CK V J^.4.^ 1 exemple la phtliisie pulmonaire , se transmettent facilement aussi de l'homme à la femme, surtout lorsqu'elle est plus jeune que lui , et les inconvéniens de la disproportion d'âge portent sur elle de préférence; car les jeunes femmes unies à de vieux maris fort ardens se fanent de bonne heure , tan- dis que ceux-ci semblent rajeunir momentanément , aux dé^ pens de leur jeunesse. 2" La copulation exalte la vie tout entière , et elle est un besoin pour l'individu , notamment pour les femmes , dont la beauté ne se développe souvent d'une manière complète qu'a- près le mariage , qui forme leur esprit , leur donne plus d'a- plomb et d'indépendance , et contribue à entretenir leur fraî- cheur , quand elles n'abusent point de ses plaisirs. Mais le dé- faut de modération leur nuit, non seulement parce qu'il épujse la faculté procréatrice elle-même , et donne lieu à des mala- dies locales, à des écoulemens, à des chutes de matrice, etc., mais encore parce qu'il porte atteinte à tout l'ensemble du physique et du moral , dégrade le sentiment de l'amour , arrache l'empire à la raison, pour le donner à la sensualité , éteint toute activité, en ne laissant plus accessible qu'aux jouissances, et conduit enfin, par la satiété, à l'indifférence et au dégoût. 3° La copulation détermine chez la femme des changeraens locaux dont les analogues ne se remarquent point chez l'homme , à moins qu'on ne veuille faire entrer en ligne de compte la facilité plus grande du prépuce à se rabattre sur le gland. L'hymen, repli de la membrane muqueuse qui oppose plus ou moins d'obstacle à l'introduction du membre viril dans le vagin, éprouve ordinairement, aux premières approches, une déchirure, qui entraîne quelque peu de douleurs et une perte de sang insignifiante. Cependant il peut aussi se déchirer sans cette circonstance , lorsqu'il n'est qu'un simple prolongement de l'épiderme, mince et dépourvu de vaisseaux (1). Il peut aussi céder , sans se déchirer , surtout quand ii consiste en deux étroites moitiés adhérentes aux parois antérieure et pos- (1) Mende, Handbuch der gerichtlichen Medicin, t. IV, p. 436. 72 AGE ADULTE. térieure du vagin, sans communication immédiate Tune avec l'autre. Il peut encore, sans se déchirer, ni céder, permettre une copulation incomplète, suivie de conception (§ 293, 2"). Enfin il peut être incomplètement développé, par suite d'un vice de première conformation , ou s'être déployé sous l'in- fluence de causes qui ont amené l'ampliation et le relâchement du vagin. L'hymen, en se déployant et s' effaçant, contribue à élargir la partie inférieure du vagin , celle qui est située der- rière lui, et qui jusqu'alors était la plus étroite ; cette région offre ensuite des plis irréguliers de la membrane muqueuse, appelés caroncules myrtiformes , que Monde (1) ne regarde cependant pas comme des débris de l'hymen, et qui d'ailleurs sont fort inconstans. D'autres changemens, qui ne surviennent qu'après la répé- tition fréquente de l'acte vénérien , et qui tiennent au relâ- chement des parties , fournissent des signes bien moins cer- tains encore, attendu que , chez les femmes ardentes , dont la complexion est sèche , et chez lesquelles prédominent Tirri- tabilité et la vie du sang, la tension et la constriction se réta- blissent aisément. Ce n'est donc guères que chez les femmes qui ont pratiqué fort souvent l'acte vénérien, et dont la fibre est molle et le tempérament phlegmatique, qu'on trouve les grandes lèvres moins exactement appliquées l'une contre l'autre, et d'une couleur de chair pâle à leur face interne , au lieu de la teinte rosée qu'elles offraient dans l'origine, le frein moins tendu et moins étroit, la fosse naviculaire plus aplanie, les nymphes moins couvertes par les grandes lèvres , un peu allongées, et plutôt brunâtres que rouges , le clitoris plus saillant , son prépuce plus large , l'orifice de l'urètre non plus entouré par un bourrelet saillant , mais flasque et per- mettant à l'urine de sortir par un jet plus volumineux , le va- gin plus large et moins phssé, l'orifice de la matrice situé plus bas, les lèvres du museau de tanche plus molles et moins ser- rées , enfin les cuisses moins susceptibles de s'appliquer l'une contre l'autre, et le bassin plus mobile, surtout dans son arti- H)Jbid.,t. IV, p. 444. AGE AttULTE. ' 7 3 culation avec les vertèbres lombaires , de manière qu'il éprouve une torsion plus sensible pendant la marche (*). IV. Propagation. § 574. Eu égard à la propagation , 1° Chez les peuples même les plus grossiers, et malgré toute sa sensualité , l'homme voit cependant partout en elle le but immédiat du mariage , et la loi qui prescrit d'aimer ses en- fans s'exprime aussi chez lui par le désir qu'il éprouve d'a- voir de la progéniture. Les nations chrétiennes , qui attachent une grande valeur à l'individualité humaine , et qui considè- rent l'union spirituelle comme Tessence du mariage , suppor- tent la stériHté , et n'admettent d'autre cause de dissolution que l'impossibilité de la copulation. Mais , chez d'autres peuples , la stérilité frappe les femmes d'ignominie (§ 219, 5«). Les Israélites et les Romains répudiaient les épouses qui ne leur donnaient point d'enfans. Cette coutume règne encore au Tunquin et parmi les Hottentots. En pareil cas, les Gaures imitent les patriarches , et prennent ^une seconde femme (1). Chez les Hindous , l'homme contracte un nouveau mariage , et si tous demeurent stériles, jusqu'au troisième, il adopte un enfant étranger (2). Chez les Concis , il quitte la femme qui ne lui donne pas de fils (3). A part leur propre désir d'a- voir des enfans , ces mœurs devaient déterminer les femmes, tantôt à se soumettre aux tentatives de guérison les plus désa- gréables, tantôt à se jeter dans les bras de la superstition]; " Parent-Buchatelet (De la prostitution, 1. 1, p. 210) a constaté que, sous le rapport des parties génitales , il n'existe pas de différence entre les prostituées et les femmes mariées les plus honnêtes. Il a vu une fille de cinquante-et-un ans qui , depuis sa quinzième année , se livrait dans Paris à la prostitution], et dont les parties génitales auraient pu être confon- dues avec celles d'une vierge sortant de la puberté ^ il conclut que l'am- plitude et l'étroitesse du vagin sont , pour beaucoup de femmes , un état naturel et congénial , dont on ne doit pas plus s'étonner que des dimen- sions si variables de quelques autres parties du corps. (1) Frank}, System der medicinischen Polizei , t. I, p. 385. (2) Zimmermann , Taschenhuch der Reisen , t. XX , p. 272. (3)/&irf., t. XI, p. 251. ^4 AGE ADUITE. en effet, lesRomaines, lorsqu'elles contractaient mariage, ado- raient des images de Priape réputées miraculeuses, et, quand elles ne devenaient point enceintes , se faisaient fouetter par des prêtres d'une classe particulière (1). La fécondation n'a point lieu, dans la plupart des cas, avant le second ou le troisième mois du mariage. Les tables de po- pulation de la Suède , pendant vingt-années , ont prouvé que le mois d'octobre , durant lequel avaient été conclus la majo- rité des mariages , était celui qui présentait le moins de conceptions , dont la plus grande fréquence se rapportait au mois de décembre. 2° Chez les Hindous , l'annonce de la première grossesse et le septième mois delà gestation sont célébrés par des fêtes (2). Plusieurs peuples ont accordé certaines prérogatives aux femmes enceintes. A Athènes, les meurtriers trouvaient un asile chez elles. Les Égyptiens et les Athéniens attendaient leur délivrance pour les conduire au supplice. Les Israélites leur accordaient le droit de manger du porc , et l'église catholique les dispense de jeûner et de s'agenouiller dans les églises (3). Les sauvages du Brésil paraissent avoir des idées particulières eu égard à l'harmonie de la vie des époux; car, pendant la grossesse, l'homme et la femme s'abtîennent quelque temps de toucher à la chair de certains animaux , et font consister leur nourriture principalement en poissons et en fruits (4) , de sorte que , chez eux, l'homme s'impose des privations par amour pour sa progéniture. 3° La femme ne redoute pas l'enfantement. C'est un effort de courage ( § 484, 1° ), un acte d'héroïsme, dont la conscience ne peut s'effacer, et qui renferme en lui-même la conviction à''avoir atteint au but de la vie. On entend souvent les femmes s'écrier, dans leurs maladies , qu'elles aimeraient mieux ame- ner un enfant au monde que d'avoir à supporter de pareilles douleurs. Parmi les Iroquois, c'est une honte pour celles qui (1) Frank , loc cit., 1. 1, p. 381. (2) Zimmermaim , loc. cit., t. XII , p. 274. (3) Frank , loc. cit., t. I, p. 493-503. (4) Spix et Martins, loc. cit., 1 1, p. 381. AGE ADULTE. 7$ accouchent de témoigner qu'elles souffrent , et le Samoïède considère leurs plaintes comme un signe d'infidélité (1). La vive attente dans laquelle toute femme enceinte est du fruit que les forces de la nature ont créé dans son sein, lui inspire des réflexions sérieuses et des idées religieuses , dans lesquelles elle puisse du courage et de la résolution. Mais les douleurs de la parturition sont une rude épreuve , qui con- tribue à former le caractère et à développer la réflexion. Sui- vant la remarque de Wigand (2) , les femmes qui ont accou- ché avec trop de facilité , se comportent pendant la lactation, et dans le cours de la grossesse subséquente , avec une légè- reté qu'elles paient souvent de leur santé et de leur vie. Le premier accouchement est le plus laborieux, Riecke (3) a con- staté que les primipares figuraient pour un dix-septième dans le nombre des cas exigeant les secours de l'art, tandis qu'en prenant la somme totale des accouchemens, on ne trouvait plus qu'une proportion d'un à vingt-huit. Après la parturition, les voies génitales demeurent un peu dilatées, et à l'accouchement qui vientensuite, l'orifice surtout de la matrice est, dès l'origine^ plus large, plus épais, plus mou et situé plus bas. La matrice semble aussi acquérir de la vigueur par un exercice répété^ car , chez les femmes qui ont eu beaucoup d'enfans, les douleurs se succèdent ordinairement d'une manière plus rapide (4). De là vient qu'on n'a observé la parturition après la mort que chez des femmes qui avaient déjà mis au monde plusieurs en- fans. Il n'y a pas jusqu'à la ponte du premier œuf qui ne soil douloureuse chez les Oiseaux ; elle semble même s'accompa- gner d'une lésion de la membrane interne qui tapisse l'orificè de l'oviducte , attendu que cet orifice reste pendant quelque temps renversé au dehors, et que la surface de l'œuf est ta- chée de sang (5). Chez les plus anciens peuples de l'Orient, l'époux remplis- (1) Demeunier, loc. cit., 1. 1, p. 89. (2) Die Gehurt des Menschen , t. II, p. 254. (3) Beitrœge zur gelurtshuelfliche Topogrcephie , p. 32. (4) Ibid., p. 207. (5) Spangenberg, Disq. circa partes génitales fœmineas avium,p. 35. ■^6 AGE ADULTE. sait les fonctions d'accoucheur , comme il le fait encore au- jourd'hui parmi les Lapons , les Kalmouks (1) et les sauvages du Brésil (2). Mais, chez les sauvages de la baie d'Hudson, on construit à celle qui doit bientôt accoucher une tente éloignée de toute habitation , et dans laquelle les femmes seules peu- vent entrer (3). Le Hottentot doit aussi , sous peine d'être puni, s'éloigner avant l'accouchement de sa femme , tandis que le Nègre et le Kamtschadale assistent à l'opération (4). Du reste, plusieurs peuples avaient des dieux particuliers dont la mission était de présider aux accouchemens. 4° Semblables aux animaux , sous ce rapport , les femmes , chez quelques peuplades grossières, les Boschismans entre autres (5) et les sauvages du Brésil (6) , déchirent le cordon ombilical avec leurs dents. Chez les Macouanis , la mère le roule autour du cou de l'enfant jusqu'à ce qu'il se dessèche et tombe de lui-même (7). On prétend que les Hottentots lè- chent leurs enfans pour les nettoyer ( § 517, III ). De même l'homme, à l'état sauvage, partage avec les animaux ( § 499, 3°) la coutume de dévorer l'arrière-faix, ce qui tient peut-être aussi chez lui à quelques idées superstitieuses. Cet usage est répandu chez quelques sauvages du Brésil (8) et parmi les Jacoutes (9). Chez lesTongouses,le père mange seul le délivre, après l'avoir fait rôtir , ou du moins ne le partage qu'avec ses meilleurs amis (10). 5° D'après ce qui a été dit plus haut ( § 500, 502 ), l'état de la femme en couches exige du repos , des soins, l'éloignement de tout ce qui pourrait exercer une action stimulante sur elle, ou troubler le travail de la plasticité, et cet état demande autant (1) Frank , loc cit., t. VI, pi. II, p. 485. (2) Zinimermann , loc. cit.., t. VI, p. 75. (3) Hearne , loc. cit., p. 65. (4) Denieunier, loc. cit.., t. I, p. 455-162. (5) Virey , Histoire du genre humain , t. I , p. 328, (6) Spixet Marlius , loc. cit.., t. I, p. 38L (7) Ihid., p. 492. (8) Zimmermann, loc. cit., l. VII, p. 97. (9) Ibid., p. 354. (10) 'bid., p. 294. AGE ADULTE. ^<^ d'égards que d'attention. Mais, sous ce rapport encore, nous avons la preuve que la nature humaine peut se maintenir au milieu des circonstances les plus défavorables, lorsque la volonté , l'endurcissement , le défaut de culture ou l'influence du climat lui viennent en aide. Les femmes des hautes classes de la société nous apprennent ce que peut la volonté , lors- qu'elles vont accoucher clandestinement chez une sage-femme ou ailleurs, et qu'aussitôt après elles reviennent chez elles, dans un quartier souvent fort éloigné , reprendre la direction de leur maison et le cours de leurs visites , de manière à cacher ce qui leur est arrivé en évitant de rien changer à leur ma- nière de vivre habituelle. Chez les femmes du peuple , qui sont bien portantes , robustes et non accoutumées à se dorlo- ter, le temps des couches ne dure la plupart du temps que trois ou quatre jours (1). Les femmes des hordes non civili- sées font encore moins de façons ; la Holtentote accouche dans les champs , et apporte son enfant à la hutte (2) ; les In- diennes des bords du Missouri se reposent ordinairement deux jours, après la parturition, avant de reprendre les travaux pénibles ; mais, dans les expéditions de chasse , elles ne pren- nent qu'un demi-jour de repos (3). Chez les Brésiliens et les Abipons, elles vont se baigner aussitôt après avoir mis leur enfant au monde (4) , et se reposent ensuite pendant vingt- qualre ou tout au plus quarante-huit heures (5). 6° Les législateurs qui ont eu surtout en vue la population de l'état ont prescrit des égards et des attentions pour les femmes en couches. Lycurgue voulait que leurs tombes fussent les seules qu'on pût décorer d'inscriptions , comme celles des hommes qui avaient bien mérité de la patrie. Chez les Romains, on ornait leur demeure d'une couronne ; plus tard, la loi les exempta de la torture jusqu'au quarantième jour après l'ac- couchement, et plus tard encore elles furent mises à l'abri de (1) Osiander, Handbuch der Enthindungskunt , t. II , p. 18. (2) Virey, loc. cit. , 1. 1, p. 318. (3) Periin du Lac, ^oe. cit., t. II, p. 36. (4) Spix et Martius , loc. cit., t. I, p. 381. (5) Ziinmermann , loc. cit.., t. VII, p. 79, 78 AGE ADULTE. toute peine afflictive jusqu'au moment où l'on aurait trouvé une nourrice pour allaiter leur enfant (1). Mais, dans le même temps que l'homme , guidé par un sentiment naturel , leur accorde le repos et la solitude , des idées superstitieuses les lui font regarder comme impures. Chez les Israélites , une femme était impure pendant sept jours après la naissance d'un fils , et pendant quatorze après celle d'une fille ; elle devait rester dans le premier cas trente-trois jours , et dans le second soixante-six sans loucher à aucun objet sacré , sans entrer dans le temple, sans même en général sortir de chez elle. Les habitans de la Boukharie lui interdisent la prière pendant les quarante premiers jours (2). Chez les Samoïèdes, elle est exclue de toute communication avec son époux , on lui donne des vivres en petite quantité , et on l'abandonne à elle-même , après quoi on la fumige avec du castoreum et des poils de Renne , et elle est obligée de passer dans le feu (3). Il y a même des peuplades en Sibérie chez lesquelles il ne lui est pas permis, avant cette purification, de paraître sur les chemins fréquentés par les hommes. Les Kalmouks la re- gardent comme impure pendant trois semaines, et elle ne doit alors toucher à rien dans la maison. Chez d'autres Tatares , quand ce laps de temps est écoulé , on la purifie par des prières et des bains (4). A Siam et au Pégu, on la laisse pendant une semaine et plus auprès du feu , pour qu'elle s'y puri- fie (5). Les Persans lui interdisent l'entrée des mosquées, et les Hindous la relèguent dans l'étage supérieur de l'habita- tion. Les Hottentots la purifient en l'aspergant d'urine et la frottant avec du fumier de Vache (6). Plusieurs sauvages d'A- mérique, par exemple ceux de la baie d'Hudson (7), lui con- struisent , hors du village , une cabane à part , dans laquelle elle est tenue de rester quarante jours , et ils se gardent bien (1) Frank , loc. cit., t. I, p. 610. (2) Demeunier, loc. cit., t. T, p. 44. (3) Ziœmermann , loc. cit., t. VIII, pi. II, p. 64. (4) Ibid., p. d22. (B) Frank, loc.icit., 1. 1, p. 616. (6) Demeunier, loc. cit., 1. 1, p. 44. (7) Hearne, loc. cit., p. 65. AGE ADULTE. 79 de toucher à rien de ce qui lui appartient, tant qu'elle allaite (1). Chez les indigènes du Brésil , les magiciens lui font subir des fumigations avec une espèce de tabac (2). Suivant Labat (3), les Nègres de Burra ne se rapprochent d'elle qu'au bout de quatre ans. 7° La coutume absurde que le père du nouveau-né reçoive les soins et les attentions qui devraient revenir à l'accouchée, est intéressante à cause de son extension. Quiconque observe est frappé d'un pouvoir supérieur au domaine des sens dans tout ce qui concerne et la génération et la mort. Or cette pensée engendre des superstitions de toute espèce dans l'âme de l'homme grossier. Aussi trouvons-nous répandue aux épo- ques et dans les contrées les plus diverses l'opinion qu'il existe encore un rapport occulte entre la vie de l'enfant nouveau-né et celle de l'homme qui l'a procréé. C'est là-dessus que repose l'usage de la couvade^ ou des couches masculines. Cette cou- tume régnait, suivant Apollonius de Rhodes, parmi les Tibarè- nes, peuple des bords de la Mémoire, selon Diodore de Sicile dans la Corse, d'après Strabon dans Flbérie , et , au dire de Marco Polo chez quelques hordes Tatares (4). On l'a retrouvée dans l'Amérique méridionale, dans le nord et le midi de l'Asie, et jusqu'en Europe (5). A la Guiane, le père, après la naissance de son premier enfant , est obligé de se mettre au lit et d'observer un régime sévère ; plusieurs jours s'écoulent encore avant qu'il puisse manger de la chair de grands ani- maux , ni fendre du bois , le tout dans la crainte de nuire à l'enfant. Parmi les Abipons, la mère retourne au travail après avoir pris un repos fort court ; mais le père se couche , se couvre soigneusement de peaux, comme un malade, s'abstient de manger , ne fume point , etc. , afin de ne pas exposer l'enfant, et si celui-ci tombe malade, ou vient à mourir , on en rejette la faute sur l'intempérance du père. Chez les Ca- (1) Stark, Archiv fuer die Geburtshuelfe , t. I, cah. I, p. 179. (2) Spix et Martius, loc. cit., t. ï, p. 381. (3) Demeunier, loc, cit., t. I, p. 44. (4) Virey , loc. cit., 1. 1, p. 323. —Zimmermann, loe. eit,^ t. VI^ p, 262. (5) Stark , loc, cia, 1. 1, cah. I, p. 196. SO AGE ADULTE. raïbes, tant aux Antilles que sur le continent , le père garde le lit, jeûne pendant les cinq premiers jours , ne prend ensuite pendant cinq autres jours qu'une boisson fermentée , ne se permet un peu de cassave qu'au bout de dix jours, mais s'abs- tient encore jusqu'au sixième mois de manger aucune viande, afin que l'enfant ne soit point entaché de vices particuliers aux animaux. Le père demeure également couché chez quel- ques peuplades brésihennes (1). Celte coutume existe aussi à Bornéo, avec la différence que l'homme y prend davantage ses aises (2). Au Groenland, il passe quelques semaines sans travailler, dans la crainte que l'enfant ne meure. Enfin on as- sure que la couvade est usitée dans le Béarn(3). 8* La première parturition a complètement mûri la femme. Ce qu'il y avait de caché pour elle lui est révélé dès-lors , et tout son extérieur annonce le bonheur et la satisfaction , tan- dis que l'homme vise encore à un but plus éloigné. La femme acquiert un maintien plus libre et plus ferme; elle a plus d'as- surance et plus d'à-plomb. Elle ne se tient plus aussi courbée que la jeune fille , mais rejette davantage ses épaules en ar- rière et reporte son ventre en avant. Le cou est un peu plus fort ; les seins sont plus développés, les mamelons plus gros et plus colorés; la région pelvienne est plus pleine, le ven- tre plus arrondi ; les hanches ont plus de largeur , les fesses sont proéminentes ( i'fpoSkYi y.c/lli7:v'^o(; ) , la taille est plus large, les cuisses sont plus tournées en dehors ; le mont de Vénus est plus bombé , et ombragé de poils plus fournis ; les grandes lèvres sont plus rondes , plus pleines , plus lon- gues (4); leur frein demeure distendu ; l'orifice de la matrice, qui n'a que trois ou quatre lignes de diamètre chez les vierges, en offre maintenant quelques unes de plus ; il reste arrondi, et ne représente plus une fente transversale parfaite, attendu que ses lèvres deviennent plus épaisses , plus molles, et se rapprochent moins l'une de l'autre ; elles présentent des (1) Zimnierniann , loc. cit., t. VII, p. 80. (2)7Jid.,t.XIII,p. 306. <3) Demeunier, loc. cit., 1. 1, p. 159. (4) Mende, loc cit., t. IV, p. 692. AGE ADUITE. 8l cicatrices ', marques indélébiles des déchirures qu'elles ont éprouvées. Parmi les suites de la parturition , qui ne tardent pas à s'effacer chez les femmes bien constituées, il faut ran- ger l'abaissement de la matrice , l'amplitude et le relâche- ment du vagin. Une strie d'un jaune brun sur la ligne médiane du corps, depuis l'ombilic jusqu'aux pubis , des plis obliques et transverses à la région hypogastrique, et des taches ou des vergetures rouges sur les cuisses, ne se voient que chez celles qui ont une mauvaise complexion et la fibre trop molle. A. Amour pour les enfans. § 575. L'amour des parens pour l'être qu'ils ont mis au monde et qui ne pourrait trouver aucune ressource en lui- même ( § 514 ), est le moyen dont la nature se sert pour con- server l'espèce. Aussi avons-nous vu qu'il n'existe point lors- que le produit de la procréation peut se suffire à lui-même après la naissance et Téclosion (§ 515, II) , quand le monde extérieur lui offre déjà tout ce dont il a besoin pour assurer sa vie et développer ses forces, ou quand la grande fécondité garantit le maintien de l'espèce (§ 515, 12°). Or comme l'homme est, de tous les êtres , celui qui reste le plus long- temps hors d'état de subvenir à ses besoins et qui se déve- loppe avec le plus de lenteur , la nature a mis dans le cœur des parens un amour plus tendre pour les enfans, auquel la conscience de soi-même donne son entière signification, et la liberté toute la plénitude de sa puissance. Mais, dans l'espèce humaine , comme chez les animaux , cet amour se déploie surtout chez la mère , dont toute la vie est dirigée vers la génération, tandis que, chez le père , il est proportionnelle- ment plus subordonné à la spontanéité et à l'indépendance. 1° La cause immédiate de cet amour réside dans un pres- sentiment qui peu à peu devient un sentiment moins vague et plus précis. Les parens se voient rajeunir dans leurs enfans; ce sont des parties de leur propre être , mais des parties de- venues indépendantes. La mère a enfanté avec douleur et danger ; mais cependant avec bonheur ; il lui en a coûté du sang et de la sueur, et elle dévoue tout son amour au précieuiL V. 6 §2 AGE ADUtTEo être qu'elle a payé si cher ; mais cet amour est si pur , si exempt d'égoisme, qu'elle ne cherche même pas ses propres traits dans son enfant chéri , qu'elle s'efforce d'y retrouver ceux du père, et qu'ainsi elle aime dans son enfant l'époux qui le lui a donné, et dans l'époux le père de son enfant. Ce n'est point là cependant un produit de sa liberté ; les parens reçoivent avec joie le fruit bien conformé de leur amour , que la nature créatrice a formé dans l'ombre, d'après les lois éternelles ; ils sentent là le pouvoir de l'infini, mais en même temps ils sentent qu'ils sont les organes de cet infini , et la conviction qu'ils ne font qu'un avec lui contribue autant à leur inspirer une profonde reconnaissance , qu'à leur donner une haute idée de la dignité humaine, en un mot à faire naître en eux des sentimens véritablement religieux. En même temps que le pressentiment , s'éveille l'instinct , avec sa direction vers l'avenir. Jusqu'alors la vie plastique et sans conscience avait protégé , nourri , développé l'être pro- créé ; mais maintenant celte charge revient à la vie avec con- science. Le sentiment de pouvoir secourir un être sans défense, rend heureux, et la satisfaction elle-même contribue ainsi à rendreplusvif l'amour pour l'enfant qui avait été l'occasion du déploiement de ce sentiment. La mère reconnaît dans son enfant un être vivant et animé, qui porte le cachet de l'huma- nité ; on doit attendre de cet être un développement intellec- tuel supérieur , et peut-être qu'un jour il jouera un grand rôle dans la vie ; tout est caché derrière le voile mystérieux de l'avenir , mais la possibilité existe , et en subvenant aux besoins de l'enfant, la mère a un vague pressentiment qu'elle agit dans l'intérêt des générations futures , qu'elle travaille pour une éternité. Alors elle est au comble du bonheur , et il n'y a pas de spectacle plus beau que celui d'une femme ano- blie par les joies de la maternité. 2° Les chasseurs savent que les Chiennes préfèrent 'quel- ques uns de leurs petits, et que ces favoris ont plus d'aptitude pour la chasse (1), soit que le germe de leur talent naturel leur ait valu cette prédilection, soit qu'il ait été plus développé par (4) iy^/o&rywcfeewft fuet JaffdliehhaleT} 181S, p* H, ÂGE ADULTE. 83 elle. Dans l'espèce humaine, l'amour maternel revêt un grand nombre de formes. Il se porte tantôt de préférence sur le premier né, sur celui qui a causé le plus de douleur et pro- curé la première joie maternelle , tantôt sur le dernier né , auquel il peut se consacrer, sans que rien l'en détourne, après l'extinclion de la faculté procréatrice ; là c'est l'enfant le plus robuste qui devient le favori , parce que son développement donne de plus brillantes espérances ; ici, c'est le plus faible, parce que la compassion ' parle en sa faveur , et qu'il réclame des soins plus assidus ; telle mère préfère le fils dont la naissance (§ 494, 8°) a mis sa vie en plus grand danger, et dont les qualités viriles feront un jour son orgueil; telle autre a un faible pour sa fille , dans laquelle elle élève pour eile-méme Tamie la plus intime. Enfin chaque enfant a , selon son individualité , une part spéciale dans le cœur de sa mtère. 3° Les droits des parens sur les enfans ont un côté physi- que' et uii côté idéal. Physiquement parlant, l'enfant est la créature des parens ; produit par leur force plastique, con- servé par leurs elForts , pourvu de facultés et de talens par leur libéralité , mis enfin par eux en possession de tout ce qui lui est nécessaire, il est leur propriété , que personne ne peut leur contester , et dont ils ont le droit bien acquis de tii-er avantage pour eux-mêmes. Mais , sous le point de vue idéal, les parens ne sont que les organes de l'humanité; ce n'est point par eux que s'accomplit^ la génération , mais par l'es- pèce, au service de laquelle ils sont , et qui ne fait que les employer à titre d'instrumens. L'enfant appartient donc à l'espèce, et comme il doit réaliser l'idée de cette espèce , il est appelé aux mêmes droits que tous ses autres membres, attendu que le germe de la spontanéité et de l'indépendance commande l'estime et la considération , alors même qu'il n'est point encore arrivé à se développer. Les parens ne sont donc, pour ainsi dire, que les curateurs de l'humanité ; mais la nature les a organisés de telle manière qu'en rendant ce service à Tespèce ils y trouvent eux-mêmes la suprême jouis- sance, parce que le Uen qu'il établit entre eux et le tout fait sortir l'iadividualité de son cadre mesquin, p<)ur l'élever à 84 AGE ADULTE. une existence supérieure. Voilà comment le bonheur 'de l'a-» mour, la volupté de la copulation , la jouissance de la vie de famille, la joie de faire du bien aux enfans, de voir les pro- grès de leur développement et de recueillir leur reconnais- sance , se tiennent par des liens indissolubles , et ont un but général. Tous les peuples qui se sont signalés par le défaut de dé- bonnaireté et par la prédominance du principe de la mascu- linité, ont envisagé les droits dont nous parlons sous le point de vue physique principalement , et regardé l'enfant comme une propriété de ses parens, dont le père pouvait disposer à son gré, afin d'en tirer avantage pour les jouissances de ses sens. Le point de vue idéal n'a jamais permis que ce principe fût poussé jusqu'à l'extrême ; maiS;, s'il n'a pu tout envahir, du moins a-t-ii fait irruption de tous les côtés. Ainsi le despo- tisme paternel, sous sa forme la plus douce, a pris le carac- tère de l'autorité patriarchale , qui maintient les enfans dans- un état absolu de dépendance et de servage. Le peuple alle- mand s'est tenu, dès l'antiquité , fort loin de ces idées con- traires à la nature , et le sentimentalisme qui dominait chez lui l'avait amené à une juste appréciation des droits des en- fans. Il a fallu le christianisme , dans lequel prédomine le principe de la féminité , et dont l'une des colonnes est l'a- mour , pour placer les enfans plus haut et assuFer leurs droits. 4'» L'infanticide , que la loi défendait chez les anciens Ger- mains (1), était permis chez la plupart des peuples de l'anti- quité , et il l'est encore aujourd'hui dans plusieurs pays où le christianisme n'a point pénétré , ainsi que l'attestent les re- cherches de Krœger (2) ; les nouveau-nés y sont mis à mort ou directement ou indirectement par l'exposition , et dans ce dernier cas on les expose de manière tantôt qu'ils doivent nécessairement périr, tantôt seulement que leur vie est remise aux chances du hasard et de la compassion des autres hom- mes. Chez presque tous les peuples de la Grèce, on étendait (1) Frank, loe, cit., t. U, p. 78. (2) ArcMv ftier ffaisen-und Jr mener ziehing \ 1. 1, p. 4- AGE ADUITE. 85 le nouveau-né aux pieds du père, et quand celui-ci ne le re- levait point , on l'exposait. Cette coutume était très-répandue au moins parmi les Athéniens , les lois la prescrivaient dans d'autres états , et les Thébains seuls l'avaient frappée de ré- probation. Romulus , pour favoriser la population , défendit •d'exposer les enfans mâles et les filles aînées , et ne permit l'exposition des autres filles qu'après qu'elles auraient atteint leur troisième année; cependant la corruption des mœurs franchit plus tard ces limites, et les Romains adoptèrent l'usage des Grecs ; ils noyaient les enfans, les jetaient sur les places publiques, pour qu' ils y fussent déchirés par les ani- maux , ou les déposaient à la porte des célibataires , dont ils devenaient les esclaves. Chez les Perses, les Mèdes , les Ca- nanéens , les Babyloniens et autres anciens peuples de l'Orient, à l'exception des Israélites et des Egyptiens , on trouve éga- lement des traces d'infanticide et d'exposition. Les Scandina- ves tuaient aussi leurs enfans , lorsqu'ils en avaient la fantai- "sie. Les Norwégiens avaient des lois à cet égard ; ils emmail- lottaient avec soin les enfans , leur mettaient un peu d'alimens dans la bouche, et les déposaient sous des racines d'arbres ou des pierres, afin qu'ils ne fussent point dévorés par les bêtes. L'infanticide était permis chez les Chinois ; pendant le siècle dernier, des voitures parcouraient chaque jour les rues de Pékin pour y ramasser les cadavres des enfans , mais aujour- d'hui il existe des maisons destinées à recevoir ceux que leurs parens exposent. Cette coutume existe également au Japon , dans les îles de la mer du Sud , à Otahiti surtout , et chez plusieurs sauvages d'Amérique. On assure que les Jag- gas de Guinée dévorent la chair de leurs propres enfans (1). La plupart du temps , l'infanticide a été déterminé par des motifs particuliers (5*'— 11°). 5» Dans le cas de difformité , avec impossibilité complète d'acquérir la forme humaine en se développant, la mort arrive presque toujours peu de temps après la naissance , et rhomme n'a pas besoin d'intervenir dans les actes de la na- ture. Mais il est d'autres difformités qui permettent à l'âme (1) Kiœger, Iqc. cit,, t. I,p. 3S. r- - . 86 AGE ^I>tJ|J^. dé se déployer, et l'on n'a pas reculé devant le crime de les faire disparaître du monde, sous prétexte qu'elles affectei^t désagréablement la vue , ou que les individus qui en sont at- teints ne conservent leur existence qu'à force de soins conti- nuels et ne peuvent être d'aucune utilité à l'état. A Rome , la loi ne permettait d'abord de mettre les monstres à mort qu'après qu'ils avaient été vus par cinq voisins; mais les Douze- Tables autorisèrent le père à faire périr les enfans dilFormep ou estropiés , sans qu'il fût préalablement obligé de les mon- trer à personne. Les Tchouktcliis et les Jakoutes, les sauvages du nord de l'Amérique (1) et les Péruviens (2) tuent tous les enfans qui sont mal conformés (comp. § 515, 40). 6° A Sparte , oii l'individualité n'avait de prix qu'autant qu'elle pouvait tourner au profit de l'état , les lois de Lycur- gue avaient prescrit aux magistrats de décider si le père de- vait ou non élever son enfant; si ce dernier était trouvé dé- bile ou mal conformé , on le précipitait dans un abîme. Platon et Aristote ont prescrit l'exposition des enfans faibles dans leurs plans de république , et elle a été d'usage en Pologne jusqu'au treizième siècle. J° L'exposition atteignait surtout les filles à Athènes , no- tamment dans les classes pauvres, usage qui règne encore aujourd'hui aux Indes occidentales, et qu'avaient adopté aussi les anciens Norwégiens, lorsqu'il existait déjà plusieurs filles dans la famille. 8" Sur les côtes de Guinée , au Pérou (3), aux îles Kouriles et parmi les Hottentots (4), dans le cas de jumeaux , on lue l'un des deux, et ordinairement celui qui paraît le plus faible, ou, s'ils sont de sexe différent , celui qui appartient au sexe féminin (comp. § 515, 10°). 9° Quand la mère succombe , on enterre vif avec elle sou enfant chez les Hottentots , à Madagascar, à la Nouvelle-Gre- nade et au Groenland. (1) Zininiermann , loc. cit., t. IV, 197. (2) ibid., t. VI, p. 407. (3) Virey , Hist, nat. du genre humain , 1. 1, p. 325. (4) Demeunier, loc.jiit., t, I, p. 466. AGE ADULTE. 8^ W En cas de pauvreté ou de disette , on tue les enfans à la Chine , à la Nouvelle-Hollande et au Kamtschatka, comme autrefois à Athènes. 11° Des idées superstitieuses sont quelquefois la source de l'infanticide. Au Canada , certaines peuplades sacrifient le fils premier né. A Madagascar, on expose les enfans qui naissent le mardi , le jeudi , le vendredi , ou tout autre jour réputé néfaste. Aux Indes orientales, ceux auxquels les astrologues prédisent des malheurs sont noyés , jetés aux crocodiles , ou suspendus à un arbre , dans un panier, pour y mourir de faim. Il arrive souvent qu'à la superstition s'associe le doute de la fidélité des femmes (1). Les anciens Celtes étendaient les nouveau-nés sur un bouclier placé à la surface d'un fleuve , et regardaient comme illégitimes ceux que le courant entraînait. Si les Hottentots tuent l'un des jumeaux , c'est que, dans leur opinion , ils n'ont pu être engendrés que par deux hommes. Enfin les préjugés sociaux ne sont pas non plus sans in-* fluence. A Otahiti , les femmes étaient dans l'usage de mettre à mort les enfans qu'elles procréaient avec des hommes d'une condition inférieure à la leur. 12° Ce sont principalement les hommes qui se sont rendus coupables de presque tous ces meurtres. D'après les exem- ples que l'on connaît, ceux entre autres que Henderson a réu- nis chez les Norwégiens , il est évident que les femmes ont la plupart du temps cherché à prévenir l'exposition de leurs enfans , ou du moins à en détruire les effets (comp. § 516 , 30.) On se rappelle involontairement la conduite tenue par certains animaux (§ 515-, 9"), en voyant les femme sauvages du nord de l'Amérique ne montrer l'enfant à l'époux qu'au bout d'une à quatre ou cinq semaines , afin d'éviter qu'il ne lui inspire de l'éloignement à cause de son extérieur peu agréable , de sa grosse tète , de ses cheveux rares , et des taches brunes ou bleues dont son corps est parsemé à la suite d'un accouchement laborieux (2). ,33 (1) Frank , loo. cit., t. II, p. 74, (2) Hearne , loc cit., p. 66, 88 AGE ADULTE. Uue femme séduite , qui a en perspective la honte pour elle et la misère 'pour son enfant , peut être conduite à l'infan- ticide par le désespoir, sans qu'on soit obligé d'admettre une rage brutale (§ 515, 10"), ou une aliénation mentale pas- sagère, pour l'excuser (1). Le meurtre des enfans illégitimes était plus réfléchi à Athènes et à Otahïti. Dans l'ile de Java , la femme légitime met presque toujours à mort les enfans des concubines (comp. § 515, 11**). Mais l'infanticide peut avoir encore d'autres'motifs d'inté- rêt purement personnel. Les femmes des Abipons commettent souvent ce crime afin de n'être point séparées de leurs époux par l'allaitement , pendant la durée duquel on les regarde comme impures. Plusieurs peuplades de l'Amérique méridio- nale , surtout au Pérou et sur les bords du Maranon , enter- rent vifs les nouveau -nés qui leur sont à charge, même quand elles ont des vivres au-delà de leurs besoins. 1 3° L'homme qui n'obéit qu'à l'impulsion des sens ne re- connaît point l'embryon pour un être de son espèce , et ne lui accorde aucun des droits de l'humanité , parce qu'à ses yeux une vie invisible n'est point une vie proprement dite. Aussi , sur les derniers temps de Rome , les femmes se fai- saient-elles fréquemment avorter, afin d'éviter les incommo- dités de la grossesse et de la parturition , et de ne point être troublées dans leurs débauches ; cet usage fut prohibé à l'é- poque d'Ulpien. Les femmes des Abipons ont aussi recours à celte pratique , pour pouvoir continuer de vivre avec leurs époux (2) , et celles des Guaycouros l'emploient aussi pour échapper à tous les embarras , tant qu'elles n'ont point atteint l'âge de trente ans (3). L'avortement artificiel est commun aussi et permis chez les Knistenaux et les Esquimaux (4) , au Canada et aux Indes orientales (5) . Le crime devient plus grand lorsque l'homme oblige la (î) Wigand , Die Gehurt des Menscken , 1. 1, p. 81. (2) Zinimermann , loc. ci*., t. VI, p. 252. (3) Spix et Martius , loc. cit., 1. 1, p. 271. (4) Virey, loc. cit., t.I, p. 324. (5) Frank, loc. cit., t. II, p. 58. AGE ADtlTE. 89 femme de se faire avorter, coutume qu'on attribue aux habi- tans des côtes occidentales de la baie d'Hudson , lorsqu'il se- rait trop embarrassant pour eux d'avoir des enfans (1). Il n'y a pas jusqu'aux spéculations d'une philosophie déli- rante qui soient venues , sous ce rapport , en aide aux pré- tentions de la sensualité brutale. Platon et Aristote ont déclaré, dans leurs républiques idéales , que la provocation à l'avor- tement était un moyen convenable pour prévenir l'excès de la population , et les stoïciens justifiaient cette pratique en sou- tenant qu^ l'enfant n'acquiert une âme qu'au moment où il commence à respirer, de sorte que, l'embryon n'étant point animé , le détruire n'était pas commettre un meurtre. 14° Il a été fait abus de l'autorité paternelle sous bien d'autres points de vue encore. Les Romains pouvaient vendre comme esclaves les fils dont ils avaient à se plaindre. A la Chine , les parens ont le droit de réduire les fils en esclavage et de vendre les filles aux maisons de prostitution , ou de cre- ver les yeux à ces dernières pour qu'elles soient réduites à la condition de mendiantes , et de soumettre les autres à la cas- tration, afin qu'ils puissent être employés à la garde des femmes (2). Dans l'ancienne Rome , il était permis au père , quand son fils adulte s'était rendu coupable d'un crime , de le tuer après une enquête à laquelle devaient être appelés les parens. On dit qu'en cas de famine les Kamtschadales met- tent aussi à mort leurs enfans adultes. B. Education. § 576. V éducation est le concours actif des parens au dé- veloppement des forces de l'être qu'ils ont procréé , depuis l'instant où celui-ci commence à jouir d'une existence indé- pendante jusqu'au moment où il la possède dans toute sa plé- nitude. C'est l'action d'une vie déjà mûre, qui contribue à en mûrir une autre et ; à compléter ainsi la génération. Elle se rapporte au développement du physique et du moral, de l'intelligence et du caractère. {\)oUd.,i). 57. (2) Ziaimermann, loc. cit., t. IX, p. 374. , ■ . •. 0(y AGE ADULTE. 1" Comme elle consiste en une action qu'un être exerce sur un autre , elle suppose harmonie. Elle est la rencontre des mêmes forces, qui existent chez l'un à l'état de développement et chez l'autre à celui de simple germe ; elle repose sur un accord mutuel. 2° L'éducation est donc une action réciproque. C'est par elle seule que l'homme arrive à une intelligence complète de sa nature. En apercevant ce germe qui se déploie , en aper- cevant ces forces qui se développent d'une manière progres- sive, il acquiert une idée plus netle de sa propre e§sence , et en réfléchissant sur les moyens qui conviennent le mieux pour diriger les forces de l'enfant , il devient lui-même plus libre dans tout ce qui a rapport au jeu de ses propres détermina- tions. 3° Ayant à remplir un rôle si important , et pour l'être procréateur et pour l'être procréé , l'éducation n'est point livrée au caprice de la volonté , mais elle est appelée par l'in- stinct. De même que , dans la procréation , considérée comme formation matérielle, l'instinct détermine l'organisme à trans- mettre son caractère au produit qu'il va engendrer, et à fa- voriser le développement de ses propres forces dans ce der- nier, de même aussi il se manifeste dans l'éducation , mais sous une forme plus dégagée et par rapport à un être qui agit avec liberté. Ce que l'être qui procrée possède , il veut le communiquer à l'être qu'il a procréé : c'est un besoin pour lui, et il se livre à l'éducation pour sa propre satisfaction, parce que le plaisir d'engendrer se manifeste maintenant chez lui comme joie de perfectionner. Dans les dernières formes de la vie ^ l'animal subit l'incubation sans le concours de sa mère, et les soins de celle-ci ne lui sont pas nécessaires non plus après son éciosion ; c'est déjà un degré plus élevé que celui où l'animal qui vient d'éclore a encore besoin d'être protégé et nourri ; mais , chez les animaux supérieurs , no- tamment ceux qui jouissent constamment de la voix , c'est-à- dire du plus parfait de tous les moyens à l'aide desquels deux. êtres puissent s'entendre l'un avec l'autre ( 1° ) , chez les Oi- seaux et les Mammifères , l'inslinct pousse à une éducation complète , c'est-à-dire aux soins que demande le physique , AGE ADULTE. g|> et aux instructions que réclame le moral. Dans l'homme , ou la vie a pris tout le développement dont elle est susceptible , le sentiment vague et obscur du plaisir de l'éducation s'élève à la conscience de soi-même, ei ce qui n'était jusque là qu'un acte rendu obligatoire par Tinstinct , devient un commande- ment de la raison. Mais jamais l'instinct ne perd entièrement ses droits ; depuis que l'homme existe , il a élevé ses enfans» et il les élèvera toujours et partout , avant de songer à exami- ner si l'éducation est nécessaire ou non (1). C'est précisément parce que la raison n'est pas une chose sans vie et contraire à la nature , mais , au contraire , la véritable cause de la vie et la nature parvenue à se révéler à elle-même , que seSj commandemens s'accordent avec les lois de l'instinct et les conditions organiques du corps. Cet enchaînement et ce rap- port mutuel se manifestent, par exemple , dans l'allaitement ; tandis que la mère reconnaît le devoir qui lui est imposé de nourrir son enfant , elle produit sans le savoir ni le vouloir la nourriture qui doit lui profiter, de sorte que l'harmonie existante entre le sentiment obscur de la vie animale et l'évidence de la conscience de soi-même sanctifie en quelque sorte le sein maternel -, en pensant à son nourrisson chéri , en souhaitant de lui faire du bien , elle détermine une con- gestion dans ses glandes mammaires, y augmente la producr tion du lait , et rend l'écoulement de cette liqueur plus fa? cile; mais tandis qu'elle est absorbée ainsi par l'amour, jusqu'au point de s'oublier elle-même , l'enfant auquel elle présente le sein lui cause un chatouillement voluptueux et lui procure l'agréable sensation d'un dégorgement salutaire; le sentiment du bien qu'elle produit et la vue des effets qui en résultent ont même pour résultat d'accroître encore son amour pour son enfant, et c'est ce qui exjilirjue comment il arrive si souvent aux nourrices de préférer l'enfant qu'on leur confie au leur propre. La mère veut, en outre , protéger son nourrisson et le réchauffer de son propre corps ; déjà , sans qu'elle s'en aperçût , la lassitude lui avait fait prendre , aprè^ l'accouchement , une situation telle que l'enfant n'eût à courir ii) Schvfaxz, Erziehimgslehre , t. Il, p. ^. 92 AGE ADULÏE. aucun risque ; de même, pendant qu'elle allaite, son sommeil est si léger, que le moindre cri ou le plus léger attouchement suffit pour l'éveiller. Cependant, comme tout écart de l'état naturel en entraîne constamment d'autres à la suite, les mères épui- sées par un rude travail , ou dont la sensibilité est fort obtuse, ont le sommeil si profond , qu'il leur arrive souvent d'écraser ou d'étouffer leurs enfans , accident qui jadis avait lieu , cha- que année , cinquante fois à Londres , et six cent cinquante fois dans toute la Suède (1) , en supposant toutefois que ^de pareilles assertions méritent pleine confiance. § 577. La vie non parvenue à maturité a pour caractère la mobilité et la prédominance de la réceptivité ; elle reçoit fa- cilement les impressions, se modifie d'après elles , s'y accou- tume , et montre de cette manière une éducabilité , qui s'ex- prime même par la force du penchant à l'imitation. Le déve- loppement d'une force peut donc être favorisé ou arrêté par une autre ; ainsi Tanimaï acquiert plus d'intelligence dans la société de l'homme, et l'homme s'abrutit au milieu des ani- maux. Mais l'éducabilité a des bornes qui la mettent à l'abri du caprice ; la puissance supérieure qui s'exprime dans l'idée de l'espèce a donné, dès le principe, au produit de la concep- tion le germe du caractère de son espèce , revêtu de modi- fications particulières , et par cela même son individualité : or cette détermination de la nature créatrice est ce qu'il y a d'essentiel dans le développement. I. Les animaux qu'on a séparés jeunes de leurs parens , vont d'eux-mêmes aussi loin que s'ils avaient été dirigés par ces derniers. Quelque immense avantage qu'ait l'éduca- tion pour l'homme , il importe plus encore d'écarter les in- fluences défavorables que d'exercer sur lui une action posi- tive. Une foule d'exemples attestent que l'homme peut s'élever très-haut, malgré la maigre instruction qu'il a reçue de parens ou de maîtres médiocres , et nul Prométhée ne saurait tirer d'étincelles d'une masse d'argile. Le fait de Gaspard Hauser (2) prouve que , pourvu qu'il ait appris la parole, cette basefon- (1) Frank , loc cit., t. II, p. 205. (2) Hesperus, 1828, cah. 186. AGE ADULTE. gS damentale de toute perfectibilité humaine , de longues années d'une solitude profonde et d'une réclusion complète ne peu- vent arrêter en lui le développement ni des sentimens les plus tendres de l'humanité, ni des facultés intellectuelles et du désir de savoir. IL II ne peut pas manquer d'arriver souvent que de mau- vais principes d'éducation impriment une fausse direction. Mais la nature humaine est tellement fidèle à elle-même , qu'elle maintient son caractère primordial avec plus ou moins de force, qu'elle ne se le laisse du moins pas arracher entière- ment. Un germe vigoureux franchit souvent toutes les bornes qu'un présomptueux cultivateur avait voulu lui imposer. Nous allons nous convaincre de cette vérité en jetant un coup d'œil sur les diverses méthodes , si souvent contraires au bon sens, qu'on suit pour l'éducation physique des enfans ( 1° — 5° ), et qui fréquemment n'empêchent pas les facultés humaines de prospérer, quoique chaque peuple s'imagine qu'il n'y a de perfectionnement possible qu'en suivant ses maximes de pé- dagogie. 1" L'action des influences matérielles est très-limitée. Un enfant bien portant réussit , soit qu'il tette sa mère ou une nourrice , soit qu'on lui donne du lait de Chèvre ou de Vache, et l'on ne remarque pas de nuances correspondantes dans ses facultés physiques et morales, pas plus qu'une Loutre qui avait été allaitée et élevée par une femme , n'abjura pour cela son caractère primordial (1). Les Juives et les Romaines allaitaient leurs enfans durant deux années (2) , comme le prescrit encore aujourd'hui le Coran. La lactation dure trois ans chez les Abipons (3) , quatre chez plusieurs hordes de la Tatarie chinoise (4) et chez quelques Négresses , cinq au Bré- sil 0), au Canada et chez diverses peuplades de la Sibérie (6). Schubert assure que, dans le Nordland, il y a des mères qui (d) Virey , loc. cit., 1. 1, p. 8S3. <2) Frank, loc. cit., t. II, p. 366. (3) Zimmermann, loc. cit., t. YI, p. 252. (4) Ibid., t. IX, p. 97. (5) Spix et Martius, loc. cit., 1. 1 ,' p. 381. i •] <6) Frank, îoe.cif., t. II, p. 368, §4 AGE ADULTE. allaitent leurs enfans jusqu'à l'âge de cinq ans. L'allaitement est fort long aussi en Egypte, dans la Sénégambie et à Cey- laa (1;. Chez les sauvages de la Louisiane, il dure tant que l'enfant veut prendre le sein, ou jusqu'à ce qu'une nouvelle grossesse fasse disparaîlre le lait (2). Cependant aucun de ces peuples ne se fait remarquer par la vigueur. Chez la plupart des nations de l'Asie et des Indes occidentales, la mère mâche les alimens qu'elle donne à l'enfant ( Conip. § 518, 6» ). Chez les Tongouses, elle lui fait sucer un morceau de lard, pour apaiser ses cris (3). Plus d'une paysanne allemande le bourre de pâte cuite à Teau, et la bonne nature sait le soustraire aux dangers de cette nourriture. 2° Beaucoup de peuples bercent les enfans, tandis que d'autres , souvent très-voisins, n'ont point cette habitude. Les Sauvages du Missouri les balancent dans une peau d'animal suspendue à quatre cordes (4). Chez les Canadiens, on les en- veloppe d'une peau d'animal, et on les attache sur une planche garnie de mousse (5). Les Tongouses les tiennent assis comme sur une chaise , car le berceau , garni de cuir , est courbé à angle obius, et présente une échancrure dans laquelle latêle s'adapte (6). Les Kalmouks les font voyager à cheval dans un berceau garni de feutre , et supporté par une planche , le long de laquelle s'écoulent les déjections (7). En Virginie, le berceau est une simple planche , garnie de coton, qui a des trous pour l'écoulement des matières ; d'autres habitans du nord de l'Amérique reçoivent les déjections dans de la poudre de bois pourri ou dans de la mousse , qu'ils placent entre les jambes de l'enfant. Les Brésiliens nétoient celui-ci avec une spatule de bois , et les Cafres le font lécher par des chiens (Comp. § 533, 9 ). Chez la plupart des peuples grossiers, la mère porte son nourrisson sur le dos. Tel est, entre autres, (1) Virey , loc cit., t. I. p. 328. (2) Perrin du Lac , loc cit., t. I, p. 487, (3) Zimmeiniann, loc. cit., t. VllI, p. 289. (4) Perrin du Lac , Icc. cit., 1. 1, p. 483. (5) Zinimermann, loc. cit., t. III, p. 455^ {6)Ibid., t. "VIII, pi. I, p. 291". (7) /ôid., t. YIII, pl.II, p. 279. , AGE ADULTE, qS l'usage des sauvages du Missouri, parmi lesquels la mère l'a- dopte dès que l'eufant commence à se tenir debout, ce qui arrive ordinairement avant la fin du premier mois ; elle ne le quitte plus alors, même pendant les travaux pénibles qu'elle exécute (4), Quinze jours après la naissance , les Négresses se rattachent sur le dos (2). Les Brésiliennes le portent suspendu à une bande tournée autour du cou (3) , jusqu'à ce qu'il puisse courir (4). Les Canadiennes prennent sur leur dos la planche à laquelle il a été fixé, et quand elles travaillent, l'attachent à une branche d'arlire (5), Les Tongouses en agissent de même (6). Les Groënlandaises le portent dans un pli de leur habit, et font en même temps entrerses aînés dans leurs larges bottes soutenues par des os de poisson. Certains Indiens les mettent dans une caisse pendant leurs expéditions (7) , et les Abipons dans un sac de peau de Sanglier suspendu à leur che- val (8). Les Tongouses chargent leurs enfans sur les Rennes, dans des corbeilles (9) , et^ les Kalmouks sur les Chameaux , dans des boîtes (10). 3° Au Chili (11) et au Paraguay (12) la mère, aussitôt après l'accouchement, se baigne avec son nouveau-né. Chez les Canadiens (13) , en Islande et en Sibérie, comme jadis en An- gleterre et en Allemagne (14) , on plonge celui-ci dans l'eau froide. Les Lapons l'enfoncent trois fois par jour dans la neige, et quand sa respiration devient gênée, ils le mettent dans de l'eau chaude (15). Quelque grand nombre d'enfans (1) Perrin du Lac, loc cit., t. I, p. 187. (2) Deraeunier, loc. cit., t. I, p. 174. (3) Zimmerniann, loc. cit., t. VII, p. 80. (4) Spix et Martius, loc. cit., t. T, p. 381. (5) Zimmerniann, loc. cit., t. III, p. 155. (6) Ibid., t. YIII, p. 289. (7) Ibid., t. III, p. 122. (8) Ibid., t. VI, p. 242. (9) JMd.,t. VIII, p. 289. (10) Ibid., t. VIII, p. 279. (H) iizc?.,t. VII, p. 214. (42) Ibid., t. VI, p. 242. (13) Ibid., t. III, p. 155. (14) Virey, loc. cit., t. I, p. 101, (15) Hist, nat. gén. et particulière, t. H, p, ôS-î?, ^6 AGE ADULTE. que cette coutume doive faire périr , il s'en trouve cepen-^ dant qui y survivent , et c'est là l'argument qu'on allègue en sa faveur,fde même qu'à l'appui d'une foule d'autres méthodes analogues. Si les Spartiates fouettaient leurs garçons , les sau- vages du Canada leur apprennent à supporter le jeûne et la douleur causée par des charbons ardens (1). 4" On emploie des moyens très-diversifiés dans la vue de perfectionner la nature de l'homme. Quelques tribus de Hot- tentots enlèvent le testicule gauche à leurs fils , quand ils ont atteint l'âge de neuf ou dix ans, ce qui n'a pour résultat ni de les rendre plus habiles coureurs , ni de diminuer leur fé- condité. Les Caraïbes de l'Orénoque attachent beaucoup d'im- portance à corriger la forme des mollets ; pour cela ils enve- loppent les jambes des enfans de liens si serrés que les chairs ressortent entre les tours de bande (2). Les idées qu'ils at^ tachent à la beauté portent les sauvages du Brésil à écraser le nez de leurs enfans (3) , et les Yamaos du Pérou , pour ar- river à plus de perfection encore, sous ce rapport, leur en- lèvent la cloison cartilagineuse (4). Mais c'est surtout la forme de la tête qu'on a eu la prétention de modifier. Les Wanaches et quelques hordes Tatares l'entourent jusqu'aux yeux d'un lien très-serré , de manière à la rendre conique et à aplatir le front (5). Certains Indiens cherchent à lui donner une forme conique, à l'aide de courroies (6). Les Chaktas emploient un moyen plus efficace encore : ils l'emprisonnent dans une forme en bois , pour l'aplatir, et posent dessus un sac plein de sable, ce qui ne parvient cependant pas à rendre les enfans imbécil- les (7). Les sauvages qui habitent à l'embouchure de la rivière des Amazones (8) , et quelques tribus péruviennes , notam- ment les Omaguas(9), compriment la tête entre deux planches, (1) Zinimermann, loc. cit., t. III, p. 172. (2) Humboldt , Reise in die Mquinoctialgegenden, t. III, p. 402. (3) Zimmermann, lac. cit., t. VII, p. 75. (4) Ibid., t. VI, p. 125. (5) Ihid., t. VUI, p. 136. (6) Ihid., t. III, p. 122. (7)i6îd., t.IV, p.185. (8) Ihid.^ t. V, p,i224. (9)/Wci.,t. VI,p.l07. AGE ADULTE. 97 afin d'aplatir le front et l'occiput. Cependant on ne remarque pas de différences, sous le rapport des facultés intellectuelles, entre ces peuples et d'autres qui ne travaillent point la tête de la même manière. 6° Ainsi la perversion ^humaine s'exprime par des formes variées d'éducation physique, dont la nature parvient cepen- dant à triompher , et les exemples que nous avons cités suffi- sent pour expliquer comment tant de systèmes ont pu être imaginés et mis en pratique sans que ces méthodes de couler les têtes dans un même moule aient eu pour résultat de ne produire que des cervelles détraquées. III. Afin de découvrir quelles sont les choses qu'on apprend réellement des autres^^et celles qu'on apprend de soi-même , nous invoquerons le témoignage impartial de la zoologie. Plusieurs animaux se donnent beaucoup de peine pour en- ^gner à leurs petits les mouvemens au moyen desquels ils peuvent se procurer la nourriture et se soustraire aux dan- gers , en un mot les actions les plus simples, auxquelles l'in- stinct pousse de la manière la plus formelle , et que le jeune animal devient aussi de très-bonne heure apte à exécuter. La Tortue de mer va chercher ses petits éclos par la chaleur de la terre , afin de les conduire à l'eau ; cependant les jeunes Tortues trouvent l'eau par le seul fait de leur propre instinct, car lorsqu'on les porte au loin dans un sac, et qu'on les place de manière qu'elles tournent le dos au rivage , elles ne s'y rendent pas moins sans hésitation et par la voie la plus courte (i). Mais les actions les plus compliquées, celles qui se rapportent à la génération , ne sont point enseignées à l'a- nimal, qui les accomplit, quand le moment arrive, sans avoir rien vu faire de semblable à ses parens. Le jeune Oiseau ne connaît le nid dans lequel il a été couvé que comme une couche chaude ; mais , l'année suivante , quelque compliqué que soit ce nid , il en établit un pareil, bien qu'il n'ait jamais assisté à aucune construction de ce genre. Les jeunes Rossi- gnols n'entendent point chanter leur père , puisque celui-ci devient muet dès que l'incubation est achevée , et cependant, (1) Humboldt, jfieûe iiidie Mquinootialijegenden^ t. HT, p. 426. V 1 gS AGE ADUITE. aussitôt que le printemps arrive/l'instinct procréateur se ma- nifeste aussi chez eux par des chants. Gardien rapporte (1) qu'on a fait couver par des Serins des œufs d'Emberiza pa- radisea, regia etprincipalis,deFringiUa bengalusetamandava, apportés d'Asie et d'Afrique en Europe , et que les petits qui en sont éclos ont appris d'eux-mêmes le chant et la con- struction de nid propres à leur espèce. L'instruction ne se rapporte donc qu'aux facultés simples, à celles qui sont nécessaires pour la conservation de l'individu , et qui ne lui manquent encore que pendant les premiers temps de la vie indépendante ; quant aux actions d'un ordre plus élevé , à celles qui ont l'espèce pour but , et dont l'imagi- nation fait tous les frais , elles ne sont point communiquées du dehors , mais résultent d'une impulsion intérieure. La même chose a lieu pour l'homme. Ce qu'il y a de supé- rieur en lui ne peut venir des autres et doit se développer &i lui-même ; l'imagination créatrice, la force du raisonnement, l'ardeur du sentiment dans l'amour , la pitié, ne s'appren- nent point. Celui qui se figure être arrivé au point culminant du développement des facultés intellectuelles et morales, croit devoir ne point arrêter son disciple à des trivialités, et s'em- presse de rélever jusqu'à sa propre hauteur; mais l'homme prudent, celui qui a su s'étudier se, hâte moins de donner des préceptes à l'élève, il ne fait que lui fournir l'occasion de les trouver lui-même , et ne les réduit en formules que pour ceux qui sont en état de les apprécier. IV. L'éducation consiste donc à écarter tout Ce qui pourrait empêcher un individu de se développer lui-même , après avoir reconnu qu'il y a en lui prédisposition à le faire et droit à jouir d'une existence indépendante. Quiconque l'entreprend doit bien se garder de vouloir créer; car une audacieuse pré- somption n'aboutit qu'à gâter l'œuvre de la nature. Il doit agir dans le sens de l'espèce, qui répartit diversement ses forces et veut qu'on ait égard aux individualités. En suivant cette mar- che , il remplit un véritable sacerdoce , puisque, sous sa di- rection, la nature humaine parvient à se développer dans (1) Diclionn. des se. médic.,t. XII, p. 244. AGE ADUSTE. 99 toute son étendue et à présenter la révélation de l'infini , qui est sa seule et unique base. Il vise à obtenir cette harmonie des facultés qui correspond à leur idée et qui est conforme à la nature ; ses efforts tendent à conserver la santé , à déve- lopper les forces physiques, à faire acquérir l'adresse, l'habi- leté ; il cherche à favoriser le libre développement du carac- tère, en écartant tout ce qui pourrait nuire et en provoquant les influences salutaires; il veille à ce que l'égoïsme, sans prédo- miner ni dégénérer, devienne la base de la vie , et se subor- donne de lui-même à la direction générale , comme l'exige la marche de la nature ; enfin il s'attache à ce que l'éducation ait pour effet, non de dresser ou de façonner , mais de four- nir à l'élève les moyens de se former lui-même , et prenne ainsi le caractère d'une véritable gymnastique intellectuelle et morale , non pour former des saltimbanques , mais pour procurer aux facultés de la vigueur et de la souplesse (1). 1. MOYENS d'Éducation. § 678. Si maintenant nous portons nos regards sur les moyens d'éducation, nous reconnaissons 1° Que la condition générale de cette éducation tient d'un côté à la faiblesse de l'être procréé , qui le place sous la dé- pendance des êtres procréateurs , de l'autre à l'amour réci- proque qui naît des secours donnés et reçus. Nous la trouvons déjà chez les animaux (§ 515, i3°), qui ne peuvent exercer une action éducatrice sur leurs petits qu'autant que ceux-ci se trouvent bien auprès d'eux et se soumettent volontairement à leur influence. Dans un sens plus relevé, l'amour et la con- fiance sont les pierres fondamentales de l'éducation humaine. Le premier problème consiste donc à éveiller ces sentimens , à leur faire prendre un caractère de durée , et à remplir ainsi tout l'être d'une satisfaction dont la chaleur vivifiante permet à ses facultés de se déployer plus librement. Mais, généralement parlant , l'amour des enfans pour lespa- rensest plus froid que celui des parens pour les enfans; ce dernier ne connaît, point de bornes , il a l'avenir en vue , et il (1) Voyez les arlides Gjniiiaslique , par îfM, CIi. Londe et H. Bouvier (Dict. rie !i)éi!eciiie et de cliinirgie pratiques ;, t. IX, p. 327 et sniv. lOO AGE ADULTE. S3 nourrit d'espériiïices , tandis que l'autre repose sur îesévé- neinens du passé; Famour des parens est plus désintéressé, et ne cherche d'autrerécompense que la joie d'avoir bien agi ; celui des enfans est un devoir, et se rattache à la pensée d'un bienfait reçu. Aussi, aux approches de l'indépendance, les garçons aiment-ils moins leurs parens , à l'égard desquels ils éprouvent un peu d'éloignement , parce que la subordination les gêne jusqu'à un point , et dont les avis leur inspirent même une sorte de défiance , qui n'est pas sans résultat avantageux pour l'éducation spontanée; ce n'est qu'a- près avoir acquis leur pleine et entière indépendance , qu'ils reviennent à leurs premiers sentimens , fortifiés alors par la réflexion. Mais les filles conservent toujours le même amour pour leurs parens , et quand arrive le moment de quitter la maison paternelle, pour aller jouer leur rôle dans le monde , elles ne l'abandonnent pas sans une douleur dont on voit même percer quelques traits grossiers à travers les mœurs des peu- ples non civilisés (§ 571, 5°). Les principales méthodes d'éducation se retrouvent chez les animaux (2°-6°), dans leur plus grande simplicité, et seu- lement esquissées pour ainsi dire , mais aussi telles que la nature elle-même les prescrit au moyen de l'instinct. 2" Les parens montrent des objets à leurs petits , afin d'é- veiller l'instinct en eux. Les Oiseaux qui [ne nourrissent point eux-mêmes leurs petits , par exemple les Galhnacés et plu- sieurs Palmipèdes, les conduisent dans les lieux où ils peuvent trauver facilement des substances alimentaires, et les appellent quand ils ont trouvé quelque chose qui puisse leur convenir, La Poule gratte la terre, cherche des vers et des insectes , les soulève avec son bec , et les laisse tomber devant ses Poussins. Les Renards, les Loups, les Lynx et les Chats , quand ils ont des petits , prennent leur proie vivante, et l'apportent à ceux- ci, qui jouent avec elle avant de la mettre à mort; il arrive souvent aux chasseurs de rencontrer ainsi des prisonniers dans les terriers ou les retraites de ces animaux. 3° Ils encouragent les petits à essayer leurs forces. Les Hirondelles et autres Passereaux se placent à quelque distance du nid, appellent leurs petits à eux, et leur offrent de la nour- AGE ADtitTE. lOl riture. Quand la Biche trouve des prés ou des champs qui lui paraissent sûrs , elle appelle les Faons , qui distinguent très- bien sa voix , et qui se hasardent alors à sortir de la forêt. Le Lièvre attire ses petits hors du gîte , pour les allaiter , en frappant ses oreilles l'une contre l'autre, 4° Le jeune Oiseau reconnaît déjà dans le nid un danger qui le menace immédiatement ; il s'échappe quand on s'approche de lui , se cache et demeure tranquille pour ne point se tra- hir ; mais il n'a ni la prudence de ses parens ni leur aptitude à juger le danger de loin ; aussi ces derniers Tinforment-ils par des intonations de voix particulières. Dès qu'un Oiseau de proie paraît dans les airs , fut-ce même à la plus grande hau- teur, la Dinde appelle ses petits sous ses ailes, où ils se tien- nent tranquilles jusqu'à ce que, le danger étant passé, ils se remettent joyeusement à courir. A l'approche d'un Faucon , la Cane avertit ses petits, qui, sur-le-champ, s' enfoncent tous dans l'eau. L'Opossum pousse un cri au moindre danger , et les petits s'empressent de gagner la poche de la mère, qui s'enfuit avec eux. 5° Les parens instruisent aussi leurs petits par l'exemple ; les Cormorans et les Plongeons plongent devant eux jusqu'à ce qu'ils les imitent. Quand une jeune Cigogne commence à voler , sa mère l'accompagne et la surveille attentivement. Le Chamois exerce son petit à sauter et grimper, franchit plusieurs fois de suite un précipice^devant lui, et l'appelle jusqu'à ce qu'il le suive. Les Renards et autres animaux de proie emmènent leurs petits à la chasse lorsqu'ils ont acquis une certaine force. 6° Enfin les parens mettent leurs petits dans la nécessité de se tirer eux-niêmes d'embarras. Le jeune Élan , après être demeuré couché quelque temps , se dresse sur ses pattes ; mais , comme il ne peut point encore marcher , sa mère le pousse doucement de la tête , en sorte qu'il est obligé , pour ne pas tomber , de faire quelques pas. Le Phoque précipite ses petits dans l'eau ; l'Eider porte les siens à ia mer sur son dos , et plonge ensuite dans l'eau , de manière à les obHger de nager; mais il se lient avec eux auprès du rivage jusqu'à ce qu'ils sachent plonger , et alors seulement il les emmène en pleine mer. 108 AGE ADULTE. 2. MODE d'éddcation. § 579. Par rapport à la modalité de l'éducation , la loi fon- damentale est une progression graduelle. La joie qu'inspire l'accroissement des forces et des capacités de l'enfant est un sentiment naturel ; mais l'homme sage attend le succès d'un développement calme et conforme à la nature , et la vanité seule veut hâter une maturation dont la lenteur fatigue son impatience. Cette loi se manifeste, sans que rien l'obscurcisse, dans l'instinct des animaux et les conditions organiques qui s'y rapportent. 1» De même que, chez les Mammifères, le lait change de qualités à mesure que le développement du nourrisson fait des progrès ( § 533 , 6», 7» ) , de même aussi la nature des alimens varie chez les autres animaux. La première nourriture des larves de Fourmis est un suc sucré, visqueux, à demi digéré , provenant des végétaux et des pucerons , et que les ouvrières leur dégorgent dans la bouche ; plus tard elles reçoivent des alimens ordinaires. Les Guêpes dégorgent aussi dans leurs alvéoles un liquide dont les larves doivent d'abord se nour- rir ; mais Réaumur a reconnu qu'elles leur donnent ensuite des débris à demi digérés d'insectes , et enfin des lambeaux de chair ou autres choses semblables. Les Abeilles avalent du pollen, qu'elles dégorgent, mêlé avec du miel, sous la forme d'une pâtée , qui sert à l'alimentation des larves ; mais cette pâtée , d'abord blanchâtre et insipide , devient bientôt d'un jaune verdâtre et un peu aigrelette , tandis que les larves qui sont sur le point de passer à l'état clirysalidaire en reçoivent une totalement sucrée. Le Pigeon donne d'abord à ses petits une bouillie lactescente, préparée dans son jabot ; mais lorsqu'ils sont âgés de quatorze jours, leur nourriture ne consiste plus qu'en grains ramollis. On assure que la Louve mâche les premiers alimens de ses petits avant de les leur présenter. Les Serins nourrissent leurs petits d'abord avec des insectes, puis avec des grains ramollis dans leur jabot. Les Corneilles mantelées leur donnçnt en premier lieu des insectes mous , puis des insectes à test dur. Les Alcyons leur AGE ADULTE. I03 présentent d'abord des chenilles et des abeilles , auxquelles ils ont arraché la tête et les ailes , ensuite du poisson. 2" Les animaux nourrissent d'abord leurs petits , et ils les accoutument ensuite peu à peu à chercher eux-mêmes des alimens. Plusieurs Oiseaux , après leur avoir donné quelque temps à manger , leur enseignent la manière de chercher la nourriture , et les abandonnent ensuite. L'Hirondelle les nourrit d'abord dans le nid, puis en volant, et les accoutume ainsi à prendre des insectes au vol. La Cigogne leur apporte en premier lieu des Grenouilles déchirées en morceaux , puis des Grenouilles vivantes , qu'ils sont obligés de tuer eux- mêmes. Quelques Oiseaux dégorgent la première nourriture dans le bec de leurs petits , et plus tard se contentent de la vomir devant eux (1). Plusieurs Mammifères , tels que les Blaireaux , les Renards , le Castor, etc. , ne donnent d'abord que du lait aux leurs , puis leur apportent à manger, et enfin les emmènent avec eux à la recherche des alimens. 3" Noïis trouvons la même progression en ce qui concerne les mouvemens. Les Cigognes et autres Oiseaux ne volent d'abord avec leurs petits qu'aux alentours du nid , et peu à peu s'en éloignent davantage. Certains Oiseaux pélagiens restent pendant quelque temps avec eux dans l'eau douce, qui est plus tranquille, et les mènent plus tard à la mer, ou, s'ils ne quittent pas cette dernière , ils demeurent d'abord sur les rivages , et ne s'élancent au large qu'au bout d'un certain laps de temps. De même l'agronome soumet les Taureaux au joug quand ils ont atteint l'âge de cinq ans, mais ne leur impose alors qu'un travail facile et peu prolongé , parce que, lorsqu'on les fatigue prématurément, ils n'acquièrent ni les forces ni la complexion vigoureuse qu'ils doivent avoir. Enfin les premières leçons sont une espèce de jeu qui ne doit prendre que peu à peu un caractère sérieux si l'on veut qu'il n'inspire pas de dégoût et qu'il profite réellement. 4° La nature humaine marche de la sensualité à la ré- flexion , du pressentiment à la conscience de soi-même , de l'instinct à la raison. Tout ce qui possède la liberté débute (1) Faber, Ueher das Leben der Jiochnordischen Fœgel, p. 218. 104 AGE ADtJLTE. par agir sans conscience ni volonté ; l'entendement ne s'exerce d'abord que par instinct , et toutes ses opérations sont déjà contenues dans le langage de l'enfant ; mais le jeune homme seul est mûr pour la logique , parce qu'il commence à faire avec conscience ce qu'il a pendant long -temps accompli d'une manière automatique. Cependant la clarté qui résulte de cette intuition de soi-même n'a de valeur qu'autant que l'homme l'acquiert par lui-même. Le systématisme des pé- dagogues frappe de mort l'indépendance humaine ; et s'il voulait, pour être conséquent, diriger l'acquisition de la parole et des premières idées , il paraîtrait ridicule au plus haut degré , car toutes les peines qu'il prendrait seraient inutiles. Ce n'est que quand le génie s'est développé comme instinct qu'il doit s'inquiéter des règles de l'art ; ce n'est qu'après avoir acquis peu à peu , par l'usage , le sentiment du droit et de la vertu, qu'on peut s'élever à la conscience de soi-même sous le point de vue de la loi morale. Le germe des nobles facultés demande à être traité comme un bour- geon délicat, qu'il faut exposer à une lumière douce et non au foyer d'un verre ardent. Une réflexion trop précoce lue le germe des hautes aptitudes de la vie , et plus l'éducation veut être complète , plus elle épuise la source sacrée ; elle fait peser sur tout le niveau de la médiocrité , éteint le génie , et coupe les racines de toute faculté qui chercherait à s'élever. § 580. Par rapport à l'homme , I. L'éducation le mène à différons points. 1° Elle doit le former comme homme. En veillant à ce que les dispositions qu'il a reçues de la nature se développent librement , elle lui donne sa véritable valeur , elle éveille en lui la vie intérieure , lui inspire de l'estime pour lui-même , lui procure indépendance et liberté. 2" Elle doit l'amener au degré qui caractérise l'époque à laquelle il vit, c'est-à-dire porter son développement jusqu'au point où le genre humain est arrivé pendant le cours du siècle. 3" Elle doit le mûrir pour la société, non pas lui inspirer une abnégation de soi-même telle qu'il ne serve plus qu'à AGE ADULTE. lo5 des buts étrangfers , ou lui montrer la nécessité de plaire "aux autres et de leur être utile comme sa tendance suprême , mais lui apprendre à mettre son individualité en harmonie avec la société , d'après l'idée de l'organisme, de manière à unir en lui l'homme et le citoyen. 4° Enfin elle doit le former pour une carrière quelconque, c'est-à-dire lui faire acquérir l'aptitude à agir dans le sens de la direction spéciale que ses forces ou son penchant , d'acl cord avec les circonstances extérieures , lui permettent de suivre. II. L'éducation se puise dans la famille (5° — 8°) et dans le monde (9°). 5° L'éducation de famille , sur laquelle repose tout le dé- veloppement de l'homnie , exerce une influence absolue pen- dant l'enfance , et de plus en plus restreinte durant la jeu- nesse. Elle consiste en soins immédiats, nourriture, protec- tion, surveillance et instruction. Le cours naturel des choses fait qu'elle se trouve confiée aux parens , et lorsque , dans l'état de civilisation , où chaque fonction exige un organe spécial , elle vient à être plus ou moins abandonnée à des instituteurs, ceux-ci sont les délégués des parens, dans le sens desquels ils les dirigent. Le père et la mère y contribuent tous deux par un concours organique. L'enfant apprend de sa mère l'amour, et de son père la loi ; mais la loi et l'amour se prêtent mutuellement la main pour l'éducation de l'homme. La mère est la première personne qui aborde l'enfant , elle le met peu à peu en rapport avec le père , elle sert d'inter- prète et^ d'intermédiaire entre le père et la fille , tandis que le garçon veut voir le commandement maternel confirmé par l'autorité du père et justifié par sa raison (1) Le père est plus idéal , il exige de son fils quelque chose de plus grand , il veut que celui-ci arrive proniptement à la même hauteur que lui et le surpasse un jour. La mère, au contraire , qui se rap- proche plus de la nature , s'en tient davantage à la réalité (§ 206, 1») : elle aime son fils tel qu'il est , n'aperçoit pas de défauts en lui , ne veut point croire à ses fautes , tempère la (1) Wagner, System der Unterriclits'^ p. 3. 106 AGE ADULTE. sévérité du père , atténue ses exigences , et s'efforce d'en- tretenir dans le fils amour et obéissance pour le père. 6° L'école maternelle est destinée à l'enfance^ c'est-à-dire à l'époque de la vie qui pose les fondemens de tous les dé- veloppemens futurs , à celle durant laquelle la vie morale se déploie dans une direction déterminée , comme la vie physi- que l'avait fait précédemment au sein de la matrice. La mère donne la forme humaine, et prépare à entrer dans la vie so- ciale ; comme son rôle ne se borne pas uniquement à allaiter, et qu'elle doit en outre surveiller (§ 528, 5°) , elle procure les premières intuitions et donné l'éveil aux premières idées. Par ses soins , l'enfant apprend à parler, ce qui le rend pro- pre à la société , conformément au caractère de son espèce ; mais, en lui procurant cette faculté, elle ne le lie pas seule- ment à ^l'humanité en général, elle l'introduit encore dans un cercle particulier de l'espèce humaine , puisque c'est la lan- gue maternelle qui attache l'homme à telle ou telle nation, à telle ou telle époque. Elle agit par sympathie, et fait naître la sympathie ; en développant les forces de l'âme ;, elle leur im- prime la forme extérieure qui constitue les mœurs, et en fa- çonne l'essence de manière à leur donner le caractère de la moralité. Aussi , comme la part qu'elle prend à la génération est plus grande et plus immédiate, reste-t- elle unie à ses enfans par des liens plus intimes , alors même que l'âge les a fait sortir de son école. La fille prête de bonne heure son as- sistance à sa mère, et plus tard acquiert en elle une amie qui la dirige ; le fils trouve dans son amour un contre-poids de la sévérité paternelle et une tendresse toujours prête à concilier le besoin d'indépendance qu'il éprouve avec celle dont jouit le père ; s'il lui arrive , poussé par l'instinct, de se soustraire à l'influence immédiate de sa mère , c'est surtout l'image de celle-ci qui vient s'offrir à lui dans les chagrins dont son âge mûr peut être assailli , et quel que soit le nombre des années accumulées sur sa tête, les soins maternels sont toujours prêts à l'entourer dès qu'il en éprouve le besoin. Aussi la première éducation n'a-t-elle été confiée aux hommes chez aucun peuple , et partout on a laissé la plus grande part aux mères. Schubert nous apprend que le Lapon se charge de AGE ADULTE. IO7 tous les détails relatifs à la cuisine , afin que rien ne dérange la femme des soins qu'exigent les enfans. A Oimalachka, les enfans qu'un homme a eu de différentes femmes ne sont point regardés comme frères et sœurs , et peuvent contracter rara- riage ensemble (1). C'est la condition de la mère qui détermine celle des enfans , en partie chez certains peuples , en totalité chez d'aulres, par exemple dans la Corée , oii les enfans d'un homme libre et d'une femme esclave sont esclaves eux-mê- mes (2). En cas de divorce , la mère est plus favorisée que le père; à Siam, par exemple, on lui accorde le/premier, le troisième, le cinquième enfant, de sorte que l'avantage se trouve toujours de son côté , soit qu'il n'y ait qu'un seul en- fant, soit qu'il en existe plusieurs, en nombre impair (3). 7° Le père, qui n'avait eu que de l'influence sur l'éducation de l'enfant , se charge en entier de celle du jeune garçon , et prend part à celle de la jeune fille. C'est à l'école paternelle , qu'on peut appeler aussi école élémentaire , que se puisent les connaissances et les aptitudes qui sont les conditions gé- nérales de l'activité humaine. 8° Mais, tandis que les parens accomplissent l'éducation de famille , les frères et sœurs y prennent part aussi , et la so- ciété établie entre eux les prépare aux rapports qu'ils doi- vent avoir plus tard avec les autres hommes. Les plus jeunes trouvent dans leurs aînés des appuis auxquels ils s'accrochent ; l'influence que ceux-ci exercent leur donne à eux-mêmes une conscience plus nette de leurs propres forces ; les uns et les autres s'animent et s'excitent mutuellement, sous le rapport de l'esprit comme sous celui du caractère , en vertu de la sym- pathie qui existe entre eux. Déjà les animaux nous ofl'rentdes exemples de soins frater- nels qui sont les précurseurs de l'amour et de la vocation fu- ture. Du jour même qu'elles sortent de la chrysalide, les Fourmis ouvrières commencent à nourrir celles de leurs sœurs qui sont encore à l'état de larve. Les petits du Chara- (1) Zimmermann, loc. cit., t. VIII, p. 177. (2)IMd., t. IX, p. 25. (%\ ThiA f XT n l'}. (3) /6î(f.,t. XI, p. 72, 108 AGE ADtlTE. drius chhropiis sont abandonnés au bout de trois semaines par leurs parens , mais^ ils se joignent plus tard à ceux qui naissent de la couvée suivante , qu'ils aident à se nourrir et auxquels ils procurent des insectes (1). 9° Les animaux , pour nous arrêter encore un instant à ce qui les concerne , conduisent peu à peu leurs petits hors du nid et dans le lieu où ils doivent vivre désormais. Partout les jeunes n'abandonnent d'abord le nid que pour un laps de temps fort court; plusieurs Echassiers , Gallinacés et Palmi- pèdes , de même que quelques Passereaux, commencent par courir avant d'être aptes à voler. D'autres, notamment les Rapaces , les Coraces et la plupart des Passereaux , restent dans le nid jusqu'à ce qu'ils aient acquis l'aptitude à voler, le quittent alors, mais y reviennent le soir, tant que leurs parens leur fournissent de la nourriture. Les Renards , les Blaireaux, les Ours, etc., quand leurs petits ont acquis un mois environ, que le temps est beau , et qu'il n'y a pas d'ennemis à crain- dre , les font sortir de leurs terriers ou tannières , pour goû- ter le soleil et jouer, puis leur font faire peu à peu des courses plus étendues. De même , quand le soleil brille , l'Opossum fait sortir les siens de sa poche, et les déshabitue peu à peu d'y rentrer. Quelques Oiseaux palmipèdes , par exemple les Poules d'eau et les Pingouins , qui ont couvé sur les bords de l'eau douce , y mènent leurs petits peu après l'éclosion ; d'autres les conduisent assez tard à l'eau , surtout quand il s'agit de la mer. Le Colymbus arcticus prend le sien dans son bec , lorsqu'il a acquis l'âge de trois semaines , et le descend ainsi des rochers dans la mer ; l'Eider y porte les siens sur son dos , et le Canard sauvage , qui se niche sur un arbre , les emporte dans son bec, ou les précipite du nid dans l'eau. L'Alligator va chercher ses petits quand ils sont éclos, et les mène au fleuve. Les Phoques gagnent aussi la mer avec les leurs , quand ils ont assez de force pour nager. Nous reconnaissons dans ces penchans instinctifs le proto- type des actions volontaires par lesquelles l'homme est intro- duit dans le monde. La jeunesse est l'âge pendant lequel il se (1) Bechstein, Naturgeschichte Beutschlands, t, IV, p. 498. AGE ADULTE. iog forme lui-même , mais sous la direction d'autrui ; où les facultés supérieures de l'âme se développent eu lui , dans le même temps qu'il acquiert l'aptitude du citoyen à exercer telle ou telle profession ; où il reçoit spontanément les leçons du présent et du passé , et où il cherche à créer lui-même quelque chose. La part des parens à l'éducation diminue peu à peu, dans la même proportion que le monde mûrit les forces du jeune homme , en vertu de son harmonie avec la vie in- térieure. De même, leur surveillance immédiate cesse à la puberté , et leur rôle se réduit désormais à donner des con- seils , à procurer des appuis , à faire des vœux de réussite et de bonheur. 10° Chez aucun animal je pacte de famille ne dure aussi long- temps que dans notre espèce ( § 515, 14°, 15°) ; l'étendue et la prolongation de la dépendance de l'homme le mûrissent pour la vraie liberté, il n'est pas jusqu'à la sphère purement plastique dans laquelle oa reconnaît qu'une longue cohabitation mène à un plus grand développement delà vie. Nulle substance excré- mentitielle ne demeure aussi long-temps en contact avec l'or- ganisme vivant que celle qui est destinée à la génération , et ce contact dure d'autant plus long-temps, que la vie animale de l'espèce occupe un rang plus élevé. Nulle part , on ne trouve de si longs vaisseaux et des espaces aussi bien clos pour le produit sécrétoire , que dans le système génital et notamment dans celui de l'homme : les nombreuses circonvo- lutions .des artères spermatiques et des conduits déférens annoncent un retour continuel sur soi-même et une sorte de répugnance à arriver au dehors ; la substance destinée à la reproduction est bien plus enchaînée encore chez la femme , puisqu'il y a, dans chaque vésicule de l'ovaire, une sécrétion qui ne se forme qu'une seule fois pendant le cours de la vie, et qui a besoin d'environ vingt années pour atteindre au terme de sa maturité. III. La participation des parens au développement progres- sif des enfans s'exprime par l'usage adopté chez presque tous les peuples de célébrer le passage d'une époque à une autre. 11° Presque partout une fête salue le nouveau-né , comme homme et comme membre de la cité. L'Indien du Brésil porte i 10 AGE ADULTE. au bout de quelque temps son enfant au magicien, afin qu'il le fumige avec une espèce de tabac , cérémonie à l'occasion de laquelle les voisins se réunissent pour boire et dan- ser; la seule autre solennité qu'il connaisse est relative à la mort des siens (1). La plupart du temps, cette fête se ra- tache à l'imposition du nom , qui est une reconnaissance de l'individualité et de droits dans la cité. Ainsi , chez les Nègres, on célèbre par des processions et des prières le jour qui voit donner un nom au nouveau-né (2) Chez les peuples tatares , le prêtre marmote , au septième jour, une prière dans l'o- reille de l'enfant, et lui impose son propre nom (3). Chez les Hindous , le bramine frotte d'huile la tête du père et de l'en- fant , et celui-ci reçoit , dix jours après , le nom qu'il doit porter (4). Chez les Coucis , cette cérémonie s'accompagne du sacrifice d'un Cochon, de festins, de chants et de danses (5). A la Chine , l'enfant reçoit son nom lorsqu'il est âgé d'un mois. A la baie d'Hudson , on donne aux garçons un nom de lieu , de saison ou d'animal , et aux filles celui surtout d'une partie du corps de la Marte ou d'une variété de cet ani- mal (6). Chez les anciens Mexicains , la sage-femme asper- geait d'eau la tête , la poitrine et la bouche du nouveau-né , en priant les dieux de le délivrer des impuretés contractées dans le sein maternel , de purifier son cœur, et de lui procu- rer une vie heureuse : au bout de cinq jours , on répétait cette cérémonie, et alors l'enfant recevait son nom (7). Parmi les Israélites , on circoncisait les garçons huit jours après leur naissance. Cette coutume avait pour but de distin- guer leur race de toutes les autres, à l'aide d'un caractère permanent. Nous la retrouvons dans les contrées les plus di- verses. Mais , par cela même qu'elle est destinée à établir une (i) Spix etMaviius, loc. cit., t. I, p. SSl. (2) Demeuiiier, loc. cit., t. I, p. 165. (3) Zimmermann, loc. cit., t. VIII, pi. II, p. 122. (4) i6jrf.,t. XII, p. 278. (5) IHd ,\. XT, p, 23!. (6) Heaine, loc cit., p. G6. 0) Aiileiifielii, (Jeher don UripraïKj der Beschieidunij, p, 60, AGE ADULTE. î i \ distinction , elle -n'existe tantôt que chez certains peuples , tantôt que parmi certaines castes d'une nation. Son origine re- monte incontestablement, soit à l'époque où régnait encore l'usage de marcher sans vêtemens, soit à celle où les hommes étaient 'dominés par le penchant à se défigurer de mille ma- nières diverses ; car l'usage , consacré chez les Egyptiens et les Israélites , de circoncir les enfans avec une pierre tran- chante , annonçait bien que la coutume elle-même datait d'un temps où l'on ne savait point encore se servir du fer (1). Ce- pendant la distinction a fort bien pu, chez divers peuples et à certaines époques, être consacrée à des vues spéciales et mise en rapport avec des idées particulières. Autenrieih a démon- tré (2) que, chez les Egyptiens, les Abyssiniens et autres peu- plesjla circoncision avait son but d'utilité en temps de guerre; d'un côté , ces peuples coupaient les parties génitales aux vaincus , et les rapportaient avec eux , pour prouver qu'ils avaient eu à vaincre les hommes aptes à combattre d'une nation incirconcise; de l'autre, la circoncision ^servait à leur faire reconnaître les cadavres de leurs compatriotes sur le champ de bataille. Quant aux prêtres égyptiens, soit qu'ils eussent emprunté cette coutume à la caste des guerriers , soit qu'eux-mêmes l'eussent introduite , ils la regardaient comme un moyen d'apaiser la divinité en lui sacrifiant une partie de son corps , et de lui plaire en assurant la propreté du membre viril , symbole , à leurs yeux , de la faculté pro- créatrice. L'intention de prévenir l'accumulation du produit sébacé autour de la couronne du gland , ne pouvait jouer là qu'un rôle fort secondaire. Pendant les relations qu'ils entre- tinrent avec les Egyptiens , les Israélites leur empruntèrent l'usage de la circoncision, afin de se procurer le degré de con- sidération dont celle-ci faisait jouir en Egypte les castes supé- rieures. Cependant l'habiiude qu'ils avaient de se regarder comme un peuple saint , fit que le signe national perdit peu à peu son caractère purement poîiéque, et en prit un religieux, qu'il conserve chez les Juifs et les Musulmans , mais dont on 0) Loc. cit., p.'46. (2) Loc, cit.,\). 3?, 1 1 2 AGE ADULTE. ne voit point de traces chez les autres nations, Aujour- d'hui encore la circoncision se retrouve en partie chez les Abyssiniens ( Ethiopiens des anciens ) et chez les Coptes ( descendans des Egyptiens ) , quoiqu'ils professent depuis long-temps le christianisme (1). Cette coutume règne aussi parmi les Cafres , chez plusieurs peuplades nègres des côtes occidentales d'Afrique (2) , à Madagascar, dans la péninsule de lucatan au Mexique , dans l'Amérique méridionale , parmi les Salivas et les habitans des bords de l'Orénoque et de la province d'Apuré , dans la mer du Sud , aux îles Fidji et Marquises , à Otahiti , à Nukahiwa et chez un peuple de la Nouvelle-Hollande (3). Chez la nation péruvienne des Panos , on ne circoncit que les filles , ce qui , dans le royaume de Bénin , a lieu huit jours après la naissance (4). 12° Les Hindous donnent une fête à l'époque à laquelle l'enfant, parvenu au sixième mois, reçoit la première nour- riture solide, qui consiste en du riz cuit au lait (5). Les Israé- lites céléBraient le sevrage par des sacrifices et des repas , les Spartiates par des sacrifices à Diane Corythaliie , les Romains par des prières à Eduse et à Poutine (6). 13° On pratique la circoncision à sept ans aux Maldives (7), de six à quinze ans chez lesTatares (8), de sept à treize chez les Turcs, les Persans et quelques peuples d'Afrique. Les Mahométans l'accompagnent de la lecture d'un passage du Coran , et c'est alors seulement qu'ils imposent un nom aux garçons. Les Chinois en donnent également un nouveau à leurs garçons au moment où commence l'éducation propre- ment dite (9). 14° Dans l'antiquité, on sacrifiait sa première barbe aux (1) Loc. cit., p. d2-19. (2) Loc. cit., p. 38. (3) Loc. cit., p. 20-38. (4) Zimniermann, loc. cit., t. lH, p. 107. (5) Ihid., t. XII, p. 278. (6) Fiank, loc. cit., t. Il, p. 370. (7) Zimniermann, loc cit., t. XIII, p. 27. (8)7ô*U,t. VIII, pi. II, p. 122. (9) Demeunier, loc.lcit., 1. 1, p. 161. ACE ADULTE. U5 dieux, et les anciens chrétiens la consaciaient à un saint. Les sauvages des bords de l'Amazone fêlent la puberté des filles, comme celle des garçons (1), et les Macouanis du Bré- sil ne célèbrent d'autre époque de la vie que la puberté des femmes , en l'honneur de laquelle ils exécutent des danses nocturnes (2). A la Guyane, cette époque est l'occasion de nom- breuses cérémonies , après la fin desquelles on fait mordre la jeune fille par des fourmis. A Amboine , après qu'elle s'est préparée par la retraite et le jeûne, les femmes la lavent dans un fleuve , la parent ensuite, et la conduisent à une grande fête, qui dure plusieurs jours (3). Chez les Hottentots, lors- qu'elle atteint l'âge de dix-huit ans, elle acquiert la permis- sion de converser avec les hommes faits ; on la déclare nubile par un discours solennel, et on la consacre en l'arrosant d'u- rine (4). 15" Chez plusieurs peuples d'Amérique, les jeunes gens sont obligés de subir des épreuves assez rudes pour être admis parmi les hommes (5). G. Fécondité. § 581. 1» La fécondité a une durée différente chez les ani- maux. Elle se prolonge jusqu'à huit ans chez les Canards et douze chez les Oies , jusqu'à sept chez les Chèvres , neuf à onze chez les Chattes, les Martes et les Renards, douze chez les Brebis, quinze chez les Chiennes, vingt chez les Jumens , et près de trente chez les Anesses (6). La femme cesse ordi- nairement d'être féconde de quarante-cinq à cinquante ans. Les exceptions à cette règle sont rares. Dans le pays de Wur- temberg , on a compté une femme de quarante-cinq ans sur soixante-six accouchées, et une seulement de cinquante sur cinq mille cinq cents (7;. Une proportion analogue découle de (1) Spix et Martius, loc cit., 1. 1, p. 382. (2)iizd.,p. 492. (3) Demeuniev, 1. 1, p. 43. (4) Ihid., p. 179. (5) Zimmeiniann, loc. cit.., t. V, p. 230. (6) Sniellie, Philosophie der Naturgeschichte, t. II, p. 19-23. (7) Riccke, Beitrœija sur 'lohvrtshvelflichen Topoi/raphie^p. 42, V. - .^ l l4 AGE ADULTE. seize années des tables de population de la Suède , embras- sant plus d'un million et demi de naissances , et qui nous ap- prennent, en outre, que, dans cette contrée , la plus grande fécondité des femmes a lieu entre les âges de trente ettrente- cinqans, savoir : Proportion de celles Proportion Age des femmes. qui ont accouché. sur 1000. de 15 à 20 ans 1 sur 40, 8 33 de 20 à 25 1 sur 7, 8 165 de 25 à 30 i sur 4, 6 263 de 30 à 35 1 sur 4, 3 256 de 35 à 40 1 sur 5, 4 181 de 40 à 45 1 sur 10, 6 85 de 45 à 50 Isur 46, 5 17 au dessus de 50 Isur 1776, 0 0,4 Chez les peuples polygames , qui n'attachent aucune im- portance morale au mariage , l'homme , qui conserve plus long-temps la faculté procréatrice , rompt ses liens avec la femme devenue inféconde. Chez les Ostiaques , celle qui est parvenue à quarante ans , ne s'occupe plus que des affaires du ménage, et doit servir la femme moins âgée qu'elle. Chez les nègres de Juida , elle est menée au marché (1). S** Comme la femme demeure féconde pendant environ vingt-cinq ans, et qu'une grossesse , avec l'allaitement qui s'ensuit, dure dix-huit mois , elle peut mettre au monde seize enfans. Les exemples ne sont même pas rares de femmes qui , soit parce qu'elles étaient restées fécondes plus long- temps , soit surtout parce que plusieurs de leurs grossesses avaietft été multiples, ont eu vingt-quatre enfans et plus (§ 267) dans le cours d'un mariage (2). Cependant la fécon- dité est en général plus limitée (§ 266), Hédin (3) donne une listede quelque centaines de femmes de Suède, d'après laquelle on voit que sur 100, 11 ont été stériles, IJO ont eu un enfant, (4) Denieunier, loc. cit., t. I, p. 91. (2) Haller, Elein. phjsiolog., t. VIII, p. 460. (3) Neue Jhha7idluncien dcr schioedûchen Akademie der Wissenschaf- ten, t, XI, p. 70. AGE ADULTE. Il5 11 deux, 5.4 trois, 10 quatre, 10 cinq , 11 six, 9 sept, 7 huit, 3 neuf, 3 dix, 0,6 onze, 0,2 treize et 0,2 seize. La différence entre les opinions populaires relativement à la fécondité extraordinaire de certaines femmes se manifeste même chez des nations très-rapprochées les unes des autres. Ainsi à Bénin un accouchement double est considéré comme un présage heureux et célébré par des réjouissances publiques, tandis qu'à Ardra on n'y voit qu'une preuve d'adultère. 3" La faculté procréatrice, comme toutes les autres , s'ac- croît jusqu'à un certain point par l'exercice : aussi ses pre- miers produits n'ont-ils pas d'ordinaire , surtout en ce qui concerne le sexe féminin, le degré de perfection qu'ils ac- quièrent plus tard. Les animaux sont moins féconds dans les premiers temps (§ 206, 10°); les jeunes Oiseaux pondent moins d'œufs que les vieux. Les œufs de la première ponte sont plus petits; les premiers petits d'une Chienne ne deviennent pas aussi gros que ceux qu'elle met ensuite au monde, et ceux de la Vache ne s'élèvent pas bien. Les produits les^plus vi- goureux sont ceux qui correspondent au milieu de'îa vie pro- créatrice. Ainsi , par exemple , les meilleurs Agneaux pro- viennent des Brebis de quatre et de cinq ans. On remarque aussi, dans l'espèce humaine , que les premiers nés sont fré- quemment d'une constitution plus frêle et plus délicate. Le premier accouchement a ordinairement lieu avant l'expiration complète de la grossesse , de sorte qu'il est rendu plus facile par le volume moins considérable de l'enfant. Les primipares n'ont pas autant de lait que les femmes déjà mères de plu- sieurs enfans. On observe également , chez les Chèvres em- ployées à allaiter les enfans , que la sécrétion du lait est moins abondante et dure moins long-temps après la première mise-bas qu'après celles qui viennent ensuite. Enfin quelque chose manque au premier né, car il n'a pas de frères (çai puis- sent jouer avec lui , et ses parens n'ont point enoùrè acquis d'expérience dans l'éducation. Ceux-ci ne s'en attaghent ordi- nairementque plus à lui , et c'est surtout dans le cœur df^ià mère qu'il occupe une large place, quoique le dernier venuipM dis- pute souvent aussi. La plupart des peuples admeitenl:-îe droit de primogéniture ; mais, chez les Frisons et piusieur-s nations Il6 AGE ADULTE. germaniques, le plus jeune fils devenait le chef de la famille. 4° Quand la faculté procréatrice diminue chez les Oiseaux, ils pondent des œufs en moins grand nombre et fort petits (1). Chez les femmes qui avancent en âge, le lait devient moins abondant et moins nourrissant ; chez quelques unes , dont les seins sont peu développés, il diminue à chaque accouchement, et disparaît presque entièrement à la quatrième ou à la cin- quième grossesse. Nasse(2) a remarqué que les derniers enfans, comme les premiers , présentent quelquefois des difformités dont sont exempts ceux qui sont procréés vers le milieude l'épo- que durant laquelle la mère a couservé sa fécondité. On voit fréquemment les enfans mis au monde par des femmes âgées se distinguer plutôt par le sérieux de leur caractère et la per- tinacité de leur esprit que par l'imagination et la pétulance de leurs semblables. Suivant les observations de Riecke (3), la mortalité est moins grande parmi les enfans des femmes qui se sont adonnées tard à la procréation , parce que leurs ger- mes ont été: plus mûris , tandis qu'elle est plus considérable alors chez '"les femmes elles-mêmes, à la suite de l'accouche- ment, parce^ que les organes génitaux ont déjà perdu une partie de leur souplesse et de leur flexibilité. V. Influence du mariage sur les individus. § 582. Jetons encore un coup d'œil sur l'union coujugale, considérée d'une manière générale. I. Elle est le moyen naturel d'arriver au développement complet des individus. 1° Le mariage n'est point seulement une société en général, c'est une cohabitation des deux sexes et des divers âges de la vie. Or l'humanité s'y produisant sous ses formes variées , les membres de l'association gagnent par rapporta l'étendue des vues, ai^ défaut de prévention , à la fidélité aux lois de la na- ture. Lésofraits dominans du caractère du célibataire sont l'étroite^edes vues , l'entêtement et la bizarrerie. (1) Fàb6*r, Ueberdas Lehen der Fœgel^ p. 174. — Nauuiann, Naturgc- schichte^e'r Fœyel Deutschlands^ t. I, p. 109. (2) Denpches ArcMv der Physiologie, 1. 1, p. 640. (3) Loc. cit., p. 11. AGE ADULTE. 1 I>J 2" Le mariage est , en outre , une association organique , dans laquelle chaque membre a son propre droit, et où tous poursuivent un but commun. L'égoisme y est réfréné par l'in- térêt général , et la tendance idéale s'y trouve reportée vers un cercle déterminé de la réalité. Le mariage fait naître le sentiment du droit et de l'équité , il apprend à se soumettre volontairement au joug de loi , et à s'intéresser au bonheur de tous , en même temps qu'il empêche l'esprit de s'égarer à la contemplation d'un horizon sans Bornes et de se consumer en rêveries oisives. 3° L'union conjugale fait naître le goût des enfans, car elle est elle-même une répétition de la vie enfantine ; la femme soigne son mari comme le ferait une mère, et le mari la di- rige, la protège , la nourrit , comme s'il était son père. En se donnant mutuellement les noms de père et de mère , les vieux époux expriment la cordialité de leur union. C'est ainsi que le mariage attache à la vie par l'amour ; la plupart de ceux qui tranchent leurs jours par dégoût de la vie, sont des célibataires. 4° Le mariage met en jeu toutes les forces , et oblige à l'ac- tivité ; en faisant varier sans cesse les circonstances , il ne laisse pas un moment d'inaction à l'esprit. L'uniformité de la vie des célibataires fait qu'en général ils n'atteignent point un âge si avancé que les personnes mariées (1). 5° Enfin le mariage prévient la débauche ; il modère la vio- lence du penchant par la facilité de le satisfaire, garantit des excès auxquels entraîne le renouvellement continuel des stimu- lations exercées sur les sens, et ménage les forces pendant les momens où la femme ne peut point se livrer à l'acte vénérien. IL La vie de famille a été considérée comme une chose sainte chez tous les peuples , en proportion de leur moralité. 6° Si la copulation , cet acte qui procure la plus grande des voluptés et met en rapport intime avec la force créatrice de la nature , s'enveloppe d'un voile mystérieux, dont l'homme ne la dépouille que quand il est descendu au dernier degré d'abrutissement, plusieurs peuples ont pensé que, par cela (1) Hufeland , la Macrobiotique, ou l'Art de prolonger la vie de Thomme, Paris, 4838, p. 123. — J.-L. Casper, De l'influence du mariage sur la durée de la vie humaine ( Ann. d'hygiène, t. XIV, p. 22S. ) !l8 ' AGE ADULTE. seul qu'elle mettait les sens en émoi , elle était incompatible avec l'adoration de la divinité et avec toutes les entreprises pour lesquelles ont réclamait la bénédiction céleste , en un mot qu'elle rendait impure. Les Égyptiens et les Israélites ne pouvaient s'y livrer dans les grandes fêtes , et elle est encore aujourd'hui interdite aux Japonais pendant leurs pèlerinages. Les Israélites et les Romains ne la permettaient point aux prêtres qui avaient une cérémonie religieuse à remplir , et la même chose à lieu de nos jours encore chez les Mahomélans. Les Babyloniens , les Arabes et les Grecs faisaient une loi de s'en abstenir avant les sacrifices. Les Assyriens se croyaient aussi souillés par elle que par l'attouchement d'un cadavre. Plusieurs sauvages d'Amérique ne peuvent point rendre visite aux blessés le jour oii ils ont eu commerce avec leurs femmes, et ils vivent dans la continence trois jours avant et après cha- cune de leurs expéditions guerrières (1). 7° La copulation extra-matrimoniale illimitée produit moins d'enfans ( § 267, 2"); parmi ceux qui en proviennent, il y en a moins qui naissent vivans ( § 496, 17 ■ ), et moins aussi qui conservent la vie après être venus au monde (§ 523, 4o) ; ceux enfin qui survivent perdent les bienfaits de l'éducation par la moralité et l'amour. Aussi les états dans lesquels on a au- torisé la prostitution , afin de mettre les femmes et les vierges à l'abri de la séduction , ont-ils plus ou moins frappé les filles publiques de déshonneur (2). A Rome, elles payaient des im- pôts , elles ne pouvaient appartenir à l'ordre équestre , et elles n'obtenaient point de sépulture honorable ; on punissait aussi quelquefois les adultères en les reléguant dans des maisons de prostitution (3). III. La renonciation aux joies du mariage 8° A son fondement naturel dans le manque de nourriture et de sûreté , ou dans des infirmités de corps et d'âme. La castration , ou l'amputation du membre viril , ou toutes (1) Frank, loc cit., 1. 1, p. 144-155. (2) Sabatier, Histoire de la législation sur les femmes publiques, Paris, 1830, in-8. — J.-B, Parent-Duchatelet , De la prostitutution dans la ville de Paris , deuxième édit., Paris , 1837. (3)i6»d.,t. II, p.27. AGE ADULTE. HQ deux à la fois, ont été pratiquées pour rendre inaptes à la co- pulation les hommes qu'on voulait préposer à la garde des femmes. Les Orientaux , les Égyptiens et les Perses y condam- naient ceux qui se rendaient coupables de viol. Des femmes jalouses et vindicatives ont employé ce moyen pour se venger d'époux infidèles. Il a servi aussi pour empêclier la propa- gation , car une loi de Sémiramis prescrivait de châtrer les hommes faibles , afin qu'ils ne pussent pas perpétuer leur race débile. La castration a eu pour but également de pro- curer des chanteurs habiles , coutume qui , bien que prohibée en Italie par les papes, y a été fort répandue jusqu'à l'occupa- tion des Français. Enfin elle a été jadis consacrée par les er- reurs des médecins , qui , dans certaines contrées , châtraient les hommes pour les guérir de la lèpre , de l'éléphantiasis et de la goutte ; au quinzième et au seizième siècle on extir- pait les testicules dans la hernie scrotale , et cette pratique a été suivie par quelques chirurgiens herniaires jusqu'au com- mencement du dix-huitième siècle. 9° On a vu quelquefois des hommes d'état et des savans re- noncer à l'amour, et, cédant à une impulsion supérieure, n'a- gir dans les intérêts de l'espèce que par les créations de leur intelligence. Mais le fanatisme religieux a été plus fréquem- ment la cause de cette abstinence, au moyen de laquelle on s'imaginait devenir agréable à la divinité et acquérir des droits à la vénération des hommes. Les prêtres de Cybèle se châtraient pour servir dignement leur déesse. Les prêtres de l'Egypte et les hiérophantes d'Athènes vivaient dans le cé- libat. Les prêtres des Kalmouks, comme aussi ceux d'Aragan, du Pégu et de Ceylan, fontvœu de chasteté. A Athènes, il exis- tait un collège de prêtresses ayant fait le même vœu : Rome avait ses vestales ; il y a beaucoup de couvens des deux sexes à la Chine et au Japon. Origène se mutila pour résister aux tenta- tions , et la secte des Valériens imita son exemple au troi- sième siècle. Les Priscilliens , les Cathares et quelques au- tres sectaires chrétiens, enseignèrent, depuis le quatrième siècle jusqu'au douzième , que le mariage, était une chose criminelle et diabolique (1). (1) Frank, hc, cit., 1. 1, p. 161, 129 AGE ADULTE, 10° Au contraire , les célibataires ne pouvaient point pren- dre part aux assemblées du peuple chezjles Israélites; les Spar- tiates les avaient exclus du droit de revêtir aucune charge et de paraître au théâtre ; les Romains leur interdisaient celui de rendre témoignage et d'exercer certaines magistratures (1), En Allemagne , leur succession revenait jadis à l'état, et dans les villes impériales, de même qu'en Suisse, ils étaient ex- clus des fonctions publiques. Dans le Maryland, on frappa sur eux un impôt particulier (2), et les Chinois, ainsi que les Hin- dous, regardent comme une honte de ne point se marier (3). Les Hindous pensent que l'âme d'un bramine qui est demeuré célibataire est obligée , en punition , d'errer sur la terre jus- qu'à ce qu'elle soit rachetée (4). Pour détourner ce malheur, les Persans , les Chinois , et quelques peuplades tatares mar- naient les enfans morts , avant de les mettre en terre (5). L'inaptitude à procréer a même été quelquefois considérée comme un état de réprobation. Ainsi , les castrats ne pou- vaient entrer dans le temple , chez les Israélites , et les canons de l'église catholique leur interdisent le sacerdoce (6). 11° L'abstinence complète des plaisirs vénériens nuit plus à l'organisme entier chez la femme que chez l'homme (7). Nous en avons déjà la preuve parmi les animaux. Suivant Thaer, les jeunes Vaches auxquelles on refuse les approches du mâle , lorsqu'elles entrent en chaleur, maigrissent et ne croissent plus , ou engraissent et deviennent stériles. Duméril assure (8) que la même cause frappe de stérilité les femelles des Gallinacés, des Faisans surtout, qu'elle rend leur plumage et leur voix semblables à ceux des mâles, et qu'elle leur inspire le courage de se battre avec ces derniers. Les femmes (1) Demeunier, loc. cit., t. I, p. 443. (2) Frank, loc. cit., t. I, p. 195-201. (3) Zimmermann, loc. cit., t. Xlï, p. 18. (4) Haufner, Reise lœngs der Kueste Orixa tmd Koromandel , t. I , p. 30. (5) Demeunier, loc. cit., 1. 1, p. 153. (6) Frank; loc. cit., 1. 1, p. 159. O) Ihid., t.l, p. 118-135. (8) Dict. des se. méd., t. VI, p. 376. AGE ADULTE. 121 non mariées sont .fréquemment atteintes de désordres des rè- gles , de chlorose et d'écoulemens muqueux ; elles ont une grande propension à la mélancolie , et sont sujettes à succom- ber sous les atteintes de quelque maladie grave ; mais leur santé se maintient lorsqu'elles s'occupent l'esprit et qu'elles trouvent à se satisfaire dans une sphère d'action en harmonie avec leurs facultés. L'instinct sexuel est plus puissant et plus impérieux chez cer- tains animaux que chez d'autres. Les mâles des Bouvreuils, des Sansonnets, des Perroquets, etc., tombent en épilepsie quand on les sépare de îa femelle à laquelle ils étaient habitués. Les Sansonnets qui voient une femelle sans pouvoir s'appro- procher d'elle , chantent jusqu'à ce qu'ils deviennent épilep- tiques. Les Furets meurent quand on ne leur permet pas de s'accoupler. On rencontre aussi parfois, dans l'espèce hu- maine, des individus chez lesquels un état morbide a tellement exalté l'instinct sexuel, que la continence produit, chez les hommes, la rougeur, la tuméfaction et l'endolorissement du scrotum , des érections continuelles , et une tension doulou- reuse dans le cordon spermatique et les vésicules séminales , sans compter, surtout chez les sujets qui ont une imagination vive , les phénomènes moraux les plus extraordinaires, et enfin la rage du satyriasis. Ainsi, un jeune ecclésiastique, rigide observateur de ses vœux, et dont des lectures ascétiques avaient achevé de troubler l'imagination , tomba dans la mé- lancolie, prit en horreur les hommes et lui-même, et entra plus d'une fois dans des accès de fureur ; après avoir suspendu l'effet d'une pollution nocturne , il eut des visions de femmes entourées d'une auréole électrique : bientôt il se crut possédé du diable, puis il s'imagina être Achille, Alexandre, Henri IV; enfin il crut avoir vaincu et pacifié le monde , voulut faire fleurir les arts et la paix , et vit se développer en lui des talens nouveaux pour la peinture , la poésie et la musique ; ses sens furent aussi portés à un degré excessif de délicatesse et de sensibilité ; il ne recouvra la santé que par l'accomplisse- ment de l'acte vénérien , qui mit aussi un terme à ses talens acquis {1). (1> Voy. Dict. de méd. et de chir. prat., art. Satyriasis, t. XIV, p. 517. 122 VIEILIESSE. il est plus commun encore de voir, chez les femmes , la mélancolie et la fureur naître de désirs non satisfaits. Esquirol rapporte , entre autres (1) , le cas d'une fille de dix-neuf ans, atteinte de spasmes hystériques , qui s'enfuit un jour de la maison maternelle , exerça pendant dix mois le métier de fille publique, eut deux fausses couches pendant ce laps de temps, et rentra ensuite chez ses parens ; s'étant mariée depuis , elle devint parfaitement rangée. Section quatrième. DE l'âge avancé. § 583. La seconde moitié de la vie à maturité diffère de la première , c'est-à-dire du moyen âoje ( § 559 ) , en ce que les diverses forces cessent d'être en équilibre parfait les unes avec les autres ; l'activité du dedans au dehors diminue , et les rap- ports avec l'espèce deviennent plus indirects. Comme la géné- ration joue un rôle des plus essentiels dans la destination de la vie, nous désignerons cette période sous le nom de grand âge , c'est-à-dire d'époque de la vie à laquelle l'homme voit se déve- lopper, dans ses petits-fils, une seconde génération de sa race. CHAPITRE PREMIER. De l'âge de refour. La première portion de cette période est appelée âge de retour (senectiis prima s. cruda). Elle commence pendant la seconde moitié du cinquième dixenaire ; car, lorsque les mariages ont été conclus au moment fixé par la nature , c'est-à-dire à vingt-quatre ans pour l'homme et vingt-et-un pour la femme , et que les enfans se marient au même âge , les époux se trouvent alors aïeux , puisque le mari reçoit un petit -fils de sa fille , et l'épouse un autre de son fils. Vers la même époque , la faculté procréatrice s'éteint chez la femme, et commence à diminuer chez l'homme. Quelque fraîcheur aussi que puissent avoir conservée les forces, on aperçoit ce pendant déjà des traces plus ou moins prononcées d'extinction de la faculté d'agir au dehors. La fin de cette période corres- (1) Dès maladies mentales , Paris , 1837 , 2 vol. in-8. VIEILLESSE. 1 23 pond à la soixante-et-dixième année. A la vérité, quelques physiologistes ont considéré le septième dixenaire comme un âge particulier de la vie, et lui ont même imposé des noms spé- ciaux, Fischer (1), par exemple, celui d'âge avancé (senium)^ et Liîcae (2) celui d'âge de débihtation ; mais il présente trop peu de caractères tranchés pour qu'on puisse en faire une pé- riode à part. 1° La menstruation , qui est l'expression de la faculté pro- créatrice chez la femme , s'éteint vers la fin de la quarantième année. On prétend qu'elle cesse d'autant plus tôt, qu'elle s'est établie de meilleure heure (3) ; mais lorsqu'elle a paru d'une manière précoce , parce qu'il y avait prédominance de la sexualité , elle dure aussi plus long-temps , tandis que , dans le cas de sexualité moins parfaite , elle commence plus lard et cesse de meilleure heure (4). Les femmes de cinquante ans sont regardées comme stériles, de sorte que l'homme n'est plus admis alors à intenter d'action contre elles à ce sujet; cependant il n'est pas fort rare d'en voir qui accouchent heu- reusement à soixante ans (5) ; Rush , entre autres (6) , parle d'une centenaire qui avait eu son dernier enfant à cet âge et conservé ses règles jusqu'à quatre-vingts ans. La diminution de la vitalité de la matrice s'annonce d'abord par un changement dans le type de la menstruation , qui de- vient irrégulière ; l'écoulement , tantôt fort abondant , et tantôt très-rare , dure une fois huit jours , puis une autre fois vingt- quatre heures seulement , et revient à une époque au bout de quinze jours, à une autre après plusieurs mois seulement. Mais , en général , il s'affaiblit de plus en plus. Lorsqu'il cesse d'une manière soudaine , la femme ressent de vives douleurs dans la matrice. 2° Quand le reste de la vie n'est point encore en harmo- (1) Ahhandlung von dem hohen Alter des Menschen, p. 1, (2) Grundriss der Entwickelu7i(jsgeschichte des menschlichen Kœr- pers , p. 250. (3) Haller, Elem. physiol., t. VU, pi. II, p. 440. (4) Mende, Handhuchder gericMlichen Medicin,i. IV, p. 410. (5) Hallev, loc. cit., t. VII, pi. II, p. 142. — Mende, loc. cit., X. IV, p. 411. (,6) Sammhmg auserlesener Abhandlungen, t. XVII, p. 115. 124 VIEILLESSE, nie"ayec cet état , il résulte de là des affections générales de l'organisme ; tantôt c'est le système sanguin qui se trouve surtout atteint, et Ton voit paraître la pléthore, des ébullitions de sang , des congestions , des inflammations , des hémorrha- gies ; tantôt c'est le système de la sensibilité qui souffre de préférence, et des symptômes d'hystérie se manifestent. Les congestions se portent ici vers la tête , là vers la poitrine , ailleurs vers les vaisseaux hémorrhoidaires ; il survient tantôt des difficultés de respirer et tantôt des dérangemens de la di- gestion ; en un mot, les accidens varient suivant la constitu- tion et la prédisposition à telle ou telle maladie. Lorsque la cessation de la menstruation est en désaccord avec la vie des organes génitaux, par conséquent lorsqu'elle dépend ou de rabstinence du coït , ou de l'affaiblissement de la faculté pro- créatrice, mais chez une femme que la fréquence de la copula- tion continue encore d'exciter avec trop de force, on voit fré- quemment se développer des dégénérescences dans les or- ganes de la génération , [des pseudomorphoses dans les ovai- res , des stéatomes , des polypes et des squirrhes dans la matrice, des squirrhosités dans les mamelles. Quoique chaque médecin soit à même d'apprécier, dans sa sphère d'action , combien la fréquence des maladies plus ou moins dangereuses est grande à cette époque, cependant elle n'accroît point , en général , la mortalité d'une manière sen- sible. Benoiston de Châteauneuf (1) a trouvé , en comparant les listes de mortalité , que , chez les femmes de trente à soixante ans, celle-ci ne croît qu'en proportion de l'âge , et que depuis l'âge surtout de quarante ans jusqu'à celui de cin- quante , il meurt la plupart du temps plus d'hommes que de femmes. Nous ne pouvons expliquer un résultat si extraordi- naire qu'en admettant que , dans tous les cas oii la conver- sion s'effectue sans obstacle, la vie résiste aussi avec d'au- tant plus de puissance aux autres causes occasionelles de maladie. 3° Chez l'homme, la retraite de la faculté procréatrice est (1) Mémoire sur la mortalité des femmes de quarante à cinquante ans , p. 3. VIEILLESSE. 12^ moins liée encore à une époque déterminée , et elle ne s'ac- compagne point d'accidens , attendu qu'en lui la génération est plutôt une fonction isolée que l'expression totale de la vie. En général , la faculté d'engendrer diminue à cinquante ans, et elle est éteinte après la soixantième année ; la forma- tion du sperme s'effectue avec un peu plus de lenteur , le sperme lui-même devient plus liquide, les désirs se font sen- tir moins fréquemment, l'acte perd son caractère enivrant de volupté , et il n'est plus suivi du sentiment particulier d'épui- sement qu'il entraînait par le passé, de sorte qu'il n'y a plus que des excitations insolites qui rendent la procréation pos- sible. 4° Après l'extinction de la faculté procréatrice , les orga- nes n'ont point encore subi de changement notable , il y a encore pouvoir et désir de rapprochement , et les rapports entre les époux demeurent pendant quelque temps les mêmes sous le point de vue matériel. Mais peu à peu la turgescence diminue chez les deux sexes, et l'acte vénérien, qui est plutôt provoqué par l'imagination ou par des stimulations extérieures que par un sentiment intime de force surabondante, produit chez l'homme un épuisement plus prononcé et qui dure plus long-temps. § 584. A mesure que la faculté procréatrice s'éteint , la vie individuelle se dessine par des traits plus prononcés , et de- vient plus massive. L'organisme individuel , saisi en quelque sorte du pressentiment de sa prochaine dissolution^ embrasse le monde extérieur avec une sorte d'avidité, s'y accroche de tout son pouvoir, et acquiert une fermeté dont il est redeva- ble à l'accroissement de sa densité et de son volume. 1° Quand l'appétit vénérien diminue , la sensualité se con- centre davantage dans la langue. Il résulte delà un besoin d'alimens plus abondans, plus consistans, plus épicés, et de boissons plus actives , qui mène fréquemment à la gourman- dise ou même à la gloutonnerie. La digestion est puissante , la bile acre et abondante , et comme , en même temps , l'in- dividu fait moins usage de ses forces , il tombe dans un état pléthorique, annoncé par la coloration plus foncée de la peau et par la plénitude du pouls , qui acquiert aussi plus de len- 126' VIEILLESSE. teur. Le sang s'accumule surtout dans les organes du bas- ventre ; les maladies du système de la veine porte, du foie et de la rate deviennent fréquentes, et cet âge de la vie est celui où l'on rencontre le plus d'états atrabilaires , d'inflamma- tions érysipélateuses , d'hémorrhoides et d'engorgemens ou d'obstructions. Mais, à soixante ans, la pléthore sanguine di- minue. 2° La diminution de la faculté jirocréatrice permet à la graisse de se produire en plus grande quantité , spécialement dans le \ entre. C'est un amas de substance plastique mis en réserve pour les derniers temps de la vie , et dont la forma- tion tient à l'antagonisme de polarité qui existe entre la géné- ration et la production de la graisse (§ 563, 1°, 2°). 3° De même que l'homme se rapproche Jusqu'à un certain point du caractère féminin par la formation plus abondante de la graisse (§ 181), de même aussi la délicatesse qui si- gnalait la femme fait place à une rudesse qui se rapproche de celle du sexe mascuHn. La femme perd ses attraits et sa taille élégante , et quand sa santé ne souffre point de la cessation des règles, son caractère devient à la fois et plus ferme et plus prononcé 5 un duvet court , mou et incolore , ombrage son menton et sa lèvre supérieure , mêlé parfois de quelques poils plus longs et plus raides ; assez souvent aussi on voit se manifester les goûts masculins pour une nourriture plus abondante , plus forte , plus recherchée , et même pour les liqueurs spiritueuses. Ces traits se dessinent plus tard chez les femmes qui sont demeurées stériles , ou dont la fécondité a cessé de très-bonne heure , en un mot chez celles dont la faculté procréatrice ne s'est point complètement épuisée. Ce passage au type masculin s'observe aussi chez certaines femelles d'animaux , lorsqu'elles avancent en âge. Il n'a pas lieu d'une manière générale, mais on le rencontre fréquem- ment, surtout parmi les Mammifères , chez les Ruminans , et parmi les Oiseaux , chez les Gallinacés» Kob (1) et Mehlis surtout en ont réuni un certain nombre d'exemples. Mais il peut se rapporter : (1) Diss. de viutatione sexus, p. 13-18. VIEILLESSE. 127 a. A la portion périphérique des organes génitaux. Chez les Poules , les ovaires deviennent semblables aux canaux déférens , en se rétrécissant et se resserrant sur eux-mê- mes (1). h. Aux poils et aux plumes. Les Girafes femelles prennent avec Fâge la couleur qui distingue la robe des mâles ; les Jumens acquièrent une crinière masculine , la Poule faisane des couleurs vives et brillantes , la Cane les plumes caudales recourbées qui distinguent le mâle. c. Aux parties cornées et aux organes périphériques. Il pousse des bois aux femelles du Cerf et du Chevreuil (2). Les Poules acquièrent des ergots, des crêtes et des cravates. A cette habitude extérieure masculine se joignent aussi des penchans analogues à ceux des mâles. Les Poules chantent comme de jeunes Coqs (3), et s'il leur arrive encore quelque- fois de pondre , elles mangent leurs œufs (4). Les Canes et les Poules faisanes cherchent à cocher d'autres femelles. Elles excitent aussi l'animadversion des Coqs, qui, les prenant pour des mâles, se mettent à les poursuivre, ainsi que l'a observé Gœze (5). Ces phénomènes nous apprennent qu'une trop grande propension à la génération s'est opposée à ce que la vie fé- minine pût, durant les premières périodes , développer com- plètement son individualité, et surtout s'exprimer d'une manière bien prononcée à la pliériphérie, qui, par cela même qu'elle marque la délimitation , caractérise plus spécialement l'individu. 4° Mais l'âge de retour imprime aussi à l'âme humaine un caractère d'individualité plus tranché , dont l'accroissement du plaisir que procurent les ahmens (1°) et celui de la forma- tion de la graisse (2°) sont l'expression. La satisfaction de créer et d'agir , qui caractérisait d'une manière particulière le (1) Spangenberg], Disquisitis circa partes génitales fœmineas avium , p. 42. (2) Neiijahrsyeschenk fuer JagdUelhaher, 4794, p. 2. (3) Kob, De mutatione sexus , p. d3. (4) Bechstein, Naturgeschichte DeutscJilands, t. III, p. 300. (5) Der JSaiurforscher, t. XIV, p. 20. ' laÔ VIEILLESSE. moyen âge, celui de l'aptilude à procréer, est troublée main- tenant par le désir de voir le résultat des actions. L'automne étant arrivé, on sent le besoin de récolter, on veut goûter les fruits de ses efforts , et les mettre en réserve pour un âge plus avancé. Celui-là même dont la vie se replie le plus en dedans , devient alors accessible aux passions terrestres. C'est l'âge auquel on cherche à acquérir de l'influence et du pouvoir hors de soi , le moment où la fortune, le crédit et les distinctions flattent le plus , celui oii la coquetterie des fem- mes trouve insuffisantes les parures dont le bon goût seul fait les frais , et appelle à son secours les bijoux précieux , les étoffes recherchées. La cupidité , l'ambition et la vanité sont les dégénérescences de cette disposition naturelle. 50 Comme les mouvemens n'ont plus autant de légèreté et de grâce, qu'ils deviennent même un peu lourds et embarras- sés, et que les membres sont désormais incapables d'acqué- rir la dextérité qui leur avait manqué jusqu'alors, l'âme perd l'aptitude à se ployer aux circonstances dont elle n'a point l'habitude , et l'esprit n'a plus assez de souplesse pour pou- voir se placer sous de nouveaux points de vue et s'exercer dans des carrières nouvelles. C'est l'époque de la stabilité , qui traîne à la suite le défaut de sympathie pour les opinions et les mœurs étrangères, c'est-à-dire l'intolérance et l'esprit de persécution. L'élan de l'imagination est comprimé par le poids de la masse ; la poésie ne réussit plus dans un sol de- venu trop gras , et le chant s'éteint dans un gosier qui n'a plus de flexibilité. Pendant le moyen âge l'esprit pouvait supporter de longs efforts, pourvu qu'il eût la liberté de va- rier sa direction ; mais maintenant il se traîne d'un pas uni- forme dans l'ornière, sans avoir toujours assez de force pour la suivre dès qu'elle se prolonge un peu. Avec quelque éner- gie même qu'il se meuve dans son cercle habituel , on voit cependant percer un certain penchant à prendre ses aises , et les plaisirs compatibles avec les commodités de la vie sont préférés à tous les autres. Tels sont les caractères les plus essentiels du passage à l'âge de retour, qui est le crépuscule de la vie. Comme les changemens qui surviennent alors n'ont lieu que peu à peu , VIEILIESSE. 1 29 et qu'on ne les trouve complètement développés que pen- dant la vieillesse, nous les exposerons en faisant l'histoire de cette dernière. CHAPITRE II. De la meillesse. § 585, hix vieillesse y qui s'étend depuis la fin du septième dixenaire jusqu'à la mort, est caractérisée par la qualité de bisaïeul ; mais l'âge de soixante-neuf ans est l'époque la plus précoce à laquelle l'homme qui s'est marié suivant l'ordre de la nature, puisse devenir bisaïeul, quand sa fille aînée a commencé aussi par avoir une fille, et la femme devenir également, lorsque son fils premier-né a d'abord eu une fille ; on a voulu partager cette période en deux , appelées tantôt grandœvitas et longœvitas (1) , tantôt caducité et décrépi' tilde (2) ; mais de telles distinctions sont plus arbitraires que fondées dans la nature. Plus la vie avance , plus elle se diver- sifie chez les individus , et plus il devient difficile d'arriver, par voie d'abstraction, à. établir le caractère essentiel et nor- mal de ses périodes. Les enfans nouveau-nés se ressemblent presque tous; car, à peine sortis des mains de la nature créa- trice , ils ont peu d'individualité encore , et la forme normale de leur vie peut aisément et sûrement être distinguée de toutes les formes anormales ; mais , dans l'âge de maturation et dans celui de maturité , la nature humaine se développe de tous côtés , et acquiert des formes de plus en plus individua- lisées , de sorte que , sur le déclin de la vie , son caractère es- sentiel est plus difficile à reconnaître. Les cicatrices des bles- sures auxquelles le hasard a donné lieu , les mutilations qui ont été produites par une volonté pervertie ou par un genre de vie contraire à la nature , les ravages que les maladies et les passions ont exercés , dénaturent l'image ; tous les défauts acquis pendant les périodes précédentes deviennent plus sail- lans , parce qu'ils sont moins dissimulés par une activité diri- gée au dehors. Si l'on doit se garder d'aller chercher l'image (1) Fischer, AhJiandlung von dem hohen Alter des Menschen , p. 4. (2) Dict. des se. méd., t. LVIII, p. 1. , ^' 9 . |50 VIEIEIESSE. de Tenfant dans les hospices d'orphelins , ou celle du jeune homme dans les casernes , il ne faut pas non plus prendre celle du vieillard dans les hôpitaux , où l'on ne trouve que des êtres défigurés par les efleisde passions égoïstes, d'une sensua- lité grossière , et de forces mises en jeu à l'exclusion des au- tres ( 1) . Cependant il est arrivé plus d'une fois qu'on a emprunté les traits du tableau de la vieillesse à des êtres énervés et mu- tilés, comme le prouvent assez les assertions des auteurs qui rangent parmi les fa^)Iesses de cet âge des défauts opposés et contradictoires , telles que TindifFérence et la curiosité , la cré- dulité et la défiance, la loquacité et la taciturnité , la timidité €t l'intolérance , l'entêtement et la versatilité , la dureté et la tendresse. Pour expliquer ces contradictions , il faudrait ad- mettre que la vieillesse , envisagée d'une manière générale , est la période des défauts 5 et , en effet, on l'a peinte comme une faiblesse générale, comme un ensemble de négations , parce qu'on ne faisait attention qu'aux phénomènes dont les yeux sont frappés , parce qu'on n'attachait d'importance qu'à Faction sur les choses du dehors , parce qu'on se figurait que la masse et l'énergie musculaire sont l'expression de la force vitale. Ce qui a surtout contribué à répandre cette manière de voir, c'est qu'on était persuadé que la vie s'anéantit au mo- ment de la mort ; et pour démontrer la nécessité de cet anéan- tissement, on considérait la vieillesse comme un achemine- ment vers le néant , comme une négation progressive (decre- mentum _, decrepitudo). On voyait donc une machine usée dans le vieillard ; on assignait , pour caractère essentiel de son âge et pour cause suffisante de sa mort, l'ossification des fibres , rolilitération des vaisseaux , la stase et la dégénérescence des liquides. De cette fausse manière d'envisager les choses, il s'ensuit que l'honorable titre de vieillard est devenu presque une injure , et que l'homme encore vert qui célèbre la cin- quantième année dé son indépendance comme citoyen et comme époux , repousse ce titre , que constate cependant son jubilé. En prenant le marasme sénile pour la vieillesse , et ran- geant celte dernière au nombre des maladies , on donnait clai- (1) Prus, Recherches sur les maladies de la vieillesse ( Bulletin de l'A- eadémie royale de médecine , t, II , p. 445 et QQL) VIEILLESSE. l5l rement à connaîlre qu'on ne se faisait point une idée nette de l'essence de la maladie , car la maladie est une lutte de la vie avec elle-même , de sorte qu'elle ne peut jamais en former le caractère essentiel, ni en représenter aucune des époques. Ce n'est ni la faiblesse, ni le danger de mort qui constitue la ma- ladie , sans quoi l'enfance serait une maladie bien plus grave encore que la vieillesse , puisque l'enfant à la mamelle est plus faible que le vieillard , qu'il meurt un individu sur quatre dans le cours de la première année , et un seulement sur cinq à quatre-vingt-trois ans , de sorte que l'homme qui entre dans sa quatre-vingt-troisième année a plus de chance d'en voir la fin que l'enfant qui naît d'arriver au terme de la première an- née. Tous les maux qui affligent les dernières scènes de la vie, notamment le marasme , se voient souvent dès son printemps , et manquent fréquemment chez les hommes mêmes qui par- viennent à l'âge le plus avancé : on ne peut donc point les con- sidérer comme des traits essentiels et caractéristiques de la vieillesse. Jœrg (1) dit que l' affaiblissement des hautes facultés intel- lectuelles n'appartient point de toute nécessité à la veillesse , et qu'il ne constitue qu'une anomalie par rapport à elle. F. -A. Carus (2) avouait aussi que cette époque de la vie est celle qu'en général on méconnaît le plus^ et eu égard à la- quelle on se montre ie plus injuste envers la nature humaine , en la peignant sous les couleurs d'une débilité expirante. Mais Carus , qui en faisait le dernier et le plus élevé des degrés de développement de la vie , se trouva entraîné par là à voir en elle, sous le point de vue anthropologique, un équilibre de réaction entre le corps et l'âme , et, sous le rapport psycholo- gique , le plus grand rapprochement possible de l'idéal de l'humanité. Or l'expérience ne nous montre^ chez les vieil- lards , rien moins qu'un équilibre parfait de l'âme et du corps, et l'idéal de l'humanité ne saurait, rigoureusement parlant, s'offrir à nous dans aucun temps de la vie , ni à plus forte rai- son dans le cours d'une époque pendant laquelle on voit bais- (1) Der Menscli aufseinen Entwickelungsshifen geschildert , p. 428- 452. (2) Psychologie, t. II, p. 80. l32 VIEILLESSE. ser et s'éteindre des facultés qui , sanâ brillei' au premier rang , n'en font pas moins partie du caractère de Thomme. Ritter (1) a démontré combien peu avaient de fondement les opinions qui allaient chercher la cause matérielle de la mort dans la vieillesse ; mais il a été trop loin en regardant cette dernière comme l'époque de la vie de l'espèce , bien loin d'y voir la source de la mort; car s'il est bien certain que chaque époque de la vie renferme la raison suffisante du développe- ment qui arrive ensuite ,' la cause de la mort doit résider aussi dans l'âge avancé. Sans doute il ne faut point vouloir expliquer la mort par la vieillesse , puisque ce serait dériver le connu de l'inconnu ; mais une notion exacte de cette période de la vie doit répandre quelque lumière au milieu des ténèbres qui en- veloppent la mort. Quant à ce qui concerne l'activité dans l'in- térêt de l'espèce , nous ne saurions admettre qu elle soit pré- dominante et caractéristique chez le vieillard , qui a renoncé aux affaires de la vie civile , et dont les descendans forment des familles à part. Si nous jetons un coup d'œil impartial sur le dernier seg- ment de la vie , si nous cherchons à saisir ceux des caractè- res essentiels et généraux de cet âge qui se manifestent par- tout conformément à la marche de la nature, et dont l'exagé- ration donne naissance aux maladies qu'on rencontre alors ^e préférence , la vieillesse nous apparaît comme une époque durant laquelle l'activité périphérique et la réaction avec le monde extérieur baissent, pour faire place à l'activité cen- trale , où la vie commence à quitter la surface pour se con- centrer dans l'intérieur, oii enfin , pour tout exprimer d'uR; seul mot, elle se replie sur elle-même. Article i. De la vie "végétatwe. I. Constitution matérielle. § 586. Les changemens dans la substance du corps qu'on aperçoit chez le vieillard , et qui ont été si bien décrits d'a- (1) Diss. de naturali organismi humani décrémente-, Kiel; 18^9, in-8. VIEILLESSE. l53 bord par Seîler (1), puis par Kœnig (2), sont les phénomènes de l'âge, et n'en sont pas les causes. Ils sont les effets du chan- gement survenu dans la direction de la vie, mais ils réagissent à leur tour sur cette dernière , et fortifient ainsi le caractère (de la vieillesse, de même que tout phénomène vital quelcon- que se manifeste à nous comme continuation de la cause qui l'a produit. Expression matérielle d'un état intérieur de la vie, ces changemens n'ont point lieu chez tous les vieillards , ou du moins ne sont pas développés chez tous au même degré. J'ai disséqué des cadavres de septuagénaires qui ne présen- taient aucune trace de rigidité ou d'ossification insolite , et il est digne de remarque que les corps des individus qui parvien- nent à un âge fort avancé , sont précisément ceux à l'ouver- ture desquels on aperçoit le moins de ces sortes d'altérations. Ainsi Timm n'a trouvé rien de morbide chez un homme de quatre-vingt-quatorze ans , à l'exception d'une adhérence des poumons et d'un caillot de sang polypiforme. Scheuchzer(3), ouvrant le cadavre d'un homme de cent neuf ans, qui avait en- core procréé à quatre-vingt-treize ans, ne remarqua que quel- ques plaques cartilagineuses dans la capsule de la rate, l'ossi- fication des cartilages costaux et l'ampliation du cœur et de l'aorte descendante. Le corps du fameux Thomas Parre, qui cultivait son champ à cent trente ans, qui dix années plus tard pouvait encore accomplir l'acte vénérien, et qui ne succomba * qu'à l'âge de cent cinquante-deux ans, n'offrit rien d'anor- mal à Harvey (4) ; les muscles étaient bien prononcés , la graisse abondante , les viscères sains , et les cartilages exempts d'ossification. D'un autre côté , ces changemens ne sont point exclusive- ment propres aux vieillards ; on ne les rencontre chez eux que de préférence à tout autre âge, ce qui ne les empêche ce- pendant pas d'être caractéristiques. I. Comme , en général , l'activité périphérique baisse, l'ex- pansion diminue aussi dans quelques unes de ses directions , (1) Eeil, Jrchiv, t. VI, p. l-i6. (2) Nasse, ZeiUchrift fuer psychische Aerste, 1824, cah. IV, p. 406-450. (3) Philos, Trans.^ 1723, p. 313. (4) Philos. Trans., 1669, p. 887. 1 34 VIEILLESSE. et l'on voit prédominer la contraction , qui exprime la ten- dance à s'isoler , la propension de l'existence à se retirer en elle-même, et le défaut de réceptivité pour les impressions du dehors. 1° L'humidité diminue, et il s'établit une certaine rigidité de la fibre, qui devient plus dense, plus sèche et "cassante. Il a été prétendu fort souvent , et naguères encore par Pie- nitz (1), que cette rigidité était la cause de la diminution de la vie physique et morale, qu'on ne devait l'attribuer qu'à la longue durée de l'action des fibres et à la fréquence de leurs contractions , enfin que c'était elle qui amenait la mort. Mais alors la faiblesse senile devrait survenird'autant plus tardive- ment que le sujet se serait moins livré aux efforts musculaires, et qu'il aurait été moins exposé aux causes capables d'amener la rigidité de la fibre ; cependant c'est précisément chez les hommes qui mènent la vie la plus active au physique qu'on observe le moins cette dernière , et, d'après les observations de Rush (2), elle ne se manifeste de bonne heure que dans le cas de travaux rudes accompagnés d'une nourriture végétale ou peu abondante, laquelle ne l'occasione point par elle-même. La rigidité n'est point non plus la cause essentielle de la mort. Déjà Haller convenait que la force musculaire peut s'éteindre sans que les fibres des muscles deviennent raides, ni dures, et ' les animaux aquatiques, qui restent toujours mous, n'en vieil- lissent pas moins , comme le fait remarquer Virey (3). Dans les plantes annuelles , et chez les Insectes , qui périssent peu de temps après avoir accompli la génération , la mort arrive immédiatement après l'époque de la plus haute vitalité , et avant qu'il puisse s'opérer ni dessiccation ni raidissement. Les arbres dont le bois est mou ne vivent pas aussi long-temps que ceux qui ont un bois plus dur , et Vrolik (4) a fait voir que la chute des feuilles ne tient point à ce qu'elles se sont (1) Diss. animi functionum imbecillitate senili e corpore solo deri- vando , p. 15. (2) Samvilung auserlesener Ahhandlungen ^ t. XVII, p. 124. (3) Dict. des se. médic, t. XXVI, p. 381. (4) Reil , ArcUv^ t. III , p. 386. VIEItLESSE. l35 desséchées, puisqu'on en voit tomber "aussi qui sont large?? ment imprégnées de sucs. Mais la rigidité de l'âge avancé a divers degrés et diffé^ rentes formes. Le tissu cellulaire devient plus dense, plus sec , moins extensible , moins contractile ; la densité augmente aussi dans les parties molles de la vie plastique et de la viei animale ; les membranes fibreuses s'épaississent souvent , par exemple la dure-mère ; des formations tendineuses se mani^ festent dans des parties musculeuses , des cartilages dans des membranes fibreuses , et des ossifications dans ces mêmes membranes , ainsi que dans les cartilages. 2° La masse diminue. L'appareil de l'irritabilité (les mm-' clés , les os et les cartilages) , et celui du système génital perdent surtout de leur volume. Les glandes vasculaires (thy- roïde , rate et capsules surrénales) deviennent ensuite plus petites , plus fermes , moins riches en vaisseaux. La même chose arrive à quelques points du système de la sensibilité. Les dents et les poils tombent; en général, plusieurs ramifica^ lions disparaissent à la périphérie des systèmes vasculaire et nerveux ; les organes centraux de l'appareil génital subissent aussi quelquefois le même changement. Suivant Quetelet , le poids du corps diminue, à partir de la cinquantième année chez l'homme , de la soixantième chez les femmes, et jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans , il se réduit , chez le premier, de cent trente-six livres à cent vingt-trois ;, chez la seconde de cent vingt à cent cinq et demie. o° Enfin plusieurs parties se réunissent et se confondent ensemble. Ce phénomène a lieu surtout dans les os qui ne sont pas joints par des articulations. On l'observe aussi dans les gencives , au dessus des alvéoles devenus vides. Il est plus rare de voir se souder les os articulés les uns avec les autres et les deux faces de la membrane muqueuse des or- ganes génitaux. IL II s'opère également une décoloration. Les couleurs perdent de leur vivacité, leurs nuances s'effacent, et, à l'in- térieur comme à l'extérieur, tout prend une teinte plus sale. Les membranes muqueuses et les organes limitrophes , les lèvres , les nymphes , le gland , le foie et la rate, deviennent l36 VIEILLESSE. plus pâles, par la diminution du sang dans leur intérieur. Celle du pigment fair pâlir aussi l'iris, la choroïde, la tache jaune de la rétine et le sable de la glande pinéale. D'autres or- ganes prennent une couleur plus foncée. Le blanc de l'œil passe au gris^; le rouge brunit , par exemple au raphé, à ' l'auréole du sein et au mamelon ; les nerfs et les memlDranes synoviales deviennent grisâtres , les os jaunes ,1 la graisse orangée , les dents jaunes , la moelle cérébrale jaunâtre , les • ganglions lymphatiques brunâtres , les muscles d'un rouge brun, les poumons d'un bleu noirâtre, les reins d'un rouge foncé. Les parties transparentes , comme les membranes se- . reuses, la cornée lucide et le cristallin, prennent de l'opa- cité ; les ongles deviennent opaques et gris. IIL Mais tous ces changemens matériels ne témoignent pas d'une faiblesse absolue ; ils annoncent seulement la prédomi- nance du repliement de la vie sur elle-même, qui n'est point un phénomène purement passif. L'induration et la rigidité dépendent d'un dépôt actif de substance plastique ; pour que des membranes fibreuses s'ossifient , il faut que des vaisseaux sanguins s'y développent d'abord , car nulle ossification n'est possible sans pénétration de sang rouge. Comme l'ossification dépend d'un surcroit d'activité des vaisseaux capillaires, elle porte principalement sur les troncs des artères , qui reçoivent beaucoup de vaisseaux nourriciers dans leurs parois , et cette exaltation d'activité paraît se rattacher aussi à la prédominance des organes centraux ; car les plaques osseuses sont très- communes au cœur, aux artères coronaires et au tronc de l'aorte. Poupart a trouvé, chez un centenaire , les apophyses transverses des vertèbres lombaires et des dorsales inférieures garnies en devant d'une substance osseuse blanche et de nou- velle formation (1). La soudure s'effectue par une augmenta- tion de dépôt de substance plastique. La flétrissure, Tamaigris- sement , la disparition et la séparation de certaines parties ne peuvent avoir lieu que par un accroissement de l'activité des vaisseaux afférens. Ainsi Vrolik a fait voir que les feuilles mortes ne se détachent de l'arbre qu'à la faveur de l'absorp- j^ (1) Hist. de l'Ac des sciences , 1699^2 p. SO^ VIEILLESSE, l^'j tion de la surface vivante , et que leur chute est un véritable acte de vie , car lorsque l'arbre meurt en même temps que ses feuilles , celles-ci ne tombent point. Nous ne pouvons donc voir dans tous ces phénomènes qu'un résultat de la prédominance acquise par la direction de la vie du dehors au dedans. II. Biapports avec le monde extérieur. § 587. Il suit de cette circonstance que les rapports avec le monde extérieur s'affaiblissent. La réceptivité pour les im- pressions du dehors diminue, comme aussi l'irritabilité inté- rieure , dont l'émoussement s'annonce par la rareté et la len- teur plus grande du pouls, par la paresse des organes qui président aux déjections alvines. Cependant, comme la réaction baisse dans la même proportion , les forts stimulans , tels que les liqueurs spiritueuses et les médicamens énergiques , sont moins bien supportés. I. V ingestion est plus faible. 1° Les vaisseaux lymphatiques du système de la peau et des membranes muqueuses sont moins actifs, plus étroits et en partie effacés. On en trouve moins , dans le mésentère , que chez les jeunes sujets. Leurs glandes sont plus sèches et plus fermes, l'absorption a moins d'activité , les frictions sont moins efficaces , l'infection a lieu plus rarement , et la moin- dre cause suffit pour déterminer l'œdème des extrémités in- férieures. 2° Les dents s'usent mécaniquement , ce qui fait que leur usure est plus considérable chez les animaux herbivores que chez ceux qui vivent exclusivement de viande. Mais, en même temps, il s'opère une formation de remplacement. Vers l'âge de soixante-et-dix ans , les dents incisives présentent une surface large à leur sommet , parce que la moitié de la couronne se trouve usée ; mais la cavité de la dent, ainsi ou- verte par l'usure, se remplit d'une nouvelle substance osseuse, qui produit une tache brunâlre ou d'un jaune rougeâtre dans le milieu de la surface terminale, et qui, en raison de sa for- mation tardive , est un peu plus molle que l'ivoire dentaire l58 VIEILLESSE, proprement dit. Presque toujours la face postérieure des in- cisives du haut et la face antérieure de celles du bas ont perdu leur émail , parce que les inférieures sont ordinaire- ment placées un peu en arrière des supérieures. Les pointes des canines et des molaires ont disparu : ces dents présentent une surface lisse et jaunâtre; l'émail du milieu de la cou- ronne des molaires, qui est un peu plus profond que le "reste, se conserve aussi plus long-temps , et' paraît entouré d'un cercle de substance osseusejjaune. Les dents ne se carient plus chez les vieillards , ce qui tient à l'affaibhssement de leur vi- talité. Peu à peu elles tombent. A la vérité , elles persistent quelquefois, et Kœnig, par exemple, lésa trouvées toutes chez des sujets de cinquante à soixanie-et-dix et même qua- tre-vingt-dix ans (d) ; cependant elles ne semblent point être destinées à durer si long-temps , puisqu'elles tombent non seulement chez nos animaux domestiques (la Brebis les perd de six à dix ans, et le Chien de douze à quatorze) , mais en- core chez ceux qui vivent à l'état de liberté , comme les La- pins, les Taupes, etc. Du reste, elles tombent, de même que les dents de lait , parce qu'elles meurent. Eo effet, chez les Ruminans, elles ne perdent pas seulement toute con- nexion vasculaire et nerveuse avec le reste de l'économie, mais elles deviennent en outre fragiles au point de se détacher par feuillets. Dans le même temps , elles semblent être chas- sées au dehors par les alvéoles qui se resserrent ; car, chez le Cheval , où il est rare de les voir tomber, elles deviennent plus saillantes, de manière qu'elles montrent leur corps brun tout entier, tandis que la gencive se resserre sur elle-même. 3° Après la chute des dents , les alvéoles des mâchoires s'oblitèrent par un dépôt de substance osseuse , et peut-être aussi par le concours de la contractilité. Le rebord dentaire disparaît , son côté libre venant à être absorbé , ce qui com- mence dès avant la chute des dents. La mâchoire supérieure perd par-là de sa hauteur, et le palais devient plat , de con- cave qu'il était auparavant. Comme la mâchoire inférieure s'abaisse , le trou moutonnier se rapproche de son bord (1) Nasse , ZeitscTirift ftier psychische Aerzte , 1824 , cah. IV, p. 446. VIEILLESSE. 1 59 supérieur; mais cet os éprouve aussi un resserrement dans le sens de sa longueur, car sa branche ascendante devient plus basse et se place plus obliquement , de sorte que l'angle est plus obtus , et l'apophyse glénoide plus basse que l'apophyse coronoide : l'articulation arrive à se mettre au niveau de la gencive de la mâchoire supérieure ; Fapophyse coronoide de- vient plus étroite et plus pointue , et la face extérieure de la mâchoire inférieure, au dessus du menton, n'est plus perpen- diculaire, mais oblique. Les deux mâchoires ne se touchent plus, la plupart du temps, que par les points oi^i s'implantaient les dents molaires. Au reste , cette diminution des mâchoires a rendu la cavité orale plus étroite. 4° La mastication perd de sa force , non seulement parce que les dents sont usées ou tombées, mais encore, plus tard, parce que les muscles temporaux s'affaiblissent , et que l'obli- quité de la branche de la mâchoire ne permet plus un aussi grand déploiement de force. En même temps , la sécrétion de la salive diminue. Mais la mastication est surtout imparfaite pendant l'âge de retour, tant qu'il reste encore quelques dents isolées ; une fois tous ces osselets tombés, elle s'exécute mieux au moyen des gencives, dont le tissu a pris plus de densité , de fermeté , de dureté , en se resserrant au dessus des alvéo- les. Aussi Kapp (1) a-t-il remarqué que la chute des dernières dents était suivie de la cessation des troubles de la digestion auxquels l'individu avait été sujet jusqu'alors. 5° La déglutition devient plus difficile , et l'on est plus ex- posé à avaler de travers , tantôt parce que les alimens ne sont point assez mâchés ou assez imprégnés de salive , tan- tôt parce que le pharynx est plus étroit et doué d'un pouvoir musculaire moins grand , tantôt enfin parce que l'hyoïde a moins de mobilité , ses pièces étant soudées ensemble , et quelquefois même, suivant Béclard (2), le ligament stylo- hyoïdien offrant divers points d'ossification le long de son trajet. 6° L'appétit est assez vif, plus même que par le passé , dç (1) Sammlung auserlesener Ahhandlumjen , t. XVIII, p. 119. (2) DeutscliGs ArcliiVj t. VI, p. 430, i40 VIEILLESSE. sorte que le vieillard est fréquemment obligé de manger entre ses repas. D'ailleurs il préfère les alimens solides à ceux qui sont liquides, les substances fermes à celles qui sont tendres, la viande aux végétaux, le gras au maigre (1). Il digère aussi les substances dures et pesantes avec plus de facilité qu'au- trefois. Mais les choses douces et sucrées lui plaisent davan- tage que les mets épîcés et acides (2), Les animaux ont aussi beaucoup d'appétit dans leur vieil- lesse ; mais ils affectionnent les substances qui nourrissent le mieux ; ils choisissent dans le pré les herbes les plus savou- reuses, et dans le râtelier le foin le plus délicat. C'est sur les derniers temps seulement que l'appétit dimi- nue chez les vieillards. 7" Suivant Seiler (3) , le nombre des villosités intestinales est moins considérable, et la sécrétion du suc intestinal moins abondante. On trouve parfois la bile plus épaisse et plus vis- queuse que jadis, mais ce phénomène n'a rien de constant. On rencontre également quelquefois des indurations, des ra- mollissemens , des ampliations, des rétrécissemens , sur di- vers points du canal intestinal. C'est par accident qu'on trouve le foie volumineux et facile à déchirer, la rate petite et cassante (4), car l'état inverse se voit fréquemment dans ces mêmes organes, 8" Ordinairement le cartilage xyphoide s'ossifie vers la soixantième année , quoique Haller l'ait encore trouvé cartila- gineux chez des centenaires. Peu de temps après, le corps du sternum se soude aussi à la poignée. Il est moins commun de rencontrer l'ossification des cartilages costaux, qui se mani- feste tantôt par des plaques au dessous du périchondre, tan- tôt par des noyaux dans l'intérieur de la substance , et qui affecte surtout les côtes supérieures , rarement les fausses (5). (1) Kapp, loc. cit., p. 121. (2) Scheu, Ueber die chronischen Krankheiten des maennlichen AUers, p. 317. (3) Pierer, Anatomisch-physiologisches Realwœrterluch , t. III, p. 751. (4) Nasse , Zeitschrift fuer psychische Aerzte, 1824 , cah. IV, p. 424, [ (5) DeutscJies Jrchiv, t. VI, p. 420. "vîeillessï:. i4i fluUier assure que les poumons deviennent moins riches en vaisseaux (1), et Magendie , qu'ils acquièrent une légèreté spécifique plus grande (2) , parce que leurs cellules s'agran- dissent et le nombre de leurs vaisseaux diminue ; il s'y dé- pose aussi une plus grande quantité de pigment noir. La cage pectorale , qui a moins d'élasticité , se meut moins pen- dant la respiration , mais le diaphragme s'abaisse davantage ; la respiration s'exécute avec plus de lenteur, et le mouvement la rend promptement haletante ; quelquefois l'asthme survient par suite de l'ossification des cartilages costaux ou trachéaux, ou de la soudure des côtes avec les vertèbres, ou enfin d'anomalies vasculaires. 9° Le sang se produit en moins grande quantité. Une hé- morrhagie est plus dangereuse pour le moment , et plus dif- ficile à réparer ; le sujet s'en relève moins promptement. La véritable pléthore sanguine est extrêmement rare, et ses phénomènes ne sont la plupart du temps que l'effet d'une ré- partition inégale du liquide circulatoire. Le sang lui-même est plus foncé en couleur, et paraît contenir moins de fibrine, et se putréfier avec plus de promptitude : il semble aussi que sa sérosité soit moins coagulable (3). IL V éjection nous présente également quelques phénomènes à noter. 10° Les évacuations alvines deviennent plus paresseuses. La constipation a lieu fréquemment , et entraîne peu d'in- convéniens. Jean Baylet , par exemple , qui parvint à cent trente ans, n'allait à la selle que tous les dix ou douze jours. Cependant de légers purgatifs ont fréquemment de l'utilité ; ils évacuent , surtout dans les temps où le sujet prend peu d'alimens, une grande quantité de matière, d'une couleur fon- cée, qui sont incontestablement déposées du sang dans le gros intestin , puisque cette excrétion semble être accrue par tout ce qui diminue l'exhalation cutanée (4). (1) Dict. de méd., t, I, p. 418. (2) Journal de physiologie , t. I, p. 80. (3) Nasse j loc. cit., p. 407, (4) Scheu, loc, cit,, p. 318, 14-2 VIEILLESSE. Il" Les reins sont la plupart du temps plus fermes. L'urine est plus épaisse , plus pesante , plus acre , d'une odeur plus forte ; elle contient davantage de principes salins. La vessie est presque toujours un peu plus petite et plus épaisse, et elle jouit d'une force contractile moindre , de sorte que les émissions d'urine sont plus lentes , et plus fréquentes même pendant la nuit; le liquide coule aussi par un jet plus grêle. Il n'est pas rare que ces dispositions passent à l'état morbide , que le relâchement du sphincter vésical donne lieu à l'incon- tinence d'urine, ou celui des fibres du corps à l impossibilité de vider complètement la poche , qui finit par se distendre et s'amincir. Il sera question plus loin (§ 588, 7° — il") des autres sécrétions - îî£. Activité périphérique de la vie plastique. § 588. L'activité périphérique de la vie plastique est, en général, moins considérable. 1° L'irritabilité de cœur est diminuée , ses pulsations sont plus rares et plus lentes. Si l'on en comptait 75 pendant le moyen âge , il n'y en a plus que 70 à 65 dans l'âge avancé , et 60 à 50 dans l'extrême vieillesse. Communément, en dimi- nuant de fréquence, le pouls devient, plus plein, et assez fré- quemment intermittent. ï)u reste, la fièvre et les influences du dehors ont peu d'action sur lui (1). Leuret et Métivié dédui- sent le contraire des observations faites par eux à la Salpé- trière : il trouvèrent le nombre moyen des pulsations par mi- nute de 65 chez'cent dix filles de dix-sept à vingt-sept ans ; de 74 chez quarante-une femmes de soixante-onze à soixante- quatorze ans ; de quatre-vingt-huit femmes dont le nombre des pulsations était de 82 , il n'y en avait , parmi les quarante- quatre plus jeunes, que dix-huit dont la fréquence du pouls dépassât le terme moyen , tandis que celles qui se trouvaient dans le même cas, parmi les quarante-quatre plus âgées, (1) Kapp, loc. cit., p. 123. Vieillesse. i43 étaient au nombre de vingt-sept. C'est une question qui ne pourra être résolue que par des observations ultérieures. Les changemens dans le tissu du cœur ne sont point cons- tans, ni par conséquent non plus essentiels. La plupart du temps, on trouve ses fibres plus denses, plus sèches, plus fermes : quelquefois il est dilaté (1) , plus flasque (2) , plus pâle et plus mou (3). Les cariilaginifîcations et ossifications de ses valvules surtout sont des anomalies que l'on rencontre assez fréquemment, et qui, principalement dans les derniers temps de la vieillesse , donnent lieu à l'angine de poitrine et autres incommodités. 2° Suivant Lucae (4), vers la soixantième année , les expan- sions pénicillées des nerfs dans les tuniques artérielles de- viennent moins perceptibles , plus livides , plus sèches , plus analogues au tissu cellulaire , et plusieurs de leurs branches disparaissent totalement. Ensuite la tunique musculeuse des artères perd sa couleur rougeâlre et sa turgescence ; elle de- vient plus dure, plus sèche, rétractée, d'un gris bleuâtre et d'un brillant argentin , qui lui donne de la ressemblance avec une membrane fibreuse. Dans mi tel état de choses le, conflit vivant de l'artère eî du sang doit diminuer. La paroi artérielle devient, d'après Wintringham (5)^ plus pesante spécifique- ment, et le pouls plus dur, moins ondulant; les artères du cer- veau se déchirent plu s facilement, en raison de leur fragilité, ce qui donne lieu à des épanchemens de sang et à l'apoplexie. Fréquemment on trouve l'aorte dilatée à son origine. Win- tringham l'a vue rétrécie , dans le reste de son étendue , chez de vieux animaux. L'affaiblissement de la sensibilité et de l'irritabilité donne lieu souvent, mais non dans tous les cas à beaucoup près , à l'ossification de certaines artères ; les re- cherches de Lucae (6) nous apprennent qu'entre la tunique (1) Fischer, Ahhandlung von dem holmi Aller des Menschcn, p. 144, (2) Pierer, loc. cit., t. III, p. 752. (3)Dict. deméd.,t. I, p. 418. (4) De ossesccntia arteriarum seneli, p. 12. (5) Haller, Elem. physioL, t. YIII, P. II, p. 70, (6) Loc. cit., -p. 5-8. ï44 VIEIIESSEe musculeuse et l'interne il s'épanche une substance pultacée , qui devient peu à peu coriace ou cornée , ou cartilagineuse, puis enfin osseuse , et acquiert parfois une dureté pierreuse ; Schreger y a trouvé un quart de chaux en plus que dans les os normaux , et elle semble souvent n'être composée que de phosphate et de carbonate calcaires. Ces plaques osseuses for- ment rarement un anneau complet, surtout dans les vaisseaux d'un certain calibre ; quelquefois elles font saillie à l'inté- rieur , et rétrécissent le calibre de l'artère ; il leur arrive aussi parfois de refouler les tuniques artérielles entre lesquelles elles sont placées , de manière que ces tuniques deviennent plus minces et finissent par disparaître entièrement. Ces os- sifications sont plus fréquentes que partout ailleurs dans le tronc de l'aorte ; on les rencontre fort rarement dans les ar- tères pulmonaires et les veines caves , c'est-à-dire dans le système du sang noir. 3° La vénosité , comme activité centripète , devient prédo- minante. Les veines acquérant moins de densité que les ar- tères, il s'amasse davantage de sang dans leur intérieur. Les veines cutanées font plus de saillie , et l'on trouve plus de sang dans les sinus cérébraux , mais principalement dans le système de la veine porte. 40 Comme la vitalité des artères a diminué, il se développe aussi moins de chaleur. Le vieillard est frileux ; il a besoin de vêtemens plus chauds et d'une température plus douce ; les bains chauds exercent surtout une influence salutaire sur lui. C'est en été qu'il se trouve le mieux. La mort arrive le plus souvent dans les hivers rigoureux , principalement vers leur fin. 5" En même temps que la chaleur baisse et que le courant sanguin artériel s'affaiblit , la turgescence diminue. Le tissu cellulaire devient flasque et mou, les parties molles s'affaiblis- sent, et les os deviennent plus proérainens , effet auquel con- tribue également la disparition de la graisse. 6° Il pénètre moins de sang dans les vaisseaux capillaires , dont un grand nombre disparaissent, ou se métamorphosent en filamens cellulaires, de sorte que les injections ne s'effectuent que d'une manière fort incomplète. On remarque surtout ce VIEILLESSE. 145 phénomène dans !e périoste et la dure-mère , qui jadis te- naient aux os par de nombreux vaisseaux , et qui n'y sont plus fixés maintenant que par de rares liens vasculaires. La pre- mière est moins serrée aussi contre le cerveau. La chute des dents suppose que leurs vaisseaux ont été frappés de mort. Les ouvertures osseuses correspondantes se ferment égale- ment après la mort des vaisseaux nourriciers des os des mem- bres et de ceux qu'on appelle les émissaires de Santorini. 7° Comme la substance se renouvelle moins , il s'établit fréquemment des anomalies de la plasticité. L'haleine , la sueur et l'urine ont communément une odeur plus forte. L'é- jection incomplète des matières destinées à être amenées au dehors, donne souvent lieu à des démangeaisons , à des dartres et autres affections cutanées. Ainsi le psydracia se développe quand la sécrétion urinaire diminue, et disparaît lorsnuo celle-ci redevient plus abondante. Comme il se dépose moins de substances aqueuses au dehors, et que la résorption se fait d'une manière plus lente , les congestions séreuses sont fré- quentes. Enfin la prédominance de la vénosité amène la pré- disposition au scorbut, et engendre souvent des mélanoses. De même, dans les plantes, la chute des feuilles tient à la di- minution du conflit avec le monde extérieur; l'absorption et l'exhalation de ces organes diminuent ( cette dernière, d'après Guettard, est en hiver, comparée à celle du mois d'aoiit, :: 1 : 3), ils se tournent moins vers la lumière, ils ne se ployent plus pendant la nuit, comme par le passé, la piqûre des In- sectes n'y provoque plus un afflux de suc qui amène la for- mation d'une galle, etc. 8° La nutrition devient plus faible, les fractures ne guéris- sent plus aussi vite, et la gangrène s'établit avec beaucoup de facilité. L'organisme consomme plus de son propre inté- rieur que de choses du dehors ; la graisse est une réserve oui entre maintenant en service; elle disparaît surtout à la pé- riphérie , moins dans les cavités splanchniques, notamment au mésentère , et c'est ainsi que dès avant la soixante-dixième année commence un amaigrissement qui va toujours en fai- sant des progrès. L'organisme n'épargne même pas ses par- ties solides , spécialement les os et les muscles ( § 586, 2» ) : V. 10 l46 VIEILLESSE. comme ces organes ne peuvent plus se maintenir fdàns leur inlégrilé , il les ramène à la forme liquide , d'où ils sont sortis, et les fait repasser dans le torrent de la circulation , pour y servir au soutien de la vie. 9° La sécrétion faiblit , de sorte que le corps entier devient plus sec et le mouvement plus difficile. Les sécrétions aqueuses sont surtout celles qui diminuent. Comme l'exhalation cuta- née est moins abondante , il y a moins d'eau dans le tissu cel- lulaire et les membranes séreuses ; l'arachnoïi le elle même devient plus sèche. Par antagonisme, les liqueurs épaisses, sécrétées dans les cryptes , et qni sont en quelque sorte des produits de stase et de condensation , deviennent plus abon- dantes. L'enduit cutané est pendant long-temps très-copieux, surtout aux doigfs, au cuir chevelu et dans !e conduit audi- tif •■ il ne diminue qu'assez tard , lorsque la vie périphérique baisse encore davantage , et alors il est remplacé par une sé- crétion muqueuse plus abondante ù la surface interne. Si les villosités intestinales diminuent, les follicules muqueux acquiè- rent plus de développement , et tandis que les sucs gastrique et intestinal deviennent moins abondans , il se produit une plus grande quantité de mucus, qui sort avec les déjections alvines. Si la perspiraiion pulmonaire diminue , les voies aériennes sécrètent davantage de mucosités, l'expectoration devient plus abondante , et le catarrhe chronique est une ma- ladie ordinaire des vieillards. Si les liquides aqueux de l'œil sont sécrétés en moins grande quantité , la conjonctive four- nit davantage de mucus , dont la surabondance rend les yeux chassieux. Avant tout , l'activité faiblit dans les organes où la vie plas- . tique déploie surtout une action périphéi ique , c'est-à-dire dans ceux de l'espèce (10°) et de l'individualiié (11"). 10° Les organes génitaux se flétrissent et se dessèchent. Chez l'homme, ce changement ne paraît, en général, bien pro- noncé qu'après la soixantième année, ou même plus tard : les testicules deviennent plus mous et plus petits; le scrotum est plus fiasque , les canaux et les vésicules séminales s'affaissent, la prostate diminue et disparaît, d'abord dans sa partie moyenne , les poils du pubis cessent d'être frisés , ils grison- VIEILLESSE. 147 neïit et tombent en partie, la verge se rétracte, le gland se cache derrière le prépuce, assez souvent même jusqu'au point de produire un phimosis, le prépuce se couvre de rides, et les cellules des corps caverneux s'agrnndissent, par l'amincis- sement de leurs pnrois. La femme perd bien davantage en- core le souvenir de tout ce oui concerne la procréation, et les désirs vénériens s'éteignent de meilleure heure en elle. Peu de temps après le ménopause, les ovaires commencent à se flé- trir ; ils deviennent plus petits, plats, denses, durs , bosselés ; les vésicules persistent, mais contiennent peu de liquide, et sont flétries (1), ou diminuant de volume, et finissent par se convertir en petits grains durs, jaunâtres ou noirâtres, attendu que leurs parois s'épaississent et que leur cavité disparaît (2). Parfois il ne reste plus que quelques hydatides, ou même les ovaires s'effacent dans un âge très-avancé , au point de ne plus laisser aucune trace f3V Souvent aussi les trompes s'o- blitèrent , phénomène qui a lieu d'abord dans Ipur milieu, de même qne, chpz les vieilles Poules, l'oviducte se convertit en une sorte dp ligament à sa partie supérieure. La matrice devient petite, plus allongée , ferme , presque cartilagineuse et blanche ; elle s'enfonce davantage dans le bassin , et sa partie inférieure fait une saillie plus considérable dans l'inté- rieur du vagin (4). Après l'âge de quatre-vingts ans, il n'est pas rare qu'une cloison épaisse de deux à quatre lignes vienne boucher l'orifice interne , et plus tard même l'orifice exté- rieur s'oblitère également ^5) , de sorte que le col et le corps représentent deux cavités complètement closes, qui sont rem- plies d'un mucus blanchâtre , ou de sérosité sanguinolente et d'hydaiides contenant un liquide analogue (6). La vagin de- vient plus court ; les grandes lèvres s'amincissent, se flétris- sent, se rident et s'écartent Tune de l'autre, de manière à (1) Ph. Blandin, Ëlémens d'analomie , Paris, 1832, t. II,"p. 298. (2) Meckel, Manuel d'analomie, t.III. (3) Meyer, Beschreihung eitier ijraviditas interstiiialis uteri , p. 43. (4) Archives généraies , t. X. p. 980. (5) Reil , ^rchiv, t. TI , p. 9^. (6)Mayer, loc, cit., p. d4, l48 VIEILLESSE. laisser appercevoir les nymphes et le clitoris ; les nymphes sont fanées et méconnaissables; le clitoris est petit, le mont de Vénus perd sa graisse et sa forme bombée ; les poi's qui l'ombragent s'éclaircissent et grisonnent, moins toutefois que les cheveux; les seins deviennent peiiis , flasques et pendans, comme des replis cutanés; leur tissu cellulaire prend ua as- pect tendineux ; les glandes mammaires diminuent de volume, acquièrent plus de densité , et prennent l'apparence du car- tilage. 11°. La peau devient mince , dense, sèche, parcheminée, d'un jaune blanchâtre ; elle perd sa mollesse et sa flexibilité ; la disparition dé la graisse et la cessation de la turgescence font qu'elle se couvre de rides , et ces circonstances , jointes à la diminution des muscles , rendent les saillies des os plus prononcées; la transpiration est moins abondante; la sueur s'établit plus diflîcilement , et n'est jamais aussi copieuse que par le passé. L'épiderme est sec , lisse , glissant ; il se détache souvent par écailles , surtout au cuir chevelu , au front, aux bras et sur le dos des mains. Les ongles deviennent plus épais, cassans, d'un rouge brunâtre ou bleuâtre; les cheveux sont secs , plutôt plats qu'arrondis , durs et forts : ils perdent leur poli et leur brillant; ils grisonnent à partir de la pointe , d'a- bord sur les tempes , puis sur le reste de la tête, ensuite à la barbe , enfin au pubis , aux sourcils et aux paupières ; les cheveux noirs et droits blanchissent de meilleure heure que les blonds et les frisés ; lorsque ces productions cornées sont devenues grises, elles ont perdu leur force et se cassent aisé- ment. Les parties du corps où les poils continuent le plus long-temps de croître sont les sourcils, les paupières, l'in- térieur du nez et les pieds ; enfin, la racine se flétrit , la bulbe disparaît , et le poil tombe -. la chute commence au sommet de la tête ; la barbe se détache rarement. Chez les Mammi- fères, on voit blanchir de préférence les parties dont la peau repose immédiatement sur des os, sans qu'il y ait ni graisse ni muscles au dessous d'elles , par conséquent aux arcades surciliaires, aux apophyses zygomatiques , au bord des mâ- choires , etc. VlElItESSE. l49 ARTICLE II. De la vie animale. X. Périphérie animale. § 589. A regard des organes et des fonctions de la -vie ani- male , 1° Le cerveau devient ordinairement plus compacte ; ce- pendant Kœnig Ta trouvé plutôt un peu ramolli que raffermi à la surface (1). On prétend qu'il diminue aussi de volume. Portai dit qu'il remplit moins la cavité crânienne , assertion contredite par Desmoulins (2) , qui se fonde sur ce que le crâne diminue lui-même de capacité. De là résulterait que l'encéphale des vieil ards serait spécifiquement plus léger que celui des jeunes gens. Mais ces observations n'ont trait qu'à des individualités , car les frères Wenzel(3; n'ont reconnu au- cune diminution dans le poids de l'organe. Quelquefois les lobes postérieurs du cerveau surtout semblent s'affaisser ; il n'est pas rare , en effet , qu'on remarque , à la partie posté- rieure des os pariétaux , une dépression parallèle aux deux côiés de la suture sagittale, et que, sur ce point , la pie-mère soit détachée du crâne dans une grande étendue ; cependant on ne sait rien encore des conditions de la vie avec lesquelles coïncide ce collapsus. Desmoulins dit que la moelle épinière devient plus sèche et se resserre sur elle-même. 2° Les nerfs deviennent plus grêles et plus secs ; on ne peut plus en poursuivre les branches aussi loin ; les trous du crâne et de la colonne vertébrale qui leur livrent passage se rapetis- sent : c'est ce qu'on observe en particulier dans les trous sa- crés ; aussi arrive-t-il souvent de trouver les nerfs scialiques flétris et comme desséchés. Sœmmerring assure que les nerfs sous-orbiiaires et maxillaires sont à moitié plus grêles qu'au- paravant , et les lèvres sont les parties où l'on peut le mieux se convaincre du changement qu'ils subissent sous le rapport (1) Nasse, loc. cit., p. 444. (2) Anatomie du système nerveux , Paris, 4833, deuxième vol., in-8. (3j De penitiore structura cerebri , p. 257-296. l5o VIEILLESSE. du volume et de la fermeté. Les nerfs dentaires disparaissent, et les ouvertures osseuses par lesquelles ils passent s'oblitè- rent. Lorsqu'une artère s'eB'ace, ses nerfs se détruisent aussi, de même que la disparition des nerfs est l'acheminement vers Tossification des artères et la condition de ce phénomène. Il s'efface incontestablement aussi un grand nombre d'autres ex- trémités périphériques des nerfs, notamment à la peau et aux organes génitaux. 3° Les fondions sensorielles fléchissent. Celle qui faiblit la première et le plus est la vue , de sorte que souvent le vieillard reconnaît plutôt les hommes à la pa- role qu'à la vue. La vue devient plus faible, d'abord par la di- minution de la force nerveuse , puis par celle de la transpa- rence des milieux de l'œil; car la cornée lucide devient plus ferme , 1 humeur aqueuse moins abondante , le cristallin elle corps vitré plus consistans, outre que toutes ces par- ties se troublent un peu , que le pigment pâlit , que la rétine devient plus ferme et plus mince, que sa tache jaune prend une teinte moins foncée , et que son pli s'efface. Mais comme l'humeur aqueuse diminue , que la cornée s'aplatit , et que le cristallin se réduit presque aux dimensions d'un simple dis- que, la lumière éprouve moins de réfraction, et l'œil devient presbyte. L'ouïe s'émousse , et quand ce phénomène a été porté frès- loin , c'est-à-dire qu'il a produit une véritable surdité , on trouve, suivant Pinel (1), les nerfs auditifs plus grêles, leurs conduits osseux plus étroits , les cavités et les canaux demi- circulaires du labyrinthe moins amples et plus ou moins des- séchés. Iiard assure que l'aquéduc du vestibule a quelquefois disparu en entier. La fenêtre ronde se rétrécit, ou même par- fois se tourne tout-à-fait en arrière , selon Scarpa. La mem- brane du tympan s'épaissit, le conduit auditif devient plus court et moins sinueux ; il se remplit d'un cérumen plus épais. L'hélix devient plus lisse , le tragus plus pointu , la cavité scaphoïde plus profonde, le lobule plus petit (2). (1) Arcliives générales , t. II , p. 247. (2) .Nasse, loc. cit., p. 447. VIEILLESSE. l5l Le toucher perd de sa délicatesse. Le goût et l'odorat sont les sens qui se maintiennent le plus long-temps. Quant à l'appareil locomoteur , 4° Les os s'amincissent ; ils perdent de leur poids et de leur volume. Les recherches de Rullier (1; ont éiabli qu'ils devien- nentspécifiquement plus légers, parce qu'ils perdent leur den- siié éburnée, qu'ils prennent une lexlure plus spongieuse et plus celluleuse, qu'ils acquièrent de la fragilité, que les con- duits veineux et les cavités médullaires augmentent de capa- cité ; le diploé disparaît dans les os larges ; leurs deux lames se rapprochent; elles finissent par se souder ensemble, et il se forme même quelquefois des trous , notamment aux os iliaques; les ouvertuies qui livrent passage aux vaisseaux nourriciers se remplissent d'un dépôt de nouvelle substance osseuse. On avait cru que les os des vieillards devenaient cas- sans et friables par la perte de la gélatine destinée à en unir les molécules calcaires ; mais Tenon (2) a reconnu qu'ils contien- nent aussi moins de terre, et Ribes a constaté que l'ab- sorption poi te également sur le phosphate de chaux. Le résulr tat a été mis en parfaite évidence par les recherches de Davy (3) et de Lassaigne (4) sur la mâchoire inférieure et les dents : Terre. Substance animale. (chez l'enfant, 57,2 42,8 chez l'adulte, 59,5 â0,5 chez le vieillard, 56,5 43,4 I chez l'enfant, 71,5 28,5 chez l'adulte, 71 29 chez le vieillard , 67 33 Les cartilages deviennent plus denses, plus secs, plus ru- des au toucher, plus inflexibles; quelquefois ils s'ossifient. (1) Dict. de médecine, 1. 1, p. 419. (2) Méni. de rinstitut , t. I, p. 232. (3) Mémoires de la Société niédic. d'émulation , t. VIII, p. 619. (4) Rousseau, Anatomie comparée du système dentaire, p. 262. ï52 VIEILLESSE, snrtout à la surface. Les li/ïamens perdent également de leur souplesse. Le ligament péronien s'ossifie fréquemment, par les progrès de Tàge, chez lesRuminans, et donne ainsi naissance à un péroné. Les capsules synoviales deviennent plus denses et plus sèches , tandis que les cartilages articulaires s'amin- cissent. 6° Les muscles prennent une couleur plus foncée , et per- dent de leur volume ; leurs fibres sont ordinairement rai- des, et dures, quelquefois seulement flétries et sèches; leurs parties tendineuses , notamment celles qui occupent les surfaces couvertes par d'autres muscles, augmentent, vraisem- blablement parce que les gaines celluleuses des fibres muscu- laires disparues deviennent tendineuses. Certains tendons s'ossifient, surtout dans les points où il y a frottement. Leur ossification a lieu chez les Oiseaux avancés en âge. Dans un tel état de choses , la faculté locomotrice éprouve des restric tions : la flexibilité et la souplesse sont moins grandes , le mouvement est plus lent, et cause promplement delà fatigue ; il obéit moins aux ordres de la volonté , il est souvent trem- bloltant, et il convient moins à l'exécution des travaux déli- cats ; il peint l'état de l'âme avec moins d'exactitude. En outre, il a moins d'énergie , et ne peut plus triompher de résistances aussi grandes. Le vieillard aime le repos, et la prédominance des muscles fléchisseurs est le symbole de cette disposition. 7" La colonne vertébrale perd un peu de sa hauteur , les corps des vertèbres devenant plus courts, et les cartilages in- tervertébraux plus minces. Fréquemment la prépondérance des muscles fléchisseurs et l'affaiblissement des extenseurs obligent le dos à se voûter , de sorte que la tête ne peut plus se tenir aussi droite. Chez les vieux Mammifères aussi, le dos se courbe , et la tête devient ordinairement pendante. D'a- près Quetelet , la taille diminue déjà de quelques lignes à cinquante ans, et jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix elle se ré- duit de soixante-quatre pouces et un quart à soixante-un trois quarts chez l'homme, de soixante et demi à cinquante- six trois quarts chez la femme. Les os coccygiens se soudent avec le sacrum. La soudure des autres corps vertébraux n'est qu'une anonialie. La fossette du cœur acquiert plus de pro- VIEILLESSE. l53 fondeur; les clavicules, les côtes, le sternum, les crêtes iliaques et les tubérosités sciatiques font plus de saillie, à cause de la diminution des muscles et de la graisse. L'ombilic est enfoncé et petit ; les os des îles prennent une situation moins verticale , et les fosses iliaques s'aplanissent. 8° D'après les recherches de Tenon (1) , qui demanderaient cependant à être reprises sur une plus grande échelle , le crâne devient plus léger et plus petit; il perd les deux cin- quièmes du poids qu'il avait pendant le moyen âge , et dimi- nue dans le sens de son diamètre vertical tranverse, d'une apophyse mastoïde à l'autre , de son diamètre horizontal, à la hauteur de la partie inférieure du front , de son diamètre longitudinal, et de son diamètre transverse. Les os qui le constituent s'amincissent ; il s'y forme parfois des trous dans les parties les plus minces , par exemple à la portion orbitaire du jugal ; quelquefois aussi les vides naturels , par exem- ple la fente orbitaire antérieure, acquièrent plus d'ampleur, ou même des pièces osseuses se séparent les unes des autres (2). Mais il est plus général d'observer la soudure de plusieurs os , par exemple celle des cornets inférieurs avec l'ethmoïde et les maxillaires supérieurs, et l'effacement des sutures , parmi lesquelles la sagittale est celle qui disparaît la première , et la lambdoide celle qui se conserve le plus long- temps. 9° La partie inférieure de la face se raccourcit, par la perte des dents et du rebord alvéolaire. Comme la mâchoire infé- rieure a perdu tout son bord alvéolaire , elle forme un plus grand arc que la supérieure , de manière que sa partie anté- rieure ne correspond plus à celle de cette dernière , que le menton fait une forte saillie en avant , et qu'à partir de son extrémité , la mâchoire se dirige obliquement de bas en haut et d'avant en arrière. Il suit de là que les coins de la bouche se trouvent placés plus basque le milieu des lèvres; celles-ci s'enfoncent en dedans , parce que les dents ne les soutiennent plus; le bout du nez fait, au dessus de la lèvre supérieure, la même saillie que le menton au dessous de l'inférieure , et de- (i) Loc. c^^,p. 231. (2) Meckel , Manuel d'anatomie , t. IL l54 VIEILLESSE. vient un peu pendant. Comme les deux mâchoires sont plus rapprochées Tune de l'autre, les joues deviennent flasques et plissées. Les angles de la mâchoire inférieure et les os des pommettos font plus de saillie; les tempes sont affaissées par la diminution de la turgescence et du volume des muscles crotaphites ; les yeux ont perdu une partie de leur feu et de leur éclat , parce que la conjonctive a pris une teinte sale et rou- geàtre, et ils sont plus creux, parce que les orbites renfer- ment moins de graisse et que les paupières sont moins tur- gescentes. Ces dernières présentent aussi , surtout dans l'an- gle externe de l'œil , des t ides , qui sont les premières à se manifester , et constituent ce qu'on appelle la patte d'oie. Les sinus frontaux sont devenus plus amples encore , de ma- nière que le front fait une saillie plus considérable à sa partie inférieure , et qu'il fuit davantage en arrière : du reste , il se charge de rides, et comme la limite des cheveux se recule vers le vertex , il semble avoir acquis plus de hauteur , surtout quand on le compare à la partie inférieure de la face, qui s'est beaucoup raccourcie. Le jeu des muscles du visage a perdu de son expression et de sa vivacité, d'autant plus que la chute des dénis et la diminution des mâchoires ont rendu les faisceaux musculaires moins tendus. 10° L'élévation du menton fait que la peau et les muscles de la face antérieure du cou sont plus tendus et produisent des plis longitudinaux. Le larynx devient plus proéminent , et la glande thyroïde a perdu un peu de son volume. Comme les organes respiratoires sont affaiblis, la voix est devenue plus faible ; la sécheresse et la rigidité du larynx lui donnent un caractère de raucité, et la mobilité moins grande des muscles laryngiens et de ceux de la langue lui enlève une partie de sa flexibilité et de son expression. Ce qui contribue le plus à l'altérer, c'est l'ossification qui s'empare si fréquemment du larynx; cette altération envahit ordinairement le cartilage thyroïde, puis le cartilage cricoïde, bien plus rarement les aryténoïdes, et jamais l'épiglotte en entier. Suivant Be- clard (1) , elle marche de bas en haut et d'avant en arrière. (1) Deuta^hes Archiv, t. VI, p. 434. VIEILLESSE. l55 L'ossification des cartilages de la trachée-artère est une ano- malie plus rare. Du resie, la parole devient moins distincte, à cause de l'absence des dents , parce que les muscles des lèvres et des joues sont moins tendus , et enfin parce que la langue est trop volumineuse , proportionnellement à la cavité orale, dont l'ampleur a diminué. H° Les membres sont plus raides et les articulations moins flexibles. Si , par exemple , il était possible à l'enfant de por- ter le pied à la bouche , le vieillard ne peut plus l'amenen au- delà du genou. Outre que la colonne vertébrale a perdu de sa hauteur, et qu'elle s'étend moins, la hauteur du corps di- minue encore par le raocourcissement des membres inférieurs, qui , de plus , perdent l'aptitude à s'étendre d'une manière complète. Le col du fémur devient plus horizontal, et la léte de l'os, située presque sur le même plan que le grand tro- chanter, pénètre plus profondément dans la cavité cotyloïde, qui s'est creusée davantage ; les surfaces osseuses de l'articu- lation du genou et de celle du pied sont moins bombées, le fémur et le tibia décrivent une plus grande courbure. Le ge- nou s'étend moins , la marche devient moins sûre , ou n'ac quiert un peu de solidité qu'autant que la plante entière du pied pose à terre. 42° Le vieillard s'endort aisément, mais se réveille avec non moins de facilité , et le moindre bruit suffit pour inter- rompre son repos. Le sommeil s'empare promptement de lui , mais le rafraîchit aussi en peu de temps , de sorte qu'il est court, mais fréquent. Au total, le vieillard dort beaucoup; mais comme son sommeil éprouve de fréquentes interruptions, qu'il est presque toujours troublé par des rêveries , et qu'il finit par ne plus être qu'une sorte d'état intermédiaire entre le rêve et la veille , les vieillards se plaignent souvent à tort de ne point dormir pendant la nnit, remarque 'qui avait déjà été faite par Rush (1) et par Brandis (2). (1) Sammlung auserlesener Âbhandlungen, t. XVII , p. i 32. (2) Lehre von den Affehten des lehenden Organismus, p. 567. 1 56 VIEILLESSE. II. Activité de l'âme § 590. L'activité plastique est le prototype de la vie morale. Elle n est point frappée d'une faiblesse absolue , mais prend seulement une autre direction ; elle reçoit moins du monde , y dépose aussi moins de ses produits, et consomme davantage ses propres formations ; par conséquent, elle fait servir à son maintien les résultats de son activité passée, et la contraction de l'organisme lui impose Tobligation de se tourner davantage vers l'iniérieur. Or, la même chose a lieu pour les facultés de l'âme. Ainsi la vie , considérée dans son essence , ne consiste, depuis le commencement jusqu'à la fin, qu'en un déploiement harmonique de forces, et c'est admettre un être de raison que de croire à l'existence d'une maladie conforme à la nature et normale. De même que la vieillesse n'est point marasme , de même aussi elle n'est point extinction ou absence de facultés intellectuelles. Assurément il peut se faire , quand une cir- constance quelconque vient à rompre l'équilibre, que l'esprit baisse, ou s'éteigne, comme on voit, en pareil cas, survenir l'ossification et l'atrophie, mais il n'est pas plus permis de voir là un caractère essentiel de la vieillesse, que d'attribuer exclu- sivement le rachitisme aux enfans, la phihisie pulmonaire aux jeunes gens , les inflammations aux hommes faits, et la goutte aux vieillards. Lorsque le genre de vie est conforme à la na- ture, et que les circonstances sont favorables, l'âme conserve sa force intacte , quoique son activité revête d'autres formes. L'esprit, quand il n'a point été précédemment étouffé par la sensualité , perce encore à travers l'enveloppe extérieure , de manière à commander le respect , et nous ne manquons pas d'exemples de vieillards qui ont allié les plus hautes facultés morales à un physique épuisé par la maladie (d) , quoiqu'on puisse mourir dans un âge fort avancé sans avoir jamais été malade, à proprement parler. On ne saurailnon plus tirer au- cune induction certaine de l'état matériel du cerveau et du crâne. Quand Ribes , par exemple , prétend que les facultés (1) Carus , Psychologie , t. II , p. 83. VIEILLESSE. 1 57 intellectuelles sont toujours plus ou moins troublées chez les sujets qui offrent la soudure des os du crâne (1), il suffît de se rappeler l'exemple de lord Byron , pour voir combien celte assertion est dénuée de fondement. Du reste, il n'est rien moins que prouvé qu'un changement s'opère généralement dans le cerveau chez les personnes d'un âge avancé. Semblables au médecin qui , dans une ouverture de cadavre commandée par la justice , se croit obligé de trouver une cause palpable de la mort , ne fût-ce même qu'un peu de sang accumulé dans les parties les plus déclives du corps, les anatomistes se sont quelquefois épuisés en efforts pour expliquer la mort sénile , et ils ont attribué, comme caractères, à la vieillesse, toutes les anomalies qu'ils ont pu rencontrer chez des vieillards ma- lades. Le caractère de la vieillesse consiste en ce que la vie morale s'est repliée sur elle-même. I. Le conflit avec le monde extérieur est diminué; mais si jusqu'alors l'individu n'a attaché d'importance qu'aux objets du dehors , si , dans sa vie tout extérieure , il a négligé de développer ce qu'il y a au dedans de lui-même, alors la vieillesse est assurément le caput mortuum de la vie. 1° Comme les sens sont émoussés et les mouvemens plus faibles, l'activité extérieure diminue aussi ; le tumulte de la so- ciété étourdit , et la contrainte des affaires devient désagréa- ble ; le goût du calme et du repos va toujours en croissant. 2° Chez les animaux qui vivent en troupes, le Sangher, le Chamois , etc. , les mâles âgés ont coutume de quitter la société et de mener une vie solitaire -. le vieillard aussi se renferme davantage en lui-même. Cette disposition se déve- loppe après l'extinction de la faculté procréatrice et l'établis- sement des enfans , car ceux-ci quittent la maison paternelle pour jouir d'une existence indépendante. Il est naturel que les jeunes gens s'éloignent jusqu'à un certain point des vieil- lards, comme d'êtres d'une espèce à part, et qu'ils veuillent goûter seuls les joies de leur âge ; mais, d'un autre côté, (1) PeutscJifs 4rcUv , t. VI, p. 447. l58 VIEILLESSE. beaucoup de ses contemporains ayant été frappés de mort , le vieillard se trouve seul au milieu d'une génération qui s'est formée sous l'empire d'autres circonstances, dont les idées et les mœurs lui sont étran(}ères , et qui , par le seul fait de la différence des âges, a moins de points de contact avec lui. 3° Il sympathise donc |moins avec la génération nouvelle. D'un côté, ses forces ne lui permettent plus de contribuer immédiatement au bonheur des autres , et il est oblijïé de les réserver pour lui-même , sa propre vie ayant plus besoin de ménagemei t ; d'un autre côté , l'habitude de voir souffrir , l'observation souvent répétée que les malheureux le sont presque toujours par leur faute et que les secours d'autrui leur profitent peu , la conviction enfin que le mal est inévi- table, l'ont rendu plus froid. 4° Sa réceptivité a diminué, sous le point de vue de l'éten- due, comme sous celui de l'intensité; il est devenu indifférent pour beaucoup de choses qui l'intéressaient vivement autre- fois ; les événemens agréables ou désagréables produisent moins d'effet sur lui ; ses affections sont plus rares et plus calmes ; ses d isirs sont plus limités, et ils ne portent plus autant 1-e caractère de la passion. 5° La faculté d'admettre et de créer du nouveau diminue. Le vieillard saisit moins facilement les idées étrangères aux siennes ; il oublie aisément ce qu'il a appris depuis» peu , ou même ce qu'il a dit et fait naguère ; il est obligé d'interroger plus long-temps ses souvenirs. L'assimilation intellectuelle ayant diminué, la productivité de l'esprit est également moins active. On ne voit plus de ces vastes créations qui supposent un élan immense de l'imagination , et si nous avons des exemples de vieillards qui se sont distingués par des produc- tions d'une rare perCeciion , comme Gaton et Sénèque , Robert Constantin et Hamann , Rubens et Raphaël, etc. (1), il s'agis- sait là d'œuvres du jugement parvenu à maturité, plutôt que d'une faculté créatrice de travaux dont le germe s'était pré- cédemment développé dans l'âme , ou d'effets dépendans d'une exaltation momentanée de la vie intellectuelle. (d) Carus, îoc. cit.i p. 84. VIEILLESSE. 1S9. 6» Mais toiitPS ces facultés d'admission et de réaction ne font que se reiirer peu à peu sur lat rière-plan , sans dispa- raître entièrement , et le défaut absolu d'exprcice de leur part est tellement peu dans la nature , qu'il ne fait que muti- ler et dégrader la vieillesse. Swift , par exemple , est du petit nombre des savans qui tombèient dans limbécillité au déclin de leur vie; mais ce pliénomène tint, suivant la remarque de Eiish (1), d'un côlé , à ce que l'avarice l'éloijjna de toute société, d'un autre côté , à ce que le serment qu'il avait fait, dans sa j(^unesse, de n'avoir jamais recours aux lunettes, lui imposa la nécessité de renoncer à la littérature. Le même observateur a reconnu que les vieillards conservent plus de vivaciié et une meilleure santé lorsqu'ils fréquentent des jeunes gens (2) : Kant ne voulait pas d'anti e société. Il fut long-temps sans croire à l'amitié , et souvent on l'avait entendu dire : « Mes chers amis, il n'y a point damis ! » Mais , sur ses vieux ans, il apprit à connaître le prix de l'amitié, comme à en sen- tir le besoin. 7° Le vieillard ne pouvant plus être d'aucune utilité immé- diate à l'union sociale , les peuples civilisés l'exemptent du service militaire , de la tutelle et de toutes les fonctions péni- bles. Tandis que, chez la plupart des Orientaux, par exemple, il jouit de la société , notamment de la vie de famille et des témoignages de respect qu'on lui acco'de, chez les Hindous, au contraire, il se retire souvent, seul ou avec sa com- pagne, dans une contrée déserte, pour y consacrer le reste de ses jours à la piété , après avoir abandonné sa fortune à l'aîné de ses fils (3). Mais, chez plusieurs peuples grossiers, qui n'attachent de valeur qu'à la force musculaire et à la perfection des sens , son sort est affreux ; cependant on voit des hordes voisines de cell s-là , et qui sont unies avec elles par les liens de la consanguinité , présenter le tableau naturel du sentiment humain dans toute sa pureté. Ce contraste a lieu chez les sauvages du nord de l'Amérique ; plusieurs d'entre (1) Sammlung auserlesener ^hhandlungen , t. XVII, p. J26, (2) Ihid., 1». 436. (3; Hafiiei* , Heise laanijs der Kuesta Orioca u?id Koromandel , X, I, p. 71. l6o VIEILLESSE. eux , ceux de la baie d'Hudson , par exemple , traitent les vieillards avec mépris, ne leur accordent de la nourriture et des vêtemens qu'après que tous les autres en sont pourvus , leur donnent ce qu'il y a de plus mauvais , et les abandonnent quand ils ne peuvent plus les suivre dans leurs courses erran- tes (1) , à moins que le fils ne donne par compassion le coup de la mort à son père courbé sous le poids des ans (2) , comme il arrive aussi chez les Chipiouays (3) ; mais les Cries les honorent , et cherchent à leur conserver la vie (4) ; de même les sauvages du Missouri ont beaucoup de vénération pour eux lorsqu'ils ont été braves, et les jeunes gens se plaisent à écouter leurs conseils (5). II. Le second trait , qui découle de l'empire plus grand acquis par le côté intérieur de la vie, est l'attachement aux résultats de l'activité passée (§ 588, 8°). Lorsque l'homme n'a rien acquis de stable pendant ses jeunes années , il manque du nécessaire sur ses vieux jours. 8° Les acquisitions faites dans le domaine de l'esprit main- tiennent et alimentent la vitalité de l'âge avancé. A quatre- vingts ans, Voltaire versait des larmes d'émotion et de joie en voyant représenter ses tragédies. Lorsque le marasme dont Kant était atteint lui inspirait des idées mélancoliques , et lui arrachait des plaintes, on ramenait bientôt la sérénité dans son âme en le questionnant sur des sujets de physique ou de chimie, et peu de jours avant sa mort, lorsque déjà il était devenu sourd à tous les détails de la vie commune , une ques- tion ethnologique le tira de sa stupeur, au point qu'il put développer longuement et avec vivacité son opinion. 9° Ce qui caractérise le vieillard , c'est de tenir plus aux résultats généraux qu'aux détails. On peut citer pour exem- ple le centenaire qui disait gaîment à Rush (6) : J'ai oublié tout ce que je savais , excepté Dieu. La faiblesse de Newton ne consistait pas à ne plus comprendre les calculs qui l'ont (1) Hearne, loc. cit., p. 225. (2) Zimineimann , loc. cit.^ t. III, p. 97. (3) Ihid., p. 153. (4)/4id., t.IV,p.l83 (5) Perrin du Lac , loc, cit., 1. 1, p. d79. (6) Ue. cit., p. 125. VIEILLESSE. 161 élevé si haut , mais à déplorer cette perte , à ne point vouloir se contenter de connaître la loi de la gravitation , mais à placer au premier rang l'art qui la lui avait fait découvrir. 10° Comme la force d'acquérir est épuisée , le principe de la stabilité prédomine , et avec lui la tendance à conserver, à jouir de ce qu'on a acquis. Le vieillard cherche moins à éten- dre ses possessions qu'à les consolider. Tout en lui porte le caractère de la fixité , et la coutume est toute puissante à ses yeux , parce que tous ses goûts et ses désirs ont un caractère mieux déterminé et plus constant. Aussi les innovations lui inspirent-elles de la défiance , aussi est-il enclin à faire un tableau trop rembruni des vices du présent et une peinture trop brillante des qualités du passé. III. Comme la concentration mène à l'unité , et que l'unité dans le multiple conduit à la généralité , le troisième trait du caractère des vieillards est l'universalité. Le vieillard est presbyte (§ 589, 3°), et tandis qu'il n'aper- çoit plus les objets rapprochés, peu volumineux, isolés, il distingue mieux tout ce qui est grand , éloigné et entier. llo II a en partage la sagesse, qui consiste à apercevoir net- tement les cas particuliers, à les embrasser sous des points de vue généraux , à voir le monde sans qu'aucun nuage vienne s'interposer entre l'œil et lui. Ce n'est pas sans dessein que les peuples adonnés à l'anthropomorphisme ont représenté Ju- piter et Dieu le père sous la forme d'un vieillard (1). La plu- part des peuples n'ont également choisi que des vieillards pour remplir la dignité de grand-prêtre. A mesure que la sensualité diminue , l'idée se développe plus librement , non dans le champ sans bornes de l'imagination, mais dans le ca- dre de l'expérience ; elle procure ainsi la notion de l'ordre du monde , elle apprend à reconnaître que l'imperfection de la vie terrestre et le défaut de raison entrent comme élémens nécessaires dans la constitution de l'univers, elle préserve des faux jugemens sur le malheur immérité , sur le vice triom- phant, sur la vertu mal assurée, elle fait enfin apercevoir (1) Nasse, loc. cit., p. 110, Y. Il l6s VIEILIESSE.^ l'empire absolu de l'idéal jusque dans l'aveugle instinct qui préside au tumulte du monde. 12'^ Le Jugement est plus juste aussi, parce que les affections et les passions ne viennent point l'offusquer ; la conduite est pins réfléchie , plus calme , plus prudente , et si la parole a perdu le don de briller par des images , elle sait présenter de sages conseils sous la forme de sentences, qui s'inculquent plus profondément dans l'âme. 13° La moralité est plus pure. Nulle part , dit Rush (1), on ne trouve l'exemple d'un vieillard chez lequel les sentimens Moraux ou religieux qui distinguent l'homme se soient affai- blis. Une certaine mollesse de caractère caractérise la der- nière période de la vie , et chez l'homme même qui s'était distingué par sa rudesse , la dureté fait place à la douceur, quand le pouvoir d'agir au dehors diminue et que le senti- ment de soi-même s'affaiblit. Lorsque la vie procréatrice ne s'était montrée que sous la forme individuelle , que sous son côté sensuel (§ 241) , c'est assurément un malheur pour l'homme qu'elle vienne à s'éteindre ; mais, quand elle a suivi la marche prescrite par la nature, et qu'elle a pris une forme en harmonie avec sa véritable destination , elle amène aussi des résultats consécutifs qui sont propres à réjouir l'âme ; l'amour que le vieillard porte à ses petits enfans et arrière petits enfans , à une génération qu'il ne verra point dans toute sa fleur, surpasse même en pureté l'amour pour les enfans directs ; et lorsqu'il a pu amasser pour ses descendans , ne dût-il, après sa mort, s'offrir que sous ce seul point de vue à leur souvenir reconnaissant , il y a là quelque chose qui Félève bien au dessus de l'existence purement matérielle. 43° D'ailleurs, comme il est arrivé à la liberté par l'empire delà raison, le vieillard voit sans trouble la mort s'approcher de lui ; car, toutes les fois qu'on a poursuivi un but déterminé tfans la vie . on finit tôt ou lard par éprouver de la satiété dès qu'on y est parvenu. Aussi la plupart des vieillards ne crai- gnent point la mort (2) j il y en a beaucoup qui la désirent (1) Loc. cit., p. d27. (2) Rush, /yc. citr, p. dSO. VIEILLESSE, l65 sincèrement , qui même , comme Kant , l'attendent avec im- patience, pour être délivrés de leurs maux. Cette libre et calme intuition de sa fin prochaine place le vieillard au point culminant de Thumanité. Le plus sûr moyen pour lui d'y par- venir est d'imiter Lichtenberg , qui , dès les premières an- nonces de la vieillesse , se mit à observer avec intérêt le plus long et le plus court jour de l'année , et à considérer tous les signes de destructibilité des choses extérieures comme autant de bornes miliaires de sa propre vie. C'est en s' accou- tumant ainsi à réfléchir froidement sur le caractère de sa na- ture périssable que Lichtenberg parvint à tourner lui-même en plaisanterie la diminution de ses facultés intellectuelles : "Toute mon activité, dit-il, n'aboutit plus qu'à de petits "profits-.il y a encore des charbons, mais la flamme est "éteinte. Lorsqu'autrefois je voulais pêcher des idées dans »ma tête , j'en attrapais toujours quelques unes ; faujourd'hui »les poissons ne se laissent plus prendre ainsi ; on dirait qu'ils «tiennent au sol, et je suis obligé de les arracher; quelque- »fois aussi je ne les obtiens que par lambeaux, comme ceux »qui lardent les pierres du Monte Bolca, et je suis réduit à «les rapièceter ensuite tant bien que mal (1). « 14° Cette sérénité d'âme couronne la fin d'une vie active et conforme à la nature. Si Fontenelle considérait comme le temps le plus heureux de sa vie la période de cinquante-cinq à soixante-quinze ans, pendant laquelle il put jouir du repos, sa réputation et sa fortune étant alors assurées , il a fallu des incommodités accidentelles pour l'empêcher d'en dire au- tant des autres années qui s'écoulèrent jusqu'à sa mort. La satisfaction est le véritable caractère de la vieillesse ; on est en jouissance de ce qu'on a poursuivi sérieusement , l'orage des passions est calmé , les efforts que la lutte avait rendus nécessaires ont cessé , et l'on a conquis la paix du vainqueur. Sous ce point de vue même, la diminution des facultés a son beau côté , car Rush , par exemple (2), cite un vieux savant qui se félicitait de n'avoir plus autant de mémoire, parce que (1) Fermischte Schriften,X. I, p. 43. (2)ioe, ci^.,p.l25. l64 VIEILLESSE. la lecture d'un bon livre lui procurait toujours un nouvéàil plaisir. lîl. Retour vers un âge moins avancé. § 591. On voit se manifester, chez le vieillard , des traits d'un âge moins avancé. I. Et d'abord ceux de l'enfance. 1" Le vieillard ressemble à l'enfantpar l'absence des dents et de la faculté procréatrice , par la petitesse des mâchoires et par la faiblesse des muscles. Le parallèle entre ces deux âges a été singulièrement étendu , entre autres par Fischer (1). On lui a même donné quelquefois une extension ridicule , en allant jusqu'à faire consister l'essence de la vieillesse dans un retour vers l'enfance , parce qu'on prenait pour échelle l'imbécillité enfantine et autres faibles de tels ou tels indivi- dus. Jœrg (2) a suffisamment réfuté cette opinion, reproduite mille fois et jusqu'à satiété. En effet , il y a une différence es- sentielle entre l'enfance et la vieillesse. Chez l'enfant , la vie extérieure est encore faible , parce qu'elle se développe, et qu'elle n'est que le précurseur de la ^vie intérieure ; chez le vieillard , au contraire , elle est refoulée par la prédomi- nance de cette dernière. L'âge ne revient pas plus sur son essence que le temps sur ses pas ; mais, de même qu'en mar- chant vers Féternité , le temps reproduit des circonstances qui déjà ont eu lieu, de même aussi, en s' avançant vers son terme , la vie humaine reprend des formes qu'elle avait déjà revêtues, de telle sorte cependant que ces phénomènes jouent toujours en elle un rôle très-subalterne. Le vieillard renonce à la société civile , et en secoue les chaînes, parce qu'il est devenu assez mûr pour s'élever à l'universalité , tandis que l'enfant ne peut encore y entrer, parce que son horizon est trop borné. Celui-ci suit la nature, mais sans en avoir la conscience , parce qu'il est un produit de la nature ; celui-là, au contraire, acquiert l'impartiahté de l'enfant, (1) Ahhandlung von dem îiohen Alter des Menschen^ p. 86-91. (2) Des Mensch auf seinen Entwickelungsstufen gescliildert, p. 458- 470. VIEILLESSE. l65 parce que la raison, aidée de la liberté et de la conscience de soi-même, Ta ramené des œuvres humaines à la nature. Ainsi la faiblesse enfantine du vieillard malade n'a qu'une fausse analogie avec le degré normal de développement des forces qui caractérise l'enfance. Si , chez les individus dont l'organisation est incomplète, la vieillesse ramène l'apparence du rachitisme , des scrofules et du marasme (1) , il y a une différence absolue dans l'essence de la maladie , malgré l'ana- logie de la forme sous laquelle elle se présente. La manière la plus simple d'exprimer le rapport des deux âges l'un avec l'autre est de dire qu'ils diffèrent quant à l'essence , mais se ressemblent eu égard à quelques formes de manifestation , même sous le point de vue matériel. Ainsi, a-t-on égard à la surface édenlée des mâchoires , l'enfant et le vieillard se rap- prochent l'un de l'autre ; mais vient-on à pénétrer dans le tissu des os , à l'instant on découvre une différence essentielle entre eux. 2° La femme se distingue par la concentration et la ténacité de sa vie, et elle se rapproche plus de la vieillesse , en même temps qu'elle retient davantage le caractère de l'enfance. Aussi est-elle plus long-temps matrone , c'est-à-dire qu'elle le devient de meilleure heure, et qu'elle a une vie plus lon- gue ; ses cheveux blanchissent et tombent plus tard ; elle conserve plus long-temps l'intégrité de ses sens et de sa mé- moire ; son regard demeure "plus vif , ses mouvemens sont plus faciles , elle est moins sujette au marasme et aux ossifi- cations ; les maladies morales de la vieillesse , l'égoisme , la dureté, la morosité, la taciturnité, le radotage, la malpro- preté, etc., se voient plus rarement chez elle. Ajoutons que l'âge ne lui impose pas , comme à l'homme , la nécessité de sortir de son cercle d'action , et qu'elle demeure dans la si- tuation dont elle a contracté l'habitude , ^qui lui est devenue chère. Mais comme il entre dans sa condition de tomber tou - jours plus bas que l'homme , quand elle fait une chute , de même les infirmités de l'âge sont plus graves chez elle. On (1) Scheu, Ueher die chronisclien Krankheite7i des maennlicheu Al- ters , p. 324. l66 VIEILLESSE. trouve, par exemple, moins de femmes que d'hommes dont l'ouïe devienne dure en vieillissant ; mais , en revanche , dès que la femme commence à ne plus bien entendre, elle devient sourde plus tôt que l'homme (1), 3° C'est un trait indélébile du vieillard qu'il se sente attiré par la jeunesse des autres , comme par la sienne propre. Il aime les enfans, surtout ses petits-enfans , les voit volontiers autour de lui , et prend plaisir à leurs amusemens. Les ima- ges de son enfance lui reviennent à l'esprit, parées de couleurs qui avaient pâli pendant la jeunesse et l'âge mûr ; il se rap- pelle les moindres circonstances de sa vie enfantine , qui oc- cupent son imagination , même pendant le sommeil. Ainsi Kant, en proie au marasme qui le conduisit dans la tombe , avait un souvenir tellement vif des chansons qu'il avait en- tendu chanter dans les rues durant son enfance, qu'il ne pou- vait s'en débarrasser , et que cette image sans cesse renais- sante devenait pour lui un sujet de tourment. Un Allemand qui était allé en Amérique à l'âge de quarante ans , et qui n'y avait plus parlé qu'anglais , oublia la langue anglaise après l'âge de quatre-vingts ans , et se remit à parler couramment son idiome maternel (2). IL La vieillesse offre des traits de rajeunissement en géné- ral. Nous considérons comme normale et générale la métamor- phose qui s'opère dans la manière de penser. L'image de la vie morale se trouble au début de la vieillesse (§ 584, 4"), mais reprend avec le temps une teinte moins sombre ( 590, 12°). Une juste douleur s'empare de celui à qui l'âge vient imposer le sacrifice des jouissances et de l'activité dont il avait contracté l'habitude ^ on ne doit donc point être surpris s'il se montre mélancolique et grondeur. Mais quand il s'est créé de nouveaux rapports, la sérénité rentre dans son âme , et il renaît au bonheur ; la tristesse et l'emportement font place à la douceur et à la bienveillance , qui ne tardent long- temps à paraître que quand la raideur du caractère avait jeté des racines trop profondes. (1) Reil, ArcUv, t. IX, p. 325. (2) Rush , loc. cit., p. 125. VIEILLESSE. 167 Dans quelques cas rares le vieillard rajeunit partiellement , même au physique. 4" Un homme de soixante-douze ans éprouva, trois semai- nes après une fièvre bilieuse , des douleurs térébrantes dans la mâchoire inférieure , avec gonflemement de la gencive , enflure de la joue et diarrhée, qui furent suivies de l'érup- tion d'une dent molaire (1). Jahn (2) a observé un homme chez lequel, à soixante-et-quinze ans, une dent molaire sortît de la mâchoire , au milieu d'une salivation abondante , d'une affection cérébrale et de mouvemens fébriles. Son propre père avait été dans le même cas. Slave (3) parle d'un homme qui conserva toutes ses dents jusqu'à quatre-vingt-deux ans, les perdit alors , et en recouvra, trois années après , de nou- velles, qui persistèrent jusqu'à sa mort, arrivée à Tâj^e de cent ans et plus. Gœze cite une femme de quatre-vingt-douze ans, aux deux mâchoires de laquelle parurent de nouvelles dents, à la suite d'une maladie grave. Trois molaires percèrent la gencive chez un centenaire (4). Un habitant du Palatinat, qui ateignit l'âge de cent vingt ans , recouvra , quatre ans avant sa mort, huit dents nouvelles, qui tombèrent au bout de six mois , pour Mre place à d'autres , et le renouvellement fut tel que, dans l'espace de quatre années, il perça cinquante dents (6). D'autres exemples ont été recueillis par Seiler (6) , Serres (7) , Meckel (S) et Weber, , sans compter les obser- vations récentes de Rieken et de Kneisel. Il n'est pas rare que cette troisième dentition soit accompagnée de douleurs et de convulsions. Les dents qu'on voit alors paraître le plus souvent sont les molaires postérieures; e'! es percent presque toujours peu après la chute de celles qu'elles rempla-^ cent, sont la plupart du temps plus petites qu'elles , et durent (1) Serres , Essai sur les dents , p. 142. (2) Horn , Neues Archiv fuer mediciische Erfahrung . 1827, p. 995. (3) Philos. Trans.,t. XXVIII, p. 273. (4) Deutsches JrcMv, t. VIII, p. 429. (5) Hufeland, la Macrobiotique, ou l'Art de prolonger la vie de l'homme, Paris , 1838 , in-8. (6)ReiI,.^rcAw, t. VI, p.'SS. (7) ioc, ci*., p. 137-142. (8) Handbuch der pathologischen Anatoviie /t. II, p. 16, l68 VIEILESSE. ordinairement peu (1). On a 'plus d'une fois prétendu qu'elles existaient toutes formées dès la jeunesse, et qu'elles n'avaient fait que se produire au dehors , parce que l'on croyait la force vitale nécessaire à leur production incompatible avec le caractère de l'âge avancé. Mais comme la dentition elle-même n'est possible qu'à la faveur d'une exaltation de la vie plasti- que, il faudrait admettre ici cette exaltation, qu'on ne peut , au reste , révoquer en doute dans les cas , moins rares , dont nous allons parler : d'ailleurs , l'imperfection de ces dents suffit déjà pour attester qu'elles sont les fruits d'une période tardive de la vie. 5° Les cheveux gris sont quelquefois remplacés par d'au- tres ayant la même couleur que ceux de la jeunesse. Ce phé- nomène a été observé chez les deux hommes de quatre-vingt- deux et de cent ans dont nous avons parlé plus haut à l'occasion du renouvellement des dents. Sinclair cite, entre au- tres, l'exemple d'un homme chez lequel, à l'âge de cent cinq ans, il poussa des cheveux noirs, avec de nouvelles dents , et qui mourut quelques mois après. Il parle aussi d'une femme qui, dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année , vit sa tête s'ombrager de nouveaux cheveux bruns , qui , cinq ans plus tard, peu de mois avant sa mort, redevinrent blancs. 6° Le même auteur rapporte le cas d'un certain Vivan, qui, à l'âge de cent ans, recouvra non seulement d'autres cheveux et les dents nouvelles, mais^encore la faculté de voir, dont il était presque privé , se trouva dès-lors en état de lire les ca- ractères les plus fins , et vécut ainsi pendant dix années en- core. Rusch (2) a observé un homme qui avait perdu la vue à soixante-huit ans, et qui la recouvra, à quatre-vingts, sans le secours de l'art. Fournier (3) parle d'une dame de cinquante- et-un ans , dont la vue, fort affaiblie , s'améliora tellement, qu'il lui devint possible de renoncer à l'usage des lunettes. 7» Kahleis (4) a connu une femme qui perdit ses règles à (1) Ph. Blandin, Anatomie du système dentaire , Paris , 1836 , in-8 , p. 136. (2) Loc. cit., p, 129. {Vi Dict. des se. médic, t. IV, p. 207. Kk\ Bp-uU^^ies Jrchiv, t. VHI, p. 429. VÏEïtIlESSE. 169 quarante-cinq ans ; mais, à soixante-et-quatorze, elles repa- rurent d'une manière régulière, d'abord faibles , puis de plus en plus abondantes ; la personne perdit alors de son embon- point. Bernstein (1) parle d'une autre femme dont les règles avaient paru à vingt ans, et qui avait mis au monde plusieurs enfans , le premier à quarante-sept ans, le dernier à soixante ; les règles cessèrent peu de temps après le dernier accouche- ment, mais elles reparurent à soixante-et-quinze ans, et per- sistèrent ensuite jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf. Heyfelder a observé une religieuse, fortement constituée et jouissant d'une bonne santé, dont les règles parurent pour la première fois à dix-huit ans , cessèrent à cinquante-deux , et reparurent , assez régulières , à soixante-et-dix-huit. Dans un autre cas , rapporté par Strasfsberger , la menstruation , qui reparut à l'âge de quatre-vingts ans, continua pendant trois années , sous un type assez régulier, et ne cessa que six mois avant la mort. Haller cite (2) d'autres exemples de rétablissement de la menstruation , avec turgescence des seins , éruption de nouvelles dents et pousse de nouveaux cheveux. On a même observé , en pareil cas , le retour de la faculté procréatrice. Une femme perdit ses règles à quarante-six ans, les recouvra à cinquante-neuf, devint ensuite enceinte , mit au monde un enfant bien portant, qu'elle allaita elle-même , et vécut près de quatre-vingts ans (3). III. Ces phénomènes constatent que la vitalité n'a pas baissé tout entière dans la vieillesse ; car , dans les divers cas qui viennent d'être rapportés , le rajeunissement ayant eu lieu sans nul changement dans la manière de vivre , sans l'acces- sion d'aucune nouvelle circonstance extérieure favorable, et d'ailleurs les influences du dehors n'étant point capables d'amener une semblable métamorphose , on ne peut conce- voir d'où serait venu le renouvellement de la force. Nous (1) HenkC;, Ueher die Entwickelungen des menscMichen Oryanismus p. 240. (2) Elem. physiol., t. VII, pi. II, p. 141. (3) Stavk, Archiv fiier die Gehurtshuelfe , t. IV, p. 185. 170 PÉRIODICITÉ DANS lA VIE. devons donc admettre que la vie conserve toute sa vigueur pendant la vieillesse , que sa direction du dehors au dedans a pris alors une prépondérance marquée, mais qu'elle conserve encore plus ou moins de tendance à se manifester partielle- ment dans la direction inverse. Ces phénomènes indiquent donc l'assujétissement de la vie à une périodicité , qui va faire maintenant le sujet de nos recherches. DEUXIÈME SUBDIVISION. DE là RÉVOLUTION BE l\ VIE. §592. La vie décrit plusieurs périodes dans son cours; tout en avançant continuellement dans la carrière qu'elle fournit, elle revient de temps en temps à un état par lequel elle a déjà passé. Si nous cherchons, comme l'a déjà fait Au- tenrielh (1), à ramener cette périodicité organique sous un point de vue général , nous reconnaissons qu'elle varie dans la manière dont elle se manifeste et dans les époques où elle devient sensible , suivant qu'on examine tel ou tel côté de la vie. 1" La périodicité élémentaire se trouve dans les actions simples ou élémentaires de la vie^ elle affecte des périodes fort courtes et que nous ne pouvons point apprécier d'après la mesure ordinaire du temps. Ici les phases disparaissent de- vant l'unité de l'activité vitale, qui se présente à nous comme une chose continue, quoiqu'elle ne soit en réalité, comme la lu- mière et le son, qu'une succession d'innombrables oscillations. Ainsi chaque muscle a beau nous paraître demeurer toujours dans un état uniforme, il n'en est pas moins continuellement agité d'un tressaillement intérieur. De même, l'activité ner- veuse semble avoir aussi un caractère de continuité , et ce- pendant quelques circonstances viennent nous révéler en elle des vibrations qui ne sont pas moins insensibles. Si les tissus organiques ont l'air de persister uniformément dans l'état sous lequel ils s'offrent à nous, il faut en chercher l'explica- tion dans la brièveté infinie des périodes auxquelles sont as- sujéties l'expulsion des matériaux mis hors de service eÇ (1) Handbuch der etnpiriacben menschliehen PhysioUgie, 1. 1, p. i-OQ- PÉRIODICITÉ DANS lA VIE. 1^1 Tadmission de substances nouvelles. Cette périodicité est donc latente ; elle devient surtout bien manifeste lorsque l'énergie et l'unité de la vie baissent; on voit alors les muscles trembler et le sang osciller dans les vaisseaux. 2° La périodicité fonctionnaire est celle qui tient d'une manière si intime à la fonction dont elle fait partie , que cette dernière ne saurait être conçue sans elle. Elle frappe nos sens parce que son rhythme est assujéti à des périodes de temps appréciables. C'est en elle que nous voyons la loi de la périodicité se prononcer de la manière la plus nette ; aussi nous sert-elle à expliquer les autres formes. Mais elle com- prend tous les mouvemens qui se rattachent immédiatement à la plasticité, tous ceux qui tiennent aux alternatives d'attrac- tion et de répulsion des matériaux , comme aussi ceux qui dépendent des alternatives de relâchement et de contraction des muscles de la vie organique et même d'une partie des muscles soumis à l'empire de îa volonté. La respiration , les battemens du cœur et la circulation du sang ont un rhythme qui ne s'interrompt jamais ; le mouvement du canal intestinal, de la matrice et des conduits excréteurs est rhyihmi- que aussi , mais avec des intervalles ,- l'ingestion des alimens, l'exonération du rectum et de la vessie, n'ont lieu que par in- tervalles. 3° La périodicité universelle, ou proprement dite, qui seule va nous occuper ici , attendu que les deux autres trouveront leur place dans les considérations relatives aux actes vitaux qu'elles concernent , cette périodicité est ceUe qui , alors même qu'elle part d'un organe , s'étend cependant plus ou moins sur tout l'ensemble de la vie , et qui revient à des in- tervalles tantôt indéterminés, tantôt déterminés, coïnci- dant avec les phases diverses de notre planète , mais qui se manifeste surtout par un changement dans les rapports avec le monde extérieur. § 593. Consultons d'abord ce que l'intuition pure et simple nous apprend au sujet de la périodicité en général. 1° Elle nous la montre comme une alternance des directions de la vie. Dans tel moment nous voyons les forces se déployer et se manifester librement , la vie entrer en conflit avec le 172 PÉRIODICITÉ DANS lA VIE. monde extérieur , et réagir puissamment sur les choses du dehors; dans tel autre moment, la vie devient insensible , elle se sépare du monde extérieur , pour rentrer en elle- même et se plonger dans ses propres profondeurs. De même, la vitalité extérieure de notre planète se manifeste dans son conflit avec le soleil pendant le jour et durant l'été , tandis qu'elle se replie sur elle-même pendant la nuit et en hiver. 2° L'antagonisme de la direction extérieure et de la direc- tion intérieure de la vie peut être désigné par les termes d'activité et de repos , d'état positif et d'état négatif. Mais ces expressions n'ont qu'une valeur relative , et ne convien- nent qu'au point de vue sous lequel nous admettons identité entre la vie et sa manifestation extérieure. Un repos absolu, une pure négation , ne sauraient avoir lieu ; la périodicité, comme attribut de la vie , ne peut être une alternative de vie et de non-vie. La vie est une et indivisible , et il n'y a que ses directions qui varient ; derrière le repos apparent se ca- che un mouvement intestin (§ 592, 1°). De même que le re- tour d'un muscle de l'état de contraction à l'état opposé est un acte de vitalité, de même que la dilatation et le resserre- ment des organes creux sont le résultat d'un antagonisme en vertu duqnel la cessation de l'action d'une force motrice dé- termine la mise en jeu de la force opposée, de même aussi , dans tout cas quelconque de périodicité universelle, un chan- gement de direction de l'activité vitale est la cause de l'appa- rente alternative d'action et de repos. 3» L'idée de périodicité entraîne celle du retour à des con- ditions antérieures. Comme la terre , dans sa révolution , re- produit éternellement les circonstances qui avaient eu lieu auparavant, de même la périodicité est une succession de manifestations de la vie qui ramène cette dernière à son état antérieur. La chose est évidente en ce qui concerne la pério- dicité fonctionnaire : les muscles réagissent sur les objets du dehors par leur contraction , et reviennent ensuite , par un mouvement contraire, à leur vie calme et intérieure ; les or- ganes creux expulsent par leur force motrice les substances qui ont pénétré dans leur intérieur , et ramènent ainsi l'état de vacuité , dans lequel ils vivent pour eux-mêmes. PÉRIODICITÉ DANS LA VIE. ï-^jS Nous voyons même les substances être ramenées dans l'en- droit qu'elles occupaient auparavant, mais ce phénomène a lieu de différentes manières. L'air sort des poumons par la même voie qu'il avait suivie pour y pénétrer ; mais , dans d'autres organes creux , les masses mises en mouvement reviennent un peu sur elles-mêmes à chaque pas qu'elles font dans la car- rière qu'elles doivent parcourir ; ainsi le mouvement péri- staltique pousse d'abord le chyme de haut en bas, puis le ra- mène un peu de bas en haut ; de même , pendant la parturi- tion , le fœtus sort et rentre alternativement (§ 484, 4°); une partie du sang reflue des oreillettes dans les troncs veineux et des ventricules dans les oreillettes ; enfin le retour au lieu primitif a lieu delà manière la plus complète pour le sang, dont la circulation est l'expression parfaite de la révolution de la vie. La périodicité dans les maladises résulte d'une tendance à rentrer dans l'état antérieur ou normal , tendance trop peu puissante pour atteindre à son but. Dans les fièvres intermit- tentes , qui sont le prototype des maladies intermittentes , il n'y a plus ni harmonie ni unité entre les divers départemens de la vie plastiqne : le courant veineux de dehors en dedans, le courant artériel de dedans en dehors , et l'action sécréloire ou plastique ont perdu leur équilibre et leur simultanéité, et se manifestent plus qu'ils ne devraient le faire dans la suc- cession des périodes fébriles ; l'action sécrétoire a pour but de ramener l'harmonie ; mais cette crise n'est que momenta- née, et les phénomènes de la maladie se reproduisent au bout d'un certain laps de temps. Lorsque le trouble de la vie est trop considérable (inflammation), quand il s'est fixé par des produits matériels (cachexies et pseudomorphoses), ou quand les forces sont tombées trop bas (paralysies) , la maladie de- vient continue ; mais là encore on aperçoit des intervalles de soulagement , quoique l'intensité du mal les offusque et ne leur permette pas de paraître autrement que comme de légères oscillations. 4° La nature est un développement infini dans l'espace et dans le temps. Fûen ne peut se répéter en elle , c'est-à-dire revenir exactement au point de départ, quoique le contraire 1^4 PÉRIODICITÉ DANS LA YIE. semble avoir lieu. Chaque matin notre hémisphère se tourne de nouveau vers le soleil , mais jamais comme la veille, parce que la terre s'est avancée depuis dans sa carrière, et le so- leil lui-même n'étant point un corps absolument immobile , la terre ne peut jamais non plus revenir au même point des es- " paces célestes dans sa révolution annuelle. La vie suit une progression continuelle dans son développement , et celui-ci n'admet le retour sur soi-même qu'à titre de phénomène su- balterne. Nous en avons la preuve directe dans la périodicité fonctionnaire ; le chyme se rapproche de plus en plus de l'anus , parce que le mouvement rétrograde est plus faible que le mouvement progressif, le fœtus vient au monde, parce que la force expulsive de la matrice l'emporte sur le mouvement en sens inverse , et le sang coule sans cesse dans la même direction , parce qu'il n'y en a qu'une faible partie qui rétrograde et que celle-là même ne recule que pour un instant. Chaque organe , après avoir agi au dehors , a subi un changement intérieur, et les substances qui reviennent au lieu qu'elles occupaient d'abord , ne sont plus parfaitement les mêmes ; l'air expiré n'est plus l'air qui a été inspiré , et le sang pris dans un point quelconque du système vasculaire n'est plus le même qu'à l'époque où précédemment il était entré en contact avec ce point. 5" S'il y a manifestement tendance au retour, quoique celui- ci- ne puisse jamais avoir lieu d'une manière complète , cette tendance doit dépendre de quelque circonstance antérieure ; mais il est impossible qu'elle se rattache au passé immédiat , puisque les événemens de la veille, de l' avant-veille, tenaient également à des précédens ; il faut donc qu'elle se rapporte à l'origine , ou du moins à l'état primordial émané de cette origine. La périodicité doit donc être une alternative de propulsion , qui conduit au développement, et de rétrograda- lion , qui ramène vers la vie embryonnaire. En effet , la vie tend à se déployer ; mais elle tend aussi à rester semblable à elle-même, et cette dernière tendance est la véritable cause de tout retour périodique. Comme l'attribut le plus général de l'organisme est de se conserver lui-même , c'est-à-dire de se maintenir par sa propre activité , la forme primordiale de tÉRIODICITÉ DANS LA VIE. J'J^ l'existence doit aussi être celle qui domine toujours , celle qui cherche à se maintenir pendant toute la durée de la vie ; Suais elle entre en conflit avec le but de la vie , qui ne peut être atteint que par un développement progressif , et la gêne qu'elle éprouve ainsi ne lui permet pas de se produire autre- ment qu'avec le caractère périodique. La périodicité est donc l'expression du conflit entre le développement, qui s'annonce par l'expansion , et le retour vers l'état primordial , qui se manifeste par la contraction. Nous avons vu, en effet, que la vie, quand elle commence, est interne et latente, qu'une activité plastique agit intérieurement avant de se révéler par des produits extérieurs (§ 330),4°— 11**), et que les différentes forces de la vie exercent une action créatrice assujétie à pro- duire des formes déterminées avant que celles-ci arrivent à jouir de la vitalité extérieure (§ 474, 6°). Or la direction pé- riodique de la vie est un de ces passages à l'état latent, ayant pour cause la tendance de l'organisme à retourner vers l'état embryonnaire. Ainsi , par exemple , dès que la masse , primordialement unique , du cœur (§ 441 , 1°) s'est séparée en muscle et sang, l'organe chasse le sang pour revenir à son état primitif ; l'inspiration est la première activité qui se dé- ploie après la naissance (§ 505), un développement progressif, par expansion, des poumonS;, que l'expiration ramène à l'état de vacuité , comme elle fait revenir le diaphragme à la forme bombée , et la cage thoracique à son étroite capacité ; le ca- nal intestinal, la vessie urinaire, la matrice, ne se sont d'abord remplis, comme les poumons, que de leurs propres produits, et c'est par l'effet de la tendance à rentrer dans cet état, qu'ils se débarrassent des masses qui ont pénétré dans leur iatérieur. Mais comme un retour complet n'est jamais pos- sible, la première pulsation du cœur le fait sorl'ir à jamais de son état primordial , et les poumons ne peuvent plus se vider entièrement une fois qu'ils ont respiré. 6° D'après les vues qui viennent d' être développées, le retour, dans la périodicité, dépend de la tendance à la conser- ■vation de soi-même ; il réfrène le développement , qui a un but contraire au sien , mais il en prolonge la durée et lui 1^6 PÉRIODICITÉ DANS £A VIE. donne par cela même la possibilité d'arriver à un plus haut degré de perfection. La périodicité fonctionnaire nous fournit une preuve frappante de cette vérité : les oscillations qui ont lieu pendant l'accouchement le prolongent , mais permettent au fœtus de parvenir à une maturité complète (§ 494) ; de même, le mouvemement rétrograde imprimé par saccades aux matières alimentaires , tend non seulement à ralentir la digestion, mais encore à la rendre plus complète. Pour ce qui concerne la signification générale et dynamique de la périodicité , nous avons à nous rappeler que, dans l'état pri- mordial , la vie est antérieurement une et indivise , ce qui n'empêche pas cependant qu'un déploiement d'antagonismes la prépare à l'exercice de son activité extérieure (§ 474, 478, 1°). Le retour périodique est donc une suppression des antago- nismes , un effacement des différences, pendant lequel la vie réunit ses forces pour faire un nouveau pas dans la voie du développement. De même que Géryon , ce fils de la terre , sentait sa vigueur renaître dès qu'il touchait le sein de sa mère , de même aussi l'organisme se rajeunit dans son retour vers son état primordial. La direction du dedans au dehors est une force finie , qui s'épuise par le seul fait de ses pro- pres manifestations , et qui ne reprend une nouvelle énergie qu'autant que la vie rentre en elle-même , tandis que celle-ci acquiert ainsi pour elle-même l'attrait de la variété. La force médicatrice de la nature n'est autre ^chose que la tendance inhérente à l'état primordial ; si cette tendance est énergique, et que les forces organiques soient dans un état tel qu'elles présentent des différences trop tranchées (maladies aiguës) , la guérison s'effectue d'elle-même , par la crise , qui est une sorte d'acte de neutralisation ; lorsqu'au contraire la maladie porte le caractère de l'indifférence , c'est-à-dire qu'elle est chronique , il faut, pour que la force médicatrice de la nature puisse se déployer, que l'action d'un médicament vienne pro- voquer la manifestation d'une différence. § 594. Il résulte de ce qui précède , l°^Que la périodicité a son fondement dans l'essence même de la vie , et qu'elle est indépendante des circonstances exté- PÉRIObïCITÉ DANS LA VIE. l'J'^ rieures (1). Qu'après avoir rempli le cœur de sang ou d'air, on le lie de toutes parts , il se contracte et se distend alterna- tivement , sans qu'il survienne de nouveaux stimulus, ou sans qu'on écarte ceux qui existent déjà. Les mouvemens respira- toires commencent dès avant la naissance , avant que l'at- mosphère exerce aucune influence sur le poumon , et unique- ment par la détermination que leur imprime le type intérieur (§ 471, 10°). Les contractions de la matrice obéissent égale- ment à un type qui est indépendant de la présence de l'em- bryon (§ 480, 1°— 484, 2°), et elles sont assujéties à une périodicité que ce dernier ne détermine point (§ 484 , 4°-5°). La même loi règne dans les maladies , puisque , quand il existe des anomalies matérielles , leur présence continuelle n'empêche pas les symptômes morbides de ne se manifester que suivant un rhythme déterminé. Des matières indigestes contenues dans le canal intestinal provoquent la fièvre inter- mittente. Les ossifications et autres anomalies du cœur don- nent lieu à des palpitations de cet organe, de même que, dans l'inflammation des poumons et quand il y a-des produits sécrétoires morbides accumulés dans ces organes, la toux n'affecte qu'un caractère périodique. La douleur produite par des calculs urinaires ne se manifeste que de temps en temps, et celle qui dépend d'une hernie étranglée, quoique continue, laisse des intervalles de repos , etc. 2° La vie consiste dans lahaison essentielle des deux direc- tions , de telle sorte que celles-ci soient la condition récipro- que l'une de l'autre, et qu'elles s'appellent mutuellement. Le conflit avec le monde extérieur épuise l'aptitude à être in- fluencé par les choses du dehors, jusqu'à ce qu'enfin toute activité extérieure cesse ; et tandis que la vie règne dans l'in- térieur, la faculté d'agir en dehors de soi fait des progrès, et la réceptivité pour les impressions extérieures s'accroît. 3° Mais au type intérieur correspond un changement des circonstances extérieures. Lorsque l'activité extérieure^ du cœur entre en repos, non seulement cet organe devient inca- (1) Autenrielh, loc'cit.^ p. 106^ V.. \ 12 1^8 PÉRTODICITÉ DANS Lk VïE. pable de se livrer à des contractions prolongées , mais encore il est débarrassé de son stimulant naturel, la masse du sang, et si ensuite il se contracte de nouveau , ce n'est plus unique- ment parce que sa force est remontée , mais encore parce que racciimulatioû de la masse du sang l'y sollicite. La ma- ipice se contracte en vertu de sa propre force lorsque le mo- ment est arrivé (§ 480 , 1°), mais en même temps elle y est pQUSsée aussi par la présence de l'embryon (§ 485). De même qft'ipi le rhythme de l'activité de certains organes coïncide avec les périodes d'autres productions de l'organisme qui agissent sur ces derniers , de même aussi on peut démontrer une relation intime entre la périodicité universelle et les changemens [cosmiques , qui sont eux-mêmes l'expression d'une vie générale de l'univers. En effet, le renouvellement des périodes du jour et de l'année, qui harmonise avec celui de la vie organique , se rattache aux changemens qui survien- nent dans la situation de la terre en égard au soleil ; mais ia terfe produit ces changemens par un mouvement propre , dans lequel nous reconnaissons l'analogue de l'activité vitale , de sorte qu'ils nous est permis de dire , en retournant l'ana- logie , que la périodicité universelle est le changement de situaiion de l'organisme eu égard ^au monde, déterminé par le cours même de la vie. 4" Comme tout ce qui porte le cachet de l'uniformité est étranger à la vie , il n'y a point non plus de rhythme prédo- minant dans cette dernière. Chaque fonction , le battement du cœur, la respiration , le mouvement des intestins , de la vessie urinaire , de la matrice, etc., a ses périodes spéciales , et ces particularités s'expliquent jusqu'à un certain point par la différence dans la structure et les conditions extérieures des organes. Une diversité analogue règne, à l'égard de la périodicité universelle, dans la nature organique ; non seule- ment toutes les époques du jour et de l'année ayant toujours lieu en même temps sur la surface de la terre, les êtres orga- nisés qui vivent sur un point de celle-ci sont à une toute autre période de la révolution de leur vie que ceux qui habitent sur un autre point , mais encore chaque être organisé a son rhythme particulier de vie, dont la cause prochaine ne peut PÉRTODFCITÉ DANS LA VIE. î-yg que fort rarement être démontrée dans les particularités de rorganisation. 5"» Lorsque le hasard ou la volonté , c'est-à-dire une dé- termination étrangère ou spontanée a placé souvent l'orga- nisme dans un certain état, à telle ou telle époque donnée, il résulte de là pour lui la propension ou le besoin de retom- ber dans le même état , quand la même période de temps re- vient. C'est ce qu'on nomme Yhahitude. Celle-ci peut conso- lider la périodicité normale et primordiale , ou la modifier, ou aussi lui imprimer un rhythme nouveau. La santé est l'habitude de se bien porter, le résultat d'une harmonie habituelle des forces de la vie -, lorsqu'on mange , qu'on va à la selle et qu'on se couche toujours à la même heure, on accoutume l'organisme à cet ordre, de manière que la digestion , l'exonération et le sommeil s'accomplissent convenablement ; si on' laisse s'écouler l'heure des repas ou du repos , la faim ou l'envie de dormir se dissipe pendant quelque temps , après quoi la digestion et le sommeil repa- raissent , mais affectant un ordre moins normal ; ainsi le dé- rangement des selles donne lieu à la constipation , tandis qu'un purgatif administré à l'époque ordinaire des déjections alvines produit plus d'effet qu'en tout autre temps. L'habitude peut aussi modifier la périodicité. Lorsqu'en buvant beaucoup plusieurs soirées de suite on s'est mis dans la nécessité d'uriner pendant la nuit , on est réveillé aussi les nuits suivantes par le besoin de vider la vessie. On peut enfin contracter des habitudes anormales. Celui qui s'est accoutumé à se faire saigner dans des temps donnés, éprouve des symptômes de pléthore sanguine lorsqu'il néglige de se faire tirer du sang. Un vomissement qui survenait de lui-même tous les matins ne put être guéri que par un autre vomissement artificiel provoqué dans la soirée. Les maladies s'enracinent par l'effet de l'habitude ; la suppuration , les spasmes ou toute autre affection maladive finissent par deve- nir un besoin , à tel point qu'on ne les peut guérir qu'avec de grandes précautions et en désaccoutumant peu à peu l'orga nisme. Ainsi les malades ne doivent point en général être se- vrés brusquement de leurs habitudes, même quand il y a l8o PÉRIODTCITÉ DANS LA VIE. pour eux avantage à y renoncer, el lorsque la maladie ne peut céder qu'à une révolution considérable , rien n'est plus puis- sant qu'un changement dans la manière de vivre et dans le lieu d'habitation. Toutes les fois que la vie sort de son carac- tère accoutumé et qu'elle s'écarte des habitudes contractées, on peut fêtre certain qu'elle a reçu une atteinte profonde , comme aussi le retour à d'anciennes inclinations donne lieu d'espérer la guérison. 6° La vitalité des corps célestes se manifeste par une révo- lution qui obéit à des lois immuables : de même la vie plasti- que,la vie sans conscience, est le foyer proprement dit de la périodicité rhythmique. C'est chez les végétaux que l'harmo- nie avec les changemens cosmiques se manifeste de la ma- nière la plus prononcée; dans le règne animal, elle perce surtout là où il y a le plus de conflit avec l'atmosphère , in- termédiaire de tous les changemens cosmiques , par consé- quent, chez les animaux sans vertèbres , parmi les Insectes, et chez les vertébrés , parmi les Oiseaux , dont le sommeil , le chant, le besoin de manger, l'accouplement , la mue , et les migrations sont assujétis à des périodes fixes. Dans l'espèce humaine , toutes les fonctions plastiques s'accomplis- sent d'une manière rhythmique ; les plus importantes d'entre elles , comme la respiration , les battemens du cœur et la cir- culation, sont assujéties au rhythme d'une manière absolue, tandis que, dans les organes situés sur les confins de la vie plastique et de la vie animale , au commencement et à la ter- minaison du système digestif, de même que dans la vessie, en vertu du pouvoir exercé par la volonté, l'ingestion et l'éjection se font à des périodes plus longues et moins néces- sairement déterminées. L'activité procréatrice de la femme, comme travail purement organique , suit un type exactement déterminé, dans la menstruation , dans la grossesse , dans la parturition et dans la sécrétion du lait ; mais , de même que la génération en général chez les végétaux et les animaux , elle n'est soumise qu'à de longues périodes , parce que la direction universelle ne peut empiéter sur la vie individuelle qu'à des époques déterminées. Les maladies de la vie plasti- que , comme la goutte, les hémorrhoides , les scrofules , etc. , PÉRIODICITÉ DANS LA VIE^ l8l sont périodiques plus particulièrement que d'autres , et les fièvres intermittentes se rattachent d'une manière toute spé- ciale à un état anormal de la \ie plastique. Partout où l'âme fait sentir son influence , la nécessité et la périodicité ont moins d'empire ; l'activité sensorielle , les efforts de l'esprit , les mouvemens musculaires sont , de toutes les fonctions , celles qui s'astreignent le moins à un rhythme déterminé , et on peut soit les exercer pendant des jours entiers , sans leur laisser un instant de repos , soit demeurer long-temps sans en faire aucun usage, suivant que le décide la volonté. Aussi, par cela même que la vie morale prédomine en lui , l'homme est -il celui de tous les êtres qui dépend le moins des influences générales de l'univers , et les époques du jour et de l'année contribuent plutôt à faire varier en lui le coloris ou le mode de manifestation de l'activité vitale, qu'à déter- miner des états bien caractérisés et tranchés d'une manière nette. Cette liberté lui permet de contracter des habitudes, et tantôt de se fortifier par-là, comme lorsqu'il s'accoutume à déployer ses forces d'une manière harmonique , tantôt de se mettre sous la dépendance d'un rhythme arbitraire , comme quand il devient moins apte au travail pendant les heures qu'il a destinées au repos. Une action volontaire peut même, lorsqu'elle passe en habitude , être exécutée par lui sans conscience , et à cet égard on cite un apoplectique dont la main faisait tous les mouvemens d'écrire au moment où il avait coutume de se mettre à son bureau. La périodicité pé- nètre donc jusque dans la vie morale , mais en tant seulement que celle-ci porte le caractère d'un acte organique, et qu'elle a ses racines dans la vie plastique ; toute activité musculaire anormale , l'épilepsie , par exemple , ne peut avoir lieu que d'une manière périodique , mais elle est plutôt l'effet de la nature automatique de cette activité ; le tic douloureux , l'hémicrânie et les maladies mentales paraissent périodique- ment, mais elles ne s'assujétissent à un type déterminé que quand elles dépendent d'une modification particulière de l'activité plastique : les ivrognes ont leurs périodes pour boire , mais ces périodes ne coïncident pas avec celles des phénomènes généraux de l'univers ; c'est indépendamment 3 Sa PÉRIODICITÉ DANS LA VIE. aussi du temps et d'autres circonstances analof^ues que l'homme bien portant lui-même se sent de temps en temps bouleversé, affaibli , irritable , enclin à se laisser affecter par des choses insignifiantes , inhabile à aucun travail sérieux , et incapable de bien goûter les plaisirs de la vie; mais ces légères incommodités, qui font bientôt place à un redou- blement de force , à une sorte de rajeunissement , n'ont point de type déterminé, et se rattachent^ du moins en partie , aux vicissitudes de la vie plastique , puisqu'il n'est pas rare de les voir se juger par des évacuations alvines plus copieuses , par des urines troubles , ou par des sueurs plus abondantes. 7" Les époques de la journée tiennent à la révolution de la terre autour de son axe , par conséquent à son rapport avec elle-même , à la relation de sa périphérie avec son cen- tre ; celles de l'année , au contraire , se rattachent à la révo- lution de la terre autour du soleil , de sorte qu'elles tien- nent à ce que , dans sa course , notre planète est déterminée par cet astre et dépendante de lui. Maintenant, si nous re- connaissons un accord entre le type de la terre et celui des organismes qui vivent à sa surface , nous devons admettre que la périodicité journalière prédomine toutes les fois que la vie annonce plus de concentration et d'indépendance , et la périodicité annuelle , au contraire , quand la vie s'épanche en quelque sorte au dehors et se montre avec tous les caractères delà dépendance. En effet, nous voyons que les formes de la vie des plantes et des animaux varient surtout d'après la révolution de la terre autour du soleil ; chez l'homme seul , où l'individualité et la faculté de se déterminer soi-même sont arrivées au point culminant , toutes les formes de la vie entrent dans un cycle qui coïncide avec la révolution diurne de la terre , tandis qu'il n'y en a que de faibles nuances qui correspondent à la révolution annuelle. 8° La différence des époques de la journée se manifeste , sur la terre , dans le sens de la longitude géographique , ou de l'est à l'ouest , tandis que l'uniformité règne dans celui du sud au nord. L'antagonisme des saisons se montre , au con- traire , dans le sens de la latitude géographique , ou dans la PÉRIODICITÉ DCRNE. l85 direction du sud au nord , tandis que l'uniformité règne dans celle de l'est à l'ouest. Sous l'équateur, il y a égalité entre le jour et la nuit , de sorte que , non seulement le changement diurne de l'atmosphère , notamment l'état du thermomètre , y est assujéti à des lois plus fixes , mais encore les êtres orga- nisés y ont une veille plus active et un sommeil plus profond, les différences des saisons n'existant pas , à proprement par- ler (1). Vers les pôles , au contraire, Toscillation l'emporté, la gravitation est plus forte , le mouvement du pendule plus rapide, et le contraste des saisons si considérable, qu'il affecte celui des époques de la journée , le jour devenant été , et là nuit liiver. D'après cela , nous devons considérer l'homme , jusqu'à un certain point ? comme l'équateur de la vie orga- nique. CHAPITRE premier: De la périodicité diurne, § 595. La périodicité diurne se manifeste tant dans l'an- tagonisme du jour et de la nuit (§ 595-605), que dans le dou- ble antagonisme des époques de la journée ( § 606 ). Le jour est caractérisé par une opposition plus prononcée et une coïncidence plus vive entre les choses, La lumière réunit et sépare les traits particuliers par des contours bien arrêtés ; l'air est plus distinct de l'eau , la chaleur favorise les réactions , et la direction de l'aimant vers le sud est de- venue plus prononcée. La nuit éteint les contrastes et isole davantage. De même que les formes déterminés s'effacent dans l'obscurité, on voit se produire dans l'air humide un véri- table chaos de formes élémentaires , tandis que le froid res- serre davantage les corps, et fait paraître dans sa plus grande pureté la direction de l'aiguille aimantée vers le sud et le nord. A cet antagonisme correspond, dans le règne orga- nique , celui de veille et de sommeil , de déploiement de la vie au dehors et de retour de la vie sur elle-même. Mais il n'y a que la majorité des êtres organisés chez lesquels ces états coïncident avec des états cosmiques correspondans dans le (1) Spix et Martiiis , Reise in Brasilien , 1. 1, p. 168, l84 PÉRIODICTTÉ DIURNE. temps , c'est-à-dire chez lesquels il y ait sympathie avec le monde extérieur. Quelques uus manifestent un antagonisme, de sorte que Tépoque à laquelle leUr vitalité parvient au plus haut degré correspond précisément à celle où la vitalité baisse dans tout ce qui les entoure. Certaines fleurs ne sortent de leur sommeil qu'après la chaleur du milieu de la journée , d'autres vers le soir , d'autres encore , par exemple le Ces- trum nocturnum , le Géranium triste , le Cactus grandiflorus et le Mesembryanthemum noctiflorum, pendant la nuit seule- ment. Ce n'est point donner une explication satisfaisante du phénomène que de dire qu'il faut aux premières toute l'ar- deur du soleil pour épanouir leurs tissus rigides , et que les autres sont trop délicates pour se trouver bien ailleurs qu'à l'obscurité (1). Les Vers luisans veillent la nuit; certains Mol- lusques phosphorescens passent la journée dans les profon- deurs de la mer , et ne viennent à la surface que pendant la nuit , de même que les Phalènes, les Guacharos, les Martinets, le Corvus pjrrhocorax fuient la lumière et nichent dans des cavités souterraines (2) ; mais le Rossignol , quelques Merles et le Gros-bec chantent aussi de préférence pendant la nuit , et la Chouette sait trouver sa proie durant les étés sans nuits des contrées arctiques ; le Hérisson , la Taupe et les Tatous , animaux ennemis de la lumière , ne vont à la recherche de leur nourriture que la nuit , comme le Renard , la Marte , la Loutre, le Blaireau, la Souris; non seulement des animaux carnivores profitent de la nuit pour aller surprendre leur proie , mais encore le Guacharo , qui ne vit que de grains , est un Oiseau nocturne , quelques espèce de Bipus veillent pendant la nuit , le Castor travaille même pendant l'obscu- rité (3), quoiqu'il préfère le clair de la lune; enfin les Chouettes, la plupart des Mammifères de proie, et même aussi les Crus- tacés , veillent pendant les nuits , quand le temps n'est pas couvert , et se tiennent en repos lorsque l'obscurité est trop (1) Meinecke , Ueber die Zahlenverhaeltnisse in den Fruchtifications- oryanen der Pfanzen, p. 43. (2) Humboldt , Meise in die jEquinoctialgegende/i , t. II> p. 107. {3)Hearne, loc. cit., p. 164. SOMMEIL. l85 profonde. Chez l'honïme même, sans parler des Albinos, qui sont lucifuges, on trouve des individus doués d'une excellente vue et d'un esprit fort actif, qui, à part toute influence de l'habitude, aiment à veiller , et ne développent complètement leurs facultés que vers minuit. ARTICLE I. Du sommeil. § 596. Si nous envisageons le sommeil et la veille sous un point de vue général, nous sommes forcés de les admettre jusque chez les végétaux , auxquels nous ne pouvons pas non plus refuser la vie , quelque immense différence qu'il y ait entre la leur et celle des animaux. I. Sommeil des végétaux. 1° Le sommeil des plantes se manifeste généralement par une inversion de l'activité plastique. Les tiges et les feuilles ont pour fonction spéciale de s'emparer du carbone et d'exha- ler de l'oxygène ; mais elles ne l'accomplissent que pendant la journée. Dans la nuit, au contraire, elles absorbent de l'oxygène et exhalent de l'acide carbonique , comme le font toujours les racines. Ainsi, pendant la nuit, l'antagonisme de tige et de racine est supprimé , ou la vie radiculaire devient prédominante. Mais la racine est la première partie qui ap- paraisse dans l'embryon végétal ( § 376, 7°), puisque , pen- dant la germination , la radicule se développe avant la plu- mule, et que, chez la plupart des monocotylédones , elle est déjà bienformée dans la graine, tandis qu'on n'aperçoit encore aucune trace deplumule. D'ailleurs la terre et l'eau sont la pre- mière condition de l'existence végétale , dont l'air et la lu- mière ne font que déterminer le développement ultérieur. Ainsi , le sommeil de la tige est un retour vers la vie embryon- naire. Les résines, les huiles et les alcaloïdes sont des produits de la lumière du jour; les acides sontceuxdelanuit. Plusieurs plan- tes rougissent le tournesol le matin, et ne déterminent plus cet effet à midi; le Bryophyllum calycinum^ acide le malin, insi- l86 SOMMEIt. pide à midi, est amer le soir (1). La vie des plantes ressemble donc même en cela à la germination , puisque celle-ci s'ac- compagne d'oxygénation , d'absorption d'oxygène , de for- mation d'un suc acidulé et d'exhalation d'acide carbonique (§376,50).^ 2° Çà et là on voit apparaître des mouvemens. Les fleurs se ferment plus ou moins pendant le nuit , attendu que les pé- tales se rapprochent de manière à se couvrir mutuellement ou à s'appliquer les uns contre les autres, ou à se plisser, ou à se tordre en spirale (2) , et ce rapprochement de l'état qui avait lieu durant la préfloraison est un retour incontestable vers un degré antérieur de la vie. La tige du Nymphœa alha s'inchne le soir dans l'eau , et se redresse le matin ; les bran- ches de Y Achyrauthes lappacea se penchent le soir vers la terre ; les pédoncules d'un grand nombre de Géranium , de Renoncules, etc., s'infléchissent aux approches de la nuit; les supports des fruits d'un grand nombre de plantes exécu- tent le même mouvement (3). Les mouvemens des feuilles deviennent surtout prononcés dans celles qui sont composées et munies de renflemens articulaires ; la Sensitive étend ses feuilles autant qu elle le peut à midi , vers le crépuscule les folioles se ferment, puis les pétioles s'abaissent, et le mouve- ment se propage ainsi de bas en haut , d'abord rapide , avec de courts intervalles , puis plus calme et plus uniforme , jus- qu'à ce qu'enfin la contraction ait atteint son dernier terme à minuit. Mais le mouvement journalier des feuilles est plus répandu dans le règne végétal , et , d'après les recherches de Henschel (4), il s'y manifeste sous les formes suivantes = Dans les plantes à feuilles simples , le mouvement porte : a. Sur la feuille entière, qui s'abaisse avec son pétiole et tourne sa page inférieure en dehors ( Solanum bahamense) ; b. Sur le pétiole , la nervure moyenne et les nervures laté- rales, de sorte que les deux moitiés de la feuille s'appliquent sur le pétiole par leur page supérieure ( Bauhinia ) ; (1) Link, Elément, philosophiœ lotanicœ , p. 391. (2) Henschel, ron der Sexùalitœt der P flans en , p. 392. (3) /6id.,p.375. " ' (4) md., p. 377. SOMMEIL. 1 87 c. Sur le pétiole et la côte moyenne seulement, de manière que tantôt le pétiole se redresse , et la feuille s'applique soit aux (euiWes (^triplex hortensis), soit aux pétioles (OEnothera mollis y d'en face , tantôt aussi la pétiole s'abaisse , et la feuille s'accoUe de haut en bajs à la tige ( Impatiens noli tan- gère ) ; d. Sur le pétiole seul , qui se redresse , et contre lequel la feuille applique sa face inférieure, en s' abaissant (Sida Ahu- tilon ). Dans les plantes à feuilles composées, le mouvement porte : o. Sur les pétioles et les pétiolules, et il peut être uniforme ou non. Quand le pétiole et les pétiolules se meuvent uniformément, tantôt ils se portent en haut, de manière que les folioles pren- nent une direction perpendiculaire ( TrifoUum incamatum ), ou qu'elles s'appliquent les unes aux autres par leurs faces supérieures ( Lathyrus odoratus^ Colutea arborescens ) ; tantôt ils se dirigent par le bas , de sorte que les folioles s'abaissent et s'appliquent, par leurs faces inférieures, soit exactement { Amorpha ), soit en empiétant les unes sur les autres (Abrus precatorius ). Lorsque le mouvement des pétioles et des pétiolules n'est point uniforme , tantôt le pétiole se redresse et les pétiolules s'abaissent ( Oxalis incamata^ Lupinus albus ), tantôt le pé- tiole s'abaisse et les pétiolules se redressent ( Vicia angusti- folia ). b. Sur le pétiole , les pétiolules et les pages des feuilles , et il peut être également uniforme ou non. Dans le premier cas, tantôt le pétiole se redresse, ainsi que les pétiolules , et les folioles viennent s'imbriquer sur le pétiole ( Gleditsia ) ; tantôt le pétiole s'abaisse , ainsi que les pétio- lules, et les feuilles éprouvent une torsion telle qu'elles se rencontrent par leurs pages supérieures au dessous du pé- tiole {TrifoUum Melilotits cœruleus). Dans le second cas , tantôt le pétiole s'abaisse et les pétio- lules se redressent, ainsi que les folioles, qui s'imbriquent sur le pétiole par leur page supérieure ( Tamarindus indica ) ; tantôt le pétiole se dresse, les pétiolules s'abaissent, et les fo- l88 SOMMEIL. lioles se retournent, de manière à s'appliquer les unes contre les autres , par leurs pages supérieures, au dessous du pétiole ( Cassia ). Mais nous avons encore à examiner les circonstances parti- culières de ces mouvemens des feuilles (S»-— 10°), 'attendu que l'essence du sommeil s'exprime clairement en eux. 3° Meinecke (1) a fort bien démontré que le sommeil des feuilles n'est point un affaissement , mais une direction spon- tanée ; il faut user de violence pour leur faire quitter la po- sition qu'elles ont prise , et elles y reviennent aussitôt qu'on les abandonne à elles-mêmes. Ce sommeil n'est pas non plus un effet mécanique de la température ou de l'humidité , etc. L'obscurité n'en est même point une cause suffisante; car, chez nous , comme dans les contrées tropicales , la nuit commence pour les plantes dès avant que le soleil ait disparu entière- ment sous l'horizon (2). 4» Il repose sur un type intérieur. D'après les observations de Duhamel , de Mairan et de Ritter , les plantes qu'on tient dans une obscurité continuelle s'ouvrent et se ferment aussi régulièrement que quand elles sont exposées à l'air libre et à l'influence du jour et de la nuit (3). DecandoUe a vu (4) que plusieurs Sensitives tenues dans un lieu continuellement obscur, des Mirabilis Jalappa renfermés à demeure dans une cave éclairée par la lueur uniforme d'une lampe , et des Oxalis stricto, et incarnata soumise à la même épreuve pen- dant la nuit seulement , s'ouvraient le jour et se fermaient la nuit. 5° La plante porte donc en elle-même la cause de ses veilles et de son sommeil , qui est en harmonie avec celle qu'on ob- serve dans l'univers, et qui obéit au même type. D'après Meyer, cette cause tient à ce que la turgescence du tissu cellulaire prédomine tantôt au côté supérieur et tantôt au (1) Ueber die Zahlenverhasltnisse in den Fructiftcatioiisorganen der Pfla?izen , p. 16. (2) Humboldt, Beise in die Mquinoctialge^jenden , t. II, p. 445. (3) Henscliel, loc. cit., p. 389. (4) Bulletin de la Soc. philom., t. II, p. 139. SOMMEIL, 189 côlé inférieur de la feuille ; la plante porterait donc ètt elle- même sa propre mesure du temps ; mais cette mesure serait de vingt-quatre heures , et par conséquent en harmonie avec la rotation de la terre autour de son axe. Les végétaux qu'on transporte d'un autre hémisphère dans le nôtre conservent d'abord l'habitude de s'ouvrir à l'époque oii le soleil paraît sur l'horizon dans leur climat naturel et de se fermer à celle où cet astre y disparaît. 6" Mais , de même que ces végétaux prennent peu à peu le type diurne de nos climats , de même aussi on parvient à renverser le type habituel de certaines plantes en les expo- sant à lumière artificielle pendant la nuit, et les tenant dans l'obscurité pendant le jour. DecandoUe a reconnu qu'en trai- tant ainsi la Belle-de-nuit, qui a coutume d'épanouir ses feuilles le soir et de les fermer le matin, dès le second jour, elle s'ou- vrait le matin et se fermait le soir ; que le Convolvulus purpu- reus, qui est dans l'usage de s'épanouir vers dix heures du soir, s'ouvrait à six heures dès le second jour ; qu'au troisième jour des Sensitives s'ouvraient le soir et se fermaient le matin. 7° La feuille est un développement en largeur qui fait an- tagonisme à la direction verticale du tronc sur lequel elle a poussé et dont elle s'est détachée. Pendant la veille , elle af- fecte une direction horizontale , qui est en harmonie avec son développement ; pendant le sommeil , tantôt elle se redresse, prend ainsi la direction de la tige, et se rapproche de son ori- gine, de même que, plus elle est jeune, et par conséquent ana- logue à la tige, plus aussi l'angle qu'elle décrit avec cette dernière est aigu : tantôt elle s'abaisse, et, en se rapprochant par-là de la racine, s'éloigne encore davantage de son ori- gine (1). Les plus jeunes feuilles de la Sensitive conservent jour et nuit la position du sommeil , et n'acquièrent que peu à peu celle de l'état de veille (2). 8° Les antagonismes se sont développés peu pendant la veille, tandis que pendant le sommeil ils se trouvent dans le même état qu'avant le développement. Les feuilles qui , durant la (1) Henschel, loc. cit., p. 382- (2) Sigwart , dans Reil , Archiv^ t. XII, p. 36. HgO SOMMEIt. veille , s'écartent de la tige et les unes des autres , se rappro- chent des parties voisines pendant le sommeil, s'appliquent à la tige, aux branches ou aux pétioles, ou se serrent les unes contre les autres , s'adossent au pétiole , et s'imbriquent les unes sur les autres (1). Les feuilles et les parties foliacées , dit Meyer , s'écartent de plus en plus , par les progrès de leur développement , de la direction parallèle à la tige ou aux branches ; les pages pri- mitivement tournées en dedans et concaves se tournent et finis- sent par se bomber vers le haut , jusqu'à ce qu'un moment vienne où elles passent de la situation horizontale à la flexion vers le bas , position dans laquelle elles périssent ; or le som- meil a pour effet de ramener la formation trop précipitée à des degrés antérieurs et de ralentir la vie de la plante , qui sans lui serait trop rapide. Mais les circonstances qui déter- minent les variétés du sommeil végétal sont , toujours d'après ce physiologiste, et eu égard aux genres, la substance et l'or- ganisation des feuilles. Le sommeil est d'autant plus prononcé que les feuilles sont plus tendres , et on n'en observe que de faibles traces dans celles qui sont toujours vertes , coniques , pleines de sucs visqueux et résineux. Nulle part il n'est plus sensible que dans les feuilles pétiolées et surtout pennées. Quant à ce qui concerne le point d'attache sur telle ou telle plante en particulier, l'alternative de sommeil et de veille est plus forte que partout ailleurs dans les feuilles moyennes de toute la foliation, par conséquent dans les feuilles caulinaires supérieures , qui sont les plus jeunes et les plus délicates , et il diminue tant vers le bas que vers le haut. Les cotylédons, quand ils sortent de leur long assoupissement , marchent vers la mort sans retomber dans le sommeil ; les organes génitaux femelles , au contraire , comnie étant les dernières feuilles , les feuilles terminales , celles qui constituent le fruit , de- meurent la plupart du temps à l'état de bourgeon , et parmi elles il ne s'en trouve que quelques unes qui s'épanouissent à la manière des feuilles , mais au moment seulement où elles s'ouvrent comme valves du fruit. (1) Henschel , loe, cit., p. 383, SOMMEIL. 191 9» Pendant la contraction , la vie se relire de la périphérie vers le centre. Suivant Sigwart , les folioles de la Sensitive ont perdu, pendant le sommeil, l'aptitude à ressentir les impres- sions du dehors, et cette faculté s'est retirée dans la pétiole. 10° Il résulte de là que le conflit avec l'atmosphère devient moins libre. La page supérieure de la feuille , qui, pendant la veille , était en rapport avec l'air , et accomplissait l'exha- lation , se tourne en bas ou en dedans , et devient moins ac- tive durant le sommeil. La page inférieure, au contraire , qui doit regarder l'eau et absorber , se place en dessous ou en dehors, et acquiert ainsi la prépondérance (1). Meinecke a vu qu'en faisant agir la lumière concentrée de bas en haut sur les nœuds d'une pétiole, la feuille tombait dans le som- meil , qui , d'après cette expérience , semble dépendre d'un excès d'action de la page inférieure. 11° Sigwart assure que le sommeil des feuilles de la Sensi- tive dure moins long-temps qu'à toute autre époque pendant la floraison , moment oii l'expansion est arrivée à son point culminant , et où la plante jouit de tout son développement , où elle est en plein conflit avec le monde extérieur. 12° Dans les contrées tropicales (2), où le type diurne s'ex- prime de la manière la plus complète , le sommeil des plantes est aussi plus profond ; les légumineuses à feuilles irritables, qui , chez nous, s'ouvrent dès avant le lever du soleil , ne s'y épanouissent qu'une demi-heure après l'apparition de l'asLre du jour au dessus de l'horizon (*). ££. Sommeil des animaux. § 597. Nous avons à considérer d'abord , dans le sommeil animal ^ \q^ phénomènes qui lé caractérisent. (1) Ibid., p. 381. (2) Humboldt, loc. cit., t. II, p. 175. (,*) Consuliez , sur le sommeil des plantes , Raspail ( Nouv. Système de physiol. végét., Paris, 1837, t. II, p. 187)\ et sur l-:s niouvemens de la Sensitive €n particulier, Lamark ( Hist. nat. des anim. sans vertèbres, t. I, p. 85) , Dutiochet (Mémoires pour servir à l'histoire anat. et phys. des végétaux et des animaux , Paris, 4837, ï. I, p. 469), et Brachet ( Keclierclies expér. sur les fonctions du syst. nerveux ganglionnaire, Paris, 1837, p. 19 et suiv.) 192 SOMMEIL. 1" Ce qui veille doit aussi dormir ; mais les animaux infé- rieurs n'ont jamais de pleine veille , de sorte qu'ils n'ont pas non plus de sommeil complet. A la vérité, il leur arrive à tous 4e se reposer de temps en temps et de se retirer du monde extérieur ; mais ils n'ont point encore de paupières mobiles qui parachèvent cette séparation. 2" Chez les animaux inférieurs , le sommeil est moins lié à des époques fixes que chez ceuxdes classes supérieures. La plupart des Oiseaux , les Ruminans et les Quadrumanes dor- ment régulièrement depuis le soir jusqu'à l'aurore. Quelques animaux ont coutume aussi de dormir à midi , comme le Lion et plusieurs Oiseaux palmipèdes et échâssieis. Beaucoup d'entre eux , par exemple le Souslic, dorment quand le temps est couvert. 3° Les Poissons se cachent , pour dormir , derrière des pierres ou autres corps immobiles , les Crocodiles dans la vase, les Tortues dans des trous, le Loup, le Tigre , etc., dans des fourrés et des cavernes. Le Lion dort en plaine. La plupart des Oiseaux cherchent les lieux élevés pour dormir ; les Palmipèdes et quelques Passereaux , comme les Alouettes et quelques Emberizes , dorment sur la terre. Presque tous se réunissent à cet effet , soit par paires , soit en troupes. Les Chenilles qui sont écloses dans des masses nidulantes re- viennent toutes vers le soir à leur nid commun. 4° Les animaux se pelotonnent plus ou moins pour dormir, afin de présenter une surface moins étendue, et la plupart prennent la même disposition que dans l'état embryonnaire. Les Ophidiens et les Poissons serpentiformes s'enroulent sur eux-mêmes ; les Chéloniens retirent leur tête et leurs mem- bres sous leur carapace ; les Oiseaux se cachent la tête, ou au moins le bec , sous une aile, qui est presque toujours celle du côté gauche, ou bien ils rétractent le cou, sur lequel ils lais- sent reposer leur bec. Les Mésanges gonflent leur plumage , de manière qu'elles paraissent sphériques. La Marte, le Chien, le Hérisson, etc. , se roulent en boule. La Fouine se couvre les yeux avec sa queue. La plupart des Passereaux dorment debout ; les Échâssiers ^se mettent sur une seule patte ; les Gallinacés s'accroupissent, ou ploient leurs pattes et posent le SOMMEIL. 195 corps dessus. Les Chevaux aussi dorment souvent debout, le Souslic et le Cochon d'Inde assis sur leurs pattes de derrière. Il arrive rarement aux animaux des deux classes supérieures , les Cétacés exceptés, de dormir en nageant ; c'est néanmoins le cas des Pingouins et du Chien de raer. Les Oiseaux aquati- ques se couchent sur le ventre , position qu'affecte en général aussi le Castor; la plupart des autres Mammifères s'étendent tantôt sur le côté, tantôt sur le ventre. La position naturelle de l'homme pour dormir est de s'étendre à moitié sur le côté et à moitié sur le dos ; le décubitus sur le dos est celui qui procure le repos le plus complet en cas de grande fatigue ; mais quand le besoin de dormir devient impérieux , le som- meil s'établit même dans les situations les plus incommodes , comme il arrive aux enfans et aux jeunes gens , par exemple aux soldats, qui dorment souvent debout et en marchant. 5° La plupart des animaux ont moins besoin de sommeil que l'homme. Il suffit au Cheval , par exemple , de dormir quatre heures, et une nuit passée dans le pré restaure parfaitement ses forces épuisées par les fatigues de la veille. Chez l'homme, en qui la sensibilité prédomine, le sommeil est un besoin plus impérieux , surtout après de grands travaux intellectuels ; on peut se tenir quelque temps éveillé par l'activité de l'esprit , des sens ou des organes du mouvement musculaire , mais le besoin du sommeil n'en devient que plus vif ensuite, et il faut alors payer à la fois le capital et les intérêts. Le sommeil est moins nécessaire aux femmes qu'aux hommes , aux hommes faits qu'aux enfans et aux vieillards. 6" Les animaux doués d'une circulation rapide , d'une force motrice énergique et d'une vive activité sensorielle , ont , en général , un sommeil plus léger et plus court. Ainsi, par exemple , les Oiseaux surpassent les Mammifères à cet égard. Le sentiment de sa propre force et la confiance en soi- même jouent aussi un rôle sous ce rapport ; car les animaux de proie ont le sommeil plus long et plus profond que les ti- mides et craintifs herbivores. L'état momentané d'excitation de l'âme n'est pas non plus sans influence, puisque les Ptumi- nans dorment plus légèrement tant que leurs petits ont be- soin d'être assistés par eux. y. i5 194 SOMMEIt. Le sommeil des enfansest très-profond, celui des vieillards léger, celui des hommes plus profond que celui des femmes. On dort mieux après une grande fatigue. 7" L'envie de dormir s'annonce par une sensation particu- lière dans la partie antérieure de la tête, par la lassitude dans les membres, et par la dnninution de la production de cha- leur. Il se manifeste une propension au repos des sens et des organes locomoteurs; les agens qui exercent une vive impres- sion sur les sens, par exemple une forte lumière , causent une sensation désagréable, et tout effort musculaire devient péni- ble ; on bâille, on étend les membres, on éprouve le besoin de se retirer dans un lieu obscur , tranquille et médiocrement échauffé, de prendre une situation commode. La spontanéité de l'àme s'efface, l'attention s'engourdit et devient incapable de lier une série d'idées , de la retenir, de la poursuivre ; on lit sans comprendre. Bientôt les sensations deviennent obscu- res et les idées confuses ; on éprouve des hallucinations de la vue, on ne comprend pas bien les questions, et on y répond de travers ; on regarde fixement devant soi, l'œil perd son éclat et sa tension, parce que l'humeur aqueuse et la sécrétion de la conjonctive diminuent ; la pupille se dilate, et se dirige en haut et en dedans (1); déjà on n'aperçoit plus les objets, qu'on entend encore , mais le son semble venir de loin et ne paraît qu'un simple bruit. La paupière supérieure s'abaisse, les membres perdent leur ressort, on laisse échapper ce qu'on tient dans ses bras , et les bi as eux-mêmes tombent sur les côtés du corps ; si Ton s'asseoit , les muscles de la nuque cessent de se contracter, la tête s'abaisse , le menton s'appli- que sur la poitrine, et le tronc lui-même se courbe en arc ; la mâchoire inférieure devient pendante aussi. S» Le sommeil n'est jamais plus profond qu'à son début; il devient ensuite calme et tranquille ; vers la fin , il cède à la moindre cause d'interruption. 9° Le réveil consiste dans le retour graduel de l'activité sensorielle et du mouvement volontaire, par conséquent dans (4) Purkinje , BeoiacJitungen und Fersuche xur Physiologie der Sinne, t. JI, p. 90. SOMMEIL. igS la reprise du conflit avec le monde extérieur, et il a plus d'un point d'analogie avec l'état du nouveau-né. Tout semble d'a- bord obscur et confus , puis les objets s'éclaircissent , mais sans qu'on puisse encore bien les saisir ; on ne se rappelle point sur-le-champ le passé , et l'on a quelque peine à com- prendre les paroles qu'on entend prononcer. Les muscles ne recouvrent leur ressort qu'après des pandiculations; les yeux reprennent leur vivacité après qu'on les a frottés doucement du dos de la main. On sent enfin le besoin de se débarrasser des excrétions , de cracher , d'uriner, souvent d'éternuer , et plus tard d'aller à la selle. A. Causes du sommeil. § 598. A l'égard des circonstances qui jouent le rôle de causes par rapport au sommeil , I. Le sommeil a lieu quand la vie est satisfaite dans le monde extérieur et que rien ne la sollicite plus à se déve- ^ lopper davantage. La cause est donc un état intérieur. Mais cet état peut être amené par des circonstances extérieures opposées, de sorte qu'aucune chose du dehors ne peut être appelée soporifique en elle-même, puisqu'il dépend toujours de la disposition de l'organisme, et de la manière dont celui-ci en reçoit l'impression , qu'elle détermine ou le sommeil ou l'état opposé. 1° Considérée en elle même, la veille, quand elle a duré im certain temps , amène le sommeil , en vertu de la périodicité qui a son fondement dans la vie. L'oisif qui a passé la jour- née sans rien faire n'éprouve pas moins l'envie de dormir que celui qui a exercé ses forces. L'habitude joue également son rôle ici : on est pris d'envie de dormir quand l'heure accou- tumée du sommeil vient à sonner, et, cette heure écoulée, on se ranime. Gomme le sommeil est une manifestation normale de la conservation de soi-même, il manque toutes les fois que celte dernière n'a point assez d'énergie, dans le cas de grande faiblesse , et dans la plupart des maladies ; du moins n'est-il point alors normal , calme et réparateur. Le retour du som- meil est de bon augure dans toutes les maladies, qui n'ont souvent pas d'autre crise. 1 96 SOMMÉIt. 2° La satisfaction de l'activité spontanée" est la condition principale. Lorsque l'âme tend encore à un but , qu'elle est occupée d'un objet, qu'elle poursuit trop vivement des idées, soit qu'il s'agisse de méditations ou d'émotions , le sommeil ne vient point; il n'arrive que quand l'âme est épuisée de fatigue , ou quand la conscience d'être parvenue au but qu'elle visait fait naître en elle la satiété. Quelque grand résultat qu'il puisse découler pour l'avenir de ce qu'on vient d'opérer, quelque labeur que l'intelligence ou l'âme ait en- core en perspective , pourvu qu'on ait satisfait au présent , le sommeil peut survenir. Alexandre , Pompée , Napoléon et autres guerriers ont dormi pendant la nuit qui précédait une bataille décisive , et Caton s'est livré au sommeil , avant de se suicider, avec autant de tranquillité qu'il aurait pu le faire en toute autre circonstance. Quand la joie a cessé de fermenter, et qu'on en a considéré l'objet sous toutes ses fa- ces, on tombe dans un doux sommeil, qui est le résultat de la satiété. La tristesse s'épuise de la même manière , parce que la perte de toute espérance amène la résignation et le calme. D'après les observations d'un geôlier , que Cleghorn nous a communiquées , les criminels condamnés à mort passent or- dinairement dans l'insomnie la nuit qui succède au prononcé du jugement, mais ils dorment fort bien pendant celle qui pré- cède leur exécution (1). Tout dépend ici de l'individualité : lorsque la vie morale est pesante, qu'elle manque de profon- deur , qu'elle n'a pas d'énergie, rien de plus facile que de îa satisfaire ; le grossier manœuvre peut dormir à toute heure , quand il manque de travail , et l'homme qui ne pense point s'endort quand le moment arrive, même au milieu des dan- gers les plus menaçans , pourvu que ses besoins matériels soient satisfaits. De même, l'animal tourmenté par la faim ou parle rut, dort peu ou point; mais il cède au sommeil après s'être rassasié, non pas, comme dit Morgagni, parce que l'es- tomac plein d'alimens comprime l'aorte , ou , comme le pré- tend Marherr , parce que la plénitude de ce viscère empê- chant le diaphragme de s'abaisser, et gênant la circulation (J.) Radow, f-"crsiic]i cincr ncnen Théorie des ScJdafes , p. 32, SOMMEIL. 1^7 pulmonaire , force le sang de s'accumuler dans la tête , ou , comme le pensait Haller, parce que le sang reflue de la tête vers l'estomac (1) , mais parce que l'animal n'éprouve plus u sommeil j mais si on l'ap- 202 SOMMEIE. pelle par son propre nom , il s'éveille aussitôt. La mère se réveille au moindre mouvement, au plus léger cri de son enfant. Un vieil harpiste, qui dormait tant qu'il ne jouait pas, se réveillait pour peu qu'on touchât aux cordes de son instru- ment (1). On a vu des avares se réveiller quand on leur met- tait une bourse pleine dans la main. Un bruit dont on a con- tracté l'habitude ne trouble pas le sommeil. Suivant la remarque de Jouffi oy (2) , l'homme qui arrive de sa province dans la capitale ne peut, à cause du bruit , ni dormir pen- dant la nuit , ni penser au milieu des rues , tant les impres- sions extérieures détournent son attention ; mais, peu à peu , le bruit cessant de l'intéresser, il parvient à dormir et à méditer. A la vérité , l'habitude émousse les sens , mais cet émoussement entre ici pour fort peu de chose , car celui que le vacarme des voitures n'arrache point au sommeil, est réveillé par le bruit d'une souris ou par le mouvement d'un malade couché auprès de lui; l'âme sait donc, pen- dant le sommeil, distinguer les sensations les unes des autres. De là vient qu'un poltron dort moins profondément qu'un homme courageux. Lorsque le grondement du ca- non, le tintement des cloches, le mugissement de la mer sont devenus indifférens, ils ne portent aucune atteinte au sommeil. Les personnes âgées , dit Brandis (3) , s'endorment facilement, parce qu'il n'y a plus qu'un bien petit nombre de choses qui attirent leur attention , le monde extérieur étant pour elles une histoire qu'elles savent par cœur presque tout entière. Aussi peut-on être réveillé par le défaut d'une exci- tation sensorielle qui se rapporte à une chose qu'on regarde comme importante; beaucoup de personnes le sont par l'extinction de leur lampe de nuit, et le meunier l'est par la cessation du bruit de son moulin , ce qui suppose que l'im- pression reçue par les sens est perçue , mais que , comme elle est indifférente , ou plutôt satisfaisante , elle ne trouble point l'âme. (4) Brandis, Lehre von den Affecten des lebendigen Organismus^ p. 567. (2) Nov. biblioth. médic, 1827, t. II, p. 354. (3) Xroc, cit., p. 567. SOMMEIE, 505 Lorsque, après s'être assoupi pendant une lecture ou un récit, on revient à soi , on sait les mots qui ont été prononcés avant le réveil , par exemple la dernière phrase , si elle était courte ; mais on ignore comment elle tient à ce qui précédait. Or, nous ne saurions admettre que les impressions de toute une série de sons se conservent assez distinctes, dans l'organe auditif, pour pouvoir encore être saisies ensuite dans leurs rapports les unes avec les autres ; il faut que le discours ait été entendu réellement , mais sans suite , et sans qu'on en comprenne le sens , ce qui fait qu'il n'aura pas tardé à être oublié. Il est plus général encore qu'on sache par quoi on a été éveillé , quoique la chose qui a déterminé le réveil ne puisse plus être perçue après ce dernier. Assurément les sens sont plus obtus que pendant la veille. Le son a besoin d'être plus fort pour qu'on l'entende ; lorsque la douleur n'est point trop violente , elle n'empêche pas de dormir ; une toux légère cesse tout-à-fait pendant le sommeil , et le besoin de cracher , ou d'accomplir toute autre évacua- tion , ne se fait bien sentir qu'après le réveil. Mais ce qu'il y a d'essentiel , c'est que les émotions sensorielles demeurent isolées , et ne procurent point une perception complète de la réalité. 2° Chez les Oiseaux, il existe des dispositions mécaniques en vertu desquelles ces animaux peuvent dormir assis ou debout. Chez ceux qui s'accroupissent sur des branches , le muscle crural grêle a un long tendon qui passe sur la rotule et s'unit avec les tendons des fléchisseurs des orteils , de sorte que , pendant la flexion de la cuisse , il est tendu et tient les orteils fléchis , ce qui fait que ceux-ci embrassent solidement la branche. Mais, chez les Echâssiers , qui dorment debout , les articulations du genou et du pied offrent un mécanisme, décrit par Duméril (1) , et semblable au ressort d'un couteau de poche , qui ouvre l'instrument , ou tient la lame sur la même ligne que le manche ; c'est un enfoncement creusé dans le condyle externe du fémur , et qui reçoit la tête du péroné. Cependant ces dispositions exigent toujours le concours de (1) Bulletin de la Soc. philoin., t. Il, p. 4. i?04 SOiMMElt, l'activité musculaire pour maintenir l'équilibre. En général ,' nous trouvons pendant le sommeil une prédominance des muscles fléchisseurs et sphincters , qui sont ceux dont la fonc- tion consiste à isoler et dont l'action l'emporte durant la vie embryonnaire; les yeux sont clos, non seulement par le relâ- chement de la paupière supérieure , mais encore par l'activité vilale du muscle orbiculaire , car on les trouve à demi ouverts sur le cadavre. C'est par la contraction de leurs muscles flé- chisseurs que les animaux se roulent plus ou moins en boule ; (le même aussi l'attitude de l'homme qui dort ne ressemble point à celle d'un cadavre , qui ne dépend que de la loi de la {jravitation , et elle est telle que plusieurs muscles sont tou- jours obhgés d'y coopérer. Quelquefois la vie s'éveille dans les muscles extenseurs ; ils cherchent à se mettre en équilibre avec les fléchisseurs, et occasionent des extensions saccadées, qui éveillent en sursaut , et qui, dans les maladies inflamma- toires, notamment les affections {goutteuses et rhumatismales , déterminent de violentes douleurs. Il est fort rare que l'homme éveillé se couche de même que quand il dort. Dans le sommeil, même le plus calme, on change de temps en temps de position, lorsque la fatigue des muscles qui avaient agi jusqu'alors rend pénible celle qu'on occupait ; de même, quand on a froid , on se recouvre sans se réveiller -, de même aussi, on s'éloigne des corps étrangers avec lesquels on a pu entrer en contact. Enfin des mouvemens commencés avant qu'on s'endorme peuvent continuer après ; on voit souvent , dans les marches pénibles , des soldats s'endormir en marchant , et se réveiller lorsque la troupe fait halte ; les ménétriers de village dorment quel- quefois en jouant du violon. 3° La persistance de l'activité de l'âme se manifeste sous la forme de rêves. Il est certain que plusieurs Mammifères rêvent quelquefois ( § 601 , 3° ) : mais on ne peut point présumer que la même chose ait lieu chez les animaux inférieurs , dont l'âme est trop obtuse. 11 n'y a point d'homme qui ne se souvienne d'avoir rêvé , et c'est à tort qu'on a prétendu le contraire de Lessing (1) : mais il n'est pas certain que l'homme rêve tou- (1) Budolphi, Grundiss der Physiologie , t. II, p. 282. SOMME li. 20D jours. On entend souvent parler en dormant une personne qui , ù son réveil , n'a pas le moindre souvenir de ce qu'elle a pu dire. L'enfant à la mamelle rêve déjà ; mais c'est seulement vers l'âge de sept années que l'enfant commence à raconter ses songes , qui jusqu'alors avaient passé sans laisser chez lui aucune trace. Les rêves sont donc possibles sans mémoire, e le défaut de souvenir ne prouve pas qu'on n'ait point rêvé. Mais on a prétendu que l'homme rêve toutes les fois qu'il dort, parce que l'âme ne saurait jamais cesser d'agir (1). A cela nous répondrons que l'activité de l'âme est une mani- festation de la vie , et que l'âme peut agir aussi sous d'autres formes , tout comme il nous est impossible de la refuser à l'embryon, quoiqu'elle ne se déploie point encore chez lui sous sa forme particulière et pure ; et puisque les élémens de rêve, les images fantastiques de l'assoupissement, n'appa- raissent pas d'une manière constante , nous ne sommes point en droit de nier la possibilité du sommeil exempt de [rêves. Au reste, les rêves sont des phénomènes normaux , |qui n'ont jamais plus d'évidence que chez les personnes jouissant d'une santé parfaite. Ils sont clairs surtout chez les hommes qui ont accoutumé leur esprit à la lucidité , et aux époques où la vie intellectuelle est le plus active. Les rêves du malin sont ordi- nairement ceux dont on se souvient le mieux 5 mais le parler pendant le sommeil et le somnambulisme s'observent princi- palement peu de temps après qu'on s'est endormi , ou vers minuit. Au reste, l'excitation de la vie organique du cerveau par le café , par d'autres stimulàns encore , ou par des états morbides , donne lieu à des rêves plus vifs. § 600. C'est tantôt l'intuition sensorielle, tantôt le juge- ment , et en général une faculté supérieure de l'âme , qui se manifeste dans les rêves. L Quant à ce qui concerne les intuitions sensorielles , 1° Il survient quelquefois , avant qu'on s'endorme , des images fantastiques ou des hallucinations , dont Gruithuisen , Purkinje et J. MuUer ont fait une étude spéciale. Ces images varient beaucoup , en raison des individus ; fréquentes chez (1) Carus , PsycliolocjiQ , t, II, p. 183. ao6 SOMMEIL. les uns , elles sont rares chez d'autres , et certaines personnes ne les remarquent jamais. Elles paraissent exiger toujours une excitation de rimagination , qui empêche de s'en- dormir prompteraent. Elles varient aussi avec le temps, et sur- tout suivant les âges de la vie : tel qui les connaissait pendant sa jeunesse, n'en éprouve plus à une époque plus avancée. Ce sont surtout des intuitions relatives au sens de la vue , des images qui voltigent devant les yeux quand on les ferme pour s'endormir, sans penser à rien ; tantôt ce sont de simples croquis , et tantôt des figures ombrées ; ici les images sont brillantes et colorées , là elles se détachent sur un fond terne et parfois aussi clair. Suivant Purkinje (1) , ce sont d'abord des nébulosités vagues , au milieu desquelles se trouvent sou- vent des points brillans ou obscurs , et qui deviennent , au bout de quelques minutes , des stries nuageuses errantes , puis toutes sortes de filamens clairs , droits ou courbes. Hui- ler (2) les dépeint aussi comme étant d'abord des masses iso- lées , claires ou colorées. J'ai fréquemment aperçu des formes déterminées , sans que rien de semblable précédât. Muller a prouvé également que ces images fantastiques ne sont pas des taches brillantes ou nébuleuses produites par un état d'excita- tion de l'œil, et que l'imagination revêtirait de conteurs arrê- tés , puisqu'elles changent de grandeur, de couleur, de figure et d'emplacement. On ne peut non plus les considérer comme de simples idées vives d'un objet. Ce sont réellement des images qui apparaissent au sens de la vue ; chacun peut s'en convaincre par le témoignage de sa propre conscience. Enfin , elles n'ont rien de morbide , car elles se montrent en pleine santé et chez des personnes parlîiilement à jeun. Mais ce sont là les élémens des songes : aussi Gruithuisen (3) les a-t-il pa- pelés chaos du rêve. 2° En effet , le rêve consiste dans l'intuition de séries cohé- rentes d'apparitions oud'événemens, tandis que l'image fan- tastique ne montre que des formes isolées. Cette dernière (1) Beohachtungen und f^ersuche zur Physiologie der Sinne, t. H, p. I (2) Ueber die phantastischen Gesichtserscheinungen ,'p. 21. (3) Beitrwge sur Physiognosie , p. 232. SÔMMEIt. 257 procure un spectacle purement objectif , dans lequel nous ne jouons que le rôle de témoins passifs, tandis qu'il n'est pas rare d'avoir des rêves dans lesquels nous entrions nous-même en action, et de se figurer en songe un événement auquel nous prenons part. Comme les images fantastiques ne sont qu'un rêve commençant , elles sont le meilleur moyen contre l'm- somnie , lorsqu'on peut se calmer assez pour les regarder et contempler leur jeu sans réflexion. 3° Les organes des sens déploient réellement de l'activité dans les rêves. Les images sont des intuitions sensorielles qui ne se rattachent à aucun objet extérieur, mais qui ne se ma- nifestent dans l'organe de sens avec lequel cet objet entrerait en rapport. Celte assertion est démontrée d'abord par les images fantastiques : quand ces images nous assiègent , nous les voyons réellement , c'est-à-dire qu'à l'occasion de la pen- sée nous avons dans l'œil la même sensation que si un objet extérieur se trouvait placé devant cet œil vivant et ouvert ; la simple pensée d'un objet , quelque vive qu'elle puisse être , diflère totalement de la vue. En second lieu, Gruithuisen (1) rapporte, d'après sa propre expérience et d'après celle d'autres personnes, des cas dans lesquels les organes sensoriels avaient encore, au réveil, l'arrière - sensation de l'impression qui avait été rêvée ; oii , après un rêve dans lequel on s'était figuré entendre un coup de canon , l'oreille causait de la dou- leur et tintait ; où des images fantastiques très-vives flottaient encore devant les yeux ouverts , couvraient les objets exté- rieurs , et se maintenaient au milieu de tous les mouvemens volontaires de l'œil, jusqu'à ce qu'enfin elles devinssent trans- parentes et disparussent; où Ton sentait encore dans la bou- che la saveur désagréable du médicament qu'on avait rêvé prendre (2) ; où , conformément aux lois ordinaires de l'op- tique , tantôt une image fantastique très-brillante laissait à sa place une figure de même forme , mais obscure , tantôt après avoir rêvé de spath fluor violet sur des charbons ardens , on apercevait une tache jaune sur un fond bleu; ou enfin, après (1) Loc. cit., p. 237. (2) Loc. cit., p. 245, 208 SOMMEIL < avoir rêvé qu'on parcourait une bibliothèque de gauche à droite , les images des livres passaient devant les yeux de droite à gauche pendant quelques minutes encore après le ré- veil (1). On sait que l'activité des sens qui reste à la suite d'une im- pression sensorielle , ou qui a été excitée par une autre ac- tion étrangère à la nature spécifique de Torgane sensoriel , comme une pression , un coup , une commotion électrique sur l'œil ou Toreille , ou enfin qui a pris naissance à l'occasion d'une impression organique intérieure, celle du sang surtout, se manifeste comme intuition sensorielle , à laquelle nul objet extérieur ne répond. Mais ces sortes d'hallucinations ne peu- vent point être mises sur la même ligne que les images fan- tastiques , comme l'a fait Gruithuisen (2). En effet a. Les organes des sens ne produisent ces illusions que quand ils sont excités par un stimulus interne ou externe. Ils n'ont pas de force créatrice propre, qui leur permette de don- ner lieu à un changement de formes comparable à celui qui survient en songe pendant le calme et l'uniformité du som- meil. b. Les illusions sensorielles pures sont ou amorphes , ou tout au plus déterminables mathématiquement; mais elles n'ont jamais une forme vivante ; on peut distinguer en elles des sons graves ou aigus , sourds ou éclatans, et entendre des bourdonnemens , des sifflemens , des tiniemens ; mais il n'y a qu'une imagination malade qui puisse croire, pendant la veille, reconnaître en elles le chant ou la parole ; qu'on regarde fixe- ment un objet, qu'on passe rapidement de la lumière à l'obs- curité , qu'on se comprime l'œil ou qu'on le galvanise ^ il ap- paraîtra des taches , des anneaux , des bandes , des lignes pa- rallèles et croisées , mais jamais des images de la vie réelle , à moins que l'imagination ne soit en même temps boule- versée. c. Nos rêves s'arrêtent rarement à des intuitions d'un seul (1) Loc. cif.,p. 256. (2) Loc. cit., |). 23G. SOMMEIL. aog orfjane sensoriel , et presque toujours ils en réunissent qui appartiennent à plusieurs Nous voyons un homme en songe , et nous l'entendons parler : nous apercevons l'éclair, et le tonnerre frappe ensuite notre ouïe ; nous voyons et nous goû- tons un médicament ou un aliment. Ces combinaisons ne sont évidemment pas des rencontres fortuites d'images fantastiques émanées d'organes différens et indépendans les uns des au- tres ; l'audition du tonnerre et la gustation du jalap sont ma- nifestement des effets de l'imagination, que l'expérience dé- termine à mettre une idée visuelle en association avec une idée appartenant à un autre sens. d. Suivant Purkinje, les images fantastiques changent lors- que les muscles viennent à comprimer le globe de l'œil, et MuUer dit qu'elles disparaissent au moindre mouvement de l'organe. Ce phénomène n'a point lieu d'une manière générale ; car lorsque j'aperçois des formes fixes qui sont très-vives , elles ne subissent aucun changement , quelque mouvement que j'imprime à l'œil , et la même chose arrivait dans l'un des cas cités précédemment d'après Gruithuisen , où les images fantastiques persistaient encore pendant quelque temps après le réveil. e. De plus, comme le fait remarquer MuUer (1) , les images fantastiques peuvent apparaître aussi chez les aveugles. Les personnes qui ont perdu la vue par accident rêvent encore d'objets visibles long-temps après la paralysie ou la destruc- tion de leurs yeux ; si rien de pareil ne leur arrive plus tard , c'est uniquement parce que toute relation est éteinte entre leur faculté apercepiive et l'œil , car lorsque l'imagination jouit d'une grande activité , comme chez l'aveugle Baczko (*), les rêves d'objets visibles durent bien plus long-temps. /. Nous ne pouvons, avec Brandis (2) et Gruithuisen (3), at- tribuer les rêves à l'état de vieille de quelques sens qui se- raient moins fatigués que les autres ; car, de tous les organes (1) Loc. cit., p. 34. (*) Ueher midi selhst und meine Ungluechsijefaehrten die Blinâen^'pAiO, (2) Loc. cit., p. 556. (3) Loc. cit., p. 228. , 21 0 SOMMEIL. sensoriels , l'œil est celui qu'on fatigue le plus pendant la veille et qui déploie le plus d'aciivilé durant le sommeil. D'ailleurs il serait impossible qu'un amas d'activités senso- rielles isolées donnât lieu jamais à un rêve cohérent. g. Enfin il y a aussi des rêves abstraits (8°), auxquels les organes des sens ne prennent point part. 4° Ce qui agit dans l'image fantastique sensorielle, réside donc non dans l'organe du sens , le nerf qui s'y rend et le ganglion cérébral d'oii part ce nerf, mais dans les facultés intuitives elles-mêmes , et dans celle qui jouit de la sponta- néité, du pouvoir créateur ; l'imagination ne produit l'image fantastique qu'en agissant sur les organes extérieurs des sens, mettant ces organes en harmonie avec elle-même , leur inculquant les idées. Elle n'a pas ce pouvoir pendant la veille, parce qu'alors la vie périphérique l'emporte tellement sur elle , qu'elle est obligée de se soumettre à sa puissance j mais , dans le sommeil , la polarité est renversée , et comme la vie s'est retirée de la périphérie vers le centre, le reflet de l'intuition intérieure se manifeste dans l'organe sensoriel. De même , on peut avoir des visions pendant la veille , lorsque l'âme s'est concentrée sur une idée et détachée du monde ex- térieur, comme il arrive dans l'extase; ou lorsque, affublée d'une chimère , elle est devenue inaccessible à la réalité , comme dans la manie ; ou quand le torrent d'une vie orga- nique désordonnée du cerveau l'entraîne sans qu'il lui soit possible de se retenir à rien , comme dans le délire. Mais , durant le sommeil, l'imagination acquiert l'empire, parce que rien ne la gêne , ni les émotions des sens , ni la spontanéité de l'âme ; libre de toute entrave , elle s'abandonne à son ca- price. 5° Aussi le défaut de fixité est-il le caractère des songes. Lés images fontastiques changent incessamment ; tantôt elles sont voltigeantes , et tantôt immobiles , mais alors variant à chaque instant de formes. De même , les rêves se signalent par la succession rapide des images , par la bizarrerie des associations ; il n'y a rien de fixe , rien d'arrêté ; rêve-t-on, par exemple , qu'on a lu quelque chose, et veut-on le relire, c'est déjà une tout autre chose qtii se représente , et les SOMMEIL. 2 1 1 lettres ne sont plus les mêmes. Ordinairement ces métamor- phoses s'offrent à nous comme actions et événemens , c'est-à- dire comme simples successions ; mais quelquefois l'identité de l'objet métamorphosé se manifeste d'une manière plus claire. Gruithuisen (1) rêva qu'il montait un Cheval , qui se transforma en Bouc, celui-ci en Veau, puis en Chat, en une belle fille et enfin en une vieille femme ; l'arbre sur lequel le Chat s'était mis à grimper devint une église , et celle-ci un jardin ; l'orgue d'église devint une guimbarde dont jouait le Chat, puis le chant de la jeune fille. 6° L'imagination devient créatrice par combinaison , et ne peut puiser ses élémens que dans la mémoire. Les aveugles de naissance ne rêvent jamais d'objets visuels, ni les sourds- muets de sons , et les personnes devenues aveugles par acci- dent ne voient en rêve que ce qu'elles ont connu pendant qu'elles jouissaient de la vie. Les sens qui ont ile plus d'oc- cupation pendant la veille , sont aussi ceux qui fournissent le plus d'images fantastiques : ainsi nous rêvons surtout d'ob- jets visibles , moins souvent de sons , rarement de saveurs , d'odeurs et d'objets tangibles. Mais ce ne sont pas toujours des intuitions immédiates qui font la base de nos rêves ; tantôt l'imagination suit des copies, et il m'est, par exemple, arrivé dans mon enfance de voir en songe le diable exactement re- produit d'après les histoires bibliques de Hubner ; tantôt elle combine des élémens connus, pour en créer une scène qui n'a encore jamais été vue , par exemple une troupe de brigands dans une gorge de montagnes. IL Mais les facultés supérieures de l'esprit agissent aussi en rêve. 7o Très-souvent les événemens dont nos sens sont frappés s'enchaînent d'une manière naturelle , et suivent l'ordre dans lequel l'entendement les a rangés. Nous avons la conscience des rapports entre nous et ce que nous apercevons en songe, nous éprouvons de la honte quand nous venons à faire preuve de quelque faiblesse , nous nous inquiétons de la maladie d'une personne qui nous est chère , nous sentons la douleur (1) ioc. ci^., p. 241. ara soMMEit, d'ime blessure que nous rêvons avoir reçue. En songe , nous tenons des discours raisonnables , nous jugeons si les événe- mens sont de nature à nous plaire ou non, si les actions sont bonnes ou mauvaises, nous désirons , nous prenons des réso- lutions calculées d'après les circonstances, et nous les mettons à exécution. Mais partout ici se retrouve l'empire de la fan- taisie, et souvent aussi nos rêves sont entièrement dépourvus de raison ; de môme que le somnambule tantôt agit dans des vues bien déterminées, s'acquitte avec habileté de ses devoirs ordinaires, ou même règle sa conduite sur les circonstances,, et par exemple ouvre les portes qu'il trouve fermées , mais tantôt aussi ne fait que des actions contraires au bon sens , de même nous rêvons fréquemment de choses totalement absurdes ; le jugement laisse alors passer ce qui n'a aucun» sens, et ne s'éveille que quand l'absurdité est arrivée jusqu'à un certain degré (§ 603, 4°). 8° Mais il y a aussi des rêves d'objets abstraits. Nous ap- portons de l'état de veille et le souvenir de faits, et l'habitude de penser, et la propension à connaître , qui nous porte à la méditation en songe. Cardan prétend avoir composé l'un de ses ouvrages en rêve. Condillac trouvait souvent son travail achevé le malin. Voltaire rêva un jour l'un des chants de sa Henriade autrement qu'il ne l'avait écrit (1). Kruger avoue que les rêves lui ont servi à résoudre des problèmes de ma- thématiques. Maignan trouvait en songe des théorèmes de mathématiques, ou les preuves d'autres théorèmes, s'éveillait plein de joie , et confiait au papier ce qu'il venait de découvrir ainsi. Ce fut en rêve que Reinhold arriva à la déduction des catégories (2). Plus d'un produit de rêves a passé ainsi dans notre littérature, et bien des pensées qui nous viennent quand nous sommes éveillés , ne sont qu'un rappel de celles que nous avons eues en songe. Mais les rêves peuvent aussi nous tourmenter de problèmes insolubles , ou nous bercer de dé- couverles illusoires. Dans des accès d'épuisement, qui devin- rent les prodromes d'une fièvre nerveuse^ j'avais la tête assié- (1) Dictionn. tJes se. méd., t. XLVIII, p. 261. (2) Ciinis, Fsyc/iolorjie , t. II, p. 20S. SOMMEIL 2 1 5 gée, pendant mon sommeil, de problèmes scientifiques que je ne pouvais résoudre , et qui me lutinaient jusqu'au réveil , pour reparaître aussitôt que je m'endormais de nouveau. En santé j'ai souvent eu, dans mes rêves, des idées scientifiques qui me paraissaient tellement importantes qu'elles n'éveillaient , €t comme j'ai eu soin d'en prendre la date , je trouve qu'elles îie se sont guères présentées que pendant les mois d'été, Dans bien des cas elles roulaient sur des objets dont je m'occupais à la même époque, mais elles m'étaient entièrement étrangè- res quant à leur contenu. Ainsi pendant que j'écrivais mon grand traité sur le cerveau (*), je rêvai , le 6 juillet 18i5, que l'inflexion de la moelle épinière à l'endroit où elle se continue avec l'encéphale désigne l'antagonisme de ces deux organes par le croisement de leurs axes et par la rencontre de leurs courans sous un angle qui se rapproche plus de l'angle droit chez l'homme que chez les animaux , et qui donne la véritable explication de la station droite ; le 17 mai 3818 je rêvai d'un plexus céphalique de la cinquième paire de nerfs cérébraux, correspondant au plexus crural et au plexus brachial ; le 11 octobre de la même année , un songe me montra que la forme de la voûte à trois piliers est déterminée par celle de la couronne radiante. Mais quelquefois aussi ces idées portaient sur des objets auxquels je n'avais point réfléchi jusqu'alors, et alors elles étaient la plupart du temps plus hardies encore. Ainsi , par exemple, en 1811 , époque à laquelle je m'en tenais encore aux opinions reçues sur la circu- lation du sang , et où je m'occupais de choses fort étrangères, je rêvai que le sang coulait par une force inhérente à lui , que c'était lui qui mettait le cœur en mouvement , de sorte que considérer ce dernier comme la cause de la circulation , c'était à peu près la même chose qu'attribuer le courant d'un ruisseau au moulin qu'il fait agir. Parmi ces idées à demi vraies , qui me faisaient tant de plaisir en songe , j'en citerai une encore , parce qu'elle est devenue le germe de vues qui depuis se sont développées dans mon esprit : le 17 juin 1822, en faisant la méridienne, je rêvai que le sommeil, comme i'al- (*) Fom Baueund LeJjen des Gehirns , Léipzick, 1819, 3 vol. iu-4''. 2l4 SOMMEIL. longement des muscles, est un retour sur soi-même, qui con- siste en une suppression de l'antagonisme ; tout joyeux de 1 a vive lumière que celte pensée me paraissait répandre sur une grande masse de phénomènes vitaux, je m'éveillai, mais aus- sitôt tout rentra dans l'ombre, parce que cette vue était trop en dehors de mes idées du moment. § 601. Les rapports avec le monde extérieur continuent, dans les rêves, comme pendant le sommeil en général ( § 599, 1°, 2° ), mais à un moindre degré et sous un autre mode. 1° Gomme les sens sont engourdis , le sentiment intérieur prend le dessus, et porte à rêver , attendu que Timagination explique à sa manière l'impression qui a lieu réellement. Une boule d'eau aux pieds fait rêver qu'on marche sur l'Etna (1), l'engourdissement d'un bras qu'on a auprès de soi un voisin gênant (2), une piqûre d'épingle qu'on est tombé entre les mains d'une bande de meurtriers (3). On a vu la diarrhée sur- venir chez des personnes qui avaient pris de la rhubarbe en songe (4) , et l'on a remarqué une tache bleue sur le corps d'une autre qui avait rêvé recevoir un coup ; dans de tels cas l'antériorité appartient évidemment à la lésion organique, et c'était elle qui avait déterminé le rêve. Mais l'imagination cherche aussi à rendre ses inventions probables et à les pré- parer ; qu'il survienne dans les muscles extenseurs une con- vulsion agissant à la manière d'une secousse électrique , elle l'explique par une chute, mais pour rendre cette dernière pos- sible , elle nous transporte , quand le pressentiment de la convulsion a lieu, dans un escalier raide, sur le haut d'une tour, ou au sommet d'un rocher. Qu'une pollution nocturne soit sur le point de s'effectuer , elle l'amène par un roman plus ou moins compliqué. Que les organes digestifs soient sti- mulés, soit par la faim, soit par un repas trop copieux , elle nous établit devant une table abondamment garnie, sans oublier l'investigation préalable et tous les autres préliminaires. Ses créations varient aussi suivant les individualités. Lorsque le (1) Dict. des se. médic, t. XLVIII, p. 256. (2) lui., p. 260. (3) Brandis, loc, cit., p. 563. SOMMEIL. 2 1 S sentiment intérieur est oppressé par un malaise, elle suppose un embarras quelconque, par exemple, qu'un homme du grand monde est allé en société sans habit , que le comédien ne sait pas son rôle au levé de la toile , que le professeur est obligé de faire une leçon sur un sujet qui lui est totalement étran- ger ou d'argumenter sur une thèse qu'il n'a point encore lue. 2° Il n'y a pas jusqu'aux impressions sensorielles , notam- ment celles sur le sens de l'ouïe , qui pénètrent quelquefois dans les rêves. Les somnambules entendent souvent les dis- cours qu'on leur adresse , mais prennent pour des voix étran- gères celles qui leur sont le mieux connues. Au milieu d'une nuit fort orageuse , presque tous les hôtes d'une auberge rê- vèrent qu'il était entré des voitures et survenu des étrangers dans la maison (1). Etant un jour dans une hôtellerie , je rêvai, pendantun orage nocturne, que je parcourais, au milieu d'une nuit profonde , une route escarpée et bordée de précipices ; les cris que je poussai excitèrent le même rêve chez mon com- pagnon de voyage , qui se figura en outre que le postillon nous avait abandonné , jusqu'à ce qu'enfin , s'étant arraché à son demi-sommeil , il parvint à se persuader qu'il était réel- lement dans son lit , et m'éveilla en me donnant cette nou- velle. Un autre rêvait ce qu'on lui disait à l'oreille (2). Bran- dis (3) a plusieurs fois lié conversation avec des personnes habituées à parler en rêvant ; pour cela il leur parlait, d'un ton doux et semblable au leur , de l'objet auquel se rapportait leur discours, et il les voyait se réveiller avec effroi toutes les fois qu'il changeait de ton ou de sujet. Reil cite même un cas dans lequel deux hommes qui rêvaient s'entretinrent l'un avec l'autre. 3° Souvent il y a des mouvemens qui correspondent aux songes, et par lesquels on peut se convaincre qu'un autre rêve réellement. L'enfant à la mamelle exécute , en dormant, le mouvement de lèvres que nécessite la succion; le Bœuf (d) Radow , VersucTi einer neuen Théorie des Schlafes , p. 429»' (2) Reil , Rhapsodieen ueher die Jnwendung der psychischen Curme- tJiode aufGeisteszerruettungen, p. 94. (3) Loc. cit., p. 561. 2l6 SOMMEIL. rumine , le^Cochon renifle, le Cheval dresse ses oreilles (1). Le Lévrier rêve souvent qu'il chasse. Il quête, il appelle, il poursuit, mais ses aboiemens ne sont qu'à demi-voix, et les mouvemens de] ses pattes, quoique ayant le même rhythme régulier que ceux d'un animal qui court , ne sont que de faibles vibrations. La volonté agit donc sur les muscles en conformité du rêve , mais elle rencontre , dans le défaut de réceptivité de ces organes, un obstacle qui l'empêche de se manifester d'une manière complète. Fréquemment on a la conscience de cet obstacle; on veut combattre , et l'on ne porte que des coups mal assurés et sans résultat; on veut fuir un danger, et l'on sent qu'on ne bouge pas de place. Mais, dans beaucoup de cas aussi , les mouvemens s'accomphssent en en- tier. Ce qu'il y a de plus commun , c'est de rencontrer des personnes qui parlent en dormant , parce que les muscles des organes de la parole sont ceux de tous sur lesquels l'âme exerce le plus d'empire. Viennent ensuite les mouvemens iso- lés des membres , qui font que certains hommes se redressent ou frappent autour d'eux pendant leur sommeil; puis ces mêmes mouvemens associés à des actions, ou le somnambu- lisme , appelé aussi noctambulisme , qui présente lui-même divers degrés, suivant que le sujet marche et agit, soit sans rien dire, soit en parlant, soit aussi en percevant des impres- sions sensorielles. Toutes ces formes se voyent plus fréquem- ment chez les hommes que chez les femmes. On n'observe pas les degrés inférieurs du somnambulisme chez les enfans ni les vieillards, mais les jeunes gens en fournissent beaucoup d'exemples, et il y en a fort peu qui ne parlent quelquefois pendant leur sommeil. Depuis l'âge de dix ans jusqu'à celui de trente , période pendant laquelle je jouissais d'une santé parfaite , j'ai eu de temps en temps des accès légers de som- nambuHsme. §602. Durant le sommeil, l'âme mène une vie à part, tout-à-fait distincte de celle qui caractérise l'état de veille, et pendant laquelle elle est dégagée de tous les liens de la réa- lité. (1) Giuilliuiâeti , Beilrœijc zur Fht/-sio(j?iosie , p. 246. SOMMEIL. 217 1° A la vérité , les élémens des rêves sont fournis par la mémoire ( § 600, 6° ) , le sentiment intérieur ( § 601, 1° ) et les sens externes ( § 601, 2° ) ; mais , en élaborant ces maté- riaux , l'imagination se montre éminemment ingénieuse , et alors même qu'elle a entrepris plus que la faculté créatrice ne lui permet de faire, elle est assez adroite pour se tirer d'em- barras à l'aide d'une nouvelle invention. Quand, par exemple, un rêve nous conduit à penser que nous entendons ou lisons des choses très-spirituelles , et que néanmoins une grande abondance de pensées ne se trouve pas à notre disposition pour le moment , la voix de l'orateur devient si faible ou l'é- crit tellement illisible , que celte circonstance nous prive de l'instruction ou du plaisir sur lequel nous comptions. 2° L'imagination aime à nous transporter dans un monde tout nouveau , et choisit rarement ce qu'elle pourrait rencon- trer dans la réalité. Jamais les rêves ne reproduisent la vie éveillée , avec ses peines et ses jouissances , ses douleurs et ses joies , dont ils tendent , au contraire , à nous dégager. Lors même que notre âme entière est pleine d'un objet, qu'une profonde douleur pénètre jusqu'à nos fibres les plus profondes, ou qu'un problème absorbe totalement nos facultés intellec- tuelles , "le rêve nous donne quelque chose d'étrange , ou n'emprunte à la réalité que certains élémens de ses combinai- son, ou enfin ne fait que se mettre à l'unisson de nos dispositions intérieures et symbolise laréalité. Ainsi déjà les images fan- tastiques ^de l'assoupissement ne sont presque jamais des formes connues , mais des figures que la plupart du temps nous n'avons point eu occasion de voir , des associations bi- zarres et étranges, telles qu'on a de la peine à en rencontrer d'équivalentes dans le monde extérieur. 3° Les rêves se lient quelquefois entre eux, quoique inter- rompus par l'état de veille. On a des exemples d'hommes qui se sont éveillés au milieu d'un songe , et qui y sont retombés aussitôt après s'être rendormis (1) , ou même chez lesquels l'action commencée dans un rêve se continuait la nuit suivante dans un autre rêve (2). Ce cas est commun surtout chez les (1) Dict. des se. médic, t. XLVIII , p. 268. (2) Carus , Psychologie , t. Il, p. 196. 2 1 8 SOMMEIL. somnambules, qui, chaque fois qu'ils s'endorment, reviennent au mode ordinaire de leur vie rêveuse , tout comme , chaque fois qu'ils s'éveillent, ils rentrent dans le cercle de leurs occu- pations journalières. 4° Ce qu'il y a de particulier dans le genre de vie qui ca- ractérise les rêves se manifeste à l'instant où le sommeil cesse pour faire place à la veille. Si l'on vient à être troublé pendant son sommeil , on sent quelquefois la nécessité de s'éveiller , mais en même temps l'effort qu'il en coûte pour revenir à soi, mettre les sens en action , dominer les muscles , et remettre l'imagination sous le frein de la réalité. Un réveil brusque, en sursaut , lorsqu'on dormait profondément , plonge dans une sorte d'ivresse, qui ressemble à un état momentané d'aliéna- tion mentale, l'homme n'étant pas maître de lui , comprenant mal ce qu'on lui dit , exécutant des actions sans but ni liai- son, et parfois même entrant dans une fureur aveugle contre celui qui l'a dérangé (1). Ce phénomène s'observe jusque chez cestains animaux dont le sommeil est profond ; le Lion, brus- quement éveillé, ne sait encore ce qu'il fait et prend la fuite, de sorte que cette manière de le chasser est fort en usage parmi les habitans du cap de Bonne-Espérance. La limite qui sépare la veille du sommeil se manifesté souvent d'une autre manière dans les rêves qui roulent sur des matières scientifiques. On a l'intime conscience d'avoir parfaitement élucidé une question jusqu'alors obscure, et d'être arrivé à en bien saisir les termes; on s'éveille plein de joie ; mais aus- sitôt des nuages se répandent de tous côtés sur les pensées dont on était pénétré , et il n'en reste plus aucune trace dans l'esprit. 5» Le rêve qui détermine les muscles à agir dans le sens des événemens sur lesquels il roule , doit être plus puissant que celui qui ne consiste qu'en intuitions intérieures ; il existe donc aussi une ligne de démarcation plus tranchée entre lui et l'état de veille. De là vient que les rêves dans lesquels on a (1) Vogel , dans Rust , Magazin fuer die gesammte Heilkunde , t. XII, p. 61. SOMMEIL. 219 parlé, quelque vifs qu'ils semblent être , sont précisément ceux dont on se souvient le moins, alors même que d'autres nous rapportent le sens des discours que nous avons tenus. Ce phénomène est plus général encore dans le somnambulisme : il m'est arrivé d'exécuter, étant endormi, des actes que j'étais forcé de reconnaître pour miens, uniquement parce qu'il y avait impossibilité que d'autres les eussent accomplis; un jour, par exemple , je ne pus concevoir à mon réveil comment je me trouvais absolument nu , et malgré toutes mes recher- ches, je demeurai dans une ignorance complète à cet égard, jusqu'à ce qu'on découvrit, dans une autre chambre , ma che- mise bien roulée et serrée dans une armoire. Une autre fois je fus réveillé, au milieu d'un accès de somnambulisme , par quelqu'un qui me demanda ce que je cherchais; ma première pensée fut que je ne devais pas répondre ; au même instant je m'interrogeai moi-même pour savoir quel objet je voulais me procurer, sans en rien dire à personne, et malgré tous mes efforts , il me fut impossible d'en trouver le souvenir. Depuis lors je n'ai jamais rien éprouvé de semblable ; l'esprit de somnambulisme parut m'avoir quitté pour toujours après cette tentative de ma conscience pour pénétrer dans son mys- térieux empire. Le souvenir de ce qu'on a fait dans l'état de somnambu- lisme revient d'une manière nette à Fesprit pendant le som- meil qui suit immédiatement. Un de mes amis apprit un malin que sa femme avait été vue pendant la nuit sur le toit de l'é- glise ; à midi , lorsqu'elle fut endormie , il lui demanda dou- cement , en dirigeant ses paroles vers la région épigastrique , de lui donner des détails sur sa course nocturne ; elle en ren- dit compte d'une manière complète, et dit entre autres qu'elle avait été blessée au pied gauche par un clou saillant à la sur- face du toit ; après son réveil, elle répondit affirmativement , mais avec surprise, à la question qui lui fut adressée; pour sa- voir si elle ressentait de la douleur à ce pied , mais lorsqu'elle y découvrit une plaie, elle ne put s'expliquer quelle en était l'origine. Le somnambulisme admet aussi des souvenirs de la vie éveillée , mais ne lui en fournit aucun , et s'il arrive quel- quefois à un somnambule de savoir ce qu'il a fait pendant ses 220 SOMMEIL. accès , il ne s'en souvient pas autrement que d'un rêve ordi- naire (1). Nous nous rappelons principalement les rêves qui ont un inlérêt particulier , qui affectent vivement notre personnalité» qui sont remarquables , monstrueux ou absurdes. Le souvenir d'un songe insignifiant et indifférent ne se présente la plupart du temps qu'à l'occasion de circonstances spéciales, et souvent il est fort obscur. On se souvient, à Toccasion d'un événement ou d'une idée , d'avoir déjà vu ou pensé quelque chose de semblable; mais on ne trouve aucune trace d'où l'on puisse conclure que c'était à l'état de veille. L'homme d'affaires qui s'adonne tout entier à ce qu'on appelle le côté positif de la vie, a moins de mémoire qu'un autre pour ses rêves, qu'il traite de niaiseries indignes de lui ; mais l'homme oisif , celui qui a contracté l'habitude d'observer son propre inté- rieur, conserve le souvenir de ses rêves , et l'on peut accou- tumer les enfans à se les rappeler, en leur permettant de les raconter chaque fois qu'ils en ont (2). § 603. Recherchons maintenant quels sont les caractères essentiels du rêve. I. Et d'abord examinons ceux qui ont rapport à la person- nalité. i° L'activité subjective de notre âme nous apparaît objec- jective ; car la faculté aperceptive reçoit les produits de l'ima- gination, comme s'ils étaient des émotions sensorielles. Dans les rêves , l'âme est à la fois actrice et spectatrice d'une co- médie jouée par elle. Elle aperçoit ses propres actions, non comme provenant d'elles , mais comme des choses venant du dehors, parce qu'elle est entièrement absorbée en elle-même, que l'antagonisme de la réalité n'existe plus , qu'on ne peut plus distinguer le monde extérieur du moi , en un mot qu'il n'y a plus ce qu'on appelle présence d'esprit. Ce phénomène est surtout bien prononcé dans les rêves de personnes que nous faisons parler et agir en conformité de leur caractère , et dont nous considérons les paroles et les actions comme des (1) Radow, Fersucheùier JlieoriedesSclilafes, p. 162. (2) Brandis , Lehre von den Affecten , p.[561. SOMMEIÈ. 321 choses entièrement étrangères à nous , qui souvent même ex- citent à un haut degré notre surprise. Johnson rêvait quelque- fois d'une lutte de bons mots, et il éprouvait de la mauvaise humeur lorsque son adversaire montrait plus d'esprit que lui. Van Goens rêva qu'il ne pouvait résoudre des questions aux- quelles son voisin faisait des réponses fort justes. Lichtenberg rêva également qu'il racontait une histoire , mais qu'il ne pouvait se souvenir d'une circonstance principale , dont un autre lui rafraîchissait la mémoire. On peut aussi se tourmenter et se réjouir en songe ; il est rare qu'on se fasse une grande joie, et il ne l'est guère moins qu'on se cause une vive douleur ; mais fréquemment on se suscite des embarras, et la plupart du temps on se procure un spectacle agréable. De même, lorsqu'elle crée les images fanstiques de l'assoupissement, l'imagination en produit rare- ment qui soient d'une beauté remarquable ; elle présente plus souvent des caricatures grotesques , et en général des figures indifférentes , mais qui sont agréables parle jeu de leurs cou- leurs ou par leur mobilité , et que l'on contemple avec un certain plaisir. Cette impossibilité de faire une distinction en- tre nos propres idées et les sources d'oii elles découlent, éta- blit une certaine analogie entre les rêves et les châteaux en Espagne dont on peut se bercer étant éveillé , comme aussi «ntre eux et la manie. Mais, dans les rêves qui roulent sur des objets abstraits , il n'y a point de distinction semblable à éta- blir , puisque la méditation ne nous soustrait pas moins aux impressions sensorielles présentes pendant la veille qu'en songe. 2° Le sommeil est la suspension de l'empire sur soi-même. Il faut donc une certaine passiveté pour s'endormir. Aussi le sommeil est-il plus à notre disposition lorsque la vie morale est lourde et que la vie physique n'a rien à demander au monde extérieur. Quand l'esprit a plus de vivacité , on est obligé de suspendre volontairement l'exercice de la pensée ; or il faut une certaine force pour arriver là et se détacher en même temps du monde extérieur. Mais ce qu'il importe sur- tout, c'est qu'on éprouve un sentiment de satisfaction ; Napo- léon, avec la même puissance de f^icultés intellectuelles, pour 222 SOMMEIt. vait dormir tranquillement sur le champ de bataille d'Auster-^ lilz et passer des nuits sans sommeil à Sainte-Hélène. Qui- conque cherche à observer ce qui arrive quand on passe de la veille au sommeil est certain de ne pas s'endormir (1). On peut plutôt réussir à écarter volontairement le sommeil ; mais il faut pour cela des efforts qui deviennent de plus en plus pénibles, et finissent par triompher de notre résolution. Nous avons bien moins encore le pouvoir de commander aux rêves, puisqu'il ne nous est pas même donné de les retarder : l'acte intellectuel d'où ils dépendent s'accomplit comme une action purement organique , et notre volonté n'a pas plus d'empire surcetacte que sur le battement des artères. Cependantce n'est point là non plus un fait qui établisse une différence absolue entre le sommeil et la veille ; car outre que , pendant celte dernière , le rôle de la volonté se réduit à donner l'impulsion et la direction à la marche des idées , et qu'il y a bien des momens dans lesquels nous laissons notre esprit marcher tout seul, la volonté exerce aussi quelque influence durant le sommeil. Les images fantastiques de l'assoupissement ne s'offrent à nous que quand nous avons cessé d'être maître de nous- mêmes ; elles se déroulent, comme celles d'une lanterne ma- gique, dans une parfaite indépendance de notre volonté ; pour qu'elles surviennent, il faut que nous soyons entièrement pas- sifs ; elles apparaissent souvent à l'improviste , et refusent de jouer devant nous lorsque nous les désirons. Aussi s'effacent- elles devant tout acte quelconque de spontanéité, et prennent- elles rapidement la fuite dès qu'on réfléchit sur elles , qu'on a horreur de leur difformité , ou qu'on ouvre les yeux. Ce- pendant l'expérience m'a appris que la volonté exerce quel- que influence sur eUes ; car si je ne puis en déterminer l'es- pèce , j'ai du moins le pouvoir d'en choisir le genre : lorsque d'afl[réables figures humaines, que je serais bien aise de re- tenir, se résolvent en formes grotesques ou monstrueuses, je parviens fréquemment, en dirigeant ma pensée sur des objets d'architecture , à faire paraître des formes kaléidoscopiques, ^1) Dictionn. des se. médic, t. XLVHI , p, 246, SOMMEÎt. J225 dont l'agréable maïs indifférente variété amène uh sommeil tranquille ; je réussis plus rarement à me procurer des visions de paysages. Mais nous ne sommes pas non plus absolument dépourvus de volonté en songe ; une volonté intérieure se manifeste dans les actions que nous rêvons, sa direction au dehors perce même dans les mouvemens que nous exécutons (§ 601 , 3°), et les deux directions se trouvent réunies chez les somnambules qui font des compositions écrites , les corri- gent et y remplacent certaines expressions par d'autres. 3° Il y a , dans les rêves , une conscience intérieure. Nous nous sentons , nous nous voyons , nous délibérons , nous pen- sons , nous agissons, mais il nous manque la conscience exté- rieure , la présence d'esprit , la connexion de notre vie inté- rieure avec l'existence du dehors. Pendant la veille, le monde extérieur nous rend maîtres de nous-mêmes , en s'opposant comme obstacle ou comme limite à notre activité ; rien de semblable n'a lieu en rêve. L'antagonisme entre le monde intérieur et le monde extérieur est supprimé , et , ne pouvant voir autour de nous, embrasser ce qui nous entoure, nous n'avons en quelque sorte qu'une moitié de conscience. Aussi les impressions sensorielles sont-elles perçues en rêve (§ 601, 1°, 2°) , mais elles ne le sont point dans leur totalité ; ainsi le somnambule agit bien dans un certain but , mais il ne voit que ce but , et ne s'inquiète pas d'autre chose ; ainsi , dans le somnambulisme magnétique , l'âme dirige son activité tout entière sur le seul magnétiseur, de manière qu'elle entend ses paroles et obéit à ses ordres. 4° La présence d'esprit se manifeste quelquefois dans les rêves , et y porte le trouble. Ce qui intéresse notre' personna- lité , éveille la spontanéité et chasse le sommeil. Les rêves désagréables ont souvent besoin de nous tourmenter long- temps pour parvenir à nous éveiller, mais la joie exerce une action plus rapide : je m'éveille toujours quand je rêve d'une découverte scientifique, mais jamais je ne l'ai été d'une ma- nière aussi subite qu'un jour où je crus voir ma fille s'envo- ler au ciel toute rayonnante de lumière , image que je con- servai ensuite pendant quelque temps. Le jugement reste long-temps spectateur indifférent du rêve, tolère bien des j524 sommeil. écarts de l'imagination , et n'interpose enfin son autorité que quand celle-ci devient par trop extravagante. Dans un assou- pissement rempli d'images fantastiques qui tenaient presque du rêve , je contemplais tranquillement les maisons se pro- mener à droite et à gauche , et se ranger ensuite sur deux lignes, comme dans une polonaise, lorsqu'enfin je m'éveillai en les voyant se baisser pour passer en sautillant sous les portes de la ville. Une autre fois j'assistais en rêve à un com- bat fort acharné , mais un bruit de cloche ayant fait séparer tout à coup les combattans , qui s'assirent de sang-froid pour déjeuner, je m'éveillai. Il arrive assez souvent que le rêve continue encore après qu'on a repris ses sens , et qu'on a la conscience de rêver ; parfois alors, si l'on se trouve dans l'em- barras, on parvient à se tranquilliser en se souvenant qu'on n'a besoin que de s'éveiller pour être délivré de toute inquiétude. Etant enfant, j'avais souvent rêvé que j'entre- prenais des voyages ; mais je finis par être las de cette illu- sion et par penser avec mauvaise humeur que ce n'était qu'un songe. Un jour je rêvai que je vivais dans l'intimité d'un grand prince , et que je le racontais à mes amis ; mais , tout en faisant le récit , je cherchais à le trouver invraisemblable , et à me persuader que c'était un songe. 5° Comme l'empire sur soi-même ne s'éteint que jusqu'à un certain degré , de même aussi on ne renonce à son individua- lité que jusqu'à un certain point, et c'est plutôt sur les cho- ses extérieures que sur sa propre personnalité qu'on fait porter les changemens. Il est rare déjà qu'on se place en rêve dans des conditions tout-à-fait différentes de celles au milieu desquelles on vit , mais jamais on ne fait sa personne physi- que pire qu'elle n'est. Les aveugles rêvent pendant long- temps encore d'objets visibles , après quoi leurs songes ne roulent plus que sur des choses relatives à l'ouïe et au tou- cher ; un homme qu'une b lessure avait réduit à se servir de béquilles, se vit long-temps, dans ses rêves , marchant sans soutien (1), et une femme qui avait une carie au bras, ne rêvait jamais d'aucune action qui exigeât l'emploi de ce (1) Rudolplu, Gmndriss des Physiologie, \. II, p. 283. SOMMEIL. iâaS membre (1). Les rêves nous ramènent souveni; à des événe- mens de notre enfance , mais jamais nous ne rêvons que nous soyons réellement enfans. De même , la manière d'envisager et de traiter les choses diffère peu de celle "dont on a l'habi- tude pendant la vie , et il est rare que nous nous attribuions en rêve des vices ou des vertus autres que ceux qui nous sont propres dans l'état de veille ; je rêvai un jour que j'avais été obligé de prendre la fuite à cause d'un crime dont je m'étais rendu coupable ; mais, lorsqu'on me rattrapa , je ne savais plus de quoi j'avais à répondre. II. Toutes les fois que l'individualité s'efface , la vie géné- rale se prononce d'une manière plus sensible. Le soleil main- tient nos sens en rapport avec la réalité immédiate , et fait de nous deshabitans de la terre, en nous rendant visibles comme formes distinctes et individuelles. Lorsque notre hémisphère se détourne de l'astre du jour, nous nous sentons abandonnés.au milieu de Tobscurîté , et les vapeurs terrestres obscurcissent notre horizon ; mais le ciel qui brille sur nos têtes nous ap- prend à connaître l'univers et la vie cosmique proprement dite. 6° La vie générale devenant plus puissante que la vie indi- viduelle, pendant le sommeil, l'organisme n'a point besoin des sens externes. Lorsqu'après avoir dormi tranquillement nous nous réveillons à l'heure que nous avions fixé d'avance , il faut pour cela que l'âme ait eu un moyen particulier de mesurer le temps ; car nous n'avons point entendu le bruit de l'horloge. Chez les somnambules , l'œil est ouvert ou fermé , mais fixe, immobile et totalement insensible à a lumière; leurs pupilles sont dilatées aussi ; cependant ils marchent d'un pas sûr , et en cela ils n'obéissent pas à des souvenirs , car ils écartent les obstacles qu'on met sur leur passage ; ils suivent des chemins qui leur sont inconnus , et quand ils écri- vent, on peut tenir un corps opaque entre le papier et leur œil sans les déranger (2). Comme rien ne les disirait, comme la réflexion ne les trouble pas , et qu'ils suivent (1) Gruilhuisen , Beitrœge sur Physiognosie , p, 245, (2) Vogel , dans Rust , Magasin fuer die gesammte Heilkunde, t, XII, p. 36. v> i5 226 SOMMEIt. imperturbablement la même direction , leurs mouvemôns sont^ comme ceux des animaux, parfaitement sûrs, au milieu même des plus grands dangers , et ils marchent d'un pied ferme sur le toit des maisons ; l'instinct semble même , quand ils tombent de haut , les porter à prendre Tattitude la moins défavorable , de sorte qu'une chute devient pour eux un simple saut hardi , qui ne leur porte aucun dom- mage (1). 7° Il est très-commun que les facultés de l'âme éprouvent une exaltation extraordinaire pendant le sommeil. Bien des choses, ditAutenrieth (2), deviennent en songe parfaitement claires pour nous , à la poursuite desquelles nous nous étions mis en vain étant éveillés ( § 600 , 8° ). On cite une multitude d'exemples de personnes qui , dans l'état de somnambulisme ^ étaient plus habiles à jouer d'un instrument , à parler une langue étrangère , ou à faire des vers , que dans l'état de veille (3). Un de mes amis d'enfance, Gustave Hsensel , qui s'était peu ou point occupé de poésie , trouva , un matin sur sa table , à l'époque oii l'impatience du joug des Français fer- mentait dans toutes les têtes allemandes , une ode à Napoléon, aussi remarquable par la noblesse des idées que par la vi- gueur de l'expression et le mérite de la versification , sans qu^il lui fût possible de se ressouvenir du moment où il l'avait inscrite sur le papier. Dans le somnambulisme magnétique, le sentiment intérieur et l'instinct sont accrus d'une manière surprenante ; l'exaltation des facultés intellectuelles s'observe quelquefois, mais celle du sentiment moral est plus générale, et l'on ne connaît pas non plus un seul exemple d'action im- morale qui ait été commise dans le somnambulisme naturel. Nous ne pouvons donc pas douter que , quand l'individualité diminue, l'universalité de l'âme ne devienne quelquefois plus puissante , et tous les récits fabuleux d'inspirations ou de ré- vélations en songe , dont la crédulité a pieusement fait des (4) Brandis, Inc. cit.., p. 442, (2) Handbuch der empirischen menschlichen Physiologie , t. III, p. 264. (SjRadow, Théorie des Schlafes , p. 161-169. — Diction, des se. médic, t. LU , p. 119. — Rust , Magasin ^ t. XII, p. 36. SOMMEIL. 227 recueils , ne doivent avoir aucune influence sur notre manière de voir à cet égard. 8° On peut en dire autant par rapport à la prévision de l'avenir. Il est avéré que l'exaltation du sentiment intérieur donne souvent au somnambule malade une sorte de pré- science des changemens qui vont survenir en lui, et que non seulement il prédit avec précision la nature et l'époque des nouveaux accidens morbides qui îe menacent , mais encore indique fort bien les remèdes qu'on devra lui donner. On rêve souvent de choses insignifiantes , indifférentes , qui nous arri- vent le lendemain , et comme tout instinct suppose une con- naissance de l'avenir , non point acquise par spontanéité , mais donnée par la nature, et qu'il diminue à mesure que l'activité spontanée de l'esprit se développe , il est croyable que la vie organique de l'âme peut être assaillie de pressen- timens pendant le sommeil, état dans lequel l'individu cesse de penser par lui-même. La croyance aux rêves annonçant l'avenir n'a jamais péri (1) ; elle existait chez les Israélites , les Grecs , les Romains et autres peuples de l'antiquité (2) , tout comme on la retrouve chez un grand nombre de nations modernes qui sont étrangères à notre mode de civilisation. Il est naturel que le fanatique croie trouver dans les rêves plus qu'ils ne renferment réellement , et de même que le Cana- dien , quand il convoite la propriété d'autrui , prétend quel- quefois qu'elle lui a été donnée en songe , de même aussi l'imposture a souvent su tirer parti ailleurs de la foi que les hommes ont généralement aux rêves. Mais prétendre à priori que les songes révélateurs de l'avenir sont des fables , c'est , comme le dit Brandis (3)1, suivre une marche qui n'est ni la plus sûre , ni la plus raisonnable , bien qu'elle soit assurément la plus commode, C. Essence du sommeil. § 604. Après avoir passé en revue les phénomènes moraux (1) Carus , Psycholoijie , t. II, p. 480. (2) Radow , loc. cit., p. 138. (3) Loc. cit.,^, 563. 228 SOMMEIL. du sommeil , il nous reste à rechercher quelle peut être Ves- sence de ce dernier. 1° Le sommeil n'est point une négation. Il ne peut tenir ni à une inaction générale , ni à une inaction partielle de l'âme. L'inaction morale ou intellectuelle , Tétat qui consiste à fermer les yeux et à rester parfaitement tranquille , sans faire le moindre mouvement , sans manifester aucune énergie sponta- née , sans imprimer par soi-même aucune direction à son âme, n'est point le sommeil. On peut être épuisé au physique et au moral , sans cependant éprouver le besoin de dormir ; bien plus même , les efforts outrés du corps et de l'âme empêchent de se livrer au sommeil. On peut dormir, au contraire , sans ressentir la moindre fatigue , comme , par exemple , lorsqu'on assiste à un sermon ennuyeux. Pendant le sommeil il y a en- core action des organes sensoriels et locomoteurs (§599, l°-2<'), de même que, dans les rêves, il y a exercice de la conscience, de la faculté d'aperception, de l'imagination , du mouvement et de la faculté appétitive. A la vérité , toutes ces facultés , si l'on excepte l'imagination, sont restreintes dans d'étroites limites ; mais il n'en est pas moins impossible que le sommeil soit un état de veille diminuée oubornée; car autrement il n'y au- rait pas de différence essentielle entre lui et la veille; il ne ferait point antagonisme à cette dernière. Quand on dit que le som- meil est une veille partielle (1) , non seulement on ne dit pas par-là ce qu'on entend , soit par l'un , soit par l'autre , mais encore on se borne à faire entendre que certaines facultés de l'âme sont actives pendant le sommeil , tandis que d'autres reposent. Or, à quelque scène de la vie qu'on s'attache , on y découvre des inégalités de ce genre. L'homme plongé dans «ne méditation profonde ne voit ni n'entend , celui dont l'at- tention est tendue sur des phénomènes qui frappent ses sens , laisse en repos sa raison , et l'inspiré , auquel une imagination déhrante ne permet ni d'apercevoir ce qui l'entoure , ni de réagir volontairement sur aucun objet extérieur, ne dort ce- pendant pas. Donc , si l'on ne considérait le sommeil que comme un repos , on serait plus fondé à dire que la veille est (1) Reil , ^rchiv, t. XII, p. 91. SOMMËIt. 229 un sommeil partiel , et à supprimer ainsi toute ligne de dé- marcation entre ces deux états. On a vu que le sommeil des plantes repose sur l'action et non sur l'inaction ( § 596 , 3° ) ; de même, le nôtre est quelque chose de positif, c'est un état particulier de nos fonctions ; mais il ne constitue point une fonction à part, et l'on ne peut lui assigner aucun organe spé- cial, comme l'a fait Friedlsender (1) , qui le définissait une polarité adynamique de l'organe de l'intuition intérieure pro- duite par la polarité de l'organe du sommeil. 2" La simple réflexion que l'homme ne s'éveille qu'après !a naissance, et qu'il n'arrive ensuite que par degrés à l'état de veille complète , doit nous mener à cette conclusion , que le sommeil est l'état primordial , et qu'il serait par conséquent absurde de l'expliquer par la veille, qui ne survient qu'après lui. C'est ce que Dœllinger (2) avait reconnu quand il a dit que, pendant le sommeil, la vie animale cessait de se dévelop- per delà vie végétative. Grimaud (3) considérait également le sommeil comme l'état primaire , et Brandis (4) comme un état qui nous replonge .dans la vie embryonnaire. La même idée était présente à: l'esprit de Fessel (5) lorsqu'il disait que la veille dégage l'âge des chaînes de la vie physique , et il a fallu tout l'aveuglement qu'on rencontre si fréquemment dans le public, pour empêcher que celte opinion devînt do- minante. L'état primordial de l'animal est celui dans lequel la vie se trouve tournée vers elle-même et ramenée à l'unité , celui dans lequel l'activité morale et l'activité physique sont con- fondues ensemble, celui enfin dans lequel l'individualité n'existe point encore , et n'agit que comme règle de l'activité plastique (§ 475 , 9°, 10°). De cet état, qu'on pourrait appe- ler le chaos de la vie , l'âme sort peu à peu , revêtue de l'es- sence qui lui est propre ; mais , d'après la loi générale de la (1) Versuch ueber die innern Sinne und iJire Anomalieen , p. 361. (2) Grundriss der Naturlehre des menschlichen Organismus, p. 292, ' (3) Cours complet de physiologie , t. II, p. 298. (4) Lehre von den Affecten des lelendigen Organismus, p. 538. (5) Diss. de somni vigiliarumque notione et discrimine , Berlin, 1828, in-8. âSo SOMMEIL. périodicité (§ 693, 3°, 5°) , tout ce qui s'est développé tend , pour sa propre conservation , à se reployer dans l'état d'invo- lution ou d'enveloppement, et de là vient que l'homme tombe de temps en temps dans un sommeil exempt de rêves , au mi- lieu duquel la vie animale retourne à la vie végétative , l'ac- tivité de l'âme se réunit avec la vie générale de l'organisme , et passe ainsi à l'état latent. De même que le sommeil des vé- gétaux est un retour de la plante développée vers l'état em- bryonnaire , par la cessation de l'antagonisme entre la tige et la racine, et par la soumission à l'empire exclusif de la vie radiculaire (§ 596) , de même aussi, chez l'homme , le som- meil est la racine de la vie animale et la fusion des vies mo- rale et physique. A la vérité , on dit fréquemment que , pendant le sommeil, l'âme est séparée du corps , et que telle est la cause qui rend ce dernierpnsensible aux impressions exercées sur les organes des sens. Ainsi , par exemple, Eschenmayer (1) prétend que , comme elle ne peut jamais reposer, elle se retire en elle- même, et laisse les forces de la nature s'emparer de l'organe qui s'est fatigué à son service. Mais , comme le sommeil n'est point volontaire , comme il a pour causes des conditions or- ganiques, comme il éteint et la conscience générale et la conscience idéale , l'âme serait un être fort à plaindre si elle ne pouvait se retirer en elle-même qu'à l'occasion d'une in- fluence étrangère , si , dans cette retraite forcée , elle perdait ce qui la caractérise spécialement, la conscience, et ce qu'elle a de plus précieux , l'idée, si elle était ainsi réduite à ne pou- voir , d'aucune manière , manifester son activité propre ni à elle-même ni à aucune autre chose; la conscience et l'idée dépendraient alors des organes, et l'on pourrait très-bien se passer d'âme. Quand l'âme quitte son organe, elle ne peut point se retirer dans un autre organe , et il faut qu'elle se dégage des liens de l'espace en général. Comment rentre-t-elle , au réveil , dans le cercle de l'organisation ? On ne peut le concevoir autrement que par une force de la na- ture , et cependant celle-ci ne dominerait , dit-on , que les (1) Psychologie , p. 221. SOMMEIL. 23 1 organes. Et si le sommeil consiste dans la séparation de Tâme et du corps, tout rêve devient impossible , puisque lesorjjanes sensoriels sont susceptibles d'agir en songe. Est-ce donc qu'a- lors l'âme aurait un pied dans son domaine et Tautre dans le corps ? Au lieu de la réduire à cette condition de demi-exis- tence , nous aimerions mieux dire , avec les Ostiaques , que , pendant les rêves , elle voyage , s'amuse à la chasse , et va rendre visite à ses amis. Le dualisme , qui s'imagine élever l'âme à force de fictions hyperphysiques , ne fait que rabais- ser sa dignité en nous représentant la nature comme un mé^ canisme non animé. 3° Dans les derniers temps de la vie embryonnaire , la vie se polarise , la sphère physique et la sphère morale se^sépa- rent l'une de l'autre , parce que le sentiment intérieur s'é- veille , et avec lui l'instinct aveugle. Cet état est , à propre- ment parler, celui dans lequel l'âme retombe pendant le som- meil périodique , puisque rien de ce qui s'est développé ne peut rétrograder entièrement jusqu'à l'état primordial (§593, 4°) ; les excitations du sentiment intérieur (§ 601, 1°) , et les mouvemens (§601, 3°) qui ont lieu pendant le sommeil pro- fond et exempt de rêves , sont analogues à ceux qu'on observe chez l'embryon. Mais ce que l'âme a acquis par assimilation, en se développant, est sa propriété inaliénable ; elle emporte avec elle , dans le sommeil , les souvenirs du monde et de sa propre pensée, et ce sont ces souvenirs qui posent des bornes aux attributs du sommeil. L'embryon , dont les or- ganes sensoriels ne sont point encore ouverts , est isolé par rapport au monde extérieur ; il n'éprouve que des^xcitations faibles de la part des sensations obscures de son propre orga- nisme , et il est entièrement absorbé dans une sourde incuba- tion. Le réveil de la vie embryonnaire consiste en ce que les sens externes établissent un conflit avec le monde du dehors , en ce que la connaissance acquise ainsi de ce dernier permet au moi de se distinguer des choses extérieures , enfin en ce que l'aptitude obtenue de distinguer sa propre personnalité et son propre corps fait développer la conscience et la faculté de se déterminer soi-même , la liberté et la spontanéité. La suppression de ces antagonismes donne le sommeil périodique; 2^2 SOMMEIL. l'âme redescend dans la nuit de la vie embryonnaire /parce qu elle s'isole du monde extérieur , qu'elle renonce à la sen- sation et au mouvement , et qu'elle se rattache à la vie géné- rale , dont elle s'était dégagée lors de sa venue au monde , de manière que la réalité extérieure perd tous ses droits sur elle. Mais comme elle arrive à cet état d'isolement riche d'idées et fort habile dans l'art de les combiner ensemble , tant qu'elle y demeure , elle exerce dans son propre intérieur une puissance créatrice ; l'imagination , semblable en cela à la plasticité qui avait produit les formes dans l'embryon , crée les images fan- tastiques du rêve. Il suit de là que, pendant le sommeil, l'âme mène une vie propre et intérieure (§ 602) , une vie ab- sorbée dans la contemplation de ses propres produits ( § 603 , 1») , mais que , comme le moi ne sait plus se distinguer du monde extérieur , il n'y a plus alors ni pouvoir de se déter- miner soi-même, ou spontanéité (§ 603, 2"), ni empire sur soi-même, ni réaction libre. Le rêve est l'activité naturelle de l'âme , non limitée par la puissance de l'individualité , non troublée par la conscience de soi-même , non dirigée par la spontanéité , en un mot c'est la vitalité du point central de la sensibilité , de l'organe primordial , qui se livre en liberté à ses ébats , à tous ses caprices. Maintenant , comme l'activité organique , la vitalité générale est plus puissante que l'acti- vité individelle , et que ce qui avait donné à l'âme la forme de force plastique ou d'âme végétative , ne peut point avoir été engendré par l'individu , il suit de là que des forces supé- rieures doivent se révéler de temps en temps en rêve (§ 603 , ôo-S») , . parce qu'alors l'individualité n'est pas là pour les troubler , et que la réflexion n'empêche point le cours orga- nique des idées. Ainsi la vie de l'homme qui rêve est placée sur les limites du plus grand élan que l'homme soit capable de prendre par l'inspiration et la méditation , et l'on est fondé à dire , avec Brandis (1) , que l'exécution de toute grande idée est le produit d'une sorte de somnambulisme , at- tendu qu'alors l'idéal se manifeste en nous sans notre partici- pation , et nous pousse avec une irrésistible puissance. Aussi (1) Loc, cit./i^. 443. SOMMEIt. ' 255 les découvertes intellectuelles qui se révèlent à râtne pour ainsi dire d'un premier jet de création, commedansles rêves scientifiques, et la direction exclusive des forces morales vers un but unique , sont-elles ce qu'il y a de plus noble et de plus élevé dans la nature humaine , quoiqu'elles demeurent tou- jours incomplètes. D'un autre côté , la vie de l'homme qui rêve confine à la manie , dans laquelle l'individualité morale disparaît et la spontanéité de l'âme s'éteint ; comme le som- nambulisme porté à un haut degré est souvent le précurseur de l'aliénation mentale , de même les visions et l'extase sont des irruptions que la vie des songes fait dans la vie de veille , et qui touchent de près à la manie, qui y mènent fort souvent (1). Du reste , on doit encore remarquer que les rêves , surtout dans l'âge avancé , nous reportent volontiers à l'enfance , et nous font reculer aussi loin dans la vie que la conscience peut nous en reproduire le souvenir distinct. Gruithuisen (2) pré- tend que c'est parce que les impressions sont plus fortes dans l'enfance qu'à tout autre âge. Mais cette explication semble forcée ; car les événemens qui nous arrivent dans l'âge mûr font sur nous des impressions plus profondes et plus dura- bles. Ce phénomène se rattache bien plutôt à l'essence du sommeil, qui est de nous rapprocher le plus possible de l'état primordial. D. Effets du sommeil. § 605. Le sommeil agit d'une manière bienfaisante. 1° Il fait cesser les tensions et diminue les antagonismes. Ses effets sont surtout salutaires dans les maladies , les fièvres , les inflammations , les douleurs et les spasmes. Quand il man- que , la sensibilité devient trop exaltée ; lorsqu'il dure trop long-temps, l'atonie, la bouffissure, l'obésité, la pesanteur de tête , la mauvaise humeur , la paresse , l'émoussement des sens et des facultés morales , l'insensibilité , en sont les consé- quences. Un trop long sommeil est surtout dangereux dans (1) Esquirol, Des maladies mentales, Paris, 1838, 1. 1, p. 159etsuiv, (2) Loc, cit., p. 258. d54 SOMMEIL. les maladies où la vie manque d'antagonismes puissans , par conséquent dans les cachexies scrofuleuses et autres , dans les ulcères atoniques , l'hydropisie , la tendance à la gan- grène , etc. 2° Le sommeil répare les forces perdues , non par le repos qu'il procure , mais en dirigeant l'activité vers l'intérieur, en rétablissant l'équilibre primordial des organes , en diminuant la consommation. Après avoir dormi toute une nuit , on se trouve plus grand de près d'un pouce , parce que les carti- lages intervertébraux , débarrassés du poids de la partie su- périeure du corps qui a pesé sur eux pendant la journée , se sont dilatés et sont rentrés dans les conditions de leur conformation primitive. Pendant la veille , les forces sont consommées par le conflit avec le monde extérieur ; car l'activité sensorielle et le mouvement sont ce qui fixe l'homme dans la réalité , mais en même temps ce qui dissipe et épuise ses forces , et la spontanéité individuelle est toujours une scission entre telle^vie donnée et la vie générale, qui met la première en danger. Pendant le sommeil , au contraire , la vie se recueille , se réunit ; elle agit plutôt pour conserver que pour détruire , puisque la plasticité elle-même continue, sans être troublée par la vie animale. Trop peu de sommeil cause la lassitude , l'amaigrissement , la vieillesse prématurée ; son absence totale amène la fièvre , le délire et la mort. 3» Le sommeil rétablit la normalité , c'est-à-dire l'état véri- tablement primordial. La plupart des crises ont lieu pendant sa durée, ou par lui. 11 fait rentrer l'âme en elle-même, en la tirant de la distraction du monde , et la ramène d'un climat étranger dans celui où elle a pris naissance. Il lui fait dépo- ser les charges de la réalité , et la débarrasse de tous les soucis, comme aussi de tous les avantages que lui a procurés le hasard de la personnalité. Il rétablit parmi les hommes l'égalité que la veille avait détruite. » Le rêve , dit Novalis , est un préservatif contre la régularité et la monotonie de la vie , une mise en liberté de l'imagination, qui entasse pêle- mêle toutes les images de la vie , et tempère le sérieux con- tinuel de l'âge adulte par les jeux amusans de l'enfance. Sans les rêves , nous vieillirions assurément de meilleure heure ; et EFFETS DE tk PÉRIODICITÉ DIURNE. 235 on peut les considérer sinon comme un don immédiat de la Providence , du moins comme un joyeux compagnon associé par elle à notre pèlerinage vers la tombe. » Le sommeil entre- tient la gaîté naturelle : celui qui ne dort point assez devient mélancolique. Le soir on est souvent dans Tindécision sur le parti qu'ondoit prendre , parce qu'on épilogue trop ; et le matin , au réveil , on a des résolutions arrêtées , non parce qu'on a longuement réfléchi pendant la nuit , mais parce que l'individualité et toutes les subtilités dont elle aime à se bercer n'ont point encore eu le temps de troubler la manière simple et naturelle dont nous envisageons les choses. Nous ne nous endormons pas pour tomber dans des rêves qui portent atteinte à la vie éveillée , qui détruisent notre spontanéité et notre individua- lité ; mais nous nous plongeons dans la source de la vie , nous enfonçons notre moi dans le sein de la vitalité générale, pour renaître à la vie spontanée , rajeunis en quelque sorte et pleins d'une vigueur nouvelle. 4° Quoique les rêves ne soient point un exercice spontané , ils sont cependant toujours un exercice des facultés de l'âme , de sorte que, même pendant le sommeil, l'esprit ne continue pas moins de marcher vers son développement. Peut-être même devons-nous plus que nous ne croyons à cette vie inté- rieure de l'âme. Ce qu'on a appris le soir , on le sait mieux le lendemain matin , quoiqu'on ait rêvé de toute autre chose pendant la nuit : il ne s'est imprimé plus profondément dans notre esprit que parce qu'aucune impression extérieure nouvelle n'est venu l'effacer. ARTICLE ir. Des effets de la périodicité diurne sur la vie. § 606. Pendant que les phénomènes dynamiques de lu- mière et de chaleur auxquels donnent lieu les rapports de notre planète avec le soleil, font une révolution simple, et at- teignent leur maximum vers le milieu du jour , leur minimum vers le milieu de la nuit , les fluides généraux de la terre , la mer et l'atmosphère, éprouvent, dans l'espace de vingt- 236 EFFETS DE LA PÉRloruClTÉ DICHNE. quatre heures , une révolution double , c'est-à-dire que deux fois ils s'élèvent et s'abaissent. A la périodicité simple de no- tre planète correspond l'alternative du sommeil et de la veille; à la double périodocité de, la mer et de l'atmosphère corres- pond également une double alternative dans le système san- guin. Nous pouvons présumer que la vie , considérée dans ses rapports généraux et dans ses phénomènes dynamiques, ré- pond à l'antagonisme simple du jour et de la nuit, tandis que la vie plastique ou partielle et l'état des liquides marchent parallèlement aux phases des quatre périodes de la journée. Cependant le nombre des faits recueillis à l'égard de cette périodicité n'est point encore suffisant pour autoriser à ad- mettre ou à rejeter une telle hypothèse ; et un jugement à vol d'oiseau ne peut avoir aucune portée en pareille oc- curence. Nous devons donc nous borner à tracer le tableau des faits connus. I. A l'égard des phénomènes que présentent les fluides gé- néraux de la terre, la mer se meut toutes les six heures dans une direction inverse par rapport à la terre ferme, puisque le flux et le reflux ont lieu chacun deux fois dans l'espace de vingt- quatre heures cinquante minutes. Quelque chose d'analogue a lieu dans le magnétisme , ainsi que dans l'électricité et dans la pesanteur de l'atmosphère. C'est le matin, de huit à neuf heures environ, que l'aiguille aimantée décline le plus vers l'est , et de deux à trois heures après midi à peu près, qu'elle se dirige le plus vers l'ouest ; le soir, de huit à neuf heures , elle se porte un peu à l'est , et la nuit , vers deux heures en- viron, un peu à l'ouest. L'électricité atmosphérique augmente avant le coucher du soleil et pendant quelques heures après , diminue depuis midi jusqu'à deux heures avant le coucher du soleil , remonte le soir jusqu'à deux heures après le coucher de cet astre , et baisse de nouveau pendant la nuit. Le baro- mètre monte le matin (à peu près jusqu'à huit heures), baisse dans le miheu du jour (jusqu'à quatre heures environ), monte le soir (à peu près jusqu'à dix heures), et baisse la nuit. Le malin et le soir , il tombe de la rosée ; c'est à midi que l'air est le plus sec ; il l'est moins pendant la nuit. IL Nous voyons, chez les végétaux, que certaines fleurs, EFFETS DE LA PÉRIODICITÉ DIURNE. 23^ qui se sont épanouies le matin, se ferment à midi , pour s'ou- vrir de nouveau vers le soir , quand la lumière devient moins vive , et se closent à l'entrée de la nuit(l). Suivant Sigwart , les feuilles de la Sensitive ne présentent que la périodicité du jour et de la nuit , tandis que les pétioles offrent celle des quatre époques de la journée , attendu qu ils s'abaissent le matin (au réveil des feuilles), se dressent à midi, s'abaissent le soir, et s'élèvent dans la nuit (pendant le sommeil le plus profond des feuilles). Meyer (2) a observé que les céréales croissent plus rapidement le jour que la nuit; mais il a cru remarquer aussi chez elles trois alternatives, dont l'effet serait tel que Taccroissement marcherait un peu plus vite le matin , de huit heures à dix , se ralentirait depuis dix heures jusqu'à midi , serait plus rapide qu'à toute autre époque depuis midi jusqu'à quatre heures , se ralentirait depuis quatre heures jusqu'à six , s'accélérerait depuis six heures jusqu'à la nuit , et deviendrait plus lent pendant la nuit. III. A l'égard des phénomènes de la vie chez l'homme , le type en est singulièrement modifié par la vie morale , le tem- pérament , la volonté et le régime , qui en rendent la con- naissance fort difficile. Ce qu'on a dit sur les formes de ma ladies qui se manifestent de préférence à telle ou telle épo- que de la journée , est souvent fort peu propre à satisfaire , la même forme se représentant dans des états morbides essen- tiellement diftérens les uns des autres. Certaines formes de maladie, par exemple l'hémicrânie , ne se voient chez les uns que pendant la nuit, et chez d'autres que durant la jour- née.D'ailleurs, les observateurs n'ont généralement pointélabli de distinction assez nette entre les époques de la journée : par exemple, ils comprennent dans la nuit le crépuscule et l'aurore. 1" C'est pendant la nuit que la respiration est le plus tran- quille , et vers minuit , suivant Knox , que les battemens du pouls sont le plus rares. Testa assure que le pouls offre environ un cinquième de moins de pulsations pendant le° sommeil que (1) H.Dutrochet, Mém. pour servir à l'hist. anat. etphys. des végétaux et des animaux , Paris , 1837 , t. I, p. 469 et suiv. j (2) Biblloth. univ. de Genève, 1829, p. 128. 238 EFFETS DE LA PÉRIODICITÉ DIURNE. pendantjla veille. Hamberger rapporte que, chez un garçon de huit ans , le pouls tomba de cent pulsations à quatre-vingt- neuf, et chez un autre de quatorze ans, de quatre-vingt-deux à soixante-deux , pendant le sommeil. Selon Martin , il des- cendit de soixante-dix à soixante chez un adulte. Les in- flammations sthéniques s'apaisent pendant la nuit, tandis que les phlegmasies asthéniques et les fièvres de mauvais carac- tère s'aggravent (1). La vie du sang augmente vers le matin ; d'après les observations de Double et de Brandis (2) , le pouls devient plus plein , plus grand et plus fort. Knox prétend (3) que sa vitesse augmente vers trois heures du matin , qu'on ait dormi ou non ; lorsqu'on a veillé toute la nuit , c'est à cette heure qu'on se trouve le plus échauffé ; les exacerbations de la fièvre hectique et du typhus, et les hémorrhagies , notam- ment le crachement de sang et le flux hémorrhoïdal , ont lieu aussi à cette époque; les accès de la goutte se déclarent la plupart du temps vers deux ou trois heures ; les blennor- rhées inflammatoires ne sont jamais plus douloureuses qu'a- lors; c'est aussi à ce moment , suivant Testa, que la mort ar- rive le plus souvent dans les fièvres inflammatoires et les suppurations internes. A la naissance du jour, la circulation se calme , le pouls devient plus lent et plus fort, les maladies fébriles et inflammatoires éprouvent une rémission , les ago- nisans reviennent à eux. A mesure que le soleil monte sur l'horizon , la vitesse du pouls augmente peu à peu , et les fièvres continues s'aggravent. Vers le soir a lieu le second flux du sang -, le pouls redevient plus vite et un peu dur ; si l'on comptait soixante-cinq à soixante-dix pulsations par mi- nute , le matin , il y en a maintenant soixante-quinze à quatre- vingt , au dire d'Autenrielh (4). En disant qu'il se ralentit , Knox a peut-être voulu parler du pouls de la nuit (5). Il a fallu une grande tempérance pour que C. Reil (6) parvînt à le (4) Dictionn. des se. médic, t. XXXVI, p. 493. (2) Loc. cit., p. 552. (3) Deutsches ArcMv , t. II, p. 89. (4) Handhvch der Physiologie, 1. 1, p. 209. (5) Loc. cit., t. II, p. 85. (6) Ibid., t. VII, p. 393. EFFETS DE Lk PÉRIODICITÉ DIURNE. sSg rendre moins rapide qu'il ne l'était le matin. Suivant Robin- son , sa moindre fréquence (soixante-cinq ou soixante-six pul- sations) se voit vers huit heures du matin , et sa plus grande ( soixante-dix-sept à quatre-vingt-quatre pulsations ) vers quatre à six heures du soir. La première s'observe à huit heures du matin (soixante-dix pulsations), selon Pélissier, et la seconde (quatre-vingt-une pulsations) à quatre heures après midi. Les inflammations et la plupart des fièvres présentent des exacerbations le soir : c'est ce qui arrive surtout à la fièvre inflammatoire et aux phlegmasies du poumon ; mais on ob- serve aussi ce phénomène dans la synoque et la fièvre hec- tique , la goulte et le rhumatisme. La menstruation se mani- feste presque toujours à ce moment de la journée , ainsi que les accidens déterminés par les hémorrhoides. Les symptômes de pléthore qui ne sont relatifs qu'à la paresse de la circula- tion , se font alors sentir avec moins d'intensité. 2" Pendant le sommeil de la nuit , la production de cha- leur est moins considérable , la température ordinairement inférieure de plus d'un d^mi-degré de l'échelle réaumu- rienne , le besoin d'être chaudement couvert généralement senti , et , chez la plupart des hommes , la faculté de mainte- nir sa propre température diminue (1). Non seulement on est plus exposé aux refroidissemens et aux rhumatismes , ainsi qu'à la congélation, mais encore la chaleur extérieure échauf- fe davantage , et cause la rougeur de la face, sa bouffissure , la pesanteur de tête , la paresse. La production de chaleur augmente dans la matinée , et devient plus considérable en- core vers le soir, jusqu'à ce qu'elle diminue au moment oîi l'envie de dormir se fait sentir. 3" D'après les observations de Martin , la turgescence diminue pendant la nuit , mais reprend vers le matin. Le pourtour de la poitrine était moins considérable que pendant la veille , de deux trente-cinquièmes après deux heures de sommeil , de trois environ après quatre , et d'un seulement après six ; celle de la main de deux trente- sixièmes au bout de deux heures , de trois au bout de qua- (4) Brandis , loc. cit., p. 549. 240 EFFETS DE lA PÉRIODICITÉ DIURNE. ire, et de deux seulement au bout de six ; celle du ventre et du pied d'un trente-deuxième à un trente-quatrième après quatre heures , et semblable à celle de la veille au bout de six heures. Martin a reconnu , par de nombreuses mesures , que la poitrine se rétrécissait d'environ huit lignes pendant la nuit , après un sommeil tranquille , mais qu'après une nuit passée à veiller, le ventre était plus large de cinq lignes et la poitrine de dix, qu'ils ne l'étaient pendant la soirée. Il est fa- cile à chacun de juger d'après ses propres vêtemens que la turgescence est plus considérable le soir que le matin. 4° Pendant le sommeil nocturne la plasticité prédomine, en ce sens qu'elle est moins déterminée par la vie animale et que ses différentes directions se font équilibre l'une à l'autre. Mais elle a moins d'énergie , les matériaux se renouvellent avec plus de lenteur , la consommation et la décomposition sont moins considérables. Le sommeil éteint le besoin de prendre des alimens , et l'on engraisse lorsqu'on dort beaucoup. Dans les maladies putrides, la gangrène, le scorbut, la syphilis, etc., la décomposition augmente pendant la nuit ; mais les crises que le sommeil lui-même n'amène pas , sont en quelque sorte préparées par cet équilibre ; car elles ont lieu vers le matin , quand la vie du sang s'exalte de nouveau. 5° Les sécrétions suivent, en général , le type de la vie du sang. Elles sont moins abondante pendant la nuit, et augmentent vers le matin. Les excrétions colliquatives, telles que la sueur dans l'étisie, l'urine dans le diabète, la sérosité dans l'hydro- pisie , deviennent plus copieuses à cette époque, et diminuent jusqu'à un certain point chez les sujets qui prennent moins de sommeil (1). C'est pendant la nuit que la transpiration est le moins abondante. G. Stark et G. Reil (2) l'évaluent, terme moyen , à une once par heure de nuit , et à une once sept gros par heure de la journée , ce qui donne la proportion de \ : 1,87. Cette proportion a été, pendant l'année entière , de 1 : 4,54, selon Keill (3) et Lining(4), et de 1 : 30, d'après (1) Brandis, loc. cit., p. 554. (2) Deutsches Jrchiv, t. VII, p. 359, (3)/àii.,p. 362. (4) Jbid., p. 376. EFFETS DE lA PÉRIODICITÉ DIURNE. 24 1 Martin. C. Reil (1) assure qu'elle ne varie pas , soit qu'on dorme ou qu'on veille , et que même la différence du genre de vie, la diversité des influences extérieures , ne l'altèrent point d'une manière sensible. Mais la transpiration arrive à son mi- nimum vers minuit. Elle augmente aussi , indépendamment de la veille , dans la matinée, presque toujours vers sept heures, et atteint son maximum avant midi , époque de la journée à laquelle elle est deux ou trois fois plus considérable qu'après midi. Ensuite elle va un peu en diminuant , s'accroît de nou- veau pendant le flux du sang vers le soir (2) , et baisse enfin aux approches de la nuit. La sécrétion urinaire semble suivre la même loi. La quan- tité d'urine rendue pendant la nuit , comparée à celle qui se produit durant le même laps de temps pendant la journée , est, terme moyen, pour toute l'année, de 1:1,20, selon Keill (3), et de 1 : 1,07 suivant Lining (4). Il ne se produit pas de mucosités dans les voies aériennes pendant la nuit, mais cette sécrétion devient plus abondante vers le matin. C'est aussi à cette dernière époque que les exanthèmes couvrent le plus copieusement la peau. Les sécrétions changent également de qualité, et surtout se concentrent pendant la matinée. Suivant Schubler (5), c'est le lait du matin qui donne le plus de beurre , et celui de midi qui en fournit le moins ; on n'en obtient qu'une médiocre quantité du lait de la soirée. Gaertner (6) dit que l'urine du matin est plus saturée, qu'elle forme un sédiment plus abon- dant , qu'elle contient plus d'acide et de sels calcaires , tan- dis que les veilles nocturnes la rendent plus rouge , mais plus pauvre en matières sédimenteuses. Le mucus expectoré est également plus épais et plus visqueux le matin. De même, le linge de nuit se salit davantage que celui de jour. L'air des (1) Ibid., p. 363. (2; Ibid., p. 368. (3) iiid., p. 362. (4) Ibid., p. 376. — Comparez P, Rayer, Traité des maladies des [rein et des altérations de la sécrétion urinaire, Paris, 1839, t. I^ p. 63. (5) Deutsches Jrchiv., t. IV, p. 563 (6) Reil , ydrchi-v , t. Il , p. 483. V. i6 â-^5 EFFETS DE LA PÉRIODICITÉ DIURNE, chambres dans lesquelles on a couché est plus altéré le matin, et plus chargé de matières anunales, que celui des chambres qu'on habile pendant la journée. Il est probable que celte eoncentraiion s'opère particulièrement dans la matinée. 6° A l'égard de la réceptivité pour les impressions du dehors, soit absolues, soit relatives , elle est plus faible pendant la nuit qu'à toute autre époque de la journée. Les purgatifs agissent moins alors ; la toux , les douleurs causées par la pierre, etc., diminuent. Cependant l'action des substances nui- sibles est plus dangereuse en ce moment ; les émanations des fleurs et les vapeurs du charbon portent plus rapidement à la tête, on est plus accessible à l'influence des marais , de tous les airs corrompus et des diverses causes de contagion (1) , non parce que l'absorption devient plus abondante^ mais parce que la force de résistance diminue. Vers le matin, l'ir- ritabilité augmente ; les liquides accumulés , qui n'avaient causé aucune irritation pendant la nuit, en opèrent une main- tenant, et déterminent la toux, l'éternuement , l'envie d'uri- ner ; l'absorption est plus active , et s'il est vrai que le pus soit résorbé en plus grande quantité pendant le sommeil (2) , ce doit être surtout durant celui qui a lieu le malin. Des ma- lades chez lesquels les frictions mercurielles faites le soir avaient produit peu d'effet , guérirent lorsqu'on eut recours à ce moyen dans la matinée. Cette époque de la journée est celle durant laquelle toutes les frictions, quelles qu'elles soient, agissent avec le plus d'efficacité (3) ; on y contracte plus aisé- ment toutes sorîes de contagions et d'infections 5 les pur- gatifs et vomitifs à petites doses manifestent une action plus puissante ; les eaux minérales et tous les médicamens qu'on administre pour produire une métamorphose durable dans des maladies chroniques, ont plus de succès; le pouls s'accé- lère plus facilement sous l'influence des causes du dehors (4) ; (4) Brandis , loc, cit., p. 551. . (2) ièid., p. 544. (3)Cruikshank,dans5£e»îî»te^ auserlesenef Mliandlungen , t, "Vïl, p, 18, (4) Knox , dans Deutsches ArcUv^ t. U^ p. 87, EFFETS DE tA PÉRIODICITÉ DIURNE. 2t{% un sujet atteint de cyanose éprouvait alors des accès de suf- focation , auxquels il n'était pas sujet le soîr ; enfin Desfon- taines, TJslar et autres ont reconnu que les plantes jouissent d'une plus grande irritabilité le matin. La réceptivité pour les impressions extérieures diminue pendant le cours de la jour- née ; les boissons fortes enivrent moins le soir que le matin , et le pouls est moins sujet à varier, car, suivant les remarques deKnox, il s'accélère, au moment du lever, de vingt pulsations par minute , à midi de treize, et le soir de six seulement (1). 7° Walaeus a reconnu que la digestion marche avec plus de lenteur pendant la nuit , et que les alimens pris immédiate- ment avant de se coucher agissent comme un corps étranger qui trouble le sommeil. Le matin, l'irritabilité des organes digestifs est plus considérable, il suffit d'une cause légère pour la troubler, et les désordres qui datent des jours pré- cédens , comme l'amertume de la bouche , les nausées , le vomissement , le soda , le spasme d'estomac , la colique et la diarrhée, se manifestent alors avec plus d'intensité. 8° La respiration est plus faible pendant le sommeil ; le mouvement respiratoire est plus rare, et sa fréquence tombe, par exemple , de vingt inspirations à quinze par minute. La cage thoracique se soulève davantage, mais uniquement parce <îue le diaphragme ne descend point si bas ; on expire moins d'acide carbonique (2) , et il s'accumule davantage de mu- cosités dans les poumons. Suivant Testa , les accès de suffo- cation qui accompagnent l'hydropisie de poitrine prennent plus d'intensiîé pendant la nuit. Cependant il y a quelques maladies de poumons dans lesquelles les accidens diminuent ;parce que ces organes se distendent moins. C'est de dix heu- res du malin à deux heures après midi qu'on expire le plus " 4'acide carbonique, au dire de Prout , et c'est pendant le flux du sang, vers le soir, que la cyanopathie déploie de préfé- rence ses accès (3). 9° Le matin plaît aux gens sobres , tranquilles , laborieux; (1) Deutsches Archiv, t. II, p. 94. (2) Pioiit, dans Deutsches Archiv, t. II, p. 145. (3i Dentsches Archiv, t, I, p. 274. ^14 EFFETS DE LA PÉRIODICITÉ DIURNE.' les sens jouissent de toute leur perfection , l'esprit est re- cueilli, calme et lucide, les focultés intellectuelles sont ou- vertes à l'observation et aux méditations sérieuses , elles sup- portent sans fatigue un travail prolongé. A mesure que le jour avance , l'âme se sent plus disposée à agir en dehors , et l'activité de l'esprit , s'éparpillani sur un plus grand nom- bre de sujets , s'applique mieux aux affaires de la vie réelle. Vers le soir, le bouillonnement du sang ranime le sfentiment et l'imagination ; ouest plus distrait que le matin, on éprouve une sorte de besoin de secouer ses chaînes habituelles; les traits heurtés sous lesquels la lumière du jour nous faisait apercevoir la réalité , s'adoucissent et se fondent à la lueur incertaine du crépuscule , les sens externes reçoivent moins du dehors , la faculté créatrice passe au service du sens in- terne , et l'imagination enfante ce qui doit être mûri dans la matinée suivante; l'esprit tourne à la poésie, les affections deviennent plus vives , les désirs prennent une teinte plus passionnée ; la convoitise s'allume , l'amour s'exalie, et l'hy- pochondriaque ou le mélancolique s'enfonce plus avant dans sa tristesse. La nuit ramène le sentiment de l'isolement, et affaiblit l'énergie de la vie ; mais, au milieu du calme qu'elle amène , l'œil plonge dans Timmensilé des mondes , et l'âme se trouve entraînée vers les idées religieuses : d'un autre côté, l'alourdissement, joint à la prévision vague d'un état supérieur à celui de la nature , dispose à croire aux fantômes et aux apparitions. 10° L'instinct génital s'éveille pendant les deux flux de la vie du sang ; le matin , sous l'influence surtout d'une cause matérielle , qui amène des pollutions , le soir, sous celle de l'exaltation qu'ont acquise le sentiment et l'imagination. 41° Quetelet a indiqué l'époque de la journée pour deux mille six cent quatre-vingts naissances dans une maison d'ac- couchemens de Bruxelles (1), et Buek pour neuf cent trente- et-une relatives à la ville de Hambourg (2). D'après ces do- cumens , sur mille naissances, il y en a eu : (1) Nouv. mémoires de î'Acad. de Bruxelles , t. IV, p. 139, (2) Gerson , Magazin , t, XVII , p. 34j^. EFFETS t>E Ik PÉRIODICITÉ DIURNE. 2l\^ A Bruxelles. A Hambourg. Dans la journée , de neuf à trois heures 221 205 Le soir, de irois à neuf heures 240 d85 La nuit , de neuf à trois heures 294 3^8 Le matin , de trois à neuf heures 245 292 Ainsi la plus grande fréquence a eu lieu , dans les deux villes , pendant la nuit , et ensuite le matin ; la moindre fré- quence a été observée dans la fournée à Bruxelles et le soir à Hambourg. DéjàOsiander avait remarqué (1) que la plupart des accouchemens commencent aux approches de la nuit et se terminent vers le matin , de sorte qu'ils correspondent aux deux périodes d'exaltation de la vie du sang , et que leur commencement coïncide avec Texacerbation des fièvres dans la soirée, et leur fin, au contraire, avec la crise qui s'opère le matin (2). En effet, le plus grand nombre des naissances s'effectuent pendant les trois heures qui suivent minuit ; sur 294 accouchemens nocturnes , à Bruxelles , 128 eurent lieu durant les trois heures qui précèdent minuit , et 166 de minuit à trois heures du malin , de même que , sur les 318 de Ham- bourg , 148 s'opérèrent de neuf heures à minuit et 170 de mi- nuit à trois heures. C'est à midi et à minuit qu'il est le plus rare d'en voir ; tandis qu'à Bruxelles le terme moyen des naissances était de cent onze par heure , il n'y en avait que quarante-huit de onze heures à midi, et quatre seulement de onze heures à minuit , à moins que quelque préjugé n'ait porté les habitans à retarder ou avancer leur déclaration quant aux naissances survenues pendant ces deux heures. A Ham- bourg , nous trouvons cent seize naissances pour chaque laps de temps de trois heures ; mais , depuis neuf heures jusqu'à midi, leur nombre ne s'élève qu'à quatre-vingt-dix. Sur deux cents naissances oïjservées par Garus (3), quatre- vingt-quatre eurent lieu le jour et cent seize la nuit. On ne peut guère admettre ici une relation quelconque avec le mo- (d) Handbuch der Enihindungskunst ,1^. II, p. 47. (2) Gerson, Magasin , t. XVII, p. 356. (3) Lelirhucli der Gynœkologie , t. II, p. 428. 2^Q EFFETS DE LA PÉRIODICITÉ DIURNE. ment de la fécondation (1) ; Schweighseuser (2) prétend que l'époque de la parturition coïncide avec la fin de la digestion du repas principal , en sorte que, pour les femmes dînant à midi , il a lieu entre onze heures du soir et trois heures du ma- tin , mais que , pour celles qui prennent leur dîner à quatre ou cinq heures, il s'effectue entre cinq et dix heures du ma- tin ; cette opinion paraît peu probable à quiconque prend en considération les autres phéitomènes de la périodicité. Du reste , nous ferons encore remarquer que , sur ks deux mille six cent quatre-vingts enfans nés à Bruxelles, deux cent dix-neuf vinrent au monde morts, savoir cent vingt-cinq parmi les douze cent quarante qui naquirent de neuf heures du ma- tin à neuf heures du soir , et quatre-vingt-quatorze seuiement parmi ceux qui naquirent de neuf heures du soir à neuf heures du matin, de sorte que ce ne sont pas seulement les plus nombreux accouchemens en général , mais encore le plus grand nombre d'accouchemens heureux, qui ont lieu pendant la nuit et dans la matinée. 42" La mort se rattache moins à une époque déterminée de la journée , parce qu'elle peut-être le résultat d'une foule de maladies. De dix-neuf cent cinquante-huit malades à Ham- bourg, dont Buek a fait connaître le moment de la mort, la plupart succombèrent pendant la nuit , tandis que , de cinq mille deux cent cinquante malades à Bruxelles , et trois cent deux à l'hôpital militaire de Paris , la plupart rendirent le dernier soupir dans la journée. Les renseignemens fournis par Quetelet et Buek s'accordent quant aux nombres des ma- lade morts ( sur mille ) à certaines périodes du jour , savoir • A Bruxelles. A Hambourg. De neuf heures du soir à minuit 91 118 De six heures du soir à neuf De six heures du matin à neuf De trois heures du matin à six De minuit à trois heures (l)iDictionn. des Se. médic., t. XXVI, p. 493. (2) Vas Gehaeliren nach der beohachteten J\atur, p. 139. 114 123 128 129 131 148 135 157 EFFETS DE EA PÉRIODICITÉ DIURNE. 24^ Mais c'est depuis midi jusqu'à la troisième heures qu'il en mourut à peu près le plus à Bruxelles ( cent trente-cinq ) , et le moins , au contraire, à Hambourg ( cent quatre seulement). De trois heures après midi à six heures, il en périt peu à Hambourg ( cent neuf), et beaucoup à Bruxelles ( cent qua- rante-trois). De neuf heures du matin à midi, le nombre des morts ne fut considérable , ni à Bruxelles ( cent vingt-irois ), Bi à Hambourg ( cent douze ), Ce qu'il y a donc de certain , en général, c'est que, sinon la majorité, du moins la presque majorité des morts ont lieu après minuit et de grand malin , par conséquent à l'époque des crises et du plus grand nombre des naissances. Buek fait remarquer qu'à Hambourg le reflux dure sept heures trois quarts et le flux quatre heures et un quart, de sorte que, sur mille cas de mort, six cent qua- rante-six auraient dû arriver pendant le reflux et trois cent cinquante-quatre pendant le flux, mais qu'il y en eut six cent soixante-dix-neuf pendant le reflux et trois cent vingt-deux seulement pendant le flux. Il ajoute encore que, dans le ma- rasme, l'hydropisie , l'asthme et la phthisie pulmonaire , la température peut influer aussi sur l'heure de la mort, puisque, sur cent cinquante phthisiques, le plus grand nombre ( trente- six ) périrent de trois à six heures du matin , que les morts diminuèrent ensuite d'heure en heure , que les périodes de trois à six heures après midi et de six à neuf heures du soir furent les moins chargées, enfin que les autres heures de la nuit offrirent un nombre de plus en plus croissant de décès. § 607. La périodicité diurne ne marche pas d'une manière uniforme dans toutes les circonstances qui serapporient à elle. Ainsi, par exemple, la lumière et la chaleur ne suivent pas deux lignes parfaitement parallèles , mais la chaleur emploie plus de temps à sa révolution , de sorte que sa plus grande intensité ne correspond point à midi , mais quelques heures après , et que son plus grand abaissement n'a point lieu à mi- nuit,, mais immédiatement avant le lever du soleil. Nous devons moins nous attendre à ce que les changemens diur- nes de la vie organique s'astreignent exactement à la même coïncidence, et bien moins encore qu'à l'égard des changemens journaliers de l'atmosphère, nous devons^ es-= 248 EFFETS DE LA PÉRIODICITÉ DIURNE. pérer que ses variations présentent toujours le même degré d'intensité. Mais, à part ces restrictions , nous reconnaissons que les deux points tropiques de la journée , midi et minuit , amènent une certaine uniformité de la vie , quoique dans des directions inverses , et que les deux périodes de transition , le matin et le soir, établissent en elle plus de mouvement. C'est vers minuit que la réaction est le moins considérable sur la terre , que la pression et l'électricité de l'air sont le plus faibles , que l'aiguille aimantée décline le plus à l'ouest , que le sommeil est le plus profond , que la vie est le plus rapprochée de son état primordial et le plus retirée en elle-même , que le conflit avec le monde extérieur est le moins animé , et qu'il survient le moins de changemens par la maladie , la naissance et la mort. Quand la nuit fait place au jour, la pesanteur et l'électricité de l'air augmentent, l'aiguille aimantée décline vers l'est , la vie se ranime , l'irritabilité s'accroît, la circulation, la calorification et la sécrétion augmentent , les maladies donnent lieu à de nouveaux accès ou à des crises, et les deux modes de scission de la vie, la naissance et la mort , s'observent plus fréquemment qu'à toute autre époque. La température de l'air ne commence à croître qu'après le lever du soleil , une heure seulement après la- quelle son humidité commence aussi à diminuer ; au bout de quelques heures, l'éveil est donné à son électricité et à sa pe- santeur, et la déclinaison orientale de l'aiguille aimantée par- vient à son maximum ; la vie se tourne vers le dehors , et en même temps que l'irritabilité °se trouve refoulée , il se déve- loppe une spontanéité plus prononcée , dont l'influence se fait sentir sur la circulation , la digestion et la respiration , mais principalement sur l'activité sensorielle , le mouvement du corps et les facultés de l'esprit. Vers midi, la chaleur augmente , et au bout d'une ou deux heures elle est arrivée à son maximum, comme aussi la sécheresse de l'air deux heu- res plus lard ; le magnétisme acquiert , d'après Hansteen , une plus grande intensité , mais ne parvient à son maximum que de quatre à huit heures ; l'aiguille aimantée présente sa plus forte inclinaison à midi , et décline de plus en plus vers l'ouest jusqu'à deux heures environ; le baromètre baisse, et PÉRIODICITÉ ANNUELLE.^ ^49 arrive à son minimum vers quatre heures; l'électricité de l'air diminue , mais son minimum n'a lieu que quelques heures avant le coucher du soleil. A midi , la vie fait une pause au point culminant de son déploiement , et de même que les ma- ladies subissent alors peu de changemens , de même aussi le nombre des morts et des naissances diminue. Le soir, l'air devient plus humide , plus frais, mais plus électrique, dernier rapport sous le point de vue duquel il atteint son maximum quelques heures après le coucher du soleil ; l'aiguille aimantée décline vers l'est jusqu'à huit heures, le baromètre monte jusqu'à dix ; alors commence le second flux de la vie dans l'organisme, mais avec prédominance de la direction du de- hors au dedans, avec diminution de l'aptitude à recevoir l'impression des objets extérieurs , avec empire du sens in- terne sur les sens externes, de l'imagination et du sentiment sur l'entendement , et Tâme , prenant un libre essor, s'enivre du plaisir de vivre, jusqu'à ce que, le moment du reflux étant arrivé, elle acquiert la tendance , ou à se replonger de suite dans son état primordial de vie végétative , ou à s'é- lever auparavant jusqu'à sa source divine. CHAPITRE II. De la périodicité annuelle. § 608. C'est la végétation qui porte le plus l'empreinte de la révolution annuelle. Cette révolution s'exprime , chez les animaux, dans les circonstances relatives à leur vie sensorielle, à la génération, au séjour et à l'activité de la peau. Mais elle ne jette qu'un faible reflet sur la vie humaine, dont les pul- sations, qui dépendent bien plus de l'état intérieur, se ratta- chent surtout à la périodicité diurne (§ 594, 7°). Comme la périodicité annuelle n'influe pas avec une égale force sur toutes les plantes , de même aussi elle n'exerce une large action que sur la plupart des animaux inférieurs et quelques uns de ceux des classes supérieures, de sorte que ceux-ci re- présentent en quelque sorte les régions polaires du règne animal , tandis que la prédominance de la périodicité diurne imprime davantage un caractère équatorial à la vie. Ainsi 250 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. certains êtres organisés jouissent plus spécialement de la vie à une certaine époque de l'année, qu'ils représentent dans le monde organique , dont l'ensemble représente lui-même la totalité du cycle annuel. Nous pouvons considé- rer comme une image de ce phénomène le tableau des cou- leurs prédominantes dans les fruits de notre climat , couleurs qui, suivant la remarque de Kaestner , déroulent à nos yeux le spectre solaire tout entier pendant les diverses saisons de l'année , puisque nous voyons paraître au commencement de l'été le rouge (cerises, fraises, framboises, groseilles), puis l'orangé (abricots, melons, concombres, groseilles à maque- reau), sur la fin de l'été, le vert (poires, pêches, prunes) , en automne le bleu (raisins, prunes, prunelles) et sur la fin de cette saison , le brun (nèfles, alises). Du reste, la variété des saisons et la périodicité annuelle de la vie organique se montrent plus au voisinage des pôles qu'à celui de l'équateur ; dans les contrées tropicales, les feuilles restent trois à six ans sur les arbres , il en pousse de nouvelles auprès des ancien- nes, et l'on voit des fleurs à côté des fruits ; les Oiseaux ni- chent et muent deux fois ; les Cerfs n'ont pas d'époque aussi arrêtée pour le rut, et ne changent point de tête, etc. Nous allons d'abord examiner les phénomènes particuliers auxquels la périodicité annuelle donne lieu, en influant soit sur l'ensemble de la vie (§ 609, 616), soit sur telle ou telle de ses fonctions (§ 618, 619), après quoi nous rechercherons quels sont les cas dans lesquels elle ne fait que nuancer pour ainsi dire, ou modifier légèrement la vie (§ 619). ARTICLE I. Des phénomènes particuliers de la périodicité annuelle, I. Phénomènes relatifs à l'ensemble de la vie. A. Sommeil d'hiver des végétaux. § 609. La vie végétale tout entière est annuelle ; car , chez beaucoup de plantes, elle ne dépasse point les limites d'une année, et chez d'autres il se produit tous les ans de nouvelles parties vivantes ayant Irait non pas seulement à la propagation (fleurs et fruits), mais encore à la conservation de soi-même. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 25 1 En effet, pendant l'été , la portion de la plante qui sort de terre , la tige avec les feuilles , est en pleine vie, et, sous Tin- fluence de la lumière et de la chaleur , elle entretient un échange fort animé de matériaux avec l'air, par antagonisme avec la racine, qui vit dans la terre ou dans l'eau. Durant l'hi- ver, cet antagonisme cesse , et il s'établit une vie radiculaire , comme dans le sommeil nocturne (§ 596, 1°), mais à un plus haut degré , parce que toute l'activité vitale se concentre dans la racine. Ce retour vers l'état embryonnaire n'est nulle part plus marqué que dans les herbes ou les plantes annuelles; ces végétaux périssent entièrement , et ne s'endorment du sommeil d'hiver que dans la graine , qui contient Tembryon, dont elle laisse déjà spécialement discerner laradicule; quand une telle plante, par exemple le blé d'hiver, s'éveille , c'est- à-dire germe , dès l'automne , la plantule germante tombe dans son sommeil d'hiver, en ce sens qu'à l'approche du froid l'accroissement s'arrête et les feuilles les plus intérieures du bourgeon terminal demeurent non développées. A ce complet retour vers l'état embryonnaire se rattache le sommeil d'hiver des plantes bisannuelles, qui se cachent dans le sein de la terre, pour y mener une vie nocturne continuelle ; en effet, pendant l'automne, leur tige reçoit de moins en moins de sucs, jusqu'à ce qu'il ne lui en parvienne plus du tout, qu'elle se dessèche et tombe, tandis que la racine conserve sa vitalité , pour pous- ser une nouvelle tige au printemps. L'alternative est plus pro- noncée encore dans les arbres et arbrisseaux , dont la tige persiste à la vérité, mais en perdant sa vitalité et subissant la lignification de sa substance vasculaire de l'année, et dont les feuilles périssent ; celles-ci, en effet , deviennent plus oxi- dées, se couvrent de taches jaunes , rouges, brunes , qui s'a- grandissent de plus en plus ; elles se fanent, se dessèchent, et prennent une forme convexe à leur face supérieure ; quand les faisceaux vasculaires de leur pétiole sont complétenient desséchés, elles tombent avec ceux-ci ; mais , dans quelques arbres, le chêne par exemple , leur chute n'a heu que l'année suivante , et certaines feuilles composées se détachent de leurs pétioles, qui restent implantés sur les branches. Dans les arbres verts , la vie des feuilles dure plusieurs années ; 252 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. celles , par exemple , qui sont à^^ées de trois ans , meurent , mais sans qu'on s'en aperçoive, parce que celles d'un an et de deux ans restent en place. La durée plus longue de ces feuil- les paraît tenir surtout à la solidité de leur tissu , à la visco- sité de leurs sucs , en partie aussi à une plus grande quantité de résine qu'elles contiennent , ou à leur moindre volume et à leur forme circulaire. Au commencement de la saison chaude, la racine attire l'eau de la terre avec une vigueur ra- jeunie , la décompose et se l'assimile ; la sève monte peu à peu dans la tige , et il se développe des bourgeons pour de nouvelles feuilles , fleurs et branches. Ce changement obéit à un type intérieur qui correspond à celui du renouvellement des saisons , mais qui n'a point sa cause en lui : car l'unifor- mité de la chaleur d'une serre n'empêche pas les plantes de se dépouiller de leurs feuilles , et ne peut les déterminer à produire du fruit plusieurs fois dans l'année. Beaucoup de végétaux perdent leur feuillage alors même que la tempéra- ture de l'air est encore assez élevée , et en poussent un nou- veau avant que le printemps soit venu adoucir l'air. Dans les contrées tropicales, une foule d'arbres perdent leurs feuilles durant la saison sèche; mais, avant que celle-ci soit écoulée, et dès un mois avant le temps des pluies, ils commencent à en pousser d'autres (1). Du reste, la puissance du type se mani- feste dans les plantes du cap de Bonne-Espérance élevées au milieu de nos serres , où elles fleurissent en hiver , qui est Tété de leur pays natal. De même aussi il est plus difficile de faire germer chez nous les graines de l'hémisphère méridio- nal au printemps , qui correspond à l'automne de. leur patrie. B. Sommeil d'hiver des animaux. § 610. Si le sommeil d'hiver est de règle chez les végétaux, on ne l'observe pas d'une manière aussi générale chez les animaux , où il consiste en ce que ces êtres demeurent plus ou moins long-temps cachés pendant l'hiver, offrant alors une interruption plus ou moins complète de l'activité sensorielle, du mouvement volontaire et de la nutrition. (1) Humboklt, Reise in die ^Equinoctialgegenden, t. III, p. 77. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 2 53 1° Sous ce rapport, l'antagonisme le plus rigoureux existe entre les Oiseaux et les Reptiles, puisque le sommeil d'hiver n'a point lieu chez les uns , et est général chezjes autres. Les autres classes nous offrent des espèces ou des genres qui y sont soumis. Parmi les Mollusques, les Limax et Hélix s'en- gourdissent en hiver , tandis que les Lymnœus conservetil toute leur vivacité, même sous la glace. La plupart des Coléo- ptères s'engourdissent ; d'autres Insectes, tels que la Podura nivalis et la Chionea arachnoïdes^ continue de Courir pendant l'hiver, tandis que d'autres le passent dans leurs nids , par exemple les Abeilles , dont les ruches conservent une tem- pérature uniforme de vingt-quatre degrés à l'échue réaumu- rienne. Plusieurs Poissons , tant d'eau douce que d'eau salée , comme les Cyprinus tinca , Murœna anguilla , Anguilla conger^ Scomher scomher et Syngnathus hippocampus ^ s'en- gourdissent en hiver. Dans la classe des Mammifères , nous trouvons rhibernalion chez plusieurs animaux nocturnes , chez les Chéiroptères , chez quelques Insectivores et Planti- grades parmi les Carnassiers, mais surtout chez divers Ron- geurs. 2° L'hibernation présente plusieurs degrés. Elle con- siste tantôt en un sommeil profond , qui dure tout l'hiver , comme chez les Insectes qui vivent dans la terre (1) et chez la Marmotte ; tantôt en un sommeil profond qui s'interrompt de temps en temps, comme chez les Trichocères^ Psychodes et Muscides, qui se réveillent et se mettent à voltiger quand le temps devient plus doux, chez les Arachnides, et , parmi les Mammifères, chez les Hérissons , les Loirs , les Muscar- dins, les Chauve-Souris, qui se réveillent chaque fois que Tni- mosphère devient moins froide et se rendorment ensuite ; tantôt enfin en une simple prédominance du sommeil, l'ani- mal passant la plus grande partie de l'hiver à dormir, comme le Blaireau , qui ne prend aucune nourriture et sort seule- ment de temps en temps pour aller boire , l'Ours , qui s'abstient aussi de toute nourriture, mais prend la fuite quand (1) Succow, clans Heusingei", Zeitschrift fuer die organische Phi/iik, t. J, p. 610. 254 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. on s'approche de son repaire , le Castor , qui consomme les alimens dont il a faii provision dans son édifice, l'Écureuil , là Taupe, le Hamster, le Campagnol , la Musaraigne , etc. 3° L'hibernation commence aux premiers froids pour les Coccinelles , les Punaises , les Muscides , et dès avant celte époque pour d'autres Insectes : à — 2° R. pour les Fourmis, à -f- 2» pour les Limaces, à -f- 5° pour les Muscardins , se- lon Saissy ; à -f- "7° pour le Hérisson , d'après le même ; à -\- 1° pour ce même animal , suivant Prunelle, Le Hélix lusi- tanica s'enfonce dans la terre vers le milieu du mois de sep- tembre , et le Hélix nemoralis en Octobre. Le Souslic s'en- dort en se|îtembre , le Muscardin , la Marmotte et la Tortue terrestre en octobre , le Hamster et l'Ours en octobre ou no- vembre (selon Prunelle , en janvier seulement). 4° Le sommeil d'hiver dure quatre à cinq mois chez les In- sectes et le Hamster , six mois chez plusieurs Limaçons , les Tortues terrestres , la Marmotte et le Muscardin. Le réveil a presque toujours lieu en mars et en avril. 5° Les Insectes aériens se cachent sous des feuilles , sous l'écorce des arbres , sous des racines ou des pierres , dans des creux d'arbres, dans des fentes de murailles, ou en terre ; les Insectes aquatiques dans la vase et la terre. Les Gastéropodes aquatiques s'enfoncent dans les caves profondes , ou dans la vase et le sable ; les terrestres se retirent sous la mousse et les feuilles , ou le long des racines et des murs ; quelques uns , par exemple les Hélix nemoralis , vivlpara et lusita- nica , creusent en terre des trous de quelques pouces , et di- rigent l'ouverture de leur coquille vers le haut. Les Poissons s'enfoncent dans la vase , et ceux de mer se rapprochent des côtes. Les Serpens se retirent dans des cavernes , les Croco- diles dans la vase ; les Tortues de terre s'enfoncent d'un à deux pieds dans le sol; la Marmotte établit son nid sur le côté méridional ou occidental d'une montagne , à six pieds au des- sous de terre ; elle lui donne environ cinq ou six pieds de tour, l'arrondit , le voûte , et le dispose en manière de four , dont les parois lisses sont construites avec de la terre bien battue , et dont le plancher est couvert de foin ; un long con- duit mène à une entrée étroite, bouchée avec de la terre, du PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 255 sable, des feuilles et des pierres. Le Souslic a une tannière oblongue , arrondie , voûiée, d'un pied de diamètre, garnie de loin, dont il bouche l'entrée , et à laquelle il pratique un autre conduit , allant presque jusqu'à la surface , qu'il per- fore entièrement à son réveil : la retraite du mâle est à trois ou quatre pieds sous terre , et celle de la femelle à sept ou huit. Les Loirs et les Muscardins passent l'hiver dans des trous en terre , dans des creux d'arbres , ou dans des cavités qu'ils ont pratiquées eux-mêmes et tapissées de mousse. Le Héris- son creuse son terrier d'hiver à une plus grande profondeur que celui d'été , et le garnit de feuilles d'arbres et de chaume. Le Hamster barricade le sien ; l'Ours passe l'hiver sous des rochers et dans des cavernes , dont il ferme quelquefois Feu- trée avec des branchages. 6° La plupart des Insectes sont seuls pendant le sommeil d'hiver. Quelques uns cependant hivernent ensemble et appli- qués les uns contre les autres. C'est ce qui arrive non seulement à ceux qui vivent en société pendant l'été , comme le Carabus prasinus et le Cimex apertus, mais encore à plusieurs qui mènent une vie solitaire , comme les Altises et diverses Cocci- nelles. De même , parmi les Mammifères , il s'en trouve , tels que les Souslics , dont chaque individu à son terrier propre , tandis que d'autres , comme les Marmottes , se réunissent au nombre de cinq à neuf , serrés les uns contre les autres, dans une même tannière. 7» Beaucoup d'Insectes passent le sommeil d'hiver dans une situation analogue à celle qu'ils présentaient à l'état de chrysalide , c'est-à-dire la tête enfoncée dans le corselet , et les pattes, ainsi que les antennes, repliées le long du corps (1). Quelques uns se roulent comme des serpens, la tête au centre, et la plupart des Carabiques se fixent avec leurs ongles à la su if ace inférieure des pierres , de manière que leur dos re- garde la terre. Les Gastéropodes nuds se roulent en boule (2); les Testacés, après s'être enfouis dans la terre, bouchent l'ouverture de leur coquille avec une couche de mucosités , (1) Succow , loc. cit., t. I, p, 611. (2) Spallanzani , Mém. sur la respiration, p. 242. ^56 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. qui s'endurcissent en un opercule mince , corné ou terreux , après la destruction duquel il s'en reproduit un autre. La Vitrina beryllina n'entre jamais entièrement dans sa coquille, si ce n'est pendant le temps de l'hibernation. Les Poissons ap- pliquent leurs nageoires contre le corps (1). Les Mammifères se roulent plus ou moins , de manière que presque toujours ils placent le museau contre l'anus et les parties génitales. Les Chauve-souris ^s'enveloppent dans leurs ailes et s'accrochent par les pattes. I. Phénomènes du sommeil d'hiver. a. f^ie animale. § 611. Voici quels sont les phénomènes que la vie animale offre dans le sommeil d'hiver. 1° Cette vie s'engourdit peu à peu , les animaux perdant par degrés leur vivacité et le désir des alimens. Le Hérisson, par exemple , d'après Succow (2) , devient paresseux au mois de novembre, et dort des journées entières : puis son sommeil dure des semaines , et enfin , vers Noël , il devient continu. 2° L'activité sensorielle s'éteint dans l'hibernation complète. Tiedemann (3) a trouvé , dans la Marmotte , les pupilles dila- tées et l'iris insensible à la lumière ; le bruit et les odeurs ne faisaient non plus aucune impression. Mangili n'a pu éveiller des Chauve -souris par la détonation d'une arme à feu (4). 3° Le sentiment intérieur est émoussé ; des plaies considé- rables faites aux Insectes pendant un froid modéré n'excitent que de légères convulsions ; quand le froid est plus intense , l'animal se montre absolument insensible (5). On peut faire rouler la Marmotte sur la terre en guise de boule , la laisser tomber d'une hauteur de trois pieds , ou la transporter pen- dant dix jours de suite , sur une chaise de poste , empaquetée dans du foin , sans qu'elle s'éveille (6) : elle n'est pas moins (1) Deutsches Arcliiv, t. V, p. 269. {%) Loc. cit., t. I, p. 612. (3) Deutsches Archiv, t. ï, p. 4S3. (4) Annales du Muséam, t/X, p. 440. (5) Succow, loc. cit., p. 607. (6) Prunelle ,dans Annales du Muséum, t. XIII, p, 36. PERIODICITE ANNUELLE. 0^7 insensible aux blessures les plus profondes ; quand on lui met- tait de l'ammoniaque sous le nez , elle détournait la tête au bout de deux heures , sans s'éveiller complètement; les corn- motions électriques la forçaient de s'étendre, et lui faisaient ouvrir les yeux , mais sans la réveiller ; une galvanisation con- tinue la tenait éveillée pendant dix minutes ; les changemens considérables de température et les coups violens la réveil- laient aussi (1). Mangili (2) a vu cet animal éprouver les con- vulsions quand on le piquait ou qu'on l'excitait avec force de toute autre manière; mais, suivant Saissy (3), cet effet n'a lieu que dans le sommeil d'hiver imparfait ; car autrement la Marmotte est complètement insensible. Le Muscardin n'éprou- vait que des convulsions à peine sensibles; celles de la Chauve- souris étaient plus fortes. Czermak n'a pu éveiller des Loirs par l'action d'une pile de Volta de cinq à vingt couples, qui provoquait des convulsions par son contact avec les nerfs cruraux mis à nu. Le Lérot ne dort pas aussi profondément ; la moindre blessure suffit , d'après Bechstein , pour lui causer des convulsions et lui faire jeter un cri sourd. 4° Les membres des Insectes sontraides, et se cassent plu- tôt que de ployer (4). Chez les Mammifères, les muscles sont raides et fortement contractés (5) . Une Marmotte qu'on éten- dit violemment se roula de nouveau en boule, comme par l'ef- fet d'un ressort (6) ; la section des nerfs de la paire vague produisit quelques mouvemeiis dans les muscles fléchisseurs du tronc , et un couteau plongé dans la moelle allongée déter- mina de faibles convulsions (7). Le contact des acides ou d'une lame tranchante avec les muscles mis à nu causa peu de mou- vemens chez le Hérisson , mais en provoqua de plus vifs chez le Muscardin et la Chauve-Souris. Le pôle zinc d'une pile gal- vanique ayant été mis en rapport avec les nerfs , et le pôle (1) Ihid., p. 600. (2) Mangili, dans Annales du Muséum, t. IX, p. 409. (3) Recherches sur la physique des animaux bibernans , p. 46. (4) Succow, loc. cit., p. 600. (5) Saissy, loc. cit., p. 83. (6) Tiedemann , loc. cit., p. 483, (7) Ihid., p. 484. Y. m 2 58 PÉRIODICITÉ ÂNNUEELE. cuivre avec les muscles, on observa quelques convulsions dans les membres , moins dans les muscles du bas-ventre , moins encore dans le cœur , et les intestins ne ressentirent rien ; le renversement des pôles demeura sans effet , et celui-ci fut du reste d'autant plus faible que le sommeil était plus profond (1). Lorsque Mangili (2) décapitait des Marmottes, les battemens du cœur persistaient pendant cinquante minutes chez l'animal éveillé , et pendant trois heures chez l'animal endormi ; les muscles soumis à l'empire de la volonté conservaient leur irri- tabilité deux heures dans le premier cas , et quatre dans le se- cond. Tiedemann (3) a vu , chez les Marmottes endormies , qu'après vingt-qualre heures de dissection , l'oreillette des veines caves se contractait encore lorsqu'il l'irritait avec la pointe du scalpel. D'après cela on doit conclure que la force musculaire n'est point abolie pendant ' l'hibernation , mais qu'elle n'entre pas en jeu , qu'elle est isolée et inaccessible aux irritans. 5° Comme la vie s'isole plus ou moins du monde extérieur, le besoin d'alimentation diminue aussi, ou même s'éteint tout- à-fait. La digestion cesse, et ce n'est qu'au réveil, après quatre ou six mois de sommeil , que les évacuations alvines reprennent leur cours. La Tortue terrestre cesse de manger un mois avant de tomber dans l'engourdissement (4). Les Mammifères hibernans perdent aussi l'appétit , et se blottis- sent aux premiers froids de l'automne (5). On a trouvé , pen- dant le sommeil hibernar, l'estomac et les intestins des Mar- mottes rétrécis et ne contenant qu'un hquide onctueux , blanchâtre ; le rectum était plein d'une substance analogue au méconium , et la vésicule biliaire , d'une bile peu amère et d'un vert tirant sur le brun (6). Suivant Saussure, ces ani- maux se nettoient l'estomac et les intestins avec de l'eau avant (1) Loc. cit., p. 50-55. (2) Loc. cit., t. X, p. 455. (3) Loc, cit., p. 485. (4) Murray dans Fioriep, Notizen , t. XIV, p. US. (5) Saissy, loc. cit.^ p. 90, (6) Prunelle, loc. cit., p. 313. — Mangili, loc. cit.^ p. 453. — Tiede- mann , loc. cit. , p> 4S7. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 269 de tomber dans l'engourdissement. L'Ours ne prend pas non plus de nourriture tant que dure son sommeil d'hiver. Quel- ques animaux font des provisions, qu'ils consomment avant ou après l'hibernation. Ainsi, le Hamster rassemble des graines, en ronge les germes , afin qu'elles ne puissent pas germer, en consomme la plus grande partie après qu'il a clos son ter- rier, et mange le reste quand il se réveille, au printemps. D'autres encore , comme le Muscardin , le Hérisson et le Loir, paraissent être réveillés de temps en temps par la faim , et alors ils dévorent les provisions qu'ils ont mises en réserve. 6° En se réveillant , les animaux sont à demi engourdis. Quand les Insectes sortent de leur sommeil pendant les jour- nées peu froides de l'hiver, ils ont une démarche chancelante et mal assurée (1). Le Serpent à sonnettes sort de sa retraite dès les premiers jours du printemps , mais il est lent et à moi- tié engourdi , de sorte qu'on parvient aisément à le tuer, et il rentre le soir dans son trou , jusqu'à ce que le froid ne se fasse plus sentir pendant la nuit (2). Au réveil, le Hamster s'étend, bâille , grogne, cligne des yeux, essaie de s'asseoir, puis de marcher, mais ciiancèle , et fait de profondes inspi- rations , jusqu'à ce qu'enfin il réussit à se nettoyer, et sort pour aller chercher sa nourriture (3). Quand la Chauve-Souris est réveillée par une chaleur soudaine , elle voltige maladroi- tement et pendant la journée. b. Vie végétative. § 612. A l'égard des phénomènes de la vie végétative pen- dant la durée du sommeil d'hiver, 1° Le vaisseau dorsal des Insectes n'exécute que deux à trois pulsations par minute, au lieu des cinquante à soixante qu'on remarque en été (4). Le cœur de la Chauve-Souris ne bat que cinquante fois , tandis que , pendant la veille , le nombre de ses battemens s'élève à deux cents (5). Les batte- (4) Succow, loc. cit., p. 607. (2) Kaestaev, Abhandlunycn der SchwedixchenAkadeniie,t. XIV, p. 320. (3) Bechstein , Nuturgeschiahte Deutschlands , t. I, p. 4015. • (4) Succow, loc. cit. p. 604. (.)l:'i'!i!îe!le, loc. cit., p. 28. 26o PÉRIODICITÉ ANNDELLEo mens de celui des Marmottes sont réduits de quatre-vingt- dix à dix (1) ; mais on en compte vingt à vingt-cinq au début et à la fin de l'hibernation. L'application du pôle zinc sur les nerfs diaphragmatiques , et du pôle cuivre aux muscles flé- chisseurs de la tête , ramène le pouls de dix à vingt pulsa- tions (2). Ciiez les Marmottes, les troncs vasculaires que l'on coupe donnent peu de sang , et celui qui s'échappe des ar- tères coule avec lenteir. On n'a point remarqué de sang dans l'artère crurale mise à nu (3) ; les vaisseaux du tronc en étaient seuls gorgés , et tout-à-fait sans action -, les pulsations ne s'étendaient qu'à l'aorte pectorale et aux troncs des artères'ca- rotides et sous-clavières ; mais le mouvement du sang con- sistait plutôt en une ondulation qu'en une véritable circulation; une ligature ne faisait pas gonfler les artères, et quand on ouvrait ces vaisseaux , le sang n'en coulait point autrement qu'il ne fait chez les animaux privés de vie ; les branches vasculaires étaient à moitié vides de sang, et les vaisseaux capillaires l'étaient entièrement. En observant les ailes des Chauve-Souris, Mangili (4) y a vu le mouvement du sang lent et intermittent , et les membranes natatoires des Grenouilles n'ont offert à Gœze (5) que de la sérosité , qui ne faisait place à du sang rouge qu'après le réveil. Czermak n'a pu ni voir ni sentir les battemens du cœur chez le Loir. 2° A l'époque où le sommeil d'hiver est le plus profond , on ne remarque pas le moindre mouvement respiratoire (6). Prunelle (7) a reconnu qu'il ne devenait sensible qu'à -\- 15 degrés dans la Marmotte , et qu'il ne prenait de la régularité qu'à -j- 22 degrés. Suivant Mangili (8) , la respiration a lieu quelquefois , mais d'une manière insensible , et elle survient quand on expose l'animal au grand air ; le nombre des inspi- (1) llid., p. 49. (2) Saissy , loc. cit., p, 45. (3) Prunelle, loc. cit., p. 48. (4) Annales du Muséum, t. IX. p. «40. (5) Der Naturforscher , t. XX, p. 111. (6) Saissy , loc. cit., p. 33. (7) Prunelle, loc cit., p. 50. (8) Mangili , loc. cit., l. IX, p. 109, PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 261 rations est alors de quatorze par heure , au lieu de quinze cents qui ont lieu pendant la veille. Chez le Hérisson, on voit trente à trente-cinq respirations alterner avec des pauses d'un quart d'heure , et par un temps plus chaud six respira- tions avec des pauses de huit minutes (1). Chez les Loirs , treize à quinze respirations alternaient avec des pauses de dix-huit à vingt-quatre minutes ; par un temps plus doux , on comptait vingt-deux à vingt-quatre respirations dans l'espace d'une minute et demie, avec les pauses de quatre minutes (2). Le besoin de respirer est moins grand pendant le sommeil d'hiver. Les Insectes sont alors plus difficiles à suffoquer (3). Quoique l'opercule des Limaçons ne fasse que diminuer l'ac- cès de l'air, ^sans l'interdire entièrement (4) , cependant Spal- lanzani ne put remarquer ni consommation d'oxygène , ni exhalation d'acide carbonique (5). 11 paraît que les Poissons ont moins besoin d'air en hiver, lorsque les lacs et les rivières sont couverts de glace et de neige pendant des mois entiers. Suivant Rusconi (6) , le Protée n'a pas besoin d'eau fraîche durant le sommeil d'hiver, et Prunelle (7) assure qu'alors les Chauve- Souris ne tombent point en asphyxie lorsqu'on les tient quelques minutes sous l'eau. Spallanzani n'a remarqué aucune altération de l'air chez les Marmottes (8) ; mais Pru- nelle (9) a trouvé que, dans l'espace de quarante heures, l'atmosphère avait perdu six centièmes de gaz oxygène. Selon Spallanzani , des Chauve-Souris avaient , dans l'espace de deux heures, consommé six centièmes d'oxygène et exhalé cinq centièmes d'acide carbonique (10). Saissy (ll)lassure qu'à l'époque de leur plus profond sommeil, le Hérisson et le (1) Ibid., t. X, p. 436. (2) Ihid., p. 442. (3) Succow, loc. cit., p. 599. (4) Spallanzani , loc. cit., p. 153. (5)"iiid.,p. 499. (6) Deutsches Archiv., t. "V, p. 270. 0)Loc. cit., p. 403. (8) Loc. cit., p. 334. (9) Loc. cit., p. 52. (10) Loc. cit., p. 76. (11) Loc. cit., p. 32. a62 PÉRIODÏCITÉ ANNUELLE. Muscardin , dont la température est alors à -{- 3 degrés , ne consomment pas de gaz oxygène, mais que, quand le mouve- ment respiratoire est encore perceptible , la consommation de ce gaz, dans l'espace de deux heures, est de deux pouces cubes le premier (qualre-vingl s pendant la veille), et d'un seulement pour le second ( trente-quatre durant la veille ). Rusconi a trouvé les branchies du Protée presque entièrement exsangsues , et Tiedemann (1) les poumons de la Marmotte affaissés ; il y avait peu d'air dans leurs cellules , mais beau- coup de sang dans leurs vaisseaux. 3° Les animaux hibernans ont le thymus tantôt très-volu- mineux et pourvu de branches artérielles qui lui sont envoyées par la thyroïdienne inférieure , comme dans les Hérissons et les Chauve-Souris , tantôt muni de prolongemens qui s'éten- dent tout le long de l'aorte, et qui reçoivent des branches des artères intercostales ; tantôt enfin entouré de glandes qui lui ressemblent, et qui sont disséminées à la face antérieure et latérale du col, jusqu'aux glandes axillaires. Prunelle distingue ces trois formes (2), et Jacobson (3) y attache une grande im- portance. Cependant il est bien difficile de croire que les usages des glandes accessoires diffèrent de ceux du thymus lui-même, et Ton sait qu'elles grossissent comme lui pendant le sommeil d'hiver , qu'elles se remplissent de graisse , ce dont Pallas avait déjà fait la remarque, de sorte que les pou- mons doivent se trouver refoulés et comprimés dans la partie postérieure de la poitrine (4). D'après Tiedemann (5) , cet appareil remplit les deux espaces du médiastin, dans la Mar- motte ; il s'étend presque jusqu'à la mâchoire supérieure en haut et aux aisselles sur les côtés ; il est composé de vésicules d'un blanc rougeâtre , qui présentent un réseau vasculaire sur leurs parois, et qui contiennent un liquide grisâtre, tandis que le liquide renfermé dans les glandes lympathiques voisines (1) Loc. cit., p. 487. (2) Loc. cit., p. 308. (3) Deutsches Archiv, t. III, p. 451. (4) Loc. cit.,T^. 310, (5) Loc. cit., p. 485. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 263 est noirâtre. Tout l'appareil pèse au-delà d'une once , ou un vingt-quatrième de corps entier , tandis qu'en été son poids n'est pas même d'une demi-once, c'est-à-dire qu'il ne forme pas alors la cent soixantième partie du corps , outre qu'il contient peu de vaisseaux, et qu'on n'y peut apercevoir ni li- quide , ni vésicules. Meckel a également constaté que le thy- mus du Hérisson était plus volumineux , plus imprégné de sucs, plus rouge, et plus riche en^vaisseaux, pendant le som- meil d'hiver. Czermak a trouvé que les Loirs n'avaient point de thymus, ou n'en offraient que de faibles traces , et il croit qu'on a pris pour cet organe de simples amas de graisse. 4° Chez les Insectes, le suc nourricier général, qui baigne tous les organes, est plus épais durant le sommeil hibernal, vers la fin duquel il diminue de quantité et de consistance , en même temps que le liquide contenu dans le vaisseau dorsal devient clair comme de l'eau (1). Chez les Mammifères , le sang qui circule dans les vaisseaux, pendant le sommeil d'hi- ver , contient , d'après Tiédemann , beaucoup de sérosité et moins de substances solides. Sulzer a trouvé , chez le Ham- ster, qu'il se coagulait avec plus de lenteur, que le caillot ne devenait pas tout-à-fait solide , et que le sérum avait une couleur cinnabarine (2). En outre, il est froid , puisque sa température baisse jusqu'à -j- 2 ou -j- 3 degrés , et il dif- fère peu dans les artères de ce qu'il est dans les veines , puisque le sang artériel a une teinte de rouge brun et un aspect presque entièrement semblable à celui du sang vei- neux (3). 5o Pour ce qui concerne la production de la chaleur, Saissy (4) a comparé l'état des animaux éveillés , à une tem- pérature de -j- 17 degrés, avec celui de ces mêmes animaux endormis, à une température de -j- 1 degré , et il a trouvé qu'au coeur, dans la poitrine, et au foie , dans l'abdomen, la (1) Loc. cit., p. 598. (2) Treviranus , Biologie , t. IV, p. 549. (3) Saissy , loc. cit., p. 59-74. — Prunelle , loc. cit., p. 28-49. -^ Tiède- mann, loc cit., p. 484. (4) Loc. cit. ^ p. 11. 204 PÉRIODICITÉ ANNDEELE. chaleur descendait de trente degrés à quatre chez la Mar- motte , de vingt-huit et trois quarts à quatre chez le Hérisson, de vingt-neuf et demi à trois et demi chez le Muscardin , de vingt-quatre et trois quarts à quatre chez la Chauve-Souris, lia reconnu aussi que, dans la bouche, sous les aisselles et aux aines, elle baissait de vingt-huit degrés et trois quarts ou vingt-neuf et demi à quatre , chez la Marmotte , de vingt- huit à deux et un quart chez le Hérisson , de vingt-huit et trois quarts à deux et un quart chez le Muscardin, de vingt-quatre à trois et un quart chez la Chauve-Souris. Prunelle (1) a fait des observations analogues , et constaté qu'au fort du som- meil hibernal la température intérieure est plus basse que celle de l'air dans les cavités où les animaux s'étaient retirés ; la température du rectuffi était de -|- 29 degrés et demi chez une Marmotte éveillée , de cinq et demi chez une autre en plein sommeil , de quatorze aux approches du réveil , de seize quand l'animal commençait à ronfler, de dix-sept lors- qu'il s'allongeait, et de vingt quand il se mettait à marcher. Mais lorsque la température tombe à zéro , l'animal est mort (2). Czermak a trouvé que chez les Loirs la chaleur tom- bait, pendant le sommeil d'hiver, de -J- 30 degrés à -\- 12, la température extérieure étant de -]- 14 3/4 ; de -}~ 8 -{- 9, cette température étant de -}- 9 degrés ; et parfois même à -f- 5 1/5, l'air du dehors marquant -|- 4 1/2. 6 " ; Czermark a remarqué que la bile était plus liquide et moins amère, que la liqueur séminale ne contenait point de spermatozoaires , mais que la sécrétion urinaire persis- tait. 7° Quant à ce qui concerne la consommation , Spallanzani a reconnu que, pendant un sommeil de quatre mois, des Lima- çons étaient devenus plus légers de dix à quatorze grains , et qu'au réveil ils ne remplissaient plus leur coquille d'une manière aussi exacte qu'auparavant (3). Suivant Mangili (4) (i)Loc. cif., p. 25-40,304. (2) Loc. cit., p. 14. (3) Loc. cit. , p. 198. (4) Loc. cit., t. IX, p. 113. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 265 une MarmoUe perdit en deux mois deux onces de son poids ; Prunelle (1) évalue la perle d'un de ces animaux au seizième de son poids entier, dans l'espace de six semaines, et celle d'une Chauve-Souris à un trente-deuxième en trois semai- nes (2). 2. ESSENCE DU SOMMEIL d'hIVER CHEZ LES ANIMAUX. § 613. Si maintenant nous embrassons d'un seul coup d'œil les phénomènes du sommeil hibernal , nous reconnais- sons, 1° Que l'état de la vie sensorielle est ce qu'il présente de plus essentiel. D'abord , en effet, il commence par des sensations qui dé- terminent l'animal à se cacher ou à s'enfouir, acte sans lequel nul animal ne tombe dans le sommeil d'hiver. Ce sommeil n'a donc pas la vie vé^^étative pour point de départ, mais il amène des changemens en elle , car la vie animale se retirant de la périphérie, la respiration diminue, et par suite la circulation, ainsi que la production de la chaleur. En second lieu , Tanimal peut être éveillé par des impres- sions qui agissent sur le sentiment intérieur, comme la cha- leur ou le froid, l'ammoniaque, le galvanisme. Enfin, au réveil, la vie végétative , la respiration , la circu- lation et la production de la chaleur, ne reprennent que peu à peu leur marche, accoutumée , et elles le font d'autant plus tard que le sommeil a été plus profond. Ainsi il faut deux heures au Muscardin , trois ou quatre à la Chauve-Souris , cinq ou six au Hérisson, et huit à la Marmotte, pour recouvrer leur chaleur ordinaire après qu'ils se sont réveillés (3). A la vérité, quand on employé des moyens d'excitation extérieure, on voit la chaleur croître et la respiration s'accélérer avant l'époque où le mouvement animal devient manifeste ; mais il est hors de doute qu'en pareil cas le sommeil est plus ou moins agité (§ 611, 3°). (1) Loc. cit., p. 36. (2) Loc. cit., p. 30. (3) Loc. cit., p. 19. 266 PÉRIODICITÉ ANNUELLE, 2" Le sommeil d'hiver ne peut donc point être considéré comme une sorte d'apoplexie, ainsi que le prétend Prunelle (1), car il cesse de lui-même quand son terme est arrivé ; il cède à toute impression quelconque sur le sentiment intérieur, même à l'action du froid ; il s'établit à une température ex- térieure plus élevée que celle qui amène l'engourdissement proprement dit , et il peut durer plus long-temps que ce der- nier sans tuer l'animal. C'est un véritable sommeil, car il a les mêmes prodromes (§ 611, 1°) et la même fin(§ 611 , 6°) que le sommeil ordinaire ; il a lieu , chez plusieurs animaux , sur la même couche (§ 610, 5°) et dans la même attitude (§ 610, 7°) ; il n'est d'abord qu'un sommeil réel , puisqu'un bruit médio- cre suffit pour réveiller les Marmottes pendant les premiers jours (2) ; et il n'est pas non plus autre chose vers sa fin , puisque certains animaux , après s'être éveillés une fois, re- tournent à la nuit dans l'endroit oii ils avaient passé l'hiver endormis (§ 611, 6°). Si le sommeil ordinaire est léger chez certains animaux , et profond chez d'autres (§ 397 , 6°) , sans que nous puissions découvrir la cause immédiate de cette différence dans l'organisation , la même chose arrive par rap- port à celui d'hiver ; mais ce dernier est un sommeil annuel, qui par conséquent doit surpasser le sommeil journalier en profondeur comme en durée : c'est un acte par lequel l'animal s'isole du monde extérieur , et pendant la durée duquel la vie est , pour ainsi dire , repliée sur elle-même , de manière que toutes les fonctions végétatives sont restreintes dans leurs rôles respectifs , quoique conservant toujours assez d'é- nergie pour maintenir l'existence individuelle. 3° Il est, en outre l'analogue de l'état embryonnaire, comme l'ont déjà reconnu Pallas, Tiedemann(3),Meckel(4) etj. Mul- ler (5). L'attitude (§ 610 , 7°) de l'animal, l'inaction des orga- nes sensoriels et locomoteurs (§ 611 , 2°-4°), le maintien de la (1) Loc. cii.,p. 320. (2) Prunelle, loc cit., p. 318. (3) Loc. cit., p. 491. (4) Traité général d'anat. comp,, 1. 1, p. 382. (5) De respiratione fœtus , p. 44. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 267 vie par l'activité animale sans qu'il s'introduise d'alimens dans le corps, cette autre circonstance qu'on ne trouve que des pro- duits de sa propre sécrétion dans le canal intestinal, que laLile est moins amère, et qu'il n'y a point de déjections alvines (§ 611, 50), enfin la disposition du thymus (§ 612, 3°), l'état du sang (§ 612, 4°) et celui de la chaleur ( § 612, 5° ) , tout se réunit pour établir une analogie frappante avec la vie em- bryonnaire. Les Insectes passent l'hiver, ou à l'état d'em- bryon, dans l'œuf, ou à l'état de chrysalide, ou dans le sommeil, ce qui prouve que ces trois états tiennent de très- près l'un à l'autre, sous le point de vue du rôle qu'ils jouent dans l'économie (§ 380 , 'ÎO"). 4° Le sommeil d'hiver est le résultat d'un type intérieur. Quand il vient à être interrompu par des excitations du dehors, il ne tarde pas à reparaître après la cessation de ces derniè- res (1). Son interruption cause parfois la mort, comme Blu- menbach l'a éprouvé sur le Souslic et le Muscardin, Gleditsch sur les Grenouilles (2), et Spallanzani sur d'autres animaux. Un Hérisson que Succow (3) réveillait souvent , et auquel il donnait alors à manger, mourut; la viande qu'on lui avait fait prendre fut trouvée non digérée dans l'estomac et le canal intestinal, même dans le rectum. Des exceptions peuvent avoir lieu sans doute , semblables à celles que Saissy a ob- servées (4) ; mais il n'y a rien là de plus extraordinaire que dans la possibilité de changer le type en plaçant les animaux au milieu de circonstances inaccoutumées , de manière à pou- voir conserver quelques uns d'entre eux éveiilés en hiver dans une chambre chaude ; mais même alors la Marmotte creuse un terrier, ou se fabrique un nid , et s'endort {5) , quoique d'un sommeil moins long et interrompu (6), Les considérations dans lesquelles nous allons entrer ren- dront bien plus évident encore l'empire que ce type exerce. (1) Prunelle, îoc. cit., p. 319. (2) Bluraenbach, Kleine Schriften, p. 120. (3)ioc. cit,,p. 612. (4) Deutsches Archiv, t. III, p. 434. (5) Bechstein, Naturgesehichte Deutschlands , t. I, p. 4037. (6) Prunelle , Ioc. cit., p. 37. 268 PÉRIODICITÉ ANNUEtlE. 3. Besoin du sommeil d'hiver chez les animaux. § 614. Le besoin du sommeil d'hiver dépend de ce qu'à une certaine époque de l'année , le monde extérieur n'offre point à la vie animale les conditions qui lui sont nécessaires ; en vertu de l'harmonie qui existe entre sa périodicité et celle de l'univers , l'organisme se met alors dans un état qui lui per- mette de!^se maintenir, malgré ce défaut. I. Ainsi , en premier lieu , le sommeil d'hiver est un moyen de se mettre à l'abri du froid, ;ou, plus généralement, de se garantir des effets défavorables que l'air produirait pendant cette saison de l'année. Les animaux hibernansne peuvent point supporter le froid : le Hérisson et la Marmotte périssent quand on les expose en hiver à un froid naturel, en été à un froid artificiel, de huit degrés au dessous de zéro (1). La mort ne lient pas, comme le présumait Buffon , à ce que leur température est alors peu élevée , mais bien plutôt à ce qu'ils ne peuvent point la main- tenir. Suivant Saissy (2) , la température, dans une atmosphère à quatorze degrés , tomba , chez la Marmotte , de vingt-neuf degrés à vingt-cinq ; chez le Hérisson , de vingt-huit à vingt- six ; chez le Muscardin , de vingt-huit à vingt-cinq ; chez la Chauve-Souris , de vingt-quatre à vingt-deux ; et dans une atmosphère de cinq degrés seulement , à vingt-et-un degrés chez la Marmotte , à onze chez le Hérisson , à seize chez le Muscardin, à dix chez la Chauve-Souris. Mais ces animaux paraissent ne pas pouvoir non plus suppor- ter beaucoup de chaleur ; car, pendant l'été, ils ne sortent que la nuit, surtout le Hérison, le Tenrec et le Dipus\ et Saissy (3) nous apprend qu'ils respirent plus la nuit que dans la journée. Nous devons donc considérer les choses d'une manière plus générale , et reconnaître que leur vie a moins de spon- tanéité et d'indépendance sous le rapport de la température , de sorte que, chez eux, le sommeil annuel l'emporte sur le (1) Prunelle , loc. cit., p. 28-45. — Saissy, loc cit., p. 13. — Mangili, loc.cit., t. X,p. 4.36. ^2) Loc. cit., p. 11. (3) Loc. cit., p. 33. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 269 sommeil journalier (§ 594 , 7°), Aussi la variété des climats fait- elle que ce sommeil a lieu tantôt dans la plus chaude saison de Tannée, et tantôt dans la plus froide. L'Alligator, par exemple, s'engourdit en hiver dans l'Amérique du Nord (1), comme fait le Crocodile dans les régions septentrionales de l'Egypte , tandis que , dans les contrées tropicales de l'Améri- que, son engourdissement coïncide avec la saison sèche et chaude , époque à laquelle les grandes espèces de Boa s'en- foncent également dans la vase pour s'y livrer à leur sommeil annuel. De même , à Madagascar, le Tenrec dort pendant les trois mois de la plus forte chaleur (2). C'est donc , rigoureu- sement parlant, désigner cet état par une expression inconve- nante que de l'appeler hibernation, attendu que nous sommes habitués à joindre ensemble l'idée de froid et celle d'hiver. Du reste, nous trouverions une cause organique de ce défaut de spontanéité dans le caractère assigné par Saissy (3) aux animaux hibernans, d'avoir des nerfs très-volumineux, et par conséquent un cerveau moins prédominant, comme aussi dans cette autre circonstance , alléguée par le même au- teur (4) et par^Prunelle (5), que la peau est riche de nerfs et pauvre en vaisseaux sanguins , et par cela même plus sensi- ble au froid , de même que les bouts de nos doigts le sont à raison d'une disposition analogue , si ces divers faits étaient bien avérés et si d'autres observateurs ne les plaçaient sur un jour équivoque. Les circonstances suivantes démontrent d'une manière plus péremptoire encore que le froid ne peut point être considéré comme la cause de l'hibernation. 1° Ce sommeil est déterminé par une sorte de pressenti- ment, c'est-à-dire qu'il a plutôt un but d'avenir qu'un but présent, puisqu'il commence avant la manifestation du froid , et qu'il finit à une époque ou le retour de la chaleur n'est (1) Humboldt , Reise in die yEquinoctialgegenden, t. III, p. 433 (2) Uid., p. 328. (3) Loc. cit., p. 59. (4) Loc. cit., p. 59. (5) Loc. cit., p. 306,315. a-JO rEPJODlClTE ANNUELLE. encore que prochain. Beaucoup d'Insectes commencent à s'y livrer dès les plus beaux jours d'automne, quand la tempéra- ture est encore à onze degrés, tandis qu'ils n'y songent point lorsque , par extraordinaire , le froid se déclare beaucoup plus tôt, et ils se réveillent à une température plus basse que n'était celle sous l'influence de laquelle ils sont tombés dans l'engourdissemenl. Lorsque la Marmotte se réveille, il fait presque toujours plus froid que quand elle a commencé à dormir, puisque les montagnes qu'elle habite sont souvent couvertes de neige jusqu'à la fin du mois de mai (1). D'après Czermak , le sommeil du Loir commençait à une température extérieure de -]- 12 degrés , et cessait au printemps à 9 de- grés. 2" Dans les régions tropicales, les Reptiles passent leur som- meil annuel au milieu de la vase , qui est le milieu le plus propre à les abriter de la chaleur sèche. Nos animaux hiber- nans cherchent de même des endroits où le froid est le moins vif, et ils bouchent en partie les ouvertures de leurs retraites, afin que l'air froid ne puisse point y pénétrer. Prunelle a trouvé que , l'atmosphère étant à deux degrés au dessous de zéro , les cavernes des Chauve-Souris avaient une tempéra- ture de huit degrés au dessus du terme de la congélation (2), et que celle-ci s'élevait de six à sept degrés dans un nid de Marïiottes (3). 3° Les animaux se garantissent plus ou moins en raison du climat de leur pays natal. Sur les Alpes de la Suisse ^ la Mar- motte ne s'enfouit que de six pieds , tandis qu'en Sibérie elle donne jusqu'à vingt pieds de profondeur à ses terriers. 4° Le froid empêche l'hibernation. Les Hamsters , par exemple , qu'on expose au froid dans des caisses ouvertes , ne s'endorment point (4). 5° Une température douce est nécessaire pour que ce som- meil continue, et le froid l'interrompt. Au rapport de Spal- (1) Prunelle, loc. cit., p. 34 38. (2) Loc. cit., p. 29. (3) Loc, cit., p. 34. (4) Bechblcin , NatnrgeschicMe Devtsclilands , t. Il, p. 4014. PEUIODIûITE ANNUEtLE. 271 lanzani , des Limaçons s'éveillaient toutes les fois qu'on diri- geait sur eux un courant d'air froid (1), et la même chose arrive aux Araignées, suivant Manj^ili (2). Prunelle (3) a re- connu que les Chauve-Souris s'éveillent quand la tempéra- ture de l'air descend à deux degrés au dessous de zéro , que les Marmottes sortent également de leur sommeil lorsqu'on ouvre l'entrée du nid de manière à y laisser pénétrer l'air (4), et qu'on ne peut les tenir endormies que dans une atmosphère dont la température soit au dessus de zéro (5). Mangili a ob- servé que la respiration devenait plus fréquente chez les Mar- mottes exposées au froid, que la chaleur animale augmentait, et que ces animaux s'éveillaient ensuite (6) . Le même phénomène a lieu pour les Loirs, les Muscardins et les Hérissons (7). 6° La chaleur peut empêcher le sommeil d'hiver. Les Pu- cerons de rosier ne s'engourdissent pas dans une chambre chaude, non plus que le Protée, les Salamandres, les Grenouil- les et les Crapauds (8). 7° En général , la chaleur réveille moins aisément que le froid. La plupart des Insectes ne sortent pas de leur léthargie lorsque la température s'élève , en hiver, jusqu'au degré qui est habituel au mois de mai , ou du moins ils ne sortent pas de leur retraite , et y restent jusqu'au printemps. Un Hérisson fut réveillé par la chaleur , mais il demeura lent, prit peu de nourriture , et ne digéra pas (9). Les Chauve- Souris ne s' éveillent pas dans une chambre dont la température est à neuf degrés; il faut pour cela que. cette dernière monte jusqu'à treize ou dix-sept degrés (50). On a vu souvent des (1) Loc. cit., p. 127. (2) Loc. cit., t. IX , p. 112, (3) ioc. cîï., p. 24. (4) llid., p. 34. (5) Ihid., p. 45. (6) Loc. cit.., t. IX, p. 114. (7) i&ïd., t. X, p. 442-448. (8) Rudolphi, Grundriss der Physiologie , t. I, p. 284. (9) Succow, loc. cit., p. 612. (10) Prunelle, loc. cit., p. 29. a^2 PERIODICITE ANNUELLE. Muscardins continuer de dormir à une chaleur de douze de- grés (1). II. Le second motif déterminant du sommeil d'hiver est le défaut de nourriture. Nos animaux hibernans se nourrissent de substances qui manquent en hiver, c'est-à-dire les Ron- geurs de végétaux , les Chauve-Souris, les Hérissons et les Tenrecs, d'Insectes. Les animaux qui trouvent de quoi manger en hiver , ou qui font en été de grandes provisions pour la mauvaise saison, comme les Abeilles par exemple, demeurent éveillés. Ceux qui font un amas insuffisant , ont le sommeil court ou interrompu. Quanta ceux qui dorment sans disconti- nuer, ils engraissent beaucoup avant de tomber dans l'engour- dissement, de sorte que leur propre plasticité leur assure un fond de subsistance dans l'intérieur même de leur corps. Mais, pendant le sommeil d'hiver , l'action de la vie au de- hors diminue, par conséquent aussi il y a moins d'activité sensorielle, moins de mouvement musculaire, moins d'excré- tions, et par suite moins de consommation , moins de besoin d'alimentation Q. 4. CAttSES Dtl SOMMEIL CHEZ LES ANIMAUX. a. Causes de V engourdissement. § 615. En examinant ce qui se passe pendant le sommeil d'hiver, nous reconnaissons , 1» Que l'extinction des penchans en est la cause prochaine. La vie animale est un composé de penchans et de propen- sions ; elle repose donc sur le besoin , et elle cède le pas à la vie végétative, dès que ce besoin est satisfait. Une fois que l'animal est rassasié de la vie, il aspire au repos , parce qu'il n'éprouve plus aucun besoin : il s'isole , parce que le monde extérieur n'a plus d'attrait pour lui ; il s'engourdit au sein de la satisfaction de soi-même. De même qu'après un repas il tombe dans le sommeil journalier, de même aussi six mois de nourriture le plongent dans le sommeil annuel. Les animaux (l)Mangili , loc, cit., t. X, p. M8. (*) Consultez , sur le sommeil des animaux hibernans, un Mémoire de Berlhold , dans Muller, Archiv fner Anatomie , cali. I, p. 63. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 27 J hibernans ont trouvé la nourriture la plus abondante en été et en automne , et ils s'en sont tellement rassasiés que, quand le monde extérieur cesse de leur fournir des alimens, ils n'en sentent plus le besoin (§ 611 , 5°). Les autres animaux de- meurent éveillés parce qu'ils ne sont point aussi rassasiés, et ils trouvent leur nourriture ou dans les magasins qu'ils ont établis , ou à Tair libre , soit dans leur pays natal, soit à l'é- tranger. De même aussi , chez les animaux hibernans, l'édu- cation des petits , qui est terminée aux approches de l'hi- ver, ne laisse plus rien à désirer au penchant à la reproduc- tion. 2° La graisse est l'expression de ia satisfaction du besoin de se nourrir et du sommeil de l'instinct procréateur (§ 563, 1% 2°). Résultant d'un superflu d'activité plastique et de substances aptes à recevoir la fortne, elle ramène les forces organiques à l'indiflerence, éteint tous les penchans , fait naî- tre l'apathie , l'insensibilité et la somnolence. Les Limaçons sont fort gras avant de clore leurs coquilles pour se livrer au sommeil d'hiver ; aussi est-ce à cette époque surtout que les gourmands les recherchent , et ils fabriquent d'autant plus tôt leurs opercules qu'ils ont engraissé davantage; l'opercule est le dernier produit de la force plastique exubérante, celui par lequel elle s'impose des bornes à elle-même. L'Ours , le Loir, la Marmotte, etc., sont également fort gras avant l'hi- bernation ; la graisse abonde tellement dans l'épiploon et le mésentère , ainsi qu'autour des vaisseaux de la cavité abdo- minale, qu'elle enveloppe entièrement le foie, la rate et les reins (1) ; il y en a aussi de déposée dans la cavité pectorale, dans les poumons et le thymus (2). Sa quantité s'élevait à quatre cent quatre-vingt-neuf grammes chez un animal dont ie poids total était de trois mille quatre cents grammes , de sorte qu'elle faisait le septième de la masse du corps (3). Si les Marmottes apprivoisées n'ont point un sommeil d'hiver aussi régulier, il faut s'en prendre spécialement à ce qu'elles (4) Prunelle , loc. cit., p. 3d2. (2) Ihid., p. 309. (.3) i6J(/,,p. 3G. V. 274 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. n'engraissent pas autant que celles qui jouissent de leur^li- berté (1). 3° La somnolence amenée par la satisfaction des pen- chans (l") et déterminée par l'obésité (2°), est accrue encore par le ralentissement de la respiration, qui fait que le système (le la sensibilité , le cerveau surtout , ne reçoit plus de sang parfait et vermeil, de sorte qu'il est moins vivementexcité. Mais la respiration diminue , tant parce que la somnolence a rendu moins considérable l'influence de l'organe central de la sen- sibilité, que parce que le volume de thymus, l'accumulation de la graisse, et la courbure du corps, qui refoule le diaphragme vers le haut, ont rétréci l'espace réservé aux poumons. En effet, que les poumons des animaux Iiibernans soient plus petits , comme le prétend Saissy (2) , ou qu'ils ne le soient pas, ce qu'il y a de certain, c'est que leur respiration subit, à l'air frais, une diminution plus considérable que celle qu'é- prouve la respiration d'autres animaux. Laproportion entre les inspirations à une température de vingt et à une autre de sept degrés , a été , chez la Marmotte de trente à vingt , chez le Muscardin de quarante-cinq à trente, chez le Hérisson de seize à dix , chez la Cbauve-Souris de dix à huit (3); celle entre la consommation d'oxygène pendant une heure à une température de vingt degrés et la même à une autre tempé- rature de cinq degrés , a été de cent sept à soixante-et-onze chez la Marmotte, de quatre-vingts à vingt-six chez le Héris- son , de trente-quatre à vingt chez le Muscardin , et de dix- sept à trois chez la Chauve-Souris, le tout en pouces cubes (4)- Le besoin de respirer, et notamment celui d'oxygène, parais- sent être moindres , en général , chez ces animaux : suivant Saissy (6) , le Hérisson vit , dans l'air renfermé , jusqu'à ce qu'il ait consommé tout l'oxygène , tandis que le Lapin y meurt quand il reste encore vingt-cinq centièmes de ce gaz , (1) Ihid., p. 37. (2) L(,c. cit., p. 59, (3) Ihid., p. 33, (4) Ibid.^ p. 29. (5) Doutschçs ArcUv, t, III, p. d35. PÉRIOIDICITÉ ANNUEtlE/ â^5 et il supporte l'azote pur pendant un quart d'heure , tandis que le Rat et la Souris n'y peuvent pas vivre plus de deux minutes et demie. 4° Comme la diminution de la respiration rend le sang plus veineux , ce liquide exerce une action moins stimulante sur le cœur, qui lui-même se ralentit; mais la veinosité du sang, la lenteur de son cours , et la diminution des manifestations de la vie animale font qu'il se produit moins de chaleur. 5° La paroi du tronc , qui , d'après son essence , est consa- crée à la vie animale et au conflit avec le monde extérieur, perd sa vitalité pendant le sommeil d'hiver, et attire moins de sang (§ 612 , 1°) , comme aussi les muscles deviennent plus rigides (§ 611 , 4" ). Le sang demeure donc en grande partie dans les troncs , et comme il n'en passe que peu dans les vais- seaux capillaires , son mouvement consiste moins en une cir- culation complète qu'en une oscillation semblable à celle qui a lieu dans les premiers temps de la vie embryonnaiie (§440, 11°). Il n'y a pas besoin pour cela de dispositions particulières , telles que celles qu'où cru devoir admettre quelques obser- vateurs. Prunelle (1) et Saissy (2) prétendent que les troncs vascu- laires du tronc ont plus d'ampleur qu'ils n'en offrent chez d'autres animaux ; mais Otto (3) a réfuté cette assertion, et nous devons admettre que les vaisseaux dont il s'agit ont , même sans présenter plus de diamètre qu'à l'ordinaire, assez de capacité pour pouvoir recevoir le sang qui reflue des petits vaisseaux de la paroi du corps. Spallanzani croyait que la cause du sommeil d'hiver se rat- tachait à la pléthore des vaisseaux sanguins du cerveau; Saissy (4) a combattu cette opinion , en faisant voir qu'il y a , au contraire, moins de sang dans les vaisseaux cérébraux que chez l'animal éveillé. (1) ioc. cz7., p, 307, 315. (2) Loc. cit., p. 59 , 86. (3) Nov. Act. Nat. Cur., t. XTÎI , p. (4) Loc, cit., p. 84, 2^6 PÉRIODICITÉ ANNUELLE . Mangili (1) voulait que l'hibernation dépendît d'un défaut de sang au cerveau ; il se fondait sur ce que les artères de cet organe sont plus petites chez les animaux hibernans et pro- viennent de la seule vertébrale ; mais Otto (2) a fait voir que le cerveau de ces animaux reçoit tout autant de sang que ce- lui d'aucun autre, et que celui-ci y parvient également par la carotide interne , mais qu'ici cette artère traverse la caisse du tympan et l'étrier. Cependant il n'y a rien là non plus de caractéristique, puisqu'on trouve la même disposition dans les Souris, les Taupes et les Ecureuils, tandis qu'elle ne se voit pas dans l'Ours et le Blaireau ; or, si l'on voulait refuser le sommeil d'hiver à ces derniers , on ne pourrait pas non plus l'accorder aux premiers. Du reste , la carotide interne paraît suivre aussi la même marche chez les Cétacés. Saissy (3) prétendait encore que le sang des animaux hi- bernans diffère de celui des espèces affines en ce qu'il est plus liquide et contient deux tiers de moins de fibrine , moitié moins d'albumine , et un quart de plus d'eau , outre une petite quantité de gélatine. En effet , il a trouvé, dans 7,9613 de sang d'animaux hibernans éveillés , 6,2628 d'eau , 0,0177 de fibrine , 1,6454 d'albumine , et 0,0354 de gélatine, tandis que celui des Lapins et des Cochons d'Inde lui a offert 4,7237 d'eau, 0,0531 de fibrine , 3,185 d'albumine, et point de gélatine. Mais quand il croit que cette composition est nécessaire pour maintenir le sang liquide ou l'empêcher de se coaguler pendant le sommeil d'hiver, nous ne pouvons parta- ger sa manière de voir, puisque la coagulation n'a point lieu pendant l'état latent de la vie, mais seulement après l'exctinc- tion de cette dernière , et que le mouvement vivant du sang persiste pendant le sommeil d'hiver, au moins comme oscil- lation. b. Causes du réveil, § 616. Comme la vie végétative intérieure persiste pendant (1) Loc.cit.,t.X, p. 462. (2) Loc. cit.,f. 73. (3) loc. cit., p. 73, 89. PERIODICITE ANNUELLE. 3^7 l'état d'hibernation , tant que la nature extérieure n'offre point assez de substances ni d'excitations pour entretenir lu vie animale, il se développe par-là de nouveaux antagonismes, qui amènent le réveil de la vie organique simultanément avec celui de la vie planétaire. i° Pendant le repos , la différence entre les nerfs et les muscles se développe peu à peu , et il se reproduit une nou- velle réceptivité pour les impressions. Quand la graisse est décomposée , la paresse cesse ; les muscles et les nerfs sont en quelque sorte plus rapprochés , et ils agissent plus vive- ment les uns sur les autres : les nerfs , devenus plus libres, rendent accessibles à des excitations qui auparavant ne pro- duisaient plus aucun effet. 2" Il survient en même temps des circonstances qui sont de nature à opérer une excitation du sentiment intérieur. D'abord , la sécrétion , qui a marché sans interruption , a fini par accumuler des matières excrémenlitielles dans le rec- tum et dans la vessie urinaire (1). Ensuite, la provision de graisse a été épuisée pendant le sommeil d'hiver, et le besoin de nourriture commence à se fairesenlir de nouveau. La Marmotte, dès qu'elle est éveillée, descend dans les vallées , pour y chercher des alimens ; l'Ours mange aussitôt des racines , des bourgeons d'arbres et du miel , pour se restaurer ; la lente Tortue seule a besoin d'une ou deux semaines avant de s'éveiller assez pour dési- rer de la nourriture (2). Enfin la décomposition de la graisse a produit du sperme et fait entrer les vésicules de l'ovaire en turgescence ; delà une action sur le sentiment intérieur, qui chasse le sommeil. Aussi le rut succède-t-il immédiatement à l'hibernation , chez le Souslic en mars , chez le Hérisson en avril, chez la Marmoltey le Hérisson et la Chauve-Souris en mai. 3° Mais l'harmonie de la vie avec le monde extérieur fait que la réceptivité s'exalte, le sentiment intérieur se ranime, et les penchans qui en dépendent se développent précisément à (1) Mangili , loc. cit. , t. X, p. 453. (2) Murray, dans Froriep, Notizen, X. XIV, p. iiS. 278 PÉRIODICITÉ ANNUEILE. l'époque OÙ le monde du dehors réunit les conditions nécessaires à la satisfaction de ces mêmes penchans. Il en est donc de la durée du sommeil d'hiver comme de celle de la vie embryon- naire (§ 615, 1°); un accord parfait règne entre elle et les cir- constances générales de l'univers. Spallanzani (1) reconnais- sait pour loi absolue que tout animal sort du sommeil d'hi- ver quand l'époque est venue où il peut trouver la nourri- ture qui lui convient. L'hibernation des Fourmis commence et finit en même temps que celle des Pucerons , dont ces In- sectes se nourrissent. La larve du PapiUo cinxia s'éveille en mars, quand le plantain verdit; celle du Bombyx chrysorrhœa ne se dégourdit qu'un mois plus tard, parce qu'alors seulement elle rencontre des feuilles sur les arbres. Si quelques Sau- riens ou Chéiroptères de petite taille se réveillent pendant les journées chaudes de l'hiver , c'est qu'à la même époque les Insectes dont ils se nourrissent reprennent aussi la liberté de leurs mouvemens. II. Phénomènes relatifs à certaines fonctions. § 617. Les phénomènes de périodicité annuelle qui n'inté- ressent que certaines faces de la vie, ont rapport, les uns à la vie végétative , et les autres à la vie animale (§ 618). A. F'ie végétative. A l'égard des premiers , ils consistent en une régénération périodique , qui ressemble bien d'une manière générale aux mutations annuelles des plantes ( § 609), mais qui diffère d'elles sous plusieurs points de vue importans. En effet , la vie est devenue continue et persistante chez l'animal. Il suit de là que le sommeil hibernal des animaux est bien général, mais qu'il ne s'accompagne pas, comme celui des plantes, d'une mort de parties organiques. D'un autre côté , la régénération périodique consiste en Un échange de parties vieillies contre d'autres nouvelles ; mais cet échauge ne concerne point les organes essentiels, et il ne porte que sur des parties épidermiques de la surface , qui ne peuvent se (i) Loc, cit., p. 129. PÉftïOMCITÉ ANNUEllD. 379 maintenir par le fait d'une vitalité inhérente , ou se rajeunir par celui d'un renouvellement de matériaux dans leur propre substance. La plupart des phénomènes de la régénération périodique sont désignés sous le nom de mue , qu'on peut d'après cela considérer comme un terme générique. Du reste, les mues ne sont bien prononcées que chez les animaux aériens , parce que l'air contribue à rendre les parties épidermiques cassantes. 1. Enumérons d'abord les parties dans lesquelles se mani- feste la régénération périodique. 1» Au premier rang vient l'épiderme. Le renouvellement de celte membrane est un des phénomènes les plus répandus, et il diffère de la régénération périodique en ce qu'il n'y a point d'époque où l'épiderme manque ; car , lorsque l'ancien meurt, le nouveau existe déjà , et l'expulsion du premier n'est même déterminée que par la crue du second. a. L'épiderme externe, ou l'épiderme proprement dit, qui revêt la peau extérieure^, se renouvelle chez tous les animaux, mais avec quelques différences de forme. En effet , a. Chez les animaux qui font ce qu'on appelle peau neuve , il se détache tout d'une pièce. L'animal s'en débarrasse par ses efforts spontanés , et il sort de sa gaine épidermique , après qu'elle s'est détachée de la pellicule produite au des- sous d'elle et fendue. Chezleslnsectes,lamue n'a lieu la plupart du temps que pen- dant l'état de larve, et les Ephémères sont les seuls qui changent encore de peau après avoir acquis des ailes. Ces animaux se cramponnent avec leurs pattes, s'agitent de mou' fmens qui imitent le tremblement de la fièvre , font crever l'épiderme à la tête et au dos , dégagent la tête , puis les pattes , ensuite les ailes , et enfin le corps ; la vieille dépouille reste sous la forme d'un sac vide , avec les pattes accrochées au sol. Chez d'autres Insectes, on remarque, dans les larves, un violent mouvement et un gonflement de la partie antérieure du corps, qui détachent de plus en plus l'épiderme ,1e dessèchent, et y produisent, sur la hgne médiane , au milieu du second et du troisième anneaux, une déchirure, qui s'étend ensuile sur la tête et sur le tronc , et à travers laquelle la larve sort , la par- aSo PÉRIODICITÉ ANNUELLE. tie antérieure du corps la première ; l'épiderme qui s'est pro- duit dessous a ses poils propres , mais les prolongemens de la peau qui s'étendent dans les parties charnues ne se renou- vellent pas ; ils deviennent seulement membraneux, par la ré- sorption de leur contenu terreux , puis ils se solidifient de nou- v.'au, parce qu'ils se mettent en rapport avec le nouvel épider- m^ que peu d'heures d'exposition à l'air suffisent pour durcir. Le Monocle se fixe avec les pattes de devant , et quand une déchirure s'est faite au cou , il sort sa tète , puis tire ses membres avec peine (1). Dans l'Ecrevisse, les mouvemens violens de l'animal, qui en outre se gonfle, font éclater le test entre le bouclier dorsal et la queue; après quelques instans de répit, le Grustacésort peu à peu par cette fente , qui devient de plus en plus large. Mais comme le test des membres] a une petite fente , celle-ci s'agrandit pour livrer passage aux pattes et aux pinces. L'Araignée , après que l'épiderme a éclaté sur son dos , se dégage par un mouvement ondulatoire , repousse la poche sur l'abdomen , de manière qu'elle pend au bout des pattes, comme un gant renversé , et finit par tirer aussi les pattes elles-mêmes. Enfin les Sauriens et les Ophidiens changent de peau. Chez quelques uns de ces derniers, à chaque mue , une portion an- nulaire de l'ancien épiderme reste à la queue, de sorte qu'on peut reconnaître l'âge de l'animal par le nombre de ces anneaux , qui , chez le Serpent à sonnettes , constituent les grelots. h. L'épiderme mucilagineux des Batraciens et de quelques Poissons se détache par grands morceaux irréguliers. Un phé- nomène analogue a lieu chez l'homme après la scarlatine ; aussi divers médecins ont-ils considéré cet exanthème comme un acte normal de développement , opinion que rien ne justi- fie cependant, puisque la scarlatine ne se produit pas du de- dans , mais résulte loujours d'une infection , et que ceux qui en ont été exempts ne présentent aucune anomalie sous le point de vue de leur développement. (i) Juiine , Histoire des Mojrocles , p. 418. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 28 1 c. Dans la mue des Oiseaux, l'épiderme se détache par pla- ques aux pattes, au bec et sur les autres parties du corps qui sont nues , mais tombe en forme d'écaiiles furfuracées sur toutes celles que les plumes recouvrent. Le premier de ces deux modes a lieu chez les Mammifères écailleux , et le second chez les Mammifères velus. Chez l'homme , l'épiderme se détache à des époques indé- terminées et d'une manière insensible : c'est au cuir chevelu qu'il tombe plus sensiblement sous la forme d'écaiiles fur- furacées (1). d. Chez les Insectes , l'épiderme de la surface mterne , ou des organes digestifs et respiratoires , se renouvelle égale- ment; celui qui tapissait l'intestin et les troncs des trachées est rejeté au dehors , comme un corps étranger. Chez les Crustacés, la membrane interne de l'estomac subit une mue. Chez les animaux supérieurs , cette mue interne , quoiqu'on l'observe dans quelques cas , n'est jamais un phé- nomène normal. 2° Les prolongemens cornés qui s'élèvent au dessus de la surface extérieure se rapprochent de la nature végétale, tant par leur forme que par leurs phénomènes de vitalité, et se renouvellent aussi d'une manière plus ou moins analogue à ce qu'on observe chez les plantes , un certain laps de temps s'é- coulant entre leur mort et leur remplacement. a. Ce cas n'a lieu qu'en partie eu égard aux prolongemens filiformes qui complètent les tégumens cutanés , c'est-à-dire les poils et les plumes; car lorsque les anciennes productions de ce genre tombent , les germes de celles qui doivent pren- dre leur place existent déjà la plupart du temps, ou du moins celles d'une espèce persistent , comme couverture d'été, tan- dis que celles d'une autre tombent, comme couverture d'hi- ver. En périssant , elles occasionent un prurit, qui détermine l'animal à favoriser leur chute. Au temps de la mue , les Oi- seaux se grattent avec le bec ou avec les pattes ; les Mammi- fères rendent la chute des poils plus facile en se grattant , se frottant soit contre les arbres , soit contre d'autres corps durs, (1) P. Rayer , Traité théorique et pratique des maladies delà peau, Paris , 1835 , 1. 1 , p. 23. s 82 PÉRIODICITÉ ANNUEttE. se roulant par terre , ou se léchant : dans ce dernier cas , ils avalent souvent les poils , qui se réunissent en pelotons dans l'estomac ou les intestins. 6. La régénération des bois est celle qui se rapproche le plus de la forme végétale. Cependant , même ici , il ne se produit pas de vide complet, car la congestion ou l'exaltation locale de la vie du sang , qui est la condition de la formation d'un nouveau bois , précède la chute de l'ancien et la déter- mine. A la place du bois tombé , on aperçoit une élévation superficielle , frangée et parsemée d'un grand nombre de vaisseaux ; il s'en élève un cartilage mou et recouvert d'épi- derme, qui, chez le Cerf, grandit à peu près d'un demi pouce chaque jour ; ce cartilage a acquis tout son dévelop- pement au bout de trois mois, et un ou deux mois après il est devenu solide ; l'épiderme commence alors à se détacher ; le Cerf se frotte contre les arbres pour en accélérer la chute , et parfois aussi le mange. Le nouveau bois est d'abord blanc : il jaunit au bout de quelques jours , et en quelques se- maines il prend la couleur brune qu'il doit conserver. A la racine des cornes, chez le Taureau, à partir de la cinquième année , et chez la Vache , à dater de celle où elle a mis bas pour la première fois , il se produit annuellement un bourrelet annulaire , qui est peut-être un débris d'épi- derme rejeté , et que chaque nouveau bourrelet repousse de plus en plus vers la pointe de la corne. Les lames cornées , telles que les ongles, paraissent ne point être sujettes à un renouvellement normal, et quand il arrive au Cheval , dans les régions humides et marécageuses, de perdre ses sabots en changeant de poil (1), ce n'est là qu'un état purement maladif. IL A l'égard des autres circonstances , 3° La durée de ce renouvellement est d'autant plus courte que loi-même est déjà plus préparé d'avance. Le changement de peau s'opère en peu d'heures ; la mue dure quinze jours ou trois Semaines chez la plupart des Oiseaux ; mais il y en a quelques uns , les Pies , par exemple , chez lesquels elle se d) Bechstein, Nalunjescliichto DeutscUands ^ 1. 1, p. 248. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 283 prolonge pendant deux ou trois mois. Le bois est complète- ment remplacé en quatre mois chez le Chevreuil et le Daim , en cinq chez le Cerf, en six chez l'Elan et le Renne. 4° Comme l'aclivité plastique se concentre sur la dégéné- ration périodique , la manifestation de la vie animale se trouve restreinte, et la vie générale est mise en danger. Les Monocles demeurent tranquilles un jour avant la rttue, qui en fait périr en grand nombre. Les Ecrevisses et les Crabes qui vont changer de test se rendent dans un lieu sûr et tranquille j ou creusent des trous, dont ils bouchent l'entrée , et dans lesquels ils se tiennent pendant quelques semaines. Les Lisectes cessent de manger deux ou trois jours aupa- ravant ; certains même se renferment dans une toile , et per- dent la faculté de se mouvoir. Pendant la mue, les Oiseaux deviennent lents, tranquilles et tristes : ils ont besoin d'une température plus élevée , comme aussi , vers la fin , d'une nourriture [plus abondante : quelques uns , chez lesquels la mue marche avec plus dé ra- pidité , comme les Oies et Canards sauvages , passent cette période dans des recoins, parce qu'ils en soufiPrent davantage, et demeurent privés dn vol pendant quelque temps ; ceux, au contraire, qui muent plus lentement , ou deux fois par année, sont moins malades , et le vol , quoique plus difficile , ne leur est cependant point impossible , attendu que les plumes correspondantes des deux côtés tombent à la même époque, mais qu'elles ne se détachent que peu à peu sur des points différens. Pendant la mue , les animaux domestiques , le Cheval , par exemple, exigent des soins plus attentifs et des alimens plus fréquemment renouvelés, de meilleure qualité. Tant que leur bois est mou , l'Elan se tient dans les marécages, et le Cerf dans lés éclaircies ; tous deux marchent tête baissée , afia de ne pas se blesser. IIL La cause prochaine de la régénération périodique est l'exaltation de la vitalité dans les organes qui y prennent part. La mort des poils et des plumes n'est point ce qu'il y a d'essentiel dans la mue ; car, ou a beau couper^ces par- s84 PÉRIODICITÉ ANNUELLE, lies, OU leur faire subir toute autre altération quelconque, elles n'en subsistent pas moins jusqu'à la mue prochaine, et lorsqu'une maladie en détermine la chute , elles ne sont rem- placées qu'à cette dernière époque. Les bois ne tombent que parce qu'il s'effectue une nouvelle formation au dessous de leur racine. Les vaisseaux de cette région se dilatent et s'em- plissent de sang ; il se forme des bourgeons charnus rouges , et les tissus compris dans la ligne de démarcation ve- nant à être fluidifiés et résorbés , le vieux bois tombe , tandis que le nouveau est parcouru par une multitude de vaisseaux sanguins j qui ne s'oblitèrent et finissent par périr qu'après qu'il s'est lui-même endurci. Voilà pourquoi le bois des jeunes Cerfs tient tellement que l'animal est souvent obligé de le rompre en le frottant contre les arbres ou par terre , tandis que les Cerfs plus âgés et plus vigoureux s'en débarrassent aisément. Il en est de la régénération des bois comme de la mue des Oiseaux , qui a lieu plus tard chez les jeunes indivi- dus que chez les vieux de la même espèce. L'Elan de deux ans renouvelle sa tête depuis avril ou mai jusqu'en août ou sep- tembre , et le vieux depuis décembre ou janvier jusqu'en juin; le jeune Cerf depuis mai jusqu'en août ou septembre, et le vieux depuis février jusqu'en juillet; le jeune Daim depuis juin jusqu'en octobre, et le vieux depuis mai jusqu'en septem- bre. Enfin , comme l'activité vitale est plus énergique à la périphérie chez les mâles que chez les femelles , la régénéra- tion périodique se manifeste aussi d'une manière bien plus prononcée chez les premiers que chez les autres (§ 188). Parmi les Crustacés , il en est quelques uns chez lesquels s^amaâsent des substances pariicuHères destinées à l'accom- plissement des mues , après lesquelles elles disparaissent. Tels sont , chez les Décapodes , les concrétions stomacales calcaires qu'un appelle yeux d'écrevisse , et , chez divers Branchiopodes , un liquide rouge contenu dans une petite bourse aux pattes. IV. La régénération périodique est un rajeunissement. La partie qui tombe est toujours morte , privée de sucs et de co- loris; celle qui prend sa place est imprégnée de sucs, et pré- sente des couleurs plus vives ; elle réalise d'une maaière plus PÉRIODICITÉ ANNUELLE. " 28S complète les rapports spéciaux qu'elle doit avoir avec la vie. Mais l'essence de ce rajeunissement est une connexion entre le cours et la révolulion de la vie (§ 592 ) , entre la vie pro- gressive et la vie revenant sur elle-même. Le renouvellement des dents n'a lieu , d'une manière normale , qu'une seule fois pendant la durée de la vie , et appartient à la métamor- phose progressive ; mais , chez l'Éléphant , il se rapproche des changemens périodiques , car il se répète jusqu'à hi-.it fois. 5° Le changement de peau est une répétition de l'éclosion (§ 378, 3°) ; il met l'animal dans un état analogue à la vie embryonnaire, état dans lequel il se sent aussi borné parl'épi- derme vieilli qu'il l'était;, pas les membranes de l'œuf , et devient aussi peu propre à la locomotion libre et à la nutri- tion animale , que Téiail l'embryon. Après la chute des bois et la perte des poils, le Mammifère se trouve ramené à l'état du nouveau-né : l'Oiseau mâle , dans son plumage d'hiver, res- semble , chez beaucoup d'espèces , à un jeune. Mais, une fois la régénération terminée , le degré de la vie auquel l'animal était déjà parvenu reparaît dans sa pleine et entière jeunesse ; la mue priiitannière de l'Oiseau et l'acquisition d'un nouveau bois sont en quelque sorte une nouvelle puberté. 6° Dans la mue de la plupart des animaux sans vertèbres , le progrès l'emporte sur le retour ; comme les parties épider- miques ne peuvent>uivre le reste du corps dans son accrois- sement, il faut qu'elles éclatent et soient rejelées, d'un côté, pour que le corps , devenu plus volumineux , n'ait plus à su- bir la compression qui lui fait éprouver une enveloppe trop étroite, d'un autre côté, pour que l'accroissement puisse faire un nouveau pas, tandis que la nouvelle pousse est encore molle et disposée à céder. Chez la plupart des Insectes , la mue n'arrive qu'avant la puberté , et constitue ce qu'on appelle les métamorphoses (§ 379, 7°); ainsi les Chenilles changent de peau , la plupart trois à quatre fois , et quelques unes huit à dix fois , avant de se transformer en chrysalides , et leur sor- tie de l'enveloppe chrysalidaire est pour elles la dernière mue. Les Arachnides font plusieurs fois peau neuve avant d'arriver à l'âge de la puberté , et ils muent une fois au moins encore a86 " PÉRIODICITÉ ANNtËltE* après avoir pondu. Chez les Branchiopodes, la mue se reïioti- velle plus long-temps encore, puisque , suivant Jurine , elle a lieu , chez le Monoculus pulex , trois fois avant la puberté , et ensuite après chaque parturition. Mais, chez'^les Décapodes, elle devient une phénomène périodique , qui se rattache au type des saisons ; car l'Écrevisse , par exemple , change de peau tous les ans au mois d'août. 7' Parmi les animaux vertébrés, il n'y a que les Batraciens (§ 396 , 2° ) chez lesquels la régénération prenne les caractè- res d'une métamorphose. Chez tous les autres elle revêt celui de la périodicité , mais de telle manière cependant qu'elle n'empêche pas d'apercevoir les progrès faits par la vie , at- tendu que la nature de la partie nouvellement produite cor- respond toujours à l'essence du degré de vie auquel l'animal est arrivé pour le moment. Les premières dents molaires de l'Éléphant consistent en quatre plaques , et à chaque dentition le nombre des plaques augmente , de manière qu'à la huitième ûû en compte vingt-deux ou vingt-trois (1). Chez l'homme , comme chez la plupart des Mammifères, les dents de rempla- cement sont plus nombreuses , plus fortes et plus durables (§ 543 , 6°) que celles de lait, tandis que celles de la troisième dentition, quandil s'en présente, sont imparfaites et durent peu, parce qu'elles poussent dans l'âge avancé , à une époque où la force plastique est sur son déclin (§ 591, 4°). De même, tant que les forces de l'animal croissent , chaque nouveau bois est plus grand , plus large et plus branchu que le précédent ; mais , sur la fin de la vie, quand les forces baissent , quoique les bois aient plus de volume , ils sont plus courts et plus simples. Ces phénomènes annoncent la puissance de la vie plastique, et prouvent que son type est indépendant d'un noyau donné ; le bois , qui , dans l'Élan, par exemple , pèse souvent plus de soixante livres (2) , tombe et fait place, en quelques mois , à un autre plus pesant encore , quoique la vie générale n'en continue pas moins de se développer. V. E^ vertu de ce caractère , il y a affinité entre la régéné- (d) Meckel, Traité général d'anatomie comparée, 1. 1, p. S89. (2) Hearne , Reise in die Hudsonshai , p. M9, ' Ï^ÉRIODICITÉ ANNUELLE. ^287 ration périodique et la propagation, dans laquelle la vie, parvenue à son point culminant, retourne, par son produit, à l'état de non-développement. Lorsque la faculté procréatrice est éteinte , les bois ne se détachent plus ; toutes les fois qu'on retarde la chaleur des Oiseaux mâles , en les tenant dans un endroit obscur , la mue n'arrive non plus que vers la fin de l'automne (1) ; Thaer assure qu'il ne se forme point d'anneaux distincts aux cornes des Vaches lorsqu'elles n'ont point porté dans l'année , et que le bourrelet; est moins prononcé quand elles ont avorté. Fréquemment, la régénération périodique ne commence qu'après l'accomplissement de l'acte génital ; ainsi , par exemple , elle a lieu en hiver , après le rut , chez les Rennes mâles , tandis que , chez les femelles , elle s'effec- tue au printemps ou en été , avant ou après la parturition. Nous pouvons considérer la mort des parties comme la suite de l'épuisement de la force plastique par la procréation (§ 285 ); mais nous devons reconnaître en même temps qu'elle s'accompagne d'une certaine exaltation de cette même force , car le bois ne tombe que deux à trois mois après le rut , chez l'Élan , trois à quatre chez le Cerf , et quatre à cinq chez le Daim , outre que , partout, l'accomplissement de la régénéra- tion périodique est le prélude d'un nouvel acte de procréa- tion ; car le bois, par exemple , ne se trouve développé d'une manière complète que peu de temps avant l'entrée en cha- leur. Tous les Oiseaux muent en automne , après l'éducation de leurs petits, la plupart en juillet et août, quelques uns en septembre , d'autres plus tard encore , par exemple, les Ca- nards sauvages en décembre ; mais, au temps de l'accouple- ment , les mâles ont recouvré leur plumage caractéristique , leur vêtement du printemps ou de noces, phénomène qui tient, tantôt à ce que les belles plumes formées en automne devien- nent apparentes par l'usure de celles qui les couvraient , tan- tôt à ce qu'il se développe des plumes particulières au prin- temps , par exemple , la collerette du Tringa pugnas; , qui tombe après l'accouplement et dès avant la mue , tantôt enfin à ce qu'il s'opère une mue printannière , qui est incomplète , (i) ^mmmw^Naturgeschichte der Fœgel Deutschlands, 1. 1, p. i23. a8B PÉRIODICITÉ ANNCEtLE. puisqu'elle ne fait que renouveler les petites plumes , sanà intéresser les rémiges ni les recirices (1). VI. L'harmonie de la régénération périodique avec le monde extérieur se manifeste surtout dans le renouvellement des poils et des plumes. Les Mammifères changent plus ou moins sen- siblement de pelage en automne , après l'accouplement, et au printemps, avant que ce dernier n'ait lieu. Dans le genre Cervus^ après le rut, on voit paraître la robe d'hiver, puis le bois, qui n'est complètement développé qu'après la pousse de la robe d'été, et alors l'animal entre de nouveau en chaleur. 8° Au printemps, les couleurs se développent, et plus variées et plus foncées ; mais , de même que la terre se couvre en hiver d'une robe plus uniforme, de même aussi les plumes et les poils pâlissent en automne. Le Lepus variabUis ^ l'Hermine et le Renard blanc , le Lagopus alpinus , la Stemacaspia, la Limosa melanura , etc. , ont un vêtement blanc en hiver , et chez eux le blanc remplace alors le brun , le gris ou le noir. Chez d'autres animaux, les teintes claires ne font que pâlir en- core davantage pendant l'hiver ; le fauve et le brun foncé de- viennent gris , comme dans le Renne et le Chevreuil ; le bi un noirâtre prend une teinte de brun clair , lavé de gris, comme dans l'Élan; le brun rougeâlre devient gris brun, comme chez le Cerf, etc. Il est certains animaux dont les couleurs claires, mais vives , se foncent en hiver ; le brun clair devient brun foncé , comme dans la Loutre , la Marte, le Daim , le Bouque- tin ; le rouge jaunâtre devient fauve , comme dans l'Hermine; chez le Putois, aux poils jaunâtres de l'été s'en joignent d'autres qui sont grisâtres à la racine, bruns ou noirs à l'ex- trémité , etc. 9° La robe d'hiver est plus chaude, parce qu'aux poils d'été s'en ajoutent d'autres qui sont plus longs, plus gros et plus raides, ou plus courts, plus mous et plus frisés, comme par exemple chez le Porte-musc. La couleur blanche est aussi celle qui tient le plus chaud, d'après les expériences de Rum- ford et Leslie. 10' Les tégumens cutanés des animaux d'une contrée va- (1) iM., t. I, p. 115. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. sSg rient suivant la diversité des climats qui y régnent. Dans les pays chauds , le nouveau poil est de même nature que l'an- cien, et la différence entre eux est plus considérable dansles ré- gions très-froides que dans les zones tempérées. La robe d'hiver des Chevaux diffère à peine de celle d'été en Allemagne, tandis qu'en Norwége elle se compose de poils fort longs et^frisés. Plus l'hiver dure long-temps dans un pays, plus aussi le poil d'hiver persiste. A la baie d'Hudson , il reparaît, chez le Porte-musc , immédiatement après la chute de celui de l'année précédente. Chez le Lepus variabilis il dure six à sept mois en Suisse, huit à neuf en Norwége, dix en Laponie, et Tannée entière au Groenland. Un Lemming , qui avait conservé son pelage brun d'été tant que le capitaine Ross le garda dans sa cabine (4) , devint tout blanc dans l'espace de huit jours lorsqu'on le porta sur le pont, à un froid de 30 degrés ; quelques uns de ses poils s'allongèrent plus que les autres, et leurs bouts excédans pri- rent une teinte blanche. 1 1° Ce changement n'est cependant point l'effet de la chaleur ni du froid, car il précède l'un et l'autre. Ainsi, par exemple, dans le Lepus variabilis et le Lagopus alpinus , le pelage^d'hi- ver paraît dès le mois d'octobre, et celui d'été dès le mois de mars. La force plastique est donc sollicitée ici par une sorte de pressentiment , c'est-à-dire que la vie a un type intérieur , qui correspond à celui de la terre , mais qui précède ce der- nier, et amène des dispositions intérieures telles, que la vie puisse se maintenir au milieu des circonstances extérieures qui surviendront plus tard. Cette faculté dont jouit la vie de prendre une direction conforme aux événemens futurs, se manifeste même eu égard à la diversité du temps dans le cours de l'année : tous les chasseurs savent par expérience que , quand onestmenacé d'un hiver rigoureux , le gibier se couvre d'un pelage plus épais , quoique l'on ne puisse pas découvrir les causes déterminantes de ce phénomène. 12° Les circonstances extérieures exercent naturellement de l'influence sur la périodicité annuelle. Ainsi , par exemple, le erf renouvelle sa tête d'autant plus tôt que l'hiver a été plus (1) Froriep , Notizen, XLYI , p. 296. V. 19 5190 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. doux. La domesticité peut aussi déranger le type , mais sans le détruire entièrement. Les Chiens , les Chats , les Oiseaux de wlière, que l'homme a fait sortir de leurs habitudes naturelles depuis un grand nombre de générations , n'ont plus une mue si régulière et si marquée, tandis que des Lepus variahilis, tenus renfermés dans une chambre, changeaient de couleur à la même époque que s'ils eussent vécu en plein air , et que les Oiseaux qu'on apporte chez nous des pays étrangers y éprouvent la mue dans le même temps qu'au milieu de leur pays natal. Les Passereaux mâles qu'on tient depuis le prin- temps dans une boite obscure, ne recouvrent pas leur plumage entier à la mue, et finissent par devenir entièrement nuds (1) ; si on les expose à la lumière en automne , alors seulement se manifestent en eux le besoin de chanter et le désir de s'ac- coupler ; les Oiseaux de passage sont attirés par leur chant , et s'arrêtent auprès d'eux, attendu que l'imagination semble éveiller l'instinct de la copulation ; mais, pendant la seconde moitié d'octobre , cet instinct est éteint , et celui d'émigrer irrésistible , de sorte que les individus encagés ne peuvent plus retenir les autres par leurs chants. B. Vie _^ animale. % 618. Les Emigrations sont des phénomènes périodiques de la vie animale auxquels donnent lieu les deux directions principales de cette vie, l'instinct conservateur et l'instinct propagateur , tout comme nous avons déjà vu que les ani- maux changent d'habitation pour s'accoupler (§ 241, lo), dé- poser le produit de la génération (§ 334, 3°), mettre au monde leur petits (§ 516, 2"), et les diriger ou les élever (§ 580, 9°). La conservation de soi-même pousse les animaux à se rap- procher de l'équaieur en hiver, ou à s'enfoncer dans la terre, à se retirer dans des lieux cachés. Plusieurs Phoques, gagnent le midi en hiver, et reviennent au nord en été ; le Bouquetin Èe porte sur le versant méridional des montagnes, tandis qu'en été il se lient sur leur versant septentrional. Les Rennes et les Chamois descendent dans les vallées , et rentrent dans les (1) UAd,, t. V, p. 30. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 29I montagnes pendant Télé ; la Taupe creuse la ferre à cinq pieds de proFondeiir , tandis qu'en été elle ne s'enfonce pas à pkis d'un pied. Le séjour à la surface , au grand air, vers le pôle, est donc ^ généralement parlant, destiné pour l'époque oii là terre entre en rapport plus immédiat avec le soleil , et vice versa, Cependant cette règle souffre quelques exceptions , car le Chien de mer se dirige en hiver vers le nord , pour y mettre au monde ses petits, avec lesquels il regagne en été des con- trées plus méridionales, où il pourra trouver plus abondam- ment de la nourriture. La direction des émigrations est celle de l'aiguille aimantée , du sud au nord , parce que cette der- nière exprime l'antagonisme des saisons (§ 594, 8°), et toutes les exceptions apparentes s'expliquent sans peine par des cir- constances locales ; ainsi , par exemple, à la baie d'Hudson , les Chevreuils sont continuellement en mouvement vers l'est et l'ouest, parce qu'en hiver les mâles se tiennent dans les forêts occidentales et les femelles dans les contrées orientales, tandis qu'au printemps ils vont au-devant les uns des autres (1). La direction vers l'équateur ou vers les profondeurs de la terre caractérise davantage la tendance à la conservation de soi- même , celle vers le pôle et vers les hauteurs indique plus spécialement l'instinct de la propagation. Mais tous ces rap- ports sont moins prononcés chez les Mammifères ; les émigra- tions de ces animaux sont presque exclusivement déterminées par le besoin de sa propre conservation, de sorte qu'elles dé- pendent de circonstances accidentelles , et n'offrent aucune régularité. En général, les animaux terrestres sont peu aptes à de lon- gues migrations, et si l'un des plus pesans d'entre eux, le Tour- lourou, se rend périodiquement à la mer, pour y déposer ses œufs, ce n'est là qu'une exception, attestant combien l'instinct général a de puissance, même chez les animaux qui se meu- vent avec le plus de difficulté. Les voyages de long cours ne peuvent s'exécuter que dans l'eau ou dans l'air; mais comme la vie animale et l'instinct ont moins d'énergie proportionnelle chez les animaux aquatiques, et que les animaux aériens sans (1) Hearne, Reise in die Hiidsonslai ^ p. 439. 292 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. vertèbres ont une vie trop courte et un corps trop petit pouF pouvoir entreprendre de grandes migrations annuelles, cette périodicité ne s'observe guère , à un degré bien marqué, que chez les Oiseaux, qui y sont rendus aptes par la vivacité de leur instinct et par l'énergie de leur force locomotrice. Chaque climat a, parmi les Oiseaux, des espèces qui lui ap- partiennent d'une manière spéciale, et qui tantôt y choisissent une demeure qu'ils ne quittent plus (Oiseaux sédentaires)^ tan- tôt changent continuellement de place, suivant que le temps ou la nourriture les appelle dans un lieu ou dans un autre (^Oiseaux errans). Mais d'autres , qu'on appelle Oiseaux émi- grans, appartiennent à deux climats différens ; leur vie res- semble au mouvement d'un pendule ; en automne, un instinct conservateur les pousse dans les contrées équatoriales, c'est- à-dire que, dans notre hémisphère, ils se portent au midi ; au printemps, l'instinct génital les ramène vers le pôle, c'est-à- dire que chez nous ils reviennent au nord. 1° Cette oscillation n'est point déterminée par les circon- stances extérieures. Des Oiseaux émigrans qu'on a pris très- jeunes dans le nid, et auxquels on a enlevé leur liberté, de- viennent inquiets en automne, quoique ayant de la nourriture en abondance et entourés d' une température uniforme. Si on les laisse libres dans une chambre spacieuse, ils se mettent à voltiger quand le moment de l'émigration est venu, comme le feraient ceux qui ont entrepris déjà des voyages (1). La température n'est point le moiif déterminant; car, d'a- près Blackwalls (2) , les Oiseaux émigrans gagnent l'équateur à une époque de Tannée oii la chaleur surpasse encore celle qui règne quand ils reviennent vers le pôle. Ainsi ïHirundo riparia quitte l'Angleterre et gagne le midi en automne, quand la température est à quatorze degrés, et y revient au prin- temps, lorsqu'elle n'est encore qu'à dix ; le Troglodyte part à seize degrés et revient à huit; THirondelle domestique émigré à dix degrés, et revient à neuf; la température est de dix-sept degrés au départ du Coucou et de huit à son retour. De même, (1) Naumann , loc. cit., t. I, p. 90. (2) Jahrsbericht der Schive^ischen Akadtmie ^ t. II, p. 34. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 293 les Oiseaux qui se portent vers le pôle s'y rendent lorsque la chaleur est encore au dessous de celle qui règne à leur arri- vée dans la région équatoriale ; le Mauvis gagne le nord, au printemps, à sept degrés, et en revient à dix degrés ; la Grive s'y porte à quatre degrés, et en revient à sept. La migration dépend donc plutôt d'un pressentiment de la température fu- ture que du sentiment de la température actuelle. Ce pressentiment se rapporte aussi aux changemens de temps qui surviennent dans le cours d'une année, et en géné- ral, de ce que les Oiseaux partent plus tôt en automne, on peut conclure que le froid tardera peu à se déclarer, ou de ce qu'ils reviennent de meilleure heure au printemps, que la mauvaise saison est sur le point de faire place à la belle. Mais ce n'est cependant point là un signe infaillible. Il arrive quelquefois aux Oiseanx émigrans d'être surpris par le froid en hiver, ou d'avoir à subir un second hiver après leur retour au printemps, ce qui détermine un certain nombre d'entre eux à retourner un peu sur leurs pas et à attendre que l'air soit redevenu plus doux. Lorsque le temps est incertain, ils hésitent parfois sur le parti qu'ils doivent prendre, et ce n'est que quand la saison prend un caractère bien décidé, qu'ils accomplissent rapide- ment leur voyage, ou qu'ils le continuent. Aussi Naumann ne leur accorde-t-il que le pressentiment du temps à vingt-quatre ou trente-six lieues de distance (1). Ce n'est pas non plus le défaut de nourriture qui les déter- mine ; car elle ne leur manque point , du moins en partie^, lorsqu'ils nous quittent pour aller vers l'équateur, et moins encore lorsqu'au printemps ils alïluent de la Perse, de l'E- gypte, etc. 2° Les Oiseaux émigrans sont procréés et développés dans les contrées voisines du pôle. Une fois parvenus à maturité , en automne, ils sont pris d'un besoin de vie extérieure , qui dégénère en désir de voyager, et d'une tendance à l'expan- sion, qui les entraîne vers l'équateur, oii ils échappent à la ri- gueur de l'hiver du pays qui les a vus naître. Dès que l'instinct conservateur est satisfait , la faculté procréatrice s'exalte en (1) Naturtjeschichte der f^œgel Deutschlands , t. I, P- 83. 2g4 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. eux, et comme cette faculté ramène toujours l'individu à la primordialité, à l'espèce^ elle fait naître en eux une sorte de nostalgie , qui les oblige de revenir au printemps dans leur patrie. Aucun Oiseau ne couve dans le lieu de son séjour au midi. Quand ces animaux arrivent dans leur climat natal, ils se mettent aussitôt à construire des nids , à s'accoupler et à pondre. Les mâles viennent avant les femelles (1), parce qu'ils ont , non seulement le vol plus puissant , mais encore rinstinct génital plus actif, et si, en Islande , tous les Palmi- pèdes se réunissent ensemble pour nicher sur les mêmes ro- chers, tandis qu'on n'en aperçoit aucun sur des rochers voi- sins, qui leur offriraient tout autant de commodité , ils y sont probablement sollicités et par leur penchant à la sociabilité , et surtout par l'attachement qu'ils portent au lieu où ils ont pris naissance (2). Dès que l'incubation est terminée et l'in- stinct génital satisfait, la conservation de soi-même reprend son empire sur eux , et les chasse de nouveau vers l'équa- teur ; aussi les individus dont les œufs n'ont point éclos , partent-ils , en automne, avant ceux qui sont encore occupés à élever leurs petits (3). La plupart des Oiseaux émigrans éprouvent en outre , aux mois d'août et de septembre , après qu'ils ont terminé l'édu- cation de leurs petits, une mue qui redouble la puissance de leur vol. Ceux qui muent en juillet , par exemple la Corneille mantelée et la petite Hirondelle de mer, partent au milieu d'août: d'autres, comme l'Hirondelle et le Loriot, n'attendent pas la mue dans leur patrie^ et se rendent vers le Midi dès qu'ils ont accompli l'œuvre de la génération. Certains Oiseaux émigrans éprouvent , dans les contrées méridionales, une mue printannière qui leur donne de nouvelles forces pour gagner le Nord. Mais, chez tous ces animaux, le souvenir des plaisirs dont ils ont joui dans leur climat natal , et qui agit même sur eux avec assez de force pour les retenir au moment de l'émigra- (1) Faber, Ueher das Lehen der îioclmordischen Fœgel , p. 33. (2) Ibid.^ p. 8-11. (3) Naumann , loc cit., t. I, p. 85, PÉRIODICITÉ ANNUELLE. agS tioa d'automne (§ 617 , 12°) , paraît être le plus puissant de tous les ressorts qui les poussent. Du reste, la durée de l'émigration elle-même varie beaucoup; Quelques Oiseaux, par exemple le Loriot et la Corneille man- telée, ne passent que trois mois dans leur pays natal, depuis mai jusqu'en août : d'autres y restent plus long-temps. Au total, la migration des Oiseaux vers le Sud peut être comparée au sommeil d'hiver, puisqu'elle est un moyen de se mettre à l'abri d'une saison dans laquelle manquent la nourri- ture et la chaleur, et qu'il y a quelque analogie entre se rap- procher de l'équateur et s'enfoncer dans le sein de la terre. Ce qui justifie ce parallèle, c'est que la classe des Oiseaux est la seule dans laquelle on ne trouve point d'espèces sujettes à l'hibernation normale , et que les Hirondelles qu'une circon- stance quelconque empêche d'émigrer, paraissent s'engourdir réellement en hiver. 3° Quand nous disons que les Oiseaux émigrans reviennent dans leur pays natal , cette proposition exige que nous en- trions dans certains développemens à son égard. Les vieux reviennent d'ordinaire à l'endroit où ils ont pré- cédemment niché, et même cherchent à retrouver leur ancien nid. Tel est le cas , par exemple , des Cigognes, des Hiron- delles, des Rossignols , des Fauvettes. Lorsque , dans une chasse générale , on tue tous les Oiseaux d'un canton , à l'é- poque de l'accouplement, plusieurs années s'écoulent ensuite avant qu'il en reparaisse d'autres (1). Mais chaque Oiseau, dès qu'il a acquis la faculté de voler , renonce au nid dans lequel il a été couvé, et n'y revient jamais , parce que sa spon- tanéité le porte à choisir une habitation qui lui appartienne en propre. Les Oiseaux ont une patrie qui les rappelle , mais ils ne connaissent pas de toit paternel ; ils doivent se répan- dre , afin d'animer un plus grand rayon et de trouver une nourriture suffisante tant pour eux-mêmes que pour leurs pe- tits. L'un des faits qui prouvent le mieux combien est grande ici l'influence du besoin de nourriture , qui exerce partout une action isolante , c'est que les Oiseaux qui tirent leurs alir (1) Naumann , loc. cit., t. V, p. 212; 2qG périodicité annuelle. mens d'une mer inépuisable en poissons , construisent leurs nids immédiatement auprès de ceux dans lesquels eux-mêmes ojit été couvés, tandis que, d'après les observations de Tem- minck , il est rare que d'autres Oiseaux en agissent de même. 4" On remarque, surtout chez les Oiseaux qui voyagent en troupes, des préparatifs annonçant l'approche du départ. Huit ou quinze jours auparavant ils se réunissent en certains lieux , notamment sur des hauteurs, par exemple sur un arbre ou sur un toit. La résolution de quitter leur patrie semble l'aire naître une sorte de lutte au dedans d'eux-mêmes ; ils sont dans une grande agitation ; quelques uns , par exemple les Mésanges, paraissent long-temps indécis, et l'on voit des individus , qui avaient essayé de prendre leur vol , revenir quand ils s'aperçoivent que les autres ne les suivent pas. Les Cigognes se portent plusieurs fois à une faible distance , et reviennent sur leurs pas, jusqu'à ce qu'un moment arrive où l'on ne les voit plus reparaître. 5° Peu d'Oiseaux partent seuls ou par paires ; la plupart voyagent en grandes troupes. En général, ceux de même âge s'associent ensemble ; les jeunes s'en vont après les vieux , parce qu'ils ont éprouvé la mue plus tard ; aussi s'avancent-ils davantage vers le sud. Dans certaines espèces, les troupes ne sont composées que d'individus du même sexe, et quelquefois on remarque sous ce rapport des exceptions qui correspondent au caractère de l'âge : ainsi, chez les Pinsons, les jeunes mâles se mêlent aux jeunes femelles, et les vieilles femellesaux vieux mâles (1). 6° La plupart des Oiseaux volent pendant le jour ; tels sont , entre autres , ceux de proie. La Charbonnière vole depuis huit heures du malin jusqu'à midi, si le temps est beau , et jusqu'à trois heures, si la pluie menace ; le Pinson, depuis la pointe du jour jusqu'à dix heures , prend alors un peu de repos, repart ensuite jusque après midi , et se remet parfois encore en route vers le soir. Mais beaucoup d'Oiseaux volent principalement la nuit ; tels sont les Cailles , les Hérons , les Grues, les Canards sauvages, les Huppes. Plusieurs Insecti- (1) Naumani) , ioc. cit., t. V, p. 21. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 2Q-] vores choisissent surtout les nuits claires , et font alors durer leur course depuis le crépuscule jusqu'à l'aurore. 7° Pendant les heures qu'ils ne consacrent pas au voyage, ils se reposent et cherchent leur nourrilme ; quand le temps est mauvais et le vent contraire, ils s'arrêtent, ne s'occupent que de leurs alimens , et ne tardent pas alors à engraisser. Ils traversent rapidement les contrées oii ils ne trouvent rien à manger, et plus un pays leur offre de moyens de subsistance, plus ils s'y arrêtent long temps. Cependant ils sont parfois plus pressés, et consacrent moins de temps à la recherche des alimens ; c'est ce qui arme surtout lors de la migration vers le nord, où l'instinct génital les pousse, tandis que, dans celle vers le sud, il se trouve quelquefois parmi eux des traî- nards, qui restent jusqu'à ce que le besoin les force d'aller plus loin. 8° Quelques Oiseaux, par exemple les Alouettes, les Hiron- delles, etc. , volent bas et sans ordre. D'autres, commfrles Cigognes et les Grues , s'élèvent davantage , et leurs troupes prennent souvent des formes régulières. Ainsi les Oies et les Canards sauvages se disposent en coin , c'est-à-dire sur deux hgnes obliques réunies à angle^aigu par devant. Lorsqu'ils sont moins nombreux , ils se rangent sur une seule ligne oblique , comme font aussi les Hérons , les Vanneaux , les Pluviers , etc. En tête de la ligne se place ordinairement un des plus gros et des plus forts, qui, quand il est fatigué, passe à l'autre bout et s'appuie sur son voisin de devant. 9° Chaque espèce a , entre le pôle et l'équateur, un dépar- tement particulier, dont le rayon est en général de vingt de- grés. Par exemple, la Columba macroura va du Canada dans la Virginie et la Pensylvanie; VAtias hiemalis, du Groenland en Suède et en Angleterre ; l'Ortolan de neige , de l'Islande dans le nord de l'Allemagne ; les Grives , les Bécasses et les Litornes , de la Sibérie et de la Laponie en Allemagne ; le Pinçon des Ardennes , de la Suède et de la Norwége en Grèce et en Italie ; la Cigogne , la Grue , le Vanneau , l'Hirondelle , la Caille , des parties septentrionales et médianes de l'Europe en Egypte et en Barbarie ; le Pigeon ramier, la Tourterelle, la Tourterelle à collier et le Rossignol se rendent en Perse , 298 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. en Chine et au Japon. Parmi les in(iividus d'une même espèce, les uns se tiennent plus au midi et les autres plus au nord : ainsi certains Harles vont du Groenland vers le midi de l'Eu- rope, tandis que d'autres passent de l'Europe mitoyenne dans l'Afrique septentrionale. Chez plusieurs espèces , les jeunes , qui se mettent en route plus tard , semblent passer l'hiver dans le midi de l'Europe , tandis que les vieux traversent la mer Méditerranée. iO° La direction que suivent les Oiseaux émigrans est celle du sud-est et du nord-est. Beaucoup d'entre eux semblent , en hiver , se porter d'abord veft l'ouest , puis en ligne droite vers le sud , qui , au printemps , reviennent chez nous par l'ouest. Quelques uns suivent une marche directe , d'autres font des détours : ainsi , par exemple , le Falco lagopus dé- crit de temps en temps de grands cercles. L'impression du courant d'air provenant de telle ou telle région ne peut point être la cause qui détermine leur direc- tion , puisqu'ils volent par des vents différons , qu'il leur est désagréable alors, comme en toute autre circonstance, d'avoir le vent derrière eux, et que, quand il souffle trop long-temps en ce sens , ils se voient enfin obligés de s'abandonner à lui. ?)'ailleurs , beaucoup d'Oiseaux , surtout parmi les petites espèces , ne s'élèvent pas assez au dessus de terre pour ren- contrer des courans aériens venant de régions éloignées. Il n'est pas possible, non plus, que ce soit l'odorat qui les guide ; car, en quelque lieu qu'une Cigogne ait établi son nid, près du Rhin ou près de la Vistule, sur les bords de la Médi- terranée ou de la Baltique , elle retrouve le hameau et la ca- bane où elle l'avait construit l'année précédente, et l'on ne peut même pas songer à une odeur spécifique émanée de ces diverses régions. Les Oiseaux font certainement attention , dans leurs voya- ges , aux contrées qu'ils traversent , et qui leur offrent des lieux de repos et de la nourriture. Ainsi les Sylvains suivent de préférence les forêts , ils passent avec empressement au dessus des terres pelées, et dans leur course vers le sud-ouest ils s'arrêtent à l'extrémité occidentale d'une forêt, avant de se décider à aller plus loin. De même, lç§ Cigognes recherchent^ PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 299 chemin faisant, les prairies inondées elles marais. Cependant on ne saurait croire qu'au milieu d'une course rapide , exé- cutée souvent à une hauteur considérable, par un temps cou- vert ou peflfdant la nuit , ils puissent s'inculquer dans la mé- moire un paysage d'une étendue qui dépasse six cents Heues, au point d'être en état de le reconnaître au retour, d'autant plus qu'alors ils voient les objets en sens opposé , et que les pays ont pris un tout autre aspect sous l'influence du change- ment des saisons et de la végétation. En outre, ils n'errent point au hasard , ne cherchent pas, ne choisissent point , mais atteignent à leur but du premier coup et en ligne droite. Le Tourlourou, dont les migrations annuelles par troupes innom- brables ressemblent beaucoup à celles des Oiseaux, marche directement vers la mer pendant des lieues entières, sans pou- voir distinguer les endroits qu'il parcourt, puisque ses yeux sont presque à fleur de terre ; l'air de la mer ne saurait le guider non plus, car, d'un côté, il ne marche que pendant la nuit, époque à laquelle la brise vient de terre , et d'un autre côté les collines, les édifices et autres objets élevés qui se rencon- trent sur son chemin , et qui intercepteraient tout souffle d'air venant de la mer, ne l'arrêtent point. Les sens externes sont donc insuffisans ici, et la connaissance doit être fournie d'une autre manière plus immédiate, par un pressentiment du senti- ment intérieur, qui détermine l'instinct. ARTICLE II. Des effets de la périodicité annuelle sur la vie, § 619. Chez l'homme , la vie a acquis toute la profondeur dont elle est susceptible ; le haut degré auquel sont parvenues la spontanéité et l'indépendance, fait qu'elle fleuritvéritable- ment toujours en lui, et que, malgré la multiplicité des direc- tions qu'elle est susceptible d'affecter, les influences généra- les de l'univers ne projettent sur elle que des ombres légères, prononcées, il est vrai, lorsqu'on embrasse toute l'espèce d'un seul et même coup d'œil, mais souvent imperceptibles quand on n'a égard qu'aux individus et aux détails. 1» Pendant Tété , Ja vie est plus dirigée au dehors, et plus 500 PERIODICITE ANNUELLE. active à la périphérie, la sensiblilé plus grande, l'activité sen- sorielle plus éveillée et le sommeil plus court. En hiver, au contraire, la vitalité se tourne davantage en dedans , la réac- tion l'emporte sur la réceptivité , et lu force musculaire est plus énergique, quoique la mobilité soit diminuée. Pendant les périodes de transition, ou au temps des équinoxes, le senti- ment et l'imagination se manifestent d'une manière plus vive, au printemps surtout, sous des formes riantes, comme amour, satisfaction de la vie, désir de voyager, etc. , en automne , sous des formes plus sèches, mais aussi plus élevées; en été, on rencontre davantage de maladies nerveuses avec excita- tion, des fièvres nerveuses, des afff étions cérébrales, le délire, la manie, les convulsions ; au temps des équinoxes, il est com- mun de voir des apoplexies et des paralysies. 2° En été , lu nutrition exige des alimens moins abondans et plus légers ; mais elle est plus facile à troubler; en hiver, la digestion a plus de puissance, elle demande des alimens en plus grande quantité et plus résistans. La quaniilé des aUmens que prenait Lining 1) était au minimum en octobre, augmentait depuisnovembre jusqu'en janvier, diminuait depuis février jus- qu'en avril, croissait en mai, atteignait son maximum en juillet, etredescendait en août et septembre; celle des déjections alvi- nes était au maximum en février, augmentait en mars, baissait en avril , croissait depuis mai jusqu'en octobre, où elle arrivait au maximum, diminuait en novembre, et remontait en décem- bre et janvier. Cependant il faudrait de nombreuses expé- riences semblables, faites sur des individus différens et obser- vant des régimes divers, pour pouvoir conduire à des résultats certains. D'ailleurs, dans les données fournies par Lining, il n'a point été établi de distinction entre la quantité des alimens solides et celle des boissons. Les coliques , les gastrites , les entérites sont plus communes en été, les diarrhées et les dy- senteries le sont davantage en automne. 3' En été, la respiration est phis facile, les malades atteints d'affections de poitrine se trouvent mieux , mais le sang est moins riche en oxygène et contient moins de fibrine, il se coa- (d) Deutsches ArcJiiv, t. VII, p. 373. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 3oi gule d'une manière plus lente, et donne un caillot plus mou qu'en hiver (1). Pendant cette dernière saison, le sang est plus oxygéné, et il survient plus fréquemment des hémorrha- giespar les organes respiratoires , mais aussi les accès d'asthme et de cyanose (2) entraînent plus de danger. A Paris, c'est au printemps et en hiver qu'il périt le plus de malades atteints de la poitrine, en été et en automne qu'il en succombe le moins : les morts causées par le catarrhe et l'asthme sont plus communes en hiver, plus rares en été ; celles qui sont dues à la péripneu- monie et à la phthisie pulmonaire, plus fréquentes au printemps, et les premières plus rares en été , les autres en hiver (3). 4° En été, le carbone prédomine, ainsi que l'expansion, la volatilisation et la décomposition ; les rhumatismes et la sy- philis guérissent plus aisément ; 1 s affections du foie , les ma- ladies bilieuses, la fièvre bilieuse, les fldx hémorrhoïdaires sont plus communs ; les fièvres putrides entraînent plus de danger. En hiver, il règne plus de contraction, l'aptitude à la contagion est moins grande, les matériaux se renouvellent moins vite , la graisse se produit en plus grande abondance , et les sécrétions séreuses et muqueuses se dirigent davantage au dehors -, l'hydropisie et le scorbut sont plus fréquens, la sy- philis elle rhumatisme s'aggravent au printemps, la vie plas- tique devient plus saillante, les scrofules éclatent, les maladies de peau, les maladies inflammatoires et les hémorrhagies, cel- les surtout des organes respiratoires, sont plus répandues. Les fièvres intermittentes , les rhumatismes et la goutte s'obser- vent principalement vers le temps des équinoxes. 5» Le poids du corps augmente en hiver et diminue en été. Sanctorius était plus léger de trois livres dans celte dernière saison que dans l'autre ; Lining pesait cent cinquante-neuf li- vres au mois d'octobre, et cent soixante-et-dix-sept en janvier ; C. Reil, cent dix-neuf en juillet, et cent trente en mars (4). Suivant Lining, la quantité des évacuations surpasse celle (1) Autenrieth, Handhuch der Physiologie , t. I, p. 302. (2) Deutsches Archiv, t. I, p. 270. (3) Benoiston de Ctiateauneuf , De l'influence de certaines professions sur le développement de la phtliisie pulmonaire. (Ann. d'hygiène, Paris , 1831 , t. VI, p. 1 et suiv.) (4) Deutsches Archiv, t.^VII, p. 374. 302 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. des alimens digérés à partir du mois d'avril, plus en juin qu'à toute autre époque , moins depuis juillet jusqu'en septembre, et moins encore depuis octobre jusqu'en mars. Mais celte dif- férence tient uniquement à la transpiration cutanée, car la sé- crétion urinaire est moins considérable en été qu'en toute au- tre saison. Les proportions étaient, suivant Keill. suivant Lining. Transpiration Sécrétion Transpiration Sécrétion cutanée. urinaire. cutanée. urinaire. Dec, janvier, février 7047 9048 3594 6653 Mars, avril, mai 7720 10864 4500 5564 Juin, juillet, août 8645 7662 6876 4543 Sept., octobre, nov. 7350 82d7 4749 4515 Les mêmes observateurs, ainsi que Martin, ont égale- ment porté leur attention sur les proportions du jour et de la nuit pendant les diverses saisons de l'année. En prenant pour limite la sécrétion de la nuit, la proportion de celle qui s'ef- fectue dans la journée était : , '^ A la peau , Aux reins , d'après d'après \ Keill. Martin. Lining. Dec, janvier, février. 1,77 1,66 1,40 Mars, avril , mai. 1,61 1,31 1,31 Juin , juillet , août. 1,44 1,03 1,95 Sept., oct., nov. 1,50 1,37 1,41 Ainsi , d'après Keill et Martin , l'excédant de la respira- lion nocturne sur la transpiration diurne était plus considérable qu'en tout autre temps pendant l'hiver (en février, suivant Keill , en janvier suivant Martin) , et moins grand aussi qu'à toute autre époque durant l'été (en juillet selon Keill, en juin selon Martin ) ; la sécrétion urinaire diurne était , se- lon Keill et Lining, plus abondante que la nocturne en hiver et au printemps (en janvier surtout , d'après Keill , en février d'après Lining), moins considérable en été et en automne (en septembre suivant Keill , en octobre suivant Lining). Au dire de Lining , pendant le jour, la transpiration cutanée l'empor- tait sur la sécrétion urinaire depuis mai; jusqu'en septembre Keill. Lining. 1,39 1,57 1,16 1,11 0,86 0,72 0,94 0,90 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 3o3 (au mois de juillet surtout), l'égalait en octobre , et était plus faible qu'elle depuis novembre jusqu'en avril (au mois de fé- vrier surtout) ; durant la nuit, la sécrétion" urinaire l'empor- tait toujours sur l'exhalation cutanée, principalement en hiver. 6° L'époque de la copulation est, pour les végétaux et les animaux, le point culminant de la vie annuelle, l'époque à la- quelle l'existence individuelle se tourne vers la conservation de l'espèce^ et ce moment correspond , chez la plupart des êtres organisés, à la saison chaude et humide. Le cours des choses est tel parmi ces êtres que , tantôt après l'hiver, la vie extérieure s'exalte peu à peu , s'élève au bout d'un certain laps de temps jusqu'à la faculté procréatrice , et retombe tout à coup après l'accomplissement de l'acte génital , tantôt l'époque de la copulation arrive immédiatement à la suite du repos de l'hiver, après quoi la vitalité extérieure persiste encore quelque temps, pour ne s'ejfilacer que peu à peu ( § 244, 1' 297, 1°), En ce qui concerne la fécondation humaine, nous avons sous les yeux les tables de population de la Suède de- puis 1750 jusqu'en 1763 (1) , et depuis 1775 jusqu'en 1795 (2) , celles de Paris depuis 1670 jusqu'en 1787, et depuis 1817 jus- qu'en 1823(3), celles de Florence depuis 1451 jusqu'en 1774, et celles du royaume de Wurtemberg (4). D'après ces tables réunies, si l'on suppose cent mille fécondations par an, la proportion durant les diverses saisons est celle qui suit : Suède. Paris. Florence. Wirtemb. 4750 1775 1670 1817 4763. 1795. 1787. 1823. Mars à mai. 25,785 25,998 25,942 24,885 26,816 25,900 Juin à août. 22,335 25,486 25,675 26,601 25,629 25,100 Sept, à nov. 22,470 22,418 23,768 24,256 22,045 23,083 Dec. à fév. 26,410 26,098 24,615 24,258 25,510 25,816 Le minimum tombe donc partout en automne , et le maxi- mum presque généralement au printemps ; s'il répond à (1) Ahhandlungen de,r Schwedisclien Aliademie , t. XXIX , p. 263. (2) Dict. des Se. méd., t. XXXIV, p. 368. (3) Rech. stat. sur la ville de Paris. Paris, 1823, in-4o, tabl. n° 52. (4) Riecke , Beitrœge zur gelurtsJitielflichen Topographie von fVilr- temherg. Xubingue , 1827 , in-8. 3ô4 PÉRIODICITÉ ANNUEttE. l'hiver en Suède, c'est que la plupart des mariages se con- tractaient en automne dans cette contrée; car la fécondation illégitime y était plus commune qu'en tout autre temps aux mois de juin et de juillet, et plus rare en octobre et en novembre. A Paris, dans les temps anciens , où Ton observait plus rigoureusement les jeûnes , le minimum avait lieu en mars et le maximum en mai; maintenant le maximum tombe en juin et le minimum en septembre. D'après Villermé , voici l'ordre de succession des mois par rapport à la fécondité : mai, juin, avril, juillet, février, mars, après quoi viennentles autres mois , qui produisent moins (1). A Florence, le minimum tombait en septembre et le maximum en juin; en Suède, le premier correspondait à septembre et octobre , l'autre à dé- cembre ; dans le Wurtemberg , le premier à septembre , et le second à avril ; dans les Pays-Bas , suivant Quetelet , le minimum tombe en octobre et le maximum en avril. Du res- te, il ressort des listes de Wurtemberg, de celles de Florence, et, eu égard aux enfans illégitimes, de celles de la Suède, que c'est dans les moins productifs qu'il est né le plus de gar- çons , et dans les plus féconds , au contraire , qu'il est venu , piroporlion gardée, plus de filles au monde. 7° Sous le point de vue de la mortalité , il y ades différences plus grandes, qui dépendent du climat et autres circonstances influant sur la vie, ainsi que des maladies transcurrentes ou dominantes en certaines années. Les listes suédoises de treize et de vingt ans, les viennoises de dix ans (2), et les pari- siennes de quatre-vingt-cinq ans (3) , donnent les proportions suivantes : Suède. Paris. Vienne. 1750-4762. 1775-1795. Mars à mai.' 30,809 £L 28,293 28,598 27,970 Juin à août. 24,116 24,413 22,133 22,333 Septembre à nov. 21,418 21 963 21,492 22,299 Décembre à février. 24,377 25,331 26,777 24,398 (1) De la distribution par mois des conceptions et des naissances de rhomme (Ann. d'hyg. et de niéd lég., Paris , 1831 , t. V, p. 55 et siiiv.) (2) Wei'tbein, Versuch einer medicinischen Topographie von ff^ien^ P.74.J (3) Archives générales , t. III , p. 468. PÉRIOblGlTÉ ANNUELLE. 3o5 Ici la mortalité atteint le maximum au printemps, baisse en été, arrive au minimum en automne (à Paris en été), et re- monte en hiver. lien est de même aussi à Hambourg, où, sur mille décès , deux cent quatre-vingt-un ont lieu de Janvier à mars, deux cent-quatre-vingt-neuf d'avril à juin, deux cent- vingt-cinq de juillet à septembre , et deux cent-qùarante-cinq d'octobre à décembre (1) ; à Breslau , d'après des observa- tions recueillies pendant dix années , où il mourut six mille sept cent vingt-huit personnes de février à mars , six mille cent quatre-vingt-six d'avril à juin , cinq mille neuf cent soixante-et-quatorze de juillet à septembre , et six mille cinq cent quatre-vingt-trois d'octobre à décembre ; à Berlin , où l'on compte dix mille décès au printemps , neuf mille trois cents en été , huit mille huit cents en automne, et neuf mille huit cent en hiver ; enfin à Saint-Pétersbourg , où le nombre des décès fut de vingt-deux mille au printemps , dix-huit mille en été, quinze mille six cents en automne, et dix-sept mille en hiver (2). Nous pouvons regarder cette proportion comme normale , et attribuer à des anomalies causées par des circonstances de lieu ou de temps , que le maximum de la mortalité tombé en été et le minimum en hiver à Stockholm, le maximum en hiver et le minimum au printemps à Padoue et à Milan , le maximum en été et le minimum au printemps à Montpellier (3). Après le printemps, l'hiver est ordinairement la saison où l'on compte le plus de décès , ce que confirment les recher- ches de Black (4), de Villermé (5) et autres. Le maximum de la mortaHté a eu lieu en décembre à Milan , en janvier dans les Pays-Bas, à Londres et à Padoue, en mars à Vienne , Ber- lin et Vevay, en avril à Paris et dans la Suède, en mai à Saint-Pétersbourg. Le minimum s'est offert en juin à Padoue (1) Gerson , Magasin , t. XVII, p. 349. (2) Dict. des Se. médic, t. XXXIV, p. 368. (3) Mémoires de l'Institut , t. I, p. 33. (4) Vergleichung der Sterhlichkeit des menschlichen Geschlechts, p. 35. (5) Mémoire sur la mortalité en France dans la classe aisée et dans la classe indigente (Mém. de l'Acad. royale de médecine. Paris, 1828, t. I, p. 51 et suiv. — Annales d'hygiène pratique , t. III , p. 294; t. IX, p. 5; t. XI, p. 342 it, XII, p. 31). V, 20 3o6 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. et Milan , en juillet à Paris , Londres , Vevay , et dans les Pays Bas, en septembre et octobre dans la Suède et à Saint- Pétersbourg , en novembre à Berlin , en décembre à Vienne. D'après les observations de Mourgue (1), la mortalité est plus grande en hiver chez les femmes que chez les hommes, et cette saison voit périr aussi plus d'enfans que l'été , cependant , selon Wertheim, la plus grande mortalité des enfans, à Vienne , eut lieu en août , et la moindre en décembre. D'après onze années d'observations recueillies à New-York, l'hiver et le printemps comptèrent plus que l'été et l'automne de décès causés par la péripneumonie,rangine et la phthisie pulmonaire, tandis que l'apoplexie, la rougeole, la coqueluche, les inflamma- tions de bas- ventre, le choléra et la dysenterie firent périr plus de personnes enétéet en automne qu'en hiver et au printemps. (Si l'on s'est peu occupé jusqu'à présent de l'influence que les circonstances météorologiques exercent sur la mortalité , quelque intéressant que puisse être ce sujet de recherches , il faut s'en prendre au défaut de précision des faits relatifs au nombre des cas de mort qui arrivent durant les divers mois de l'année. La plupart des faits que nous possédons à cet égard ne sauraient être d'aucune utilité pour la science ; l'enregistrement des morts se fait d'ordinaire par semestres , mais les semestres ne sont point des périodes météorologiques, c'est-à-dire , que , dans l'état présent de la météorologie, la marche du temps nous est connue par mois seulement et non par semestres. Veut-on, pour comparer la mortalité avec l'état de l'atmosphère , rattacher les listes mortuaires à un classe- ment mensuel , on s'y prend la plupart du temps d'une ma- nière si arbitraire, qu'il devient impossible de déduire les lois qui devraient découler de là. Les diflerences que la mortalité présente dans les divers mois de l'année , ne sont point assez considérables pour qu'on puisse se rendre maître de pa- reilles inexactitudes. Il y a surtout ici celte circonstance par- ticulière que !e mois de février , le moins long de tous , est en même temps ce'ui pendant lequel la vie court le plus de dan- ger, du moins dans nos climats. Si l'on oe faisait point entrer (1) Mémoires de ITnstitut , t. I, p. 33. (2) Gei'son, Macjusin, t. XVII, p.,63. PÉRiODIGlTÉ ANNUELLE. 307 en ligne de compte le nombre moins considérable de jours qu'il embrasse , la mortalité qui a lieu pendant son cours se- rait inférieure à celle de janvier , de mars , même d'avril et de mai , c'est-à-dire que toute recherche scientifique devien- drait absolument impraticable. On ne doit point oublier qu'ici nous en sommes encore aux premiers élémens. En un tel état de choses, il faut provisoirement laisser de côté les an- nées anormales , comme celles qui ont été signalées par des épidémies ; car le plus sûr , quand on manque de boussole , est de ne point s'écarter des côtes. C'est au soin de prendre ces diverses circonstances en considération que je crois être redevable d'avoir pu déduire , des registres mortuaires de Kœnigsberg, des lois fort simples, et dont la justesse se con- firme sous tant de points de vue. Les listes dont je me suis servi contenaient les noms des individus morts , avec d'autres notes relatives à l'âge et au sexe , de sorte qu'elles mettaient à l'abri d'erreurs grossières. J'ai choisi parmi elles les dix années de 1817 à 1826 , période durant laquelle il n'a point régné de mortalité extraordinaire. Les recherches qui vont suivre découlenti de l8,769 cas de mort parmi des gens de tout âge, qui ont succombé durant ce laps de temps ; les morts accidentelles , au nombre de 384 , ont été écartées. De l'in- certitude devait régner à cet égard parmi les morts-nés , mais comme leur nombre était classé par mois , il s'est trouvé ce résultat remarquable qu'ils sont soumis précisément à la même loi que les morts en général. Effectivement il est mort, les mois étant comptés tous à trente et un jours , En janvier 1728 individus dont 86 morts nés février 1909 129 mars 1839 103 avril 1754 96 mai 1591 93 juin 1431 94 juillet 1372 87 août 1296 67 septembre 1547 62 octobre 1499 85 novembre 1567 82 décembre 1613 Si OûS PÉRIODICITÉ ANNUELLE. Si l'on représente les deux espèces de morts par des courbes, elles sont parallèles , de sorte que les circonstances météoro- logiques exercent sur les enfans morts-nés le même genre d'influence qne sur les vivans. Le mois de février , qui a le plus grand nombre de morts-nés, compte également le plus grand nombre de naissances, et l'on pourrait en conséquence expliquer le premier phénomène par le se- cond. Cependant , quelque séduisante que soit cette expli- cation, elle ne saurait suffire seule , par cette considération surtout que , le temps exerçant une influence considérable sur la vie après la naissance , il serait contraire à la nature d'admettre qu'il n'en a aucune sur les morts-nés. D'après Trévisan (^), à Gastel -Franco , sur 100 enfans, on en compte qui parviennent à un an, 48 parmi ceux qui naissent au prin- temps , 83 parmi ceux dont la naissance a lieu en été , 58 parmi ceux qui viennent au monde en automne, et 19 seule- ment parmi ceux dont la naissance s'opère en hiver. Bien qu'il ne soit pas permis de considérer ces nombres comme ayant une exactitude absolue , puisqu'il s'ensuivrait que , de 100 enfans, 50 seulement à peu près atteindraient l'âge d'un an ; cependant il est positif qu'une différence très-considé- rable , sous le rapport de la mortalité pendant les premiers mois de la vie, règne parmi les enfans nés en des saisons diffé- rentes. D'après Quetelet, il est mort en Belgique âge janvier juillet 0 à 1 mois 4290 2403 1 à 3 ^ 1890 1126 3 à 6 1470 1171 6 à 12 2108 1246 Il suit de là que le plus grand nombre des morts-nés en fé- vrier doit être mis sur le compte tant du plus grand nombre de naissances en général , que des circonstances météorolo- giques. Dans tous les cas, il est permis de réunir les morts-nés aux autres morts , puisque tous obéissent aux mêmes lois. Pour les uns comme pour les autres , la plus grande morta- lité a eu lieu en février- , et la moindre en août : à partir du premier mois , le nombre des cas de morts diminue réguliè- (1) Bibliothèque de Génère, t. XLVII, p. 445. PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 309 rement jusqu'au mois d'août, époque après laquelle il. com- mence à croître ; septembre seul offre une petite anomalie ,,le nombre des morts y étant plus considérable qu'en octobre.' Schubler a observé des proportions exactement semblables à Stuttgart, dans les années 1780 à 1821. Cette ville perdit, en individus âgés de plus d'un an : janvier 1004 juillet 679 février 1094 août 734 mars 976 septembre 760 avril 948 octobre 737 mai 922 novembre 837 juin 789 décembre 880 Ici également le maximum de la mortalité tombe en février; mais son minimum correspond en juillet ; le mois de sep- tembre présente la même anomalie qu'à Kœnigsberg, ce qui fait que nous hésitons à la regarder comme une erreur d'ob- servation. Les mêmes lois ressortent enfin des recherches de Quetelet î Janvier 1,185 Juillet 0,842 Février 1,141 Août 0,866 Mars 1,121 Septembre 0,930 Avril 1,061 Octobre 0,167 Mai 0,964 Novembre 0,980 Juin 0,892 Décembre 1,053 Si donc il est certain que la mortalité suit une période annuelle , on se demande de quelle cause provient cette pé- riodicité. Il faudrait passer ici en revue tous les phénomènes qui suivent également la période d'un an pour trouver celle de laquelle la nôtre se rapproche le plus , la différente pres- sion de l'atmosphère pendant les divers mois , la diver- sité de leur humidité absolue et relative, les variations men- suelles du moyen mouvement de l'air , la prédominance des jours sereins ou nébuleux , la plus ou moins grande incons- tance du temps, l'électricité, etc. Mais, sans nous exposer au danger de fatiguer le lecteur par une discussion de ces causes possibles, nous n'examinerons que la variabilité du temps et de l'état du thermomètre, et nous ferons voir que le degré différent de la mortalité aux divers mois ne peut être mis sur son compte. 5 10 PÉRIODICITÉ ANNDELLEc C'est en avril et en octobre que le temps est sujet aux plus grands et aux plus rapides changemens. Durant l'hiver les vents du midi et de l'ouest sont ceux qui dominent chez nous et dans toute l'Europe ; par conséquent, la direction moyenne du vent , à Kœnigsberg, est S. 14° 0. En été, au contraire, cette direction est N. 48° 0. Ainsi on peut admettre que le vent souffle du midi en hiver et du nord en été. Ces deux di- rections se résolvent au printemps et en automne, ce que nous voyons arriver en avril et en octobre, par une lutte qui nous amène un temps capricieux. Mais, durant ces mois, la mortalité se rapproche plus du minimum que du maximum. Donc la va- riabilité du temps ne met pas la vie en danger. Quant à ce qui concerne la pression atmosphérique , à nos latitudes , elle ne caractérise ni les mois ni les saisons. En effet, la hauteur dû baromètre est si peu fixe pendant les saisons, ses changemens de mois en mois , dans la zone tempérée , sont si considérables , et par conséquent elle présente tant d'inégalités en des lieux divers, qu'on ne saurait faire dépendre de l'échelle de cet instrument un phénomène qui, comme la mortalité, se montre assujéti à une marche si bien déterminée pendant le cours de . l'année. Les observations faites à Koenigsberg rapportent la plus haute pression de l'air au mois de septembre , et la plus faible au mois de mars ; la différence ne s'élève cependant qu'à 1,4 lignes, c'est-à-dire à 139 livres sur les 33,000 dont l'homme se trouve d'ordinaire chargé. Mais les mois de septembre et de mars ne sont point les extrêmes par rapport au nombre des morts, La différence de la pression atmosphérique pen- dant les saisons est naturellement plus insignifiante encore , et se réduit à un dixième de ligne. Quiconque est au courant des résultats récens de la météorologie , sait que le baromètre n'est point , dans les zones tempérées , l'instrument propre à indiquer la marche régulière des phénomènes du temps pen- dant le cours de la journée et de l'année. Mais la variation de la mortalité ne peut être appréciée ni par la girouette ni par le baromètre ; elle dépend, au contraire, du thermomètre, et c'est ce que j'espère démoiitrer par des preuves telles qu'elles ne laisseront pas la plus petite place au doute. Le minimum de la chaleur moyenne a lieu en janvier et le maxi- PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 3 11 mum en juillet. Or, un mois après le minimum, par conséquent en février, nous trouvons la plus grande morlaiité, et un mois après le maximum, c'est-à-dire en août, la moindre. L'état du thermomètre dépend de la hauteur du soleil au dessus de l'horizon; cependant , si cette hauteur était la seule et unique cause, le 21 décembre serait le plus froid jour de l'année, et le 21 juillet le plus chaud. Mais la chaleur du soleil amène d'autres opérations , qui ont leur source dans la mobihté de l'air et dans le changement de l'état d'agrégation de l'eau, et qui influent également sur la température des lieux. Ce sont des actes dont l'accomplissement exige un certain laps de temps. Nous trouvons donc le plus chaud jour et le plus froid trois à quatre semaines plus tard , durant la dernière moitié de juillet et de janvier. La mortalité offre quelque chose d'a- nalogue ; la plus forte et la plus faible chaleur déterminent, dans l'organisme de l'homme , certaines opérations , de nature salutaire et de nature nuisible , qui demandent également du temps, et qui reportent la plus grande mortalité quatre se- naaines après la plus faible et la plus forte chaleurs. J'appelle l'attention d'une manière spéciale sur ce retard ; il est parfai- tement fondé sur la nature des choses , et il s'est montré si constant, dans toutes les comparaisons que j'ai faites , qu'on doit l'admettre pour certain. Mais ce qu'on ne peut point affir- mer , c'est qu'il soit exactement d'un mois ; loin de là il peut aisément embrasser une et même deux semaines de plus ou de moins. D'après les observations précédemment citées de Que- telet , il paraît qu'en Belgique la plus grande mortalité coïn- cide avec la moindre hauteur du thermomètre, la plus faible avec la plus grande élévation de cet instrument, et qu'en conséquence le retard dont je viens de parler n'a point lieu dans ce royaume. Mais si ce retard n'était que de quinze jours , et, en accordant quelque chose pour l'incertitude des observations , on voit sans peine que tantôt février et tantôt janvier apparaîtra comme le mois le plus dangereux pour la vie. En outre, il n'est point encore prouvé que les variations du thermomètre suivent exactement la môme marche en Bel- gique et dans la Prusse orientale ; nous avons même lieu d'en douter d'après les recherches de Keemlz sur la tempéra- 012 PERIODICITE ANNUELLE. tuie comparée de cinq à six jours en plusieurs lieux différens de notre hémisphère. On ne doit point perdre de vue non plus qu'il s'agit bien moins , par rapport à la mortalité , de tel ou tel jour dont la température est basse ou Félevée , que de la chaleur moyenne de plusieurs jours consécutifs. Enfin, quand nous entrerons plus tard dans le détail des observations belges, nous verrons le retard se confirmer d'une manière tellement particulière , qu'on sera convaincu qu'il a lieu aussi en Bel- gique , et que la seule raison qui l'empêche d'y ressortir clai- rement , c'est que là on a réuni ensemble les cas de mort de toutes les classes d'âge. J'ai trouvé la température moyenne , à Kœnigsberg, de 6,12 degrés de Réaumur, et non de 5,12 degrés, comme on l'avait admis jusqu'ici. Cette moyenne va- leur s'est prononcée en 1818 et en 1825, années dont la moyenne est exactement de 6,12 degrés. Le nombre moyen des morts, pour la période dont nous nous occupons, s'élève à 1877 par an; 1871, ont succombé en 1818, et 1871 également en 1825. Ces années , qui montrèrent exactement la température moyenne , donnèrent donc non moins exactement le nombre moyen des morts. Au contraire , l'année 1822 a eu la plus forte chaleur moyenne (6,92 degrés ), et en même temps le moindre nombre de morts , c'est-à-dire 1638. Le plus grand nombre de morts fut donné par l'année 5826; il s'éleva à 2115. Cette année étant une des chaudes , on aurait plutôt dû s'attendre à une mortalité moindre; mais la plus haute cha- leur moyenne provint de l'été 1826 , qui fut extraordinaire - ment chaud , en sorte que , d'après la loi qui va être dévelop- pée , la grande mortalité qu'on vit alors était réellement dans l'ordre. On peut donc admettre , d'après cela , que la propor- tion de la mortalité ne tient point uniquement à la chaleur de l'année , mais se rattache aussi à la répartition de cette cha- leur entre les saisons. Je ne possède pas de listes mortuaires pour l'année 1834 ; mais je ne doute pas qu'en cette année , qui eut un été fort chaud , la mortalité n'ait été aussi grande qu'en 1826. Au milieu de tous les phénomènes qui dépendent de con- ditions météorologiques , c'est un avantage décidé que le temps montre de si grandes irrégularités dans les années con- PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 3l5 sidérées une à une. En utilisant d'une manière convenable ces anomalies, on peut pénétrer jusque dans les détails plus minu- tieux du phénomène, et arriver à des résultats auxquels , sans cela , on ne parviendrait qu'à l'aide d'un examen pénible et souvent impraticable des circonstances dans diverses zones de la terre. La mortalité dépend de l'état du thermomètre, c'est-à- dire , pour parler avec plus de précision , que ses variations sont liées à celles du thermomètre. Il est donc vraisemblable que, dans le pays dont le climat porte un caractère continen- tal , la fluctuation dans le nombre des morts paraîtra plus grande que là où règne un climat littoral ou insulaire. Mais il y a jusqu'ici impossibilité d'en fournir la preuve par une comparaison établie entre ces contrées, puisque nous sommes totalement dénués des observations dont nous aurions besoin pour cela; cependant, comme j'en ai déjà fait la remarque,'nous y pouvons parvenir à l'aide des seules observations de Kœ- nigsberg , en supposant que, pour cela, nous nous attachions aux saisons qui ont un temps anormal. L'hiver de 1823 cor- respond parfaitement à un climat continental ; tandis que la chaleur moyenne ordinaire de notre mois de janvier est de — 1,8 degré Réaumur , elle fut cette année de — 9,7 degrés, ce qui donne un janvier de Moscou. Le nombre moyen des morts est de 191; mais, en février 1823, il atteignit son maxi- mum , savoir 247, ce qui fait un tiers de plus. D'un autre côté , le mois de janvier 1817 se distingua par une chaleur in- solite , il fut le plus chaud janvier de cette période , et cor- respondit à un climat insulaire ; aussi le nombre des morts ne fut-il, dans le mois de février suivant, calculé à trente-un jours, que de 175. Pendant les mois d'été de 1811, la chaleur fut moins forte que dans toutes les autres années sur lesquelles nous opérons , et la même chose eut également lieu pour la mortalité durant ces mois; tandis qu'il meurt ordinairement 130 individus en août, il n'en périt que 95 dans l'année 1821. Le mois de juillet 1818, au contraire , fut de 1,4 degré plus chaud que de coutume , et dans le mois suivant il succomba 140 personnes. Le plus grand nombre de morts (201) fut donné par le mois d'août 1826 , mais aussi le mois précédent avait été le plus chaud de toute la période. De ces faits , sur les- 3l4 PÉRIODICITÉ ANNUEttE. quels nous ne tarderons pas à revenir encore , il découle donc qu'une élévation de la température au dessus du degré nor- mal diminue la mortalité en hiver et l'augmente en été, et que l'inverse a lieu pour l'abaissement de la température. On peut aussi exprimer cette proposition de la manière suivante : Le climat maritime, qui diminue les différences de la température dans la période annuelle, diminue également celles de la mortalité. Le nombre des cas de mort pendant les différons mois de l'année se ressemblera donc davantage sur les côtes et dans les îles , tandis qu'il présentera de plus grandes diffé- rences dans l'intérieur des continens. La Belgique se rapproche de la Prusse orientale quant à la proportion du climat maritime et du climat continental ; aussi les observations faites de part et d'autre confirment-elles la proposition précédente. Car s'il meurt cent personnes en Belgique pendant le mois de juillet , il en périt cent trente- trois pendant celui de janvier , en sorte que la variation de la mortalité est de 1,33 ; cependant elle s'élève un peu plus à Kœnigsberg, oii elle est de 1,47. Même dans les diverses classes d'âges , on aperçoit partout une plus grande fluctuation de la mortalité à Kœnigsberg qu'en Belgique. Cependant il était désirable , pour l'objet qui nous occupe , de posséder une preuve plus péremptoire que celle qui peut être déduite des exemples spéciaux cités pré- cédemment. A cette fin, je pris la température moyenne de tous les mois de janvier dans lesquels le froid avait été plus considérable qu'on n'aurait dû s'y attendre, puis de tous ceux dans lesquels il avait été moins intense ; je procédai de la même manière à l'égard de tous les autres mois de l'année , et j'obtins par-^là deux groupes de températures mensuelles moyennes, dont l'un comprenait les températures inférieures, et l'autre les températures supérieures à la moyenne. Après avoir ainsi opéré sur les années dont le mois de janvier avait été plus froid qu'à l'ordinaire , je relevai , pour chacune de ces années, le nombre des morts en février , à cause du re- tard quadri-septimanaire ; j'agis de même sur les années dont le mois de janvier avait été plus chaud que de coutume , et enfin sur tous les autres mois. Il résulta de là deux séries de PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 5l5 mortalités'mensuelles moyennes , dont Tune (A) correspond aux mois plus froids , l'autre (B) aux mois plus chauds, et qui prouvent que Télévation de la chaleur durant les mois d'été met la vie en danger , tandis qu'elle lui est favorable pendant les mois d'hiver. La table suivante , dressée, d'après ce travail , montre en mars seulement une exception nota- ble, qui d'ailleurs mérite d'autant moins de nous arrêter, qu'il n'a pu être employé pour ce mois que des valeurs moyennes de quatre ou cinq ans , outre que le mois de mars est assez irrégulier sous le point de vue de la température. CHALEUR MOYENNE. MORTALITÉ. MOIS. La plus La plus A. B. petite. grande. Janvier — 7,6 degrés R.— 0,1 216 182 Février • - 2,1 4- 0,7 204 168 Mars + 0,2 2,5 170 174 Avril 4,1 6,6 171 151 Mai 9,1 10,4 161 128 Juin 11,5 13,6 127 149 Juillet 13,4 15,1 114 131 Août 13,0 14,5 150 148 Septembre 9,8 11,5 140 156 Octobre 5,5 7,4 157 152 Novembre 1,7 4,0 165 155 Décembre — 3,9 1,4 186 161 Moyenne 4'',6 7°, 3 1961 1855 Le nombre des morts est indiqué tel qu'il a eu lieu dans les mois non réduits à trente-et-un jours. Sans cette réduction il meurt ordinairement 1877 personnes par an , à une tempéra- ture moyenne de 6,12 degrés; tandis que , comme on voit, il en périt 1961 à celle de 4,6 degrés , et 1855 à celle de 7,3 degrés. Le groupe des plus faibles températures corres- pond évidemment à un lieu continental et situé un peu au nord , l'autre à un lieu plus méridional et plus rapproché des côtes. Donc ce tableau nous apprend, eu égard à l'influence du climat , que là où la température annuelle est plus élevée, 3l6 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. en même temps que les extrêmes de chaleur et de froid sont moins prononcés , là aussi la mortalité est moindre qu'aux lieux où la chaleur moyenne est moindre et le climat plus excessif. Cependant comme le problème relatif à la dépendance dans laquelle la mortalité se trouve de l'intensité de la température moyenne a trop d'importance pour qu'on croye les recher- ches dont je viens de tracer le précis suffisantes à en donner la solution , je me résigne à ne point attacher de poids au résultat trouvé , et à avoir montré seulement que l'emploi raisonné des listes d'une seule localité résoudrait presque complètement la question, eu égard au climat, si l'on pouvait disposer d'une période plus longue que celle de dix années. Moreau de Jonnès et Quetelet ont traité cette question d'une autre manière. Ils ont comparé le rapport de la population aux morts dans des jours différons , et reconnu par-là que la mortalité devient d'autant plus considérable qu'on se rappro- che davantage de l'équateur. Les résultats suivans ont été fournis à ce sujet par Moreau de Jonnès. Mortalité. 26 27 27 28 27 30 33 Mais la proportion n'est que de 45 à l'île de Bourbon , et l'on assure qu'elle est même plus forte encore au cap de Bonne-Espérance (2). Par conséquent la loi établie est dou- teuse. (1) Comparez Brouc , Rech. statist. sur l'état civil et l'hist. niéd. de l'île de la Martinique (Ann. d'hyg. et de méd. légale. Paris, t. XVIII, p. 265). (1) F.Bisset-Hawkins , Eléments of médical statisiics, Londoii, 1829. p. 51. Localités. Latitude. Batavia 6 degrés La Trinité 10 Sainte Lucie 14 La Martinique (1) 15 La Guadeloupe 16 Bombay Û9 Le Havre 23 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. 3l^ Quetelet divise l'Europe en trois parties, et trouve Mortalité. Au nord 41,1 Au centre 40,8 Au midi 33,7 A la catégorie des pays du nord appartient l'Angleterre, avec une mortalité de 51. Mais comme tous les écrivains sont unanimes à l'égard de l'inexactitude des listes anglaises, dont l'assemblée des naturalistes à Bristol a fourni, en 1836 encore, de fortes preuves , il ne convient pas non plus que nous les employons. Cependant , si l'on écarte l'Angleterre , on trouve 37,7 pour la mortalité dans le nord de l'Europe, et de cette manière non plus on n'arrive à aucun résultat précis. On peut encore prouver autrement , et avec une grande évidence , que la mortalité dépend de la température. Il se trouve, en effet, que la moyenne mortalité mensuelle coïncide de la même manière avec la moyenne température , c'est-à- dire qu'elle a lieu également quatre semaines plus tard que cette dernière. La chaleur moyenne s'observe deux fois par an , dans le dernier tiers d'avril et d'octobre, ou , comme nous n'opérons ici que sur des mois pleins, en avril et en octobre ; la moyenne arithmétique des deux températures donne exac- tement la chaleur moyenne de Kœnigsberg. Le nombre des morts par année étant de 1877, la moyenne mortalité men- suelle , ou la douzième partie de cette somme , est de 156 , (la durée naturelle des mois a été conservée dans ce qui suit). Or, il meurt 159 personnes en avril et 152 en novembre. Nous voyons donc de nouveau ce terme moyen de la mortalité survenir quatre semaines après celui de la chaleur. Il y a plus même, la moyenne arithmétique déduite du nombre des morts en mai et en novembre est plus sûre que celle qu'on tire des températures d'avril et d'octobre , comme le montre la table suivante. 3i8 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. Années. Moyenne Vraie Moyenne Vraie d'avril et d'octob. moyenne. de mai et de nov. moyenne, 4817 30,3 5%9 146 148 1818 5,3 6,0 158 156 1819 6,1 6,2 160 163 1820 6,7 5,3 152 145 1821 7,5 64 134 138 1822 7,7 6,9 138 136 1823 6,1 5,7 167 175 1824 6,5 6,8 194 172 1825 6,7 6,2 143 156 1826 164 158 176 156 Les recherches précédentes se rapportaient au genre hu- main en général. Cependant Quetelet et Schubler ont trouvé que Tinfluence des saisons sur la mortalité varie aux différens âges de la vie. Le premier de ces écrivains a dressé , sur ce sujet , une table détaillée, rangée d'après vingt classes distinc- tes d'âge, et dont nous nous servirons. On voit , d'après cette table, que si, en général , janvier est le mois le plus meurtrier en Belgique, les enfans de huit à douze ans meurent plus fré- quemment en avril , et ceux de douze à seize ans même en mai. Pour éclaircir le fait, j'ai rangé les morts de Kœnigsberg en sept classes d'âges ; les résultats furent les mêmes , quant aux points essentiels ; février ne se montra le mois le plus dangereux que chez les jeunes enfans et chez les adultes ayant dépassé leur quarantième année ; mars et avril furent les mois qui prirent ce rôle pour les âges intermédiaires. L'in- fluence du temps paraîtrait donc être plus compliquée que nous ne l'avons représentée jusqu'ici. Cependant je suis par- venu à résoudre ce problème, d'abord si complexe, et de telle sorte que le résultat se rattache en réalité d'une manière sur- prenante au précédent , à l'appui duquel il vient. J'ai déjà lait remarquer que l'influence de la température sur la vie a besoin d'un certain laps de temps pour manifester pleine- ment son effet, il était donc naturel d'admettre que la durée du retard varie aux dift'éreas âges de la vie, et qu'elle dépend de la force vitale. Plus la force vitale est grande, plus on pouvait PERIODiCITÉ ANNUELLE. 5j9 présumer considérable la résistance opposée par la vie à l'in- fluence des circonstances météorologiques , et penser que si cette résistance ne suffit pas pour Tanéantir entièrement , elle peut du moins en retarder davantage la manifestation. La force vitale d'un individu ne se mesure point par la durée probable ou moyenne de sa vie , mais bien , mathématique- ment parlant, par la probabilité que cet individu survivra au moment qui suit immédiatement, ou, pour employer l'expres- sion de nos tables usuelles , par la probabilité qu'il atteindra l'année suivante. Elle est plus grande depuis douze ans jus- qu'à seize environ, qu'à tout autre âge. On doit donc s'attendre à ce que la mortalité de ce groupe d'âges atteigne son maxi- mum dans un mois plus reculé , et c'est aussi ce qui arrive. En considérant les nombres de Quetelet sous ce point de vue, on trouve que la plus grande mortalité tombe en janvier de 0 à deux ans, en mars de deux à trois ans, en avril de trois à douze ans , en mai de douze à seize ans. Donc, plus la force vitale est grande, plus le maximum se prononce tard. A partir de la seizième aneée la force vitale diminue , et le maximum reparaît aussi plus tôt : en avril , de seize à vingt ans, en mars de vingt à vingt-cinq, en février, de vingt cinq à trente, et en janvier à partir de quarante. On ne pourrait souhaiter un plus bel accord. Une exception surprenante a lieu seulement pour les enfans entre un an et dix-huit mois , pour lesquels la plus grande mortalité tombe en avril ; les listes de Kœnigsberg ne montrent point cette anomalie , à l'égard de laquelle il n'y aura que des observations ultérieures qui puissent pro- noncer. Si nous voyons donc que la vie retarde d'autant plus l'action des influencée nuisibles , qu'elle même a plus d'intensité, et si nous sommes obligés de reconnaître en cela une résistance, le question se présente de savoir si la vietend à se soustraire à ces influences parce qu'elles la mettent en danger ou parce qu'elles viennent de dehors. La seconde opinion est la bonne; car, de même que l'action nuisible du froid est retardée diver- sement aux diiïérens âges de de la vie, de même l'effet salu- taire de la chaleur dans les mois d'été l'est également. Cet effet se trouve aussi retardé d'autant plus que la force vitale 320 PÉRIODICITÉ ANNUELLE. est plus considérable. En effet, d'après les nombres de Que-^ telet , le minimum de la mortalité a lieu en juillet de 0 à un an, en août de deux à huit , en octobre de huit à vingt , et en juillet pour les âges subséquens. La raison qui fait que la moin- dre mortalité mensuelle ne tombe point aussi en septembre, tient probablement à l'anomalie de ce mois, dont il a déjà été parlé, et qui consiste en ce qu'il fournit un plus grand nombre de morts que ceux qui l'avoisinent immédiatement , août et octobre. Cette anomalie, que nous avons trouvée dans les ob- servations de Kœnigsberg et de Stuttgart, nous la découvrons également dans le détail de celles de la Belgique. L'opinion d'une tendance de la vie à se soustraire aux in- fluences du temps, qu'elles soient avantageuses ou nuisibles, peut encore être confirmée d'une autre manière. Examinons effectivement quelle intensité ces influences ont aux différens âges de la vie. Pour y parvenir, divisons le plus grand nombre de morts mensuels par le plus petit ; le quotient donnera l'intensité de l'influence : or il est directement proportionnel à celte dernière. On a^ Intensité. 1,8 à 1,7 1,5 1,4 1,2 1,3 1,4 1,7 2,0 2,2 2,5 On voit , d'après ces valeurs, que l'influence du temps est d'autant moindre que la force vitale a plus d'énergie à l'un des âges de la vie) (1). 8° Si enfin nous jetons encore un coup d'oeil sur la périodi- cité annuelle en général, nous reconnaissons que l'époque des solstices marque un antagonisme qui s'exprime aussi d'une (1) Addition de Moser. Age. De 0 à 12 De 12 à 16 De 16 à 20 De 20 à 30 De 30 à 40 De 40 à 50 De 50 à 65 De 65 à 75 De 75 à 90 9o et au dessus PÉRIODICITÉ SEPTIMANAIRE. Sa 1 manière formelle dans la vie , mais qui y amène un état plus stable et plus uniforme. C'est en été que la lumière et la chaleur ont le plus de force, que le ma^onétisme a le moins d'intensité , que l'aiguille aimantée décline le plus, que l'intervalle entre les deux extrêmes journaliers de l'é- lectricité atmosphérique est le plus considérable, que l'expan- sion organique est la plus grande , que la sensibilité a le plus d'activité : c'est en hiver qu'à raison de la diminution de la lumière et de la chaleur, le magnétisme est le plus intense, la déclinaison journalière de l'aiguille aimantée la moins étendue , l'intervalle le plus court entre le maximum et le minimum diurnes de l'électricité , la vie organique le plus refoulée en elle-même. De même que les équinoxes amènent des mouvemens plus forts dans l'atmosphère et une différence plus prononcée dans le mouvement de la mer aux diverses phases de la lune , puisque le flux est plus considé- rable qu'à l'ordinaire pendant la nouvelle et la pleine lune , plus faible au contraire durant le premier et le dernier quar- tiers, de même aussi elles désignent, quant à la vie organique, des périodes de transition , pendant lesquelles cette vie de- vient plus vacillante et apparaissent plus fréquemment certai- nes maladies, telles que les hémorrhoïdes, la goutte, la sciali- que, répilepsie(i), la migraine, l'hypochondrie, lamélancoiie, la manie, l'apoplexie, comme aussi les suicides sont alors plus communs , comme enfin les animaux eux-mêmes éprouvent une sorte de malaise et d'agitation. Au printemps, il y a da- vantage d'excitement , ce qui amène une fécondité et une mortalité plus grandes ; en automne , au contraire, la vitalité se replie davantage sur elle-même. CHAPITRE III. I)e la périodicité tridiaire, septimanaire et quadrisepH- Tïianaire. § 620. Entre la périodicité diurne et la périodicité annuelle de la vie s'en trouve une autre, qui embrasse plusieurs jours, et qui , chez l'homme , se manifeste à des époques de trois jours, d'une semaine et de quatre semaines. (1) Comparez Esquinol, Des maladies mentales, Paris , t. I, p 2S et 300. V. 21 322 PÉRIODICITÉ SEPTIMANAIRE. I. La périodicité tridiaire et septimanaire ne coïncide avec aucune périodicité cosmique , et le rapport de celle qui em- brasse un laps de quatre semaines avec la révolution lunaire est plus apparent que réel. 1° D'abord nous ne pourrions en aucune manière dériver cette périodicité de l'influence lunaire , puisque nous avons vu que les périodicités diurne et annuelle de la vie ne sont point produites par la situation diverse de la terre à l'é- gard du soleil , mais dépendent d'un type interne et spécial , et ne coïncident avec la périodicité tellurique qu'en raison du rapport harmonique existant entre la vie et le monde exté- rieur. Or, ce que le soleil ne peut pas produire, la lune a bien moins encore le pouvoir de l'opérer. 2° Mais même l'harmonie avec la périodicité lunaire n'est point vraisemblable. Nous avons trouvé que la périodicité diurne de la vie humaine se partage en deux moitiés , l'une pour la vitalité individuelle, avec conscience et spon-* tanéité, Tautre pour la vitalité commune, sans conscience et végétative ; nous avons reconnu que la périodicité annuelle n'amène aucune fonction spéciale , et qu'elle ne fait que provoquer des prédispositions, tandis que, chez les plan- tes et les animaux, le sommeil, la régénération et la procréa- tion appartiennent à la révolution annuelle de la vie ; nous avons constaté par conséquent que la vie humaine n'a de rap- ports prochains qu'avec la rotation de la terre autour de son axe , mouvement déterminé par les relations de cette planète avec elle-même, mais qu'elle n'en a pas, comme la vie des organismes inférieurs , avec la révolution de la terre autour du soleil , qui est un mouvement de cette planète déterminé parune relation entre elle et un autre corps céleste. D'aprèscela, il n'est point admissible que la vie humaine puisse coïncider avec une périodicité qui ne consiste pas dans le mouvement de la terre elle-même , mais seulement dans celui de son satellite. En tous cas , cette harmonie, si elle existait, devrait être si- non plus, du moins aussi prononcée chez les végétaux et les animaux que chez l'homme. Or c'est ce qui n'a pas lieu. Assu- rément la lune, comme étant le corps céleste le plus rappro- ché de nous , exerce de l'influence sur la terre ; mais cette PÉRIODICITÉ SEPTIMANAIRE. 323 influence est renfermée dans des limites fort étroites. En comparant un grand nombre d'observations météorologiques, on trouve une si faible prédominance du côté des cas dans lesquels le changement a coïncidé avec les phases de la lune, sur ceux dans lesquels il n'y avait aucune relation entre ces deux ordres de phénomènes, qu'on a refusé à^ notre satellite toute coopération à la constitution atmosphérique. Chez les personnes dont la sensibilité est dérangée par la maladie , la lune exerce une influence particulière ; mais , chez l'homme en santé, elle n'agit que comme corps qui renvoie de la lumière, et l'on ne peut supposer qu'elle détermine une périodicité normale telle, que les saisons , qui exercent un empire bien autrement grand sur la vie, ne puissent pas la produire dans l'espèce humaine. 3° Les phénomènes de la périodicité annuelle ne sont ja- mais liés qu'à une position déterminée de la terre par rap- port au soleil, de sorte que tous les individus de la même es- pèce entrent en chaleur , muent , émigrenl ou dorment pen- dant la même saison. La menstruation, au contraire , survient à toutes les phases de la lune indistinctement , de manière que le penseur impartial doit voir en elle une périodicité em- brassant quatre semaines, mais non une périodicité mensuelle. Mais, quant à ce qui concerne l'influence de la lune sur les maladies , les défenseurs de cette hypothèse , parmi lesquels nous citerons seulement Testa, Darwin, Reil(d), Virey (2) et Buek (3), allèguent en sa faveur des argumens d'après lesquels il est impossible d'arriver à s'en faire une idée nette. Les syzygies favorisent les progrès de la peste suivant Die- merbroëk , et la manifestation de la fièvre d'après Balfour ; elles aggravent les ulcères selon Gillespie (4), rendent l'épi- lepsie et la manie plus communes au dire de Darwin, et ac- croissent la mortalité si l'on s'en rapporte à Buek. Jackson (5) {1) Jrchiv.,t,I, p. 133. (2) Dict. des Se. méd., t. XXIX , p. 202. (3) Gerson , Magasin, t. XYII, p. 359. (4) SammluHfj cmserhsener Abhandlungon, t. Xïl, p. 176. (5) i^iU, p. 83. 524 PÉRÎOmCITÉ SEPTIMANATRE. attribue aux quadratures de rendre plus fréquentes les fièvres de toutes espèces, et Darwin de diminuer l'intensité de 1^ cir- culation. Les néoménies auraient pour effet de faire couler plus abondamment les règles chez les vierges, et suivant d'au- tres d'exaspérer l'hydropisie. Ramazzini veut qu'elles rendent la fièvre pétéchiale plus danj^ereuse, et Buek qu'elles portent la mortalité à son maximum. C'est surtout pendant la pleine lune que les femmes âgées voient couler leurs mens- trues, à ce qu'on prétend; les accès d'apoplexie, de migraine, d'épilepsie, de manie , surviennent plus souvent alors selon Wepfer etTulp, les plaies de tête entraînent plus de danger d'après ïulp, et, si nous ajoutons foi aux paroles de Buek, les décès sont plus rares que pendant les autres phases. On veut que le goitre, les scrofules, les kystes, les ulcères, les acci- dens nerveux et l'hydropisie diminuent et augmentent à mesure que la lune croît et décroît. Reil assure que les en- fans dorment d'un sommeil plus agité pendant le premier quartier. On prétend que , durant le dernier, les vers et les calculs urinaires sortent plus aisément du corps , l'asthme et le catarrhe s'aggravent , et les décès sont en plus grand nombre. 4° Enfin l'expérience apprend que la périodicité de la vie humaine se rapproche de celle de la lune , mais qu'elle ne coïncide pas pleinement avec elle. Tandis que la lune emploie "vingl-neuf jours pour revenir à la même situation eu égard à la terre, la menstruation reparaît au bout de vingt-huit jours, et , dans l'état complètement normal , elle a lieu treize fois par an , de même que la vie embryonnaire ne dure pas dix mois lunaires, ou deux cent quatre-vingt-seize jours , mais quarante semaines, ou deux cent quatre-vingts jours. Tout nous prouve donc que la périodicité quadriseptima- naire de la vie humaine n'est pas moins organique que la pé- riodicité tridiaire et la périodicité septimanaire. II. Mais, comme elle a sa cause unique dans l'organisme , sans être appuyée ou réglée par une périodicité tellurique , elle ne se manifeste que dans certains phénomènes isolés , et demeure inapercevable dans une foule de circonstances. En effet, la vie tend partout à se développer en une multitude de PÉRIODICITÉ SEPTIMANAIRE. SaS directions, et, de même qu'elle cache sous la forme dont elle se revêt la loi géométrique servant de base à cette forme, de même elle enveloppe dans sa révolution la loi arithmétique de ses époques. Ceci est vrai surtout de la vie humaine , parce que la liberté y domine, parce que le développement indivi- duel s'y révèle de la manière la plus explicite , parce que l'uniformité du type général est troublée, là plus que partout ailleurs , tant par les déterminations spontanées du moral que par l'aptitude à la fois plus grande et plus disséminée à rece- voir les impressions. Mais si toute périodicité de la vie hu- maine tenant le milieu entre la diurne et l'annuelle est moins évidente que ces dernières, si, pour s'en faire une idée nette, on a besoin encore d'observations nombreuses, recueil- hes par des hommes exempts de préjugés, et sur l'esprit des- quels l'autorité n'ait aucune prise , nous devons nous en tenir aux faits les plus simples et les plus avérés. Cependant, lors- que nous voyons qu'un certain nombre de jours , qui doivent compter ici pour des unités (§ 594, 7°), forment un cycle par. ticuHer, nous éprouvons le besoin de rattacher cette connais- sance à une pensée, et notamment de la mettre en connexion tant avec les rapports numériques des substances et des tissus dans l'organisme, qu'avec les idées que nous nous faisons des nombres en général. Mais l'un est aussi scabreux que l'autre; ce que nous savons des proportions qui régnent dans la com- position et la texture du corps organique n'est pas encore ar- rivé au point de pouvoir nous fournir un guide sur lequel il soit permis de compter, et la philosophie des nombres est un empire qui n'a que trop de propension à étendre ses étroites hmites par un jeu fantastique de !a pensée. Ici la porte est ouverte de tous côtés à l'arbitraire. Pour faire ressortir un nombre favori , il ne s'agit que de compter ce qu'on veut et comme on l'entend , et chaque nombre se laisse attacher le sens dont on a justement besoin. En dernière analyse, si, en pesant toutes ces circonstances , nous nous trouvons conduits à nous en tenir à ce qu'il y a de plus simple et de plus évi- dent, l'exposé qui va suivre ne doit être considéré qise cumme un premier jet, comme un simple essai tendant à découvrir quel est le sens de la périodicité pluridiaire. 326 PÉBIODÏCITÉ SEPTIMANAIRE., § 621. i° Les nombres lorsdamentaux sont deux et trois : deux désigne le commencement de loute pluralité, rantago- nisme, et par cela même le principe du iiui ; trois, au contraire, ramène le fini à un tout, parce qu'il réunit ce qui était séparé et opposé, au moyen d'un intermédiaire. Ce qui est fondu, dans la dualité, en un produit simple, arrive, dans la triniié, à une existence qui offre un plus j»rand nombre de faces, et qui a davantage de mobilité. Pendant que les combinaisons binaires des substances dans la matière inorganique expriment la do- mination exclusive du simple antagonisme, et par conséquent le pur caractère du fini, la matière organique annonce qu'elle a un plus grand nombre de faces, qu'elle est sans cesse à l'é- tat de tension et d'activité, parce qu'elle résulte de la réunion d'au moins trois élémens. Dans la forme des plantes les plus inférieures , les cryptogames , prédomine le nombre quatre , qui est l'antagonisme doublé, tandis que, chez les monocoty- lédones, qui sont placées plus haut, dominent le nombre trois et son double , le nombre six. La trinité se montre plus fré- quemment encore dans la nature comme forme , manifesta- lion, ou phénomène de la dualité qui lui sert de base : la forme qui est déterminée par les forces attractive et répulsive de la matière se présente sous les trois dimensions de l'espace, et le nombre trois, ainsi que son double, prédomine dans la cris- tallisation inorganique, de même que, dans les roches les plus anciennes, la simplicité de la combinaison chimique binaire se cache derrière la trinité des parties associées par simple mé- lange. Comme la vie ne renferme en elle qu'un antagonisme, celui de végétal et celui d'animal ; mais qu'elle se manifeste sous trois formes, sensibilité, irritabilité et plasticité, de même il n'y a non plus que deux foyers de la vie; mais il existe trois cavités, et chacune de celles-ci ne comprend à la vérité qu'un seul antagonisme (cerveau et cervelet, poumon et cœur, por- tion assimilatrice et portion éliminatrice des organes abdomi- naux), mais divisé en trois, puisque le membre supérieur de l'antagonisme se partage par une duplicité latérale. La périodicité tridiaire, qui est insensible pendant la santé, et qui ne se prononce que dans les actes organiques appelés maladies, est à proprement parler bidiaire, et repose sur une PÉRIODICITÉ SEPTIMANAIRE. 627 oscillation en vertu de laquelle la vie se modifie autrement et produit un antagonisme à deux jours qui se succèdent l'un à i'aulre. Ce type n'estniille part plus prononcé que dans la fièvre tierce, la plus commune de toutes les fièvres intermittentes, et il perce à travers les fièvres quotidiennes, puisqu'on voit ordinairement alterner ensemble des accès plus forts et plus faibles, puisqu'au déclin de la maladie les accès les plus fai- bles cessent les premiers, de sorte qu'alors le type tierce est rétabli dans toute sa pureté. Dans les fièvres rémittentes et continues, et en général dans toutes les maladies assujéties à un cours déterminé, on remarque que les accidens prennent une plus grande intensité de deux jours l'un, en sorte qu'au premier jour correspondent le 3% le 5«, le 7% etc., ou, en d'au- tres termes , que la maladie est plus forte les jours impairs. Comme, de cette manière^la crise ou la mort, résultat du tra- vail morbide , arrive plus fréquemment aux jours impairs, et que le dernier jour de la maladie doit être compté dans son cours, nous voyons paraître là un type tierce. Ce type a été considéré par Rudolphi comme appartenant en propre à l'espèce humaine (1), mais Gzermak l'a observé aussi chez dif- férens animaux (2). Le nombre sept annonce une inégalité de ses élémens, puisqu'il se compose du quatre , qui est le deux redoublé , et du trois, qui est simple. Comparativement aux nombres fonda-^ mentaux, il représente un tout plus vaste ou plus étendu , mais que l'inégalité de ses propres éiémens démontre être lui- même partie d'un tout plus élevé encore. Les sept couleurs du spectre solaire et les sept tons de l'échelle diatonique sont les déploiemens de la lumière et du son. Comme le nombre sept revient assez peu fréquemment dans les formes et leurs diverses particularités, il est digne de remarque que la portion cervicale de la colonne vertébrale, intermédiaire entre le tronc et le crâne, se compose de sept vertèbres chez presque tous les Mammifères , tandis que le nombre des autres vertè- bres varie tant. Mais si , dès les temps les plus reculés et (4) Grundriss der Physiologie , t. I, p. 35. (2) Medicinische Jahrbuecher, t. XV, p. 277. 3 28 PÉRIODICITÉ SEPTIMANAIRE. chez des peuples tout-à-fait différens les uns des autres, le nombre sept a été appliqué à la division du temps, et si no- tamment on a admis presque partout des intervalles de sept jours, ou des semaines (1) , ce n'a jamais été là qu'un frag- ment d'une division du temps embrassant des périodes bien plus étendues. Dans la vie humaine , la périodicité septénaire , quoiqu'elle ne se manifeste que dans les maladies , est cependant ^l'élé- ment proprement dit et prochain de sa chronologie ; car la semaine indique la première véritable révolution , tandis que le type bidiaire ou tridiaire n'est qu'une oscillation. En effet, la plupart des inflammations simples parcourent leurs périodes en sept jours ; les exanthèmes aigus durent quatorze jours , dont les sept premiers appartiennent à l'état inflammatoire, et les autres au travail consécutif de plasticité ; mais les fièvres aiguës durent, en général, ou quatorze ou vingt-et-un jours. Le nombre sept paraît aussi dans les fièvres intermittentes ; les fièvres tierces cessent , la plupart du temps , après sept accès , les quotidiennes et les quartes après quatorze; les récidives des premières ontpieu en général au bout de sept jours, et celles des autres après quatorze jours. Le type septénaire se montre même quelquefois dans les mala- dies chroniques ; j'ai observé , par exemple , un malade chez lequel il y avait apoplexie causée par un épanchement de sang dans la cavité crânienne ; au bout de sept semaines il survint une perturbation critique , et au bout de dix semai- nes, une crise complète par Tépilepsie. Les vingt-et-un jours d'incubation que les Oiseaux exigent pour être en état de quitter l'œuf, paraissent indiquer une extension plus consi- dérable du type septénaire. 3° Le nombre quatre, comme duplication de l'antago- nisme, et en même temps comme premier nombre marquant une plus haute puissance d'un nombre inférieur, annonce un déveioppeojent uniforme en polarité double; aussi domine-t-il (1) Schubert , Ahndwigen einer allgemeinen Geschichte des Lebens , t. III, p. 7-13. PÉftIODICITÉ SEPTÏMANAIRE. SSQ chez les plantes cryptogames (1) et les zoopbytes (2) , c'est- à-dire chez les derniers des êtres orgaràsés, dont la configura- tion n'offre que la forme la plus simple du développement , et dans les membres des animaux supérieurs , qui répètent l'antagonisme simple. De même que le nombre quatre ap- paraît , sur une surface , aux points terminaux des deux di- mensions qui se croisent , par exemple aux quatre points car- dinaux du monde, et fournit ainsi le moyen le plus naturel de diviser le cercle , de même aussi il divise toute espèce quelconque de circulation , par exemple , celle des périodes du jour et celle des saisons. Maintenant , si la plus simple de toutes les périodicités qu'on observe dans la vie humaine se manifeste sous la forme d'une révolution septénaire, la période quadriseptenaire indique une circulation plus complète de la vie. Tandis que l'oscillation bidiaire ou tridiaire et la révo- lution septénaire se prononcent dans les maladies , la révo- lution quadriseptenaire apparaît aussi dans une fonction nor- male, c'est-à-dire dans la menstruation. Nulle autre périodi- cité ne se montre, chez l'homme, mieux tranchée et plus ri- goureuse que celle-là, qu'on retrouve chez tous les peuples et dans tous les climats. Nouspouvons.donc la considérer comme la périodicité générale de l'espèce humaine. A la vérité , elle ne concerne qu'une seule fonction , mais une fonction universelle , qui concentre toutes les forces du développe- ment individuel dans la vie de l'espèce , c'est-à-dire la géné- ration. Il est vrai encore qu elle ne se manifeste que chez le sexe féminin ; mais elle paraît régner aussi dans la vie de l'embryon , car l'avortement a lieu d'ordinaire aux époques où la menstruation devrait survenir. En effet , comme nous avons vu qu'il n'y'a jamais, ni dans la grossesse ni dans la parturition , d'activité qui ne se dirige que d'un seul côté (§ 480), nous sommes en droit d'admettre qu'à la turgescence quadriseptenaire de la matrice remplie du produit de lagé- (l)Meinecke, Ueber die Zahlenverhaeltnisse . in den Fructifications- or y a7ieti der Pflanzen , p. 12. (2) Schweigger, Handbuch der Naturgeschichte der shelettlosen unge- qliederten Thiere , p. 162. 33q périodicité septimanaire. nération, correspond aussi une exaltation quadriseptenaire de la vie embryonnaire. D'après cela , la périodicité quadri- septenaire serait une périodicité primordiale, et si elle repa- raît chez la femme apte à concevoir, ce phénomène semble tenir à ce que la nature féminine , en général , est celle qui demeure le plus fidèle au type primordial de l'espèce (§ 204), Mais on la remarque aussi chez l'homme, quoiqu'elle ne se manifeste chez lui que dans les maladies , celles surtout du système sanguin , comme les hémorrhoïdes , Vhématémèse , l'bénaaturie , etc. Or l'homme ressemble à la lune eu égard à la durée de sa révolution, et peut être ^comparé à ce satellite dans ses rapports avec la terre ; car, de même que la lune est un corps qui appartient à la terre , qui est lié éternelle- ment à elle , mais qui cependant constitue un corps particu^ lier, en quelque sorte détaché , et en partie devenu libre , de même nous apercevons dans l'homme un produit de la terre qui tend à se dégager de ses liens et à déployer iibremeut sa vie sur, la surface de la planète. MORT NECESSAIRE. 53 1 TROISIEME PARTIE. DE LA MORT. § 622. Comme il n'est pas de phénomène à l'intelligence duquel nous puissions arriver sans en connaître la fin » de même Thistoire de la mort (§ 622 — 642) nous permet d'em- brasser celle de lavie(§ 643— 657) dans toute son étendue. Section première. DES CAUSES DE LA MORT. La mort^ ou l'extinction de la vie individuelle, est ou néces- saire ou accidentelle- CHAPITRE PREMIER. De la mort nécessaire. La mort nécessaire^ appelée aussi normale ou naturelle, est celle qui a lieu en vertu d'une loi générale de la nature , et qui ne dépend point de circonstances accidentelles. Elle a son fondement dans l'essence de l'organisme, de manière qu'après une certaine durée de la vie individuelle , qui varie suivant chaque espèce d'êtres organisés, elle arrive, même au milieu des conditions extérieures les plus favorables. Nous avons donc à résoudre le problème de savoir comment de l'essence de la vie découle la nécessité de son extinction. Il y a deux manières principales, et entièrement opposées l'une à l'autre, d'envisager la vie. Dans la première, on la con- sidère comme un être à part , qui possède certains attributs , et dont l'existence est ou dépendante ou absolue. Dans le se- cond , au contraire , on la met au rang des phénomènes de la nature , on la rapporte à l'idée de l'univers, et on ne la re- garde par conséquent que comme une chose purement rela- tive. Ne pouvant entrer ici dans une discussion approfondie de ces diverses hypothèses , nous allons seulement examiner quelle est celle qui donne l'explication la plus satisfaisante de la mort nécessaire. L En représentant la vie comme une chose absolument dé- 552 MORT NÉCESSAIRE. pendante , comme une propriété de l'organisation , le maté- rialisme , conséquent avec lui-même , attribue aussi son ex- tinction à une qualité de l'organisation qui est incompatible avec le maintien de la vie. La mort nécessaire arrive donc parce que l'aridité et la raideur des tissus , rossificalion des artères , l'oblitération des vaisseaux capillaires, etc. , qui ac- compagnent l'âge avancé, ne permettent plus aux mouvemens vitaux de se manifester. Mais 1° Ces phénomènes sont des anomalies. Ritter a fort bien démontré que, si on les observe fréquemment dans l'âge avancé, ils ne sont cependant ni son apanage exclusif, ni sa condition constante et essentielle. De même que, dans la plu- part des cas où la mort a été déterminée par la maladie , on ne découvre aucune circonstance matérielle qui ait rendu la circulation , la respiration et l'innervation impossibles , de même aussi on a vu , chez des vieillards qui avaient prolongé leur carrière bien au-delà du terme ordinaire , par exemple chez Thomas Parre , mort à cent cinquante-deux ans , les parties molles du corps imprégnées de sucs et flexibles , et tout l'organisme exempt d'indurations , d'ossifications ou d'o- blitérations anormales. On pourrait dire, à la vérité, que ces vieillards n'avaient point encore atteint le terme proprement dit de leur existence , et que les anomalies dont il s'agit les auraient conduits plus tard à ia mort nécessaire , si une ma- ladie accidentelle n'était venue couper le fil de leurs jours ; mais ce serait là un simple subterfuge , une assertion dont on ne pourrait fournir la preuve. 2° D'ailleurs, il est clair , dans tous les cas, que l'indura- tion , l'ossification et l'oblitération sont simplement le résultat d'un certain état de la vie , en présence duquel les tissus ne peuvent plus , comme auparavant , se maintenir dans les con- ditions normales. En efl'et, l'histoire de l'évolution nous a ap- pris que l'organisation n'est point la chose primordiale de la- quelle naisse la vie, que celte dernière est, au contraire , le principe agissant et déterminant, et que c'est elle qui crée l'organisation. Ces étals peuvent donc bien être la cause pro- chaine de la mort , mais ils n'en sont pas la cause proprement dite et véritable. MORT NÉCESSAIRE. 335 IL Si le matérialisme confond le produit de la vie avec sa cause , et considère ainsi la vie comme une chose absolument conditionnelle et dépendante , le spiritualisme ^ au contraire , la regarde comme une chose absolue , attendu qu'il ne dis- tingue point le phénomène de son idée , ni le fini de sa cause infinie. Suivant Stahl, la vie est de nature spirituelle, et c'est l'âme qui forme le corps, qui le détermine à agir , qui le maintient en action. L'esprit est, de son essence , un et intérieur ; par conséquent, il puise en lui-même ses déterminations, il est libre , il est absolu. Or, si la vie est l'effet de l'esprit , elle ne peut point contenir la raison sufSsante de sa fin , car ce qui jouit de la liberté ne peut que se poser soi-même , sans avoir la faculté de s'anéantir, et si la conservation de soi-même repose sur un fondement absolu, elle doit aussi être éternelle. D'après cela, la mort est incompréhensible, et, suivant Slalil, elle n'est déterminée que par la volonté de Dieu. Mais c'est là tout simplement une fiction hyperphysique, qui va chercher hors de la nature la cause d'un phénomène natu- rel. C'est une de ces hypothèses non susceptibles de démonstra- tion, auxquelles on n'a recours que quand la théorie entre en contradiction avec l'expérience. Le fait de la^mort nécessaire contient donc déjà en lui-même la réfutation du système des spiritual istes. IIL Nous arrivons à uue théorie réelle de la mort nécessaire en considérant la vie comme une chose relative, qui , compa- rée aux phénomènes de la vie inorganique, représente un tout complet, renfermant en lui les forces les plus diverses, et se déterminant lui-même, mais qui, envisap,ée, eu égard à la cause suprême des choses , est une réalisation de l'infini dans le fini, une image deTunivers, offrant un caractère tout spécial, tant sous le rapport de la quantité que sous celui de la qua- lité. 3"» En effet, nous reconnaissons d'abord que la nécessité de la mort est un phénomène général. La vie a le caractère de la détermination par soi-même ou de la spontanéité, comme l'i- déal d'où elle procède , et elle a le pouvoir de se conserver elle-même, comme l'univers, d'après lequel elle a été formée ; S54 MORT NÉCESSAIRE. mais elle n'a l'un et l'autre que sous la forme finie et en deçà de certaines limites. Elle émane de la vie universelle, c'est-à- dire que l'esprit unique et éternel de l'univers la fait soriir des formes générales de la nature, mais sous une forme indi- viduelle, comme chose finie et d'une espèce particulière. Elle s'est développée de la vie universelle, elle s'en est pour ainsi dire séparée, elle s'est individualisée; mais, comme individu, elle ne peut se dégager entièrement de cette source primor- mordiale, et il y a obligation pour elle d'y revenir. C'est un phénomène de cette vie ; mais les phénomènes et les formes sont variables et périssables, Tessenceseule, ou l'universel, n'a ni commencement ni fin. De même que l'organisme est li- mité dans l'espace, il l'est aussi dans le temps, et de même qu'il ne dépend pas de lui de se maintenir absolument contre les influences extérieures, il n'est pas non plus en son pouvoir de persister éternellement. La vie a commencé à une certaine époque : par cela même elle est finie et doit avoir son terme à une autre époque déterminée. Mais si la mort en général a sa cause dans l'essence de la vie, il en est de même pour l'époque à laquelle elle arrive. 4° La vie universelle repose sur l'idée infinie : la vie indi- viduelle, copie de la vie universelle , a pour fondement l'idée sous sa forme finie, c'est-à-dire modifiée et limitée d'une ma- nière spéciale, en un mot une idée déterminée. Réaliser celte idée, tel est le problème de la vie. Mais comme elle participe de l'infini, par cela même qu'elle aune origine idéale, elle ne peut se manifester que dans une certaine succession de temps, et non dans un seul et même moment. Or cette réalisation successive de l'idée servant de base, donne la clef de l'évolu- tion et de la métamorphose de la vie. Lorsque la vie a épuisé son idée^ en se développant et se métamorphosant sans inter- ruption, son problème est résolu. Donc, une fois que l'indi- vidu a, par son individualité, réalisé complètement et de tous les côtés l'idée modifiée de son espèce , il a atteint son but , et rien ne lui reste plus à faire; la seule et unique cause de sa vie, l'idée se manifestani par un développement continuel, lui échappe, et la vie individuelle doit retomber dans la vie uni- verselle. MOft NÉOESSAIRE. §35 5° Maintenant, lorsque la mort est. de cette manière, deve- nue nécessaire à une certaine époque, elle doit aussi être ac^ compile par des circonstances déterminées de la vie. Mais cette cause immédiate et prochaine de la mort est l'épuise- ment delà faculté de se rajeunir par le retour à un étal dévie antérieur, et ici Ihisloire de la mort se rattache à celle de la révolution de la vie. Car, de même que l'organisme se rajeunît périodiquement d'une manière évidente (§ 593, 6°), de même aussi il se rajeunit continuellement et insensiblement, pendant la vie entière , par l'effet du travail d'oii résulte la conserva- tion de soi-même . La vie , dans son état primordial , est la pleine et entière possibilité, qui renferme en elle-même, comme autant de germes non développés, tout ce qui doit un JDur se manifester ; son développement réalise l'idée , et fait prendre une forme finie à Tinfini, mais amène par cela même un épuisement. Le retour du développement à l'état primor- dial remédie à cet épuisement , et rétablit la possibilité d'un nouveau déploiement de force ; mais comme la vie marche sans cesse, elle ne peut jamais revenir entièrement à l'état primordial (§ 593,4°), et ii lui est d'autant moins permis de s'en rapprocher qu'elle s'est éloignée davantage de lui pendant son cours ; une époqne enlin arrive où le rétablissement devient impossible. Cette impossibilité de restauration est donc la cause prochaine et immédiate de la mort nécessaire, et ce n'est pas tant la diminution de la force, que celle de la res- tauration, qui amène cette mort. § 623. La vie de chaque espèce d'êtres organisés a une du- rée déterminée ; mais nous ne connaissons cette durée que d'une manière fort imparfaite, parce qu'il est souvent difficile de préciser si la mort a été nécessaire ou amenée par des maladies accidentelles , qu'on n'a pas de données exactes sur lâge auquel les animaux parviennent dans l'état de li- berté, et que la domesticité dérange toutes les conditions na- turelles de leur vie. Bacon a eu raison de dire : De diutumitate et brevitate vitœ in animaîibus tenuis est informatio, quœ ha- heri potest, ohservatio negligens^ traditio fabulosa. Mais, quel- que frappées d'incertitude que soient la plupart des notions admises à cet égard , il en ressort au_ moins pour nous cette 536 MORT NÉCESSAIRE. vérité, que la durée de la vie n'est pas la même chez les diffé- rens êtres organisés. 1° Parmi les plantes cryptogames, il y a plusieurs champi- gnons qui ne vivent qu'une seule journée ou quelques jours : des mousses, des lichens et des i'ougères végètent pendant quelques années. Parmi les plantes phanérogames, celles qui ont la vie la plus courte ( les annuelles ) durent trois à huit mois; beaucoup (les bisannuelles), seize à vingt mois; les ar- brisseaux , quelques années ; les arbustes et les arbres , une longue série d'années. Dans la vie végétale , l'unité domine moins que dans celle des êtres animés , ce qui fait que leur durée se rattache moins à une période de temps déterminée. MaisDecandolle est allé trop loin en disantque l'individu végétal n'a pas un terme défini d'existence, et ne peut mourir que de maladie ou de vieillesse proprement dite. Le couronnement des produits de la plante est le fruit; quand elle l'a donné, l'idée de végétal est épuisée, le problème de la vie végétative est résolu , et la plante meurt en totalité ou en partie , tandis qu'une nouvelle vie se développe dans le fruit. Les plantes monocarpiennes périssent après avoir fructifié une seule fois, et l'on peut prolonger leur existence en retardant leur fructi- fication .-^ainsi V Agave americana^ qui,, dans les pays chauds, fructifie à huit ans , après quoi il meurt , vit cinquante à cent ans dans nos serres , parce qu'il n'y fleurit qu'après ce long terme. De même , certaines plantes annuelles parcourent une plus longue carrière quand elles portent des fleurs doubles et par conséquent stériles. Dans les plantes rhizocarpiennes , la tige meurt après avoir porté fruit ; mais la racine n'est point épuisée par-là, et elle repousse une nouvelle tige au prin- temps. Les végétaux caulocarpiens (arbres et arbrisseaux) s'épuisent encore moins, car la couche produite annuellement ne fait que se lignifier, et reçoit l'année suivante une nouvelle couche vivante qui s'applique sur elle. DecandoUe a trouvé qu'à partir de la cinquantième à la soixantième année, les ar- bres de nos forêts croissent avec plus de lenteur, mais d'une manière régulière, en d'autres termes que les couches annuel- les qui se forment alors ne sont pas aussi épaisses que les précédentes, mais qu'elles ne diminuent point non plus en- MORT NÉCESSAIRE. 537 suite. Il accorde cependant que, par les progrès de l'accrois- sement, les racines, en s'enfonçant davantage , s'éloignent de l'air libre et trouvent moins de nourriture, que l'écorce devient de plus en plus sèche et plus chargée de charbon et de ma- tière terreuse , et qu'ainsi la végétation et le rajeunissement doivent finir par trouver des bornes. Il a été reconnu, soit d'après la grosseur du tronc et le nombre des couches an- nuelles, soit d'après des traditions historiques, qu'un orme peut vivre 335 ans, un cyprès 350, un cheirostémon 400, un lierre 450, un érable 500, un mélèze 576, un châtaignier 630, un olivier 700, un platane 720, un cèdre 800, un tilleul 1100, un chêne 1500, un if 2000, un baobab 5000, et un cyprès de Virginie 6000 (1). 2° Aucune Infusoirene paraît vivre plusieurs semaines. Sui- vant Nitszch , la vie de la Cercaria ephemera ne dépasse guère six heures, l'animal paraissant vers le milieu du jour, et mourant au plus tard avant le coucher du soleil. 3° Certains Coraux , par exemple lesTubulaires, ne vivent, . d'après Schweigger , que quelques jours , semaines ou mois ; mais Trembley assure que l'Hydre à bras prolonge sa vie deux années. 4" Plusieurs Entozoaires ne vivent que peu de mois ; car on ne les rencontre qu'à une certaine époque de l'année , après quoi on ne les voit plus. Cependant Rudolphi assigne quelques années d'existence aux Filaires. 5° La vie des Limaçons est de trois à quatre ans , d'après Pfeifer, et celle des gros Bivalves de vingt à ving-cinq ans. 6o Un Puceron vit ordinairement un mois. La vie des autres Insectes dure au plus quatre ou cinq ans, à l'état parfait. Elle est si courte chez beaucoup d'entre eux, les Lépidoptères sur- tout , qu'ils ne prennent point de nourriture. Mais on connaît quelques Insectes qui vivent plus long-temps à l'état de larve et de chrysalide , par exemple, le Carabe doré quatre ans , le Hanneton cinq, et la Mante religieuse dix. Les Éphémères pas- sent trois ans dans cet état : après leur dernière métamorphose, ils sortent de l'eau vers le soir, et jamais ils ne voient le plein (1) Decandolle , Physiologie végétale , t. II , p. 4007. V, 22 55 § 3IOÏIT NÉCESSAIRE. jour ; car ils périssent avant le lever du soleil. Les Papillons ne vivent pas une année entière , quand ils se propagent , et leur vie ne se prolonge qu'autant qu'ils ne s'accouplent pas(l). 7° Les Arachnides vivent quelques années. 8° La vie des Entoniostracés et des Isopodes est courte. Celle des Daphnies et des Cyclopes ne dépasse point trois se- maines. Les grosses espèces de Décapodes, de Siomapodes et d'Amphipodes vivent, au contraire, jusqu'à vingt années. 9° Les Poissons de petite espèce paraissent vivre cinq à dix ans. D'autres semblent atteindre un âge bien plus avancé; car ils croissent lentement , et l'on en trouve parfois des indi- vidus d'un poids considérable. Ainsi l'on sait que les Carpes ne pèsent douze livres qu'au bout de dix ans , et l'on conclut delà, comme aussi de quelques observations directes, qu'elles peuvent vivre de cinquante à cent ans. On raconte qu'en 1497 il fut péché, près de Kaisersiautern , un Brochet du poids de trois quintaux , qui , d'après une inscription gravée sur un anneau de cuivre suspendu à Tun de ses opercules , avait été pris deux cent soixante-sept ans auparavant et remis à l'eau. 10" Les Batraciens et les petits Sauriens et Ophidiens atteignent un âge de cinq à six ans. On dit que les Crocodiles vivent près de cent ans. Forster et Murray (2) parlent de Tortues qui ont vécu plus d'un siècle, et même deux après leur capture , à lépoque de laquelle on ignorait leur âge. Il" Les Troglodytes vivent trois à quatre ans, les Faisans et les Pigeons six à dix, la Pintade et la Poule dix à douze, le Dindon , le Rossignol et l'Aloueite quinze à vingt, le Chardon- neret , le Mo neau , la Cigogne et le Paon vingt à vingt-cinq, l'Oie, leCigne, le Pélican, le Biset, le Coucou, l'Épervier et l'Autour vingt-cinq à cinquante, lAigle, les Perroquets et le Corbeau cent. 12° La vie des Lapins d'Angora et de quelques autres petits Rongeurs est de trois àquatre ans; celle du Lièvre, de l'Écureuil, du Cochon-d'Inde, de la Musaraigne et de la Belette, de six à huit ; celle du Hérisson , du Hamster , du Lapin et de la Mar- (1) Froriep , Notisen , XXXVIII, p. 136. (2) W., t. XIV, p. dlS.j MORT NÉCESSAIRE. SSg motte , de huit à dix ; celle de la Brebis , de la Chèvre et de la Marte, de dix à quinze; celle du Chat, du Loup, du Re- nard, du Blaireau, du Lynx, de la Loulre, du Castor, du Chevreuil, du Renne, de l Élan, du Cochon, de quinze à dix- huit; celle du Chien, de lOurs, du Chamois et le Daim, de de vingt à vingt-cinq ; celle des bêles à cornes , de vingt à trente; celle du Cheval et de l'Ane, de trente à trente-cinq'; celle du Cerf, de trente-cinq à quarante; celle du Chameau, de cinquante à cent, et celle de lÉléphant, de cent à deux cents. 13» L'histoire nous apprend que, chez tous les peuples et dans tous les temps, la durée ordinaire de la vie humaine â été de soixante-dix à quatre-vingts ans , et les comparaisons que nous établirons plus loin (§ 650) entre les tables de mor- talité, démontreront que l'époque normale de la mort coïn- cide avec cet*âge. Les exemples de longévité sont rares; Bacon (i) et Hufeland (2) en ont rassemblé un certain nom- bre (*). Nous citerons, entre autres, uncertain Lahaye , qui se maria à rà;;e de soixante-dix ans , eut encore cinq enfans, et poussa sa carrière jusqu'à cent vingt ans; Brisio de Bra, qui , à cent vingt deux ans, remplissait encore ses fonctions de domestique , et qui mourut après six mois de faiblesse ; Jean Essingham , soldat d'abord , puis journalier, qui parvint à l'âge de cent quarante-quatre ans , et fit encore un voyage de six lieues huit JDurs avant sa mort ; le danois Drakenberg , qui servit comme matelot jusqu'à quatre-vingt-onze ans , se maria à cent onze , et vécut jusqu'à cent quarante -six ans ; Thomas Parre, pauvre paysan, qui, à cent quarante-deux ans, pouvait encore accomplir l'acte vénérien, et qui mourut à cent cinquante-deux; un polonais des environs de Polozk, qui à quatre-vingt-treize ans se remaria en troisièmes noces , et eut encore des enfans ; en 1796 , àjjé de cent soixante-et-trois ans , il était bien portant et dispos ; son petit-fils le plus âgé (1) Opéra omnia , p. 505-515. (2) La macrobiotique , on l'Art de prolonger la vie de l'homme. (*) Consultez aussi Nenmair, Die sichersten Mittel, ein sehr hohes AUer zu erreirhen. Leipzick',, 1822. 34o MORT NÉCESSAIRE. avait quatre-vingt-quinze ans, et son plus jeune fils soixante- deux ; Jean Surrington , de la Norwége , qui mourut à cent soixante ans , ayant un fils aîné de cent trois ans et un autre de neuf ans seulement; le pêcheur Jenkins, qui nageait encore parfaitement à l'âge de cent ans, et en vécut cent soixante-neuf; enfin , l'écossais Kinlingern et le hongrois Gzartan , qui arri- vèrent à près de cent quatre-vingts ans. On ne connaît aucun exemple de bicentenaire. § 624. Si notre théorie de la nécessité de la mort ( § 622 , 2°, 3°) est fondée, elle doit aussi expliquer la diversité qui se remarque dans la durée de la vie chez les différentes espèces d'êtres organisés. Comme, d'un côté , le contenu de l'idée et son mode de développement, de l'autre , son mode de rajeu- nissement , s'expriment sous des formes diverses et dans des directions différentes , nous devons chercher la cause de la durée plus ou moins longue de la vie tantôt dans l'une et tan- tôt dans l'autre de ces conditions ; mais , suivant la remarque déjà faite par Bacon (1) , les circonstances sont tellement complexes, que ce n'est point d'après telle ou telle particu- larité qu'on doit juger , et que fort souvent même celle qui joue le véritable rêle de cause demeure inconnue. ARTICLE I. De V épuisement de Vidée de V espèce, comme cause de mort naturelle. Examinons d'abord ce qui concerne Xidêe de l'espèce (§622, 2<'). I. Le contenu de cette idée varie. 1° Si nous considérons l'ensemble de la vie comme une grandeur déterminée , nous pouvons poser en principe que plus l'idée de la vie est riche , plus elle a de côtés differens , et plus aussi il lui faut de temps pour arriver au terme de son développement, plus, par conséquent, la mort a lieu d'une manière tardive. La vie inférieure qui accompagne une orga- nisation simple et incomplète ne peut point durer long-temps, (4) Zoe. czf.,p. 499. MOÏiT NÉCESSAIRE. 543 car son idée est bientôt épuisée ; mais la vie plus élevée , plus riche de contenu , et qui annonce déjà sa plénitude inté- rieure par une diversité plus grande de parties organiques , doit parcourir plusieurs degrés avant d'avoir présenté com- plètement toutes ses faces : ainsi les plantes cryptogames et les animaux sans, vertèbres n'offrent aucun exemple de vie poussée jusqu'à un demi-siècle , tandis qu'on en rencontre une foule parmi les végétaux phanérogames et les animaux vertébrés. D'un autre côté , on ne connaît point de corps organisé supérieur chez lequel la vie soit renfermée dans les ^ limites d'un petit nombre de semaines , de jours ou d'heures , comme on en voit tant parmi les êtres organisés inférieurs. Ce qui fait aussi que la durée de la vie de l'homme surpasse celle des Mammifères égaux à lui en grosseur , c'est qu'il dépasse infiniment ces derniers sous le point de vue moral , et que jusqu'à l'âge le plus reculé sa nature spirituelle conti- nue toujours de se développer sous de nouvelles faces. La faculté de procréer s'éteint chez l'homme après qu'il a par- couru les deux tiers environ de sa carrière ; la même chose arrive aussi chez quelques animaux domestiques ; mais, chez la plupart des animaux, la mort paraît suivre ^de plus près l'extinction de la faculté procréatrice. 2° Lorsque la vie est tellement"- faible qu'elle ne peut point se propager en nouveaux individus , elle n'a no» plus elle- même qu'une courte durée. Leslnfusoires, qui sont venus au monde par hétérogénie , et auxquels manque le pouvoir de procréer, ne jouissent également que d'une existence fugi- tive. Comme ils n'ont pas la faculté de maintenir leur espèce, ils ne possèdent non plus que renfermée dans d'étroites limites celle de se conserver eux-mêmes. De même , toutes les fois que l'individualité ne jouit pas d'une certaine éner- gie, l'accomplissement de la fonction génitale lui porte le coup de la mort (§ 323 ). En pareil cas, l'individu a si peu de valeur, que, dès qu'il a agi pour le compte de l'espèce, son idée se trouve épuisée et le but de sa vie atteint. Ainsi la substance nourricière et la force vitale de la plante sont plus ou moins épuisées par la formation de fleurs et de fruits (§ 623 , 1"). Certains palmiers, les aloès, les Yucca parvien- 542 MORT NÉCESSAIRE. nent à un âgfe considérable , deviennent même presque cen- t<^naires avant de fleurir , et périssent dès qu'ils ont porté fruit. Les arbres peu productifs durent plus long-temps que ceux qui sont très-Iéconds. Le jujubier rejette, comme autant de pédoncules, les branches qui ont donné beaucoup de fruits, tandis qu'il conserve celles qui n'en portaient point. Dé même, chez les animaux inférieurs, la mort est la suite de la procréation (§ 285, 3°), et un résultat ou un moyen de la parlurition (§ 483, 6°). Lorsque, au contraire, lindividualité s'est développée davantage, et que le côté mural de la géné- ration devient plus saillant, l'exercice de cette fonction n'influe point autant sur la durée de la vie. Ainsi, chez les Insectes qui vivent en société, les femelles, dont l'instinct se dirige vers la procréation , vivent plus long-temps que les mâles , dont le rôle se borne à féconder ; de même aussi les Oiseaux atlei - gnent un âge proportionnellement fort avancé , quoique leur vie animale soit remplie d'une manière à peu près exclusive par la génération. Mais , même dans les classes supérieures du règne animal , on remarque encore un rapport inverse entre la longévité d'une part , la fécondité et la vivacité du penchant à la propagation de l'autre. Les Rongeurs sont plus productifs que les Carnassiers, et les Gallinacés plus que les Rapaces ; les Chèvres ont plus de lasciveié que les Antilopes, et les Pigeons domestiques que les Ramiers : aussi leur vie dure-t-elle moins. 3° L'intérieur s'annonce par l'extérieur : de là vient que le volume proportionnel n'est point sans influence. Une plus grande masse de corps est l'expression d'une énergie plus prononcée de la vie , quoique , par cela même qu'elle dépend d'une seule des directions imprimées à l'activité de celte dernière, elle ne corresponde pas toujours à son comenu intérieur. De même que , parmi les herbes, le bambou, et, parmi les arbres, le chêne, le tilleul, etc., surpassent les autres , eu égard à la durée de la vie , de même aussi , dans chaque classe du règne animal , les grandes e^^pèces arrivent à un â;ïe plus avancé que les petites , ce qui s'applique jus- qu'aux diverses races d'une seule et même espèce, celle du Chien , par exemple. MORT NÉCESSAIRE- 34S H. Plus la marche du développement est rapide , plus aussi la mort a lieu d!une manière précoce. Les Infusoires, qui paraissent comme par un coup de baguette, et qui se trouvent complètement formés tout à coup , sans avoir de métamor- phoses à subir, ne durent que fort peu de temps. Les cham- pignons périssent avec autant de promptitude qu'ils naissent, tandis que les lichens se développent en général plus lente- ment et ont une vie plus longue. Le tout se reflète dans la partie , et la durée des diverses périodes de la vie coïncide avec celle de la vie entière (4°, 7°). 4° Plus la vie embryonnaire a duré peu , plus aussi la vie est courte après la naissance. Mais on trouve beaucoup de variétés à cet égard parmi les Mammifères. Chez l'homme, on compte pour chaque semaine de la vie embryonnaire environ deux années de vie extra-utérine : il en est de même chez l'Éléphant , le Chameau , le Renard, la Loutre, le Furet, la Marmotte, le Lapin , le Hamster, le Lièvre. La proportion est de plus de deux ans par semaine chez le Cabiai, lÉcureuil, le Hérisson, la Marte, le Lynx, le Blaireau et le Loup ; elle ne dépasse pas de beaucoup une année chez la Belette, le Castor, le Cochon, le Chamois ei le Cerf; elle ne va pas même jusque- là chez la Brebis, la Chèvre, le Chevreuil, l'Élan, le Renne, le Bœuf , le Cheval , TAne et l'Ours. 5° Si nous calculons que l'homme tette pendant neuf mois et vit près de quatre-vingts ans , nous trouvons à peu près deux années de vie par semaine d'allaitement. C'est aussi la proportion qu'on observe chez la plupart des Rongeurs. Mais il y a moins de deux ans par semaine chez les Soli; ( des et les Ruminans , plus de deux années chez la majorité des Carnas- siers. 6" Plus l'aptitude à procréer se manifeste de bonne heure , et plus la durée de la vie est courte. Les arbrisseaux fleuris- sent plus tard et vivent plus long-temps que les herbes; les plantes qui fleurissent dès la première année périssent aussi dans le cours de celte même année; le Chamois devient apte à se reproduire deux ans plus tard que la Chèvre , et arrive à un âge presque double de celui de cette dernière. Cepen- dant les proportions sont fort différentes -, chez l'homme , qui 344 MORT NÉCESSAIRE. demeure long-temps dans l'état de non maturité et de dépen- dance , afin de pouvoir être formé par l'amour , de s'accou- tumer à la sociabilité , et de se perfectionner par les leçons de ses contemporains et de ses devanciers, la durée de lanon- maturité est à celle de la vie entière à peu près comme 1 : 4 ou 5. La proportion est de 1 : 7 ou 10 dans le Castor, le Lièvre, le Bœuf, le Cerf, le Chamois, l'Ours , la Loutre , le Blaireau et le Loup ; 1 ! 12 dans la Chèvre , le Furet , le Renard , le Cheval , l'Éléphant , 1 ; 16 ou 24 dans le Lapin , le Chat , le Chien et l'Ane ; 1 : 30 dans le Cochon et le Chameau. 1° Plus l'accroissement est rapide, plus la vie dure peu. Les arbres qui arrivent à un grand âge croissent très-lentement , comme les Poissons , les Tortues et les Crocodiles ; mais ils paraissent aussi le faire sans interruption jusqu'à leur mort , quelque peu qu'ils augmentent dans les derniers temps. La proportion entre la durée de l'accroissement et celle de la vie entière est de 1 : 4 chez l'homme , de 1 : 5 ou 6 chez le Marte , le Hérisson , le Renne , le Cheval , le Cerf et le Cas- tor ; de 1 : 8 ou 9 chez le Lièvre , le Loutre , le Renard , le Blaireau, le Loup et l'Ane. ARTICLE II. De V impossibilité du rajeunissement ^ comme cause de mort naturelle. § 625. La durée plus ou moins longue de la vie dépend aussi du plus ou moins d'énergie de la restauration (§ 622, 3°). 1° On a considéré comme une des causes de la durée de la vie les mêmes particularités de substance que celles auxquelles se rattache la durée des corps inorganiques ; mais on a com- mis en cela une erreur ; car il y a une grande différence en- tre les corps inorganiques et les êtres organisés. En effet, le corps inorganique est , d'après son essence , une existence iso- lée , pour laquelle les choses du dehors sont indifférentes ou destructives; l'être organisé, au contraire, en sa qualité d'i- mage ou de copie de l'univers , est sans cesse en rapport avec le monde extérieur , et sa vie a pour condition un conflit con- tinuel entre lui et les choses du dehors , puisque c'est ce conflit MORT NÉCESSAIRE, 345 qui non seulement met enjeu toute activité vitale quelconque, mais encore rend possible la conservation de soi-même. Le corps inorganique est le produit d'une activité momentanée , éteinte; il se maintient par le repos , et les influences extérieures ne peuvent que le troubler. L'être organisé , au contraire , est dans une activité qui ne s'interrompt ja- mais : il détruit sa propre substance par le fait même de son développement , et la reproduit aux dépens des substances du dehors. L'un dure d'autant plus que son existence est plus close , mécaniquement par la force de la cohésion , chimique- ment par le défaut d'affinité pour les substances élémentaires, rapport sous lequel les métaux appelés nobles forment l'an- tagonisme le plus prononcé avec les bases métalliques des al- calis et des terres. Mais la vie se maintient d'autant plus long-temps qu'elle a plus d'aptitude à se restaurer au moyen des substances extérieures. A la vérité, les plantes semblent se trouver dans les mêmes circonstances que les corps inorga- niques , apparence à laquelle Bacon (1) attachait aussi beau- coup de poids ; en effet , l'abondance des sucs coïncide avec un accroissement rapide et une courte existence; les Champi- gnons mous et aqueux meurent très-rapidement , tandis que ceux qui sont secs ont plus de durée ; toutes les plantes vi- vaces ont une tige ligneuse, solide , et tandis que les végétaux herbacés sont annuels ou bisannuels , les plantes sèches et rigides de même taiile , comme le Romarin , l'Hysope , l'Im- mortelle , les Bruyères , les Cistes , etc., vivent une série d'années ; les arbres à bois blanc , mou et poreux , périssent de meilleure heure que ceux dont le bois est coloré , dense et dur; ceux qui portent des fruits charnus et juteux durent moins que ceux dont les fruits sont secs ; les plantes qui con- tiennent du tannin , de la résine , de l'huile grasse ou de l'huile essentielle , prolongent davantage leur existence que celles qui abondent en albumine, en mucus et en sucre. Mais si ces circonstances déterminaient réellement la durée de la vie , il s'ensuivrait que la mort nécessaire dépendrait de l'in- fluence destructive des .choses extérieures sur la substance , (1) Loc. cit., p. 492. 346 MORT NÉCESSAIRE. ce qui manifestement n'a point lieu. La plante ne meurt pas parce que l'air et l'eau décomposent sa substance , mais sa substance se décompose parce que la vie s'est retirée d'elle. L'eau ne peut point exercer sa faculté dissolvante sur des êtres vivans , et les Poissons arrivent dans son sein à un ^â^^e fort avancé. L'air n'agit point non plus ici en consommant, et les Oiseaux qui y vivent, qui en sont pénétrés de toutes parts, se distinguent des Mammifères de même taille qu'eux par une longue durée de vie. Malgré la mollesse de leur chair, beau- coup de Poissons, les Carpes entre autres, deviennent bien plus âgés que des Mammifères d'un volume égal au leur et dont la chair a plus de consistance. Aussi a-t-on pré- tendu que la mollesse de la substance animale était une con- dition de longévité, en rendant moins facile la dessiccation, à laquelle on attribuait !a mort nécessaire. Mais les Oiseaux ont, généralement parlant , une substance plus sèche, plus sujette à s'endurcir et à s'ossifier, ce qui ne les empêche pas de de- venir, proportion gardée, fort âgés, tandis que certains Mam- mifères d'une complesion molie et lâche, comme le Cochon, n'arrivent point à un âge si avancé que d'autres dont la chair est plus ferme et plus consistante. Cette règle souffre aussi des exceptions dans le règne végétal; le Buis , le Genévrier, le Cyprès , le Noyer et le Poirier ont un bois plus dur et en partie plus imprégné de principes huileux ou résineux que le Tilleul, dont cependant la vie se prolonge plus que la leur (1). Il paraît donc que la densité du tissu et l'abondance des sucs résineux ou huileux , expression d'un dévelop- pement plus prononcé de la nature végétale dans une certaine direction qui peut être arrêtée par d'autres, coincident avec une durée plus longue de la vie. 2° Quoique dépendante du conflit avec les choses du de- hors , la vie n'en est pas moins rendue indépendante jusqu'à un certain point par la restauration. Chez les êtres organisés inférieurs elle a moins de spontanéité ; elle dépend davan- tage des influences cosmiques , et par conséquent aussi elle se trouve liée à une certaine saison de l'année : il y a là un (1) Hufeland, La macrobiotique, ou l'Art de prolonger la vie de l'iiomme, p. 57. MORT NÉCESSAIRE. 347 tel accord entre elle et le monde extérieur, qu'elle s'éteint précisément à l'époque où les circonstances du dehors ne lui permettraient plus de se maintenir. Ainsi certains Insectes auxquels la nourriture viendrait à manquer en hiver, ne pé- rissent pas de faim , mais succombent en automne , avant d'avoir pu ressentir le besoin. D'autres vivent plus long- temps, soit parce que l'instinct, c'est-à-dire un moyen mo- ral , leur indique une voie de salut , en leur suggérant d'a- masser en été des provisions pour l'époque de l'année où ils ne ti ouveraient point de nourriture , soit en s'isolant par un sommeil hibernal, dont ils se réveillent rajeunis aux premiers feux du printemps. De même , dans les classes supérieures , la vie acquiert et plus d'indépendance et plus de durée, parce qu'elle a jeté des racines plus profondes. 3" Lorsque , la vie étant fort active , les actions se succè- dent d'une manière rapide , la consommation est plus forte que dans le cas opposé , et l'on devrait penser que la mort plus ou moins précoce dépend du plus ou moins d'étendue de cette consommation , que les Tortues sont redevables de leur longue existence à la marche lente de leur vie , et que si les gros Mammifères vivent plus long-temps que les petits, c'est qu'ils ont une circulation plus calme. Mais l'énergie de la vie, qui s'exprime par l'étendue de la consommation, entraîne aussi une restauration plus active. Ainsi les Osieaux , comparés à des animaux de leur taille pris dans d'autres classes , vivent long-temps , quoiqu'ils aient une respiration , une circulation et une croissance rapides , que la puberté se manifeste de bonne heure chez eux , que leurs sens, leurs désirs et leurs mouvemens aient une grande vivacité ; ils maigrissent plus vite que d'autres animaux, mais engraissent aussi avec plus de prouiptitiide. C'est chez l'homme que l'excitation intérieure arrive à son point culminant , parce que la vie intellectuelle ne cesse jamais d'agir avec une grande énergie , et cependant il vit plus que les Mammifères, eu égard à sa taiile; on ne peut point attribuer ce phénomène à la lenteur de son pouls , puisque Se pouls des bêtes à corui^s et des chevaux est plus lent encore. Il n'y a donc que le défaut de proportion 548 MORT ACCIDENTELLE. entre la cousommation et la restauration qui puisse raccourcir la vie. 4° Sous rinfluence d'une nourriture très-riche en principes alibiles, , mais qui fournit une substance peu élaborée , la vie est plus courte que dans les conditions inverses. Les plantes qui croissent sur des montagnes arides durent plus long-temps que celles qui poussent dans un sol humide. Les plantes d'eau; douce ne fournissent pas une aussi longue carrière que celles, des eaux de la mer. Les animaux herbivores deviennent plus, gros que les carnivores , mais meurent de meilleure heure qu'eux , et ceux qui vivent d'herbes n'atteignent point un si. grand âge que ceux qui se nourrissent de grains (1). 5" Enfin le mode de conservation de soi-même doit aussi être pris en considération. Dans les plantes vivaces, la partie vivante se lignifie chaque année , et forme la base solide sur laquelle naissent de nouvelles parties pleines de vie : c'est ainsi qu'on exphque la longue durée des arbres , qui au fond est plus apparente que réelle. La vie végétale n'est à propre- ment parler qu'annuelle ; mais , à la place de la substance vieillie , vient une nouvelle substance vivante, qu'on peut con- sidérer comme un individu nouveau, et en effet l'arbre conti- nue de végéter vigoureusement, quoique frappé de pourri- ture au cœur ; ainsi l'individualité de la plante est trop faible encore pour pouvoir jouir de la pérennité. Les Coraux sont dans le même cas , et leur vie semble plus longue qu'elle ne l'est réellement ; le Polypier dure une longue série d'années , mais couvert d'individus qui se renouvellent sans cesse. CHAPITIIE II. De la mort accidentelle. § 626. A la mort nécessaire on peut opposer la mort acci- dentelle , c'est-à-dire celle que des circonstances individuelles amènent plus tôt que ne le comporterait le caractère de l'es- pèce. La mort accidentelle n'exerce pas ses ravages sur l'espèce (1) Bacon, loc, cit., p. 504. MORT ACCIDENTELLE. ^4^ humaine seule. Chez presque tous les êtres organisés aussi elle enlève plus d'individus que la mort nécessaire. Si nous la considérons par rapport à l'ensemble , nous trouvons qu'elle n'est ni moins fondée dans l'ordre de la nature , ni moins né- cessaire. I. Les circonstances 'qui l'amènent consistent, d'une ma- nière générale, dans la cessation des conditions de la vie. l» La condition la plus immédiate de la vie est le concours des actions organiques , déterminé par l'idée totale. En eflet, chaque fonction est un tribut que la partie paie au tout ; mais certaines fonctions tiennent au tout de plus près que les au- tres', et sont conditions immédiates de la vie , de sorte que chacune d'elles est un anneau absolument nécessaire de la chaîne des actions organiques , et que quand elle se trouve arrêtée, la vie aussi est anéantie sur-le-champ. Ces fonctions éminemment vitales sont la circulation , la respiration et l'ac- tion cérébrale ; leur cessation entraîne la mort générale, avec laquelle peut cependant encore coïncider une vie partielle. La mort accidentelle commence par la cessation de l'une d'el- les , mais quand celle-ci s'éteint, les autres s'éteignent égale- ment. Il y a donc trois genres de mort, celle par syncope, qui part de la circulation , celle par suffocation ou asphyxie , qui a pour point de départ la respiration , et celle par apo- plexie , dans laquelle l'action cérébrale est anéantie la pre- mière. Il faut toujours qu'un anneau de la chaîne organique se brise le premier , et quoique la mort arrive dans un mo- ment, ce n'est cependant que par extension instantanée, comme par exemple dans le cas de rupture du cœur, d'é- panchement au cerveau ou de paralysie des poumons. De même que ces trois fonctions vitales dépendent l'une de l'autre, de même aussi elles sont déterminées par les fonc- tions subordonnées ou secondaires. En effet, quelques unes de celles-ci peuvent disparaître sans qu'il s'ensuive une sus- pension immédiate de la vie ; mais quand leur extinction a pris une certaine étendue, ou duré un certain laps de temps, elle entraîne l'anéantissement d'une des fonctions vitales , et par suite celle de la vie entière. Les fonctions , tant secondaires que vitales , dépendent à 35o MORT ACCIDENTELLE. leur tour, non seulement de l'organisation , c'est-à-dire des qualités physiques et des propriétés chimiques du corps orga- nisé, comme composiiion , cohésion , texture, volume, forme et situation des solides , quantité , composition , cohésion et situation des liquides, mais encore des choses exiérieures, au nombre desquelles se rangent , comme conditions immé- diates de la vie , la chaleur et l'air, comme condition mé- diate , la nourriture. 2° La mort accidentelle peut donc a. Avoir sa cause immédiate au dehors , et dépendre d'un défaut de corrélation entre le monde extérieur et la vie , soit que les conditions extérieures de cette dernière viennent à manquer, comme dans la suffocation , la congélation , Tabsti- nence forcée , soit que des influences positives exercent une action mécanique (blessures) , chimique (brûlure , par exem- ple), ou dynamique (rélectricité entre autres) ; h. Ou dépendre d'un étai morbide inléiieur, qui se rattache lui-même à un défaut d'harmonie entre les actions organi- ques, et qui ait été provoqué soit par une cause du dehors, comme la quantité ou la relation des conditions de la vie, ou une influence positive quelconque, soit par une cause du dedans, comme l'abus ou le trop peu d'exercice des forces. II. La résistance aux choses extérieures est ou active ou passive. La résistance active , ou la faculté de maintenir soi-même sa vie au milieu de circonstances extérieures défavorables , est plus forte chez les êtres organisés supérieurs , mais plus forte que partout ailleurs chez l'homme , qui peut vivre par exemple près des pôles comme sous l'équateur , tandis que c'est à force de soins seulement qu'il parvient à conserver les animaux et les plantes dans un climat différent du leur. Mais ce n'est pas seulement sa foixe intellectuelle qui contribue à le conserver , en lui faisant inventer les moyens d'arriver au but; il est encore redevable de cette prérogative à la souplesse et à la flexibilité de son organisation matérielle. La résistance passive aux circonstances défavorables se ma- nifeste surtout par la ténacité de la vie , à l'égard de laquelle MORT ACCIDENTELLE. 35 1 'freviranus (i) a pris soin de réunir les faits les plus impoî- tans. Généralement parlant, la Vie la plus tenace s'observe chez les organismes inléiieurs , par exemple les Polypes, et chez les êtres organisés supérieurs, dans les momens où leur vie est réellem» nt affaissée sous le point de vue de sa mani- festation extérieure , par exemple pendant l'engourdissement hibernal. Cependant ce n'est point là une loi générale. Cer- tains animaux inférieurs, tels (]ue les Méduses, meurent très- aisément, et les animaux en chaleur (§ 247, 2") ou en gesta- tion sont fort difficiles à tuer, à cause de l'exaltation de leur vitalité. Les animaux à sang froid ont la vie plus tenace que ceux à sang chaud , et sous ce rapport les Reptiles sont en antagonisme parfait avec les Oiseaux. La tenacilé de la vie est plus grande chez les carnivores que chez les herbivores, chez les animaux lents, comme l'Aï et le Hérisson , que chez les animaux plus vifs et plus sensibles, tels que les Rongeurs; parmi les Oiseaux, elle est presque nulle chez les Passereaux, si remarquables par leur sensibilité , plus considérable chez les Rapaces, qui jouissent d'une si grande énergie musculaire, et portée au plus haut degré chez les apathiques Palmipèdes, notamment chez les Pingouins. Mais la résistance passive de la vie ne se manifeste souvent qu'à certains égards. Ainsi divers Insectes, qui supportent long-temps la privation de nourriture et de fortes blessures , ne lardent pas à périr quand on leur retire l'air, et la Sala- mandre, dont la vie est d'ailleurs Irès-ttnace , meurt promp- tement quand on la saupoudie de sel (2). Des phénomènes analogues se voient aussi chez l'homme; les consiituiions les plus robustes ne sont pas celles qui toujot^rs résistent avec le plus d'elficacité aux influences nuisibles; le nouveau-né sup- porte mieux que l'adulte la privation de la respiration et les lésions du cerveau ou des organes génitaux. Les femmes et les sujets faibles peuvent se passer plus long-temps de respi- rer que les hommes et les peisonnes doués d'un système mus- culaire irès-développé ; ce sont les plus robustes, les plus (1) Biologie ,% V, p. 265, (2) Treviranusi, Biologie, t. V, p.;.274. 352 MORT ACCIDENTELLE. vivaces en apparence , qui succombent les premiers à la cha- leur , les plus âgés et les plus faibles qui résistent le moins au froid ; la faim tue d'autant plus vite , que l'individu est plus jeune et plus dispos, que par conséquent la décomposi- tion et la nutrition ont plus d'activité chez lui ; certains poi- sons , métalliques surtout , font périr les hommes avec plus de rapidité, proportion gardée, que les femmes et les enfans. 3° La ténacité de la vie dans les lésions mécaniques de l'or- ganisation tient à ce que l'unité de celte vie est encore in- complète , à ce qu'il y a peu de liaison entre les diverses fonc- tions, à ce que les parties dépendent moins du tout. L'homme supporte mieux les blessures quand il est doué d'une com- plexion robuste et d'une grande énergie musculaire , lorsque la sensibilité n'est pas trop développée ou prédominante en lui. Chez les corps organisés inférieurs , la vie résiste à des lésions considérables , comme il arrive à certains arbres, aux Saules , par exemple", après la destruction de la moelle ; les anneaux arrachés du corps d'un Tœnia continuent de vivre. Les Astéries supportent la perte de membres ou rayons entiers pourvu que leur partie centrale , l'estomac , avec son anneau nerveux, soit demeurée intacte ; les Tortues qu'on cloue sur les navires , et qu'on arrose plusieurs fois par jour avec de l'eau de mer, conservent la vie pendant plusieurs mois qu'exige la traversée en Europe. Quelquefois la mort n'a Heu que lentement. Un Coléoptère, dont une moitié du tronc était rongée et servait de repaire à deux Fourmis, n'en continuait pas moins de marcher tran- quillement (1). Les Ecrevisses survivent plusieurs jours à la perte de leur queue. Les Grenouilles s'accouplent encore après qu'on leur a coupé la tête , et l'arrachement du cœur et des poumons ne les empêche point de sauter. Une Tortue à laquelle on avait enlevé le plastron, de manière que les pou- mons et autres viscères se trouvaient à nu , survécut sept jours (2). Une autre remuait encore ses membres onze jours après avoir été décapitée, et une troisième supporta pendant six (1) Rudolphi , Grundriss der Physioloqie , t. I, p. 287, (2) Blumenbach , Kleine Schriften , p. 83. > MORT ACCIDENTELLE. 353 mois l'excision de son cerveau. Des Coqs auxquels on a coupé la tête, courent et sautent encore. Humboldt a vu un Condor, qu'on avait étranglé et pendu, se remettre à|, marcher dès qu'on eut desserré le lien , et pouvoir se tenir encore debout après avoir reçu quatre coups de feu dans la poitrine, le ven- tre et le cou. Des Hérissons , cloués sur un mur , vivent plusieurs jours malgré la perte de sang causée par l'ouver- ture des cavités pectorale et abdominale. Des Renards , qui ont reçu un coup de feu mortel , et qui sont parfois demeu- rés des heures entières immobiles, se remettent à courir, et l'un d'eux , auquel on avait déjà enlevé la peau jusqu'aux oreilles, put encore faire une morsure dangereuse. Les Blai- reaux se remuent pendant des heures entières , même après avoir eu le crâne enfoncé. Un Cerf qui s'était ouvert le ven- tre en sautant , s'arracha l'estomac et les intestins en cou- rant , et parvint à s'éloigner de cinq cent soixante pas du lieu de la catastrophe (1). La ténacité de la.vie se manifeste aussi par la permanence de la vie partielle après la mort générale. Quand un arbre vient à être abattu , les bourgeons^qu'il porte encore se dé- veloppent. Une Sauterelle, dont on avait remplacé les vis- cères par du coton, et dont une épingle traversait le thorax, re- muait encore les pattes et les antennes au bout de cinq mois (2). On a vu des queues coupées de Tritons et des tronçons de Couleuvre à collier se mouvoir pendant plus de dix heures (3). De même que la tête coupée des jeunes Mammifères exécute encore les mouvemens respiratoires, de même aussi on assure que celle du Serpent à sonnettes peut mordre après l'opéra- tion , et celle d'une Tortue le lendemain même. Le cœur d'un Lézard donnait encore des signes d'irritabilité trois jours après l'enlèvement des autres viscères (4). Il sera question dans un autre endroit du maintien de la vie par la reproduction des parties perdues. (1) TSeujahrsgeschenh fuer Jagdliebhaber , 1778 , p. 9S, ] (2) Treviranus, loc. cit., t. V, p. 272. (3) Blumeribach . Kleine Schriften , p. 103. (4) Treviranus, loc. cit., t. V, p. 269. V. 25 354 MORT ACCIDENTELLE. 4" L'absence des conditions extérieures de la vie rend la manifestation des phénomènes vitaux impossible; la vie s'éteint chez les êtres organisés supérieurs ; mais, chez les inférieurs, elle ne fait que devenir latente , parce qu'elle n'est point encore arrivée à la pérennité , chez ces êtres , où l'unité dans le temps, c'est-à-dire la continuité, ne fait point encore partie de ses caractères essentiels. a. Certaines plantes grasses continuent de végéter après avoir été plongées dans l'eau bouillante ou mises en presse pendant plusieurs semaines (1). On rencontre des Mol- lusques , des Poissons et des Reptiles dans des sources chau- des (2). Des Insectes (3) et des Grenouilles , qui ont été ge- lés , reprennent vie à la fonte du morceau de glace qui les emprisonnait (4). Il est certain que la congélation des humeurs entraîne la mort chez les animaux à sang chaud, mais il n'est pas encore démontré que la même chose arrive chez ceux à sang froid ; Lister, Stickney et Cb. Bonnet croient que les Insectes peuvent revenir à la vie avoir été complètement gelés; cepen- dant Succow (6) assure que ce qu'on a pris en pareil cas pour congélation des membres n'était que le raidissement des muscles. h. La respiration peut demeurer long temps interrompue chez les animaux surtout qui n'ont point encore acquis de type interne fixe. Elle est alors plus soumise à l'empire de la volonté. Une Tortue à laquelle on avait lié fortement ensem- ble les deux mâchoires et bouché les narines, vécut plus d'un mois (7). Les Sangsues vivent long-temps sous l'huile. Des Insectes devenus immobiles par l'immersion dans l'alcool, se raniment à l'air ; Scopoli a , cinq fois de suite , dans l'espace de trois heures^ plongé dans l'état de mort apparente et ra- nimé des Araignées et des Blattes ; Franklin a vu des Mou- ches noyées dans du vin de Madère , revivre à l'air en Amé- (1) Treviramis , Biologie, t. V, p. 266. (2) Ihid., p. 269. (3) i6id.,p. 270. (4) Blumenbach , Kleine Schriften , p. 98. (5) Heusinger, Zeitschrift fuer die or^anische Physih\ 1. 1, p. 599. (6) Blumenbach , loc. cit., p. 88. MORT ACCIDENTELLE. 355 rique; les Guêpes, les Abeilles, etc., reviennent à la vie après vingt-quatre à quarante heures d'asphyxie (1). Forster a vil un Serpent vivre trois jours dans de l'alcool (2). Des Grenouilles, que Prochaska avaient tenues sous l'eau pendant vingt-quatre heures , de manière que leurs muscles étaient devenus insensibles à toute excitation galvanique , reprirent vie sous l'influence de l'air. On ne saurait calculer combien de temps ont vécu, sans que l'air arrivât jusqu'à eux , les Crapauds que l'on a trouvés renfermés dans des blocs de marbre et autres pierres. Quelques Poissons , le Silunis gla- nis , par exemple, peuvent être transportés au loin par terre, et l'on en a vu d'autres , comme les Tanches , vivre dans le vide. Des Sangsues ont vécu jusqu'à cinq jours sous le réci- pient de la machine pneumatique , des Limaçons et des Huî- tres vingt-quatre heures , et des Grenouilles plus long-temps au moins que des animaux à sang chaud ; des Insectes y tom- bèrent dans un état de mort apparente , mais se ranimèrent lorsqu'au bout de quarante heures on leur rendit l'air. Plu- sieurs Insectes ont vécu deux à trois jours dans du gaz hy- drogène (3). Des Crapauds sont restés en vie dans du gaz acide carbonique pendant près d'une demi-heure , et des Lé- zards plus d'une heure entière (4). Certains animaux à sang froid conservent leur vitalité dans le canal intestinal d'ani- maux à sang chaud, malgré l'élévation de la température, la présence de gaz irrespirables, et l'action de la force diges- tive : on prétend que des Cigognes ont quelquefois rendus vi- vantes par l'anus des petites Carpes qu'elles avaient ava- lées (5). c. Les liquides organiques sont une condition de vie plus immédiate encore que !a chaleur et l'air. Mais lorsqu'ils n'ont pas une constitution toute particulière , quand ils ressemblent presque à de l'eau servant de nourriture , la vie peut , après (1) Treviranus, loc. cit., t. V, p. 270. (2) Ihid.^ p. 267. (3) Ibid., p. 270. (4) Blumenbach , Kleine Schriften , p. 90. (5) Dictionn. des c. méd,, t. XXIX , p. '18. 356 MORTAIITÉ. leur soustraction, persister quelque temps à l'état latent, et se manifester de nouveau lorsque le corps vient à être hu- mecté. Certaines Mousses qui sont restées au sec pendant dix années , par exemple dans un herbier;, rentrent en pleine vé- gétation quand on les mouille ; mais , suivant Wildenow (1) , ce phénomène n'a lieu que pour celles qui sont accoutumées à se dessécher fréquemment en été , par l'action des rayons brûlans du soleil. Les Vibrions qui naissent dans le blé ma- lade, se raniment quand on vient à humecter les grains après qu'ils sont demeurés à sec pendant cinq à six ans ; on peut même , selon Bauer (2), les dessécher et les faire revivre alternativement, pourvu qu'on ne répète pas l'expérience trop souvent , et que les deux états opposés ne se succèdent point de trop près (*). Après une seconde dessiccation ils conservent pendant huit mois tout au plus la faculté de re- venir ù la vie. Fontana avait fait des observations analogues. Le Rolifère se ranime dans l'eau après avoir été desséché pendant deux ans , suivant Leeuwenhoek, deux et demi selon Fontana , et quatre d'après Spallanzani. Fontana l'a même laissé à l'ardeur du soleil d'été , ce qui ne l'empêchait pas de revenir à la vie deux heures après son immersion dans l'eau. Martin (3), ayant fait sécher des Filaires au soleil, les vit se gonfler et revivre une heure et demie après qu'elles eurent été replongées dans l'eau , phénomène dont Fontana et Blainville ont également été témoins. ARTICLE I. De ïinjlaence de Vâge sur la mortalité. % 627, La première cause qui détermine la mort est Vâge; car la vie court plus ou moins de dangers aux différentes époques de sa durée. On pourrait en juger d'après le plus ou moins de fréquence des maladies , si les connaissances géné- (d) Magazin fuer die neiiesten E ntdecTtungen , t. II , p. 290. (2) Annales des se. nat., t. II , p. 161. C) Voy. Raspail, Nouv. syst. de chiin. organ., 2« édition, Paris, 1838, t. I, introduction , p, 92. (3) Ablmndlvngcn der Sehiiedischen Âkademiê, t. XXXIII, p. 262, MOlRTÀtÏTÉ. 557 raies que nous possédons à cet égard reposaient sur des faits plus certains. Les tables de la Société écossaise de secours mu- tuels dans les maladies nous apprennent, d'après Villermé (1) , qu'on compte par année quatre jours de maladie pour un homme de vingt à trente ans, cinq pour celui de quarante , sept pour celui de quarante-cinq, dix pour celui de cinquante, treize pour celui de cinquante- cinq , seize pour celui de soixante, trente pour celui de soixante-cinq, et soixante- treize pour celui de soixante-et-dix. Ainsi, de trente ans à soixante-et-dix, le nombre des jours de maladie par année s'accroît d'un dans la première dixaine, de cinq dans la se- conde , de six dans la troisième, et de cinquante-sept dans la quatrième. Mais, d'un côté , ce calcul ne s'applique qu'aux ouvriers , et l'enfance en est exclue ; d'un autre côté , en l'établissant , on a considéré l'impossibilité de travailler pour ^ause d'âge avancé comme maladie , de sorte qu'on s'est mis par-là en contradiction avec le fait déjà observé par Hippo- crate qu'en général les maladies proprement dites devien- nent plus rares chez les vieillards : enfin on n'a eu égard ni au genre de travail ni au mode de rétribution , de sorte qu'il est impossible de rien conclure de là relativement à l'influence que l'insalubrité des professions et la pénurie des moyens d'existence exercent sur la fréquence des maladies. Les tables dressées par l'état-civil sont seules en état de nous éclairer sur la proportion de la mortalité aux différons âges de la vie. Cependant, telles qu'on les construit aujour- d'hui , elles ne sauraient nous conduire qu'à une échelle pu- rement approximative. En effet 1° Il n'y a qu'un très-grand nombre d'observations qui puis- sent procurer un résultat certain; mais nous ne possédons que fort peu de tables dans lesquelles les décès soient indiqués par âges, et non par périodes arbitraires de deux , trois , cinq, dix années. 2" La localité produit des différences considérables, suivant la constitution du pays auquel les observations ont trait, son plus ou moins de salubrité, soit pour l'homme en général, (1) Annales d'byglène publique, t. II, pag. 241etsuiv.T 358 MORTALITÉ. soit pour tel ou tel âge en particulier, le degré d'aisance des habitans, le genre de leurs occupations , leur moralité et au- tres circonstances analogues. La plupart de nos tables de mortalité concernent de grandes villes ; mais là oii les hommes vivent entassés, où le superflu et le manque du nécessaire, l'oisiveté et le travail excessif, en un mot tous les extrêmes, sont réunis , se trouvent aussi les plus grandes anomalies des conditions que la nature assigne à la vie. D'ailleurs, le calcul lui-même y manque de certitude, attendu que le nombre des habitans varie, qu'il s'augmente de tous les étrangers qu'amè- nent le besoin d'instruction , le désir d'acquérir, la recherche des jouissances , les garnisons , et qu'il diminue de tons les enfans qu'on fait élever au dehors , de tous les adultes qui voyagent, de sorte que, pour ce qui concerne surtout les di- vers âges de la vie, la population subit une fluctuation qui en rend le calcul fort difficile. L'incertitude croît encore à l'é- gard des tables qui n'embrassent que certaii^ arrondissemens d'une grande ville, puisque les quartiers varient à l'infini sui- vant qu'ils renferment ou non des établissemens d'éducation, des fabriques , des manufactures , des hôpitaux , etc. Ce qui présente le moins d'incertitude, ce sont les tables de mortalité dei- royaumes entiers, parce qu'elles réunissent une grande diversité de nuances relatives au climat et à la vie sociale. 3° Il faut, autant que possible , chercher à faire disparaître les anomalies temporaires, en étendant les observations à de très-longues périodes; car, sans compter les guerres, les révo- lutions, les épidémies, les ;diselles, etc., il y a des années qui sont plus favorables ou plus défavorables que d'autres, soit à la vie en général, soit à tel ou tel âge de la vie en particulier. 4° Enfin les données manquent souvent d'exactiiude. Moins l'existence d'un homme est esûmée par les siens, moins ceux- ci s'inquiètent du nombre de ses années. Plus d'un homme aussi meurt au milieu d'étrangers qui ne connaissent point son âge. L'autorité n'exige pas paitout la même exactitude dans l'annonce des décès. Aussi certaines tables de mortalité, celles par exemple que nous devons à Dupré de Saint-Maur (1), (1) Annuaire du Bureau des longitudes pour 1829, p. 44, MORTALITÉ. SSq n'indiquent-elles la plupart du temps les âges qu'en nombres ronds. Malgré toutes ces imperfections , il nous faut essayer, en comparant entre elles un certain nombre de tables, de dé- couvrir quels sont les rapports généraux de la mortalité , et pour cela nous supposerons que l'association d'élémens divers a fait disparaître en quelque sorte les inexactitudes qui naissent des différences de temps et de lieu. Les tables ci-jointes contiennent les résultats de vingt listes réduites aux mêmes proportions. Nous choisissons pour base de nos recherches dix listes qui sont dressées d'après les âges de la vie, et qui renferment une grande variété de circonstances, puisqu'elles embrassent un empire de premier rang (A), un autre de moyenne étendue (B), une province méridionale et montueuse (C), une province septentrionale et plane (D), deux villes de première grandeur (E. F. G, H.) et une ville de moyenne grandeur (I. K.), le tout à des époques différentes. A. se fonde sur la table de la mortalité en France que Du- villard a dressée en 1806 d'après un million de décès (1) ; B. sur celle de la mortalité dans les Pays-Bas que Quetelet a calculée d'après cent mille décès (2) ; C. sur celle du pays de Vaud, établie par Muret sur mille décès (3); D. dans la se- conde table , est la liste que Baumann a calculée , sur mille décès, pour la Marche électorale (4), et dans les cinquième et sixième , la table collective de Sussmilch (5) ; E. a été pris d'après le calcul de Deparcieux sur mille décès à Paris (6); F. d'après un travail analogue de Hodgson Ipour la ville de Londres ; G. d'après les recherches de Sim son pour les années 1728 à 1737, et H. d'après celles de Price pour les (1) Analyse ou tableau de l'influence de la petite-vérole sur la mortalité à chaque âge , Paris, 4806, in-4. (2) Nouv. Mém. de l'Acad. de Bruxelles, t. V, p, 141. (3)filuck, V erijleichung der Sterhlichheit des menschlichen Geschlechts, p. 44. (4) Sussmilch , GœttUche Ordnung in den f^erœnderungen des mensch- lichen Geschlechts , t. III , table XXII. (6)lbid.,t. II,p. 3J9. (6) Essai sur les probabilités de la durée de la vie humaine, Paris, 1746, in-4. 360 MORTALITÉ. années 1759 à 1768, également à Londres. La mortalité de Breslau est calculée en I. d'après Halley (1), et en K. d'a- près Reiche, depuis 1775 jusqu'en J805, sur quarante-quatre mille deux cents soixante et neuf décès (2). 'Pour obtenir un nombre plus grand encore d'observations, on a ajouté, dans la troisième et la quatrième tables, des listes qui s'étendent seu- lement à des périodes plus longues. Du plus ou moios de coïn- cidence des proportions de la mortalité pour des séries de cinq ou de dix ans, on peut aussi en déduire une analogue pour les divers âges de la vie. L. donne les proportions de quarante- sept mille quatre-vingt-onze décès dans l'espace de huit an- nées], entre 1728 et 1751 , à Vienne (3) ; M. celles de qua- torze mille cinq cent dix-sept' décès à Berlin , depuis 1752 jusqu'en 1755 (4) ; N. celles de cent cinquante sept mille six cent trente-sept décès à Paris, depuis 1817 jusqu'en 1823(5). O. est tiré de la table collective de la mortalité en Suède par Wargentin (6); P. des tables de la mortalité dans la monarchie prussienne, depuis 1820 jusqu'en 1827, publiées par le gou- vernement ; Q. de documens semblables , relatifs à la ville de Londres, pour l'année 1827, et comprenant vingt-deux mille deux cent quatre-vingt-douze décès. R. donne les proportions de la mortalité d'après cent mille cas, pendant vingt années, à Philadelphie (7); S. celles de New-York, Philadelphie, Balti- more et Boston, d'après soixante-et-onze mille sept cent qua- tre cas (8); T. celles de Hambourg, d'après vingt-sept mille six cent soixante-et-trois décès, depuis 1820 jusqu'en 1827, suivant Bueck (9); U. celles de Montpellier, pendant vingt ans, d'après Mourgue (10). (1) Sussmilch, loc. cit., t. II , table XXVI. (2) Correspondenz der Schlesischen Gesellschaft , p. 60. (3) Sussmilch , loc cit.., t. II , table XI. (4) Recherches statistiques sur la ville de Paris. (5) Gerson, Magasin, t. XIV, p. 420. (6) Alhandlungen der Schwedischen Akademie , t. XVII , p. 87. (7) Gersou , Magasiti , t. XVII, p. 90. (8) Bulletin des Se. méd., t. XïII. (9) Gerson , Magasin , t. XVII , p. 316. (10) Mémoh-e de l'Institut, 1. 1, p. 33. TABLE r. Mortalité absolue parmi mille hommes. V. § 627. TABLE ir. Mortalité relative suivant les années. . ". c. D. B. F. G u. .. K, TERME AlfNÉES. ~ ~ ~ "" ~ "" ~ ~ "" FHARCE. rAÏS-B.lS. PAYS DE VALiD. MARCHE PAIUS. LONDBES. lONTMS. LONDRES. BHESLAU. BRISLAll, MOYEN. 0-1 4,30 1,44 6.29 4 3.11 3.12 3.12 110 3.97 8,02 17,03 11 7,39 5.15 6,83 15:41 9,57 2 — 3 14.24 20,16 10,72 9,78 13,69 24,07 30.75 25 33,33 22.56 18.37 12,66 21:00 23.57 38.17 3o;41 51.07 27.55 lli.39 27,11 35.21 33:95 5—0 57,58 62 00 32 33,22 43,96 44,42 6 — 7 79,73 i2 64,50 31 45 39,14 7 — S 101,16 MM 07.70 57 70.35 72 67 53:71 43,U7 57.00 72:40 os:ia 117,72 83.37 75.10 S3.50 W.U8 95,71 80,27 9-10 127,28 m'.il 109,83 111) 89,00 99,00 83,00 67,70 74:41 lO — 11 130,16 134 17 130,60 137 110,00 125,00 82,00 «3.00 82,62 150,31 114.51 H- 12 125,43 22l!7S 129,60 13r> «5,33 121,50 81,00 9J.25 12 -IJ <24:02 113,07 135 100,66 80,00 GHfi2 221:7s 131 :58 l3 — 14 156,91 159,75 134 ■ 143,33 239,50 200,29 14 — 15 misi «oloo 158,75 133 14ï,33 238,50 105:61 231,00 145:14 15 — 1« 106.88 158,09 126,20 J32 141,33 237,50 285,20 145,52 16-17 101,61 163,95 131 120,28 70,00 103:66 179,72 133,37 17 -IS 96,78 146,26 130 73,57 102.60 199 21 18 — lu 92,17 101,16 «ijso 129 11.5,28 117.00 74.00 72,67 110:01 19- 20 ,88,60 26,72 153,50 128 117,28 92,80 73,00 71,57 100:00 120:98 1U2,91 20 — 21 85,13 63,05 152.60 101 101,75 70,50 72,00 70,57 99.66 103,53 92 56 21 — 22 62,85 151,50 100 100,75 75,50 71,00 60,87 115,59 91.88 22 — 23 79^27 02,03 120,5U U9 63,85 70.00 69,87 97 60 77,41 82 93 76,92 119,50 US 98,75 62,85 57:60 96.66 91,93 82,32 24 — 25 74,52 63;77 118,50 97 97,75 61,85 56,60 57 Is? 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MOÏKN. -."S a- o. o- O W < rz' t sr 99 je 99 rt f^' n et> (i s 99 p.« m 2 20 22 42 49 34 8 4 4 33 28 24 3 45 47 59 47 59 35 27 20 51 52 44 4 55 58 66 57 67 44 39 35 59 60 54 5 61 64 69 62 71 50 45 43 64 65 59 6 65 68 74 66 73 54 50 48 67 68 63 7 67 70 72 68 75 58 54 52 70 70 65 8 69 72 74 70 77 60 67 56 71 72 66 9 70 73 75 72 77 63 60 59 72 73 67 10 71 74 76 73 78 64 62 61 73 74 68 dl 72 75 77 74 79 66 64 63 74 75 74 42 73 76 78 75 80 67 65 64 75 76 72 13 74 77 78 76 81 68 67 67 76 76 73 14 75 -77 79 76 81 69 68 68 76 77 74 45 75 78 79 77 81 70 68 69 77 77 75 16 76 78 79 78 82 7i 69 70 77 78 75 17 ' 76 79 80 78 82 72 71 70 78 78 76 18 77 80 80 79 82 72 71 74 78 79 76 19 77 80 80 79 83 73 72 72 78 79 77 20 77 80 81 79 83 73 73 72 78 80 77 21 78 81 81 80 83 74 73 73 79 80 78 , 22 78 81 81 81 83 75 74 73 79 80 78 23 78 8i 81 81 84 75 74 74 79 80 78 24 79 82 84 81 84 76 75 74 80 80 79 25 79 82 81 81 84 76 75 74 80 81 79 26 79 82 81 81 84 77 76 75 80 81 79 27 70 82 81 82 84 77 76 75 80 8J 79 28 79 83 82 82 84 78 76 76 8l) 84 80 29 80 83 82 82 85 78 77 76 81 82 80 30 80 83 82 82 85 78 78 76 84 82 80 31 80 83 82 83 85 79 78 77 81 82 81 32 80 m 82 83 85 79 78 77 84 82 81 33 80 83 82 83 85 79 79 77 84 82 81 34 80 84 83 83 85 80 79 77 81 82 81 35 81 84 83 84 85 80 79 78 82 82 81 36 81 84 83 84 86 80 79 78 82 83 82 37 81 84 83 84 86 80 80 78 82 83 82 38 81 84 83 84 86 81 80 78 82 83 82 39 81 84 83 84 86 81 80 79 82 83 82 40 81 84 83 84 86 81 81 79 82 83 82 364 MORTAIITÉ. VI«. Durée relative de la vie après la 80« année. ^tmam ^i^ai ^^^_ ^^^_ ^^^_ n^Ma^M NOMBRE D'HOMMES. A. B. C. D. E. F. H. I. K. > !Z Pl > a 0 M > k! B H a V 50 s g n > M 0 a M (1 0 2 0 M W S > W Si a w ■ U P) a 0 PI ; 80 29 18 17 21 12 34 46 24 20 24 81 35 21 20 22 i3 38 52 29 25 27 3 82 43 24 28 27 16 43 60 35 29 33 6 83 52 28 34 3i 19 5o 69 43 36 40 7 84 66 34 4' 35 23 58 79 5o ¥ 46 85 90 41 5o 41 29 71 94 5o 57 II 86 m 5o 58 47 36 83 116 54 68 87 142 6, 71 55 48 loo i38 67 85 17 88 176 77 99 66 63 125 168 82 106 21 28 89 2l3 100 m 76 87 166 216 io4 i34 90 261 134 142 9° 127 200 3o3 i3i 173 39 54 80 91 323 186 200 III 200 25o 378 175 227 92 4o5 264 aSo 142 35o 333 5o6 237 Sic 93 5i6 374 200 700 5oo 299 431 121 94 667 490 25o 354 440 95 877 666 333 442 579 i39 96 1175 952 5oo 546 793 214 97 1612 i3i5 1000 660 ii45 352 98 2262 i85i 85 1 1621 476 99 3257 263 1 1296 2394 773 100 483o 4000 1428 3419 1025 lOI 7407 5263 1703 4791 1372 102 11,904 625o 2459 6871 2o8u io3 19,607 7692 2951 10,016 3i4S 104 34,482 io,ooo 5533 16,671 6655 io5 62,500 14,285 8853 28,546 11,875 106 125,000 25,000 22,l34 57,376 28,83o 107 25o,ooo 5o,ooo 44,269 114,756 57,380 108 I09I 5oo,ooo 100,000 000,000 185,244 1,000,000 1,000,000 700,000 MORTALITE. S65 D'après les faits réunis dans ces listes , nous avons main- tenant à considérer et la mortalité ( § 628 ) et la durée de la vie ( § 629 ) aux différens âges de la vie. I. Mortalité dans l'espèce humaine. A. Mortalité absolue. § 628. I, La mortalité absolue est la somme des décès à un âge donné de la vie parmi les hommes qui sont venus au monde dans une même année. Les neuf premières colonnes de la première table indiquent, d'après les listes énumérées précédemment , combien , parmi les morts, il se trouve d'individus appartenant à chaque âge de la vie , quand la somme de ces morts , pendant une année , s'élève à mille. Quoique cette somme soit trop faible pour qu'on puisse assigner d'une manière précise les proportions qui s'y rapportent eu égard à chaque année de la vie, nous la choisis- sons cependant, d'un côté, parce qu'elle sert de base à quelques unes des listes dont nous avons profité, et de l'autre, afin de rendre l'aperçu plus facile par la petitesse des nombres. La dixième colonne contient la somme des neuf premières , et efface en quelque sorte les anomalies de temps et de lieu que celles-ci renferment. La onzième donne les proportions pour un million de décès , et elle est calculée d'après la somme des neuf premières; mais de telle sorte que, quand celle-ci s'éloignait de la progression, on a cherché à s'en rapprocher jusqu'à un certain point , cas dans lequel les nombres sont inscrits entre deux parenthèses. A partir de la quatre-vingt- seizième année , les indications de Duvillard ont été admises, 1* Le premier résultat est que le maximum de la mortalité absolue tombe dans la première année, et le minimum dans l'âge le plus avancé possible. Pour un centenaire , il y a en- viron deux mille enfans qui sont encore dans leur première année. S'il meurt peu de vieillards, il faut naturellement l'at- tribuer à ce que peu d^hommes arrivent à cet âge. La morta- lité plus considérable parmi les enfans au dessous d'un an dépend en partie de la même cause, c'est-à-dire de ce qu'il y en a plus que d'hommes d'un autre âge quelconque , puis- qu'ils font à peu près le vingt-cinquième de la population : 566 MORTALITÉ. cependant leur mortalité surpasse de beaucoup leur nombre, et nous devons reconnaître que les premiers temps qui sui- vent la naissance sont ceux où il y a le moins de chances de vie , ce qui ressort clairement des proportions de la mor- talité relative. 2° La vie se partage en trois périodes, eu égard à la morta- lité absolue. La première s'étend depuis la naissance jusque vers répoque de la puberié, et la mortalité y descend de son maximum à son premier minimum. Dans la seconde, qui s'étend de l'invasion de la puberté au commencement du grand âge , la mortalité croît jusqu'à son second maximum , qui n'égale point le premier. Dins la troisième enfin , qui comprend le grand âges, elle redescend à son second mini- mum, ou à son minimum proprement dit. Les limites , ou le commencement et la fin, de la seconde période, correspondent en France aux âges de onze et soixante-neuf ans , dans les Pays-Bas à ceux de onze et soixante-et-douze , dans le pays de Vaud à ceux de quatorze et cinquante-neuf, à Paris à ceux de quatorze et soixante -et- douze, à Londres à ceux de quinze et cinquante-sept (d'après F.), ou de quinze et quarante- quatre (d'après H.), àBreslau à ceux de dix-sept et cinquante- trois (d'après L), dans les temps modernes, à ceux de qua- torze et cinquante-sept. La colonne des sommes et la colonne collective les placent aux âges de seize et de soixante-neuf ans. D'après cette dernière colonne , sur un million d'hommes , il en meurt quatre cent cinquante-neuf mille deux cent soixante-et-onze pendant les seize premières années , quatre cent cinq mille quatre cent onze pendant les cinquante-trois années suivantes, ou durant la seconde période, et cent trente- cinq mille trois cent dix-huit pendant les quarante dernières années jusqu'au terme desquelles la vie peut s'étendre. 3° La diminution de la mortalité (pendant la première et la troisième périodes) marche plus rapidement que son ac- croissement ( pendant la seconde période) ; c'est durant les premières années de la vie que la progression du décroisse- ment est la plus forte. 4° La progression n'est parfaitement régulière dans aucune liste : partout la mortalité est plus forte ou plus faible , en MORTALITÉ. 36^ certaines années de la vie, qu'elle ne devrait l'être d'après la proportion de la mortalité dans les années précédentes ou sui- vantes. En ce qui concerne les années remarquables par une mortalité ou plus forte ou plus faible, les diverses listes ne s'accordent point les unes avec les autres , de sorte que nous ne pouvons pas non plus trouver de loi générale pour la nu- tation de la mortalité : cette nutation semble , au contraire , dépendre d'influences de lieu et de temps, car elle est en raison inverse de la force de la population , par conséquent plus considérable à Breslau qu'à Londres et à Paris, dans les Pays-Bas qu'en France , et dans le Pays de Vaud que dans les Pays-Bas. Déjà aussi elle ne se fait remarquer que d'une manière peu sensible dans la colonne^des sommes. B. Mortalité relative. II. La proportion de la mortalité varie suivant les pays. D'un nombre égal d'hommes du même âge, il en meurtplusou moins, dans un temps donné, en proportion de l'âge auquel ils sont parvenus. C'est ce que nous appelons la mortalité relative. Les tables qui la concernent indiquent le nombre des hommes parmi lesquels il en meurt un pendant une année ( seconde table), cinq années (troisième table) , ou dix années (quatrième table). La dernière colonne fait connaître la proportion qui représente le terme moyen des précédentes. 5" La mortalité relative est naturellement plus considéra- ble qu'en tout autre temps à Tâge le plus avancé que l'homme puisse atteindre. Ainsi , par exemple , d'après notre table , parmi un million d'hommes, il y en a un qui arrive à cent dix ans , et un aussi qui meurt pendant cette année. Mais si la mortalité est considérable , parmi les vieillards , dans les années qui précèdent immédiatement, nous la trouvons énorme aussi pendant les premières années de la vie , puisque , par exemple, de quatre nouveau-nés il en meurt un dans la pre- mière année, tandis que, chez les vieillards, cette proportion n'arrive que vers l'âge de quatre-vingt-dix ans. 6^ La vie se partage donc en deux périodes, sous le point de vue de la mortalité relative. La première , dans laquelle la mortalité est d'abord au maximum et baisse ensuite , s'é- 368 MORTALITÉ. tend de la naissance à la onzième et jusqu'à la seizième an- née, puisque le maximum de la mortalité tombe sur la onzième année en France et dans la Marche , la douzième dans les Pays-Bas et à Paris , la treizième dans le pays de Vaud , la quatorzième ou quinzième à Londres, la quatorzième ou sei- zième àBreslau, ce qui la fait correspondre, terme moyen, à la quatorzième année. La seconde période embrasse le reste de la vie, avec une mortalité qui croît sans interruption. 7" Mais, eu égard à la rapidité de la progression , nous re- marquons que cette seconde période se subdivise elle-même en deux portions inégales. Pendant la première , c'est-à-dire de la quinzième à la dix-septième année, la mortalité s'accroît avec rapidité, de manière que la somme des hommes parmi lesquels il en meurt un, diminue au moins d'un nombre entier à chaque année; à partir de la soixante-dix-septième année, au contraire, la mortalité augmente plus lentement , c'est-à-dire que la somme des hommes parmi lesquels il en meurt un ne diminue que d'une fraction par année. Dans les cinquante - six années comprises entre la quinzième et la soixante-et- dixième, cette somme baisse de 147,51 à 13,65, ce qui donne par année 2,39, tandis que, dans les quarante ans compris de soixante-et-onze à cent dix , elle ne descend que de 13,65 à 1,00 , c'est-à-dire d'environ 0,31 par année. Mais la pro- portion de la mortalité change bien plus rapidement encore pendant la première portion de cette période ; ici , en effet, la mortalité diminue d'une manière si rapide , que la somme des hommes parmi lesquels il en meurt un monte , en qua- torze années, de 3,97 à 147,51, et par conséquent augmente d'à peu près 10,25 par année. De là découle le résultat sim- ple que les années qui précèdent la puberté sont celles pen- dant lesquelles la vie marche avec le plus de rapidité , change le plus brusquement ses proportions , et est le plus sujette à varier , qu'elle se constitue dans une sorte d'état moyen pen- dant la persistance de la faculté procréatrice et au commen- cement de la vieillesse ; qu'enfin , dans la vieillesse , elle change plus lentement, demeure plus semblable à elle-même, et devient plus stable. Mais la diminution delà mortalité ne marche pas si rapide- MORTALITÉ. 369 ment dans les six premières années de la première période que dans les huit suivantes , pendant lesquelles la vie a pris plus|de force et s'est consolidée : terme moyen, la somme des hommes parmi lesquels il en meurt un annuellement, augmente d'environ 40 , 45 depuis la seconde année jusqu'à la sixième , ce qui fait à peu près 8, 81 par an, tandis que, depuis la septième jusqu'à la quatorzième, elle croît d'environ 103,09, ou d'à peu près 12,88 par année. Le décroissement le plus rapide de la mortalité a eu lieu en France pendant la septième année, dans les Pays-Bas , à Londres (H) et à Breslau (I) pen- dant la huitième, dans le pays de Vaud, dans la Marche et à Londres (G) pendant la dixième , à Paris et à Breslau (K) pendant la douzième , à Londres (F) pendant la quartorzième, ce qui la reporte , terme moyen , à la dixième année. Les neuf premières années de la seconde période (depuis la quinzième jusqu'à la vingt-troisième) précèdent la pleine et entière maturité , et se signalent par Taccroissement le plus rapide de la mortalité , puisque la somme des hommes parmi lesquels il en pieurt un annuellement diminue d'environ 64,58, ou d'à peu près 7,17 chaque année, tandis que, dans les qua- rante-six années qui suivent (jusqu'à la soixante-dixième), elle ne diminue que de 69,28, et par conséquent de 1,50 par année. 8° Si , après avoir appris à connaître quelle est la marche de la mortalité en général , nous recherchons quelles sont les oscillations que cette marche renferme en elle-même , nous trouvons d'abord un résultat fort inattendu , savoir que les maladies dites climatériques n'exercent pas d'influence sen- sible, c'est-à-dire qu'aux diverses époques marquées par la transition d'un âge à l'autre, la mortalité n'est pas plus grande que pendant la durée des âges eux-mêmes. A la vérité, la mortalité est très-considérable durant la première année de la vie ; mais c'est au commencement de cette année qu'elle l'est le plus, et elle diminue ensuite de mois en mois (§ 523 1") de manière , par conséquent, que la dentition n'y peut point avoir part , puisqu'à l'époque où ce travail s'accomplit , la mortalité est moins grande qu'auparavant. La seconde denti- tion n'a pas plus d'influence que la première ; car la mortalité j-jO MORTALITÉ. diminue beaucoup pendant la septième et la huitième années. Ters l'époque de la puberté, à partir de la quinzième année, la mortalité augmente, il est vrai, mais la proportion demeure cependant bien plus favorable encore qu'elle ne l'est à l'âge de vingt ans et à celui de trente. A l'époque où la faculté procréatrice s'éteint, la mortalité ne croit pas plus rapidement qu'elle ne faisait dans les années précédentes , et elle n'est également pas plus considérable que dans celles qui suivent. Ainsi ce que Benoiston de Châteauneuf a démontré par rap- port à la cessation de la menstruation , s'applique également à toutes les époques de transition. Si ces développemens, soit lorsqu'ils ont lieu avec trop de rapidité ou avec trop de len- teur , soit lorsqu'ils sont troublés d'une manière quelconque , donnent fréquemment lieu à des incommodités et à des mala- dies chez tels ou tels individus , ils n'en sont pas moins dé- pourvus d'influence sur la mortalité en général, que ce phéno- mène tienne à ce que les effets des anomalies qu'ils présentent se manifestent plus lard^ se disséminent sur un certain nom- bres des années subséquentes , et deviennent par-là insensi- bles , ou qu'il dépende de ce que chaque âge a ses maladies qui lui appartiennent en propre , et se trouve ainsi préservé de celles d'un autre âge de la vie. 7" Les anciens admettaient des années climatériques , (anwi climacterici j gradarii ^ critici , decretorii , fatales)^ pendant lesquelles ils prétendaient que la vie court plus de risques qu'à toute autre époque, à cause des changemens considérables qui surviennent alors dans sa direction. On don- nait surtout celte épiihète à toutes les années de sept en sept, ou même à toutes celles dans lesquelles se trouve contenu le nombre sept multiplié par un nombre impair ; ainsi la soixante - troisième année était appelée climatérique par excellence, parce qu'elle offre le produit de la multiplication du nombre sept par le plus grand des nombres impairs, neuf : venait ensuite la quarante-neuvième , qui est le produit de la multiplication du nombre sept par lui-même. Plus tard, on admit aussi des périodes de trois ans, et d'autres de neuf années dans la vie. Ces hypothèses reposaient en partie sur une philosophie des nombres à laquelle Pythagore surtout MORTALITÉ- S'JÏ avait donné un grand développement , après l'avoir emprun- tée , dit-on , aux Chaldéens , en partie aussi sur les observa- tions des médecins. Mais l'application de la philosophie des nombres aux phénomènes naturels est un travail dont le ré- sultat ne dépend que de l'empirisme, le jugement qu'un mé- decin porte sur les observations qu'il est à portée de faire dans sa sphère d action repose sur des faits trop peu nom- breux, et les opinions généralement reçues par rapport à la mortalité ne sont guère plus qu'une estimation à vol d'oiseau. Des tables de mortalité construites d'une manière convenable peuvent seules fournir les matériaux empiriques propres à résoudre le problème des années climatériques. Consultons donc notre seconde table , qui est la plus étendue que nous possédions pour le présent. Nous allons comparer la propor- tion de chaque année de la vie , dans la colonne collective , avec celle de l'année précédente , et indiquer la différence par des nombres ; nous désignerons par le signe -f l'accrois- sement de la salubrité , ou de la somme des hommes parmi lesquels, il en meurt un annuellement, et par le signe — l'ac- croissement de la mortalité, ou la diminution de cette même spmme 5 mais nous disposerons les années de la vie en deux séries , comprenant l'une les nombres pairs, l'autre les nom- bres impairs , et nous totaliserons ensuite les différences d'a- près les époques indiquées précédemment (6°). Seconde année, Quatrième. Sixième. Huitième. Dixième. Doiuiènie. Quatorzième. + 5.60 + 7,60 + 40,44 + 13,60 4-i9.y5 + 22, .31 + 45,93 Total. + 95,43 il. A. Seizième. -f- 0,38 Dix-hûilème. Vingtième. Vingl-deuxième. •7,85 8,00 0,64 Total. — 16,11 Troisième année Cinquième. Septième. Neuvième. Onzième. Treizième. Quinzième, + 6,79 4- 10,02 + d0,16 4- 42,09 + 14,29 — 5,27 — 2,37 Total. + 45,71 Dix-seplièiue. Dix-neuvième. Vingt-unième. Vinst-lïoisième. Total. .- 12,15 — 14,61 — 10,35 — 8,95 — 46,06 372 MORTALITE. B. Vingt-quatrième: Vingt-sixième. Vingt-huitième, -j-^i^^ Trentième. -{- 1,58 Trente-deuxième. Trente-quatrième.-}- 2,53 Trente-sixième. Trente-huitième. 4-1,80 Quarantième. Quarante-deuxième. Quarante-quatr^. -j- 0,42 Quarante-sixième. Quarante-huitième. Cinquantième. -j- 0,21 Cinquante-deuxième. Cinquante-quatrième, Cinquante-sixième. Cinquante-huitième. Soixantième. Soixante-deuxième. Soixante-quatrième. Soixante-sixième. Soixante-huitième. Soixante-dixième. •0,61 ■J,83 — 0,99 — 0,68 — 1,32 — 1,50 — 2,74 — 2,27 — 1,05 — 1,78 — 1.36 — 0,04 — 1,00 — 0,23 — 0,26 — 1,47 — 0,91 — 0,61 '. Soixante-douzième. — 1,04 Soixante-quatorz".-^ 0,17 Soixante-seizième. —0,66 Soixante dix-huitième. —0,77 Quatre-vingtième. —1,03 Quatre-vingt-deux«-f0,03 Quatre-vingt-quatrième. — 0,08 Quatre-vingt sixième. — 0,06 Quatre-vingt huitième. —0,25 Quatre-vingt-dix^ -f-0,17 Quatre-vingt-douzième. — 0,45 Quatre vingt-quatorz^ — 0,17 Quatre-vingt-seizième. — 0,52 Quatre-vingt-dix-h«-|-0,S8 Centième. 0,96 Cent-deuxième. — 0,65 Cent-quatrième. —0.75 Cent-sixième. — 0,36 Cent-huilième. — 0,50 Total. — 7,30 Total général, -f 95,43 — 37,06 Vingt-cinquième. — 3,06 Vingt-septième. — 2,68 Vingt-neuvième. — 3,68 Trente-unième. — 3,70 Trente-troisième. — 1,95 Trente-cinquième. — 7,49 Trente-septième. — 4, .50 Trente-neuvième. — 3,63 Quarante-unième. -}- 0,55 Quarante-troisième. — 2,49 Quarante-cinquième. — 1,43 Quarante-septième. — 3,31 Quarante-neuvième. — 1,37 Cinquante-unième. — 3,01 Cinquante-troisième. — 1,15 Cinquante-cinquième. — 1,35 Cinquante-septième. — 2,79 Cinquante-neuvième, — 2,41 Soixante-unième. — 1,22 Soixante- troisième. — 1,07 Soixante-cinquième. — 1,48 Soixante-septième. — 1,54 Soixante neuvième. — 1,17 Soixante-onzième. — 0,43 Total. —13,65 1 Total. — 56,06 Soixante-treizième. — 0,99 Soixante-quinzième. — 0,94 Soixante-dix-septième. — 0,57 Soixante-dix-neuvième, ; — 0,d8 Quatre-vingt-unième. — 0,49 Quatre-vingt-troisième. — 0,67 Quatre vingt-cinquième. — 0,39 Qijatre-vingt-septième. — 0,71 Quatre-vingt-neuv«,. -j-0,19 Quatre-vingt-onzième. — 0,66 Quatre-vingt-treizième. — 0,48 Quatre-vingt-quinze.-]- 0,61 Quatre-ving-dix-septième- — 0,28 Quatre-vingt-dix-neuvième. — 0,06 Cent-unième. -{-1,78 Cent-troisième. — 0,18 Cent-cinquième. — 0,24 Cent-septième. — 0,16 Cent-neuvième. — 0,50 Total. — 4,92 Total général, -f- 45,71 — 107,04 58,37 I — 61,33 On ne trouve là aucune trace d'une année climatérique ; mais on y remarque bien positivement une plus grande salu- brité pendant les années paires , et une plus grande morta- lité pendant les années impaires ; de manière que la vie nous MORTALITÉ. 375 présente des oscillations dans les années , comme dans les jours (§ 621 1°). Le maximum de cette différence a lieu au commencement de la période où la mortalité commence à croître , c'est-à-dire de la seizième à la vingt-troisième année ; elle est moindre dans la période oii la mortalité décroît , c'est-à-dire de la seconde à la quinzième année ; elle arrive au maximum de la vingt-quatrième à la soixante- onzième ; mais, à partir de la soixante-douzième année , le rapport se renverse , et les années paires deviennent les plus dangereuses pour la vie. ( Le plus difficile et en même temps le plus important des problèmes qui se rattachent à la mortalité humaine, consiste à déterminer combien, sur un nombre donné de nouveau nés, il y en aura qui atteindront aux années subséquentes de la vie. On sait qu'il a été fait de grands efforts pour le résoudre, que nous possédons beaucoup de tables à cet égard, et qu'el- les diffèrent prodigieusement les unes des autres. Celte der- nière circonstance mène à se demander si ce sont bien réel- lement des lois de la nature qui régissent la mortalité de notre espèce. Sussmilch fut assez hardi pour répondre affir- mativement , et il faisait même consister son principal mérite dans cette hardiesse ; mais les preuves qu'il allègue sont assez peu satisfaisantes lorsqu'on les examine de près. Depuis lui, il n'est venu à l'idée de personne de mettre en doute la légitimité nécessaire de la mort , eu égard à la quantité , et cependant quelles raisons peut-on faire valoir à son appui ? Serait-ce que la proportion entre la vie et la mort ne présente pas de très- grandes différences dans des pays et des lieux divers ? Mais peut-on imaginer des différences plus considérables que celles qui régnent à l'égard, par exemple, de la durée probable de la vie, qui serait de quarante et quelques années dans cer- tains cantons de la Suisse, et de cinq à sept ans seulement en Bohême, en Russie et dans la Prusse orientale ? Quand bien même cette proportion présenterait des anomalies moins frap- pantes que celles qu'elle offre en réalité, un exemple peu éloi- gné de nous témoigne combien on doit être sobre du titre de loi naturelle. On sait qu'il naît partout plus de garçons que de filles : Laplace avait même calculé qu'on pourrait parier 374 MORTALITÉ. une somme composée de soixante-dix chiffres contre un, que cet état de choses se maintiendra. Et cependant la prédomi- nance des naissances masculines n'est rien moins qu'une loi naturelle, comme on peut s'en convaincre par les recherches de Hofacker et de Sailer. Elle tient à des circonstances qui dépendent bien, en dernière analyse, de la nature de l'homme, mais néanmoins n'en découlent point d'une manière directe ; elle ne mérite donc pas le nom de loi naturelle. En se plaçant sous le point de vue physiologique, il est nécessaire de main- tenir rigoureusement la distinction entre les lois immédiates ou directes et les lois médiates ou indirectes, si l'on veut ne point s'écarter de la véritable signification des phénomènes. Car, comme la prédominance des naissances masculines coïncide toujours avec une plus grande mortalité du sexe masculin après la naissance, la loi proprement dite, la véritable inten- tion de la nature, paraît être bien plutôt le maintien de l'éga- lité numérique entre les deux sexes. Mais s'il est difficile^ quand on s'occupe de phénomènes dont les causes ne peuvent point être complètement énumérées, d'établir s'ils obéissent réellement à des lois déterminées et nécessaires, il y a cepen- dant, pour y parvenir, un moyen très-convenable , qui con- siste à rechercher si ces phénomènes sont soumis à des lois mathématiques simples. Il paraît se confirmer de toutes parts que les véritables lois de la nature, en tant qu'elles n'entrent point en collision avec d'autres, reposent sur des rapports nu- mériques du genre de ceux qu'on appelle simples en mathé- matiques. Nous allons donc chercher par quelle loi mathéma- est déterminé le nombre de ceux qui , sur un nombre donné de nouveau-nés, parviennent à une certaine année, en faisant d'ailleurs observer que la solution de ce problème ne peut avoir d'intérêt ici qu'autant qu'elle conduit à un résultat très- simple. Or on ne saurait attribuer ce mérite aux deux solu- tions que Lambert et Thomas Young ont données ; loin de là même, la formule de Young est vraisemblablement la plus complexe qu'ait à offrir Tapplication des mathématiques aux phénomènes de la nature. La formule de Lambert est plus simple : ce mathématicien détermine le nombre des vivans par des fonctions logarithmiques, auxquelles il ajoute un segr MORTALITÉ. S^Ô ment de la forme parabolique. Cependant on ne saurait hésiter à dire que cette formule aussi appartient plutôt à la classe de celles qu'on appelle formules empiriques dinterpo- lalion , et au moyen desquelles on intercale des valeurs nu- mériques là où les observations n'en fournissent aucune , ou bien on corrige celles des erreurs de ces dernières qui sau- tent aux yeux. Une telle formule se trouve donc à sa place quand le nombre des morts est indiqué, non pas pour chaque âge de la vie, mais de cinq en cinq ans, comme il arrive assez fréquemment. On peut s'en servir aussi pour parer à un in- convénient fort ordinaire , celui de l'indication de l'âge des morts en nombres ronds , ce qui fait que beaucoup de tables présentent, aux âges de quarante, cinquante ans, etc. , un nom- ïsre de morts hors de toutes proportions. Mais ces applications elles-mêmes deviennent très-difficiles avec la formule de Lam- bert, parce qu'on n'en peut déterminer les termes constans qu'avec peine. Il semble que la grande mortalité qui règne parmi les enfans pendant la première année ait fait admettre à Lambert qu'une loi mathématique serait basée en partie sur des expressions logarithmiques ; mais il n'en est point ainsi, et, bien loin de là, ces valeurs ne satisfont au problème que d'une manière compliquée et dont par conséquent on ne peut faire usage pour notre but. Après beaucoup de lâtonnemens, je suis parvenu à trouver la loi simple qui préside à la mortalité hu- maine, et qui est celle-ci : Le nombre de ceux qui sont morts h un certain âge est proportionnel à la racine quatrième de cet âge. Ainsi, X étant l'âge , exprimé en années, comme de cou- tume, la somme des morts jusque-là est a i/X, on a est une valeur qu'il faut déduire des observations, et indique la mor- talité des enfans pendant la première année delà vie. Admet- tons, par exemple, 4000 enfans nés, et supposons qu'à la fia de la première année il en reste 750, en sorte qu'il en est mort 250 , a — 250 : l'expression 250 j/X donne alors le nombre des morts pour les années suivantes, de sorte que le nombre de ceux d'entre 1000 nouveau-nés qui parviennent à l'âge de X ans est de 1000 -- 250 i/X. 3^6 MORTALITÉ. Avant de comparer cette loi avec nos tables de mortalité , il est nécessaire de faire une observation sur ces dernières. Comme elles embrassent une {^^rande période de quatre-vingt- dix ans et plus, pendant le cours de laquelle la population n'est point demeurée stationnaire , les conclusions qu'on en tire sont nécessairement inexactes. Comme, en outre , la po- pulation a en grande partie augmenté dans le cours d'une telle période, ces tables évaluent trop haut le nombre total des morts. Elles le donnent, à la vérité , tel que l'observation l'a fait trouver, mais elles ajoutent une assertion par suite de la- quelle s'élève une circonstance semblable à celles dont il vient d'être parlé tout à l'heure. En effet, tous les cas de mort sont additionnés dans ces tables , après quoi l'on prétend que la somme représente en même temps le nombre des nés. Si l'on renonçait à cette assertion, une table de mortalité d'après les principes de Halley serait impossible ; mais , si on la met en avant, on accroît d'une manière inexacte et arbitraire le nom- bre des cas de mort par rapport aux individus nés. Supposons que la somme des morts soit de 4000, et qu'il s'y trouve com- pris 250 enfans morts dans la première année : comme ceux qui sont morts dans un âge plus avancé appartenaient à une population moins compacte , il y en a proportionnellement trop peu, et leur nombre , si l'on voulait arriver à des résul- tats exacts, devrait être accru d'une quantité quelconque. A la vérité, on ne connaît pas cette quantité ; mais rien n'empê- che d'admettre que les nombres ont été accrus convenable- ment, et dès-lors, qu'on vienne à additionner, on trouvera un total, non plus de 1000, mais peut être de 1250. Le nombre 250 , qui indique les cas de mort de la première année , n'a point changé pour cela. Ainsi c'est de i250 nés qu'il meurt , dans la première année, 250, c'est-à-dire un cinquième, tan- dis que, d'après la manière ordinaire de compter, ce nombre de morts aurait porté sur 1000 seulement, ce qui aurait donné une mortalité d'un quart. Il est clair, d'après cela, qu'en fai- sant usage, non seulement du registre des morîs, mais encore de celui des naissances, on ne trouverait pas le moindre ac- cord entre eux, quant à la mortalité des enfans : c'est ce qui arrive en effet , et ce qu'il y a de plus surprenant , c'est que M0RTÀ1ITÉ, 377 personne n'ait signalé ce défaut d'harmonie , que beaucoup d'auteurs ont dû cependant remarquer. Stelrig, par exemple, n'en dit rien dans ses calculs des proportions de la mortalité en Bohème ; d'après sa table de mortalité, sur 1000 enfans , 350 meurent dans la première année, et pourtant ses indica- tions, relativement au nombre des naissances , prouvent qu'il n'en périt; réellement que 261, dans la Bohème , ce qui fait une différence assez notable. De même, dans la Prusse orien- tale , d'après la table de mortalité que j'ai calculée , il meurt 284 enfans sur 1000 , et cependant on parvient à démontrer par le même procédé que ce nombre ne dépasse pas 226. Si, de plus , on fait entrer en ligne de compte les grandes oscil- lations dans l'énumératioQ des individus nés pendant plusieurs années, et la probabilité des erreurs d'observation , on voit sans peine qu'il est un peu imprudent de mettre une loi à l'é- preuve sur de telles observations. Cependant voici la compa- 4 raison des morts d'après la formule 250 |/X avec les indica- tions des tables de mortalité. Annces. 1 2 3 4 5 40 15 20 25 30 35 40 SO Quet elet. formule. Sussrailch. Lambert. France. Dcparcieux. 1. II. 250 250 261 232 255 257 242 298 339 322 328 291 337 308 329 382 356 375 318 381 346 354 407 379 401 338 409 367 374 421 396 417 353 426 383 445 468 446 449 400 462 427 492 489 470 471 422 476 450 529 510 488 498 444 496 476 559 535 514 528 471 534 512 585 561 555 562 500 566 543 608 591 586 596 526 597 567 629 626 634 631 551 626 587 665 700 711 703 604 688 641 La colonne I est composée de personnes du sexe masculin dans 1 les villes ;, ^et la colonne II de personnes du même sexe dans les campagnes. On conçoit qu'avec de telles différences entre les observations elles-mêmes, il y a peu de fonds à faire sur l'exactitude d'une formule qui doit les représenter. Mais nous la mettrons à une épreuve un peu plus délicate, etd'abord 078 MORTALITÉ. à l'aide de la durée probable de la vie /qui fournit un très- bon moyen pour cela. Cette quantité a une valeur très-varia- ble dans des pays différons, et varie beaucoup plus que la durée moyenne de la vie, parce que , dans la courbe par la- quelle on représente ordinairement les vivans aux divers âges , la première indique seulement l'abscisse d'une seule ordonnée, tandis que la seconde donne le contenu de la courbe entière. On voit donc aisément qu'une formule qui s'écarte de la nature engendrera de grandes erreurs dès qu'on s'en servira pour calculer la vie probable. Maintenant , En Bohème : ( Mortalité des enfans, 350 ) vie probable zz 5 ans, et d'après la formule, 4,2. A Londres : ( Mortalité des enfans, 290 ) vie probable z: 8 ans , et d'après la formule, 8,8. Dans la Prusse orientale : (Mortalité des enfans, 284) vie probable =z 7 ans, et d'après la formule, 9,6, D'après Sussmilch : (Mortalité des enfans, 250) vie probables: 18 ans, et d'après la formule, 16. ; En Belgique : (Mortalité des enfans, 225) vie probable zz 25 ans, etd'après la formule, 24,4. D'après Burdach : (Mortalité des enfans, 222) vie probable zz24ans, etd'après la formule, 24,8. Malgré les grandes oscillations de la vie probable depuis cinq ans jusqu'à vingt-cinq, notre simple formule embrasse donc complètement les observations, bien qu'elle ne contienne, mathématiquement parlant, qu'une seule constante. La mortalité pendant l'enfance fournit un second moyen , et très-délicat , d'éprouver la loi mise en avant. Si l'on par- vient à montrer, comme c'est le cas , que cette loi est valable pour les premiers mois, même pour les premiers jours qui suivent la naissance, nul doute ne peut plus rester sur son exactitude. Dans un tel examen , il se rencontre une dr- MORTALITÉ. 579 constance favorable, c'est que, bien que les inévitables er- reurs d'observation soient une source d'inexactitude , il n'y a du moins pas d'autres inexactitudes qu'on puisse craindre ; car celle qui dépend de l'état non stationnaire de la popula- tion ne joue ici aucun rôle. Mais ce qui oblige de dire que l'examen est délicat , c'est que la formule est faite pour les années , et qu'on l'applique ici à des fractions d'années. Je profiterai dans ce qui va suivre des observations de Quetelet sur la Belgique etde celles de Mjllet sur la ville deGenève (1). Il sera nécessaire de faire entrer les morts-nés en ligne de compte; car, d'après l'idée qu'on y attache, ces morts- nés appartiennent à la catégorie des enfans qui périssent le jour de leur naissance. Nous les regarderons donc comme étant nés et morts sur-le-champ. Leur nombre n'est non plus que peu inférieur à celui des cas de mortalité au premier jour après la naissance ; car si l'on admet que la mortalité des en- fans pendant la première année est d'un quart de ceux qui naissent , la formule 1/4 j/X donne, pour la mortalité du premier jour (en mettant 1/365 pour X), 4; 18, c'est-à- dire que le dix-huiiième de tous ceux qui naissent meurt du- rant les premières vingt-quatre heures. Fait-on , au contraire, la mortalité des enfans d'un cinquième , le dernier nombre n'est plus que de 1/22. Les valeurs d/18 et 1/22 donnent en même temps , à très-peu près , le rapport des morts-nés en général. Maintenant , le nombre des cas de mort pendant les premiers 2 mois : celui des cas de mort pen- dant le premier mois :: 1,192 en Belgique. 1,145 à Genève. 1,390 d'ap es la formule. 3 mois. 1,328 en Belgique. 1,217 à Genève. 1,316 d'après la formule. 4 mois. 1,442 en Belgique. 1,415 d'après la formule. (1) Annales d'hygiène publique , Paris, 1837, t. XVII, p. 5 etsuiv.] 380 MORTALITÉ. 5 mois. 1,536 en Belgique. 1,496 d'après la formule. 6 mois. 1,613 en Belgique. 1,368 à Genève. 1,565 d'aprèslaformule.^ 12 mois. 2,002 en Belgique. 1,665 àGen^ve. 1,861 d'après la formule. Les valeurs calculées d'après la formule représentent donc exactement les valeurs observées , ou , quand les observations s'écartent les unes des autres, la formule en donne la moyenne. Enfin j'ai encore calculé la mortalité des trois premiers jours comparativement à celle du premier mois et de la pre- mière année. Suivant Odier, il meurt à Genève 654 personnes pendant les trois premiers jours , 1122 pendant le premier mois , et 1885 dans le cours de l'année. Ainsi la mortalité du premier mois est à celle des trois premiersjours comme 1,716, d'après la formule comme 1,778, et la mortalité pendant la première année comme 2,882 , d'après la formule comme 2,806. Les résultats , combinés avec les précédens sur la du- rée probable de la vie , autorisent donc à dire que , pourvu qu'on connaisse la mortalité pendant les trois premiers jours 4 de la vie , la formule a |/X suffit pour mettre en état de cal- culer le nombre des cas de mort jusqu'à la vingt-cinquième année. Les anomalies qu'on rencontre doivent être mises sur le compte de l'incertitude des observations, de l'insuffisance des méthodes usitées jusqu'à ce jour, et elles ne dépassent point les limites de ces sources d'erreur. Cependant , après que les années durant lesquelles la force vitale est le plus florissante se sont écoulées , un second élé- ment s'ajoute à celui qui a été pris jusqu'ici en considération, et amène la fin de la vie plus tôt qu'on ne devrait s'y attendre 4 d'après la formule a |/X. Il serait d'un grand intérêt de pou- voir déterminer ce second élément, parce qu'avec son secours on corrigerait l'assertion que la vie estassujétie, dans ses rap- ports numériques, à une loi aussi fixe que celle qu'assigne le JÎORT ALITÉ. 38 1 premier élément. Quoiqu'une obéissance à des lois s'exprime indubitablement dans les phénomènes de la vie , elle ne sera jamais assez invariable pour exclure un jeu renfermé en de- dans de certaines limites. Ce jeu existe ; car nous voyons, re- lativement à la mortalité, des^différences entre les deux sexes, entre les diverses conditions ; nous le retrouvons probable- ment aussi entre les habitans des diverses régions de la terre. Bien qu'on ne sache jusqu'ici presque rien de certain à cet égard , il paraît néanmoins hors de doute que ces influences extérieures exercent une influence opposée sur les premières et les dernières années de la vie , et qu'elles influent avanta- geusement sur la vie des âges avancés , si elles accroissent la mortalité chez les enfans. Par-là nous est donnée, en général, la forme mathématique du second élément , qui représente l'influence de ces puissances extérieures sur la vie. Mais je ne saurais rien dire ici de- plus précis à ce sujet, et la chose n'est même guère possible jusqu'à présent ; car^ encore à trente , à quarante ans , la valeur du second élément se ré- duit presque à rien, et dans les âges plus avancés, oii elle de- vient plus considérable , les proportions de la mortalité sont trop peu connues pour qu'on puisse fonder sur elles une ex- pression mathématique avec quelque chance de certitude. Ce- pendant si l'on n'a en vue que de représenter d'une manière suffisamment exacte les observations dont il a été question jusqu ici , il suffit d'ajouter à l'élément 1/4 j/X , comme se- cond élément , 1/3 I jtt^) ; la somme des deux donne alors le nombre des morts jusqu'à l'âge le plus reculé , sans que ce nombre soit changé , pour les premières années , par le se- cond élément. Néanmoins, je ne suis pas tenté d'attribuer à ce dernier la même importance qu'à l'autre , comme expres- sion de la loi de la nature. On peut donc , au moyen des deux élémens que j'ai indi- qués , calculer facilement la durée moyenne de la vie pour chaque âge. Cette durée est , dans son essence , une intégrale dont la valeur ne peut , d'après la méthode ordinaire , être trouvée qu'approximativement par quadrature mécanique.Mais 382 MORTALITÉ. les deux élémens qui donnent la mort successive d'un nombre de nouveau-nés peuvent être intégrés, sans qu'il soit nécessaire de recourir à des approximations, et ils font alors trouver, en accord avec les observations recueillies jusqu'à ce jour, que la durée moyenne de la vie du nouveau- né est de trente ans, celle de l'enfant d'un an defrenle-neuf ans , etc.) (1). II. Durée de la vie humaine. § 629. Passons maintenant à la durée de la vie. 1° Considérée sous le point de vue relatif, la durée de la vie est la proportion entre le nombre d'hommes qui atteignent un certain âge ei le nombre de ceux qui naissent pendant la même année. La 5' et la 6« tables en donnent un aperçu d'a- près les tables de mortalité précédemment indiquées. Celles-ci présentent, à la vérité, plusieurs lacunes ; ainsi,Deparcieux(2) n'a rien dit du nombre des vivans pendant les deux premières années , et à la troisième année il commence par mille , ce qui fait que quatorze cent naissances sont admises dans la co- lonne E; la liste de Simpson (G) ne s'étend que jusqu'à la 81« année ; celle de Halley (I) à la 84^ ; celles de Muret et de Price (C et H) à la 92 ; celles de Deparcieux et Hodgson (E et F) à la 93^ ; celle de Sussmilch (D) à la 97% et pour les années subséquentes il ne reste que les proportions de la France , des Pays-Bas et de Breslau. C'est pourquoi la proportion moyenne doit se rapprocher bien moins encore de la vérité que dans les autres tables , et ne peut, à plus forte raison , être considé- rée que comme un à-peu-près. Nous posons le problème de savoir parmi combien d'hom- mes nés dans une même année il s'en trouve un qui atteigne un certain âge. Par conséquent, nous avons deux nombres à trouver, celui de Tannée qu'un homme dépasse , et celui des hommes qui sont nés la même année que celui-là. Nous ap- pellerons le premier, nombre d'années, et le second, nombre d'hommes. Si maintenant nous considérons la progression des proportions pendant le cours de la vie , nous reconnaissons (1) Addition de Moser. (2) Loc. cit. — Comparez Bienaymé, De la durée de la \ie en France depuis le commencement du 19^ siècle (Ann. d'hygiène , 4837 , t. XVIII, T).177.) MORTALITÉ» 383 trois périodes différentes. Pendant la première période le nom- bre d'hommes forme une série non interrompue , mais le nombre des années croît par sauts , et s'élève par exemple , terme moyen , de 21 à 44 , 54 , 59 , 63 , 65 , de telle sorte ce- pendant que ces sauts deviennent toujours de plus en plus petits , attendu que la différence de trois hommes à deux com- porte vingt-trois ans; celle de quatre à trois, dix années ; celle de cinq à quatre , cinq années; celle de six à cinq, qua- tre années ; celle de sept à six , deux années, et celle de huit à sept , une année. Cette période s'étend depuis la naissance jusqu'à lu vieillesse. Puis vient une autre proportion qui ca- ractérise la seconde période, ou qui, celle-ci étant fort courte eu égard aux autres, constitue plutôt une époque qu'une pé- riode, c'est-à-dire que le nombre des années marche parallè- lement à celui des hommes, ou que les deux nombres croissent uniformément. Cette proportion dure deux ans en G (de la 72^ à la 73»), trois ans en H (de la 6S« à la 70') et en C (de la 75' à la 77«), quatre ans en D el en K (de la 73' à la 76'), comme aussi en E (de la: 78' à la 81') , Cinq ans en B (de la 73' à la 77') , six ans en A (de la 70' à la 75'), et en I (de la 71' à la 76') , ce qui donne le terme moyen de quatre années (depuis la 72' jusqu'à la 75'). Partout on rencontre les soixante- et-dix ans , et de telle manière qu'il n'y a que F et H oii le commence- ment soit dans la 60' , et que E où la fin se trouve dans la 80', tandis qu'en A, B, G, D, G, I et K l'époque entière est com- prise dans la 70'. Si nous cherchons à déterminer quelle est l'année qui se présente le plus fréquemment, nous trouvons , dans les dix listes , la 70' trois fois (en A, F, G) , la 71' trois fois (en A, F, I), la 72' quatre fois (en A, F, G, I), la 73' six fois (en A, B, D, G, I, K), la 74' cinq fois (en A, B, D, I, K), la 75' six fois (en A , B , C, D, I, K;), la 76' cinq fois (en B , C, D, I, K), la 77° deux fois (en B , C) , la 78' et la 79' une fois (en E.) Vient ensuite la dernière période , qui comprend le reste de la vie, et où l'on remarque une proportion précisément inverse de celle de la première période , puisque , le nombre des années croissant en série continue , le nombre d'hommes augmente par sauts de plus e» plus grands, ce qui nous oblige 5S4 MORTALITÉ. de donner l'aperçu des quatre-vingts ans dans un ordre inverse de celui qui a été suivi pour les années précédentes de la vie sur la sixième table. On trouve ici que la différence entre le nombre d'hommes qui survivent à une année de la vie et celui des hommes qui ont franchi Tannée précédente présente la proportion moyenne suivante : dans la 81<= année 3 dans la 96" année 214 82« 6 97" 352 SS» 7 98« 476 84« 6 99" 773 85« 11 100" 1,025 86" 11 101" 1,372 ST 17 102" 2,080 88* 21 103" 3,145 89« 28 104" 6,655 90'= 39 105" 11,875 91" 54 106" 28,830 92" 80 107" 57,380 93" ^21 108" 185,244 95" 139 109" 700,000 i. Il y a deux méthodes différentes de calculer la durée de la vie probable. ' Suivant Tune, qu'emploient les compagnies d'assurance sur la vie, on fixe la durée probable de la me d'un homme à l'an- née où il reste encore la moitié d'un certain nombre d'hommes nés dans la même année que lui. Si , par exemple , de mille hommes nés dans la même année, il en reste cinq cents au bout de vingt ans, deux cent cinquante au bout de cinquante-cinq, et cent vingt-cinq au bout de soixante-neuf , on tient pour probable qu'un nouveau-né parviendra à vingt ans, un homme de vingt ans à cinquante-cinq , et un de cinquante-cinq à soixante-neuf. Mais cette probabilité n'est pas tant pour l'in- dividu que pourFétablissement, à l'égard duquel elle ne croît même qu'en raison directe du nombre des individus. Ainsi , par exemple , si la compagnie a deux cents associés de cin- quante-cinq ans , il y a plus de probabilité pour elle que la moitié de ces hommes arriveront à soixante-neuf ans que si MORTALITÉ. 385 elle n'en comptait que vingt, et, si elle n'en avait que deux, la probabilité se trouverait alors aussi faible que possible. La méthode employée dans les tontines pour calculer la durée moyenne de la vie se rapporte bien moins encore aux espérances de l'individu , et n'est relative qu'à celles de la compagnie. Elle consiste à additionner ensemble les années qu'un nombre déterminé d'hommes ont vécu , et à diviser le total par le nombre des individus. Si, par exemple, sur mille hommes, il en meurt deux cent trente- deux pendant la pre- mière année de la vie , on admet que chacun de ceux-ci a vécu, terme moyen, six mois, et l'on compte par conséquent deux cent trente-deux demi-années, ou cent seize années en- tières. Si ensuite il en meurt quatre-vingt-quinze dans la se- conde année , on calcule de même que chacun est parvenu , terme moyen, à dix-huit mois, que par conséquent ils ont vécu ensemble cent quarante-trois ans, ou quatre-vingt-quinze an- nées entières et quatre-vingt-quinze demi-années. On procède ainsi pour les diverses années de la vie, jusqu'à ce que, des mille hommes , il n'en reste plus un seul vivant ; on totalise les sommes des années , et Ton divise par mille. De cette ma- nière , en prenant pour base la table de Duvillard pour la mortalité en France (A dans la première table), on trouve que la durée moyenne de la vie est de vingt-huit ans , et sa durée probable de vingt années (1). La durée moyenne de la vie, chez les Romains, avait déjà été calculée , sous Alexandre Sé- vère, par Ulpien, d'après les dénombremens faits depuis Ser- vius Tullius jusqu'à Justinien, par conséquent pendant une pé- riode de mille ans , et déterminée de la manière suivante : Un nouveau-né vit encore 30 ans. Un homme de 20 ans 28 de 25 22 de 30 20 de 35 18 de 40 48 de 45 13 (4) Bibliolh. univ, tlç Genève , t, XXXVI, p. 134, V. 25 586 MORTALITÉ. de 50 9 de 55 7 de 60 5(1) ARTICLE II. De Vhifluence de V individualité sur la mortalité. I. Influence des conditions primordiales. § 630. D'autres circonstances influent sur la durée de la vie d'un individu : ce sont les conditions primordiales de la vie. Ici se rangent : I. La descendance. 1° Quand on naît de parens d'un âge moyen et bien consti- tués , au milieu de circonstances heureuses , dans une saison favorable, etc., on a plus de motifs pour espérer une longue vie que dans le cas contraire. Suivant Bacon (2), les enfans mâles dont les pères sont âgés et les mères jeunes atteignent un âge avancé. 2° L'intensité de la force vitale, qui est une source de lon- gévité, se propage, c'est-à-dire qu'elle fait partie des qualités héréditaires (§ 303, 2°). La longévité appartient donc à la famille. Rush (3) n'a pas connu d'octogénaire dans la famille duquel il a'y eût des exemples fréquens de longévité , mais aucun non plus, à la vérité, qui n'eût perdu des frères ou des sœurs en bas âge. Sinclair a fait la même observation. Testa a remarqué que certaines maladies, l'apoplexie, par exemple^ arrivent fréquemment au même âge chez les divers membres d'une famille , et que les individus qui franchissent cet âge parcourent d'ordinaire une longue carrière. 3° La race exerce incontestablement une grande in- fluence. Cependant, d'un côté, il n'est pas facile de détermi- ner jusqu'à quel point le climat , la civilisation et autres cir- constances analogues peuvent jouer un rôle à cet égard ; et, [. (1) Mémoires de l'Acad. Roy. de niéd. Paris, 1828, t. I, p. 51. (2) Opéra omnia , p. 604. (3) Sammiung auserîesener Abhandlungen , t. XYIT, p. 110> MORTAIITÉ. 387 d'un autre côté , nous ne possédons , relativement à la durée de la vie chez les différens peuples , que des estimations ap- proximatives, qui souvent même ne reposent que sur des ob- servations isolées. La race caucasique paraît avoir une plus longue durée de vie que les races mongole et malaise (1). On trouve beaucoup d'exemples de longévité en Norwége , en Suède et en Ecosse. La vie est courte dans les contrées fort avancées vers le nord , comme chez les Tongouses et les Sa- moièdes. On assure qu'il y a beaucoup de vieillards très-âgés dans le centre de la Russie , en Pologne et en Hongrie. En Asie, les Hindous, les Arabes, les Perses et les Turcs paraissent être ceux qui poussent le plus loin leur carrière. Les Égyp- tiens, les Maures, les Maroquins deviennent plus vieux que les habitans de la Guinée , du Congo et de la Mozambique , comme aussi que les Hottentots. On dit que les Abipons dé- passent fréquemment cent années sans perdre leurs dents ni leurs cheveux , et qu'ils regardent la mort d'un octogénaire comme prématurée (2). Les Mexicains atteignent souvent aussi un âge fort avancé , et Humboldt (3) parle d'un Péruvien qui vécut jusqu'à cent quarante-trois ans. Les forces et les matériaux de rorgauisme étant retenus par des liens plus solides chez les femmes , leur vie est aussi plus durable. (§ 488). Ce qui prouve que la mortalilé plus grande parmi les hommes ne tient point à la rudesse de leurs travaux et à l'influence nuisible que ceux-ci exerceraient sur la santé, c'est que, d'après Benoiston de Châteauneuf, elle a lieu aussi dans les couvens. Une circonstance qui paraît avoir plus de poids , c'est qu'il est plus commun de rencon- trer chez les hommes que chez les femmes les deux extrêmes de l'apathie et de la passion , de la paresse et de l'abus des forces. Villermé (4) croit avoir remarqué qu'il y a moins de mortalité parmi les hommes que parmi les femmes dans les quartiers de Paris où il règne davantage d'industrie et d'ac- (4) Virey , Hist. nat. du genre humain , t. I, p. 357. (2) Zimmermann , Taschenbuch der Reisen , t. VI, p. 241. (3) Reise in die jEquinoctialgeyeiiden , t. III, p. 86. (4) Mém. de l'Acad. voy. de méd. t, I, p. 51. 388 MORTALITÉ. tivité intellectuelle. Du reste, Bacon prétendait (1) que les fils qui ressemblent à leurs mères atteignent un âge plus avancé que ceux qui ressemblent à leurs pères. Dans certains dénombremens , on trouve un excès de femmes : ainsi , la proportion des hommes aux femmes était de 100 à 103 à Breslau (2) , de 100 à 111 à Hambourg (3) , de 100 à 115 à Paris en 1817, de 100 à 105 , dans le royaume de Wurtemberg en 1821. Quanta ce qui concerne les divers âges de la vie, nous allons donner les résultats ayant trait à la mortalité relative d'après quatre tables de mortalité , sa- voir d'après celle de Wargentin , pour la Suède, qui est con- struite sur un terme moyen de neuf années , et qui ne donne pas les nombres tels qu'ils sont dans chaque période de cinq ans révolus , mais tels qu'ils seraient annuellement si la mortalité était la même dans chaque [ année de chaque période (4) ; d'après celle de Paris pour 1827 (5) ; d'après celle de Breslau pour les années 1813 à 1822; enfin d'après celle de Berlin pour les années 1752 à 1755 (6). (1) Opéra , p. 504. (2) Correspondenz der Schlesischen Gesellschaft , p. 51. (3) Gevson, Magazin , t. XVII, p. 338. (4) AbhanâXungen der Schwedisclien Akademie , t. XXVIII, p. 4 3. (5) Annuaire du Bureau des longitudes , 1829 , p 91. (6) Sussmilcb , Gœttliche Ordnung , t. II , p. XIII. MORTALITE. 389 > SUÈDE. PARIS. BRESLAU. BERLIN. 1 •^ ^ w ^ S^ 0 S^ ? ^ 0 5? tri 3 s 5 B 3 3 g 3 C/3 B 2 B 3 B 3 3 B en S n et) en tu CD 0—5 21 26 2,88 3,60 2,11 2,32 2,14 2,11 5—10 70 76 20,04 20,45 13,43 14,90 19,45 16,71 10—15 149 161 45,63 39,50 57,86 49,00 53,35 41,70 15—20 149 163 18,41 20,98 19,39 22,21 31,07 26,58 20—25 108 139 8,97 12,75 18,57 17,12 12,70 14,22 25—30 97 100 9,40 10,65 17,80 14,39 8,15 10,92 30—35 81 84 11,39 11,48 19,92 12,79 9,11 11,45 35—40 78 90 14,27 11,01 9,94 10,12 6,70 7,02 40—45 56 62 10,63 12,29 8,34 9,41 6,92 9,80 45—50 48 65 9,27 10,23 6,26 8,61 5,96 8,15 50—55 37 49 8,69 8,30 5,78 8,14 4,64 7,06 55—60 31 40 6,20 7,52 4,90 7,02 3,60 5,04 60—65 23 25 4,41 5,63 4,24 4,65 3,96 4,82 65—70 17 18 3,14 4,08 3,11 3,25 3,22 3,34 70—75 11 11 2,28 2,43 2,31 2,45 2,56 2,78 75—80 8 8 1,68 1,94 1,84 1,75 1,88 2,13 80—85 5 5 1,52 1,52 1,54 1,68 1,87 2,23 85—90 3 4 1,25 1,33 1,46 1,49 1,50 1,90 90—95 2 2 1,05 1,25 1,90 1,89 Nous ajoutons le calcul de la durée probable et moyenne de la vie pendant trois périodes de temps , à Genève , que Odier et Serre Malte ont donné ; la première colonne indique par zéro la naissance et par les autres chiffres les années vécues ; les autres colonnes donnent les années sur lesquelles on peut compter, avec leurs fractions en décimales. MORTALITE. m m < m o ça a £»__>«r in^-sr^o o in^ï^ r- 5^ co >«Hoiflc«^«?< .oe^««)'o in in e^ ntf irt înia •fl' <* M co «î (N ff^ «th •<^^ 000>Ï^O'ff^© o W_^irt_£>.^«d<_^■_ "ri_00__C5_ff0 £^"5 p^ OO00.00 W <• «5f «W <* >«P eo eis CQ ff^ ff^ «SI .Ti MORTALITÉ. 3^1 4°. Il a été démontré précédemment qu'à la naissance § 496 , 16° ) et [pendant la première année de la vie , (§ 623, 1°) la mortalité est pins considérable chez le sexe masculin que chez l'autre. D'après les tables précédentes , ce rapport s'observe en Suède , à Paris , à Breslau et à Genève , même pendant les dix premières années de la vie, mais de telle manière néanmoins que l'inégalité est plus considérable durant les cinq premières années , que pendant celles qui viennent après. On a trouvé aussi la même chose à Montpel- lier, où la mortalité relative était pendant les cinq premières années , pour les hommes de 1 : 1 , 73, pour les femmes de 1 : 2 , 14 , et pendant les cinq années suivantes de 1 à 7, 18, pour les hommes et de 1 : 10, 20 pour les femmes (1). Le dénombrement de la population de Breslau a fait connaître également que le rapport des garçons aux filles était de 1 : 1 , 17 parmi les chrétiens , et de 1 : 0, 93 parmi les juifs , qui font en général plus d'enfans mâles que d'enfans de l'autre sexe.. Si la table précédente indique pour Berlin une morta- lité plus grande chez les filles que chez les garçons pendant les dix premières années , il faut considérer ce fait comme une pure exception. 5° On doit s'attendre à ce qu'au temps de la puberté la mortalité soit plus grande parmi les femmes que parmi les hommes. Tel est, en effet, le rapport à Paris et à Breslau , depuis la dixième année jusqu'à la quinzième , d'après les tables précédentes ; mais , de la quinzième à la vingtième, il devient inverse. Suivant Deparcieux, la mortalité relative , dans une paroisse de Paris , a été , pendant trente années , depuis l'âge de dix ans jusqu'à celui de vingt, de 1 à 13, 72 pour les hommes et de 1 à 16, 32 pour les femmes (2). Selon Schubler , la mortalité des femmes , comparée à celle des hom- mes, a été de 1 : 0, 95 depuis huit ans jusqu'à quatorze, et de 1 : 1, 29 depuis quinze jusqu'à vingt cinq. D'après cela, l'a- nomalie de l'invasion de la puberté des femmes paraît , en général , amener rarement la mort , tandis que la vie des (1) Mémoires de l'Institut, t. I, p. 33. (2) Essai sur les probabilités de la vie humaine. 392 MORTALITÉ. femmes est en danger à l'époque où la puberté ne fait (^ue se préparer. 6" La grossesse, l'accouchement et l'allaitement n'exercent pas non plus , en général , d'influence décidée sur la mortalité. D'après les tables précédentes , si l'on excepte Breslau , la mortalité est partout plus forte chez les femmes depuis la vingtième jusqu'à la trente-cinquième année. La même chose eut lieu à Montpellier, où, depuis la vingtième jusqu'à la trentième année , la mortalité relative fut de 1 : 9,05 pour les hommes , et de 1 : 9,81 pour les femmes , mais où la pro- portion changea depuis trente ans jusqu'à quarante, puis- qu'elle y fut alors de 1 : 8,02 pour les hommes , et de 1 : 7,87 pour les femmes. De même aussi , d'après Wargentin (1), la mortalité a été , en Suède , plus grande parmi les hommes de- puis la vingtième jusqu'à la vingt-cinquième année , et parmi les femmes depuis la trentième jusqu'à la trente-cinquième. 7° Ce qu'il y a de plus positif encore , c'est qu'en général l'extinction de la faculté procréatrice chez les femmes n'influe point sur la mortalité. Déjà les tables précédentes nous ap- prennent que , depuis l'âge de quarante-cinq ans jusqu'à ce- lui de cinquante-cinq , la mortalité des femmes est faible , comparativement à celle des hommes , et même qu'elle est alors moins considérable qu'à toute autre époque delà vie : ce fait a été plus amplement démontré par Benoiston de Château- neuf. La ménopause semble donc être dans le même cas que la puberté , c'est-à-dire que ses préludes paraissent faire cou- rir plus de risques à la vie que son établissement même, quoi- que le plus grand danger qu'entraîne l'accouchement à trente et à quarante ans^ contribue aussi à l'augmentation que la mortalité présente à cette^époque. . 8" Parmi les individus dont l'âge dépassait quatre-vingt-dix ans , on compta , en Suède , pendant l'espace de neuf années, deux mille trente-six hommes , et trois mille cinq cent qua- rante femmes (1) ; à Paris , dans une paroisse , pendant trente années , quarante-sept hommes et cent vingt-six fera- (i) Loc. cit., p. 18, (2) AhhandlmKjen clef Sclmedischen Âhad$mie , t. XXVIII , p. 24, MORTALITÉ. SgS mes (1) , et dans la ville entière , en 1827, vingt-deux hom- mes et cinquante femmes (2) ; à Berlin , depuis 1752 jus- qu'en 1755, vingt-et-un hommes et cinquante-cinq femmes (3), et de 1793 à 1797 , dix-sept hommes et quarante-trois fem- mes (4) ; à Breslau, de 1813 à 1822, trente-et-un hommes et quarante-huit femmes ; à Halle , de 1720 à 1800 , cinquante- neuf hommes et cent dix-neuf femmes (5), ce qui donne, pour terme moyen , cent hommes et cent soixante- dix-huit femmes nonogénaires. Au dessus de cent ans , il y a eu , en Suède , deux cent quatre-vingt-six hommes et quatre cent vingt-quatre femmes ; à Naples , de 1814 à 1822 , quarante-huit hommes et quatre-vingt-onze femmes (6); à Berlin, deux hommes et sept femmes; à Halle, six hommes et dix femmes, par consé- quent, terme moyen, cent cinquante-cinq femmes pour cent hommes. Mais , de même qu'au dessus de cent ans , l'excès des femmes n'est plus ^aussi considérable , de même aussi on ne trouve des exemples de longévité extraordinaire que parmi les hommes (§ 623, 13") ce qui est une nouvelle preuve à l'appui de ce que nous avons déjà dit , que les extrêmes sont particuliers au sexe masculin (§ 206 , 4"). 9° Le nombre des veufs est à celui des veuves :: 100 : 150 , d'après Sussmilch (7) ; en 1817 , il s'est trouvé , à Paris , de 100 : 341 (8). Ce qui doit certainement influer un peu sur cette proportion , c'est que l'époux est ordinairement plus âgé , et que les mariages en secondes noces sont plus communs chez les hommes que chez les femmes (§ 569 , 2°). Mais la princi- pale cause tient à la plus longue durée de la vie des femmes. Cet excès de longévité a son fondement dans le côté matériel de la vie féminine (§ 188) ; néanmoins , en réfléchissant au (1) Sussmilch, loc cit., t. IT, table XII; (2) Annuaire du bureau des longitudes , 1829 , p. 91. (3) Sussmilch, loc. cit., t. II, table XIII. (4)|Formey, f^ersuch einer Topographie von Berlin, p. 126. (5) Gute, Angahe und Berechnung der Gebohrenen, Foj'storbenen, etc., im Halle, p. 37. (6) Mém. des savans étrangers , 1828 , t. III, p. 420. 0) Loc. cit., t. II, p. 272. (8) Recherches statistiques sur la ville de Paris. 394 MORTALITÉ. côté moral de cette vie , et considérant que son influence sur l'organisme est essentielle et non accidentelle, il nous est im- possible de ne pas voir aussi un but dans ce qui résulte de ce rapport, comme conséquence nécessaire. Il semble donc que la destinée de la femme soit de survivre à l'homme , afin qu'elle puisse l'entourer de ses soins jusque sur le lit de mort et parer sa vie des charmes de l'amour jusqu'au dernier mo- menl. Chez beaucoup d'animaux , le mâle , quoique faisant une consommaiion plus grande , vit plus long-temps que la femelle. III. Parmi les circonstances primordiales qui déterminent la durée de la vie , se range enfin la marche du développement propre à l'individu. Lorsque le développement marche peu à peu et sans précipitation , que par conséquent la naissance a eu lieu en temps opportun , que les facultés du corps et de l'âme se sont développées dans l'ordre suivant lequel elles doi- vent se succéder, alors on doit s'attendre à une plus longue durée de la vie. De même que la végétation marche avec plus de rapidité et les fruits mûrissent plus vite pendant le court été qui règne au voisinage des pôles , de même aussi un dé- veloppement très-rapide est partout l'expression d'une vie qui dure moins long-temps ; ainsi certaines plantes , qui sont annuelles au midi, deviennent bisannuelles ou vivaces dans le nord, où leur développement s'accomplit d'une manière plus lente. I. Influence des conditions acquises. § 634. Les circonstances qui sont amenées parla volonté ou par des actions extérieures peuvent favoriser la durée de la vie , en tant qu'elles sont propres à maintenir son harmonie et à conserver l'équilibre entre la consommation et la restau- ration . 1° En général, l'habitude de se bien porter, et la consolida- tion du type de la vie, qui en est le résultat, assurent une plus longue durée de la vie. Cependant l'état valétudinaire n'em- pêche point d'atteindre à un âge avancé , pourvu qu'il y ait compensation entre la consommation et la restauration des MORTALITÉ. SgS forces. Ainsi la longévité s'observe après une jeunesse dé- bile (1) , de même qu'après des maladies graves , comme le typhus , les fièvres intermittentes , les ulcérations des pou- mons , les fractures , mais rarement après les affections de l'estomac (2). La digestion étant d'une haute importance , la bonté des dents exerce aussi de l'influence , quoique ce soit une circonstance secondaire, à laquelle il ne faut point attacher un rôle exagéré. Sainclair fait remarquer qu'on trouve des exemples de longévité chez des individus qui avaient perdu toutes leurs dents, comme chez d'autres qui les avaient conservées. Rush (3) a connu un octogénaire et un centenaire qui n'avaient plus de dents depuis l'âge de trente ans , et ua homme de quatre-vingt-un ans chez lequel elles avaient com- mencé à tomber dès la dix-neuvième année. Il a constaté aussi que des hommes dont les cheveux ont grisonné ou sont tombés pendant l'âge adulte , n'en atteignent pas moins assez fréquemment un âge fort avancé. Ici donc , comme partout, la vie ne se rattache point à une seule et unique circonstance ; elle peut se maintenir d'une manière générale, quoique éteinte d^ns des parties subordonnées. 2° L'usage modéré d'une nourriture simple et succulente est favorable à la longévité. Mais comme les circonstances extérieures n'ont jamais qu'une influence conditionnelle , la vie peut se maintenir, si tout d'ailleurs la favorise, tant avec une nourriture misérable qu'avec une alimentation assez abon- dante. Aussi Buffon avait-il déjà reconnu que la sobriété ne joue qu'un rôle secondaire. Halier (4) et Fischer (5) rappor- tent des exemples de longévité parmi des ivrognes , dont l'un n'avait jamais fait usage que d'alimens froids. Sinclair a ob- servé des cas analogues , et Rush (6) ne connaissait pas un seul octogénaire qui n'eût pris du thé ou du café depuis qua- rante à- cinquante ans. (1) Halier, Elem. physiol., t. VIII, P. II, p. 117, (2) Sammlung auslergener Ahliandlunsen , t. XVII , p. 116. (3) Ibid., p. 118. (4) Loc. cit., t. VIII, pi. II, p. 115. (5) Abhandlung von dem hohen Alter des Menschen , p. 95-104. (6) Loc. cit., p. 111. 396 MORTALITÉ . 3° Un climat doux , une élévation médiocre du pays , une sécheresse modérée de l'air sont , en général , des circonstan- ces favorables à la longévité. Mais on trouve aussi des exem- ples d'hommes qui ont vécu fort longtemps, soit dans des'pays chauds , soit dans des climats froids (1), et il paraît n'y avoir d'absolument nuisible que les extrêmes. Le Renne , qui vit dans le nord , ne devient pas aussi vieux que le Daim , qui vit dans un climat plus chaud , quoique celui-ci soit plus petit , et le Cheval vit plus long-temps dans l'Orient que chez nous (2). De même , certaines plantes qui sont annuelles dans nos pays, deviennent bisannuelles et vivaces dans les contrées chaudes , par exemple , la Laitue et la Chicorée à Saint-Domingue , où elles prennent une consistance à demi ligneuse et acquièrent une ajnertume telle qu'on ne peut plus les manger (3). D'un autre côté, on trouve, dans les régions les plus froides de la Finlande , des Pins de petite stature , mais dont l'âge remonte à trois siècles (4) , parce que là le froid ralentit le cours de la vie, sans l'arrêter. C'est donc partout l'individualité qui éta- blit l'appropriation de telle ou telle circonstance extérieure, ou qui donne la facultéd'op poser une résistance plus ou moins efficace aux agressions du dehors. 4o Au total , la durée de la vie est plus considérable dans les campagnes que dans les villes , et dans les petites villes que dans les grandes , où l'air est moins pur , où surtout il y a moins de moralité , plus de misère , plus de soucis , et même plus de superflu et de dissipation. Voilà pourquoi l'âge mûr surtout court plus de dangers dans les grandes villes, tandis qu'une civilisation plus avancée y met plus en sûreté l'enfance et la vieillesse. Dans les campagnes, la mortalité est plus considérable , d'après Sussmilch (6) , pendant les six premières années de la vie , et si l'on en juge d'après les listes de la compagnie écossaise d'assurance mutuelle , les maladies (i) Loc. cit., t. VIII, pi. II, p. 104-112. (2) Ihid., p. 95. (3) Dict. des Se. méd., t. XXIX , p. 25. (4) Ahhandlunijen der SchwedischeniAkademie , t. VÏII , p. 117. (5)£oc. cie., t. II, p. 315. MORTALITÉ. Sq'^ y sont plus fréquentes et plus longues parmi les vieillards que dans les villes (1). 5° Un exercice modéré des forces physiques est une cir- constance favorable à la longévité. Cependant , comme le fait remarquer Rush (2) , on peut aussi atteindre un âge avancé en menant une vie sédentaire , et l'on trouve beaucoup de vieillards qui jouissent d'une parfaite santé, quoique , depuis longues années , ils ne soient presque jamais sortis de leur chambre, ou ne se soient livrés à aucun mouvement précipité. 6» Après les circonstances primordiales (§ 630) , ce qu'il y a de plus important pour la durée de la vie , c'est l'état moral. l» L'activité de l'esprit entretient la vie , et elle peut même être portée fort loin sans empêcher qu'on arrive à un âge avancé , comme le prouvent un grand nombre d'exemples', dont Hufeland (3) et Scheu (4) ont rapporté quelques uns, tandis que les gens oisifs ne fournissent jamais une bien lon- gue carrière (5). Les vieillards qui se livrent au repos et qui renoncent à leurs occupations accoutumées , sans s'en créer de nouvelles , ne tardent généralement guère à succomber. Le plus puissant de tous les ressorts est la fermeté de carac- tère , qui se fonde sur une exacte appréciation de la vraie valeur des choses , amène la satisfaction à sa suite , interdit tout accès aux passions dévorantes, procure la paix inté- rieure , dispose à l'enjouement , à la gaîté , et rend indépen- dant des coups du sort. Celte fermeté a bien autrement contribué que l'eau pure des sources à prolonger les jours de plus d'un pieux cénobite. Mais celui qui en est dépourvu, comme celui qui déses- père de sa guérison , a déjà par cela seul un pied dans la tombe (6). ; 2» Ce n'est pas la richesse, mais une laborieuse etféconde in- (1) Archives générales , t. VI, p. 312. (2)76id.,p. 115. (3) La Macrobiotique, on l'art de prolonger la vie de l'homme , p. ^^. (4) Ueher Aie chronischen Kranhheiten des mœnnlichen Alters , p, 38, (5) Hufeland , loc. cit., p. 124. (6) Rush, loc, cit., p. 114, 5g$ MORTALITÉ. ^ustrie, qui mène à l'âge avancé. On y arrive'moins par la facilité de se procurer toutes les commodités et toutes les jouissances de la vie, que par l'activité de l'esprit etla satisfaction intérieure. Villermé a trouvé que les différences de la mortalité dans les divers quartiers de Paris dépendaient moins de l'air, du sol , de l'eau et de l'habitation , que de l'aisance , et qu'il y a plus de mortalité dans les villes habitées par des riches sans travail que dans celles oii règne une industrie qui amène le bien-être à sa suite (1). Il a reconnu que la mortalité est à peu près double dans les villes habitées par une population nécessi- teuse , de ce qu'elle est dans les autres , et que , dans les départemens riches de la France , elle n'enlève annuellement qu'un homme sur quaranle-six , tandis que, dans les pauvres, elle en prend un sur trente-trois ; mais ce n'est pas la pauvreté qui abrège la vie , c'est seulement le manque d'énergie pour la combattre, et la mauvaise conduite. Il n'est pas rare de voir arriver à un âge avancé des hommes qui n'ont point même leur nourriture assurée ; et parmi les vieillards cités précédem- ment (§ 623, 13°) qui ont poussé très-loin leur carrière, il ne s'en trouvait pas un seul qui fût riche , à peine même un qui eût de l'aisance. L'animal libre , qui est obligé de chercher ou de conquérir sa nourriture, devient plus âgé que l'animal domestique de la même espèce qui trouve chaque jour sesali- mens préparés ; les sauvageons durent plus long-temps au sein des forêts que quand on les transplante dans un sol plus gras ; les arbres dont on ne laboure et ne fume le pied que tous les cinq à dix ans, surpassent en durée ceux qui subissent cette opération tous les ans (2) ; de même, la vie humaine ac- quiert plus de ténacité par la peine et les labeurs (3), pourvu que le travail ne soit pas de nature à briser le courage et pa- ralyser la spontanéité. Nous en avons une preuve parmi les juifs, dont la majorité sont pauvres sur presque tous les points du sol de l'Al- lemagne , et chez lesquels néanmoins règne une mortalité (1) Mémoires de l'Acad. loy. de niéd., t. I, p. 51etsuiv. ^2) Bacon , 0/)era, p. 496. (3) Scheu, loc. cit., p. 30. MORTALITÉ. Sgg moins forte qu'au milieu des chrétiens; car, à Breslau, par exemple , il meurt annuellement un chrétien sur vingt- six , et un juif seulement sur quarante-et-un ; la principale cause de celte différence tient incontestablement à ce que les pauvres Israélites ne prennent pas souci de leur misère , qui n'engourdit jamais leurs facultés. Suivant Yillermé , la morta- lité est énorme , au contraire , parmi les mendians et les va- gabonds ; dans les établissemens destinés à les recevoir en France , elle surpasse celle qui règne dans la plupart des prisons , et même dans les bagnes. Quetelet (1) a trouvé éga- lement que, dans les établissemens néerlandais de ce genre , elle s'élevait à un sur 8, 91, tandis que, pour les Pays-Bas en général , elle n'est que de un sur 43, 80. Les nègres de l'Amérique septentrionale nous en fournissent un autre exemple. Le dur esclavage dans les chaînes duquel ils gémissent , rend la mortalité très-considérable parmi eux, puisque, même à New-York et à Philadelphie , il en meurt un sur dix-huit, tandis que la mortalité, parmi tous les habitans pris ensemble , n'est que de un sur trente-trois à trente-neuf. A Baltimore , au contraire , où les esclaves sont traités avec humanité , et où les noirs libres vivent dans l'aisance , la pa- resse et les excès , la mortalité relative est , terme moyen , de 1 î ^54 parmi les habitans pris ensemble , de 1 : 36 parmi lesnègres libres, et de i : 76 parmi les nègres esclaves (2). Enfin, il faut ranger ici la remarque faite par Villermé que la mortalité est extrêmement faible parmi les prisoniers qui sont entre les mains de la justice criminelle, qui par conséquant songent sans cesse à leurs moyens de défense et ont l'esprit fortement tendu par l'attente de Tissue du procès (3). 3» Haller avait déjà remarqué qu'il se trouve beaucoup plus de vieillards parmi les princes européens et les magistrats bernois des temps modernes que parmi ceux du moyen âge, et des recherches entreprises depuis ont démontré que partout aujourd'hui la mortalité est moins considérable qu'elle ne l'était (1) M^m. de l'Acad. de Bruxelles , t. V, p. 449. (2) Bulletin des Se. niéd., t. XIII, p. 47-28. (3) Loe. cit. P. II, p. 92. 4 00 MORTALITÉ. jadis. D'après Villermé, la mortalité relative en France était en 1780 de 1 : 29; en 1802, de 1 : 30 ; en 1820, de 1 : 39 (1). Be- noiston de Châteauneuf (2)nous apprendque, sur cent hommes, il en mourut en 1780 cinquante-cinq, en 1825 quarante-trois , depuis l'âge d'un an jusqu'à celui de cinquante, que, jusqu'à la soixantième année , il en périssait autrefois quatre-vingt- cinq , et qu'aujourd'hui il n'en meurt plus que soixante-seize. A Paris , suivant Villermé (3) , la mortalité relative était, au quatorzième siècle, de 1 : 17, au dix-septième de 1 : 26 , au dix-huitième de 1 : 32; au dix-neuvième , elle est, d'après Benoistonde Châteauneuf, de 1 : 39 (4). A Genève, selon Odier et Serre Malte (5), les proportions suivantes ont régné succes- sivement : Durée probable de la vie. Durée moyenne de la vie. Au 16« siècle 4 ans et 9 mois. 18 ans et 5 mois. Au 17« 7 11 23 4 Pendant la 1''^ moi- tié du 18« siècle 27 3 32 8 Pendant la 2" moi- tié du 18« siècle 32 4 33 7 1801-1813 37 10 38 6 1815-1826 45 10 38 10 Schubler a observé des proportions analogues dans le royaume de Wurtemberg. Ce qui a le plus diminué, c'est la mortalité chez les enfans ; l'introduction de la vaccine y a certainement eu beaucoup de part ; mais il faut aussi faire entrer en ligne de compte le perfectionnement des méthodes d'éducation et du traitement des maladies de l'enfance, qui y a contribué plus encore; car la mortalité avait proportionnellement pins diminué au dix-hui- tième siècle , et notamment dans sa seconde moitié , qu'elle n'a fait au dix-neuvième. Quant à ce qui concerne les autres âges , l'aperçu précédemment donné (§ 630, Il ) de la durée (1) Mém. de l'Acad. roy. de inéd., 1. 1^ p. 51. (2)i6i«i.,t. X, p. 461. (3) Archives de médecine. (4) Mém. de l'Acad. roy. de raéd.,t. I, p. 51.1 (5) Bibliothèque universelle de Genève , t. XXXVï, p. 136-140. J 4762-1790. De 60 à 70 ans , 22,4 De 70 à 80 13,4 De 80 à 90 10,6 De 90 à 100 8,6' MORTALITÉ. 4^ ^ probable et moyenne de la vie à Genève prouve que la mor- talité est moins grande maintenant en cette ville qu'elle ne l'était au siècle passé , même pendant l'âge avancé , à l'exclu- sion toutefois de l'extrême vieillesse ( à partir de quatre-vingt- quinze ans ). A Stuttgardt , au contraire , elle a diminué jus- qu'à la vieillesse la plus reculée , si l'on en juge d'après le tableau suivant que Schubler (1) trace de la mortalité relative : 1790-4803. 18o3-1844. 4812-1827.3 22,1 22,3 24,8. 14,4 13,7 14,1. 10,6 10,9 11,5. 9,0 10,2 11,3. Mais si la vie est maintenant plus assurée dans toute son étendue qu'elle ne l'était autrefois , nous reconnaissons en cela l'effet des progrès que la médecine a faits dans les temps modernes, et plus encore celui de la propagation des lumières, de l'adoption d'un genre de vie plus raisonnable et plus conforme à la nature, du développement de l'industrie et des facultés intellectuelles , et du perfectionnement des mœurs. Meslier (2) a prouvé que la mortalité est-d'aulant plus faible, dans les divers départemens de la France , qu'on s'y inquiète davantage de l'instruction publique , et vice versa. ARTICLE III. De iinjluence de l'espèce sur la mortalité. § 632. Si maintenant nous examinons quelle peut être l'in- fluence de \ espèce sur la durée de la vie des individus , nous trouvons les résultats suivans ; 1» Plus un individu porte le cachet de son espèce , plus aussi il a de chances d'arriver au terme normal assigné à la vie de l'espèce dans le caractère de laquelle ce terme entre comme élément constituant. Une taille moyenne , une struc- (4 ) Ueler die Mnderungen in der] Sterhliclikeit , durch Einfuehrung der Kulipochen , p. 7. (2) Archives générales, t. XVII, p. 459. V. 26 402 MORTAWT^. ture bien proporUoaaée , une bonne poitriae , uu estomac robuste , un pouls vigoureux , etc. , ne sont des conditions de longévité que parce qu'ils expriment un développement nor- mal du caractère de l'espèce. Les géans et les nains ont une courte carrière , mais les premiers vivent plus long-temps que les seconds ; une proportion semblable se remarque dans les cas d'énergie et de faiblesse extraordinaires des facultés de l'esprit. Mais ce qui ne peut point réaliser l'idée de son espèce dans les bornes de l'individualité , périt nécessaire- ment : aussi la plupart des monstres meurent- ils au moment de leur naissance , même ceux dans l'organisation desquels on ne découvre aucune cause de mort , comme les monstres à deux corps, les monopodes, etc. %° Les rapports de la génération avec la durée de la vie , qui s'appliquent aux différentes espèces ( § 624 , 2" ) , sont vrais aussi à l'égard des individus. Quand on fume des plantes bisannuelles de manière à leur faire porter fruit dès la pre- mière année , elles meurent dans le cours de celte année ; lorsque , au contraire , on coupe les fleurs du réséda avant la formation des graines, la plante acquiert une tige ligneuse , et devient vivace (i) ; les sauvageons fleurissent plus lard , doiinent moins de fruits , et vivent plus long temps que les arbres de nos vergers ; les fleurs stériles des plantes bâtardes ont plus de durée que les fleurs normales (2). Si l'on empêche les Insectes de s'accoupler, leur vie se prolonge plus qu'à l'or- dinaire (3). Suivant Hervieux , le Serin qui couve tous les ans vit sept à huit années, tandis qu'il parvient à vingt-deux quand il ne se reproduit pas. Plus le Cochon est fécond , plus tôt aussi il meurt, et l'on assure que le Mulet stérile devient plus vieux que le Cheval et l'Ane (4). L'inverse a lieu chez l'homme et chez quelques animaux : les hermaphrodites et autres indi- vidus inhabiles à la génération meurent jeunes ; on ne connaît (4) Decandolle , Organographie végétale , t. II, "p. 233. (2) Rœlreuter, Forsetzung der vortœufiyen Nachricht , t. II , p. 39. (3) Schwfiigger , Uandluch der ]Saturgeschiçhte der sJaelettlosen un- gegliederten Thiere , p. 66. (4) HaUer, EUm. physiolog., t. YÏII, pL P, p. 9%m. MORTAUTÉ. 4o3 pas d'eunuque qui ait dépassé spixante-dix ans. Lp^ Chapons, les Moutons, les Bœufs et les Chevaux hongres n'arrivent point à un âge aussi avancé que les animaux qui se propagent. On ne pourrait citer aucun exemple de célibataires qui soient parvenus à un très-grand âge (!) , et les hommes qui ont fourni une carrière exlraordinairement longue ( § 622, 13° ) s'étaient fait remarquer aussi par la durée insolite de la fa- culté procréatrice. Si, en France, la mortalité chez les moines et les religieuses , d'après Deparcieux , chez les ecclésiastiques et les nonnes , selon Benoislon de Châteauneuf (2) , était plus faible que chez les laïques , il faut en chercher la cause non point dans le célibat , mais dans d'autres circonstances favo- rables. Du reste, même parmi celte classe, la mortalité était plus grande chez les hommes que chez les femmes, surtout après la quarante-cinquième année. 3° La nature a plus de productivité que d'espace pour ses produits, la possibilité est plus grande que la réalité (§ 268), et si tous les individus d'une espèce atteignaient le plus grand âg^e possible , ils feraient disparaître les autres espèces de Iç terre , et finiraient par ne plus pouvoir maintenir leur propre existence. Qu'on admette avec Sussmilch (3) que cinq millions d^ lieues carrées de pays habitable suffisent pour dix-huit mille millions d'hommes , ou avec Wallace (4) qu'il y aurait assez de place sur la terre pour quatre cent soixante-treize ipille millions d'hommes, en accordant neuf mille cent dix pieds à chacun , toujours est-il certain que si , depuis l'époque seulement à laquelle remonte l'histoire , tous les hommes étaient morts au dernier terme de la vieillesse , il n'y aurait plus depuis long-temps de quoi loger le genre humain sur la terre. La mort , que nous appelons accidentelle , ne mérite donc ce nom qu'autant que nous la considérons dans ses rap- ports immédiats et individuels ; eu égard au tout , elle est naturelle, et, sous le point de vue des dispositions de la nature, (1) Hufeland , La macrobiotique , ou l'Ait de prolonger la vie de l'homme , p. 123. ^2) Méra. sur la mortalité des feoimes, p. 22. (3) Gœttlichte Ordnung , t. II , p. 233. ^ (4) Dictionn. des Se. méd., t. XXXlYf, p. 336, 4o4 MORTALITÉ. elle est inévitable. Ainsi , pour ne parler ici que d'une seule circonstance , la mortalité augmente dans la même proportion que le nombre des hommes accumulés sur un espace déter- miné dépasse certaines limites , parce que l'inégalité qui s'éta- blit alors à l'égard de la propriété , de l'acquisition et du genre de vie , la complication des intérêts , l'éveil donné aux pas- sions , la corruption de l'air , la diminution des alimens de bonne qualité , etc. , multiplient les chances de danger que court la vie. 4° La mortalité des individus causée par la mort qu'on ap- pelle accidentelle n'est point assez considérable pour compro- mettre la durée de l'espèce. Terme moyen, il meurt annuel- lement un homme sur trente-cinq. Le nombre d'hommes parmi lesquels il en meurt un chaque année était à Wittemberg de trente et un, d'après Sussmilch (1) et Schubler, à Hanovre de trente-quatre, suivant Sussmilch, en Suède de trente-six selon le même, en Angleterre de trente-huit en 1812, en France de trente-neuf (2), en Russie de quarante, d'après Wichmann, dans les Pays-Bas de quarante-deux, selon Quetelet (3), et en 1825 de quarante et un. Il s'élevait, selon Sussmilch^ à vingt- quatre dans les villes de Stockholm et Amsterdam, à vingt-cinq dans celles de Rome et Londres , à vingt-huit dans celle de Berlin , suivant Hohn, à vingt-neuf dans la ville de Breslau (vingt-six de 1781 à 1805), quarante àNew^-York, quarante- quatre à Boston (4), quarante-six dans le district de Samt-Paul au Brésil (5). Si l'on songe à la diversité du climat et des autres conditions de la vie dans ces contrées et villes, ainsi qu'à la variété des causes accidenielles de mort par écarts de régime, blessures , empoisonnemens et autres circonstan- ces individuelles , la différence paraîtra bien légère. La loi générale de la mortalité se montre plus clairement encore dans la compensation des proportions; si le nombre d'habitans (d) Le. cit., t. II, p. 85. (2) Annuaire du Bureau des lougilndes, 4829, p. 105, (3) Nouveaux Mém. de l'Acad. de Bruxelles , t. Y, p. 120. (4) Gerson , Magazin , t. XVII , p. 69. (5) Spix et Martius , Beïe in Brasilien , t. I , p. 224. MORTAOTÉ. 4o5 parmi lesquels il en meurt un par année est de quarante dans les villages, trente-deux dans les petites villes, vingt-huit dans les grandes et vingt-quatre dans les très-grandes , il est de trente-cinq dans les pays entiers (1); il est de vingt-quatre dans les provinces hollandaises (2), et de quarante-deux dans l'ensemble du royaume néerlandais. Black (3) le dit de vingts et-un à Londres et Edimbourg, vingt-deux àDublin, et soixante dans quelques contrées de TAngleterre, tandis qu'il est de trente-huit pour toute la Grande-Bretagne. Suivant Quetelet(4), la plus forte mortalité a lieu dans les provinces où la popula- tion est la plus grande et le nombre des naissances le plus con- sidérable. A mesure que la mortalité diminue dans un endroit, la fécondité y diminue aussi, comme il a été prouvé entre au- tres pour Paris (5). Les mois dans lesquels on compte le plus de naissances sont aussi ceux oii il y a le plus de décès , et Quetelet a confirmé, eu égard aux Pays-Bas (6), que le maxi- mum et le minimum de la mortalité tombent aux mêmes épo- ques de l'année que la fréquence des naissances. Suivant la remarque de Bueck (7);, les fécondations les plus fréquentes ont lieu au mois de mai, par conséquent immédiatement après l'époque de la plus grande mortalité. On a reconnu aussi une fécondité extraordinaire avec les calamités publiques, telles que la guerre, la famine et les épidémies, et Riish a même constaté que Tinstinct génital recevait une impulsion insolite chez ceux qui échappaient à la fièvre jaune. 6° La mortalité déterminée par la mort accidentelle est telle que la fécondité la dépasse, ou, en d'autres termes, qu'il naît plus d'hommes qu'il n'en meurt. Ce cas n'a pas lieu dans beaucoup de grandes villes , où non seulement il règne une mortalité plus considérable , mais encore les mariages sont moins communs , de sorte que la fécondité est moindre ; mais, (1) Sussmilch , loc. cit., t. Il, p. 191. (2) Dictionn. des Se. méd., t. XXIX , p. 40. (3) f^errjleichung der Sterblichkeit des menschlichen Geschlechts, p. 36' (4; Loc. cit., p. 126. (5) Recherehes statist. sur la ville de Paris, t. I, Paris , 1823, in-4, — Mém. de l'Acad. roy. de méd., t. I, p. 51. (6) Loc. cit.,^. 127. (7) Gerson , Magasin , t. XVII , p. 355. 4b6 MORTALITÉ. lorsqu'on embrasse des pays entiers , on trouve toujours que celle-ci l'emporte sur la niortalité. La proportion entre lé nombre des décès et celui dfes naisisances , par année , varie , suivant Sussmilch (1), depuis 1 : i,ÎÔ jusqu'à 1 : i, 13, terme moyen ellea été pour la France, de 1 : 1,18, en 1826 dei : 1,2 dans la période de J817 à 1826. Si, pour exprimer la proportion en nombres ronds, on admet par année une naissàiicé sur trente hommes ( § 266 ), et Un décès sur trente-cinq ( 4° ), on trouve annuellement, pour cent cinquante hommes , quatre décès et cinq naissances ; les décès sont donc aux naissances : :4 : 5 ou :: 1 : 1,25. En conséquence, la population S'accroît d'un cent-cinquantième par année et d'un quinzième par dix. ans ; elle doublerait en cinquante ans. En France , d'après Mathieu (2), la population, qui était de trente millions quatre cent cinquanté-iiii mille âmes eh i82Ô, croît chaque année d'environ cent qiiatre-vingt-treize lîiille deux cents ; en dix an- nées, de 1817 â 4826, l'augruentàtion s'est élevée à un million neuf cent trente-deux mille cinquante (3). Dans les Pays Bas, au rapport de Quetelet (4) , on a compté par année une nais- sance sur vingt-sept hommes et un décès sur quarante-deux ; la crue annuelle de la populaljoa a été d'un Foixante-quin- zième. Si, aux environs de Contendas, au Brésil, il y a an- nuellement un décès sur vingt naissances (5) , c'est là Une proportion qui ne peut ni s'étendre sur une grande surface, ni durer long-temps. Dans les colonies nouvelles, ou une contrée saliibre , fertile et favorable à l'industrie , mais jus- qu'alors déserte, vient à être cultivée par des hommes entre- prenans et courageux , la population croît avec Une rapidité extrême, de manière qu'il ne lui faut pas un siècle, à beau- coup près , pour duubier ; mais, à mesure que les côfaditions de la vie rentrent dans la balance ordinaire, l'accroisse- ment de la population diminue aussi d'une manière propor- tionnelle. (1) Loc. cit., 1. 1, p. 342. (2) Annuaire dii Bureau des longitudes , 1829, p. 1Û5. (3) Ibid., p. 98. (4) Loc. cit., p. 120. (5) Spix et Martius , Reise in BrasUien , t. H , ^. 52S. ' MORTALITÉ. 40^ 6° Une génération (§ 46 , 4*) est la période qui s'écoule depuis la naissance d'un homme jusqu'à sa propagation ; elle dure à peu près trente-trois ans. Villot (1) a trouvé, en exa- minant les registres des naissances et des mariages à Paris pendant le dix-huitième siècle, que, terme moyen , à la nais- sance du premier fils, le père avait trente-trois ans et la mère vingt huit. Si, de cette manière, il vit, pendant un siècle, trois générations d'une famille , on peut aussi admettre , durant cette période, trois générations de l'espèce humaine, en sup- putant ainsi la somme de ceux qui sont nés à la même époque; car, en France par exemple , d'après les tables de mortalité de Duvillard , sur mille hommes venus au monde dans la même année , il en reste quatre cents dix-sept au bout de trente-trois ans , cent cinquante-six au bout de soixante-dix , et 0,3 au bout de quatre-vingt-dix-neuf. Les Egyptiens et les Grecs évaluaient un âge d'homme à trente ou trente-trois ans, et comptaient trois générations par siècle : mais on ne sait pas bien précisément sur quel principe ils se basaient. 7" Des proportions de la mortalité il suit que , parmi les contemporains, ceux qui ont atteint l'âge mûr forment la ma- jorité, et c'est efFectivemeut ce que constatent les étals de po- pulation. En 1817, on comptait à Paris 712,112 habitans (2), répartis , quant aux âges , dans les classes suivantes , pour l'établissement desquelles nous avons supposé une popula- tion d'un million d'âmes , afin de rendre la comparaison plus facile : Au dessous de 10 ans 132,434 De 10 à 20 ans 160,585 De 20 à 30 200,119 De 30 à 40 163,099 De 40 à 50 126,799 De 50 à 60 102,938 De 60 à 70 70,704 De 70 à 80 28,351 De 80 à 90 5,668 (1) Recherches statistiques sur la ville de Paris; (2) Ihid. 4o8 MORTAlITÉo De 90 à 100 299 Au dessus de 100 4 D'après cela, sur un million d'hommes, il y en a trois cent deux mille dix-neuf au dessous de vingt ans, et six cent qua- tre-vingt-dix-sept mille neuf cent quatre-vingt-un au dessus. Dans le royaume de Wurtemberg , on a compté en 1821, en calculant d'après la même échelle , trois cent seize mille qua- tre cent cinquante-cinq habitans au dessous de quatorze ans, et six cent quatre-vingt-trois mille cinq cent quarante-cinq au dessus; parmi un miiiion d'habitans mâles , quatre cent cinq mille trois au dessus de dix-huit ans, et cinq cent quatre-vingt- quatorze mille neuf cent quatre-vingt-dix-sept au dessus. Si l'on divise le total des vivans en trois portions égales, celles-ci correspondent assez exactement à la division de la vie en pé- riodes de non-maturité, d'âge mûr et de vieillesse. En effet, d'après Sussmilch , un tiers de la population se compose d' en- fans et de jeunes gens au dessous de seize ans , le plus grand tiers des hommes de seize à trente-huit ans , et le plus petit des individus au dessus de îrente-huit ans. Cependant , d'a- près le calcul cité précédemment , il y avait à Paris , sur un million d'habitans, trois cent deux mille dix-neuf individus au dessous de vingt ans, trois cent soixante-trois mille deux cent dix-huit entre vingt et quarante , et trois cent trente-quatre mille sept cent soixante et trois au dessus de quarante ans. Mais, dans le Wurtemberg , on a compté, sur un même nom- bre d'habitans du sexe masculin, quatre cent cinq mille trois individus au dessous de dix-huit ans, trois cent vingt mille six cent quatre-vingt-onze entre dix-huit et quarante , et deux cent soixante-quatorze mille trois cent six au dessus de qua- rante ans. MORT. 40Ô Section deuxième. DES PHÉNOMÈNES DE LA MORT. CHAPITRE PREMIER. Des phénomènes de V extinction de la vie, § 633. Si maintenant nous portons nos regards sur les/)^e- nomènes^'Aç. la mort, nous remarquons , I. D'abord qu'elle suit une marche diverse. 1° La mort naturelle survient doucement et peu à peu, lorsque Tactivité vitale est arrivée au point de ne pouvoir plus se maintenir , et sans qu'il s'établisse de désharmonie dans ses diverses directions. Celte extinction graduelle de la vie s'opère dans l'extrême vieillesse , sans maladie aucune ; tantôt elle a lieu avec conscience , et constitue {'euthanasie , qui, suivant Platon, est plutôt accompagnée de joie que de douleur ; tantôt elie survient sans que l'individu s'en aperçoive et pendant son sommeil. D'après les observations recueillies par Pinel à la Salpétrière (1) , ce dernier cas serait celui, par exemple, de la plupart des femmes nonagénaires , chez les- quelles la flamme vitale ne jette plus qu'une lueur languissante et s'éteint tout à coup ; ces femmes tombent dans un assou- pissement calme , mais elles se sont endormies pour toujours, sans le savoir. Un épuisement uniforme de l'activité vitale peut également avoir lieu à la suite de maladies ; dans les consomptions, l'extinction graduelle de la vie est souvent aperçue par le malade, comme par ceux qui l'entourent; mais, après de violentes inflammations , quand l'orage des accidens est calmé , il goûte encore une fois le bien-être du rétablisse- ment de l'harmonie vitale , pendant que la gangrène fait des progrès et le tue d'une manière soudaine. 2» Il en est d'autres que la mort saisit en pleine vie ; elle fond sur eux à Timproviste , et paralyse tout à coup les fonc- tions centrales. Ce cas arrive non seulement quand la vie est détruite par une violence mécanique , comme chez les hom- (4) Archives générales , t. II, p . % 4 10 MORT. mes atteints d'une blessure au cœur, ou chez ceux qui voient tout leur sang s'écouler par l'ouverture d'Un gros tronc arté- riel et conservent la réflexion jusqu'au dernier moment, mais encore lorsque des causes internes amènent la cessation de la vie. Ainsi l'apoplexie tue quelquefois le vieillard d'une ma- nière foudroyante , et ne lui laisse qu'un moment pour sentir la mort. Les hommes chez lesquels cette dernière part du cœur ou du poumon périssent non moins rapidement , mais avec une conscience plus nette de ce qui leur advient , et il n'est pas besoin pour cela d'une catastrophe matérielle, telle que la rupture du cœur ou du tronc artériel , car ces organes centraux peuvent être frappés subitement de paralysie à la suite de désordres qui jusqu'alors avaient été plus ou moins remarqués; le malade, libre de toutes sensations douloureuses, exempt de tous symptômes morbides , en pleine jouissance de ses facultés , et livré à ses travaux ou aux plaisirs de la société, s'écrie tout à coup : Je suis mort! ou J'étouffe ! [et à peine ses lèvres ont-elles prononcé ces mots que déjà la vie s'est envolée , de manière que les assistans n'ont point sous les yeux un mourant , mais un mort. C'est ainsi , pour nous bor- ner à un seul exemple, que FourCroy s'écria au milieu d'un travail littéraire = Je suis mort! et il l'étai-ten effet (1). 3° V agonie a lieu quand la vie ne s'éteint ni uniformément ni subitement. C'est , à proprement parler , une mort mala- dive et désharmonique. Les phénomènes les plus terribles de cet état son l'oppression , l'anxiété et les spasmes : les traits se décomposent , et une sueur froide ruisselé sur le corps ; la respiration continue , mais pénible et stertoreuse , et le pouls devient intermittent ; la connaissance est perdue , quoique la respiration et la circulation persistent , et de temps en temps tous ces signes de mort semblent faire place à un retour vers la vie, jusqu'à ce qu'ils reparaissent avec un redoublement d'intensité. II. Quant aux fonctions en particulier , 4° Il arrive assez fréquemment , dans la mort normale (l"), que les facultés de l'âme persévèrent jusqu'au dernier moment, (1) Annales du Muséum , t. XVH , p, 431. quoique, dans d'autres circonstances, la mort soit précédée d'un état léthargique. L'homme qui a su se rendre maître de soi, mettre ses forces en harmonie les Unes avec les autres, et s'assurer une liberté intérieure, attend la mort d'un air calme , il là voit même avec joie s'approcher , et peut-être n'y a-t-il pas de scène plus sublime que celle d'une telle mort. L'étude de la nature est, de toutes, celle qui mène le plus sûrement à line juste appréciation de la vie , celle qui inspire !e plus de courage au moment suprême : aussi h'est-il pas rare que les médecins et les naturalistes considèrent leur propre mort comme iin acte sérieux à la vérité , mais qui ne porte pas le troublé dans leur âme. Le soir qui précéda sa mort , mon père pria ma tante de passer la nuit auprès de luii, parce qu'il mourrait dans la matinée, et il s'entretint avec elle de ses affaires domestiques , sans oublier inême les plus petits détails, à l'égard desquels il pouvait lui donner d'utiles conseils. Henri Mfeyer, de Berlin , qui mourut en 1827 , con- solait les Sieils de la perle qui les menaçait ; il se fît apporter l'enfant nouveaU-né d'un de ses parens , tint un discours fort touchant Sur la vie et la mort, sommeilla ensuite pendant quelques heures, et lorsqu'en s'éveillant il vit ceux qui l'ëii- louraient tout en larmes , il se mit à fredonner : « Laissez , laissez-moi partir ! la terre n'est point un séjour où l'homme doive s'arrêter » ; ce furent là ses dernières paroles. Jseger , de Stuttgart , annonça, dans la dernière nuit de sa vie (1828)^ qu'à midi « il ne serait plus habitant de Wurtemberg »j et il employa ce qui lui restait de temps à expliquer aux méde- cins quels étaient les points sur lesquels leur attention devrait surtout se diriger à l'ouverture de son corps. Un autre méde- cin de mes parens parlait, une heure avant sa mort , du mys- tère de l'existence qui allait lui être dévoilé. Le courage à envisager la mort s'observe chez les jeunfes personnes comme chez les gens âgés , parmi les femmes de même que parmi les hommes , ce dont Osiander, entre âl6^ très (1), a rapporté des exemples. Assez souvent même ii inspire aux mourans le désir de se représehter encore liôê (1) tieiér ïïîe ^Ttfv^ïcliyiûng^^àiikhéitén , p. 125, 4l2 MORT. fois les joies de la vie ; on en voit beaucoup qui demandent qu'on les porte au grand air ou devant la fenêtre , et qui se réjouissent à l'aspect du soleil levant ou d'autres objets natu- rels. La plupart témoignent le désir de voir réunies autour d'eux toutes les personnes qui leur sont chères. D'autres cher- chent à se reporter au temps de leur vigueur : par exemple , Siward , comte de Norlhumberland , se fit armer de pied en cap et mettre en selle pour attendre la mort, l'épée à la main, et la famille du général russe Meyendorf m'a raconté qu'il avait exigé qu'on le mît à la fenêtre, revêtu de son grand uni- forme. Il paraîtrait même que ceux qui ont un vague pres- sentiment de la mort éprouvent le désir de goûter encore les jouissances de la vie-, j'ai été conduit à le penser d'après un cas qui me touche d'ailleurs de trop près pour que je puisse le rapporter ici. Il n'est pas rare de voir une exaltation particulière de l'âme. Herder disait , quelques instans avant de fermer les yeux : « Gomme tout me paraît clair maintenant! Je regrette seule- » ment de ne pas pouvoir le communiquer aux autres. « Une femme en couches, de ma connaissance, s'éveilla de son assoupissement , plus gaie et plus forre qu'elle n'était aupa- ravant , et déclara qu'elle allait mourir, mais que le bonheur infini dont elle jouissait depuis son dernier sommeil ne pouvait être décrit. Un de mes amis , au moment de mourir, peignit son état en disant que la rage d'un peuple révolutionnaire était abattue par la puissance victorieuse d'un ange de lumière, et que la désolation faisait place à un calme bienheureux au milieu d'un torrent de lumière. Les délires qui surviennent quelquefois avant la mort, dé- pendent aussi en partie d'une exaltation réelle des facultés de l'âme. Il est presque de règle générale que les hommes plon- gés depuis longues années dans la mélancolie , la manie ou la fureur , reviennent pleinement à eux pendant les dernières heures de leur existence. Ce phénomène a même lieu dans les cas d'anomalies matérielles du cerveau , telles qu'épan- chement de sang ou de sérosité, suppuration, ramollissement, induration, hypertrophie et pseudomorphoses. Tantôt le dé- lire diminue à mesure que les forces baissent, tantôt aussi la MOÏIT. 4 1 ^ pleine connaissance revient tout d'un coup , et la mort arrive le même jour (1) ; quelquefois même l'âme déploie alors une grande énergie , comme dans un cas rapporté par Zimmer- mann (2). On peut rapprocher de ces faits les observations re- cueillies par Fodéré , sur des sourds qui recouvrèrent l'ouïe quelques heures avant de mourir (3). Il arrive souvent que des hommes s'imaginent qu'ils mourront à une époque fixe sans que cette prédiction se vé- rifie (4). Cependant on ne doit pas conclure de là qu'elle re- posait sur une croyance superstitieuse ; car alors il n'y aurait rien de réel dans ce que disent les personnes qui se sentent mourir ; or ce sentiment est porté parfois au point de faire illusion. Une jeune femme atteinte de maladie nerveuse chro- nique parut sentir les approches de la mort, et prit congé des siens ; à la suite d'un accès de spasmes , la respiration et la circulation cessèrent; la chaleur s'éteignit , et un examen at- tentif ne me fit découvrir aucun signe de vie; mais, ayant voulu visiter une seconde fois le cadavre au bout de quelques heu- res , je trouvai qu'il y avait moins de pâleur et de froid, et sentis un léger frémissement du pouls ; bientôt il se manifesta des traces de respiration, et la malade revint à elle-même : depuis, elle a vécu plusieurs années. On a vu fréquemment des médecins prédire l'époque de leur mort , à vingt-quatre heures près , ce qui tient en partie à l'habitude qu'ils ont ac- quise d'estimer approximativement la durée de la vie des malades , et à la remarque faite par eux que les décès ont lieu plus fréquemment à certains momens du jour ( § 606 , 12°). Mais il y a aussi des malades , même des enfans , qui , sans posséder ces connaissances, annoncent exactement l'heure à laquelle ils mourront (5) ; on en cite un qui demanda s'il n'était pas bientôt trois heures , parce qu'alors il quitterait la (1) Burdach, /o?» Baue und Lehendes Gehirns , t. III, p. 485. (2) Traité de l'expérience , t. II, p. 86. (3) Essai de physiologie positive , t. III, p. 261. (4) Osiander, loc. cit., t. I, p. 134. (5) Pierer, Anatomisch-physiologischer Kealwœrterhuch , t. I, p. 463. — Osiander, Ueher die JSntwicJtelungshrankheiten , t. I, p. 123, 4i4 atORT. yie , et en effet il expira lorsque l'horloge se fit entendre (1). - Les faits relatés plus haut ne permettent pas de douter que les facultés de l'ân.e et celles des organes sensoriels soient fréquemment exaltés au moment de la mort : ceux-ci nous autorisent aussi à admettre que le sentiment intérieur peut de même éprouver une exaliation intérieure , au moyen de laquelle le malade acquiert la prévision certaine de Theure fixée pour sa mort , tout comme des observations incontesta- bles démontrent que certains malades atteints d'affections ner- veuses prédisent de la manière la plus positive l'époque à la- quelle un accès de spasme commencera et se terminera. Le cas est tout différent à l'égard des personnes qui, jouis- sant d'une pleine et entière santé , annnoncent d'avarice l'é- poque de leur mort. La prédiction peut alors se réaliser , comme par exemple lorsqu'une femme enceinte soutient avec l'air d'une conviction profonde qu'elle mourra en couches , sans qu'on puisse découvrir la moindre cause d'un tel événe- ment, qui cependant a lieu, contre toute attente de la part du médecm (2). La première idée qui se présente est de consi- dérer la prédiction comme un conte, et d'attribuer au hasard sa coïncidence avec réyéneîîient. Cependant, comme il lui ar- rive plus fréquemment de se réaliser que de rester inaccom- phe^ on ne saurait nier le pressentiment de la mort, alors même que la circonstance qui doit l'amener est encore éloi- gnée et inconnue ; car si poi^s accordons la possibilité de ce pressentiment pour le montient qui vient immédiatement après, il nous' est impossible de lui assigner aucune limite précise dans le temps. Le cas qui vient d'être cité peut s'expliquer d'ailleurs par la justesse plus grande qu'on remarque en gé- néral dans les prévisions des femmes (§ 198, 2"), et par l'exaltation que la sensibiUté éprouve pendant la grossesse (§ 347, II). D'un autre côté , l'imagination peut faire que la mort dé- terminée par une maladie survienne à telle heure plutôt qu'à telle autre. Une jeune fille annonça à Osiander (3) qu'elle (1) Osiander, loc. cit., p. 132. (2) Uid., p. 153. (3) Ibid., p. 129. MORT. 4* S mourrait dans six semaines , à l'anniversaire de la mort de'sa mère , et à midi précis ; sa prédiction s'accomplit. Le célèbre graveur Frédéric MuUer déclara , dans sa maladie mentale , qu'un grand changement surviendrait en lui au prochain anniversaire de la naissance de son père, et il mourut dans la nuit de ce jour (1). Plusieurs semaines avant de succomber à une fièvre nerveuse lente, ma mère me demanda si elle pour- rait passer le jour auquel mon père était mort vingt-et-un ans auparavant ; elle ne réitéra plus cette question , dans la crainte de m'affliger ; mais elle mourut le même jour et à la même heure que mon père. Il est digne de remarque que , dans tous ces cas, c'est l'amour qui fixait l'imagination; c'est lui qui donnait de la durée et de la permanence à l'idée, qui dirigeait vers elle toute la force de la vie , et qui , ou pro- longeait la vie jusqu'au terme désiré, par la tension qu'il lui imprimait, ou en tranchait le fil à cette époque par l'intime conviction d'être arrivé au but. L'occasion se présente plus fréquemment encore d'obser- ver l'influence de l'âme sur la vie par rapport à la manière de mourir. Toutes choses égales d'ailleurs, j'ai constamment vn finir d'une manière calme et douce ceux qui s'étajent fa- miliarisés avec la mort et l'attendaient de sang-froid , tandis que je n'ai pu assister sans frissonner aux derniers momens de ceux qui, ne voulant pas à toute force ruoiirir , tombaient en proie aux spasmes les plus violons et à la plus affreuse agonie jusqu'à ce que le dernier soujffle de la force vitale fût éteint en eux. S'il est possible, ce que nous ne devons point examiner ici, de provoquer une sensation chez un homme en fixant avec force notre pensée sur lui , il le serait aussi qu'en pensant avec exaltation à un ami éloigné , un mourant fît naîire en celui-ci une iWusion des sens , un fantôme , un bruit imagi- naire. Les cas de ceg^enre, qu'on ne saurait expliquer autre- ment, et dont Wieland rapporte un (2), ne sont point rares ; (1) Ibid., p. J41. (2^ Euthanasia , Drei Gespwge weber dus l>ebeu nach dem Tode p. 239-250. 4l6 MORT. il s'en est présenté, entre autres, clans ma famille. Je sais que beaucoup de fables sont mêlées parmi eux , mais les rejeter indistinctement, c'est renoncer à toute foi historique. 5° La réceptivité pour les choses du dehors diminue , et l'homme devient peu à peu insensible. C'est principalement la vue qui se trouble ; les moribonds se plaignent presque tous de l'obscurité, et demandent qu'on leur procure une lumière plus vive. Mais, tandis qu'ils ne distinguent déjà plus les for- mes , ils continuent encore d'entendre , comme on peut en juger d'après leurs mouvemens , et comme on le sait d'après le témoignage de ceux qui ont échappé à la léthargie. 6° Dans la tenue du corps , la pesanteur l'emporte sur le mouvement propre. Le moribond est étendu sur le dos , et quand son lit est incliné , il glisse au pied : les substances solides ne peuvent plus être avalées ; les liquides ne le sont qu'avec peine, ou en petite quantité, et, en descendant le long de l'œsophage, qui demeure, passif, ils font entendre un gar- gouillement bien prononcé : la parole devient difficile et inintelligible, ce qui souvent avait déjà été précédé par Tim- possibilité de trouver des expressions justes. C'est dans les mains que le mouvement volontaire persiste le plus long- temps , et fréquemment une légère pression vient annoncer que le moribond sent encore, lorsque déjà il ne peut plus parler. La paupière supérieure tombe un peu , de manière que l'œil se ferme à demi ; le globe oculaire devient fixe , et presque toujours la pupille se tourne vers la partie interne et supérieure , position qui dépend plutôt du muscle oblique inférieur que du supérieur, quand elle n'est pas produite par le droit interne et le droit supérieur. Un léger tremble- ment des lèvres est le dernier mouvement qu'on aperçoive. La mort douce n'est que faiblement annoncée par un spasme tonique de l'œil et un spasme clonique des lèvres. Mais, dans l'agonie , ces spasmes sont à la fois plus forts et plus étendus ; ils ont été précédés aussi de mouvemens automatiques des mains , qui ressemblent à ceux qu'on pourrait exécuter soit pour chercher quelque chose sur la couverture ou la mu- raille /: soit pour ramasser des flocons ou chasser des mou- ches. MORT. 4 1 7 7" La respiration devient pénible et interrompue ; l'accu- mulation des mucosités et la passiveté des muscles la rendent sierloreuse. Le dernier acte est une expiration. 8° Le pouls devient vite, faible, petit, irrégulier, intermit- tent ; souvent il se rétablit, quand depuis long-temps déjà il était éteint. Après son extinction aux membres , on continue encore de le sentir au tronc, par exemple dans les aines, de sorte que la circulation , dont la sphère va toujours en se res- serrant, finit par n'avoir plus lieu que dans les troncs des vais- seaux. Kaltenbrunner , en examinant au microscope des par- ties transparentes d'animaux mourans, a vu la colonne du sang s'amincir peu à peu dans les artères, de sorte que celles-ci n'étaient plus qu'à moitié remplies , et que leurs parois devenaient flasques; puis la circulation, qui jusqu'alors avait été continue dans les branches déliées des artères (§ 714, I), devenait rémittente (§ 714, II), en correspondance avec les battemens du cœur, après quoi elle devenait irrégu- lière et intermittente (§ 714, III). Déjà les artérioles s'é- taient complètement vidées , et l'on n'apercevait plus aucun signe de vie, que le sang fluctuait encore dans les veines (§ 714, IV), jusqu'à ce qu'il s'arrêtât complètement (§714, V). 9° La peau se refroidit, et fréquemment elle se couvre d'une sueur gluante. La turgescence disparaît , surtout à la face, qui devient pâle et terreuse ; les traits se déforment, les yeux se cavent, les os des pommettes font plus de saillie, les tem- pes sont affaissées ; le nez devient froid et blanc , il s'effile, et ses ailes rentrent en dedans ; les lèvres sont pâles ou bleuâ- tres et pendantes; le menton est pointu. L'œil devient terne , fixe, et prend la direction indiquée plus haut (6°), non seule- ment parce que quelques uns de ses muscles continuent seuls d'agir , les autres étant paralysés , mais encore parce que la turgescence vitale a cessé ; la sécrétion de la conjonctive s'arrête, et la cornée devient flasque et trouble. III. La direction suivant laquelle marche la mort varie. La mort naturelle a lieu de la circonférence au centre 5 elle commence par les membres, s'étend aux organes sensoriels , et envahit enfin les organes centraux. Le cœur survit aux V. 27 4l8 PHÉNOMÈNES CADAVÉRIQUES, poumons de quelques instans. On ne saurait" déterminer d'une manière rigoureuse si le cerveau meurt avant les pou- mons , ou si sa vie , incapable de se manifester par Taclivité sensorielle et par le mouvement volontaire , continue encore dans lintérieur, pour ne s'y éteindre qu'au dernier moment ; néanmoins la première de ces deux hypothèses est plus vrai- semblable que l'autre; car, lorsqu'un homme sort d'asphyxie, cas où la vie revient d'abord dans les organes centraux , puis dans ceux de la périphérie, la circulation est la première des fonctions qui rentre en jeu, après quoi ta respiration recom- mence, et c'est en dernier lieu seulement que le sujet reprend connaissance. A la vérité, l'apoplexie est si fréquente chez les vieibards que, d'après Seiler (1), les neuf dixièmes y succombent, et que , suivant Rochoux , sur soixanle-irois apoplectitjues , quarante-six avaient dépassé l'âge de cin- quante ans (2). Cependant nous ne saurions la regarder, avec Scheu (3), comme le genre naturel de mort , puisque la mort naturelle ne peut consister qu'en une exiinction uniforme de l'activité vitale, qui doit se manif*^sier de meilleure heure à la périphérie , où la vie est plus pauvre , que dans le centre, où elle a établi ses foyers. Quant à ia mort accidentelle , elle ne peut partir que des organes centraux ; dans l'apoplexie , du cerveau, d'où elle gygne les poumons , puis le cœur; dans l'asphyxie, des poumons, d'où elle se porte au cerveau, et va frapper ensuite le cœur; dans la syncope , du cœur, d'où elle envahit en premier lieu le cerveau et ensuite les pou- mons. CHAPITRE II. Des phénomènes cadavériques. § 634. Le cadavre parcourt une série de transformations que l'on peut rapporter à trois périodes, ayant pour carac- tères, la première le ramollissenjent, la seconde la solidifica- tion, et la dernière la résolution. Sous l'influence d'une tem- (1) Pierer, loc. cit., t. III, p. 759. (2) Diclionn. de méd., t. II , p. 544. (3) VeLer die chronischen Krankheiten des mœnnlichen Alters^ p, 324. PHÉNOMÈNES CADAVÉRIQUES. ^ig pérature moyenne et d'un degré médiocre d'humidité , ces trois périodes sont bif^n distinctes l'une de l'autre ; le froid et la sécheresse font prédominer !a sohdification, qui arrive plus tôt et persiste ensuite , le corps se desséchant, au lieu de se résoudre ; la chaleur extérieure et l'abondance des sucs dans le cadavre donnent la prépondérance à la résolution , qui ar- rive de trop bonne heure pour permettre à la solidiKcation de s'effectuer, et qui marche avec une grande rapidité. ARTICLE I. Des signes de V abolition de la vie. La première période étant la suite immédiate de la mort, elle a des caractères plutôt négatifs que positifs, de manière qu'il est difficile de ia distinguer de l'asphyxie causée soit par le manque des condiiions extérieures de la vie (§ 626, 4°), soit par des états morbides. Chacun des signes de la mort , à cette époque , est fa!!acieux , pris isolémeut, taat parce qu'il y a plusieurs maniieslaiions de la vie qui sont supprimées dans la mort apparente , que parce qu'il subsiste encore une vita- lité partielle dans le cadavre. Cependant , comme nous ne pouvons pas bien juger de l'état de vie d'après un seul phéno- mène , et qu'il nous faut pour cela les embrasser tous , de même la réunion de ces caractères négatifs conduite une con- naissance certaine de la mort. I. D'abord il y a absence de tous les phénomènes sensibles de la vie. Celte absence se dénote : par l'immobilité ^ même quand on a recours aux plus forts excitans, comme à l'intro- duction de vapeurs ammoniacales dans le nez , à i'inslillatioa de cire à cacheter fondue sur le creux de l'estomac ; l'i- nertie de l'iris , même sous l'influence de la plus vive lu- mière; la cessation de la respiraiioa , annoncée par une glace qui ne se ternit point quand on la lient devant le nez et la bouche, par la flamme d'une bougie et par le duvet léger qui ne s'agitent pas lorsqu'on les met en rapport avec ces par- ties, par le niveau d'eau qui ne se dérange point quand on le place sur le creux de l'estomac ; l'abolition de la circulation, 420 PaiÈNOMÈNES CADAVÉRIQUES. dénotée par celle des battemens du cœur ou des artères, et par le défaut d'écoulement de sang à Touverlure des veines 5 enfin, le défaut de chaleur vitale. Ces sijjnes négatifs appartiennent bien en commun à la mort réelle et à la mort apparente; mais, dans cette dernière, une lésion locale détermine un état inflammaioire, c'est-à-dire une réaction vivante, qui n'a jamais lieu après la mort. Ainsi, par exemple, si l'on fait tomber des gouttes de cire brûlante sur la peau, elles ne s'entourent que dans le cas de persis- tance de la vie, d'un cercle rouge, dont la teinte est plus fon- cée à son bord interne, celui qui touche immédiatement à la portion de peau morte étantd'un blanc mat ; quelquefois aussi il se forme des ampoules pleines de sérosité, qui ne se déve- loppent également point sur le cadavre. IL 11 faut Joindre l'abolition complète de la turgescence vitale , qui s'annonce tant par raffaissement et la diminution de volume, que par le relâchement des parties molles et la facilité avec laquelle elles cèdent sous le doigt. Les tempes et les joues sont affaissées , le nez effilé , les yeux caves , les paupières enfoncées , le globe oculaire flasque et déformé , la cornée molle et non tendue. Cependant ces phénomènes ne sont bien prononcés qu'à la suite de longues souffrances; mais , après une atteinte profonde portée à la vie, par exem- ple dans certains empoisonnemens , ou après une longue ago- nie, ils se manifestent sipromptement et à un degré tel, qu'ils peuvent servir à distinguer la mort réelle de la mort appa- rente. La peau et le tissu cellulaire n'ont plus aucun ressort, les articulations son! flexibles , les viscères mous et affaissés, les parois de l'estomac , du canal intestinal et de la vessie amincies , les cavités de ces organes plus spacieuses, par con- séquent les muscles plus relâchés, plus mous et plus faciles à déchirer. IIL La faculté de résister aux impressions mécaniques étant ainsi abolie , la loi de la pesanteur reprend son empire , les effets simples de la pression se dessinent d'une manière plus pure , et partout règne une passiveté mécanique. V Le cadavre est étendu, par sa face lapins large, sur une surface correspondante, et, s'il se trouve dans l'eau, il en oc- PHÉNOMÈNES CADAVÉaiQUES. ^2Ï cupe le fond : les viscères s'enfoncent dans les parties les plus déclives de leurs cavités, et le ventre acquiert par-là une plus grande largeur ; les mamelles de lu femme et la verge de l'homme deviennent pendantes ; la mâchoire inférieure s'a- baisse , de manière que la bouche est à demi ouverte ; l'œil l'est également ; car la paupière supérieure ne s'abaisse qu'autant que le lui permet le relâchement de son muscle élévateur. 2° La passiveté mécanique et la pesanteur spécifique ont pour effet que les parties inférieures du cadavre , notamment le dos et les fesses, prennent la forme du plan qui les sup- porte , que par conséquent elles s'aplatissent et se moulent sur toutes les inégalités , dont elles conservent la trace. Ce n'est là cependant que le résultat d'un contact prolongé , car la simple pression du doigt à la peau ne laisse point encore d'empreinte durable. B° Les muscles sphincters ne tiennent plus closes les cavi- tés à l'entrée desquelles ils sont placés ; ils s'ouvrent, par suite du relâchement de leurs fibres , et n'opposent plus de résis- tance. Lorsqu'on abaisse la mâchoire inférieure, ou qu'on re- ève la paupière supérieure , la bouche et l'œil restent tout grands ouverts , et quand on les ferme , ils demeurent dans cet état , autant du moins que le permet la pesanteur. Si le cadavre est dans l'eau , le liquide pénètre dans le nez , la bouche, la trachée-artère et l'anus, plus rarement dans le vagin, mais jamais dans l'urèlre de i'homme; il expulse les gaz contenus dans ces organes, et augmente le poids du corps. Si l'on vient à remuer ce dernier, les excrémens sortent , lorsqu'il y en en avait d'accumulés au voisinage de l'anus ; la pression , par exemple celle de la terre , exprime aussi les sucs contenus dans les autres cavités formées par la membrane muqueuse. 4" Le sang abandonne les vaisseaux capillaires , notamment ceux de la surface extérieure , tant parce que la vie s'est éteinte en premier lieu à la périphérie , oii le sang n'est plus arrivé dans les derniers momens , que parce que la pression exercée par les vaisseaux d'un petit calibre, et peut-être aussi par l'air du dehors , a chasi>é ce liquide dans les troncs 422 PHÉNOMÈNES CADAVÉRIQUES. vasculaires internes, qui ont plus d'ampleur. Comme Kalten- brunner Ta observé immédiatement avec le secours du mi- croscope , les capillaires des viscères, notamment du foie et de la rate , se vident moins. Buniva a trouvé que Tinjection des vaisseaux capillaires, qui réussit aisément après la mort, est impossible chez les animaux moribonds ou mourans. Si Ton tient une lumière derrière les doigts d'un cadavre hu- main , on n'aperçoit plus , comme pendant la vie , la leinte rosée qui provenait du sang contenu dans les vaisseaux capillaires. En général, la peau devient pâle, jaunâtre ou terreuse , surtout au nez , aux joues, aux oreilles, aux cou- des , aux genoux et aux talons ; comme le sang n'y afflue plus, un frottement prolongé la rend lisse, parcheminée et jaunâ- tre ; les congestions disparaissent , et les surfaces suppu- rantes blêmissent. Les couleurs du plumage deviennent plus pâles aussi chez les Oiseaux morts , et quelques unes même disparaissent en entier, parce qu'il ne s'y porte plus de li- quide graisseux (1). Chez l'homme , ce sont surtout les origi- nes des membranes muqueuses, comme les paupières , les lèvres , la cavité orale , les fosses nasales , les mamelons , qui pâlissent, Si , d'après Orfila (2) , la peau et les membra- nes muqueuses conservent leur vive rongeur chez les enfans mort-nés, ce phénomène paraît tenir à ce que, pendant les premiers momens qui ont suivi la mort, et alors que le sang était encore liède , la pression de l'atmosphère n'a point con- couru à pousser ce liquide dans les troncs vasculaires. 6» Le sang passe des vaisseaux capilLsires dans les veines, notamment dans leurs troncs, parce que c'est là qu'il rencontre le plus d'espace et le moins de pression . Une partie de ce liquide coule aisément des veines , qui sont assez distendues, dans les cavités droiies du cœur et les artères pulmonaires , mais il ne va pas plus loin, et laisse vides tant les cavités gauches du cœur que le système aortiqne, d'un côté,paice qu'il n'est plus ni poussé par les contractions cardiaques et la force a tergo , ni exprimé des poumons par le mouvement expira- (1) Naumann , NaturgescMcJite der f^œyel , t. I, p. 119. (2) Di©ti©nn. de niéd,, t. IV, p. 18. PHÉNOMÈNES CADAVÉÏllQtES. ^^$ toire, d'un autre côté, parce que ce dernier organe est celui qui lui offre le plus d'espace. En effet, après la dernière expiration, les parois des voies aériennes prennent la situa- tion que leur assigne la coniractiliié mécanique dont elles jouissent ; cette situation lient le milieu entre l'inspiration et l'expiration , quoiqu'elle se rapproche davantage de celle- ci ; les côtes remontent un peu ; la trachée-arière et ses branches se dilatent légèrement , par l'élasticité de leurs car- tilages, après que l'activité musculaire qui avait déterminé l'expiration a cessé. Mais les poumons se dilatent un peu plus que la poitrine pendant l'inspiration, de sorte que, quand cette dernière n'a plus lieu , ils demeurent éloignés des parois tho- raciques , c'est-à-dire qu'entre eux et celles-ci se forme un vide ; or, comme le sang trouve là moins de résistance que partout ailleurs, il s'accumule dans les poumons, et n'est point poussé dans la partie gauche du cœur , non plus que dans le système aortique. Si l'on ouvre la poitrine d'un ani- mal au moment de la mort , le système aorîique demeure plein de saog, parce qu'alors il ne s'est point produit de vide dans la cavité thoracique , et qu'au contraire la pression de l'atmosphère sur les poumons favorise l'écoulement du sang à travers les veines pulmonaires. 6" Le sang , notamment sa partie la plus pesante et la plus colorée, se précipite, en vertu de sa liquidité et de son poids, vers les parties les plus déclives. C'est ainsi qu'il repasse des grosses veines dans les petites et les vaisseaux capillaires dés points les plus déclives de la peau, mais dans ceux seulement qui ne subissent pas une trop forte compression , f sr celle-ci metirail obstacle à son accumulation. Voilà ce qui explique les taf-bes livides qu'on aperçoit vers la fin de cette période, et qui , lorsqu'on appuie dessus , s'effacent , pour reparaître ensuite peu à ppu , sans qu'il y ait d'épanchemenî hors des vaisseaux. Le sang contenu dans les vaisseaux des organes, tels que le foie , le canal intestinal . s'y rassemble aussi vers les puints les plus déclives , et ce phénomène va si loio , dans les poumons , au dire de Rigot et de Trousseau (1) , que le (1) Archives générales , t, Xll , p. 357. 4^4 PHÉNOMÈNES CADAVERIQUES. tissu pulmonaire ne crépite plus sous la pression ni sous le couteau , le sang ayant chassé tout l'air de ces points. Voilà comment il se fait souvent qu'on donne pour une congestion morbide ce qui n'est qu'un simple effet de la situation du ca- davre. Du reste, on aperçoit fréquemment aussi des taches à la face du cadavre qui est tournée vers le haut ; dans ce cas , le sang a dû être chassé de bas en haut par une pression agis- sant du dedans , par exemple , à l'invasion de la raideur cada- vérique. Mais, en général, elles paraissent tantôt dès les pre- mières trois heures qui suivent la mort , tantôt seulement au bout de quatre à six heures. IV. Le cadavre prend peu à peu la température du milieu qui l'environne ; cependant, il n'arrive d'ordinaire à l'équili- bre que quinze à vingt heures après la mort , parce qu'étant mauvais conducteur du calorique , il se refroidit lentement. Le refroidissement a lieu bien plus tôt que de coutume après les hémorrhagies abondantes et les maladieschroniques; beau- coup plus tard, au contraire, après l'asphyxie, celle surtout par la vapeur du charbon , après les fièvres de mauvais caractère et putrides , après l'apoplexie et la mort subite chez les sujets vigoureux, replets, pendant Tété et dans le lit. Les parties qui se refroidissent le plus vite sont celles qui occupent la périphérie , d'abord les mains , les pieds , les lèvres , le nez , les épaules , les genoux , ensuite les aines , les aisselles et la nuque , puis la cavité du tronc, et, en dernier lieu , la région située immédiatement au dessus et au dessous du dia- phragme. V. Il se manifeste des phénomènes qui annoncent un com- mencement de disgrégaîion. 7" Le premier est la volatilisation des parties aqueuses. Lorsque le temps est froid , on voit une vapeur s'élever de la surface du corps et surtout des ouvertures des membranes muqueuses. Cette vapeur devient bien plus abondante quand on ouvre le tronc , notamment !a cavité abdominale. Elle a l'odeur ordinaire de la viande fraîche qu'on étale dans les boucheries. Son effet est de diminuer le volume et le poids du cadavre. Quoiqu'elle abonde surtout quand l'air est sec et chaud , elle ne dépend cependant pas uniquement de PHÉNOMÈNES CADAVÉRIQUES. 4^^ l'affinité entre ratmosphère et Teaii; car Guntz (l) assure qu'elle a lieu jusque sous l'eau , et quand on pèse un cadavre qu'on a plongé dans ce liquide , après avoir laissé couler toute l'eau dont il a pus'impréjjner, on le trouve plus léger qu'il ne l'était auparavant. Du reste , cette vaporisation ne se borne pas à rendre plus sèches les parties solides, la peau en particulier ; elle épaissit encore les liquides voisins de la surface, ce qui fait que Jes dents et la conjonctive oculaire se couvrent d'un mucus gluant, qu'Orfila du (2) ne point exister chez les enfans mort-nés, parce qu'alors Teau de l'amnios s'oppose à sa for- mation. Sommer a trouvé que la conjonctive et la sclérotique, dans les points non couverts par les paupières et par conséquent exposés au contact de l'air, deviennent translucides par l'effet de l'évaporaiion, de sorte que le pigment, qui perce au travers, les fait paraître brunes ou noirâtres, surtout vers l'angle in- terne de l'œil. 8° Yingl-quatre à trente-six heures après la mort, même quand le cadavre est encore chaud et flexible , le sang com- mence à s'épaissir ; il prend en même temps une teinte plus foncée , surtout dans les parties déclives , de manière qu'il représente une masse caillebotée ou gélatineuse, d'un rouge tirant sur le noir. 9° A l'extinction de la vie, non seulement la cornée devient blanchâtre , et les liquides de l'œil se troublent, de sorte que la prunelle ne paraît plus noire, mais encore les membranes séreuses perdent leur transparence , sans qu'on puisse dire de quelle cause ce phénomène dépend. Chez un enfant qui était venu au monde avec la cavité abdominale non close , Len- hossek (3) a vu le péritoine et le péricarde transparens ; toutes les fois qu'il survenait des syncopes et des accès de suffoca- tion , la transparence de ces membranes augmentait , et l'on voyait diminuer celle de la cornée , dans la substance de la- quelle il semblait qu'un liquide lactescent eût pénétré ; avec la vitalité reparaissait la transparence , mais chaque fois de (1) Der Leichnam des Menschen , p. 177. (2) Dictionn.tleniéd.,t. lY, p.' 17. (3) Medicinische Jahrbuecher, t. YI^ catl. II, p. ii6 PHÉNOMÈNES CADAVÉRIQUES. moins en moins prononcée , de sorte qu'à la mort il n'en res- tait plus aucun vestige. Richerand a également trouvé le péri- carpe d'une transparence parfaite chez un malade auijuel il pratiqua la résection des côtes, el cependant cette membrane ne nous apparaît jamais qu'opaque dans le cadavre. 10" Les affinités particulières qui , pendant la vie , ont lieu entre les différens tissus et les divers liquides, cessent à la mort, et comme, d'un côté, les liquides ont de la tendance à se séparer, taudis que, d'un autre côté, les parois deviennent flasques et atoniques , on voit commencer, vers la fin de cette période , les transsudations , qui deviennent d'autant plus con- sidérables, que la tonicité était moindre pendant la vie. Elles augmentent beaucoup dans le cours de la période suivante. Buscharemarqué, quand il avait rempli de lait et compris entre deux ligatures une portion d'artèreou de veine , qu'il ne s'en échappait rien pendant la vie , mais qu'après la mort un peu de lait transsudait (1). On sait que la même chose arrive à la manière colorante de la bile, qui, après la mort, traverse le vésicule, pour se répandre dans le tissu cellulaire. Il y a aussi une partie des matières alvines, de l'urine et du sperme, qui traverse les membranes muqueuses après la mort, et qui com- munique son odeur ou sa couleur aux organes voisins. L'enduit muqueux dont se couvre la cornée transparente paraît naître en partie de cette manière. On doit également ranger ici les congestions de sérosité dans les cavités formées par les membranes séreuses , à la production desquelles con- courent en partie et l'absence de toute résorption, et la con- densation de la vapeur par la diminution de la chaleur. Le sang traverse aussi les parois des vaisseaux pour passer dans la substance des organes , par exemple , de l'estomac et du canal intestinal, à la surface desquels il forme des taches rouges ou brunâires, ou dans le tissu cellulaire, et là il se présente a'ors sous l'aspect d'une infiltration de sérosité sanguinolente. Ces dernières infiltrations, au dire d'0rfila(2),se manif«islent très- peu d'heures déjà après la mort^ lorsque le temps est chaud, et (d) Expérimenta quœdam de morte , p. 24. (2) Diclionn. de méd., t. IV, p. 15. PHÉNOMÈNES CADAVERIQUES, 4^7 s'observent fréquemment chez les enfans mort-nés , même au dessous du périoste, surtout au crâne (1). Enfin , suivant les recherches de Rigot et Trousseau (2), le pigment du sang pénètre dans le tissu du cœur et des vaisseaux, dans la mem- brane blanche et interne desquels il donne lieu à des taches soit d'un rouge clair ou foncé, soit violettes. Cette pénétration dans le tissu est déterminée, et parla pesanteur, puisqu'elle se manifeste d'un manière plus prononcée aux parties qui sont situées profondément, et par l'aptitude du sang à se dé- composer, puisque plus ce liquide est plastique et riche en substances solides, moins aussi i! abandonne sa fibrine. Lorsque la fibrine est coajjulée, on n'observe point d'infiltration sem- blable : il ne se produit que des stries d'un rouge clair dans les artères , tandis qu'on voit une rougeur plus fon- cée se répandre uniformément dans les veines, parce que le sang veineux contient plus de sulîslance colorante et qu'il est moins coagulé, parce qu'aussi la iSlaccidité des veines per- met mieux l'infiltration. On voit que ces épanchemens sé- reux et sanguinolens, comme aussi la précipitaiion du sang (6°), peuvent induire en erreur dans les ouvertures de ca- davres faites pour éclairer la pathologie ou la justice, mais que ceux qui croient devoir assigner à la maladie et à la mort une cause susceptible de tomber sous les sens, doivent surtout y avoir égard. VI. La mort n'arrive jamais dans toutes les parties à la fois; elle s'étend plus ou moins rapidement d'un organe aux autres. Ainsi, lorsque déjà la vie est éteinte dans les organes cen- traux , c'est-à-dire d'une manière générale , il peut encore y avoir une vie partielle , qui se dénote par quelques phéno- mènes isolés , incohérens. 11° Après l'abolition du mouvement subsi<;te encore pen- dant quelque temps, dans les muscles, l'aptitude à se contracter sous l'influence de sîimulaiions insolites. Nysten a faita;;ir, chez quarante cadavres , la pile voltaïque sur les muscles superficiels mis à découvert , et il a vu des convulsions s'ea- (2) Archives générales , t. XII, p. 169. 428 PHÉNOMÈNES CADAVÉRIQUES, suivre , constamment dans les premières heures après la mort , et parfois même encore au bout de vingt heures. Celte per- sistance de i'irritabiUté des muscles n'est point proportionnée à leur vitalité et à leur mobilité chez les divers animaux, mais elle est bien plutôt due à la ténacité de la vie ; car les Reptiles sont les animaux chez lesquels elle dure le plus Ion.[ï-temps , et les Oiseaux , notamment ceux à vol élevé , ceux chez les- quels elle s'éteint le plus vite. Eile ne dure pas davantage non plus dans les cadavres des hommes fortement musclés , ni moins long-îemps après les fièvres adynamiques et les maladies accompagnées d'une grande faiblesse. L'irritabilité persiste davantage dans les muscles des membres que dans ceux du tronc , et les muscles qui la conservent le plus sont ceux de la face, notamment des lèvres et des paupières. D'après des observations faites sur des animaux , elle s'éteint d'abord dans le ventricule gauche du cœur, puis dans les autres muscles plastiques, ensuite dans les muscles soumis à la volonté , et en dernier lieu dans les oreillettes du cœur. 12° Le mouvement intérieur et oscillatoire des muscles soumis à la volonté dure pendant quelque temps. Un lambeau de chair qu'on vient de couper à un animal récemment mis à mort , produit , quand on le met dans l'oreille , la sensation d'un bourdonnement , qui cesse lorsque la chair est complè- tement morte. De même , il arrive quelquefois que les spasmes toniques persistent jusqu'au moment de la putréfaction , sous la forme de tétanos et de trisme des mâchoires. Le mouvement péristaltique des intestins peut être observé pendant des heures entières sur les animaux mis à mort dans nos boucheries. Méry (1) pratiqua l'opération césarienne sur une femme qui était morte en mal d'enfant, et trouva que les intestins jouissaient encore d'un mouvement très-vif. Suivant Magendie, ce mouvement devient si fort, au moment de la mort , qu'on peut le sentir à travers les parois du bas-ventre, qu'il détermine des évacuations alvines lorsque déjà la vie est éteinte depuis quelques minutes , et qu'il ne cesse d'être (1) Hist. de l'Acad. des sciences , 1699 , p. 50. PHENOMENES CADAVERIQUES. 4^0 sensible ainsi qu'au bout d'un quart d'heure (1). Guntz (2) a remarqué aussi que le rectum des nouveau-nés contenait plus de matières excrémentitielles pendant la seconde période que immédiatement après la mort. Nous avons parlé ailleurs de l'accouchement après la mort , qui est déterminé par la force vivante de la matrice (§ 484,2°). Les Oiseaux que l'on déca- pite courent encore pendant quelque temps dans la direction qu'ils avaient au moment de l'opéradon, et on assure que les Grenouilles auxquelles on coupe la tête ne s'en accouplent pas moins. 13° Le refroidissement du cadavre a lieu plus lentement qu'on ne devrait s'y attendre d'après les lois de la conducti- bilité du calorique , de sorte que la question se présente de savoir si la production de la chaleur continue encore après la mort et ne fait que s'éteindre peu à peu. L(s observations de Busch (3) parlent en faveur de l'yllirmative. Chez un Chien qu'il laissa périr d'hémorrhagie, la chaleur monta à vingt-huit degrés , s'y maintint pendant deux minutes , et baissa en- suite (4). Chez un Lapin , dont la température était descendue au dessous de vingt-quatre degrés, deux heures après son égorgement , elle remonta à vingt-cinq degrés à la suite d'un coup sur l'occiput (5) ; et chez un Chien mis à mort par stran- gulation , la température , qui était descendue à Vingt-cinq degrés au bout de quelques minutes, remonta au dessus de vingi-six dès qu'il eut jeté violemment l'animal à terre, re- tomba au bout de quelques minutes à vingt-cinq degrés, et ne put plus être portée au dessus de ce terme par la iépétition de la même manœuvre. 14° L'absorption coniinue pendant quelque temps après la mort. Magendie a vu qu'en exprimant le contenu des lympha- tiques intestinaux , ils se remplissaient bientôt de nouveau chyle ; et cette expérience , répétée fréquemment , donna (1) Gevson,^ Magasin, t YI, p. 148. (2) Der Leichnam des Menschen , t. I , p. 100. (3) Expérimenta quœdam de morte , p. 3S. g (4) Ihid., p. 20. (5)7('nrf.,p. 8. 450 RAIDEUR CADAVÉRIQUE. encore le même résultat deux heures après la mort (1). Mas- cagni a remarqué que l'ubsorplion persiste plus long-temps chez les jeunes sujets que chez ceux qui sont avancés en âge , et il dit même avoir vu, chez les premiers, des liquides qu'il avait injectés dans la cavité thoracique être absorbés deux jours après la murt. 15° Chez une jeune femme qui avait succombé au quatrième jour d'une encéphalite , Speranza (2) trouva, douze heures après l'a mort, que le corps , surtout à la tête , était chaud et couvert de sueur, dont les gouttelettes se renouvelaient à mesure qu'on les essuyait. Il ne parut pas douteux que cette exhalation provînt d'une activité vitale de la peau ; mais les humeurs continuèrent de suivre la même direction douze heures plus tard encore , lorsque la chaleur était éteinte et que la tête commençait à tomber en putréfaction. 16° Si nous admettons qu'une pareille impulsion donnée aux humeurs puisse être efficace , et si nous prenons en considéra- tion les autres phénomènes que nous avons rapportés , il ne nous est pas permis de regarder comme impossible que , après la mort, des dents percent chez des enfans morts pendant le travail de la dentition , ou que la barbe et les ongles croissent encore sur des cadavres d'hommes , ce dont Serres (3) et Pariset surtout ont cité des cas. Il peut bien se glisser ici quelque illusion , puisque les poils et les ongles paraissent plus longs après la mort que pendant la vie, à cause de l'affais- sement de la peau ; mais nier la possibilité de l'accroissement de ces parties demi-végétales , c'est faire preuve d'un scepti- cisme qui ne repose lui-même que sur un dogmatisme trop raide pour vouloir fléchir. Article ii. De la raideur cadavérique. § 635. Environ douze heures après la mort, plus tôt encore (1) Précis de physiologie , t. Il, p. d63. (1) Archives générales , t. XVII , p. 263. (2) Essai sur les dents , p. 76. RAIDEUR CADAVÉRIQUE. 45ï chez les etifans, commence la seconde période, qui ne se prononce bien que quand la température est peu élevée ; car la chaleur en rend tous les phénomènes insensibles. D'abord, les dernières traces de la vie ont disparu ; le cadavre a pris la température de ce qui l'entoure, comme aurait pu le faire un corps inorganique ; le collapsus est devenu plus considé- rable, les saillies des os sont plus marquées, le nez est plus effilé, les bords des paupières s'appliquent exactement au globe oculaire, la bouche et l'anus sont ouverts; la peau a pris une teinte plus pâle encore; l'odeur de substance animale fraîche a disparu , et elle a fait place à l'odeur cadavéreuse spécifique, dont les émanations attirent des mouches, qui cher- chent à déposer leurs œufs sur le corps. Le volume du corps a diminué, de manière que, s'il est inhumé, la terre s'afFaise, en remplissant les vides qu'il a pu laisser (1); le ventre est de toutes les régions celle qui s'affaisse le plus , comme Toeil est celui de tous les organes dont la capacité subit la plus grande diminution. Comme l'aflaissement est plus sensible que partout ailleurs dans les parties qui ont ie plus de mollesse et renferment le plus de liquides, et qu'elle s'accompagne aussi d'une perte de poids éprouvée par le cadavre, elle lient prin- cipalement à révaporal!on( § 634, 8°), quoique la disparition de la turgescence , celle de la chaleur , et l'action de la pe- santeur (§ 634, 1°), puissent y contribuer également. Mais ce qui entre surtout en jeu , c'est la rigidité , qui caractérise cette période. 1° En effet , on trouve toutes les parties plus contractées = les cartilages des oreilles et du nez ont la raideur du par- chemin, la peau est plus ferme , le tissu cellulaire et les liga- mens sont plus rigides , et comme contractés (2), les viscères ont plus de densité , et le cœur est plus étroit. Les vaisseaux paraissent également se resserrer pendant cette période, sinon même déjà plus tôt. Parry (3) a mesuré le contour de^Ia caro- (d)Guntz, Der Leichnam des Menschen in seinen physischen Fer- wandlungen, p. 203 (2) Orfila , dans Dictionn. de méd., t. IV, p, 42. (3) Experimentaluntersuchung ueher die Naturursachen und Fer- schiedenheiten des arterioesen Puises, p, 13-18, 29, 33, 402 RAIDEUR CADAVERIQUE. tide , et Ta trouvée , peu de temps après la mort, plus petite d'mi tiers et au-delà que pendant la vie; mais, au bout de vingt quatre heures , cette artère avait beaucoup augmenté de dia- mètre, quoiqu'elle n'en eût point acquis un égal à celui qu'elle possédait pendant la vie. Magendie (1) a remarqué aussi que les vaisseaux lymphatiques se resserrent après la mort, et que c'est là le motif qui fait qu'alors on les trouve presque tou- jours vides. Si les poumons ont acquis une pesanteur spéci- fique plus considérable , de manière qu'ils surnagent l'eau moins facilement (2) , ce phénomène tient surtout à ce que le sang en a expulsé une grande partie de i'air ( § 634, 5° ). 2° La diminution de la chalenr a fait perdre à la graisse son état liquide, et l'a rappro<;hée du suif; aussi le doigl fait-il des impressions durables sur la peau , principalement lorsque le temps est froid. La condensation et la coagulation du sang sont, de même, en raison directe de rabaissement de la tem- pérature , mais jusqu'à un certain point seulement , car le changement qui survient dans la composition y contribue aussi pour sa part; la fibrine , séparée du cruor et du sérum , pro- duit souvent, dans le coeur gauche , l'aorte et l'artère pulmo- naire , des concrétions blanchâtres ou jaunâtres, qu'on pour- rait prendre pour des polypes; auconlraire, le sang demeure plus long-temps liquide dans les veines , et lorsque la mort a été déterminée par le défaut d'air respirable ( principale- ment dans le cas de submersion ) , ou par la foudre , par une fièvre putride , par un de ces grands épuisemens qui accom- pagnent les maladies chroniques , en un n)0t louîes les fois que le sang a un caractère veineux plus prononcé , il ne se coagule point. 3" Mais le phénomène le plus remarquable et le plus frap- pant, consiste dans l'immobilité des articulations et la raideur du corps entier, qui fait que celui-ci devient plus long qu'il ne l'était au moment de la mort. Ce phénomène, que Nysten et Sommer surtout (3) ont étudié avec un grand soin, s'observe (4) Précis élémentaire de physiologie , t. II, p. 201. (2) Guntz, loc. cit., p. 100. (3) Recherches de physiologie et de chimie pathologiques, p. 385. RAIDEUR CADAVÉRIQUE. 4^5 chez tous les vertébrés; mais c'est chez les Mammifères qu'il est le plus prononcé, et qu'il dure le plus long-temps. Sommer ne l'a jamais vu, dans les cadavres humains , surve- nirmoins de dix minutes ni plus de sept heures après la mort. D'ordinaire , il commence à la mâchoire inférieure et à la nuque , se déclare presqu en même temps au tronc , puis gagne les membres supérieurs , en marchant de haut en bas , et enfin s'empare des membres inférieurs , où il suit la même maiche. En général, il dure plusieurs jours, et d'autant plus long-temps qu'il a paru plus tard ; il s'eflàce en suivant le même ordre , quant aux parties , que celui qu'il a affecté lors de son apparition. 4° 11 a son siège dans les muscles; car il survient alors même que la peau a été enlevée , ou que les ligamens arti- culaires ont été coupés et les capsules synoviales vidées ou remplies d'eau, tandis qu'on ne l'observe pas quand les muscles ont été coupés en travers , de manière que les articulations demeurent extensibles après la section des muscles fléchis- seurs et flexibles après celle des extenseurs (1). 5° La raideur cadavérique s'établit, selon Nysten(2), lors- que les muscles ont perdu leur réceptivité pour les stimula- tions dirigées sur eux. Cependant elle ne peut point être l'effet de la simple contractiUlé ; car les muscles sont fermes, denses, raccourcis, tendus, grossis, et même plus fortement pronon- cés à la surface , comme ils le deviennent pendant la vie , lors du mouvement volontaire. Ils ont aussi une cohésion plus forte d'après les expériences de Busch (3) : un muscle coupé aus- sitôt après la mort , et susceptible encore d'exécuter des con- tractions , qui se déchirait lorsqu'on y suspendait un poids d'environ deux onces, ne cédait, vingt-quatre heures après la mort , qu'à l'action d'un poids de deux livres. La raideur cadavérique diffère aussi de l'action continue de la contrac- tilité, en ce que , quand elle a été vaincue par une puissance extérieure , elle ne se reproduit plus : a-t-on employé la force (1) Nysten, loc. cit., p. 398. (2) Loc. cit., p. 394. {d) Loc. «Y., p. 16, 18, 36. T. 28 434 RAIDEUR CADAVÉRIQUE, pour ployer ou pour étendre un membre raidi , il demeure désormais mobile. La raideur cadavérique est donc un acte qui n'a lieu qu'une seule fois. Sommer assure que le seul cas dans lequel revient ou se développe davantage est celui dans lequel elle on a triomphé d'elle à une époque où elle ne s'était point encore complètement développée. Somme totale , les parties envahies par elle demeurent dans la situa- tion qu'elles ont prise ou qu'on leur a donnée immédiatement après la mort ; ainsi les traits du visage conservent encore le caractère de l'état moral durant lequel celle-ci a eu lieu , et ils expriment le calme, on la lutte, ou l'ivresse, etc. Mais la raideur occasione aussi des mouvemens réels, qui seulement ont lieu d'une manière insensible, et par conséquent ne sont appréciables que dans leurs résultats, les muscles les plus forts surmontant la résistance de leurs antagonistes plus faibles. Sommer signale, entre autres", ce fait que presque toujours la mâchoire inférieure, qui est pendante immédiatement après la mort, remonte par l'effet de la raideur cadavérique. Les doigts se courbent , et en général les pouces d'abord , en sorte qu'ils se renversent vers la racine du petit doigt , ce que Vil- lermé cite comme un signe propre à distinguer la mort réelle de la mort apparente. Quelquefois cependant le pouce ne fait que s'appUquer à l'indicateur, quand celui-ci s'était fléchi avant lui, et souvent il n'y a que la phalange onguéale qui se ploie. Enfin , quand la raideur est grande, il arrive aussi quel- quefois à Tavant-bras de se ployer et de remonter un peu. Du reste, les membres raidis sont plus faciles à fléchir qu'à étendre , parce que les muscles fléchisseurs ont la prépon- dérance (1). 6° Chez les enfans nouveau-nés, la raideur cadavérique commence déjà six heures après la mort à se manifester, sui- vant Mende (2) , mais elle est plus faible et dure moins long- temps que chez les adultes. Elle est bien moins considérable encore chez les enfans non venus à terme, et les fœtus de sept mois n'en offrent aucune trace (3). (1) Guntz , loc. cit., p. 98 , 178. (2) AusfueJirliches Handbuch der gerichtlichen Medicin, t. III, p. 405, (3) Ibid.,X. Il, p. 278. RAIDEUR CADAYERIQtîE. 435 7» Elle est plus forte chez les enfans qui ont déjà respiré que chez ceux qui sont morfs pendant le part, avant d'avoir commencé' à respirer (1). Elle ne se voit point après l'as- phyxie par des gaz qui éteignent la force musculaire , par exemple l'hydrogène sulfuré ou la vapeur du charbon. Elle dure plus long-temps lorsque le cadavre est exposé au grand air, que quand il se trouve dans un lieu renfermé , dans de la terre humide ou dans l'eau. 8° La quantité et la qualité du sang influent sur la raideur cadavérique. Elle est nulle ou plus faible toutes les fois que le sang se rapproche du caractère veineux , comme après les fièvres putrides , dans le scorbut, et chez ceux qui ont été frappés de îa foudre. Elle est faible et n'a qu'une courte du- rée , qui souvent ne dépasse point deux à trois heures , lors- qu'il y a défaut de sang , soit par suite de maladies chroni- ques ou consomptives , soit après une hémorrhagîe épui- sante, 9° Elle est plus forte chez les sujets d'une complexion mus- culeuse. Nysten (2) assure que, chez les personnes faiblement musclées, qui ont péri de mortviolente au milieu d'une santé florissante , elle ne se manifeste qu'au bout de seize ou dix- huit heures , et parvient à un tel degré qu'il y a impossibilité absolue à un homme de fléchir les membres ; qu'elle persiste ainsi pendant trente-six à quarante-huit heures, puis diminue peu à peu , et cesse entièrement au bout de six ou sept jours. Elles est considérable après les spasmes toniques et les fièvres très-aiguës (probablement inflammatoires) ; enfin elle est faible chez les animaux surmenés (3). Ce dernier cas a lieu aussi chez les enfans maigres et débiles (4). Sommer dit qu'eu égard à son intensité et à sa durée , et en partie aussi à son apparition tardive , elle est en raison directe de l'état de vita- lité du système nerveux , et d'autant plus faible que la ma- H)lMd.,t.lll, p. 406. (2) Hecherches de physiologie et de chimie pathologiques , p. 387. (3) IbU., p. 390. (4) Mende, Ausfuehrliches Handbuch der gerichlichen Medicin, t. III, p. 406. 436 RAIDEL'R CADAVÉRIQUE. ladie a été plus chronique, l'épuisemenl plus grand, et l'ago- nie plus longue. 40° Nysten assure qu'elle ne commence à se manifester que quand h chaleur vitale a cessé (1), et qu'elle dure moins long-temps dans un air humide et chaud , que dans un air froid et sec (2). Cependant Sommer l'a observée dès avant le refroidissement, et dans des cas où la chaleur naturelle avait une durée extraordinaire; il a remarqué aussi qu'une diffé- rence de 12 à 22 degrés dans la température atmosphérique, n'exerçait aucune influence sur elle , et qu'un bain chaud ne l'empêchait pas de se manifester. 11°. Suivant Nysten (3) , la destruction de la moelle épi- nière n'influait point sur elle ; mais Busch (4) a cru remar- quer qu'après l'ablation du cerveau et de la moelle épinière , elle survenait plus tôt, atteijjnait à un plus haut degré , et durait plus long-temps. 12°. Orfila (5) attribue la raideur cadavérique au refroidis- sement et à la coagulation. Rudolphi (6) la fait dépendre d'un travail chimique qui s'établit après la cessation de l'influence nerveuse. Mais en quoi consiste ce travail chimique? Et pourquoi lui, ou le refroidissement et la coagulation, n'ont-iis point iieu chez les embryons , après l'asphyxie par divers gaz , après une héuiorrhagie épuisante , après la con- gélation? Tant que dure la raideur cadavérique, on n'aper- çoit aucune trace de putréfaction; d'après cela, l'opération chimique qui en ferait la base devrait donc être de nature spéciale et opposée à la putréfaction. Nysten (7) regarde la raideur cadavérique comme un effet spasmodique de la force musculaire. Elle a d'autant plus d'in- tensité que les muscles possèdent davantage d'énergie; quand la force musculaire a été épuisée pendant la vie , elle ne se (1) Nysten, loc. cit., p. 394. (2) ibid., p. 395-397. (3) Uid., p. 391. (4) Loc. cit., p. 36. (5) Diclionn. de niédec, t. IV, p. d2. (6) Grundriss dot Physiologie , t. I, p. 217. (7) Lnr. fit,, p. 402. PUTRÉFACTION. /jj'^ manifeste qu'à un faible de^jré, et enfin elle n'a lieu qu'à une époque où nul changement chimique ne se fait encore remar- quer : d'après toutes ces considérations , on pourrait bien voir en elle une dernière manifestation de la force musculaire vivante , qui survient lorsque la sensibilité est éteinte dans les muscles , et qui a quelque analojîie avec le spasme , en tant que celui-ci dépend d'un déploiement de la force muscu- laire dégagée d'entraves et soustraite à la domination de la sensibilité centrale. Dans tous les cas, elle se rattache à l'activité du muscle vivant , mais aune activité particulière, tenant le milieu entre l'extinction de la faculté motrice vivante et la décomposition chimique. Lorsque le lien vivant qui empêchait toutes les parties de l'organisme est brisé, chacune d'elles cherche à s'isoler et à établir son indépendance par la condensation (1", 2°); mais les muscles sont celles de toutes dans lesquelles celte condensation se prononce avec le plus de force , parce qu'elle se rapproche beaucoup de leur activité vivante. Sous ce rapport, nous pouvons, d'après Sommer, comparer la raideur cadavérique à la coagulation du sang. APiTICLE m. De la putréjaclioji. § 636. La troisième période comprend la dissolution du cadavre par la putréfaction. L Les conditions générales de la putréfaction sont identi- ques avec celles de la vie. 1°. L'eau est aussi nécessaire à l'accomplissement des actes chimiques qui doivent s'effectuer, qu'elle l'est à celui du jeu de la pile galvanique, et elle favorise la décomposition en ramollissant le tissu. On ignore si elle se décompose alors; mais ce qu'il y a de certain , c'est que la putréfaction elle- même s'accompagne d'une production d'eau. Tout cadavre d'animal a de la tendance à se putréfier , en raison de l'eau qu'il renferme, et Ton parvient à l'en préserver par le moyen d'une prompte exsiccaiion. Gay-Lussac conserva de la viande fraîche pendant plusieurs mois, en la tenant sous une cloche ^ans laquelle il y avait du chlorure de calcium. 438 PUTRÉFACTION. 2° Une température de 15 à] 30 degrés du thermomètre de Réaumur accroît la propension à se décomposer, et constitue la condition la plus favorable de toutes à la putréfaction. Cette dernière ne s'effectue qu'avec lenteur à une température qui dépasse seulement de quelques degrés le point de la congéla- tion; au dessous, elle n'a point lieu, et les Mammouth qu'on trouve au milieu des glaces éternelles, y ont résisté depuis plusieurs milliers d'années. A une température très-élevée, celle par exemple de 50 degrés , la putréfaction ne s'opère pas non plus , attendu qu'une telle chaleur évapore l'eau, ou que, si le corps est plongé dans l'eau, elle détermine la coagula- tion de l'albumine. S" L'air est une troisième condition, dont l'influence se rapporte à l'oxygène qu'il renferme. J. Davy dit que la pu- tréfaction est accélérée par le dépècement d'un corps mort , qui multiplie les points de contact avec l'air , et Gay-Lussac assure que l'interdiction de tout accès à l'air atmosphérique ne lui permet pas de se déclarer. Suivant Guyton-Morveau , Bœckmann et Hildenbrand , elle se déclare plus vite et arrive à un plus haut degré dans le gaz oxygène, tandis qu'elle s'ac- complit avec lenteur, et même ne s'établit pas, dans le gaz hy- drogène , le gaz azote , le gaz acide carbonique , mais sur- tout le gaz nitreux , qui s'empare de l'oxygène. II. L'individualité exerce de l'influence sur la marche et le degré de la putréfaction. 40 Ici se range la quantité des liquides. Les corps pleins de sucs se putréfient plus promptement que ceux d'une com- plexion sèche , et les cadavres des personnes de moyen âge plus vite que ceux des vieillards. La putréfaction survient plus lentement après une hémorrhagie épuisante ou l'étisie. 5° Elle s'accomplit avec rapidité lorsqu'il y avait eu pen- dant la vie état anormal de la composition chimique ou tendance à la dissolution , comme après le scorbut , la fièvre putride , l'action de certains poisons et celle de la foudre. 6» Elle est également appuyée par une excitation antérieure des forces vitales , et elle survient d'une manière plus rapide après les maladies aiguës qu'à la suite des maladies chroni- ques. La même chose arrive après certaines morts subites, PUTKÉFACiiON. 439 par exemple après l'apoplexie , l'asphyxie et les blessures mortelles. Leveling a remarqué que les cadavres des justiciés se putréfiaient rapidement ; j'ai (ait la même observation sur ceux des suicidés ; il m'a été parfois impossible d'empêcher, même à l'aide de l'alcool le plus pur, la putréfaction des organes que je voulais conserver en pareil cas, et l'état d'excitation dans lequel l'âme s'est trouvée avant la mort semble en être la principale cause. III. Quant à ce qui concerne les organes en particulier, la putréfaction se manifeste d'abord dans ceux de la digestion et dans le cerveau ; puis elle a lieu dans les muscles , qui , en vertu du sang qu'ils contiennent, paraissent en être le siège de prédileciion : elle survient plus tard dans la peau et dans les poumons , lorsqu'ils sont vides de sang , plus tard encore dans les membranes fibreuses et les artères. Les parties qui sont plutôt produits que productives , qui ont peu d'activité vitale, dont la substance ne contient point d'eau et ren-^ ferme peut-être un excès de parties terreuses ou d'albumine coagulée , ne sont point soumises à la putréfaction propre- ment dite : tels sont , principalement , les tissus cornés , épi- dermatiques , les ongles , les poils et l'émail des dents. Les os aussi se conservent long-temps , lorsqu'ils sont à l'abri du contact de l'air et de l'eau ; on a trouvé à Saint-Denis , dans une caisse en bois, que renfermait un tombeau de pierre, les ossemens du roi Dagobert , mort douze cents ans auparavant ; dans un tombeau égyptien que Passalaqua a découvert ei dont l'âge pouvait remonter à près de trente sièiles, les os du taureau offert en sacrifice étaient si bien conservés qu'on aurait pu douter qu'ils datassent d'une antiquité si reculée. Les organes dans lesquels a eu lieu une excitation morbide, congestion, inflammation, suppuration, etc., se putréfient plus vite que d'autres ; les organes paralysés ou resserrés sur eux- mêmes, plus tard, au contraire. IV. La nature du milieu détermine les progrès de la putré- faction. 7° C'est au grand air que cette dernière marche avec le plus de rapidité , surtout quand il s'y joint le concours de la chaleur et de la lumière, que des larves d'insectes sont 44o PUTREFACTION. écloses dans le cadavre , ou qu'il s'est produit des champi- gnons à sa surface. L'accroissement de la pesanteur de l'air rend la putréfaction plus difficile ; cependant , au milieu d'un air très-raréfié et renfermé , le cadavre, après s'être ballonné par l'effet d'un déga^yement de f^az , s'affaisse sur lui-même et devient moins enclin à se putréfier (1). 8° Un cadavre se putréfie dans l'eau avec plus de lenteur ; mais , lorsqu'au sortir du liquide , il entre en contact avec l'air, la putréfaction marche avec un redoublement de vitesse. 9° La putréfaction s'accomplit avec plus de lenteur encore dans la terre , surtout quand le sol est sablonneux et sec , qu'il attire à lui l'humidité, et qu'il détermine la dessiccation du cadavre. Elle est plus promple dans le terreau , qui con- tient des débris de plantes et de substances animales. Plus le cadavre est enfoncé profondément, plus il met de temps à se putréfier. Ordinairement les parties molles sont détruites au bout de six années, et la plupart des os au bout de douze. Orfila (2) a trouvé , dans des cadavres enterrés depuis quatre ou cinq semaines, les viscères encore frais, notamment les intestins-, la peau seule et les muscles étaient en putréfaction, d'où il conclut que , dans le sein de la terre, celte dernière procède de la périphérie vers l'intérieur. 10° La destruction du cadavre est encore accélérée par les animaux qui trouvent en lui leur nourriture , et parmi les- quels il faut principalement ranger les Insectes, classe plus riche qu'aucune autre en espèces qui vivent de substances animales mortes , dont on aurait peine à citer une seule qui n'en attire pas sur-le-champ un plus ou moins grand nombre. Guntz (3) indique les animaux suivans, comme étant ceux qui dévorent le cadavre humain ; parmi les Annélides , Hirah ; parmi les Mollusques, PaJudina^ Lymnœus ^ Hélix ^ Limax ; parmi les Diptères, Musca {vomitoria ^ cœsarea^ domestica ; cnrnaria ^ furcata) ^ Scatophaga , Thyreophora ; parmi les Hyménoptères, Vespa; parmi- les Névroptères, Termes; (1) Gunlz , Der Leichnam des Menschen , p. 10. (2) Diclionn.demÂd., t. XVIII, p. 87. (8) Ltfo/eif,, p. 17. PUTRÉFACTION. 44 1 parmi les Orthoptères , Forficula ; parmi les Coléoptères , Hydrophilus f Anthrenus ^ Dermestps , Hister ^ Necrophorus , Silva, Ptinus ^ Oxyportis^ Lathrobium , Pœderus , Sienus ^ Oxytelus , Tachynus , Aleochara , Colfmhetes , Hydrachna , Hfdroporus^ Noturus, Haîiph/s, Scarites^ Harpalus , Amara ; parmi les Aptères , ^carîfs , Tromhidium ^ Julus ^ Lepisma ; parmi les Crustacés, Portmms ^ Podophthalmus , Matuta , Orithya , Cancer^ Astacus^ Gammarus , Pagurus , Oniscus ; presque tous les Poissons , mais surtout Cyprimis , Murœna , Esox , Squahis ; TÇ)2iYim \q?, Oiseaux, Vultur^ Sarcoramphus , Cathartes , Corvus ; parmi les Mammifères, Sus, JJrsus {ma- rinus) , Gulo , Lutra , J^iverra , Herpestes , Phoca, et en gé- néral la plupart des carnivores. § 637. Lorsque le corps organique coniinue de se trouver, après sa mort , dans les mêmes conditions que celles au mi- lieu desquelles il vivait , c'est-à-dire qu'il est humide , en contact avec l'air atmosphérique , et exposé à une tempéra- ture moyenne, il s'établit , entre les élémens, un conflit qui s'exprime par des mouvemens ; le corps se décompose sous l'influence de l'air, de l'eau et de la chaleur, et donne nais- sance à de nouveaux produits. En tant que cette composition a lieu sans qu'il survienne de nouvelles circonstances, on la nomme décomposition spontanée; mais, toutes les fois que l'ac- cession de circonstances favorables fait qu'elle s'effectue au milieu de phénomènes tumultueux, de tuméfaction et d'un dé- gagement de chaleur, on l'appelle fermentation. La fermen- tation n'est ni un acte de vie, ni un phénomène inorganique, mais le résultat d'une activité particulière de la matière orga- nique privée de vie ; elle a de l'analogie avec la vie , puisque ses conditions sont les mêmes (§ 636 , I) , qu'elle s'établit spontanément, qu'elle produit des phénomènes semblables , notamment du mouvement et de la chaleur, et qu'elle a en ou- tre la faculté de se propager; car ce qui fermente agit comme cause d'infection, ou comme ferment, sur d'autres corps en- clins à subir la fermentation. I. La fermentation incomplète est celle qui se rapproche le plus de la vie ; car elle s'y rallie immédiatement sous le point de vue du temps, et ses produits sont encore complexe?;, 44^ PUTRÉFACTION. ils ont encore le caractère de la nature organique , ils ma- nifestent même parfois quelque chose d'analo^^ue au cours de la vie, puisque le vin se bonifie par l'effet d'un travail intestin et entre en mouvement à l'époque où la vigne fleurit. 1° La fermentation vineuse a lieu dans les substances or- ganiques qui contiennent du sucre, avec du mucus ou de- l'albumine et de l'eau ; le liquide entre en effervescence, se boursouffle, s'échauffe et perd sa transparence. L'essentiel de cette opération consiste en ce que l'équilibre des élémens du sucre est troublé ; dans la lutte qui s'établit entre eux, l'hy- drogène l'emporte sur l'oxygène, et les élémens, ramenés à l'équilibre dans une autre proportion , produisent un corps nouveau, l'alcool, qui cependant est encore un composé ternaire, comme le sucre. En effet, ce dernier contient , d'a- près Thénard et Gay-Lussac, 42,47 de carbone, 50,68 d'oxy- gène et 6,90 d'hydrogène, ou, d'après Berzelius, 44,415 de carbone, 49,083 d'oxygène, et 6,802 d'hydrogène; tandis qu'il entre dans l'alcool, selon Saussure, 51,98 de carbone, 34, o1 d'oxygène et 13,70 d'hydrogène, ou, d'après Duflos, 53,30 de carbone, 32,87 d'oxygène et 13,83 d'hydrogène. L'oxygène qui abandonne le sucre se combine avec du car- bone pour produire de l'acide carbonique, qui s'échappe en partie sous forme de gaz , en partie aussi reste pendant quelque temps à la surface du liquide sous celle d'écume , en partie enfin demeure dissous dans ce dernier. Quand l'équilibre est rétabli, l'écume se dissipe, et la liqueur re- devient claire. 2° Le second degré de la fermentation constitue celle qu'on appelle acéteuse, et qui se manifeste, dans l'alcool mêlé avec du mucus et de l'eau , par le trouble de la liqueur, le développement de bulles , et la formation d'une pelHcule à la surface; l'hydrogène, qui prédominait dans l'alcool, dimi- nue beaucoup-, le carbone aussi, mais dans une moindre proportion, et l'oxygène acquiert la prédominance. Le produit, également ternaire, de cette fermentation, l'acide acétique, est composé, d'après Berzelius , de 46,871 carbone , 46,934 oxigène et 6,195 hydrogène. Il ne se dégage point d'acide PUTRÉFACTION. 44^ carbonique, si ce n'est de substances mêlées accidentellement avecla liqueur. Certaines substances végétales , comme la gomme , l'ami- don et l'extractif, sautentpar dessus la fermentation alcoolique, et passent de suite à la fermentation acéteuse (1). La fermentation complète est la putréfaction, opératioa chimique complexe, contre-partie en quelque sorte de l'assi- milation vivante, et par laquelle la matière organique se transforme en matière inorganique. Les combinaisons d'élé- mens qui, constituant les matériaux immédiats, étaient, pen- dant la vie , à l'état de tension continuelle , se détruisent , et les élémens reproduisent de simples composés binaires, c'est- à-dire qu'ils se mettent deux à deux en équilibre parfait, tels qu'on les trouve dans les corps inorganiques. Les végétaux résultent, pour la plus grande partie, de composés ternaires, dans lesquels l'hydrogène et le carbone l'emportent sur l'oxigène , de sorte qu'ils ne sont guère prédisposés qu'à une fermentation incomplète ; il n'y a que l'empois et l' albumine végétale qui passent immédiatement à la putréfaction, La substance animale, au contraire , se compose de combinai- sons quaternaires , dans lesquelles l'hydrogène et l'azote l'emportentpresque toujours sur le carbone et l'oxigène. Cette association complexe rend le corps animal éminemment apte à subir la putréfaction , c'est-à-dire la fermentation complète, de manière qu'il saute par dessus les deux premiers degrés , ou du moins les parcourt avec assez de rapidité pour qu'on ne les remarque point : le lait seul est susceptible des fer- mentations alcoolique et acide , à cause du sucre qu'il con- tient; le pus et le bouillon, ou la décoction des muscles , le sont de la fermentation acide. Rudolphi (2) dit avoir observé que le cadavre des hommes frappés de mort violente en pleine santé , répand une odeur douceâtre , répugnante , remplacée, au boni de quelques jours, par une autre odeur acéteuse, avant que la putréfaction s'empare d'eux : nous serions peu disposé à admettre ici une fermentation sucrée , parce qu'en (1) r.-V. Respail , Nouveau système de chimie organique , deuxième édition, Paris , 1838, t. I. p. 456, (2) Gnindriss der Physiologie , 1. 1 , p. 215. 444 PUTRÏIFACTION. général la formation du sucre ne résulte point d'une décom- position spontanée après la mort , et qu'on ne peut non plus juger de la présence du sucre par le sens de l'odorat. On a distingué la putréfaction en humide , dans laquelle il se produit de l'eau, gazeuze, qui n'a lieu qu'à une haute tem- pérature , et s'accompagne d'un dégagement d hydrogène et d'azote , enfin sèche , dans laquelle le carbone et l'oxygène prédominent (\). Mais les données chimiques qui servent à l'appui de cette division , ne reposent point sur des faits pré- cis ; la putréfaction sèche n'est autre chose qu'une putréfac- tion qui s'est arrêtée à un certain point , et dans toute putré- faction quelconque il se dégage des gaz, dont la plus ou moins grande quantité n'établit point de différence essentielle. La putréfaction est une décomposition si complète qu'elle volatilise en entier ou prescjue entièrement le corps animal ; c'est ce qui fait que la terre n'augmente pas d'une manière sensible dans les cimetières; plus d'une fois même on n'a rien trouvé dans d'ancieas cercueils, ou au plus une poignée de cendres , tout , Jusqu'à la plus grande partie de la substance osseuse, s'étant dissipé sous la forme de gaz ; ou bien le cadavre a conservé sa forme , comme celui d'Alexan- dre-le-Grand présenté à Auguste , mais le moindre ébranle- ment suffit pour le faire tomber en poussière. 3» Une circonstance importante de la p itréfaction paraît être l'absorption de l'oxygène, pris surtout dans l'atmo- phères. On peut conclure qu'elle a lieu, non seulement des faits rapportés précédemment {§ 636, 3,,, 7^), mais encore de ce que l'atmosphère perd une partie de son oxygène pendant la putréfaction de cadavres entiers (2), ou de débris de cada- vres, tels que cerveau, muscles ou viscères (3), même quand ces objets sont placés sous l'eau (4). 4° Une partie de l'oxygène absorbé paraît se combiner avec de l'hydrogène , pour produire de l'eau ; du moins les (1) Mende, Ausfuehrliches Handhuch der gerichtlichen Medicin, t. V, p. 233. (2) Spallanzani , Mena, sur la respiration , p. 63-70. (3) I/nd., p. 74. (4) IHd., p. 80. Pl-THÉFACÏION. 44^ parties qui se putréfient, cerveau, muscles, deviennent-elles onctueuses, pultacées, et il n'est point vraisemblable que cette augmentation de Teau tienne uniquement à l'attraction exer- cée sur l'humidité atmosphérique. Mais l'eau se dégage sous forme de vapeur, entraînant avec elle des matières animales fétides. 5" Une partie du carbone s'exhale sous la forme de gaz acide carbonique , qui peut avoir été produit par l'oxygène absorbé. Cependaut Hildenbrand a observé que la viande en putréfaction dégageait aussi de l'acide carbonique dans le gaz hydrogène. Une autre portion du carbone s'échappe , combi- née avec du gaz hydrogène. La formation d'une substance grasse ou savonneuse est moins générale : dans un sol humide, et surtout argileux, où l'air trouve peu d'accès, mais plus encore au sein des eaux, il arrive quelquefois, principalement lorsque les cadavres appartiennent à des sujets replets , qu'une partie de la substance musculaire , avec ses membra- nes fibreuses, ses vaisseaux et ses nerfs , parfois même , sui- vant Fourcroy, certains viscères, se convertissent en une substance grasse , qu'on appelle gras de cadavre ou adipo- cire. Cetie substance est fusible; desséchée à l'air, elle devient solide et semblable à de la cire ; elle se mêle à l'eau d'une manière incomplète et en écumant ; par l'addition de la chaux, elle dégage une odeur ammoniacale et fétide; l'alcool la dissout à la chaleur de l'eau bouillanie, et les acides la précipitent de cette dissolution; elle se décompose, quand on la distille, en ammoniaque et en une eau fétide. D'aprèsFour- croy, elle ressemble au blanc de baleine. Chevreul la regarde comme une combinaison savonneuse d'acide margarique et d'acide oléique avec de l'ammoniaque, une matière colorante jaune, une substance azotée, un acide libre, qui paraît être le lactique, et des lactates de potasse et de chaux. Il attribue sa formation à la graisse qui s'est chargée de l'ammoniaque développée par les muscles. Celte explication n'est pas satis- faisante , puisqu'il y a des viscères, notamment le cerveau , qui se transforment en adipocire, et que Fourcroy a obtenu une substance analogue en traitant par l'acide nitrique des matières animales qui ne contenaient point de graisse. Tout 446 PUTRÉFACTION. porte à croire que la partie grasse de Tadipocire est, comme l'ammoniaque, un produit de la putréfaction. D'après Olivier et Chevallier, il se forme quelquefois , dans les cadavres en- fouis, pendant la dessiccation incomplète des parties molles , une substance blanche et dure, qui prend la forme de granu- lations, de lamelles ou de stries à la surface des organes et dans l'intérieur des vaisseaux sanguins; cette substance est composée d'une matière grasse , d'une autre analogue à la gélatine, et d'une troisième soluble dans l'acide acétique, avec des traces de sels ammoniacaux , de chlorure de sodium , de carbonate de soude et de phosphate calcaire. 6° L'hydrogène se dégage , à l'état de gaz , combiné avec du carbone , du soufre ou du phosphore. L'hydrogène car- boné ^est surtout un produit abondant de la putréfaction sous l'eau ; il donne par la combustion de l'eau et de l'acide car- bonique. Le gaz hydrogène phosphore est la cause des feux follets. 7° L'azote s'exhale principalement à l'état de gaz pur, même, au dire de Hildenbrand , quand la putréfaction s'accomplit au milieu du gaz oxygène. En outre, il produit l'ammoniaque, qui se forme surtout en grande quantité lorsque la substance est peu exposée au contact de l'air et de l'eau , par exemple dans la terre sèche , où il se forme moins d'acide carbonique et d'autres produits oxygénés (2). C'est" en vertu de l'ammo- niaque qu'elle contient que ia sanie putride verdit le sirop de violette , et qu'elle fait effervescence avec les acides, quand l'alcali s'y trouve combiné avec de l'acide carbonique. Il ne se produit de l'acide nitrique que dans les cas de putréfac- tion lente et gênée, comme par exemple lorsque des débris de corps organisés pourrissent dans du terreau. 8" Le phosphore se déga{>e ordinairement combiné avec du gaz hydrogène ; quelquefois il brûle dans le corps même qui se pourrit, et, suivant Tréviranus (2), avant que la putréfac- tion proprement dite ait lieu. Cette phosphorescence s'observe (l)Hunefeld, Physiologische Chemie des menschlichen Organismus , t.I, p. 143. (2) Biologie , t. IV, p. 422-129. PUTRl^wFACTION. 44^ le plus fréquemment sur le bois, les Poissons elles Crustacés; elle a lieu surtout aux nageoires et aux opercules. III. Divers moyens mettent obstacle à la putréfaction. 9° L'alcool attire à lui l'eau des parties aniniales , dissout le cruor, coagule l'albumine, et s'empare aussi^d'une partie de la graisse (i). L'éiher agit de la même manière. 10° Les résines et les huiles essentielles sont efficaces en garantissant le corps de l'eau. 11° Le charbon opère la dessiccation des parties; du gaz hydrogène et du gaz azote se dégagent alors sans carbone, et par conséquent sans odeur fétide. 12° L'acide pyroligneux , c'est-à-dire l'acide acétique im- prégné d'huile empyreumaiique , résiste puissamment à la putréfaction. Les viandes qu'on fume se dessèchent et s'im- prègnent d'acide pyroligneux. 13° Le chlore et les chlorures, notamment ceux de calcium et de sodium , arrêtent d'une manière subite la putréfaction, même avancée. 14° La plupart des seîs métalliques attirent l'eau , ou for- ment des combinaisons qui ne sont point susceptibles de se putréfier. Le plus énergique de tous ces antiseptiques est le deutochlorure de mercure , qui se convertit par-là en proto- chlorure. 15° L'arsenic se combine, dit-on, avec l'hydrogène du corps animal (2) ; du reste, il ne préserve que les parties avec les- quelles on le met en contact immédiat. 16° La simple soustraction de l'eau par un air chaud et agité, ou par des corps solides qui ont de l'affinité adhésive pour elle , suffit déjà pour empêcher la putréfaction de s'éta- blir. Ainsi on dessèche des plantes dans du sable , afin de conserver leurs formes, et les sables des déserts de la Libye renferment intacts les cadavres des malheureux qu'ils ont engloutis. On a fréquemment rencontré ces sortes de momies naturelles, à l'égard desquelles Raynaud, Garmann et Medi- (4) F.-V. Raspail, Nouveau système de chimie organique, deuxième édit., Paris, 1838, t. III, p. ti76. (2) Hunefeld, loe. cit., t. I, p. 139. 448 PÏJTRÉFACTIOiN'. eus (1) ont réuni un certain nombre de faits. îl y a des ca-* vernes dans lesquelles tous les cadavres , ou du moins presque tous , résistent à la putréfaction, et Isenflamm (2) en a donné la liste. Dans Tun et l'autre cas il a presque toujours été impossible de reconnaître précisément la cause du phé- nomène. En général, nous devons admettre, comme conditions de cette dessiccation , que le corps soit d'une complexion sèche, que la mort ail été amenée par une maladie chronique, sans décomposition, et surtout par l'étisie, que l'air soit très- sec au moment de la mort, enfin que le cadavre se trouve dans une position qui lui permette d'abandonner aisément son eau. Ces effets paraissent être produits souvent par la nature du cercueil , lorsqu'étant construit en bois très-sec , susceptible d'absorber fortement la vapeur aqueuse , mais placé de ma- nière à ne pouvoir attirer l'humidité du dehors , sa faculté hygrométrique s'exerce uniquement sur les parties aqueu- ses du cadavre, qu'il dépose à mesure dans l'air ou le sol ; car presque toujours les cercueils des corps ainsi des- séchés sont pourris, tandis que si l'air et le sol avaient agi seuls, on devrait les trouver eux-mêmes intacts. L'exa- men que j'ai fait de trois momies naturelles , dont deux da- taient de cent quatre-vingts ans, m'a fourni les résultats sui- vans. La momie pesait environ dix livres, par conséquent un quinzième à peu près du corps vivant. Une portion du canal intestinal et les organes internes de la génération étaient réu- nis en une masse confuse. Le parenchyme des viscères avait disparu en grande partie, de manière qu'il n'en restait plus que l'enveloppe membraneuse , mince, mais ferme. Tel était surtout le cas des poumons, réduits pour ainsi dire à la plèvre, et des reins , dont il ne restait que la membrane tibrense; la rate avait conservé davantage de parenchyme, et représentait un tissu à grandes cellules, avec des membranes résistantes; mais le foie était dense, solide, onctueux. Les tissus mem- braneux se laissaient encore diviser en plusieurs couches ; (1) Hamburger Magazin, t. X,p. 490; t. XII, p. 50 j t. XXII, p. 431-437. (2) Anatomi^clie Untersuchungen , p, 309-346. PUTRÉFACTION. 449 ainsi les diverses tuniques de l'estomac et de l'aorte pou- vaient, après le ramollissement, être démontrées comme dans l'état frais. Les muscles n'étaient non plus que desséchés , et le diaphragme , par exemple , n'avait pas plus d'épaisseur qu'une feuille de papier ; la macération et l'ébulUtion dans l'eau rétablissaient leur texture , de manière qu'on voyait apparaître distinctement les fibres musculaires , le tissu cel- lulaire et les vaisseaux. Les fibres musculaires ainsi reprodui- tes étaient flexibles, extensibles , contractiles, et se compor- taient comme la viande fraîche avec les réactifs chimiques. Le foie, exposé au feu, brûlait avec flamme. Au bout de trois semaines de macération, l'estomac et les poumons ne présen- taient encore aucune trace de putréfaction ; mais le foie était ramolli et pourri (1). § 638. Pour saisir l'ensemble des phénomènes delà putré- faction du cadavre humain, on la partage en trois périodes. I. Ffemière période. ^ La première période est caractérisée par le commencement de la décomposition. Des gaz se dégagent , exhalant une odeur putride, et des changemens surviennent tant dans la consistance que dans la couleur. 1° Le dégagement des gaz est surtout rapide et abondant lorsque la température extérieure est élevée, et que le carac- tère veineux prédomine dans le sang. Ces gaz s'échappent principalement du sang, et il n'est pas rare, notamment après le typhus, de rencontrer des bulles d'air dans les veines. Ils proviennent aussi de la sérosité du tissu cellulaire et des sacs séreux , le péritoine entre autres ; ce liquide est trouble et probablement déjà chargé de parties provenant des tissus. Il s'en exhale parfois aussi du chyme contenu dans le canal intestinal. Lorsqu'ils ne peuvent pas s'échapper sur-le-champ au dehors, ils s'infiltrent dans les tissus , et distendent les organes creux. De cette manière, ils déterminent un emphy- sème général , qui rend la peau rénitente , et qui fait que (1) Burdach , Berichte von der anatomisehen Anstalt su Kcenigsberg, p. 75-81. V. 29 45o PUTRÉFACTION. l'impression du doigt ne tarde pas à s'effacer. Le cadavre di- minue de pesanteur spécifique , et quand il se trouve .dans l'eau , il vient gagner la surface , la tête en bas. Les points dont la turaéfaclion s'empare d'abord sont ceux qui renfer- ment le plus de tissu cellulaire, ceux aussi où la décomposi- tion fait le plus de progrès , notamment les paupières , les lèvres de la vulve et le scrotum : les membres sont les der- niers à enfler. Le bas-ventre se ballonne beaucoup , tant parce que les gaz s'y dégagent avec abondance et rapidité , que parce que ses parois cèdent aisément ; la cavité abdomi- nale et le canal intestinal sont pleins de gaz , qui refoulent le diaphragme en haut. On trouve des bulles d'air dans toutes les autres cavités ; le tissu même du cœur, de la rate et du foie est imprégné de gaz , en sorte que ces organes surna- gent quand on les met dans l'eau. Les gaz sont refoulés de bas en haut par les liquides ; mais, quand ils ne peuvent s'échapper, ils compriment ces derniers, notamment le sang ; ils le refoulent des troncs veineux vers divers organes , et déterminent d'apparentes congestions ; ainsi , au bas-ventre , ils le poussent de la veine cave dans le cœur droit , en partie aussi dans les organes génitaux ex- ternes , et de la veine porte dans le foie ; à la poitrine, ils le chassent de la veine cave supérieure dans les veines de la tête et du cou , de manière que, comme le fait remarquer Orfila (1), la face devient rouge et les pupilles se rétrécissent. Quelque- fois le sang est refoulé jusque dans l'aorte pectorale , selon Rigot et Trousseau (2). Bidley et Voisinet (3) ont même vu ce mouvement produire des pulsations de la carotide et de l'ar- tère temporale , qui se succédaient rapidement , duraient quelques secondes , puis s'interrompaient , et reparaissaient au bout d'un certain laps de temps. Les gaz chassent en outre le contenu des cavités ouvertes ; ainsi un liquide écumeux sort des poumons et de l'estomac par la bouche et le nez ; la vési- cule biliaire verse la bile dans l'intestin, et le fœtus peut même (1) Dictionn. de niédec, t. IV, p. 16. (2) Archiv. génér., t. XII , p. 188. (3) Dictionn, des se. médic, t. LI, p. 2t^7. PUTRÉFACTION. 45ï être expulsé de la matrice ( § 485 ,7°). Enfin. le sang , devenv^ plus liquide , suinte à travers les parois ramollies et plus péné- trables , de manière qu'il se mêle avec la sérosité dans le tissu cellulaire et les sacs muqueux , notamment le péritoine , ou qu'il s'écoule , soit par le nez ou la bouche, soit par des plaies. 2° Il survient une diminution générale de consistance. Le sang acquiert plus de liquidité; la graisse devient onctueuse, et les parties solides qui ne sont pas distendues ou compri- mées par des gaz, produisent sous le doigt la même impression qu'un corps pâteux ; les muscles se relâchent , ils deviennent humides et cassans ; toutes les articulations acquièrent de la flexibilité, celles de la mâchoire inférieure et des doigts après toutes les autres ; les muscles sphincters se relâchent plus encore que les autres , de manière que la bouche et Fanus s'ouvrent davantage, et que les lèvres se renversent en dedans ; les traits du visage s'affaissent de plus en plus ; le cœur se flétrit ; la peau est plus facile à déchirer , et elle a perdu sa çontractihté , de manière que les bords de ses plaies s'écar- tent davantage ; l'épiderme est plus mou ; le cerveau est ré- duit en bouillie ; le foie et la rate sont mous et faciles à déchi- rer ; les reins sont les organes qui se conservent le plus long- temps. Certaines parties internes se ramollissent plus promp- tement lorsqu'on les met à nu ; les muscles abdominaux , par exemple , ne tardent pas à devenir onctueux , et les mem- branes muqueuses à se réduire en bouillie. 3° Le sang devient brunâtre, couleur de chocolat, noirâtre ; la sérosité trouble , jaunâtre , floconneuse ; les humeurs de l'œil se troublent entièrement ; la graisse devient d'un jaune sale ou rougeâtre ; le cerveau d'un vert grisâtre ou d'un gris rougeâtre ; les poumons d'un rouge jaunâtre , avec des taches brunâtres ; l'intestin d'un rouge brunâtre ; le foie d'un brun jaune , rouge ou noir, avec des taches marbrées ; la rate d'un bleu tirant sur le noir ; les reins d'un rouge brunâtre ou châ- tain ; les muscles d'un brun rougeâtre : ceux du bas-ventre , surtout au grand air , prennent une teinte verdâtre , et rou- gissent fortement les couleurs bleues végétales. La peau, considérée d'une manière générale , devient d'un blanc sale ; d'un jaune de cire dans les points exsangues , au nez , par 45^ PUTRÉFACTION. exemple ; d'un rouge clair dans certaines parties , telles que le scrotum ; d'une couleur plus foncée ailleurs, à cause du sang qui s'y accumule ; par exemple, d'un rouge gris aux joues, ardoisée ou d'un brun noirâtre aux lèvres. Enfin les progrès de la décomposition font naître des- taches vertes , d'abord au ventre , puis au cou et au visage , plus tard à la poitrine , et en dernier lieu aux membres : les sugillations cadavériques deviennent d'un bleu brunâtre ou d'un jaune verdâtre. 4° Le dégagement des gaz , l'évaporation de l'eau , et en partie aussi l'écoulement d'un liquide sanguinolent diminuent beaucoup le poids du cadavre ; cette diminution fait surtout de rapides progrès lorsque l'ablation de Tépiderme favorise l'évaporation. Le volume diminue aussi partout où il n'y a point de gaz accumulés : ainsi les yeux s'affaissent beaucoup , puis les oreilles , le nez , les lèvres , le pénis , en même temps que les parties génitales deviennent plus sèches. 5» Quand il s'agit de cadavres d'adultes, et que la tempé- rature est moyenne , cette période dure une à trois semaines au grand air et plusieurs mois dans la terre. Pour les corps des nouveau-nés , sa durée est de huit jours dans [un air frais (1) , de deux ou trois dans un air chaud (2). IX. Deuxième périodei § 639, La seconde période comprend la putréfaction pro- prement dite , dans laquelle le corps organique perd sa com- position et sa forme, au milieu d'un dégagement de vapeurs, qui sont d'abord ammoniacales , mais qui ensuite reprennent une odeur putride pure. 1° Le sang devient irès-coulant ; la plupart des parties molles s'imbibent d'une sérosité diversement colorée, acquiè- rent de plus en plus d'onctuosité , et finissent par se convertir en une sorte de bouillie ; la peau se couvre d'une sanie bru- nâtre , et s'amincit ; les muscles vont toujours en se ramollis- sant ; le cœur, le foie et la rate prennent un aspect pultacé ; le cerveau se liquéfie : les larves d'insectes, écloses sous l'épi- (1) Guntz , dor Leiclmam des Menschen , p. d.04. (2) Ifml., p. 120. PUTRÉFACTION. 4^5 derme , s'enfoncent dans les parties molles , et contribuent , par leur voracité , aux progrès de la destruction. Le cadavre lui-même est maintenant moins capable encore de résister aux actions mécaniques , et sa forme dépend de la pression qu'exercent sur lui les corps extérieurs, notamment la terre dans laquelle il est placé. 2° Les liquides produits par la décomposition de la substance solide sont expulsés par les gaz , qui leur frayent , ainsi qu'à eux-mêmes, une voie à travers les parties molles, trop peu consistantes pour résister à la moindre pression. Une sanie brune coule du nez, et s'épanche par l'anus, même avec des excrémens ; le cerveau s'écoule par les ouvertures du crâne ; l'intestin se crève , et verse son contenu dans la cavité abdo- minale ; l'épiderme , détaché par l'ichor de la peau et par les gaz , se soulève sous la forme d'ampoules , et se déciiire ; fréquemment aussi la paroi abdominale éclate , surtout lors- que le concours de la chaleur imprime une marche très-rapide à la putréfaction. Il survient également des ouvertures à la cavité pectorale , entre Jes côtes : la sanie qui s'en échappe adhère en partie à la peau , celle du dos principalement, et la colore en rouge brun. 3° Les parties ramollies qui ont laissé échapper leurs liqui- des en se déchirant, et celles qui , dès l'origine, ont perdu leur humidité par l'effet de l'évaporation , sans se dissoudre d'une manière notable , commencent à s'affaisser et à se dessécher. Ainsi l'évaporation dessèche les yeux , les oreilles , le nez , les lèvres et les organes génitaux externes ; les muscles et les nerfs sont devenus plus grêles , et le cadavre a beaucoup perdu de son poids ; celui d'un nouveau-né , par exemple , diminue d'un tiers à la température ordinaire , d'environ moitié dans un air chaud (1), et de près des deux tiers lorsque l'atmosphère est très-échauffée (2). 4» La volatilisation et le ramollissement détruisent la cohé- sion des divers tissus. Le moindre effort suffit pour arracher les poils ; les ongles tombent avec l'épiderme ; les muscles se (1) Ibid., p. i2l. (2) Ibid., p. 433. 454 PUTRÉFACTION. détacheiit des os , qu'abandonnent les tendons ; les ligamens perdent leurs attaches , les articulations se séparent , d'abord aux doigts et aux orteils , effet auquel concourt aussi la vora- cité des insectes. 5° Les premières larves d'insectes appartiennent à des Di- ptères, et éclosent dans les coins des yeux ; celles de la Musca carnaria éclosent environ dix à vingt jours après l'inhuma- tion ; mais le défaut d'air les fait périr avant leur entier déve- loppement. Plus tard arrivent les Coléoptères qui vivent sous terre , et qui dévorent le cadavre , tant qu'il y reste de l'hul mid«ité. 6° Le sang , les parties colorées par lui , comme paupières, lèvres , palais , langue , et la sanie avec laquelle il est mêlé , deviennent d'un brun noirâtre ; la rate d'un gris noir de plus en plus foncé ; les ongles d'un bleu noir ; les muscles bruns , et sur divers points verts ; la peau d'un noir brun , ou verdâlre, ou grise-, le foie d'un brun jaunâtre; les reins d'un jaune brun ; la graisse blanche, et parsemée de taches vertes et livides, dues à du sang épanché. III. Troisième période. § 640. La troisième période , ou la fin de la putréfaction , a pour caractères que la lutte des élémens cesse , et que les parties organiques se transforment d'une manière plus lente et plus calme en matière inorganique , de sorte que tout ce qui appartenait à la forme et à la composition chimique de l'organisation disparaît peu à peu. C'est une sorte de carbo- nisation, dans laquelle il se développe seulement une odeur de moisi, ou de gangrène. 1" Les parties sont desséchées , et ont perdu leur forme ; elles se sont affaissées, ou confondues les unes avec les autres. La peau est mince et parcheminée ; la graisse à demi sèche , plus ferme , plus onctueuse ; les muscles sont resserrés sur eux-mêmes ; à peine peut-on encore reconnaître ceux qui sont minces. Le visage a perdu sa forme ; le nez est affaissé et élargi, la peau est comme desséchée sur les pommettes sail- lantes ; les orbites ne contiennent que de petits moignons, dé- bris des yeux ; la bouche est un trou circulaire, derrière le- PUTRÉFACTION. 4^5 quel se trouve la langue desséchée ; l'anus est une ouverture anguleuse ; la plupart des viscères sont confondus en une masse informe, et desséchés ; les membres sont grêles et secs. Presque toutes les parties sont d'un brun rouge ou d'un brun tirant sur le noir, et il n'y a que certains points épars où l'on aperçoive une teinte ocracée ou cinabarine. 2° La substance est percée de trous et de canaux par les Insectes, dont les déjections ont ajouté à la masse. Quelques uns de ces animaux sont déjà morts ; d'autres ont abandonné le cadavre pour aller se métamorphoser ailleurs ; d'autres en- core se sont changés en chrysalides dans son intérieur, mais n'en tirent plus de nourriture. A la place des parasites du rè- gne animal surviennent ceux du règne végétal , d'abord des Champignons , plus tard des Lichens. 3" Peu à peu les parties se disjoignent, sous l'influence de quelque commotion ; les membres et les côtes quittent le tronc, surtout lorsque le sol s'enfonce dans le vide produit par l'afFaissement du cadavre. Insensiblement aussi les tissus se résolvent, par les progrès continuels , quoique lents, delà décomposition , et il ne reste plus qu'une masse d'un brun foncé, consistant en charbon , mêlé avec de la terre et des sels; cette masse , quand on la distille , donne de l'huile em- pyreumatique, avec du carbonate d'ammoniaque, et laisse des phosphates terreux. Au bout d'un grand nombre d'années , il ne reste plus de cette substance charbonneuse qne la partie terreuse et saline , sous la forme d'une cendre semblable à celle qui résulte de la combustion. Dans les os, la matière animale est d'abord détruite et volati- lisée par l'action réunie de l'air et de l'eau; puis l'acide phos- phorique lui-même est en partie enlevé ou décomposé ; l'os devient cassant , friable , et se réduit en poussière. Fourcroy et Vauquelin (1) ont trouvé dans des os datant de sept siè- cles, qu'on avait retirés de l'église de Sainte-Geneviève , une matière colorante purpurine , des cristaux de phosphate cal- caire avec excès d'acide, et un peu de phosphate de magnésie. 4° La terre qui entoure le cadavre absorbe les liquides (1) Annales du Muséum , t. X, p. 1-4. 456 PUTRÉFACTION. qu'il laisse échapper , et se colle à sa surface , souvent avec tant de force qu'elle semble faire partie de la peau (1); elle se tasse, prend un grain fin, devient visqueuse , noire et par- semée de points blancs. L'eau extrait une partie des substan- ces dont elle s'est emparée , et acquiert une couleur brune foncée (2) ; assez souvent il se dégage encore du gaz hydro- gène phosphore , qui prend feu quelquefois. Le terreau est une substance noire , pulvérulente , qui consiste en résidu charboneux des êtres organisés , uni avec une plus ou moins grande quantité de terre : il forme la croûte de notre planète, dans laquelle seule les végétaux supérieurs trouvent leur nourriture et prospèrent. Il se produit d'autant plus abon- damment que la putréfaction a marché avec plus de lenteur, et qu'il s'est échappé moins de substances sous la forme de gaz. Ses principales parties constituantes sont du carbone et de l'hydrogène. Quand il doit naissance à des matières ani- males , il contient aussi de l'azote et du soufre. Si la putré- faction a été rendue lente et incomplète par l'absence de l'eau , le terreau contient davantage de carbone ; il est plus noir, et brûle avec flamme. Mais si la putréfaction a marché d'une manière rapide , et si elle a été complète, l'humus est moins riche en carbone ; il ne fait que devenir incandescent lorsqu'on y met le feu. On en retire une matière extractive , unie avec des phosphates , des sulfates et des nitrates ; cette matière est quelquefois accompagnée de graisse non décom- posée , dans les terreaux provenant de substances animales , ou de quelque principe végétal , par exemple de tannin , dans ceux qui résultent de substances végétales. On peut l'extraire au moyen de l'eau. Le terreau qu'on a dépouillé par l'ébuUition, représente une bouillie brune ou noire, dans laquelle , d'après Thaer, on retrouve encore de l'extractif au bout de quelque temps. Cet extractif est riche en carbone, et enclin à se décomposer; il attire surtout l'oxygène de l'atmo- sphère, et perd ainsi sa solubilité dans l'eau ; quand on expose sa dissolution aqueuse à l'air, elle se couvre d'une pellicule, qui (4) Guntz , loc. cit.^ p. 43. (2)iôîd.,p.212. PCTRÉFJICTÏON. 4^7 bientôt se précipite sous la forme de flocons ; la liqueur donne aussi , par les acides, un précipité pulvérulent et combustible. L'humus lui-même attire l'oxygène de l'air, exhale de l'acide carbonique, et devient insoluble ,• voilà pourquoi celui qu'on tire des couches profondes de la terre est plus charbonneux ^ plus noir, plus compacte, et donne davantage de charbon par la combustion ; il est plus difficile à décomposer, et ne perd cette qualité que par un contact prolongé avec l'air, ou par son mélange avec de la chaux. Dans un sol marécageux et tour- beux, où l'humus est toujours humide , sans être totalement couvert d'eau, il se développe un acide, presque toujours de l'acide acétique, quelquefois aussi de l'acide phosphorique , qui est combiné avec la matière extractive , parfois même avec de l'ammoniaque , et qui adhère tellement au terreau , qu'on ne parvient pas à l'extraire tout entier par l'ébullition même. L'eau n'enlève que peu de matière extractive à ce terreau acide; mais la potasse le rend soluble, en s'emparantde l'acide et dégageant l'ammoniaque. La tourbe ressemble à l'humus acide , puisqu'elle contient une matière extractive insoluble dans l'eau , avec de l'acide acétique , de l'acide phosphorique et de l'ammoniaque ; mais on y trouve , en ou- tre , des restes non encore décomposés de conferves , de lai- ches, de mousses, etc., de sorte que le carbone y est plus abondant, et qu'elle brûle avec flamme dans sa masse entière. Elle est produite, dans tous les lieux humides , par les végé- taux peu aptes à subir la putréfaction , et qui , en se décom- posant peu à peu, se condensent en une masse compacte, sans perdre entièrement leur texture organique. Van Marum a remarqué que les Conferves, après avoir produit deux ou trois générations pendant le cours de l'été , acquièrent une pesan- teur spécifique plus considérable aux approches de l'automne, gagnent le fond , attirent à elles d'autres plantes|aquatiques , autour desquelles elles s'étaient entortillées , et forment ainsi la tourbe , qui chaque année, s'accroît de nouvelles couches superposées -, les couches les plus profondes et en même temps les plus anciennes, sont plus compactes, plus pesantes, plus noires et plus charbonées. En vertu de sa grande affinité pour l'oxygène , l'humus, qui 458 DSAGES AUXQUELS LA MORT A DONNÉ LIEU. contient des débris de substances animales, et par conséquent beaucoup d'azote , est très-enclin à produire de l'acide ni- trique , malgré le peu de facilité avec laquelle l'azote se com- bine d'ailleurs avec l'oxygène. 11 n'est pas rare non plus que d'autres principes constituans médiats de la substance orga- nique se séparent , notamment du soufre et du fer , qu'on trouve la plupart du temps, le premier à l'état d'acide sulfu- riquCj l'autre combiné avec de l'acide carbonique ou du soufre, et produisant ainsi le fer limoneux ou la pyrite martiale. On rencontre quelquefois du lignite , de l'anthracite et du bois bitumineux dans les tourbières , oii ils ont été produits par une carbonisation plus lente encore (* ). Section troisième. DES DIVERSES MANIÈRES DONT LA MORT EST ENVISAGÉE PAR l'homme. CHAPITRE PREMIER. Des usages auxquels la mort a donné lieu. § 641. Le problème que nous nous sommes tracé étant de connaître la nature humaine, et par conséquent de rechercher quels sont les traits essentiels qui la caractérisent, nous devons encore jeter un coup d'œil sur les principales différences qui existent dans la manière dont les hommes , ceux surtout qui sont encore à l'état de barbarie , ou dont la civilisation n'a point de rapports avec la nôtre , se comportent I. A la mort des leurs. 1" Ici se rangent les actes par lesquels on présente au mou- rant l'image du monde idéal auquel il va prendre part , afin de lui faire supporter sa dernière métamorphose avec calme et courage. Les Hindous le transportent sur les bords du Gange , l'arrosent avec l'eau de ce fleuve , ou lui en font boire. L'o- (*) Comparez, à ce sujet, les hypothèses de Raspail sur la production des rognons siliceux dans les terrains crayeux ( Nôuv. syst. de physiologie viégétale , 1. 1, p. 839). USAGES AUXQUELS LA MORT A DONNÉ LIEU. 4^9 pinion qu'on] rend la mort plus facile en retirant l'oreiller du moribond, règne parmi le peuple, dans diverses contrées de l'Europe. 2° On a coutume, avant que la raideur cadavérique s'éta- blisse, de clore la bouche et les yeux des morts , et de leur donner une position régulière, pour effacer l'expression de la souffrance , et la remplacer par l'image du repos et de l'assou- pissement. La plupart du temps, on ne se veut séparer des morts que quand la décomposition de la matière devient ma- nifeste ; mais alors on s'empresse de les éloigner, pour n'être pas témoin de leur dissolution. Tandis qu'à Ounalachka! les habit ans conservent le cadavre dans leur demeure jusqu'à ce que la putréfaction y soit parvenue au plus haut degré (1) , d'autres peuples le font disparaître peu d'heures après la mort. La persistance de l'amour et la sollicitnde pour le bon- heur du défunt s'expriment fréquemment par des cérémonies religieuses; chez les Hindous, les bramines consacrent le corps lavé avec de l'eau sainte, et prient pour la rédemption de ses péchés (2) ; à Siam , les prêtres allument des cierges autour du cercueil , puis se mettent à fumer et à chanter (3) ; à la Cochinchine , jusqu'au moment de l'inhumation , que les astrologues seuls ont le droit de fixer , on fait plusieurs fois par jour un sacrifice en faveur des morts (4) ; les peuplades tatares lavent sur-le-champ le cadavre et l'enveloppent, après quoi le prêtre lui met sur la poitrine un billet contenant une sentence (5) ; quelques peuplades péruviennes éteignent la lumière afin que l'âme ne trouve pas l'ouverture du toit pour s'échapper et abandonner le corps (6). 3» Des convois solennels de parens , d'amis et de prêtres , ont lieu chez les Hindous , les Birmans, les Siamois, les Japo- nais, les Chinois, et en général chez la plupart des peuples. Fréquemment ces convois sont accompagnés ou de musique , (1) Ziramermann , Taschenbuch der Reisen , t. VIII , p. 179. (2) Ibid.^ t. XII, p. 286. (3) Ibid., t.XI,p. 104. (4) Jbid., t. IX, p. 303. (5)/62û;.,t. VIII,Pl.II,p. 124. (6) Ibid., t. VI, p. 131. 46o USAGES AUXQUELS LA MORT A DONNÉ LIEU. comme chez les Hindous (1), ou de chants , comme à Tonga- tabou (2) , ou de danses, comme à Siam (3). Les Samoïèdes font passer le cadavre , non par la porte , mais par une ou- verture pratiquée exprès à la hutte ; car ils pensent que, sans cette précaution , plusieurs membres de la famille ne tarde- raient pas à le suivre (4). LesKamtschadales abandonnent la cabane dans laquelle quelqu'un est mort , et en bâtissent une nouvelle (5). Les Hindous purifient pendant trente jours la mai- son avec de l'eau consacrée (6). 4" Les parens témoignent publiquement leur douleur. Chez les Indiens du Brésil , les enterremens se font au milieu de cris lamentables, qui se répètent trois fois dans la journée (7). Ces explosions publiques de douleur sont d'usage aussi parmi les Péruviens (8) et les Canadiens (9). Il y a même des pays où la coutume veut que les parens expriment leurs regrets par des actes de désespoir ; à la Co- chinchine , le fils du mort se jette à terre et le convoi lui passe sur le corps (10) ; chez les INadowessiens, les parens se dé- chirent les membres (11) ; chez les Patagons , ils se mettent en sang le visage et la poitrine (12) ; chez les Californiens , ils se tailladent la tête entière avec des pierres tranchantes (13); les habitans de quelques îles de l'archipel grec , telles que Stampalie et Myconi , s'arrachent les cheveux et s'égratignent la figure (14). Dans ceriaines contrées , ces marques de désespoir sont (1)/Jîrf., t. XÏI, p. 286. (2)iWd., t.T, p.241. (3) Ibid.,t.Xï,p.iOi. (4) Ihid., t. VIII, PI. II, p. 75. (5) Ibid., p. 252. i6)Ibid.,t. XII, p. 288. (7) Spix etMaiiius', Beise in Brasilien , t. I, p. 383. (8) Zimnierniann , loc. cit., t. VI, p. 123. (9) Ibid., t. III , p. 205. (10)/ôzd.,t. IX, PI. II, p. 303. (11) Ibid., t. III, p. 205. (12) Ibid., t. VII, p. 277. (13) Ibid., t. IV, p. 241. (14)Hertha,t. X, p. 569. USAGES AUXQUELS LA MORT A DONNÉ LIEU. 4^1 un honneur réservé à des classes privilégiées ; chez les Knis- tenaux , les parens d'un grand personnage se couvrent les bras et les jambes d'incisions (1) ; à Tongatabou , lorsqu'un chef meurt, on voit paraître des hommes qui se donnent des coups de massue sur la tête, et s'enfoncent des dards dans les bras ou les cuisses (2). Les Chinois procèdent avec plus de circonspection ; car l'affligé marche entouré de gens qui l'em- pêchent de s'égratigner la figure ou de s'arracher les che- veux (3). Il est plus commode encore de louer des pleureuses, comme on le pratique à Siam (4) et dans l'archipel grec (5) , et comme il était d'usage en Allemagne au dix- huitième siècle. 5® La coutume des repas mortuaires est très-répandue. Tantôt il s'y rattache l'idée d'un sacrifice , tantôt elle a pour but d'honorer la mémoire du mort, d'attirer plus de monde à son convoi , ou de distraire ceux que sa perte plonge dans le deuil. On tue pour cela des Rennes chez les Toungouses (6), les Samoièdes (7) et les Ostiaques (8), des Chevaux chez les Jakoutes (9). Les Knistenaux (10) , lesNantinoks (11) et les Chaktas (12) accompagnent aussi leurs inhumations de fes- tins. Au Paraguay, on boit beaucoup, on chante et l'on bat la caisse (13). Les habitans de Tongatabou font également usage de boissons enivrantes (14). 6" On donne pendant quelque temps des témoignages de (I) Zimmermann, loc. cit., t. III, p. dlO. (2)Ibid., t. I, p. 241. {B)Ibid., t. IX, p. 388. {i)Ibid., t. XI, p. 404. (5) Hertha, t. X, p. 574. (6) Zimmermann, ^oc. cit., t. VIII, p. 299. (7) Ibid., PI. II, p. 75. (8) Ibid., p. 88. (9) Ibid., PI. I,p. 355. (10) Ibid., t. III, p. 110. (II) Ibid., p. 206. (12)iiîc;.,t. lV,;p. 190. (13) Ibid., t. VI,' p. 269. (14) Uid., t. T, p, 241, 462 USAGES AUXFUaiS LA MORT A DONNÉ LIEU. tristesse. Le deuil des parens dure trois années à la Chine (1), à la Cochinchine (2) et à Corée (3), un an parmi les sau- vage de la baie d'Hudson (4) . II se porte en blanc au Ja- pon (5), à la Chine (6) et à Siam (7). Les hommes se cou- vrent la figure de terre blanche sur les bords du Missouri (8), tandis que les Araukes (9j et les Patagons (10) se peignent et s'habillent en noir. A Siam (11) et dans la Corée (12) on ne se lave point pendant le deuil. Les Samoïèdes ôtent leurs cein- tures , et ne serrent point leurs bottes (13). Les sauvages de la baie d'Hudson déchirent leurs vétemens, et marchent nus (14). L'usage de se| couper les cheveux existe chez les Hindous (15), à la Cochinchine, à Siam et au Paraguay (16), à la baie d'Hudson et sur les bords du Missouri. Les indigènes du Brésil se coupent les cheveux, ou les laissent grandir (17). Dans la Californie , on coupe le petit doigt de la main droite à l'un des parens (18). Celui qui est en deuil s'interdit cer- taines jouissances ; les Tarlares ne font point de feu, pendant trois jours, dans la maison où l'un des leurs est mort (19); les Hindous s'abstiennent de bétel (20) ; à Corée , l'acte vé- nérien et l'ivresse sont défendus pendant le deuil des parens, (1) Ihid., t. IX, 388. (2) Ibid., pi. II , P. 303. (3) Ibid., p. 26. (4) Heai'ne , heisen'indie^Hudsotishai , p. 216. (5) Zimmermann , loc. cit., p. 216. {Iô)lhid., PI. I,p. 388. (7) Ibid., t. XI, 104. (8) Perrin du Lac, Beise in die beiden Louisianen , l. ï, p, 175. (9) Zimmermann, loc. cit., t. VII, p. 206. (10) Ibid., p. 277. (11) Ibid., t. XI, p. 104. (12)iWd.,t. IX,P1. II, p. 26.; (13) lbid.,t.yni, PI. II, p. 75. (14) Hearne, Reise in der hudsonsbai, p. 224. (15) Zimmermann, loc. cit., t. XII, p. 288. (16) Ibid., t. YI, p. 2Q9. (17) Spix et Martius, loc. cit., t. T, p. 383. (18) Zimmermann, loc. cit., t. IV, p. 241. (19) Ibid., t. VIII , Pi. 11, p, 124. (20)ii»d., t. XII,p.288. USAGES AUXQUELS LA MORT A DONNÉ LIEU. 1^65 et un enfant qui naîtrait aiors serait regardé comme illégi- time (1). Chez plusieurs peuples, ce sont surtout les veuves qui étalent un grand luxe de tristesse ; parmi les Samoïèdes, elles délient les nattes de leurs cheveux, et plus tard, au lieu de deux, elles en portent trois (2). A Ounalachka (3), elles se rasent la tête , ainsi qu'au Pérou (4) et au Paraguay , où elles portent ensuite une coiffure tissue en fils noirs et verts (5) ; à Caricobar , dans quelques îles de la mer du Sud, et chez plusieurs peuplades nègres, on leur coupe une pha- lange (6). A Céièbes, la veuve d'un| prince est obligée d'ha- biter pendant un mois auprès de la tombe du défunt (7). 7» Le souvenir que l'on conserve des morts s'exprime, même chez beaucoup de peuples grossiers, par la consécration du lieu où sont déposés leurs restes. Les Esquimaux dressent un pieu à l'endroit où ils ont brûlé un cadavre (8). A Caricobar, on en plante un garni de linges sur la tombe-, afin d'écarter le mauvais esprit (9). Les Tchuktchis élèvent un monceau de pierres et y suspendent des bois de Rennes (10); les Canadiens y déposent des attributs relatifs au genre de vie du défunt (11). A Otahiti, on érige pour les chefs des pyramides semblables â celle d'Egypte (12). ^'A Siam , les tombeaux sont sacrés (13). Les Japonais les garnissent de fleurs et les visitent souvent (14). Les Chinois s'y rendent régulièrement tous les ans (15), et les Gochinchinois y font de fréquens sacrifices (16). Les Ostiaques (l)76id.,PLn,p. 26 (2)/Jid., t. VIII.Pl. II,p. 75. (5)Uid.,n.l, p. 179. (4) Ibid., t. VI, p. 123. (5) Ibid., t. VI , p. 239. (6)i6i et les Birmans (8) , les cadavres des pauvres sont jetés à l'eau ; les Hindous , après avoir brûlé les corps , en rassemblent les débris , qu'ils plongent dans le fleuve sacré (9). 12» Dans plusieurs îles de la mer du Sud , on fait pourrir le cadavre sur des échafauds élevés. Les Chaktas afjfissent de même ; leurs prêtres détachent les chairs et les brûlent, mais conservent les os dans le cimetière commun (10). Les Kam- tschadales déposent les corps des enfans dans des creux d'ar- bres (il), et les Samoièdes les suspendent à des arbres, dans leurs berceaux (12). Les Toungouses suspendent également les cercueils d'adultes entre les arbres (13), et les Nègres enfer- ment les corps de leurs chanteurs dans des troncs creusés de Baobab (14). Chez quelques peuplades du nord de l'Amé- rique (15), les os qui restent après la combustion sont mis dans des caisses sur de forts piliers, ou suspendus à des poteaux, après avoir été enveloppés avec du coton. IS'Les Thibétains (16), les Siamois (17) et plusieurs peuples de l'Amérique septenirionale(18), portent les cadavres sur des (l)75id., f.VIII, p. 195. (2) ihid., p. 355. (3) ;iic^.,t. IX, p.216. (4) /iic?.,t.X, p. 156. (5) /&zU,t. YI,p. d23. (6) ]Md., t. m, p. 67. (7) Ihid., t. X, p. 458. (8) ihid., t. X, p. 273. (9) lhid.,i. XII, p. 288. (10) ihid., t. IV, p. 190. (11) lUd., t. VIII, p. 252. (12) Ihid., P. II, p. 75. (13) /Md., P. I, p. 299. (14) Ilid., t. I, p. 192. (15) Ihid., t. VIII, p. 161 ; t. lîl, p. 419. (16)/&zi.,t.X, p. 158. (17) /iii,, t. XI, p. 104. ^8)/5R,t. III, p.llO. 47^ USAGES AUXQUELS LA MORT A DONNÉ LIEU. montagnes , où ils les abandonnent à l'intempérie des élémens et à la voracité des animaux. Les Kamtschadales les faisaient autrefois dévorer par des chiens (1). Au Thibet, les gens du peuple détachent la chair, la jettent aux chiens , et conservent quelques os (2). Au Paraguay, on fait cuire la langue et le cœur, puis on les donne aux chiens , afin de faire périr le magicien qui a causé la mort du défunt, toute mort étant considérée comme l'effet d'une pratique de sorcellerie (3j. 14° L'usage de conserver les cadavres mis à l'abri de la putréfaction, ou embaumés, existe dans toutes les parties du monde. Il rappelle le travail organique par lequel la mère qui ne peut pas se débarrasser de son fruit , le dessèche , le momifie et lui fabrique un tombeau pierreux (§ 482, 9°). En Egypte , la nature du climat rendait la conservation des corps très-facile ; aussi l'embaumement y a-t-il été adopté depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'au sixième siècle de l'ère chrétienne. Les Babyloniens et les Perses enduisaient les cadavres de pétrole. Au Thibet , on embaume les grands (4). Les Birmans enlèvent les viscères , remplissent le corps d'é- pices,le couvrent de cire, puisde résine, et le brûlent au bout de quelque temps (5). A Otahiti, on embaume les cadavres avec des huiles d'une odeur agréable , après avoir pratiqué l'extraction des viscères. Les Guanches, habitans primitifs des îles Canaries , se servaient d'herbes aromatiques pour leurs embaumemens , et conservaient les momies dans des creux de rochers (6). On a trouvé aussi des momies au Pérou, à la Caroline , à la Guyane et à Saint-Domingue (7). (1) lUd., t. VIII, p. 252. (2) Ibid., t. X, p. 158. (3)/Wrf., t.VI, p. 269. (4)iiii.,t.I, p.158. (5) Ibid., t. X,p. 273. (6) Humboldt , Reise in die Mquinoctialgegenden > t, I, p. 287. (7) Simon, loc. cit., p. 35. SUICIDE. 47^ CHAPITRE II, Du suicide, § 642, L'amour de la vie est identique avec la vie elle- même : il implique donc contradiction qu'un être vivant veuille sa mort. Cependant ce phénomène a lieu souvent , et il con- stitue un trait trop remarquable de la nature humaine pour que nous puissions le passer sous silence. Nous n'avons point à nous occuper des actions par lesquelles on s'expose à la mort -, car il arrive souvent qu'on n'a point la conscience du danjjer, ou que ce sentiment est émoussé par la passion qui entraîne , et d'ailleurs, quand on apprécie le danger, on con- serve l'espoir d'y échapper , on fait tous ses efforts pour s'en garantir. Il ne doit être question ici que des actions auxquelles l'homme se livre après y avoir mûrement réfléchi , et malgré l'intime conviction qu'elles le mèneront infailliblement à la mort. Cependant il y a encore une distinction à faire ; la mort volontaire d'un Curtius, pour délivrer ses concitoyens de la crainte d'une ruine prochaine ; d'un Winkelried , pour assurer la victoire et la liberté à son peuple ; d'un Éléazar, pour ne pas être obligé de transgresser la loi ; ou d'un martyr pour ne point démentir sa croyance , ne saurait nous occuper ; car, dans tous ces cas, l'homme avait sous les yeux un but plus relevé, qui faisait taire l'amour de la vie, et la mort n'était que le moyen de réaliser une idée. Les actions qui n'ont d'au- tre but que la mort elle-même sont les seules auxquelles on donne le nom de suicide , soit qu'elles la déterminent immé- diatement, soit qu'elles l'amènent d'une manière indirecte. 1° Le suicide a eu lieu dans tous les temps et chez tous les peuples. On l'a généralement considéré comme un crime. |La plupart des philosophes l'ont déclaré une infraction aux lois de la nature ; d'autres , notamment les stoïciens , en prenaient la défense et le mettaient au nombre des actions vertueuses (1). La plupart des gouvernemens, regardant la vie des citoyens <1) Stseudiin, Geschichte der Ferstellungen und Leben,vom Selhstmorde, p. 48,58. 474 SUICIDE. comme leur propriété, ont qualifié le suicide de crime , dont ils faisaient retomber la punition sur le cadavre ou sur la suc- cession ; d'autres ont exigé que celui qui projetait de se tuer fît part de ses motifs à l'autorité , qui , lorsque la vie de l'in- dividu ne promettait aucun avantage à 1 étal, lui permettait d'en disposer à son gré , ainsi qu'on le pratiqua long-temps à Athènes (1), où même on lui fournissait du poisson , comme il fut usité dans les premiers temps de la république de Mar- seille (2). Parmi les sectos chrétiennes, lesRaskolnicks croient le suicide licite (3) ; les livres sacrés des Hindous le permet- tent aux ermites (4). Au Japon , c'est une action qui mène à la béatitude, et les Siamois mettent au nombre des saints ceux qui l'accomplissent (5). Du reste, il est très-commun chez les Kamtschadales,les Toungouses, les Kouriles, ainsi quecliezles Chinois , les Malais , les habitans de Macassar , les Javanais , les Péguans , les insulaires de la Nouvelle-Hollande , les Nè- gres , les habitans du Paraguay et autres peuplades améri- caines (6). La fréquence du suicide en Europe varie beaucoup suivant les temps et selon les lieux. Dans les grandes villes, la propor- tion , comparée à la mortalité en général , est la plupart du temps de 1 : 500 — 1000 , quelquefois de 1 : 100 et au des- sous, rarement de 1 : 1500 et au dessus (7). Le suicide n'est pas tout-à-fait aussi fréquent dans les campagnes et dans les petites villes ; cependant on ne doit pas perdre de vue qu'un très-grand nombre de cas n'arrivent point à la connaissance du public, soit parce qu'il ne reste pas de trace du suicide, soit parce que les parens le tiennent secret. Nous pensons éta- bhr une proportion très-modérée en disant que sur deux mille hommes il s'en trouve un qui s'arrache lui même la vie. 2« Il y a différentes manières de quitter la vie. Les livres (1) Z6id.,p.35. (2) Osiander, Ueler denjSehstmort , p. 4. • (3)Sl8eudlin, loc. cit., p. 268. (4) Haafner, loc. cit., t. I, p. 72. (5) Steeudlin , loc. cit., p. 272. (6) Osiander, loc. cit.. p. 95 , 497-205. — Stseudlin , loc. cit., p. 270. (7) Foyez Considérations sur les suicides de notre époque, par Brouc (Annales ^d'hygiène puUi^ue, Paris, 1836, t. XYI, p. ^23), SUICIDE. 475 sacrés des Hindous en établissent cinq, qui consistent à se lais- ser mourir de faim , à se brûler dans du fumier de vache, à s'ensevelir dans la neijj^e sur les montagnes du Thibet, à se laisser dévorer par un crocodile, ou à se couper le cou sur les bords du Gange, enfin à se noyer (1). Le lâche asiatique cherche quelquefois à rendre rexécntion de son projVt plus facile, en se procurant, par le moyen de l'opium, une ivresse furieuse, pendant laquelle il poignarde tous ceux qui l'ap- prochent (2). Le Nègre a souvent le courage de briser les chaînes de l'esclavage en se laissant mourir de faim (3) , ou même en suspendant volontairement sa respiration ; car on ne saurait admettre la possibilité qu'il se bouche la glotte en avalant sa langue , comme on fa prétendu (4). Le fanatisme a été assez ingénieux pour imaginer les moyens de se mettre soi-même en croix (5) , et il n'est pas rare que des hommes commettent un meurtre p;ir spéculation sur l'efficacité que les prières des prêtres auront en faveur de leur salut. 3° Fréquemment le suicide tient à une disposition maladive de l'âme, et n'est déterminé par aucune autre cause. Sans compter l'aliénation totale de l'esprit dans le délire fébrile et dans la manie, il faut ranger ici la mélancolie (6). Cette affection morale dépend quelquefois d'une anomalie matérielle, par exemple d'une maladie du cœur, d'une inflammation viscérale chronique , de la constipation, d'une diathèse bilieuse et vei- neuse, de sorte qu'elle peut même être héréditaire, et qu'on voit souvent plusieurs membres d'une famille se suicider sans nulle cause extérieure (7). Dans beaucoup de cas, elle se rattache à un mauvais genre de vie et à des excès en tous genres. Il suffit, quand la prédisposition existe , de la plus légère cause exté- rieure pour déterminer le sujet à quitter la vie; aussi le sui- cide est-il plus commun à l'époque des équinoxes qu'en tout (1) Haafnerj loc. ciï., 1. 1, p. 72. (2) Osiander, loc. cit., p. 95. (3)i6îci.,p. 171. (4) Ihid., p. 177-180. (5) lUd.,-^. 190-194. (6) Esquirol , des Maladies mentales, Paria, 1888, t. î, p. 526, (7) Ibid., p. 580. 47^ SUICIDE. s:; ire temps de l'année^ et beaucoup moins fréquent dans k's beaux climaiî» de la Grèce et de l'Italie , que sous le ciel nébuleux du Nord. Enfin la mélancolie qui mène au suicide peut aussi naître d'un désordre dans Tâme elle-même, no- tamment du piétisme, qui , prenant sa source à la fois dans la faiblesse de la tête et dans les altérations des organes abdo- minaux , croit acheter la béatitude éternelle en faisant le sa- crifice des joies de la vie; or, comme les effets de l'imagination ne sont pas moins contagieux pour les têtes faibles que les produits matériels des maladies pour les corps mal disposés , on a vu des cas oii le suicide était devenu jusqu'à un certain point épidémique, par manie d'imitation (1). 4° Dans le plus grand nombre des cas , les hommes sont portés au suicide par une circonstance extérieure. Ne se re- connaissant pas de valeur à eux-mêmes , et faisant dépendre uniquement leur existence des choses du dehors , ils ne sau- raient supporter le malheur; et n'ayant ni force ni courage pour lutter contre le sort, ils ne trouvent d'autre ressource que dans la fuite. Les véritables causes du suicide sont alors un faux jugement porté sur le prix des choses, la petitesse d'es- prit et le défaut d'énergie. Quand l'immoralité avilit l'homme en le rendant esclave de ses sens , lorsque le despotisme ébranle les bases de toute propriété , le suicide devient com- mun (2) , surtout chez les peuples faibles, pusillanimes, ou d'un esprit peu cultivé (3) . Tandis que, parmi des millions d'hommes, à peine s'en trouve-t-il un qui ait le courage de mourir pour une idée , des miUiers se tuent par peur , et même avec tant de lâcheté , qu'au dire de Falret , sur dix suicides on en compte trois qui ne vont pas au-delà de la tentative. Comme les femmes voient les choses sous un point de vue plus na- turel, et qu'elles ont plus de courage passif, on compte or- dinairement trois ou quatre fois moins de suicides parmi elles que parmi les hommes. Il y a un nombre à peu près égal de sujets mariés et de célibataires parmi ceux qui abandonnent spontanément la vie ; comme le suicide est infiniment plus (l)Esquirol,t. I, p. 588. (2) Stœudlin, loc. cit., p. 52. (3) Ibid., p. 270. SUICIDE. 477 rare pendant l'enfance et la jeunesse que durant le moyen âge, mais qu'à cette dernière époque de la vie le nombre des mariés l'emporte sur celui des célibataires , il faut que la pro- pension au suicide soit plus grande dans l'état de célibat , et que le mariage attache davantage à la vie, quoiqu'il la rende plus'pénible et plus difficile. Parmi les causes de ce genre , on doit d'abord ranger le dé- faut de moyens d'existence, surtout la misère qui résulte d'une mauvaise conduite. Sur six cent soixante-quatre suicides, il y en a deux cent trente-neuf qui appartiennent à celte caté- gorie , suivant Falret. En pareil cas , le suicide résulte pres- que toujours du manque de courage pour se procurer les né- cessités de la vie et pour s'imposer des privations comman- dées par la perte qu'on a éprouvée. D'autres sont conduits à la mort par la dégradation civile , et montrent en cela autant de jugement à peu près que les Canadiens, chez lesquels il n'est pas rare de voir une fille se détruire par désespoir de ce que ses parens lui ont jeté de l'eau , ce qui , dans l'esprit de ce peuple , passe pour la plus ignominieuse de toutes les pu- nitions (1). D'autres causes sont la crainte du châtiment et de l'esclavage ; en se faisant périr, l'esclave a de plus le plai- sir d'assouvir sa vengeance, car il porte préjudice à son maî- tre et lui cause une perte qui lui inspirera du chagrin. L'a- mour dédaigné ou trompé conduit fréquemment aussi au sui- cide. L'impossibilité de s'unir amène également ce résultat , et l'on a vu plus d'une fois deux amans se donner la mort ensemble ou l'un à l'autre (2). Enfin il peut dépendre de la perte d'un objet aimé ; Falret rapporte que Barthez se laissa mourir de faim par suite du chagrin que lui causa la mort de sa femme. 5° Il y a des circonstances enfin où la cause du suicide ré- side dans la vie propre du sujet. Tel est le cas des remords, qui ne laissent plus de place à aucune résolution vertueuse et anéantissent tout sentiment de moralité. Tel est aussi celui du dégoût de la vie , occasioné par l'abus des jouissances sen- (1) Zimmermann , loc cit., t. IIî, p. 172, (2) Osiander, loc. cit., p. .34-38. 478 SUICIDE. suelles et l'ignorance des inépuisables plaisirs que procure la satisfaction de soi-même. Tel est enfin celui de douleurs phy- siques , de tourmens causés par une maladie incurable , ou de débilité sénile chez des sujets qui n'ont pas su se créer un point d'appui dans leur propre intérieur. Les peuples gros- siers , qui n'estiment que la force brutale , approuvent et en- couragent le suicide du vieillard, qui leur semble être un inutile fardeau pour la société ; les vieillards se faisaient met- tre à mort chez les sauvages du Brésil , et, parmi les anciens Scandinaves, ils se précipitaient du haut d'un rocher dans la mer, la tête ceinte d'une couronne ; ils étaient aussi dans l'u- sage à Céos de boire solennellement la ciguë, et quand ils ne s'y décidaient pas d'eux-mêmes , on les tuait (1). Chez les Baitas , à Sumatra , c'était une action pieuse de mettre solen- nellement à mort le vieillard fatigué de la vie , qui en priait ses parens , et de se repaître ensuite de sa chair (2). Ce qui paraît plus singulier encore , s'il est possible , que ces égare- niens des peuples barbares, c'est que, chez les Hindous, qui ont des mœurs si douces et tant d'horreur pour le sang, la foi religieuse permette le suicide au solitaire atteint par la vieillesse. (1) Stœudlin , loc. cit., p. 47. (2) Zimuiermann , loc. cit. , t. XIII , p. 321. ORGANISME DU TEMPS. 479 QUATRIÈME PARTIE. DE L'ORGANISME DU TEMPS. § 643. Voulant présenter la physiologie , non comme un ensemble de phénomènes sans liaison les uns avec les autres, mais comme une science expérimentale ou d'observation , nous avons plus d'une fois déjà interrompu l'histoire de la formation organique pour reprendre en quelque sorte haleine dans le domaine de la pensée, après le récit fatiguant des faits particuliers ; c'était l'unique moyen de trouver quelques points de repos au milieu de la confusion qui règne parmi les connaissances dont nous devons l'acquisition aux sens , et de nous élever ainsi du simple savoir à des' aperçus vraiment scientifiques. Nous avons spécialement jeté un coup d'œil général sur les faits relatifs à l'essence de l'être procréateur (§ 228, 232) et delà procréation (§ 319, 322), aux conditions dans lesquelles l'être procréé se développe (§367, 370), enfin à ce développement lui-même (§ 476, 478), et nous avons tiré delà des conclusions eu égard à l'essence de l'orgaaisme. En suivant cette voie , nous avons découvert trois vérités fon- damentales , savoir : 1« Que la vie ne repose pas sur une base matérielle , mais sur un fondement idéal, non sur des spécialités, mais sur l'u- nité intérieure, et sur ses connexions avec l'univers ; 2° Que l'ensemble de la nature est une multipHcité de phé- nomènes finis , unis les uns aux autres par un lien de causa- lité , et procédant de l'absolu , de l'infini, de l'idéal , qu'elle est une révélation , une manifestation de la divinité ; S» Que l'être organique est une image de l'univers , une existence finie, dans la manifestation isolée de laquelle l'infini se révèle de la même manière que dans celle de l'univers. A mesure que nous avancerons dans nos recherches, l'évi- dence de ces vérités ressortira de plus en plus, jusqu'au mo- 480 ORGANISME DU TEMPS. ment enfin où l'intuition purement intellectuelle nous en fera reconnaître l'absolue nécessité. Nous allons les supposer démontrées, et passer à l'examen des phénomènes du cours de la vie considéré d'une manière générale, afin de nous éle- ver à la notion de ce qui en constitue l'essence. L'espace et le temps sont les deux formes de la condition finie, et partout on les trouve nécessairement unis l'un à l'au- tre ;ce qui arrive dans un certain temps n'est point partout , et ce qui occupe un espace déterminé , n'est pas toujours. Or si l'être organique est un reflet de l'infini dans le fini , il doit porter aussi le ipême caractère quant aux deux formes du fini. Nous chercherons plus tard à fixer la vie comme une chose persistante dans l'intuition , et à démontrer que ses phénomènes simultanés représentent un tout organique, donné par l'idée. Ici, où nous reportons seulement nos regards sur la vie que nous avons envisagée comme une chose progressive, notre but doit être de faire voir que son essence idéale , pour arriver à se phénoménaliser , se partage en plusieurs direc- tions, séparées les unes des autres quant à la succession, que les divers états qui se succèdent se comportent comme les membres d'un seul tout se manifestant dans le temps, qu'en un mot le cours de la vie est un organisme dans le temps. Il n'y a là ni origine due au hasard , ni existence sans but , ni destruction n'aboutissant à rien ; la loi immuable règne au milieu de mutations continuelles , et l'esprit éternel domine dans la loi. Les considérations dans lesquelles nous allons entrer seront réparties dans les quatre catégories de la modalité ( § 644 , 646), de la relation (§ 647), de la qualité (§ 648, 649) et de la quantité (§ 650, 657). Cette classification semblera peut- être actuellement arbitraire et indifférente ; plus tard , nous aurons occasion de dire sur quoi elle se fonde. CHAPITRE PREMIER. De la modalité dto développement , § 644. Un organisme a pour caractère, sous le point de vue de la modalité , l'aptitude à se conserver soi-même en vertu ORGANISME DU TEMPS. l\6 \ de rharmonie qui existe dans ses aciivités, soit les unes pat- rapport aux autres, soit eu égard au monde extérieur. D'après cela, le cours de la vie est une métamorphose de la vie par la vie elle-même en accord avec ses relations extérieures. 1° La vie ne devient donc point autre chose ; elle reste toujours la même , quant à l'essence. Dès Forigine, elle a sa direction déterminée ; car elle ne naît que parce que l'idée générale commence à se manifester sous une forme particu- lière, et l'infini à se renfermer dans des bornes déterminées; cet esprit de la vie se maintient toujours, parce qu'il est un et le même; il s'annonce de différentes manières pendant la suc- cession des temps, mais jamais rien de complètement étranger ne peut pénétrer dans sa sphère. 2° L'apparition de nouvelles formes de vie n'est donc point une survenance du dehors , mais un phénomène dépendant d'une cause intérieure, et qui se rattache à la vie elle-même : ce qui existait primordialement dans le germe vient à se ma- nifester, et ce qui avî|it agi d'abord sous une forme imparfaite, d'une manière limitée , arrive à représenter plus pleinement son idée, à offrir la révélation de son essence intime , en vertu d'une exaltation de soi-même, ou de ce qu'on pourrait appeler l'élévation à une plus haute puissance. De même , la disparition du cercle des phénomènes de la vie est le résultat d'un abaissement de puissance , d'une extinction , dont la cause déterminante est intérieure et se rattache à l'épuise- ment de l'idée. 3° La vie manifeste son essence par l'harmonie de ses spé- cialités. Partout on rencontre des antagonismes ; mais ces antagonismes , loin d'être ennemis et de nature à s'anéantir mutuellement, sont au contraire complélifs les uns des autres, et exercent une excitation réciproque. Ainsi, tout ce dont la vie a besoin pour son développement et pour ses progrès , elle le trouve dans l'univers , qui est en rapport harmonique avec tous ses membres. La révolution de la vie suit la pério- dicité de la terre (§ 594, 3°), à laquelle le cours de la vie correspond aussi chez les végétaux et les animaux inférieurs (§ 025, 2f); l'homme est plus indépendant des choses du de- hors , et de même que , par exemple , la durée de sa vie est V. 3i 482 ORGANISME DU TEMPS. moins déterminée par la nature de l'air et des alimens que par les conditions morales (§ 631, 2°, 3°, 6°), de même aussi le monde intérieur est partout plus puissant en lui, ce qui fait que l'harmonie avec sa propre espèce acquiert un rôle plus important. 4" Tout passafje d'une période de la vie à une autre pré- sente quelque chose de louche , parce que le passé et l'avenir s'y croisent; comme la voix du jeune homme passe d'une gravité rude à une acuité glapissante ; ainsi les diverses directions de la vie s'engrènent pour ainsi dire les unes vîans les autres aux points de transition; le nouveau-né a encore quelque chose de la raideur du fœtus, avant d'ac- quérir l'amabiliié de l'enfance ; le jeune garçon traverse le i^émps des étourderies et des espiègleries avant d'arriver à l'âge du jeune homme ; l'homme enfin est en butte à des ac- cès dégoïsme et de dureté avant d'atteindre au calme de la vieillesse. Cette espèce de bilatérahté touche de près à la maladie. En effet , chaque développement commence par un orage partiel , qui s'exprime, dans le matériel de l'être, par une exaltation locale de la vie du sang, par une sorte d'état inflammatoire (1), d'oii résulte une disproportion à l'égard du reste de l'organisme, en sorte que, d un côté, le désordre par- tiel peut s'étendre et dégénérer en un orage général , tandis que, d'un autre côié, le foyer du développement peut attirer à lui la presque totalité des forces de la vie et affaiblir d'autres directions. Aussi la vie devient-elle vacillante à ces époques, qui sont celles de la première respiration, de la dentition, de la puberté, de la grossesse, de la parturition, de l'extinction de la faculté procréatrice ; aussi la santé est-elle alors plus facile à troubler , les causes nuisibles entraînent des effets plus dangereux , et les maladies épuisent plus promptement les forces qu'en d'autres momens. La vie se retire du monde extérieur, pour agir et créer dans l'intérieur sans que rien la dérange. Nous trouvons jusqu'à un certain point l'expression de ce phénomène dans l'instinct qui porte les animaux à se cacher au moment de la mue, comme aussi pour mettre bas, (4) Tuebinger Blœtter fuer Notarwissenschaften , 1. 1, p. 287. ORGANISME DC TEMPS, 483 pour dormir, pour subir l'engourdissement hibernal et pour mourir. 6" A mesure que chaque nouvel organe se déploie (§ 478, 7"), chaque force, au moment où elle commence à entrer en exercice , dépasse de beaucoup les limites dans lesquelles elle se renfermera plus lard , phénomène dû à l'excitation qui est la condition de son développement ; ainsi , la force du jeune garçon qui tend à l'indépendance , dégénère en égoisme et en arrogance , et la première séparation des sexes prend les caractères de l'éloignement et de l'inimitié ; chez le jeune homme , le développement complet des organes res- piratoires est amené par une affluence considérable de sang, qui entraîne souvent des hémorrhagies ou des inflammations, et l'imugination n'est jamais plus elfrénée qu'à l'époque où elle commence à s'éveiller. En même temps , les premiers produits sont presque toujours moins parfaits et plus périssa- bles; ainsi les dents de lait, les premiers poils et les pre- mières plumes ne tardent pas à tomber (§ 517, 3°), et les pre- mières créations de l'imagination , si riche et si féconde à son début , ne sont en dernière analyse que des bulles de savon. ARTICLE I. De la marche du déi^'eloppement physique. § 645. Quant à la modalité des changemens matériels , il faut ranger ici I. L'accroissement. L'accrue des corps inorganiques n'a rien d'essentiel, et les dépôts successifs de masse homogène affectent la forme de couches superposées. Mais l'accroisse- ment des corps organisés est essentiel, et résulte d'une for- mation accomplie par ces corps eux-mêmes. Il lient à ce que la nutrition l'emporte sur la décomposition ; il est donc rendu possible et favorisé par les substances et les relations du monde extérieur, mais c'est la vie qui le réalise. Voilà aussi pourquoi il est déterminé par la loi de l'harmonie, et consiste en une augmentation de la masse organique par elle-même, avec conservation ou maintien d'une forme et d'une propor- tion déterminées des parties. Il ne résulte point non plus d'une 484 ORGANISME DU TEMPS. accrue extérieufe, mais d'un accroissement intérieur ; non cViin dépôt, mais d'une pénétration : ii n'a jamais lien à la surface externe ou interne , mais toujours au dedans de la substance même et au dessous des limites périphériques. D'après cela, si on le considère eu égard à son essence, i° Il s'accomplit partout sous la forme de l'expansion ou de la tuméfaction , de manière que les exircmités, surfaces et bords correspondans d'une partie s'éloignent davantage les. ims des autres sous son influence, et que les organes conservent leur forme totale prise en général. Ainsi, nous avons déjà fait remarquer (§ 427, 11°) que les os, quand ils sont parvenus au terme de leur développement , offrent la même forme qu'à l'origine , seulement sur une plus grande échelle , ce qui se- rait de toute impossibilité si leur accroissement consistait en un dépôt de couches nouvelles à la surface. La plante aussi croit par expansion ou gonflement , tant que ses parties con- servent de la mollesse ; les feuilles augmentent de longueur, de largeur et d'épaisseur par leur intérieur, tant qu'elles sont enveloppées et garanties de l'action desséchante de l'air; les jeunes pétioles s'étendent , de manière que les feuilles ar- rivent à une plus grande distance des branches , et les jeunes branches s'allongent , de sorte que les nœuds s'écartent les uns des autres. Mais lorsque la vitahté d'une partie a baissé, et quand la source de son suc plastique est épuisée, il ne peut plus y avoir d'accroissement intérieur : le corps n'augmente plus alors que par l'accession de nouvelles formations , soit qu'il y ait (2°) ou non (3°) une base antérieure à celles-ci. 2° Dans le premier cas, l'essence de l'accroissement s'ex- prime de la manière la plus évidente comme progrès de la for- mation dépendant de celui de la vie. L'épiderme, les poils, les plumes, les bois, les dents sont rejetés quand ils ont accompli le cours de leur vie, et à leur place la nature forme , pour ainsè dire de toutes pièces , des parties nouvelles , qui , lorsque lof vie est encore en progrès , surpassent en perfection celles dotit elles tiennent lieu. Si l'on examine , par exemple , les boisd© Cerfs parvenus à différens âges, on serait tenté de croire que chaque année de nouvelles couches et de nouveaux andouillers se sont ajoutés au tronc primitif; on pourrait s'imaginer aussi ORGANISME DU TEMPS. l^Sb que les dents molaires de FÉlépliant âgé sont celles du jeune animal , accrues seulement de plaques additionnelles ; cepen- dant ce sont des productions tout-à-fait nouvelles , qui n'ont paru sous des formes plus parfaites que parce que la vie fille-même avait fait des progrès dans son propre intérieur. 3° Chez les végétaux, la substance se solidifie de bonne heure , de manière qu'elle devient incapable d'accroissement intérieur , et qu'elle ne peut plus servir que de base à des formations nouvelles , qui déterminent l'accroissement en ve- nant s'ajouter aux anciennes , mais se développent , comme celles-ci, par le dedans. Déjà quelques champignons croissent parce que la masse gélatineuse qui les constitue se renfle sur un point, et forme tantôt une nouvelle couche superlicielle au dessous de l'épi- derme, tantôt un prolongement latéral ramiforme (1). Dans les végétaux arborescens, il se produit chaque année une couche nouvelle , qui est la partie à proprement parler vivante , et à laquelle les productions des années précédentes servent seulement de base et de point d'appui. L'accroisse- ment en grosseur des arbres monocotylédones résulte d'ini tercalations de faisceaux répartis d'une manière irrégulière dans l'intérieur; mais celui des dicotylédones tient à l'annexion de couches cohérentes, qui engaînent le bois et servent d'axe à l'écorce , la nouvelle production se partagieant en une couche interne , l'aubier ou le bois , et en couches externes , le liber ou l'écorce future , de sorte que le bois s'accroît de dehors en dedans , et l'écorce, au contraire , de dedans en dehors (2). Quant à l'accroissement en hauteur, il dépend de couches ayant la forme de cônes creux , qui s'appliquent sur les extrémités des branches, au dessous de l'écorce. La coquille des Mollusques croît par des additions du de- dans en dehors, le suc épanché sur la surface du corps s'ap- pliquant à la face interne du test. L'accroissement des Coraux a aussi de l'analogie avec celui des arbres dicotylédones, mais on doit plutôt voir en lui une nouvelle procréation qu'un ac- (1) Schweigger, Handhuch der Naturyeschichte der skelettlosen untje- gliederten Thiere , p. 375. (2) F.-V. Raspail, Nouveau système de physiologie végétale, [Paris, 1837, t. I, p. 389 et suIt. 486 ORGANISME DU TEMPS. croissement réel de l'animal. Chez les animaux supérieurs, dans les alimens desquels on mêle de la garance, la couleur rouge se manifeste d'abord à la couche la plus extérieure des os , vers le centre desquels elle pénètre peu à peu , et elle disparaît plus tard, lorsqu'elle est parvenue au pourtour de la caviié médullaire ; mais il y aurait de la précipitation à vouloir trouver de l'analogie entre ce phénomène el celui de la crue des arbres. Quant à l'allongement, le nombre des articulations qui for- ment les rayons croît pendant la vie chez les Astéries, et celui des anneaux du corps chez les Cloportes, les Scolopendres, les Iules, les Naïdes et les Néréides; mais, d'un côté, ce phénomène parait tenir plutôt à un développement qu'à une véritable ad- dition , puisque les parties nouvelles sont, la plupart du temps, sinon même toujours, indiquées dès le principe, et, d'un autre côté, il se rattache plus à la procréation qu'à l'accroissement chez les Naïdes et les Néréides. 4° La substance qui sert à grossir les organes est fournie par le liquide organique général. Çà et là seulement on trouve des dépôts de substance plastique mise en réserve; ainsi les jeunes parties végétales contiennent , dans leur tissu cellulaire, une masse grenue, qui disparaît lorsqu'elles croissent; les Astéries ont, à la réunion de dent rayons , un réservoir plein de carbonate et de phosphate calcaires, qui communique avec les vaisseaux annulaires ; chez les Crustacés et beaucoup de Mollusques, des grains calcaires se développent périodique- ment dans le tissa cellulaire, avant l'accroissement du test. 5" Les conditions extérieures de l'accroissement consistent , d'une part, en ce que la substance alimentaire soit suffisante pour produire convenablement le liquide organique général, d'un autre côté, en ce qu'un certain degré de cha'.eui- entre- tienne et stimule l'activité viiae. 6° Pour donner une idée approximative de la marche que sui- vent l'acctoissement et le décroissement du corps humain, nous profiterons d'un travail de Qulelet (1), qui, après avoir fait peser el mesurer plusieurs hommes de chaque âge, a regardé (1) Comparez, Mémoire sur la taille de l'homme en France , par t. R. Villermé (Annalles d'hygiène publique, t. I , p. 351.) ORGANISME DU TEMPS. /\S'J les valeurs moyennes comme normales. Voici quel a été le ré- sultat : LONGUEUR EN MILLIMÈTRES. POIDS EN DÉCAGEAMMES. 1 AGES. MALES. FEMELLES. MALES. FEMELLES. 1 ^ C liange- Change- Change- Change- ment ment menl ment en un an. en un an . en un an. en un an. Nouveau- nés. 500 490 320 291 d an. 698 +498 690 +200 945 +625 879 +588 2 791 + 93 781 -i-91 4434 fl89 1067 +488 3 864 + 73 852 + 71 42 7 +113 1179 +412 4 928 + 64 915 + 63 1423 +176 4 300 +121 5 9S8 -t 60 974 + 59 4577 + 454 4436 +136 6 d047 + 59 1031 i- 57 1724 +447 4600 ■4-164 7 1105 + 58 4086 + 55 1940 ^486 1754 +154 8 1162 -^ 57 1141 + 55 2076 + 466 1908 +154 9 1219 T- 57 4195 + 54 2265 +489 2136 +222 dO 1275 + 56 4248 4- 51 2452 +487 2352 + 216 il 4330 + 55 4299 + 44 2740 T-258 2565 +213 12 4385 -1- 55 4353 + 50 2982 +272 2982 +417 13 1430 + 54 1403 4- 50 3438 +456 3294 +312 d4 1493 -i- 54 1453 + 50 3876 +438 3670 +376 15 154() + 53 4499 + 46 43(2 +486 4037 + 367 16 1594 + 48 4535 + 36 4967 -^r605 4357 + 320 17 4634 -h 40 1555 + 20 5285 +318 4731 +374 +372 18 1658 +- 24 1564 + 9 5785 +500 5103 20 1674 4- 8 1572 + 4 6006 +110 5228 + 57,1 25 -{680 1- 1,2 4577 + 1 6293 r 57 5328 + 20 30 1684 + 0,8 4579 + 0,4 6365 + 14 5'i33 + 21 40 1684 0 I57y 0 6367 + 0,2 552.3 + 9 50 1674 — 1 1536 — 4,3 6346 + 2,1 {j i + 11.3 60 J6.Î9 — 3,3 4516 — 1 6494 — 4. S ?n — 18 6 70 Mi23 — 1,8 4514 — 05 5952 — 24 2 ■151 — 27.9 80 164 3 — 1 1506 — 0,8 5783 — 16,9 49.S7 — 24 4 II 90 'J613 0 1505 — 0,5 5783 0 4934 - 0,3 1 Somme totale , la marche de l'accroissement des corps or- ganisés^ comme celle de leur développement, en général, est déterminée tant par le degré de la vie que par son époque ; l'accroissement marche avec plus de rapidité dans les orga- nismes inférieurs que dans les organismes supérieurs ; les Conferves croissent, pour ainsi dire, à vue d'œil , un globule 488 ORGANISME DU TEMPS. s'allonge en un tube, à l'extrémité duquel se produit peu à peu un nouveau globule, qui devient tube à son tour ; dans les plan- tes plus parfaites, raccroissement est lent et insensible ; les animaux inférieurs croissent aussi d'une manière très-rapide, comparativement à ceux des classes supérieures. Plus la mutation des matériaux et la marche de la vie en général sont ou rapides ou lentes , plus aussi l'accroissement est prompt ou tardif; l'Huître croît avec tant de lenteur qu'il lui faut quatre ou cinq années pour acquérir sa taille com- plète, tandis que certains Annélides, par exemple, les Naïdes , ont terminé leur accroissement en peu de semaines ; la crois- sance des Tortues est fort lente , et celle des Oiseaux très- rapide. La vélocité du renouvellement des matériaux se rattache à l'abondance des liquides. -Aussi les plantes chargées de suc " croissent-elles plus vite que les végétaux secs , et les arbres à bois tendre et mou plus rapidement que ceux dont le bois est sec et dur. Plus l'organisme est jeune , plus le cours de la vie , le re- nouvellement des matériaux et l'accroissement sont rapides. Si nous nous en tenons au calcul de Quetelet , l'accroissement est de 2/5 dans la première année, 1/7 dans la seconde, l/il dans la troisième , 1/14 dans la quatrième , 1/15 dans la cin- quième , 1/18 dans la sixième et la septième, en rapportant cette fraction à ce qu'était la grandeur primordiale , et la fraction devient de plus en plus forte, puisqu'elle est de 1/66 à dix-huit ans etde 1/200 à dix-neuf. Pendant les sept premières années, l'homme devient une fois et un quart plus grand qu'il ne l'était à la naissance ; à quatorze ans , il l'est deux fois plus , et dans les années suivantes sa taille acquiert encore un tiers en sus. Un Eléphant que Corse (1) a mesuré , grandit la première année de onze pouces , la seconde de huit , la troi- sième de six , la quatrième de cinq, la cinquième de cinq en- core , la sixième de trois et demi , la septième de deux et demi. L'éveil de la faculté procréatrice exalte la vitalité et ac- célère l'accroissement : le Corjpha umbracuUfera , pendant (i) Fhilos. Trans., 1799 , p. 33. ORGANISME DU TEMPS. 489 les quatre derniers mois qui précèdent sa floraison , croît qua- rante-cinq fois plus qu'il ne l'a fait dans le même laps de temps durant les trente-cinq années précédentes (1). L'ac- croissement annuel diminue rapidement dans les cinq pre- mières années; de six à quinze ans sa diminution est lente, puis elle reprend de la vitesse ; et comme le sexe féminin arrive à la puberté avant l'autre , de même aussi cette accélération de la diminution de l'accroissement arrive plus tôt et est plus pro- noncée chez lui. Les maladies chroniques et les efforts épui- sans arrêtent l'accroissement, qui est, au contraire, accéléré quelquefois par l'excitation générale dont s'accompagnent les maladies fébriles. L'homme paraît aussi croître moins en hiver qu'en été, sai- son pendant laquelle la vie a plus d'activité. 7" Chaque espèce a non seulement un type de vie qui lui appartient en propre , mais encore une forme déterminée et des dimensions que son accroissement ne dépasse point. Ces phénomènes sont moins marqués dans le règne végétal , où la vie s'élève moins à Tunité et à l'individualité, où l'accroisse- ment annuel se rapproche davantage de la procréation , et con- siste plutôt en une production de nouveaux individus vivans substitués à d'autres qui sont morts, où enfin la vie dépend plus des choses extérieures, de manière que la culture peut élever un arbrisseau au rang d'arbre, ou faire d'une même plante un nain ou un géant , suivant qu'elle favorise ou res- treint la crue des branches proportionnellement au tronc. L'accroissement des Coraux est renfermé de même dans des limites peu précises ; car il tient uniquement à la production de nouveaux Polypes , et la propagation est en soi une chose illimitée. Chez beaucoup d'animaux aquatiques , notamment les Poissons , les Amphibies et les Cétacés , l'accroissement dure autant que la vie , quoique marchant moins vite sur les derniers temps qu'à l'origine. Cependant il n'est pas pour cela indéfini , et ne fait que coïncider avec la durée de vie assignée à chaque espèce. On peut considérer ces animaux comme n'arrivant jamais au degré de maturité que caractérisent la (4) Treviianus , Biologie , t, III , p. 466. 490 ORGANISME DU TEMPS. permanence et la fixité des délimitations. Chez les animaux terrestres et aériens , l'accroissement cesse vers l'époque à laquelle se développe la faculté procréatrice. On pourrait at- tribuer celte différence à ce que les animaux aquatiques ne subissant pas l'action desséchante de l'air, leurs tissus de- meurent plus mous et plus extensibles, tandis que tout ac- croissement cesse dès que les parties deviennent rigides et os- sifiées , en sorte qu'un os long ne croît qu'autant qu'il y a encore un disque cartilagineux entre la dyaphyse et les épi- physes ; mais les matériaux se renouvellent aussi dans les parties rigides , quoiqu'avec plus de lenteur, et celte seule circonstance suffit pour y rendre l'accroissement possible ; la diaphyse ne croît point par des additions à ses extrémités , mais par une augmentation de toute sa substance , de sorte que ses courbures, ses trous nourriciers, ses points d'attnche pour des muscles s'éloignent de plus en plus les uns des au- tres , et que la soudure avec les épiphyses ne saurait être la véritable cause de l'arrêt de son développement ; les pointes des Coraux sont fréquemment calcaires déjà , et cependant ces productions croissent encore par expansion de dedans en dehors (1) ; le test des jeunes Oursins est une sphère calcaire parfaitement close, ce qui n'empêche pas leur volume de tripler ou quadrupler, accroissement durant lequel le nom- bre des pièces calcaires augmente , quoiqu'elles s'engrènent les unes avec les autres par leurs bords , sans substance molle interposée (2). Suivant Haller(3), l'accroissement cesse lorsque la force propulsive du cœur et l'expansion qu'elle dé- termine ont faibli tellement que la résistance mécanique des parties leur fasse équilibre ; mais, chez les petits animaux, les Rongeurs, par exemple, les butttmens du cœur sont beau- coup plus fréquens, et la substance des parties est bien plus molle , quoique l'accroissement atteigne plus vite son terme que chez les grands animaux , les Solipèdes entre au- tres. Nous ne pouvons donc point nous rendre raison de l'ar- (1) Schweigger, loc. cit., p. 381. (2) Ihid., p. 537. (S) Elem. physiolog., t. VIH, P. II, p. S^. ORGANISME DU TEMPS. 491 rêt du développement en invoquant des circonstances méca- niques. La vie se crée elle-même son mécanisme, et son ac- tion leqd à étendre le corps dans l'espace , à en accroître le volume, jusqu'à ce qu'elle se tourne davantajje vers riniérieur. Celte dernière époque arrive au moment de la pleine maturité procréatrice ; mais les animaux qui passent leur vie entière dans l'élément de la formation primitive, Teau, demeurent jus- qu'à un certain point à l'état d'embryon , ou se rajeunissent, parce qu'ils virent dans le sein même de la substance nourri- cière générale , de sorte que leur vie est un accroissement continuel de la masse. II. Pendant l'accroissement , de même que pendant l'âge adulte tout entier, non seulement la quantité des liquides di- minue, mais encore la densité de la substance augmente, et sa cohésion devient plus considérable. L'humidité de la fibre musculaire s'élevait , chez un jeune animal, à vingt-six parties, et chez un animal adulte, à vingt-trois et demie seulement : la cohésion d'un cheveu humain était, à huit ans zz 10 , à vingt- deux zz 17, à cinquante-sept zz 25 (1). Comme la métamor- phose intérieure qui accompagne le perfectionnement de l'or- ganisme l'emporte de beaucoup sUr la métamorphose exté- rieure j le corps humain augmente plus en densité et en pe- santeur qu'en volume ; la proportion du nouveau-né à l'adulte est à peu près de 1 : 3,30 sous le rapport de la longueur, de 1 : 3,80 sous celui de la largeur (aux épaules) , et de i : 19,50 sous celle de la pesanteur. L'augmentation de poids surpasse donc celui de la taille, non pas seulement parce que l'homme croît proportionnellement plus en largeur qu'en hauteur, mais encore parce que la substance de son corps acquiert plus de densité. Cet accroissement est plus considérable durant la première année qu'à toute autre époque ; puis il diminue ra- pidement, ensuite il augmente pendant le développement de la puberté, et la période suivante le voit encore diminuer de nouveau. D'après la table précédente, le poids du sexe mascu- lin augmente d'environ trente-quatre livres depuis la nais- sance jusqu'à la septième année , de quarante-deux depuis (1) Haller, loc.eit,,i. VIII, P. Il, p. 30. 49 2 ORGAMISME DU TEMPS. celle-ci jusqu'à la quatorzième , de quarante-huit depuis celt© dernière jusqu'à la vingt-et-unième , et enfin d'à peu près six livras jusqu'à la quarantième ; chez le sexe féminin , au con- liM;re, il augmente, dans le premier septénaire, de trenie-et- une livres , dans le second de quarante-et-une, dans le troi- sième de trente-quatre seulement, et depuis ce terme jusqu'à cinquante d'environ huit livres encore. III. Pendant l'âge avancé , la fluidité va toujours en] dimi- nuant , mais en même temps le volume devient du moins en moins considérable ; car le corps reçoit moins de dehors , et la résorption y croît au point de l'emporter sur la nutrition : de là résulte que la densité et la pesanteur diminuent aussi en partie , la portion compacte des os , par exemple , étant de plus en plus refoulée par la portion diploïque. La diminu- tion se manifeste de meilleure heure dans le poids que dans le volume , ce que Tenon a parfaitement démontré , pour le crâne surtout. D'après la table de Quetelét, le corps de l'homme perd un vingt-troisième de sa longueur et un dixième de son poids jusqu'à quatre-vingts ans , celui de la femme un vingt-et-unième de sa longueur et un neuvième de son poids jusqu'à quatre-vingt dix ans. ARTICLE ir. De la marche du développement intellectuel et moral. § 646. Le développement intellectuel et moral est une exal- tation de la vie intérieure par elle-même , ayant pour cause excitante et pour condiiion les impressions produites par le monde extérieur. I. Si nous recherchons d'abord quelle est l'origine de l'âme, nous reconnaissons qu'il y a identité entre elle et celle de la vie (§ 525). Comme l'existence de l'univers tient à une cause spirituelle, dont elle est la manifestation (§ 230, 2''-3° , 257), ainsi son image (§ 319), ou son reflet, l'organisme indi- viduel , n'existe que par une virtualité idéale (§ 228-232, 257- 262, 319-322, 365-370 , 473-477). Au commencement de la vie, ce produit idéal n'apparaît pas encore comme individua- lité , et il se montre bien plutôt comme force universelle , ORGANISME DU ïfiMPS. 4g3 comme activité individuaîisnnte , il n'est point encore à Tétat de réalité dans l'organisme, en un motil se déploie commeame végétative , qui provoque une multitude 3'actions et de for- mations diverses, unies entre elles par un lien qui les ramène à l'unité, pénétrant harmoniquement les unes dans les autres, et concourant toutes ensemble à des buts déterminés. 1° La plante reste à ce degré pendant toute sa vie , parce que sa vie entière est tournée vers l'extérieur et vers l'espace, parce qu'elle consiste en une série non interrompue de for- mations nouvelles , en une création continuelle de parties qui viennent à la suite les unes des autres dans la succession des temps. Dans le règne animal , au contraire, l'idée de la vie s'exprime , non par des formations détachées les unes des au- tres et successives, mais par un tout organique simultané, dans lequel elle déploie et sa puissance entière et tout le luxe de ses productions ; produisant déjà chez l'embryon , qui n'en a pas besoin, les organes de la locomotion et des sens, de la respira- lion aérienne et de la procréation, elle ne borne jamais ses créa- tions au présent immédiat , comme dans la plante , mais em- ■brasse et l'avenir le plus lointain et l'existence entière. I!y a donc ici une époque où la vie a terminé ses créations extérieures et se borne ensuite à les conserver. Mais, une fois l'œuvre achevée, l'artiste lui-même se montre ; l'idée de la vie se dégage de la matière ; s'étant fixée dans le fini par une formation exté- rieure , elle s'occupe, comme individualité, à créer dans l'in- térieur ; n'étant plus réduite à lier les parties ensemble par ses relations, mais pouvant s'appliquer à réunir ces dernières ©Iles-mêmes, elle rassemble tous ses rayons en un seul foyer, et p>ar-îà se révèle à elle-même. De cette manière, l'âme, qui avait été latente jusqu'alors , devient manifeste ; elle, qui n'a- vait d'abord agi que comme chose générale , se montre enfin spécialité, réalité, personnalité. 2° L'idée de la vie est unité du multiple et détermination par soi-même. Elle se réalise , dans le physique, par la connexion organique, la formation et la conservation spontanées, dans le moral par la conscience et la volonté. Mais, comme elle s'est plongée d'abord dans la matière, pour acquérir un substratum fini , sur lequel il lui soit possible ensuite d'enter 494 ORGANISME DU TEMPS, sa propre forme , celle d'âme , de même celle-ci débute par être étroitement liée au corps, eniourée d'une nuit obscure , et plongée dans un sommeil profond; ses forces ne se mani- festent qu'à demi, et sous les apparences de simples disposi- tions ; en un mot, elles n'existent qu'en germe, la conscience étant réduite au sentiment de la vie, et la volonté à l'instinct. L'une et l'autre se manifestent dans les mouvemens de l'em- bryon (§ 471, 9°; 472, 1»,2°). Nous pourrions comparer cet état de lame (pendant la vie embryonnaire, après l'achève- ment de la contextiire organique ) au premier degré de dé- veloppement de la membrane proligère , lorsque la base de l'organisation sort de la matière, mais simple encore et homo- gène^ de sorte qu'elle n'a qu'une analogie éloignée avec ce qui doit exister plus tard. Les activités qui lient les différens organes acquièrent une certaine indépendance après leur formation , se réunissent en un seul foyer, et viennent à se pénétrer réciproquement; il ré- sulte de là qu'on voit paraître peu à peu un état purement intérieur et immatériel, dans lequel les liaisons vivantes sont liées elles-mêmes entre elles, de sorte que l'unité extérieure est devenue intérieure ; la vie se révèle à elle-même , c'est-à- dire qu'il naît le sentiment que les divers organes et leurs ac- tivités différentes appartiennent à une seule et même indivi- dualité. Ce sentiment de la vie est donc lintuition de soi-même au plus bas degré, ou confondue avec la vie physique; car l'objet de la connaissance n'est que l'existence et l'état dea organes, mais la connaissance elle-même est obscure, vague et passive, parce que ce qui connaît et ce qui est connu ne font encore qu'un tout indivis. Au sentiment de la vie , qui est le côté passif , celui de la réception ou de l'impression, correspond, comme réaction, l'instinct, dans lequel le germe de la volonté se manifeste sous la forme de réaction végétative. Le sentiment de la force ap- pelle le penchant au déploiement de celle force , et au senti- ment dun état harmont(iue de la vie correspond le penchant à réagir contre : les différens organes de locomotion sont mis par là en jeu, mais sans but particulier, sans direction déter- minée ; les membres se meuvent , sans qu'il résulte rien de ORGANISME DU TEMPS. 49^ leur mouvement, et les mouvemens respiratoires ont lieu sans qu'une respiration en soit la suite. 3° Toutes les facultés de l'âme, 'même les plus éminentes, se développent de ces premiers germes, de sorte qu'elles naissent indirectement de la vie matérielle, puisque celle-ci elle-même porte en elle l'idéal, qui en fait l'essence, et qui seulement s'y trouve enveloppé. Le développement n'est qu'une actualisation , une réalisation de ce qui primordiale- ment existait en puissance dans l'intérieur ; mais , comme l'organisme individuel n'est qu'une chose relative, un membre ou un chaînon de l'univers, son développement dépend aussi du concours des choses extérieures; ce n'est qu'à la condition du conflit avec ces dernières qu'il est possible à la vie mo- rale, de même qu'à la vie physique, de se déployer. L'em- bryon végétait dans le cercle de la vie maternelle , comme produit de cette vie, et par cela même il était impossible que son âme parvînt à conquérir l'indépendance; il lui fallait , pour arriver à cette indépendance, entrer dans un nouvel ordre de choses, semblable en cela à l'œuf, qui ne saurait acquérir son plein et entier développement dans l'ovaire (§ 361, 2"). La naissance déplace l'embryon, en le jetant au milieu du monde ; elle joue le rôle de la sémination par rap- port à l'âme , en l'amenant dans la matrice cosmique , qui se charge de son incubation. Or l'incubation est la mise en train du développement , chez un être apte à se développer, par un être étranger, mais ami, mais similaire (§ 364), et comme ce qui ne vit pas ne peut éveiller la vie , ainsi ce qui est dé- pourvu d'âme ne saurait développer l'âme Mais l'univers, en sa qualité de réalisation de l'idée , est animé, et de cette ma- nière le monde devient le foyer incubateur, ou la matrice, de la vie morale. Il ne peut rien donner à l'âme, rien créer de nojiveau en elle , mais il communique l'impulsion aux germes qu'elle renferme, et favorise son développement spontané, ce qui tient à ce que lui et elle sont organisés mutuellement l'un pour l'autre , à ce qu'entre les besoins et forces de l'âme et le monde il y a la même harmonie qu'entre le corps de la mère et celui de l'embryon. Aux sens correspond un côté sensible de la nature , à l'entendement un côté intelligible , à 496 ORGANISME DU TEMPS. la raison un côlé raisonnable ; chaque cri de la nature trouve son unisson dans le monde intérieur de Thomme , et l'âme re- connaît dans le monde extérieur le reflet de sa propre es- sence , de sorte que la connaissance des choses du dehors éveille aussi la conscience, qui est la connaissance proprement dite et immédiate. De même que la nature satisfait à toutes les tendances de l'âme , de même que le monde extérieur pro- cure satisfaction à l'instinct, en lui fournissant chaleur, lumière et nourriture , de même aussi il se ploie à la volonté raison- nable, se laisse manier par elle, comme moyen d'arriver à ses fins, et lui fournit matière à des inventions, à des découvertes, en réalisant ce qu'elle cherche ; de son côté, la volonté raison- nable a la conscience de l'harmonie du monde avec sa propre tendance. L'idée primordiale de la vie morale demeure toujours ce qu'il y a d'essentiel ; aussi s'annonce-t-elle dès avant d'être réalisée par développement. L'enfant à la mamelle est fort en arrière des animaux de son âge, eu égard au développe- ment de l'intelligence , des facultés sensorielles et de l'indé- pendance ; cependant on aperçoit en lui , dès l'origine , le germe de ce qu'il doit devenir. Ce n'est pas l'aspect de la nourriture , mais la vue d'une forme humaine affectant les dehors de l'amitié et cherchant à lui plaire ■, qui lui arrache le premier sourire ; ce ne sont pas des alimens , mais des objets brillans, des choses propres à frapper la vie intérieure, qui lui font tendre la main pour la première fois , tandis que l'animal reste indifférent à tout ce qui n'intéresse point ses besoins matériels , et par cela même demeure à jamais enchaîné dans la sphère des spécialités, sans pouvoir s'élever, par la réflexion et l'intuition de soi-même, à l'universalité et à la liberté. Mais le développement a lieu d'une manièreprogressive ; il consiste en une exaltation intérieure, qui résulte tant d'une analyse , ou d'une scission en directions diverses , qu'en une synthèse, ou une réunion du multiple sous des idées générales, universelles, et qui s'accompagne d'un accroissement cor- respondant du cercle d'action, IL ta connaissance commence avec le sentiment de la vie , ORGANISME DU TEMPS. ^97 qui se rapporte d'abord à Texistence en général , puis, par le fait même de la variété des impressions , au mode de celle existence et à l'état de la vie, comme seniiment intérieur proprement dit. 4" Le monde fait l'éducation de l'âme au moyen des sens. Complétant la vie, il fournit aux organes sensoriels, qui s'étaient formés chez l'embryon, et auxquels leur vitalité imprimait une tendance vers un mode spécial d'activité , les conditions nécessaires pour mettre en jeu cette tendance ; mais l'âme, en vertu de son affinité avec le monde , s'assimile les impressions du dehors , à litre de nourriture , et reflète en elle-même les phénomènes extérieurs , parce qu'elle possède la faculté d'assimiler ainsi , de même que le monde possède l'aptitude à être assimilé. L'activité sensorielle est un senti- ment intérieur, une intuition de l'état de la vie des organes sensoriels , mais mie intuition d'ordre supérieur, qui s'attache moins à l'éiat lui-même de la vie qu'à ce qui l'a déterminé ; car l'enveloppe matérielle de l'esprit est si délicatement lis- sée dans les organes des sens , et les forces de l'univers se manifestent si librement dans les milieux des impressions sensorielles (lumière, son , etc.), qu'elles pénètrent à travers ces organes, et parviennent à se mettre en contact avec la vie intérieure. L'âme saisit les changemens survenus dans les organes des sens comme parlant non de sa propre vie , mais d'une existence extérieure et étrangère , et , en distinguant ainsi l'extérieur, l'objectif, elle arrive à une intuition plus nette de sa propre essence intérieure, à une conscience sensorielle dans laquelle se trouve développée l'indiflerence du senti- ment de la vie par antagonisme avec l'individualité propre et le monde extérieur. Gomme les activités du monde extérieur ne pénèli'ent qu'une à une à travers les divers organes des sens , elles se présentent aussi sous les dehors de choses finies, et par cela même mieux délimitées, de sorte que la connaissance devient plus claire qu'elle ne l'était dans le sen- timent de la vie ; il se produit des représentations , des ima- ges, c'est-à-dire des activités de l'âme revêtues d'une forme déterminée , qui reproduisent ou répètent les phénomènes du dehors dans l'intérieur. Mais l'activité de l'esprit se trouve V. 52 49^ ORGANISME DU TEMPS, déjà, seulement non encore développée, dans cette faculté de produire des représenlaiions , puisqu'elle ramène à une in- tuiiioa d'ensemble, non seulement les actions successives d'un même sens, mais encore les actions des différens sens, et qu'elle réunit dans une même image une muliiiude de choses isolées quant au temps et à l'espace, puisqu'en distin- guant l'extérieur et l'intérieur elle saisit déjà un rapport , puisque enfin, n'ayant point égard au changement qui a lieu dans les organes des sens , elle ne voit que ce qui a produit ce changement , et en conséquence suppose dès le commence- ment une cause au phénomène. 5" Le monde extérieur éveille l'entendement , en faisant voir que partout les phénomènes ont des rapports les uns avec les autres , que partout il règne ordre et harmonie. L'enten- dement e>t le sens porté à une plus hautf puissance, tourné vers l'iniérieur, et ne s'occiipant que de cet intérieur. De même que le sens saisit les phénomènes tantôt dans leur état d'isolement, tantôt dans leurs relations de simultanéité et de succession , de même aussi l'entendement compare, analyse et combine les représentations acquises par les sens, pour ar- river à connaître les rapports des choses et leur signification, leurs causes et leur but, leurs moyens et la manière dont elles ont lieu. Tandis que l'âme s'attache à cette activité inté- rieure, et se contemple dans son antagonisme avec sa propre activité extérieure, de sensorielle qu'elle était, la conscience devient intellectuelle, et l'individualité, à qui elle avait d'abord appris à se séparer du monde extérieur, acquiert l'aptitude à se concevoir distincte de la vie matérielle ; c'tst le sentiment de la vie, parce qu'ici la vie est devenue pensée. Mais la rai- son perce à travers tous les actes de l'intelligence, quoiqu'en germe seulement, et encore enveloppée dans les rapports de spécialité ; car la formation d'idées élevées et d'idées basses implique la connaissance de l'unité qui embrasse le multiple. En suivant la diieclion qui mène à la loi de la causalité, on apprend à distinguer le noumène du phénomène. Enfin le ju- gement et le raisonnement reposent sur la supposition d'un ordre éternel et dune immobile légitimité. 6° La nature se montre infinie dans ses productions finies y ORGANISME DU TEMPS.' 499 générale dans ses spéci;ilités , éternelle dans ses mutations. En saisissant cette vue , Teniendennent devient raison , la pensée s'élève des idées particulières à des idées de plus en plus générales , et enlin à des idées absolues. En parcourant la série des encliaînemens de cause et d'effet , elle cherche le terme, et reconnaît un absolu, une dernière cause londa- menlale, par-delà le monde phénoménal , elle saisit, dans toute sa pureté , dans toute sa généralité, et telle qu'elle se mani- feste dans sa propre activité spirituelle , la loi de l'existence qui préside à toutes les existences particulières. La raison a en perspective le tout , et c'est elle qui procure , à propre- ment dire , la conscience de soi-même . cette conscience qui reconnaît en elle-même la puissance divine, revêtue si ulement d'une [orme finie , et qui parvient ainsi à distinguer dans le moi l'individuel de l'universel , la réalisation de l'idée. C'est* le sentiment de la vie élevé à la plus haute puissance , puisque la vie repose sur ses rapports avec le tout , et que sa cause suprême est contenue dans lidéal ; elle a aussi de commun avec leseiilimeot de la vie, que sa connaissance est immédiate. III. Du côié de la volonté , 7° Le penchant à vivre devient instinct, parce que la force ne se manifeste pas seulement en général , et comme réaction , mais encore par rappoi t à des buts déterminés. L'instinct est l'unité de la volonté et de la vie physique, l'intermédiaire entre la force plastique qui se conserve elle-même et la vo- lonté libre, le fiuit de la première et la semence de la seconde. De même que le vaisseau lymphatique se ferme pour la bile et s'ouvre pour le chyle, de mêuie que les organes respiratoires conspirent ensemble pour produire le sang, en conflit avec l'air, de même eulin que le sang circule pour stimuler la vie, de même aussi Tinstinct est le moyen spirituel de la vie ; c'est la vie or ganiipie sous forme spirituelle , un moyen de saisir le droit sans connaissance et sans réflexion ; sans une voie pour atteindre au but, sans idée claire de ce but ni des moyens qui y conduisent, il part du pressentiment , c'est-à-dire d'un sen- timent intime , d'où découlent les rapports extérieurs qui sont à sa convenance. Mais, à côté de l'instinct déjà éveillé, le pen- chant général à vivre conserve toujours son efficacité , et se 500 ORGANISME DU TEMPS. manifeste par des actes qui semblent être volontaires , quoi- qu'ils ne soient point mspirés par un choix , quoiqu'ils n'aient d'autre but que celui d'exercer en général la force. 8° L'instinct s'élève à la volonté, qui est déterminée non plus par la vie physique , mais par la vie morale, par l'expérience et le jugement , qui ne se précipite pas de suite vers son but, mais cherche et choisit les moyens d'y arriver. Cependant l'instinct ne se retire point entièrement de la vie intérieure ; il continue d'agir pour son développement ultérieur, comme penchant à connaître et à savoir ; le cours des idées est un travail organique qui s'accomplit pendant le sommeil , en l'absence de la volonté, aussi bien que durant la veille , et dans la pensée la volonté peut bien diriger le gouvernail ou tendre la voile , mais la traversée se fait aussi sans elle , et même souvent a un tout autre but que celui qui avait été choisi. De même, dans les actions extérieures involontaires, le moyen qui les exécute reste soustrait à la conscience et à la volonté ; derrière des actes qui reposent sur les combinaisons les plus ingénieuses se trouve le but , qui est d'accroître le sentiment de la vie , et l'accomplissement de la pensée demeure auto- matique , puisque ni les muscles qui opèrent le mouvement , ni les nerfs qui le provoquent , n'arrivent à l'intuition ; si l'on prend de la nourriture avec conscience et choix , le canal intestinal , qui doit continuer et compléter l'opération ainsi commencée , travaille dans l'ombre , et l'activité sans con- science qui est partie des lèvres , se maintient dans le mou- vement péristaltique du tube digestif et l'absorption de ses vaisseaux. 9° Involontairement , et poussée par la seule force qui lui est primitivement inhérente , l'âme s'élève d'elle-même à son point culminant ; mais, une fois qu'elle a acquis la conscience de cette part d'infini qui fait sa propre et véritable essence , elle est arrivée à la liberté , à la faculté de se déterminer par elle-même, faculté dont le prototype ou le rudiment existe dans l'aptitude de l'organisme à se maintenir lui-même. Le ton fondamental a été donné primordialement à la vie indivi- duelle par une puissance supérieure (§ 644, 1°), de sorte que l'âme paraît sous une forme déterminée et avec un mode ORGANISME DU TEMPS. bOI particulier tant dans la direction que dans la mesure de ses forces. Quand elle a la conscience de cette spécialité , qui fait antagonisme à Tuniversalité , c'est à la volonté raisonnée qu'il appartient de rallier son individualité à l'organisme du tout , et à la compléter ainsi. CHAPITRE II, De la relation des âges de la vie. § 647. Le caractère de l'organisme , sous le point de vue de la relation, est l'unité du multiple, et l'organisme du temps nous en offre l'expression dans la relation des âges de la vie les uns avec les autres. 1° Le côté idéal de la vie individuelle se trouve dans l'idée de son espèce, c'est-à-dire dans la réunion des forces qui appartiennent essentiellement à l'espèce , d'après le rang qu'elle occupe dans l'organisme du monde ; mais l'idéal ne peut se phénomaliser que sous la forme finie du temps , et la pensée de la vie est trop riche de contenu pour pouvoir être épuisée en une seule période : si l'individu pouvait réaliser en un moment son prototype , l'idée de son espèce , son but serait atteint au même instant , de manière qu'étant alors sem- blable à son idée , c'est-à-dire idéal , il n'aurait pas de durée comme chose finie. L'idéal de la vie ne peut se réaliser que dans la succession de temps différens , parce que, à chaque moment, il manifeste une autre de ses faces , et le cours de la vie est une succession de momens entre lesquels se répartit l'idée totale de la vie. Chaque moment est une chose finie , dans laquelle ne peut non plus se révéler qu'un côté fini de la vie , et chaque âge n'est ainsi qu'une forme particulière de la vie, qui, par une combinaison spéciale des forces , apparaît sous un certain mode et dans une certaine direction. Comme les organes se relaient pour accomphr une fonction , pour réaliser une idée commune , comme , par exemple , dans la génération, l'ovaire opère la fécondation, l'utérus lagestation, et la glande mammaire l'allaitement , de même aussi l'idée de la vie se développe durant les divers âges. '%" Le partiel porte les caractères du tout (§ 475, 11°),. 502 ORGANISME DU TEMPS. Chaque âge de la vie est donc un cycle de directions diverses, et chaque jour, chaque année , oITre dans son cycle une image de la vie entière. 3° La partie ne repose que sur le tout. De même que les spécialités, en proie à une métamorphose continuelle, sont déterminées à chaque instant par l'idée qui leur sert de base, ainsi la vie, au milieu de toutes les variations des phénomènes, demeure toujours un même être , seulement sous la forme du temps. De celte manière, aucun âfje n'exprime complètement Tessence , mais chacun a sa signification particulière et sa part spéciale de la vie en général : la vie n'est ni là ni ici , mais dans tout Torganisme; elle n'est non plus ni aujour- d'hui, ni demain, mais dans son cours entier. Nous devons donc reconnaître que chaque âge a sa valeur intrinsèque , comprendre que chacun a des particularités qui lui sont pro- pres, et renoncer à l'idée fausse que l'âge adulte soit la vie dans toute la plénitude de son développement : le Papillon n'est pas l'Insecte , mais seulement une partie temporaire de l'animal entier, qui n'exprime son essence et sa nature que par les quatre degrés de son existence pris collectivement. L'âge adulte a beau briller de tout l'éclat d'une force virile qui se déploie largement au dehors, il n'en est pas moins trop pauvre pour épuiser la vie entière; car plus d'une fleur est déjà tombée, plus d'un soufïîe vivant est éteint, plus d'une nuance délicate s'est effacée , plus d'un fruit n'est point en- core arrivé à maturité, plus d'une force n'a point encore acquis son plein développement: agir dans l'intérêt de l'espèce est sa prérogative particulière ; mais l'enfant et le vieillard ne sont pas non plus indifférens à l'espèce : ils lui servent de modèles, et sont le lien destiné à réunir les forces qui tendent à s'écarter les unes des autres. Agir dans l'intérêt de l'espèce ne peut donc point être l'unique but de la vie. Nousvoyims, chez l'embryon , la force créatrice portée à une hauteur qu'elle ne pourra plus désormais atteindre, et l'enfant à la mamelle nous olïre un développement int«-llectuel qui , mis en regard de celui qu'on observe chez l'adidte, rap- pelle l'humble reptation du Limaçon comparée au vol hardi de l'Aigle. Mais l'enlance représente la possibiliié d'une dé- , ORGANISME DU TEMPS. 5o5 veloppement dont on ne saurait calculer le terme; elle est, pour employer l'expression de Schiller , raciualisation de l'idéal , non de l'idéal accompli , mais de l'idéal en problème, et loin que ce soit l'iclée de sa faiblesse et de son insuffisance qui nous touche, c'est au contraire celle de la pureté et de la liberté de ses forces, celle de son intégrité , celle de l'infini déroulé devant elle. Tels sont les motifs qui font qu'aux yeux d'un homme doué de moralité et de senti- ment; l'enfant est un objet sacré, c'est-à-dire un objet devant la sublimité de l'idée duquel toute grandeur expérimentale se trouve réduite à rien. L'enfant, sur lequel les passions n'ont point encore étendu leur souffle empesté , et qui n'est pas encore courbé sous les chaînes de la vie civile , vit en harmo- nie parfaite avec la nature , car ce que la force infinie a créé en lui n'est point encore interrompu par l'arbitraire, et c'est précisément parce que cette forme s'exprime chez lui dans toute sa pureté , parce qu'il ne nous présente rien d'arbitraire, rien d'isolé, rien d'incoliérent, que nous le contemplons, comme dit Schiller, avec un intérêt tout particulier, même avec tristesse et avec une sorte d'envie , car partout un ar- dent désir de retourner à la nature s'éveille dans lame de l'homme parvenu à sa maturité. La nature a réuni dans le sein maternel tout ce dont l'enfant a besoin, nourriture, chaleur et amour. Elle le prend de toutes les manières sous son égide , et semble charjjer un génie de veiller sur chacun de ses pas : l'animal lui-même se mon re doux envers ses enfans, et leur permet bien des choses qu'il ne tolérerait pas d'un adulte. C'est un grand aveuglement q?ie c lui de consi- dérer les formes conventionnelles de l'état f ivil comme une chose essentielle , et de reléguer dédaigneusement les occu-' paiions de l'enfance parmi les futilités; l'enfant aime sans doute les gâteaux , mais il ne se dégoûte pas si aisément des doux fruits de l'arbre, et, après s'être amusé quelque temps de galons et de rubans , il retourne bientôt an jeu qui offre à son imagination une image de la nature vivante , tandis que ces imporlans travaux de la vie commune auxquels l'adulte use ses forces n'ont au fond d'autre but que de substituer du gâteau au pain et l'habit chamaré de galons et de rubans 5o4 ORGANISME BU TEMPS. à un vêtement chaud. L'enfant ne vit pas pour le dehors, mais pour lui-même ; il ne cherche point à briller , et quand il dé- ploie ses forces , ce n'est pas pour courir après des fantômes, mais pour les exercer en toute liberté dans des jeux at- trayans. Quant à la vieillesse, elle doit sans doute paraître déplo- rable à celui qui n'aime que les jouissances physiques et n'ap- précie !e bonheur de la vie que d'après la quantité d'aUmens dont l'estomac peut opérer la digestion ; elle ne saurait avoir de valeur aux yeux de celui qui ne voit dans l'homme qu'une bête de somme , et qui n'estime que l'âge auquel les épaules portent sans peine des quintaux. En égard au plaisir de vivre , le passage à la vieillesse dé- plaît à tous les hommes ; personne ne veut vieillir, tandis que l'enfant désir d'être adolescent, et que l'adolescentaspire à de- venir homme. Ce fait n'établit cependant pas que la vieillesse soit un malheur ; car ce qui prouve combien peu les vœux des autres âges sont fondés , c'est qu'il arrive souvent à l'adoles- cent de regretter les temps où il ne connaissait point de sou- cis , et à l'adulte la riche et féconde imagination de sa jeu- nesse. Sans doute il est pénible de renoncer à l'influence et aux jouissances dont on avait contracté l'habitude, et il faut de la résignation pour se ployer à Ja vie moins en relief qui est le lot de;la vieillesse. Cependant l'âge avancé n'est pas non plus dépourvu de prérogatives, et les regrets qu'il inspire annoncent seulement l'oscillation de l'état de la vie lors du passage à une nouvelle période ( § 644, 1° ). Les plus doux momens de noire vie sont ceux où nous arrivons au terme d'une entreprise quelconque, d'une carrière déterminée; à la peine que nous avons éprouvée succèdent le sentiment de •'à force dont nous avons fait preuve et la conscience des ob- stacles dont nous avons triomphé ; l'intuition du but atteint apaise les désirs et procure les jouissances du repos. Si déjà les dernières heures de chaque jour, la dernière soirée de chaque semaine procurent de telles joies, en nous offrant l'i- mage d'une course terminée , le grand âge doit avoir le même effet à un plus haut degré encore. Le vieillard, délivré de l'aiguillon des passions et des vains désirs , instruit par l'ex- ORGANISME DU TEMPS. 5o5 périence de la valeur des biens , sachant mieux en quoi con- siste le vrai bonheur , et placé assez haut pour plonger un long regard sur le cours ' entier de la vie , trouver la paix intérieure dans la conscience de ce qu'il a vu et acquis, de ce qu'il a goûté et fait : assis à l'ombre de l'arbre planté par lui, il jouit des fruits parvenus à maturité, et il ne voudrait pas les échanger contre les fleurs qui ont précédé. A l'égard de la relation des forces de cet âge , nous l'avons déjà examinée précédemment (§ 585), et nous aurons bientôt occasion de l'apprécier encore ( § 651 ). 4° Les divers âges, par cela même qu'ils représentent des côtés différens de la vie , se compiètent les uns les autres , ils s'excitent réciproquement, et chacun d'eux restreint ce que les autres auraient de trop exclusif , en sorte que l'harmonie de tous fait ressortir l'entière signification de la vie. C'est ainsi que la famille mène àim développement plus parfait, à une jouissance plus complète de la vie. 5° Les différentes directions du temps se rencontrent et se croisent dans la vie , parce que celle-ci repose sur un idéal non soumis à la forme du temps : un âge est contenu dans un autre , l'esprit de l'avenir souffle dans le présent, et l'écho du passé y fait entendre sa voix. La pensée précède son accom- plissement, et de cette manière tout ce qui se développe pen- dant le cours de la vie , y assistait déjà dans l'origine , mais en idée seulement et en germe. Tandis que l'activité plastique satisfait au présent , elle prépare un âge futur ; elle crée des organes qui n'ont pas de but pour le moment actuel , et dont la fonction n'entrera en exercice qu'à des époques plus ou moins éloignées ( § 474, 6" ). Ces parties, maintenant oisives, sont pour ainsi dire l'expression matérielle d'un pressenti- mens de 1 avenir-, en réalisant ses créations, la force plas- tique rêve d'un temps futur dont l'esprit s'anime. Chaque instinct repose sur le pressentiment d'un état futur de la vie, et n'est par conséquent qu'une traduction intellectuelle de la tendance à un développement progressif. Aussi se mani- feste-t-il indépendamment de toute expérience acquise , sans réflexion , sans choix ; il s'éveille même avant que la force qui doit l'accomplir soit développée , de manière que l'image 5o6 ORGANISME DtJ TEMPS. de la destination future s'annonce déjà par des traits particu- liers (§ 583, 4" ), Mais le fil produit de bonne heure se pro- longe au milieu du tissu bigarré du temps , et à travers l'é- clat dominant du présent on voit percer le reflet du passé; ce qui vivait autrefois en nous contmue d'agir dune manière insensible, ou se révèle par des résonnances tardives; c'est par un ressouvenir de son ancienne énergie que la plasticité fait germer de nouvelles dents dans les mâchoires nues du vieillard, ou végéter de nouveaux cheveux sur son front dé- pouillé , et tandis que la mémoire refuse de conserver la trace du passé immédiat, elle reproduit fidèlement à Tâme les sou- venir pleins de fraîcheur de la première jeunesse ( § 591 ). 6° Un âge se développe de l'autre à des époques détermi- nées et par une progression graduelle. Plus l'organisme est simple et inférieur, plus il parcourt son développement avec rapidité , et plus tôt aussi il arrive au but. De même que , chez les Zoophytes, le mouvement animal et libre se manifeste déjà dans les spores, maiss'éreint à l'apparition d'une forme organique déterminée (§ 471, 6"), de même la vie morale des animaux supérieurs, comparée à celle de l'homme, est un avortement et une sorte de course précipitée qui fait bien- tôt rencontrer les limites : l'homme reste long-temps en ar- rière des animaux de son âge, mais il les laisse ensuite bien loin derrière lui ; la marche plus lente et plus laborieuse de son développement dépend de ce que sa vie a plus de pro- fondeur, et lui permet d'arriver à une connaissance pleine et entière , de sorte qu'il s'élève par réflexion à l'intuition de soi-même et à l'universalité. 7" Comm« la vitaUté croît et baisse alternativement dans la succession des jours (§ 621, 1°) et des années (§ 628 , 9°), de même la vie offre partout des muiaùons d^ns son cours ; comme la première période est toujours la plus significative , de même les périodes imp:ii]'es qui lui correspondent' sont généralement plus riches , et accompagnées de changemens plus considérables ; l'accroissement de l'embryon par.iît mar- cher plus vite pendant les mois impairs , et celui de l'enfant durant les années impaires. Cependant la vie humaine est trop sous la dépendance du type tellurique pour que cette ORGANISME DU TEMPS. D07 relation soit susceptible d'un application fjénérale , et si Waierhonse prétend avoir remarqué que les forces dimi- nuent de quarante-trois ans à cinquante , pour augmenter après la cinquantaine , et baisser de nouveau vers 1 âge de soixante-et-un ou de soixante-deux ans , cette espèce de nu- lation est évidente, à la vérité, d une manière générale , mais elle ne se rattache point partout à des années déterminées. CHAPITRE m. De la qualité des âges de la vie. ATITICLE I. Des parlîcuîarités qui distinguent les âges de la uie, § 648. Sous le point de vue de la qualité , l'organisme se montre composé de parties diverses, dans lesquelles son ca- ractère général apparaît avec des modifications spéciales. Les diflërens âges sont , à ce titre , des parties du cours de la vie. 1" Chaque âge a son type , et l'individu ne résout son pro- blème que quand, à chaque époque, il est devenu précisément ce qu'il doit être alors. S'il survient des monstruosités lorsque la formation s'arrête à quelt|U'un des degrés inférieurs qu'elle parcourt, des défectuosités intellectuelles ont lieu lorsque ce qui devrait n'être qu'un point de transition de la vie morale devient un état permanent, et quand ce qui est destiné à pas- ser avec le temps, acquiert assez de prépondérance pour im- primer sa direction à la vie entière. C'est ce qui arrive par exemple lorsque !e sommeil de rembryon persiste après la naissance et produit la stupidité, que le goût du plaisir, do- minant pendant la première enfance, persévère pendant la se- conde et lui communique le caractère de l'étourderie , que l'aciiia'iié du moi, si puissante chez l'enfant, se prolonge chez l'adolescent, où elie devient égoïsme, que la manière de sen- tir propre à l'adolescence prédomine encore chez l'hommô fait, qu'elle conduit au défaut de prudence et au fanatisme , 5<»8 ORGANISME DU TEMPS. enlin que le vieillard veut continuer d'agir et de se comporter comme l'adulte. Ce qui est en contradiction manifeste avec son époque et ne présente pas le type de son âge, ne saurait durer. L'hémicéphale meurt bientôt après sa naissance, quand il en est venu au point où la vie animale doit se développer (1); cependant il végétait avec vigueur dans la matrice , et l'on n'aperçoit aucune cause de mort ni dans la conformation de ses organes respiratoires, digestifs , circulatoires et sécrétoi- res, ni dans les circonstances qui l'entourent. De même, la mort due au développement incomplet des poumons survient presque toujours à l'âge où la respiration doit s'élever à son point culminant , et des filles qui manquent d'ovaires et de matrice, ou chez lesquelles ces organes sont imparfaitement développés, mais dont toutes les fonctions plastiques tendant à la conservation de soi-même sont dans un état d'intégrité , vivent aussi long-temps que la nature n'exige rien de plus d'elles, tandis qu'elles tombent malades et meurent depuis l'âge de quinze ans jusqu'à celui de dix-huit, à l'époque de la nubilité. Mais la vie ne peut pas durer non plus quand elle a sauté par dessus l'un des degrés de son développement ; elle se rabougrit pour ainsi dire , lorsqu'elle reçoit le cachet d'un autre temps : quiconque n'a pas été enfant dans toute la rigueur du terme, n'arrive point à une complète virilité, et ce- lui qui n'a pas agi comme homme, pourra bien tomber dans la débilité sénile, mais ne deviendra jamais un véritable vieillard. 2° On ne reconnaît pas plus de direction générale dans le progrès du développement et de l'accroissement, que dans la première formation (§ 457, 1°); en outre, la direction paraît être différente suivant que l'on se place sous tel ou tel point de vue pour en juger. Souvent la partie extérieure se déve- loppe plut tôt que l'intérieure ; chez les Sertulaires, l'enve- loppe calcaire atteint le terme de son développement avant le Polype qu'elle renferme (2) ; chez les Coraux, le Polype placé à la périphérie s'allonge le premier , après quoi l'axe calcaire se produit ; chez les Mollusques, la coquille croît par (4) Geoffroy Saint-Hilaire , Histoire des anomalies de l'organisation, Paris, 1836, t. n, p. 449. (2) Schweigger, loe. cit., p. 353. ORGANISME DU TEMPS. 609 Fapplication de couches au côté interne de celles qui exis- taient déjà. Dans les boui'geons des plantes et chez les Coraux, le développement commence dans les parties les plus voisi- nes du tronc , et s'étend delà vers le pourtour ; mais , dans la fronde du Fucus saccharimis et dans le test des Balanes , ainsi qu'aux dents, aux poiis et aux onj^ies, la partie produite la première, ou la plus ancienne, est repoussée peu à peu du tronc et reportée vers l'extrémité ou vers le bord libre (1). Dans les plantes qui germent , le développement se dirige du milieu vers la radicule et lai plumule, de même que l'accrois- sement des anneaux du corps , chez les Néréides, a lieu vers le bout céphalique et le bout caudal ; mais , dans les Taenia et les Naides , les anneaux situés du côté de l'extrémité cau- dale acquièrent des dimensions plus considérables , et l'allon- gement s'étend peu à peu vers l'extrémité céphalique. Dans l'embryon humain, c'est la tête et le ventre qui ont le plus de volume , tandis que, pendant la jeunesse , le développement porte de préférence sur la poitrine et le bassin. Si nous em- brassons la vie dans sa généralité , nous reconnaissons que partout l'idéal précède certaines relations ; par exemple, la sé- paration de l'être procréé et de l'être procréateur (§ 480), le détachement du placenta (§ 485, 2), etc., s'expriment dyna- miquement avant de se réaliser matériellement , et plus d'un penchant se manifeste dès avant l'apparition des orga- nes qui lui sont destinés d'une manière spéciale; de même, la formation débute par les organes les plus essentiels , après quoi seulement elle produit les parties accessoires et com- plémentaires (§ 478, 6°). Mais la réalisation de la vie inté- rieure procède de dehors en dedans ; elle suppose une for- mation organique , ne commence que quand celle-ci est parvenue à une certaine hauteur (§ 646, 1°), est encore im- parfaite après l'achèvement de la forme totale (§ 514 , 2°) , se rapporte d'abord aux sens , qui sont la porte de communica- tion avec l'extérieur, et peu à peu se concentre de plus en plus à l'intérieur (§ 646, 4°, 9°). 3° Chaque force a son type propre et son cours de vie spé- (1) /6îd , p. 62. 5lO ORGANISME DU TEMPS. cial dans Tintérieur de la vie générale; Tune se manifeste plus lot, l'autre plus tard ; l'une se développe d'une manière plus rapide, et l'autre avec plus de lenteur; l'une dure plus long - temps , et l'autre s'éteint de meilleure heure; l'une monte et baisse alternativement, l'autre ne fait que croître ou décroître; quelques unes sont simultanées et consensuel- les, d'autres successives et antagonistes. Ce serait donc arri- ver à de fausses idées que de vouloir estimer la vie enlière d'après une seule échelle. Quand il s'agit de mettre des far- deaux en mouvement , on peut regarder le milieu de la vie comme la période de la force , et les lemps rapprochés du commencement et delà fin comme des périodtsde faiblesse; mais il n'en est plus de même lorsqu'on veut considérer la vie dans tout son ensemble ; alors on peut dire , comme Phili- tes (1) : la vie est un jardin toujours couvert de feuilles , de fleurs et de fruits, dans lequel, pendant qu'une plante meurt et qu'une autre germe , d'autres encore sont en pleine végé- tation. Les rapports varient beaucoup chez les différentes es- pèces, de manière que le cours de la vie n'est pas par- tout le même pour un organe ou pour une fonction. Chez les Insectes, qui sont le point du règne animal où l'activité morale commence pour la première fois à se prononcer d'une ma- nière sensible , les diverses l^mctions sont réparties en des périodes différentes ; la vie de la larve est pour la nutrition , celle de la chrysalide pour la méîamorphose, celle de l'Insecte parfait pour le mouvement libre et la procréation. La durée de ces diûèrens étals varie ; tantôt ils sont en raison inverse les uns des autres, car la plupart des Coléop;ères vivent qua- tre ou cinq semaines à lélal imparfait et plusieurs années à l'état parfait, tandis que les Ephémères pissent trois ans dans le premier et quelques heures seulement dans le dernier ; tantôt ce rapport exprime le caractère parliculier de l'orga- nisme, comme chez les Abeilles, où les mâles vivent une se- maine de plus que les femelles à l'étut de larve , et périssent (1) Encyclopœdischer JVœerteriucli der medicinischen fVissenschafteîi, t. I,p. 35. ORGANISME DU TEMPS. Oïl beaucoup plus tôt qu'elles; tanlôl enfin on remarque une harmonie entre lui et le monde extérieur, ce qui a lieu chez les Papillons qui passent six mois à l'état de chiysalide , quand ils se transforment vers la fin de l'automne, tandis que cet état ne dure pas plus de quinze jours ou trois semaines lorsque la métamorphose a lieu pendant l'été. On a établi en règ[le générale que les Mammifères viennent au monde avec tous leurs organes, et qu'ils n'acquièrent plus rien après la naissance; ceux qui ont la îéte armée de bois ou de cornes font exception. Si nous disons que la formation des b(»is et des cornes exige plus de force, et par conséquent aussi plus de temps , nous ne faisons qu'exprimer le phéno- mène, sans Texpli |uer, car on ne peut pas démontrer pour- quoi la force plastique devrait ne pas être assez puissante avant la naissance. Mais les causes et les effots s'enchaînent dans la vie, et l'inévitable est en même temps indispensable ; or le caractère de l'indispensable est souvent plus clair que celui de l'inévitable , et pour tel phénomène dont nous ne pouvons apprécier la cause, nous sommes obligé de le consi- dérer sous le point de vue téléologique , si nous voulons le rendre accessible à notre intellgence ; de cette manière nous parvenons à concevoir la production tardive des cornes et des bois,. parce qu'ils rendraient le part impossible , et si le nouveau-né acquiert plus tard des armes, c'est que, n'étant plus protégé par sa mère , il a besoin de pouvoir se défendre lui-même. 4° Forcés de nous borner ici à quelques circonstances des âges de la vie humaine, nous reconnaissons d'abord qu'il y a une différence dans la proportion d'accruissenient des divers <)rganes et des diverses forces. La proportion approximative du nouveau-né à l'adulte, sous le rapport de la largeur , est de 1 : 1,70 pour la tête, 1 : 3,15 pour les épaules, 1 : 3,80 pour les hanches , 1 : 1,50 pour le cerveau , 1 : 2,00 pour les reins et la matrice, 1 : 2,25 pour les ovaires, 1 : 2,28 pour le cervelet, 1 : 2,75 pour le foie, 1 : 4,50 pour la rate ; sous le rapport de la longueur, de 1 : 3,40 pour le corps entier , 1 : 1,61 pour la tête, 1 -. 2,70 pour le tronc et en particulier le ventre, i : 3,36 pour la poitrine et les bras, i : 3,66 pour 5l2 ORGANISME DU TEMPS. le COU, d : 4,60 pour les membres inférieurs, 1 : d,33 pour le cerveau, 1 : 1,41 pour la matrice, 1 : 2,20 pour rintestin grêle, 1 : 2,40 pour les reins , 1 : 3,00 pour le pancréas , 1 : 3,20 pour la rate , 1 : 3,66 pour le cœur, 1 : 375 pour le gros intestin et l'oviducte ; sous le rapport du poids , de 1 : 20 pour le corps entier, 1 : 2 pour le cerveau ,1:5 pour le cervelet et la parotide ,1.7 pour le rein ,1:9 pour le foie, 1 : 13 pour le pancréas et le cœur, 1 : 16 pour le crâne, 1 : 19 pour les poumons, 1 : 21 pour la rate. C'est donc la tête, notamment la cavité crânienne , qui croît le moins , et après elle le ventre ; la poitrine , avec les membres supé- rieurs , croît davantage , le cou plus encore , enfin le bassin, avec les membres inférieurs , plus que toute autre partie. Tandis que la vie animale , spécialement sa direction vers le dedans , se développe infiniment plus que la vie plastique , après la naissance , la masse de ses organes augmente infiniment moins que celle des organes plastiques et irritables. La tête croît moins que le tronc et les membres, le crâne moins que la face , le cerveau moins que le cervelet ^ l'œil et l'oreille moins que les cavités de la bouche et du nez , les nerfs moins que les muscles et les os. C'est la rate qui s'accroît le plus; après elle viennent les poumons et le gros intestin. Le cœur, les reins et les trompes deFallope croissent plus en longueur qu'en largeur ; le cerveau , la rate et la mairice, plus en lar- geur qu'en longueur. Tous les organes augmentent bien plus en pesanteur qu'en volume. La pesanteur proportionnelle à celle du corps entier augmente moins dans le cerveau que dans tout autre organe, puis dans les reins, le foie et le cœur; elle croît beaucoup, au contraire, dans la rate. 5° Quant aux époques du développement , les organes de la vie intérieure sont ceux qui atteignent le plus tôt au der- nier terme de leur accroissement ; l'oreille interne croît peu ou point après la naissance , le cerveau est complètement développé à sept ans, et l'œil ne tarde pas non plus à cesser de s'accroître. Ici donc le matériel acquiert le terme du dévelop- pement bien avant la fonction. Dans la vie intérieure, le con- traire a lieu, et ce sont les facultés inférieures qui se perfec- tionnent avant les supérieures ; c'est chez l'enfant que la ORGANISME DU TEMPS, 5l3 mémoire a le plus de puissance , et chez l'adolescent que l'i- magination déploie le plus d'activité. 6° Ce qu'il y a de plus manifeste, c'est que les forces crois- sent d'abord et baissent ensuite , de sorte qu'on a considéré , quoique à tort, ce phénomène comme une condition générale de la vie. L'abaissement va parfois jusqu'à une extinction to- tale ; le thymus croît pendant quelque temps après la nais- sance, puis diminue, et disparaît durant l'adolescence, tandis que les dents et les poils ne meurent qu'assez tard et ne tom- bent qu'en partie ; la faculté procréatrice , qui s'était déve- loppée pendant l'adolescence, s'éteint dans l'âge avancé. Les autres organes augmentent de masse , puis diminuent , mais sans disparaître , attendu qu'ils se maintiennent par l'effet d'un rajeunissement intérieur et d'une mutation de matériaux; la formation et la dissolution ne sont point effectivement sé- parées l'une de Tautre en eux, mais simultanées , de manière toutefois que les parties qui s'étaient formées pendant les premiers temps disparaissent , mais que la réparation l'em- porte sur la perte ; et, à des époques subséquentes, la forma- tion de nouvelles parties continue tant que dure Ja vie , seu- lement elle n'est point proportionnée aux pertes que fait l'organisme. Du reste , l'accroissement des organes porte da- vantage d'abord sur leur volume, et plus tard sur leur poids, tandis que, du moins dans les os, c'est le poids qui diminue avant le volume. Parmi les activités vitales qui baissent après être parvenues à une certaine hauteur, se rangent la faculté en vertu de laquelle l'organisme se conserve lui-même (§ 628, 6») , l'énergie de la respiration et de la vie du sang , la fréquence des inflammations sthéniques et des fièvres in- flammatoires pures ; puis viennent la sécrétion , notamment la perspiration cutanée, la production de la chaleur , la force musculaire, la perspicacité des sens, la puissance de la mé- moire , la chaleur de l'imagination , l'énergie de l'intelli- gence. 7" Mais nous trouvons aussi des côtés de la vie qui baissent continuellemeiit. La force plastique est déjà parvenue à son point culminant pendant la vie embryonnaire , dans le cours de laquelle l'organisation se développe d'un germe imper- V. 35 5l4 ORGAMISME DU TEMPS. cepiible, chaque organe se dispose à la place qu'il doit OCCU' per, chaque point de la surface attire et assimile de la sub- stance nutritive, et les métamorphoses les plus considérables ont lieu en moins de temps que jamais; elle ne peut plus en- suite que fléchir. Elle conserve encore assez d'activité pendant l'enfance et l'adolescence , puisqu'il survient alors de nou- velles productions (dents et poils), que les organes augmen- tent de volume et de poids , que la régénération s'accomplit d'une manière plus facile et plus complète qu'aux époques sub- séquentes ; mais , d'année en année déjà , l'accroissement se ralentit. Pendant l'âge mûr l'accroissement s'arrête, quoique le poids continue encore quelque temps d'au{ïmenier , et il ne se forme plus aucune partie nouvelle : la force plastique ne peut plus que conserver , par la nutrition , ce qui avait été créé à des époques antérieures. Durant la vieillesse, la nu- trition elle-même devient de plus en plus précaire , et la ré- génération de plus en plus incomplète. Parallèlement à la force plastique, la mollesse de la substance organique , la proportion des liquides et la flexibilité de la masse ne cessent pas de diminuer pendant tout le cours de la vie. De même , non seulement la fréquence du pouls diminue continuellement depuis la naissance jusqu'à la mort; mais encore la carrière que le sang parcourt se rétrécit sans cesse en proportion du volume du corps ; les vaisseaux capillaires ne se multiplient pas dans la même proportion que l'accroissement fait des pro- grès, de sorte que, dès la fin déjà de l'enfance, ils ne sont plus aussi nombreux , surtout au périoste , à la dure-mère , au cerveau et aux nerfs ; mais , à mesure que le sujet avance en âge , ils deviennent encore de plus en plus rares. 8° Enfin il y a aussi dans la vie quelque chose qui augmente toujours : c'est l'indépendance, dont l'accroissement continuel s'annonce par une diminution de l'impressionabilité. Ainsi , par exemple, si l'on en croit les tables demortaUté, les spasmes deviennent de plus enplusraresà mesure que l'âgefait des pro- grès ; de même, la faculté absorbante qui, pendant la vie em- bryonnaire, appartenait spécialement à la peau , va toujours en diminuant dans cet organe depuis la naissance jusqu'à la vieillesse; enfin l'économie devient moins dépendante du ORGANISME DU TEMPS. 5l5 monde extérieur , et par exemple le besoin des alimens se fait sentir de moins en moins fréquemment. Nous parlerons plus loin (§651) de la continuité des progrès sous le rapport de la vie morale. , ARTICLE II. De la proportion des âges de la vie. § 649. Avant d'aborder le sujet qui doit être traité dans cet article , 1. Il faut commencer par bien s'entendre sur les prin- cipes. 1° Après avoir passé en revue les phénomènes de la vie , nous demeurons convaincus que cette dernière est un orga- nisme dans le temps (§ 643), d'où il suit que des proportions déterminées doivent aussi exister entre les âges. La propor- tion des organes matériels n'étant point un résultat du dehors, mais se rattachant à l'essence de l'organisme, la même chose doit avoir lieu pour celle des âges. Ce n'est donc point dans des circonstances extérieures , mais dans une circonstance intérieure et inhérente à l'organisme , qu'il faut chercher la cause de leur durée. Or nous avons vu que la périodicité de la vie humaine, à l'étude de laquelle seule nous devons nous borner ici, correspond plus à la rotation de la terre sur son axe qu'à sa révolution autour du soleil (§ 594, 7°), et qu'il ne survient pendant le cours de l'année que des modifications de la vie qui sont déterminées par l'état de l'atmosphère (§ 619); la mesure organique de la vie humaine ne peut donc être con- tenue dans aucune circonstance extérieure de ce genre , et nous sommes forcés de renoncer à l'usage généralement adopté jusqu'ici de compter les âges par années solaires. Nous sommes pi us en droit de calculer par jours , attendu que la périodicité diurne de la vie est considérable et bien évidente; cependant on ne l'aperçoit point dès le principe , elle n'est sensible ni avant ni immédiatement après la naissance, on ne l'a admise que pour tout concilier avec les phénomènes du monde extérieur, et d'ailleurs elle ne peut être qu'un sim- ple élément du calcul du temps. La périodicité bidiaire ou tri: 5l6 ORGANISME DU TEMPS. diaire (§ 621, 1") n'est point une véritable révolution , mais seulement une nutation de la vie. La première révolution complète propre à l'homme , qui soit déterminée uniquement par des circonstances intérieures, est la quadriseptimanaire (§ 621, 3°); comme elle est une circulation , et que par con- séquent elle implique un double antagonisme , ou quatre principaux points tropicaux , comme aussi ses quadratures montrent une révolution subordonnée (§ 621 , 2°), nous de- vons la considérer non comme une période de Vingt-huit jours, mais comme une période de quatre semaines, qui sera le nombre primaire, ou l'unité, pour les périodes plus étendues de la vie humaine. 2° Maintenant nous avons à chercher une période de la vie dans laquelle la proportion du temps se prononce avec une évidence telle , qu'elle puisse servir de mesure certaine pour les autres. Or nous ne la trouvons qu'au début de la vie ; car plus celle-ci avance, et plus aussi les périodes deviennent in- déterminées. L'enfance , c'est-à-dire le laps de temps compris entre la naissance et la seconde dentition , dure sept années pleines ; aussi les livres sacrés des Étrusques , selon Hippo- crate, Stésias (1), et , parmi les modernes, Linné et Daignan, ont-ils partagé les âges de la vie en périodes de sept ans. Maïs, dès le commencement de l'âge adulte, la périodicité sep- tennale devient moins prononcée , et ceux qui ont voulu la conduire jusqu'à la vieillesse n'ont pu le faire qu'au moyen d'interprétations forcées. Les législateurs ont reconnu aussi l'insuffisance de> ce mode de calcul ; tandis que les individus ont été appelés enfans {infantes) depuis la naissance jusqu'à la fin de la septième année , et impubères (impubères) depuis ce dernier terme jusqu'à la fin delà quatorzième année , les limites de la minorité ont beaucoup varié; car, par exemple, la^majorité est fixée à vingt-six ans par les lois romaines , à vingt-quatre ans accomplis par leCode prussien, à vingt-et- un ans accomplis par le Code français. D'ailleurs, en adoptant ce mode de calcul, on fait abstrac- tien de la vie embryonnaire , quoique non seulement elle soit (1) Censorini Liber de die natali, p. 65. ORGANISME DU TEMPS. Sl^ la première période et la plus significative , mais encore celle de toutes qui a la durée la plus précise : en effet , à quelque point que varient soit les époques du développement et de l'extinction de la faculté procréatrice , soit la durée de la vie sur terre , la durée de la vie embryonnaire est la même dans tous les climats et pour toutes les races de l'espèce humaine(l). Cette durée doit donc être la véritable mesure où le commun diviseur des âges, et c'estce que Butte (2) etKastner (3) ont re- connu les premiers. Ces écrivains adoptent d'ailleurs les calculs ordinaires, qui fixent la durée de la vie intra-utérine à neuf mois. Mais, de l'aveu presque unanime des accoucheurs mo- dernes, et d'après les observations que j'ai pu recueillir, dans l'état parfaitement normal, lorsque la mère et l'enfant se por- tent bien , et que ce dernier est à terme , elle est de deux cent quatre-vingt jours pleins, ce qui ne s'accorde point avec nos mois solaires, dont neuf ne comprennent que deux cent soixante-treize à deux cent soixante-seize jours. On ne saurait non plus fixer cette durée à dix mois lunaires ; car il ne pourrait être question ici que de la révolution synodique , la seule qui ramène la lune à la même position par rapport à la terre ; or dix mois lunaires synodiques donnent deux cent quatre-vingt-quinze jours, durée que la vie embryonnaire n'acquiert qu'en des cas fort rares^et purement exceptionnels (§ 482). Ajoutons encore que la plupart des naissances ont lieu à la même époque du jour (§ 606 , 11°) , que par conséquent elles correspondent à la périodicité de la rotation de] la terre , avec laquelle ne coïncide point la révolution de la lune (4). Enfin, lorsqu'on applique ce principe au calcul des autres âges, on ne voit point de nombres entiers se rencontrer avec des époques déterminées de la vie, puisque cent mois lunaires sy- nodiques font plus de huit années. Nous pourrions bien moins encore admettre une relation avec les planètes ; car , par exemple, Vénus tourne autour du soleil une fois en deux cent (1) Humboldt , Reise in die jEquiîioctialgeyenden ^ t. II, p. 199. (2) Die Biotoviie des Menschen , oder die TVissenschaft der Naturein,' theilunyen des Lehens , p. 424. (3) Archiv fuer die gesammte Natnrlehre , t. XI , p. 41S. (4) L.-R. Villermé, De la distribution des conceptions et des naissance^ de l'homme (Annales d'hygiène publique, 1831 , t. y, p. 55.) 5lS ORGANISME DU TEMPS. vingt-quatre jours, deux fois en quatre cent quarante-neuf , et Mercure deux fois en deux cent soixante-trois jours, trois fois en trois cent cinquante-et-un. Il ne nous reste donc plus qu'à retrouver la période générale de quatre semaines décuplée dans la vie embryonnaire , et à chercher la cause de la décu- plation dans la nature du nombre dix. Cinq est le premier nombre que donne la réunion des deux nombres fondamen- taux, deux et trois (§ 621, 1"), et de cette manière il exprime quelque chose de complet, un tout unissant à l'état d'équili- bre des parties composées elles-mêmes à leur tour. Aussi ne trouve-t-on point, à proprement pailer, ce nombre dans la cristallisation inorganique , et apparlient-il spécialement à la formation organique. Chez les plantes cryptogames, c'est le deux redoublé qui prédomine dans la conformation organique ; le trois chez les monocotylédones, et le cinq , simple ou re- doublé, chez les dicotylédones, les plus parfaits des végétaux. Lorsque le corps animal commence à acquérir une certaine largeur, et manifeste encore la forme fondamentale, chez les Actinies, les Astéries et les Oursins , la division du corps en cinq parties égales est plus ou moins prononcée. A un degré plus élevé de la formation animale, le nombre cinq apparaît quand des parties différentes se réunissent pour produire un tout commun ou un système. Ladivision en cinq se trouve, dans le corpsde l'homme en général, à la tête, au col, à la poitrine, au ventre et aux membres , dans les organes digestifs, la bouche, l'œsophage, l'estomac, l'intestin grêle et le gros in- testin, dans les organes respiratoires , le nez, le larynx, la trachée-artère , les bronches et les poumons , dans les orga- nes génitaux , l'ovaire, la trompe , la matrice , le vagin et le vestibule d'une part, le testicule , le conduit déférent , la vé- sicule séminale, le conduit éjaculateur et la verge, de l'autre; dans les membres , le moignon ( épaule et hanche ) , le tronc (bras et cuisse), la branche (avant-bras et jambe), le plat (main et pied), et le segment termin;il (do-giset orteils); et de même qu'aux membres la scission, qui avait commencé dans la branche, s'achève dans les cinq doigts destinés à agir ensem- ble, pour embrasser les objets , de même aussi l'activité sen- sorielle se réalise par cinq organes distincts de sens ; enfin la ORGANISME DU TEMPS. Big moelle épinière irradie trente paires de nerfs , dont dix ap- partiennent au ventre, dix aux parties inférieure et moyenne de la poitrine, dix à la partie supérieure de cette dernière et au cou. D'après ces analo<]ies, nous sommes fondés à dire que la décuplation de la période de quatre semaines est l'achève- ment de ce qui tend à s'opépêr pendant la période simple de la femme , le développement du fruit. 3° Avant de fixer le nombre des âges , il faut admettre un principe arithmétique , mais un principe simple et général, qui ressorte de la nature même de l'objet. Le temps apparaît sous trois formes , présent , passé et futur, formes qu'il imprime à tout ce qui lui est soumis, comme Tespace^impose ses trois di- mensions ; on doit dont distinguer , dans tous ce qui est fini , un commencement , un milieu et une fin. Quelques physiolo- gistes , Virey entre autres (1), partant de ce principe, ont ad- mis trois âges de la vie, la jeunesse, qui s'étend depuis la naissance jusqu'à la trentième année, le moyen âge et le grand âge. Mais il est évident qu'ici le premier âge réunit des pé- riodes tout-à-fait différentes , et comme, dans les opérations compliquées , par exemple dans les maladies , on divise la première et la dernière période, de manière à en obtenir cinq, de même on paraît être mieux fondé à admettre cinq âges; c'est ce qu'ont fait par exemple Varron, qui partageait la vie en enfance {pueritia, de un à quinze ans) , adolescence {ado- lescentia , do quinze à trente ans ) , jeunesse (juventus , de trente à quarante-cinq ans ), âge de retour {senior aetas^ de quarante-cinq ans à soixante ) , et vieillesse ( senectus^ de soixante à soixante-quinze ans) (2), et Halle (3), qui admettait une première enfance, une seconde enfance , l'adolescence , lage adulte et la vieillesse. On peut encore pousser la division plus loin , et reconnaître, avec Hippocrate , sept âges qui , d'après Lucîe , sont la vie embryonnaire , l'enfance , la jeu- nesse , lâge adulte, l'extinction de la faculté procréatrice, l'âge d'affaiblissement et la vieillesse. Butte enfin, qui s'est (1) Histoire naturelle du corps humain , 1. 1, p. 98, (2) Censorini liber de die vatali p. 64. (8) met. des «c, médic, t. ï, p. 178. 520 ORGANISME DU TEMPS. plus que tout autre laissé guider par l'idée d'une proportion organique du temps dans la vie , a tenté de déterminer les âges d'après un principe scientifique : il a établi en théorie que le nombre trois donnait, dans sa simplicité , les divisions principales de la vie ou les périodes (jeunesse, moyen âge et âge avancé ) , mais que ses développemens fournissaient les subdivisions, savoir : 2*-)-3^=^ époques et 3* =z 9 degrés, qui correspondent aux neuf mois de la vie embryonnaire (1). Ritter voulait qu'on partageât la vie d'après le principe de l'antagonisme (2) ; Malfatti l'a divisée en évolution et involu- tion , Philites (3) en crément (incrementum) et décrément [de- crementum)^et de plus en quatre périodes de'mutation. Pytha- gore avait admis quatre âges, qu'on comparait aux quatre épo- ques du jour, aux quatres aisons de l'année , aux quatre élé- mens , aux quatre tempéramens ; ainsi , par exemple , Linné fixait l'âge phlegmatique jusqu'à quatorze ans, le sanguin, de- puis cette époque jusqu'à trente-cinq ans, le colérique ou bi- lieux jusqu'à cinquante-six, et le mélancolique au-delà. Solon paraît avoir eu présente à l'esprit la signification du nombre dix , quand il a établi dix âges de la vie. D'autres semblent n'attacher aucune importance au nombre des âges. Monde (4) en admet six , savoir : la vie embryon- naire, l'enfance, la jeunesse, l'état de plein et entier dévelop- pement, l'âge de^retour et la vieillesse. Les livres sacrés^des Etrusques en comptaient douze, Linné aussi, etDaignan quinze. 4° Le dernier point que nous ayons à examiner préalable- ment est la durée des âges. Les uns ont voulu attribuer une égale durée à tous les âges de la vie. Dans le langage popu- laire, en Allemagne surtout , on compte par périodes décen- nales ( dix ans, enfant ; vingt ans , jeune homme ; trente ans , homme fait ). Varron en admettait cinq , de quinze années chacune ; Philites, quatre, de dix-huit ans; Pythagore, quatre, (1) Die Biotomie des Menschen , p. 424. (2) Dissertatio de naturali organismi humant décrémenta , p. 32. (3) Encyclopœdisclies TVœrterbuch der medicinischen JVissenschafterij t. Il , p. 31-34. {li)\Aiisfuechrliclies Handhuch der tjerichtlichen Mcdicin, t. II;p. ^1. ORGANISME DU TEMPS. 5^1 de vingt ans; Sclimidt, trois, de vingt-cinq ans(l); Virey, trois, de trente ans. Mais ces sortes de calculs ne reposent sur aucun principe fixe , et portent le cachet de l'arbitraire. D'un autre côté , celui qui prenait l'enfance pour base , et divisait la vie en périodes toutes septennales ( dix selon Solon , douze sui- vant les livres sacrés des Etrusques , quinze d'après Daignan), était raide et forcé, puisqu'on ne pouvait assignera chacune de ces périodes un caractère particulier de développement. Aussi d'autres écrivains ont-ils rendu la durée des diverses périodes inégale. Hippocrate , après deux périodes de sept années, en admettait une troisième de quatorze ans, puis une quatrième et une cinquième de sept, une sixième de quatorze, et une sep- tième de sept (2) ; Halle évaluait la première à sept ans, et les suivantes à dix années ; Linné donnait à la première deux fois sept années , à la seconde et à la troisième trois fois sept , en- fin à la quatrième un nombre indéterminé. Butte se fondait sur un principe purement théorique , sur l'idée que la vie est partageable en trois d'après son essence, que son dévelop- pement , considéré comme un accroissement de puissance , contient o^z=9 degrés , et que chaque degré , image du tout , renferme 3^r=9 années , lesquelles répèlent à leur tour les neuf mois solaires de la vie embryonnaire : quant à la répar- tition de ces degrés entre les trois âges de la vie, il en assigne deux au premier, cinq au second (de dix-huit à soixante-trois ans) , et deux au troisième; son motif pour agir ainsi était que la première et la troisième période , qui sont des périodes de faiblesse, doivent avoir une égale durée, et que la seconde période , celle de la force , doit en avoir une plus longue , parce qu'à tout point culminant il s'établit un temps de re- pos (3). Mais les vues que nous avons émises à l'égard du cours de la vie (§ 647) ne nous permettent pas d'accueillir ces motifs ; nous ne saurions non plus approuver qu'on admette sans principe des périodes inégales , et le caractère général du développement organique (§ 644) est la seule circonstance (1) Organisationsmetamorphose des MenscJien , p. 79. (2) Censorini liber de die natali , p. 65. (3) Loc. cit., p. 421. 522 ORGANISME DU TEMPS. dans laquelle il nous semble qu'on puisse trouver le principe servant à fixer la durée des âges. En effet , le progrès de la vie ne consiste ni en un allongement de ce qui déjà existe, ni en une répétition de ce qu'on voyait auparavant, ni en un ac- croissement dû à des additions extérieures, mais en une exal- tation intérieure, en une élévation à une plus haute puissance. Or, en s'exaltant ainsi dans son propre intérieur, la vie acquiert de plus en plus d'étendue, et s'étale en sphères de plus en plus grandes. Cette exaltation doit s'exprimer aussi dans les pé- riodes organiques des âges ; comme la fleur qui se déploie du bouton envahit un espace de plus en plus considérable, de même la vie doit se développer en périodes de plus en plus longues. La première période est la plus riche en changemens, et les événemens s'y succèdent avec beaucoup de rapidité ; peu à peu ils s'éloignent de plus en plus les uns des autres , et la métamorphose affecte une marche qui va sans cesse en se ralentissant. II. D'après ces principes, nous avons à établir trois grandes périodes (degrés de la vie), ou cinq époques (âges proprement dits) (3°), qui se comportent dans le temps, les unes à l'égard des autres , comme les parties d'un tout organique , de ma- nière que chacune est le développement ou l'exaltation à une plus haute puissance de celle qui précède (4°). Mais nous prenons pour échelle la vie embryonnaire (2°), qui a pour élé- ment la périodicité quadrisepiimanaire ^1°). 5° Le premier âge est la vie embryonnaire, qui crée la base de l'organisme, et représente le germe non encore développé de la vie entière. La mesure des âges se trouve déjà en elle , mais non encore réalisée dans toute son étendue, et seule- ment à rétat de racine ou de rudiment. 6°. Le second âge , premier déploiement de la vie embryon- naire , doit offrir la réalisation de cette échelle. La vie em- bryonnaire , avec ses quarante semaines, contient dix fois le type périodique de quatre semaims; le type quadriseptima- naire ne lui est point particulier, mais c'est l'unité invariable qui se maintient comme élément général dans l'organisme du temps; ce qu'il y a ici de caractéristique, c'est le nombre dix, mulliplicaieur de l'unité fondamentale, qui peut seulêtre ORGANISME DU TEMPS. BaS le point de départ de l'exaltation à une plus haute puissance. Ce qui était encore non déployé dans la vie embryonnaire se manifeste par l'exaltation de ce multiplicateur, tandis quel'u- niié élémentaire demeure la même, ^ 0^X^=400 semaines = 7 ans 36 jours. Or c'est dans la huitième année que survient la seconde dentition, qui, exprimant l'arrivée de la vie à une plus grande stabilité (§ 549), marque la limite de l'enfance. L'âge déterminé d'après notre principe coïncide donc réellement avec une période du développement organique , et comprend l'enfance. Mais celle-ci se partage en deux périodes; la pre- mière enfance , la période de l'existence à la mamelle, qui, répétant la vie embryonnaire sous une forme plus élevée ( § 521, II, III), dure quarante semaines, et la seconde en- fance , ou la période des dents de lait , qui, en sa qualité de développement ultérieur, embrasse trois cent soixante se- maines. 7° La vie embryonnaire, période du germe non développé , est par cela même la seule qui soit susceptible d'exaltation proprement dite à une plus haute puissance. L'enfance montre déjà un développement qui peut bien être porté à un plus haut degré, mais ne saurait l'être à une puissance plus élevée. C'est la mesure réalisée , ou l'unité des autres âges de la vie : elle représente une période de quatre cents semaines , tandis que les âges suivans renferment plusieurs de ces périodes. Le troisième âge doit dont contenir 2X^0^X4=800 semaines, et par conséquent s'étendre jusqu'à la fin de la vingt-troisième année , époque à laquelle commence la maturité de la vie ( § 559 ) , et qui est caractérisée par l'achèvement de l'ac- croissement et l'acquisition de la maturité sexuelle. Cet âge comprend à son tour deux périodes, dont chacune dure quatre cent semaines , et par conséquent égale l'enfance entière; la première jeunesse s'étend jusqu'à la seizième année , ou à la huit centième semaine, c'est-à-dire qu'elle empiète de dix- sept semaines et six jours sur la seizième année ; elle s'an- nonce par l'éveil de la faculté procréatiice, dont la maturation a lieu pendant la seconde jeunesse , ou l'adolescence , qui s'é- tend jusqu'à la fin de la vingt-lroiàième année. 8° Le quatrième âge doit, en vertu de sa progression, 524 ORGANISME DU TEMPS. contenir trois périodes , ou 3 X ^ O*" 4 zz 1200 semaines ; de sorte qu'il s'étend jusque vers la fin de la quarante-sixième année , dont il embrasse cinquante-deux semaines. C'est là que sont placées les bornes du moyen âge , comme période proprement dite de l'activité procréatrice et créatrice. 9° Alors commence le grand âge, puisque, après la quarante- sixième année, la faculté procréatrice est éteinte ou du moins très-diminuée , et qu'alors commence le temps où l'homme devient aïeul (§ 588). Mais, d'après notre principe, le cin- quième âge comprend quatre périodes , ou 4 X 10 * 4 zz 1600 semaines. 10° Si , conformément à l'idée du temps , nous cherchons à ramener les cinq âges aux trois degrés de la vie , nous trou- vons que la vie embryonnaire , ou le germe , embrasse qua- rante semaines, la vie non à maturité (enfance et jeunesse) , où la fleur, trois périodes, ou douze cents semaines, et la vie à maturité ( moyen âge et grand âge ) sept époques , ou deux mille huit cents semaines. 11" La vie embryonnaire est donc à l'enfance comme 1 : 10, à la jeunesse comme 1 : à 20 , au moyen âge comme 1 : 30 , au grand âge comme 1 : 40. Sa proportion à l'égard de la vie non à maturité est de 1 : 30 , et par rapport à la vie à maturité de 1 : 70. Considérée comme prodrome de la vie , elle est à l'en- semble de la vie pleine comme 1 : 100. La proportion de l'en- fance à la jeunesse est de 1 : 2, au moyen âge de 1 : 3 , au grand âge de 1 : 4. Nous croyons que, de cette manière, la proportion arithmétique des âges de la vie a un caractère véritablement organique , et qu'elle s'accorde aussi bien avec l'expérience qu'avec l'idée. CHAPITRE IV. De la quantité de la vie. § 650. Sous le rapport de la quantité , l'organisme apparaît ou comme unité , ou comme quantité , déterminée par son essence. ORGANISME DU TEMPS. 5a5 ARTICLE I. Des manifestations de la vie, La vie, considérée comme quantité, se montre à nous sous les dehors tantôt d'une force intérieure , déterminée , susceptible d'accroissement ou de diminution (§651), tantôt d'une force extérieure ou d'une certaine mesure du temps. I. Durée de la vie, La durée de la vie n'est pas , comme l'existence inorga- nique, sous la dépendance exclusive du dehors, car sa déter- mination dépend d'elle-même. Chaque espèce anormalement une mesure déterminée d'accroissement et une certaine durée de vie , dont la proportion normale ne peut être troublée que par l'influence de l'individualité, ou de circonstances acciden- telles agissant sur cette dernière. L Malgré le nombre considérable des causes de perturba- tion , on a cherché à déterminer en théorie la durée normale de la vie humaine ; mais les principes servant de base au calcul n'ont pas été toujours les mêmes. 1° Les théories les plus incertaines sont celles qui se rap- portent à la périodicité de la terre. Ainsi Schubert prétend que la vie humaine doit durer soixante-dix ans neuf dixièmes , parce qu'il faut qu'elle contienne autant de jours que com- prend d'années la période de la précession des équinoxes fondée sur un mouvement particulier de l'axe de la terre , c'est-à-dire vingt-cinq mille neuf cent vingt. Il ajoute que le sang fait chaque jour quatre cent quatre-vingt-seize révolu- tions et sept dixièmes, qu'en autant de jours qu'il y a de semaines dans l'année , savoir cinquante-deux et un septième , ce liquide en accomplit autant qu'on compte de jours dans la vie humaine, ou vingt-cinq mille neuf cent vingt, qu'enfin, comme cinquante-deux jours et un septième sont contenus quatre cent quatre-vingt-seize fois et sept dixièmes dans une vie humaine, celle-ci doit présenter quatre cent quatre-vingt- seize fois et sept dixièmes autant de révolutions du sang qu'elle renferme de jours , ou que la grande année sidérale contient SaÔ ORGANISME DU TEMPS. d'années ordinaires (1). D'après Kastner (2), la vie humaine est à la grande année de Platon comme un jour à l'année so- laire , et doit durer soixante-douze ans ou huit cent soixante- quatre mois , de manière que la proportion de la vie embryon- naire au reste de la vie serait de 1 : 96. 2° Solon adopta un principe moins éloigné, en admettant des périodes septennales , dont il portait le nombre à dix , ce qui restreignait la durée de la vie à soixante-dix ans. En effet , les anciens attachaient une haute signification aux nombres sept et dix. Hippon enseignait que sept est ce qu'il y a de plus important dans toutes les choses , mais que ce qui a été formé dans le nombre sept se trouve complété par l'addition du nombre trois , et ramené par là au nombre dix ; qu'ainsi l'embryon est formé en sept mois et amené à terme en dix ; que l'éruption des dents de lait commence après sept mois, et est terminée après dix ; qu'il en est de même pour la seconde dentition, commencée à sept ans et achevée à dix (3). Les livres sacrés des Étrusques admettaient douze périodes sep- tennales , ou quatre-vingt-quatre ans , pour la durée normale de la vie humaine. On peut atteindre ce terme , enseignaient- ils , lorsque , par des prières et des sacrifices , on conjure le danger des époques critiques ; mais on ne doit plus s'attendre ensuite à une prolongation , parce que l'homme perd alors de sa force spirituelle, et qu'il ne s'opère plus en lui de pro- diges (4). 3° Butte reconnaissait le cours de la vie pour une exaltation. Entraîné par l'idée du nombre trois , qu'il croyait fondamen- tal , il donnait à chaque période de la vie 3 * zz neuf années , et à la vie trois périodes, par conséquent 9 ^ zz quatre-vingt- un ans. 4» D'après la théorie que nous avons exposée ( § 649 , II. ) , la durée normale de la vie est de quatre mille semaines , ou (1) Ahndung einer allgemeinen Geschichte des Lelens , [t. III , p. 47-55. (2) Archiv fuer die gesammte Naturlehre , t. XII, p. 118. (3) Censorini liber de die natali , p. 31. (4)i6iU,p. 66. ORGANISME DU lEMPS. 02'] soixante-seize ans trois semaines et trois jours. En effet , si la période générale de la vie humaine , comme quantité fixe , est de quatre semaines, et si la formation du germe ou de l'em- bryon s'accomplit en 10 X ^ semaines , la vie pleine , dont le premier développement ( l'enfance ) dure quatre cents semai- nes , doit s'achever dans l'espace de 10 X 400 semaines. L'en- fance est la seconde puissance de la vie embryonnaire, 10*X 4 semaines ; la vie entière est la troisième puissance 10 * X 4zz: quatre mille semaines. Si enfin, la vie étant progressive , eu égard à son contenu et à son extension , l'enfance contient une période de 10 * X 4 semaines , la jeunesse deux, l'âge moyen trois , et le grand âge quatre , il s'ensuit qu'à la dixième pé- riode , ou avec la quatre millième semaine , la vie doit être terminée et son idée épuisée. II. Si maintenant nous invoquons les données de l'expé- rience , il n'y a pas d'autre source où nous puissions puiser que les tables de mortalité , qui indiquent les proportions de la mortalité en grand , et font disparaître jusqu'à un certain point l'influence de l'individualité et du hasard. Mais ces tables ne nous apprennent rien immédiatement ; ce n'est qu'en combinant leurs résultats qu'il nous devient possible de dé- terminer avec probabilité l'époque normale de la mort de l'homme. 5o La pensée qui se présente le plus naturellement à l'es- prit est celle que l'époque normale de la mort humaine coïn- cide avec l'année de la vie pendant laquelle il meurt le plus d'hommes , c'est-à-dire avec celle dans laquelle la mortalité absolue (§ 628, 1) est le plus considérable. Mais, d'après la première des tables que nous avons donnée, cette proportion de la mortalité absolue répond à la première année de la vie (§ 628, 1°) , qui nécessairement ne saurait être l'époque na- turelle de la mort , puisque la mort , d'après l'idée qu'on doit s'en faire , n'a lieu qu'après que la vie a complètement dé- ployé son idée. La mortaUté diminue après la première an- née, croît ensuite de nouveau , et la plus grande proportion à laquelle elle arrive , après celle de la première année, cor- espond , terme moyen , à la soixante-et-dixième année. D'a- près les tables , sur ua million d'hommes , il en meurt dix 5a8 ORGANISME DU TEMPS. mille pendant la soixante-neuvième année. Plus tard , la mor- talité absolue diminue , parce qu'il y a peu d'hommes qui dé- passent la durée normale de la vie. 6° La mortalité relative- (§ 628, II) atteint son maximum , d'après la seconde de nos tables, dans l'âge le plus avancé auquel l'homm e puisse arriver et pendant la première an- née de la vie , par conséquent à deux époques qui ne sau- raient être celle du moment normal de la mort. Mais la pro- gression de la mortalité relative , d'après laquelle nous distin- guons trois périodes (§ 628, T) , nous donne quelque indice. En effet, la somme des vivans parmi lesquels il en meurt un annuellement , augmente , terme moyen, d'environ 10,25 de- puis la première année de la vie jusqu'à la quatorzième; pen- dant la seconde période, depuis quinze ans jusqu'à soixante- et-dix, elle diminue annuellement d'environ 2,39 ; et pendant la troisième période , après soixante-dix ans , elle diminue d'à peu près 0,31. La soixante-dixième année forme ici une sorte de point tropical , de manière qu'après elle la mortalité relative croît plus lentement que dans la jeunesse et le moyen âge , et nous ne pouvons assigner d'autre cause à ce ralentis- sement , sinon que l'époque normale de la mort a été franchie avec la soixante-dixième année , et qu'une fois ce danger passé , la vie recommence à se maintenir proportionnelle- ment davantage. 7* Sous le rapport de la progression de la durée relative de la vie , nous distinguons également trois périodes ( § 629 , 1°) , d'après la cinquième et la sixième de nos tables. Le commencement du septième décennaire appartient encore à la première période , qui comprend aussi la jeunesse , l'en- fance et le moyen-âge , de sorte qu'elle ne peut contenir l'é- poque normale de la mort ; mais les années du huitième dé- cennaire appartiennent à la troisième période , ou présentent la même proportion que l'âge centenaire , auquel si peu d'in- dividus arrivent exceptionnellement, et l'époque normale de la mort ne saurait non plus s'y trouver. Il faut donc que cette époque appartienne à la seconde période, ou au cours du sep- tième décennaire. 8° Nous arrivons donc au même résultat sous quelque point ORGANISME DU TEMPS. 5èQ de vue que nous examinions les faits contenus dans les tables de mortalité. Mais ces tables , abstraction faite d'autres ina- perfections , portent toujours le cachet des circonstances de lieu et de temps (§ 627) , de sorte qu'elles ne peuvent jamais faire ressortir parfaitement la règle générale. Or, commeja durée de la vie est fréquemment raccourcie par des circons- tances défavorables , nous devons présumer que l'époque de la mort normale tombe plus tard qu'elle ne le semble d'après la plupart des tables de mortalité , et cette conjecture acquiert d'autant plus de poids que, dans celles des tables qui méritent le plus notre confiance, l'époque de la mort normale coïncide avec le milieu du septième décennaire. En conséquence, les tables de mortalité nous fournissent la plus grande approxi- mation possible, comme preuve expérimentale, à l'appui de notre théorie , que la durée normale de la vie humaine est de soixante-seize ans. Au reste , comme celte théorie repose sur le systènîe décimal , puisque l'enfance renferme en elle dix fois la durée de la vie embryonnaire , et la vie indépen- dante entière dix fois celle dej'enfance , nous ne devons pas négliger de faire remarquer que, sous quelque point de vue qu'on examine les tables de mortalité , le nombre proportion- nel de la mortalité pendant le septième décennaire est tou- jours de dix. En effet, d'après la première table , sur un million d'hommes nés dans le même temps, il en meurt dix mille à soixante-sept, soixante-huit et soixante-neuf ans ; d'a- près la seconde table , sur dix hommes qui ont dépassé la soixante-quatorzième année , il en meurt un à soixante- quinze ans ; enfin , d'après la cinquième et la sixième tables , sur dix hommes nés en même temps , il s'en trouve , terme moyen , un qui arrive à soixante-huit ans.f Pour faciliter l'intelligence de ce qui précède , nous allons présenter, d'après les indications que Duvillard a données delà mortalité en France , l'aperçu des proportions de la mortalité relative pendant les diverses périodes de sept ans, et deux tiers dans lesquelles nous divisons la vie humaine. 0 7 2/3 ans. 1 : 2,28 Enfance, 4 : 2,28 7 2/3 15 d/3 1 : 16,15K ^^ ^„ V. ^ 65o aB^AmSME BD TEMPS. 23 30 2/3 1 : 9,60 30 2/3 ;38 d/3 1 : 8,23 38 4/3 46 1 : 7,03 Moyen âge, 46 53 2/3 1 : 5.56 53 2/3 61 1/3 1 : 4,00 , ëi 1/3 69 1 : 2,72 69 76 2/3 1 : 1,83 76 2/3 84 1/3 1 : 1,13 Grand âge, 84 4/3 92 4 : 1,21 n 99 2/3 1 : 1,10 90 2/3 107 1/3 1 : 1,02/ 1 : 3,07 1 : 1,21 II. iEnergïe de la vie^ § 651. Les recherches auxquelles nous nous sommes livrés jusqu'ici ont eu pour résultat de prouver que la vie se déploie en périodes de plus en plus longues (§ 650 , 4"»), et que, par conséquent, si on la juge sous le point de vue du temps , elle croît d'une manière continuelle. Maintenant il nous reste à examiner si la même chose a lieu en ce qui concerne sa quan- tité intérieure ou son énergie. Evidemment elle augmente jusque dans le moyen âge, mais elle semble ensuite baisser et prendre un mouvement rétrograde. C'est effectivement de cette manière que les physiologistes ont coutume de la consi- dérer. Philites, par exemple (1), partage la vie en période d'in- crément , pendant laquelle elle se rapproche de plus en plus de l'idée de l'organisme, jusqu'à ce qu'elle exprime aussi com- plètement que possible l'image de l'infini dans le fini, et en période de décrément , durant laquelle elle s'éloigne de plus en plus de cette idée , et se rapproche de l'absolu. Ordinaire- ment , entre ces deux périodes , on en admet une autre , qui marque le point culminant de la vie , et à laquelle on donne , comme l'a fait Butte (2) , le nom d'âge de la force, tandis que les deux autres portent ceux de faiblesse juvénile et de faiblesse sénile. Comme la faculté procréatrice n'appartient qu'au (1) Encyclopœdisches ffœrteriuck der medicinischen WissenschafteU) t.Il. P*â4, 43i (2) Die Biotomie des Mensahen , p. 418, 449. ORGANISME DU TEMPS, 4^1 moyen âge , on met en rapport la période qui suit cette fa- culté avec celle qui la précède, et l'on trouve dans la vieillesse une répétition de l'enfance , ou même , comme Lucae (1) , celle de la vie embryonnaire. Quant à l'antagonisme de la première et de la dernière période, on l'exprime en caracté- risant l'une par l'évolution , l'autre par l'involution , terme par lequel Schmidt (2) , entre autres , entend la diminution de l'activité vitale allant peu à peu jusqu'à l'impossibilité d'être d'aucun secours soit à l'individu , soit à l'espèce. Enfin d'au- tres, comme Mende (3), admettent , sans juger nécessaire de le démontrer, que la perfection ne saurait exister à la fin de la vie, et qu'elle ne peut se rencontrer que vers son milieu. Ces opinions à l'égard de la dernière période de la vie tien- nent, d une part , à ce qu'on a eu sous les yeux des individus chez lesquels elle n'avait pu se développer d'une manière nor- male (§ 685), et, d'un autre côté, à ce qu'on apprécie la vie uniquement d'après l'énergie des actions extérieures. 1° Mais c'est une méthode vicieuse que celle déjuger d'un tout d'après une seule de ses quaUtés. La diminution de la constitution matérielle ne prouve pas que la vie baisse d'une manière générale. A chaque âge , quelques parties périssent ; les enveloppes du fœtus se putréfient, les dents de lait se dé- litent , le thymus se flétrit , et pour que l'ossification devienne complète , il faut que le cartilage meure chez l'adolescent. Si nous voulons juger l'organisme d'après le développement et l'activité des branchies cervicales, des corps de Wolff, de l'al- lantoïde et de la vésicule ombilicale , il nous faudra placer le point culminant de la vie au premier ou second mois de la vie intra-utérine , et dire qu'à partir de ce terme la vie va tou- jours en fléchissant. Or on tombe exactement dans ce défaut lorsqu'on prend pour mesure du tout une fonction quelconque qui n'est point la chose essentielle , ou une série de fonctions ayant également un caractère de contingence. La vie , considérée comme unité , ne peut atteindre sa plus (1) Grundriss der Entwicltelungsgescliichte des menschlichen Kœr- pers , p. 262. (2) Organisationsmetamorphose des Menschen , p. 80. {Z) Âusfuehrliches TJandbuçh der gerichtlichen Mediçin, t, II, p. 21^ 53â ORGVNISME DU TEMPS. grande hauteur qu'à Tâge où ce qui en constitue le caractère propre et essentiel s'exprime de la manière la plus large et la plus pure. Nous avons trouvé que la force plastique dimi- nue sans interruption pendant la vie entière (§ 648 , 7°) , que l'activité de la vie dirigée vers le dehors croît jusqu'à un cer- tain point et baisse ensuite (§ 648, 6°) , mais que l'indépen- dance de l'organisme va toujours en faisant des projjrès (§ 64S, 8°). Or, comme la formation n'est que la base matérielle de la vie , comme le pouvoir d'agir en dehors n'est que l'annonce de la force intérieure , mais que l'indépendance et la sponta- néité constituent le caractère essentiel et fondamental de l'or- ganisme, nous voyons là déjà un indice annonçant que ce qu'il y a d'essentiel dans la vie est aussi ce qui persiste et fait de continuels progrès. L'idée de la vie demeure semblable à elle-même dans la série des âges , au milieu des mutations continuelles qui ont lieu dans les diverses parties , malgré le mouvement qui sans cesse détruit et reproduit les organes. Partout aussi la vie tend à la stabilité ; la pérennité de l'activité est le caractère qui distingue la formation vivante de la for- mation inorganique (§ 473 , 9°) ; à un haut degré de déve- loppement, les manifestations de la vie deviennent perma- nentes (§ 475, 5°) , et les organes transitoires disparaissent de bonne heure (§ 677, 2°). L'essence de la vie végétale ne con- siste que dans la formation organique , et c'est ce qui fait aussi qu'il n'y a de persistant et d'impérissable en elle, que l'accroissement. L'idéal , qui partout existe antérieurement à l'organisation, et constitue ce qu'il y a d'essentiel, de permanent, dans la vie, conserve encore ce caractère lorsqu'il se déploie comme fonction spéciale, comme âme. La vie morale est donc ce qu'il y a de plus relevé dans l'existence humaine , ce qui la caractérise, et, quand elle est parvenue à son point culminant, la vie de l'homme a acquis au^si sa pleine et entière valeur. Mais nous n'avons pas trouvé (§ 590) que l'esprit fût réelle- ment et normalement plus faible chez le vieillard ; loin de là même , nous sommes obligé d'admettre , avec Ritter (1) , M) DUsertaiio de vniurali orijanismi humain décrément o ^ p, 0, ORGANISME DU TEMPS. 535 qu'il a pins d'énergie pendant la vieillesse. Chez un être fixé, les qualités supérieures et essenîielles ne peuvent s'accroître qu'à la condition que les facultés inférieures et subordonnées diminuent proportionnellement. Aussi trouvons-nous non seu- lement une harmonie , mais encore un antagonisme entre la force spirituelle et la force plastique , de sorte que la pre- mière augmente en raison de l'abaissement de l'autre. La force productive , qui est tellement exubérante chez le Polype, que cet animal peut réparer la perle de toutes les parties dont on le prive , et qu'il se propage par simple pullulalion de sa sub- stance, cette force diminue chez les animaux supérieurs; la génération et la régénération deviennent d'autant plus res- treintes que la vie se concentre davantage à l'intérieur et qu'elle acquiert une plus grande intensité. Non seulement la masse du corps augmente lorsque la faculté pensante de l'homme est inaclive, durant le sommeil , pendant le repos, dans l'idiotisme , mais encore l'esprit prend un vol plus hardi quand la masse terrestre diminue , comme dans la fièvre hectique , ou quand les forces vitales baissent et sont près de s'éteindre (§ 633 , 4°). La douleur , en faisant apercevoir une limite posée à l'existence matérielle , dégage l'âme , qui s'é- veille et se développe (§ 525, 1°). Mende a observé un enfant qui maigrit par l'insufiSsance de la nutrition , mais dont les facultés intellectuelles se développèrent avec une rapidité extraordinaire , et qui apprit de très-bonne heure à parler ; la nutrition ayant repris sa marche normale , l'excitation des facultés morales cessa, et l'enfant cessa de parler. Les pro- grès de l'âme , pendant les pertes qu'éprouve le corps, sont évidens au début de la vieillesse; vers la cinquantième année, l'agilité et l'énergie des mouvemens diminue , ainsi que la faculté procréatrice; mais les facultés intellectuelles sont en- core aussi vigoureuses , sinon même plus , dans toutes les directions. Nous verrons bientôt que, parles progrès de l'âge, ce sont seulement les facultés inférieures et moins essentielles de l ame qui baissent. 2° Pendant la vieillesse , la vie se retire de la périphérie et devient plus intérieure. Cette parliculariié se manifeste déjà dans le côté matériel; la masse devient plus dense , plus 55^ ORGANISME DU TEMPS. sèche, plus serrée , plus concentrée ; son conflit avec l'exté- rieur diminue j ainsi que rassimilalion et l'excrétion; le corps vit davantage sur son propre fonds , car il a perdu une partie de la force au moyen de laquelle il se soumettait la matière extérieure. Ainsi le physique se resserre sur lui-même , mais l'idéal n'est point susceptible d'allanguissement. Les sens ex- térieurs s'émoussent; ils ont acccompli le cours de leur vie, et atteint leur but , car ils ont amené à l'esprit les matériaux nécessaires pour le former, et l'ont excité à vivre de la vie in- térieure qui lui est propre. La force musculaire et l'empire de l'âme sur le corps diminuent , parce que lame s'occupe plus d'elle-même et concentre davantage son activiié. A me- sure que le corps diminue , les désirs matériels perdent de leur vivacité, l'esprit acquiert une allure plus libre, et, la con- ception devenant plus lucide, le jugement plus dégagé d'in- fluences étrangères , l'existence humaine s'élève au point où la limite est le plus profondément tracée entre elle et l'exis- tence animale. 3" L'activité de l'âme réunit les impressions sensorielles en une seule image ou représentation , forme une seule pen- sée , et déduit les pensées de l'idée qui repose dans les pro- fondeurs de la conscience de soi-même ; elle est incessamment occupée à dériver le particulier du général, et à s'élever du singulier à l'universel. Donc ce qu'il y a de plus élevé dans la vie, c'est de connaître les vérités générales, c'est d'arriver à l'intuition de ce qui repose en soi d'une manière absolue, de la seule existence qui exerce une influence déterminante sur elle-même , de celle qui embrasse et fonde toute exis- tence spéciale et relative. Maïs comme la vieillesse est le ré- sultat des âges précédens , son caractère moral consiste à con- server les résultats des déploiemens précédens d'activité ( § 590, II ) dans l'intuition nette et ineffaçable des vérités générales acquises ; et comme l'effacement de la différence sexuelle fait ressortir davantage le caractère général de l'hu- manité , ce qui règne désormais dans l'âme , c'est l'universa- lité ( § 590, III), c'est la relation avec la cause première des choses, c'est le sentiment d'une liaison primordiale de toute existence en uu tout idéal , c'est l'intime connexion avec l'es- ORfiANISME Dt TEMPS. 555 prit du monde , c'est enfin la pensée d'un ordre immuable dans l'univers. Tandis que ce point central , dans lequel toutes les connaissances de rapports particuliers se résolvent en quel- que sorte et se perdent , devient prédominant , l'activité spi- riiuelle se retire de la périphérie ; le conflit avec les choses spéciales diminue ; les facultés sensorielles et la mémoire bais- sent ; il devient plus difficile de saisir les relations particu- lières , l'esprit y pénètre avec moins d'énergie , et réagit sur elles avec moins de force. Mais il n'y a que l'être absorbé par la contemplation de l'extérieur qui puisse considérer ce con- flit avec des spécialitéscommele point culminant^de l'existence humaine en général. Saisir d'une manière bien nette ce qu'il y a de particulier dans les phénomènes, disposer librement d'un riche trésor de collections, et d'agir puissamment sur le monde extérieur , tel est le but du moyen âge ; la vie perd toute valeur lorsque ce mode d'activité ne se déploie point alors énergiquement. Mais il n'en est pas moins vrai que ce conflit avec le monde du dehors ne constitue par le véritable but de l'existence morale , et qu'il n'est qu'un simple moyen d'arriver à la perfection intérieure de l'âme. La cessation de la vie morale périphérique n'est autre chose que la flétrissure des fleurs, qui, bien qu'elles aient été essentielles à une époque antérieure , bien qu'elles se soient signalées par le déploie- ment d'une grande magnificence extérieure, n'étaient cepen- dant qu'un moyen d'arriver à des développemens plus relevés, et doivent tomber pour que le fruit se forme. La graine, dans sa forme intérieure, représentera quintessence de la vie vé- gétale tout entière , quoiqu'il ne lui reste plus rien de la fleur ; de même l'âge avancé est la somme de la vie morale , la to- talité des ditférens facteurs de cette vie , et par conséquent la vie morale élevée à une plus haute puissance intérieure. ARTICLE II. De l essence de Vorganisme. I. Essence de la mort. § 652. La mort J'^Est la cessation de l'unité qui, pendant la vie, réunit 536 ORGANISME DU TEMPS. ensemble les diverses activités et les différentes parties de l'or- ganisme ( § 312, 2° ). Nous en trouvons une image sensible aux derniers échelons du règne animal , où l'essence de la vie se dénote fréquemment, dans ses rudirnens, de la manière la plus significative. En effet, suivant Nilzscli (1), la Cercaria ephemera se couche à plat sur le dos quand l'heure de sa mort est arrivée ; la queue s'agite quelque temps , pour se dé- tacher du tronc , parvient à se mettre en liberté par un élaa brusque , continue durant plusieurs minutes de nager par un mouvement spontané , puis tombe morte au fond de l'eau , etne tarde pas à se putréfier ; quant au tronc , il se ramasse en boule , sa pellicule extérieure se fend , le noyau qu'elle renferme tourne lentement sur lui-même et acquiert en peu de temps une dureté presque osseuse, qui le fait résister du- rant trois mois à la putréfaction. De même , chez certains animaux supérieurs , non seule- ment le cadavre offre encore , immédiatement après la mort , des phénomènes de vie isolés ( § 634, VI), mais même la pu- tréfaction présente de l'analogie avec le travail vivant de la formation (§637), parce que ses conditions sont les mêmes que celles de la vie ( § 636, I). Partout où la vie réalise son idée de la manière la plus complète et où l'unité est le plus essentielle, la mort survient avec une rapidité extrême, dès que celle-ci a subi le moindre trouble ( § 626,1); ainsi l'a- gonie est moins longue chez l'homme dont tout l'ensemble de la vitalité porte le caractère de l'harmonie que dans les cir- constances contraires , et même, dans le cas de fusion mons- trueuse de deux individus, il paraît que c'est celui dont la vie a le plus de puissance qui périt le premier (2). 2° Les parties séparées , qui ne sont plus dominées par l'u- nité , portent le caractère de chose élémentaire ou commune , et, comme telles, se réunissent au tout de la nature, en sorte que la mort devient une victoire du général sur le particulier. L'action de la nature , considérée dans sa totahté , consiste à (1) Beitrœge zur Infusorienkunde , p. 34. (2) Burdach , Berichte von der anatomischen Anstalt zu Kœnigsherg , t. TI, p. 54. ORGANISME DU TEMPS. 53^ produire des spécialités avec ce qui est général , et à les faire rentrer dans la masse commune. Le singulier redevient, par sa ruine, propriété du tout ; les principes constituans éloignés ou médiats du corps organique rentrent , sous la forme d'air , d'eau et de terre, dans le grand tout de la nature, qui, fournit la base matérielle d'autres organismes; mais, avant d'arriver à cette dernière décomposition, le corps en putréfaction devient le sol sur lequel se développent, par hétérogénie, des infusoi- res, des champignons, des lichens, etc. : avant même d'avoir atteint le dernier terme, la matière qui a eu vie sert à la nourri- ture d'organismes vivans, attendu qu'elle conserve encore le caractère organique de l'aptitude à se décomposer , sans avoir la puissance enchaînante de ia vie , ce qui la rend éminemment propre à être assimilée par les êtres vivans. Il est fort rare qu'on trouve des animaux morts au grand air; ia plupart sont tués et dévorés par des bêtes carnassières avant d'être arri- vés au terme de leur vie ; mais les mourans se traînent dans des halliers ou dans des cavernes , et, après leur mort , sont consumés par les animaux qui vivent de charognes , ou par les élémens. En ayant soin ainsi d'écarter promptement tout ce qui "tombe en pulréfaclion , la nature entretient l'air et l'eau à l'état de pureté qui est nécessaire pour la vie des êtres organisés supérieurs, et nous retrouvons ici la tendance à la conservation du règne organique , telle que nous l'avons déjà constatée dans la mortalité plus considérable qui accompagne l'excessive fécondité ( § 266, 6°, 366, 2° ). Zl. But de la ^ie. § 653. D'après cela , il paraît que Tunique but de la vie I. Est de conserver le tout. Le temps dévore ses enfans à mesure^ qu'il les engendre, et nous lui servons de pain quo- tien. Nous avons hérité de la vie de nos ancêîres, non comme d'une propriété qui nous appartient, mais comme une substitu- tion, qu'il nous faut bientôt abandonnera nos successeurs. De même qu'une vague roule à la suite d'une autre vague , de même les individus et les générations se poussent sans cesse, 658 ORGANISME DU TEMPS, mais l'espèce persiste (1). Quant à la question de savoir si celte dernière durera toujours , nous serions tentés de la ré- soudre par la négative , puisque la terre elle-même vieillit et marche vers sa fin, puisqu'on ne peut renverser l'hypothèse suivant laquelle une nouvelle révolution de notre planète amènerait la production de nouveaux êtres qui considére- raient les débris du genre humain comme des espèces de Pa- lœotherium. Mais si l'espèce est une chose transitoire , elle ne doit être, par cela même, qu'un moyen d'arriver à un autre but. Or le genre humain détermine bien quelques changemens à la surface du globe ; mais , s'il convertit les forêts vierges en terres arables , ou les marais en lacs poissonneux , et par-là purifie ratmosphère,etc., il n'agit ainsi que dans son propre in- térêt ; quand les montagnes primitives se délitent , lorsque leurs roches,mêlées des débris charbonnés d'êtres organiques, deviennent un humus meuble , il ne résulte de là aucun avan- tage; et si l'homme favorise par la cuUure la vie de quelques espèces d'êtres organisés , il n'y peut parvenir qu'en refou- lant celle d'un bien plus grand nombre d'autres. Les indivi- dus doivent avoir un autre but que celui de réaliser et de conserver leur espèce ou le règne organique , car ce règne et cette espèce n'existent pas dans les individus. Mais des êtres qui n'auraient point de but propre , qui n'agiraient que pour d'autres également dépourvus de buta eux, n'auraient qu'une bien chétive existence, et vaudraient infiniment moins que des machines qui, si elles ne font rien non plus pour elles-mêmes, tendent du moins à l'utilité réelle d'un étranger. IL L'organisme a pour caractères la spontanéité et Tindé- pendance ; comme il subsiste par sa propre activité , il doit aussi vivre pour lui-même ; puisqu'il porte en lui la cause de son existence , le but de cette dernière ne saurait non v.plus être hors de lui. 1° La vie végétale a son but en elle-même; ce but consiste à lier les différentes forces de la nature par l'unité organique , de manière qu'en créant continuellement elles produisent une diversité de formes d'existence, de l'ensemble desquelles ré- (i) Dictionn. des sC. médic., t. XVIII, p. 6. ORGANISME DU TEMPS. SSg suite un tout harmonique. L'existence extérieure, telle qu'elle s'exprime dans la plante et dans le corps or{3[anique en fjéné- ral, ne peut point avoir de but pUis relevé que celui d'offrir l'image de la nature créatrice, et de représenter, dans sa spé- cialité, le caractère de lutiivers entier. Dans la vie animale, l'unité or^^anique devient intérieure , et l'organisme brille du reflet de la cause infinie du monde î l'existence se révèle à elle-même , et la vie trouve son but dans le sentiment de soi-même. Ce qui se sent soi-même n'a jamais vécu en vain ; n'eût-il goûté qu'un seul instant le plai- sir de l'existence , le côté intérieur de l'univers est sorti pour lui des ténèbres de la matérialité, et le seul sentiment de l'exis- tence organique suffît déjà , en faisant apercevoir dans soi- même , ne fût-ce que vaguement , une diversité de forces dont l'aciion s'exerce avec harmonie , pour procurer un plai- sir qui est le but delà vie animale. A mesure que la vie morale se perfectionne, le plaisir qu'on trouve à sa propre existence , à sa propre activité , devient également plus vif : la conscience de la force qu'on peut diri- ger vers des choses ou plus relevées ou plus basses, l'habileté qu'on acquiert de soi-même , et les dispositions qu'on tient de la nature , communiquent au sentiment de soi-même une vivacité qui donne plus de valeur à la vie, et l'activité n'a pas besoin de rémunération , puisque l'exercice des forces procure de la jouissance par lui-même, indépendamment du but auquel il tend. Il faut avoir le sens bien obtus ou bien offusqué par les illusions du monde extérieur pour demeurer étranger aux innombrables joies de l'existence , au plaisir du jeu des fonctions , aux jouissances de l'exercice des forces , qui sont la propriété d'une conscience nette et lucide. 2° La vie se maintient par ses propres forces , mais seule- ment sous la condition d'un monde extérieur qui lui corres- ponde, et seulement aussi parce qu'elle tire son origine d an idéal qui s'est réalisé en elle sous la forme d'une chose par- ticulière et singulière. De là résulte qu'outre sa relation avec elle-même , elle en a une aussi avec le tout. Elle devient moyen d'une existence et d'une vie étrangères ; mais , de même qu'un organe ne saurait être tout simplement moyen à 540 ORGANISME DU TEMPS. l'égard des autres organes de son corps , et absolument dé- pourvu de but propre , de même aussi l'universalité qui s'é- veille en elle exalte son individualité , d'oii il suit que le but propre de la vie se trouve rempli à un plus haut degré et dans une plus grande étendue (§ 562 , 2°). La plante qui travaille à produire par génération pour le compte de son espèce , ne se borne point à créer l'ornement, qui lui est d'ailleurs étran- ger, de Heurs délicates, symétriquement variées , chamarrées de couleurs diverses et chargées de parfums ; tout l'ensemble de la vie s'élève aussi à une hauteur telle qu'elle se surpasse elle-même. L'animal brûlant du désir de se reproduire ac- quiert une plénitude de force vitale qui le fait résister aux plus cruelles atteintes , et le sentiment de sa propre vie ac- quiert une exaltation qui lui permet des manifestations de for- ce dont il serait incapable en d'autres momens (§ 247). Mais, chez l'homme, l'âme prend en même temps un vol plus hardi, de manière que ce qui n'était en elle jusqu'alors que le simple germe d'une tendance vers l'infini , se déploie aussi large- ment que possible (§ 565, 3°, 5°). Les forces vitales s'exci- tent mutuellement par leur conflit amical , et elles viennent au secours les unes des autres, pour atteindre le but qui leur est commun à toutes. En se débarrassant pendant le jour de Toxygène qu'elle contient en excès , la plante le rend plus abondant pour l'animal qui dort , et celui-ci lui donne en échange l'acide carbonique qu'il expire ; en se formant elle- même, elle couve et nourrit le jeune animal qui plus tard ac- complira sa fécondation et la dissémination de ses graines. L'animal que son instinct pousse à l'association, ne pros- père qu'au milieu de ses semblables , et l'homme , que sollicite le penchant à agir d'une manière raisonnable et utile , ne peut ni sentir toute la puissance de sa vie , ni déve- lopper ses hautes dispositions, qu'autant qu'il exerce son ac- tivité dans un intérêt commun. Il est incertain que la graine qu'il sème profitera à d'autres, que le bienfait qu'il dispense, que l'assistance qu'il prête , rempliront leur objet; mais il est certain que ces actes stimuleront le sentiment qu'il a de sa propre existence, et lui procureront une jouissance intérieure. Car c'est l'universaliié qui élève et conserve la vie ; la vie n'a OK&ÀNÎSMË DU TEMPS. 54i pas seulement besoin d'amour qui veille à ses besoins, et qui la maintienne par l'harmonie de sa propre essence avec ce qui lui est éiranf^er; illui faut aussi aimer, pour qu'elle puisse se déployer dans toute son étendue et se sentir dans toute sa plénitude. L'individualité est une spécialité renfermant l'universalité; «lie forme le caractère de la vie en général , puisque celle-ci repose sur une base idéale ; mais elle ne peut se développer d'une manière complète que dans le moral , où l'idéal lui- même devient phénomène vital. La plus haute individualisa- tion est donc aussi le but le plus élevé de la vie; elle consiste €n une intuition claire de son propre moi , par antagonisme avec l'universalité ; ici cette dernière s'est identifiée avec la spécialité, tandis que, dans la vie physique, elle n'agissait qu'en elle et lui servait de base. L'être dont la conscience est parvenue à celte hauteur, apercevant l'infini lui-même , et re- connaissant son propre moi comme une chose particulière et finie, mais qui participe à l'infini , il suit de là que la vie s'é- lance vers son origine, divine et qu'on ne saurait concevoir un but plus relevé. Ici ce qui n'avait lieu précédemment que d'une manière végétative, ou par impulsion de l'instinct , est reconnu comme loi de la nature et accompli avec liberté. C'est ainsi que la volonté humaine peut résister au cours du temps dans le monde intellectuel , et faire que la vie , loin de céder à la contrainte du moment, conserve les rayons d'une vitalité antérieure, les réunisse en faisceau , et se manifeste sous des dehors plus nobles. On peut , sans s'écarter de la nature, as- signer un sens vivant à chaque âge ; à l'enfance, la simple faculté d'intuition , la satisfaction de vivre et l'insouciante confiance ; à la jeunesse, un sentiment phin de chaleur pour tout ce qui sort de la ligne commune, l'entraînement vers l'i- déalité , et l'espérance fondée sur une pleine confiance en soi-même ; à la virilité, l'activité, la prudence et un sérieux désir de laisser à la postérité des traces de son existence. De la résonnance des temps passés découle la pleine harmo- nie de la vie humaine. Lavieacquiert ainsi non seulement le caractère de stabilité puquel elle tendati depuis son origine , mais encore l'harmonie 542 ORGANISME DU TEMPS, qui avait toujours été son but. En reconnaissant que ce qui sem- blait accidentel, quand on le contemplait isolément, présente le cachet de la nécessité dès qu'on le considère dans ses rela- tions avec l'ensemble , l'individu doué de la conscience de soi-même se soumet au tout et vit en paix avec la nature : car s'il est affligeante! éprouver que la conduite la plus rai- sonnable ne mène souvent point au but, tandis que les êtres les plus dépourvus de bon sens y arrivent sans nul effort, et d'acquérir la conviction qu'une tendance idéale qui dédaigne les calculs du vulgaire égoïsme ne mène absolument à rien^ si cette triste expérience abat le courage du jeune homme , on se réconcilie avec la nature en pensant que le monde phé- noménal, qui porte le cachet du fini, ne saurait par cela même représenter l'infini dans toute sa pureté , et qu'il ren- ferme en lui des quantités irrationnelles comme élément nécessaire. IXI. Persistance après la mort. § 654. Il nous reste encore à examiner la question de sa- voir si la mort est, en réalité ou seulementen apparence, la fin de notre individualité. Ce problème ne saurait être étranger à une physiologie qui veut embrasser l'essence entière de l'homme. Nous autres vîvans nous n'avons , à la vérité , aucune idée de l'état intérieur d'un mort ; car nous ne connaissons jamais que notre propre état intérieur, et l'analogie seule nous porte à en admettre un semblable chez d'autres individus; mais il y a dans la nature une foule de choses par rapport auxquelles nous ne pouvons acquérir aucune expérience immédiate, ce qui n'empêche pas que nous en fassions un sujet d'étude , parce que nous les jugeons d'après d'autres faits analogues. Ce n'est pas tant son objet que sa manière de procéder qui sépare la physiologie de la métaphysique , et comme celle-ci attire la vie dans son domaine , de même aussi l'autre est en droit de soumettre le problème de l'immortalité aux méthodes usitées dans les sciences naturelles. Et cet examen ne saurait être considéré comme une téméraire invasion dans le sanc- ORGANISME DU TEMPS. 545 tuaireMe la foi; car la foi qui ne repose pas sur la nature n'est qu'une pure croyance , et une croyance n'est jamais sacrée, de quelque auréole qu'on l'entoure. Il est de fait qu'on trouve la croyance à l'immortalité dans toutes les contrées de la terre ^ qu'elle se rencontre chez l'homme dont les facultés inteilectuelles sont parvenues au plus haut point de perfection , comme chez le simple enfant de la nature qui commence à réfléchir sur lui-même et sur l'univers. Peu importe d'ailleurs qu'elle s'enveloppe quelque- fois dt^s nuages de la superstition , comme par exemple chez les sauvages de la baie d'Hudson , qui , à ce qu'on assure , n'ont aucune idée d'une autre vie (1) , mais croient reconnaî- tre dans les météores les esprits des amis qu'ils ont perdus (2). La métaphysique n'est pas plus habile que l'expérience vul- gaire à nous procurer une idée nette de cet état : comme le Mundigo auquel Mungo Park demandait où se trouvait le sé- jour des esprits , donna pour réponse que nul homme n'en savait rien , de même Kant ^ interrogé , peu de temps avant sa mort, sur ce qu'il pensait de l'état futur, répondit : « rien de précis «, et dans une autre occasion : « je ne sais rien de cet état » . Mais l'homme éprouve partout le besoin de revêtir la croyance générale d'une forme en harmonie avec sa pro- pre individualité; l'immortalité, ditHerder (3), est une sorte de pressentiment caché au fond de tous nos cœurs, et que l'imagination ou la raison morale développe de diverses ma- nières. La physiologie , qui démontre que la même idée de la vie se révèle dans les différentes configurations du corps or- ganique , doit aussi esquisser les formes diverses que l'idée de l'immortalité a prises dans l'imagination des hommes. Il est vrai qu'une grande incertitude règne souvent à l'égard des données historiques qu'on possède sur ce sujet; car, indépen- damment de l'obscurité qui les enveloppe elles-mêmes , elles portent presque toujours l'empreinte des viies particulières du narrateur ; d'ailleurs il n'y a pas de peuple chez lequel règne (1) Hearne, Reise in die Hndsonshai , p. 226. (2) lUd.^ p. 229. (3) Saemmtliche WerJte, t; ^YIÏ, p. 87, - 544 ORGANISME DU TEM^S. une similitude parfaite d'opinions; la croyance populaire elle- même n'est que pariiflle , elle change avec les progrès de la civilisation , enfin la poésie rivalise tellement avec la spécula- tion, qu'on est souvent dans l'impossibilité de décider si telle ou telle idée appartient à l'imagination d'un poète, aux re- cherches d'un philosophe , ou à la croyance du peuple. Ce- pendant nous avons à suivre les indications de ceux qui ont fait de ces opinions le sujet de leurs éludes spéciales. -4° Les Nègres et les Chinois croient à la persistance de l'âme dans le même corps , et redoutent de perdre quelque membre, de peur d'être mutilés à l'époque de leur réveil (1). Les anciens mages et Zoroaslre enseignaient (2) que l'homme renaît de ses cendres. D'après la croyance des Mahométans , les cendres demeurent tranquilles jusqu'à la résurrection , lorsque l'âme sort nette du jugement ; mais, dans le cas con- traire, le corps se détruit et il est dévoré par les vers (3). Les Grecs, particulièrement au temps d'Homère , et les Ger- mains , se figuraient l'âme des défunts comme une ombre du corps, c'est-à-dire comme une forme pure , dégagée de toute matière, sur laquelle elle s'éiait moulée. Les Calédoniens et Ossian la regardaient aussi comme une vapeur, comme un nuage conservant la même forme que pendant la vie (4). Dans l'opinion des Siamois , elle a les mêmes parties que le corps , mais tellement délicates, qu'on ne peut les voir (5).LesGroën- landais la croient pâle , molle , sans chair ni os ; mais ils pensent que, pendant la vie, elle est collée au corps, avec lequel elle peut être mutilée et divisée (6). Les Caraïbes (7) et autres peuplades d'Amérique (8) ne voient non plus en (d) Simon , Geschichte des Glaulens aelterer und neuerernicht christ- lichen f^oelker an cine fortdauende Seele nach dem Tode , p. 12. (2) Flugg'e , Geschichte des Glcnihens an Unsterblichkeit , ^uferste- huny, Gericht und P'eryelluny, t. I, p. 499. (3) Heidei- , SaemmtUche /Verke, t.'TlI, p. 152. (4) Flugge , loc. cit., t. II, p. 170. (5) Simon , loc. cit., p. 17. (6) Flugge , loc. cit., t. Il', p, 2ii). (7) Jàid., t. I, p. 35. (8)/iîrf.,t. II,p. 217, ORGANISME DU TEMPS. 545 elifi qu'une ombre du corps. Ces opinions reposent sur la pensée que l'idéal est ce qu'il y a d'essentiel et de détermi- nant dans l'organisme , ce qui lui imprime sa forme. La même pensée conduisit à admettre deux âmes , tant qu'on ne fut point arrivé à saisir l'unité de la vie et à reconnaître que l'âme végétative est le produit de la force infinie de la nature, le germe non développé de toutes les facultés intellectuelles et morales. Non seulement la doctrine de Confucius suppose une âme terrestre et mortelle (pe), et une âme pensante (hang-hoen) , qui retourne au ciel après la mort, comme l'autre rentre dans la terre (1), mais encore la relation boud- dhaïque des Thibétains admet deux âmes, l'une bonne, l'au- tre mauvaise (2), et les peuples du Groenland et du nord de l'Amérique en reconnaissent égaiemeni deux. , l'une vivifiante l'autre spirituelle (3), dont la dernière , suivant les Canadiens, sort du corps, pendant le sommeil, pour errer en liberté (4). Nos mystiques croient aussi à deux âmes, même à trois, dont une sert d'intermédiaire aux deux autres. D'après le système des Cabalisies, l'âme vitale (nephesch) reste dans le cadavre jusqu'à sa putréfaction, l'âme intermédiaire (noacli) se rend de suite au paradis intérieur, et l'âme pensante (ne- schamah) retourne immédiatement à la divinité, à laquelle les deux autres finissent aussi par se réunir (5). 2" Fréquemment on a admis qu'un certain laps de temps s'écoulait entre la mort et le moment où Tâme se séparait entièrement des restes du corps. Cette croyance à une per- sistance de l'âme dans le cadavre a été trouvée parmi les peuplades américaines, sur les bords du Mississipi, à la Guyane, au Pérou et au Paraguay, dans le nord de l'Asie , chez les Hindous, dans plusieurs îles de la mer du Sud, chez quelques hordes de Nègres , et parmi les anciens Egyptiens (6), ainsi (1) Ihid., t. II, p. 380. —Simon, loc. cit., p. 24. (2) Flugge , loc. cit., t. II, p. 368, (3) Simon, loc. cit., p. 23. (4) Flugge, loc. cit., t. II, p. 218. (5) ibid. ;t.I, p. 39. (6) Siaion , loc cit., p. 34. V' 35 54^ ORGANISME bV ÎEMÎSf. que chez les Arabes, qui arrosaient et cultivaient les tombeaux des leurs , pour rafraîchir les cendres (1), en un mol, chez tous les peuples qui melteot des aliajeiis sur les lombes (g 641, 8"). A Otahiti, elle erre autour du tombeau, et se repose dans les figures de bois qu'on y place exprès pour cela. Les Juifs croyaient à une résurrection lors de la des- truction deja terre, ou après que le globe aurait duré six mille ans (2), ou quarante ans après la venue du Messie (3). 3° Les Hébreux se figurèrent d'abord la mort sous les traits d'un chasseur armé de filets et de flèches : plus lard ils ad- mirent deux anges de mort, l'un bon, Gabriel, et l'autre mauvais, Samaëi. Mahomet enseignràt qu'un ange de la mort tranche le fil de la vie (4). D'après la croyance des Goucis , l'âme est emportée par un esprit, et les promesses que celui- ci fait au moribond sont remplies (5). Chez les anciens Ger- mains , les Walkyres, qui dirigeaient le combat , menaient aussi les ombres des héros au Walhalla. Mais les Calédoniens pensent que Tàme ne parvient à sa dernière demeure qu'a- près avoir reçu le chant funéraire (6), de manière qu'elle n'arrive à la béatitude que par les^ doléances de ceui qui l'aimaient. Fréquemment on se figurait que l'admission de l'âme dans sa future demeure présentait des diflicultés , et l'on entendait surtout par-la un examen moral qu'elle avait à subir. Suivant les anciens Parses, lame se rend au pont Tschinevad , après la traversée ducjuel elle est dirigée vers le séjour des bien- heureux, ou précipitée dans la nuit éternelle (7). La même chose arrive, selon les Arabes , après le passage du pont Al- sirat (8). Chez les anciens peuples du Nord, c'était l'arc-en- çiel qui servait de pont pour conduirCj au Walhalla (9) ; la (1) Herder, Saemmlliche Werhe , t. VII, p. 449. (2) Elugge , loc. cit., t. I, p. 259. (3) ibid., p. 273. (4) Ibid., t. II, p. 270. (5) Ziminermann, Taschenbuch der Reisen, t. XI, p. 242. (6) Fliigge, loc. cit., t. II, p. 100. (7)-/Wt^.,p. 244. (S) Herder, Saemmtliche Werlie , t. VU, p. 453. (9) Flugge, loc. cit., t. II, p. 44. ORGANISME DU TEBIPS. 547 route du Niflheim traversait la nuit et des vallées, puis un pont d'or tendu sur le fleuve Giall , et enfin des portes gar- dées par des chiens (1). D'après les Kamtschadales, l'âme doit passer sur des ponts étroits et vacillans. Les Maïancicas , au Paraguay, lui font traverser de hautes montagnes et un grand pont ; les Groënlandais , des rochers et des abîmes ; les La- ponais, des chemins sombres et hérissés d'épines. Les Otoma- ques pensent que le est obligée de combattre contre un grand oiseau ; les Téleutes et les Gorèques, contre des esprits ter res- tres ; les Tscherémisses , contre un chien de l'enfer (2). Ces derniers mettent pour cela un gros bâton à côté du cadavre. On cherche à protéger l'âme pendant son émigration; chez les anciens Leites, par des chants autour du bûcher embrasé ; chez lesParses, par des prières ; chez les Groënlandais; les Tëleutes et les Gorèques , par des prières et des jeûnes. Les Grecs frappaient sur des plateaux d'airain, pour garantir l'âme des furies, et les Maïancicas croient que leurs prêtres l'accom- pagnent (3). Une autre opinion, fort répandue aussi, est celle que l'âme doit nécessairement se purifier de tous les défauts terrestres. Les Parses la font passer à travers un lac de feu, qui ne lui cause aucune atteinte quand elle aéié veriueuse (4) ; suivant quelques peuplades du nord de l'Amérique, elle doit grillerou supporter d'autres souffrances dans la mer de feu du soleil (5). Les Mahométans pensent qu'elle se rend à un lieu de purifi- cation appelé Araf (6). Selon les Hindous , lorsqu'elle n'est point encore parfaitement pure, elle va soit dans le premier ciel (Surg), soit dans la région des serpens (Narak), soit dans le corps d'animaux, dans des plantes ou dans des pierres (7). Les Japonais croient que les âmes des enfans au dessous de (4)i6ii.,p. 94. (2) Simon , loc. cit.^ p. 30. (3) Ibid.,p. 32. (4) Flugge , loc. cit., t. Il, p. 255. (5) Simon , 72. (6) Flugge, loc. cit., t. H, p. 294. (7) Ibid,, p. 339. 548 ORGANISME DU TEMPS. sept ans sont envoyées dans le lac Fakone , d'où l'on peut les délivrer en faisant des présens auK prêtres. 4° Quelques peuples croient que ceux qui meurent à l'étran- ger renaissent à la vie dans leur pays natal , et cette persua- sion a souvent porté les Nègres au suicide. Les séjours des âmes sont, d'après les Patagons, des cavernes profondes, se- lon les Haraforas, des déserts au milieu de montagnes et d'îles inaccessibles (1); suivant les Chiliens, des contrées situées par delà les mers, et selon les Brésiliens , les pays qui occupent l'autre revers des Andes (2). Ce sont , aujdire des habitansdu Brésil, des forêts agréables, riches en fruits et en gibiers (3); d'après les peuplades du Missouri, de grands villages, où l'on trouve tout en abondance (4) ; suivant les Caraïbes , un pays qui fournit richement à tous les besoins (5). Les peuples du détroit de Noutka, des îles Arsacides et de l'île Ostéroë, pla- cent le séjour des âmes dans l'air (6) ; les anciens Calédo- niens leur faisaient habiter des champs aériens et des palais de nuages (7). Les Germains pensaient que les âmes des hommes libres, notamment celles des héros morts sur le champ de bataille, se rendaient au Walhaîia , palais des dieux, et celles des autres dans le monde des brouillards (Niflheim), où règne Hela, qui a pour palais la misère , pour clef la faim , pour lit des soucis , pour couverture le blasphème (8j- On admettait une transmigration de l'âme dans divers corps terrestres, soit qu'on se la représentât comme moyen de pu- nition , d'épreuve , de purification et d'amendement , soit qu'on voulût symboliser ainsi la variation continuelle des choses et la manifestation de l'idéal sous des formes diversi- fiées, soit enfin qu'on eût en vue d'expliquer l'origine des êtres (1) Ziinmerniann , Taschenhuch der Reisen , t. XIV, p. 284. (2) Simon , loc. cit., p. 56. (3) Spix et Martiiis, Reise in Brasilien , t, I, p. 383. (4) Peri'in du Lac , Reise in die beiden Lo-uisianen , t. I , p. 475. (5) Simon, loc. cit., p. 38. (6) llid., p. 56. (7; Flugge , loc. cit., p. 480- (8) /;k/., p. 64,400. ORGANISME DU TEMPS. 549 animés sans regarder l'âme comme le produit du corps. La connaissance du caractère et des aptitudes morales des ani- maux , comparés aux mêmes facultés che/Thomme, n'était pas sans influence sur les idées de cette catégorie. Les Egyp- tiens regardaient la métempsychose comme purification , ré- compense et punition ; les Hindous , les Chinois , les Siamois, les Japonais, les Tunkinois., les Maiabares, les habitans de Su- matra et de Java , les Mongols , les Kalmouks, les Cafres , quelques hordes d'Amérique et les Otahitiens croient qu'il n'y a que les âmes des méchans qui passent dans le corps des animaux (1) ; au Pégu et à Ava , on pense que les personnes vertueuses sont les seules qui redeviennent hommes (2). Sui- vant la doctrine de Brahmah , les âmes des bons passent dans des vaches, des moutons et des éiéphans; celles des méchans dans des tigres et des cochons (3). Les Canadiens s'imagi- nent que l'âme transmigre dans le corps d'une tourterelle, et les Patagons dans celui d'un canard (4). Suivant l'opinion d'au- tres peuples , elle passe successivement de degrés inférieurs à d'autres plus élevés, et vice ver^a (5). 5° L'empire des ombres des Israélites (Scheol) était un royaume du néant, où tout se trouvait enseveli dans un sommeil de mort (6). P!us tard les Hébreux eurent l'espérance de faire le repas duLéviathan avec le Messie (7j, et de trouver d'autres jouissances propres à flatter les sens (8> Sur les bords du Mississipi, au Chili, en Sibérie, à Otahili, on compte également sur les plaisirs de la terre , la possession de chevaux et de chiens , les délices de la chasse et de la guerre contre les en- nemis. Les peuples germains espéraient, dans le Walhalla , les jouissances de la société , des luttes et l'ofl're faite par (1) Simon, loc. cit., p. 76. (2) Fliigge, loc. cit., t. II, p. 376. (3) /6xd., t. I, p. 397. (4)/Sirf.,t. II, p. 218. (5) Herder, Saemmtliche Werke , t. VU, p. 213. (6) Fiugge, loc. cit., t. I, p. 166. (7j/&irf.,p. 259. (8)i4R,p.307. 55o ORGANISME DU TEMPS. Odin de la chair du sanglier immortel et du lait de la chè- vre Heidrun (1). Les peuples qui se signalaient par un grand attachement pour les leurs, se figuraient aussi qu'après la mort ils seraient réunis à eux (2). Telle était la croyance des anciens Ger- mains (3) et des Calédoniens (4), dont les palais de nuages devaient loger des familles. D'autres peuples aussi, par exem- ple les Chavanons de la Louisiane , comptent sur une réunion avec leurs proches et leurs amis (5). Les anciens habitans du nord croyaient également que les morts prenaient intérêt au sort des vivans (6) et se réjouissaient des actions de leurs fils (7). Cette pensée d'un commerce continuel avec l'autre monde engendre la crainte des spectres , qu'on retrouve chez tous les peuples (8), et d'autres superstitions analogues, par exemple celle des Samoïèdes, qui ne prononcent jamais le nom du mort , dans la crainte de troubler son repos (9). 6° Quelques peuples , les anciens Arabes , les Madégas- ses et plusieurs insulaires de l'Asie orientale, Nègres et Amé- ricains , considèrent la vie future comme une continua- tion de celle d'ici-bas , et n'attendent ni récompense ni pu- nition(10).Les Iialmes croient que les juges des movt&{haetsch) n'ont d'autre mission que d'efiacer les inégaUtés qui ré- gnent sur la terre , de donner la richesse aux pauvres et la pauvreté aux riches (11). Mais la plupart des peuples admet- tent des rémunérations et des punitions après la mort , quoi- que cette croyance n'influe sur la conduite qu'autant qu'elle est dirigée par desprétres;l2).Les moyens de salut consistent, (1) /Wd., t. n, p. 64,400. (2) Herder, Sammtliche Werhe , t. VII, p. 177. (3) Fiugge, loo. cit., t. II, p. 64. (4) Ibid., p. 197. (5) Perriiidu Lac, loc. cit., t. I, p. 111. (6) Fiugge , loc. cit. ,t. I , p. ISO. (7) Herder, Saemmtlichs fVerke , t. VII, p. 155. (8) Simon, loc. cit., p. i. (9) Ziinraermann, Taschenbuch des Reisen^t, VIII, pi. II, p. 75. (40) Simon , loc. cit.,\ç. 109. (11) Ibid., p. 58. (12) Fiugge, loc. cit., ..ï, p. 112. ORGANISME «U TEMPS. da I chez les Hindous , à la Chine , au Japon , an Thibet , à Siam et chez les Géorfïiens , en des sauf conduits que les prêtres donnent pour le ciel ; au Pégu , dans la construction de pa- godes et l'offrande d'alimens aux prêtres ; chez les Arméniens, en des repas donnés pendant sept jours à des prêtres et à des pauvres; chez les Kalmouks, les Thibétains et les Hindous, dans le respect qu'on témoigne aux ministres du culte. Au Japon, à la Chine, à Siam, dans THindoustan, on récite des prières pour les morts. Les anciens Arabes et Egyptiens plaçaient des idoles dans les tombeaux ou autour. Les Hindous se sanc- tifient par l'immersion dans les fleuves sacrés ; les Brésiliens]^ comme autrefois les Celtes , par des faits héroïques ; les Es- quimaux, en se gardant de parler mal des animaux (1). Le juge des morts est , d'après les Brahmes , Jama, qui tient la balance, et donne des tourmens ou la félicité; selon les Boud- dhistes , Irlikchan , devant lequel de bons et de mauvais es- prits plaident comme avocats; suivant les Chinois, Yen^ Vang; au Japon, Jemraa; chez les Maïancicas, Tatusko, qui' ne permet qu'aux bons de passer le pont pour aller dans ïe pays des bienheureux. Les Siamois ont un juge qui inscrit tous les péchés ; les Tunkinois , un dieu qui déchire et no'iè les méchans, mais conduit tes bons dans un pays fortuné. Les Kalmouks pensent que les bons voltigent dans l'air , tan- dis que les méchans passent dans le corps d'animaux Gd d'hommes. Chez les îroqnoîs et les Esquimaux , les bons tra- versent un fleuve pour aller dans le séjour de la béatitude. Chez les Nègres , ils se rendent dans un pays de bonheur , tandis que les méchans sont noyés ou assommés (2). Chez les Tatares, l'examen destiné à constater si l'âme mérite récom- pense ou châtiment, dure quatre semaines 3). Chez les Israé- lites , chacun est jugé selon ses œuvres après la mort , et plus tard aura lieu encore un jugement général (4). De mêxûe , chez les anciens peuples du nord , les méchans étaient déjà (i) Simon , loc. cit., p. 69, 110. (2) Flugge , loc. cit., t. I, p. 58. (3) Zinimermann, Taschenluch des Beisen, t. Vllî,pl\ ÎJ, p. iM. (4) Flufîge, loc. cit., t. I, p. 32S. 55» ORGANISME DU TEMPS. tourmentés par des serpens venimeux dans le Niflheim , mais le Niflheim et le Walhalla ne devaient durer que jusqu'au cré- puscule divin, au Ragnatokcur, moment où tout serait détruit, et où le père commun rendrait ses jugemens (1). D'après la doctrine des Brahmes, les bons trouvent le bonheur dans la contemplation de la divinité (2). Suivant les Perses , ils vivent dans la lumière éternelle et se nourrissent de baume (3). Les peuples du Nord les logeaient dans le ciel supérieur (Gimle), où règne un bonheur sans nuages (4) , et les Gallois à Flat- hinnis, séjour d'un printemps perpétuel et d'une joie éter- nelle. Le paradis des Israélites ne diffère de la vie terrestre que parce que les jouissances physiques y sont plus multi- pliées (5). Il en est de même de celui des Maliométans, siiué par delà le septième ciel , et qui contient le fleuve de la vie , l'arbre de la félicité et des jeunes filles d'une impérissable beauté. L'Américain attend après cette vie un beau climat , des fruits doux , une chasse abondante et de belles femmes ; le Groënlandais "des rennes et des phoques en abondance ; l'habitant de la Sibérie orientale , des chiens d'une force énorme , des chasses heureuses , de gras troupeaux et des femmes chargées d'embonpoint ; le Siamois et le Chinois rê- vent non seulement des plaisirs sensuels , mais encore des dignités et des honneurs (6). Les Parses reléguaient les mé- chans dans la nuit éternelle , où l'âme se nourrit de putréfac- tion (7); les peuples germains, dans le pays de Nastroad , où coulent des fleuves empoisonnés, qui fourmillent de ser- pens (8) ;4les Calédoniens , dans des vapeurs marécageuses (9j; les Hindous , à Padalon , contrée pleine de fleuves embrasés, (1) Ihid., t. II, p. 120. <2)i6îd.,t. I, p. 356. (3) Ihid. t. II, p. 244. (4) Ihid., p. 120. (5) Ibid., t. I, p. 355. (6) Simon, loc cit.,^. 86. (7) Flugge, loc. cit., t. II, p. 244. (8) Ibid., p. 141. ORGANISME DU TEMPS. 555 d'immondices et de monstres (1); les Thibétains,à Guielva (2); les Péguans et les Avanais à Naxac (3) ; les Israélites et les Mahométans dans un abîme de feu , appelé Gehenna ; les ha- bitans de la Caroline et des Florides , les Groënlandais , les Esquimaux , les Islandais et les Tschérémisses , dans un lieu humide , froid , obscur et stérile , oij l'on a toujours faim, et où l'on ne trouve pas de femmes (4). Mais, d'après la doctrine des Parses, les méchans , après avoir souffert pendant trois j ours d'indicibles tournions , obtiennent leur pardon , de ma- nière que le bonheur finit par être le partage de tous (5). Chez les Hindous, les âmes des grands criminels, après avoir été punies dans les quatre premiers des sept enfers , puis avoir erré sur la terre , sont rachetées par les sacrifices de leurs familles (6). Les Birmans , les Siamois, les Péguans, les Tunkinois, les Thibétains et les Mahométans n'admettent point non plus l'éternité des peines de l'enfer (7). § 655, Après avoir exposé les opinions des peuples, passons à l'examen physiologique du sujet lui-même. I. L'idée la plus naturelle semble être celle que la mort anéantit T'individualité ; car cette hypothèse ne présuppose rien, repousse toute superstition, et s'en tient au fait immédiat, savoir, que le cadavre tombe en putréfaction , et qu'on n'a- perçoit aucune trace de l'âme. Elle s'accorde en outre avec des vues physiologiques : la vie universelle persiste seule sans changement ; toute vie particulière procède d'elle, et y re- tourne , comme à sa source primordiale , parce que rien ne saurait durer éternellement ; la vie marche de cette manière à l'universalité. Par la mort , le corps retourne à la forme gé- nérale de la matière, les élémens et l'âme à la forme générale de l'idéal , dans l'empire des idées ; mais les produits de la vie (i) Ihid., p. 339. (2) ïbid., p. 368. (3) lUA., p. 376. (4) Simon, loc cit., p. 93. (5) Flugge , loc. cit., t. II , p. 252. (6) Haafner, Reise lœngs derKuesteOrixa und Koromandel^ t. I, p. 29. (7) Simon , loc. cit., p. 106. 554 ORGANISME DU TEMPS. continuent d'exister en relation universelle ; les coraux morts forment de nouvelles îles , qui se couvrent d'un tapis de li- chens et de mousses, dont la décomposition donne un terreau dans lequel des arbustes et des arbres j)rennent racine ; le corps animal sert de nourriture à d'autres animaux , et ce que r homme a fait profite aux {;énérations suivantes. Celte hypothèse s'accorde également avec la conviction que la vie; a son but en elle-même (§ 653), et qu'elle a une valeur pra- tique , en ce qu'elle apprend à utiliser le présent, sans comp- ter sur un avenir incertain. Enfin elle a quelque chose de ma- gnanime, car il f;iut une certaine énergie de caractère pour penser de sang -froid à son propre anéantissement. i° La destruction de findividualilé a été représentée comme l'anéantissement de l'âme. Les Hébreux et les Grecs admet- taient l'idenlité de la force vitale , du soufle et de l'a ne (1) ; les sceptiques modernes, Hume, par exemple , enseignaient que l'âme croît et périt avec le corps ; de même , les physio- logistes matérialistes de notre époque, entre autres Hohn- baum (2), ont admis que toute modification de force tient à l'état de la matière, et que, l'âme étant identique avec la vie corporelle, elle périt en même temps qu'elle. Mais l'étude de la formation de l'embryon et des progrès continuels du développement nous conduit, ainsi que toutes les considéra- tions auxquelles on peut se livrer sur la vie, à être convaincue que l'idéal n'est pas le produit d'une matière affectant telle ou telle forme , mais que c'est lui au contraire qui imprime cette forme particulière à la matière, et Autenrieth (3) a profité de l'existence de forces indépendantes, qui tantôt se manifestent ( comme mouvement , électricité , etc. ), tantôt disparaisseiH: sans laisser aucune trace, pour prouver qu'ily a autre^cboéiè que l'existence matérielle. Nous reconnaissons bien que la vie est une chose toute spéciale , et que l'âme pensante en est le dernier degré de développement ; mais nous disons qu'elle (1) Flugge, loc. cit., t. I, p. 36. (2) Nasse, Zeitschrift fuer psychische Aerzté , 1821, cah.I, p. 8-16. (3) Ueher den Menschen und seine Hoffhung einer Fortdauer vont Standpunete des Naturforschers, p. 90-98. ORGANISME DU TEMPS. 555 n'est point née de la vie matérielle, qu'elle existait primordia- lement en germe , et qu'en se déployant sous la forme végé- tative , elle a créé le corps organique. Or il ne suit point de là que l'âme périsse en même temps que son produit , le corps. 2" Les spiritualistes admettent l'immortalité dans une exis- tance éternelle et illimitée de Tûme. Mais l'essence de notre moi consiste en une existence déterminée, modifiée d'une cer- taine manière et par conséquent limitée, d'une force idéale gé- nérale. Si nous voulions désigner l'existence illimitée de l'âme comme une persistance éternelle de celte même âme , nous serions tout aussi en droit d'admettre l'immortalité du corps; car l'indestruclibilité de la matière fait que ses élémens sub^ sistent d'une manière éternelle , seulement sous d'autres for- mes et dans de nouvelles combinaisons. L'universel, l'élémen- taire, ne devient un être particulier qu'à la condition de limi- tes déterminées , et quand nous parlons de notre âme ou de notre corps, nous avons en vue cette spécialisation. De ce qu'à la mort on ne voit point s'échapper une matière subtile avec laquelle l'âme puisse s'unir , et qui devrait au moins se manifester par quelque effet , on conclut que l'âme , si eUe persiste, rompt toute liaison avec le monde matériel (1) ; mais, en se dégageant ainsi des liens du fini, elle ne serait plus qu'universelle , et cesserait d'exister réellement -, par consé- quent elle serait anéantie dans sa spécialité. On veut qu'après la mortelle soit privée de toute sensualité, qu'en conséquence elle n'existe plus dans l'espace , puisqu'il n'y a que ce qui tombe sous les sens qui puisse exister à la fois dans le temps et dans l'espace (2) ; mais, pour que plusieurs êtres existent simultanément , il faut qu'ils soient séparés l'un de l'autre , par conséquent limités, et celte séparation, cette délimitation de choses simultanéeSjSontprécisément ce qui constiluel'espace. •La divinité elle-même ne peut point être hors de l'espace ; car alors l'espace serait sans divinité, et il ne pourrait point y avoir d'existence dans l'espace ; la divinité n'est qu'élevée au dessus des bornes du fini , parce qu'elle remplit et ren- (1) Autenrieth , loc. cit., p. 8S. (2) Cavus , f^ersuck einer Darsteltitiiy ^$ Nérvensysféms , p. 4S. 56 ORGANISME DO TEMPS. ferme en elle tous les espaces, comme tous îss temps. Mais nous ne pouvons pas attribuer une existence , éternelle , in- finie, à notre âme individuelle, car une pluralité d'infiais est impossible. 3° Cette hypothèse repose donc sur le seul fait exact , savoir que, comme le corps se résout en divers élémens extérieurs , c'est-à-dire en une universalité extérieure , de même Tâme rentre dans l'unité universelle , ou dans le côté intérieur de l'univers, c'est-à-dire dans la divinité. La divinité seule est éternelle ; toute âme individuelle participe à la divinité dès le principe , émane d'elle , ne peut par conséquent point avoir comme elle le caractère de Téternité, mais doit retournera elle en perdant l'individualité qu'elle avait acquise. Telle était la doctrine des Egyptiens et des anciens Perses , qu'on a re- trouvée aussi au Japon et à Otahiti (1). Suivant les Hindous , l'âme pure doit se plonger, aussitôt après la mort, dans la divinité (2). Nous reconnaissons que c'est là le seul but pos- sible de l'âme, et la sublimité de cette idée devrait nous faire envisager moins tristement l'abolition de notre individualité. Mais on se demande si nous sommes réellement mûrs pour ce but, si toutes nos dispositions sont déjà parvenues à un tel de- gré de développement qu'elles ne soient plus aptes à en ac- quérir aucun , si nous pouvons renoncer avec une pleine satis- faction à notre individualité , si enfin il ne nous reste pas en- core à subir, pour arriver au degré de perfection dont nos dispositions nous rendent susceptibles, une métamorphose après laquelle nous pourrons éprouver une joie sans mélange en nous réunissant à la divinité. IL La persistance de l'âme , comme être individuel , a été conçue de plusieurs manières. 4° On se l'est figurée sous les dehors d'une nouvelle indivi- dualité. On dit que la vie émigré, parce que, la matière vivante passant continuellement d'un organisme dans les autres, l'âme doit aussi , après la mort du corps , se rendre dans un autre corps. Mais la majeure de ce raisonnement est inexacte (§ 312, (1) Simon, loc. cit., p. 90. (2) Flugge , loc. cit., t. II, p. 336. ORGANISME DU TEMPS. 55'^! i° ). La vie ne voyage point avec la matière ; partout où elle existe , elle se crée une matière qui lui correspond et qui porte son caractère (§ 318, 9° ). Or l'hypothèse de la métem- psycose est en contradiction avec l'essence de la vie, en vertu de laquelle l'organisme ne reçoit point ses forces du dehors, mais les développe de son propre fonds ; sa formation par lui- même est tellement absolue que l'embryon ne reçoit point une seule goutte de sang du dehors : il est impossible que l'âme , noyau de son essence , lui soit infusée , comme une chose étrangère et contingente ; car alors la vie manquerait d'unité et d'individualité. S'il y avait métempsycose , la mort d'un être et l'animation d'un autre seraient liées nécessairement ensemble; il y aurait entre elles un équilibre immuable, quels hasard et l'arbitraire ne pourraient jamais troubler, et dont la conséquence serait qu'au moment de chaque mort une pro- création s'accomplirait; il faudrait aussi que le nombre des êtres animés fût le même dès l'origine , et ne pût s'accroître. Mais, admettre que l'âme ne pénètre dans un nouveau corps organique que quand ce dernier s'est formé et construit de manière à pouvoir répondre à ses besoins, ce serait supposer que déjà une âme aurait veillé à l'accomplissement de ces dis- positions harmoniques, et il y aurait en dernière analyse deux âmes , dont la plus ancienne serait évidemment la plus per- spicace et la plus puissante. Rien n'indique que l'âme vienne du dehors ; tandis que l'embryon subit l'influence constam- ment uniforme de l'incubation sans qu'aucun changement sur- vienne dans les circonstances extérieures au milieu des- quelles il se trouve, sans qu'aucune force, jusqu'alors étranâ gère, vienne à entrer en contact avec lui, il acquiert peu à peu le sentiment et le mouvement. La métempsycose est donc une hypothèse hyperphysique qui , pour un fait ( l'ani- mation de l'embryon ) , suppose un événement naturel en contradiction avec la marche de la nature , dont on ne peut donner la preuve expérimentale , et dont on ne parviendrait à se rendre raison qu'en admettant de nouvelles hypothèses arbitraires et hyperphysiques. En effet, comme il faudrait toujours un acte particulier pour déterminer l'âme défunte à entrer dans les bornes d'une nouvelle individualité, mais qu'on 558 ORGANISME DU TEMPS. ne saurait démontrer aucun acte de ce genre par l'observation, on serait obligé d'en admeitre un non susceptible de tomber sous les sens , et de s'en référer, comme on le faisait jadis, à la volonté de Dieu. Ce serait supposer qu'en générab ou du moins dans certains cas , la marche légitime de la nature ne correspond point à la volonté de Dieu , puisque cette volonté aurait besoin d'intervenir immédiatement , pour être remplie, idée manifestement païenne, et qui ne se concilie qu'avec Thy- polhèse d'idoles sans pouvoir absolu ni volonté invariable. 50 La persistance de sa propre individualité est la seule chose que l'homme puisse désirer, comme individu. Mais cette persistance ne saurait s'étendre au corps, dont nous voyons les élémens se disgréger , passer à d'autres combinai- sons, et devenir par exemple des parties constituantes d'autres corps organisés. Quant à l'organe primaire , éthéré et invi- sible , de l'âme, auquel Poiret , Leibnitz et Platner croyaient, et qui, à sa mort , se séparerait du corps en même temps que l'âme , nous n'en avons point la moindre idée. Il ne nous reste donc plus qu'à admettre h formation d'un nouveau corps or- ganique , et nous allons examiner cette hypothèse. § 656. La possibiliié que notre individu persiste I. Ne saurait être niée d'une manière absolue, quand on la considère en général. En effet, nous ne connaissons les phé- nomènes de la nature que par l'expérience , et tant que nous n'avons point encore acquis cette dernière , les moyens par lesquels une idée vient à se réaliser nous demeurent inconnus. Ainsi, lorsqu'on parlant de l'état après la mort, on dit que la mort est nécessaire , et l'état impossible , parce que la pre- mière correspond aux conditions et aux circonstances exté- rieures de notre vie , tandis que l'autre est contradictoire avec elles , il y a là une prétention qui ne repose sur aucun fonde- ment , puisqu'il nous est impossible de déterminer à priori la modalité d'une opération de la nature et les formes sous les- quelles l'idéal se réalise. Tout ce qu'il nous est permis de faire, c'est de rechercher si l'idée a de la valeur en elle-même, et si elle n'implique point contradiction avec les lois de notre pensée. Supposons qu'un homme vienne au monde avec ses facultés iaiellectuelles complètement développées; la première ORGANISME Dt TEMPS. 669 fois qu'il verrait le soleil se coucher, les feuilles tomber à l'automne , une chenille se convertir en chrysalide , un autre homme s'endormir, il serait tout aussi fondé à regarder comme impossible le retour à l'état de choses antérieures, que nous le sommes à soutenir l'impossibiliié de la persistance de l'âme après la mort. Eùt-il même l'intime conviction que la vie est impérissable, jamais, sans le secours de l'expérience, il n'ar- riverait à la pensée q':e la vitalité réunie de deux individus anime une goutte de sérosité , que d'une petite masse aplatie et méritant à peine le nom de pellicule, se forme un individu qui trouve son petit monde dans la vésicule à laquelle il est enchahié , jusqu'à ce qu'ayant épuisé tout le contenu de sa prison , il la brise pour continuer de vivre , libre et indépen- dant, au milieu d'un monde plus vaste; il serait plutôt dis- posé à considérer l'œuf pondu , qui paraît sans vie , comme un excrément , de même qu'en voyant le cadavre d'un homme, on dit que c'est là tout ce qui reste de la vie. IL L'analogie d'autres phénomènes de la vie nous fournit des motifs de croire à la possibilité d'une persistance après la mort. 1° La génération est la tendance de l'individu au maintien de re>pèce, mais elle a des rapports très-divers avec celle de la vie propre ; ainsi la propagation porte le caractère d'une formation de nouveaux membres de l'organisme procréateur , mais qui font assez de progrès dans leur développement pour arriver à l'indépendance , n être plus retenus par l'unité in- dividuelle et séparés les uns des autres ( § 323 ) ; il est même impossible de distinguer les deux actes l'un de l'autre chez les végétaux, par exemple chez les plantes dicotylédones, qui, pour prolonger leur existence , produisent, à la fin de leur vie annuelle, des bourgeons destinés à devenir les germes de nou- veaux membres pour l'année suivante ( § 42 ). D'après cela , il est très-concevable que la vie intérieure , quand elle est devenue assez puissante , se maintienne aussi après l'extinc- tion de la vie intéi ieure , que par conséquent la tendance à l'immortalité , qui, chez les autres êtres organisés, se rapporte à l'espèce et se réalise par la génération, prenne chez l'homme une direction conforme à Tindividualité , dont le plein et en- 56o ORGANISME DU TEMPS. lier développement n'a lieu qu'en lui seul , et qu'elle soit rem= plie par la persistance de l'âme après la mort. En effet, nous avons vu (§ 624, 1°, '2") que, quand la vie morale se développe davantage, l'individualité devient pliispuissante, plus indépen- dante , et qu'elle ne périt pas dans la relation de l'espèce , comme il arrive à la vie purement végétative. L'œuf non couvé aune vie latente ( § 330, 4" 11"), et l'em- bryon est animé dès le commencement ( § 475, 3", dO" ) ; mais lame ne se révèle point d'abord par les manifestations qui lui appartiennent en propre, et par conséquent il est pos- sible qu'elle devienne latente aussi à l'époque de la mort, sans pour cela perdre son existence. L'idéal est le noyau de la vie , et la matière n'est que le moyen de le représenter comme spécialité , de le faire appa- raître dans la sphère des choses finies : l'idée de la fonction crée son organe , pour se réaliser. De même que la vie est spirituelle dans son origine et son essence , de même aussi l'âme ne pousse point du cerveau; bien au contraire, elle le produit, comme étant sa propre expression permanente dans l'espace, de sorte que son anéantissement n'est point la suite nécessaire de la destruction du cerveau et des autres organes. La force de la vie indépendante se trouve communiquée au germe amorphe^ pendant la propagation, de telle manière que ce germe se développe en un ensemble organique ; l'âme peut de même se créer un nouvel organe après la mort , et elle le peut sans avoir besoin pour cela d'une matière organisée par- ticulière , uniquement en se fixant dans une existence , dans un espace quelconque ; car nous savons que des êtres orga- nisés peuvent se produire aussi des substances élémentaires ou des formes générales de la matière (§ 9 — 12 ). Mais, dans ce cas , elle imprime son caractère à la matière dans laquelle elle établit son existence individuelle , de même que |a vie en général réalise son type en produisant des parties organiques avec de la matière étrangère , de même aussi que , dans la génération, le caractère de la vie paternelle passe à la vie de l'enfant futur , sans translation matérielle , et par le fait d'un acte simplement dynamique ( § 302—306 , 316 ). Dans ces nouveaux organes, l'âme conserve ce qui la caractérise ORGANISME DU TEMPS. 36 1 comme source d'un développement ultérieur , car ce carac- tère ne procède point du corps ; on trouve quelquefois des enfans venus très-faibles au monde, et chez lesquels la ten- tance au rachitisme se déclare malgré les soins plus assidus , qui, sans être sujets au moindre caprice, témoignent une pré- cision dans leurs désirs et une fermeté de volonté , en vertu desquelles ils dédaignent certaines choses bien déterminées, et supportent avec calme le refus d'accomplir leurs souhaits , sans accepter autre chose en place de ce qu'ils voulaient ; or peu à peu , chez eux , la nutrition et la force musculaire acquièrent une force en harmonie avec l'énergie de leur ca- ractère. Si l'âme passait dans un organisme qui lui fût étran- ger , on serait peut-être admis à dire qu'elle prendrait aussi une autre manière de sentir , de penser et de vouloir (1) ; mais si c'est elle que crée ses organes , elle conservera par cela même son indépendance , tout comme , chez les vieil- lards, l'âme conserve le caractère dont elle avait déjà montré le germe dans l'enfance , quoique la substance soit tout-à- fait différente et que les rapports des organes n'aient plus rien de semblable. On ne peut pas dire non plus que le sou- venir de cette vie doit périr à la mort du cerveau , comme nous avons déjà perdu celui de notre première enfance (2) ; car ce qui est devenu une fois propriété réelle de l'âme , le demeure alors même qu'un certain laps de temps s'écoule sans qu'elle en puisse faire usage ; ainsi un état anormal du cerveau fait souvent surgir de nouveau, dans toute sa luci- dité , le souvenir long-temps éteint d'un événement ou d'une série de connaissances. Si l'on prétendait qu'une fois l'âme dégagée des entraves du corps , le souvenir de la vie humaine ne pourrait plus lui servir à rien (3) , et que celui des défauts dont elle a été affligée ne ferait que troubler son bonheur (4), il y aurait à répondre à celte objection que, quand elle serait arrivée à se placer sous un point de vue plus élevé , la possi- (1) Nasse , Zeitschrift fuer psychische Aerzte , d821, calî, I, p. 23. (2) Wieland , Euthanasia , p. 473, 484, 185. (3) Ilid.^ p. 197. <4) Nasse, Zeitschrift fuer psycJdsche Aerste , 1821, cah. I, p. 23. V. 36 562 ORGANISME DU TEMPS» Lilité d'apprécier les causes des faibles qu'elle aurait mon- trés jadis les lui ferait envisager tout autrement qu elle ne le fait ici-bas. 2° Le rajeunissement périodique offre une autre analogie , et chez tous les peuples le fait assez peu rare du rappel à la vie de corps en apparence privés de vie , a suggéré la pensée que la vie, sans s'éteindre , peut disparaître de la surface, et , une fois retirée dans Tintérieur , y croître assez pour se manifester ensuite avec une nouvelle énergie. Les végétaux semblent périr à l'entrée du sommeil d'hiver , et ceux qui meurent réellement commencent par prendre la forme de ce sommeil ; les animaux renoncent au conflit avec le monde extérieur , et se cachent dans des creux , soit lorsqu'ils sont au moment de rajeunir par transformation en chrysalide (§ 379, 8°), mue (§ 617, 14°), parturition (§ 516, 2°) , som- meil journalier ou annuel (§ 597, 3° ; 610 , 5°) , soit aux ap- proches de la mort; mais l'état chrysalidaire et le sommeil profond nous présentent l'image de la mort. La vie entière n'est qu'une suite continuelle d'extinction et de rénovation , qui fait que la vie intérieure se maintient sans interruption , tandis que la vie extérieure périt ; la mort a lieu au bout de quelques jours ou de quelques mois chez les animaux et les végétaux inférieurs , dont la vie est plus périphérique, tandis que, chez ceux d'un ordre plus élevé, qui possèdent davan- tage de force intérieure , un rajeunissement périodique a lieu, et les parties épidermatiques de la périphérie meurent pério- diquement, parce qu'elles n'ont pas , comme les organes vi- vans en eux-mêmes , l'aptitude à se maintenir par un rajeu- nissement intérieur. L'analogie nous permet donc d'admettre la possibilité que ce qu'il y a de plus intime dans la vie , la conscience animée d'une inépuisable activité interne, main- tienne son existence par rajeunissement, tandis que les par- ties périphériques et matérielles périssent. De même que , dans le sommeil journalier (§ 598 , 2°) et annuel (§ 615, 1°) , la vie animale cesse d'agir quand les besoins sont apaisés et les penchans satisfaits; de même la mort naturelle a lieu quand l'âme n'a pkus rien à désirer sur la terre et qu'elle s'est complètement rassasiée au banquet de la vie. La direction de ORGANISME DU TEMPS. 563 la vie , que ses manifestations avaient épuisée , ne fait qu'ac- quérir une nouvelle énergie par la rétrocession de la vie en elle-même et son retour à l'état latent (§ 593 , 6°) ; il se peut donc qu'en se repliant sur elle-même , à la mort du corps , l'âme reprenne vigueur pour fournir une autre carrière. 3° D'autres phénomènes analogues donnent une certaine vraisemblance à l'opinion que l'âme s'engage alors dans une nouvelle carrière. Plus un organe est placé haut , plus l'idée de la vie qui l'anime est élevée , moins aussi l'atelier qui le produit est apte à le développer (§ 339 , 2°) , et plus il a be- soin pour cela d'entrer dans d'autres conditions de vie : il faut que le germe se détache de l'ovaire , qu'il s'entoure de mem- branes enveloppantes , et qu'il soit amené dans la matrice, pour y acquérir le degré de maturité qui lui permet de vivre librement sur la terre. Il se peut donc que le corps soit l'œuf de l'âme , et la terre l'espèce de matrice dans laquelle elle mûrit jusqu'à un certain point , pour ensuite se dégager; de même que l'embryon parvenu à terme trouve son œuf trop resserré et trop pauvre de contenu , que les liens qui l'atta- chent à lui et à la matrice sont trop lâches , que le besoin de se mouvoir en liberté, de respirer l'air et de se nourrir par l'intestin a pris trop d'empire chez lui , ainsi , chez le vieillard, l'âme est gênée par le corps , qui l'empêche de se déployer librement; elle a épuisé tout ce qu'elle pouvait opérer et goûter par les sens ; ses rapports avec le monde extérieur ont perdu de leur intimité , et sa tendance vers l'universalité a pris un tel développement que la vie terrestre ne lui suffit plus. Si l'embryon , arrivé au terme de sa maturité , et qui a épuisé le petit monde de son œuf, le brise et en rejette au loin les débris , pour s'élancer au milieu de la vie terrestre , l'âme , après avoir atteint son but ici-bas , peut se détacher de la terre , en lui abandonnant son corps , pour aller cher- cher de plus amples développemens dans une autre partie de l'univers. L'époque normale de la mort , comme celle de la naissance , est l'aurore d'une nouvelle vie (§ 606 , 11° 12°) ; la première (§ 507, I.) et la dernière (§ 633, 6") manifestation sont une convulsion des lèvres, dans le mouvement desquelles 564 ORGANISME DU TEMPS. se révèle la vie la plus intérieure de Tâme; le moribond (§ 633, 5°), comme le nouveau-né (§ 526,4°), est avide de la lumière. Mais, tandis que l'analogie des phénomènes annonce l'affinité qui existe entre ces deux passages à une nouvelle sphère d'existence , ces mêmes phénomènes expriment l'antagonisme qui se remarque entre l'arrivée à la vie terrestre et la sortie du monde d'ici-bas ; l'oeil qui , au moment de la naissance , s'était éclairci pour satisfaire aux besoins de la vie terrestre (§ 526, 2°) , devient opaque à la mort (§ 654, 9°); car il a rem- pli sa carrière ; au milieu des douleurs qui accompagnent son entrée dans le monde , l'homme est violemment excité et gri- maçant , tandis qu'à la mort normale et sans douleurs , il en- visage en pleine connaissance , et par conséquent avec calme, sa prochaine métamorphose (§ 633, 4") ; chez le nouveau -né , l'âme a été séparée du corps par l'action des choses terrestres (§ 525, 1°) , tandis qu'à la mort elle se détache des choses terrestres par l'extinction de la vie matérielle. Mais, de même ({ue la tendance au retour vers l'état primordial se manifeste au physique par le rajeunissement (§ 593, 6°) , au moral par la nostalgie (§ 369;, 4» ; § 618, 2°) , de même aussi l'âme du vieillard éprouve le besoin d'une existence qui soit plus rap- prochée de la source idéale. § 657. La considération du cours que suit la vie et des di- rections de l'âme nous fournit des motifs de croire à la réalité d'une persistance après la mort. i" La vitalité débute en général par l'extérieur, par la pé- riphérie , d'où elle marche peu à peu vers le centre. Dans la vieillesse, ce sont les sens qui faiblissent d'abord, puis la mé- moire , ensuite l'imagination , et en dernier lieu l'entende- ment. La faiblesse sénile s'étend de bas en haut, et com- mence à la partie inférieure de la moelle épinière, alors que la vie est enc;;re concentrée au cerveau; elle se montre d'abord dans les membres inférieurs, les organes génitaux , les voies urinaires et les vaisseaux hémorrhoïdaux , puis dans l'appareil digestif, cfiriii dans les mouvemens du cœur et la respiration. Il n'y a que quelques systèmes dans lesquels une direction opposée puisse se prononcer ; ainsi , dans l'appareil génital ORGANISME DU TEMPS. 565 femelle , la flétrissure part des ovaires , et s'étend peu à peu aux trompes , à la matrice , au vagin et au vestibule (1). La mort marche de dehors en dedans ; la vie s'éteint d'abord à la périphérie , puis dans les organes centraux ; en premier lieu dans les membres , ensuite dans le tronc ; d'abord dans les organes locomoteurs , puis dans les organes senso- riels ; dans l'œil d'abord , et ensuite dans roreille. Comme , dans le matériel de l'organisme, la formation procède de dedans en dehors , et que les parties périphériques sont celles qui se développent en dernier lieu , les organes qui se pro- duisent après tous les autres , notamment les dents et les parties génitales , sont ceux qui se flétrissent les premiers ; mais, comme la vie morale marche de dehors en dedans lors- qu'elle se développe , les forces qui s'y rapportent baissent dans^ le même ordre que celui de leur manifestation , et les supérieures persistent plus long-temps que celles qui sont placées au dessous d'elles. 2° La matière change continuellement pendant la vie , et l'idéal seul persiste. Les parties non essentielles disparais- sent , et il n'y a que les organes essentiels qui se maintien- nent ; mais ceux-là ont beau changer de substance et de relations , nous sentons toujours en nous le même moi : donc l'âme est la seule chose permanente dans la vie, tout comme, au plus bas degré de son développement, elle assure déjà une plus longue durée à l'existence organique ( § 625 , 2° ). Le physique n'est point une chose étrangère ou ennemie , c'est seulement l'enveloppe de l'idéal, qui s'annonce en germe dès avant le développement de la sensibilité , après l'exlinction de laquelle il se manifeste dans toute sa pureté ; ainsi l'amour des enfans s'éveille dans l'âme de la femme long-temps avant l'âge de la nubilité , et le lien des âmes consiste en une pleine intimité quand depuis longues années déjà la vie sexuelle a terminé son cours. L'âme continue de croître non pas seule- ment après que son corps a depuis long-temps cessé de prendre aucun accroissement, mais encore lorsque les autres (1) Mende , AusfuehrlichesHandhuch der gerichtUchen Medicin^ t. IV, p. 413. 566 ORGANISME DU TEMPS. forces de ce dernier diminuent, et elle se perfectionne dans son essence intime tandis que les activités inférieures de l'or- ganisme vont déjà en fléchissant ; il lui arrive souvent au lit de la mort de s'élever à une surprenante hauteur , et de re- couvrer toute sa liberté, toute sa lucidité, dans des cas même où depuis long-temps elle était enchaînée et en proie à la plus grande confusion ( § 633 , 4° ). 3" L'âme est d'abord confondue, à l'état latent, avec la vie matérielle ; et comme son premier éveil a pour résultat de commencer à la dégager de celle-ci , le développement qu'elle prend ensuite pendant le cours entier de la vie consiste à la débarrasser de plus en plus des liens de la matière , à faire qu'elle acquière une conscience de plus en plus nette de son opposition avec elle , et celte scission continue jusqu'au der- nier terme de la vieillesse , à l'époque où les organes de l'âme ne remplissent plus leur office , mais elle n'atteint son point culminant que quand la mort délivre tout-à-fait l'âme du corps.. Si l'homme grossier n'est occupé que du monde exté- rieur , la culture le conduit à la réflexion , lui apprend à distinguer son moi de son corps , et le mène ainsi à la pensée que son âme survivra à sa mort (1). C'est d'abord l'observa- tion des rêves qui révèle l'indépendance de l'âme à l'homme vivant sous l'empire des sens : ainsi les Groënlandais , les Américains du Nord , les Insulaires de la mer du Sud et les Hindous, pensent que l'âme quitte le corps pendant les songes, comme à l'article de la mort (2). Toutes les fois qu'elle prend un plus grand essor, qu'elle se plonge dans la méditation, qu'elle tombe dans l'extase , en un mot qu'elle se replie en- tièrement sur elle-même , l'âme se dégage encore davantage de la vie corporelle et du monde phénoménal. Cette sépara- tion peut aller jusqu'à lui faire envisager le corps comme un objet entièrement étranger à elle, et amener la mort volon- taire. En effet , la vie , considérée sous un point de vue géné- ral , est une conservation active de soi-même , et la vie ani- male, c'est-à-dire celle qui sent et qui veut, ne peut ni se (1) Flugge, loc. cit., 1. 1, p. 83. ' (2) Simon, loc. cit., p. 17-21. ORGANISME DC TEMPS. ^ 567 trouver bien que dans celte conservation , ni vouloir rien autre chose qu'elle ; elle peut périr par suite de son activité, mais elle ne saurait avoir pour but sa propre ruine : il y a identité entre l'amour de la vie et la vie. Quand donc le moi sacrifie la vie d'ici-bas pour une idée , cet acte de sa part suppose une autre vie plus idéale , à laquelle il se propose d'atteindre en renonçant à l'existence terrestre. Or, les cas où la mort arrive à une époque déterminée , par l'effet de l'imagination ( § 633 , 4° ) , nous fournissent l'exemple d'une séparation immédiate et spontanée de l'âme et du corps. 4° La marche de la vie et du développement moral an- nonce que l'homme se rapproche par degrés d'un état plus parfait, qui ne peut avoir lieu qu'après la mort. Ce qu'il y a d'essentiel , d'intérieur, de supérieur en lui persiste et de- vient de plus en plus puissant ; comme l'embryon , qui d'a- bord faisait réellement partie de l'œuf , s'en détache peu à peu, devient indépendant, et acquiert graduellement une pré- dominance de plus en plus marquée sur lui , ainsi, dans la vie humaine, le moral acquiert un empire toujours croissant sur le physique , et les facultés supérieures de l'âme s'élèvent à une prééminence décidée sur les facultés inférieures. Chez l'enfant, l'activité des sens l'emporte sur toutes les autres , l'âme est dirigée tout entière vers le monde extérieur , elle ne cherche qu'à connaître l'apparence deschoses ; avec l'âge, l'empire des sens extérieurs se resserre de plus en plus , et la puissance du sens interne va toujours en croissant ; pen- dant la période de fermentation de la jeunesse^ l'imagination déploie toute sa vivacité, et la pensée erre capricieusement dans les vastes domaines du possible ; durant le moyen âge, l'équilibre s'établit entre les facultés supérieures et inférieu- res, et les forces , à peu près également réparties entre le monde extérieur et le monde intérieur , se tournent vers la réalité , vers le positif ; à dater de ce moment l'intelligence acquiert une domination de plus en plus illimité© et absolue sur les forces inférieures de l'âme, qui jusqu'alors avaient été plutôt moyen que but, et qui se retirent sur l'arrière-plan du tableau ; l'homme apprécie de mieux en mieux la loi de la îa nécessité; son monde intérieur, qui va toujours en se sépa- S68 ORGANISME DU TEMPS. ' """ ^ rant davantage du monde extérieur, devient plus puissant , les produits eux-mêmes de sa propre vie prennent de plus en plus le caractère objectif à ses yeux , et lorsqu'enfin il cesse de pouvoir produire , la contemplation de ce qu'il a fait remplace les jouissances de l'action. La vie devient de plus en plus indépendante à mesure qu'elle avance^ l'embryon est nourri parle sein maternel, l'enfant doit ses alimens à l'amour de sa mère, le jeune homme reçoit de ses parens les moyens de subvenir à ses besoins , l'homme fait se procure lui-même ce qui lui est nécessaire , et le vieillard vit de ce qu'il a acquis par le passé ; il y a donc progression continuelle vers une vie indépendante et ayant ses fondemens en elle-même. L'enfant a besoin d'être élevé, le jeune homme fait lui-même son éducation, l'homme appli- que à des buts déterminés les forces qu'il a acquises , et le vieillard ne voit dans ces buts que les motifs d'un nouveau développement de sa vie intérieure. La variabilité va toujours en diminuant ; c'est pendai^t la période qui précède la matu- rité que la vie marche avec le plus de rapidité , qu'il y a le moins de constance, que l'excitabilité est portée au plus haut point; au 'moyen âge, la vie se place pour ainsi dire dans un état de juste milieu ; pendant la vieillesse, elle se rapproche davantage du caractère de la fixité et de la permanence. Reposant sur un principe spirituel qui veut se produire sans cesse de plus en plus , la vie se détache continuellement du sol d'où elle tirait jusqu'alors sa nourriture, pour s'élancer dans un cercle d'action plus vaste. Le germe se détache de l'ovaire et l'embryon de la matrice, le nourrisson quitte le sein maternel, l'enfant se dégage des bras de sa mère , et le jeune homme abandonne le cercle de la famille, l'homme s'isole des compagnons de sa jeunesse, etle vieillard abandonne la vie ci- vile , qui jusqu'alors avait été le théâtre de son activité. La vie naît de ce que l'idéal se renferme dans les bornes du fini, et à mesure qu'elle avance, elle devient de plus en plus spirituelle et universelle ; toute métamorphose exprime la liaison de la partie avec le tout , de sorte que le particulier, après être sorti du général , tend à prendre de plus en plus le caractère de la généralité. Les organes proviennent du gé- ORGANISME DU TEMÏ-S, 669 néral, c'est-à-dire de l'idée de l'organisme, de la masse orga- nique commmune, et végètent d'une manière égoïste jusqu'à ce que leurs fondions les mettent en rapport avec tout l'en- semble de la vie ; le corps organique se forme dans sa spé- cialité jusqu'à ce que l'acquisition de la faculté procréatrice fasse de lui un organe de l'espèce, et, quand il ne peut plus rien pour son espèce , il sert par sa mort à d'autres espèces d'êtres organisés, ou passe par la décomposition dans l'empire des élémens. Mais l'âme va continuellement du particulier au général , du simple sentiment intérieur à la raison, par la connaissance sensorielle , l'entendement , l'imagination et le jugement : l'égoisme de la vie non à maturité est refoulé sans cesse par la relation universelle, et, en arrivant, par l'acqui- sition de la pleine et entière conscience de soi-même, à se cons vaincre que l'idée est indépendante de tout ce dont les sens procurent la connaissance , l'âme devient libre et suscepti- ble d'existence après la dissolution de ses liens corporels. Mais le développement s'accomplit de telle manière que la vie non à maturité est mise en harmonie avec la nature par le pressen- timent et l'instinct, attendu que l'universel s'y trouve encore confondu avec le particulier , que la scission qui a lieu pen- dant le moyen âge, amène un anta^jonisme entre elle et la na- ture, enfin que, l'universalité devenant prédominante pendant la vieillesse , ce qui avait été précédemment séparé se rallie en une unité supérieure , et la paix avec la nature se trouve rétablie. 5° Quand on demande une autre vie parce qu'autrement l'existence de l'homme sur la terre serait sans but , on ou- trage la nature ; car elle n'a rien de commun avec les hiéro- phantes qui , de grade en grade , leurrent les initiés par la promesse d'une prochaine révélation prochaine de leurs mys- tères. Nous avons reconnu un but que la vie poursuit dès le principe et qu'elle atteint réellement à la mort ; mais la ques- tion se présente de savoir s'il est possible et s'il est nécessaire d'arriver à ce but d'une manière plus complète. Partout la nature tend à un développement futur, et elle remplit fidèle- ment ce qu'elle promet en germe ; ayant partout l'avenir en vue , elle appelle à l'existence des forces qui ne doivent en- 570 ORGANISME DU TEMPS. trer en plein jeu qu'à une certaine époque ; ce qu'elle garan- tit à l'embryon par le développement des organes digestifs , respiratoires, sensoriels, locomoteurs et génitaux, elle le réa- lise dans des temps plus éloignés , et les forces spirituelles qui se soulèvent chez l'enfant trouvent dans l'âge mûr une sphère d'action qui leur corresponde. La mort est , de son es- sence, la ruine de l'individualité, qui a complètement réalisé son idée. Mais ce qui appartient essentiellement à l'idée de la vie humaine, ce qui en fait, à proprement parler, le noyau, c'est rinluilion de l'idée, c'est la tendance vers l'idéal. De cette pensée d'une chose impérissable et supérieure ^au domaine des sens, résulte l'aptitude à un plus grand développement ; car, dans notre vie, des bornes sont partout imposées à notre tendance intellectuelle et morale ; il n'y a qu'un bien petit nombre de momens d'inspiration dans lesquels s'établisse, en- tre la vie et l'idéal, une harmonie unitaire qui est pour ainsi dire la révélation d'une existence plus relevée ; mais , en gé- néral, l'avidité de savoir ne trouve point une complète satisfac- tion, et l'esprit s'efforce en vain de résoudre toutes les énig- mes; la plus pure volonté ne peut point toujours atteindre à son but, et l'on cherche en vain la réalisation parfaite d'une justice qui repose non sur un sentiment subjectif , mais sur une idée éternelle. C'est ce qui éveille en nous le désir d'un état plus parfait. Tant que nous ne connaissons point assez la nature , tant que nous croyons volontiers à la fable , nous cherchons la réalisation de notre idéal d'abord dans des pays lointains, ou dans les temps primitifs de notre espèce, plus tard dans une existence future (1). Mais comme nul être ne veut être autrement qu'il ne peut être , il faut aussi que cette tendance trouve son accomplissement. 6° L'entendement , qui ne juge que d'après l'expérience , et qui veut connaître tous les détails d'un acte quelconque , répugne à; la pensée d'une persistance après la mort , et à chaque conviction qui s'appuie sur des motifs déterminans , il soulève de nouveaux doutes. Cette pensée n'a de sol fixe que dans la croyance. Mais la croyance à une vie future est (1) Elugge, loc. cit., 1. 1, p. 97. ORGANISME DU TEMPS, 5^ 1 essentielle à la nature humaine ; car on la rencontre chez tous les peuples de la terre, et chez les esprits les plus exercés comme chez les plus incultes , pourvu qu'ils commencent à s'élever au dessus du grossier témoignage des sens. Elle manque bien à certains individus : mais il n'y a point de qua- hlé humaine dont on ne constate l'absence tantôt chez l'un , tantôt chez l'autre. L'idée de la dignité de l'homme , de la liberté et de la justice n'est point un fantôme, parce que quelques individus , incapables de la concevoir, demeurent arrêtés au plus bas échelon de la vie, et ne reconnaissent d'autre droit que celui du plus fort. Nul argument ne saurait nous convaincre de ce qui dépasse la portée de nos sens , lorsque le germe ne s'en est point développé dans notre pro- pre intérieur. Quand la force vitale jouit d'une pleine énergie, que le sentiment intérieur est dans toute sa force , que le plaisir de l'existence déploie tous ses attraits , et que l'enten- dement, rendu audacieux par les résultats de ses efforts, at- tire à lui la domination exclusive, alors la jouissance du moment procure une entière satisfaction , et l'on n'éprouve pas le besoin d'un plus haut degvé de développement. Aussi la persistance après la mort trouve-t-elle des incrédules non pas exclusivement chez les nations qui sont parvenues au der- nier terme de la sensualité et qui ont largement cultivé leurs facultés intellectuelles , mais encore chez des peuples dont la vie est emprisonnée dans un cercle fort étroit, par exemple, chez les Groënlandais (1). Mais si la croyance à une vie fu- ture est trop répandue pour qu'on puisse la considérer comme un effet du hasard et de l'individualité , si, loin de là, elle a son fondement dans l'essence de l'âme humaine , elle doit avoir aussi sa signification physiologique. L'infini est la source de la vie , et il prédomine en elle , comme dans son produit fini ; il lui imprime son cachet, dans la pénétration réciproque des temps (§ 647, 5°), de même que dans l'unité des choses distinctes sous le point de vue de l'espace. Tant que l'orga- nisme n'est que le substratum de la force infinie de la nature et de sa réalisation, il manifeste la puissance de cette force (4) Simon , loc. cit., p. 26. 572 ORGANISME DU TEMPS. sans le savoir, ni le vouloir ; de même que l'âme produit son corps par une activité créatrice , de même aussi elle connaît ce qui est à distance sans avoir besoin des sens (§ 354 , 3°, 515, II), et le futur sans nul secours de l'expérience (§ 647, 5"). En se développant davantage , l'organisme admet la force infinie de la nature dans son individualité ; le moi de- vient indépendant ou spontané , parce qu'il convertit l'uni- versel en personnalité ; ici le présent domine ,^ l'entendement soumet la nature à son empire , il comprend les spécialités de ses phénomènes , il calcule sa marche , il apprécie ses rap- ports ; mais la volonté obéit à sa force propre , et , dirigée par un pressentiment , elle tend au but qu'elle s'est tracée elle-même. Malgré cela cependant l'organisme ne cesse pas d'être un produit ; comme le moi ne s'est pas donné lui-même sa force, comme il en a reçu le germe, qu'il n'a fait que déve- lopper ce germe dans des circonstances qui ne dépendaient pas non plus de lui, de même sa connaissance et sa volonté ont des bornes infranchissables , et tandis qu'il règne en maître dans la sphère moyenne , il n'est qu'un simple support de la force infinie de la nature dans la'plus basse et dans la plus élevée de ses sphères. Or la forme infinie de la nature se manifeste à lui comme pressentiment, comme croyance , de laquelle peut résulter une connaissance qui ne tire point sa source du dehors , dont l'expérience ne saurait donner la démonstration. Il se peut très-bien que ces dons divins soient défigurés par la sensualité, l'imagination, l'entendement, et deviennent ainsi des dogmes absurdes ; mais le pressentiment , qui est généralement et véritablement humain , ne s'en trouve pas moins rempli, et la croyance qui, au lieu de descendre dans le domaine des sens, pour y chercher les choses placées en dehors de leur sphère , les saisit et les contemple dans toute leur pureté , est la vérité même , la vérité pleine et entière , la plus sublime des vérités. Ainsi le pressentiment d'une persistance après la mort et la croyance d'une vie future sont pour nous la garantie de sa réalité. Ces facultés de l'âme peuvent sommeiller en germe pendant long-temps, et ne s'éveiller que dans certaines circonstances ; mais les stimulans généraux de la vie sont la douleur et l'amour. La douleur, ORGANISME DD TEMPS. S^S en secouant l'âme , l'arrache à l'engourdissement de sa vie embryonnaire (§ 525, 1"), fait naître en l'homme la véritable conscience de lui-même , lui apprend à connaître ce qui était caché dans ses '^plus profonds replis , lui enseigne à sentir comme l'humanité doit le faire , et le conduit ainsi à un degré plus avancé de perfection ; elle lui découvre la perspective d'une autre vie , ainsi qu'elle lui avait montré l'entrée de celle d'ici-bas. Quant à l'amour, qui engendre la vie (§242, 26°), qui le maintient (§ 369, 515), qui l'exalte (§ 248, 565 , 582), et qui l'accompagne pendant tout son cours (§ 580, 10"», 630, 9o), il inspire aussi une ferme croyance à la vie future; non seulement il guide les premiers pas du voyageur dans la route épineuse qui se déroulait devant lui , mais encore il donne à l'imagination la force nécessaire pour franchir la nuit du tombeau. C'est ainsi que la douleur d'avoir perdu ceux qui nous étaient chers ouvre notre âme à la pensée de l'im- mortalité ; si nous avons aimé l'impérissable dans ce qui de- vait périr, noire amour lui-même ne saurait s'éteindre, et le doute de la survivance des âmes est à jamais banni de nos cœurs. FIN DU CINQUIÈME VOLUME. TABLE DU CINQUIÈME VOLUME. Section troisième. De l'âge adulte. I Chapitre I. De la vie par rapport à l'individu. 4 Chapitre II. De la vie par rapport à l'espèce. 8 Article I. Des rapports de la faculté procréatrice. lo I. ^Rapports avec la vie plastique. ib. II. Rapports avec la vie animale. . 22 Article II. De la maturité procréatrice. 36 Article III. Du mariage. 47 I. Conclusion du mariage. 5o II. Rapports entre les sexes dans le mariage. 62 III. Effets du mariage. 70 IV. Propagation. ^3 A. Amour pour les enfans. 8i B. Éducation. 89 1. Moyens d'éducation. 99 2. Mode d'éducation. lo3 C. Fécondité. ii3 V. Influence du mariage sur les individus. 1 16 Section quatrième. De l'âge avancé. 122 Chapitre I. De l'âge de retour, ih. Chapitre II. De la yieilles9««^ 199 TABLE. 5^5 Article I. De la vie végétative. i32 I. Constitution matérielle. iô. II. Rapports avec le monde extérieur. 187 III. Activité périphérique de la vie plastique. 142 Article II. De la vie animale. i49 I. Périphérie animale. ^o. II. Activité de l'âme. i56 III. Retour vers un âge moins avancé. i64 Seconde division. De la révolution de la vie. 170 Chapitre I. De la périodicité diurne. i85 Article I. Du sommeil. i85 I. Sommeil des végétaux. *^« II. Sommeil des animaux- 19^ A. Causes du sommeil. 19^ B. Etat de l'âme dans le sommeil. 201 C. Essence du sommeil. 227 D. Effets du sommeil. 233 Article II. Des effets delà périodicité diurne sur la vie. 235 Chapitre IL De la périodicité annuelle. a49 Article I. Des phénomènes particuliers de la périodi- cité annuelle. aSo I. Phénomènes relatifs à l'ensemble de la vie. ih. A. Sommeil d'hiver des végétaux. ib. B. Sommeil d'hiver des animaux. 252 1 . Phénomènes du sommeil d'hiver chez les ani- maux. 256 a. Vie animale. ih» h, Yie végétative. aSg 576 TABLE. 2. Essence du sommeil d'hiver chez les ani- maux. 265 3. Besoin du sommeil d'hiver chez les animaux. 268 4. Causes du sommeil d'hiver chez les animaux. 272 a. Causes de l'engourdissement. ib, b. Causes du réveil. 2^6 II. Phénomènes relatifs à certaines fonctions. 2^8 A. Vie végétative. îb. B. Vie animale. 290 Article II. Des effets de la périodicité annuelle sur la vie. 3oo Chapitre ill. De la périodicisé tridiaire , seplimanaire et quadriseplimanaire. 321 Troisième partie. De la mort. 33 1 Section première. Des causes de la mort. ib. Chapitre I. De la mort nécessaire. f^< Article I. De l'épuisement de l'idée de l'espèce, comme cause de mort naturelle. 34o Article II. De l'impossibilité du rajeunissement, comme cause de mort naturelle. 344 Chapitre II. De la mort accidentelle. 348 Article I. De l'influence de l'âge sur la mortalité. 555 I. Mortalité dans l'espèce humaine. 365 A. Mortalité absolue. ^^« B. Mortalité relative. 367 II. Durée de la vie humaine. 382 TABtE. 577 Article IJ. De l'influence de l'indivicluHÎité sur la mortalité. 38(5 I. Influence des conditions primordiales. ib. II. Influence des conditions acquises. 3a5 Article III. De l'influence del'espècesur la mortalité, 4oi Section secode. Des phénomènes de la mort. 409 Chapitre I. Des phénomènes de l'extinction de la vie. ib. Chapitre II. Des phénomènes cadavériques. 4'^ Article I. Des signes de l'abolition de la vie. 4 '9 Article II. De la raideur cadavérique. [{ào Article III. De la putréfaction. 4^7 I. Première période. 449 II. Seconde période. 4^2 III. Troisième période. 4^4 Section troisième. Des diverses manières dont la mort est envisagée par l'homme. 4^^ Chapitre I. Des usages auxquels la mort a donné lieu. ib. Chapitre II. Du suicide. 47^ QdatriÈme partie. De l'organisme du temps. 4/^ Chapitre I. De la modalité du développement. 480 Article I. De la marche du développement physique. 4^^ Article II. De la marche du développement intellec- tuel et moral. 49^ Chapitre II. Delà relation des âges de la vie. 5oi Chapitre III. De la qualité des r(ges de la vie. ôcj Article I. Des particularités qui dîslinguenl k's Tiges de la vie. ib, T. 07 57S TABLE. Article II. De la proportion des âges de !a vif. 5i5 Chapitre IV. De îa rjviantîté delà vie. 024 Article I. Desmanireststionsde la vie. 5a5 I. Durée de la vît?. «^. II. Energie de !a vie. 53o Article II. De l'essence do l'ovgatii&me. 535 I. Essence delà mort. *^- II. But de la vie. 537 lïL Persistance après la mort. ^''^î^ FJN »E I.A TAtfcS Dli eiNÇt'IEME VOLIMB.