient en mouve- ment, ou plutôt soulevaient les couches superficielles de la masse alimentaire. D'autre part, j'ai voulu habituer ces animaux, dont la panse était largement fenêtrée, à supporter la présence du bras et de la main dans la profondeur du viscère, pendant la rumination. L'un d'eux, alors que la main était tenue près de l'orifice cardiaque, un instant après un pincement de la muqueuse, s'est mis à ruminer quatre ou cinq bols de suite, et cela pendant une leçon. On sen- tait les aliments entrer dans l'œsophage, puis revenir le liquide qui les avait accompagnés, et enfin le bol ruminé qui retombait dans le vestibule mérycique ; c'est, jusqu'ici, le seul animal qui se soit prêté à ces constatations. Enfin, pour éviter de longs tâtonnements, j'ai essayé de provoquer la rumi- nation, non comme je l'avais fait autrefois, mais en galvanisant, tantôt les va- gues, tantôt l'infundibulum œsophagien ou le vestibule mérycique. Pour cela, j'ai ouvert l'abdomen, à gauche, sur l'animal couché, de façon à mettre à décou- vert la moitié de la face antérieure du rumen avec l'insertion de l'œsophage et le pilier droit du diaphragme, puis un large tube a été adapté à l'œsophage dans la région du cou, pour recevoir les matières évacuées du côté de la bouche, et un autre à la panse, ce dernier faisant l'office de manomètre pour la constata- tion des pressions. Dans cet état de choses, voici ce que j'ai vu : L'électrisation directe de la panse donne lieu, dans une partie de cet organe, à des mouvements énergiques qui augmentent de beaucoup la pression exercée RUMINATION. 707 sur son contenu; aussi l'ascension des liquides, dans le manomètre, est-elle très considérable, ascension rapide ou lente, continue ou saccadée, suivant les caractères de la contraction. Mais c'est seulement l'électrisation des nerfs vagues, soit au cou, soit dans l'abdomen, qui détermine très rapidement des contrac- tions dans la totalité dos estomacs, et porte à leur maximum les pressions que le manomètre permet d'apprécier. Ces moments de forte pression sont suivis souvent d'une réjection plus ou moins abondante de bouillie alimentaire. Lorsqu'on réussit, en détruisant les adhérences lombaires du rumen et celles de la rate ou du diaphragme, à bien mettre à nu le vestibule mérycique, l'infundi- bulum cardia(|ue et la (lartie inférieure de l'œsophage, on est frappé, sans recou- rir à aucune excitation, du jeu rythmique de ces parties. L'infundibuluui de l'o'sophage se dilate et se contracte alternativement; il se remplit de bouillie alimentaire dans le premier temps, et dans le second il envoie cette bouillie à l'œsophage ou il la renvoie dans le rumen. En appliquant l'un des rhéophores sur l'infundibulum et l'autre sur le réseau, on provoque une double contrac- tion très énergique qui est, de temps en temps, suivie d'une réjection parle tube adapté à l'œsophage. C'est là, à ce ((u'il semble, l'image de la réjection méry- cique. Cette réjection s'obtient facilement quand le vestibule mérycique est excité à une notable distance du cardia, car l'excitation même du cardia ou de l'infun- dibulum donne lieu à un resserrement, à une constriction qui barre le chemin aux matières chassées vers l'œsophage. Elle se produit quelquefois spontanément, ou sans le secours d'excitations, quand la panse vient à se contracter éncrgiqucment dans son ensemble ou dans ses parties antérieures. Si on vient à ouvrir largement la panse, après avoir enlevé des aliments, de manière à dégager à demi l'infundibulum , on voit l'évasement de celui-ci s'agrandir et se resserrer alternativement, admettre et chasser les aliments, comme il le fait, sans doute, lors de la rumination. Le caractère rythmique de son action se dessine, dans ce cas, mieux encore qu'à l'extérieur. D'après l'ensemble des constatations que je résume, on voit clairement (juc la réjection est un acte simple qui paraît s'effectuer par l'intervention des par- ties antérieures de la panse ou de ce que j'appelle le vestibule mérycique et de l'infundibulum œsophagien, acte rythmique où tout est réglé admirablement : départ du bol ou de l'ondée, retour à l'estomac du liquide amené à la bouche, retour du bol ruminé, enlin, poussée de ce bol vers les derniers réservoirs. Le rumen, dans l'acte de la réjection, a pour auxiliaires le diaphragme et les muscles abdominaux, c'est-à-dire les puissances inspiratrices et exjtiratrices associées comme elles le sont dans d'autres actes expulsifs; seulement, l'in- tervention de ces puissances est très limitée. La participation du diaphragme est beaucoup moins importante (|u'on ne pourrait le prévoir. J'ai fait récemment, sur plusieurs animaux, la section des nerfs phréniques des deux côtés, sans produire d'autres effets qu'une gêne dans la fonction : 1° Sur un bélier qui s'est remis à ruminer dès le lende- main de la section , sans gène apparente, avec un nombre de coups de 708 DE LA DIGESTION. dents indiquant un bol de dimensions ordinaires et une même durée de mas- tication pendant une douzaine de jours ; 2° Sur un mouton qui, dès le lende- main, ruminait avec un peu de difficulté en donnant un nombre considérable de coups de dents pour la mastication de ses bols espacés à de grands intervalles durant les premiers jours; 3^ Sur une vache dont la trachée était largement ouverte. L'inspiration paraissait plus ample qu'avant la section; mais le départ du bol ne semblait pas moins facile ni moins rapide que dans les conditions ordinaires; son ascension coïncidait avec un sifflement de l'air chassé, lors de l'expiration, par l'ouverture de la trachée; seulement, dans les premiers jours, le nombre des coups de dents, inférieur au nombre habituel, indiquait des bols plus petits, peut-être à cause de la compression que l'engorgement, résultant de la section des nerfs, exerçait sur l'œsophage, dans la région du cou. Quant à la participation des muscles abdominaux au travail de la réjection, elle se met difficilement en évidence, à cause de la souffrance et de la fièvre qui suivent la section de la moelle destinée à paralyser ces muscles, souffrance et fièvre dont l'effet, presque constant, est de suspendre la rumination. Je n'ai pas fait cette section, mais Flourens a vu qu'à sa suite la rumination cesse. En somme, les observations et les expériences citées plus haut démontrent que le phénomène si curieux de la rumination est le résultat d'une action pro- pre et rythmique de l'estomac, d'une sorte de systole gastrique, projetant une ondée de matières alimentaires par l'œsophage, systole comparable, sauf sous le rapport de l'ampleur, à celle du cœur, lançant l'ondée sanguine dans le sys- tème artériel. Cette action de l'estomac ne consiste pas en un effort considérable, car le manomètre n'accuse pas au centre du rumen une augmentation notable de pression. Elle est visiblement aidée par le diaphragme et les muscles abdomi- naux; mais elle dépend si essentiellement des contractions de l'estomac qu'une fois le viscère paralysé par la section des deux vagues, ou mieux, par le fait de la distension extrême, du narcotisrae ou de toute autre cause, elle devient impossible. Ainsi se trouve déterminé le rôle des diverses parties qui concourent à la réjection. Tout récemment, on a voulu, en interprétant des tracés à signification très peu claire, faire de la réjection un acte étranger à l'estomac. On l'a dit, le résul- tat de l'aspiration exercée par le thorax sur le contenu delà panse. La poitrine, en se dilatant, appellerait les aliments vers la bouche, les ferait monter dans l'œsophage comme dans un tuyau de pompe aspirante. 11 est facile, sans même tenir compte de ce qui a été exposé plus haut, de montrei' que l'as^)! ration thoracique n'est pas la cause de l'ascension des aliments dans l'œsophage, car si on ouvre largement la trachée d'une bête bovine, le tho- rax, en se dilatant, cesse de tendre à soulever les parois de l'œsophage et à y appeler les matières alimentaires, puisque l'air se précipite dans les voies aériennes par l'ouverture béante de la trachée à mesure que la tendance au vide s'accentue. Pourtant, alors, l'animal rumine avec la facilité habituelle. D'ail- leurs, le moment de l'entrée du bol et de son ascension dans l'œsophage n'est pas précisément celui de l'inspiration, c'est celui de l'expiration, car c'est RUMINATfON. 709 à ce dernier que, sur les animaux, dont, le canal tlioraoique est ouvert, le chyle, pressé plus fortement, s'échappe en jet. C'est aussi, lors de l'expiration, que les' vomituritions se produisent sur les animaux couchés, et c'est en exerçant de fortes pressions sur les parois thoraciques et abdominales qu'on provoque sou- vent des réjections plus ou moins abondantes. On dit encore, pour appuyer cette hypothèse sans preuve do la rumination par pompement, que le diaphragme, par son pilier droit ou |)ar ses deux piliers, couperait la bouffée alimentaire en deux portions et séparerait celle qui doit remonter à la bouche de la partie en excès devant redescendre dans l'estomac. Or, lorsque le diaphragme vient à être paralysé par la section des nerfs phréni- ques des deux côtés, et que, par conséquent, il ne peut plus rien couper, la rumi- nation continue à s'opérer dés que l'animal est remis de la douleur et de la (lèvre causées par l'opération. La rumination, si elle tenait à un coup de piston de la pompe thoracique, se ferait parfaitement dans les conditions où l'estomac est inerte; elle serait tan- tôt un acte forcé, tantôt un acte volontaire : forcé au début ou de tous les efforts qui exigent des inspirations profondes et volontaire dans les autres circons- tances, puisque l'animal peut à son gré effectuer de profondes inspirations à tous les degrés d'intensité et de durée. La réjection, pour s'opérer, réclame donc à la fois le concours du rumen, celui du diaphragme et des muscles abdominaux. C'est ce qu'avaient pressenti d indiqué les anciens auteurs, Peyer, Duverney, etc., et c'est ce que les expériences de Flourens et les miennes ont parfaitement démontré. 5° Estomacs où vont les aliments lors de la deuxième déglutition. Les matières alimentaires qui reviennent à l'estomac, après avoir été soumises à une nouvelle mastication, tombent-elles, comme la première fois, dans le rumen et le réseau, ou bien suivent-elles une autre route pour se rendre dans feuillet et la caillette? La queslion est difficile à résoudre, et elle ne peut être résolue sans le secours de l'expérimentation. Peyer ' croit que les aliments ruminés reviennent, pour la plus grande partie, dans le réseau, el qu'il n'en arrive que très peu dans la panse. Duverney est du même sentiment; il dit que les aliments, après la seconde mastication, tombent, partie dans le réseau, partie dans le premier estomac; il ajoute que le réseau pousse dans le troisième estomac les matières très divisées, et qu'il renvoie à la panse celles qui sont encore grossières, pour être soumises à une nouvelle rumi- nation. Haller prétend qu'ils reviennent au rumen. Perraidt, Camper, Dauben- ton, croient qu'ils suivent la gouttière œsophagienne et se rendent directement au feuillet et à la caillette. Enfin, Bourgelat avance que, de ces aliments rumi- nés, les parties les plus grossières tombent dans le premier estomac et que les plus fluides, suivant la gouttière œsophagienne, arrivent de suite dans le feuil- let ol la caillette. Ces auteurs se basent, pour dire que les aliments ruminés vont 1. Peyer, ourr. riti-, lib. III, cap. m. 710 DE LA DIGESTION. dans tel ôu tel réservoir, sur l'apparence et l'état de ces aliments ; ils pensent que ceux qui sont mous et très divisés ont été ruminés, que ceux, au contraire, qui se trouvent grossiers et durs, n'ont pas subi celle opération. Cette appa- rence bien trompeuse ne peut suffire à distinguer sûrement les substances rumi- nées de celles qui ne le sont pas. Flourens établit des anus artificiels aux premiers estomacs, de manière à pouvoir engager le doigt dans ceux-ci, même à voir ce qui se passe dans leur intérieur. Lorsque les animaux ruminaient, le doigt introduit dans l'ouverture de la panse faisait sentir, « mais seulement par moments ou par intervalles, une partie de l'aliment ruminé, au moment où il était dégluti, et il en était de même quant au bonnet ; de plus, en écartant les lèvres de l'ouverture faite au second estomac, on voyait une partie de l'aliment ruminé suivre le demi-canal de l'œso- phage et passer immédiatement jusque dans le feuillet. » Ainsi, d'après M. Flou- rens, «une partie de l'aliment ruminé revient donc dans les deux premiers esto- macs, et l'autre partie passe immédiatement, par le demi-canal, de l'œsophage dans le feuillet. » C'est aussi l'opinion de Haubner ^ qui, depuis fort longtemps, a répété les expériences de Flourens. J'ai tenté, sur mes animaux à grandes fistules au rumen, d'engager la main dans la panse et le réseau, près du cardia et de la gouttière œsophagienne, pen- dant la rumination, pour reconnaître la marche du bol, lors de la deuxième déglu- tition ; mais, comme il était facile de le prévoir, la rumination se suspendait immédiatement, et ne se rétablissait pas tant que mon bras demeurait dans l'es- tomac; enfin, à d'autres moments, lorsque la rumination d'un bol était près de finir, j'engageais brusquement le bras dans l'ouverture du rumen, mais aussitôt la déglutition s'opérait, et le bol était revenu à l'estomac avant que ma main, traversant la masse alimentaire, ne fût parvenue au cardia et au demi-canal œsophagien. Une fois seulement, sur un taureau, la rumination de 4 ou 5 bols, pendant que le bras était dans la panse, a permis de constater le retour du bol ruminé dans le vestibule commun aux deux compartiments. D'autre part, comme je l'ai dit plus haut, sur un autre taureau, le rumen largement fenêtre, dans lequel le niveau des aliments descendait presque à la hauteur du cardia, on voyait les bols ruminés revenir à leur point de départ, en se noyant dans la masse dont ils soulevaient la couche supérieure. La déglutition ordinaire indique ce qui doit s'opérer dans la déglutition mérycique. Or, si la main est introduite dans l'estomac, près de l'orifice cardiaque, lors- que l'animal mange, on sent que les bols, quelles que soient les substances qui les composent (herbe, foin, racines, avoine, farine], arrivent au réseau ou à la panse; ils sont arrondis, allongés, ovoïdes, enveloppés d'une couche épaisse de mucus; poussés avec force et ne se déforment pas en tombant. Rien alors ou presque rien ne suit le demi-canal œsophagien. Pendant que l'animal boit, soit à grandes, soit à petites gorgées, les ondées de liquide sont lancées avec force à la fois dans le premier et le second estomac. Les lèvres delà gouttière légèrement froncées et à demi-rapprochées, laissent passer entre elles un filet d'eau qui dcs- 1. Haubner, Li:lirli. drs vcrijl. l'/iysiol. d. Haunsauf/cthicTC, 1817, RUMINATION. 711 cend directement dans le feuillet et la caillette ; mais la quantité de liquide qui passe entre elles est fort peu considérable ; elle est souvent si minime, qu'il est difficile de bien s'assurer de la réalité de son passage. Les aliments ruminés étant très délayés et divisés, doivent, en certaine pro- portion, se mêler à ceux qui attendent, près du cardia, leur tour de rumina- tion et revenir avec eux à la boucbe une seconde fois. C'est ce que pensaient Peyer, Duverney, Haller et ce que toutes les observations semblent indiquer. Mais, comme en définitive ces aliments atténués doivent passer à mesure, pour la plus grande partie, dans le feuillet et la caillette, leur départ vers les derniers estomacs s'effectue à la manière de celui des liquides et des pulpes qui, en de- hors des périodes méryciques, sont poussés dans le quatrième estomac. Leur départ est successif et réglé par le jeu évidemment rythmique du vestibule car- diaque, jeu révélé dans plusieurs des conditions où se place l'observateur. En effet, déjà sur le mouton maigre et dépourvue de toison, on voit, après le retour d'un bol ruminé, se dessiner, sous les parois abdominales, une ondulation de la panse marchant d'avant en arrière et accompagnée d'un bruit de liquide. Sur la bête bovine à rumen fenêtre on voit la contraction dans le sens indiqué et le mouvement des matières qui en résulte. Enfin, sur l'animal dans le rumen duquel on a enfoncé, soit un manomètre plein d'un liquide coloré, ou un tube qui fait saillie ù l'extérieur, on constate, quatre ou cinq secondes après la déglu- tition du bol ruminé, une poussée antéro-postérieure qui, en soulevant et en por- tant en arrière la partie inférieure des instruments, fait abaisser et incliner en avant leur extrémité libre. En outre l'augmentation de pression qui résulte de celle poussée fait monter le niveau du liquide coloré dans le manomètre, ou celui du liquide que la panse envoie dans le tube ouvert à ses deux extrémités. Tous les mouvements qui concourent à ce départ sont réglés de façon à ce qu'il n'y ait pas addition d'aliments grossiers avec les alténués : aussi ils sont lents et à direction constante. En somme pendant qu'un bol est ruminé, l'antre méry- cique se déblaye et une ondée nouvelle se prépare au départ. On a pensé que le départ des matières ruminées vers les derniers estomacs devait être le fait de la gouttière œsophagienne. M. Lemoigne^ a cru pouvoir déduire l'intervention de celle-ci du rapprochement de ses lèvres et de leur torsion sous l'influence des excitations électriques. Mais cette déduction ne me paraît pas suffisamment justifiée. Il est très certain que les lèvres de la gouttière se rappro- chent, en même temps que les orifices de ses extrémités, lorsqu'on les soumet directement, ou par l'intermédiaire des vagues, à une excitation électrique; mais rien ne prouve que ce rapprochement s'opère pendant la rumination, ni surtout, (ju'il ait le résultat supposé. D'ailleurs, l'hypothèse est peu en rapport, d'une part avec l'expérience dans laquelle l'immobilisation des deux lèvres n'entrave point le travail mérycique, d'autre part avec le fait anatomique de la gouttière réduite à une seule lèvre, chez les lamas et les chameaux. 1. Contributo alla teoria del mecanismo délia noninazione, lostitato lombardo, 1873 et Recueil de médecine vétérinaire, 1876, p. 481. 712 DE LA DIGESTION. III. — Phénomènes sensibles de la rumination. Les actions que nous venons d'examiner dans leurs détails les plus essentiels n'étaient point directement accessibles à nos sens : elles ne pouvaient être mises en évidence que par les artifices de l'expérimentation combinés avec art. Les phé- nomènes qu'il nous reste à étudier sont apparents et relatifs : 1° à la réjection des matières alimentaires; 2» à leur seconde mastication; 3° cà leur nouvelle insalivation ; 4» enfin, à la déglutition des aliments ruminés. A leur examen se rattache celui des bruits qui se produisent dans Festomac et l'œsophage lors des pérégrinations des divers aliments; des conditions dans lesquelles la rumination s'établit et se continue, des causes qui la suspendent ou l'empêchent de s'établir, des variétés qu'elle offre suivant les âges et les espèces. 1° Caractères de la réjection. Le renvoi à la bouche des matières contenues dans l'estomac comprend deux actes distincts, l'un par lequel la bouffée d'aliments est formée et engagée dans l'orifice cardiaque de l'œsophage, l'autre qui transporte cette bouffée jusqu'à la cavité buccale. Nous connaissons déjà le premier; le second extrêmement simple, peut être analysé sans aucune difficulté. Lorsque la pelote alimentaire s'engage dans l'œsophage, on observe, dans le flanc, un mouvement brusque, plus sensible que les autres mouvements respi- ratoires. C'est pour les uns une inspiration profonde; pour les autres une expi- ration. Girard, qui partage la première opinion, prétend que la rumination débute par une forte inspiration, dans laquelle il y aurait en même temps con- traction des muscles abdominaux; double action auxiliaire qui coïnciderait nécessairement avec celle de l'estomac, la plus essentielle de toutes. D'après cette théorie, les muscles abdominaux, qui sont les antagonistes du diaphragme, deviendraient ses congénères, de telle sorte que, lors de cette inspi- ration initiale, le diaphragme, qui a déjà pour antagonistes passifs l'estomac et les viscères abdominaux, aurait encore à vaincre une énergique contraction des muscles abdominaux. Cette proposition, difficile à admettre, n'est nullement démontrée par l'observation. Lorsqu'on examine attentivement l'animal qui rumine, on voit qu'immédiatement avant l'arrivée de la pelote à la partie cervi- cale de l'œsophage, il s'opère un mouvement brusque dans le flanc, mouvement surtout marqué quand l'animal est couché. C'est, autant qu'on peut en juger, une inspiration un peu forte, suivie aussitôt d'une rapide expiration. Ce mouve- ment brusque coïncide avec la pénétration de la masse alimentaire dans l'infun- dibulum œsophagien. Cette sorte d'effort n'est jamais bien énergique dans les circonstances ordi- naires ; elle le devient chez les animaux faibles, à la suite des maladies pendant lesquelles les aliments se sont durcis dans la panse. Bufl'on prétend que le cerf éprouve une certaine difficulté à renvoyer ses aliments dans la bouche, et qu'il ne peut le faire sans secousses ; mais l'observation, du moins en ce qui concerne RUMINATION. 71 M les cerfs des ménageries, ne me paraît point justilier l'assertion du grand natu- raliste. Dès que le bol est engagé dans l'œsophage, il est porté à la bouche avec une étonnante rapidité par l'action des fibres spirales croisées, si bien décrites par Sténon et Peyer. Cette contraction, qu'on aurait pu croire lente comme celle de l'intestin, s'eflectue avec une vitesse presque égale à celle du cœur et des muscles volontaires ; elle fait arriver la bouffée par une sorte d'ondulation comparable à celle qu'éprouve le liquide d'un tube qu'on incline subitement dans différentes directions. L'ascension en est visible, dans toute l'étendue de la région cervicale, chez la plupart des ruminants, surtout chez ceux qui sont maigres ou qui ont une encolure longue, comme le lama et le chameau ; elle est sensible même à droite, bien que, de ce côté, le conduit œsophagien soit très éloigné de la peau; elle est même apparente au bord inférieur de l'encolure et sur la ligne médiane chez le dromadaire. La marche du bol alimentaire dans l'œsophage n'est pas seulement sensible à la vue, elle est encore parfaitement appréciable au toucher. En outre, l'ausculta- tion permet, en quelque sorte, à l'observateur de suivre la pelote depuis le moment de son départ de l'estomac jusqu'à celui de son arrivée à la bouche. Lorsqu'on applique l'oreille sur le flanc gauche, pendant la rumination, on entend, à des intervalles plus ou moins rapprochés, des bruits très divers par leur timbre et leur intensité, qui n'ont rien d'a.'^sez particulier pour être distingués facilement de ceux qui se font entendre hors des périodes de la rumination. Mais, indépendamment des conditions dans lesquelles ils se produisent, on peut en reconnaître plusieurs variétés. Le premier est une sorte de frémissement, de froissement prolongé qui, d'abord faible, devient rapidement plus intense, pour diminuer et cesser insensiblement : c'est un véritable râle crépitant humide qu'on croirait appartenir au poumon, si l'oreille était appliquée sur les parois du thorax. Delafond^ l'appelle la crépitation gazeuse de la panse, et il l'attribue avec raison au dégagement et au déplacement des gaz nés de la fermentation des aliments ; il le dit plus marqué chez les animaux nourris déplantes vertes. Ce bruissement, analogue aussi à celui qui se produit dans la cuve lors de la fermentation du raisin, n'a aucun rapport avec les mouvements respiratoires, seulement il s'exagère dès qu'ils deviennent plus étendus, par suite de l'accroissement de pression exercée sur les réservoirs gastriques. Un second bruit, analogue au frottement pleural résultant du glissement des parois gastriques sur les parois abdominales, se fait entendre dans l'inspiration et dans l'expiration, lorsque le rumen est fortement déplacé d'avant en arrière. Un troisième bruit gastrique analogue au glouglou coïncide avec l'arrivée des ondées de salive dégluties dans les intervalles des repas ou des périodes de rumination; il accompagne aussi l'ingurgitation des liquides, et leur passage du premier dans le second estomac ou réciproquement. En outre, par moments, l'oreille entend un bruit sourd, prolongé, une espèce 1. Delafond, Traite de pntho/ogie générale des animaur domextiques, Paris, 1855, p. 370. 714 DE LA DIGESTION. de roulement comparable à celui de l'orage qui gronde dans le lointain. Il est l'indice de ces mouvements énergiques produits dans les liquides et dans la masse alimentaire par les fortes contractions des piliers de la panse. Quant au bruit de cascade, clair, saccadé, il indique, comme le glouglou, la chute des ondées de salive lancées avec force dans le réseau déjà plein de liquide. Ces différents bruits, dont je viens d'indiquer les mieux caractérisés, alternent entre eux et se succèdent plus ou moins rapidement, suivant les circonstances. Ils se font entendre quand l'animal mange ou qu'il boit, après qu'il vient de manger, lorsqu'il rumine ou pendant les intervalles de la rumination. Si, en dernier lieu, on vient à porter l'oreille sur le trajet cervical de l'œso- phage, c'est-à-dire sur la gouttière de la jugulaire gauche, on entend très distinc- tement passer le bol, et aussi bien qu'on avait pu le voir et le sentir. Aussitôt qu'il arrive, l'oreille perçoit la sensation tactile d'un corps qui passe très vite au-dessous d'elle, et, en même temps, elle donne la sensation d'un bruit particulier assez fort semblant indiquer que le bol est imprégné ou accompagné d'une certaine quantité de liquide. Le caractère spécial de ce bruit œsophagien est important, puisqu'il permet de constater positivement l'état des aliments dirigés vers la bouche De plus, à l'instant de l'arrivée de la bouffée dans la cavité buccale, on entend et on sent redescendre quelque chose qui passe avec une grande vitesse. Le bruit perçu dans cette circonstance est un bruit de liquide fort distinct qui se produit à une, deux et même trois reprises différentes. Ce sont autant d'ondées qui descendent vers l'estomac. Pour peu qu'on cherche à se rendre compte de la nature de ces bruits œsopha- giens, on voit que leur signification est facile à trouver. En effet, lorsque le bol remonte de l'estomac vers la bouche, il donne la sensation d'une fusée de bouillie; c'est qu'il^ est accompagné d'une ondée d'eau qui lui permet de parcourir le trajet de l'œsophage avec une étonnante rapidité, ce qu'il n'aurait pu faire s'il eût été desséché et semblable à une petite boule de fourrage. La preuve qu'il en est ainsi, c'est que, aussitôt après l'arrivée du bol dans la bouche, le liquide qui l'avait accompagné, devenant désormais inutile, est dégluti en une, deux, trois ondées successives parfaitement reconnaissables. Nous pouvons aisément nous expliquer ce fait en nous rappelant, d'une part, que les aliments contenus dans le vestibule antérieur de la panse, près du cardia, sont très délayés et mêlés à une forte proportion d'eau ; d'autre part, que le réseau ordinairement plein de liquide lance, lors de la réjection, une partie de son contenu dans l'œsophage à l'instant même du départ de la petite masse alimentaire. La proportion d'eau con- tenue dans ce réservoir, bien qu'elle soit faible relativement à la quantité d'aliments à ruminer, peut néanmoins servir longtemps, car le liquide qui accompagne chaque bol, lors de son ascension mérycique, étant ramené à la région antérieure du rumen et au réseau, opère le délayement d'une seconde bouffée, puis d'une troi- sième, et ainsi jusqu'à épuisement. Alors la rumination devient impossible, comme Flourens l'a vu sur des moulons privés d'eau pendant plusieurs jours. Les aliments renvoyés à la bouche passent sous le voile du palais brusquement soulevé, s'étalent sur la langue et s'échappent en partie entre les molaires et les joues qu'ils soulèvent parfois d'une manière assez marquée. La bouffée que l'on ItUMINATION. 715 peut retiror avec la main on ouvrant promptement la boufho du bœuf qui rumine pèse, chez cet animal, de 100 à 120 grammes. Elle est l'ormée de parcelles très grossières et peu délayées, immédiatement après son arrivée dans la cavité buccale ; elle est au contraire très divisée cl réduite en liouillie plus on moins fluide, si elle est reprise après une mastication à [len près com[tlète ; euliu elle se trouve rassem- blée sur la langue en un petit gâteau assez régulier, pour |)eu que les manipula- tions ralenties aient laissé au ruminant le temps de préparer la déglutition. Du reste, pour s'assurer de l'état des matières ramenées à la bouche, en recon- naître les réactions, y constater l'existence des infusoires dont je parlerai plus lard, il n'est pas toujours nécessaire de recourir à ce procédé. J'ai vu à l'École un dro- madaire qui laissait échap[icr de la bouche une i»artiedes aliments qu'il ruminait, ([uand on venait à le frapper un peu brusquement à la tête : le cri particulier qu'il poussait alors les faisait tomber avant qu'il eût pris le temps de les avaler. Ce fait n'est pas e\ce[)tionneI. car j'ai lu quelque part que les chameaux que l'on charge, lors de la rumination, crient souvent si fort, que les aliments leur sortent de la bouche. La quantité de matières ramenées à chaque réjection étant déterminée approxi- mativement, il est possible de calculer combien il faut de ces réjections pour que l(>s 12 à 15 kilogrammes de foin dont se compose la ration diurne d'un bœuf soient soumis à une nouvelle mastication. Puisqu'on sait que les fourrages secs absorbent, par l'insalivation et par leur macération dans le rumen, à peu près quatre fois leur poids d'eau, 12500 grammes de foin acquièrent dans l'estomac un poids supposé égal à 62 500 grammes. Or, pour que celte masse soit soumise à une nouvelle mastication, il faut qu'il s'effectue 520 réjections ramenant cha- cune une pelote ou une bouffée de 120 grammes, ce qui exige un temps égal à sept heures treize minutes, la mastication de chacune durant, terme moyen, cinquante secondes. En admettant que le septième de cette quantité n'ait pas besoin, pour être digéré, de subir une nouvelle mastication, on arrive à conclure que le quart de la journée doit être employé à la rumination. On comprend donc qu'un bœuf, pour digérer convenablement, doit passer une bonne partie de son temps à ruminer ce qu'il a pris à ses repas. 11 est évident, par conséquent, qu'il ne saurait être employé, comme le cheval, à des transports ou des travaux qui exigent des efforts continuels, puisqu'il ne pourrait ruminer sa ration de fourrage. Celte donnée physiologique mérite d'être prise en très sérieuse considération, au point de vue de l'hygiène. Quoi qu'il en soit, les aliments ramenés à la bouche ne sont pas acides, du moins aussitôt qu'ils ont éprouvé une mastication de quelques secondes; ils offrent une réaction alcaline, à la vérité très faible, puisque le paitier rouge de tournesol, mis en contact avec eux, n'est ramené que très lentement à la couleur bleue. •2" ftiasticalioii mérycique. Aussitôt que le bol alimentaire est arrivé à la bouche, les mâchoires se mettent en mouvement pour lui faire subir une seconde mastication que j'appelle jnéry- cique, parce qu'elle constitue un des actes de la rumination, et afin de la distinguer de la première, qui est moins régulière, moins complète. 716 DE LA DIGESTION. La direction, le nombre, la rapidité, la régularité des mouvements des mâ- choires, lors de cette seconde trituration, offrent de très nombreuses variations qu'il importe de préciser. Tout le monde sait que, chez les ruminants, les mâchoires se meuvent latéra- lement, l'une sur l'autre, dans des limites assez étendues. Cette variété de mou- vement, impossible chez les carnassiers, très diflicile chez les rongeurs, tient, en ce qui concerne les ruminants, à des dispositions particulières des arcades molaires, des articulations temporo-maxillaires et des muscles masséters, sur lesquelles il est inutile de revenir ici. Le mouvement de latéralité qui s'effectue déjà lors de la première mastication est mieux marqué, s'il n'est plus étendu dans la seconde. Suivant qu'il a lieu de droite à gauche, de gauche à droite, ou alternativement dans l'une et dan^ l'autre direc- tion, on peut distinguer plusieurs sortes de mastications méryciques, ou si l'on veut, pour être plus simple, plusieurs sortes de ruminations, à savoir : 1° la rumi- nation unilatérale, qui offre deux variétés, l'une de droite à gauche, l'autre de gauche à droite; 2" la rumination alterne, qui a aussi deux variétés, l'une alterne régulière, l'autre alterne irrégulière. Dans l'une et l'autre de ces deux espèces, le premier mouvement de la mâchoire, ou le mouvement initial, se fait toujours en sens inverse de ceux qui suivent. Ainsi, quand un bœuf rumine de droite à gauche, le premier coup de dent qu'il donne, pour chaque pelote, est dirigé de gauche à droite. Ce fait ne m'a paru souffrir aucune exception : quelquefois cependant, et cela arrive notamment sur les jeunes animaux, le second coup de dent se fait encore dans le même sens que le premier, après quoi les autres sont en sens inverse. La rumination unilatérale est l'espèce la plus commune. Elle s'observe chez le bœuf, le mouton, la chèvre, le buffle, le bison, le daim, le cerf, la girafe, le che- vreuil, l'antilope bubale. Ces animaux, pendant un temps plus ou moins long, un quart d'heure, une demi-heure, exécutent tous leurs mouvements de droite à gauche, excepté cependant le mouvement initial ou le premier coup de dents de la mastication de chaque bol. Au bout de ce temps, un peu plus, un peu moins, la rumination se suspend pendant une période dont la durée est très variable; puis elle recommence, avec la même direction, ou avec une direction opposée. De cette manière, l'animal, après avoir ruminé un certain laps de temps de droite à gauche, rumine de gauche h. droite, pour revenirà la direction première, et successivement. Cen'est donc pas ordinairement pendant une période employée à la mastication d'un certain nombre de bols que la direction des mouvements masticateurs change, c'est au commencement d'une des périodes suivantes. Cepen- dant, il n'est pas raredevoir un animal ruminer très longtemps dans le môme sens, ou bien de lui voir changer la direction des mouvements méryciques pendant une période non interrompue. J'ai noté cette dernière particularité sur plusieurs bœufs, et sur le bison du Jardin des Plantes qui, une fois après avoir ruminé huit à dix bols de droite à gauche, se mit subitement à ruminer en sens opposé. Cette persistance du mouvement des mâchoires dans une direction uniforme est un fait très remarquable indiquant que les muscles d'un côté doivent se fati- guer plus que ceux du côté opposé, puisque les premiers n'agissent pas absolument do la mênno manière rpie les seconds. D'après cela, on conçoit bien la nécessité des RUMINATION. 717 cliangements alternatifs dans la direction de ces mouvements, et l'on a lieu de sï'tonner qu'ils ne soient pas plus fréquents. La rumination alterne e$t l'espèce la plus rare, bien (ju'elle semble, à priori, devoir être la plus commune. Elle est généralement régulière dans le dromadaire qui, après avoir l'ait mou- voir une première fois sa mâchoire inférieure de droite à gauche, la meut une seconde fois en sens inverse, ou de gauche à droite, et ainsi successivement, de telle sorte que le même mouvement ne se produit pas deux fois de $uite, et que, dans la rumination de chaque pelote, le nombre des mouvements de droite à gau- che est égal au nombre de ceux qui s'opèrent en sens opposé. 11 est cependant à cet égard des exceptions. Certains dromadaires donnent six, huit et dix coups de dents d'un coté, i)uis autant de l'autre, et ainsi de suite. Elle est irrégulière dans une espèce d'antilope chez laquelle les mâchoires se meuvent huit, dix, douze fois dans une direction, puis un certain nombre de fois dans une direction inverse, et de même pour la rumination de chaque pelote. Cette variété, très remarquable de rumination n'est peut-être pas constante chez tous les individus de la même espèce, mais je l'ai observée plusieurs fois sur l'antilope onc- tueuse du Sénégal ijuc possédait, il y a quelques années, le Jardin des Plantes. J'ai aussi noté souvent une rumination alterne très irrégulière sur déjeunes animaux de l'espèce bovine. C'est même une forme assez ordinaire au jeune âge et qui disparaît (piand les animaux approchent de l'âge adulte. Pendant la rumination d'une pelote, le nombre des mouvements de la mâchoire, ou, en d'autres termes, le nombre de coups de dents que donne l'animal est fort variable suivant l'espèce à laquelle il appartient, suivant son âge, son mode d'alimentation et plusieurs circonstances fort difficiles à apprécier. Les variations de nombre relatives au régime se comprennent facilement. Jl est évident que les aliments secs, comme le foin et la paille, exigent une masti- cation plus longue et plus pénible que les substances vertes, toujours plus molles. C'est sans doute à cause de cette dillérence de nourriture, qu'Aristote a prétendu que les animaux ruminent plus en hiver qu'en été. A cet égard, la plupart de? physiologistes sont d'accord. Brugnone a même donné des chiffres pour exprimer ces différences : ainsi, il dit que, {tour les fourrages verts, le nombre des coups de dents est de 3(J à 33, tandis qu'il serait de 45 à 55 pour les fourrages dessé- chés. Tout à l'heure, on verra que si ces chiffres n'expriment pas les limites extrêmes des variations, ils donnent cependant une preuve que ces dernières sont assez sensibles. Les variations ielati\('s aux âges (icnncnt aussi aune cause dont l'action n'est pas difficile à ex|)liquer. En général, les jeunes animaux, tels que les veaux dt' trois à six mois, un an et même plus, donnent un très grand nombre de coups de dents >pour la rumination d'un bol, attendu que leurs molaires sont moins nombreuses et moins bien disposées qu'elles ne le seront plus tard. Les animaux très vieux ont aussi quelquefois besoin de mâcher plus longtemps les substances ruminées, si surtout leurs dents sont irrégulières et fortement usées ; mais ordi- nairement, les sujets de cet âge n'olïrent pas une mastication beaucoup plu? longue que celle des sujets adultes. 718 DE LA DIGESTION. D'autres peuvent dépendre des inégalités dans le poids des bouffées, dans la dureté plus ou moins grande des aliments, et des différences de saveur offertes par les bols. Le tableau suivant montre qu'elles sont assez notables parmi des animaux nourris de fourrases secs. ANIMAUX. NOMBRE DES MOUVEMENTS DES UACBOIBES POUR 10 BOLS. TOTAL. MOYENNE. Bœuf (6 aiio) 44 49 48 53 50 51 50 58 49 57 509 51 Bœuf (5 ans) tjl 58 63 47 62 59 59 56 48 55 568 56 Vache 15 ans) 85 85 48 72 83 37 35 74 69 60 648 64 Bœuf (-20 mois) 67 94 96 74 64 66 80 82 83 12 778 77 Veau (1 anl 92 74 95 96 79 80 80 75 98 87 856 85 . Veau (6 moisi 9.3 90 89 84 73 72 92 83 78 92 846 84 Bélier 45 41 66 42 43 47 6H 43 26 46 36 44 35 41 39 45 72 46 78 43 506 438 50 43 Bison Buffle. 38 43 42 43 36 45 33 41 47 51 419 41 Dromadaire 45 47 48 46 42 47 38 52 3i) 56 460 46 Cerf 58 34 63 35 41 38 41 39 53 39 47 33 44 29 50 33 51 33 47 36 495 349 49 35 Biche Gazelle 37 35 36 35 30 40 39 33 35 40 360 36 Lama 66 69 70 69 274 27 La vitesse ou la lenteur des mouvements de la mastication mérycique parait en rapport avec la lenteur ou la rapidité habituelle des autres mouvements de l'animal. Les espèces à allures lentes, comme le bœuf, le buffle, le bison, ont une mastication très lente, tandis que ceux qui sont vifs, agiles, comme les cerfs, les gazelles, les chèvres, ont cette mastication très rapide. Cette vitesse varie aussi suivant les âges. Tous les jeunes animaux ruminent très vite, et d'autant plus, qu'ils sont plus jeunes. Les animaux adultes ou vieux ceux qui sont mous, affaiblis, ou un peu malades, ruminent plus lentement. Elle n'est pas la même au commencement et à la fin delà rumination d'un bol. Lorsque l'animal commence à ruminer, et pendant les trois quarts de la durée de la mastication, la vitesse est uniforme, mais sur la lin elle s'accélère beaucoup, d'autant plus que la mastication est plus rapprochée de son terme. Ce fait constant ne présente d'exception que si l'animal est obligé d'avaler la pelote avant l'instant oi!i elle aurait été déglutie, si rien n'avait troublé la rumination. Je n'ai pas remarqué que la mastication est plus rapide si l'animal rumine des aliments tendres et sapides, au lieu de ruminer des aliments durs et peu agréa- bles, comme la paille; néanmoins plusieurs auteurs ont dit qu'il existait à cet égard de sensibles différences. Peut-être en est-il ainsi, mais le fait me parait assez difficile à constater; il faudrait, pour cela, expérimenter sur le même animal auquel on ferait manger successivement, à quelques semaines d'intervalle, du foin, de la paille et de l'herbe verte. Le tai)leau suivant indique le temps nécessaire pour la rumination d'un boh et par conséquent la vitesse de la mastication mérycique sur un taureau d'un an^ nourri au foin sec; RUMINATION. 11) XOMBRK i)rKi':i'; NOMBRK DURKK '> .'.y 17 La mastication d'un bol, ordinairement continue, est cependant assez souvent interrompue lorsque quelque chose vient troubler l'animal ou attirer s(m atten- tion. Dans ce cas, il suspend brusquement le mouvement des mâchoires, tout en conservant les aliments dans la bouche, pour continuer aies ruminer un instant après. La suspension est très courte et très souvent répétée, lorsque le ruminant est lourmenté par les mouches; elle est plus prolongée dans nombre d'autres circonstances. Néanmoins, lorsque ces suspensions momentanées s'observent, la mastication, une ou plusieurs fois interrompue, n'est ni plus ni moins complète que celle qui a été continuée régulièrement. Dans les deux cas, la moyenne des coups de dents est sensiblement la même ; mais si, après que la mastication d'un bol a été suspen- due momentanément, l'animal se trouve dans l'impossibilité de la continuer, il fait •luelques mouvements très rapides de déglutition pour envoyer à l'estomac ce <|u'il avait conservé un certain temps dans la bouche : c'est ce qu'on observe fré- quemment sur les bœufs qui conduisent la cbarrue ou qui sont employés aux transports. 3' Insalivation mérycique. Plourens avait remarqué, dans ses expériences, qu'il descend vers l'esto- mac, pendant les intervalles des repas et de la rumination, des ipianlités consi- dérables de salive; de plus, il avait vu quej dès que cette salive n'arrive pas à sa destination, les matières contenues dans l'estomac se dessèchent et ne peuvent l»lus être ruminées. Ces observations sont très exactes^ J'ai établi deux llstules [larotidiennes à de grands ruminants, de manière à laisser seulement la salive des maxillaires, des sublinguales et des autres glandules, suivre son cours ordi^ naire. Ces animaux ont continué, dans les deux ou trois premiers jours, à bien manger; mais, dès les premiers moments, les périodes de rumination étaient courtes et ne se reproduisaient qu'à de rares intervalles; bientôt la fonction s'exécutait avec peine : on voyait l'animal faire de violents efforts du côté de l'ab- 720 DE LA DIGESTION. domen pour aider à la réjection; les matières alimentaires remontaient lentement l'œsophage, et il s'écoulait un temps de plus en plus long entre la descente d'un bol et le retour d'un bol nouveau; enlin, dès le troisième jour, malgré des efforts violents, la rumination devenait impossible, ATautopsie, je trouvai le foin dessé- ché dans la panse et dans le feuillet; il était tellement tassé et durci, qu'il for- mait des masses moulées dans les divers compartiments gastriques. Ainsi, il suftit que la salive des parotides seulement ne coule plus dans la bouche pour que les animaux, bien qu'ils reçoivent de l'eau à discrétion, finissent bientôt par se trouver dans l'impossibilité de ruminer. On conçoit, d'après cela, l'utilité de ce courant continu de salive qui se dirige vers l'estomac, lors de l'abstinence. L'insalivation des matières ramenées à la bouche exige encore un travail con- sidérable de la part des glandes salivaires. Elle a ceci de très remarquable, comme nous l'avons vu déjà, qu'elle s'effectue principalement par les parotides qui versent sur les aliments jusqu'à 908 grammes de salive en un quart d'heure : alors les maxillaires, dont la sécrétion était si abondante pendant le repas, sont inactives ou ne versent que des quantités minimes de liquide. La salive sécrétée lors de la deuxième mastication ou celle qui coule pendant l'abstinence ne sert pas seulement à la rumination, elle a encore une autre des- tination que nous rechercherons plus tard. Notons ici que la salive de l'abs- tinence n'arrive pas entièrement au réseau et au vestibule cardiaque du rumen ; elle suit en partie le demi-canal œsophagien et arrivedirectement dans le feuillet: c'est elle qui rend la face interne des lèvres de la gouttière toujours humide et visqueuse. Il est facile de s'assurer de ces faits sur l'animal vivant, par les moyens précédemment indiqués. i° Déglutition mérycique. Pendant la seconde mastication, les aliments, réduits en une bouillie line, sont imprégnés d'une énorme quantité de liquide qui rend leur déglutition définitive très facile : aussi cette dernière s'opère-t-elle avec une grande rapidité. Cette seconde déglutition a-t-elle lieu en une seule fois ou à plusieurs reprises? Lorsqu'on examine un animal qui rumine, on remarque, immédiatement après l'arrivée d'un bol à la bouche, qu'il se passe, sur le trajet de l'œ^sophage, un mouvement d'ondulation analogue à celui qui accompagne ce bol lors de sa des- cente vers l'estomac; mais ce mouvement est si faible, qu'il est parfois inappré- ciable; cependant il est généralement visible et susceptible d'être senti par la main ; de plus, si l'on porte l'oreille sur le trajet de l'œsophage, on entend très distinctement passer des ondées de liquide. Ce n'est donc pas une partie de la pelote qui est renvoyée à ce premier moment, puisqu'elle n'a pas encore subi sa nouvelle trituration. Au bout de quelques instants, alors que l'animal a donné dix, quinze, vingt coups de dents au plus, un nouveau mouvement d'ondulation se fait remarquer, lequel peut être suivi, après un certain temps, d'un second et même d'un troi- sième mouvement semblables au premier. Cette fois, l'ondulation est-elle l'indice RUMINATION. 721 d'une déglutition partielle d'aliments très divisés ou bien d'une nouvelle déglu- tition de liquide? L'auscultation semble indiquer que ce n'est ni l'une ni l'autre. En effet, l'oreille, ajipliquée sur le trajet de l'œsopbage pendant le temps qui sépare l'arrivée d'un bol dans la cavité buccale de son retour à l'estomac, pen-oit un bruit plus ou moins fort, accompagné d'une dilatation de l'œsophage. Ce bruit, comparable à une éructation, est d'abord ascendant, puis il redescend assez brusquement. 11 est probablement dû à des gaz et peut-être à des liquides qui s'engagent dans l'œsophage et sont repoussés du côté de l'estomac dès qu'ils arrivent vers le pharynx. (Juoi qu'il en soit, ces mouvements se produisent tou- jours, chez le bœuf, dans le temps qui sépare l'ascension d'une pelote de sa déglutition; ils se remarquent aussi chez les autres ruminants, notamment chez les cerfs; dans tous les cas, ils ne coïncident nullement avec des interruptions de la mastication mérycique : celle-ci continue toujours avec la rapidité ordi- naire pendant qu'ils s'ellectuent. Quant à la déglutition, proprement dite, du bol ruminé, elle s'opère comme la première et avec une grande rapidité, aussitôt que la mastication est achevée. Chez quelques animaux, elle est accompagnée d'un bruit de glouglou assez prononcé, semblable à celui qui se fait entendre plus souvent encore lors de la réjection. Presque aussitôt après qu'on a vu descendre le bol dans l'œsophage, on aper- çoit un bol nouveau qui remonte vers la bouche avec une extrême rapidité, de sorte que le temps écoulé entre la déglutition du premier et la réjection du sui- vant est égal à quelques secondes. J'ai cherché un assez grand nombre de fois à le déterminer exactement, et j'ai pu voir qu'en moyenne il est de quatre à cinq secondes. Et cependant il faut que, dans ce court espace, le bol ruminé descende de la bouchcà l'estomac, puis qu'un bol nouveau se l'orme, soit saisi et parcoure encore tout le trajet de l'œsophage. Il suftit donc à peu près d'une seconde et demie pour chacune de ces trois opérations successives : descente du bol ruminé, forma- tion d'une pelote nouvelle, ascension de cette dernière jusqu'à la cavité buccale. Cette vitesse presque électrique que possèdent les matières alimentaires dans leurs pérégrinations 7nérijciques s'explique, en partie, par la grande dilatabilité de l'œsophage des ruminants, et par l'état de dilution dans lequel se trouvent les aliments; car, sans cette dernière circonstance, il serait bien diflicile de com- prendre que la pelote pût se mouvoir avec tant de rapidité. Or, je crois avoir démontré, par l'auscultation œsophagienne, que les aliments ramenés à la bouche sont accompagnés d'une certaine quantité d'eau. Il en est de même de ceux qui descendent et qui produisent aussi un bruit de liquide particulier un peu différent du premier. L'eau qui circule ainsi avec les aliments doit faciliter beaucoup leur progression qui, sans cela, eût été pénible et lente. 5° Conditions de la rumination et physionomie de l'animal (lui rumine. La rumination ne peut s'établir ni se continuer que si l'estomac contient une grande quantité d'aliments. Dès l'instant que les réservoirs gastriques ne sont 0. COLIN. — Physiol. comp., 3* édit, 1 — 46 722 DE LA DIGESTION. plus suffisamment distendus et lestés, la fonction devient impossible ; les parois stomacales sont flasques et sans ressort, les muscles abdominaux ne peuvent plus s'affaisser assez pour servir d'auxiliaires efficaces à la réjection du bol ; en uu mot, l'animal est exposé à mourir de faim, si une nouvelle dose d'aliments ne vient s'ajouter à la première qui reste en dépôt. Cet état de plénitude des réservoirs gastriques est donc la première des conditions qui rendent la rumina- tion possible. Mais si la panse doit être modérément remplie pour que l'animal puisse rumi- ner, il ne faut pas qu'elle soit trop distendue, ni surchargée. Dans ce dernier cas, ses parois, affaiblies et plus ou moins paralysées, par le fait de leur disten- sion, ne peuvent plus suffisamment réagir sur les aliments, et l'animal éprouve, pour ruminer, peut-être plus de difficulté que dans les circonstances opposées. Il faut ensuite que les aliments soient suffisamment détrempés dans la région du vestibule cardiaque. Ils peuvent former supérieurement une masse dure, peu dépressible, qui résiste fortement à la pression delà main appliquée sur le flanc; leur réjection demeure possible tant qu'il y a une notable quantité d'eau dans le réseau et dans la zone marécageuse de la panse, car c'est par cette eau que la masse est peu à peu attaquée dans ses parties inférieures. Aussitôt que le ruminant a mangé le fourrage qu'on lui a donné, si sa faim n'est pas apaisée ou s'il attend encore quelque chose, il s'agite, regarde autour de lui, tourne la tête dans toutes les directions, et ne se décide à ruminer qu'a- près avoir obtenu tout ce qu'il pouvait espérer. De même, il ne rumine pas avant de s'être abreuvé, à moins que son repas n'ait été composé de fourrages verts ou de racines aqueuses. Ramené à l'éfable, il reste ordinairement un certain temps debout, ramasse les brins de fourrage qui restent dans le râtelier ou qui sont tombés sur sa litière, flaire ses voisins et finit par se coucher. La position qu'il prend en se couchant est à peu près toujours la même: c'est le décubitus commun à tous les ruminants, ou celui dans lequel le corps, légè- rement penché d'un côté, repose autant sur la poitrine que sur le ventre, les membres antérieurs étant fléchis et repliés sous le poitrail, les postérieurs portés en avant et dégagés en partie de dessous l'abdomen. Certains d'entre eux se couchent plus souvent sur un côté que sur l'autre; mais l'imitation ne paraît pas avoir dinfluence sur cette habitude, car on voit des animaux, voisins dans une étable, se coucher tantôt en se regardant, tantôt, au coniraire, en se tournant le dos. D'après ce fait, on est porté à penser que la rumination n'est pas plus facile quand l'animal est couché sur le côté droit que quand il repose sur le côté gauche, en comprimant plus fortement le rumen. A peine le ruminant est-il couché qu'il pousse des soupirs et éprouve des éructations plus ou moins bruyantes; parfois même il paraît très gêné et presque malade, mais bientôt le malaise apparent se dissipe, et la rumination s'établit. Si l'animal est à l'écurie ou dans un lieu écarié, il reste en repos et rumine sans interruption, une demi-heure, uneheureet plus, puis il fait une pause plus ou moins prolongée, et bientôt il recommence à ruminer pendant un temps variable, au bout duquel se renouvelle une suspension momentanée, et ainsi de suite. Enfin il arrive un niomcntoù la fatigue s'empare du ruminant: il promène RUMINATION. l'I'^ la langue sur les lèvres, la l'ait pénétrer dans les naseaux, 'étend la tête en l'ap- puyant sur le sol; ou bien la replie de côté pour la porter vers la poitrine et s'en- dormir. Si, au contraire, il n'est pas fatiîfué, ou s'il n'a pas sullisaminent ruminé, il se relève, porte les regards en dillérents sens, reste un certain temps comme dans une vague inquiétude, et se remet à ruminer, soit debout, soit après s'être recouché. S'il est au pâturage, il se dirige de préférence vers les arbres, i)rès des haies, pour y trouver de l'ombre et de la fraîcheur, ou bien il reste indifféremment dans le premier endroit venu, quand la chaleur n'est pas forte. Là, aussi bien qu'à retable, il se couche très souvent, et porte la tête alternalivemenf à droite et à gauche pour s'assurer qu'il n'a rien à craindre et qu'aucun ennemi ne vient troubler sa tranquillité. 11 donne dos coups de tête dans tous les sens pour se débarrasser des mouches, sans pour cela cesser de ruminer. Toutefois, dans ce cas, la mastication de chaque pelote est comme saccadée et entrecoupée d'un très grand nombre de temps d'arrêt. S'il est attelé à la charrue ou à une voiture peu chargée, s'il marche len- tement et n'est pas obligé à des efforts bien considérables, il se met aussi quel- quefois à ruminer, ainsi que Girard en a fait la remarque. J'ai vuaussiun grand nombre de fois des bœufs qui ruminaient en labourant, mais c'étaient des ani- maux très forts et habitués aux travaux pénibles. Ceux qui sont jeunes, ou trop faibles, ou fatigués, ne ruminent jamais dans ces circonstances. Du reste, aussitôt que les bœufs employés au labour sont arrêtés au bout du sillon, ils se mettent à ruminer, pour peu que leur repos dure quelques instants, et ils cessent en reprenant leur marche. Enfin, quel que soit leur état, les animaux qui ruminent paraissent éprouver un sentiment du bien-être et de tranquillité tout particulier; mais la moindre cause vient momentanément troubler celte situation. 6° Causes qui suspendent la rumination ou qui l'empL-chent de s'établir. Les animaux ruminants sont en général, comme on le sait, très timides et très faciles à effrayer : aussi les causes les plus légères sont-elles susceptibles de trou- bler leur rumination. Dès l'instant que quelque chose attire l'attention de l'animal, il cesse brusque- ment de ruminer : s'il est couché, il se relève; s'il est debout, il (ixe l'objet qui l'effraye et bientôt se met en fuite; le moindre bruit, la chute d'un corps, la vue d'un objet auquel il n'est pas accoutumé sufliscnt pour cela. Mais tous les animaux de cet ordre ne sont pas également impressionnables, tous ne sont pas timides au itiême degré. Les ruminants sauvages, tels que les cerfs, les antilopes, les gazelles, qui se sont familiarisés avec le bruit et la présence de riiommo, soni encore infmiment plus impressionnables que nos ruminants domestiques. Cepen- dant, il en est quelques-uns qui restent presque impassibles au milieu des circon- stances qui mettraient en émoi les plus timides. Ainsi nous avons tous vu, à l'École d'Alfort, un dromadaire qui ruminait, (juoiciue entouré et iiuiuiété par une foule de spectateurs. 724 DE LA MGESTION. Parmi les nombreuses causes qui amènent la suspension de la rumination se placent, en première ligne, les maladies qui débutent, même les plus légères. Les anciens en avaient fait la remarque, et Columelle l'exprime en disant qu'un ani- mal est malade toutes les fois que la rumination est suspendue. Sous ce rapport, cette fonction est bien un moyen de précision, une sorte d'instrument qui donne, comme le fait le thermomètre pour la température, des indications plus ou moins exactes sur l'état de l'animal, bien qu'elles soient quelquefois trompeuses. L'excès d'aliments, la présence des gaz dans l'estomac, l'ingestion de plantes vénéneuses ou narcotiques sont encore des causes susceptibles de suspendre plus ou moins longtemps la rumination. Il en est une foule d'autres dont l'action n'est généra- lement que momentanée : les marches forcées, Textrême fatigue, le travail auquel on soumet les jeunes animaux, les époques du rut ou des chaleurs pour les femelles, l'inquiétude qu'éprouvent les mères séparées de leurs petits, les souffrances de toute espèce, les opérations chirurgicales. Quelles que soient, du reste, les causes qui amènent la suspension de la rumi- nation, cette suspension, dès qu'elle s'est prolongée un certain temps, devient elle-même un obstacle au rétablissement de la fonction. Les aliments de l'estomac se tassent, se dessèchent et se durcissent surtout dans les parties supérieures et les culs-de-sac de la panse ; ceux du feuillet forment des tablettes dont les lames du réservoir ne peuvent plus se débarrasser qu'avec difficulté; la muqueuse des premiers estomacs, quoique peu sensible, finit par s'irriter; la membrane charnue perd son ressort par le fait de sa propre inertie, de sorte qu'en définitive, la désobstruction du viscère ne peut, par la suite, s'efl'ectuer qu'avec peine et une extrême lenteur. CHAPITRE XXV DU VOMISSEMENT On donne le nom de vomissement à la réjectionconvulsive des matières conte- nues dans l'estomac. Cette réjection a été considérée, dans certaines circonstances, comme un acte normal ou physiologique, et dans d'autres comme un phénomène morbide ou anormal. Conservons cette distinction en nous rappelant que, dans aucun cas, le vomissement n'est tout à fait physiologique, puisqu'il s'accompagne toujours d'un trouble plus ou moins profond des fonctions digestives. Le vomissement ne se produit pas, à beaucoup près, dans tous les animaux. Il en est qui vomissent facilement: ce sont les carnassiers et un grand nombre d'om- nivores; il en est d'autres, au contraire, qui ne vomissent point ou ne vomissent que très rarement et avec une extrême difficulté : ce sont les herbivores mono- gastriques et les ruminants. Cette difiérencc tient à deux causes principales : la conformation de l'estomac et l'état des aliments qu'il renferme. Chez les mammifères qui vomissent, l'estomac est simple, l'œsophage s'insère ( VOMISSEMENT DES CARNIVORES. 725 loin du pylore, vers l'extrémité gauche du viscère; ce canal a des parois minces, souples, et une dilatation infundibuliforme à sa terminaison. Chez ceux qui ne vomissent pas, l'estomac est siin[>le ou à plusieurs compartiments, le cardia est peu éloigné du pylore, l'œsophage a des parois très épaisses vers son orifice qui est sans dilatation et constamment resserré; de plus, le viscère se trouve, en ce qui concerne certains d'entre eux, les ruminants, par exemple, dans des condi- tions exceptionnelles que nous indiquerons plus tard. Les animaux qui vomissent, c'est-à-dire les carnassiers et les omnivores, rem- plissent leur estomac de substances en général molles, humectées, glissantes et souvent très divisées, lesquelles, soumises à une forte pression, s'échappent faci- lement à travers un cardia dilatable et un large œsophage. Les herbivores qui ne vomissent point ont l'estomac rempli de fourrages souvent mal divisés, peu imprégnés de liquides et comme feutrés. Lorsque ces matières 'sont soumises à une compression énergique, elles se tassent, les liquides qui les imprègnent s'échappent en partie dans l'intestin par un pylore ordinairement très large, et, par le fait de leur extrême compressibilité, la plus grande partie de la force qui tend aies expulser se perd à réduire leur volume; enfin, si quelques parties, une fois détachées de la masse, j)arviennent à s'engager dans l'œsophage, elles ne peuvent s'y mouvoir qu'avec une extrême lenteur. En somme, chez les pre- miers, tout est disposé pour rendre le vomissement possible, et même jusqu'à un certain point facile, tandis que chez les seconds, tout concourt à mettre obstacle à l'accomplissement de cet acte. Le vomissement s'effectue par suite d'une impression nerveuse spéciale appelée la nausée, et par l'action combinée de l'estomac, de l'œsophage, du diaphragme, des muscles abdominaux. La nausée est une sensation interne, spéciale, qui devient le point de départ des efforts de vomissement. Elle dérive d'une infinité de causes directes ou sym- pathiques, parmi lesquelles se trouvent l'extrême plénitude, la surcharge de l'estomac, la présence, dans ce viscère, d'aliments indigestes, de substances irritantes, l'introduction dans les voies de la circulation de médicaments connus sous le nom (Vcmétirjues, le rétrécissement du pylore, le pincement, l'étrangle- ment de l'intestin, le volvulus, les hernies, etc. Diverses causes sympathiques relatives à l'imagination provoquent la nausée chez l'homme, mais elles ne parais- sent pas avoir une action semblable chez les animaux. Le point de départ et la nature de cette sensation restent indéterminés. Pour exposer avec clarté le mécanisme du vomissement, examinons-le succes- sivement dans les carnivores, les solipèdes et les ruminants. 1. — Vomissement des carnivores. Bien que le vomissement paraisse un acte extrêmement simple, il ne peut s'effectuer sans le concours de l'estomac, de l'œsophage, du diaphragme et des muscles abdominaux. Mais la part de ces divers agents n'est pas la même, et c'est sur sa détermination que se sont élevées, depuis longtemps, de profondes dissidences parmi les physiologistes. Les uns ont regardé le vomissement comme 726 DE LA DIGESTION. le résultat d'une simple action de l'estomac ; les autres, comme l'effet d'une pression énergique exercée sur ce \iscère par le diaphragme et les muscles de l'abdomen ; enfin, quelques-uns, plus sages, l'ont attribué à l'intervention com- binée de toutes ces parties : chacune de ces théories est ancienne; chacune a eu tour à tour des défenseurs et des adversaires. Les anciens physiologistes, avant qu'on eût l'idée de faire aucune expérience sur le vomissement, l'attribuaient aux contractions énergiques et convulsives de l'estomac. Déjà, vers la lin du dix-septième siècle, Wepfer, cherchant à s'éclairer par le secours des vivisections, avait appuyé cette opinion sur ce qu'il avait observé des contractions de la tunique charnue de l'estomac, et vu ce réservoir se débarrasser de son contenu, bien qu'il fût soustrait à la pression des parois abdominales. Perrault, à la même époque, partageait ce sentiment, parce qu'il avait vu le vomissement après la division du diaphragme et des parois abdominales. Haller, qui avait reconnu les contractions du viscère pendant les efforts de vomis- sement, et constaté môme des secousses subites et violentes dans lesquelles la paroi antérieure de l'estomac s'approchait de la postérieure, défendit l'ancienne doctrine : il rapporta le phénomène dont nous parlons à la contraction antipéris- taltique, c'est-à-dire à celle qui s'effectue du pylore vers le cardia; néanmoins, comme le fait remarquer Bérard, il ne nia point, d'une manière absolue, la participation du diaphragme et des muscles de l'abdomen. Il n'est plus nécessaire, depuis longtemps, de réfuter cette première explication qui repose sur des données vagues, des assertions peu exactes et des faits mal interprétés. D'une part, les contractions de l'estomac ne sont ni assez brusques, ni assez énergiques pour déterminer, à elles seules, la réjection d'une grande partie des aliments; et, d'au- tre part, toutes les expériences démontrent que le diaphragme et les muscles abdominaux sont indispensables à l'accomplissement régulier du phénomène. Avant que cette première théorie du vomissement fût appuyée sur quelques faits, elle trouva des adversaires qui sentirent bien que, pour la repousser, il fallait recourir à l'expérimentation directe. Chirac^ fut, dit-on, le premier qui mit en doute la réalité des contractions gastriques et reconnut la participation du diaphragme et des muscles de l'abdomen à la production du vomissement. Après avoir fait avaler du sublimé corrosif à un chien, il fit une incision longitudinale à l'abdomen et mit l'estomac à découvert. Le mouvement du viscère lui parut très peu sensible , quoique les nausées conti- nuassent. L'expérimentateur fit rentrer l'estomac dans la cavité abdominale, ferma la plaie par une suture, en faisant seulement une petite ouverture par laquelle le doigt pouvait explorer les paiois gastriques : alors, il ne sentit aucune contraction de leurs fibres; seulement, il s'assura que l'organe était comprimé par le diaphragme et les muscles abdominaux. Il conclut de cette expérience que le vomissement n'est pas le résultat de la contraction du ventricule. A peu près à la même époque, Bayle faisait de semblables tentatives. Après avoir administré du sublimé à un chien et provoqué des nausées, il fit en arrière de l'hypochondre gauche une petite plaie dans laquelle il engagea le doigt, mais 1. Chirac, Ifinr,, VOMISSEMENT DES CARNIVORES. 727 il ne sentit aucune contraction du viscère. Alors, ouvrant l'abdomen, il vit le vomissement cesser; puis il le vit reparaître aussitôt qu'une suture fut faite à la plaie des parois abdominales. Plusieurs observateurs vinrent apporter des preuves à l'appui de cette opinion. Van Swieten remarqua que l'irritation directe de l'estomac ne suffit pas pour faire vomir, et que, dans le vomissement, les contractions antipéristaltiques sont lentes et insensibles. Schwartz rappela que l'estomac hors du ventre ne peut plus se vider, que, dans ce cas, le vomissement vient à s'opérer par une simple pression de la main sur le viscère, et qu'enfin, dans les circonstances normales, cet acte s'effectue pendant l'intervalle très court qui sépare l'inspiration de l'expiration, par la seule action du diaphragme et des muscles abdominaux, La théorie du vomissement par la seule action du diaphragme et des muscles abdominaux n'était pas suffisamment étayée et se trouvait, d'ailleurs, sapée par des observations contradictoires, quand Magendie vint lui donner des preuves dont l'évidence et la valeur ne paraissaient pas contestables. Magendie' fit sur le chien une série d'expériences très propres à montrer le rôle de chacun des agents qui contribuent au vomissement : elles ont joui de trop de célébrité pour que nous ne les rapportions pas sommairement. A un premier chien, on donne de l'émétique, et aussitôt que les nausées se pro- duisent, on fait une petite incision à la ligne blanche. Par cette ouverture, le doigt introduit dans la cavité abdominale ne sent pas les contractions de l'estomac qui se remplit d'air, mais il permet déjuger de la forte pression opérée sur le viscère par le diaphragme et les muscles abdominaux. L'incision étant agrandie, on voit très distinctement l'estomac doubler ou tripler de volume, mais on n'observe pas la moindre contraction de ses tibres; le vomissement continue, caria main de l'expé- rimentateur s'oppose à la sortie du réservoir à travers l'ouverture. Ainsi, pendant les efforts de vomissement, le ventricule se distend par l'air que l'animal déglutit, il éprouve une forte compression de la part du diaphragme et des muscles abdo- minaux, mais il ne paraît pas lui-même se contracter sensiblement. A un deuxième chien, on injecte quatre grains d'émétique dans la jugulaire. Dès que les nausées se manifestent, les parois abdominales sont incisées et l'estomac tiré hors de la plaie ; les efforts continuent et deviennent très violents, mais l'animal ne vomit point, et le viscère reste complètement immobile. Alors, par une pression forte et soutenue, exercée sur les deux faces de l'estomac, on détermine l'expulsion de son contenu. Donc le vomissement n'est pas possible lorsque l'estomac est soustrait à l'action du diaphragme et des muscles de l'abdomen. Dans une troisième expérience, Magendie veut apprécier le rôle du diaphragme. Il fait la section des nerfs phréniques, qui paralyse ce muscle, puis il injecte de l'émétique dans les veines. Les nausées surviennent, mais le vomissement qui a lieu est faible et incomplet. La réjeclion continue à s'eiTectuer par le secours des muscles abdominaux. Dans une quatrième expérience, les muscles abdominaux sont détachés ; on ne l. Magendie, Mémoire sur le vomissement, lu à i'Instilul le 28 janvier 1813. 728 DE LA. DIGESTION, laisse que la ligne blanche et le péritoine, puis on injecte de l'émétique dans les veines, et le vomissement s'effectue par la seule action du diaphragme. Dans une cinquième expérience, le diaphragme est paralysé par la section des nerfs phré- niques, et les muscles abdominaux sont enlevés. L'émétique injecté dans les veines détermine encore quelques nausées, mais le vomissement devient impos- sible. Enfin, pour montrer que l'estomac n'est pas le point de départ des efforts de vomissement, et que cet acte s'effectue sans la participation de la tunique charnue du viscère, Magendie lie les vaisseaux gastriques à un chien, enlève l'estomac et iadministre l'émétique ; les nausées se manifestent et les efforts se produisent comme dans les circonstances ordinaires. Sur un dernier, il lie les vaisseaux, enlève le ventricule et adapte à l'extrémité inférieure de l'œsophage, à l'aide d'une petite canule, une vessie de cochon pleine d'eau tiède. Après l'injection de l'émétique, les nausées apparaissent, et le vomissement a lieu ; mais cette expérience aurait pu, sans inconvénient, manquer à la série des précédentes. De tout cela, Magendie conclut que l'estomac est à peu près passif dans le vomissement, et que cet acte résulte de la pression opérée sur le viscère par le diaphragme et les muscles abdominaux. Il cite à l'appui de ses déductions des faits dans lesquels l'estomac squirrheux et peu apte à se contracter a laissé le vomissement aussi facile que dans les circonstances ordinaires. La doctrine de ila passivité de l'estomac, dans l'acte du vomissement, basée successivement sur les expériences de Chirac, de Bayle, de Schwartz, et sur celles si séduisantes de Magendie, est loin d'être inattaquable. Beaucoup d'ob- jections lui ont été adressées à différentes époques, et il en reste encore quelques- unes à lui faire. LieulaudS l'un des anciens adversaires de la passivité de l'estomac, prétendit que si le vomissement dérivait |de l'action du diaphragme et des muscles abdo- minaux, il devait être volontaire; il avança que si ce phénomène avait lieu par l'effet de la contraction du diaphragme, le muscle comprimerait l'œsophage et s'opposerait conséquemment au passage des matières chassées de l'estomac; enfin il cita à l'appui de ses objections le fait d'un hydropique qui avait eu des envies de vomir, et qui n'avait point vomi parce qu'il avait l'estomac paralysé. Haller^ reproduisit le premier de ces arguments. « Chirac aurait pu se rappeler, dit-il, quand il donna les muscles abdominaux pour les agents du vomissement, que ces muscles sont sujets à la volonté, et que le vomissement le serait de même s'il dépendait d'eux. » Divers auteurs plus modernes, Bourdon, entre autres, soutinrent que le vomissement ne devait pas être seulement le résultat de la pression du diaphragme et des parois abdominales, puisque cet acte n'avait pu s'effectuer, après les plus grands efforts, lorsque la membrane charnue de l'esto- mac avait été désorganisée parle cancer ou le squirrhe. Tous ces arguments ont été déjà réduits à leur juste valeur. La contraction du diaphragme et des muscles abdominaux ne détermine pas le vomissement lors- 1. Lieulaud, Mémoires de l'Acade'mie des sciences, 1752, p. 45 et 2'v!3. 2. Halier, Mémoires sur la nature sensible, etc., secl. XV, 1. 1, p. 296. VOMrSSEMENT DES CARNIVORES. 729 qu'elle a lieu volontairement, parce qu'elle n'a point l'énergie et le caractère convulsif qu'elle acquiert lors de la nausée ; cette contraction ne le provoque pas dans cette circonstance, parce qu'elle n'est ni accompagnée de mouvements de l'œsopiiage, ni en rapport avec l'état dans lequel doit se trouver l'estomac pendant le vomissement. La prétendue compression qui serait exercée sur l'œsophage, lors de la contraction du diaphragme, est une liction, comme Schwartz en avait fait l'observation l'acilc à vérilier. L'impossibilité du vomissement, 'quand les parois de l'estomac sont devenues squirrheuses et impropres à se contracter, n'est pas un fait constant; elle peut, du reste, recevoir diverses interprétations sur les- quelles je ne dois pas m'arréter. Mais de ce que les arguments invoqués contre la doctrine de la passivité de l'estomac ne sont pas de nature à l'inlirmer, il ne 'faudrait pas la croire tout à fait vraie et repousser complètement la théorie ancienne. D'abord cette passivité, cette non-participation de l'estomac à l'acte du vomis- sement est-elle bien établie, bi(!n démontrée? C'est ce qui paraît douteux. Je vois, comme beaucoup d'autres, que l'action du diaphragme et des muscles abdomi- naux est la puissance principale du vomissement; que, sans elle, cet acte devient impossible : mais la démonstration de ce fait prouve que l'action de l'estomac n'est pas assez énergique pour effectuer à elle seule la réjection, et encore elle le prouve par les expériences dans lesquelles le viscère, déplacé et privé de l'appui des parois abdominales, ne peut plus se contracter comme à l'état normal. On dit que les contractions du viscère ne sont pas bien perceptibles à l'aide du doigt introduit dans la cavité abdominale, et qu'elles ne sont pas très apparentes lorsque l'organe est mis à nu; mais, dans le premier cas, peut-on bien les dis- tinguer des mouvements oscillatoires imprimés par le diaphragme et par les secousses des muscles de l'abdomen ? Cependant, presque tous les expérimen- tateurs les ont vues, et Magendie lui-même convient qu'elles sont souvent appré- ciables. Or, reconnaître l'existence de ces contractions, n'est-ce pas implicitement avouer l'activité du viscère dans le vomissement? D'ailleurs, est-ce en substituant à l'estomac une vessie de cochon pleine d'eau tiède qu'on prouve la passivité du ventricule? Ne faut-il pas que la vessie |)leine d'eau tiède et comprimée se vide parla seule ouverture qui s'abouche avec l'œso- phage au moyen d'un tube béant? Pour la faire se vider, l'émétique et les efforts de vomissement ne sont pas indispensables ; la seule pression qu'elle éprouve dans l'abdomen et même une simple attitude dans laquelle le train postérieur de l'animal se trouve en haut, déterminent l'évacuation de son contenu. Que prouve, déplus, le côlon qu'on a eu l'idée, par manière de perfectionnement, de sub- stituer à la vessie, dont les parois peuvent se lordre oii se chilfonner? Je vou- drais bien voir ce qui arriverait si, au lieu d'eau tiède, on mettait dans ces estomacs travestis de la pâte ou des morceaux de chair, fussent-ils vingt fois plus petits que ceux que le chien avale si aisément et qu'il vomit sans trop de difficulté. Enfin, cette hypothèse de la passivité n'a-t-elle pas contre elle le résultat de diverses expériences qu'il faut bien, après tout, compter pour quelque chose? Wepfer, Perrault, n'onl-ils pas vu le vomissement continuer encore après l'on- 730 DE LA DIGESTION. verture de l'abdomen? Portai n'a-t-il pas constaté que les chiens auxquels on avait donné de Témétique et de la noix vomique vomissaient après l'ablation des muscles droits, obliques et transverses de l'abdomen ; et Maingault n'a-t-il pas obtenu maintes fois les mêmes résultats ? Je veux bien que certains de ces faits n'aient pas une grande portée, et qu'on doive attribuer le vomissement, dans ces circonstances, à la pression du diaphragme ; mais, au moins, ils donnent une présomption en faveur de l'activité du viscère. La vérité est en partie dans la première et en partie dans la seconde théorie : il faut, pour la reconnaître, cher- cher à apprécier la part que prennent au vomissement l'estomac, l'œsophage, le diaphragme et les muscles abdominaux, car tous ces organes concourent à l'ac- complissement du phénomène. L'estomac n'est point passif lors du vomissement, mais sa participation n'est pas telle qiie le supposaient Wepfer, Perrault, Haller, etc. Ses contractions ne sont jamais fortes, brusques, saccadées, rapides, comme ils le croyaient, et, sur ce point, tous les expérimentateurs sont d'accord. En elî'et, lorsque l'estomac d'un animal vivant est mis à découvert, qu'il y ait ou non digestion, plénitude ou vacuité du viscère, on le voit à peine se mouvoir, tandis que l'intestin se con- tracte énergiquement et avec une certaine rapidité. Le contact de l'air avec ses parois, leur pincement, l'action des caustiques, ne rendent pas ses mouvements beaucoup plus sensibles : voilà pourquoi il a été si facile de les nier, et pourquoi ils ont pu passer inaperçus aux yeux de plus d'un observateur habile. Il est évi- dent que cet organe doit se contracter ; car, s'il ne possédait cette faculté, à quoi servirait sa tunique musculaire? Il se contracte aussi: Haller l'a vu, et Magendie en convient lui-même en plusieurs endroits de ses écrits. Il se contracte même encore sensiblement après la section des nerfs pneumogastriques, comme je m'en suis assuré plusieurs fois sur des animaux tués depuis quelques minutes. Pour bien voir ses mouvements, il faut, immédiatement après la mort, enlever l'esto- mac de la cavité abdominale et le laisser, au contact de l'air, sur un corps un peu froid. On constate alors qu'il se produit des ondes à sa surface, c'est-à-dire une série d'étranglements et de dilatations très marqués, surtout vers le pylore, vers le cardia et dans la région moyenne du viscère. L'œsophage prend part à ses contractions; il se rétracte et se relâche alternativement, suivant le sens de sa longueur; son infundibulum se dilate et se resserre tour à tour; enfin les mou- vements de ses fibres se confondent avec ceux des fibres qu'il envoie à la surface du viscère. Ces effets se produisent quelquefois pendant dix ou quinze minutes, même plus, si l'estomac se trouve rempli ou s'il contient des substances irri- tantes, et ils réapparaissent ou deviennent plus sensibles sous l'influence du pincement de la membrane charnue ou de l'applicatiouj à sa face externe, d'un acide affaibli ou d'un irritant quelconque. Il n'est pas nécessaire, pour que les contractions de l'estomac contribuent au vomissement, qu'elles soient antipéristaliques, c'est-à-dire dirigées du pylore vers le cardia, et, par conséquent, en sens inverse de celles qui, lors de la digestion, poussent les aliments chymitiés dans l'intestin. Ce rythme inverse, qu'Haller a décrit, et auquel il attachait beaucoup d'importance, ne paraît jamais avoir été nettement constaté. Peut-être n'existe-t-il pas, car la contraction nor- VOMISSEMENT DES CARNIVORES. 731 inalepeut avoir le même résultat dès l'instant que le pylore, déjà si étroit chez les carnivores et chez le porc, se trouve lui-même assez contracté pour s'opposer au passage dans le duodénum des aliments non digérés. L'intervention active de l'estomac se conçoit donc déjà très bien, et peut se déduire rationnellement du rôle que ce viscère joue dans les actes réguliers de la digestion. Mais ce n'est pas tout : elle peut être démontrée par la voie expéri- mentale. Les faits d'après lesquels on a nié la participation de l'estomac au phénomène du vomissement, ne prouvent pas péremptoirement la passivité de ce réservoir. En eiïet, si, à la suite de la paralysie du diaphragme et de l'enlèvement des muscles abdominaux, le vomissement devient impossible, ne serait-ce pas parce que l'action du viscère est à elle seule insuffisante, et parce que, du reste, cette action s'est aiïaiblie dès que l'estomac a été privé de l'appui donné parles parois abdominales? Il eût fallu, pour rendre l'expérience plus concluante, paralyser complètement le diaphragme et les muscles abdominaux, afin d'être dispensé de les enlever : or, c'est d'abord ce que j'ai fait, et voici les résultats que j'ai obtenus. J'ai coupé les deux nerfs diaphragmatiques à un chien auquel je venais de faire manger une quantité considérable de chair crue réduite en petits morceaux ; puis j'ai fait la section de la moelle épinière vers le milieu de la région dorsale. Ainsi je paralysais complètement le diaphragme, et en même temps les muscles de l'abdomen qui, restés en place, laissaient l'estomac dans les conditions nor- males. Alors j'ai administré l'émétique, et bientôt sont survenus des nausées et des efforts de vomissement auxquels il ne manquait que les secousses convul- sives des muscles frappés d'inertie. Après des efforts renouvelés et très pénibles, l'animal a vomi quelques morceaux de chair enveloppés d'abondantes mucosités. Cette expérience me paraît décisive : puisque le diaphragme et les muscles abdominaux sont paralysés et que l'animal vomit encore un peu, le vomissement est donc bien alors le résultat de l'action de l'estomac et seulement de l'action de ce viscère. Si le vomissement n'est pas complet, s'il n'amène pas l'expulsion de toutes les matières contenues dans le ventricule, c'est que la contraction de ce dernier, à elle seule, est insuffisante pour produire ce résultat ; elle a besoin du concours du diaphragme et des muscles abdominaux. Une autre expérience montre également la participation de l'estomac à l'acte du vomissement. Dans celle-ci, je donne au chien de la chair à satiété, puis je fais la section des nerfs vagues à l'entrée de la poitrine, et j'administre l'émétique. Les nausées se manifestent; l'animal fait de violents elTorts de vomissement, et il ne parvient à vomir que de loin en loin, très peu à la fois. Quelque énergiques et quelque répétés que soient les efforts, le chien ne peut débarrasser complètement son estomac : cVst tout au plus si le tiers de ce que contient le viscère arrive à être rejeté. Or, dans cette circonstance, le diaphragme et les muscles abdominaux conservent la plénitude de leur action, et pourtant ils ne parviennent pas à expulser tout ce que renferme le réservoir. Si la contraction des parois gastriques ne ser- vait pas au vomissement, il s'opérerait comme dans les circonstances ordinaires, et si cette contractioD était, comme le pensait Renault, un obstacle au vomis- 732 DE LA DIGESTION. sèment, cet acte deviendrait ici plus facile. Ainsi, lorsque l'estomac est paralysé par la section des nerfs vagues, l'une des puissances de la réjection manque, cette réjection devient pénible et reste toujours très incomplète. J'ai vu même des animaux, dans ces conditions, faire pendant des heures entières des efforts inouïs, sans rejeter la plus petite partie du contenu de leur estomac. On peut faire à ma seconde expérience une objection sérieuse. La section des nerfs vagues, paralysant l'œsophage en même temps que l'estomac, ne permet pas d'isoler complètement la part d'influence qui appartient à chacun de ces deux organes. Cela est incontestable. Aussi, pour paralyser l'œsophage aussi peu que possible, j'ai eu soin de faire la section des nerfs tout près de la première côte, de telle sorte que la moitié supérieure du conduit conservait toute sa contractilité et pouvait, par conséquent, suffire à la tension de l'œsophage, à la déglutition de l'air et à l'élimination des matières sorties de l'estomac. De plus, j'ai tenté la section de ces nerfs dans la cavité abdominale, mais alors, soit que les filets ramifiés dans la partie inférieure de l'œsophage et propagés dans la tunique mus- culeuse de l'estomac aient suffi à entretenir la contractilité de cette membrane, soient que quelques branches aient échappé à mon scalpel, le vomissement a été moins difficile et moins incomplet que dans la première circonstance. Ainsi dès l'instant que le vomissement s'effectue encore un peu, lorsque le diaphragme et les muscles abdominaux sont paralysés, il est évident que l'estomac est actif dans le vomissement, et que c'est par lui que cet acte s'opère alors dans une certaine mesure. Si cet organe était passif, ce vomissement serait aussi facile après la paralysie qu'il peut l'être dans les circonstances ordinaires ; enfin, s'il était passif, pourquoi, commeledittrès bien Burdach, les matières de l'estomac ne passe- raient-elles pas aussi dans l'intestin? Mais la participation de l'estomac ne constitue que la puissance secondaire du vomissement; sa contraction lente n'entre pour rien, comme le fait judicieusement observer Bérard, dans l'acte violent et spasmodique qui amène l'expulsion des matières contenues dans le viscère. Le grand rôle est rempli par le diaphragme et les muscles abdominaux : eux seuls ont des mouvements assez rapides pour déterminer une secousse convulsive, et assez énergiques pour chasser toute la masse alimentaire à travers l'orifice cardiaque. L'œsophage, dont l'intervention n'avait pas été soupçonnée parles anciens expé- rimentateurs, joue un grand rôle dans le vomissement. Il éprouve pendant les efforts de la réjection une série de contractions et de relâchements pour opérer la déglutition de l'air qui doit distendre l'estomac. Alors, si on le met à décou- vert, on peut juger de sa tension, de la grande énergie de ses mouvements, et si on le coupe en travers, on voit son extrémité supérieure continuer ses contrac- tions et laisser échapper, comme Béclard et Legallois l'ont fait remarquer, des bulles d'air avec quelques mucosités. Ce premier office est d'une grande impor- tance. Magendie a observé, dans ses expériences, que le vomissement ne s'effectue jamais sans la déglutition préalable d'une quantité considérable d'air, déglutition qui se renouvelle après chaque réjection d'une partie du contenu du viscère, afin de remplacer les aliments évacués et de maintenir l'estomac dans une suffisante distension : sans cela le vomissement est « extrêmement pénible et douloureux. » Du reste, la déglutition de l'air paraît suffire, à elle seule, pour provoquer quel- VOMISSEMENT DES CARNIVORES. 733 quefois l'acte dont nous parlons : il se produit même chez les chiens, d'après Krimer, lorsqu'on insuffle de l'air dans l'estoinac. L'œsophage par sa tension, suivant le sens de sa longueur, contribue évidem- ment à ouvrir l'orifice cardiaque et à faciliter l'accès des aliments dans sa cavité. Il|est facile de voir sur les chiens qui, ayant le ventre ouvert, font des efforts pour vomir, que le raccourcissement longitudinal du canal coïncide avec la con- traction du diaphragme et des muscles abdominaux : alors l'estomac est tiré en avant et mieux pressé encore à la face postérieure du diaphragme. Il est fort probable que le sens des mouvements de l'œsophage est, dans cette circonstance, intimement lié à celui des mouvements de l'estomac : au moins, j'ai cru voir, lorsque l'estomac venait d'être détaché du corps, avec une grande partie de l'œso- phage, sur un animal récemment tué, qu'au moment de la contraction longitu- dinale du conduit, l'infundibulum cardiaque s'agrandissait sensiblement. Peut- être ce rythme, qui persiste après la mort, est-il celui de l'état normal. Enhn, l'œsophage est presque seul chargé de la réjection des matières alimen- taires, dès qu'elles ont franchi l'orifice cardiaque de lestomac. L'énergie et la vivacité de ses contractions règlent la rapidité et la violence avec lesquelles les matières sont rejetées par la bouche. Ses contractions sont surtout indispensables lorsque les matières à éliminer se présentent en masses plus ou moins volumi- neuses ; elles ne le sont pas autant si ces matières se trouvent délayées ou tout à fait fluides. Dans ce dernier cas, les portions poussées à la suite des premières, suffisent presque à chasser celles-ci, car les contractions, soit de l'estomac, soit du diaphragme et des muscles abdominaux, impriment aux substances semi- fluidesune impulsion qu'elles conservent sur toute l'étendue du canal. Le fait de la contraction de l'œsophage, lors du vomissement, donne encore une preuve de l'activité de l'estomac, car il est manifeste, sur l'animal qu'on vient de tuer, que la contraction des libres longitudinales du conduit s'étend très loin, sur les deux faces et sur l'extrémité gauche du viscère, dans le plan des fdjres rayonnantes que la tunique charnue de l'œsophage envoie à celle de l'estomac. L'action du diaphragme et des muscles de l'abdomen est essentiellement néces saire au vomissement: c'est la plus importante à cause de son énergie et de son caractère spasniodique. La participation du diaphragme a été démontrée de plusieurs manières par les expérimentateurs qui ont étudié le mécanisme du vomissement; elle peut l'être : 1" ou par la paralysie presque complète du muscle, résultant de la section des nerfs phréniques ; 2° par l'enlèvement des muscles abdominaux ; 3'^ ou encore, comme je l'ai fait, par la section de la moelle épinière à la région dorsale. Après la section des deux phréniques qui paralyse le diaphragme, le vomisse- ment devient pénible et lent ; mais il peut encore s'effectuer, car les muscles abdominaux continuent à agir et le diaphragme lui-même fournit, à titre de cloison inerte, un point d'appui à l'estomac. D'autre part, lorsque les muscles abdominaux sont enlevés, la contraction lente du diaphragme suffit, dit-on, à opérer le vomissement, pourvu que l'estomac demeure soutenu par la ligne blanche. Je doute que le fait soit possible dans les circonstances où l'estomac, au lieu d'être distendu par de l'eau ou des matières diffluentes, l'est par des ali- 734 DE LA, DIGESTION. ments un peu solides, comme de petits morceaux de chair, par exemple. Entin, à la suite de la paralysie des muscles du ventre, résultant de la section de la moelle au niveau des dernières vertèbres dorsales, le vomissement a encore lieu, même si l'estomac contient des aliments solides : seulement il est difficile et fort incomplet. La participation du diaphragme, si bien établie par les expériences de Magendie, ne saurait être niée, quoique Haller et d'autres, se fondant sur une prétendue compression de l'œsophage entre les piliers de cette cloison, aient avancé que le vomissement est impossible lors de l'inspiration, et, par conséquent, à l'instant de la contraction du muscle. Il est à noter que la contraction du diaphragme, lors du vomissement, a une certaine durée et qu'elle est aidée par l'occlusion de la glotte. Cette occlusion qui se produit, du reste, dans tous les efforts, a pour résultat de prévenir l'affaissement du poumon, et, par conséquent, de donner sur cet organe un point d'appui cà la cloison diaphragmatique. La constriclion de la glotte, et, partant, l'immobilité du thorax, seraient si importantes, d'après Is. Bourdon, que les ani- maux dont la trachée est ouverte ne pourraient plus vomir. En répétant cette expérience, j'ai vu que le vomissement s'effectuait encore, mais seulement avec plus de difficulté que dans les circonstances ordinaires. L'intervention des muscles de l'abdomen est mise en évidence après la paralysie du diaphragme. Alors, le vomissement a encore lieu; seulement, il est devenu difficile. Quant à l'action combinée du diaphragme et des muscles abdominaux, elle est démontrée par l'impossibilité du vomissement à la suite de la paralysie du premier et de l'enlèvement des seconds. Elle l'est aussi, et bien mieux, par la paralysie complète de ces muscles, consécutivement à la section des nerfs phré- niques et à celle de la moelle épinière vers le milieu de la région dorsale, car, dans ce dernier cas, l'estomac reste en place : il est soutenu et peut se contracter ; enfin, l'œsophage n'éprouve aucun tiraillement. Cette action synergique joue incontestablement un grand rôle dans le vomis- sement; elle en est la puissance principale la plus énergique; mais elle est asso- ciée, comme nous l'avons vu, à l'action de l'œsophage et de l'estomac. Tels paraissent être le mécanisme du vomissement et le rôle des puissances qui concourent à l'accomplissement de cet acte. La nausée est le prodrome de toute la série des phénomènes qui caractérisent la réjection des matières contenues dans l'estomac. A sa suite, se manifestent les contractions violentes des muscles de l'abdomen, du diaphragme, et les contractions lentes de l'estomaCi L'animal, en proie à une vive anxiété, fait une forte inspiration, comme dans tous les efforts ; sa poitrine se distend, sa glotte se ferme, autant pour prévenir l'affais- sement du poumon que pour mettre obstacle à la chute des aliments dans les Voies aériennes ; le diaphragme, contracté et fortement refoulé en arrière, offre un plan résistant à l*estomac que compriment énergiquement les muscles de l'abdomon ; l'encolure s'étend et conti'ibue à rallongement de l'œsophage; uiie Certaine quantité d'air est déglutie pour distendre l'estomac; la bouche s'otivre, le voile du palais se soulève, et le contenu du réservoir gâstdque est rejeté avec plus ou moins de ra[>ilupart des cas, pour rendre l'acte impossible. FiG. 110. — Estomac du cheval (*). En effet, lors du vomissement, l'estomac des solipèdes est comparable à une presse hydraulique. Les aliments, les liquides et les gaz qu'il contient supportent, de la part du diaphragme, des muscles abdominaux, et peut-être même de ses propres parois, une pression plus ou moins forte. Les matières comprimées rea- gissent sur le réservoir qui les contient, de manière que la pression de dedans en dehors devienne proportionnelle <à la surface qui la supporte. Qu'arrive-t'il alors? Clicz le chien, l'évasement de l'œsophage, ayant une surface très étendue, sup- porte une pression expansive que ne peut neutraliser la tunique charnue si mince de ce conduit ; il cède à l'effort des matières alimentaires, et le vomis- sement s'effectue. Chez le cheval, il n'en est pas de même ; l'infundibulum man- que, le cardia est très exactement fermé ; son orifice clos n'a certainement pas un centimètre carré d'étendue, tandis que le reste de la surface du viscère est de plus de 4 000 centimètres, d'où il résulte que les plis de l'orilice œsophagien {•) A, extrémitci cardiaque de l'œsophage; B, anneau pylorique. 740 DE LA DIGESTION. ne supportent que la quatre millième partie de l'effort par lequel les aliments ten- dent à s'échapper, partie minime que la plus faible contraction du cardia suftit. pour neutraliser* Mais, cette contraction est énergique et puissante, à en juger par le volume des faisceaux musculaires ; elle est plus que suffisante pour s'opposer à la sortie des matières alimentaires : aussi ces dernières, si délayées qu'elles soient, ne peuvent-elles parvenir à dilater l'orifice et à s'y engager; par- tant, le vomissement devient impossible. Cette explication rationnelle, parfaitement en rapport avec les conditions dans lesquelles se trouve l'estomac, pourrait se passer d'une démonstration expéri- mentale ; néanmoins, je vais donner celle qui résulte de mes recherches. Et d'abord je mets de côté l'expérience deLamorier qui donne, suivant les cas, des résultats contradictoires. L'estomac détaché sur le cadavre et soumis à une forte pression, le cardia étant libre et le pylore lié, peut laisser échapper les matières par l'œsophage, si le viscère vient d'un animal tué à l'instant ou déjà en décomposition, c'est-à-dire avant le développement de la rigidité cadavérique ou après sa disparition. Au contraire, il ne laisse rien sortir si la rigidité est établie, car il y a une contraction cadavérique non moins marquée dans les muscles blancs que dans ceux du squelette. Cela n'a aucune importance. Il faut expérimenter sur l'animal vivant. Dans une première expérience, sur un cheval qui vient d'achever son repas, je cherche à apprécier l'état des deux orifices de l'estomac. Laligne blanche est incisée et le duodénum ouvert. Par l'incision duodénale, j'engage le doigt et je sens le pylore entr'ouvert ; l'index y pénètre aisément et n'y éprouve pas de conslriclion ; il est seulement, par intervalles, doucement pressé: dès qu'il est retiré, les liqui- des et le chyme continuent à passer par ondées dans l'intestin. Cela fait, j'incise l'estomac vers le milieu de sa face postérieure, et par cette nouvelle ouverture ma main peut explorer l'intérieur du viscère. Le cardia est exactement fermé ; le doigt ne parvient à s'y engager qu'avec peine ; il s'y trouve fortement com- primé, puis repoussé à de fréquents intervalles ; la pression reste considérable au delà du cardia et aussi loin que l'extrémité du doigt peut aller ; elle semble même augmenter un peu, à chaque inspiration, pendant que le diaphragme con- tracté resserre l'ouverture que traverse l'œsophage. Ainsi donc, le pylore est béant, le cardia fermé ; l'anneau musculeux qui l'entoure énergiquement con- tracté, de même que la portion abdominale du conduit œsophagien. Il faut voir si ce cerbère ne laissera rien sortir lorsque l'estomac sera comprimé. Dans une deuxième expérience, faite sur un cheval qui mange depuis plusieurs heures et qui vient de recevoir un demi-seau d'eau, j'incise la ligne blanche, et, en déplaçant la courbure antérieure du côlon, je mets l'estomac à découvert. Ce viscère est très distendu ; il contient encore beaucoup de liquides et d'aliments très délayés qui paraissent dans d'excellentes conditions pour s'échapper à tra- vers les orifices cardiaque et pylorique. Alors, appliquant une main sur sa face antérieure, l'autre sur sa face postérieure, je le comprime fortement. Rien ne sort ni par )a bouche ni par les naseaux. Je continue la compression pendant l'inspiration et l'expiration : j'appuie sur l'estomac, tour à tour, d'une face vers l'autre, du sac droit vers le sac gauche, de la grande vers la petite courbure. Le VOMISSEMENT DES SOLTPÈDES. 741 viscère se vide en partie, mais son contenu s'écoule lentement vers l'intestin, sans que rien s'échappe du côté du cai-dia. Je répète cette expérience sur d'autres chevaux placés dans des conditions analogues. La compression est si forte, dans lune d'elles, que la tunique char- nue s'éraille près de la grande courbure, au niveau du sac droit; la muqueuse seule reste et menace de se déchirer. Toujours les résultats sont les mêmes. Si les matières de l'eslouiac sont fluides, elles passent en partie dans l'intestin par le pylore béant. Si elles sont peu humectées, elles se tassent et ne sortent qu'en faible proportion dans le duodénum. L'obstacle est donc au cardia, et il ne peut être vaincu par une pression artificielle aussi énergique que peut l'être celle du diaphragme et des muscles abdominaux, puisqu'elle va jusqu'à déterminer l'éraillement et la déchirure de la tunique charnue du viscère, comme on le voit, lors des efforts de vomissement. Mais, rapprochons-nous encore plus des conditions normales du vomissement. Puisque dans les circonstances précédentes, l'estomac comprimé laisse échapper une partie de son contenu par le pylore, fermons cet orifice béant, afin de ne laisser d'autre issue possible que celle du cardia, car, très probablement, lors du vomissement, la contraction des parois si épaisses de l'estomac, vers le pylore, s'oppose au passage des matières alimentaires dans l'intestin. Dans une troisième expérience, sur un cheval qui mangeait depuis longtemps et venait de s'abreuver, j'incise les parois abdominales au niveau de la ligne blan- che et j'applique une ligature à l'orifice pylorique, puis je comprime fortement l'estomac dans tous les sens, et mes aides le compriment aussi à leur tour. Cette fois encore, ni les matières alimentaires, ni même les liquides, ne parviennent à s'échapper, et cependant l'orifice cardiaque est la seule issue qui leur soit offerte. Jusqu'ici donc une compression très forte exercée sur l'estomac, pendant que le pylore est fermé, se trouve impuissante à déterminer l'expulsion des aliments délayés à travers le cardia. Cette compression sera-t-elle plus efficace si le vis- cère renferme, comme cela arrive sur les carnivores, une certaine quantité d'air dégluti lors de la nausée ? Dans le but d'examiner l'inlluenre que peut exercer l'air de l'estomac sur le vomissement, j'ai fait une quatrième expérience que voici. Sur un cheval pas- sablement rassasié, l'abdomen est ouvert et le duodénum incisé au niveau de l'insertion des canaux biliaire et pancréatique; de l'eau tiède est injectée dans l'estomac par le pylore, puis on insuffle une assez grande quantité d'air dans l'estomac, et j'applique aussitôt une ligature très serrée autour de l'orifice pylo- rique. Alors je presse fortement l'estomac, avec les deux mains ; je cherche à le chiffonner dans tous les sens, et malgré cette compression, ni lesaliments, ni les liquides ne s'échappent par la bouche ouïes narines. Ainsi j'air mêlé aux matières contenues dans l'estomac ne peut, sous l'influence de la pression, vaincre l'obs- tacle qu'oppose l'orifice inférieur de l'œsophage. Dans ces premières expériences, si les matières alimentaires ne sortent ni par les naseaux ni par la bouche, ne peut-il pas arriver que ces matières, ayant fran- chi l'orifice cardiaque, parviennent jusqu'à la bouche et soient ensuite immé- diatement dégluties ? Pour lever ce doute, j'ai fait une incision sur le trajet de la 742 DE LA. DIGESTION, jugulaire et mis l'œsophage à découvert sans le déplacer, je l'ai palpé pendant que l'on comprimait l'estomac comme précédemment : rien ne passait dans son intérieur. Enfin je l'ai ouvert en place, et rien n'est sorti par la plaie pendant qu'on renouvelait la compression du viscère. Cette quatrième expérience prouve donc, encore mieux que les autres, le non-reflux des matières alimentaires par l'orifice supérieur de l'estomac. Il ressort évidemment de ces faits qu'il existe au cardia un obstacle au passage des matières alimentaires, mais cet obstacle peut être, soit le sphincter cardia- que, soit l'épaisse tunique charnue de l'extrémité inférieure de l'œsophage, soit encore ces deux parties à la fois. Il importe donc de rechercher s'il est dans l'une de ces parties ou dans les deux ensemble. Sur un cheval, qui vient de prendre son repas et de boire abondamment, la ligne blanche est incisée, les parties antérieures du côlon sont déplacées, de ma- nière à bien mettre l'estomac à découvert, la tunique charnue de la portion abdo- minale de l'œsophage est divisée longitudinalement jusqu'à l'anneau du cardia. L'estomac est alors comprimé avec les deux mains, d'une face vers l'autre, de l'extrémité gauche vers l'extrémité droite, etc. La pression ne fait rien sortir ni par la bouche ni par les narines. Donc l'obstacle à la sortie des aliments, par l'orifice supérieur de l'estomac, ne paraît pas être dans le renflement charnu de l'extrémité inférieure de l'œsophage, puisque sa tunique musculeuse, divisée sui- vant le sens de sa longueur, est mise ici, par conséquent, dans l'impossibilité de se contracter circulairement. Cette sixième expérience montre bien que le véritable obstacle est dans le sphincter. Pour nous en assurer, divisons ce dernier et lais- sons intact le renflement œsophagien. Sur un autre cheval préparé comme le précédent, la portion abdominale de l'œsophage est mise à découvert, et le sphincter cardiaque est incisé dans un point de sa circonférence, sans que l'extrémité inférieure de l'œsophage soit notable- ment intéressée. Cette fois, en comprimant l'estomac, on fait sortir les aliments délayés et les liquides par les naseaux; seulement il en sort peu, car l'œsophage au-dessus du sphincter se dilate à peine, et il faut modérer la compression pour ne pas déchirer la muqueuse qui fait hernie au niveau du débridement. Cette septième expérience indique bien que l'obstacle est la constriction de l'anneau cardiaque, puisque le contenu de l'estomac sort seulement dès que cet anneau est divisé. Mais le sphincter cardiaque est-il le seul obstacle au vomissement? Le renfle- ment œsophagien, par sa contraction puissante, n'en est-il pas un autre dont le rôle auxiliaire ait quelque importance? Voyons : Sur un cheval dont l'estomac est plein d'aliments délayés, le sphincter cardia- que est incisé avec la tunique charnue de la portion abdominale de l'œsophage suivant le sens de sa longueur, puis une compression est exercée sur l'estomac. Ici les matières fluides sortent par la bouche et par les naseaux beaucoup mieux que lors de lu si mpie incision du sphincter. Ainsi, cette huitième expérience prouve que l'obstacle est dans le sphincter, et qu'il est aussi dans le rendement œsopha- gien. II ne peut en être autrement : ces deux parties sont intimement liées, elles sont solidaires l'une de l'autre, les fibres charnues de l'œsophage vont concourir VOMISSEMENT DES SOLIPEDES. 743 à la formation du sphincter et de ses prolongements appelés les cravates, et réci- proquement les fibres du sphincter remontent, un certain nombre du moins, dans le rcnllement œsophagien. La preuve que le double obstacle est bien celui-là, c'est que, dès qu'il est dé- truit ou vaincu, les matières passent : il y a alors vomiturition et vomissement. Non seulement les matières passent à travers le cardia lors des efforts de vomis- sement, elles y passent encore lors des inspirations véhémentes, ou pendant qu'une pression artificielle est exercée sur les parois abdominales, Et ce qui se produit par le secours de l'expérimentation, la nature le montre dans plusieurs circonstances. J'ai vu, à la clinique de l'École, un cheval qui rejetait fort souvent des matières alimentaires parla bouche, et surtout par les naseaux. Dès qu'il faisait des inspi- FiG. 111. — Estomac du cheval dont l'œsophage tormo un jabot conimnniquant directement avec le cardia (*). rations un peu fortes, comme pendant l'exercice, les matières sortaient. L'œso- phage mis à découvert par moi ; on voyait à de fréquents intervalles le conduit se gonfler, puis s'affaisser, et l'on sentait les matières délayées passer dans son in- térieur; elles s'échappaient par la bouche et les cavités nasales, si elles étaient en grande quantité ; au contraire, elles étaient renvoyées à l'estomac, si elles ne passaient dans l'œsophage qu'en faible proportion. A l'autopsie, on trouva un (*) A, eitrimité supérieure du jabot; 15, orifice canliaf|uc. 744 DE LA DIGESTION. jabot œsophagien plus grand que celui de la figure 1 11 et divisé'par un léger étran- glement vers le milieu de sa longueur ; ce sac était manifestement formé par la muqueuse herniée à travers une déchirure longitudinale de la membrane charnue. Il s'étendait jusqu'au cardia béant dont l'ouverture avait plus de 4 centimètres de diamètre. Il y avait donc ici, à la suite d'un accident, ce que j'avais produit avec le scapel dans ma dernière expérience : déchirure longitudinale de la tunique charnue au niveau du renflement œsophagien et dilatation de l'orifice cardiaque. Dans les deux circonstances aussi les effets furent les mêmes. Évidemment les matières rejetées venaient de l'estomac, puisque le cheval à jabot vomissait dès qu'une pression un peu forte était exercée sur les parois abdominales. De pareils faits ne sont point très rares. On sait qu'ils peuvent offrir une foule de variétés, suivant la situation, le volume du jabot, le degré de relâchement du cardia, et l'aptitude qu'il peut encore conserver à la constriction de son ouver- ture. Il est même des cas dans lesquels le vomissement a lieu sans la présence d'un jabot. Je l'ai vu se produire deux fois, depuis la seconde édition de ce livre, sur des chevaux dont la portion inférieure de l'œsophage se trouvait, dans une grande étendue, dilatée et flasque, comme une anse d'intestin grêle, en même temps que le cardia était élargi et semblait relâché d'une façon permanente. Ainsi, il est démontré, si je ne m'abuse, que l'obstacle au vomissement des solipèdes réside dans la constriction du sphincter cardiaque et dans celle du ren- flement musculeux de l'extrémité inférieure de l'œsophage. A cela se joint un ensemble de dispositions qui agissent dans le même sens. L'estomac des soli- pèdes est petit ; il est séparé des parois de l'abdomen par les grosses courbures du côlon; conséquemment, il est moins accessible que chez le chien à l'action des puissances principales du vomissement. Ce viscère ne se distend jamais beau- coup dans les circonstances ordinaires ; les matières alimentaires y séjournent peu et passent vite dans l'intestin, par un pylore presque toujours béant. Enfin, pour éviter en quelque sorte une lutte entre ces obstacles et des tentatives qui n'auraient pas le résultat habituel chez les autres animaux, le système nerveux est peu impressionnable aux causes provocatrices du vomissement ; l'ingestion de l'émétique dans les voies digestives ne fait naître, comme on lésait depuis long- temps, ni nausées, ni efforts de vomissements ; l'émétique et les autres vomitifs injectés dans les veines en produisent rarement et de peu caractérisés; le pince- ment, l'étranglement de l'intestin, la ligature du pylore, dont les effets sont si remarquables chez les carnivores, ne déterminent point d'efforts chez les pre- miers. Mais cette faible impressionnabililé n'est point la cause unique du non- vomissement, comme on l'a prétendu ; car s'il en était ainsi, le vomissement au- rait lieu dès qu'une forte pression exercée sur l'estomac viendrait remplacer celle du diaphagme et les muscles abdominaux. Or, nous avons vu dans les expé- riences précédentes qu'une forte compression, fût-elle même supérieure à celle des puissances auxiliaires, ne parvient pas à effectuer, par le cardia, l'expulsion du contenu de l'estomac. Malgré cet ensemble de combinaisons qui s'opposent au vomissement, le che- val peut vomir dans quelques rares circonstances. Il s'agit donc maintenant de rechercher les causes qui, dans ces cas exceptionnels, rendent le vomissement VOMISSEMENT DES SOLIPÈDES. 745 possible. Cette seconde question, parfaitement distincte de la première, se trouve déjà en partie implicitement résolue par ce qui précède; aussi ne nous arrê- tera-t-elle pas longtemps, d'autant qu'elle est plus du ressort de la pathologie que du domaine de la physiologie. Le vomissement des solii)èdos n'est pas un accident fort rare : on l'observe fré- quemment, surtout en été, à la clinique de nos Ecoles, et les annales de la vété- rinaire en ont enregistré d'assez nombreux exemples. Il se produit dans diverses conditions, lorsqu'il y a indigestion avec surcharge d'aliments, hernies, invagi- nations, affections intestinales; il se montre quelquefois chez les chevaux affectés du tic, chez ceux qui portent un jabot en communication directe avec l'esto- mac, etc. Le plus souvent il entraîne la rupture du ventricule et la mort. Lorsque cet acte s'effectue, l'animal éprouve des mouvements convulsifs très énergiques; il étend les membres, porte ceux de derrière sous le corps, allonge le cou, baisse la tête; la bouche s'ouvre, les naseaux se dilatent, la lèvre supé- rieure se relève fréquemment, les muscles de l'abdomen se contractent par se- cousses. Les premiers efforts sont ordinairement sans résultat; ceux qui suivent amènent la réjection par les naseaux, et quelquefois en même temps par la bou- che, d'une certaine quantité de matières alimentaires délayées. A chaque effort nouveau une petite quantité de matières est rejetée. Lorsque ces évacuations se sont fréquemment renouvelées, l'animal éprouve quelque soulagement, ou bien tombe dans cet abattement calme qui est l'avant-coureur de la mort. Les conditions qui permettent alors au vomissement de s'opérer sont faciles à déterminer. Puisque l'obstacle à la réjection se trouve dans la constriclion du cardia et de l'extrémité inférieure de l'œsophage, il est clair que cette réjection n'aura lieu qu'autant que l'obstacle sera détruit ou vaincu. Or, les observateurs qui ont examiné avec soin l'état de l'estomac après la mort des chevaux qui avaient vomi, ont trouvé le cardia flasque, relâché, béant, le renflement œsopha- gien dilaté et sans ressort. Girard, Bouley jeune, Vatel, Renault et d'autres, ont successivement fait cette remarque. La cause du relâchement du cardia et du rendement œsophagien, et partant celle du vomissement, ont été attribuées, ou à une simple distension extrême de l'estomac, ou à une distension suivie de la paralysie du viscère. Le fait de la paralysie de l'estomac, lors du vomissement, est, d'après Renault, la condition sans laquelle cet acte ne peut s'opérer. «Voici, disait-il 'dans une dis- cussion académique, les expériences que j'ai faites à ce sujet. J'ai incisé crucia- lement l'abdomen chez les chevaux auxquels j'avais donné préalablement l'émé- tique. En introduisant la main par la plaie, je sentais l'estomac se contracter énergiquemcnt, et les contractions devenaient sensibles à l'œil lorsqu'on lui faisait faire hernie à travers les parois de l'abdomen. Ces contractions ne cessaient que lorsque l'estomac était fortement distendu, et seulement alors il survenait des vomissements. J'ai conclu de ces expériences que la membrane musculaire est un obstacle au vomissement, lequel ne peut avoir lieu que lorsque cette membrane est rendue impuissante. » 1. Renault, Bulletin de V Académie de médecine, Paris, 1843-44, t. IX, p. 153 et 154. 746 DE LA DIGESTION. Les expériences que j'ai eu l'occasion de faire pour M. Flourens, et les miennes propres, m'ayant donné des résultats en désaccord avec ceux qui précèdent, je dois les rappeler, afin qu'on puisse juger de ma manière de voir en ce qui concerne les conditions desquelles résulte la possibilité du vomissement chez les solipèdes. Dans une première série d'expériences au nombre de quarante, j'ai administré l'émétique, Fipécacuanha en infusion, le chrOmate de potasse, le sublimé corro- sif, le sulfate de zinc, et d'autres substances encore, depuis les doses qui ne pro- duisent pas d'effets sensibles, jusqu'à celles qui tuent. Aucun des chevaux n'a vomi ni avant ni après l'incision des parois abdominales ; c'est tout au plus, comme je l'ai dit ailleurs, si une partie d'entre eux ont fait quelques efforts de vomissement. Dans une deuxième série de tentatives analogues, j'ai cherché à sentir et à voir les contractions de l'estomae, et à constater sa distension graduellement crois- sante lorsque l'abdomen est ouvert. D'une part, en engageant la main dans une ouverture pratiquée aux parois abdominales, j'ai palpé tour à tour l'estomac sur ses deux faces, à ses deux courbures, au cardia et au pylore, et jamais je n'ai senti de contractions distinctes, soit que le viscère fût très distendu, soit qu'il fût à demi-rempli ou tout à fait vide, avant ou après l'injection de l'émétique. Seu- lement, je l'ai senti balancé par le diaphragme, c'est-à-dire alternativement attiré et repoussé. D'autre part, en agrandissant l'ouverture et en déplaçant l'intestin de manière à mettre le réservoir gastrique à découvert, car je n'ai jamais pu lui faire faire hernie à travers la plaie abdominale, je n'ai vu dans aucune cir- constance de contractions énergiques du viscère, quel que fût son état. L'action prolongée de l'air, le pincement, l'irritation produite par la pointe du scalpel, par les acides, etc., m'ont fait voir, et quelquefois seulement, des contractions lentes et très faibles. Enfin, dans toutes ces circonstances, l'estomac, mis à découvert, ne m'a point paru changer de volume; il était au bout de cinq, dix, quinze mi- nutes, ce qu'il était à l'instant de l'incision des parois de l'abdomen. Dans aucun cas, je n'ai vu s'opérer une déglutition d'air. Dans une troisième série, j'ai cherché à paralyser l'estomac, afin de voir si, une fois ce résultat obtenu, le vomissement pourrait s'effectuer. A un cheval, je fis manger du foin, de la betterave, de la farine et de l'avoine donnés successivement. Quand il parut rassasié, je lui fis boire un seau d'eau, et immédiatement après, je lui injectai 6 grammes d'émétique dans la jugulaire. Dès que le vomitif commença à exciter des battements de flanc, je lis coucher l'animal et lui ouvris l'abdomen. L'estomac était passablement distendu, mais il n'augmentait pas de volume, ni ne se contractait sensiblement. Pour remplacer les efforts de vomissement qui ne s'opéraient point, et pour tenir lieu de la pres- sion que le diaphragme et les muscles abdominaux ne pouvaient plus exercer sur le viscère, je le comprimai avec les mains. Insensiblement, il se désemplit, mais ce fut dans l'intestin qu'une partie de son contenu passa. Rien ne sortit par l'orifice supérieur. Désespérant d'obtenir, par ce procédé, une distension qui en- traînât la paralysie, je dus recourir à d'autres moyens. S'il faut, me dis-je alors, que l'estomac soit impuissant pour que le vomisse- ment ait lieu, je vais le paralyser par la section des nerfs vagues. Je coupai donc VOMISSEMENT DES SOLIPÈDES. 747 ces nerfs dans la cavité abdominale, à leur sortie de l'ouverture du pilier droit du diaphragme. Je fermai la plaie de l'abdomen par une suture de ruban très solide, et, l'animal relevé, j'injectai G grammes d'émétiquedans les veines. A par- tir de ce moment, je suivis ce cheval attentivement, et je n'observai ni vomitu- rition, ni vomissement; je ne remarquai non plus ni nausées, ni efforts caracté- risés. Il ne suffit donc pas que l'estomac soit paralysé et que l'émétique soit injecté dans les veines pour que le vomissement s'opère. Réfléchissant que si l'animal ne vomissait pas alors, c'était parce qu'il ne fai- sait point d'elforts, je voulus voir ce qui arriverait, dès qu'une pression factice viendrait se substituer à la pression du diaphragme et des muscles abdominaux. Dans ce but, j'enlevai la suture de la ligne blanche; je comprimai fortement, et ù plusieurs reprises, l'estomac, en donnant, autant que possible à l'action des mains le caractère convulsif et saccadé de la contraction des puissances auxi- liaires. Il ne sortit rien ni par la bouche, ni par les narines; en un mot, il n'y eut ni vomiturition, ni vomissement. Cependant se trouvaient réunies dans ce cas les deux conditions qui auraient dû, dans l'opinion de Renault, entraîner la réjection, savoir : la paralysie de l'estomac et l'intervention d'une pression extérieure. Il est vrai que si, dans cette expérience, l'estomac était paralysé, quelques filets des nerfs vagues, ramifiés dans la tunique de l'œsophage, pouvaient encore ani- mer le sphincter, et entretenir, du moins en partie, sa contractilité; de plus, l'œsophage et son renflement n'avaient rien perdu de leur force, à la suite de la section faite près de la petite courbure. Je résolus donc de paralyser tout à la fois l'estomac et l'extrémité inférieure du conduit (esophagien. En conséquence, les nerfs pneumogastriques furent coupés à l'extrémité infé- rieure de l'encolure, et la trachée ouverte pour éviter la gêne de la respiration. J'attendis trois heures que l'influence nerveuse s'éteignit entièrement, et jinjec- tai 7 grammes d'émétique en dissolution dans la jugulaire. Bientôt l'animal eut le liane agité, la respiration précipitée, etc. ; mais il ne vomit point ; il fit tout au plus quelques efforts mal caractérisés. Lorsque les effets de l'émétique se lurent dissipés, on coucha le cheval, et je lui ouvris l'abdomen. L'estomac était passa- blement rempli de matières alimentaires délayées. Pour remplacer les efforts, je comprimai le viscère; la compression ne put déterminer le vomissement. Pour détruire la prétendue constriction opérée sur l'œsophage par les lèvres du pilier droit du diaphragme, je coupai l'une d'elles en évitant de blesser la plèvre. Alors je soumis l'estomac à une nouvelle compression ; rien ne sortit par la bouche ni par les naseaux. Ainsi, dans ces expériences, la paralysie de la tunique musculeuse de l'esto- mac n'est suivie ni de vomissement spontané, ni de vomissement provoqué par l'émétique. Cette paralysie n'est donc pas la condition qui rend le vomissement possible. Il faut, pour que cet acte puisse s'effectuer, que tout à la fois le cardia et l'extrémité inférieure de l'œsophage soient relâchés, forcés, agrandis, main- tenus momentanément béants, comme ils le sont souvent sous l'inlluence des efforts réitérés qui se produisent sur les animaux affectés de violentes coliques. En effet, l'expérimentation démontre que le vomissement devient possible dans 748 DE LA DIGESTION. certaines limites, dès qu'on parvient à obtenir le relâchement, la dilatation de l'extrémité inférieure de l'œsophage et de son orifice. Le fait suivant le prouve. A un cheval qui venait de manger et de boire abondamment, j'ouvris l'œsophage et je poussai avec force, du côté de l'estomac, une dizaine de litres d'eau avec de l'air; puis, après l'incision des parois abdominales, je comprimai énergiquement l'estomac pendant qu'un aide exerçait une forte traction sur le conduit œsopha- gien, au point de déterminer une douleur vive et d'exciter des efforts analogues à ceux du vomissement. Alors l'œsophage, déjà distendu par l'injection et tiraillé, formait à son insertion un évasement qu'on pouvait distinctement sentir avec le doigt. Ce conduit, soumis à cette élongation forcée, et sollicité à se dilater par l'effort expansif des matières que contenait l'estomac violemment comprimé, tinit par céder : il laissa sortir, en plusieurs fois, à peu près un verre de matières dé- layées. Un tel résultat se reproduira probablement toutes les fois qu'on opérera dans de pareilles circonstances, c'est-à-dire en tiraillant l'œsophage et en exer- çant en même temps une forte compression sur l'estomac très dilaté. Il semble, au reste, que cette expérience soit l'image de ce qui se passe lors des efforts du vomissement ; car, d'un côté, les fibres longitudinales de l'œsophage produisent un raccourcissement, et de l'autre le diaphragme et les muscles abdominaux une pression analogue à celle de la main de l'expérimentateur. Il y a cependant encore loin de ce vomissement factice à celui qui s'effectue dans certaines indigestions, ou dans le cas de jabot s'étendant jusqu'au cardia dilaté. La paralysie defl'ensemble de la tunique musculeuse de l'estomac ne peut jouer aucun rôle important dans le vomissement. Au lieu de favoriser cet acte, elle ne pourrait que l'entraver et finir par y mettre un obstacle insurmontable.il est clair que si l'estomac était paralysé, rien ne s'opposerait au passage des matières ali- mentaires et des liquides dans l'intestin, à travers un pylore large, béant, sans ressort. Lorsque les puissances auxiliaires auraient comprimé quelque peu l'es- tomac, car elles font longtemps des tentatives infructueuses avant de déterminer la réjection, les liquides, et même les matières très délayées, seraient poussées dans l'intestin ; le viscère, progressivement désempli, deviendrait de moins en moins accessible à cette pression du diaphragme et des muscles abdominaux; les matières demeurées dans la cavité gastrique seraient insensiblement tassées comme dans un pressoir, et bientôt leur état ne leur permettrait plus de péné- trer dans le cardia; ce qui se présenterait à cet orifice, une fois forcé, ne serait qu'un tas d'herbes compact, un hachis de fourrage qui ne pourrait s'engager dans l'œsophage. En définitive, on voit, d'après ce qui précède, que les données expérimentales concordent avec les observations pathologiques. Le vomissement, chez les soli- pèdes, ne se produit pas habituellement faute de nausées, d'efforts d'une certaine violence et à cause de la résistance énorme du cardia et de l'extrémité inférieure de l'œsophage; mais il peut, par exception, s'effectuer dans les indigestions avec surchai'ge d'aliments, lorsque le cardia se relâche et devient momentanément béant sous l'influence d'efforts violents, répétés, capables de déterminer la rup- ture du viscère, et, par suite, la mort dans un bref délai. La rupture que l'on a considérée quelquefois comme la cause du vomissement, ne peut en être qu'un VOMISSEMENT DES SOLIPÈDKS. 749 phénomène concomitant, conséquence des efforts, et elle doit toujours faire ces- ser cet acte, dès qu'elle est opérée. Si elle n'a pas lieu, le cheval qui a vomi peut guérir, comme je l'ai vu iilusieurs fois, notamment depuis la publication de ce livie. 111. — Vomissement des ruminants. Les ruminants ne vojuissent pas habituellement, mais ils vomissent quelque- fois. Comment se fait-il que ce vomissement n'ait point lieu ordinairement et qu'il se produise dans certains cas exceptionnels? En considérant la disposition de l'estomac, de l'orifice cardiaque, de l'extrémité inférieure de l'œsophage, on ne voit rien qui paraisse s'opposer à l'exécution de cet acte. Au contraire, tout ce qui le rend si facile chez les carnassiers se repro- duit ici, môme avec une certaine exagération : l'œsophage est large, ses parois sont minces, et son extrémité gastrique s'évase en infundibuhim; l'estomac oc- cupe la plus grande partie de la cavité abdominale, et il peut être facilement comprimé par le diaphragme et les muscles abdominaux. A quoi peut donc tenir le non-voniissemcnt des animaux ruminants! Daubenton, Gilbert, Huzard, ont démontré que l'émétique à haute dose ne fait pas vomir le bo?u(' et le mouton. Flourens\ dans de nouvelles expériences, a constaté qu'il produit des nausées et des efforts, comme chez les autres ani- maux, sans cependant amener de vomissement effectif. Ainsi, après l'injection de ce médicament dans les veines, les animaux éprouvent des nausées sans résul- tat. De même, après l'établissement d'une fistule à la caillette, ils sont essouf- flés, grincent les dents, se gonflent, et font des eflbrls sous l'influence de l'éméti- que. Ils ne présentent pas ces symptômes, alors que les fistules existent au premier estomac, et que le dernier est intact ; d'où il suit, d'après Flourens, que les causes provocatrices de la réjection agissent sur la caillette. Or, il faudrait, pour que le vomissement eût lieu, que les matières fussent poussées de la cail- lette dans le feuillet, de celui-ci dans le réseau, et du réseau dans la panse à tra- vers des ouvertures dont les deux dernières sont fort étroites ; mais comme la contraction du quatrième estomac entraîne celle des autres et, partant, le resser- rement de leurs ouvertures de communication, les aliments trouvent, par le fait même de cette contraction, un obstacle à leur cours rétrograde. On conçoit qu'il était très important, ajoute le savant physiologiste, que tout fût disposé pour rendre la réjection du contenu de la caillette très difficile, réjection qui eût amené le mélange de celui-ci avec les aliments non ruminés. Il semble que d'autres conditions encore, en expliquant la difficulté du vomis- sement delà caillette, impliquent la possibilité du vomissement de la panse. La panseest presque toujours remplie d'aliments après le repas, la caillette ne l'est jamais complètement; il peut y avoir très fréquemment indigestion de cet estomac, tandis qu'il n'y a presque jamais indigestion de la caillette, attendu que la rumination amène au dernier estomac les aliments en petite quantité et à me- 1. Mémoires (Vanaloniie et de piqjsiologic comparées. Paris, 1841, p. 65. 750 DE LA DIGESTION. sure qu'ils peuvent être chymifiés. Les matières du premier réservoir, si elles sont délayées, peuvent, de même que les liquides et les gaz, franchir aisément le cardia et remonter l'œsophage. On voit, sur le cadavre, que les matières fluides remplissent le conduit œsophagien et sortent par la bouche, pour peu que la tête soit dans une position déclive. Il y a, chez l'animal vivant, surtout après le repas et lors des indigestions, des éructations fréquentes qui entraînent des liquides avec des bouffées de matières alimentaires ; car, en appliquant l'oreille sur le trajet de l'œsophage, on entend, à de fréquents intervalles, des bruits qui parais- sent indiquer de semblables réjections. Il est facile de concevoir que ces matières, une fois arrivées à la bouche, soient immédiatement dégluties comme le sont celles qui reviennent normalement à cette cavité lors de la rumination. On peut même comprendre que, parvenues au pharynx, elles soient immédiatement renvoyées à l'estomac, car un corps in- troduit dans l'arrière-bouche est avalé aussi aisément que s'il était d'abord en- gagé dans la cavité buccale. C'est ce qu'on voit lorsqu'on porte des boules ou des morceaux de racines dans le pharynx à l'aide de longues pinces. Il en est encore ainsi pour tous les corps étrangers que l'on engage dans la trachée : une grenouille introduite dans ce canal, dont on referme aussitôt la plaie, est bientôt chassée dans le pharynx, et de là dans l'œsophage. La possibilité d'une réjection delà panse se conçoit d'autant mieux que les ma- tières alimentaires, au niveau du cardia, sont déjà fortement humectées, et qu'elles peuvent se mêler aux liquides du réseau. La division extrême de ces ma- tières, qui a été observée dans certaines circonstances, n'est point un argument contre l'idée que j'émets ici, car il peut très bien arriver que les matières re- jetées n'aient pu, après une seconde mastication, parvenir à la caillette par suite d'un obstacle à leur passage, obstacle qui serait devenu la cause provocatrice du vomissement. De ce que la réjection peut s'opérer sans de grandes difficultés, il ne faudrait pas croire que rien ne soit disposé pour la prévenir. Le cardia, si large, est cons- tamment contracté sur l'animal vivant ; l'extrémité inférieure de l'œsophage, si mince et si faible qu'elle paraisse, se resserre énergiquement; le doigt de l'expé- rimentateur s'y engage avec peine et s'y trouve fortement comprimé; les petites pelotes de fourrage qu'on cherche à y faire pénétrer sont repoussées aussitôt avec une violence qu'on ne soupçonnerait pas à l'aspect des parties ; de plus, les piliers du diaphragme opèrent aussi sur le canal une utile pression, et précisément dans des circonstances oi^i l'estomac est lui-même comprimé, c'est-à-dire lors de l'inspi- ration et au moment des grands efforts musculaires. Quoi qu'il en soit, les ruminants vomissent quelquefois. Tout porte à croire, d'a[>rès les observations connues, que les matières expulsées viennent du rumen, de telle sorte, dit Flourens, qu'alors il y a plutôt une réjection ordinaire, très abondante, viciée, qu'un véritable vomissement. Girard a vu une vache météo- risée vomir une quantité considérable d'herbes et se trouver immédiatement sou- lagée : le vomissement devint, par suite, habituel chez cet animal. Lecoq, de Bayeux, a vu aussi des vaches vomir, sans qu'il en résultât de conséquences graves. Santin a observé un bœuf qui, après avoir mangé avec avidité, rendait au VOMISSEMENT DES SOLIPÈDES. 751 bout d'un certain temps une partie de son repas, puis continuait à manger comme auparavant. Gruzel cite l'exemple d'un bœuf qui, de temps en temps, suspendait la rumination, qu'il reprenait presque aussitôt après avoir rejeté jusqu'à dix litres de matières liquides et parfaitement triturées. Le vomissement a été constaté aussi chez le mouton météorisé par Yvart, et par Bernard dans le cas de cancer de la caillette. CHAPITRE XXVI DE LA DIGESTION GASTRIQUE. La plupart des actes digestifs effectués jusqu'ici sont des actes mécaniques pu- rement préparatoires : l'aliment a été saisi, porté à la bouche, apprécié par le sens du goût, broyé, imprégné de salive, et, chez certains herbivores, ramené à la bouche pour y être ruminé. Une fois cet aliment parvenu à l'estomac, il va subir, après un séjour plus ou moins prolongé, des modifications dans ses pro- priétés physiques et dans sa nature ; en un mot, il \a éprouver ce qu'on appelle la transformation chyrneuse ou la cliymification. L'organe dans lequel s'opère cette conversion n'est pas distinct, chez tous les animaux, du reste de l'appareil digestif. Lorsqu'il apparaît, c'est sous la forme d'un renflement irrégulier, sans démarcation bien nette à ses deux extrémités. Mais déjà, parmi les mollusques supérieurs et les articulés, il se circonscrit par- faitement et se divise même parfois en plusieurs compartiments. Il reste longitu- dinal et ovoïde chez les poissons, devient transversal chez la plupart des reptiles, acquiert une complexité remarquable chez les oiseaux; enfin, il arrive aune grande diversité de formes dans les mammifères, notamment parmi les espèces herbivores. Les modifications diverses de sa configuration et de sa structure en- traînent incontestablement des variations plus ou moins grandes dans les actions digestives, variations qu'il nous faudra rechercher, en ce qui concerne nos espèces domestiques. Examinons donc ce qui va se passer, dans le viscère, à partir du moment où il se remplit jusqu'à celui où il se débarrasse des aliments qu'il a élaborés. Ici, l'analyse des phénomènes devient difficile : car ils sont tout à fait inaccessibles à l'observation directe, et ne peuvent être appréciés sans le secours des expé- riences. Pour en faire une étude complète, envisageons la fonction, d'abord d'une manière générale, c'est-à-dire dans ce qu'elle a de commun à tous les animaux, puis nous la suivrons successivement dans ses principaux détails, chez les carnas- siers, les solipèdes, les ruminants et les oiseaux. I. — De LA DIGESTION GASTRIQUE EN GÉNÉRAL. Pour embrasser là série des phénomènes qui se passent dans l'estomac lors de la digestion, il faut examiner : 1° l'accumulation des aliments dans ce viscère et les changements qui en sont la conséquence ; 2° la sécrétion du suc gastrique, sa 752 DE LA DIGESTION. composition, ses propriétés ; 3° les changements qu'il fait subir aux matières ali- mentaires; 4° l'élimination graduelle de celles-ci ou leur passage dans l'intestin; 5° enfin, l'influence nerveuse qui préside à ces diverses actions. lo Accumulation des aliments et des liquides dans l'estomac. Si l'abstinence a duré un certain temps, l'estomac s'est débarrassé de son con- tenu, en revenant plus ou moins complètement sur lui-même, suivant les ani- maux. Chez le chien et les autres carnivores il s'est réduit à un très petit volume et s'est ramassé en un ovoïde irrégulier ; sa muqueuse s'est fortement plissée ; sa cavité, à peu près oblitérée, n'a conservé que quelques mucosités neutres ou alcalines. Il s'est moins affaissé chez le porc, et y a retenu un liquide trouble, jaunâtre, déteinte bilieuse, avec quelques gaz fétides. Il s'est encore bien moins resserré chez les solipèdes; sa portion gauche ou splénique, très contractée, s'est réduite à de faibles dimensions : mais sa partie droite a conservé une dilatation notable dans laquelle est resté en dépôt quelque peu de liquide mêlé à la salive déglutie pendant l'abstinence. L'estomac étant dans cet état, se dilate insensiblement dès que les aliments y sont poussés ; il change de position, de rapports, et éprouve quelques modifica- tions remarquables qui ne sont point identiquement les mêmes pour tous les animaux. Les aliments ne s'y disposent et ne s'y accumulent pas très régulièrement, comme on serait porté à le croire. S'ils sont mous, diffluents, réduits en pâtée ou en bouillie, ils se mêlent à mesure qu'ils arrivent ; mais s'ils sont en masses vo- lumineuses, comme chez les carnivores, ou secs et en bols assez fermes, comme chez les herbivores au régime du foin, de la paille, et même des grains, ils se groupent dans un certain ordre. Les premiers bols arrivés dans l'estomac vide sont déposés près du cardia ; ceux qui viennent ensuite poussent ceux-là vers la grande courbure, soit à gauche, soit à droite. Il est facile de s'en assurer en donnant successivement des aliments hétérogènes qu'on trouve répartis en strates plus ou moins régulières, parallèles aux courbures, et d'autant plus rapprochées de la petite ou du cardia, qu'elles sont plus récentes. Mais il n'en est ainsi qu'autant que les aliments sont secs et d'égale consistance, car si quelques-uns sont plus mous, plus réductibles en bouillie, ils tendent à s'éta- ler, à pénétrer les interstices des autres, et surtout à se porter vers l'orifice pylo- rique. L'ordre de dépôt devient confus, et un mélange plus ou moins intime s'effectue dès que l'animal ingère une notable quantité d'eau. Après la section des nerfs vagues qui paralyse à peu près complètement l'estomac, les aliments se disposent suivant l'ordre de leur arrivée : les premiers longent la grande cour- bure et remplissent le sac gauche, les autres forment des couches parallèles à la petite courbure, et d'autant plus rapprochées du cardia qu'elles appartiennent à des substances avalées plus récemment ; jamais le mélange ne s'opère si les aliments ont une certaine consistance et s'il n'y a pas ingestion d'eau. Ce fait, qui se produit constamment, dans ces conditions, a porté quelques observateurs ù croire qu'il devait être tel dans les circonstances ordinaires. DIGESTION GASTRIQUE EN GÉNÉRAL. 7o3 L'ordre suivant lequel les aliments s'accumulent dans l'estomac ne parait pas être très régulier chez les carnivores; il semble que chez eux les matières alimen- taires se mêlent plus aisément que les fourrages, les racines et les graines ne le l'ont cliez les herbivores. Néanmoins on constate que si le chien ou le chat mange presque en m^-me temps de la chair crue etde la bouillie, par exemple, les deux substances, après s'être mélangées, se séparent en grande partie : la dernière, cédant mieux à la pression du viscère, passe avant l'autre dans l'intestin. L'accumulation des aliments dans l'estomac n'a d'autres limites possibles que les limites mêmes de la dilatabilité du viscère. Mais la capacité de l'estomac est, comme on le sait, fort variable et très peu en rapport avec la taille des animaux, Elle est considérable chez les carnivores, car elle va, chez les chiens de moyenne stature, à 2 ou 3 litres, chez ceux de grande taille, jusqu'à 8 à 10 litres ; elle est moindre, proportionnellement, chez le porc, où elle ne s'élève, terme moyen, qu'à 7 à 8 litres ; elle est encore plus faible chez le cheval, dont le petit estomac contient ordinairement de IB à 18 litres, c'est-à-dire tout au plus de la douzième à la dixième partie de la capacité de l'intestin. Chez les ruminants, les quatre compartiments de l'organe acquièrent un si grand développement que leur capa- cité peut s'élever à 290 litres, lorsqu'ils sont dilatés par les aliments ou les gaz. Il faut bien distinguer, toutefois, la capacité possible, l'aptitude à contenir, de la contenance elfective; car, de ce que tel estomac peut, étant excessivement di- laté, recevoir une quantité déterminée d'aliments, il ne faut pas en inférer qu'il les contienne habituellement, après un repas abondant. Un cheval qui vient de manger sa demi-ration journalière, n'a guère dans ce viscère que de 8 à 10 kilo- grammes d'aliments, s'il n'a pas encore bu ou s'il s'est abreuvé depuis un certain temps. Un autre qui meurt d'indigestion n'a souvent que de 12 à 15 kilogrammes de matières plus ou moins tassées. Les ruminants gardent toujours dans leur réservoir gastrique des quantités fort considérables de matières alimentaires, quelle qu'ait été la durée de l'abstinence avant la mort. Ainsi, une vache de très petite taille, morte à la suite d'une maladie de longue durée, conservait encore dans ses trois premiers compartiments gastriques 65 kilogrammes d'aliments très secs et fortement tassés. Une seconde, après quatre jours d'abstinence à peu près complète, en avait environ 42 kilogrammes; j'en ai trouvé 61 chez une vache qui succomba à la suite d'une paraplégie; 66, sur une en très bonne santé, qui fut tuée après un jeûne de deux jours ; 97, sur une vache tuée dans les circonstances ordinaires; 98, sur un taureau ; et 105 kilogrammes sur une vache de très grande taille qui digérait parfaitement. A mesure que les aliments arrivent dans l'estomac, le viscère se distend, mais d'une manière tout à fait passive, comme le font la vessie, la vésicule biliaire, etc.; il change de forme, de position et de rapports : l'état de ses vaisseaux, de sa mu- queuse et de SOS autres tuniques éprouve quelques modifications remarquables. La distension du réservoir résulte de l'arrivée graduelle des bols alimentaires et des ondées de liquide qui sont poussées à l'orilice cardiaque par les contrac- tions très énergiques de la partie inférieure de l'œsophage; elle a lieu de telle sorte que les parois du viscère restent appliquées sur son contenu, dans les points oi!i il n'y a pas, avec les aliments, une certaine (luanlilé de gaz dégagés de la a. COLIN. — Physiol. comp., 3* édit. I — 48 7o4 DE LA DIGESTION. masse ; car il y en a toujours, comme on le sait, qui sont emprisonnés entre les parcelles alimentaires. Elle n'arrive à son terme qu'au bout d'un temps plus ou moins long et bien après le repas ou à la suite de l'ingestion précipitée d'une grande niasse d'eau. Il faut, en général, que le repas dure longtemps pour qu'elle soit portée à ses dernières limites. Si elle a lieu trop vile elle demeure incom- plète. On voit souvent, par exemple, le cheval altéré ne pouvoir aspirer un seau d'eau tout d'un trait. Avant qu'il en ait bu la moitié, le liquide lui remonte dans la bouche et les cavités nasales. Les trois tuniques de l'organe ne concourent pas de la même manière à son ampliation. La séreuse, peu adhérente à la petite et surtout à la grande cour- bure glisse aisément à la surface externe de l'estomac, s'agrandit aux dépens de l'épiploon spléno-gastrique, et aussi par le fait de sa propre extensibilité qui est plus prononcée qu'on ne le pense généralement. Elle permet, tout à la fois, au viscère de se distendre sur place et de glisser entre les lames, en se projetant en arrière et à gauche. La musculeuse qui, lors de la vacuité du réservoir, était épaisse, avec des fibres rassemblées en gros faisceaux sur le sac gaucbe, s'amincit considérablement ; ses fibres s'écartent les unes des autres, et perdent leurs si- nuosités, s'allongent, acquièrent du ressort et de la tension. La muqueuse change aussi d'aspect; ses plis s'effacent; sa surface interne devient unie; enfin, son tissu éprouve une extension très appréciable à partir du moment où les plis et les rides se sont elîacés. Le jeu des membranes gastriques est alors facilité parla laxité du tissu cellulaire des deux courbures, et surtout par celle de la couche si extensible et si résistante qui unit la tunique charnue à la muqueuse. Les vaisseaux gastriques, qui étaient flexueux pendant l'abstinence, se redres- sent, s'étendent et se prêtent ainsi, demême que les nerfs, sans être tiraillés, au changement du volume qu'éprouve le viscère. La circulation y devient plus active et y amène une quantité de sang supérieure à celle qu'elle entraîne lors de la vacuité de l'organe : mais peut-être est-elle un peu gênée, par suite de la com- pression que les tuniques exercent sur les veines et les artères. L'estomac change de forme. Vide, il offrait un étranglement marqué entre ses deux sacs dont le gauche était petit et affaissé, tandis que le droit conservait une certaine dilatation, du moins dans les solipèdes. A mesure qu'il se remplit, son étranglement diminue et disparaît presque entièrement; le sac gauche arrive insensiblement au volume de l'autre qu'il ne tarde pas à dépasser; enfin, l'organe prend la configuration d'ensemble qu'on lui voit lorsqu'il est distendu artificielle- ment sur le cadavre. Il change de position. Lors de la vacuité, sa partie pyloriquc restait fixée vers la scissure postérieure du foie, la splénique en arrière du diaphragme, au-dessus ,du lobe gauche du foie, et en avant du rein correspon- dant. En se remplissant, il se porte en dehors de la ligne médiane; sa face anté^- rieure couvre une partie du l'oie et s'applique, dans le reste de son étendue, sur la région gauche du diaphragme, de telle sorte que la grande courbure se rap- [iroche (h; l'hypochondre gauche et le cul-de-sac gauche de la partie supérieure du fianc. Alors, celte gi-ande courbure ligui'e un croissant qui part de la partie supéiiciir*; du liane, suit riivpochondrc gauche et arrive au niveau de la scissure DIGESTION GASTRIQUE EN GÉNÉRAL. 755 postérieure du foie. Ku arrière, Testomac se met en rapport avec ce qu'on appelle la courbure gastrique du cùlon. Dans tous les cas, quelle que soit sa réplétion, le viscère ne vient jamais, chez les solipèdes, se mettre en contact avec les parois inlérieures de l'abdomen ; il en demeure toujours séparé par la courbure sus- sternalc du cùlon et une i)arti(; de la courbure gastro-diapliragmatique. Il n'en est point ainsi chez les carnivores. L'estomac de ces animaux touche en haut à la région lombaire, en arrière il dépasse de beaucoup les hypochondrcs et il vient inférieuremont reposer sur les parois abdominales. Par suite de la réplétion du réservoir gastrique, la rate se déplace et se trouve entraînée à gauche ; les intestins sont un peu refoulés en arrière et légèrement comprimés, comme les autres organes abdominaux, d'où naît le besoin de la défécation et de l'excrétion de l'urine; la vésicule biliaire commence à se vider, le diaphragme est moins libre dans sa projection en arrière, la respiration est un peu gênée, la faim se calme et la satiété y succède ; le sang se concentre à l'inté- téj'ieur ; il survient parfois des frissons, notamment à la suite de l'ingestion d'une grande quantité d'eau froide ; l'économie tout entière semble prendre part au travail digestif; l'animal devient lourd, manifeste de la tendance au repos et à la somnolence. Mais, à cet égard, toutes les espèces ne ressentent pas les mêmes effets de la présence des aliments dans l'estomac ; le bœuf pousse des soupirs, éprouve de fréquentes éructations, se couche et ne tarde pas à ruminer; le chien se couche aussi et s'endort comme le chat et le porc ; les reptiles tom- bent dans une torpeur remarquable; les serpents se roulent en s[)irale, ne cher- chent plus à attaquer, refusent même de se défendre contre des provocations qui les rendraient terribles dans d'autres circonstances. •2," Des mouvemeiUs de l'estomac. Les aliments, à mesure qu'ils arrivent dans le réservoir gastrique, tendent à le dilater dans toutes ses parties, comme à agrandir ses ouvertures œsopha- gienne et pylori(iue. Le viscère doit céder dans sa [larlie moyenne dont l'am- pliation est toute passive ; mais, en même temps, il doit résister d'une manière continue à l'ellort expansif exercé au voisinage du pylore et au cardia dans les intervalles de la déglutition. Grâce au sphincter cardiaque, au renforcement de la tunique charnue de l'œsophage, et à un anneau pylorique plus ou moins dé- veloi)pé suivant les espèces, l'organe acquiert une force rétentive considérable, capable de faire équilibre à l'expansion des aliments et aux pressions extérieures qu'ils peuvent sup[)t)rter. Ces aliments, [)ar l'impression mécanique de leur contact avec la muqueuse, par leur température, leurs propriétés plus ou moins stimulantes, provoquent la contraction des rd)res de la tunique musculaire du viscère. Ils doivent être brassés, mêlés aux liquides, soumis à l'action dissolvante du suc gastrique, dé- sagrégés, atténués et enfin poussés dans l'intestin. Les mouvements de l'estomac ont, par conséquent, un rùle complexe et important. La faculté contractile de l'estomac, (|ui n'a point paru évidente à tous les an- 7o6 PE LA DIGESTION. ciens physiologistes, a été neltement constatée par Haller i sur divers petits ani- maux, le viscère demeurant en place et vu à travers le péritoine, ou le plus sou- vent détaché et exposé à l'action de l'air. L'illustre expérimentateur a vu ses contractions, ordinairement faibles, acquérir de l'intensité sous l'influence des excitations chimiques et mécaniques, au point qu^elles pouvaient faire sor- tir les aliments à traAers le pylore. Elles ont été observées aussi par Spallanzani ^ sur des chiens vivants ouverts peu de temps après le repas. Sur un de ces ani- maux, le savant italien a vu le viscère commencer à se contracter un peu au-des- sous de l'orifice supérieur et l'onde se propager doucement jusqu'au pylore. A la contraction succédait périodiquement, dit-il, une dihitation : le mouvement sus- pendu réapparaissait sous l'influence d'une irritation. Les mouvements de l'estomac sont, dans la plu[)art des animaux, faibles et lents, et tous les observateurs sont unanimes sur ce point. Dans certaines con- ditions, comme lors d'une distention extrême ou d'un affaiblissement complet, ils sont à peu près insensil)les. C'est qu'en effet, le viscère a des périodes, même très longues, d'inertie ou de flaccidité dans la plus grande partie de son étendue, quoique ces orifices soient maintenus fermés à la manière des sphincters .11 com- mence à sortir de sa torpeur lorsqu'il a été stimulé par les aliments, et surtout par les liquides dont la température est très différente de celle du corps. Les caractères et le rythme des contractions de l'estomac ne sont point d'une constatation facile. Le contact de l'air, le déplacement du viscère, les irritations portées en des parties circonscrites de sa surface, les modifient et en donnent souvent une fausse idée. Aussi les meilleurs observateurs n'ont-ils pu en pré- senter des descriptions concordantes. D'abord ces contractions ne sont point continues; elles ne se font remarquer, le plus ordinairement, qu'à des intervalles éloignés. Une fois qu'elles se produi- sent, c'est presque toujours partiellement; elles ont lieu dans des sens divers, suivant les points du viscère et les moments où on les observe. Ensuite, les contractions gastriques ne sont pas régulières et aussi constam- ment péristaltiques que celles de l'intestin, et cela paraît résulter de l'insymétrie du viscère et de la disposition de ses plans de fibres. 11 est rare de voir une con- traction s'opérer circulairement, au moins en une seule fois, quoique l'étrangle- ment moyen, ou la coarctation observée parBérard sur l'homme, par Longet sur le chien, et par moi sur le cheval, en indique de cette forme ; mais cette contrac- tion circulaire, extrêmement marquée sur les chiens à fistule gastrique, est fré- quente au niveau du pylore, sur une zone d'environ un décimètre, chez les ani- maux solipèdes. Lorsqu'elle a lieu sur un point quelconque, elle forme une onde marchant, soit du cardia au pylore, comme l'a vu Spallanzani, soit en sens in- verse, du pylore à la région moyenne, ainsi que l'a observé Magendie. Sur l'es- tomac du lapin expirant, le pincement des parois, dans la région moyenne du viscère, donne lieu à un étranglement très prononcé qui sépare les deux sacs autant qu'ils peuvent l'être, mais le sillon demeure d'habitude dans le point oii il s'est formé. Je n'ai jamais vu d'ondes de ce genre dans le sac gauche ; elles se 1. Haller, Mémoires sur la nat. sens, et irrit., t. I, p. 67, 2UG et suiv. 2. Spallanzani, Expériences sur la digestion, p. 630. i DIGESTION GASTRIQUE KN GÉNÉRAL. 757 circonscrivent entre l'étranglement moyen et le pylore; il n'y en a {)as non plus an niveau du cardia dans les instants de constriction énergique, car cet orilice se resserre surtout par un mouvement spiroïde. Les deux moitiés du viscère ont des mou\ements indépendants. Ceux de la par- tie pylorique sont, comme Scliifr l'a très bien lait remar(iuer, les plus prononcés, au moins sur le chien et les petits animaux ; mais ceux de la partie voisine du cardia m'ont paru présenter, sur les solipèdes, une fréquence et une énergie exceptionnelles. Les contractions ne s'opèrent pas toujours du côté gauche vers le droit; elles sont souvent dirigées en sens inverse, c'est-à-dire alternativement péristaltiques et antipéristaltiques, afin d'imprimer des mouvements oscillatoires aux matières alimentaires , de les amener succe^sivement dans les parties déclives où les liquides dissolvants abondent, de les faire passer, à tour de rôle, dans les régions où la sécrétion du suc gastrique s'effectue, car chez certains animaux, comme les solipèdes, elle ne s'opère que dans une moitié du viscère. Néanmoins, surtout vers la lin de la digestion, c'est le mouvement péristaltique qui prédomine. Indé[)endamment de ces contractions étendues, plus ou moins ondulatoires, il en est d'autres près du cardia qui s'opèrent à la fois dans l'œsophage, dans les libres rayonnantes et dans les cravates émanées de ce canal. Elles sont très sen- sibles sur l'estomac détaché immédiatement après la mort. Quand elles cessent, si l'œsophage a été coupé près de son insertion, les matières fluides peuvent, par moments, s'échapper par l'oriOce cardiaque en notable quantité. C'est vers la lin de la digestion et lors de l'arrivée des liquides que ces mou- vements deviennent fréquents et énergiques, surtout autour du pylore ; ils font alors passer les matières en ondées dans l'intestin grêle, comme on peut le voir sur le cheval dont l'abdomen est ouvert. Par suite de l'association de ces divers mouvements, les matières alimentaires éprouvent en plusieurs sens des déplacements que l'on peut observer sur les sujets porteurs de fistules gastriques. On sait que Beaumont a vu, sur son Ca- nadien, une parcelle d'aliment aller de gauche à droite par la grande courbure, et revenir de dioite à gauche par la petite; il a vu également le thermomètre dans la fistule éprouver des mouvements marqués dans le même sens. On a admis, depuis longtemps, un mouvement circulaire des aliments, d'après la disposition tourbillonnante des poils dans les égagropiles du veau ; mais cette particularité tient, chez les ruminants, à des causes tout autres que celles qui agissent chez les monogastriques. Toutes les variétés possibles des mouvements de l'estomac semblent réunies chez les animaux ruminants. Chaque réservoir gastrique, chezcesanimaux,asamanière de se mouvoir. La panse éprouve des contractions très amples dans son ensemble et très énergiipies dans ses piliers. Celles du réseau sont brusques et de courte durée. Au feuillet, elles sont très lentes, à peine sensibles, et à la caillette elles prennent le caractère ondulatoire qu'elles ont chez les espèces monogastriques. Partout, d'ailleurs, comme on l'a vu à l'article de la rumination, elles tendent à prendre un caractère rytiimi(|ue en rapport avec le rôle complexe de l'estomac de ces animaux. iO» DE LA DIGESTION. Les mouvements de l'estomac sont accélérés par le contact de l'air, par les excitations mécaniques portées sur les parois, ou sur les nerfs vagues, soit dans leur portion thoracique, soit dans leur portion abdominale; mais, dans ce der- nier cas, ils le sont seulement si le viscère renferme des aliments, comme Longet l'a fort bien remarqué. C'est par les stimulations électriques qu'on les provoque le plus vite et qu'on leur donne leur maximum d'étendue et d'énergie ; néan- moins, dans beaucoup de cas, ces stimulations n'agissent pas mieux, notamment sur les petits animaux, que celles de nature mécanique. Les contractions de l'estomac ont un rôle complexe très important : 1° elles retiennent d'abord les matières alimentaires dans la cavité gastrique pendant un temps suffisant ; 2° elles stimulent la muqueuse et activent la sécrétion du suc gastrique, car en pressant cette membrane sur la masse alimentaire, elles lui font éprouver une excitation mécanique souvent très énergique ; 3° elles favorisent la désagrégation, l'atténuation des aliments, les broient, les triturent même chez certains animaux, et leur impriment une agitation qui leur permet de s'impré- gner plus complètement de suc gastrique ; enfin elles poussent les matières dans l'intestin à mesure que leur chymification s'opère. Leur suppression, que l'on peut obtenir par la section des nerfs vagues, rend la digestion extrêmement lente. L'estomac se contracte nécessairement, vers les deux orifices, pour retenir les aliments et les liquides dans sa cavité. Galien ' , pour expliquer cette particula- rité, attribuait au viscère une faculté rétentive spéciale. Haller avait vu que ce réservoir, séparé du corps immédiatement après la mort, ne laisse pas échapper son contenu, pour peu que celui-ci ne soit pas trop diffluent, fait qui tient à la constriction que le contact de l'air provoque surtout au pourtour du cardia et du pylore. Il est facile de constater, sur les animaux vivants, que le cardia est exactement fermé, même chez les espèces dont l'œsophage est mince et évasé à son insertion. Magendie, qui a noté l'énergie avec laquelle il se resserre sur le doigt de l'expérimentateur, a observé que l'extrémité inférieure de l'œsophage éprouve des contractions rythmiques très prolongées, alternant avec des périodes très courtes de relâchement. Je me suis assuré maintes fois que, chez les solipèdes, cette contraction est permanente et fort énergique : elle ne m'a pas semblé beau- coup moins intense chez les grands ruminants, lors même qu'ils se trouvaient réduits à une prostration extrême, telle que celle qui précède la mort. La con- traction qui s'opère dans le sphincter cardiaque et l'extrémité inférieure de l'œso- phage suffit pour s'opposer au reflux vers la bouche des matières contenues dans l'estomac, même lorsque le viscère est soumis à une forte compression de la part du diaphragme et des muscles abdominaux. Celle qui a lieu au pourtour de l'ori- fice pyloriquc, sans avoir le caractère de permanence et d'énergie qui distingue la précédente, n'en est pas moins remarquable : elle est très prononcée et pres- que constante chez les carnassiers, le porc et les ruminants dont l'estomac est pourvu d'un bourrelet pylorique très épais. Au contraire, elle va rarement jusqu'à fermer l'orifice intestinal de l'estomac chez les animaux solipèdes : aussi le pylore 1. Galien, Œuvres, trad. par Ch. Daremberg. Paris, 1851, t. I, p. 290. DIGESTION GASTRIQUE EN GÉNÉRAL. 7o9 de ces lierbivores se trouve-t-il presque toujours béant, pour des raisons qui seront exposées tout à l'heure. Les contractions de l'estomac, dans les parties intermédiaires aux deux orifices, servent à imprimer aux matières alimentaires une agitation qui ramène vers la périphérie de la masse les parties qui ne reçoivent que très difficilement le suc exhalé à la lïice interne de la ineml)rane muqueuse : elles mêlent ces substances, elles les brassent en quelque sorte, comme on le voit si évidemment chez les ruminants, dans les circonstances que j'ai déjà indiquées; elles l'acilitent la sépara- tion, le départ des parties qui sont suf'lisammenl élaborées pour [lasser dans l'intestin. Ce mélange ne se fait pas, ou ne se fait que très imparfaitement dans l'estomac des chevaux qui se nourrissent de fourrages desséchés; il commence seulement ù s'effectuer quand les aliments sont ramollis par les liquides que l'animal boit, ou lorsqu'ils sont par eux-mêmes suffisamment délayés. Les con- tractions qui le produisent sont, comme nous l'avons vu, lentes, faibles, renou- velées à de rares intervalles. Quant à l'influence des contractions sur la désagrégation et l'atténuation des matières alimentaires, elle est évidente ; mais elle n'est pas aussi grande qu'on l'a dit autrefois. Evidemment, les parois de l'estomac ne peuvent opérer le broie- ment, la division qui se produit d'une manière si remarquable dans le gésier des oiseaux granivores. Réaumur et Spallanzani avaient déjà parfaitement démontré que l'estomac ne possède pas une faculté triturante sensible chez les animaux où il a des parois minces. Aussi, depuis longtemps, personne ne croit au fondement du calcul de Pitcairn qui évaluait à plus de 12 00U livres la force de ce viscère chez l'homm*. calcul que Duverney et tant d'auteurs du siècle dernier rappor- tent avec une gravité (pi'on a peine à comprendi'e. Chez le chien le |»ouvoir triturant du viscère est si faible, qu'on doit le consi- dérer comme à peu près nul ; aussi toutes les fois que j'ai fait avaler à des animaux de cette espèce des racines cuites d'un grand volume, carottes, panais, quartiers de betteraves je les ai retrouvées après plusieurs heures, même à la \\n de la digestion, presque entières. Pourtant alors une légère pression des doigts aurait suffi à les écraser. s*) Ëlaboiatioii des aliments sous Tinfluence du suc gastrique. Avant les expériences de lléuumur et de Spallanzani, on croyait qiu> l'altéra- tion des aliments dans l'estomac, leur conversion en bouillie, résultait d'une sorte de macération, de coction ou de fermentation. C'est à compter de ces observa- teurs illustres qu'on a reconnu que la lluidificalion des matières alimentaires est produite par l'action du liquide dissolvant, connu sous le nom de suc gastrique. Orlgriiie «lu s*uc sa.«iti>ic|ue. — Dans l'épaisseur de la membrane interne de l'estomac de tous les mammifères, il existe de petites glandes utriculaires affectées à la sécrétion du liquide dissolvant. Elles sont de deux sortes, quant à leur forme. Les unes simples forment des tubes cylindriques d'environ 1 milli- mètre de longueur et souvent plus, tellement rapprochées qu'elles se touchent comme les glandes tubuleuses de Galéati dans l'intestin. Ces tubes, souvent 760 DE LA DIGESTION. sinueux vers leur fond, peuvent se réunir en plus ou moins grand nombre pour s'ouvrir par un orifice commun. Ils sont constitués par une mince membrane tapissée intérieurement de cellules à pepsine, polygonales, finement granulées. Les autres (fig. 112), dites glandes utriculaires composées, moins nombreuses que les précédentes et confinées chez l'homme au voisinage du cardia, ont une partie élargie pourvue d'un épithélium ordhiaire, et portent vers leur fond un faisceau Fig. 112. — Glande à suc gastrique ('*). Fig. 113. — Glande muqueuse. de prolongements cylindriques ou de ramifications variqueuses, également tapissées par des cellules pepsiques. Ces glandes pepsiques simples ou composées, décrites par Kolliker et Donders, se trouvent disséminées, en général, dans toute l'étendue de la muqueuse chez les carnivores et dans la partie veloutée des solipèdes ; elles sont concentrées chez le porc, surtout à la partie moyenne et au niveau de la grande courbure. On peut juger de leur réparlition et de leur abondance, en appliquant sur la muqueuse gastrique, préalablement débarrassée de son mucus, un linge fin im- bibé de bleu de tournesol : ce linge rougit très fortement, comme l'ont vu Pré- vost et Lcroyer, dans les points où les glandes pepsiques sont en grande quantité. Très près du pylore, chez le chien, le lapin, le cheval, elles sont en faible propor- tion : aussi, l'infusion de la muqueuse prise en ce point, ne jouit, d'après Kolli- ker et Schiff, que d'un pouvoir digestif très faible. A côté de ces petits organes glanduleux se trouvent les glandes muqueuses de mêmes formes et de mêmes dimensions, les unes simples, les autres composées (*) 1, canal excréttur coininuii ; 2, prolongements ramifiés garnis de cellules à pepsine (Kiiiliker). D[r.l':STI()N GASTRIQUE EN GÉNÉRAL. TUl (fig. 113), dépourvues de cellules pepsiques et seulement tapissées d'un épithéliuin cylindrique. Elles existent surtout en grand nombre près du pylore, plus exposé que le reste du viscère à être irrité par les aliments. Ces deriiièrps glandes four- nissent le mucus épais et abondant qui enduit toute l'étendue de la muqueuse veloutée et la soustrait au contact immédiat des matières étrangères. Les glandes de l'estomac pré|)Osées à la sécrétion du suc gastrique manquent complètement chez le porc dans la petite portion blanche qui tapisse ra[q)endi((' de la grosse tubérosité et dans toute l'étendue du cul-de-sac gauche des soli- pèdes ; dans celle des trois premiers estomacs des ruminants. Elles sont diverse- ment groupées chez d'autres animaux, et rassemblées en une masse considérable à la petite courbure chez le castor, le dugong et le phascolome, et au contraire à la grande courbure chez le pangolin ^ Sécrétion «lu suc ^a.«itriprimer : les émotions vives, la douleur, la fièvre de réaction, les émissions sanguines, Tappel du sang à d'autres fioints de l'économie, etc. Cette sécrétion marche parallèlement à celle du mucus pendant la digestion. Ce dernier produit versé abondamment chez les solipèdes, les rongeurs, forme à la muqueuse un revêtement qui la soustrait à l'action du suc gastrique et une enveloppe qui atténue l'impression de la masse alimentaire. Néanmoins la sécré- tion muqueuse n'est pas toujours liée à celle du suc gastrique, car, pendant l'abs- linence, elle peut devenir très abondante sur le cheval, sur le chien, comme chez riiommo qui en vomit souvent îc produit à jeun. La quantité de suc gastrique, sécrétée dans un temps donné, n'a jamais été exactement déterminée. Elle paraît très considérable chez les animaux qui peu- vent digérer des aliments secs sans boire, comme le lapin, le mouton, et même chez les carnassiers qui consomment des masses énormes de viande, sans faire usage de boisson. Bidder et Schmidt admettent, d'après quelques résultats obte- nus sur des chiens à fistule, (|u'il y a 100 grammes de suc gastrique sécrétés par vingt-quatre heures pour chaque kilogramme du poids de l'animal ; et que chez l'homme, la proportion étant conservée, il y en aurait 6 kilogrammes et demi. Une femme à fistule, observée à Dorpat, en aurait donné en moyenne o80 grammes par heure, soit 14 kilogrammes par jour, ou le quart du poids du corps. Mais tous ces calculs sont exagérés et reposent sur des bases fausses. On a pris pour du suc gastrique le liquide constitué pour moitié au moins par la salive déglutie, soit avec l'aliment, soit pendant la digestion, et par une notable propor- tion de mucosités ; puis on a fait ces calculs sans tenir compte de l'intermittence du travail digestif, lequel est suspendu au moins douze heures sur vingt-quatre. Des chiens de 20 kilogrammes, rationnés par 1 kilogramme de viande, devraient, d'après mes estimations, digérer cette ration avec 1 kilogramme de liquide con- tenant à peu près la moitié de suc gastrique, soit 500 grammes ou ■23 grammes par kilogramme du poids du corps. En déduisant la salive, dans les expériences (le M. L. Corvisart^ les ."JO à 60 grammes par kilogramme du poids de l'animal seraient ramenés au chiffre que je donne et que je crois le chiffre ordinaire. Chez les animaux qui se nourrissent de substances molles, ou de matières peu azotées, la proportion de ce liquide me jiaraît devoir être moindre que chez les carnassiers. Et en appliquant à l'homme les résultats que j'obtiens sur le chien, je crois qu'elle indiquerait pour lui une quantité égale à environ 1 kilogramme et demi par jour. I*iM>i»i*iété« et cM>iii|><>ii«iti<>ii «lu suc grn!i»(i>i(iiie. — Le SUC gastri- que, presque toujours obtenu trouble et associé aux salives et à des matières ali- mentaires, est transparent à l'état de pureté ou après filtration, légèrement 1. Corvisart, De la sécn-tion du suc i/astriijue. Paris, 1857. 764 DE LA DIGESTION. jaunâtre, inodore ou d'une odeur fade, variable suivant les animaux qui le four- nissent, d'une saveur salée et aigre. Il demeure longtemps limpide à l'air sans s'altérer sensiblement. Il ne montre au microscope que quelques cellules épi- théliales, quelques noyaux ou granules provenant probablement de cellules détruites. Ce liquide a une réaction constamment acide, plus ou moins marquée, qui s'affaiblit à mesure qu'il s'associe à une plus grande quantité de mucosités gas- triques ou de salive. Son acidité, pour cette raison, semble varier aux différentes périodes de la digestion, quoique, en réalité, elle demeure à peu près uniforme : cette réaction s'observe chez tous les animaux où il a été possible d'étudier le suc gastrique. Si quelquefois il a paru neutre ou même alcalin, c'est qu'on pre- nait pour du suc gastrique des fluides muqueux sécrétés pendant l'abstinence, de la salive ou d'autres produits tels que ceux que Spallanzani tirait de la panse des ruminants. La composition du suc gastrique a été déterminée par plusieurs chimistes dont les analyses sont peu concordantes. ïiedemann et Gmelin ont trouvé dans celui du cheval et du chien de l'acide chlorhydrique, de l'acide acétique, quelquefois de l'acide butyrique avec les éléments réunis de la salive et du suc gastrique proprement dit, car ils prenaient dans l'estomac le mélange de ces deux fluides. Leuret et Lassaigne, à la même époque, ont trouvé dans celui du chien de l'acide lactique, diverses matières animales et des sels. Plus récemment Blondlot, Schmidt, Otto, ont de nouveau analysé le suc gastrique du chien. Leurs analyses ont peu d'uniformité quoiqu'ils aient pris des précautions pour éviter le mélange du liquide avec la salive. Les différences peuvent tenir à l'habileté des chimistes, à leurs procédés, autant qu'aux conditions variées dans lesquelles se trouvaient les animaux. — Voici l'analyse donnée par Schmidt ^ : Eau 973,062 Matière organique 17, 127 Acide chlorliydrique libre 3,050 Chlorure de potassium 1,125 Ciilorure de sodium 2,507 Chlorure de calcium 0,624 Chlorliydrale d'ammoniaque 0,468 Phosphate de chaux 1,729 Phosphate de magnésie 0,226 Phosphate de fer 0,082 1000,000 Ce qui fait le caractère distinctif du suc gastrique, en lui donnant ses pro- priétés si remarquables, c'est la présence d'un ou de plusieurs acides, et celle d'un ferment, la pepsine, acides et ferment qui jouent chacun leur rôle dans la digestion. L'acide du suc gastrique qui paraît exister dans la proportion de 2 à 3 millièmes, n'est pas encore très sûrement déterminé. D'après W. Prout, c'est l'acide chlo:- 1. Bidder et Schmidt, Die Venlaimngssufte und der Stofl'mcrdtsct, 1852. DIGESTION GASTRIQUE EN GÉNÉRAL. 76o hydrique; d'après MM. Chcvreiil, Leuret, Lassaigne, Barresvvil, Cl. Bernard, c'est de l'acide lactique; pour Lcliinanu, c'est à la fois de l'acide clilorhydrique et de l'acide lactique, en proportions peu différentes; pour Sclimidt, c'est de l'acide chlorhydrique avec une faible proportion d'acide lactique; d'après M. Cil. Ricliet ', qui a pu obtenir du suc gastrique pur, sans mélange avec la salive, sur un jeune honune à lislule et à œsophage oblitéré, ce liquide renfer- merait aussi deux acides en proportion variable : un minéral qui serait le chlo- rhydrique ou le phosphorique et un organique, l'acide lactique ou un analogue. Cet expérimentateur a trouvé l'acidité moyenne du suc gastrique équivalente à ls,7 d'acide chlorhydrique pour l (JOO grammes de liquide ; elle n'est jamais inférieure à 0=,5 ni supérieure à 3^,2; et il l'a vue augmenter ou diminuer sous l'influence de certains aliments ou liquides. Elle est un peu plus prononcée sur la fin de la digestion que dans les premiers moments. Il est à noter, d'après M. Richet, que le suc gastrique hors de l'estomac peut fermenter et devenir plus acide qu'il ne l'est lors de sa sécrétion. Les acides du suc gastrique sont regardés comme libres, suivant les uns, parce qu'ils peuvent donner lieu à une efîei-vescence par l'addition du carbonate de chaux. Suivant les autres, ils sont combinés ou associés aux matières organiques, notamment à la pepsine. D'après Schmidt, l'acide chlorhydrique associé à la pepsine donnerait un acide composé, chloropeptique, apte à opérer rapidement la dissolution des albuminoïdes et leur transformation en peptones. Le second élément essentiel du suc gastrique et même le plus important, est la pepsine, matière animale produite par les glandes tubuleuses indiquées plus haut, formant souvent autour de la masse alimentaire, comme Eberle l'a fait voir, une couche grisâtre, confondue généralement avec le mucus. Cette j)epsine, que l'on peut obtenir en faisant infuser la membrane muqueuse dans l'eau dis- tillée, est précipitable par l'acétate de plomb et l'alcool; elle se redissout dans l'eau : légèrement acidulée, elle jouit de toutes les propriétés dissolvantes et digestives du suc gastrique. On peut, comme l'a fait Payen, la séparer du suc gastrique en la précipitant par l'alcool. Cette pepsine en dissolution est incoagulable par la chaleur; elle perd ses pro- priétés aune température voisine de l'ébullition; le tanin, la créosote, en la précipitant, la privent de sa faculté caractéristique ; mais les sels de plomb, le sublimé qui la précipitent également, ne lui font subir aucune altération. A l'état sec, elle prend la forme de petites écailles déliquescentes. Elle parait, d'après les observations de Brïicke '^, à l'état neutre dans les tubes gastriques, où elle peut demeurer longtemps emmagasinée, et à cet état, elle ne possède aucune de ses propriétés digestives. Elle ac([uiert celles-ci en se combinant avec l'acide chlor- hydrique ou avec un acide quelconque, venant, soit des glandules, soit des matières alimentaires. En somme, le suc gastrique est un composé hydraté de pepsine et de un ou 1. Recherches sur Vaciilitc du suc gasiriqtie de Vhomme ef ob.ar les reins. Le caséum se coagule immédiatement dans l'estomac en grumeaux plus ou moins volumineux qui, plus tard, se ramollissent et se dissolvent. La dissolution s'en opère en grande partie dans l'estomac : quelques portions, cependant, en passent à peu près intactes dans l'intestin. Le gluten se ramollit assez vite, perd son élasticité, se réduit en parcelles impalpables, et linalement donne de la pulpe et des peptones. La gélatine se dissout très aisément lorsqu'elle a été ingérée à l'état de gelée légère et peu consistante. Dès ([ue sa dissolution est opérée, elle ne peut plus se coaguler par le relVoidissement ni précipiter par le chlore. L'action du suc gastrique s'étend, quand elle est très prolongée, à des sub- stances plus réfractai res que les précédentes; elle peut produire la dissolution des tendons, des cartilages, même celle des os qui sont attaquables en raison de la nature de leur trame organique, cela indépendamment de la pression que l'es- tomac exerce sur son contenu, et de la trituration qu'il peut opérer chez certains animaux. Les expériences de Spallanzani, qu'il faut si souvent citer, mettent ce fait hors de toute contestation. L'ingénieux expérimentateur, en faisant avaler à des animaux, dans des tubes métalliques percés de petits trous, de la chair, des fragments de tendons, des portions de membranes, ou de petites sphères creuses et perforées dans lesquelles il mettait diverses substances dont le poids était préalablement déterminé, constatait facilement les altérations subies par ces matières, sous l'influence du suc gastrique. Alors, soit que les animaux vinssent à vomir les tubes et les sphères, comme le font les oiseaux de proie, soit qu'ils les rendissent par les voies ordinaires, soit enfin qu'il les retirât au moyen de lils restés pendants à l'extérieur, ou qu'il tuât ses victimes à diverses périodes de la digestion, il voyait que les matières renfermées dans les tubes percés étaient ramollies, dillluentes, qu'elles avaient déjà perdu sensiblement de leur poids aprèsuncourtséjour,etqu'enfin elles étaient complètement dissoutes et entraînées, si tlles demeuraient assez longtem[)s soumises à l'inlluence du suc gastrique. Il s'assura qu'un faucon (lui mangeait un pigeon dans un repas, moins le bec et la pointe des ailes, digérait les os, puisqu'il ne les vomissait point, ni ne les ren- dait avec les excréments. Une bille faite avec la substance compacte d'un os fut donnée à cet oiseau, qui la vomit, puis elle fut rendue, à mesure qu'il la vomis- sait, une ou deux fois par jour : au bout de cinq semaines, elle était réduite aux trois (piarts de son diamètre. Entin, un segment de fémur de pigeon, enveloppé dans un tube et donné à plusieurs reprises à une chouette, devint bientôt mince comme du papier, et après s'être percillé et un peu ramolli, il disparut. La digestion des os étudiée avec soin permet do constater quelques particula- rités intéressantes, tille se fait par couches extrêmement minces qui disparais- sent sans que, en même temps, les sous-jacentes se ramollissent sensiblement, G. couM. — l'hysiol. comp., 3° édit. 1 _ 49 770 DE LA DIGESTION. de telle 'sorte que l'os rapetissé, demeure toujours dur et lisse; dans chaque couche, la partie organique se dissout plus vite et plus complètement que la ma- tière saline; aussi, quand, à un moment donné, on examine Tos préalablement desséché, on voit sa surface couverte d'un dépôt blanchâtre à molécules désagré- gées. Dans l'estomac, cette poussière tombe et peut être éliminée sans altération avec les matières excrémentitielles : une très faible partie peut en être dissoute, car l'acide qui agit sur l'os, comme il le ferait dans des vases inertes, est en quantité très limitée. La digestion des os entiers ne se fait, du reste, d'une ma- nière sensible, que sur les oiseaux de proie et celle des os brisés, broyés, que sur quelques carnivores comme le chien, l'hyène, où les résidus excrémentitiels de ces os paraissent passablement dépouillés de leur matière organique. Il est quelques substances animales azotées absolument réfractaires à l'action du suc gastrique ; l'épiderme, les productions cornées, les enveloppes chitineuses des insectes, les poils, les plumes. Aussi, quand de petits animaux sont avalés entiers, ils sont protégés, pendant un certain temps, par leurs revêtements épi- théliques. Ces productions restent dans l'estomac, d'où elles sont rejetées par le vomissement, ou elles traversent l'intestin sans avoir été altérées ; elles peuvent y séjourner intactes pendant des années sous forme d'égagropiles. La division, la trituration de ces substances, chez les oiseaux insectivores, les laisse égale- ment inattaquables. C'est probablement à cause de la résistance des téguments à l'action du suc gastrique que des parasites tels que les spiroptères, les larves d'œstres, peuvent faire élection de domicile dans l'estomac, et que la trichine, toute microscopique qu'elle est, demeure intacte, pendant des semaines, dans celui des reptiles. En somme, toutes les matières azotées, protéiques : fibrine, albumine, caséine, gélatine, et les parties qu'elles forment, les muscleS; le sang, la peau, les mu- queuses, le tissu des glandes, les parenchymes divers, les tendons, les cartilages et les os sont digérés dans l'estomac par l'action du suc gastrique. Toutes ces substances, peu à peu pénétrées, ramollies, réduites à l'état de pulpe homogène, et finalement fluidifiées, n'ont pas subi une simple désagréga- tion ou une division extrême. Elles sont modifiées dans leur constitution molécu- laire, dans leurs propriétés chimiques, réellement transformées. Le suc gastrique les a converties en une matière neutre, indifférente, qui jouit de propriétés nou- velles; c'est ce que, depuis Lehmann, on appelle la peptone ou les peptones. Ges matières produites pendant la digestion gastrique, sont solubles dans l'eau, en- dosmotiques, absorbables; leur solution aqueuse rougit le tournesol; elles ne pré- cipitent plus ni par la chaleur, ni par les acides, mais restent précipitables parle tanin, le chlore, les sels de plomb, d'argent et de mercure; enfin, d'après Lehmann, elles forment, en se combinant avec les bases alcalines, des sels très solubles. Quoique ces peptones n'aient plus les caractères des principes dont elles dé- rivent, elles ne paraissent pas toujours identiques avec elles-mêmes, et peuvent éprouver des modifications successives. Suivant Meissner, qui en a fait une étude plus complète, il se forme dans la chair, sous l'influence du suc gastrique, la parapcpUme, qu'on précipite dans le liquide! neutralisé et ]ii di/spepione, qui DIGESTION GASTRIQUE EN GÉNÉHAL. 771 demeure insoluble et en suspension. Par l'aclion prolongée du suc gastrique, la parapeptone soluble dans l'eau continue à se transformer, et donne d'abord une pepfone précipitable par l'acide azotique, une seconde précipilable par le ferro- cyanurc de potassium acidulé, et une troisième qui ne précipite i)ar aucun des deux réactifs. Ces trois peptones restent précipitables par le sublimé et le tanin. Elles sont aptes à passer immédiatement dans le chyle et dans le sang. On s'est demandé comment le suc gastrique opère cette conversion des ma- tières azotées, si c'est par son acide, par sa pepsine ou parles deux ensemble agis- sant de concert ou successivement. L'acide dilué liquélie bien les matières azotées, comme MM. Bouchardat et Sandras l'ont démontré, mais il ne les trans- forme pas. D'autre part, la pepsine seule, comme le suc gastrique dont l'acidité a été neutralisée, est impuissante à dissoudre; elle ne jouit de toute sa puis- sance de transformation qu'en présence de l'acide ; c'est elle qui joue le rôle capital, vrais(>mblablemt'nt celui de ferment soluble : le suc gastrique, privé de sa pepsine, n'a plus aucun pouvoir digestif, comme on l'a constaté dans les diges- tions dites artificielles. Ce liquide n'exerce pas une simple action catajytique sur les matières azotées. Quoiqu'il paraisse s'épuiser à mesure qu'il se transforme, sa puissance semble s'exercer dans des limites très étendues, si l'on en juge par les résultats des expériences de laboratoire. En ellet, si, par la dialyse, on le sépare des peptones à mesure qu'elles se forment, on le voit continuer à agir pendant fort longtemps '. C'est par la pepsine que le suc gastrique exerce une action prolongée dans le travail de dissolution, car les chimistes attribuent à ce ferment une puissance indéiinie. En effet, si, dans les digestions artificielles, on enlève'les peptones à mesure qu'elles se forment, en ajoutant de l'eau et un peu d'acide, on voit se dissoudre de nouvelles quantités de fibrine, et cela autant de fois que l'opération est renouvelée ; la digestion épuise l'acide et ne détruit pas la pepsine. Ce qui se passe alors dans les ballons des chimistes, n'est que la reproduction de ce qui se fait dans l'organisme. Comme les peptones, à mesure qu'elles se forment entravent l'action dissolvante de la pepsine, l'estomac s'en débarrasse en les chassant dans l'intestin et il offre k la pepsine jusqu'au dernier moment de la chymilicati(»n de nouvelles parties à dissoudre. La transformation des matières azotées en peptones dans l'estomac ne porte pas, comme on pourrait le croire, sur la totalité de ces matières ; elle n'est que partielle et souvent très restreinte. Il suffit de recueillir quelques ondées de chyme sortant de l'estomac pour voir que, dans ces ondées, il y a une partie tout à fait liquide qui passe à travers les libres et contient les peptones, puis une partie finement divisée, pulvérulente, jtulpeuse, non dissoute, par conséquent. Celle-ci est constituée par des faisceaux primitifs désagrégés, des fibres rom- pues, sectionnées transversalement, des stries musculaires isolées. Elle paraît susceptible de continuer à se modifier dans l'intestin, tant par le fait du suc "as- trique qui l'imprègne encore que par celui des li(|uides intestinaux. La partie qui doit résister à la dissolution ou à l'absorption deviendra mafièro fécale. I. A. Gautier, l)(;s /'cniunitatiuiis. Paris, IHi'i'.i, p. ni. 772 DE LA DIGESTION. Action sur les matières non azotées. — La part du suc gastrique se réduit aux matières que nous venons d'examiner, et elle est très grande chez les espèces à alimentation animale. Mais les matières non azotées sont à peine ou ne sont nullement modifiées par ce liquide ; leur digestion doit s'effectuer dans l'intestin par l'action d'autres réactifs. Les matières grasses associées aux tissus animaux sont altérées dans l'es- tomac seulement par leurs parties annexées. Le suc gastrique, qui dissout le tissu cellulaire, isole les cellules, digère les parois des vésicules adipeuses, laisse leur contenu s'échapper en gouttelettes et en petites nappes ; mais ces matières, une fois isolées, quelle que soit la durée de leur séjour dans l'estomac, y con- servent leurs caractères : l'huile y demeure transparente, surnage la masse ali- mentaire, et iinit par acquérir un peu d'acidité. Les observations faites à cet égard par Tiedemann et Graelin ont été confirmées par tous les expérimenta- teurs qui ont étudié les altérations que ces substances éprouvent dans les voies digestives. La fécule et les aliments qui en contiennent de fortes proportions, les tuber- cules de pommes de terre, se modifient à peine dans l'estomac. La fécule, impré- gnée de salive, se gonfle, les parois des cellules qui contiennent ses grains se ramollissent et se dissolvent. Ces grains se séparent, et alors, la diastase sali- vaire peut agir sur eux, quoique dans un milieu acide; il peut même se faire, comme le pense Blondlol, que le suc gastrique dissolve la matière azotée qui associe les granules constitutifs d'un grain, et favorise ainsi leur saccharitica- tion. Bien que la plus grande partie de la fécule ne soit pas modifiée dans l'es- tomac, même chez les herbivores, oîi elle est imprégnée d'une énorme quantité de salive, il est hors de doute qu'une certaine quantité de ce principe s'y trouve convertie en dextrine et en sucre. Frerichs et plusieurs autres observateurs ont vu, sur le chien, oij la sécrétion salivaire est peu abondante, l'amidon cuit donner du sucre dans l'estomac. On a constaté ' que l'amidon injecté dans l'es- tomac d'une femme à fistule éprouvait une saccharification sensible au bout d'un quart d'heure. Et, dans ces derniers temps, je me suis assuré, un grand nombre de fois, que le liquide pris dans l'estomac de chevaux quatre à cinq heures après un repas d'avoine, renfermait des quantités très notables de sucre. Ce sucre ne pouvait provenir que de l'amidon de l'avoine, car j'avais la précaution de faire jeûner un ou deux jours les animaux, afin de débarrasser l'estomac de toutes traces de sucre des fourrages. En outre, les matières albumineuses, masquant la réaction du glycose, étaient préalablement précipitées par l'acétate de plomb. C'est surtout chez les animaux ruminants où la salive agit longtemps sur ces matières, avant leur contact avec le suc gastrique, que la conversion glycosique de l'amidon dans l'estomac est active. Les matières sucrées ne se modifient pas sensiblement dans l'estomac; le sucre de canne paraît cependant s'y convertir en glycose sous l'influence du suc gas- trique, et devenir ainsi d'une absorption plus facile. La conversion a été obtenue avec le suc gastrique du chien dans les digestions artificielles, 1. Milne Edwards, ouvr.dU, t. VI, p. ()5. DIGKSTION GASTRIQUE EN' GÉNÉRAL. 773 Les gommes, le mucilage, la pectine et beaucoup d'autres matières d'origine végétale n'y sont pas altérées sensiblement. Quant aux autres principes constitutifs des végétaux, la cellulose et ses varié- tés, xylose, (ibrose, etc., aux matirres déposées dans les cellules ou dans leurs interstices, on ne sait jusqu'à quel point elles peuvent être attaquées. Sous cer- taines formes, notamment les épidermiques, ces matières sont imperméables ù la pepsine. A cause de cela elles ne sont pas susceptibles de se digérer, et en outre elles mettent obstacle à la digestion des parties solubles qu'elles emprison- nent. Néanmoins, lorsque les aliments sont triturés complètement, les enve- loppes insolubles donnent accès par leurs fissures aux sucs dissolvants. De cette manière, plusieurs principes solubles, tels que la pectose, déposée en couches minces dans les cellules de certaines racines alimentaires, peuvent, par l'action du suc gastrique comme jiar celle des acides faibles, donner de la pectine ca- pable d'éprouver encore d'autres transformations en présence du ferment qui l'accompagne ^ Enfin, il est des matières salines, minérales, qui peuvent être dissoutes ou modifiées dans l'estomac, soit par l'acide du suc gastrique, soit j)ar les acides lactique, i)utyrique, qui se forment dans les matières alimentaires ou qui arri- vent avec elles. Les alcaloïdes végétaux se convertissent en sels solubles, le fer s'oxydeet donne deslactates; mais, à ce sujet, beaucoup d'études restent à faire, tant au point do vue de lu [diysiologie <{u'à celui de la thérapeutique. En résumé, donc, dans l'estomac s'opèrent l'hydratation de la masse alimen- taire, la désagrégation de ses parties constituantes, la dissolution aqueuse de beaucoup de ses principes, la dissolution, au moins partielle, des albuminoïdes et leur transformation en peptones, la saccharilication d'une certaine (juantité de matières féculentes, et même la fermentation lactique, butyrique, du sucre et des matières grasses. On comprend aisément, d'après la diversité d'altération des principes alimen- taires, en présence du suc gastrique, que l'importance du travail de l'estomac varie beaucoup, comme le fait si judicieusement remarquer M. Milne Edwards', suivant le régime des animaux. C'est un travail de premier ordre pour le car- nassier dont l'aliment, presque tout entier formé de principes azotés, doit se dissoudre intégralement avant d'arriver à l'intestin ; mais c'est une opération moins importante chez l'herbivore, dont l'aliment renferme une très faible pro- portion de matières protéiques ; néanmoins elle n'y est pas accessoire, car c'est précisément parce que les principes azotés sont en minime proportion chez l'her- bivore, qu'ils doivent être extraits aussi complètement que possible. C'est pendant que ces mutations moléculaires et ciiimiques s'opèrent dans l'estomac, que les matières alimentaires, prises en masse, se gonflent, se ramol- lissent, se désagrègent et se réduisent en une pâte plus ou moins iiomogène connue sous le nom de chyme : d'où le nom de chymification donné au travail de la digestion stomacale. 1. l'reniy, Conijjtes voulus de l'Acad. des sciences^ 1859. 2. Milne Edwards, Leço7is sur la physiologie et Vanatomie comparée, t. VU. p. 123. 774 Î)E LA DIGESTION. II est clair, maintenant, que cette conversion des aliments en matière pul- peuse, et quelquefois entièrement liquide, n'est que l'expression apparente, le signe d'une foule de modifications partielles que nous avons passées en revue. Encore cette conversion n'est-elle pas sensible dans toutes les circonstances. Les aliments azotés : la viande, les parencliymes, l'éprouvent très complètement, tandis que les racines crues, les fruits, les grains, les herbes, les fourrages, etc., ne la subissent réellement pas. Il n'y a, en effet, le plus souvent, aucune diffé- rence marquée entre les matières qui arrivent à l'estomac et celles qui en sortent après quelques heures, entre le bol ruminé qui entre dans la caillette d'un bœuf et l'ondée de chyme qui s'échappe de l'orifice pylorique. Néanmoins, dans ces cas mêmes, les matières alimentaires ont été modifiées : leurs parties les plus solubles sont attaquées; leurs principes azotés sont plus ou moins convertis en peptones; les parties non digérées y sont préparées à subir les élaborations intes- tinales. La réduction de l'aliment en pâte, en pulpe, en bouillie, devient d'ailleurs la condition nécessaire de son passage dans l'intestin. La chymification est donc, en somme, un acte complexe. C'est une hydratation plus parfaite de l'aliment, une dissolution de ses principes solubles dans l'eau, une conversion des matières azotées en peptones ou principes absorbables. C'est une désagrégation, une dissociation des parties dont les moyens d'union seuls sont attaquables par le suc gastrique, désagrégation qui les prépare aux élabora- tions intestinales. La rapidité ou la lenteur de la chymification dépend beaucoup des propriétés physiques des aliments, de leur volume, de leur état de crudité ou de coction, des préparations qu'ils ont pu subir. Elle est influencée aussi par le repos ou l'exer- cice, la force contractile de l'estomac, la température extérieure, etc. Les aliments en masses un peu volumineuses, s'ils sont de nature animale, se digèrent très bien chez les animaux carnivores oi!i leur séjour dans l'estomac doit être très prolongé, mais beaucoup moins complètement chez l'homme et les espèces dont le travail gastrique est de moyenne durée. Ils ne se digèrent plus à cet état, comme nous le verrons plus tard, chez les animaux tels que les solipèdes où ils ne font que traverser l'estomac, d'où l'on voit que la mastication, presque indifférente chez les premiers, devient très utile chez les seconds et absolument indispensable chez les derniers. L'expérimentation montre aisément les grandes différences dedigestibilité entre les masses et les parties divisées. Blondlot ' a vu, par exemple, que l'albumine coagulée met à se chymifier un temps double de celui qu'emploie l'albumine battue, raréfiée, mousseuse. Lehmann a ti'ouvé que la fibrine des caillots blancs, compacts du sang du cheval, est d'une digestion plus longue que celle des caillots rouges plus raréfiée par l'interposition des globules entre leurs filaments. Tous les jours nous voyons, surtout chez les animaux à dents usées, ou irrégulières, les substances végétales, l'avoine, l'orge, le blé, les grains des légumineuses, les semences des plantes adventices associées aux four- rages, traverser l'intestin en fragments volumineux ou tout entières, sans alté- ration notable et même en conservant leur faculté germinative. De là l'indication 1. Blondlot, Traiti; amilylùjue de /.a d/r/enHon. '!:iaincy, 1843. DICE^TION (iASTRIQUE EN GENERAL. 775 (lu concassagc, du broiement et des diverses autres préparations mécaniques pour les vieux sujets. La cuisson rend souvent la cliymilication des aliments plus [)rompte, mais elle n'agit pas d'une façon également prononcée sur tous. Elle parait inutile pour les substances herbacées, les racines charnues, sucrées, quand elles sont consommées par les herbivores. Déjà favorable pour ces mêmes substances données aux omni- vores, elle devient très utile pour les racines féculentes dont l'amidon se con- vertit difficilement en sucre s'il n'a pas été torréfié ou modifié par l'ébullition ; elle favorise la digestion des matières animales, telles que le tissu cellulaire, les aponévroses, les tendons et autres parties susceptibles de donner de la gélatine; elle nuit à la digestibilité de la viande bouillie, quand elle est de très courte durée et qu'elle se borne à coaguler les matières albumineuses ; mais elle aug- mente la digestibilité de cette chair quand elle est assez prolongée pour ramollir le tissu cellulaire, lui faire éprouver la transformation gélatineuse et faciliter la dissociation des faisceaux ; au contraire, elle rend, au début, les tissus albumi- neux, tels que le foie, les reins et autres glandes d'une digestion facile, puis les durcit d'autant plus qu'elle est plus longtemps continuée. On sait, en ellef, que l'albumine coagulée par la chaleur est comparativement à l'albumine liquide d'une digestion très difficile. Il importe de tenir compte de ces variations, au point de vue de l'alimentation des animaux aussi bien qu'à celui de l'art culi- naire. La stimulation exercée sur l'estomac par les condiments, les Ioniques, tels que le vin et tous les sjjiritueux, le café, le thé, les boissons alcalines, même l'eau froide, les agents diflusibles, active très notablement le travail de la chymilica- tion, et cela tout à la fois en activant la circulation dans la muqueuse, la sécré- tion du suc gastrique et en donnant du ton à la membrane charnue. Son influence est surtout sensible dans les cas de légère atonie et dans les indigestions des her- bivores, particulièrement des ruminants où le réveil de la contractilité a une importance capitale, puisque c'est par son influence que la rumination suspendue peut se rétablir. Les mouvements du corps, la marche, l'exercice modéré, ont généralement une influence salutaire. L'homme qui se met en roule ou qui reprend son travail corporel après un bon repas n'a pas d'indigestion. On voit le breuf, attelé immé- diatement après le repas, se creuser peu à peu le flanc et répandre des masses de de déjections. Les secousses, le balancement imprimé au corps, les efl'orts, font progresser les matières vers les parties inférieures do l'intestin; la contraction des muscles externes s'étend par sympathie à celle des muscles internes; mais ici il y a une désobstruction de l'estomac qui n'implique pas forcément une chy- milication plus active et plus parfaite. D'ailleurs, cette influence n'est pas la même dans toutes les conditions. Si elle peut ordinairement prévenir l'indiges- tion, elle la provoque quelquefois, comme on le voit, sur les chevaux attelés im- médiatement après un repas copieux. Elle ne parait pas favorable aux animaux, tels que le chien et autres carnassiers, qui tombent dans la torpeur après le repas, ni aux jeunes sujets qui sont habituellement pris de sommeil pendant le travail digestif. Le grand air, la fraîcheur, les boissons à basse températ qu'elle est impossible chez les ruminants, où la caillette ne peut rien recevoir une fois les estomacs paralysés ; 3" qu'enfin eût-elle lieu chez eux, elle serait sans résultat définitif et saisissable du côté de l'intestin, puisque l'estomac paralysé garde à peu près la totalité des aliments qu'il a reçus. Leuret, Lassaigne, Magendie, qui ont, après la section des vagues, trouvé du chyle blanc dans les lactés du mésentère, n'ont pas vu que la présence d'un liquide laiteux dans les vaisseaux mésentériques peut être sans liaison avec la chymification proprement dite. En effet, la graisse donnée aux chiens, comme elle l'a été dans les expériences de Magendie, peut passer en petite quantité dans l'intestin, et émulsionner le contenu des chylifères : l'avoine, riche en corps gras, mangée par le cheval, comme dans les expériences de Leuret et Lassaigne, peut s'échapper de l'esto- mac à travers le pylore béant du solipède, et donner dans l'intestin un liquide lactescent sans que la céréale soit en aucune façon modifiée par le suc gastrique. Il faut, pour établir la persistance de la digestion après la section des nerfs pneumogastriques, montrer que la sécrétion du suc dissolvant continue, et qu'il y a à un degré notable, dissolution des albuminoïdes et transformation de ces principes en peptones. Or Millier, Kôlliker, MM. Longet, Bidder et Schmidt ont constaté, dans ces conditions, une sécrétion encore assez abondante de suc gastrique, acide, dissol- vant évidemment les matières azotées. C'est ce que j'ai vu moi-même depuis fort longtemps sur des chiens dans les conditions ordinaires, et tout récemment sur d'autres, porteurs d'une fistule gastrique. Ainsi, d'une part, j'ai fait avaler à des chiens, à jeun depuis vingt-quatre heures, plusieurs morceaux de muscles crus d'un poids déterminé, et immédiatement après j'ai réséqué les deux nerfs vagues préalablement mis à découvert, afin qu'il ne s'écoulât pas plus d'une à deux minutes entre l'ingestion de l'aliment et la section des cordons nerveux : la tra- chée était ouverte pour éviter l'asphyxie. Sur ces chiens tués au bout de quelques heures, les morceaux de muscles se trouvaient gonflés, pâles et un peu ramollis à la surface : leur couche extérieure était acide. Sur ceux qui étaient sacrifiés six, sept, huit heures après le repas, ces morceaux se trouvaient bien plus ramol- lis; ils étaient pulpeux à l'extérieur et mêlés à une bouillie homogène, grisâtre, très acide, résultant évidemment de la dissolution d'une partie de la masse ali- mentaire; enfin on voyait, dans l'intestin grêle, quelque peu de cette matière grisâtre qui avait traversé le pylore incomplètement fermé. D'autre part, sur les chiens à fistule gastrique ancienne, les morceaux de chair introduits directement dans l'estomac, après la section des vagues, s'hydrataient, s'acidifiaient et se dis- solvaient comme à l'état normal, quoique avec une extrême lenteur. Conscquem- ment, à la suite de la suppression de l'inlluence des pneumogastriques : 1» la sécrétion du suc gastrique continue; 2° le suc gastrique est encore acide; 3° il agit sur !a fibrine cl la dissout, de même qu'il le faisait auparavant. Mais, dans DIGESTION GASTRIQUE EN GÉNÉUAL. 783 ces conditions, le travail digestif est extrêmement languissant; son ralentissement dépend de la douleur de l'opération, des troubles apportés à l'hématose et à la circulation, de la paralysie à peu prés complète de l'estomac, sans compter les modifications qui peuvent être apportées à la sécrétion du suc dissolvant. On conçoit très bien que la part d'action de chacune de ces causes soit difficile à préciser, et que leur ensemble suflise à enrayer le travail digestif, dont la sus- pension, à l'état normal, s'effectue sous l'inlluence de causes beaucoup plus légères. Les expériences que M. Bernard i a présentées, à l'encontre de la thèse que je défends, n'ont pas, je crois, la signification qu'il leur donne. Si, immédiatement après la section des vagues, la muqueuse gastrique pâlit, devient sèche; si quel- ques heures après les aliments de l'estomac ne présentent pas encore de réaction acide, c'est, il me semble, parce que la section a brusquement troublé la diges- tion, comme le ferait toute autre opération d'une extrême gravité. On ne doit tenir compte ici que des effets obtenus alors que le malaise jésultant de la sec- tion est dissipé, et seulement chez les animaux auxquels la trachéotomie a été pratiquée. D'autre part, si, après la section des vagues, un chien reçoit d'abord une certaine dose d'émulsine, et, une demi-heure plus tard, une dose égale d'amygdaline, il s'empoisonne, non parce que ces deux substances ne sont pas digérées, mais parce que, faute d'être poussées dans l'intestin, par l'estomac pa- ralysé, elles se rencontrent dans ce dernier, et s'y combinent en donnant un composé vénéneux que Tabsorplion enlève immédiatement. L'action du système nerveux ne [tarait pas identique, relativement aux deux sécrétions opérées par la muqueuse de l'estomac. La sécrétion du suc gastrique n'a lieu, ou tout au moins le déversement de ce liquide que, en suite d'une sti- mulation opérée par l'aliment, par les matières sapides ou simplement par les irritants mécaniques, tandis que celle du mucus ou du liquide filant, a lieu en l'absence de toute excitation directe, dans l'estomac absolument vide. Alors elle est même encore si abondante, que si on lie simultanément l'u'sophage et le py- lore sur le cheval à jeun, on peut trouver dans l'estomac plusieurs kilogrammes de ce liquide au bout d'une période de vingt-quatre heures. C'est ce que j'ai constaté déjà avant la première édition de ce livre. Quant à l'influence du système nerveux sur la motricité et la sensibilité de l'es- tomac, elle est très évidente. Les pneumogastriques donnent au viscère au moins une partie de sa contracti- lité. Bichat, Tiedeman et Gmelin, Flourens, ont vu l'irritation de ces nerfs pro- voquer des contractions gastriques. Cependant Haller n'en a point constaté dans cette circonstance. Je n'ai pu parvenir non plus à en déterminer qui fussent bien manifestes sur le cheval et le bd-uf, et surtout distinctes des contractions si fai- bles, si peu appréciables de l'état normal. Mais, sous l'inlluence de la galvanisa- lion, on les provoque aisément, tant sur les oiseaux ((ue sur les mammifères : elles sont alors très évidentes au jabot, au ventricule succenturié, au gésier des 1. Claude Bernard, L('eoii<> sur la ph!/! 100 i.',430 20 61 QUANTITE qui reste dans l'estomac. gr- 345 171 148 158 329 360 362 4S3 280 135 72 15 50 71 30 24 QUANTH'!-: q'ù est dans l'intestin. ■// 10 20 112 87 47 58 50 .•i5 72 80 62 QUANTITE de matières dieérées. gr- 9 79 57 92 171 147 188 617 383 515 178 4M5 750 426 370 40 OUSERVA.- TIONS 2 lieures de cuisson. Moitié cuites. Pendant 3 heures. 1, Bernard, Lirons dn plujHioiorf, cxpàrim., 1856, t. If, p. 402. 2. Idem, //vzV/.', p.418. DIGESTION GASTRIQUI^ DES CARNASSIERS. 791 nent pas des résultats aussi tranchés. J'ai vu, en faisant mani,'er des quantités égales de viande crue et de viande cuite, au même moment, à un animal, qu'on tuait plus lard : 1° que la cuite est d'une digestion plus dil'licile après une cuis- son sommaire qu'à l'état cru; 2" qu'au contraire le foie, les reins et les autres tissus albuiiiincux deviennent plus rélVactaires après une cuissoii [trolongée. Mais, dans beaucoup de cas, il est diClicile d'apprécier exactement les modifications apportées à la digestibilité par cette préparation, car il ne sulTit pas pour cela de tenir compte du temps que met l'aliment à se convertir en pulpe et à passer dans l'intestin, il faudrait encore pouvoir juger de la proportion des matières dissoutes et des matières simplement divisées, aussi bien que du parti ultérieur qu'en tire la digestion intestinale. En ne tenant compte (pie des apparences, l'avantage est le plus souvent à la chair cuite, surtout à celle qui l'est parfaite- ment. Dans le but d'éclaircir ces points, j'ai pris six substances différentes : le muscle, le foie, le rein, la parotide, les tendons et le tissu jaune du ligament cervical, en morceaux de 50 grammes chacun. Les six échantillons pesant 300 grammes ont été soumis à une cuisson de trois heures, après lesquelles ils ont été réduits à 207. On les a découpés, de même que les crus, en cubes de dimensions à peu [)rès égales qu'un chien a avalés sans les mâcher sensiblement. Après six heures de digestion, l'animal a été tué. L'estomac, qui avait reçu en somme 507 grammes, n'en contenait plus que 360. Il en avait donc perdu 147. Les morceaux ont été repris isolément, essuyés avec soin et pesés à mesure. Les tissus crus de la parotide, du rein, du foie, avaient perdu le plus; ceux de muscle beaucoup moins, et fort peu ceux de tendons et de parties élastiques. L'inverse s'est produit pour les mêmes tissus cuits : la parotide, le rein, le foie, le muscle ont peu diminué; les tendons, le tissu élastique, au contraire, ont éprouvé un déchet considérable, comme l'indique le tableau suivant. SUB.STAXCES CRUES DESIGNATION Muscle I*"oie Rein Parotide , Tendons Tissu élastique Sommes.. . PlUDS roiDs l'KH loi'S après li.; (i h. l'iu- de gfS- diges- absu- tiuu. tion. lue. gr- gr- »r. ')0 :38 12 50 •27 23 .")0 25 25 .50 20 .30 .50 45 5 50 48 2 3U0 20;) 07 puui- 10U. SUBSTANCES CUITES DKSION.vnON .Muscle Fuie Hein Pai-olide Tendons Tissu élastique Sommes. .. , POIDS avaiil \.i cuis- son. :J00 POIDS !..rs de liii- L;es- (iuii. 28 21 M) 51 50 207 roins après i; h. du diges- tluli. 18 IN 17 24 24 1 r.i abso- ?<■■ 9 lu 4 (i 27 ■2H 81 pour l(in. 792 DE LA DIGESTION. L'expérience précédente, outre qu'elle donne en bloc le déchet de chaque tissu ingéré, permet de juger comparativement du degré d'altération des parties non encore dissoutes. Or, pendant que le muscle cru est, sous sa couche pulpeuse, rosé et mou, le muscle cuit est pâteux, d'une désagrégation facile, par suite de la dissolution très avancée de son tissu cellulaire. Le foie cru est d'un aspect reconnaissable, il a conservé sa mollesse; le cuit est en morceaux très durs. Le rein cru est toujours rougeâtre à l'intérieur, presque saignant, même à la sur- face; le cuit a ses fragments secs, isolés, durcis. La parotide cuite a ses lobules isolés et dispersés. Le tendon cru a ses morceaux jaunes, transparents, d'aspect gélatineux à la surface, blancs, opaques, inaltérés à l'intérieur; les tendons cuits sont jaunes, très rapetisses. Le tissu élastique cru est jaune, mou; le cuit a le même aspect, mais il est plus ramolli encore. En somme, la cuisson a faci- lité la désagrégation des faisceaux du muscle; elle a considérablement hâté la dissolution du tendon, du tissu élastique, mais elle a durci manifestement le foie, le rein, et simplement dissocié les lobules du tissu de la parotide. Il importe, au point de vue de l'hygiène, de bien apprécier la valeur de ces modifications. Évidemment, d'une part, le tissu gélatineux, les tendons, les parties élastiques, cuits, sont plus promptement réduits en pulpe, plus digestibles qu'à l'état de crudité, et, d'autre part, les tissus albumineux, le foie, le rein, perdent, en se durcissant par la cuisson, de leur solubilité. La chair musculaire seule laisse des doutes. Si, très cuite, elle paraît se digérer plus \ite, c'est qu'en effet, parles modifications imprimées à son tissu cellullaire, ses faisceaux sont plus rapide- ment dissociés; mais il reste à voir si la dissolution des parties désagrégées et leur transformation en peptones se font plus vite et plus complètement que celles de la chair crue, car la rapidité de ces mutations est, dans un temps donné, bien plus en rapport avec la quantité de suc gastrique sécrétée qu'avec le degré de division de l'aliment. Il faut d'ailleurs, pour élucider la question de l'influence de la cuisson, tenir grand compte des faits d'observation. Or, les chiens nourris de chair crue la digèrent mieux, plus régulièrement, souvent sans boisson et sans contracter cette diarrhée noire, fétide, qui naît de l'usage de la viande cuite beaucoup plus échauffante. L'homme digère également très bien la viande saignante, comme le gigot, la côtelette, le rosbif. Les chiens s'entretiennent parfaitement avec des quantités modérées de cette viande crue, conservent la peau souple, le poil lui- sant, l'intestin libre, tandis que les autres sont bientôt si excités, qu'ils contrac- tent en peu de temps de vives irritations cutanées. Il faut bien se rappeler enfin, dans l'examen de la difficile question de la digestibilité, que la digestion des matières animales n'implique qu'une dissolu- tion partielle. Le chyme, la bouillie, la pulpe que, dans les conditions ordinaires, l'estomac pousse vers l'intestin, renferment une quantité de peptones très infé- rieure à la masse des parties simplement désagrégées ou réduites, soit en frag- ments très ténus de faisceaux, de disques ou de stries, soit à l'état moléculaire. Lorsque le chien mange de très grandes masses de viande, la partie simplement désagrégée qui se trouve dans l'intestin grêle, sous la forme de pulpe rougeâtre, l'emporte de beaucoup sur la partie dissoute. J'ai vu, par exemple,, des chiens DIGESTION GASTRIQUE DES CARNASSIERS. <»3 te ' •sauioiiusD n^ i 1 1 «5 00 1 0 0 0 01 10 U i •an|os(|v û ' 1 co - ■73 1 0 0 CO 9 w 5 \ ■soiuaiiuoa 113 u X X 03 X S 0 X ■3ir|fisr|V o -H — ^•^ 3ujai}uaD U3 •Dn|osqv •samaniiaD nj| ■3n[0S(]v ■saiu3!)U33 "3 •aniosqv •S3uia!)U33 ng ■ari|osiiv •sauDjHias ii'j •3I1|0S(1V •S3U13I1D33 113 •3n|osqv 'sauiDiiaa:) uj aniosqv —100 O O t-H C( O j o o o X O X 000 000 0 a. -i •an|osqv vO 0 X X r;: 1 5 5 - H •ssiuajinao ua JÏ^ 1 0 0 -~o C3 0 0 0 2 003 00 — •000 — 000 00 o o 000 CO w i~ o o o CN —1.0 1- o o o ■^ 1.-3 -^ l^ X O o o o • • o r3 • »_ --^ — -r -r Ta 00 -rit^ — ^^ ^ .S .S .5 .S '^ *»" .^ <^ '■ '. .' r ! I I '. Cj ••■••.. • scssccccc ocjGûuoocjo 794 DE LA DIGESTION. de chasse en manger 3 à 4 kilogrammes sans paraître rassasiés, et un gros chien de basse-cour en avaler en un seul repas presque 7 kilogrammes. La digestion, chez ces animaux, est nécessairement lente, pénible. En raison de la grande quantité de suc gastrique qu'elle réclame pour dissocier, en pure perte, des masses de substances qui, ultérieurement, ne peuvent êtres converties en pep- tones et absorbées, elle fatigue outre mesure. C'est aussi ce qui arrive aux indi- vidus qui engloutissent en un repas des quantités qui suffiraient à plusieurs. Ils sont mous, somnolents, incapables de tout travail soutenu, physique ou intellec- tuel. Quoiqu'ils aient une grande activité digestive, les carnassiers qui ne vomis- sent pas aisément peuvent périr d'indigestion après ces repas pantagruéliques. Ainsi j'ai vu quatre hérissons (insectivores comme on sait) mourir dans un délai de vingt-quatre à trente heures après avoir pris une trop forte ration de foie de cheval : le premier 70 grammes, le second 71 grammes, le troisième 73 grammes, le quatrième 115 grammes. Ils pesaient 62o, 845, 611, et 525 grammes. Il y a plus : chez les jeunes chiens auxquels on donne de la viande à discré- tion, la digestion gastrique demeure toujours imparfaite ; le pylore finit par être forcé et par contracter l'habitude de laisser passer de la viande non réduite en bouillie, viande simplement atténuée, reconnaissable, même à sa couleur rouge, dans le gros intestin et dans les matières excrémentitielles. Dans ce cas encore les animaux se fatiguent beaucoup à digérer, et ils profitent moins d'une grande quantité de viande que d'une ration moyenne qu'ils digèrent complètement sans peine. Il importe de s'en souvenir dans l'élevage des jeunes animaux. Quant à la digestibilité des divers tissus animaux comparés entre eux, elle olï're des différences considérables qui pourraient se déduire d'expériences faites sur les chiens auxquels ces tissus seraient donnés simultanément. Celles que je résume dans le tableau ci-dessus donnent un premier aperçu à ce sujet. D'autres montrent que les substances végétales sont digérées par les carnivores de même que les substances animales. Tiedemann et Gmelin ont vu qu'au bout de quatre heures l'amidon cuit, pris par un chien en grande quantité, avait été en majeure partie chymifié. Après cinq heures, cette substance, qu'un autre chien avait prise en plus faible proportion, ne se colorait plus en bleu par l'iode et se trou- vait « changée en sucre et en gomme d'amidon, » l'ésultat remarquable qui tend à prouver que la transformation de la fécule en sucre s'opère dans l'estomac, Bidder et Schmidt ont constaté que cette conversion était plus lente sur le chien que sur l'homme, et le fait m'a paru exact sur divers chiens à fistule gastrique. Au bout de quatre heures, le pain qu'un chat avait mangé avec du lait était ramolli à la surface, mais n'avait éprouvé presque aucune altération à l'intérieur; cet aliment était pourtant en grande partie ramolli et dissous, chez un chien, deux heures et demie après le repas. Enfin, après un séjour de cinq heures dans l'estomac, le riz cuit était en partie « ramolli et en partie liquéfié; » les morceaux de pommes de terre, pulpeux à la surface, n'avaient pas subi d'altération bien appréciable ù leur centre. Quelques-unes de ces substances semblent pourtant, chez les carnassiers, réfractaires à l'action de l'estomac : telle l'herbe des prés, que le chien mange quelquefois en quantité notable ; tels la paille, le foin qu'il |)rend avecles aliments DIGESTION GASTRIQl'E DES CARNASSIERS. 795 jetés sur la litière. Ces matières, quand le vomissement ne les rejette pas, se retrouvent souvent dans le viscère après plusieurs semaines, et s'il en passe des brins dans l'intestin, ils peuvent tomber dans les parties herniées. Là, cependant, les substances végétales sont dépouillées de leurs principes solubles; la trame cellulaire seule résiste, comme elle le fait d'ailleurs chez les herbivores. A mesure que le suc gastrique délaye l'aliment et en (luidilie une certaine proportion, la partie ramollie, ditTluente ou dissoute, est [loussée dans l'intestin par les contractions péristaltiques du viscère; elle laisse, par conséquent, les parties non digérées en contact immédiat avec le fluide dissolvant qui les modifie insensiblement et les prépare à être chassées à leur tour. Lorsque la digestion est achevée, s'il reste quelques débris réfractaires de l'aliment dans l'estomac, ils y prolongent leur séjour ou sont rejetés, soit par le vomissement, soit par la voie de lintestin. Le pylore les laisse passer, s'ils sont de petites dimensions, et même peu de temps après que l'estomac s'est aflaissé. Spallanzani a vu que cet orifice n'arrêtait pas toujours les petits tubes qu'il faisait avaler aux chiens, et finissait quelquefois par livrer passage à des tubes assez volumineux. Il donne même souvent issue à des fragments d'os irréguliers, comme Boerhaave et Pozzi l'avaient autrefois constaté. J'ai trouvé, sur un chien, un fragment de ce genre, dont le grand diamètre avait près d'un centimètre et demi, fragment chassé dans le gros intestin avant que la couche fibro-cartilagineuse qui recouvrait l'une de ses facettes eût été dissoute. Le pylore finit aussi par livrer passage au parties molles, aux débris de tendons, de ligaments et de membranes qui ont résisté aux forces digestives, comme le prouve l'exemple rapporté par Haller^ La digestion gastrique, si elle est assez lente chez les carnivores, s'y effectue, pour ainsi dire, par la seule intervention du suc dissolvant. Les aliments ont été à peine divisés et traversés de quelques coups de dents, car on sait que le chien avale sans les mâcher des morceaux de chair énormes. Ces aliments n'ont pas été sensiblement imprégnés de salive ; leur surface a été enduite de muco- sités pour en faciliter la déglutition ; enfin, ils ne sont point habituellement bai- gnés de liquides, car ces animaux boivent très peu. Mais une fois la chymilication opérée, les phénomènes essentiels du travail digestif sont accomplis ; les prin- cipes azotés, la fibrine, l'albumine, etc., sont aptes à être absorbés dès qu'ils arrivent dans l'intestin. 11 n'en sera point de même, à beaucoup près, pour les animaux herbivores chez lesquels nous verrons l'alimepl, sorti de l'estomac, éprouver de profondes élaborations dans les diverses parties d'un immense intestin. La digestion des boissons, ou, si l'on veut, leur passage de l'estomac à l'in- testin, se fait bien plus lentement chez les carnivores que chez les herbivores monogastriques. Ainsi, un premier chien à jeun, auquel j'avais fait avaler 60 grammes d'eau tenant en dissolution un peu de cyanure de fer, avait encore, au bout d'une demi-heure, la plus grande partie du liquide dans l'estomac, mais une petite quantité s'en était répandue déjà dans toute la longueur de l'intestin 1. Hermannii Boerhavii, Prœlectioi^c-i acndemicx in propriat^ iniititutiones rei medicr. Gôltingen, 17;i9-n44. 796 Ï>E LA DIGESTION, grêle et même dans le côlon; sur un autre, également à jeu, l'eau était encore, au bout d'une heure, en grande partie dans l'estomac, sauf quelques faibles por- tions déjà versées dans la moitié antérieure de l'intestin grêle. Lorsque ces liquides ont été injectés par l'œsophage, comme dans les expériences de toxico- logie, ils sortent moins vite encore, car les contractions antipéristaltiques de l'estomac tendent à les retenir dans le viscère, même à y ramener ceux qui ont pu franchir le pylore. Ainsi, par exemple, dans une expérience de ce genre, 400 grammes d'eau chargée d'iodure de potassium, se retrouvaient au bout de deux heures presque intégralement dans le ventricule; le duodénum seul en avait reçu quelques minces filets, et non les portions suivantes qui étaient forte- ment resserrées ; du reste, sur les animaux à jeun, les liquides ingérés ne pas- sent que fort lentement dans l'intestin grêle et leur absorption en est très re- tardée, particularité dont il faut se souvenir en thérapeutique. S'ils sont en très petite quantité, ils séjournent dans le sac gauche et non dans le droit, comme chez les solipèdes. Chez les omnivores nourris de viande, la digestion gastrique offre une physio- nomie analogue à celle des carnassiers ; elle y est aussi très lente, mais moins complète. Un porc, auquel j'avais donné 1 kilogramme de viande crue, en con- servait encore 600 grammes au bout de six heures, et il en avait dans l'intestin grêle des morceaux de 1 à 2 centimètres de longueur au milieu de la pulpe. Un autre qui en avait reçu 3 kilogrammes avec un litre d'eau, n'en avait digéré que 300 dans la même période de six heures. Les 2 700 qui restaient nageaient au milieu de 8 décilitres d'eau ou de bouillie très claire. Un troisième, du poids de 96 kilogrammes, qui avait mangé 2 kilogrammes de pâtée, moitié viande cuite, moitié pain, avait, au bout de quinze heures, 1 300 grammes de ce mélange. Si le porc reçoit de très fortes rations de viande, il la digère fort mal, et par con- séquent n'en tire que peu de profit. Il ne se développe pas habituellement, pendant la digestion gastrique des car- nivores, d'infusoires analogues à ceux de l'estomac de divers autres animaux, cependant on y voit fréquemment des bactéries et des monades. J'en ai trouvé, par exemple, trois heures après un repas composé de pain, de haricots et de viande cuite, et des quantités prodigieuses, en été, sur des chiens qui avaient mangé de la viande faisandée : les bactéries étaient longues et analogues à celles du sang charbonneux. Ainsi, les actions digestives les plus importantes chez les carnassiers se passent dans l'estomac. Cet organe, d'une grande capacité et d'une vaste surface, verse sur l'aliment, par toute l'étendue de sa muqueuse, une grande quantité. de suc gastrique. Son orifice pylorique, étroit et dans une constriction presque com- plète, retient longtemps les matières alimentaires et ne les laisse passer qu'après une dissolution plus ou moins parfaite. L'estomac du Carnivore, investi d'une telle prééminence, devient encore le siège d'une absorption très active et jouit d'une sensibilité remarquable que prouvent assez les vomissements provoqués avec tant de facilité [)ar les aliments indigestes, les corps étrangers ou les subs- tances irritantes. La digestion gastrique des rongeurs omnivores paraît aussi active que celle DIGESTION GASTRIQUE DES SOLIPEDES. TM des carnivores, mais moins inlermitlente. Ces animaux à habitudes nocturnes l'ont des repas assez espacés et leur estomac ne se vide que lentement. Le rat est un type de ce genre ; mais il se prête mal aux expériences. Celles qui ont été faites sur les surmulots sont irrégulières. En voici six sur des albinos à jeun depuis vingt-quatre heures. Ils ont reçu chacun 5 grammes de viande crue ou du pain. Tous ont mangé la ration entière, sauf le troisième qui en a laissé 1 gramme, et aucun d'eux n'a reçu à boire à compter du repas. Le petit tableau qui suit montre que sept heures ne suffisent pas au rat pour digérer ce qu'il prend en un repas. POIDS du corps. DIIRKK (le 1.1 dii;cslioii. NATUUF, de l'aliiMciit. QUANTITÉ iugérOe. QUANTITÉ rcftaiite. QUANTITÉ liifTi'rét; en ceiilitmes. Albinos Albinos Albinos. . . • ,. Albinos Albinos Albinos grom. J9.-) 2(55 150 260 II.') 22.", Iicurcs. 4 5 (i 7 Viande crue. Pain. Pain. Viande crue. Viande crue. Viande crue. 5 5 4 .5 5 5 5,1 5,. 5 2,.-, 1.2 3.3 2,8 V III. — Digestion gastkique des solipèdes. Il suffit de jeter un coup d'œil sur la disposition générale de l'appareil digestif des solipèdes, pour voir que les phénomènes si nombreux des fonctions qu'il remplit doivent offrir des modifications profondes, plus difficiles à analyser que celles qui caractérisent la digestion des carnassiers. La simplicité et la petitesse de l'estomac de ces animaux, l'énorme dévelo|>- pement de leur cîccum, la vaste capacité de leur colon bosselé et pourvu de nombreux replis valvulaires, sont des particularités qui se trouvent, avec quel- ques variantes, chez i)lusicurs autres herbivores. Parmi les pachydermes, l'élé- phant s'éloigne peu de ce type ; et parmi les rongeurs, le lièvre et le lapin, avec leur estomac undoculaire, leur c;ecum monstrueux, pourvu de glandes et d'une valvule spirale, leur côlou bosselé et parcouru par des bandes longitudinales; enfin, la uiarinotte et le cochon d'Inde, dont le tube gastro-intestinal est cons- truit sur un plan analogue, peuvent être considérés comme formant un groupe très naturel sous le rapfiort physiologique. L'identité du régime, l'uniformité de structure de l'appareil digestif, doivent inévitablement entraîner une similitude fonctionnelle que les recherches des expérimentateurs peuvent démontrer. La digestion des solipèdes tire sa physionomie : 1° de la lenteur de la mandu- cation ; 2° de la rapidité du travail de l'estomac elVectué, en grande [»artie et d'une manière à peu près continue, pendant le repas ; 3" de la rapidité du pas- sage des liquides dans l'intestin et de leur dépôt dans le réservoir ca;cal ; 4° enfin du durcissement et de la forme pelotonnée des résidus alimentaires dans les parties postérieures du gros intestin. 798 DE LA DIGESTION. La mastication, qui était presque insignifiante chez les carnivores, où elle n'avait guère pour but que de fractionner la proie et d'en rendre les parties aptes à être dégluties, devient ici, comme pour tous les herbivores, un acte de première importance. L'herbe, le foin, la paille, le grain, ne peuvent se digérer qu'après une division, une trituration très complète. C'est qu'en effet chaque partie du végétal a une enveloppe épidermique qui n'est point endosmotique, et qui rend inaccessibles aux sucs digestifs les parties solubles. Cette enveloppe qui, pendant la vie, protège les parties contre l'action de l'humidité et des di- vers agents atmosphériques, empêche la salive, le suc gastrique d'arriver aux fibres, aux cellules, aux méats où se trouvent emprisonnées les subtances nutri- tives. L'accès de ces matières solubles, légumine, gluten, amidon, sucre, etc., est rendu difficile par l'incrustation du ligneux, de la cellulose, dans les parois utriculaires ou fibreuses. Si toutes les parties végétales ne sont fractionnées, fissurées, percées dans tous les sens, les sucs dissolvants ne peuvent parvenir aux matières nutritives, ni les dégager de leur gangue : aussi quand le carnassier avale l'herbe ou les grains, il les rend indigérés. L'herbivore ne les digère pas sensi- blement, si ses mâchoires ne sont plus aptes au broiement, ou si les grains, par leur petitesse, échappent à l'action de ces organes. Alors, au microscope, les pe- tites parties végétales se voient intactes, et la graine est si peu altérée, qu'elle n*a point perdu, en traversant le tube intestinal, sa faculté germinative. Cette mastication, si nécessaire à l'herbivore, est lente et parfaite chez les soli- pèdes. Leurs molaires eà larges tables, hérissées de saillies transverses, broient par- faitement, mais en définitive moins bien que chez les rongeurs et chez les rumi- nants lors de la trituration mérycique. Quoiqu'elles aient une puissance énorme, elles broient peu d'aliments en un temps donné. Le cheval ne peut d'ordinaire, manger 2 500 grammes de foin en moins d'une heure, et il ne les mange souvent qu'en une heure et demie, et même en deux, si ses dents sont unies ou irrégulières. Il lui faut, au miuimum, vingt minutes, terme moyen trente minutes et quelquefois une heure, pour manger la même quantité d'avoine. Il fait de cette quantité de foin 200 bols, et de 40 à 90 bols d'avoine. Les bols de foin chargés de 4 équivalents en poids de salive pèsent 12 500; les bols d'avoine chargés de l'équivalent et quart de ce liquide pèsent environ 5 400 grammes. C'est à cause de l'importance de la mastication des fourrages qu'on a cherché à faciliter cet acte souvent imparfait par une division préalable, opérée à l'aide du hache-paille, du concasseur et d'autres instruments; mais cette division pré- liminaire n'a pas d'effets sensibles chez les animaux adultes dont le système dentaire fonctionne régulièrement; et elle est insuffisante pour ceux dont les dents sont lisses, irrégulières ou usées. Il résulte d'expériences ' que j'ai faites, il y a quelques années, que le hachage des fourrages, le concassage, l'aplatisse- ment des grains, n'ont pas d'influence sensible sur leur digestion, chez les che- vaux, dans les conditions ordinaires. Ces opérations coupent les tiges ou brisent 1. G. Colin, Etudes cxpérinumtnles sur les effets et le def/ré (/'utilité de la division et du mélanf/e des aliments, mémoire adressé à la Société d'agriculture le 8 janvier 1862, inséré en partie dans le Hecueil de mdd. vélérin., 186d, p. 371, 443; et 1865, p. 272. DIGESTION GASTRIQUE DES SOI.IPEDES. 7'.J'.1 les grains en parcelles dont le volume est énorme relalivement à celui des i»ar- celles qui résultent de la mastication ; elles ne peuvent briser irrégulièrement, perforer, fissurer, réduire en fragments ténus comme le font lés dents ; consé- quemment elles ne sont que des préparations à peu près inutiles toutes les fois que l'appareil masticateur fonctionne bien. Aussi, que le fourrage soit intact ou préalablement bâché, que l'avoine n'ait subi aucune jjréparation ou qu'elle ait été aplatie, concassée, l'animal, comme le montre le tableau suivant, met à peu près le même temps à les manger; il les imprègne d'une égale quantité de salive, en fait le même nombre de bols, et ultérieurement les digère avec la même j)erfection. . ■ — AVOINE ENTIKUK. AVoI.NIi É(;l(.\.>^ KE. ai . 1 q; N U M É U 0 S d'ordre te '■S c 5 0, ij -J •5 5 ï 2 ■ffl = N u M F, n n S il 'ordre 5C 3 « 3 0 "0 ÎÎ 1 s il t- (les a a) 3 - 9 ~r, - ", digestion de 6 heures 1865 6', digestion de 7 heures 1823 7% digestion de 8 heures 2216 ToTAt- 12983 FOIN HACHE. 1", digestion de 2 iieures 1400 2', digestion de 3 heures 192S 3", digestion de 4 heures 1620 4', digestion de 5 heures 2290 5", digestion de 6 lieures 2072 6'', digestion de 7 heures 1981 7"", digestion de 8 heures 2035 Total 13326 Les sept chevaux de chaque série ayant mangé ensemble 17 500 grammes de foin qui se sont additionnés de 70 000 grammes de salive, les sept estomacs ont reçu ensemble 87 500 grammes de chyme. Ils ont versé dans l'intestin 1.3 kilo- grammes de foin ou les trois quarts, et n'en ont conservé en somme que 4 kilo- grammes ou un peu moins du quart. Voici, au reste, pour cinquante et un chevaux, les chiffres qui donnent la mesure de l'activité de la digestion de une à dix-huit heures. Les dix-neuf du premier tableau ont digéré sans avoir bu, et les trente-deux autres ont reçu, pendant, ou après le repas, des quantités d'eau indiquées en regard de celles du fourrage consommé. 806 DE LA DIGESTION. Tableau de la digestion gastrique du foi?! satis eau. s-3 Heur. 1/2 1 Gr. 1,400 2,ro00 2,300 2,500 2,300 2,500 2,300 2,500 2,500 2.500 2',300 2,500 2 500 2,500 2,500 2,500 2,500 2,300 2,500 (U a ra P r-i o fù '" o sa « 2 H --" E- u -^ ■< - — *— = CJ J? O aj* 0) -3 t. -^ Gr. Gr. 7,000 4.835 12,500 6,780 12,500 8,530 12.300 8,700 12,500 7,120 12,500 7,000 12,300 6,000 12,500 2,900 12,300 4,2i.3 12.300 4,700 12,500 4,120 12,500 3,750 12,300 2,215 12,500 2,635 12,500 1,500 12,500 617 12,300 603 12,500 445 12,500 600 Gr. 2,143 5,720 3,930 3.800 5,380 5.500 6,500 9,600 8,257 7,800 8,380 8,750 9,285 9,863 11,000 11,883 11,895 12,035 11 900 Tableau de la digestion du foin avec eau. Heur. 1 1/2 1 i/2 Gr. 2,500 2,500 2,500 2,500 2,300 2,300 2,300 2,300 2,500 2,500 2,3ù0 2.500 2,500 2,500 2,500 2,300 2,500 2,300 2,500 2,500 2,500 2,500 2,300 2,500 2,500 2,500 2,500 2,500 2,500 2,50(: 2,500 2,500 Gr. 8,000 9,000 1,000 9,000 10,300 7,000 3,000 7,300 2,500 3,000 3,000 3,500 3,000 4,500 9,000 8,000 1,000 4,000 10,000 19,000 4,000 6,000 10,000 8,500 6,500 6,300 3,Ono 9,000 3,500 16,000 7,300 14,000 Gr. 20,300 21,500 13,300 21,500 23,000 19,300 155,00 20,000 13,000 15,300 15,500 16,000 15,500 17,000 21,500 20,300 13,500 16,300 22,300 21,300 16,300 18,300 22,500 21,000 19,000 19,000 15,300 21,500 16,000 28,300 20,000 26,500 Gr 13,700 10,730 8,010 10,750 12,750 9,300 7,610 5.350 4,100 7,700 6,300 3, 143 5,700 2,400 3,630 1,610 4,600 3,233 2,060 2,670 3,300 155 645 2,143 59 330 200 600 933 400 500 500 Gr. 6,800 10,750 3,490 10,7f.O 10,250 10,200 7,890 14,630 10,900 7,800 9,000 12,835 9,800 14,600 17,830 19,890 8,900 12,273 20,440 18,830 13,(i00 18,345 21,^55 18,853 18,408 18,470 15,300 2ù,900 15,045 28,100 19,500 26,000 Gant 33 30 40 30 Di^ciiitioii de l'avoine. — La digestion de l'avoine se fait d'une manière analogue à celle du foin. Dès le début du repas et tant qu'il dure, une partie du chyme passe dans l'intestin ; mais comme ce grain qui absorbe un seul équi- valent de salive tient peu de place, l'estomac en conserve, relativement au chiffre de la ration, une grande quantité. Ainsi, sur un cheval tué après avoir mangé 2 500 grammes d'avoine, deu\ heures à compter du début du repas, l'estomac, qui avait dû recevoir 5 000 gram- mes de pâte, en contenait (j 070, par le fait de l'addition du suc gastrique et de la salive déglutie postérieurement au repas. Un second, après un repas semblable, tué à la lin de la deuxième heure, avait dans l'estomac 4 935 grammes de chyme. Un troisième, tué à la (in de la qua- trième heure, après un repas de mêmes nature et quantité, en conservait 3 275 grammes. Un quatrième encore, après quatre heures, 3 800 grammes. Un cinquème, 4 645 grammes au bout de six heures. DIGESTION GASTRIQUE DES SOMPÈDES. R07 Tableau de la dig estion de l'avoine Tablea i de 1(1 di'jest on de l'avoine sans boisson. avec boisson. "' o n> u: ^ *U V •S « H "Si £ — '5 H 1 1 S S „• S _M (- ■- s — '« o H 1. . H 5 Jâ « 3 ■ 5^ il -3 z a; t- ■< ai rt ^1 g- -a ■t a, S 3 "1, — (8 H Z -t. -a z -< - o = H Z o -3 3!l o 3 î^"^ In O •<" " c. S 3 O z - -< 5 ="3 Heur. Gr. Gr. Gr. Gr. Ceni. Hour. Gr. Gr. Gr. Gr. Gr. Cent. l;2 2,300 5,000 4,445 555 Il 1/i 500 1,000 930 70 7 1 2,;ioo 5,000 4,475 525 10 1 1,0011 1,300 3,:ioo 5,500 1 1/2 'i.bOO 5,U00 4,175 825 lo 3 2,500 1,000 6,000 4,6i5 1,335 CT 5! 2,500 5,000 6,070 — — 12 2,500 ' 2,000 7.000 220 0,780 97 2 2.:)0U 5,000 4,925 75 1 20 2,500 8,000 13,000 480 12,520 96 2 2vS00 5,000 5,025 — — 3 1/2 2,000 4,000 4,000 4 2,500 5,000 3,2;5 1,725 32 4 2,;100 5,000 4,050 950 19 4 2,;i00 5,000 ;j,SOÛ 1,200 24 6 2,000 4,000 3,150 850 21 6 2,;ioo 5,000 7,000 — — 6 2,000 4,000 3,500 500 12 G 2,500 5,000 4,615 355 7 8 2,500 5,000 3,555 445 8 8 2,500 5,000 3,575 1,425 28 9 1/2 2,000 4,000 3,580 420 10 10 2,500 5,000 3,980 1,020 20 10 2,500 5,000 2,405 2,595 51 12 2,300 5,000 1,650 3,350 67 12 2,500 5,000 2,145 2.855 57 12 2,000 4,000 1,940 2,060 46 12 2,000 4,000 1 ,200 2,800 70 12 14 14 2,000 2,500 2,500 4,000 5,000 5,000 800 2,300 2,9 15 3,200 2,700 2,05,5 80 41 Mais, pendant la digestion de l'avoine, bien que l'estomac retienne une grande quantité de chyme, il en verse une proportion assez notable dans l'intestin qui est remplacée par des masses de suc gastrique et de salive. En effet, les quan- tités de liquides ajoutées au chyme se sont trouvées de 3 560, de 2 G41) grammes après deux heures ; de 1 089 et de 1 942 grammes après quatre heures; de 2 395 après six heures. C'est en raison de l'abondance des sécrétions salivaire et gas- trique, provoquées par l'avoine, que ce grain se digère sans boisson, et qu'il subit desélaborations plus complètes que le foin. Abstraction faite dos ditï'ércnces individuelles, qui sont considérables sur le cheval comme sur les autres animaux, la digestion gastrique du foin ou de l'avoine a deux périodes distinctes. Dans celle du début, qui coïncide avec le re- pas ralimentestpeu élalioré; il passe en gran place à ce qui est ingéré ultérieurement. Dans la seconde, commençant une fois que le repas a cessé, la chymilication est beauc()U[t plus complète, le déverse- ment du chyme dans l'intestin se ralentit de plus en plus en l'absence de l'im- pulsion que donneraient les nouvelles qualités ingérées ; il n'a plus lieu que par le fait des lentes contractions de l'estomac. El pendant cette seconde période il s'ajoute au chyme de grandes quantités de salive et de suc gastrique qui peuvent le délayer, le rendre diflluent. 808 DE LA DIGESTION. Dans les conditions normales, la digestion gastrique doit être plus rapide à sa seconde période que dans celles où nous avons placé nos animaux d'expé- riences, car le nouveau repas, qui se fait avant que la digestion du précèdent soit terminée, chasse dans l'intestin le reste de ce dernier. Il en résulte que la chy- mification devient d'autant moins parfaite que les repas se succèdent à de plus courts intervalles. Si, par exemple, le cheval est entièrement nourri de foin, les 2 500 grammes que nous donnons, représentant le quart de la ration d'avoine, il y aura quatre repas semblables en douze à quinze heures, dont trois devront être digérés dans ce laps de temps ; le dernier seulement aura neuf à douze heures pour l'être plus complètement. On conçoit que le travail de la digestion sera d'autant plus parfait, que les repas seront plus fractionnés et plus régulièrement échelonnés, et, d'autre part, que le temps d'inaction qui suivra chacun d'eux sera mieux proportionné à la somme de matières à chymifier. On voit, en effet, dans certaines administrations, comme celle des omnibus de Paris, les chevaux faire six repas de quatre heures du matin à neuf heures du soir. Le foin et l'avoine associés entrent dans la com- position de quatre, et l'avoine fait seule les deux autres. Chacun de ces repas n'a que deux à trois heures pour se digérer, sauf le dernier qui en a six. L'eau est donnée aux quatre repas où entrent les fourrages et non aux autres ^ Il est clair que ce fractionnement réglé rend le travail de la digestion moins pénible, plus uniforme et aussi complet que possible, qu'il prévient ces dilata- tions exagérées, ces surcharges, causes de fréquentes indigestions chez les ani- maux mal rationnés ; qu'enfin il supprime ces périodes de torpeur, d'engourdis- sement qui suiventles repas abondants chez tous les animaux. De ce fait incontestable que la digestion gastrique chez l'herbivore n'a pas une égale importance pour tous les aliments, on peut déduire des règles appli- cables à la composition et à la répartition des repas. Il est possible de distribuer les rations de manière à donner à la digestion de l'avoine un temps beaucoup plus long qu'à celle du foin ou de la paille, l'avoine ayant une plus grande somme de fécule à saccharifier et de gluten à dissoudre que le fourrage. L'expérimenta- tion doit donc encore fixer l'ordre de la succession des aliments, dans un même repas, et la composition des repas successifs. Ces deux points ont plus d'importance pour le cheval que pour l'homme, les carnassiers et les ruminants dont l'estomac peut admettre intégralement les aliments ingérés dans le repas le . plus copieux cl les conserver en totalité jusqu'à élaboration complète. Voyons donc ce qui arrive aux aliments de diverse nature donnés successive- ment dans le même repas ou dans des repas plus ou moins rapprochés. Plusieurs cas se présentent. Le plus souvent l'animal commence son repas par le foin, et le finit par l'avoine; quelquefois il reçoit l'avoine en premier lieu, puis le four- rage ; enfin il reçoit à boire, soit après le foin, soit après l'avoine. Digrc^tioii des alimenta «Ioiiik».*» sniccess»îvci»iei»t. — Il est néces- saire, pour se rendre compte du mode de stratification des aliments dans l'esto- mac et surtout de l'ordre de leur départ, d'expérimenter sur des animaux à jeun 1. Communicalion écrite de M. lliquel, vélériiiaire, inspecteur de celte administration. DIGESTION GASTRIQUE DES S0L1PEDES. 809 depuis vingt-quatre heures au moins. Cependant il peut arriver que, dans ce cas, l'estomac ne soit pas encore complètement débarrassé des aliments pris dans le dernier repas. Il en a été ainsi sur le cheval (lig. 1 lo) qui reçut après vingt-quatre heures d'abstinence, d'abord de l'avoine, puis de la luzerne. Tué immédiatement après le repas d'une durée d'un quart d'heure, il montrait à l'estomac trois couches de foin, une ancienne de paille à la grande courbure; au sac droit une moyenne d'avoine mangée au début du repas et une de luzerne prise à la fin. Les i - P trois couches arrivaient ensemble vers le pylore et paraissaient passer à la fois dans l'intestin. Examinons d'abord le cas où le foin est pris avant l'avoine. A un cheval à jeun, on donne 1 230 grammes de foin et, après leur ingestion, '1230 grammes d'avoine. Deu\ heures après le début du repas l'estomac ren- ferme 4 7G5 grammes de chyme, divisés en deux masses. Comme les deux aliments ont dû, en arrivant dans le viscère, constituer une masse totale de 8750 grammes, il en est passé à peu près la moitié dans l'intestin. Le foin ingéré le premier paraît avoir eu la préséance de sortie, car les matières de l'intestin ont l'aspect d'une pulpe contenant fort peu d'avoine. Un second cheval qui reçoit également et dans le même ordre, I 230 grammes de foin et 1230 d'avoine, tué deux heures après le début du repas, donne 5870 grammes de chyme. La part du loin pèse 3735 et occupe toute l'étendue de la grande courbure; celle de l'avoine, qui pèse seulement 2 133, s'étend du cardia au pylore et commence à so<'fir (lig. 1 1(5). La moitié environ du foin ingéré est déjà passée dans l'intestin; il n'est sorti qu'un sixième de l'avoine. Le foin, entré le premier, est aussi sorti le premier en forte i)roportion, chassé par l'avoine qui maintenant seinl}le passer seule dans l'intestin. Sur un autre qui mange 1230 grammes de foin, puis 1 250 d'avoine : après trois heures de digestion, sans eau, le foin occupe les deux tiers du viscère à la grande courbure, et l'avoine longe la petite jusqu'au pylore où le mélange des 810 DE LA. DIGESTION. deux substances se faityisiblement. Le foin est répandu dans toute l'étendue de l'intestin grêle, l'avoine seulement dans les 15 premiers mètres dont les chyli- fères blanchissent. L'estomac conserve 2700 grammes de chvme de foin, et FiG. 116. 1 820 grammes de chyme d'avoine. Il est donc sorti plus de la moitié du pre- mier, le quart du second. Sur une quatrième (fig. 117), qui mange d'abord 2.500 grammes de foin, boit ^^/^>-r ' ^ -i^t'^'r---^^-'.-.-- • V,-',- a ,1 ,''" Y'i'i ',,■•■.' mm Fig. m. ensuite 2 kilogrammes et demi d'eau, puis mange 2500 grammes d'avoine et qui est tué au bout de trois heures à compter du début du repas, l'estomac a reçu en somme, en aliments, boisson et salive, 20 kilogrammes. Il conserve 10'^''.500 du mélange, soit la moitié de la masse ingérée. Dans ce reste, le foin, arrivé le premier, est parti pour moitié; le reste est représenté par 1280 grammes, l'avoine par 2000, supposés secs. Ici, c'est donc la moitié du foin qui a été chassée par l'avoine. Celle-ci n'est sortie qu'en faible proportion, un cinquième DIGESTION GASTRIQUE DES SOLIPÈDES. 811 OU un quart à peu près, et à la suite du foin, qu'elle chassait devant elle; aussi le foin occupe la dernière moitié de l'intestin grêle et commence à entrer dans le ciocum ; mais l'avoine n'est parvenue que dans la première moitié. Sur un cinquième auquel on donne 1 2o0grammes de foin puis 1 2o0d'avoine, et que l'on tue quatre heures après le début du repas, la masse du chyme pèse 3 305 grammes, savoir 2 515 pour le foin et 880 pour l'avoine. Il est donc sorti de l'estomac presque la moitié du foin et les deux tiers de l'avoine; aussi le con- tenu de l'intestin grêle est-il trouble, blanchâtre, et le système chylilère très bien injecté de liquide laiteux. Ainsi l'avoine donnée après le foin se case à part dans l'estomac, à la petite courbure, d'une tubérositéà l'autre; elle se mêle seulement à un peu de foin au voisinage du pylore; elle n'attend pas, pour passer dans l'intestin, que le foin qui l'a précédée soit sorti; elle sort avec lui en certaine proportion; mais une fois le repas achevé, il sort beaucoup plus de foin que d'avoine, l'élimination du premier est prédominante, tant à cause de l'antériorité de son arrivée qu'en rai- son de son grand volume. Lorsque les deux aliments sont ingérés dans l'ordre inverse et en égale quan- tité, l'avoine d'abord, le foin ensuite, les deux prennent également chacun leur place. Le premier se loge à la grande courbure, d'une fubérosité à l'autre, le second à la petite ; ils demeurent distincts lorsque l'animal ne boit pas, sauf au pylore où leur mélange fréquent peut les faire passer simultanément dans l'in- testin. Les expériences suivantes le prouvent ; elles sont, comme les autres, ran- gées suivant la durée de la digestion. Un cheval à la diète mange 500 grammes d'avoine et ensuite 250 grammes de foin, puis est tué un quart d'heure après le commencement du repas. Les deux aliments sont bien séparés : l'avoine à droite, près du pylore, forme une masse du poids de 1 100 grammes ; le foin, une autre masse à gauche du poids de 1 060. Chacun d'eux est associé à la quantité d'eau qu'il absorbe normalement; l'avoine à un et le foin à quatre équivalents de salive; mais comme les quantités ingérées sont faibles et que l'animal vient de les avaler, l'estomac les a intégralement conservées. Un autre reçoit 500 grammes d'avoine, puis 500 grammes de foin, et est tué immédiatement après ce faible repas. L'avoine et le foin sont distincts, comme sur le cheval précédent, mais l'avoine s'est déjà répandue sans les 10 premiers mètres d'intestin grêle, et maintenant le foin sort avec elle. [Jn cheval, toujours à la diète, reçoit une i)lus forte ration : 1° 1 250 grammes d'avoine, puis 1 250 grammes de foin, et est tué deux heures à compter du début du repas. L'avoine, en sa qualité de première arrivée, est à la grande courbure et au sac gauche, représentant une masse du poids de I7'i0 grammes ; le foin, arrivé le dernier, pèse 3 275 grammes, et occupe la petite courbure ainsi que le voisinage du pylore. L'intestin a du recevoir 710 grammes de chyme d'avoine et 2850 grammes de chyme de foin, soit près d'un tiers du premier et de la moitié du second. Ici donc le foin, quoique arrivé le dernier, est sorti en proportion beaucoup plus forte que l'avoine. Ce résultat n'est point exceptionnel. 812 DE LA DIGESTION. Un autre mange d'abord 1 kilogramme d'avoine, puis 1 kilogramme de foin sans boire. Deux heures après le début du repas, son estomac, qui a dû recevoir FiG. 118. 7000 grammes de matières, n'en renferme plus que 4 500, en deux masses. L'avoine est refoulée à la grande courbure. Le foin, rangé à gauche et à la petite courbure, quoique arrivé le dernier, a commencé à passer dans l'intestin et même en quantité prédominante, car il est disséminé sur toute la longueur de l'intestin grêle avec fort peu d'avoine. La même particularité s'observe encore clans les suivants dont la digestion est prolongée. Fjg. 119. Après quatre heures, sur un clieval qui avait mangé successivement 1 250 grammes d'avoine et 1 250 grammes de foin, le chyme formait deux masses distinctes dans la situation ordinaire : lamoitié du chyme d'avoine avait disparu, puisqu'il n'en restait plus que 1215 grammes dans l'estomac, et les deux tiers du chyme de foin étaient passés également dans l'intestin, car l'estomac n'en gardait plus que 2185 grammes (fig. 119). DIGlîSTION GASTRIQUE DES SOLIPÈDES. 813 Sur un cheval à jeun qui reçoit 2S00 grammes d'avoine, puis 2500 de foin et qui est tué quatre heures après le début du repas effectué sans boisson, — car après l'ingestion de l'eau il n'est plus possible de reconnaître ((ig. '119) les pro- portions et le mode de départ des aliments, — voici ce qui est constaté : estomac volumineux contenant une masse de foin du poids de 9 800 grammes, masse tassée et moulée sur les parois du viscère, et \ Mo de pùte d'avoine. L'avoine, arrivée la première, est sortie dans la proportion des trois quarts environ; ce (pii en reste occupe la graïuh' courbure, le sac droit et le voisinage de l'ori- lice pylorique. Le foin mangé en second lieu n'est sorti de rest(jmac que dans la proportion d'un cinquième. L'avoine, chassée par le foin, a paicouru toute l'étendue de l'intestin grêle, où elle a donné une magiiifuiue injection du chyle blanc; elle est parvenue déjà en grande quantité dans le c;ccum, dont elle a rendu le contenu très farineux. Lorsque la digestion se prolonge, les proportions d'avoine et de foin qui sortent de l'estomac paraissent clianger : le départ du foin, qui était rapide au début, se ralentit sur la lin. Une fois que l'estomac s'affaisse beaucoup, le foin se tasse et reste à titre de lest, pendant que l'avoine, plus lourde, fuit plus aisé- ment dans l'intestin. Ainsi, huit heures et demie après un repas composé de 1 2^0 grammes d'avoine et de 2 500 de foin, l'estomac ne conservait plus que 1 025 grammes de chyme ou un septième presque entièrement formé de foin. Cependant, au bout de dix heures, sur un cheval qui avait njangé 1 kilogramme d'avoine et 1 kilogramme de foin, l'estomac gardait 1 750 grammes de chyme où les deux aliments restaient distincts dans leur position respective, 7 000 grammes de matières étaient passés dans l'intestin. En résumé, on peut dire, d'une manière générale : 1° que si l'avoine est donnée au commencement du repas, le foin mangé ensuite la chasse dans l'intestin en forte proportion avant que sa digestion soit suffisamment avancée ; 2° que si elle est donnée à la fin, ce sont seulement les dernières portions de ce grain qui chas- sent les premières, faute de trouver une place suffisante. Aussi le plus logique est de la donner après le foin, et assez longtemps après, afin de laisser l'estomac se désemplir un |)eu, pour offrir une [)lace assez large au grain. Si, enfin, au lieu de deux aliments, le cheval en mange successivement trois ou quatre, comme le loin, la paille, le vert, l'avoine, ils se disposent encore dans l'ordre de leur arrivée, le premier à la grande courbure, le second à la région moyenne, te troisième en derà et le dernier à la ()etite courbure; ils forment ainsi des zones superposées, comme seraient les couches de matières qu'on dé- poserait successivement dans un sac dont la grande courbure représenterait le fond et la petite l'entrée. Les strates demeurent distinctes malgré les conlrac- tions ; elles ne se confondent qu'au pylore où le plus souvent les aliments se pré- sentent tous en même temps pour sortir, car cette partie est déclive, les liquides y abondent et délayent toutes les parties qui d'ailleurs y sont poussées par les contractions du viscère. Le mélange ne se fait partout que par suite de l'inges- tion d'une certaine quantité d'eau. Le tableau suivant donnera une idée des pro- portions suivant lesquelles plusieurs matières ingérées successivement peuvent passer dans l'intestin. 814 DE LA DIGESTION. D'JREE de la di- 'estiou. Foin. 500 1.2o0 1,000 2,300 700 2,500 2,5l'0 ^,500 QUANTITE DE MATifcllE INGÉRÉE Paille. 1,250 2,300 2,500 Avoine. 500 2,500 2,500 2,500 Eau. 5,000 8,000 4,500 8,000 3,000 2,500 8.000 10,700 Somme avec salive. 8,noo 20,500 14,500 33,000 17,500 20.000 :;3,(i00 25,110 QUANTITE CONSERVÉE DAr^s i'kstomac Fourrage 352 298 470 282 655 465 750 Avoine. 1,593 1,706 625 Eau. Somme 2,900 6,760 7,515 5,000 5,910 10,795 5,000 8,885 QUANTITE versée dans l'intestin Aliments Eau. Il résulte des faits relatés jusqu'ici que les aliments donnés successivement, sans eau, pendant et après le repas : 1° ne se mêlent pas dans l'estomac; 2° qu'ils ne passent pas dans l'intestin d'une manière successive et dans l'ordre de leur arrivée, mais ordinairement ensemble et en quantité proportionnelle à leur masse respecti-ve ou à leur volume. Si le foin est donné le premier, il passe en beaucoup plus grande proportion que l'avoine, parce qu'il sort dès le début du repas, avant l'arrivée de celle-ci, et qu'à compter de l'ingestion de l'avoine, il repi'ésente une masse plus considérable qu'elle. Aussi, en somme, les aliments pris successivement dans un même repas se comportent, jusqu'à un certain point, comme les mélanges : tout en demeurant distincts dans la plus grande partie du viscère, ils se mêlent plus ou moins vers le pylore, et passent ensemble dans le duodénum. Mais les phénomènes se compliquent une fois qu'on donne à boire sur la lin du repas ou après, comme cela arrive le plus souvent dans les conditions ordi- naires. Par le fait de l'ingestion de l'eau, les aliments tendent à se mélanger, même très intimement, à se délayer et à sortir ensemble sous forme de bouillie. Tantôt le mélange ne fait que commencer, et le liquide passe du cardia au pylore, en suivant la petite courbure ; d'autres fois il devient aussi complet que siles ali- ments étaient violemment agités avec le liquide. Dans le premier cas, l'eau em- porte peu de chose avec elle, les parties les plus ténues, la farine; de l'autre, elle entraîne indistinctement la farine, les fragments indigérés des grains, les glumes, les glumelles et les débris les plus grossiers des tiges ou des feuilles de fourrage. Voici des exemples des différents cas qui peuvent se présenter. Un cheval qui, après avoir mangé un peu de luzerne, puis un litre d'avoine, boit douze litres d'eau, est tué sur-le-champ et ouvert rapidement. L'estomac ne renferme plus que six litres et demi d'eau un peu trou])lc avec l'avoine qui a ré- sisté au courant en raison de sa petite masse. L'eau est sortie à peu près pure ; elle est claire dans les 8 premiers mètres d'intestin grêle, et au delà elle chasse devant elle la luzerne prise au commencement du repas et sortie, sans doule, par suite de rim[>i]lsion de l'avoine prise ensuite. Sur un second qui reçoit un litre d'avoine, puis une poignée de foin et un litre d'eau, il n'en est lias de même; dix minutes, à dater du début du 'repas, la DIGESTION GASTRIQUE DES SOLIPÈDES. 815 petite quantité d'eau ingérée a sulTi pour mêler les deux aliments et pousser leur mélange assez intime dans rintesliii, sur une longueur de A mètres et demi. Sur un troisième qui boit huit litres d'eau après avoir mangé 2 100 grammes, tant de foin que de paille donnés isolément, l'estomac, pris aussitôt après le re- pas, avait déjà versé dans rinlestiii les deux tiers de ce qu'il avait reçu. Il ne lui restait, sur les 18 oOU grammes d'aliments, de salive et d'eau ingérés, que 6 760 grammes de bouillie où le fourrage sec entrait dans la proportion de 400 grammes. Conséquemment, l'eau avait dû entraîner plus de la moitié du fourrage qui demeurait dans l'estomac lors de son arrivée. Dans l'intestin grêle se retrouvaient 11 900 grammes de la bouillie emiiortée, soit à peu près l'équi- valent de ce que l'estomac avait laissé échapper. Mais sur un quatrième qui est tué deux heures après avoir pris successive- ment 2 500 grammes d'avoine, 1 000 de foin et 4 500 d'eau, les choses se passent autrement. L'estomac, qui avait reçu en aliments, salive et eau 14 300 grammes, n'en retenait plus que 7 545 ou à peu près la moitié. Seulement cette fois l'eau était sortie sans semêler à l'avoine et sans changer la situation des deux aliments. Le chyme de foin isolé de l'eau libre pesait 3 200, et celui d'avoine 1 145. L'aspect du contenu de l'intestin grêle montre l'ordre suivant lequel l'eau a entraîné les aliments. A l'iléon, l'avoine seule est mêlée au liquide; en deçà et dans toute la région moyenne, l'eau tient en suspension le foin mêlé à l'avoine; enfin, au duodénum, elle n'est chargée que de foin. L'eau bue, à la fin du repas, a donc entraîné d'abord de l'avoine, qui, à la petit courbure, lui barrait le chemin, puis du foin avec de l'avoine, et finalement du foin seul. Ce résultat n'est point excep- tionnel. Un cinquième cheval, qui mangea 2 500 grammes d'avoine, 700 grammes seulement de foin, et qui but neuf litres d'eau, présenta, trois heures à compter du début du rejjas, l'avoine à la grande courbure en une masse du poids de 3465 grammes, le foin à la petite pesant 2445 ; en somme, 5 910. L'estomac, qui avait reçu 25 kilogrammes de matières solides ou liquides en avait donc versé 19 dans l'intestin, soit environ les quatre cinquièmes : l'eau était sortie du viscère, sans rien changer à l'arrangement des deux masses de chyme. Sur un sixième, au contraire, l'eau a tout mêlé, puis entraîné la plus grande partie du mélange. Et c'est ainsi qu'elle parait se comi)ort('r ([uand elle prosoque de vives contractions gastriques. Le cheval, après avoir mangé 2 500 grammes de foin, puis 2 500 de paille, et bu huit litres d'eau, est tué trois heures à comp- ter du commencement du repas ; l'estomac est rapetissé et ses aliments mêlés. Le viscère, qui a reçu 25 kilogrammes en fourrage et en salive, et 8 kilogrammes d'eau,en tout 33 kilogrammes, n'en a retenu que 5 ou un peu moins d'un sixième; il en a laissé échapper28, dont 7500 se retrouvent dans l'intestin grêle, le reste étant déjà parvenu au cjecum. L'eau donnée en grande quantité peut seule déterminer de tels effets. A petite dose, elle ne dérange rien au groupement des matières alimentaires ; elle s'en va sans même les détremper. C'est ce qui est arrivé, par exemi>le, à un cheval qui reçut 2 500 grammes d'avoine, 2 500 grammes de foin et but seulement un litre d'eau. Quatre luMires à compter du début du repas* l'estomac renfermait 816 DE LA DIGESTION. 11 305 grammes de chyme tassé à deux couches, l'avoine à la grande courbure, de la grosse tubérositéau pylore, pesant en pâte 144S grammes, et le foin àla petite, pesant 9 860. Le \iscère qui avait reçu 18 500 grammes, avait gardé près des deux tiers des matières ingérées. L'avoine prise la première était sortie la pre- mière et parvenue au caecum ; le foin s'éparpillait sur tout le trajet de l'intestin grêle. Lorsque, comme cela arrive assez souvent, le repas est coupé par l'ingestion de l'eau, après le foin el avant l'avoine, l'eau peut avoir de l'influence sur le départ de l'aliment qui la précède, comme sur celui de l'aliment qui vient après elle ; car ce qui en reste dans l'estomac sert à délayer plus ou moins le chyme. Voici ce qui s'est passé sur deux chevaux dans ces conditions. Le premier, après avoir mangé 2 500 grammes de foin, but deux litres et demi d'eau^ puis reçut 2 500 d'avoine. Au moment de la mort, trois heures après le début du repas, l'estomac, qui avait reçu 20 kilogrammes de matières, en con- servait la moitié, 10 795 : le chyme de foin occupait, à titre de premier arrivé, la grande courbure, il pesait 6 400 grammes; le chyme d'avoine à la petite pe- sait 4100.11s avaient retenu l'un et l'autre du liquide ingéré, car leur dessicca- tion a montré qu'ils renfermaient seulement, l'un 800 grammes de foin sec, l'autre 1 800 grammes d'avoine sèche. Ici, l'eau paraît avoir favorisé le départ du foin dont les trois quarts sont passés dans l'intestin, et non celui de l'avoine qui est venue après elle, car l'estomac n'a laissé sortir qu'un peu plus du quart de cette avoine. L'eau a été absorbée par le chyme de foin qui en a plus de six équivalents, et non point sensiblement par celui d'avoine. Quant au second cheval, après avoir mangé 2 500 grammes de foin et bu 10 700 d'eau, il reçut 2 500 d'avoine dont il ne prit que 1 000. Quatre heures après ce repas coupé, l'estomac, qui avait reçu en tout 25 200, n'en conservait que 8 885 ; il en avait donc versé près des deux tiers dans l'intestin : le chyme de foin hydraté pesait 7140, celui d'avoine 1 745. Ici l'eau avait uniquement influé sur le départ de l'aliment arrivé avant elle. En somme, l'eau modifie diversement la digestion et exerce une influence varia- ble sur le départ des aliments, suivant sa qualité et le moment de son ingestion. Eilen'estpoint immédiatement nécessaire àlachymification, carie foin chargé de ses quatre équivalents de salive, et l'avoine d'un seul équivalent, forment une })ulpe qui, additionnée de suc gastrique et de la salive déglutie pendant lachymi- lication, peut très bien passer dans l'intestin grêle. Mais lorsqu'elle est ingérée après le repas, elle hydrate plus complètement le chyme, puis le surplus en passe dans l'intestin, tantôt en chassant une partie des aliments délayés, tantôt sans en entraîner une quantité notable, quelquefois même sans déranger sensiblement leurs différentes couches. En général, lorsqu'elle est donnée en quantité un peu considérable, elle produit le premier de ces effets et favorise ainsi la désobstrue- lion du viscère. Aussi est-il utile d'abreuver les animaux après l'ingestion du foin pour préparer une place à l'avoine, tandis qu'il est plus rationnel de s'en abstenir après l'ingestion de l'avoine, si ce n'est au bout de quelques heures, alors que la digestion de cet aliment précieux est très avancée. De ce qui précède, il résulte que les aliments ne soi'tent pas de l'estomac du DIGESTION GASTRIQUE DES SOLIPÈDES. 817 cheval exactement dans l'ordre de leur arrivée, puisqu'ils se mêlent en certaine proportion au pylore, si la digestion se fait à sec et, en général, beaucoup mieux après rinj,M'stiaii des liquides. Néanmoins on peut, en rr^dant la succession des aliments dans un nuMue repas, en es|);ieant les repas d'une certaine façon, et sur- tout eu (l(Miiiant l'eau à tel ou tel niunient, abréger le séjour des fourrages et prolonger celui des grains. Les règles qui peuvent se déduire des faits physiologiques et de l'observation, méritent tQute l'attention de ceux qui s'occupent de l'éducation du cheval et de son .hygiène. Elles ne peuvent être formulées en termes absolus, car l'habitude prise par les animaux de manger dans un certain ordre tel aliment en grande Ujuantité et tel autre en faible proportion, modifie le fonctionnement de l'appareil digestif. Le cheval à ventre volumineux, habitué à l'usage des fourrages gros- siers, digère très vite; ses aliments ne font que passer dans l'estomac, et l'avoine qu'il reçoit de temps à autre passe trop rapidement pour être digérée. Au con- traire, le cheval (in, levrette, digère ce grain avec une rare perfection, car il le retient aussi longtemps que possible dans l'estomac, comme dans les diverses portions de son étroit intestin. Uigrcstioii des uiélaiigresfi. — La digestion des aliments mêlés plus ou moins intimement avant leur ingestion, comme celle du foin et de la paille ha- chés, des grains concassés associés à des pulpes et à divers résidus, présente quelques particularités dignes d'attention. Si ces aliments sont de même volume et densité, comme les fourrages, ils demeurent intimement mêlés dans l'estomac et passent dans l'intestin à l'état de mélange. Si l'un est plus mou, plus imprégné de sucs, comme l'est l'herbe verte par rapport au foin, il sort un (icu plus de cet aliment mou, de cette herbe, qu(> de fourrage sec. Si aux fourrages sont associées des pulpes, celles-ci arrivenldans l'inlesliii plus vil(,' que ceux-là, surtout chez les animaux abreuvés après le repas ou que l'on soumet au travail. D'ailleurs ici les choses se passent comme dans le cas de la digestion d'un seul aliment à parties hétérogènes Les plus fluides sor- tent les prennères, la farine du grain d'avoine plus tôt que les fragments, les glumes, les glumelles, etc. Ces mélanges peuvent avoir l'inconvénient de forcer les aliments très nutritifs à quitter l'estomac avant leur élaboration com|)lète, et aussi vite que les aliments peu alibiles dont le principal oflice est de lester l'appareil digestif II est clair que l'avoine écrasée mêlée aux fourrages hachés s'en va trop tôt avec eux, et avant que ses principes azotés aient eu le temps de se dissoudre dans le suc gastrique; elle marche de pair avec la paille ou avec le son, dont le séjour dans l'estomac peut être, sans inconvénient, très abrégé. Diji^csiitioii «le la. clia.ii^ et deiii uia.tlèi*e«i aiiiiiknleafi. — Hien que les solipèdes aient rarement l'occasion d'ingérer des matières animales, sauf à titre d'analeptiques, il est intéressant de savoir, au point de vue physiologique, si leur suc gastrique faible, leur cliymllieation sommaire, rendent possible la digestion de la viande. Pour constater sûrement si le cheval digère la chair, il convient de la lui don- ner en petits morceaux qu'il est facile de reconnaître à leur sortie de l'estomac G. COLIN. — Physiul. cipiii|i., 3"^ éilit. I — .")'J 818 DE LA DIGESTION. OU au moment de leur expulsion par les voies ordinaires. J'ai donc fait avaler à un premier cheval 1000 grammes de chair crue, coupée par petits morceaux réguliers, cubiques ou arrondis, pesant chacun 20 à 25 grammes; et, pour empê- cher que l'animal ne les écrasât, je les ai portés successivement, avec de longues pinces, dans l'arrière-bouche. Le cheval a été tué vingt-quatre heures après ce repas inaccoutumé; il n'avait plus de chair ni dans l'estomac, ni dans l'intestin grêle; mais le caecum, le côlon replié et le côlon flottant en renfermaient les mor- ceaux gonflés, mous, verdàtres à l'extérieur, encore rouges à l'intérieur, lesquels pesaient ensemble, après avoir été essuyés, 818 grammes, c'est-à-direqu'ils avaient perdu un peu moins d'un cinquième de leur poids primitif. A un second cheval j'ai fait avaler huit morceaux de muscles pesant 20 grammes chacun, et pris sur un animal tué depuis six jours, les uns nus, les autres enveloppés dans de la toile à demi-usée. Le solipède qui, depuis, avait mangé et bu à discrétion, ne fut tué qu'au bout de vingt-quatre heures. Les huit fragments se trouvaient dans le caecum : les deux premiers, enveloppés, pesaient l'un 18 grammes, l'autre 16 grammes, le troisième en pesait 22, le quatrième 13, le cinquième 23, le sixième 19, le septième 21 et le huitième 20. Ces fragments, qui avaient sans doute perdu de leur substance, s'étaient, en compensation, imprégnés d'une cer- taine quantité d'eau. Ils étaient gonflés, mous, verdâfres à l'extérieur, mais ils avaient conservé leurs fibres distinctes et leur teinte rouge à l'intérieur. Sur ces deux premiers sujets, la substance animale n'avait pas eu le temps de parcourir tout le trajet de l'appareil digestif; il fallait voir si elle serait chassée avec les déjections et si elle éprouverait d'autres modifications dans les diverses parties de l'intestin. Dans ce but, j'ai fait avaler à un cheval six morceaux de chair du poids de 26 grammes, en laissant du foin à sa disposition. De la vingt- quatrième à la trente-deuxième heure, il a rendu quatre de ces morceaux, pesant ensemble 70 grammes, et n'ayant par conséquent perdu, pour tous, que 10 grammes. Ils étaient moins gonflés que ceux qui, sur les autres, se trouvaient dans l'intestin, mais ils étaient encore d'un noir verdâtre à l'extérieur et d'un rouge pâle à leur centre ; les deux derniers ne furent pas retrouvés. A un autre, je fis avaler de même douze petits morceaux semblables aux précédents, dont six de chair de porc et six de chair de bœuf. De la dix-huitième à la vingt-quatrième heure, trois d'entre eux furent rendus avec les excréments; ils avaient pris une teinte verdâtre; leur surface seule était altérée, mais leurs fibres restaient parfai- tement reconnaissables, avec leur teinte rougeâtre. Les neuf derniers furent rejetés plus tard, sans avoir été digérés plus que les autres. Ces expériences, répétées et variées sur des chevaux de dilférents âges, et placés dans diverses conditions, ont constamment donné les mômes résultats. Toujours les morceaux de chair qui n'avaient point été mâchés furent éliminés entiers et à peine altérés, et ils furent ainsi rejelés, soit qu'on les eût fait prendre à des animaux à jeun, soit qu'on les eût administrés à des sujets en pleine diges- tion, mis ensuite à la diète, ou entretenus avec leurs aliments ordinaires. Un résultat aussi singulier pouvait être attribué à la dureté de la chair. Je donnai à d'autres chevaux des morceaux de psoas qui sont, comme on le sait, les plus mous et les plus délicats de tous les muscles; ils furent un peu jdus DIGESTION GASTHIQUE DES SOLITÈDES. 819 altérés à la surface, mais pas plus digérés que les autres. Dans le même but, je fis avaler à plusieurs chevaux des escargots vivants. Au bout de vingt heures, ils étaient parvenus au caicuni et au côlon. A compter de ce moment, et jusqu'à la trente-deuxième heure, ils sortaient non digérés avec les excréments. Leur digestion n'avait même pas lieu quand ils étaient avalés après perforation préa- lable de leur coquille. La chair divisée en fragments du volume de pois ou de fèves enveloppés de toile a résisté aussi, mais en perdant une partie de son poids. Enfin, le sang s'est montré réfracfaire comme la chair. Au bout d'une demi- heure, celui que j'avais injecté par l'œsophage était encore liquide; après une heure, il se trouvait en partie coagulé. Après six heures, il était entièrement parvenu dans l'intestin grêle, le cœcum, le côlon replié, sous forme de gi'os caillots noirs; sa partie liquéfiée avait rougi les résidus alimenlaires. Enfin, dans une expérience où le cheval fut laissé sans aliments après avoir reçu du sang, celui-ci était encore, après dix-sept heures, en caillots dans l'estomac, le ctccum et le côlon. Ainsi donc, ni la chair en petits morceaux, ni le sang, ne se digèrent dans l'estomac du cheval, et, de plus, ces substances traversent tout le tube intestinal sans avoir subi de iiroCoiules modifications. Le chien (pii avale des morceaux de chair énormes, les oiseaux de proie (pii se gorgent de petits mammifères, d'oiseaux, de poissons, de reptiles, digèrent cependant tout cela, et aucune des parties ingérées ne traverse le tube intestinal sans avoir été préalablement dissoute. Une différence aussi remarquable ne doit donc pas être simplement constatée; elle doit être interprétée et rapportée à sa cause. Or, celle-ci tient à ce que les substances animales font un très long séjour dans l'estomac des car- nassiers, .tandis qu'elles ne l'ont, pour ainsi dire, que passer dans l'estomac des solipèdes. Au bout de quelques heures, elles en sont chassées dans l'intestin grêle et au delà dans le ca'cum, où leur dissolution n'est plus possible. Si la chair séjournait suffisamment dans l'estomac des solipèdes, elle y serait digérée comme elle l'est dans l'estomac des carnassiers. En effet, les grenouilles que j'ai fait avaler vivantes au cheval, grenouilles qui, par suite de l'extension des pattes au moment de la mort, ne pouvaient franchir l'orifice pylorique, se trouvaient digérées en quinze à trente-six heures, et leurs os flottaient dans les liquides du caîcum ou dans la bouillie du côlon Les moules données vivantes, étant également retenues en deçà du pylore par l'écartement de leurs valves, ont été digérées au bout de seize heures, et leurs valves séparées sont parvenues au cœcum. D'ailleurs, dans les e\[u''riences où de petits poissons avaient él('' introduits et maintenus dans l'estomac par une fistule, ils étaient si ramollis et si diftluents au bout de- douze heures, que les os et les arêtes s'en détachaient au moindre con- tact, ou même se disséminaient au milieu des aliments. L'inaptitude du cheval à digérer la chair n'est donc point absolue; elle tient uniquement à ce que cette substance ne séjourne pas assez longtemps dans l'esto- mac de cet herbivore pour y éprouver les niuddicalions (ju'elle subit dans celui d(;s carnassiers. On s'iibuserait, cependant, si l'on croyait (pie le solipède (|ui 820 DE LA DIGESTION. s'habitue à manger de la chair cuite n'en digère pas une partie. Il e*t évident que cette substance, parfaitement broyée par les dents et réduite en pâte sous la double influence de la mastication et de l'insalivation, se dissout en certaine proportion dans le suc gastrique, quelque courte que puisse être la durée de son contact avec ce fluide. Si cet aliment était quelquefois donné an cheval à litre d'analeptique, ou comme il Test, dit-on, aux chevaux du désert employés à de longues courses, son usage devrait être réglé d'après ces indications physiolo- giques. Si la chair en masses un peu considérables n'éprouve presque pas d'altération dansles voies digestives du cheval, et si la même substance très divisée et réduite en pâte s'y dissout imparfaitement, il n'est pas étonnant que des parties plus dures, telles que les tendons, les cartilages et les os, n'y subissent pas de modi- licalions bien sensibles. Les morceaux de tendons, de cartilages, que j'ai fait avaler à des chevaux, ont été rendus, vingt-quatre, trente, trente-cinq heures après leur ingestion, avec leur forme, leur aspect et leur consistance ordinaires; les tendons seuls étaient un peu ramollis, comme macérés, et avaient diminué de poids. Les petits osselets du carpe et du tarse traversaient le tube digestif, en conservant leurs facettes lisses et leurs hbro-cartilages ; de petits cubes taillés dans la substance spongieuse des os avaient encore, après un séjour de vingt- quatre et de trente heures, leur volume et leur poids primitifs ; de petits disques pris dans la partie moyenne des os des membres déjeunes animaux et enveloppés dans un tissu très mince, étaient rejetés sans que les filaments si déliés de la substance réticulée eussent subi la moindre moditication appréciable. Il est fort remarquable que les larves d'œstres et divers helminthes, tels que le spiroptère mégastome des solipèdes, puissent vivre si longtemps dans l'estomac du cheval, au milieu du liquide dissolvant, toujours acide pendant la digestion, comme le font ces petits vers que Spallanzani trouva lixés à la muqueuse gas- trique des salamandres. Leur résistance tient probablement à ce que leur tégu- ment est réfractaire à l'endosmose des liquides acides et chargés de pepsine. néiitkft des» aliments» et des ])oi!siSioiis. — Nous avons vu, par un grand nombie d'expériences rappelées plus haut, que l'estomac du cheval et des autres solipèdes n'est point disposé pour einmagasiner ce que l'animal mange en un repas, et qu'il se vide à mesure qu'il se remplit, à comitter des premiers moments de l'ingestion des aliments. Si l'estomac, parvenu à la moitié environ de sa capacité possible, n'opère ]>as le déversement progressif de son contenu, c'est qu'il manque de tonicité, alors le travail digestif est languissant et l'indigestion à craindre; cette indigestion est souvent mortelle si le viscère retient de 20 à 3U litres de chyme. Ce n'est pas seulement à i)artir du moment où l'estomac a atteint son degré moyen de dilatation qu'il commence à envoyer des ondées de chyme à l'intestin ; il lui en donne souvent au bout d'un(|uart d'heure et même plus tôt. Dès que l'ani- mal se met à manger et que plusieurs bols sont parvenus à l'estomac, ils se délayent dans le liquide accumulé lors de l'abstinence, et passent, par ondées, à travers l'oridce pylorique. Mais, d'abord, ces ondées de chyme imparfaitement élaboré sont faibles et rares; le viscère reçoit plus qu'il ne laisse échapper: DIGKSTION GASTRIQUE DES SOLTPÈDES. X2l aussi sa distension fait-ollo des progrès sensibles, et, à mesure qu'elle s'accroît, le déversement pyiorique devient plus considérable. Une (ois qu'elle est parvenue à son terme, le départ des aliments fait équilibre à leur arrivée, et l'organe con- serv(; le même volume tant que l'animal continue à manger. Enfin, lorsque le repas est achevé, Télimination des aliments se ralentit graduellement, et finit par devenir si faible, que les dernières portions éprouvent une grande difficulté à passer dans l'intestin; aussi le viscère ne parvient-il à se vider comfilètement que six, huit, dix heures après le repas. Ce départ s'effectue, du reste, avec d'autant plus de peine, que les matières contenues dans l'estomac sont plus tassées et plus sèches, car alors elles forment une masse compacte, en quelque sorte moulée dans le viscère, d'où l'indication rationnelle, dans l'indigestion, d'administrer des liquides, en petite quantité et à de fréquents intervalles, pour détremper insensiblement ces matières, sans provoquer une distension exagérée qui ferait perdre aux parois de l'organe le reste de leur tonicité. Les liquides sortent de l'estomac avec plus de promptitude encore que les ali- ments solides; mais leur passage dans l'intestin ne se fait pas absolument de la même manière dans toutes les circonstances. Si l'estomac contient déjà une cer- taine quantité d'aliments à l'instant de la déglutition des liquides, il continue à augmenter de volume ; les ondées suivantes passent dans l'intestin en entraînant une notable proportion de matières alimentaires. Gomme cesliquidessontpoussés avec force dans le réservoir, et qu'ils y abordent en masse su|>érieure à celle qui peut s'échapper à travers l'ouverture pyiorique, il arrive parfois que la dilatation de l'estomac s'exagère au point de faire perdre à ses parois le ressort nécessaire à l'élimination immédiate de la masse liquide. Si, au contraire, l'estomac est vide, quand l'animal vient de boire, l'eau passe dans l'intestin dès le premier moment de la déglutition ; mais encore ici, comme l'organe en reçoit, dans un temps donné, plus qu'il ne peut en laisser échapper, il se distend plus ou moins et arrive à acquérir la moitié et même les deux tiers de sa capacité maximum. J'ai vu plusieurs fois, en ouvrant rapidement l'abdomen pour lier le pylore, quatre, cinq, six minutes après la déglutition d'une quantité d'eau préalablement déter- minée, que l'estomac se dilatait de manière à en retenir 8, 10, 12, l'o litres; le reste avait déjà passé dans l'intestin grêle. Ce qui, alors, est parvenu à l'intes- tin grêle marche vite vers le cœcum; car, si l'on ajoute à l'eau donnée au cheval un peu de cyanure de fer, on le retrouve aisément au bout de dix minutes, d'un quart d'heure à l'iléon, c'est-à-dire à *20 mètres et jilus de l'estomac; toutefois ce n'est qu'après un temps plus long qu'il entre au caîcum en forte proportion. Le départ des liquides a des caractères fort variables suivant les quantités ingé- rées, leur température, le degré de réplélion de l'estomac, la consistance du chyme, l'état de flaccidité ou de resserrement de l'intestin grêle, la masse de matières qu'il peut contenir, etc. Dans certains cas, les liquides sortent douce- ment par un courant dirigé du cardia au pylore sur la petite courbure, sans emporter de chyme, sans le délayer, ni même en mêler les différentes couches; dans d'autres, ils en bouleversent toutes les parties et les réduisent en bouillie avant de sortir, et entraînent les aliments avec eux. Voici quelques exeuqdes de ces variations : 322 DE LA DIGESTION. Un cheval qui vient de manger un litre d'avoine boit 12 litres d'eau, et est tué aussitôt : 6 litres d'eau seulement restent dans l'estomac, les 6 autres sont sortis chassant devant eux les matières de l'intestin grêle; l'impulsion est donnée à celles-ci par les premières ondées liquides; car, dans les 8 mètres d'intestin grêle qui suivent le pylore, l'eau est tout à fait claire. Un autre cheval, à jeun, fut tué un quart d'heure après avoir bu 22 litres d'eau. Il n'en restait plus que 4 litres dans l'estomac. Les 18 autres étaient déjà parvenus à l'intestin grêle, qui lui même n'en retenait que 14; les 4 litres man- quant avaient été absorbés ou poussés dans le gros intestin. L'eau avait pro- gressé dans l'intestin, en chassant devant elle les matières alimentaires et les mucosités, car, dans les premières portions de l'intestin grêle, elle était claire, plus loin trouble, et enfin chargée de parcelles de fourrage vers l'iléon. Le départ de l'eau a lieu surtout au moment même de l'arrivée du liquide; plus tard il se ralentit extrêmement. Mais le liquide continue ù marcher dans l'intes- tin, bien que l'estomac cesse d'en déverser. Un quart d'heure après l'ingestion de 5 litres d'eau chargés de cyanure de fer et de potassium, j'ai trouvé la presque totalité du liquide dans l'intestin grêle, et il bleuissait presque aussi fortement à l'iléon que vers le pylore. Ce temps si court avait sufti à la solution pour par- courir un trajet de plus de 20 mètres, bien qu'elle eût à pousser devant elle les aliments pris avant l'ingestion du liquide. Les mouvements du corps, les contractions énergiques des muscles, les efforts paraissent favoriser le départ des matières de l'estomac ; cependant ils ne sont pas toujours manifestement favorables à la digestion et surtout à la sécrétion du suc gastrique. J'ai trouvé, sur un cheval qui avait été exercé pendant six heures, après un repas d'avoine, le chyme peu détrempé, presque sec, et sur un autre le chyme bien délayé et même avec du liquide libre. Il restait sur le cheval, qui avait mangé 2 oOO grammes d'avoine, 3 500 de chyme dans l'estomac, 743 grammes de moins que sur un autre laissé en repos après un repas semblable. Il est évident, d'après la rapidité avec laquelle les aliments et les liquides par- viennent à l'intestin, que le pylore des solipèdes doit fonctionner suivant un mode particulier qui ne lui appartient point dans la plupart des animaux. Cet orifice est effectivement très dilatal)le, large et presque toujours béant, comme on s'en assure aisément sur les animaux vivants dont l'estomac est plein et la digestion active. Il est, par conséquent, chez le cheval, bien différent de ce qu'il est chez les carnassiers. Au lieu de refuseï' obstinément, comme chez le chien, le passage aux matières non liquéfiées, il donne une libre issue à tout ce que le viscère a reçu; il se laisse traverser aussi bien par les corps volumineux que par ceux qui sont très divisés, par les aliments que par les liquides. Tiedemann et Gmelin avaient vu déjà que les morceaux de quartz donnés à des chevaux se trouvaient dans l'intestin une heure ou une heure et demie après leur ingestion. J'ai constaté maintes fois que des boules de marbre, des sphères métalliques, de petits tubes, des morceaux de chair, des osselets arrondis, des escargots, des coquillages, des sachets pleins de fécule ou de substances diverses, ne font qu'un très court séjour dans le viscère. Cependant, lorsque des corps volumineux sont en très grand nombre, ils abandonnent difficibiment le réservoir gastrique. Un che- DIGESTION GASTRIQUE DES SOLIPÈDES. 823 val auquel J'avais fait prondn; quai re-vingts cailloux de la grosseur d'une amande à celle d un (ruf de perdrix, les garda trois jours dans l'estomac, bien qu'on eût laissé des aliments et de l'eau èi sa disposition. Le lendemain du repas, il eut des coliques, et il mourut le jour suivant. L'estomac était rupture à la grande courbure et renfermait encore soixante-trois cailloux mêlés à une petite quantité d'aliments; seize seulement étaient [)arvenus dans le renflement duodénal qu'ils n'avaient point dépassé; le dernier mancpiait à l'appel. De même, les corps volumineux et irréguliers passent difficilement dans l'intestin : l'écrevisse qu'un cheval avait avalée avec beaucoup de peine, n'était point encore parvenue, au bout de seize heures, à franchir rorilice |)ylorique. On s'abuserait étrangement si l'on attribuait la facilité du passage des aliments de l'estomac dans l'intestin à un défaut d'énergie des libres qui entourent l'ori- fice pylorique. Le pylore, qui laisse si aisément passer tout ce qui se présente à son ouverture, ne manque pas de force pour retenir : il est entouré d'une cein- ture musculeuse, large de 7 à 8 centimètres, dont la contraction pourrait devenir et devient, dans quelques circonstances, un obstacle puissant au départ des aliments et des liquides Sa constriction, qui est souvent si prononcée après la mort, se remarque sur l'animal vivant, quand l'estomac est fortement aflaissé sur lui- même ; c'est elle qui retient alors, tant que dure l'abstinence, la petite quantité de liquide en dépôt dans la cavité du viscère; c'est elle aussi qui, certainement, empêche, lors du vomissement, les matières alimentaires, et surtout les liquides, de s'échapper dans l'intestin grêle. Telles sont les particularités les plus essentielles qui distinguent la digestion gastrique des solipèdes de celle des autres animaux. Elles sufliscnt à démontrer que, chez les hei'bivorcs. tout a été disposé pour réduire limportance de la fonc- tion de l'estomac, et, je dirais même, pour rendre cette fonction imparfaite, si l'imperfection était quelque part dans les opérations de la nature. La digestion gastrique, qui offre, comme on vient de le voir, tant de sin- gularités chez les solipèdes, paraît revêtir une physionomie analogue chez d'autres herbivores monogastriques: le lièvre, le lapin, le cochon d'Inde, par exemple. Chez eux, cependant, l'estomac se distend plus complètement que sur les soli- pèdes, car au lieu de recevoir une masse de matière égale au trentième ou au qua- rantième du poids du corps, il en reçoit de un quinzième à un neuvième, et il ne semble bien fonctionner qu'à l'étiit de réplétion assez complète. Les aliments s'y disposent par couches et s'y mêlent diflicilement; les nouveaux venus poussent les anciens dans l'intestin ; la désobstruction du viscère se fait plus par cette impulsion à tergo que par les contractions de la tunique musculaire, aussi cesse-t-elle de s'opérer une fois que l'animal cesse de manger. Dans ce cas, lecontenu du viscère met deux ou trois jours et plus à passer intégralement dans l'intestin. Le défaut d'énergie du plan charnu de l'estomac existe chez ces animaux à tous les âges de la vie, car dans les premières semaines, alors que l'animal vit du lait de sa mère et de l'herbe qu'il commence à brouter, ces deux aliments, réduits en pulpe molle, ne se mêlent point, et, plus tard, quand l'animal mange avec lenteur, les bols, du volume d'un pois, demeurent longtemps dans le sac gauche, en très 824 DE LA DIGESTION. grand nombre, sans se mêler aux aliments délayés, sans même se déformer, ni perdre leur revêtement visqueux. L'arrangement des aliments de diverse nature, donnés successivement, y est un peu différent de celui du cheval. Le diversesstrates, aulieu de se disposer parallèle- ment aux courbures, leur sont presque perpendiculaires: les plus anciennes au pylore et les autres de plus en plus rapprochées de la grosse tubérosité. Si, à un moment donné et après une abstinence d'une journée, le lapin reçoit successive- ment des racines, du vert, de l'avoine, du lait, on trouve la masse ancienne déjeiée à droite, puis les aliments récents en dépôts isolés à gauche, dans l'ordre exact de leur ingestion ; le dernier étant à l'extrême gauche. Immédiatement après le repas, ou peu de temps après, pendant la grande activité du travail gastrique, l'estomac contient une proportion d'aliments égale souvent au dixième du poids du corps. Ainsi, j'ai trouvé alors : 172 gr. de chyme sur un lapin de 3,080 gr. 215 - — 3,100 282 — — 3,870 242 — — 3,850 375 - — 4,070 Au bout d'un certain temps la proportion de chyme sur laquelle le viscère opère diminue, mais avec une extrême lenteur. Ainsi, il en restait : Après 6 h., 215 gr. sur un lapin de 3,335 gr. 12 103 — 3,280 15 150 - 2,550 24 162 - 3,270 31 100 — 2,470 48 155 . — 3,320 Voici, du reste, un tableau indiquant pour une quarantaine d'animaux le poids du chyme contenu dans l'estomac, à compter de la fin du repas jusqu'à la (in d'une série d'heures au-dessous. Dans la première série se trouvent les sujets tués à la (in du repas, d'une durée variable et indéterminée, par consé- quent en pleine digestion, et dans la seconde ceux qui l'ont été un temps déter- miné après le repas. DIGESTION GASTRIQUE DES SOLIPEDES. 825 Nos u'oitUUK. ,S 9 10 11 12 13 11 15 \(\ 17 18 19 ■20 21 22 DESIGNATION DES SUJETS. 1. Anii/iaii.r en pleine dicfcstion uis long- temps; et, chose remarcpiable, j'ai noté que les aliments secs, pris sur l'animal vivant à la partie supérieure, avaient quelquelois une très faible acidité, alors (pie ceux de la région inféiieure conservaient leur réaction alcaline. Ce lait peut s'expliquer par la présem-e d'une |)lus forte proportion d'acide sulfhvdrique et carbonique en haut du rumen que dans les parties inférieures où séjournent les matières fortement imprégnées de salive. L'acidité, lors de la présence de la chair ou des autres matières animales, m'a paru tenir [irincipalement au développement de l'acide lacli({ue. Parfois les matières du |)remier estomac, de même que celles du réseau, offrent une réaction é(piivo(pie difficile à délermiiier exactement. Ainsi le papier bleu de tournesol, mis en contact avec elles, prend une légère teinte rose, et ne tarde pas à revenir, en séchant, à sa couleur primitive; le papier rouge, qui d'abord ne change pas, prend, au bout de quelques minutes, une légère teinte bleue. Il seml»Ie(|u'alors un acide volatil agisse immédiatement sur le papier bleu, et qu'au l)out d'un certain temps les principes alcalins reprennent de la prédominance. Eidin, les matières alimentaires éprouvent dans la panse, comme dans une sorte de cuve fermée, une fermentation }tlus ou moins active qui devient extrê- mement sensible dans certaines circonstances. Cette fermentation, qui a été remarquée depuis longtemps, n'a pas lieu seule- ment chez les animaux nourris de fourrages verts et sous le coup d'une indiges- tion, elle se |)roduit constamment, à un certain degré, surtout après le repas. On l'attribue aujourd'hui, comme toutes les autres, à la présence des organismes microscopiques qui, à cause de, cela, deviendraient des agents plus ou moins utiles à la digestion. Le dégagement des gaz, leur sortie bruyante à travers une ponction faite à la panse, en prouvent la réalité. En eflet, ces gaz se développent constamment, et donnent lieu à une ci'(''|iit.ition particulière et à (dusieurs des autres bruits de la [lanse, comme aux fré(pi('ntes éructations qui s'observent après les repas. Tant que la digestion est régulière, leur dégagement se renferme dans d'étroites limites; mais lorsque cette fonction est suspendue depuis un tem|)s plus ou moins considérable, sous l'inlluence d'une alVection gastrique ou intestinale, la fei'mentatioii s'exagère, la niasse ali- mentaire se raréfie, les gaz distendent l'estomac, s'accumulent à sa partie supé- rieure Leur composition doit être fort compliquée, puisipi'ils proxiennent non seulemeni du mouvement fèrmentatif, mais encore de la trame végétale, de l'air emprisonné avec les parcelles alimentaires, lors de la mastication, enfin de l'eau dont s'abreuve l'animal. Mais l'analyse chimique ne nous a point encore appris si leur nature et leurs proportions changent suivant la nature même des aliments et les périodes de la digestion, et si ceux qui se dégagent à l'état normal sont 830 DE LA DIGESTION. identiques à ceux qui distendent l'estomac, lors de l'indigestion ou immédia- tement après la mort. D'après Lameyran et Fremy', ceux qui se développent lors de la météorisation survenue à la suite de l'usage du trèfle sont composés de 80,0 d'acide sulfhydrique, de lo,0 d'hydrogène carboné et de o,0 d'acide carbo- nique; mais ces proportions ne paraissent pas constantes, car Pluger a trouvé que le gaz des vaches raétéorisées était formé de 4 parties d'oxyde de carbone. Les matières de la panse sont évidemment dans des conditions compatibles avec une fermentation continue plus ou moins active. Leur énorme masse, leur température, leur hydratation, doivent être, sous ce rapport, placées en pre- mière ligne. La présence dans ces matières de substances azotées qui y jouent le rôle de fermant ne peut être mise en doute, puisque, à l'extérieur, elles éprouvent ce travail sans addition de substance étrangère; déplus, les fluides salivaires, buccaux et pharyngiens, peuvent y ajouter d'autres ferments, notamment la diastase. La fermentation du contenu de la panse n'est point simple : c'est une fer- mentation complexe. Il y a une fermentation des matières sucrées, si abondantes dans l'aliment végétal, qui peut s'accomplir en présence des matières albumi- neuses, et donner de l'acide lactique. Il y a une fermentation butyrique, extrê- mement marquée par l'odeur de ses produits, chez les animaux qui reçoivent une forte ration d'avoine riche en graisse et en fécule, comme chez les veaux à la mamelle : en effet, l'acide butyrique a été trouvé à 'l'état libre dans ces deux conditions. Peut-être même y a-t-ii, dans certaines limites, une fermentation alcoolique dont le produit servirait d'excitant capable de corriger l'action débili- tante des herbes fades et aqueuses, qui font la nourriture exclusive d'un si grand nombre d'animaux. Pendant que les matières de la panse s'atténuent, macèrent et fermentent, elles se pénètrent intimement des fluides salivaires versés en grande quantité, pendant les deux mastications, dans les intervalles des repas et des périodes de rumination. Elles éprouvent, comme le dit Haubner, une insalivation prolongée qui a, chez les ruminants, une très grande importance. Les effets de cette insalivation sont d'attaquer couche par couche la fécule que les cellules emprisonnent, de la ramollir, et, ilnalement, de la convertir en dextrine et en glycose. Ils n'avaient que le temps de commencer dans la bouche, et se trouvaient plus ou moins entravés dans le milieu acide de l'estomac simple des solipèdes; mais ici ils se produisent libiement et aussi complètement que possible. Cependant la transformation saccharine de la fécule n'y est pas com- plète encore. La pulpe des racines féculentes et l'avoine y bleuissent encore par l'iode après un séjour de vingt-quatre heures. Ainsi, j'ai engagé dans la panse, à travers une fistule, deux petits sachets contenant chacun 20 grammes de fécule crue de pommes de terre. Au bout de vingt heures, l'animal ayant été sacrifié, les sachets furent retrouvés dans le même estomac encore pleins de leur fécule : celle-ci paraissait si peu modifiée, 1. Lameyran et Fremy, dans Tiedmann et Gmelin, Recherches sur la diijestion, 1" par- tie, p. 352. DIGESTION GASTRIQUE DES RUMINANTS. 831 qu'elle prenait, au contact de liode, une teinte violette, même à la surface de la petite niasse. J'obtins un résultat semblable en faisant avaler deu\ autres petits sacs à une vacbe qui fut tuée vingt-deux lieures après. La fécule n'avait pas subi d'altération appréciable, mais très probablement une certaine quantité de cette substance avait été convertie en dextrine ou en sucre, et s'était échappée à travers la toile renfermant la partie non modifiée. Il est à présumer que celte transformation, si facile qu'elle soit, doit être plus active dans les régions infé- rieures de la panse où les aliments sont très délayés, que dans la [»artie supé- rieure où ils sont moins imprégnés de salive et où leur réaction est faiblement alcaline. Dans tous les cas, le liquide du rumen, chez les animaux qui reçoivent de fortes rations de féculents, réduit abondamment la licpieur de Fehling. Les sels, le sucre, le mucilage, les gommes et dautres substances solubles, entrent en dissolution, et forment avec les liquides une sorte d'infusion ou de thé de foin ayant une odeur particulière assez différente de celle que répandent les matières de la caillette, ou le contenu de l'estomac simple des autres herbi- vores. Cette dissolution devient d'autant plus complète que les aliments font un plus long séjour dans les premiers réservoirs avant d'être ruminés : elle doit priver les fourrages d'une grande |)artie de leurs juincipes assimilables, lorsque, pendant les maladies, la rumination demeure si longtemps suspendue. Ici se pose la question de savoir si les liquides de la panse exercent sur les aliments une action analogue à celle du suc .gastrique, question que peuvent éclairer l'analyse chimique et l'expérimentation directe. Ces liquides, résultant du mélange des boissons avec la salive et les principes alimentaires solubles dans l'eau, doivent nécessairement oITrir une composition fort complexe. Tiedemann et Gmelin, qui les ont analysés, y ont trouvé : 1" de l'acide carbonique libre qui se dégage sous l'influence de la chaleur; 2" de l'acide sulfhydrique ; 3" de l'acide acétique; 4" de l'acide butyrique; 5" du carbonate d'ammoniaque; 6" de l'acétate d'ammoniaque: 7" du butyrate de la même base; 8" de l'albumine; 9" trois matières animales dénature indéterminée; 10" enlin des carbonates, des phosphates., des sulfates et des chlorures alcalins, c'est-à- dire à base de soude et de potasse, puis du carbonate et du phosphate de chaux. Ces didèrents sels étaient en proportions variables, suivant que les ruminaiits recevaient pour nourriture de la paille, du foin et de l'avoine. Toutes ces subs- tances pro\i('niienl uniipiement des aliments, des boissons et des lluides sali- vaires, et non point en piutie des sécrétions de la membrane interne de la panse et du réseau, comme le croyaient les auteurs de cette analyse. l*armi elles, il en est une, l'albumine, que l'révost etLeroyer' semblent avoir rencontrée aussi dans les liquides de la panse. Je n'ai pu en constater nettement l'existence dans le liquide filtré pris sur une vache nourrie avec des fourrages secs : ce fluide ne se troublait ni par l'acide azotique, ni par l'action de la chaleur, et il ne s'y précipitait point de llocons albumineux. Les expériences de Réaumur- ne semblent pas favorables à l'idée d'une chy- 1. Prévost etLeroyer, liihlioth. univ. des se. rie (ienèce. 1824, t. iXVll, p. -229. 2. Réaumur, Mémoire de l'Académie des sciences, 1752, p. 461. 832 DE LA DIGESTION. mification opérée parles liquides de la panse. Cet expérimentateur a vu que les feuilles d'herbes vertes renfermées dans quatre tubes de laiton avalés par un mouton n'avaient pas été sensiblement altérées après un séjour de quatorze heures dans le premier estomac. Il n'en est pas de même de celles de Spallan- zani\ faites dans des conditions différentes. Si la poirée, le trèfle, la laitue non mâchée, mis dans des tubes avalés par des moutons, se retrouvèrent à peu près intacts au bout de vingt-sept heures, les herbes préalablement mâchées parurent se digérer. De douze tubes pleins, les uns d'herbes mâchées, les autres d'herbes intactes qu'il fit avaler à un mouton, trois furent rejetés pailla bouche au bout de quatorze heures, sans doute avec les aliments ruminés : ils étaient un peu froissés, et leur contenu, qui n'avait pas subi de mastication préalable, s'était conservé sans altération sensible. Cinq autres tubes furent rendus avec les excréments au bout de trente-trois heures, et les quatre derniers restaient dans la caillette et le duodénum au moment où l'animal fut tué, deux jours après leur ingestion. Les herbes non mâchées furent retrouvées à peu près intactes dans les tubes, et celles qui avaient subi une mastication préliminaire avaient en partie disparu à travers la toile ; il n'en restait plus que des brins ramollis et des côtes dont la consistance était devenue pulpeuse. Le physiologiste tira de ces faits celte conclusion, que les herbes sont digérées par les sucs dis- solvants de l'estomac si elles ont éprouvé une mastication analogue à celle que leur fait subir l'animal. On comprend, pour peu qu'on réfléchisse aux modifications apparentes dont les substances végétales sont susceptibles, que les résultats des expériences de Réaumur et de Spallanzani ne peuvent montrer si les aliments éprouvent ou n'éprouvent pas, dans le premier estomac, ce qu'on appelle la chymification, c'est-à-dire la dissolution des principes qui se digèrent sous l'influence du suc gastrique. En effet, le fluide dissolvant n'attaque point la trame solide des plantes, même de celles qui sont herbacées. Le ramollissement, l'atténuation de celles-ci dérivent bien plus de la mastication et de l'action prolongée des liquides que de l'intervention d'un agent dissolvant. Les petits faisceaux d'herbes vertes ou de fourrages desséchés que je fis avaler à des vaches et à des taureaux furent en partie retrouvés à peu près intacts après un séjour de douze, vingt et vingt- quatre heures dans le rumen ou dans le deuxième estomac; mais incontestable- ment ils avaient perdu une partie de leurs principes solubles dans l'eau. Il est donc indispensable, pour constater si les liquides du premier estomac jouissent d'une faculté allératrice ou dissolvante quelconque, de soumettre à leur action les substances animales qui se digèrent dans le suc gastrique. Or, voici les expériences que j'ai faites à cet égard. Je commençai par faire avaler à un taureau une boule de verre du volume d'un petit œuf de poule, percée à ses deux extrémités et ))leine de chair crue. Au bout d(; trente heures l'animal ayant été sacrifié, la petite sphère creuse fut retrouvée dans le rumen. Une partie de son contenu était déjà sortie, le reste conservait encore une teinte rougeâtre un peu pâle, mais il était sensiblement I. Spallanzani, Ojiusculcs du ph/j.si(/uc n/ilt/inlc, l. 11, p. 031). DIGESTION GASTRIQUE DES RUMINANTS. 833 ramolli ef comme macéré. Il fallait voir ce qui arriverait après un séjour plus prolongé dans ce premier réservoir. Je lis prendre à une vaciie uni; boule métallique de 'i centimètres de diamètn; et pleine de chair crue hachée. Cette boule, dont la grande ouverture avait été fermée, permettait l'accès des liquides par un grand nombre de petites perfora- tions disséminées sur toute l'étendue de ses [)arois, et elle ne pouvait laisser échapper que les parties de chair devenues diflluentes. La vache ayant été tuée au bout de quatre jours entiers, la petite sphère se retrouva à la région infé- rieure du rumen. Les 24 grannnes de muscle qu'elle contenait avaient presque complètement disparu : ce qui en restait était réduit à l'état de pulpe très molle. Pour mieux suivre les modifications éprouvées par le tissu musculaire dans le premier réservoir gastrique des ruminants, j'engageai très profondément dans la cavité de ce viscère, et par une fistule au milieu du flanc gauche : 1° quatre morceaux de muscles pesant ensemble 512 grammes; 2" deux autres enveloppés dans de la toile à demi-usée et ayant un poids total de 100 grammes; 3" enfin un morceau de 150 grammes également enveloppé. Au bout de dix-huit heures, ils furent retirés, avec leurs étiquettes de parchemin, à l'aide de fils qui pen- daient hors de l'ouverture : ils étaient mous, pâles à l'extérieur, légèrement l)ulp(,'ux à la surface. Les quatre premiers avaient perdu en somme 88 grammes; les deux suivants, 20 grammes, et le dernier 30 grammes, c'est-à-dire en moyenne le cinquième de leur poids primitif, et, chose remarquable, la perte de ceux qui se trouvaient envelo|»pés n'était pas moindre proportionnellement ([ue c(!lle des autres. Ainsi, ces petites masses musculaires qui n'avaient pu quitter le rumen avaient perdu considérablement de leur substance, et celle-ci était devenue assez lluide pour s'échaj)per à travers une toile. Dès l'instant que le tissu musculaire est susceptible d'éi)rouver de telles alté- rations, il devient évident que celles-ci seront d'autant plus profondes que les masses musculaires seront plus divisées et qu'elles séjourneront plus longtemps dans le viscère. C'est, en ell'et, ce qui arrive. Je fis avalera une vache, qu'on tua au bout de trente heures, quatre morceaux d(; cœur de même forme, jiesant chacun 80 grammes ; deux étaient nus et les deux autres enveloppés de calicot. Ti'ois seulement furent retrouvés dans la panse, mous, pâles à l'extérieur, encore rouges à l'intérieur. Les morceaux pourvus d'une enveloppe, restée intacte, avaient j'crdu l'un 28, l'autre 33 grammes. L'un des morceaux nus n'avait perdu que 16 grammes. Cette dilution est, comme on le voit, assez lente; elle était à l)eine à moitié achevée pour des masses de chair qu'une autre vache conserva quarante-huit heures dans les premiers réservoirs gastriques. Les petits poissons même peuvent, quand ils sont ingérés en entier, couverts de tégUMienls peu perméables aux liquides, s'altérer et se réduire en pulpe dans la panse. Quatre de ces animaux furent enveloppés isolément et mis dans le rumen par une fistule, afin qu'ils ne fussent point écrasés par le fait de la déglu- tition. Au bout de dix-huit heures, ils étaient |)resquc réduits en pâte : leur enveloppe et leur os intacts indiquaient bien qu'ils n'étaient point revenus sous les dents avec les aliments à ruminer. Mais les grenouilles, entières, vivantes ou G, COLIN. — Physiol. comp., 3' édil. I — 03 834 DE LA DIGESTION. récemment mortes et recouvortes de leur peau, se montrèrent plus réfractaires à Faction des liquides du rumen. De celles qui furent avalées par une vaclie, l'une se retrouva à l'extrémité postérieure du sac gauche de la panse au bout de vingt heures; elle était étendue, molle, son abdomen extrêmement rapetissé, avec sa peau encore intacte. Les autres, dont on reconnut seulement quelques os dans les divers compartiments de l'estomac, avaient été certainement ame- nées à la bouche et broyées avec les aliments, lors de la rumination. D'ailleurs, on peut s'assurer, lorsqu'on nourrit exclusivement de viande cuite un animal ruminant, que cet aliment se désagrège assez vite dans la panse et qu'il s'y trans- forme en pulpe homogène sans le secours de la mastication. La viande cuite introduite directement par une fistule dans la panse d'un taureau en proportion considérable, soit de 10 à 12 kilogrammes par jour, s'y réduit en bouillie dont la réaction est le plus souvent acide. De plus, il s'en dissout une certaine quan- tité, car nous avons trouvé dans les liquides liltrés et parfaitement limpides une quantité notable d'albumine et de matière analogue aux peptones. J'ai rendu M. Bérard témoin de ce fait intéressant à l'époque oii nous expérimentions ensemble sur la glycogénie. Il est clair que l'action altératrice des liquides de la panse n'est pas assez prononcée pour attaquer les substances qui se montrent longtemps réfractaires à l'action du suc gastrique. Ayant fait avaler à une vache les six os frais du carpe du cheval avec six disques taillés dans le cartilage de prolongement du scapu- lum et six morceaux de ligament cervical, je retrouvai au bout de quarante-huit heures, dans le rumen, deux des os carpiens avec leurs cartilages lisses et sans altérations appréciables, cinq disques cartilagineux intacts, les six fragments du ligament cervical avec leur forme et leur couleur, enfin un morceau de tendon devenu un peu pâle sur la coupe. L'intégrité de tous ces petits corps prouvait qu'ils n'avaient point souffert d'injures de la part des dents pendant la rumina- tion, à supposer qu'ils eussent été ramenés à la bouche. Les quatre os du carpe qui manquaient au rumen se trouvaient dans le réseau, et intacts comme les premiers; l'un des morceaux de tendon était écrasé, aplati par la rumination; les autres avaient disparu. Les matières grasses ne s'altèrent pas non plus dans le premier estomac. Deux boules de cire parfaitement lisses furent avalées par une vache, qu'on tua trente heures après. L'une des boules, enveloppée d'une toile fine, avait conservé son poids initial; l'autre, nue, avait la surface irrégu- lière, rayée, mais elle n'avait perdu qu'un gramme et demi de sa substance. On sait, du reste, que différents corps étrangers, tels que des fragments osseux, des débris de dents, se conservent fort longtemps, soit dans le rumen, soit dans le réseau, sans éprouver de grandes altérations. Nous avons trouvé dans les cel- lules aquifères du dromadaire une vieille dent molaire et un morceau de la subs- tance compacte d'un os : celui-ci avait ses pointes émoussées et ses bords arrondis, usés, mais il conservait une grande dureté. Les corps un peu lourds restent ordinairement, à cause de leur poids, dans les régions inférieures du rumen, de mémo que les grosses billes de marbre qu'on fait avaler aux rumi^ nants. Tel est le r(Me de la panse. Ce réservoir, d'une si énorme capacité, surtout DIGESTION GASTRIQUE DES RUMINANTS. 833 chez les animaux entretenus avec des fourrages grossiers, sert de réservoir aux aliments qui viennent de subir une première mastication, ainsi qu'à la plus grande partie des liquides; il les tient en dépôt, les renvoie insensiblement à la bouche lors de la rumination, et les pousse dans le réseau à de fréquents inter- valles. Les aliments qu'il contient s'humectent, se détrempent; ils se ramol- lissent, s'atténuent parle fait des mouvements qui leur sont imprimés; certains de leurs principes se délayent, se dissolvent à la longue dans les liquides mêlés cà une forte proportion de salive. Ces aliments y subissent peut-être encore quel- ques modifications cliiniiques. C. Nico^cL ^JL Kjij. l-'u. — Infusoiies de la panse du bœuf. VCRUSRCKliNSt Au milieu de la masse alimentaire des premiers estomacs des ruminants se développent et vivent plusieurs espèces d'infusoires, que l'on peut étudier à volonté en prenant les matières ramenées à la bouche lors de la rumination (lig. 120). Ces infusoires, qui continuent à \ivie plusieurs heures dans les matières de 836 DE LA DIGESTION. l'estomac, maintenues à la température du corps, appartiennent à plusieurs espèces différentes de celles qu'on trouve dans les infusions de substances végé- tales, dans les eaux croupissantes et les marécages. MM. Gruby et Delafond ^ en ont indiqué quatre. Voici les plus communes dessinées avec soin par M. Nico- let, sur ma prière. Deux ( 1 et 2 ), à carapace arrondie, à bouche garnie de deux lobes saillants et ciliés, paraissent pouvoir se rattacher au genre Pte?-odina, Une autre (o), cà cuirasse bivalve elliptique, déprimée et fendue, avec stylets à la queue, présente les caractères essentiels des Salpina. Les n^s 6, 7, 8, 9, dont la cuirasse porte une ouverture antérieure garnie de cils et qui sont pourvus d'une queue articulée, ressemblent à la fois aux brachioniens et aux erviliens. Enfin la paramécie (12) est peu différente de la paramécie Aurélie des infusoires de matières organiques. Quant aux autres (10, 11), ils paraissent n'être que des formes embryonnaires et transitoires. Il est difficile de dire quel rôle peuvent jouer dans la digestion ces êtres microscopiques. MM. Gruby et Delafond l'ont cru important, car ils ont pré- tendu que, sur le mouton, la masse totale des infusoires représente 600 à 1 000 grammes de matière animale employée à la nutrition. Ce qu'il y a de sûr, à cet égard, c'est que ces infusoires meurent en passant dans la caillette et dans l'intestin, et qu'ils sont digérés en laissant seulement dans les matières du côlon leurs carapaces vides. Il en meurt même dans les estomacs, et aux dépens de leurs cadavres naissent des monades, comme le fait voir la Ptei'odina (4). La panse, pour bien remplir ses fonctions, doit être convenablement distendue et lestée. L'animal ne rumine et ne digère parfaitement qu'à cette condition, à moins que les aliments ne puissent être digérés sans être préalablement soumis à la rumination. Les grands ruminants ont besoin d'être aussi lestés pour déployer les efforts que nécessitent des services pénibles. Aussi serait-il difficile, dans ces diverses circonstances, de les entretenir avec des aliments peu volumi- neux, quoique très alibiles. Ce réservoir, qui n'a pas la même importance physiologique à toutes les époques de la vie, ne présente pas constamment le môme degré de développe- ment. 11 est h noter qu'il a chez les très jeunes fœtus, relativement à la caillette, ^es mêmes proportions, à peu près, que chez l'adulte, tandis qu'à partir du milieu de la gestation jusqu'à la naissance il ne s'accroît pas dans le même rap- port que la caillette, dont le volume devient alors prédominant. Chez un veau, au moment de la naissance, j'ai trouvé la capacité du rumen égale à 1 175 centimètres cubes, celle du réseau à 100, du feuillet à 160, et de la caillette à 3 500. Le rumen n'a dune alors que le tiers du volume de la caillette. 11 ne commence à prendre une grande capacité et à dépasser de beaucoup cette dernière qu'à l'époque à laquelle le jeune ruminant fait usage d'aliments solides. Le grand développement qu'il acquiert alors est le résultat du mode d'alimentation, comme Buffon l'a vu en faisant nourrir deux agneaux de même âge et sevrés en même temps, l'un d'heibe et l'autre de pain. Au bout d'un an le rumen du premier était devenu 1. Gruby et Delafond, Recherches sur les miimalculns (/ni se développent en grand nombre dans l'estomac et les intestins pendant la dif/estion des herijivores et des carni- vores ( Comptes rendus de l'Académie des scie?ices, 184a, p. 1304). i DIGESTION GASTRIQUE DES RUMINANTS. 837 beaucoup plus grand que celui de l'autre, Chez le fœtu^, il est déjà, de même que les autres compartiments gastriques, rempli d'un liquide \isqueux, dont la quantité s'est trouvée de 340 grammes sur un petit veau pesant 6600 grammes. Chez ranimai à la mainelh", il ne reçoit qu'une très faible partie du lait dont l'accumulation s'oi)ère surtout dans la caillette. En somme, le rumen joue un rôle complexe dans la digestion gasirique. Les aliments accumulés dans ce vaste entrepôt, en attendant leur lourde rumination ou de leur envoi direct ù la caillette, s'élaborent tant spontanément par la réac- tion de leurs principes constitutifs, comme le font les matières végétales entas- sées dans un silo, que sous l'influence du ferment ou des ferments salivaires. L'élaboration des aliments dans ce lieu de transit est activée par le brassage qui résulte des contractions énergiques de la membrane charnue et de ses piliers; leur envoi, soit à la bouche, soit à la caillette, est réglé par ces mêmes contractions qui ont incontestablement un caractère rythmique. 2° Rôle du réseau. Le réseau, qui semble à l'extérieur se confondre avec la panse et qui commu- nique avec elle par une large ouverture, ne remplit pas tout à fait la même fonction que le premier estomac; il a, outre son action commune avec le pre- mier, une action spéciale qui parait devoir être uniforme chez toutes les espèces de ruminants. Ce compartiment est le véritable centre de l'appareil stomacal des ruminants. Placé sous l'insertion de l'd'sophage, dans une situation très déclive, puisqu'il repose sur l'appendice xiphoïde du sternum, il forme une sorte de bassin pour la réception des liquides et des aliments avalés après la première mastication ou ruminés. Il se remplit des premiers, et les retient d'autant mieux que le bord libre du repli valvulaire qui le sépare du rumen, à la manière d'une écluse, est assez élevé au-dessus du fond du réservoir, et que l'orifice par lequel il commu- nique avec le feuillet est fort étroit, presque constamment contracté et à un niveau l)ien supérieur à la partie basse du deuxième estomac; disposition heu- reuse qui entraîne la stagnation des fluides dans le réseau, et ne leur permet de sortir que poussés par des contractions énergiques. Quoiqu'il reçoive presque tout ce que la déglutition apporte à l'estomac, le réseau conserve peu. Une fois plein, il laisse déborder, d'un côté dans la panse, de l'autre dans le feuillet et la caillette, les boissons et les aliments fluidiliés. Son trop plein ne s'échappe pas seulement d'une manière passive; il est lancé par les contractions énergiques des parois du petit sac, qui est un véritable ré- partiteur des matières ingérées. Ce qu'il envoie à gauche sera mis en dépôt et ruir.iné, ce qu'il pousse à droite marchera délinitivement vers l'intestin. Lui ne garde que du liquide avec quelques iiarcelles alimentaires, comme on peut s'en assurer sur l'animal vivant. Le réseau a donc manifestement plusieurs oflices, outre celui d'organe de réception. 11 lance dans l'infundibulum (esophagien Teau qui délaye les matières renvoyées à la bouche. 11 pousse directement l'eau, les matières lluidiliées et les 838 DE LA Dir.ESTION. matières ruminées dans le feuillet et la caillette; enfin, il peut contribuer par ses mouvements et par ses liquides à l'atténuation et à la dissolution des matières alimentaires. Cette dernière action que les anciens auteurs avaient notée est très faible. Peyer comparait les cloisons qui séparent les cellules à de petites scies, et Perrault leur trouvait de l'analogie avec de petits râteaux servant à amasser, à retenir et à froisser les herbes imparfaitement divisées. Les parois du deuxième estomac n'ont pas même sur les aliments l'action qu'exercent sur eux celles de la panse, caries parcelles alimentaires contenues dans ce réservoir sont si délayées, qu'elles échappent à l'influence des contractions les plus énergiques. Les liquides du réseau, auxquels s'ajoutent continuellement des ondées de salive dégluties dans les intervalles des repas, ont très probablement des pro- priétés plus énergiques que ceux de la panse. Comme eux, ils ramollissent, ils dissolvent les matières solubles et saccharifient la fécule. Mais leur usage essen- tiel est de faciliter la réjection et de détremper lentement les matières du feuillet. 30 Rôle du feuillet. Si l'on jugeait de l'importance fonctionnelle d'un organe par la complexité de sa structure, le feuillet serait investi d'un rôle important dans les phénomènes de la digestion gastrique des ruminants. Ce réservoir, dont les deux ouvertures sont si étroites et si rapprochées, et dont les lames inégales ont toutes leur bord libre dirigé en bas, a coûté beaucoup à la nature, car la muqueuse qui forme ses cloisons aurait, chez le bœuf, si elle était déployée, une surface presque égale à celle de la peau, et elle se trouve hérissée de plus d'un miUion de papilles. Le feuillet, par suite de l'étroitesse de son ouverture supérieure, qui commu- nique avec le réseau, et par le fait de l'arrangement de ses lames, comparables aux cloisons d'une tête de pavot, est incontestablement le régulateur du déverse- ment des aliments des premiers réservoirs dans la caillette. Le sphincter puissant qui entoure ce premier orifice, la petite porte qu'il circonscrit et dont il gradue le diamètre, les grosses papilles contournées et à enveloppes cornées qui la pro- tègent et en rendent l'accès difficile aux matières imparfaitement divisées; enfin les lames nombreuses qui divisent la cavité en une foule d'étroites filières où passe lentement ce qui n'a pas éprouvé une atténuation complète, tout cela montre assez les précautions prises pour modérer l'afflux des matières dans la caillette, le retarder et arrêter les parcelles qui ont pu échapper à une double mastication et à l'action altératrice des fluides de la panse ou du réseau. Cet organe a encore une action mécanique évidente sur les substances qui sont forcées de passer entre ses lames ; il fait, comme le disaient Peyer et Duverney, l'office d'un pressoir qui exprime dans la caillette les parties fluides des aliments et en retient le marc pendant un certain temps; et peut-être ses lames, dans l'épaisseur desquelles se voient des faisceaux musculaires, contribuent-elles à ' atténuer les parcelles alimentaires, en agissant sur elles à la manière des limes, l»our me servir d'une comparaison qu'on devait trouver très heureuse du temps de Peyer. L'action compressive exercée sur les aliments du feuillet est prouvée parleur DIGRSTION GASTRIQUE DES RUMINANTS. 839 durcissement, qui ne saurait nullement provenir de l'absorption des parties fluides, empêchée par le revêtement épithélial de la muqueuse. Ce dessèche- ment est porté à un tel degré, chez les animaux qui ont ionglemi)s souiïert de la soif, chez ceux dont la rumination a été suspendue plusieurs jours, que les ali- ments forment, entre les lames muqueuses, des tablettes dont la surface porte l'empreinte |>ersistante laissée par les papilles. L'obstruction du viscère en est le résultat toujours grave et parfois mortel ; elle s'observe à la suite des maladies de longue durée et devient un obstacle au prompt rétablissement du travail digestif. La chute des lames d'épilhélium cpie Camper ^ et Vicq d'Azyr ^ avaient notée sur les animaux morts du typhus est un simple effet cadavérique très géné- ral qui n'a lieu ni sur l'animal vivant, ni immédiatement après la mort, comme le premier de ces observateurs le reconnut très bien plus tard. Le feuillet exerce-t-il une action altératrice spéciale sur les matières alimen- taires? Quelques auteurs le croient ; et ïiedemann et Graelin présument que les parois de ce réservoir sécrètent un suc acide. Les matières qu'il contient sont bien réellement acides, comme ces expérimentateurs l'ont constaté; mais leur réaction peut tenir au reflux, dans le feuillet, des liquides de la caillette, à tra- vers le large orifice qui fait communiquer ces deux estomacs; cependant l'acidité des matières dans les parties les plus profondes des espaces interlamcllaires porte à croire qu'elle leur est inhérente et étrangère à un reflux qui, du reste, semble facile. Ces matières ont donné à l'analyse des acides carbonique et acétique, du carbonate et de l'acétate d'ammoniaque, de l'albumine, des matières organiques particulières et les sels déjà trouvés dans les li(juides de la jianse et du réseau. 11 est à noter que, chez le lama et le chameau, le feuillet, dont les lames sont réduites à l'état d'étroits replis longitudinaux, forme un cylindre sans démarca- tion avec la caillette, si ce n'est celle constituée par la membrane muqueuse ; mais l'orifice supérieur de ce réservoir conserve une élroitesse excessive. Quelle peut être la signification physiologique d'une telle particularité? Eùt-il été dan- gereux pour des animaux exposés à souffrir de la soif, dans les contrées chaudes, d'avoir un estomac dans lequel les aliments se dessèchent si aisément? Mais, s'il en est ainsi, pourquoi les antilopes, les gazelles, qui habitent les mêmes contrées, présentent-elles l'organisation commune à nos espèces domestiques? 4° Rùlo. de la cailleUe. L'action des trois premiers réservoirs gastriques, si compliquée qu'elle soit relativement à la rumination et aux modifications diverses éprouvées par les ali- ments, n'est, après fout, qu'une préparation au travail définitif de la chymifica- tion. Le mécanisme admirable d'ajirès lequel fonctionnent ces réservoirs a pour objet essentiel la division extrême des matières qui doivent être soumises à l'influence du suc gastricpie. C'est dans la caillette que s'opère la sécrétion du suc dissolvant, et que se pas- 1. Camper, Œuvres qui ont pour objet l'histoire naturelle, la physiologie, etc.. t. III. 2. Vicq d'Azyr, Exposé îles moyens curatifs et préservatifs qui peuvent être employés contre les maladies pestilentielles des bétcs à cornes, Paris, 1770, p. 90. 840 DE LA DIGESTION. sent les divers phénomènes propres au travail gastrique des autres herbivores. Depuis fort longtemps le fait a été indiqué ou entrevu par les physiologistes. Sévérinus appelait la caillette l'estomac proprement dit. Peyer, que j'ai cité tant de fois, la regardait aussi comme l'analogue de l'estomac simple des autres ani- maux, et faisait remarquer que sa muqueuse sécrète deux fluides, l'un épais et vis- queux, l'autre renfermant un acide particulier qui a la propriété de cailler le lait et de le dissoudre ensuite. La membrane interne, chargée de ce rôle important, a une surface moyenne d'une étendue de 1 mètre 17 décimètres carrés chez le bœuf, c'est-à-dire quatre à cinq fois aussi grande que la muqueuse veloutée du sac droit de l'estomac du cheval. Mais chez le lama et le dromadaire, où elle est fort épaisse, cette surface est de beaucoup inférieure à ce qu'elle est chez les autres ruminants. Le suc gastrique, qui est sécrété par toute l'étendue de la muqueuse, n'a encore été que peu étudié, faute de pouvoir être recueilli facilement comme chez les car- nivores. Celui que les chimistes ont examiné a été pris mélangé à une forte proportion de salive et d'autres liquides venant de la panse : aussi leur a-t-il paru moins énergique que celui du chien. Bidder et Schmidt disent que celui du mouton contient moins d'acide et de pepsine que celui du chien. La différence serait énorme : le premier en renfermait seulement 4,20, et le second 17,50. 100 parties de suc du mouton, d'après leurs recherches, ne pourraient dissoudre que 0,54 d'albumine, tandis que la même quantité de suc gastrique de chien en dissoudrait 2,20. On ne trouvera vraisemblablement pas de telles différences quand on obtiendra le suc gastrique pur ; car, en traitant la muqueuse de la cail- lette pour en retirer la pepsine, on la voit très riche en ferment de cette nature. La caillette reçoit les aliments dans deux conditions dilférentes : d'une part, lors des périodes de rumination ; d'autre part, dans les intervalles des repas, si rapprochés qu'ils soient et indépendamment de tout travail mérycique; car, si on donne de l'avoine, des tourteaux de graines oléagineuses, à un taureau ou à une vache portant une listule au canal thoracique, on voit, quelques heures après le repas et avant que l'animal ait ruminé, le chyle prendre la teinte opaline indi- quant l'arrivée des aliments gras au quatrième estomac et à l'intestin grêle. Les aliments, qui arrivent toujours fort lentement à ce réservoir, ne s'y accu- mulent jamais en très grande quantité; ils s'y présentent à l'état de bouillie ténue et fluide, même chez les animaux nourris de substances sèches, telles que le foin et la paille; ils y acquièrent une acidité très prononcée, queDuverney, Peyer, Réaumur et la plupart des observateurs ont constatée ; enlin ils y con- tractent une odeur particulière, caractéristique, et leurs principes azotés s'y dissolvent de même que dans l'estomac des autres animaux. Les liquides qui les imprègnent renferment, d'après Tiedemann et Gnielin, des acides acétique, chlorydrique et butyrique, de l'acétate et du carbonate d'ammoniaque, du phos- phate, du carbonate, du sulfate et des chlorures alcalins, du carbonate et du phosphate calcaires, deux matières organiques particulières, et enlin de l'albu- mine. Cette dernière substance n'existe point chez les brebis nourries de paille. Je n'ai pu en recon naître la présence chez les vaches entretenues avec du foin. Le travail de la chymilication doit être évidemment plus complet dans la cail- DIGESTION GASTRIQUE DES OISEAUX. 841 lette qu'il ne l'est dans l'estomac simple des autres herbivores, ù cause de l'extrême division des aliments et de leurs élaborations préparatoires, ensuite par le fait de l'abondance du suc gastrique sécrété sur une très grande surface muqueuse. Ce travail suffit à la dissolution de la chair, soit que cette substance y arrive très divisée, comme on le voit pour les animaux qui en font usage, soit qu'elle s'y trouve déposée en masses plus ou moins volumineuses, par l'intermé- diaire d'une fistule au rumen. Dans le premier cas, cet aliment se trouve en l'état de division le plus complot qui so puisse imaginer, ainsi que j'ai eu l'occa- sion de le voir sur un bouc nourri pendant huit jours seulement avec des muscles cuits. Dans le second cas, la chair n'arrive à l'intestin qu'après un séjour suffisant pour sa dissolution, car le pylore, étroit, ne laisse point passer les aliments en masses un peu volumineuses. Le chyme séjourne très peu de temps dans la caillette, mais il passe par petites portions et très lentement dans l'intestin, en raison de l'élroitesse de l'ouverture pylorique. Cette ouverture, entourée d'une ceinture musculaire épaisse, res- semble à celle de l'estomac des carnivores ; elle est évidemment disposée pour retenir les aliments qui ne sont point parfaitement atténués. On sait que les billes, les boules métalliques un peu volumineuses données aux ruminants ne passent point dans l'intestin; celles qui sont très petites peuvent seules franchir la barrière, comme le faisaient les tubes queRéaumur et Spallanzani firent avaler à des moutons. La digestion gastri(jue dont nous venons d'examiner les différents actes est donc beaucoup plus compliquée que celle des autres animaux. Elle comprend une série d'opérations qui s'elfectuent, tantôt simultanément, tantôt d'une manière successive. Les deux premiers réservoirs travaillent ù la rumination et préparent ainsi les aliments qui doivent être poussés dans la caillette. Le troi- sième, étranger à la rumination, arrête les aliments imparfaitement atténués, les force à séjourner dans le réseau et la panse, et ne donne accès qu'aux matières ruminées ou à celles qui n'ont pas besoin de l'être; il règle l'abondance du cou- rant qui entretient et renouvelle la masse sur laquelle agit le suc gastrique. Enfin, le quatrième, agent réel de la chymification, exhale le fiuide dissolvant par sa vaste surface et ne laisse parvenir à l'intestin, au travers de son pylore resserré, que les matières parfaitement ramollies et réduites en bouillie. La multiplicité de ces opérations a pour résultats de rendre, comme l'avait judicieusement remarqué Peyer, la digestion des aliments jjIus complète chez les ruminants que chez les autres herbivores; elle a aussi pour consé(|uence de donner une prédo- minance extrême au travail gastrique et de simplifier les élaborations intesti- nales. V. — De la digestion gastrique des oiseaux. L'appareil gastrique des oiseaux, qui diffère très sensiblement de celui des mammifères, fonctionne aussi suivant un mode [)arliculier sur IimiucI il importe de nous arrêter un instant. Cet appareil se présente dans toute sa sinqilicité chez les oiseaux de proie, tels 842 DE LA DIGESTION. que le hibou, l'épervier, la buse. L'œsophage, large, dilatable vers la partie infé- rieure du cou, y est généralement dépourvu de la partie qu'on désigne sous le nom de yaéo^ dans les gallinacés ; il se continue, sans démarcation marquée, avec un estomac simple, longitudinal, à parois minces, et recourbé en crosse à son extrémité intestinale. Au point oîi ce canal finit, il a un diamètre à peu près égal à celui de l'estomac, de telle sorte que celui-ci semble un prolongement œsophagien. La limite supérieure de l'estomac est indiquée par une ceinture glandulaire, large de plusieurs centimètres, visible même à travers la membrane charnue, et rappelant par son aspect une large glande agminée de l'intestin grêle des mammifères. Au delà de cette couronne, dont tous les follicules sont pourvus de larges orifices, la membrane muqueuse redevient mince et lisse, le réservoir se recourbe sur lui-même, se rétrécit brusquement en formant une petite ampoule arrondie, puis se resserre de nouveau et se continue avec l'intestin par un orifice pylorique extrêmement étroit. L'estomac se complique déjà chez les oiseaux qui vivent de chair et de sub- stances végétales, la corneille par exemple. La partie du viscère dont la muqueuse porte une zone glandulaire s'étrangle légèrement à ses deux extrémités et forme le ventricule succenturié; celle qui lui fait suite s'arrondit, devient plus ou moins globulaire, et ses parois prennent une épaisseur considérable. Enfin, chez les gallinacés, tels que le coq, le dindon, la pintade, la perdrix, le aisan, l'œsophage, en se dilatant, forme à la partie inférieure du cou un ample réservoir connu sous le nom Aq jabot, puis se resserre et se continue avec un petit renflement ovoïde, fusiforme, à parois épaisses et glandulaires, appelé le ventri- cule succenturié. Immédiatement après cette petite poche se trouva le gésier, dont les parois, extrêmement épaisses, sont constituées par deux muscles rouges recouverts d'une aponévrose nacrée et tapissés intérieurement par une muqueuse à épithélium dur, presque corné. Il résulte de ces dispositions que l'appareil gastrique se compose de trois sections distinctes : la première, destinée à tenir en dépôt les aliments, à les humecter et les pousser insensiblement vers les par- ties profondes; la seconde, chargée de la sécrétion du suc gastrique; et enfin, la troisième, affectée au broiement ou à la trituration des matières alimentaires. Les dilïérences que présentent les organes de la digestion gastrique dans les oiseaux carnivores comparés aux granivores se trouvent en rapport avec des par- ticularités remarquables qui donnent à cette fonction une physionomie spéciale tout à fait caractéristique dans chacun des deux groupes de cette classe de ver- tébrés. Aussi est-il indispensable, pour se faire une idée exacte du travail de la chymification chez les oiseaux, d'en considérer les phases successives. Les graines et les autres substances dont se nourrissent les gallinacés se rendent d'abord dans le jabot, en déterminent la distension graduée et s'y accu- mulent en quantité considéiabie. Là ces aliments s'humectent, se gonflent et paraissent acquérir une acidité assez itrononcée, d'a[)rès les observations de ïic- demann etGinolin. Ils s'imprègnent d'un liquide exhalé par laniuqueuse de cette poche moyenne, dans l'épaisseur de laquelle se voient de petites glandes très multipliées du côté des orifices supérieur et inférieur. Ce liquide, dont la nature n'est poiiilencore bien déterminée, semble sécrété en pro[»ortion assez considé- DIGESTION GASTRIQUE DES OISEAUX. 843 rable, car Spallanzani en obtint, à l'aide de petites éponges, une once en douze heures sur un pigeon, et se[)t onces en dix heures seulement sur un coq d'Inde. Pourtant on ne voit jamais les graines du jabot baignées dans ce fluide, et on ne les y trouve même pas ordinairement très ramollies ou réduites en pâte. Dans tous les cas, le cominencemenl de macération qu'elles éprouvent dans ce renfle- ment facilite leur digestion. Peut être cette modification physique coïncide-t-elle avec quelques changements chimiques, comme la saccharification de la fécule. Les aliments accumulés dans la dilatation œsophagienne y font un assez long séjour. ïiedeniann et rîmelin ont constaté que les grains avalés par une poule en un repas ne sont sortis de ce réservoir qu'au bout de douze à treize iieures; mais souvent ils y demeurent plus longtemps, car un dindon que j'entretenais avec de l'avoine mettait de dix-huit à vingt heures à faire passer dans le gésier les deux décilitres de cette céréale qu'il mangeait en une seule fois. La moitié de cette quantité n'en était pas encore complètement sortie après douze à quatorze heures; mais la durée de ce séjour m'a paru très variable suivant la nature des grains et l'activité digestive des espèces de gallinacés. Un premier poulet à jeun, qui avait reçu 10 grammes de blé et de l'eau, n'en avait plus qu'un seul grain au bout de trois heures et demie dans le jabot. Le gésier renfermait encore quatorze grains ou fragments de grains pesant l gramme, et une notable quantité de son. Un second, qui avait reçu 10 grammes et de l'eau, avait, au bout de six heures, le jabot vide, et dans le gésier du son seulement, sans un fragment de grain. Un troisième, plus gros, qui en avait reçu 30 grammes avec de l'eau, en avait encore dans le jabot, au bout de sept heures, 17 grammes humides et gonflés; 13 seulement avaient été digérés. 11 faut donc de quatre à six heures à un poulet du poids de oOO à 600 grammes pour digérer 10 grammes de grains, ou à peu près la quantité qui, à cet âge, peut être mangée en un repas. Le passage des aliments du jabot dans le ven- tricule succenturié, et de là dans le gésier, se fait d'une manière graduée et insensible; il se proportionne, comme le disait Spallanzani, à la quantité de matières que le gésier peut triturer dan^ un temps déterminé. Par ce moyen, le travail de la chymilication do\ient uniforme et s'entretient d'une manière perma- nente, de même que chez les ruminants, où la panse alimente presque continuel- lement la caillette, pourvu que la rumination s'opère avec régularité. Il est ijidispen sable que les contractions de ce réservoir acquièrent une énergie assez considérable pour qu'elles puissent chasser vers le gésier, et ù travers un orifice étroit, des graines aiguës ou couvertes d'aspérités, des corps compressibles comme une petite éponge, ou à surface irrégidière connue des noix et des amandes. Le dindon sur lequel expérimentait Réauuuir ne mettait pas vingt- quatre heures pour se débarrasser de vingt à vingt-quatre noix, et un oiseau de cette espèce que j'avais obligé à avaler sept petites éponges n'en conservait plus que deux dans cette poche au bout de cinq heures. Les aliments poussés en petite quantité par le jabot arrivent dans le ventricule succenturié et s'y mettent en contact avec le suc gastrique que sécrète la muqueuse de ce petit réservoir; mais ils y séjournent fort peu de temps et ne s'y accumulent 844 DE LA DIGESTIO>f. jamais en proportion considérable, car ce ventricule est peu dilatable et d'une faible capacité. Le ventricule succenturié, parfaitement distinct du gésier chez les gallinacés et beaucoup d'autres oiseaux, présente à sa face interne un grand nombre de glandes volumineuses, très visibles à l'œil nu, couchées obliquement dans l'épais- seur de la muqueuse et pourvues d'orifices dirigés en arrière. Ces gros tubes glan- duleux, disposés en caicums, ont leurs parois formées de tubes plus petits qui sécrètent le suc gastrique, comme les glandes tubuleuses microscopiques de la muqueuse stomacale des mammifères. Il suflit d'appliquer un papier bleu de tournesol sur cette muqueuse pour s'assurer de l'acidité du liquide qui s'échappe des ouvertures dont elle est criblée, et, en faisant parvenir jusque-là de petites éponges qu'on retire ensuite au moyen d'un 111, il est facile d'obtenir une quan- tité notable de suc dissolvant. Le suc gastrique ainsi exhalé n'agit guère sur les aliments que contient ce réservoir, puisqu'ils ne font en quelque sorte que passer dans sa cavité avant d'être triturés ; il est versé dans le gésier et agit sur les substances alimentaires à mesure qu'elles sont broyées et réduites en une bouillie homogène. On ne sait si le mucus épais qui sort des tubes glanduleux avec le suc gastrique l'accom- pagne dans le gésier et s'il possède d'autres propriétés que celle de lubrifier la surface de la membrane muqueuse. Les caractères et les propriétés de ce suc ont été déterminés depuis long- temps. Spallanzani et Réaumur, l'avaient vu peu épais lorsqu'il avait été obtenu à l'aide de petites éponges : il leur avait paru visqueux et très consistant sur les animaux à jeun, car ils prenaient alors le mucus acide ou neutre pour du véritable suc gastrique. Tiedemann et Gmelin ont trouvé dans celui de l'oie, recueilli avec le secours de petites éponges, de l'acide chlorhydrique et de l'acide acétique libres, du chlorure de sodium et du chlorure de calcium, du chlorhydrate d'ammoniaque, du sulfate de chaux, une matière animale particu- lière, précipitable par les acides, et une autre susceptible d'être isolée par l'alcool; enfin de la graisse et du mucus. Mais comme ces expérimentateurs avaient laissé parvenir leurs éponges dans le gésier, où se trouve constamment du sable et d'autres substances étrangères, il est évident que l'analyse qu'ils ont donnée portait sur un liquide impur et hétérogène. Uuoi qu'il en soit, le suc gastrique des oiseaux est constamment acide, comme Duverney, Réaumur et d'autres l'avaient déjà constaté; il communique son acidité à l'épithélium corné du gésier et même à la membrane sous-jacenle, comme je m'en suis assuré sur le coq. Aussi cet épithélium et la membrane interne du ven- tricule succenturié jouissent-ils de la propriété de cailler le lait, ainsi que plu- sieurs physiologistes en avaient fait autrefois la remarque. Les aliments, après avoir traversé le ventricule succenturié qui a versé sur eux le fluide dissolvant, arrivent dans le gésier, où ils doivcînt être I ri tu rés et réduits en une pulpe homogène. Ce troisième réservoir, dont les parois sont extrêmement épaisses et pourvues de deux muscles circulaires énormes, est admirablement disposé pour remplir le rôle que les expériences de divers physiologistes ont si bien déterminé. C'est un appareil de mouture indispensable aux espèces grani- DIGESTION GASTRIQUE DES OISEAUX. S'i'i vores. Ses contractions énergiques déploient une lorce considérable qui suffit ù broyer môme des corps beaucoup i)lus durs que les yiains dont se nourrissent les gallinacés. Borelli, expérimentant sur les cygnes du palais de Florence, avait constaté que le gésier de ces palmipèdes brise aisément les noyaux de pistaches et d'olives. Redi avait observé que cet organe peut, chez la poule, le canard et le pigeon, réduire en poussière de petites boules creuses de cristal. Iléaumur et Spallanzani étu- dièrent avec soin l'action remarquable de cet appareil de trituration destiné à opérer l'équivalent de la mastication buccale. Réaumur donna siv boules de verre pleines de graines à un dindon et tua l'oiseau le lendemain : le jabot était vide et le gésier ne contenait plus aucun vestige palpable des lioules. 11 lit avaler deux perles pleines de grains à un canard, et seulement trois heures après leur in- gestion, le gési^ir n'en retenait plus que deux petits fragments. Deux autres perles furent données à un coq : l'une d'elles était encore dans le jabot au bout de trois heures, mais la seconde était déjà broyée, et en fragments si lins, ajoute l'illustre académicien,. qu'on ne put les retrouver ni dans l'estomac ni dans l'in- testin. Quatre tubes de verre (jui pouvaient supporter sans se rompre le poids d'un homme furent, au bout de vingt-quatre heures, trouvés brisés; leurs arêtes avaient disparu, et leurs surfaces, surtout les convexes, étaient rayées et dépo- lies. Ces tubes ne s'étaient point fendus, par suite du gonnement des grains qu'ils contenaient, car des tubes semblables, mais vides, furent également brisés. Pour juger de la force de l'estomac, Réaumur lit avaler à un dindon des tubes de fer-blanc qui supportaient sans se déformer un poids de o3.d livres, et il re- trouva ces tubes aplatis et bosselés. Cette puissance énorme du gésier, que Borelli avait évaluée à 1350 livres, semble infatigable. Dix-huit noisettes données à un coq furent pulvérisées et complètement digérées en moins de vingt-quatre heures. Vingt-quatre noix avalées par un coq d'Inde furent également digérées pendant la même période. Réaumur lit remarquer que cette trituration est indis- pensable à la digestion des grains, car des grains entiers renfermés dans des tubes percés avalés par les gallinacés s'y retrouvent intacts au bout de quarante-huit heures, et les grains cuils après vingt-quatre heures. Elle est aidée par la présence des graviers, des cailloux siliceux que les oiseaux avalent quelquefois au point d'en périr et que les mères donnent déjà à leurs petits. Ces corps étrangers font entendre, quand l'estomac se contracte, un bruit particulier, et ils exagèrent celui qui résulte du broiement des noyaux, comme Hunter l'avait fort bien remarqué. Spallanzani, par des recherches analogues, arriva aux mêmes résultats. Des morceaux de verre, enveloppés dans une petite carte et avalés par un coq, perdi- rent leurs arêtes au bout de vingt heures. Une balle de plomb traversée de douze aiguilles dont les pointes dépassaient fut avalée, sans enveloppe, par un dindon : au bout d'un jour et demi, les aiguilles étaient brisées, et les pointes de deux d'entre elles seulement se trouvaient dans l'estomac, dont la face interne ne paraissait nullement blessée, grâce à sa couche épaisse d'épithélium corné. Douze pointes de petites lancettes fixées à une balle de plomb furent données à un animal de la même espèce : au bout de seize heures, elles étaient rompues, el trois d'entre elles restaient dans le gésier. Enfin Spallanzani démontra que la tri- 846 DE LA DIGESTION. turation des aliments, opérée par une puissance musculaire si énergique, n'est qu'un moyen de préparer, de faciliter la dissolution de ceux-ci dans le suc gas- trique. C'est là une conclusion parfaitement exacte, qu'il serait aujourd'hu superflu d'étayer sur de nouvelles preuves. La digestion gastrique chez les oiseaux de proie s'opère avec plus de simplicité que chez les oiseaux granivores. L'oiseau carnassier avale sa proie tout entière, si elle n'est pas trop volumi- neuse pour s'engager dans le bec et traverser un large œsophage; il la déchire, seulement pour que la déglutition en soit possible, si elle a une masse trop con- sidérable, et avec la chair il avale la peau, les poils, les plumes de la victime. Tout cela descend immédiatement dans l'estomac, car ici le jabot manque, et le ventricule succenturié n'est plus distinct du gésier, dont les parois sont devenues fort minces et entièrement membraneuses. Une fois que l'estomac est distendu, les aliments arrivés s'arrêtent à la partie inférieure de l'œsophage, et ils ne des- cendent dans le viscère que par suite de la digestion d'une partie des plus anciens. Réaumur avait déjà reconnu que la chymification, chez les oiseaux à estomac membraneux, n'a d'autre agent qu'un dissolvant spécial, car le gésier à parois minces ne possède plus la faculté triturante qu'il avait, à un si haut degré, dans les gallinacés. Ce fluide est sécrété par la couronne glanduleuse si apparente chez le hibou, l'épervier, le butor, la buse, le héron, dont le gésier longitudinal et membraneux se continue sans aucune démarcation avec un très large œsophage. Ayant fait avaler à une buse des tubes percillés et pleins de chair, Réaumur observa qu'au bout de vingt-quatre heures cette substance se trouvait ramollie, gélatineuse et réduite au quart ou au tiers de son volume initial. Ayant aussi donné à cet oiseau des fragments d'os d'un jeune poulet, enfermés dans un petit tube, il s'assura que leur dissolution s'était opérée en vingt-quatre heures, plus vite que celle des grains d'orge qui n'avaient pas été préalablement broyés. Spallanzani, en expérimentant sur des chouettes, des faucons, des ducs et des aigles, vit que le tissu des muscles, des tendons, des cartilages, se dissout très vite dans le suc gastrique. Il remarqua que ces oiseaux vomissent au bout de dix-huit, vingt et vingt-quatre heures, les parties indigestes qui se trouvent mêlées aux autres, et seulement lorsque celles-ci, complètement dissoutes, ont passé dans l'intestin. Les os de leurs victimes sont rendus aussi par cette sorte de vomissement, car la durée ordinaire de la chymification de la chair est insuf- fisante pour que leur altération soit bien sensible; néanmoins ils peuvent se dis- soudre s'ils font un séjour assez long dans l'estomac. En effet, un morceau de fémur de pigeon, donné à plusieurs reprises à une chouette, finit par arriver à la minceur d'une feuille de papier et par disparaître comiilètement. Une bille d'os de quatre lignes et demie fut réduite dans l'estomac d'un faucon ù un diamètre d'une ligne et un tiers au bout de trente-cinq jours. Il est à noter qu(! les substances indigestes se rassemblent en une pelote régu- lière, à la périphérie de laquelle sont les poils, les plumes, et au centre, les os ou les productions cornées très dures. Je les ai vu rendre, au bout de seize à vingt heures, à un hibou que je nourrissais de souris : j'ai trouvé une de ces pelotes, du poids de 26 grammes, dans l'estomac d'une buse qui avait mangé à DIGESTION GASTRIQUE DES OISEAUX. S47 son dernier repas dciiv taupes dont la plupart des os étaient reconnaissables. Cette pelote se forme par un mécanisme extrêmement simple. A mesure que les substances solubles se ramollissent et deviennent difduentes, elles sont pous- sées dans l'intestin par les contractions des parois gastriques qui, insensible- ment, s'affaissent et se moulent sur les parties réfractai res ; celles-ci ne peuvent être entraînées dans l'intestin, car il y a un double pylore dont le dernier est d'une étroitesse extrême, suflisante pour arrêter même le duvet des oiseaux ou les poils des petits mammifères. Le rétrécissement pylorique que nous avons déjà noté cbez les mammifères carnassiers se retrouve ici à son plus haut degré, du moins chez le hibou, l'épervier, le héron, la buse, etc. Il importe d'en tenir compte pour s'expliquer diverses particularités de la digestion des oiseaux carnivores. Enfin, les actes de la digestion gastrique offrent encore quelques caractères spéciaux chez les oiseaux qui ont ce que Spallanzani appelle un estomac moyen, c'est-à-dire un gésier dont les parois tiennent le milieu entre celles du gésier épais des gallinacés et celles du gésier mince et membraneux des rapaces. Les corneilles, qui doivent être considérées comme formant le type des oiseaux à estomac moyen, ont encore un gésier d'une épaisseur considérable; elles ne peuvent déformer les tubes qu'aplatit un pigeon, mais elles dépriment légèrement des tubes de plomb très minces ; elles vomissent aussi les parties indigestes, mais au bout de deux à trois heures seulement. Les expériences du physiologiste de Pavie ont démontré que la dissolution des aliments ne s'opère que dans l'estomac des corneilles, et non pas aussi dans l'œsophage, si ce n'est avec une extrême lenteur. Les hérons sont placés par Spallanzani dans la même catégorie. Ils pourraient même froisser légèrement des tubes de fer-blanc. Le héron, pourtant, a un estomac aussi mince et aussi complètement membraneux que les oiseaux de proie de nos pays, et je ne vois entre son gésier et celui de la buse aucune différence. A quelque catégorie qu'ils appartiennent, les oiseaux ont en général une di- gestion très active et très rapide, même peu de temps après leur sortie de la coquille. Ils mangent à tout instant. Les moineaux peuvent faire, par jour, huit à dix repas chacun à satiété, et j'ai vu de jeunes rossignols en faire jusqu'à douze. Dans chacun d'eux ils se remplissent non seulement les estomacs, mais encore l'œsophage, le pharynx et le bec, surtout quand ils se nourrissent de matières molles ou de larves de mouches carnassières, comme les jeunes faisans. Leur appétit renaît dès qu'un petit vide s'est fait dans l'œsophage on dans le jabot. Cette activité, qui étonne chez les poulets récemment éclos et digérant des grains secs, suppose nécessairement des contractions rapides et des élaboration? promptes dans toutes les parties de ra[)pareil. J'ai vu, en effet, de petits mor- ceaux de viande, avalés par des moineaux, parvenir au gésier en moins d'une heure» et passer dans l'intestin avant la dissolution de leurs faisceaux. Souvent, en une heure et demie, les aliments étaient arrivés en totalité assez avant dans l'intestin; et, en donnant à des rossignols des insectes dont les ailes pouvaient être facilement reconnues, j'en retrouvais les débris dans les déjections au bout de quatre à cinq heures, et souvent en un temps beaucou[) plus court. On conçoit que, en raison des diirérences énormes dans la disposition de l'ap- pareil digestif suivant les espèces, il y ait des oiseaux dont le régime ne puisse 848 DE LA DIGESTION, être changé. Les rapaces sans jabot, sans gésier triturant, ne pourraient jamais vivre de grains. Quoique les gallinacés soient dans de bonnes conditions pour se nourrir de matières animales, si le régime change, l'appareil digestif peut se moditier dans certaines limites, car Hunter croit avoir noté que la force de l'es- tomac double chez le goéland et le faucon qu'on habitue à vivre d'orge. Quant aux autres accessoires qui se rattachent à la digestion, comme la régur- gitation, le vomissement, ils offrent quelques particularités à signaler. La régurgitation, qui est en général facile, s'opère surtout dans les cas oii les oiseaux reçoivent des aliments qui ne leur conviennent pas ou des matières indi- gestes plus ou moins irritantes. Les moineaux et les merles rendent aussi fort souvent la viande, les grains d'orge, les grains de sel ou les pilules médicamen- teuses ; alors il y a de simples contractions antipéristaltiques du jabot et de l'œso- phage, puis une secousse vive de la tête une fois la matière revenue à la bouche. Chez les pigeons, où la régurgitation est facile, elle porte dans le bec des petits, comme Hunter l'a remarqué, un produit de sécrétion blanchâtre, gras, caséiforme, qui se produit en abondance à la surface d'une muqueuse épaisse et plissée, dont les cellules épithéliales se détachent en masse considérable. Quant au vomissement proprement dit ou à la réjection des matières du ven- tricule succenlurié et du gésier, il paraît difficile. Krimer a vu les poulets cesser de rendre les morceaux de liège qu'ils avaient avalés, une fois que les muscles abdominaux étaient paralysés ; mais il reste à savoir de quelle partie ils revenaient, VL — Digestion des animaux a sang feoid. Comme les liquides modilicateurs des aliments paraissent avoir des propriétés communes dans toutes les espèces animales, la digestion doit présenter une cer- taine uniformité dans la série zoologique. Seulement, comme la température a une très grande influence sur les propriétés dissolvantes du suc gastrique, la digestion des animaux à sang froid est, quant à sa durée, sous la dépendance des conditions extérieures. En été, les poissons et les reptiles mangent fort souvent et digèrent très vite ; ce fait est généralement connu. Si, en effet, après avoir fait jeûner des cyprins deux ou trois jours, on leur donne de la viande, ils en rendent la plus grande partie des résidus excrémentitiels dans les douze à quinze heures, et le reste dans les vingt-quatre heures. Si la température baisse, la digestion met un temps double ou triple à se terminer. Les grenouilles digèrent moins vite. En juin, j'ai vu un grand nombre de ces batraciens qui avaient reçu de la viande trichinée ne rendre encore aucun hel- minthe le cinquième jour, mais les rejeter les jours suivants jusqu'au dixième. D'autres fois, en cinq jours les mêmes reptiles avaient complètement digéré leur repas et rejeté tous les excréments qui en provenaient. En quatre jours, la viande avait disparu de l'estomac, de l'intestin, et tous ses débris étaient ras- semblés dans le cloaque. Endn quelquefois, en trente à quarante-huit heures, l'animal commençait à rendre les déjections de son dernier repas. Chez les lézards et les serpents, les mêmes variations se sont fait remarquer. DIGESTION I)i:s ANIMAUX A SANG FHOID. 849 Sur une couleuvre, vipérine j'ai retrouvé, au milieu du quatrième jour, une grande partie de la viande en voie de dissolution, dans l'estomac, et des débris de cet aliment dans le cloaque. On remanjue chez les animaux h sang froid, quant à la durée de la digestion, entre les espèces carnassières et les herbivores, des dilTérences analogues ù celles qui s'observent chez les mammifères; elle est longue chez celles qui vivent de chair, très courte chez celles qui se nourrissent d'herbes. Les herbes, chez la carpe, par exemple, ne font (jue traverser l'estomac, qui est fort petit, et c'est là encore une preuve de la faible utilité du suc gastrique dans la digestion des substances végétales. Quant aux actes de la régurgitation, du vomissement et de la rumination, ils ne paraissent pas impossibles chez les vertébrés à sang froid. On sait que le reptile, surpris par le froid avant que sa digestion soit terminée, vomit sa proie une fois qu'il sort de la torpeur. J'ai vu une couleuvre, lors d'un abaissement brusque de température, en été, rendre une souris qu'elle avait avalée plus de cinq jours auparavant. Les poissons en font peut-être quelquefois autant ; dans tous les cas, quelques espèces à alimentation végétale, les cyprins, la brème, la tanche, la carpe surtout, dont l'eslomac est rudimentairc, ramènent les herbes à la bouche, par une sorte de rumination, pour les attirer sous les dents pharyngiennes ^ CHAPITRE XXVII DE LA DIGESTION INTESTINALE Les alimi.Mils déjà soumis à plusieurs préparations successives viennent de se convertir en chyme, de se dissoudre partiellement sous l'influence du suc gas- trique. En passant insensiblement, \)a.v ondées, dans l'intestin grèle, ils vont être soumis à l'action de nouveaux réactifs : la bile, le suc pancréatique, divers fluides inteslinaux. Là leurs premières élaborations doivent se continuer encore, et des élaborations spéciales doivent surgir : les matières assimilables rendues dilfusibles et aptes à l'absorption seront saisies par les chylifères et par les veines ; les matières insolubles ou non extraites, les résidus, seront entraînés, (inalement éliminés. C'est donc l'analyse de ces dernières opérations qu'il nous reste à l'aire pour achever l'étude de la digestion. Elle doit porter d'abord sur les phénomènes qui s'accom(tlissent dans l'inlestin grêle, puis sur ceux qui se {lassent dans le gros intestin. Les premiers, ceux qui ont le plus d'importance, continuent les élaborations commencées dans l'estomac. Ils résultent de l'intervention de plusieurs liquides : la bile, le suc pancréatique et les sucs intestinaux, dont il faut examiner le mode de sécrétion, les projtriétés et l'action sur h.'s aliments. Les autres sont, pour la plu|)nrt, des actes complémentaires, accessoires, 1res 1. Milne Edwards, ouvr. cité, t. Vil, p. 587, 289. G. COLIN. — Physiol. comp.. 3' édit, , I — 54 850 DE LA DIGESTION. simples, qui se compliquent seulement chez les animaux dont les dernières por- tions du tube intestinal acquièrent un énorme développement. I. — RÔLE DE LA BILE. La bile, dont nous étudierons ailleurs la sécrétion dans tous ses détails, pro- vient , chez les animaux très inférieurs , de cellules spéciales attachées à la muqueuse intestinale ; chez les autres, de tubes annexés à l'intestin ou d'un foie plus ou moins volumineux. Son mode d'excrétion ou de déversement dans le tube digestif, ses propriétés, sa composition, son action sur les aliments doivent être examinés successivement. Sécrétion et excrétion tle la, l>ile. — La bile, qui, chez les inverté- brés, est versée directement dans l'mtestin, passe, avant d'y arriver, chez la plupart des vertébrés, dans une vésicule plus ou moins ample où elle s'épaissit en raison de la durée du séjour qu'elle y fait. Ce réservoir manque dans un petit nombre d'espèces, surtout parmi les herbivores : l'éléphant, le rhinocéros, le daman, le tapir, le pécari, le cerf, les chameaux, les lamas, les solipèdes, les cétacés, divers oiseaux, comme la pintade, le pigeon, le perroquet, l'autruche. La vésicule biliaire, à parois dilatables et contractiles, qui a son fond inférieur et son orifice en haut chez tous les quadrupèdes, est couchée à peu près horizontale- ment dans l'espèce humaine. Elle reçoit la bile par une des branches de bifurcation du canal excréteur, l'autre se rendant directement dans l'intestin, et aussi, chez quelques animaux : le bœuf, la brebis, le chien, le lapin, par des canaux appelés hépato-cystiques, qui vont déboucher directement dans sa cavité. On la voit quel- quefois remplacée, comme chez l'éléphant, par une forte ampoule ou la dilatation du canal cholédoque, rappelant, suivant la remarque de M. Mil ne-Edward s, sous des dimensions exagérées, le petit renflement terminal du conduit ou l'ampoule de Vater de l'homme et d'un certain nombre de carnassiers. Ses deux offices sont : i^ de retenir une plus ou moins grande partie de la bile dans les moments souvent fort longs où la digestion est suspendue; 2" de l'épaissir en résorbant son eau et en y ajoutant des liquides visqueux. Elle a surtout de l'importance chez les animaux à digestion intermittente, et à longues intermittences, comme les carnassiers ; mais elle est moins nécessaire <à ceux dont la digestion est presque continue ou seulement suspendue pendant de très courtes périodes. Aussi est-ce à ces derniers qu'elle manque assez souvent. Tou- tefois on ne voit pas pourquoi, dans un groupe d'animaux à régime et à digestion uniformes, comme le sont les ruminants, elle manque aux cerfs, aux lamas, non aux bœufs et aux moutons. La bile est le premier des liquides versés sur les aliments dans l'intestin gnMe. Le canal qui l'apiiorte est ordinairement simple chez les mammifères, multiple ch(!z les oiseaux et un grand nombre de reptiles. Son insertion est, d'après les observations do Cuvier et de Duvernoy\ très rapprochée du pylore dans les 1. Voyez Cuviur, A/if//,ij»rU; comparée, t. IV, 2'^ partie, p. 518. HÔLK DE LA BÎLK. 8o l carnassiers, la plupart des rongeurs, notamment le lièvre et le Ia[iin; plusieurs pachydermes, le porc entre autres et tous les sollpèdes. Elle l'est beaucoup moins chez le bœuf, le mouton, la chèvre, le dromadaire, etc. Le canal biliaire s'ouvre dans le duodénum tantôt isolément, tantôt accolé ou confondu avec les conduits pancréatiques. S'il se termine seul, c'est toujours, chez les mammi- fères, au niveau ou en avant des canaux du pancréas, et c'est quelquefois un peu en arrière de ces derniers chez les oiseaux. L'écoulement de la bile dans l'intestin est-il continu ou intermittent? S'il est continu, l'est-il régulièrement ou avec une activité variable, suivant les périodes de la digestion intestinale? Ces questions peuvent être actuellement résolues par la méthode des fistules que j'ai employée dès 18o0, sur le cheval, l'iine, le bœuf, le mouton, h; ])orc et le chien, méthode qu'il serait intéressant d'appli- quer aux espèces où des dispositions spéciales semblent avoir été prises pour ralentir le déversement biliaire. Le procédé opératoiie (|ue j'ai mis en usage pour les solipèdes est fort simple, mais il est assez douloureux à cause de l'étendue considérable qu'on est obligé de donner à l'incision des parois abdominales. Lorsque le cheval est couché sur le dos et que les quatre membres sont solidement (ixés en l'air, on fait sur la ligne blanche une incision allant de l'appendice xiphoïde du sternum jusqu'à 30 ou 35 centimètres en avant du pubis. Cette incision achevée, un aide repousse en arrière et en dehors de la cavité abdominale la partie antérieure du côlon replié, et la maintient dans cette situation; puis l'opérateur pénètre jusqu'à la scissure postérieure du foie, isole le canal hépatique, le plus souvent très gonflé, l'incise légèrement, aussi près que possible de l'intestin, y engage une sonde et l'y fixe au moyen d'une ligature. La sonde, munie d'un léger bourrelet, doit avoir un diamètre de 8 à lU millimètres et une longueur de aO centimètres; elle doit offrir assez de résistance pour ne pas s'affaisser sous la pression des viscères et assez de flexibilité pour suivre le foie et la concavité du diaphragme. Une fois fixée, on remet le gros intestin en place, et l'on ferme la plaie du ventre par une forte suture à points très rapprochés, au moyen du ruban de fil; puis on relève l'animal. Dès que celui-ci (^st debout, on voit la bile s'échapi)er par l'extrémité libre de la sonde, et beaucoup mieux (|u'au moment du décubitus dorsal. Pour la re- cueillir sans perte, on. adafjte à la sonde une vessie de caoutchouc munie d'un (letit robinet, comme celle dont j'ai donné la figure au sujet des expériences sur les glandes salivaires, et l'on a le soin de la soutenir à l'aide d'une ceinture fixée autour de la poitrine, afin qu'elle n'exerce pas de tiraillement sur le canal cholédoque. On peut aussi obtenir ce fluide par un autre procédé qui consiste à lier le py- lore et les canaux pancréatiques, puis à pousser dans la portion flottante de l'intestin grêle, au moyen d'une légère pression de la main, le contenu du duo- dénum à l'extrémité duquel on applique aussitôt une ligature. La bile s'accumule dans cette première partie de l'intestin, mais elle se trouve mêlée au suc des glandes de Brunner. En moins d'une heure et demie, elle a distendu le duodé- num depuis le pylore jusqu'à la naissance de la grande mésentérique. Voici les 852 DE LA DIGESTION. résultats obtenus par le premier procédé sur deux chevaux qui se trouvaient eu pleine digestion au moment de l'expérience (voy. p. 833). En suivant attentivement cette expérience, dont les résultats sont les mêmes, à part quelques variations légères qui tiennent à la taille, l'âge, la vigueur des animaux, l'état de la digestion, etc., on constate : 1° Que la sécrétion biliaire est continue, soit que les animaux se trouvent en pleine digestion au moment de l'opération, soit qu'on les ait préalablement fait jeûner. 2° Que cette sécrétion n'éprouve pas d'oscillations bien sensibles, comme nous en avons vu pour la sécrétion des glandes salivaires et comme nous en observerons pour la sécrétion pancréatique. 3° Qu'elle se ralentit à mesure que la digestion est plus troublée et que les animaux souffrent et s'affaiblissent davantage. 4° Que son produit moyen, pour chacune des trois ou quatre heures qui sui- vent l'établissement de la fistule, est de 2o0 à 300 grammes; d'où l'on peut conclure que sa quantité totale s'élève, en une période de vingt-quatre heures, à au moins 6 000 grammes pour un cheval de taille ordinaire. 5° En (in, que la bile paraît toujours avoir les mêmes caractères, le même degré de consistance, de fluidité, la même couleur et la même réaction légère- ment alcaline. La sécrétion biliaire présente à peu près les mêmes caractères dans tous les autres animaux domestiques. Chez l'âne et le mulet, son produit est, proportionnellement à la taille de ces solipèdes, aussi considérable que chez le cheval. Il s'est trouvé de 60 à 80 gram- mes par heure sur un très petit âne, dont les fonctions digestives paraissaient encore assez actives. Chez le bœuf, il est fort difficile, sans une grande incision, de fixer un appareil au canal cholédoque pour recueillir la totalité de la bile. Mais on peut aisément, en établissant une iistule au fond de la vésicule, étudier diverses particularités relatives à la sécrétion de la bile et au rôle du réservoir dans lequel elle reflue en plus ou moins grande quantité, suivant l'état de la digestion. A cet effet, on pratique en arrière de la dernière côte droite, et à partir d'un décimètre en dessous des apophyses transverses des vertèbres lombaires, une incision de la longueur du doigt. Par cette ouverture, on attire le fond de la vésicule, on l'ouvre et on y fixe un tube à l'aide d'une ligature très serrée ; puis on réunit les lèvres de la plaie abdominale par quelques points de suture. L'animal souffre peu de cette opération ; il mange dès le jour mêmeet ne tarde pas à ruminer. Au Iioul de six, huit, dix jours, le tube se détache, la plaie se resserre, i)uis, en quelques semaines, la fistule s'oblitère et l'animal guérit. J'ai constaté, en suivant cette expérience faite sur un taureau d'un an, qu'il s'écoule par l'ouverture de la vési- cule jusqu'à 100 et 120 grammes de bile épaisse et visqueuse en une heure; mais il m'a été impossible de découvrir, d'une manière précise, dans quelles circons- tances la vésicule se vide ou se remplit. L'écoulement du liquide éprouvait de nombreuses oscillulions pendant le repas, la rumination et l'abstinence ; il variait dans des limites considérables, suivant (jue l'animal était debout ou couché, en ItoLE PE LA niLE. 8o:i repos ou on moinciiicnl ; il se inouliTiit tiuitnt fort aliondant, rraiUros fois tivs faible, et souvent pendant des heures entiôies il riait eoMiiiIrtcnient suspendu. La pression exercée sur la vésicule par suite du décubitus latéral, les ev[)irations 1" CHEVAL 2" (JHl : V x L ^ —"^ — lOlU" -^ -■ — s T K M PS QUANTITÉS '£ TE. M PS OfANlITÉS a eu en ODSKRVATION'S u eu eu OnriKRVATIO.NS 1 iiiiiiules. graninies. 1 minutes. grauuues. ;jo 236 L'uuiiiuil est ilolioiit. 30 1.50 L'auliualencDre couchii. 1 ao 150 Id. 30 178 Il est deh(jut. 2 30 3-> U est couclié et la 'soude < 30 123 Id. 30 119 parait coiiipi imée. 30 118 1(1. :jo lôo Il est coiii'hé sur le côtii. 3 .30 117 1(1. ;io 11.-. 1(1. ;io 101 1(1. ' 30 U^l) 1(1. ' 30 11^2 1(1. 30 113 1(1. 30 92 1(1. 30 120 Il est (IclHinl. . 30 81 M. ■' 30 132 1(1. ^ 30 75 1(1. 6 30 131 1(1. 30 "rj Id. 30 130 M. 30 61 Id. ^ 30 119 1(1. 7J 30 75 1(1. ' 30 110 M. ' 30 77 1(1. «1 30 101 M. si 30 71 1(1. 30 K3 1(1. ' ^ 30 80 1(1. »! 30 7.-) 1(1. 9^ 30 (iS M. 30 71 1(1. ( 30 6-J 1(1. 10 j 30 30 72 10 1(1. 1(1. 10 1 30 .30 60 61 1(1. 1(1. 11* 30 19 1(1. 11 ^ .30 59 Id. 30 13 1(1. / 30 62 1(1. 1-2 30 ■19 Il iii.jnjjc II II |ii'ii. l.j 30 48 Id. 30 17 On lîc'.sso i!(_' recueillir .30 6:.' Ou ne reeiieilio pas la ■> 1 30 10 la liile (le la H" à la ■^3^ 30 60 bile de la r2a à la -1 30 79 •..')'■ heure. ( 30 59 :;:ie heures. •'-, 30 7S 21 i 30 58 -' 30 70 U esldeljiuil. 30 51) Il est debuut. .0 30 60 11]. 05 î 30 611 Id. 30 65 1(1. .o^ 30 65 1(1 07 < 30 50 lil. .eî 30 57 Id -' / 30 48 iil. 30 57 Id .,* 30 47 lil. -) 30 56 Id 30 45 1.1. 30 6(; Id .. 30 4() lil. 28 30 67 Id 30 51 Iil. 30 .78 Id 30 30. 59 1(1. ■;-) 30 55 Id 30 5() Til. JJj 30 58 Id .il 30 5« M. T. ^ 30 ■ >7 1(1 30 69 M. ■^•') 30 18 Id ■M 30 30 (iO 6:! 1(1. M. 36 30 30 Iti 15 Id Id brusques, les ell'orts, la secousse (|ui accompagne le dépari de la pelote loi's de la rumination, activaient notal)leiiien! Texciétion du litpiide, qui alors s'échappait par petites oiulé(>s à l'orilice du tube. On conçoit que cette expérience peut servir i'i déterminer la quaiililé de bile qui est détournée dans la vésicule, suivant les diverses circonstances relatives à 854 DE LA DIGESTION. la digestion, et qu'elle donne un moyen fort simple d'étudier les effets des subs- tances diverses introduites dans les voies digestives, des purgatifs par exemple» l'influence des nerfs vagues sur la sécrétion, l'élimination de certains principes introduits dans l'économie, etc. Chez le mouton, il est facile d'établir une fistule à la vésicule ou au canal cho- lédoque. Celle que je fis au conduit biliaire, tout près de son insertion, sur un petit bélier, donna 18 grammes dans la première heure, 15 grammes dans la seconde, 14 grammes dans la troisième, 10 dans la quatrième, 9 dans la cin- quième, 10 dans la sixième, 16 dans la septième et 12 dans la huitième. Pour avoir de la bile pure sur ce petit ruminant, il faut placer le tube au-dessus de l'insertion du conduit pancréatique, ou bien lier ce dernier, si on fait la fistule tout près de l'intestin. Sans cette précaution, on recueillerait le mélange des deux liquides, et, de plus, on observerait une intermittence qui tient à la sécrétion du fluide pancréatique. Chez le porc, la sécrétion biliaire, fort abondante, revêt encore les mêmes ca- ractères que chez les solipèdes. Un appareil fixé au canal cholédoque d'un animal de cette espèce adonné 160 grammes dans la première heure, 110 dans la seconde, 106 dans la troisième, 96 dans la quatrième et 74 dans la cinquième, et elle a continué ainsi à diminuer progressivement pendant toute la journée et le lende- main jusqu'au moment où le pachyderme a été sacrifié. Le chien ne donne en moyenne que de 8 à 15 grammes par heure, et, bien que l'application d'un appareil se fasse sur lui par une très petite incision à l'abdomen, on voit la sécrétion diminuer rapidement et descendre à un chiffre excessivement faible. Toutefois, sur cet animal, lorsque la fistule est établie au canal cholédoque, la vésicule demeurant intacte, on peut, s'il ne se développe pas d'irritation intestinale, observer des oscillations très marquées, une abondante sécrétion quelques heures après le repas, c'est-à-dire à compter du passage du chyme dans l'intestin et tant que dure la digestion intestinale. Dans ce cas, l'abon- dance de la sécrétion est tout à la fois en rapport avec l'activité du travail digestif et avec la quantité de matériaux que l'absorption a introduits dans les vaisseaux et accumulés dans le foie. Depuis la publication dece livre, les expériences faites surlechienù Wurtsbourg, par Kolliker et H. Miillcr, et par Dalton en Amérique, ont confirmé mes obser- vations ; elles ont fait voir que la sécrétion s'activait considérablement de la troisième à la huitième heure de la digestion, et plus tard encore si celle-ci se prolonge. Cette sécrétion paraît s'effectuer, d'après les expériences de plusieurs physio- logistes, sous une très faible pression. Elle se ralentit, et la bile est réabsorbée, si on en croit Heidenhain, dès que la pression augmente dans les canaux hépati- ques ou dans les vaisseaux sanguins du foie, ce qui explique le développement de l'ictère dans le cas de ligature du canal cholédoque, ou d'obstruction de ce canal par des calculs. Il est facile, en com[)arant au poids du coi'ps le liquide obtenu, de calculer la quantité de bile j)ro(luite en vingl-quatr(i h(;ures pour un kilogramme du poids de l'animal; mais les calculs doivent être basés sur des expériences de longue durée IIÔLIÎ DE LA BILE. 855 et faites dans les iiioillt'iii'cs comlilioiis; et, jusqu'ici on n'en possède de fdlrs (|ue pour le chi«;n. Or cet animal a donné par kilogramme de 12 à 28 grammes de bile dans les expériences de Nasse, de 1;> à 28 dans celles de Bidder et Sclimidt, de 21 à (h\ dans celles de Kolliker et H. MiWler. 11 en résulte que le chien sécréterait en \ingt-quatre heures de l/H'.i" à l/lo'' de son poids de bile. Le mouton en donnerait de 1/400" à 1/()0; le cheval, l/()(»'= d'après mes observations. Suivant Bidder et Schmidt, la corneille pourrait en fournir i/13, et le lapin jusqu'à 1/8*, ce qui me parait très exagéré. L'abondance "de la sécrétion biliaire n'est pas seulement en rapport avec l'acti- vité du travail digestif, elle est subordonnée aussi à la quantité, à la nature des aliments consonunés et ù d'autres conditions très diverses. Ainsi, son produit, d'après Nasse, s'élève de \\) à 24 grammes par kilogramme du poids du corps quand on augmente la ration de viande ; il est plus considérable chez les animaux nourris de chair que chez ceux entretenus au pain et au lait. Les matières grasses ajoutées aux aliments, l'eau donnée en grande quantité, certains médicaments, tels que le calomel, l'augmentent considérablement; d'autres agents, tels que le carbonate de soude, le diminuent. L'abstinence fait descendre, d'après Lehmann, son produit au quart de son chillVe initial en une dizaine de jours. La continuité de la sécrétion biliaire entraine inévitablement celle de son excrétion, chez les animaux dépourvus de vésicule; elle pourrait ne pas l'impli- quer nécessairement chez ceux qui possèdent ce réservoir; mais l'expérimentation montre que, dans les divers cas, les choses se passent à peu près de la inème manière. La bile est versée non pas seulement lors du passage du chyme dans le duodénum, comme le croyait Bichat, mais sans interruption, et il suflit de lier le pylore à un animal en pleine digestion, ou bien de débarrasser le duodénum de son contenu, puis de le circonscrire entre deux ligatures, pour s'assurer que ni la sécrétion, ni l'excrétion ne sont subordonnées au passage des aliments dans l'intestin grêle. L'excrétion de la bile résulte du lait même de la continuité de la sécrétion, car les nouvelles quantités de Jluides formées poussent les premières vers l'intes- tin, et ainsi de suite. Elle tient, en outre, à la contraction des canaux, qui est ostensible dès qu'ils sont dégagés du parenchyme du foie. Cette conti'uction, que Magendie n'a pu voir ni provotiuer par l'action de divers stinnilants, est très faible ; elle ne peut, ni sur l'animal vivant, ni sur le cadavre, amener l'eUacement delà lumière du canal, l'ouitaul les pi(pn'es et l'application des acides à la face externe du conduit biliiiii'c, proNoqiicnt souvent un ii'sserrement manifeste. L'excrétion est favorisée par les mouvements res[iiratoires, comme Ualler l'avait pensé et comme Leuret et Lassaigne l'ont l'emarqu-é' sur le cheval. Elle m'a paru sensiblement activée, chez le taureau, lors des efforts un peu considérables, et à l'instant de la secousse du (lanc qui coïncide avec l'entrée de la pelote dans l'icsophage pendant la rumination. Divers observateurs l'ont vue accélérée sous l'inlluence des cris, des efforts de vomissement, de la défécation, etc. Mais l'excrétion de la bile devant se faire, habituellement, d'une manière inter- mittente, en ra[)port avec les besoins de la digestion, la nature a annexé à ses canaux de déversement un réseivuir colhUt'iid où, connue dans les systèmes 856 DE LA DIGESTION. d'irrigation, le liquide est tenu en partie et momentanément en réserve. Voyons comment il y arrive, comment il s'y maintient, et enfin comment plus lard il s'en échappe. Le reflux de la bile dans la vésicule a lieu pendant l'abstinence, et même, en petite quantité, pendant la digestion, lorsque ce réservoir est flasque et peu rem- pli. Magendie ^ l'attribue à la difficulté que le liquide éprouve à passer dans l'intestin, par suite du rétrécissement du canal cholédoque au point où il pénètre les tuniques du duodénum. Mais s'il en était ainsi, comme ce rétrécissement est permanent, le reflux s'opérerait aussi bien pendant la digestion que dans toutes les autres circonstances. Je ne puis admettre cette explication, car le canal cholé- doque, dans sa partie la plus étroite, a encore un diamètre supérieur au canal cystique. 11 me semble que le reflux n'est possible qu'à deux conditions, savoir : une contraction du duodénum ou une contraction à l'extrémité inférieure du canal cholédoque : la première exerçant une pression sur la partie du conduit comprise entre la tunique charnue et la membrane muqueuse; la seconde achevant d'en fermer la lumière ou de la réduire à un faible diamètre. Sans cela, il est difficile de concevoir comment la bile reflue avec force dans la vésicule au point de lui donner une tension considérable. Néanmoins il est certain que le resserrement résultant de ces deux causes n'est ni permanent, ni complet, puisque toute la bile sécrétée, lors de l'abstinence, ne pouvant s'accumuler dans la vésicule, une portion plus ou moins considérable en doit couler directement dans l'intestin. Ce reflux, quels qu'en soient le mécanisme et les causes, n'est favorisé, du moins chez les ruminants, par aucune disposition spéciale des canaux: on ne voit dans ceux-ci ni replis, ni valvules propres à provoquer le cours rétrograde du liquide. La totalité de la bile accumulée dans la vésicule ne vient pas seulement par la voie du canal cystique. Une faible partie de ce liquide est amenée directement dans ce réservoir, chez un certain nombre d'animaux, par les canaux hépato-cystiques, dont l'existence est admise depuis fort longtemps. L'un de ces canaux, que Perrault a décrits sur le bœuf, se termine dans la vésicule, soit au col même, soit àl ou 2 centimètres au delà de ce point. On en voit souvent, chez le même ruminant, un second, et quelquefois un troisième qui s'ouvrent dans la vésicule à quelques centimètres du col, mais leur existence n'est pas constante. Quant à savoir suivant quelle proportion la bile reflue dans la vésicule relative- ment à celle qui est dirigée vers l'intestin, c'est un point fort difficile à déter- . miner : il ne faut pas chercher les choses introuvables, surtout quand elles sont sans importance. Pendant la digestion, la bile qui vient du foie est poussée vers l'intestin avec celle qui s'était accumulée dans la vésicule. Il règne quelques dissidences entre les [tliysiologistes'cn ce qui concerne l'instant précis de l'évacuation de la bile cystique et les causes qui la provoquent. Los uns disent que la vésicule se vide à mesure que l'estomac se remplit ; les autres prétendent que son contenu s'échappe seulement lorsque le chyme commence à passer dans l'intestin. Il est très pro- babhî que cet écoulement s'opère dans ces deux circonstances. Quoi qu'il en soit, 1. Magendie, ouvr. cité, t. II, p. d70. RÔLE DE LA BILE. H'JT la vi;siculfi, pendant, la diKr'slion, conlionl peu do Itilc, cl sos paroi? sont flasques, mais alors elle ne se vide jamais coiiijdrhMin'iil.. Les causes de l'écoulement de la bile cystiquc sont la contraction des parois du réservoir, la pression exercée à sa surface et peut-être la dilatation du duodé- num. La contraction des parois de la vésicule que Haller' a provoquée sur le chien, le chat et la chèvre, n'est, de l'aveu même de l'illustre physiolo^'iste « ni forte ni vive : » aussi beaucou[> d'expérimentateurs n'ont pu la constater. Il est difficile même de la rendre bien sensible par le secours des excitations électriques, au moins sur le chien, le mouton et le taureau, comme je l'ai vu encore dans des expériences toutes récentes. La compression exercée sur le réservoir par l'estomac qui se remplit contribue à l'élimination de la bile, surtout chez les ruminants dont les réservoirs gastriques acquièrent une distension con- sidérable lors des repas. Enfin il me send)le qu'à chaque instant de relâchement du duodénum, la portion légèrement dilatée, dans la(|uelle va pénétrer une ondée de chyme, exerce une sorte d'aspiration favorable à rafflux de la bile. La bile arrive enfin dans l'intestin, seule ou mêlée au suc pancréatique. Elle y arrive seule chez le bœuf, dont le canal cholédoque s'insère à une grande dis- tance du canal pancréatique ; elle y arrive mêlée avec l'autre liquide chez le bélier, la chèvre, le dromadaire, dont le conduit pancréatique et le conduit biliaire se réunissent en un tronc commun: enfin les deux fluides se mêlent à leur arrivée à l'intestin, chez les solii)èdes, dont les pores biliaire et pan- créatique se touchent. Dès que la bile est |)arvenue à l'intestin, elle ne peut plus refluer dans le canal qui l'y a amenée. Celui-ci décrit entre les deux tuniques un trajet oblique qui, chez le bœuf, a une étendue de plus de quatre centimètres. Son orifice est entouré, chez les soli|)èdes, d'une petite valvule circulaire flasque; et, chez les ruminants, la muqueuse qui le circonscrit ferme constamment l'ouverture, laquelle se dilate à chaque petite ondée de bile. Cette disposition a aussi pour usage de prévenir la pénétration des liquides intestinaux et des aliments dans dans les voies biliaires. Propriétés, coniixkwitioii 1. Haller, Ménwù'e.t sur la nature senxihle et irrit. des part., t. I, p. -280. 858 DE LA DIGESTION, à foie gras. Cette densité m'a paru croître toujours en raison directe de la viscosité du .liquide, et, par conséquent, de la durée de son séjour dans la vési- cule ou de la lenteur de son déversement dans l'intestin. Je l'ai vue poisseuse, à sédiment abondant, jaune verdâtre, comme calculeux sur les jeunes taureaux, dont le travail digestif avait été longtemps suspendu, soit par la maladie, soit même par le simple fait de l'abstinence. La bile est un Iluide miscible à l'eau en toute proportion, très endosmotique, très putrescible, incoagulable par la chaleur, se colorant par l'acide azotique en stries rouges, vertes, bleues et jaunes. Immédiatement après son extraction, sur l'animal vivant, elle est homogène, à peu près dépourvue d'éléments figurés ; mais, prise sur le cadavre, elle devient sédimenteuse, se charge de filaments verdàtres, de cellules épithéliales détachées des canaux, de globules de mucus, de cristaux analogues à ceux de l'hématoïdine, et de fines granulations molé- culaires. Sa composition, qui est extrêmement complexe, a été déterminée par divers chimistes habiles : Berzelius, Thenard, Chevreul, Gmelin, Demarçay, Strecker, dont les analyses n'offrent pas toute la concordance désidérable. D'après les analyses les plus récentes, elle serait essentiellement une solution de deux sels résultant de la combinaison des acides cholique et choléique avec la soude, sels qu'on appelle généralement glycocholate et taurocholate de soude, associés à quelques autres substances dont le rôle parait très secondaire. Elle contient de 5 à 20 pour 100 de principes solides, suivant qu'elle sort direc- tement du foie ou qu'elle a éprouvé une concentration plus ou moins grande dans la vésicule. ■ — Ses éléments sont : 1" L'eau dans la proportion moyenne de 82 à 91 centièmes, à peu près comme dans le lait, le plasma du sang, 2° Du mucus, ou de la mucine servant, antérieurement à son mélange avec la bile, d'enduit protecteur à la membrane interne des canaux biliaires. 3" Diverses matières colorantes que les chimistes appellent les pigments biliaires. Le premier de ces pigments est la bilirubine abondante chez les carnassiers comme chez l'homme et qui donne à la bile sa teinte jaune. Elle cristallise en prismes de teinte orangée insolubles dans l'eau et susceptibles d'entrer en combinaison avec les alcalis. Le second pigment est la billverdine à laquelle la bile doit la teinte verte qu'elle présente chez les herbivores. Elle résulte de l'oxydation du pigment pré- cédent. L'acide chlorliydrique la précipite sous forme de poudre verte, amor- phe, insoluble dans l'eau mais soiuble dans l'alcool. Les alcalis la jaunissent; l'acide azotique la fait passer par diverses teintes, notamment la bleue. 4" Divers acides organiques, résinoïdes, combinés avec des bases alcalines, et formant les deux tiers des résidus solides de ce fiuide. L'un d'eux est l'acide f/îlc. — (Juel est le rôle de la bile dans les phénomènes de la digestion intestinale? Boerhaave regardait ce fluide comme destiné à neutra- liser l'acidité des liquides venus de l'estomac. Haller le considérait comme l'agent de la dissolution des graisses. Hrodie lui assignait un rôle capital dans la formation du chyle. D'autres en ont fait un stimulant de l'intestin, un agent propre à ralentir l'altération putride des aliments dans le tube digestif; quel- ques-uns mêmes en ont fait un simple produit de dépuration, un véhicule de matériaux transformés parla respiration ou \ydv le travail nutritif, un excrément, enlin, dont l'économie se débarrasserait |)ar la voie ouverte aux autres. Voyons. Il y a deux méthodes à employer pour rechercher le rôle de la bile dans la 1, Avcliivcx de phi/sioloi/ir noniialt' ri patholotji'juc, t. X, 1882, p. 110. 860 DE LA DIGESTION. digestion : mip première, qui consiste à la faire agir sui" les aliments, comme on le fait pour le suc gastrique dans les digestions artificielles: et une autre par laquelle on détourne la bile au dehors pour apprécier les modifications qui peu- vent être, en son absence, apportées aux élaborations intestinales. Le premier moyen n'a donné jusqu'ici aucun résultat bien intéressant. La bile, mise en contact avec la fécule crue, ne la modifie pas ; et si elle convertit l'empois en glycose, comme l'a vu Nasse, elle peut agir, dans ce cas, à la manière des divers liquides animaux en voie de décomposition : elle ne dissout point les matières albuminoïdes; enfin, si elle agit sur les corps gras, elle les émulsionne un peu, comme le font les liquides visqueux, et contribue à leur dissolution, à leur saponification par les alcalis qu'elle contient. Il faut donc recourir à la seconde méthode : étudier les effets qui se produi- sent dans l'intestin lorsqu'on y a interrompu le déversement de la bile, soit momentanément, pour un seul repas, soit d'une manière plus ou moins pro- longée et même permanente. Dans la première variante qui a été employée d'abord, on n'arrive pas à des résultats suffisamment exacts, parce que, au moment où l'on suspend l'écoulement de la bile, l'intestin en conserve une cer- taine quantité dont l'action peut influer notablement sur la digestion que l'on se propose d'examiner. Dans la seconde seulement, on peut observer avec rigueur et suivre longtemps les effets de la suppression du liquide. Brodie, ayant lié le canal cholédoque sur de jeunes chats, a remarqué que les chylifères ne se remplissaient plus de liquide blanc, laiteux ; mais il ne paraît pas avoir pris le soin d'éviter la ligature du canal pancréatique. Mayer a obtenu le même résultat en liant seulement le canal biliaire. Toutefois Magendie a trouvé, après cette opération, du chyle présentant les caractères ordinaires. Tiedemann et Gmelin, sur une dizaine de chiens auxquels ils avaient lié le canal cholédoque, ont vu survenir la péritonite, l'ictère, l'engorgement du foie. Chez les animaux qui se sont remis des suites de l'opération sans que la continuité du canal se fût rétablie, on n'a trouvé, dans les chylifères, qu'un fluide « trans- parent, non blanc; » et dans le canal thoracique, un liquide jaunâtre, de teinte ictérique. Leuret et Lassaigne n'ont également trouvé, pendant la digestion, qu'un chyle transparent, un peu rosé, sur un chien auquel ils avaient lié le canal cholédoque. Ces expériences ne sont pas décisives. Leurs résultats contradictoires sont subordonnés aux troubles digestifs plus ou moins intenses que la ligature entraîne et aux autres suites de l'opération, comme aux conditions dans lesquelles sont placés les animaux. J'ai vu que si la ligature est faite vite, sans délabrements, sur un chien, cinq à six heures après un repas de viande, la digestion peut s'achever et donner du chyle lilanc pendant plusieurs heures, même une demi-journée: seulement alors la jtrésence de ce chyle et sa blan- cheur peuvent être attribuées à l'intervention de la bile que l'intestin contenait déjà au moment de la ligature. De môme, si au lieu de lier le canal, on y fixe un tube conduisant la bile au dehors, il peut S(î faire, non seulement que la digestion commencée se continue, mais, en outre, qu(; l'animal mange les jours suivants : alors on trouve encore du chyle assez blanc dans les lactés ou dans KÔLR DK LA BILL). 861 le canal thoracique ; au conliaire, si l'opôralioii est suivie de vomissement, de péritonite, d'irritation intestinale, on ne trouve plus de eliyle blanc, non faute de liile, mais par suite des troubles de la digestion, de la suspension de cette fonction, et des autres obstacles apportés à l'absorption. Il faut donc faire mieux, pour bien élucider la question, faire couler la bile pendant très long- temps à l'extérieur. Or, c'est ce que Scliwann a eu la très lieureuse idée de n'iiliser. Il a lié, puis coupé le canal cholédoque, et ensuite établi à la vésicule du fiel une fistule qui devait laisser échapper à l'extérieur la totalité de la bile. Mais après cette opération, les animaux maigrissent et la plupart meurent : sur ceux qui survivent le canal se trouve rétabli, et la bile, tout en coulant notable- ment en dehors, a repris en partie son cours vers l'intestin. J'ai vu que les choses se passaient ainsi sur un veau de six à sept semaines dont j'avais lié le canal cholédoijue après avoir fixé un tube à la vésicule. La ligature de soie, dont les bouts avaient été laissés hors de la plaie, tomba le huitième jour avec son anse intacte, indiquant évidemment la section du conduit. A partir de ce moment, l'écoulement de la bile devint moins abondant et continua à s'affaiblir. Cinq semaines après l'opération, le canal cholédo(iue fut trouvé rétabli et entouré d'adhérences : sa lumière, quoique rétrécie, était libre, et une légère pression sur la vésicule faisait passer la bile dans le duodénum. Je pense qu'il en est ainsi dans la plupart, sinon dans toutes les circonstances, à moins, cependant, (pi'on ne résèque une grande partie du canal ; mais alors, comme cela est arrivé dans les expériences de Flint, les animaux meurent d'épanchements bilieux dans le péritoine. M. Blondlot, qui a répété avec beaucoup de soin l'expérience de Schvvann, a conservé fort longtemps un chien à vésicule ouverte sur lequel, dit-il, aucune communication ne s'était rétablie entre le canal cholédoque et l'intestin; cet animal digérait régulièrement et s'entretenait en bon état, ce qui implique néces- sairement la formation d'un chyle normal. Si aucune communication ne s'est rétablie entre les voies biliaires et l'intestin, on peut en inférer que la bile n'est jias indispensable à la digestion, mais non, comme le dit M. Blondlot, (pi'elle y soit inutile. En dégageant de ce (jui i)récède les seuls résultats indiseulaliles, il demeure ac([uis à la science que le chyle peut continuer à se former sans le concnirs de la bile; mais alors ce chyle a-t-il sa composition normale et surtout renferme-t-il les graisses «n proportion ordinaire? est-il aussi abondant que dans les condi- tions physiologiques? A cela il y a des réponses partielles à donner. Lenz ', pour résoudre la question de l'inlluence de la bile sur l'absorption des graisses, a dosé comparativement celle qui entrait dans l'intestin avec les aliments et celle qui en était rejetée avec les excréments chez les animaux dont le canal clioléiciue était lié. Il a vu (ju'alors une partie des graisses avait disparu, et il en a conclu à leur al)sor|»tion sans le concours de la bile. La conclusion est légitime. Sans doute, en l'iibsence de la ])ile, il y a de la graisse absorbée par rintervention des autres liquides intestinaux. Mais y en a-t-il la même quantité? l. Lenz, T)i' ndipix concurfionc t'f iil>sor}itiout'. Dorpal. 1850. 862 DE LA DIGESTION. S'il y en a autant, la bile ne sert pas à cette absorption. Si, au contraire, il y en a moins, c'est une preuve que ce liquide y concourt. Bidder et Schmidt l'ont parfaitement compris, et ils ont fait des dosages com- paratifs des graisses du chyle. Sur un chien porteur d'une fistule biliaire, le chyle leur a donné 2 millièmes de matières grasses; sur un autre sans fistule, nourri de la même manière, le chyle leur en a présenté 32. Dans une autre expé- rience, sur un chien à fistule, la quantité de graisse absorbée a été de l^', 56 par kilogramme du poids du corps. Sur un chien à l'état normal, elle s'est élevée à 2^^24. En dosant, pendant un certain temps les graisses des déjections, ils ont trouvé qu'en somme les chiens sans bile n'absorbaient que d'un cin- quième à un septième de la quantité absorbée dans les conditions ordinaires. Lehmann est du même sentiment : il affirme que le chyle des chiens qui digèrent sans bile ne contient qu'un tiers de la graisse offerte par le chyle normal. Dès l'instant qu'en l'absence de la bile l'absorption des graisses est diminuée de moitié, des deux tiers et plus, il devient évident qu'elle prend une très grande part à la digestion de c^s matières. Ici les opinions des expérimentateui's et des physiologistes les plus habiles sont concordantes. Si la bile concourt à la digestion des graisses, comment agit-elle sur elles? Est-ce en les éraulsionnant, en les saponifiant, en les rendant solubles ou d'une tout autre manière. L'émulsionnement des graisses peut, sans aucun doute, être effectué par la bile, mais cette modification physique que peuvent opérer d'autres fluides intes- tinaux n'est qu'un préliminaire, et non une condition suffisante de l'absorption, préliminaire dont l'influence doit être fort restreinte, puisque les gouttelettes de l'émulsion, vues au microscope, sont très grandes relativement aux particules qui peuvent entrer dans les villosités. La bile, en raison de son alcalinité, se mêle plus facilement aux graisses, et leur permet de mieux se mettre en contact avec la muqueuse qui doit les absorber. Les expériences endosmométriques ont fait voir, d'une part, que les graisses imbibent et traversent plus aisément les membranes imprégnées d'une solution alcaline que les membranes simplement mouillées par l'eau ; que, d'autre part, elles s'élèvent plus haut dans les tubes capillaires humectés de bile que dans les tubes secs ou mouillés par l'eau. Dans les expériences de Matteucci, l'émulsion d'huile d'olives traversait facilement une membrane imprégnée d'une faible solu- tion de potasse caustique, quoique le même effet n'ait pu être obtenu à l'aide d'une solution de carbonate de potasse. Ici la bile peut, comme le fait remar- quer M. Milne Edwards, modifier les actions capillaires d'une manière très favorable à la pénétration des graisses dans les tissus et les vaisseaux. Quant à la sa[)oni(ication, les chimistes, seuls compétents en pareille matière, ne l'ad- mettent pas, parce que, disent-ils, l'alcali de la bile est employé à saturer l'acidité du chyme, et que le chyle contient les graisses à l'état neutre. Quel que jiuisse être son mode d'nction sur les graisses, il est incontestable que la bile en facilile l'absorption : le fait a plus d'importance que son explication. A la seconde question : Le chyle est-il aussi abondant, la somme de matériaux absorbés est-elle aussi considérable en l'absence de la bile que dans les condi- KÙLK DE LA RILi:. 863 lions ordinaires? on pont donnor aussi un(; réponse nette, catégori(|ue, en luisant la part des c()nsé(|uences isolées de rojjération. Or, si l'on déduit des laits observés l'aniaigrissenient, qui est provoqué par la péritonite et i>ar l'irritation intestinale à la suite de rétablissement d'une listulc, le délieit dans la quantité des graisses absorbées, et la perte des matériaux résor- Itables de la bile, on voit que les animaux ne i)euvent conserver leur poids et leur embonpoint sans un su|iplément de ration. C'est ce qui a été observé dans les expériences de MM. Bidder et Schmidt, Kolliker, H. Miiller et Arnold. Con- séquemment; la bile est, dune manière générale, utile à la digestion des matières animales. Indépendamment de son rôle dans la digestion des graisses et dans la cliylifi- «■ation en général, la bile a encore (pielqucs usages spéciaux moins importants. Elle neuli-alise l'acidité du diyme, tant par ses alcalis libres que piu- les sels dont lii décomposition met la soude en liberté; mais comme la bile et le sue intestinal remplissent le même oflice, le contenu de l'intestin grêle devient alcalin en l'absence de la bile, comme Frericlis l'a constaté, l'ar suite de cette saturation, elle contribue à suspendre l'action digestive delà pepsine et la for- mation des peptones, elle précipite mènu> le ferment d'après quelques chimistes. La bile, (Uii est miscible à la plupart des matières alimentaires, est, par l'eau qu'elle contient, un dissolvant de la plupart d'entre elles, et mieux que l'eau elle peut, en raison de sa viscosité, de son alcalinité, les retenir, les mettre en contact avec les villosités, couvertes de nuicus, et les leur oflVir ainsi dans des con- ditions plus favorables à l'absorption. Il n'est pas douteux que, par son eau qui représente une masse assez considérable (5 à 6 litres) chez les grands aniniaiiv, elle exerce une influence sur les élaborations intestinales, notamiuent en l'absence des boissons. Elle paraît, en vertu de ses propriétés chimiques, ralentir la déconqiosition putride des résidus alimentaires dans l'intestin, car chez les animaux dont le canal cholédoque est lié ou ouvert à l'extérieur, les fèces sont plus fétides et les gaz intestinaux plus abondants que d'habitude. Le fait a été constaté par ïie- dcmann, Gmelin, Bidder, Schmidt, sur le chien, et il paraît s'observer à un certain degré chez les ictériques ; mais il a été nié par d'autres observateurs. Elle semble aussi devoir exercer une action stimulante sur les villosités et sur le plan contractile de l'intestin ; mais il ne faut pas en chercher la preuve dniis ce fait que les excréments des chiens dont on a lié le canal choléddiiiic (lc\ icinieul rares et secs, car cet efïet résulte de l'irritation intestinale. Schiir a montré (pie la bile provoque, dans tous les muscles avec lesquels elle est en contact, des contractions violentes, tétaniipies, et qu'elle irrite aussi vivement les nerfs. II l)eut très bien se faire (\uc. la stimulation de la bile soit aussi utile aux sécrétions cpi'aux mouvements de l'intestin. l'julin, la bile a un rôle rel;itil'à la ili'puration du sang, ipie nous n'avons pas à examiner en ce moment, (pioiipTil se lie à son oflice compl(>xe dans la diges- tion. C'est dans l'intestin (jue les nuitériaux destinés à être résorbés, uuitières minérales précieuses, chlorure de sodium, [dmsphate calcaire, carbonate de soude, fer, soufre, et quelcpu-s autres, piMit-être utilisés à la respiration, se 864 DE LA DIGESTION. séparent des matériaux à éliminer; c'est aussi dans l'intestin que plusieurs de ces derniers se modifient avant d"élre rejetés. II. — RÔLE DU FLUIDE PANCRÉATIQUE. Nous venons de voir la bile constamment sécrétée et constamment versée dans l'intestin. La continuité de la sécrétion hépatique indique assez que son produit remplit un rôle de dépuration; son ralentissement et le dépôt de la bile dans un réservoir spécial, lorsque la digestion languit ou se suspend, prouvent suffisam- ment que ce fluide prend part à l'élaboration des matières alimentaires. La sécrétion pancréatique va se présenter sous une physionomie nouvelle très diffé- rente de celle de l'action du foie, des glandes salivaires et de beaucoup d'autres organes sécréteurs. Le pancréas, comme les glandes salivaires auxquelles il ressemble par sa structure lobulée, n'existe pas dans tous les vertébrés. S'il ne manque jamais aux mammifères, aux oiseaux et aux reptiles, il n'a été observé que chez un petit nombre de poissons, la raie, la carpe, la perche, le brochet, le saumon, l'an- guille, etc., où il est généralement très petit. Son existence, qui coïncide quel- quefois avec les canaux pyloriques, ne permet guère de considérer ceux-ci comme des organes pancréatiques. Le volume de cette glande, chez les mammifères, n'a pas de rapports bien évidents avec le régime des espèces; cependant il paraît décroître des carnas- siers aux herbivores, et varier beaucoup dans chaque groupe, même dans chaque espèce, sans qu'on puisse voir la cause des variations. D'après mes recherches, le pancréas égale chez le hérisson du 102^ au 179'' du poids du corps ; le chat, du 253'' au 560"; le chien, du 245° au 673"; chez un lion peu musclé, le 431"; une lionne maigre, le 701"; une hyène, le 697"; chez le porc, du 521" au 826"; le cheval, du 780" au 1500°; chez les ruminants, du 600" au 1782". Jones ^ a aussi trouvé des différences très grandes, sous ce rapport, chez quelques tortues, et il croit, d'après quelques chiffres relatifs aux mammifères, qu'en général les carnassiers ont le pancréas plus volumineux que les frugivores ou que les herbi- vores. Il en serait de môme aussi chez les poissons. Le canal qui verse dans l'intestin le fluide pancréatique est généralement simple chez les mammifères, et multiple chez les oiseaux. Il offre, relativement aux canaux biliaires, un mode de terminaison assez variable. 1" Les conduits biliaire et pancréatique, parfaitement distincts, s'ouvrent à une distance plus ou moins grande l'un de l'autre, comme dans le i)œuf, le [lorc, le lapin, le lièvre, le cochon d'Inde. 2° Ils se terminent très près l'un de l'autre, comme dans quelques espèces de singes, d'après les observations de Cuvier. 3° Ils s'insèrent au même point piir deux orilices ronfondiis ou accolés de même «pje d\n le cheval, l'une, le chat, etc. 4° Enfin, ils peuvent s'aboucher l'un dans l'autre et se terminer par un canal 1. Milne fiil\varu3, Ler.om ^m- /a ji/ii/s/ohif/ir et rnnntomli' nntqmrrr^^ t. VI, p. 518. RÔLE DU FLUIDE PANCREATIQUK. * 8Ho commun plus ou moins long : c'est le cas de l'homme , d'une partie des singes, des carnivores, du chameau, du lama, de la chèvre et de la brebis. Cette der- nière disposition permet à rexpérimontateur d'obtenir un mélange de bile et de suc pancréatique suivant les pro{)ortions que la nature a déterminées. Il est à noter que, chez les mammifères dont les canaux biliaire et pancréa- tique ne s'ouvrent pas au même point, cesf, à quelques exceptions près, le canal biliaire qui précède l'autre. Au contraire, ce sont les canaux pancréatique? qui s'insèrent les premiers dans l'intestin chez la plupart des oiseaux, d'après les nombreuses observations de Cuvier et de Duvernoy. Indépendamment du canal excréteur [»rincipal, il y a souvent, comme le chien, le porc, le bœuf en donnent l'exemple, un canal accessoire, très petit, capillaire, naissant, soit de la masse de la glande, soit de quelques granulations isolées, et s'ouvrant presque toujours dans le cholédoque ou avec lui. La signification physiologique de ces dispositions si diverses, si elles en ont une, n'est pas moins diflicile à entrevoir que celle des différences offertes par l'appareil excréteur du foie. Pourquoi l'homme se trouve-t-il dans le même cas que le cheval et les autres solipèdes herbivores, tandis que le chien, beaucoup de carnassiers vont de pair avec le porc omnivore et plusieurs rongeurs herbi- vores? Pourquoi dans le groupe si naturel des ruminants le bœuf et le mouton, l'un par rapport à l'autre, offrent-ils les dispositions les plus éloignées? Ces différences ne paraissent se rattacher ni au régime, ni au mode de digestion, ni aux formes les mieux caractérisées de l'appareil digestif. Caractères tle la sécrétion pancréulîcnie. — La sécrétion du pancréas est-elle continue ou inlcimittenle; quels sont ses rapports avec le tra- vail digestif; son abondance est-elle la même dans les divers animaux? C'est ce qu'il faut demander à l'expérimenlation. De Graaf est le premier qui ait, par un procédé ingénieux, recueilli le suc pancréatique sur .l'animal vivant. Depuis cet expérimentateur, Leuret et Las- saigne ont obtenu le suc pancréatique du cheval, ïiedemann et Timelin ci'lui de la brebis, et M. Bernard^ celui du chien par une heureuse modilicatiun du pro- cédé de de Graaf; mais aucun de ces physiologistes n'a déterminé les caractères de l'action du pancréas. Un tel résultat était d'ailleurs impossible à "atteindre, chez le chien, le cheval et la brebis, pour des raisons faciles à trouver et qui seront exposées plus lard : aussi ai-je entrepris mes recherches sur les grands ruminants, chez lesquels il est facile d'établir des fistul(!s pancréatiques, sans irriter lu glande ni troubler sensiblement les fonctions digestives'''. Le pancréas du bœuf est couché en partie sur les circonvolutions du côlon, en partie sur la région droite et supérieure du rumen, depuis la scissure du foie jusqu'au-dessous de la deuxième vertèbre lombaire; il porte, à son extrémité intestinale, un conduit qui s'ouvre dans le duodénum de 30 à 4t) centimètres en arrière de l'ouverture du canal cholédoque. Ce conduit, souvent détaché de la 1. Cl. Bernard, Du sur pn/i(:ri}afii/uc ft de son rôle dans les phétioménes de In dir/c^tion {Archives deuird./ianw'wT 1849). 2. G. Colin, Expériences sur la sécrétion pnnrréafif/ue des f/rands ruminants {Comptes rendus de t Académie des sciences, 17 mars Irfôl, t. XXXII). a. COLIN. — Fhysiol. coiiip., 3*^01111. 1 — t>5 866 DE LA DIGESTION. glande sur une étendue de 2 à 3 centimètres, est assez large pour recevoir un tube d'un diamètre de 8 à 9 millimètres. Pour arriver sur le canal excréteur du pancréas, on fait dans le creux du flanc droit une incision longue de 10 à 12 centimètres, parallèle à la dernière côte et séparée de celle-ci par un espace de 3 à 4 travers de doigt ; on divise successive- ment la peau et les muscles, puis on tord les petits vaisseaux qui peuvent avoir été lésés ; enfin, dès que la plaie ne donne plus de sang, on ouvre le péritoine. Alors on fait au canal pancréatique, qui apparaît entre le duodénum et l'extré- mité inférieure de la glande, une petite incision longitudinale par laquelle on engage un tube de verre muni d'un léger bourrelet à chaque extrémité, tube qui est ensuite fixé par une ligature circulaire passée autour du canal, à l'aide d'une aiguille à pointe mousse. Enfin la plaie abdominale, à travers laquelle on fait passer le tube, est fermée par une suture. Fjg. 121 . — Taureau avec l'appareil collecteur du tluidc pancréatique. Si l'opération a été bien faite, lintestin, enveloppé dans un double sac épi- ploïque, n'aura pas été exposé au contact de l'air; le pancréas n'aura été ni blessé par l'instrument tranchant, ni froissé par la main de l'expérimentateur. Si d'ailleurs la digestion était active et la sécrétion établie au moment de l'inci- sion du canal, on verra le fluide pancréatique limpide monter plus ou moins rapidement dans le tube et s'échapper à rextérieiir. Ij'animal continuera à manger et à ruminer comme auparavant, et pendant cinq, six, huit jours, on pourra suivre dans toutes ses phases le travail sécréteur de la glande. Dès les premiers moments de l'expérience, le suc pancréatique coule limpide comme de r(!au et iirésente une légère viscosité qui augmente par le refroidisse- UÙLK 1)1] FLUIDE l'ANCREATIQUE. 867 ment. Au bout d'un certain temps, il sort moins abondamment, et bientôt on voit la sécrétion se suspendre à peu près complètement; elle se rétablit ensuite d'une manière insensible, devient de plus en plus active, puis diminue et cesse de nouveau, pour reprendre son activité première, et ainsi de suite. La sécrétion pancréatique, au lieu d'être continue et régulière, éprouve des variations (|ui lui donnent un type intermittent : elle oscille, dans des limites plus ou moins élendues, suivant l'état de la digestion. En général, il semble que son maximum d'activité coïncide avec la lin d'une période de rumination et avec les moments (|ui la suivent : alors son |)roduit s'élève souvent au cbilTre de 2UU à 27U grammes par lieure, sur un bieut de taille moyenne. Voici un tableau qui résume une expérience suivie pendant une semaine. Il donne une idée sut- lisante de la sécrétion dans ses rap[)orts avec l'état de la digestion. F.TAT DE L ANIMAI, et observations. 1 25.-. ■) 181 ■J 1 ■ > Cl luu 71 48 2.JG ~ 210 21(i 112 10 8 11 l'J.j 12 212 13 .')1 11 ^ » li „ lli 17 31) 18 m 100 U.i 2(1 4(i 21 130 22 190 2:i 148 21 " joui: I. 'animal est encore couché. Id. I est debout. Il refuso les aliments qu'on lui prOsente. Il est couché et ne rumine pas encore. L'anipouie est renversée et le liquide perdu. La sécréticjri est suspendue. Quelques ^'ranimes seule- ment, sécrétion suspen- due L'animal est couché. Sécrétion suspendue. Deuxième jour. là -2 2t 164 3 m'- 158 4 1 136 0 1 n 6 u 351 1 L'animal rumine. Sécrétion suspendue. .\ partir de ce moment on ces^e d'oberver l'animal. KTAT DK L AMMAL et observations. Troisième jour, 1 221 1 216 1 312 1 272 1 61 o; 101 1 150 1 210 L'animal mange. Id. (encore un peu). Rumiue. Ne rumine pas. Uumiuc un peu. Quatriètne jour. 225 250 31 il 180 172 215 Cinquième jour. 124 7.5 05 56 360 312 L'animal mange. 11 mange encore. Il commence à ruminer. Il continue à ruminer. L'animal est couché. Sixième joui I 1 24 u 43 1 " La sécrétion est à peu pré? suspendue, la sécrétion est suspendue. 868 DE LA DIGESTION. Tel est le résultat d'une expérience qui réussit à merveille et qu'il fut pos- sible de suivre assez longtemps pour faire une élude minutieuse de la sécrétion pancréatique. Mais les choses ne se passent pas toujours ainsi. Le pancréas est une glande dont l'action se trouble et se suspend sous l'influence d'une irritation très légère. L'expérimentateur, malgré tout le soin qu'il peut mettre à se placer dans les meilleures conditions, ne doit pas s'attendre à jouir constamment du spectacle que donne la sécrétion lorsque ses phénomènes conservent leur régula- rité; il est exposé à des déceptions ou plutôt à des résultats qui s'éloignent de l'état normal. Indiquons ici les principaux, afin qu'on distingue bien les carac- tères typiques de la sécrétion de ceux qu'elle prend dès qu'elle vient à éprouver une perturbation plus ou moins considérable. Si l'on établit la fistule à l'un de ces moments pendant lesquels la sécrétion est suspendue ou extrêmement ralentie, on trouve le canal flasque et affaissé, et rien ne s'écoule par le tube qu'on y fixe à l'aide d'une ligature ; la sécrétion ne s'établit que quatre, cinq, six heures après la fixation de l'appareil; quelquefois même elle ne reprend qu'après plusieurs jours, bien que les animaux mangent et ruminent à peu près comme dans les circonstances ordinaires. Ainsi elle n'avait pas encore repris son activité au bout de vingt-quatre heures chez un taureau très vigoureux, et au bout de quarante-huit heures chez une vache; enfin elle ne commença à donner des quantités appréciables de liquide que le cin- quième jour chez un petit taureau d'un an, dont les fonctions digestives ne furent point suspendues. Si, au contraire, la sécrétion est active lorsqu'on fait la fistule, le liquide coule immédiatement, dès que le tube est placé, ou il commence à couler au bout d'un quart d'heure, car il peut arriver que les manipulations de l'expé- rience déterminent une suspension momentanée dans l'action de la glande. Alors la sécrétion présente, pendant un certain temps, les caractères ordinaires. Bientôt elle augmente graduellement et n'éprouve ni arrêt, ni oscillations mar- quées. Ce signe de mauvais augure indique que le pancréas s'irrite et s'en- flamme. Aussi la sécrétion, après s'être exagérée graduellement pendant vingt, vingt-quatre, trente heures, s'arrête presque tout à coup, demeure suspendue deux, trois, quatre jours, après lesquels on voit s'échapper des flots de suc pan- créatique, non visqueux, chariant des débris d'épithéliums. Ce dernier résultat est assez fréquent, car l'irritation produite à la plaie abdominale et au canal excréteur se propage à la glande, dans une étendue plus ou moins considérable, bien que celle-ci n'ait été ni froissée ni déplacée. Nous verrons qu'il se reproduit avec une exagération telle chez le cheval, le mouton, le chien et le porc que les véritables caractères de la sécrétion sont tout à fait masqués, et qu'ils eussent longtemps échappé aux investigations des phy- siologistes sans les heureuses conditions que présentent les animaux ruminants. Enfin, dans tous les cas, soit que la sécrétion se trouve suspendue, soit que son produit s'échappe à l'extérieur pendant un certain temps, le canal se coupe au niveatj de la ligature, le tube tombe six, huit jours après l'opération; il se forme un épanchemcnt plastique qui cerne les extrémités du conduit divisé, et bientôt celui-ci se cicatrise et se rétablit avec un diamètre peu différent de celui RÔLE DU FLUIDE PANCRÉATIQUE. 869 qu'il avait primitivement, ainsi que je l'ai constaté deux fois sur le veau et le taureau. L'animal, qui n'a pas cessé de manger et de ruminer, guérit très promptement, comme si les parois abdominales seules eussent été divisées. C'est par une suite d'expériences laites dans diverses conditions, c'est pj^r une série de combinaisons bien calculées, qu'on arrive à démêler les phénomènes réguruîrs de la sécrétion, des idiénomènes insolites et exceptionnels qu'elle peut présenter. Chez les solipèdes^ la sécrétion pancréatique est fort difficile à étudier. Le pancréas de ces animaux est profondément situé au-dessous de la colonne ver- tébrale. Son canal excréteur est enveloppé i)ar la glande jusqu'à son insertion, et il a des parois excessivement minces. Pour aller le chercher, il faut ouvrir largement le ventre sur la ligne médiane, depuis le sternum jusqu'à 20 ou 130 centimètres du pubis, faire sortir de la cavité abdominale une partie du côlon, inciser le duodénum sur une étendue de trois à quatre travers de doigt, puis engager une sonde à bourrelet dans le canal, et l'y fixer au moyen d'une ligature très serrée qui embrasse l'extrémité inférieure delà glande ; enfin il faut r('{tlacer l'intestin et fermer, par une suture de ruban, la plaie des parois de l'abdomen. Ce procédé, que de Graaf employa le premier sur le chien, réussit à Leuret et Lassaigne sur le cheval. Il m'a permis une fois, après trois tentatives infruc- tueuses, de recueillir une assez grande quantité de suc pancréatique. L'expérience fut faite sur un cheval qui avait mangé du foin et de l'avoine plusieurs heures avant que la fistule fût établie. Dès que le duodénum fut ouvert et qu'une petite éponge fut engagée à l'ouverture pylorique pour prévenir l'expulsion du chyme, je vis très distinctement le liquide s'échapper en nappe et par saccades à l'orifice du canal. Une fois que la sonde munie de son ampoule de caoutchouc fut fixée, le liquide descendit dans celle-ci, même avant qu'on eût relevé l'animal. Voici le produit de la fistule depuis le commencement de l'expérience jusqu'au moment de la suspension de la sécrétion : N°' DKS HEURKS de l'expérience. TEMPS en miiiutos. QUANTITÉS , KTAT DE L'AxMMAL ET OUSKRVATIONS l.e 30 30 30 30 30 30 30 30 1368'- 138 130 156 20 » Couché. Id. lielevé. Debout. Id. Id. Quel(iues gouttes seulement. Sécrétion suspendue. 2' 3- ''■•■■■ .f)» 1. G. Colin, Expériences sur la sécrétion pancréntique du cliovnl, du porc et du mouton {Couiptex rendus de l'Académie des sciences, 28 juillet 1851, t. XXXIIlj. 870 DE LA DIGESTION. D'après les résultats exprimés dans le tableau qui précède, on voit que la sécrétion pancréatique est uniforme pendant les deux premières heures et qu'elle augmente un peu à partir de la troisième, pour diminuer subitement et cesser bientôt après. La moyenne de la quantité obtenue est donc à peu près de 265 grammes par heure, ou sensiblement le chiffre de la sécrétion chez la vache et le taureau. Elle aurait été plus considérable si le second canal pancréatique qui communique avec le premier eût été lié, ou si l'on eût recueilli par une autre petite sonde ce qu'il verse dans l'intestin. Mais, à supposer que le fluide charrié par ces deux conduits, dont le second est très petit, eût été obtenu, il ne faudrait pas attacher une grande importance à son chiffre, car l'irritation de la glande, suivant qu'elle est plus ou moins vive, trouble à un degré variable la sécrétion. D'ailleurs la fistule peut être établie, ou lorsque la sécrétion est très active, ou lorsqu'elle est peu abondante. Evidemment elle l'était moins sur le cheval de l'expérience de Leuret et Lassaigne, puisqu'elle ne donna que 96 grammes en une demi-heure. Il est encore un autre procédé qui permet de recueillir le suc pancréatique du cheval sans léser la glande ni lier son canal excréteur : je l'ai employé plusieurs fois, et il m'a toujours réussi. Il consiste à lier le canal cholédoque et le pylore d'un animal en pleine digestion, puis à chasser progressivement, à partir de la ligature, à l'aide de la pression des doigts^, les matières que contient le duodé- num, qu'on lie ensuite à son extrémité postérieure. De cette manière, on vide, sans l'ouvrir, la première partie de l'intestin, et on prépare un réservoir au suc pancréatique. Au bout d'une heure, on trouve dans l'anse duodénale 600, 800 et quelquefois 1 000 grammes d'un suc parfaitement limpide semblable à la salive maxillaire la plus pure; c'est du suc pancréatique rendu très visqueux par le produit des glandes de Brunner dont nous parlerons plus tard. Il est à noter que, dans cette circonstance, si l'anse duodénale est remplie et distendue,lesuc qui continuée sesécréter s'accumule dans les canaux et y acquiert une extrême viscosité. Au moment où l'on détache le pancréas du duodénum, on constate même que le liquide accumulé dans l'intestin reflue par le canal en assez grande quantité. Le résultat de cette variante montre bien que la moyenne de l'expérience précédente est loin d'être exagérée. La sécrétion pancréatique du porc a des caractères que l'expérimentation ne p*eut aussi aisément reconnaître que chez les animaux ruminants. La listule pan- créatique s'établit sans difficulté chez ce pachyderme. Il suflit pour cela de faire au-dessous de l'hypocondre droit une incision longue d'un décimètre et demi, par laquelle on attire l'anse duodénale qui porte l'insertion du canal excréteur. Bien que cette partie de l'intestin ait un mésentère trop court pour qu'on puisse l'amener hors de l'ouverture, on aperçoit aisément le canal sur les sujets très maigres, et on y fixe rapidement un tube d'argent muni d'une petite ampoule, puis on referme la plaie des parois abdominales. Si on veut comparer la sécrétion biliaire à celle du pancréas, on ada|)te en même temps un appareil au canal cholédoque. A peine les tubes sont-ils fixés, que l'un donne de la bile en grande quantité, et l'autre du suc pancréatique en plus faible proportion. Voici d'aboid les quantités du suc pancréatique obtenu sur deux porcs adultes et de taille ordinaire : rôlp: dv FLUinK pancréatique. ] "^ PORC 2'^ 1' 0 l( C N"' DES IIKL'RES de l'expérience. TKMl'S nl'ANTlTliS N"»I)KSHErRES de l'expéi-ieuce. TKMl'S OIANTITÉS 1 •'i!) min. 5 «f 1 1 lioul'e. 7 " 2 1 lieiii-e. 9 2 l i irî ;j H 3 1 4 1 1 1 1 7 5 7 ■■} 1 G 1,2 (i 1) 7 ■) 8 i) 12 0 Ces produits sont tort miiiiiiies relativement à la taille du porc et au poids de snn pancréas. Ceux de l'expérience suivante, dans laquelle on recueille en même temps la bile et le suc pancréatique dans des ampoules séparées, sont plus con- sidérables. NUM5I\,0R [)i:S HEURES (le l'expérieiioc :i' •1" ')■• et ()•■. :^6- TEMPS en heures et niiiiiitcs. Oh. 2;i m. 0 2L ( 0 S 0 ( 0 1 1 1 :i 10 ni 38 00 110 30 00 12 Oh. 18 m. 1 00 1 10 1 r>o SLC PANCKÉATIOUE, QUANTITÉS eu grammes. 2 3 3 7 8 li 11 1 I 21 18 lilLE. QUANTITÉS în grammes. 73 52 21 G6 78 106 00 111 Deuxième jour. 44 28 78 33 OBSERVATIONS. La l)ilo n'est plus recueillie. La bile ne eoule plus iju'en très petite quantité. La sécrétion biliaire est tarie, (k'tte dernière expérience montre, d'une manière frappante, l'augmentation .graduelle de la sécrétion pancréatiijue coïncidant avec la diminution incessante de la sécrétion biliaire. Elle nous fait voir la première peu active dans les premiers moments et très abondante par la suite, tandis que la seconde, très active au début, se ralentit sur la lin et même se suspend tout à fait. La sécrétion pancréaticpie du cliien peut être encore moins bien étudiée que celle du porc, car le canal pancréatique des carnivores étant enveIop[té par la glande jusqu'à son insertion, il faut, après avoir attiré le duodénum en dehors 872 DE LA DIGESTION. de la cavité abdominale, disséquer en quelque sorte l'extrémité du pancréas pour mettre son canal cà découvert, Tinciser et y fixer le tube. Du reste, la sécrétion est si peu abondante chez cet animal qu'elle donne tout au plus, quand l'opération est bien faite et dans de bonnes conditions, 2 4 3 grammes de liquide par heure. L'irritation qui s'empare rapidement de la glande, la péritonite, les vomissements qui suivent l'établissement de la fistule, ne permettent point à l'observateur d'é- tudier la sécrétion avec ses caractères habituels qui se dessinent d'une manière si nette et si remarquable chez les grands ruminants. De plus, chez le chien comme chez le porc et chez les autres animaux, dont le pancréas s'irrite trop vivement, la sécrétion ne tarde pas à se suspendre pour se rétablir au bout de vingt-quatre, trente heures, ou après une période plus prolongée encore. Néan- moins, dans le cas où la fistule établie très rapidement n'a pas troublé sensible- ment la digestion, on peut s'assurer, d'une part, que la sécrétion s'établit peu de temps après le repas et avant que les aliments commencent cà passer dans l'in- testin; d'autre part, qu'elle devient plus active une fois que la digestion intesti- nale commence; son maximum d'activité s'observerait, d'après Krogeri^, une demi-heure ou trois quarts d'heure après le repas. Conséquemment, l'arrivée du fluide pancréatique dans l'intestin devancerait celle des aliments. Enfln, chez le mouton et la chèvre, l'action du pancréas se trouble aussi à un tel degré, qu'il devient à peu près impossible d'en saisir la véritable physionomie. A part cette circonstance, commune à beaucoup d'autres animaux, les petits ru- minants donnent à l'expérimentateur de nouvelles ressources pour l'étude de la bile et du fluide pancréatique. Chez eux, le canal du pancréas se réunissant au canal biliaire, un mélange des deux liquides arrive à l'intestin en proportions variables, suivant l'activité respective de chacune des glandes. Par suite de cette disposition remarquable, on peut recueillir isolément la bile et le suc pancréati- que, ou les deux mêlés ensemble. En effet, si on fixe le tube au-dessus du confluent des deux canaux, on obtient de la bile pure; si on le fixe au-dessous, on obtient les deux fluides mélangés ; enfin si, laissant le tube à ce dernier point, on applique une ligature sur le canal biliaire au-dessus du confluent, c'est du suc pancréatique qui s'écoule par la fistule. Tiedmann et Gmelin se servirent de la troisième de ces combinaisons pour obtenir le suc pancréatique de la brebis, mais ils n'eurent point l'idée d'employer les deux autres. La sécrétion pancréatique ne peut être étudiée longtemps sur le bélier, car l'irritation du pancréas fait bientôt cesser l'écoulement du liquide. J'ai obtenu sur un animal de cette espèce jusqu'à 7 grammes de suc en une beuro. Les pre- mières portions étaient un peu verdies à leur passage dans l'extrémité inférieure du canal commun; mais les autres étaient limpides et d'une transparence par- faite. Sur deux béliers, la fistule, disposée de manière à verser dans l'appareil le mélange de bile et de suc pancréatique, a donné les quantités inscrites au tableau suivant. On voit par ce court aperçu que l'écoulement du mélange des deux fluides 1. Celte observation a été faite sur un chien à fistule permanente. (Yoy. Milne Edwards, l. YI,p. 521.) UÔLE DU FLUIDE I'ANCBÉATIOUE. 873 éprouve des oscillations assez étendues qui peuvent dépendre de plusieurs cau- ses, principalonient de ce que, à certains moments, la vésicule reçoit plus ou moins de bile on on expulse une r|unntité variable, puis des périodes d'activité ou de ralentissement dans la sécrétion pancréatique. Il est aisé, par les propriétés du (luide obtenu, de yoir s'il contient beaucoup de suc pancréatique ou s'il n'en renferme pas du tout. Dans le premier cas, il émulsionne une forte proportion de matières grasses ; dans le second, très peu ; dans le troisième, il est dépourvu (le [iro{)riétés énuilsi\es. Si, maintenant, nous jetons un coup d'œil sur l'ensemble des résultats que donne l'expérimentation, en ce qui concerne nos espèces domestiques, nous serons frappés de trouver peu de rapport entre la taille des animaux et rabondancc de la sécrétion pancréatique, ou entre le poids de la glande et la quantité de lluidc qu'elle produit : cependant ce rapport est quelquefois exact. 1- ij t<: L [ E II Oe BÉLlEll NOS DES HEURES TEMI'S QUANïrrÉs Nos DES HEURES TEMPS QUANTITÉS Je en heures de liquide de en heures de liquide l'expéiierice. et Illimités. eu grammes. reipérience. et minutes. eu grammes. 1" •20 m. 1 ire 1 11. i;» 2"^ 1 h. 2 m. 16 2' 1 12 3« 1 il. 8 m. 39 3' 1 3 4- ] 20 4« 1 4 5'' 1 20 5« 1 S 6" 1 21 G«-8' 2 h. 30 II) 37 7" 1 1!) fl--- 2 23 8" 1 ■M 10"^ 1 2:î Deuxième jour. 28- 1 h. l> 29» 1 i;j :J0« 1 14 .SI-' 1 1.-) Ainsi, le pancréas du cheval pèse en moyenne 300 grammes; celui du bœuf et de la vache, à peu près autant. Chez ces deux herbivores, dont la taille est en général à peu près la même, la sécrétion pancréatique atteint sensiblement le même chiflre. Mais, à part ces animaux entre lesquels il y a une proportionna- lité remarquable, on ne trouve plus chez les autres une relation analogue, soit qu'on les compare entre eux, soit qu'on les mette en parallèle avec les premiers. En effet, le pancréas du mouton pèse 50 à (iO grammes, c'est-à-dire le cin- quième du pancréas des grands ruminants et des solipèdes. Il devrait, par con- séquent, dans l'hypothèse d'une proportionnalité constante, sécréter 50 grammes de liquide aux périodes de surexcitation : pourtant alors il n'en donne que 7 à 8, c'est-à-dire le sixième de ce (pi'il semblciait devoir sécréter. Celui du porc pèse de 140 à iSO grammes. Il devrait conséquemmeut fournir 874 DE L\ DIGESTION. la moitié de ce que produit le pancréas du cheval et du bœuf, mais c'est à peine s'il donne 10 à io grammes dans chacune des premières heures, ou à peu près le dixième de ce qu'il devrait fournir. En présence de ces différences considérables, on se demande naturellement si elles existent bien en réalité, ou si elles résultent des perturbations provoquées par l'incision des parois abdominales, la lésion du canal excréteur, et quelquefois même par la lésion du tissu de la glande. La question est fort difficile à résou- dre. Sans doute, les manipulations que nécessite la formation d'une fistule doivent être considérées comme l'une des causes principales des différences dont nous parlons, d'autant plus que leurs effets varient suivant qu'elles ont été plus ou moins longues, douloureuses, et suivant le degré d'irritabilité des espèces. Ensuite, l'état de la sécrétion au début de l'expérience doit influer sensiblement sur son produit, qui pourrait bien ne pas être également abondant chez tous les animaux dont le pancréas a le même poids. S'il n'existe pas une proportion exacte entre le poids du pancréas et la quan- tité de liquide sécrété par cette glande, il n'y en a pas davantage entre cet organe et les autres du même genre, le foie et les glandes salivaires,par exemple. Ainsi, le foie qui, dans le cheval, pèse dix-huit à vingt fois autant que le pancréas du même animal, ne sécrète pas plus que ce dernier. La parotide, qui ne repré- sente que le vingt-sixième du foie, sécrète cependant cjuatre ou cinq fois autant que cette glande monstrueuse, et elle donne six fois autant que le pancréas, dont elle n'atteint pas le volume. Mais nous reviendrons plus tard sur les rapports d'activité qui existent entre les diverses parties du système glandulaire. En comparant le produit de la sécrétion pancréatique, non plus au poids de la glande, mais au poids de l'animal, on trouve entre les animaux sur lesquels on expérimente des différences assez considérables. D'après mes observations, le bœuf donnerait par heure et par kilogramme du poids du corps O^^Ô, le cheval 0^',7, le mouton 0e^5, le porc 0s%3, le chien, O^"",!, de sorte que la sécrétion décroî- trait de l'herbivore au carnassier. Ce rapport serait tout à fait changé pour le chien si l'on admettait la proportion que Kroger' déduit d'une seule expérience sur cet animal, expérience dans laquelle il aurait obtenu de 3 à 5 grammes de liquide par kilogramme, soit 89 grammes par kilogramme en vingt-quatre heures. Un tel produit qui correspondrait à 35 litres en vingt-quatre heures pour un cheval de taille moyenne est tellement éloigné des résultats de mes expériences, que je n'hésite pas à le considérer comme impossible. Je le cite seulement pour montrer à quelles monstrueuses exagérations certains observateurs se laissent conduire par le calcul basé sur des données fausses et exceptionnelles. Les faits qui précèdent nous permettent de saisir la physionomie distinctive de la sécrétion pancréatique, surtout chez les grands ruminants ; ils nous donnent les éléments nécessaires pour distinguer la sécrétion régulière de la sécrétion pervertie; enlin, ils nous font voir tout ce qu'a de bizarre l'action d'un organe qui semble se soustraire aux investigations du physiologiste. Recherchons, à présent, les caractères, la composition et l'action du fluide i)aucréatique. 1 . Milne Edwanls, Leçons sur l'oiiatoriik ni la p/i/js-iolof/ie cornparéea, t. VI, p. 52.3. RÔLE DU FLUIDE PANCRÉATIQUE. ^75 Propriétés et coiiipositio» «lu fliiicle i>ancréatl<|ue. — Ce li- (|iii(le pris dans le canal ex( réleiii-, iinniédiatemcnt après la mort, ou obtenu sur l'animal vivant, par une (istule, est incolore, sans odeur, d'une saveur un peu salée; il est souvent épais, visqueux, lilant comme la salive maxillaire et suscep- tible de mousser par l'agitation ; mais sa viscosité est très faible sur le cheval et le porc, et à peu près nulle sur tous les animaux lorsqu'il est produit longtemps après l'établissement de la fistule. Sa densité est de 1008 à 1010; sa réaction constamment alcaline chez les di- vers animaux, quel que soit le uionient de l'expérimentation ; son alcalinité paraît due au carbonate et au [)lios|>liate de soude. Ce liquide est extrêmement putrescible; il se trouble en se décomposant, dégage une odeur d'hydrogène sulfuré, et laisse précipiter, comme M. Robin l'a observé le premier sur le ciiien, des grains blancs formés d'aiguilles de sulfate de chaux, que j'ai trouvés depuis dans le suc pancréatique de tous les animaux domestiques. Soumis à l'action de la chaleur ou traité par un acide concentré, le suc pan- créatique donne des flocons d'apparence albumineuse, ou même se prend quel- (luefois en masse comme du blanc d'œuf. Sa coagulabilité, que Cl. Bernard a trouvée très marquée sur le chien, surtout immédiatement après l'établissement de la fistule, diminue à mesure que la sécrétion devient plus abondante, et finit par devenir à peu près nulle une fois que l'irritation s'est emparée du tissu de la glande. Elle est quelquefois très prononcée sur le bœuf et le mouton, mais le suc pancréatique du cheval, des autres solipèdes et du porc s'est montré incoagu- lable; il n'a donné qu'un léger trouble ou quelques flocons albumineux. La coagulabilité du suc pancréatique est due aune matière albumineuse, qu'on appelle depuis peu la pancréatine. Son degré est en rapport avec les proportions de cette matière, proportions qui varient beaucoup suivant les animaux et l'acti- vité de la sécrétion. En général, elle est à son maximum dans les premières quantités recueillies et tant que la sécrétion est très faible; alors le liquide sur le chien, le bœuf, le mouton, se prend presque en masse. Mais une demi-heure, une heure après l'établissement de la fistule, il ne donne plus que des flocons de moins en nloins volumineux. Toutefois, si la tislule ne commence à verser du liquide qu'au bout d'une demi-heure ou d'une heure, les premières quantités obtenues sont très coagulables et peuvent même demeurer telles si la sécrétion est longtemps languissante. L'extrême coagulabilité n'est donc i»as un caractère constant du suc pancréa- tique nornud; elle peut manquer sans que. pour cela, le liquide soit altéré. J'en trouve la j)reuve dans les résultats de [ilus de vingt-cinq expériences suivies à toutes leurs phases sur le bélier, le cheval, Tàne, le porc et le chien. On voit, en effet, chez les ruminants, par exemple, la sécrétion persister quelquefois pendant une semaine entière avec des caractères réguliers; les animaux manger, ruminer, et plus tard guérir à merveille, après la chute du petit appareil adapté à la listule. Or, à part les petites quantités de suc recueillies pendant les premières minutes de l'expérience, le reste ne se prend point en masse sous l'inlluence de la cha- leur : il donne seulement des fiocons albumineux, et de plus il émulsionne 876 DE LA DIGESTION. et aciditle les matières grasses à tous les moments de cette longue période. Je ne veux pas dire pour cela qu'on n'obtienne jamais dans les expériences un produit plus ou moins modifié et altéré. Sans doute, lorsque la sécrétion devient, sur le chien, excessivement abondante le second jour après l'opération, par le fait de la péritonite et de l'inflammation du pancréas, le produit de la glande n'est plus, à beaucoup près, semblable à celui de l'état normal. De même, lorsque, après une suspension de trois, quatre, cinq jours, la sécrétion se rétablit brus- quement, elle ne fournit pas tout d'abord un liquide identique à celui qu'elle donne, une fois que l'irritation du tissu glandulaire s'est entièrement dissipée. Dans ce cas, l'aspect trouble du suc et la présence de débris d'épithéliums indiquent assez qu'il n'a point encore recouvré ses caractères habituels. La composition du suc pancréatique est à peu près connue, mais elle n'a été déterminée jusqu'ici que pour le cheval, le chien et la brebis. Leuret et Lassaigne,en analysant celui qu'ils ont obtenu sur le cheval dans la première demi-heure de l'expérience, y ont trouvé 99,1 d'eau, 0,9 de matière ani- male soluble dans î'alcool, de matière soluble dans l'eau, d'albumine, de mucus, de soude libre, de chlorure de sodium, de potassium et de phosphate de chaux. Tiedmann et Gmelin ont trouvé dans celui de la brebis 96,3.5 d'eau, de l'os- mazôme, une matière caséeuse, beaucoup d'albumine, un peu d'acide libre, des carbonate, clilorure, phosphate, sulfure alcalins, du carbonate et du phosphate calcaires, 3,65. Celui du chien était épais, filant comme du blanc d'œuf étendu d'eau; il contenait une faible proportion d'albumine, 91,28 d'eau et 8,72 de parties solides. Bidder et Schmidt ont trouvé dans le suc pancréatique du chien, immédiate- ment après l'établissement de la fistule, de 844 à 900 d'eau pour 1000; 90 de substance organique et 8 de sels. Le chiffre de la matière organique est tombé à 23, à 15 et même à 9, une fois que la fistule est devenue permanente; alors ils ont obtenu la composition moyenne suivante, qui est loin de représenter, selon moi, celle du liquide pris dans de bonnes conditions, c'est-à-dire une heure ou deux après l'établissement de la fistule; elle exprime celle d'un liquide très aqueux produit sous l'influence d'une irritation chronique de la glande. Voici les deux analyses : I. II. Suc obtenu Suc obtenu inimédiateinenl par api-ès l'établissemeut la fistule de la fislule 1. permaueiite. Eau 900,76 980,45 Chlorure de sodium..- 7,35 2,50 Chlorure de potassium 0,02 0,93 Phospho,te de chaux 0,41 0,07 Phosphates de magnésie et de fer 0,12 8,12 Phospiiate de soude tribasique traces 0,01 Carbonate de soude et pancréaline 0,58 3,31 Carbonate de chaux et pancréatine 0,32 traces Carbonate de magnésie et pancréaline traces 0,01 Panoréatine 90,44 22,71 1. Ch. Robin, Lerjrms sur k'>i /twi/ieurs nornuilen et morbidtin, p. 533. Paris, 18G7. RULE DU FLUIDE PANCREATIQUE. 877 Ces grandes dilîérences dans les résultats analytiques tiennent à ce que les divers procédés employés ont donné des liquides fort dissemblables; dans un cas, peu abondants, épais, \isqueux, très chargés de matières organiques; dans un autre, très aqueux et pauvres en principes fixes; quelquefois plus aqueux encore, sous l'inlUience d'une irritation de la glande. Les matières organiipies du siicpancréaticiue que les i»remiers analystes avaient déjà trouvées multiples, le sont en elfet. La principale est celle (]u'on a appelée h panc?'éafine ou ladiaslase piiMriéali(|ue. Elle est coagulable par la chaleur et les acides, comme l'albumine ordinaire, précipitable par l'alcool, [lar les sels métalliques, puis susceptible, après dessiccation, d'être redissoute dans l'eau, el de reprendre toutes ses propriétés, d'émulsionner et de dédoubler les graisses. Cette matière, d'une extrême putrescibilité, n'est donc pas de rali)umine, comme on l'avait cru d'abord. Les autres matières organiques sont la leucine et la tyro- sine, qui prend par le chlore une teinte rosée. En somme, le fluide pancréatique est un produit spécial, non une espèce de salive, comme on l'avait conjecturé d'après des analogies de structure. Les re- cherches les plus récentes tendraient à le faire considérer comme un véhicule de trois ferments que M. Danihîwsky croit susceptibles d'être isolés. D'après lui, en précipitant l'un par la magnésie, on laisse au liquide la faculté d'agir sur les graisses; en précipitant le second par une addition de collodion, on lui fait perdre la propriété de modilier les matières albuminoïdes sans lui ôter son action saccbariliante. Les trois ferments qu'on dit exister dans le suc i)ancréatique ont chacun une action spéciale : l'un, l'amylopsine saccharifie la fécule, — l'autre, la stéapsine, dédouble les graisses, — le troisième, la trypsine, digère les matièies a/.ofées. Un quatrième est même ajouté à cette liste : il coagule la lait et convertit la caséine en peptones. Ces ferments s'obtiennent en traitant le tissu du pancréas par l'alcool, puis par la glycérine. Ils i)euvent être précipités de la solution glycérique par l'action de l'alcool. Ils ne contribuent point à donner au suc pancréatique la propriété d'émulsionner les graisses. Cette i)ro[)riété a|>piirlient, dit-on, à la pancréatine. Aussi le li(iuide traité nar la potasse perd tout pouvoir éuuilsif. Action (In suc i»anci>c».ti4|iic. — Le liquide sécrété par le pancréas a évideunneiit pour office de délayer le chyme, d'en neutraliser l'acidité, à titre de produit aqueux et alcalin. Mais son rôle essentiel parait être : l" de saccharilier la fécule; 2° d'émulsionner les matières grasses; 3" de contribuer, à un certain degré, à la dissolution des substances albuminoïdes. C'est à MM. Bouchardat et Sandras, ainsi qu'à Valenlin ', qu'on doit la décou- verte de l'action du suc |>ancréatique sur la fécule. Ces observateurs, en expéri- mentant sur le produit de l'infusion du tissu de la glande ou sur de petites quantités de suc prises dans les canaux excréteurs des oiseaux, ont vu les grains de fécule se rapetisser, se ramollir, donner de la dextrine et du sucre a\ec une 1. Bouchardat et Sandras, Des /'o>i<-tions du pancréas {Comptes vendus dr l'Academi' des sciences. 11 avril 1845, el Annan ire de tliérapcutique. 181G). 878 DE LA DIGESTION. grande rapidité. Ils ont reconnu que, dans l'intestin du lapin, ces grains sont attaqués et dissous à mesure qu'ils s'éloignent du duodénum, et que, chez le pigeon, leur dissolution, leur saccharification, sont déjcà complètes à la lin de l'intestin grêle. Tous les expérimentateurs ont vérifié ces faits. Après la ligature des canaux pancréatiques ou leur oblitération sous l'influence d'une injection d'huile, la fécule traverse l'intestin, inaltérée pour la plus grande partie. L'action saccharifiante du suc pancréatique, due à la matière précipitable par l'alcool, est beaucoup plus énergique que celle de la salive. Elle s'exerce sur la fécule crue comme sur la fécule cuite, et même, dit-on, sur la cellulose amylacée ; sa puissance est telle qu'il suffirait, d'après Kroger, de 1 gramme de suc pour dissoudre 4s%6 d'amidon. Chez les carnassiers, elle n'a pas grande importance, mais son utilité est capitale chez les herbivores, et surtout chez les oiseaux gra- nivores, où, par suite de l'absence des glandes salivaires, le pancréas a un double rôle à remplir. Aussi, si chez l'oie, le pigeon, le pancréas est extirpé, l'animal digérant fort mal les grains et autres aliments féculents, l'amaigrissement est très rapide, et arrive en quelques semaines ou en quelques mois à ses dernières limites, tandis que l'embonpoint se maintient, et que même l'engraissement se produit, par le fait de la substitution d'une alimentation azotée à l'alimentation ordinaire. C'est ce que j'ai vu dans des expériences postérieures à celles que j'ai faites avec la collaboration du si regrettable inspecteur général des Facultés de médecine. Au point de vue de son intervention dans la digestion des féculents, le suc pancréatique est donc physiologiquement une sorte de salive, et une salive des plus actives qui sert d'auxiliaire à celle des glandes annexées à la bouche, et qui la supplée lorsqu'elle manque complètement. Ce suc pourrait, à lui seul, saccharifier les 4 à 5 kilogrammes de fécule que renferme la ration d'un cheval en fourrage et en avoine, si la pancréatine ne devait pas être en partie réservée pour d'autres destinations. Le second office du fluide pancréatique est le plus important. Eberle\ en 1834, obtint, par l'infusion du tissu du pancréas dans l'eau, un liquide qui, mêlé à l'huile, la divisait en fines particules, la transformait en une émulsion, ou une sorte de crème ; il en conclut que le fluide pancréatique, outre sa faculté de délayer le chyme, a pour action d'émulsionner les graisses et de facUiter ainsi leur introduction dans les chylifères. Cette découverte, qui devait être connue de tous les physiologistes, au moins par une citation de Burdach^, a été attribuée à Cl. Bernard, lors de la publication de ses premières expériences. Cl. Bernard ^ dès 1848, a établi sur le chien une fistule au canal excréteur du pancréas, vers son insertion, et, sansiéser l'intestin, s'est procuré de notables quantités de fluide pancréatique. Il a reconnu que ce liquide, agité avec une demi-partie d'huile d'olive, donne une émulsion crémeuse homogène, persistante, 1. Eberle, Physiol. der Werdauung. Wùrzburg, 183d. Voy. Longet, t. I, p. 305. •2. Burdach, Traité de ph.ysiolof)ie, t. IX, p. 380. 3. Cl. Bernard, Du suc pancréatique et de son rôle dans les phénomènes de la digestion {Archives de méd., janvier i8d9), et Mémoire sur le pancréas (Suppit'ment aux Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1850). RÔLK nu TLUIDE I'ANCRÉATIQUE. 87'J (|ui, au huiil de quelques heures, est devenue acide. En donnant au lapin dos aliments chargés de graisse, il a vu le chyle blanc énnilsionné seulement à compter de l'insertion du canal pancréatique. Enfin, après avoir oblitéré le con- duit pancréatique ou extirpé le pancréas, il n'a plus retrouvé de chyle blanc dans les lactés, et a vu les graisses données aux chiens rendues inaltérées avec les excréments, puis survenir raniaigrissement et la mort dans un délai très court. Il a tiré de ces faits les conclusions suivantes : 1» le suc pancréatique émulsionne les graisses; 2° il les acidifie, c'est-à-dire les dédouble en acides gras et en glycérine; 3° en son absence, les matières grasses cessent d'être absorbées, par conséquent il n'y a plus de chyle blanc dans les vaisseaux lactés; 4" de là des troubles de la nutrition, le marasme et la mort. Il s'agit de voir si ces con- clusions sont inaltaquahles. Sur le premier point, il ne peut s'élever aucun doute : le suc pancréatique^ comme l'avait montré Éberle, à l'aide de son infusion de pancréas, émulsionne; il émulsionne parfaitement et rapidement. Cl. Bernard l'a vu maintes fois sur le chien; et dès 1851, en établissant des fistules à tous les animaux domesti- (pies, j'ai constaté que le suc pancréatique du cheval, de l'àne, du bœuf, du mouton, du porc, émulsionne comme celui du chien, mais à des degrés varia- bles, suivant les espèces et les moments de l'expérimentation ; que cette émul- sion se fait bien avec deux à trois parties de suc pour une partie dhuile quand il est très épais, comme sur le bœuf et le bélier dans les premiers moments, et (|u'elle est moins complète, non homogène, avec celui du cheval, de l'àne et du i)orc. Mais, en quoi consiste cet émulsionnement et quelle est sa signification? Au premier aspect et à l'œU nu, c'est la transformation de la graisse en une ma- tière homogène, blanche, crémeuse. En réalité, c'est une simple division ou réduction de la graisse en gouttelettes assez petites à l'u'il nu, quoique au n)i- croscope elles soient énormes, cinquante ou cent fois plus grandes que les [•articules graisseuses qui rendent le chyle lactescent, et qu'un fort grossissement montre en suspension dans le sérum de ce liquide. Il ne peut être (ju'un des préliminaires de l'absorption, suivant la réilexion judicieuse de M. Milne Ed- wards, une modiliealiou qui la facilite : ce n"en est pas une condition suffisante, sans laquelle, co le le croit Cl. Bernard, les matières grasses ne pourraient entrer dans les chylifères. D'ailleurs, cet émulsionnement n'est pas le résultat d'une piopriété exclusive au suc [tancréalique. Il peut être produit, (pi'elle qu'en soit l'utilité, par la bile et par le suc intestinal ; car si de l'huile d'olive est injectée dans une anse d'intestin préalablement vidée et circonscrite entre deux ligatures, elle s'y retrouve au bout d'une demi-heure ou d'une heure sous forme d'émul- siou. Aussi, comme nous le verrons, les graisses s'idjsjorbent parfaitement sans le concours du finide [lancréatique. L'acididcation des graisses par le suc pancréatique, agité avec elles dans un tube, est une autre modification incontestable (|ue le papier ou la teinture de tournesol indique, modification à laquelle Bernard a attaché une grande impor- tance, et que, depuis, M. Berlhelot a étudiée avec soin; malheureusement, cette acidification, ce dédoid)Iement en acides gras et en glycérine qui se produit au contact de l'air n'a [)as lieu dans l'intestin, et par eouséquenl ne doit [las 880 DE LA DIGESTION. nous arrêter. MM. Bidder et Sclimidt ont nourri des chats au beurre sans trouver d'acide butyrique ni dans l'intestin ni dans le chyle. MM. Bouchardat et Sandras ont également retrouvé dans le chyle l'huile d'amandes douces, l'axonge, le suif non dédoublés. J'ai moi-même, à plusieurs reprises, obtenu par l'éther les graisses du chyle de taureaux ou de vaches à iistule pancréatique, graisses parfaitement neutres que j'ai mises en grands échantillons sous les yeux de l'Académie de médecine. Lassaigne^, qui a analysé à ma prière le chyle de deux vaches à fistule pancréatique, en le comparant à celui de deux autres nour- ' ries de la même manière, a reconnu que ces graisses étaient neutres sur les pre- mières comme sur les secondes, et identiques, en un mot, avec les graisses dans les conditions ordinaires. Entin, Wurtz, qui depuis I806 a examiné un grand nombre de spécimens de ces chyles obtenus sans le concours du fluide pancréa- tique, n'y a jamais constaté le dédoublement des graisses. Actuellement encore un jeune chimiste russe, le docteur Dobroslawine, qui a examiné au laboratoire de la Faculté des chyles obtenus dans mes expériences sans le concours du fluide pancréatique, est arrivé aux mêmes résultats. Je puis ajouter que, dans des études récentes, l'émulsion prise dans l'intestin des chiens qui avaient reçus de l'huile d'olive quelques heures auparavant n'était point acide. C'est donc à l'état neutre que les graisses sont absorbées, et à l'état neutre qu'elles se retrouvent dans le chyle. Le dédoublement qui se produit à l'extérieur, dans des tubes, au contact de l'air, est donc un phénomène insignifiant, étranger au travail digestif: il paraît empêché dans le tube intestinal par la réaction du chyme. Sur le troisième point, à savoir que les graisses ne seraient pas absorbées et qu'il ne se formerait plus de chyle blanc en l'absence du suc pancréatique, l'ex- périmentation est en désaccord complet avec la doctrine de Bernard. Si, après la ligature du canal pancréatique, les chiens rendent avec les excréments beau- coup de graisse non altérée, c'est qu'ils en ont reçu une trop grande quantité, et que, d'ailleurs, la péritonite et l'irritation intestinale, si souvent consécutives à l'opération sur le chien, ont restreint l'absorption déjà très limitée des matières grasses. Si, d'autre part, sur le lapin digérant des aliments riches en graisse, on ne voit les chylifères injectés en blanc qu'à partir de l'insertion du canal pancréatique, à 40 ou 50 centimètres du pylore, c'est qu'avant ce point le mé- sentère est étroit, rempli par le pancréas, et à peu près dépourvu de vaisseaux lactés, où du reste même l'injection blanche peut quelquefois se voir et a été vue par MM. Bidder et Schmidt. Enfin, les nombreuses expériences ^ que j'ai faites sur les carnivores et sur les grands ruminants, puis répétées, soit devant la commission de l'Académie de médecine, soit devant M- Bérard, qui en était le rapporteur ^ sur trente-six chiens, cinq taureaux, quati'c vaches et ti'ois chevaux, ont surabondamment démontré que les animaux dont le lluide panci'éatique n'arrive plus à l'intestin» depuis plusieurs jours ou plusieurs mois, absorbent parfaitement les graisses 1. G. Colin, Comptes rendus de L'Acad. des sciences, 7 juillet 185G, t. XLIII. 2. G. Colin, De la diç/estion et de Vahsorption des niatières grasses sans le coyicouvs du fluide pancréalif/ne {Bull.de l'Acad. dcméd., 1''' juillet 1856). 3. Rapport du professeur Bérard (Bull, de PAcad. de méd., 21 avril 1857). R(JLE UU FLUIDE rANCRÉATlQUE. 88l et donnent du chyle blanc, où ces matières sont presque en proportion normale. Mais il nous fut objecté, en ce qui concerne les animaux de l'espèce bovine, que nous avions négligé un petit canal capillaire s'ouvrant en avant du premier dans le cholédoque. Sur (piator/e pancréas de bétcs bovines que nous injec- tâmes à l'essence de térébenthine, quatre seulement l'offrirent, et il était fort petit ; conséquemment, si quelques-unes de mes expériences étaient entachées d'erreur, les deux tiers demeuraient irré[>rochables. En outre, comme dans toutes, le canal principal portait un tube ouvert à l'extérieur, rien n'obligeait le fluide pancréatique à refluer dans le petit, qui devait verser seulement des quan- tités négligeables. Au sur[)Ius, ce petit canal, dont on a fait grand bruit, pour atténuer la portée de mes recherches, est souvent, de l'aveu de M. Bernard lui- même, sans communication avec l'autre, ou ne communique avec lui que par des voies capillaires ; il n'est, dans beaucoup de cas, que le canal excréteur d'un petit nombre de granulations accolées au conduit cholédoque. S'il peut verser de quoi émulsionner im verre de chyle, il n'en charrie pas assez pour rendre blanc ou opalins les 50 ou 60 litres et plus que donne un taureau ou une vache en vingt-quatre heures ^ On nous a fait cette autre objection, que si le chyle des taureaux et autres ruminants se charge de graisse sans l'intervention du suc pancréatique, c'est parce que les aliments donnés à ces animaux contenaient les graisses déjà émulsionnées. Si l'objection était fondée, elle impliquerait une bien faible utilité du pancréas chez les herbivores. Mais elle ne l'est pas : les graisses, quoique extrèmementr divisées dans les grains, tels que l'avoine, et dans les rési- dus des graines oléagineuses, ne conservent pas cet état dans le chyme ; elles se rassemblent dans l'estomac en grosses gouttelettes qui surnagent les liquides et s'y tiennent en suspension, comme les huiles se séparent des autres parties de la graine soumise à l'action du |)ressoir; c'est dans l'intestin grêle qu'elles se fractionnent de nouveau et se divisent en fines particules susceptibles d'être absorbées. Aussi cette émulsion dans les aliments ne peut-elle tenir lieu de l'émulsion qui doit se produire dans l'intestin, si tant est que celte dernière soit indispensable à l'absorption. Enfin, on nous a objecté qu'en l'absence du suc pancréatique, les graisses pouvaient être encore émulsionnées par des granulations pancréatiques repré- sentant un pancréas secondaire dans l'épaisseur des parois intestinales. Or, cette objection se trouvait réfutée d'avance par mes expériences, qui prouvent que le suc des glandes de Brunner, ou du prétendu pancréas secondaire, ne possède pas de faculté émulsive. Toutes ces objections tombent devant le fait incontestable de l'absorption des graisses sans suc pancréatique, fait qu'on peut constater très facilement sur le chien, en injectant de l'huile dans l'intestin quelques heures après la ligature du canal pancréatique, à l'exemple de Frerichs, llerbst, Lenz, Bidder et Schmidt, ou mieux quelques jours après cette ligature, comme dans mes expériences exécu- tées sous les yeux du professeur Bérard. 1. Voyez sur ce point une lecture de M. Bérard (Bull, de l'Acad. de mcd., 4 août 1857). (1. cOLi:». — Physiol. comp., 3' édit. I — 5(5 882 DE LA DIGESTION. Sur le dernier point relatif à l'intervention du suc pancréatique dans la diges- tion des graisses, Bernard prétend que chez les animaux dont le suc ne coule pas dans l'intestin, la nutrition éprouve une si profonde atteinte, qu'il en résulte, dans un bref délai, le marasme et la mort. Mais encore ici mes propres recherches donnent des résultats très opposés aux doctrines de l'habile physio- logiste. Sans doute les animaux auxquels M. Bernard a injecté du suif fondu dans les canaux du pancréas, pour les oblitérer, ont pu mourir dans le marasme, comme ceux auxquels il a essayé d'enlever la totalité du pancréas. Seulement ces animaux sont morts, non faute de suc pancréatique dans l'intestin, mais par suite de la péritonite et de l'irritation gastro-intestinale produites par ces deux opérations. Avec des combinaisons plus heureuses et plus persévérantes, on voit que l'atrophie et la suppression du pancréas n'ont point par elles-mêmes de telles conséquences. En effet, Brunner\ il y a deux siècles déjà (1673), a pratiqué huit fois l'ex- tirpation du pancréas avec succès sur le chien, et il l'a faite avec beaucoup d'intelligence, non dans le but de supprimer la totalité de la glande, mais d'in- tercepter toute communication, tout u commerce » entre elle et l'intestin. Ses deux premières victimes s'échappèrent, l'une au bout d'un mois, l'autre de trois. Un troisième chien que l'opération avait mis en appétit, s'en allait voler la viande à l'étal de son ancien maître; le quatrième, installé chez un chirurgien, s'engraissait en faisant la chasse aux poules. Sur le dernier, le petit canal avait échappé au scalpel de l'opérateur. Mais sur l'avant-dernier, le voleur de viande, une minutieuse autopsie montra que la portion restante du pancréas n'avait plus aucune communication avec l'intestin. Nous avons, en 18S7^ songé à répéter les tentatives deBrunner en cherchant à mieux faire encore, et nous y avons réussi. Le pancréas, sur de très jeunes animaux, chiens, porcs, oiseaux de basse-cour, a été enlevé presque tout entier, sauf la petite portion couchée sur la veine porte, ou l'analogue de l'anneau des grandes espèces, et la totalité a été extirpée sur les oiseaux. Or, nous avons constaté sur ces animaux, comme on va le voir, précisément le contraire de ce qui avait été annoncé. De six chiens de chasse de la même portée, cinq ont été privés des ,quatre cinquièmes de leur pancréas ou des deux portions ascendante et descendante portant les deux canaux, entre le tronc de la veine porte et le duodénum : les uns à l'âge de quinze jours, les autres à trois semaines, le sixième a été con- servé comme terme de comparaison. Ces jeunes animaux ont peu souffert; ils ont conserve leur gaieté, leur vivacité, n'ont pas eu de selles graisseuses et se sont développés régulièrement. Leur poids total, lors de l'opération, était de 4692 grammes ; il avait augmenté de 1 845 grammes au bout de huit jours, puis dans les semaines suivantes de 2 770, 2210, 1 270, 2 320, 2 670. Après deux 1, Brunner, E.ipnrimenta nova circa panereas. Amsterdam, 1783. 2. Bérard el Colin, Mém. sur l'extirpation du pancnUis {liiill. de C Acad.de méd.,lQ^il). — Mémoire sur les effets de V extirpation du pancréas {Bull, de l'Acad. de rnéd., 19 jan- vier 1858). RULE DU FLUIDE PANCREATlnLE. ^H-'J mois, raugmentation totale était de 13 448 grammes. Ils pesaient alors 18 140^', soit à peu près quatre fois leur poids initial. Quatre d'entre eux, à la fin du cin- quième mois, étaient mugiiifiquos et pesaient de 10 à 14 kilogrammes; en somme, 49 540 grammes, suit lOO livres ou 14 fois leur poids au moment de l'opération. Ils étaient gais, de bon appétit, n poil luisant, passablement mus- clés, et de cet embonpoint moyen des jeunes chiens de chasse dont on ne prend l)as un soin excessif; ils digéraient bien les mélanges de pain et de viande qui constituaient leur nourriture habituelle. Trois d'entre eux furent tués et disséqués au bout de six mois sous les yeux de la commission de l'Acudéiuie de médecine. Sur les deux premiers, un mésen- tère transparent séparait le duodénum de la partie restante du pancréas; celle-ci était atrophiée, fibreuse, un seul petit grain restait adhérent, mais sans commu- nication avec l'intestin. Sur le troisième, l'extirpation avait été plus nette en- core; il ne restait aucune trace de granulations près de l'intestin ni sur le trajet du canal cholédoque. Enlin, sur tous, les lactés, la citerne de Pecquet et le canal thoracique renfermaient du chyle blanc, laiteux, comme dans les conditions ordi- naires. Les mémos résultats ont été obtenus sur les porcs. Des deux opérés, l'un, tué au bout de deux mois, avait un kyste à l'extrémité du pancréas plein de suc pancréatique, mais sans communication avec l'intestin; r.uitre, quoique assez mal nourri, avait, au bout de six mois, gagné 25 kilo- grammes, pris une couche de lard de 3 centimètres : un mésentère transparent s'était formé entre le duodénum et la portion atrophiée de la glande autour de la veine porte; il ne restait pas de traces ni du canal principal, ni de l'accessoire; du chyle blanc remplissait la citerne. Quant aux palmipèdes, conservés pendant cinq mois après l'opération, ils ne paraissaient pas s'entretenir convenablement avec des grains et du son. Mais le canard doubla de poids et prit de l'embonpoint à compter du moment où il reçut des hachis de pain et de viande; son plumage était brillant et lustré. A l'au- topsie, il ne présenta aucun vestige de pancréas. L'oie laissée au régime du grain et du son mourut fort maigre. Nous avons vu plus haut pourquoi les oiseaux granivores qui n'ont pas de glandes salivaires pour la digestion des féculents souiïrent de la perte du pancréas. Ici la digestion des graisses est hors de cause, puisqu'elle se fait bien si l'oiseau reçoit une alimentation animale. Indépendamment de ces expériences dont les résultats ont été constatés publi- quement, je pourrais en citer d'autres dans lesquelles les chiens privés de pan- créas, dès leur jeune âge, ont été conservés vigoureux, en boime santé, pendant plusieurs années et chassant avec ardeur; mais les premiers sullisent à ma thèse. En résumé, les expériences à extirpation du pancréas, comme celles dans les- (pu'lles le suc pancréatique est versé pendant longtemps à l'extérieur sur les grands ruminants, le porc, le chien et les oiseaux, démontrent, d'une manière claire, irréfutable, qu'en l'absence de ce fluide, les graisses des aliments végétaux ou animaux sont digérées, puis absorbées par les cliylifères; que, dansées conditions, les animaux n'ont pas de selles graisseuses, vivent, se développent régulière- ment, prennent même de l'embonpoint s'ils sont à un régime convenable ; elles 884 DE LA DIGESTION. établissent, par conséquent, que le pancréas n'a pas, quant à la digestion des matières grasses, le rôle spécial qui lui avait été exclusivement attribué. Arrivons à la troisième action digestive attribuée au fluide pancréatique, celle qui est relative à la dissolution des matières azotées. D'après quelques indications de Purkin je, de Pappenheim, et surtout d'après les expériences de M. Lucien Gorvisart, le fluide pancréatique exercerait sur les matières albuminoïdes une action dissolvante analogue à celle du suc gastrique. En mettant en contact des morceaux de muscles, des coagulums albumineux avec le suc pancréatique ou le liqude provenant de l'infusion du pancréas dans l'eau, M. Gorvisart a vu ces matières se dissoudre en deux ou quatre heures, à la tem- pérature de-f. 42" à 45°, quelle que fût leur réaction acide ou alcaline. Gette action a été plus marquée sur la viande cuite que sur la crue, et elle a paru quel- quefois plus rapide que ceUe du suc gastrique. Le liquide obtenu quatre àcinqheures après le repas la posséderait à son maximum d'énergie. Enfin, son résultat serait la formation de peptones, de sorte que la pancréatine serait un ferment analogue à la pepsine, mais susceptible d'agir dans un milieu alcalin. Meissner, Brinton, Funke, sont venus ajouter quelques faits à l'appui de cette manière de voir, tout en faisant remarquer que le suc pancréatique, qm se putréfie très vite, pourz'ait altérer les matières albuminoïdes par sa putréfaction même. M. Milne Edwards, qui a suivi quelques expériences à ce sujet, regarde l'ac- tion du suc pancréatique sur les albuminoïdes comme faible et y attache peu d'importance. Je suis fort disposé, d'après ce que j'ai vu, à me rallier à celte opinion, car les chiens et les oiseaux privés de leur pancréas digéraient bien la viande, et même mieux que les matières féculentes. Gependant les jeunes chiens qui en recevaient une forte ration à l'état cru, en rendaient souvent d'inaltérée ayant conservé sa couleur rougeâtre ; mais depuis j'ai recoimu qu'il en est souvent ainsi chez les jeunes animaux de cette espèce, dans les premiers mois qui suivent le sevrage, par suite d'une dilatation outrée de l'orifice pylorique. D'après M. Béchamp, au contraire, l'action du suc pancréatique sur les matiè- res albuminoïdes aurait une grande importance ; mais ce savant chimiste, dans ses digestions artificielles a employé, au lieu de suc pancréatique, ou même d'infusion du tissu glandulaire, ce qu'il appelle les microzymas du pancréas. II les obtient par trituration, lévigation et décantation de la pulpe de la glande, puis il les fait agir sur les matières albuminoïdes. Ges corpuscules très petits, de nature albumineuse, sont inaltérables dans l'eau, insolubles dans l'acide chlorhy- driqueet dans l'acide acétique. En les faisant agir sur les albuminoïdes solubles ou insolubles, musculine, osséine, caséine, il les digèrent en quelques heures, non pas en donnant, comme le fait le suc gastrique, des peptones, mais des pro- duits cristallisables , leucine, anthine, hypoxanthine, tyrosine. Leur activité ne s'épuise pas à une première digestion; elle persiste pendant plusieurs opé- rations successives. Aussi cette activité semblerait indiquer, d'après M. Béchamp, que les granulations sécrètent un ferment, la pancréazymase, qui jouirait de toutes les propriétés du fluide pancréatique produit par la glande pendant la vie. En somme, et au |)oint de vue de l'ensemble de ses propriétés, le suc pancréa- liquf! n'a |)as une fonction (jui lui appartienne à l'exclusion des autres liquides RÔLE DU FLUIDE PANCRÉATIQUE. 88o digestifs. C'est une salive dont le pouvoir saccharifiant est très énergique, c'est un liquide émulsionnant les graisses et peut-rtte un dissolvant des albuminoïdes. Chacun de ses offices peut avoir plus ou moins d'importance, suivant la nature des aliments et l'organisation de l'appareil digestif. Il est surtout une salive pour les oiseaux qui manquent de glandes salivaires, un fluide émulsionnant pour les cainassiers qui ont les aliments riches en graisse, et il a peut-être tous ses rôles d'une importance égale chez les herbivores, en devenant l'auxiliaire de la salive, de la bile et du suc intestinal qui, à leur tour, peuvent, commeIoditM.Milne-Ed\vards,produiredes effets analogues aux siens. Il y a certainement encore des études très intéressantes à entreprendre pour arriver à saisir ces nuances fonctionnelles. Si j'en juge par quelques tentatives n'centes que je me propose de suivre plus tard, l'importance du pancréas est moindre chez l'oiseau de proie que chez l'oiseau granivore, moindre chez les uianimifères que chez les oiseaux en général, et l'anatomie comparée semble indi- ([uor qu'elle est faible chez les poissons, où, chose singulière, l'état rudimentaire (lu jiancréas coïncide avec une très grande aptitude à l'assimilation des graisses. C'est à la chimie qu'il appartient de nous dire si la triple action du suc pan- créatique tient à la pancréatine, ou si elle résulte de plusieurs ferments allectés chacun à un office spécial. III. — RÔLE DES FLUIDES INTESTINAUX. Aux fluides modificateurs de l'aliment, à la salive, au suc gastrique, à la bile, au suc i)ancréatique, que nous avons étudiés, quanta leur composition et à leur action, s'ajoute un liquide particulier désigné sous le nom de s//c intestinal. C(> fiuide, dont llalier, Bichat et tous les physiologistes ont admis l'existence avant qu'elle fût démontrée, doit être un produit complexe, car il y a dans l'in- testin les glandes de Brunner sous-jacentes à la muqueuse duodénale, les glandes de Peyer, les glandes tubuliformes deGaleati, et enfin les follicules solitaires du ca?cum et du côlon. Très probablement ces divers organes ne sécrètent point un lluide identique. La muqueuse intestinale send)le n'être qu'une vaste glande, un immense tapis glanduleux dont la sécrétion peut être plus ou moins abondante, suivant le régime des animaux., la nature et la quantité des matières alimentaires qui se trouvent en contact avec sa surface libre. Les plus petits de ses organes sécréteurs sont les glandes tubuliformes décrites par Galeatiet Lieberkiiuh. C(>s glandes existent dans l'intestin grêle et dans le gros intestin, où elles se i)résenlent sous l'aspect de petits cylindres creux pressés les uns contre les autres. Chacune d'elles est terminée en cul-de-sac dans l'épaisseur de la nuupieuse et s'ouvre par un petit orifice à la surface libre de la membrane qui, vue au microscope, est criblée d'ouvertures, tant les glandes sont nombreu- ses et rapprochées. L'imagination s'effraye du nombre infini de ces petits tubes sur une surface aussi vaste que celle de la muqueuse intestinale qui mesure, comme nous l'avons dit [)récédemment, une étendue de plus de 8 mètres carrés sur le bonif et de près de 12 mètres sur le cheval. L'existence de ces millions de glandes 886 DE LA DIGESTION. tubuliformes suffit pour faire soupçonner une abondante sécrétion. Nous verrons bientôt que celle-ci est considérable et qu'elle est la principale source du suc intestinal. Outre ces glandes microscopiques, qui se trouvent dans toutes les parties du tube intestinal, il y a des glandes spéciales dans le duodénum, d'autres dans le reste de l'intestin grêle et dans le gros intestin. Les glandes de Brunner, qui forment, sous la muqueuse du duodénum, une belle couche jaunâtre, continue avec elle-même, résultent de l'agglomération de petits grains qui se réunissent en nombre assez considérable pour former de petites grappes, dont chacune porte un canal excréteur commun ouvert à la surface libre de la membrane. Elles sont énormément développées chez les solipèdes, mais beaucoup moins chez les ruminants et les animaux carnassiers. FiG. 122. — Glande de Peycr du cheval, Imc. 12;j. — Glandes de Payer de grandeur naturelle, du dromadaire. Les glandes de Peyer appartiennent à l'intestin grêle de tous les mammifères. On n'en trouve dans le gros intestin qu'un très petit nombre et chez quelques espèces seulement. C'est à partir de 1 à 2 mètres du pylore (prelles apparaissent chez les solipèdes et les ruminants sous la forme de plaques plus ou moins grandes, inégalement disséminées, au bord convexe du cylindre intestinal. Elles s'offrent sous l'aspect de gaufres irrégulières, déchirées dans les solipèdes (fig. 122 et 123), arrondies, discoïdes chez le chien, le chat, le renard, le lièvre; rubanées chez le bœuf et le porc; ovalalres dans le dromadaire et le chameau. RÙLK DES FLUIDES INTESTINAUX. 887 Elles sont fort petites chez le dromadaire, plus grandes chez les solipèdes, plus encore chez le porc; enfin, elles s'offrent avec des dimensions énormes chez le bœuf, oi!i elles ont 10, 15, 25, et jusqu'à 30 centimt''lr('s de longueur sur une largeur de 1 à 2 centimètres. On en compte un nombre très variable, suivant les animaux, Le chat en a 5 ou G ; le lapin, de 6 à 8 ; le chien, de lij à 24 ; le porc, de 24 à 33 ; le bouc et le bélier, di; 28 à 35 ; le bœuf, de 40 à 50 ; le cheval, de 100 à loO, et le dromadaire plus de 700. Ces glandes sont constituées par un certain nombre de petites capsules arron- dies, visil)les à l'œil nu, sans ouvertures, logées une à une au fund des dépres- sions de la plaque. Elles sont disséminées d'une manière très irrégulière. En général, les plus petites se trouvent dans la première moitié de l'intestin grêle chez les solipèdes et les ruminants domestiques; les plus grandes se voient à la dernière portion. La plus considérable de toutes occupe l'iléon et se continue habituellement sur la saillie de l'intestin grêle dans le caicum; elle a 15 à 20 cen- timètres chez le mouton et la chèvre, 20 à 25 chez le chien, 40 à oO chez le bœuf; enfin, elle n'a pas moins de 1 mètre 1/2 à 2 mètres, et quelquefois plus, dans l'espèce du porc. L'espace le plus considérable qui existe entre les glandes de Payer est celui qui se trouve entre les deux dernières ; il est généralement de 2 mètres pour le bélier, et de 4 à 5 pour les grands ruminants. Ces glandes se trouvent en petit nombre dans le ca:cum et à l'origine du côlon de quelques animaux : les ruminants, le lapin, le lièvre et le porc, par exemple. Enfin, la muqueuse du gros intestin porte un autre ordre d'organes sécré- teurs api)elés follicules solitaires. Ceux-ci, à peine visibles à l'œil nu chez le cheval, sont très gros chez le Ixinif, le porc et les animaux carnassiers, lis ne deviennent bien apparents chez les solipèdes que dans certaines circonstances, comme sur les sujets qui meurent de faim. Parfois ils s'hypertrophient au point de devenir comme de petites lentilles rosées, dont le centre est percé d'une large ouverture pleine d*' mucus. Le nMe de c(>s organes sécréteurs, dont le développement et la disposition offrent tant de variétés, suivant les animaux, peut-il être déterminé? Leur pro- duit a-t-il des caractères uniformes et une composition identique? Les physiolo- gistes s'épuisent en conjectures à cet égard; mais leurs dissertations ne peuvent rien nous apprendre de positif. Il faut demander aux expériences ce qui, sans elles, demeurerait toujours un impénétrable mystère. Le liquide pris dans l'intestin des chevaux à jeun, analysé par Tiediiuuin et Gmelin, et considéré comme du suc intestinal, était évidemmeut un mélange de la salive et des fluides gastriques parvenus à l'intestin, avec la bile, le suc pancréa- tique et le suc intestinal associés aux boissons et aux principes solubles des aliments qui demeurent si longtemps dans l'intestin des herbivores. Aussi les expérimen- tateurs allemands ont-ils trouvé à ce produit une composition très variée. Us y ont vu un peu d'aci.le libre dans la première moitié de l'intestin grêle; du mucus, de l'albumine, une matière caséeuse. de la matière salivaire et del'osmazome; une autre matière qui rougit par le chlore; de la résine biliaire, un peu de graisse; une substance acide et azotée analogue à l'acide allantoïque; des phosphate, chlo- rure, sulfate et carbonate alcalins ; du plios[diate, du carbonate de chaux et de 888 DE LA DIGESTION, magnésie. Depuis l'époque à laquelle cette analyse a été donnée, les physiologistes se sont fait des idées très fausses sur le produit des sécrétions intestinales. Quel- ques-uns l'ont supposé analogue au suc gastrique, à cause de la ressemblance qui existe entre les glandes tubuleuses de l'estomac et celles de l'intestin. D'autres, Blondlot est de ce nombre, l'ont regardé comme un simple mucus à réaction alcaline. Frerichs,puisBidderetSchmidt, en comprimant entre deux ligatures une anse d'intestin grêle de 4 à 8 pouces de longueur, avaient ensuite essayé de recueillir ce suc ; mais comme ils opéraient sur le chat, ils ne réussissaient pas, même en une période de quatre à six heures, à en obtenir assez pour l'analyser. Ce qu'ils pre- naient dans l'anse était une matière épaisse, \isqueuse, constituée essentiellement par du mucus et de la bile; c'étaient plutôt les matières demeurées adhérentes à la muqueuse qu'un produit formé à compter de l'occlusion de l'anse intestinale. En employant sur les grands animaux un procédé analogue, très simplifié, j'ai réussi à obtenir ce suc assez pur et en quantité suffisante, tant pour les analyses que pour les digestions artificielles. Voici en quoi il consiste. Sur un cheval en pleine digestion et debout, je fais au flanc gauche une inci- sion de 8 à 10 centimètres; incision par laquelle j'attire une petite partie d'une anse d'intestin grêle. Dès que j'ai saisi celle-ci, j'applique sur elle un petit appa- reil composé de deux lames métalliques enveloppées chacune d'un ruban de velours et se rapprochant par deux vis de pression que l'on fait mouvoir tant que les parois de l'intestin ne sont point parfaitement en contact. Une fois que le com- presseur est fixé, je soulève l'anse de manière à faire descendre progressivement les matières alimentaires, toujours très délayées, et je la presse doucement entre les doigts à partir du point intercepté jusqu'à ce qu'elle soit débarrassée de son contenu sur une longueur de 1 mètre 1/2 à 2 mètres; puis, sans déplacer les doigts, j'applique là un second compresseur semblableau premier. Enfin, j'achève de faire rentrer dans la cavité l'anse qu'un aide y réintroduisait à mesure qu'elle devenait libre, afin qu'elle ne fût pas exposée au contact de l'air, et aussitôt je ferme la plaie du flanc. Par cette opération simple, qui s'exécute en quelques minutes et sans aucune difficulté, on a complètement privé de son contenu une anse intestinale qui n'a plus aucune communication avec le reste de l'intestin (fig. 125). C'est dans son intérieur que s'accumule le suc intestinal. Les parois de l'organe n'ont été nulle- ment lésées. Les deux compresseurs, serrés modérément, ne blessent point les membranes sur lesquelles ils portent par l'intermédiaire d'une garniture de velours. La circulation n'est en aucune flicon troublée, puisque les petites anas- tomoses de l'anse intestinale sont en dehors des points interceptés. Au bout d'une demi-heure on tue l'animal par l'efl'usion du sang, on laisse descendre, par son propre poids, à une extrémité de l'anse, le liquide sécrété dans son intérieur, et on le retire à l'aide d'une petite ponction. La quantité de suc intestinal qu'on obtient ainsi est assez considérable. Elle m'a paru, d'après la moyenne d'un gi-aïul nombre d'expériences, de 80 à 120 grammes en une demi-heure, pour une longueur de 2 mètres d'intestin grêle. Elle est beaucoup moindre chez les sujets dont la digestion intestinale est suspendue, mais KOLE DI-:S FLUIDES INTESTINAUX. S8i) elle est plus considérable si l'on a injecté dans l'anse préalablement vidée une quantité connue d'une solution de manne, de sulfate de soude et d'aloès. Le suc ainsi obtenu est mêlé à un pou de mucus qui s'en sépare par le repos 'l..^ i FiG. 124. — Goniprcsseur ialestinal. ou la fiUration. 11 est presque clair, d'une teinte assez jaunâtre. Sa saveur est légèrement salée, et sa réaction alcaline. M. Lassaigne, qui a bien voulu, à ma prière, en faire l'analyse, l'a trouvé composé de : eau, 98,1 ; albumine, 0,4o; chlorure sodique, chlorure potassique, phosphate et carbonate sodiqucs, 1,413. Sa densité est do l ,1>1() à la température de 15 degrés centigrades. Quelques chimistes FiG. 125. — Anse inlesliiiale pif|niiée pour reiiii'illif le suc entériquc. y ont trouvé 3,2 pour 100 de matières solides, une matière précipitable par l'alcool, apte à se redissoudre dans l'eau, mais non préci[)itable par les acides minéraux et le sublimé. Les éléments figurés quil itouf [irésenter, globules muqueux, granules divers, lui sont étrangers. Le suc intestinal, si pur qu'il soit, est encore un liquide complexe, car dans une anse intestinale se trouvent, avec les glandes de Galeali, les glandes agminées ou les plaques de Peyer, et, de plus, si l'on se rapfiroche de lestoniac, des glandes de Brunner. Or, ne pourrait-on pas pousser l'analyse plus loin, et 890 DE LA DIGESTION. parvenir, jusqu'à un certain point, à démêler, à isoler ces trois produits, à sup- poser qu'ils ne soient pas identiques? Les glandes deBrunner sont énormes chez le cheval. Pour en obtenir le produit, j'ai lié les canaux biliaire et pancréatiques, appliqué une double ligature bien serrée sur le pylore ; puis, à partir de ce point, j'ai poussé progressivement, par la pression des doigts, le contenu du duodénum vers la partie libre de l'intestin grêle, et j'ai appliqué une ligature sur l'anse pylorique au niveau delà grande mé- sentérique, de manière à laisser le duodénum tout à fait vide, et à empêcher l'arrivée d'aucun fluide étranger dans sa cavité. Mais alors, comme la pression des doigts avait pu ne pas tout entraîner à cause de la disposition irrégulière de la muqueuse, je recommençai à la comprimer du pylore vers la partie libre de l'intestin, et je plaçai une nouvelle ligature en deçà de celle qui avait été mise pré- cédemment près de la mésentérique. Au bout d'une heure, je tuai l'animal qui était en pleine digestion au commencement de l'expérience. Le pylore, les canaux, l'extrémité postérieure du duodénum étaient bien liés ; celui-ci contenait 80 gram- mes d'un beau liquide, visqueux, épais, d'une saveur salée, et légèrement alcalin. Il ne se coagulait point par la chaleur, et n'émulsionnait ni n'acidifiait les matières grasses; seulement, après une agitation prolongée, il en rendait une partie mous- seuse, blanchâtre et opaque. Lassaigne le trouva ainsi composé: eau, 98,47 ; mucus, 0,9o ; chlorure de sodium et carbonate de soude, 0,48 ; sous-phosphate de chaux, 0,10. Sa densité était de 1,008 à la température de -\- 15 degrés cen- tigrades. Le fluide des glandes de Brunner est donc un suc muqueux qui n'a, sous le rapport de la composition et des propriétés, rien de commun avec le suc pan- créatique. C'est bien gratuitement, par conséquent, qu'on a donné à l'amas de ces glandes le titre de second pancréas^ et que tout récemment on a supposé que ce produit devait jouir des mômes propriétés que le fluide pancréatique. Dès que j'eus appris que le suc des glandes duodénales était un suc muqueux, je pensai qu'il serait sécrété plus abondamment par suite d'une stimulation quel- conque. Pour vérifier mes conjectures, je laissai couler dans le duodénum tantôt la bile, tantôt le suc pancréatique, et cela pour éviter la plaie nécessaireà l'intro- duction d'un stimulant étranger. Lorsque le suc pancréatique arrivait seul dans l'anse duodénale, j'obtenais en une heure, sur les sujets en pleine digestion, 500, 800, 1000 grammes d'un liquide limpide, à reflet très légèrement opalin, visqueux, comme une solution de sucre très concentrée. Ce mélange de suc pancréatique avec le suc de Brunner, sécrété abondamment, était alcalin, non coagulable par- la chaleur. Lassaigne l'a trouvé composé de: eau, 98,34; mucus, 0,33 ; chlorure de sodium, 1,20; carbonate de soude et traces de phosphate de soude, 0,03 ; sous-phosphate de chaux, 0,10. Lorsque, au contraire, la bile coulait seule dans l'anse après la ligature des canaux pancréatiques, le mélange s'offrait sous l'aspect d'un fluide légèrement jaunâtre, é[)ais, filant, et presque semblable, quantaux propriétés physiques, àce beau liquide citrin et visqueux qu'on trouve dans l'intestin grêle des chevaux ù jeun depuis quelques jours. RÙLE DES FLUIDES INTESTINAUX. 891 Voila donc lo suc des glandes de Brunner isole, et le voilà mêlé tantôt avec la bile, tantôt avec le suc pancréatique. Nous sera-t-il possible d'arriver à un résultat analogue en coqui concerne le produit des glandes de Peyer, à supposer que ces glandes soient de véritables organes sécréteurs ? Les glandes agminées étant petites et ne pouvant être distinguées à l'extérieur de l'intestin, chez la plupart des animaux, il paraît difficile de leur appliquer la méthode ordinaire dont nous venons de parler. Ce n'est donc ni chez le cheval, ni chez le mouton, la chèvre, etc., qu'il faut chercher à isoler le fluide qu'elles sécrètent ; mais on peut, chez le porc, dont la glande de l'iléon s'élève à plus de 2 mètres de longueur, trouver cette autre inconnue dans le problème des sécré- tions intestinales. L'expérience est facile : elle consiste à appliquer d'abord le petit compresseur ou une simple ligature près de l'insertion cîecale de l'intestin grêle, puis à pousser, par la pression des doigts, vers le jéjunum, les matières que renferme l'iléon, sur lequel on place une autre ligature à 1 mètre et demi ou 2 mètres de la première. De cette manière, la dernière partie de l'intestin grêle, renfermant la magnifique glande rubanée, est complètement vide. Au bout d'une heure on tue l'animal. Cette expérience, que j'ai faite assez souvent, ne m'a pas donné un résultat bien tranché ; j'ai vu seulement à la surface de la glande une couche de mucus plus épaisse et plus consistante que dans les points où la mu- queuse n'était pas recouverte par la plaque agminée. Peut-être n'y a-t-il pas, d'après cela, trop de témérité à présumer que les glandes de Peyer sécrètent du mucus. 11 est vrai que quelques micrographes, Briicke entre autres, se fondant sur ce fait que les vaisseaux chylifères seraient très abondants autour et en regard des plaques de Peyer, ont cherché à les représenter comme des organes de chylifica- tion, des ganglions lymphatiques, destitués j)ar conséquent de toute fonction sé- crétoire. Cette \in\ qui n'est démontrée ni anatomiquement, ni physiologique- ment, me paraît tout à fait fausse. D'abord au niveau des plaques il y a peu de villosités pour absorber le chyle, et je n'ai pas vu chez les animaux, dont les glandes de Peyer sont énormes, plus de chylifères et des chylifères mieux rcnqdis dans les points correspondant à ces glandes que dans leurs intervalles, et je puis dire qu'à ce sujet mes observations sont nombreuses et faites dans de bonnes con- ilitions. 2° Les injections exécutées avec le plus grand soin ne montraient pas de communications entre les chylifères et les follicules de la glande. 3° Le contenu de ces follicules, grisâtre, visqueux, est constitué par des cellules homogènes, des noyaux qui dilVèrent très visiblement des globules ou cellules du chyle. l']nfin, l'étude attentive de ces organes, au point de vue physiologique, les montre réelle- ment des organes sécréteurs. Ils sont beaucoup plus développés chez les herbi- vores et les omnivores que chez les carnassiers ; leurs dimensions sont énormes chez les rongeurs; une vaste glande chez le lièvre et le lapin ta[)isse un renfle- ment terminal de l'intestin grêle; une autre glande semblable, en doigt de gant, revêt l'appendice du cœcuni dans toute la partie dépourvue de valvule spirale. Or, cette! ampoule terminale de l'intestin grêle, c(> i)rolongement du ciecum, sont quelquefois dépourvus d'aliments et tout à fait pleins du plus beau liquide, tantôt légèrement grisâtre et opaque tantôt transparent et analogue à une solution de 892 DE LA DIGESTION. gomme. Ce liquide, qui n'existe pas dans les autres parties de l'intestin grêle et du cfecum, se retrouve quelquefois dans le côlon à un point où les follicules soli- taires sont extrêmement rapprochés. D'ailleurs, quand on injecte dans l'intestin une solution de cochenille, on trouve, déjà au bout d'une heure, les ganglions chylifères du mésentère légèrement rougis par la matière que les chylifères y ont apportée, tandis que les follicules de la glande de Peyer ne sont pas plus colorés que le reste de la muqueuse. Si, plus tard, ils rougissent, c'est par simple imbi- bition et non par l'apport de la matière colorante qui a pénétré dans les chylifères. Le suc intestinal de l'intestin grêle est donc le produit des glandes duodénales, des glandes agminées et des glandes tubuliformes. Les premières donnent évi- demment un fluide muqueux qui se mêle intimement avec le reste; les secondes sécrètent aussi probablement un mucus qui reste à la surface de la membrane interne; enlin, les dernières, qui sont les plus nombreuses, sécrètent la partie fluide la plus abondante et dépourvue de viscosité. Or, comme dans les expérien- ces le duodénum reste étranger à l'anse dans laquelle ou recueille le suc intesti- nal, le produit des glandes de Brunner, n'est point mêlé aux deux autres ; de plus, comme le mucus se sépare de ceux-ci par le repos ou la fdtration, le suc intes- tinal proprement dit, c'est-à-dire le suc des glandes tubuliformes, se trouve tout à fait isolé. Quant aux sucs sécrétés par le gros intestin, il n'est pas facile de les obtenir par le procédé dont j'ai donné la description. Les expériences que j'ai tentées sur la pointe du cœcum et la courbure pelvieime du côlon du cheval ne m'ont encore conduit à aucun résultat qui mérite d'êlre mentionné. Les diverses sécrétions intestinales, si abondantes chez les grands herbivores, le cheval entre autres, le paraissent fort peu chez les carnassiers; du moins, il m'a été impossible, en appliquant à ces animaux les moyens qui m'avaient réussi pour les autres, de recueillir des quantités appréciables soit de suc duodénal, soit de suc du reste de l'intestin grêle. Le produit de ces sécrétions doit y être, du reste, peu considérable à cause de la petite surface intestinale. En effet, la totalité de l'intestin grêle d'un chien est loin de représenter en étendue cette anse longue de 2 à 3 mètres où nous recueillons le suc intestinal du cheval. La faible étendue de la muqueuse des petits animaux sera toujours un obstacle à la réali- sation d'une étude qui devient si facile chez les mammifères de grande taille. La sécrétion du suc intestinal, dont Haller avait porté le produit à 8 livres en vingt-quatre heures chez l'homme, est sans doute d'une activité en rapport avec celle de la digestion elle devient excessivement abondante sous l'inlliicnce des purgatifs, et alors le fluide qu'elle verse dans la cavité intestinale n'est plus résorbé comme il l'est probalilement dans les circonstances ordinaires. Cette sécrétion fournit une énorme quantité de liquide dans les diarrhées séreuses et muqueuses, lesquelles peuvent résulter, suivant les cas, d'une hypersécrétion, soit des glandes productrices du mucus, soit de celles qui donnent le fluide ténu et non visqueux. Mais c'est là un point qui rentre dans les attributions de la pathologie. La sécrétion des sucs intestinaux parait devoir être réglée, comme les autres, par le système cérébro-spinal et ganglionnaire. D'après les idées qui tendent à / RÔLE DES FLUIDES INTESTINAUX. 893 s'accréditer, les nerfs agiraient sur les glandes intestinales par Tintermédiaire de la circulation; leur section, en paralysant les vaisseaux et en favorisant l'hypcn'î- mie, activerait les sécrétions de la muqueuse, comme la section du ganglion cervical active la sécrétion de la salive de la sous-maxillaire ou la transpiration sur un côté de rencolurcetde la face. On observe, en efl'et, une sécrétion exagérée dans une anse intestinale dont les nerfs mésentériques ont été coupés, et de la diarrhée à la suite de l'excision des ganglions semi-lunaires. Toutefois les modili- cations déterminées dans ces conditions ne sont pas physiologiques, elles peuvent s'expliquer en dehors de toute influence nerveuse. La diarrhée sanguinolente, qui suit quelquefois l'excision des semi-lunaires, a une cause suffisante dans les déplacements de la masse intestinale et les froissements exercés sur elle, car on l'évite, comme je l'ai vu sur le chien, en faisant l'opération sans trop de délabre- ments. De même, l'abondante exhalation de sérosité dans une anse intestinale dont les nerfs mésentériques et vasculaires ont été soulevés, puis coupés, résulte des froissements exercés sur ses parois ou seulement de la congestion qui se pro- duit pendant que cette anse cesse d'être soumise à la pression des parois abdo- minales; c'est un effet analogue à celui qu'on observe dans la hernie ou dansl'éven- tration. D'ailleurs le liquide obtenu dans ces conditions est du sérum plus ou moins albumineux, sanguinolent, et non du suc intestinal avec ses caractères normaux. 11 suffit d'un peu de tact à l'expérimentateur, pour reconnaître les méprises qui ont été commises à ce sujet. Le suc intestinal pris en masse et formé surtout par le produit des glandes de Galeati remplit évidemment plusieurs offices distincts : 1" Il délaye, hydrate le chyme pour rendre pluslaciles les actions osmoti(|ue3; 2» Il en sature l'acidité en vertu de sa réaction alcaline; 3° Il transforme la fécule en sucre, comme Frericlis, Bidder et Schmidt l'ont constaté sur le chat, Busch sur une femme à fistule intestinale, chez laquelle la fécule se digérait dans la proportion de 63 pour 100 en cinq heures, et comme je l'ai observé moi-même, surtout en ce qui concerne le suc des herbivores domestiques ; 4° Il émulsionne les graisses avec lesquelles on l'agite dans des tubes, mais moins bien (pie le lluide pancréatique. Je suis arrivé à rendre ce résultat extrê- mement sensible en injectant dans une anse d'intestin grêle de cheval 1(10 à loO grammes d'huile d'olive qui se trouvait en grande partie émulsionnée au bout dune à deux heures. Sur le porc, j'ai vu que le liquide visqueux de la longue glande de l'iléon jouissait des mêmes propriétés, car après avoir injecté de Ihuile dans cette portion fermée, je retrouvais une couche crémeuse assez épaisse sur la glande et le reste de riiuilc non modifié. Y a-t-il là une simple émulsion, ou de plus un dédoublement o{)éré en vertu de l'alcalinité du licpiide? C'est ce que de nouvelles études pourront ultérieurement «lécider; ^° Enfin il pai-ait dissoudre, à un certain degré, les matières albuminoides qui ont échappé à l'action du sucgastricpie. Bidder et Schmidt l'ont constaté, suit l'u opérant par la métiiodedes digestions artificielles, soit en introduisant dans une anse fermée et préalablement privée de ses liquides, des portions d'albumine ou de viande dont on détermine le déchet au bout d'un certain nondne d'heures. Busch, sur une femme; à tlslule de l'intestin grêle sur laquelle le segment intes- 894 DE LA DIGESTION. tinal inférieur ne paraissait rien recevoir du segment supérieur, a vu des cubes d'albumine enveloppés d'un tissu léger, introduits dans le premier segment, per- dre 33 pour 100 de leur poids en six heures. En injectant dans le même segment ce qui provenait du supérieur, il parvint h rendre à cette malade un embonpoint satisfaisant. Cette action sur les albuminoïdes m'a toujours semblé extrêmement faible, souvent presque nulle; aussi je suis persuadé que, dans les expériences où on l'a trouvée très marquée, le suc intestinal était mêlé à d'autres liquides. Du reste, elle ne m'a point paru propre au suc intestinal des carnassiers, comme le disait Funcke. Sous ce rapport, le suc intestinal des herbivores ne diffère pas sensiblement de celui des autres animaux. On voit donc que le suc intestinal jouit, mais à un faible degré, des propriétés des autres liquides digestifs, et qu'il peut, à cause de cela, continuer leur action, donner suite aux élaborations commencées dans la bouche, l'estomac et le duodé- num. Il paraît pouvoir suppléer, jusqu'à un certain point, ceux qui manquent ou qui se trouvent en quantité insuffisante. Aussi l'un des liquides peut faire défaut, soit la salive, soit la bile, soit le suc pancréatique, sans que la digestion des albu- minoïdes, des féculents et des matières grasses cesse de s'effectuer. IV. — Des mutations des aliments dans l'intestin grêle ET LE GEOS INTESTIN. Les aliments, à mesure qu'ils sortent de l'estomac, se disséminent dans l'intestin pour se soumettre à l'action des liquides digestifs et offrir des matériaux à l'ab- sorption. Leur répartition doit être d'abord constatée, car elle facilite l'intelligence des élaborations qui s'accomplissent dans le tube intestinal. Elle a lieu suivant un mode spécial dans chaque groupe d'animaux. Chez les carnassiers, le chyme, s'il est constitué seulement par des matières animales, est peu abondant et sous forme de bouillie grisâtre, jaunâtre ou brune légèrement spumeuse, qui marche lentement du duodénum vers la fin de l'intestin, en cédant, à mesure qu'il progresse, les matières assimilables : aussi, chez le chien qui a fait un abondant repas, est-on étonné de trouver, deux, qua- tre, six, huit heures après, fort peu de matières dans l'intestin, soit 50 à 100 gram- mes, quand, par exemple, des animaux ont mangé de 500 à 1 000 grammes de viande. L'intestin, chez ces animaux, opère sur de petites quantités à la fois, et il opère avec lenteur. L'intestin grêle, chez les herbivores qui ne ruminent pas, chez les solipèdes notamment, reçoit les matières alimentaires en grande quantité, et il les dîs^ perse vite dans toute son étendue ; cependant, bien qu'il ait une capacité quatre fois égale à la capacité gastrique, il n'en contient jamais, à un moment donné autant que l'estomac très rempli. Les aliments s'y répartissent d'ailleurs avecquel^ ques variantes subordonnées aux périodes de la digestion. Pour se faire une idée exacte de cette répartition chez les solipèdes, il faut se rappeler que, longtemps après le repas, comme de la vingt-quatrième à la quarante-huitième heure, il y a encore une notable quantité de liquide dans l'intestin grêle, dans lecœcum, et de matiè- res tassées dans les diverses parties du côlon. 11 en résulte que les produits de la digestion qu'on étudie sont toujours additionnés des restes plus ou moins consi- MUTATIONS DES ALIMENTS DANS l'iNTESTIN. 81Jd di'rables de la digestion antérieure ; seulement, dès que la quantité de ces résidus est connue et qu'elle est rendue à peu près uniforme, dans les expériences, par un jeûne d'égale durée, les données expérimentales deviennent comparables. Or, une fois que l'animal se met à manger après un jeune de vingt-quatre à trente-six heures, voici de quelle manière s'opèrent le déversement du chyme et sa répartition dans l'intestin : tous les animaux dont il s'agit ont reçu la même quantité de foin, 2 500 grammes ; tous ont reçu de l'eau qui a été refusée par les uns et prise par les autres en quantité pesée. Ils ont été tués successivement de la deuxième à la huitième heure. Un premier cheval tué, deux heures <\ compter du début du repas pendant lequel il était arrivé à l'estomac 2 i3()0 grammes de foin, 0 000 d'eau et 10 000 de salive, avait ses matières alimentaires ainsi réparties : Solides. Liquides. 1° Estomac 968 gr. 9,782 gr. 2° Inleslin grêle 253 11,057 3" Cœcum 334 12,146 Sommes 1555 gr. 33,558 gr. En deux heures, l'estomac de ce cheval a versé dans l'intestin la moitié en poids de ce qu'il a reçu. Il a conservé les deux cinquièmes du foin sec, les trois autres sont sortis; mais un cinquième seulement, ou à peu près se retrouve dans dans l'intestin grêle et le cœcum ; les deux cinquièmes, qui manquent ont été dissous dans les fluides intestinaux et en partie absorbés. Avec ce déficit, il y a, par rapport aux ingesta, un excédent de 13 613 grammes qui représente le pro- duit des sécrétions gastrique, intestinale, biliaire et pancréatique, mêlé aux restes liquides de la digestion antécédente. En trois heures ,à compter du début du repas, sur un second cheval qui a mangé même quantité de foin, l'estomac a reçu, y compris la salive, 12 500 gram- mes de matières, qui se sont trouvées ainsi réparties : Solides. Liquides. lo Estomac 759 gr. 5,241 gr. 2" Intestin grêle 321 6,279 3° Cœcum 374 14,526 Sommes 1454 gr. 2(),046 gr. L'estomac de ce cheval, en trois heures, a perdu la moitié de ses ingesta pris en masse et proportionnellement plus de foin que de liquide. L'intestin grêle et le cœcum ont reçu, pour les deux, autant de foin qu'il en est resté dans l'esto- mac; mais les deux cinquièmes du fourrage consommé ne se retrouvent plus dans le marc des trois viscères ; ils ont été dissous dans les liquides et en partie absor- bés. L'excédent liquide sur les ingesta est de 16 046 grammes, quoique l'animal n'ait pas bu après le repasj ni même, comme tous les autres, dans les vingt-qua- tre heures qui ont précédé ce repas. Sur un autre cheval, après quatre heures de digestion, 2 oOO grannnes de foin ingérés avec 2 500 d'eau se sont trouvés répartis de la manière suivante : Solides. Liquides. 1" Estomac 660 gr. 3,440 gr. 2» Intestin grêle 345 3 . 155 3" Cœcum 792 17,708 Sommes 1797 gr. 24,303 gr. 896 DE LA DIGESTION. Ici le contingent du CBBCum augmente dans une forte proportion. Plus du quart du foin est dissous ou absorbé, et les trois réservoirs offrent sur les ingesta un excédent liquide de 11 803 grammes. Après cinq heures de digestion, sur un quatrième cheval qui a reçu 2 500 de foin et 9 litres d'eau, les matières sont ainsi réparties : Solides. Liquides. ]» Estomac 534 gr. 3,116 gr. 2° Intestin grêle 110 3,790 3° Cœcum 435 7,665 Sommes 1079 gr. 14,571 gr. Dans cette expérience, le contingent de l'estomac et de l'intestin grêle a con- sidérablement diminué, sans que celui du csecum se soit accru dans la même pro- portion ; les trois cinquièmes du foin ont disparu des trois réservoirs, sans doute par suite d'un départ considérable des matières vers le côlon. En outre, les liquides ont éprouvé une forte réduclion, car les 14571 grammes qui restent dans les trois réservoirs repi^ésentent à peu près la somme des liquides sécrétés par l'estomac, la muqueuse intestinale, le foie, le pancréas. Les 19 kilogrammes d'eau bue et de salive ont disparu. Au bout de six heures de digestion, sur un cheval qui mange 2 500 de foin et boit un litre d'eau, les ingesta se répartissent comme il suit : Solides. Liquides. 1° Estomac 635 gr. 3,965 gr. 2" Intestin grêle 224 10,276 3° Ceecum 290 12,410 Sommes 1149 gr. 26,651 gr. Sur celui-ci, la digestion gastrique est un peu moins avancée que sur le pré- cédent. Il manque aux trois réservoirs plus de la moitié de la masse du foin, et il y a 15 651 grammes de liquide en excès sur la masse de même nature arrivée à l'estomac avec les aliments. Après une digestion de sept heures, sur un petit cheval qui a reçu 2 500 de foin et refusé de boire, on a cette répartition, l'apport total étant de 12500 grammes : Solides. Liquides. lo Estomac 6^7 gr. 4,023 gr. 2» Intestin grêle 80 5,580 3" Cœcum 330 8,570 Sommes 1087 gr.' ' 18,173 gr. Ici les trois cinquièmes du foin ont disparu, et il y a 18173 grammes de liquides en excès sur les ingesta, dont 10 000 représentent la salive, le reste les lluides de l'estomac et de l'intestin avec les reliquats de la digestion antérieure. Enfin, après une digestion de huit heures, sur un cheval qui a mangé 2 500 de foin et bu 9 litres d'eau, les luatières étaient réparties ainsi qu'il suit, l'ap- port total étant, la salive comprise, de 21 500 grammes : Solides. Liquides. 1" Estomac 284 gr. 1,631 gr. 2" Intestin grêle 112 2,838 3" Cœcum 660 13,140 Sommes 1056 gr. 17,609 gr. MUTATIONS DES AMMENTS DANS L INTESTIN. 897 Les trois cinquièmes du foin ont donc été digérés ou en partie chassés dans le côlon ; il reste un excédent liquide de 8609 grammes. En récapitulant les résultats des expériences précédentes, nous avons, pour nos sept chevaux, une digestion d'une durée totale de trente-cinq heures, por- tant en bloc sur : Foin 17,r,00 gr. Eau bue 30,500 Salive 70,000 Somme 118,000 gr. Les sept estomacs ont digéré et conservé les quantités suivantes de foin ramené à l'état sec : Le 1", qui a travaillé 2 heures, en a digéré 1,5.J2 gr. et conservé 968 gr. Le 2e — 3 — — 1,711 — 759 Le Se — 4 — — 1,810 _ HQO Le 4<: — 5 — — 1,!H3G — 534 Le 5e — 6 — — 1,865 — 635 Le 6-= — 7 — — 1,823 — 677 Le 7" — 8 — — 2,216 — 284 Sommes de foin digéré 12,983 gr. Conservé. 4517 gr. Les sept intestins grêles, en trente-cinq heures, ont reçu de l'estomac : En foin sec 12,983 gr. Et en eau 69,198 Ils ont digéré et conservé en loin sec : Le l'"^, qui a travaillé 2 heures, en a digéré 1,532 gr. et conservé 253 gr. Le 2« — 3 — — 1,741 — 321 Le 3c — 4 — - 1.840 _ 345 Le le — 5 — ^ 1,966 — 110 Le 5e — G — — 1,865 — 224 Le 6e — 7 — — 1,823 — 80 Le 7' — 8 — — 2,216 — 112 Sommes réunies 12,983 gr. 1415 gr. Conséquemmcnt, les sept intestins grêles ont, en trente-cinq heures, poussé dans le caicum ou cédé aux absorbants 12 o38 graninies de fourrage sec. Les sept c;ccuins, qui ont fonctionné pendant trente-cinq heures, ont reçu une quantité indéterminée de matière qui serait de 11 o38 grammes de foin sec, si l'absorption n'avait rien pris dans l'intestin grêle et d'une niasse d'eau dont le chiffre ne peut être fixé. Ils ont retenu : Eu foiu sec. En eau. Le P' 334 gr. 12,146 gr. Le 2'^ 374 14,526 Le 3e 792 17,708 Le 4° 435 7,665 Le 5« 290 12,410 Le fie 330 8,570 Le 7e 660 13,140 Sommes 3,215 gr. 86,165 gr. Les sept estomacs et les sept intestins grêles ayant retenu ensemble o 962 gram- mes de foin sec qui, joints aux 3 215 grammes de loin sec du caîcum, repré- 0. COLIN. — Physiol. contp., 3' édit. I — 57 898 DE LA DIGESTION. sentent 9 177 ; il manque donc à ces trois viscères 8 323 grammes de foin sec, ou à peu près la moitié de la quantité ingérée. Ce qui manque, représente : 1° la partie dissoute; 2° la partie absorbée; 3° enfin, celle qui est passée dans le côlon pour y devenir rapidement matière èxcrémentitielle. Les sept estomacs, les sept intestins grêles et les sept cœcums ont retenu ensemble 160'^'^,911 d'eau, quoique l'estomac n'en ait reçu que 100'^'', 500, que l'absorption en ait pris une grande quantité et qu'il soit passé aussi dans le côlon. Les 60 kilogrammes qui se trouvent en excès représentent le produit des sécré- tions gastrique, biliaire, pancréatique et intestinale, additionnées aux reliquats liquides de la digestion antérieure. Voici, d'ailleurs, deux tableaux dans lesquels les résultats de la marche de la digestion du foin et de l'avoine, sur le cheval, sont groupés pour une période de huit heures. On verra, par les résultats ci-dessous, qu'après le repas, les aliments solides et liquides se répartissent très vite entre l'estomac, l'intestin grêle et le cœcuin, et que les solides se trouvent associés, soit par le fait des sécrétions seules ou en même temps par celui de l'ingestion des boissons, à 16 volumes ou à 16 équiva- lents de liquides. Leur hydratation est à son minimum dans l'estomac, à son maximum dans l'intestin grêle et le caecum, puis se réduit de nouveau dans le côlon. Longtemps après le repas, alors que la digestion se ralentit considérablement, au point d'éprouver une sorte de suspension, la répartition des substances ali- mentaires n'est pas tout à fait telle que nous venons de la voir : les solides dimi- nuent dans l'intestin grêle et le Ccecum, quoique les liquides y demeurent en forte proportion. L'estomac se vide à peu près et le côlon emmagasine, puis des- sèche les résidus de la digestion. Les solides marchent vers les parties postérieures du tube intestinal; les liquides demeurent en deçà, tant pour offrir une proie à l'absorption que pour contribuer à l'élaboration de nouveaux aliments. Ainsi, trente-six heures après le repas, je n'ai trouvé sur un cheval : 1" dans l'estomac, que 410 grammes de matières renfermant 27 grammes de foin sec ; 2° dans l'intestin grêle, 5 300 grammes de matières visqueuses avec quelques parcelles, et dans le cœcum 14 700 de bouillie homogène. Sur un autre, quarante- deux heures après le repas, il y avait, dans l'estomac, 500 grammes de liquide tenant en suspension quelques parcelles alimentaires; dans l'intestin grêle, 8 500 de liquide visqueux sans aliments; dans le cœcum, 17 400 de bouillie très fluide avec environ 200 grammes de fourrages supposés secs, La progression des matières continue donc, quoique avec une extrême lenteur, longtemps après le repas, sans qu'il y ait impulsion donnée par des matières nou- velles ; elle continue môme dans" les cas oij la salive cesse d'arriver à l'estomac, comme à la suite de la ligature de l'œsophage. Les deux exemples suivants, que je me borne à citer, le prouvent suffisamment. Sur un cheval tué trente-huit heures après le repas, et sur lequel l'œsophage avait été lié quinze heures après l'inges- tion des derniers aliments, pour permettre à la digestion de s'achever, l'estomac renferme 700 grammes de liquide avec quelques parcelles solides, l'intestin grêle 3 300 de fluides visqueux sans aliments, et le cœcum 6 100 grammes de liquides MUTATIONS DES ALIMENTS DANS l'iNTESTIN. 899 Tahlmii de In innrckc do la dlifestion de foin entier et de foin hrtchd, pendant huit Iteuves {sur le clievfil). a DIJRÉi; Coiilfiiii rcnlenii L'oiileiiii TOTAL TOTAL TOI At, OHSKRVATIONS. p 'a (le 1,1 sec du sec de sec (1(1 eoiileiiu ilu contenu c 3 3 '^ -3 ■3 3 0^ 3 a 0 0 0 3 a a 3 3 a a z> u 112 .2" c s 3 a a 0 u . leiiu i,S|0 r,,iiTu ' , is;! ",(■,011 . 1J3S 3oS7 4.92;i 6,938 -,o;io i. lOii:; J.ISJ ■JUi 10,illS lll,ROO '. '.12'.' JS7I 3,SllO ISO .ï,896 6,085 Somme ii,i ;:; T,"UO ii;,3i:; :ili; i,-li\ 8,;Mti fi Somme 1 1 2.i 3.i;:0 i,r,i;> 102 I'J3 7..'ilîS 7,inii 3. 3;'3S i3,ij-; Jii,ii:) 2G,S',li ,. 3:j;i.' 9'J78 13,370 iO.'.Oi iO.SOo 900 DE LA DIGESTION. non visqueux avec de rares parcelles de fourrages. Sur un second, au bout d'un temps égal, il y avait 1 405 grammes de liquides dans l'estomac, 3 215 dans l'intes- tin grêle et 10 200 dans le Ccecum , avec une centaine de grammes de fourrages secs. Tous ces faits prouvent que chez les solipèdes la digestion est à peu près con- tinue, tour à tour dans l'estomac et les diverses parties de l'intestin, et qu'elle offre constamment des matières à l'absorption intestinale. Il doit en être ainsi à cause de la masse énorme des substances ingérées et des fluides sécrétés des- tinés à rentrer dans la circulation. Chez les herbivores ruminants, la répartition des matières sur lesquelles por- tent les élaborations intestinales est très différente de celle qui existe chez les solipèdes. La masse des matières de l'intestin y représente le huitième, le dixième, le douzième du contenu de l'estomac ; elle est toujours faible, aussi bien par rapport aux solides que par rapport aux boissons, qui demeurent ensemble en dépôt dans l'estomac. Et, chez eux, dès que la rumination se suspend, la digestion intestinale n'opère plus que sur de très petites quantités d'aliments, comme on peut le voir par les quelques chiffres du tableau suivant : mmi TAILLE POIDS du contenu de Testomac POIDS du contenu de l'intestin grêle POIDS du contenu du Ccecum POIDS du contenu du côlon POIDS total du contenu de l'intestin POIDS du contenu de l'estomac et de l'intestin OBSERVATIONS Cheval... Cheval... Cheval... Taureau. Vache . . . Vache . . . Bélier . . . Bélier .. . grande . . inoyenne. moyenne, moyenne, moyenne, petite.... grande., grande . . 5,000 11,500 3,000 98,000 67,000 42,000 5,210 7,200 7,500 23,000 2,500 11.500 6,000 » 11,000 6,000 15,000 1,000 300 36,200 22,000 23,000 8,500 3,700 « 54,700 51,000 40,500 21,000 10,000 3,000 1,408 1,600 59,700 62,.500 43,500 119,000 77,000 45,009 6,618 8,800 Mort d'indigestion. Mort de faim. Etat normal. État normal. Mort à la suite d'une longue maladie. Élat normal. Quant aux carnassiers, la répartition est encore autre. L'estomac y renferme presque toute la masse alimentaire ; il n'en verse dans l'intestin les parties liqué- fiées qu'en très petite quantité à la fois, parties qui, en raison de leur dissolu- tion à peu près complète, disparaissent presque à mesure qu'elles sortent. A un moment donné, l'intestin grêle renferme seulement le dixième, le vingtième du contenu de l'estomac; mais, chez ces animaux, ces particularités offrent moins d'intérêt que chez les herbivores, où la digestion intestinale est fort compliquée. Reprenons maintenant les phénomènes caractéristiques de celte digestion, et analysons-les sommairement. Les aliments, plus ou moins délayés, suivant l'abondance des sécrétions diges- tives, et surtout suivant la proportion des liquides parvenus à l'intestin, se pré- sentent sous un aspect caractéristique dans chacune des sections du tube. Ils sont, chez les soli|>èd('s, par exemple, mêlés à un lluide épais, jaunâtre, vis- MUTATIONS DES ALIMENTS DANS l'iNTESTIN. 901 queux dans rintestiri grêle; ils restent délayés et noyés, dans le cccuin, au milieu d'un liquide dépourvu de viscosité; ils se trouvent encore très mous dans le côlon replié, mais leur consistance augmente progressivement à mesure qu'ils se rap- prochent du c(Mon flottant où ils se moulent en petites pelotes sèches et isolées les unes des autres par les valvules conniventes. Leur réaction, sur laquelle les expérimentateurs sont en dissidence, paraît ce- pendant varier très peu, relativement au régime et aux périodes de la digestion ou de l'abstinence. En arrivant dans l'intestin grêle, ces aliments sont acides, et d'autant plus qu'ils ont séjourné davantage! dans l'estomac; sur ce point, tous les observateurs sont d'accord. Cette acidité persisterait très souvent dans toute la longueur du tube, d'a|>rès Tiedemann et Gmelin; elle serait remplacée vers l'iléon par une alcalinité très sensible, d'après les recherches de Leuret et Lassaigne, Les obser- vations que j'ai faites sur les chevaux et les ruminants m'ont conduit à un résul- tat uniforme et constant que; voici : Le contenu de l'intestin grêle est alcalin sur les animaux à jeun, et son alca- linité est d'autant plus grande qu'on s'éloigne plus de l'estomac. Jamais on ne le trouve ni neutre ni acide. Sur les animaux qui digèrent, les aliments sont encore acides entre le pylore et le point où affluent la bile et le suc pancréatique. Au delà de ce point, leur acidité diminue, ils deviennent neutres, puis bientôt nette- menl alcalins, et souvent même ils oflVent cette réaction tout près du duodénum. Enlln, leur alcalinité augmente à mesure qu'ils se rapprochent de l'iléon et du caecum. 11 en est ainsi chez le cheval, le bœuf, le mouton, à toutes les périodes de la digestion, soit que les animaux se nourrissent de fourrages verts ou dessé- chés, soit qu'on leur ait donné de l'avoine, de la farine, ou des racines. Cette alcalinité, qui est d'autant plus prononcée que la digestion est moins active, dépend évidemment de la bile, du suc pancréatique et du suc intestinal. Le iiremier de ces trois fluides est peut-être celui qui y prend la plus faible part, car il est très légèrement alcalin. Le second, qui a cette réaction à un plus haut degré, et le troisième, qui est sécrété abondamment chez les herbivores, doivent être considérés comme les deux agents principaux de la saturation du chyme, puis de son alcalinité. Les dissidences qui régnent entre les physiologistes, relativement à l'état du contenu de l'intestin grêle, me semblent d'une explication difficile. Peut-être tien- nent-elles à une cause d'illusion (pie j'ai déjà signalée en traitant de la digestion gastrique des ruminants, c'est-à-dire au reflet violacé que prend quelquefois et momentanément le papier bleu de tournesol mis en contact avec les liquides de <:ette partie du tube digestif. Cependant, alors, connue dans toutes les autres circonstances, le papier rouge de tournesol est ramené au bleu (pielques minutes après avoir été plongé dans ces liquides. L'acidité des matières de l'intestin grêle, quand elle n'est pas saturée complè- tement, parait tenir au suc gastri(pie ({ui les a imprégnées, aux acides résineux de la bile devenus libres et non encore décomposés, et enlin à l'acide lactique qui se développe en proportion notable dans ce viscère. Les phénomènes de la digestion dans l'intestin grêle sont nombreux : 1° l'hy- 902 DE LA DIGESTION. dratation du chyme; 2° son atténuation progressive; 3" la saturation de son aci- dité; 4° la saccharification des féculents; 5°rémulsionnement des graisses; 6° la dissolution des matières albuminoïdes ; 7° la précipitation de quelques éléments de la bile; 8° un commencement de fermentation lactique et butyrique ; 9" enlin, l'absorption des éléments du chyle. L'hydratation ou le délayement du chyle s'opère à l'aide de liquides visqueux, abondants, résultant du mélange des boissons avec les liquides sécrétés. Elle est portée à un haut degré, car, pour 1 équivalent de matière solide, il y a, suivant les périodes de la digestion, 10, 20, 30, 40, et quelquefois jusqu'à 100 équiva- lents de liquide. Cette hydratation, très considérable au début de la digestion, alors que les premières ondées de chyme se noient dans les flots de liquides accumulés pendant l'abstinence, est à son maximum après l'ingestion des boissons ; elle n'est point uniforme dans beaucoup de cas, car on voit, au même moment, des anses à contenu épais et d'autres pleines de liquides, sans aliments. En général, c'est dans l'iléon qu'elle est le moins marquée; les matières arrivées là ont été dé- pouillées par l'absorption d'une grande partie de leurs liquides, et, d'ailleurs, ces fluides partent de l'intestin grêle en proportion plus forte que les solides. Sur le chien, la concentration du chyme dans l'iléon est plus marquée que chez les autres animaux. L'hydratation excessive du chyme par des liquides visqueux a une importance que les physiologistes n'ont pas assez sentie. En affaiblissant, en étendant la solu- tion des principes alimentaires, elle en rend l'absorption plus facile; elle les dissé- mine sur une immense surface, les applique et les fait mieux adhérer à la mem- brane muqueuse; enfin, elle favorise les phénomènes osmotiques par lesquels les substances solubles se dégagent des tissus végétaux pour devenir libres dans l'in- testin. Plus, en effet, le milieu dans lequel nagent les aliments est visqueux, plus il appelle fortement les matières emprisonnées dans les tubes et les cellules de la trame végétale. Nous verrons plus tard que la marche du chyme et l'absorption intestinale sont très entravées lorsque le contenu de l'intestin grêle n'est pas suffisamment délayé. L'atténuation, la division progressive des particules du chyme continuent à s'opérer très activement dans l'intestin grêle. Les cellules se vident (voy. les figures de la page 904), surtout celles qui sont remplies de grains de fécule, mais la chlorophylle demeure souvent intacte; les vaisseaux tendent à se séparer, les lils spiroïdes des trachées se déroulent, les poils des feuilles, des tiges, ceux des grains d'avoine se séparent et flottent au milieu des liquides. Les éléments des tissus animaux éprouvent également une atténuation plus prononcée : les débris de faisceaux s'isolent, les libres musculaires se coupent dans les interstices des stries des disques, et enfin de petits bâtonnets, formés par les stries isolées, flottent dans le chyme. Cette division ne résulte pas d'une action mécanique, mais de la dissolution des éléments qui lient entre elles les parties insolubles ou très peu solubles. Elle permet finalement à ces dernières d'être attaquées par les sucs digestifs. La saturation du chyme, qui commence à s'opérer dans le duodénum est le phénomène chimique le plus simple de la digestion intestinale ; elle résulte, comme MUTATIONS DES ALIMENTS DANS l'iNTESTI.V. 903 nous l'avons dit, de l'intervention de la bile, du suc pancréatique et des fluides intestinaux, qui ont tous une réaction alcaline. Elle est plus ou moins rapide, et complète, suivant l'abondance de ces fluides, la masse des matières qui sont apportées et l'activité des fermentations lactique et butyrique. Cette saturation a pour résultat de suspendre l'action dissolvante de la pepsine, qui, d'après quelques physiologistes, serait précipitée, puis entraînée avec les acides résineux de la bile, ou bien résorbée, car Bn'icke dit en avoir trouvé dans le sang et dans l'urine, La saturation de l'acidité du chyme ne suspend pas l'action dissolvante que les sucs pancréatique et intestinaux peuvent exercer sur les albuminoïdes; ces derniers liquides ellectuent cette action dans un milieu alcalin aussi bien que dans un milieu acide. La saccliarilication de la fécule, qui, après avoir commencé dans la bouche, s'était considérablement ralentie dans l'estomac, reprend ici une nouvelle activité car elle trouve des agents nouveaux qui s'ajoutent à la salive dont les aliments sont encore imprégnés : le suc pancréatique et les sucs intestinaux plus ou moins abondants. Les grains de fécule sont attaqués de l'extérieur à l'intérieur, et très rapetisses; on n'en trouve plus que des restes et des enveloppes vers l'iléon, chez les animaux où le broyement a été très complet, tandis que des fragments énormes échappent à l'action dissolvante. La dextrine et le sucre disparaissent à mesure qu'ils se forment. La cellulose, qui est corrodée par l'action des alcalis, est en partie attaquée par les sucs intestinaux alcalins. Lehmann en croit la saccharilication possible dans certains cas, et sur quelques animaux ; Hauber croit avoir reconnu que les ruminants peuvent digérer :}U à 'iH pour 10(1 des matières llbreuses et relluleuses de leurs aliments. D'autres expérimentateurs, Henneherg, Stulinianii, Marker, Schulze, prétendent même que la [troportion de ligneux digérée peut s'élever à Ai) et à G.j pour lIMI. La partie in(lig<'stible, tiès riche en carbone, est la lignine ou matière incrustante à laquelle demeure adhérente la partie non dissoute de la cellulose, évidemment cette proportion doit atteindre son maximum chez les espèces à digestion très active, chez celles, les ruminants par exem|ile, qui tri- turent très complètement et élaborent leurs aliments avec lenteur. Elle doit, du reste, varier suivant l'âge et la dureté des plantes. Il est des fourrages où en effet, la cellulose résiste si bien au travail digestif, (|ue M. Payen a pu l'extraire des déjections du bœuf avec sa structure et ses propriétés. Le sucre produit peut probablement donner, comme le sucre ingéré en nature, de l'acide lactique; car, par moments, pendant la digestion des féculents, le con- tenu de l'intestin grêle tend à prendre de l'acidité. La dissolution des albuminoïdes, que l'on croyait naguère elfectuée seulement dans l'estomac par l'action du suc gastrique, paraît se continuer dans l'intestin grêle, et y acquérir une certaine activité, surtout chez les animaux à long intestin, dont les aliments sortent pronqitement de l'estomac. Elle résulte, comme nous l'avons vu, de l'action combinée du suc pancréatirpie et du suc intestinal. Les expériences de Frerichs, de Bidder et Schmidt, deRusch, si elles ne sont pas enta- chées d'erreur, le prouvent, puisque, en quatre à six heures, des cubes d'albu- mine perdaient, dans l'intestin grêle d'une femme à fistule au duodénun, 3o à 904 DE L.\ DIGESTION. 40 pour 100 de leur poids dans la région qui recevait seulement du suc intestinal ; mais il resterait à rechercher si, sous l'influence de ce liquide isolé, les albumi' noïdes donnent des peptones, comme ils le font par l'action du suc gastrique. La division, l'émulsionnement des graisses dans l'intestin est un fait incon- testable qui peut être étudié tant à l'œil nu qu'au microscope. Cet émulsionne- ment a lieu par l'action des trois liquides : bile, fluide pancréatique et suc intestinal, même pour les graisses de substances végétales ; car celles-ci, dans l'estomac, reprennent la forme de gouttelettes qui devront être ultérieurement fractionnées. En effet, elles sont énormes dans l'estomac, puis elles deviennent fort petites dans l'intestin, comme le montrent les figures 114 et 126 ci-des- sous, du chyme d'avoine pris dans l'estomac et l'intestin du cheval. Une fois émulsionnées, elles s'attachent aux villosités, pénètrent dans leurs interstices sous l'aspect d'une couche crémeuse, apparente lorsqu'elles sont en grande quantité. Sous cet état, elles sont aptes à l'absorption. u^V£gMOHCKr.N se. FiG. 126. — Chyme d'avoine pris dans l'intestin du cheval (*). Ce ne sont pas seulement les aliments qui éprouvent des mutations dans l'intestin : leurs liquides modificateurs subissent eux-mêmes des altérations qui résultent de leurs actions réciproques. La matière colorante de la bde est précipitée par le suc gastrique que les ma- tières alimentaires apportent ; elle devient insoluble ; son pigment biliaire se montre sous forme de fins corpuscules dans les matières de l'intestin grêle. Les (*) A, B, fragments du grain, dont les cellules sont dépouillées de leurs granules d'amidon; G, D, gouttelettes de graisse rapetissées ; E, E, poils isolés; F, poilscncore fixés au péricarpe; G, fragmentde tissus fibreux; H, H, œufs d'ascarides. — Dans les intervalles, de fines granulations graisseuses et des débris de granules d'amidon. MUTATIONS DES ALIMI'NTS DANS l'iNTESTIN. 9(|5 acides résinoïdos da ce liquide sont mis en liberté, le taurocholatc est décom- posé peu à peu, comme le glycocholate, de telle sorte qu'il n'en reste guère (ju'une moitié vers le milieu de l'intestin gnMe ; ils donnent des produits nou- veaux : l'acide cliulini(iue , l'acide f'ellinique, la dyslysine. Leur résorption s'opère en grande partie, car ils diminuent progressivement vers la fin de l'in- testin, et ne se retrouvent pas eu proportion notable dans les fèces; mais les produits de la translbriiuition de la bile et la taurine ne sont pas repris, et se mêlent aux excréments. La décomposition de la I)ile ne s'opère pas toujours intégralement. Elle est très incomplète dans la diarrhée, en raison du mouvement rapide des matières de l'intestin, et aussi chez les jeunes animaux, peut-être pour une raison ana- logue. Quant aux fermentations intestinales, elles sont évidentes, quoique peu con- nues dans leurs causes et leur nature. Elles continuent celles qui commencent si manifestement sur les ruminants nourris de plantes vertes ou sur les chevaux recevant une forte ration d'avoine. L'aspect mousseux du contenu de l'intestin grêle, les bulles de gaz qui passent avec bruit d'une anse à une autre, ne per- mettent pas d'en nier l'existence. Ce sont probablement des fermentations lac- tique et butyrique que les matières sucrées éprouvent si facilement en présence des matières albuminoïdes. La première serait due, d'après M. Pasteur, à des corpuscules analogues à ceux qu'on trouve dans les ferments, la seconde à des infusoires dont les germes viendraient du dehors: elle consisterait en un dédou- blement de la matière sucrée en acide butyri(iue, acide carbonique et hydro- gène. L'air introduit avec les aliments pourrait l'entraver ou l'arrêter, d'après le savant chimiste. La viande qui renferme des sucres particuliers, la dextrine, l'inosite, peut très probablement, comme les matières féculentes et sucrées, éprouver ces deux espèces de fermentations. Peut-être ces fermentations digestives, dont l'existence paraissait déjà incon- testable aux observateurs des derniers siècles, ont-elles plus d'importance qu'on ne le pense. Il est possible que, réduites à de justes limites, elles aient une cer- taine utilité, surtout chez les herbivores. Dans tous les cas, l'air paraît y mettre obstacle ou en changer la nature, et c'est peut-être l'une des raisons pour les- quelles les animaux à listule de la panse éprouvent un amaigrissement considé- rable, quoique leur alimentation ne soit pas réduite. Sous l'influence des mutations diverses dont il vient d'être question, le chyme, dans l'intestin grêle, passe à un état autre que celui qui le caractérisait dans l'estomac. La dextrine et le sucre s'y produisent en grande quantité, les graisses s'y divisent à l'infini et s'y saponifient peut-être en partie, les peptones dispa- raissent. D'après Tiedemann et Onu'lin, les matières de l'intestin grêle contien- nent, pendant la digestion, chez le clieval, les ruminants et le chien : l°un acide libre, probablement l'acide acétique ; 2° de l'albumine, en grande quantité dans le duodénum et en proportion de plus en plus faible à mesure qu'on se rap- proche du caecum : celte substance était abondante chez les chevaux nourris d'avoine ; elle vient à la fois des aliments, du suc pancréatique et du suc intes- 906 DE LA DIGESTION. tinal ; 3° du caséiim ; 4» trois matières animales particulières caractérisées par la manière dont elles sont modifiées parles réactifs ; enfin, du carbonate d'ammo- niaque, des carbonate, phosphate, sulfate et chlorure alcalins, du carbonate et du phosphate de chaux. A mesure que ces mutations s'opèrent, les radicules de la veine porte et des chylifères qui partent des villosités, saisissent les matières élaborées, et de tant d'éléments différents forment de la fibrine, de l'albumine mêlées à de la graisse et à des sels. Ils saisissent aussi une grande partie de ces principes précieux qui se trouvent dans les flots de salive, de suc gastrique, de bile, de suc pancréa- tique et de fluide intestinal. C'est, en grande partie, sous forme de chyle que les produits des élabora- tions intestinales sont recueillis par les vaisseaux blancs du tube digestif, nés dans les villosités de l'intestin grêle et qu'ils entrent dans les lactés du mésentère que la figure 128 montre à leur maximum de réplétion. De là ils passent dans les ganglions mésentériques dont le groupe constitue, chez le chien, le pancréas d'Aselli ; puis ils se rendent à la citerne de Pecquet, enfin au canal thoracique qui les déverse dans la circulation générale oiî ils sont san- guifiés. La figure de la page 907 indique dans tous ses détails l'itinéraire des produits de la chylification. Vie 127. — Appareil pour recuoillir lo cliylo sur le liœiir. (*) Plus tard nous examinerons le mécanisme de l'altsorption du chyle, la pro- gression, la conipùsition intime de ce liquide. Disons seulement ici qu'à l'aide d'un appareil très simple, on peut l'obtenir pur en grande quantité, et en constater les propriétés. (*) L'intfistiii et Ins tfi'os vaisseaux chylifères sont vus par transparence dans la cavité abdominale. Un tube d'argent, prolongé par une petite sonde (Icxible de caoutchouc, est fixé ii l'un de ces vaisseaux ; au-dessous, un capsule dans laquelle tombe le cliylo. MUTATIONS DES ALIMr.NTS DANS l'iNTESTIN. 907 Toutes les métamorphoses des matières alimentaires s'achèvent, ou à peu 908 DE LA DIGESTION. près, dans l'intestin grêle des animaux carnassiers dont le Ctecum est nul ou extrêmement petit, et le côlon d'une brièveté remarquable ; mais ces opéra- tions se continuent dans le caecum si vaste des solipèdes et des autres pachy- dermes, de même que dans les parties antérieures de leur immense côlon. C'est ce qu'il s'agit maintenant d'examiner. La plupart des physiologistes ont depuis longtemps comparé le cœcum à un second estomac, autant d'après une certaine ressemblance de forme que d'après une vague et hypothétique analogie de fonction : presque tous, Viridet, Tiede- mann et Gmelin, Schultz, Mayer, et après eux beaucoup d'autres auteurs, admettent que le contenu du cœcum est acide par suite d'une sécrétion de suc dissolvant acide dans ce réservoir. Tiedemann et Gmelin ont en effet trouvé dans la liqueur fdtrée du cœcuin des chevaux et des ruminants : U un acide libre; 2° de l'albumine ; 3^ une matière précipitable par le chlorure d'étain ; 4" une matière qui rougit par le chlore ; 5^, de la graisse, de la résine biliaire ; enfin des sels qui existent déjà dans l'intestin grêle. Les fonctions du cœcum me paraissent d'une détermination facile, surtout chez les animaux tels que les solipèdes, les pachydermes, éléphants, tapirs, rhi- nocéros, et les rongeurs herbivores, où ce sac a un grand développement, Les matières qu'il renferme en quantité considérable, et qu'il retient pendant long- temps, ne sont acides chez le cheval et les ruminants, ni pendant la digestion, ni pendant l'abstinence. C'est un fait que j'ai constaté maintes fois et que j'op- pose aux observations contraires de ïiedemannet Gmelin, de Schultz, d'Eberle, de Mayer, etc. Leur alcalinité est même plus prononcée que celle des diverses parties de l'intestin grêle ; elle l'est encore plus que celle des matières du côlon replié. Néanmoins elles peuvent acquérir quelquefois une certaine acidité par suite du développement des acides lactique et butyrique dans les matières fécu- lentes et sucrées, ou par le fait d'une sécrétion abondante de mucosités acides. Les fluides qui baignent les aliments de ce viscère ne viennent qu'en très faible partie des glandes tubuliformes microscopiques et des follicules solitaires. Ils résultent du mélange des liquides dont l'animal s'est abreuvé, avec le reste de la salive, du suc gastrique, de la bile et des produits de l'intestin grêle ; seule- ment ces (luides y ont perdu la consistance et la viscosité qu'ils possédaient à un si haut degré dans cette dernière partie du tube digestif. Puisque les aliments demeurent longtemps dans le caîcum baignés des fluides qui les imprégnaient dans l'intestin grêle, il semble qu'ils doivent continuer à y éprouver les élaborations qui s'opèrent dans lei)etit intestin. On'nevoit pas, en effet, pourquoi la fécule ne pourrait encore s'y transformer endextrine et en gly- cose, la graisse s'y émulsionner et d'autres substances s'y dissoudre à la longue ; de plus, rien ne s'oppose à ce que les principes assimilables y soient saisis par les radicules des veines et des vaisseaux lymphatiques. Nous verrons plus tard que le caicum absorbe très activement, qu'il a des vaisseaux blancs énormes et des ganglions nonibieux sur leur trajet. Ces vaisseaux contiennent un liquide fibrino- albumineux, comme le chyle, et c'est, à n'en pas douter, un chyle comme celui de l'intestin grêle, quoiqu'il n'ait point la teinte opaline et lactescente de ce der- nier. A ce double titre de réservoir d'élaboration et d'absorption des principes MUTATIONS DES ALIMENTS DANS L INTESTIN. 909 assimilables des liquides, le cfcciim acquiert une importance considérable chez les herbivores h estomac simple. C'est surtout chez les solipf''des que son rôle prend ce caractère. Chez eux il reçoit les aliments, à compter des premiers moments de la digestion gastrique, et les boissons, qui ne peuvent s'accumuler dans l'estomac ni demeurer longtemps dans l'intestin grrle. Le caecum des solipèdes a une disposition qui lui permet de conserver les liquides que l'absorption ne saisit pas. Son fond correspond au voisinage de l'ap- pendice xiphoïde, et son orifice étroit à la région la plus élevée de l'abdomen. Tout ce qu'il pousse ut FiG. 1-29. — CBCum du lièvre et du lapin. tinctes : 1" un appendice en cui-de-sac étroit. san>; bosselures ni plis, entière- ment tapissé par une plaque de Peyer ; •>"• une partie large, alternati\ement dilatée et étranglée dans laquelle se trouNe une valvule spirale à contours très 910 DE LA DIGESTION. réguliers ; dans l'axe de sa cavité les matières molles peuvent monter ou des- cendre sans obstacle, comme elles le font dans une portion d'intestin à parois tout à fait unies. Mais, au pourtour, ces matières semblent devoir suivre les tours de l'hélice que forment les lames muqueuses spiralées. Il est clair que ce cœcum permet aux aliments d'éprouver des élaborations plus prolongées et plus com- plètes que chez la plupart des herbivores et qu'il offre une immense surface à l'absorption, soit veineuse, soit lymphatique. Dans le gros intestin des solipèdes, notamment dans le cœcum et les parties V.VERiUCRUKEftJ Via. 130, — Infusoires intestinaux du cheval. antérieures du côlon replié, vivent huit à dix espèces d'infusoires autres que celles des estomacs des ruminants, qiioi(]iie leur origine el la nature du milieu où elles se dévelojqicnt paraissent les mêmes. Les mieux caractérisés sont des kolpodes (6, 7, 8, 10), reconnaissables à leur forme ovoïde avec une échancrure latérale au fond de laquelle se trouve la bouche; ils se l'eproduisent comme les kolpodes des MUTATIONS DES ALIMENTS DANS l'iNTESTIN. 911 infusions de foin, en présentant les formes transitoires que M. Goste a décrites il y a quelques années. D'autres (11, 12, 13) ont le corps ovoïde presque symé- trifjue, et sont analogues au\ précédents, mais manquent décliancrure latérale. Quelques-uns, tels que le 1, à l'orme rectangulaire allongée; les 2, 3, 4, à cor[ts insyinétriquc, représ(;nt('nt des types dont on pourrait peut-être faire des genres nouveaux. Tous ces infusoires meurent dans les-dernières portions de l'intestin et ne laissent plus que des débris de carapaces dans les matières excrémentitielles. Indépendamment de ces infusoires de grande taille et d'organisation déjà com- pliquée, l'intestin montre des myriades d'autres organismes microscopiques très petits dont la plupart semblent identiques à ceux des matières en décompo- sition plus bu moins avancée ; granules simples ou géminés, en chaînettes ou en chapelet, bâtonnets à un seul segment ou à plusieurs articles, les uns immobiles, les autres à mouvements oscillatoires ou rapides. Leur groupement présente des variantes nombreuses suivant les animaux, leur mode d'alimen- tation et les régions de l'intestin où ils se trouvent. J'ai eu l'occasion de les décrire et de les (igurer dans diverses communications académiques '. Aujour- d'hui on voudrait faire jouer à ces microbes un rôle important dans les élabora- tions intestinales : celui de ferments organisés qu'ils semblent remplir souvent hors de l'économie. Le côlon, qui, chez les animaux carnassiers, constitue un simple réservoir ou V. VER,V.ÛPCKE.1 FiG. 131. — Gros intestin du cheval (*) un égout de matière excrémentitielles, a, chez les herbivores, un rôle important au point de vue des élaborations digestives. Il est surtout remarquable chez les solipèdes en ce qu'il est le siège d'une absorption très active, enlevant l'eau, les 1. De Vdvolution des organismes misooscopiques sur l'animal vivant {Comptes rendus de IWcadémie des sciences, t. XCV, 1882, p. 1:338). (') A, ca;cum; B, C, D, E, les diverses poitiuustiu colon replié; E, la région des calculs et des corps étrau^ers. Les (lèches ludiquout le sens de la prugiessiuu des aliiueuts. 912 DE LA DIGESTION. liquides sécrétés et une bonne partie des principes assimilables que les absor- bants de l'intestin grêle ont laissé échapper. Son énorme capacité, cinq à six fois aussi grande que celle de l'estomac, chez ces animaux, lui permet de retenir à la fois une très grande quantité de matières qui marchent avec lenteur et se mettent en contact avec une immense surface muqueuse, matières qui, en sor- tant par une ouverture étroite et plissée, descendent d'abord vers la courbure sus-sternale B, puis remontent vers la pelvienne D, qui est sur un plan beau- coup plus élevé que la première; de là elles descendent vers la courbure dia- phragmatique E, accolée à la sus-sternale; enlin elles remontent brusquement vers le rein gauche, pour passer dans les circonvolutions du côlon flottant; elles ont ainsi dans le côlon replié une marche deux fois descendante et deux fois ascendante alternant entre elles. Les replis transverses du côlon, en laissant libre le centre de la cavité de l'intestin^ transforment ses parties périphériques en une série d'augets d'où les matières passent successivement de l'un à l'autre, comme cela se faisait déjà dans le cœcum. La disposition des diverses parties du côlon est telle que, dans certains points, les matières sont plus fermes et dans d'autres plus délayées. La courbure dia- phragmatique, à raison de sa situation déclive, renferme toujours beaucoup de liquides très chargés de sels, notamment de phosphate ammoniaco-magnésien, surtout chez les animaux qui reçoivent une forte ration d'avoine, sels qui ont une grande tendance à se précipiter autour des graviers stagnants dans cette région, et à y former les calculs connus sous le nom de bézoards. Ces calculs, que Jules Cloquet a cru formés, comme la coque de l'œuf des oiseaux, par les matières salines des produits de la muqueuse, naissent chez les animaux au sein même du liquide qui imprègne les matières alimentaires. Je crois avoir démontré ^ que ces concrétions se développent et séjournent dans la partie infé- rieure du renflement gastrique E, et qu'elles ne peuvent se constituer que dans un milieu alcalin. Les fermentations du gros intestin sont probablement complexes. Outre celles des parties antérieures du tube digestif qui peuvent s'y continuer, il y a évi- demment, sur la fin, des indices d'une fermentation putride dont les produits gazeux révèlent suffisamment la nature. Les gaz qui se trouvent dans le céecum et le côlon ne sont pas tous des produits de ces fermentations. Plusieurs viennent du dehors et sont apportés avec les aliments, comme l'oxygène, dont la quantité va en diminuant d'avant en arrière, et l'azote, qui a résisté à l'absorp- tion. Il en est que la muqueuse a pu exhaler en échange des gaz absorbés. L'oxy- gène, qui a presque entièrement disparu dans l'intestin grêle, y a été remplacé par de l'hydrogène et de l'acide carbonique. A ces deux derniers s'ajoutent, dès l'iléon, et surtout dans le cœcum et le côlon, l'hydrogène carboné et l'hydrogène sulfuré. La prédominance de l'un de ces gaz indique telle ou telle fermentation : l'hydrogène accuse la fermentation butyrique lorsque les aliments sont fécu- 1. G. Colin, Recherches expérimentales, pkysiolof/ù/ucs et patholofjù/ues, sicr la forma- tion des calculs intestinaux. — Recherches sur les calculs et les maladies calciilcuscs des animaux, mémoires couronnés par la Société centrale d'agriculture, 1859, 1860, MUTATIONS DES ALIMENTS DANS L'INTESTIN. 913 lents ; le sulfhydrique montre la fermentation à tendance putride ou une fer- mentation spéciale aux matières végétales qui renferment du soufre. L'ammo- niaque peut également dériver de la dernière et contribuer à l'alcalinité du contenu du gros intestin. A ces gaz s'ajoutent encore des produits volatils très fétides, chez les carnassiers qui font usage de viande plus ou n)oins putréliée. Ces gaz, qui, en petites quantités, contribuent à maintenir la dilatation de l'intestin, et favorisent la progression des aliments, deviennent, dans les indi- gestions, la cause d'une dilatation outrée, d'une atonie de la tunique charnue et de la suspension du cours des matières, même quelquefois de la mort par asphyxie. Quant aux absorptions effectuées dans le gros intestin, elles sont certainement très actives. Les matières encore très chargées de liquides, en sortant du ciecum, deviennent fermes après avoir parcouru un trajet de quelques mètres ; elles se tassent et forment même des pelotes stercorales à la courbure pelvienne, jusque dans le renflement gastrique, si la digestion est suspendue pendant quelques jours et si l'animal est privé de boissons. En s'arrètant dans les détroits, elles peuvent déterminer des coliques souvent mortelles. Lorsque les' substances alimentaires ont été dépouillées de la [dus grande partie de leurs principes nutritifs, elles deviennent, quels qu'en soient l'aspect et les caractères, matières excrémentitielles. Leur étude doit nous arrêter un instant. . En général, chez les herbivores, les matières stercorales, vues dans les der- nières portions de l'intestin et lors de leur émission, ne difl"èrent pas beaucoup, par l'aspect et la couleur, des matières alimentaires prises dans l'estomac ou l'in- testin grêle ; elles sont jaunâtres si elles proviennent du foin de prairies, verdà- tres si le foin est de luzerne, vert-épinard si les animaux font usage de plantes vertes, dont la chlorophylle traverse l'intestin sans subir d'altération. Mais leur teinte varie un peu suivant la rapidité de leur progression et la quantité de bile dont elles demeurent chargées. Dans tous les cas, elles se foncent plus ou moins, peu de temps après avoir subi le contact de l'air. Chez les carnassiers, elles ont presque toujours une teinte noirâtre, surtout si la chair a été donnée cuite; elles deviennent grisâtres, cendrées, si la bile cesse de couler en proportion normale par suite d'une affection hépatique, d'une obs- truction des canaux biliaires due à la présence des calculs ou d'une opération, telle que l'extirpation du pancréas, capable de réagir sur les fonctions du foie. Dans tous les animaux, elles ont, pendant les premiers temps de la lactation, une teinte de méconium qui pâlit plus tard ; elles noircissent sous l'influence des préparations ferrugineuses, et verdissent par suite de l'usage du calomel. Leur odeur, liée au régime, a quelque chose de particulier dans chaque espèce, l'alimentation restant la même. Elle est due en partie à la bile altérée, comme Valentin l'a bien fait voir, et en partie aux produits des sécrétions intestinales. Sa fétidité est extrême chez les bêtes bovines échauffées, chez les bœufs diarrhéi- ques affectés du typhus ou de maladies chroniques, tuberculeuses, de l'intestin. Il en est de même chez divers carnassiers, tels que les chats. Elle est rendue fétide aussi par le fait de l'altération des aliments, du déversement de la bile hors o. COLIN. — Physiol. comp., 3' édit. I — Ï)S 914 DE LA DIGESTION. du tube intestinal, etc. Cette odeur est en général butyrique chez les mammifères, avant l'époque du sevrage. Leur consistance dépend de la proportion d'eau dont elles demeurent impré- gnées, proportion en rapport avec l'hydratation des aliments, l'abondance des sécrétions intestinales, et le plus ou moins d'activité de l'absorption dans le gros intestin. Chez l'homme, les excréments retiennent de 7 à 31 centièmes d'eau, chez le mouton 56 centièmes, le cheval 77 centièmes, les bêtes bovines de 70 à 82; par conséquent l'aliment retient dans l'excrément des herbivores de 1 à 4 équi- valents d'eau. Au point de vue micrographique, les excréments, montrent du mucus, surtout à leur surface, des gouttelettes de graisse, des aiguilles de stéarine, des restes de bile, des granules de matière colorante, des fragments de toutes les parties végé- tales, groupes de cellules, cellules isolées avec chlorophylle, granules de fécule, fragments d'écorce, vaisseaux de tous ordres, trachées à spire déroulée, poils végétaux, œufs d'helminthes en voie d'évolution, carapaces siliceuses d'infusoi- res, débris que divers observateurs, M. Rawitz entre autres, ont déjà bien décrits. Ils renferment chez les carnassiers des fragments d'os, de tendons, de cartilages, des parties cornées, pileuses, épidermiques, des fibres musculaires, des faisceaux plus ou moins altérés. Dans tous ils peuvent offrir, s'il y a diarrhée, dysenterie des leucocytes et des globules rouges, comme des débris de fausses membranes, s'il y a eu irritation intestinale, etc. La composition chimique des excréments est compliquée. Ils renferment : 1° les parties insolubles, indigestibles des aliments; 2° les parties peu digérées faute d'avoir fait un assez long séjour dans l'intestin; 3° les parties modifiées qui ont échappé à l'absorption ; 4° diverses matières provenant des sécrétions ; 5° enfin des éléments nouveaux résultant des actions chimiques effectuées pen- dant la digestion. On y trouve le ligneux, la cellulose, qui forment la trame des tissus végétaux, les productions pileuses, épidermiques, cornées, d'origine végétale ou animale, qui sont à peu près insolubles, même réduites à des proportions microscopiques. En effet, les poils soyeux cachés sous la glumellule du grain d'avoine et qui ne sont point attaqués dans l'intestin, s'y agglutinent pour former les égagropiles si communs chez les animaux solipèdes. A ces éléments sont mêlés des grains entiers, des fragments de grains avec des cellules d'amidon plus ou moins intactes ; des débris de muscles, de ten- dons, etc. ; de la graisse non modifiée ou saponifiée sous forme de margarate, d'oléate de chaux et de magnésie ; de l'albumine soluble, non coagulable par l'acide nitrique, mais précipitable par le tanin; des produits de sécrétion, du mucus en plus ou moins grande abondance; de la cholestérine, de la taurine, la matière colorante et autres éléments de la bile représentant, d'après Lehmann, 63 cen- tièmes des résidus secs de ce liquide; de l'acide butyrique chez les animaux à la mamelle; quelquefois de la bile inaltérée, si elle a coulé en grande quantité; de la stcrcorine ou sérolinc, produit crislallisable résultant de la transformation de la cholestérine et dont on retrouve des traces dans le sang; de l'excrétine, pro- duit très fixe, soluble dans l'alcool et l'éther^ provenant d'après Marcet, de la MUTATIONS DES ALIMENTS DANS L INTESTIN. 915 décomposition de la taurine ; enfin des matières volatiles, de l'ammoniaque pro- duite par la décomposition dos matières azotées, du gaz sulfhydrique, etc. Voici, au reste, la composition qui en est donnée par Zierl pour le cheval, la vache et le mouton : Eaii Résidus d'jilinients Amidon vert, albumine, mucus Picromel avec sels Matières biliaires et extractives Perte CllKVAI. VACHE MOUTON 69U 7.-)0 G7U 202 141 140 63 83 128 20 11 31 17 10 19 8 9 Il est intéressant de déterminer la quantité de résidus excrémentitiels donnés par une certaine somme d'aliments chez les divers animaux. M. Boussingault, qui s'est occupé de cette question, a trouvé que les excréments représentaient de 10 à 60 centièmes de la masse des aliments. Dans ses expériences, un cheval recevant en foin et en avoine 8 392 grammes, donnait 3 52.o grammes d'excré- ments secs. Une vache qui consommait 10 485 de matières sèches, en regain et en pommes de terre, donnait 4 000 d'excréments également secs. Un mouton qui consommait 7(57 de fourrage sec, rendait 412 d'excréments secs. Enfin, un porc qui absorbait 1 039 de matières sèches en pommesjjde terre et eaux grasses, don- nait seulement 102 de fèces sèches. Ces rapports entre le poids des aliments et celui des excréments mériteraient d'être fixés avec soin pour chaque aliment dans une série d'animaux, car ils donneraient la mesure de la puissance digestive ou d'assimilation de chaque espèce. On comprend qu'ils varient dans des limites considérables, car parmi les substances végétales le foin, la paille, renferment beaucoup plus de principes non digestibles que les grains, les farines, les racines féculentes, et surtout que la chair musculaire. Dans les excréments se trouvent des matières minérales venant de l'aliment, des boissons, des produits de sécrétion, du chlorure de sodium, du phosphate cal- caire, du phosphate ammoniaco-magnésien qui, sur les animaux recevant de fortes rations de grains, est abondant dans le renflement gastrique où il se dépose sur les corps étrangers pour former de volumineuses concrétions. On y voit aussi du sable calcaire ou quartzeux, de la terre qui étaient associés aux aliments. Ces sels sont plus ou moins abondants dans les matières excrémentitielles, suivant les points où elles sont prises, et ils ne se retrouvent pas partout dans les mêmes proportions, car les dissolutions salines ne sont pas absorbées telles qu'elles se trouvent. Certains sels, les calcaires par exemple, disparaissent plus promptoment (pie les magnésiens et d'autres. Aussi ces derniers dominent-ils dans les matières rejetées, suivant le rapport de 2 ou de 2 et demi à 1, d'après Lehmann. Comme leur absorption est plus difficile que celle de l'eau, ils sont 916 DE LA DIGESTION. évacués en grande quantité si la digestion s'est faite rapidement. Le phosphate ammoniaro-m'agnésien qui se forme dans le milieu alcalin du côlon, surtout dans le renflement gastrique, devient l'élément constitutif essentiel des calculs chez les chevaux. En comparant les ingesta avec les excréta intestinaux, il est facile de voir que l'absorption prend, avec les matières assimilables des aliments, une grande partie des substances que les sécrétions ont versées dans le tube digestif. La bile, par exemple, ne laisserait dans les excréments, d'après Liebig, qu'un 10° de ses élé- ments sur le cheval, qu'un 50®, même un 75° sur l'homme. Il est clair que sans ces rentrées de produits enlevés au sang, l'élaboration des aliments coûterait trop à l'économie et l'épuiserait en la reconstituant. En eflét, d'après Bidder et Schmidt, un homme du poids de 62 kilogrammes donnerait en vingt-quatre heures : kil. 1,6 de salive contenant 15 gram. de matières sèches. 6,4 de suc gastrique 192 — 1,6 de bile 80 — 0,2 de suc pancréatique 20 — 0,2 de suc intestinal 3 — en tout 10 kilogrammes chargés de 310 grammes de matières sèches. Comme, d'après leurs calculs, le corps d'un homme de ce poids renfermerait 42 kilo- grammes d'eau et 20 kilograiumes de solide, le quart de sa partie aqueuse serait versée quotidiennement dans l'intestin, puis réintroduite dans la circulation. Chaque kilogramme du poids du corps donnerait 209 graiumes de produits de sécrétions, dont 203 d'eau, 3,8 de substance organique et 1,8 de matières minérales. Sur un cheval du poids de 400 kilogrammes nourri au foin, soit 10 kilogram- mes, il y aurait, d'après les estimations basées sur mes expériences : 42 kilogrammes de salive. 5 de suc gastrique. 5 de bile, 5 de suc pancréatique. 10 de suc intestinal. soit 67 kilogrammes, ou le sixième du poids de l'animal. Si le corps renfcriue les deux tiers d'eau, le quart du liquide de l'économie est versé, comme chez l'homme, chaque jour dans le tube digestif. Indépendamment des infusoires dont il a été question plus haut, on peut trou- ver dans l'intestin d'autres êtres vivants encore peu étudiés. Ce sont : 1° des bactéries que j'ai vues dans l'intestin grêle, comme dans l'estomac, après quel- ques heures de digestion, chez les chiens qui avaient mangé de la viande fai- sandée, ou des aliments altérés, même chez des oiseaux, la fauvette notamment ; 2° des amibes, souvent en quantité prodigieuse; 3° des corpuscules appelés Cryptococcus guttulatus, signalés par Remak dans l'intestin des ruminants, du ^ MOUVEMENTS DE LINTESTIN. 917 porc et du lapin ; 4" des Irustulaires, formés par une série de cellules inégales et qui paraissent se rencontrer dans l'inlestin de tous les herbivores. Les matières excrémentiticlles de quelques espèces montrent aussi, suivant les cas, des infu- soires analogues à ceux que Leuwenlioeck, puis Leuret et Lassaigne, ont trouvés sur l'homme et les batraciens, des vibrioniens, des cercomonas signalés plus récemment dans les déjections des cholériques. V. — Des mouvements intestinaux et de la défécation. En traitant de la digestion intestinale, nous avons fait abstraction des mouve- ments que l'intestin imprime aux matières qu'il contient; nous avons vu l'esto- mac chasser, à travers l'orilice pylorique, des ondées de chyme qui, en arrivant dans le duodénum, se mettent en contact avec de nouveaux agents modificateurs. Il faut examiner maintenant les contractions intestinales qui règlent la durée du séjour des aliments, le mode et la vitesse de leur progression, enfin le départ du résidu des actions digestives. Ces simples phénomènes, placés sous la dépen- dance du système nerveux, ne nous paraîtront pas moins admirables que le rhythme des mouvements du cœur et des divers organes contractiles. Les mouvements de l'intestin (jue Oalien a indiqués avec précision, et que les sacrificateurs anciens avaient pu observer dans tous leurs détails, peuvent se voir aussi bien sur l'animal vivant, dont le ventre est largement ouvert, que sur l'animal récemment tué. Ils deviennent même sensibles au toucher, lorsque le bras de l'observateur s'engage dans la cavité abdominale à travers une plaie du flanc. Haller en a donné une description à laquelle il y a peu à ajouter. Les mouvements intestinaux, examinés sur un animal qui vient de mourir ou qu'on a sacrifié depuis peu, paraissent n'avoir aucune régularité, aucun rythme déterminé. On voit toute la masse intestinale, étalée au contact de l'air, s'agiter d'abord très lentement et en quelques points, puis avec plus de vivacité et d'une manière confuse. Les circonvolutions glissent les unes sur les autres; les plus superficielles deviennent profondes ; les circonvolutions, d'abord cachées, de- viennent apparentes. Dans les points dilatés, il se produit un étranglement de plus en plus marqué. Au delà se forme une bosselure qui s'agrandit progressi- vement. Bientôt le rétrécissement s'efface et se trouve remplacé par une dilata- tion, puis la dilatation devient un étranglement. Les dépressions et les bosse- lures naissent à la fois sur plusieurs points et se succèdent avec une certaine rapidité; l'intestin en masse décrit des ondulations comme le corps d'un serpent replié et enroulé sur lui-même. Les circonvolutions changent continuellement d'aspect : les plus i)etites arrivent à décrire des courbes d'un grand diamètre; les plus grandes se tordent, se divisent et se fractionnent. Les parties cylin- driques et resserrées se dilatent, puis deviennent noueuses. Les aliments, les fluides et les gaz se déplacent. On les voit passer d'une anse déprimée dans une anse dilatée, et leurs mouvements s'accompagnent parfois d'un léger bruit. Ces contractions, auxquelles l'impression de l'air froid donne une certaine vivacité sont plus prononcées sur les animaux en pleine digestion que sur ceux 918 DE LA DIGESTION. dont l'intestin est très distendu par les aliments ou à peu près vide. Après s'êlre opérées pendant un certain temps, elles se ralentissent et perdent de leur énergie; les nœuds persistent plusieurs minutes, les rétrécissements ne dispa- raissent qu'après de longues périodes. Si alors on déplace un peu la masse, les mouvements se raniment ; les anses 'demeurées à l'abri du contact de l'air re- commencent à s'agiter avec une nouvelle vivacité. Si on projette à leur surface quelques gouttes d'eau troide, les points touchés par le liquide deviennent des centres de contraction. Le même effet se produit par suite d'un pincement des tuniques intestinales, par l'action d'un acide, de l'alcool concentré ou d'un caus- tique. Aux endroits irrités, l'intestin s'étrangle et chasse son contenu au delà des parties resserrées. Si on fait une petite incision aux parois de l'intestin, il s'en échappe d'abord une faible quantité de matières alimentaires, et bientôt les bords de la plaie se renversent et forment, comme le disait Haller, deux espèces de lèvres recouvertes par la m.uqueuse devenue extérieure. Une anse détachée du reste se vide d'une partie de son contenu, prend l'aspect d'une corde noueuse et le conserve après l'extinction de sa contractilité; ses extrémités se renversent en dehors sous la forme d'un bourrelet saillant tapissé par la membrane interne. Une anse semblable, récemment détachée et liée aux deux extrémités, se meut vivement dans l'eau tiède, où elle a été projetée. Les contractions, qui paraissent irrégulières et sans ordre déterminé, s'opèrent cependant, pour la plupart, de l'estomac vers le gros intestin. Les aliments et les liquides oscillent, il est vrai, de l'iléon vers le duodénum, et du duodénum vers l'iléon ; mais enfin la direction péristaltique prédomine, car, au bout d'un certain temps, le tiers supérieur ou la première moitié de l'intestin grêle est à peu près vide, et toutes les matières sont accumulées dans la dernière jusqu'à l'iléon, con- tracté. C'est ce qu'on voit très bien chez les animaux solipèdes. Haller a observé que ces mouvements de l'intestin persistent après la mort plus longtemps que ceux du cœur. Il les a provoqués une heure après la mort apparente chez le chien et la grenouille. Je les ai vus encore très sensibles cinquante et même cinquante- cinq minutes sur le cheval, après la mort déterminée par la section de la moelle épinière au niveau de l'occipital. Les mouvements intestinaux, si sensibles lorsque la cavité abdominale est ouverte depuis quelques instants, sont moins prononcés à l'état normal. On les voit faibles et lents sur l'animal vivant, au moment même de l'incision des parois abdominales, comme sur les animaux où ils sont observés à travers le péritoine demeuré intact. Dans ce cas ils sont lents, assez réguliers, suspendus par moments; leur rythme paraît consister dans une série d'oscillations dues aux contractions péristaltiques alternant avec les antipéristaltiques. Ils ne prennent de la vivacité que par suite de l'impression de l'air ou du contact d'un sti- mulant un peu énergique. Leurs caractères et leurs edets varient suivant les régions du tube intestinal. Ils sont très énergiques et très fréquents au duo- dénum constamment stimulé par le passage des ondées de chyme, ainsi que par l'afflux des sucs biliaire et pancréatique; ils le sont encore assez dans le tiers supérieur de l'intestin grêle, puis se ralentissent dans le reste du viscère. Ces mouvements acquièrent une grande activité, lors de l'arrivée d'une grande quan- MOUVEMENTS DE l'iNTESTIN. 919 tité d'aliments et de liquides dans l'intestin. Dans tous les cas, pour s'en faire une idée exacte, il faut éviter l'air. L'air les excite, les exagère, les rend irrégu- liers et tend à en modifier le rytlime. Les mouvements de l'inlestin sont évidemment sous la dépendance du sys- tème nerveux. Ils peuvent cependant se produire et persister longtemps après la mort quand l'intestin est séparé non seulement du centre cérébro-spinal, mais encore des ganglions du sympathique. Les impressions générales, les émotions, la frayeur, l'injection des médicaments dans les veines, l'arrivée des liquides très froids les activent; la sortie précipitée du chyme de l'estomac leur donne de la vivacité; les purgatifs qui entrent dans l'intestin les provoquent bien au delà des points où ils sont parvenus, et les clystères les excitent aussi au-dessus des ré- gions où ils ont pénétré. Quelques physiologistes veulent, comme Schiff, les faire dépendre de la circulation qui les influence manifestement, car on les voit ad'aiblis sur l'intestin congestionné et très énergiques sur l'intestin exsangue. Mais il me semble qu'on a mal interprété les résultats des expériences faites sur ce point. Si, en liant l'aorte, par exemple, on produit des effets analogues à ceux qui résultent de l'irritation des nerfs, on les détermine également en faisant pé- nétrer l'air dans la cavité péritonéale. Aussi, tant que les expérimentateurs n'iso- leront pas ces influences, on pourra rapporter à l'action de l'air la plupart des effets observés à la suite des troubles de la circulation et des stimulations diverses. La locomotion intestinale offre quelques particularités dans les divers animaux. Pendant l'abstinence, l'intestin grêle des carnivores est i)elit, complètement affaissé sur lui-même ; sa cavité s'est oblitérée, il ressemble à une corde noueuse dont l'aspect est tout à fait caractéristique.. Celui des solipèdes est également afl"aissé et contracté dans sa partie antérieure, sur un trajet de 3, 4, Ij, 6 mètres cl plus; sa deuxième moitié, plus ou moins dilatée, renferme les matières qu'il a conservées. Cet état persiste sur le cadavre seulement quelques heures après la mort. Il disparait lorsqu'un commencement de décomposition a déterminé un dégagement de gaz qui distendent les diverses parties du tube digestif. Le même phénomène s'observe sur les animaux tués lorsqu'ils digèrent plus ou moins activement. Les parties antérieures, ayant continué à se contracter encore après la mori, ont poussé vers l'iléon ce qu'elles contenaient; et une fois à peu près vides, elles se sont disposées en cordon plus ou moins régulier ou noueux. Ce résultat constant a été considéré par Girard et d'autres auteurs comme un rétré- cissement dérivé des privations et delà faim; mais c'est une erreur. Le rétrécis- sement d'une partie de l'intestin se dissipe par l'insufflation et par l'accuraula- tion des gaz, dès que la rigidité cadavérique a cessé dans les viscères contractiles de l'abdomen. Leur énergie n'est pas la même dans tous les animaux : elles ont une grande puissance chez les carnivores, dont la tunique musculeuse de l'intestin est très épaisse; aussi peuvent-elles, par moments, resserrer l'intestin, soit par places, soit dans son ensemble, au point de lui donner l'aspect funiculaire, l'allés sont faibles chez les herbivores, (|iii itnl, en général, les pai'dis intesliiialfs minces. Il est à noter (|ue la dernière parlie de l'inleslin grêle, rlie/ les solipèdes, 920 DE LA DIGESTION. longue d'un mètre à un mètre et demi, est constamment contractée après la mort et à peu près vide. Celle-ci joue un rôle important relativement à la pro- gression des aliments et à leur passage, dans le gros intestin. On conçoit, pour peu qu'on y réfléchisse, que le transport des matières ali- mentaires de l'estomac dans le gros intestin doit être assez ralenti pour que la bile, le suc pancréatique et le suc intestinal, aient le temps d'agir sur elles, et les villosités celui d'absorber les principes assimilables. Le but ne serait pas atteint si les mouvements péristaltiques étaient simplement ralentis; car il est indispensable que les matières soient sans cesse agitées et soumises vingt fois au contact des surfaces absorbantes ; mais il l'est par le fait du rythme des con- tractions intestinales, qui font osciller les aliments du duodénum vers l'iléon, et de l'iléon vers le duodénum ou plutôt d'une anse vers une autre. Les aliments, arrivés vers la dernière portion de l'intestin grêle, ne peuvent aisément passer dans le caecum ; car l'iléon, qui a un faible diamètre, des parois fort épaisses et presque toujours contractées, leur oppose une barrière puissante. Cet iléon, comparable pour l'épaisseur des parois et les contractions énergiques, à l'extré- mité inférieure de l'œsophage des solipèdes, empêche évidemment tout le contenu de l'intestin grêle de passer dans le caecum quand l'animal boit une grande quantité d'eau ; il le pousse lentement dans le gros intestin lorsque le jéjunum est suftisamment distendu. Une particularité si remarquable n'est pourtant pas générale ; elle manque aux ruminants, dont les aliments n'arrivent dans l'intestin grêle qu'en très petites portions à la fois. Les contractions de l'intestin grêle donnent quelquefois lieu à ce qu'on appelle l'invagination : une portion contractée ou très rétrécie s'engage en dedans de la portion suivante, qui se trouve dilatée. Haller eut l'occasion d'en voir une se produire sur un lapin dont l'abdomen était ouvert. On en trouve assez souvent plusieurs placées à une certaine distance les unes des autres chez les jeunes chiens. J'en ai observé quatre sur le trajet de l'intestin grêle d'un jeune singe. Peut-être ces invaginations sont-elles très fréquentes et disparaissent-elles sou- vent sans grandes difficultés. Le volvulus, qui n'est pas rare chez le cheval, paraît se liera la disposition de l'intestin grêle et au resserrement de la dernière por- tion. J'en ai vu un, dans lequel les dernières anses de l'intestin grêle s'étaient enroulées plusieurs fois autour de l'iléon contracté, de même qu'on le fait aisément sur le cadavre. On conçoit le jnécanisme de ce déplacement en se rappelant qu'à la suite de l'ingestion d'une grande quantité d'eau froide, celle-ci arrive bientôt jusqu'à l'iléon qui, par son resserrement, lui ferme l'entrée du cœcum. Alors la dernière anse, distendue et redressée par le liquide que chassent les contractions des parties antérieures, se renverse par son propre poids et se tord sur l'iléon, pour peu qu'elle soit sur un plan supérieur à celui-ci. Les matières alimentaires et les boissons cheminent assez rapidement dans l'in- testin grêle, cai' il suffit de cinq à quinze minutes pour qu'une partie des liquides qui sortent de l'estomac parcourent tout le trajet qui sépare le réservoir gastri- que du caîcum. Ce Irajel a cela de remarquable, chez les solipèdes que les deux extrémités de l'intestin grêhi se trouvent à un niveau plus élevé que la partie MOUVEMENTS DE L'INTESTIN. 921 moyenne de cet organe, l'une étant Oxéo sous les piliers (lu diaphragme, et l'au- FiG. 132. — Giociiiii dos solipèdes isolé et dilaté, tre sous le rein droit, à l'arc du caecum. Aussi les matières alimentaires doivent- 922 DE LA DIGESTION. elles suivre, dans l'ensemble de leur progression, d'abord une marche descen- dante, puis une marche ascendante. Une fois que les matières alimentaires sont arrivées dans le caecum, elles y séjournent plus ou moins, et n'en sortent que difficilement, par petites portions chez certains animaux, tandis qu'elles passent librement de là dans le côlon chez la plupart : mais jamais elles ne refluent dans l'intestin grêle. Ce caecum, parfaitement circonscrit chez le cheval et les autres solipèdes, y présente un grand nombre de bosselures séparées par des plis U'ansversaux. Sa pointe ou son fond descend vers l'appendice abdominal du sternum, et ses deux orifices, tout à fait supérieurs, se trouvent fort rapprochés delà colonne vertébrale ; aussi les aliments et les liquides qu'il reçoit tombent-ils vers sa partie déclive, puis remontent, contre leur propre poids, lorsqu'ils passent dans le côlon, tandis que les gaz occupent l'arc ou la région la plus élevée. Les matières délayées qui y sont tenues en dépôt, ne peuvent refluer dans l'intestin grêle, par suite de l'obstacle qu'oppose le prolongement saillant de l'iléon, si développé chez le porc et découpé en deux petites lèvres dans certaines espèces. Elles ne passent qu'avec lenteur et en très petite quantité dans le côlon replié, en raison de la disposition singulière de l'orifice qui fait communiquer entre elles ces deux sections du gros intestin, orifice étroit, sinueux, courbé sur lui-même et à des parois plissées. Dès qu'elles y acquièrent une grande consistance et qu'elles s'y dessèchent, elles ne franchis- sent plus ce détroit. Aussi le caecum ne peut-il se désobstruer dans certaines indigestions, surtout lorsqu'il contient 30 à 40 kilogrammes d'aliments tassés et moulés dans ses cellules, comme je l'ai vu il y a longtemps, sur deux chevaux morts à la suite de violentes coliques. Le contenu du cœcum passe dans le côlon, soit lorsque le premier réservoir est trop plein, soit lorsque les parois de celui-ci se contractent de la pointe \ers l'arc, c'est-à-dire de la partie déclive vers la plus élevée. Ces contractions, qui paraissent faibles sur l'animal dont l'abdomen est ouvert, doivent cependant jouir d'une énergie considérable, puisqu'elles font remonter dans le côlon les balles de plomb,' les billes de marbre assez lourdes qu'on fait avaler au cheval. Peut-être ne sont- elles pas étrangères au développement de cette invagination par laquelle la pointe de l'organe remonte dans l'arc et vient sortir dans le côlon replié. La disposition si remarquable du caecum des solipèdes n'est pas fort commune parmi les mammifères : elle se rapproche beaucoup de celle du ctccum du lièvre, du lapin et de plusieurs pachydermes ; mais elle n'a plus rien de commun avec celle qu'on observe chez les ruminants et les carnivores, car chez ceux-ci le caecum est cylindrique, sans replis, sans bosselures ni bandes longitudinales ; et il n'y est séparé du côlon par aucun étranglement qui puisse empêcher les matières alimen- taires de passer aisément de l'un dans l'autre. D'ailleurs chez les ruminants et les carnassiers il est réduit à un rôle d'une minime importance. Les aliments, une fois arrivés dans le côlon, s'y accumulent en grande quantité, surtout chez les vieux chevaux et les animaux qui digèrent mal. Ils sont encore très délayés dans les premières sections, depuis le ciocum jusqu'àla courbure sus- sternale et de celle-ci à la courbure pelvienne ; mais ils prennent de la consis- tanceà mesure rjirils se rapiuoclicnl du côlon flottant. Leur marcheest favorisée. MOUVEMENTS DE l'iNTESTIN. 923 aiilu'ii d'être ralentie, parles plis appelés improprement valvules conniventes, valvules qui divisent la masse, l'ébranlentportion par portion, par un mécanisme analogue à celui des palettes d'une roue hydraulique. Le ralentissement de cette progression tient à l'étendue du trajet que les matières parcourent, puis au rétré- cissement de la courbure pelvienne, et de l'origine du côlon flottant, dans lequel elles ne parviennent qu'après avoir été privées d'une forte proportion de leur véhicule aqueux. Elles s'arrêtent même au niveau des rétrécissements si elles sont sèches ; elles s'y durcissent et forment les pelotes stercorales qui occasionnent si fréquemment des coliques graves ou mortelles ; mais ce n'est pas dans ces points que séjournent ces calculs énormes dont le poids s'élève jusqu'à 8 à 10 kilo- grammes, sans que leur présence soit incompatible avec l'entretien régulier des fonctions digestives. Les contractions du gros intestin n'ont pas la vivacité qui appartient à celles de l'intestin grêle; cependant leur énergie est quelquefois très considérable. On les voit très bien sur un animal tué depuis quelques minutes et dont l'intestin est étalé hors de la cavité abdominale. On les voit de même sur un animal vivant dont le côlon modérément lesté est mis à découvert. Dès que l'impression de l'air s'est fait sentir depuis quelques instants, les contractions, auparavant très faibles, prennent une vivacité graduellement croissante. Les bosselures se chan- gent en dépressions, les dépressions deviennent des bosselures, suivant une suc- cession souvent assez rapide. Le côlon, dans ses parties déjà rétrécies, se resserre et se dilate tour à tour, au point que, par moments, la courbure pelvienne arrive à n'avoir plus que le tiers de son diamètre normal. Ces contractions, d'autant plus sensibles que l'intestin est moins distendu, ont besoin d'une grande énergie pour faire progresser des masses énormes d'ali- ments, et souvent contre les lois de la pesanteur, comme de la courbure sus- sternale à la courbure pelvienne, et de la courbure diaphragmatique à la nais- sance du côlon flottant. Les libres circulaires qui les déterminent prennent des points d'appui sur les fortes bandes longitudinales dont l'usage essentiel est, comme l'avait remarqué Galien, de donner de la solidité aux parois intestinales. Quant à ces rubans eux-mêmes, ils ne paraissent pas se contracter sur le côlon replié et le cœcum, mais leur contraction devient parfois sensible sur le côlon flottant, où ils sont très évidemment et exclusivement de nature musculaire. Les matières parvenues dans le côlon flottant ont cédé aux absorbants une grande partie des liquides qui les imprégnaient. A mesure qu'elles cheminent dans cette dernière section du tube digestif, elles acquièrent une plus grande consistance. Les valvules conniventes divisent la masse en petites pelotes qui se tassent progressivement et se recouvrent d'une légère couche de nmcus. En passant d'une cellule dans la cellule suivante, chaque pelote conserve sa forme et son volume, sans jamais se réunir avec celles qui l'avoisinent. Elles s'entassent dans le rectum en quantité plus ou moins considérable, jusqu'au moment de leur élimination. Chez un grand nombre d'animaux, \o côlon, au lieu d'ofl'rir la [disposition si remarquable qui appartient aux soli[»èdes, aux [tachydermes et à quelques ron- geurs, conserve l'aspect de l'intestin grêle. 11 n'a dans les ruminants el les car- 924 Dp LA DIGESTION. nassiers, par exemple, ni dilatations, ni resserrements alternatifs ; il y est dépourvu de bosselures, de \alvules, de bandes longitudinales. Cependant les matières stercorales s'y rassemblent en petites pelotes, comme on le voit chez le mouton, la chèvre, le dromadaire, le lièvre, le lapin, etc. Ce résultat, dont la cause ne réside point dans une disposition anatoraique, tient au mode spécial de contrac- tion des dernières parties du gros intestin qui s'étranglent de distance en dis- tance, de manière à prendre l'aspect moniliforme d'une corde noueuse. Les pelotes, souvent assez espacées, peuvent s'amasser dans le rectum sans se con- fondre les unes avec les autres. Chez les carnivores dont le côlon est extrêmement court, ce mode de contrac- tion ne s'observe pas. Le gros intestin reste dilaté uniformément. Les excré- ments, s'ils sont consistants, s'y moulent sous la formed'un cylindre que coupent en plusieurs segments les contractions du sphincter. Les matières stercorales, lorsqu'elles se sont entassées dans le rectum, font naître une sensation spéciale qui exprime le besoin de la défécation. Le sphincter de l'anus, jusqu'alors resserré, sans l'intervention de la volonté, se relâche volon- tairement; le rectum se contracte d'avant en arrière; le diaphragme et les muscles abdominaux viennent au secours du dernier segment intestinal, dont l'action isolée resterait le plus souvent impuissante, bien qu'elle ne manque pas d'énergie, car Haller, Legallois et d'autres l'ont vue chez le chien suffire à l'expul- sion des fèces, pendant que l'abdomen était ouvert. Il est à noter que souvent cette évacuation a lieu sans que le rectum soit rempli sur toute sa longueur. On voit, en effet, assez fréquemment chez le bœuf, au moment où l'anus s'ouvre, les matières venir de loin et remplir bientôt les parties postérieures de cet intestin momentanément dilatées. Les matières alimentaires, pour traverser toutes les sections du tube digestif, c'est-à-dire pour parcourir, chez le cheval, un trajet moyen de 30 mètres, chez le mouton, de 32 mètres, et chez le bœuf, de 56 mètres, n'emploient pas un temps bien considérable. Nous avons vu, en effet, que les petits tubes, les boules creuses, que Réaumur et Spallanzani faisaient avaler à des moutons étaient quel- quefois rendus avec les excréments, trente, trente-trois heures après leur inges- tion, et pourtant ces corps étrangers avaient probablement séjourné plus que les aliments dans les compartiments gastriques. Les petits sachets, les masses de chair, les boules de verre, les billes de marbre, que je faisais avaler à des che- vaux, étaient rendus avec les matières stercorales, de la vingt-deuxième à la trentième heure, rarement au bout d'une période plus longue. Le travail de la digestion est maintenant achevé. Tous les actes si variés de cette importante fonction n'étaient destinés, en définitive, qu'à préparer les matières alimentaires à céder aux absorbants une partie de leurs principes assimi- lables. Par l'analyse rapide que nous venons d'en faire, on a pu voir combien d'opérations combinées étaient nécessaires pour arriver à un tel résultat. Il a fallu aux animaux des instincts pour les guider dans la recherche et le choix de leurs aliments, des sensations pour les avertir du besoin d'en prendre, pour régler la mesure suivant laquelle ils doivent en user, et en appréciei- les diverses qualités; il a fallu l'action d'organes spéciaux pour saisir l'aliment, celle d'autres MOUVEMENTS DE l'INTESTIN. 925 organes pour le diviser et le broyer, l'imprégner de salive et l'amener dans les réservoirs gastriques ou intestinaux; il a fallu enlin les produits de nombreuses glandes pour l'élaborer, une immense surface pour en saisir les princii>es nutri- tifs, des expansions contractiles pour le mettre en mouvement et en expulser les résidus. Nous avons vu avec quelle harmonie ces actions s'accomplissent simultanément ou successivement. Nous avons fait la part des forces vitales et des forces chi- miques dans ces opérations complexes qui transforment la substance étrangère en matière organisée. Les puissances vitales ont présidé au travail dans son ensemble et dans tous ses détails; elles ont déterminé les conditions dans les- quelles les autres pouvaient agir ; elles ont donné aux sensations leur caractère, aux sécrétions leur cachet spécial, aux mouvements leur rythme si bien coor- donné. Dès que les sucs modificateurs ont été versés et que ces réactifs ont été mis en contact avec l'aliment, il s'est transformé mieux qu'il ne l'aurait fait dans un réservoir inerte, car ces transformations s'effectuent dans un appareil admirablement organisé, sorte de vaisseau qui se meut de lui-même, reçoit et garde les matières à élaborer, produit les fluides dissolvants, absorbe les prin- cipes réparateurs, et expulse les résidus ; vaisseau servant d'atelier mystérieux où les puissances chimiques travaillent silencieusement sous la direction des forces, d'ordre supérieur, qui président aux actions digestivescomme à toutes les autres fonctions de l'économie animale. FIN DU TOME PREMIER TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE TOME PREMIER Préface '^' Introduction 1 I. De l'organisation en général, de ses formes et de ses lois 1 II. De la vie en général, et de ses manifestations 16 III. De l'observation considérée comme moyen d'arriver à la connaissance des phénomènes de la vie 27 IV. De l'expérimentation 36 V. De la systématisation 47 VI. Des méthodes en physiologie, de la marche et des progrès de cette science 60 Ënumération et classification des fonctions 76 LIVRE PREMIER DES FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX Chap. 1. Du système nerveux en gé- néral, et de l'ensemble de ses fonctions 80 I. Formes du système nerveux dans le règne animal 80 II. Propriétés générales du système nerveux 83 m. Action nerveuse en général 86 Chap. II. Fonctions de l'encéphale.. 90 Du cerveau ou des hémisphères céré- braux i'O I. Rôle des hémisphères cérébraux relativement à la sensibilité géné- rale et aux sensations 95 II. Rôle des hémisphères cérébraux reiaLivement aux mouvements... 100 III. Rôl(! d(!S hémisphères cérébraux ridalivement auv facultés intellec- tuelles et instinctives 109 IV. Du rôle des diverses parties des hémisphères cérébraux 114 Du cervelet 126 Du mésocéphale 137 De la moelle allongée 139 Des mouvements de l'encéphale. . . . 115 Chap. III. Fonctions de la moelle épinière 152 I. Coup d'œil anatomique et micro- graphique 1 52 II. Propriétés de la moelle épinière. 159 III. Fonctions conductrices de la moelle épinière 162 IV. Actions réflexes de la moelle épinière i67 V. Action de la moelle sur diiï'c- renies fonctions 171 VI. Mouvements de. la moelle épi- nière 177 VU. influence de la cii'culatioii sur les fonctions des centres nerveux. 179 TABLE DES MATIERES. 927 Chap. IV. Propriétés et fonctions des nerfs 180 ]. Transmission des impressions sen- sitives et des excitations motrices. IS"/ II. Action des agents physi([ues et chimiques sur les nerfs IHU III. Act ion de l'électricité sur les nerfs 191 Propriétés et fonctions des diverses espèces de nerfs 194 I. Des nerfs sensitifs 194 Des nerfs de sensibilité spéciale. . 194 Des nerfs de scnsibiliié générale. 198 II. Des nerfs moteurs 205 III. Des nerfs mixtes 213 CuAP. V. Fonctions du grand sympa- thique -220 Chap. VI. Psychologie animale; fa- cultés instinctives et intellec- tuelles ill I. Des facultés intellectuelles et in- stinctives en général 241 II. Des instincts de conservation... 257 m. Des instincts de reproduction. . 2C2 IV. De l'intelligence 2"0 V. Du caractère, des sentiments et des passions 280 VI. De riiiflucnce de la civilisation et de la domesticité sur les facul- tés instinctives et intellectuelles VII. Des moyens d'apprécier lintel- ligence et le caractère 288 ■2'J'J LIVRE DEUXIEME DES SENSATIONS Chap. Vil. Des sensations en général. 318 (^HAP. Vlll. Des sensations en parti- culier 32() 1. Du toucher :J-2li II. De la gustation 333 III. De l'ulfaction 340 IV. De l'audition 349 V. De la vision 862 LIVRE TROISIEME DE LA LOCOMOTION CiiAP. IX. De l'action musculaire... 381 I. Texture et propriéti's du tissu musculaire 381 II. Caractères et phénomènes